149 24 15MB
French Pages 292 Year 1994
A Jacques et Line, A Lise, Alain, Sylvie et Marianne, A tous ceux dont le regard m’a donné la force
d’explorer un terrain nouveau.
(( Croître comme l’arbre qui ne presse pas sa sève. D
M
(R.M. Rilke Lettres à un jeune poète », 1903)
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J'APPRENDS, DONC JE SUIS Introduction à la neuropédagogie
Couverture : Peinture de Georges Brunon
La loi du 1 1 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les (( copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective B et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, G toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite H (alinéa le‘ de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les alinéas 425 et suivants du Code pénal, si elle n’était autorisée par l’éditeur ou par le Centre Français d’Exploitation du Droit de Copie - 6 , rue Gabriel-Laumain - 75010 PARIS.
O Les Éditions d’organisation, 1987. Achevé d’imprimer en avril 1992
Hélène Trocmé- Fabre
J’APPRENDS, DONC JE SUIS Introduction à la neuropédagogie
Préface d’Albert Jacquard Directeur du Dépa-ment de Génétique de l’Institut National d’Etudes Démographiques
LES ÉDITIONS D’ORGANISATION
AUX ÉDITIONS D’ORGANISATION Edward DE BONO Réfléchir mieux Tony BUZAN Une tête bien faite Alain CARDON Le manager et son équipe Alain CARDON, Vincent LENHARDT et Pierre NICOLAS L’analyse transactionnelle : outil de communication et d’évolution Olivier CLOUZOT et Annie BLOCH Apprendre autrement Olivier CLOUZOT - Enseigner autrement - Former autrement : apprentissages intellectuels, langages et structuration des connaissances Catherine CUDICIO - Comprendre la PNL Maîtriser la PNL Guy DELAIRE Commander ou motiver ? Thomas DEVERS Communiquer autrement :expression non verbale, attitudes et comportements Jacques DUMONT et Christian SCHUSTER Jouer à raisonner Jean FRIANT et Yvon L’HOSPITALIER Jeux-problèmes : de la logique à l’intelligence artificielle Charles HAMPDEN-TURNER Atlas de notre cerveau : Les grandes voies du psychisme et de la cognition Malcom S. KNOWLES L’apprenant adulte : vers un nouvel art de la formation Linda V. WILLIAMS Deux cerveaux pour apprendre : le droit et le gauche
-
ISBN : 2-7081-0860-3
SOMMAIRE
Page
Préface .........................................................
13
Apprendre à enseigner et enseigner à apprendre .................... Un constat .............................................. Un contrat .............................................. Un vrai langage ......................................... A la recherche d’une passerelle. d’un cadre et d’outils .......
17 17 20 21
21
PREMIÈRE PARTIE NOTRE CERVEAU AUJOURD’HUI
L‘apport des neurosciences .......................................
.
............................ Explorer un cerveau humain. normal. en activité .......... La vie cérébrale prise sur le fait .......................... Transmission hormonale et molécules cérébrales ..........
Chapitre 1 Les technologies nouvelles .
-
.
29 31 31 32 35
Chapitre 2 Cerveau(x) et information .............................
39
Le trajet de l’information......................................
40
1.
-
-
De l’environnement à l’homme .......................... Des sens au cerveau : réception et transmission de l’information ................................................
2. Niveaux d’organisation :évolution et maturation du cerveau ..... - Quatre cerveaux en un .................................. - Notre dynamisme sensori-moteur ........................ - Corrélats neurologiques du développement de l’intelligence .
40
41
45 46 50
53
Japprends. donc je suis
8
3. Nos deux hémisphères :deux gestions .......................... - L‘asymétrie des deux hémisphères ........................ - L‘équilibre du pouvoir : confrontation ou coopération ? .... - Voir le voir, l’entendre et le dire. et même... le penser et le vouloir ................................................
60 63 66
4. Mémoires sensorielles et images mentales ....................... - Trois et même quatre dimensions ........................ - Les images mentales .................................... - Un mécanisme commun ................................
70 71 78 82
.
67
......................... 1. Vigilance. conscience et attention ............................... - Une bonne qualité d’éveil ............................... - La notion de conscience ................................ - L‘attention .............................................
83
2 . Motivation(s) et changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
90 91
Chapitre 3 Cerveau(x) et comportements
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Modèles homéostasique, dynamique, cognitif. humaniste .
84 85 85 88
..................................... 4. Affectivité et communication .................................. - Au-delà des cultures ? ................................... 5. Rythmes cérébraux et communication .......................... - Des rythmes de base universels? .........................
93
Chapitre 4. L’observateur observé ................................. 1. Les mots clés de notre potentiel ...............................
99
3. Perception et personnalité
2. Quel modèle pour notre cerveau ? .............................. - Ordinateur ou servo-mécanisme? ........................ - Le modèle holographique ............................... - Système ouvert et structure dissipative ................... - Autres modèles ........................................ . Un modèle cybernétique appliqué à l’apprentissage d’une langue étrangère ........................................ 3. Conditions optimales de fonctionnement :hygiène et nourriture cérébrales .......................................................
94 95 96 97
100
102 103 106 107 109
110
111
Chapitre 5. Quelles perspectives pour la formation ? ................ 117 La conscientisation de l’apprenant et de l’enseignant ....... 118 L‘expérience partagée ................................... 118 Le droit à la différence et à l’intelligence ................. 119
. .
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9
Sommaire DEUXIÈME PARTIE APPRENDRE A GÉRER SES RESSOURCES Vers un apprentissage bionomique ................................
123
Chapitre 6. Quelle(s) pédagogie(s) pour quel(s) apprentissage(s) ? .... 127 1. Les solutions à rechercher .....................................
128
................
129
3. Trois pôles en inter-relation. ................................... 1. Comprendre ........................................... - La réalité cérébrale; tout est relation; l’ancrage; la complexité ; les différents niveaux ; les conditions optimales de fonctionnement ; l’interface cerveau-information ; savoir d’où l’on part et où l’on va. 2. Faire .................................................. Informer, dire, dialoguer... ; faciliter la prise en charge, la mémorisation; que faire en cas de dysfonctionnement? développer la mise en relation, les évocations mentales, la pensée positive, le langage des deux hémisphères, le voyage imaginaire, la représentation graphique, les sens tactile et kinesthésique, l’apprentissage expérienciel ; éviter les fautes contre le cerveau. 3. Laisser se faire l’itinérance .............................. - Faire confance au potentiel ; respecter la durée ; laisser la place au choix; faire lâcher prise... ; accepter les différences.
130 131
2. Éduquer et apprendre :l’itinéraire de l’apprenant
136
~
148
Chapitre 7. Applications pédagogiques. Trois expériences exemplaires 151 1. Un projet national au Venezuela: du formateur :travailler en amont. . . . . . 181 - Attentes, les 4R, image de soi, besoins en formation 2. Transmission d’un contenu et d’une démarche . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 - Réflexion préalable ; figures et tableaux (cf. liste pages 273274). 3. Construire une séquence d’enseignement cohérente avec la démarche neuropédagogique . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213 - Construire la conscientisation de l’apprenant ; construire la prise d’information ; construire le traitement de l’information. - Construire les actes de lecture.
Chapitre 10. Construire un nouveau regard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229 Apprendre, vous avez dit capprendre >> ? Reconceptualiser . . . ... . . . . 229 Aptitude, attention, attitude, autonomie, changement, communication, comprendre, connaissance, contexte, créativité, culture, différences, difficultés, dualité/ dualisme, écriture, entropie, environnement, équilibre, erreur, évaluation, évolution, habitude, image de soi, intelligence, intériorisation, lecture, mots/ langage, norme, objectif, Occident, performance, processus, réel/ imaginaire, réussite/échec, système, temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 1 A la fois marbre et sculpteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . 248
. ... ... ... .. ... .. ... .. ... . . .. La double hélice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . LE contrat.. . .. . . . .... . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. ....
Chapitre 11. Construire pour demain -
25 I 253 255
Références bibliographiques . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . 259 Liste des figures.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . .. .. ... .. .. . . . . . . . . . . . 273 Liste des tableaux . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . ... .. . . 274 Liste des questionnaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 5 Index thématique ............................................ Index des auteurs et noms propres
. ..... . . ..... . .... . . ....... .
277 287
Au lecteur
Le titre de cet ouvrage n’est pas une impertinence envers Descartes. Cést un plaidoyer pour un retour aux racines biologiques de lapprentissage. Un plaidoyer pour un apprentissage bionomique :qui gère la vie. Un plaidoyer pour un apprentissage écologique :qui tienne compte des rapports de I apprenant avec son environnement. Un plaidoyer pour 1ëmergence de l’être et son dépassement au-delà de l’existence tout court :nous sommes nés pour apprendre et pour découvrir notre potentiel dans la durée. Ce livre est lefruit de nombreuses interrogations, rencontres, interactions. II est né de la passion d’explorer, de construire, dïnventer. II s’adresse à tous ceux qui se sentent engagés dans le face-à-face de l’homme et du monde dans lequel il vit. II a été conçu pour être un outil et un maillon de li’tinéraire du lecteur, un témoin de sa propre recherche. La voie d’accès à la neuropédagogie proposée dans ce livre est la spirale. Structure de toute énergie et de toute vie organique, la spirale incite le lecteur à porter un nouveau regard sur l’acquisition des connaissances, puis sur la formation du formateur à partir des données des neurosciences. Celles-ci ont été explorées en partant d’interrogations nées de situations d’apprentissage vécues. Ce livre est donc construit dans un va-et-vient constant entre la pratique et la théorie. L’ordre de succession des chapitres correspond à la logique de notre démarche :les chapitres à dominance théorique mènent le lecteur pas à pas vers un nouveau regard sur sa pratique de l’information et de la communication, puis vers une exploration personnelle des concepts sousjacents aux notions fondamentales qui sous-tendent toute situation de formation.
PR ÉFACE D’Homo à Sapiens. Étrangement nous apprenons à l’école, nous lisons dans les encyclopédies, que la nature, au terme provisoire d’une évolution étendue sur quelques milliards d’années, a fait apparaître, parmi bien d’autres espèces, Homo Sapiens.. Mais comment imaginer que la nature, à laquelle nous dénions par hypothèse tout projet, toute capacité de viser un objectif futur, soit capable de générer de la sagesse? En toute rigueur l’évolution ne peut avoir abouti qu’à Homo; à ce substantif il est possible d’adjoindre des adjectifs tels que erectus ou gracilis, mais certainement pas sapiens ; les premiers correspondent à un constat de fait sur les caractéristiques naturelles de l’espèce ;le troisième est un jugement sur ces performances intellectuelles. D’où vient donc ce sapiens ? Si, conformément à la règle du jeu de la science, on refuse l’explication d’un apport surnaturel, divin, force est d’admettre qu’il vient de Homo lui-même. I1 se trouve que Homo a reçu de la nature le pouvoir de prendre le relais de la nature. Celle-ci a fait Homo et Homo a fait Sapiens. Non pas brutalement comme le fait une mutation génétique, mais progressivement, longuement, au cours d’une lente émergence qui a permis de compléter l’humanité reçue d’une humanitude construite. L‘essentiel de l’homme d’aujourd’hui, ce ne sont pas ses cordes vocales, mais l’usage qu’il en fait, la parole ; ce ne sont pas les assemblages neuronaux mais les performances qu’il a su leur faire réaliser, la réflexion sur l’univers et sur nous-mêmes. I1 est classique d’affirmer avec des termes bien pédants, que l’ontogenèse récapitule la phylogenèse. Autrement dit le développement physique d’un individu, du .stade de l’embryon au stade adulte, passe par des phases successives qui rappellent les phases de l’évolution de l’espèce, depuis les lointains ancêtres marins jusqu’à l’état actuel. Le parallélisme n’est à vrai dire que très approximatif. Par contre, il est plus rigoureux si l’on évoque non le développement des organes mais la progression de l’efficacité avec laquelle nous utilisons l’organe le plus décisif, le système nerveux central.
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Jhpprends, donc j e suis
A la naissance, cet organe est dans une incapacité quasi totale; pour l’essentiel les connexions reliant ses éléments sont encore inexistantes ; elles prolifèrent ensuite dans un foisonnement désordonné qui permet d’attribuer à leur ensemble comme caractéristiques premières d’être surabondant, redondant, et le fait d’être aléatoire. Les structures, les réseaux qui permettent à cet ensemble de fonctionner sont alors à peine à l’état d’ébauche. Elles seront réalisées peu à peu, en fonction initialement de programmes génétiquement déterminés ; mais le patrimoine génétique paraît dramatiquement pauvre (quelques dizaines de milliers d’instructions) face à la richesse de la machine à construire (un million de milliards d’éléments, soit un nombre dix milliards de fois plus grand que celui des instructions). Interviennent également dans cette mise en place des structures cérébrales tous les apports antérieurs qui suscitent la réalisation des innombrables circuits, permettant par exemple de développer un langage. Mais là encore, ces apports semblent bien pauvres face à la complexité de l’objet à construire. L‘«inné )) et 1’« acquis O , même s’épaulant l’un l’autre en une interaction qui démultiplie l’effet de chacun, ne suffisent guère à expliquer l’aboutissement. I1 faut faire appel à la capacité du cerveau à produire, par son fonctionnement même, ses propres structures. Le foie secrète de la bile ;que secrète donc le cerveau ? Certains répondent (( la pensée »,mais n’est-ce pas mélanger des concepts de natures différentes ? Il est sans doute plus vrai d’affirmer que, par son fonctionnement, le cerveau secrète des structures cérébrales. De même que Homo est devenu, par son propre effort au long des dizaines de milliers d’années, Sapiens, de même chaque petit d’homme doit effectuer le long parcours le menant de l’état d’objet fourni par la nature à celui de sujet capable de prendre son destin en main. Mais ce parcours ne peut être suivi seul ; pour faire un homme il faut les hommes. 11 n’est pas excessif de dire que l’objectif de la vie de chacun est de se construire en participant à la construction des autres. C’est cela l’éducation ; à la fois donner à un jeune le goût de se créer lui-même, en se regardant de l’extérieur et en prenant conscience de la possibilité de choisir un chemin (educere) et lui apporter toute la nourriture intellectuelle nécessaire pour qu’il puisse réaliser son projet (educure). Le rôle premier de tout groupe d’hommes, ethnie, nation, humanité dans son ensemble est de faire des hommes, ou, plutôt de créer des conditions permettant aux hommes de se faire eux-mêmes. Hélas, trop d’objectifs occultent cette fonction essentielle ; et nos sociétés modernes sont des modèles d’aberration. Comment a-t-on pu par exemple définir les nations comme des communautés de défense, obsédées par la crainte des agressions de la part des nations voisines ; alors qu’elles sont d’abord des communautés d’éducation, qui devraient être obsédées par la nécessité d’accroître sans cesse la richesse humaine qu’elles représentent ? Cette obsession devrait aboutir à de multiples recherches sur cet acte essentiel : éduquer. Recherches d’autant plus difficiles que cet acte est paradoxal, car son aboutissement est un être libre, capable notamment de refuser l’influence de l’éducateur : (( lorsque tu m’auras compris, tu pourras
Préface
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me jeter D. Raison de plus pour le multiplier, pour effectuer en permanence les remises en cause qu’imposent les avancées de disciplines scientifiques concernées, en premier lieu celles qui étudient le fonctionnement du cerveau. En fait de telles recherches sont rares. Le travail d’Hélène Trocmé-Fabre me semble un modèle de ce qui devrait être réalisé; il ouvre en effet la problématique de l’éducation à l’ensemble des cheminements actuels de la réflexion scientifique. I1 constitue un apport qui sera précieux pour tous ceux qui s’efforcent de mieux jouer leur rôle de constructeur de l’humanitude.
Albert Jacquard, Paris, juin 1987
APPRENDRE A ENSEIGNER ET ENSEIGNER A APPRENDRE
N Ne vivez pour l’instant que vos questions. Peut-être simplement, en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses... Presque tout ce qui est grave est difficile. )) ... a Ne voyez-vous pas que tout ce qui arrive est toujours un commencement ? H
R . M . R I L K ELettres , à un jeune poète, 1903
Un constat
Les enseignants, les formateurs, les responsables d’institutions, les parents et les apprenants eux-mêmes... prennent peu à peu conscience qu’il existe une véritable faille, un fossé parfois très important, entre les ressources des apprenants - jeunes ou adultes - et leurs réalisations ; entre les efforts fournis et les résultats obtenus ; entre les attentes des uns et des autres, et les objectifs réellement atteints. Les causes de ce décalage, dramatique dans certains cas, sont multiples et de nature diverse. Nous en citerons quatre. La première concerne l’institution ; la seconde, la conception qu’a l’homme de son équilibre. La troisième concerne le monde de l’information ; la quatrième, la connaissance de nos mécanismes. Lapremière cause est à chercher dans le fait que l’institution et le système scolaire attachent une importance beaucoup plus grande aux résultats qu’au processus d’acquisition des connaissances*. La pédagogie scolaire propose
* Les termes (( d’acquisition des connaissances )) et
C’est en ces termes que Justine Sergent de l’université McGill à Montréal, présente le problkme de la latéralisation et de la spécificité des fonctions cérébrales. Elle apporte un éclairage nouveau à l’étude des deux hémisphères, en recadrant le problème de façon à tenir compte de l’influence des caractéristiques des stimuli et de la méthode utilisée. Elle suggère clue les études précédentes n’ont sans doute pas posé le véritable problèm’e car l’opposition analytique/ holistique est un épbhénomène, résultant d’’aspectsfondamentaux de l’entrée sensorielle et du traitement cortical des stimuli. En effet, la mesure des réactions aux stimuli est fonction de paramètres tels que la fréquence spatiale, la durée d’exposition du stimulus et le type de tâche demandée au sujet. Sergent démontre que les deux hémisphères sont capables de reconnaître les visages (ce que la plupart des études précédentes réservaient à l’hémisphère droit). Les deux hémisphères analysent. Les deux hémisphères sont en mesure de percevoir les ensembles... Où réside donc la différence? D’après les expérimentations portant sur plusieurs modalités (vision, audition, toucher), la différence fondamentale entre les deux hémisphères se situe dans la sensibilité aux différents paramètres spatio-temporels de l’information à traiter, et dans les aptitudes sensori-motrices à décoder l’information. L‘hémisphère droit traiterait l’information brève, l’image pauvre et/ ou de grande dimension. I1 se chargerait des opérations plus élémentaires et nouvelles (non familières). I1 servirait de cadre aux opérations de l’hémisphère gauche qui, lui, se chargerait du traitement des détails, des informations plus petites, plus complexes, familières, et exigeant un temps de traitement plus long (46). (45) Cf. les recherches de BAKANP. (1969) ; BOCENJ. et al. (1972) sur I’hémisphéricité ; COHEN R. (1969) slur les styles et profils d’apprcntissage; HARNETI D. (1974) sur l’apprentissage d’une langue étrangère ; WITTROCKM.C. (1977) sur la mémoire, etc. (46) Cf. aussi les recherches de KIMURAD. qui insiste sur les notions de coopération et dominance complémentaire des deux hémisphères ; cf. GARDNER H. (1987).
Cerveau(x) et information
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Souligner 1importanc.e des procédures méthodologiques et de la prise en compte des caractéristiques de l’information donnée et du type d’activité demandée, c’est ouvrir une voie essentielle à la réflexion pédagogique. Non seulement est confirmée la nécessité d’aller du global à l’analytique, du contexte au détail, du général au particulier, mais lesformateurs sont invités à construire un programme de plein emploi pour le cerveau, sur la base de la coopération des deux hémisphères. La véritable relation entre les deux hémisphères est une relation de complémentarité - et non d’opposition. La richesse de notre cerveau, et sa vocation première, est d’apprendre à gérer la pluralité de nos ressources face à celle du monde qui nous entoure ; ce monde qui nous construit, et que nous construisons. La notion de complémentarité n’est pas récente. (( Contraria sunt complementa)) est la devise que Niels Bohr a choisie, après avoir découvert le parallélisme entre la pensée orientale et la physique des quantas qu’il avait élaborée. Nous sommes équipés, grâce à notre cerveau, pour nous permettre de vivre le cercle des changements infinis dont la réalité nous est révélée par la science moderne, la science de l’infiniment subtil et de l’interdépendance des éléments. Cet équipement, cet héritage, nous en sommes responsables. Qu’en faisons-nous ? Ce questionnement - qui nous paraît fondamental sera présent tout au long de cet ouvrage. Voir le voir, l‘entendre et le dire, et même... le penser et le vouloir
Grâce à une technique utilisant des isotopes radio-actifs, une équipe de chercheurs danois et suédois a pu observer directement la topographie des zones fonctionnelles du cerveau humain. Ils ont obtenu des idéogrammes à partir de zones corticales de fixation et d’élimination du radio-isotope Xénon 133. Les images obtenues non seulement confirment la corrélation entre certaines aires corticales et certainesfonctions cérébrales, mais donnent un reflet assez exact de l’activité cérébrale pendant des activités langagières courantes : écouter, lire, parler, compter... Un fonctionnement dénsemble
Une des constatations frappantes que l’on peut faire à partir de ces images, est que les deux hémisphères sont activés par les activités de langage, et que l’hémisphère droit est loin d’être muet ou inactif lorsque le sujet parle, écoute ou lit. Les expérimentateurs ont constaté que la partie de l’hémisphère droit correspondant à la zone de Broca dans l’hémisphère gauche, était activée lorsque le sujet exprimait une idée, (( ce qui indique qu’elle contribue (même de façon accessoire) à la synthèse finale et à la réalisation du langage parlé. )) Autre constatation : la lecture dite (( silencieuse )) active l’aire de Broca (production du langage) et l’aire motrice supplémentaire. Pour cette activité,
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Notre cerveau aujourd’hui
comme pour toutes, plusieurs aires corticales sont donc activées, confirmant les conclusions du ,grand neurologue russe, A. Luria : les processus complexes de comportement ne sont pas vraiment localisés, mais répartis dans le cerveau, et il s’agit essentiellement d’un fonctionnement de l’ensemble du système (47). Repos sensoriel et pauses structurantes
I1 est également surprenant de constater que, dans un état de repos sensoriel, c’est-à-dire sans stimulation auditive, visuelle, ni tactile, et dans une position de détente, on note une augmentation d’activation de la partie frontale du cerveau de l’ordre de 20 à 30 % au-dessus de la valeur moyenne, et de 50 % au-dessus de l’activation des zones occipitales et postérieures. Ceci représenterait, d’après les auteurs, un état de vigilance ou de a conscience éveillée O , permettant la programmation et la sélection des différents schémas de comportement, - au détriment, en quelque sorte, des aires motrices et sensorielles qui seraient même, sans doute, a inhibées ». Que peut signifier une telle découverte pour ceux qui se préoccupent de l’acquisition et de l’intégration des connaissances ? Sans doute, une réflexion et une interrogation sur le rythme auquel sont soumis les apprenants, les auditeurs, les spectateurs... lorsque l’information est donnée, envoyée, infligée, sans que la moindre pause ne soit ménagée, sans que le moindre temps d’intégration, de structuration, d’évocation ne soit prévu. Or - ce sera l’un des éléments intégré dans le modèle pédagogique proposé dans les derniers chapitres de ce livre - les pauses structurantes sont indispensables à la formation des images mentales qui contribuent à la constitution de nos systèmes de références et de valeurs. Le silence est l’écrin de la pensée. La pause est indispensable à l’ancrage de l’expérience dans le présent, le passé et l’avenir. Elle contribue à la mise en relief de nos perceptions et à la densité de notre être. Lëcoute prépare la parole
Les perceptions sensorielles, visuelles, auditives, tactiles, modifient l’idéogramme cérébral et l’on obtient des images différentes selon que le sujet regarde une image: mobile ou fixe, entend des mots ou un son neutre. Selon les idéogrammes obtenus par l’équipe danoise, la seule écoute de mots active non seulement la zone de la réception de la parole (Wernicke), mais également la zone oculo-motrice, bien que le sujet ait les yeux fermés. Plus les stimuli verbaux entendus sont complexes, plus la zone de Broca (production de la parole) est activée. Cette observation confirmerait l’importance d’étendre considérablement les périodes d’écoute et de stockage de l’information, puisque les fonctions de réception et de production de la parole sont physiologiquement reliées et que l’audition n’est pas sans influencer la parole. (47) Les expériences citées sont celles de N.A. LASSENet de ses collaborateurs à Copenhague (cf. bibliographie) ; cf. aussi LURIAA.R. (1973b, p. 67 et suiv.).
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Rythme et motricité font vivre
Les chercheurs de Copenhague ont réalisé l’idéogramme de l’hémisphère gauche d’un homme âgé dont le débit sanguin était faible, en-dessous du débit normal. Le sujet reçut l’ordre (oralement) d’agripper rythmiquement des objets avec sa main droite : en plus de l’augmentation d’activation des zones corticales correspondant à l’audition et à la main, on a constaté une augmentation du débit sanguin dans le cerveau tout entier. Beaucoup l’ont déjà dit, mais il reste encore à l’intégrer dans la pratique éducative et la règle de vie quotidiennes: rythme et motricité sont deux facteurs indispensables pour notre organisme. Notre société moderne oublie cet axe sur lequel notre équilibre se construit ou se reconstruit (48). >
et
(2) PATYJ. (1984 et 1985) ; cf. aussi PECAND G. (1979), dont l’ouvrage collectif est une approche neurocybernétique du comportement humain.
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Notre cerveau aujourd’hui
trois types d’apprentissage qu’il discerne : formel, informel (ou hors conscience), et technique. A chacune de ces catégories correspondent un (( affect )) (ou émotion) et une attitude formelle, informelle et technique face au changement. ~
~
L‘attention
Depuis les travaux de Moruzzi et Magoun, les mécanismes cérébraux impliqués dans l’attention ont fait l’objet de nombreuses études. I1 semble maintenant admis que l’attention est indissociable de l’état de conscience de soi et qu’elle s’organise à partir de la perception. Elle fait partie des stratégies et des facultés d’auto-organisation du cerveau humain. Selon l’expression de J.-P. Changeux, l’attention (( gère les relations du cerveau avec l’environnement ». Pribram distingue trois processus principaux de régulation : - la mise en éveil de l’attention (arousal), - la réponse au stimulus (readiness) et - le processus dit d’effort. I1 distingue également deux mécanismes de régulation : l’un de rétroaction (feedback), l’autre de proaction (feedforward), mécanismes auxquels il rattache la distinction entre conscience perceptive ordinaire et conscience de soi. L‘apprentissage, sans aucun doute, met en jeu des processus de rétroaction (feedback), de nature essentiellement émotionnelle et motivationnelle, et correspondant à la conscience perceptive ; il déclenche aussi des processus de proaction (feedforward) de nature cognitive, correspondant à la conscience de soi. L‘apprentissage impliquerait donc l’organisation de l’information par l’intermédiaire d’états de conscience différents. Ceci rejoint l’idée émise par Illya Prigogine : les fluctuations sont une loi universelle. L‘alternance entre les moments de prise d’information et les moments de pause sensorielle ou de répit cérébral serait la condition optimale de l’apprentissage. Rappelons les recherches de Copenhague et les ressources de l’idéographie cérébrale, en particulier les recherches de P. Roland sur l’attention : l’attention est un processus d’anticipation, dépendant de la tâche à accomplir et non du stimulus. L‘électro-encéphalographie a révélé des corrélations entre l’apparition d’ondes dites d’activité (tracé bêta) et le processus de fixation de l’attention (et aussi celui de déshabituation). L‘apparition d’ondes dites de repos ou d’habituation (tracé alpha) correspond aux périodes où l’attention s’amenuise. La psychobiologie de l’attention explore les supports biologiques des fonctions cognitives et tente d’établir les composantes et les formes d’attention sélective, discrimination et prise de décision; les temps de réaction; choix de la réponse, etc. L‘hypothèse d’une organisation hiérarchique des stades de traitement de l’information semble se préciser. Notre cerveau émettrait des ondes précoces correspondant au traitement du signal et à la
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sélection du canal (auditif, somato-sensoriel), et des ondes tardives lorsqu’il élaborerait une réponse. En d’autres termes, un potentiel endogène serait émis par notre cerveau pendant une opération mentale. La psychophysiologie cognitive apporte des éléments précieux dans des domaines intéressant directement les formateurs : - Le profil individuel: chaque individu a une stratégie et un degré de résistance à la saturation qui lui est propre ... Les interférences inter et intra-modalité (auditive, visuelle...) : la perturbation de l’attention est plus grande lorsque les signaux concurrents appartiennent à la même modalité (un signal auditif perturbant une tâche de discrimination ou réaction auditive). - Priorité des tâches de détection visuelle sur les tâches de rapidité. - Les zones cérébrales impliquées au cours d’une activité attentive diffèrent chez les gauchers et chez les droitiers. Les régions frontales sont davantage impliquées chez les gauchers (3). Le neuro-endocrinologue signale le rôle des lobes frontaux, de la formation réticulée, et l’action de la dopamine dans le processus attentionne1 (4). Henri Laborit, quant à lui, distingue deux sortes de réaction d’attention : l’une K tonique », persistante, diffuse et sensible à l’habituation : la répétition d’un stimulus peut l’inhiber ; l’autre «phasigue », permettant une attention plus sélective et discriminative. L‘une et l’autre formes d’attention dépendraient de zones distinctes dans le cerveau et pourraient même être antagonistes. C’est ainsi que serait expliquée la difficulté que l’on ressent pour fixer son attention dans certains états d’émotion ou d’excitation. Selon Laborit, 30 % des neurones des cortex visuel et auditif seraient des neurones d’attention qui ne répondraient pas à des stimuli répétés mais seulement à une nouvelle sonorité ou à un renforcement de l’information visuelle. Pour les yogis, l’attention dépend d’une disposition intérieure à se laisser traverser par des ondes sonores et visuelles. Des recherches en biofeedback semblent indiquer le rôle de l’hémisphère dominant dans l’état d’attention. D’après L. Fehmi, du Centre de Recherche en Biofeedback de Princeton, l’hémisphère gauche contrôle une focalisation étroite D, tandis que l’hémisphère droit permettrait une (( focalisation large et ouverte)) (ce que Fehmi appelle l’état ((into-it D). Sur ces notions de (( fermeture D et (( d’ouverture D, Fehmi construit quatre types d’attention : - objective et ouverte : utilisée pour l’intégration d’une masse d’informations, - subjective (into-it) et ouverte : utilisée dans l’écoute, - objective et étroite : dans la résolution de problèmes, - subjective et étroite : dans l’expérience sensorielle. ~
(3) Cf. BEATTY J. (1977) ; VANDERHAEGEN CI. (1982) ; PATYJ. (1984) ; HILLYARD S.A. (op. cit., p. 193-196). (1985) ; J.-P. CHANCEUX (4) Cf. VINCENT J.-D. (1986).
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(( Nous sommes déformés par notre culture )) remarque Fehmi. a Nous pensons que l’objectivité ne peut être que la conséquence d’une focalisation étroite. )) D’autres recherches, portant sur le dysfonctionnement de l’attention dans le domaine visuel, nous révèlent la complexité du processus : l’orientation peut être automatique ou intentionnelle, interne ou externe, distribuée ou concentrée. Le mécanisme, pour être complet, doit comprendre plusieurs étapes : le détachement du point d’ancrage antérieur, la sélection d’une nouvelle cible et le mouvement attentionnel vers cette cible, la fixation sur le nouvel objectif (5). Les mêmes stades du mécanisme attentionnel concernent le domaine auditif. Le terrain à explorer par les formateurs est immense : II est important que tout formateur ou informateur veille à renouveler les formes sous lesquelles l’information est donnée :qu’il évite les répétitions consécutives et identiques;qu’il sache que l’attention est étroitement liée à la motivation, aux rythmes de l’individu, à son expériencepassée, à sa gestion intérieure, et, enfi. et surtout - qu 11se souvienne que l’attention est fonction de l’utilité de l’activité proposée. A ces éléments, il faut en ajouter un autre: la motivation, ou, comme nous allons le preciser, les motivations.
2. MOTIVATION(S) ET CHANGEMENT Le mot motivation est apparu dans la langue française il y a à peine un siècle. Depuis quelques années, il est employé très souvent dans les milieux de formation pour exprimer la préoccupation essentielle des enseignants. On entend souvent poser la question : (( Comment motiver les élèves ? )) et aussi souvent ce commentaire : (( Ils sont démotivés D... Il semble que la motivation soit un comportement qui tende à la fois à atteindre un objectif désirable et à éviter un événement futur désagréable, en mettant en œuvre la coopération de la personne (6). Une fois encore, le domaine est beaucoup trop vaste pour qu’il lui soit fait justice dans le cadre de cet ouvrage. De très nombreux corrélats ou facteurs de la motivation exigeraient d’être soigneusemen‘t définis : objectif/ but ; croyance(s) ;valeurs ; choix, préférences ; besoins, etc. Seuls seront retenus ici les points intéressant directement les formateurs, les enseignants, les parents et les responsables de formation. Un rapide parcours diachronique à travers les diverses théories permet de suggérer d’une part, que le mot motivation soit, comme le mot mémoires, employé au pluriel ; d’autre part, qu’il existe au moins quatre modèles de motivation. K.B. Madsen, de l’École Royale des Sciences de l’Éducation de Copenhague, relie les trois premiers modèles à une structure cérébrale spécitique (5) GAINOTTI G. (1987). (6) LASZLO E. (1975).
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(en plus du système réticulaire auquel tous les modèles de motivation sont reliés), et examine ensuite les possibilités de changement contenues dans chaque catégorie : changements d’objectif, de valeur, de mobile. Les formateurs savent que le véritable nœud des difficultés de l’apprenant réside dans la résistance au changement. Aussi, l’étude de la motivation telle que la présente Madsen revêt un intérêt tout particulier et elle sera présentée en détail. Les hypothèses, ou postulats, concernant la motivation peuvent être classées en quatre catégories : Le modèle homéostasique
D’après la théorie de W. Cannon (1915), elle-même inspirée de la conception du milieu intérieur de Claude Bernard, ce modèle est proche de la conception de Freud. Selon ce modèle, le comportement, comme tout processus biologique, est déterminé par la recherche d’équilibre dans l’organisme. Les psychologues l’expriment ainsi : l’équilibre rompu crée un besoin (faim, soif, sexe) qui, à son tour, détermine un dynamisme, qui, à son tour, détermine un comportement pour réduire ou satisfaire le besoin et rétablir l’équilibre (Freud, Hull, Murray, Freeman...). Madsen relie les motivations représentées par ce modèle à la structure cérébrale de l’hypothalamus, et détermine les mobiles de cette catégorie comme étant (( organiques », (( homéostasiques 1) ou a hypothalamiques D. Dans ce modèle, les possibilités de changement sont réduites car les mobiles sont organiques. La seule possibilité de changement semble être celle que Freud a désignée comme (( l’objet )) de l’instinct auquel on peut substituer un autre objet. La publicité de nos pays industrialisés ne s’en prive pas ... Le modèle dynamique En 1953, lorsque le premier symposium sur la motivation eut lieu, dans le Nebraska, le modèle homéostasique fut élargi à d’autres domaines de la biologie, en particulier à la visualisation. Le nouveau modèle tenait compte de l’effet des stimuli extérieurs, véritables stimulants, capables de mobiliser l’énergie et de déclencher un état d’activation. Ces stimulants sont de deux sortes: primaires, avec un effet dynamisant interne et inné (selon la théorie (( hédoniste D de P.T. Young, et d’Hebb, Tinbergen, etc.) ; ou secondaires, acquis, dont l’effet dynamique s’accroît selon le jeu complexe de facteurs comme l’habitude, le potentiel de réaction, etc. Le modèle dynamique est défendu par Atkinson, Miller, Lewin, Skinner, McClelland, etc. I1 a été adapté à l’apprentissage par Spence. Madsen relie ce modèle à une autre structure cérébrale: le système limbique. Les mobiles de cette catégorie de motivation sont d’ordre (( émotionnel D, (( social )) ou (( dynamique ». Les possibilités de changement sont plus nombreuses dans cette catégorie, car les stimulants (punitions, récompenses) deviennent des objectifs à atteindre et les conduites peuvent être apprises. L‘éducation en fait un grand usage.
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Notre cerveau aujourd’hui Le modèle cognitif
I1 est contenu implicitement dans de nombreuses théories des processus perceptifs et cognitifs (la Gestalt par exemple). Peu à peu l’idée gagne selon laquelle les processus cognitifs ont une motivation intrinsèque, suggérant que la base même de la motivation est dans l’interaction avec l’environnement. Madsen relie ce modèle au cortex. Les mobiles de cette catégorie de motivation sont d’ordre cognitif, ou cortical. Les possibilitis de changement sont beaucoup plus vastes que dans les autres modèles, car les variables cognitives comme l’attente, le système de valeurs, les croyances, peuvent entrer en jeu; de même, les moyens de persuasion verbaux, oraux et écrits, qui utilisent la logique et des moyens que les autres modèles ne possèdent pas (systèmes éducatifs et communication). Le modèle cognitif peut s’appliquer à la (( socialisation secondaire ». Madsen entend par là la formation, l’éducation institutionnelle, les médias. Ce modèle est le seul qui puisse déclencher un changement de mobiles chez l’adulte (non impliqué dans des situations thérapeutiques), alors que les deux premiers modèles, homéostasique et dynamique, se limitent dans leur application à la (( socialisation primaire D, à savoir l’éducation des enfants par leur famille. A ces mobiles d’ordre divers, Madsen ajoute ceux émanant de la formation réticulée : ils sont d’ordre intrinsèque ; ce sont des mobiles d’activation. Le modèle humaniste
Moins défini, parce que multiréférant et beaucoup plus vaste que les précédents, il est représenté par A. Maslow, Allport, Rogers et quelques autres. I1 n’est rattaché à aucune structure cérébrale particulière autre que la formation réticulaire. Sans doute fonctionne-t-il en faisant intervenir des mobiles émanant de l’être tout entier. La motivation, dans le système éducatif, n’est qu’un aspect d’un domaine beaucoup plus vaste, à la dimension de la société dans laquelle s’inscrit l’école. Un programme de formation et de développement des diverses motivations, de type homéostasique, dynamique, global, ou humaniste, pourrait s’inspirer des analyses qui existent depuis... plus de trente ans. Celles-ci devraient être exhumées des bibliographies, pour que les idées qu’elles contiennent soient mises en œuvre et induisent des changements, lorsque ceux-ci s’avèrent nécessaires. I1 semble que, dans le domaine de la motivation plus que dans tout autre, l’information et la prise de conscience de son propre fonctionnement et de ses propres structures soient la méthode la plus efficace pour induire le changement chez 1’être socialisé (apprenant ou enseignant).
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3. PERCEPTION ET PERSONNALITÉ
Ici encore, un choix sera fait pour illustrer, par des exemples précis, ce que peuvent nous apporter les neurosciences dans un domaine beaucoup trop vaste pour être exposé dans son ensemble. Des recherches réalisées par le National Institute of Mental Health (Bethesda, Maryland, États-Unis) à partir de Potentiels Évoqués, ont permis de déceler : des différences marquées dans les réponses obtenues à des stimuli visuels et auditifs chez des hommes, des femmes, des sujets hyperactifs, des sujets normaux, plus ou moins sensibles à la douleur, plus ou moins attentifs une dynamique sous-jacente aux comportements humains et à l’influence de l’environnement sur nos réactions comportementales. Ce type de recherche est extrêmement utile pour équiper en outils d’observation les professionnels de la communication et de l’interaction que sont les formateurs . En effet, l’hétérogénéité des groupes d’apprenants pose toujours le problème de la réception de l’information et des différents niveaux de compréhension d’une même information. En s’appuyant sur la recherche d’une psychologue britannique, le Dr A. Petrie, qui répartissait les sujets réalisant une tâche perceptuelle en deux types (les augmmteurs : ceux qui estimaient le stimulus au-dessus de sa valeur et les réducteurs : ceux qui sous-estimaient le stimulus), les Dr Buchsbaum et Silverman firent l’hypothèse que les réducteurs étaient très sensibles à des stimuli d’intensité réduite (quasi subliminale). Ils découvrirent, en outre, que les réducteurs toléraient mieux que les augmenteurs un environnement pauvre. Les Potentiels Évoqués fournirent une autre donnée : l’amplitude (ou différence en microvolts entre le sommet de la courbe PI et le creux NI) varierait pour un homme et une femme; elle serait une indication de la personnalité du sujet, de sa sensibilité émotionnelle... et même de sa gestion mentale. Ces tendances augmentrice et réductrice semblent, d’après les auteurs, revêtir un rôle soit de protection contre des stimulations potentiellement excessives, soit d’adaptation à l’environnement. Elles traduiraient l’attitude de l’individu face au monde qui l’entoure: certains se laissent envahir par des sensations provoquées par de hautes fréquences et sont insensibles aux fréquences basses ; d’autres, hypersensibles aux stimulations de basses fréquences se protégeraient en se coupant des sensations qui menaceraient leur survie neurophysiologique. Les êtres humains se répartiraient ainsi en deux groupes, selon leur tendance à s’adapter à l’une ou à l’autre solution. Les femmes montreraient une tendance à réagir en augmentrices. Les enfants Ayperactifs seraient un exemple d’adaptation excessive à la tendance augmentrice. Les schizophrènes représenteraient la tendance opposée : une adaptation excessive à la réduction (probablement par souci non-conscient de protection contre un environnement menaçant). Rappelons que les mesures qui démontrent des réactions variant d’un -
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groupe à l’autre et à l’intérieur d’un groupe, sont prises à partir d’un même stimulus. On a constaté des variations entre les différents sujets normaux mais elles ne sont pas encore élucidées. Elles refiètent sans doute les différences de traitement de l’information sensorielle, qui devraient être prises en compte par les formateurs lorsqu’une information est présentée et une interprétation demandée en vue d’une évaluation. Les Potentiels Évoqués d’enfants hyperactifs de 6-12 ans révèlent les mêmes caractéristiques que celles d’enfants normaux plus jeunes, mais leur temps de latence est plus court ; pour ces enfants, l’amplitude et le temps de variance sont modifiés plus fréquemment d’un stimulus à l’autre, traduisant l’instabilité et soulignant l’importance d’une pédagogie de l’attention (écoute et observation). La technique des Potentiels Évoqués telle que l’a pratiquée le Dr Buchsbaum a codirmé également que la réponse cérébrale reflète ce que l’on s’attend de voir et non ce que l’on voit : croire, c’est voir. Les tracés ont révélé que l’état mental intérieur était prédominant sur la perception du stimulus : ce qui compte pour le sujet est plus fort que ce qu’il perçoit en réalité. C’est la preuve que nous ne percevons pas de façon mécanique mais mec notre subjectivité. La personnalité d’un être humain se révèle et se mesure dans ses comportements en situation d’apprentissage et de communication. Plusieurs variables se combinent, comme le besoin d’entrer en interaction, la fréquence, le rythme, la durke des interactions et, comme nous allons le voir, la capacité à se synchroniser avec soi-même et avec l’Autre (7). 4. AFFECTIVITÉ
ET COMMUNICATION
Notre affectivité gère nos rapports avec le monde extérieur (étymologiquement : elle nous (( met dans tel ou tel état ») et elle fonde notre réalité existentielle. Nos émotions (terme utilisé plus couramment que affectivité et impliquant la notion de mouvement), sont des actions-conduites, liées aux différents rythmes de notre organisme : rythme respiratoire, cardiaque, etc. et à l’activité organique, viscérale et glandulaire. Pour Henri Wallon, qui observe des affinités fondamentales entre émotions et fonctions proprement organiques et posturales, (( l’émotion, quelle que soit sa nuance, a toujours pour condition fondamentale des variations dans le tonus des membres et de la vie organique D. Anatomiquement, les lobes frontaux et le système limbique sont reconnus comme jouant un rôle essentiel dans la vie affective de l’homme. Mais ce serait une erreur de penser que seul le lieu ou le siège d’une fonction est suffisant pour qu’elle s’exerce : la substance, en l’occurrence les hormones et les neurotransmetteurs du cerveau hormonal, intervient à tout instant dans (7) Cf. ROSENFELD A.H. et S.A. (1975).
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l’état central fluctuant O , notion proposée par J.-D. Vincent qui la considère plus moderne et plus exacte que celle d’homéostasie. La situation d’apprentissage est fondamentalement déstabilisante, en ce qu’elle exige l’assimilation de nouvelles données et l’adaptation à une situation nouvelle, donc une rupture avec des habitudes. Elle fait appel au cerveau hormonal, car il est, selon les termes de J.-D. Vincent, le grand maître )) qui organise le désordre grâce auquel le fonctionnement des t( grands ensembles neuronaux )) peut être modulé. On a vu que parmi les différents états affectifs de l’apprenant, il en est un que tous les formateurs et enseignants attendent, espèrent et appellent à l’aide : c’est la motivation ou le désir d’apprendre ..., état sous-jacent indispensable et intermédiaire entre le besoin d’apprendre et la satisfaction d’avoir agi, donc d’avoir acquis. Les mesures E.E.G. prises sur les régions frontales révèlent une onde négative qui accompagne la phase précédant l’action (8). Ceci nous confirme que ce serait une grave erreur de considérer l’acte d’apprendre comme une manifestation seulement neuronale. L’apprentissage est une ouverture au monde : il ne peut s ?effectuersans que le désir lui soit associé. Biologiquement, un comportement désirant requiert l’association de l’affectivité et de l’anticipation de l’acte, et il se traduit par des sécrétions hormonales. (t
Au-delà des cultures ?
Une des découvertes les plus étonnantes dans le domaine de l’affectivité nous révèle qu’à chacune des émotions de base (colère, douleur, amour, haine, respect...) correspond un tracé cérébral caractéristique et universel, indépendant de la culture. C’est ce que Manfred Clynes, ingénieur et musicologue australien, appelle (( sentics D. I1 s’agit de la forme biologique des émotions qu’il a discernée dans des cultures aussi diverses que celles du Mexique, du Japon, des ÉtatsUnis, et de Bali. Pour Clynes, les émotions sont des formes spatio-temporelles : chacune possède des caractéristiques de durée et de configuration ; ces formes sont révélées dans des tracés et existent donc à l’émission. I1 recommande que soit entrepris un apprentissage permettant de mieux connaître, de discriminer ses propres émotions, de les reconnaître, donc de les contrôler et de mieux les utiliser pour communiquer. Les émotions, affirme Clynes, forment avec leur expression une unité existentielle, un système. La façon de ne pas être leur jouet est de les bien connaître. Clynes énumère les caractéristiques des états émotionnels, de leurs expressions et de leur formation : Les états émotionnels sont tous uniques. A chacun correspond un schéma cérébral. Chaque état émotionnel présente une inertie caractéristique : il ~
(8) Cf. WALLON H. (1949), pp. 50 et 55 ; cf. aussi CLYNES M., op. cit. ; VINCENTJ.-D., op. cit., pp. 13, 151 et suiv.; LIBETB. (1985).
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persiste - en termes de processus cérébraux et corporels, pendant une certaine durée. Des changements hormonaux et vasculaires surviennent avec l’état émotionnel. La mémoire et les processus inconscients influencent les fonctions de contrôle des états émotionnels. Différents facteurs influencent les; émotions, comme l’âge, le sexe, les rythmes biologiques, l’hérédité... - L‘expression des émotions est un aspect fondamental de leur nature. Les émotions ont besoin de s’exprimer, comme tout système de contrôle réagissant à l’entrée d’une information. Le fait d’exprimer une émotion a un effet sur son intensité, soit en l’augmentant, soit en la diminuant. - La formation des émotions: elles naissent de la perception d’un changement dans les circonstances de l’existence, dans nos relations aux autres, dans l’environnement, dans le cours de nos projets, etc. Elles peuvent aussi naître de notre perception d’une émotion chez d’autres personnes, ou tout simplement de notre imagination, de nos souvenirs, d’une situation, etc. Elles peuvent se former après l’absorption de drogues, de médicaments, ou de toxiques, ou encore être provoquées par des stimulations électriques du cerveau. Elles peuvent être affectées par l’habituation et l’adaptation, dans certains cas. Pour analyser les émotions, on dispose de différents indices et variables corporels, tous mesurables. Ce sont : le rythme cardiaque, le rythme respiratoire, la durée de l’inspiration et de l’expiration, la consommation d’oxygène, la position du corps, le regard, l’activité musculaire. Les formateurs, les parents - et pourquoi pas, les apprenants eux-mêmes - tireraient un grand profit d’une lecture de ces indices chez l’autre et ... en eux-mêmes. 5. RYTHMES CÉRÉBRAUX ET COMMUNICATION
De nombreuses études ont paru sur les rythmes de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte. Toutes soulignent la difficulté dans laquelle se trouve celui qui tente de cerner cette notion dont la complexité ne cède pas... Nous rappellerons la définition de Platon: le rythme, c’est l’ordre dans le mouvement. Nous sommes donc, une fois encore, devant une structure, une organisation, une dynamique. Les études de chronopsychologie mesurent les effets des diverses variables temporelles et spatiales sur les performances de l’individu, homme et femme, jeune et moins jeune ... selon que telle ou telle tâche est précédée ou suivie de telle autre et effectuée à tel ou tel moment de la journée. Une étude réalisée à San Diego, en Californie, a étudié l’effet des rythmes circadiens sur la compréhension et la rapidité de lecture. Elle a effectivement pu conclure à une amélioration de la compréhension dans l’après-midi et dans les premières heures de la soirée, et une plus grande rapidité de lecture dans la matinée. Les résultats obtenus nous semblent difficilement généralisables. Trop de variables interviennent ; les rythmes circadiens font osciller les sécrétions hormonales et le jeu cérébral des hormones est encore insondable. ..
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Seules seront mentionnées ici celles des études récentes qui soulignent les rythmes de base du cerveau humain en relation avec le langage et la communication. Comme le remarque Edward Hall il y a toujours eu une grande cohérence dans la nature ... il existe une unité sous-jacente à l’extrême diversité des phénomènes naturels D et, citant W.S. Condon : (( Le rythme est la caractéristique essentielle de l’organisation naturelle... I1 existe une cohérence profonde dans ce que nous percevons et ce que nous pensons. D Ceci semble vrai pour le cerveau plus que pour toute autre structure. Nos rythmes sont d’abord des processus de synchronie interne. Ils varient avec et selon tout ce que nous faisons: notre perception visuelle ou auditive, notre sommeil, nos rêves, notre repos, etc. Condon a associé les cinq différentes activités électriques du cerveau Ù la structuration des énoncés langagiers ; -Le rythme delta (1-3/sec.) correspond à l’énonciation des phrases. - Le rythme thêta (4-7/sec.) aux mots. - Le rythme alpha (8-131sec.) aux mots courts et aux phonèmes. - Le rythme bêta I (14-24/sec.) aux phonèmes courts. - Le rythme bêta II (25-40/sec.) aux phonèmes. A chacun de ces différents niveaux de rythmes hiérarchiques, Condon associe un mouvement corporel, synchronisé avec l’émission du langage. D’autres recherches suggèrent que la fréquence delta d’une seconde correspond au rythme fondamental du comportement humain. Des rythmes de base universels 7
D’après Paul Byers, de Columbia University (New York), il existerait deux rythmes de base dans le cerveau humain : l’un de 7 c/ s, l’autre de 10 c/ s, dont le rôle serait d’intégrer l’activité motrice et d’informer sur la qualité des échanges entre individus. La communication humaine serait un processus fonctionnant sur un rythme sous-jacent de 10 c/s. Une communication réelle serait possible dans une relation rythmique partagée, dans la synchronisation des rythmes de base de l’un et l’autre communicants. Signalons que Byers, comme Clynes, constate que les résultats des expérimentations sont identiques dans des cultures très différentes (Esquimaux, Désert de Kalahari, Nouvelle-Guinée), et que la communication n’est possible que si les locuteurs sont en synchronie. La capacité à rester synchrone (et nous ajouterons la capacité à rechercher la synchronie) est, selon Edward Hall, innée. Mais chaque culture crée ses propres rythmes, qui sont portés et transmis par la langue, acquis avec elle, très tôt. C’est sans doute la raison pour laquelle les rythmes culturels par aissent innés. L‘universalité des émotions de base et des rythmes de la communication humaine, telle qu’elle apparaît dans ces recherches, est une interrogation grave que le choc des cultures semble nier. C’est pourtant un facteur d’encouragement pour le développement des échanges et de la compréhension au-delà des frontières de l’histoire, de l’espace et des cultures. Nous y voyons un moyen de parvenir à ((échanger entre nous du sens (...), nous
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rapprocher ou apprivoiser ou nous tourner vers un sens commun)) selon l’expression de Michel Serres. Et ce besoin de synchronie, intact au fond de chacun de nous, quelle que soit notre culture, ne rejoindrait4 pas, en partie tout au moins, d’autres concepts qui apparaissent ou ré-apparaissent dans notre monde moderne pour l’interpeller par leur profond mystère : l’homogénéité structurale de Karl Popper; le concept de synchronicité de Carl Jung; la causalité formative de Rupert Sheldrake, pour n’en citer que quelques-uns ? (9).
(9) Pour l’étude de la chronopsychologie, cf. ENGLUND C.E. (1981) ; CONDONcité par HALL(1984b) ; BYERSP. (1976) ; cf. Michel SERRES(op. cit., p. 130), (( avant d’échanger entre nous du sens (...), avant de bâtir ensemble du neuf (...) nous devons former ces R. (1985). universaux )) ; POPPERK. (1976) ; SHELDRAKE
CHAPITRE 4
L‘OBSERVATEUR OBSERVÉ
Lorsqu’on aborde le domaine de la compréhension des mécanismes cérébraux, en particulier le cerveau face à l’information, il ne faut jamais oublier que l’observateur est l’observé. I1 est donc limité dans son exploration par sa propre structure, par son organisation et ses dimensions. I1 ne peut être décrit qu’en termes de probabilité, dans sa tendance à exister et à survenir. Le cerveau de l’homme de la fin du xxesiècle, en se tournant vers le monde des atomes et des noyaux, découvre la nature dynamique de l’Univers dont ilfait partie. I1 lui est impossible de ne pas remettre en question certaines doctrines, en particulier celles qui cherchent à identifier des entités séparées ou isolées, indépendantes et élémentaires. La doctrine du neurone, unité indépendante et contiguë, doit être abandonnée aujourd’hui et remplacée par la reconnaissance du processus double : neurone jonction (synapse) participant à la fois à un état neuronal et hormonal, fonctionnant grâce à l’influx nerveux, généré lui-même par le neurone et influencé par l’état jonctionnel neuronique ei hormonal. De ce phénomène attesté par la science, nous pouvons tirer un enseignement sur l’une des caractéristiques essentielles de notre cerveau, à savoir le processus de complémentarité dans la dualité, vérifiable à tous les niveaux de l’activité cérébrale. Dans la présente section, nos potentialités et les caractéristiques du fonctionnement de notre cerveau seront abordées dans la perspective de dégager et de souligner les bases sur lesquelles un apprentissage (et donc un enseignement ou une formation) doivent s’appuyer pour être cohérents et compatibles avec l’organe de l’apprentissage. Des mots-clés souligneront les traits spécifiques du fonctionnement cérébral et préciseront la notion de complémentarité dont l’importance vient d’être signalée. Mieux connaître nos ressources, c’est être en mesure de les gérer et de
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les développer. C’est également la voie (et la voix) de l’autonomie, la voie et la voix de la oompréhension de soi et des autres. 1. LES MOTS CLÉS DE NOTRE POTENTIEL
Les chiffres de notre potentiel cérébral commencent à être mieux connus. Ils restent modifiables à mesure des découvertes quotidiennes des chercheurs du monde entier, et grâce aux possibilités remarquables mises à leur disposition par les technologies nouvelles. Les domaines d’exploration sont sans cesse élargis. C’est ainsi que le nombre de neurones, qui est resté longtemps le chiffre capable de donner une idée de l’étendue spectaculaire de nos potentialités - (10, 30, peut-etre 100 milliards) - doit être accompagné d’une information concernant les cellules gliales, si nombreuses qu’il est impossible, pour le moment, de les dénombrer. Ces cellules jouent un rôle extrêmement important dans le développement de la vie cérébrale. Elles constituent 90 % de la masse cérébrale. On a découvert que leur nombre augmentait au cours de l’apprentissage car, à la différence des neurones, elles ont la capacité de se diviser, donc de se reproduire, et par conséquent, de jouer un rôle réparateur. Elles secrètent et captent le G.A.B.A., principal neurotransmetteur inhibiteur et elles ont un autre rôle, tout aussi important: celui de participer au processus de myélinisation, gainage des fibres nerveuses. Des chercheurs de l’université de Californie (Berkeley) découvrirent que l’hémisphère gauche d’Albert Einstein contenait 73 de cellules gliales supplémentaires par neurone, par rapport au cerveau d’un homme doué d’une intelligence moyenne. Ces cellules supplémentaires se trouvaient dans les zones associatives(1). L‘exigence d‘oxygène
Le cerveau est l’organe le plus vascularisé : pas une cellule nerveuse ne se trouve éloignée de plus d’un demi-centième de millimètre d’un capillaire sanguin (2). Notre cerveau est un grand consommateur d’oxygène : à lui tout seul, il consomme 20% de l’oxygène du corps, soit 0,8 litre de sang par minute, alors qu”i1ne pèse que 2 % du poids du corps. Depuis les travaux de John Bancroft, de l’université de Cambridge, en 1914, on sait qu’un tissu organique en activité augmente sa vitesse de consommation d’oxygène, l’énergie utilisée par l’organisme provenant de la dégradation d’une moléculeréservoir, 1’ATP (adénosine-triphosphate), en ADP (adénosine-diphosphate) ; la régénération de 1’ATP étant obtenue par une réaction nécessitant de l’oxygène et du glucose (phosphorylation oxydative). Comment peut-on exiger une activité cérébrale efficace d’un groupe
(1) Cf. DIAMOND M. (1985). (2) Cf. VINCENT J.-D. (1986, p. 59).
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d’apprenants, ou de candidats à un examen (ou tout simplement de personnes qui communiquent), lorsqu’ils se trouvent pendant plusieurs heures dans le même espace clos? On est en droit de se questionner sur la valeur de la performance demandée : évaluation des savoir et savoir-faire ou ... épreuve d’endurance à l’anoxie ? L‘architecture neuronale est également représentée par le chiffre traduisant la surface corticale : 22 dm2. Une indication importante concernant la représentation somatotopique des différents organes révèle que l’amplification de cette représentation est relative à l’importance de la fonction de l’organe. La représentation de la fovéa, par exemple, est 10000 fois plus étendue au niveau du cortex qu’au niveau de la rétine. Les possibilités de connexions sont de 1 O00 à 10 O00 par neurone, ce qui porte à IO puissance 14 le nombre probable de synapses, donc de connexions possibles à chaque instant. Autre chiffre stupéfiant : les zones associatives représentent 80 % de l’écorce cérébrale. Le réseau de fibres est gigantesque. Un chiffre permet d’évaluer le rôle joué par le milieu extérieur : 0,02 % des neurones corticaux constituent les voies d’entrées ou de sortie, et sont utilisées pour transmettre des informations fournies par les sens, ou des ordres pour exécuter une tâche motrice. Tout le reste, soit 99,98 %, représente les circuits intermédiaires du gigantesque centre de calcul qui stocke et traite les informations (3). A lui seul, le nerf optique compte un million de fibres. Rappelons que les deux hémisphères sont reliés par un faisceau de 2 ou 300 millions de fibres : le corps calleux. Le langage du corps calleux (4millions de messages à la seconde !) ne reçoit pas suffisamment d’attention dans le monde médicopédagogique. Cette voie de connexion semble être utilisée davantage par les gauchers que par les droitiers: il faut le dire aux intéressés qui, dans un monde occidental fait pour les droitiers, reçoivent encore une étiquette qui les gênent... Le corps calleux est la voie par laquelle passe une information déjà traitée : c’est ce qu’avait découvert, en 1892, le neurologue français J.-J. Déjerine (4). Nous possédons une réserve énorme, illimitée, de possibilités, de codigurations, de connexions, d’états mentaux qui n’ont jamais eu lieu ou qui n’auront pas lieu. Cette réalité cérébrale traduit la richesse, la diversité, et l’unicité du cerveau humain. Que les formateurs (et les parents) ne l’oublient jamais : il ne peut exister deux cerveaux semblables dans toute l’humanité. Une autre caractéristique du cerveau, qui découle des chiffres cités cidessus et de la simple observation d’une microphotographie de neurones, est la complexité des microcircuits neuronaux et des règles impératives d’associativité et d’interconnectivité. Cette complexité est tout particulièrement illustrée par la structuration du système visuel, capable de coder et de gérer la luminance, la couleur, la forme, le mouvement, le relief ... Aucune partie, aucune activité cérébrale n’a lieu isolément. (3) Cf. NAUTAW. et FREITAG M. (1981). (4) Cf. GARDNERH. (1974).
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La non-linéarité, spécifique du fonctionnement cérébral, est une autre caractéristique du transfert de l’information et ceci est particulièrement frappant dans le système auditif: c’est la distorsion non linéaire qui crée les harmoniques. La non-linéai-ité est la condition de la créativité. Toutformateur devrait se répéter sans cesse que compartimenter le savoir et ignorer la complexité du cerveau, c ’est 1’appauvrir. Aux caractéristiques déjà citées, il faut en ajouter une autre, qui découle également des précédentes et de la richesse extraordinaire du cerveau : c’est sa plasticité. I1 semble que les recherches nous autorisent à penser que lorsqu’on aborde le domaine des mécanismes cérébraux, on se trouve en présence d’un ensemble pré-établi qui réclame une validation par l’expérience ;une actuulisation sans laquelle on assisterait, non pas à une évolution, mais à une involution (5). L‘évolution phylogénétique et le développement ontogénétique du cerveau apportent une autre précision : le cerveau fonctionne de la façon dont il s’est constitué, à partir de données génétiques (innées) et de données (acquises) en provenance de l’expérience. Nous construisons notre câblage. Un processus interne de structuration permet au réseau initial d’utiliser les événements successifs pour se modifier. La lente et longue maturation du cerveau à travers les âges («Nous sommes nés il y a 15 milliards d’années D dit J. Charron) nous indique qu’il fonctionne en structure et selon un principe de non-séparativité. Nous avons gardé l’héritage du passé : un cerveau ancien, primitif, auquel de nouvelles structures, beaucoup plus complexes, se sont ajoutées et qui nous ont permis d’être sous un contrôle génétique moins étroit. L‘extraordinaire histoire de la croissance du cerveau, de la différenciation en cellules, tissus, organes et organisme de la matière vivante originelle, pose la question de la nature de l’ordre biologique et de la communication entre les cellules nerveuses de notre cerveau: de quelle analogie peut-on se servir pour étendre notre compréhension de l’organe de l’apprentissage ?
2. QUEL MODÈLE POUR NOTRE CERVEAU ? De tout temps, les hommes ont tenté de trouver une analogie pour représenter la réalité physiologique de la pensée. Au cours des siècles, les découvertes techniques et physiques en matière de transmission cle l’information ont très nettement influencé les conceptions et théories sur la nature de nos mécanismes mentaux : on est passé du modèle mécaniste (pour La Mettrie «le cerveau a ses muscles pour penser comme les jambes pour marcher))), au modèle hydraulique de Descartes. Ce fut ensuite le tour dui modèle électrique de Glisson, Von Haler, Galvani et Du Bois-Reymond, qui fut adopté quand les découvertes en électro-chimie ( 5 ) Cf. ROBERT.J.-M. (1982).
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complétèrent les connaissances précédentes. Le moment venu, on se servit aussi du modèle du bureau télégraphique central pour expliquer que le cerveau donne et fait attendre la communication. La deuxième moitié du xxesiècle propose des modèles inspirés des techniques contemporaines, électronique et informatique, et des découvertes en neurobiologie. Les enseignements, tirés de la durée de vie des modèles qui nous ont précédés, nous obligent à émettre prudemment l’idée que les modèles ci-après ne peuvent être que provisoires... Tout modèle de l’activité cérébrale révèle, en filigrane, une conception sous-jacente de l’homme, de l’Univers et de leurs interactions. Certains modèles empruntent ou oscillent encore entre l’une ou l’autre de ces positions : - l’empirisme, partisan du développement passif des capacités par accumulation d’expériences ; - le nativisme pour lequel les formes innées se révèlent progressivement au contact de l’environnement ; - le constructivisme pour qui le sujet construit progressivement sa représentation du réel, en agissant sur l’environnement... Les axes autour desquels se réalisent l’activité de l’organisme humain et sa représentation du monde sont, pour les uns, la motricité de l’acte physique et son cadre restreint, pour d’autres, un cadre beaucoup plus vaste: celui du système dans lequel l’homme évolue. I1 n’est possible ici que d’évoquer quelques noms qui nous indiquent les nouveaux horizons que nous ouvre la science : Bateson, Wilden, Guillé, Capra, Stapp, Sheldrake, Prigogine, de Rosnay... Présenter, même brièvement, leurs théories ne leur ferait pas justice. Elles se complètent et donnent de la réalité un aspect différent, selon l’éclairage choisi. Ordinateur ou servo-mécanisme ?
Les neurobiologistes expliquent que le cerveau sélectionne, filtre, établit des circuits. Des programmes se créent peu à peu : ce que le langage courant appelle des habitudes et les formateurs des savoir-faire. On utilise souvent l’analogie entre le cerveau et l’ordinateur pour expliquer les phénomènes de codage et de décodage, et le triple processus de prise, de traitement et de production de l’information. L‘ordinateur, comme le cerveau, a la capacité d’extraire l’ordre du désordre, de traiter l’information, de la mettre et la garder en mémoire. Son nom, un néologisme introduit en 1956 par I.B.M., est donc particulièrement bien choisi (en français tout au moins !) puisqu’il met l’accent sur la notion d’ordre. Cerveau et ordinateur reconnaissent les différences et les similitudes. Ils fonctionnent grâce à des programmes et des sous-programmes, suites ordonnées et hiérarchisées d’instructions. Pourtant, ce serait une erreur de penser, comme on l’a longtemps fait, que le cerveau fonctionne selon le schéma suivant :
Notre cerveau aujourd’hui
I04
entrée (input) -b
((
boîte noire D
t-
sortie (output)
Dans le schéma ci-dessus, l’acquisition est considérée comme étant la différence entre l’entrée et la sortie. Ce schéma est l’illustration de la pédagogie de l’impatience... et ne convient pas, pour deux raisons. D’une part, lorsque le cerveau est en contact avec des stimuli (extérieurs, il s’agit beaucoup plus d’une (( prise D d’information (intake) que d’une entrée passive (input). En effet, rappelons-nous, les organes des sens sont desfiltres, comme le langage, comme la motivation (ou la dé-motivation...), comme les expériences passées, comme les projets futurs et bien d’autres facteurs, stimulants ou inhibiteurs. En second lieu, l’organisation du cerveau est davantage celle d’un servo-mécanisme, fonctionnant par un double processus de rétro-action (feedback) et de pro-action (feedforward). La figure 5, adaptée de Karl Pribram, rend beaucoup mieux que ne le fait le schéma précédent, la propriété d’auto-régulation, qui est l’une des caractéristiques de notre cerveau : prise .- -- ____---d’informatiori i
sortie I
rétroaction
+
I I I
l
!
fonctionnement
4
rétroaction
I
Figure 5. Le micanisme d’auto-régulation du cerveau (d’après K. Pribram)
Du point de vue du neurobiologiste, l’originalité du cerveau réside dans ce qu’« il ne distingue pas le software du hardware )) (6). En effet, les points suivants : (6) CHANGELJX J.-P. (op. cit., p. 161).
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+
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l’unité de base (le neurone jonction), l’énergie utilisée (électro-chimique), - la circulation de l’information (plusieurs organes effecteurs, plusieurs niveaux de complexité croissante...), - le processus (non linéaire et simultané), - les langages (plusieurs codes simultanément : verbaux, non verbaux ... moléculaire, abrégé, etc.), - les mémoires (évolutives, non localisées, liées à l’affectivité...), - l’auto-régulation, l’anticipation, l’autonomie, la croissance, - la conscience, - l’affectivité, - la créativité, etc., sont autant de facteurs qui séparent pour le moment plus qu’ils ne les rapprochent, le cerveau de l’outil. Celui-ci, aussi perfectionné soit-il, ne peut être que le prolongement des gestes cérébraux de l’homme et il présupposera toujours un organisme humain : (( un arc dans un circuit plus grand )) comme le décrit G. Bateson, celui de l’homme et de son environnement. Un exemple de l’action rétroactive d’une activité cérébrale sur la structure cérébrale est l’impact de l’écriture sur la latéralisation hémisphérique. En effet, il semble que le code écrit, pictographique, alphabétique ou syllabique, soit à la fois le produit et le moteur de sélectivités fonctionnelles, pertinentes dans un milieu culturel donné. I1 est trop tôt pour que se confirment les hypothèses de la recherche neuro-culturelle menée à Toronto, au Canada. Mais il est certain que l’exploration de l’apprentissage de l’écriture et des langues étrangères à la lumière des connaissances neurobiologiques, permettra un développement nouveau des méthodologies dans ces deux domaines (7). L‘avenir devrait faire cohabiter le potentiel illimité du cerveau humain et les capacités de vitesse, précision, et stockage de l’ordinateur. C’est l’avenir que conçoit la synergétique, théorie élaborée pour explorer les possibilités d’auto-ré-organisation de certains systèmes, et J. de Rosnay pour l’homme sym-biotique, capable d’explorer directement la mémoire de l’ordinateur sans faire appel aux organes des sens. 11 est essentiel et urgent que l’investigation des actes mentaux, des mécanismes qui les sous-tendent et les progrès accomplis dans le domaine de l’Intelligence Artificielle soient menés en étroite collaboration. Ceci ne sera possible que si les moyens accordés a l’exploration de l’Intelligence Artificielle le sont également à l’exploration de l’Intelligence Naturelle ; et si tous, neuroscientifiques, chercheurs, praticiens, éducateurs collaborent et apprennent à franchir des cloisons inventées au cours des siècles pour séparer des domaines qui ne le sont ni dans notre macrocosme, ni dans notre microcosme. L‘avenir de l’une et de l’autre formes d’intelligence dépend essentiellement, comme le suggère Seymour Papert, de la compréhension de l’outil informatique : un outil dont il est vain de fixer les limites et qui doit -
(7) Cf. ROCH-LECOURS (1984) et de KERCKHOVE (1984).
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nous aider à rendre moins prégnantes les nombreuses séparations dont nous avons encombré nos débats philosophiques (8). Le modèle holographique
Karl Pribrarri a développé l’hypothèse holographique (du grec : holos, le tout), avancée par K. Lashley en 1950. La perception et l’imagerie mentale feraient appel à une information distribuée, selon un processus tel que chaque partie contient la totalité de l’information, quelle que soit sa localisation. Pour Pribrarn, les impulsions nerveuses sont semblables à des trains d’ondes. Les structures nerveuses étant toutes connectées entre elles, directement ou indirectement, une modification de fréquences d’impulsion se répercute comme les rides qui interfèrent à la surface d’une mare où l’on a jeté un caillou., puis un autre. Le cerveau ne stockerait pas les cailloux, mais les rides. L‘holographie, inventée par Gabor en 1948, est fondée sur le codage de domaines de fréquences et sur la propriété d’interférence des ondes courtes. L‘holographie permet d’obtenir des images grâce à un filtre optique qui gèle l’onde visuelle. L,’image est lue grâce à une source lumineuse cohérente, le laser en l’occurrence. Le cerveau et les processeurs optiques faisant usage d’hologrammes ont en commun plusieurs propriétés : celle de reconnaitre instantanément un objet connu, ou un objet déformé (la tolérance aux défauts) ; celle d’une mémoire associative, récupératrice d’un élément grâce au lien qui existe entre cet élément et Uri autre ; celle de restituer la totalité à partir d’un fragment infime (9). En plus de la notion de récupération fonctionnelle et de dé-localisation de la mémoire, le modèle holographique rend compréhensible le phénomène de transfert d’apprentissage. I1 existerait un mécanisme cérébral qui distribue l’apprentissage : on peut écrire un mot avec la main, le pied, l’épaule ou... le nez, bien que la partie du cortex moteur correspondant aux différentes parties du corps autres que la main n’ait jamais été entraînée à le faire. Pribram cite l’exemple du système visuel : quand 80 % du champ visuel est rendu invisible par une lésion du cortex, le processus de reconnaissance et d’identification est rendu possible grâce aux 20 % restants. I1 en est de même pour la rétine. J.G. Roedereir, chercheur à l’université de l’Alaska, donne une explication équivalente dans le domaine auditif concernant la perception de la musique : les signaux neuraux, correspondant spatialement et temporellement à l’excitation locale de la membrane basilaire de la cochlée, s’organisent de façon tonotopique ; puis, on passe de la représentation photographique point par point à une représentation hologique au niveau cortical, dans laquelle l’activité d’un point de la membrane basilaire correspond à l’activité d’un ensemble étendu et diffus de neurones. (8) Cf. aussi SIMONS G.-L., Les ordinateurs de demain, Masson, 1985 ; RÉMYC1. (1986). K. (1977). (9) PRIBRAM
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Le stockage et le rappel associatif sont également des processus pour lesquels il n’est pas nécessaire de re-vivre l’événement, mais seulement une partie, ou un aspect, un moment de l’événement original. Roederer cite les quatre notes du célèbre (( ta-ta-ta-taaa )) de la 5“ Symphonie de Beethoven pour décrire l’aptitude à reconnaître des structures et ensembles d partir de quelques éléments partiels, sans que l’on ait besoin, comme dans un système de mémoire photographique (livres, bandes magnétiques, disques, films...) de retrouver l’adresse, le nom et l’objet lui-même tout entier. Des recherches menées à Londres par un jeune chercheur italien ont apporté un éclairage supplémentaire sur l’analogie entre holographie et holophonie. D’après Hugo Zuccarelli, l’oreille émet une tonalité de référence. L‘information spatiale est fournie au cerveau par l’interférence entre les sons extérieurs et la tonalité de référence générée par l’oreille. Zuccarelli enregistre des sons variés, accompagnés par un spectre de tonalités pratiquement inaudibles, mais perceptibles dans certaines circonstances. I1 incorpore des tonalités de références, ce qui fait générer par le cerveau un deuxième faisceau de référence qui joue le même rôle que le rayon laser, à savoir créer une interférence entre l’objet et l’onde réfléchie ; l’objet est reconstitué en relie$ L‘effet produit est non seulement que les sons entendus sont plus réels que la réalité : ils semblent se mouvoir librement dans la pièce et parfois même, être à l’intérieur du cerveau ; mais une synesthésie surprenante a lieu : odeurs, images sont perçues même dans l’obscurité, sensations tactiles, émotions, sont ressenties par le sujet. Les malentendants disent être sensibles à l’expérience. Les malvoyants décrivent des expériences visuelles très fortes. I1 semble que l’expérience faite par Zuccarelli, en faisant appel à la caractéristique holographique du cerveau, produise un état de conscience rnodij2. Le c h a m p d’application de l’approche h o l o g r a p h i q u e o u holograrnmorphique, selon la terminologie adoptée au colloque sur les Approches holoscopiques et hologrammorphiques de la Pensée (IO), est très vaste : la pensée hologrammorphique permet à chacun de respecter les lois du fonctionnement cérébral, - dans la recherche, l’approche linéaire et toute attitude réductrice cèdent la place au décloisonnement des connaissances, - le monde de l’apprentissage et de la formation bénéficient d’une approche à la fois heuristique et précise, synthétique et analytique. ~
Système ouvert et structure dissipative
Selon l’une des théories les plus récentes, celle d’Illya Prigogine pour laquelle il a reçu le Prix Nobel en 1977, les ondes cérébrales sont expliquées en terme de structures dissipatives temporelles. La théorie de Prigogine non
(10) Approches holoscopiques et hologrammorphiques de la pensée, Actes du Colloque sur la logique holoscopique, 7 et 8 novembre 1980, Université Paul-Valéry, Montpellier.
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seulement réunit la biologie et la physique, mais comporte de nombreuses implications en psychologie, sociologie, et sciences de l’éducation. Dans l’univers, affirme Prigogine, l’ordre naît de l’entropie, et non malgré elle. Les structures, nées de l’entropie, sont associées à un principe d’ordre entièrement différent, que l’on pourrait appeler ordre parfluctuation. Elles sont créées et maintenues grâce aux échanges d’énergie avec le monde extérieur, dans des conditions de non-équilibre. Le cerveau essaie constamment d’atteindre l’équilibre au moyen d’oscillations et par la création de nouvelles structures. L‘oscillation est une activité spontanée du neurone. Elle ne peut apparaître que dans un système ouvert qui, comme on l’a vu, correspond à la définition du système nerveux central. L‘oscillation ne se développe que lorsque le système est hors équilibre, mais dans un état stable: c’est ainsi que se constitue une structure dissipative. Lorsque les oscillations atteignent un état cahotique - comme dans les cas de conflit psychologique - le cerveau se réorganise. I1 génère de nouvelles structures, plus cohérentes. Quant aux re1,ationsentre les flux de matière et d’énergie que le système échange avec le monde extérieur, elles sont non linéaires, comme l’est le déclenchement explosif de l’influx nerveux ; comme le sont les interactions des neurones dans le cerveau. Pour Prigogine, les fluctuations du système qui représentent le hasard, et l’instabilité du système qui représente la nécessité, coopèrent et ne s’opposent pas. Lorsqu’un nouvel état se crée, il possède un plus grand potentiel de changement. A chaque nouveau niveau de complexité correspondent de nouvelles règles. I1 est intéressant de rapprocher ces termes de ceux du neurophysiologiste : (( Un organisme vivant est en état de déséquilibre permanent et il est plus vrai de parler d u n état central fluctuant que d’une constance du milieu intérieur N (1 1). La théorie de Prigogine possède d’immenses implications dans le domaine de la compréhension du fonctionnement cérébral et de la conscience. Elle implique, par exemple qu’aucun changement ne peut avoir lieu tant que l’état de conscience reste immuable. Notre état normal de conscience est dominé par une activité cérébrale rapide (ondes bêta), mais de faible amplitude, pendant laquelle nous sommes attentfs aux stimuli extérieurs et non à notre expérience intérieure. Des états de conscience modifiés, tels que la relaxation et la méditation, se caractérisent par une augmentation de l’amplitude des ondes cérébrales au rythme plus lent (ondes alpha) : ces états de conscience augmentent les fluctuations et produisent un changement significatif, une pénétration plus grande de la réalité que ne le fait notre état de conscience quotidienne et donc un apprentissage plus efficace. La musique, les images mentales, la méditation, la respiration rythmée, les techniques de relaxation, les pauses structurantes, sont des facteurs permettant l’augmentation de l’amplitude des ondes cérébrales ; c’est-à-dire,
( i l ) VINCENTJ.-ID. (op. cit., p. 152).
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le passage en ondes alpha, par conséquent la naissance de nouvelles structures, et l’émergence de flash de compréhension. Ce qu’il ne faut pas oublier d’ajouter, c’est qu’il est essentiel de respecter les fluctuations du système, c’est-à-dire, de veiller 2 l’alternance des deux états de conscience : une prise d’information directe sur le monde extérieur, alternant avec des moments d’intériorisation. La pédagogie oublie souvent, dans son obsession du contenu et sa poursuite de l’efficacité, de ménager ces moments de pause, les seuls capables de respecter l’alternance et de permettre aux fluctuations de la pensée de faire leur œuvre. Autres modèles
I1 paraît essentiel de souligner que tout modèle de fonctionnement qui se veut conforme à la réalité neurobiologique doit être dynamique. Ce qu’il s’agit d’affirmer - et de redire souvent, dans le monde de l’éducation et de la communication plus que dans tout autre - c’est que ni le Temps ni l’Espace ne sont des entités distinctes : l’un et l’autre forment un continuum quadridimensionnel et ils sont intimement liés. Un modèle pédagogique qui se veut cohérent doit tenir compte de ce que la physique quantique nous a révélé de l’Espace-Temps. Nos organes des sens, avec l’aide de notre cerveau, peuvent observer les représentations en deux et trois dimensions mais ils ne peuvent expérimenter l’Espace à quatre dimensions. Notre cerveau, lui, peut comprendre la réalité en quatre dimensions : c’est là l’un de nos paradoxes. La question qui se pose - et s’impose - est de savoir comment nous allons intégrer cette réalité dans notre représentation du monde ; comment nous allons la transmettre et l’enseigner ou, plus vraisemblablement la ré-enseigner à l’enfant et à l’ancien enfant qu’est l’adulte socialisé et (< enculturé D (12). Notre cerveau occidental a une très nette tendance à donner la prédominance à l’objet et à son observation. Dans notre poursuite de l’objectivité, nous nous identifions à l’objet perçu et nous oublions que, sans nous, c’est-à-dire sans notre système perceptuel, l’objet n’aurait ni forme, ni dimension, ni profondeur, ni couleur: la flamme de la bougie, le coucher de soleil... existent tant qu’un système visuel les capte. Dès que nous quittons la scène, seuls les phénomènes physiques subsistent et nous ne pouvons qu’imagines leur forme et leur nature... Grâce aux découvertes scientifiques, et à une meilleure connaissance de l’homme transmise par certaines traditions depuis des millénaires (mais si rarement entendue en Occident), nous avons les moyens, aujourd’hui, de découvrir ce que veut dire faire l’expérience du monde concret sans dissoudre le ressenti dans l’objet observé. Nous avons les moyens - et il est urgent de les mettre en œuvre -- de (re-)donner à l’observateur les clés de sa propre
(12) Cf. THÉVENIN P. (1980).
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nature, de son identité, de la conscience de soi, en l’éclairant sur son propre processus, son système, sa structure. Un modèle cybernétique, appliqué à l‘apprentissage d‘une langue étrangère
L‘apprentissage des langues étrangères a fourni le cadre d’une approche qui nous paraît correspondre à l’exigence décrite ci-dessus : elle a été définie par James R. Nord comme une synthèse cybernétique et s’applique à la méthodologie de 1 ’écouteet de la prise de parole. L‘approche cybernétique de l’apprentissage d’une langue étrangère tient compte de la révolution scientifique décrite par Thomas Kuhn, dont les remous n’ont pas encore atteint tous les rivages... Les événements, et en particulier les événements de parole, sont réintégrés dans la trajectoire d’un temps non réversible. Un cadre nouveau et de nouvelles bases de perception de l’acte de compréhension et d’expression sont posées. En didactique ties langues étrangères, la controverse a porté pendant des années (et sans doute portera encore) sur le rôle et l’ordre dans lequel enseigner les différents savoir-faire : réception et expression des codes oral et écrit. Pour certains, s’exprimer oralement est la meilleure façon d’apprendre à écouter. D’autres ont adopté une attitude diamétralement opposée, recommandant que l’écoute précède largement la prise de parole. D’autres insistent sur la valeur communicative du langage et l’importance de pratiquer dès les premiers instants de l’apprentissage l’interaction de l’écoute et de la prise de parole. La théorie cybernétique réintroduit le concept de cause finale, et plus particulièrement celui d’objet intentionnel, comme élément légitime d’explication du comportement. La durée par l’intermédiaire du processus de rétroaction, devient partie intégrante de l’acte. Le comportement est déterminé non plus par l’environnement mais par l’individu lui-même, attesté système de contrôle auto-organisateur qui génère sa propre activité pour contrôler sa propre perception. C’est un réajustement constant que l’organisme opère. Appliquer le principe de rétroaction à l’activité langagière permet de découvrir que la prise de parole est contrôlée par une aptitude préalable à l’écoute, un (( appareillage préexistant de vérification et de guidage des perceptions de l’individu D (13). Les implicatioris de cette théorie interpellent le système éducatif tout entier, car le contrôle de l’acte ne peut désormais appartenir qu’à l’apprenant. Ses performances dans la langue étrangère sont construites à partir de ses attentes des structures langagières, elles-mêmes élaborées à partir de ce qu’il a appris par l’écoute. Le rôle du formateur a changé : observer si l’indicateur du résultat désiré (réussite) est présent ou non. Dans l’apprentissage de la langue étrangère, l’erreur est un indicateur d’une écoute défectueuse et sera
(13) J. NORD(1983 et 1986); cf. aussi KUHNT.(1962).
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corrigée non pas directement, mais à partir d’une nouvelle écoute d’un type approprié, c’est-à-dire en tenant compte de la stratégie que l’apprenant a utilisée pour parvenir au résultat observé. L’apprentissage devient celui de la perception, et le rôle du formateur est d’élargir le champ perceptif de l’apprenant. Le monde de l’éducation et de la communication ne peut ignorer les conséquences d’un changement de paradigme. Le modèle cybernétique est moins simple et moins immédiatement rentable qu’un modèle analytique et une approche orientée sur le comportement extériorisé de l’apprenant. Mais, pour reprendre une image utilisée par A. Maslow, si le seul outil dont vous disposez est un marteau ... vous aurez tendance à tout traiter comme un clou ... Tant que les formateurs et enseignants estimeront que leur rôle réside dans le contrôle de résultats observables, ils seront tentés de restreindre leur action à la boucle stimulus-réponse. L‘approche cybernétique permet à une activité comme l’écoute de jouer pleinement son véritable rôle de préparation à l’expression en respectant à la fois l’intégralité du système d’organisation cérébrale et celle du langage.
3. CONDITIONS OPTIMALES DE FONCTIONNEMENT : HYGIÈNE ET NOURRITURES CÉRÉBRALES
L‘hygiène cérébrale doit tenir compte des facteurs qui conditionnent ce fonctionnement. Ce sont : en premier lieu, l’oxygénation. On l’a vu, le cerveau consomme à lui tout seul 20 % de l’oxygène du corps. Nous consommons chaque jour environ... 15 kg d’air, soit 4 kg d’oxygène ! L‘insuffisance d’oxygénation du cerveau a des conséquences catastrophiques. L‘hypoxie provoque une véritable souffrance cérébrale. En l’absence d’oxygène, un déficit d’énergie se produit, une perturbation de la microvascularisation cérébrale, qui peut conduire à la mort neuronale. Donner de l’oxygène au cerveau, l’aérer, renouveler l’air de l’espace clos dans lequel il se trouve, apprendre à respirer (ce que bien peu d’occidentaux savent faire), contrôler et adapter la respiration selon les tâches à accomplir... semblent des recommandations superflues et pourtant. .. ! ceci demande qu’un effort soit fait pour réorganiser la vie quotidienne, dans les familles et les écoles, et les entreprises. Mais il existe un autre aspect du problème : les ions négatifs, véritables vitamines de l’air, s’associent à l’oxygène de l’air, et assurent une meilleure oxygénation des cellules. Ils permettent une élimination plus facile des toxines. Les effets de l’ionisation négative sont l’objet de plus de 5 O00 recherches effectuées dans le monde entier. Ces études concluent à la diminution des ions négatifs en milieu urbain, dans les pièces peu ou artificiellement ventilées, dans le voisinage des écrans d’ordinateur, dans les lieux enfumés par le tabac ou comportant des matériaux plastiques et synthétiques, des équipements électriques et électroniques, etc.
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Les effets de l’ionisation sur les facultés intellectuelles ont été étudiés dans une recherche pilote en milieu scolaire, auprès d’enfants de onze ans, aux Pays-Bas, en 1984. Les paramètres étudiés étaient la concentration et le rythme de travail. Les résultats de la recherche concluent aux effets suivants de l’ionisation négative de l’air (effectuée par ioniseurs) : - amélioration des résultats scolaires, - amélioration de la capacité de concentration, - amélioration du rythme de travail. On sait maintenant qu’il existe une relation entre ionisation et production de sérotonine, une hormone qui règle l’activité du cerveau. Les ions négatifs font baisser le taux excessif de l’hormone, ce qui permettrait à l’organisme de mieux utiliser l’oxygène. Ils accroissent le nombre des hématies et leur teneur en oxyhémoglobine ; ils font baisser une tension artérielle trop élevée ; ils améliorent la ventilation pulmonaire. L‘effet de l’ioniisation sur l’E.E.G. est une diminution de la fréquence des ondes alpha et une augmentation de leur amplitude, ce qui signifierait une activité cérébrale alccrue et plus structurante (14). Les Orientaux savent, depuis des millénaires, que les activités mentales et la respiration sont liées. Le prana vayu, ou respiration physique, régularise le cœur et les poumons. Le mot prana en sanskrit veut dire constance (pra) et mouvement (na). Le prana est une force en perpétuel mouvement. La respiration physique, seule prise en compte par l’occident, a une double réalité pour la pensée orientale: le souffle a, en plus de sa dimension physique, une réalité non manifeste, cosmique ; il est la compagne de lame : on naît avec lui et on meurt lorsqu’il disparaît. Les recherches actuelles, en Occident, confirment ce que les Upanishads enseignent depuis des millénaires, à savoir que le rythme de la respiration change à intervalle régulier, comme le rythme cardiaque. Ce que les yogis connaissent depuis longtemps, à savoir que l’homme respire par une narine pendant un cycle de deux ou trois heures, puis par l’autre narine, la science l’a découvert récemment. La proportion des fibres du système nerveux autonome étant vingt fois plus grande dans les cavités nasales que dans les autres parties du corps, on comprend que la respiration ait une influence indéniable sur les fonctions contrôlées par ce système : rythme cardiaque et circulation sanguine. I1 reste encore beaucoup à découvrir dans le domaine des correspondances entre les différents types de respiration et leurs effets sur les corps physiques et psychiques. Le swara yoga (a swara )) signifie en sanskrit le son de son propre sot&!e et «yoga» signifie union) relie chaque type de respiration à une activité et à une énergie différente : - la respiration par la narine gauche est liée à l’énergie et à l’activité mentales, - la respiration par la narine droite est liée à l’énergie et à l’activité physiques, (14) VAN KEZSTERECN G. (1984) ; cf. aussi LOUISJ.-C., ANGLARD P. et al. (1986).
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la respiration par les deux narines a la fois est liée a l’énergie et l’activité spirituelles. I1 est donc de la plus grande importance d’équilibrer, d’ajuster, d’adapter le rythme respiratoire à l’activité poursuivie (15). Le travail sur la respiration est l’une des premières pratiques a introduire dans une pédagogie cohérente et compatible avec lefonctionnement cérébral. Un autre facteur intervenant dans l’hygiène cérébrale est la lumière naturelle : elle facilite la production de la neuromélanine, molécule indispensable à l’organisation cérébrale, probablement la clé pour comprendre l’évolution et le développement embryologique, la réparation des tissus endommagés, la régulation homéostasique, et la modification des états de conscience. Autre facteur d’une importance capitale pour un cerveau en bonne santé : une nourriture variée et riche en lécithine, phosphore, calcium, vitamine BI, B6, B9, B12, protéines ... Les graisses poly-non-saturées auraient un effet bénéfique pour l’apprentissage. L‘accord semble se faire sur : - l’effet calmant des hydrates de carbones (une étude néerlandaise a même conclu a une amélioration des troubles psychiques chez des patients schizo-affectifs), - l’amélioration du contrôle de la fine musculature grâce à de fortes doses de vitamines B1, B6 et B12. Mais les effets des différentes substances varient suivant les individus, les moments de la journée ou les saisons... et très probablement aussi, les lieux et contextes. Les pires ennemis du cerveau sont, avec l’anoxie, la privation d’aliments et la malnutrition. Un cerveau d’enfant affamé est un cerveau mutilé. Si la malnutrition survient pendant la vie intra-utérine ou dans les quatre premières années de la vie, les dégats seraient irréversibles (16). Un autre atout pour un cerveau sain est une vie d’alternance sommeil/ veille ; activité/ repos et relaxation ; projets/ réalisations, etc. Rappelons, pour un apprentissage efficace, l’importance de l’alternance d’activités cérébrales (ondes bêta et alpha) correspondant à une augmentation des fluctuations des états de conscience. Une bonne qualité d’éveil se prépare pendant le sommeil et une bonne qualité de sommeil se prépare pendant l’état de veille : quand donc les parents des jeunes enfants, les adolescents et les adultes que nous sommes comprendront-ils cette réalité toute simple ? De nombreuses techniques autogènes (Schultz, Alexander, yoga nidra, sophrologie, musicothérapie...) ou instrumentales (électro-stimulation crânienne, bio-feedback...), proposent des moyens d’atténuer le stress, la fatigue ou la douleur. Les électro-encéphalogrammes des personnes qui pratiquent la Méditation Transcendantale révèlent une activité cérébrale -
(15) SATYANANDA S. (1983) ; LUCEG. (1970) ; FLAKM. et E.A. (1976). (16) Cf. SHNEOUR
DE
COULON J. (1985).
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Notre cerveau aujourd’hui
plus cohérente des deux hémisphères et une meilleure qualité de mise en éveil pendant l’apprentissage, plus de flexibilité, plus de cohérence et de calme devant une information ou une situation nouvelle ou incongrue. Nourrir le cerveau signifie également lui donner des nourritures affectives er la possibilité d’exprimer son affectivité. I1 semble que dans ce domaine également, une période critique existe jusqu’à trois ans, pendant laquelle les lobes frontaux se développent parallèlement à un sens de l’empathie et de l’altruisme. Certains auteurs en voient la raison dans les nombreuses connexions entre les lobes frontaux et le système limbique (17). L‘état grabataire de l’affectivité chez certains adultes peut s’expliquer par une carence affective dans les premières années de la vie. Les exemples de blocage, d’inhibition, de dysfonctionnement cognitif, malheureusement fréquents dans les situations d’apprentissage scolaire, sont souvent dus à un état émotionnel, un choc ou un rejet affectif qui date, parfois, de la petite enfance. Le cerveau a besoin d’une troisième sorte de nourriture : la connaissance, ce que l’homme de la rue appelle (( l’instruction ».En particulier, le cerveau a besoin de s’exprimer, et pour cela, il a besoin de langage@). De nombreusles expérimentations ont été faites pour évaluer l’impact du langage sur les aptitudes et performances de sujets analphabètes d’une part, et alphabétisés d’autre part. La recherche neuro-culturelle, due à des études poursuivies au Canada depuis 1982, n’est pas encore une science reconnue. I1 semble urgent de lui donner un statut et de l’écouter, car elle porte sur les conditions et effets de l’interaction entre le système nerveux et les objets culturels. Ces travaux ont l’intérêt d’explorer essentiellement les liens entre individus et environnement social et culturel, en particulier les moyens de communication, dont le langage et ses supports. C’est dans ce cadre qu’André Roch-Lecours de l’université de Montréal, tente de déterminer dans quelle mesure l’alphabétisation est liée à une maturation cognitive du cerveau. Cette recherche (en cours) souligne que les notions d’alphabétisation et de scolarisation sont en chevauchement absolu, ainsi que celles d’analphabétisme et de malnutrition. I1 est extrêmement difficile et risqué d’avancer des conclusions sur la représentation cérébrale du langage chez les illettrés et, de là, sur le rôle de la langue écrite sur la latéralisation fonctionnelle. L‘âge du cerveau
Personne n’est à l’abri de pannes, de déficits, d’accidents... ni responsable de ses éventuelles malfaçons cérébrales. Par contre, la maintenance est la responsabilité de chacun ; elle consiste à retrouver ou à conserver l’écosys(17) Cf. LURIAA.R. (1973); RABINOWICZT. (1978); cf. aussi les recherches de DILLBECK M. & VESELYS. (Iowa), in International Journal of Neurosciences, 1986, 29, 4555.
L’observateur observé
115
tème dans lequel le fonctionnement cérébral est optimal («éco- )) vient du mot grec oikos = maison), à respecter les rythmes fondamentaux de l’organisme, et à rechercher l’équilibre des facteurs endogènes et exogènes qui participent à la vie cérébrale. Le vieillissement cérébral n’est pas inéluctable. Le cerveau est un organe qui, comme les autres organes, a besoin qu’on lui donne ce dont il a besoin et qu’on évite ce qui lui est nocif: l’alcool, le tabac, les drogues hallucinogènes, les dépresseurs et tranquillisants. .. L‘opinion largement répandue attribuant à l’alcool des vertus de stimulation provient d’une méconnaissance totale et de surcroît - dangereuse - de ses effets : l’alcool est un dépresseur et ses effets sont cumulatifs. Les centres corticaux supérieurs - qui contrôlent le raisonnement et le jugement - sont les premiers à être inhibés. Le système limbique - siège de nos émotions est alors libéré de toute contrainte. Centres de l’équilibre, de la coordination, de la conscience, et de la respiration, le cervelet et la formation réticulée sont affectés à leur tour. Les pires ennemis du cerveau sont aussi la démission, l’absence de projet, la solitude (1 8). ~
~
(18) L‘Institut National de Recherche sur la Prévention du Vieillissement Cérébral, à l’Hôpital Bicêtre, est dirigé par Mme Le Poncin Lafitte. L‘1.N.R.P.V.C. pratique l’éveil cérébral et a pour objectif de lutter pour la préservation d’une autonomie de qualité ; cf. aussi les recherches de M. Perlmutter, à l’University du Michigan, Cognitive Potential Throughout Life in Birren J.E. & Bengston V.L. (Eds) Theories of Aging Psychological and Social Perspectives on Erne, Serf and Society (à paraître) ; cf. aussi une revue des théories sur le vieillissement dans l’article de HAYFLICK L., 7heories of biological Aging in Experimental Gerontology, vol. 20, pp. 145-159 (1985) ; cf. aussi l’article de CERAMI A. et al. (1987).
CHAPITRE 5
QUELLES PERSPECTIVES POUR LA FORMATION ?
Les réflexions qui précèdent ont tenté de souligner ce qui, dans la réalité cérébrale, nous semble donner lieu à une étude approfondie. Les intervenants du monde de l’éducation et de la communication, enseignants, formateurs, parents, responsables d’institutions ont à leur disposition une base de données capable de leur fournir des réponses aux questions qu’ils se posent pour organiser leurs interventions de formation de façon plus cohérente et compatible avec le potentiel et le fonctionnement cérébraI. Le modèle mécaniste du monde et en particulier de l’homme apprenant, qui a présidé pendant des siècles aux conceptions éducatives, semble être, enfin ! suffisamment ébranlé pour que les intuitions des géants de la psychopédagogie qui ont précédé la découverte d’un monde différent, subtil et infiniment complexe, soient confirmées et ré-ensemencées. I1 s’agit donc aujourd’hui de recommander au monde de l’éducation et de la communication de prendre plusieurs actions. La première est d’établir des passerelles entre les données de la science et les besoins des éducateurs. Ceci pour éviter que soient commises desfautes contre le cerveau. Bien que les domaines qui restent à explorer soient immenses, nous sommes actuellement suffisamment équipés pour tenir compte des lois cérébrales et des règles de base du fonctionnement cérébral. Mais une condition est nécessaire : que les cloisons entre les disciplines disparaissent, et que l’union des neurosciences et des sciences de l’éducation (et de la communication) s’établisse. Des mots clés ont été dégagés tout au long du chapitre précédent. I1 reste à les voir à l’œuvre : ce sera l’objectif de la deuxième partie de ce texte. La deuxième action à prendre est de fixer des relations claires entre savoir, savoir-faire et savoir-être. Cela signifie s’interroger sur ce qui se passe en amont et en aval du savoir, c’est-à-dire mettre le projecteur non pas
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Notre cerveau aujourd’hui
seulement sur les contenus mais aussi sur le processus, le (( comment apprendon », et sur l’objectif, le (( pour quoi apprend-on ». Toute recherche en neuropédagogie doit partir des aspects fondamentaux de l’apprentissage tels qu’on peut les définir actuellement : O La finalité de l’apprentissage : vers quel objectif? O La nature de l’apprentissage : quel contenu? quels types? quels facteurs ? quelle progression ? quel itinéraire : d’où partir ? où aller ? à quel rythme? O La toile de fond de l’apprentissage : quel environnement ? quelle attitude de l’apprenant face à son apprentissage ? O Le processus d’apprentissage : quelles stratégies ? quels moyens ? quels obstacles ? quelles réussites ? quels blocages ? quelles contraintes ? O L‘évaluation de l’apprentissage : qu’est-ce qu’une erreur ? une réussite ? un échec ? quels sont les critères, les conditions de succès ?... Parmi les moyens capables d’établir les relations entre le savoir, le savoirfaire et le savoir-être, nous en citerons trois : La Conscientisation de l’apprenant et de l’enseignant
Apprenant et enseignant construisent ce que les neurobiologistes appellent leur cûblage, c’est-à-dire les moyens d’interaction avec l’environnement et de gestion de l’information. La science nous apprend que nous sommes responsables de notre équilibre : pour nous préserver, nous organisons et délimitons notre milieu intérieur dont nous assurons nous-même la constance. C’est à ce prix que nous gagnons notre autonomie. En ce qui concerne l’apprentissage, il en va de même : si le savoir n’est pas en constante maintenance avec le milieu, il se perd. Mais un aspect de la conscientisatiori doit être clarifié: contrairement à ce que l’on croit généralement, la prise de conscience ne peut intervenir en premier. Elle ne peut que suivre un changement de comportement. Edward Hall l’explique clairement : (( Quand le comportement change, la perception change, et lorsque la perception change, alors il en résulte une prise de conscience. )) (1) Nous avons sans doute, dans cette remarque, une clé pour comprendre les difficultés et les lenteurs de l’évolution des systèmes éducatifs. L‘expérience partagée
Transformer les relations du savoir et du savoir-faire en leur donnant la dimension du sa.voir-être ne peut se réaliser qu’en établissant une situation de co-expérience entre apprenant et enseignant. (I) Cf. HALLE.(1981).
Quelles perspectives pour la formation ?
119
Comprendre et faire ont longtemps été les seuls liens entre l’élève et le maître. Aujourd’hui, les conditions dans lesquelles l’information est enregistrée et conservée par notre cerveau sont mieux connues. I1 nous est possible - et indispensable - d’ajouter un troisième volet : celui que A. Luria appelle la barrière fonctionnelle, que les neurologistes appellent la latence, les naturalistes la dormance, et le langage courant, tout simplement... la patience ;ce que nous appellerons le laisser-se-faire, avec ce qu’il a de positif : le respect du rythme de l’autre. Le droit à la différence et à l’intelligence
Un troisième moyen de construire des liens solides entre ce que nous savons, ce que nous savons faire et ce que nous sommes, est de pratiquer, de vivre le droit à la différence que bien des poètes et écrivains ont proclamé avant même que la science, aujourd’hui, nous en démontre la réalité. Saint-Exupéry écrivait ((Si je diffère de toi, loin de te léser, je t’augmente. D Notre connaissance du potentiel cérébral donne les moyens au maître de dire à l’élève, et à l’élève de dire a l’élève : (( Si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m’augmentes ». A l’heure où l’hétérogénéité des groupes d’apprenants rend la tâche des formateurs de plus en plus ardue, il est urgent que cette vision de la différence soit répandue, entendue, pratiquée. De ce droit à la différence découle un autre droit : le droit à l’intelligence, dans une invitation à suivre la longue marche, le Tao de l’apprentissage. Chacun, quel que soit son âge, son origine, son hérédité, son passé, son avenir... a un droit fondamental: celui de développer son intelligence, sa faculté de comprendre, le monde qui l’entoure et ce qu’il est. I1 faut le répéter sans relâche : la nature nous a équipés pour apprendre, pour capter ce que nous voyons, entendons, et ressentons ;mais le mécanisme ne fonctionne bien que si nous ne sommes pas encombrés par ce que nous croyons savoir... L‘apprentissage est une naissance qui doit être menée sans précipitation, à son rythme et à son heure.
DEUXIÈME PARTIE
APPRENDRE A GÉRER SES RESSOURCES
PLATON, La République (livre VII) K Il faut des dizaines d’années, voire des siècles pour qu’un nouveau regard apporté par la science soit adopté par tous... >>
A. JACQUARD, Moi et les Autres
VERS U N APPRENTISSAGE BlONOMlQUE
Les systèmes éducatifs, en général, reflètent la société pour laquelle ils forment les citoyens. Cette société est elle-même l’image de la culture qu’elle sécrète et qui l’a sécrétée. Quant à la culture, elle s’est formée au cours de millions d’années s’enracinant dans le vieux cerveau mammifère de l’homme. Peu à peu se forme ce qu’Edward Hall appelle la culture inconsciente, la culture cachée ou encore l’infra-culture qui moule, forme (et déforme), et dont la force est d’autant plus grande qu’elle est sous-jacente. Les facteurs qui différencient les cultures entre elles sont nombreux. Ceux qui semblent peser le plus lourdement sont les concepts de Temps et d’Espace. Ils déterminent, par exemple, plus qu’aucun autre, les différences entre les langues, tant du point de vue syntaxique que phonétique et lexical. La structure des méthodes d’éducation, beaucoup plus que leur contenu, influence les processus mentaux, emprisonne la pensée dans un moule et la coule dans le béton des contraintes conceptuelles et perceptuelles. L‘intelligence est souvent confondue avec la conformité aux normes et la capacité d’adaptation au système... Les notions d’apprentissage et d’éducation sont profondément marquées par les différences culturelles. Pour les uns, il s’agit d’imiter un modèle ;pour d’autres, appliquer un savoir ou un savoir-faire ; répondre à un stimulus ; pour d’autres encore, démontrer, agir, mémoriser par cœur, donner la réponse juste, etc. A l’intérieur d’une même culture, la diversité des conceptions de l’apprentissage est tout aussi grande. Selon que l’on est psychologue, biologiste, sociologue, linguiste ou mathématicien... on aura sa propre définition de l’apprentissage et de la pédagogie. Le formateur se trouve dans la situation paradoxale de reconnaître que l’organe de l’apprentissage, le cerveau, d’une part obéit à des règles fondamentales propres au système nerveux central, et d’autre part organise l’information et la représentation du monde extérieur d’une façon spécifique A chacun. Le rôle d’un formateur et, plus généralement, d’un système éducatif, est de trouver et faciliter le lien et l’équilibre entre les ressources de l’organisme et sa fonction afin de permettre à l’organisme de développer
124
Apprendre à gérer ses ressources
et surtout de gérer ses potentialités : bios et nomos, ensemble, ne constituent pas encore une s’cience en cette veille du troisième millénaire... Ne seraitce pas le rôle des éducateurs et des formateurs de contribuer à l’émergence d’une science indispensable à l’homme et aux hommes, la bionomie ? Mieux gérer ses ressources n’est possible que si on les connaît
La connaissarice des potentialités et des ressources cognitives, affectives, et physiques de l’homme n’est pas innée. L‘homme doit acquérir cette connaissance. L‘environnement s’en charge quelquefois, mais pas toujours (et même, sans doute, de moins en moins). Les facteurs intervenant dans cet état de fait sont trop nombreux pour être tous mentionnés et examinés ici. L‘un des éléments importants est la spécialisation de plus en plus poussée des technologies qui contribue à augmenter la distance entre l’homme et le réel. La technologie coupe l’homme de sa seinsorialité. De plus en plus, les machines s’intercalent entre la main de l’homme, son toucher, sa motricité et la destination de son effort, la réalisation de son projet. Ceci est particulièrement flagrant dans les relations de l’homme et de son écriture: le support du code écrit s’éloigne de la main de celui qui la crée. Face à une situation où l’équilibre des forces intérieures et extérieures à l’homme est de ]dus en plus difficile à trouver, la question se pose de savoir d’une part, comment élaborer une méthodologie de 1>enseignementet les interventions de formation qui soient cohérentes, compatibles avec le fonctionnement de l’organe de l’apprentissage, et qui visent à développer les ressources que tout être humain possède en lui, d’autre part, quels outils et techniques utiliser pour atteindre ce but. Ces deux points seront évoqués plus loin. Les réponses proposées sont le fruit de nombreuses années de réflexion et d’expkrience pédagogique ;elles en constituent la synthèse. Cette mise en forme d’une pratique qui a longuement mûri se veut être essentiellement une contribution à ce que d’autres ont déjà dit ou fait. I1 s’agit d’ajouter ici une pierre, là un accent ; d’étayer ici, de consolider là... Des expériences pédagogiques, proposant des applications des données scientifiques, existent déjà. Les exemples choisis l’ont été hors de notre contexte éducatif français. Ces expériences ont quelques années d’avance sur notre réflexion, et peuvent apporter un éclairage nouveau et nous encourager à porter un autre regard sur l’acquisition des connaissances et les concepts sous-jacents. Nous donnerons trois exemples de réalisations pédagogiques. L‘une, poursuivie au Venezuela, est de dimension nationale ; l’autre, dans le Colorado, aux État-Unis, est plus restreinte mais solidement étayée par une recherche en neurophysiologie. La troisième représente un effort remarquable de prise de conscience des facteurs culturels intervenant dans la situation d’apprentissage et une volonté, de la part des expérimentateurs, d’instaurer un partage au niveau des significations (« shared meanings »). Elle a été menée en Australie auprès des Aborigènes.
Vers un apprentissage bionomique
125
Les exemples cités ne doivent pas faire oublier que de nombreuses expériences pédagogiques sont menées en France, courageusement, malgré les difficultés provoquées par la mouvance des décisions au niveau institutionnel ... et, paradoxalement, l’inertie des structures. I1 est bien évident que ces efforts restent présents à notre esprit tout au long de notre analyse. La deuxième partie de ce livre est destinée à poser les bases d’une approche méthodologique dont le contenu sera concrétisé dans la troisième partie, plus particulièrement destinée à ceux qui se battent déjà sur le terrain, ou qui aimeraient rejoindre ceux qui ont déjà commencé le combat.
CHAPITRE 6
QUELLE(S) PÉDAGOGIE(S) POUR QUEL(S) APPRENTISSAGE(S) ? Établir les bases d’une pédagogie cohérente et compatible avec le fonctionnement cérébral est non seulement, une nécessité, mais une priorité. En effet, malgré les efforts, l’énergie, le temps, les moyens employés et déployés par les différents partenaires de la situation d’apprentissage, de nombreuses solutions restent encore à trouver pour que l’acquisition des connaissances soit plus efficace, plus heureuse, plus rentable. Ces solutions sont d’autant plus urgentes que les hommes et les femmes de la fin du Xxe siècle ont plus que jamais besoin de comprendre leur époque et la période de transition dans laquelle ils vivent. Avec les technologies nouvelles, et tout spécialement celles qui président à la communication de l’information, on s’achemine progressivement vers un système dans lequel l’information ne sera plus simplement traitée par le récepteur mais sélectionnée, choisie, triée. Le présent se prépare à partir du futur. Plus que jamais, le cerveau des générations de demain doit être prêt à prendre l’information et à la traiter. Le paradoxe est que l’évolution du contexte informationnel se fait précisément dans le sens d’une surabondance d’informations visuelles et auditives ; mais l’mil et l’oreille, saturés d’informations, ne sont plus ce qu’ils étaient. L‘homme occidental, tout spécialement s’il est de langue française, adhère et s’identifie à sa fonction et à son rôle social. I1 dira, pour définir sa fonction : > C’est-à-dire diagnostiquer et faire prendre conscience à l’apprenant de ses attentes, de son attitude face à son apprentissage, des ressources dont il dispose, de celles qu’il utilise ou qu’il évite, de sa gestion préférentielle, de son profil et de son style d’apprentissage. 3) Déterminer une stratégie pédagogique - Varier et alterner les prises d’information (visuelle, auditive, kinesthésique). - Varier et alterner les activités de traitement de l’information (reproduction, transformation, itinéraires d’une modalité à l’autre, d’un traitement à l’autre). - Repérer le stade du processus d’apprentissage : perception, traitement, production. - Adresser l’information : la relier à des repères temporels et spatiaux. - Individualiser l’information : l’ancrer dans les expériences et connaissances passées., la projeter dans l’avenir de l’apprenant. - Évoquer l’infcrmation en représentations mentales, dans les diverses modalités sensorielles auditive, visuelle, kinesthésique. 4) Interpeller lotalement l’apprenant - S’adresser à ses quatre cerveaux: à son besoin d’automatismes, son besoin d’affectivité, de discrimination, d’organisation. - Faire coopérer ses deux hémisphères: l’holistique et le linéaire, le synthétique et l’analytique, l’analogique et le digital. 5 ) Ménager - Un environnernent multisensoriel et non menaçant. - Les conditions d’hygiène cérébrale.
Nouvelles perspectives pour la formation -
-
173
Des pauses structurantes et d’intériorisation. Des réactivations pour une mémorisation à long terme. 6) Poser les termes d’un contrat d apprentissage Le contrat portera sur les points 1, 2 et 3. I1 est à négocier en début de séquence pédagogique et peut prendre plusieurs formes, du simple protocole au véritable contrat engageant les partenaires de la situation d’apprentissage : l’apprenant, l’enseignant et l’institution. Une proposition de contrat est faite dans le dernier chapitre.
TROISIÈME PARTIE
CONSTRUIRE AUJOURD’HUI AVEC HIER ET DEMAIN OUTILS ET TECHNIQUES POUR LE FORMATEUR EN FORMATION DE NEUROPÉDAGOGIE
>
Yi KING, Le livre des Transformations à cet apprenant ? (dater 1’0 bservat ion).
Tableau 17. Observation de la saisie de l’information
Construire aujourd’hui avec hier et demain
218 @
Construire le traitement de l’information
Cette phase est souvent confondue avec celle de la compréhension et réduite à une explicitation verbale (écrite ou orale). Elle est plus rarement non verbale : picturale (images ou schémas) ;auditive (musique ou bruitages). Une combinaison des différents types d’explicitation (multisensorielle, et multi-média) est un moyen plus sûr de s’assurer que l’information sera traitée. L‘explicitation devrait intervenir après une phase d’évocation mentale. En effet si, dans le système éducatif occidental, l’enseignant est souvent maître de la source et de l’activité finale, l’apprenant est le maître (souvent inconscient) de sa gestion: un texte entendu peut déclencher des images visuelles chez l’apprenant A, ou déclencher l’écho d’autres paroles dont se souviendra l’apprenant B, ou encore une sensation ou un sentiment chez l’apprenant C, une pensée abstraite chez l’apprenant D, etc. Pendant la phase de traitement de l’information, il existe différentes possibilités de croisement entre les modalités sensorielles :
externes internes
pri:se d’information visuelle (V“), auditive (Ae) kinesthésique (Ke), images mentales visuelles (Vi), auditives (Ai) kinesthésiques (Ki).
On peut se trouver dans la situation suivante : une information auditive externe (Ae) évoque chez l’apprenant, un souvenir visuel (Vi) ou un souvenir auditif (Ai) ou un sentiment (Ki)... Cette information doit servir à rédiger un texte (Ke Ve). Les cas suivants peuvent se présenter : par exemple, à partir d’une source sonore : Ae Vi Ke i- Ve (une image Visuelle a été évoquée) Ae A i Ke -- Ve (une image Auditive a été évoquée) Ae Ki Ke Ve (un sentiment - Kinesthésique a été déclenché) -
+
-- -- -
+
~
Lequel de ces parcours sera le plus opérationnel ?
Quel apprenant réussira le mieux ? :probablement, celui dont le parcours est resté dans la même modalité sensorielle. L‘apprenant qui se sera servi de l’image auditive interne (Ai) aura prolongé le modèle d’une durée suffisante pour s‘y référer pour accomplir la tâche demandée. Les croisemervltsdes modalités expliquent, en effet, bien des difficultés et blocages, des surdités, des aveuglements, des situations de non-communication: l’inforrnation a été donnée, mais elle a été transformée dans un autre canal. Pour la récupérer en vue d’une activité appartenant à une autre modalité, un entiraînement est nécessaire. Ceux qui réussissent se sont déjà familiarisés avec cet entraînement. Selon la tâche à accomplir, le parcours sera plus ou moins facile. Les
219
La spirale de la formation
différents parcours de l’information : voilà la réalité quotidienne, non seulement dans la classe, mais dans la vie courante. I1 est donc essentiel que l’enseignant qui apporte une information en vue de faire accomplir une tâche, soit conscient que chez certains apprenants, l’itinéraire est plus difficile que pour d’autres. Le tableau 18 donne les éléments qui sont à prendre en compte dans l’élaboration d’une séquence d’enseignement, selon que la source est orale ou écrite, verbale ou non verbale, selon que l’activité est une tâche de production ou de reproduction. ’
La source
La tâche à accomplir Reproduire
I. a. verbale
-b
Transformer
2 a) réciter
-+
3 a) raconter
2 b) reproduire
-+
3 b) interpréter
ex : écouter
I. b. non verbale ex : situation bruitée
la situation bruitée
la situation bruitée
püËEËl II. a. verbale
-b
4 a) copier le texte
-...-.+
ex : texte écrit
II. b. non verbale e x : image
5 a) rédiger composer résumer
4 b) reproduire
-b
le dessin
5 b) adapter transformer l’image
Tableau 18. Parcours pluriels
Certains des parcours ci-dessus sont couramment demandés aux apprenants : Ia 2a (on écoute un texte et on le récite) IIa 3a (on lit un texte et on le raconte) Certains ne sont jamais ou rarement pratiqués : IIb 2b : le bruitage d’un tableau ou d’une image. etc. Un travail de recherche en sous-groupe, pendant la formation, consistera à discerner les différents types de parcours possibles pour parvenir plus sûrement a un objectif donné, sans perdre de vue, une fois encore, que tout
--
-
220
Construire aujourd’hui avec hier et demain
l’intérêt de travailler à partir des gestions mentales est de multiplier les occasions de développer celles qui restent faibles. Aider le formateur à construire la phase de traitement de l’information à partir de la réalité du groupe, c’est l’éclairer sur le moyen d’observer et d’évaluer sa propre démarche. Exemples de questionnaire à construire par le formateur : Auto-questionnatirede l‘enseignant sur sa démarche dans une séquence d’enseignement
A. 1. Quelle source d’information ai-je apportée ? -- Visuelle ? - Auditive ? - Kinesthésique ? 2. A quel moment de la séquence? 3. Avec quel objectif? B. 1. Comment j’aide les élèves à observer ? 2. Comment j’aide les élèves à chercher ce qu’il faut observer ? 3. Comment j’aide les élèves à interpréter ce qu’ils voient, entendent ? Quels indices, quels repères je leur donne. 4. Comment j’aide les élèves à passer du savoir au savoir-faire ? C. Est-ce que j’évalue régulièrement : 1. les capacités d’observation/ d’écoute des élèves pour déterminer ceux qui ont des difficultés ? Comment ? 2. les démarches qu’ils suivent/ évitent ? 3. le résultat en relation avec les deux phases qui précèdent Les auto-réponses à cet auto-questionnaire de l’enseignant ne sont pas, bien évidemment, destinées à une censure quelconque (même une autocensure !). Elles devraient être des repères de ré-orientation ou de confirmation d’une démarche pédagogique. Questionnaire destiné à l’élève sur SA/SES stratégies :avant, pendani ou après un exeficice (à adapter selon l’âge)
Objectif: rendre l’élève conscient de sa démarche préférée et de celle(s) qu’il évite. 1. Comment as-tu fait (fais-tu ? feras-tu ?) pour (résoudre un problème ? faire cet exercice ?)
1.1. Tu crées des images dans ta tête ? 1.2. Tu entends dans ta tête un mot, une phrase ? ta voix ? la tienne ? celle de. ? 1.3. Tu dessines? 1.4. Tu écris ? 1.5. Tu te l’expliques à toi-même ? As-tu utilisé (utilises-tu ; vas-tu utiliser ?) une seule démarche, plusieurs ? Quelle démarche te fait réussir? Quelle démarche te bloque? Que fais-tu quand une démarche n’aboutit pas? ,.
2.
3. 4.
5.
La spirale de la formation
22 I
5.1. Tu t’arrêtes ? 5.2. Tu recommences ? 5.3. Tu en cherches une autre? 5.4. Tu en cherches plusieurs autres? 6. Quand (ou si) tu évites une démarche, 6.1. Tu penses que tu n’en as pas besoin? 6.2. Tu n’en es pas sûr? 6.3. Tu as d’autres raisons? 7. Qu’est-ce qui te donne confiance? 8. Qu’est-ce que tu réussis? 8.1. Peux-tu dessiner quelque chose qui ressemble à ce que tu fais quand tu réussis? 8.2. Peux-tu l’expliquer avec des mots? 8.3. Peux-tu l’expliquer avec une comparaison (un objet, un événement, une situation, un animal, une plante ... ) ? 9. Qu’est-ce que tu trouves difficile? 9.1. Peux-tu dessiner ce qui ressemble à ce qui te semble difficile ? 9.2. Peux-tu l’expliquer avec des mots ? 9.3. Peux-tu le comparer à un objet, etc. ? IO. Quand tu cherches une solution, comment fais-tu? IO. 1. Un pas, puis un pas,... vers l’avant ? 10.2. Tu devines la solution et tu cherches ensuite? Ce questionnaire destiné à l’élève fait partie intégrante de la démarche pédagogique. I1 sera sans effet s’il ne déclenche pas un dialogue entre l’enseignant et l’élève sur les autres démarches que la sienne. Pour construire les actes de lecture
I1 faut préciser, tout d’abord, que l’interface du cerveau et du code écrit diffère selon la structure de représentation du système d’écriture : idéographique ou syllabique/ alphabétique. L‘écriture n’est pas un support neutre. Elle établit un rapport entre le corps (physique et social) et le langage. Elle a eu - et aura encore - un rôle très important dans la régulation des structures cognitives et sociales. L‘écriture n’est pas un acte naturel : c’est l’acte d’une civilisation. De plus, l’acte de lecture est multiple. I1 doit se mettre au pluriel : l’acte sémantique (accès au sens) est accompagné d’un acte grapho-phonologique (accès au signe écrit et à son corrélat sonore) et d’un acte syntactique (accès à la structure et à la fonction). Les préalables
Faire comprendre le pour quoi du code écrit Ici, plus que jamais, une période de prise de conscience (((T moins 1 ») est nécessaire et doit être vécue avec les candidats à la lecture : surtout avec ceux qui se heurtent à cette invention millénaire des hommes qui les ont précédés. Ceux-là ont besoin qu’on se penche avec eux sur le grand pour -
222
Construire aujourd’hui avec hier et demain
quoi de l’écriture : la distance jusqu’à cette abstraction, qui leur semble si éloignée de leur expérience sensorielle, leur paraîtra moins infranchissable et moins redoutable. Avec l’écriture, la communication devient brutalement et exclusivement sous le contrôle dle la vision. Que les formateurs acceptent de comprendre le désarroi de ceux qui possèdent d’autres moyens de communiquer (et dans certaines cultures, depuis des millénaires, la communication a lieu sans l’écriture). Le passage de la communication orale à la communication écrite est une véritable rkvolution : la pensée est prolongée ;les messages deviennent durables, matérialisés, moins individuels ; ils échappent à leur auteur ; ils restent avec l’autre. - Repérer les caractéristiques du système d ëcriture Le système d’kcriture alphabétique des occidentaux est phonétique (1 1). Le signe reprisente une unité abstraite qui ne signifie rien sans ce qui la précède ou ce qui la suit. La structure de représentation est fondée sur la séquence. Dans ce système, les signes doivent être décodés dans l’ordre de leur apparition, sinon ils ne donnent aucune information. Les systèmes phonétiques alphabétiques sont orientés de gauche à droite et se déroulent horizontalement. L’approche est rigoureusement séquentielle et les difficultés commencent pour certains... Parce que la lecture d’une écriture alphabétique dépend de la contiguïté immédiate des syllabes, le processus mental de décodage est analytique, ce qui n’est pas le cas des écritures où l’image prédomine: hiéroglyphes, idéogrammes. Le décodage des signes idéographiques est le résultat d’une saisie optique globale de l’ensemble de l’aire visuo-spatiale. Les recherches portant sur les mécanismes biophysiques sous-jacents au veto-synaptique O , au niveau de la rétine (non-transmission du message), ne permettent pas encore d’émettre l’hypothèse selon laquelle l’orientation de l’écriture de gauche à droite gênerait le décodage chez certains lecteurs. On connaît mairitenant la sensibilité de la rétine à l’orientation et au mouvement mais la course entre signaux stimulateurs et inhibiteurs pour le contrôle de l’information garde encore son secret. La contiguïté provoque des phénomènes defusion. C’est le cas en français du groupe graphique «-tion». A l’oral, la voyelle placée au centre de la syllabe reçoit l’influence de la consonne qui la précède et de celle qui la suit, et, réciproquement ; les consonnes (C) pré- et post vocaliques sont modifiées par la nature de la voyelle (V).
fin
C&C Ceci indique que l’apprentissage de la lecture doit tenir compte de la réalité de la syllabe entière (12). ( I 1) Cf. D. de KERCKHOVE (1984). (12) Cf. TROCMÉH. (1975). On s’aperçoit de l’influence de la voyelle sur la consonne qui la précède en fakant un exercice très simple : on se prépare à dire ma, puis mi... mo ... mu, etc. et on s’aperçoit que les lèvres dessinent la voyelle avant même que la syllabe ne soit émise. La programmation de l’émission de la syllabe semble donc se faire selon un processus de pro-action
La spirale de la formation
223
1’acte neurophjisiologigue de lecture La danse des yeux qui lisent a été décrite par de nombreux auteurs et il n’en sera question ici que pour rappeler que ce sont les saccades, les fixations oculaires et la durée de ces fixations qui permettent de capter les signaux. -
Mais - pour quII y ait lecture - il reste encore à transmettre ces signaux, les recevoir et les décoder. La lecture est un acte total, qui fait intervenir bien d’autres mécanismes que la prise d’information visuelle, en particulier la transmission de l’information par le relais limbique (capable de tout bloquer si l’équilibre affectif n’est pas atteint) et le décodage ou accès au sens qui fait intervenir tout le cerveau et l’être lecteur tout entier. L‘acte de lecture commence par une identification des signes graphiques mais il requiert, au préalable, la mise en mémoire de ces signes, et la combinaison de divers types de relations.
I
I
Représentation phonique
$I t-- - - -
- -
Signe graphique
Le formateur doit être conscient que l’acte de lecture n’est pas un acte mental homogène, et qu Il évolue durant l’apprentissage. - tous les mots du langage n’ont pas le même statut et ne reçoivent pas le même traitement.
Les théories divergent sur la nature exacte du décodage. Dans une langue alphabétique, la lecture des lettres isolées et de certains segments (dépourvus de sens, mais d’usage fréquent et régulier) se ferait par médiation phonétique, par la relation : graphème phonème. La lecture des mots (noms, verbes, adjectifs) se ferait par médiation graphie sens. lexicale, par la relation : Mais les lexèmes syntaxiques (prépositions...) seraient traités par médiation phonétique, par la relation : signe son. La lecture des phrases fait intervenir l’effet du contexte lexical (les mots proches) et syntaxiques (la structure) dans lequel le lecteur puise des repères, des indices, et prend une décision sémantique. Quand les indices sont insuffisants pour que la reconnaissance soit possible, le lecteur devine. Mais il est extrêmement difficile de savoir comment il s’y prend et dans quelle mesure la médiation phonologique et la médiation sémantique l’ont guidé.
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Les relations de l’une et de l’autre, leur inter-dépendance, des phénomènes de rétro-action et de pro-action ont certainement lieu. I1 semble impossible de considérer la lecture comme un acte qui puisse être assuré par une seule médiation pour les raisons suivantes : 1) les mots it ’ont pas de statut unique ; pour le lecteur, leur fréquence d’emploi, leur catégorie grammaticale et leur contenu sémantique ne font qu’un avec leur forme 2) les mécanismes cérébraux sous-jacents à l’acte d’apprentissage de la lecture d’une langue alphabétique (donc phonétique) ne peuvent appartenir à un seul domaine ; dès qu’il y a eu apprentissage du code graphique par médiation phonktique (reliant le signe - lettre ou syllabe - au son), il ne peut y avoir de lecture purement sémantique (reliant le signe au sens). L‘apprentissage de la lecture par les enfants sourds fait intervenir la signe). L‘apprentissage est plus médiation kinest hésique (relation geste lent, plus laborieux, surtout lorsque les mots abstraits sont abordés.
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Le parcours du lecteur
L‘itinéraire diu lecteur se prépare avec lui, surtout s’il redoute l’échec. Quel que soit son âge, enfant ou adulte, un questionnement (un autoquestionnaire pour commencer, si possible) peut ouvrir l’horizon.
Lire.. . quoi ? (faire dresser une liste de ce qu’on peut lire, puis comparer les listes dans le groupe. Les différents domaines : histoire, politique, science-fiction bricolage... ; les différentes sources : livres, affiches, revues,... ; des chiffres, des règles de jeux, des graphiques ... ; des gestes, des visages, des objets... ; des images mentales, des (( souvenirs ))...) -
Lire... pour quoi ? (faire recherclher les buts poursuivis : se former, s’informer, se distraire, se faire plaisir,... communiquer (ou ne pas communiquer), rêver...) -
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Lire... où et quand ? (la figure 16 suggère quelques idées !)
lire... comment ? (à quelle vitesse ... ? à voix haute ...? mentalement ... ? en revenant en arrière quelquefois... ? souvent ? jamais ? toujours ?... en sautant des pages ? lisez-vous la fin du livre avant de commencer? la préface? la table des matières ? les têtes de chapitres ?...) -
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II
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I
Figure 16. Lire quoi ? Pourquoi ? où et quand ? Comment ? (D. Blondiaux)
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Construire aujourd’hui avec hier et demain
Les facteurs intervenant dans la lecture
1, Au niveau du code linguistique, les variables observables et les facteurs qui semblent jouer un rôlefacilitateur dans l’apprentissage sont, dans l’ordre : - le caractère concret d’un mot (plus facile qu’un mot abstrait) - la catégorie grammaticale: nom > adjectif > verbe > lexème syntaxique (le plus résistant à la saisie) - le potentiel d’imagerie du mot - la fréquence d’occurrence du mot dans le lexique (du lecteur et de la langue) -la régularité de la correspondance signe son - la longueur du mot (et sa structure : préfixe, racine, suffixe) - la valeur communicative... 2. Les perforimances du lecteur semblent dépendre de ses capacités a établir des relations, repérer des séquences, mémoriser du sens et des formes, anticiper. En tenant compte de ces deux types de facteurs et des préalables énumérés auparavant, il est possible de dessiner les lignes de force d’une pédagogie de la lecture compatible avec le fonctionnement cérébral.
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Apprendre à être un lecteur efficace
1) (Faire) comprendre pour quoi on lit (en général et dans le cas particulier du lecteur). 2) (Faire) cornprendre la diversité des supports (livres, affiches, autocollants...) et faire choisir et apporter par l’apprenant des sources et supports aussi variés que possible. Travailler systématiquement la recherche d’information et la sélection d’un, deux ou plusieurs éléments d’information. 3) Alterner les moments de mise en commun et les explorations personnelles (on lit pour ...) 4) Alterner les moments de lecture proprement dite et les prises d’information portant sur les formes, les relations et les dqférents paramètres entrant dans les actes de lectures. 5) Travailler systématiquement la relation objet représentation (représentation sonore ct graphique). - Faire des sessions d’échauffement lexical (désigner nommer). - Repérer toutes sortes de relations: forme dimension position orientation séquence... (et ceci dans les domaines visuel, auditif et kinesthésique). 6) Travailler :systématiquement les rythmes de lecture : lent, rapide, ralentissement, accélération... ; travailler les pauses, les re-démarrages, les suspensions de séance où il-faut-être-attentipour-reprendre au signal, etc. 7) Travailler les différentes façons de lire (comme un tel, comme papa, (( comme le maître ... », (( comme si j’étais en colère D, (( comme si vous étiez sourd ... n, (( comme si vous étiez fatigué, loin, sur le point de partir... D, etc.). 8) Travailler systématiquement l’intériorisation : faire évoquer (les yeux fermés) ce qu’on a lu. Non seulement l’apprenant apprend à accueillir en
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lui ce qu’il a découvert, mais il construit son stock de langage et d’images mentales (visuelles, auditives ou kinesthésiques). Elles contribueront à construire sa mémoire... et son identité. Améliorer, libérer
Ne pas savoir lire, lire mal, lire peu, ne jamais lire un livre ou un journal dans nos sociétés occidentales, c’est asphyxier le cerveau. L’information orale et gestuelle ne peuvent suffire à l’homme occidental pour appartenir à son environnement. D’autre part, un face à face difficile, pénible ou nul avec l’écriture n’est pas une tare: c’est un indice, un message, parfois un cri. L‘erreur que les enseignants et formateurs risquent de commettre est de penser qu’il y a une stratégie valable pour tous les lecteurs. I1 est important que la recherche d’une solution pédagogique aux difficultés de lecture tienne compte de l’interaction des facteurs qui ont été énumérés et en particulier de trois facteurs essentiels : l’interface du système qu’est le lecteur (les interactions au centre desquelles il se trouve) et du système du code écrit : quelle attitude a le lecteur ? - ses stratégies (comment s’y prend-il?) - la nature du matériau de lecture. Alors seulement le formateur pourra proposer une ou des stratégies permettant d’améliorer la lecture. La gamme est extrêmement variée : - évoquer des images à partir du texte - grouper les mots par groupes de sens - intercaler une feuille transparente de couleur verte ou bleue entre les yeux et la page ; -- utiliser la médiation d’une marionnette ; - se servir de l’apport d’un fond musical, etc. - jusqu’a des techniques plus élaborées visant à développer la gestion faible ou manquante : traitement séquentiel, mise en relation, exploration des éléments descriptifs (qui, quoi, quand, où)... des couches plus complexes du langage et de la pensée (pourquoi et pour quoi, comment), - et enfin, poser la question : «et moi, qu’est-ce que je pense ?» L‘approche neurophysiologique de la dyslexie (et des cas d’alexie) apporte aux pédagogues de précieuses informations sur les mécanismes de lecture dans les cas de dysfonctionnement ou de dégradation (13). Elle fait surtout apparaître l’existence de la dyslexie au pluriel: là encore, il nous faut reconnaître et pratiquer le droit à la différence et à l’intelligence, c’està-dire, le droit à développer les ressources de chacun en tenant compte de ce qu’il est. ~
(13) Cf. Deleplanque B. (1986) (( Les Alexies, approche cognitiviste D, Thèse pour le Diplôme de Docteur en Médecine, Université de Bordeaux II, UER Sciences Médicales.
CHAPITRE 10
CONSTRUIRE UN NOUVEAU REGARD
APPRENDRE ? VOUS AVEZ DIT, APPRENDRE ? RECONCEPTUALISER
Ce chapitre est, comme les précédents, à la frontière de la recherche, de la théorie et de la pratique. A l’enseignant en formation (et quel enseignant n’est pas en permanence en formation ?), il est suggéré maintenant de se constituer un cataloguerépertoire d’exploration autour des principaux concepts sous-jacents à l’apprentissage et impliqués dans l’interface enseignant-apprenant-information. Le but de ce répertoire est de permettre au formateur de préciser, pour lui-même et pour ceux auxquels il s’adresse, les notions qui sont à la base de leur inter-relation, quel que soit le cadre dans lequel l’enseignement a lieu. Le répertoire est un moyen puissant de capter l’énergie reçue de lectures, de rencontres, de réflexions, d’expériences, etc. C’est un manuel de ressources pour qui veut creuser et approfondir certains paramètres d’une réalité qui est la sienne. C’est un filet de sécurité pour les a trapézistes )) du monde de l’éducation et de la communication, car les fiches s’ouvrent, se rejoignent, se confirment, s’interrogent et interrogent ... C’est aussi un réseau de connexions et de communication silencieux mais efficace pour se sentir moins seul(e) dans la grande marche. La neuropédagogie s’expérimente et se découvre sur le terrain. Elle naît de la rencontre avec les problèmes réels mais, surtout, d’un regard constamment renouvelé sur l’homme et ses ressources. Elle est à la croisée de nombreux chemins. Aussi, la conception du répertoire est essentiellement flexible. Les suggestions, qui sont faites tant au niveau du choix des concepts que de la trame des fiches, doivent être considérées comme de simples propositions dont le modèle ne saurait être imposé. Les concepts d’une portée générale (((apprentissage », (( éducation n,
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Construire aujourd’hui avec hier et demain
(( enseignement »...) et ceux qui ont été traités de façon spécifique (mémoire, perception ...) ne sont pas insérés dans le répertoire. Chaque fiche aborde un concept important et est classée par ordre alphabétique. Chaque concept sera étudié au point où l’on en est; c’est-à-dire, on prendra un repère (la date par exemple) pour marquer le début de l’exploration, donner sa propre définition du moment, afin d’être en mesure - un jour, plus tard, le moment venu - d’évaluer le chemin parcouru et les étapes franchies. La fiche peui. ensuite recueillir l’exemple d’une expérience vécue, d’une citation, d’une rkférence bibliographique ; elle peut s’enrichir d’autres références, d’autres citations relevées au cours de lectures, conférences, ou contacts divers ; elle peut comporter des suggestions quant à des pratiques, des solutions à apporter, etc. Le répertoire sera très vite opérationnel si chaque indication est datée, les références soigneusement notées et les connexions avec d’autres notions indiquées clairement. Exemple : (( norme )) Ce que je croyais (... date) : notion qui peut être catastrophique, surtout quand elle est utilisée dans le système éducatif. ... (autre date) : notion à déraciner chez l’apprenant, le formateur, l’institution (et les parents !) ... (autre date): concept à aborder dès le premier jour avec un groupe de formateurs ou d’apprenants. Par exemple, à partir d’un exercice de perception auditive ou visuelle ; faire apparaître la diversité des perceptions individuelles, et respecter la différence.
Auteurs : R.C. LE WONT IN,^. ROSE & L.J. KAMIN L.J. : (( les normes sont le produit artificiel des techniques statistiques : elles n’ont pas de réalité biologique ». (Nous ne sommes pas programmés, 1984, Éd. de la découverte, p. 114). JACQUARDA. : Le système éducatif, au lieu d’être le domaine privilégié où chacun prend conscience de ses possibilités (...) est organisé le plus souvent de façon à inciter chacun à couper ses propres ailes. Au lieu de favoriser le développement de personnalités contrastées, on s’efforce de produire en série des individus conformes aux normes D. (Inventer l’Homme, 1984, Éd. Complexe, p. 168).
... Cf:aussi
Différences
Système
Les exemples tie fiches qui sont donnés ci-dessous ne constituent en rien ... une norme ! Leur nombre n’est pas limité aux exemples choisis. Certains concepts seront développés, d’autres simplement mentionnés pour mémoire. Ce répertoire doit être considéré comme une amorce de recherche et de dialogue avec les apprenants et/ ou avec des collègues, sans oublier l’institution dont la réflexion est trop souvent éloignée du terrain et du terreau de l’apprentissage.
Construire un nouveau regard
23 1
,Une recherche qui ne débouche pas sur un échange est une recherche morte. Aptitude(s)
Ce que je crois = l’aptitude à apprendre est la seule aptitude vraiment innée. Les autres se développent si les conditions optimales sont recherchées. On ne peut pas ne pas apprendre ... Le dés-apprentissage ou le nonapprentissage révèle surtout une inadéquation entre les ressources, les motivations, les contextes et les méthodes.
Auteurs : C.’G. AZÉMAR: Vers une étho-pédagogie, I.N.S.E.P. no4, 1979. J.-P. CHANGEUXet A. DANCHIN:((Les aptitudes à apprendre se transforment dès la naissance... Elles sont liées aux périodes critiques... et aux stimulations de l’environnement ». (Apprendre par stabilisation sélective de synapses en cours de développement in L‘Unité de l’Homme, Paris, Seuil, 1974). ’ C A. JACQUARD : Inventer l’Homme, Éd. Complexe, 1984. Paul KLEE: ((the sense of form and tone are man’s primordial heritage )) (((le sens de la forme et de la tonalité sont l’héritage le plus important que l’homme ait reçu)) (Pedagogical Sketchbook, intr. et trad. by S. MOHOLY-NAGY, FABER& FABER,1977. - Édition française: Paul KLEE: Théorie de l’Art Moderne, trad. P.-H. GONTHIER,Éditions Denoël Gonthier, 1977). ’ C aussi intelligence Assimilation Cf: >
Ce que je crois = état de vigilance, processus de focalisation. Persévérance dans la perception, dans le traitement, dans la production (plusieurs types). Auteurs : CJ J. BEATTY: Activation and Attention in the human Brain in WITTROCK M.C., ed. ï h e Human Brain, Prentice Hall, 1977. Cf:M. FLAKet de COULON: Des enfants qui réussissent, Epi, 1985. CJ S.A. HILLYARD : Electrophysiology of human selective attention TINS, sept. 1985. ’ C H. LABORIT : Inhibition de l’Action, Masson, 1981, p. 21 et suiv. Cf: P. ROLAND:Cortical regulation of selective attention in man, J. of Neurophysiology, vol. 48, no 5, 1982. CJ K. PRIBRAM : Languages of the brain, Brandon House, N.Y., 1977. WILLIAMSL.V. : Deux cerveaux pour apprendre, Les Éditions d’Organisation, 1986.
...
Cf:aussi
Mémoire
Motivation
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Construire aujourd’hui avec hier et demain
Attitude(s)
Ce que je crois = l’importance de l’attitude dans l’acquisition des connaissances esi: fondamentale. Les échecs sont dus à une attitude négative plus qu’à une incapacité intellectuelle, - Cf. les outils et techniques de l’analyse transactionnelle, de la programmation neurolinguistique, de la sémantique générale, du Yoga Nidra, utiles pour désamorcer les pensées négatives, recadrer, réamorcer l’énergie... Autonomie
Ce que je crois = autonomie ne veut pas dire indépendance totale, mais non-dépendance - de très nombreuses expériences pédagogiques ont lieu pour développer l’autonomie de l’apprenant (cf. Colloque A.D.M.E.S., Grenoble, mai 1986, sur (( Apprentissage autonome et apprentissage de l’autonomie dans l’enseignement supérieur O).
Auteurs : E. GUILLÉ: (( autonome ne veut pas dire sans relation ... )) (L’alchimie de la Vie, 1983, Éd. du Rocher, p. 142). CJ E. de BONO: Réfléchir mieux, Éd. d’organisation, 1985. CJ A. KOESTLER : Janus, Calmann-Lévy, 1979, et la théorie de l’holisme. C. SINGER: (( l’enfance est le temps de l’adhérence au monde... Si ce solide soubassement vient à manquer, c’est le drame de la dépendance, l’adhésion fatale aux systèmes préfabriqués )) (Les âges de la Vie, A. MICHEL,1983, p. 81). CJ E VARELA: Autonomie et Connaissance, Essai sur le vivant »,Seuil, 1989. Cf:aussi Système a x
Changement
Ce que je crois = accepter et vivre le changement comme une (re)source, de vie, d’équilibre.
Auteurs : Cf: A. de PERETTI: Du Changement Ù l’Inertie, Dunod, 1981. A. KORZYBSKI:«nous n’avons pas besoin de nous aveugler avec le vieux dogme qui veut que la nature humaine ne peut être changée, car nous découvrons qu’elle peut être changée (si nous savons commmt). Nous devons commencer à réaliser nos potentialités en tant qu’être humains, et alors nous aborderons le futur avec quelque espoir D (Ce que j e crois, Institute of G.enera1 Semantics, Lakeville, 1979, trad. S. SCHAEFFER et J.-C. DENIS). Cf:WATZLAWICI; P. : un changement de comportement mène à un chan-
Construire un nouveau regard
233
gement de perception, et un changement de regard (Changements, WATZLAWICK, WEAKLAND & FISCH,Seuil, Points, 1979). YI KING,Le Livre des transformations : l’incessante transformation de toute chose, de toute situation (Librairie de Medicis, 1973).
...
cf: aussi
Évolution
Communication
Ce que je crois = la communication est beaucoup plus que le simple transfert d’information. Elle donne du sens à l’information. Elle implique l’autre personne. Elle est échange. Elle tient compte du retour de l’information et de la projection de ce qui est dit. Elle se construit à deux, à plusieurs.
Auteurs : Cf:R.L. BIRDWHISTELL et E. HALL: il n’y a pas d’opposition entre le corps et le langage. Le courant communicationnel est un processus pluriel permanent, un système dans lequel les interlocuteurs s’engagent.