Enseigner Avec Les Erreurs Des Élèves. J.M.ZAKHARTCHOUK [PDF]

  • 0 0 0
  • Gefällt Ihnen dieses papier und der download? Sie können Ihre eigene PDF-Datei in wenigen Minuten kostenlos online veröffentlichen! Anmelden
Datei wird geladen, bitte warten...
Zitiervorschau

La Classe en Pratiques Résolument concrets et accessibles, les ouvrages de la collection La Classe en pratiques proposent aux enseignants des conseils, des outils et des témoignages sur des pratiques de classe quotidiennes. Ces ouvrages s’adressent aux enseignants débutants et à tous ceux, plus expérimentés, qui se questionnent sur leurs pratiques. Directement opérationnels, ces ouvrages apportent au lecteur des réponses claires et synthétiques pour un soutien et un perfectionnement au quotidien. Les sujets traités dans la collection La Classe en Pratiques concernent aussi bien le savoir-être que le savoir-faire des enseignants et des éducateurs. Ont contribué à cet ouvrage BANASIK Benjamin, BOUIN Nicole, BRISBART Corinne, CADIOU Sandra, CANARD Céline, CARON Guillaume, CHARREYRON Véronique, CHERVET Nicolas, COSTILLE Jean-Pierre, DE HOSSON Cécile, DELHAYE Karine, DUBOIS Bénédicte, GHIENNE Cécile, GRAU Sylvie, HORVATH Julie, JOUZEAU Clothilde, LASCASSIES Cyril, LE CLEC’H Véronique, LECOCQ Yves, LECŒUR Edwige, LÉON Jean-Charles, LIBBRECHT Angélique, MIRANDA Sandra, MOTHES Patricia, MOUSSAVOU François, PAUL Jean-Claude, RÉTO Gwenola, REULIER Jocelyn, RICHARDOT Jacky, ROH Sophie, SANCHEZ Anne-Marie, SANNIER Charlotte, URGELLI Bruno, VOILLEQUIN Nadia, WATEBLED Jacky. © ESF éditeur, 2011 © ESF Sciences humaines, 2019 SAS Cognitia - 3, rue Geoffroy-Marie - 75009 Paris ISBN : 978-2-7101-3922-5 www.esf-scienceshumaines.fr

Suivre notre actualité sur Facebook et Twitter. Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou ses ayants droit, ou ayants cause, est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Table des matières Avant-propos De l’erreur à l’exigence

Introduction 1. La place de l’erreur dans l’histoire de l’école Définitions au pluriel Une tradition de l’école : surtout ne pas se tromper, sinon… Évitons de caricaturer « l’école d’autrefois » ! À qui la faute ?

2. Les enseignants et leurs rapports à l’erreur Revivre des moments difficiles face aux erreurs La bienveillance, une valeur en hausse

3. L’erreur, ce n’est pas un drame ! Un droit qui doit s’exercer dès l’école maternelle Avec les élèves les plus fragiles Le droit à l’erreur dans la classe Face au passif du passé

4. Les apports des sciences cognitives Stratégies pédagogiques L’inhibition serait le meilleur facteur prédictif de la réussite Cartes gagnantes La mémoire, ce continent parfois mal connu

5. Multiples causes, multiples réponses D’où vient l’erreur ? Comment faire réfléchir les élèves sur leurs erreurs Un outil d’analyse pour les élèves Du cognitif à l’émotionnel

6. Évaluation : dépasser la « correction » Ce qui se passe encore trop souvent… Mettre l’erreur à l’honneur

Quand les élèves inventent des évaluations La construction par les élèves de QCM L’analyse collective d’erreurs

7. Donner confiance Avec des enfants marqués par l’échec et les difficultés Vivre corporellement ses émotions Vertus du théâtre Erreurs dans les comportements

8. Erreurs et langues française et étrangères L’orthographe Je ne comprends rien à ce texte ! Diversifier les modes de lecture À l’écrit, je suis nul ! Une nouvelle conception des langues vivantes

9. En maths, je me trompe, car je n’y comprends rien ! Dès les premiers apprentissages

10. Au fil des disciplines En technologie En sciences En histoire et géographie En musique En éducation physique En arts plastiques L’interdisciplinarité

11. Travailler sur les méthodes, au-delà des découpages disciplinaires Le temps nécessaire Comprendre vraiment ce qui est demandé Prendre des notes Les moments de synthèse

12. À l’heure des fake news Exercer la vigilance de la « raison » Quelques principes à suivre

Exemples de pratiques

13. La nécessaire formation des enseignants Analyser ses propres erreurs Comment aider les élèves à partir de leurs copies ? Trouver les bonnes réponses et les discuter

Conclusion Un prudent optimisme… sauf erreur !

Bibliographie

Avant-propos De l’erreur à l’exigence Étrange paradoxe de l’erreur en situation scolaire : alliée et adversaire à la fois ! Inévitable dans la démarche toujours tâtonnante de celui qui apprend… et obstacle à surmonter pour accéder à plus de précision, de justesse et de vérité. Moment fécond si, loin de décourager l’élève, il lui permet de comprendre comment progresser… et, en même temps, « résidu » de vieux automatismes ou de conceptions anciennes qu’il faut se résigner à éradiquer. Occasion extraordinaire d’exercice de l’intelligence critique… et, simultanément, épreuve souvent difficile quand il faut faire son deuil de ce qui a été, un temps, une partie intégrante de soi et même, parfois, un outil de sa construction identitaire. Dépassement et renoncement. Renoncement et dépassement. Étroitement liés et, donc, générateurs de perplexité, d’inquiétude, voire d’angoisse. On néglige trop souvent cette dimension de tout apprentissage, pourtant consubstantielle de « l’apprendre » tel qu’Aristote et Augustin l’approchaient déjà il y a bien longtemps : « Apprendre, c’est faire quelque chose qu’on ne sait pas faire pour savoir le faire. » Il faut donc le faire sans savoir le faire car, si l’on savait déjà le faire, on n’aurait pas besoin d’apprendre à le faire ! Mais comment faire quand on ne sait pas faire ? Voilà tout le mystère ! Il faut prendre le risque de « se jeter à l’eau », accepter de se tromper, voire de subir les critiques, quand ce n’est pas les moqueries, de ceux qui savent déjà comme de ceux qui ne savent pas et voient toujours d’un mauvais œil que quelqu’un s’essaye à quelque chose qui les a mis en difficulté ou en échec… Il faut « se lancer » et assumer l’imperfection, voire le ridicule. Il faut accepter de sacrifier le fantasme de sa toute-puissance comme l’illusion d’un « moi idéal » dans lequel on s’était parfois installé. Il faut s’engager dans un dialogue, parfois douloureux, toujours déstabilisant, avec ce qui nous résiste. Il faut abandonner la certitude d’avoir toujours raison et

la satisfaction d’être « parfait », à l’abri, dans la carapace des évidences immédiates, de tout ce qui pourrait affecter notre amourpropre. Il faut passer, dirait le psychanalyste, de l’enkystement dans le « moi idéal » à la quête difficile de « l’idéal du moi ». C’est cela qui se joue – n’en doutons pas – dans le rapport de nos élèves à l’erreur, que celle-ci soit le résultat d’une inattention – une « faute » que l’on peine à reconnaître –, d’un automatisme mal maîtrisé – dont on rejette volontiers le bien-fondé –, de l’oubli de la dimension d’un problème – considéré comme inutilement complexe –, d’un défaut d’analyse – souvent attribué à un désaccord idéologique –, ou bien du miroitement d’une quelconque « théorie du complot » – qui fournit à bon compte des certitudes définitives. Dans tous ces cas, l’erreur est déniée, car la reconnaître serait, en quelque sorte, se renier. Ce serait renoncer à moi-même et m’en remettre à une autorité extérieure me contraignant à abdiquer « ce que je suis » et à disqualifier « ce que j’ai fait ». C’est pourquoi l’enjeu pédagogique majeur d’une véritable pédagogie de l’erreur est le passage de l’erreur comme écart à une norme extérieure imposée à l’erreur comme confrontation à une exigence intériorisée. Car, n’en doutons pas : dans la première situation, l’élève vivra la correction de l’erreur par le maître comme une décision arbitraire ou même, dans le pire des cas, comme un conflit entre des croyances ou des convictions irréconciliables ; sur le moment, et selon ses intérêts stratégiques, il se soumettra peutêtre, de plus ou moins bonne grâce, mais n’en campera pas moins intérieurement sur ses positions, revenant à ses anciennes habitudes ou certitudes dès que l’enseignant aura le dos tourné. Tout au contraire, si l’élève vit l’erreur comme une étape dans un processus, s’il accepte de se confronter à des exigences dont il a compris le sens, s’il perçoit l’immense intérêt qu’il pourra en tirer pour progresser, alors l’erreur, d’abord pointée par le maître puis, petit à petit, reconnue par lui, sera un formidable atout pour ses apprentissages et son développement ; elle lui permettra d’exercer sur lui-même ce regard critique qui lui donnera progressivement les

moyens de réaliser des œuvres de qualité et de « penser par luimême ». « Réaliser des œuvres de qualité » – un récit ou une maquette, une expérience scientifique ou une carte de géographie, la récitation d’un poème ou une argumentation philosophique – impose, en effet, d’être capable de se décentrer, d’écouter et d’observer ce que l’on dit ou fait, avec une posture critique et en s’appliquant à soi-même des critères de jugement et de qualité qui ne sont pas seulement dictés par son propre narcissisme, mais qui sont partagés avec d’autres, partagés avec tous les autres, à l’horizon d’une universalité qui se construit ainsi. L’artisan, à cet égard, est un bon modèle : parce que ses réalisations seront soumises au jugement des autres, il a besoin d’avoir intégré à l’avance les critères de sa propre réussite, de les avoir partagés, de s’en être fait des repères essentiels dans son travail quotidien. Faire de nos élèves de véritables « artisans » de leurs travaux en classe est ainsi un enjeu fondateur de l’école. Célestin Freinet ne disait rien d’autre quand il luttait contre ce qu’il appelait (à tort) « la scolastique » pour promouvoir « le travail vrai ». « Penser par soi-même » – c’est-à-dire résister à toutes les formes d’immédiateté pulsionnelle comme à la répétition de slogans ou la reproduction de stéréotypes – exige, de son côté, de ne pas se satisfaire de fausses certitudes mais de transformer, en un processus jamais achevé, le « désir de savoir » en « désir d’apprendre ». Car, si nous voulons tous « savoir » – avoir les solutions techniques et idéologiques les plus faciles d’accès aux problèmes matériels et angoisses existentielles que nous rencontrons –, nous ne sommes pas toujours prêts à « apprendre » : car apprendre exige d’abord d’accepter de ne pas savoir et de s’engager dans une démarche de recherche, de mener des investigations, d’entrer dans le débat, de remanier sans cesse ce que l’on sait, d’avoir un regard critique et exigeant sur ce que l’on trouve. Apprendre, c’est intégrer la possibilité, et même la nécessité, de l’erreur assumée dans une démarche qui se nourrit en

permanence des autres et de la culture. Socrate, déjà, ne disait pas autre chose. Certains trouveront peut-être ces réflexions bien abstraites. Mais il n’en est rien. Elles sont, au contraire, une manière d’approcher l’enseignement et l’apprentissage au plus près de la « transmission », de ce moment essentiel où, avec des contenus d’enseignement légitimement imposés par les programmes, se transmet une exigence intérieure qui est, sans aucun doute, le vecteur fondamental de la formation à la citoyenneté. Et c’est de cela que nous parle, au-delà de la multiplicité des propositions pédagogiques et des outils didactiques qu’il propose, cet excellent livre de Jean-Michel Zakhartchouk. En s’appuyant sur son expérience et sur sa belle connaissance des travaux pédagogiques, en sollicitant les points de vue et les suggestions de nombreux collègues de toutes disciplines et de tous niveaux, il nous propose de faire du travail sur l’erreur une manière de refonder la pédagogie sur « l’apprendre ». Voilà un livre particulièrement utile – il fourmille de propositions concrètes – mais qui n’est en rien « utilitariste » : loin de sacrifier à la mode de « l’école efficace » – qui fait l’impasse sur les finalités –, il fournit de nombreuses pistes pour l’action, mais en les articulant étroitement à un projet éducatif fort, un projet d’émancipation, aussi exigeant que particulièrement d’actualité. Philippe Meirieu

Introduction « Attention à ne pas te tromper » : ce message, envoyé à beaucoup d’élèves dans notre système éducatif, n’est-il pas révélateur d’une relation tout sauf sereine à l’erreur ? Il est pourtant si naturel de ne pas réussir du premier coup, surtout quand on est en train d’apprendre. Et si, loin de la considérer comme une catastrophe, on « retournait le stigmate », on faisait de l’erreur un levier pour apprendre, ce qu’on retrouve dans l’expression « apprendre de ses erreurs » ? Cet ouvrage reprend donc cette idée essentielle qu’on retrouve chez nombre de théoriciens de l’apprentissage, didacticiens et pédagogues. Mais ici il sera surtout question de pratiques : comment, concrètement, « faire avec », dans un sens non pas résigné (« il faut bien faire avec »), mais résolument positif (erreur = tremplin, point d’appui, occasion opportune d’apprendre… à ne plus se tromper). Et pour réaliser cet ouvrage, comme je l’ai fait ailleurs dans la même collection, j’ai bâti en grande partie cet ensemble de réflexions et propositions en m’appuyant sur les très nombreux témoignages d’acteurs sur leur façon de faire, de la maternelle au lycée et en formation d’enseignants. Livre collectif qui se fonde sur le réseau de pédagogues lié de près ou de loin à l’association CRAPCahiers pédagogiques. Il ne s’agit cependant en aucun cas de mise bout à bout de ces témoignages. Les contributions d’acteurs, parfois échos d’un vécu très concret, parfois déclinaison de séquences de classes, sont insérées dans un tout qui se veut cohérent et organisé autour de quelques points forts : on ne peut travailler sur les erreurs des élèves sans considérer le rapport des enseignants à l’erreur, qui doit être l’objet de formations et de prise de recul ; on doit distinguer les cas où il faut en amont prévenir les erreurs, en particulier en mettant en place des automatismes et

des alertes, des cas où il faut retravailler des erreurs conçues comme des étapes dans un apprentissage durable. Concevoir autrement l’erreur a des implications majeures sur la manière d’enseigner et en particulier d’évaluer. Il faut effectuer un tel travail à la fois dans sa discipline et de manière transversale. D’où les chapitres 8 à 11. Notons que c’est par commodité que nous avons découpé en plusieurs chapitres le « fil des disciplines », ce qui a conduit à en isoler certaines, sans considérer bien entendu qu’elles sont plus importantes, mais il est vrai que le français et les maths sont les disciplines qui connaissent un trop fort taux d’échec et où le travail sur l’erreur est décisif. Il faut intégrer à la réflexion sur l’erreur ce que nous apportent les sciences cognitives et prendre en compte les phénomènes actuels de désinformation et des dangers des fake news et de « postvérités ». Vaste chantier donc, avec à la clé l’idée majeure selon laquelle il ne suffit pas d’enseigner pour que les élèves apprennent. Et qu’il ne suffit pas que, ponctuellement, les élèvent aient « tout juste » à un exercice pour qu’ils aient appris sur le long terme. D’où l’importance incontournable de la pédagogie, au sens fort du terme, qui implique la réflexivité, la mise permanente en question de nos façons d’enseigner. Il n’y a pas de recette magique et on ne fonctionnera pas ici par slogans : « Il suffit de changer le statut de l’erreur pour que tout change », ou « énoncer le droit à l’erreur », alors que les choses sont bien plus complexes. Il s’agit bien d’être exigeant, sans complaisance pour les erreurs, mais avec bienveillance envers ceux qui se trompent, dont font partie les enseignants qui à chaque heure de cours peuvent faire des erreurs d’appréciation, de timing, d’organisation de l’espace, etc. Le domaine éducatif, plus que jamais, doit échapper aux solutions simples qui sont la plupart du temps de fausses routes, donc des erreurs…

1. La place de l’erreur dans l’histoire de l’école Des évolutions qui vont dans le bon sens, mais pas assez vite ? Longtemps on a considéré l’erreur comme ce qu’il fallait absolument proscrire à l’école. Au besoin en recourant aux menaces préventives ou aux sanctions prétendument remédiatrices. Peu à peu cependant émergent d’autres conceptions de l’apprentissage qui mettent au contraire l’accent sur une certaine fécondité de l’erreur, vue comme une étape. Néanmoins, il serait un peu simpliste de penser qu’on est passé de l’ombre à la lumière, l’erreur en fait accompagne de longue date la réflexion pédagogique. Si on cherche l’entrée « erreur » dans le volumineux Dictionnaire pédagogique coordonné par Ferdinand Buisson (première édition : 1887, republié récemment chez Robert Laffont, collection « Bouquins », 2017), on ne la trouvera pas. Tout au plus l’entrée « étourderie » évoque-t-elle certains aspects de cette thématique, mais on ne trouve pas non plus « faute » ni « correction ». Lorsque les Cahiers pédagogiques publient en 1962 un Petit dictionnaire portatif de pédagogie, on ne trouve pas non plus d’entrée « erreur ». Et ce n’est qu’en 2012 que la revue va consacrer un dossier spécifique sur la problématique « L’erreur pour apprendre », se situant dans la continuité du petit livre lumineux de Jean-Pierre Astolfi (qui fut un des principaux collaborateurs de la

revue), L’Erreur, un outil pour enseigner. Il est donc intéressant de voir les évolutions du rapport à l’erreur dans l’histoire de l’école française, en lien sans doute avec des changements sociétaux. Une loi n’a-t-elle pas été récemment mise en œuvre pour reconnaître un « droit à l’erreur » dans les rapports du citoyen avec l’administration ? Jean-Pierre Lentin, en 1994, écrivait un ouvrage, Je pense, donc je me trompe (Albin Michel), qui recensait des erreurs dans l’histoire des sciences et leur fécondité paradoxale. Et plus récemment, dans un autre registre, le philosophe Charles Pépin mettait à jour « les vertus de l’échec », même si erreur et échec sont deux notions différentes sur lesquelles nous reviendrons. Dans le corps enseignant, l’idée que l’erreur puisse être un bon outil pour mieux enseigner, un levier pour l’apprentissage, fait son chemin et n’est plus iconoclaste. L’expression « faute » reste très employée, mais plus par habitude et on sait bien qu’il est préférable d’employer le mot « erreur ». L’erreur est donc réhabilitée et on peut alors, en le détournant de son sens religieux clamer un « felix culpa ». Sans oublier l’encore plus célèbre proverbe latin « errare humanum est » qui conseille cependant de ne pas persévérer et invite donc à la « correction »…

Définitions au pluriel Mais de quoi parle-t-on exactement ? Comment définir la notion d’erreur, et de quoi se distingue-t-elle ? Nous venons déjà d’évoquer la « faute » et l’« échec ». Un mot plus récent comme « dysfonctionnement », que conseille le chercheur Yves Reuter dans son livre Panser l’erreur1, est-il vraiment un synonyme ? Et qu’en est-il de ces vocables proches (paronymes) dont peut-être le mot « erreur » est un « hyperonyme2 » : aberration, bêtise, confusion, maladresse, bévue… Sans parler d’expressions plus familières : bourde, boulette, bogue, ânerie et bien sûr connerie ? Au fond, chacun s’inscrit dans une catégorisation d’erreurs, comme des sousparties d’un ensemble très vaste. Quel est l’antonyme d’erreur d’ailleurs ? Exactitude ? Justesse ? Réussite ? On voit que se

déploient aussi par là même des critères d’évaluation permettant d’établir ce qui est « faux » et ce qui ne l’est pas. « Faux », tiens, encore un synonyme de l’adjectif « erroné » ? Si on prend quelques définitions de dictionnaire du mot « erreur », on aura par exemple : dans le Larousse : « Acte de se tromper, d’adopter ou d’exposer une opinion non conforme à la vérité, de tenir pour vrai ce qui est faux. » le Trésor de la langue française met en avant « l’action d’errer », et évoque en premier « un parcours sinueux et imprévisible » avant d’en venir à des définitions plus conformes à l’usage actuel, mais avec de fortes connotations morales comme dans : « Action inconsidérée, contraire au bon sens, à la réflexion et imputable à l’ignorance ou à l’étourderie. » Ou assez curieusement : « Assertion fausse, opinion qui s’écarte de la vérité généralement admise. » dans le Robert : « Acte de l’esprit qui tient pour vrai ce qui est faux et inversement » mais aussi « chose fausse, erronée par rapport à une norme (différence par rapport à un modèle ou à la réalité) ». Il est intéressant ici que soient distinguées l’action humaine de se tromper et sa conséquence, le produit de cet acte. Terminons ce rapide tour de champ lexical par une allusion à l’étymologie. Si on en croit le Dictionnaire historique de la langue française (Robert), le mot vient du latin errare qui désigne d’abord l’action d’errer çà et là, sorte de vagabondage qui mène à la « fausse route » avant de signifier surtout « l’acte de se tromper », avec au Moyen Âge une forte signification religieuse (l’erreur, c’est l’hérésie, la doctrine fausse). Ce n’est que peu à peu que la connotation morale tend à disparaître.

Une tradition de l’école : surtout ne pas se

tromper, sinon… Dans ce qu’on appelle un peu vite « l’école traditionnelle », l’erreur était l’ennemie. Il fallait l’éviter et pour cela on disposait de plusieurs moyens, d’une efficacité souvent douteuse, et très contestables sur le plan éthique. D’abord, l’arme de l’encre rouge, marqueur fort du traquage d’erreurs encore très présent dans les copies des élèves. Pour le grand spécialiste des couleurs, Michel Pastoureau, le rouge « veut se faire voir et est bien décidé à en imposer à toutes les autres couleurs3 ». Le symbole reste fort4 et introduire d’autres couleurs pour signaler des erreurs côté professeur ou pour les corriger côté élèves est déjà un peu subversif. Ce rouge concerne des annotations qui sont souvent bien vagues et stéréotypées, parfois abrégées (« md » pour « mal dit », « inc » pour « incorrect », bien sûr « faux » ou, plus doux : « maladroit, inexact »). Mais l’encre rouge peut servir aussi à barrer, tandis que chez les élèves, depuis quelques dizaines d’années, l’arme de destruction massive des erreurs qu’on rectifie en cours de route est le blanco. Surtout pas de ratures ! Un autre moyen de faire éviter les erreurs, c’était bien la menace de sanctions. La peur des « lignes » à copier, de la mauvaise note, mais aussi il n’y a pas si longtemps de la punition (coups de règle sur les doigts, plus courants qu’on ne croit avant 1968, ou bonnet d’âne si on remonte plus loin dans le temps). La dictée bien sûr était à cet égard symbolique, avec son système de soustraction de points, mais aussi d’absence de hiérarchie entre erreurs : ne pas respecter un accord du participe passé avec « avoir » valait autant dans l’échelle de « gravité » que la confusion « er/ez ». Il y avait finalement une dramatisation de l’erreur, et sa transformation quasiment en faute morale faisait écrire à Prévert dans un poème : « C’est ma faute, c’est ma très grande faute d’orthographe. » D’ailleurs, ne parlait-on pas dans certains cas

d’erreurs « impardonnables » ? L’erreur provenait la plupart du temps de la « paresse » de l’élève, de son manque de volonté qu’il masquait en évoquant la « bonne excuse » de l’«étourderie ». Comment pouvait-on penser à reconnaître un statut positif à l’erreur, à déceler ce qu’elle a souvent d’« intelligent », lorsque s’imposait un modèle uniforme et plutôt rigide, décrit ainsi par Hervé Hamon : « [Dans ce territoire balisé], la norme était écrite, la faute était taxée, le mérite était chiffré, et l’honneur s’affichait ou ne s’affichait pas au tableau du même nom5. » Le remède à l’erreur était (mais doit-on utiliser seulement‐ l’imparfait ?) bien souvent la copie de la bonne solution, plusieurs fois si nécessaire, en s’inspirant du « modèle » pour mémoriser et éviter la fois prochaine de se tromper, selon une conception un peu simpliste de la mémoire pensée comme une « photographie » du modèle montré par le professeur. À l’inverse, les élèves ne devaient pas être confrontés à des textes ou images fautifs, car cela aurait pu s’imprégner en eux. On verra plus loin que, sur cette question, les choses sont complexes et à différencier selon les âges et selon les moments d’apprentissage. Pour les élèves, dans ce cadre scolaire, il existe une solution, qui demande cependant quelque habileté, pour éviter les erreurs : tricher, copier sur un camarade plus compétent, se servir d’antisèches, etc. Certains pédagogues astucieux ont d’ailleurs détourné cette pratique… en demandant aux élèves de fabriquer ces antisèches, dispositif qui doit cependant être bien compris, le but n’étant pas d’encourager à tricher, mais d’utiliser ce jeu pour noter l’essentiel de ce qu’il faut retenir. Dans ce qui précède, la place reste réduite pour le droit à l’essai, au tâtonnement, au coup qui ne compte pas et à la seconde chance. L’élève doit réussir d’emblée, et s’il refait, c’est plus pour se « corriger » que pour rendre un travail meilleur, qui sera évalué à nouveau.

Terreur de l’erreur Dans son émouvant récit autobiographique, Toinou6, Antoine Sylvère décrit l’atmosphère régnant dans une école, confessionnelle il est vrai, au début du xxe siècle. Est-on sûr que l’équivalent n’existait pas aussi dans l’école publique ? « L’atmosphère de terreur ne vous lâchait pas une minute, tant que durait la classe. Il fallait à tout prix savoir, savoir sans erreur, c’était pour nous un principe essentiel de conservation. La terrible vieille maniait les verges mieux qu’un sergent. […] Nous nous appliquions sans cesse, avec une ardeur angoissée, à capter les indications qu’elle nous donnait, à les reconnaître ensuite exactement, et à ne pas les confondre avec des notions approximatives, un peu comme les hommes du premier âge durent apprendre à distinguer les nourritures assimilables de celles qui étaient dangereuses. »

Évitons de caricaturer « l’école d’autrefois » ! Ne tombons cependant pas dans la caricature. Dans l’école de Jules Ferry déjà, l’erreur pouvait être dans les faits exploitée comme source d’apprentissage. On incitait aussi les élèves à être actifs, contrairement aux idées reçues, la gradation des difficultés était prônée, et dans le Dictionnaire de pédagogie, cité plus haut, on fustige par exemple ceux qui inventent des dictées remplies de « pièges » qui sont autant d’incitations à se tromper ! (Voir le remarquable article « Orthographe ».) Dans cette école d’hier, l’erreur n’était pas forcément dramatisée, et on peut lire par exemple sous la plume d’Alain, souvent cité par les nostalgiques de cette école d’antan, cet éloge d’un « lieu où on peut se tromper » contrairement à la vraie vie bien souvent : « Il est assez clair que l’enfant qui fait une faute de calcul n’est pas ruiné pour cela. Ici l’erreur trouve sa place ; on lave l’ardoise, et il ne reste rien de la faute. C’est là que l’esprit prend cet air de négligence, qui n’est point bon tout seul, mais qui est pourtant de première valeur, comme le pouvoir de tomber sans se tuer est pour le gymnaste7. » Et le psychopédagogue Daniel Calin de noter que « les bons maîtres, même très traditionnels, tiraient parti des “fautes” de leurs élèves

pour réguler leur propre enseignement, reprendre leurs leçons par d’autres voies, trouver des explications ou des démonstrations mieux adaptées. Voire pour revenir en arrière, combler des lacunes ou reprendre des notions mal acquises. Il est toujours absurde d’imaginer que l’intelligence pédagogique puisse être une invention récente8. » Faire sa propre expérience Dans une de ses dernières œuvres, Vérité9, Émile Zola dresse le portrait d’un « bon maître » républicain, en rupture avec l’école de la croyance aveugle et de la vérité venue d’en haut. Il évoque ainsi son héros, Marc : « Dans la classe, il laissait les livres de côté le plus possible, afin de forcer ses élèves à juger par eux-mêmes. Ils ne savaient bien que lorsqu’ils avaient touché les choses. Il ne leur demandait jamais de croire qu’après leur avoir prouvé expérimentalement la réalité d’un phénomène. Tout le domaine des faits non prouvés était mis à l’écart, comme en réserve pour les recherches futures. »

Les pratiques décrites dans notre ouvrage ne sont pas toutes neuves. Et bien sûr elles ont été développées par un courant progressiste depuis plus d’un siècle, celui de « l’éducation nouvelle ». Ainsi, Célestin Freinet, en promouvant le tâtonnement expérimental, en dévoluant la correction d’un travail aux élèves euxmêmes par exemple, a-t-il inspiré nombre de pédagogues, au-delà de militants se réclamant de son œuvre. Et bien sûr il faut rappeler les glorieux ancêtres, dont Jean-Jacques Rousseau qui écrivait en 1762 dans Émile : « S’il [l’élève] se trompe laissez-le faire, ne corrigez point ses erreurs, attendez en silence qu’il soit en état de les voir et de les corriger lui-même. » Éloges de l’erreur féconde « La science, mon garçon, est faite d’erreurs, mais d’erreurs qu’il est bon de commettre, car elles mènent peu à peu à la vérité. » Jules Verne, Voyage au centre de la Terre, 1864. « Qu’on lui fasse entendre que de confesser la faute qu’il découvrira en son propre discours, encore qu’elle ne soit aperçue que par lui, c’est un effet de jugement et de sincérité, qui sont les principales parties qu’il cherche ; que l’opiniâtrer et contester sont qualités communes, plus apparentes aux plus basses âmes ; que se raviser et se

corriger, abandonner un mauvais parti sur le cours de son ardeur, ce sont qualités rares, fortes et philosophiques. » Montaigne, Essais, chapitre XV, 1580. « Quiconque pense commence toujours par se tromper. L’esprit juste se trompe d’abord tout autant qu’un autre ; son travail propre est de revenir, de ne point s’obstiner, de corriger selon l’objet la première esquisse. Mais il faut une première esquisse ; il faut un contour fermé. L’abstrait est défini par là. Toutes nos erreurs sont des jugements téméraires, et toutes nos vérités, sans exception, sont des erreurs redressées. » Alain, Vigiles de l’esprit, 1921.

À qui la faute ? Reste que l’évitement de l’erreur est resté dominant. Il a pu prendre deux formes assez différentes. Celle que nous avons évoquée où le fautif est un peu toujours l’élève : pas assez travailleur, pas assez attentif, qui n’a pas assez « écouté » en classe… Mais aussi celle où la responsabilité de l’erreur renvoie à une mauvaise programmation par l’enseignant. Dans une optique béhavioriste, l’élève se laisse guider et en principe ne doit pas se tromper si la progression par micro-objectifs et gradation des difficultés a été bien conçue. La cause de l’erreur est dès lors davantage du côté de celui qui a (mal) bâti cette progression. L’élève n’est plus qu’un exécutant qui n’a qu’à suivre les « instructions », ce qui peut marcher pour des apprentissages très mécaniques mais trouve vite ses limites. Or, il existe bien une sorte de troisième voie où il ne s’agit plus tant de se demander qui est responsable de l’erreur, mais plutôt comment on fait avec, comment on s’en sert pour faire apprendre. C’est ce qui va être déployé tout le long de cet ouvrage. En bref Même si, dans l’école traditionnelle, l’erreur n’était pas toujours stigmatisée, on était loin de la concevoir comme une occasion d’apprendre, comme une étape sur le chemin de l’apprendre. La connotation morale pesait lourd et continue à peser (notion de « faute »). On assiste à une évolution positive : l’erreur « utile » sur laquelle on travaille n’est plus l’erreur à éviter à tout prix ou à corriger le plus vite possible.

1. Presses universitaires du Septentrion, collection « Savoirs mieux », 2013. 2. L’hyperonymie est la relation sémantique hiérarchique d’une unité lexicale à une autre selon laquelle l’extension du premier terme, plus général, englobe l’extension du second, plus spécifique. Le premier terme est dit hyperonyme de l’autre (selon Wikipédia). « Volaille » est l’hyperonyme de « poules, dindons, pintades… ». 3. Le Petit Livre des couleurs, Points, 2005. 4. Récemment, un mouvement de contestation d’enseignants s’est nommé « les stylos rouges », et on peut douter que cela donne une image noble de la profession ! 5. Les Bancs de la communale, Du May, 1994. 6. Plon, 1980. 7. Propos sur l’éducation, PUF, 1932. 8. « Quelle place accorder à l’erreur dans sa pratique pédagogique ? » http://dcalin.fr/cerpe/cerpe32.html 9. Poche, 1902.

2. Les enseignants et leurs rapports à l’erreur Réfléchir à son passé d’élève pour mieux comprendre ses propres élèves Les enseignants ont été des élèves, leur passé pèse sur leur présent. Ils peuvent l’oublier lorsqu’ils sont face aux erreurs de leurs élèves. Et dans le second degré, n’étaient-ils pas performants dans la discipline qu’ils enseignent aujourd’hui, au risque de sous-estimer la difficulté de nombreux apprentissages et activités scolaires ? Mais la tendance de fond est plutôt à la bienveillance et à la compréhension. Il nous paraîtrait important, par exemple lors de l’entrée dans le métier, d’inciter les enseignants à analyser leur expérience d’ancien élève, en négatif comme en positif. Et surtout de partir de situations vécues où par exemple ils ont senti une humiliation quand on semblait rendre publique leur incompétence supposée ou ont été démotivés par certaines remarques… Ou au contraire encouragés parce qu’on leur a permis de tirer parti d’erreurs. Nous avons recueilli plusieurs de ces récits qui, en creux, nous livrent aussi des pistes de travail qui seront énoncées par la suite. Repenser à ces moments de détresse ou de démotivation, qui découragent toute prise de risque et poussent à se faire discret dans la classe… ou à tricher plus ou moins lors des contrôles, c’est ce qui permet aussi de se mettre à la place de l’élève en difficulté, c’est

inciter à ne pas reproduire ces situations quand on enseigne.

Revivre des moments difficiles face aux erreurs Il est souvent intéressant de créer des situations où le professeur se retrouve en position d’élève. C’est ainsi que j’ai animé, avec un collègue de maths, des formations français-maths pour enseignants de ces deux matières au cours desquelles je donnais un travail à effectuer à chacun dans la discipline qu’il n’enseignait pas, avant de mener une analyse collective de ce qui avait été vécu. Les difficultés rencontrées par certains professeurs de français devant des problèmes pourtant simples aux yeux de leurs collègues de maths, ou les erreurs commises quant aux catégorisations grammaticales par les enseignants de mathématiques permettaient, peut-être, de prendre du recul devant les fameuses phrases trop souvent prononcées : « C’est facile, pourtant ! » « C’est évident ! » Des séances de ce type, rêvons un peu, pourraient se mener au sein d’équipes pédagogiques qui s’entendent bien, pour tenter de dégager ce qui pose un problème aux élèves et que nous ne voyons pas, aveuglés par notre propre expertise. Témoignage personnel En cours de langue, il y avait cette peur de « dire une bêtise » qui paralysait et incitait à rester discret pour ne pas se voir reprocher l’erreur de syntaxe ou la mauvaise prononciation. Et voilà pourquoi j’arrive en gros à traduire Cervantès, mais peine à demander des renseignements en Espagne à un guichet. Ou que je peux traduire Dickens et ne pas oser me débrouiller avec l’anglais dans un aéroport international pendant que le chauffeur de taxi manie sans peine ce qu’on appelle de façon souvent méprisante le « globish » et qui permet de communiquer, tant pis pour la correction… J’avais parfois peur aussi de voir exhibées devant la classe des erreurs commises (« inadmissibles »). Lorsqu’on est plutôt en situation globale de réussite, on relativise, mais on pense à ceux qui sont si souvent humiliés par les moqueries publiques ou en tout cas les remontrances. Souvenir d’un professeur de latin annonçant à haute voix mes notes lamentables en thème en ajoutant que je l’agaçais à vouloir mettre un accent circonflexe au « e » de « thème ». Ce n’était pourtant pas un sadique, loin de là. De même en éducation physique, la peur de ne pas bien faire le mouvement

gymnique, de me ridiculiser lors des roulades ou du monter à la corde aggravait sans aucun doute la situation, d’autant que le professeur ne m’indiquait pas de pistes de remédiation ou ne me mettait guère en confiance. Voilà une discipline scolaire en tout cas où de grands progrès ont été effectués, comme on le verra plus loin à travers des témoignages d’enseignants de cette matière !

Il est très fécond de faire évoquer par les enseignants leur passé scolaire, en leur demandant de narrer ces moments où on craignait les erreurs, ou on était découragé par leur répétition, ou au contraire ceux où on éprouvait la joie de les surmonter et d’abord de comprendre pourquoi on se trompait. Lisons par exemple ce qu’écrit Alexandra Rayzal, professeure d’histoire-géographie en collège : « J’étais en troisième, en cours de français, on travaillait sur la voix passive. Le prof nous interrogeait les uns après les autres en nous proposant une forme active à mettre au passif. À un moment, quelques élèves avant moi, il a proposé une forme qui n’avait pas de sens au passif. L’élève le lui a dit et le prof a répondu : “Fais-le quand même, c’est ça l’exercice même si ça ne se dit pas.” Du coup, arrivé à mon tour, quand il m’a proposé “Isabelle a pris la mouche”, je n’ai pas répondu que ça ne se disait pas au passif, mais j’ai docilement répondu : “La mouche a été prise par Isabelle.” Ce sur quoi il s’est esclaffé : “Mais enfin c’est une expression toute faite, ça ne se dit pas au passif !” Je l’ai profondément détesté en ayant l’impression de faire les frais de son désir de nous prendre en faute à tout prix. » Benjamin Banasik enseigne les sciences physiques et chimiques dans un collège REP. Il se souvient : « J’ai toujours en tête cette professeure de sciences naturelles qui nous rendait les copies d’évaluation en les classant dans l’ordre des notes décroissantes, en disant bien haut et fort le nom des élèves. À plusieurs reprises je me trouvais un peu en dessous de la moyenne. Ou encore ce professeur d’histoire-géographie qui attendait de nous que nous récitions notre leçon par cœur par écrit. Ce n’était pas le

sens qui était visé, mais la récitation, à la virgule près. J’avais tellement honte de moi, du regard des autres, et peur de recevoir une mauvaise note. Outre cette humiliation qu’une partie des élèves subissait, je ne comprenais pas forcément pourquoi j’avais des mauvaises notes puisque j’apprenais mes leçons. De plus, il n’y avait pas à la suite de cette évaluation de correction collective et sur ma copie ne figuraient pas, d’après mes souvenirs, de conseils pour progresser. Cette réactivation, articulée avec des pairs, plus récemment, qui, d’après moi, ne font pas suffisamment de l’évaluation un levier pour apprendre, m’interroge sur mes pratiques d’évaluation. » Les ravages du point d’exclamation Et si on réduisait de manière drastique l’usage du point d’exclamation dans les corrections de copies ? Ce point qui en rajoute dans le signalement d’erreur, indiquant tantôt que le correcteur s’offusque de ce qui a été écrit, tantôt qu’il met en évidence le ridicule de la « bêtise » qu’il signale. Certes, il peut aussi accompagner des appréciations laudatives (« excellent ! »), mais il est surtout là pour souligner l’« énormité » de l’erreur. De plus, une manie actuelle détestable consiste à le redoubler, voire le tripler. Le pire est peut-être le point d’exclamation tout seul dans la marge qui laisse l’élève trouver lui-même ce qu’il y a d’incongru peut-être dans ce qu’il a écrit. Demandons-nous vraiment si ce point d’« indignation » a réellement sa place.

Pierre Merle a relevé dans L’Élève humilié10 nombre de pratiques loin d’être obsolètes (puisqu’il a enquêté auprès d’étudiants qui étaient encore élèves peu de temps auparavant), qui justifiaient le titre de l’ouvrage. Il mettait l’accent sur la manière parfois scandaleuse de rendre les copies, d’utiliser la moquerie en mettant en évidence les « bêtises » relevées dans celles-ci. J’ai pu moimême recueillir des témoignages de traitements bien peu bienveillants de l’erreur. Cas de cet instituteur qui, voyant les « sottises » de tel élève envoyé au tableau, faisait applaudir(!) celuici par la classe de façon ironique. Moins ravageurs, mais tout aussi révélateurs d’un certain rapport à l’erreur, ces relevés de « perles » dans des copies corrigées en salle des professeurs par des enseignants se défoulant au vu de ces éternelles manifestations de la « baisse de niveau » inéluctable qui sévit dans notre école.

Oubliant que le livre à succès La Foire aux cancres de Jean-Charles était déjà un recueil de perles dans les années 1960. Et que les paroles du Lycée Papillon ne datent pas d’aujourd’hui11 !

La bienveillance, une valeur en hausse Cependant le rapport des enseignants à l’erreur évolue, et, si on part du présent, on voit monter en puissance l’idée de « bienveillance ». Dans le cadre d’un travail de recherche consacré à la bienveillance dans le champ scolaire12, Gwenola Réto a pu identifier la place importante que tient l’erreur pour les enseignants lorsqu’ils évoquent les pratiques professionnelles empreintes de bienveillance. « Pour plusieurs des personnes interrogées, la bienveillance réside dans la conception même que l’enseignant peut avoir de l’erreur. Pour Paul13, qui enseigne auprès d’élèves en section SEGPA, “c’est en se trompant qu’on apprend. On n’apprend pas sans se tromper”. Partant de cette conception, il indique qu’en classe, “on va relativiser l’échec de manière à ce qu’il soit mieux vécu”. Il témoigne de l’importance accordée à la conception formative des erreurs, précieuses pour guider le processus d’apprentissage, et de la nécessité d’expliciter clairement le rôle de l’erreur auprès des élèves. Pour progresser, ils doivent non seulement en comprendre le sens mais aussi le rôle, et apprendre à surmonter les obstacles, à gagner en persévérance et en confiance. Fabrice, professeur de technologie, explique aussi que face aux erreurs commises par un élève, il va “essayer de comprendre pourquoi il dit ça et remettre les choses à leur place”. L’accès à l’erreur est alors une aide permettant de guider le processus, et il s’agit d’une preuve de bienveillance de la part de l’enseignant. C’est à l’enseignant de reconstruire la logique qui a pu présider aux erreurs, ce qui implique sa capacité de distanciation et s’appuie sur les ressources construites. Pour Émilie, professeure d’anglais, cela passe également par la pratique de l’encouragement, notamment

afin de faciliter l’engagement des élèves à l’oral, “les mettre en position de ne pas avoir peur de faire une erreur, de se dire d’oser”. Plusieurs enseignants ont aussi évoqué leur rapport aux erreurs dans les pratiques d’évaluation bienveillantes. Ils ont évoqué leur souhait d’une évaluation positive, prenant appui sur la dimension formatrice des erreurs et sur une manière de rendre compte respectueuse des élèves. Ainsi, Diane, professeure de français, détaille la façon dont elle procède, en cohérence avec sa manière de concevoir l’évaluation : “Je leur donne des conseils de réussite, qui sont des défis. Et ce sont des conseils très concrets. Ils ont une feuille qui s’appelle ‘L’expérience est la somme de toutes mes erreurs’. Ils y notent leurs conseils de réussite, et ils en choisissent un. […] Je veux leur montrer que, d’une erreur, ils peuvent produire du bien.” Elle décrit, dans la suite de l’entrevue, le recours qu’elle a à différentes couleurs pour proposer des annotations ciblées sur les travaux des élèves. La manière dont les enseignants disent qu’ils tirent parti des erreurs pour faire progresser leurs élèves montre qu’il s’agit d’un pan de pratiques complexes, construites, qui nécessitent un fort engagement de leur part. Si c’est au fondement de leurs pratiques, ce n’est pas sans créer une forme de tension pour eux. En effet, apprendre requiert d’entrer dans un temps long, prenant en compte le tâtonnement et l’erreur alors même que l’exercice professionnel est régi par un minutage des séances qui fragmente et s’oppose à la fluidité nécessaire. Le temps de l’apprentissage et de la compréhension entre donc en contradiction avec le temps réel vécu par les professionnels, alors que penser l’éducation comme un soin, un souci par rapport à la vulnérabilité inviterait à un autre rapport au temps. La recherche menée a également permis de mettre en évidence un autre niveau de rapport à l’erreur : celui des professionnels.

Plusieurs personnes ont ainsi exprimé l’importance de s’accorder à elles-mêmes un droit à l’erreur, nécessaire pour avancer et tenter de s’ajuster au mieux à chacun. Pour certains, il s’agit d’ailleurs d’une forme de contractualisation avec la classe. Ainsi, Fabrice indique : “Il faut être capable de se remettre en cause face aux élèves. Ce n’est pas parce qu’on est des adultes. Nous aussi on fait des erreurs et il faut être capable de dire : ‘Pardon, effectivement, je n’ai pas fait ce qu’il fallait par rapport à toi.’ […] Nous aussi, on peut se tromper, on peut ne pas être parfaits.” La conception positive de l’erreur pour les élèves est à étendre aussi aux professionnels. L’un des chefs d’établissement interrogés indiquait d’ailleurs dire aux enseignants de son équipe : “Vous voulez tenter des choses, vous y allez… Si vous vous trompez et que ça ne marche pas, on reviendra en arrière, on fera autre chose, mais vous avez le droit de tenter.” Finalement, ce qu’on dit aux élèves, on le dit aussi totalement à l’équipe. Ainsi, si la bienveillance amorce un cercle vertueux, on peut constater que le rapport à l’erreur y contribue fortement. » Pas simple ! Jean-Claude Paul, professeur de physique-chimie, montre comment il n’est pas si facile de transférer auprès des élèves des expériences positives qu’on a pu connaître en matière de rapport à l’erreur : « Je n’ai pas de souvenirs marquants de mes études en fac de sciences sauf celui de M. B. qui devait nous initier aux mystères de la mécanique quantique en dernière année de maîtrise. Chose étonnante, nous venions assister à son cours pour le suivre vraiment, et pas seulement l’enregistrer en vue de la prochaine colle (comme on le faisait d’habitude !). Le cours de M. B était plutôt classique, rien d’exceptionnel, parfois même vraiment magistral : il exposait un chapitre, puis proposait des exercices d’application, et ensuite, les mains dans les poches, il arpentait les travées de l’amphi à la “chasse” aux belles erreurs ! Quand il en apercevait une, il invitait courtoisement l’auteur à exposer cette belle erreur. Alors un jour, au lycée, entre autres bricolages, j’ai voulu appliquer le principe de ce bon M. B.

Sur le large tableau installé dans nos salles, trois personnes pouvaient travailler conjointement. J’ai donc invité mes élèves, sur la base du volontariat, à venir “exposer” leurs erreurs. Je leur proposais souvent de travailler en duo avec le livre. À chaque nouveau chapitre, j’indiquais un menu d’exercices à faire à leur convenance (même en dehors du cours s’ils le voulaient). Puis, à mon tour, je me promenais à la recherche de “belles erreurs”. Les élèves acceptaient alors mollement d’aller au tableau, et parfois refusaient mon invitation. Un jour l’un d’eux, partant vers le tableau, saisit au passage le classeur d’un autre. Mi-interloqué, mi-furieux, je me suis aperçu, alors, que mes élèves ne pouvaient pas accepter de montrer leurs erreurs. Depuis qu’ils sont petits, ils se trouvent dans un système où celles-ci sont traquées, sanctionnées. Un système qui a une aversion pour l’erreur ! Dans leurs têtes, l’erreur est un problème, une faute qui sera sanctionnée. Une faute que bien sûr l’élève évite d’exposer aux autres au risque d’être raillé, ridiculisé (surtout dans le monde des ados !). Mais aussi au professeur qui risquerait de le “juger”. Je me suis donc excusé auprès de mes élèves et j’ai décidé de mettre fin à l’expérience. J’aurais dû savoir que ça ne pouvait pas marcher. Mes élèves, comme tous les élèves formatés par notre système, ont intégré l’erreur comme un échec, et non comme potentiellement une marche vers la compréhension ! Pour être honnête, dans notre amphi, on n’était pas fiers non plus quand il fallait aller au tableau… »

Nous reviendrons plus loin sur la nécessité, lors de formations en particulier, de revenir à ce temps d’analyse, largement insuffisant dans notre système et qui permet de mettre à distance nos idées reçues et nos tendances spontanées à reproduire ce qu’on a connu « autrefois ». Pour mieux comprendre ce que vivent aujourd’hui nos élèves face aux erreurs ou aux menaces d’erreurs… En bref Un enseignant a été élève. Il a connu sans doute des moments « pénibles » face aux erreurs signalées par un professeur peu bienveillant. L’autoanalyse de ce passé scolaire peut être l’occasion de réfléchir sur sa pratique actuelle et de la faire évoluer. Le succès de la notion de « bienveillance » est révélateur cependant des évolutions en cours…

10. 2012, PUF. 11. Paroles de Georgius, 1936, http://dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/paroles/au_lycee_papillon.htm 12. Ce texte prend appui sur un travail de thèse pour lequel une vingtaine d’enseignants de collège ont apporté leur témoignage. 13. Les noms d’emprunt utilisés dans la thèse sont ici conservés.

3. L’erreur, ce n’est pas un drame ! Rassurer les élèves : on ne peut pas apprendre sans se tromper ! N’ayez pas peur de faire des erreurs ! Tel est le message qu’on doit envoyer dans les classes. On sait aujourd’hui l’importance de la confiance en soi qui permet de s’engager dans les apprentissages. Il faut donc déconstruire ces représentations négatives de l’erreur qui sont autant d’obstacles pour la réussite. La « peur de se tromper » imprègne encore notre système éducatif, elle est bien plus présente que dans d’autres écoles, scandinaves ou anglo-saxonnes. Les enquêtes PISA nous indiquent qu’en France on compte 75 % d’élèves ayant peur de se tromper et d’avoir de mauvaises notes contre 7 % en Finlande (et 59 % en moyenne au niveau de l’OCDE). Oui, on la connaît bien, cette peur qui paralyse, qui fait que certains élèves partent à l’école « la boule au ventre » devant la perspective de la dictée ou de l’interrogation à venir… Parfois, cela se manifeste autrement : on fait semblant de se moquer de savoir si on aura juste ou pas, on rend le devoir sans se relire… ou on ne le rend pas. Plutôt laisser penser qu’on se moque du travail donné, qu’on n’y attache pas d’importance que de voir sa copie remplie d’annotations négatives, avec mauvaise note à l’appui… Ou alors, on reporte les causes de l’erreur sur l’extérieur. Daniel Favre14, chercheur à l’université de Montpellier, montre ainsi que le comportement des élèves, à partir du CP, évolue : quand ils se

trompent, les élèves ont de plus en plus tendance à déclarer : « C’est pas ma faute ! C’est la maîtresse qui n’a pas bien expliqué… » ou « j’ai été dérangé par… ». « Ils mettent alors à l’extérieur d’eux-mêmes les causes de leurs erreurs. Interviewant en décembre 2002, une élève en CE1, je lui ai dit : “Tu as du mal à accepter d’avoir fait des erreurs !” Elle m’a répondu en éclatant en sanglots : “Je peux accepter de faire des erreurs mais… je ne peux pas accepter que l’on se moque de moi quand j’en fais !” » Tout un travail est donc nécessaire pour dédramatiser l’erreur, ne pas la transformer trop vite en « échec », mais la considérer parfois comme une étape, et souvent comme inévitable quand on démarre un apprentissage. Nous verrons plus loin que, si c’est nécessaire, ce n’est pas suffisant, car les paroles rassurantes (« ce n’est pas grave ! ») et les paroles bienveillantes seront perçues comme hypocrites si rien ne change au niveau de l’évaluation et des dispositifs de remédiation. Il faut convaincre les élèves que ce qui était valable à l’école maternelle, dans les premiers apprentissages, continue à l’être ensuite.

Un droit qui doit s’exercer dès l’école maternelle Encore faut-il travailler dès les premiers pas à l’école à déconstruire les représentations fausses de l’erreur, éviter que s’installe la stigmatisation. Véronique Le Clec’h et Céline Ménoret, enseignantes en Bretagne (Yffiniac et Hénansal), décrivent un travail au long cours « Nos deux classes (maternelles et CP) fonctionnent en ateliers autonomes à la journée. Quotidiennement, nous répétons que l’important est toujours d’“essayer”, peu importe si on fait des erreurs. Le tutorat, l’entraide sont toujours autorisés. Un cahier de réussites consigne au jour le jour les avancées individuelles de chacun, les ateliers proposés sont personnalisés. Nous avons voulu dans ce cadre interroger les enfants : “Aujourd’hui on va se poser une nouvelle question pour réfléchir : A-t-on le droit de se

tromper à l’école ?” Le premier constat est sans appel chez les CP et la réponse est tant immédiate que collégiale : “Mais oui, on a le droit de se tromper, dit Oriane, on apprend !” “Et qu’est-ce que vous apprenez en vous trompant ?” “On apprend à écrire, à lire, à faire des maths !” “Et pourquoi, quand vous vous trompez, vous apprenez ?” “Parce que tu nous expliques, maîtresse !” “Et si vous refaites tout de même encore des erreurs ?” “Ben tu nous réexpliques encore !” C’est plus nuancé chez les plus jeunes. Accepter de se tromper et en faire une étape valorisante ne va pas de soi ! C’est un travail acharné au quotidien pour la maîtresse ! Elia dit encore : “Moi, je fais jamais d’erreur !” Malik : “Ben non bien sûr, on n’a pas le droit de se tromper !” J’ajoute : “Pourquoi ? Tu penses que tu vas être grondé ?” “ Non ! Mais ça va être long si on refait tout !” (ouf, la maîtresse est rassurée, en plus elle n’aurait pas tout fait refaire !) On retrouverait déjà, si jeune, une certaine idée du rapport à l’effort et du temps à consacrer… Lorsqu’on demande à n’importe lequel des niveaux quels sont leurs supports préférés pour apprendre, pour se tromper… c’est incontestablement les supports éphémères qui l’emportent. Souvent parce qu’il est aisé de s’y corriger rapidement, quand, pour d’autres, c’est précisément le caractère éphémère de l’erreur, lorsqu’il existe, qui rassure. Cette dernière n’a alors pas d’empreinte fixe et garde le statut de transition qu’elle devrait toujours avoir. Les CP plébiscitent l’ardoise, les crayons effaçables, le tableau. “C’est pour ça que j’aime bien écrire les phrases, dit Loïc, c’est facile de changer et ensuite je recopie quand c’est bien.” Les plus jeunes aiment particulièrement les supports aimantés et les cartes à pinces. Tous plébiscitent le matériel mathématique, concret, à disposition dans les classes pour les activités de calcul et de réflexion. La plus belle des phrases est venue de Lilou, recomposée pour être compréhensible. En substance, elle disait : “Moi, ce que j’aime bien, maîtresse, c’est quand tu dis ‘tu peux être fière de toi’, même s’il y a une petite erreur, parce que j’ai essayé et fait des progrès.” Il y a donc de très belles choses qui émergent à questionner nos élèves mais également nos pratiques. »

Avec les élèves les plus fragiles Professeure des écoles dans le Beaujolais (circonscription de Belleville-sur-Saône), Julie Horvath témoigne de son travail avec les élèves les plus en difficulté dont elle est chargée dans le cadre de sa mission de « maître E15 ». « L’erreur avait une connotation négative dans cette classe : il y avait beaucoup de moqueries face aux erreurs des autres, et de la difficulté à se mettre en recherche par peur de se tromper. Lors de la première séance, nous avons pris les représentations des élèves sur le terme “erreur” : “Quand tu entends le mot ‘erreur’, à quoi cela te fait-il penser ?” “Quand tu fais une erreur : comment réagis-tu ? Comment te sens-tu ?” Les élèves devaient compléter leurs réponses sur des Post-it, qui étaient ensuite affichés dans toute la classe, afin que tous prennent connaissance des différentes réponses. Nous avons ensuite essayé collectivement de catégoriser les différentes réponses données. En majorité, les élèves se sentent mal d’avoir fait une erreur : “Quand je fais une erreur, je suis triste et en colère contre moimême.” “Je me sens nul, je me dis : ‘Je n’y arriverai jamais.’” “Je me sens mal à l’aise, je n’aime pas faire des erreurs.” “Je suis déçue par moi-même.” Beaucoup d’enfants ont même dit qu’ils se sentaient mal dans leur corps : ils ont parlé de tensions, de “maux de ventre”… Beaucoup ont aussi peur du regard des autres : “J’ai peur que les autres pensent que je suis nul et que je ne sais rien.”

Cependant, quelques élèves disent que c’est normal de faire des erreurs, mais peu voient le côté constructif de l’erreur : “Les erreurs, c’est la preuve qu’on a essayé.” “Quand on comprend son erreur, on apprend quelque chose.” Cette séance a permis aux élèves d’échanger sur leurs représentations, de les analyser ensemble, mais aussi de partager leurs émotions, voire la souffrance que cela pouvait engendrer. » Pour ces enseignantes, un tel relevé des représentations des élèves leur a permis d’entamer un travail, noté et basé sur le jeu des « trois figures » de Serge Tisseron, qui se répand dans les écoles. On sait sans doute qu’il met en présence trois élèves : un agresseur, un agressé, un témoin. En l’occurrence, il s’agit d’un élève qui se trompe, d’un autre qui se moque de lui et d’un témoin qui doit choisir comment réagir face à cette moquerie. Les élèves jouent la situation à tour de rôle et adoptent des attitudes positives lorsqu’ils sont témoins (encouragements pour l’élève qui s’est trompé, reproches à celui qui s’est moqué). Julie Horvath ajoute : « Au terme des séances de ce projet, nous avons analysé avec les élèves l’impact que ces jeux de rôle avaient eu dans la classe sur la place de l’erreur : prendre la place de l’élève “moqueur” a permis de mettre à distance des attitudes de moquerie qu’ils avaient pu avoir. L’analyse du rôle du “témoin” a permis à la classe de trouver des manières de réagir plus réfléchies et adaptées. Mais c’est surtout le fait de prendre la place de l’élève “victime” qui a fait évoluer le rapport à l’erreur dans la classe. En effet, ce travail a développé chez les élèves une empathie et une prise de conscience du rôle de chacun dans la dédramatisation de l’erreur. Les élèves ont compris que la façon de réagir face à quelqu’un qui se trompe peut être extrêmement blessante et renforcer un statut négatif de l’erreur ou au contraire soutenir l’enfant qui se trompe et développer une place positive pour l’erreur dans la classe. »

Le droit à l’erreur dans la classe Dans la classe, il faut donc clarifier avec les élèves ce que peut signifier ce « droit à l’erreur » qui est souvent un slogan un peu abstrait et flou. Distinguer des temps différents : apprentissage et évaluation de type sommatif, phase de recherche ou phase de consolidation, erreur essentielle ou de détail, et travailler dans deux registres : codifier des règles (par exemple l’interdiction de la moquerie quand un élève se trompe, de la part de la classe, mais en commençant par le professeur !) ; adopter la bonne attitude, bienveillante, mais pas complaisante. Sylvain Connac illustre cette attitude par ce dialogue16 : « Je ne sais pas. – Ça va venir. – Je trouve ça difficile. – C’est pareil pour tout le monde. – J’aurais préféré savoir de suite ! – Ça n’est possible pour personne, ceux qui te disent le contraire sont des menteurs. En tout cas, bravo, en tant qu’enseignant, je préfère mille fois voir mes élèves se tromper plutôt que ne rien faire et ne pas essayer. Au moins, en se trompant, vous avancez vers les apprentissages. Maintenant, écoute bien ce qui va être dit et continue à essayer, tu vas y arriver, c’est certain. » Le droit de recommencer Cyril Lascassies, devenu prof de maths, se sert de son expérience d’ancien élève : « Mon seul zéro en maths… Déjà trente ans, je m’en souviens et il a sans doute influencé l’enseignant que je suis devenu. J’étais en classe de quatrième, en mathématiques, il fallait réciter “par cœur” le théorème de Pythagore “Dans un triangle

rectangle, le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés”. Seulement, j’ai inversé les mots “carrés” et “somme”. Or un mathématicien sait que ça ne veut pas dire la même chose. Mais l’adolescent que j’étais a trouvé injuste de prendre zéro pour une erreur d’étourderie, d’autant plus que je savais appliquer ce théorème. Même pas le droit de prouver que j’avais compris ou de recommencer, la sentence était tombée. C’est pourquoi aujourd’hui mes élèves ont le droit de recommencer, de rebondir sur leurs erreurs, jusqu’à ce qu’ils réussissent au moins avec de l’aide, au mieux dans une situation complexe. »

Reste à trouver les bons points d’équilibre. Le souci de ne pas se tromper va aussi avec la rigueur et parfois le respect de l’autre, par exemple quand on rédige un texte (un souci bien absent dans les réseaux sociaux de la part de trop de scripteurs), l’insouciance n’est pas vertu et la dédramatisation ne doit pas déboucher sur la désinvolture. Sans doute y a-t-il nécessité de tenir compte des profils différents des élèves. Certains ont tendance à trouver inacceptable la possibilité qu’un événement négatif puisse se produire, ce qui pousse à l’abstention ou à la procrastination (remettre à plus tard) et concrètement peut conduire à rendre copie blanche plutôt que de risquer de faire des erreurs. D’autres sont plus « fonceurs » et ne craignent pas l’erreur (« on verra bien ») au risque de ne pas suffisamment réfléchir avant d’agir. L’enseignant peut s’efforcer de repérer des tendances chez chaque élève et pousser les uns plutôt à « oser » et d’autres à « réfléchir » davantage, à augmenter la confiance en soi chez certains, mettre en garde contre la « surconfiance » chez d’autres. Nous y reviendrons, en proposant des pratiques de « gestion des émotions », cet aspect trop négligé de l’acte d’enseigner-apprendre. Un rapport particulier à l’erreur : les élèves intellectuellement précoces (IEP) Ces enfants ont généralement appris à parler très tôt et dans un vocabulaire soutenu sans avoir vraiment réfléchi au sens des mots ou à l’emploi des modes et temps verbaux qu’ils ont pourtant acquis. De plus, ils ont une pensée fulgurante qui leur donne

l’impression d’avoir trouvé le résultat sans y avoir réfléchi. Cette impression de « pensée magique » peut être source d’angoisse. Un enfant peut ainsi avoir le sentiment de deviner certains événements ou réponses comme sous le coup d’un sixième sens. Le fait de ne pas maîtriser ce « pouvoir » est anxiogène. Enfin ces enfants sont très sensibles à l’injustice. Ils en éprouvent souvent le sentiment et ne peuvent généralement pas s’empêcher de le manifester au risque de paraître parfois impertinents ou de se mêler de ce qui ne les regarde pas directement. Quand ils sont confrontés à leurs erreurs, ces trois caractéristiques peuvent entrer simultanément en jeu et compromettent les chances de faire de l’erreur un véritable levier d’apprentissage pour les EIP. Face à l’erreur, ces élèves peuvent rejeter la responsabilité sur le professeur qui, selon eux, soit veut leur imposer sa façon de penser ou de faire, soit se montre injuste envers eux. Il faut décrypter derrière cette réaction l’anxiété de l’enfant à expliciter son raisonnement quand il n’en a pas conscience et non pas rester sur le sentiment de mauvaise volonté témoignée par l’élève. Il convient de lui expliciter très précisément l’utilité des méthodes et exigences demandées ainsi que les erreurs commises. Dans le cas contraire, il vit ces erreurs comme des injustices et n’en retire aucune leçon. Il faut le confronter à des exercices qui l’obligent à sortir de sa méthode personnelle, mais dans le dialogue et dans la construction d’un cadre afin que l’enfant ne reste pas figé entre un « je sais faire » et un « je ne sais pas faire » sans jamais appréhender le « je peux apprendre à faire ». Rien n’est insurmontable à condition que l’enseignant ait conscience de ce qui se joue derrière ce rapport conflictuel pour aider l’élève à développer de véritables capacités d’apprentissage. Tout autant que les autres élèves, les EIP ont besoin de cet accompagnement, car ils n’ont que peu rencontré de difficultés dans les apprentissages inhérents à la petite enfance et n’ont donc que peu eu l’occasion de se forger un statut d’apprenant. Audrey Chapelain, professeure de lettres classiques à Marseille, formatrice et chargée de mission EIP.

Face au passif du passé Dans les classes de collège et à plus forte raison de lycée général ou professionnel, les élèves ont souvent un long passif de rapport à l’erreur. Des séances de « vie de classe » par exemple peuvent être des occasions de réfléchir collectivement sur cette question, de diverses façons : on peut faire écrire les élèves sur des microsouvenirs (« le jour où j’ai eu honte de m’être trompé ») ;

on peut resituer l’erreur à l’école dans un cadre plus général : que signifie dans la vie « faire des erreurs », mais aussi « apprendre de ses erreurs » ? en utilisant également l’expérience des élèves. Ne peut-on pas se servir de leur vécu dans leurs relations sociales, familiales, mais aussi dans des pratiques comme le sport ou la musique, ou encore les jeux vidéo ? on peut organiser des débats sur le sujet, ce qui est en plus très formateur sur le plan de l’échange d’idées et de l’oral. Il est cependant intéressant d’étayer ces débats par une documentation préalable, fournie par le professeur ou recherchée par les élèves. Pourquoi ne pas utiliser des témoignages d’écrivains, d’artistes, de personnalités diverses ? Sans oublier des études qui montrent combien la peur de se tromper engendre des effets pervers, ce qu’on appelle la « prophétie autoréalisatrice » qui fait que c’est la crainte d’échouer qui finalement va faire échouer. On verra plus loin l’importance de cette implication des élèves qui ne peut pas se limiter à des moments spécifiques et finalement trop rares, mais doit se déployer dans toutes les disciplines scolaires. En bref Aider les élèves à surmonter la peur de se tromper est indispensable. Oser essayer, c’est la clé pour réussir. La prise de risque est possible… parce que, au fond, il n’y a pas vraiment de risque en situation d’apprentissage. Interroger les élèves sur leur rapport à l’erreur, dès le plus jeune âge, est un point de départ souvent très utile. 14. « Lerreur et la faute », Psychologie de la motivation, no 36, 2003. 15. Pour approfondir, on peut d’ailleurs aller sur son blog : http://bit.ly/projet-erreur 16. Cahiers pédagogiques, no 494, janvier 2012 : « Autorise-t-on nos élèves à se tromper ? »

4. Les apports des sciences cognitives De nombreuses recherches mettent en avant l’importance du travail sur les erreurs Les sciences cognitives sont à la mode, souvent sous l’appellation « neuroéducation » ou « neuropédagogie ». Les recherches récentes sur le fonctionnement du cerveau peuvent donner des indications très fécondes sur les manières d’apprendre et donc d’enseigner. Le gros risque, on le sait, c’est l’applicationnisme, les recettes magiques qui transposent bien rapidement ce qui peut être expérimenté en laboratoire à la classe. Il faut donc savoir tirer parti de travaux scientifiques solides, mais en aucun cas ils ne peuvent dicter une conduite, tracer un chemin obligatoire. Sur la question des erreurs, il y a d’abord la confirmation qu’on ne peut pas apprendre sans faire d’erreurs, sans tâtonner. Mais il faut aller plus loin que ces évidences (qui n’en sont pas pour tout le monde cependant). Nicole Bouin, avec qui j’ai coordonné le dossier des Cahiers pédagogiques « Neurosciences et pédagogie » (no 527), nous montre comment les sciences cognitives peuvent nous aider à travailler sur des erreurs classiques en inhibant des habitudes trompeuses ou des réflexes inadaptés. Expliquer ce phénomène aux

élèves à partir d’un certain âge est aussi une des façons de se garder de ces erreurs « normales ». « Lorsqu’une situation se répète fréquemment elle devient routinière, un signal entraîne la sélection d’un schéma d’action, une sorte de pilotage automatique peu coûteux en attention, réflexion, et gestion par les fonctions exécutives. Par contre une situation nouvelle nécessite une réponse contrôlée par le système attentionnel de supervision. Le mode mental automatique, en grande partie localisé dans le système limbique (siège des émotions), gère les procédures habituelles, simples, connues et maîtrisées. Une fois le schéma d’action choisi et la procédure mentale engagée, on persévère dans ce sens sans vraiment se poser de question, on simplifie, on est dans le confort de la certitude parce qu’on remet peu en doute cette opérationnalisation fondée sur des expériences antérieures répétées et réussies. Ce mode opératoire est parfait pour traiter ces situations, il est économique en temps et le coût cognitif est faible. Par contre, il va se solder par un échec si la situation nécessitait un traitement adaptatif spécifique. Le mode mental adaptatif, en grande partie localisé dans le cortex préfrontal, gère les situations nouvelles et/ou complexes, non maîtrisées. Il demande de la créativité, de la souplesse, des nuances, des essais et erreurs, on est dans l’incertitude et la réflexion, à la recherche d’une démarche personnelle non formatée, ce qui est coûteux en temps et en termes de charge cognitive. De nombreux théoriciens évoquent des oppositions de ce type, même si elles ne sont pas exactement superposables : assimilation et accommodation chez Piaget, motivation de sécurisation ou d’innovation chez Daniel Favre17, dogmatisme et non dogmatisme chez Serge Boimare18, système heuristique et système algorithmique chez Olivier Houdé19. Daniel Kahneman20 parle du système 1, émotif, intuitif et rapide qui “se fonde sur notre sensibilité et notre mémoire pour prendre la mesure d’une situation en un clin

d’œil” et du système 2, contrôlé et lent, basé sur l’analyse consciente et raisonnée. Jacques Fradin21 évoque le mode “créature”, pour l’état de nature que nous partageons avec les animaux et qui nous pousse à agir instinctivement, et le mode “créateur” pour les fonctions supérieures propres à l’homme qui correspondent aux activités réfléchies. » L’effet Mrs Smith Florence Castincaud, professeure de français, décrit ainsi ce qu’on pourrait appeler l’effet Mrs Smith22 : « Cette dame, dans La Cantatrice chauve de Ionesco, entend sonner et, par trois fois, va ouvrir la porte sans trouver personne. Elle en induit une règle générale : quand on sonne, c’est qu’il n’y a personne, et elle refuse ensuite de se déranger, bien qu’un pompier fantaisiste apparaisse finalement au quatrième coup de sonnette. Comme cette quatrième expérience pourrait contredire sa péremptoire certitude, elle énonce sans se démonter : la quatrième fois ne compte pas. Il y a probablement dans nos classes des profils d’élèves enclins à se comporter en tout apprentissage comme Mrs Smith… »

Stratégies pédagogiques Il paraît aujourd’hui indispensable d’initier les élèves aux sciences cognitives et de leur expliquer comment fonctionnent ces trois systèmes : automatique, réflexif et inhibiteur. De nombreux supports23 permettent d’aborder ces questions de façon ludique. En termes de stratégies on pourrait conseiller aux élèves de toujours aborder les tâches par le système 2 mais ce serait épuisant, cela représenterait un énorme gâchis puisqu’ils dépenseraient d’énormes ressources attentionnelles pour des exercices souvent simples et automatisés. On leur conseille donc de réserver ce mode coûteux aux tâches nouvelles, aux cas dans lesquels ils supposent une difficulté particulière, ils pressentent un « piège ». Pour l’enseignant, la principale difficulté consiste à aider les élèves à repérer les signaux qui vont leur permettre de choisir le mode adapté à la situation qu’ils rencontrent, soit en amont, soit au cours de l’exercice. En effet, dans certains cas nous croyons avoir affaire à une situation

de routine et, en cours de tâche, nous sentons qu’il faut inhiber cet automatisme pour activer un traitement particulier. Il arrive que nous abordions spontanément une tâche en mode automatique et qu’une sensation de gêne, voire de stress en situation d’évaluation, nous alerte sur la nécessité de passer du mode intuitif au mode réfléchi. Les fonctions exécutives permettent de repérer la non-congruence entre ce que l’on fait habituellement et ce qu’il convient de faire en l’occurrence. Notre système émotionnel, indissociable du système cognitif, nous signale ce décalage. À nous de nous entraîner à interpréter ces signaux. Nous proposons de faire découvrir ces deux voies d’action aux élèves à travers des exercices dans les différentes disciplines. Dans quel cas puis-je enclencher le pilotage automatique ? Dans quel cas dois-je garder les commandes et me concentrer ? Quels indices m’indiquent que je suis dans une situation habituelle que je sais traiter de façon automatisée ou, au contraire, que je suis face à une situation nouvelle, une exception, un cas particulier qui requiert toute mon attention ? Il semble que la plus grande difficulté pédagogique réside dans cette recherche des signaux d’alerte, des critères qui vont permettre d’opter pour le bon mode de fonctionnement. L’enseignant doit d’abord repérer ces situations délicates et les analyser, pour pouvoir mettre en garde les élèves. Erreurs d’inattention ? Pour faire réfléchir les élèves sur les questions d’attention, on peut démarrer par quelques exercices, souvent ludiques, lesquels d’ailleurs peuvent aussi servir lors de formation d’enseignants pour faire découvrir la complexité des phénomènes de perception-mentalisation dans l’attention. Ainsi, si on projette ceci :

Il y a toutes les chances pour qu’on lise « l’oiseau sur la branche » alors qu’il y a deux fois « la ». On a pourtant « perçu » la double consonne, mais on a reconstitué la phrase

conforme à la syntaxe habituelle. Dès qu’on sait cela, on se demande comment on a pu être ainsi « aveugle ». D’autres tests du même type existent, l’un d’eux étant bien connu : celui du gorille. On demande de visionner une vidéo dans laquelle on voit deux équipes de basket s’affronter et on demande de compter le nombre de passes que se font les joueurs. Les plus consciencieux ont la bonne réponse, pas forcément facile, mais ils n’ont pas vu la traversée d’un individu déguisé en gorille, qui pourtant prend son temps (et on ne voit que lui quand on a appris son existence24). De la même façon, Hergé ne s’est pas rendu compte d’erreurs grossières d’une vignette à l’autre dans certaines de ses bandes dessinées. Dans L’Étoile mystérieuse, Tintin sonne à une porte où est écrit un nom en minuscules, puis en majuscules quelques vignettes suivantes. Et la femme du pompier dans L’Île noire se frotte la mauvaise joue à la suite du heurt avec son mari à la recherche d’une clé. Là encore, on ne s’en rend pas compte, pris par la narration ou l’attention orientée plutôt vers le texte de la bulle où on cherche une incohérence avec l’image. Ces petits exercices amusants peuvent servir ensuite à réfléchir ensemble à ce qu’est une bonne « relecture », comment exercer sa vigilance et bien focaliser son attention, sans trop se fier à l’impression première parfois. Ce n’est pas tant ici que nos sens nous trompent (autre chose sont les illusions d’optique où on croit voir inégaux deux segments qui sont identiques selon la manière dont ils sont présentés), que nos automatismes, l’orientation de notre attention qui est détournée, mise sur une fausse piste, comme ces indices qui éloignent souvent provisoirement le détective de la vérité dans les romans policiers.

De nombreux neuropédagogues, comme Olivier Houdé, mettent l’accent sur l’inhibition et proposent d’entraîner systématiquement les élèves à bloquer dans certaines circonstances une réponse automatique non pertinente. Le jeune enfant qui découvre les fractions va avoir tendance à dire qu’un tiers est plus grand qu’un demi parce qu’il a pris l’habitude avec les entiers de considérer que 3 est plus grand que 2. Il va devoir inhiber ses connaissances des propriétés des nombres entiers et s’entraîner à repérer que, dans ce cas, c’est l’inverse : 1/4 est plus petit que 1/3. L’enfant qui écrit « Il les manges » ou « mangent » applique mécaniquement la règle du pluriel après « les », il va devoir s’entraîner à repérer la différence entre « les » devant le verbe et « les » devant le nom et inhiber l’envie de mettre un S ou -ent au verbe. Dans la vie quotidienne, nous inhibons en permanence les conduites inadéquates, un conducteur qui a l’habitude de freiner devant un obstacle doit inhiber ce réflexe sur une route verglacée par exemple. Des recherches récentes ont montré que, contrairement à ce qu’on

pouvait imaginer, même les experts du domaine doivent inhiber les représentations naïves erronées, ils le font seulement beaucoup plus rapidement que les autres. Steve Masson plaide donc pour un entraînement systématique, dès le plus jeune âge, avec des jeux de type « stop and go » comme « Jacques a dit », « ni oui ni non », « 123 soleil », « jour/nuit »… D’autres activités ludiques, sur l’ordinateur ou la tablette par exemple, ou des jeux vidéo seront plus adaptés pour des adolescents. La méditation de pleine conscience, les arts martiaux comme le taekwondo semblent aussi améliorer les fonctions exécutives. Des recherches sont également menées sur l’entraînement avec certains jeux de société. Grégoire Borst25 indique qu’après cinq semaines d’entraînement à la résistance aux automatismes on observe une modification du cerveau dans la région consacrée à la résistance cognitive et un effet de transfert sur l’attention, même s’il n’y a pas encore de changement de comportement.

L’inhibition serait le meilleur facteur prédictif de la réussite L’inhibition, dans le sens neurocognitif du terme, est aujourd’hui présentée par les neuroscientifiques comme une des fonctions les plus importantes pour les apprentissages, car elle intervient à différents niveaux. Elle permet de choisir la réponse à donner, aussi bien dans les domaines perceptifs que moteurs, cognitifs ou émotionnels : sélectionner l’information à traiter, écarter les informations non pertinentes pour libérer la mémoire de travail, focaliser son attention en inhibant les distracteurs et en gérant les interférences, décider du mode de résolution le plus adapté à la tâche en écartant les heuristiques, se décentrer de soi pour entrer véritablement en communication avec les autres, contrôler son impulsivité, ses émotions et ses actions, résister à la tentation de la procrastination… Dès 9 ou 10 mois, les bébés sont capables d’inhiber une réponse inappropriée pour effectuer une tâche.

Les sciences cognitives ne prescrivent pas de méthodes pédagogiques, elles nous informent sur le fonctionnement cérébral pour que nous en déduisions les modes d’enseignement les plus compatibles avec l’architecture et les mécanismes cérébraux. Erreurs classiques Les cognitivistes citent des exemples où des adultes cultivés et réfléchis (un public d’enseignants par exemple) font des erreurs à cause de réflexes inappropriés. Un cas classique : on imagine deux amis qui disposent de 1,50 euro pour acheter une friandise ou tout autre objet. Pierre donnera un euro de plus que son ami Jacques pour cet achat. Combien Jacques a-t-il donné ? Beaucoup répondent 0,50 euro, alors que la réponse est 0,25, et 1,25 pour Pierre. Autre cas classique : si un produit valant 10 euros augmente de 10 %, puis un mois plus tard baisse de 10 %, combien vaudra-t-il alors ? Réponse : 10 euros ? Certes non, puisque 10 % de 11 euros, c’est 1,10 euro, donc le nouveau prix est 9,90 euros. On reviendra sur l’importance de cette inhibition de raisonnements hâtifs et paresseux dans le combat contre la désinformation, la manipulation et les fake news.

Des enseignants d’ailleurs multiplient les initiatives pour informer les élèves du fonctionnement même du merveilleux outil qu’est leur cerveau, et cela peut se faire à tous les niveaux de l’enseignement.

Cartes gagnantes Comment aider les élèves à comprendre ce qui se passe dans le cerveau quand on se trompe, c’est ce que s’efforce de faire Sophie Roh en accompagnant des outils pédagogiques qu’elle conçoit en tant que « consultante » à Genève. « C’est avec Dan, 14 ans, Léa, 17 ans, et Kilian, 8 ans, qu’ont été créés nos premiers supports visuels sur le statut de l’erreur, les stratégies d’évitement, les neurotransmetteurs libérés quand on se sent capable, le syndrome d’impuissance acquise. Tous trois peinaient à accepter l’erreur, à la voir, à corriger leurs examens ou juste à prendre le risque d’essayer et de se tromper. Alors on a décidé de s’arrêter et de poser les bases. Autour de

petites cartes plastifiées et imagées, on a pu voir ce qui arrivait dans le cerveau et comprendre que : les erreurs sont nécessaires : elles apprennent à guider son cerveau ; mais c’est normal que ton cerveau n’ait plus envie s’il se sent tout le temps nul ! oui, la concentration change en fonction de notre sentiment d’efficacité ; quand je me sens capable, des substances sont libérées, poussant à m’engager ; s’il a trop souvent l’impression de ne pas comprendre, de ne pas y arriver, le cerveau se protège en fuyant la tâche ; croire qu’on est nul peut bloquer notre capacité à réussir.

Les métaconnaissances ayant été posées de manière à distinguer l’élève de son cerveau, cette dissociation métacognitive a permis de prendre du recul, de se voir de l’extérieur, sans porter le poids de l’erreur. Ainsi les élèves ont pu accepter de se regarder fonctionner, depuis une position de sécurité : outillé et actif, on peut venir en aide à son cerveau et lui apprendre à mieux fonctionner ! Nous avons alors découvert ce que l’on peut faire, concrètement, lorsque notre cerveau se met à fuir face à l’erreur, et crée des

stratégies imagées pour nous guider : pour aider mon cerveau et briser le cercle vicieux, je repère mes stratégies d’évitement : elles signalent que mon cerveau se sent en danger ; je m’autorise à faire des erreurs ; elles disent juste que j’ai le courage d’apprendre et que j’accepte de grandir ; j’identifie ce qui me met en difficulté pour aider mon cerveau à y mettre plus d’énergie ; pour aider mon cerveau à voir qu’il est capable, je corrige (avec des ressources) puis j’évalue mes corrections. Au quotidien, pour contrer l’immédiateté de la réponse émotionnelle, face à des mécanismes de défense automatiques, nous sommes systématiquement revenus à nos cartes : concrètes, physiques, imagées, elles nous ont servi de mode d’emploi. Elles sont accessibles en téléchargement libre, huit cartes-stratégie créées pour nos élèves, prêtes à être imprimées, plastifiées, utilisées avec les élèves : www.MesPetitesStrategies.com/VoirLerreurAutrement.pdf. Dan fuyait lors d’exercices difficiles : je posais devant lui les cartes qui rappellent ce que sont une stratégie d’évitement et l’importance de se tromper pour apprendre. Léa paniquait en évaluation : on ressortait l’image sur l’identification de ce qui est difficile. Kilian focalisait sur ses erreurs : on repensait à l’importance d’aider son cerveau à être fier. Peu à peu, on a commencé à se sentir capables de gérer nos erreurs : on savait comment notre cerveau pouvait réagir, mais désormais on savait aussi comment l’aider à voir ses fautes en face et à s’en servir pour grandir. »

La mémoire, ce continent parfois mal connu Edwige Lecœur, lorsqu’elle enseignait en lycée professionnel (LP) à Armentières, s’est livrée à une expérience pour mieux faire comprendre aux élèves ce que signifie « mémoriser », afin d’éviter des erreurs de restitution et de se concentrer davantage. « Beaucoup d’idées fausses existent concernant la mémorisation. On entend souvent “j’ai une bonne mémoire visuelle” ou “j’ai une mémoire plutôt auditive” ou encore “je suis plutôt kinesthésique”. Les élèves se catégorisant dans la mémoire visuelle par exemple pensent alors que lire leur leçon suffit à la retenir. Est-ce que la mémorisation d’une leçon est identique, quel que soit son format (image, texte, schéma) ? Les élèves pensent qu’ils oublieront plus facilement une leçon s’ils ne respectent pas leur mode de fonctionnement (visuel, auditif, kinesthésique). Ils associent peu la mémorisation à la nécessité de la consolidation mnésique. La séance est menée sur classe entière en lycée professionnel (classe de 1re U et classe de 2e SN) à la rentrée de janvier. Il s’agit d’un exercice de mathématiques, de calcul de pourcentage et d’utilisation d’un tableur graphique. Mon but est de leur faire prendre conscience que : dire que l’on possède une mémoire visuelle est une fausse idée (un neuromythe26). Personne n’est capable de retenir la couleur des lettres ; retenir une phrase est plus facile que retenir des symboles car une phrase a du sens. Avant de lancer l’activité, je demande aux élèves d’estimer d’après eux s’ils possèdent une bonne mémoire visuelle. Je leur demande de se positionner soit plutôt en mémoire auditive, visuelle ou kinesthésique, à main levée dans la classe. 50 % des élèves se classent dans la mémoire visuelle. Je projette au tableau une image avec des flocons de neige de

formes et de couleurs différentes et une phrase (BONNE ANNÉE, QUE VOS VŒUX SE RÉALISENT) en changeant la couleur de chaque lettre. Je demande aux élèves de mémoriser pendant 2 minutes la diapositive. J’éteins le vidéoprojecteur. Je leur demande alors de restituer le plus fidèlement possible les données qu’ils ont vues. Donc l’étude porte sur la mémoire à court terme, la mémoire de travail. J’ai posé 7 questions (7 étant le chiffre correspondant à la quantité d’informations que la mémoire de travail peut retenir, appelée “empan mnésique”) : combien de couleurs apparaissent sur la diapositive, combien de flocons de neige (nombre), restituer la phrase avec les mêmes couleurs, combien de flocons de neige différents (forme), quelle est la couleur de la première lettre du mot “BONNE” (premier mot de la phrase), “ANNÉE” et “VŒUX” ? Les élèves ont 10 minutes pour exécuter ces consignes. Les résultats présentés sur le graphique ci-dessous sont semblables dans les deux classes testées.

On remarque que la restitution de la phrase et les images (ici comptabilisées par la question “nombre de flocons de neige”) sont les informations les mieux retenues. Au niveau de la couleur des lettres de la phrase, la première lettre est la mieux mémorisée. La mémoire de travail sature et ne peut mémoriser une succession de couleurs de lettres. La restitution des couleurs est plus difficile. Elle est meilleure pour la première lettre du premier mot de la phrase que

pour les suivantes. Plus on s’éloigne, moins la restitution est bonne. Ce qui conforte l’empan mnésique. Nous ne pouvons enregistrer plus de 7 notions différentes dans la mémoire à court terme. Audelà, il y a surcharge cognitive. La mémoire n’est pas photographique. Sur une phrase telle que “pierre qui roule n’amasse pas mousse” si les lettres sont coloriées différemment, on n’arrive pas à retenir celles-ci dans un laps de temps bref. Même celui qui se dit “avoir une mémoire photographique” n’y parviendra pas. Par contre, vous retiendrez sans difficulté le sens de la phrase. L’estimation d’une “bonne” mémoire visuelle chiffrée à 50 % par les élèves selon leur connaissance de leur propre fonctionnement est respectée dans le test de mémorisation visuelle uniquement lorsqu’il s’agit de restituer la phrase ou de mémoriser des images. Je mets ainsi en évidence qu’on mémorise mieux à court terme une phrase qui a du sens d’une part et les images d’autre part. Je les sensibilise aussi à la première porte de la mémoire, la mémoire de travail qui est une mémoire à court terme qui a besoin de répétitions pour retenir une information à long terme. » On trouvera de très nombreux exemples de pratiques alimentées par ces apports dans le remarquable ouvrage Les Neurosciences cognitives dans la classe, « guide pour expérimenter et adapter ses pratiques pédagogiques », publié par ESF sciences humaines (2018). En bref Faire que les élèves, mais d’abord les professeurs, connaissent mieux ce qui peut favoriser l’erreur dans le fonctionnement du cerveau est certainement un facteur de réussite. Les sciences cognitives nous donnent de précieuses indications sur les raisons qui font que nous nous trompons en fonctionnant par automatismes, ceux-ci étant cependant bien utiles au quotidien, ou encore sur le fonctionnement de la mémoire.

17. Cessons de démotiver les élèves : 19 clés pour favoriser l’apprentissage, Dunod, 2e édition, 2015. 18. Ces enfants empêchés de penser, Dunod, 2008. 19. Apprendre à résister, Le Pommier, collection « Manifestes », 2014. 20. Système 1 / Système 2 : les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2011. 21. L’Intelligence du stress, Eyrolles, 2008. 22. Hors-série « Apprendre » des Cahiers pédagogiques, 1998. 23. Sandrine Rossi, Amélie Lubin, Céline Lanoë, coordonné par Corinne Sourbet et Thierry Potdevin, Découvrir le cerveau à l’école : les sciences cognitives au service des apprentissages, Canopé, 2017. 24. Lire le passionnant Le Gorille invisible : quand nos intuitions nous jouent des tours, de Chabris et Simons, aux éditions Le Pommier, 2015. 25. Olivier Houdé et Grégoire Borst, Le Cerveau et les apprentissages, Nathan, collection « Les repères pédagogiques », 2018. 26. www.sciences-cognitives.fr

5. Multiples causes, multiples réponses Faire d’abord comprendre d’où viennent des erreurs qui ne sont ni de même nature ni de même importance Comment utiliser l’erreur… pour éviter l’erreur et, pour reprendre le jeu de mots homophonique d’Yves Reuter, comment penser l’erreur pour « panser l’erreur » ? Comment prendre en compte, quitte à « prendre en contre » quand c’est nécessaire ? Quelle combinaison entre prévenir et éviter l’erreur, la corriger d’emblée et l’exploiter, la laisser venir pour l’analyser et en faire donc un vrai levier pour apprendre ? Il n’y a pas de réponse unique, et la « sanctification » de l’erreur peut être aussi nocive que sa diabolisation. Méfions-nous des formules toutes faites. Prenons l’exemple de l’orthographe. Faut-il laisser les élèves dans les petites classes écrire sans trop de retenue, en se concentrant par exemple sur certains points très ciblés quitte à user d’une graphie fantaisiste pour des mots plus ou moins fréquents ? Pour le regretté André Ouzoulias, la réponse est complexe. Il expliquait ainsi dans Le Café pédagogique du 15 novembre 2013 que l’erreur d’orthographe lexicale ne pouvait que nuire à la mémorisation du lexique orthographique. « Le statut de l’erreur lexicale et celui de

l’erreur morphosyntaxique sont radicalement différents. Pour les erreurs morphosyntaxiques, comme dans un problème de mathématiques, le sujet peut trouver en lui-même les raisons de rejeter une forme erronée. Dans ce domaine, toute erreur, si elle est repérée et interprétée, est un pas sur le chemin de l’apprentissage. […] L’erreur lexicale ne serait pas si pénalisante si la lecture restait indemne. Or, il est vraisemblable que l’enfant qui a en tête les mots “mézon” ou “ballansé” repasse par le décodage pour identifier “maison” et “balancé” en lecture. Au bout du compte, le temps gagné lors du premier jet se paie d’un temps de correction et de mise au propre important, qui fait hésiter les maîtres devant la réitération des projets d’écriture. » On pourrait, en voulant modifier le statut de l’erreur, oublier que si celle-ci est une étape plus ou moins nécessaire selon les cas, le but est bien d’atteindre la ligne d’arrivée et de ne plus faire d’erreurs. Je répondais souvent aux élèves qui me disaient que pour être bon en orthographe il fallait être attentif qu’en fin de compte l’objectif était de ne plus devoir faire attention. Un expert a suffisamment acquis d’automatismes pour n’avoir pas besoin de réfléchir. Dans la lecture fluide, nul besoin d’un déchiffrement, tel le novice apprenant le russe qui au début doit décoder l’alphabet cyrillique en inhibant le fait que le « p » se lit « r » et non [p] comme dans notre alphabet. La nonmaîtrise des tables de multiplication est un gros obstacle en mathématiques si on veut être efficace et rapide. Et si l’école est bien ce lieu de luxe où on peut se tromper sans grave conséquence (ou devrait être tel), il n’empêche qu’il est bon aussi de montrer les limites de « l’essai qui ne compte pas ». Certaines erreurs sont à proscrire d’emblée, celles par exemple qui mettraient en jeu la sécurité (c’est le cas, on le verra plus loin, en éducation physique, mais aussi en chimie) ou la conservation du matériel mis à disposition (ordinateur, appareils de mesure).

D’où vient l’erreur ? Du coup, il est important, pour savoir comment gérer l’erreur,

d’analyser ce qui en est à l’origine. Une première catégorisation pourrait être de partir du « triangle didactique » : professeur-élève-savoir. L’erreur peut venir : de la relation professeur-savoir : l’enseignant a mal évalué la difficulté du travail, n’a pas bien conçu ses consignes, a manqué de clarté dans son exposé, n’a pas explicité ce qu’il attendait des élèves ; de la relation professeur-élève : les situations de stress, de dramatisation dont nous avons parlé précédemment, sont en cause. L’interdiction de se tromper peut régner et inhiber les capacités des apprenants ; de la relation élève-savoir : les conceptions des élèves, leurs représentations les font échouer, ils ne parviennent pas à trouver le bon outil ou à inhiber leurs réflexes et leurs automatismes mal adaptés à la situation. On voit alors que les solutions ne sont pas les mêmes : on peut travailler clarté et explicitation, on peut créer un climat de confiance ou on peut entraîner les élèves sur les chemins de l’apprendre en maîtrisant mieux certains outils (attention, mémoire, stratégies de lecture ou d’écriture…). Ajoutons qu’il est important de considérer la fréquence de ces erreurs, si elles font système entre elles, et faisons-en alors des indicateurs pour nous orienter : avons-nous surestimé les capacités des élèves à un moment donné ? Avonsnous bien explicité nos attentes ? Mais il existe d’autres manières de « typologiser » les erreurs, et Jean-Pierre Astolfi, dans L’erreur, un outil pour enseigner27 propose une grille qui a été largement diffusée et que nous reprenons ici, laquelle complexifie notre catégorisation. Il ne s’agit en aucun cas d’un dogme, et on peut tout à fait ajouter d’autres items ou en reformuler certains. Essayons de donner des exemples pour chaque type d’erreurs, ce qui peut d’ailleurs déboucher sur des activités de formation comme

on le verra dans le dernier chapitre. 1. Erreurs relevant de la compréhension des consignes. On demande à un élève de classer des actions selon leur déroulement dans un récit où cet ordre a été bouleversé (flash-back, etc.). Il se contente de remettre les actions dans l’ordre du texte, de façon redondante sans avoir saisi que la tâche était bien plus complexe. La consigne manquait, il est vrai, de clarté (on aurait dû préciser « l’ordre chronologique »). 2. Erreurs résultant d’habitudes scolaires ou d’un mauvais décodage des attentes. L’élève de troisième a cru naïvement qu’on lui demandait son avis sur un sujet de réflexion (« Aimez-vous les voyages ? ») alors qu’il s’agissait surtout de produire un devoir argumenté, selon des normes qui ont peu à voir avec l’expression personnelle. Le problème Dans cet épisode des Contes du chat perché de Marcel Aymé, la consigne donnée par la maîtresse était la suivante : « Les bois de la commune ont une étendue de seize hectares. Sachant qu’un are est planté de trois chênes, de deux hêtres et d’un bouleau, combien les bois de la commune contiennent-ils d’arbres de chaque espèce ? » Delphine et Marinette, n’arrivant pas à résoudre le problème, reçoivent le renfort de leurs amis les animaux. La poule propose une solution : aller compter les arbres dans les bois de la commune. « Le lendemain, à l’école, la maîtresse essaya de faire comprendre aux bêtes que les bois de la commune, dont il était question dans l’énoncé, ne correspondaient à rien de réel, mais la petite poule blanche se fâcha et ses compagnons commençaient à être de mauvaise humeur. “Si l’on ne pouvait se fier à l’énoncé, disaient-ils, le problème luimême n’avait plus aucun sens.” » Mettre trop de sens nuit au véritable sens !

3. Erreurs témoignant des conceptions alternatives des élèves. Pour penser la Révolution française, il faut pouvoir distinguer la noblesse et les « riches » (un noble peut ne pas être riche, et un

riche ne pas être noble). Pour certains élèves, cela se confond et ils ne parviennent pas à penser la complexité de l’ordre social. Dans un texte donné à des cinquième28, extrait de Sans famille, on évoque les courses de chevaux, « fêtes populaires » en Angleterre, en opposition à celles qui ont lieu en France, mais lorsqu’on demande aux élèves qui fréquentent les courses en Angleterre, beaucoup répondent « les gens riches », car ils font confiance à leurs représentations et ne se réfèrent pas au texte. 4. Erreurs liées aux opérations intellectuelles impliquées. L’élève a cru, dans ce problème de billes gagnées et perdues, qu’il fallait soustraire (puisqu’on a parlé de perte) alors qu’il fallait additionner. 5. Erreurs portant sur les démarches adoptées. L’élève n’a pas suivi de plan pour décrire tel objet et cela va dans tous les sens. 6. Erreurs dues à une surcharge cognitive. Trop d’informations données, cela fait « disjoncter » et la fatigue aidant… On a remarqué la présence d’erreurs plus nombreuses à la fin d’une dictée qu’au début, d’où d’ailleurs l’idée d’exercer la vigilance dans la relecture sur cette fin de texte. De même, l’abus de consignes et de recommandations brouille l’esprit d’élèves qui n’arrivent plus à suivre… 7. Erreurs ayant leur origine dans une autre discipline. Commenter un tableau de peinture, ce n’est pas la même chose en arts plastiques et en histoire. Le texte explicatif en SVT n’utilise pas les mêmes outils que le texte narratif, et les catégories de conjugaison ne sont pas identiques en français et en anglais. 8. Erreurs causées par la complexité propre du contenu. L’élève devait inventer un récit fantastique, mais insuffisamment

nourri d’exemples, et peu averti des difficultés à circonscrire le genre, il part dans de mauvaises directions (récit d’« horreur », conte…). L’impératif ne se réduit pas à « donner des ordres » et « donner des ordres » peut se faire bien autrement qu’avec l’impératif (fausses phrases interrogatives, futur…).

Comment faire réfléchir les élèves sur leurs erreurs Nous avons beaucoup insisté sur la nécessité d’impliquer les élèves dans la réflexion sur leurs propres erreurs, d’où elles viennent, pourquoi elles ont été commises. C’est ce qu’on appelle la « métacognition », un des moyens fondamentaux permettant d’apprendre en profondeur, aussi bien en amont pour exercer la vigilance (sur quoi dois-je porter mon attention pour éviter des erreurs ? Quels sont les « risques » que je cours ? Quelle stratégie me permettra de franchir les obstacles ?) qu’en aval (analyse de mes erreurs, comment puis-je me servir de celles-ci pour les éviter la prochaine fois ? Dans quel sens refaire mon travail ?), avec des pauses intermédiaires (« s’arrêter pour se regarder marcher ») ? En conclusion de la conférence internationale du Conseil scientifique de l’Éducation nationale sur le thème « Confiance en soi et métacognition », le 28 novembre 2018, la philosophe Joëlle Proust, spécialiste de la métacognition, relevait des pistes de travail permettant de lutter contre les inégalités scolaires et, parmi elles, mettait en évidence : le fait d’expliciter les buts de chaque apprentissage, de les relier aux préoccupations quotidiennes et aux connaissances acquises ; l’importance de fournir des modèles d’auto-interrogations concernant la difficulté d’un exercice, les stratégies possibles, la valeur d’une solution ;

la nécessité de donner le plus souvent possible la parole aux élèves – une bonne dose serait 50 % du temps –, de prendre en compte leurs questions et d’y répondre avec patience et bienveillance. Autant d’ingrédients qui ont à voir avec la métacognition, son contenu et la manière de la mener. L’élève doit se sentir libre, dans ces phases de retour sur soi, de dire sincèrement ce qu’il a à exprimer, afin de ne pas tenir des propos convenus, pour plaire au professeur. Si le professeur questionne, ce ne doit pas être un interrogatoire de police, mais une aide à l’élucidation de stratégies utilisées pour faire évoluer celles-ci si elles s’avèrent inadéquates. Cahiers d’activités en maternelle : une première forme de métacognition Clothilde Jouzeau Kraeutler enseigne en maternelle à Perpignan. Elle met en place des cahiers d’activités qui constituent des mines pour apprendre lors de la lecture qui en est faite en classe. « Lorsque des élèves relisent le cahier dans lequel sont consignés leurs travaux, ils commentent ce qu’ils ont fait. Ils évoquent les consignes données alors, se rappellent le contexte… Ils parlent de leur cahier, mais aussi de ce qu’ils voient dans celui de leur camarade. Les échanges qui ont alors lieu permettent de travaillersur les différences, voire les erreurs. “C’est pas ce qu’il fallait faire, il fallait faire des traits de la même couleur que la gommette.” Cette remarque faite par un pair permet à l’élève de reprendre son activité s’il le souhaite. Il est alors guidé par un camarade qui l’accompagne. Ce dispositif de relecture des activités permet non seulement de faire appel à la mémoire d’évocation, mais aussi de favoriser les interactions langagières collaboratives. Les élèves apprennent le langage de la coopération : comparer sans juger, aider et accompagner. Regarder son cahier avec ses camarades est aussi une source de motivation. Ainsi, souvent les élèves souhaitent faire ce que d’autres ont fait : “J’peux faire moi-aussi.” Cette stimulation par imitation est créative du moment que les élèves sont encouragés à échanger positivement et que chacun est valorisé pour cette collaboration. Les élèves écoutent les remarques prodiguées par des pairs si elles sont bienveillantes. Lors de la relecture d’une activité mathématique pour laquelle il fallait compléter une quantité pour atteindre le cardinal indiqué, un élève a rappelé à une camarade la situation problème initiale avec les coquilles d’œufs : “Tu sais quand la maîtresse elle savait plus si la boîte d’œufs elle était pleine avant de les casser pour faire le gâteau. On avait mis les coquilles vides dans la boîte et on avait regardé si elle était pleine.” L’évocation de la situation de référence par un élève a permis de resituer

l’activité sur fiche dans un contexte d’apprentissage connu. Cette référence à une situation avec manipulation a facilité le passage à une forme d’abstraction. “Tu as cinq gommettes, mais il faut six, alors tu en prends une autre.” “Tu comptes jusqu’à huit, il faut en enlever. Tu as mis trop de gommettes.” Recherche, hésitation du petit groupe, puis proposition : “On peut les décoller, comme ça, ça fera six !” “On a tous six gommettes dans le sac, mais des fois on en a mis, des fois on en a enlevé !” Des erreurs de dénombrement initiales pour compléter une quantité, ils ont découvert la soustraction, mais aussi qu’il existe plusieurs façons d’écrire une même quantité. L’erreur est bien alors une étape dans un processus d’apprentissage, utile à la construction de nouveaux savoirs. »

Dans les années 1980, autour d’Antoine de La Garanderie, les théories de la gestion mentale, encourageant l’introspection et le dialogue pédagogique, ont eu un certain succès. Au-delà des discussions scientifiques sur la validité de certaines notions (les « profils pédagogiques » sont très contestés par les sciences cognitives), il serait dommage de ne pas tenir compte aujourd’hui des apports de cette manière de voir les apprentissages. La pédagogie est du domaine de la pratique, et le critère essentiel est souvent de savoir si cela marche. Ce qui contribue à faire émerger cette prise de recul des élèves est intéressant. Et Yves Lecocq, praticien et formateur engagé de la « gestion mentale », plaide pour son usage en montrant sa fécondité, à travers un exemple précis.

Un outil d’analyse pour les élèves Nous sommes lors d’un temps de retour (immédiat ou différé) sur une évaluation effectuée par les élèves. Celle-ci peut être une simple restitution des connaissances ou viser des compétences plus complexes, dans n’importe quelle matière. En prenant appui sur l’outil présenté ci-dessous, l’enseignant propose à chaque élève un retour introspectif sur l’ensemble du processus d’apprentissage qui a mené à cette évaluation. Cet outil est ainsi divisé en trois phases (temps du cours, temps de l’apprentissage personnel, temps de l’évaluation), dans le cadre

d’une pédagogie « classique », mais il pourrait être structuré différemment si l’enseignant a fait le choix de la « classe inversée » (avec alors plutôt quatre phases, par exemple : temps de découverte des connaissances, temps d’application en classe, temps d’approfondissement personnel, temps d’évaluation). Tel qu’il est reproduit ici, l’outil peut être utilisé à partir de la classe de quatrième, mais on peut en concevoir des versions simplifiées utilisables dès l’école primaire. Pour chacun des temps de l’apprentissage, l’outil offre une modélisation simplifiée des opérations mentales à effectuer reposant sur les concepts proposés par la gestion mentale, en particulier les cinq gestes mentaux : l’attention, la compréhension, la mémorisation, la réflexion et l’imagination créatrice (ce dernier geste mental pouvant être présent de façon plus explicite dans une version de l’outil plus adaptée à des tâches complexes de type résolution de problème29). Ceux-ci présentent l’avantage d’une définition à la fois simple et précise, s’appuyant sur les vécus de conscience des élèves tout en pouvant être facilement mise en cohérence avec les apports des neurosciences. Pour que cet outil ait du sens pour les élèves, il est en effet nécessaire qu’au préalable l’enseignant ait mené avec eux un travail réflexif sur ces différents gestes mentaux. Celui-ci ne peut se limiter à une simple présentation, mais repose sur la mise en lumière de ce que chacun a vécu lors de différentes tâches (scolaires ou non). Par exemple, pour le geste de compréhension, par quoi s’est traduit, pour chacun, le projet visant à comprendre (par exemple un texte) ? Et à partir de différents témoignages d’élèves, quels sont les passages incontournables pour effectuer ce geste (en particulier : mettre de soi-même et faire différents liens logiques… tout en restant fidèle au sens de l’objet à comprendre) ? C’est donc une forme d’autoévaluation personnelle qui est proposée aux élèves. Celle-ci vise d’abord la recherche des erreurs ou oublis que l’élève a pu faire tout au long du processus d’apprentissage, avec pour objectif de le mener à cibler le plus précisément possible

ce qui a fait défaut et à quel moment cela a fait défaut : est-ce une trace écrite défaillante dès le moment du cours à cause d’une « panne » de l’attention ? Est-ce un projet de mémorisation trop incomplet ou trop tardif lors de l’apprentissage personnel ? Est-ce une compréhension erronée d’un mot-clé de la consigne donnée au moment même de l’évaluation ? Mais ce retour introspectif vise aussi à mener l’élève à relever ce qu’il a bien fait, ses points d’appui vers la réussite, et en particulier les gestes mentaux qu’il est parvenu à mettre en œuvre de façon satisfaisante, au moins à un moment de l’apprentissage. Cet aspect est important, en particulier pour montrer aux élèves en difficulté qu’ils ont en eux le potentiel pour réussir la tâche, mais qu’ils ont simplement eu, à un ou plusieurs moments précis, une défaillance ponctuelle qui a compromis l’ensemble de sa réalisation. Pour beaucoup d’élèves, manquant de confiance en eux, il est souhaitable que l’enseignant les oriente explicitement vers « ce qu’ils ont bien fait » et non pas seulement vers la recherche de « ce qui n’a pas marché ». Les objectifs à formuler à la fin de l’activité peuvent ainsi d’abord être pensés comme un transfert de compétences ou d’opérations mentales mises en œuvre de façon satisfaisante par l’élève. Pour faciliter l’entrée des élèves dans cette analyse de leur apprentissage, il est important de mettre en avant les appuis externes dont ils peuvent disposer : les annotations de l’enseignant sur la copie (si cette séance est faite en différé), un corrigé de l’évaluation, leur trace écrite du cours (à confronter entre eux pour relever plus facilement ce qui a pu être oublié ou mal noté), les documents distribués, le manuel utilisé, etc. Ce sont aussi les métaconnaissances que les élèves ont acquises qui sont sollicitées pour cette tâche, en particulier ici celles portant sur les gestes mentaux et sur le fonctionnement de la mémoire : proposer ce type d’activité aux élèves de façon assez régulière est donc un excellent moyen de les réactiver et de les consolider. De plus, s’il est formé à cela, l’enseignant peut mettre en œuvre de façon collective un

dialogue pédagogique en gestion mentale, visant une erreur bien précise fréquemment commise par les élèves ou un moment particulier du processus d’apprentissage qui lui a paru défaillant : il s’appuiera alors sur la verbalisation des vécus de ceux qui ont su surmonter ces obstacles, afin d’offrir des pistes concrètes à leurs camarades. Les objectifs à mentionner par les élèves en vue de la prochaine évaluation pourront ainsi s’étoffer en reprenant certains aspects de ces témoignages. Mais l’enseignant devra aussi gérer ici une hétérogénéité des élèves souvent très grande, en particulier dans leur capacité à mener en autonomie cette démarche introspective. Il sera alors souhaitable d’introduire une différenciation pédagogique, qui peut prendre plusieurs aspects. La coopération entre élèves constitue ici un appui souvent indispensable, en formant par exemple des binômes hétérogènes, un élève ayant plutôt réussi l’évaluation (et donc ayant terminé assez rapidement de compléter l’outil) aidant son camarade plus en difficulté à explorer les différents temps de son apprentissage pour y déceler ce qui a pu être source d’erreurs. Par ailleurs, l’enseignant privilégie lors de ces moments une posture d’accompagnant qui le mène à aller vers tel ou tel élève se signalant comme bloqué face à l’activité, afin de pratiquer avec lui un petit temps de dialogue pédagogique, qui permettra de remonter à l’origine de telle ou telle erreur… ou aussi de mettre l’accent sur un moment de l’apprentissage bien mené et à transférer lors de la prochaine évaluation. L’outil présenté ici peut donc constituer un appui précieux pour accompagner les élèves vers plus de réussite, en proposant un retour sur l’ensemble du processus d’apprentissage et en associant la recherche des erreurs à celle de ce qui a été bien fait, parfois malheureusement invisible au vu du résultat final.

Du cognitif à l’émotionnel Nous verrons plus loin comment cet encouragement à la réflexion des élèves se concrétise dans diverses disciplines, avec notamment une utilisation du brouillon ou des écrits de recherche. Mais notons bien que nous sommes ici à la frontière du cognitif et de l’émotionnel, comme l’indique le travail présenté ci-dessous. Jocelyn Reulier est professeur des écoles et chercheur (laboratoire GRENE). Il montre ici comment amener les élèves à « métacogiter ». « Dans notre classe de CM2, l’enjeu est de former des “élèves cochercheurs” qui apprennent à connaître leur propre fonctionnement. Dès le début d’année, une enquête sur l’erreur comprenant les questions du type “que ressens-tu quand tu fais une erreur à l’école ou en dehors de l’école ? Explique pourquoi tu ressens ces émotions ? Penses-tu que faire une erreur est utile ?” est soumise aux élèves. Ils y évoquent notamment la peur du regard des autres

et la réaction du professeur. Certains indiquent “se “être honteux” et avoir davantage peur de commettre l’école qu’à l’extérieur. Pour autant, tous s’accordent l’erreur pour apprendre même si elle s’avère le douloureuse à vivre.

sentir bêtes”, des erreurs à sur l’utilité de plus souvent

À la suite de cette réflexion individuelle, je leur demande d’exprimer physiquement leur réaction lorsqu’ils prennent conscience qu’ils commettent une erreur. Il est toujours étonnant de constater comment les expressions faciales proposées relèvent d’une situation de mal-être. Un débat prend alors forme en permettant de partager mutuellement ses représentations de l’erreur. Progressivement, les apprenants se livrent sur le stress engendré par l’erreur qu’ils considèrent le plus souvent comme une faute. Il est d’ailleurs généralement question des situations d’évaluation générant un malêtre. La question épineuse du “quand a-t-on le droit de faire des erreurs ?” ne tarde pas à émerger. Difficile d’intégrer le fait que l’erreur soit productive même si les enseignants précédents se sont évertués à en faire “un outil pour apprendre”. Il nous a semblé alors opportun de leur expliquer comment l’erreur, d’un point de vue cérébral, est inhérente au processus d’apprentissage, à condition de ne pas la considérer comme une menace. À la suite du débat collectif, nous expliquons aux élèves comment le “mauvais stress” bloque l’apprentissage. Pour ce faire, nous nous appuyons sur le livret destiné aux élèves : Les Neurosciences au cœur de la classe30 permettant de repérer les différents types de stress et de comprendre le fonctionnement cérébral du stress par l’intermédiaire d’un schéma proposé à la page 38. La vidéo Qu’estce que le stress31 a le mérite de mieux visualiser le fonctionnement hormonal généré par une situation de stress, et de repérer en quoi le cortex préfrontal, siège de la pensée, n’est plus actif du fait d’une forme de “tétanie cérébrale”. Les enfants comprennent que considérer l’erreur comme une menace génère du stress et bloque toute réflexion. De plus, les recherches récentes en neurosciences

sont désormais en mesure d’expliquer le fonctionnement cérébral de l’erreur. Nous avons alors tenté l’expérience de l’expliquer à nos élèves en nous appuyant sur l’article “L’erreur forge le cerveau32” présentant deux schémas évocateurs (p. 46 et 48). Le premier explique comment de multiples circuits neuronaux permettent de détecter une situation où une erreur se produit et de réadapter l’action en fonction des éléments de l’environnement. L’exemple de l’étudiant s’apercevant lors d’un examen oral qu’il répond à côté de la question est parlant pour les enfants. Le second schéma présente comment le cerveau fait constamment des prédictions sur les résultats de ses actes. Si les résultats escomptés dépassent l’attente, une décharge neuronale (liée au circuit de la récompense) a lieu alors que si elle est en deçà, la décharge baisse, engendrée par une déstabilisation cognitive. L’enjeu est que les élèves comprennent que, au cours de ces deux types de situations procurant des émotions paradoxales, un apprentissage a pris forme à la suite d’une erreur de prédiction. Il s’agit de dédramatiser l’erreur en expliquant qu’elle est l’essence même du cerveau qui constamment cherche à apprendre. Avec les élèves, nous construisons ensemble des outils d’autorégulation pour mieux gérer cette déstabilisation dans le cadre d’apprentissages complexes. L’enfant peut par exemple utiliser la respiration, s’adresser des pensées positives. Une fois ces prises de conscience opérées, un autre défi consiste à s’engager dans un processus de détection, d’analyse et de compréhension de l’erreur pour véritablement apprendre de celle-ci. La communauté apprenante agit alors comme un levier fondamental. J’accompagne les élèves à prendre conscience de ces instants où le cerveau est en situation de conflit cognitif. Cela peut se repérer en “se” regardant (en regardant un pair ou en se regardant) et/ou en écoutant son corps/cœur. Lorsqu’un enfant questionne le groupe en indiquant qu’il ne comprend pas, il est alors félicité, car il témoigne de cette déstabilisation. Soit il ne comprend pas parce qu’il lui

manque des éléments pour faire les liens ; les pairs ne manqueront pas de les lui apporter en adoptant une attitude empathique. Soit il est accompagné pour repérer en quoi la situation résiste. Par exemple, il peut avoir compris ce que sont un triangle isocèle et un triangle rectangle mais n’arrive pas à concevoir le fait qu’un triangle peut être à la fois triangle rectangle isocèle. D’autres hypothèses sont également envisageables. En classe, par la mise en œuvre de sous-groupes, les élèves sont conviés à analyser les erreurs récurrentes par exemple dans le cadre de production de dictées. Certains prendront en charge les erreurs relatives aux accords déterminants/noms pendant que d’autres groupes s’occuperont des erreurs d’accords noms/adjectifs, de sujets/verbes, de participes passés… Si l’erreur : “Les élèves sont passionnent” est à analyser, les élèves devront essayer de repérer pourquoi l’élève a mis “ent”. Toute erreur étant le fruit d’un raisonnement, elle mérite d’être prise en compte et valorisée. Les élèves deviennent alors des détectives et se prêtent au jeu de comprendre pourquoi leur camarade a effectué finalement un accord sujet/verbe – il a donc déjà repéré le sujet et le verbe – mais n’a pas compris la notion de participe passé ni la manière de l’accorder. À l’issue de l’analyse effectuée en coopération, les élèves qui ont commis ce type d’erreur sont plus à même de la comprendre et se construisent progressivement des “méta-outils” pour réussir à s’autoréguler lors d’une prochaine situation d’écriture intégrant un accord de participe passé. Le méta-outil s’étoffera au fur et à mesure des découvertes des différents types d’accords des participes passés. En fait, l’enjeu est d’éprouver physiquement et moralement l’erreur, dans le cadre de sa communauté de cochercheurs, en comprenant qu’elle est véritablement source d’apprentissages. » Mais la façon de traiter l’erreur concerne au premier chef l’évaluation des élèves et leur façon d’appréhender celle-ci. Comment passer de la « correction » à la compréhension de ce qui est réussi et de ce qui

ne l’est pas, dans une perspective de progrès ? Ce sera l’objet du prochain chapitre. En bref Classer les erreurs permet d’attribuer à chacune des catégories un traitement différent. Il faut combiner des moments où il s’agit surtout d’empêcher les erreurs d’advenir, en acquérant des automatismes, et d’autres où, dans une tâche complexe, elles sont inévitables dans un premier jet. Dans ce travail, l’implication cognitive des élèves est indispensable : la métacognition, le dialogue pédagogique sont des outils décisifs, qu’il faut développer.

27. Collection « Pratiques et enjeux pédagogiques », ESF Éditeur, 12e édition, 2017. 28. Évaluation de la direction à l’évaluation et à la prospective (DEP) en 1990 qui donne à peu près les mêmes résultats en fin de CM2 et en cinquième. 29. Pour une présentation de ces gestes mentaux : Yves Lecocq, (Re)penser l’acte d’apprendre, Chronique sociale, 2018. 30. Pascale Toscani, Les Neurosciences au cœur de la classe : livret d’exercices des élèves, Chronique sociale (2013). 31. Jocelyn Lenoir, Qu’est-ce que le stress ? [En ligne] (2012). 32. Emmanuel Procyk et Martine Meunier, « L’erreur forge le cerveau », in « Apprendre de ses erreurs », Cerveau et psycho, no 87, avril 2017.

6. Évaluation : dépasser la « correction »

Faire une part plus grande à l’évaluation formative On ne peut prétendre « rassurer » les élèves, dédramatiser les erreurs sans un changement profond dans la manière d’évaluer et dans le sens qu’on donne à l’évaluation. De nombreux enseignants sont engagés dans cette perspective qui permet aux élèves d’être plus actifs, de mieux comprendre du coup ce qu’on attend d’eux, et donc les erreurs qui les guettent ou celles qu’on peut rectifier, en étant tournés vers l’avenir et non vers le seul constat qu’on s’est trompé et la traditionnelle « correction ».

Ce qui se passe encore trop souvent… Tout un vocabulaire est sans doute à revoir : copie, récitation, contrôle, correction. On est en effet là dans quelque chose de très normatif et dans la reproduction d’une attente plus que dans le domaine du formatif et de l’apprentissage. Certes, il est nécessaire qu’existent des évaluations de vérification des connaissances ou d’acquisition de compétences (ce qu’on appelle l’évaluation sommative), mais pour parvenir au produit final, le processus qui mène à la réussite est à prendre en compte. Les chercheurs en sciences cognitives, et en particulier au Conseil scientifique de l’Éducation nationale, dont nous avons parlé précédemment, insistent beaucoup sur le nécessaire renforcement de l’évaluation formative et dans ce cadre sur un changement radical de rapport à l’erreur. Rien de pire que l’élève qui range sa copie une fois le devoir rendu, qui ne s’intéresse guère à la correction (il est vrai, souvent « grandmesse » qui est plus un rite qu’un moment vraiment utile). Ou alors,

si, il y a pire : celui qui… déchire sa copie, « dégoûté » par sa note et l’envahissement de la couleur rouge dans son devoir.

Mettre l’erreur à l’honneur Changer ce rapport à l’évaluation, c’est ce que s’efforcent de mettre en route nombre d’équipes du premier comme du second degré, en supprimant parfois la note chiffrée, et surtout en proposant de vrais travaux d’appropriation de leurs productions par les élèves, qui ont la possibilité de recommencer, de s’améliorer. En septembre 2018, un très riche rapport parlementaire33 plaidait pour un « changement de paradigme » en matière d’évaluation, pointait l’intérêt de faire évoluer le rapport à l’erreur et d’impliquer les élèves, en particulier sous la forme de l’autoévaluation. Celle-ci est très peu pratiquée en France : « 17 % des enseignants de collège, soit le pourcentage le plus bas de l’enquête internationale TALIS menée par l’OCDE, laissent leurs élèves évaluer eux-mêmes leurs progrès, contre 38 % en moyenne pour l’ensemble des pays participants et 70 % des enseignants anglais. » La façon dont les enseignants gèrent donc les travaux de leurs élèves en les aidant à tirer parti de leurs erreurs, d’abord accompagnés, puis de façon plus autonome, est donc cruciale. En Finlande On sait bien que les modèles étrangers, ça n’existe pas. Le « paradis finlandais » qu’ont pu décrire des visiteurs, impressionnés par les résultats PISA de ce petit pays qui réussit à avoir une école équitable et efficace, doit être relativisé. N’empêche qu’il y a des leçons à tirer de ce système. Et notamment en matière d’autoévaluation. Lisons ce qu’écrit une responsable éducative, Tarja Jukkala34 : « Un des objectifs principaux de l’enseignement fondamental est de développer les capacités que l’élève a de s’autoévaluer. L’idée est qu’avec l’autoévaluation l’estime de soi, l’image positive de soi-même comme apprenant et le sentiment de participation soient renforcés. L’autoévaluation est naturellement formative. Réalisée à ce stade du processus, elle peut donc fonctionner comme un facteur important lié à la motivation pour la continuation de l’apprentissage. L’école finlandaise semble donc avoir bien assimilé l’exigence du besoin de former des citoyens qui soient capables, en tant

qu’adultes, de gérer leur propre apprentissage tout au long de leur vie. » Quand les résultats semblent quelque peu baisser, les responsables finlandais cherchent à améliorer l’existant quand dans notre pays on hésite entre se lamenter ou nier la validité des tests internationaux.

Karine Delhaye enseigne en lycée. Elle explique comment elle « rend les copies » autrement que sous la forme encore hélas trop fréquente, du « verdict rendu par un juge ». « Ce jour-là, en classe de terminale S, je rendais à mes élèves leur première évaluation sommative de l’année. Cette dernière portait sur un thème de biologie humaine et venait finaliser un temps de formation sur l’exercice qui compte pour 5 points sur 16 dans l’épreuve écrite de SVT au baccalauréat. Pour que cette restitution des copies s’inscrive dans un temps d’apprentissage et de formation de l’élève (vu les résultats de certains, il y avait un réel besoin !), voici le travail que j’ai proposé en classe. Tout d’abord, chaque élève a récupéré son devoir noté et annoté, puis a été invité à répondre, après lecture de sa copie et de mes commentaires, par “Oui” ou par “Non” à un certain nombre d’items reprenant les principaux critères ou indicateurs de réussite de cet exercice dans une fiche dite d’autoévaluation (voir ci-dessous). Ensuite, j’ai proposé aux élèves de refaire leur devoir, par groupes de deux ou trois, en les incitant à échanger entre eux et à s’aider de leurs copies, de mes annotations et de la fiche d’autoévaluation complétée (tous les items auxquels ils avaient répondu “Oui” devaient être conservés et ceux auxquels ils avaient répondu “Non” devaient être, selon le cas, rajoutés ou modifiés dans leur devoir). Aussi, je leur ai annoncé que si ces nouvelles productions présentaient de véritables progrès (en lien avec les critères indiqués dans la fiche d’autoévaluation), j’accorderais des bonus (2 points maximum sur 20) qui viendraient s’ajouter à la note initiale. Enfin, une fois le travail fini, les nouvelles productions ainsi que les

fiches d’autoévaluation ont été relevées afin de vérifier que les élèves avaient bien identifié leurs erreurs et qu’ils avaient été capables de les corriger. Ceci fut le cas pour un bon nombre d’entre eux : les nouvelles copies montraient une nette évolution tant au niveau de la mobilisation des connaissances qu’au niveau de la structure du devoir. Pour ma part, je pense donc avoir atteint mes objectifs : d’une part, engager chez les élèves un travail d’analyse de leurs erreurs et, d’autre part, leur donner l’occasion, tout en collaborant, de refaire pour mieux faire. Il reste cependant à voir l’impact de ce travail à plus long terme… Et les élèves, eux, qu’ont-ils pensé de ce travail ? Pour le savoir, j’ai recueilli leurs avis. La totalité des élèves interrogés ont trouvé cette activité intéressante pour différentes raisons : elle leur a permis de “comprendre leurs erreurs”, d’“apprendre de leurs erreurs”, de “mieux comprendre le sujet”… et, à ma grande surprise, sans jamais parler de la possible augmentation de leur note ! Serions-nous donc parvenus, un instant, à travailler juste pour progresser… et non pour la “note sacrée” ? » Les pratiques de coévaluation sont également fort riches, elles permettent aux élèves de discuter autour des erreurs qui ont été commises, mais peut-être aussi d’inventorier en amont des erreurs à ne pas commettre, de repérer des points de vigilance, en anticipant sur le futur travail. On retrouve là la métacognition, mais au sein de groupes. Nous en verrons aussi plus loin des illustrations dans la manière de travailler l’orthographe. Mais c’est surtout une évaluation orientée vers la validation de compétences que se construisent peu à peu les élèves qui permet de changer le rapport à l’erreur. Ce qui va compter, ce sont les obstacles franchis et les progrès accomplis. Rappelons qu’évaluer par compétences a pour objectif que l’apprenant soit capable de

mobiliser connaissances, savoir-faire et attitudes pour réaliser des tâches dans un certain contexte. Ce n’est plus dès lors la « restitution » qui est le but, mais bien l’acquisition en profondeur, qui peut se traduire par l’automatisation dans certains cas. Certes, dans ce cadre, des exercices ponctuels permettent d’évaluer des connaissances qui sont autant de ressources pour les compétences. Mais ce qui compte vraiment, c’est la mise en mouvement de ces connaissances dans des situations complexes. Philippe Perrenoud disait que les compétences, c’est « le savoir en action ». C’est en fonction de cela qu’on va établir des critères précis à un devoir par exemple, en ciblant certains aspects du travail. On se référera aussi à des macrocritères qu’on retrouve dans de nombreuses activités : l’exactitude ; la pertinence ; l’exhaustivité ; la cohérence ; la qualité de la langue ; la créativité. À partir de là, l’erreur pourra avoir une signification différente selon que l’important est par exemple de ne pas se tromper dans les calculs, ou de choisir la bonne stratégie, ou de soigner les formulations, ou de ne pas oublier tel ou tel point essentiel. Dans le cas de la créativité, au fond, l’erreur serait-elle d’être trop conformiste ? Notons que nous n’utilisons surtout pas l’expression « trop scolaire », hypocrite et absurde, puisque le scolaire peut signifier mille choses différentes. Cela veut dire aussi inviter les élèves à ne pas focaliser leur attention sur tout à la fois, à comprendre que, selon la tâche, on n’évaluera pas les mêmes choses ni de la même façon. Un effort doit être fourni par les professeurs habitués à « tout corriger » comme on le verra dans le chapitre sur la formation.

Grille d’autoévaluation de l’exercice proposée aux élèves par Karine Delhaye Votre réponse doit être structurée

1. Vous avez rédigé une introduction

Oui / Non

2. Vous avez formulé un problème dans votre introduction

Oui / Non

3. Vous avez annoncé votre plan dans l’introduction

Oui / Non

4. Vous avez structuré vos explications en paragraphes

Oui / Non

5. Vos paragraphes développent un raisonnement logique

Oui / Non

6. Vous avez rédigé une conclusion

Oui / Non

7. Votre conclusion répond au problème posé

Oui / Non

Votre réponse doit présenter une exploitation des documents

1. La saisie des informations dans chaque document est correcte

Oui / Non

2. Les informations tirées des documents et les déductions faites donnent des éléments de réponse au problème posé

Oui / Non

Votre réponse doit présenter des connaissances

1. Des connaissances sur les enzymes ont été données

2. Ces connaissances complètent les informations issues des documents

Oui / Non Oui / Non

Sandra Miranda, professeure de français dans un lycée de la région parisienne, nous dit comment elle a évolué en considérant davantage le brouillon et la « copie » comme un écrit en évolution : « Pendant longtemps, j’ai considéré le brouillon de l’élève comme étant sans intérêt. Lorsque je donnais un sujet d’invention en fin de séquence, je partais du principe que les élèves devaient d’euxmêmes réinvestir les notions qui avaient été abordées en cours dans l’analyse des textes. J’avais alors une conception très fermée de l’évaluation : elle était uniquement sommative, sanctionnant négativement une grande partie des élèves, ce qui était conforme à l’image élitiste du français au lycée. Petit à petit, je me suis rendu compte qu’il fallait expliciter les critères attendus, qu’il n’était pas juste que l’écriture soit réservée aux élèves initiés. En théorie, bien que je voulusse prendre en compte la singularité de l’élève dans son rapport à l’écrit, je restais conditionnée par l’idée que l’écriture devait faire apparaître des savoirs scolaires bien définis. Je ne parvenais donc pas à envisager des écrits intermédiaires. C’est par ailleurs la pratique de l’atelier d’écriture en accompagnement personnalisé qui m’a amenée à revoir les normes qui régissent les travaux d’écriture en français. Pour ne pas focaliser sur les problèmes d’expression qui donnent l’impression à l’élève que l’écriture est une compétence inaccessible, il fallait développer l’évaluation formative, faire de l’écriture une réécriture constante, et donc autoriser le brouillon. À présent, je donne la possibilité de reprendre au moins trois fois les critères attendus. Pour la première version, je propose un commentaire qui cible les erreurs et les points intéressants à garder. Comme il s’agit d’éviter la surcharge cognitive et de permettre que le point de vue de l’élève émerge, je ne souligne rien concernant l’orthographe et la syntaxe. Lorsqu’ils me remettent la deuxième

version, je ne souligne toujours rien, me contentant de relever les améliorations, et parfois même regrettant que les changements opérés aient fait disparaître ce qui était pertinent dans la copie précédente. Enfin, à la troisième version, je note, tout en donnant la possibilité de corriger l’orthographe et la syntaxe, pour clore définitivement le travail. Ainsi intégrant la pratique du brouillon dans le travail d’écriture, la notion d’erreur est devenue pour moi une notion relative : en même temps qu’il utilise la langue, l’élève écrivant est en train d’apprendre en écrivant. »

Quand les élèves inventent des évaluations Un des moyens d’impliquer les élèves dans la prévention des erreurs possibles et l’appropriation de critères de référence pour mieux comprendre ce qui est attendu est de les faire construire des évaluations, seuls ou en groupes, d’établir ensemble les fameux critères, de lister des erreurs possibles et fréquentes pour un travail donné.

La construction par les élèves de QCM Revenons d’abord sur l’intérêt de ce mode d’évaluation controversé, surtout quand il est trop fréquent et systématique. On connaît son succès dans les jeux télévisés, où le questionnaire à choix multiple (QCM) est souvent caricatural, quand il ne sert pas à susciter des SMS payants (lors des transmissions télévisées de football, que les élèves connaissent bien). Mais outre la facilité de correction, il permet un test rapide, lequel peut d’ailleurs être autocorrigé par les élèves. Si on veut mettre une note (qui n’est pas forcément sur 20 et a un statut spécifique), on peut introduire des variantes, à savoir valoriser les bonnes réponses par un bonus pour certaines, et pénaliser les réponses « vraiment mauvaises », ce qui abolit en partie le hasard (lequel entre peu en ligne de compte si les questions

sont nombreuses). On peut aussi demander la justification des réponses, mais cela alourdit le QCM, et on perd alors l’intérêt de la correction rapide. Dans le questionnaire à choix multiples, en général, trois réponses sont possibles, dont seule une est bonne. Lorsqu’un enseignant crée un QCM, le plus difficile est sans doute d’établir la réponse intermédiaire, fausse, mais plus vraisemblable, plus crédible que la réponse aberrante. Si on demande la date de naissance de Victor Hugo (1802), répondre 1820 ne peut être considéré de la même façon que 1900 ! S’il faut choisir entre trois orthographes de la terminaison du verbe dans « ils les ont envoyés », il y aura une différence entre « é » et « er », la première réponse est « moins fausse » que la seconde. De même, selon les cas, il faudra juger du degré de « fausseté » qu’on veut introduire dans les mauvaises réponses. Dans l’exemple précédent, la variation d’un ou deux ans de la naissance du grand écrivain n’a guère d’importance, alors qu’en orthographe l’exactitude est importante et doit être recherchée. Mais l’extrême précision d’une date peut avoir son importance lorsqu’il s’agit du 14 juillet 1789 ou d’un chiffre lorsqu’il s’agit du nombre de chromosomes ou d’un énoncé de théorème où chaque mot peut compter. On peut d’ailleurs faire inventer des QCM par les élèves, bonne façon de les habituer à ce mode d’évaluation et de leur faire s’approprier des connaissances. Pour ma part, j’ai souvent pratiqué cette méthode en français, dont une variante un peu différente est de faire créer des vrai-faux mais en imposant cette fois-ci la justification (une phrase qui prouve que c’est « vrai » dans le cas d’un questionnaire sur un texte, la bonne réponse si c’est faux). On peut aussi introduire des nuances (« partiellement vrai », « vrai dans certains cas », et aussi « on ne peut pas le dire »). Dans les deux cas, les élèves réfléchissent sur les erreurs possibles et il faut ensuite analyser leurs trouvailles (ce que je pratiquais plutôt en binômes ou en groupes de trois ou

quatre). Un exemple de réalisation d’élèves, dans le cadre d’un projet long français-histoire en quatrième sur Versailles (quatre questions en exemple) Louis XIV est né en ? a-1638 ; b-1629 ; c-1632 ; d-1639 (question pertinente dans le cadre du projet mais qui le serait moins après une leçon d’histoire vue la proximité des dates). Quelle révolte subit Louis XIV dans son enfance ? a-la guerre ; b-la Fronde ; c-la Révolution ; d-la prise de la Bastille. Les travaux du château durent ? a-10 ans ; b-25 ans ; c-30 ans ; d-20 ans. À quel dieu Louis XIV se compare-t-il ? a-Apollon ; b-Poséidon ; c-Hermès ; d-Hadès.

Plus généralement, faire créer par les élèves des consignes, par exemple pour d’autres, des questions sur un texte, ou en vue d’un contrôle à la suite d’une « leçon » devrait faire partie de la panoplie de base de tout professeur. Il suffit parfois de rajouter à un questionnaire de lecture une invitation à poser une question supplémentaire avec sa réponse juste, mais en imposant quelques contraintes (ce doit être une question d’interprétation du texte par exemple, ou forcément une question commençant par « pourquoi »…). Les élèves sont ainsi amenés à anticiper, à prévoir les difficultés rencontrées, à estimer ces difficultés. On peut imaginer d’ailleurs un codage à l’image de ces fiches-recettes de cuisine qui indiquent le niveau de difficulté du plat à élaborer. En mathématiques, la pratique s’est répandue de faire inventer des problèmes, il faut l’étendre davantage, tout en fixant des conditions pour que ce soit efficace. Le retour en classe, l’examen des « bonnes inventions » est nécessaire. Remarquons ici que donner à des élèves une sorte de statut de professeurs qui interrogent leurs pairs est souvent motivant de par le caractère ludique de la situation. Mais surtout, la situation de producteur permet de mieux saisir le sens du travail et de devenir de meilleurs lecteurs de consignes ou de problèmes.

L’analyse collective d’erreurs Autant la pratique de rendre publiques nominalement les erreurs de tel ou tel élève est détestable, autant l’analyse en classe d’erreurs à partir d’extraits de copies peut être fructueux et formateur. On peut le faire de différentes façons : on distribue des extraits de copies, éventuellement dactylographiés sans erreur d’orthographe (si le but n’est pas de travailler sur celles-ci et en supprimant l’effet propre de la lisibilité de l’écriture), et on demande aux élèves de relever les erreurs commises, de les classer selon une grille et d’expliquer d’où vient l’erreur. On peut aussi demander de trouver une forme de remédiation ; on peut également projeter sur écran les mêmes exemples et rectifier au fur et à mesure à partir des suggestions d’élèves. On peut au préalable avoir surligné les points sensibles pour ne pas se disperser. Les documents projetés peuvent être des travaux d’élèves de la classe, ou d’autres, à titre d’exemples. Le cerisier Lors d’une évaluation nationale d’entrée en sixième, on a demandé aux élèves de mettre en mots un schéma représentant le « cycle du cerisier » depuis la graine jusqu’à l’arbre donnant des fruits. J’ai proposé ensuite à la classe, par groupes, d’analyser des réponses choisies, en pointant ce qui selon eux était réussi ou plutôt erroné. Parmi les réponses, on a (orthographe des élèves respectée) : « Il faut planté les graines dans le sol et après les jeunes plants pousse. Quelques années plus tard le cerisier est en fleurs puis les fleurs devient des cerissises. Dans chaque noyau de cerise contient une graine. » « Les graine sont donné par l’arbre précédant. La plante en quelque jour elle commence a poussier les feuilles apparaissent. Quelques années plus tard les fleurs pousses. Juste après l’arbre est grande et les cerises poussent. » « Les noyaux de cerise sont tombés au sol dans ses noyaux il y a des graines qui permettent de refaire poussés des plantes de cerise. Quelques années plus tard maintenant on peut voir des petites fleurs qui sont écloses. Ensuite, la fleur fanne et

quelques mois plus tard on voit dans ce cerisier des cerises. » Certains élèves ont mis l’accent sur la rédaction plus ou moins bonne selon les copies (et bien sûr l’orthographe), d’autres sur le respect de la consigne, d’autres sur la pertinence scientifique. Occasion de discuter ensemble sur ce qu’est un critère de réussite, des différences d’appréciation selon qu’on met l’accent sur la langue utilisée ou sur l’exactitude ou la pertinence scientifique. On peut d’ailleurs, si on veut se centrer sur l’aspect SVT, reprendre les textes en corrigeant leur orthographe et la ponctuation pour que ces erreurs-là ne « polluent » pas le reste. Si on met les élèves en groupes, ils peuvent avoir du mal à se mettre d’accord sur leurs appréciations (pas davantage d’ailleurs si on pratique cet exercice en formation d’enseignants !). On peut aussi demander aux groupes de formuler des conseils d’amélioration à chacun des élèves ayant rédigé ces réponses.

L’évaluation devient alors non seulement « formative », mais en ellemême « formatrice » comme le notait Georgette Nunziati en mettant l’accent sur l’aspect actif du terme35. En analysant des travaux de pairs, les élèves sont à même ensuite de mieux comprendre comment on évalue et comment on peut mesurer des progrès. Dans les prochains chapitres, des exemples disciplinaires permettront d’approfondir cet acte majeur. En bref Le travail sur l’erreur nécessite des pratiques d’évaluation diversifiées. Faire plus de place à une évaluation formative est indispensable, tout comme encourager l’autoévaluation des élèves ou la coévaluation. De même, surtout dans la phase d’apprentissage, est-il fondamental de cibler les points qui sont évalués, sans vouloir céder à la manie de la correction pointilliste inefficace. Quand les élèves construisent des interrogations, élaborent des critères de réussite, ils s’approprient bien mieux ce qu’on attend d’eux et donc font moins d’erreurs. 33. Sur l’organisation de la fonction d’évaluation du système éducatif, présenté par Régis Juanico et Marie Tamarelle-Verhaeghe. 34. Cahiers pédagogiques, dossier sur l’école finlandaise, no 432, coordonné par Päivi Sihvonen (avril 2005). 35. Voir le hors-série numérique des Cahiers pédagogiques : « L’évaluation en classe », no 39, mai 2015.

7. Donner confiance Des dispositifs pour gérer les émotions et reprendre confiance en soi Nous l’avons souligné : erreur ne doit plus rimer avec peur. Il faut aider les élèves français, enclins très tôt au stress devant le travail scolaire, à gérer mieux leurs émotions et à accepter en particulier de ne pas réussir du premier coup. Mais répétons-le : les belles paroles ne suffisent pas si des changements profonds n’interviennent pas. Et le recours à des dispositifs originaux est nécessaire pour y parvenir, surtout avec des élèves qui ont une expérience parfois longue de l’échec. Dans mes classes, je sentais quelque part que j’étais sur la bonne voie quand des élèves me déclaraient en souriant en rendant un travail : « Vous allez être content, il y a des ratures ! » Un devoir avec des corrections de tournures et changements de vocabulaire lors de la relecture, c’est le signe d’un effort authentique pour ne pas en rester au premier jet et si ça peut se voir, tant mieux, surtout dans une phase d’apprentissage. Comment accompagner les élèves vers la prise de risque en toute tranquillité : voilà ce que de nombreux enseignants ont choisi de faire et ils évoquent ici des expériences diverses, mais convergentes.

Avec des enfants marqués par l’échec et les difficultés Corinne Brisbart, maître E dans le Rhône, montre bien qu’il ne suffit pas de proclamer un droit à l’erreur pour que les élèves aient vraiment un autre rapport à l’erreur lorsqu’ils sont souvent confrontés aux difficultés et à l’échec. « Les élèves que je reçois dans mes groupes énoncent très rapidement la phrase : “Ce n’est pas grave si on se trompe parce qu’on est en train d’apprendre.” En effet, les enseignants sont, aujourd’hui, sensibilisés à cette notion d’erreur et essaient de la dégager de toute idée de faute pour les élèves. Pour autant, pour des élèves qui font très souvent des erreurs, est-ce plus supportable et moins culpabilisant parce que l’erreur n’a plus de lien direct avec la sanction : note ou biffage en rouge ? Le regard bienveillant de l’enseignant est-il suffisant pour que l’élève qui se trompe souvent accepte l’erreur comme un élément de l’apprentissage ? En regroupement E, les interactions entre pairs ont une place primordiale afin de mettre en œuvre un conflit sociocognitif. C’est une source d’apprentissage qui doit aider au décentrage et permettre de comprendre pourquoi et comment on s’est trompé afin d’accéder à un processus plus pertinent. En énonçant ses représentations et en les confrontant à celles des autres, l’enfant doit pouvoir les faire évoluer. Dans ma pratique, étayage et interactions sociales sont donc au cœur des dispositifs. Persuadée, dans un premier temps, que ma bienveillance et la mise en place d’un cadre sécurisant seraient suffisantes, j’ai mis en place ces pratiques. Il s’agissait de proposer aux élèves une situation à résoudre, de constater les divergences de résultats et de s’engager dans ce conflit pour faire évoluer les représentations lorsqu’elles étaient erronées. Cela me permettait aussi de repérer ce qui amenait les élèves à faire des erreurs et

donc était satisfaisant à mon niveau. Mais j’ai rapidement vu que si ça me permettait d’accéder à leurs processus, ce n’était pas forcément le cas pour les élèves qui, malgré le fait d’annoncer que c’était normal et intéressant de se tromper, restaient dans des attitudes de résistance dans lesquelles ils étaient enfermés depuis longtemps. Dans ces conditions, comment s’orienter ensuite vers un désétayage essentiel à leur réussite ? Certains se mettaient à bouder, ou se fermaient aux représentations des autres, d’autres criaient le fameux : “Non, mais je le savais”, se montrant incapables de toute flexibilité, ces élèves n’étaient pas prêts à entendre leurs erreurs même en regroupement et donc à accéder à leur propre fonctionnement intellectuel. Cela supposait d’accepter l’idée que leurs difficultés étaient des sources d’information et d’accéder à leurs propres processus de pensée pour les réguler. Cela était insupportable pour des enfants en difficulté depuis trop longtemps malgré un cadre sécurisé et sécurisant. J’ai donc décidé de ne plus partir de leurs propositions mais de celles d’élèves fictifs. Observer une résolution de problème d’un élève qu’on ne connaît pas pour se dégager de l’affectif. Dans les regroupements avec les plus grands, je recueille, donc, d’abord leurs représentations : comment et à quoi reconnaît-on un problème mathématique, par exemple ? Nous réalisons une affiche qui reprend toutes leurs idées, je me sers de leurs propositions pour bâtir des situations fictives et pertinentes au regard de leurs difficultés : problème et propositions d’élèves que nous analysons ensuite. Durant cette analyse, nous faisons référence à l’affiche pour la modifier, l’étoffer. Ce travail permet de mettre en lien les erreurs fictives avec leurs représentations. La phase métacognitive est donc, dans un premier temps, dégagée de problématiques personnelles pour mieux revenir ensuite à leur propre fonctionnement. Ils repèrent à travers le fonctionnement d’élèves fictifs de quoi réguler leur propre pensée. »

La question soulevée par Corinne Brisbart est essentielle : il ne s’agit pas de faire en sorte que les élèves acceptent joyeusement de se tromper « en n’en faisant pas un drame », mais bien qu’ils ressentent comme un défi l’échec provisoire, qu’au fond la bienveillance qu’ils perçoivent soit pour eux source d’exigence et non une complaisance qui peut vite s’avérer humiliante pour eux… Le cas des DYS Les élèves souffrant de troubles « dys » (dyslexie, dyscalculie, dyspraxie) forment une proportion non négligeable d’enfants (entre 5 et 10 %). Qu’en est-il de leur rapport à l’erreur ? Ce qu’en dit Nicole Bouin, qui a coordonné le dossier des Cahiers pédagogiques sur les DYS (no 552) : « J’entendais récemment une jeune fille dyspraxique en terminale S dire à sa mère qui s’étonnait qu’elle n’ait pas terminé plusieurs exercices de son contrôle de mathématiques alors qu’elle est brillante : “Quand je me rends compte que je me suis trompée de formule ou que j’ai mal engagé l’exercice, je préfère abandonner parce que je sais que le fait de repartir du début et de chercher une autre piste me coûtera trop cher en énergie et en temps. Cela me paraît insurmontable. Je laisse tomber et je passe à l’exercice suivant.” En fait, la plupart des élèves porteurs de troubles dys souffrent d’un déficit des fonctions exécutives, particulièrement de l’inhibition et de la flexibilité mentale36, qui explique leurs difficultés à rectifier leurs erreurs. C’est comme s’ils ne pouvaient pas retrouver les étapes successives de leur raisonnement pour savoir où ils se sont trompés et à partir d’où il faut changer de procédure. De la même façon qu’ils n’arrivent pas, ou mal, à programmer, à planifier : “Pour résoudre ce problème je dois commencer par ça, puis ça, puis si ça, je fais ça, sinon je fais ça…” De la même façon, ils n’arrivent pas à reconstituer les étapes par lesquelles ils sont passés, des étapes non planifiées, qui se succèdent plutôt à l’intuition. En fait il s’agit probablement de décisions inconscientes prises par ce qu’on appelle le cerveau bayésien (statisticien). Donc ils y vont à l’intuition plutôt que par la planification préalable, ils ne sont pas doués non plus pour ce qu’on pourrait appeler la rétroplanification, la reconstitution du parcours de pensée a posteriori. On peut aussi faire l’hypothèse que les enfants dys, qui manquent souvent de confiance en eux, ont du mal à reconnaître les erreurs, qui érodent leur estime d’eux-mêmes, et en raison de l’impression qu’ils ne sauront pas les corriger de toute façon, qu’il vaut mieux les ignorer… J’imagine que les troubles émotionnels dont la plupart sont porteurs, en lien avec leurs troubles cognitifs, perturbent les signaux d’alerte qui nous indiquent que ce que nous sommes en train de faire ne correspond pas à ce qu’il conviendrait de faire. Ce qu’on appelle le jugement en termes de fonctions exécutives. »

Vivre corporellement ses émotions Un domaine où la peur de faire des erreurs, de « ne pas bien faire » se traduit par un empêchement à agir, c’est bien l’éducation physique et sportive. C’est aussi un domaine où des progrès importants ont été accomplis, et ce n’est pas un hasard si nous avons reçu de nombreux retours de praticiens de cette discipline. La place des émotions vécues dans son corps est évidente lorsqu’il s’agit de courir, nager ou grimper. Un accompagnement adéquat permet de transformer la peur en énergie, d’analyser ce qui ne fonctionne pas bien pour progresser : tout cela pourrait être largement transféré dans d’autres domaines. Jacky Watebled est conseiller pédagogique EPS dans la circonscription premier degré de Eu en Seine-Maritime. À travers l’expérience de la natation, il montre bien ce que peut être la bienveillance quand elle autorise le risque. « À la piscine, nous suivons une séance d’apprentissage d’une classe de cycle 3. Les élèves nagent par équipes. Ils effectuent des parcours plus ou moins longs dans le bassin sportif. Par des coulées, ils passent sous des lignes d’eau, et des tapis, ils traversent des cerceaux immergés, distants d’un, deux ou trois mètres. Au cours de ces déplacements, ils saisissent, au fond du bassin, un certain nombre d’objets et les déposent dans des caisses, ils contournent des bouées plus ou moins éloignées. Ils sont contraints de s’arrêter sur certains points pour reformer leur groupe. Ils y trouvent l’occasion d’échanger quelques mots. Lors de ce périple, ils s’appliquent à nager le crawl efficacement pour tenir l’épreuve. À la fin du parcours, l’équipe sort du bassin et le capitaine note la performance sur un tableau. Il est évident qu’ils éprouvent le besoin de récupérer avant de repartir mais ils restent néanmoins mobilisés. Quatre tours sont à réaliser dans ces mêmes conditions. Ce contrat imposé conduira à la production d’une performance collective. Il faut l’avouer, cela n’est pas rien. Le nouveau départ se fait à chaque fois en plongeant ou en sautant soit du bord soit d’un plot surélevé. Les groupes qui s’activent ainsi nous fascinent, tout autant que

l’enseignante en ce qui concerne sa manière de les conduire. Tout au long de cette séance, l’enseignante se fait discrète. Sa posture est bienveillante. Elle intervient pour rappeler la règle. “N’oublie pas de prendre trois anneaux, il t’en manque, je crois !” “Tu n’es pas allé jusqu’à ta bouée !” “Essuie tes lunettes.” Et au-delà de ce cadre à faire respecter, qui donne ainsi de la valeur aux performances et de la validité, elle confie qu’il lui importe également d’examiner, dit-elle, “leurs manières de faire et de se comporter”. Elle nous précise qu’ils vont exercer leur autonomie, en y trouvant la possibilité de choisir tel ou tel tapis, telle ou telle bouée. Ils ont besoin de cette autoévaluation. En effet, sur ce parcours, ici, il y a un tout petit tapis ou un très grand tapis à franchir en passant au-dessous, là-bas une possibilité de raccourcir le parcours selon la bouée autour de laquelle ils décident de virer. “C’est ainsi qu’ils peuvent réaliser une performance, explique-t-elle, qu’ils accèdent à une certaine confiance en eux, nécessaire pour oser s’engager dans l’inconnu de l’apprendre.” Mais ses interventions consistent aussi à interpeller certains élèves qui paraissent impliqués différemment dans l’action et avec lesquels il lui est possible d’“amorcer” ce que l’on nommera le lien “conceptuel” avec la séance de langage en classe. Elle repère cet élève qui semble “bricoler, tâtonner dans le rythme désordonné de sa respiration” et semble vouloir “faire autrement”. L’enseignante s’en approche et lui dit : “Vas-y continue ta propulsion, expire plus fort encore, prends le temps de souffler dans l’eau, augmente l’amplitude de tes bras.” Ces interventions empathiques sont brèves et soutenues par ces mots du savoir. L’enseignante précise : “Avec les mots, on va parvenir à revenir en classe sur cet instant, revenir sur ce savoir respirer en crawl, tout en s’appuyant alors sur ce que l’élève a pu ressentir, sur ce qu’il a pu penser à ce moment, et cela en évacuant toute idée d’erreur.” Tout au long de ces épreuves dans l’eau, des cas analogues apparaissent et sont repris de la même façon avec ce même objectif. C’est ce vécu commun qui sert à créer du lien entre la piscine et la classe, qui prolonge l’activité constructive, et qui devient une force traduite en un objet d’étude, un objet de savoirs. Cette manière d’enseigner qui considère différemment ce que savent faire les élèves nous plaît. Évidemment,

sur le parcours certains s’imposent une fréquence élevée des mouvements de bras avec peu d’amplitude, se déplacent parfois les épaules hors de l’eau, d’autres ne se servent pas de l’appui comme prolongement du corps, arrêtent la propulsion pour respirer ou s’essuyer les yeux, d’autres encore respirent hors de l’eau, ont des cycles de bras peu nombreux, ne parviennent pas à maintenir la conservation de la glisse avec l’introduction de la propulsion des bras et la respiration… Il s’agit finalement d’examiner ce qu’ils sont en train de faire au cours de l’épreuve, de tenter d’en extraire des mobiles et de parier sur ces formes de situations et les productions. Celles-ci deviennent le support pour les accompagner dans les apprentissages. L’enjeu consiste à considérer autrement “l’erreur”, à réfuter cette conception de l’évaluation en creux des élèves, comme le disait Jean-Pierre Astolfi, et à évacuer ces idées de prérequis, pour au contraire proposer ces conditions de mise en “activité”. De retour en classe, l’enseignante invite les élèves à se remettre en groupes, les mêmes qu’à la piscine, et à sortir leurs cahiers. Dans les cahiers on trouve des textes mais aussi des phrases, des listes de mots et des dessins. Ça fonctionne plutôt mieux au fil du temps. L’enseignante avoue que les élèves semblent y trouver de l’intérêt, depuis qu’ils ont compris qu’ils écrivaient pour eux seuls, depuis qu’ils ont progressivement perçu qu’il y avait quelque chose qui se passait lorsqu’ils se prêtaient à cet exercice. Ces écrits de type réflexif transforment en fait leur rapport à la pratique de la natation tout autant qu’à l’écrit lui-même. Ces élèves se prennent au jeu d’autant plus qu’ils ont effectivement des choses à dire de ces épreuves qui finalement constituent réellement le point de départ de cette pensée qui s’installe. Dès lors que les expériences déterminées par ces formes de situations “baignent” les élèves dans les champs conceptuels définis par Gérard Vergnaud, alors les apprentissages laissent place aux compétences et aux savoirs, de concert avec les erreurs. » Enseignant au lycée La Salle de Troyes, Jacky Richardot, lui, a une manière originale de combattre la peur ou plutôt d’intégrer la peur dans la normalité d’un apprentissage de façon paradoxale, ce qui est

une façon de la relativiser. « Avec cette classe de première pro, le premier cours est agité, la classe est bruyante, dissipée, le silence est compliqué à avoir et l’ambiance est trop dilettante, les consignes ne sont pas écoutées et comprise, l’EPS c’est la récréation. Tous ces indices ne me laissent rien présager de bon pour la gestion de la sécurité au cours de la séance. Les erreurs liées à la sécurité peuvent “se payer cash” en escalade. Faire vivre les conséquences de leurs erreurs aux élèves est un bon moyen de les rendre plus conscients des réalités. Évidemment, je sécurise les situations mais de l’extérieur cela peut paraître impressionnant. Je prends le parti de traiter le mal par le mal. Par exemple pour la mise en place du baudrier, je laisse les élèves serrer fortement tout le dispositif de sécurité. Évidemment, lorsque l’élève grimpe tout va bien mais à la redescente, lorsqu’on rajoute le poids de corps, la compression des cuisses est douloureuse. Là, les élèves viennent demander conseil et je leur rappelle les consignes du début de cours. Un élève qui n’a pas peur est un élève dangereux pour lui et les autres en escalade, il y en a toujours dans ce type de classe. La classique situation de chute est impressionnante et sert à la fois le grimpeur et l’assureur. Elle consiste à faire grimper l’élève tout en haut de la voie. Arrivé en haut, l’assureur donne un bon mètre de “mou” à la corde. Le grimpeur doit ensuite faire un grand pas en arrière dans le vide pour enclencher la chute. C’est souvent à ce moment-là que le grimpeur se préoccupe subitement de la sécurité… La discussion entre le duo assureur-grimpeur se fait plus précise, exigeante et soutenue. “T’es prêt ? T’es sûr ? T’assures bien hein ! Le prof est à côté ? Il a vérifié que tu es capable ?” Le grimpeur hésite à se lancer d’un seul coup dans le vide, le silence se fait dans la salle, l’ambiance est tendue, toute la classe a les yeux écarquillés… Parfois, c’est là que les “stars” deviennent moins certaines de leur supériorité vis-à-vis des règles de sécurité.

J’assiste régulièrement à “je n’y arrive pas”, où l’élève s’assoit, désescalade pour chuter de 50 cm. Pour ceux qui ont le courage de se lancer dans le vide, c’est un choc physique et psychologique. Un corps lancé à grande vitesse engendre beaucoup d’énergie, qu’un arrêt brutal rend impressionnante. Un cri de soulagement et de peur retentit dans la salle pour marquer le saut et sa fin, à la fois pour les acteurs de la situation mais aussi dans l’assistance. Ce genre de situation contribue à modifier la perception des jeunes à l’encontre de la sécurité et de ses enjeux pour eux et autrui. »

Vertus du théâtre Les activités d’expression, comme le théâtre, sont des espaces privilégiés pour travailler les émotions. Que de beaux souvenirs de travail avec les élèves dans des ateliers d’expression dramatique avec l’aide ou pas d’un comédien : par exemple, le trac avant la représentation, le « mal au ventre » parce qu’on a peur de se tromper, d’avoir un trou, cela fait aussi partie du jeu, mais c’est du jeu justement ! Je me souviens aussi de ces élèves si difficiles en classe bien souvent, acceptant de répéter et répéter encore leur rôle et acceptant les remarques, les suggestions pour faire mieux, chose qu’ils refusaient en cours dans de nombreux cas. Charlotte Sannier, chargée de cours à l’université Laval à Québec, a enseigné le théâtre en milieu associatif et scolaire en France. Elle livre son expérience. « Comment apprendre, lorsqu’il s’agit de corps, de voix ? Quand ce qu’on cherche à acquérir est aux frontières du cognitif et du ressenti ? Toutes ces questions m’accompagnaient la première fois que, jeune enseignante de théâtre, je me suis trouvée devant un groupe d’élèves que j’accompagnais depuis les premiers balbutiements théâtraux de septembre jusqu’à la représentation finale, au début de l’été. Après de nombreux tâtonnements, probablement quelques erreurs

de ma part et beaucoup d’expérimentation, la seule conclusion qui me semblait plausible a été la suivante : je pouvais enseigner et accompagner de mon mieux, mais il fallait aussi que je me mette en retrait. La seule façon pour mes élèves d’expérimenter vraiment ce que je voulais les amener à comprendre, c’était de les laisser se tromper. On m’avait pourtant souvent répété à l’école, et pendant des années, que se tromper était négatif, généralement sanctionné par un mauvais résultat ou une remarque. C’est une expérience parfois difficile que de changer ses représentations à ce sujet, et pourtant, une fois l’idée acceptée, j’ai découvert en l’erreur un support pédagogique particulièrement intéressant. Dès lors, elle a fait partie de chacune de nos rencontres. Si l’on prend en exemple la répétition d’une scène pour la représentation finale, pendant laquelle un comédien doit jouer une émotion particulièrement intense pour lui, mais dans laquelle il doit toutefois être très précis techniquement : les semaines précédentes, nous avons beaucoup travaillé cette technique. J’ai donné des consignes, mais, également, je lui ai permis d’expérimenter le souffle, la voix. Toutefois, il y a des choses que je ne peux pas lui expliquer : son ressenti dont il peut se servir, l’émotion qu’il ressent, la sensation de l’air dans ses poumons, le son de sa propre voix à ses oreilles. Cela, il faudra qu’il l’expérimente… et qu’il se trompe, parfois. Il est d’ailleurs intéressant de constater que souvent, dans la représentation finale, subsistent des éléments que l’on avait d’abord considérés comme des erreurs, puis que l’on a intégrés au travail. Parfois, par rapport aux consignes du formateur, le comédien réalise quelque chose de tout à fait différent. Était-ce une erreur ? Pourtant, le résultat est parfois si intéressant qu’on l’inclut dans le projet. Sous cette forme ou sous une autre forme, qu’importe : l’erreur devient moteur de création. Et dans tous les cas, elle a amorcé un apprentissage : apprentissage de la technique à acquérir, grâce aux retours du formateur et des autres membres du groupe et l’essai-

erreur qui s’est ensuivi, mais aussi apprentissage sur soi, de ses capacités… ou tout simplement du fait que ça ne fonctionnait pas. Ce n’était pas la bonne voie, et on ne la réempruntera pas à l’avenir. Ce n’est pas grave. La clé dans la formation théâtrale est celle de l’essai-erreur couplé au dispositif collectif. C’est probablement vrai dans de nombreuses disciplines, mais en théâtre, elle a le mérite d’être visible systématiquement. Si je réalise des exercices seule sur une feuille, le processus d’essai-erreur est bien réel : si je me trompe, je recommence et j’élimine cette voie-là comme une voie possible. Or, dans un cours de théâtre, l’erreur est visible. Elle est accessible à tous, et devient un moteur de réflexion commune. Car une autre particularité du cours de théâtre est que l’erreur profite aux autres. Puisqu’elle est visible, puis explicitée et discutée, elle est une piste aussi pour ceux qui la regardent. Elle leur permet de savoir qu’une voie est moins profitable qu’une autre pour le projet commun. Même s’ils auront à l’expérimenter pour pouvoir, à leur tour, s’inclure dans la dynamique. Car l’un des dispositifs particuliers du cours de théâtre est celui de la place du groupe réuni autour d’un projet commun et qui accompagne l’apprenant dans sa conscientisation. En théâtre, on discute beaucoup : le comédien exprime son ressenti, ses difficultés, le groupe spectateur explique ce qu’il a reçu depuis la salle, et le formateur donne des pistes pour poursuivre le travail. Au théâtre, le triangle didactique élève-enseignant-matière se complexifie, car on y ajoute les individualités de chacun au sein du groupe, on ajoute l’émotion, le vécu. Au cours de mes années de pratique, j’ai réalisé que cette erreur au vu et au su de tous n’est pas facile à accepter, ni pour les élèves, ni pour l’enseignant. Pour les élèves, c’est accepter de se tromper et devoir déconstruire ce qu’ils ont souvent appris sur l’erreur, et la considérer comme une étape normale de leur apprentissage. Cela demande donc au formateur d’instaurer un climat bienveillant et confiant d’accueil de l’erreur, et si cela est vrai dans tous les contextes d’apprentissage, cela l’est d’autant plus lorsque ses

élèves sont en situation de vulnérabilité. Or, la vulnérabilité est en exergue lorsque l’on travaille sur le corps, les émotions, l’identité du comédien qui s’explore lui-même en travaillant un personnage. Dédramatiser l’erreur, l’accepter, mais également l’utiliser pédagogiquement, c’est l’occasion pour l’enseignant d’accompagner ses élèves dans leur apprentissage et le développement de leur métacognition, mais aussi dans leur développement en tant qu’individus. » On peut ajouter qu’au théâtre il existe bien souvent des façons très différentes d’exprimer telle émotion, de dire telle ou telle réplique. On peut analyser ensemble les manières de faire : toutes ne se valent pas, certaines sont des manifestations non pertinentes, mais d’autres nous ouvrent de nouveaux horizons, comme ces mises en scène originales de pièces classiques qui nous font voir un personnage sous un autre angle.

Erreurs dans les comportements Nous évoquons la plupart du temps dans ce livre les erreurs sur le plan cognitif, quitte à ce qu’on prenne en compte les interactions avec le domaine affectif et émotionnel. Mais elles peuvent aussi concerner le domaine propre au comportement scolaire. Patricia Mothes, professeure des écoles à Toulouse et formatrice en ESPE, nous montre comment considérer certaines « fautes de comportement » comme des « erreurs » dues à une mauvaise gestion des émotions et impulsions peut conduire à de fructueuses réparations. Cela ne fonctionne pas toujours mais ça vaut le coup d’essayer, non ? « Une grande partie du travail quotidien de la classe, lorsque l’on est enseignant, consiste, au-delà de la mise en place d’un milieu d’apprentissage didactique riche, à (tenter de) gérer les conflits inhérents à la présence d’une grande quantité d’enfants dans un espace restreint. Ces processus de régulation de la vie quotidienne

sont plus ou moins étayés par des référentiels censés être communs à tous. Malgré tout, l’arbitrage reste généralement de la responsabilité de l’adulte, dont le processus décisionnel organise à la fois son “déjà-là” d’individu, les contraintes spécifiques du milieu et du contexte dans lequel s’est exprimé le problème, et son expérience d’élève et d’enseignant. Pris dans cet ensemble de tensions, l’adulte qui est amené à régler un conflit entre enfants ou une transgression de la règle est chargé de construire une solution dans laquelle toutes les parties seront considérées dans leur individualité, où la “victime” obtiendra une réparation suffisante, tout en permettant à “l’agresseur” de ne pas se construire sur cette seule identité de fautif. La tentation est souvent grande de considérer que le problème est réglé lorsque l’on a puni l’un et consolé l’autre. Prenons l’exemple de Mathis, élève de CM1. Lors de la récréation du lundi précédent, un autre enfant, Peter, est venu se plaindre à l’adulte de service : Mathis lui aurait volé son vaisseau de Lego apporté de la maison, puis le lui aurait cassé. Mathis nie toute implication dans l’histoire. Personne d’autre n’a vu le vaisseau. L’adulte a préféré ne pas trancher, et reporter le règlement de la question au prochain conseil de classe. Lors de la discussion de conseil, Peter est invité à raconter sa version de l’histoire. Puis vient le tour de Mathis. Celui-ci reste sur ses positions et dément toute implication. Le groupe pose son impuissance à trancher, puisque le problème n’a eu aucun témoin, bien que les parents de Peter aient entre-temps confirmé la présence à l’école du jouet. Il semble évident, compte tenu de la tournure des débats et de l’attitude des deux enfants, que l’histoire est conforme aux propos de Peter. Punir Mathis en appliquant le règlement de l’établissement pourrait dans un premier temps sembler juste. Dans ce cas précis, l’adulte choisit de faire comme si la solution n’était pas évidente, et de considérer Mathis comme un élève en cours d’apprentissage social, et qui a fait une erreur. Comme tout enseignant, il cherche donc d’abord à comprendre d’où vient l’erreur, quels sont les processus qui ont présidé à l’attitude de

Mathis, et ce, en discutant avec lui. Le dialogue reprend sur ces présupposés : l’interrogation n’est plus “Est-ce que tu as cassé le jouet ?”, mais “Qu’est-ce que tu as ressenti ou à quoi as-tu pensé quand tu as pris le jouet ?” Cette interrogation est assortie d’un apport de connaissances sur les émotions, la façon dont elles agissent sur notre organisation interne, la façon dont elles nous débordent quelquefois “[…] parce que quelquefois, quand on a très envie de quelque chose, même si on sait que ce n’est pas bien, on est un peu… on essaie mais on ne peut pas s’empêcher de prendre l’objet…” Une porte est ouverte, qui permet à Mathis de décrire les émotions qui l’ont submergé, plutôt que de faire son mea culpa. Son acte devient alors, comme un oubli de retenue en mathématiques, une occasion de créer du savoir commun pour tous et toutes, et de construire des stratégies plus efficaces à l’avenir, “[…] du coup, la question, c’est plutôt comment on peut faire pour éviter de blesser l’autre dans ces moments-là, comment on peut faire pour se contrôler, ou comment on fait si on n’y arrive pas”. À cette occasion, Mathis a pu dire sa jalousie face au jouet convoité, sa frustration de ne pas en être le possesseur, sa colère lorsque Peter a refusé de le lui prêter. Cette entrée dans le débat a aussi permis à Peter de reconnaître qu’il avait utilisé le jouet pour “titiller” Mathis et lui prouver qu’il n’était pas le seul à avoir de beaux jouets, “[…] parce qu’il fait toujours le beau avec ses trucs, là… parce que son père il est riche, il dit toujours”. D’une situation agresseur-victime, voilà le groupe confronté à une situation dans laquelle deux enfants se sont retrouvés embarqués dans une relation improductive qui les a blessés tous les deux. Ce repositionnement symbolique permet d’ouvrir des pistes de résolution et de construire ensemble une solution qui permette à chacun d’être “réparé” : en l’occurrence, il a été demandé à Mathis d’aider Peter à reconstruire le vaisseau, en remplaçant les pièces cassées par des Lego “de sa maison”, et il a été demandé à Peter de passer plusieurs récréations avec Mathis. Au-delà de la réparation du vaisseau, cette solution permet non

seulement de reconnaître une responsabilité inégale mais partagée, mais aussi de marquer symboliquement devant le groupe que la transgression, fût-elle délibérée et blessante pour l’autre, participe de l’apprentissage social de l’individu, et à ce titre doit être construite comme une étape positive et non comme un poids de plus à porter. » Une expérimentation devenue « culte » « On étudie ici la capacité à résister à une récompense immédiate pour obtenir une gratification différée plus importante. Dans la fameuse expérience du marshmallow, on installe des enfants devant une friandise en leur expliquant que s’ils ne l’ont pas mangée quand l’adulte reviendra dans la pièce ils en auront une deuxième. Dès 4 ans, des enfants sont en mesure de résister un quart d’heure à la tentation. Le suivi des sujets ayant participé à cette expérimentation de Walter Mischel en 1972 à Stanford montre que ceux qui avaient réussi à résister à la tentation ont mieux réussi leurs études, leur vie professionnelle, ils sont en meilleure santé physique et mentale, ont une meilleure qualité de vie, plus de bien-être et de meilleures aptitudes socioémotionnelles, et sont moins dépendants aux substances psychoactives. D’autres études ont depuis confirmé que les capacités d’autorégulation mesurées entre 4 et 11 ans seraient plus déterminantes que l’origine sociale ou le quotient intellectuel pour la réussite académique et professionnelle future. » Nicole Bouin, enseignante, formatrice et auteure de Enseigner : apports des sciences cognitives, Canopé, 2018.

Apprendre à gérer ses émotions, à ne pas se laisser aller à l’impulsivité, doit être un objectif pour les élèves, et là aussi les accompagner est indispensable. S’agit-il toujours d’« erreurs » ? Cette notion ne doit pas être un fourre-tout. Il faudrait sans doute distinguer dans le cas de comportements déviants ce qui relève d’une volonté de ne pas se conformer aux codes scolaires et ce qui finalement vient d’une mauvaise compréhension de ces codes. On sait bien que de nombreux élèves ont du mal à en intégrer certains. Cela va du jeune Asiatique soumis à des codes culturels qui veulent qu’on ne regarde pas dans les yeux les adultes et qui, donc, peut paraître impoli, au jeune dit « de banlieue » employant maladroitement des mots inadéquats sans qu’il s’en rende compte. En revanche, la croyance selon laquelle il suffirait d’apprendre ces

codes pour résoudre les problèmes de comportements est bien naïve. Cela part de l’idée que l’instruction est une réponse suffisante, qu’on retrouve dans l’emblématique « respecter autrui » que brandit le ministre comme un des fondamentaux de l’école. Bien entendu, les enseignants expliquent aux élèves les règles à suivre, mais quand ceux-ci ne les suivent pas, il ne s’agit pas plus d’erreurs que le fait de brûler un feu rouge viendrait d’une mauvaise connaissance du code de la route. On doit donc aussi faire un tri entre ce qui relève du malentendu et le reste, et cela doit être débattu en classe, à travers des études de cas. Un des moyens est de s’interroger à chaque fois sur la perception de la « victime » du comportement. L’idée étant aussi de dépasser le simple « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse », qui est un minimum pour aller vers « ne fais pas à autrui ce qu’autrui n’a pas envie que tu fasses »37. Voilà bien une erreur fâcheuse que de confondre les deux… En bref On souligne aujourd’hui l’importance de développer chez les élèves des compétences psychosociales, et donc la capacité à gérer ses émotions : surmonter sa peur, utiliser le stress comme source d’énergie et non de paralysie. Dans des activités mettant en jeu le corporel, les élèves apprennent à prendre des risques et à considérer autrement l’erreur. Les comportements négatifs des élèves peuvent venir d’« erreurs de codage culturel », mais le plus souvent ils impliquent un travail de fond dans lequel on peut intégrer un travail sur l’erreur. 36. Voir chapitre sur les apports des sciences cognitives. 37. Dans la fable, le Renard qui invite la Cigogne lui présente volontairement les plats selon sa convenance (une assiette et non un vase qui convient mieux au bec de cette dernière). Il fait à autrui ce qu’il voudrait que celui-ci fasse, mais ne se met pas vraiment à la place d’autrui (ici par méchante ruse, qui lui vaudra la pareille).

8. Erreurs et langues française et étrangères Surmonter les difficultés grâce à des pratiques diversifiées et actives On pourrait consacrer un ou plusieurs ouvrages autour du traitement des erreurs en français dans toutes ses dimensions et en langues vivantes. Nous nous contenterons ici seulement de quelques pistes qui peuvent largement inspirer d’autres disciplines, qu’il s’agisse de l’orthographe, de la lecture, de l’écriture ou de la maîtrise de l’oral, si importante dans les langues vivantes.

L’orthographe C’est évidemment un terrain quasi explosif. Chacun a son avis pour savoir comment faire éviter les « fautes ». La dictée est mise en avant par les habituels experts du café du commerce, en oubliant qu’il s’agit là d’un exercice de contrôle et non d’apprentissage, qui met en jeu un aspect très particulier de l’orthographe, celui de l’écriture à partir d’un message oral (de celui qui dicte). Néanmoins, on peut le transformer en une activité stimulante et efficace si on remplit certaines conditions, et si par exemple on met l’accent sur la relecture, comme le propose ici Bénédicte Dubois, formatrice à Lille en éducation inclusive :

« La dictée est un exercice devenu tellement habituel qu’on oublie parfois (et même souvent) qu’elle est une tâche très difficile, parce qu’elle nécessite la mobilisation d’habiletés cognitives et exécutives très coûteuses. Avant d’envisager comment l’enseignant peut accompagner l’élève à sa relecture, il est important de se pencher sur tout ce qu’elle mobilise. La dictée demande à l’élève une très forte capacité à contrôler son attention, car il doit à la fois écouter l’enseignant qui dicte les phrases dans l’intention de les écrire le plus fidèlement possible, tout en faisant appel à ses connaissances orthographiques. Et cette attention exécutive doit être maintenue jusqu’au bout, occultant les sources de distractions externes et internes si fréquentes, par exemple les bruits de la classe, de la cour, mais aussi des ressentis comme la faim ou la fatigue, des pensées, et autres images mentales. Écrire sous la dictée demande en outre une capacité à inhiber, à résister aux habitudes ou réponses automatisées, parfois inadaptées au contexte. Par exemple la phrase “je vais vous apporter” nécessite d’inhiber le réflexe de mettre “ez” après “vous” pour aller chercher le sujet “je” plus éloigné. Dit autrement, exercer l’inhibition, c’est réfléchir avant d’agir, ici sur un délai très court, et s’autosurveiller pour éviter les “pièges”. Mais l’inhibition ainsi décrite ne suffit pas. Elle doit pouvoir s’accompagner d’une capacité à être flexible, c’est-à-dire savoir s’adapter aux situations en utilisant un “plan B” et une tolérance au changement lors de l’identification d’une réponse non appropriée. Considérée comme un système dynamique consistant à traiter une information tout en la retenant sur un temps très court, la mémoire de travail est également très sollicitée au cours de la dictée. En effet, la phrase entendue doit être maintenue en mémoire quelques secondes, faisant appel aux connaissances phonologiques, sémantiques et lexicales de l’élève, son attention exécutive, et de surcroît, la mobilisation d’habiletés de traitement sériel.

Enfin, n’oublions pas l’impact des émotions, qui peuvent freiner les élèves, surtout quand ils ont des difficultés de lecture et d’écriture, liées ou pas à un trouble spécifique. Dans le cas de la dyslexie par exemple, on sait que la mémoire de travail est souvent déficitaire et que l’effort d’écriture entraîne une fatigabilité générant stress, sentiment d’inefficacité et, donc, une démobilisation pour cet exercice si redouté (“de toute façon, je suis nul(le) en dictée…”). Alors comment accompagner la touche finale de cet exercice, qui consiste à “relire sa dictée pour corriger ses fautes”, sachant qu’elle a déjà engendré fatigue, stress et tension ? En tout état de cause, l’injonction “relire sa dictée” lancée à la cantonade est contre-productive parce qu’elle entraîne l’élève dans un mode multitâche, au cours duquel il s’éparpille parce que l’attention ne peut être partout à la fois. En revanche, entraîner les élèves à se fixer des intentions claires et concrètes assorties de micro-objectifs38 s’avère bien plus efficace. En alternant des vérifications faciles (pensez d’abord à vérifier les majuscules) avec des plus difficiles (vérifiez tous les accords des verbes avec leurs groupes nominaux) permet d’alléger la charge cognitive des élèves et, de façon plus subtile, de prendre conscience des niveaux d’attention qu’ils peuvent mobiliser au cours d’une tâche.

Pour les élèves fragiles, on pourra alléger cette relecture en posant sur la table, au fur et à mesure, des “cartes de vérification” assorties de rappels. » Il existe bien d’autres activités pour permettre aux élèves de comprendre leurs erreurs, de les classer, de les hiérarchiser. S’il est nécessaire de recourir à la mémorisation et à l’automatisation, les activités plus réflexives sont absolument capitales et payantes sur le long terme. Certains se sont gaussés des « ateliers de négociation graphique », le terme n’est sans doute pas heureux et prête le flanc à ceux qui se moquent des « jargons », mais il s’agit de moments collectifs de discussion très stimulants. Céline Canard, professeure des écoles dans l’académie de Besançon, nous en explique le fonctionnement dans ses classes. « Ce dispositif consiste à amener l’élève à intervenir de manière réflexive sur sa propre erreur et à se corriger seul, en passant par des étapes collaboratives intermédiaires. L’utilisation d’un code permet de catégoriser l’erreur, et d’habituer les élèves à le faire. C’est un cadre et un repère structurant utile aux élèves pour se corriger d’une part. Il permet à l’élève de repérer ses erreurs récurrentes pour y remédier d’autre part. Les ateliers de négociation39 peuvent être mis en place dans une classe ou en interclasse dans une école, ou encore avec des classes francophones par échanges de mails ou via Twitter. Les étapes sont les suivantes : résolution individuelle du problème ; répartition des élèves en groupes de trois ou quatre ; comparaison des réponses et proposition d’une réponse de groupe (comparaison et justification des démarches, négociation) ; mise en commun des productions de groupes, et validation des réponses correctes en groupe classe ;

réception de la production d’un autre groupe afin d’identifier les erreurs grâce au “code erreurs” ; restitution au groupe d’origine qui se corrige ; retour de chacun à sa production initiale, et correction individuelle à la lumière des apports du travail précédent. Pour que le dispositif fonctionne, les élèves doivent connaître les règles de la négociation (tout le monde donne son avis, il n’y a pas de leader, on décide ensemble de la réponse du groupe) et voir l’erreur comme un objet d’étude à identifier et comprendre, pour entrer dans l’apprentissage. Le code erreurs doit être étudié en amont, et mis à disposition. Retour sur expérience : le moment des ateliers est un moment privilégié pour les élèves et l’enseignant, dont la posture “d’observation” est très utile pour identifier les aptitudes et lacunes de chacun. Les élèves apprécient de confronter leurs avis et saisissent l’intérêt d’échanger sur un même sujet. La “chasse à l’erreur” pendant la phase de catégorisation est ludique, et lui donne un statut pédagogique, dédramatisé, favorable à l’implication des élèves. De plus, la collaboration permet aux élèves en difficulté de ne plus se sentir seuls, de bénéficier des échanges entre élèves. Lorsqu’il y a un échange interclasse, la motivation est accrue par le fait d’être lu par des élèves d’autres régions, ou pays francophones. Transmettre sa production implique qu’il faut mettre les démarches en évidence pour que les élèves de la classe partenaire puissent identifier la nature des erreurs (éventuelles). Le fait d’être familier au traitement de l’erreur et aux typologies apporte une réflexion différente aux élèves, qui sont plus attentifs dans les moments de recherche.

Les ateliers de négociation pour mieux traiter l’erreur de manière individuelle et collective sont possibles dans tous les cycles, et déclinables à d’autres matières. » Tous les documents utiles et les explications détaillées sont sur le site « ProblemaTwitt » : https ://sites.google.com/view/problematwitt/accueil D’autres moyens existent pour travailler les erreurs d’orthographe, qui donc oscillent entre des entraînements visant des automatismes à terme et des moments réflexifs permettant de comprendre à quoi sert l’orthographe, sa part d’arbitraire et sa part de logique. On peut aussi, pour prendre du recul, au collège ou au lycée, aller voir du côté de l’histoire, et l’on découvrira qu’il n’y a pas eu cet âge d’or qu’on nous évoque ad nauseam, sans pour autant banaliser les vrais problèmes d’aujourd’hui. À l’occasion d’un projet autour du bicentenaire de la naissance de J.-J. Rousseau, j’ai ainsi pu dénicher cette extraordinaire lettre de son épouse après sa mort, que nos élèves les plus dysorthographiques ont du mal à égaler. Citons cet extrait bien difficile à comprendre, suivi de sa « traduction » : « Genores pu pances que monsieur den girarden ores difame la famé deu gan gaque vous diteuque vous lemes cete onetomeu e moi geu leu dires touteu ma vi que sanes pa. » (Je n’aurais pu penser que M. de Girardin aurait diffamé la femme de Jean-Jacques ; vous dites que vous l’aimez, cet honnête homme, et moi, je dirai toute ma vie que ce n’est pas le cas.) Cela permet aussi de montrer combien une orthographe défaillante peut rendre difficile le travail du lecteur : on n’écrit pas pour soimême et il y a une tension de fait entre l’intérêt du scripteur et celui du lecteur. Faire comprendre que l’orthographe remplit une fonction unificatrice et répond à des besoins de partage des écrits, c’est aussi la désacraliser et éviter cette angoisse de « faire des fautes »

ou la désinvolture comme réponse à l’incompétence, premier pas vers un travail de fond, progressif et raisonné, loin du « je suis bon ou pas bon en orthographe » ! On peut aussi lancer des enquêtes, en interrogeant des parents, d’autres enseignants sur leurs rapports à l’orthographe. Pour autant, le travail orthographique reste important, et d’ailleurs il peut accompagner l’apprentissage de la lecture, comme l’ont montré de nombreux chercheurs. La dédramatisation de l’erreur ne doit nullement déboucher sur une complaisance ni un manque de vigilance qui mène à des messages sur les réseaux sociaux truffés d’erreurs, que d’ailleurs le recours à un logiciel de correction permettrait de limiter ; il y a un respect minimal du lecteur à assurer, qui manque singulièrement à certains qui veulent pourtant donner parfois des leçons de morale ! C’est bien pour cela qu’il faut développer la compétence à savoir se relire et se corriger, à repérer ses erreurs les plus fréquentes et à se fixer des objectifs raisonnables de progrès. Se servir du correcteur orthographique Le correcteur est bien utile pour écrire sur ordinateur, mais ce n’est pas un outil miracle. L’utiliser à bon escient demande un certain apprentissage préalable, ce qui est proposé ici comme première étape avant de travailler sur ses propres textes. Un élève a recopié le début d’une fable d’Ésope en faisant beaucoup d’erreurs. Première partie - Regardez d’abord les erreurs soulignées en rouge (ici caractères gras) par le correcteur d’orthographe : On pert souvant son bien quand ont cherche a prendre celui d’autruis. Un chien portais un morçeau de viande en traverssant une riviere à la nage, quand il vis son image dans le mirroir des eau. Y a-t-il des erreurs que vous pouvez corriger ? Faites-le sous le mot. Sinon, regardez ce que vous propose le correcteur pour chaque erreur et choisissez en entourant : pert : per / perte / par / prêt souvant : souvent / souvint / soudant / sauvant autruis : autrui morçeau : morceaux / moreau / morceau traverssant : traversant

riviere : rivières / rivière / riviera mirroir : miroirs / miroir / Mirror Conclusion : quel type d’erreurs est ici souligné ? [il s’agit des erreurs lexicales] Deuxième partie – Regardez maintenant les erreurs soulignées par le correcteur d’orthographe : On perd souvent son bien quand ont cherche a prendre celui d’autrui. Un chien portais un morceau de viande en traversant une rivière à la Nage, quand il vis son image dans le miroir des eau. Y a-t-il des erreurs que vous pouvez corriger ? Faites-le sous le mot. Sinon, regardez ce que vous propose le correcteur pour chaque erreur et choisissez en entourant : ont : on / eut a:à portais : portaient / portai / portait Nage : nages / nage vis : vint / vins / vit eau : eux / eaux Conclusion : il s’agit d’erreurs de type grammatical. C’est un point de départ vers un apprentissage de cet outil, plus ou moins perfectionné d’ailleurs selon les traitements de texte et logiciels.

Je ne comprends rien à ce texte ! Les enquêtes PISA révèlent les difficultés des élèves français en lecture, dès lors que le texte demande à être interprété, dès lors qu’il contient de l’implicite et « résiste » à une lecture superficielle. C’est pourquoi il est regrettable que soit mis l’accent aussi massivement et unilatéralement sur la non-maîtrise du code par les élèves dans leurs premiers apprentissages en mettant au second plan les problèmes de compréhension. Nul ne niera aujourd’hui, sauf une petite minorité qui reste prisonnière d’une conception idéovisuelle de la lecture qui est remise en cause de façon consensuelle par les chercheurs, l’importance de travailler les correspondances entre lettres et sons (plus précisément graphies et phonies) afin de parvenir à une automatisation qui ensuite permet de s’occuper davantage du sens de l’écrit et de ses subtilités. On peut renforcer ce travail là où il est insuffisant, en comprenant d’où viennent les

erreurs des élèves. Les polémiques continuent sur ces questions, déstabilisant les enseignants de l’école primaire alors même qu’une conférence de consensus avait montré l’absurdité d’opposer travail sur le code et travail sur le sens. Il y a plus de dix ans, le chercheur Jean-Émile Gombert écrivait : « S’il est pertinent d’insister sur la nécessité de l’enseignement systématique des correspondances graphophonologiques dès le début du CP, les enseignants pouvant choisir les modalités de cet enseignement, il convient tout autant de proscrire une démarche de type B.A.BA strict, inadéquate pour susciter et développer chez les élèves l’envie de lire et d’écrire. L’application stricte d’une telle démarche serait d’autant plus dommageable si de surcroît elle dispensait de tout travail sur le vocabulaire, la syntaxe, le texte… donc sur le sens40. » Une fois cela précisé, nous voudrions insister sur les activités où il s’agit d’aider les élèves à comprendre pourquoi ils ne comprennent pas toujours ou pourquoi ils peuvent faire de sérieuses erreurs de compréhension. Et cela passe par un vrai enseignement de la compréhension, qui exige diverses compétences : savoir créer des images mentales, savoir reformuler avec ses propres mots, savoir « lire entre les lignes », savoir anticiper, commencer à « deviner » la suite d’une narration, mais savoir aussi revenir en arrière pour, par exemple, remettre en cause son interprétation première… Il faut en fait combattre les représentations fausses que se font beaucoup d’élèves de la lecture, ce que nous résumons dans le tableau suivant. Les représentations des élèves

Progrès à faire

Nous savons « lire »

Il n’y a pas une, mais de nombreuses compétences en lecture. On ne lit pas tous les textes de la même façon. L’erreur peut venir de la non-prise en compte de ce fait. Et il y a des lectures-survols de type informatif qui s’opposent aux lectures approfondies où le moindre mot peut avoir son importance.

Un texte se lit du début à la fin

Le « paratexte » est à prendre en compte avant, pendant et après la lecture.Les textes non narratifs ne sont pas forcément à lire de

manière linéaire. On me demande de chercher un renseignement dans un texte : il y est ou il n’y est pas.

Ce renseignement peut être à construire par des regroupements d’informations et des inférences.

Il y a des mots dont je ne connais pas le sens, je ne peux comprendre le texte.

Dans les textes informatifs ou explicatifs, il y a souvent des reformulations qui permettent de comprendre le mot. Dans les textes narratifs, on peut se servir du contexte.

Donnons quelques exemples d’un tel travail. En cycle 3, les élèves doivent repérer les personnages d’un récit. Certains ne vont pas comprendre que dans un texte de J. O. Curwood, extrait de Kazan et évoquant une scène du Grand Nord, l’élan qui combat les loups est le même personnage que celui qui est désigné métaphoriquement par « le monstre ». Un mot peut induire tout à fait autre chose dès lors qu’il n’est pas employé au sens propre. Dans un travail en sixième, les élèves sont confrontés à de petits textes et doivent indiquer dans quelle situation on est, imaginer la scène dans son contexte. Or, un mot peut les induire en erreur dans ces microrécits. Ainsi : « Un peu impressionné, un bâton dans chaque main, Pierrick attendait que le moniteur lui donne le signal du départ » où le mot « bâton » peut faire penser à une bagarre et non au témoin qu’on se passe en relais d’athlétisme (il faut y penser, et déjà connaître cet objet). Autre exemple : « D’un coup de baguette magistral, Hector fit taire les cuivres et les bois. Seules les cordes continuèrent à jouer. » On demande le métier d’Hector : le mot « baguette » suggère chez certains lecteurs trop rapides de répondre « magicien ». Dans d’autres petits textes, on demande d’interpréter, de déduire de l’agencement du texte ce qui s’est passé et qui n’est pas dit (ce qu’on appelle une ellipse, et qui est un constituant de base de tout

récit écrit ou cinématographique). Cela peut être très simple ou plus sophistiqué selon le niveau des élèves et leur degré d’entraînement. Déjà, sont-ils capables de répondre à la question « que s’est-il passé ? » dans un texte tel que : « Dans le salon, c’était la catastrophe : le plafond était taché. Il y avait une grosse flaque sur le parquet et le canapé était transformé en éponge géante » pour aller vers des extraits de romans bien plus complexes, une activité consistant à rédiger ce qui a bien pu advenir entre deux chapitres dans une durée qui peut atteindre plusieurs années. Remarquons bien le lien entre lecture et écriture sur lequel nous reviendrons plus loin. Notons aussi l’importance de demander une justification orale ou écrite aux élèves. Car une bonne réponse à une question peut être juste et révéler en fait une incompréhension du genre de travail qui était demandé, et qui renvoyait à un type de lecture spécifique. Ainsi, cet élève à qui on demande qui est le narrateur de tel microrécit (homme ou femme ?) et qui répond juste mais à l’aide de raisonnements faisant appel à des références culturelles alors qu’il suffit de regarder l’accord du participe passé avec le verbe « être », ce qui demande une lecture axée sur la syntaxe et non sur le sens. Pour tester cela, on imagine un narrateur s’appelant Dominique qui fait la vaisselle et change les couches, et qui est un père de famille, ce qui va là induire en erreur ceux qui sont formatés au découpage encore bien vivace des rôles dans les couples. Un des moyens privilégiés pour faire prendre conscience des erreurs d’interprétation qu’on peut commettre, c’est l’étude de textes « à énigme » ou « trompeurs ». L’auteur met le lecteur sur de fausses pistes et, au fond, celui-ci découvre le plaisir de s’être trompé et d’avoir été dupé. Mais cela permet, par exemple en cachant la fin, de faire faire des hypothèses aux élèves, de leur faire remarquer qu’ils n’ont pas été attentifs à certains détails qui auraient pu les troubler. C’est d’ailleurs le principe du roman policier à énigme. Mais quand les élèves lisent certains textes de jeunesse, comme la délicieuse nouvelle de Robert Boudet Cœur de lion41, où on apprend

seulement à la fin (et encore, ce n’est pas dit de façon clairement explicite) que le narrateur n’est pas un preux chevalier mais un mulot (des indices pourtant auraient pu mettre la puce à l’oreille du lecteur) ou encore les récits de Bernard Friot42 (tel celui où le jeune enfant écrit une lettre depuis soi-disant… la planète Mars – en fait dans sa chambre, après une dispute avec ses parents). Et pour les plus grands, il existe mille exemples d’écrits où se trouvent des surprises qui contredisent ce que l’on croyait jusque-là. L’erreur qu’on a commise, et qui est ici « normale », est un levier pour analyser plus profondément ce qu’est l’implicite, le double sens. Certains craignent que soit rompu un climat de confiance, puisque le texte semble nous « tromper ». Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un jeu stimulant, qui de plus doit s’inscrire dans un climat bienveillant, condition pour que le « délicieux piège » soit ressenti comme source de plaisir, ce plaisir qu’a le lecteur d’être manipulé par l’auteur dans bien des romans. Chasse aux erreurs dans la fiction Toute œuvre fictionnelle, écrite, dessinée ou cinématographique, repose sur un « pacte de lecture » pour reprendre la belle expression d’Umberto Eco. C’est à l’aune de ce pacte qu’on peut juger si l’auteur a commis de vraies erreurs ou si sa déformation de la vérité ou du vraisemblable est acceptable, et même désirable, pour le plus grand plaisir du récepteur. C’est une très intéressante opportunité de travail avec des élèves, car on entre au cœur même de ce qui est en jeu dans la fiction. Il n’y a pas erreur, entorse à la vérité, dans un conte, un récit fantastique, lorsque apparaissent des personnages extraordinaires, et l’explication de leur présence n’a pas lieu d’être. Une licorne, un dragon, un loup-garou, des transformations magiques, tout cela fait partie de la « normalité ». Il y a erreur par contre lorsqu’une explication, fût-elle fantaisiste, mais ayant une allure scientifique, manque dès lors qu’il s’agit de science-fiction. La meilleure façon d’analyser ces contraintes narratives est de faire écrire des récits par les élèves. La fusée dans un conte de fées est inappropriée, comme le sont d’ailleurs des détails trop précis pour décrire une belle princesse (son âge exact, sa taille…). Bien sûr, il existe des parodies, des interprétations modernes qui violent ces lois, mais elles n’ont d’intérêt que si les codes de base sont maîtrisés et c’est une erreur pédagogique, pour le coup, de travailler trop tôt des contes parodiques quand on ne maîtrise pas la structure traditionnelle. Sur la question de la vraisemblance, il est aussi stimulant d’en discuter avec les élèves. Dans un roman d’aventures, beaucoup d’événements sont acceptables, s’ils s’inscrivent dans la logique globale. Ce n’est pas pour rien qu’on les qualifie parfois de « rocambolesques » en faisant allusion à un célèbre roman-feuilleton. Cependant, il

convient de conserver la cohérence. Dans une scène des Aventuriers de l’arche perdue, Indiana Jones se sort d’une situation difficile où il aurait dû périr sans qu’on sache ce qui lui a permis de se sauver : là il y a erreur du narrateur. Et dénicher des erreurs, à partir de critères précis, peut être une activité très riche à mener en classe. Cela peut concerner des détails qui d’ailleurs montrent à quel point ils peuvent échapper à l’auteur et même aux lecteurs qui n’y font pas attention. Le savoureux Pierre Bayart dans des ouvrages tels que La vérité sur le chien de Baskerville ou La vraie histoire des dix petits nègres démonte les incohérences laissées par des auteurs aussi talentueux que Conan Doyle ou Agatha Christie, allant jusqu’à proposer une autre résolution des énigmes contenues dans ces romans. Il existe de même des sites où des internautes dénichent des incohérences dans des films, de plus ou moins grande importance. Tout cela aiguise le regard et permet de réfléchir à ce qu’est la cohérence narrative, aux différents genres littéraires… On admet bien que des personnages de comédies classiques s’expriment en vers, qu’on s’arrête pour chanter dans une comédie musicale, mais ne sont pas davantage « réalistes » des dialogues qu’on peut trouver chez Zola ou Balzac. Les mineurs de Germinal ne parlent pas, loin de là, comme le faisaient les vrais travailleurs de l’époque. Mais il n’y a pas là d’« erreur », il s’agit de conventions, plus fortes au théâtre que dans un roman ou un film. Un autre intérêt est la désacralisation de l’auteur. Celle-ci humanise en fait l’œuvre, la rend moins intimidante, la rapproche des élèves, contrairement à ceux qui confondent culte et culture. Oui, Maupassant écrivait vite ses nouvelles et pouvait d’une page à l’autre d’Aux champs se tromper sur le nombre d’enfants des familles concernées. Oui, des erreurs historiques remplissent nombre de romans, de Hugo à Dumas, cela n’enlève rien à leur puissance. Le tout est de ne pas confondre un roman et un ouvrage documentaire, ce qu’on a parfois tendance à faire.

Diversifier les modes de lecture Exerçons donc les élèves à combiner des lectures qu’on pourrait qualifier d’extensives, de repérage, des lectures rapides, parfois de survol, qui sont indispensables et demandent bien sûr une maîtrise du code bien assurée et des lectures « intensives », minutieuses, où l’on est à l’affût du « petit détail qui change tout ». Les évaluations diagnostiques, quand elles sont bien faites, permettent de repérer : un petit nombre d’élèves qui échouent lors d’épreuves « faciles » où n’est en jeu qu’une lecture superficielle du texte, une recherche d’informations explicite, soit par insuffisante

maîtrise du code, ou trop grande lenteur et accaparement des ressources cognitives par ce qui relève du « déchiffrement », soit par des défaillances dans la mémoire à court terme (on ne parvient pas à garder en mémoire une phrase un peu longue, par exemple) ; des élèves bien plus nombreux qui échouent à décrypter l’implicite, qui ne font pas de bonnes inférences, ne savent pas interpréter un texte, ou établir des liens entre le texte et leur expérience sociale ou culturelle. L’enquête internationale PIRLS notait en 2016 : « Les enseignants français sont moins nombreux que leurs collègues européens à déclarer proposer à leurs élèves de manière hebdomadaire des activités susceptibles de développer leurs stratégies et leurs compétences en compréhension de l’écrit. » Ainsi, « 41 % des élèves français sont sollicités au moins une fois par semaine pour “comparer ce que les élèves ont lu à des faits qu’ils ont vécu”, contre 82 % des autres élèves européens. » L’enquête relevait que c’est lorsqu’il s’agit d’interpréter ou d’apprécier que les élèves français décrochent, alors qu’ils se débrouillent bien dans le repérage et le prélèvement d’informations. Confronter les élèves à des situations de lecture raisonnablement complexes, les amener à discuter entre eux sur des textes, à faire des hypothèses, et à entremêler oral, écrit et lecture, voilà sans doute les voies à emprunter pour exercer la vigilance, permettre des lectures plus rigoureuses et contrer les erreurs d’interprétation ou les blocages devant l’écrit. Pratiquer aussi pour cela fréquemment l’écriture.

À l’écrit, je suis nul ! On s’émeut beaucoup de l’orthographe des élèves, mais il est plus inquiétant que ceux-ci ne sachent pas rédiger un texte clair, cohérent, compréhensible par tous. Le Conseil national de

l’évaluation scolaire notait dans un rapport en 2018 que les élèves français écrivaient trop peu – alors qu’ils « copient » beaucoup, et alors que c’est en écrivant qu’on apprend à écrire… La peur des erreurs là encore inhibe, comme le soulignait déjà dans les années 1930 Célestin Freinet qui prônait le texte libre. Ce qui paraît essentiel, c’est que les élèves osent écrire, en sachant que leur premier jet ne sera qu’un essai et qu’ils auront l’occasion de revenir dessus, d’améliorer leur texte. Dans ses stimulantes recommandations, le Cnesco suggère que : « Afin de faire progresser les élèves dans leurs productions d’écrits, l’enseignant accompagne de manière positive leurs essais, et ne se limite pas à une correction normative. Ainsi, l’enseignant peut s’intéresser aux ratures des élèves, aux signes visibles de leur travail sur la langue et/ou aux signes visibles de leur recherche d’expression personnelle par la langue. » Cela doit se pratiquer à tous les niveaux de l’enseignement : écrire ne doit pas se concevoir sans la notion de « réécrire » ni sans celle de « révision du texte », ciblée selon qu’elle vise plutôt la forme ou plutôt le sens. Des activités de groupes sont aussi à recommander ou des séances en binôme où chaque élève « commente » la copie d’un camarade, et réciproquement, et pointe là où le texte peut être amélioré. Un exemple de travail autour du brouillon et de l’amélioration de texte nous est proposé par Sandra Cadiou. Cette enseignante, chercheure associée à l’université Toulouse-Jean-Jaurès, a observé dans le cadre d’une recherche une classe de français de première bac pro agricole, menée par l’enseignante Viviane, durant une séquence d’écriture. Elle montre l’importance du brouillon, de la réécriture à travers errances et trouvailles. « Lire, c’est suivre l’éclat du tracé noir et sûr du texte dans la pureté immaculée de la feuille blanche. Mais en deçà se cache un travail, fait d’erreurs et d’errances, qui a noirci d’autres feuilles. Car ce qui nous est donné à voir est rarement un coup de maître, le jet parfait et définitif de l’écriture. C’est bien souvent le fruit d’un palimpseste

de textes qui forment un cheminement. Dans cette perspective, l’erreur est un moyen capital pour apprendre à écrire, notamment grâce aux brouillons. Enseignante de français en classe de première bac pro agricole, Viviane mène une séquence d’écriture de la nouvelle à chute qui donne une large place au brouillon, véritable levier pédagogique. Le scénario pédagogique est assez traditionnel : elle commence par l’étude du genre de la nouvelle à chute, à travers trois textes, occasion de revenir notamment sur la surprise finale : la chute, et le système de double lecture : la fin dévoile le deuxième et véritable sens de la nouvelle. Ensuite Viviane laisse six autres heures pour l’écriture individuelle de la nouvelle. Soleil43, une élève, a un projet en tête : raconter une dispute conjugale, et la chute consisterait à découvrir que ce sont en fait deux comédiens en train de jouer sur scène. Viviane ne se positionne pas comme une enseignante supposée tout savoir, plutôt comme personne-ressource, ce qui ne signifie pas pour autant que son avis est accessoire. Elle lit le travail de chacun des élèves au moins une fois pour valider ou pas le projet en cours. Elle craint que Soleil ne parvienne pas à soutenir cette double lecture : “C’est compliqué ça […] qu’on reconnaisse la pièce nous aussi.” C’est quoi l’écriture pour Viviane ? “Je pense que c’est l’acte de poser des idées de manière déstructurée dans un premier temps puis de les classer, de les ‘arranger’ et de prendre le temps de les relire. Revenir sur un écrit me semble très important, constructif, étonnant parfois.” Soleil va persister dans ce projet, cherchant des textes de théâtre à intégrer dans sa nouvelle “parce que je trouve que c’est quelque chose qui met vraiment quelqu’un dans le trouble… On dirait qu’il y a

une dispute mais on ne sait pas forcément avec qui… enfin je ne sais pas”. La difficulté grandit durant la troisième heure : “Je sais pas quoi faire (elle souffle) ça m’énerve.” Là, elle mesure que cette voie est sans issue. Il faut rebrousser chemin, mais cette “erreur” est une étape. Il y a une langueur productive, un bénéfice de cet après-coup après le saisissement de l’écriture : “Je leur dis d’attendre un petit moment le temps que le cerveau se repose un petit peu”, explique Viviane. Soleil songe à un autre projet : “J’avais peut-être pensé, mais c’était pareil, une dispute de couple mais en fait c’était le père et la fille.” Cette étape constituera un entre-deux vers son projet définitif : raconter l’histoire d’un amoureux qui voit sa fiancée partir vers un autre homme “familier”, et la chute permettra de comprendre qu’il s’agit en fait du doudou oublié par une fillette en rejoignant son papa. Le motif originel de la dispute s’est lentement transformé. En fait, le mystère de la création, c’est la boîte noire de l’écriture, aussi de l’esprit de l’élève : “Ça c’est… euh, je sais pas trop, moi, comment ils se dépatouillent… euh, je sais pas comment ils reçoivent ce que je leur dis […] et comment ils y arrivent… je sais pas ça, moi […] mais on y arrive”, fait Viviane. Finalement, enseigner, c’est soutenir les élèves dans la prise de risque de l’écriture et les réassurer : “C’est assez intime pour eux… c’est pour ça que c’est dur aussi, je pense, pour eux d’écrire”, estime-t-elle. Et Soleil expliquera un an plus tard : “Peut-être que j’ai fait ça… parce que je m’en souviens, une fois, heu… j’avais été chez ma nounou… et j’avais oublié mon doudou chez ma nounou… et, heu, je m’étais assise dans mon lit et impossible de me faire dormir […] du coup mon père… il était sorti du travail super tard, il est allé chez ma nounou… prendre mon doudou.” Entre triturages et ratages, les brouillons permettent à l’élève d’aborder un nouveau couple père-fille réinvestissant des éléments

personnels profonds, et ce faisant permettent au texte d’exister. Finalement apprendre à écrire, c’est apprendre à se tromper. » Comment aider à améliorer l’écrit Sur sept ou huit séances. 1. Prise de conscience des particularités de l’oral Quelques volontaires racontent une anecdote personnelle, qu’on enregistre. Question : Faisons-nous des « phrases » à l’oral ? Les réponses permettent de pointer les spécificités de l’oral par rapport à l’écrit, en particulier l’avancée de l’oral par énoncés mis bout à bout, sans « phrases » construites. Je transcris rapidement les trois premières phrases « brutes » d’un de ces récits, sans ponctuation. Et je donne comme consigne : avec ces quelques lignes, faites du vrai « écrit » : une, deux ou trois phrases clairement organisées. Dans un premier temps, le résultat n’est pas bon : les « phrases » qu’ils ont écrites claquent à l’oral, avec juste quelques ponctuations. Le lundi suivant, je leur fais remarquer cet inconvénient et leur donne une consigne plus contraignante : pas de « je » (passer au récit à la troisième personne), pas de verbe « être », mais il s’agit toujours de transcrire l’anecdote racontée. Le résultat est meilleur ; pour terminer le texte, je propose alors un défi : condenser les trois lignes transcrites de l’oral en une phrase écrite la plus courte possible. Des propositions très intéressantes sont faites. 2. Des phrases dans un texte Je leur ai proposé un rapide tour de table que j’ai enregistré ; il s’agissait de dire ce qu’ils penseraient si on obligeait tous les élèves à rester au collège faire leurs devoirs de 16 à 18 heures pour qu’ils n’aient plus rien à faire chez eux. Je leur donne la transcription des opinions successives (pour et contre) enregistrées au magnétophone. Consigne : avec ces énoncés, rédigez un petit texte pour le journal du collège. Un élève a proposé d’écrire cela sous forme de dialogue entre deux élèves et j’ai imprudemment accepté : à nouveau les énoncés produits sont de l’oral juste mis par écrit. La semaine suivante, je leur explique mon « erreur » et son résultat. Je leur propose un petit document en pour/contre comme modèle et nous regardons comment commencent les phrases. À nouveau je leur donne une consigne plus contraignante : rédiger un petit texte en pour/contre, toujours à partir des opinions enregistrées au magnétophone, mais sans avoir droit à « je » (ni « nous », ni « on »). Imiter autant que possible des structures de phrases du texte donné. Cette fois le résultat est meilleur, bien qu’il faille revenir sur l’interdiction du « je », qui réapparaît sans cesse. Bien sûr, il faut répéter plusieurs fois dans l’année des activités de ce type pour pouvoir produire un écrit qui ne soit pas calqué sur l’oral.

Florence Castincaud, professeure de collège en éducation prioritaire (Nogent-sur-Oise).

Une nouvelle conception des langues vivantes L’enseignement des langues a bien évolué dans nos établissements, même s’il y a encore beaucoup à faire pour que les petits français sachent se débrouiller, en particulier en anglais, lors d’un voyage à l’étranger ou en lisant des textes sur Internet. Le Cadre européen des langues a été un déclencheur de pratiques nouvelles, où l’on recherche davantage la communication et l’expression de soi plutôt que la possession d’une langue académique, celle-ci d’ailleurs étant facilitée justement par une appropriation basique… Dans un dossier consacré à la mise en œuvre de ce CECRL44, Nathalie Perez-Wachowiak, inspectrice pédagogique d’espagnol, notait ceci sur la place nouvelle de l’erreur, considérée plus que jamais comme une étape : « Le CECRL nous indique que le natif n’est désormais plus le référent, et inclut dans ses descripteurs les degrés de maîtrise à attendre pour chaque niveau. A2 – CORRECTION : “… commet encore systématiquement des erreurs élémentaires.” B2 : “ne fait pas de fautes conduisant à des malentendus et peut le plus souvent les corriger”. Voilà qui nous invite à accepter la phrase juste plutôt que de chercher, sans plus de distinction du contexte d’énonciation, la phrase parfaite. Pour autant faut-il accepter les erreurs ? Ne plus corriger ? Mille fois non ! Il s’agit d’une tâche bien plus complexe et bien plus motivante : le professeur doit désormais résoudre l’équation entre justesse et exactitude, il doit savoir hiérarchiser la correction des erreurs pendant le cours : que corriger ? comment ? à qui ? pourquoi maintenant ? Il lui faut inlassablement interroger le contexte d’apprentissage pour évaluer la pertinence de sa correction. Le mieux est l’ennemi du bien : soucieux de lui transmettre une langue parfaite, le professeur souligne souvent chez

son élève la faute commise (“C’est pour ton bien”), avant de valider l’idée qu’elle supporte et au nom de laquelle l’élève a levé la main pour parler. Combien d’élèves après deux ou trois corrections grammaticales pourtant bienveillantes renoncent à produire leur phrase. “Vas-y, reprends ta phrase ? – Euh… je sais plus ce que je voulais dire…” Comment s’exprimer (s’exposer ?), énoncer devant les autres une opinion personnelle, si l’on sait (imagine ? craint ?) par avance que l’on va nous couper la parole pour nous corriger ? Si l’erreur est inhérente à l’apprentissage, alors affirmons que la prise de risque est indispensable aux progrès en langue et ne donnons pas l’impression de la stigmatiser. » Dans un récent rapport pour le ministère sur l’enseignement des langues en France sous-titré « Oser dire le nouveau monde » et rédigé par l’inspectrice Chantal Maness et le savoureux journaliste Alex Taylor, l’attitude négative et hypercorrective qui règne encore dans notre pays, surtout comparé à d’autres, est fustigée. Le rapport cite par exemple ce conseiller pédagogique : « J’ai assisté à des cours d’anglais de mes professeurs-stagiaires qui, avec beaucoup de bonnes intentions, ne se focalisaient que sur la perfection lexicale, grammaticale et phonologique de leurs élèves. Ces stagiaires interrompaient constamment la parole de leurs élèves pour les corriger et je voyais sur le visage de ces derniers un réel découragement. » Mais comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on lit encore cette remarque : « Lorsque nous avons fait part de nos doutes quant à l’adéquation du système purement mathématique de notation sur 20 dans le cadre spécifique des langues, un haut responsable académique a rétorqué que ce système a toute sa validité parce qu’il encourage l’élève à “viser la perfection et la justesse dans l’expression”. À force de viser quelque chose de plus ou moins inexistant, auquel même les autochtones ne sauraient prétendre, cet outil pénalise non seulement l’apprentissage naturel mais, plus grave encore, enraie considérablement la joie de parler une langue. » Des efforts à poursuivre, donc ! Enseignante en lycée à Nantes, Soizic Guérin apporte son

témoignage : « L’erreur en langues étrangères est fréquente. Systématique en cours d’apprentissage. Tout est nouveau, tout est complexe et il est souvent difficile pour les élèves de se défaire de leur langue maternelle pour passer dans un système qui n’est pas symétrique. La difficulté réside aussi dans le fait que l’objectif d’apprentissage est aussi le moyen : pour savoir parler anglais, il faut parler anglais. Et donc tâtonner, se tromper. L’erreur agit malheureusement comme une sorte d’épouvantail qui renvoie souvent les élèves vers le mutisme (“Bah je ne veux pas parler, je ne suis pas sûr de ne pas me tromper”) et les enseignants dans des limbes de perplexité (“Mais je leur ai dit cent fois qu’il y avait un S à la troisième personne !”). J’ai décidé il y a quelque temps d’en faire notre alliée à tous. C’est arrivé peu à peu, par quelques aménagements dans mes pratiques : faire en sorte, c’est un préalable incontournable, que le climat soit serein : je suis bien plus terrible sur les moqueries ou soupirs d’agacement que sur les erreurs ; leur faire raconter leurs débuts à vélo, ou à ski, ou à la piscine. Je ne suis pas sportive mais j’utilise beaucoup de métaphores sportives. “Avez-vous de suite réussi à nager d’un bout à l’autre de la piscine ? Avec style et dignité ? Si vous êtes comme moi, sans doute pas (leur dire que moi aussi je me suis beaucoup trompée et ai beaucoup bu la tasse). Avons-nous décidé d’arrêter de nager ? Non.” ; rappeler qu’ils ne sont pas ce qu’ils font. On se trompe, on n’est pas nul. J’utilise leurs idoles (ou les miennes) : “I never lose, I either win or learn” (Nelson Mandela) ou cette affiche sur le mur de ma salle qui cite Michael Jordan : “I failed over and over again. And this is why I succeed.” ; j’utilise ces citations comme une devise quand ils essayent une structure, un mot, et se trompent : “Merci Élodie ! Grâce à toi et à cette erreur, on va tous pouvoir apprendre” ou “Ah, ce devoir

n’est pas très réussi en effet, tu n’as pas compris le document. Eh bien ça nous donne de bonnes indications pour progresser” ; l’humour est aussi une arme qu’on peut tous utiliser, s’il est juste et si on l’accepte aussi pour soi : oups, c’est drôle ce jeu de mots (j’ai un jour dit “préservatif” au lieu de “superlatif” !) et cette prononciation qui change le sens – un classique problème sur le mot “beach” (la plage) ; et puis surtout je laisse le temps aux élèves de se tromper et de s’autocorriger : leurs textes sont rédigés sur l’espace numérique de travail ou sur un document en ligne, je signale les types d’erreurs en commentaire (conjugaison, lexique, syntaxe, orthographe ainsi que développement) et donne un délai pour la correction. Pour les élèves plus en difficulté, je‐ rappelle la règle en commentaire (“adjectives are invariable” / “with ago, use the simple past”). Ils savent qu’à telle date ce sera la version évaluée de leur production. L’erreur n’est donc pas sanctionnée au premier jet, ce qui permet la prise de risque, et les progrès. L’erreur est le meilleur moyen de progresser en langue étrangère, parce qu’elle signale une tentative d’expression et qu’elle me permet de cibler les aides. Alors trompons-nous ! » En bref Ne pas se polariser sur les erreurs d’orthographe n’empêche pas une pratique diversifiée pour les éviter, soit en faisant acquérir des automatismes, soit en ciblant les difficultés et en faisant réfléchir, souvent collectivement, les élèves sur les causes d’erreurs et les moyens de faire face. En lecture, les erreurs de compréhension et d’interprétation sont souvent un lourd handicap pour ceux qui en restent à l’explicite. Il faut donc mener un important travail sur la compréhension, en s’aidant parfois de « textes à énigme ». L’écriture est en interaction constante avec la lecture. Corriger les erreurs, améliorer sa rédaction passe par un meilleur usage du brouillon et des écrits intermédiaires. En langues vivantes, il faut encourager la prise de risques et travailler sur les erreurs des élèves davantage en aval qu’en amont, donc inciter à « oser » : oser parler, oser écrire, oser se tromper…

38. Programme d’éducation à l’attention ATOLE, ATtentif à l’écOLE, séquence 6- équipe ATOLE dirigée par Jean-Philippe Lachaux, Inserm Lyon. 39. Il n’est pas sûr que le terme « négociation » soit bien choisi. On pourrait préférer « discussion », « débat », car il ne s’agit pas ici de « négocier » ; on donne trop d’armes à ceux qui caricaturent ce genre de dispositif dans lequel les élèves voteraient à la majorité pour décider quelle est la bonne graphie. 40. http://www.cahiers-pedagogiques.com/Polemiques-autour-de-la-lecture-des-chercheursrepondent-aux-Cahiers 41. Que l’on trouve dans l’excellent recueil Bonnes nouvelles (Bertrand Lacoste, 2011). 42. Histoires pressées (plusieurs volumes en collection « Poche »). 43. Pseudonyme choisi par l’élève. 44. Hors-série des Cahiers pédagogiques, « Enseigner les langues dans le cadre européen » no 18, avril 2010.

9. En maths, je me trompe, car je n’y comprends rien ! Pour mieux comprendre les maths, comprendre pourquoi on peut se tromper Si des problèmes sérieux existent dans notre pays concernant le rapport à l’écrit, cela semble bien plus grave à propos des mathématiques où l’on observe un recul très net des résultats des élèves. Pourtant, là encore, le travail sur le cheminement de chacun, entre essais et erreurs, pourrait être décisif pour « remonter la pente », dès les petites classes. L’interdisciplinarité peut aussi être un moyen précieux pour faire prendre du recul sur leurs erreurs par les élèves. Dans le rapport remis au ministère corédigé par Cédric Villani en 201845 concernant l’enseignement des mathématiques, il est noté l’importance de changer la relation à l’erreur pour améliorer la situation : « La confiance réciproque doit s’instaurer entre le professeur et l’élève, elle permet à ce dernier de prendre le risque de se tromper. Le temps est un facteur clé dans les apprentissages mathématiques : l’élève doit avoir le temps d’essayer, d’éventuellement se tromper, d’analyser son erreur, d’essayer à nouveau. Le professeur doit aider l’élève à identifier son erreur, à la comprendre afin qu’elle devienne constitutive de son apprentissage. Tel un mathématicien dans son travail de recherche, l’élève ne doit

pas craindre l’erreur, la plus grande de toutes serait de le priver de cette expérience. »

Dès les premiers apprentissages Dès le cours préparatoire se joue une représentation du travail mathématique qui influera sur la suite. Ainsi, la maîtrise du calcul mental semble être très prédictive de la réussite ultérieure dans la matière, selon deux chercheurs, Bruno Suchaut et Sophie Morlaix46. D’où l’importance d’entraîner les élèves très tôt à le pratiquer sans tension, sereinement, comme le fait Véronique Charreyron, professeure des écoles : « En début de CE2 je mets en place des exercices de calcul mental/devinette, comme celui-ci : “Trouvez-moi un nombre compris entre 100 et 200 et dont le chiffre des dizaines est 5.” Seuls ceux qui ont une réponse juste ont levé leur ardoise. Je questionne alors les autres afin de connaître la raison de leur non-réponse. L’explication est identique pour tous : “Je n’étais pas sûr”, “j’avais peur de faire faux”, “je ne voulais pas me tromper”… À réception de ces dires, j’essaie de tout de suite rectifier le tir en leur disant qu’ils sont ici pour apprendre et donc se tromper. Je leur répète que chacun de leurs camarades sera là pour comprendre avec eux leurs erreurs, les expliquer. J’insiste sur le fait que les élèves feront des erreurs à différents moments, et que, là où certains font des erreurs en français, d’autres en feront en mathématiques, et du coup, le groupe classe est là afin de produire des explications pour la communauté. Les élèves arrivent donc assez rapidement au cheminement suivant : “N’aie pas peur d’essayer et de te tromper”, “comprends ton erreur”, “ne reproduis plus la même erreur car tu sais l’éviter maintenant”. Petit à petit, lors de ces exercices de calcul mental, de plus en plus d’ardoises se lèvent. Des erreurs sont décelées, sans honte de la part de ceux qui les font et sans moquerie de la part des autres. “Qui peut aider Emma ?” “Qui sait pourquoi elle s’est trompée ?” Au fil des commentaires des uns et des autres, nous arrivons à l’explication de l’erreur. L’élève dit s’il a compris ou pas, et

à l’issue des discussions est ravi. Les explications peuvent être : “Tu n’as pas respecté l’intervalle demandé entre 100 et 200, car tu as mis 250, sinon tu aurais eu juste, car tu as bien mis 5 dans les dizaines” ou “tu as confondu dizaine et unité, car tu as mis 105”… Les autres explications peuvent être le manque de temps, le manque d’attention et d’écoute… Ce leitmotiv du “trompez-vous” aide les élèves les plus timides à sauter le pas et à avoir petit à petit confiance en eux. Ils s’autorisent désormais des essais. Certains disent même en étant surpris de leur progrès : “Avant j’écrivais que quand j’étais sûr et maintenant je note mon idée même si je n’en suis pas sûr.” Cette acceptation de l’erreur fait qu’ensuite, en classe, lors d’interrogations ou questions, les élèves disent, se disent : “On a le droit de se tromper, donc on peut faire”, comme si ce droit à l’erreur libérait leur cerveau et leur permettait d’écrire et de répondre. Une vraie bouffée d’oxygène en somme ! L’important ensuite est de toujours questionner l’erreur. Un autre exemple, sur un problème mathématique : “Mathilde a 3 sacs, elle met 5 billes dans chaque sac. Combien de billes y a-t-il en tout ?” L’élève a fait le bon schéma (a dessiné 3 sacs et des billes dedans), la bonne opération (3 x 5), et pourtant le résultat n’est pas bon (12). L’élève ne comprend pas jusqu’à ce que je lui montre que dans ses sacs, au lieu des 5 billes indiquées, il n’en a mis que 4 ! Il a compté les billes dans ses sacs et est arrivé à 12 (normal du coup). Je peux donc lui montrer que tout son raisonnement est parfait. Simplement il doit bien faire attention à se relire et à vérifier qu’il utilise les bonnes données. Mais il a quand même été félicité et encouragé, donc il ne prend pas cela comme un échec. Même problème, autre erreur : celui qui aura bien fait le schéma avec les bonnes données, qui aura écrit la bonne opération (3 x 5), mais qui trouve 12. En lui demandant le résultat de (3 x 5), il nous répond 12. À ce moment-là, je lui montre que l’erreur est due au fait qu’il ne maîtrise pas assez sa table de 3. Il comprend alors qu’en apprenant comme il faut ses tables il évitera ce type d’erreurs à l’avenir. Au fur et à mesure, on parvient à se moquer des erreurs “bêtes”, d’étourderie. Les élèves ont leur petit sourire qui veut dire : “Ah mince, pas assez concentré !” Les élèves sont rapidement capables de catégoriser les erreurs. On voit alors apparaître des

autocorrections à la suite des relectures, avant de lever l’ardoise : “Attendez, je me suis trompé, je me corrige” ou “j’avais faux mais j’ai vu mon erreur et j’ai changé”. La posture de l’élève change du tout au tout. Cela passe par sa participation en classe, ses propositions, son investissement, son épanouissement. L’élève qui, au bout de trois mois, réussit à lever son ardoise avec une réponse écrite sera obligatoirement félicité, car il se sera détaché de la situation anxiogène dans laquelle il se trouvait. Bien sûr, très rapidement, il faut veiller à expliquer correctement les erreurs afin de pouvoir petit à petit les réduire. Car si l’erreur est importante pour apprendre, reproduire systématiquement la même erreur ne l’est pas ! Toujours avoir un regard sur tous les élèves et toutes leurs erreurs. Il y a l’élève qui ne se trompe jamais… jusqu’au jour où… L’élève qui se trompe mais se corrige tout seul, l’élève qui se trompe et qui ne comprend pas son erreur (celui-ci doit avoir l’aide de ses camarades et/ou de son enseignant pour trouver, nommer et intégrer l’erreur), l’élève qui fait toujours la même erreur (celui-ci devra avoir un accompagnement particulier de son enseignant)… Chacune des erreurs montre en tout cas que les élèves sont dans les apprentissages, agissent, essaient, manipulent… » La narration de recherches Marie-Claire Lacombe, enseignante et membre de l’IREM Montpellier, définit ainsi ce qu’elle appelle « narration de recherche47 » : « L’exposé détaillé, écrit par l’élève luimême, de la suite des activités qu’il met en œuvre lors de la recherche des solutions d’un problème de mathématiques. »

Elle montre l’intérêt de ce travail pour redonner confiance aux élèves en difficulté qui osent exprimer leurs tâtonnements, leurs errances, pour montrer à la classe qu’il existe parfois plusieurs stratégies, certaines étant cependant plus coûteuses, d’autres plus économiques. Un exemple : « Dans ce devoir, tout en cherchant, essaie de raconter avec le plus de précision possible comment tu as résolu ce problème. Explique toutes tes idées, les remarques que tu as pu faire, les observations qui t’ont fait changer de méthode, ou qui t’ont fait avancer dans ta recherche. » Exemple : Dans ma tirelire, il y a 32 pièces de monnaie. Il n’y a que des pièces de 2 et 5 cts. Avec ces 32 pièces, j’ai 97 cts. Combien ai-je de pièces de 2 cts et de 5 cts ? Explique comment tu as fait pour résoudre le problème. (exemple de CM2)

Sylvie Grau, professeure de mathématiques en lycée à Nantes et formatrice à l’ESPE, propose d’aider les élèves à se « débarrasser » de certaines erreurs importantes. « En mathématiques, les savoirs sont abordés progressivement, les élèves découvrent progressivement des notions dans des contextes singuliers qui se complexifient et se généralisent par la suite, or cette évolution demande de réinterroger ce qui a été appris pour bien en comprendre la limite de validité. Prenons l’exemple de la multiplication. Elle est découverte au primaire à partir de l’addition réitérée des entiers naturels, les élèves vont alors s’entraîner et automatiser des opérations mentales. Si la multiplication des décimaux ne permet plus de transformer l’opération en une addition réitérée, un changement d’unité permet de retrouver les règles apprises, ce qui renforce encore la représentation. (En effet, 2,3 × 0,7 peut être considéré comme 23+23+23+23+23+23+23 centièmes.) Ainsi, lorsqu’il s’agira de calculer a × b les élèves auront tendance à se représenter b comme un entier. La représentation mentale est donc un segment. Pourtant b n’est peut-être pas un nombre entier. Changer de paradigme est absolument nécessaire pour envisager la

multiplication non plus comme une opération interne mais comme un produit cartésien. C’est-à-dire qu’il faut maintenant se représenter le produit a × b par un rectangle, a et b en sont les longueurs des côtés mais le produit est une nouvelle grandeur, son aire. Le mode de représentation va jouer sur la manière dont les élèves vont ensuite aborder le calcul algébrique puis le calcul infinitésimal. Dans tous les domaines des mathématiques, des habitudes ancrées sont tenaces et peuvent devenir des obstacles à l’apprentissage. Il s’agit donc de débusquer ces représentations, souvent correctes dans des contextes relativement simples, pour que chaque élève puisse compléter son répertoire intitulé « les erreurs dont il faut que je me débarrasse » dans son cahier de mathématiques. La difficulté est souvent de les identifier car elles peuvent être ancrées depuis très longtemps dans la mémoire. Pour cela, je passe par des entretiens qui doivent amener l’élève à remonter jusqu’au moment où ce savoir a été rencontré pour la première fois. En refaisant le chemin à l’envers, l’élève revient aux premiers souvenirs attachés à cette connaissance et il s’agit de repartir de là pour construire de nouveaux embranchements. Il suffit souvent d’expliciter pourquoi cette connaissance était correcte à ce stade de l’apprentissage et ce qui a évolué depuis. Oui, le premier triangle isocèle rencontré était le toit de la maison ou le chapeau de clown en maternelle, il est donc tout à fait normal que chez certains élèves, même au lycée, le triangle isocèle ne soit pas reconnu s’il n’est pas posé sur sa base. Souvent, il suffit de faire ce cheminement et de le verbaliser pour que l’élève soit déculpabilisé et plus vigilant. Il faut aider l’élève à se débarrasser de ces erreurs parce qu’elles l’enferment dans une représentation erronée et changer de représentation demande énormément d’énergie cognitive. La différence d’efficacité entre élèves se mesure aux automatismes qui permettent de gagner du temps et de l’énergie et à la flexibilité mentale, c’est-à-dire la capacité à remettre en cause justement ces évidences premières. Travailler régulièrement sur l’inhibition des automatismes permet à l’élève de gagner en autonomie dans le contrôle régulier de sa réflexion. »

Une des pistes l’interdisciplinarité.

pourrait

être

aussi

d’avoir

recours

à

Ainsi, trois enseignants, membres d’un groupe IREM (instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques) en lycée professionnel, Mélanie Lepage, Emmanuelle Lafont et François Moussavou, nous décrivent une activité mise en place en première professionnelle, comme introduction d’une séance de cours de mathématiques sur la somme de deux vecteurs du plan. « L’objectif est de remobiliser les connaissances et compétences du cours de sciences physiques de la classe de seconde professionnelle où ont été abordées les notions de forces et les équilibres à deux ou trois forces. Le contexte est le suivant : Un haltérophile soulève un haltère en exerçant une force de 1 000 newtons avec chacun de ses deux bras qui font, entre eux, un angle de 100°. La problématique : Quelle est l’intensité de la force qu’il devrait exercer s’il voulait soulever cet haltère d’un seul bras ? De très nombreux d’élèves vont instantanément répondre que l’intensité de la force recherchée sera de 2 000 newtons. L’activité est construite et dirigée pour les amener à formuler cette hypothèse. Beaucoup auront également l’intuition, même si ce n’est pas demandé dans l’énoncé de la problématique, que cette force sera dirigée verticalement et vers le haut. Voici des exemples de traces écrites du travail effectué par deux groupes : Début de travail du groupe 1 :

Travail du Groupe 2 :

Analyse et interprétations : Pour l’enseignant, la situation est la suivante : on a un cours de mathématiques de première (les vecteurs du plan) qui est en lien direct avec un cours de sciences physiques de seconde (l’étude des forces). L’articulation entre ces deux notions est naturelle, mais la progression (d’abord les forces puis les vecteurs) est imposée par la structure des programmes d’enseignement et elle est souvent vécue comme difficile à gérer. Le parti pris par cette activité est de tirer profit de cette contrainte, quitte à pousser volontairement les élèves à formuler une hypothèse erronée.

Les élèves sont en cours de mathématiques, les notions de vecteur et de caractéristiques d’un vecteur ont déjà été introduites, et le contexte qui leur est proposé est très clairement rattaché au cours de sciences physiques de l’année précédente. Deux schémas de raisonnement vont alors se dessiner dans le traitement de cette activité. Une première approche, aux erreurs de calcul près, est celle du groupe no 2, qui consiste à faire immédiatement le lien avec les connaissances de mécanique vues en classe de seconde ; l’activité a servi à créer ce pont entre deux disciplines et deux années scolaires. Les élèves vont pouvoir réinvestir les notions acquises précédemment ; en utilisant le concept de force comme représentation mentale du concept de vecteur, ils vont pouvoir opérer un transfert de leurs savoirs d’un domaine à un autre. Une seconde approche (celle du groupe no 1, la plus fréquente dans nos observations) consiste, elle, à faire partiellement abstraction de la situation proposée ; ici, la matière prime sur le contexte : on est en maths, on a des nombres, on ajoute des nombres. Pourtant, même dans ce second cas, les groupes d’élèves arrivent à formuler spontanément des hypothèses sur la direction et le sens de la force résultante ; hypothèses qu’ils n’empruntent pas au domaine numérique. Tout le travail de l’enseignant est d’inciter l’élève à questionner ses idées pour le conduire à déconstruire sa représentation fausse : la valeur de la norme de la somme de deux vecteurs, d’une part, et à conforter son intuition à propos de la direction et du sens du vecteur somme, d’autre part. On pourrait imaginer une activité analogue où l’enseignant se contenterait de présenter l’analogie entre la somme de deux vecteurs et la somme de deux forces étudiée l’année précédente. Ce choix pédagogique permettrait d’éviter aux élèves de formuler un résultat faux. Le ressort de l’activité telle qu’elle est présentée ici

tient au fait que les élèves vont avoir à prendre à leur compte la construction de cette analogie. Certains y arriveront seuls, mais pas forcément instantanément : le chemin, qui les conduira à aller chercher dans les connaissances acquises antérieurement, leur permettra de fixer ces nouveaux savoirs. Pour d’autres, le fait de formuler un résultat partiellement faux (avec une bonne intuition sur la direction et le sens de la somme et une mauvaise sur la valeur de la norme), d’en déconstruire la partie erronée tout en confortant la partie valide, induira certainement des connaissances plus robustes que ne l’aurait fait une simple présentation par l’enseignant des liens entre forces et vecteurs. Ici, donc, l’erreur est volontairement attendue par l’enseignant. L’élève qui saura l’éviter, comme celui qui la commettra puis aura à la corriger, construira un chemin le menant à la connaissance visée. » En bref Trop d’élèves se déclarent « mauvais en maths » très tôt et cela les empêche de progresser. On peut lors des premiers apprentissages les habituer à « essayer », à comprendre des erreurs inévitables dès lors qu’on s’exerce, que ce soit au niveau du calcul mental ou de la résolution de problèmes par exemple. Par la suite, un travail de « réconciliation » peut s’opérer, en particulier en s’intéressant aux démarches d’apprentissage, en repérant les sources d’erreurs fréquentes ou en ayant recours à des situations concrètes et à l’interdisciplinarité.

45. http://www.education.gouv.fr/cid126423/21-mesures-pour-l-enseignement-desmathematiques.html 46. « Apprentissage des élèves à l’école élémentaire », Notes de Iredu, mars 2007. 47. Dans le Cahiers pédagogiques no 316 (français-mathématiques).

10. Au fil des disciplines Dans chaque discipline, mais avec tant de possibles transferts d’une matière à l’autre ! Comme nous l’avons dit dès l’introduction, le travail sur l’erreur doit être transversal mais il doit aussi trouver ses formes spécifiques dans chaque discipline. Cette entrée nous paraît importante pour que chaque enseignant spécialisé dans sa matière dans le secondaire s’y retrouve pleinement. Nous venons de voir ce qu’il en était dans ce que le domaine 1 du socle commun désigne comme des « langages fondamentaux » (maths, français, langues vivantes), donnons un aperçu qui ne peut être exhaustif des autres champs de savoirs et savoir-faire : les sciences, expérimentales et humaines, les disciplines artistiques ou l’éducation physique. On trouvera de nombreux points communs, au-delà des différences.

En technologie Commençons par une matière souvent considérée comme secondaire et dont il faudrait valoriser l’image. Lorsque des enseignants de langues anciennes vantent leur enseignement comme au fond le plus noble et le plus nécessaire pour l’esprit, on aurait envie de rétorquer que celui de la technologie est pour le moins aussi formateur et ne concerne pas que des capacités

manuelles, bien sûr. C’est un domaine où d’ailleurs l’erreur est souvent visible : « Ça ne fonctionne pas. » L’objet « résiste », mais en même temps l’école est ce lieu privilégié où cela n’a pas de vraie conséquence. Lisons le compte-rendu d’une expérimentation en collège vécue par les élèves de Cyril Lascassies, enseignant dans les HautesPyrénées et formateur à l’ESPE de Toulouse : « Dans les expériences en technologie ou en sciences, est-il préférable de guider les élèves pas à pas pour obtenir le résultat attendu, ou de les laisser proposer un protocole d’expérience, avec le risque qu’ils fassent des erreurs ? Quelle place d’expérience ?

laisser

aux

erreurs

dans

le

compte-rendu

J’ai été marqué il y a quelques années par une situation-problème que je donnais à mes élèves de quatrième en technologie : “Comment mettre en mouvement une maquette de portail à l’aide de l’énergie électrique ?” Quelle ne fut pas ma surprise quand je constatai qu’un élève sur trois proposait de relier des piles directement au portail ! En effet, leur erreur est qu’ils oublient un élément pour convertir l’énergie électrique en mouvement, à savoir un moteur. Pourtant, ils possèdent cette connaissance depuis le cycle 3. Je me souviens qu’ils ont réalisé une maquette de voiture électrique où ces notions apparaissent. Seulement, deux ans plus tard, ce n’est toujours pas acquis. Pourquoi ? Mon hypothèse est qu’ils ont été guidés durant ces expériences (“relie la pile au moteur de telle manière”, etc.), sans tenir compte de leurs représentations initiales. Or, il est probable que plusieurs élèves imaginent qu’il suffit de mettre une pile dans un objet pour que celui-ci fonctionne, puisque c’est ce qu’ils observent au quotidien depuis leur plus tendre enfance. Cette conception du monde qui les entoure semble persistante malgré la leçon du professeur. Partant de ce constat, comment faire évoluer leurs

représentations initiales ? J’ai donc préféré les laisser proposer leurs idées, puis qu’ils les testent. L’avantage en science est que l’on voit concrètement si ça fonctionne ou pas. Mais, inutile alors de perdre plus de temps en leur laissant chercher longuement une solution, le besoin de l’apport théorique est là, l’enseignant peut donc apporter ses savoirs : “Ça ne fonctionnait pas… Eurêka, maintenant ça fonctionne !” Le retour sur erreur est immédiat, il semble alors plus vraisemblable que les élèves s’en souviennent à plus long terme. »

En sciences La question est donc bien de savoir que faire avec les représentations des élèves, avec ce qu’elles comportent d’erroné, mais aussi de partiellement vrai ou correspondant du moins à l’expérience commune. Bruno Urgelli, enseignant-chercheur à l’université de Lyon, nous propose sa démarche : « En début de cours de sciences, il est de tradition de demander aux élèves d’exprimer leurs représentations autour d’une problématique, avant de les engager dans une investigation méthodique, plus ou moins en lien avec les représentations initiales exprimées. Il existe un courant didactique, hérité de la pensée de Gaston Bachelard, qui estime qu’une des missions de l’enseignant de sciences est de permettre aux élèves de dépasser leurs représentations initiales, souvent considérées comme simplistes, fausses et irrationnelles, comme toute idée de sens commun. Les élèves repèrent d’ailleurs assez vite ce petit jeu didactique et ses sous-entendus. Ils comprennent que l’enseignant va les conduire à constater que leurs idées sont absurdes ou fausses par rapport à la représentation scientifique qu’ils vont élaborer en classe. Pour certains d’entre eux, la confiance en eux-mêmes en prend alors un coup, ce qui les conduira à se mettre en retrait durant ce rituel

pédagogique supposé susciter l’engagement. Malgré ce rituel, les représentations initiales des élèves, certes éloignées de la représentation scientifique, ont tendance à se maintenir au fil des années, et malgré la présence d’un enseignement scientifique qui a eu l’occasion, à plusieurs reprises, de (re)travailler à l’élaboration d’une représentation plus proche de la vision experte. Il semble donc que le travail pédagogique sur les représentations initiales ne soit pas toujours efficace. Ainsi, Marie Sauvageot-Skibine a montré que les représentations d’élèves sur la façon dont s’effectue la circulation de l’eau, de l’air et des aliments chez l’homme, le fœtus et la plante verte mettent en évidence une représentation commune, celle de la communication par tuyaux, qui peut perdurer jusque chez l’adulte, et fait obstacle à la construction du concept de “surface d’échange avec le milieu intérieur48”. J’émets l’hypothèse que si nous tentions de donner un autre statut aux représentations initiales, nous pourrions peut-être avoir une approche éducative différente. Il s’agirait de ne pas considérer a priori les représentations des élèves comme fausses, mais, en partant des travaux de la psychologie sociale, de les considérer comme ayant leurs propres rationalités, que l’on peut tenter de saisir et d’expliciter. Comme face aux croyances d’ailleurs, un autre travail didactique pourrait dans ce cas être conduit, tout en conservant une visée d’éducation aux sciences. Plus précisément, il s’agirait de considérer les représentations des élèves comme le reflet d’expériences différentes vécues par chacun, et qu’il faut donc manipuler avec prudence, même si elles ne représentent pas la vision scientifique du moment. Peut-on dire que penser que le Soleil tourne autour de la Terre est absurde, alors même que l’expérience quotidienne et populaire nous conduit à faire ce constat premier ? L’enjeu devient dès lors de saisir cette “représentation fausse” scientifiquement, et d’en faire un objet d’apprentissage. On apprend ainsi à se méfier des évidences, des apparences mais également

des émotions, à douter et à ne pas faire de généralisation abusive, à ne pas transformer des corrélations en causalité (voir la séance d’enseignement pour l’école primaire : “une hirondelle ne fait pas le printemps”, dans l’ouvrage publié par La main à la pâte : Esprit scientifique, esprit critique49). Sans jugements de valeur, cette “représentation initiale” est ensuite soumise à la diversité d’autres représentations sociales qui s’exprimeraient dans le collectif classe (ou ailleurs !), aux tests de la réfutabilité, et bien sûr à celles des communautés scientifiques actuelles et passées, qui ont aussi leurs histoires et leurs errances, riches d’enseignement. Finalement, ce que l’on souhaite dans cette proposition didactique, c’est utiliser les représentations des élèves pour un travail d’enquête collectif et méthodique, pour apprendre à penser différemment, d’une manière complexe, critique, ouverte et démocratique. En forçant les élèves à s’éloigner d’eux-mêmes, en les mettant à l’épreuve de l’altérité, en leur apprenant à penser contre euxmêmes, de manière moins intuitive, on fait le pari d’une éducation critique acceptant l’errance, la créativité, l’imagination mais aussi l’engagement pour (re)penser le monde, aux fondements même de la pensée scientifique. Mais est-ce vraiment la mission que l’on veut donner à l’école en général, et à l’enseignement des sciences en particulier ? Lorsqu’on relit la charte de la Ligne internationale pour l’éducation nouvelle de 1932, c’était pourtant le vœu exprimé par les éducateurs rassemblés à cette époque d’entre-deux-guerres, autour de valeurs de solidarité et de coopération. Si la fonction émancipatrice et démocratique de l’éducation scientifique fait largement consensus dans les textes officiels, ce sont plutôt les formes pédagogiques de sa mise en œuvre qui suscitent des tensions chez les professionnels. Il s’agirait probablement de s’accorder sur le fait qu’au-delà de l’apprentissage des savoirs il faut consacrer du temps et de l’énergie pédagogique pour expliciter la nature des sciences, et favoriser le développement d’un mode de pensée critique, capable de problématiser et d’argumenter sur la complexité du réel, de manière humble et

nuancé. » Recours à l’histoire et à la littérature Il peut être intéressant d’utiliser des lectures et des scènes théâtrales ou cinématographiques (par exemple des « biopics » de savants) pour mieux faire comprendre comment des scientifiques se sont peu à peu dégagés de conceptions largement partagées, et comment ils ont affronté des obstacles. Une classe de lycée a ainsi reconstitué en partie le « procès du singe », à Dayton aux États-Unis, qui a opposé en 1925 les fondamentalistes chrétiens, défendus par le procureur William Jennings Bryan, aux libéraux défendus par Clarence Darrow, l’enjeu étant la reconnaissance de la vérité des lois darwiniennes de l’évolution. D’autres élèves ont travaillé sur des extraits de La Vie de Galilée où Brecht, au début de la pièce, fait faire au grand savant une démonstration magistrale à son jeune élève de ce que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil. Et on peut rappeler les conceptions erronées qui font aujourd’hui sourire concernant la circulation du sang ou la négligence de l’hygiène dans les hôpitaux où l’on considérait comme inutile de se laver les mains… Il faut cependant distinguer ce qui tient à un « bon sens » de mauvais conseil (c’est du bon sens que de ne pas considérer l’eau comme un mélange de deux gaz inflammables !) et ce qui tient à des dogmes religieux, qui font d’ailleurs leur triste retour dans certains pays, où l’on admet comme hypothèses… que la Terre est plate et les dinosaures, contemporains des hommes préhistoriques). Nous reviendrons là-dessus dans le prochain chapitre.

Pour aider les élèves à y voir plus clair dans les rapports entre la vérité scientifique et les représentations qu’on peut avoir des phénomènes et objets étudiés, un petit tour du côté de l’histoire des sciences peut être utile. Pour Cécile de Hosson, professeure à l’université Paris-Diderot, les « erreurs du passé » peuvent nourrir cet enseignement. « Peut-on en effet raisonnablement penser qu’un fait historique puisse être une erreur ? Si, comme le rappelle Gaston Bachelard “l’historien des sciences doit prendre les idées comme des faits”, c’est seulement lorsque ces faits s’insèrent dans une pensée rationnelle contemporaine que certains d’entre eux deviennent des erreurs. Autrement dit, la requalification d’un fait historique en erreur s’opère a posteriori, à partir d’une histoire “jugée”, une histoire reconstruite à l’aune d’une pensée “normative”.

Je voudrais illustrer l’intérêt pédagogique de l’usage de quelques faits d’histoire des sciences dont l’inexactitude est aujourd’hui avérée à travers deux exemples. Mon premier exemple prend pour point de départ un même fait d’observation – la mesure d’une ombre formée par un bâton planté verticalement dans le sol, dont l’exploitation (et c’est en soi assez fascinant) a donné lieu à la mesure de deux grandeurs distinctes : le périmètre terrestre pour les Grecs du IIIe siècle avant J.-C., la distance Terre-Soleil pour les Chinois des dynasties Zhou et Han. Le citoyen d’aujourd’hui reconnaîtra sans peine que le modèle chinois d’une Terre “plate” ne pouvait pas produire le résultat espéré d’une distance Terre-Soleil proche des 150 millions de kilomètres. L’erreur est-elle condamnable ? Au contraire, elle devient, dans la classe de sciences, l’occasion d’une activité se donnant pour objet la construction des notions fondamentales de modèle et d’hypothèse, et place l’observation au rang des incontournables scientifiques. Les mesures rapportées par les Chinois sont d’ailleurs reproductibles en classe et fonctionnent très bien puisque l’échelle spatiale de la classe autorise un sol plat et un soleil (une lampe suspendue au plafond) proche. Charge à l’enseignant de discuter avec les élèves la pertinence de cette échelle locale au regard d’une échelle cosmologique plus globale où la Terre est sphérique et le Soleil pratiquement à l’infini. Dans mon deuxième exemple, l’erreur du passé devient un miroir bienveillant pour la pensée de l’élève contemporain, un miroir vertueux devant lequel une réponse erronée prend le statut d’énoncé légitime. Il suffit pour cela que l’épisode choisi présente quelques ressemblances avec ce que pensent les élèves. Attention, il n’est pas question ici de raviver l’illégitime loi de la récapitulation : le développement de l’esprit individuel ne récapitule pas celui de la pensée au fil de son histoire ; mais d’utiliser, à des fins pédagogiques, certaines ressemblances avérées : si la majorité des élèves de primaire et de collège affirment que, pour voir un objet, les individus envoient vers celui-ci quelque chose qui sort de l’œil, ils

pourront se voir rassurés d’apprendre que d’autres avant eux, savants parmi les savants, pensaient, à gros traits, la même chose50. Et même lorsque Ibn al Hatham “rectifie” le sens de la vue, qu’il introduit la lumière comme médiateur entre les objets et l’œil, il se “trompe” et fait se former les images du monde extérieur sur la cornée et non sur la rétine de l’œil. Mais la démarche qui préside à cette découverte repose sur des faits d’expérience. Les prémisses de la démarche scientifique sont posées et tant mieux si le savoir n’est pas définitif ! C’est même là sa marque de fabrique. Car enfin, c’est bien l’arsenal scientifique, ce “contrat” que la science passe avec la connaissance qui permet d’éviter que l’erreur du passé ne soit embarquée dans un argumentaire relativiste. Ne le cachons pas : l’usage de l’erreur historique dans la classe place l’enseignante et l’enseignant devant une véritable gageure pédagogique : comment justifier auprès des élèves que l’on accorde crédit à une science qui se trompe ? Comment, dans ces conditions, ne pas placer sa confiance dans les énoncés portés par certaines croyances que les sciences, sait-on jamais, finiront par valider un jour à force de rectifications successives ? Répondre finement à ces questions difficiles nécessiterait de larges développements à inscrire au cœur d’une réflexion plus philosophique, et je renvoie le lecteur aux argumentaires convaincants de Bruno Latour ou de Guillaume Lecointre51 pour ne citer qu’eux. On pourra toutefois retenir que le propre d’une assertion scientifique est son caractère provisoire, ce qui n’a rien de contradictoire avec sa robustesse et son universalité qui, toutes deux, reposent sur deux piliers (au moins) : la méthode par laquelle l’assertion est produite, et la manière dont le réel réagit lorsqu’il est choisi comme seul juge du bien-fondé de l’assertion scientifique. La classe de sciences a donc tout à gagner à se voir investie par l’enquête historique, qu’elle débouche ou non sur le vrai d’aujourd’hui. » Le vrai, des erreurs rectifiées… « Il y a des pensées qui ne recommencent pas ; ce sont les pensées qui ont été

rectifiées, élargies, complétées. Elles ne retournent pas à leur aire restreinte ou chancelante. Or l’esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir, un élargissement des cadres de la connaissance. Il juge son passé historique en le condamnant. Sa structure est la conscience de ses fautes historiques. Scientifiquement, on pense le vrai comme rectification historique d’une longue erreur, on pense l’expérience comme rectification de l’illusion commune et première. » Gaston Bachelard, Le Nouvel Esprit scientifique, 1934

En histoire et géographie Pour le grand public, les erreurs dans ces disciplines sont plutôt de l’ordre du factuel ou des connaissances de dates, de lieux, de chiffres, de vocabulaire. Et on aime à relever les « perles » dont on peut parfois douter de la véracité, quand on en lit certaines sur des sites52, entre sottise absolue (« Au Japon, le manque de place oblige les autorités à construire des aéroports sous-marins. ») et phrases dignes d’un humoriste subtil (« La guerre froide laisse encore des frissons aujourd’hui. »). Erreurs, quand elles sont authentiques, liées à une mauvaise mémorisation, à la distraction qui engendre lapsus et confusions, à une absence de représentation mentale de l’objet à apprendre, à la maladresse d’expression ou au manque de lien entre connaissances. Mais on passe sans doute à côté de l’essentiel lorsqu’on reste obnubilé par les inexactitudes. Le plus important sont les erreurs conceptuelles. Quand Samira, que j’aide à apprendre sa leçon de troisième, confond les Alliés dans la Seconde Guerre mondiale, on se rend compte dans un court dialogue avec elle qu’elle n’a guère saisi les enjeux ni la dynamique de cette période. En éducation civique, l’essentiel n’est pas tant de savoir restituer les différentes instances élues en France que de saisir comment fonctionne la démocratie représentative, comment les prises de décision s’opèrent, etc. Pendant qu’on bataille sur la « chronologie » (un marronnier médiatique) ou qu’on déplore que les élèves ne sachent pas situer les fleuves sur la carte de France, et sans nier l’importance d’un bagage suffisant de connaissances, on oublie que

tout cela ne peut être intégré durablement que si cela a du sens, si des liens sont établis avec le réel. Lorsque Katia, en cours d’histoire, établit un lien entre les crues du Nil dans l’Antiquité égyptienne et des inondations récentes en Égypte, lorsque, en visitant une cathédrale, on commence à se demander d’où venaient les pierres (et on met en relation l’histoire et la géologie), comment elles étaient transportées, comment ont été établis les plans (relations avec la géométrie), alors on construit un rapport vivant au passé qui facilitera ensuite une meilleure appropriation de connaissances, et donc permettra d’éviter des erreurs. Le travail sur les représentations des élèves est du coup, comme en sciences, primordial, de même qu’une réflexion collective sur la méthodologie de l’histoire ou de la géographie avec une question clé : comment sait-on ce qu’on sait ? Comment répondre aux élèves qui déclareraient « comment savez-vous qu’il y a eu la prise de la Bastille ? vous y étiez ? il y a un film ? » en considérant cette interpellation comme « intelligente » et permettant justement de se demander comment on construit la connaissance. Ce qui est aussi une manière de lutter contre les fake news (voir chapitre suivant). D’autant qu’on peut aussi signaler qu’un « film » ne constituerait pas pour autant une preuve, ou que des témoignages vécus peuvent être tout aussi trompeurs dans l’établissement de la vérité. D’autre part, il s’agit aussi de rendre le cours d’histoire-géographie plus vivant, grâce en particulier à l’utilisation des technologies modernes. Jean-Pierre Costille, qui enseigne ces matières en lycée, nous explique comment il utilise les ressources du numérique, en donnant ici l’exemple d’un travail sur le développement durable, mais qui peut se faire sur tous les sujets des programmes. « Un des avantages du numérique est de ne pas juger l’élève s’il se trompe au moment de son apprentissage. Je me sers d’une plateforme, Quizlet, qui est un outil d’autoformation. Pour chaque leçon, je fabrique des quiz de révision que j’affiche au fur et à mesure de l’avancement de la question.

Avant tout, j’explique et montre aux élèves ce que je vois de leur travail. Ils constatent ainsi que je sais s’ils ont réalisé ou non le quiz. Ils savent que le quiz doit être fait pour une date précise. Avec Quizlet, dans la fonction “apprendre”, les élèves se voient proposés des mots à définir et aussi des définitions à écrire. Si l’élève se trompe, l’exercice dure plus longtemps jusqu’à ce qu’il obtienne un trophée, signe pour lui d’un apprentissage réussi. De mon côté, si l’élève parvient à cette étape, je vois une coche verte à côté de son nom. Je ne vois donc pas les étapes intermédiaires qui ont pu permettre d’arriver au succès ; seul compte le résultat final. On sait aussi l’importance du retour sur erreur, et le site fournit cela à l’élève avec une analyse de ce qui a été réussi ou raté. Un élève peut même aller plus loin puisqu’il peut attribuer une étoile aux termes qui lui posent le plus de problème pour être prioritairement interrogé dessus. Ce travail d’autoformation peut aussi être valorisé. J’ai choisi de constituer une note par trimestre, dite note de travail préparatoire (dans le sens de préparatoire au contrôle). Ainsi, en un trimestre, les élèves répondent environ à huit quiz, le tout forme une note sur 20 avec un coefficient moindre que le devoir en classe. Ils ont bien compris qu’il s’agit d’une possibilité d’obtenir une note élevée et que cela les aide aussi à réussir l’évaluation en classe. Quizlet propose par ailleurs d’utiliser les questions du quiz sous d’autres formes. En effet, à partir des données saisies, le site propose une fonction “test” avec des mots à définir, des QCM, des éléments à relier mais aussi une fonction “ écrire” où l’élève doit saisir chaque fois la bonne réponse. Il existe également une version très ludique appelée “gravité” où l’élève doit saisir une définition ou un terme avant que des astéroïdes ne frappent la Terre. Certains élèves réalisent l’ensemble des exercices pour s’entraîner. Lorsque tous les élèves ont réalisé le quiz, je dispose d’une vision par élève et d’un total pour la classe. Ainsi, lors d’un quiz intermédiaire, je peux repérer que telle définition ou tel mot n’est pas bien acquis et y revenir au début du cours suivant. Cela évite les désillusions au moment de l’évaluation finale.

Il faut reconnaître que cet outil numérique exerce une forte attractivité auprès des élèves puisque plusieurs demandent spontanément si cela existe dans les autres matières, et l’une va même jusqu’à déclarer sans détour que “c’est la première fois qu’elle révise de l’histoire-géographie”. » Une difficulté est en outre à signaler : celle de combiner l’établissement de certains faits, de certaines certitudes, même, et la nécessité d’ouvrir le champ de débats sans s’enfermer dans une attitude dogmatique. Il faut bien sûr tenir compte de l’âge des élèves, mais on peut travailler sur des interprétations différentes de tel ou tel événement, en traçant si possible une ligne de démarcation entre ce qui est défendable comme hypothèse et ce qui ne l’est pas. Avec un respect absolu des faits. Qui a raison sur le jugement qu’on peut porter sur Robespierre, sur les responsabilités respectives des grandes puissances dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale, sur la décision américaine d’envoyer une bombe atomique sur le Japon ? Même l’établissement des faits peut être difficile, d’où l’importance des archives en histoire. Je devais pour l’épreuve de géographie du bac apprendre des chiffres concernant la production en Union soviétique qui en fait étaient largement surestimés et faux ! Au fond, ce qui est important, c’est de faire voir aux élèves comment s’élabore la connaissance, comment elle se fraie un chemin entre des zones d’ombre et des biais partisans, et inscrire les élèves dans de telles démarches, même à un niveau modeste, est essentiel, bien plus que d’ingurgiter dates et savoirs ponctuels. Là encore l’interdisciplinarité peut être précieuse pour permettre à des liens de s’établir et consolider des connaissances. L’important est l’ancrage à long terme de ces savoirs si utiles au citoyen pour comprendre le monde et non les réponses à l’interrogation du lendemain, qui pourront s’oublier très vite si c’est vide de sens.

En musique Pour Jean-Charles Léon, professeur d’éducation musicale dans un collège de l’Essonne (et musicien), « l’erreur est consubstantielle à

la pratique musicale » ; une séance de travail est « une répétition », « reheasal » disent les Anglo-Saxons (réentendre). Jean-Charles évoque deux exemples de pratiques musicales : audition et chant, toutes deux collectives. « Que faire d’une réponse apparemment fausse lors d’une audition ? Tel élève déclare qu’il entend une clarinette alors qu’il s’agit d’une flûte… Notons tout d’abord que la réponse est partiellement fausse : il s’agit de deux instruments à vent, des bois, les tessitures se recoupent largement. Je fais l’hypothèse que l’élève a fait “un essai de réponse”. Il a cherché dans sa mémoire, peut-être aussi sur les affichages de la classe, une réponse approchant. Évidemment, il n’est pas possible de l’accepter en l’état : toute réponse est provisoire et ensuite discutée collectivement. On pourra avoir d’autres propositions qui amèneront une contradiction dénouée lors d’un court débat se terminant nécessairement par la recherche de la “logique de l’erreur”. Ce moment est fondamental ; il s’agit de faire comprendre que l’erreur est dans une logique de recherche qu’un travail collectif permet de corriger. On ouvre ainsi la voie à d’autres recherches, à la production de questionnements et de sens. Chanter est une des activités les plus difficiles auxquelles les élèves sont confrontés : “La voix […] est une image sonore de nous-même, […] ; elle se situe au cœur de notre personnalité, c’est notre signature sonore53.” L’erreur la plus absolue à laquelle nous sommes confrontés est le non-chant, l’élève muet. Hormis les refus d’apprendre qui ne relèvent pas de l’erreur, ce comportement apparaît souvent en début d’apprentissage. Je fais l’hypothèse de l’émergence d’un espace mutique nécessaire à certains élèves pour qu’ils apprennent. Ils écoutent la classe, mémorisent, regardent les lèvres de l’enseignant, attendent une assurance personnelle suffisante avant de produire les sons demandés en s’engageant intimement. À l’inverse, certains élèves n’hésitent pas à chanter sur la première audition si l’interprétation de l’enseignant est suffisamment incarnée. Ils chantent ce qu’ils ne savent pas, ils se trompent, rejoignent

comme ils peuvent la ligne mélodique, les paroles plus ou moins déformées. Je suis convaincu que mes interventions lors de l’apprentissage du chant ne sont là que pour sécuriser l’élève, lui dire que le non-chant n’est pas un refus (même si c’est le cas d’ailleurs), et que j’ai le temps de son propre apprentissage : toute méthode est acceptable, le “non-chant” doit être déculpabilisé : “Les voies de la voix sont impénétrables54.” »

En éducation physique Nous l’avons dit, dans cette discipline, de par une meilleure formation des enseignants notamment, le travail sur l’erreur est plutôt avancé. Citons un témoignage qui s’ajoute à d’autres présentés dans les chapitres précédents. Nicolas Chervet, professeur d’éducation physique en collège dans le Rhône, explique comment il essaie de faire évoluer les postures des élèves dans sa matière et en l’occurrence à travers un sport collectif. « “Monsieur, aujourd’hui, collectivement, nous sommes capables de traverser le terrain tous ensemble en faisant moins de quatre passes et individuellement nous recevons le ballon en courant vers la cage. C’est super, nous sommes dans le vert foncé et avons dépassé la compétence fixée… Et pourtant il y a six semaines nous étions dans le rouge… Nous avons bien progressé.” Apprendre, c’est forcément prendre du temps et encourir le risque d’échouer. Pourtant les élèves veulent tout savoir sans apprendre et sans prendre le temps. Il devient donc nécessaire d’inscrire les élèves dans un temps long d’apprentissage et de dédramatiser l’erreur. Pour ce faire, l’erreur s’anticipe, se prépare, afin d’éviter l’enchaînement erreur, échec, abandon, rejet. J’en suis arrivé à construire une évaluation positive par compétences et explicite qui se veut simple, visible, lisible et donc facilement utilisable pour les enseignants et pour les élèves55. Sur une séquence de sept à dix séances, il s’agit pour chaque élève de pouvoir se situer sur un tableau à double entrée, séance après

séance, en inscrivant la date du jour. Les élèves peuvent constater tout le chemin parcouru lors d’une séquence, tous les apprentissages réalisés, tous les progrès, mais encore plus comprendre qu’apprendre ça prend du temps et c’est prendre le risque d’échouer. Afin d’évaluer le domaine 1 du socle commun, j’identifie la compétence attendue de séquence en deux observables. Ainsi, si on veut évaluer la compétence à travers l’activité handball, on va utiliser deux observables : la façon dont l’élève reçoit le ballon et ce qu’il en fait, et la traversée du terrain à l’aide de passes. Chaque séance donne lieu à la mise en œuvre de la situation complexe. Dans cette séquence handball, il s’agit d’un tournoi à quatre équipes, mixtes, hétérogènes en leur sein mais homogènes entre elles. Les équipes qui ne jouent pas observent, arbitrent, organisent le tournoi et filment les matchs. Le dernier match de chaque équipe est un moment fort d’attention, car il donnera lieu au ciblage des élèves (le croisement d’un niveau acquis à l’horizontale et idem à la verticale). Enfin, chaque couleur permet d’identifier un niveau de maîtrise de la compétence de séquence visée (vert foncé : dépassée, vert clair : acquise, jaune : en cours d’acquisition, rouge : non acquise). Par exemple, collectivement, “nous traversons le terrain à deux en quatre passes maximum” et, individuellement, “je reçois mon ballon arrêté et reste arrêté plus de trois secondes”, alors je suis dans le jaune, et la compétence visée est en cours d’acquisition, et je note la date du jour. Sur les trois premières séances, l’enseignant supervise les coobservations et laisse les élèves se coévaluer. Très souvent, sur les premiers trimestres, j’explicite les attendus avec les observateurs pour l’utilisation de l’outil et la compréhension des observables et des niveaux de maîtrise. À partir de la troisième séance, je délègue l’évaluation/validation aux élèves pour une autoévaluation/validation (avec vidéo à l’appui). À chaque séance, cette fiche est sortie et un positionnement est réalisé avec la date du jour. En fin de compte, les élèves, qui bien souvent veulent savoir sans

apprendre et sans se tromper, identifient la progressivité de leurs propres apprentissages. Une progressivité faite parfois de débuts laborieux, de phases de progression et de stagnation avant de progresser de nouveau. L’erreur devient un levier pour mieux apprendre dès lors qu’elle est explicitée par un enseignement et une évaluation explicite56. Au-delà de la vitrine, c’est en explorant et en donnant accès à l’arrièreboutique des apprentissages, de leur évaluation et de leur processus que tous les élèves peuvent réussir et apprendre, surtout en se trompant. »

En arts plastiques On est loin dans les pratiques en arts plastiques du temps où il fallait reproduire un modèle et suivre les consignes strictes du professeur. On encourage la créativité, mais aussi la réflexivité sur les productions qui peuvent être diverses et ne pas se limiter au « dessin » et les liens avec les œuvres d’art. Là, plus que dans d’autres domaines, il est parfois difficile de parler « d’erreurs » des élèves quand il s’agit bien souvent de « bifurcations » par rapport à une consigne, d’essais parfois infructueux, mais parfois aussi porteurs d’invention. D’autant que le travail de l’élève s’inscrit le plus souvent dans un projet. Dans un document très éclairant publié par le site Éduscol, « Du statut de l’erreur en arts plastiques », et concernant les divers cycles de l’enseignement obligatoire, il est écrit notamment : « Il s’agit d’encourager l’élève à tirer parti de ce qu’il nomme “erreur” et qui est le plus souvent un “écart” par rapport à son projet. Pour l’enseignant, il s’agit également de passer de l’erreur, perçue comme un obstacle à dépasser pour construire un apprentissage précis, à l’essai, pensé comme une véritable exploration par les élèves de la proposition initiale, un outil pour construire les apprentissages. » La trop grande sagesse peut être d’ailleurs un obstacle. Dans cette discipline, appréciée des élèves et où peuvent réussir des élèves en échec par ailleurs (et inversement, les notes étant souvent très différentes de la « moyenne » des

autres notes, statistiquement), « [l’élève] découvre qu’il peut tirer parti de ce qu’il pensait être une difficulté insurmontable pour faire évoluer son projet. Il apprend également que, dans une démarche exploratoire, il y a lieu de multiplier les essais, de les observer pour découvrir l’ensemble des possibles. » Un autre volet de la discipline est la découverte de productions artistiques. Laisser dans un premier temps une expression libre sur ces œuvres est souvent intéressant, cela peut partir dans tous les sens, mais, dans un second temps, on peut faire le tri, écarter des erreurs d’interprétation (sur le plan historique par exemple), mais aussi accueillir des suggestions d’élèves, des rapprochements auxquels on ne pense pas forcément. Par ailleurs, l’histoire des arts nous apprend qu’on ne doit pas avoir comme repère une prétendue « nature » ou « réalité » de laquelle se rapprocherait ou s’écarterait l’œuvre. L’absence de la perspective au Moyen Âge n’est pas une « erreur », mais une certaine vision du monde. Les peintures impressionnistes, rejetées en leur temps comme des aberrations, nous paraissent davantage en accord avec notre vision des choses que la peinture académique adulée à l’époque. Ce qu’a déclaré tel artiste sur son œuvre n’est pas non plus une vérité absolue, contrairement à une vision étroite qui avait cours jadis. L’histoire des arts, introduite il y a quelques années de manière systématique, est une occasion de réfléchir à ce qui est « vrai » ou « faux », mais cela prend beaucoup plus de force si la démarche est transdisciplinaire.

L’interdisciplinarité L’interdisciplinarité ou la transdisciplinarité sont trop rares dans notre système éducatif et les tentatives pour en introduire ont du mal à passer au stade de l’institutionnalisation (les EPI, enseignements pratiques interdisciplinaires, en sont un exemple récent, avec les malheureuses décisions ministérielles qui les marginalisent alors qu’ils commençaient à « prendre »). Souvent il s’agit de projets alliant au moins deux matières et c’est sans doute un terrain privilégié pour travailler sur les erreurs, comme l’explique Guillaume

Caron, professeur de mathématiques au collège Lucien-Vadez à Calais, qui propose la « pédagogie du chef-d’œuvre » comme une voie royale pour changer le rapport à l’erreur. Il explique ce que signifie cette notion quelque peu étrange ainsi que sa fécondité. « C’est Célestin Freinet, figure marquante de l’“éducation nouvelle”, qui utilise l’expression, en s’inspirant des brevets scouts. Plutôt qu’une évaluation normative, basée sur des tests ponctuels, l’idée est de marquer des réussites globales par le biais de la réalisation de chefs-d’œuvre. Freinet part du constat que l’évaluation des microtâches peut présenter l’écueil de faire de l’erreur un simple échec à cette tâche. Dans le meilleur des cas, cela fournit des indications sur ce qu’il faudrait retravailler. Bien souvent, cela finit par constituer un échec, un écart à la norme attendue plutôt qu’un processus normal, inhérent à tout apprentissage. Plus pernicieux encore, ces difficultés révélées peuvent se compenser entre elles, entraînant une forme de relativisme. Une erreur est-elle si grave et à considérer comme étape d’apprentissage lorsqu’elle est noyée dans un 14/20 qui satisfait bien du monde ? Dans une pédagogie du chef-d’œuvre, le statut de l’erreur est tout autre. C’est une étape “normale” du processus. Il est bien rare de réaliser un chef-d’œuvre du premier jet, même pour un génie de son domaine. Réaliser une maquette, un texte publiable dans un journal ou sur un blog, une exposition, une pièce de théâtre… autant de réalisations qui passent par des étapes d’ajustements successifs et pour lesquelles il est normal de se “tromper” pour mieux aboutir. Ce qui compte à la fin, c’est bien l’aboutissement, personne ne songerait à “comptabiliser” des tâtonnements, des erreurs dans de telles productions. Pour autant, une pédagogie du chef-d’œuvre amène une vigilance que chaque enseignant doit avoir en tête. Sous prétexte de la production d’une réalisation finale particulièrement réussie, il pourrait y avoir une confusion entre réussite de la tâche et réussite de l’apprentissage. L’enseignant, voulant que l’élève aboutisse dans son chef-d’œuvre, peut, de manière plutôt inconsciente, lever les

obstacles (qui se manifestent par des erreurs ou des blocages). La réalisation est alors privilégiée au détriment de l’apprentissage. En ce sens, une pédagogie du chef-d’œuvre demande une part importante d’explicitation pour éviter un de ces “malentendus cognitifs” évoqués par Élisabeth Bautier et Patrick Rayou57. Le traitement des erreurs, en particulier, doit générer un véritable apprentissage, clairement identifié dans la réalisation du chefd’œuvre. Accepter de s’arrêter pour apprendre individuellement ou collectivement d’une erreur paraît être un élément indispensable constitutif d’une prise en compte de l’erreur pour apprendre. » Et le coauteur de l’ouvrage au titre très explicite, Osez les pédagogies coopératives au collège et au lycée, publié par ESF sciences humaines en 2018, de donner un exemple dans sa discipline. « Dans nos classes coopératives, nous utilisons des ceintures pour évaluer nos élèves. En mathématiques, l’obtention de la ceinture noire de “Tableur, Algorithmique, Programmation” passe par la réalisation d’un chef-d’œuvre. Il s’agit pour les élèves de réaliser un petit programme ou un petit jeu à l’aide, par exemple, du logiciel Scratch. Les critères de réussite sont précisés aux élèves dans le tableau descriptif des ceintures. Il s’agit alors, pour eux, d’identifier les savoirs scolaires à mettre en œuvre pour la réussite de leur chefd’œuvre. Le chemin pour aboutir à un projet finalisé est semé d’embûches. Les erreurs peuvent être identifiées et traitées par les élèves eux-mêmes (qui s’aperçoivent des dysfonctionnements de leur programme), au bureau avec l’enseignant lors des séances de travail individualisé, avec un autre élève reconnu expert dans le domaine concerné ou en collectif lorsque le professeur demande à l’élève d’exposer son problème à la classe. C’est alors une source d’apprentissage collectif. Enfin, à la fin du chef-d’œuvre, l’élève le présente lors d’une “conférence d’élève”. Il est alors invité à expliquer son cheminement à la classe, en incluant ses blocages et ses erreurs. »

Un exemple, Clément Clément crée un jeu de pong (une balle qui bouge et qu’il faut arrêter avec une barre que l’on déplace) pour réaliser son chef-d’œuvre de ceinture noire de « Tableur, Algorithmique et Programmation ». Son jeu prend forme graphiquement, il est opérationnel mais il lui manque un compteur de points. Pour cela, il crée une variable à laquelle il ajoute 1 dès que la boule est stoppée par la barre. Cela se matérialise avec une structure “Si… alors…” dans Scratch. Afin que son compteur de points reparte à zéro en début de partie, il indique dans son script “mettre points à 0”. Le choix qu’il fait pour placer son bloc pose souci, si bien que le score passe de 0 à 1 puis reste bloqué à 1 ensuite. Dans le cadre d’une évaluation “classique”, son erreur aurait été corrigée après coup. L’impact aurait probablement été mineur puisque son projet était déjà plutôt bien abouti. Dans une logique de chef-d’œuvre, cette erreur ne constitue qu’une étape. Dans ce cas précis, Clément est allé présenter l’état de son travail à la classe et a expliqué son problème, ce qui constitue un réel travail de verbalisation de l’erreur. La classe prend alors quelques minutes de réflexion pour que chacun puisse réfléchir au problème et apporter des idées à Clément pour surmonter cet obstacle. L’erreur, relativement classique, qu’il a commise est donc devenue un objet de travail ponctuel pour la classe. Clément a pu finaliser son chef-d’œuvre et devenir une ressource pour la classe sur cette thématique. Des élèves confrontés à des problèmes de compteur dans la création de jeux ont régulièrement sollicité Clément… qui a donc largement intégré et résolu son erreur, devenue un fort levier pour apprendre.

Dans des projets que j’ai pu mener, en liant le français à d’autres matières, il y avait ce souci de précision qui avait du sens quand, par exemple, il fallait connaître l’alimentation des marins à bord des navires des grands navigateurs (projet Grandes Découvertes, élaboration de carnets de voyage) ou les explications précises du phénomène d’éclipse (projet La Lune et le Soleil, avec confection d’un petit magazine). La micro-erreur a son importance, qu’elle n’a pas dans d’autres activités, et le souci du détail est aussi important à développer chez les élèves. Et lorsqu’on expose au public sa production, il faut être vigilant sur l’orthographe, la présentation orale ou écrite, ne pas faire d’erreurs de communication (il ne faut pas mettre trop de texte sur une affiche, on doit pouvoir la lire de loin, etc.). C’est une occasion notamment de travailler l’exposé, chose bien négligée dans notre école où tant d’élèves ne parviennent pas à parler, sans lire leurs notes, devant un auditoire ne serait-ce que cinq minutes. Certes, l’interdisciplinarité ne doit pas être le domaine exclusif où l’on s’entraîne à l’oral, mais il peut être un lieu privilégié.

Avec un collègue d’histoire, nous avions mis en place des petits exposés systématiques sur des personnages qui racontaient leur propre destin à partir de documents. Nous avons fait quelque chose d’équivalent avec les SVT en travaillant sur la question « comment les animaux passent l’hiver » en faisant parler à la première personne un ours ou une hirondelle, par exemple. Ce qui est intéressant, dans l’évaluation qui est mise en œuvre, c’est la mise en évidence de critères très différents : d’un côté, l’exactitude « scientifique », de l’autre, en français, la correction de la langue, l’aisance orale (regarder les camarades, parler lentement…) et si possible un peu de créativité et de fantaisie, critères qui pouvaient tenir compte des compétences des élèves à un moment donné. Mais, dans la mesure du possible, il était essentiel de préparer l’épreuve, par exemple en analysant les erreurs commises dans la façon de communiquer, y compris en utilisant la vidéo. Cependant, une double consigne paraissait décisive : dans l’analyse, les élèves devaient d’abord relever un point positif (même très modeste) puis, dans leur critique, proposer obligatoirement une amélioration. D’ailleurs, dire à quelqu’un « tu pourrais parler un peu plus fort, en t’adressant à l’élève qui est le plus loin de toi dans la salle », est-ce la même chose que « tu ne parles pas assez fort ! » ? Encore une fois, la bienveillance est la voie royale pour parvenir à l’exigence. En bref Il y a à tirer parti du travail sur les erreurs dans chaque discipline : partir des représentations des élèves, du moins celles qui « valent le coup » d’être analysées pour un dépassement qui n’est pas simple, car elles peuvent être opératoires dans le quotidien ; réfléchir à ce qui fait la spécificité de telle ou telle approche disciplinaire, notamment dans l’établissement de la « vérité », si différente entre une approche scientifique et une démarche créative et artistique ; l’interdisciplinarité, paradoxalement, fait mieux ressortir les spécificités de chaque discipline mais permet aussi de travailler sur l’oral, les erreurs de communication à corriger…

48. https://docplayer.fr/778012-De-la-representation-en-tuyaux-au-concept-de-milieuinterieur.html 49. Gabrielle Zimmerman, Elena Pasquinelli et Mathieu Farina, Le Pommier, 2018. 50. Cécile de Hosson, « La controverse historique : un outil didactique - partie 2 », Bulletin de l’Union des physiciens, no 870, 2005, p. 29-42. 51. Bruno Latour, « Science et raison : une comédie des erreurs », La Recherche, horssérie, no 14, 2004, p. 82-85. Guillaume Lecointre, « Créationnismes, croyances, et contour des sciences », Sciences & pseudo-sciences, 2009, no 288. En ligne : https://www.pseudo-sciences.org/spip.php? article1278 (lien vérifié le 3 novembre 2018). 52. http://www.wikistrike.com/article-retour-sur-les-perles-du-bac-118584072.html 53. Gabrielle Konopczynski, « Les enjeux de la voix », dans Marie-France Castarède et Gabrielle Konopczynski, Au commencement était la voix, Érès, 2005, p. 40. 54. Jean-Claude Lafon, cité par Gabrielle Konopczynski, ibid. 55. Travail entrepris il y a maintenant quatorze ans à l’IUFM, en stage long, avec deux collègues stagiaires, les formateurs EPS. Ce travail a été ensuite développé à titre personnel dans d’autres APSA. 56. « Enseigner plus explicitement ». un dossier ressource. Dossier auquel j’ai participé et que j’ai coordonné au centre Alain Savary/IFé/ENS, http://centre-alain-savary.enslyon.fr/CAS/documents/publications/docs-enseignement-plus-explicite/dossier-ressourceexplicite 57. Les Inégalités scolaires d’apprentissage programmes : pratiques, malentendus scolaires, PUF, 2009.

11. Travailler sur les méthodes, au-delà des découpages disciplinaires Maîtriser de bonnes méthodes, c’est si indispensable. Oui, mais comment éviter les embûches ? Combien d’élèves s’y prennent mal pour mémoriser, lire les consignes, faire une recherche documentaire, prendre des notes, se relire. Dans les activités disciplinaires, nous avons déjà vu de nombreuses tentatives pour les aider à surmonter leurs erreurs et à améliorer leur efficacité. Nous renvoyons aussi au chapitre sur les apports des sciences cognitives pour ce qui concerne l’attention et la mémorisation.Nous soulignerons ici trois points importants qui n’ont pas été encore suffisamment développés dans ce qui précède :– la gestion du temps ;– la compréhension de ce qui est vraiment demandé ;– la prise de notes.

Le temps nécessaire Estimer le temps nécessaire pour faire un travail et gérer avec efficacité ce temps s’apprend. Il s’agit pour les élèves de trouver le « bon braquet », en sachant aller vite quand c’est nécessaire et plus lentement quand c’est indispensable. Il ne s’agit pas pour le professeur d’édicter que chacun doit aller à son rythme, pas plus

bien sûr que d’en rester au « marche ou crève ! », même dit moins brutalement. On peut, dans des moments d’accompagnement personnalisé, entraîner les élèves à aller plus rapidement : à survoler un texte quand il faut chercher une information, à le décortiquer avec minutie lorsque « chaque mot compte ». Certains élèves ont fini avant tout le monde : cela peut être signe d’efficacité comme au contraire d’envie de se débarrasser le plus vite possible du travail. De même y a-t-il une « bonne lenteur » et une autre qui vient d’une gestion du temps inadéquate. Certains restent bloqués par une question à laquelle ils ne savent pas répondre, ne calculent pas bien le temps qu’il leur faut. Pour certains élèves, le temps est d’abord une « ressource », pour d’autres une contrainte. Quand le professeur annonce qu’ils ont dix minutes pour finir un exercice, pour certains « il y a encore » dix minutes, pour d’autres « il n’y a plus que dix minutes ». Bien sûr, plus on descend dans les petites classes, plus la gestion du temps est difficile et doit être accompagnée, mais il n’est pas trop tôt pour commencer !

Comprendre vraiment ce qui est demandé Concernant la compréhension des consignes, au-delà des aspects techniques, il existe souvent l’écueil de la non-compréhension de la tâche véritable. On a compris en apparence, on exécute parfois correctement sur un plan formel ce qui est demandé tout en ne donnant aucun sens à son travail, et dès lors on bâtit sur le sable. Une documentaliste raconte qu’elle s’aperçoit un jour dans son CDI qu’un élève recopie consciencieusement la définition du dictionnaire du mot « déconvenue » : « sentiment de qqn, une terrible déconvenue ». Elle demande ce que signifie « qqn » et d’expliquer à l’oral le mot. L’élève est quelque peu agacé, car on retarde le moment de recopiage et la sonnerie retentit. Il range son stylo, et lance avec le sourire de celui qui est satisfait de la tâche accomplie : « C’est bon, madame, c’est bon. La prof voulait juste qu’on écrive la définition. »

On pourrait multiplier les exemples allant dans ce (non-) sens. La réussite formelle peut être au rendez-vous, mais sûrement pas la compréhension. Où l’on voit bien que l’ennemie n’est pas « l’erreur », mais ici l’incompréhension de ce à quoi doit servir une recherche. C’est pourquoi je ne trouve pas une grande pertinence à l’expression « devoirs faits » pour désigner au collège le dispositif d’aide au travail personnel. Le problème n’est pas de « faire », et il est de la responsabilité du professeur d’aider les élèves à le saisir. Rien de plus désastreux à cet égard que, par exemple, de faire copier des lignes aux élèves en guise de sanction, ce qui dévalorise l’écrit, le transformant en un pensum, ou de multiplier les exercices à trous du Bled. Ou de ne rien dire lorsque l’élève a recopié ou copiécollé des pages d’Internet en guise d’exposé en arguant que « c’est déjà bien », et qu’il a « fait un effort ». La métacognition sera donc utile pour faire réfléchir les élèves sur les consignes qu’on leur donne (sont-elles des vérifications, des invitations à la recherche ou des entraînements ?), sur ce qu’est une bonne réponse en fonction de critères différents. Activités autour de « erreurs et consignes » 1. Je peux demander aux élèves de repérer, puis de classer les consignes qui leur sont données (déterminer un critère : faciles/difficiles ; réponse longue/réponse brève ; sous forme impérative/sous forme interrogative ; autre… On analyse ensuite les productions. 2. Je fais travailler à partir de réponses erronées à cause d’une mauvaise lecture de consignes pour amener les élèves à formuler des hypothèses. (Pourquoi s’est-il trompé ?) On peut aussi utiliser une série d’« erreurs » en demandant lesquelles sont plutôt dues à une mauvaise lecture de la consigne. 3. Je formule des questions en termes de « comment tu t’y prends pour » afin d’analyser les bonnes démarches et celles qui sont coûteuses en temps ou des fausses pistes. 4. Je fais imaginer la consigne ou la question posée à partir de la réponse. Cela facilite ensuite la lecture de consignes, si on s’est mis à la place du concepteur. 5. Je fais travailler sur des études de cas : comportements d’élèves face à une consigne, élèves en train de partir sur de mauvaises pistes, trop grande impulsivité, etc. 6. Je donne une consigne à l’oral, et je demande une reformulation écrite, ou inverse (consigne cachée). 7. Je donne des consignes et j’imagine des questions que posent les élèves : certaines sont pertinentes et acceptables, d’autres non. Faites la différence.

8. Je fais construire une consigne à partir d’un dessin (par exemple figure géométrique) ou à partir d’un objet. Puis elle est réalisée par d’autres élèves, s’ensuit une analyse des consignes rédigées : y a-t-il eu des erreurs (imprécision, lexique non pertinent, etc.) ? 9. je demande d’établir en commun, avec des mots simples, une fiche méthodologique, au besoin sous forme d’affiche avec photos. Avec insistance sur les erreurs à ne pas commettre (attention, danger !).

Prendre des notes Pour ce qui est de la prise de notes, celle-ci doit aussi faire l’objet d’un apprentissage continu qui commence par un développement de la capacité à copier avec efficacité, sans faire du mot à mot, sans avoir devant soi le mot à copier, qu’on peut cacher afin de faire comprendre qu’il s’agit de passer par l’intermédiaire d’une image mentale. Noter des mots-clés, ne pas vouloir trop écrire, utiliser des abréviations et des simplifications, avoir recours au croquis ou au schéma (image mentale notamment), autant de procédures qui doivent s’acquérir sur le long terme. Cela demande aussi de la part du professeur d’instaurer des moments où on s’arrête pour pouvoir justement noter les éléments essentiels de ce qui a été dit, mais sans que ce soit le résumé de l’enseignant. Là encore, on peut analyser collectivement des productions d’élèves, s’inspirer de modèles tout en sachant qu’il y a aussi une diversité de manières de noter. Il s’agit de se préserver de deux écueils : vouloir tout noter, en surestimant notre capacité à le faire et du coup porter son attention sur ce qu’on écrit et non sur ce qu’on écoute ou ce qu’on lit ; oublier qu’il va falloir ensuite relire ses propres notes, qui doivent donc servir « pour plus tard », être donc lisibles et fonctionnelles. Chez de plus jeunes élèves, il faut pratiquer la copie de phrases ou de texte en cachant par exemple ce qui est au tableau après

quelques minutes, afin que soit mise en œuvre une véritable opération mentale et non une activité mécanique. L’ordinateur et l’erreur L’usage du numérique, sous ses formes les plus diverses, modifie-t-il le rapport à l’erreur ? En fait, les réponses sont plurielles. Faisons simplement quelques remarques sur un sujet qui mériterait des études approfondies : 1. on sait que lorsque des élèves s’entraînent sur ordinateur, ils peuvent se tromper plus « tranquillement », sans être trop affectés par les signalements d’erreur du logiciel ; 2. d’un côté, une petite erreur de détail peut empêcher un accès à un logiciel et mal orienter une recherche : cela inciterait à plus de rigueur ; 3. mais, d’un autre côté, le petit miracle du numérique est que souvent le mot mal tapé est corrigé (« essayer plutôt avec cette orthographe »), et sur son smartphone le message peut se corriger facilement, si on s’en donne la peine. L’écriture dite « intuitive » peut être aussi un bon outil qui demande cependant une relecture pour éviter parfois les « bourdes » quand on a laissé écrire un mot à la place d’un autre ; 4. d’un côté, l’ordinateur permet d’utiliser un brouillon plus facilement, dès lors qu’on peut se corriger sans avoir tout à retaper, et on peut dialoguer avec le professeur si celui-ci par exemple met dans la marge des remarques avec la fonction « commentaires » ; 5. d’un autre côté, on connaît les pratiques de copier-coller intempestives, même si les élèves peuvent commettre l’erreur de méconnaître les possibilités de repérage des tricheries et plagiats. Sur tous ces points, il est encore essentiel de former les élèves au bon usage de ces formidables outils, en se défaisant des mythes du digital native dénoncés par des chercheurs comme André Tricot58 : comment justement utiliser des fonctionnalités de traitement de texte comme la révision ou les commentaires, comment copier-coller intelligemment, comment choisir des illustrations, comment se servir du courriel (en n’envoyant pas le message trop vite par exemple) et bien sûr comment chercher sans perdre trop de temps, en résistant à la tentation de cliquer sur les liens hypertextuels, etc.

Les moments de synthèse Il est essentiel d’articuler avec pertinence les moments d’activité des élèves, les mises en situation évoquées ci-dessus et les temps de synthèse où on « institutionnalise » les savoirs et méthodes qui ont

été convoqués. Il est capital que les enseignants acquièrent le maximum d’expertise pour mener à bien ces séquences et se gardent de dérives (qui sont autant d’erreurs !) : croire qu’un exposé magistral, agrémenté de réactions d’élèves pour l’apparence, puisse suffire ; penser que tout viendra des élèves, avec le risque par exemple de ne donner la parole qu’aux élèves les plus performants et avoir l’illusion donc qu’il s’agit de « la classe ». Ainsi à la fin d’un projet est-il crucial de prendre un temps, pas forcément long, où l’on récapitule ce qu’on a appris, en termes de connaissances bien sûr, mais aussi de savoir-faire, par exemple concernant la recherche documentaire, et d’inventorier les erreurs qu’on a appris à ne plus commettre ou à comprendre : ces affiches surchargées d’informations et illisibles, ces exposés où on lit d’une voix monocorde un texte écrit auquel soi-même parfois on ne comprend rien, ces travaux de groupe où on ne se fixe pas de méthodes et où on se repose sur certains élèves, ces informations qu’on a trouvées sur Internet sans s’être assuré un minimum de leur fiabilité. C’est l’occasion de travailler sur ce qu’on pourrait appeler « l’oral pour apprendre », à distinguer d’un oral de communication, cet oral où on justifie un avis, un résultat, où on construit sa pensée, où on la structure. Et à travers cet oral, comme pour l’écrit intermédiaire, on se fraie un chemin parmi les difficultés et les obstacles, sources d’erreurs donc. Le programme de cycle 3 par exemple recommande cet usage du langage « dans les dialogues didactiques, dans l’explicitation des démarches, dans les débats de savoirs ou d’interprétation (à propos de textes, d’images ou d’expériences) ». Cela implique notamment de la part des enseignants : de réfléchir à ce qu’on attend de cet oral pour qu’il soit réussi : le critère de la « phrase complète » n’est pas vraiment pertinent

alors qu’il faut surtout inciter « à aller au bout de son idée », peu importe la syntaxe et la « correction » ; dans la mise en place de l’oral réflexif, de laisser place aussi au silence : réfléchir avant de parler, avoir le temps d’hésiter et de chercher ses mots, se créer des images… d’articuler oral et écrit, les entrelacer : un oral qui prépare l’écrit (en petits groupes de pairs par exemple) et un écrit qui prépare l’oral (noter brièvement des idées, etc.) ou encore un écrit collectif qui valorise des paroles d’élèves ; de clarifier auprès des élèves la fonction des questions que nous posons en tant qu’enseignants : des questions pour vérifier une connaissance en vrai/faux ; mais aussi des questions vraiment ouvertes, pour lesquelles on montre aux élèves que toute parole est accueillie, prise en compte, valorisée, afin que les élèves sentent qu’ils peuvent être « auteurs » de leur parole ; de solliciter la parole de l’élève, et aider à la faire évoluer : reformulation par le professeur ou par les camarades. Faire passer du « moi » subjectif au « je » construit ; de ne pas sous-estimer le fait que l’oral fait prendre des risques, accompagner ceux qui ont moins d’aisance (en particulier parce que peu habitués culturellement à la verbalisation) ; de développer l’écoute : faire reformuler ce qui vient d’être dit, nommer des « gardiens du fil de la discussion ». On voit du coup les erreurs à corriger : la précipitation, l’envie d’avoir une réponse rapide, d’interrompre les élèves en train de chercher leurs formulations, de passer trop vite à la belle synthèse verticale qui, faute d’avoir été appropriée, ne donnera que peu d’effets à long terme. L’erreur majeure, ici, c’est de penser trop au court terme. Prendre conscience de ce danger est dès lors un levier pour faire évoluer ses pratiques !

En bref Les erreurs viennent aussi d’une mauvaise maîtrise des méthodes de travail. Des apprentissages systématiques doivent être mis en place pour développer « l’apprendre à apprendre ». Il concerne en particulier un certain usage de l’oral et le maniement des outils informatiques. Les moments de synthèse sont essentiels pour capitaliser ce que l’on a appris, et éviter ainsi des erreurs dans l’interprétation de ce que l’on a fait ensemble, par exemple.

58. L’Innovation pédagogique : mythes et réalités, Retz, 2018.

12. À l’heure des fake news Pour ne pas tomber dans les pièges de ce qui circule sur la Toile, pour apprendre à vérifier la fiabilité des informations Débusquer ce qui est faux et qui circule si vite sur les réseaux sociaux, une compétence qu’il est indispensable de développer. Comment permettre aux jeunes usagers et aux citoyens de demain de se prémunir contre la désinformation et leur faire connaître ces « biais cognitifs » qui les mènent à la crédulité et à l’erreur de jugement ? Une tâche incontournable désormais pour les enseignants.

Exercer la vigilance de la « raison » « Les vaccins présentent plus de dangers que d’avantages. De nombreux détails prouvent que les images des premiers hommes sur la Lune sont truquées. Ces photos (de Russie To-day) montrent bien que la France est à feu et à sang. Des études indépendantes et qui sont censurées par les puissants sont en contradiction complète avec la thèse du réchauffement climatique. Les licornes existent, voici une image de cette corne authentique. » Fake news, ce mot désormais popularisé et bien connu, images falsifiées, rumeurs et théories du complot, nos élèves (mais pas qu’eux !) sont assaillis par ces monstres qui profitent facilement de tout sommeil de la raison, pour reprendre le titre de la célèbre

gravure de Goya. Tant pis s’il y a un consensus scientifique pour prouver l’efficacité des vaccins, si tous les pseudo-arguments concernant l’alunissage ont été démolis par la NASA entre autres, si les chaînes d’info à la solde de la Russie sont spécialisées dans les images négatives de l’Occident en reprenant parfois des images d’autres contextes et d’autres époques, si le réchauffement climatique dû avant tout à l’action humaine est hélas désormais démontré et, bien sûr, si les pseudo-cornes de licorne exhibées depuis plusieurs siècles ne sont que des cornes de narval. Pour autant, il n’est pas sûr qu’on convaincra le crédule ou l’hypersceptique qui doute de tout sauf de ses propres doutes. S’agit-il là d’« erreurs » ? Pas vraiment de la part de ceux qui répandent ce venin et pratiquent la malhonnêteté pour des raisons idéologiques la plupart du temps. Mais certainement de la part de ceux qui adhèrent à ces fausses informations et qui se pensent au contraire comme des chercheurs de vérité, faisant preuve d’esprit critique et ne voulant pas tomber dans l’erreur de la vérité prétendument officielle. Comment gérer tout cela en classe ? D’abord en se persuadant que le problème n’est pas simple. Des cours magistraux, des démonstrations implacables, l’appel à la science, tout cela ne peut suffire et est bien souvent inefficace aux yeux de ceux qui écoutent le chant des sirènes : « On nous cache tout, on nous dit rien. » Il est essentiel de s’inscrire dans un temps long, et dans le secondaire d’entrer dans une démarche transdisciplinaire à tous les niveaux de l’enseignement.

Quelques principes à suivre On connaît peut-être un récit savoureux de Fontenelle. Dans son Histoire des oracles, le philosophe raconte qu’en 1593, en Allemagne, on découvrit une dent en or chez un enfant de sept ans. De nombreux savants ou théologiens élaborèrent les théories les plus diverses pour expliquer ce phénomène avant qu’on ne

découvre qu’il ne s’agissait que d’une supercherie due à un orfèvre faussaire. Et Fontenelle d’énoncer ce qui aujourd’hui encore pourrait éclairer bien des disputes ou les relativiser : « Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens, qui courent naturellement à la cause, et passent pardessus la vérité du fait, mais enfin nous éviterons le ridicule d’avoir trouvé la cause de ce qui n’est point. » J’ai personnellement travaillé ce texte avec des collégiens, en leur demandant, après qu’ils avaient bien compris le texte, de trouver des applications à aujourd’hui de cette histoire, en faisant allusion aux rumeurs circulant sur Internet, et également d’imaginer un article de journal juste après le « verdict » de l’expert à la fin qui démonte la supercherie. Cette anecdote peut être le point de départ d’une réflexion de fond sur la façon dont on établit les faits, afin de combattre toute idée de « vérité alternative » chère à un certain président américain. Dans chaque discipline, un tel travail peut être fait : comment ne pas commencer par interpréter tant que les faits ne sont pas établis, comment vérifier les sources, les recouper, comment garder un esprit critique y compris lorsque est invoqué cet esprit critique de façon dévoyée. Cela s’inscrit d’ailleurs en rupture avec le fonctionnement actuel de nombreux médias qui, entraînés dans une course concurrentielle, ne prennent pas le temps de vérifier la véracité des faits. Pour cela, il faut établir des critères de vérité, qui peuvent différer selon les disciplines. Mais sans doute la formation à l’établissement de faits doit-elle prendre des formes actives. Aller voir dans les archives, consulter des sources d’information différentes en se posant les questions des degrés de fiabilité de chacune d’elles, comprendre ce que signifie le consensus d’une communauté scientifique, autant d’éléments clés dans la construction de la

chasse aux erreurs. Bien sûr, le problème est que le fait brut ne suffit pas et qu’il faut souvent le décoder, l’interpréter. N’empêche, le 14 juillet 1789, la Bastille a bien été prise et détruite, la Terre est bien ronde, les dinosaures n’étaient pas contemporains des hommes préhistoriques ! Cela n’empêche pas de continuer à discuter sur les causes de la révolte parisienne, de nuancer l’idée de rotondité (la Terre n’est pas stricto sensu « ronde ») ou de s’interroger sur les raisons de la disparition des dinosaures et de leur descendance sous la forme des oiseaux. Mais faisons aussi attention à ne pas brouiller les jeunes esprits en instillant un doute qu’ils ne peuvent pas toujours gérer. On est bien obligé d’enseigner des vérités provisoires et de ne pas exporter de façon trop stricte en classe les doutes du scientifique rigoureux, « sceptique » par définition, car c’est offrir naïvement une arme trop précieuse aux négationnistes en tout genre. À cet égard, il convient de combattre un pointillisme excessif qui laisserait penser qu’une erreur factuelle, de détail, suffirait à démentir un ensemble de faits avérés ou une théorie solide. Les « révisionnistes de la Shoah » ont ainsi exploité certaines exagérations sur le nombre de juifs exterminés ou certains faits précis concernant la déportation pour remettre en cause de façon scandaleuse un phénomène indiscutable. Les complotistes en tout genre sont forts pour s’engouffrer dans la moindre faille pour contester la « vérité officielle ». On est toujours pris entre le Charybde du dogmatisme et le Scylla du scepticisme, et en être conscient est le premier pas vers des pratiques efficaces. Quand le recours à la science ne suffit pas, loin de là ! L’Américain Steve Pinker, dans un ouvrage dont on ne saurait trop conseiller la lecture, Le Triomphe des Lumières59, cite une étude selon laquelle il est faux de penser que ceux qui doutent le plus du réchauffement climatique sont les moins informés. « Le

facteur prédictif du déni du changement climatique d’origine humaine n’est pas l’analphabétisme scientifique, mais l’idéologie politique. Les gens adhèrent à des convictions ou les rejettent pour exprimer non ce qu’ils savent, mais qui ils sont. » Si on se projette à l’école, les élèves ont souvent les convictions de leur famille ou de leur milieu culturel ; ce serait simple s’il suffisait de leur « ouvrir les yeux » !

Richard Monvoisin et Stanislas Antczak ont publié (voir le site Cortecs60 qui s’attaque aux fausses croyances) un « recueil de moisissures argumentatives », ou comment bâtir un raisonnement faux pour convaincre de certains points de vue. Pour combattre les rumeurs et infox, fondées sur des arguments douteux, c’est un document utile et d’ailleurs savoureux. À partir de là, il s’agit de faire comprendre aux élèves ce qu’il y a d’erroné (produit de bonne ou mauvaise foi, c’est une autre question) dans nombre d’informations qui circulent et qui aboutissent à des conclusions fausses. Connaître ces erreurs de raisonnement (ou falsifications volontaires) fait partie de ce que certains appellent « l’autodéfense intellectuelle ». Citons notamment : la généralisation abusive ; la confusion corrélation-cause déjà évoquée ; la confusion entre conséquence et postériorité ; l’argument d’autorité ; le renversement de la charge de la preuve ; l’appel à la popularité. La généralisation abusive va ériger le fait qui arrange en preuve d’une conception parfois fantaisiste ou dangereuse. La culture des statistiques sera à opposer à ces châteaux de sable bâtis sur des faits anecdotiques : les quelques personnes décédées à cause d’un vaccin qui justifieraient la méfiance envers ce qui a épargné tant de vies humaines, les quelques individus de classes populaires ayant monté dans l’échelle sociale qui prouveraient qu’existe une égalité des chances, etc. Lorsque se répandent des théories conspirationnistes, les élèves

peuvent être abusés par les corrélations qui existent entre deux phénomènes, en ignorant l’existence du « hasard » qui fait que deux événements peuvent bien arriver en même temps sans qu’il y ait un quelconque rapport de causalité. Dans Guerre et Paix, Léon Tolstoï en donne une belle illustration : « Les paysans disent qu’à la fin du printemps, un vent froid souffle parce que les bourgeons du chêne s’épanouissent et, en effet, chaque printemps [cela se produit]. Mais bien que la cause de ce vent froid qui souffle alors me soit inconnue, je ne puis en conclure avec les paysans que la cause de ce vent est l’épanouissement des bourgeons du chêne, pour la bonne raison que la force du vent n’est pas influencée par les bourgeons. » Les complotistes ont au fond pour slogan le fameux « est-ce par hasard ? je ne crois pas ». Il faut au contraire montrer l’importance du hasard aussi bien en histoire qu’en SVT. Et mettre en avant la différence essentielle entre corrélation et causalité ou la confusion qui peut se faire entre cause et conséquence. S’il est facile de comprendre que ce n’est pas parce que les gens sortent leur parapluie qu’il pleut, il est parfois plus difficile de saisir que le ressenti de l’insécurité augmente alors même que les crimes et agressions diminuent, mais deviennent de plus en plus intolérables dans un contexte social plus paisible. Ou que le fait que les enfants d’origine étrangère réussissent moins bien à l’école vient d’abord du fait qu’ils appartiennent pour la majorité à des catégories d’élèves de milieu populaire qui en général réussissent moins bien, quelle que soit leur origine. Le problème de l’argument d’autorité n’est pas simple, car il faut bien se référer à des autorités. Se pose alors la question de la fiabilité des sources : une instance scientifique a plus de légitimité qu’un site personnel, ce qui vient d’un consensus de savants, sans être « la vérité », est plus fiable que les opinions non étayées d’un expert autoproclamé, tels ces charlatans niant le réchauffement climatique sans être vraiment compétents sur ces questions. L’erreur est double : croire aveuglément ce qu’énoncent des autorités, comme douter systématiquement de ce qui viendrait « d’en haut ». L’inverse, d’ailleurs, de l’argument d’autorité pourrait être celui du

« discrédit » : tel avis ne pourrait être valable parce qu’il vient d’une institution ou d’intérêts privés qui ont tout à gagner à ce qu’on adhère à cette opinion. Du coup, on va refuser d’accorder crédit à une étude venant d’un laboratoire pharmaceutique ou d’un ministère, alors qu’on va valider une autre qui pourtant est orientée par des convictions militantes. Et c’est sur ces bases qu’on va construire les élucubrations attribuant à la NASA une vaste machination pour faire croire que les hommes ne sont jamais allés sur la Lune ou aux services secrets français les attentats de 2015. Ou, de façon plus sérieuse, accorder crédit systématiquement à des affirmations qui peuvent aller dans « notre » sens, concernant par exemple les OGM, les pesticides, le nucléaire ou les rythmes scolaires. Il est difficile, voire impossible, de prouver que quelque chose n’existe pas. Il est impossible de prouver que le yeti ou le monstre du Loch Ness n’existent pas. Mais il ne faut pas renverser la charge de la preuve. « Qu’est-ce qui le prouve ? » peuvent objecter les élèves en de multiples occasions. À nous de partir de méthodologies scientifiques qui permettent d’établir une vérité parfois fragile, mais plutôt étayée. La science a du mal d’ailleurs à rivaliser avec les opinions à l’emporte-pièce, car, par essence, elle s’accompagne d’un doute méthodique qui préfère le « très probable que » au « il est certain que ». Reste la force de la popularité d’une opinion. À l’heure des réseaux sociaux, celle-ci peut être surestimée, car on va lire des messages venant d’un groupe restreint qui peut donner l’illusion qu’il est très représentatif. Ce qui est difficile, c’est de développer l’idée qu’on peut être très minoritaire et avoir raison, mais que ce qui a été affirmé plus haut sur la validité plus grande de ce qui relève d’une expertise et d’une méthodologie rigoureuse est vrai également. Reste qu’il est important de lutter contre le conformisme, le suivisme, qui induisent en erreur ou font adhérer à une erreur contre sa propre intuition. Il existe une expérience célèbre, de nombreuses fois reproduite, due au chercheur américain Solomon Asch en 1950. Un individu devait résoudre un problème très simple qui, dans des

conditions normales, donnait 99 % de réponses justes. Mais, dans l’expérience, il répondait après sept autres personnes qui en fait étaient des comparses qui faisaient exprès de donner une autre réponse, et, dans 75 % des cas, l’individu donnait cette même mauvaise réponse, très largement influencé par les autres. Cependant, si en plus du groupe qui répond faux on ajoute un autre comédien qui, lui, donne la bonne réponse, cela fait disparaître l’influence du groupe. Les effets sont très atténués si on demande une réponse par écrit plutôt que par oral. On voit bien que cela relativise un slogan porté par des mouvements d’éducation nouvelle : « On est plus intelligents à plusieurs », à quoi on peut opposer qu’il est important de savoir penser contre l’avis majoritaire !

Exemples de pratiques De nombreux enseignants ont pris à bras-le-corps le problème de la lutte contre les fausses informations. Le sujet dépasse d’ailleurs le cadre de ce livre, et nous nous contenterons de n’indiquer que quelques pistes. Le travail sur la vérification des sources est primordial. Le but est de mettre en place des échelles de fiabilité et des critères qui permettent de valider ou non telle ou telle source. Sans que cela invalide l’information, lorsque la source est liée à certains intérêts, elle est moins fiable. Pour ma part, j’ai fait travailler sur le sujet des élèves de quatrième, et je posais aussi la question sur des sujets touchant directement aux élèves dans leur environnement scolaire. Une information selon laquelle le professeur est absent est plus crédible lorsqu’elle vient d’un membre de l’administration que quand c’est une nouvelle qui circule de bouche à oreille. Nous avons également travaillé sur la comparaison entre informations dans un conflit armé selon qu’elles venaient d’un camp ou d’un autre ou d’une instance neutre. On sait combien, lors des guerres, la propagande tord la réalité. Occasion aussi de travailler sur ces formes qui permettent d’exprimer l’incertitude : l’usage du

conditionnel, les « il semble que » ou les « selon telle source d’information ». Travailler sur les erreurs de prédiction Trop d’élèves, trop d’adultes aussi, y compris cultivés et instruits, croient en l’astrologie. Ou, plus simplement, lancent des affirmations rapides sur ce qui va se passer dans l’avenir. Il est intéressant, selon le niveau des élèves, de présenter un certain nombre d’erreurs qui ont été commises concernant ces prévisions ou prédictions. Ces dernières, il est vrai, sont parfois formulées de manière si sophistiquée qu’on peut leur faire tout dire, tels les fameux versets de Nostradamus. Mais il faudrait faire la collecte des prédictions des « madame Soleil » en tout genre pour montrer combien la plupart ne se réalisent pas, ce qui ne démonte pas cependant les fans des horoscopes. Mais comme le disait Voltaire : « Les astrologues ne sauraient avoir seuls le privilège de toujours se tromper. » Dans de nombreuses matières scolaires, on peut ainsi relever nombre de projections vers l’avenir qui se sont révélées fausses. Comme ce texte d’écrivains et d’artistes protestant contre la tour Eiffel et annonçant qu’elle allait faire fuir tous les visiteurs de Paris, comme ces faux Cassandre (car elle, avait tout juste !) déclarant certaine une guerre nucléaire dans les dix ans, ou ces nombreux économistes se trompant dans leurs prévisions. Il s’agit ici d’inciter à la prudence et plutôt de raisonner en termes de scénarios possibles et d’hypothèses. Une piste intéressante, pas toujours appréciée des historiens, même si les avis évoluent, est celle de l’histoire contrefactuelle, ou uchronie, qui fait envisager ce qui aurait pu se passer si… (si Napoléon avait gagné à Waterloo, si l’Invincible Armada avait triomphé, si Roosevelt avait été battu aux élections américaines ou si l’Empire romain s’était maintenu61…) C’est l’inverse de la prédiction, mais cela peut faire réfléchir sur la part du hasard dans l’enchaînement des événements, et certains enseignants utilisent désormais avec prudence cette intrusion de la fiction qui peut faire les délices du cours de français.

Un travail systématique est mené souvent dans le cadre de l’éducation aux médias et à l’information qui ne peut plus ne pas se préoccuper de ce qui circule sur Internet ni des « nouveaux médias ». Il est intéressant d’ailleurs d’étudier comment est traitée l’erreur par ces différents médias, erreurs qui sont aussi dues à la précipitation qui fait annoncer tel événement (y compris le décès d’une personnalité ou le résultat de telle élection) avant d’avoir vérifié qu’il se révélait faux et non avenu. On peut aller voir comment fonctionnent les rubriques de « désintox », surtout lorsqu’on dépasse l’opposition vrai/faux pour introduire « le partiellement vrai », ou la

façon dont un chiffre, un fait sont utilisés de façon sommaire ou partielle pour appuyer telle ou telle thèse. Une autre manière de combattre les « intox » ou « infox » est de pousser leur logique à bout, de questionner les élèves sur les conséquences de telle information. Si les Américains n’ont pas été sur la Lune, si l’avion ne s’est pas écrasé sur le Pentagone, combien de personnes ont dû être dans le coup, et comment se fait-il que personne n’ait dénoncé cette immense supercherie entre chercheurs en aéronautique ou témoins visuels ? On ne peut vraiment convaincre ceux qui sont enfermés dans leur « vérité alternative », mais on peut les isoler et rallier ceux qui doutent et sont influençables… La manipulation d’images, bien entendu, est une des armes des diffuseurs de fausses nouvelles. Montrer comment, aujourd’hui, on peut transformer l’image, bien mieux que ne le faisaient les propagandistes soviétiques dans les années 1950-1960, est essentiel.

Activités, esprit critique et erreurs Activité

Erreur qu’on veut faire travailler

Difficultés

Exemples

Activité

Erreur qu’on veut faire travailler

Difficultés

Exemples

Je m’organise des recherches à propos d’informations contenues dans un texte de fiction (livre, film) : est-ce que c’est « vrai » ? Quelle est la source historique ?… (françaishistoiregéographie, mais aussi sciences).

Confondre ce qui est symbolique et ce qui est de l’ordre du réel.

On peut se heurter à des croyances familiales, notamment en matière de religion.

Travail autour de textes fondateurs comme la Bible : qu’est-ce qui est vrai ? Comment peut-on savoir si c’est vrai ?

Je travaille avec les élèves sur l’argumentation, et en particulier la distinction entre texte « neutre » et texte publicitaire (qui a un intérêt particulier).

Prendre au comptant ce qui est dit dans un message qui défend certains intérêts, mais sans pour autant douter systématiquement de ce qui est dit.

Trouver ce bon équilibre entre l’adhésion naïve au message et la méfiance absolue.

Lire la présentation d’un monument par exemple selon qu’elle est dans un dépliant de l’office de tourisme ou d’un guide « neutre ». Puis faire écrire deux textes selon ces modèles.

Je demande aux élèves d’adopter un point de vue qui n’est pas forcément le leur.

Savoir se mettre à Se décentrer n’est pas la place de l’autre chose facile. peut aider à « penser contre soi-même » et dépasser son point de vue.

Dans un débat, on adopte un point de vue du type « avocat du diable ».

Activité

Erreur qu’on veut faire travailler

Difficultés

Exemples

Je travaille sur les idées reçues, en faisant chercher des contreexemples.

Les idées reçues sont un poison, même si certaines reflètent partiellement la réalité. L’erreur est d’en rester là bien sûr !

Certains des stéréotypes qu’on va combattre sont fortement ancrés chez les élèves (par exemple les rapports garçons-filles). Le risque est que les élèves jouent le jeu, fassent semblant, sans pour autant faire évoluer leur position.

Inventaire de stéréotypes sur des pays et leurs habitants, puis montrer que la réalité est bien plus riche.

Je développe des pratiques d’autoévaluation ou de coévaluation (critique de sa propre production), j’implique les élèves dans les démarches d’évaluation.

Certains élèves se sous-estiment, d’autres ne parviennent pas à définir leurs atouts et leurs points faibles, ou à repérer les erreurs commises et leurs causes.

Pour des élèves peu habitués à ce recul critique sur euxmêmes, il faut être patient et les entraîner progressivement à entrer dans cette démarche.

Correction de devoirs en groupes, ou seuls à partir de questions données par le professeur.

Je propose de temps en temps des analyses critiques sur certaines consignes, sur des erreurs d’écrivains ou de savants (français, sciences, histoire…).

Les élèves peuvent pénétrer dans les secrets de fabrication des œuvres au sens large, se rendre compte qu’on ne réussit pas du premier coup. Que les plus grands se sont trompés un jour…

Le brouillon d’écrivain, le carnet d’expériences qui révèle une démarche parfois tâtonnante sont intéressants mais parfois éloignés des possibilités de l’élève, qui risque de ne pas en tirer parti pour luimême. Il ne s’agit pas non plus d’inciter au scepticisme…

Projection de documents au tableau, analyse des erreurs ou des « errances », puis discussion sur les transferts possibles dans sa pratique d’élève.

Activité

Erreur qu’on veut faire travailler

Difficultés

Exemples

J’interroge le «bon sens», ce qui à une époque paraît évident et ne l’est plus ensuite.

Une erreur qui paraît grossière aujourd’hui était une vérité à une certaine époque : montrer cela, c’est lutter contre le dogmatisme.

Il ne s’agit pas d’un jeu de massacre dangereux ; il faut montrer les raisons de ces erreurs, leur logique et éventuellement leur fécondité.

Présentation de plusieurs de ces erreurs (par exemple, l’âge de la Terre, la génération spontanée, les « bosses » dans le cerveau…)

Je fais décrypter les médias.

« C’est vrai parce que je l’ai lu dans le journal » ne vaut pas mieux que « dans les journaux, ils nous mentent tous ».

Les médias sont aujourd’hui supplantés par ce qui circule sur les réseaux sociaux. Il faut parvenir à montrer qu’il y a bien plus d’erreurs dans cette circulation que ce qui vient de professionnels.

Analyse comparée d’une information diffusée par des médias différents. On peut même voir sur Internet l’évolution de cette info d’une heure à l’autre, dialoguer avec un journaliste autour de la fabrique de l’information, utiliser les outils du CLEMI..

Je fais travailler sur des images animées, en les décodant.

Que de mauvaises interprétations parce qu’on a manipulé l’image, parce qu’on a vu ce qu’on croyait voir. Indispensable aujourd’hui.

Les techniques de manipulation sont de plus en plus sophistiquées et on peut, faute de vigilance, nous faire croire beaucoup de mensonges ou de vérités très approximatives. Introduire la vigilance bouscule une certaine paresse qui nous empêche d’aller vérifier si par exemple on n’a pas plaqué une image ancienne sur une info actuelle.

Analyse d’images, par exemple de photos auxquelles on peut faire dire des choses très différentes. Un document-culte : l’extrait de Lettre de Sibérie de Chris Marker où la même séquence filmée prend trois significations différentes selon que le commentaire est prosoviétique, anticommuniste ou touristique.

Activité

Erreur qu’on veut faire travailler

Difficultés

Exemples

J’aide à repérer sur Internet les sources fiables des autres.

La connaissance des ressorts d’Internet est plus mal connue qu’on le croit. Il y a un vrai travail de décodage à effectuer, par exemple pour démystifier les moteurs de recherche.

Les élèves croient savoir chercher, peuvent être impressionnés par telle ou telle présentation. Les sites mis en avant par Google obéissent à des logiques commerciales en grande partie (et une erreur est de penser qu’il n’existe pas d’autres moteurs comme Qwant…).

Travail sur plusieurs séances sur la recherche d’informations, à partir de questions comme « Qui a découvert l’Amérique ? » « Qui a inventé le vélo ? » etc. qui donnent des réponses variées et ouvrent une discussion sur ce qu’on peut apprendre sur des sites (activités suggérées par le pédagogue belge Christian Watthez, voir Cahiers pédagogiques no 508).

Une professeure des écoles de Haute-Savoie, Rose-Marie Farinella, très engagée dans ce travail, expliquait ainsi dans les Cahiers pédagogiques62 : « Les élèves ont découvert l’importance de la contextualisation des textes et des images. […] La photo d’une fillette recouverte de boue, serrant un petit chien contre son cœur, a fait le buzz. Les internautes se sont apitoyés devant cette pauvre enfant censée avoir été photographiée pendant la guerre en Ukraine, alors que le cliché a été pris en Australie, quatre ans avant le conflit. Pour prouver qu’on peut facilement inventer une légende, les élèves se sont amusés à en imaginer à leur tour. D’où l’intérêt de leur montrer l’utilisation d’applis très simples pour retrouver où et quand a été postée une photo. » On peut d’ailleurs voir des moments du travail de cette enseignante dans des vidéos diffusées par le site Hygiène mentale, comme cette séquence où on voit les élèves argumenter contre la théorie des… reptiliens (Obama, président à l’époque, étant en fait un reptilien, comme le montrent certaines de ses postures)… Car c’est bien là la clé de la démystification et de la vigilance quant

aux erreurs d’appréciation : rendre les élèves actifs, producteurs de hoax et de faux complots. Mais il s’agit d’un travail de longue haleine et il faut être patient pour voir des fruits fragiles de ce travail. Car, à l’inverse, il ne faut pas tomber dans le scepticisme généralisé. Sans oublier qu’une image peut avoir été manipulée par des propagandistes qui pourtant « servent la bonne cause », ou du moins cela ne disqualifie pas forcément le camp dans lequel se situent ces propagandistes. Ainsi, durant la Seconde Guerre mondiale, la propagande alliée n’était pas exempte de torsions de la vérité ! Des documentaristes américains ont ainsi peint en rose l’Union soviétique, car la période s’y prêtait, avant de faire le contraire, quelques années plus tard. Pour autant, qui contesterait la légitimité de la cause qu’ils défendaient ? Il s’agit comme dans d’autres domaines traités dans ce livre de ne pas penser que la lutte contre les erreurs peut se gagner de façon « descendante » par un exposé du professeur, par la seule exposition à des documents justes ou par les vertus d’une démystification magistrale. Là encore, les élèves doivent comprendre les sources d’erreur, travailler avec pour apprendre à être des citoyens avertis qui ne s’en laissent pas conter, mais qui savent aussi se méfier de ceux qui prétendent révéler on ne sait quel secret qu’on nous cache ou qui combattent la prétendue pensée officielle. En bref Les croyances, les préjugés sont source de nombreuses erreurs. Il est nécessaire en classe de travailler sur l’établissement de la vérité : vérification des sources, utilisation d’une méthodologie rigoureuse, mise en garde contre les pièges et biais cognitifs. Il n’est pas facile de lutter contre la désinformation, les fausses sciences, les « vérités alternatives » à l’heure des réseaux sociaux. Rendre les élèves actifs, « semer des graines » est plus productif que de vouloir éradiquer les croyances erronées, et c’est un travail de longue haleine.

59. Les Arènes, 2018.

60. En savoir plus : www.cortecs.org ; www.zetetique.fr 61. Allusion à des romans uchroniques célèbres, dont on peut trouver une bibliographie sur de nombreux sites, dont http://www.topito.com/top-8-des-romans-uchroniques. Il faut lire pour aller plus loin le bel ouvrage Pour une histoire des possibles : analyses contrefactuelles et futurs non advenus de Quentin Deluermoz et Pierre Singaravélou, qui propose quelques pistes pédagogiques (Seuil, 2016). 62. Dossier sur l’éducation aux médias et à l’information, no 536, mars 2017.

13. La nécessaire formation des enseignants Le travail sur l’erreur est un des fondamentaux du métier Tout ce que nous avons évoqué dans ce livre : la nécessité de dédramatiser l’erreur, la considérer comme une étape dans la construction de connaissances et compétences par les élèves, organiser des activités tirant parti de ces erreurs, mais savoir aussi faire le tri entre erreurs à éviter et erreurs à « exploiter » pour aller plus loin, savoir aussi classer les erreurs selon leur origine, tout cela requiert une transformation sensible des pratiques pédagogiques. Et cela passe par une formation accrue, qu’elle soit initiale ou continue, mais aussi par la mutualisation de pratiques au sein des établissements, ce qui est davantage de l’ordre de la féconde coformation. Bien des professeurs, nous l’avons vu, adoptent davantage une attitude bienveillante, l’idée qu’on doit « apprendre de ses erreurs » a fait son chemin, la note-sanction est de plus en plus remise en cause, mais cela ne suffit pas. Nous avons vu aussi qu’il ne suffit pas de dire aux élèves que se tromper « n’est pas grave », de remplacer des notes par des couleurs ou de vouloir faire travailler les élèves sur leurs erreurs pour mettre en place des pratiques vraiment efficaces, qui aident les élèves à comprendre et réussir. La formation est donc nécessaire, dès lors qu’elle est comprise comme

quelque chose de normal dans une profession et non une remise en cause de la compétence des professeurs. Contrairement à ce que laissait penser de façon ironique un dessin de Pessin dans Le Monde, ce n’est pas parce que l’école va mal qu’il y a de plus en plus de demandes de formation, celles-ci seraient plutôt un symptôme d’un état positif et dynamique. Plusieurs formateurs nous donnent un aperçu de ce qui peut être proposé, aussi bien aux débutants qu’aux enseignants aguerris qui ont besoin d’être bousculés dans leurs habitudes et représentations.

Analyser ses propres erreurs Nadia Voillequin montre comment on peut accompagner de jeunes enseignants sur le chemin d’une prise en compte de leurs propres erreurs pour limiter les « errances », à travers un exemple très concret et « trivial ». « L’erreur est intrinsèquement liée à l’errance. Lorsque nos jeunes stagiaires arrivent dans nos établissements, en particulier les stagiaires qui sont encore étudiants en M2, ne sont-ils pas placés en situation d’errance ? Comment, après avoir fait leurs preuves sur le plan des connaissances, disciplinaires et didactiques, et obtenu leur concours, se frayer un chemin vers la construction d’une identité professionnelle ajustée ? Quels que soient l’accueil et la bienveillance dont font preuve les inspecteurs, les tuteurs et formateurs qui encadrent les stagiaires, il y a bien un parcours initiatique que seul le jeune enseignant peut réaliser. Comment accompagner ce cheminement et comment l’erreur peut-elle construire d’“autres possibles” ? La première observation que je fais de la séance de ma stagiaire est chaotique. Une collègue lui a demandé, au dernier moment, de changer de salle afin de pouvoir conserver les notes laissées au tableau. Elle accepte mais personne n’est au courant. Dans l’ensemble des informations, explicites et implicites, qu’elle doit

gérer, elle ne pense pas à me prévenir. Elle arrive pour récupérer ses élèves dans la cour et je ferme la marche. Seulement, une partie de la classe se retrouve séparée du groupe par une autre classe qui traverse le hall au moment où nous passons. Lorsque la dizaine d’élèves et moi arrivons devant la salle, nous trouvons porte close. Personne ne sait où se trouve ma jeune collègue. Quelque vingt minutes plus tard, nous finissons par la rejoindre dans une salle. Les élèves sont agités par l’irruption de leurs camarades, euxmêmes perturbés par notre errance dans les couloirs. Ma jeune collègue tente de mener une séance sur la caractérisation des genres, et sur la particularité du conte Cendrillon, dans un brouhaha important et avec des élèves qui n’entrent pas dans les activités proposées. À la fin de la séance, je lui demande de réaliser une analyse de pratiques en trois parties63 : une description factuelle d’un moment de la séance, des questionnements nés pendant ou en lien avec ce moment et des hypothèses de compréhension. Cette analyse sera le support de notre entretien. Je découvre la description de ma stagiaire, elle évoque la disposition en îlots de la salle qu’elle a occupée, disposition qui l’a surprise. Elle attribue l’agitation de ses élèves à cette architecture de l’espace. Par le questionnement, je l’amène à s’interroger sur d’autres causes possibles, et elle finit par suggérer que l’arrivée d’un groupe d’élèves (et l’absence de ce groupe en début d’heure) a peut-être occupé l’esprit et les conversations des élèves. De plus, elle comprend que ces élèves retardataires ne pouvaient entrer dans l’activité plus ou moins commencée par leurs camarades. Si je m’abstiens de commentaires, dans ce temps d’analyse, elle finit elle-même, par le truchement des questionnements, par pointer le dysfonctionnement premier, à savoir un changement de salle de dernière minute, ignoré de tous, qui provoque en cascade d’autres dysfonctionnements, au sein même de la situation d’apprentissage. Dès lors que l’erreur devient consciente, qu’en faire ? Comment ne pas culpabiliser celui qui découvre sa « faute » ? Le

questionnement, dans une posture maïeutique, permet encore de sortir de la culpabilisation et d’accompagner une construction réflexive des gestes professionnels. Le stagiaire peut être amené à envisager les autres possibles de la situation. Comment réagir face à un changement de dernière minute ? L’accepter ? Si oui, comment rendre ce changement sécurisant et en accord avec les règles de fonctionnement de l’établissement ? Si non, comment gérer son intégration dans l’équipe quand on refuse un service ? Comment refuser un service sans mettre en péril sa relation avec les élèves et avec ses collègues ? Dans les hypothèses d’action qui sont formulées, le stagiaire peut envisager plusieurs voies, choisir celle qui correspond à son identité propre, et construire une compétence qui le rende éducateur responsable, garant de la sécurité des élèves qu’il a en charge. Pour la stagiaire, la prise en charge des élèves a évolué. Après cette erreur, elle ne devance plus ses élèves lors de la montée en classe : elle a fait le choix de les suivre. »

Comment aider les élèves à partir de leurs copies ? Cécile Ghienne, chercheure au laboratoire Babel (université de Toulon), fait travailler de futurs enseignants en formation sur l’évaluation et l’annotation de copies. Elle évoque, comme exemple, un travail avec un groupe de professeurs des écoles à Marseille, où il s’agit notamment d’examiner comment traiter les erreurs dans une copie d’élève. « La copie présentée était celle d’Alexandre, scolarisé en CM2 à Marseille. Le texte faisait suite au sujet suivant, distribué par l’enseignante : “Décris la chambre d’un garçon désordonné.”

Chaque enseignant stagiaire a reçu un exemplaire de cette copie et s’est livré à une correction. Après avoir laissé au groupe quinze minutes de travail, j’ai recueilli oralement les annotations qui avaient été adressées à l’élève : de nombreux enseignants ont déploré le manque de ponctuation : certains ont ajouté directement sur la copie les signes de ponctuation manquants tandis que d’autres, par un système de code propre à chacun, ont invité l’élève à procéder aux corrections nécessaires ; tous les enseignants ont signalé le mauvais emploi de la coordination “et” (ligne 5), en l’entourant ou en la déplaçant ; la quasi-totalité des enseignants ont indiqué que les phrases du troisième paragraphe étaient trop longues : “coupe tes phrases”, “une idée par phrase”, “ponctuation”, etc. ; un quart du groupe d’enseignants a reproché à l’expression “a laissé tomber” son caractère familier. Après ce premier bilan, j’ai décidé de distribuer au groupe le brouillon de l’élève.

Après dix minutes de réflexion, j’ai recueilli les différentes réactions des enseignants : les enseignants ont remarqué que l’élève avait fait un tri dans les différentes énumérations : Alexandre a en effet regroupé les objets ludiques – jeux et accessoires de sport – d’une part et les affaires scolaires d’autre part ; les participants ont également noté la suppression des posters fixés au mur, dans la version finale ; le déplacement de la phrase “Je crois que sa maman a laissait tomber” est également souligné. À la suite de la comparaison des deux versions de l’élève, les professeurs des écoles ont tous fait évoluer leurs annotations. Le reproche concernant l’emplacement du connecteur “et” est à chaque fois atténué par la valorisation de la cohérence globale du texte, le tri effectué par l’élève est jugé pertinent. La suppression des posters est analysée par le groupe comme le signe d’une bonne gestion du cadre spatial : Alexandre privilégie la déambulation hasardeuse du personnage et se concentre, de ce fait, sur la description du sol jonché d’objets. Quant à l’expression familière de la dernière phrase,

elle s’accompagne pour certains enseignants d’une annotation félicitant le caractère conclusif du dernier paragraphe. Cette petite expérience a permis à des professeurs des écoles en formation de prendre conscience de la nécessité de considérer le travail de l’élève dans son ensemble, du brouillon à la réalisation finale. Les ratures du premier jet ne sont plus les témoins d’erreurs, mais bien au contraire des traces de la réflexion métalinguistique de l’élève et des tâtonnements nécessaires dans l’acquisition des compétences scripturales. » En formation continue, Anne-Marie Sanchez, dans l’académie de Versailles, organise ainsi certaines journées de stage. « Dans le cadre d’une formation intitulée “L’accompagnement personnalisé au collège”, ma collègue Aurélie Letellier et moi-même avons choisi de proposer un temps de réflexion sur le travail de l’erreur. Nos objectifs étaient pluriels, en vrac : permettre des échanges constructifs entre les participants, faire connaître le travail de Jean-Pierre Astolfi sur le thème, travailler les différentes possibilités d’analyse, donner du temps pour une conception collaborative de réponses adaptées en amont et en aval, alerter sur les interprétations des erreurs, déconnecter l’erreur de la faute en l’inscrivant dans la progressivité des apprentissages, faire bouger les représentations de l’erreur de la majorité des enseignants. En lien avec tous ces objectifs, après une rapide présentation de la problématique sur diaporama, les participants ont été regroupés en trois pôles : humanités, sciences et langues vivantes (LV). Les deux premiers groupes avaient à leur disposition une dizaine d’exemples d’erreurs réelles d’élèves relevées dans nos cours. Le nombre inattendu de collègues de LV nous a donné l’idée de leur proposer de former un troisième groupe qui a commencé par retrouver des erreurs diverses. Il s’agissait alors d’analyser et d’identifier les types d’erreurs selon la classification d’Astolfi. Les discussions et échanges occasionnés ont été très riches et ont

permis d’atteindre plusieurs objectifs. Mais le travail ne s’arrêtait pas là. Nous leur avons demandé ensuite de choisir deux erreurs pour lesquelles ils devaient concevoir ensemble des dispositifs permettant de les réduire, adaptables dans leurs disciplines. Un dispositif devait concerner le travail en amont et le deuxième la correction/remédiation. La mise en commun des trois groupes a également donné des idées de transposition. Ce type de proposition occupe un temps important sur une formation de deux journées. Mais il permet de positionner l’erreur comme outil de l’apprentissage, d’imaginer l’accompagnement personnalisé dans la classe et d’attirer l’attention des collègues sur l’habitude d’interpréter les erreurs à l’aune de leurs propres représentations, en évitant de leur expliquer tout cela sur un diaporama… ce dont on connaît les limites. »

Trouver les bonnes réponses et les discuter Concernant la typologie de Jean-Pierre Astolfi assez largement partagée par nombre de formateurs, on peut aussi proposer par groupes à des enseignants en formation d’élaborer des pistes comme réponses. Ainsi, concernant quatre des catégories, cela peut donner : Erreurs relatives à la consigne : la consigne a été mal formulée ; la consigne a été mal comprise ; la consigne a été mal interprétée. Pistes : travailler la formulation des consignes, enseigner de « bonnes stratégies », faire se représenter mentalement le travail à accomplir, vérifier que la consigne a été bien comprise, exercer les élèves sur des consignes variées. Erreurs relatives à la situation :

la situation paraît nouvelle, déroutante ; la situation privilégie une démarche où l’élève n’est pas à l’aise ; la situation impose des contraintes importantes (temps, complexité…). Pistes : varier les présentations, faire réfléchir sur les situations, aider les élèves à adopter des procédures pertinentes. Erreurs relatives aux opérations intellectuelles : l’élève a du mal à conceptualiser, ou à appliquer, ou à explorer, ou à mobiliser des connaissances, ou à réinvestir. Pistes : aider les élèves à se projeter dans la situation, multiplier les activités de tri, de classement, de comparaisons, inciter au transfert, inviter les élèves à expliciter leur démarche, établir des ponts entre disciplines (opérations communes transversales). Erreurs relatives à l’acquis antérieur : Pistes : revenir sur certains apprentissages, aider l’élève à faire émerger ses représentations pour pouvoir corriger ce qui est inefficace, donner des exercices de consolidation de complexité croissante. Une activité intéressante en formation est de proposer d’aller encore plus loin dans le concret et d’inventer ensemble des pistes de travail pour ce fameux travail sur les erreurs ; on peut le faire ex nihilo ou démarrer à partir de propositions du formateur, avec comme consigne d’en choisir deux intéressantes et de justifier ce choix, et deux qui posent problème ou qui demandent davantage d’explicitation. Cela peut être un point de départ pour en trouver d’autres, en les adaptant à sa discipline sans omettre les situations d’interdisciplinarité. Voici par exemple ce que j’ai eu l’occasion de délivrer comme fiche de travail initial, et qui à certains égards constitue aussi en partie

une synthèse de ce qui a été développé dans ce livre. Dix activités pour faire travailler les élèves sur leurs erreurs 1. Présenter au vidéoprojecteur des exemples d’erreurs, en les faisant analyser collectivement, en mettant l’accent sur des erreurs « intéressantes » et ciblées et en demandant comment on pourrait éviter ces erreurs. 2. Demander aux élèves, à partir de ces « modèles », de faire la même chose en petits groupes, à partir d’une grille ou d’un questionnaire. Pourquoi ces erreurs d’accord sujet-verbe ? Pourquoi ces erreurs « classiques » en mathématiques ? Pourquoi ces erreurs de raisonnement scientifique ? 3. Faire trouver des erreurs collectivement ou individuellement. C’est une variante de l’activité 2, mais il s’agirait davantage de classer des erreurs à partir de différentes compétences évaluées. Dans un texte, relever des erreurs de cohérence, de correction syntaxique, de pertinence dans le respect de la consigne. 4. Dédramatiser l’erreur en montrant qu’elle a souvent été une étape dans la construction de la pensée. On peut le faire à l’aide de brouillons d’écrivains, de carnets d’expérience de scientifique, de récits d’erreurs célèbres dans l’histoire des sciences. En même temps, on forme à l’esprit critique tout en ne stigmatisant pas les erreurs du passé qui sont contextualisées. Occasion aussi de travailler sur les représentations spontanées dont il faut se méfier, sur les erreurs de raisonnement, sur les fausses évidences. Il faut bien expliquer pourquoi tant d’esprits brillants ont pu se tromper sur des questions qui nous paraissent élémentaires aujourd’hui. 5. Dans le prolongement du 4, valoriser les écrits de cheminement (l’« errance » et non l’erreur) tels la narration de recherches, le carnet de bord, le brouillon de rédaction, les notes de lecture. Montrer que la « rature » est souvent intéressante et positive (contre le « blanco » qui ne laisse aucune trace de l’erreur !). 6. Engager dans des pratiques de coévaluation, pour déboucher sur des autoévaluations, qui remettent en perspective des erreurs, en hiérarchisant leur importance. Ce qui permet de mieux s’approprier les critères de réussite : recherche-t-on l’exhaustivité, l’exactitude ou plutôt la pertinence ? Un récit peut être écrit correctement mais n’être guère pertinent, la solution d’un problème de mathématiques peut être fausse mais ne pas manquer de pertinence quant aux outils utilisés. 7. Travailler avec les élèves sur les erreurs possibles dues à l’inattention. Il s’agit en fait d’exercer la vigilance, mais aussi d’acquérir de bonnes méthodes pour focaliser son attention sur des points où on risque de se tromper, en négligeant les points superficiels. 8. Former aux méthodes qui permettent d’éviter les erreurs : comment mémoriser efficacement, en faisant travailler la mémoire à long terme et non à court terme (ce qui arrive quand on veut restituer immédiatement après avoir appris), comment lire des énoncés (par exemple en reformulant dans sa tête), comment

adopter de bonnes stratégies de lecture (visualiser ce qu’on lit, se reformuler, savoir revenir en arrière, mais aussi anticiper, tout en étant prêt à remettre en cause une première lecture trop rapide). 9. Encourager la prise de risque. Ce point est très important et est au centre de l’approche par compétences. Plus on va être « audacieux » dans la recherche de solutions, plus on va vouloir faire preuve de créativité (par exemple en s’essayant à introduire dans son récit des commentaires, des descriptions, etc.), plus on va vouloir aller vite, plus on va risquer de se tromper. Il faut, comme le font souvent les professeurs d’éducation physique, aider les élèves à gérer la prise de risque avec intelligence, en pesant coûts et bénéfices, en fonction aussi de sa personnalité cognitive (certains doivent accélérer par exemple leur rythme, d’autres le ralentir, certains doivent être plus méthodiques, d’autres ne pas rester trop prisonniers d’un cadre figé, etc.). Quel « droit à l’erreur », selon la phase d’apprentissage dans laquelle on est ? 10. Développer les activités interdisciplinaires, qui permettent la prise de recul. Des erreurs proviennent parfois soit d’une absence de transfert de compétences d’une discipline à l’autre (non-utilisation d’outils mathématiques, d’apprentissages linguistiques dans un travail d’histoire, etc.), soit au contraire d’un transfert abusif.

En bref La formation des enseignants est essentielle pour opérer ces nécessaires transformations des pratiques concernant l’erreur. Il s’agit à la fois : de mieux comprendre les erreurs des élèves, en les classant, en les hiérarchisant, en faisant la part entre ce qui est inévitable, au moins dans un premier temps, et ce qui est dû à des erreurs, justement, dans les consignes données, les explications préalables ou le type d’évaluation choisi ; de réfléchir ensemble sur les moyens de « rebondir » sur les erreurs des élèves, et finalement de repenser sans doute sa manière d’enseigner dans bien des cas ou du moins la faire évoluer.

63. Patrick Robo « “Trois colonnes”, modes d’emploi. Pratiques auto/co-analysées par écrit », Revue de l’analyse de pratiques professionnelles, no 12, 2018, p. 31-39.

Conclusion Un prudent optimisme… sauf erreur ! Va-t-on enfin vers une autre considération de l’erreur dans notre école ? Va-t-on suivre les recommandations quasi unanimes des chercheurs en sciences cognitives en faveur d’un autre rapport à l’erreur ? Va-t-on enfin bâtir une école de la confiance, oui, mais qui échapperait à la com et aux slogans et ne se limiterait pas à du descendant (les usagers devant avoir confiance dans une institution qui « sait »… et ne se trompe pas !) ? Va-t-on faire évoluer massivement les formes d’évaluation pratiquées en diminuant de façon drastique la part donnée aux notes et aux classements dès le plus jeune âge ? Va-t-on permettre aux élèves de procéder par essais, tentatives, tâtonnements, avec possibilité de recommencer, avec l’idée qu’on ne réussit pas du premier coup ? Va-t-on adopter des stratégies vraiment efficaces pour, quand c’est nécessaire, prévenir les erreurs ou dans d’autres cas les exploiter au mieux pour ne pas les refaire ensuite ? Va-t-on se recentrer sur le processus « apprendre » au lieu du processus « enseigner » qui ne doit être considéré que comme un accompagnement du premier, ce qui implique tout ce travail sur les représentations, préalables pour des connaissances solides et durables, que l’on construit progressivement ? Nous n’avons pas la réponse à ces questions, mais ce livre veut modestement contribuer à cet effort des pédagogues engagés pour entraîner l’école vers d’autres horizons que le dérisoire retour en arrière dont rêvent certains (les lignes à copier, les fautes qui comptent lourd, la sélection précoce ?) ou la fuite en avant moderniste (les technologies qui vont tout résoudre). Nous avons essayé de passer en revue toutes les questions qui se posent dès lors qu’on veut traiter le thème de l’erreur dans son ampleur, ce qui nous a amené à la fois à reprendre l’héritage de ceux qui nous ont tant inspiré, et en premier lieu Jean-Pierre Astolfi, mais aussi à

développer des thématiques d’actualité comme les erreurs de raisonnement, à l’origine de croyances et de montée de l’irrationnel, et à explorer toutes les disciplines scolaires (ou peu s’en faut) avec leurs points communs et leurs différences dans la façon de traiter l’erreur. Les échecs en mathématiques, les insuffisances en langues vivantes, les difficultés dans la maîtrise de la langue ne s’expliquentils pas en grande partie par la part trop réduite du travail sur l’erreur dans les matières concernées ? L’école reste ce formidable lieu où on devrait pouvoir se tromper sans risque et sans peur. Dans la vie, les erreurs peuvent être fatales : on décide ou non de ne pas bombarder l’offensive allemande dans les Ardennes en 1940 et le sort du monde est peutêtre changé, on néglige une vérification de détail et la navette Challenger explose, on néglige tel petit fait anodin et on commet une erreur judiciaire qui a pu envoyer des hommes à la mort. Et même quand les conséquences sont heureusement moins dramatiques, elles n’en sont pas moins lourdes bien souvent pour ceux qui commettent l’erreur ou en sont victimes. Certes, les élèves doivent savoir que, dans leur métier, il y a bien des erreurs qu’il faut éviter, ne serait-ce que les « fautes d’orthographe » dans la lettre de motivation pour être embauché ou les comportements inadéquats lors d’un entretien. Mais justement, il est à parier qu’un travail de fond, avec le luxe du temps long et dans la bienveillance, sera la meilleure façon de ne pas se tromper plus tard, moins en tout cas que si on entre dans la « vie active » avec le stress et l’inquiétude de mal faire. Le lecteur aura bien compris en lisant les différents chapitres que cette bienveillance que nous prônons n’a rien à voir avec la complaisance ni la démagogie, et s’accompagne de l’exigence. D’où d’ailleurs l’incitation à l’effort, à la persévérance : on s’est trompé, donc il faut comprendre pourquoi on s’est trompé et recommencer : n’est-ce pas là plus exigeant que d’accepter la mauvaise note et l’inflation de l’encre rouge sur les copies ? Bien sûr, il vaut mieux ne pas faire d’erreurs, mais à quel prix ? Pas celui du renoncement à une certaine ambition et à la complexité.

Pas celui de la « tolérance molle ». Ne pas faire d’erreurs au final implique de ne pas craindre le risque, l’audace, celle de quitter sa zone de sécurité. Ce qui est possible si, et seulement si, on vit l’école de manière détendue, sans moralisation de l’effort, en le conjuguant continuellement avec le plaisir.

Bibliographie ASTOLFI Jean-Pierre, L’Erreur, un outil pour enseigner, ESF éditeur, 2017. FAVRE Daniel, « Conception de l’erreur et rupture épistémologique », Revue française de pédagogie, no 111, avril-juin 1995, p. 85-94. Disponible en ligne sur le site de l’Institut français de l’Éducation. REUTER Yves, Panser l’erreur à l’école : de l’erreur au dysfonctionnement, Presses universitaires du Septentrion, collection « Savoirs mieux », 2013. Ouvrages sur un aspect particulier (voir chapitres corres-pondants) : BERTHIER Jean-Luc, BORST Grégoire et alii, Les Neurosciences cognitives dans la classe, ESF sciences humaines, 2018. BOUIN Nicole, Enseigner : apports des sciences cognitives, Canopé, 2018. HOUDÉ Olivier, Apprendre à résister, Le Pommier, collection « Manifestes », 2014. La revue Les Cahiers pédagogiques, partenaire d’ESF sciences humaines, propose chaque mois un dossier et de nombreux articles autour d’un thème pédagogique. Écrite pour l’essentiel par des praticiens, elle est publiée par le mouvement associatif CRAP (Cercle de recherches et d’action pédagogiques). Depuis 1945, année des premiers numéros, de nombreux dossiers ont été publiés autour des questions d’apprentissage, d’évaluation, de formation à l’esprit critique. On trouvera des compléments à cet ouvrage tout particulièrement dans les dossiers ci-dessous. L’erreur pour apprendre, no 494

Apprendre au XXIe siècle, no 500 Les tâches complexes à la loupe, no 541 Bienveillants et exigeants, no 542 Les écrits de travail des élèves, no 544 Former l’esprit critique, no 550 Expliciter en classe, no 551 Les dys dans la classe, no 552 L’évaluation en classe, hors-série no 39 Des ouvrages : L’Évaluation, plus juste et plus efficace, 2014 Apprendre à apprendre, 2015 (édition actualisée 2019) Enseigner : apports des sciences cognitives, 2018 Faire ses devoirs.Quel accompagnement ?, 2018 Consulter le site Internet www.cahiers-pedagogiques.com

Ce livre numérique a été converti au format ePub par Maryse Claisse à partir de l’édition papier du même ouvrage. Retrouvez l’intégralité de notre catalogue sur www.esf-scienceshumaines.fr