Histoire de la banqueroute et faillite contemporaine (Collection Logiques juridiques)
 2738417116, 9782738417114 [PDF]

  • 0 0 0
  • Gefällt Ihnen dieses papier und der download? Sie können Ihre eigene PDF-Datei in wenigen Minuten kostenlos online veröffentlichen! Anmelden
Datei wird geladen, bitte warten...
Zitiervorschau

HISTOIRE DE LA BANQUEROUTE ET FAILLITE CONTEMPORAINE

Collection --Logiques Juridiques)) dirigée par Gérard MARCOU

Déjà parus: - ASSOCIA nON INTERNA nONALE DES JURISTES DEMOCRATES, Les Droits de l'Homme: universalité et renouveau, 1789-1989, 1990. - BOUTET D., Vers l'Etat de Droit, 1991. - SIMON J. P., L'Esprit des règles: réseaux et règlementation aux Etats-Unis, 1991. - ROBERT P. (sous la direction de), Les Politiques de prévention de la délinquance à l'aune de la recherche, 1991. - ROBERT P. (sous la direction de), Entre l'ordre et la liberté, la détention provisoire, deux siècles de débats, 1992. - LAS COMBE (M.), Droit constitutionnel de la Vème République, 1992. - HAMON(F.), ROUSSEAU (D.), (sous la direction de), Les institutions en question, 1992.

L'Harmattan,

1992

ISBN: 2-7384-1711-6

Collection Logiques Juridiques dirigée par Gérard MARCOU

Daniel DESURVIRE Audit gestion et droit des affaires. Ancien membre au comité directeur du conseil décannal du Centre d'études juridique, économique et politique de Paris (CE]EP).

HISTOIRE DE LA BANQUEROUTE

ET FAILLITE CONTEMPORAINE

Cet ouvrage est dédié à la mémoire de Jean GUYENOT t : Maître de conférences en droit commercial à l'Université de Paris-II, Directeur-Doyen du C.EJ.E.P., rédacteur en chef de la Revue des sociétés aux éditions Dalloz, en hommage et respect pour ce maître admirable qui sut transmettre avec humilité à ses étudiants, amitié et talent dans le partage fraternel du savoir.

Editions l'Harmattan 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique 75005 Paris

5

AVERTISSEMENT

Une partie des données utilisées dans ce livre a été publiée par le Journal "Les Petites Affiches-La Loi" ; (nOS 33 et 34 des 16 et 19 mars 1990 et nOs 104 et 105 des 30 août et 2 septembre 1991). Nous remercions la rédaction de ce journal pour son aimable autorisation.

6

Avant-propos par François PASQUALINI Maître de conférences à l'Université René Descartes (Paris Y)

La banqueroute est un mot magique dont l'origine juridique s'efface souvent devant l'image littéraire de la honte et de la déchéance que lui ont donnée les plumes les plus habiles, mais aussi les plus acerbes du XIxème siècle. A travers les financiers impitoyables, ignobles jusqu'au plus profond de leur âme, les écrivains atteignirent le droit luimême, en ce qu'il peut devenir l'arme des financiers au lieu de demeurer l'instrument de la finance et de l'activité humaine. Gestionnaire de formation, Monsieur Daniel Desurvire est venu au droit à la suite de sa rencontre avec Jean Guyénot qui sut reconnaître en lui un esprit véritablement juridique. Il fut d'ailleurs le rapporteur de la délégation française au sein de l'une des commissions du Iyème Congrès de droit des sociétés qui se tint à Mendoza en Argentine du 20 au 23 mai 1986. Il appartient donc comme moi-même, à ces générations de juristes qui furent "initiés" au droit des sociétés par Jean Guyénot auquel ce livre est justement dédié. Depuis dix ans, les travaux écrits de Monsieur Desurvire ont maintes fois abordé la question de la faillite, aussi bien sous ses aspects historiques que positifs. Je retiendrai notamment les articles intitulés « Un bilan depuis la réforme des procédures collectives des entreprises» (Les Petites Affiches-La Loi, 16 mai 1986), « Brèves synthèse sur le rang des créances et la fonction des sûretés dans le nouveau droit des faillites» (La revue des Huissiers de Justice, 1erjuill. 1987), « La loi Neiertz » (Les Petites Affiches-La Loi, 1er août 1990) et « De l'Antiquité au Grand Siècle: faillite et banqueroute» (Historia, oct. 1991). L'ouvrage de Monsieur Desurvire est richement documenté. Il soutient constamment l'intérêt en faisant suivre au lecteur "la faillite à travers les âges" (Première partie) avant de s'attacher à l'examen des dispositions législatives en vigueur (Seconde partie). A leur égard, l'auteur écrit avec raison que les lois du 1er mars 1984 et du 25 janvier 1985 mirent en place "une nouvelle donne juridique et judiciaire dans la vie des entreprises," dans l'espoir "de juguler l'inexorable croissance de la faillite endémique qui sanctionnait en particulier l'outil de production en France. 7

Mais la classe politique dirigeante ne manqua pas dans le même temps -à des résultats augustes par des voix étroitesd'incliner son dogmatique penchant vers une certaine mansuétude" (ibid.) envers les dirigeants des entreprises et leurs salariés. En effet, Monsieur Desurvire synthétise parfaitement l'évolution d'un droit qui, selon ses concepteurs, tournerait aujourd'hui de façon résolue le dos à la sauvagerie d'antan pour afficher l'humanité de la guérison du malade. Cependant, les déclarations d'intention que les rédacteurs des textes ont inspirées au législateur contemporain dont l'œuvre, déjà modifiée, est fréquemment remise en cause, ne sont que des leunes (L. n° 85-98 du 25 janv. 1985, art. 1, al. 1), ce que les statistiques attestent. Le nombre des procédures collectives augmente toujours en France d'une manière alarmante, et le tribunal de commerce ressemble plus que jamais à une chambre enregistrant les inévitables décès de débiteurs condamnés. Personne ne peut aller contre l'évidence d'une impossible guérison: les procédures collectives, quel que soit l'habillage qu'on leur donne, conservent la nature intrinsèque de chroniques de morts annoncées, comme tout un chacun a pu le découvrir à l'occasion de la disparition de la Cinquième chaîne de télévision du paysage audiovisuel français. Le droit de la faillite actuel n'est pas un lien avec le traitement social du chômage, car, ainsi que le relève l'auteur, la loi de janvier 1985 "marqua le départ d'une nouvelle époque [...] l'entreprise devient responsable devant la propriété sociale de l'emploi [...] le salarié nanti de supers privilèges, se pose en "créancier de l'emploi qu'il occupe." Lorsque le droit confond les genres, lorsque le ravaudage social prévaut sur l'apurement du passif au point de 1e reléguer dans les coulisses de la législation, l'inspiration de la loi devient bien courte, en d'autres termes, bien politicienne. Mais on cherchera en vain dans les textes positifs les caractéristiques d'une bonne législation que Portalis avait si finement dégagées dans son discours introductif au Code civil. Le droit finit d'ailleurs par avoir tendance à se contredire

sur le plan des principes. En effet, alors que la loi du 1er mars 1984 accorde aux salariés les qualités d'interlocuteurs de premier plan de la direction et de destinataires prioritaires de l'information, les associés deviennent les laissés-pour-compte

8

du dialogue. * En cela, la loi de prévention s'oppose directement à la loi comptable n° 83-353 du 30 avril 1983 qui n'a jamais entendu défavoriser les propriétaires du capital dans la quête de l'information sociale. La dernière partie du livre de Monsieur Desurvire (Troisième partie) est consacrée à la question du surendettement des particuliers. Il écrit à juste titre que la loi "Neiertz" est destinée à lutter contre "le dopage de l'argent et le syndrome de l'endettement." Aussi louables et poétiques que furent les intentions du législateur, son texte mérite toutefois critique. La loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 est curieuse à bien des égards. Par ses maladresses et ses faiblesses, elle soulève des problèmes d'application indéniables et a permis à quelques-uns, au moins dans un premier temps, d'aller au-devant de la déconfiture afin de profiter de la protection du droit en bénéficiant des dispositions d'une loi sans sanction. Fort heureusement, la jurisprudence a réagi, mais la "faillite civile" suscite un coût financier non négligeable pour l'Etat et peut être regardée comme hypocrite dans sa présentation. Les concepts de redressement et de prévention dissimulent mal l'idéologie du rédacteur qui a orienté son ouvrage dans le sens exclusif de la protection des emprunteurs d'une façon, du reste, très ostentatoire, en cherchant à les défendre "contre la prévarication des créanciers de la finance." Il Y a là une vue simpliste du bien et du mal, des bons et des méchants, laissant transparaître un souvenir de lutte des classes. Dans ces conditions, la réforme de décembre 1989 est-elle le fruit d'une loi utile? La question peut être posée; d'une loi mal faite, sans doute. Tous ces points et bien d'autres sont analysés avec perspicacité par Monsieur Desurvire dont le travail appelle le constant respect du lecteur. Paris, le 15 juin 1992.

* André BRUNET et Michel GERMAIN; "L'information des actionnaires et du comité d'entreprise dans les sociétés anonymes depuis les lois du 28 octobre 1982, du 1ermars 1984 et du 25 janvier 1985," Rev. des Sociétés n° 1 - 1985, p. 27 - François PASQUALlNI ; "Le principe de ['image fidèle en droit comptable," Litec, 1992, n° 280. 9

INTRODUCTION Dans le sérail des civilisations, la faillite n'a jamais cessé de gangrener les rapports entre les hommes. Ne pas payer ses dettes fut longtemps reconnu comme un crime contre l'honneur et emportait les plus vives réactions de société; comme ces romains qui après avoir occis leur débiteur insolvable, s'en partageaient la dépouille à défaut de recouvrer leurs créances. Au moyen de peines d'intimidation, l'Ancien Régime usa à son tour d'une sévère répression à l'égard des faillis publiquement flétris ou mutilés avant l'exécution de la peine finale. Le spectacle devait inspirer une grande terreur aux populations et dissuaper aussi bien les voyageurs qui ne pouvaient manquer de voir exposés les gibets aux portes des villes. Il faudra attendre la Constituante pour que disparaissent enfin les peines corporelles infligées sans grand discernement entre les délits d'argent et le meurtre crapuleux, et plus tard encore pour que la faillite dans son acceptation criminelle dérive d'une autre justice, ou que les banqueroutiers ne soient plus expédiés dans les bagnes coloniaux pour y purger une condamnation aux travaux forcés. Le terme "faillite" issu du latin fallere (induire en erreur) nous vient plus près de l'italien faillita qui fut introduit en France tout au début du XIvème siècle, pour donner l'expression "faire faille a" (manquer à). De sémantiques peu éloignées, d'autres substantifs vinrent s'ajouter au langage des marchands; comme banca roUa au xvème siècle pour exprimer la banqueroute des banquiers génois pour lesquels le "ban rompu" signifiait briser leur comptoir; ou encore "déconfiture" du latin decoquere (pour exprimer la déception), qui semble remonter à la fin du XIIème siècle. Au tréfonds de l'histoire de la faillite marquée d'une terrible empreinte de cruauté dont témoigne notamment la tragique manus injectio 1de la Loi des XII Tables, il n'est pas aisé de nuancer la responsabilité des faillis dès lors que ceuxci étaient inexorablement châtiés et sans procès par leurs propres créanciers. Les législateurs de la haute antiquité ne témoignèrent guère de compassion pour ces malheureux exécutés in pace, ni plus d'intérêt devant la montée de ce 1 Mainmise sur le débiteur indélicat le réduisant à l'emprisonnement l'esclavage.

11

ou

phénomène de justice sauvage et arbitraire, allié au droit presque illimité du préteur (prœtor) 2 dans le domaine privé des affaires; d'où la férocité incontrôlée des châtiments infligés sous l'empire du courroux et de la vengeance. L'évolution du droit des faillites -si tant est qu'il en exista un à l'origine et quand bien même cette notion dut attendre 1673 pour s'inscrire en droit positif- consistait à exécuter la vente des biens du débiteur (venditio bonorum), plutôt que d'exécuter ou vendre ce dernier lui-même! Le Code du roi Hammourabi gravé dans le basalte noir quelques 1750 années avant l'ère chrétienne auquel s'ajoutent près d'un demi million de tablettes, ne nous permet pas de penser jusqu'à ce jour3 que la civilisation babylonienne ait été animée d'un esprit charitable envers les faillis; ni que les techniques de mutilations physiques ou l'abomination d'un état extrême de servitude n'entamaient. La victoire du droit écrit sur les lois orales atteste cependant un progrès pour l'humanité, même si les coutumes médiévales conservèrent fort longtemps les marques primitives des sociétés tribales aux mœurs hallucinantes, cristallisées autour de la cruauté et l'humiliation publique. Il n'était pas rare en effet, de sacrifier sur l'autel de la honte quelques faillis hideux, flanqués d'un bonnet vert, enchaînés par le cou et scarifiés d'une empreinte br(Uante, ainsi exhibés au milieu de cortèges carnavalesques parmi les populations hilares. Quel spectacle affligeant offrait ainsi la campagne sur les bords des chemins; lesquels à l'approche des bourgs étaient bordés de fourches patibulaires et autres potences dressées par les seigneurs justiciers, destinées tout aussi bien à venger les crimes de sang que l'imprudent qui ne se serait pas acquitté du cens ou de la corvée! Mais dans le parcours des époques successives de l'histoire des marchands, les législateurs se hemtèrent invariablement au choix difficile que suppose la faute mal discernée entre la simple déconfiture que faisait naître la malchance, les invasions ou la sécheresse, et la banqueroute frauduleuse promise au bois de justice, pour une punition susceptible de com promettre irrémédiablement les intérêts des créanciers en lice. 2 A Rome, le préteur est un magistrat chargé des juridictions civiles dès 367 avant notre ère. Puis en 242, celui-â se dédoubla (urbain et pérégrin) rur enfin se spécialiser suivant des règles qu'il publie dans son edictum. La totalité de cet héritage antique exposé au Louvre, n'a pas encore été intégralement traduit, pas plus que la version cunéiforme des tablettes. Cependant il semble qu'on y retrouve l'origine biblique de la peine du talion à laquelle les lois du commerce n'échappaient pas. 12

PREMIERE PARTIE La faillite à travers les âges

CHAPITRE PREMIER La préhistoire de la dette: un droit presque absolu des créanciers 1- Depuis la nuit des temps... de Dracon à Solon

Déjà les pharaons Sésostris et Bocchris4 furent en leur temps bien inspirés en réduisant dans toute l'Egypte, les sévices carcéraux infligés aux débiteurs insolvables. Solon s'en inspira dans ses lois et ainsi que le rapporta Diodore,5 le plus célèbre des Sept Sages ordonna en son temps qu'on obligerait plus les corps pour dettes civiles. A cela, l'archonte proclama également qu'il ne fallait point emprunter à usure.6 Tandis que Dracon avait installé à Athènes l'autorité d'une rigueur judiciaire implacable en matière de droit pénal, émasculant du même coup la justice coutumière des clans familiaux,? Solon décréta par la suite l'état de seisachtheia 8 contre l'arbitraire du genos, ou la vengeance privée des nobles. Cette loi amnistia d'un coup d'un seul des milliers de débiteurs de toutes leurs dettes, sans aucune indemnité pour les créanciers. Mais elle permit aussi la relance d'un nouvel essor économique dans une région ou la terre et le travail ne nourrissaient plus que l'avidité de quelques puissants propriétaires ou marchands d'esclaves. Ainsi le paysan souvent contraint d'emprunter après le désastre fréquent d'une guerre ou d'une intempérie, gageait 4 Diodore, Jiv. I, part. II, chap. III ; in "De l'esprit des Jois," Montesquieu rapporte que "Bocchoris l'avait faite et Sésostris l'avait renouvelée." Nous pensons qu'il faut inverser cet ordre puisque l'unique DY[lastie de Saïte, la XXIVème. est de loin postérieure à celle des Sésostris (XIIeme Dyn.). 5 Op cil. /iv. I. 6 Plutarque au traité, op. cit. Montesquieu, liv. XX, chap. XV. 7 Ce code rédigé en 621 avo J.-c., bien que jugé sévère par Solon, n'en fut pas moins la base de l'ensemble des réformes sociales et politiques que le sage consacra à son époque. 8 "Le rejet du fardeau," loi qui ordonnait que personne ne serait plus obligé par corps pour dettes civiles. 13

l'ensemble de ses terres sur lesquelles étaient plantées « des bornes de servitudes» jusqu'à complète libération de la dette. Pour ce faire, celui-ci s'engageait à verser au créancier une fraction de sa récolte.9 Mais à défaut d'honorer cette obligation dans les délais, le malheureux débiteur était inexorablement condamné à payer un tribut de sa personne, mais aussi par l'abandon de sa famille; femme et enfantslO tous vendus comme esclaves aux confins de l'Attique, si toutefois l'infortuné obéré de dettes n'avait pas délibérément choisi dans la fuite, l'infamante condition d'apatride. C'est en ces termes qu'Aristotel! nous rapporta comment Solon mit fin aux conséquences désastreuses de cette étrange nantissement sur l'homme, aliénant tout autant sa liberté que son patrimoine: "La vénérable mère des Olympiens, la Terre Noire, dont j'ai alors arraché les bornes enfoncées en tout lieu, esclave autrefois, maintenant elle est libre." Cette loi aux effets rétroactifs devait également réhabiliter les athéniens en exile, déchus et asservis, puis leur permettre de reprendre possession de leurs biens, libérés de l'humiliante servitude et la frayeur que provoquait l'humeur de leur maître. On imagine sans peine dans le contexte traditionnel de cette époque dominée par l'atavisme politique du pouvoir oligarchique, quelles furent les conséquences sociales de cette formidable avancée juridique pour l'histoire de l'antiquité. Les fondements de la société grecque basculèrent au diapason des libeltés individuelles subitement acquises, mais aux dépens de l'hégémonie et la corruption des eupatrides dont les privilèges furent successivement émoussés par Dracon puis Solon. II- Le tl'aitement des faillis sous ('Empil'e l'ornain L'écrasante menace qui pesait sur les débiteurs à Rome n'avait sans doute de réalité que la dissuasion capable d'empêcher qu'on empruntât au-delà de ses facultés. Que l'on permit aux créanciers de couper en morceaux équitables le 9 La traduction demeure à ce jour discutée entre l/6ème ou 5/6ème (hectemore. sizenier) du loyer de la récolte. Cf: Michel HUMBERT; "Institutions politiques et sociales de l'antiquité," Précis Dalloz, chap. 43 et 60. lO Certains vendaient leurs propres enfants pour payer leurs dettes (Plutarque; Vie de Solon), ÎlI "De l'esprit des lois," liv. XII, ch. XXI. lIA.P. 12,4; op. cit. M. HUMBERT, ill "Aube de la démocratie" (650-501 avoJ.-c.).

14

cadavre du débiteur insolvable réduit et mesuré au montant de chacune de ses dettes, donne la mesure de l'archaïsme d'une justice qui se justifiait par son atrocité même. Plus la loi était cruelle, mieux elle était respectée selon un rapport de forces qui donnait à l'obligation personnelle sa pleine efficience juridique. Nonobstant les cris et gémissements des débiteurs maltraités qui retentissaient à travers la cité et les campagnes sous le joug des nexi,12 le jurisconsulte Cecilius discourant sur le premier recueil de lois écrites-13 affirma qu'il n'avait jamais connu que de pareilles atrocités eut été perpétrées. La grande Rome, peuple guerrier et cultivateur, éprouvait un souverain mépris envers les commerçants pour lesquels aucune législation commerciale n'avait été instaurée. Cependant, sous le manteau de l'unité des institutions, plusieurs procédures avaient été mises en place. La vente des biens (venditio bonorum) procédait d'une saisie dont la conservation était confiée à un "magister." Ce curateur avait toutes les fonctions d'un syndic avec le pouvoir de vendre les biens confisqués au débiteur, ou les remettre aux créanciers de la procédure. L'institution répondait à un principe égalitaire en fondant une vrai masse de créanciers, y compris ceux néanmoins connus qui n'y participaient pas. La venditio bonorum procédait à la vente des biens par adjudication et faisait de l'acquéreur un successeur à titre universel du débiteur. Le produit de cette vente était alors répartie dans la masse, qui à défaut d'être suffisant pour désintéresser la totalité des créanciers, était redistribué proportionnellement aux droits; hypothèques et privilèges en priorité, puis le reste consumé selon l'importance respecti ve des créances chirographaires. Plus expéditive, la "manus injectio" intervenait à la façon d'une procédure exécutoire par laquelle le débiteur disposait d'un délai de soixante jours avant que fut prononcé sa mise à mort ou son exile comme esclave au-delà du Tibre. Entre temps, un vindex, SOtte de représentant charitable qui agissait pour le compte du débiteur emprisonné, se chargeait mais sans grande illusion, d'honorer les dettes et engagements du malheureux en sursis. 12 Op. cil., Précis Dalloz; "Le débiteur lié (nexus) par son obligation (nexum) engage sa propre personne. Il est un enchaîné en sursis. S'il ne paye pas à l'échéance, il passe sous la puissance du créancier sans qu'aucun jugement soit prononcé..." in La cité républicaine (de 509 à 150 avo J.-c.). 13 Dans Aulu-Gelle, !iv. XX, ch. I. 15

Cependant, selon l'histoire rapportée par Titus Livius,14 il demeurait d'usage jusqu'à l'achèvement des Douze Tables de bronze vers 449 avant notre ère, d'emprisonner les faillis pour dettes ou de les vendre sans que n'interviennent les magistrats de la cité. Par la suite, des lois particulières donnèrent aux débiteurs des facilités de paiement et les consuls en l'an de Rome 428 mirent fin à la servitude des débiteurs: "Eo anno plebi romanoe, velut aliud initium libertatis factum est necti desierun." 15 Mais il s'avéra politiquement difficile de réformer certaines prérogatives séculaires profondément ancrées dans les mentalités de . l'aristocratie foncière. L'abolition de ces odieuses pratiques devenait nécessaire pour préserver la république romaine devant le nom bre croissant de citoyens secrètement enfermés dans les cachots des maisons bourgeoises. C'est ainsi que nous le rapporta Denys d'Halicarnasse: "Qu'un homme couvert de plaies s'échappa de la demeure de son créancier, et parut sur la place publique"16 ; ou encore "Un usurier nommé Papirus avait voulu corrompre la pudicité d'un jeune homme nommé Publius, qu'il tenait dans ses fers." Le peuple s'émut devant ces odieux spectacles et se retira dit-on sur le Janicule pour y manifester sa colère. Par cette prise de conscience populaire, les débiteurs obtinrent progressivement la clémence des législateurs qui ôtèrent aux créanciers le droit de tenir les débiteurs en servitude.17 La crise agraire et l'endettement des classes plébéiennes en conflit permanent contre la puissance du patriciat, accroissaient l'insécurité déjà grandissante avec la menace des guerres à l'extérieur de la Cité: " On s'indignait de défendre au-dehors la liberté et la puissance de Rome, mais d'avoir en dedans ses propres concitoyens pour tyrans et

pour oppresseurs." 18

Néanmoins intarissables, les riches propriétaires fonciers s'aliénaient la plupart des exploitations agricoles, tandis que les populations rustiques et urbaines les plus dénuées s'enfonçaient inexorablement dans une misère endémique. 14 Première décade, liv. II. 15 Par cette proclamation, les consuls ôtèrent aux créanciers le droit de tenir les débiteurs en servitude dans leurs maisons: "Bolla debiloris, 11011 corpus oblloxim en'el." Tite-Live, liv. VIII, in « De l'esprit des lois, » op. cil. liv. XII/XXI. 16 Antiquité romaine, liv. VII, ill "De J'esprit des lois," Liv. XII, ch. XXI. 17 "BOlla debiloris, 11011corpus oblloxium essel." Ibid. 18 Tite-Live, !iv. Il, XXIII - année 495. 16

Le plébiscite Licinio-Sextien en 367 avo J.-c. n'apporta que peu ou prou à la démocratie. En réglementant l'usure, d'où le sort des créanciers désespérés en particulier ceux qui furent victimes des incendies perpétrés par les hordes gauloises, cette mesure aurait dû concrètement apporter au-delà d'un légitime moratoire, une sensible réduction des dettes contractées par la plèbe paysanne. De même que l'ager publicus (loi agraire). tentait vainement d'apporter un espoir d'équité dans le partage des biens-fonds entre les gens du peuple et les classes bourgeoises. Par le boycott électoral, le veto politique ou la fraude institutionnelle, la Cité privée de ses magistrats (solitudo magistratuum) demeurait souvent impuissante, et contre l'anarchie préférait encore la dictature. Il faudra attendre l'œuvre colossale de Caius Julius Caesar pour qu'enfin s'organise la liquidation judiciaire des débiteurs insolvables, mais surtout l'abolition de la contrainte par corps pour dettes civiles. Ainsi durant le parcours de la période classique, quelques aménagements juridiques à dater de 118 avo J.-c., permirent au failli d'échapper au pire, notamment par l'abandon de tous ses biens. Suivant un cahier des charges (lex venditionis), le préteur assisté d'un curateur (curator) et d'un liquidateur (magister) nommé par ce magistrat, procédait à la publicité auprès des créanciers afin d'organiser; soit la vente (addictio) de tout le patrimoine du débiteur au plus offrant (bonorum emptor), soit la cession des biens en bloc (bonorum cession) seulement réservée aux débiteurs réputés honnêtes et qui obtenaient ce droit par privilège impérial. Moins complaisante, la "distractio bonorum" selon une procédure quasi identique mais plus ancienne au Bas-Empire, procédait d'une vente au détail par des enchères publiques. En rédigeant les commentarii de bello civili,19 César avait conscience que tant de déséquilibre économique et de déchirements internes ne pouvaient que déboucher vers une inéluctable faillite du pouvoir. Nourrir le peuple en organisant des réformes agraires sur la base d'une véritable législation sociale, c'était aussi désamorcer la révolution montante, à l'instar de l'historique entreprise juridique de Solon, dont l'homme des populares en repris habilement le postulat.

19 Commentaires sur la guerre civile. 17

111-Le droit l'ornain sur le déclin de l'empire d'Occident Avant l'avènement des leges,20 le droit romain s'était construit autour de l'action créée par les magistrats de la Cité. Ainsi le préteur qui engageait une procédure judiciaire, étendait la portée juridique du droit par une action nouvelle, sans que la loi ne permit par ailleurs de légiférer le droit prétorien ou d'harmoniser la jurisprudence. Un édit illustra ce statu quo des années -125 à +50 qui interdisait l'équité des règles de droit essentiellement rattachées à la situation sociale des justiciables; a fortiori lorsque les coupables plébéiens de leur état, relevaient des lois orales et des abus que permettait l'improvisation d'une justice sans bornes. Celtes, la loi écrite répondait à une impérieuse nécessité d'organisation dans les affaires administratives de l'Empire romain. Cependant la connaissance du droit public et privé étendue à l'ensemble des populations, présentait pour le patriciat un danger lourd de conséquences. La vulgarisation d'une science jusque là mystique; subordonnée aux privilèges de l'aristocratie et la souveraineté juridictionnelle des tribuns, devait tôt ou tard ébranler les remparts de l'imperium consulaire. Cette réforme du droit qui s'affichait au Forum avait des allures révolutionnaires. Elle affirma l'indépendance des juges et définit la compétence des tribunaux sur le terrain de la justice, en indiquant leur rôle et les attributions attachées aux procédures de séquestre, de publicité, la désignation des magistrats et l'organisation des enchères publiques. Puis elle sanctionna la force tribunicienne en la légalisant et consacra aux Douze Tables, les lois Valeriae Horatiae ; preuve d'une volonté de concorde et d'évolution démocratique entre les masses antagonistes. Entre la Loi des XII Tables rédigée par les décemvirs et les compilations de l'empereur lustinien21 dont l'ensemble du Corpus juris civils fut publié vers 530 en Orient et bien plus tard au XIIème siècle en Occident, d'autres œuvres législatives remarquables furent publiées comme le Code grégorien22 en 292, ou le Code théodosien promulgué par Théodose II en 438.

20 Constitutions impériales qui définissaient les règles de droit. 21 Digeste, Code et Institue. 22 Textes remontant jusqu'à Hadrien. 18

La notion de dette d'argent en droit classique romain fut longtemps sanctionnée corpus obnoxium23 sans discernement entre la faute issue d'un acte licite et le délit manifeste. Néanmoins sur le tard, certaines lois24 distinguèrent le débiteur contractuel qui reconnaissait honnêtement sa dette (debere), du délinquant convaincu de fraude (obligatus eius rei noxiaeue); autrement dit, la banqueroute simple de la banqueroute frauduleuse dont les conséquences juridiques ramenaient la dette ex delicto à une action en réparation in personam convertible en peine pécuniaire (la poena),25 manifestement préférable à la vindicte du creditor offensé. Instituant plus solidement l'Etat de droit contre l'arbitraire public et le talion individuel, une loi agraire intervenue 111 ans avant notre ère, ordonna que les consuls ou préteurs compétents dans les affaires privées, seraient tenus de désigner des recuperatores 26 pour arbitrer les procès civils ou commerciaux aussi bien d'une nation à une autre. Leur intervention au titre de juge ou de juré permettait selon toute vraisemblance, de garantir la souveraineté du droit romain à l'intérieur comme à l'extérieur de la Cité. Le renforcement du dispositif d'Etat contre les violences engendrées par les affaires pour des motifs d'impayés, suscita une plus grande vigilance des créanciers qui se concentra autour des rapports contractuels, et la rémittence du pouvoir agressif du droit de créance. Ainsi selon la formule du contrat, une stipulation de peine (stipulatio poena) pouvait également comprendre des effets frustrants de sorte qu'en cas d'inexécution de son engagement, le débiteur s'exposait outre des dommages-intérêts, à la confiscation d'un bien gagé ou la spoliation d'un esclave en échange de la promesse de payer. Ce cumul de garanties offrait à l'action prétorienne un volant d'efficacité pour réprimer l'imposture ou la duplicité

23 Le droit de l'offensé sur la personne de l'offenseur. Cf: A. E. Giffard, "Droit romain et ancien droit français." 24 Notamment la lex Aquilia ou la lex de Ga//ia Cisalpina, 5 et gème siècles de l'ère chrétienne. 25 Du grec "rançon." 26 Cf: A. Lintott, "Le procès devant les recuperatores d'après les données épigraphiques, jusqu'au règne d'Auguste," Rev. hist. de dr. (Sirey) n° 68, janv-mars 1990.

19

d'habiles fripons capables d'abuser créanciers (fraus creditorum).27 IV-Barbares

et France médiévale:

la confiance

des

la traversée du désert

Du raffinement des sciences juridiques des civilisations helléniques à la richesse du droit romain, le moyen-âge bascula au fil des siècles dans le déclin des connaissances universelles. Cette lente asphyxie intellectuelle -la torpeur de l'ignorance et la paupérisation aidant- s'opéra au profit des puissantes seigneuries féodales et la catéchèse apostolique qui occultait le savoir dans un prosélytisme exaltant.28 Tandis que l'Empire avait transmis son héritage juridique aux peuples conquis, ainsi l'édit de Caracalla au mème siècle à la faveur de la gaule, la diversité des groupes ethniques d'où l'enchevêtrement des coutumes locales ne permit pas une fusion du droit, sinon une fragile coexistence pacifique des juridictions que maintenaient les nécessités du commerce et des échanges entre les tribus germaniques et gallo-romaines. Après la chute de l'Empire d'Occident en l'an 476, les Wisigoths et les Burgondes conservèrent par la suite leurs coutumes ancestrales sans toutefois les imposer aux galloromains. Dans cette succession de conquêtes, l'hégémonie des Francs qui s'étendit sur tout le territoire de la Gaule au VIème siècle, imposa ses ordres coutumiers saliens et ripuaires, sans contraindre les autres ethnies barbares inféodées à s'y plier. Avec chacune des races qui obéissait à ses propres lois, naissait une sorte de fédération (foederati) dans le désordre et la fusion d'un curieux système juridique qui conduisait les juges à demander aux plaideurs: sub quâ lege vivis ? (sous quelle lois vivent-ils ?) Cependant, avant que ne s'installe historiquement une combinaison consensuelle de la personnalité des lois

romaines, barbares et saliques (leges barbarorum)

qui devait

déboucher vers l'ancien droit français, de nombreux conflits 27 La fraude contre les créanciers est à l'origine de l'action in factum en réparation du préjudice causé, ainsi que l'action paulienne (actio ~auliana) dont les sources remontent à Cicéron. 8 Seuls quelques comptoiro commerciaux italiens comme Gênes, Milan, Florence ou Venise, développèrent au Moyen âge un haut degré de technicité juridique, incomparablement plus élevé que le droit coutumier français. C'est en particulier à la demande des commerçants que des règles de la faillite furent posées de manière constante et notoire ex causa negociatiouis vel cambii. (Cf Jean HILAIRE; "Introduction historique au droit commercial, P.U.F., p. 306 et suiv.). 20

amenèrent ostensiblement les peuples à s'entendre par avance; sur quelle législation devait reposer les termes de leurs contrats et sur quelles bases ils pouvaient régler leurs différents. C'est ainsi que progressivement, le droit territorial devait gommer au cours du xème siècle le creuset des lois originales. Un précieux témoignage de ces coutumes locales contenues dans un recueil des ordonnances.29 fait état d'une Chartre de Louis le Jeune de l'an 1168. Cette loi locale remontant de sources encore plus lointaines. autorisait la pratique du combat judiciaire pour toute demande de dettes qui excédait cinq sols. (douze deniers du temps de SaintLouis). Selon Beaumanoir, Il était d'usage autrefois en France30 de louer les services d'un champion contre l'offense d'un débiteur indélicat qui n'aurait pas satisfait à ce point d'honneur. Cette curieuse jurisprudence connut paraît-il une prodigieuse extension tant dans les mœurs que dans les relations d'affaires à cette époque. Durant la seconde période couvrant le haut moyen-âge. l'organisation judiciaire connaissait une justice à deux vitesses: celle des seigneurs du royaume et celle de la curia regis, émanation de la puissance toute relative du monarque. A l'instar des placita generalia carolingiens31; sorte d'assemblée aristocratique qui se réunissait autour du roi franc. la curia représentée par les baillis et leurs lieutenants puis au XIvème siècle par des gouverneurs. avait pour charge de représenter la justice du souverain à travers les provinces. et de contrôler au même titre que les sénéchaux -dont la fonction disparue en 1191- la gestion domaniale des prévôts.32 Les juridictions de l'Eglise avaient aussi pour compétence ratione materiae de juger des crimes de l'usure. Cependant la justice spirituelle devait s'en remettre « au bras séculier» dès lors que la gravité de la faute réclamait une peine de sang' verdict que se réservait la sérénissime couronne de France.

29 Montesquieu in "De l'esprit des lois" liv. XXVIII/XIX. 30 Beaumanoir, chap. LXIII, p. 325. V. égal. la coutume de Beauvoisin, chap. XXVIII, p. 203. 31 "Plaids généraux" comprenant une hiérarchie de sujets clercs et laïcs auxquels le roi soumettait deux fois par an ses décisions de droit (lois et capitulaires). 32 Cf: P.-c. Timbal et A. Castaldo, "Histoire des institutions publiques et des faits sociaux" (Précis Dalloz) chap. 534 et 535. 21

Les délits relatifs au non-paiement du cens au XIIIème siècle, étaient pour leur part susceptibles de lourdes amendes, voire la saisie censuelle qui permettait au seigneur de recouvrer le paiement de cette redevance foncière, en s'appropriant le revenu de la terre. Cette saisie féodale -sorte de prise de corps par laquelle le travail forcé n'en était pas moins une prison pour l'homme- permettait ainsi au suzerain de se payer sur les fruits de la besogne, sans confiscation du fief producteur de revenus, et sans lequel le vassal aurait perdu tout espoir d'honorer son obligation de foi. Mais on devine aisément derrière l'apparente clémence de cette mesure provisoire et comminatoire, le dur labeur qui devait être fourni pour payer tout à la fois le cens courant, les arrérages et les amendes infligées sans complaisance à l'appréciation du créancier. Sur les fondements du droit romain renaissant après le X V Ième siècle, plusieurs doctrines s'érigèrent autour des conditions d'exigibilité de la dette; dont la théorie des trois fautes imputables au cas fortuit, de la force majeure et du dol. Les deux premières ne connurent guère la faveur des juges alors que les débiteurs eurent presque tous à répondre de leur faute en terme de délit; en veltu de l'intangibilité de la clause pénale érigée en primat de facto. En outre, l'inexécution ab initia des obligations du débiteur entraînait une évaluation judiciaire des dommages-intérêts sans bénéfice de moratoriums, auxquels s'ajoutaient des amendes en cas de fraude conventionnelle constatée. Remarquons que l'empreinte du temps perpétua ces dispositions moyenâgeuses sur le droit des contrats exposé dans le "traité des obligations" de Robelt Pothier, lui-même largement inspiré en son temps des ouvrages de Charles Dumoulin rédigés autour de 1560 sur les coutumes et le droit romain, dont il nous reste les articles 1111,1150,1151,1227 et suivants du Code Napoléon demeurés inchangés dans l'actuelle version du code civil. V- Les voies d'exécution moitié du XVlème siècle

de la Renaissance

à la seconde

Aussi loin qu'il soit possible de remonter le cours de l'histoire de la réglementation française des saisies et exécutions, l'atticle 66 de l'Ordonnance de 1539 fixait déjà Les les règles de compétence territoriale en ces termes: parties qui subissent ces obligations demeurent dans l'étendue de la juridiction où ces Sceaux sont authentiques." H

22

Quelques

années

auparavant,

une autre ordonnance

de

François 1er (août 1536, art. 41) régissait les formes de procédure. à savoir, que la saisie à dater de la signification des sentences était exécutoire par provision nonobstant l'opposition du débiteur et à défaut de jugement contradictoire (v. infra, ch. VII). Par suite, quelques aménagements furent cependant appOltés, améliorant çà et là le sort des débiteurs qui; par un règlement imprimé de la communauté des Procureurs au Châtelet d'Orléans en date du 6 novembre 1700 (art. 5), permit un délai de 24 heures au condamné pour se pourvoir après que la contrainte lui ait été signifiée. Par une déclaration du roi du 17 février 1688 portant règlement des greniers à sel etc., il fut imposé un délai de huit jours francs entre le commandement et l'exécution de la saisie. Mais encore, par un acte de notoriété du Châtelet de Paris du 23 juillet 1707, il n'était pas nécessaire que la saisie suive de près le commandement, puisque trente ans pouvaient s'écouler sans qu'il n'ait été nécessaire de procéder à un commandement itératif. Il paraît singulier de nos jours de constater avec quelle finesse le droit ancien s'exprimait, pourtant si loin de la subtile pensée philosophique de la Grèce classique ou du triomphe intel1ectuel de la grande Rome, mais ô combien proche de la Renaissance des Valois-Angoulême tout juste arrachée à l'apesanteur séculaire des valeurs médiévales! Le réveil du droit civil et commercial français s'est opéré par clichés successifs des lois romaines recueillies à travers les décisions de jurisprudence, enrichies de rares et singulières observations.33 Parmi les recueils des arrêts des parlements de France et autres notables, nous trouvons un certain nombre de dispositions juridiques relatives au droit des contrats; obligeant par exemple le banquier coupable de n'avoir pas livré dans les temps promis l'expédition de bénéfices, de bulles ou de signatures, à verser des dommages et intérêts à son client. De même que le marchand était tenu solidairement responsable des dettes de son facteur (agent de commerce), dès lors que ce dernier avait emprunté des marchandises aussi bien pour son compte personnel, même si

33 Voir "Réponses et décisions du droit françois, rapportées au romain, confirmées par arrests des Cours de Parlement de ce Royaume & Privé du Roy, grand Conseil," par L. Charondas le Caron, Paris, 1602 (P. L'Huillier et I Mettayer ; imprimeurs et libraires du Roy). 23

le marchand se défendait toujours « d'avoir baillé deniers à son facteur. » En matière de droit de succession, les créanciers n'étaient pas oubliés; notamment celui qui faisant legs ou héritier de ses biens, ne pouvait répudier au préjudice de ses créanciers. De plus, le légataire de l'usufruit aux acquêts, -le testateur n'ayant laissé d'autres biens- était tenu des dettes de celui-ci. Fondé sur un article de la coutume de Paris, le mariage rendit le mari solidaire des dettes contractées par son épouse, même s'il s'agissait de payer les arrérages issus de la communauté d'un premier lit. La loi pouvait aussi se montrer clémente envers les débiteurs malchanceux. Ainsi le fermier victime de tempête, calamité insolite et extraordinaire, pouvait demander remise, diminution ou quittement de sa dette, nonobstant la promesse antérieure de payer le loyer ou le fermage. Mais le plus surprenant nous vient de l'efficacité judiciaire des voies d'exécution qui se montraient aussi rigoureuses envers les débiteurs indélicats, qu'en regard des procédures engagées par les huissiers et lieutenants. A ce titre, il convenait: "que l'humanité réunit en une force civile, requiert qu'on procéda sans violence et impétuosité, mais au contraire avec tempérance et modeste contrainte, à l'exécution des ordonnances royales, arrêts des Cours de Parlement, comme il eut été ordonné par les lois romaines.

"34

Que sommes -nous loin (ouvrons cette parenthèse à l'histoire et osons ce clin d'œil sur la métamorphose temporelle des mentalités) de la froide détermination ou le paisible cynisme de l'huissier Malicorne ! Véritable incarnation du Diable, ce personnage évoqué dans une ironique nouvelle de Marcel Aymé en 1942, condamne par une fiction burlesque, toute une profession invitée à boire devant le saint Porte-Clés, l'amer breuvage des larmes versées par "la veuve et l'orphelin" ; victimes de saisies mobilières et autres exploits d'expulsion contre des locataires miséreux. Entre l'abjuration d'un ministère mis au ban de la société et l'accomplissement opiniâtre d'une charge honora ble d'officier public que l'auteur dans un cinglant panphlet a délibérément choisi de rendre indigeste, le choix du poète est sans équivoque; car selon la pensée de Plaute, "l'homme est un loup pour l'homme." 34 Ibid.

24

L'huissier qui procédait à une exécution contre la partie débitrice, devait adresser commandement en un lieu commode comme à son domicile. En effet, procéder à une exécution contre un homme hors de sa maison, dans la rue ou autre lieu où il n'avait aucune commodité pour payer et ne porter aucun argent sur lui, eut été trop rigoureux, incivil et scandaleux. L'huissier qui aurait contrevenu de la sorte à ses obligations, s'exposait lui-même à une condamnation aux dépens, dommages et intérêts comme il avait été déJà antérieurement jugé par plusieurs arrêts de la Cour, 5 notamment celui obtenu le mardi 30 mars 1563 contre un sergent; "lequel pour exécuter un honnête homme de Paris passant dans la rue, l'aurait fait descendre de son cheval ou mulet par la force." Un autre arrêt du 5 juillet 1582 faisait état qu'à la suite d'une exécution faite sur la personne d'un avocat dans le palais du Parlement, l'huissier porteur d'un commandement aurait été déclaré tortionnaire et jugé comme tel. Etrange narration aussi que celle qui rapporte l'exécution illégale d'un jeune marié le lendemain de ses noces, au sortir du lit nuptial en la maison du père de son épouse, ou encore réputées tout aussi tortionnaires les exécutions opérées à heure inopportune et indue vers dix ou onze heure du soir. Parce qu'ils provoquaient la colère, le tumulte et de vives émotions dans le voisinage, ces exploits nocturnes furent donc réprimés par un arrêt du 20 mars 1576. Mais il était également interdit aux huissiers et sergents d'escalader les murailles et de forcer les entrées des maisons vides, car il était admis que de tels actes procédaient plutôt de l'animosité que d'exploits de justice. En l'occurrence, la Cour saisie en appel, avait coutume de condamner l'intimé aux dépens dommages et intérêts, voire obliger ces officiers à comparaître en personne comme il a été jugé par des arrêts donnés en audience publique les 20 avril 1574 et 14 avril 1578 à Paris. La permission de forcer l'ouverture d'une maison en l'absence de ses occupants dépendait de la seule office du juge. Autrement dit, l'ouverture forcée d'un logis et la confiscation des biens non assorties d'une ordonnance judiciaire, relevaient de l'effraction et du pillage ainsi qu'il fut jugé à Paris le jeudi 13 décembre 1565.36 35 Récité par Rebusse, Papon et autres jurisconsultes, op. ci!. "Réponses et décisions du droit français," ch. CCXVII. 36 Cf. : D. Desurvire, "Faillite et banqueroute de l'antiquité au Grand siècle," Historia n° 538, oct. 1991, p. 30 et suiv. (Ed. Tallandier). 2S

VI- Les premières banqueroutiers.

ordonnances

royales contre les faillis et

Sous le règne des Valois, la sévérité contre les banqueroutiers n'avait d'égale que celle des romains. C'est ainsi qu'en janvier 1560, l'Ordonnance générale rendue à Orléans sur les plaintes, doléances et remontrances des Etats assemblés par Charles IX proclama à l'article 143 : "Tous banqueroutiers et qui feront faute en fraude, seront punis extraordinairement et capitalement." Le sceptre d'Henri III ne fut pas moins inflexible puisque l'Ordonnance de Blois relative à la police générale du royaume, rédigée en novembre 1576 devant les Etats généraux édicta à l'article 205 : "Voulons que les ordonnances faites contre les banqueroutiers, et ceux qui doleusement et frauduleusement font faillite, ou cessions de biens soient gardées, et que telles tromperies publiques soient extraordinairement et exemplairement punies." Au nom de la moralité publique mais aussi eu égard aux inflexions huguenotes du manichéisme politique du roi Henri de Navarre, ces sévères dispositions contre les faillis furent réinstallées en 1609 à des fins certes économiques, mais qui rappelaient le bon droit qui châtiait durement les sujets condamnés pour dette. Le Pape Pie V lui-même dans sa bulle du 3 novembre 1570 s'était prononcé pour la peine de mort et l'excommunication contre les banqueroutiers frauduleux, ainsi poursuivis par-delà une mort privée de sépulture et des ultimes sacrements eucharistiques, inexorablement destinés à la damnation éternelle et l'expiation infernale. Ces déclarations ne laissaient subsister aucun doute sur le sens des inflexions adverbiales in fine: La peine capitale réservée aux banqueroutiers frauduleux frappait sans discernement le simple failli dès lors que son échec commercial s'accompagnait d'une incapacité à payer ses dettes. L'insolvabilité souvent associée à la tromperie eu égard à la confiance du créancier publiquement bafouée, appelait une justice implacable illustrée par ces deux ordonnances royales qui furent durant près de deux siècles encore citées pour modèle.37 37 Voir "Exposition des lois," (p. 212 à 216) liv. Il ; Huart et Moreau, lib. de la Reine et de Mg. le Dauphin, Paris, rue St. Jacques, MOCCLI. Consult. égal. "Recueil des anciennes lois françaises," Archives Nationales, salle Isembert. 26

Charles IX à qui l'on doit l'Ordonnance de Moulins promulguée en février 1566, donna à la contrainte par corps une dimension pleinement judiciaire. Cette disposition royale permit d'inscrire un autre chapitre moins expéditif aux lois répressives de l'époque contre les faillis, mais qui ne cédait en rien à la déclaration antétieure de 1560 néanmoins édulcorée à l'égard des dettes civiles et cédules ne relevant pas d'un acte de commerce. Ainsi l'article 48 s'employait très fermement à réprimer les subterfuges des débiteurs appréhendés et la multiplicité des instances tendant à retarder les exécutions de jugements. Avec effet immédiat, les contraintes étaient rendues exécutoires et la dette payée dans les quatre mois suivant "la condamnation à eux signifiée à personne ou domicile, pour être pris au corps et tenus prisonniers jusque à la cession ou abandonnement de leurs biens," à peine du "doublement et tiercement des sommes adjugées" (34-ibid.). Jusqu'au 17ème siècle, la Loi des Douze Tables servit manifestement de support juridique au droit civil français. C'est pourquoi la dette confondue au délit de larcin ou punie comme tel, inspirait une grande méfiance au point que la sûreté s'exerçait davantage à l'endroit de la chose gagée par rétention et servitude (usus fructus) plutôt que le créancier n'avait intérêt à engager une action personnelle sur ladite dette impayée. Ipso facto le livre quatrième des "Institutions du droit civil" rédigé en 162438 dispose: "D'où il appert que le créancier peut intenter l'action de larrecin pour cause du gage dérobé ..." Entendons par là, qu'il était plus aisé pour le créancier de poursuivre le débiteur sur le motif de la rétention illicite d'un gage; a fortiori lorsque "l'action de larcin profitait à celui qui avait intérêt que la chose soit connue ... ou qu'elle se perde! "39 Plusieurs actions pouvaient être conduites en revendication de la chose tenue illégitimement par un autre: Primo l'action paulienne contre la fraude des débiteurs. Secundo la quasi-Seruienne par laquelle les créanciers poursuivaient leur gage ou l'hypothèque. Tertio l'action personnelle de pecune constituée contre le débiteur qui s'était promis de payer ce que lui-même ou un autre devait. Quarto l'action pénale qui permettait de poursuivre le paiement de la peine adjugée contre le condamné.

38 Titre I, ~-14, p. 340. 39 Op. cit ,in "Des' institutes," ~-13. 27

Au dernier chapitre de l'Abbregé des Institutes,40 étaient recensées quatorze sortes de crimes réprimés par la religion du serment, la crainte d'infamie et la condamnation aux dépens dommages et intérêts, à l'instar de l'inflexible symbolique judiciaire du curule observée à Rome notamment contre les usuriers, déchus par les censeurs de leur citoyenneté puis couverts d'opprobre. Parmi ces crimes, en l'absence de nuances juridiques entre le simple délit civil et le crime de droit commun, la loi jugeait notamment la témérité des plaideurs qui retenaient ou (divertissaient) indOment les deniers de leurs créanciers et percepteurs. En prélude de ces pandectes du droit régalien est exposé ce postulat laconique: "La justice est une constante et perpétuelle volonté de rendre à chacun ce qui lui appartient. " Si tant est qu'elle pu s'exercer par enracinement des traditions féodales primitives, cette justice ne pouvait guère au mieux que protéger l'hobereau possédant quelque richesse. Le droit ignorait obstinément l'immense misère de la lie du peuple dont le salut dépendait souvent d'un emprunt chez l'usurier local. Mais la défaillance que trahissait à vie l'empreinte profonde du fer rouge à l'épaule, conduisait parfois la victime ainsi stigmatisée, à porter honteusement le carcan sur la place publique ou à être ficelé sur la roue du pilori, ainsi exposé à la fureur des créanciers qui se livraient contre le malheureux à une lapidation sans merci. Une ordonnance de 1629 abrogea ces spectacles affligeants, mais ô combien prisés par de nombreux sujets du royaume captivés par l'horreur et la cruauté au son des trompettes et du tambour.41 VII- L'Ordonnance

de 1667

A travers les apories de notre préhistoire juridique, d'importants progrès doctrinaux corrigèrent utilement l'évolution de la société, puis se sont d'eux-mêmes effacés dans le tourment de civilisations anéanties, pour ensuite réapparaître comme des occurrences immuables attachées à la construction d'une nouvelle société durable. Au-delà de cette vision incertaine du droit archaïque, demeurait une 40 Robert FoUet, libraire par privilège du Roy, le 1er octobre 1624 à Sai nt-Germain-en- La ye. 41 Cf ; Romuald SZRAMKIEVICZ, "Histoire du droit des affaires," éd. Montchrestien, 1989. V. égal. de François Terré; "Droit de la faillite ou faillite du droit ?" Revue de jurisprudence commerciale n° l, 1991. 28

constante idéaliste et incontournable. La sagesse dans les affaires nécessitait -plus pour les besoins de l'économie et moins pour la morale- l'abandon de pratiques odieuses et féroces, qui subséquemment paralysaient toute modernité de l'évolution du commerce et de l'industrie. C'est ainsi que l'Ordonnance civile du mois d'avril 166742 disposait: "Abrogeons ['usage des contraintes par corps après [es quatre mois, estab[i par ['article XLIII de ['Ordonnance de Moulins, pour debtes purement civiles." Cependant, l'article 48 de cette dernière qui ordonnait que toutes les condamnations de sommes pécuniaires pour quelque cause que ce soit seraient exécutées par corps, ne fut pas abrogé contre les étrangers ainsi que pour les dépens adjugés à deux cents livres et au-dessus, tant en matière civile que criminelle.43 De même en cas de contumace si le créancier l'exigeait, le montant de la dette pouvait être doublé voire triplé. Il est vrai que les dettes de foires44 donnèrent lieu à d'exemplaires et sommaires exécutions car selon la justice des marchands, le failli étranger était présumé devenir un fuyard en puissance; (fallimento) selon le mot emprunté aux républiques italiennes. Les débiteurs fugitifs qui du fait de leur activité commerciale itinérante n'avaient pas pignon sur rue, échappaient facilement à la police des foires. Ce pourquoi les ordonnances d'exequatur rendues contre eux étaient de facto peu significatives dans la pratique.45 Plus hardie était la rigueur coutumière qui consistait à se payer sur les biens de la famille du débiteur. En IIalie plus particulièrement, cette procédure de faillite s'étendait à la 42 Titre XXXIV, art. 1 ; De la décharge des contraintes par corps. Voir tome second du Nouveau commentaire sur l'Ordonnance civile, Debure père, Paris, 1757. 43 Suivant l'Ordonnance de 1670, tit. 25, art. 20. Op. cil. p. 586, in arrêts des 2 sept. et 23 novo 1684 rapportés au Journal des Audiences contre un étranger pour pensions et logements. 44 Dans les usages développés notamment à J'occasion des foires de Champagne, des procédures publiques s'organisaient contre les débiteurs étrangers aux territoires comtaux. Le débiteur insolvable était confié à la garde de la justice de foire, et ses biens placés sous séquestre. Sa libération n'intervenait qu'après avoir obtenu un sauf-conduit à la majorité en nombre de ses créanciers. 45 Le décret génois "de maleficio et fuga" plaçait le fugitif (fuggitivi) hors la loi, le frappant d'incapacité et de peines infamantes (port du bonnet vert et inscription du nom dans les lieux publics) jusqu'à total désintéressement de la créance. L'insolvabilité elle-même était déjà reconnue comme une fraude en puissance selon la formule "decoctor ergo fraudator. .. 29

communauté du failli; le patrimoine familial étant à cette époque considéré constituer un gage pour les créanciers. Pour échapper à cette vélitable spoliation collective, il fallait alors prouver qu'il existait une authentique séparation des droits et des intérêts, et que les membres de la famille du débiteur vivaient "ad unum panem et vinum." Néanmoins, il était défendu aux juges de condamner un sujet par corps en matière civile, sinon en exécution de jugements se rapportant à des motifs graves et relevant de la notoriété du Châtelet de Paris, qui en ces termes prononcés le 24 juillet 1705 proclamait: "Que jamais les officiers de justice ni les parties n'ont entrepris de faire emprisonner quelqu'un en vertu de la sentence, lorsqu'elle ne prononce pas la condamnation par corps et que tel est l'usage du Châtelet." Il fallait aussi observer pour que le juge puisse prononcer la condamnation par corps, que le créancier en fit lui-même la demande; le magistrat n'ayant pas la liberté pour la prononcer ultra petita. Une autre réforme visant le droit des contrats interdisait à l'avenir tous greffiers notaires et tabellions, de porter dans les termes des conventions la clause de contrainte par corps réputée non écrite, et que ne pouvaient légalement exécuter les huissiers et sergents. Or par le passé, les propriétaires ne se privaient guère par l'usage abusif de cette clause, de faire enfermer quelque fermier même non coupable de fraude sinon pour quelque autre motif non avoué, pourvu que le droit servit la cause de ceux pour lesquels il fut édifié 146 Pour les procédures qui relevaient de la fraude ou du vol en matière de succession comme le stellionat (dissimulation d'hypothèque sur un héritage déclaré franc), la loi se montrait alors intransigeante et la peine magistrale. Il était tout aussi délicat de traiter des affaires entre les mains de personnes publiques; comme les séquestres ordonnés en justice sous la responsabilité des receveurs des consignations, commissaires aux saisies réelles, banquiers, expéditionnaires en Cour de Rome, avocats, procureurs et huissiers, pour la reddition des pièces qui leur avaient été confiées. Ajortiori,la contrainte par corps menaçait tout autant les fermiers, traitants généraux, trésoriers des droits de Sa Majesté chargés du recouvrement des deniers royaux (art. 1 du titre VII de l'Ordonnance de 1673). Citons pour seul exemple un arrêt du 31 août 1682 jugé à l'égard des procureurs, qui après 46 Cf: Boniface; tome 5, liv. 5, tit. 9, in Ordo civ. 1667, chap. VI, arrêt du 2 mai 1670.

30

examen des comptes, pièces justificatives et recettes, étaient tenus de les restituer à peine de prison et soixante livres d'amende, ainsi que les dépens en dommages et intérêts, sans que cette sentence put être seulement comminatoire, remise ou modérée sous quelque prétexte que ce soit, après dépôt du procès verbal de carence qui prouva que le comptable n'avait pas libéré le montant de la dette employée et reprise.47 Une grande sévérité était également maintenue contre ceux qui auraient signé des lettres ou billets de change, déposé leur aval ou promis d'en fournir des promesses entre marchands et négociants avec remise de place en place. Notons que l'Ordonnance de commerce du mois de mars 1673 ne fit aucune distinction entre la remise de place en place ou non, ce qui dans ce dernier cas de figure, revenait alors à un simple mandement, avertissement ou promesse si elle était acceptée. La loi ne dissociait pas davantage le billet de change (simple promesse de fournir la lettre de change), de la lettre de change acceptée. La contrainte par corps était exécutoire dans tous les cas de non-paiement. Des saisies et exécutions, nous tirons au titre XXXIII, une grande leçon d'humilité qui nous est donné a u commencement des temps modernes; principalement à l'article IV qui imposait respect et dignité dans l'exercice d'un droit déjà fortement imprégné d'une essence déontologique rare (v. supra ch. V.) : .. Avant d'entrer dans une maison pour y saisir des meubles ou effets mobiliers, l'huissier ou sergent sera tenu d'appeler deux voisins au moins pour y être présents, auxquels il fera signer son exploit ou procès-verbal s'ils savent ou veulent signer, sinon en fera mention, comme aussi du temps de l'exploit. si c'est avant ou après-midi, et sera tenu de le déclarer par l'exploit et de le faire parapher par le plus prochain juge incontinent après l'exécution." De façon certes quelque peu lapidaire pour un observateur d'aujourd'hui, se résume un grand chapitre des procédures d'exécution auxquelles s'ajoute une admirable jurisprudence commentée, notamment sur l'élection du domicile du saisissant ou encore sur la notion juridique de la dette certaine et exigible.48 Il convient en effet de s'étonner 47 Cette disposition fut même étendue aux mineurs; ainsi jugé par arrêt de la Cour du 30 août 1702 à l'égard du nommé Isaac Lardeau, intéressé dans les affaires de Sa Majesté. 48 "Une dette est certaine et exigible lorsqu'elle ne dépend point d'une condition. On ne peut contraindre de payer avant le terme échu, ou encore 31

de l'habileté et du soin appOlté à la qualité de la rédaction des textes anciens qui ont largement contribué à la construction du droit actuel. Les sciences juridiques modernes se targuent de n'être point une invention contemporaine ex nihilo, mais bien la redécouverte souvent inattendue du droit ancien, comme la cession des biens qui remonte à 1265 ou la saisie mobilière connue à partir du Xlyème siècle, qui en vertu d'une procédure d'ordre, ordonnait déjà que soit respecté le privilège du premier saisissant. Ipso facto, le référé provision (art. 809 du n.c.p.c.) trouvait déjà sa place à l'article 340 d'une coutume d'Orléans qui indiquait entre autres mesures conservatoires; "que l'opposition qui se fait par le débiteur à ce commandement, n'empêche pas de procéder par provision à la saisie et exécution" ; ou encore que cette dernière "s'exécutait par provision nonobstant l'appel." Enfin au dernier chapitre de la décharge des contraintes par corps, il est précisé que cette peine n'exclut pas la saisie comme une double sûreté contre un même condamné, dès lors que de telles poursuites avec cumul de peines et garanties étaient permises en vertu d'un jugement prononcé suivant les dispositions légales susvisées. VIII. L'Ordonnance

de 1669

Au début de la seconde moitié du XYIIème siècle, le droit français était devenu une fresque féodale avec sa mosaïque de droits locaux difficilement contrôlables par le souverain du royaume. La prolifération anarchique de coutumes, d'ordonnances, d'édits et d'arrêts de règlements, rendait impossible un montage juridique cohérent sur tout le territoire. Pour construire de nouvelles règles de justice à la mesure de l'autorité monarchique, en particulier pour imposer définitivement la toute puissante et incontournable dynastie des Bourbons rois de France et de Navarre au-dessus des suzerainetés seigneuriales dont certaines rivalisaient de puissance avec la couronne légitime, il fallut codifier la loi. Tel fut le but des ordonnances successives du mois d'avril pour qu'une saisie soit valable, il faut qu'elle soit faite en vertu d'un titre exécutoire; contrat ou obligation en forme authentique passé sous scel royal ou de seigneur" etc. (ext. Ordo 1667, tit. XXXIII.) L'art. Il, 2ème al. de la L. du 31 déco 1989 reprend l'expression en ces termes lorsque le juge « s'assure du caractère certain, exigible et liquide des créances. » 32

1667, d'août 1669, d'août 1670 (Ordonnance criminelle) et de mars 1673. Cependant, comme il a été perçu plus haut, le droit des faillites n'avait pas encore sa réalité propre, sinon que ses contours en étaient maintes fois évoqués à travers la substance contractuelle du droit civil. Il faudra attendre l'Ordonnance du commerce de 1673 pour qu'enfin apparaisse une nouvelle institution régissant les règles de la faillite et de la banqueroute. En cette époque, l'huissier incarnait la procédure de faillite et accompagnait quasiment toutes les tâches juridiques depuis le jugement qu'il devait exécuter jusqu'aux poursuites individuelles, séquestre, vente par adjudication ou criée, puis procéder à la répartition des biens aux créanciers, et si nécessaire l'arrêt et l'emprisonnement du condamné. En matière de procédure, la réglementation n'était pas chose simple et l'huissier ou le sergent devait composer selon le rang et les charges de chaque sujet: En premier lieu, avec les lettres de committimus (titre IV de l'ord.) ; privilège accordé par le roi à ses officiers ou à certains corps pour des motifs d'intérêt public et de prérogatives de dignité, qui leur conféraient le droit de plaider en première instance par-devant les juges, mais surtout de bénéficier de l'insigne faveur des services d'une Cour souveraine, sensible à l'introduction de lettres de justice qui atténuaient sensiblement la rigueur des lois en matière civile. En second lieu, s'ajoutait à cette grâce royale, une sorte d'immunité d'investiture par des lettres d'Etat (titre V) que le roi consentait quelquefois aux personnes employées à son service en ambassade ou à l'armée. Ces dernières contenaient une surséance (sursis) à toute poursuite de procédure pour dettes pendant le temps porté par ces lettres. En dernier lieu, les lettres de l'épis (titre VI) émanant du grand Sceau et délivrées sur des considérations importantes, étaient susceptibles d'offrir un délai raisonnable aux débiteurs pour s'acquitter de leurs dettes durant une période de six mois à cinq ans maximum nonobstant toutes dispositions contraires. Ce qui correspondrait de nos jours à un arrêt des procédures d'exécution ou à une suspension provisoire des poursuites, l'opposition priva lex interdisait alors aux huissiers et sergents d'exécuter une action contre la personne qui était porteur de cette lettre. Lasurséance octroyée par les lettres de répit avait lieu du jour de la signification; "...pourvu qu'elle porta conjointement assignation pour procéder à l'entérinement." Cette disposition qui s'apparentait 33

à une remise de peine mais réputée "blesser le droit d'autrui" ne pouvait être produite que par la seule volonté du roi ; l'article 61 de l'Ordonnance d'Orléans ayant exclu de cette prérogative, les juges et même la Chancellerie du royaume. A ce propos, une déclaration de 1699 ne manqua pas de mentionner une vive réprobation des magistrats devant la « mauvaise foi» de nombreux débiteurs bénéficiaires de ce privilège: "car un tel remède entre les mains de certains débiteurs devenait un instrument propre à divertir leurs effets et frustrer leurs créanciers légitimes. "

34

CHAPITRE SECOND La lente construction

du droit des débiteurs

Des principes généraux de la morale, mais aussi de la conscience populaire aux préceptes religieux -qui instillaient plus de savoir par la crainte du péché que les jurisconsultes ne pouvaient y prétendre par la science- furent tirés un certain nombre de traités réunis à la fin du XIIème siècle; lesquels ne furent certainement pas étrangers aux traités de morale de Cicéron comme les Tusculanes, le De Senectule, le De Amicitia et le De Officiis.49 Il faut remonter jusqu'au règne de Philippe IV le Bel entouré d'illustres conseillers rompus au droit romain 50 pour connaître une véritable éclosion des valeurs sociales touchant le prêt, l'usure, les cautions51 et la promesse par le contrat, le change ou le legs. C'est en l'année 1311 que ce dernier règne des descendants directs des capétiens tenta de mettre fin aux pratiques odieuses de l'usure en ces termes: Pour la réformation publique de nôtre royaume, Nous défendons les usures qui sont condamnées de Dieu, des Saints Pères et de nos prédécesseurs à toutes personnes de nôtre Royaume, leur défendant de contracter jamais aucune espèce d'usure. Durant les deux siècles qui suivirent, d'autres monarques rappelèrent ces règles essentielles comme Louis XII à Lyon au mois de juin de l'année 1510 qui proclama: "Pour éviter qu'aucunes usures ne se commettent en nôtre Royaume, enjoignons à tous nos justiciers et officiers que sans dissimulation et à toute diligence, sous peine de suspension 49 La plupart des traités philosophiques de Cicéron furent composés après la mort de sa fille et ses désillusions politiques (45 et 44 avo J.-c.). Dans une seconde retraite. l'homme politique trouva une nouvelle foi et ~aracheva ces œuvres sto'îciennes d'un genre nouveau. o Dont l'admirable Chacellier Pierre Flote qui s'inspira très largement du droit public romain. Mais aussi le légiste Guillaume De Nogaret, juge à Beaucaire et conseiller du roi, ainsi que le malheureux réformateur Enguerrand De Marigny qui mourut pendu pour des idées savantes d'un autre âge. 51 « Par De jidejujjoribus. on entend ceux qui pour la plus grande assurance des créanciers; répondent pour les dettes d'autrui, de telle sorte que Je principal débiteur demeure néanmoins toujours obligé. Ce sont ceux qui répondent des dettes d'autrui mais ne sont pas les principaux débiteurs. selon la loi. on ne peut contraindre la caution de payer lorsque le principal débiteur n'ait été premièrement attaqué et qu'il n'ait été déclaré insolvable. » 35

de leur Offices et d'amende arbitraire, chacun en son détroit et juridiction, ils fassent leur devoir de s'enquérir de ceux qui commettent des usures manifestes par contrats feints et dissimulés, et de procéder contre les coupables, selon la disposition du droit, et l'exigence des cas." On imagine sans peine le degré maximum des châtiments encourus à cette époque. Enfin citons François Ier à Ys sur Thille en octobre 1535 qui pris ombrage contre les hommes de loi que l'appât du gain rendait insensibles: "Pour obvier (résister) aux grandes exactions que font les Huissiers ou autres Sergents qui ne craignent de prendre salaires excessifs de plusieurs journées, selon le nombre des exécutions faites par jour.. nous voulons et ordonnons que lesdits Huissiers et Sergents ne puissent pour un jour besoignans hors des Villes, prendre salaires que d'une journée tant seulement, jaçoit qu'en icelui jour ils fassent plusieurs exécutions et pour plusieurs personnes." Qu'importe le nombre d'exploits réalisés, ces officiers ne pouvaient selon la loi du moment, percevoir plus d'une fois le salaire d'un jour. Les ordonnances du roi Henry III en l'année 1536 aux Etats de Blois et de Charles IX en l'année 1567 s'employèrent avec la même fermeté, « pour le bien et l'utilité publique du royaume et le soulagement des sujets, » à réfréner l'âpreté au gain des usuriers comme des huissiers que le pouvoir rendait parfois violent. En ce temps là, il fallait de bonnes raisons pour condamner des règles de commerce que commandait le droit prétorien, eu égard au pouvoir séculier que conféraient le rang, le privilège et la richesse. Ces références étaient donc essentiellement tirées de la Bible; si tant est qu'elle soit un modèle incontesté de la morale terrestre dans sa traduction et l'exégèse du peuple juifs qu'elle condamne avec l'indulgence d'un souverain mépris. A la question: Si l'usure est défendue par le droit divin et humain, comment ce peut-il faire qu'il soit permis aux Monts de Piété de recevoir quelque chose audelà du fort principal, cela leur ayant été concédé par plusieurs bulles des Papes. Doit-on également entendre ce que Dieu dit aux Juifs dans le Deuteronome ? (Chap. 23). Il

est répondu: « Non seulement il n'était pas défendu aux Juifs de bailler à usure.. mais même il leur était accordé comme une récompense, suivant ces paroles d u Deuteronome: Comment donc est-il vrai que cela ne fut

36

permis aux Juifs, que par condescendance à la dureté de leur

cœur!

» (Chap. 28) 52 Un grand nombre de définitions sémantiques au sens

déductif des mots, mettent à l'évidence les limites morales appropriées et le sens manichéens des termes qu'il faut

entendre.

53 Ainsi

le prêt se prend de deux façons: Tiré du

latin commodatum, suivant la définition de Justinien: « le prêt est un contrat par lequel on prête gratuitement quelque chose pour s'en servir, de telle sorte que celui qui reçoit, n'en devienne pas le maître, et pour cette raison il est obligé de restituer la même chose. Le prêt qu'on appelle en latin mutuum, diffère du commodatum parce que l'usage qu'on en fait se consomme. Les choses sont prêtées de telle manière qu'elles appm1iennent à ceux à qui on les donne. 54 Pour ce qui est de l'usure selon Saint Thomas dans le Canon: « c'est un profit qu'on prétend tirer principalement à cause du prêt que l'on fait de quelque chose. C'est un profit temporel appréciable comme de l'argent, du blé, du vin [...] Secondement, c'est un profit qu'on prétend tirer en vertu du prêt parce que l'usure ne se consume que dans le prêt. Mais l'usure revêt une double signification terminologique : Elle est "réelle" lorsqu'il y a quelque pacte exprès ou tacite de donner quelque chose par dessus le capital. Elle est "mentale" lorsque quelqu'un prête avec intention principale de tirer quelque profit sans en faire aucun pacte avec celui qui emprunte. Le Pape Urbain III condamna fermement cette dernière pratique en ces termes: Il faut juger que celui là fait mal, qui prête avec intention de tirer quelque chose par))

))

dessus son principal, quoi qu'il ne fasse nul pacte, parce

qu'on peut dire qu'il est disposer à ne prêter pas autrement, et on doit l'obliger en conscience de restituer ce qu'il aura perçu avec cette intention.

52 « Fœneraberis gentibus muJtis, ipfe à nullo fœnus accipies. » 53 Qu'est-ce que le dol ou la fraude selon le Traité premier de la morale: Une finesse, une tromperie, une invention, un subtile moyen dont quelqu'un se sert pour tromper ou décevoir un autre. Ainsi une finesse, c'est quand quelqu'un sachant que la chose qu'il vend appartient à un autre, ou lui est obligé, il n'en avertît pas l'acheteur. Une tromperie, qui se commet quand quelqu'un dit un mensonge, pour pouvoir vendre la chose plus qu'elle ne vaul. Une invention et un subtile moyen: ce qui se fait quand par parole adroites, on tâche de déguiser subtilement le défaut de la chose ~u'on vend. 4 « Mutuwn (dit Justinien) appel/alum est, quia ita à me tibi datur, ut ex meo tuum siat. » 37

Toujours selon Saint Thomas, l'usure -en ce qu'il viole le droit naturel, divin (suivant l'ancien Testament, Pseaume 14)55 et ecclésiastique- se compare à l'injustice que ferait celui qui voudrait vendre séparément son vin et l'usage du même vin, parce qu'il vendrait deux fois la même chose; l'usage du vin n'étant pas distingué de sa propriété. Et d'ajouter en réponse à la doctrine qui prétend qu'il est permis à celui qui prête de prendre quelque chose au-delà du fort principal, s'il s'oblige d'en attendre le payement jusqu'à un certain temps: « Celui qui exige quelque chose à cause du temps seulement, s'attribue une chose qui ne lui appartient pas, vendant le temps qui est à Dieu. » 1- L'Ordonnance

de commerce de 1673

Authentique princeps historique du Code de commerce, l'Ordonnance de Colbert (mars 1673) comprend treize articles au titre XI relatif aux faillites et banqueroutes dont le contenu recèle une source considérable d'enseignements nouveaux. La définition de ces termes se scinda définitivement dans l'esprit du législateur de l'époque: Tandis que la faillite acquit sa propre définition juridique, la terminologie de la banqueroute sembla se décliner de deux manières, sans toutefois que son prédicat frauduleusement n'ajouta ou ne retrancha quelque force à sa connotation. La nuance sémantique s'employait plutôt à distinguer la cause de l'effet, ainsi: la banqueroute s'inscrivait comme une faute volontairement provoquée par "des entreprises téméraires et des engagements indiscrets." "La Faillite ou banqueroute sera réputée ouverte du jour que le débiteur se sera retiré, ou que le scellé aura esté 55

« Qui ne d'Ezechiel: « qu'autant qu'il n'avait donné,

prête point son argent à usure. » Et dans le Chap. 18 le juste est celui qui n'aura point prêté à usure et n'aura reçû aura donné. Celui qui a donné à usure et a reçû plus qu'il vivra-t-il? Non il ne vivra pas, il a fait une chose détestable,

il en mourra. » Et dans le chap. 22, le prophète racontant les crimes pour lesquels Dieu est indigné contre la ville de Jerusalem, il dit: « Vous avez

donné à usure et reçû davantage que vous n'aviez prêté. » Le Concile de Bordeaux en l'année 1583, chap. 19 dit: « Que par le commandement de

Dieu, le prêt doit être gratuit. » Et l'Assemblée du Clergé de France tenue à Melun l'année 1579 dit: « Que tous sont obligés d'entendre ce précepte de Jesus Christ: "Prêtez sans rien espérer." » Dans sa Bulle 118, le Pape Pie V écrivit: « Il est prescrit que les banquiers ne doivent par tirer un plus grand profit à cause du retardement du paiement de lettres de changes (Chap. 45 du traité du prêt et de l'usure). » 38

apposé sur ses biens." Par cette courte phrase liminaire, la détermination du terminus a quo de la faillite marqua la volonté du législateur royal, d'imprimer une clarté juridique dans le déclenchement puis à chaque phase de la procédure. Ainsi, la retraite du débiteur n'était-elle pas systématiquement considérée comme une fuite dans le seul but d'échapper aux contraintes physiques, tant que les circonstances; voyage, maladie ou affaires, n'avaient pas formellement établi la faute, nonobstant l'apposition des scellés. La banqueroute frauduleuse tant qu'à elle, était déclarée dès lors que l'action entreprise contre le débiteur supposait une dissimulation de biens à l'égard des créanciers (ceux qui auront diverti leurs effets ...) dans le but manifeste d'échapper à une obligation échue et exigible, ou encore l'usurpation de la qualité de créancier (supposé des créanciers) aux dépens des intérêts des véritables créanciers de la procédure. Ce qui nommément deviendra cent trente quatre ans plus tard 56 un dépôt de bilan, se résume à l'article II par l'obligation au débiteur d'écrire à tous ses créanciers pour leur faire part de sa déroute, et de fournir un état certifié de tout ce qu'il possède et de tout ce qu'il doit. Cette déclaration permettait aux parties dans le cadre d'une ouverture de faillite, de contracter des arrangements57 pour l'obtention d'un arrêt d'homologation, voire d'un sauf-conduit pour préserver la libeIté du débiteur en rupture de ban. Négociants, marchands et banquiers en état de cessation des paiements étaient tenus de remettre au greffe des juges et consuls, ou à défaut auprès des autorités de l'hôtel commun des villes, ou encore entre les mains de créanciers choisis parmi les notables, tous les livres, registres cotés et paraphés susceptibles d'instruire la procédure de faillite dont ils se réclamaient, à peine d'être poursuivis comme banqueroutier frauduleux. Une déclaration en date du 13 juin 1716 précisa ultérieurement de manière exhaustive, la marche exacte de la conduite qui permettait au débiteur d'aboutir honorablement auprès d'une juridiction consulaire ou d'un notaire, en vue d'accéder à un concordat; en évitant de la sorte "des procès qui consument le plus souvent les biens du débiteur, et même quelquefois

ceux des créanciers.

"

56 Art. 470 du Code de commerce du 10 sept. 1807. 57 ContraI d'atermoiement (abandon lolal des biens conlre remise du restant dû), accord concordataire, transaction et acte de type conventionnel.

39

Se rapportant à un Edit du mois de mars 1606, l'article IV de ladite ordonnance fait mention de l'interdiction de toutes cessions, ventes ou donations de biens meubles ou immeubles, transport ou détournement d'effets effectués aux dépens de la masse commune des créanciers. De sorte, cessionnaires, donataires et acquéreurs se mettaient "Juris et de jure" en situation de complicité présumée de banqueroute frauduleuse sévèrement réprimée; ainsi que nous le verrons plus loin en vertu des dispositions concernant les marchands, puis étendues à l'égard des gens d'affaires par un arrêt de la Cour des Aides du 14 mars 1710. Masse des créanciers, concordat, voilà bien jalonnées les grandes lignes du droit futur: (art. V.) "Les résolutions prises par l'assemblée des créanciers à la pluralité des voix 58 pour le recouvrement des effets ou l'acquit des dettes, seront exécutées par provision, nonobstant toutes oppositions ou appellation." Le pouvoir donné aux syndics (ou directeurs) permettait sur fond d'accord concordataire, de lever les scellés, d'inventorier tous les biens, d'examiner Ia comptabilité, de procéder à un constat global de la situation du débiteur, de procéder à l'adjudication des marchandises et autres effets personnels, puis d'en remettre au notaire ou autre personne désignée par l'assemblée, le produit de la vente en vue du paiement intégral du passif. Mais les syndics avaient aussi l'obligation de procéder au contrôle des créances effectivement dues et la légitimité des droits afférents aux privilèges et hypothèques consignés dans un état descriptif de toutes les dettes, ceci avant la réalisation de l'actif. Pour que la procédure de faillite soit déclarée ouverte, la bonne foi du débiteur devait être établie par l'assemblée des créanciers. De même que cette condition était elle-même subordonnée à la certitude que le failli présumé honnête, disposait à court ou moyen terme de quoi satisfaire les créanciers dans ce délai.59 En quelque sorte, il appartenait au débiteur de prouver au-delà de sa disgrâce ou de la 58 Les voix des créanciers prévalaient non par le nombre des personnes, mais eu égard à ce qui leur était dû, pour un montant s'élevant aux trois quarts du total des dettes. En cas d'opposition ou de refus de signer les délibérations par les créanciers, dont les créances n'excédaient pas le quart du total des dettes, la loi voulait qu'elles soient néanmoins homologuées en justice, exécutées comme s'ils avaient tous signés. (art. VI et VII). 59 Ce délai arrêté suivant l'état des affaires variait le plus souvent entre deux à trois ans. 40

vengeance qu'inspirait son état, que l'intérêt des créanciers commandait la patience; la faillite légale étant la condition sine quâ non de sa solvabilité, alors que la banqueroute s'achevait presque invariablement par un arrêt définitif des paiements. Nous découvrirons plus tard que cette situation, améliorée avec le temps d'une clémence pénale, engendrait aussi le chantage et la duplicité. En justice, les juges-consuls60 étaient incompétents pour connaître de ces formes d'homologation, puisque cette procédure contractuelle relevait des juges ordinaires ou des juridictions de droit commun. Ces conventions avaient néanmoins l'obligation de ne pas déroger aux privilèges et hypothèques sur les biens meubles et immeubles, sans que les créanciers privilégiés ou hypothécaires n'aient été tenus d'entrer en aucune composition avec les autres créanciers. Cette disposition du concordat sera longtemps retenue par les législateurs successifs et traversera toute l'histoire jusqu'à l'abrogation en 1985 du dernier régime des faillites. En effet, l'article 67 de la loi du 13 juillet 1967 permettait aux seuls créanciers chirographaires, sauf contestation, de participer aux délibérations concordataires. Enfin les opérations de vente des meubles et effets personnels du débiteur, décidées par l'assemblée des créanciers à la pluralité des voix, ne pouvaient être revendiquées par les personnes publiques (receveurs des consignations, greffiers, notaires, huissiers etc.), ni l'assemblée poursuivie pour accommodement ou transaction frauduleuse, à peine de concussion dès lors qu'il était reconnu que l'exécution de la vente procédait du plein consentement du débiteur (art. IX). De la simple faillite, procédure conventionnelle dont il est clair que les arrangements amiables étaient supposés emporter la satisfaction des parties avec la bienveillance silencieuse des tribunaux, au jugement déclaratif de banqueroute frauduleuse dont la sentence punissait de mort ou condamnait le coupable aux galères, voilà bien le contraste qu'offrait le droit français durant la seconde moitié du xvème siècle: où la délicatesse des arts courtisait avec la violence intellectuelle du jansénisme. "L'Etat Colbert" laborieux et rayonnant qui excellait dans la réforme, s'employait tout autant à supprimer l'usage de la contrainte 60 La juridiction des juges-consuls avait été établie par un motif d'intérêt public. pour alléger et terminer promptement les procès qui survenaient entre marchands et négociants. 41

par corps (v. supra, ordo 1667) qu'à laisser perdurer la peine de sang (ord. 1670, 1673) pour des motifs pas toujours éloignés en matière commerciale: (art. 12) "L e s banqueroutiers frauduleux seront poursuivis extraordinairement et punis de mort" conformément aux anciennes ordonnances de sinistre mémoire.61 Mais devant l'horreur d'une telle extrémité, les tribunaux plus cléments préféraient encore limiter leur verdict à des peines corporelles, susceptible d'atteindre un des leurs; notable banquier ou négociant de la même ville. De ce fait, il suffisait parfois d'une innocente maladresse de procédure, la vindicte populaire ou la malchance faite de circonstances imprévisibles, pour que le sort du failli soit inexorablement promis aux fers et à l'agonie des pires sévices dont étaient friands les sujets de l'époque: "à genoux, pieds nus et en chemise, la corde au cou et un écriteau où était inscrit banqueroutier frauduleux tenant en main une torche ardente...',62 La dissimulation de créances et la complicité de fausses déclarations, condamnaient leurs auteurs aux galères à perpétuité ou à temps suivant l'exigence des cas, outre les peines pécuniaires contenues en ladite Ordonnance de 1673. Les femmes encouraient de surcroît le bannissement perpétuel ou à temps conformément à une déclaration du 5 août 1721. Malgré la prudence des juges dont le comportement demeurait magnanime envers la simple négligence comptable (feuilles volantes non paraphée, livres mal tenus etc.), les banqueroutiers qui cachaient leurs registres et s'employaient à brouiller volontairement leurs affaires, n'en étaient pas moins poursuivis extraordinairement selon la procédure criminelle définie par la déclaration du roi susvisée.63 Cependant, le temps fit place à plus de mansuétude, et les peines se limitaient le plus souvent à l'amende honorable, à l'humiliation du pilori et du carcan. Mais lorsque le coupable était convaincu d'une fraude manifeste et méritait la vengeance publique, les fers et le bagne lui étaient alors réservés.

61 V. l'art. 143 de l'Ordo d'Orléans, l'art. 205 de celle de Blois susvisées et l'art. 135 de l'Ordo de janvier 1629. 62 Op. cil. R. SZRAMKIEWICZ; p. 192. 63 La jurisprudence rappelle un arrêt du 3 septembre 1637 et une sentence du Châtelet de Paris du 12 septembre 1682 rendue par contumace contre le nommé Louis Durand, banquier de la même ville. 42

Ainsi, par un arrêt du 30 mai 1673, le nommé Mercier, marchand à Paris de son état, ne fut condamné qu'à une peine de galères à perpétuité! Mais par un curieux rebondissement de la justice, le procureur au Châtelet de Paris; Jean Defre, pour avoir aidé et favorisé injustement la peine de banqueroute frauduleuse contre ledit Mercier, fut condamné à son tour à la peine du pilori et aux galères. II - La faillite, vue depuis les salons des gens de lettres au XVIIIème siècle, jusqu'au Pl'emier Empire Montesquieu s'émouvait avec compassion devant la ruine matérielle de sujets qu'il se refusait à considérer comme une fatalité aveugle. Sans que la sensibilité de ce philosophe n'ait eu à emprunter les chemins tourmentés de la pensée révolutionnaire que l'on attribua plus tard à la morale sociale de Diderot, ou à la brutale impertinence des jugements critiques de Voltaire, l'analyse élaborée par ce jurisconsulte libéral se traduisait par un constat lapidaire, mais ô combien évoquant sur l'endettement et la déconfiture des gens honnêtes64: "Un citoyen s'est déjà donné une assez grande supériorité sur un citoyen en lui prêtant un argent que celuici n'a emprunté que pour s'en défaire, et que par conséquent il n'a plus. Que sera-ce dans une république, si les lois augmentent cette servitude encore davantage?" Point de remède empirique, mais encore65: "Dans les affaires civiles qui dérivent des contrats [...], la loi ne doit point donner la contrainte par corps parce qu'elle fait plus de cas de la liberté d'un citoyen, que de l'aisance d'un autre." Mais se reprenant avec un sens aigu de l'ordre public, ce visionnaire éclairé - mais certes pas utopiste - ajouta: "... dans les conventions qui dérivent du commerce, la loi doit faire plus de cas de l'aisance public, que de la liberté d'un citoyen.. ce qui n'empêche pas les restrictions et les limitations que peuvent demander l'humanité et la bonne police." Derrière cette apparente sérénité des gens de salon66 préfigurait cependant une grande sagesse prémonitoire devant les événements que la République allait bientôt infliger à l'histoire au nom des libertés et l'abolition des 64 Voir: "De l'esprit des lois," in liv. XII, chap. XXI. 65 Op. cit.,liv. XX, chap. XV. 66 Dans la chaleur amicale des artistes et intellectuels en herbe qui hantaient les salons des marquises de Cambert et de Tensin, s'échangeaient des idées parfois séditieuses. 43

privilèges; alors même que la Révolution de 1789 n'entama guère la rigueur de la législation contre les faillis.67 De graves déchéances frappèrent durant de longues décennies encore, l'infortune et l'insolvabilité accidentelle des débiteurs, dépouillés par la procédure de tous biens et effets personnels. Jusqu'alors, les procédures de faillite sous toutes ses formes depuis la simple déconfiture à la banqueroute frauduleuse, étaient l'affaire des créanciers et ne dépendaient que de leur action en justice. Si l'on excepte la courte période durant la Régence; où la crise économique réclama davantage de discernement dans la confusion des innombrables jugements, en exigeant -pour valider la procédure et écarter la malveillance de faux créanciersqu'une moitié au moins des créanciers consente à poursuivre le débiteur, les choses demeurèrent en l'état jusqu'en 1807. Dans l'intervalle, deux tentatives connues furent vainement menées pour renforcer le pouvoir judiciaire et le collectif procédural de la faillite: l'une par le garde des sceaux Miromesnil qui voulu introduire le ministère public dans les affaires contentieuses du commerce,68 l'autre dans les cahiers des Etats généraux où entre autres, étaient dénoncés l'abus des arrêts de surséance complaisants et les trop nombreux lieux d'asile pour créanciers poursuivis.69 La législature du Premier Consul n'édulcora que peu ou prou cette sévérité, par l'application prétorienne de la cession judiciaire (art. 1268 du Code Napoléon). Ce bénéfice que la loi accordait au débiteur malheureux et présumé de bonne foi, consistait pour ce dernier à abandonner tous ses biens à ses créanciers lorsqu'il se trouvait hors d'état de payer ses dettes; ultime choix in obligatione pour préserver sa liberté, 67 L'influence négative des théories monétaires de John Law -contrôleur général des finances sous la Régence- contribua par son propre échec da aux spéculations, à renforcer l'image mercantile qui collait aux grandes entreprises industrielles et commerciales; compagnies maritimes et financières derechef associées au désastre de la grande crise. 68 A ce propos, rappelons la campagne d'affiches pamphlétaires qui fut menée en 1787 contre son Contrôleur général des finances; Charles A. Calonne. Celui-ci revêtu de la peau d'un singe présidait une assemblée animale de notables. S'adr~ssant à eux, il leur demanda: « A quelle sauce voulez-vous

être mangés?

» « Nous ne voulons

pas être mangés,

»

répondirent à l'unissons les animaux. « Vous sortez de la question! » argua le primate. 69 En particulier chez les notaires où de mauvais arrangements en dépit du non respect des formes légales, faisaient la fortune des escrocs en mal de payer. 44

puisque cette cession opérait de jure la décharge de I a contrainte par corps. Cependant il apparaît contradictoire à l'article 1270, que la cession judiciaire ne libéra le débiteur qu'à concurrence de la valeur abandonnée. Cette disposition signifiait en cas de carence d'actif, que le failli n'était pas pour autant acquitté de ses dettes bien qu'ayant cédé tout ce qu'il possédait. Au surplus, les créanciers avaient la liberté de poursuivre l'expropriation des biens immeubles appartenant à son débiteur ainsi que de déposséder l'usufruit dudit débiteur sur les biens de même nature (art. 2204 et suiv.). Un autre paradoxe du Code Napoléon nous vient de l'étrange silence juridique qui entoure comme un voile de pudeur, la définition, les conséquences et les sanctions contre la banqueroute ou la déconfiture. Mais dans les faits, la qualification de banqueroute l'emportait le plus souvent, quelqu'en soit la cause, et le négociant incapable d'honorer sa dette, associait également son épouse dans le désastre et le bannissement.70 Aux peines infamantes, s'ajoutait la mort civile, l'interdiction d'exercer un commerce jusqu'à désintéressement total des créanciers. A l'exclusion des droits civils, la Constitution de 1791 (art. 26)71 atteignait aussi «l'héritier immédiat, détenteur à titre gratuit de tout ou partie de la succession du failli. » Enfin la contrainte par corps n'épargnait pas les cas de stellionat (cf supra Ch. 1er, ~ VII), aussi bien le refus obstiné du débiteur condamné, à libérer un fonds ou un bien confisqué en jugement ou encore pour des poursuites exercées sur les cautions judiciaires. On sait également que la contrainte par corps n'était pas autorisée contre les mineurs, les fermiers pour le non-paiement de fermage de biens ruraux, et qu'en tout état de cause elle ne pouvait être applicable qu'en vertu d'un jugement. Si selon l'adage, "en déconfiture tous créanciers viennent à contribution au sol la livre" ; qu'advenait-il des faillites frauduleuses, des malversations comptables ou autres indélicatesses envers les créanciers? Seul l'article 2069 indiquait de manière 70 L'Empereur avait consigné ses travaux en prévision du "Livre des

faillites et banqueroutes" devant le Conseil d'Etat, de la sorte:

«

Dans la

faillite il y a un corps de délit puisque le failli fait tort à ses créanciers [...] Un capitaine qui perd son navire, fût-il dans un naufrage, se rend d'abord en prison [...] La sévérité devient nécessaire, les banqueroutes servent la fortune sans faire perdre l'honneur [...] Il faut que, par forme de prévention. on donne d'abord le nom de banqueroutier à tout négociant qui fait perdre

ses créanciers. »

71 Mais aussi la Constitution de l'an III (art. 13) et celle de l'an VlII (art. 5). 45

,

implicite: "qu'il n'est point dérogé aux lois particulières qui autorisent la contrainte par corps dans les matières de commerce ..... Alors que la banqueroute ne trouvait aucune place au registre des lois,n sinon au renvoi de l'index sur les faillites et la cession de biens, la déconfiture ne fut citée qu'une seule fois à l'article 1865 ; lequel indique que "la société finit (entre autres raisons) par le déconfiture de l'un des associés." Il est donc clair que la volonté impériale inclinait à la prudence en matière de faillite civile et commerciale; vide juridique probablement entretenu par une volonté politique pour soutenir nolens, volens l'édifice économique du pays, nerf de la guerre dont avait besoin la Grande Armée. Par ailleurs, une soigneuse élaboration juridique était apportée aux chapitres du droit des contrats et des obligations, et la législation commerciale promettait de ne pas demeurer longtemps silencieuse. Bien entendu, le Code Napoléon ne pouvait gommer d'un coup d'un seul toute la législation des ordonnances royales de l'Ancien Régime; d'emblée écrasée par la Constitution des 3 et 4 septembre 1791. Ce fut donc sous l'apparence d'un Code civil pluridisciplinaire que commença le remaillage du droit français quasi complètement anéanti sous la torche révolutionnaire. Passé les échecs successifs de la Convention et du Directoire,?3 il fallut restaurer l'Etat de droit autour du charisme juridique qu'incarnaient les armoiries impériales, et dont le Code en fit une appellation générique. Quoique le Code Napoléon se mua curieusement à travers les continents de tradition latine en instrument initiatique du droit, voire comme un mode juridique institutionnel, il ne saurait cependant être comparable en subtilité et en richesse aux ordonnances de 1667 à 1673, héritières d'un autre âge et de mille ans de règnes tranquilles. Suivent de près cette œuvre de base, quatre autres codes 74 qui renforcèrent l'édifice juridique de la République, dont le Code de commerce 72 En effet, le Code Napoléon de 1804 à 1807 n'accordait aucune définition de la banqueroute ou de la déconfiture, et cela jusqu'à l'avènement du Code de commerce. 73 En l'An Il (1793), la Convention interdit la formation de sociétés par action de grande envergure, après avoir dissous la Compagnie des Indes, la Caisse d'Escompte et la Ferme Générale, puis envoyé leurs dirigeants à l'échafaud. Op. cil. R. SZRAMKIEWICZ, p. 193 et suiv. 74 1806, Code de procédure civile. 1807, Code de commerce. 1808, Code d'instruction criminelle. 1810, Code pénal. 46

promulgué par une loi du 20 septembre 1807, mais qui repris à son compte une jurisprudence mal fixée et imparfaite dès sa publication. Georges Ripert écrira de ce code: "qu'il n'était plus qu'une collection de lois d'époques différentes. ,,75 III - Le Code de commerce de 1807 : une résurgence des normes répressives de l'Ancien Régime et l'échec du droit des faillites

La nouvelle construction du droit ne laisse plus aux commentaires des lois, la place et le rôle prépondérant qu'ils occupaient dans les ouvrages du siècle passé. Ni doctrine, ni jurisprudence; les articles se succèdent d'un chapitre à l'autre dans une structure sèche et âprement juridique. Le droit moderne est né et n'autorise plus le renvoi audacieux de petites histoires authentiques qui donnaient un sel particulier aux recueils des jurisconsultes de l'époque, à la fois conteurs et historiens. Les principes directeurs qui gouvernaient la justice répressive du moyen-âge aux temps modernes, furent fondés selon une trilogie de lois dites naturelles 76: En premier lieu, l'extermination du mal. En second lieu, la vengeance des personnes. En dernier lieu, l'exemplarité dissuasive du châtiment. La contrepattie pénale des délits civils du premier Code de commerce se rapportant aux banqueroutes, escroqueries et autres espèces de fraude, en particulier s'agissant des agents de change et courtiers, supposait au pire, la peine de travaux forcés à perpétuité (art. 404 du Code pénal du 12 février 1810). La loi n'avait donc rétrocédé que sur la peine de mort, laquelle dorénavant ne pouvait s'appliquer que dans des affaires criminelles. Si le Code de commerce français -fortement imprégné de la réglementation italienne-77 n'avait guère tempéré sur un plan pénal, la banqueroute frauduleuse semblait néanmoins mieux définie aux chapitres II et III de la cession des biens. Ainsi le détournement de fonds, l'absence de justification 75 Voir: "Traité élémentaire de droit commercial," in préface du 1eraoût 1947. 76 Cf: Muyart de Vouglans ; "Les lois criminelles de France dans leur ordre naturel," (1780), in "Justice et justiciables, crimes et châtiments à Toulouse au xvmème siècle," de O. DEVAUX, Les Petites Affiches n° 117 du 28 sept. 1990, p. 2 L 77 Dualisme civil et commercial, à l'opposé du système unitaire britannique qui ne scinde pas en droit, le civil du commercial. 47

comptable sur l'emploi des recettes, la dissimulation volontaire d'écritures ou de livres, l'usage de prête-noms dans une transaction immobilière, puis la constitution de dettes passives et collusoires avec des créanciers fictifs, étaient autant de cas d'espèces passibles de poursuites devant les cours d'assises, engagées soit par la notoriété publique, soit sur dénonciation des syndics ou des créanciers devant les juridictions civiles. Les articles 402 à 405 du Code pénal définissaient en fonction du degré de la faute, les peines infligées aux banqueroutiers et à leurs complices pour des crimes de faux, abus de confiance ou d'un blanc-seing. La répression s'exerçait aussi contre le délit d'usurpation de qualité, la contrefaçon; 78le tout passible d'un emprisonnement de deux mois à deux ans et d'une amende pouvant excéder le quart des restitutions exigées, non compris les dommagesintérêts qui étaient dus aux pat1ies lésées. Le principe immuable d'égalité des créanciers exprimé notamment aux articles VI et VII de l'Ordonnance royale de 1673 (v. supra note 58), fut maintenu par une proche arithmétique que gouvernait ce postulat de la procédure: soit la majorité des trois quarts de la totalité des sommes dues, ouvrait la possibilité d'un concordat qui ne retenait que les créanciers chirographaires à l'exception de ceux nantis de privilèges hypothécaires ou pignoratifs. En cas d'échec du traité concordataire, curieusement la loi permettait I a formation d'une union des créanciers s'y substituant, formée à la majorité individuelle mais dans l'accomplissement semble-t-il, de certains actes inopposables en période suspecte. Cette procédure exécutée sous le contrôle du commissaire, aboutissait à la vente des biens du débiteur même en son absence, à concurrence de la dette, voire jusqu'à l'extinction totale de l'actif; à l'exception de quelques vêtements, hardes et mobilier strictement nécessaires à l'usage de la victime et de sa famille. A titre de secours minimum, et si la bonne foi du débiteur était établie, une somme d'argent prélevée sur ses biens vendus lui était allouée, fixée en proportion des besoins mais aussi en fonction de l'étendue de la perte supportée par les créanciers.

78 En l'occurrence par l'emploi de manœuvres frauduleuses pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique ( art. 405). 48

Le processus d'homologation du concordat signifié aux syndics provisoires, procédait soit d'une résolution de compromis devant le failli en présence du commissaire, soit d'une contestation devant une juridiction consulaire, qui ellemême dans l'éventualité d'une présomption de banqueroute, renvoyait l'affaire devant le magistrat de sûreté tenu à son tour de poursuivre d'office. Dans le cas contraire, le tribunal statuait en vue d'une réhabilitation sous réserve du paiement intégral des sommes dues, car la cession judiciaire n'éteignait point l'action des créanciers sur les biens que le failli pouvait acquérir ultérieurement, sinon qu'elle avait pour effet immédiat de soustraire le débiteur à la contrainte par corps. Rappelons en effet, que les assignations en déclaration de faillite délivrées à titre comminatoire, concluaient généralement à ce que le tribunal ordonna le dépôt du futur failli en la maison d'arrêt.79 Selon le témoignage de Balzac,80 la loi déclarait le failli mineur et incapable de tout acte légal civil et civique, dès le dépôt de bilan enregistré au greffe du tribunal de commerce. Cette situation "de mort civile où le commerçant déchu demeurait comme une chrysalide, " durait environ trois mois; le temps nécessaire pour calmer les conflits d'intérêts, et protéger le failli exposé aux entreprises vexatoires de ses créanciers irrités. Ce dernier ne pouvait d'ailleurs pas réapparaître sans avoir obtenu un sauf-conduit, exeat sans lequel le fugitif retrouvé, eut été sans ménagement jeté en prison.81 Nommé par le tribunal, le juge-commissaire investissait à son tour un agent du droit dans l'attente que soient nommés par l'assemblée les syndics provisoires, tandis que simultanément le greffe convoquait à cette fin, tous les créanciers; faux ou vrais, "au son de trompe des annonces de presse." Et Balzac d'ajouter: "Les syndics chaussés avec les souliers du failli devenaient par une fiction de la loi le failli lui-même, et pouvaient tout liquider, tout vendre... enfin fondre la cloche au profit des créanciers, si le failli ne s'y 79 Cf: 1. ARGENSON et G. TOUJAS ; "Règlement judiciaire, liquidation . des biens et faillite," Lib. techno (Paris, 1973). 80 Histoire de la grandeur et la décadence de César Birotteau. 81 "Le tribunal de commerce ordonnera en même temps (que l'apposition des scellés et la déclaration de l'époque de la faillite) : ou le dépôt de la personne du failli dans la maison d'arrêt pour dettes, ou la garde de la personne par un officier de police ou de justice ou par un gendarme (art. 455). 49

opposait pas," Mais il était fréquent que la procédure de faillite s'arrêta aux syndics provisoires; le concordat prenant forme après l'abjuration des passions commerciales, émoussées par quatre vingt dix jours de formalités et de démarches exténuantes et ruineuses.82 Cependant si le concordat ne prenait pas, des syndics définitifs succédaient aux syndics provisoires pour une liquidation du patrimoine du débiteur, administrée sans ménagement par l'union des créanciers; trompés, volés, dindonnés [...] et altérés de vengeance. Néanmoins il était d'usage à Paris, que les débiteurs indélicats profitant de la confusion et la menace d'une procédure ruineuse au lendemain d'une faillite close pour insuffisance d'actif, nommaient eux-mêmes les syndics provisoires en vue d'arranger les accords à leur avantage. Cette manœuvre frauduleuse consistait à créer des créanciers fictifs dits "gais ou illégitimes" en accord secret avec le failli, pour diminuer d'autant le dividende des créances véritables, et se ménager une quantité de voix nécessaires pour obtenir un concordat bienveillant. Dans cet effroyable gâchis commercial, seuls les créanciers intéressés dans la faillite pour une somme capitale, avaient intérêt à poursuivre la procédure. Pour les plus modestes, la faillite passait le plus souvent comme "un sinistre sans assureur," découragés par l'insuffisance d'actif toujours probable résultant de la vente bradée de tous les biens du débiteur. Par ailleurs, sous l'empire du Code de commerce de 1807 et jusqu'à la promulgation d'une loi le 28 mai 1838, les gros négociants ne déposaient plus leur bilan, préférant de conni vence avec leurs créanciers, liquider à l'amiable leur situation déficitaire en usant d'expédients illégaux et de solutions hors tribunaux; étant entendu "qu'un bon arrangement vaut mieux qu'un mauvais

procès! "

82 La lenteur et la lourdeur de la procédure de faillite faisaient la ruine des créanciers. L'accumulation des charges inhérentes aux procès-verbaux, d'inventaires et de tous les actes en matière de levée de scellés, d'enregistrements, d'honoraires, puis l'adjonction des charges fiscales codifiées par une loi du 22 frimaire de l'an VII ; tOut contribuait à l'abandon et le désespoir des défendeurs. (Op. cil. 1. HILAIRE, p. 329). so

IV - 28 mai 1838, 4 mars 1889, 8 août 1935 et 30 août 1947 : autant de dates qui Jalonnèrent la réforme du droit des faillites.

Dans le sillage de l'Ordonnance de commerce de 1667, le Code de 1807 avait évolué au rythme lent d'une législation arc-boutée dans l'impasse d'une logique triangulaire juridicojudiciaire classique qui reposait; sur l'égalité des créanciers (art. 514 et suiv.), la production de preuves constatant la cessation de paiement (art. 441) et l'instauration d'une période suspecte de dix jours (art. 443) précédant la faillite, durant laquelle nul ne pouvait acquérir ni privilège ni hypothèque sur les biens du failli. Par ailleurs, le concordat suspendu à l'agrément de la majorité des créanciers ainsi que des trois quarts de la totalité des créances vérifiées, était souvent l'otage des abstentionnistes qui devenaient de facto des opposants. De cette situation ambiguë et indécise, naissait tantôt l'état d'union; donc la vente forcée de l'actif du débiteur qui peutêtre eut mérité un meilleur sort, tantôt un concordat tronqué avec la complicité de créanciers gais à la solde du failli malhonnête. La réforme du 28 mai 1838 mit un peu d'ordre à cette monstrueuse plaisanterie légale ainsi qualifiée par Balzac. Sans toutefois app0l1er de bouleversement doctrinal profond au Code de commerce qui traversa sans heurts les deux Restaurations de Louis XVIII à Charles X, puis réédité sous la monarchie de Juillet dont Louis-Philippe pris acte dans sa Charte constitutionnelle de 1830,83 le rapport Quenault apporta quelques améliorations sensibles au droit des faillites: D'une part en réduisant les frais d'enregistrement à la charge des créanciers, d'autre part en apportant plus de souplesse à la réglementation de procédure, bien que le législateur s'employa à plus de rigueur et de discernement dans le rôle et les fonctions de syndic.84 La fin du XIxèm e siècle fut marquée par la loi humanitaire du 4 mars 1889 qui leva les sanctions à caractère 83

Art. 13 ; "Le Roi... fait les règlements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les Jois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution Voir «Les dix-huit codes du royaume, » imprimés à Paris, (Chassaignon) 1835. 84 Cf; C. LABRUSSE ; "L'évolution du droit français de la faiHite depuis le Code de commerce,"in "La montée des faillites en France XIXème_ XXème siècles," de Luc MARCO, p. 13, (éd. l'Ham1attan).

51

pénal ou civique contre les faillis, seulement maintenues pour les cas de banqueroute ou de fraude paulienne. La création d'une procédure de liquidation judiciaire donnait aux faillis une seconde chance de réhabilitation commerciale, après le concordat dont les difficultés conventionnelles ne trouvèrent aucun remède juridique durant la Ivème République. Demeure que le Code de commerce de 1807 ne reconnaissait que la faillite commerciale, ignorant de jure un nombre considérable de sociétés civiles relevant de la déconfiture évoquée aux articles 1865 et 2003 du Code Napoléon, quoique non sanctionnée en matière pénale. Réparant ce déséquilibre entre sociétés de régimes juridiques différents mais d'activités quasi identiques, une loi du 1eraoOt 1893 donna un statut commercial à toutes les sociétés anonymes ou en commandite, autrefois civiles pour un grand nombre d'entre elles.85 Le XIXème siècle fut marqué d'incertitudes juridiques, de troubles économiques et de scandales financiers retentissants. Tandis que le Code de 1804 avait ménagé le droit des faillites jusqu'en 1807, la sévérité napoléonienne retrouvée s'effrita en 1838, multipliant trois fois le nombre des faillites durant toute la période de la Grande crise. Cette situation se prolongea près d'un siècle durant, la réforme de 1889 n'ayant qu'accentué cette clémence au profit des débiteurs. Le décret-loi du 8 aoOt 1935 a étendu les accords conventionnels issus du régime ancien des faillites, à la liquidation judiciaire créée sous la législation de Sadi-Carnot. Cet élargissement des accords concordataires fut encore amélioré par la suppression du jeu négatif des abstentions (souvent involontaires) jadis comptées d'office dans le camp des opposants. Cette inversion des rapports de force eu pour effet immédiat de moraliser le vote et de mieux contrôler la validité du concordat obtenu ainsi à la majorité des voix exprimées. Dans le prolongement de cette voie de concorde, une loi du 20 aoOt 1936 institua des délais de grâce accordés par le juge au profit du débiteur en difficulté financière, afin de surseoir à l'exécution des poursuites: "toute ch 0 s e demeurant en l'état." De même qu'en cas d'urgence, cette faculté appartenait au juge des référés (L. 25 mars 1936) Il importait par l'octroi de délais suspensifs (nouvel art. 1244 85 Le scandale de la de du Canal de Panama fut le détonateur de cette réforme; op. cil. "La montée des faiIlite," p. 17. 52

du Code civil), de préserver toute possibilité d'accord amiable et de redressement en considération de la po~ition du débiteur et de sa situation économique. Cependant un autre phénomène naissait à l'horizon du xxème siècle matérialisé par la montée de l'Etat fiscal en France. Avec la multiplication des impositions et des structures sociales nouvelles, les créances fiscales et parafiscales emportaient avec leurs privilèges la quasi totalité de l'actif des faillis, ne laissant aux créanciers chirographaires, au mieux réunis en concordat, que le maigre espoir d'une faillite réussie, si tant est que les accords amiables ne basculèrent pas par suite en procédure d'union au seul bénéfice des contributions et de la taxe. La complicité de mandataires indélicats, résurgence des créanciers gais du xvnème siècle, devenait indispensable pour combler le déficit de voix que ne parvenait pas à réunir une majorité de créanciers favorables au concordat; supplétif peu honorable pour ceux-ci qui ne disposaient d'aucune sûreté réelle en garantie de leurs créances. Avec l'agrément d'une majorité facile de créanciers que l'intérêt seul commandait -eu égard au peu d'opposants qui préféraient encore s'abstenir plutôt que tout abandonner au Trésor- et l'homologation des juges consulaires trop souvent complaisants, le concordat devenait à nouveau la proie de commerçants peu scrupuleux, corrompus dans la clandestinité des affaires. Afin d'endiguer cette débauche commerciale, une loi du 30 août 1947 relative à l'assainissement des professions commerciales, tenta d'instaurer une nouvelle procédure d'épuration pénale des faillis en introduction à la banqueroute et à l'instar de la sévérité de jadis.

53

CHAPITRE TROISIEME Lorsque le droit des faillites devient une affaire de société « Le libéralisme enseigne que la faillite est un mode d'assainissement du circuit économique.86 » Dans les faits, la conjoncture a poussé les gouvernants à prendre des décisions opposées à ce dogme libéral. Mais certains impératifs sociaux emportent la confusion en droit et la faillite économique dictée par un consensus social devient la faillite judiciaire avec sa médecine prophylactique; un droit de prévention artificiellement gonflé par une inflation législative peu compatible avec la réalité des entreprises moribondes. 1- Une nouvelle doctrine de la faillite, facteur d'évolution économique: l'assainissement de 1955 et la conversion des valeurs en 1967 Le décret du 20 mai 1955 fut en quelque sorte, le point de départ d'une "chasse aux sorcières" devant l'hémorragie patente de faillites suspectes, voire malhonnêtes. Cette réforme donna certes un relent de moralisation commerciale en interdisant aux faillis de présenter eux-mêmes un concordat d'agrément à leurs créanciers, d'où la pratique honteuse d'un chantage contre lequel les créanciers pris "entre l'enclume et le marteau," devaient accepter, soit de perdre beaucoup dans un accord conventionnel, ou bien tout perdre dans une procédure judiciaire au profit des créances de l'Etat. Cet assainissement soudain des procédures de faillites trouva sa pleine efficience par l'institution d'une épuration commerciale des débiteurs en état de cessation des paiements caractérisée; lesquels perdaient du même coup le bénéfice des accords conventionnels qu'encourageait une complaisance excessive des magistrats consulaires. Cependant cette épuration méthodique voire partiale de la situation déficitaire des commerçants emportait parfois un manque de discernement entre les faillis; qu'ils soient seulement malchanceux mais intègres et économiquement récupérables, ou qu'ils soient manifestement incapables et indésirables.

86 Voir la thèse en doctorat de Khélifa HOUIN) 1984, Paris Il, p. 16 et suiv.

ss

KHARROUBI

(Pdt.

Roger

Dans une intention au demeurant louable, le législateur d'après guerre se devait d'enrayer trop de tolérance judiciaire, sinon le laxisme politique installé depuis 1935. La réglementation de 1955 avait donc volontairement sacrifié une partie non négligeable du parc des entreprises qui s'était considérablement développé durant cette période de pleine expansion, app0l1ant en contrepartie un droit nouveau aux débiteurs en instituant "le règlement judiciaire" avant la solution radicale et expéditive de la faillite. Une nouvelle voie était tracée grâce à l'introduction judiciaire des accords concordataires, issus certes de l'initiative du débiteur, mais que ce dernier devait soumettre à l'approbation collective en apportant la preuve de l'efficacité d'un plan de redressement viable, capable de surmonter les difficultés de son entreprise en détresse. Au témoignage de bona fides (bonne foi) du débiteur, devait dorénavant s'ajouter l'engagement ad probationem (pour la preuve) : "ce qu'il fallait démontrer !" La loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 rompit avec la tradition qui faisait du chef d'entreprise, l'entreprise elle-même. Il convenait de distinguer le patrimoine de la société, de la personnalité physique de son ou ses dirigeants. La notion d'entreprise dégagée de celle de l'homme, tous les ingrédients juridiques existants depuis 1955 se retrouvaient dans cette loi, mais dans un ordre différent. Ainsi en cas d'échec du règlement judiciaire, l'épuration de l'entreprise ne conduisait plus celle-ci à l'inévitable faillite et ses graves conséquences que sont; la déchéance et l'interdiction d'exercer, mais à une procédure se dédoublant en liquidation des biens. D'autre part, cette procédure qui pouvait s'appliquer également aux sociétés civiles, permettait par voie de cession, une possible continuation des activités de l'entreprise. De plus, les poursuites individuelles87 en cas de clôture pour insuffisance d'actif, s'exerçaient -a fortiori en cas de banqueroute frauduleuse- seulement contre les dirigeants d'entreprises personnelles, les avalistes, mais aussi contre les dirigeants sociaux d'une personne morale à la requête du syndic, dès lors que la gestion des affaires ne paraissait pas présenter toute la diligence nécessaire (art. 99). Enfin le régime du concordat fut maintenu seulement sur homologation du tribunal qui devait statuer sur son opportunité dans le cadre d'un règlement judiciaire (art. 67). 87 Le Trésor avait dans certains cas (art. 80) la faculté de poursuivre le débiteur pour ses créances privilégiées. nonobstant la procédure de liquidation des biens engagée. 56

En ce temps, d'aucuns qualifiaient de louable l'éthique de cette nouvelle loi qui préservait l'honorabilité du débiteur de bonne foi. D'autres se montrèrent plus réservés, dénonçant çà et là88 l'absence de solutions juridiques consacrant la sauvegarde des intérêts des créanciers chirographaires, toujours sacrifiés au dernier rang des privilèges fiscaux et sociaux; Le chemin de l'enfer n'est-il pas pavé de bonnes intentions? D'autres encore devisaient sur les vertus mercantiles que constituait la procédure elle-même, lorsqu'elle devenait une manne de profit, ou plus encore; le Saint-frusquin des professions judiciaires et para-judiciaires. L'histoire de Monsieur Duchêne en est une illustration mordante; lorsqu'à l'aube des années" 70" donc sous l'empire de la loi de 1967, ce bijoutier-horloger fut plusieurs fois assigné sur l'action malveillante d'une conjuration de concurrents voisins pour moins de 80 000 F de dettes, pourtant en grande paJtie déjà réglées.89 Or, dans le parcours de la décennie qui suivit, ce malheureux débiteur dut malgré lui, débourser pour cette même affaire la somme de 1 287 000 F dont les trois quarts au syndic, le reste en frais divers d'honoraires et de procédures, sans qu'aucun créancier durant ce temps ne fut payé! Jamais le syndic ne produisit un état des créances, bloquant les ventes, s'opposant systématiquement à quelque solution viable de remboursement et accroissant ainsi artificiellement les contentieux, alors que l'excédent du chiffre d'affaire précédant la première notification s'élevait à 127 213 F; d'où l'assurance potentielle d'un règlement honorable de créances au demeurant insignifiantes à l'origine. Une fois le fonds de commerce vidé de sa valeur,90 ne subsistant de ce dernier qu'un pas de porte condamné sous scellés, le bijoutier déclaré juridiquement incapable n'eut pas même la faculté de poursuivre le syndic contre les manœuvres dilatoires et l'obstruction à la justice dont ce dernier s'était manifestement rendu coupable. Cette triste aventure donna la mesure des imperfections d'une loi qui, comme toutes les autres, perdent de leur 88 Dénonçant entre autres, les effets pervers de la suspension provisoire des poursuites instituée par l'ordonnance du 23 septembre 1967, mais aussi l'empressement de certains juges qui privilégiaient plutôt la solution d'épuration à celle du concordat, réduisant les créanciers à l'état d'union constitué en procédure de liquidation. 89 Voir Science et Vie n° 59, mars 1990, p. 17 et suiv. 90 Le premier acquéreur en proposait 480 000 F. 57

rectitude avec la fuite du temps. Dans le prolongement de l'image virtuelle de César Birotteau, cette anecdote constitue néanmoins une exception, tout au plus témoigne-t-elle du motif qui décida le législateur de 1985 à éclater les charges du syndic en plusieurs professions. Par ces motifs: -l'affaiblissement de la sévérité pénale contre les banqueroutiers édulcorée au fil des siècles,91 -la disparition définitive de la contrainte par corps contre les faillis; notamment par l'abolition de la prison pour dettes entre particuliers en 1866,92 et en 1889 par la levée des incarcérations commerciales des débiteurs (la contrainte par corps levée par les ordonnances de 1958 et 1960 n'existant plus aujourd'hui qu'au profit du Trésor pour le recouvrement d'une condamnation à l'amende prononcée par une juridiction répressive), -puis l'instauration d'un bicéphalisme juridique de la procédure de règlement judiciaire et de liquidation des biens, ont été ensemble des mesures favorables à l'essor économique, mais que le moindre risque à fonder une entreprise rendait tout aussi hasardeux et vulnérable. De plus, la procédure de liquidation ayant rompu avec celle de ]a faillite aux conséquences privatives de droits, elle ouvrait ainsi ]a porte à l'élimination technique d'entreprises dominées sous le contrôle d'un groupe, jugées déficitaires, malades ou gênantes. Déjà au XIxème siècle, les politiciens libéraux banalisaient le phénomène d'accélération des faillites, intégrant celui-ci selon un facteur de croissance économique, dans un système industriel où ]a concurrence procède par élimination résiduaire et agit comme un régulateur du marché.93 Lorsqu'un rapport constant s'établit entre le volume de 91 Les art. 402 à 404 du Code pénal concluent à des peines d'emprisonnement allant de trois mois à sept ans d'emprisonnement, de peines d'amende, voire de la privation des droits civiques en plus des poursuites personnelles prévues contre les faillis; chaque peine n'étant pas suspensive l'une de l'autre (voir art. 105 de la loi de 1%7 sur la faillite ~ersonnel1e). 2 "On dit qu'elle coûtait trop cher aux créanciers qui faisaient obligatoirement les frais de cette mise en pension à Sainte Pélagie," in la Vie Judiciaire p. 9, (M. F.) du 14 au 20 janvier 1991. 93 L'institution de la faillite est inhérente à une économie qui se développe dans un marché de libre concurrence. Néanmoins, elle ne saurait s'analyser de cette manière dans les pays de régime communiste, puisque l'Etat veille à la survivance de ses entreprises. L'efficacité de cette mainmise est renforcée par la fixation autoritaire des prix qui supprime les fluctuations du marché. (Op. cil. K. KHARROUBI, p. 53 et suiv.). 58

production et la mortalité des entreprises, la faillite s'analyse dans ce cas comme une manifestation de prospérité, non comme un indice de crise.94 La liquidation des biens est alors destinée à éliminer les entreprises économiquement condamnées et exclues du circuit productif, sans pour autant frapper d'infamie les dirigeants qui ne l'ont pas mérité. Enfin la thèse du déclin se confirmerait si les taux de faillites progressaient pl us vite que la démographie des entreprises actives, ou qu'une trop fOIte disparité sectorielle ou régionale venait à faire disparaître d'importantes unités de production, voire des pans entiers d'activités industrielles.95 11- 1985, 1989 : deux réformes qui ajoutent à l'histoire Pas moins de quarante mille procédures en redressement et de liquidation judiciaires par an sont engagées aujourd'hui en France.96 Ce chiffre est cependant naturellement compensé par une quantité voisine de créations d'entreprises prenant la relève économique des entreprises défaillantes. La longue cd se qui sévit depuis deux décennies ne saurait seule in œternum excuser ce phénomène tenace du chômage et de l'instabilité financière des entreprises. Bien entendu la cdse monétaire provoquée à la suite de la rupture du Traité de Bretton-Woods par Richard Nixon le 15 aoOt 1971, le premier choc pétrolier résultant d'une décision de l'OPAEP le 17 octobre 1973 et qui engendra les suivants; sont directement responsables de la hausse des taux d'intérêt, 94 Pour Adam Smith (Richesse des nations, p. 98 et 99) ; "L'échec économique par faillite ne concerne que des agents irrationnels faisant partie d'un \lux marginal" Selon Karl Marx (Le Capital, p. 114) "Les faillites traduisent le mouvement de centralisation des capitaux aux mains de capitalistes puissants." Alfred Marshall propose une analyse de la démographie des entreprises selon un cycle de vie ternaire (Principes of Economics, ch. 13). 95 Ce pourquoi durant un cycle de vingt ans, le nombre de dépôts de bilan -qui s'élevait à 10 000 pour l'année 1967, tripla en vint ans (30 766 défaillances d'entreprises en 1987), puis quadrupla deux ans plus tard (40042)- n'était pas nécessairement le résultat d'une hécatombe, mais l'absorption des petits commerces et artisans par des groupes: une mercerie comptant statistiquement autant que Creusot-Loire (Y. la revue Entreprise, octobre 1990). 9636993 entre juin 1988 à mai 1989 avec une progression de 13,9% sur l'exercice précédent (32480 de juin 1987 à mai 1988 : source INSEE, Inform. rapide, série J, ill stat. mens. des défaillances d'entreprises). En CYS, juin 1988 par exemple produisit quelques 3116 procédures en RJ/U enregistrées au BODACC. 59

générateurs d'inflation et de dévaluation de la monnaie, puis du déficit budgétaire chronique dans les comptes de Ia nation. Plus périlleuse encore, la modernisation de l'industrie à l'aide de la puissante robotique mangeuse d'emplois (cependant rendue nécessaire face au gigantisme des productions étrangères concurrentes) génère aussi des licenciements massifs en particulier dans les secteurs de l'industrie lourde et traditionnelle comme celles des charbonnages, de la métallurgie, du textile, des chantiers navals et de l'automobile. Mais dans cet inexorable mutation macro-économique qui réclame de lourds investissements autour de l'outil de production, c'est tout le biotope de la société d'hier qui s'est atomisé; provoquant des phénomènes d'autodéfense interne par un alourdissement des charges sociales (actuellement plus de la moitié du coût d'un salaire), mais aussi à l'aide d'écrans fiscaux pour réduire le déficit de la balance commerciale, et financer un colbertisme rampant qui asphyxiait il y a peu de temps encore dangereusement les entreprises (L'impôt sur les sociétés ayant atteint la barre des 50% de prélèvement sur les bénéfices entre 1958 et 1985).97 Conjoncturelle ou structurelle, la hausse du nombre des faillites analysée soit comme une excroissance de la compétition industrielle avec au passage la mise à mort des petits boutiquiers et artisans de foire, soit comme un symptôme d'enlisement de la macro-économie s'asphyxiant elle-même sous les effets pervers des lobbies de la finance, le XIxème siècle ressentait déjà le besoin impérieux d'intégrer la ruine des entreprises dans la pensée économique,98 jusqu'alors seulement limitée à une simple question juridique.99 De cette dichotomie manichéenne qui oppose farouchement les défenseurs de la thèse du déclin à celle d'un simple déchet naturel de croissance, il ressort inévitablement de la faillite un constat d'échec quelque part, que le 97 1986 marquant la fin de cet ahurissante progression fiscale en France. V. Les Petites Affiches n° 86 du 19 juil. 1991 p. 15 et suiv. ; "Quel avenir ~ur l'entrepreneur individuel..." de D. Desurvire. 8 Le manque d'intérêt au XVmème siècle sur la question des faillites, fut relevé par les rénovateurs de l'Ecole classique sous l'inl1uence d'Alfred Marshall (Voir; Principes d'économie politique). 99 Le recensement des faillites fut seulement rendu possible par une déclaration du roi le 13 juin 1716, qui obligeait le failli à déposer un acte de cessation de paiement au greffe de la juridiction consulaire compétente. Mais beaucoup de faillites réglées à l'amiable faussèrent considérablement le nombre réel des faillites avérées avant la loi du 1838. 60

législateur a de nouveau tenté de réduire par une loi du 25 janvier 1985.100 Cette loi apparaît désormais comme un droit nouveau qui prétend "commodatis causa" gommer l'histoire de la faillite.101 Dans cet exutoire juridique, même le mot faillite n'appartient plus au vocabulaire de la procédure. Les autorités judiciaires n'ont plus seulement pour mission de repêcher l'entreprise du désastre, mais pour priori té d'organiser dans le cadre d'un redressement la réussite politique, en préservant artificiellement l'emploi et en sauvegardant le potentiel économique de l'entreprise par occultation de la masse des créanciers. Et si l'échec est inéluctable entre 90 et 98% des cas selon les sources, la cession peut alors être organisée même si l'entreprise bradée au marc le Franc, doit détourner toute velléité résiduelle de créanciers chirographaires encore accrochés à quelque illusion. L'Insolvancy Act of 1986 propose au Royaume-Uni dans le cadre des procédures collectives, une protection plus nuancée de l'entreprise en difficulté qui privilégie davantage les créanciers encore porteurs d'une économie saine, qu'il faut aussi sauvegarder dans la chute du débiteur. Une nouvelle race d'industriels s'organise de nos jours autour des cadavres d'entreprises qui n'en finissent pas de mourir et de ressusciter: les repreneurs, pourfendeurs de la faillite et grandissimes garants de l'emploi après la purge organisée par la "curia judiciaire" autour des plans de restructuration et de compression de personnel.102 Lorsque la loi du 13 juillet 1967 se consacra à la conversion des mentalités accrochées depuis des lustres à la responsabilité inconditionnelle du débiteur physique,1°3 la 100 Relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, à laquelle se greffe une loi du 30 décembre 1988 corrélativement au monde agricole et ses difficultés d'adaptation à son environnement économique et social. 101 L'histoire de la faillite s'arrêtant là, nous renvoyons Je lecteur aux livres II et III pour y poursuivre cette analyse. 102 C'est ainsi que les créanciers de la Normed ont vu le passif apuré pour 7 F ! in Problèmes économiques n° 2.209 du 23 janvier 1991, de Dominique Michel. Par ailleurs, dans une déclaration devant la presse, Bernard Tapie se déclara le Samu des canards boiteux; tandis que ses détracteurs y voyaient plutôt un prédateur, voire un fossoyeur des entreprises en redressement. 103 « Une tradition bien établie qualifie de solvens celui qui effectue le règlement et d'accipiens celui qui le reçoit. Ces appellations son t commodes puisque les acteurs du règlement ne sont pas nécessairement le débiteur et le créancier. » in "le règlement des créances de l'entreprise" de Michel CABRILLAC, p. Il (Librairies Techniques). 61

personnalité morale de l'entreprise devint rapidement un réflexe juridique derrière lequel se dissimulent lato sensu des notions de faiblesse, d'inexpérience, d'irresponsabilité excusable,104 ou de conjoncture économico-sociale défavorable porteur de malchance; autant de critères subjectifs qui opacifient toute réminiscence de l'obligation antique que les res incorporales édictaient au rang des servitudes et de l'hérédité: Selon Paul au Digeste, le propre de l'obligation était d'astreindre la personne envers son obligé: "dare, vel facere, vel praestare." Dans l'ancien droit, le devoir (debere) envers la dette se comprenait comme une contrainte envers Dieu. Devoir et obligation employés dans les rapports commerciaux intuitu personae, ne pouvaient s'entendre autrement, nonobstant une doctrine allemande (fin du XIXème siècle) où il convenait d'isoler l'obligation de la dette, alors qu'il n'y a pas de devoir sans sanction potentielle "de debitum, vinculum juris. " Dans le sillage de la voie humanitaire de cette fin du xxème siècle, où l'indulgence côtoie le laxisme et la sagesse frise l'inconscience, le législateur de 1985 n'avait plus qu'à peaufiner le geste, rasant les derniers vestiges de la présomption de faute qui pesait sur la personne des dirigeants faillis en cas d'insuffisance d'actif, et amenant ainsi la procédure collective à une simple affaire de société. Les rapports contractuels entre débiteurs et créanciers pourraient se résumer d'un bloc dans l'expression ')ouer c'est gagner" pour devenir "épurer c'est payer !" Mais cette dernière page d'histoire évoque autant le déclin de l'Etat de droit que la corruption institutionnelle, lorsque certains dirigeants de sociétés s'allouent de copieux revenus disproportionnés avec la situation financière de leur entreprise -parfois déjà criblée de dettes,- nonobstant l'intervention trop souvent tardive des administrateurs judiciaires (art 28 de la loi, art. 52 du décret du 27 décembre 1985). Le règlement judiciaire constitue alors pour eux non une sanction de leur attitude irresponsable, mais une étape de leur enrichissement personnel. Néanmoins la jurisprudence condamne avec plus de fermeté de nos jours, les chefs d'entreprises en difficulté au motif d'abus de biens sociaux lorsque ceux-ci agissent contre l'intérêt de leur société à des fins personnelles, et dans l'insouciance du désastre social 104 Notamment lorsque cessent les aides temporaires de l'Etat sous formes d'incitations fiscales, d'exonérations de charges sociales et autres subventions pour les créations d'entreprises. 62

provoqué en retour par le déficit financier et des compressions d'emplois; pierre angulaire de la réforme de 1985. Fallait-il alors banaliser la cessation de paiement avec autant de bienveillance pour les uns et autant de mépris pour les autres? Elie Cohen dans son ouvrage "L'Etatbrancardier," fait référence au syndrome Bernard Palissy dans une sombre nécrologie d'entreprises où l'arrière-garde des dirigeants d'autrefois, parés de leur honneur, sacrifièrent tout ou partie de leur patrimoine personnel pour sauver l'outil de travail.105Tandis que les premiers ont acquis un nouveau droit exprimé de façon pamphlétaire dans la littérature juridique; comme "un droit ostensible d'échapper à ses créanciers." les seconds ont recours à autant d'artifices pour recouvrer le leur, notamment au moyen de sûretés réelles à l'instar du droit romain de rétention ou le droit de propriété lui-même. Par la réciproque de cette double prise d'otages, le juge s'emploie d'un côté à juguler l'action des créanciers dès le jugement d'ouverture de la proèédure de redressement judiciaire (art. 40 et 57), et de l'autre, les créanciers ne ménagent pas les prises de garanties en amont, comme de l'usage d'instruments dissuasifs en aval que sont les sociétés de recouvrement amiable spécialisées dans le traitement de l'impayé; aussi marginales en droit que fictives dans l'action contentieuse (cf infra 2° Part., Ch. 2ème.I, 2). Agissant par diffraction de la loi, la prévention est devenue la panacée des procédures conventionnelles; véritable trait d'union entre la force obligatoire erga omnes des contrats, et la volonté à peine dissimulée du législateur, d'endormir certaines valeurs mercantiles reléguées au second plan des priorités dans le monde des affaires. Certes, le chapitre VIlla loi du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises, ne fut pas une star sur la scène juridique, tout au plus un ersatz du concordat abandonné onze mois plus tard; celui-ci ayant survécu à plus de trois siècles de gabegies comptables et de fri ponneries souterraines entre "compère débiteur et créanciers gais," auxquels s'accommodait un troisième larron; le syndic provisoire. Tandis que le droit anglais obéissait depuis 1861 à deux procédures distinctes entre débiteurs civils et 105 A l'exemple de l'empire Marcel Boussac ou la propriétaire de Cerabati ; Mme de VogUe (Ed. CalmaI[ Levy, Fondation Saint Simon, 1989). 63

commerçants,106 que l'Allemagne disposait depuis 1877 d'une double réglementation dans le même sens,107 ou encore les Pays-Bas par une loi du 30 septembre 1893 relative à la faillite civile et commerciale, puis enfin les Etats-

Unis à la faveur d'une loi constitutionnelle sur la faillite, 108

la France -hormis le statut propre aux départements du Rhin et de la Moselle qui bénéficiaient depuis 1879 d'une procédure de faillite civile- vient de se doter le 31 décembre 1989, d'une loi *(n° 89-10 10) ménageant aux particuliers et les familles surendettées, un droit au règlement amiable suivi ou pas d'un jugement en redressement judiciaire civil. Pas plus la déconfiture qui depuis le Code Napoléon ne fut jamais explicitée en droit positif français, la loi « Neiertz »* n'a donné naissance à une vrai procédure de faillite où sont absentes les notions d'apurement ou de liquidation judiciaire. Dans un pays où le droit est réputé acquis de façon ferme (jus quaesitum firmum), le législateur semble s'effacer peu à peu; d'où le dangereux déclin des institutions édulcorées par une politique sans force, la dilution des valeurs essentielles, le non respect de l'ordre public, et l'insécurité qui en découle. A défaut de quoi, le risque est grand de voir se développer un réflexe de justice privée, où le recours à de curieuses officines de recouvrement en matière d'impayé, que ni un ordre, ni une déontologie n'assurent une garantie d'efficacité ou de probité. Suivant une théorie classique que renferment les Institutes de Justinien, les législateurs contemporains seraient bien inspirés de réécrire l'intangibilité juridique de la dette, corollaire déjà énoncé au Digeste et qui se traduit en ces termes: "L'obligation est un lien de droit par lequel nous sommes astreints à la nécessité de payer une certaine chose, conformément aux droits de notre cité. "109 106 Unification des deux procédures par la "Companies Act" de 1948. puis de nouveau scindées par une loi de 1986 (Insolvency Act.). 107 Ordonnance sur la faillite (Konkursordnung) du 10 février 1877. 108 Depuis 1800, le droit américain distingue la faillite (bankruptcy) des personnes physiques et morales, et la faillite d'entreprise (business failure) fui constitue la cessation d'activité de la personne morale. 09 "Obligatio est iuris uincu/um, quo necessitate adstringimur alicuius so/uendae rei, secundum nostrae civitatis ivra." Car jamais aux art. 1101, 1126 et 1134 du C. civ.,n'est formellement explicité -sinon au détour d'une expression- l'obligation au débiteur de payer ce qu'il doit. A la précarité des moyens extrajudiciaires du droit romain en matière de répression "ob fraudem," quid de l'obligation en droit français actuel alors que la loi de 1967 évacua définitivement le pénal de la faillite? 64

SECONDE PARTIE Diagnostic

et synthèse de l'ensemble des dispositifs relatifs aux difficultés des entreprises 110

Dans le prolongement des différents préalables de l'ancien régime des faillites (accords concordataires, moratoires amiables), nous procédérons successivement à l'étude des mécanismes d'alerte institués par les mesures de prévention et de règlement amiable des difficultés des entreprises sous l'empire de la loi du Fr mars 1984 [Chap. 1 erJ. Puis nous analyserons dans l'ordre, quelles sont les causes du désordre de la trésoreriè des débiteurs, le sort réservé aux créanciers et quelques questions procédurales. Puis en-deçà des procédures collectives, nous exposerons brièvement un panorama pratique du verrouillage des propriétés-sûretés, des recours cambiaires, de l'injonction de payer et autres formes contentieuses du recouvrement forcé; autant de moyens efficaces qui permettent parfois de contourner la lourde machine judiciaire et facilitent l'action du créancier [Chap. 2ème]. CHAPITRE PREMIER Le règlement amiable, une procédure d'alerte qui sonne l'alarme chez le créancier!

I- L'évolution d'une idée dominante à travers les textes: l'arrêt des poursuites, un temps de réflexion 1) Du côté des entreprises en difficulté: prometteur

un horizon plus

Lorsque le législateur mit en place les 1er mars 1984 et 25 janvier 1985 une nouvelle donne juridique et judiciaire dans la vie des entreprises, il avait bien évidemment l'espoir de juguler l'inexorable croissance de la faillite endémique qui 110 La loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, reprend notamment à l'article 2, al. 1er, les dispositions de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984 concernant la prévention et le règlement amiable des difficultés des entreprises, comme le premier volet de la réforme de l'ancien droit des faillites. 65

sanctionnait en particulier l'outil de production en France. Mais la classe politique dirigeante ne manqua pas dans le même temps -A des résultats augustes par des voies étroitesd'incliner son dogmatique penchant vers une certaine mansuétude à l'égard du malheur qui frappe en ricochets, dirigeants et salariés des entreprises en cessation de paiement. Pour ce faire, les créanciers devront supporter les conséquences pernicieuses des tribulations doctrinales de la loi du 25 janvier 1985 ; depuis le passage obligé de l'article 40 qui bouleverse l'ordre établi des créances et des sûreté, jusqu'au renoncement à toute poursuite individuelle après le jugement de clôture en liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif (art. 169), sauf exceptions énoncées à la suite faisant état de fraude et de faillite personnelle. La réforme du droit des faillites suscita bien avant son entrée en vigueur le 1er janvier 1986, de vives passions résultant en principal de l'engagement du législateur estimé selon certains observateurs, unilatéralement social, et qui fit reculer d'autant les sacro-saintes valeurs patrimoniales qui depuis des lustres gouvernent les usages prétoriens. En s'appuyant sur des clichés propres à flatter la rétine de l'homme de la rue, aidé en cela par l'imprégnation littéraire d'une dramaturgie hugolienne bon enfant, ou par un réalisme balzacien moins prosaïque mais tout aussi flatteur, le politique n'aura eu aucun mal à convaincre l'électeur à juger plutôt sympathique le rôle du débiteur malchanceux victime de mésaventures financières, avec en toile de fond la silhouette menaçante du créancier implacable! Certes, audelà du pittoresque d'une justice chevaleresque, les pouvoirs publics avaient aussi pour mission de réagir contre Ia dangereuse escalade des liquidations de biens en progression géométrique depuis ces dernières années. III En l'occurrence, deux pôles d'intérêts semblent avoir édicté les lois de 1984 et 1985 : En premier lieu, la sauvegarde des entreprises génératrices de l'économie nationale implique d'une part; la nécessité d'une thérapie constructive qui selon un plan arrêté en 111 11 308 L.B. en 1967,33474 en 1983. Cf: Yves CHAPUT, "Droit du redressement et de la liquidation judiciaires des entreprises," (PUF, page 24). Mais ces chiffres ne cessèrent d'augmenter encore puisqu'on dénombre en 1990 : 44 208 défaillances d'entreprises (entreprises de l'industrie., du BTP, du commerce et des services), et que cette inflation se poursuivant en 1991 atteint jusqu'à 5 000 défaillances enregistrées par mois (V. "L'entreprise," n° 74, novo 1991, p. 12). 66

période d'observation, peut déboucher vers une continuation ou une cession de l'entreprise. D'autre part, elle nécessite une protection contre l'empressement des créanciers, l'arrêts des procédures d'exécution d'où le blocage des crédits et comptes courants bancaires, ainsi que des actions en résiliation de baux commerciaux; en particulier d'immeubles affectés à l'activité des entreprises. En second lieu, le maintien de l'emploi -clé de voûte de ['édifice social et politique d'un pays- suppose que l'activité principale d'une entreprise est prioritaire.112 cette dernière réclame selon l'urgence, le sacrifice d'une partie des emplois en place pour rester cohérent dans l'esprit de sauvegarde de l'entreprise; elle-même potentiellement génératrice d'emplois dans le contexte économique d'une concentration verticale. De fait, on ne strangule plus un débiteur, on aménage sa dette de façon à préserver l'édifice social, sauver l'outil de travail et éventuellement faciliter la cession de l'entreprise en difficulté au terme d'une location-gérance prévu par le plan. 2) Du côté des créanciers:

rien ne va plus!

Si le plan de redressement peut constituer pour les créanciers un espoir de recouvrement, par l'effet d'Esope, les dangers qui découlent du maintien en survie artificielle des entreprises défaillantes, se révèlent bien plus préjudiciables à leurs intérêts, en particulier lorsque celles-ci sont tenus d'attendre longtemps -trop longtemps- la décision finale du tribunal passé la période suspecte. De plus, autour de l'entreprise en difficulté maintenue provisoirement en activité exploratoire durant la phase d'observation, le risque qu'elle entraîne avec elle -dans un tourbillon de dettes cumulées et projetées de débiteurs en créanciers successifs- des sociétés satellites et autres entreprises sous-traitantes dans l'entonnoir de cette inexorable procédure, est accru. Ces immobilisations financières contractées en série constituent dans la trame d'une économie verticale, une véritable gangrène de la trésorerie avec pour conséquences sous-jacentes; des pénalités et majorations de retard, des intérêts moratoires à calculer sur facture auxquels vient s'ajouter l'irréparable perte 112 Jean-Claude MAY s'en est expliqué en ces termes: "Le maintien de l'emploi est une priorité, mais une priorité relative soumise à l'impératif supérieure de la sauvegarde de l'entreprise," (La triple finalité de la loi sur le redressement et la liquidation judiciaires - Les Petites Affiches nOs141 et 142 des 25 et 27 novo 1987). 67

de crédibilité bancaire ou commerciale des malheureux créanciers, mis à leur tour en difficulté. Tandis que la loi du 13 juillet 1967 distinguait pour la première fois l'entreprise de son dirigeant, celle du 25 janvier 1985 marqua le départ d'une nouvelle époque; où l'entreprise devient responsable devant la propriété sociale de l'emploi. Mieux encore, le salarié nanti de superprivilèges, se pose en "créancier de l'emploi" qu'il occupe. Désigné par le comité d'entreprise, le représentant des salariés ou le délégué sera consulté, informé et pourra intervenir depuis la procédure de règlement amiable jusqu'au jugement d'ouverture en redressement judiciaire.113 Ce dernier à rang de pa11enaire dans l'ensemble des procédures collectives, et s'impose devant tous les autres créanciers même pourvus de sûretés personnelles ou réelles. Les pouvoirs économiques et juridiques de la politique contractuelle des entreprises exprimés par le mandat des salariés, ont été largement renforcés dans un curieux prolongement philosophique de la loi n° 82-915 du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel. Ces dispositions impliquent plus de responsabilité de part en d'autre des partenaires sociaux, précisément lorsque la gestion des dirigeants est mise en cause, ou encore lorsque la contestation est portée devant le ministère public et les tribunaux. Cette pénétration en force des représentants des salariés, des juridictions administratives, du pouvoir judiciaire et des nombreux spécialistes œuvrant sur le terrain, s'exerce à la limite de l'ingérence dans les affaires privées des entreprises. De sorte que la transparence comptable, financière et économique exigée aux entreprises, est susceptible à tout instant de mettre en cause les règles élémentaires du secret professionnel devant le danger permanent de la concurrence; notamment lorsqu'il s'agit de fuites intellectuelles ou d'indiscrétions sur le marché financier (cf infra). Dans l'axe de l'orientation sociale de cette réforme, un autre phénomène plus discret mais non moins significatif, aura subrepticement bousculé les mentalités. Par l'usage d'un vocable à connotation exagérément optimiste, le législateur de 1985 avait définitivement rejeté -comme pour en conjurer 113 En outre, le Comité d'entreprise ou les délégués du personnel ont la faculté de communiquer au tribunal ou au procureur de la République, des éléments susceptibles de prouver l'insolvabilité de leur entreprise (art. 4). Par suite, le Président pourra statuer sur J'ouverture d'une procédure en R.J. 68

le péril- le terme de faillite qui résonne comme un échec. A la place, le rédacteur arbora le bel l'euphémisme d'« entreprise en difficulté. » C'est ainsi que le déclama, non sans malice, le professeur Jean Paill usseau le 22 mai 1986 à la tribune du Palais des Congrès de Mendoza: "La loi des faillite est morte, vive le droit des entreprises en difficultés /"114 Par analogie, d'aucuns se souviennent encore de la loi dite "Auroux," qui voulut abolir un certain 4 AoCU 1982 le terme "chômeur," et le substitua pudiquement par "demandeur d'emploi" politiquement plus digeste. D'autres variantes terminologiques fleurissent dans les textes, mais les faits sont têtus et les mots ne sauraient masquer une réalité incontournable pour laquelle l'usage d'un placebo lingual subodorant une idée ambivalente, ne saurait réduire ni corriger la loi et la règle du langage.IIS Ainsi, "l'apurement du passif' ne désigne pas expressément une vrai procédure de paiement; ce qui à dessein sans doute, prépare les créanciers à la douloureuse finalité d'un jugement de clôture en liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif. Une sage ponctuation jurisprudentielle de la législation ajustée dans le temps, et que renforcerait une habile réglementation fondée sur la logique empirique des marchands, eût peut-être été préférable au couperet tranchant d'une réforme des valeurs ou la mise au ban d'un cenacle politique. 11- Le règlement amiable Il serait fondamentalement inique, par l'amalgame de l'ancien et le nouveau régime des faillites, de placer les législateurs successifs sur un même pied d'égalité en des époques différentes. La période dite d'expansion qui s'étend depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu'au premier choc pétrolier ne saurait s'analyser dans le même esprit que celle qui conduisit à la récession économique, ou celle marquée d'austérité qui amorça la lente reprise en 1986. L'expérience propédeutique de l'évolution du droit des affaires amorcée par la loi du 13 juillet 1967, apparaît au fil de ce dernier quart de siècle comme une succession 114 V. La Ley (Buenos-Aires, 18 juillet 1986) ; "El derecho de quiebras ha muerto i viva el derecho de las empresas en dificultades l" 115 "lus et norma loqucndi" ; Selon Horace (Art poétique), c'est l'usage qui décide en maître et règle Jes lois du langage et non Jes mots qui gouvernent la Citée. 69

d'éclosions législatives; expériences toutes animées de certitudes politiques, mais sans jamais pour autant parvenir à concilier les exigences économiques à un idéal social qui rarement s'accordent. Or l'emploi n'existe que par l'entreprise et l'économie d'entreprise est inéluctablement suspendue aux intérêts salariaux qui génèrent au rythme des turbulences syndicales, paix ou conflits sociaux. L'alternance de ces phénomènes mais leur dislocation parfois, pourraient se comparer à la phase et au négatif du courant continu, indissociables au passage de l'énergie électrique, mais dont les polarités s'opposent dangereusement. Prévention, règlement amiable, procédure d'alerte ou plan de redressement; toutes ces expressions par une conjonction de procédés, indiquent qu'il y a toujours un espoir pour sauvegarder la vie de l'entreprise en difficulté. Mais l'ensemble de ces dispositifs qui jalonnent le parcours du droit des faillites depuis 1967, modifié, réinventé et moralisé selon la logique du moment, suppose la mise en place de nouveaux moyens de rétlexion et d'engagements volontaires en amont des procédures collectives; auxquelles en aval, il appartiendra à l'headquarters administratif comme aux protagonistes politiques, d'offrir des solutions contractuelles, sinon judiciaires aux problèmes de terrain. 1) L'arrêt

des poursuites

En tout premier lieu, il convient de distinguer deux situations résultant des difficultés des entreprises: La première s'organise autour de la cessation des paiements, condition de fond de l'ouverture d'une procédure en redressement judiciaire. Regrettons au passage, qu'il n'existe plus précisément en droit positif de repère exact correspondant sous l'ancien régime au dépôt de bilan, à peine perceptible dans les termes du deuxième alinéa de l'article 3 de la nouvelle loi qui permet seulement au débiteur de demander l'ouverture d'une procédure en R.J. En l'occurrence, la faillite -terme désormais inusité- se devine dès qu'il est évoqué la cessation des paiements redéfinie aux articles 4 et 9 sur assignation ou constatation du tribunal. « Il est des expressions claires par elles-mêmes que les définitions ne font qu'obscurcir: celle de la cessation des paiement est

de ce nombre. »116 Par cette nouvelle perception doctrinale 116 Renouard : Traité des faillites et banqueroutes, tome J, 1857, 70

de la faillite, le droit perd de sa vigueur, retarde l'action judiciaire, voire désamorce celle des créanciers dans une volonté diffuse de récupération d'emploi.117 La seconde, exprimée par la loi n° 84-148 du 1er mars 1984 -à l'instar de l'ordonnance n° 67-820 du 23 septembre 1967-118 ne s'applique qu'aux entreprises qui ne sont pas encore en état de cessation des paiements, mais dont l'avenir économique et financier est compromis à court ou moyen terme.119 Mais si l'élaboration du règlement amiable conserve un cadre contractuel, nonobstant la nomination d'un conciliateur qui ressort de la seule compétence du président du tribunal, la comparaison s'arrête là s'agissant de la procédure de suspension provisoire des poursuites (Ord. abrogée au 1er janvier 1986) qui elle, réclamait une décision judiciaire. Une autre analogie adventice peut-être, mais qui résulte du déplacement calculé d'une conception juridique inhérente au droit des faillites, s'examine sous l'angle d'une thérapie dite "douce," laissant au débiteur au bord de l'asphyxie, le temps de reprendre son souffle dans un climat de confiance et d'assistance volontaire des patties concernées. Elle consiste à suspendre pendant la durée de l'accord amiable, toute action en justice y compris les poursuites individuelles. De plus, les créanciers parties dans cet accord, ne peuvent ni prendre de sûreté ni imposer des délais à peine de déchéance de leurs droits. Nous retrouvons de pareilles dispositions parmi les solutions qu'offraient notamment les accords concordataires (art. 67 et suiv.) sous l'empire de l'ancien régime, ainsi que dans les termes de l'ordonnance de 1976 susvisée, mais avec des nuances de rédaction dan s 117 Cj: Jean GUYENOT, "Qu'entend-on pas cessation des paiements dans les procédures collectives des faillites," (ill "Traité des jaillites et banqueroutes, T. l, 1857. RENOUARD). Les Petites Affiches n° 37/38, mars 1981. 118 Cette disposition qui tendait à faciliter le redressement économique et financier de certains débiteurs, institua une procédure de suspension provisoire des poursuites et d'apurement collectif du passif pour les entreprises en situation difficile mais non irrémédiablement compromise. 119 Dans une pertinente étude sur la notion de cessation des paiements: «De ]a notion de cessation des paiements» (S.J. 1934. II), Louis BEAUDOUIN s'interrogeait: .. A J'heure où la crise économique sévit avec tant de dûreté en France; à l'heure où le nombre des faillites des commerçants ou des sociétés augmentent dans des proportions considérables, il nous paraît utile de chercher pour en fixer les limites, ce que l'on est convenu d'appeler l'état de cessation des paiements." 71

l'application de ces mesures qui cependant s'accordaient sur deux constantes doctrinales: En premier lieu, l'absence de formalisme et d'intervention judiciaire dans l'espace contractuel des accords intervenus dans la masse des créanciers. En second lieu, le bon sens commandait la suspension provisoire des poursuites ainsi que de garanties qui condamnaient à coup sûr toute possibilité de règlement amiable. 2) Le règlement

amiable:

une l'éfOl'me boudée

Mis à l'épreuve des faits, le règlement amiable provoque de nombreuses incompatibilités techniques sur le terrain que la loi n'a pas la capacité de gérer. Pour des raisons que nous évoquerons à la suite, peu ou prou des entreprises privées, a fortiori publiques, adhèrent au plan de sauvetage proposé par la réforme de 1984. La question subséquente est donc posée; à savoir, s'il était nécessaire de légiférer ces accords amiables dès lors que leur contenu devait rester tacitement contractuel 7 A contrario, les libertés de manœuvre qui caractérisaient les accords concordataires pouvaient favoriser certaines indélicatesses, d'où l'admission dans la masse de créanciers de complaisance et dans l'ombre de tractations parfois assorties de chantage entre parties, la dissimulation d'actifs, ou inversement une augmentation exagérée du passif à la faveur du peu d'exigence formulée par la loi ancienne en matière d'information comptable. A cet effet, l'article 76 de la loi du 13 juillet 1976 prévoyait l'invalidation des accords concordataires dès le dol découvert. N'y a-t-il pas par ailleurs, une montée de l'immixtion administrative dans les questions de traitement des entreprises en difficulté au premier degré de la prévention et de l'entente préalable, alors que l'intervention du pouvoir judiciaire reste opportunément en arrière des négociations qui s'opèrent autour des accords amiables? La démultiplication d'organes administratifs créés par les pouvoirs publics (CODEFI, CORRI, CIRI, CCSFJ,120 sont autant d'acteurs parajudiciaires en compétition; tous pouvant prêter un concours 120 Comité Départemental d'Examen des problèmes de Financement des entreprises (échelon départemental). Comité Régional de Restructuration Industrielle (échelon régional), Comité Interministériel de Restructuration Industrielle (échelon national). Commission des Chefs de Services Financiers (Trésor et Sécurité sociale). 72

logistique ou financier aux entreprises en difficulté à leur demande, pour traiter des modalités de l'aménagement de la dette. Cette synergie déployée par les autorités administratives dans le développement d'arrangements préalables démontre si besoin était, combien l'enjeu est d'importance. Parallèlement, les instances judiciaires auront tenté de focaliser l'intérêt des parties dans une opération d'assistance sous surveillance et sub conditione, mais sans vraiment parvenir à retenir la confiance des débiteurs ou réussir à convaincre les créanciers des possibilités potentielles qu'offre le règlement amiable. 3) Les glissements possibles procédures judiciaires

des accords

contractuels

en

Le débiteur qui en toute bonne foi sollicite auprès du tribunal le bénéfice de l'article 35 de la loi du 1er mars 1984, risque par ce procédé de provoquer involontairement le redressement puis la liquidation judiciaire de son entreprise. En effet, le conciliateur nommé par le tribunal peut après examen de la situation économique de ladite entreprise, conclure à une cessation des paiements manifeste, d'où la poursuite inéluctable de l'affaire devant les tribunaux. A plus forte raison, l'appel "au secours" en règlement amiable ne saurait servir de prétexte pour retarder, voire contourner l'ouverture d'une procédure en redressement, à peine de délit de banqueroute (art. 197 de la loi du 25 janv. 1985). 0 u encore par ce procédé, il n'est pas exclu que s'organise des accords de complaisance par le biais de complicités parmi certains créanciers et aboutissant à des paiements préférentiels, ou autre infraction réprimée aux articles 402 à 404 du Code pénal. Dans son œuvre quelque peu pamphlétaire sur l'histoire d'une faillite commerciale; "Grandeur et décadence de César Birotteau," 121 Honoré de Balzac ne manqua pas de marquer les limites confuses entre l'honnêteté et la prévarication vénale qui occupe. une place bien encombrante dans l'échelle incertaine des valeurs morales: « Celui qui se noit s'accrocherait à la jambe de son père pour se sauver, et il le noit avec lui. J'en ai tant observé, de faillite! On n'est pas forcément fripon au commencement du désastre, mais on le devient par nécessité. » 121 Voir supra 1 ère partie, Ch. sec. ~-IV.

73

4) La confidentialité et le souci d'informer Le premier volet du règlement amiable repose sur la qualité de l'information. Or, un plan de redressement réclame une transparence comptable et la confiance des dirigeants pour que soient valablement échafaudées des mes ures prospectives. Mais l'information est elle-même dangereuse lorsqu'elle se mue en divulgations incontrôlées et alarmistes. Les retombées psychologiques sur les échanges commerciaux et sur l'assistance bancaire sont incalculables et peuvent ébranler de façon irrémédiable l'équilibre déjà précaire de l'édifice financier de l'entreprise en difficulté. Cependant, le droit d'alerte n'est pas destiné à inquiéter l'environnement économique de l'entreprise concernée, mais au contraire, il indique un ressaisissement des responsables et un appel à la solidarité alors qu'il est encore temps de s'en sortir. Tel est l'esprit de la loi du 1er mars 1984, mais tout autre est la réalité dès que sont connues les difficultés d'un débiteur durant le cheminement des négociations, tenues certes pour confidentielles. Comment serait-il alors possible dans ce contexte étroit -où le silence emprisonne l'information- de préserver le secret professionnel autour du dirigeant de l'entreprise, qui devra ultimum remedium compter sur la loyauté de nombreux intervenants et d'inévitables témoins. L'aide des créanciers, la confiance du comité d'entreprise, la coopération indispensable des associés, voire la patience des obligataires sont autant de facteurs sensibles à mettre au conditionnel. Mais il faudra aussi compter avec l'arbitrage judiciaire, l'habileté du ou des commissaires aux comptes, le sérieux des groupements de prévention agréés puis le concours discret des représentants des pouvoirs publics organisés en cellule de crise. Le conciliateur nommé par le président du tribunal122 a pour tâche d'associer les principaux créanciers dans un plan de sauvegarde qui nécessite: un rééchelonnement de la dette, la révision éventuelle des créances et l'abandon de toute prise de sûreté durant le parcours du règlement amiable. Les créanciers ainsi prévenus, auront le choix entre le risque de collaborer avec une entreprise défaillante sans réelles garantie quant au devenir de leurs créances, ou s'écarter prudemment de ce débiteur douteux. Pire encore, ces derniers prévenus 122 Par le tribunal de commerce ou de grande instance suivant l'article 34 de la loi de 1984. 74

d'une situation dont ils en ignoraient jusqu'ici l'existence, pourront engager contre leur débiteur suspect des mesures conservatoires immédiates dès la première échéance non honorée: Ainsi le banquier gèlera les demandes de crédit; le fournisseur suspendra ses livraisons; les délais de paiement se feront plus pressant; somme toute, le débiteur aura perdu sa précieuse crédibilité avant même que ne s'installe son insolvabilité présumée. Par l'effet inverse recherché, le plan précipitera le débiteur dans sa chute. Les sollicitations du conciliateurs, la surveillance et les investigations exercées par les professionnels du contentieux provoquent souvent un climat dépressionnaire qu'alimentent la rumeur et la suspicion. Les salariés informés par les délégués du personnel commenceront à s'agiter sous la menace de perdre leur emploi, tandis que les actionnaires les plus avisés vendront en prévision du désastre. Ni l'obligation de confidentialité posée par l'article 38 de la loi susvisée, ni le devoir de discrétion introduit dans le Code du travail aux articles L. 432-4-10 et L. 432-7 ne seraient enfermer l'information dans le seul camp retranché des techniciens spécialistes en diagnostic d'entreprise, des audits juristes ou comptables et autres praticiens du-savoir faire en matière de redressement. Aucun instrument pénal123 ne saurait davantage contenir les débordements psychologiques de l'information provoqués par le syndrome du mauvais payeur. Cette hémorragie de l'information se module et se propage selon qu'elle s'écoule entre le comité d'entreprise et les salariés, depuis les dirigeants aux actionnaires initiés, enfin et surtout depuis la démarche du conciliateur en quête de mansuétude et les créanciers qui enregistrent l'information quelque soit la réponse qu'ils réservent au plan de sauvetage solidaire qui leur est proposé. 5) L'enjeu

des créanciers

et les risques encourus

La mission du conciliateur est d'autant plus difficile qu'elle est suspendue à de nombreuses incertitudes auxquelles chaque créancier devra en peser le risque. Dans le cas d'un accord, ces derniers ont la lourde respons~bilité d'accepter de sacrifier une majeure partie de leur prérogatives s'ils veulent prétendre maintenir un potentiel de marché avec leur débiteur, et espérer ainsi sauver leurs créances 123 Article 378 du Code pénal (rappelé à J'article 38 de la loi de 1984). 75

chirographaires gravement menacées dans la perspective d'un jugement d'ouverture en redressement judiciaire. De fait, provoquer une procédure collective avec l'issue probable d'une liquidation judiciaire, profite en priorité aux créanciers nantis de privilèges et de sûretés. Mais accepter un règlement amiable dans le but de conserver un partenaire commercial, c'est aussi se soumettre aux conséquences d'un refus de coopération des autres créanciers en lice, qui eux, conserveront un droit de poursuite sur ce débiteur commun. Il s'en suit pour les créanciers parties de l'accord, un sévère affaiblissement de leur chance dans cette opération contractuelle et charitable. S'agissant des organismes publics de recouvrement, l'obtention des remises de dettes ne ressort pas a priori de la compétence d'un conciliateur à vue des dispositions réglementaires qui contingentent le Trésor et la Sécurité sociale.124 Le conciliateur est donc en position de concurrence avec les administrations qui disposent en propre, d'observatoires contentieux des dettes fiscales et sociales (voir supra note 122), plus expérimentés et antérieurs à la réforme de 1984. Observons-là, une distorsion de droit entre deux juridictions: l'une administrative qui s'exerce par la voie du financement industriel et de la restructuration économique, l'autre judiciaire qui s'exprime aux articles 34 à 36 de la loi du 1er mars 1984 pour la mise en œuvre de mesures préventives et de redressement. 6) La prévention:

"sublata causa, tollitur effectus."125

La loi du 1er mars 1984 est le fruit d'une réflexion manichéenne. Dans un premier temps, le législateur met en place des moyens de prévention particulièrement efficaces, consistant à renforcer l'information comptable, et subséquemment à élargir le rôle des commissaires aux comptes dans leur mission de surveillance et leur responsabilité dans le cadre de la procédure d'alerte instituée. Dans un second temps, le traitement succède à la prévention dès que le mal est consommé. Le règlement amiable intervient dès lors que les dirigeants de société ou toutes autres personnes de droit privé ne répondent plus aux critères

124 Décret du 24 mars 1972. Art. I. 247, livre des procédures fiscales. 125 « La cause supprimée, l'effet disparaît. » 76

définis par décret en Conseil d'Etat.126 Ces derniers ont le pouvoir de se faire assister par un groupement de prévention agréé auquel leur entreprise aura adhéré, sur convocation du Président du tribunal de commerce, pour répondre de leur situation et indiquer les mesures qu'ils envisagent pour redresser leur situation. Il ressort que la prévention peut [ou doit] s'appliquer en général à toute entreprise saine dans une économie de marché incertaine puisque soumise aux lois de la concurrence. Dans ce même esprit, la loi comptable du 30 avril 1983, la loi relative à la consolidation des comptes du 3 janvier 1985 avec son décret d'application du 17 février 1986; viennent en harmonie avec la septième directive des communautés européennes dont on peut interpréter la démarche, comme une opération préventive et ponctuelle des difficultés prévisi bles de sociétés même réputées in bonis. Contrairement à la prévention qui procède d'une information lata sensu, le règlement amiable dans l'exercice d'une thérapie de groupe, écarte de la procédure d'alerte les associés de la société en difficulté; ce qui paraît antinomique au droit des sociétés.127 Au demeurant, si le règlement amiable recèle quelques incohérences qui relèvent au premier chef, de l'incompatibilité de l'information légitime des associés avec l'obligation du secret, la prévention se préserve de toute velléité critique puisqu'elle est sensée protéger les intérêts des partenaires commerciaux entre eux, par un ambitieux programme de réhabilitation économique propre à offrir des garanties financières à la mesure des prétentions de marché des entreprises concourantes. Ces mesures comportent des obligations visant à faciliter l'accès à l'information et au contrôle dans les conditions posées par la loi et réglementées par décret. Les documents produits sont rétrospectifs lorsqu'ils répondent à une lecture de l'actif réalisable en face d'un passif exigible. Ils sont prospectifs à la lecture des comptes de résultat et du plan de financement prévisionnel. L'article 340-2 de la loi du 24 126 Art. 340-1 de la loi n° 66-537 du 24 juil. 1966 (et art. 34 de la L. 1er mars 1984) « ... sont tenus d'établir une situation de l'actif réalisable et disponible, valeurs d'exploitation exclues, et du passif exigible, un compte de résultat prévisionnel, un tableau de financement en même temps que le bilan annuel et un plan de financement prévisionnel (D. n° 85-295 du 1er mars 1985, art. SO).» 127 Cf: Paul LE CANNU, "Règlement amiable et droit des sociétés," Bull. mens. d'inf. des soc. (diet. Joly) n° 9, sept. 1986. 77

juillet 1966 prévoit que toutes les informations comptables doivent être portées simultanément à la connaissance du commissaire aux comptes, au comité d'entreprise128 et pour les S.A. au conseil de surveillance [ou au directoire]. Ces mesures illustrent la volonté du législateur qui a ainsi recours à chaque fibre sensible de l'entreprise, pour endiguer les causes éventuelles de difficultés souvent enfermées dans le silence de l'entêtement solitaire d'un"patron" ; appellation caustique mais néanmoins légendaire figure d'un dreadnought redoutable et incontesté parfois même encore à notre époque. Cette incapacité frappe le plus souvent le dirigeant prostré dans l'héritage suranné d'une autorité patriarcale qu'il ne veut pas partager, ou ne veux exposer à la critique et la mise en cause de compétences personnelles sur un terrain syndical ou médiatique. Le renforcement du rôle des commissaires aux comptes dans le périmètre de sociétés professionnelles élargies, ainsi que la multiplication de personnes autorisées à faire appel au concours d'un expert en gestion,129 sont autant de facteurs positifs qui accréditent l'initiative et l'investigation depuis l'entreprise qui conserve néanmoins son autonomie de gestion, même si cela doit se faire par le passage obligé du contrôle judiciaire.

128 Ou à défaut aux représentants du personnel. 129 Art. 15 du décret du 1er mars 1985 sur la base de l'art. 226 de la loi du 24 juillet 1966. 78

CHAPITRE

SECOND

Que devient la dette depuis la déclaration des créances à l'arrêt des poursuites individuelles? Des réponses qui sortent du cadre judiciaire En regard de l'histoire, il fallut attendre le régime du décret de 1955 pour que la faute civile soit dissociable de la sanction pénale qui rappelons-le, condamnait le failli à la déchéance puis la contrainte par corps, mais aussi à des châtiments infamants voire, la peine de mort jadis instituée par les ordonnances royales de 1560 et 1673 (voire supra livre I). Ce ne sera que progressivement que la justice allégera la sentence contre les débiteurs ruinés et accablés de dettes. D'abord sous la monarchie de Louis-Philippe 1erpar une loi du 28 mai 1838, puis sous la législature du Premier consul grâce à l'application prétorienne du concordat judiciaire. Mais ce fut la loi du 4 mars 1889 qui institua pour la première fois une procédure de liquidation judiciaire ouverte aux seuls faillites "honnêtes" ; les actions personnelles, publique ou paulienne ayant été maintenues contre les banqueroutiers. Néanmoins, pour assurer le bon fonctionnement de notre système économique, le commerce exigera toujours le maintien de mesures dissuasives contre les banque routiers frauduleux. Ainsi, d'autres moyens techniques seront progressivement mis en place tenant compte d'une sévérité tolérable en rapport à chaque époque traversée. 1- des acteurs entreprises

occasionnels

autour

des difficultés

des

1) Des professionnels du crédit L'échec de chefs d'entreprise -hormis la défaillance personnelle, d'incapacité ou de malhonnêteté- est souvent la conséquence d'une carence de fonds propres que compense de façon mal organisée, un fort surendettement. Ce pourquoi il faut discerner la responsabilité du créancier prêteur de celle du débiteur failli, en particulier lorsque le premier se rend complice par imprudence d'un apport inconsidéré de crédits consentis sans préjuger de la situation du débiteur. La responsabilité du prêteur, précisément dans ce cas de figure fut invoquée pour la première fois par un arrêt de la Cour de 79

cassation le 7 janvier 1976, qui ouvrit une brèche dans l'immunité dont jouissaient jusque là les bailleurs de fonds. De fait, certains chefs d'entreprise ont une propension morbide à se constituer d'onéreux emprunts aux clauses parfois abusives, de découverts en banque à taux d'usure, et pour ce faire, gagent ou nantissent une grande partie de leur patrimoine industrielle. En outre, les achats convenus par un pacte de type commissoire (crédit-bail, vente à réméré et autre rétrocession) ou le transfert de propriété immobilière constitué en lease back, -s'its ne sont pas le résultat d'un savant calcul d'une gestion bien ordonnée- génèrent de nouvelles charges fiduciaires incontournables. Cet état pathologique du surendettement économique crée aussi une autre forme de dépendance, dès lors que le banquier peut provoquer à tout moment, et pour des motifs que seul son intérêt commande, la cessation des paiements de son client; phénomène exogène aux difficultés du débiteur qui ne dispose que d'un actif disponible dans les limites du crédit accordé. Sauver l'entreprise est alors une affaire de pouvoir et le dirigeant mis en difficulté devra, s'il en a l'opportunité, céder le contrôle contre l'apport de participations majoritaires. Mais il peut aussi par cautionnement interposé devenir l'otage de ses créanciers, voire des cofidéjusseurs. On pourra cependant s'étonner -et les juges en conviennent- que les nombreux moyens d'investigation qui permettent aujourd'hui aux fournisseurs, administrations ou tout autres créanciers d'enquêter sur la situation d'un client et futur débiteur; notamment auprès des fichiers de la banque de France130 et de leur interconnexion avec ceux des comptes tenus par les services fiscaux (nCGRA), des services comme "info-greffe," 131 Sirène,!32 les Chambres de 130 Les établissements bancaires ont accès à un certain nombre de banques de données que gère la Banque de France. Ainsi le service central des risques comprenant les informations liées aux crédits consentis, avalistes et cautions, le fichier des incidents de paiement par chèque, le RBEN (fichier bancaire des entreprises) ; sont autant de moyens d'investigation permettant l'établissement d'une cote et d'un volume de crédit limite à consentir. 131 Une première consultation permet d'obtenir par un extrait K-bis des renseignements touchant à la constitution de la société, ses dirigeants ainsi que le bilan économique de l'entreprise avec ses ratios comptables. Une autre demande permettra d'accéder aux observations qui résultent de cette première analyse; tels que la perte du capital social, la cessation des paiements. assignations en justice elc. 132 Sirène (par minitel) est le répertoire officiel des observatoires de l'Insee où sont immatriculées toutes les entreprises de France ainsi que 80

commerce et d'industrie,l33 ou encore avec le concours d'agences de rating financier qui ont pour mission d'enquêter sur la solvabilité potentielle d'un partenaire commercial,134 que subsiste encore en si grands nombre de telles erreurs d'appréciation dans les décisions qui conduisent à l'acceptation de crédits. Certes, les méthodes modernes consistant à transférer la créance par subrogation bancaire (loi Dailly) ou par adhésion à un organisme d'affacturage, procèdent d'une meilleure garantie de recouvrement des dettes commerciales. Mais il n'y suffit plus à présent, car l'expérience jurisprudentielle a parfois jeté la disgrâce sur certaines procédures relati ves à la cession de créances, dès lors qu'elles ne répondent pas au. formalisme des articles

1690 et 2075 du Code civil.l35

2) Des spécialistes consilium fraudis

du traitements

de l'impayé

devant

le

En marge des dispositions législatives et réglementaires instituées en droit positif, l'insolvabilité accidentelle ou l'échéance d'une dette demeurée obstinément impayée -qui l'ensemble de leurs établissements. Cet instrument privilégié des relations Business to Business permet une mise à jour quotidienne des créations, modifications et radiations des entreprises, moyennant un "sirenage" (prestations contre abonnement) à un observatoire économique régional de l'Insee ou auprès d'un des nombreux rediff useurs (pas moins de douze actuellement). 133 Un fichier à actualiser (Telefirm), un concurrent à identifier (Firmexport), l'information économique des entreprises à consulter (Delphes Entreprises), sur 36 28 1992 ; avec les chambres de commerce et de l'industrie, un service permanent. 134 Ces agences de renseignement commercial spécialisées dans l'attribution d'une cote de crédit censée définir les capacités d'endettement des entreprises, fonctionnent soit sous contrat d'abonnement, soit ponctuellement sur une demande ciblée. Elles agissent dans le cadre juridique des agences de notation dont le rôle est de fournir la température financière de partenaires économiques potentiels. La recherche et le traitement de l'information s'effectuent selon certains quotas de rotation de trésorerie, des délais de paiement ou d'indices d'évolution du chiffre d'affaire; une appréciation ressortant favorable ou défavorable à l'entreprise discrètement sondée, qui déterminera le degré de confiance qu'elle est sensée mériter de son fournisseur. Cf: Olivier Lichy, "Les a~ences de rating," Les Petites Affiches n° 106 et 107 des 4 et 6 sept. 1991.

1 5 Cf: Jean-Marc HAUPTMANN,« La cession Dailly en disgrâce auprès des juges suprêmes. » Revue de jurisprudence commercialen° 2, fév. 1992, p. 45 et suiv. [Com. 22 novo 1988], Bull. civ. IV n° 317 et Com. 20 juin 1989, Bull. civ. IV n° 196. 81

n'est alors pas nécessairement consécutive à une cessation des paiements- ; expose quelquefois le débiteur à des actions marginales ou méthodes de recouvrement peu conformes à l'orthodoxie des droits nationaux. Nous en voulons pour triste exemple parmi les activités occultes déployées notamment au Japon par certaines puissances financières du syndicat du crime, le rôle économique particulièrement efficace mais peu avouable des sarakin,136 qui pratiquent à titre accessoire la profession d'encaisseur à la façon de la Camorra sicilienne. Moyennant une cotisation voire un pourcentage prélevé sur le chiffre, ceux-ci se substituent aux créanciers dans les affaires de liquidation de sociétés en faillite, en marge de la justice des tribunaux et au mépris des autres créanciers même nantis de sOretés. Aucune similitude dans la pratique ne saurait bien entendu être admise en regard de l'exercice des professionnels privés du contentieux spécialisés dans le recouvrement de l'impayé. Ces derniers exercent librement une activité licite et reconnue dans les milieux d'affaires, tant en Europe qu'aux Amériques. Cependant, la tolérance d'une telle profession, voire sa légalisation déjà acquise dans certains Etats, ne serait gommer l'impopularité et la défiance qu'inspire cette activité parajudiciaire qui semble évoluer en concurrence avec certaines attributions dévolues aux auxiliaires de justice,137 et forcer l'arbitrage entre commerçants. Soulignons par ailleurs que les sociétés dites contentieuses ou de recouvrement, n'ont pas compétence pour plaider devant les tribunaux de droit commun. Le traitement de l'impayé s'examine suivant une trilogie juridico-contractuelle bien connue138: IOle règlement amiable, 20 l'action judiciaire, 30 les voies d'exécution, domaine réservé aux huissiers de justice. Seule l'action en recours amiable est accessible aux entreprises spécialisées dans le traitement de l'impayé, dès lors que ces dernières auront été pour ce faire dOment mandatées. Il demeure que 136 Usuriers parrainés par le Yamaguchi-Gumi ; principale branche de la nipponne (V. Le Monde du mercredi 4oèt. 1989). ~~re 3 En particulier les avocats ou les conciliateurs nommés par le Président du tribunal. De fait, une disposition particulière inhérente aux juridictions consulaires dispose: que les parties ont la faculté de se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix sous réserve que cette dernière justifie d'un pouvoir spécial (art. 853 du n.c.p.c.). 138 Cf: Michel BOURGEOIS,

Les petites affiches

novo 1989.

82

- La

loi n° 143 du 29

l'article 853 du n.c.p.c. (v. note supra) ne leur confère qu'une marge de manœuvre toute relative, puisque ces mandataires ne peuvent assister leur mandant qu'en leur présence, devant une juridiction consulaire ou à défaut devant le T.G.I. (art. 175 du déco na 85-1388 du 27 déco 1985), et que cela ne suffit pas pour justifier l'existence d'une profession concomitante ou rivale proche des professions juridiques et judiciaires: quand bien même auraient-ils souhaité trouver leur place aux côtés de celles-ci après la fusion des professions d'avocats et de conseils juridiques, et la création de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif et réglementaire ou dont le titre est protégé.139 Le traitement de l'impayé présente sans nul doute un créneau parajuridique juteux dans lequel s'engouffrent toutes sortes d'officines privées. Mais l'intervention providentielle de spécialistes du traitement de la dette a parfois pour effet, soit de ruiner un peu plus certains débiteurs pris de dispositions maladroites dans la confusion de conseils mal ordonnés, soit d'ajouter inutilement des frais de traitement aux créances déjà existantes, à la charge des mandants. Riches de ces enseignements et soucieux de protéger autant les intérêts de leurs débiteurs que les leurs, les services contentieux du trésor ou de l'URSSAF écartent systématiquement de la négociation, tout intermédiaire représentant non salarié d'un débiteur, ou non détenteur d'une charge reconnue parmi les professions libérales. Le recouvrement amiable pratiqué hors du cadre juridictionnel est par définition une activité lucrative dont les services sont commissionnés sans règle précise et sans que ces praticiens présentent de réelles garanties d'efficacité. De plus, ces professionnels n'engagent pas leur responsabilité devant un ordre corporatif que protègerait une déontologie gouvernant une profession honorablement connue. Conscients de cette carence préjudiciable à leur réputation, les spécialistes du contentieux dans le traitement de l'impayé revendiquent la création d'un cadre juridique sui generis qui réglementerait l'accès à la nouvelle profession qu'il s'agirait d'entourer de conditions indispensables de moralité et de compétence.140 Actuellement organisées en sociétés 139 Loi n° 90-1258 du 31 déco 1990 et déco n° 91-1197 du 27 novo 1991. 140 Op. cil. M. BOURGEOIS, Les Petites Affiches n° 78 du 30 juin 1989 « Quelle place pour les sociétés spécialisées dans le traitement de l'impayé dans le projet de création d'une profession juridique unique. » V. égal. « Mission d'étude sur l'Europe et les professions du droit. » Les Petites 83

commerciales de service, ceux-ci ne sont pas admis à se constituer en sociétés civiles professionnelles, réservées aux professions libérales soumises à un statut dont le titre est protégé (L. n° 66-879 du 29 novo 1966). Une proposition de loi fut enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 3 mai 1989 sous le numéro 672, avec pour but évident d'évincer l'improvisation d'empiristes peu scrupuleux et sans qualification professionnelle suffisante. Demeure la question à savoir, si les débiteurs ont intérêt à négocier leurs dettes avec de tels intermédiaires, dont aucune formation académique n'est encore exigée, plutôt que recourir à l'aide offelte par la loi du 1er mars 1984 s'agissant des groupements de prévention agréés, voire l'intervention d'un conciliateur mandaté par le Président du tribunal dans le cadre d'un règlement amiable? Celtes, l'intervention de ces praticiens privés dans la pratique, relèvent bien souvent d'une action en revendication contre certaines réticences volontaires de débiteurs récalcitrants ou peu soucieux d'honorer leurs engagements commerciaux dans les délais honorables. Il ne s'agit donc pas là a priori de problèmes inhérents aux difficultés des entreprises. Ainsi; l'indécision, la mauvaise foi voire la contestation injustifiée à des fins dilatoires ou visant à abuser de la trésorerie d'autrui, nécessite et justifie amplement l'intervention de sociétés contentieuses taillées sur mesure pour ce type d'intervention dissuasive, même si ces dernières ne disposent dans les faits d'aucun pouvoir supérieur aux droits des créanciers qui les ont mandatés. A fortiori ces spécialistes de l'impayé ne sont pas autorisés à exiger auprès des débiteurs en préjudice de la dette, des frais en dommages et intérêts, et en dépit des apparences, ces derniers ne disposent d'aucune prérogative comparable à ceux des rédacteurs et attachés juridiques des services contentieux des URSSAF ou des inspecteurs des impôts. Corrélativement, la présomption d'insolvabilité organisée et la détention illicite à des fins spéculatives de créances échues et exigibles relèvent de l'article 404-1 du Code pénal.141 Chacun conscient de ses limites et des risques encourus, il ressort en général que ces tractations privées se déroulent prudemment en terrain neutre. Le risque de glissement en procédure collective qui déboucherait vers une Affiches n° 120 du 6 oct. 1989, et La revue des huissiers de justice n° 29 du 10 nov. 1988 p. 1654. 141 L. n° 83-608 du 8 juillet 1983 renforçant la protection des victimes d'infractions.

84

liquidation judiciaire avec la mise en non valeur des créances pour insuffisance d'actif. voire une faillite personnelle vide de ressources; n'offriraient pas au créancier l'assurance d'un recouvrement intégral ou pmtiel de sa créance, ou à l'opposé, d'un jugement libératoire garanti d'office en faveur du débiteur. Ajoutons que la rapidité d'exécution et l'efficacité des opérations menées par les sociétés spécialisées dans le recouvrement142 de l'impayé, conditionnent l'action des créanciers trop souvent découragés par l'incontournable formalisme procédural, d'où; la lenteur incompressible de la machine judiciaire, le destin aléatoire des créances chirographaires dans l'engrenage d'un jugement d'ouverture en redressement judiciaire, ou l'incertitude pesante de la décision du magistrat tant à la délivrance d'une ordonnance d'injonction de payer, elle-même suspendue à l'opposition légale du débiteur, puis enfin à la décision judiciaire sur le fond. Pour ce qui concerne les moyens juridiques de garantir la créance, les prises de sûreté n'ont pas valeur d'encaissement dans le monde des marchands, où la vitesse de rotation monétaire est à la mesure de la force d'une économie. Ce pourquoi la médecine douce des « privés de l'impayé» fait recette, là où le créancier devient l'otage de ses débiteurs, et parfois même lorsque la survie de l'entreprise en dépend.

II- La prise d'otage des créanciers: de la loi du 25 janvier 1985

articles 33, 40 et 47

Comme il a été perçu plus haut, l'évolution historique du droit des faillites depuis sa codification s'est toujours orientée vers un amenuisement des droits des créanciers. Mais jamais encore aucun législateur avant 1985, n'avait osé s'attaquer directement au privilège que confère une sûreté sur la créance, selon que la dette en vertu des dispositions nouvelles, est antérieure ou postérieure à la date du jugement d'ouverture en redressement judiciaire. Ainsi l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985 a dissout « la masse» de l'ancien régime au profit d'une « déclaration des créances, » et seulement celles nées en amont du 142 73% des affaires aboutissent avec succès -Source Groupe ACTIF (Action Concertée pour le Traitement des Impayés en France)- pour un enjeu de 3 I millions de francs confiés chaque année par les entreprises et les particuliers à des intervenants extérieurs, qui sont au nombre de 90 spécialistes du genre en France recensées en 1989. 85

jugement d'ouverture. L'assemblée concordataire fait place au représentant des créanciers qui ne préviendra que ceux qui bénéficient d'une sûreté ayant fait l'objet d'une publication. Mais surtout, le jugement d'ouverture suspend toute poursuite individuelle (art. 46, zème al.), interdit les inscriptions hypothécaires, les nantissements et privilèges (art. 57), alors que l'article 40 donne priorité au paiement des créances nées après ce jugement.143 Autrement dit, les créances même chirographaires postérieures au jugement d'ouverture seront payées par préférence aux créances hypothécaires antérieures à ce jugement, qui de plein droit interdit leur paiement, sauf pour retirer un gage dont le retrait est nécessaire à la poursuite des activités de l'entreprise. A cette inégalité des créances, s'ajoute le désordre des petites créances, qui dans la limite de 5% du passif prises dans l'ordre croissant de leur montant et plafonnées par décret, seront remboursables immédiatement; disposition marginale dont on saisit mal la finalité (art. 76-Zo, zème al.). Enfin les superprivilèges des salaires, les frais de justice et les prêts consentis par les établissements de crédit durant la période d'observation, seront payables dans cet ordre de priorité sur les autres créances contractées en aval du jugement d'ouverture. La cassure est nette s'agissant des dettes nées avant et après ce jugement, mais dans cette brèche demeure l'ambiguïté de dettes nées avant mais non échues à la date du jugement d'ouverture. Ce peut être le cas de cotisations de sécurité sociale, qui nonobstant l'article 56,144 sont exigibles dès lors que les cotisations -a fortiori sur la part ouvrière- ont été prélevées sur les salaires avant le jugement d'ouverture, donc portables dès l'établissement du bordereau U.R.S.S.A.F, même si ce dernier est parvenu régulièrement passé le jugement en R.J. Indissociables ou pas de la part patronale, ces cotisations ouvrières prélevées sur les revenus des salariés ne sont pas la propriété de l'entreprise. En l'occurrence, nous pensons que les cotisations payées par l'assuré devraient d'office être versées à l'organisme de recouvrement, et ne pas

143 Cf: Paul LE CANNU, "les décrets d'application de la loi n° 85-98 du 25 janv. 1985 sur le R.L.J." in le sort des créanciers au cours de la période d'observation. Bull. mens. d'inf. des soc., diet. Joly nOs2 et 3, fév./mars 1986. 144 « Le jugement d'ouverture du redressement judiciaire ne rend pas exigible les créances non échues à la date de son prononcé ... » 86

figurer sur la déclaration des créances au même titre que les cotisations patronales dues par l'employeur.145 Au-delà de la suspension des poursuites individuelles pour des actions en résolution ou en résiliation fondées sur le défaut de paiement, les créanciers subissent l'arrêt du cours légal des intérêts excepté pour les prêts conclus pour une durée égale ou supérieure à un an, ainsi que pour les contrats assortis de paiements différés (art. 55). Faut-il croire alors que ces mêmes bailleurs de fonds, qui, pénalisés sur leurs propres créances antérieures au jugement d'ouverture, seront assez naïfs pour conclure de nouveaux engagements financiers durant la période d'observation, si tant est qu'ils bénéficient d'un privilège avancé au troisième rang pour toute nouvelle créance née après ce jugement? Si cette situation préexistait déjà sous l'empire de la loi du 13 juillet 1%7 (art. 38) qui distinguait les dettes « dans la masse» des dettes « de la masse, » jamais encore l'organisme de crédit n'avait été contraint de poursuivre ses engagements avec un partenaire économique en situation de cessation de paiement. Renforçant la jurisprudence sur ce postulat jusqu'ici demeuré inébranlable, l'article 60 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, autorise la rupture par le banquier et sans délai (2° al.) de tout compte créditeur dès lors que le débiteur n'est plus en mesure d'honorer les termes du contrat, et cela en vertu de la liberté irréfragable des accords d'obtention ou de refus du crédit fondé sur le seul critère de l'intuitu personae. Force est de constater que l'arrêt du concours bancaire mis en évidence à l'article 60 de la loi susvisée -qui dispose que l'établissement de crédit n'est pas tenu de maintenir une ouverture de crédit au cas où la situation du débiteur s'avérerait irrémédiablement compromise- est en opposition de forme et de principe avec le contenu de l'article 37 de la loi de 1985. La jurisprudence dans une interprétation certes malaisée mais que conforte la 145 A conlrario la Cour de cassation (Ch. com., 8 novo 1988) a rejeté le pourvoi selon lequel l'URSSAF s'appuyait sur le fait que les cotisations dues se rapportaient à des salaires versés après le prononcé du jugement d'ouverture; et cela en application de l'art. 40. Mais il s'est avéré que ces rémunérations -par ailleurs versées par le Fonds national de garanties des salaires (AGS)- sont afférentes à une période de travail antérieure à ce jugement. Les cotisations de sécurité sociale étant l'accessoire des créances de salaires, elles ne sauraient lever l'interdiction de l'art. 33 qui défend de payer toute créance née avant le jugement d'ouverture en R.J. (V. Le quotidien juridique n° 119 du 31 oct. 1989, p. 8 et suiv.). 87

doctrine, admet selon le cas d'espèce,146 qu'il ne saurait être compris dans les termes de cessation de paiement d'une entreprise défaillante, l'abandon systématique de tout concours financier contractuel. car le redressement judiciaire n'aurait alors aucun sens. Mais on peut également s'appuyer sur l'article 2003 du Code civil qui dispose « que le mandat finit [...] par la déconfiture, soit du mandant, soit du mandataire» ; le mandat comme le contrat étant l'expression libre d'un engagement conventionnel. Il conviendra à la suite de distinguer le droit de rupture d'un compte courant de celui d'une interruption de crédit. L'article 37 de la loi de 1985 n'est pas explicite à cet égard et la jurisprudence devrait éclairer le fond mais aussi la forme de ce débat, à savoir; du domaine de la compétence, puis sur l'interprétation de l'esprit de la loi dans un contexte doctrinal où la procédure de paiement s'efface devant la procédure de sauvegarde de l'entreprise en difficulté.147 Le principe de la compétence unique du juge-commissaire qui décide du maintien du crédit bancaire consenti antérieurement au jugement d'ouverture, est désormais statué par deux arrêts de la Cour de cassation du 8 décembre 1987 : le premier pose une règle de procédure; compétence exclusive du juge, le second confirme la teneur des articles 31 et 37 en permettant la continuation des contrats en cours. Ceux-ci mêmes sont renforcés par un autre arrêts du 21 décembre 1987 qui prévient l'opposition des banques devant l'injonction du jugecommissaire de poursuivre les prestations financières durant la période d'observation.148 Ainsi la Haute juridiction dut à plusieurs reprises, prendre position sur des problèmes propres à éclairer les juges du fond et harmoniser la jurisprudence, en particulier sur la validité d'intervention du juge des référés d'ordonner l'exécution de l'obligation de faire en matière de cessation de contrat ou de rupture de 146 Cour d'appel d'Amiens; 3e Ch. civ., 30 janv. 1987. Cour d'Appel de Grenoble; Ch. des mg., 4 juin 1986, note C.-H. GALLET, Rev. de juris. corn. n° 7-8, juil.laoût 1987, p. 223 et suiv. (~ 1175). 147 Cf: J.-M. CALENDlNI, "Les conséquences de la continuation des contrats bancaires par application de l'art. 37 de la L. 25 janv. 1985", Les Petites Affiches n° 128 du 25 oct. 1989. V. égal. B. SOUSI-ROUBI, "Pour l'application de l'art. 37 de la L. 25 janv. 1985 aux concours bancaires," Gazette du Palais, 1987, 1er sem. Doctrine, p. 101 et s. 148 Cf: C.-H. GALLET, "Maintien des crédits bancaires et R.J. . La procédure à suivre par l'administrateur," Les Petites Affiches n° 28, 4 mars 1988. V. égal. la revue des Huissiers de justice du 20 mai 1988 p. 826 et suiv. in « Les revendicatÎons de compétence du juge-commissaire. » 88

service bancaire, là où spécifiquement le juge-commissaire paraît seul compétent. A la demande de l'administrateur judiciaire, le tribunal de la procédure pourra donc ordonner la continuation des contrats en cours, le maintien des comptes courants ou encore geler les clauses de réserve de propriété durant la période d'observation. La Cour suprême permet de la sorte au magistrat saisi, d'appliquer stricto sensu l'article 37 de la loi susvisée, laquelle ne connaît pas de différence entre le compte-courant et les autres contrats de prêt; prescription jurisprudentielle qui confère au juge-commissaire des pouvoirs plus étendus en matière de financement pour la poursuite des activités des entreprises en difficulté, et ceci jusqu'au jugement déclaratif. Alors que la loi ne formule plus expressément qu'il convient de procéder en priorité au paiement des créances149 -celles-ci n'étant plus considérées sur un plan égalitaire- de nouveaux passe-droits sont instaurés dès lors qu'ils obéissent à une logique à haut risque, car de nos jours 90 à 98% (selon les sources)150 des procédures en redressement judiciaire se terminent en liquidation judiciaire. Patience, charité et résignation, telles sont les veltus indispensables du créancier modèle qui devra se soumettre nolens valens aux propositions de l'administrateur judiciaire par la voie du représentant des créanciers. Tout à la fois mandataire de justice et défenseur logique des intérêts de l'entreprise débitrice, l'administrateur judiciaire fera « amende honorable» de la situation accidentelle du débiteur en état de cessation des paiements, lequel aura recours à l'aide solidaire de ses créanciers. Cette assistance a pour but d'organiser des remises de délais, de réaménager voire d'obtenir une réduction de la dette, et même la renonciation aux sûretés ainsi que l'obtention de nouveaux financements 149 Cf: V. GRELLIERE, "Les procédure instaurées par la loi du 25 janv. 1985 sont-elles des procédures collectives de paiement 1" Les Petites Affiches n° 81, 8 juil. 1985. p. 47 et suiv, 150 ln discours d'ouverture du président LAUBIE lors de l'audience solennelle d'installation du Tribunal de commerce de Nanterre le mercredi 7 janvier 1987, Selon les propos recueillis lors d'un déjeuner débat de l'association des juristes d'affaires organisé le 23 janvier 1992 autour du

thème:

«

Le redressement judiciaire sous l'empire de la loi de 1985, »

certains commentateurs déplorèrent qu'en faisant abstraction de l'entrepreneur dans ses rapports avec les créanciers, la réforme de 1985 ait favorisé le repreneur, au point de lui offrir des cessions au rabais dans des plans dits de redressement qui masquent en fait, des solutions liquidatives (V, La vie judiciaire n° 2393 du 17 au 23 fév. 1992). 89

qui à terme, peuvent se traduire par une cession prévue par le plan. Or ces généreuses concessions ne s'accompagnent d'aucune garantie valable en contrepartie, alors que le débiteur lui, reste généralement à la tête de son entreprise sous la surveillance il est vrai de l'administrateur judiciaire. Il résulte que les nouvelles dettes contractées et devenues prioritaires sur les autres, seront observées avec méfiance par les créanciers antérieurs. Nous retiendrons donc avec prudence, que la notion de "régularité" des créances nouvelles (art. 40, 10 al.) est sujet à caution selon que cellesci ont été provoquées conformément aux objectifs visés par la procédure de redressement et la poursuite durable et sérieuse des activités de l'entreprise défaillante. 111- Questions 1) Procédures

procéduraJes expéditives

Dans les premières années qui suivirent l'application des

réformes au 1er janvier 1986, les tribunaux semblaient animés d'une surprenante rapidité dans le déroulement des

procédures découlant de l'article 1er de la loi de 1985. Ainsi

a-t-on observé que les magistrats saisis d'une demande en assignation de redressement judiciaire, sur un simple délibéré de quelques heures, et ce, à défaut qu'il leur soit présenté un plan de redressement valable ou en l'absence du représentant des salariés, avaient souvent une propension à statuer le jour même en liquidation judiciaire, réduisant à un instant de raison le devenir d'une entreprise en difficulté.151 151 L'art. 139 de la loi de 1958 prescrit impérativement la désignation d'un juge-commissaire et un mandataire de justice pour procéder à l'enquête ouvrant une période d'observation, que confirme un arrêt de la 3ème Chambre de la Cour d'appel de Paris en date du 2 mai 1986. En conséquence, la Cour condamne fermement la jurisprudence des tribunaux qui avait pris position en faveur du prononcé immédiat de la liquidation judiciaire sans ouverture préalable d'une procédure de redressement. (V. note I-P. MARCHI et E. de GRANVILLIERS, Gazette du Palais des 4 et 5 juin 1989). Cependant la Cour de cassation (Ch. corn. 17 mai 1989) n'a pas méconnu les dispositions des art. 1er al. 2 et 8 de la loi de 1985 ; la Cour d'appel a jugé qu'un tribunal de commerce avait légalement par deux jugements rendus le même jour, pu ouvrir une procédure de R.J. puis prononcer la L.I d'une entreprise, après le premier jugement ouvrant par là même la période d'observation, et qu'il n'y avait aucune possibilité de redressement. (V. Le quotidien juridique n° 133,2 déco 1989). 90

La loi ne prévoyant pas de délai minimum entre le jugement d'ouverture et le prononcé du tribunal qui statue en liquidation judiciaire, ce vide juridique entre en contradiction avec la volonté initiale du législateur qui laissait plutôt présager une plus large concertation contentieuse dans le temps, en imposant le redressement judiciaire comme préalable. Comble de l'ironie, ce11ains chefs d'entreprise mis en confiance par la loi devant la justice consulaire sensée leur offrir une issue respectable aux problèmes économiques dont ils sont victimes, auront peut-être involontairement forcé leur destin dans le gouffre des liquidations judiciaires. Objet spolié, délais escamotés, force est de constater dans la pratique, que la décision du tribunal passé la période d'observation,152 aboutit parfois avant que la notification du jugement déclaratif soit parvenu au débiteur. Ainsi, dans l'hypothèse où le jugement est rendu par défaut, et que le débiteur pour des raisons légitimes n'aura pas eu le temps nécessaire pour exercer son recours, ce dernier risque alors d'être déchu de ses droits, et son entreprise inexorablement dépouillée de ses biens dans les mois qui suivront le jugement jusqu'à la clôture des opérations de liquidation judiciaire. Néanmoins, si le débiteur n'a pu interjeter appel dans un délai de dix jours suivant la parution au BODACC du jugement en liquidation judiciaire (art. 157 du déco n° 851388 du 27 déco 1985), le défendeur dispose encore de la faculté d'être relevé de la forclusion résultant de l'expiration du délai par le Premier président de la cour d'appel statuant en référé; disposition envisagée à l'article 155 du décret susvisé qui permet de surseoir à l'exécution provisoire du jugement, si toutefois les moyens invoqués apparaissent sérieux. La Cour dans le cas d'une réformation du jugement, pourrait il est vrai, infirmer la décision de première instance, mais parfois trop tard pour qu'une remise en état devienne possible si tant est qu'elle fut encore utile après la réalisation de l'actif redistribué auprès des différents créanciers (mise en œuvre des procédures de vente, adjudication amiable ou de gré à gré). En l'occurrence, si l'appel est suspensif et dévolutif, l'ordonnance rendue en matière de liquidation est exécutoire de plein droit. Il n'en demeure pas moins que le temps couru dans l'ignorance passive d'une décision 152 Qui comprend au préalable la période d'enquête sur la poursuite éventuelle de l'activité et j'analyse du projet de redressement exposé par le plan dans le cadre d'une procédure simplifiée. 91

judiciaire et qui épuise le temps légal du recours, n'excuse pas le laxisme présumé du débiteur qui ne sa urai t méconnaître l'assignation dont il fut l'objet quelques temps avant d'avoir été entendu ou dûment appelé en Chambre du conseil. Autre cas d'espèce153 envisageable lorsque le débiteur n'a pas eu connaissance de la signification du jugement d'ouverture ou qu'une assignation soit parvenue à l'adresse de l'ancien siège social du fait des formalités de transfert en cours; celui-ci pourrait dans cet intervalle commettre involontairement des irrégularités par la seule poursuite de ses activités professionnelles, nonobstant les dispositions arrêtées par le juge-commissaire. Cette infraction aveugle expose le chef d'entreprise à la sanction d'une liquidation judiciaire immédiate en vertu des articles 33 _10 al., 80 et 107 de la loi du 25 janvier 1985. Par suite, les articles 2 à 4 du décret n° 88-430 du 21 avril 1988 ont partiellement corrigé ces imperfections, d'une part en interdisant que le jugement en liquidation judiciaire intervienne rétroactivement avant le redressement judiciaire parfois prononcé le même jour, étant entendu que le jugement prend désormais effet à sa date et non dès son prononcé. D'autre part, la signification du jugement au débiteur s'accompagne de formalités de publication sous huitaine avec insertion au RODACC.154 Il est pour le moins surprenant que le législateur n'ait pas retenu une solution plus radicale qui aurait interdit que les deux jugements en R.J et L.J. soient prononcés presque simultanément, en intercalant par exemple le délai obligatoire de publicité du premier jugement avant que ne soit possible le second. Mais doit-on comprendre que l'insertion au RODACC préfigure cette condition? Certes non puisque dans les faits, de nombreuses procédures en R.J. sont occultées par les tribunaux qui de piano, excellent dans la liquidation expéditive des entreprises en difficulté. En doctrine les avis sont partagés, à savoir; sur la nécessité d'engager systématiquement deux procédures

153 Gazette du Palais Zème sem. 1986 p. 723 : "II ne faut pas prononcer la li~uidation judiciaire immédiate," par M. CREHANGE. 1 4 Cf: C.-H. GALLET, "Le toilettage de la législation de 1985," Les Petites Affiches n° 80, 4 juil. 1988. 92

lourdes et coûteuses,155 en patticulier lorsque l'entreprise en cessation des paiements a cessé toute activité ou lorsqu'aucune solution de redressement n'apparaît possible dans l'immédiat ou à terme. Tels sont les arguments contenus dans le jrojet de loi émis par la Chancellerie fin mars 1987,15 en modification de la législation de 1985 et qui avait pour ambition de transformer la liquidation judiciaire en une procédure autonome, et non qu'elle demeure obligatoirement le prolongement du redressement judiciaire. Mais il eut été surprenant que le législateur -quoique issu alors d'une autre sensibilité politique- retiennent une disposition de nature antinomique au principe de fond qui gouverne la loi de 1985 ; dont l'exégèse inhile les effets pervers de l'article 7 de la loi du 13 juillet 1987, et qui avait aussi pour conséquence désastreuse d'expédier à la hâte les procédure en liquidation des biens, à défaut d'un concordat sérieux sans préalable aucun de règlement judiciaire. Cependant dans la pratique de la nouvelle loi, il est fréquent que les entreprises placées en RJ. ne soient pas davantage capables d'honorer les nouvelles échéances, après ou dans l'intervalle de l'homologation du plan. D'autres inscriptions de privilèges et d'hypothèques viennent par conséquent alourdir un peu plus le contentieux des dettes déjà existantes. De nouvelles assignations sont alors engagées et pour en finir, faute d'anticipation et dans le chaos invraisemblable de vaines hésitations, le juge-commissaire n'aura alors d'autre alternative que de prononcer la liquidation judiciaire immédiate (l'article 36 précise: A tout moment). 2) Les tribunaux: compétence « La juridiction

compétence de connaître

normes de procédure et règles de est le pouvoir que posssède d'un litige.

»157

Faut-il

encore

une qu'il

155 M. Pierre ESTOUP dans son commentaire de J'arrêt de Versailles du 16 dépenser les fonds yub1ics. » 56 Ce projet de refonte de la loi par la Chancellerie est toujours à l'ordre du jour, mais ne semble pas encore assez mûr pour figurer parmi les priorités politiques du Gouvernement. (Propos recueilJis dans le cadre d'un séminaire du 12 fév. 1992 ; FIDALlJurisclasseur sur les droits et obligations des créanciers dans les procédures collective). 157 Ainsi que le rappela Dominique VIDAL dans son exposé durant la journée nationale du 28 mars 1987 lors du colloque organisé par le CRASEFE et la Ch. de corn. et de l'indust. de Nice/Alpes maritimes.

juin 1986 ajoute: « qu'il ne faut pas inutilement

93

existe suffisamment de tribunaux consulaires sur le territoire français pour traiter ratione materiae des contestations entre commerçants; ce pourquoi les tribunaux de grande instance exercent à de nombreux endroits cet office comme le prévoit l'article L. 311-3 du Code de l'organisation judiciaire. Or le Garde des sceaux s'est déjà exprimé sur la volonté de créer un tribunal de commerce par circonscription juridique, et restituer ainsi sa pleine efficience à l'article 631 du Code de commerce s'agissant de la compétence spécifique de cette juridiction d'exception. Sur ce point, une dissymétrie juridictionnelle majeure apparaît entre ces deux types de tribunaux civils: 1° Les tribunaux consulaires se distinguent par le caractère socioprofessionnel des magistrats élus par un collège restreint et qui ont vocation naturelle de « juger les leurs. » 2° Les T.G.I. issus des juridictions de droit commun et présidés par des juges de carrière, n'ont d'autre vocation que d'administrer

la loi, certes avec compétence mais prosélytisme parfois. Procédant de la même cause, l'absence locale de tribunaux spécialisés appelle une polyvalence judiciaire de substitution mal ciblée sur un terrain professionnel, voire-même inadaptée à la communauté des marchands. La compétence d'attribution des tribunaux de commerce s'exerce lorsque l'une des parties est une personne physique ou morale commerçante ou artisan. Tandis que le tribunal de grande instance est juge dans les autres cas, s'agissant notamment de personnes morales de droit privé noncommerçantes. Par extension, il ressort que les tribunaux de commerce ont compétence pour juger des litiges entre noncommerçants -et cette tendance s'affirme- dès que l'affaire relève d'un acte de commerce de jure et facto dans l'énoncé du 3° al. de l'art. 631 du Code de commerce. Un deuxième point alimente bien davantage la confusion judiciaire en matière de compétence d'attribution selon une variante sélective qui distingue les tribunaux de première ou de deuxième classe, et suivant qu'il s'agit d'une procédure simplifiée ou d'une procédure générale158 pour les entreprises qui emploient plus de 50 salariés et dont le chiffre d'affaire hors taxe atteint annuellement le plancher de vingt millions de francs (art. 1er du déco n° 85-1387 du 27 déco 1985). Dans ce dernier cas, les tribunaux de première classe 158 Dans la pratique, les procédures simplifiées sont les plus courantes, tandis que les procédures dites générales relèvent plutôt de l'exception (à peine 10% des cas). 94

sont seuls compétents pour ouvrir une procédure en R.J. A l'inverse, tous les tribunaux sont compétents pour juger des entreprises qui n'atteignent aucun de ces seuils; les plaçant d'office dans le cadre d'une procédure simplifiée. Or la polémique s'installe dès qu'une entreprise n'atteint pas cumulativement ces deux seuils, ce qui selon toute logique159la place de droit dans le contexte d'une procédure générale. Mais à cet endroit, la compétence unique des tribunaux de seconde classe n'apparaît pas évidente à vue de l'état de la jurisprudence actuelle.160Cette discordance entre types de procédure [générale ou simplifiée] et le conflit de compétence entre tribunaux [de 1re classe et de 2ème classe] peut s'expliquer: Primo parce que telle entreprise de service en difficulté, même pourvue d'un chiffre d'affaire modéré, risquerait dans sa chute de provoquer une déstabilisation locale en rapport à l'amplitude des emplois qu'elle occupe. Secundo parce telle autre entreprise financière ou de négoce en cessation des paiements. donc sans grand potentiel de salariés, pourrait faire basculer l'économie d'une petite communauté rurale eu égard à l'importance de son chiffre commercial. Ces deux cas de figure démontrent l'importance que revêt la norme de procédure ainsi que les règles de compétence, selon les catégories justiciables dont l'impact socio-économique ne doit pas être seulement considéré sur les seuls critères juridiques et réglementaires. 3) Les groupements d'entrepl'ises soulèvent des problèmes de compétence territoriales des juridictions saisies La juridiction compétente sur le plan territorial se situe naturellement dans le ressort du tribunal duquel dépend l'entreprise débitrice. Quelques exceptions dérogent à cette règle, à savoir si le dirigeant est déjà soumis à une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire pour une autre affaire. Ce dernier sera alors poursuivi devant le tribunal d'origine. De plus, si le déplacement territorial -qui s'en suit généralement d'un surclassement de la juridiction saisiel'exige, la procédure transmise pourra s'engager soit distinctement pour différentes sociétés d'un groupe. soit lorsqu'il y a présomption d'un faisceau de responsabilité de la 159 Art. 2,30 al. de la L. du 25 janv. 1985 160 Agen, 12 mars 1986, la Cour réforme un jugement sur la compétence d'un tribunal de deuxième classe en vertu des articles 2_30 al. et 7 de la L. du 25 janv. 1985. 95

faillite dans le cas de sociétés fictives, de verrouillage d'autocontrôle et de confusion du patrimoine.161 Une procédure unique sera alors constituée dans le but de centraliser les éléments du patrimoine d'affectation, disséminés dans le périmètre d'une concentration ou d'un conglomérat d'entreprises tissées entre-elles par des liens de subordination et d'ententes illicites. Le groupe de sociétés -qui ne détient pas en France de personnalité juridique-162 ne saurait être placé en redressement judiciaire. Cependant dans ce flou juridique, l'absence d'autonomie des personnes morales conduit la jurisprudence à reconnaître la confusion des patrimoine et admettre que la personnalité morale existe du seul fait de l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés.163 Mais cette constatation n'exclut pas la recherche et l'identification du contrôle164 dans le cadre d'une procédure collective, notamment dans les cas de participation majoritaire et de filiation; a fortiori puisque la loi de finances 1988 a assorti l'impôt sur les sociétés d'une combinaison des éléments positifs et négatifs des résultats d'exploitation au bilan général des entreprises détenues et dominantes entre-elles. IV - Des moyens

pour contourner

les

procédures

collectives Selon Pascal, l'homme n'était rien moins que le néant à l'égard de l'infini. Faut-il craindre que les 500 000 entreprises abandonnées par leur dirigeant frappé par l'âge 161

En particulier

s'agissant

de participations

réciproques

bien

que

réglementées par la L. n° 85-705 du 12 juil. 1985. 11est parfois difficile de déterminer qui détient le contrôle dans une société dominée à travers les maJorités participatives et les pouvoirs dévolus à une assemblée. 16 A l'exception des G.LE. ou G.E.LE. et autres groupements de sociétés civiles (G.A.E.C., G.F.A.). 163 L'obligation pour faute de la société mère aux dettes de sa filiale (Cass. corn. 5fév. 1991) et note Y. CHARTIER, Rec. Dalloz Sirey 1992, 3e cah., p. 27 et 28. 164 Sous l'empire des lois antérieures, le régime de droit commun prévalait sur celui du droit des faillites en matière d'imbrication de patrimoines sociaux d'entreprises en état de cessation des paiements, dès lors qu'il apparaissait une causalité réciproque de dépendance et de contrôle économiques illustrée par la jurisprudence du tribunal de commerce de Paris du 4 juin 1984: affaire A.M.R.E.P., J.c.P. 1984, 1\.20273 (J.-J. DAIGRE, op. cil., note 2). 96

de la retraite durant la décennie qui s'écoule,165 soient promises à disparaître; absorbées par le vide institutionnel du droit des successions des personnes morales? N'existe-t-il vraiment rien d'autre à offrir aux entreprises pour échapper à la dispersion notariée d'une donation-partage, que la cession de contrôle par un holding, ou encore le rachat de l'entreprise par les salariés; c'est-à-dire une prise de pouvoir forcée par les évènements plutôt qu'une transmission contractuelle consentie du patrimoine professionnel? La technique du trust anglo-américain en est une variante, qui, sans léser les ayants droit à la propriété, permettra à l'entreprise de perdurer au moins un celtain temps, le temps peut-être qui sera nécessaire à l'exploitation de sauver l'âme et l'unité de l'entreprise; d'où son savoir-faire, son tissu social depuis les organes de gestion au pouvoir de management. 1) Le concept de fiducie et son histoire « Si la fiducie n'existait pas, il faudrait l'inventer! » C'est probablement ainsi que les héritiers du droit français

deviseront dans quelques lustres à propos de la fiducie. 166 Or de nos jours, la fiducie devenue un phénomène contemporain mondial, s'emploie depuis fort longtemps dans le monde des affaires; d'autant que de nombreux praticiens ont recours aux trusts domiciliés à l'étranger. Mais comment l'envisager différemment en droit privé; d'une tutelle, d'une gérance ou bien encore d'un contrat de louage? D'ores et déjà, on compte pas moins de trois mobiles qui pourront conduire les français à faire appel à la fiducie : L'un comme moyen de sûreté, l'autre comme instrument de transmission de patrimoine ou d'entreprise, et le dernier pour monter des opérations de tritisations et de gestion de trésorerie.167 Par suite, il faudra initialement cerner l'usage familial de la fiducie lorsqu'il s'agit de transmettre un 165 A ce propos, les thèmes assez proches des 86e et 87e congrès des notaires de France sur « La transmiss'ion des entreprises» et « Le

patrimoine privé, » militent sérieusement pour une reconsidération de ce phénomène de glissement entre deux générations d'entreprises de l'aprèsyuerre, 66 C'est ainsi que deux siècles après sa disparition (V. infra dans le texte), un projet de loi (A.N., n° 2583) vient d'être déposé sur le bureau de l'Assemblée Nationale visant à rétablir la fiducie en droit positif et succédant ainsi aux coutumes et usages de l'Ancien droit. 167 Sur ce chapitre, la cession de créances à titre de garantie connaît un essor mondial mais avec de nombreux particularismes nationaux. 97

patrimoine privé, de l'utilisation de la fiducie propre au monde des affaires dès lors que cette transmission s'exercera sur un patrimoine social et professionnel. Mais on devine déjà d'autres possibilités d'emploi de la fiducie168 au détour d'une neutralité fiscale recherchée par certains, de defeasance clause pour d'autres.169 L'examen sémantique de la fiducie ouvre bien au-delà d'une simple parenthèse, la richesse potentielle d'une grande institution qui viendrait s'intercaler entre la voie de l'héritage classique au sens de l'article 718 du Code civil, et la théorie du patrimoine d'affectation indivis exposée dès le xvnème siècle par d'Argentrée.170 A la faveur d'une approche analogique de l'histoire, il est toujours surprenant de découvrir les origines de toute chose qui, enveloppée dans son voile de mystère, nous interroge dans la dimension présente; serait-ce par le regard déformé de nos mentalités sans cesse modifiées à travers les couches successives de la société des hommes.171 Ainsi, lorsque le 168 Entre autres, par la constitution de fonds artistiques et culturels, le mécénat d'entreprise. 169 L'utilisation de la fiducie dans les opérations de defeasance pourrait à cet usage constituer une condition résolutoire expresse entre cocontractants. [Rappel de l'exposé de Jacques Paultre de Lamotte Ie 1er juillet 1992 - Maison de la Chimie à Paris: journées d'étude organisée par l'Institute for International Research.] 170 Cette idée plusieurs fois séculaire ayant bien évidemment évoluée, il faut admettre que l'affectation d'une masse de biens n'est plus nécessairement et exclusivement liée à la personne qui en dispose, ainsi qu'il fut exposé dans l'axe de la doctrine classique d'Aubry et Rau. En effet, cette universalité juridique désormais éclatée, peut s'étendre désormais à plusieurs patrimoines différents dès lors qu'il s'agit de répondre à un but que la conservation et l'administration des biens commandent. Le contrat de fiducie correspond à cette logique en considérant que l'affectation a ses limites dans le temps -donc pénétrée d'une condition- tout en conServant son caractère intuitu personae. (V. notam. « El patrimonio dei deudor y los derechos del acreedor, » de Marcelo U. SALERNO; Buenos-Aires, Abeledo-Périot, 1974, n° 46, p. 54). 171 Claude WITZ rappelle notamment dans son rapport introductif au colloque organisé le 29 novembre 1990 au Centre d'Etudes juridiques français de l'Université de la Sarre, (V. Bull. Joly, 1991 n° 4 bis) que cette figure juridique de la fiducie trouve ses racines dans l'Egypte des Pharaons, dans la Grèce antique mais aussi dans l'ancien droit musulman ainsi qu'au Japon quelques 500 ans avant notre ère. L'auteur ne manque

pas de citer comment Molière mit en scène un montagejuridique dans « Le

malade imaginaire, » vielle pratique fiduciaire époque (Acte I, scène VII). Enfin la Congrégation trouvé d'autre méthode pour protéger le label procéder par des actes de cession successifs au 98

encore en usage à cette des Chartreux n'avait pas de leur liqueur, que de profit d'un moine de leur

jurisconsulte Gaius exposait dans ses Institutes l'action qui consistait à emprunter; le contrat qui en résulta procèdait au transfert de la propriété d'un bien, chose consomptive ou corps certain, de telle sorte que le dépôt ou le prêt ainsi effectué à charge de retour, apparaissait comme la première définition de la fiducie.172 Par suite, Justinien en défa~era une autre version à rapprocher du gage [pignus] 7 et distincte du prêt à usage [commodatum] ou du dépôt [depositum]. Si le terme fiducie nous vient du latin fides qui signifie "confiance," ce premier tire cependant sa véritable définition des expressions « in jure cession» et «mancipatio familiae». Ces formes de mancipation ou d'usucapion fiduciaire,l74 ont l'avantage d'apporter un contour juridique au contrat de fiducie, qui lui-même permit plus tard de donner naissance à des actions civiles et prétoriennes.175 Les principales applications de la fiducie furent employées à des fins de sûreté par le biais d'une translation de la propriété d'un bien.176 Mais on constata à la lecture du "Digeste," que l'aliénation fiduciaire pouvait aussi au résulter d'une sorte de commodat ;177 permettant propriétaire, de placer pour un certain temps en sécurité un bien lui appartenant, et d'en espérer ainsi la restitution une fois passé le danger. Ce prêt gratuit ressemble fort bien dans sa version contractuelle primitive à un pacte de fiducie, dès lors qu'il s'agit véritablement d'un transfert de propriété.

communauté. à l'affectation fiduciaire constituait le secret de fabrication.

172 « Datio fiduciae causa.

»

du patrimoine

incorporel

que

Ce mode de transfert s'accompagne d'une

action de bonne foi dans les contrats réels. L'époque classique connut dans le silence des mots, un certains nombre de pratiques résultant de la tradition; dont J'action fiduciae qui fut réputée infamante selon Cicéron (De off., III, 61). 173 L'action pigneraticia in jus est à rapprocher de l'action hypothecaria. 174 « Usureceptio fiduciae.» Dans J'ancien droit, )'usucapion permettait à une personne qui avait aliéné son bien par un pacte de fiducie, d'en retrouver la propriété une année plus tard sans qu'il n'ait été formulé un

contrat de bonne foi. (Voir:

«

Droit romain et ancien droit des

obligations» de A.-E. Giffard et Robert Villers; Précis Dalloz. p. 87 et suiv.). 175 « ln factum» et « in jus. » Actions cependant inconnues de Gaius et Cicéron. (Op. cit. Dalloz, p. 91). 176 La« fiducia cum creditor. » 177 La «fiducia cum arnica. » 99

Dans l'axe du décret révolutionnaire des 25 octobre et 14 novembre 1792 et des immortels principes de la Constituante, l'article 896 du Code Napoléon abrogea toutes les formes de substitutions testamentaires ou de donations entre vifs: «Toute disposition par laquelle le donataire, l'héritier institué, ou le légataire, sera chargé de conserver et de rendre à un tiers, sera nulle, même à l'égard du donataire, de l'héritier institué, ou du légataire. » Le législateur impérial avait le choix entre consolider des pratiques empiriques tenant plus de la tradition que des lois écrites, ou d'en prohiber la forme initiale issue du droit romain et ses dérivés; mais en condamnant du même coup un formidable instrument juridique que la France redécouvrira deux siècles plus tard. Les conséquences économiques de la loi successorale sur l'outil de production, sans déconsidérer les répercussions catastrophiques sociales et affectives qui en découlent, n'ont d'autres effets que provoquer l'indivision ou hacher menu l'actif de la petite entreprise familiale. En substance; comment est-il encore possible de nos jours, d'hériter d'une entreprise comme d'une armoire normande en la vidant de son linge, comme il en serait du personnel laissé-pourcompte d'un odieux partage entre héritiers réservataires ou autres légataires étrangers aux affaires privées de ladite entreprise ainsi dilapidée par mort naturelle 178 ou mort civile ?179 a) Généralité

en droit privé

Nous avons aperçu plus haut certains aspects originels de la fiducie antique qui répondait tant au besoin de préserver les intérêts des créanciers que de protéger un patrimoine dont le propriétaire tenait provisoirement à se délier pour se prévenir d'un danger durant son exode, en l'occurrence contre une éventuelle spoliation de ses biens ou d'un jugement pouvant le frapper d'ostracisme. 178 On comprendra mieux la portée de ce nouveau gisement juridique français. qui permettrait de confier à un fidéicommissaire, en quelque sorte subrogé tuteur pour une durée et un but déterminés, "entière et indivisible propriété d'une entreprise en fiducie. Cet intervalle nécessaire à une conservation régentée du patrimoine sous contrat, réduirait les problèmes inhérents à l'incapacité temporaire d'un héritier mineur ou inexpérimenté, pour le compte de qui le fiduciaire aurait la charge d'agir et de rétrocéder au terme dudit contrat. 179 La mort civile fut abolie par une loi du 31 mai 1854. 100

Les motifs ont certes changé mais l'institution de la fiducie répond cependant à des besoins pas très éloignés puisqu'on considère plus que jamais en regard de la loi du 25 janvier 1985, qu'elle peut constituer une sfireté réelle en garantie d'une créance. Par ailleurs, on n'écarte pas davantage de nos jours les effets pervers d'une succession civile à vocation universelle par voie d'héritage, d'une fabrique industrielle ou d'un commerce traditionnel avec son patrimoine social et ses salariés; tous sacrifiés dans un impitoyable copartage néanmoins légitime. Le mécanisme qui découle de ce projet se définit comme un acte juridique qui permet à une personne; le fiduciant, propriétaire d'un bien corporel ou incorporel. de transférer à une autre personne, le fiduciaire, le droit patrimonial dudit bien à charge de rétrocession.180 Cette aliénation fiduciaire peut être assortie d'une série d'obligations dont on retient au premier chef le délai au terme duquel le fiduciaire à son tour devra céder le patrimoine au fiduciant, ou à un tiers bénéficiaire désigné par ce premier. Cette fiducie créée aux fins de gestion suppose aussi l'obligation au fiduciaire, d'avoir dans la limite de l'exercice prescrit, à gérer le patrimoine d'affectation qui lui est confié, dans l'intérêt du fiduciant ou du légataire désigné par celui-ci. Dans le cadre d'une fiducie-sfireté, le fiduciaire aura aussi le devoir de rétrocéder le bien dès l'extinction de la dette. Au cas où la dette ne serait pas honorée suivant les clauses définies par ce contrat, le constituant de cette sfireté se verrait automatiquement désintéressé par la réalisation ou la conservation judiciaire du patrimoine détenu (art. 2062, 3° alinéa du projet de loi). Gageons que l'aliénation fiduciaire en garantie, servira davantage à lever les obstacles dressés contre les créanciers nantis, plutôt qu'elle ne répondra au 180 Le futur article 2062 dispose:

«

La fiducie est un contrat par lequel

un constituant transfère tout ou partie de ses biens et droits à un fiduciaire qui, tenant ces biens et droits séparés de son patrimoine personnel, agit dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires conformément aux stipulations du contrat. » D'autres définitions ont éclairé le législateur dont celle publiée par l'Association Henri Capitant (V. vocabulaire juridique, P.U.F., sous la direction de G. Le CORNU, ou encore celle de M. GRIMALDI (V. bibliographie in fine) qui explique la fiducie comme un mécanisme abstrait à utilités multiples; dont le transfert de propriété serait doublement limité dans sa substance eu égard aux restrictions contractuelles qui s'y rattachent, et dans sa durée de vie limitée. Cependant, le but atteint n'emporte pas le terme comme pour une association, et inversement le terme sera inéluctable même si le but n'est jamais atteint.

101

besoin d'assainir certaines pratiques de sûreté prohibées comme le contrat pignoratif.181 La fiducie-libéralité relève d'obscures intentions dont on ne saurait valablement en décrire tous les aspects, car ceux-ci ressortent davantage a priori de considérations particulières ou d'arrangements de famille que de motifs proprement altruistes. Dans une première approche, elle se distingue de la réserve d'usufruit inter vivos -donc à titre gratuit- qui confère au donateur le pouvoir sans l'avoir, et par définition l'inverse au donataire. Cette utilisation de la fiducie n'a d'autre vertu que d'engager une transmission temporaire de biens; à distinguer du legs qui revêt un caractère définitif, ou du prêt qui ne restitue pas un droit absolu de propriété. Cette disposition contractuelle crypto-testamentaire pourrait bien avoir quelque part des effets abolitifs sur la succession légale. Quid du danger que fait courir le fiduciant à ses héritiers nonobstant la confiance qu'il témoigne au fiduciaire? Celui-ci pourrait dans cet intervalle, être tenté de dépenser sans grand risque pour lui-mêmel82 tout ou partie du patrimoine avant sa restitution, ou se retrancher derrière le juge protecteur d'une faillite civile ou commerciale183 ; nonobstant le contrôle juridictionnel prévu par le rédacteur du projet de loi (Art. 2072 du projet) en vue de préserver les intérêts des bénéficiaires et l'application de l'article 408 du Code pénal qui institue le délit d'abus de confiance. Plus réaliste, la fiducie telle qu'elle fut envisagée par la Chancellerie doit à terme prévenir un soucis national, puisqu'on suppose que dans les dix années à venir, la succession sera le problème d'une entreprise sur quatre. Ainsi, l'espace occupé par la gestion fiduciaire d'une société de capitaux en particulier, devrait permettre au dirigeant de se choisir un successeur temporaire et compétent, dans l'attente qu'un proche héritier majeur ait atteint un niveau 181 Ou pacte commissoire qui autoriserait le créancier à s'approprier le gage sans qu'il lui soit ordonné en justice de le conserver ou d'être vendu aux enchères publiques à son profit. (art. 2078 du C. civ.). 182 A fortiori si le fiduciaire n'est pas soumis à l'article 8 du Code de commerce; donc non assujetti à l'obligation d'établir des comptes annuels. De plus il ressort du futur article 2067 du Code civil: que les biens et droits transférés au fiduciaire forment une masse séparée dans le patrimoine du fiduciaire; disposition qui met à J'abri Jes propres biens de ce dernier contre une éventuelle faillite personnelle (ou procédure en comblement du lassif) de la gestion du patrimoine en fiducie. 83 Lois du 25 janv. 1985 et du 31 déco 1989 que d'aucuns qualifient de lois scélérates!

102

d'études souhaité ou ait répondu à un certain nombre de garanties personnelles. De sorte, sous l'empire du droit successoral actuel, le risque est grand qu'un héritier réservataire mineurl84 mis sous la tutelle d'un administrateur, devienne trop rapidement majeur, c'est dire que cette majorité civile acquise de plein droit pourrait être employée avec maladresse et insouciance au détriment de la matière vivante de l'entreprise; en l'occurrence ses actionnaires et son personnel. En outre, la gestion indivise d'une société commerciale est souvent promise à de graves difficultés décisionnelles qui pèsent sur le gérant et la bonne marche des affaires. b) Protection des biens et contrôle jul'idictionnel La protection des biens peut se concevoir en trois volets; primo celui des créanciers du fiduciant, secundo celui des héritiers réservataires et tertio celui du patrimoine fiduciaire ou par projection celui du ou des bénéficiaires voire du constituant lui-même. Or, aucune publicité d'ensemble ayant été prévue au contrat de fiducie, on ne retiendra en cas de litige que la bonne foi du fiduciaire ès-qualités. En effet, le caractère intuitu personae du contrat de fiducie-gestion ne constitue pas en lui-même une garantie sur les créances rattachées au patrimoine, et ne laisse aux tiers victimes d'un dol ou d'une fraude, que le recours aux règles de droit commun. En amont de la cessation des paiements et précisément pour déjouer toute organisation volontaire d'insolvabilité, il conviendrait avant d'entériner ce projet de prévoir un droit d'opposition des créanciers, tout en élargissant la publicité obligatoire limitée selon l'article 2070 futur, aux fiducies qui porteraient sur des droits et biens dont la mutation est soumise à publicité.185 En l'occurrence, le recours à l'action paulienne défini à l'article 1167 du Code civil, permettra au créancier lésé d'obtenir l'annulation du contrat de fiducie sans qu'il lui soit nécessaire d'apporter la preuve de la mauvaise foi de son débiteur (le constituant fiduciaire), dès lors qu'il est admis que ce dernier aura contracté la fiducie en période de 184 Que l'on ne peut déshériter ou retenir en curatelle dans des proportions suffisantes sans que les libéralités portent alteinte à la réserve; disfsition propre à préserver les règles d'ordre publique. 18 Sur proposition du C.N.P.F. V. l'arl. d'Alice PEZARD ; Les Petites Affiches n° 64, 27 mai 1992. 103

difficulté financière avec ses créanciers, et a fortiori si ce dernier tombe sous le coup d'une procédure collective. L'article 107 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises dispose: « Sont nuls, lorsqu'ils auront été faits par le débiteur depuis la date de cessation des paiements, [...] tous les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière. » La protection des héritiers réservataires est généralement assurée par le contrat qui ne saurait déroger aux règles d'ordre public, puisque la fiducie s'insère selon les termes du projet, dans le droit des successions et des libéralités sans en modifier l'ordonnancement. S'il en était autrement, les défendeurs auraient le pouvoir d'exercer une action en réduction afin de reconstituer la réserve que de telles libéralités auraient entamée; et ceci avant la réintégration totale du patrimoine successoral au terme du contrat de fiducie.186 Lorsque le patrimoine fiduciaire est en péril, ou qu'il existe un conflit entre les droits concurrents, le projet prévoit un arbitrage juridictionnel. Les contestations pourront porter rétroactivement sur la probité, l'honneur ou les bonnes mœurs du fiduciaire,187 ou en cas de manquement grave de ce dernier à ses devoirs. Le juge pourra alors; dessaisir le fiduciaire à la demande des défendeurs et désigner à sa place un administrateur provisoire, remplacer le fiduciaire jugé incompétent ou indigne, ou encore mettre fin à la fiducie pour cause de décès188 ou de liquidation judiciaire du fiduciaire. L'article 59 du projet prévoit même une action

186 Le texte prévoit les modalités d'application des articles concernant le calcul de la réserve disponible (art. 922 du c. civ.) et la réduction des libéralités (art. 925 du c. civ.) s'agissant de la fiducie ; ill. p. 7, exposé des motifs. 187 Madeleine CANTIN CUMYN dans son étude [Recueil Dalloz Sirey; «L'avant-projet de loi relatif à la fiducie, un point de vue civiliste d'outre-atlantique, »] s'interroge sur l'ambiguïté du régime juridique de la fiducie, à savoir; pourquoi exige-t-on de l'acquéreur-fiduciaire qu'il remplisse des conditions qui relèvent de la compétence à exercer une fonction plutôt que de la capacité d'acquérir un droit. 188 Dans ce cas, les biens et droits, éléments actifs de la fiducie, ne font pas partie de la succession du fiduciaire, de même qu'en cas de dissolution d'une personne morale fiduciaire, le patrimoine d'affectation n'entre pas dans l'actif partageable ou transmissible à titre universel. 104

pénale189 contre le fiduciaire de mauvaise foi; qui aurait directement utilisé les biens fiduciaires à des fins personnelles, ou par personne morale interposée, détourné le but consacré de la fiducie, abusé de la confiance du fiduciant, voire provoqué la déconfiture du patrimoine fiduciaire qui lui a été donné sous conditions. En vertu des articles 900-1 à 900-8 du Code civil, une demande en révision pourrait être formée devant le juge dès lors qu'un changement important interviendrait dans la constitution fiduciaire, ou que des circonstances nouvelles imprévisibles et accidentelles, interdisent la bonne exécution du contrat. Nous avons évoqué plus haut quelques-unes de ces raisons qui peuvent être la révocation du contrat de fiducie par décision de justice, voire par la renonciation du fiduciaire ou son décès.190 Mais cette renonciation pourra être aussi le fait de la totalité des bénéficiaires. 2) Le droit de rétention:

une vrai sûreté!

Sous bien d'autres formes du droit moderne, l'usage n'a pas trahi l'histoire et la propriété-sûreté a ceci d'efficace qu'elle offre une garantie presque absolue de paiement; puisque l'existence du bien exploité est en permanence suspendu à son aliénation fiduciaire.191 Autrement dit, nul besoin pour le créancier de contraindre son débiteur par une procédure judiciaire de paiement, si toutefois la créance n'excède pas le bien gagé ou nanti.192 En l'occurrence, le maintien forcé de l'exécution des contrats 189 Cette incrimination spécifique prévoit une peine d'emprisonnement maximum de cinq ans ou d'une peine d'amende ne pouvant excéder 2 500 000 F. 190 Ou la disparition de la personne morale fiduciaire, par suite d'absorption ou de cession dans le cadre d'un jugement en redressement judiciaire. 191 La qualification juridique de la fiducie telle qu'elle se définit par la Convention de la Haye du 1erjuillet 1985, ne remet pas en cause le sacrasaint droit de propriété dont la version anglo-saxonne du trust s'attache encore plus expressement à préserver. Cette substitution légale du bien par fidéicommis interposé, répond à une première logique qui voulait initialement destiner la fiducie comme un privilège; droit des créanciers d'autant plus fondé qu'il trouverait toute son efficacité notamment contre l'intervention législative du 25 janvier 1985 qui mit à mal les sOretés réelles classiques (art. 40, 47 et 57 de la loi n° 85-98). 192 Voir plus bas la définition du nantissement immobilier « l'antichrèse » par analogie au nantissement mobilier du gage. 105

en cours défini à l'article 37 de la loi de 1985, ne saurait s'étendre à l'immobilisation corporelle des biens constituant la propriété du créancier, à l'exception toutefois de la clause de réserve de propriété (op. cil. C.-H. GALLET).193 A telle enseigne, que pour surseoir aux mesures éventuelles d'expulsion ou de restitution d'une chose retenue, l'article 33, 3ème al. de la loi de 1985 autorise le juge-commissaire à libérer sous certaines conditions, le paiement des créances qui y sont rattachées. Cette ponction financière -antinomique au premier alinéa de l'article 37 et préjudiciable pour les créances postérieures au jugement d'ouverture (art. 40, 1er al.)- serait cependant prélevée sur les fonds disponibles de l'entreprise mise sous la protection d'un R.J. Sous réserve d'une interprétation jurisprudentielle encore fort discutable,194 le contrat de crédit-bail qui ne constitue pas 193 A ce propos, v. égal. l'art. de jean-Loup COURTIER « Nature de la présemption de l'art. 37, 3e alinéa de la loi du 25 janv. 1985. » La revue des Huissiers de justice n° 7, 1eravril 1992. 194 Notamment suivant l'arrêt de la Cour de cassation du 29 mai 1984 et l'art. 115 de la nouvelle loi. La forclusion n'atteint pas le droit de propriété et l'administrateur laisse le crédit-bailleur reprendre le matériel dont iJ est propriétaire. demeure l'action en retrait ou la renonciation à la continuation du contrat. (Y. la revue des Huissiers de justice, 1991, p. 869 à 894 : « Le crédit-bail mobilier et l'action en revendication de l'art. 115 de la L. 25 janv. 1985. ») Mais tel n'est pas le résultat obtenu au terme de deux arrêts de la Cour de cassation en date du 15 oct. 1991, à propos de la revendication de meubles donnés en crédit-bail (controverse opposant les Cours de Reims et de Douai). Le propriétaire qui n'a pas revendiqué son droit dans les conditions énoncées à l'art. 115 susvisé, perd le bénéfice de la propriété de son bien au profit du débiteur qui se voit transféré la chose usus, fructus et abusus. Ainsi en a décidé la Ch. corn. nonobstant la loi du 2 jui1. 1%6 et le déco du 4 juil. 1972 dont les modalités prévoient qu'un contrat de crédit-bail est régulièrement publié au greffe du trib. de corn. Ipso facto le droit de propriété du créancier est donc connu et opposable erga omnes. Ce pourquoi de nombreux observateurs critiquent sévèrement cette décision en se fondant sur l'inviolabilité du droit de propriété dont le caractère sacré est proclamé par la Déclaration des droits de l'Homme. (Y. La vie judiciaire du 2 au 9 mars 1992, "droit de propriété, crédit-bail et revendication," de J.-J. NEUER; V. égal. les Petites Affiches n° 28 du 4 mars 1992, "La propriété de l'établissement de crédit face à l'art. 115 de la L. du 25 janv. 1985," par P.-M. LE CORRE). Mais suivant une autre interprétation de ces arrêts, si le jugement d'ouverture ne met pas fin aux contrats en cours, il n'y pas de motif qui oblige l'administrateur judiciaire à appliquer l'art. 115, d'où, la revendication des meubles loués en créditbail. Or cette revendication du crédit-bailleur pour la restitution du bien loué ne peut intervenir qu'à Ja suite de la résolution du crédit-bail; d'où Je refus opposé par l'administrateur de poursuivre le contrat. (Cass; corn. 15 oct. 1991 ; Sté Loca PMI. - Y. note de C. LARROUMEf, la Sem. jurid. [JCP] éd. G. n° 10,21805.4 mars 1982). 106

une sûreté au sens des codes civil et du commerce, demeure une garantie redoutable avec le pouvoir de confisquer le bien loué, et de priver l'entreprise en difficulté de ses outils de production pourtant plus que jamais nécessaires à sa reconsolidation budgétaire et restructuration économique. Néanmoins, la cuirasse des créanciers gagistes ou nantis n'est pas sans défaut, dès lors que ceux-ci sont mis en position de concurrence avec d'autres créanciers de la procédure qui revendiquent privilèges et superprivilèges tels que: les frais de justice, les salaires, les frais afférents à la conservation de la chose, sans oublier le fameux article 40 qui en crée de nouveaux. Enfin, contre l'inertie opposée par les créanciers gagistes, l'article 159, 2ème al. reconduit la faculté du juge-commissaire à autoriser comme dans l'ancien régime, la vente forcée du bien non retiré dans les délais.195 Mais en général, il ressort que la rétention du bien par le louage ou le warrant sous quelque forme juridique employée,196 permet au créancier de faire obstacle aux rigueurs des articles 33, 40 et 47, sachant par ailleurs que l'hypothèque et le privilège selon qu'il s'agit d'un bien immobilier ou mobilier, ne constituent plus désormais des garanties certaines et à effet immédiat en regard de dispositions aux prolongements dilatoires et d'interprétations frustratoires de la loi de 1985.197 Entendons principalement parmi les sûretés réelles ou personnelles: IOle leasing et la cession-bail qui agissent corpore alieno sur Ie bien par l'intermédiaire d'autrui. 20 l'antichrèse -résurgence des usages 195 cf : J.-M. CALENDINI ; "Le conflit entre le droit d'attribution du gage et le privilège de l'art. 40 dans la L. 25 janv. 1985." Les Petites Affiches n° 120, 6 oct. 1989. V. égal. de L.L. PRISa: "Le sort des créanciers gagistes et nantis dans la loi du 25 janv. 1985 sur le R.L.J." La vie judiciaire n° 2101 du 21 juil. 1986. 196 Soit du nantissement ou du gage avec dépossession du bien, soit de la remise d'un titre au créancier enregistré au greffe du tribunal d'instance, mais sans rétention du bien meuble en garantie d'un paiement. 197 Nous pensons en particulier à l'article 55 de la loi qui, immédiatement après le jugement d'ouverture en R.J., fait arrêt sur les intérêts légaux et conventionnels courus ainsi que des intérêts et majorations de retard. Mais la tentation est grande pour les mandataires et administrateurs judiciaires de réduire tant que faire ce peut, le passif de l'entreprise en improvisant des pratiques de manières artificielles ( de la méthode d'interprétation d'une exception à un principe général), pour rendre possible un plan qui ne saurait l'être dans les conditions normales que fixa le législateur. (Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 28 juin 1989, arrêts que confirma la Cour suprême, voir la revue banque et droit n° 21, janv./fév. 1992, "L'art. 55 de la L. du 25 janv. 1985 devant la Cour de cassation," par D.-M. PASCAL). 107

prétoriens du XIXème siècle- enrichi de l'antichrèse- bail, version moderne de cet instrument de sûreté. 3° Les clauses de réserve de propriété. 4° Les actes de cession ou de nantissement des créances professionnelles appelées communément « bordereau Oailly. » 5° L'affacturage ou factoring qui permet le transfert de créances commerciales par subrogation entre un fournisseur adhérent et un facteur qui en garantit l'encaissement.198 6° la garantie à première demande dite « garantie autonome» dont la forme conventionnelle ne ménage pas la caution, en ce sens que cette dernière n'apparaît ni subsidiaire, ni accessoire comme il en est de certaines autres. Et bientôt peut-être « l'aliénation fiduciaire» à fins de sûreté et à charge de rétrocession; version française199 du trust au Royaume-Uni,200 de la Treuhand en Allemagne, du bewind en hollande, la stiftung au Liechtenstein et autres pratiques bancaires de la fiducie en Europe de culture romano-germanique comme en Suisse. Du coté de la caution ou de l'aval qui s'y apparente, cette sûreté personnelle ou réelle selon le cas a pour origine le même support doctrinal, mais par déplacement du droit sur le patrimoine tiers. Néanmoins, l'action subrogatoire du cautionnement a sensiblement perdu de sa force au fil des réformes, surtout depuis la loi de 1985. En premier lieu, l'article 64 de cette loi contient des restrictions à la liberté de souscrire ou non aux dispositions du plan; seules les cautions solidaires et coobligées pouvant s'en prévaloir. Mais il faut comprendre -car on imagine malle montage d'un plan qui à dessein renforcerait les sûretés des créanciers- que la caution ordinaire, sauf exceptions purement personnelles selon les termes de l'article 2036 du Code civil, bénéficie d'une certaine latitude pour contraindre le créancier à se plier 198 Bien qu'apparu au XVnrème siècle avec les « comptoirs orientaux, » l'affacturage fut créé en France par la Société Française de Factoring (S.F.F.) en 1964. Aux Etats-Unis, dont la pratique se perpétue depuis le XIXème siècle, 40% des mobilisations de créances commerciales sont réalisés par l'intermédiaire des factors. (Cf Bernard SALlO, L'actualité fiduciaire n° 749 p. 51 et suiv., fév. 1992.) 199 Futurs articles 2062 à 2070-11 du Code civil suivant le projet de loi susvisé, instituant la fiducie en droit français. 200 Dont on trouve les sources parmi les pieux chevaliers du roi Richard d'Angleterre, qui confiaient leur domaine à un ami fidèle durant leur longue absence en Palestine; lequel outre la charge de veiller à défendre le domaine, devait en assurer la restitution au maître des lieux au retour de croisade, ou si ce dernier y trouvait la mort au successeur légitime et désigné (Op. cit. C. Witz, p. 9). 108

aux mesures inhérentes à la procédure. En second lieu, l'article 2037 du même code initialisé par la réforme législative du 1er mars 1984, constitue un véritable piège pour le créancier. L'action en relevé de forclusion suivant l'article 53 de la loi de 1985 pourrait en effet décharger la caution relative à la dette du débiteur principal; soit parce que le créancier n'aura pas inscrit sa créance dans les délais convenables fixés en Conseil d'Etat à la déclaration des créances -par le fait de sa négligence ou par souci de collaboration dans l'intérêt du débiteur,- soit par l'effet du jugement de clôture pour insuffisance d'actif qui pourrait dans certains cas libérer la caution. Faut-il comprendre que l'arrêt des poursuites évoqué à l'article 169, 1er alinéa sauf hypothèse énoncées au 2ème alinéa, équivaut à l'extinction de la créance, donc de la caution qui s'y rattache? L'article 57 qui frappe de nullité les inscriptions de garanties et par extension des contrats de cautionnement, les articles 59 et 60 qui règlent les conflits entre les cautions coobligées et le créancier porteur d'engagement solidaire, sont tour à tour des produits embarrassant de la législation qui génère bien des obstacles dans le dédale d'un parcours alambiqué destiné à affaiblir les sûretés réelles spéciales frappées de marginalité dès le prononcé du jugement d'ouverture ! Pour en revenir au sacro-saint postulat qui préside au droit réel, exclusif et absolu de la propriété décrété le 6 pluviôse de l'an XII (art. 544 duC. civ.), et qui se rattache aux sûretés dites "nouvelles," gageons que leur résonance moderne dont l'écho nous vient du tréfonds du droit romain, ne connaîtra pas la décadence des sûretés traditionnelles; succédanées de la fiducie antique dont on doit la résurgence à la traque exercée sur les garanties hypothécaires. Le créancier propriétaire se place en effet dans une situation d'exclusivité privilégiée, tandis que les autres sûretés deviennent obsolètes dès le prononcé du jugement d'ouverture en redressement judiciaire. Cette loi de 1985 dont l'une des caractéristiques fut de retarder la déchéance du terme en opposant un plan de continuation, a imprudemment provoqué le réveil de techniques prétendues surannées mais opportunément appropriées puisqu'elles répondent à un ré fI e x e d'autodéfense des créanciers aux abois. Ainsi, le rétenteur pourra se faire désintéresser dès lors que l'action en résolution permettra de libérer le bien; aux dépens d'autres créanciers de la procédure, mais aussi au mépris de l'article 109

40 qui devra réinventer un autre expédient pour faire taire cette revendication au droit de propriété. Aux entretiens de Nanterre des 17 et 18 mai 1989, Pascal ANCEL dans sa brillante analyse ne manqua pas de rappeler quelques qualificatifs pour désigner ces sûretés « [...] des plus frustres, les plus primitives, voire barbare» face à l'important déploiement législatif et de dispositions réglementaires progressivement mis en place; depuis les clignotants économiques autour de la gestion des entreprises, aux nombreuses mesures d'apaisement en faveur du débiteur prisonnier de ses dettes incompressibles. En résumé, la cessation des paiements devient la difficulté du créancier plus que celle du débiteur! Ipso facto des moyens de pression se sont inévitablement développés contre l'impayé devenu institutionnel. On écrira même en 1975 -et ceci fut prémonitoire- « sûretés traquées, crédit détraqué. »201 Il subsiste cependant quelques faiblesses notoirement connues qui édulcorent quelque peu cette impression redoutable de force qu'incarnent les applications contemporaines de la sûreté-propriété. Pour premier exemple; le leasing peut réserver au propriétaire la désagréable surprise de se voir restituer par l'administrateur judiciaire et par application du plan, le matériel loué donc usagé, déprécié voire hors d'état de fonctionnement plutôt que le paiement de sa valeur d'origine. Mais encore, du fruit de la revente dudit matériel, pourra être remboursé et les loyers versés en acompte en vertu de l'existence d'une clause résolutoire. Autre exemple; la clause de réserve de propriété -qui conserve l'énorme avantage d'échapper aux inscriptions légales-202 n'exclut pas le risque que la chose grevée soit irrégulièrement revendue, nonobstant toute revendication possible suivant l'article 2279 du Code civil. De même que la cession de créance qui n'est pas obligatoirement notifiée, n'échappe pas davantage aux prétentions légitimes d'un autre cessionnaire accidentel issu de la même ligne dans ce conflit d'excl usivité.

203

201

Cf: L.-M. MARTIN, la revue Banque, 1975, p. 1133. Egalement ~ublié à la revue des Syndics, 1976, n° 2. 02 Avantage qu'il faut néanmoins tempérer puisque le créancier devra, à peine de forclusion, ne pas omettre de déclarer la clause attachée au bien après le jugement d'ouverture en R.J. (art. 115). 203 V. p. 6, La semaine juridique (Cah. de dr. de l'entr.), supplément du n° 44,2 novo 1989. 110

3) Autres recours et procédures débiteurs récalcitrants :

dissuasives

coutre

les

A- Les recours cambiaires et autres effets de commerce Forcer la résistance d'un débiteur, c'est aussi gérer le risque par la dissuasion au moyen de souscriptions scripturales adaptées, mais encore s'organiser au-devant des procédures collectives qui, selon toute probabilité, aboutissent invariablement à la mise en non-valeur des créances pour insuffisance d'actif une fois clôturée la procédure d'apurement. Ainsi la sûreté personnelle à ceci d'efficace qu'elle permet à l'instar de la caution ou l'aval, la poursuite du débiteur nonobstant l'article 169 de la loi du 25 janvier 1985, même après le jugement de clôture une fois vidé les biens de l'entreprise. Ce pourquoi le débiteur avant de contracter une dette couverte par une lettre de change acceptée, sait par avance qu'il ne pourra indéfiniment se retrancher derrière l'entreprise s'il ne paie pas la facture, et qu'il aura plutôt intérêt à désintéresser son créancier avant de risquer une assignation ou déposer son bilan; car ce dernier -le tireur ou tiers porteur- têtu mais patient, restera embusqué à la sortie du terrier une fois consumé les effets dilatoires des articles 40, 47 et 57 de la loi susvisée. L'obtention d'un titre de paiement peut se concevoir sous la forme d'une reconnaissance de dette présentée de deux manières conventionnelles: Primo, l'invitation par le tireur au tiré à signer la lettre de change acceptée204 -communément appelée traite dans la pratique des affaires- suivant l'article 128 du Code de commerce. Secundo, par l'émission d'un billet à ordre avalisé que renforce les dispositions de la loi n° 85-695 du Il juillet 1985, qui prévoit à l'expiration de l'échéance, le remplacement du billet non honoré par une lettre de change obligatoirement acceptée par le tiré (art. 189-bis A). Dans l'une ou l'autre des présentations de la créance retenue, le refus d'acceptation entraîne de plein droit la déchéance du terme aux frais et dépens du tiré (art. 24 du Code de commerce). Le créancier aura alors le pouvoir de mandater un officier ministériel: notaire ou huissier de 204 La lettre de change non acceptée ne Jaisse que peu de recours au porteur (ou bénéficiaire) du fait de ['absence de garantie à caractère contractuel. Elle est tout au plus comparable à une facture sans autre forme de sûreté d'accompagnement, sachant bien que le tireur responsable de son émission aura le devoir de l'honorer si le tiré ne s'exécute. 111

justice, pour l'exécution d'une sommation et l'enregistrement du protêt. En cas de nouvel échec du rechange et du protêt, un nouveau recours pourra être exercé auprès du président du tribunal qui, après avoir reconnu le bien fondé de la demande, délivrera une ordonnance non susceptible d'opposition ou d'appel (art. 147 du Code de commerce). Il existe d'autres instruments de marché pour se protéger contre les impayés205 dont nous avons plus haut brièvement abordé les mécanismes. Les principaux qui s'apparentent aux tritisations, font appel à l'assurance ou aux techniques de l'adjudication ainsi que certaines méthodes comme le junk bonds, le swaps ou caps-floors, ou encore la couverture horsbilan du risque de taux et de change. Le principe repose sur des tiers qui apportent des fonds de placement spécialisés, bloqués pour une durée qui équivaut à couvrir les incidents de paiement éventuels des débiteurs. Ces souscripteurs ou "assureurs" éventuellement regroupés en fonds de garantie gérés par des sociétés de caution mutuelle,206 ne percevront la totalité de leur investissement que lorsque le débiteur se sera acquitté de toutes ses dettes et seulement dans le respect des délais prescrits. La rémunération est assurée par le débiteur qui versera une prime aux souscripteurs, correspondante au degré du risque et des délais courus; ce dernier ayant au préalable déposé sa signature aux enchères. Dans cette opération, le fournisseur dispose gratuitement d'une garantie totale du recouvrement de sa créance, sauf s'il consent à en supporter les frais au lieu de son débiteur. Il bénéficie également de l'économie d'un contentieux et échappe ainsi au syndrome ex-post du moral hazard. Tandis que le débiteur soucieux de sa bonne image, s'achète en quelque sorte une honorabilité sans faille et l'assurance de relations privilégiées auprès de ses créanciers, fournisseurs ou bailleurs de fonds. Mais dans cette opération apparaît un autre avantage puisque du point de vue macro-économique, la centralisation des statistiques d'impayés par l'assurancecrédit, le factoring ou la banque qui cautionne, supposent une meilleure gestion du marché des créances, des risques de défaillance garantis par les souscripteurs, et la création d'une

205 cf: Nicolas DAGOGNET : « Gestion et techniques

bancaires. » La revue Banque n° 522, déco 1991, p. 1156 el sui\'. 206 L'organisme tiers gestionnaire des lilres de garantie émet des certificats de souscription inscrits dans les livres pour le compte des investisseurs. . Cependant il n'existe encore aucune règle en droit positif français.

112

nouvelle valeur négociable sur le marché financier; tout cela dans un même mouvement. Curieusement, mais on s'en doute dans le but de décharger les magistrats de la masse contentieuse des chèques impayés,207 la loi n° 91-1382 du 30 décembre 1991 dépénalise l'émission des chèques sans provision.208 De sorte, l'artide 65-3 modifié du décret du 30 octobre 1935 prévoit que lorsque le banquier tiré refuse le paiement d'un chèque pour défaut de provision, le tireur sera seulement interdit de chéquier le temps qu'il lui faudra pour constituer provision des sommes réclamées, alors que sous le régime antérieur, ce dernier se serait vu retiré toute possibilité d'émettre des chèques pendant la durée d'un an. Cette possibilité de régularisation immédiate pourra être assortie d'une pénalité libératoire de 120 F par tranche de 1 000 F ou fraction de celle-ci, si le titulaire du compte a déjà émis un autre chèque rejeté pour défaut de provision dans les douze mois précédant l'incident. De même que cette somme lui sera réclamée dans tous les cas, dès lors que ce dernier n'aura pas régularisé sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'injonction du banquier. Les articles 65-3-1 et suivants procèdent d'une série de mesures dissuasives internes aux établissements bancaires qui, tout en leur permettant de gérer le contentieux réglementaire de la dette,209 efface l'action en 207 Pour la seule année 1990, le fichier central des chèques de la Banque de France a enregistré 6,4 millions d'avis d'incidents de paiement qui se sont soldés par un million d'interdits bancaires, soit quatre fois plus qu'en 1974 (V. "Code des dettes et créances" de J. PELLISSIER, p. 659). Par ailleurs, l'encombrement des Parquets ne permet plus depuis ces dernières années de poursuivre efficacement une procédure, qui se solde souvent par des classements sans suite après avoir au mieux obtenu des tireurs indélicats le règlement amiable desdits chèques sans provisions. 208 Deux décrets sont venus récemment compléter cette dispositions législative en vue de son application immédiate: 1° D. n° 92-456 du 22 mai 1992 relatif au refus de paiement des chèques et à l'interdiction d'émettre des chèques (J.O. du 23 mai 1992, p. 6985), 2° D. n° 92-467 du 26 mai 1992 relatif aux infon11ations données par la Banque de France sur la régularité des chèques (J.O. du 27 mai 1992, p. 7150). 209 La notification par ministère d'huissier au tireur d'un certificat de non-paiement passé le délai de trente jours vaut commandement de payer, qui lui même à défaut de paiement dans les quinze jours est suivi d'un titre exécutoire. Le montant des pénali tés pourra être doublé pour les récidivistes (trois régularisations observées dans la même année), De plus, la non régularisation à l'issue de l'injonction notifiée de ne plus émettre des chèques, entraîne une interdiction de chéquier de dix ans à compter de cette date. (V. Les Petites Affiches n° 46 du 15 avril 1992 : articles de Pierre GAUTHIER et Jean-Pierre DESCHANEL). 113

justice dans un premier temps. On pourra regretter que cette « démission de justice» -dans le prolongement de la loi du 3 janvier 1975 qui investit pour la première fois les banques d'une fonction d'auxiliaire de justice-210 intervienne justement dans sa phase la plus délicate, à savoir: que le moment qui détermine l'émission d'un chèque "en bois," ne soit plus précédé par la peur du juge et de la confiscation immédiate du chéquier pendant douze longs mois. B- La procédure d'injonction de payer Cette voie de recouvrement211 présente un double avantage: En premier lieu, l'injonction -procédure judiciaire qui ne revêt pas seulement un caractère comminatoireobligera le débiteur « à bouger, » car sans opposition de sa part dans un délai d'un mois à dater de la signification par voie d'huissier, il sera obtenu contre lui un titre exécutoire sans autre forme de procès. L'ordonnance produit tous les effets d'un jugement contradictoire non susceptible d'appel (art. 1422 du nouveau code de procédure civile). Il va sans dire qu'à défaut d'un règlement intervenant pour la totalité de la créance, il sera procédé à la saisie en vertu d'un titre exécutoire délivré par le juge. En second lieu et par l'effet inverse, la procédure d'opposition renverra l'affaire devant une juridiction de fond, mettant ainsi provisoirement à l'abri le débiteur, et rendant du même coup caduque la procédure d'injonction sur les prétentions du créancier. Cependant précise l'article 1410 du fl.C.p.C., l'ordonnance portant l'injonction de payer et la requête seront conservées pardevers le tribunal qui statuera selon les voies ordinaires de droit commun. A mi-parcours entre la simple sommation et la voie d'exécution, cette procédure permet d'accélérer le recouvrement des créances impayées, nées parfois de la mauvaise volonté de certains débiteurs récalcitrants et dont

210 En forçant les banquiers à devenir garants des chèques inférieurs à 100 F, le législateur institua du même coup un « crédit forcé» ou « crédit sanction »s'ajoutant à l'interdiction bancaire: mesure de police visant à renforcer la répression contre les infractions en matière de chèque. 211 Ne s'emploie que dans le cadre d'une créance de cause contractuelle, d'une obligation statutaire, de l'engagement qui résulte de l'acceptation ou du tirage d'une lettre de change, de la souscription d'un billet à ordre, de l'endossement ou de l'aval de l'un de ces titres, de l'acceptation ou de la cession de créances conformément à la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 (art. 1405 du n.c.p.c.).

114

l'inertie devant la procédure d'injonction laissera présumer de la reconnaissance tacite de leur dette. En regard de la jurisprudence,212 il apparaît que le créancier, s'il souhaite ne pas freiner le dérouleme.nt de la procédure civile qu'il aura engagé sur la validité d'une saisie, doit éviter d'ouvrir concomitamment pour la même affaire, une autre procédure devant un tribunal de commerce, certes seul compétent pour statuer sur le fond au terme de l'article 631 du Code de commerce. c- Redéfinition des procédures civiles d'exécution après la réforme des saisies mobilières (Loi n° 91-650 du 9 juHlet 1991) La loi du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendette ment des particuliers et des familles [v. infra Livre troisième] impose sa logique dans la rédaction juridique des lois, mais elle imprime surtout la philosophie d'un langage politique à l'adresse d'une société de surconsommation de crédit en mal de vivre,213 Il y a donc un risque majeur d'interprétation que le législateur devra rapidement corriger avec l'apport d'une solide réglementation par décret d'application, de nombreuses fois mis en attente dans le texte.214 Fichiers, délais, seuils de rémunération, taux d'intérêt, formalités et conditions; la codification du texte législatif semble en très grande partie suspendue à sa partie réglementaire. Même si les dispositions de fond sont réunies, l'abrogation de pans entiers de l'Ancien code de procédure civile suivie des apports au nouveau Code, les modifications 212 C. d'appel de Paris (Ire Ch, urg.) 14 déco 1988, note J. PREVAULT. Une instance en validité de saisie-arrêt portée devant le T.G.I. ne déroge pas à la compétence du trib. de corn. pour statuer sur la contestation relative à une créance commerciale. Afin de réduire la dualité de compétence entre juridiction civile et juridiction d'exception, source de lenteur et de frais qui diminue d'autant l'efficacité des saisies-arrêts, il serait souhaitable qu'une réforme -visant à donner à la juridiction civile appelée à valider une mesure exécutoire ou conservatoire pratiquée en vertu d'une créance commerciale,- une compétence unique pour statuer sur le fond du litije à l'instar des juridictions consulaires. 21 problèmes spécifiques du crédit à la consommation et ses abus. V. la Revue des Huissiers de justice. n° 22 du 1ersept. 1990 p. 114 et suiv. "Contre le T.E.G. et la faillite civile..." ; D. Desurvire. 214 Pas moins de deux fois par décret simple et dix fois par décret en Conseil d'Etat.

115

parfois profondes du Code civil, du Code du travail, du Code de la construction et de l'habitat puis du Code de commerce, sont autant de paramètres nouveaux sur lesquels la jurisprudence devra se reconstruire. Reste que la réforme de l'exécution en matière immobilière et les procédures d'ordre n'ont pas encore été abordées. Les juges d'instance, les huissiers de justice, les magistrats du Parquet et les maires ne disposent que de treize mois pour digérer cette réforme, la financer et former le personnel (cf addenda). Le succès de cette loi repose avant tout sur les répercutions attendues spécialement sur l'économie des entreprises dont la lenteur des procédures d'exécution constitue un handicap énorme.215 A cela se conjuge mal les échecs fréquents des huissiers de justice mal informés dans leur mission, parce que tenus à l'écart des principales sources de renseignements indispensables à leur accomplissement. La loi « Neiertz » devra ainsi ouvrir plus largement son fichier informatique sur réquisition du procureur en direction des offices.216 Enfin les articles 1244-1 et 1244-2 disposent que le juge, compte tenu de la situation du débiteur, est habilité à suspendre le paiement des sommes dues, reporter 0 u échelonner la dette, mais il pourra également interrompre les procédures d'exécution suivant les mêmes règles énoncées aux articles 1er et Il de la loi susvisée. Doit-on comprendre à travers cette justice à deux vitesses, que raccourcir les délais intolérables des procédures d'exécution reste un impératif conditionné à la bonne foi du débiteur et des besoins du créancier établis par le juge? La responsabilité du juge de l'exécution est exorbitante si l'on considère que « la bonne foi procédurale » est toujours présumée (art. 2268 du C. ci v )217 ; d'autant que la Cour de cassation dans les arrêts rendus le 4 avril 1991 (sept espèces), n'a pas su aligner une interprétation jurisprudentielle cohérente sur « la bonne foi

215 V. Journal des notaires et des avocats, 1991, Art. 60390, p. 1040, dans les notes E. S. de La MARNIERRE. 216 A la condition que le procureur de la République dans un délai fixé en Conseil d'Etat -délai qui peut être insupportablefasse diligence, voire y souscrive (l'absence de réponse valant réquisition infructueuse). 217 V. égal. 1° "Surendettement : la bonne foi du débiteur se présume et les juges du fond en apprécient souverainement l'absence," (Cass. civ. 1re. 4 avril 1991) ; La semaine juridique n° 27, juil. 1991 (Ed. gén.) par Yves PICOD. 2° "La notion de bonne foi en jurisprudence Jean-Loup COURTIER, la rev. des Huissiers de justice n° 13, 1erjuillet 1992.

116

contractuelle» au sens de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989. Alors que l'indivisibilité du paiement de la dette a été maintenue dans la rédaction du nouvel article 1244 du C. civ., l'article 510 du n.c.p.c. qui confère au juge le droit d'échelonner en plusieurs échéances la dette du débiteur dans le temps, déroge fondamentalement à ce principe. On connaissait déjà ce pouvoir réservé au juge des référés qui jusqu'au 1er août 1992 (anc. art. 1244, 3ème al.) avait compétence pour autoriser le débiteur à différer son paiement et s'acquitter de sa dette en plusieurs échéances, dans les cas d'urgence et en « tout état de cause» précise le texte. Or dans la nouvelle loi, le rôle du juge des référés semble avoir été éludé218 ; ce dernier pouvant encore intervenir lorsque la question de délai de grâce se pose en l'absence de titre exécutoire.219 Ce délai de grâce qui ne peut cependant pas excéder deux ans, a cependant ses limites dès lors qu'il s'agit de créances sociales, d'effets de commerce ou de dettes alimentaires.

Il faut donc méditer longuement sur l'article 1er de cette loi qui dispose que: « tout créancier peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard. » En évoquant ce primat, le législateur néanmoins bienveillant à l'égard des débiteurs insolvables, semble vouloir se dédouaner au-devant des allusions faites dans le prolongement de la doctrine, qui se traduit ostensiblement et au fil des réformes par le déclin du droit des créanciers, illustré quelques années auparavant par la loi contre le surendettement des ménages. Ce nouveau pas en avant du droit des débiteurs réduit un peu plus la force obligatoire des contrats. Depuis le tréfonds de l'histoire des marchands qui opposa souvent avec violence créanciers et débiteurs; à l'infortune des uns, se conjugue le devoir de tous selon l'adage: Devoir à Dieu et à diable!

218 La suppression de cette référence pourra permettre au débiteur impécunieux de saisir le juge d'instance en vue d'obtenir des délais de ~aiement, échappant ainsi aux frais d'une assignation en justice. 19 Sur cette compétence résiduelle, voir J'article de gilles PAISANT : « La réforme du délai de grâce par la L du 9 juil. 1991 relative aux procédures d'exécution. » Editions Techniques, Contrats-ConcurrenceConsommation, déco 1991, p. 6. 117

a) Dispositions spécifiques aux mesures d'exécution forcées

1- L'astreinte Désormais l'astreinte ne sera plus dissociable des voies d'exécution, de même qu'elle ne saurait être confondue avec des dommages-intérêts. Comminatoire et accessoire, l'astreinte provisoire -dont le montant s'appréciera en fonction des difficultés rencontrées après l'injonction faite au débiteur- sera le passage obligé pour le juge de l'exécution avant d'ordonner une astreinte définitive dont le taux de liquidation lui, ne pourra pas être modifié. Le juge de l'exécution dispose au regard de la nouvelle loi, d'un droit discrétionnaire en matière d'astreinte, puisqu'il peut l'assortir par devers toute décision de justice dès qu'il lui apparaît nécessaire de l'ordonner pour assurer l'exécution d'un jugement même émanant d'un autre tribunal. Le comportement du débiteur déterminera celui du juge à son égard. Celui-ci dispose d'un instrument disciplinaire redoutable, car la décision est exécutoire de plein droit par provision (art. 37), sauf s'il est établi que l'inexécution ou le retard suivant l'injonction du juge ne relève pas de la seule faute du débiteur.

2- La saisie-attribution La saisie-attribution portant spécifiquement sur des créances liquides et exigibles220 se distingue des mesures conservatoires en ce sens qu'elle constitue l'étape la plus courte vers un règlement. En effet, si par le passé les créanciers détenteurs d'un titre exécutoire avaient le devoir de faire valider la procédure pour obtenir l'exécution du jugement, c'est-à-dire passer deux fois devant le même juge, il n'en sera plus de même dès lors que l'acte de saisie emporte à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance,221 220 L'art. 4 de la loi dispose: "La créance est liquide lorsqu'elle est évaluée en argent ou lorsque le titre contient tous les éléments permettant son évaluation." 221 (Art. 43) "L'acte de saisie rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation." Ainsi pour les banques, le blocage durera 15 jours pendant lequel seront crédités les remises de chèques ou erfets antérieurs avec obligation d'en déclarer le solde. La contrepassation des effets escomptés pourra s'effectuer devant le juge de l'exécution durant un délai de trente jours. 118

nonobstant la signification ultérieure d'autres saisies même émanant de créanciers privilégiés. De plus, l'ouverture d'un jugement en redressement (civil ou commercial) ou d'une liquidation judiciaire, ne saurait compromettre la saisie-attribution dans son exécution. Cependant, plusieurs actes de saisie signifiés durant la même journée entraîneraient concours, à défaut de pou voir désintéresser tous les créanciers en lice.222 La loi rappelle les devoirs du tiers saisi envers les créanciers en particulier, s'agissant d'obligations à l'égard du débiteur telles que les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures. Mais le devoir de communiquer les informations s'étend également à tous les établissements bancaires qui reçoivent l'ordre de bloquer les comptes (art. 39, 44 et 47). Enfin les comptes rendus indisponibles pourront être affectés passé un délai de quinze jours223 à l'avantage ou au préjudice du saisissant,224 sauf contestation dans le mois qui suit, relative à la saisie. Dans ce cas, le paiement sera différé par décision du juge de l'exécution. 3- La saisie des rémunérations Bien que la saisie des rémunérations ne saurait être confondue à une mesure conservatoire (art. L. 145-6), elle demeure ouverte à toute tentative de conciliation (art. L. 1455 2° al.) puisque le juge compétent demeure le juge d'instance; par dérogation à l'article L. 311-12-1 du Code de l'organisation judiciaire. L'aménagement du chapitre V, titre IV du livre 1er du Code du travail s'opère autour de deux nouveaux vecteurs: En premier lieu, la partie saisissable du salaire sera fixée ultérieurement par décret en Conseil d'Etat. Mais son contenu prédéfini au 2° alinéa de l'a11icle L. 145-2 du C. du trav. ne diffère guère sinon par sa rédaction, de celui du 2° alinéa de l'ancien article L. 145-1 ; car il est retenu le principe d'inclure les avantages en nature après déduction des cotisations obligatoires pour la détermination de la fraction saisissable desdites rémunérations. Cependant un nouvel article vient s'inscrire à la suite qui tient compte également 222 Des contestations pourront être enregistrées d'une action en répétition de l'indu du débiteur. 223 Cependant les effets de commerce remis à leur présentation pourront être contre passés dans 224 Voir les modalités de remises à l'art. 47, a) & 119

dans le mois sous réserve l'escompte et non payés à le délai prescrit. b).

dans le calcul des sommes saisissables, de tous les revenus du débiteur y compris des ressources de travail provenant d'autres employeurs.225 En second lieu, le tiers saisi aura obligation de déclarer: "les cessions, saisies, avis à tiers détenteur ou paiement direct de créances d'aliments en cours d'exécution." L'article L. 145-7 ajoute qu'en cas de pluralité de saisies, les créanciers viennent en concours sous réserve des causes légitimes de préférence, d'où logiquement des créances d'aliments. Il est rappelé que le tiers saisi demeure responsable de toute dissimulation ou de déclaration mensongère à concurrence des retenues qu'il aurait dû verser -sans recours de celui-ci tant que la saisie sur le débiteur n'est pas levée- auxquelles s'ajoutent à présent le paiement d'une amende civile sans préjudice d'une condamnation à des dommages-intérêts. Enfin le juge a le pouvoir de décider à la demande de l'une des parties, que la créance soit assortie d'un intérêt à taux réduit. 4- La saisie-vente

Se substituant à la saisie exécution (procédure plus lourde qui obligeait le détenteur du titre exécutoire à faire placer la saisie sous main de justice avant de la soumettre à une vente forcée,) la saisie-vente comme son intitulé l'indique, permet à l'huissier de justice de procéder rapidement depuis la saisie de biens meubles corporels jusqu'à leur vente dans le mois qui suit, dès lors qu'il aura été signifié huit jours auparavant commandement au débiteur. Seule réserve, la saisie de biens détenus par un tiers devra être autorisée par le juge de l'exécution.226 Notons que la saisie-brandon dont il n'est pas fait mention dans les textes nouveaux mais qui avait valeur de saisie-exécution, devrait conserver sa spécificité étant entendu

225 Le rédacteur de cette loi a tenu à élargir cette disposition à tous les payeurs; terme rassemblant l'ensemble des sources de profits du débiteur, accessoires à son revenu principal. L'expression "saisie-arrêt" est donc abandonnée pour son imprécision. 226 Le recouvrement d'une créance autre qu'alimentaire, pour une somme fixée ultérieurement par décret et probablement pas supérieure à 3 000 F, (Op. cil. l'Act. fiduc. n° 744 p. 33), devra s'opérer de préférence par voie de saisie d'un compte de dépôt ou de rémunération de travail. (art. 51). En ce sens, l'injonction invitera le débiteur à faire connaître ces éléments d'information, ou à défaut, ce sera le procureur de la République qui s'en chargera.

120

que la saisie et la vente aux enchères de produits de culture sur pied sont considérés biens meubles par anticipation. Ce délai de trente jours à compter de la saisie permettra éventuellement au débiteur de procéder à une vente amiable, à la condition que les propositions soient jugées suffisantes par l'huissier de justice chargé de l'exécution.227 Dans le cas contraire, il sera procédé à l'enlèvement du ou des biens saisis au terme de ce délai pour être vendu (s) aux enchères publiques. Par ces nouvelles dispositions, il ne sera dorénavant plus possible de procéder simultanément -dans le flou juridique passé- à la saisie et à l'enlèvement des biens meubles. Demeure un risque majeur entre la saisie et l'enlèvement, qu'un débiteur peu scrupuleux vienne dans cet intervalle à soustraire lesdits biens saisis, ou procède à leur destruction à des fins malveillantes. Son insolvabilité notoire voire son indigence organisée devront dans certains cas, être considérés comme un facteur de risque, nonobstant les poursuites pénales encourues contre le détournement de biens saisis ou de toute manœuvre frauduleuse visant à nuire à l'intérêt des créanciers. Lorsqu'il se trouve des créanciers admis à faire valoir leurs droits sur le prix avant l'adjudication, l'agent chargé de la vente pourra proposer une répartition amiable entre eux, ou bien à défaut d'accord, il saisira le juge de l'exécution après avoir consigné les fonds. Enfin tout créancier qui ne se serait pas manifesté avant la vérification des biens saisis ou n'ayant procédé à aucune mesure conservatoire, ne sera pas autorisé à revendiquer ses droits. s- Quelques dispositions particulières Sauf lorsque le débiteur s'offre à ses frais de restituer le mobilier saisi, l'huissier de justice chargé de l'exécution a le pouvoir d'appréhender les meubles aux fins de restitution. Cependant, même pourvu d'un titre exécutoire, l'officier ne peut appréhender le meuble détenu entre les mains d'un tiers sans l'autorisation du juge de l'exécution (art. 56). De même, l'huissier de justice muni d'un titre exécutoire peut saisir le véhicule à moteur du débiteur et l'immobiliser en quelque lieu que ce soit sans préjudice pour le matériel, ou produire une déclaration auprès des services de I a 227 Lorsque le prix des biens vendus atteint un montant suffisant pour payer en principal, intérêts et frais, les créanciers saisissants et opposants (art. 53, 10 aL).

121

préfecture où est immatriculé le véhicule, dont la notification au débiteur produit tous les effets d'une saisie. Cette mesure oppose toute transaction du véhicule par le débiteur, qui luimême se voit interdire son utilisation. Une autre disposition novatrice autorise un créancier muni d'un titre exécutoire à procéder à la saisie et à la vente des droits incorporels, autres que des sommes liquides sous forme de créances.228 Ainsi le débiteur titulaire de parts sociales ou de droits d'auteur s'en verra confisqué la propriété au profit de ses créanciers, à l'instar de tous les autres biens corporels qui sont en sa possession. 6- Les mesures d'expulsion

L'expulsion d'occupants d'un local d'habitation implique obligatoirement une décision de justice. Cette décision est assortie d'un délai de deux mois suivant le commandement et doit avoir lieu dans le respect des dispositions relatives au sursis à l'exécution de décisions de justice.229 Néanmoins, après signification d'un commandement d'avoir à libérer les locaux, un procès-verbal de conciliation exécutoire devrait pouvoir permettre des arrangements sauf lorsqu'il est admis que des personnes non dénommées ont pénétré les lieux par voie de fait; auquel cas l'expulsion pourra à l'appréciation du juge être rendue exécutoire sans délai. Toutefois l'évacuation d'un immeuble même squatté, eu égard aux tragiques conséquences qu'elle implique en certaines saisons, pourra être retardée par le juge de trois mois au plus. A dater de la signification du commandement, l'huissier de justice chargé de l'exécution de la mesure d'expulsion aura la charge d'en informer le préfet de département afin qu'il soit mis en œuvre simultanément des mesures de relogement du ou des occupants.230 b) Dispositions

spécifiques aux mesures conservatoires

A la demande de toute personne dont la créance paraît fondée, le juge de l'exécution peut sans commandement préalable et si le recouvrement de la créance semble être 228 Celles-ci relevant de la décision du juge de J'exécution. 229 Art. L. 613-1 à L. 613-5 du Code de la construction et de l'habitat (L. n° 80-1 du 4 janv. 1980). 230 Dans le cadre départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées (Loi n° 90-449 du 31 mai 1990). 122

menacé, pratiquer une mesure conservatoire sur les biens du débiteur. Cependant, cette démarche n'est pas nécessaire dès lors que le créancier est pourvu d'un titre exécutoire ou nanti d'une décision de justice qui n'a pas encore force exécutoire, ou encore s'il détient la preuve d'un défaut de paiement (lettre de change acceptée, billet à ordre, chèque ou loyer impayé). S'il s'agit d'un bail commercial, la créance relève plutôt de la compétence d'une juridiction consulaire. Mais dans tous les cas, le juge conserve le droit de revenir sur sa décision au vu d'un débat contradictoire. Bien entendu, une mesure conservatoire devra être suivie d'une procédure permettant d'aboutir à un titre exécutoire, et cela dans un délai que fixera un décret en Conseil d'Etat. De plus, la prescription de la créance est interrompue dès la notification au débiteur de la mesure conservatoire. Enfin le juge pourra donner mainlevée, appeler et entendre le créancier si les conditions prescrites par la loi ne lui paraissent pas satisfaisantes; la sauvegarde des intérêts des parties pouvant éventuellement se réduire à de simples garanties bancaires. Mais dans tous les cas lorsque le juge ordonne la mainlevée, le créancier trop zélé devra supporter les frais en réparation du préjudice causé par la mesure conservatoire.

1- Les saisies conservatoires En clair, les saisies conservatoires ne peuvent porter que sur des biens mobiliers corporels ou incorporels du débiteur, et les rendent indisponibles à concurrence du montant de sa créance autorisé par le juge. Si cette autorisation n'est pas rendue nécessaire, le montant de la saisie ne pourra excéder celui de la créance. La saisie des sommes disponibles confère au créancier un droit de consignation, et de se faire payer sur la chose par privilège et préférence aux autres créanciers (art. 2073 du C. civ.). Enfin le créancier qui possède un titre exécutoire peut demander le paiement de la créance sur laquelle porte la saisie conservatoire. Cette demande emporte attribution immédiate du montant de la condamnation en plus du principal dû par le débiteur ou le tiers saisi s'il a été reconnu lui-même débiteur.

2- Les sûretés judiciaires Les sûretés judiciaires pourront être constituées à titre conservatoire sur les immeubles, les fonds de commerce, les 123

actions, les parts sociales et autres valeurs mobilières (art. 77), et sont opposables aux tiers le jour de leur publicité.231 Cependant une publicité définitive devra confirmer la première dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat à peine de nullité. La vente des biens grevés d'une sûreté judiciaire reste possible. Là encore, il faut attendre le contenu des conditions qui seront indiquées par décret en Conseil d'Etat pour en connaître véritablement la teneur. Mais il semble a priori que le marché des valeurs mobilières soit ménagé au mieux des intérêts des banquiers puisque le montant des titres aliénés pourra être utilisé pour acquérir d'autres valeurs se subrogeant alors aux autres. D- Les contentieux fiscaux et parafiscaux

Les organismes contentieux de la sécurité sociale et des impôts dérogent aux règles du droit commun en matière de procédure de recouvrement. Il en va de même sur un plan judiciaire puisque ces administrations disposent respectivement de juridictions spécifiques: le Tribunal des affaires de sécurité sociale232 dont la compétence d'attribution est limitée aux conflits entre les parties, et le Tribunal administratif. Pour illustrer cette règle, il faut savoir que la contrainte délivrée par le directeur d'une URSSAF n'a pas obligation d'être visée par le président du tri bunaI. Nonobstant l'opposition du débiteur devant le juge, la contrainte signifiée par ministère d'huissier auprès du débiteur a valeur de jugement et confère notamment le bénéfice de l'hypothèque judiciaire.233 Ainsi l'article L. 244-9 du Code de la Sécurité sociale qui facilite et accélère la procédure de recouvrement, évince du même coup le rôle de la magistrature dans 1a validité de la contrainte succédant à la notification de la mise en demeure.

231 L'accomplissement des formalités de publication reste suspendu à un décret en Conseil d'Etat. 232 Le T.A.S.S. succède à l'ancienne Commission de première instance. 233 Art. L. 244-9 et R. 133-3 du Code de la sée. soc. et les aménagements apportés à l'ordonnance na 59-127 du 7 janv. 1959, L. na 85-772 du 25 janv. 1985, art. 43 et art. 1er du déco na 86-1259 du 8 déco 1986. (V. table des concordances Dalloz des art. L. 167-1 et suiv. du C. de sée. soc.). 124

Plus court que la procédure d'injonction de payer, le délai d'opposition contre la contrainte n'est que de 15 jours234 à compter de la signification. A défaut de toute réaction du débiteur, cet avertissement sera succédé d'un commandement par voie d'huissier; lequel lorsqu'il n'est pas davantage suivi d'effet, laissera place aux mesures d'exécution forcée; dernier maillon de l'engrenage. Dans l'intervalle, l'organisme contentieux aura procédé aux inscriptions conservatoires de privilège et d'hypothèque, sachant qu'une opposition du débiteur ramènera inéluctablement la procédure aux formes ordinaires du débat public oral et contradictoire. S'agissant du règlement amiable issu de la loi du 1er mars 1984, les administrations fiscales et parafiscales ne s'y emploient guère. Elles disposent pour ce faire d'un volant de négociations internes -actions gracieuse en commission de recours amiable (URSSAF)- mais aussi d'un certain nombre de comités d'examen, de restructuration et de financement industriel des entreprises (cf supra: Part. II, Chap. 1er: ~-II). Des arrangements négociés sur des remises de délai ou des souscri pt ions de billets à ordre ont le mérite de ne pas sacrifier à la procédure collective tout ou partie de l'actif du débiteur à la faveur de créances encore plus privilégiées. v - Qui est le plus vulnérable devant la faiUite ? Quel avenir pour l'entrepreneur individuel, quelle forme sociétaire conviendrait-il de choisir au mieux de ses intérêts? Une première réponse s'inscrit dans un cadre fiscal, une seconde sur un plan social. Arguant cette concomitance d'intérêts, nul chef d'entreprise ne saurait valablement déconsidérer l'une ou l'autre de ces raisons indissociables sur le terrain, sachant par ailleurs que le législateur n'aura pas voulu créer de situation juridique propre à pénaliser fiscalement l'entrepreneur individuel plutôt que la société, ni a contrario décharger la responsabilité du dirigeant d'une société fréquemment appelé nolens volens à devenir caution de son entreprise. Alors que la "société" au sens littéral se comprend comme une réunion de personnes, l'article 1832 du Code civil lui confère au troisième alinéa une originalité contre nature; puisque depuis la promulgation de la loi n° 85-697 234 Si on excepte le premier délai d'une quinzaine qui suit l'avertissement ou la mise en demeure (art. L 244-1 du C. de sée. soc.). 12S

du Il juillet 1985 relative à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, elle peut être instituée par une seule personne. Pour ce faire, ce dernier devra accepter d'isoler son entreprise de lui-même par la formation juridique d'une entité distincte, et libérer du même coup l'obligation solidaire de sa personne à la masse indivisible des biens en garantie commune des créanciers. Sur ce postulat, repose la différence fondamentale entre l'entreprise personnelle (1) et la société d'un seul homme (2). 1) L'entreprise

personnelle:

une approche comparative

L'entreprise en droit positif français n'a jamais revêtu de définition bien précise sinon que le terme est commode pour désigner de façon laconique; une unité de production économique, industrielle ou commerciale. Elle fut longtemps étroitement associée à la personne de son dirigeant dont l'ascendant patriarcal occultait jadis la communauté des hommes qui la composait. Depuis l'ancienne loi du 24 juillet 1866 sur les sociétés, les législateurs républicains successifs n'eurent de cesse de réduire le mandarinat paternaliste et solitaire des grands nonces de l'industrie, dont la plupart étaient parés d'un pouvoir politique immense, et nantis de fortunes colossales thésaurisées sur plusieurs générations de pionniers issus de l'essor économique du deuxième Empire. L'importante réforme sur les sociétés commerciales qui aboutit 99 ans plus tard, permit certes d'éclater l'atavisme familial de ces légendaires fabriques dénommées "Cie père & fils," en leur donnant des moyens juridiques et sociaux nouveaux afin d'ouvrir plus largement leur patrimoine vers l'extérieur. La fiscalité fit le reste et de nos jours, la survivance de grosses entreprises personnelles serait une hérésie sociale, juridique et économique (A); a fortiori lorsque l'unité économique est menacée par l'appétit des héritiers (B). A- Autres aspects de la difficulté d'entreprise a) Difficultés

d'ordre

économique

et technique

Les dangers de la solitude dans la responsabilité illimitée de l'entreprise personnelle, sont à la mesure de l'indifférence devant la notion du risque occultée par la confiance aveugle de l'entrepreneur individuel, davantage préoccupé par 126

l'exercice de son métier que du soucis comptable dans la gestion de ses affaires. Ainsi, ce dernier ne saura pas toujours appréhender les difficultés dues aux impondérables économiques et commerciaux. Parmi différents cas de figure; une incapacité personnelle du dirigeant peut survenir au moment inopportun et au plus fort de ses activités professionnelles, sans même que ce dernier puisse espérer le secours providentiel d'un associé investi donc motivé au sommet de la structure hiérarchique de l'entreprise, au mieux abandonnée à l'initiative d'un fondé de pouvoir dont les prérogatives sont entravées par un lien de subordination. De plus, l'insolvabilité d'un important débiteur sur lequel repose à court terme le recouvrement de créances exigibles, la rupture d'un gros matériel indispensable nécessitant son remplacement immédiat d'où l'ouverture de nouveaux crédits imprévus, le carnet de commande souffrant d'une période de trouble ou de récession, un accident corporel grave ou une longue maladie etc., sont autant de menaces suspendues à l'horizon de la vie active du commerçant ou de l'artisan qui peuvent cruellement anéantir des années de labeur, tandis que continueront à courir certains impôts incompressibles, des charges sociales, le bail commercial ou autres contrats de crédit et de frais généraux courants. Pour protéger leur famille devant de tels périls, il était déjà d'usage bien avant la loi du 13 juillet 1965 relative à la réforme du contrat de mariage, que les propriétaires exploitants organisent leur association conjugale selon des conventions matrimoniales propres au régime de I a séparation des biens, mettant ainsi à l'abris certains biens mobiliers et immobiliers domestiques au-devant d'éventuelles poursuites judiciaires ou procédures d'exécution provoquées par des créanciers de l'entreprise familiale. Mais était-ce bien suffisant? La conversion sociale d'une entreprise personnelle par la constitution d'une société demeure souvent encore, une opération psychologique plus redoutée par les propriétaires exploitants que la création d'une société partie de rien! Ce dernier déjà assailli par mille obligations et enraciné dans une sereine habitude, se fait lui-même obstacle à cette démarche; évoquant l'inconnue devant les méandres du formalisme juridique, la multiplication de tracasseries administratives et le coût incertain qu'engendre une telle initiative.

127

b) La succession,

une affaire de survie

Le cadre juridique d'une société se prête mieux aux changements de dirigeants (cession d'actifs, fusionabsorption, location-gérance), même si sous un autre point de vue, d'aucuns considèrent que l'entrepreneur personnel dispose plus librement de son patrimoine. Néanmoins l'entreprise partagée en parts sociales, préservera davantage la succession des cohéritiers des problèmes inhérents à un état d'indivision consécutif au décès du dirigeant. En effet, alors que le de cujus aura placé l'ensemble des biens de son entreprise personnelle dans une masse indivise, l'indivision ne saurait résulter d'une E.u.R.L. dès lors que chaque indivisaire recueille la qualité d'associé au sein de cette même société devenue pl uri personnelle de fait.235 Les décisions prisent à la seule majorité des voix, éviteront la paralysie de l'organe de gestion contre l'opposition obstinée d'un indivisaire; tel que la désignation d'un mandataire commun pour assurer la gestion, ou sur la question du fractionnement de la participation devant constituer chaque lot revenant aux héritiers et légataires. Cette forme sociétaire suscite néanmoins un risque de blocage si personne ne dispose d'une majorité de contrôle; situation qui entraînerait fatalement la nécessité d'un partage judiciaire. A contrario, la disparition du chef d'entreprise peut provoquer le désastre économique irréversible d'une entreprise individuelle, de sorte destinée à une vente forcée: Le blocage momentané des comptes et des avoirs détenus en banque au nom du défunt, l'apposition des scellés immobilisant les espèces et les valeurs au porteur, ou autres mesures conservatoires prises sur l'ensemble des biens successoraux liés à l'exploitation du fonds, (d'où la rétention provisoire de l'outil de travail et la disparition de la clientèle), sont autant de facteurs négatifs contribuant à la fin juridique de l'exploitation. De surcroît, l'indivision qui résulte de l'absence de convention entre indivisaires, emporte un démembrement de propriété généralement fatal pour une entreprise individuelle, excepté si celle-ci bénéficie de l'unanimité de la communauté donnant mandat à l'un d'eux pour administrer la succession; mais avec le danger

235 Civ. 1ère. 6 fév. 1980. Voir Rev. soc. 2511986 ; "L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée," Gilles FLORES et Jacques MESTRE.

128

permanent d'une révocation de la gérance qui peut intervenir à tout moment. Sauf si le statut stipule sa dissolution en cas de décès du ou de l'un des associés, une société a plus de chance de pouvoir continuer son activité, car seuls les droits sociaux cessent; alors que la gestion de l'indivis s'organise autour des règles statutaires déjà en place. Les mandats post mortem sont réputés caducs236 et ne sauraient révoquer les règles successorales ou testamentaires. Enfin le conjoint survivant pourra être appelé à répondre sur ses biens propres du passif communautaire, à hauteur de la moitié des créances laissées pour insuffisance d'actif après réalisation des comptes de l'entreprise; les créanciers du conjoint décédé devenant créanciers de l'indivision dans les termes de l'article 815-7 du code civil.237 Enfin, le décès de l'exploitant individuel provoque également la responsabilité solidaire du passif entre les héritiers devant les cautions. B- La transmission

d'entreprise:

hoiries et déshérence

La survie d'une entreprise qui se succède à elle-même par voie de cession à la vente, d'acquisition par fusion-absorption ou de succession entre héritiers, demeure très aléatoire dès lors que sont remis en cause les pouvoirs constitués par le contrôle financier et les compétences professionnelles; autrement dit, la propriété des biens et la communauté humaine laborieuse qui se partagent les intérêts et les emplois au sens de l'article 1832 du Code civil. Ainsi la transmission volontaire est-elle une opération aussi périlleuse que le serait une cession judiciaire, dès lors que cette transmission suppose le désintéressement des héritiers non repreneurs, la sauvegarde du potentiel salarié et la reconnaissance par le personnel des qualités intrinsèques du nouveau dirigeant, associé aux décisions de gestion, d'administration et de direction de l'entreprise. Une autre possibilité moins utopique certes, s'offre à l'entreprise contre les risques extérieurs que suppose une succession, ou de l'intérieur lorsque surgissent des difficultés économiques: le rachat de l'entreprise par les salariés (loi n° 84-578 du 9 juillet 1984). Réaménagé le 17 juin 1987 par 236 C. civ. art. 1003 ; "Le mandat finit [...j par la mort naturelle ou civile [...j la déconfiture [...j soit du mandant, soit du mandataire." 237 C. civ. art. 1483, al. 1er, Voir égal. Bull. casso l, n° 53, arrêt du 1er mars 1988. 129

une loi sur l'épargne, le RE.S. -fruit d'un consensus contractuel- permet non sans risque, d'éviter la dislocation du patrimoine social. Condition sine quâ non, ce dispositif législatif emprunté à nos voisins britanniques sous la dénomination leveraged management buy-out, implique la création d'une société holding dans laquelle les salariés repreneurs, devront dans un schéma habituel, souscrire au capital de la société à l'aide d'un financement bancaire, et dans des proportions telles que l'endettement pourrait alors devenir une menace tout aussi redoutable que l'alternative du chômage au demeurant assuré en cas d'échec. La fiscalité est un facteur déterminant pour la réussite d'un RE.S. Le développement de l'initiative économique qui encadre cette mesure sera alors facilité par la possibilité pour les salariés; de déduire un quota d'intérêts s'agissant des emprunts contractés, ainsi que par la technique du crédit d'impôt déjà largement éprouvée en gestion fiscale. A cela, la loi du 17 juin 1987 supprime l'obligation d'agrément préalable. 2) De la société de famille au conjoint associé: d'une personne

la société

La loi française a introduit une nouvelle dimension à l'entreprise (A). Mais pour mieux appréhender sa résistance et ses faiblesses, cette société ser~ mise en difficulté, anéantie, et son cadavre disséqué (B). A- L'entreprise unipersonnelle

personnelle

au détour

de l'entreprise

La loi du Il juillet 1985 ouvre la possibilité à tout entrepreneur individuel, de créer par l'apport de son entreprise personnelle préexistante et de son industrie, sa société rien que pour lui-même, tout en conservant son régime d'imposition (I.R - régime des sociétés de personnes), ainsi que le régime de sécurité sociale antérieur dont il bénéficiait au titre de propriétaire exploitant. Par ce traitement empirique du droit, le législateur procéda autant à l'élimination de sociétés écrans corrompues par une fiction du pouvoir, qu'à négocier le souci de légitimer les S.A.RL. atteintes d'une déficience sociétaire. L'E. U.RL. obéit à une volonté politique qui vise à réduire le phénomène pervers des sociétés de façade ou la complicité 130

d'hommes de paille. En jouant la transparence d'où la légalisation de pratiques dorénavant autorisées, la réalité juridique fait d'un homme une société, et d'une société une personne physique se dédoublant en personne morale. En effet, les sociétés fictives et en apparence pluripersonnelles, n'ont plus la nécessité d'exister culpa in eligendo dès lors que la loi a rendu possible une situation jadis coupable. Du même coup, le législateur procède à un meilleur contrôle de la gestion d'entreprise en imposant un minimum de formalisme (celui des S.A.R.L.) et la désignation éventuelle d'un ou plusieurs commissaires aux comptes. Demeure une bizarrerie juridique -ironie à hauteur de la situation présumée des faux dirigeants de vrais sociétés- en consacrant une seule personne physique au rang d'autocrate dans une conjoncture qui suppose entre autres; que l'associé unique se réunit lui-même en assemblée, délibère et approuve ses propres comptes a fortiori lorsque celui-ci est aussi gérant de son affaire. Enfin ce dernier n'est pas fondé à partager les dividendes issus de son seul apport en société; qu'il peut par conséquent s'octroyer la part entière du cash flow réalisé qu'il jugera sienne à tort ou à raison, nonobstant la responsabilité limitée dont il bénéficie au titre de dirigeant d'une société commerciale. Mais probablement le législateur aura-t-il voulu inspirer davantage de confiance dans l'esprit d'entreprise et insuffler un nouveau dynamisme pour Ia relance économique, artisanale ou industrielle du secteur des P.M.E. que sont naturellement les E.lT.RL. et les S.A.RL. de caractère familial. Une autre finalité non moins importante de l'E.U.RL. se situe probablement au regard de la succession; puisque la forme sociétaire de l'entreprise permettra sans procédure d'agrément, la transmission par donation-partage inter vivos238 ou par voie de cession post mortem des parts sociales. En outre, le décès de l'associé unique, nonobstant toute clause contraire, ne constitue pas une cause de dissolution de la société239 : D'une part parce qu'il est plus 238 Cf. : Jack GAUTIER, "Les conséquences d'une donation-partage des parts sociales d'une E. U.R.L. con située par apport d'une entreprise individuelle," Le quotidien juridique n° 83 du 17 juill. 1990. 239 Si la mort de l'associé unique n'appelle pas en droit la dislocation de l'E.U.R.L., son extinction (v. art. 1844-4 du C. civ.) pourrait dans certains cas précéder sa réincarnation, mais aux dépens de son identité "unipersonnelle" absorbée, transmise par voie de cession ou de fusion avec d'autres sociétés pluripersonnelles. 131

aisé et moins coûteux de répartir des parts sociales, que de partager entre coïndivisaires le patrimoine d'une entreprise ainsi condamnée à mourir. D'autre part, parce que le glissement de l'E.U.RL. en société pl uri personnelle sera d'autant facilité qu'elle constitue elle-même une variante de la S.A.RL. Mais cette structure d'accueil présente néanmoins certains inconvénients ou effets subséquents dangereux, à savoir: Primo, l'article 1832 du code civil (loi du 10 juillet 1982) prévoit qu'un époux ne peut employer les biens communs pour faire un apport à une société sans que son conjoint en ait été averti et sans qu'il soit justifié dans l'acte. Dans ce cas de figure, le conjoint lésé pourrait revendiquer son droit d'associé et ispso facto disloquer l'E.U.RL. en société pluripersonnelle. Secundo, la donation-partage (0 u testament-partage) entre donataires non réservataires et héritiers directs comme il en serait d'une succession volontaire ou ab intestat, aurait pour conséquence en regard des articles 8-5°B et 239bis A.A.du c.G.I., de soumettre la société devenue pluripersonnelle au régime de l'I.S. B- L'E.U.R.L : personne physique et personne morale, :or Jekill et MrHyde a) E.U.R.L.: un associé peu recommandable! Le fonctionnement d'une entreprise ne saurait se concevoir sans le concours du banquier. Or, le financement à crédit est en général aussitôt assorti d'une sûreté. Mais une sûreté hypothécaire n'est pas une assurance si tant est qu'une assurance soit une certitude! Car il est vrai que l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, a considérablement affaibli les effets de cette sûreté classique, et que la tendance s'organise plutôt vers le cautionnement, voire la sûreté propriété inspirée de la fiducie in jure cessio du droit romain. Pour augmenter la surface financière de l'E.U.RL., car l'apport d'autres associés la transformerait aussitôt en S.A.R.L. pluripersonnelle, l'associé unique aura naturellement recours à sa banque. Cependant, même si la psychologie du monde des affaires reconnaît plus de crédibilité à une société qu'à un entrepreneur individuel, le prêteur ne se satisfera pas en garantie de ses créances, du seul capital social de ladite société; même élevé à 50 000 F 132

minimum par la loi du 1er mars 1984. Par ailleurs, rappelons que le créancier de la société ne dispose pas d'un droit immédiat sur le patrimoine social de l'associé comme il en serait de l'entrepreneur individuel. C'est pourquoi l'établissement financier fera plutôt appel à la technique du gage ou de la caution: D'une part, pour se prémunir des éventuelles difficultés de l'E. V.R.L. et étendre ses garanties pignoratives au-delà de la personne morale de l'entreprise. D'autre part, pour échapper au danger authentique que présente un jugement d'ouverture en redressement judiciaire, qui dans la majeure partie des cas débouche vers une procédure en liquidation avec insuffisance d'actif et l'arrêt des poursuites individuelles (art. 169 de la loi n° 85-98 susvisée). Ainsi l'associé unique se retrouvera quasiment dans la même situation que l'entrepreneur individuel, puisqu'il sera contraint de cautionner de ses biens propres, tous les financements engagés pour le compte de sa société même réputée in bonis. La limitation de la responsabilité de l'associé comme l'exercice de la personnalité morale ne sont donc qu'un leurre, car plus cautionis in re quam in persona.240 b) La société d'exploitation: Quidjuris? La société d'exploitation n'apparaît pas en droit positif comme un type spécifique de société. Il faut donc se reporter à la loi n° 56-277 du 20 mars 1956 relative à la locationgérance des fonds de commerce et des établissements artisanaux pour trouver une explication rationnelle sur l'emploi d'une telle société.241 Dans un but d'économie fiscale et parafiscale -que ne cherche d'ailleurs pas à dissimuler les praticiens du droit des affaires- la constitution sui generis de sociétés de gérance dites d'exploitation, permet également au chef d'entreprise de s'écarter provisoirement voire définitivement de la gestion et des responsabilités dont il avait la charge. Ce bail commercial d'un type particulier et qui porte essentiellement sur la 240 "II Y a plus de garantie dans une chose que dans une personne. 241 Cf : Jean PAILLUSSEAU, Jean-Jacques CAUS SAIN, Henry LAZARSKI et Philippe PEYRAMAURE, "La cession d'entreprise:' 1989, éd. Dalloz, p. 261 et suiv. V. égal. de Pierre BERGER et Jean-Albert LATXAGUE. "La transmission des entreprises:' éd. Fidal, 1990, p. 85 et SUIV. 133

clientèle du fonds de commerce, possède également une double vertu: Primo il ne dépossède pas le propriétaire de son pouvoir puisque le contrat de location-gérance d'un fonds de commerce ne porte que sur les biens meubles incorporels. Secundo dans la perspective d'une succession, la gérance libre de ce fonds par une société d'exploitation permettra à terme, une transmission de l'entreprise facilitée par des structures contractuelles déjà mises en place entre le locateur et le preneur. En ce sens, l'article 1717 du code civil permet aussi la cession du contrat de location-gérance. Mais la faculté de sous-louer le bail demeure suspendue à une clause éventuelle d'interdiction; ce contrat conservant en propre un caractère intuitu personae. Par ailleurs, il n'est pas rare que le bailleur du fonds de commerce et le locataire gérant soient une seule et même personne ou résultant d'une même communauté. Les avantages cités plus haut en sont évidemment le mobile. Cependant la location-gérance à une réalité économique dont la finalité ne doit pas être la recherche d'une fraude à la loi par des manipulations juridiques visant à éluder les charges fiscales et sociales à payer. De plus, l'article 1101 du code civil dispose: "Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une 0 u plusieurs autres, à donner, à faire ou ne pas faire quelque chose." Il en ressort -hormis le statut particulier des E.U.R.L.- qu'il n'est pas permis de faire contrat avec soimême. A cet égard, et à l'occasion d'une procédure collective en règlement judiciaire, le juge-commissaire pourrait y voir malice, dénoncer la validité du contrat et sur présomption d'une confusion de patrimoine, invoquer cognita causa que les intérêts de la société d'exploitation ainsi que ceux du propriétaire du fonds de commerce ne font qu'un. Alors que l'article 10 de la loi du 20 mars 1956 prévoit l'exigibilité des dettes afférentes à l'exploitation du fonds dès la fin de la location-gérance, la collusion établie rendra indéfiniment responsable le propriétaire bailleur des dettes contractées par lui-même au titre de la société de façade qu'il aura créée pour ce faire; a fortiori lorsque la propriété du fonds est constituée du patrimoine personnel d'un entrepreneur individuel, donc particulièrement vulnérable. c) L'associé, joker ou valet de carreau? Sous l'effet d'une procédure l'associé unique d'une E.U.R.L.

134

en redressement judiciaire, est inéluctablement exposé

aux présomptions de faute eu égard aux alinéas 10 et 20 de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985. De lege lata, ces deux dispositions s'annoncent d'emblée antinomiques au statut d'associé unique puisque cette procédure collective peut être étendue personnellement à tout dirigeant de droit contre lequel il serait reproché d'avoir disposé des biens de la société comme des siens, ou d'avoir exécuté des actes de commerce dans son intérêt personnel. La menace est à hauteur de l'incohérence de la situation juridique, puisque l'associé unique -qui ne saurait nuire à nul autre associé- agit obligatoirement dans son intérêt par sa société interposée, et force est de croire que la faute ainsi considérée demeure une réalité incontournable! Par conséquent, il appartient in limine litis au dirigeant d'E.U.R.L. en situation de cessation de paiement, de prouver devant la juridiction consulaire, que l'état d'insolvabilité de sa société ne résulte pas d'une faute de gestion; ceci afin de ne pas devoir supporter physiquement tout ou partie des dettes de sa société assignée en redressement judiciaire, et suivant l'article 160 de la loi précitée. La configuration monolithe de la société d'un seul homme, même si ce dernier est assisté d'un gérant salarié auquel il ne peut d'ailleurs pas déléguer tous ses pouvoirs, fonctionne à contre-courant d'une société pluripersonnelle au vrai sens du terme; réunissant une assemblée de partenaires économiques en partage du collectif d'intérêt et des responsabilités communes. Ainsi dans la pratique, il apparaît de nombreuses incompatibilités dans l'application du nouveau droit de la faillite commerciale, en particulier s'agissant de certaines mesures prévues au plan comme la cession partielle ou la location-gérance; car il y aurait alors potentiellement deux associés. En l'occurrence, le cadre sociétaire de ce contrat unilatéral n'est pas conforme avec la doctrine historique du droit des sociétés français. Néanmoins il constitue un moyen mieux adapté pour les entrepreneurs qui veulent s'investir a v ec modernité et sérieux. Or, pour autant que le législateur y ait contribué, l'E.V.R.L. ne prend pas valeur d'assurance contre tous les risques d'entreprise. Mais n'est-ce point là une gageure que d'inviter les entrepreneurs individuels à entrer dans le monde des sociétés en leur offrant une nouvelle personnalité, sans pour autant qu'il en résulte devant les tribunaux, le banquier ou les grands créanciers de l'Etat, un réel changement d'attitude?

135

En conclusion Au fil des analyses développées autour de l'attente des professionnels ainsi que de l'inquiétude des praticiens dont les commentaires abondent en ce domaine, il apparaît clairement que les dispositifs de prévention et de redressement judiciaires sont davantage redoutés par les créanciers que par les débiteurs.242 Les raisons exposées plus haut sont certes nombreuses, mais une autre réponse s'impose à ce constat que ni l'allongement de la durée de la période d'enquête, ni celui du délai de déclaration des créances au passif de l'entreprise243 ne sauraient infirmer. "Le temps" dimension vital à l'espace économique qui fabrique des délais, morcelle la trésorerie en tranches d'échéances là où les affaires se réalisent presque immanquablement pro rata tempo ris, constitue sans doute un facteur déterminant dans la survie de l'entreprise faite d'opportunité commerciale, de promptitude décisionnelle et de disponibilité financière. Dans l'hypothétique espoir d'un règlement amiable, l'entreprise en difficulté aura-t-elle les moyens d'attendre le résultat de palabres interminables entre les gesticulations du conciliateur et l'impatience des créanciers ?244 La période d'enquête suivant le jugement d'ouverture en R.J. ; qui donne le pouvoir au juge-commissaire de bloquer les sûretés, de forcer le droit des contrats, d'amener en forclusion des créances inscrites tardivement, ne porte-t-elle pas au désespoir les chefs entreprises déjà mortifiés par la lenteur exaspérante des procédures, alors que les débiteurs sont déjà virtuellement condamnés à la liquidation judiciaire 242 Un créancier a rarement intérêt à demander l'ouverture d'un R.J. car il perd alors presque toutes ses chances d'être payé. On estime à 60% des R.J. demandés par les débiteurs; les assignations n'emportent donc pas la majorité des jugements d'ouverture. (V. La vie judiciaire n° 2394 du 24 fév. 1992). 243 Art. 8 al.2 et art. 140 al. 1er de la loi du 25 janv. 1985 modifiés par le déco du 21 avr. 1988 (art. 1eret 1er III) qui double les délais. De même que l'art. 6 de ce déco porte à deux mois (ou quatre hors métropole) le délai de déclaration des créances. 244 Le Président M. ROUGET (Pdt. du trib. de corn. de Paris) compte au moins prendre des mesures préventives édictées contre les chefs d'entreprises incompétents; sachant par ailleurs que les déchéances éliminatrices des mauvais gestionnaires n'ont d'effet préventifs que contre la récidive, non contre les défaillances primaires qui sont pour beaucoup, les plus nombreuses (Op. cil. La vie judo n° 2393). 136

en regard des chiffres statistiques éloquents? Ceci expliquant cela, d'où le succès inévitable des sociétés spécialisées dans le traitement de l'impayé (cf supra: 2ème Part., ~-I-2) qui misent davantage leur action sur la solvabilité potentielle des débiteurs indélicats ou de mauvaise foi, et bien moins dans l'alchimie du nouveau droit des faillites. Après avoir constaté le désastre financiers de quelques 53000 entreprises en 1981, contre 35 000 en 1989 et seulement 20 000 sous l'ancien régime de la loi de 1967, quelques réflexions issues de l'Association française des banques avec le concours du CNPF, ont pour ambition d'amener le législateur à corriger certaines orientations de la loi du 25 janvier 1985. La première des mesures dite d'urgence, viserait à développer la prévention grâce à l'informatisation des greffes déjà équipés pour 80% d'entreeux. Une meilleure utilisation de ces bases de données permettraient de déceler rapidement les entreprises souffrant de réelles difficultés, selon des paramètres mesurant notamment les résultats déficitaires au-delà de 50% du capital social ou du quart du chiffre d'affaire. Des commissions de prévention créées au sein de ces tribunaux pourraient être mises en chantier pour alerter et conseiller efficacement les chefs d'entreprise, alors qu'il serait encore temps de remédier aux problèmes financier et économique des dites exploitations. A cet effort d'information déjà à l'essai dans certaines juridictions consulaires pilotes,245 une autre mesure relance l'idée d'accélérer le traitement des dossiers des entreprises laissées définitivement à l'abandon; dès lors "qu'il est manifeste qu'aucune solution de redressement n'apparaît possible dans l'immédiat ou à terme." En supprimant la procédure de redressement, le tribunal pourrait sans délai passer directement à la phase liquidative; le président du tribunal comme en Allemagne, n'aurait alors qu'à constater l'absence totale d'activité et le vide financier. Mais dans les milieux syndicalistes autorisés, des avocats redoutent le danger que présente une telle intervention de juges dans le domaine privé des affaires, qui dans ce cas de figure pourraient être suspectés d'agir au nom et en place des conseils d'entreprises et de leurs mandants. Avec plus de trois cent mille textes législatifs et réglementaires qui régissent le droit des affaires de notre 245 Tribunaux de

commerce

de Nanterre, 137

Créteil

et Paris.

pays, nous détenons le triste record du nombre des faillites enregistrées en 1991, la Grande-Bretagne nous suivant de près avec 48 000 faillites pour seulement 8 400 en Allemagne la même année. Par ailleurs, il en coûte cent milliards de Francs au budget national avec près de trois millions de chômeurs. Pour nuancer ces chiffres désastreux, il a été constaté par le groupe de travail de l'AFB et du CNPF, que 90% des faillites sont enregistrées parmi les petites entreprises de moins de dix salariés dont le chiffre d'affaire est en majorité (76% d'entre elles) inférieur à 500 KF. Si ce constat revêtait quelque part un regain d'optimisme tant qu'à l'importance relative de ces faillites sur le volume économique national, il serait vite anéanti par un autre constat qui fait état d'un net ralentissement des créations d'entreprises qui est passé de 278 950 en 1989 à 240 832 en 1981, alors même que 30% d'entre-elles ne parviennent pas à passer le cap de leur second anniversaire. La France est devenue le pays des petites entreprises: 2,2 millions de PME pour un total de 2,4 millions d'entreprises de tailles différentes. Presque toutes à leur création se heurtent à la méfiance des agents économiques, lesquels n'osent pas s'engager dans le financement d'entreprises sans référence de gestion antérieure, avec à leur tête des dirigeants sans formation ni expérience. L'action publique élude pourtant ces problèmes majeurs qui se traduisent par un désintérêt de l'appareil bancaire pour financer de nouvelles créations de type entreprenarial réputées aussi peu pérennes. Tel est le constat affiché dans le rapport d'activité de la Sofaris (organisme financier garantissant les prêts bancaires), qui déplore une baisse de 31 % des garanties-créations. Par ailleurs, l'observatoire de l'ANCE (Agence Nationale pour la Création d'Entreprise) ne serait pas hostile à renforcer la compétence des nouveaux chefs d'entreprise en améliorant les contours juridiques de l'Aide aux demandeurs d'emploi créant ou reprenant une entreprise (ACCRE) notamment dans le cadre de Panel Viennet. Et pourquoi pas, à l'exemple des Etats-Unis où les banques sont tenues par le Community Reinvestment Act, à consacrer un effort pour les besoins en crédit d'un quartier; ou comme aux Pays-Bas où il y a obligation de se former au management et à la gestion pour prétendre pouvoir créer son entreprise. Sous des hospices débonnaires où l'indulgence cotoie le laxisme, le pouvoir politique actuel s'enlise dans son obstination et ses échecs, en faisant de la "prévention" un exeat des difficultés des entreprises. 138

TROISIEME PARTIE la loi

«

Neiertz » contre le dopage de l'argent et le syndrome de l'endettement

En 1985, l'alerte fut donnée par l'Association Nationale pour l'Information sur le Logement (ANIL) qui publia une étude portant sur une période de cinq ans, relative aux conditions d'octroi de prêt pour l'accession à la propriété. Déjà à cette époque, il apparut que les « PAP» dépassaient parfois les plafonds convenus jusqu'à grever après déduction de 1'« APL, » plus de la moitié des ressources des emprunteurs. D'autres organismes comme le Centre de recherche et d'étude sur l'épargne, les commissions départementales d'« APL» ou le Comité économique et social de la CEE s'employèrent à informer voire dénoncer les risques accrus de l'usage inconsidéré du crédit comme instrument d'enrichissement immédiat, qui simultanément a pour effet d'appauvrir à court terme le consommateur dans de plus larges proportions.246 Même l'Association des sociétés financières dans un rapport dressé en juin 1985, déplora la croissance vertigineuse du nombre des procédures contentieuses ouvertes à la suite des impayés sur les traites de logement. Malgré cette série d'alertes convergentes et en dépit des mesures législatives successives de 1978, 1979 (Lois Scrivener) 1984, 1988 et 1989,247 l'endettement des français continua de progresser puisqu'en 1988. Le Conseil national du crédit dénombra 53% des ménages en contrat de prêt,248 246 Après imputation mensuelle du remboursement du capital et des intérêts, des charges accompagnant le dossier, de la souscription d'une garantie d'assurance et éventuellement des perceptions forfaitaires annuelles. 247 Loi n° 78-22 du 10 janv. 1978 relative à l'information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit, loi n° 79-596 relative à l'information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier, loi n° 84-46 relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, loi n° 88-15 (art. 51 modifiant. l'art. 4-1 de la L. du 10 janv. 1978) relative au développement et à la transmission des entreprises, loi n° 89-421 du 23 juin 1989 relative à l'information et à la protection des consommateurs ainsi qu'à diverses ~ratiques commerciales. 48 Il fut évoqué lors d'un colloque du Crédit social des fonctionnaires, que plus de 70% des français estiment normal de recourir au crédit (V. « Le Monde » Bilan écon. et soc. 1989, p. 162). 139

inversant ainsi la vieille tradition du « bas de laine» par la constitution d'une « épargne négative. » Ces dernières années, il apparaît que le solde de l'endettement des français se situe aux alentours de 1 757 milliards de francs en 1990,249 alors que les travaux parlementaires précédant la loi du 31 décembre 1989 firent état la même année de quelques 200 000 familles surendettées. Ce chiffre reste très contesté puisque selon d'autres sources, un million et demi de personnes sont à la limite de l'asphyxie et qu'il n'existe pas officiellement de paramètre pour mesurer le silence des uns que cache un sentiment de honte, ou la marge réelle qui permet de déceler la précarité de situations à la limite du supportable; c'est-àdire celle qui précède souvent le désastre financier. En l'occurrence, une étude statistique du surendettement ne permet sûrement pas d'établir un ratio du surendette ment constitué d'indices, de charges et de revenus sur des critères toujours discutables et qui malheureusement, ne saurait tenir compte du seuil psychologique de rupture de l'équilibre matériel d'un foyer familial suivant son train de vie et le contexte social dans lequel il est plongé. Certains observateurs distinguent même deux types de surendettement: le «surendettement actif )) et le )) Le premier résulte de «surendettement passif. l'augmentation des charges par rapport aux ressources, d'où une mauvaise anticipation par l'emprunteur de ses capacités de remboursement. Le second provient d'une cause accidentelle qui provoque une diminution de revenus d'où une augmentation des charges.250 Une autre analyse

distingue primo: la « crise d'illiquidité temporaire

))

qui

s'expliquerait par l'accumulation accidentelle sur une courte période d'échéances et de dépenses imprévues et indispensables. Secundo 1'« insolvabilité durable )) qui ne peut se solutionner sans le concours d'une aide extérieure.251 .54% des ménages français sont désormais propriétaires de leur logement et de leur dettes s'y rattachant. Tel était le but de la réforme « Barre )) en 1978, à une époque où les salaires étaient encore indexés à l'inflation. Le redressement 249 1 900 milliards de francs si l'on compte les entrepreneurs individuels. 250 Pour ces derniers, les causes essentielles résident dans la perte d'emploi, l'éclatement de la cellule familiale par le divorce (24%) ou le décès du conjoint (10%). V. typologie des surendettés en juin 1990 ; Rapport « LERON, » p. 24. 251 Op. cil. Rapport «LERON,» p. 10 et Il.

140

économique opéré par les législatures suivantes marqua le pas, puis amorça une baisse sensible du pouvoir d'achat qui conduisit inéluctablement les français à compenser cette perte imprévisible des revenus, par un crédit de trésorerie sur l'ensemble des produits de consommation. L'escalade amorcée autour de ce catalysant « mode de vie» aidée en cela par une politique de désencadrement, généra de multiples recettes du paiement différé sous le vocable générique du crédit. Ce marché prometteur fut rapidement exploité par les chaînes de distribution qui créèrent leur propres sociétés financières en multipliant et diversifiant les techniques du marché. De sorte, la carte privative proposée à la sortie des grands magasins offre dans une débauche de publicité, des ventes à tempérament de toutes sortes souvent proposées en collaboration avec des organismes bancaires ou autres établissements financiers. Ceux-ci déploient avec science et efficacité une variété toujours renouvelée de prestations au service du prêt consenti à taux fixes ou à taux variables.252 Le crédit manipulé avec habileté, devient indissociable du bien de consommation avec lequel il est vendu. Il revêt toutes les formes de la promotion commerciale depuis le crédit personnel « qui flatte le client ~~ au prêt-relais permanent et renouvelable. Crédit affecté ou crédit revolving, celui-ci pourra même en apparence être consenti gratuitement, devenant par ce procédé incitatif à petites doses d'accoutumance! 253 La psychologie consumériste du crédit repose sur le confort financier comme le prélèvement fixe mensuel, la quasi absence de contrainte d'une carte de crédit et quelques autres clichés misant sur la sécurité ou encore la modernité du système. Le crédit emporte également l'illusion de 252 Une affaire qualifiée de « vente forcée » avait défrayé la chronique judiciaire en 1989 : Qui dit rien consent! L'opération de banque consistait à envoyer à l'ensemble de la clientèle d'une agence, une offre de crédit à la carte qui à défaut de réponse de la part du client, était attribuée d'office avec prélèvement automatique sur le compte courant du montant de l'adhésion. 253 A l'occasion des fêtes de fin d'année 1991, les grands magazins développèrent autour d'une carte d'achat privative, des remises de 10% consenties sur des produits aux seuls détenteurs de celle-ci ou à l'occasion de l'ouverture de ce compte à la caisse. Cependant la publicité se gardait bien d'afficher sur la même ligne le taux usuel du crédit pratiqué, bien entendu au-delà de 10%, laissant ainsi au client potentiel l'illusion d'acheter moins cher un article à crédit; pratique certes déloyale sinon prohibée mais habilement contournée dans l'illusion et l'ignorance présumée des consommateurs. 141

devenue "démocratiser" la société de consommation miraculeusement à portée de toutes les bourses, même si insidieusement il hypothèque l'avenir et le travail des emprunteurs. Nous ne saurions pénétrer au cœur de cette pathologie freudienne de l'endettement et sous le seul angle fermé du crédit comme facteur de boulimie morbide de la consommation. Mais force est de constater que l'ensemble des réformes apportées par la loi n° 89-10 I 0 du 31 décembre 1989 est tourné vers la protection exclusive des emprunteurs et de façon ostentatoire, contre la prévarication des créanciers de la finance que dissimulent mal les termes de prévention ou de redressement. En effet, des deux procédures collectives finales on ne retient aucune disposition liquidative ou punitive à l'instar de l'article 22, 1er al. de la loi du 1erjuin 1924 relative à la faillite civile dans les départements du Rhin et de la Moselle,254 ou comme le prévoit l'article 169 de la loi du 25 janvier 1985 concernant les difficultés des entreprises. Avec une détermination jusqu'au-boutiste, le législateur se montra résolument partisan d'une évolution doctrinale en faveur de l'emprunteur impécunieux et malchanceux. Sans doute guidé par cette priorité dite d'urgence sociale, le gouvernement dû suspendre des travaux parlementaires issus de la même cession, d'un important projet de loi portant réforme des procédures civiles d'exécution qui vit cependant en partie le jour dix neuf mois plus tard. Il est probable que les thématiques de ces deux projets entraient en contradiction idéologique car il eut fallu alors manier l'épée et le bouclier. En dépit de cette fâcheuse pudeur politicienne, n'eut-il pas été préférable d'articuler ces deux textes en vue d'adapter les procédures d'exécution comme la phase finale du redressement judiciaire civil? L'huissier de justice n'est-il pas ex re ipsa le maillon manquant d'une procédure collective inachevée?

254 Le droit local des régions Alsace et Lorraine héritières du droit germanique, maintint le principe de la faillite civile en exercice depuis le 8 juillet 1897 (Gesetzblatt fUr Elsass-Lothringen) ; époque à laquelle le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle étaient rattachés à l'Empire allemand. L'introduction des lois commerciales françaises n'entama pas cette disposition particulière nonobstant l'abrogation des lois commerciales locales par l'article 5 de la loi du lerjuin 1924. 142

Dans un premier volet, notre analyse portera sur l'examen de la situation nouvelle du crédit, ainsi que des conséquences civiles, commerciales et communautaires qui en résultent en droit privé [Chap. 1er]. Découvrir les arcanes et atermoiements juridiques dès nouvelles procédures contractuelles et contentieuses en matière de règlement amiable et de redressement judiciaire civil feront l'objet de notre second volet [Chap. 2ème]. CHAPITRE PREMIER le crédit:

de la réglementation

à la consommation

Le crédit est un terme ambivalent ,selon qu'il recouvre une simple notion de dette qui s'inscrit au passif du débiteur, ou qu'il constitue une créance disponible et productrice de richesse autant pour le prêteur que l'emprunteur. Mais le crédit est aussi comparable de nos jours à une monnaie qui s'échange ou s'achète en particulier sur le marché secondaire des créances internationales.255 Sur le plan national, cette mobilité des créances fut notamment illustrée par la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 (section I) relative aux actes de cession ou de nantissement de créances professionnelles. Aux bordereaux « Dailly » instrument de sûreté redoutable, s'ajouta une autre forme de cession du crédit par la création de fonds communs de créances bancaires institués par la loi n° 88-1201 du 23 décembre 1988. Ces fonds, véritables valeurs mobilières constituées en copropriété, permettent à des établissements de crédit d'émettre en une seule fois des parts représentatives de leurs créances ainsi cédées. A ce phénomène de tritisation financière, n'oublions pas l'affacturage commercial qui constitue aussi dans un autre genre un moyen de rachat des créances; le factoring comme nouvel instrument monétaire international. Bien de consommation ou valeur monétaire, le crédit est inéluctablement soumis aux lois naturelles de la concurrence qui, pour ce type de produit assez particulier, se détermine à 255 La dette constitue un véhicule financier pour les industriels qui désirent invertir dans les pays endettés. Ainsi, plutôt que d'acheter en devises fortes de la monnaie locale, ceux-ci leur achètent au rabais des créances extérieures par le biais de mécanismes d'adjudication: les enchères étant généralement emportées par ('offrant qui en accepte le plus vil prix en monnaie du pays. 143

hauteur des taux d'intérêts pratiqué sur des prêts conventionnels ou usuraires [I]. Mais au delà de la réglementation du crédit, quelle sera l'efficacité des nouvelles thérapeutiques générées par le législateur contre l'irresponsabilité de certains emprunteurs ou la malchance de débiteurs présumés de bonne foi? [II] 1- La réglementation directive de la C.E.E.

de l'usure en droit interne et la

1) Les grands principes de la loi contre l'usure

Le droit interne généralement tourné vers une réglementation ciblée sur la vente à crédit ou la locationvente, s'avère souvent mal expérimenté voire inefficace devant les méthodes modernes de l'emprunt personnalisé; parfois dissimulé sous un découvert bancaire permanent, mais le plus souvent revêtu de la carte de crédit privative qui se multiplie dans les poches du consommateur. Ipso facto, la directive de la CEE de 1987 (JOCE/L. n° 42 du 12 février 1987)256 a défini les moyens futurs de protection des consommateurs, qui devront entre autres mesures harmoniser les droits nationaux sur la valeur du taux annuel effectif global (TAEG) dans un cadre communautaire. Si le 1er janvier 1993 marquera l'entrée en vigueur de cette directive décidée en juin 1989 par les ministres de la consommation de la c.E., la France et la R.F.A. ont déjà repoussé cette échéance au 1er janvier 1996,257 pour se ménager durant cette période transitoire le temps nécessaire à la mise en place d'un nouveau mode de calcul compatible avec ceux des autres partenaires dont les méthodes s'avèrent plus proches de celle de ladite directive. Mais alors, tandis que le temps devait pouvoir permettre de mieux gérer cette normalisation, que penser de la précipitation soudaine par laquelle est intervenue la réformation de la loi du 28 256 Directive du Conseil du 22 décembre 1986 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de crédit à la consommation (87/102/CEE). L'article 2 de cette directive ne concerne que les crédits à la consommation; les crédits immobiliers n'entrent donc pas dans son champ d'application. 257 Cependant, le Conseil devra se prononcer six mois avant la fin de cette période de transition obtenue par ces deux Etats membres, sur la formule définitive du TAEG. 144

décembre 1966 relative à l'usure ?258 Bousculant les délais et contre toute attente259 -car Véronique Neiertz avait ellemême estimé à plus de cinq ans la période d'adaptation souhaitée par la France lors de la notification de la directiveles responsables politiques auront ainsi prouvé qu'ils savaient faire vite dès lors qu'il s'agissait d'un enjeu national, nonobstant les échéances européennes toujours repoussées! En l'occurrence, le calcul du TEG selon la méthode proportionnelle utilisée en droit interne,260 aurait pu à cette occasion franchir un premier pas vers un rapprochement de l'arithmétique communautaire du TAEG contenue dans la directive (art. 3), qui obéira en 1996 à la méthode dite d'équivalence déjà en pratique dans la plupart des pays membres. Il serait cependant exagéré de condamner l'ensemble du dispositif mis en place au titre II de la prévention des situations de surendettement des particuliers. En effet, un grand nombre de modifications législatives abonde dans le sens de la directive de 1987, et renforce l'objet de la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978 relative à l'information et la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit. De sorte, l'information sur le crédit, la publicité, le contenu des contrats, les relations entre l'emprunteur et le prêteur compris dans les objectifs européens de la réglementation du crédit à la consommation, sont point par point repris aux articles 19, 21 et 22 de la loi du 31 décembre 1989. Le rapprochement des législations en la matière n'est donc pas discutable puisque s'agissant des obligations introduites, on découvre par exemple que dans le texte de la loi susvisée (art. 29 II-2°), une disposition permet à l'emprunteur de s'acquitter sans indemnité du remboursement anticipé d'un crédit,261 laissant par ailleurs au

258 L. n° 66-1010, art. 1er et suppression de l'art. 2. 259 A Ih 20 du matin après plusieurs amendements parlementaires, quelques minutes ont suffit pour modifier la loi sur l'usure. Rappelons par ailleurs que le projet de loi n° 485 fut adopté par le Conseil des ministres après déclaration d'urgence. 260 Art. 1er du déco n° 85-944 du 4 sept. 1985 relatif au calcul effectif ~lobal (TEG). 61 L'art. 8 de la directive prévoit que le consommateur qui s'acquitte par anticipation de son contrat de crédit a droit seulement à une réduction équitable du coût du crédit, alors que la loi française (art. 19 mod. de la L. du 10 janv. 1978) supprime toute indemnité de remboursement anticipé de prêt obtenu indifféremment sur les biens de consommation ou immobilier. 145

prêteur le droit de refuser un remboursement partiel inférieur à un montant fixé par décret. Mais c'est au niveau du TEG qui détermine les limites des taux usuraires que le bât blesse. Pour s'en expliquer au regard de la loi de 1966, le dispositif mis en place à cette époque permettait de fixer les limites du taux de crédit selon une logique dualiste: Le premier butoir définissait le taux d'usure en majorant de 25% le taux moyen pratiqué. Le second butoir prenait pour référence le double du taux plafond, c'est-à-dire du taux moyen de rendement effectif des obligations émises au cours du semestre précédent. Or, la nouvelle définition législative implique que les prêts conventionnels sont désormais considérés usuraires dès lors que le taux pratiqué excédera de 33% le TEG, à ceci près que le taux effectif moyen (rEM) retenu est celui pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit, et que ces opérations sont classées en fonction de leur nature et des critères de risque qu'elles comportent, à l'exception des prêts en devises dont les taux d'intérêt dépendent du marché des changes.262 Demeure que cette démultiplication de taux catégoriels ajoutera à la confusion des consommateurs de crédit (attaché à quel produit, à quel taux de référence ?). Enfin, répondant à l'exigence de l'article 5 de la directive qui procède: « que soit indiqué le coût total du crédit au consommateur, » le TEG ne saurait être augmenté de perceptions forfaitaires supplémentaires (placement rémunéré du crédit au bénéfice des vendeurs ou employés de banque) ; plus-value inflationniste qu'il ne sera désormais plus possible d'inclure dans cette règle à calcu1.263 En résumé, le comité des usagers pourtant à l'origine de cette réforme -mais trahi semble-t-il par de nombreux amendements qui selon lui ont détourné l'objectif initial à atteindre- constate: Primo, un seul calcul de base, mais une base morcelée par des taux d'usure déterminés dans un éventail de prêts suspendus au lobby de la finance, quand bien même la Banque de France et le Conseil national du 262 V. l'Arrêté du 25 juin 1990 pris en application de l'art. 2 du décret n° 90-506 du 25 juin 1990 relatif à l'application de l'art. 1er de la loi n° 66-1010 du 28 déco 1966, et du même jour, l'Arrêté fixant les catégories de prêts servant de base à l'application de la loi n° 66-1010 du 28 déco 1966 relative à l'usure, aux prêts d'argent et à certaines opérations de démarchage et de publicité (J.O. du 26 juin 1990 p. 7387). 263 Art. 27 de la L. du 31 déco 1989 modifiant l'art. 22 de la L. du 10 janv. 1978 et l'art. 30 de la L. du 13 juil. 1979. 146

crédit en détiennent le contrôle. Secundo, une plus grande clarté du TEG mais un taux dont l'évolution pourra évoluer deux fois plus vite264 selon la conjoncture économique du moment. Tertio, un appel à la concurrence entre les établissements de crédit, mais qui pourrait dégénérer en surenchère ~uisque les banques suviront elles-mêmes de référence,2 5 et que le Gouvernement en 1989 a déjà fait monter la barre du taux plafond de 25 à 33%. Quarto, n'est-il pas regrettable d'avoir écarté la référence faite aux taux des obligations qui jusqu'alors, interdisait les créanciers prêteurs de s'enrichir deux fois plus vite que les épargnants? 2) La réglementation des taux: T.E.M., T.E.G., catégories de prêts Le décret n° 90-506 du 25 juin 1990 (J.O. du 26, p. 7386) attendu avec intérêt par les professionnels du crédit, fixe les conditions de calcul et de publicité des TEG, et répond à la réforme de l'usure prévue à l'article 29 de la loi «Neiertz. » Rappelons brièvement les modifications majeures apportées à l'article 1er de la loi du 28 décembre 1966 : 1° Lorsque le TEG pratiqué au cours du trimestre précédent par un organisme de prêt excédera de plus d'un tiers le TEM, le prêt sera alors réputé usuraire. 20 Le troisième alinéa de l'article précité est supprimé. Il constituait le second butoir par lequel le TEG au moment où il était consenti ne devait pas excéder le double du taux moyen de rendement effectif des obligations émises au cours du semestre précédent. En d'autres termes (comme il est indiqué plus haut), il n'était pas possible au prêteur de percevoir deux fois plus d'intérêts que ceux auxquels pouvaient prétendre les épargnants en équivalence des sommes réalisées. D'aucuns déplorent que cet obstacle

264 Semestriellement par le passé, l'avis concernant l'application de l'art. 1er mod. de la L. du 28 déco 1966 relative à l'usure et aux prêts d'argent publie les nouveaux taux recalculés des TEM tous les trimestres depuis le 1er 'ui!. 1990. 26d Ainsi, la méthode de calcul utilisée par les pouvoirs publics qui n'ont désormais d'autre repère que la pratique des établissements financiers désormais souverains en la matière, revient à instaurer une quasi liberté des taux d'intérêts et de l'usure. 147

idéologique ait été levé266 car il n'existe plus de frein ou de référence extérieure aux établissements de crédit, sinon leurs propres indices mis en concurrence -observés pour des opérations de même nature comportant des risques analogues- et qui serviront dorénavant de paramètre. 30 Le second critère étant subordonné à une période rétroactive de six mois, cette référence ne porte plus désormais que sur les trois mois imputables à une seule analyse retenue au premier alinéa, d'où un risque constant de dérapage inflationniste des taux d'intérêts nonobstant le jeu de la concUrrence évoquée plus haut.267 40 L'interdiction qui est faite aux articles 27 et 28 de la nouvelle loi portant sur la rémunération des vendeurs, salariés ou non d'un organisme bancaire sur des crédits obtenus pour le compte de leurs clients, écarte les prérogatives du Conseil national du crédit en matière de fixation de barème des commissions ou de rétribution au prorata, sinon que cette dernière peut encore exercer un contrôle et limiter les abus. Si de prime abord cette disposition a le mérite d'alléger les charges qui gravitent autour du crédit, les succédanés (primes de rendement, prime de productivité ou de résultat) auront tôt résisté aux dispositions de l'article 22-1 de la loi du 10 janvier 1978 ainsi que celles de l'article 30 A de la loi du 13 juillet 1979. Demeure les risques encourus par les employeurs en cas de confiscation de ladite prime qu'un arrêté du 7 janvier 1946 pourrait sanctionner en vertu des conventions et usages, mais surtout devant les sanctions pénales applicables en cas de rémunération du vendeur en fonction d'un taux de crédit proposé (décret n° 91-1137 du 31 octobre 1991, J.O. du 3 novo 1991 p. 14405). Ce décret n'apporte cependant in principio aucune précision technique sur l'établissement des TEM, sinon qu'il désigne la Banque de France seule comptable des mouvements fluctuants des taux d'intérêts, et que ces calculs fixant l'état des taux de référence et des seuils d'usure font 266 Cependant cette référence au taux moyen de rendement des obligations (Art. 38 du déco n° 84-709 du 24 juil. 1984) reste valable pour la fixation du prix pour paiement comptant (art. 4-1 de la L. n° 78-22 du 10 janv. 1978) qui oblige les vendeurs offrant à leur client de prendre à leur charge tout ou partie des frais de crédit, de proposer un prix pour paiement comptant inférieur à la somme initialement convenue pour l'achat à crédit (V. avis rectif. J.O. du 27 juil. 1990 p. 9129). 267 Nous avons observé que le TEM pour les prêts aux particuliers à taux fixe a déjà augmenté de près de 4% en dix huit mois (11,89 au 4e trim. 1991 pour 11,45 au 2e trim. 1990). 148

l'objet d'avis trimestriels publiés au J.O. à chaque fin de trimestre. Néanmoins il ressort à l'article 2 de ce décret que les prêts dont les taux sont réglementés, administrés 0 u bonifiés par l'Etat n'entrent pas dans ce calcul, de même lorsqu'ils concernent les entreprises au-delà de certains montants et en fonction des délais de remboursement qui s'y rattachent. Si une simple approche arithmétique permet d'établir le TEM, des variations corrigées par la Banque de France s'opéreront dans des cas exceptionnels faisant état de déséquilibre entre le coût et les ressources des établissements de crédit, intervenu entre la période d'enquête de la B.F. et la publication au J.O. On comprendra que cet élargissement en direction du Conseil national du crédit vise à éviter tout conflit voire la fermeture intempestive des robinets de 1'« épargne négative» des français, d'où une chute brutale de la consommation nationale aux conséquences économiques incalculables. Afin que les emprunteurs s'y retrouvent dans l'amalgame de ces mesures et des corrections ponctuelles qui viendront s'y rapporter, les prêteurs sont tenus d'informer leur clientèle des seuils d'usure correspondant aux opérations qu'ils réalisent et de fournir ainsi la preuve de la régularité de leurs engagements. Dans cet optique où la transparence implique responsabilité et rigueur, l'arrêté du 25 juin 1990 fixe de façon laconique les catégories de prêts d'argent selon deux cas de figure: En premier lieu, lorsque les prêts entrent dans un domaine immobilier, il est retenu trois types d'emprunts; à taux fixe, à taux variable et les prêts relais. En second lieu et dans le domaine réservé au crédit à la consommation,2681es prêts se distinguent selon qu'ils sont consentis sans condition de fond mais pour un montant n'excédant pas 10 OooF, ou lorsqu'ils sont personnels et supérieurs à cette somme. Sont également admis dans cette catégorie les emprunts obtenus pour le financement d'achats ou de vente à tempérament ou encore sur le motif de découvert en compte bancaire. La directive indique une fourchette des contrats de crédit à la consommation dont les montants ne peuvent être inférieurs à 200 Ecus et supérieurs à 20 000 Ecus. D'autre part, observons que les crédits consentis sous forme d'avance sur compte courant par un établissement financier sauf les 268 Suivant l'art. 2 de la directive (87/102/CEE).

149

du Conseil

du 22 déco 1986

comptes liés à des cartes de crédit, figurent parmi les exclusions; disposition non retenue en droit national nonobstant le rapprochement annoncé des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de crédit à la consommation. Bien que n'entrant pas dans le domaine réservé de la loi «Neiertz, » les prêts aux entreprises sont également réglementés dans ce cadre législatif plus large de l'usure.

11-De l'information à la protection du consommateur Plus qu'une réforme législative, il sera bientôt nécessaire que les pouvoirs publics engagent contre cette propension permissive du crédit aveugle et la croissance vertigineuse des déconfitures qu'elle provoque, une campagne éducative au profit des candidats emprunteurs et un code de déontologie propre à atténuer une certaine idée de la philanthropie qui accompagne l'offre de crédit comme moyen d'accès privilégié à tous les modes de vie de la société de consommation.269 Si le crédit donne parfois l'illusion de rompre avec les barrières sociales en allongeant artificiellement le pouvoir d'achat, si encore la monnaie plastique a parfois la vertu miraculeuse de soulager un instant de déprime, il n'en demeure pas moins que cette forme de thérapie romlue à la science du mercandising est 70 en particulier lorsqu'elle est mise à I a dangereuse, disposition de consommateurs psychiquement fragiles, imprudents voire irresponsables. D'aucuns considèrent que la pression publicitaire exercée par les nouvelles générations de vendeurs est inégale face à la résistance d'un consommateur moyen qui doit pouvoir conserver un raisonnement lucide devant la tenaillante incitation et le vertige de l'envie. L'achat à crédit efface la notion de prix, d'où la valeur économique potentielle que représente le produit en contrepartie d'un revenu. Pire, l'effet de fascination exercé 269 Dans 72% des cas, le surendetté a environ huit prêteurs et la moitié de la population est titulaire de près de cinq crédits. Enfin le taux d'endettement se situent entre 40 et 70% des revenus. 270 Méthode fondée sur la recherche des motivations. Voir « La persuasion clandestine» de Vans PACKARD (Nouv. éd. CaJmann-Levy, 1989 : collection liberté de l'esprit traduit de l'américain). L'auteur dénonce l'influence croissante dans la société américaine depuis le début du siècle, des techniques mises au point pour le compte des agences publicitaires (état de conscience modifié par la suggestion hypnotique du consommateur).

150

par le crédit donne l'illusion à l'homme jeune et dynamique d'avancer plus vite dans une société de progrès. Il se présente toujours opportunément comme la chance de l'homme au profil moderne et actif. Mais ce qui est vrai pour une entreprise qui a la faculté de déduire ses charges de crédit de ses bénéfices industriels et commerciaux, ne l'est pas pour un particulier -sauf intérêts versés au titre d'un prêt au logementqui aura à supporter la totalité du coût de son emprunt. Or, le crédit à la consommation est un service lucratif qui accompagne le commerce en majorant généralement le coût d'un achat de près d'un tiers sa valeur, si l'on tient compte audelà des intérêts, des participations forfaitaires variables d'un établissement à l'autre et souvent sans réelle indication les justifiant. Consenti à titre gratuit, le crédit n'en est pas moins onéreux puisqu'il ne permettra pas à l'acheteur de revendiquer l'escompte auquel il aurait pu prétendre en cas de paiement comptant.271 Globalement, le nombre des ménages endettés sur ces dernières années oscille autour de 50%. La charge de l'endettement a augmentée plus vite que le revenu disponible par ménage. On constate également que si l'endettement immobilier demeure prépondérant, la croissance des crédits mobiliers à court terme progresse de manière significati ve.272 Cependant notre pays n'a pas encore atteint les records enregistrés aux Etats-Unis puisque 80% des américains sont habituellement débiteurs d'une banque ou d'un fournisseur.273 Tandis que le taux d'endettement des

271 En vertu de l'art. 21-II-2° de la loi du 31 décembre 1989. 272 En 1989, les français auront dévoré 345 milliards de francs en crédit pour un encours global de 1 350 milliards de francs chiffré fin 1988 ; soit supérieur au budget annuel de l'Etat à cette époque. Les statistiques monétaires prouvent que cette évolution est durable puisque l'encours des crédits distribués aux particuliers par les établissements de crédit atteignait 1 642,7 milliards de francs en 1989 et 1 757 milliards en 1990, même si la progression est ramenée de 11,2% en 1985 à environ 7% ces dernières années. Enfin les crédits à court terme aux particuliers se chiffraient à 60 milliards de francs en 1980, puis sont passés à 390,5 milliards de francs en 1990 (source: Banque de France et Observatoire de l'Endettement des Ménages). 273 L'encours total des prêts hypothécaires et des crédits à la consommation est passé de 1 300 milliards de dollars à la fin de 1980 à un peu moins de 3 400 milliards de dollars à la fin de 1990 ; soit une croissance annuelle de 10%. (Cf: Glenn B. Canner et Charles A. Luckett : « Payment of Household Debts. » Federal Reserve Bulletin, Conseil des gouverneurs, Division de la recherche et des statistiques. (ln Problèmes 151

familles en R.F.A. est voisin de 15%, il ne dépasse pas 7% en France. Enfin que dire de nos voisins britanniques qui, dans une spirale infernale de prêts, gèrent leurs contentieux en épongeant les impayés par des offres de crédit en volume toujours plus élevé ,274 Le particulier moins aguerri aux techniques commerciales du monde des affaires et moins bien protégé puisqu'il ne dispose pas d'une réelle comptabilité fiscale et de paravent juridique qu'offre notamment la personnalité morale d'une société, a davantage besoin de nos jours d'une réglementation cohérente -et ce malgré lui- qui tend à fixer les limites raisonnable du crédit, mais aussi d'une assistance sinon d'un conseil ainsi que le prévoit l'article 6 de la loi relative au surendettement. Un total désencadrement du crédit275 installerait inéluctablement le désordre social et une cascade de banqueroutes personnelles. c'est pourquoi, faisant suite aux réformes « Scrivener, » d'autres mesures nouvelles ponctuées d'une vigilance réglementaire accrue ont été instaurées au titre II de la loi « Neiertz. » 1) Délais de réflexion et de rétractation

Les dispensateurs de crédit devront dorénavant s'employer au-delà du formalisme rigoureux de l'offre préalable de prêt (art. 5 de la L. n° 79-596 du 13 juil. 1979), à user d'habileté non plus seulement pour convaincre et décider l'emprunteur potentiel, ma~s à déceler la probabilité d'une acceptation loin de l'imprégnation subjective durant les délais de réflexion ou économiques -la Documentation française- n° 2.249 du 14 novo 1991, p. 26 et suiv.). 274 Dès sa prise de fonction comme Premier ministre début 1988, Margaret Thatcher entreprit une vaste campagne pour l'accession à la propriété à l'aide de prêts bonifiés, mais qui aboutira quelques dix ans plus tard avec la baisse des revenus et la croissance du chômage, à un désastre financier sans précédent sur l'ensemble du Royaume. De nombreuses maisons individuelles -qui sont la fierté des sujets britanniques- sont mises aux enchères publiques, et la déconfiture frappe en particulier les petits revenus incapables d'honorer les lourds intérêts contractés lors des premiers emprunts souscrits en période d'inflation. En chiffre, il est possible de comparer l'endettement des britanniques qui se chiffre à 81,3% du Produit Intérieur Brut, alors qu'il n'est de 35,7 % en France, 31,S % en R.F.A., 29,8% aux Pays-Bas, 10,5% en Italie, 34,1 % au Japon, mais 71% aux U.S.A. ~source INSEE, 1986). 75 La levée progressive de l'encadrement du crédit jusqu'à sa suppression totale en 1986-1987 n'est qu'un leurre puisque les taux restent au demeurant contrôlés et certains prêts bonifiés. 152

de rétractation réaménagés, c'est-à-dire en dehors des effets suggestifs de l'approche du produit et le pouvoir de persuasion du contact professionnel du vendeur. Cet appel à la prudence est illustré dans le contenu de l'article 20 du 31 décembre 1989 qui stipule que l'acquisition d'un logement neuf par un particulier ne devient définitif qu'au terme d'un délai minimum de sept jours durant lequel ce dernier dispose d'un pouvoir de rétractation. Une loi n° 92-60 du 18 janvier 1992 renforçant la protection des consommateurs276 ajoute même à l'article 7 de la loi n° 72-1137 du 22 décembre 1972 relative à la protection des consommateurs: « Quiconque aura abusé de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visites à domicile, (suivent sept alinéas qui incluent toutes sortes de solicitations personnalisées; téléphone ou télécopie, réunions ou escursions, foires ou salons) pour se faire remettre sans contrepartie réelles, des sommes en numéraire ou par virement, des chèques, des ordres de paiement par carte de paiement ou carte de crédit, ou bien des valeurs mobilières, au sens de l'article 529 du Code civil sera puni d'un emprisonnement [...] et d'une amende [...] ou l'une des deux peines ... » (art. 1erde la loi du 18 janvier 1992). Cette inaptitude présumée de l'emprunteur non professionnel à l'engagement immédiat peut paraître navrante voire humiliante. Mais ce délai unilatéralement suspensif permet de sorte le droit à l'erreur, et renforce d'autant les garanties de solvabilité de l'emprunteur dans l'intérêt évident des cocontractants. L'information et la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier sont également renforcés dès l'annonce publicitaire remise à l'emprunteur, qui doit comporter la mention obligatoire d'un délai de réflexion de dix jours. Cette vente subordonnée à l'obtention d'un prêt entraînerait à défaut de respect scrupuleux de ces obligations énoncées; le remboursement des sommes déjà versées, voire la rédhibition dans le cas où la vente serait avancée. De plus, à compter du quinzième jour suivant la demande de remboursement, cette somme devient productive d'intérêts au taux légal majoré de moitié.277

276 Plus connue pour son introduction en France à la publicité comparative. (10. du 21 janv. 1992, p. 968). 277 Art. 20 de la L. du 31 déco 1989 modifiant les art. 4, 17 et 28 de la L. du 13 juil. 1979. 153

2) Transparence

et facilités

De la suppression des pénalités de remboursement anticipé sur les prêts à la consommation,278 à l'interdiction de rémunération salariée ou la guelte prélevée sur le placement d'un crédit à la vente,279 ces réformes présentent sans nul doute un progrès notable pour la transparence des taux d'intérêt. Par ailleurs, l'encadrement de l'information relatif à certaines promotions proposant un crédit gratuit, suppose l'obligation d'honnêteté en regard du langage publicitaire souvent abscons dès qu'il s'agit de faire savoir ce que le profit des uns coûtera aux autres. En effet, le montant de l'escompte consenti en cas de paiement comptant -qui doit être clairement indiqué sur l'annonce- reconstitue le coût réel d'un crédit faussement gratuit.280 Dans ce même esprit, toute publicité assimilant les mensualités de remboursement à des loyers ou faisant référence à des prestations sociales pour le calcul d'échéances non assurées dans les termes du contrat, est prohibée à l'article 22-II-2°, ainsi que l'annonce hors des lieux de vente, de périodes de franchise supérieures à trois mois (art. 21-111°). Il convient en effet de limiter l'incitation au paiement différé des premières mensualités qui accroît le risque de surendettement à moyen terme, par le maintien immédiat d'un pouvoir d'achat. Or ce dernier, dans l'illusion ou la paresse intellectuelle, se prête commodément dans cet intervalle à d'éventuelles imprudences souvent déconsidérées dans le vécu euphorique ou cornélien de l'instant présent. « Aujourd'hui dans le trône et demain dans la boue. » 3) Autres mesures d'information

Parmi les grandes lignes de cette réforme, au second chapitre de la loi qui a pour objet de redéfinir la prévention du surendettement des particuliers, l'idée dominante fut de réaménager le calcul du TEG afin de mieux confondre les prêts usuraires (cf supra). Néanmoins, loin de négliger certains détails, le législateur s'est attaché à mettre en place quelques garde-fous contre certaines nouvelles techniques du 278 Art. 19 mod. de la L. du 10 janv. 1978. 279 Le crédit n'étant que l'accessoire du produit vendu, cette correction juridique doit conduire les diffuseurs commerciaux à plus de lucidité ~rofessionne]]e. 80 Art. 21-1 de la L. du 31 déco 1989. 154

crédit à la consommation; tel que le crédit revolving consenti sous l'apparence d'une avance de trésorerie, le découvert en banque moyennant des taux d'intérêts variables mais toujours supérieurs de cinq à six points au taux fixe de référence, les prêts reconductibles sans limite de durée si ce n'est l'établissement d'un plafond négocié. Dorénavant, l'article 191-20 précise la durée du contrat de prêt à un an renouvelable qui de surplus, oblige le prêteur trois mois avant l'expiration dudit contrat, à fixer les modalités d'un remboursement rééchelonné des sommes restant dues dès lors que le débiteur renonce au bénéfice de ce prêt. Le renforcement de la prévention passe également par l'obligation d'information de toute modification des taux de crédit, auquel cas le prêteur doit fournir à l'emprunteur une nouvelle offre, excepté lorsque le taux d'intérêt variable pratiqué est préalablement explicité dans les termes du contrat (art. 26). Enfin conformément à l'article 5 de la directive du Conseil, l'article 4 de la loi du 13 juillet 1979 relatif à la publicité des prêts immobiliers est complété par l'obligation de présenter de manière parfaitement lisible et compréhensible, toutes les mentions obligatoires s'ajoutant aux éléments chiffrés; tels que la durée de l'opération proposée, le coût du TEG et le délai de réflexion imposé par la loi. 4) Protection de la caution Dans la mosaïque de cette loi, une grande part de novation législative fut consacrée au dernier titre po ur renforcer le sort des cautions (art. 19 et 22). Ce n'est pas par hasard si le législateur s'est intéressé de plus près aux incidents du cautionnement par projection du surendettement de la garantie elle-même. Deux pôles d'intérêts ont suscité ce goût de réforme: en premier lieu le formaliste contractuel de cette sûreté (a). En second lieu la capacité d'être ou de ne pas être caution (b). a- La forme contractuelle de cette sûreté Après une légère refonte de l'article 1326 du Code civil par une loi du 12 juillet 1985 relative à la preuve des actes juridiques, d'autres dispositions parcellaires sont venues renforcer la protection des cautions; en matière de crédit à la consommation (loi du 10 janvier 1978), ou en matière de crédit immobilier (loi du 13 juillet 1979). 155

Or, la loi « Neiertz » a ceci de plus que les lois «Scrivener, » qu'elle rend plus clair l'énoncé de la formule manuscrite sous seing privé en supprimant toute ambiguïté sur le montant de la somme à garantir par la caution.281 En effet, la totalité de la créance couverte et pour une durée déterminée, inclut le principal, les intérêts ainsi que les pénalités de retard le cas échéant, mais exclut tout dépassement. Cette formule s'applique aussi bien pour le cautionnement simple que pour le cautionnement solidaire. Selon certains commentaires, il apparut que cette rédaction jugée emphatique, pourrait soulever quelques difficultés, à savoir; qu'elle s'oppose à la liberté contractuelle "sous les fourches Caudines d'une formule rédigée à la hâte... "282 A cela plusieurs inconvénients: D'une part, en entourant la caution d'une trop grande protection notamment en limitant la durée du contrat, ce formalisme excessif pourrait provoquer l'empressement des établissements de crédit qui, soucieux de ne pas se voir opposer de forclusion, engageront prématurément des poursuites légales sans laisser place à une action amiable jusqu'ici jugée habituelle. D'autre part, ces mêmes créanciers pourraient dans l'avenir se détourner de ce type de garantie pour lors moins viable et devenu incertain. Par ailleurs, si le montant du principal de la créance devient inférieur au plafond fixé sur le contrat de cautionnement, sauf clause contraire, la caution pourrait se voir réclamer jusque dans cette limite, les intérêts et accessoires de la dette qu'elle aurait peut-être pu éluder par une autre logique, que la rédaction du contrat-type ne lui permet plus. A ces conditions de validité du cautionnement s'ajoute pendant toute la durée du contrat, l'obligation d'information par l'établissement prêteur dès le premier incident de paiement du débiteur principal, à peine de désintéressement

281 « En me portant caution de X., dans la limite de la somme de

...

F

couvrant le paiement du principal et des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X. n'y satisfait pas lui-même. » 282 Cf: P. BOUTEILLER ; Les Petites Affiches n° 21 du 16 avril 1990, p. 19. V. égal. de M. VION ; Répertoire du notariat defrenois, 1990, art. 34 746, p. 325, et F. DERRIDA; "Situation des cautions dans le redressement judiciaire," Les Petites Affiches n° 9, 20 janv. 1989. 156

des pénalités ou intérêts de retard échus à la date constatée de la défaillance.283 b- La capacité d'être caution

Une inquiétante responsabilité pèse désormais sur les établissements de crédit; quant au choix de la caution dont on ne saurait plus désormais se contenter de sa bonne foi et de ses déclarations sur l'honneur. Une autre difficulté vient ainsi accroître les risques inhérents à cette sOreté personnelle, puisque le contrat de caution est nouvellement subordonné à une enquête préalable de solvabilité284: A savoir, que lors de la conclusion dudit contrat, le prêteur doit s'assurer que l'engagement de la caution n'est pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Bien que cette précaution semble a priori fondée et de nature à satisfaire chacune des parties, il paraît cependant difficile d'appréhender avec certitude la somme des biens, des dettes éventuelles et ressources portant en garantie de la dette principale, de même que le patrimoine de la caution aura peut-être déjà fait l'objet d'une autre opération de cautionnement sur ses biens. Le contrat de cautionnement devra donc s'accompagner de recherches systématiques auprès du fichier national institué à l'article 23 de la loi du 31 décembre 1989, mais aussi à la conservation des hypothèques s'agissant de la disponibilité effective de ses biens immobiliers. Enfin la situation sociale de la caution pourra s'être dégradée par la suite, et l'interprétation jurisprudentielle qui suivra, confondue dans le flou artistique consacré par l'adverbe "manifestement," aura le mauvais rôle de devoir statuer au moment du drame, tout en se prévalant d'une situation antérieure de la caution entretenue dans le doute d'une solvabilité, et d'un comportement coupable peu facile à apprécier dans le temps.

283 Art. 7-3 nouveau de la L. du 10 janv. 1978 et 9-3 nouveau de la L. du 13juil. 1979. 28 Art. 22. VI de la L. du 31 déco 1989 modifiant l'art 9-4 de la L. du 13 juil. 1979. 157

CHAPITRE

SECOND

L I antithèse de la procédure judiciaire 1- L'accès unilatérale

au fichier

Au fichier bancaire des entreprises (FIBEN) et à celui de la centrale professionnelle d'information sur les impayés (CPU) détenus respectivement par la Banque de France et l'Association française des sociétés financières, vient désormais s'ajouter un nouveau fichier national (1) recensant les informations sur les incidents de paiement caractérisés, liés aux crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels (2). Nous verrons à la suite ce que contient le règlement du comité de la réglementation bancaire (3). 1) Un nouveau

fichier national

Les modalités de collecte, d'enregistrement, de conservation de cet outil de gestion du surendettement national relèvent de l'autorité du Comité de la réglementation bancaire après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (loi na 78-17 du 6 janvier 1978) et du Comité consultatif institué par l'article 59 de la loi na 84-46 du 24 janvier 1984. Alors que le premier décret d'application285 permet depuis février 1990 la mise en chantier des commissions d'examen des situations de surendettement des particuliers, la machine judiciaire ne dispose que depuis peu d'une mémoire exploitable au fichier national pour traiter l'historique des affaires. Mais cette capacité s'avère encore insuffisante en 1992 pour développer des moyens d'investigation élargis, ou pour juger pleinement de la fiabilité de ce nouveau dispositif, encore privé de sa pleine capacité et du vécu à long terme d'une telle expérience.286 A ce propos, nous analyserons plus

285 Déc. n° 90-175 du 21 fév. 1990 relatif à l'application du titre 1er de la loi du 31 déco 1989. 286 L'art. 8 du règlement n° 90-05 du 11 avril 1990 dispose que ff les informations communiquées par les établissements de crédit sont conservées dans le fichier pendant trois ans à compter de la date d'enregistrement par la Banque de France. » 159

loin le contenu du rapport d'explication de Roger Leron,287 qui conformément à l'article 33 de la loi du 31 déco 1989, a été présenté au Parlement par le Gouvernement deux ans suivant la publication de ladite loi. Force est de croire que les réseaux bancaires qui disposent déjà en propre d'un matériel efficace de fichiers recensant les mauvais payeurs, sont amenés -nonobstant le monopole de la centralisation des informations concentrées par la Banque de France- à gérer et communiquer aussi bien pour le compte des commissions d'examen dans cette attente, tous les renseignements qu'ils ont en leur possession.288 Mais quel que soit les résultats enregistrés passé cette période probatoire, nécessaire au fichier national pour collecter avec le recul du temps un capital d'informations exploitables, l'usage des fichiers privés est d'ores et déjà limité aux organismes professionnels ainsi qu'aux établissements de crédit centralisés qui sont autorisés à recenser uniquement les incidents de paiement de leur seule clientèle. Mais est-il techniquement possible dans la pratique, de contrôler l'interconnexion des informations qui circulent notamment par les voies de la télématique, en limiter le contenu voire interdire leur diffusion qui se prolonge par les moyens habituels d'officines qui servent aussi discrètement que possible leur clientèle, sans distinction de l'origine de la demande, ni contrôle du mobile ou de l'intérêt qu'elle suscite? 2) Recensement

des incidents de paiement

Or, qu'entend-on par « incidents de paiement caractérisés? » Il semble que le comité de la réglementation bancaire sur les conseils de la CNIL cherche à éluder le simple défaut accidentel de paiement en ne retenant que la récidive et l'accumulation de trois échéances impayées sur les douze derniers mois courus. Dans cette hypothèse, l'établissement de crédit dispose d'un délai encore suffisant pour exécuter une première approche contentieuse des difficultés du débiteur, informer la caution ou les cofidéjusseurs, voire procéder par exploit d'huissier aux sommations d'usage puis engager des mesures conservatoires; et ceci rapidement avant même l'inscription 287 Brochure 4184 du 10. : "Surendettement des ménages." 288 Pour les besoins de l'enquête et la recevabilité des demandes notamment en regard des art. 3 et 16 de la L. du 31 déco 1989.

160

au fichier national. Reste à déterminer si l'empressement supposé habile du créancier n'a pas dans certaines situations pour effet de provoquer par réaction, une procédure de redressement judiciaire fatalement préjudiciable pour tous, ou si cette anticipation au contraire, lui permettra de gagner du terrain sur la procédure de règlement amiable et 1a suspension des poursuites. En limitant les inscriptions au fichier national aux seuls incidents de paiement caractérisés liés au crédit, le législateur a écarté toute autre créance de ce fichier; comme celles issues de contrats d'abonnement domestiques (téléphone, EDF, GDF ou redevance), de loyer d'habitation et même les créances fiscales ou parafiscales. Ainsi, seuls les établissements visés par la loi bancaire du 24 janvier 1984 de même que les services financiers de la Poste, sont tenus de déclarer à la Banque de France les incidents de paiement caractérisés. De plus, le fichier national conservera aussi mémoire des actes de procédures conventionnelles et/ou judiciaires, alimenté par les greffes des tribunaux d'instance. Comme le laisse entendre l'article 23 et plus précisément l'article leC2° al. du règlement n° 90-05 du Il avril 1990 relatif au F.I.c.P., ce fichier n'est pas destiné à centraliser toutes les informations sur les créances d'un débiteur, mais seulement celles qui seront restées impayées et résultant d'un contrat de crédit. De plus sont exclues de ce fichier les dettes contractées à l'étranger, alors même que la deuxième directive du Conseil vient de mettre en œuvre l'ouverture du marché unique bancaire européen. A ce resserrement de la capacité et de l'utilisation de ce fichier, il convient d'ajouter le manque de transparence d'un tel dispositif qui ne permettra pas au débiteur d'obtenir lecture des informations le concernant, en dépit du droit d'accès prévu à l'article 35 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. En effet, ni la Banque de France ni les établissements de crédit ou les services financiers de la Poste qui ont cependant un accès réservé au fichier national,. ne sont autorisés à remettre à quiconque, sous quelque forme que ce soit, copie du contenu desdites informations; celles-ci devant se communiquer oralement289 à peine de sanctions prévues aux 289 Art. 12 du règlement du 11 avril 1990. L'art. 10 précise que la communication des informations entre personnes autorisées s'effectue soit par la procédure de consultation videotex sécurisée, remise ou télétransmission d'un support informatique scellé ou par J'utilisation d'un 161

articles 43 et 44 de la loi susvisée. Mais il demeure ô combien regrettable que les officiers ministériels et auxiliaires de justice (notamment les notaires, avocats et huissiers de justice), soient directement écartés de ce fichier dès lors que ces professions juridiques et judiciaires que protège une déontologie et un ordre, sont elles-mêmes tenus au secret professionnel. Cependant s'il est navrant que sous le sceau de I a confidentialité, cette réserve débouche sur l'incapacité présumée du débiteur à disposer d'un extrait du fichier sur ses états de créances et du déroulement de la procédure amiable ou judiciaire le concernant. Peut-être aura-t-on cherché au détour d'un curieux procès d'intention, à prévenir ce dernier contre lui-même; c'est-à-dire des utilisations abusives d'une telle copie exigée d'un bailleur ou d'un employeur, l'un pour s'assurer de la solvabilité de son futur locataire, l'autre pour analyser le profil social et économique du candidat à l'emploi.290 Dans ce même esprit, les organismes de crédit habilités à consulter le fichier national, pourraient en toute discrétion user de cette faculté pour sélectionner leur clientèle; ce qui reviendrait par le biais d'un possible « casier judiciaire du crédit,»291 à interdire l'accès au crédit à certaines catégories d'emprunteurs peu fortunés ou ayant subi accidentellement des incidents de paiement durant les trois dernières années. Enfin l'établissement de crédit qui n'aurait pas souscrit à l'obligation de déclaration des incidents de paiement caractérisés intervenus à son endroit, s'exposerait immanquablement à une perte préjudiciable de ses droits devant les instances statuant en redressement judiciaire civil. Par ailleurs, celui-ci pourrait ultérieurement faire l'objet de poursuites par d'autres créanciers de la procédure, au motif que l'absence d'information de son fait sur les difficultés du débiteur considéré, aurait à leur détriment, contribué à une aggravation de l'endettement de leur client.

imprimé, soit par la mise à disposition mensuelle d'un fichier comportant l'ensemble des informations recensées à la date du dernier jour du mois ~récédent. 90 Voir JO. p. 3 233 ; débat Sénat, 13 novo 1989. P. LORIDANT. 291 Cependant restreint, puisque ce fichier réputé négatif n'enregistre pas les crédits n'ayant souffert d'aucune rupture de paiement ou les comptes à risque; à l'instar des fichiers « positifs » dont dispose notamment la Grande-Bretagne (cf. supra). 162

3) Examen d'un règlement bancaire

du comité de la réglementation

Conformément à l'article 23 de la loi du 31 décembre 1989, un arrêté en date du 11 mai 1990 portant homologation d'un règlement n° 90-05 du Comité de la réglementation bancaire (J.O. du 16, p. 5849 à 5851) définit les règles exactes « du fichier national recensant les informations sur les incidents de paiement caractérisés liés aux crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels, » désormais désigné sous le sigle générique plus commode: « FICP. » Le Comité consultatif et la Commission nationale de l'informatique et des libertés ayant respectivement rendu leur avis, le règlement pris effet le mois suivant sa parution. Mais prudemment et pour des motifs exposés plus haut, les cocontractants s'étaient ménagés un délai de deux ans pour fixer les con dit ion s d'enregistrement éventuelles dans ce fichier, des cautions défaillantes et judiciairement reconnues. Etendu aux services financier de la Poste à l'instar des banques ou de tout autre établissement de crédit, ce règlement encadre des dispositions d'utilisation et d'obligations relatives à l'exercice des droits à l'intérieur du fichier géré par la Banque de France. Celle-ci assure la centralisation des information, à savoir: a- Cinq paramètres

pour définir quel crédit

- Les concours financiers dans le domaine immobilier (acquisition, construction, aménagement ou entretien). - Les financements d'achats à tempérament (crédit affecté). - Les locations-ventes (Location avec option d'achat: LOA) auxquelles on peut assimiler toutes les formes contractuelles dérivées du crédit-bail, du contrat de locationattribution ou du lease back. - Les prêts personnels et crédits permanents (crédit revolving, prêts-relais). - Les découverts de toute nature (sur compte-courant ou carte de crédit).

163

b- Les incidents de paiement caractérisés l'objet de discernement

font également

- Pour un même crédit comportant des échéances échelonnées, les défauts de paiement retenus seront ceux dont le montant atteint l'équivalent de trois mensualités, ou lorsqu'une échéance (on suppose la dernière) demeure impayée au-delà de quatre-vingt-dix jours. - Pour un même crédit ne comportant pas d'échéance échelonnée, l'incident de paiement sera considéré passé quatre-vingt-dix jours la notification de la mise en demeure par le créancier pour le recouvrement des sommes exigibles, dès lors que le montant de la dette est au moins égal à mille francs. - Pour tous les types de crédit à l'instant où le créancier engage une procédure judiciaire, ou prononce la déchéance du terme après que les avertissements soient restés sans effet. c- Au nombre des obligations, les établissements crédit cumulent les risques mais s'assurent

de

- Obligation d'informer un mois à l'avance mais aussi au terme de ce délai le débiteur défaillant, de la teneur des informations transmises à la Banque de France à défaut de tout règlement parvenu dans cet intervalle. - De communiquer à la banque de France les renseignements d'identité, l'âge et l'adresse du débiteur en difficulté, ainsi que la nature du crédit impayé. - Pour chaque incident de paiement déclaré, les établissements de crédit signalent à la Banque de France le paiement intégral qui serait entre-temps intervenu sur les sommes dues par le débiteur principal ou la caution, quelque soit la procédure engagée. Les informations peuvent aussi faire l'objet d'une déclaration notifiée chaque mois; soit par remise ou télétransmission d'un support informatique scellé, soit par l'utilisation d'un imprimé (cf note infra). d- La tenue du fichier est réglementée suivant des normes précises de durée et de consultation des informations

- Conservées

dans un fichier pendant trois ans à compter

de la date d'inscription, les informations seront cependant radiées dès l'enregistrement de la déclaration du remboursement intégral de la dette. De même que les 164

informations concernant les mesures conventionnelles ou judiciaires communiquées à la Banque de France par la Commission d'examen du surendettement ou par le greffe du tribunal d'instance, seront conservées durant le temps nécessaire au déroulement des procédures amiables ou de redressement judiciaire civil, sans que la durée de conservation ne puisse jamais excéder le terme de ces trois années arrêtées. De sorte, ce fichier ne saurait constituer un véritable « casier judiciaire du crédit. »292 - Les établissements de crédit peuvent obtenir communication pour chaque personne recensée, des renseignements inhérents à la situation du débiteur, d'où; le nombre d'incidents, le nombre d'établissements déclarants, l'existence des mesures conventionnelles ou judiciaires et la date de radiation des informations figurant au fichier. Il semble évident que des éléments inscrits au fichier (art. 9), l'énumération des renseignements demeure sélective et ne s'ouvre pas de manière exhaustive à la connaissance des établissements de crédit. Ainsi n'apparaît-il pas en clair si les prêteurs ont accès à la nature des incidents ou au contenu des procédures, alors que l'identification des établissements déclarants est exclue du mode de consultation. De plus, hormis les moyens mis en place sur vidéotex sécurisé, support informatique scellé ou imprimés, la mise à disposition mensuelle d'un fichier n'est réservée qu'aux seuls établissements agréés par la Banque de France. Ceux-ci ne jouiront de cette faculté qu'en fonction de certains critères de crédits accordés. Cependant le règlement reste muet sur la spécificité de ces critères ou sur d'autres interdits non explicités. Enfin l'usage de ces données est strictement confidentiel (art. 23, 7° al. de la loi du 31 décembre 1989) et ne doit servir que dans le cadre d'opérations se rattachant à l'octroi ou à la gestion du crédit. - Afin d'exercer auprès de l'emprunteur potentiel une réelle mise en garde contre l'imprudence ou la légèreté éventuelle d'un engagement financier, l'auteur de ce règlement met en demeure les établissements de crédit, d'informer leur clientèle des inscriptions qu'ils seraient amenés à porter sur le HCP en cas d'incident de paiement; information alors accessible à tous les autres établissements 292 Sous réserve que ces établissements n'utilisent pas ces informations a posteriori pour enrichir leurs propres fichiers, ne les communiquent pas et ne les échangent pas clandestinement! 165

analogues et donc préjudiciable aux intérêts d'un particulier déjà simultanément endetté par ailleurs. A cette mesure dissuasive ou éducative comme on voudra bien l'entendre, il est cependant regrettable que l'avertissement ne devienne pas effectif le jour de la signature du contrat de prêt s'agissant d'une simple recherche préalable de l'existence d'informations sur le fichier concernant le candidat ainsi prévenu, alors même que cette démarche préventive, donc recommandable quoique non obligatoire dans le texte, devient à l'usage systématique à l'instar de l'enquête qui précède l'ouverture d'un compte courant bancaire. - Le droit d'accès au FICP déroge fondamentalement à certaines dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés puisque l'information sollicitée par le demandeur (emprunteur faisant l'objet d'une inscription), ne pourra recevoir qu'une réponse orale sur la nature des informations le concernant, alors que cette loi dispose que la communication peut-être faite par la voie écrite. Dans d'autres cas, la durée de la mise à la disposition de l'information doit être suffisante pour que le demandeur puisse prendre note commodément et complètement. Or, comment le demandeur pourrait-il vérifier que la communication verbale est conforme au contenu de l'enregistrement a fortiori puisqu'il ne peut lui être délivré copie de l'information? D'autre part, il convient de s'interroger sur le droit de rectification des informations communiquées au demandeur, privé de moyen de contrôle visuel ou de mémoire magnétique; dès lors que celles-ci se révèleraient inexactes, incomplètes, équivoques, périmées ou dont la collecte ou l'utilisation, la communication et la conservation sont interdites (art. 36, 10 al. de la loi susvisée). 4) Le rapport « Leron » : Un bilan de dix huit mois d'application de la loi « Neiertz » Dans une lettre du Premier Ministre en date du 7 mai 1991 adressée au Rapporteur, le gouvernement ne cache pas l'importance que revêt le volet préventif de cette loi. Gageons cependant que cette phase à caractère gracieux ne connaîtra pas l'échec enregistré au chapitre VII de la loi du 1er mars 1984 relatif au règlement amiable des difficultés de s entreprises: un échec seulement dû à l'incrédulité des

166

créanciers,293

et le mépris qu'ils affichent lorsqu'on leur

demande de concourir à aider leur débiteur au risque d'être eux-mêmes dépossédés! Conformément à l'article 33 de la loi 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, le rapport présenté par Roger Leron294 procède d'un inventaire statistique géographique et typologique détaillé suivi d'observations, publiés après deux ans révolus à dater de la promulgation de cette loi. L'analyse de ce bilan ne laisse aucun doute sur l'énoncé favorable accordé à de cette réforme législative dont le principe en doctrine est novateur, et par conséquent mérite inéluctablement des adaptations. Assez curieusement, l'auteur qui en préambule cite sans réserve les thuriféraires de cette loi, a pourtant point par point et avec une savante connaissance empirique des problèmes, dressé dans son développement une liste impressionnante de propositions visant à réaménager en profondeur le dispositif législatif en place. De fait, les perspectives de corrections qui sont produites au chapitre V laissent a contrario deviner de nombreuses incertitudes, imperfections, voire des incohérences qui remettent en cause le bien-fondé de cette réforme. Le droit français antérieur à la loi du 31 décembre 1989 n'apportait aucune solution satisfaisante aux problèmes du «surendettement des particuliers. ))295 C'est en ces termes que le rapport conduit son analyse en constatant que la seule ressource offerte au débiteur surendetté qui ne pouvait plus faire face à ses échéances, était de saisir le juge d'instance sur la base de l'ancien article 1244 du Code civil afin d'obtenir des « délais de grâce )) ne pouvant pas excéder deux ans,

293 Huit ans après la promulgation de cette loi, on déplore l'absence quasi totale de cette procédure dont personne ne veut. Si la mission des conciliateurs (art. 35 L. n° 84-148 du 1er mars 1984) répond à la même logique en droit commercial que celle des commissions d'examen de surendettement des particuliers, on ne peut que s'interroger sur la postérité de cette institution. 294 Député de la Drôme, Parlementaire en mission auprès du Gouvernement. 295 Euphémisme certes qui convient mieux pour faire oublier l'infamante condition de « déconfiture, » terme bien peu usité dans le jargon juridique et cité seulement deux fois au Code civil. 167

ainsi qu'un sursis à exécution des poursuites éventuellement engagées à son encontre, toute chose demeurant en l'état.296 Mais il convenait de ne pas ébranler les fondements du droit des contrats en accréditant l'idée selon laquelle; quiconque pourrait désormais et impunément emprunter sans devoir obligatoirement rembourser, alors même qu'une intervention législative se faisait de plus en plus pressante devant la dégradation sensible de nombreuses situations individuelles conduisant irrémédiablement certains débiteurs à l'exclusion sociale. Le législateur avait donc le devoir de se saisir de ce phénomène relativement nouveau qui après le dépôt d'environ 145 000 dossiers sur l'ensemble du territoire français,297 apportait la preuve de l'existence d'un grave problème. 11 s'avérait cependant nécessaire de cerner les difficultés existant sur la définition même du concept de surendettement, autant que de traiter des améliorations techniques de la loi dans les domaines juridique, consumériste et pédagogique. A- Propositions traitement

visant

à améliorer

le dispositif

a) Assistance et conversion des mentalités adéquation mieux qu'une réforme!

du

: une

Le rapport suggère au premier chef, qu'il y a lieu d'aider les personnes surendettées avant même d'engager une véritable procédure judiciaire. L'article 6 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant la mise en œuvre du droit au logement, a institué dans chaque département un Fonds de Solidarité pour le logement comprenant divers dispositifs dont l'aide aux impayés de loyers (FAIL), des Fonds d'aide au relogement et de garantie (FARG). Telle est la solution dite curative qui s'offre aux particuliers surendettés à défaut d'une vrai procédure d'apurement de la faillite délibérément écartée par le législateur. Dans ce même esprit le rapport « Leron » répond à cette gageure, conscient de l'inconfort 296 En cas d'urgence, le juge des référés avait la faculté d'accorder des délais de grâce notamment aux emprunteurs dans certaines opérations de crédit et dans le domaine immobilier. (Art. 8, L. n° 78-22 du 10 janv. 1978 et art. 14, L. n° 79-596 du 13 juil. 1979). 297 144 489 dossiers déposés au 15 octobre 1991 depuis la date d'application de la loi. Mais à présent la moyenne s'établit à environ 5 500 dossiers par mois. 168

d'une justice qui se propose: IOde réduire l'insolvabilité lorsqu'elle se présente par la solidarité des institutions, 20 d'éconduire les comportements irrationnels par l'éducation des prêteurs comme des emprunteurs, et cela sans admettre en droit, l'échec d'un abandon des poursuites pour insuffisance d'actif comme il est institué en droit commercial. b) Le code de la « bonne foi»

La question de « bonne foi» a fait verser beaucoup d'encre ces dernières années,298 et toute l'ambiguïté législative repose sur le fait que cette présomption d'emblée accordée au débiteur réputé bona fides, est toujours discutable à défaut d'élément de preuve dans une affaire ou la commission d'examen du surendettement et le juge du fond, devront comme dans la pure tradition britanni~ue de l'equity se forger ex aequo et bono une opinion.2 9 Le rapport en ce sens innove peu, mais fonde en primat les valeurs traditionnelles et fondamentales de la démocratie qui laissent supposer que chaque individu est en droit d'assumer la responsabilité de ses actes. Ainsi on ne juge pas la bonne foi d'un débiteur toujours difficile à cerner entre les notions d'incapacité, de malchance voire d'imprudence, sauf lorsque la mauvaise foi est invoquée. L'appréciation de ces critères trouve une première définition à l'article 2268 du Code civil qui dispose: « La bonne foi est toujours présumée, et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. » L'article 1134 du même code concernant les obligations ne manque pas de rappeler au dernier alinéa, que les conventions doivent être exécutées de bonne foi. Entre le devoir de sincérité qu'exige la force obligatoire des contrats qui font la loi des parties et l'allégeance d'une loi imprégnée d'inspirations humanitaires, la doctrine piégée dans la quadrature du cercle se disperse en conjonctures. Georges Ripert écrivait déjà que "libérer légalement le débiteur chaque fois qu'il éprouve une difficulté de paiement, 298 Voir en particulier les études de J.1. DAIGRE; Revue des Huissiers de justice, 1990, p. 643,801 et 849; op. cit. 1.-L. COURTIER p. 657 et suiv. ; ainsi que de Martine QUENILLET, Les Petites Affiches n° 16 du 5 fév. 1992 p. 17 et suiv., et de Marc. RICHEVAUX, même publication n° 51 du 29 avr. 1991 p. 18 et suiv. 299 Situation qualifiée de « voie sans issue» selon l'expression de Martine QUENILLET (op. cit. Les Petites Affiches: "La bonne foi du débiteur surendetté"). 169

c'est

tuer le contrat."300 Roger Leron propose une voie

médiane qui tiendrait compte du comportement du débiteur comme condition de recevabilité de sa demande. Cette proposition viserait à mieux reconnaître les situations nées d'une « urgence sociale» de celles issues d'un savant calcul économique de gens avertis. Cette suggestion ne tendrait-elle pas par les voies habiles de la dialectique, à gommer la sacrosainte présomption de bonne foi? Dans la confusion de termes queussi-queumi mais ne voulant pas nécessairement désigner la même chose, le juge ne saurait seulement se conformer à « la tête du client» dixi son comportement, ou au contenu d'un dossier établi avec les éléments d'une enquête trop souvent suggestifs -puisque la bonne foi est toujours présumée,_301 mais aurait également à

entendre les explications du débiteur avec circonspection pour ne pas perdre de vue que celui-ci cherche peut -être à le duper! 302 Ce pourquoi la conception procédurale de la bonne foi indiquée à l'article 1er de la loi303 fut mal vécue en jurisprudence; les tribunaux préférant retenir l'aspect contractuel du surendettement lié au comportement du débiteur au moment où le crédit fut souscrit, nenni celui qui détermina ce dernier à saisir la commission où la justice.304 La conception contractuelle de la bonne foi s'analyse donc en général sur un faisceau de critères rétrospectifs; notamment s'agissant du nombre, de l'ordre et de l'importance des emprunts, mais aussi leur affectation ainsi que les mobiles qui ont amené le débiteur dans une impasse économique. La présomption de mauvaise foi ne s'examine pas en fonction de critères fondés sur l'absence de maturité, d'imprévoyance, d'ignorance ou de manque de discernement de l'emprunteur, mais le juge retiendra plutôt l'attitude désinvolte, l'action volontairement dolosive de l'as du crédit 300 cf: G. RIPER :« Le droit de ne pas payer ses dettes. » 301 La démonstration inverse appartient à celui qui veut invoquer la mauvaise foi de l'autre. Ce constat de jurisprudence trouve ses sources dans un arrêt de la Cour de cassation (Ch. civ.) du 5 novo 1913. 302 Casso civ. 1re, 4avril 1991 (deux arrêts) V. concl. Me FLIPO, La sem. ~urid. éd. G. n° 27, 2102, p. 245 - 1991. 03 Même appuyée des adjectifs augmentatifs comme « caractérisée» ou « manifeste, » l'exégèse philologique de la bonne foi n'y suffit pas! 304 La Cour de cassation dans ses arrêts du 4 avril 1991 avait prudemment écarté la notion d'appréciation souveraine des tribunaux sur la notion de bonne foi. 170

"qui a cherché à vivre sur un train de vie fastueux, multipliant les emprunts sans commune mesure avec ses ressources pour des achats somptuaires."305 En l'absence de vrais jalons juridiques ou jurisprudentiels, nonobstant les vagues critères techniques fixés à l'article Il de la loi306 sur la recevabilité ou le rejet des dossiers (art. 16), il s'avère que l'accueil réservé aux demandes est très disparate, et que les taux de rejet d'une région à l'autre307 illustre l'existence d'interprétations jurisprudentielles très variées. Malgré l'appréciation souveraine des juges du fond, demeure que cette loi appliquée uniformément sur tout le territoire pourrait également a contrario, générer des situations d'injustice selon que les jugements en redressement judiciaire civil concerneraient; tantôt des départements économiquement sinistrés, tantôt des régions à forte concentration d'activités. c) Un fichier positivement

négatif

Tout le monde s'accorde pour déplorer l'insuffisance actuelle des renseignements portés sur le fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers. Nombreux sont les débiteurs dont les dossiers jugés irrecevables, ont été rapidement retirés par ces derniers dans la crainte d'être fichés au FICP. D'une part, la montée en charge du fichier après les deux premières années écoulées ne permet pas encore d'effectuer un bilan comparatif ou critique de l'évolution du surendette ment en France. Une première évaluation des chiffres actuellement disponibles n'apporte qu'un constat peu significatif. D'autre part, ce fichier dit «négatif )) en ce sens où seuls n'apparaissent les débiteurs coupables d'impayé, ne recense pas la clientèle à risque, c'està-dire les emprunteurs ayant déjà fait l'objet d'une inscription, et même pourquoi pas comme aux Pays-Bas, en

305 Paris, 18e Ch. A, 13 novo 1990. Cf : P.-L. CHAT AIN, "La notion de bonne foi à l'épreuve de la jurisprudence," la sem. jurid. [JCP] Ed. cah. dr. de l'entr., n° 7 du 13 fév. 1992, p. 71 et suiv. 306 "Au vu des éléments déclarés par le débiteur et, le cas échéant, des infonnations qu'il aura recueillies, le juge ouvre la procédure." L'art. 9 du décret encore plus succint ne fait qu'évoquer l'examen de la recevabilité sans en dégager les aspects. 307 Variations de 7,5% à 82,78% sur le premier trimestre 1991 selon les départements.

171

Grande-Bretagne ou en Allemagne, l'ensemble des consommateurs de crédit. Il a été aussi reproché au législateur l'absence de conditions de fond à la radiation du fichier. En effet, un débiteur inscrit au F.I.c.P. est automatiquement radié au terme de trois années, sans qu'il n'ait été justifié quelque amélioration de sa situation; ce dernier pouvant encore être obéré de dettes et parfois même dans une situation encore plus inconfortable. On estime d'ailleurs que près d'un débiteur sur trois se trouve dans l'incapacité d'honorer ses nouveaux engagement au plan judiciaire. d) Question préjudicieHe

Le recours contre la décision d'une commission départementale d'examen des situations de surendettement des particuliers et des familles semble poser problème, à savoir; sur la nature contentieuse ou gracieuse de la décision rendue. Plusieurs arrêts de la Cour de cassation en date du 4 avril 1991 ont reconnu que la procédure conventionnelle engagée par la commission était gracieuse, donc non susceptible d'une audience contradictoire.308 Mais dans l'hypothèse où le débiteur aura intentionnellement ou non oublié de signaler à cette commission l'existence d'un créancier: ce dernier conservera-t-il la faculté de saisir le juge d'instance et pourra-t-il dénoncer la validité de la procédure amiable? Il semble au demeurant clair qu'en cas de recours d'un créancier occulté par le plan, le juge devra statuer en matière contentieuse dès lors que la « mauvaise foi» du débiteur sera de ce fait établie, et a posteriori dénoncée par les autres créanciers de la procédure.

308 Une circulaire relative à l'harmonisation des méthodes de travail des commissions départementales (B.O.C.C. R.F. 30 novo 1990 - V. la sem. jurid. 30360, Ed. Gén.) n'explicite pas davantage la nature des pouvoirs de cette institution. Demeure que cette commission ignore totalement l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui établit pour chaque justiciable le droit à un débat contradictoire. Mais probablement pourra-t-on objecter que si la "phase amiable" se résume à une condition binaire entre J'acceptation ou le refus d'une proposition de règlement, la procédure de redressement civile relève d'une véritable disposition contentieuse, donc contradictoire. De plus, la saisine de ladite commission n'ouvre pas le droit pour le justiciable, au bénéfice de l'aide légale. D'autre part la conciliation dans biens des cas, se résume à l'application unilatérale de barèmes imposés par les établissements financiers, non à une rencontre que suppose une réelle concertation entre les parties. 172

e) Une procédure mal saisie en droit positif

Voie d'exécution ou procédure d'exécution? De nombreux juristes ont été amenés à s'interroger sur cette nuance terminologique. Une circulaire signée Véronique Neiertz309 précise qu'il existe aussi de véritables voies d'exécution, ce qui laisserait entendre qu'il en existe de fausses! Les supposées vraies relèveraient des procédures exécutoires ou conservatoires ordonnées par le juge, tandis que les autres procèderaient des notifications de mises en demeure et commandements de payer signifiés par huissiers de justice. Après cette explication lapidaire qui semble toiser l'action contentieuse de ces officiers ministériels,31O peut-être sommes-nous à présent sur la bonne voie? Mais le vrai problème se pose sur la nature de la suspension et son étendue. Si cette suspension est prononcée à titre préventif, el1e devrait se limiter aux seules mesures déjà engagées et expressément énoncées dans la demande; ce qu'indique le rapport « Leron. » Si le juge d'instance s'engage à surseoir l'ensemble des procédures d'exécution y compris cel1es à venir, la finalité revient à instaurer une véritable procédure collective susceptible de renforcer l'action judiciaire du plan de règlement311 S'agissant de la suspension de saisies mobilières, l'entrée en vigueur le 1er août 1992 de la loi portant réforme des procédures d'exécution devrait grandement en faciliter la tâche, puisque le juge de l'exécution et le juge qui prononce le redressement judiciaire civil sont issus du même degré de juridiction et pourraient simultanément être saisis pour la même affaire. Mais il apparaît pourtant dans le rapport «Leron » un problème de compétence, ou plutôt de contrariété de décision voire d'atteinte à l'autorité de la chose jugée: Car on s'en doute, ordonner une exécution et devoir la surseoir l'audience suivante relève d'un véritable vaudeville! De cette contrariété juridictionnel1e, se dégage une autre petite tracasserie de procédure puisque les fonctions du juge du surendettement sont exercées par le Président du T.G.!. (siègeant en instance) ou par un juge 309 Op. cit. Chap. 1er~_I_1° (Voies d'exécution). 310 On savait déjà le peu de cas que le ministre de la consommation témoigna à l'égard de la mission des auxiliaires de justice dans la rédaction de cette loi. 311 A l'instar des art. 40 et 47 de la L. du 25 janv. 1985. 173

délégué par lui, mais que cette délégation n'emporte pas désignation du greffe du tribunal d'instance. Enfin subsiste le litige qui confond le surendetté particulier du surendetté professionnel dès lors que celui-ci aura contracté des dettes pour l'achat meuble ou immeuble d'un bien à usage mixte. L'origine de l'endettement, l'exploitation de l'objet de l'emprunt, l'activité du débiteur sont autant d'éléments d'enquête qui détermineront si la compétence juridictionnelle relève d'un tribunal d'instance ou d'une juridiction consulaire. Tant qu'aux professions libérales, elles devront attendre encore plusieurs législatures pour espérer trouver leur place dans le nouveau droit des faillites; puisque celles-ci demeurent exclues des procédures collectives commerciales, et que persiste un vide juridique dans la rédaction de la loi de 1989 les concernant. B- Propositions prévention

visant

à améliorer

le dispositif

de

L'absence de procédure collective de liquidation, voire d'action pénale dans le contenu de cette loi, amène en cas d'inexécution du plan à rétablir les créanciers dans leurs droits initiaux; ceux-ci retrouvant ipso facto la faculté de diligenter des procédures de poursuite individuelles contre les débiteurs (et rappelons-le ils sont un tiers) ayant fait l'objet d'un redressement judiciaire civil. Si ce n'est pas l'échec d'une loi, tout au moins cela y ressemble, et ce parcours alambiqué par tant d'obstacles n'aura servi alors qu'à entraîner dans une spirale de dettes, les créanciers à leur tour dans d'autres difficultés en aval et identiques par ricochets. A l'instar du texte de loi, le volet préventif devient donc tout naturellement le chapitre final du rapport « Leron » qui s'achemine ainsi sur le terrain de la morale, de la solidarité et de la prudence. L'auteur ne manque pas d'inclure dans ce vaste programme de réflexion, une pédagogie souhaitée obligatoire dans les établissements d'enseignement secondaire, traitant lata sensu de l'économie des ménages par la gestion du budget familial et de savants calculs qui en découlent. Tout l'arsenal législatif apparaît alors obsolète et mieux vaut alors choisir de consacrer à l'enseignement, ce que le droit risque au pire de disperser pour le malheur de tous. Bien entendu ce rapport ne fait certes pas un tel procès, mais il nous l'inspire, en particulier lorsque cet ouvrage évoque l'adoption d'une « déontologie mercantile des 174

prêteurs» en matière de distribution des crédits. Comment donc concilier le commerce naturellement attaché au gain même si l'on interdit la rémunération des vendeurs sur le crédit- avec le devoir de limiter son profit en considérant le client comme une victime potentielle? Devient-on malhonnête ou irresponsable parce que l'un vend et l'autre achète librement? A quel moment faut-il prévenir l'acheteur qu'il ne dispose pas des moyens qu'il prétend détenir et pourquoi le vendeur doit-il cesser de s'enrichir? Dans sa « règle morale, » le Doyen Ripert rappelait que contracter c'est prévoir." Par voie de conséquent, déresponsabiliser un consommateur, c'est l'habituer à se comporter en assisté, voire diminuer ses réflexes d'autodéfense. Néanmoins il n'est pas malsain d'informer le débiteur comme il paraît normal de clarifier tous les éléments chiffrés d'un prêt ou d'un crédit. A trois reprises, l'auteur s'est attaché à rappeler que le resserrement quantitatif du crédit observé ces derniers mois en France n'est pas un phénomène imputable à cette loi. Mais fallait-il s'en défendre avec tant d'insistance pour accréditer une réforme qui devait probablement en passer par là, et ralentir le trop plein de crédit qui correspond justement à la somme des créances impayées qui conduisent au surendettement ?

II- La voie parajudiciaire

du règlement amiable

1) La commission d'examen autorité administrative?

du surendettement

: une

Le règlement amiable des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles repose principalement sur le fonctionnement des commissions départementales d'examen des situations de surendettement. Comme de nombreux commentateurs n'ont pas manqué de le souligner, cette loi du 31 décembre 1989 fonctionne a priori pour la défense des débiteurs, quoiqu'il n'entre pas dans son esprit d'encourager la mauvaise foi ou le laxisme des emprunteurs devant leurs obligations contractuelles, nonobstant une nette propension de la classe politique à la clémence dans ce domaine. Pour compenser le sensible déclin des droits des créanciers, il eut été logique d'adjoindre à l'article 16 relatif aux motifs résultant de la déchéance des droits du débiteur, une disposition pénale contre les tentatives

175

d'escroquerie ou de tromperie par dissimilation ou fausses déclarations dudit débiteur malhonnête.312 A posteriori, il n'est pas inconcevable que les créanciers trouvent leur avantage dans une action amiable, dès lors que la commission d'examen qui agit dans le but d'améliorer la solvabilité des débiteurs, réussit à mettre en œuvre des moyens légaux de prestations sociales dont pourraient bénéficier les emprunteurs en rupture de paiement, pour le cas où ces derniers n'y auraient pas fait appel dans l'ignorance ou l'incapacité.313 Les institutions bénévoles, les associations caritatives ou les organes sociaux (UDAF, AD/L, APLy314 seront donc appelées pour coordonner leurs actions après saisine de la commission d'examen par le débiteur dans le cadre d'un plan de règlement amiable. Cette commission qui exerce un rôle comparable à celui des groupements de prévention agréés ou des conciliateurs respectivement prévus aux articles 33 et 35 de la loi du 1er mars 1984, est majoritairement composée d'instances administratives.315 Mais la comparaison s'arrête là puisque la procédure n'est pas conduite par un magistrat issu d'une juridiction civile, pas même administrative (art. 36 de la loi susvisée). Tout au plus pourrait-on assimiler les pouvoirs de ces commissions à ceux des comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises du secteur industriel et commercial.316

312 A l'instar de l'art. 169 de la loi du 25 janvier 1985 sur la nouvelle faillite commerciale. Demeure que la finalité est la même dans l'esprit du législateur des lois du 1eT mars 1984, relative à la prévention, 1985 précitée et du 30 décembre 1988 relative à l'adaptation de la nouvelle faillite aux agriculteurs dont on relève beaucoup de similitudes doctrinales pondérées de bienveillance eu égard à la politique humanitaire menée à la limite de la rupture de l'Etat de droit. 313 V. circulaire du 21 fév. 1990 relative à l'application de la loi du 31 déco 1989 (J.O. du 27 fév. p. 2470). 314 Unions départementales des associations familiales, associations départementales d'information sur le logement, aide personnalisée au logement. 315 Présidée par un préfet, cette commission comprend au second chef le trésorier-payeur général, et siège dans les locaux de la banque de France. Chacun de ces fonctionnaires de l'Intérieur, du Trésor et du Franc peuvent se faire représenter. (V. art. 2 à 4 du céd. n° 90-175 du 21 fév. 1990 pris ~our application de l'art. 2 de la loi du 31 déco 1989). 16 Ou encore la commission départementale d'aide aux agriculteurs en difficulté ainsi que la commission des chefs de service financiers. 176

Mais est-il plus aisé pour le débiteur de requérir les services d'une instance administrative plutôt que ceux d'une juridiction civile? L'article 8 du décret (cf supra) prévoit que la commission peut être saisie d'une demande d'ouverture de procédure de règlement amiable sur simple déclaration signée du débiteur. Déjà voit-on se profiler le syndrome de « la file d'attente, » d'où la surcharge d'un fonctionnariat mal vécu par le public. Ainsi, le délai de deux mois apparaît intenable d'un point de vue purement technique. Les missions de conciliations imparties aux commissions réclament face à l'afflux considérable des demandes et au rythme de dépôt des dossiers, un élargissement des délais incompressibles à vue des multiples échanges d'informations et des propositions qui s'élaborent durant ce court intervalle.3I7 En revanche, cette assemblée composée de cinq membres comprend une représentation équitable pour chacune des parties; les uns choisis par le représentant de l'Etat dans le département, les autres sur proposition de l'Association française des établissements de crédit et des associations familiales de consommateurs. L'article 6 dispose: "Les parties peuvent être assistées devant la commission de toute personne de leur choix." Cependant, qui pourrait jurer de l'impartialité inébranlable des caciques de cette assemblée; représentants du Trésor et de la Banque de France parfois juges et parties dans les affaires qui leurs sont soumises? Malgré la supériorité numérique des fonctionnaires et des prérogatives qu'elles leurs confèrent, ce partage de l'autorité permettra peut-être de catalyser une institution qui, sous l'expression générique de règlement amiable, ne trouve que bien peu d'adeptes en France, à l'instar du chapitre VII de la loi fantôme du 1er mars 1984 ! 2) Recevabilité

de la demande du débiteur

De prime abord et dans bien des cas, il est malaisé pour la commission d'examen d'établir quels sont les critères qui permettent de déclencher la procédure de règlement amiable. Le législateur n'a pas déterminé un plancher de ressources vitales ni de taux minimum d'endettement à partir d'un ratio évalué entre les charges et les ressources du demandeur. Réduire cette approche par une simple règle arithmétique 317 Op. cil. le rapport « LERON » p. 83. 177

relèverait cependant d'une grave erreur, car un tel procédé écarterait de nombreux facteurs humains et matériels qui gravitent autour de la notion du « minimum nécessaire }) ne correspondant pas systématiquement à un seuil de pauvreté. Mais la difficulté se creuse autour de l'examen sur les conditions de fond de la demande, puisque pour être recevable, l'article premier de la loi précise que le débiteur doit être de bonne foi. Autrement dit, hormis l'examen du bien-fondé de la demande exprimée à l'article 9 du décret d'application, l'enquête porte aussi sur l'honnêteté de la démarche du débiteur, à savoir si ce dernier comme nous l'avons vu plus haut dans l'analyse du rapport « Leron, }) n'a pas sciemment tenté de déclencher l'ouverture d'une procédure amiable ou judiciaire dans le seul but d'organiser sa dette et d'obtenir par ce procédé, des avantages financiers auprès de ses créanciers, ou forcer ceux-ci à un chantage judiciaire qui aurait la mauvaise réputation d'absoudre les débiteurs.318 La recevabilité en la forme est exprimée au chapitre III de la loi en application de l'article 17 qui indique: que les dispositions du titre premier concernant les seules personnes physiques, ne doivent pas relever des procédures relatives aux artisans, agriculteurs et entreprises commerciales ou industrielles. Le champ d'application de cette loi se limite donc aux seules dettes non professionnelles exigibles et à échoir. Ainsi en apparence, le droit français en matière de faillite319 semble couvrir toutes les catégories de personnes physiques ou morales, à l'exception toutefois des professions libérales.320 Pourquoi donc cette tranche d'activité socioprofessionnelle échappe-t-elle encore aux procédures collectives de redressement ?321 318 Le tribunal d'instance de Mâcon retient la mauvaise foi d'une débitrice qui, ayant eu vent par les médias dès le début de J'année 1990 du projet de la loi « Neiertz, » s'est empressée de souscrire cinq prêts importants et aussitôt de déclarer son surendettement le 1er mars 1990. V. la Revue des huissiers de justice n° 14 du 10 mai 1990, note de Jean-Pierre FAGEr. 319 Ce terme employé abusivement dans la pratique parce que plus commode que l'expression laborieuse du « redressement et de la liquidation judiciaire, » ne revêt cependant pas un sens exact sur un plan technique. 320 Qui ne peuvent prétendre à aucune des procédures commerciale (1984 et 1985), agricole (1988) ou civile (1989). 321 Si tant est que la procédure de redressement judiciaire civile en soit véritablement une! 178

Or une dette peut avoir de multiples origines, en particulier s'agissant d'un bien commun à usage domestique et professionnel. Tel appartement ou tel véhicule pourra avoir été acquis dans le but de servir indifféremment la profession ou la famille d'un artisan.322 Fiscalell1ent, des solutions existent pour les charges à usage mixte. Mais la commission d'examen doit se prononcer sur la qualification globale de la dette contractée; selon quoi elle se jugera incompétente si le prêt est réputé affecté aux besoins professionnels même partiellement. Dans le cas inverse, la créance considérée sous l'angle de la personne physique du particulier relèvera des dispositions de la loi, sous réserve que l'antériorité de la dette à l'époque où fut souscrit le crédit ne corresponde pas à celle de l'activité professionnelle, alors que le demandeur aura assurément effectué sa demande en état de cessation d'activité. 3) La procédure

conventionnelle

de conciliation

La négociation du plan suppose un préalable d'enquête sur la situation comptable du débiteur, alors que peu ou prou des particuliers surendettés sauront valablement présenter une situation exacte de leurs finances. De sorte, l'article 3, deuxième alinéa de la loi de 1989 permet à la commission d'obtenir communication de tous renseignements auprès des organismes de sécurité et de prévoyance sociale ainsi que des services chargés de centraliser les risques bancaires et les incidents de paiement, mais aussi par l'usage de moyens directs dont disposent notamment; le fichier national institué à l'article 23 ainsi que le pouvoir discrétionnaire dévolu aux membres de la commission d'examen appartenant respectivement au Trésor et à la Banque de France. Dans le cadre des investigations menées par la commission, il ressort (art. 16) que le débiteur serait déchu du bénéfice des dispositions de cette loi, dès lors qu'il serait reconnu coupable d'une action dilatoire, de fausse déclaration ou d'avoir remis des documents inexacts, ou encore que ce dernier aurait détourné ou dissimulé tout ou partie de ses biens et ressources. Seraient suivies des mêmes effets, la souscription de nouveaux emprunts ou une donation propre à affecter encore davantage le patrimoine du débiteur pendant l'exécution du plan. 322 Trib. inst. Mantes-la-Jolie, 2 août 1990 : note de Marc RICHE VAUX (Les Petites Affiches n° 122, 11 oct. 1991). 179

Suivant l'article 9 de la loi, la commission ne dispose que d'un délai de deux mois pour obtenir l'accord des parties en vue de l'exécution d'un plan conventionnel de règlement amiable. Or, si les termes du plan en vertu du droit des contrats sont fixés li brement,323 cette procédure demeure bien fragile puisque les créanciers durant cette phase préparatoire de conciliation, ont toute faculté pour poursuivre individuellement le débiteur. Ce pourquoi la procédure exige un consensus entre toutes les parties signataires, car l'opposition d'un seul créancier en particulier lorsque celui-là a été maladroitement occulté par le débiteur, aurait pour effet d'invalider le plan. A fortiori, nous voyons mal comment la commission d'examen parviendrait à négocier cet accord portant sur l'aménagement des créances, voire obtenir une réduction des taux, et même sur décision motivée, la suppression des intérêts (art. 4,3° al.) en l'absence d'informations exhaustives et certaines sur la situation globale du débiteur. Par ailleurs, rappelons qu'à cette obligation de confidentialité dont n'est pas déliée la commission, aucune publicité n'est autorisée au fichier national qui recense les mesures contractuelles et judiciaires.324 Dans l'hypothèse d'un motis vivendi entre tous les créanciers et le débiteur, rappelons que cet agrément général comporte un certain nombre d'exigences portant sur les mesures de sûreté, le cautionnement, les cessions de salaire et l'interdiction de favoriser ou de payer des créanciers au-delà des limites du plan et de contracter d'autres dettes. 4) Rôle du juge d'instance durant la procédure conventionneUe de conciliation et de médiation Le tribunal d'instance, juridiction compétente pour connaître des litiges et recours dans ce domaine particulier de la « faillite civile, » peut intervenir à trois niveaux de la procédure conventionnelle:

323 L'art. 1134 du C. civ. dispose: "Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites." 324 Administrations publiques, OPHLM et toutes les personnes dont l'audition pourrait être utile sont soumis à cette obligation et ne peuvent se prévaloir du secret professionnel aux questions de la commission. 180

a- Recours contre les décisions de la commission d'examen statuant en règlement amiable Les créanciers ne sont pas tenus de faire appel de la décision de la commission; d'une part en l'absence de procédure contradictoire puisque la commission n'a pas la qualité d'une juridiction contentieuse,325 et d'autre part parce que les créanciers n'ont nullement obligation d'accepter la phase conciliatoire. Cependant, tout créancier qui aurait été écarté de la procédure, donc par omission volontaire du débiteur, serait en droit de dénoncer la notification de la décision. Le plan n'a pas valeur absolue de contrat et les signataires ne sont pas tenus solidairement à 1e u rs engagements dès lors que la procédure amiable est entachée d'une faute, donc frappée de nullité à l'occasion d'une rupture des engagements du débiteur. En ce sens, l'article 9 du décret (en application de l'article 5 de la loi) prévoit un recours contre la décision de la commission. Dans cette éventualité, le ou les créanciers pourront demander auprès du tribunal d'instance le dessaisissement de la commission, en particulier en cas d'échec de la tentative de conciliation ou d'un refus de la commission d'examen d'ouvrir une procédure de règlement amiable. Cependant, leur intérêt commande non pas de diriger la décision du juge d'instance vers une procédure de redressement civil, mais de s'engager par les voies d'exécution habituelles, ou d'amener la commission à réexaminer le plan s'il en est encore temps, sachant que ce jugement n'est pas susceptible d'appel (art. 9, 4° al. du déc.). Mais il est plus probable que la décision attaquée soit le fait du débiteur dans l'hypothèse d'un refus sur la recevabilité de la demande.326 b- Ouverture de la phase de conciliation procédure de R.J.C.

durant

la

Lorsque la procédure de redressement judiciaire civil n'est pas la conséquence d'un échec du règlement amiable, le juge à le pouvoir de charger la commission d'examen de surendettement des particuliers de conduire une mission de conciliation; "sauf si les chances de succès de cette mission 325 «

Nonobstant

la question

LERON » p. 39 et 40.

qui se pose à la lecture

du rapport

326 Le recours est ouvert dans un délai de 15 jours à compter la notification de la décision. 181

sont irrémédiablement compromises ou si la situation du débiteur exige la mise en œuvre immédiate de mesures de redressement judiciaire civil" (art. Il de la loi). c- Ordonnance de suspension des voies d'exécution La suspension des voies d'exécution est en substance une condition sine quâ non de la réussite du règlement amiable, sinon le but recherché.327 Pour ce faire, il faut que ce soit la commission qui en fasse la demande. Même si le débiteur ne peut en avoir le pouvoir, il pourra cependant diligenter sa demande auprès du juge d'instance en court-circuitant la commission d'examen par l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire civil (art. 9 et 10).328 Mais ce pouvoir de suspension démesurément attentatoire aux droits des créanciers, apparaît comme un moyen déloyal de forcer la main aux créanciers durant une procédure qui de ce fait, n'a plus rien d'un accord conventionnel abusivement réputé amiable. Non susceptible d'appel (art. Il, 60 al. du déc.), l'ordonnance de suspension ne pourra même pas le cas échéant, bloquer les voies d'exécution diligentées pour le recouvrement des dettes alimentaires, réduisant d'autant les chances de recouvrement des autres créanciers de la procédure. D'aucuns penseront que cette procédure de règlement amiable ne constitue pas un passage obligé avant le redressement judiciaire civil, tentative souvent désespérée qui ajoute un retard supplémentaire aux véritables solutions qui s'imposent devant les tribunaux. Aussi est-il difficile sur le terrain de la négociation qui s'engage au travers d'une série de mesures coercitives; d'interdire l'information de circuler, nonobstant les sanctions prévues à l'article 378 du Code pénal,- d'émasculer les droits des créanciers, puis d'ignorer en droit des mesures liquidatives inhérentes à l'échec d'une procédure conventionnelle et/ou judiciaire, tout en espérant de surcroît à la réussite d'une tentative de conciliation dont le législateur aura déjà lui-même dressé les obstacles idéologiques.

327 Cf: Brigitte LIMAGNE et Yves DOUCET, décembre

1989... » Le quotidien

juridique

«

SUlV.

328 Paul LE CANNU, Bull. Joly, op. ciL p. 147. 182

A propos de la loi du 31

n° 21 du 20 fév. 1990, p. 3 et

5) Sécurité sociale: remise des majorations de retard et plan conventionnel de règlement suivant le décret du 1er aoOt 1990 329 Aux avant-postes de la procédure de redressement civil, se situent les prêteurs; banques, établissements de crédit et services financiers de la Poste directement concernés par la loi du 31 décembre 1989. Par le fait même, l'article 12 de cette loi exclut d'office les créances fiscales, parafiscales ou venant d'organismes de sécurité sociale dans le réaménagement de la dette; disposition qui écarte les organismes de recouvrement de l'Etat des contraintes que constituent désormais pour les créanciers, le rééchelonnement, le report voire la réduction des intérêt, et au pire une réduction du principal de la dette. Ce superprivilège acquis, nous voyons mal l'objet de l'article 15 d'où l'improbable issue du décret qui en découle? Pourquoi les URSSAF perdraient-elles le bénéfice d'un passedroit qui ne peut que les avantager, même si la finalité de cette tentative de conciliation vise à terme (C.Q.F.D.) à améliorer la solvabilité du débiteur? Certes, l'article 15 ne concerne que la procédure de règlement amiable destinée à l'amélioration d'un plan conventionnel et non une procédure de redressement judiciaire civile. Cependant ne perdons pas de vue que le législateur a aussi prévu une mission de conciliation au départ de cette procédure en l'érigeant en prima de facto. Enfin il est notoirement admis que les organismes de recouvrement de la sécurité sociale se détourne obstinément du dispositif de conciliation au chapitre VII de la loi du 1 er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises, logique qui est maintenue en ce qui concerne précisément le chapitre II de la loi « Neiertz. » Néanmoins cette politique n'implique pas un total désintérêt des URSSAF devant des solutions négociées de la dette, car à différents niveaux du dialogue, elles existent déjà depuis fort longtemps dans le prolongement de la mission des personnels du contentieux: 1° Des commissions des chefs de service financiers (décret n° 63-1191 du 2 décembre 1963 et décret n° 78-486 du 31 329 Décret n° 90-692 du 1er aoOt 1990 complétant le Code de la sécurité sociale et relatif aux remises de créances par les organismes de sécurité sociale pour le règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles (J.o. du 7 aoOt 1990, p. 9584). 183

mars 1978) dont le rôle est d'assurer conjointement avec la sécurité sociale et les impôts, des solutions amiables de recouvrement et de rééchelonnement des dettes sociales et fiscales. 2° Des commissions de recours amiable (art. L. 142-1 et R. 142-1 du C. de la séc. soc.) constituées au sein du conseil d'administration de chaque organisme, qui sont chargées de traiter les réclamations contre les décisions prises par les caisses de la sécurité sociale ou de la mutualité agricole, ainsi que d'accorder à titre gracieux de!i remises de majoration de retard. Mais au-delà, les directeurs de ces organismes ont seuls la faculté d'accorder des remises de délai ou des pénalités. De plus l'article R. 242-20-2 du décret n° 86-244 du 18 février 1986 dispose: "Les cessions de rang, de privilège ou d'hypothèque ou l'abandon de ces sûretés peuvent être accordés sur décision du conseil d'administration de l'organisme chargé du recouvrement prise après consultation de la commission des chefs de services financiers..." 3° Enfin par des voies judiciaires spécialisées des juridictions d'exception. Les tribunaux des affaires de sécurité social (loi n° 85-10 du 3 janvier 1985) ont pour compétence le règlement des différents entre particuliers et les caisses de sécurité sociale (art. 190, L. II du C. de la séc. soc.), une fois épuisé en premier ressort les possibilités d'un règlement gracieux devant la commission de recours amiable. Bien que ces commissions (C.C.S.F., C.R.A.) ne jouissent pas de la personnalité juridique, celles-ci ont la charge de traiter dans de plus larges proportions des contestations ou des impayés des entreprises. Très peu d'affaires relèvent de particuliers, si ce n'est lorsqu'il s'agit de dettes sociales pour l'emploi de personnel de maison, de nourrice ou autre assistance domestique et sanitaire. De plus, la loi de 1989 se borne au surendettement des seuls particuliers et des familles à l'exclusion des professions libérales et des travailleurs indépendants qui jusqu'à ce jour, ne bénéficient encore rappelons-le, d'aucune procédure collective. Cette demimesure législative qui rend d'ores et déjà difficile le discernement de l'endettement du particulier de ses dettes professionnelles,330 incitera les URSSAF à la prudence dans le périmètre des moyens cités plus haut. 330 Op. cit. Marc RICHEV AUX p. 19 : leurs dettes,

sont exclues

«

Quelle que soit la nature de

de la loi du 31 déco 1989 les commerçants,

184

En résumé, un organisme de sécurité sociale qui accepterait de souscrire solidairement au même rang avec d'autres créanciers prêteurs, commerçants ou bailleurs, au hasard d'un plan conventionnel présenté par une commission départementale de surendette ment des particuliers, relèverait d'une décision fondamentalement contraire à ses intérêts pour les raisons suivantes: Primo, les organismes de sécurité sociale ainsi qu'il a été vu plus haut sont assurés de ne jamais être inquiétés par la "menace"331 de l'ouverture d'un jugement en redressement judiciaire civil, malgré la suspension provisoire des procédures d'exécution qui n'épargne personne à l'exception des dettes alimentaires, et qui peut être ordonnée à tout moment par le juge d'instance pour un délai de deux mois renouvelable une fois. Cette mesure judiciaire, même assortie d'interdictions contraignant le débiteur à ne plus payer, emprunter ou gérer ses affaires comme il l'entend, est susceptible de briser l'effet comminatoire de la contrainte signifiée par huissier de justice, de l'ordonnance d'injonction de payer délivrée par le juge des référés et autres mesures conservatoires, sûretés judiciaires ou quelques dispositions spécifiques aux mesures d'exécution forcées. Secundo, en amont de la simple citation devant le tribunal de police voir dans certains cas en correctionnelle,332 les services contentieux des URSSAF ont le pouvoir de négocier motus proprio le recouvrement des créances sociales avec l'efficacité que suppose l'acceptation d'un billet à ordre avalisé et l'inscription simultanée d'une hypothèque conservatoire, voire le nantissement d'un bien personnel 333 en échange de remise de délai ou autre allégement. Si d'aventure, nonobstant les conséquences antinomiques aux intérêts des URSSAF considérés ci-dessus, les services de recouvrement de la sécurité sociale acceptaient de s'engager sur proposition d'un plan conventionnel établi par une commission d'examen- à accorder en vertu du nouvel article artisans et agriculteurs dès lors que la loi du 25 janv. 1985 ne distingue pas entre les dettes professionnelles et non professionnelles (art. 17). » 331 Certes, cette loi ne fait aucun cas de solution d'apurement ou de réalisation d'actif. Ni l'astreinte ni la déconfiture ne sont mentionnées dans le texte; la reprise des poursuites individuelles par les voies d'exécution demeure encore la seule arme des créanciers en mal de recouvrement. 332 Cette action touche en particulier les employeurs qui n'ont pas reversé les cotisations de sécurité sociale prélevées sur la part ouvrière. 333 Seules sûretés proprement réalisables avec des particuliers. 185

R 243-20-3 du C. de la Sée. SOC.,des remises partielles ou totales des majorations de retard; ces remises ne seraient plus subordonnées au versement préalable desdites cotisations, a fortiori dans l'hypothèse où le juge d'instance aurait prononcé la suspension provisoire des procédures d'exécution. A l'article 12, le législateur voulut privilégier les créances dites sociales nées de cotisations d'employeurs dues par des particuliers, afférentes à des rémunérations versées pour l'emploi de gens de maison ou d'assistantes maternelles, de celles issues du monde de la finance et du crédit, qui revêtent manifestement un caractère mercantile. Cependant il n'entre pas dans l'esprit de la loi d'écarter définitivement ces organismes d'Etat, sans qu'ils n'aient à se prévaloir ipso jure de la responsabilité d'un engagement contractuel, même s'il est à juste titre réputé suicidaire! Le débiteur une fois saisi la ~ommission d'examen, peut formuler sa demande de remise des majorations de retard auprès de l'URSSAF dans un délai de quinze jours à compter de la date de la saisine de la commission. L'organisme chargé du recouvrement par la voie de son directeur ou de la C.RA., dispose alors d'un mois pour rendre sa décision qui, à défaut de réponse, équivaut à un rejet de la demande. Néanmoins, la remise des majorations de retard demeure en aval suspendue à l'accord des parties sur la réalisation du plan conventionnel ou à défaut de règlement amiable, sur décision du juge dans le cadre d'un redressement judiciaire civil. Sur ce point, le décret demeure ambigu sur la nature des mesures visant à assurer le redressement (art. 1, 5° aL), car au premier chef, nous voyons mal pourquoi le magistrat unique pourrait revenir sur les termes explicités de l'article 12, 1° al. de la loi, qui écarte les dettes de sécurité sociale de tout report et rééchelonnement des paiements. Seule la voie contractuelle de l'article Il, 6° al. permet au juge de charger la commission d'examen de conduire une mission de conciliation dès lors que celle-ci n'a pas été préalablement saisie par le débiteur. Il apparaîtrait judicieux que la remise des majorations de retard non subordonnée au paiement du principal, mais suspendue à la réussite d'un accord entre les parties, soit dans les termes de la remise rédigée « sous réserve dudit accord. » Cette précaution éviterait qu'il y ait confusion avec la procédure énoncée à l'article R 142-1 du C. de la sée. soc., qui, à peine de forclusion, ne laisse que deux mois au débiteur à compter de la notification de la mise en demeure 186

pour reformuler légitimement sa demande de remise gracieuse en déduction des majorations de retard. Entendons par là, que le débiteur devra alors se plier aux conditions de paiement préalable des cotisations dues (art. R. 242-20). 111- L'absence de procédure collective de liquidation: loi inachevée et demi-mesures 1) Ouverture

de la procédure

Le redressement judiciaire civil constitue la clef de voûte de cette loi. Il peut être déclenché indirectement par l'échec des négociations amiables, ou directement par le juge du tribunal d'instance ou encore à la demande des intéressés; débiteurs ou créanciers en vertu des dispositions de l'article 9 de la loi et de l'article 14 du décret. La procédure est ouverte devant le tribunal d'instance du domicile du débiteur, et suivant les raisons évoquées aux articles 9 et 10 de la loi: a- Saisine provoquée à la suite de poursuite procédure d'exécution

d'une

Si pendant l'examen du dossier, un créancier engage ou poursuit une procédure d'exécution, les intéressés -on suppose tous les partenaires financiers mais plus vraisemblablement le débiteur-334 peuvent saisir le juge d'instance en vue de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire civil. Il n'apparaît pas dans le texte, que la commission d'examen soit habilitée à demander l'ouverture de cette procédure; carence qui affaiblit d'autant son arbitrage -s'il en est un- puisque cette dernière selon l'article 8, est seulement tenue d'informer le juge d'instance des conclusions du plan conventionnel de règlement. b- Saisine à défaut d'un accord Intervenu dans les délais

Si la commission d'examen estime irrecevable la demande du débiteur, dès lors qu'elle ne relève pas d'une situation de surendettementcaractérisée susceptible de le faire bénéficier d'une procédure de règlement amiable, le débiteur peut alors saisir le juge en vue d'obtenir un redressement judiciaire civil. 334 Sur le fondement des art. 8 de la L. du 10 janv. 1978 et 14 de la L. du 13 juil.

1979

ainsi

que de l'art.

1244

du C. civ.

187

Notons que la procédure suivante qui n'est cependant pas obligatoirement rattachée à un préalable d'accords conventionnels, comprend elle-même une phase de règlement amiable dans les formes identiques sous réserve de l'avis du juge d'instance; car le règlement amiable ne constitue pas une étape obligatoire de la procédure. Le débiteur aura-t-il plus de chance d'obtenir auprès du juge ce que la commission lui aurait déjà refusé 7335 Ou encore le juge pourra-t-il charger la commission d'une mission qu'elle aurait antérieurement rejetée 7 Dans cette éventualité, il est probable que la procédure de redressement judiciaire civil soit conduite directement par la juridiction d'instance, auquel cas le magistrat ne saurait revenir sur la phase liminaire au risque de désavouer implicitement la décision de I a commission d'examen, sauf si les éléments de l'enquête sont jugés insuffisant ou erronés. c- Saisine sur le motif d'irrecevabilité

de la demande

Si la procédure conventionnel1e de règlement n'aboutit pas au motif que la commission d'examen -passé deux mois à compter de la saisine- ne soit pas parvenue à recueillir un accord négocié entre les parties autour d'un projet de plan de règlement, ou bien que celui-ci soit vicié ab initio par l'opposition d'un créancier de la dernière heure, le dossier sera alors transmis de droit au juge d'instance par la commission d'examen ainsi dessaisie de l'affaire. Mais il apparaît que l'inexécution du plan qui logiquement devrait entraîner sa résolution et la reprise des poursuites individuelles, ne constitue qu'une condition suspensive. La décision du juge demeure donc indispensable pour clore cette procédure conventionnelle, mais elle peut aussi déboucher par la déchéance des droits du débiteur dans les termes de l'article 16. d. Saisine par le juge de la procédure ou d'un magistrat d'une autre juridiction Si la demande est produite à la requête d'une autre juridiction à l'occasion d'un litige ou d'une procédure d'exécution (art. 10, 3° al.), le juge d'instance du domicile du débiteur a compétence pour ouvrir une procédure en 335 Dans ce cas de figure, on suppose que la présentation procéderait d'un autre enregistrement. 188

du dossier

redressement judiciaire civil, comme il peut de sa propre initiative se saisir d'office, fait inhabituel d'auto-saisine juridictionnel. Notons que le juge d'instance dans le cadre de cette juridiction d'exception, est déjà habituellement amené à siéger pour cette catégorie de contentieux civil, puisque les trois quarts des procédures ressortent des litiges d'impayés déclenchés par des assignations, injonctions de payer et saisies. Par ailleurs, les compétences d'attribution du juge d'instance n'ont jamais cessé de s'accroître depuis l'ordonnance de 1958, au point que cette juridiction dans des domaines très variés, est appelée à connaître aussi bien des actions possessoires et de bornage que des actions en matière de baux d'habitation ou professionnels, mais aussi des demandes en pensions alimentaires et cœtera. A présent, audelà des actions mobilières, le surendettement en matière immobilière amène ce magistrat à juger spécialement en premier ressort, des affaires de valeurs bien supérieures à 30000 F (art. R. 321-1 du n.c.p.p.). Ce pourquoi, compte tenu de la surcharge des tribunaux d'instance devant les quelques 130 000 dossiers de surendettement recensés fin septembre 1991 ; augmenter les délais de traitement comme le préconise le Rapport « Leron » ne ferait que retarder l'explosion des tribunaux à défaut d'un réel réajustement des effectifs du personnel judiciaire.336 2) Contenu de la procédure en RJ.C. Le déroulement de la procédure en judiciaire civil s'analyse sous deux aspects:

redressement

-

A Aspect passif Il se partage d'une part entre le renvoi devant I a commission d'examen départemental (a), l'appel aux créanciers (b), et la suspension provisoire des poursuites (c). a) la décision du juge d'instance d'amener l'affaire devant la commission d'examen (art. Il, 6° al.) laisse entendre que la phase de conciliation demeure une solution préférable avant toute intervention judiciaire. Ainsi 42 000 plans amiables ont été conclus au 15 octobre 1991 contre 6 700 plans judiciaires au 30 juin de la même année. Lorsque le 336 Cf: J.-G. MOORE, "Loi Neiertz : Vite! Rétablissez les juges d'instance suppléants," Gazette du Palais n° 61/62 des 2 et 3 mars 1990. 189

juge fait appel à la commission pour traiter des dossiers et confectionner des plans, comprenons "que mauvais arrangement vaux mieux que bonne querelle," surtout lorsque l'on sait que cette procédure dans bien des cas n'aboutira nulle part une fois la déconfiture constatée et l'insolvabilité devenue irréversible. b) L'appel aux créanciers est publiée dans le journal habilité à recevoir les annonces légales dans les départements du domicile du débiteur (art. 17 du déco 27 fév. 1990). Cette disposition rappelle la déclaration des créances instituée à l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985, sans toutefois qu'il soit accordé un régime de faveur aux créanciers bénéficiant d'une sûreté, puisque ceux-ci ne sont pas prévenus individuellement hormis la publication valable pour tous. Malheur aux créanciers de la procédure qui n'auront pas entendu ou souscrit à l'appel passé le délai de forclusion! Le juge s'en souviendra le moment venu, où il lui appartiendra d'organiser le report, le rééchelonnement voire la réduction des dettes du débiteur. Mais il s'avère que dans la pratique, les créanciers n'en aient cure et d'un commun accord ne se manifestent pas, boycottant ainsi la mission des magistrats par leur absentéisme organisé et rendant impossible cette mission de vérification indispensable à la confection du dossier. c) L'article Il semble aligner dans un certain désordre plusieurs mesures facultatives sans lien de succession apparent. A ce titre, la section trois du décret d'application susvisé n'emploie pas la même chronologie. Ainsi la suspension des poursuites n'est pas un préalable nécessaire au ralliement des créanciers dans un processus de conciliation, mais a contrario elle pourrait bien provoquer un sentiment de frustration d'où une défiance bien compréhensible de leur part, même si cette contrainte peut être interprétée comme une garantie contre tout titre exécutoire détenu par un autre créancier de la procédure; sauf éventuellement une dette alimentaire. A l'instar de la faillite commerciale, cette période d'observation dont on trouve une proche analogie à l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985, fait interdiction aux créanciers prêteurs, mais aussi aux organismes fiscaux et parafiscaux de poursuivre une procédure d'exécution pour une durée qui n'excède pas deux mois, renouvelable une fois. Mais elle fait aussi interdiction au débiteur sauf autorisation spéciale du juge, d'avoir recours à de nouveaux emprunts, de payer en tout ou partie une créance autre qu'alimentaire née avant cette décision, ou de désintéresser les cautions qui 190

acquitteraient des créances contractées antérieurement. La suspension provisoire des procédures d'exécution ne permet pas davantage une prise de sOreté durant toute la période suspecte. En examinant de près l'apparente similitude des termes employés aux articles 1er et Il de la loi du 31 décembre 1989, une différence terminologique est exprimée entre la «suspension provisoire des voies d'exécution » invoquée durant la phase conventionnelle, et la « suspension provisoire des procédures d'exécution» comprise durant la procédure de redressement judiciaire civile. Si cette suspension est ordonnée dans le cadre de cette procédure judiciaire, alors que le juge aura renvoyé l'affaire devant la commission d'examen, un problème de fond se pose, à savoir; quelles en seront les règles applicables dès lors: 1) Que la suspension durant le règlement amiable porte sur un délai maximum de trois mois à compter la date de la saisine (art. Il, 4° al. du déco 27 fév. 1990 pour application de l'art. l, 4° al. de la loi). 2) Que la suspension durant le règlement judiciaire civil ne peut excéder quatre mois (art. Il, 4° al de la loi) soit une période de deux mois renouvelable une fois. Trois mois, deux ou quatre mois? Un tel dysfonctionnement législatif et réglementaire surprend; d'autant plus que la réalité réclame souvent six mois et davantage pour la constitution d'un dossier, d'où l'inutilité d'une telle mesure si elle n'aboutit pas en même temps que le plan. Mais quel que soit la formule retenue, la suspension des poursuites conserve au moins le mérite de mettre au clair les éléments d'actif et de passif du patrimoine du débiteur, en faisant ressortir une véritable comptabilité de l'état de son endettement. B. Aspect actif

Il se traduit par un pouvoir exorbitant du juge d'instance qui pourra dans le cadre de la procédure; réaménager les délais de paiement des dettes, voire modifier les taux d'intérêts portant sur les prêts (a), puis encore procéder à une forme d'apurement du passif337 d'un débiteur en cas de vente forcée d'un logement (b). 337 Terme bien évidemment impropre à une procédure de R.J.c. mais à rapprocher d'une procédure collective commerciale. 191

a) Le plan de redressement judiciaire est en lui-même un vaste programme: Il doit permettre de concilier les parties ou à défaut d'imposer des restrictions aux prêteurs, puis si cela ne suffit pas, d'apurer la situation financière du débiteur jusqu'à réduire les intérêts restant dus en-dessous du taux légal. Au pire, le juge peut être amené à "gommer" ces intérêts puis réduire même le principal de la dette s'il estime que les ressources du débiteur ne sont pas encore suffisantes pour supporter un rééchelonnement quinquennal de remboursement du prêt. Pour ce faire, l'article 12 confère à ce magistrat une large autorité, mais qui ébranle dangereusement la lex contractus; ce postulat du droit prétorien qu'il serait maladroit de désarmer davantage au risque d'ébranler certaines libertés consuméristes, comme le droit aux petits revenus de souscrire librement un emprunt devant l'érosion des garanties des prêteurs. Le report et le rééchelonnement des échéanciers constitués pour l'essentiel de prêts, ne peuvent excéder cinq an ou la moitié de la durée restante à courir des emprunts en cours. Mais au nom de quelle logique le législateur a-t-il écarté les organismes d'Etat pour une participation exemplaire dans le réaménagement des dettes des particuliers et des familles? Ainsi le Trésor et les URSSAF sont projetés contre toute attente, au rang de créanciers superprivilégiés durant toute la durée du redressement judiciaire civil. Dans cette queste aux injustices sociales, les pouvoirs publics font fi d'une certaine générosité laissée à d'autres, au détriment bien sûr des secteurs privés de la finance et du commerce qui devront assumés seuls cette solidarité sociale contre les dangers du surendettement des français.338 Le plan judiciaire s'organise autour d'un quantum de restrictions et d'obligations imposé à chacune des parties. Aux réductions d'intérêts et des remises de délais accordées, s'accompagnent des exigences propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette. De plus, le juge peut subordonner le remboursement des créances en considérant que la priorité ou la meilleure part reviendra au prêteur ex bona fide qui aura régulièrement souscrit aux conditions de 338 Cf : P. BOUTEILLER, op. cil, p. 17 : "On ne peut que regretter que l'Etat drapé dans une dignité qui lui sied mal, quand on connaît son rôle dans la baisse du niveau de vie en général, contraignant certains à recourir aux crédits de trésorerie, n'ait pas cru bon d'appliquer à lui-même des mesures qu'il impose à d'autres, coupables selon lui du surendettement des particuliers."

192

consultation et de déclaration au fichier national. Il sera également pris en compte les facteurs d'imprudence sur les sommes prêtées en rapport aux ressources du demandeur, des taux d'intérêts pratiqués autour du TEG et des informations préalablement fournies, soit en général de la diligence dont aura fait preuve le prêteur en vertu de ses obligations conventionnelles. Le souci du devoir social s'inscrit dorénavant dans l'éthique du prêteur qui devra dorénavant s'employer à observer la procédure du test d'aptitude à l'emprunt (art. 12, 50 aL). 2) Tout observateur impartial ne saurait ignorer le dogmatisme larvé qui transpire de cette importante réforme qui manifestement bouscule les fondements hiératiques des libertés conventionnelles énoncées à l'article 1134 du Code civil, selon lequel les engagements contractuels ont force de loi. La vente forcée du logement familial d'un débiteur est certes un drame humain aux conséquences imprévisibles. Mais ne pas payer ses dettes demeure en droit un délit civil ou "quasi-délit" que le juge devra apprécier en fonction du degré de responsabilité de chacune des parties, mais surtout des circonstances économiques accidentelles dont le débiteur aura été victime. Selon l'inflexible maxime: dura lex, sed lex. Cependant la loi depuis sa hauteur magistrale, ne saurait fouler du pied toute la misère du monde! Lorsqu'une loi du 20 août 1936 -au grand dam de Georges Ripert- vînt corriger le caractère implacable de l'article 1244 du Code civil, déjà la solennité du devoir qui oblige le débiteur envers son créancier semblait corrompue au profit d'une certaine idée de justice sociale. Emporté au gré d'un courant hugolien irréversible, le pardon de s politiques s'exprime face à la détresse. La pitié qu'inspire toutes les formes d'injustice doit trouver sa place parmi les lois dès lors qu'un individu affaibli est sur le point de perdre sa dignité. Au droit pur et dur succède un droit de renoncement à ses promesses, ou plus grave encore, la non restitution du bien d'autrui dès lors qu'il est constaté que le bien n'existe plus et que l'emprunteur est sans force, dépourvu, incapable. La reconversion de certaines valeurs jadis essentielles, à présent surannées, se poursuit avec la marche du temps. Comment ne pas s'émouvoir du désarroi d'un malheureux débiteur, humilié ruiné et dépouillé face à la froide détermination des magnats de la finance? C'est ainsi que bien souvent en matière de crédit immobilier, lorsque le logement familial est vendu aux enchères publiques et adjugé à vil prix, le montant de la vente ne suffit même pas à 193

rembourser le principal, et le solde des emprunts demeure quérable jusqu'à totale extinction de la dette. Gageons cependant que la conscience populaire aura toujours besoin de certains repères juridiques contre les effets pervers d'une générosité intellectuelle mal ordonnée et malade de ses institutions! En résumé, la loi « Neiertz » aura déposé entre les mains d'un seul juge -véritable sénéchal des temps modernes- un pouvoir presque sans limite qui assassine le droit des obligations. De ce fait, la vente forcée ou amiable du logement principal du débiteur grevé d'une inscription d'hypothèque par l'établissement prêteur, peut désormais être assorti d'une réduction conséquente du solde de la dette après la vente, moyennant un échelonnement du remboursement compatible âvec la situation financière du débiteur. C'est dire qu'un débiteur insolvable peut être amnistié en premier ressort sur décision judiciaire exécutoire à titre provisoire. Une loi qui absout les uns et gruge les autres est une loi scélérate, car sans droit pour les créanciers: pas de procédure collective de liquidation du failli, mais reprise des poursuites individuelles dans certains cas seulement. Dans d'autres cas, le règlement judiciaire civil s'achève sur une sorte d'apurement résultant d'une déconfiture non nommée, mais qui porte gravement atteinte au crédit hypothécaire dans le prolongement de ce qu'il fut déjà entrepris par la loi du 25 janvier 1985 sur la faillite commerciale. Par ailleurs, les vocables "faillite" et "déconfiture" ont été pudiquement proscrits de la terminologie juridique usuelle.339 Cependant le rédacteur des lois leur substitua religieusement un ersatz respectif: « difficulté» pour les entreprises et « incident de paiement caractérisé» pour les particuliers. Au-delà de l'usage d'aphorismes socialement acceptables, la classe politique a compris qu'il était plus aisé de se dédouaner des effets du surendettement des familles, plutôt que de s'attaquer à la cause résultant de la baisse du pouvoir d'achat. Ainsi, dans le domaine immobilier de l'habitat, beaucoup auront "plongé" qui croyaient acquérir un statut social !340 Que dire en cas d'échec d'une procédure de redressement sinon que le régime inorganisé de la déconfiture en France se 339 Cité cinq fois dans le Code civil sans qu'il ne lui soit jamais donné une définition rationnelle. 340 Cf : A. MAZZOLINI, "Propriétaire: la fin d'un rêve," L'événement du jeudi du 22 au 28 mars 1990. 194

résume par un constat notoire d'insolvabilité? Pourquoi les particuliers et les professions libérales échappent-ils à la procédure collective de liquidation dans les formes applicables au droit commun des commerçants? Les régions Alsace et Lorraine conservent quant à elles un bien grand privilège issu de l'article 22 nouveau !341 Enfin, quid juris des contraintes auxquelles les créanciers doivent se soumettre durant la phase conventionnelle du règlement amiable. Les prêteurs devenus à bien des égards des créanciers de dernier rang sous le régime du plan de redressement, devront-ils réinventer de nouvelles sûretés pour se défendre, ou bien encore dépoussiérer quelques garanties oubliée comme l'antichrèse ; résurgence de la très ancienne fiducie ? Le portefaix de la faillite a bien changé d'épaule.

341 Dans le prolongement de la loi du 13 juil. 1967, l'art. 234 de la loi du 25 janv. 1985 rend applicable les procédures de redressement et de liquidation judiciaires des entreprises aux personnes physiques domiciliées dans les départements du Haut-Rhin et de la Moselle. De même que les déchéances et interdictions qui résultent de la faillite personnelle ne sont pas applicables à ces personnes, sauf dispositions relevant des art. 403, 408 et 439 du C. pénal. 195

EPILOGUE DE LA FAILLITE Lorsque le législateur mit en chantier sa grande réforme de 1985, il eut sans doute été gagné par le découragement si quelque prédicateur lui avait annoncé quelques 52 252 faillites en 1991, soit une accélération de 150% depuis la réforme de 1985. De plus, phénomène plus récent, les entreprises atteignent rarement l'âge adulte. Au bout de quatre années d'activité, on enregistre déjà 55% de disparues parmi les entreprises individuelles et 41 % des entreprises en société. Et on espère peu de la procédure judiciaire puisque moins de 10% d'entre-elles échappent à la liquidation pure et simple. Ces chiffres implacables sont le reflet d'une lecture empirique de nombreuses statistiques qui convergent dans le même sens, et rien ne saurait apparemment enrayer la montée en flèche de cette hécatombe économique. Côté particuliers, la loi semble avoir violé le droit et abandonné certaines valeurs solides des usages et de la morale, au profit semble-t-il d'un électoralisme rampant et démagogue.342 Pour conséquences endogènes, la loi de 1989 contribua à détourner les débiteurs de leurs obligations au point que de nombreux emprunteurs -et ils représentent 40 % des dossiers déposés auprès des commissions d'examen- anticipent leur incapacité avant même de se trouver en situation de cessation des paiements.343 Cet amoindrissement de leurs facultés, emplifié par la stagnation durable des revenus nets sous l'effet de la progression des prélèvements sociaux, dégrade leurs rapports avec les établissements de crédits, comme il contribue par un effet mécanique, à augmenter le poids des provisions bancaires, d'où les taux d'intérêts pour relever le niveau des marges, et subséquemment multiplie les prises de garanties. D'une façon générale, la loi fait peser sur les créanciers la charge des liquidations, tandis qu'elle dispense l'entrepreneur -et maintenant le particulier- du devoir de payer ce qu'il doit 342 Tandis que le droit perd peu à peu de sa force, la démocratie ténue -à force de vouloir toujours prôner la bonne conscience avec un humanisme doctoral agaçant- s'enlise dans d'improbables idéologies populaires, alors même que le pays à besoin d'odre et d'efficacité plus qu'à profusion de règles d'éthique et de beaux discours qui préludent toujours à la décadence. 343 La dépénalisation de J'émission des chèques sans provision par une loi du 30 décembre 1992 (V. supra: Recours cambiaire), ne pourra que favoriser cette pratique si l'on considère que les émetteurs de "chèques en bois" figurent parmi les plus gros consommateurs de crédits impayés. 197

dans la limite de l'actif; laissé-pour-compte de sa débâcle économique. Rarement l'article 169 de la loi du 25 janvier 1985 n'atteint les dirigeants de sociétés parmi les quelques 50 000 prétendus sinistrés annuels qui pour un certain nombre d'entre eux; après avoir épuisé les fonds de leur entreprise,344 ruiné leurs créanciers et spolié les caisses de l'Etat en particulier celles de la Sécurité sociale, vont en toute impunité se reconstruire une société nouvelle une porte plus loin, et ainsi de suite.345 La mise en non-valeur des dettes après liquidation et clôture des comptes pour insuffisance d'actif, la quasi absence sur le terrain contentieux des procédures en comblement du passif, enfin le laxisme politique du législateur qui autorise un individu à créer autant d'entreprises qu'il en défait tout en retirant à chaque fois de substantiels bénéfices; sont autant de raisons qui autorisent la malveillance et l'escroquerie à s'installer durablement dans notre pays. La maïeutique de Socrate exprimerait aussi bien de nos jours le désarroi des politiques et des magistrats impuissants, quand la démocratie manipulée sans vergogne par les épigones des forces obscures, devient elle-même l'instrument de sa propre destruction: « Crois-tu qu'un Etat puisse encore subsister et n'être pas renversé quand les jugements rendus n'y ont plus aucune force et que les particuliers les annulent ou les détruisent? »346 344 Peu de ces chef d'entreprise prennent la peine de consulter un expert et d'organiser un plan de redressement; en l'absence duquel le jugecommissaire convaincu de la résignation du débi teur, statuera sans résistance en liquidation judiciaire. 345 Les spécialistes de la faillite sont rompus aux rouages de cette mécanique judiciaire. En laissant s'accumuler de lourdes dettes bien que prévisibles, il sera toujours difficile au juge-commissaire de prouver qu'il y a délit d'incapacité, de mauvaise foi ou de négligence, ou bien encore de subodorer le lien d'une société à l'autre qui tendrait à prouver que cette pratique est exercée par le même homme en des lieux différents. Après la cessation des paiements résultant d'un accident ou d'une soi-disant et providentielle conjoncture, le débiteur conservera par la suite le droit de continuer de diriger, de contrôler une autre entreprise commerciale, sans qu'il soit prononcé contre lui une condamnation pénale de banqueroute et de faillite personnelle. Blanchi et libéré des dettes de sa société, ce dernier retrouvera donc une situation neuve au mépris de l'article 180 de la loi susvisée (comblement de l'insuffisance d'actif social par tous les dirigeants de droit) ou de l'article 169 de cette même loi (déchéance sociale du failli et liberté rendue aux créanciers d'exercer leur action individuelle contre le débiteur). 346 Platon: "Criton" ou "Du devoir," 49d - 50c - X ; (Rammarion, p. 74). 198

Bibliographie monographique

- Romuald SZRAMKIEWICK: «Histoire du droit des affaires. » Domat droit privé, Montchrestien, Paris, 1989. -Ch. RENOUARD «Traité des faillites banqueroutes.» Guillaumin, (tome I) Paris, 1857.

et

- R. OLIVIER-MARTIN: « Histoire du droit français des origines à la révolution.

» Ed. du CNRS Paris, 1989.

- Luc MARCO: « La montée des faillites en France; XIxe - XXe siècles. » Logiques économiques, L'Harmattan. Paris, 1989.

- Jean HILAIRE: commercial. » P.u.F.,

« Introduction 1986.

historique

au droit

J. PERCEROU : « Des faillites et banqueroutes liquidations judiciaires. » 2e éd. Paris, 1935.

et des

- M. COUETOUX et Di RUZZA : « Justice et enteprises en difficulté.

» La Documentation

Française,

Paris, 1980.

- Jacques ARGENSON et Georges TOUJAS : «Réglement judiciaire, liquidation des biens, faillite. » Traité et formulaire (2 tomes) Librairie Techniques, Paris, 1973.

- R.

RODIERE

«

Les

procédures

collectives

liquidation ou de renflouement des entreprises comparé. » Economica, Paris, 1976.

- Bernard SOINNE : « Traité théorique procédures collectives. » Litec, Paris, 1989. - Inspection

des finances:

et pratique

« Aspects économiques

faillite et du règlement judiciaire. » Sirey, Paris, 1970.

- G.KELLENS : « Banqueroute Dessart et Mardaga, Bruxelles, 1974. - Jean

GUYENOT

: « Règlement

de

en droit

des de la

et banqueroutiers. judiciaire,

liquidation

»

des biens, suspension provisoire des poursuites. » Librairie commerciale et technique, Paris, 1968. 199

-

François P ASQUALINI : « L'image fidèle, facteur d'évolution du droit comptable. » Thèse en Doctorat soutenue publiquement le 6 juillet 1990 à Paris (Paris II).

-

Daniel DESURVIRE : « Banqueroute et faillite. » Les Petites Affiches-La Loi, des 30 août/2 sept. 1991.

-

Khélifa KHARROUBI : «Cessation des paiements et ouverture des procédures collectives. » Thèse en doctorat, Université

de droit (Paris II), 1984.

-

A. SA YAG et H. SE RB AT : «L'application de la faillite. » Librairies Techniques, Paris, 1982.

du droit

- Fernand DERRIDA, Pierre GODE et Jean-Pierre

SORTAIS: entreprises.

«

Redressement et liquidation judiciaires des

» Recueil Dalloz Sirey, Paris, 1986.

-

Yves GUYON: « Droit des affaires. » (tome I), « Entreprises en difficulté, redressement judiciaire, faillite. » (tome II), Economica, Paris, 1989.

- Yves CHAPUT:

liquidation prévention entreprises.

« Droit

du redressement

et de la

judiciaires des entreprises, » et « Droit de la et du règlement amiable des difficultés des » (2 tomes) P.U.F., Paris, 1987.

-J. PAILLUSSEAU

des entreprises.

et G. PETITE AU : «Les difficultés

» Ed. Colin.

- BORLOO & associés: « Redressement judiciaire, mode

d'emploi. » Economica, Paris, 1987.

- C.R.A.J.E.F.E.

: « Les questions

procédurales

de la

législation de 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises. » Université de Nice, 1987.

- Bernard

d'entreprise. 1987.

- Ph.

LAGARDE: » Technique

«Fiscalité

et redressement

et Documentation-Lavoisier,

PEYRAMAURE

et P. SQUARCIONI

« L'entreprise en difficulté. » Ed. Delmas.

200

Paris,

-

Jacques PELLISSIER : « Code complet et commenté des dettes et créances. » Editions "De Vecchi," 1976.

- Michel CABRILLAC : «Le règlement des créances de l'entreprise. » Librairie Techniques, collection "Droit et gestion," 1977, Paris. - M.-J. CAMPANA, Y. CHAPUT, A. DAVID, B. GRELON, J.-Ph. HAEHL, A. MARTIN-SERF, Ph. MERLE, G. PAISANT : « Prévention-Règlement amiableRedressement et liquidation judiciaires. » Revue trimestrielle de droit commercial et de droit économique (Sirey). Rubrique de jurisprudence commentée sur ce thème à chaque numéro sorti. - Colloque de l'Université des sciences sociales de Toulouse: «Centre de recherche sur les entreprises en difficulté» des 31 janv./l er fév. 1991. Avec la participation de Corinne SAINT-ALARY -HOUIN, Bernard DUREUIL, Marie-Jeanne CAMPANA, Philippe PEfEL, Jean DEVEZE, Michel JEANTIN, François PEROCHON, Jean-François BARBIERI, Albert ARSEGUEL et Thierry METEYE. Publication au journal "Les Petites Affiches-La Loi" des 18 et 20 mai 1992 nOS60 et 61.

-

Jacqueline JAMET :« Le surendettement particuliers. » Montchrestien, 1990, Paris.

- Roger LERON : « Surendettement Journal Officiel de la République française,

des ménages. 1992, Paris.

des »

Addenda: (page 116) Lors de la rédaction de cet ouvrage, nous avions justement pressenti les difficultés inhérentes à la mise en application de cette réforme. A ce jour, les décrets d'applications ne sont toujours pas parus et le législateur a préféré différer la date à laquelle cette loi devait entrer en vigueur. En effet, l'article 3 de la récente "loi n° 92-644 du 13 juillet 1992 modifiant la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures d'exécution et l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers et comportant diverses dispositions relatives aux procédures civiles d'exécution," reporte cette date au 1erjanvier 1993, soit cinq mois plus tard. 201

SOMMAIRE Avant-propos

par François PASQUALINI

INTRODUCTION

7 Il

PREMIERE PARTIE La faillite à travers les âges Chapitre premier: La préhistoire de la dette; un droit presque absolu des créanciers 1- Depuis la nuit des temps... de Dracon à Solon 11- Le traitement des faillis sous l'Empire romain III- Le droit romain sur le déclin de l'empire d'Occident. IV - Barbares et France médiévale: La traversée du désert V- Les voies d'exécution de la Renaissance à la seconde moitié du XVlème siècle VI- Les premières ordonnances royales contre les faillis et banqueroutiers VII- L'Ordonnance de 1667 VIII- L'Ordonnance de 1669 Chapitre second: La lente contruction du droit des débiteurs 1- L'Ordonnance de commerce de 1673 11-La faillite, vue depuis les salons de gens de lettres au XVIIIème siècle, jusqu'au Premier Empire 11I- Le Code de commerce de 1807 : une résurgence des normes répressives de l'Ancien Régime et l'échec du droit des faillites IV- 28 mai 1838, 4 mars 1889, 8 aoüt 1935 et 30 aoüt 1947 : autant de dates qui jalonnèrent la réforme du droit des faillites

203

13 14 18 20 22 26 28 32 35 38 43

47 51

Chapitre troisième: Lorsque le droit des faillites devient une affaire de société I- Une nouvelle doctrine de la faillite, facteur d'évolution économique: l'assainissement de 1955 et la conversion des valeurs en 1967 11- 1985, 1989 : deux réformes qui ajoutent à l'histoire

55 59

SECONDE PARTIE Diagnostic et synthèse de l'ensemble des dispositifs relatifs aux difficultés des entreprises Chapitre premier: Le règlement amiable, une procédure d'alerte qui sonne l'alarme chez le créancier!

1- L'évolution d'une idée dominante à travers les textes: l'arrêt des poursuites, un temps de réflexion 1) Du côté des entreprises en difficulté: un horizon plus prometteur 2) Du côté des créanciers: rien ne va plus I

65

11- Le règlement amiable

69 70

1) L'arrêt des poursuites 2) Le règlement amiable: une réforme boudée 3) Les glissements possibles des accords contractuels en procédures judiciaires 4) La confidentialité et le souci d'informer 5) L'enjeu des créanciers et les risques encourus 6) La prévention: "sublata

causa,

tollitur

effectus

Chapitre second: Que devient la dette depuis la déclaration des créances à l'arrêt des poursuites individuelles? Des réponses qui sortent du cadre judiciaire

204

67

72 73 74 75

76

1- Des acteurs occasionnels autour des difficultes des entreprises 1) Des professionnels du crédit 2) Des spécialistes du traitements de l'impayé devant le consilium jraudis 11-La prise d'otage des créanciers: articles 33, 40 et 47 de la loi du 25 janvier 1985

79 81

85

III - Questions procédurales 1) Procédures expéditives 2) Les tribunaux: normes de procédure et règles de compétence 3) Les groupements d'entreprises soulèvent des problèmes de compétence territoriales des juridictions saisies

95

IV- Des moyens pour contourner les procédures collectives 1) Le concept de fiducie et son histoire

96 97

[a) Généralité en droit privé b) Protection

90 93

-

des biens et contrôle juridictionnel]

2) Le droit de rétention: une vrai sûreté I............. 3) Autres recours et procédures dissuasives contre les débiteurs récalcitrants :..................... [A- Les recours cambiaires et autres effets de commerce, 111, B- La procédure d'injonction de payer, 114, CRedéfinition des procédures civiles d'exécution après la réfonne des saisies mobilières (Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991),115, a) Dispositions spécifiques aux mesures d'exécution forcées, 118 [1L'astreinte, 118, 2- La saisie-attribution, 118, 3-La saisie de s rémunérations, 119, 4- La saisie-vente, 120, 5- Quelques dispositions particulières, 121, 6- Les mesures d'expulsion, 122] b) Dispositions spécifiques aux mesures conservatoires, 122 [1- Les saisies conservatoires, 123, 2- Les sûretés judiciaires,123]. D- Les contentieux fiscaux et parafiscaux, 124]

205

105 III

v - Qui est le plus vulnérable devant la faillite? 1) L'entreprise personnelle: une approche comparative...............................

126

[A- Autres aspects de la difficulé d'entreprise: a) Difficulés d'ordre économique et technique. 126. b- La succession. une affaire de survie. 128, 8- La transmission d'entreprise: hoiries et déshérence. 129]

2) De la société de famille au conjoint associé: la société d'une personne....................

130

[A- L'entreprise personnelle au détour de l'entreprise unipersonnelle. 130. 8- L'E.U.R.L. : personne physique et personne morales, Dr Jekyll et Mr Hyde. 132, a) E.U.R.L. : un associé peu recommandable! 132, b) La société d'exploitation: Quid juris? 133, c) L'associé, joker ou valet de carreau? 134]

En conclusion

......................................

136

TROISIEME PARTIE la loi « Neiertz » contre le dopage de l'argent et le syndrome de l'endettement.

.............

Chapitre premier: Le crédit: de la réglementation à la consommation.....................

1- La règlementation de l'usure en droit interne et la directive de la c.E.E. 1) Les grands principes de la loi contre l'usure ........ 2) La réglementation des taux: T.E.M., T.E.G.. catégories de prêts.................... 11- De l'information à la protection du consommateur ........ 1) Délais de réflexion et de rétractation................. 2) Transparence et facilités................................... 3) Autres mesures d'information............................ 4) Protection de la caution :................................. [a- La forme contractuelle de cette sûreté, 155, b- La capacité d'être caution, 157]

206

139

143

144 147 150 152 154 154 155

Chapitre second: L'antithèse de la procédure judiciaire I- L'accès unilatérale au fichier 1) Un nouveau fichier nationaL........................... 2) Recensement des incidents de paiement............. 3) Examen d'un règlement du comité de la réglementation bancaire: .......................

159 160 163

[a- Cinq paramètres pour définir quel crédit, 163, b- Les incidents de paiement caractérisés font également l'objet de discernement, 164, c- Au nombre des obligations, les établissements de crédit cumulent les risques mais s'assurent, 164, d- La tenue du fichier est réglementée suivant des normes précises de durée et de consultation des informations, 164] 4) Le rapport «Leron»: Un bilan de dix huit mois d'application de la loi « Neiertz » ........................................

166

[A- Propositions visant à améliorer le dispositif du traitement, 168 : a) Assistance et conversion des mentalités: une adéquation mieux qu'une réforme! 168, b) Le code de la « bonne foi» 169, c) Un fichier positivement négatif, 171, d) Question préjudicielle, 172, e) Une procédure mal saisie en droit positif., 173, B- Propositions visant à améliorer le dispositif de prévention, 174] II- La voie parajudiciaire du règlement amiable 1) La commission d'examen du surendettement : une autorité administralive ?........................... 2) Recevabilité de la demande du débiteur............ 3) La procédure conventionnelle de conci liation ........... 4) Rôle du juge d'instance durant la procédure conventionnelle de conciliation et de médiation: ......................

175 177 179 180

[a- Recours contre les décisions de la commissiond'examen statuant en règlement amiable, 181, b- Ouverture de la phase de conciliation durant la procédure de RJ.C, 181, c- Ordonnance de suspension des voies d'exécution, 182] 5) Sécurité sociale: remise des majorations de retard et plan conventionnel de règlement suivant le décret du 1er août 1990....

207

183

11I- L'absence de procédure collective de liquidation: loi inachevée et demi-mesures 1) Ouverture de la procédure: .............................

187

[a- Saisine provoquée à la suite de poursuite d'une procédure d'exécution, 187, b- Saisine à défaut d'un accord intervenu dans les délais, 187, c- Saisine sur le motif d'irrecevabilité de la demande, 188, d- Saisine par le juge de la procédure ou d'un magistrat d'une autre juridiction, 188]

2) Contenu de la procédure en R.J.C. :

................

189

[A- Aspect passif. ; a), b), c), B- Aspect actif. ; a), b)] Epilogue Bibliographie

de la faillite..

...................... ..,

................................

Achevé d'imprimer en janvier 1993 sur les presses de l'imprimerie LaballeI)' - 58500 Clamecy Dépôt légal: janvier 1993 Numéro d'impression:

197 199

212039