Didactique Du Français. Fondements Dune Discipline PDF [PDF]

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Didactique du français

Tous ceux qui, déjà dotés d’une bonne formation théorique, sont amenés à travailler sur le terrain : formateurs, formateurs de formateurs, chercheurs dans l’action, décideurs, … vont trouver ici des ouvrages qui ne décrivent pas seulement de nouvelles pratiques ou de nouveaux outils, mais qui en exposent aussi les fondements.

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Pratiques pédagogiques

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Collection dirigée par Jean-Marie DE KETELE et Antoine ROOSEN.

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Fondements d’une discipline

Jean-Louis Chiss Jacques David Yves Reuter (sous la direction de)

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Pratiques pédagogiques

Didactique du français

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.deboecksuperieur.com

© De Boeck Supérieur sa, 2015 Fond Jean Pâques, 4 – B-1348 Louvain-la-Neuve

3e édition

Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit. Imprimé en Belgique Dépôt légal : Bibliothèque nationale, Paris: septembre 2015 Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles : 2015/13647/097

ISSN 1373-0258 ISBN 978-2-8073-0044-6

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Pour Blaise, le vrai…

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Introduction

9 Jean-Louis Chiss, Jacques David, Yves Reuter

Première partie DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES Chapitre 1

Quelques repères, perspectives et propositions pour une didactique du français dans tous ses états Michel Dabène

13 15

Chapitre 2

Quelle place pour la didactique de la littérature ? Georges Legros

35

Chapitre 3

De l’utilité de la « transposition didactique » Bernard Schneuwly

47

Chapitre 4

Interaction : une problématique à la frontière Jean-François Halté

61

Deuxième partie DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

77

Chapitre 5

Sciences du langage : le retour Jean-Louis Chiss

79

Chapitre 6

Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? Dominique-Guy Brassart

95

Chapitre 7

Socio-logiques des didactiques de la lecture Jean-Marie Privat

119

Chapitre 8

Développement, compétences et capacités d’action des élèves Jean-Paul Bronckart

135

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Sommaire



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Troisième partie DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

149

Chapitre 9

151

Variations historiques : l’exemple de la « rédaction » André Petitjean

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Chapitre 10 Langues maternelle, étrangère, seconde : une didactique unifiée ? Suzanne-G. Chartrand et Marie-Christine Paret Chapitre 11 Positions actuelles et évolutions institutionnelles et éditoriales Jacques David

169 179

Chapitre 12 Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur Dominique Bucheton

193

Synthèse Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition Yves Reuter

211

Bibliographie générale

235

Index thématique

241

Table des matières

243

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Dominique-Guy BRASSART, Université Lille 3, Institut universitaire de formation des maitres du Nord-Pas-de-Calais Jean-Paul BRONCKART, Université de Genève Dominique BUCHETON, Institut universitaire de formation des maitres de Montpellier Suzanne-G. CHARTRAND, Université Laval, Québec Jean-Louis CHISS, Université Paris 3, Sorbonne Nouvelle Michel DABÈNE, Université Stendhal, Grenoble 3 Jacques DAVID, Institut universitaire de formation des maitres de Versailles-Cergy Jean-François HALTÉ, Université de Metz Georges LEGROS, Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, Namur Marie-Christine PARET, Université de Montréal André PETITJEAN, Université de Metz Jean-Marie PRIVAT, Université de Metz Yves REUTER, Université Lille 3 Bernard SCHNEUWLY, Université de Genève

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Auteurs

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Jean-Louis CHISS, Jacques DAVID, Yves REUTER

Didactique du français. Fondements d’une discipline est la réédition d’un ouvrage de référence paru en 1995 dont des restructurations éditoriales ont rendu la durée de vie trop brève. Les coordinateurs de l’ouvrage et les auteurs, en accord avec la communauté des chercheurs en didactique du français réunie au sein de l’AIRDF1, ont considéré que l’essentiel des grandes orientations et thématiques de ce travail n’avaient rien perdu de leur actualité et de leur pertinence. La présente édition a été néanmoins entièrement revue et corrigée et a fait l’objet dans certains de ses chapitres de refontes et de réécritures destinées à maintenir voire amplifier la cohérence d’ensemble. Le projet reste inspiré par la nécessité de mieux formaliser les acquis et les problèmes de cette discipline en plein essor (multiplication des équipes de recherche, des thèses, des revues, des collections, place dans les concours de recrutement…), soucieuse de ses fondements épistémologiques et de son développement historique2. L’ouvrage est organisé en trois grandes parties confrontant d’abord la didactique du français à sa structuration interne et à sa place au sein des didactiques disciplinaires, ensuite à ce qu’il est convenu d’appeler les « disciplines de référence », enfin à ses évolutions institutionnelles et praxéologiques. Dans la première partie, il est question des représentations et des modélisations de la didactique du français langue maternelle (désormais DFLM) en relation avec les disciplines scolaires, les disciplines connexes et certains des concepts clés qui fondent la discipline. Michel Dabène analyse ainsi, au travers de vingt-cinq années de recherches en DFLM et DFLE (Didactique du Français Langue Étrangère), l’évolution des modèles proposés et leur ouverture à des théories de référence différentes. Il insiste sur le rejet de l’applicationnisme et sur l’importance de la formalisation des situations d’enseignement-apprentissage incluant les pratiques langagières et les 1.

2.

Association Internationale pour la Recherche en Didactique du Français (nouveau nom de l’AIDR-DFLM, Association Internationale pour le Développement de la Recherche en Didactique du Français Langue Maternelle). Siège social : Université de Lille 3, UFR des Sciences de l’Éducation, Domaine Universitaire du Pont de Bois, F-59650 Villeneuve d’Ascq. De l’organisation des journées d’étude à l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud en septembre 1994 en passant par celles de l’Université de Poitiers en janvier 2000 (cf. Questions d’épistémologie en didactique du français – langue maternelle, langue seconde, langue étrangère, Textes réunis par M. Marquilló Larruy, Les Cahiers FORELL, Université de Poitiers, 2001), jusqu’au 9˚ Colloque international de l’AIRDF en août 2004 à l’Université Laval (Québec), les réflexions n’ont pas manqué sur les aspects théoriques, institutionnels et disciplinaires de la didactique du français.

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Introduction



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

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représentations sociales des enseignants et des apprenants pour aboutir à « une didactique du français dans tous ses états ». Georges Legros pose, pour la littérature, la question des relations entre contenus et valeurs et celle de la prise en compte éventuelle de ces dernières. Il questionne ainsi l’unité de la DFLM. Peut-on parler d’une seule didactique ou de plusieurs didactiques spécifiques selon leur objet (orthographe, langue, texte, lecture, écriture… et littérature) ? À cette interrogation « interne » font écho des interrogations plus transversales. Bernard Schneuwly montre, au-delà des débats nécessaires, l’intérêt de la notion de transposition didactique en tant que concept opératoire pour penser les relations entre savoirs savants, savoirs à enseigner, savoirs enseignés, savoirs appris. Jean-François Halté, quant à lui, explore les rapports entre didactique du français et didactique générale à partir des concepts de communication et d’interaction (qui fonctionnent comme cadres des relations dans la classe, comme cadres de l’apprentissage et comme objets de savoir possibles) en insistant sur la « matrice disciplinaire » du français (ses objets et objectifs centraux) qui s’organise de plus en plus autour de la production et de la réception des discours oraux et écrits. La deuxième partie du livre concerne les relations entre la didactique du français et les disciplines que celle-ci prend comme référence(s). Trois cas sont examinés de façon précise. Jean-Louis Chiss analyse la relation, classique dans notre champ, aux sciences du langage et plus particulièrement à la linguistique. Il insiste, au travers de recherches importantes et novatrices, sur la nécessité de repenser les savoirs linguistiques dans la perspective de l’enseignement du français et sur le jeu nécessaire entre justesse théorique et pertinence didactique. Dominique-Guy Brassart étudie les intérêts et les limites de la référence – très en vogue depuis plusieurs années – à la psychologie cognitive. Il soulève ainsi des problèmes liés aux types de connaissances (procédurales/déclaratives…) et aux modes d’enseignement-apprentissage (avec notamment le regain d’intérêt pour l’enseignement par instruction directe). Jean-Marie Privat se situe dans un autre cadre : celui de la sociologie et de l’ethnologie. Le renouveau des recherches dans ces secteurs permet de mieux saisir les pratiques et les objets (lectures, écritures, textes…) dans leur dimension culturelle, ainsi que les variations de leurs modes d’appropriation. Ces trois contributions posent, de fait, des questions cruciales qui structurent des débats passionnés dans le champ de la didactique du français. La DFLM doit-elle se référer à une ou plusieurs disciplines ? En fonction de quels critères ? Selon quelles modalités ? Jean-Paul Bronckart clôt cette partie par une analyse historique-critique des grands courants de la psychologie (le behaviorisme, le constructivisme, l’interactionnisme social) en examinant, à l’aide de critères tels que le type d’interprétation ou la conception du développement, leur pertinence pour la didactique. Ce genre d’analyse est sans nul doute nécessaire pour toutes les disciplines dites de référence.

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La troisième partie est consacrée à l’histoire et au fonctionnement du champ de la didactique du français. André Petitjean étudie ainsi les permanences et les modifications de l’exercice de « rédaction », et plus particulièrement du genre descriptif dans l’entre-deux-guerres. Suzanne-G. Chartrand et MarieChristine Paret comparent les fonctionnements et les évolutions de la DFLM, de la DFLE et de la DFLS (Didactique du Français Langue Seconde). On ne peut que s’interroger, à l’issue de ce parcours critique, sur leur autonomie respective ou leur intégration possible dans une didactique du français « unifiée » qui fait toujours débat mais dont les bénéfices heuristiques nous semblent appréciables. Jacques David s’intéresse aux acteurs et aux institutions. Dans cette perspective, il reprend l’évolution actuelle du champ de la didactique du français en interrogeant les positions et les logiques de fonctionnement d’institutions ou de groupes tels que les centres de recherche universitaires, l’Institut National de la Recherche Pédagogique, les revues, les collections, etc. Quant à Dominique Bucheton, elle tente, au travers des questions liées à l’oral, à la littérature, à la lecture-écriture, de mieux comprendre comment la didactique se construit au confluent des métiers d’enseignant, de formateur et de chercheur. Ces deux contributions expliquent sans doute – au moins en partie – les différences de positions, de priorités, voire de modalités de recherche, en relation avec les places, les pratiques et les formes d’évaluation des acteurs et des groupes concernés. En conclusion, Yves Reuter propose une double synthèse. D’une part, il reprend les sept points qui avaient structuré sa réflexion initiale : la définition de la didactique du français, la question des méthodes, l’histoire, les objectifs et les pratiques, les concepts spécifiques, les disciplines connexes et les disciplines de référence ; d’autre part, il évoque les dimensions qui marquent aujourd’hui la didactique du français : tensions institutionnelles, définition de la discipline scolaire, relations entre didactique et discipline scolaire, inventaire des principaux pôles de recherche. Cet ouvrage a donc pour ambition de construire une cartographie de la didactique du français en privilégiant les situations de « langue maternelle » mais en s’ouvrant aux grands débats de l’ensemble de la didactique des langues. Les avancées des recherches, les représentations de l’histoire de notre discipline, l’organisation de ses composantes et de ses relations aux contextes scientifiques et culturels sont au centre des investigations des auteurs de différents pays (Belgique, France, Suisse, Québec) et de différents courants qui ont contribué à ce volume. Il pourra ainsi servir d’instrument de référence, de jalon dans une histoire, voire de cadre pour objectiver les positions dans la communauté des chercheurs. Il sera surtout utile aux formateurs, aux enseignants et aux étudiants qui saisiront mieux ainsi les logiques théoriques et pratiques à l’œuvre dans les revues, les ouvrages de formation et les manuels d’enseignement.

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Introduction

Didactique du français : concepts, modèles, frontières

Les quatre contributions réunies dans cette première partie se situent chacune à leur manière face à la question d’une hypothétique spécificité de la didactique du français vis-à-vis d’autres didactiques disciplinaires : didactique des disciplines scolaires en général, des langues en particulier. Il s’agit à la fois de faire le parcours qui va des représentations de la DFLM à ses possibles modélisations et de marquer les places, les frontières, et les recouvrements possibles entre les différents champs. Ce n’est pas d’aujourd’hui que se travaille la thématique des particularités et transversalités au sein de la didactique des langues (dont le français langue étrangère), et c’est une question récurrente que celle des rapports entre didactique de la langue et didactique de la littérature subsumées ou non dans le projet global d’une didactique du français. Même si la question littéraire n’est pas la seule à porter les enjeux culturels de notre didactique, il est clair qu’elle interroge plus fortement et de manière décisive les valeurs qu’implique tout enseignementapprentissage du « français » ou d’une autre langue, et plus généralement toute démarche éducative. Chacun de manière différenciée et pertinente, les concepts d’interaction et de transposition didactique apparaissent centraux dans la réflexion ici développée. L’interaction parce qu’elle concerne précisément la redistribution des champs de savoirs (dont les sciences du langage) impliqués par la didactique du français et la position même du problème constitué par le couple didactique-pédagogie. La transposition didactique parce que nul ne peut ignorer le besoin d’un concept heuristique dans le dispositif savoirs savantssavoirs scolaires, concept qu’il s’agit de lire et de traiter à sa mesure et de confronter éventuellement à d’autres modalités d’appréhension du dispositif. Cette première partie prétend ainsi, sans comparaison terme à terme avec d’autres didactiques, sans volonté d’articulation ou de globalisation systématique, s’interroger, du point de vue de la recherche en DFLM, sur la capacité de cette didactique à constituer son appareil théorique et méthodologique.

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Première partie

Michel DABÈNE Le domaine de la didactique du français1 est, depuis des décennies, divisé, on le sait, en deux grandes propriétés respectivement dénommées français langue maternelle (dorénavant FLM) et français langue étrangère, cette dernière voisinant depuis quelque temps déjà avec français langue seconde (dorénavant FLE/FLS)2. Parler de « propriétés » n’est pas seulement une image, tant il est vrai que les préoccupations institutionnelles de délimitation de territoire l’ont pendant longtemps emporté sur les aspects épistémologiques. Il s’agira d’examiner ici quelques-unes des conditions dans lesquelles ces différents domaines pourraient s’articuler au sein d’une même discipline de recherche, la didactique du français, elle-même sous-ensemble de la didactique des langues. À cette fin, il ne me paraît pas inutile de rappeler, ne serait-ce que de façon cavalière et pour mémoire, quelques étapes dans la constitution (ou des tentatives de constitution) de leurs modèles respectifs au cours de ces dernières années. 1. 2.

Version revue et corrigée en janvier 2003 de l’article initialement intitulé dans la première édition de ce livre : Quelques étapes dans la construction des modèles de la didactique du français. La distinction FLE-FLS ne s’est généralisée que dans les années 1990, notamment sous l’influence des travaux de J.-P. Cuq (1991). Compte tenu du propos de cet article, il n’est pas utile de distinguer, à ce stade, ces deux sous-domaines que l’on retrouvera dans le modèle évoqué à la fin de cette contribution.

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Quelques repères, perspectives et propositions pour une didactique du français dans tous ses états



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

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Les années 1980-1990 ont été fertiles en mises en perspective historique : dans le domaine du FLE/FLS en témoigne la création en 1988 de la Société Internationale pour l’Histoire du français langue étrangère ou seconde (SIHFLES). Les travaux de Sophie Moirand (1988), Daniel Coste (1987, 1994), Christian Puren (1988), et, dans le domaine du FLM, les recherches menées au sein de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP), en particulier dans les équipes pilotées par Hélène Romian ou Jean-Claude Chevalier et, plus récemment, les travaux, colloques et publications de l’Association pour le développement de la recherche en didactique du français langue maternelle (DFLM)3, sont autant d’entreprises d’envergure qui permettent aux chercheurs d’aujourd’hui de se situer dans une évolution en tenant compte des acquis. Il est vrai que ces mises en perspective se sont construites, la plupart du temps, séparément, comme si DFLM et DFLE/FLS constituaient deux territoires ne souffrant aucune incursion, pas même de frontaliers. Il est vrai aussi qu’il fallait mettre d’abord en lumière leurs spécificités pour éviter tout amalgame et sortir définitivement de l’époque où enseigner le français ici ou ailleurs était considéré comme une seule et même entreprise. De ce point de vue, peu de choses ont changé : les spécificités demeurent, très fortes. Il est cependant devenu possible de ne pas les rigidifier dans des oppositions irréductibles et de reparcourir ces deux territoires en se plaçant du point de vue de la diversité des situations d’enseignement-apprentissage. Pour éclairer l’histoire des relations entre la DFLM et la DFLE/FLS, on peut prendre, de façon partielle et sûrement partiale4, quelques points de repères, dans les trente dernières années en France5, en privilégiant ceux qui ont une valeur épistémologique et qui attestent des tentatives de modélisation et de structuration disciplinaires. Une approche externe, fondée sur les indicateurs que constituent quelques formalisations visibles du champ (les schémas et modèles6) dans les années 1970, puis au cours de la décennie 80 et jusqu’à aujourd’hui, fournit des pistes de réflexion fécondes. Étant entendu que le champ disciplinaire se construit aussi à travers l’ensemble des discours des didacticiens7 et pas seulement dans les tentatives de modélisation qu’en ont proposées certains auteurs.

3. 4. 5. 6.

7.

Pour éviter toute confusion entre la didactique du domaine considéré et l’Association qui le revendique, je parlerai de DFLM dans le premier cas et de l’Association DFLM dans le second, association aujourd’hui dénommée AIRDF. On aura compris que cette contribution n’est pas œuvre d’historien mais témoignage d’un transfuge (?) qui est passé d’un domaine (DFLE) à l’autre (DFLM), et s’est donc rendu suspect des deux côtés ! Voir aussi ici-même la contribution de S.-G. Chartrand et M.-C. Paret. En gardant en mémoire le propos d’O. Ducrot rappelé par Verrier dans Coste (1994) : « l’inadéquation faisant la force principale des modèles, l’indiscipline est le secret de leur utilisation » et en faisant, sans doute à tort, l’impasse sur les distinctions qu’il serait utile d’introduire entre ces deux notions. Comme le soulignait D. Coste (1989), lorsqu’il définissait la didactique comme « un ensemble de discours portant (directement ou indirectement) sur l’enseignement des langues ».

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Cette réflexion rétrospective s’intègre à une démarche prospective et à des interrogations sur le statut de la (ou des) didactique(s) du français, sur un fond de remises en questions de la pertinence des notions de langue maternelle et de langue étrangère ou seconde8. J’exposerai, à ce sujet, quelques hypothèses de travail concernant la constitution d’un champ unifié de recherche en didactique du français ; dans une perspective variationniste et autour de la notion de situation d’enseignement-apprentissage.

A



Histoires d’identités ? Si les dénominations disciplinaires ont bien une valeur d’annonce, force est de constater que les domaines de la didactique du français sont aujourd’hui balisés de façon confuse, comme l’attestent les diverses appellations en usage et les domaines mouvants qu’elles recouvrent dans leurs usages hexagonaux. Est-ce le signe d’un malaise épistémologique ou simples fluctuations terminologiques ? Entrent aujourd’hui en concurrence au moins quatre bannières. Deux d’entre elles sont centrales : la didactique du français langue maternelle et la didactique du français langue étrangère ou seconde. Les deux autres sont substitutives : la didactique du français et la didactique des langues. On note cependant des régularités dans la variation terminologique. L’Association DFLM s’autorise de plus en plus la dénomination générique de didactique du français9 mais jamais la DFLE/FLS qui, par contre, utilise volontiers et depuis longtemps la dénomination générique de didactique des langues10. Comment interpréter ces flottements ? Indépendamment des revendications identitaires qui sont sous-jacentes, peut-on y voir aussi un manque de théorisation des relations entre discipline de recherche, champs et domaines d’application ? Il est vrai que la hiérarchisation entre ces trois niveaux met en jeu des choix épistémologiques rarement explicités tout en renvoyant à des enjeux institutionnels qui peuvent rendre compte des cloisonnements persistants. On observe cependant des rapprochements significatifs non seulement entre la DFLM et la DFLE/FLS, sur lesquels je reviendrai, mais aussi, et ce n’est pas étranger à mon propos, entre la DFLE/FLS et la didactique des langues étrangères enseignées dans l’institution scolaire11, et entre la DFLM

8. 9.

Sur ce point, voir entre autres L. Dabène (1994). Voir le titre de l’ouvrage de J.-F. Halté (1992), celui de cet ouvrage et le changement de la dénomination de l’Association DFLM qui a abandonné la mention LM. 10. Le Dictionnaire de didactique des langues paru en 1976 n’a pour auteurs que des francisants œuvrant dans le domaine du FLE, à l’exception de D. Girard et F. Debyser, respectivement angliciste et italianiste de formation. On trouve dans D. Coste (1994) comme un remords devant cette appropriation lorsqu’il écrit : « l’histoire récente de la didactique des langues ou, du moins, du français langue étrangère vu de France… » 11. On peut de plus en plus constater la présence de didacticiens du FLE/FLS dans des instances de recherche de didacticiens des langues étrangères comme l’Association des chercheurs et enseignants en didactique des langues étrangères (ACEDLE).

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Quelques repères, perspectives et propositions

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

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C’est, à n’en pas douter, l’annonce d’une nécessaire recomposition du champ des didactiques qui se donnent pour objets les langues, les textes et les discours.

B



Histoires de schémas et modèles13 Un rapide coup d’œil sur quelques modèles de la constitution de la didactique des deux domaines du français nous donne des indications significatives qui recoupent des analyses faites par ailleurs. On peut distinguer en gros deux périodes, dans la double perspective de l’évolution des conceptions de la didactique et de l’évolution de ses deux domaines constitutifs : Les années 1970 sont dominées à la fois par le souci de théoriser le champ de la didactique des langues et par les tentatives de constitution du domaine de la didactique du FLE (on parle peu alors du FLS). Pendant cette période le domaine du FLM est peu préoccupé par ces interrogations épistémologiques : l’enseignement du français en France, s’il doit être réformé, n’est pas considéré comme devant se légitimer en tant que domaine de recherche et d’intervention. Le souci de rénovation est cependant commun aux deux domaines, qu’il s’agisse de la percée des nouvelles méthodes d’enseignement du français aux non-francophones (audio-orales, audio-visuelles, structuro-globales) dont on accepte alors qu’il soit considéré comme français langue étrangère14, ou du Plan de rénovation de l’enseignement du français à l’école élémentaire, dit Plan Rouchette15. Mais dans le domaine du FLM le concept de didactique n’a pas encore émergé. Ni les revues spécialisées de cette époque, telles que Le français aujourd’hui,

12. Pour une tentative sommaire et provisoire de clarification, voir M. Dabène (1993-b). 13. Voir note 6. 14. L’appellation « français langue étrangère » ne s’est pas imposée sans mal au cours des années 1960 : on se souvient des réticences des gardiens de l’Institution à admettre cette dénomination à un moment où, par ailleurs, le français fondamental (à l’origine « français élémentaire »), résultat des enquêtes sur le français parlé menées sous la direction de Gougenheim et Rivenc, avec la collaboration de Michéa et Sauvageot, était considéré par les mêmes comme « français de la rue ». 15. Du nom du président de la Commission, l’inspecteur général Marcel Rouchette. La préparation de ce Plan (1964-1969) et sa publication officielle dans la revue Recherches pédagogiques n° 47 (janvier 1971) ont donné lieu à de violentes polémiques. La version originale, fortement contestée par les tenants du statu quo et plusieurs fois amendée avant publication, au sein même de la Commission, a été publiée en février 1971 dans L’Enseignement public, organe de la Fédération de l’Éducation Nationale (FEN) en guise de protestation contre ce que l’on estimait, à juste titre, être des censures.

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et la didactique de ces mêmes langues enseignées dans leurs pays d’origine12.



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Repères, les Cahiers du CRELEF ou Pratiques, ni les textes officiels, ni les auteurs de référence (E. Genouvrier, L. Legrand, F. Marchand, J. Peytard, H. Romian et al.) ne font mention de la didactique du français langue maternelle. Il faut, certes, se garder de tout nominalisme : pendant cette période bien des chercheurs travaillant sur la langue maternelle ressentent la nécessité de théoriser leur champ d’activité. L. Legrand (1966) s’interroge, par exemple, sur la nécessité de passer d’une attitude empirique ou inconsciente, « passionnelle ou conformiste » à une technique consciente et raisonnée, nourrie des apports de la linguistique, de la psychologie et de la « pédagogie expérimentale », ce qui préfigure les premières modélisations de la didactique des langues. Une décennie plus tard, au terme de cette période des années 1970, H. Romian (1979) dans sa tentative de théorisation de la « pédagogie du français » s’inscrit bien dans le courant de la didactique telle qu’elle est en train de se constituer et telle qu’elle émergera, encore confusément, lors du Colloque organisé par l’INRP à Sèvres en 1983, où l’on trouve les principaux acteurs de la future Association internationale pour le développement de la recherche en didactique du français langue maternelle (DFLM) qui verra le jour à Namur en 1986. On comprend cependant les réticences des chercheurs en langue maternelle, qui travaillent majoritairement au niveau de l’école élémentaire et des collèges, à s’inscrire dans un courant qui se caractérise, à l’origine, dans les langues étrangères et le FLE, par la prédominance de la linguistique appliquée (à laquelle ils n’ont pas été totalement insensibles16) et par un dogmatisme méthodologique assorti d’une part importante dévolue aux techniques (audio-visuelles, entre autres). La complexité particulière du domaine fait redouter les approches réductrices ou technicistes. Au cours de cette même période, on assiste, dans le domaine du FLE, non seulement à l’émergence du concept de didactique des langues17 mais aussi à son évolution. En 1972, paraissent deux esquisses de modélisation venant de l’horizon du FLE. L’une (M. Dabène, 1972) se réclame de la didactique des langues conçue comme une interface entre le niveau des disciplines de référence (linguistique, sciences de l’éducation, psychologie, sociologie) et la classe de langue, et articulant méthodologie, méthode, pédagogie, procédés et techniques. L’autre (R. Galisson, 1972, repris dans R. Galisson, 1990) se réfère à la linguistique appliquée à l’enseignement des langues tout en distinguant ce qui relève proprement de la linguistique appliquée concernée par la définition de la matière à enseigner, et ce qui relève de la méthodologie de l’enseignement des langues concernée par la manière d’enseigner et renvoyant aux sciences de l’éducation. 16. Les emprunts du Plan Rouchette à la linguistique structurale et à l’usage qu’en proposait la didactique du FLE, depuis quelques années déjà, sont manifestes. Voir à ce sujet F. Marchand (1989). Et aussi D. Coste (1988) qui analyse les relations entre linguistique et enseignement du français au début des années 1970, notamment à partir des publications de l’Association française des enseignants de français (AFEF et sa revue Le français aujourd’hui). 17. Le terme est déjà institutionnellement présent dès 1969, associé à linguistique appliquée dans l’intitulé d’un département de la nouvelle université de Vincennes : l’Institut de linguistique appliquée et de didactique des langues (ILADL).

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Quelques repères, perspectives et propositions



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

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Ces deux exemples illustrent un débat qui n’est pas clos quant à la place de la linguistique dans la didactique des langues. Ils montrent aussi, à la lumière des développements ultérieurs, que ces positions initiales, reflets d’un état embryonnaire de la réflexion, ne se sont pas figées. Le rejet de l’applicationnisme ne signifie pas rupture avec les sciences du langage, pas plus que les applications de la linguistique n’entraînent obligatoirement une impasse sur l’analyse des situations d’enseignement-apprentissage. Les propositions de R. Galisson en 1977 (reprises dans R. Galisson, 1990) introduisent à leur tour les termes de didactique des langues étrangères recouvrant deux sousensembles : la méthodologie de l’enseignement des langues étrangères, définie comme la substance du contenu à enseigner, et la linguistique appliquée à l’enseignement des langues étrangères, définie comme la forme du contenu. Dans le même temps, sur les quarante numéros de la revue Études de linguistique appliquée parus depuis sa création en 1964, six seulement affichent la didactique dans leur titre sans qu’on y trouve, au demeurant, de définition programmatique ni de justifications approfondies, à l’exception du n° 31 (1978) entièrement composé de contributions allemandes18. Période balbutiante et confuse donc, du moins si on ne prend en compte que les tentatives de modélisations du champ principalement centrées sur les problèmes d’articulation entre la didactique et les disciplines connexes. Les recherches de nature didactique sont cependant foisonnantes comme l’ont montré les travaux des historiens de cette époque. La linguistique constitue toujours la source privilégiée de la didactique des langues mais il s’agit, de plus en plus, d’une linguistique qui élargit ses horizons et qui ne rejette plus hors de son domaine les discours oraux et écrits, l’énonciation, les variations sociales. La didactique des langues ne peut qu’y trouver son compte, même si, comme le souligne D. Coste (1994) elle hésite à prendre en considération l’analyse de discours et la linguistique de l’énonciation, deux domaines qui émergent dans les années 1970 parallèlement à la didactique des langues. Par contre, au terme de ces mêmes années, dans le domaine du FLM, outre le souci, déjà évoqué, de rationaliser la « pédagogie du français » et de distinguer, comme le propose H. Romian (1979), parallèlement à la recherche fondamentale, la recherche-action avec ses diverses composantes (innovation, description, validation), on constate une plus large attention accordée à l’analyse de discours ainsi qu’à la sémiotique littéraire et à la linguistique textuelle, références encore quasiment absentes du domaine du FLE. Les années 1980-1990 voient une sorte de renversement de tendance. La « fièvre modalisatrice » passe d’un domaine à l’autre. La DFLE/FLS, forte de sa légitimité croissante, grâce à son implantation dans les universités et à la création de cursus spécifiques ou d’options dans les cursus existants, assor-

18. W. Klein (1978), Perspectives sur la didactique des langues étrangères en République fédérale allemande, Études de linguistique appliquée, n° 31.

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tie de création de postes d’enseignement supérieur ciblés, poursuit son développement dans deux directions : – la recherche, avec l’élargissement de ses références, soit dans des domaines déjà explorés par la DFLM (par exemple, les grammaires de texte19), soit dans des domaines qui lui sont propres et où se marque sa spécificité : la linguistique acquisitionnelle, la pragmatique, l’analyse conversationnelle, les interactions, en attendant l’émergence des sciences cognitives dans le champ ; – l’élaboration de contenus d’enseignement et de formation, qui relève d’une sorte de recherche-action, soit en direction de l’enseignement hors de France (la production de méthodes de français est abondante au cours de cette décennie) soit dans les centres universitaires de FLE au contact du public spécifique des étudiants et chercheurs étrangers en France, ou encore, mais dans une moindre mesure, dans les différents types de classe qui accueillent des élèves non francophones. Ce n’est pas le lieu d’examiner ici les relations entre ces différentes activités. Pour faire court, disons qu’elles se partagent entre une orientation vers la didactique générale des langues et un ancrage très marqué dans la spécificité du FLE, en tant que matière d’enseignement, ce dernier courant étant prédominant sur le plan institutionnel20. De son côté, la DFLM se consolide progressivement en tant que telle, au fil des colloques et journées d’études organisés par l’Association DFLM21 et du développement des recherches sur l’enseignement-apprentissage du français à l’Institut national de recherche pédagogique (INRP), dans les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et dans un certain nombre d’équipes de recherche universitaires22, sans compter les nombreux travaux de terrain qui ne revendiquent pas forcément l’appartenance à l’un ou l’autre courant de cette discipline en « émergence ». On peut en effet parler de courants, mais sans frontières vraiment étanches : didactique descriptive, explicative, praxéologique, avec références dominantes aux sciences du langage, ou aux sciences de l’éducation, ou à la psychologie cognitive…, autant de positionnements qui alimentent beaucoup de débats, non clos aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, comme le souligne M. Mas (1994), « l’apparition puis la diffusion du mot didactique sont des indicateurs de l’émergence et de l’implantation, dans les milieux de l’enseignement du français langue maternelle,

19. Ce sont, semble-t-il, les ouvrages de H. Rück (trad. français, 1980) et de G. Vigner (1979) qui vulgarisent les références à la linguistique textuelle auprès des enseignants de FLE. 20. Les départements de FLE dans les Universités, lorsqu’ils ne sont pas autonomes, ne sont pas implantés dans les UFR de langues vivantes mais dans les UFR de Lettres ou de Sciences du langage. 21. Voir les Actes de ces colloques : J.-L. Chiss et al. (1987) ; B. Schneuwly (1990) ; M. Lebrun & M.-C. Paret (1993) ; R. Bouchard & J.-C. Meyer (1996) ; G. Legros et al. (1999). 22. Telles que le Centre de didactique du français (CDF) – Grenoble III, ou le centre Théories et didactique de l’écrit (Théodile) – Lille III.

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On peut ajouter qu’au cours de cette période l’utilisation du terme, dans un environnement institutionnel pour le moins méfiant sinon hostile, a valeur emblématique et s’inscrit dans la perspective d’une revendication identitaire. La DFLM s’efforce alors de faire dialoguer ses deux courants fondateurs : celui, issu de la « pédagogie », des chercheurs institutionnellement proches du terrain scolaire, incarné par les équipes de l’INRP, et celui des chercheurs universitaires, plutôt issu, à l’origine, de la linguistique et des sciences du langage23. Les débats actuels sur les contours de la discipline portent la marque de cette double origine. Les discours définitoires de la DFLM se multiplient alors avec, nous l’avons vu, des variantes notoires dans la conception du champ, mais aussi un souci commun de prise d’autonomie et le rejet d’un applicationnisme étroit, sans que, pour autant, soient parfaitement définies les relations avec les disciplines de référence. Dans la deuxième moitié de la décennie 1980 s’esquissent aussi des tendances aux rapprochements des deux domaines de la didactique du français (DFLM, DFLE/FLS), le plus souvent sous forme de déclarations d’intentions ou de références croisées, plus qu’en termes de nouvelle construction épistémologique. Elles viennent indifféremment des acteurs de l’un ou l’autre domaine et s’inscrivent dans une recherche commune de transversalités. Les motivations sont certes différentes. Ainsi, le n° 78 de la revue Le français aujourd’hui, intitulé « Langue maternelle, langue étrangère », vise à « donner à nos lecteurs des éléments d’information sur ce qui se fait en didactique du FLE… les convaincre que les collègues qui enseignent le français à l’étranger… enseignent le français à des élèves que nous verrons peut-être bientôt dans nos classes ». Cet argument, de nécessité externe, sera maintes fois repris, notamment par F. Marchand (1989) qui constate que « la présence dans de nombreuses écoles d’enfants étrangers ou d’origine étrangère… conduit à s’interroger à la fois sur les facteurs de différenciation et aussi les possibles proximités entre FLM et FLE24 » et qui s’interroge sur l’opportunité d’une didactique « commune aux deux situations ». Le colloque organisé par le CREDIF en 1987 sur le thème « Didactique des langues ou didactiques de langue ? Transversalités et spécificités » travaille 23. Ces courants ne sont pas cloisonnés : bien des chercheurs sont venus à la didactique grâce à un contact avec le terrain, à l’occasion de l’enseignement de la linguistique dans les anciennes Écoles normales. Voir à ce sujet F. Marchand & J. Hébrard (1978). 24. Dans le numéro de Langue française où paraît l’article de F. Marchand (1989, n° 82), E. Roulet, qui le coordonne avec R. Galisson, s’interroge déjà : « Faut-il développer une didactique du français (DF) intégrant l’enseignement du français langue maternelle (FLM) et l’enseignement du français langue étrangère, ou faut-il distinguer deux didactiques du français ? »

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d’une notion déjà répandue dans des domaines voisins (français langue étrangère, mathématiques, sciences…) ».



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dans l’un de ses ateliers sur les relations entre les didactiques de diverses langues mais pose de façon relativement marginale25 la relation entre FLE et FLM, l’essentiel des contributions portant sur les passages et les cloisonnements entre DFLM et didactique des langues étrangères enseignées dans l’institution scolaire26. Le colloque restreint organisé par D. Coste à Genève à la fin 1988 pour marquer les vingt ans de la création de l’École de langue et de civilisation françaises et dont les Actes ont paru en 1994 sous le titre Vingt ans dans l’évolution de la didactique des langues (D. Coste, 1994) n’affiche pas explicitement une préoccupation de transversalité mais les intervenants relèvent des deux domaines, le FLE étant cependant majoritaire. Il y apparaît, du point de vue qui m’intéresse, un renforcement de l’ancrage du FLE dans la didactique des langues et, dans certains cas, le souci de tenir compte de l’évolution des recherches en DFLM, notamment dans le domaine de la grammaire, de la lecture et de l’oral27. Les schémas formalisés de la DFLM qui se développent quelques années plus tard (entre autres, D.-G. Brassart et Y. Reuter 1992, M. Dabène, 1993a) ne marquent pas un ancrage exclusif dans une situation d’apprentissage particulière qui serait celle de la langue maternelle. Ils se situent dans une perspective plus générale, avec des nuances qui s’expliquent par leurs horizons respectifs de références (sciences de l’éducation, psychologie cognitive, sociolinguistique) et par leurs focalisations différentes. Ils dénotent cependant le souci de prendre en compte des variables difficilement maîtrisables par la recherche en FLE/FLS conduite en France, comme les sujets locuteurs, les institutions, les dispositifs d’enseignement-apprentissage, les représentations sociales et les pratiques langagières qui environnent la situation didactique proprement dite. Y. Reuter (1992) distingue le niveau des théories et celui des pratiques ainsi que trois espaces : celui des contenus disciplinaires et de leurs théories de référence qui appartient en propre aux enseignants de français, « celui des dispositifs d’enseignement-apprentissage… qui appartient à tous les enseignants », et « celui des pratiques didactiques du français… qui se constitue à 25. Notamment par M. Dabène : je tente de recenser de façon programmatique tous les contacts possibles entre FLM, FLE et autres langues étrangères en fonction des lieux institutionnels d’enseignement et des situations d’apprentissage. Le texte de cette contribution a été repris dans M. Dabène (1993b). 26. On peut regretter que ce Colloque qui, pour la première fois à ma connaissance, réunissait des didacticiens de FLE, de FLM et de langues vivantes, n’ait pas donné lieu à la publication d’Actes. Les travaux des Ateliers ont paru, de façon dispersée, voir : Études de linguistique appliquée n° 72 (J.-C. Beacco & J.-C. Chevalier, éds, 1988) ; Les langues modernes n° 1-1988 (M. Candelier, L. Dabène, éds, 1988). Ces publications éclatées reconstituent, au niveau éditorial, les réseaux de diffusion propres à chaque domaine et des cloisonnements contradictoires avec l’esprit du Colloque. 27. En ce qui concerne l’oral, il est intéressant de noter que J. Mouchon dans sa contribution, souligne, a contrario, le peu d’échos qu’ont rencontrés en DFLM les grandes enquêtes sur le français parlé, comme celle d’Orléans dont le corpus est constitué de 497 enregistrements faits en 1970 à l’instigation d’enseignants de français britanniques. Dans le même ordre d’idées, les corpus de français parlé recueillis à Montréal par Sankoff-Cedergren ou à Hull par S. Poplack, n’ont guère été exploités par les didacticiens québecois.

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D.-G. Brassart (1992) propose un modèle cognitif de la didactique du français fondé, de façon « largement spéculative » sur une formalisation des différents aspects de l’activité cognitive des enseignants. Il distingue une phase de planification-préparation hors de la classe, conçue comme une activité de résolution d’un problème mal défini, et une phase interactive de décisions en classe qui allie mise en œuvre de l’action planifiée et improvisation face aux imprévus inévitables. De mon côté (M. Dabène, 1993a), je tente de montrer l’insuffisance de la notion de « triangle didactique » et la nécessité de son inclusion dans un contexte social et éducatif prenant en compte disciplines de recherche et matières d’enseignement, répertoires verbaux des apprenants, représentations et pratiques sociales de la langue, des textes et des discours28, tandis que J.-F. Halté (1992) analyse les problématiques particulières aux trois pôles concernés : le pôle de l’élaboration didactique (savoirs), celui de l’appropriation didactique (élèves) et celui de l’intervention didactique (enseignant). En bref, ce qui ressort de cette esquisse de panorama, nécessairement incomplet, est, par-delà les spécificités des deux domaines concernés, sur lesquelles je reviendrai, une interrogation progressive sur la légitimité des cloisonnements, mais aussi des déclarations d’intention ou des silences qui ne sont pas tout à fait satisfaisants au plan épistémologique.

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Spécificités et transversalités d’aujourd’hui29 Les spécificités et les transversalités des deux domaines, abstraction faite de leur histoire propre et pour s’en tenir aux affichages explicites, sont bien connues : aussi n’y insisterai-je pas. Je me contenterai d’en évoquer quelques aspects, complexes et problématiques dans la situation actuelle. Au plan institutionnel, on peut constater une implantation relativement étendue de la DFLE/FLS en milieu universitaire, mais selon des statuts très variables et la plupart du temps fragiles. Cette implantation concerne à la fois des activités d’enseignement et de formation (cours de langue aux étudiants étrangers, spécialistes de français ou d’autres disciplines, cours universitai-

28. Point de vue qui est loin de faire l’unanimité. Ce qu’exprime bien J.-L. Chiss (2001, 162) : « Face aux conceptions extensives du champ, j’ai toujours plaidé pour une vision réductionniste, convaincu sur le fond que, selon le mot de Judith Schlanger, le propre de la discipline, c’est de circonscrire et de renoncer. » 29. Est-il nécessaire de rappeler que l’aujourd’hui du scripteur est déjà du passé pour le lecteur, y compris le scripteur luimême !

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l’intersection de ces deux espaces et qui, par les élections et les interactions qu’il opère, réorganise le contour des deux autres ».

Quelques repères, perspectives et propositions



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L’implantation universitaire de la DFLM est plus complexe : elle occupe une place restreinte, pour ne pas dire inexistante, à l’exception de quelques universités, dans les cursus de premier et de deuxième cycle, malgré le développement des unités de valeur dites de « préprofessionnalisation » préparatoires à l’entrée dans les IUFM. Elle se heurte à des résistances qui s’expliquent par une focalisation souvent exclusive sur des objectifs différents qui devraient être complémentaires : préparation au métier d’enseignant/préparation aux concours de recrutement et formation de spécialistes d’une discipline. S’y ajoutent des conflits de territoire entre départements ou UFR de lettres et départements ou UFR de sciences du langage. Ces conflits ont, de toute évidence, une incidence sur les orientations de la recherche et sur la conception épistémologique du champ. Ils expliquent, en partie, le rôle de plus en plus central joué par les Instituts de formation des maîtres (IUFM), au côté de l’INRP, dans le développement des recherches en DFLM30. La pression sociale exercée par les questionnements actuels sur l’enseignement du français ne peut pas, non plus, ne pas avoir de répercussions sur la conception du champ, selon que les chercheurs choisissent d’ignorer le contexte institutionnel ou de s’y investir. Ce qui est en jeu, c’est la place qui doit être assignée à ce qu’on a appelé l’interventionnisme dans la recherche en DFLM. De ce point de vue, les deux domaines ont de réelles spécificités, souvent paradoxales. La DFLE/FLS en France n’a pas directement accès au terrain, à l’exception du cas particulier des enseignements dispensés à des non-francophones. Elle a cependant produit du « prêt à enseigner », sous forme de nombreuses méthodes à exporter se présentant comme autant de mises en application des acquis de la recherche31. La DFLM peut travailler « sur site », même si l’accès au terrain scolaire pose de nombreux problèmes aux didacticiens. Mais la production de matériel didactique, sous forme de manuels, n’est pas la préoccupation majeure des chercheurs et la fonction des supports didactiques n’est évidemment pas la même selon qu’il s’agit d’une langue « maternelle » ou d’une langue enseignée à des non natifs.

30. Au cours du premier semestre de l’année 2003, deux colloques de DFLM ont été organisés, l’un sur « Langue et étude de la langue » par l’IUFM d’Aix-Marseille, l’autre sur « Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement » par l’équipe de psychologie de l’éducation de Bordeaux II et l’équipe de didactique du français de l’IUFM d’Aquitaine. 31. Par exemple les méthodes dites notionnelles-fonctionnelles ou celles qui s’inspirent des courants de l’analyse conversationnelle.

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res dans le cadre des cursus FLE, licences, maîtrises, DEA) et des activités de recherche dans un certain nombre de centres spécialisés.

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Mais peut-on se satisfaire de transversalités conjoncturelles ? Ou est-il possible de construire épistémologiquement des transversalités qui seraient constitutives d’une didactique du français fondée sur la prise en compte de la diversité des situations d’enseignement-apprentissage ?

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Quelques arguments et conditions pour une didactique du français Ce qui guide cette réflexion c’est l’idée simple que spécificités ou transversalités, notions qui maintiennent un clivage, peuvent être réinterprétés en termes de variations32. Je rappellerai ici quelques remarques succinctes qui ont, depuis leurs premières formulations33, fait l’objet de maints débats. Les Journées d’études organisées par l’Association DFLM à Poitiers en janvier 2000 proposent explicitement, dans le texte d’orientation, de « réfléchir à la constitution du domaine en prenant en compte des variations contextuelles »34, tout en incitant, sous la plume de Y. Reuter (2001), à beaucoup de prudence à l’égard d’une posture épistémologique « qui serait ingénument revendiquée, non seulement parce que cela pourrait témoigner d’une quête plus institutionnelle… que cognitive mais aussi parce que cette posture est particulièrement difficile à tenir… ». J’avancerai ici quelques remarques succinctes que je considère comme problématiques et ouvertes au débat : – La transversalité LANGUE est forte mais pas entièrement pertinente au regard des descriptions qu’on peut en faire dans une perspective d’enseignement-apprentissage et dont la didactique du français (dorénavant DIF) a besoin. Il est illusoire de fonder le rapprochement entre les deux domaines sur les mêmes descriptions de la langue, sauf à privilégier le noyau dur de la linguistique. Outre le fait qu’on en reviendrait aisément dans cette perspective à une nouvelle linguistique appliquée, il est difficile d’admettre que, par exemple, la description du système verbal du français puisse être strictement la même quelle que soit la langue des apprenants, même si les variations nécessaires ne sont que des différences d’éclairage sur une réalité linguistique dont les recherches fondamentales permettent d’affiner l’analyse. A fortiori si on prend en compte les compo-

32. La notion de variation apparaît aujourd’hui comme l’un des concepts centraux en sociolinguistique et influence fortement les conceptions actuelles de l’acquisition des langues. 33. Notamment dans la première édition de cet ouvrage en 1995. 34. Voir M. Marquilló Larruy (2001).

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Par ailleurs, les circulations entre organismes spécialisés, les rencontres au sein d’instances associatives ou professionnelles, les transferts éditoriaux, les itinéraires individuels de chercheurs, contribuent de façon conjoncturelle à des brassages qui tendent à réduire les clivages entre les deux domaines.



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santes sociolinguistiques, pragmatiques et discursives de la description des textes et des discours. – La transversalité APPRENTISSAGE n’est pas davantage satisfaisante. Il s’agit bien, dans les deux domaines, d’apprentissages langagiers, mais ils ne se construisent pas sur les mêmes substrats. – Les oppositions externes entre langue maternelle, langue seconde, langue étrangère, qui structurent institutionnellement les deux domaines, sont réductrices. La prolifération actuelle des qualificatifs en usage (langue nationale, langue d’enseignement, langue vernaculaire, langue d’appartenance, langue régionale…) montrent la complexité des statuts à prendre en compte, tant pour l’enseignant que pour les élèves35. Ces remarques me ramènent inévitablement à la notion de situations d’enseignement-apprentissage pour caractériser les variables de la situation didactique d’enseignement-apprentissage du français. S’agissant d’enseignementapprentissage langagier, on peut estimer qu’une place centrale doit être accordée aux pratiques langagières de l’enseignant et de l’apprenant ainsi qu’aux pratiques sociales des discours oraux et écrits et à leurs représentations dominantes. La perspective de recherche est alors celle de la définition d’un continuum d’enseignement-apprentissage qui assure l’unité constitutive du champ et le relie éventuellement à des champs voisins, et des axes de variation spécifiques qui rendent compte de sa diversité : – les deux éléments organisateurs du continuum sont, d’une part, les descriptions de la langue et des fonctionnements des textes et des discours oraux et écrits (savoirs savants évolutifs) et, d’autre part, les activités cognitives à l’œuvre dans les apprentissages-acquisitions langagiers (par exemple, le rôle des métalangages) ; – les axes de variation sont au moins de deux types : - l’axe des situations d’enseignement : statuts formels et informels du français, politique linguistique des institutions éducatives au sein desquels il est enseigné (par exemple types de liens entre langue et littérature), statut des enseignants de français (natifs, non natifs), types et niveaux de leur formation, niveaux d’expertise (degrés de sécurité ou d’insécurité linguistique) ; - l’axe des situations d’apprentissage-acquisition : répertoires verbaux des élèves (monolingues, bi- ou plurilingues) types d’exposition au français, univers de références, représentations et pratiques de la langue en milieu extra-scolaire profils d’acculturation à l’écrit, etc. Les relations entre la didactique du français et les disciplines dites « contributoires » peuvent alors être conçues et hiérarchisées autrement, selon qu’il s’agit de travailler au niveau des savoirs renvoyant aux éléments organisateurs du continuum (sciences du langage, sciences de l’éducation, 35. Pour une analyse détaillée, voir L. Dabène (1994).

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Quelques repères, perspectives et propositions



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

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sciences cognitives) ou au niveau des axes de variation (sociolinguistique, linguistique acquisitionnelle, psycholinguistique) renvoyant à la diversité des situations d’enseignement-apprentissage. Conçue comme une « discipline d’articulation et d’interactions » (Y. Reuter, 1996, p. 12), la didactique se construit au confluent de ces différents apports. Les deux situations prototypiques extrêmes du continuum sont schématiquement constituées : – d’une part, par la situation d’enseignement-apprentissage du français, dans son milieu naturel et culturel d’origine, comme langue dans laquelle s’est fait prioritairement l’accès au langage (langue 1)36 ; – d’autre part, par la situation, exolingue, dans laquelle l’apprentissage se fait en milieu institutionnel comme langue autre que celle du vernaculaire de l’apprenant ou du véhiculaire de la communauté d’appartenance (langue 2 ou 3 ou 4…) ; – les situations intermédiaires se situant sur un continuum selon des variables liées à l’un ou l’autre des axes de variation : par exemple l’apprentissage du français dans l’un de ses milieux naturels et culturels d’origine par un élève ayant accédé au langage dans une autre langue ou pratiquant une autre langue dans son milieu extrascolaire ; ou l’apprentissage du français comme langue d’enseignement ou langue véhiculaire, hors de son milieu d’origine, etc. Ainsi conçue la recherche en didactique du français s’ouvre sur de nouvelles transversalités, encore peu explorées, dans deux directions au moins : – du point de vue de l’enseignement, les didactiques comparées : recherches comparées sur les didactiques des langues 1 ; – du point de vue de l’apprentissage, les didactiques en contact : recherches comparées sur la didactique de la langue 1 ou de la langue 2 et la didactique d’une autre langue aux mêmes apprenants. Soit, par exemple, en France, la didactique du français et la didactique des autres langues enseignées à l’école primaire, au collège ou au lycée. Nul doute que des problèmes aussi centraux que celui du métalangage grammatical ou du lexique gagnerait à être examinés à la lumière de ces éclairages diversifiés dont on peut faire l’hypothèse qu’ils favoriseraient aussi les apprentissages langagiers37. Les incidences de cette recomposition sont évidentes. Mais peut-on accepter que la discipline de recherche « didactique du français » soit bridée par des pesanteurs institutionnelles, qui sont certes fondées historiquement mais qui ont pour effet notoire de borner son horizon sans profit apparent.

36. Cette situation ne recouvre évidemment pas la réalité géographique de tous les pays dits francophones. 37. On n’a pas vraiment évalué les dommages probablement causés lorsqu’on soumet l’élève à un certain type de travail grammatical en langue 1 et, simultanément, à un tout autre type en langue 2.

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Quelques repères, perspectives et propositions



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Références bibliographiques



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

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Quelques repères, perspectives et propositions



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1 Linguistique appliquée à l’enseignement des langues (Galisson R., 1972, repris en 1990) Première génération

Deuxième génération

… générale

… générale

linguistique connaissances théoriques

linguistique appliquée

linguistique française, … anglaise, etc.

… MATIÈRE : quoi enseigner … MANIÈRE : comment enseigner

française, anglaise, etc.

connaissances théoriques



linguistique appliquée

… MATIÈRE

linguistique + sciences de l’éducation

besoins pratiques

méthodologie de l’enseignement des langues

linguistique

pragmatique sélective actuelle contrastive

… MANIÈRE pédagogie psychologie sociologie technologie

sciences de l’éducation

* Au cours des années 1970, une première évolution se dessine (de la première à la seconde génération de la linguistique appliquée) caractérisée par l’apparition de la notion de « méthodologie de l’enseignement des langues » qui, selon Galisson, a désormais compétence pour répondre à la question du « Comment enseigner ».

2 Didactique des langues (Dabène M., 1972) LINGUISTIQUE

PSYCHOLOGIE

SCIENCES DE L’ÉDUCATION

Contenus

DIDACTIQUE DES LANGUES

Objectifs

Méthodologie Méthode Pédagogie Procédés Techniques

SOCIOLOGIE

CLASSE DE LANGUE * Contemporain du précédent, ce modèle élargit le champ des disciplines de référence sans toutefois hiérarchiser leurs apports.

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Annexe

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES



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Méthodologie de l’enseignement des langues étrangères S O C I O L O G I E

P S Y C H O L O G I E

T H É O R I E A P P R E N T I S S A G E

S C I E N C E S D E L’ É D U C A T I O N

I D É O L O G I E

P O L I T I Q U E

T E C H N O L O G I E É D U C A T I V E

P R A G M A T I Q U E

D O C I M O L O G I P E R O X É M I Q U E K I N É S I Q U E

Linguistique appliquée à l’enseignement des langues étrangères

I E C T O C N O L O G I E

– identification des besoins notionnels des publics concernés – conversion des besoins notionnels en formes linguistiques – adaptation des besoins notionnels et des formes linguistiques • au profil du public, aux objectifs, aux moyens disponibles • en vue de la production d’outils pédagogiques circonstanciés

P H O N É T I Q U E

G R A M M A I R E

L E X I C O L O G I E

S É M A N T I Q U E

S E T T Y C L I S T I Q U E

inventaire des formes linguistiques répondant aux besoins notionnels

* Selon les termes de l’auteur, cette « vue panoramique » de la didactique des langues étrangères affine le modèle de 1972 en « subdivisant la matière (ou contenu) d’enseignement-apprentissage en substance du contenu (besoins notionnels) et en forme de contenu (formes linguistiques) » (R. Galisson, 1977 repris en 1990). La substance du contenu est du ressort de la méthodologie tandis que la linguistique sélectionne les formes linguistiques correspondantes.

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3 Didactique des langues étrangères (Galisson R., Études de linguistique appliquée, n° 27, 1977)

Quelques repères, perspectives et propositions



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Recherche-innovation

Recherche-description

Recherche-validation

Essais expérimentaux des pratiques pédagogiques répondant aux hypothèses du Plan de rénovation, et affinement de ces hypothèses, voire remise en question

Description systématique des pratiques en vue d’établir une caractérisation des démarches d’ensemble possibles, au-delà de la diversité apparente des pratiques

Mise en évidence des différences significatives entre les performances verbales des enfants selon la pédagogie pratiquée, à mlieu scolaire analogue

L’action pédagogique dans les classes expérimentales

L’observation des situations vécues dans des classes diverses

L’observation de situations expérimentales permettant le recueil de données comparables dans des classes caractéristiques au plan pédagogique

– Mise à l’épreuve pratique des hypothèses théoriques – Évaluation théorique des pratiques pédagogiques

Établissement de grilles d’observation des comportements habituels des maîtres et des élèves (notamment des productions orales et écrites des élèves, issues de la vie des classes)

Création de dispositifs expérimentaux (situations, épreuves, questionnaires, etc.)

– Dynamiser la pratique pédagogique – « Nourrir » la créativité des enseignants en formation initiale et continue

– Dynamiser la théorie pédagogique – Fournir des outils de travail pour la formation des maîtres au niveau de : • l’élucidation des pratiques • la caractérisation des pratiques

Évaluer le « rendement » effectif des pratiques pédagogiques en fonction des objectifs définis

* À la même époque dans le champ de la langue maternelle, les préoccupations sont autres ; Romian (1979) s’attache à construire la notion de recherche-action en distinguant ce qui relève de l’innovation, de la description et de la validation. On sent ici la prégnance du terrain scolaire et des enseignants participant aux recherches de l’INRP.

5 Un modèle du champ de la didactique du français (Reuter Y., dans Brassart & Reuter, 1992) Théories de référence du français

Théories didactiques du français

Contenus disciplinaires du français

Pratiques de didactique du français

Théories de référence de l’enseignement apprentissage Sujets, institutions, dispositifs d’enseignement apprentissage

* Selon l’auteur, ce modèle comprend « deux niveaux distincts : celui des pratiques et celui des théories. Il distingue trois espaces : celui des contenus disciplinaires et de leurs théories de référence qui appartient en propre aux enseignants de français, celui des dispositifs d’enseignement-apprentissage… qui appartient à tous les enseignants… et celui des pratiques didactiques du français… qui se constitue à l’intersection de ces deux espaces et qui, par les sélections et interactions qu’il opère, réorganise les contours des deux autres ». L’auteur précise que les « flèches établissant les relations peuvent être posées entre tous les pôles » (Y. Reuter).

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Champ Méthodologie Objectifs au plan de la rénovation

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Objectifs au plan de la recherche

4 Recherche-Action (Romian H., 1979)

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

6 Un modèle cognitif de la didactique du français (Brassart D.G., dans Brassart & Reuter, 1992)

Connaissances/représentations – de la matière – des programmes, curricula – des apprenants – des contraintes organisationnelles Théories scientifiques et personnelles Expériences antérieures, plans mémorisés, routines…

PLANIFICATION DÉCISION Génération Mise en mot Organisation Mise en activité

RÉVISION Évaluation Modification

CONTRÔLE

Paramètres méta-dida : domaines disciplinaires curriculum apprenants, temps matériel Support d’activités

TRACES ÉCRITES TRACES MATÉRIELLES

* Il s’agit ici de ce que l’auteur nomme la phase « pré-active de préparation conçue comme la résolution d’un problème mal défini » se fondant sur « une représentation mentale de l’activité et sur une série de traces observables ». Le modèle comporte en outre une normalisation de la phase interactive (non représentée ici) qui est le « moment de la mise en œuvre de l’action planifiée mais aussi de l’improvisation… » (voir D.G. Brassart, 1992).

APPRENANTS

ENSEIGNANTS

M NS AT EI IÈR G E NE S M EN T

PR É SO SE CI NT AL AT ES IO N

OBJETS D’ENSEIGNEMENT APPRENTISSAGE (Langue, discours, texte)

D’ E

S O C I A L

RE

C O N T E X T E

DE S E NE H LI C IP ER SC CH DI RE

S

7 La constellation didactique (Dabène M., 1993a)

S S UE E IQ IÈR AT AG PR NG LA

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MÉMOIRE À LONG TERME DU MAÎTRE

C O N T E X T E É D U C A T I F

* Ce modèle montre l’insuffisance, aux yeux de l’auteur, de la notion de triangle didactique et de la nécessité de son inclusion dans le contexte social et le contexte éducatif prenant en compte non seulement les disciplines de recherche et les matières d’enseignement, mais aussi les représentations et les pratiques sociales de la langue, des textes et des discours.

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Phase de planification-préparation hors de la classe

Georges LEGROS

A



Professeur de lettres ou enseignant de français ? Volontairement provocante dans l’ensemble où elle est ici posée1, la question n’a d’autre ambition que d’inviter à analyser certaines implications du constat dressé naguère par Yves Reuter : « Par rapport à d’autres secteurs de la didactique du français, la didactique de la littérature me paraît indéniablement en retard2. » Plus précisément, elle vise à interroger la part que peut prendre, dans les raisons institutionnelles et théoriques de ce retard, l’inscription même de la problématique littéraire dans le cadre actuel de la DFLM et à contribuer ainsi à une reprise critique de la réflexion sur les objets et les objectifs de l’enseignement de la littérature, de façon à ordonner les moyens à des fins plus explicites et davantage porteuses de sens pour les acteurs.

1.

2.

Rappelons qu’il s’agissait, au départ, de journées d’étude organisées par l’Association internationale pour le développement de la recherche en didactique du français langue maternelle, en septembre 1994. Depuis lors, bien entendu, de l’eau a coulé sous le pont Mirabeau et sous les autres ! Comme cette republication ne pouvait accueillir que des ajustements mineurs, je me suis contenté de signaler ici ou là, par une note brève, quelques-uns des changements importants survenus. Si la réflexion apparaît ainsi datée, rien, à mes yeux, n’a vraiment remis en cause ses principaux arguments ni sa conclusion : la didactique de la littérature me semble toujours à l’étroit sous l’étiquette englobante de « didactique du français », où l’ambiguïté du dernier terme tend à réduire la complexité de la discipline scolaire en l’alignant d’abord sur son volet linguistique (comme l’indiquent d’ailleurs les appellations consacrées pour subdiviser le domaine : « français langue maternelle [ou langue première] », « français langue seconde », « français langue étrangère », qui, certes, sont aujourd’hui remises en question, mais généralement pour d’autres raisons) ; elle devrait, au moins, s’enrichir aussi de rapports avec des didactiques comme celle de l’histoire ou celle des autres arts. Y. Reuter, « Quelques notes à propos de la didactique de la littérature », dans DFLM, La Lettre de l’association, n° 10, 1992, pp. 9-11.

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2

Quelle place pour la didactique de la littérature ?



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

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Dans la longue histoire scolaire, l’enseignement de la littérature et celui de la langue maternelle ont toujours eu partie liée, étant généralement dispensés, dans des proportions diverses, par les mêmes professeurs, voire partiellement fondés sur les mêmes textes – non sans quelques malentendus ou conflits, toutefois. Le modèle traditionnel faisait de celui-ci un préalable au service de celui-là, appelé à le dépasser, voire à le contredire par la valorisation des contenus et des « styles » personnels au-delà de la « simple » norme linguistique ; hiérarchie des objets, mais aussi des élèves et des enseignants, qui s’est longtemps exprimée dans la distinction entre les « classes de grammaire », ouvertes à tous, et les « classes de lettres », réservées aux rescapés d’une sélection sévère3. De ce point de vue, les changements profonds qui ont, un peu partout, affecté l’enseignement secondaire depuis une bonne trentaine d’années doivent aussi se lire, toute autre question mise à part, comme un renversement des rapports de force au sein de la corporation. Association française des Enseignants de Français, Association québécoise des Professeurs de Français, Société belge des Professeurs de Français… : toutes les associations professionnelles affichent la même étiquette, souvent devenue militante, avec parfois l’ambition proclamée de généraliser « de la maternelle à l’université » une identité disciplinaire définie par son seul volet linguistique. Que le conflit ne soit pas que de mots et qu’il puisse encore être vif en dehors des milieux consensuels, on s’en convaincrait aisément, si c’était nécessaire, par deux brèves citations, parmi beaucoup d’autres possibles. Ainsi, dans un « Libre propos » sur une réforme des épreuves orales du CAPES, en France, Jean-Pascal Simon, relevant que certains textes officiels parlent des « relations que l’enseignement des lettres entretient avec les autres disciplines », s’indigne aussitôt : « L’utilisation du vocable lettres témoigne, une fois de plus, d’un décalage entre le concours, l’esprit dans lequel il est mis en œuvre et la réalité enseignante : il n’y a rien de fâcheux à être un enseignant de français !4 » À quoi pourrait répondre l’envolée inverse d’Alain Finkielkraut, alerté par un énième discours sur la baisse de niveau : « Il faut rendre à la littérature sa place centrale dans l’enseignement même du français, pour que nous restions le pays de la conversation et non une province de la communication planétaire5. » Sur le mode anecdotique, la première de ces deux réactions contradictoires rappelle que la DFLM, largement issue des mouvements de réforme de l’enseignement du français évoqués, n’occupe, dans le conflit, une position ni neutre ni œcuménique. Au contraire, obligée de conquérir son domaine propre contre un modèle dominant dont la clef de voûte était un certain enseignement de la littérature, elle a plutôt cherché appui sur d’autres disci3.

4. 5.

Sur ces rapports entre la valeur attribuée à la littérature et les effets du dispositif institutionnel scolaire, on se rappellera la réflexion critique ouverte par R. Balibar, Les Français fictifs. Le rapport des styles littéraires au français national, Paris, Hachette-Littérature, 1974. J.-P. Simon, « Le CAPES : quoi de neuf ? », dans DFLM, La Lettre de l’Association, n° 13, 1993, p. 32. A. Finkielkraut, « Oui, soyons exigeants », dans Le Nouvel Observateur, n° 1546, 23-29 juin 1994, p. 11.

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plines (comme la linguistique ou la psychopédagogie) plus ouvertes au changement et plus immédiatement liées aux nouvelles urgences suscitées par la démocratisation des publics scolaires. Évoquant l’ouverture, en janvier 1969, du « Centre universitaire expérimental » de Vincennes, Jean Verrier note qu’« au département de littérature française, seuls quelques enseignants s’intéressent à la didactique. Il se trouve que ce sont les “linguistes” » ; et il ajoute qu’en 1977, la « didactique de la littérature ne se fait plus par les universitaires mais par des “enseignants-chercheurs”, travaillant en équipes (issues de l’AFEF, de Pratiques, du lycée de Sèvres), informées des recherches en linguistique, poétique et sciences humaines, et qui essaient de théoriser leurs pratiques »6. Ce sont donc, en bonne partie, les circonstances historiques de l’émergence progressive de la didactique du français qui expliquent la relative faiblesse, en son sein, des préoccupations littéraires (toujours minoritaires dans ses principales « vitrines », que ce soient les colloques internationaux de l’Association de DFLM ou le « Que sais-je ? » de Jean-François Halté7), alors que les recherches proprement littéraires continuent, en général, d’ignorer le défi didactique, comme si rien n’avait changé de ce côté. Semblable divorce institutionnel n’est pas sans exposer la didactique de la littérature à se concevoir et à s’élaborer dans une reconnaissance insuffisante des limites et des spécificités de son objet. Car – et c’est une première différence fondamentale – l’objet de l’enseignement de la littérature me paraît beaucoup plus problématique que celui de l’enseignement de la langue maternelle, non seulement dans son étendue, mais encore, plus radicalement, dans sa nature.

B



Savoirs ou savoir-faire ? On se rappelle les principales critiques – pédagogiques, scientifiques, sociopolitiques – adressées au modèle traditionnel. Essentiellement transmissif, il ordonnait chronologiquement des connaissances souvent « gratuites », sans veiller suffisamment à leur appropriation et à leur intégration dans des pratiques réelles, liées aux intérêts et aux besoins des élèves dans le monde

6. 7.

J. Verrier, « De l’enseignement de la littérature à l’enseignement de la lecture », p.160 ; dans D. Coste (éd.), Vingt ans dans l’évolution de la didactique des langues (1968-1988), Paris, Crédif-Hatier, coll. « LAL », 1994, pp. 159-174. J.-F. Halté, La didactique du français, Paris, PUF, « Que sais-je ? », n° 2656, 1992. Depuis lors, la situation a sensiblement évolué : l’ouvrage de C. Simard, Éléments de didactique du français langue première, Montréal – Bruxelles, Éditions du Renouveau Pédagogique – De Boeck, 1997, envisage systématiquement les deux composantes du « couple langue-littérature » ; il arrive que l’Association DFLM organise des journées d’étude consacrées à la seule littérature ; il s’est même créé un groupe informel de didacticiens de la littérature, qui se réunissent chaque année autour de problèmes communs. Au point que le nouveau « Que sais-je ? » parle de « retour du littéraire » (J.-M. Rosier, La Didactique du français, Paris, PUF, 2002, p. 53). Tout malaise n’est cependant pas dissipé : signe sans doute révélateur, le groupe de didacticiens de la littérature s’est, jusqu’à présent, maintenu en dehors de l’Association DFLM.

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

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actuel (les « compétences » visées aujourd’hui) ; d’où le risque de lectures seulement anthologiques, voire d’un certain psittacisme. Ses conceptions de la périodisation, du sens du texte et de son explication étaient battues en brèche par le développement des sciences humaines. Sa hiérarchie des valeurs, enfin et surtout, reproduisait de façon convenue un consensus culturel dépassé, peut-être adapté aux « héritiers » d’hier mais qui excluait les nouveaux élèves de l’école de masse, en ignorant ou en niant leurs propres représentations et pratiques culturelles. On sait aussi comment, dans bien des cas, on a tenté de répondre à cette critique multiple. D’une façon sans doute plus psychologique que politique, en cherchant d’abord à susciter l’envie de lire chez les élèves et, dans cette perspective, en choisissant par priorité des œuvres à leur portée, voire à leur goût. D’une façon technique, en adoptant des « méthodes », le plus souvent inspirées de la sémiotique ou de la psychanalyse, censées mieux assurer (ou, au contraire, « libérer ») la recherche du (ou de) sens, sans d’ailleurs toujours chercher à vérifier la pertinence de ces méthodes par rapport aux visées « éducatives » généralement maintenues : comme pour l’influence de la linguistique sur l’enseignement de la langue, une certaine « scientificité » a d’abord semblé se suffire à elle-même8. Jean Verrier parle à ce propos du « rêve d’une “science” de la littérature et note que, par un effet pervers, fréquent en pédagogie, ce nouveau savoir à prétention scientifique alimente les pédagogies les plus normatives » (op. cit., p. 162). Au sein de certains groupes de recherche pédagogique, Jean Verrier distingue ensuite une « troisième vague », sans doute encore assez rare dans les classes sous la forme exploratoire qu’il lui donne, mais significative pour notre propos : celle où la confrontation des réceptions réelles, et diverses, des textes par les élèves prend le pas sur l’analyse de leur fonctionnement. « Enseigner la littérature n’est plus tant alors transmettre un savoir sur les textes (vie des auteurs, écoles littéraires, citations…) qu’entraîner à la maîtrise des effets de sens d’un texte sur un individu appartenant à une culture donnée. Comme dans d’autres pédagogies, l’“apprenant” est ici placé au centre de la démarche. […] D’un point de vue civique, sinon politique, l’enjeu est de taille, et d’une brûlante actualité. […] Enseigner la lecture, de l’école primaire à l’université, serait donc apprendre à lire, la plume à la main, et d’abord les textes littéraires parce que c’est eux qui font qu’une langue est vivante » (ibid., p. 163). Primum legere : fondamentale, en effet, la consigne n’est pas vraiment nouvelle, et elle fait facilement l’unanimité. Sous de tout autres formes, certes, Gustave Lanson notait déjà : « L’étude littéraire se fera par les textes. L’histoire littéraire, chose d’enseignement supérieur, est, dans l’enseignement 8.

Sur de tels changements « superficiels » de méthodes, qui paraissent n’entamer ni les objectifs visés ni les courants de pensée dont se réclament les enseignants de littérature, voir notamment S. Bogaerts, B. Dispa & G. Legros, « Profils de profs : une enquête au secondaire supérieur », dans Enjeux, n° 16, déc. 1988, pp. 27-64.

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secondaire, un fléau. […] Jusque-là le maître s’occupera de faire déchiffrer le plus de textes qu’il pourra9. » Et l’un de ses adversaires les plus déterminés, en son temps, Servais Étienne, définissait ainsi son programme de formation au premier cycle universitaire : « Bref, pendant les deux premières années de leurs études, de dix-sept à dix-neuf ans, les élèves sont priés d’apprendre à lire10. »

C



Littérature ou (types de) textes ? La vraie nouveauté est bien plutôt – avec celle du sens unique, cautionné par l’autorité du maître ou de la méthode – la fin du « corpus » imposé, au profit de l’infinité des textes et des lecteurs. Jean Verrier lui-même intitule d’ailleurs son article De l’enseignement de la littérature à l’enseignement de la lecture et souligne au passage que « Le numéro 7 de la revue Littérature qu’édite chez Larousse le département de littérature française de Paris VIII s’intitule : “Le discours de l’École sur les textes” (1972), et le numéro 19, en 1975 : “Enseigner le français” (pas la littérature) » (op. cit., p. 160). Sur un autre terrain, Monique Lebrun note que « Dans les programmes du secondaire [au Québec], le mot “littérature” est occulté au profit de celui de “discours”11. » Et l’on pourrait en dire autant des programmes belges en vigueur jusqu’il y a peu, dont l’un déclarait notamment : « Loin de vouloir obtenir une « culture » littéraire uniforme, savant dosage d’époques et de genres différents, le professeur s’attachera plutôt à, stimuler une lecture critique de tous les textes (ou messages) qui assaillent les étudiants12 ; et l’autre, comme en écho : Ce que l’on vise, […] ce n’est pas l’acquisition d’un bagage littéraire exhaustif […], c’est le développement des aptitudes à lire toutes les espèces de textes, c’est l’installation d’un savoir-être que caractérisent, principalement : la famil-

9.

G. Lanson, « Contre la rhétorique et les mauvaises humanités », dans L’Université et la société moderne, Paris, A. Colin, 1902, repris dans Essais de méthode, de critique et d’histoire littéraire, rassemblés et présentés par H. Peyre, Paris, Hachette, 1965, p. 59. 10. S. Étienne, Expériences d’analyse textuelle en vue de l’explication littéraire, Liège, Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres, et Paris, Droz, 1935, p. 2. 11. M. Lebrun, « Problématique de l’institutionnalisation d’une littérature nationale à l’école : le cas du corpus québécois », dans Enjeux, n° 32, juin 1994, pp. 33-40. 12. Secrétariat national de l’Enseignement catholique, Enseignement secondaire de type I. Français. Troisième degré, section de transition, Bruxelles, LICAP, 1980, p. 22. Pour donner toute la mesure du déplacement, ajoutons que le même programme précisait ailleurs que « le concept de texte a reçu, dans la pensée contemporaine, une extension maximale. Sont considérés comme textes aujourd’hui, non seulement les énoncés de langage formant un ensemble clos (qu’il s’agisse de discours oraux ou de discours écrits), mais aussi toutes les autres manifestations humaines qui, en quelque sens que ce soit, nous “disent quelque chose” : on pourra parler du texte pictural (pour un tableau), du texte d’une ville, du texte constitué par un ensemble de gestes corporels » (p. 7). Pour une vue comparative des programmes de l’époque en Belgique, en France et au Québec, voir Enjeux, n° 43-44, « Littérature : les programmes francophones », mars 1999.

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Bref, plus l’objectif est le savoir-lire, plus il s’instrumentalise, plus, en somme, il s’inscrit dans une perspective de didactique du français, et plus la littérature, comme ensemble organisé et significatif, tend à s’effacer, devant des textes littéraires d’abord (mais dont on se garde bien, le plus souvent, d’interroger la « littérarité »), devant des textes non autrement définis ensuite. Dans une telle perspective – où « Il s’agit moins de l’enseignement de la littérature que d’un usage de la littérature pour l’enseignement du français », comme le marque bien Jean Peytard14 –, ce qui devient difficile, en effet, voire impossible, c’est d’établir la spécificité de « la “littérature” comme sous-ensemble du domaine “scriptural” » et, bien plus encore, sa nécessité dans la formation des jeunes. « Lieu privilégié, entre tous, […] moment d’excellence, pour connaître le mouvement de la langue française », propose Jean Peytard (op. cit., p. 31), peu avant Jean Verrier ; ou encore : « ensemble essentiel à l’apprentissage et à l’approfondissement de la langue française. […] “laboratoire langagier”, où plus qu’en tout autre “discours”, les différents niveaux […] se trouvent en posture de dévoilement, s’aperçoivent dans leur fonctionnement, jusqu’au détail le plus inattendu (ibid., p. 9)15 ». Mais c’est oublier que de telles définitions « techniques », qui voient d’abord dans la littérature des types et des structures de texte, des fonctionnements et des innovations linguistiques16, souffrent de deux défauts majeurs. D’une part, elles ne sont nul13. Ministère de l’Éducation, de la Recherche et de la Formation, Enseignement secondaire. Troisième degré de transition. Français, Bruxelles, Direction générale de l’Organisation des Études, mai 1993, p. 6, sous la rubrique « Lecture ». On doit cependant à la vérité d’ajouter que le même programme comporte, par ailleurs, une rubrique « Approches de la vie littéraire et artistique », où l’objectif est, pour « mieux comprendre le XXe siècle et ses productions, d’organiser de manière réflexive notre patrimoine littéraire et culturel, notamment en se rendant capable de reconnaître les grands mouvements européens de la pensée, […] les grands courants artistiques et culturels européens » et d’établir entre eux des relations (p. 18). Depuis lors, cette tendance a été sensiblement renforcée par un décret qui a fixé, pour tous les établissements, les Compétences et savoirs requis en français à l’issue des humanités générales et technologiques (Ministère de la Communauté française, Administration générale de l’Enseignement et de la Recherche scientifique, Bruxelles, 1999). Parmi les acquis à certifier, figure une certaine connaissance (« expliquer les ruptures fondamentales…, reconnaître différents traits majeurs… ») de dix « grands courants littéraires et artistiques d’hier et d’aujourd’hui », cités dans l’ordre chronologique (l’humanisme, le baroque, le classicisme…). Pareille contrainte légale a évidemment entraîné la refonte des programmes, qui, selon les réseaux, invitent davantage à une réflexion critique sur le concept même de littérature ou à un ordonnancement historique des œuvres et des manières d’écrire. 14. J. Peytard, Les Cahiers du CRELEF, n° 36, « Souvent textes varient », Besançon, 1993-2, p. 31. 15. Même image du littéraire comme simple degré supérieur de la performance langagière dans le programme de français du troisième degré du réseau catholique belge pour les années 1980, qui se couvre notamment de l’autorité de la revue de l’AFEF : « Dans la masse des textes, le texte littéraire possède un statut particulier du fait qu’il exploite au maximum les possibilités de création et de renouvellement de la langue : “Le texte littéraire demeure pour nous essentiel parce que son fonctionnement pousse à leurs extrémités les possibilités ludiques, symboliques, imaginaires, etc., du langage” (1977 : “Aujourd’hui le français”, supplément au n° 39 de Le français aujourd’hui, p. 39). C’est pourquoi nous le prendrons comme référence dans les réflexions qui vont suivre. (Mais ce que nous en dirons vaudra, à des degrés divers, pour tout type de texte) » (op. cit., pp. 7-8). 16. Au fond, dans leur invocation de « l’excellence », diffèrent-elles autant qu’on veut bien le dire de plus anciennes auxquelles on les oppose volontiers (par exemple, la littérature comme « norme du “bon français” », voire « comme ornementation ou comme objet de plaisir », pour continuer à citer Jean Peytard, ibid.) ? Ne risquent-elles pas, au contraire, d’exposer rapidement leur objet aux mêmes reproches de luxe, sinon superflu, du moins secondaire par rapport à des attentes fonctionnelles plus immédiates, trop souvent encore insuffisamment rencontrées ?

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iarité avec les livres, ou, plus largement, les textes ; l’intérêt ou le goût pour leur contenu ; l’esprit d’accueil et l’esprit critique13. »



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lement propres à la littérature elle-même : les débats autour de la célèbre « fonction poétique » de Roman Jakobson, par exemple, ont montré depuis bien des années que les discours publicitaires ou politiques, notamment, peuvent comporter autant de jeux subtils d’équivalences que les plus beaux poèmes ; et la chronique des faits divers est, tout autant qu’un conte ou qu’un roman, passible d’une analyse narratologique. D’autre part, elles demeurent muettes sur la question, centrale dans la problématique littéraire, des valeurs ; plus particulièrement, elles ne permettent en rien de discriminer un pastiche ou une vulgaire copie de l’original qui a marqué son temps ou frayé des voies nouvelles pour l’avenir. Or, c’est un trait spécifique des objets littéraires que le point de la chaîne historique où ils s’inscrivent, tant à la réception qu’à la production, soit une partie constitutive de leur valeur et de leur sens même : il y a longtemps que Roger Fayolle a montré comment Baudelaire s’est trouvé progressivement « canonisé » par l’école à la suite d’une période de violences politiques et culturelles qui ont dû, par contraste, le faire passer pour une sorte de « classique » plus sage qu’on ne l’avait d’abord cru17 ; par contre, aujourd’hui où on le lit et on le cite tant dans les classes, quel sens y aurait-il à écrire encore à la Baudelaire ? D’où la difficulté bien connue de lire d’emblée ses contemporains, et, du même coup, le soupçon qu’à trop s’en tenir aux intérêts spontanés des élèves, on ne les aide pas nécessairement à mieux comprendre la littérature d’aujourd’hui que celle d’avant-hier.

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Refonder l’objet : extension, spécificité, nécessité À en croire les souvenirs de jeunes étudiants, c’est pourtant en ce sens que la contestation de l’histoire littéraire traditionnelle et de son corpus imposé de « chefs-d’œuvre » aurait conduit bon nombre de pratiques scolaires. Deux enquêtes parmi des étudiants belges de diverses orientations, mais principalement de Lettres, ont naguère dessiné de curieux portraits des lectures en classes terminales du secondaire18. Deux traits principaux y frappent. D’abord, l’extrême réduction des référents culturels communs : cinq poètes seulement auraient été étudiés en détail par

17. R. Fayolle, « La poésie dans l’enseignement de la littérature : le cas Baudelaire », dans Littérature, n° 7, oct. 1972, pp. 48-72. Dans un tout autre registre, J.L. Borges a démontré pourquoi Pierre Ménard, en récrivant mot à mot, dans l’entredeux-guerres, le Don Quichotte, avait nécessairement produit une œuvre toute différente de celle de Cervantes (« Pierre Ménard, auteur du Quichotte », dans Fictions, Paris, Gallimard, 1983, « Folio » n° 614, pp. 41-52). 18. G. Legros, M. Monballin & M. van der Brempt, « Le cercle des poètes rebattus. Résultats d’une enquête auprès d’élèves sortants », dans Enjeux, n° 24, « Enseigner la poésie ? », déc. 1991, pp. 5-23 ; M. Monballin & G. Legros, « Œuvres romanesques et théâtrales en fin de secondaire : un singulier pluriel », ibid., n° 32, « Corpus et lectures littéraires », juin 1994, pp. 7-21.

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plus de la moitié des élèves consultés (par ordre décroissant, Baudelaire, Verhaeren, Hugo, Vigny et Lamartine) et un seul roman aurait été lu dans la même proportion (L’Étranger d’Albert Camus). Ensuite, la disparate des images selon les genres : alors que la poésie y est d’abord représentée par les grands « mages » du romantisme et leurs successeurs immédiats, avec une forte concentration sur quelques noms, la prose romanesque et théâtrale s’y manifeste à 80 % par des titres du XXe siècle, et, cette fois, dans une spectaculaire dispersion (47 % des mentions d’œuvres sont des hapax et l’auteur le plus cité, Camus, n’atteint pas les 10 % du total des occurrences)19. Cette double tendance, quelles que soient les réserves et les nuances que l’imperfection des instruments oblige à y apporter, montre à quel point l’école, dans la liste infinie des œuvres, se taille un corpus sur mesure. En fonction, sans doute, d’un critère de lisibilité immédiate : dès lors que l’objectif premier est de faire lire et d’en développer le goût, la logique de la consommation l’emporte sur celle du savoir et impose ses limitations. L’ensemble, complexe sinon confus, des tentatives multiformes qui composent l’aventure littéraire est alors renvoyé au statut d’objet virtuel de connaissance, que l’élève, le cas échéant, explorera plus tard, au hasard des rencontres et des inclinations personnelles ; en attendant, règne l’accessible, donc, nécessairement, le plus familier. Si la priorité ainsi accordée aux lecteurs, à leurs capacités et à leurs intérêts réels ou présumés, évoque un « discours de bibliothécaires », elle n’est toutefois pas incompatible avec le maintien d’un « discours d’école »20 bien traditionnel, dont on aurait tort de sous-estimer la force constante. Un autre critère, en effet, semble bien présider à la sélection : celui de la glosabilité, qui renvoie directement à la question des finalités. Pour être retenue, une œuvre doit pouvoir être lue par les élèves, mais aussi commentée par le professeur dans la perspective qu’il a adoptée. Or celle-ci est bien plus souvent celle de l’accès immédiat aux grandes « questions morales ou humaines » posées par le texte que celle de la pertinence et des limites de différentes méthodes de lecture et d’analyse (malgré les consignes de certains programmes), ou encore que celle de l’évolution des modes d’écriture (ou de réception) et de leurs enjeux respectifs21. Visée éducative, en somme, « humaniste » si l’on veut, que l’on pourrait aisément faire remonter, elle aussi, au moins à Lanson22, mais qui demeure sans doute dominante 19. Dispersion, y compris géographique et culturelle, qui peut cependant s’accommoder de certaines limitations significatives ; ainsi, par exemple, les incursions dans le « Nouveau Roman » semblent bien rares : vous aviez dit « culture contemporaine » ? 20. Pour reprendre les catégories qui structurent une grande partie de l’étude d’A.-M. Chartier & J. Hébrard, Discours sur la lecture, 1880-1980, Paris, BPI, Centre Georges Pompidou, 1989. 21. Voir notamment S. Bogaerts, B. Dispa & G. Legros, « Profils de profs », op. cit., p.32. 22. Voir, entre autres, la formule de M. Charles : « […] pour Lanson, l’enseignement littéraire a une fonction aussi essentielle que provisoire. […] Fonction transitoire, pour être précis : en un mot, les lettres assurent un relais entre la religion et les sciences » (L’Arbre et la Source, Paris, Seuil, 1985, p. 268).

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aujourd’hui23. De ce point de vue, en effet, le double portrait évoqué il y a un instant, de disparate devient singulièrement cohérent : au-delà du décalage chronologique apparent, n’est-ce pas une contestation identique de la transparence du langage, une interrogation semblable de la littérature sur ellemême, bref, le même abandon d’un certain « réalisme » qui font négliger largement le roman post-camusien autant que la poésie post-baudelairienne ? Pareille exploitation directement « idéologique » des œuvres souffre, elle aussi, de deux défauts majeurs. Le premier, on vient de l’apercevoir, est qu’elle rend aveugle sur des pans entiers, voire sur des périodes entières de la production24. Le second, plus radical bien que généralement inaperçu, est qu’au fond, pas plus que l’approche « technique » envisagée d’abord, elle n’exige vraiment le recours au littéraire comme tel : des discours sur l’homme qui permettent de soulever de grandes questions existentielles, on en trouve à suffisance dans les ouvrages de philosophie ou de psychologie, dans les essais moraux, dans les récits de vie et les témoignages de toute sorte, et jusque dans les éditoriaux des quotidiens. Et l’on sait quelle place tiennent désormais, dans certaines lectures scolaires, des genres ou des œuvres naguère réputés mineurs ou non littéraires, voire de simples articles de presse25. Dès lors, qu’est-ce qui justifie, dans de telles pratiques, l’utilisation d’œuvres littéraires (qui ne sont pas encore nécessairement « la littérature »), fût-ce au prix d’un certain malentendu constant ? La force d’une tradition et un prestige ininterrogé ? Le goût des professeurs, partagé par beaucoup d’élèves, notamment pour l’expression sentimentale et la fiction ?… Mais l’exemple de pays proches suffirait à montrer la fragilité de traditions non fonctionnelles26 ; et quant aux goûts personnels, s’ils peuvent constituer un puissant moteur

23. Comme l’indique un autre sondage, quelque dix ans plus tard : K. Canvat, G. Legros, M. Monballin & I. Streel, « L’enseignement de la littérature au secondaire supérieur belge. Une enquête auprès des professeurs », dans G. Legros, M.-C. Pollet & J.-M. Rosier (éds), D.F.L.M : quels savoirs pour quelles valeurs ? Paris, Association internationale pour le développement de la recherche en didactique du français langue maternelle, 1999, pp. 215-218. 24. C’est ainsi que certains sont incapables de voir autre chose qu’une décadence dans les œuvres proprement contemporaines. « Ce que je refuse d’accepter, c’est que la littérature cesse d’être un discours sur l’homme », s’indignait, voici trente ans, A. Léonard (La Crise du concept de littérature en France au XXe siècle, Paris, Corti, 1974, p. 15). J.-M. Domenach disait-il autre chose, vingt ans plus tard (Le Crépuscule de la culture française, Paris, Plon, 1995) ? Et J.-P. Sartre, à sa manière, n’avait-il pas déjà donné l’exemple par des formules péremptoires comme : « on a écrit pendant soixante-dix ans pour consommer le monde ; on écrit après 1918 pour consommer la littérature ; on dilapide les traditions littéraires, on gaspille les mots, on les jette les uns contre les autres pour les faire éclater ; ou L’extrême pointe de cette littérature brillante et mortelle, c’est le néant. Sa pointe extrême et son essence profonde ; ou encore La littérature moderne, en beaucoup de cas, est un cancer des mots » (Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, 1948, coll. « Idées », pp. 162, 165 et 341) ? 25. Les témoins de l’enquête de S. Bogaerts, B. Dispa & G. Legros, notamment, déclarent analyser plus volontiers un article de presse que les œuvres proposées de Molière, Butor ou Kundera (« Profils de profs », Op. cit., p. 31). 26. Au Danemark, l’école considérerait l’enseignement de la littérature davantage comme un moyen mis au service de la capacité à communiquer que comme une fin culturelle ; aux Pays-Bas, elle l’aurait pratiquement abandonné (A. Benoît, « Dans l’Europe des Douze », dans les Cahiers pédagogiques, n° 313, avr. 1993, pp. 16-17).

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« Tout projet social d’enseignement et d’apprentissage se constitue dialectiquement avec l’identification et la désignation de contenus de savoirs comme contenus à enseigner », note Yves Chevallard, qui ajoute : « Les contenus de savoirs désignés comme étant à enseigner […], en général préexistent au mouvement qui les marque comme tels »28. Comment la didactique de la littérature ne serait-elle pas en retard, dans l’incertitude et la confusion où elle se trouve, depuis le rejet de l’histoire littéraire traditionnelle, sur son objet et ses contenus de savoirs ? Et comment pourrait-elle espérer progresser si l’on continue à dissoudre ceux-ci dans l’infinité inorganisée des occasions, des problèmes humains, des goûts et des intérêts personnels, voire dans la virtualité du « laboratoire langagier » ?

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Rendre sens au singulier défini On peut, certes, utiliser les œuvres littéraires comme « prétextes » : pour découvrir la richesse des possibilités de la langue, par exemple, ou pour débattre de quelques grandes questions psychologiques et morales, en saisissant, le cas échéant, cette occasion pour faire éprouver la relativité personnelle et culturelle de la réception et des interprétations29. Mais, si l’on veut élaborer une véritable didactique de « la littérature », c’est d’abord à ce singulier défini qu’il faut rendre sens. Yves Reuter a bien montré, à plusieurs reprises, que le relativisme nécessaire en la matière pour éviter le piège d’une définition essentielle de la littérature, n’empêche pas toute élaboration de savoirs objectifs30. Si la littérature est « une construction historique », ses variations, du moins, sont significatives. Éducative, engagée et militante, « scientifique » ou onirique, exploration de la réalité matérielle et sociale, de la spiritualité indicible ou de ses propres possibilités et limites, elle n’a, selon les époques et les milieux, ni même statut, ni même visée, ni même fonctionnement. Les changements de ses modes de réception comme de ses modes d’écriture portent ainsi témoignage de l’aventure de l’homme aux prises avec le monde et avec le langage par lequel il essaie de le (et de se) représenter, de lui (et de se) donner sens. C’est l’intel-

27. De ce point de vue, le succès considérable de l’ouvrage de D. Pennac, Comme un roman (Paris, Gallimard, 1992) est lourd d’ambiguïtés : tout entier tourné vers une « réconciliation avec la lecture » (p. 51), il indique – et avec quelle chaleur communicative ! – comment séduire, entraîner, par mimétisme et non par contrainte, mais il ne résout aucun des problèmes de contenus d’enseignement. 28. Y. Chevallard, La Transposition didactique, Du savoir savant au savoir enseigné, Grenoble, La Pensée Sauvage, 2e éd., 1991, p. 39. 29. Peut-être même faut-il commencer par là : je ne dispute pas ici de ce qui est faisable à tel ou tel degré scolaire, dans telles ou telles conditions. 30. Voir notamment Y. Reuter, « Enseigner la littérature ? », dans Recherches, n° 16, Lille, AFEF, 1992-1, pp. 55-70.

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pour l’apprentissage, ils n’en demeurent pas moins un fondement bien aléatoire pour une didactique27.



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ligence de cette aventure, dont nous sommes le produit et qui conditionne profondément notre perception actuelle du monde et de nous-mêmes, notre capacité de nous déchiffrer en même temps que de nous inventer31, qui me paraît être l’enjeu profond d’un enseignement de la littérature. C’est dire que celui-ci ne peut se concevoir dans le simple émiettement des textes innombrables : pour faire sens, il lui faut tracer des voies convergentes ou contrastées, marquer des étapes successives, des conflits et des découvertes… Dans une telle perspective, Christian Vandendorpe n’hésite pas à proposer, à contre-courant de la doxa du moment, la lecture obligée d’une sélection d’œuvres « classiques », redéfinies comme celles qui ont « ouvert un nouveau champ d’exploration à la littérature, et parfois même radicalement modifié l’horizon d’attente à l’égard de l’œuvre littéraire », celles « dont la lecture constitue le plus court chemin pour amener l’élève à se donner un prototype d’un genre donné, parce que des centaines d’autres œuvres n’ont fait qu’exploiter le champ ouvert par elle[s] ou en préparer la venue32 ». À un tel palmarès d’œuvres individuelles, on peut, pour éviter l’effet toujours discutable de panthéon, préférer l’abord par de grandes catégories de l’écriture comme, par exemple, la représentation du personnage ou le jeu de la voix narrative, dans le roman, la syntaxe et l’isotopie sémantique, en poésie33 ; tel semble être le choix, entre autres, de Jean-Marie Schaeffer et de Michael Werner, qui plaident, en citant Gérard Genette, pour une étude à la fois structurale et historique et qui devrait être transtextuelle34. Mais ce n’est pas ici le lieu de discuter des moyens dans leur détail concret. Pour conclure par où j’ai commencé, et dans le même esprit, je dirai que, si elle veut sortir de son état de matrice disciplinaire insuffisante, la didactique de la littérature doit commencer par identifier et structurer ses savoirs constitutifs ; qu’elle doit donner à ceux-ci une dimension historique, « car la littérature est construite dans une histoire et ne saurait donc s’enseigner en la refoulant35 » ; enfin, qu’elle doit les ordonner au corpus réel d’œuvres et de pratiques et non aux virtualités de la langue, sous peine de se retrouver, à terme, privée de justification profonde36. Ce faisant, elle devra affronter des 31. Autant de « grandes questions humaines » qui, ma foi, en valent bien d’autres. 32. C. Vandendorpe, « L’enseignement de la littérature aujourd’hui », DFLM, La Lettre de l’association, n° 10, 1992, p. 4. 33. Ou, bien entendu, celui par les « grands courants littéraires et artistiques », qu’a choisi la Communauté française de Belgique dans son décret de 1999 (voir ci-dessus, note 13). Notons au passage que ce décret ajoutait ensuite, à titre de « balise » indicative, un certain nombre de « grandes références littéraires et artistiques » ; comme on pouvait s’y attendre, c’est cette liste d’auteurs et d’œuvres qui a soulevé le plus de critiques. 34. « Pourquoi l’histoire littéraire n’a-t-elle jamais réussi en France à se constituer en discipline scientifique autonome ? », dans Le Monde du 18 mars 1993 (propos recueillis par M. Contat). Voir aussi Y. Reuter, « Enseigner la littérature ? », Op. cit., p. 68. 35. Y. Reuter, « Enseigner la littérature ? », op. cit., p. 68. 36. On aura compris qu’à mes yeux, le décret de 1999 répond assez largement à cette perspective. Reste à voir si sa mise en œuvre (notamment par les programmes et par la formation continuée) saura convaincre les enseignants qu’il peut aussi répondre à leurs objectifs humanistes ; faute de quoi, il risque fort de rencontrer la même résistance que la vague formaliste issue du structuralisme.

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Quelle place pour la didactique de la littérature ?



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

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problèmes (liés à l’interprétation et à l’évaluation de ses objets, à leur inscription dans l’histoire, à leur mise en rapport avec d’autres champs : politique, philosophique, artistique…) différents de ceux de l’enseignement-apprentissage d’une langue. Sans vouloir nier, bien entendu, l’intérêt, la nécessité d’échanges nombreux, le texte littéraire demeurant légitimement un support d’apprentissages variés en français, il me semble donc que la didactique de la littérature a tout à gagner à s’affranchir du cadre et des modèles de la seule DFLM pour repenser à nouveaux frais ce qui fait la spécificité de son objet et de ses finalités.

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Bernard SCHNEUWLY

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L’étonnant investissement affectif d’un concept Quand A. Chervel écrit que le terrain de la réflexion pédagogique « est largement occupé […] par cette transposition didactique qui est devenue dans bien des endroits la ligne de pensée quasi officielle » (1992, p. 195), ou quand P. Perrenoud affirme que « les didacticiens, pour avoir droit à l’existence et imposer leur point de vue à des psychologues, psychosociologues ou pédagogues […] ont été obligés d’introduire dans leur discours une forte clôture, [… qu’il y a] guerre de territoires […] affrontement sur la construction des objets et des frontières » (1992, p. 349), le lecteur sent un léger frisson le parcourir. Rares sont les concepts qui peuvent se targuer d’un tel investissement affectif ; rares aussi ceux qui connaissent une telle « success story » (Y. Lenoir, 1994). L’histoire nous permettra sans doute un jour de comprendre les raisons de cet engouement. Je vais beaucoup plus modestement essayer de réfléchir sur ce concept et son utilisation dans les didactiques disciplinaires, et plus particulièrement en didactique du français langue maternelle (DFLM). Le rapport entre cette didactique et les autres – l’un des aspects de la réflexion sur l’état de la discipline – est donc abordé pour ainsi dire en acte à travers le travail sur un concept. Le fait que certains problèmes ne peuvent être pensés qu’à travers le concept de transposition m’amène à conclure qu’il est indispensable, aussi et surtout en DFLM.

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De l’utilité de la « transposition didactique »



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Petit (mal-)traité du concept

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Inutile de parcourir encore une fois la si courte histoire du concept de transposition didactique, introduit d’abord par M. Verret dans sa thèse de 1974 pour comprendre le temps des leçons dans une enquête sociologique sur le temps des études ; repris, développé et précisé dans le sens du passage des savoirs savants aux savoirs enseignés par Y. Chevallard dès 1980, illustré par un travail empirique sur la notion de distance par S. Johsua et Y. Chevallard en 1982 ; rendu accessible enfin à un plus grand public en 1985 dans un livre qui, depuis, a fait date dans les annales des didactiques. Dans ce qui suit, je ferai ressortir quelques aspects du concept qui me paraissent particulièrement importants pour le débat en DFLM et entre didactiques (pour d’autres présentations plus détaillées voir entre autres J.-P. Astolfi et M. Develay, 1989 ; G. Arsac, 1992 ; et surtout l’excellente présentation de S. Johsua et J.-J. Dupin, 1993). Partons de la définition suivante : « Le passage du savoir vu comme un outil à mettre en usage au savoir vu comme quelque chose à enseigner et à apprendre est précisément ce que j’ai nommé transposition didactique. » (Y. Chevallard, p. 6 ; voir aussi F. Conne, 1992a, pour une définition analogue). Pourquoi cette insistance sur les savoirs ? Une thèse fondamentale liée au concept de transposition est que ne sont enseignables que des savoirs (ce qui ne veut pas dire que les élèves n’apprennent que des savoirs : c’est une autre question sur laquelle nous reviendrons). Pour enseigner, il faut savoir ce qu’on enseigne ; il faut prendre « savoir » ici dans ses deux sens de savoir à l’avance (il y a un projet d’enseignement, une intention) et savoir dans le sens de connaître consciemment, avoir une conscience réfléchie de ce qui est à enseigner. Sans le savoir, il n’y a pas enseignement, mais initiation ou imitation au niveau purement pratique. Le savoir, ingrédient essentiel de l’enseignement, existe d’abord comme savoir utile dans les situations avant d’être transposé dans la situation d’enseignement et devenir savoir enseigné, c’est-à-dire un autre savoir. Autrement dit : les savoirs n’existent pas en premier lieu pour être enseignés, mais pour être utilisés dans des situations diverses. En situation, évidemment, on sait en général ce qu’il faut savoir, sinon on ne saurait agir ; un savoir se justifie par sa pertinence pour l’action dans une situation. Tout autre est la situation dans l’enseignement. Le savoir est savoir à enseigner, savoir à savoir, savoir enseigné au lieu d’être savoir à utiliser. La question de la pertinence par rapport à la situation ne peut donc pas se poser ; mais se pose celle, essentielle, de la légitimité : quel savoir enseigner et pourquoi parmi les nombreux possibles ? Il faut une reconnaissance sociale, une légitimité pour le savoir à enseigner. Cette légitimité lui est conférée, du moins pour l’essentiel et dans nos sociétés, par des savoirs dits savants, c’est-à-dire « le savoir utilisé à la fois pour produire un nouveau savoir et pour structurer le savoir

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nouvellement produit dans un ensemble théorique cohérent » (p. 9). C’est un savoir, pour le dire avec S. Johsua (1994), qui, à un moment historique donné, est déclaré savant par la société à travers l’attribution de caractéristiques visibles, notamment académiques, à l’institution qui les génère. « Et ces institutions ont alors vocation à porter “la culture” en ce domaine » (p. 4). La transposition didactique du savoir a des effets importants, maintes fois décrits, d’abord en mathématiques, puis également en biologie, géographie, physique et plus récemment en langue maternelle (B. Veck, J.-M. Fournier, R. Lancrey-Javal et M. Robert,1989 ; J.-F. Halté, 1992). De manière générale, on peut mentionner deux effets nécessaires qui découlent du principe même de transposition : – le corps des savoirs qui fonctionne comme un tout en tant que savoir utile est fragmenté en éléments lors de la transposition, notamment pour des raisons de séquentialisation des contenus pour l’enseignement et de progression pour le fonctionnement du système scolaire ; – les situations d’usage ne peuvent être transposées telles quelles, ne peuvent être reproduites fidèlement en classe ; elles se transforment nécessairement, prennent une autre signification dans le contexte scolaire ; et cela affecte bien entendu les savoirs enseignés qui ont nécessairement une tout autre fonction que dans le cadre habituel ; il est donc nécessaire de construire, éventuellement en imitant les aspects originaux, un contexte nouveau pour les savoirs enseignés. Le processus de transposition est inconscient, non contrôlable, multidéterminé. Si, subjectivement, chaque agent – et ils sont nombreux, agissant à des niveaux très divers, comprenant militants pédagogiques et inspecteurs, spécialistes intéressés et parents, autorités politiques et administratives et méthodologues – prend probablement des décisions rationnelles d’adéquation des contenus par rapport aux finalités scolaires, objectivement le nombre même de niveaux de décisions et surtout l’intégration de chaque savoir dans un tout solidaire d’une discipline déjà constituée, et plus généralement des disciplines et du cadre scolaire, font que la signification que prendront les savoirs dans l’institution échappe largement aux acteurs. Loin de constituer la simple vulgarisation d’un savoir de départ, loin aussi d’être le produit appauvri d’un savoir savant ou utile toujours inatteignable, le savoir enseigné doit être considéré comme une création hautement originale, collective, souvent séculaire de l’institution scolaire en fonction de sa mission première qui est celle d’enseigner, de transmettre des savoirs et des savoir-faire pour préparer des sujets adaptés à la société. Le juger à l’aune des savoirs savants ou utiles nous renseigne sans doute sur certains mécanismes à l’œuvre dans l’élaboration des savoirs, mais ne nous apprend rien sur la logique interne, didactique, de l’apprêt qui repose en grande partie aussi sur la solidarisation des contenus et exige donc d’adopter un autre point de vue, celui de l’écologie des savoirs à enseigner.

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De l’utilité de la « transposition didactique »



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Comme il se doit, le concept de transposition didactique a été rapidement soumis à une discussion approfondie à partir de plusieurs didactiques. Si l’intérêt, voire la nécessité du concept ont été reconnus par de nombreux auteurs, d’autres, notamment dans le champ de la DFLM, sont arrivés à la conclusion qu’il s’agit d’un concept peu opérant, voire dangereux, nuisant à la bonne compréhension des processus en jeu, tandis que d’autres encore proposent une transformation, allant très souvent vers un élargissement du concept pour le rendre plus conforme aux besoins d’une didactique1.

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Les savoir-faire ou les pratiques sociales de référence : toujours des savoirs La critique sans doute la plus répandue du concept de transposition didactique tel qu’il a été introduit et discuté par Y. Chevallard s’attaque à ce qui est annoncé dans le sous-titre de l’ouvrage de référence : Du savoir savant au savoir enseigné. Comment peut-on parler de savoirs savants comme référence, dit-on couramment, pour des disciplines comme le français qui visent essentiellement des savoir-faire ou comme certains enseignements de physique liés à la formation professionnelle qui visent surtout la création de certaines habiletés techniques complexes ? Comment peut-on a fortiori en parler dans des disciplines comme l’enseignement de la musique (ou du chant), ou encore du dessin ? Le concept de transposition ne perd-il pas toute pertinence dans un tel contexte de recherche, la discipline s’établissant – telle du moins est la thèse de A. Chervel (1988) – presque indépendamment de toute référence, en toute autonomie, en fonction de finalités définies pour l’école mais dont cette dernière décide seule, librement, les voies d’accès ? L’argumentation peut également prendre une tournure un peu différente, tout en étant sur le fond la même, notamment dans le contexte de la DFLM. R. Bouchard par exemple affirme qu’« il ne s’agit pas en effet de faire de l’élève un spécialiste des sciences du langage [est-ce le cas pour les mathématiques ? B.S.], mais de lui faire développer des savoir-faire langagiers largement indé-

1.

Il est une attitude normative par rapport au concept de transposition didactique, notamment dans des approches qu’on peut grossièrement qualifier de « pédagogiques », qui fait qu’il est discuté non pas comme une construction théorique dont on évaluerait la cohérence, la pertinence, la force d’explication des phénomènes observés, mais comme un outil ou même une arme dans le combat pédagogique. On ne le traite pas, dès lors, en termes d’accord ou de désaccord sur fond d’arguments empiriques ou théoriques, mais en termes d’effets bénéfiques ou maléfiques, de mérites ou de limites qu’aurait le concept. Y. Lenoir, par exemple (p. 24), affirme que la transposition didactique implique la « revendication » qu’« il appartiendrait aux spécialistes des disciplines et aux didacticiens ce que doit être un cursus de formation ». P. Perrenoud (1992) dresse une liste des apports « maléfiques » de la transposition didactique et aboutit tout naturellement à la conclusion que la « notion même de transposition est inadéquate » (p. 353). Parmi ces apports maléfiques, il note qu’il y a un risque, notamment dans la formation des maîtres, « de ne retenir qu’une seule question : comment maîtriser la transposition didactique ? » Le concept est ainsi récusé à cause du mauvais usage qu’on pourrait en faire. Ailleurs, P. Perrenoud pense qu’« on peut soupçonner cette approche de conforter les hiérarchies en place, le savoir savant valant mieux que les autres » (p. 351), comme s’il n’y avait pas autour de cette question du statut des savoirs une argumentation complexe qu’on peut certes contester, mais qui n’a rien d’un jugement de valeur, qui dirait que certains savoirs en soi valent mieux que d’autres.

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pendants des savoirs métalangagiers que nous cherchons à construire dans nos disciplines scientifiques » (1992, p. 33) et D.-G. Brassart va encore plus loin en disant que « si apprendre les mathématiques ou les sciences naturelles c’est s’approprier, peu ou prou, le savoir du mathématicien ou du biologiste, apprendre sa langue maternelle ne peut consister à s’approprier le savoir du linguiste ou du psychosociolinguiste, qui ne sont pas, en l’occurrence des experts “ordinaires” » (1992, p. 19). Il est utile et nécessaire d’introduire quelques distinctions essentielles, la plus importante étant la suivante : tout enseignement vise en dernière instance toujours des savoir-faire, ou plus précisément vise à transformer la capacité d’agir dans des situations grâce à des savoirs utiles. L’enseignement mathématique ne vise pas à produire des mathématiciens, pas plus que l’enseignement du français des écrivains ou des grammairiens. Le savoir mathématique, tout comme le savoir rhétorique ou grammatical, permettent de résoudre plus efficacement des problèmes liés à des pratiques particulières, mais présupposent en même temps et rendent possible des manières différentes d’aborder des problèmes, changent le mode de pensée. Tout enseignement vise précisément ces changements nécessaires et tente à construire chez l’élève certaines manières de penser, de parler ou d’écrire, de se comporter dans certains contextes, autrement dit des normes de comportement, des « formes idéales » (L. S. Vygotsky) et constitue profondément dans ce sens une initiation à la culture d’une société, ou comme le dit Y. Chevallard : « Nous sommes d’abord des êtres sociaux, et, pour cela, des “scolêtres” » (1991, p. 220). J’oserai donc la thèse que tout enseignement se réfère toujours à des pratiques sociales, pour utiliser la terminologie de J.-L. Martinand, à savoir « des activités objectives de transformation d’un donné naturel ou humain (“pratique”) [… qui] concernent l’ensemble d’un secteur social, et non des rôles individuels (“social”) » (1986, p. 137). Le hic – c’est l’essence même du concept de transposition didactique à mon sens, telle qu’elle apparaît déjà en partie dans la conception de M. Verret – est que ces savoir-faire, ou plutôt ces manières d’être, de penser et de faire, pour devenir objet d’enseignement, passent nécessairement par une étape qu’on pourrait appeler de modélisation. Ce n’est jamais la pratique en tant que telle de l’écriture, du dessin, du chant ou du calcul qui devient objet d’enseignement, mais le savoir de l’écriture, du dessin, du chant ou du calcul. Pour être enseigné, un objet doit être su, sinon nécessairement dans le sens de savoir chanter au moins dans le sens de savoir ce qu’est chanter ; sinon dans le sens de savoir écrire au moins dans le sens de savoir ce qu’est écrire. Le paradoxe suprême de l’enseignement est qu’il est parfaitement concevable qu’on puisse enseigner ce qu’on ne sait pas (faire), mais dont on sait ce que c’est (au moins scolairement). Ce qui ne présage en rien, bien entendu, de la qualité de l’enseignement, tant il est vrai que le meilleur enseignant n’est pas nécessairement le meilleur savant, ni le meilleur écrivain ou chanteur.

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De l’utilité de la « transposition didactique »



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Illustrons le savoir comme condition de « l’enseignabilité » encore d’un autre point de vue. Certaines pratiques sont concevables avec peu (pas) de savoir ; mais il s’agit là de cas limites puisque toute pratique génère presque automatiquement un savoir y correspondant, même s’il n’est pas nécessairement public, ni publiable au sens d’être apte à être transmis indépendamment de cette pratique. Gieseeke (1991) montre que des formes langagières nouvelles doivent être créées pour rendre par exemple les techniques artisanales moyenâgeuses publiques et publiables – au sens strict des livres publiés –, formes développées grâce et à cause de l’imprimerie et qui rendent les techniques enseignables en dehors de la pratique même de la technique. Restons quelques instants encore sur ces savoirs liés à leur pratique d’origine et essayons d’en recenser les formes à travers les distinctions introduites par plusieurs auteurs qui s’y réfèrent pour penser les contenus d’enseignement. S. Trevisi (1994) propose de parler de « savoir théorique élaboré dans des lieux institutionnels de la recherche scientifique et savoir de sens commun élaboré dans le cadre des pratiques sociales de référence » (p. 1). F. Conne (1992 a et b) propose une distinction simple entre savoirs pragmatiques comprenant notamment les savoirs réfléchis où l’on considère la manière d’obtenir les produits obtenus à travers le savoir-faire, et les savoirs savants dont la finalité est l’organisation et le développement du savoir lui-même. S. Johsua (1994) parle de savoirs savants caractérisés par leur légitimité sociale à dire ce qui est savoir reconnu, incontestable, du moins temporairement, et savoirs d’experts, c’est-à-dire savoirs de ceux qui savent faire et savent ce qu’est ce qu’ils font et qui tirent leur légitimité de ces savoirs qui leur sont reconnus en tant que personnes – savoirs par définition fragiles puisque liés à leur personne, toujours susceptibles d’être remis en question. Inutile de lancer ici une polémique sur la nature du savoir savant et son rapport aux institutions scientifiques. La définition lapidaire de Chevallard, pour qui les savoirs savants sont ceux qui servent à produire de nouveaux savoirs, me paraît suffisamment opérationnelle et impliquer, dans notre société, une pratique de type scientifique, en général dans un cadre institutionnel précis. Les autres distinctions méritent plus de commentaires. Je défends la thèse que les savoirs communs – si l’on entend par là les savoirs du commun, de l’homme commun, nécessaires à sa pratique – ne sont pas transposables, scolarisables parce que faisant partie des savoirs empiriques dont M. Verret (1974) dit que « leur syncrétisme les voue précisément à l’acquisition globale et personnelle, par les voies intuitives de la familiarité mimétique, sans qu’on sache jamais précisément quand on apprend, ni ce qu’on apprend exactement. Sait-on même quand on apprend à parler, à écouter, à s’habiller, à plaisanter ? » (p. 147) Je traiterai de la même manière le savoir pragmatique dont parle F. Conne. Le critère de scolarisabilité serait en quelque sorte la publicité du savoir, son caractère explicite, son caractère discutable, peut-être même son caractère écrit. Ne peut devenir savoir à enseigner et enseigné – objet d’une intention didactique (et je limiterais le sens de didactique à l’institution scolaire, elle-même liée à l’institution étati-

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que, issue de la nécessité de créer une administration basée sur le calcul et l’écriture) dans un système didactique où, par définition, la transmission du savoir se fait indépendamment du lieu de l’utilisation du savoir et du lieu de production du savoir – que du savoir public écrit, objet de transactions sociales qui constituent le processus de transposition, incluant les savoirs d’experts en plus des savoirs savants. Cela ne signifie pas que ne sont appris que des savoirs – les notions de proto- et paramathématiques de Y. Chevallard montrent qu’il y a du déjà-là et de l’apprentissage incident nécessaire à l’appropriation de savoirs et de savoir-faire, qui ne font pas objet de l’enseignement – ni que, dans la relation didactique, ne se réalisent pas d’autres formes de transmission culturelle (imitation, imprégnation, etc.) pour d’autres contenus, pratiques ou attitudes. Ces dernières sont cependant à considérer comme incidentes par rapport aux enjeux fondamentaux.

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Disciplines de référence et transposition descendante et ascendante : la DFLM comme prototype Il est possible maintenant d’aborder un autre ensemble de critiques portées au concept de transposition didactique et émanant souvent des didacticiens en FLM. Le concept de transposition didactique n’aurait pas de pertinence dans leur champ parce que les savoirs savants sont trop disparates, trop faiblement reconnus comme faisant foi (ou loi) scientifique. L’enseignement du français serait donc dans la situation désespérée de devoir choisir au hasard ses références parmi un grand ensemble de théories possibles. Ou pour le dire avec les termes de Y. Reuter (D.-G. Brassart et Y. Reuter, 1992) : « Il s’agit d’une discipline aux contours flous et historiquement mouvants (langue, texte, discours, littérature, image…), d’une discipline aux multiples référents théoriques (en terme de “sciences” ou découpages de savoir : littérature – française et comparée –, langues anciennes, linguistique, information et communication, etc.). De ce point de vue, la discipline “français” n’est pas le transfert dans le champ scolaire d’une configuration scientifique précise et sa relative autonomie perturbe les schémas sécurisants de la transposition didactique. Cela d’autant plus qu’il n’existe aucun consensus sur les contenus, qu’à l’intérieur des multiples champs théoriques de référence différentes théories s’opposent, et que le statut de certaines théories est très largement débattu [il donne l’exemple des théories de la littérature B.S.] » (p. 14). Ailleurs, par un saisissant raccourci, Y. Reuter affirme que « le pôle des pratiques n’est pas réduit à transposer-appliquer ; parmi d’autres fonctions, il innove, il évalue la pertinence des constructions théoriques et en signale certaines limites, il met au jour des manques dans les théories de référence » (p. 15).

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

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Plusieurs remarques s’imposent. Le concept de transposition didactique, donc la théorisation du passage de savoirs culturels – considérés comme légitimes en tant qu’utiles – aux savoirs enseignés, pose de manière centrale la question de la légitimité de ces derniers. Si ce problème se pose peut-être de manière moins aiguë dans des disciplines ayant comme référence des sciences avec un objet relativement bien délimité et un corps de concepts communément accepté – garantissant donc de ce point de vue la légitimité –, il n’en reste pas moins que les choix possibles parmi les savoirs potentiellement légitimes y sont quand même nombreux, largement imprédictibles et en cela il n’y a qu’une question de degré dans la différence avec la DFLM ; et surtout, ces savoirs sont soumis à des processus de transformation, dans le processus de transposition, qui sont largement les mêmes, quelles que soient les disciplines. La différence essentielle entre les disciplines réside donc dans la légitimité des savoirs transposés, problème que le concept de transposition permet justement de penser, prouvant ainsi encore une fois sa productivité, son côté « désécurisant ». La discipline « français » constitue à cet égard un cas prototypique en ce qu’elle tire partiellement sa légitimité des systèmes qu’elle a largement contribué à produire, propager et solidifier, des systèmes aussi bien de type « savoirs savants » que « savoirs d’experts ». L’orthographe pourrait être traitée de cette manière-là, mais aussi la grammaire avec ses rapports très complexes avec la linguistique (voir à ce propos par exemple les travaux de L. Melis et P. Swiggers, 1992, sur F. Brunot ou de R. Amacker, 1992 sur Ch. Bally2), la lecture (voir les débats sur son enseignement fortement dépendant des conceptions savantes – philosophiques et théologiques –, enrichies et transformées par les conceptions pédagogiques créant un véritable objet transposé : la lecture scolaire que l’élève doit savoir ; J. Hébrard et A.-M. Chartier, 1989), ou encore l’expression écrite (pour utiliser le terme actuel qui remplace celui de rédaction ou de composition). Dans cette discipline du français, on voit aujourd’hui une forte poussée traditionnellement en œuvre comme jamais auparavant : des savoirs savants divers (rhétorique, psychologique, linguistique) et des savoirs d’experts (typographes, écrivains, scripteurs professionnels) se rencontrent et se transforment au contact des savoirs enseignés traditionnels (genres scolaires, conceptions représentationnelles de l’écriture ; centralité de la créativité issue des années 1930) pour former peu à peu un nouveau savoir enseigné tout en créant en même temps en retour des besoins, et dans certains cas même des champs de recherche nouveaux qui, comme par irradiation, ont des effets importants dans les disciplines de référence. C’est précisément parce que sa légitimité

2.

Sans approfondir l’idée, R. Amacker (1992) postule un lien entre didactique et linguistique aussi pour Saussure, quand il dit : « … il y a eu à Genève, entre la chaire de linguistique et le Séminaire de français moderne, de nombreux contacts, à commencer bien sûr par le fait que Saussure lui-même, de 1899 à 1908, a donné des cours au Séminaire, notamment sur la phonologie du français moderne. À part lui toutefois, il ne fait pas de doute que personne n’incarne mieux que Charles Bally le lien qui a uni dans notre ville, dès la fin du siècle dernier et pour plusieurs décennies, la didactique du français et la linguistique » (p. 579).

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n’est que partiellement externe que la discipline « français » est fragile, soumise aux crises perpétuelles. Ce que le regard de la transposition didactique devrait permettre de mieux voir et comprendre est précisément cet enchevêtrement de mouvements transpositionnels ascendants et descendants, de divers systèmes de savoirs qui forment finalement le savoir enseigné. J.-L. Chiss, dans un article programmatique déjà ancien, l’avait déjà décrit très précisément : « Reste que la didactique d’une discipline ne peut construire son rapport à ses “champs de référence” dans le modèle de la dépendance ou de l’autonomie relative, ne serait-ce que parce qu’il faut tenir compte des effets structurants du pédagogique et du social sur le développement scientifique » (1985, p. 10)3.

E



Je transpose bien, tu transposes mal ou la transposition se fait derrière notre dos Revenons au problème de la transformation du sens du savoir lié à sa transposition d’une pratique sociale de référence (pour reprendre la terminologie bien utile de J.-L. Martinand) à une pratique d’enseignement. Cette transformation est abordée de deux manières. La première dénonce les effets de la transposition didactique. Le changement de sens des savoirs est abordé sous l’aspect de la réification, de la naturalisation, voire de la dogmatisation, vocabulaire critique, qui, bien sûr, a sa pertinence s’il s’agit de rendre attentif au décalage irréductible entre les savoirs enseignés et les savoirs de référence et d’éviter de prendre les premiers pour les seconds, mais qui, bien trop souvent, prend la forme d’une dénonciation facile du scolaire, avec en creux la revendication, par définition irréalisable – un lieu de critique confortable parce que toujours dans le vrai –, de s’approcher le plus possible du savoir de référence toujours inatteignable. « La didactique est un ectoplasme épistémologique qui déforme, en les simplifiant, les savoirs purs qu’elle emprunte, les rendant méconnaissables », dit en plaisantant D. Bailly (1987, p. 40). La dimension « distance par rapport aux contenus de départ » est mise au centre et interprétée comme un processus de dégradation constante des savoirs, cette dégradation étant jugée négativement : « Ce processus de déhistorisation systématique, de décontextualisation du savoir, entraîne une dénaturation profonde de la connaissance » (C. Daudel, 1990, p. 177). Le langage trahit ici une pensée : l’école pervertirait la vraie nature des connaissances. Faut-il donc chercher le

3.

Le concept de « contre-transposition », proposé par Y. Chevallard et discuté pour la discipline « français » dans la postface de l’édition 1991 de La Transposition didactique, paraît inadéquat pour comprendre les rapports complexes qui lient la didactique du français et ses champs théoriques de référence. Ce concept implique une coupure radicale entre les pratiques scientifiques traditionnelles et actuelles portant sur la langue dont il paraît de plus en plus difficile de faire la preuve.

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De l’utilité de la « transposition didactique »



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naturel ? P. Clanché (1987) est particulièrement clair à cet égard puisqu’il propose de combattre la transposition didactique pour justement retrouver la pureté de l’apprentissage naturel. Il rapproche le concept de celui de « scolastique », proposé par Freinet, qui désigne un mode d’apprentissage non vérificationniste, idolâtre du savoir et procédant à des exercices sans signification et qu’il s’agit d’éviter à tout prix. P. Clanché signale par conséquent un « risque de transposition didactique » qu’encourent les défenseurs des nouvelles méthodes d’enseignement de production de texte, parce qu’ils ne mettraient pas assez l’accent sur « la particularité psychologique des situations concrètes de production dans la classe » (p. 165). Une variante plus subtile des approches normatives considère les contraintes de la transposition didactique comme données, mais pense qu’il est possible d’en contrôler les effets. A. Tiberghien (in G. Arsac, M. Develay, A. Tiberghien, 1989) en est une bonne illustration. Discutant de l’introduction de l’enseignement de l’énergie au niveau de la troisième, elle décrit ce processus comme étant régi d’une part par la prise en compte de finalités, d’autre part par les possibilités d’apprentissage des élèves de cet âge. Tout se passe comme si le concepteur de manuels ou de cours décidait rationnellement, en pleine connaissance de cause, de « proposer un modèle qui n’a pas la même hiérarchisation des concepts que le savoir en physique » (p. 53). Dans le contexte de la DFLM, H. Romian (1989) défend une approche qui, selon elle, « procède également d’une intégration critique de la notion de “transposition didactique” des “savoirs savants” aux “savoirs enseignés” » (p. 245), tout en récusant le terme parce qu’il « a des connotations qui renvoient au débat sur la linguistique appliquée qu’il convient aujourd’hui de dépasser ». Le processus de transposition, appelé traitement didactique, est conceptualisé dans les termes d’un processus conscient contrôlé (explicitation de notions organisatrices, cohérence des cadres théoriques pluriréférencés, opérationalisation des références, etc.). De fait, il s’agit essentiellement de la manière dont des didacticiens prennent conscience de leur action, du reflet subjectif de leur intervention dans le processus de transposition, et non pas de ce processus en tant que tel. Cela ne veut pas dire, évidemment, que ce reflet soit faux ou inutile : il guide l’action, lui donne une direction. Mais, pour varier la belle métaphore de K. Marx, tout comme le processus d’échange pour les marchands, qui croient le maîtriser – et doivent le croire pour être efficaces –, le processus de transposition didactique se passe dans le dos des acteurs sans qu’ils puissent le voir et le contrôler, ou si peu. Ce qui est problématique dans la conception du traitement didactique n’est donc pas la théorisation de l’action, mais la croyance de pouvoir ainsi échapper aux effets de transposition. Ce processus n’est pas rationnel, ce qui ne signifie pas que la rationalité n’y a pas de part ni qu’il ne soit pas rationnellement reconstructible, ou compréhensible.

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De l’utilité de la « transposition didactique »



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L’enseignement comme condition nécessaire du développement

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Il est possible – et sans doute aussi fructueux – de traiter et de considérer le savoir enseigné, issu du processus de désyncrétisation et séquentialisation, pour prendre deux des processus sans doute les plus puissants de transposition, comme la condition sine qua non du développement de certaines fonctions psychiques supérieures, une hypothèse développée dans le chapitre 6 de Pensée et langage de L. S. Vygotsky (1934/1985). Selon cet auteur, trois conditions doivent être remplies pour construire à l’école des fonctions psychiques qui présupposent un rapport conscient et volontaire par rapport aux processus psychiques propres de l’individu (langage écrit ; algèbre ; concepts scientifiques notamment) : 1. Les nouveaux contenus enseignés se trouvent dans un rapport de généralité plus grande par rapport aux contenus déjà-là, intégrant ces derniers dans un nouveau système qui les traite comme cas particuliers. 2. L’entrée dans les systèmes généraux se fait par une voie différente de celle introduisant aux systèmes particuliers. Très schématiquement, on peut décrire la seconde comme menant du bas vers le haut, de l’élémentaire vers le complexe, du vécu ou de l’empirique vers le systématique, et la première allant du haut vers le bas, du systématique, du général vers l’empirique, le vécu. La première voie mène à un fonctionnement dans des situations où le contrôle volontaire joue un rôle central, où la capacité de choisir consciemment entre plusieurs possibilités s’impose, tandis que la deuxième permet d’agir efficacement dans des situations concrètes de manière spontanée, quasi automatique. Autrement dit : la systématicité inhérente aux processus d’enseignement n’est pas accessoire, mais découle de la nature même des processus cognitifs auxquels il faut introduire l’élève. 3. La systématicité des contenus ne peut être appréhendée qu’à travers l’existence, et éventuellement la construction scolaire, de systèmes relativement cohérents auxquels l’élève est confronté, autrement dit à travers des « disciplines formelles » dont les configurations et les formes changent historiquement, mais dont l’existence est la condition pour instaurer une dialectique entre présent et futur, pour construire, à l’école, la zone de proche développement (pour approfondissement, cf. B. Schneuwly, 1995). Nous retrouvons ici, cette fois-ci tournée positivement, la nécessité de la transposition didactique.

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AMACKER, R. (1992), « Le combat de Bally », Cahiers Ferdinand de Saussure, 46, pp. 37-71. ARSAC, G. (1992), « L’évolution d’une théorie en didactique : l’exemple de la transposition didactique », Recherches en didactique des mathématiques, 12, pp. 7-32. ARSAC, G., DEVELAY, M. & TIBERGHIEN, A. (1989), La Transposition didactique en mathématiques, en physique et en biologie, Lyon, IREM et LIRDIS. ASTOLFI, J.-P. & DEVELAY, M. (1989), La Didactique des sciences, coll. « Que sais-je ? », Paris, PUF. BAILLY, D. (1987), « À propos de la didactique », Les Sciences de l’éducation pour l’ère nouvelle, 1-2, pp. 37-51. BOUCHARD, R. (1992), Pour une didactique descriptive et explicative. Université Lumière-Lyon 2. Thèse d’habilitation. BRASSART, D.-G. & REUTER, Y. (1992), « Former des maîtres en français : éléments pour une didactique de la didactique du français ». Études de linguistique appliquée, 87, 11-24. CHERVEL, A. (1988), « L’histoire des disciplines scolaires. Réflexions sur un domaine de recherche ». Histoire de l’éducation, 38, pp. 59-119. CHERVEL, A. (1992), « L’école, un lieu de production d’une culture », dans F. Audigier & G. Baillat (éds), Analyser et gérer les situations d’enseignementapprentissage, pp. 195-198, Paris, INRP. CHEVALLARD, Y. (1988), À propos de la théorie de la transposition : quelques notes introductives, manuscrit. CHEVALLARD, Y. (1991), La Transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné, Grenoble, La Pensée sauvage (première édition : 1985). CHEVALLARD, Y. (1992), « Concepts fondamentaux de la didactique : perspectives apportées par une approche anthropologique », Recherches en didactiques de mathématiques, 12, pp. 73-122. CHISS, J.-L. (1985), « Quel statut pour les linguistiques dans la didactique du français ? » Études de linguistique appliquée, 59, pp. 7-16. CLANCHÉ, P. (1989), « Méthode naturelle et méthode didactique : peut-on parler de transposition didactique dans la production de textes ? », dans P. Clanché & J. Testanière (éds), Actualité de la pédagogie Freinet, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux. CONNE, F. (1992a), « Savoir et connaissance dans la perspective de la transposition didactique », Recherche en didactique des mathématiques, 12, pp. 221270. CONNE, F. (1992b), « Un grain de sel à propos de la transposition didactique », Éducation et recherche, 14, pp. 57-71. DAUDET, C. (1990), Les Fondements de la recherche en didactique de la géographie, Berne, Peter Lang. HALTÉ, J.-F. (1992), La didactique du français, coll. « Que sais-je ? », Paris, PUF. HÉBRARD J. & CHARTIER, A.-M. (1989), Discours sur la lecture (1880-1980), Paris, Centre Georges Pompidou. JOHSUA, S. (1994), Transposition et contrat : la portée de deux concepts de la didactique des sciences et des mathématiques, manuscrit.

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Références bibliographiques



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De l’utilité de la « transposition didactique »

Jean-François HALTÉ

Le Centre de recherches en didactique des disciplines de l’Université de Metz s’est lancé dans une recherche concernant les « Interactions langagières à fonction didactique ». Un premier tour d’horizon, sous la forme d’un recueil de contributions, a été proposé dans Inter-Actions1. Je me propose de présenter rapidement, au travers d’un exemple, certains aspects choisis de la problématique. Dans un second temps, j’utiliserai cette présentation pour discuter, dans le cadre de cet ouvrage, le positionnement d’une telle recherche dans le champ didactique.

A



Trois approches des interactions à fonction didactique Cette recherche répond à plusieurs sortes de préoccupations présentes dans la conjoncture éducative. En premier lieu, elle prend en compte des constats établis par l’Inspection générale selon lesquels certains mauvais résultats d’apprentissage seraient liés à des pratiques communicationnelles peu efficaces. En deuxième lieu, elle s’inscrit dans une interrogation résurgente à propos de la place de l’oral dans la classe et, plus généralement, de la parole

1.

Inter-Actions, sous la direction de J.-F. Halté, Cresef et Université de Metz, coll. « Didactique des textes », 1992.

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Interaction : une problématique à la frontière

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L’étiquette « interactions à fonction didactique » prétend recouvrir celles des interactions langagières qui sont orientées par la visée d’un apprentissage quelconque. Elles se distinguent, jusqu’à un certain point, des autres interactions, à fonction écologique par exemple. Le postulat de base est qu’il existe une relation entre interaction et apprentissage. Pour ce qui regarde l’exemple traité ci-dessous, le postulat se décline hypothétiquement ainsi : a) Le cadre interactif préconstruit définit des identités sociales et des rôles communicatifs tels que ces identités et rôles ont des incidences sur l’apprentissage. b) L’interaction langagière à l’intérieur de ce cadre constitue « l’activité même » par laquelle s’effectue l’apprentissage dirigé. c) L’appropriation des contenus en jeu dans l’interaction langagière est conditionnée par une « histoire interactionnelle » au cours de laquelle se sont mises en place les conditions de l’appréhension desdits contenus. J’insisterai particulièrement sur l’explicitation du point b), les deux autres étant plus familiers. Un exemple d’interaction langagière guidera le propos de cette première partie : il s’agit d’une sorte d’« anecdote représentative » fabriquée pour la bonne cause, assez proche néanmoins de ce qui peut se passer parfois en classe : Maître inscrivant au tableau, soulignant et disant : Maître : Le bûcheron coupe l’arbre. Jacques, qu’est-ce que c’est l’arbre ? Jacques : COD. Maître : Le bûcheron coupe l’arbre. Paul, qu’est-ce que c’est l’arbre ? Paul : Attribut ? La séquence concerne l’apprentissage à divers titres. Elle peut être appréhendée selon différents points de vue. En voici trois.

2. 3.

M. Wirthner, D. Martin & P. Perrenoud, Parole étouffée, parole libérée, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1991. Voir La Maîtrise de la langue à l’école, Direction des écoles, Ministère de l’Éducation Nationale, France, 1992.

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des élèves2. En troisième lieu, elle projette d’esquisser des éléments de réponse concernant l’approche de ce que l’on nomme encore trop souvent « l’enseignement de la langue » et de participer par là à la réflexion entreprise à l’école élémentaire3.

Interaction : une problématique à la frontière



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L’organisation des communications dans la classe a des effets sur l’apprentissage. En particulier, les dispositifs de communication favorisent (ou défavorisent) la sécurité et le bien-être, l’attention, l’implication, la motivation… de telle sorte qu’ils facilitent (ou compliquent) les tâches d’apprentissage. Bref, la communication est génératrice du « climat de travail », de la « bonne ambiance », etc. Composante de l’événement de communication4, l’interaction langagière est indifférente à son enjeu de savoir et s’appréhende dans le cadre de la communication en général. Qu’il s’agisse de COD, de l’assassinat d’Henri IV ou de la manière de cuire les gaufres ne change rien à l’affaire. Seul est pris en compte le fait que l’interaction manifeste certaines options organisatrices des relations entre savoirs, enseignant et élèves : on repérerait ici, pourquoi pas, des réassertions manifestes de statuts (maître vs élèves) et de rôles (questionneur vs répondeur), on supputerait aisément l’existence d’un dispositif frontal et le fonctionnement d’un réseau centralisé… Cette thèse qui se retrouve un peu partout, dans des manuels scolaires, des instructions, des articles à caractère didactique-pédagogique, des bilans d’observation de classe… correspond à ce qui a été essentiellement retenu de la problématique communicationnelle dans l’institution scolaire. Au fond, bien que la littérature sur la question ne pose jamais le problème ainsi, cette thèse considère l’école comme une institution parmi d’autres, siège de communications de toutes sortes (dans la classe mais aussi hors la classe : conseils, circulation des informations, etc.). Sous cet angle, l’école est, comme toutes les institutions, un lieu d’apprentissages incidents : on y apprend au hasard de ses attentions et de ses besoins, à l’occasion des communications. Sous cet angle encore, la « bonne » communication apparaît comme une condition externe de l’apprentissage. Il s’agit là d’une version « faible » du rapport communication-apprentissage.

2 L’interaction comme « activité même » de l’apprentissage dirigé L’école est une institution comme les autres, certes, mais elle est aussi instituée pour que se communique expressément du savoir. Elle est, par construction, le lieu de l’apprentissage dirigé et, siège de communications en général ayant pour fonction prédominante la régulation de ses activités, elle est en outre le siège des communications très particulières par lesquelles elle réalise son activité, laquelle, précisément à la différence des autres institutions, est de communiquer afin que s’acquière du savoir.

4.

Au sens que lui donne D. Hymes, Vers la Compétence de communication, Paris, Crédif-Hatier, coll. « LAL », 1984.

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1 L’importance du cadre communicationnel pour l’apprentissage



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Sous ce rapport, un second point de vue s’impose. Il consiste en la saisie de l’interaction langagière en tant que constitutive du procès d’apprentissage. Ce point de vue est « de droit ». Reste à montrer qu’il est aussi de fait. De la version « faible » du lien communication-apprentissage, on passe alors à une version « forte » qui peut être énoncée ainsi : l’apprentissage s’effectue dans et par les interactions langagières. Cette version heurte certaines positions couramment admises en matière d’apprentissage. En voici une, sous la plume d’un spécialiste de l’éducation : « Le discours magistral est pratiquement inopérant pour les apprentissages. Seule est productrice d’effets l’activité de l’apprenant parce qu’elle est génératrice de schèmes. »

Une telle formulation donne à penser que l’apprentissage est un pur processus intracognitif, propre à l’élève, processus dans lequel l’interaction, quelles que soient ses formes, n’aurait rien à voir, ou très peu. Si l’élève apprend, c’est tout au plus par incidence, par le travail cognitif qu’il effectue seul, dans l’intimité de son esprit, au mieux en appropriant tant bien que mal des fragments du discours magistral. On comprend bien la portée incitative de ce propos. Il m’est arrivé d’écrire : « attention, c’est l’enseignant qui enseigne, certes, mais c’est l’élève qui apprend ». Une telle mise en garde vise ordinairement à stigmatiser les pédagogies transmissives, à dénoncer l’illusion selon laquelle un cours bien fait « autogarantit » son appropriation, etc. Et de fait, dans les situations de communication directives, où l’interactivité est réduite à sa plus simple expression, voire considérée comme un trouble qu’il importe de réprimer, l’élève est condamné à l’activité incidente, interne et solitaire. Pour autant, il ne suit pas absolument que l’élève est seul en cause dans la génération de ses schèmes. Dans la droite ligne du constructivisme, même dans sa version classique, piagétienne, la mécanique de l’assimilation et de l’accommodation à l’origine de la génération de schèmes implique l’extérieur. Dans cet extérieur, tout particulièrement à l’école, l’activité langagière et l’activité interactionnelle sont décisives : elles constituent la base (et non pas seulement le support) de l’activité cognitive de l’apprenant. Par « activité langagière », il faut entendre ici de façon à la fois très prosaïque et très saillante l’ensemble de ce que l’on ne peut faire qu’avec le langage. Dans ce vaste tout figurent aussi bien des jeux (ludiques) de langage5 que des jeux (moins ludiques) cruciaux pour l’apprentissage scolaire, comme,

5.

Jeux de ce type : Pierre (à Paul) : Dis « bonjour » à la dame. Paul : Bonjour à la dame. où Paul joue (?) à ne pas comprendre Pierre.

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notamment, dans le rapport intracognitif langage-pensée, jeu entre concept et nom de concept ou, dans la communication, les conduites de définition, d’argumentation, d’explication, etc. L’activité langagière, loin d’être seulement instrumentale, expressive d’une pensée déjà construite, doit être envisagée ici dans le paradigme de la communicabilité6. À ce titre, elle est constitutive du procès d’apprentissage. L’activité interactionnelle ajoute à l’activité langagière rapportée à l’apprenant, l’idée qu’elle se conjugue avec celle de l’autre : des propos interagissent dans des situations de travail imposant des tâches langagières particulières. L’important alors est ce qui se joue dans (et au cours de) l’interaction. Les contrôles pragmatiques de ce que disent les uns et les autres, les calculs et les négociations du sens des énoncés ont pour résultat la fixation du sens. À cet égard, l’exemple de référence, pour simplificateur qu’il soit, illustre que l’apprentissage – car il y a effet d’apprentissage à l’issue de l’interaction – résulte d’une négociation de sens. La réponse fautive de l’élève est directement issue des calculs qu’il accomplit fort justement. Il interprète en effet la réitération à l’identique de la question posée par le maître comme une évaluation négative de la réponse précédente et tente de satisfaire à la fois la disqualification de la réponse et la requête de réponse. Il choisit au mieux parmi le possible, une fois pragmatiquement éliminée la réponse COD. Il est clair que pour ne pas produire ce type de réponse il devrait : 1˚ avoir parfaitement construit la notion de COD et donc faire reposer son choix sur un savoir déjà construit ; 2˚ bien connaître ce jeu de langage particulier que sont les questions et réponses en situation scolaire ; 3˚ oser utiliser cette certitude quant au COD en s’appuyant sur le savoir du jeu pour défier le poids des statuts et contrevenir aux règles ordinaires du contrôle pragmatique. Si cette approche est correcte, alors les interactions langagières sont constitutives de l’apprentissage et il faut penser ensemble, comme un seul et même phénomène, l’enseignement et l’apprentissage. Si la mise en garde « attention, l’enseignant enseigne mais c’est l’élève qui apprend » conserve de l’intérêt, en ce qu’elle établit l’irréductibilité des positions, elle ne convient cependant plus tout à fait. Elle rend mal compte du jeu interactionnel auquel se livrent enseignant et élève et manque la saisie du résultat d’apprentissage comme coproduction. Encore une fois, c’est la faiblesse de l’interactivité qui condamne le discours magistral à l’inopérance ou aux seuls effets d’incidence et c’est, corrélativement, dans le contrôle conjoint des énoncés produits que l’élève apprend.

6.

Tel qu’initié par L. Wittgenstein dans ses Investigations philosophiques, repris et travaillé par F. Jacques notamment dans L’Espace logique de l’interlocution, Paris, PUF, 1985.

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Interaction : une problématique à la frontière



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES

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Si l’on rassemble maintenant les considérants de droit et de fait, alors les interactions langagières apparaissent comme « l’activité même » en quoi consiste l’apprentissage dirigé. Certes, la formule peut paraître excessive : il existe nombre de situations scolaires de « travail personnel » qui récusent par construction l’interactivité. Mais ces situations muettes impliquent « l’activité même » parce qu’elles sont toujours ressaisies, après coup, dans un cadre interactif. Pourrait-on encore parler d’apprentissage dirigé si les séquences muettes n’étaient pas interactivement ressaisies ?

3 L’objet du discours et l’histoire interactionnelle Enfin, un troisième point de vue interroge la séquence dans ses contenus discursifs, en fonction de sa spécificité disciplinaire. À cet égard, soulignons que l’expression « COD » entre dans le discours grammatical où elle prend place parmi d’autres unités pour constituer le métalangage de la grammaire, où, surtout, elle prend sens par les relations qu’elle entretient avec d’autres notions et concepts. Peut-on comprendre la notion de COD, pour peu qu’elle ait de la consistance, sans saisir aussi et nécessairement l’attribut, le circonstant, etc. ? Par ailleurs, peut-on apprendre ces notions sans construire en même temps ce que parfois l’on nomme « l’esprit grammatical », c’est-à-dire sans que l’on développe une manière grammaticale de penser, un certain type d’attitude par rapport au langage, dans laquelle, tout à coup, il convient de prendre le langage comme objet de pensée, et d’abandonner pour un temps son rapport quotidien usuel au langage ? Cette fois, c’est l’histoire interactionnelle7 qui est en jeu, celle qui fait que, parmi les élèves, certains sont de plain-pied si l’on ose dire dans la réflexion qui se mène, ont les attitudes cognitives et langagières qu’il convient d’adopter, tandis que d’autres en sont (ou s’en sentent) exclus.

4 Les champs impliqués dans la recherche On peut tenter de schématiser ainsi les champs pédagogique et didactique impliqués :

7.

Référence ici, certes, à la notion élaborée par Golopentia, mais aussi à la problématique de « la fuite du sens », B.-N. Grunig & R. Grunig, La Fuite du sens. La Construction du sens dans l’interlocution, Paris, Crédif-Hatier, coll. « LAL », 1985.

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s’appréhende :

en tant que centrée sur un contenu déterminé

en tant qu’objet langagier

en tant qu’événement de communication

didactique de la discipline

didactique du français

pédagogie générale

élaboration didactique du concept étudié (COD ici)

discours interaction… = objets d’étude

discours interaction… = moyens d’étude

– –

relation maître/élève situation et mode de travail

Si, à partir de l’exemple, on extrapole en étendant aux autres disciplines scolaires concernées, si de surcroît on creuse un tant soit peu les notions de langue, de langage et de communication, le tableau8 suivant est possible : CADRE 1 : L’établissement scolaire et la classe comme institution sociale : la communication-en-général et les apprentissages incidents – dimensions relationnelle et identitaire de l’enseignement – lieux de parole, identités sociales, statuts, rôles communicationnels – réseaux de communication, circulation des discours – modes de travail, style pédagogique De bonnes « relations » favorisent l’apprentissage des « contenus », la communication comme moyen, bain, matrice universelle… Référents théoriques : pédagogie générale, théories de la communication, sociologie, histoire des institutions, analyse institutionnelle, socioanalyse…

8.

Ce tableau est issu d’une série de réécritures. Élisabeth Nonnon en a proposé une première version qui améliorait et précisait l’un des schémas que j’avais avancés dans l’article de Inter-actions. En son état actuel, compte tenu des remaniements successifs auxquels je l’ai soumis, les éventuelles sottises qu’il contient me sont imputables.

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La séquence de classe (supra, encadré § 1)



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CADRE 2 : Les interactions langagières comme « l’activité même » de l’apprentissage dirigé. Rôle de la verbalisation et des interactions dans la construction des S. et S.F. – rôle de la verbalisation dans la formation des compétences cognitives – rôle des interactions dans le développement cognitif : interaction de tutelle, étayage, coopération, conflit sociocognitif – dispositifs d’interactions didactiques (tâches de groupe, différenciation, groupes de pairs, ens./élève(s)…) – types de conduites langagières liées au développement de compétences cognitives Exemples de tâches langagières ou de situations de travail, aspects « protodidactiques » de Y. Chevallard – conduites de définition, de catégorisation, de généralisation/particularisation, d’induction/déduction, de conceptualisation… – négociation du sens des énoncés – gestion des exemples et contre-exemples en construction de concepts – analyse des composantes d’une situation-problème, élaboration de questionnements… – prévision, formulations d’hypothèses, développements d’une situation-problème… – mises en relation diverses, exploration de champs notionnels, de réseaux conceptuels – retours sur les procédures, évaluation formative, métacognition, règles et principes d’action… – méthodologie L’apprentissage s’effectue dans et par les interactions langagières et leur gestion : la communication comme moyen, condition sine qua non de l’apprentissage. Référents théoriques : pédagogie générale, psychologie cognitive, psychologie du développement, psychologie sociale, pragmatique, analyse conversationnelle…

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Aspects spécifiques des disciplines, à partir des matrices disciplinaires : – sémiotiques spécifiques (schématisation, formalisation, modélisation…) – élaboration des notions et du métalangage propres à une discipline – formulation et reformulation des concepts, champs, réseaux… – objectifs obstacles/de connaissance : repérage, construction, traitement – métalangage propre à une discipline, termes en contexte spécifié – modèles des discours disciplinaires (« expliquer » en littérature, disserter, aspects rhétoriques, modèles méthodologiques, Ohéric de Giordan par exemple, démonstration en mathématiques, etc.) Les contenus d’apprentissage sont les enjeux disciplinaires spécifiques des tâches et situations de travail évoqués dans le cadre précédent. Référents théoriques : épistémologie, histoire des disciplines, sémiotiques, analyse des discours, analyse des conceptions (systèmes cognitifs), didactiques disciplinaires…

B



Didactique et pédagogie

1 La matrice disciplinaire du français Le classement du premier tableau se justifie sans difficulté dans ses deux premières branches. La caractéristique majeure de la didactique des matières est de s’intéresser 1) aux savoirs et savoir-faire, 2) en tant qu’ils s’enseignent et s’apprennent. Le premier point établit la ligne de démarcation la plus forte avec la pédagogie à laquelle on reproche sur ce plan – il y a d’autres critiques – le (trop) peu d’attention à la spécificité des savoirs. Le second la sépare des disciplines de référence parce qu’elle prend en charge le couple enseigner/apprendre. Si l’on abandonne l’une ou l’autre de ces caractéristiques et la relation qui les unit, la didactique s’amuit dans la pédagogie ou s’évapore dans la recherche fondamentale. Dans le principe, ces distinctions suffisent à l’identité de la didactique. À l’aune de cette caractérisation, la didactique du français est concernée à double titre. COD et « discours interaction » désignent des objets d’enseignement du français ; l’un, habituel, est tout à fait installé dans la tradition

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CADRE 3 : Les savoirs linguistiques et discursifs spécifiques



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des pratiques scolaires grammaticales, l’autre, sans doute moins familier, relève à la fois des objectifs de communication (la parole aisée…) et des objectifs de connaissance des discours (littérature, presse, etc.) liés à la matière. La question qui peut (encore ?) faire l’objet d’une discussion est interne à la didactique du français et concerne la matrice disciplinaire ellemême. Cette notion issue de T. S. Kuhn et reprise par M. Develay9 invite à cerner le noyau dur d’un paradigme. L’enseignement du français est frappé de longue date de flous divers autour de ses objectifs, de ses contenus, de ses valeurs, etc. Cela tient à la multiplicité de ses matières, de ses référents possibles ainsi qu’à la somme d’enjeux sociaux qu’il représente. Compte tenu des changements en cours depuis 25 ans dans l’enseignement du français, de la déstabilisation de la configuration ancienne10 construite autour de la littérature et la langue au profit des objets texte et discours, il convient de resserrer ce qui trop souvent s’éparpille en le restructurant autour d’un principe de cohérence La matrice disciplinaire du français peut être identifiée par ses objets centraux et ses objectifs décisifs et l’ensemble peut être désigné par cette formule : production et réception des discours oraux et écrits. Les linguistes accorderont sans peine que l’on peut y retrouver les objectifs et les enjeux classiquement reconnus de façon impropre sous les étiquettes de « langue », d’« expression » écrite et orale, etc. Les littéraires regretteront sans doute que la littérature soit traitée dans l’ensemble des discours sociaux. À ce sujet, si s’entend encore l’argument de la défense du patrimoine culturel, s’entend de plus en plus la référence à l’éducation et aux valeurs. Résurgence de « l’idéologie » ? Sans doute. Mais crainte aussi, et plus justifiée, qu’en sa centration exclusive sur les savoirs, qu’en sa neutralité technique, la didactique ne néglige la formation des personnes et les finalités d’être. Que répondre à cela ? Pour l’essentiel, que le fait de travailler « avec » des personnes dans l’enceinte de la classe n’implique pas que les personnes en question soient l’objet direct du travail : l’enseignant n’est ni thérapeute, ni prêtre, ni idéologue. Que si les valeurs sont en jeu dans la classe – et elles le sont toujours, à l’occasion de la moindre entreprise dissertative, de la moindre discussion d’un texte –, elles ne sauraient être enjeu direct des communications. Bref, que le savoir et sa négociation sont les seules médiations souhaitables pour le maître vers les personnes.

2 La métadidactique et le travail ordinaire du didacticien Autant le repérage des deux premières branches paraît évident, autant la branche « pédagogie » laisse insatisfait. Le didacticien devient-il pédagogue quand il traite du moyen ? Doit-il cesser d’être concerné et passer le relais 9. M. Develay, De l’Apprentissage à l’enseignement, Paris, ESF, 1992. 10. J.-F. Halté, La Didactique du français, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1992.

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Les maisons d’édition, elles, ne font pas de détail. Elles ont tranché. Les collections de « didactique » sont sur les présentoirs, l’étiquette fait vendre et le mot « pédagogie » se fait discret. La noosphère didacticienne pour sa part est moins assurée. Elle n’en finit pas de référer prudemment à une « discipline en émergence », à un « champ en voie de constitution », elle hésite dans ses appellations entre « discipline carrefour », « discipline autonome », « science humaine à part entière », « technologie », « ingénierie ». Elle s’interroge sur le statut de la didactique, son territoire institutionnel, ses frontières, ses méthodes, ses objectifs. Pendant ce temps, indice d’une difficulté réelle, des termes intermédiaires comme celui de didactique générale se mettent à circuler. Est-il intéressant de spéculer un peu sur ces niveaux intermédiaires ? Sans doute ; le débat est à situer autant sur les plans institutionnel et stratégique que scientifique ou technique. Si les didactiques des disciplines relèvent pour l’heure des disciplines universitaires installées, de qui ou de quoi relèvent les « niveaux intermédiaires » ? Qui en sont les usagers ? les producteurs ? Est-il pertinent, dans le champ de la formation des maîtres et en particulier des professeurs d’école, de s’en tenir aux seules didactiques particulières des disciplines ? Y a-t-il un prix à payer, en matière de formation, au recul (très relatif) de la pédagogie générale ? Du point de vue du didacticien de base et de sa tâche ordinaire, on peut esquisser des débuts de réponse. En tant que spécialiste d’une matière d’enseignement déterminée, la tâche du didacticien consiste à « traiter » didactiquement les savoirs de la matière concernée. Il lui revient, par exemple, d’élaborer un objet d’enseignement, de l’opérationnaliser en fonction d’un niveau scolaire déterminé, d’envisager son évolution pour un autre niveau et ainsi de suite. Pour mener ce travail à bien, le didacticien aura recours à des concepts, des pratiques, des méthodologies qui dépassent l’objet immédiat de son labeur. Pour juger de la pertinence de l’objet d’enseignement, il lui faudra construire quelque chose comme la matrice disciplinaire de la matière ; sauf cas extrême, il n’aura pas à inventer l’objet d’enseignement, mais, selon les cas, à le transposer d’une discipline de référence ou à impliquer telle et telle approche disciplinaire dans une reconstruction d’objet ; en vue du calcul de l’enseignabilité de son objet, il lui faudra construire le réseau des notions dans lequel il prend place, et peut-être devra-t-il, s’il cherche à assurer l’intégration de son objet dans la cohérence d’une matière, parcourir l’histoire scolaire de la matière, celle des pratiques où son objet est sous telle ou telle forme investi, etc. Toutes ces tâches constituent la méthodologie didactique. Chaque didactique, en fonc-

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quand il en arrive là ? Où s’arrête l’entreprise didactique ? La montée en puissance de la didactique, sa volonté de démarcation d’avec la pédagogie n’ont-elles pas engendré un certain byzantinisme ?



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tion de ses préoccupations particulières, produit, chemin faisant, ses concepts propres et sa méthodologie. Se constituent ainsi des métadidactiques où se rangent, non pas les enseignables qui correspondent au niveau didactique, mais les outils utilisés pour les construire. Chacune des métadidactiques, ainsi cernée, concerne l’élaboration des savoirs didactiques et elle a pour objet d’étude l’ensemble des matériaux, problèmes, méthodes, concepts… intervenant dans l’élaboration didactique des savoirs. Dans son travail de premier niveau, élaboration didactique des savoirs, le didacticien aura profité de (et dans certains cas : participé à) l’élaboration des savoirs didactiques. Les métadidactiques existent dans les faits, de plus en plus si l’on ose dire, au point que le débat sur l’existence ou la possibilité ou le bien-fondé d’une métadidactique générale, comporte en réalité des aspects rhétoriques : c’est un fait que le travail de premier niveau ne peut s’effectuer sans le second et c’est un fait que d’ores et déjà, les didactiques des disciplines construisent pour elles-mêmes des concepts généraux et opératoires, exportent leurs découvertes vers d’autres didactiques, empruntent en retour celles des autres.

3 Didactique générale ? Au-delà, on entre, me semble-t-il, dans un débat purement spéculatif. Une première acception de « didactique générale » me paraît concevable. Elle est même, quoique timidement, en cours de constitution sous l’appellation vague de « méthodologie ». Didactique disciplinaire à part entière, respectant la définition primaire de la didactique, elle identifie des objets de savoirs et savoir-faire estimés utiles en toutes circonstances scolaires et les constitue en enseignables. Cette « matière » comprendrait les ingrédients « protodidactiques » de Y. Chevallard de toutes les disciplines et viserait l’objectif général « apprendre à apprendre ». Sa mise en ordre impliquerait un véritable jeu de chaises musicales puisque, par exemple, elle obligerait à un affinement (à tout le moins !) de la matrice disciplinaire du français, en récupérant des objets comme « discours et interaction en tant que moyens d’étude ». Une seconde acception, plus conforme à ce que l’on entend dire çà et là, concerne la saisie d’un niveau supérieur au métadidactique. Au stade actuel de flou artistique, la généralité s’établit à la croisée des didactiques particulières, comme transversalité de hasard. Elle est un pot commun où sont relégués sans grand contrôle les innovations heureuses, les reliquats (et les pépites !) des métadidactiques spécifiques11. Cette « didactique générale » qui se fait en marchant n’est pas une discipline structurée. On 11. La comparaison pourrait se faire ici autour du statut de la pragmatique en sciences du langage, qualifiée de « dépotoir » par A. Berrendonner & H. Parret (éds), L’interaction communicative, Berne, Peter Lang, 1990.

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peut imaginer une exigence plus forte : une méta-métadidactique qui serait à la didactique du français ce que, par exemple, la linguistique générale est à la linguistique d’une langue particulière12, c’est-à-dire, en principe, une théorie fournissant des concepts applicables à des objets particuliers. Prenant appui sur les transversalités, elle serait un véritable champ de travail visant à la mise en ordre des concepts existants, à la recherche de nouveaux, à leur organisation dans le cadre d’une théorie unique susceptible d’expliquer et de prédire. La question pratique est de savoir si un tel niveau est réellement, et non pas seulement spéculativement, envisageable, s’il est utile de s’attaquer à sa construction ou s’il est préférable de le laisser éventuellement advenir… Compte tenu de l’état des didactiques de base – à mon sens, la masse critique de faits disponibles n’est pas suffisante –, j’avoue mon scepticisme et je ne vois pas que l’on puisse atteindre autre chose qu’une espèce d’usine à gaz furieusement dogmatique. Par ailleurs, je vois mal figurer, à côté du didacticien primaire, le métadidacticien primaire et le méta-métadidacticien. Une chose est de distinguer dans le travail ordinaire du didacticien les niveaux de réflexion, une autre est d’ériger ces niveaux en disciplines constituées13. Dans l’état actuel des choses, il me semble urgent de ne rien faire et préférable de s’en tenir au jeu non réglé des métadidactiques. Au-delà (ou en deçà, comme on voudra) du débat épistémologique, il existe une demande sociale qui impose des prises de position. Ainsi par exemple, un Institut Universitaire de Formation des Maîtres engage une réflexion qu’il profile thématiquement à peu près ainsi : les professeurs d’école sont polyvalents, ils travaillent en mathématiques et en français, en éducation physique et sportive et en géographie, etc., et recourent à ce titre, autant que faire ils peuvent, aux didactiques des disciplines. En même temps, polyvalents, s’adressant en continu aux mêmes élèves, ils ont vraisemblablement des pans entiers de comportements didactiques magistraux comparables (un style de préparation, des schémas transversaux de séquence didactique…). Quels concepts de didactique générale seraient susceptibles de les armer en didactique des disciplines ? Dira-t-on benoîtement, à la Ponce Pilate, que la question est mal posée ?

4 Pour une didactique praxéologique On ne peut s’abstenir de répondre : la demande sociale a, comme il se doit, le mauvais goût de ne pas attendre que les solutions soient disponibles. La

12. Je pense ici à quelque chose d’analogue aux « Prolégomènes » de Hjelmslev. Je pense aussi à son destin… 13. Imagine-t-on enseigner la méta-métadidactique aux futurs professeurs ? C’est pour le coup que B. Shaw aurait raison : « Ceux qui le peuvent agissent. Ceux qui ne le peuvent pas enseignent comment agir. Ceux qui ne peuvent ni agir ni enseigner enseignent comment enseigner ! » cité par L. Schwartz dans le n° 995 du Point des 12-18 octobre 1991.

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didactique praxéologique, celle dont le point d’aboutissement est la pratique dans la classe, celle, théorique pourtant, dont le but est d’argumenter aussi rigoureusement que possible, c’est-à-dire sans réductionnisme, des pratiques dans la classe, cette didactique-là en tout cas, ne peut demeurer coite et quiète. Son problème, au demeurant, est au moins autant d’explorer ses frontières avec la pédagogie que de savoir si elle est purement disciplinaire. L’ensemble du travail de l’enseignant (polyvalent ou non) n’est en effet pas réductible à ses options didactiques au sens strict. Les choix des enseignants touchant aux modes de travail, aux réglages institutionnels, au traitement des partitions culturelles… interfèrent à l’évidence avec le traitement didactique des savoirs dans l’intervention didactique en classe. Où passe la frontière, au juste ? Peut-on réellement l’établir et la fonder en raison ? Autant il est utile de conserver à l’esprit la distinction théorie-pratique, autant il est clair que le travail du didacticien est en amont de la classe et s’arrête à son seuil, autant il est difficile de borner scrupuleusement l’approche didactique au seul travail sur les enseignables comme le donne à penser la définition par laquelle on a commencé. D’une part, parce qu’à côté des enseignables, il y a les « apprenables » – ces savoirs qui ne sont pas des objets explicites d’enseignement mais qui conditionnent l’apprentissage des enseignables et ces savoir-faire très composites comme le savoir-lire ou le savoir-écrire qui ne se résolvent ni en savoirs savants, ni en simples sommes de savoir-faire –, et d’autre part parce que, dans le triangle didactique, les pôles de l’intervention et de l’élève impliquent le recours à des référents non disciplinaires classiquement rangés dans le pédagogique. À délaisser comme hors champ, sous prétexte de pureté territoriale, les problématiques de l’appropriation et de l’intervention, l’entreprise didactique tout entière perd son sens et abandonne le terrain à l’ancienne pédagogie. Dans cette optique, la proposition du schéma classant l’interaction-moyen d’étude en pédagogie générale n’est pas très satisfaisante : exclus des didactiques particulières parce que moyens d’étude et non pas objets, « discours et interaction » rejoignent les choix concernant le mode de travail. Dans la tradition du discours pédagogique, cela revient à en rester à la version faible du rapport entre communication et apprentissage. Le classement hypothétique évoqué plus haut, dans la discipline nouvelle « méthodologie », n’est guère meilleur : dans le fourre-tout que serait (qu’est) cette « discipline », les finesses se perdent nécessairement. On peut penser à localiser en disciplines particulières, suivant en cela le mouvement d’autonomisation progressive des didactiques, qui rencontrent de plus en plus des préoccupations14 propres touchant au langage. Mais la solution serait pour le moins coûteuse puisque chaque didactique aurait à reprendre le même travail. De plus, parce qu’interaction et discours, envisagés en tant que « moyen 14. Mouvement net en sciences, voir J.-C. Martinand ou M. Develay.

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d’étude », ne sont pas des enseignables, c’est la définition même de la didactique qui se trouve atteinte dans le mélange des « moyens » et des « objets ». Après tout, ne serait-ce pas, en fin de compte, cette révision de la définition de base de la didactique qu’il conviendrait d’opérer en précisant davantage la notion de savoir, en la démarquant notamment des seuls objets d’enseignement prévus par les chartes officielles, en incluant véritablement les savoir-faire ? C’est ce que prétend faire en réalité la didactique praxéologique, au risque, assumé, du brouillage des frontières.

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Didactique du français et disciplines de référence

Les quatre contributions réunies dans cette deuxième partie ne prétendent aucunement saturer le terrain des « références » aux disciplines savantes/ universitaires qui se trouvent convoquées d’une façon ou d’une autre dans la réflexion didactique en français langue maternelle. Reste que les sciences du langage, la psychologie d’inspiration cognitiviste ou interactionniste, la sociologie constituent des pôles de travail féconds où s’enracinent des intérêts didactiques : acquisition et apprentissage ; enseignement et socialisation scolaires et extra-scolaires. Chacune des contributions montre les possibles dépassements d’une simple thématique de l’apport de disciplines extérieures à un champ uniquement demandeur. En réalité, qu’il s’agisse d’« approcher » la didactique d’une langue maternelle avec des outils d’analyse élaborés dans un champ disciplinaire ciblé, qu’il s’agisse de « prendre en compte » non pas une théorie mais des données du développement des élèves, qu’il s’agisse de contextualiser les actes scolaires – de lecture par exemple – comme pratiques culturelles ou qu’il s’agisse de montrer le dépassement nécessaire des dispositifs de savoirs langagiers-scolaires eu égard aux remaniements intradisciplinaires – en sciences du langage par exemple –, on s’avance résolument vers la définition d’un va-et-vient productif entre didactique du français et disciplines de référence. Plus encore peut-être esquisse-t-on la pensée de nouvelles configurations où la préoccupation didactique s’inscrirait au cœur des recherches en sciences humaines, alors même que le terrain scolaire-social se trouverait investi par des interrogations proprement théoriques.

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Deuxième partie

Jean-Louis CHISS

On connaît le récit désormais consacré de la naissance de la didactique du français langue maternelle s’échappant des préhistoires conjointes de la linguistique appliquée et de la psychopédagogie. Construire une discipline – dont on ferait l’« état » dans le présent volume – suppose l’existence d’une logique de production intellectuelle et culturelle liée à des formes de professionnalisation. Ces « produits » qui constituent la didactique du français appartiennent souvent eux-mêmes à des rationalités disciplinaires d’origine différente dont on ne mesure pas toujours les cohérences ou les incompatibilités. Si j’ai souvent attiré l’attention sur la pluralité des lexiques qui « parlent » notre discipline, c’est dans le souci de vérifier – ou d’invalider – l’idée que se dégagerait un champ homogène de problèmes susceptibles d’être traités au sein d’une communauté de chercheurs, ce qui ne signifie justement pas la quête hâtive d’un consensus de façade. La lucidité épistémologique impose par exemple de constater que des couples notionnels coexistent ou se superposent dans la même zone sensible des didactiques disciplinaires : ainsi les concepts d’habitus vs codification (empruntés à la sociologie de P. Bourdieu), de connaissances procédurales vs connaissances déclaratives (empruntés à la psychologie cognitive), de savoir-faire vs savoirs (installés dans les doctrines pédagogiques) jouent-ils dans le système d’oppositions et de renvois de leurs univers scientifiques propres, tout en se faisant écho sur le terrain multiforme de l’enseignement/apprentissage de la langue et des discours.

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Sciences du langage : le retour



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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

Penser l’état des lieux : applications et effets en retour

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Faire l’état des lieux, c’est-à-dire ici prendre la mesure des conceptualités régnantes en didactique – du point de vue des didacticiens – apparaît comme une tâche plus urgente que la reprise des problèmes d’institutionnalisation et de statut de scientificité de la discipline. Évidemment, cet état des lieux ne saurait être envisagé dans le cadre d’une synchronie abstraite et idéalisante faisant fi du cheminement récent – et plus lointain – d’un certain nombre de débats : si l’on peut par exemple retrouver aujourd’hui cette évidence que les élèves apprennent dans le dialogue qui se noue avec leurs enseignants, c’est bien parce que nous avons « usé » la thématique de la centration sur l’apprenant comme machine de guerre contre les pédagogies transmissives. C’est alors le détour par l’interaction (ainsi que le montrent certains travaux de Jean-François Halté) qui redonne vie et consistance à l’évidence masquée temporairement par le jeu du balancier ; si l’on peut encore aujourd’hui réévaluer une dimension « communicative » de l’écrit au sens de traitement – pour l’autre – de l’information, c’est bien parce que nous avons « usé » la thématique des fonctions expressivo-communicatives de l’écriture contre les mêmes pédagogies axées sur la transmission, les contenus et l’imitation. C’est alors le détour par son rôle cognitif qui promeut de nouveau l’écrit au centre de la communication scolaire. Même sur le « temps court » des travaux de l’association DFLM, on ne peut plus – me semble-t-il – raconter tout à fait l’histoire de la diversification, et de ses conséquences dans l’enseignement du français, comme il y a quelques années. Dans la spirale des préoccupations didactiques, c’est enfin l’étendue du champ couvert par la discipline qu’il conviendrait d’examiner s’il est vrai que, face aux adeptes d’une conception extensive et accumulatrice, le propre d’une discipline serait, selon le mot de Judith Schlanger, de circonscrire et de renoncer. Il est rare qu’une question importante dans une des disciplines que nous appelons « de référence » n’éveille un écho, ne suggère une direction, ne provoque une réflexion dans le domaine de l’enseignement et de l’apprentissage. Forçant le trait dans une voie que j’ai maintes fois empruntée, Bernard Lahire écrivait : « Les théories les plus “pures” ont nécessairement toutes les chances d’être des systèmes d’explication théorisant plus ou moins consciemment les pratiques scolaires » (1993, p. 13). Sans aller jusqu’à cette radicalité, on accepte désormais plus volontiers – y compris dans l’univers des « savants » – l’idée des multiples effets en retour des préoccupations didactiques sur les disciplines de référence : des travaux d’histoire et d’épistémologie montrent la part prise dans les théories savantes par les contraintes de transmissibilité, l’intérêt que tout savoir a de son propre développement – parmi lequel figure l’enseignement de ce savoir – et l’importance qu’ont les

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Sciences du langage : le retour



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Face à l’école en général et à la classe de langue et de discours en particulier – pour nous, la classe de français –, les sciences du langage ont sans doute des implications et des responsabilités spécifiques. Je me ferai ici l’écho – avant d’y revenir plus longuement – de l’inquiétude de certains linguistes et des didacticiens dont l’origine disciplinaire est la linguistique, sans querelle de clocher ou souci de partage de territoire mais avec une volonté de mise au point dont on pourrait escompter des bénéfices heuristiques. Il me semble en effet que les modes de circulation entre implications théoriques et effets en retour du didactique, ou tout au moins du scolaire, commencent à se densifier et à se diversifier pour ce qui concerne des disciplines comme la psychologie ou la sociologie : les échecs scolaires en lecture, par exemple, fournissent un aliment appréciable aux études sociologiques, ethnologiques, anthropologiques dont on peut en retour tirer des conséquences éducatives. Si ce va-et-vient paraît moins bien fonctionner pour ce qui concerne la linguistique, il ne faut sans doute pas analyser cette situation dans les termes simplistes de la fin de l’impérialisme ou du « mirage linguistique » (selon la formule qui fait le titre de l’ouvrage de Thomas Pavel, 1988). Il conviendrait plutôt à la fois de montrer la part de plus en plus grande prise par le travail sur les pratiques langagières dans les disciplines précitées et de redessiner le cadre épistémologique nouveau qui est celui des « sciences du langage » (ce qui dépasse largement le cadre de ce chapitre) ; il conviendrait aussi d’explorer (ce qu’on développera plus avant) les possibilités offertes à la didactique du français par le renouvellement de certaines démarches et approches des études linguistiques sans redouter les écueils d’un « applicationnisme » que certains didacticiens confondent avec le souci de donner une consistance opératoire à l’enseignement/apprentissage de la langue et des discours.

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Deux questions pour la didactique du français S’il y a bien ainsi des questions de cette didactique adressées aux disciplines de référence, il y a évidemment des questions pour la didactique, intrinsèquement liées à la culture du langage mais qui s’originent dans des configurations sociales, culturelles et intellectuelles très diverses. Parmi ces questions qui sont les plus cruciales pour la didactique du français, et dans la logique des remarques précédentes, on en retiendra deux : la communication et la culture de l’écrit. Il est certain que ces deux problématiques – sans être, dans mon optique, constitutives en tant que telles de notre discipline, ce que signifie le pour – dessinent néanmoins son horizon de projection, c’est-à-dire

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contextes de toute invention culturelle ou scientifique. Même s’il n’existait pas de didactiques disciplinaires, les sciences constituées ne seraient pas pour autant immunisées contre les sollicitations des sujets qui apprennent et des maîtres qui enseignent.

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

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Sur la problématique communicative, on pourrait d’emblée s’interroger. Car si l’interaction conversationnelle est la matrice fondamentale de l’usage du langage, alors – pourrait-on se demander – qu’avons-nous à apprendre du langage à l’école ? En réalité, on le sait de mieux en mieux, grâce à l’émergence d’une série de travaux ethnométhodologiques ou ethnographiques, c’est la place du langage dans la totalité du processus éducatif qui fait problème et c’est donc aux sciences de l’éducation dans leur ensemble qu’il faut demander de s’emparer de l’activité langagière à l’école. Ce sont elles qui sont concernées par les usages rhétoriques de la parole scolaire, les rites d’interaction propres à l’école. Il est clair alors que le travail sur les interactions verbales, globales ou locales, ne saurait être l’apanage de l’enseignant de français même s’il a une vocation particulière à s’y impliquer. C’est d’ailleurs bien d’implication et d’enjeux didactiques dont il est question pour toutes ces disciplines au sein (ou aux marges) des sciences du langage qui mettent au centre de leur dispositif le concept d’interaction. L’examen de certains itinéraires – qu’on songe au cas de Dell H. Hymes, sinon inventeur du moins théoricien le plus célèbre de la « compétence de communication » – montrerait comment certaines conceptualités se sont forgées au point de rencontre entre l’expertise en linguistique et l’intérêt pour les problèmes éducatifs des enfants de milieux dits défavorisés. Pour ce qui concerne la culture de l’écrit, il est tout aussi évident que nous avons affaire là à une dimension transdisciplinaire : alors que la rénovation de l’enseignement du français a été placée en partie, dès avant les années 1970, sous la bannière des fonctions expressive et communicative de l’écrit, c’est plus récemment (mais combien découvre-t-on de nouveaux convertis !) que s’est introduite chez les didacticiens l’idée du rôle cognitif de l’écrit, du lien de la culture écrite à la structuration de la pensée, de l’écriture comme possibilité de l’invention de nouveaux objets intellectuels. Les ethnologues comme Jack Goody ou les historiens de l’écriture ont ouvert ainsi la voie à des explorations peut-être moins orientées vers la langue et les discours que vers la géographie et ses cartes, la géométrie et ses figures, l’algèbre et son écriture symbolique ainsi que tant d’autres savoirs sans doute inconcevables sans le fondement de l’écrit. C’est aussi pourquoi, si la didactique du français a en particulier vocation à travailler la réflexivité langagière qui est à l’œuvre dans l’acculturation écrite et qui détermine effectivement l’accès au métalinguistique (tant dans l’ordre historique de la grammatisation des vernaculaires et de la construction de « grammaires » que dans l’ordre ontogénétique du développement langagier de l’enfant), elle sait qu’elle a cette tâche en partage avec d’autres didactiques disciplinaires. Ou plus exactement, elle sait qu’elle doit à la fois tracer

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son point de fuite ou si l’on préfère sa mise en perspective dans un ensemble où se croisent les technologies du travail intellectuel et le développement de formes spécifiques de la socialité langagière.



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les chemins d’une répartition des enseignables sur le terrain (interventionnisme didactique qui répondra à la question de savoir quel enseignant fait quoi dans le domaine de l’écrit) et peut-être interroger à son tour les rationalités disciplinaires qui se disputent l’écrit : comment la sociologie et l’ethnologie traitent-elles les illettrismes qui posent la question des microsociétés sans écriture dans notre univers lettré ? Comment la psychologie cognitive traite-t-elle l’individuation des processus de lecture-écriture ? Etc. Tout éloignement de la didactique du français des questions conjointes de la communication et de l’acculturation à l’écrit aurait pour effet de rendre socialement inaudibles les propositions qu’elle pourrait faire parce que ce sont ces deux terrains qui polarisent les débats sur les rapports de la démocratie et de l’école, ce qu’on a coutume d’appeler l’échec scolaire qui est moins un échec de la culture – et à travers elle de l’école – qu’un échec de la démocratie. La question est donc moins de savoir aujourd’hui si ces deux dimensions sont susceptibles de constituer des positivités dans l’ordre de notre didactique (faut-il enseigner la communication ou la culture de l’écrit ?) que de mesurer les effets de leur prise en compte sur les objets de l’enseignementapprentissage en français. C’est peut-être là que le bât blesse au sens où il continue d’apparaître difficile de penser l’indissociabilité dans l’exercice du langage des aspects linguistiques, cognitifs et culturels. On ne peut pas intégrer aux problématiques didactiques en langue maternelle les travaux de J. Goody ou D. H. Hymes – pour ne citer que ces deux noms emblématiques – en laissant intact le mécanisme régnant : si quelque chose de nouveau advient de l’écrit, dans l’écrit et par l’écrit, alors on ne peut avaliser les modèles anciens ou nouveaux qui tendent à faire de l’écriture la planification et la mise en forme d’un vouloir dire préalable ; si quelque chose de nouveau advient de l’interaction orale, dans et par elle, alors on doit substituer à la vision expressiviste de la communication une approche qui prendrait pour objet l’organisation même de la parole des sujets comme lieu où s’interpénètrent langue et culture. On sait d’ailleurs, depuis les théoriciens du langage de la deuxième moitié du XIXe siècle, qu’une espèce de continuité épistémologique relie le thème de la parole intérieure (en particulier lors de l’élaboration écrite) à celui de la conversation. Mais, plus encore, la solidarité heuristique des thèmes de la communication et de la littératie devrait périmer les conceptions instrumentalistes de la langue qui restent l’idéologie dominante : si la communication n’est pas un but mais, selon le mot de D. H. Hymes, un « attribut » du langage, alors il ne faut pas seulement considérer que les individus – en particulier les enfants – « se servent » de la langue et des discours mais qu’ils s’y construisent. Si l’écrit fonde la constitution de certaines rationalités, l’oral est aussi constitutif des identités personnelles-sociales dans l’interaction. De ce point de vue, la métaphore si prisée – dans les élaborations didactiques pseudo-modernistes – de la langue comme outil conduit de fait à marginaliser et/ou à désorienter

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

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les activités métalinguistiques : leur mise au service de la lecture/écriture en termes d’adjuvants empêche la reconnaissance pleine et entière de la fonction métalinguistique et la construction en classe des objets grammaticaux, lexicaux, énonciatifs fondée sur la description et l’explicitation des fonctionnements. En réalité, le dépassement de la vocation instrumentale de la langue semble particulièrement délicat dès lors qu’on se situe dans l’ordre de l’exposé didactico-pédagogique et, parmi les topoi de cet exposé, elle résiste mieux que la notion de code. C’est ainsi, pour prendre une illustration significative, que la très remarquable Grammaire méthodique du français (M. Riegel, J.-C. Pellat & R. Rioul, 1994) place en premier point de son introduction « les langues, instruments de communication » (p. 2) avec le schéma de Jakobson et la modulation traditionnelle que constituent les « multiples usages » (p. 3) matérialisés par les six « fonctions du langage ». Il m’apparaît à l’évidence plus novateur et productif pour la didactique que, quelques lignes plus haut, ce soit la notion de point de vue qui constitue la première recommandation méthodologique pour le travail sur la langue : « C’est un fait connu qu’un même objet est susceptible de plus d’une description, surtout s’il est complexe. Tout dépend du point de vue auquel on se place, car c’est lui qui détermine le choix des propriétés dites pertinentes » (ibid., p. 1, ce sont les auteurs qui soulignent). Alors même que certains didacticiens des langues, influencés souvent par d’autres disciplines que la linguistique, emploient, sans état d’âme, la notion de code, on veut seulement affirmer ici que le maintien en didactique du français de certaines « théorisations » du langage, de l’instrument au code et retour, du fait de leur association avec des lieux communs pédagogiques comme celui de la « boîte à outils », accule la discipline à la reproduction de l’ancien ou à la suspension du jugement devant l’irruption du nouveau.

C



Traitement des contenus : le malentendu La question qui est pourtant posée aux didacticiens du français – et dans une certaine mesure aux spécialistes des sciences du langage – est l’existence de contenus disciplinaires sur le statut et la validité desquels il faut se prononcer. Il ne s’agit évidemment pas d’instaurer un tribunal épistémologique mais de reprendre les conceptualisations des rapports entre d’une part savoirs savants comme l’on dit et d’autre part savoirs et pratiques scolaires, problème qui constitue l’un des axes majeurs de toute didactique. Le chantier désormais ouvert aujourd’hui est de refondre les curricula, de bâtir des contenus pour la discipline « français », c’est-à-dire des cadres notionnels et des systèmes d’explication pour l’étude de la langue et des discours. Certes, la démarche fondatrice ou refondatrice qui est ici convoquée (ne confondons pas « rénovateurs » et « refondateurs ») ne saurait surtout pas ignorer la

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nécessaire critique ou théorisation de l’existant : les modèles de la transposition didactique sont une source de réflexion tout comme l’histoire des disciplines scolaires et le débat reste ouvert sur l’autonomie totale ou très relative de ces savoirs-pratiques scolaires vis-à-vis des savoirs savants. Reste que demeure une double inquiétude concernant les dimensions de cohérence et de validité. Cohérence parce que nous ne pouvons pas encore expliciter une nouvelle matrice de la discipline scolaire français et que la diversification, souhaitée et souhaitable, des types de textes et de discours par exemple a objectivement entravé le processus de globalisation souhaité et souhaitable. Nous avons là une tension entre deux pôles qui reste à maîtriser et à penser, ainsi que l’illustre la valse-hésitation des didacticiens et des enseignants de français autour du problème de la place et du statut à accorder à la littérature. Cette tension reste donc vive ainsi que le montre encore le thème de l’hétérogénéité des apprenants que nous n’arrivons pas toujours à traiter dans le cadre didactique de l’offre hétérogène de la classe de français où la question de la continuité entre connaissances portant sur des objets langagiers et connaissances portant sur des processus (avec les représentations et la mise en œuvre de pratiques) reste encore largement sans solution. Ce n’est sans doute pas par hasard si la diversification et l’hétérogénéité ont été au centre des travaux de l’association DFLM qui leur a consacré deux de ses colloques. Validité aussi, en prenant la question par le biais d’une réflexion en forme de rêverie : imaginons un formateur d’enseignants de français ou un enseignant « éclairé », comme on dit, qui lirait l’article d’Anne-Marie Berthonneau et Georges Kleiber dans le n° 112 de la revue Langages (décembre 1993), article intitulé « Pour une nouvelle approche de l’imparfait : l’imparfait un temps anaphorique méronomique ». La note 1 de cet article est ainsi rédigée : « La piste textuelle qui fait de l’imparfait le temps par excellence de l’arrière-plan semble presque unanimement abandonnée, l’opposition arrière-plan (imparfait) premier plan (passé simple) étant considérée comme l’effet ou la manifestation d’une opposition supérieure. » Stupeur chez l’intéressé. Avoir renoncé au système d’explication traditionnel, avoir éliminé le couple duratif/ ponctuel au profit d’une explication que tant d’exemples textuels rendaient convaincante et que soutenait, sur le plan pédagogique, une métaphorisation spatiale susceptible de toucher les consciences enfantines les plus rétives… Et puis voilà en une phrase que se flétriraient tant de lauriers… S’agit-il seulement de constater l’inéluctable « retard » des propositions scolaires sur les découvertes savantes et de se déclarer d’avance vaincu dans cette course-poursuite infernale au risque d’en tirer la conclusion de maintenir des héritages souvent bien plus contestables ? Faut-il opposer l’efficacité supposée d’un savoir à son adéquation à la vérité, par définition transitoire dans un domaine – les « sciences » humaines et les « sciences » du langage

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– réputé particulièrement mouvant ? En deçà de ces débats généraux et parfaitement estimables, et en restant à l’écart de toute position scientiste, on tirera seulement de cette petite fable la nécessité de s’interroger tout autant sur les modes de transmission des savoirs savants que sur une forme de surdité persistante de la didactique du français à des travaux qui remettraient en cause des modalités de présentation et d’argumentation que l’introduction des linguistiques structurale et générative lors de la première vague rénovatrice n’a pas fondamentalement modifiées. L’exemple précédemment allégué – entre autres – nous alerte sûrement d’abord sur un certain défaut épistémologique et historique de la linguistique qui n’a pas forcément toujours la mémoire de la discipline, ce qui conduit parfois à des présentations abruptes en termes d’« abandons », de « comblement de manques », etc. Si nous ne pouvons ici développer la solidarité qu’entretiennent ces conceptions de la théorie avec les difficultés que rencontrent les didactiques, on insistera sur l’autre versant de ce complexe biface, à savoir les cadres d’accueil de la didactique pour les « nouveautés » conceptuelles. C’est – me semble-t-il – parce que la tentation est grande dans l’univers de la didactique du français de fonctionner aussi dans des logiques non analysées de substitution – remplacer la grammaire de la langue par la grammaire de texte – que la condamnation par A.-M. Berthonneau et G. Kleiber de la « piste textuelle » peut apparaître dérangeante ; or on sait qu’il n’est pas possible d’éviter, sous peine d’imposer des constats sans les justifier, de rapporter la bipartition arrière-plan/premier plan à une opposition aspectuelle. Cette détermination aspectuelle n’est elle-même qu’un des deux paradigmes explicatifs de l’imparfait, l’autre étant de nature temporelle (l’imparfait fonctionnant comme renvoi global à une entité temporelle du passé, d’où son caractère « anaphorique »). Le problème, en ce cas, est donc moins le recours (plus ou moins actualisé) à des notions des sciences du langage que la décontextualisation de ces notions en didactique du français. Alors même que de nombreux linguistes – mais précisément pas les deux que nous avons cités – ne s’intéressent pas à l’histoire des problèmes pour lesquels ils proposent des solutions et qu’en ce sens ils ne facilitent pas la tâche des didacticiens, c’est à ces mêmes didacticiens qu’il revient de faire le travail de contextualisation, de mise en perspective des concepts et méthodes sous peine d’entretenir, sur le terrain de la formation et de l’enseignement, malentendus et confusions. Je sais que d’aucuns trouvent ces partis pris historiques et épistémologiques éloignés de ce qu’on appelle les « réalités » de la salle de classe qui devraient, nonobstant l’effort théorique, occuper l’horizon du didacticien. Pour ma part, je n’en crois rien. C’est précisément parce que la classe de français comme réalité langagière, sociale et culturelle apporte des paramètres de complexité supplémentaire à la complexité et à l’hétérogénéité des objets d’enseignement, des contenus disciplinaires, que cet effort est tout particulièrement requis de la part des didacticiens.

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Cet effort ne saurait être réduit à l’hygiène des métalangues, au coup d’arrêt donné aux tribulations terminologiques, aspect visible et dérangeant de la multiréférentialité en didactique. On sait que derrière les hésitations sur « typologie des textes » ou « typologie des discours », sur genre et type par exemple, se cache un empilement de problèmes où se trouvent impliquées des conceptions du langage, du social et de l’univers scolaire avec ses modèles rhétoriques, ses normes d’acceptabilité. À chaque fois, autre exemple, que j’entends critiquer les « approches formalistes du texte littéraire dans l’enseignement secondaire », je ne pense qu’à une chose : relisons quelques textes des « formalistes russes » qui ont inspiré ceux qui nous ont inspirés et on verra qu’ils ne sont pas formalistes, que l’attention aux formes littéraires est indissociable des questions liées à la valeur de ces formes, qu’ainsi l’assimilation formalisme/technicisme permet surtout de construire, de manière intéressée, le premier terme d’une dualité dont le second terme serait, avec ses variantes, l’honnête homme, la culture ou le sujet.

D



De quelques avancées pour l’étude de la langue Nous sommes en fait conduits non seulement à montrer la série des réélaborations par lesquelles s’effectuent des passages entre savoirs savants sur la langue et savoirs et savoir-faire linguistiques-scolaires mais souvent à repenser les savoirs mêmes, leur consistance et leurs finalités. Si nous admettons qu’une connaissance de la structure et du fonctionnement de la langue reste un objet majeur des cours, des séquences dites de « français », que l’étude plus ou moins marquée de réflexivité et de conceptualisation des domaines phonétique, orthographique, morphologique, syntaxique, lexical avec l’ensemble des implications sémantiques se justifie de quelque manière que l’on voudra, alors on ne peut échapper aux trois questions suivantes : quelle langue décrire et enseigner ? Quel statut (de validité en particulier) conférer aux explications fournies par l’enseignant ? Quel cadre général, quel type d’organisation choisir pour présenter ces démarches descriptives et explicatives ? De ce point de vue, la réaction anti-applicationniste des didacticiens et pédagogues vis-à-vis des linguistiques ne saurait plus désormais justifier un certain éloignement par rapport aux analyses nouvelles de la langue ou un maintien de catégorisations et explications discutables ou pire encore le retour à des conceptions appauvries et instrumentalistes identifiant la langue à du matériel mis en jeu dans des opérations. Sur le front du corpus travaillé en classe et de son traitement, on constate que la dichotomie oral/scriptural, sur laquelle Jean Peytard nous avait alertés il y a trente ans, n’arrive pas à constituer un principe de classement, d’organisation dans les grammaires dites pédagogiques et dans l’écrasante majorité des pratiques de classe. Nous avons l’idée, depuis les travaux sur la descrip-

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

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tion du français parlé, en particulier ceux menés par le Groupe aixois de recherches en syntaxe (GARS), que les productions orales sont analysables mais aussi que l’outillage grammatical scolaire, qui ne suffit déjà pas pour faire la description de toutes les tournures de la langue écrite, suffit encore moins pour décrire l’ensemble des phénomènes qu’apporte l’observation du parlé. Sur le front des démarches heuristiques dans l’étude de la langue, Bernard Combettes nous avait alertés il y a vingt ans dans un article de Pratiques sur ce qu’il appelait le « nouvel esprit grammatical » songeant en particulier aux « grammaires floues » qu’avaient initiées Georges Lakoff aux États-Unis, Georges Kleiber et Martin Riegel en France. Dès avant cet article, l’esprit avait commencé à souffler et il a continué depuis, dans des directions différentes sans doute sur le plan intrathéorique mais, pour une lecture didactique, dans un sens relativement homogène et qu’on pourrait doublement caractériser : d’une part dans le sens de l’introduction d’une perspective variationniste au sein même du système linguistique ; d’autre part dans le sens d’une articulation entre composantes syntaxiques, lexicales et sémantiques. Or cette double perspective heurte d’une certaine manière l’héritage des grammaires structurale et générative première manière (dont la pédagogisation fut réelle dans les années 1970) et bien sûr le figement de la disposition des savoirs et des formulations de la grammaire scolaire. La critique de la grammaire des parties du discours et des fonctions dès la fin des années 1960 par Maurice Gross par exemple, et l’impulsion de Lakoff reprise par B. Combettes posaient déjà la question de la nature des explications grammaticales et du degré d’application des « règles ». Pour ce qui concerne la variation, on peut se référer au principe polylectal posé dans la recherche conjointe d’Alain Berrendonner, Michel Le Guern et Gilbert Puech (1983), principe appliqué à la variation syntaxique mais aussi lexicale et phonologique. Sans exposer le « modèle », on doit ici rappeler la définition suivante : une grammaire polylectale est une grammaire qui considère que la variation est un trait d’organisation pertinent des systèmes linguistiques et qui prend pour objet toutes les variantes que peut comprendre une langue. Il s’ensuit que les limites du système « langue » doivent être considérées comme indéterminées, d’abord parce qu’elles ne sont perçues empiriquement qu’à travers l’ensemble aléatoire des emplois attestés ; ensuite parce qu’on ne peut, sous peine d’arbitraire injustifiable, faire abstraction a priori de certaines variantes, pour des raisons externes, par exemple normatives. Dans cette logique, c’est la notion de grammaticalité qui perd toute existence au profit du principe d’exhaustivité : est pertinent non pas ce qui est a priori jugé correct mais tout ce qui est attesté. Au-delà de la faisabilité de l’entreprise, ce qui intéresse le didacticien dans cette tentative de traitement interne de la variation linguistique, c’est une forme de « gain épistémologique » qui ne consiste pas seulement dans la relativisation de certaines catégories du discours linguistique-scolaire (la norme, la règle, le

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couple sens/grammaticalité, etc.) mais dans un changement de point de vue sur ce que sont une langue et une grammaire. L’indétermination dans un cas, l’exhaustivité dans l’autre interrogent quelque part la clôture du système – et son excédent non pensé – ainsi que le principe de sélection, dont il faut savoir s’ils sont ou non incontournables dès lors que nous avons affaire aux impératifs de la communication pédagogique. Il est significatif de noter que les linguistes se montrent de plus en plus sensibles à la nécessité de « traiter le flou »1 en constatant d’abord comme une « impossibilité d’achèvement », un « dérèglement du systématique », dès lors par exemple qu’on recenserait en français 200 000 noms composés classables en 500 types… Mais si le travail du linguiste, c’est l’apport permanent de l’empirique, des « exempliers », la confrontation au « réel de la langue » (selon l’expression de Jean-Claude Milner), il appartient au fonctionnement normal de la discipline de pratiquer sans cesse la reformulation des constats descriptifs, des règles, de fournir de nouvelles définitions aux catégories grammaticales ; si « tout est flou et mouvance » en particulier dans le domaine de la locution, si – version épistémologiquement plus forte – l’idiomaticité et la polysémie sont au cœur même de la langue, sommes-nous condamnés à révoquer le concept de « système » ? En réalité, la tentation existe d’utiliser une caricature conceptuelle avec l’opposition simpliste système/variations pour mieux disqualifier le système, encore prisonnier du binarisme de la structure absolument étranger par exemple à l’édifice saussurien. La critique exercée contre la méthodologie structuraliste a évidemment sa pertinence mais elle laisse dans l’ombre la question de savoir exactement ce qui est « flou » (les catégories peut-être) et où réside la systématicité : sontce les opérations mises en œuvre par le linguiste ? Si l’élaboration d’une théorie linguistique est dépendante de l’état de langue, du matériel linguistique à disposition, si par exemple elle doit tenir compte d’un développement sans précédent des clichés langagiers, des rituels, ne met-elle pas en crise les opérations finalement rudimentaires dont nous nous servons : la substitution ou la permutation ? Il y a sans doute à se préoccuper des méthodes de description, des procédures de reconnaissance mais surtout à constater l’écart qui se creuse entre la complexité des descriptions linguistiques et les contraintes de l’enseignement des langues. On sait bien que les grammaires comme objets manufacturés à destination pédagogique et même universitaire – tout comme les dictionnaires – ne peuvent couvrir l’ensemble du domaine de la langue. Et à un moment où les théories linguistiques semblent privilégier leur vocation descriptive sans vouloir à tout prix conférer à leurs élaborations un pouvoir prédictif, on se heurte à une difficulté lourde d’implications pour la didacti1.

Cette expression et les suivantes ont été plusieurs fois employées par divers intervenants lors du Colloque international, La Locution : entre lexique, syntaxe et pragmatique. Identification en corpus, traitement, apprentissage (ENS Fontenay/ Saint-Cloud, 24-26 novembre 1994), rencontre révélatrice à maints égards des avancées descriptives et d’un certain « flou » épistémologique de la linguistique française.

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que. Si l’on travaille sur de l’attesté, comment concilier cette visée avec l’idée de la sélectivité normative, des possibles de la langue entre lesquels le sujet est censé « choisir » ? Et c’est alors la question de l’enseignable, de sa délimitation qui revient en force, question qui taraude l’esprit des didacticiens sans que l’on accepte vraiment de l’affronter sur le terrain de la langue, d’une langue donnée. Le « flou » ou la complexité – comme l’on voudra – induit souvent dans le domaine de l’enseignement/apprentissage de la langue l’idée d’une vanité de la théorisation au lieu d’inciter au redoublement de l’effort conceptuel. Le domaine du vocabulaire semble particulièrement touché par ces formes de découragement alors même que ce biais du traitement de la variation pourrait permettre la prise en compte en didactique du français de certaines recherches lexicales, même si, comme la sémantique du prototype (cf. la présentation qu’en fait G. Kleiber dans l’ouvrage ainsi intitulé, 1990), elles dépassent de loin le cadre de la seule étude de la langue. On peut seulement rappeler, de manière trop rapide pour être suffisamment explicite, que, si dans la tradition classique, on cherche les propriétés communes à des objets qui permettent de proposer une définition de ce qui devient la classe de ces objets, dans l’optique du prototype, le processus de catégorisation n’est plus la découverte d’une règle de classification mais la mise en relief de covariations, de similitudes globales et la formation de prototypes de référence, par exemple « moineau » pour la catégorie « oiseau ». L’un des intérêts d’une telle conception pour notre domaine est la mise en évidence du faible pouvoir descriptif de la théorie traditionnelle de la définition à cause de l’étendue des cas et de l’ampleur des variations ; cette conception porte d’ailleurs tout autant une critique de l’analyse sémique et en particulier des traits sémantiques. Elle montre que la polysémie constitue non pas un accident ou une marginalité mais le processus de dénomination régulier et naturel, caractéristique des langues, qui les éloigne encore une fois – et de manière radicale – de toute assimilation à un code. Nous sommes à un moment où la didactique du vocabulaire cherche des points d’ancrage théoriquement fondés pour circonscrire, si c’est possible, une place pour le lexique dans l’enseignement du français. On sait là aussi qu’il s’agit d’un problème de division des objets à traiter : entre l’apprentissage de la consultation des dictionnaires (et quels dictionnaires ?) et l’enseignement systématique d’une lexicologie (et laquelle ?), entre la dépendance du lexical vis-à-vis du textuel, du culturel et son rattachement à l’édifice grammatical, toutes sortes de solutions didactiques sont explorées, qui se traduisent sur le versant pédagogique par des prises de position concernant la gestion des classes de français mais qui ne peuvent être coupées des grands débats en linguistique sur, par exemple, l’autonomie ou la dépendance du lexical et du syntaxique.

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De ce point de vue, on peut essayer, sans aucunement prétendre que les didacticiens aient vocation à pénétrer la complexité des « modèles » les plus récents, au moins de se représenter les avancées vers ce qu’Anne Abeillé nomme, dans son ouvrage de 1993 consacré aux nouvelles syntaxes, les « grammaires d’unification ». Au moment même où le dispositif grammatical scolaire s’emparait, pour toutes sortes de raisons qu’on peut partiellement analyser, de la notion de transformation, apport des premières versions du chomskysme jusqu’à la « théorie standard étendue » de la fin des années 1970, M. Gross se heurtait, pour l’application au français du modèle transformationnel, à la grande hétérogénéité des items lexicaux et réorientait ses travaux vers une description systématique du comportement des verbes français et, plus généralement, vers l’organisation du lexique sous forme de lexiques-grammaires : la construction de ces lexiques-grammaires par le LADL (Laboratoire d’Automatique Documentaire et Linguistique à Paris VII) consiste à donner pour chaque mot (ou groupe de mots significatifs) du français une description des phrases types qui caractérisent son fonctionnement, et des relations entre ces phrases. Il n’est pas question d’un simple catalogue mais d’une organisation des données qui repose sur les travaux syntaxiques de Harris, auxquels elle ajoute les informations lexicales indispensables sous une forme adéquatement formalisée. C’est qu’il apparaît impossible d’envisager une règle ou une transformation sans prendre en compte les unités lexicales mises en jeu. On ne comprendrait pas sans cela pourquoi certaines transformations comme la transformation passive se trouveraient bloquées dans certains cas. D’où le caractère fondamental des traits sémantiques servant à caractériser les noms dans le lexique-grammaire des verbes. Il est évident qu’une réflexion, aussi rapide soit-elle, à partir de ce type de travaux ne peut pas ne pas questionner la forme même des grammaires et le mode de fonctionnement des dictionnaires, ne pas non plus affecter les démarches explicatives. D’ailleurs, la critique du modèle transformationnel n’a cessé de se développer à partir d’horizons différents et d’abord au sein même du paradigme chomskyen. La conception de la modularité des théories grammaticales comme ensembles scindés en plusieurs sous-systèmes autonomes et cohérents constitue chez Noam Chomsky (1982, traduction française en 1987) une des réponses possibles à l’interrogation sur les rapports de la syntaxe et du lexique : les formes syntaxiques sont-elles intégralement déterminées par les caractéristiques lexicales des unités ? Ou ontelles une définition et un mode de fonctionnement en partie autonomes par rapport au lexique ? Qu’on soit au niveau de la grammaire universelle qui situe les sources de la variation des langues entre elles dans les différents sous-systèmes qui composent le dispositif grammatical ou au niveau de la grammaire d’une langue qui situe cette variation dans la stratification des lectes, le bénéfice, me semble-t-il, dans tous les cas pour une didactique de la langue/des langues, c’est la compréhension toujours renouvelée de ce qu’est une langue comme système, comme « système de systèmes ».

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On n’a pas eu pour ambition de faire un « tour d’horizon » des nouvelles démarches en sciences du langage mais seulement de souligner que si les conceptions du langage portent des enjeux didactiques, c’est aussi le fait des conceptions de la structure et du fonctionnement des langues. On ne saurait se contenter en didactique du français de poser que la langue est un système pour mieux ne pas en tirer les conséquences sur son usage, sa mise en œuvre. Les avancées conceptualisatrices dans cette didactique devraient permettre un effacement de la vindicte anti-applicationniste s’exerçant surtout au détriment de la linguistique pour que se continue une des richesses intellectuelles de la tradition française et francophone, à savoir l’implication des spécialistes des sciences du langage dans les problèmes d’enseignement/apprentissage des langues. La poursuite de ce mouvement suppose en retour que ces mêmes spécialistes ne restent pas sourds au renouvellement des problématiques didactiques et ne confondent pas l’état actuel de la discipline « français » avec leurs lointains souvenirs d’écoliers ou de lycéens… Alors même que, dans les sciences de la nature et de la vie, on reconnaît volontiers que le passage par l’enseignement, par la formulation transmissible des états de la recherche ne reste pas sans effet sur les éventuels infléchissements de ladite recherche, dans les sciences humaines – et spécifiquement celles où s’interpénètrent langage et éducation –, la recomposition conceptuelle des savoirs, la redéfinition des objets et de leurs approches possibles ne sauraient ignorer les contraintes de l’enseignable et les avatars de la transmission. Qu’il s’agisse des logiques de la « communication », des fonctions de l’écrit, des « contenus » grammaticaux et lexicaux, les chercheurs en didactique du français peuvent s’inspirer du mot de D. H. Hymes selon lequel « ce qui importe à la linguistique va bien au-delà de la linguistique elle-même ».

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Dominique-Guy BRASSART

Les choses semblent ainsi faites que la réflexion de type scientifique sur l’éducation, sur la transmission-acquisition scolaire des savoirs et des savoirfaire ne paraît envisageable que grâce aux avancées d’une science ou de sciences qui n’ont pas comme objet premier et prioritaire les apprentissages scolaires. Faute d’une science de l’éducation – projet auquel la communauté des chercheurs en sciences de l’éducation a renoncé –, la légitimité est recherchée du côté d’une science pilote qui, le plus souvent, considère le domaine de l’école comme une de ses provinces sur laquelle elle peut exercer ses visées hégémoniques et étendre son empire. Cette situation n’est pas nouvelle. L’argumentation développée par E. Durkheim (1922) au profit de la sociologie (telle qu’il la conçoit) est à cet égard exemplaire. Dans un premier temps, c’est à l’Éducation, et à la psychologie que E. Durkheim réfère la pédagogie, cette « théorie pratique » qui réfléchit aux pratiques éducatives (scolaires, familiales) non pas seulement pour les connaître de manière désintéressée (ce que serait la science de l’éducation à constituer) mais pour les évaluer et déterminer ce qui doit être. La pédagogie peut prendre appui sur la sociologie pour déterminer les fins de l’éducation, et sur la psychologie pour tout ce qui regarde les moyens. Mais bien vite, le propos de E. Durkheim consiste à minorer l’apport possible de la psychologie au bénéfice de la sociologie. L’éducation étant chose éminemment sociale, par ses origines comme par ses fonctions, la pédagogie

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Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ?



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dépend donc plus étroitement de la sociologie que de toute autre science : tel est « le postulat même de toute spéculation pédagogique » (E. Durkheim, 1922-1903, p. 92). La psychologie comme science qui a pour objet de décrire et d’expliquer « l’homme individuel » est une ressource insuffisante pour le pédagogue, y compris dans la détermination des moyens pour atteindre les fins : « parce que les fins de l’éducation sont sociales, les moyens par lesquels ces fins peuvent être atteintes doivent nécessairement avoir le même caractère », c’est la sociologie qui, en tant que science des institutions sociales, aide à comprendre ce que sont ou à conjecturer ce que doivent être les institutions pédagogiques en tant que microcosmes sociaux. Et E. Durkheim de mettre en garde les « messieurs » à qui il s’adresse à l’égard de la psychologie scientifique naissante et, on peut le supposer, des recherches comme celles conduites par A. Binet : « Vous voyez donc avec quelle prudence et quelle mesure, même quand il s’agit de la détermination des méthodes, il convient d’utiliser les données de la psychologie. À elle seule, elle ne saurait nous fournir les éléments nécessaires à la construction d’une technique qui, par définition, a son prototype, non dans l’individu mais dans la collectivité » (E. Durkheim, 1922, p. 109). D’une certaine façon, J. Piaget (1969) répond à E. Durkheim. Contre la thèse soutenue par Dottrens de l’indépendance complète de la pédagogie expérimentale, il milite en faveur d’une nécessaire collaboration avec la psychologie de l’enfant, dès lors du moins que la pédagogie expérimentale ne se contente pas de constater « positivement », empiriquement des phénomènes d’apprentissage scolaire. « Si la pédagogie expérimentale veut comprendre ce qu’elle fait et compléter ses constatations par des interprétations causales ou “explications”, il est évident qu’il lui faudra recourir à une psychologie précise et non pas simplement à celle du sens commun. […] La pédagogie expérimentale ou l’étude des programmes et des méthodes a besoin de la psychologie au même titre que la médecine repose sur la biologie ou la physiologie sans se confondre avec elle » (J. Piaget, 1969, pp. 39 et 40). On notera cependant que J. Piaget adopte une position moins dogmatique et impérialiste que E. Durkheim. D’une part, la pédagogie expérimentale peut être une science indépendante quant à son objet d’étude. D’autre part, si elle peut progresser vers le statut de « vraie science », c’est grâce à des recherches interdisciplinaires, qui impliquent, sans exclusive a priori, la psychologie et ses domaines. Nous n’avons pas l’ambition de participer à notre tour à ces disputes prestigieuses. Nous voudrions, plus modestement, évoquer l’intérêt que présente l’approche cognitiviste, telle que nous la concevons, pour la construction de ce qui pourrait être une didactique théorique ou scientifique du français. Nous voudrions également montrer que cette approche ne devrait pas se figer en une posture dogmatique, en une utopie totalitaire, ni dégénérer en un slogan adressé aux enseignants : « il n’y a qu’à… ». Il nous semble en effet que la didactique des disciplines ne peut pas tout régler à l’école, qu’elle

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n’est pas la solution miraculeuse aux problèmes éducatifs. La didactique théorique ne peut réellement prétendre dire ce qu’il faut faire ici et maintenant, régler le détail des pratiques didactiques quotidiennes. En ce sens, la didactique de terrain n’est pas une application de la didactique de recherche, mais, au mieux, une transposition interne par des professionnels de l’enseignement qui devraient être les concepteurs de leurs pratiques. Et même quand la didactique théorique imagine des cycles d’interventions didactiques et les teste dans des classes, la réappropriation des résultats de ces recherches par les enseignants passe par des processus d’affiliation, d’enrôlement et de croyance, processus sans lesquels l’implication professionnelle et personnelle ne paraît pas possible, mais qui échappent dans une large mesure au pouvoir de la didactique théorique. Ne s’agit-il pas en fait pour la didactique scientifique, comme pour toute démarche scientifique, de construire des objets de connaissance qui ne prétendent pas « épuiser le réel » en ce qu’ils ne sont pas des copies des objets « naturels » qu’il suffirait d’observer naïvement, sans modèle théorique ? Et si le « tout » n’est pas connaissable scientifiquement, c’est-à-dire explicable ou descriptible dans le cadre d’une structure analytique de variables et de mécanismes, ne convient-il pas d’accepter, en connaissance de cause, les simplifications voire le réductionnisme de la distance et de l’abstraction épistémiques dans le cadre d’un paradigme ?

A



« Révolution cognitive » et didactique des disciplines Quel est, fondamentalement, le sens du paradigme proposé par la « révolution cognitive des années cinquante » ? Pour ses « inventeurs » comme Bruner, « la révolution cognitive […] avait l’ambition de ramener l’esprit dans le giron des sciences humaines, d’où l’avait chassé le long hiver glacé de l’objectivisme. […] C’était un effort acharné pour mettre la signification au centre de la psychologie. [… Ils] voul[aient] découvrir et décrire formellement les significations que l’être humain crée au contact du monde, et émettre des hypothèses sur les processus à l’œuvre dans cette création. [Ils] voul[aient)] étudier les activités symboliques que l’homme utilise pour construire et donner un sens au monde qui l’entoure et à sa propre existence. » (J.S. Bruner, 1991, pp. 17-18). Travailler dans le cadre de ce paradigme, c’est en effet souhaiter ne pas limiter l’investigation scientifique aux seuls faits directement observables et plus ou moins contrôlables – la situation et les stimuli d’entrée auxquels est soumis l’organisme du sujet et les comportements ou conduites qu’il manifeste en guise de réponse –, et ne pas renvoyer à une « boîte noire » impénétrable les opérations mentales par lesquelles sont traités les stimuli et produites les

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Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ?



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

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réponses. Par opposition au paradigme behavioriste classique, l’approche cognitiviste estime qu’il est possible, sous certaines conditions, de connaître scientifiquement ce qui n’est pas directement observable. Elle s’intéresse donc aussi à cette « boîte noire » et cherche à modéliser les processus mentaux que mettent en œuvre les sujets, conçus comme « systèmes de traitement de l’information », pour accomplir des tâches (cf. J. Lautrey, 1982 ; P.H. Lindsay & D.A. Norman, 1980, entre autres). Ces modélisations sont des constructions hypothétiques, des simulations par inférence de ce qui se passe réellement dans « la tête des gens » et qui reste évidemment « intouchable », inobservable directement. Leur plausibilité psychologique doit être testée, « démontrée » ou « prouvée » par le recours à des expérimentations, si l’on veut essayer d’échapper aux limites et aux illusions possibles de l’introspection de la psychologie naissante qui avaient provoqué la réaction behavioriste. Les chercheurs s’efforcent alors de contrôler aussi finement que possible un grand nombre de paramètres pour faire jouer quelques variables indépendantes (âge des sujets, type d’organisation ou de présentation de l’information source…) et comparer les effets prévus par le modèle avec les effets constatés sur des variables dépendantes (temps de réaction, de traitement, de production, rythme temporel du traitement, fréquence, répartition et durée des « pauses », nature et organisation des informations rappelées dans le protocole de rappel ou de résumé par rapport à l’information source, réponses à des questions…). Ils peuvent également recueillir et analyser des « protocoles verbaux » (J.R. Hayes & L. Flower, 1980 ; J.M. Hoc, 1984 ; V. Gufoni, 1995 et 1996), des « entretiens d’explicitation » (P. Vermersch, 1994) en demandant aux sujets d’évoquer et de dire leurs contenus de pensée en cours de tâche ou après son accomplissement. Mais même quand les résultats ainsi obtenus confortent sinon confirment les hypothèses que permet la modélisation et les options qui la sous-tendent, rien n’autorise à dire pour autant que ces modélisations psychologiquement plausibles sont « vraies », i.e. qu’elles constituent une représentation réaliste, une « photographie » de ce qui se passe « dans la tête » des sujets : la carte n’est pas le territoire. C’est d’ailleurs pourquoi il est possible que deux voire plusieurs modèles théoriques rendent compte de manière également valide d’un même traitement cognitif. On imagine assez facilement comment les didactiques (théoriques) des disciplines peuvent tenter de se construire dans le cadre du paradigme cognitiviste, grâce à l’articulation de trois types de modèles spécifiques au domaine disciplinaire (D.G. Brassart, 1990 ; D. Bain & B. Schneuwly, 1993) : – un modèle de l’expertise qui rendrait compte des divers connaissances et processus mis en œuvre par les sujets compétents pour accomplir telle ou telle classe de tâches et qui, en quelque sorte, constituerait l’horizon plus ou moins lointain des interventions didactiques en classe ;

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– un modèle du développement-apprentissage qui « décrirait » les étapes par lesquelles les sujets novices passeraient pour se rapprocher plus ou moins de telle ou telle expertise et expliquerait les modalités de passage d’une phase à l’autre ; – un modèle de l’intervention didactique qui, en fonction du modèle du développement-apprentissage, définirait et validerait des « cycles didactiques », des ensembles d’activités didactiques facilitant le passage d’une conduite de traitement d’une classe de tâches à une autre conduite moins « primitive », plus proche des conduites cognitives expertes. En fait, la réalisation d’un tel programme est, en ce qui concerne du moins la didactique du français, bien plus complexe qu’on pourrait le penser à la lecture de cette présentation simpliste. D’une part en effet le traitement cognitif des tâches langagières met en jeu plusieurs types de connaissances qu’il convient de distinguer et d’articuler à la fois. D’autre part et surtout, contrairement à ce que laisse entendre la vulgarisation rapide de certains résultats de la recherche en psycholinguistique cognitive, il n’y a pas un mais des modèles distincts de l’expertise langagière, du développement-apprentissage des conduites langagières, de l’intervention didactique. Cette pluralité de modèles ne devrait pas être négligée mais au contraire intégrée à une réflexion didactique qui ne serait pas un simple applicationnisme.

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Connaissances déclaratives, connaissances procédurales Depuis les années 1970, l’enseignement du français (à l’école primaire et au collège, au moins) se donne explicitement comme objectif général premier le développement des compétences langagières des élèves, de leurs capacités à produire et comprendre des textes et discours dans des situations variées, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. Comme on le dit quasi systématiquement dans les Instructions officielles des années 1970-1980, il s’agit de « rendre les élèves capables de communiquer et de s’exprimer avec aisance, clarté et correction, oralement et par écrit, dans la langue d’aujourd’hui ». Si l’on accepte la distinction entre connaissances ou représentations déclaratives (elles sont d’ordre verbal, s’apprennent vite, sont explicites et sont directement accessibles via leur codage propositionnel en mémoire) et connaissances ou représentations procédurales (elles relèvent de l’action – non pas seulement motrice, mais aussi mentale ou cognitive –, demandent un apprentissage long, sont implicites ou inconscientes et sont difficilement accessibles. cf. J.-M. Hoc, 1987, 1990 ; J. Tardif, 1992), il est clair que ce sont des savoir-faire, des savoir « comment… », des connaissances procédurales qui sont visés, et non des connaissances déclaratives propositionnelles, des savoir « que… ».

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

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Le traitement cognitif des textes met bien en jeu des connaissances déclaratives « factuelles » relatives au domaine thématique évoqué (C. McCutchen, 1986 ; C. Bereiter & M. Scardamalia, 1985, 1987), mais la compétence textuelle elle-même est de l’ordre des savoir-faire et des connaissances procédurales, ou stratégiques étant donnée la complexité des tâches (M. Fayol, 1993 ; M. Fayol & J.-M. Monteil, 1994). Cependant, le développement-acquisition de la compétence textuelle passe sans doute par une ou des phases métaprocédurales (A. Karmiloff-Smith, 1986, 1993) et s’accompagne d’un développement métacognitif (J.H. Flavell, 1985, p. 31), même si les effets de cette « activité méta » ne sont pas nécessairement toujours conscients ni verbalisables en un « comment j’ai fait pour… » et peuvent rester épilangagiers (A. Karmiloff-Smith, 1979, 1993 ; A. Culioli, 1976). La dichotomie « déclaratif/procédural » doit donc être modulée et complexifiée. Soit les énoncés suivants (J.-P. Fisher, 1992, p. 22, cités par J. Fijalkow, 1995) : 1. « Un cercle est un ensemble de points équidistants d’un point donné » (dans un plan, et non dans l’espace…). 2. « Pour construire un cercle, tourner le compas avec un bras fixé jusqu’à ce que l’autre bras soit revenu à son point de départ » (avec un écartement constant…). L’énoncé 1 est présenté comme un exemple type de « définition déclarative », l’énoncé 2 comme un exemple type de « définition procédurale ». En réalité, il nous semble que l’énoncé 2 a un statut ambigu. S’agit-il d’un énoncé produit par un chercheur-observateur pour nommer une connaissance procédurale mise en œuvre par un sujet agissant et disponible dans la mémoire à long terme de ce dernier sous une forme non propositionnelle, non verbale (schème d’action ou de conduite) ? S’agit-il d’une connaissance déclarative métaprocédurale produite conjoncturellement par le sujet agissant qui prend conscience (réflexivement, J. Piaget 1974a et b) de sa conduite effective et la décrit verbalement ? S’agit-il d’une connaissance déclarative métaprocédurale décontextualisée et mémorisée par le sujet agissant suite à une série d’activités de traçage ? S’agit-il d’une connaissance déclarative objectivement disponible et susceptible d’être transmise verbalement à un sujet pour guider/contrôler sa conduite (cf. la présentation par J.-P. Bronckart (1977, pp. 73-79) des travaux de Luria dans le cadre de la théorie VygotskiLuria) ? Pour le domaine des conduites langagières et des objets linguistiques, on peut essayer de situer et d’articuler les diverses modalités de connaissances ou de représentations déclaratives à l’aide du tableau suivant :

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SUBJECTIVE (je-vraie)

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OBJECTIVE (on/nous-vraie)

Spécifique

Générique

Générique

métalinguistique

(x ?)

x

x

métaprocédurale

x

x

x

On distingue d’abord objets linguistiques (phrase, texte, etc.) et conduites cognitives (procédures, stratégies) de traitement (production, compréhension) des objets langagiers par des sujets et, par extension, les connaissances ou représentations déclaratives qui les évoquent : les connaissances déclaratives métalinguistiques et les connaissances déclaratives métaprocédurales. On identifie ensuite les « agents ou instances cognitifs » qui portent et énoncent ces connaissances. Les connaissances « subjectives » sont énoncées, en son nom personnel, par un sujet qui les considère comme propres à lui et vraies pour lui. Il peut s’agir de représentations génériques, relatives à des classes d’objets linguistiques ou de conduites langagières : on peut parler ici de « conceptions ». Il peut s’agir également de représentations spécifiques ou « token » évoquées à propos d’un événement langagier circonstanciel. Les connaissances « objectives » sont considérées ici comme des « représentations sociales », propres à un groupe socioculturel et vraies pour les membres de ce groupe (nous-vraies), ou comme des connaissances scientifiques, par principe universellement vraies (on-vraies) même si elles sont produites et portées par une communauté scientifique. Ces catégorisations heuristiques appellent des commentaires et permettent de poser une série de questions. La distinction « métalinguistique/métaprocédurale » est issue du fait que des modèles métalinguistiques des objets ne valent pas modèles du traitement cognitif de ces objets par des sujets. Cette position est clairement revendiquée et assumée par les linguistes « structuralistes » qui, depuis Saussure, définissent la spécificité de leur objet d’étude par le principe d’immanence, entre autres. Dans ce cadre épistémologique, les linguistes n’ont pas à se poser la question de la pertinence psychologique de leurs théories et descriptions de la langue. Ce choix est d’ailleurs indépendant de la nature et de la « taille » des unités qui sont retenues comme linguistiquement connaissables : il s’applique aussi bien aux linguistiques phrastiques qu’aux linguistiques textuelles. Par exemple, les « superstructures typologiques » qui décrivent les propriétés d’organisation interne des objets linguistiques

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connaissance/ représentation déclarative





DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

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« textes » (voir les travaux de J.-M. Adam) ne sont pas directement assimilables aux « schémas textuels prototypiques » comme représentations cognitives, même si les formalisations « savantes » qui en sont proposées sont très voisines sinon identiques. Ces deux notions ne relèvent pas du même « régime » ni du même « mode » de connaissance. Du point de vue des connaissances « subjectives », cela signifie que les connaissances déclaratives métalinguistiques, acquises socioculturellement et/ ou transmises par l’école, n’ont pas en elles-mêmes valeur fonctionnelle et procédurale. Elles peuvent sans doute être mobilisées comme critères de bonne formation plus ou moins explicites dans des opérations d’évaluation des objets linguistiques produits, et être enseignées dans une perspective d’évaluation formative (C. Garcia, 1990 ; D. Bain & B. Schneuwly, 1993). En revanche, la planification du traitement textuel en production, en rappel voire en compréhension mobiliserait stratégiquement des connaissances schématiques, des schèmes de conduites textuelles prototypiques, qui, éventuellement, peuvent donner lieu à prise de conscience et à verbalisation métaprocédurale (J.R. Hayes & L. Flower, 1980 ; É. Espéret, 1991). D’autre part, la catégorisation proposée conduit à s’interroger sur les distinctions « intercolonnes », sur les relations possibles entre les différentes modalités de connaissances ou représentations déclaratives métaprocédurales. La verbalisation des connaissances métaprocédurales subjectives spécifiques peut être provoquée par la technique des protocoles verbaux (J.R. Hayes & L. Flower, 1980 ; V. Gufoni, 1995), ou par celle des entretiens d’explicitation (P. Vermersch, 1994). Les sujets sont invités et encouragés à évoquer ou à se remémorer verbalement les représentations cognitives « token », les contenus de pensée qui « accompagnent » ou « ont accompagné » leur action au cours d’une tâche particulière. Il convient cependant de souligner que l’on n’obtient pas le même type de verbalisation en réponse à une demande d’explicitation (« comment j’ai fait pour… ») ou d’explication (« comment je fais en général pour… », « pourquoi j’ai procédé de cette manière… ») qui déclenche une verbalisation générique. Les « conceptions » génériques verbalisées par les sujets sont, quant à elles, à la fois « subjectives » et « objectives » en ce sens qu’elles reflètent une certaine généralisation réflexive des procédures et stratégies effectivement mises en œuvre par les sujets, et l’influence des connaissances métaprocédurales objectives : les représentations sociales ou « ethno-méthodes » qui « circulent » dans un groupe social, voire les théories ou modèles scientifiques plus ou moins vulgarisés. Dans ces conditions, les approches cognitivistes (orientées vers les conduites effectives et les représentations subjectives) et sociologiques (orientées vers les pratiques habituelles et les représentations sociales) ne se recoupent que partiellement et peuvent ainsi se compléter. On peut cependant se

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demander si l’approche sociologique peut rendre compte des conduites effectives des sujets. Peut-on définir des compétences scripturales « opérationnelles » à travers l’analyse de corpus de textes et le dépouillement d’une enquête sur les représentations sociales, génériques donc, de l’écrit (M. Dabène, 1987) ? Peut-on définir, comme le fait par exemple B. Lahire (1991, 1993a), des « modes d’appropriation populaires des textes » à partir de descriptions génériques par les sujets de leurs pratiques de lecture, en l’occurrence des types de documents lus, des objectifs ou intentions attachés à cette lecture, des conditions matérielles de lecture, etc. ? Il y a, à tout le moins, ambiguïté sur le mot « appropriation ». Plus largement, c’est la question de l’influence des représentations sociales sur les conduites cognitives effectives qui n’est pas pleinement clarifiée, même dans le cadre d’une possible « psychologie sociale du fonctionnement cognitif » (J.-M. Monteil, 1991). Des enquêtes sociologiques comme celles de B. Lahire (1993b, 1994) redécouvrent que certaines représentations sociales de l’écrit sont des obstacles à l’apprentissage rapide et efficace de la lecture et de l’écriture. Ces représentations socioculturelles obstacles redoublent les « conceptions confuses » de l’écrit mises en évidence par les travaux de E. Ferreiro et peuvent/doivent faire l’objet, à l’école, d’un travail de « clarification cognitive » (J. Downing & J. Fijalkow, 1984 ; J. Downing, 1986). Elles ne permettent cependant pas d’affirmer, comme on aurait pu s’y attendre, que les enfants apprennent à lire-écrire différemment en fonction de leur origine socioculturelle. Les évaluations de B. Lahire (comme celles de M. Brossard et al., 1987 ; É. Espéret, 1979, M. Brossard et al., 1978, par exemple) enregistrent classiquement des écarts de performance sensibles entre les groupes d’élèves, mais ces écarts sont interprétés comme des retards relatifs dans l’apprentissage et non comme la trace de processus d’apprentissage différents. À partir de ces réflexions, deux types d’interventions didactiques sensiblement différents voire contradictoires ont été conçus et mis en œuvre pour viser les objectifs généraux de l’enseignement de la langue maternelle qui ont été énoncés plus haut. Dans un premier modèle, on considère que les connaissances procédurales ne peuvent résulter que de l’activité elle-même, les verbalisations et connaissances métaprocédurales n’intervenant que secondairement. C’est dans cette perspective que nous avons essayé de définir les éléments de ce que nous appelions une « didactique cognitive du français langue maternelle » – « didactique (cognitive) procédurale » est plus juste –, et de critiquer l’application de la notion de transposition didactique à la didactique du français (D.G. Brassart, 1987, 1990, 1993). Dans le second modèle, on estime qu’il est possible d’enseigner directement les procédures et stratégies cognitives de traitement langagier en misant sur la procéduralisation des connaissances déclaratives métaprocédurales savantes transposées. Il n’y a donc pas, il faut le souligner, un modèle unique et unifié de l’intervention didactique inspiré par l’approche cognitiviste.

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Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ?

C





DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

« À connaissances procédurales, didactique procédurale »

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L’argumentation sous-jacente au modèle procédural part d’un constat apparemment trivial. La didactique du français langue maternelle vise à ce que les apprenants maîtrisent à terme les compétences langagières des experts, et non pas à transmettre les théories (même transposées) de l’expertise langagière. Enseigner le français, ce n’est pas faire un cours ni même des travaux pratiques de psycholinguistique. Former ne se réduit pas à informer. Apprendre sa langue maternelle ne peut consister à s’approprier le savoir du linguiste ou du psycho-socio-linguiste, qui ne sont pas, en l’occurrence, des experts « ordinaires ». Dès lors qu’enseigner ne se réduit pas à renseigner, former à énoncer des informations que les élèves se contenteraient de recevoir et de restituer sans nécessairement les comprendre, dès lors qu’enseigner vise, au moins, à construire des savoir-faire chez les apprenants, on se trouve nécessairement confronté à un paradoxe. Comment acquiert-on un savoir-faire ? Comment l’apprentissage débouchet-il sur une compétence, c’est-à-dire sur un savoir-faire intelligent qui n’est pas seulement une habitude, « la reproduction des conduites acquises, mais l’aptitude à les adapter à des cas nouveaux, à les modifier en fonction de situations insolites » (O. Reboul, 1980, p. 42) ? Comment, par exemple, les enfants « passent-ils » de l’échange conversationnel oral, activité langagière coopérative, à la composition écrite, activité langagière monologale, travail solitaire qui impose au scripteur d’assurer sur ses seules ressources cognitives la construction d’un énoncé en principe complet et autonome, et donc, le plus souvent, plus long qu’un tour de parole oral (C. Bereiter & M. Scardamalia, 1982) ? Au regard d’une certaine théorie du traitement des textes, il est légitime de penser que l’on apprend à écrire des textes en apprenant, entre autres, des connaissances de haut niveau, des schémas textuels étendus qui guident le rédacteur dans la sélection et l’organisation des éléments pertinents, qui lui indiquent ce qu’il doit faire pour poursuivre (M. Scardamalia et al., 1982, p. 189). Pour partie, ces schémas peuvent être acquis à travers l’écoute et la lecture de textes ou de corpus de textes auxquels les enfants sont exposés, ou encore par l’internalisation des questions et demandes d’explicitation, de « dilatation », formulées par des adultes ou des pairs dans les interactions orales quotidiennes (M. Fayol, 1987, pp. 234-235). Mais, pour que les schémas deviennent fonctionnels dans la production langagière, ils doivent également se développer par l’usage, par une activité constructive (M. Scardamalia et al., 1982, p. 189). Comment dès lors un enfant novice qui écrit des textes de vingt mots seulement développera-t-il sa pratique des

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schémas textuels ? Variante du paradoxe du forgeron, « pour qu’un enfant apprenne comment produire plus, il doit déjà produire plus » (M. Scardamalia et al., 1982, p. 189). C’est en faisant que l’on apprend puisque, à la différence de l’information, l’apprentissage implique l’activité, mais plus précisément en faisant ce qu’il convient justement d’apprendre : « il faut faire ce que l’on ne sait pas faire pour apprendre à le faire » (O. Reboul, 1980, p. 42) ! Toute tâche n’est cependant pas en elle-même créatrice d’une situation de résolution de problème ou d’apprentissage. On observe en effet souvent que les jeunes enfants ne sont pas bloqués par la tâche qu’on leur propose, mais au contraire avancent avec confiance des solutions à ce qu’ils perçoivent comme des problèmes simples. Ils surestiment leurs capacités réelles (D. Chartier & J. Lautrey, 1992, p. 31). C’est que, placés dans la même situation « objective » de tâche, les sujets s’en construisent des représentations différentes en tant que problèmes, selon leur âge et/ou le niveau de leur développement. « Le développement cognitif est “réfléchi” par des représentations de problème plus complexes et pas seulement par des stratégies de résolutions plus complexes » (C. Bereiter & M. Scardamalia, 1982, p. 49). Dès lors, une des directions majeures de l’intervention didactique procédurale consiste à proposer aux enfants des aides, des facilitations qui leur permettraient de travailler dans des « espaces de problèmes » plus complexes que ceux dans lesquels ils peuvent normalement agir. Serait ainsi « résolu » le paradoxe de l’apprentissage. Deux types de limitations peuvent empêcher les enfants de se représenter la tâche comme un problème complexe et donc de la traiter avec une efficacité jugée suffisante (C. Bereiter & M. Scardamalia, 1982). D’une part, des limitations dites « conceptuelles » : certaines variables du problème peuvent ne pas être connues de l’enfant. D’autre part, des limitations dites « fonctionnelles » : l’enfant sait que telle variable est pertinente mais est incapable d’en faire quoi que ce soit, si bien qu’elle ne joue aucun rôle fonctionnel dans la représentation et la résolution du problème. Si les élèves sont effectivement gênés par des limitations conceptuelles, ils possèdent cependant en même temps certaines connaissances de ce type – sur les structures des textes par exemple – qu’ils sont incapables d’utiliser fonctionnellement. Aider les élèves à surmonter ces limitations fonctionnelles apparaît ainsi comme un moyen possible de développer chez eux des représentations complexes de problèmes. Cela devrait leur permettre de tirer parti des capacités qu’ils ont déjà pour conceptualiser la tâche et ses composantes, mais aussi les rendre plus à même d’assimiler de nouvelles connaissances conceptuelles sur les tâches. C. Bereiter et M. Scardamalia appellent « facilitation procédurale » tout dispositif qui tend à réduire les charges de traitement imposées par l’exécution d’une tâche et qui permet aux élèves de faire un usage plus complet des savoirs et savoir-faire qu’ils ont déjà en dépassant leurs limitations fonctionnelles.

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

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Soit l’exemple classique de l’enfant qui apprend à faire du vélo. Une première forme de facilitation, fragmentaire, pourrait concerner l’aspect conceptuel du problème : l’instructeur peut essayer d’enseigner directement de nouvelles stratégies à l’enfant en lui disant, par exemple, de regarder loin devant lui et non pas la roue de devant ou le pédalier. Une autre forme de facilitation, dite « substantive », pourrait conduire l’instructeur à entrer dans la tâche au titre de collaborateur direct : il tiendrait la bicyclette en équilibre pendant que l’apprenti pédalerait, ou, variante « déshumanisée » possible, il pourrait ajouter deux petites roues à l’arrière et transformer le vélo en quasi tricycle. Le risque de ce type de facilitation est bien évidemment de ne pas permettre à l’apprenant de faire face seul, une fois lâché, aux aspects critiques de la situation. Une facilitation procédurale consisterait à commencer l’apprentissage avec une bicyclette qui aurait un centre de gravité très bas et de gros pneus. L’enfant étant censé déjà maîtriser certaines formes de l’équilibre, il pourrait mobiliser cette maîtrise partielle dans une action qui consiste réellement à rouler à bicyclette, c’est-à-dire à faire ce qu’il essaie d’apprendre. Cette maîtrise serait ensuite développée en relevant le centre de gravité de la machine. Dans le même ordre d’idée, on parle, pour les activités physiques complexes, de holon, de « réductions des activités ». Par exemple, on propose aux débutants des skis plus courts et plus larges que ceux des experts, on joue au volley-ball à trois après avoir modifié certaines règles, on joue au tennisballon pour développer certaines capacités complexes utiles au football. « Un holon est une activité réduite, plus simple et plus facile que l’activitébut. Mais, à la différence des décompositions analytiques des tâches en phases ou gestes techniques auxquels on entraîne spécifiquement l’apprenant (avec ensuite de possibles difficultés de « synthèse », d’enchaînement de ces micro-actes « sémantiquement » pauvres), il garde les caractéristiques de la tâche-but, en particulier sa fonctionnalité et sa complexité » (B. Pinon, 1980, p. 54 ; voir aussi J.-L. Le Moigne, 1984, p. 107, note 1). On retrouve ici certains aspects de la problématique de L.S. Vygotski (1985, passim) et de ses thèses sur les rapports entre développement et apprentissage scolaire. « La pédagogie, disait-il, (la didactique dirions-nous aujourd’hui ?) doit s’orienter non sur l’hier, mais sur le demain du développement de l’enfant ». « L’apprentissage scolaire peut non seulement suivre le développement, marcher au même pas que lui, mais il peut le devancer, le faire progresser en suscitant en lui de nouvelles fonctions » ou plutôt « l’enseignement doit s’appuyer sur la zone de proche développement, sur les fonctions encore immatures ». En effet, « l’enfant apprend à l’école non pas ce qu’il sait faire tout seul, mais ce qu’il ne sait pas encore faire, ce qui lui est accessible en collaboration avec le maître et sous sa direction » car, « en collaboration et avec l’aide de quelqu’un l’enfant peut toujours faire plus et résoudre des problèmes plus difficiles que lorsqu’il agit seul ». « Ce que l’enfant sait faire aujourd’hui en collaboration, il saura le faire tout seul

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demain ». Ainsi, « l’apprentissage devance toujours, pour l’essentiel, le développement » et « l’apprentissage scolaire est en quelque sorte la superstructure de la maturité ». Ces options, qui sont aussi celles d’un J. Bruner (l’interaction de tutelle, 1983, 1987), s’éloignent très sensiblement de certaines dérives d’une « psychopédagogie » attentiste ou purement incitative. Elles sont censées fonder la légitimité de l’intervention didactique procédurale.

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Didactique déclarative : la procéduralisation des connaissances déclaratives L’idée même de procéduralisation des connaissances déclaratives n’est assurément pas nouvelle. Elle fonde les pédagogies transmissives dans lesquelles le maître fait d’abord une leçon, énonce verbalement les « procédures » à suivre pour réaliser une tâche, montre leur mise en œuvre sur un exemple, puis invite les élèves à les pratiquer dans des exercices d’application en espérant qu’ils pourront les réinvestir dans des devoirs de contrôle voire les transférer dans des tâches plus complexes. J.R. Anderson (1982, 1983 ; F. Testu, 1991 ; J. Tardif, 1992, pp. 357-367 ; J.-M. Hoc, 1987, pp. 70-71) a décrit ce processus de procéduralisation de connaissances déclaratives métaprocédurales génériques en analysant comment les élèves mettent en œuvre des méthodes (de résolution de problème mathématique) présentées dans des manuels scolaires. Il distingue trois phases. La phase « déclarative » se caractérise par une mise en œuvre lente, pas à pas, avec des retours fréquents à l’énoncé déclaratif de la méthode à suivre, des répétitions mentales et de nombreuses verbalisations. Elle est suivie par une phase de « compilation » des connaissances déclaratives métaprocédurales grâce à l’entraînement et l’application répétée de la méthode. Lors de cette phase, sont mis en œuvre des processus de « composition » : plusieurs règles qui sont toujours exécutées dans le même ordre, sont rassemblées, « résumées » en une seule règle, et des processus de « procéduralisation » : des règles d’actions ou procédures sont construites qui permettent d’éviter le rappel en mémoire de travail des connaissances déclaratives. Enfin, la phase « procédurale » est atteinte qui accélère encore l’exécution de la procédure. On l’aura noté, la procéduralisation dont il vient d’être question s’applique à des problèmes bien définis (comme en mathématiques), qui peuvent se résoudre à coup sûr par l’application d’un algorithme. Qu’en est-il pour des problèmes mal définis (comme la composition écrite, la compréhension-interprétation, la construction d’un résumé…) qui impliquent des traitements stratégiques qui ne garantissent pas l’efficacité et le succès ? S.G. Paris (S.G. Paris & J.E. Jacob, 1984 ; S.G. Paris et al., 1984, S.G. Paris et al., 1986 ; D.R. Cross & S.G. Paris, 1988 ; cf. M. Fayol, 1993 ; M. Fayol & J.-M. Monteil,

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

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1994 pour d’autres exemples) est de ceux qui ont tenté, avec succès si l’on en croit les résultats expérimentaux publiés, d’enseigner directement des stratégies de compréhension. Son dispositif didactique, l’ISL pour « informed strategy learning », se caractérise par l’annonce verbale et l’affichage d’une procédure-stratégie suivis par une série de modélisations ou démonstrations de la stratégie, d’exercices et d’entraînements réalisés par les élèves seuls ou en groupes (R.J. Stevens et al., 1991). Cependant, l’ampleur et la durée du cycle didactique sont telles que l’on peut légitimement se demander si l’efficacité de la démarche réside dans l’enseignement direct ou dans l’activité même des élèves et la réflexion sur cette activité orientée (ce qui rejoindrait le modèle de l’intervention didactique procédurale…). Les résultats publiés ne permettent pas de savoir si le parcours d’apprentissage des élèves a réellement suivi la progression prévue par l’enseignant « ISL » puisque les évaluations sont réalisées seulement avant et après l’intervention et que les élèves des groupes témoin sont réputés suivre un enseignement « classique » qui n’est ni décrit ni contrôlé avec précision. J. Tardif (1992, pp. 368-369), à sa manière, va encore « plus loin » que S.G. Paris et J.R. Anderson puisqu’il envisage, spéculativement il est vrai, une procéduralisation de connaissances déclaratives non pas métaprocédurales mais métalinguistiques. La progression didactique de l’« enseignant stratégique » commence par la présentation magistrale d’informations théoriques sur les propriétés super-structurelles typologiques des textes. Ces connaissances déclaratives métalinguistiques permettent aux élèves de répondre à des questions « théoriques » sur les structures textuelles. Pour que les élèves puissent, dans des tâches qui restent métalinguistiques, distinguer, trier et classer des textes en fonction de leurs propriétés super-structurelles typologiques, « ces connaissances déclaratives ont besoin d’être traduites en connaissances conditionnelles ». Ces connaissances (déclaratives et conditionnelles) ne permettent pas encore aux élèves « d’agir sur les textes pour en reconstruire le sens et en extraire les idées principales. » Ils ont besoin pour cela « de connaissances procédurales qui encadrent leur démarche d’extraction des idées principales et de reconstruction du sens. » La « traduction » des connaissances déclaratives en connaissances conditionnelles et la procéduralisation de ces dernières restent mystérieuses. Seul est affirmé le principe que ces trois types de connaissances « doivent être reliées entre elles, non seulement parce qu’elles correspondent à un même objet de connaissances, mais également parce que leur efficacité dans l’action n’est assurée que lorsqu’elles sont regroupées dans un schéma d’action et de réflexion. » Il est clair qu’un certain nombre de questions importantes restent actuellement sans réponse : comment se passe l’apprentissage effectif dans les interventions didactiques déclaratives ? Quels types de connaissances à visée procédurale sont enseignables déclarativement ? Y a-t-il un âge à partir duquel l’intervention déclarative est possible, voire préférable à l’intervention procédurale ?

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Par ailleurs, la conception de l’intervention didactique comme procéduralisation de connaissances déclaratives, comme enseignement direct des procédures et stratégies, présuppose qu’il n’y a qu’une seule façon de traiter cognitivement les textes et que l’on dispose d’un modèle unique ou unifié pour en rendre compte. Or tel n’est pas le cas : il existe plusieurs modèles du traitement cognitif des textes, et en particulier de la compréhension des récits. Il nous semble qu’il convient de prendre en considération cette pluralité, non pas parce qu’elle poserait des problèmes de choix d’un modèle de référence pour l’intervention didactique, mais parce qu’elle ouvre la perspective d’une didactique cognitive différentielle.

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De la pluralité des modèles de l’expertise et du développement-apprentissage à une didactique cognitive différentielle ? Un courant de recherches propose de modéliser les processus psychologiques de traitement des textes et en particulier de compréhension en référence à la théorie générale des schémas. Ces recherches construisent pour cela, entre autres, la notion de schémas textuels prototypiques comme représentations des propriétés superstructurelles des textes canoniques que telle culture reconnaît et que, souvent, elle dénomme. Au cours de leur développement, les sujets identifieraient progressivement ces superstructures par abstraction et généralisation, et les intérioriseraient sous la forme de représentations ou schémas textuels prototypiques. En compréhension, ces représentations schématiques aideraient les sujets à stocker de façon organisée et cohérente les informations au fur et à mesure qu’ils les traitent, et ainsi à les retrouver en mémoire à long terme et à les rappeler plus facilement ultérieurement. Elles permettraient aussi la recherche active de blocs d’informations anticipés sur la base des attentes déclenchées par la « connaissance » de ces séquences typiques : elles rendraient possibles des stratégies d’« anticipation généralisée », de traitement « par concept ». Ainsi, la non-maîtrise des schémas textuels prototypiques et des stratégies qu’ils autorisent pourrait expliquer, pour partie au moins, le fait que les sujets novices ou non experts peinent à comprendre les textes aussi bien quand ils les lisent eux-mêmes que lorsqu’ils les écoutent lus à haute voix par quelqu’un d’autre. La différence entre lecteurs lents et lecteurs rapides, de même, ne serait pas (seulement) liée à des compétences inégales de déchiffrage mais (aussi et surtout) aux possibilités qu’ils ont à des degrés divers de se construire, sous le contrôle d’un schéma textuel prototypique, une représentation organisée et hiérarchisée du contenu sémantique du texte, une macrostructure sémantique.

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Le modèle qui vient d’être esquissé est encore dominant et sert de référence, voire de caution scientifique, à des pratiques didactiques qui se sont généralisées à l’école et au collège. Des critiques ont cependant été énoncées à l’égard des « grammaires du récit » et, plus généralement, des théories des schémas textuels prototypiques, entre autres par J.B. Black et G.H. Bower (1980), R.C. Schank et R.P. Abelson (1977) ou J.-F. Le Ny (1989, pp. 116 et 210-221). L’argumentation des détracteurs, qui se situent également dans le paradigme cognitiviste, est globalement la suivante : les catégories textuelles comme « épisode », « essai », « résultat », etc., sont inutiles dans un modèle de la compréhension puisque pour comprendre que X est, par exemple, le « résultat » d’un « essai » Y, on doit savoir ce que sont X et Y et quelle est la relation sémantique particulière qui les relie. Autrement dit on ne peut rapporter les informations aux composantes d’un schéma textuel avant de les avoir comprises. Si tel est le cas, pourquoi un lecteur s’embarrasserait-il de cette tâche supplémentaire ? Il suffit donc d’étudier les structures de connaissances générales que le lecteur mobilise pour comprendre des textes. Dans les récits, ces connaissances portent essentiellement sur les actions humaines, les buts, les causes et les relations temporelles. Le récit (simple) est alors défini comme une « narration particulière qui relate une séquence causale d’événements pertinents par rapport à un protagoniste qui poursuit un but ou résout un problème » (J.B. Black & G.H. Bower, 1980, p. 279), comme un quasi protocole de résolution d’un problème de transformation d’états. Comprendre un récit revient à utiliser les (méta)connaissances que l’on a sur les actions, l’articulation des buts et des actions, la constitution de plans et la résolution de problème en général, pour identifier ou reconstruire les chemins qui permettent de passer d’un état de départ à un état terminal. Les informations les mieux retenues seront celles qui sont situées le plus près du « chemin critique » (i.e. celui qui mène à l’état final) par opposition aux tentatives qui échouent et aux développements de détail. Dans cette perspective théorique, les récits n’ont aucune propriété textuelle ou rhétorique particulière. Ou plutôt, si des arrangements rhétoriques de surface existent, ils ne sont pas pertinents pour rendre compte de la compréhension-mémorisation des récits. La notion de schéma textuel prototypique est inutile. Il est possible, épistémologiquement, d’interpréter de plusieurs manières les différences entre ces deux courants de recherches qui essaient l’un et l’autre de rendre compte de phénomènes largement identiques et qui relèvent du même paradigme. On peut d’abord considérer que l’on a affaire à deux théories alternatives. Il faudrait choisir entre un modèle général de la compréhension applicable, entre autres, à des textes, et un modèle spécifiquement langagier et textuel. Les critères de décisions seraient alors en quelque sorte « externes », expérimentaux. Il s’agirait de vérifier que les modèles sont bien psychologiquement

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plausibles, et, si tel est le cas, de déterminer celui qui permet de modéliser le plus précisément les processus de compréhension. De ce point de vue, les résultats que nous connaissons indiquent que les deux modèles sont quasi également performants dans la prédiction des rappels de récits. D’autres recherches de validation que celles impliquant des épreuves de rappel seraient cependant envisageables, en particulier par le biais du recueil des commentaires métacognitifs dans des tâches de compréhension. À notre connaissance, il n’y a pas de résultats disponibles en ce domaine. On peut estimer, au contraire, que l’on n’a pas affaire à deux modèles distincts mais, simplement, à des variantes descriptives d’un seul et unique modèle : seuls divergeraient les métalangages de description forgés par les chercheurs pour expliciter leur modèle, mais fondamentalement les processus cognitifs désignés seraient les mêmes dans les deux cas. On se retrouverait alors dans une situation comparable à celle qu’ont connue, par exemple, les linguistes de l’école générative et transformationnelle pour « départager » des formalisations concurrentes également capables de modéliser les mêmes faits de langue : la préférence serait accordée en fonction de critères purement internes de simplicité, d’économie, voire d’élégance. Cette interprétation ne nous paraît en l’occurrence pas tenable, tant les différences entre les deux courants sont importantes. On peut cependant envisager d’autres modes d’articulations théoriques entre ces deux types de modélisations que l’on considérerait comme également valides. Cette position épistémologiquement intégrative nous paraît par ailleurs plus riche que celle qui consiste à rechercher « le » bon modèle. On peut aborder la question en termes de développement et concevoir les opérations spécifiques de traitement textuel et les schémas textuels prototypiques comme des spécialisations, génétiquement secondes donc, des opérations cognitives générales (« résolution de problème » et enchaînement causal). La compétence narrative dépendrait en quelque sorte d’une capacité cognitive et métacognitive de résolution de problèmes. Ce processus développemental tiendrait compte du fait que le contact des enfants avec les « textes » (au sens très large, incluant les textes oralisés par un adulte, les textes en images fixes ou non…) est (un peu ?) moins précoce que l’expérience de situations-problèmes et d’enchaînement temporel-causal. À titre purement heuristique, on pourrait envisager une séquence développementale de ce type : 1. expériences spécifiques non textuelles 2. généralisation de niveau I : méta-opérations I 3. spécialisation-spécification des méta-opérations I pour des expériences spécifiques nouvelles, non textuelles ou textuelles 4. généralisation de niveau II : méta-opérations II

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5. spécification des méta-opérations II pour des expériences textuelles spécifiques

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7. activation spécifique des schémas textuels prototypiques à des objets textuels singuliers Dans cette perspective, la compréhension des textes narratifs au moyen de méta-opérations de niveau II apparaîtrait comme une forme relativement primitive et non experte de traitement. Avec l’âge et le niveau de formation culturelle, les méta-opérations II devraient disparaître ou, du moins, être placées sous le contrôle des connaissances spécifiquement textuelles. Mais il est également possible d’avancer l’idée que le développement et la formation n’aient pas pour conséquence une telle substitution. Un même texte pourrait ainsi, selon les paramètres de la tâche, faire l’objet de plusieurs types de traitements cognitifs potentiellement également efficaces, par des méta-opérations génériques de type II ou par des opérations spécifiquement textuelles de type III. La dualité des modèles se penserait alors en termes de vicariance, « chaque individu (disposant) probablement d’une pluralité de processus adaptatifs lui permettant, dans ces situations comparables, d’émettre, à des coûts plus ou moins élevés, des réponses adaptatives plus ou moins efficaces » (M. Reuchlin & F. Bacher, 1989, p. 82 ; J. Lautrey, 1991). Tel sujet pourrait lire (/écrire) un texte singulier « relevant » de tel ou tel type (narratif ici) en mobilisant des procédures de traitement cognitif propres à ce type de texte, en activant le schéma textuel prototypique spécifique qu’il s’est construit pour traiter les textes de ce type. Mais ce même sujet pourrait, dans d’autres conditions, faire face à la même tâche en mobilisant des procédures générales de traitement de l’information langagière et non-langagière, non spécifiques à tel type de texte mais relevant des opérations générales de la pensée. On perçoit l’impact que des recherches en ce domaine pourraient avoir sur la diversification des pratiques et des contenus didactiques. Enfin, on ne peut exclure que des sujets également compétents ou experts dans la compréhension des récits se caractérisent par des stratégies de traitement différentes. Les uns auraient une préférence marquée sinon exclusive pour les traitements spécifiquement textuels, les autres pour l’application d’opérations génériques non spécifiquement textuelles. Il ne serait pas illégitime, dans cette perspective, de parler de styles cognitifs différents (G. Tourette, 1990) et de proposer une psycholinguistique cognitive différentielle.

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6. généralisations III sous la « forme » de schémas textuels prototypiques

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Conclusion

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Le débat théorique ou épistémologique que nous avons esquissé peut singulièrement compliquer ou enrichir la tâche des enseignants, et devrait contribuer à prévenir la tentation de concevoir la didactique des textes comme une (simple) psycholinguistique appliquée, voire une grammaire de texte appliquée… Cet applicationnisme réducteur signifierait que seraient perdus les gains que les didacticiens du français ont pu enregistrer, grâce aux travaux de la psychologie cognitive du langage, en s’efforçant de devenir des cliniciens des apprentissages langagiers. Les risques d’une recrudescence du dogmatisme applicationniste existent aujourd’hui et ils sont d’autant plus forts que la psychologie cognitive jouit encore des charmes de la modernité voire de la mode. N’y aurait-il pas, cependant, quelque paradoxe à ce qu’une science qui s’efforce de connaître les processus cognitifs dans leur dynamisme serve de caution à un aveuglement à l’égard des élèves, à l’égard de ces mêmes processus ? Il ne faudrait pas en effet confondre « les mots et les choses » et prendre les formalisations ou modélisations construites par les chercheurs pour tenter de rendre compte des objets (construits) textes ou de leur traitement par des sujets, avec les processus de traitement effectifs. En d’autres termes, enseigner « les arbres textuels ou autres schémas quinaires », comme naguère on enseignait « les arbres syntagmatiques phrastiques », enseigner un métalangage de description ne peut tenir lieu, a priori et à soi seul, d’une didactique des textes écrits. Le métalangage ne vaut pas compétence procédurale ou capacité de traitement, même si, à un moment donné du développement-apprentissage, la prise de conscience métacognitive et son explicitation verbale peuvent contribuer à la maîtrise contrôlée. Mais, même dans cette dernière perspective, le dogmatisme formel doit être exclu. D’une part en effet, il est peu probable qu’on puisse enseigner directement la prise de conscience métacognitive ; on peut sans doute, au mieux, chercher à la déclencher par des situations didactiques favorables. D’autre part, si ce que nous avons dit a du sens, il n’est pas fondé de privilégier à l’école un seul type de verbalisation métacognitive et de censurer l’autre ou les autres. Plutôt que de choisir à la place des élèves, et du coup, peut-être, de les mettre inutilement en difficulté, il est sans doute préférable que les enseignants soient attentifs à la diversité des élèves et de leurs stratégies et qu’ils « montrent » que cette diversité existe, voire qu’elle est souhaitable. Plus largement, nous ne croyons pas que les enseignants soient de simples O.S. de la pédagogie chargés de mettre en œuvre servilement et sans vrai-

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ment les comprendre des dispositifs didactiques pensés par d’autres, fussent-ils spécialistes du domaine. Rien ne serait sans doute plus dommageable que la didactique du français connaisse à son tour les « effets Diénes » qu’a connu la didactique des mathématiques (G. Brousseau, 1986, pp. 307-309). Seuls les militants Diénes étaient susceptibles de faire fonctionner la méthode avec succès. Tout usage neutre ou servile du matériel Diénes conduisait à des échecs et à des déceptions, en raison du désinvestissement que provoquait chez les maîtres ordinaires cette méthode réputée efficace d’elle-même au nom d’une loi psychologique. Elle ne laissait en effet d’autre place aux maîtres que celle de techniciens présentant les jeux, attendant que les élèves pensent par eux-mêmes, fournissant éventuellement les réponses accompagnées d’une petite explication, envoyant le jeu suivant, et ainsi de suite. Le « contrat didactique » ne liait plus les maîtres à l’évolution des conduites cognitives que le jeu Diénes seul était supposé prendre en charge, indépendamment de leur investissement personnel dans la négociation didactique. Si l’on veut non seulement éviter que la classe (de français) ne devienne un « goulag didactique » (A. Bouvier, 1987) sous l’effet d’une ingénierie didactique techniciste qui ferait des enseignants de simples exécutants désinvestis et aveugles qui ne saisissent pas le sens de ce qu’ils font, si l’on veut surtout que les enseignants fassent ce pas de côté qui leur permette d’observer, de comprendre et d’agir autrement et plus efficacement, encore faut-il qu’ils disposent d’armes pour observer, de cadres pour comprendre et de perspectives pour agir. Au cœur de leur travail de conception s’exerce, selon nous, la capacité des maîtres à être des cliniciens des apprentissages scolaires, c’est-à-dire, entre autres, à chercher à analyser les tâches proposées aux élèves en termes d’activités cognitives et de processus intellectuels, à y anticiper les problèmes auxquels les apprenants auront à faire face et qui constituent les objectifs didactiques spécifiques liés à la tâche, à comprendre les erreurs des élèves autrement que comme des écarts par rapport aux réponses des adultes experts. En ce sens, la recherche scientifique et ses résultats peuvent proposer des pistes de travail et de réflexion aux enseignants. Mais, parce qu’ils sont des concepteurs, responsables en tant que tels de leurs pratiques professionnelles, il leur revient de se les approprier, de les adapter à leurs classes en faisant jouer variation pédagogique et souplesse didactique.

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Références bibliographiques



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

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Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ?



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Jean-Marie PRIVAT

La sociologie et l’ethnologie des pratiques culturelles peuvent aider à construire, c’est-à-dire en fait à déconstruire partiellement et à reconstruire autrement, les situations didactiques, leurs objets et leurs enjeux. Mais ces « disciplines de référence » n’ont pas la même nécessité ni a fortiori la même utilisation selon les modes de travail pédagogique que les enseignants convoquent. Je voudrais donc montrer pourquoi les besoins des diverses didactiques sollicitent très diversement et surtout très inégalement la socioethnologie des pratiques lectorales ; je me contenterai d’évoquer in fine quelques problèmes épistémologiques liés à l’appropriation didactique de ces savoirs savants et vivants.

A



Lire, un devoir d’élève Les modalités les plus traditionnelles de culture scolaire du lecteur trouvent leur légitimité dans le culte de la littérature. La raison d’être de l’enseignement est de transmettre un patrimoine (national mais réputé de portée universelle) qui de droit s’impose à tous. Les grands auteurs de ce panthéon scolaire sont cités dans les programmes officiels et les plus exceptionnels d’entre eux font même l’objet d’une obligation réglementaire de lecture : « Au cours des deux premières années de collège, on fait lire ou étudier au moins une des pièces suivantes de Molière : Le Médecin malgré lui, Les Fourberies de Scapin »1.

1.

Ministère de l’Éducation nationale (MEN), Direction des Lycées et Collèges, Horaires/Objectifs/Programmes/Instructions, « Français, langues anciennes, classes des collèges, 6e, 5e, 4e, 3e », Paris, CNDP, 1993, p. 30.

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Socio-logiques des didactiques de la lecture



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Ainsi, centrée sur un objet culturel légitime, cette pédagogie est-elle fondée sur le charisme de l’œuvre2 et vise à « développer le goût de la lecture et de la culture désintéressée »3. Le discours du maître ou du manuel constitue la référence culturelle et on attend avant tout des élèves qu’ils communient avec discernement, sensibilité et émotion avec les œuvres, ou du moins avec le discours sur les œuvres. « Expliquer, c’est faire revivre », assurait jadis Pierre Clarac, qui précisait que « de l’école primaire à la Sorbonne, l’objet de l’explication de texte ne change pas »4. La lecture est ainsi indissociablement un devoir culturel et un devoir scolaire puisque l’ambition est de ménager un intérêt « durable »5 pour la littérature. Dans ce type d’enseignement qui institue le « tête-à-texte », les disciplines sociologiques et ethnologiques n’ont guère de raison d’être convoquées. Ce légitimiste didactique peut se résumer ainsi : le salut culturel est « dans la lecture des grandes œuvres, en elles-mêmes et pour elles-mêmes. C’est de là que tout découle, à commencer par l’intérêt que les élèves portent à la classe de français ». « La rencontre avec la littérature » n’est donc pas pensée comme problématique puisque par son rayonnement interne l’œuvre doit rencontrer « le potentiel de réception d’un esprit libre »6. Cette conception charismatique de la littérature et cette conception magique de son appropriation ne résistent guère à l’épreuve de la réalité quotidienne des classes ni, comme on verra, aux observations des sociologues et des ethnologues de la culture. Ainsi, il n’entre pas dans la pertinence du questionnement légitimiste de s’interroger sur la sociologie des pratiques diversifiées du livre (littérature/ paralittérature, fréquentation ou non des lieux habituels de circulation des livres, etc.) ; il ne convient pas non plus de s’interroger dans cette perspective sur les modalités de lecture des divers lectorats, sur leurs investissements, enjeux et attentes profondément contrastés. Les lecteurs sont définis avant tout comme élèves et non par exemple comme des lectrices qui sont aussi dans un rapport juvénile et populaire à la lecture. La cohérence de ce modèle dogmatique de transmission culturelle trouve cependant ses limites dans des effets peu compatibles avec ses ambitions affichées. De fait, ce système pédagogiquement et culturellement conservateur dans lequel l’autorité des textes est redoublée par l’autorité du langage du maître a le triste privilège de ne pas… conserver la plupart de ses lecteurs, une fois passée la contrainte scolaire. 2. 3. 4. 5. 6.

P. Clarac, « La foi dans la vertu des beaux textes », L’Enseignement du français, Paris, PUF, 1963, p. 144. M.E.N., Direction des Lycées et Collèges, Horaires/Objectifs/Programmes/Instructions, « Français, langues anciennes, classes de seconde, première et terminale », Paris, CNDP, 1992, p. 66. P. Clarac, op. cit., p. 67. M.E.N., op. cit., p. 45. H. Mitterand, « Les obsédés de l’objectif. L’enseignement du français en question », Le Débat, 71, septembre-octobre, 1992, pp. 164-172.

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La brutalité de ce constat a conduit à débloquer la réflexion didactique, voire à déclencher une polémique culturelle plus ou moins euphémisée. En effet, si l’instance scolaire de socialisation littéraire n’a d’effets que si précaires, si limités et socialement si visiblement inégaux sur les comportements, compétences et appétences des jeunes lecteurs, alors l’enseignement de la lecture est en crise.

B



Lire, un plaisir personnel Dans l’école d’aujourd’hui, qui scolarise pendant une douzaine d’années au moins la quasi-totalité des classes d’âge concernées, la communion culturelle avec les grands textes est le plus souvent aléatoire et contrainte, peu communicative en somme. Le modèle de la lecture scolaire perdure dans un mixte d’utilitarisme grognon (« c’est au programme », « il faut bien le lire pour avoir une note correcte ») et de refus plus ou moins larvé et poli d’intérioriser les dispositions culturelles convenues. Le désenchantement des professeurs de lettres se résout en fatalisme professionnel et en misérabilisme culturel (« de toute façon, ils sont nuls ou pas intéressés maintenant, qu’y faire ? ») mais aussi, dans le meilleur des cas, en quête de solutions nouvelles. Le centre de gravité du questionnement didactique se déplace alors de l’objet – la littérature – à la relation à l’objet et à la personne du lecteur. Le lecteur est reconnu (sinon connu) comme un authentique sujet culturel, dès le plus jeune âge. À ce titre, la hiérarchie des rôles scolaires dans la relation maître-élèves et l’imposition des valeurs culturelles dominantes perdent logiquement de leur légitimité. L’enseignant n’est plus uniquement celui qui prescrit et proscrit mais il s’efforce d’être à l’occasion un animateur culturel pour motiver les jeunes lecteurs à prendre du plaisir à leurs lectures. C’est en effet le modèle de l’animation culturelle qui prend parfois le relais. Peu à peu s’est introduit en fait dans le monde scolaire un type de livres et un modèle de rapport aux livres importés des bibliothèques, et plus récemment encore des médiathèques publiques. On sait que la lecture publique inscrit son action dans la logique de la libre concurrence culturelle et qu’elle doit justifier sinon son existence du moins les moyens qui lui sont accordés. Pour conquérir son public elle développe une offre qui « cherche à faire la preuve que le divertissement peut être culturel, qui ne veut plus guider mais accompagner, qui accepte de former mais veut surtout informer, et proposer des libres parcours où chacun puisera selon ses inclinations et motivations »7. Dans l’univers scolaire, pareillement, ces pédagogies incitatives visent à provoquer le bien-être culturel du lecteur, par opposition sans doute à l’ascétisme triste et trop continûment contraint des lectures trop « scolaires ».

7.

M. Poulain, Histoire des bibliothèques françaises, tome IV, « Les bibliothèques au XXe siècle », sous la dir. de M. Poulain, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 1992, pp. 6-7.

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Socio-logiques des didactiques de la lecture



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Désormais la quête de l’épanouissement culturel exige que l’on abandonne au moins de temps à autre « la morale du devoir » pour lui substituer ce « devoir de plaisir »8 que l’éthique libérale ou permissive revendique avec insistance. L’acte éducatif « culturel » consiste alors à offrir plus souvent des situations où le jeune lecteur découvrira, par exploration personnelle et progressive socialisation, de légitimes plaisirs. Cette didactique culturelle est amenée à ouvrir le corpus des livres proposés ou suggérés, voire tolérés (des bandes dessinées aux romans policiers ou à la littérature de jeunesse), et tend à privilégier la convivialité entre lecteurs et l’originalité ou même l’inventivité de chaque lecture. Cette relative déscolarisation de la lecture conduit plus naturellement à s’interroger sur les conditions favorables à des interactions symboliques heureuses et sur les textes et les contextes qui favorisent une pratique de lecture. Le recours à la sociologie et à l’ethnologie présente alors une série d’intérêts. Les statistiques fournies par la sociologie culturelle permettent d’abord de relativiser les discours catastrophistes sur la baisse de l’intensité et de la qualité des lectures juvéniles. En ce sens, ces savoirs « bruts » participent de la clarification ou de la pacification du « climat didactique » et autorisent une problématisation moins sommairement légitimiste de la lecture. Ce n’est pas négligeable si en découle une approche culturelle plus relativiste des corpus fréquentables, de la pluralité des enjeux avouables et conséquemment de la diversité des modalités de lecture. Ce mode de travail pédagogique « modernisé » peut encore conduire sinon à véritablement s’interroger sur la culture des apprenants, leurs référents culturels et la singularité éventuelle de leurs attentes, du moins à tenter d’accueillir de façon compréhensive cette diversité dans une sorte d’œcuménisme culturel tolérant. Ces mêmes sciences peuvent enfin et surtout éclairer les logiques sociales à l’œuvre dans ces stratégies modernistes de l’offre culturelle, à condition que l’enseignant veuille bien accepter ce retour critique sur son travail. La sociologie-ethnologie des pratiques culturelles permet en effet d’établir, par exemple, que les jeunes filles des milieux populaires et les garçons des couches favorisées n’engagent ni les mêmes attentes, ni les mêmes compétences, dans la fréquentation d’une bibliothèque municipale qui est le monde « naturel » des classes moyennes9. Le sociologue met donc en garde contre les formes quotidiennes de violence symbolique que recèlent les dispositifs didactiques les plus anodins, apparemment, et les plus sociocentristes, en fait, parce que spontanément gratifiants pour le maître et pour une fraction des élèves. Le modèle libéral s’apparente souvent en effet à « une consommation épisodique de loisirs culturels » et engage donc un rapport aisé, décontracté, moderne et confiant avec les enjeux d’une pratique culturelle 8. 9.

P. Bourdieu, La Distinction, critique sociale du jugement, Paris, Éd. de Minuit, 1979, pp. 422-431. C. Poissenot, « Les raisons de l’absence », Bulletin des bibliothèques de France, tome 38, 6, 1993, pp. 15-27 et C. Poissenot, Les Adolescents et la bibliothèque, Paris, Centre G. Pompidou/BPI, Études et recherche, 1997.

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vécue comme faisant partie d’un standing de vie, ni plus ni moins. Ainsi la didactique à dominante incitative ne remet-elle pas en question les fondements de la hiérarchie culturelle mais entend faire lire « autrement » en jouant sur les attitudes pour inculquer en douceur une disposition cultivée « selon de nouvelles valeurs qui correspondent à l’ethos des nouvelles classes moyennes : l’échange, le plaisir, la créativité ». Aussi, pour que ce mode de transmission diffuse ne se résume pas en une transmission confuse et sélective, le sociologue propose par exemple au didacticien de « dépasser l’organisation ponctuelle d’activités, assimilables trop souvent à des “coups culturels”, pour les intégrer dans une stratégie générale d’inculcation explicite et systématique des différents codes qui permettent l’appropriation réelle de l’offre […] »10. En définitive, si c’est bien la personne culturelle dans sa dimension affective et ses qualités relationnelles qui est au cœur de ce deuxième dispositif rénové d’apprentissage, si c’est bien le charisme des situations qui est visé, c’est plutôt la psychosociologie qui pourra être requise (animation de groupes, phénomènes de leadership, problématique des identifications culturelles, etc.). La sociologie ne sera pas ignorée comme dans le dispositif académique et normatif ordinaire, mais la tentation sera grande de la rejeter comme grossièrement réductrice et simplificatrice des subjectivités culturelles des lecteurs. Même l’ethnologie, plus qualitative par définition et plus respectueuse des trajectoires personnelles, n’est guère convoquée, car le positivisme didactique libéral porte à croire que l’information culturelle est la condition nécessaire et suffisante à la pratique et une sorte d’optimisme sociétal laisse croire qu’une bonne ambiance culturelle peut en être le déclic11.

C



Lire, une pratique culturelle socialisée Si la sociologie et l’ethnologie des pratiques du livre sont peu sollicitées par les didactiques traditionnelles ou rénovées de la lecture, cela tient sans doute autant aux conceptions théoriques du lecteur et des actes d’apprentissages propres au champ de l’institution qu’aux problèmes – réels – de transfert ou d’appropriation des problématiques et des savoirs scientifiques spécifiques. Il est sûr, du moins, que ces savoirs et ces problématiques existent.

10. B. Seibel, Bibliothèques municipales et animation, Paris, Dalloz, 1983, p. 46. 11. V. Isambert-Jamati montre que ce type de « pédagogie de la liberté » est aussi « une pédagogie de l’excellence, qui de fait s’adresse préférentiellement à la majorité des élèves favorisés », dans « Types de pédagogie du français et différenciation sociale des résultats », Les Savoirs scolaires, enjeux sociaux des contenus d’enseignement et de leurs réformes, Paris, Éditions universitaires, 1990, p. 224. Le succès médiatique de l’essai de D. Pennac sur « les droits imprescriptibles du lecteur » – Comme un roman (Paris, NRF, Gallimard, 1992) – témoigne de l’écho que rencontre cette pédagogie culturelle douce auprès des fractions cultivées des petite et moyenne bourgeoisies. Voir sur ce point nos remarques critiques, J.-M.Privat « L’institution des lecteurs », Pratiques, n° 80, décembre 1993, pp. 10-11.

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Les travaux pionniers de P. Bourdieu et d’A. Darbel sur « les conditions sociales de la pratique culturelle cultivée » et sur « les lois de la diffusion culturelle »12 posaient déjà quelques jalons essentiels pour envisager le problème dans des termes plus conformes au réalisme sociologique (style de l’offre, arbitraire culturel, capital culturel). Viendront s’ajouter plus tard d’autres études ou travaux fondamentaux non moins utiles pour penser didactiquement les conditions d’une pratique active et gratifiante de la lecture et des livres. Les concepts de violence symbolique, d’habitus ou de champ de la production développés par P. Bourdieu, les travaux de F. Furet et J. Ozouf sur l’histoire de la culture et de la scolarisation (et le concept central d’acculturation)13, les recherches de R. Chartier et de M. de Certeau sur les appropriations différenciées des objets culturels, les « sommes » enfin sur l’Histoire de l’édition française et, plus récemment sur l’Histoire des bibliothèques françaises aident en effet à comprendre ce qui se joue dans les mutations culturelles, institutionnelles ou non, qui modèlent au fil des siècles le corpus des œuvres, les régimes de lecture, les pratiques du livre et les usages des lecteurs. Mais c’est sans doute le déplacement des problématiques sur le lecteur qui a permis de progresser le plus sensiblement et de façon décisive peut-être, du moins en termes d’enseignement. Le paradigme didactique s’est en effet recentré fortement sur l’apprenant, ses stratégies cognitives et linguistiques de traitement de l’information mais aussi ses propensions culturelles de pratiques des écrits, en situation. Il y a ainsi, depuis une dizaine d’années, des lignes de convergence forte entre didacticiens de la lecture et ethnologues de la culture : la recherche savante est passée d’un intérêt érudit, voire bibliophilique pour les livres, à une investigation sociologique et quantitative sur le partage inégal des biens et des pratiques culturelles pour finalement privilégier une approche désormais attentive aux lectorats, aux interactions entre d’une part l’offre structurée de lecture, d’autre part les sociabilités « liseuses » et les braconnages plus ou moins buissonniers des lecteurs14. Les principales conséquences éducatives directes de ces études peuvent se résumer en trois points : 1. Les compétences culturelles, quand bien même leurs modes d’acquisition familiale demeurent pour partie implicites et inconscients, peuvent et doivent (dans une perspective démocratique) faire l’objet d’apprentissages plus explicites et plus méthodiques15. 12. P. Bourdieu et A. Darbel, L’Amour de l’art, Paris, Éd. de Minuit, 1969. 13. F. Furet et J. Ozouf, Lire et écrire, l’alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry, Paris, Éd. de Minuit, 1977, 2 volumes. 14. A. Petrucci, « Lire autrement. Les modes de lecture », dans G. Cavallo et R. Chartier (éds), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Seuil, 1997, pp. 401-425 ; G. Mauger, F. Poliak & B. Pudal, Histoires de lecteurs, Paris, Nathan, Essais & Recherches, 1999 ; J.-M. Privat, « Manières d’être et façons de faire », dans A.-M. Bertrand, M. Burgos, C. Poissenot & J.-M. Privat, Les Bibliothèques municipales et leurs publics. Pratiques ordinaires de la culture, Paris, Centre G. Pompidou/BPI, Études et recherche, 2001, pp. 199-230. 15. P. Bourdieu, « Les trois états du capital culturel », Actes de la recherche en Sciences sociales, n° 30, 1979.

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3. Les acteurs culturels ne sont pas l’objet de déterminations sociales ou culturelles mécaniques : ils possèdent une subculture qui les prédispose ou non aux gestes et aux valeurs de la culture cultivée, mais qui a de toute façon sa logique spécifique et mouvante, personnelle et interpersonnelle. Or l’École a une conception fondamentalement intellectualiste (ou cognitiviste et textualiste dans sa version moderne) et individualiste (ou aimablement conviviale et ludique) du lecteur. Dans le premier cas, l’ambition est que l’élève accède au sens institué du texte légitime, dans le second que l’enfant découvre le désir et le plaisir personnels de lire. Le lecteur comme sujet social et culturel polymorphe n’est qu’entrevu, et la pratique du livre comme activité de socialisation culturelle peu prise en compte17. Dans la représentation dominante, le lecteur est comme un pêcheur à la ligne. Le lecteur lit comme le pêcheur pêche. Il est solitaire, immobile, silencieux, attentif ou méditatif, plus ou moins habile ou inspiré. On considère comme évident que le lecteur est lecteur quand il lit comme le pêcheur est pêcheur quand il pêche, ni plus ni moins. Apprendre à pêcher comme apprendre à lire revient alors à maîtriser quelques techniques de base et à s’essayer progressivement dans des courants de rivière ou des flots de textes de plus en plus abondants. Le lecteur de signes pêche de ligne en ligne des informations comme le pêcheur à la ligne suit les signes du bouchon sur l’eau. La prise est bonne quand le lecteur ne bredouille pas et quand le pêcheur ne revient pas bredouille. Cette vision est à la fois sommaire et idéalisée, commune et stéréotypée : elle est banalement réductrice. Le pêcheur n’est que rarement ce doux rêveur un peu marginal et narcissique, être à part largement coupé du monde et dont les pratiques ont quelque chose de mystérieux et la jouissance quelque chose de secret. Le pêcheur est aussi membre d’un club ou d’une amicale dont il assure le secrétariat ou assume la présidence. Il a payé sa cotisation à la fédération qui règle les usages et dit les droits de la pêche. Il aime bien sûr discuter de son matériel et raconter des histoires de pêcheurs avec ses amis au bistrot ou à la pause, au bureau. Il collectionne des cannes à pêche et des petits trophées gagnés lors de concours locaux ou régionaux. C’est un fidèle abonné des revues spécialisées et il suit à la télévision la plupart des émissions sur la pêche en France ou dans les pays étrangers, au grand dam de 16. P. Bourdieu, Les Règles de l’art, genèse et structure du chanp littéraire, Paris, Seuil, 1992, p. 455. 17. On pourrait dire de la lecture, en particulier, ce que l’ethnologue américain Clifford Geertz dit de la pensée humaine en général : « Elle est sociale de bout en bout. Sociale dans ses origines, dans ses fonctions, dans ses formes, dans ses applications » (C. Geertz, Bali, interprétation d’une culture, Paris, Gallimard, 1983, p. 109).

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2. Les comportements culturels sont le produit d’une croyance sociale construite qui leur est consubstantielle ; cette croyance par exemple dans l’importance ou l’intérêt des fictions littéraires « est la condition, presque toujours inaperçue, du plaisir esthétique »16.



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son épouse. Il apprend dès le plus jeune âge à son fils à taquiner le goujon et aime se voir offrir lors de son anniversaire ou à Noël des livres illustrés sur la pêche écologique en eau douce (il n’a que mépris ou incompréhension pour la pêche sous-marine suréquipée). Il triomphe enfin quand il peut poser avec fierté pour le journal local avec « un amour blanc de 6,5 kg et de 83 cm de long, capturé à la ligne flottante dans la gravière avec un hameçon n° 10 esché de 6 grains de maïs »18, etc. Bref, pêche et lecture, loin d’être des actes de pure technique et/ou de pure intimité individualiste, sont en fait saturées de socialité (gestes appris, discours et objets échangés, rites appropriés, imaginaires partagés, valeurs incorporées, stratégies communiquées, etc.), structurées par des réseaux de socialisation institués ou plus informels, mais que les regards croisés de la sociologie et de l’ethnologie culturelles peuvent rendre « visibles ». Autrement dit, si l’on admet que le temps du lecteur déborde largement le temps de la lecture proprement dite et si « l’illusion de l’intimisme de la lecture privée »19 se dissipe, la didactique ne peut qu’être intéressée par les sciences humaines auxquelles nous faisons référence. En effet, si l’enseignant prend en compte qu’une pratique de lecteur conjugue une compétence culturelle sans cesse élargie et une disposition pratique progressivement incorporée, il en découle au moins deux séries de conséquences didactiques qui touchent au cœur même du processus de développement lectoral.

1 Les apprentissages culturels L’ethno-sociologie des pratiques de lecture conduit dans un premier temps à tracer un programme de travail qui concerne des objets d’apprentissage culturel nouveaux. La lecture n’est pas seulement le moment où celle-ci s’effectue, mais un ensemble structuré de pratiques socialement et culturellement réglées et la lecture proprement dite n’est que « l’acte ultime d’une série de manipulations apparemment spontanées et conjoncturelles qui mettent un livre entre les mains de son lecteur »20. Dans cette hypothèse, il devient nécessaire que les apprentis lecteurs se dotent peu à peu d’un capital de gestes codés, de discours techniques, de savoirs spécialisés, d’habitudes culturelles spécifiques, exigés par le champ lectoral. Construire cette compétence et cette familiarisation suppose de multiplier et de diversifier les situations d’interactions entre livres et lecteurs. Il s’agit ainsi d’introduire, par exemple, des « différences donc des préférences » dans l’offre livresque en développant une culture du livre : « connais18. Pêche Pratique, n° 21, 1994, p. 7. 19. J. Balhoul, Lectures précaires, études sociologiques sur les faibles lecteurs, Services des études et de la recherche, Paris, BPI, Centre G. Pompidou, 1988, p. 45. 20. M. Poulain, Pour une sociologie de la lecture, lectures et lecteurs dans la France contemporaine, sous la dir. de M. Poulain, Paris, coll. « Bibliothèques », Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, 1988, p. 8.

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sance des auteurs, des éditeurs, des collections, lectures en diagonale de la quatrième de couverture, évocations de lectures antérieures sur un sujet proche, consultations éventuelles de critiques, conversations avec des proches »21. Loin de vouloir « déscolariser » la lecture selon le modèle libéral, loin de méconnaître les enjeux de tels apprentissages comme dans le modèle légitimiste, on considérera que l’insertion pratique dans le fonctionnement codé et structuré du champ lectoral doit faire l’objet d’un travail précoce, systématique, régulier. Il s’agit bien dans cette didactique des pratiques des livres de « tâches scolaires, obéissant à des consignes et dont les progressions s’explicitent peu à peu »22. Cependant, cette progressive affiliation culturelle aux règles en vigueur dans le champ des pratiques lectorales n’exclut pas une initiation critique où le lecteur se construit petit à petit une identité culturelle23. Cette dynamique de la socialisation culturelle se traduit donc en termes didactiques par des stratégies de médiations qui touchent plus généralement à la pratique et aux pratiques du champ lectoral. Je me bornerai à quelques exemples complémentaires. La littérature la plus lue est la littérature la moins enseignée et la plus dévalorisée. Ce premier fait, objectif, lié au fonctionnement du champ littéraire et à ses instances de consécration et de célébration, suffit à indiquer combien est nécessaire une réflexion sur le corpus des œuvres proposées dans les classes. Sauf à se résigner à exclure des lecteurs par le seul jeu, brutal, des exclusives (et donc des exclusions) culturelles, la réflexion didactique conduit à ouvrir l’éventail des lectures possibles. Une deuxième interrogation concerne le type d’œuvres sélectionnées. Si l’on tient compte, non pas tant des dispositions des élèves que du travail que l’on pourra mener avec des œuvres de difficultés variées et d’ambition culturelle inégale, alors le choix des textes se pose en termes d’apprentissage (et non plus en termes de logique patrimoniale ou de propension personnelle). On compare des fonctionnements textuels, on construit la hiérarchie des valeurs dans le champ littéraire, on approche des codes culturels plus ou moins euphémisés, on identifie des pactes de lecture (et donc des lectorats) parfois opposés.

21. Ibid., pp. 40-41. 22. A.-M. Chartier, « L’armoire de fer et le coussin », La Bibliothèque, Autrement, n° 121, 1991, pp. 133-134. Sur des exemples de travaux visant à initier les élèves au fonctionnement du champ, voir pour le premier degré P. Cassagnes, Cl. Garcia-Debanc & J.-P. Debanc, 50 activités pour apprivoiser les livres en classe ou en BCD, CDDP de Tarbes, CRDP Midi-Pyrénées, Toulouse, 1994 et la revue Argos (CRDP de Créteil) ; pour le second degré, on se reportera à différents numéros de la revue Pratiques (n° 27, « L’écrivain aujourd’hui », n° 32, « La littérature et ses institutions », n° 52, « Pratiques de lecture », n° 63, « L’innovation pédagogique », n° 80, « Pratiques de lecteurs »), à D. Dupont, Y. Reuter & J.-M. Rosier, Manuel d’histoire littéraire, I, Paris-Bruxelles, De Boeck-Duculot, 1988, et au n° 102 du Français aujourd’hui sur « Les lieux de lecture », 1993. 23. On se reportera à J.-M. Privat & M.-C. Vinson, « Les intermédiaires de lecture », Pratiques, n° 63, 1989, pp. 63-101.

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Une troisième interrogation touche à l’enjeu du commerce avec des œuvres littéraires strictement contemporaines. Le « Goncourt des lycéens » est un bon exemple de l’irruption dans la classe de romans lancés à la conquête de leurs lectorats. Cette « actualité littéraire », ces « dernières parutions », ces « vient de paraître », ces « romans de la rentrée » ont l’avantage de solliciter la curiosité intellectuelle des jeunes lecteurs dans la mesure où les commentaires d’accompagnement n’existent pas (ou si peu) et ne peuvent donc être « servis sur un plateau », comme dit R. Hoggart. Voilà par contre un exemple de lectures vivantes qui provoquent parfois des « conflits d’opinion » fort vifs dans la mesure où la situation « pose des défis »24. L’un de ces défis est justement de donner ou non, en fonction de critères à préciser, de la valeur littéraire à des textes qui n’appartiennent pas « à l’éternel présent de la culture consacrée où les tendances et les écoles les plus incompatibles “de leur vivant” peuvent coexister pacifiquement, parce que canonisées, académisées, neutralisées »25. Le profit éducatif escompté est bien sûr de rendre les élèves attentifs à la production romanesque d’aujourd’hui et de les rendre partie prenante dans le débat littéraire. Il s’agit en somme de « retourner le classico-centrisme et de faire de l’histoire de la littérature à reculons : au lieu de prendre l’histoire de la littérature d’un point de vue pseudo-génétique, il faudrait nous faire nousmêmes le centre de cette histoire (c’est moi, J.-M. P. qui souligne). De la sorte, la littérature passée serait parlée à partir d’un langage actuel, et même à partir de la langue actuelle : on ne verrait plus de malheureux lycéens obligés de travailler en premier le XVIe siècle, dont ils comprennent à peine la langue, sous prétexte qu’il vient avant le XVIIe siècle, lui-même tout occupé de querelles religieuses, sans rapport avec leur situation présente »26. Il s’agit aussi de complexifier les représentations des élèves sur « l’institution littéraire » faite indissociablement de luttes symboliques, d’instances de légitimation, de manœuvres économiques, de discours médiatiques, bref de les initier sur un mode critique au « monde de la littérature »27.

2 Les appropriations culturelles Mais les apprentissages culturels ne se transforment pas automatiquement en appropriation culturelle et on peut même nourrir la crainte de fabriquer des Diafoirus de la culture du livre. Le rôle de l’enseignant – ni maître, ni animateur mais médiateur – dans la mise en place de situations didactiques qui favorisent l’incorporation en douceur des pratiques et l’intériorisation critique des enjeux est en effet capital. Autrement dit, ici comme naguère pour la linguistique, l’applicationnisme pur et simple peut causer des dégâts et des 24. R. Hoggart, 33 Newport Street, autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises, Paris, « Hautes Études », Gallimard-Seuil, 1991, p. 199. 25. P. Bourdieu, Les Règles de l’art, op. cit., p. 221. 26. R. Barthes, « Réflexions sur un manuel », Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, Paris, Seuil, 1984, p. 55. 27. P. Casanova, La République mondiale des lettres, Paris, Seuil, 1998.

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dégoûts redoutables : « De ce qu’un savoir est plus juste, plus proche d’une théorie de référence légitimée, il ne suit pas qu’il soit d’emblée plus ajusté au système dans lequel il doit s’insérer, ni plus facile à acquérir au plan cognitif, ni plus accessible culturellement que le savoir qu’il remplace, ni, enfin, à tous coups plus performant qu’un autre type de savoir »28. La sociologie et l’ethnologie peuvent suggérer quelques réflexions utiles à une didactique des pratiques culturelles. Certes, inspirée des travaux savants des historiens et des sociologues de la culture, l’initiation des élèves aux règles institutionnelles qui régissent la production et la circulation des biens culturels (statuts des écrivains, logique marchande et logique symbolique, histoire du champ) commence à se faire une petite place dans les classes. Les manuels, particulièrement ceux destinés aux lycéens, abordent parfois ce point. Il semble néanmoins nécessaire d’attirer l’attention sur deux points. En effet, organiser des repérages dans le champ de la production des écrits (sur l’objet-livre, le système éditorial, les codes de l’offre en librairie, les publicités et les prix littéraires), aussi utiles et subtils soient-ils, sans compléter ces apprentissages par une connaissance du champ de la « consommation » culturelle et donc d’une reconnaissance des divers lectorats coexistants, me paraît dommageable. C’est d’abord s’abandonner à la prétention pédagogique, paresseuse et illusoire, d’une conformisation systématique des lecteurs par leurs lectures. En fait, derrière cette improbable orthodoxie culturelle se cache souvent « l’activité silencieuse, transgressive, ironique ou poétique, des lecteurs qui conservent leur quant-à-soi dans le privé et à l’insu des maîtres »29. C’est ensuite ignorer (et bientôt probablement mépriser ou en tout cas se méprendre sur) des modalités d’appropriation littéraire (mais pas seulement) qui ont leur force parce qu’elles ont leur logique. C’est enfin ne pas faire fond sur ces dénivellations culturelles non seulement pour la richesse des comparaisons et des confrontations au sein d’une même classe qu’elles autorisent, mais surtout pour aider chaque jeune lecteur à avoir un regard réflexif sur sa propre dynamique de lecture, ses vertus et ses limites. Le deuxième point qui me paraît insuffisamment pris en compte par la didactique de la culture et qui est très fortement corrélé au premier, c’est l’idée que les processus d’accommodation culturelle (on pourrait dire aussi d’accommodement) sont longs, demandent du temps et sollicitent la participation active du sujet. Soit l’exemple des représentations que les jeunes lecteurs se font souvent des écrivains, de leur métier, de leur situation, de leur carrière. Informer sur 28. J.-F. Halté, « Les impasses de l’applicationnisme », La Didactique du français, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1992, pp. 47-49. 29. M. de Certeau, « Lire : un braconnage », L’Invention du quotidien, Arts de faire 1, Paris, UGE, coll. « 10/18 »,1980, pp. 289-290.

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les conditions réelles de la pratique d’écriture, informer pour démystifier (c’est le mot convenu) est fréquemment présenté comme à la fois nécessaire et suffisant. Je suis loin d’être persuadé de l’efficacité de ce brutal positivisme pédagogique. En effet, c’est précisément la teneur mythique (romantique) de cette représentation qui la rend particulièrement enchantée et donc très difficilement modifiable De plus, détruire une illusion par un simple discours de dévoilement, c’est souvent prendre le risque de détruire la « croyance » nécessaire à une pratique. Comme le signalait Paul Valéry à propos d’autres discours d’objectivation : « Une littérature dont on aperçoit le système est perdue ». Soit cet autre exemple concernant les modalités de lecture des œuvres littéraires. Les sociologues de la lecture ont bien montré comment et pourquoi les jeunes lecteurs (tout comme le lectorat populaire) privilégiaient un rapport « crédule » aux romans en confondant délibérément – le temps de leur lecture – fiction et réalité, personnage de papier et personne vivante, effet de réel et réel. Or la lecture légitime se définit par le refus de cette confusion, par une mise à distance savante et critique de la lecture naïve. L’attention à la manière, aux formes, au style, aux influences, etc., se fonde sur une conquête de tous les instants : « résister à la séduction des fictions ». On doute fort cependant que cette « ascèse » – la renonciation à l’intérêt a priori essentiel de l’intrigue – résiste longtemps aux « pièges » d’un récit efficace, même chez un lecteur expert…30 S’il n’existe pas de lecture préculturelle, hors de tout modèle, il faut sans doute veiller à ne pas détruire certaines manières de lire et certains enjeux de lecture sous peine de transformer en résistance agressive ou en abandon honteux ce qui n’était au départ qu’éloignement culturel ou acculturation précaire. Un des effets du contact moyen avec la littérature savante est de « détruire l’expérience populaire pour laisser les gens formidablement démunis, c’est-à-dire entre deux cultures, entre une culture originaire abolie et une culture savante qu’on a assez fréquentée pour ne plus pouvoir parler de la pluie et du beau temps, pour savoir tout ce qu’il ne faut pas dire, sans avoir plus rien d’autre à dire »31. On voit combien tout dogmatisme en la matière est donc lourd de difficultés. Pour dépasser l’abandon relativiste qui consisterait à ne pas intervenir sur les conceptions de l’écriture ou les modes de lecture spontanés ou familiers des 30. Sur les usages sociaux des fictions, voir par exemple, N. Robine, Les jeunes Travailleurs et la lecture, Paris, La Documentation française, 1984, pp. 156-159 notamment, et C. Lafarge, La Valeur littéraire, Paris, Fayard, 1983, pp. 209-281 (citations). Voir aussi l’article très éclairant de G. Mauger & C. Poliak, « Les Usages sociaux de la lecture », Actes de la recherche en sciences sociales, Paris, Seuil, 123, juin 1998, pp. 3-24 et le chapitre pionnier que B. Lahire consacre aux « expériences que les lecteurs vivent avec les livres », L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, coll. « Essais & Recherches », 1998, pp. 107-118. 31. P. Bourdieu, « La lecture : une pratique culturelle », entretien avec R. Chartier, Pratiques de lecture, Marseille, Rivages, 1985, pp. 227-228. Lire aussi C. Baudelot & M. Cartier, « La lecture au collège. De la foi du charbonnier à une pratique sans croyance », Actes de la recherche en sciences sociales, Paris, Seuil, 123, juin 1998, pp. 25-44.

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sujets en cours d’apprentissage comme pour éviter les impasses du légitimisme culturel qui s’arrogerait le droit d’imposer à tous un style de lecture arbitraire dont les exigences risquent de détourner de la littérature le plus grand nombre, une double stratégie didactico-culturelle s’impose. Cette stratégie consiste à « didactiser l’offre » et à « accompagner le plus loin possible dans leur culture »32 les apprenants. Cette stratégie essaie ainsi de tenir compte à la fois des effets d’une réelle distance culturelle (la domination) et des effets d’une certaine spécificité culturelle (la différence). La première option consiste à ne pas vouloir généraliser une pratique littéraire sans universaliser dans le même moment les conditions d’accès à cette pratique33. Ce travail de familiarisation culturelle conduit donc à expliciter les conditions de l’offre culturelle pour construire cette relation de complicité et de connivence qui lie tout homme cultivé au jeu culturel : codes d’accès aux lieux du livre, pactes paratextuels et génériques, technologie du travail intellectuel, maîtrise des métalangages textuels et culturels, constitution d’un capital de références lecturales qui (re)produisent inséparablement la valeur de l’œuvre et la croyance en la valeur de la lecture (et du lecteur). Mais ce travail est à conduire dans le cadre d’un projet qui préserve chez l’élève les possibilités d’interactions expériencielles en évitant autant que faire se peut tout forçage culturel. La deuxième option repose sur l’idée que les chemins qui mènent à la lecture cultivée sont multiples, même si une censure culturelle habite chacun de nous : « Qui n’a pensé, un jour ou l’autre, que ce serait déjà une victoire pour les “vraies” lectures (même virtuelles) si l’on pouvait tarir la lecture (pourtant actuelle) de la para ou de l’infralittérature ? »34 Je n’insiste pas ici sur l’utilité d’un travail sur la paralittérature puisque la démonstration de son intérêt didactique a déjà été faite ailleurs35. Je me borne à en rappeler le quadruple enjeu : ne pas stigmatiser des lecteurs en stigmatisant systématiquement des lectures (par l’oubli ou le mépris) ; placer les élèves en situation d’appréhender plus complètement le fonctionnement du marché littéraire ; travailler les automatismes de lecture de grandes masses discursives et la reconnaissance des procédés d’écriture sur des œuvres sémiotiquement moins complexes et plus stéréotypées, dont la « fabrique » est plus visible, et en ce sens « pédagogique » ; ne pas briser par excès de légitimisme une éventuelle passion de lire, naissante ou balbutiante, 32. J.-C. Passeron, « Quelques éléments pour contribuer à la réflexion », Actes du Colloque Lecture et bibliothèques publiques, Hénin-Beaumont, Lille, O.R.C., 1982. 33. On sait que ce thème est constant chez P. Bourdieu qui dénonce avec violence la violence symbolique qui s’exerce immanquablement lorsque l’universalisation des exigences instituées par le fonctionnement d’un champ – culturel ici – ne s’accompagne pas de l’universalisation de l’accès aux moyens d’y satisfaire. Ce manque « favorise à la fois la monopolisation de l’universel par quelques-uns et la dépossession de tous les autres, ainsi mutilés, en quelque sorte, dans leur humanité », dans « Esprits d’état, genèse et structure du champ bureaucratique », Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris. 34. J.-C. Passeron, Le Raisonnement sociologique, Paris, Nathan, coll. « Essais & Recherches », 1991. 35. Voir notamment « Les paralittératures », Pratiques, n° 50, juin 1986.

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peu regardante sur sa matière. Autrement dit, avant d’inciter à la lecture cultivée, il est bien souvent nécessaire de prendre en compte l’encouragement à lire, tout simplement et d’aider les élèves à se situer dans leur propre parcours de lecteurs. En reconstituant, dans ce retour métaculturel, sa trajectoire personnelle, le lecteur se constitue en lecteur à ses propres yeux voire aux yeux des autres et dessine généralement des zones de surinvestissement et de sous-investissement culturels que l’action didactique peut alors prendre en compte36. Les observations des sociologues montrent d’autre part que l’espace dans lequel se formule une proposition de lecture est déjà une proposition de sens37. « Par leurs aménagements, par l’attitude de leurs personnels comme par le symbolisme de leurs mobiliers, par l’allure des gens que l’on y croise, de ceux que l’on y reconnaît ou de ceux que l’on éviterait ailleurs, par toutes les interactions sociales qu’ils encouragent ou qu’ils dissuadent [les espaces de lecture mettent inégalement à l’aise ou en état de malaise] »38. C’est cette raison qui doit inciter à encourager les jeunes lecteurs à fréquenter des lieux diversifiés d’offre du livre et à les « accompagner » dans leurs cheminements. Cependant, une appropriation culturelle véritable exige non seulement une réelle implication du sujet dans sa pratique, mais encore une insertion active dans un système de communication (sinon de communion) culturelle. La solitude du lecteur n’est-elle pas peuplée de discours et de rencontres qui donnent sens et valeurs à sa pratique ? En effet, pas plus que l’auteur n’est « pensable » dans un superbe isolement, le lecteur négocie sans cesse ses lectures dans le cadre d’un lectorat réel et imaginaire qui fait de son activité, selon le lien « du familier et de l’inconnu, du solitaire et du partagé »39. Les sociabilités, restreintes ou élargies, institutionnelles ou informelles, contribuent en effet directement à la production et de l’œuvre et du lecteur40. Œuvres et lecteurs ne sont pas « faits » une fois pour toutes mais « cent fois, mille fois, par tous ceux qui s’intéressent, qui trouvent un intérêt matériel ou symbolique à lire »41, à le dire, le montrer ou le démontrer. Ce sont donc des 36. Sur les entretiens d’explicitation culturels et leurs enjeux didactiques, voir B. Duhamel, « S’entretenir de leurs lectures », Pratiques, n° 80, déc. 1993, pp. 56-77 et M. Burgos, « Lectures privées et lectures partagées », id., pp. 78-94. 37. Voir notamment, outre les ouvrages déjà cités de J.-F. Barbier-Bouvet, M. Poulain & E. Véron, les travaux d’E. Véron & M. Levasseur, Ethnographie de l’exposition, I’espace, le corps, le sens, Paris, BPI, coll. « Études et recherche », Centre G. Pompidou, 1989 et ceux de M. Grumbach & J.-C. Passeron, L’Œil à la page : enquête sur les images et les bibliothèques, Paris, BPI, coll. « Études et recherche », Centre G. Pompidou, 1988. 38. J.-C. Passeron, op.cit., chap. XIV « Le polymorphisme culturel de la lecture », p. 342. 39. M. Poulain, « La lecture, lieu du familier et de l’inconnu, du solitaire et du partagé », J.-M. Privat & Y. Reuter (éds), op. cit., pp. 127-136. 40. Les sociabilités sont à considérer comme des médiations particulièrement intéressantes dans la mesure où elles obligent l’enseignant-médiateur à jouer sur les dynamiques sociocognitives des apprentis-lecteurs eux-mêmes. Les sociabilités sont par définition à la jonction d’un habitus et d’un champ : elles permettent l’incorporation des structures du monde culturel et autorisent la reconstruction d’un monde culturel par la mise en œuvre, plus ou moins transformatrice, de ces mêmes structures (voir P. Bourdieu, « Entretien sur la pratique, le temps et l’histoire », op. cit., pp. 169-173). L’intervention didactique consiste alors à articuler des objets d’enseignement et des conditions d’appropriation dans une perspective proprement praxéologique (sur ce point voir J.-F. Halté, op. cit., pp.16-17, et L. Cornu & A. Vergnioux, La Didactique en questions, Paris, CNDP-Hachette Éducation, 1992, pp. 69-70).

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échanges incessants et polymorphes qui sont à susciter entre lecteurs42. C’est l’idée maîtresse qui préside à un certain nombre de dispositifs didactiques expérimentés soit dans les classes, soit dans les établissements scolaires, soit en partenariat culturel avec les librairies et les bibliothèques43. L’intérêt pour les lieux non scolaires d’offre et de pratique du livre s’origine dans le fait bien établi que les plus grands/gros lecteurs, lettrés ou non, sont aussi ceux qui connaissent le mieux et fréquentent le plus les bibliothèques et les librairies. Cette loi du cumul culturel trace un programme de travail et une réflexion générale sur les conditions et les objectifs précis d’une coopération entre les partenaires du livre et notamment avec les bibliothécaires de la lecture publique. L’appropriation de ses lectures passe enfin par des pratiques de familiarisation textuelle et d’affirmation du pouvoir du lecteur sur les livres lus. Non seulement noter une référence ou relever une citation mais surtout, par exemple, s’autoriser à annoter son texte par des appréciations, des jugements, de remarques personnelles ; en d’autres termes, marquer son passage de lecteur, s’écrire, s’inscrire, s’exclamer crayon en main dans le texte pour en prendre une possession écrite : « nul », « bof », « discutable », « génial », etc. Comment en effet aider à l’investissement dans une lecture sinon en apprenant à relier matériellement, graphiquement, des passages qui sont éloignés les uns des autres, à faire des renvois internes, à construire des liens, à établir visuellement des relations. Lire n’est-ce pas lier, relire, relier ? Souligner, surligner, barrer ce qui déplaît aussi. Insérer des marques, des repères matériels, des petits bouts de papier, faire des cornes. Ces gestes de lecteurs balisent une lecture, la mettent en mémoire, la personnalisent en la matérialisant. Il s’agit en effet de s’attacher à alléger la tâche de lecture pour diminuer l’effort cognitif, effort normal pour tout lecteur engagé dans une lecture longue et/ou difficile. Or les modèles les plus scolaires de la lecture sont extrêmement exigeants et largement irréalistes en ce qu’ils imposent de ne lire qu’avec sa tête, sans l’aide de toute une technologie du travail intellectuel. Pourtant, il existe un outillage artisanal de la lecture, bricolé de fait par tout lecteur un peu expert. Cet artisan-lecteur, ce lecteur-bricoleur met en œuvre des savoir-faire concrets, des micro-actes de structuration et de capitalisation dont le rendement pratique et symbolique peut être décisif : baliser une lecture longue par des traces scripturales à même le texte, mener une relecture qui ne se borne pas à être une re-lecture ressassante et docile, savoir à moindre coût suspendre et reprendre une lecture, apprendre à partager le

41. P. Bourdieu, Les Règles de l’art, op. cit., pp. 242-243. J’élargis au lecteur ce que Bourdieu dit de la « fabrication » de l’œuvre. 42. M. Burgos et J.-M. Privat, « Le Goncourt des lycéens : vers une sociabilité littéraire ? », Lire en France aujourd’hui, sous la dir. de M. Poulain, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie, coll. « Bibliothèques », 1993, pp. 163-181. 43. Voir l’exemple développé par D. Lelièvre-Portalier & M.-C. Vinson, « La bouquinerie au collège : un nouveau marché de lecture », Pratiques, n° 80, décembre 1993, pp. 35-55.

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Socio-logiques des didactiques de la lecture

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De fait, ces apprentissages que nous qualifions d’artisanaux sont jusqu’à présent comme les parents pauvres de la maîtrise de la langue écrite. On laisse les élèves se débrouiller… ou s’embrouiller, faute de mettre en œuvre des habiletés polytechniques qui correspondent à ces compétences artisanales44. De plus, ces comportements liés à l’exercice de la raison graphique45, loin d’être tournés vers le passé, sont voués à se développer. En effet, les textes électroniques vont activer encore plus systématiquement cette économie pratique du lecteur et de ses lectures ; ils vont multiplier ces stratégies d’appropriation en décuplant les possibilités d’intervention du lecteur dans le texte, interventions que l’abolition du texte canonique, la disparition de la linéarité et l’effacement de l’opposition entre auteur et lecteurs facilitent. Indexer, annoter, copier, déplacer, recomposer, souligner, barrer, mettre en mémoire, etc. : « Le lecteur de l’âge électronique peut à tout moment intervenir sur les textes, les modifier, les réécrire, les faire siens46. » Il serait bon que ces opérations du lecteur de demain soient des opérations encouragées et pratiquées par tout jeune lecteur d’aujourd’hui, quel que soit le support. À charge pour l’enseignant d’en organiser l’apprentissage raisonné dans la mesure où ces facilitations procédurales – comme en production écrite – entrent dans les processus pratiques et symboliques de régulation, de planification et de révision d’une praxis intellectuelle structurée par la logique de la literacy.

44. Pour de plus amples développements, J.-M. Privat & M.-C. Vinson, « Médiations culturelles et médiations textuelles au lycée », Pratiques, n° 107-108, décembre 2000, pp. 205-219, et surtout J.-M. Privat et al., « Vers une didactisation des médiations textuelles », Cahiers du français contemporain, 7, novembre 2001, pp. 161-177. 45. J. Goody & I. Watt, « The Consequences of Literacy », Literacy in traditional societies, ed. by J. Goody, Cambridge U.P., 1968, pp. 27-68, et J. Goody, La Raison graphique, Paris, Minuit, 1979. 46. G. Cavallo & R. Chartier, op. cit., p. 37.

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travail de lecture, savoir lire plusieurs livres dans une même période de lecture, etc.

Jean-Paul BRONCKART

Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire des idées pédagogiques, on peut relever des prises de position didactiques qui, d’une part dénoncent l’« état des choses » (critique de la surcharge des programmes, des méthodes à caractère déductif, des relations pédagogiques fondées sur la contrainte, etc.) et qui, d’autre part manifestent un souci de définir des procédures d’enseignement adaptées aux capacités naturelles d’apprentissage des élèves : « l’enseignant serviteur de la nature », selon la formule célèbre proposée par Comenius dans sa Didactica Magna (1638/1981). Généralement inspirées des principes politico-philosophiques d’éducabilité, de progrès et de démocratisation, ces prises de position, si elles ont débouché parfois sur des innovations pédagogiques intéressantes, n’ont cependant guère exercé d’effets durables sur les démarches d’enseignement à l’œuvre dans les systèmes éducatifs. Il a fallu en réalité attendre le premier quart du XXe pour qu’elles soient réellement prises en compte, sous l’effet conjugué de leur reformulation par les pionniers de l’Éducation nouvelle et/ou de l’Éducation active, et de l’émergence d’un contexte socio-économico-politique rendant possible leur opérationnalisation. Depuis cette époque, il est formellement admis que toute démarche d’enseignement doit se fonder sur l’« état de développement psychologique des élèves », qu’elle doit notamment s’articuler aux compétences intellectuelles, aux capacités d’action et aux capacités verbales des apprenants. Même si elle n’est pas sans poser quelques problèmes délicats (dont notamment celui des rapports entre les besoins des élèves et les besoins de la

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Développement, compétences et capacités d’action des élèves



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société), cette injonction nous paraît recevable dans son principe, et le propos de cette contribution sera en conséquence d’analyser les conditions de sa faisabilité. Deux questions nous retiendront plus particulièrement : – Comment décrire et conceptualiser le « développement psychologique » ? – Comment exploiter nos connaissances des caractéristiques de ce développement dans le cadre des activités concrètes d’enseignement d’une discipline scolaire ?

A



La problématique du développement psychologique Si l’on excepte les courants d’inspiration exclusivement spiritualiste, qui sont dans un état de désuétude partielle, on peut identifier dans le champ de la psychologie contemporaine quatre conceptions majeures du développement : celle du behaviorisme, celle du constructivisme piagétien, celle du cognitivisme et celle de l’interactionnisme social. Pour caractériser ces différents paradigmes, nous évoquerons plus particulièrement les unités d’analyse qu’ils se donnent, la (ou les) démarche(s) interprétative(s) qu’ils appliquent à ces unités, et enfin le rapport qui s’y trouve posé entre développement et apprentissage.

1 Le behaviorisme Comme l’indique son appellation même, le behaviorisme commun (parfois appelé aussi « behaviorisme méthodologique ») se donne comme unités d’analyse les seuls comportements observables, c’est-à-dire les mouvements du corps humain accessibles, dans le temps et l’espace, à n’importe quel observateur ; et il exclut de sa problématique les phénomènes mentaux (états de conscience, représentations, affects, sentiments, etc.) en arguant du fait que ceux-ci n’étant pas observables, aucun accord ne peut être établi quant à leur statut et quant à leur existence même. Sur le plan de la démarche d’interprétation, ce courant se propose, sur le modèle des sciences de la nature, de fournir une explication causale des comportements : la cause d’un comportement x est un phénomène y (stimulus ou renforcement) dont l’occurrence est nécessaire et suffisante pour la production de ce même x. Dans d’autres versions de ce même courant, celle du behaviorisme « radical » de B.F. Skinner notamment, le terme de comportement inclut les activités mentales (l’unité d’analyse pourrait alors être qualifiée de « conduite ») et la démarche interprétative tient compte des effets des stimulations verbales et sociales. Mais la conception du développement humain ne change cependant pas fondamentalement comme l’indiquent trois des thèses soutenues par B.F. Skinner (1974/1979) :

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Développement, compétences et capacités d’action des élèves



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b) cet organisme devient un sujet psychologique lorsqu’il acquiert un répertoire propre de comportements, sous l’effet des renforcements auxquels il a été exposé au cours de son existence ; c) les institutions sociales, par le biais du langage, exercent un contrôle puissant sur les individus, et ces derniers y réagissent en tentant d’exercer un « contre-contrôle », qui est cependant rarement efficace. L’élément central de cette approche est que l’ensemble des caractéristiques comportementales ou mentales d’un individu est sous le contrôle des stimulations et des renforcements, physiques ou sociaux, du milieu. L’organisme individuel est conçu comme un réceptacle vierge, sans véritable dynamisme propre, qui est ensuite façonné de manière cumulative et linéaire, sous l’effet du milieu. Dans cette optique, le développement se confond alors avec la somme des apprentissages réalisés par l’organisme.

2 Le constructivisme piagétien L’unité d’analyse de la psychologie piagétienne est la conduite, définie comme le comportement y compris les faits mentaux qui l’accompagnent, mais l’objectif central de Piaget est moins l’explication des comportements observables que celle des conditions de construction des connaissances qui sous-tendent et orientent ces mêmes comportements. Chacun connaît les deux étapes de cette construction, exposées dans La Naissance de l’intelligence (1936), La Construction du réel (1937) et La Formation du symbole (1945). Au stade sensori-moteur tout d’abord, sous l’effet des processus d’assimilation et d’accommodation, les schèmes réflexes innés du bébé se transforment progressivement en un système de coordination des actions, ou en un système d’intelligence pratique, permettant une adaptation efficace au milieu, mais demeurant non accessible au sujet lui-même, ou encore non conscient. Ensuite, dès le début des stades opératoires, les propriétés de ce schématisme sensori-moteur sont intériorisées par l’enfant et réorganisées au plan des représentations, sous l’effet des mécanismes d’abstraction : l’abstraction empirique d’une part, qui porte sur les propriétés du monde (des objets, des événements) et les reconstruit en images mentales de plus en plus stables ; l’abstraction réfléchissante surtout, qui porte sur les propriétés des comportements adaptatifs des sujets, et qui contribue à transposer au plan représentatif les structures objectives de coordination des actions, les transformant par là même en structures opératoires, c’est-à-dire en structures de raisonnement de plus en plus logiques. Désormais le sujet n’opère plus seulement sur le monde, mais opère aussi sur les représentations qu’il s’en est forgées, et le système cognitif pratique est ainsi devenu un véritable « système de pensée ».

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a) l’homme est avant tout un organisme, dont l’équipement génétique est le produit des contingences de survie auxquelles l’espèce a été exposée au cours de l’évolution ;



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La démarche interprétative du constructivisme combine explicitement l’explication causale et l’explication par modèles. En ce qui concerne la première forme, Piaget considère, contrairement au behaviorisme, que les facteurs externes ne déterminent jamais unilatéralement les conduites, que celles-ci s’élaborent sous l’effet de mécanismes fonctionnels de coordination des actions, qui ne font eux-mêmes que « traduire » les propriétés fonctionnelles du système nerveux central ; les causes ultimes du comportement humain sont donc pour Piaget d’ordre biologique. Mais l’évocation de cette « base biologique » ne suffit cependant pas à expliquer le développement proprement psychologique du sujet, et pour rendre compte de ce dernier, Piaget a introduit ce qu’il qualifie d’explication par construction de modèles. Cette démarche consiste à formuler des hypothèses sur la structure de l’organisation mentale sous-tendant les comportements, puis à procéder à la validation de ces hypothèses, et elle se déploie en trois temps. D’abord, le recueil des données et l’établissement de « lois empiriques » attestant de la généralité de la dépendance d’un phénomène par rapport à un autre et permettant de la sorte la prévision (« si x, alors généralement y »). Ensuite, la mise en connexion des régularités observées et l’identification de nouvelles lois vraisemblables : les « lois déductives » qui découlent logiquement ou nécessairement de la combinatoire des lois attestées. Enfin, l’élaboration d’un modèle mathématique (groupement des déplacements, groupe INRC, etc.) intégrant les différentes lois selon ses normes propres de composition et construit de telle manière qu’il permette une mise en correspondance entre les transformations déductives qui le caractérisent et les transformations observables dans les comportements d’un sujet. Un tel modèle peut être validé par « retour aux données empiriques », et il n’est considéré comme explicatif que « dans la mesure où il permet d’attribuer aux processus objectifs eux-mêmes une structure qui lui est isomorphe » (1970, p. 114). Trois aspects des propositions piagétiennes méritent d’être soulignés. a) Le développement des connaissances s’effectue dans le seul cadre de l’interaction entre un individu solitaire et le monde en ce qu’il est physique (ou objectif) ; il repose en dernière instance sur les propriétés du système nerveux, et les médiations sociales (ou socio-sémiotiques) n’y jouent aucun rôle déterminant. b) Le développement est un processus continu de création de structures à caractère logico-mathématiques, censées rendre compte de l’ensemble des aspects du fonctionnement comportemental. Chez Piaget, les caractéristiques de la « raison pure » suffisent à expliquer tous les aspects des comportements pratiques, que ces derniers soient d’ordre affectif, social ou langagier. c) En conséquence, chez Piaget, c’est le développement bio-logique qui explique ou rend possibles toutes les formes d’apprentissage, y compris les apprentissages scolaires ; tout apprentissage dépend du stade de fonctionnement cognitif d’un sujet.

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Développement, compétences et capacités d’action des élèves



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C’est un lieu commun d’affirmer que ce courant se donne pour objet essentiel l’esprit humain, conçu en tant que « système de traitement de l’information ». Dans la perspective développée notamment par D.E. Rumelhart & D.A. Norman (1988), les comportements observables ne sont que des « signaux », relevant du milieu ou du « monde représenté », et constituant la base empirique à partir de laquelle le chercheur effectue des inférences. Celles-ci permettent d’élaborer des modèles rendant compte des caractéristiques structurales et fonctionnelles du « monde représentant », en l’occurrence des deux aspects de ce second monde que constituent, d’une part l’état physique du cerveau, d’autre part l’état des connaissances du sujet. Pour le cognitivisme, l’humain est donc essentiellement une mécanique qui traduit les informations disponibles dans le premier monde en représentations mentales, qui stocke ces représentations, les organise et les transforme. Les modèles successifs élaborés par ce courant (pour une présentation plus détaillée, cf. J.-P. Bronckart, 1991) présentent certes des différences notables : « modèles à base propositionnelle » dans lesquels la connaissance est représentée par des suites de symboles organisés en arbres, en réseaux, ou en configurations plus structurées (schéma, frame, script, plan) ; « modèles analogiques » qui visent à reproduire, de manière aussi directe que possible (c’est-à-dire tendant à l’isomorphisme), les caractéristiques du monde représenté, et dont la forme la plus élaborée est sans doute celle des « modèles mentaux » de P.N. Johnson-Laird (1983) ; « modèles procéduraux » qui ont pour but de simuler les savoir-faire pratiques, c’est-à-dire ces formes de connaissances « inaccessibles » que les sujets mettent en œuvre dans des activités concrètes (par exemple, les divers processus impliqués dans la prononciation du mot métaphysique). Mais dans tous les cas, ces modèles ont une architecture et un mode de fonctionnement explicitement inspirés par la « métaphore de l’ordinateur » (cf. J. McClelland & D.E. Rumelhart, 1986) : prenant appui sur la cybernétique et sur l’intelligence artificielle (IA), le cognitivisme considère que l’esprit humain est structuré et fonctionne comme un ordinateur. Sur le plan de la démarche interprétative, le cognitivisme orthodoxe constitue de fait une forme de prolongement de la démarche piagétienne d’explication par construction de modèles, et on peut donc lui appliquer les mêmes critiques générales : le « monde représenté » source des données empiriques est exclusivement physique (c’est-à-dire a-social et anhistorique) ; l’unité d’analyse est limitée aux connaissances formelles élaborées à propos de ce monde ; son champ de validité est celui de la seule raison pure, non celui des comportements pratiques. Par rapport au constructivisme, le cognitivisme présente cependant deux différences essentielles, qui nous conduiront à aggraver encore notre critique. Alors que la démarche piagétienne est « génétique » (centrée sur la genèse des conduites), et invoque comme cause ultime du développement des connaissances les lois fonctionnelles de

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3 Le cognitivisme orthodoxe



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la vie organique, le cognitivisme postule de fait un innéisme de structure : l’architecture des différents modules dévolus au traitement de l’information serait préprogrammée et reposerait directement sur l’équipement biologique de l’espèce. Ce retour à une position fixiste a deux conséquences théoriques capitales. Tout d’abord, il empêche de poser véritablement le problème du statut des informations que traite l’esprit : celles-ci semblent constituer des universaux déjà là, qui relèveraient d’une logique immanente du monde des choses. On retrouve ici le paradoxe constant des positions non interactionnistes et leur présupposition d’un monde tout entier préconstruit que nos structures mentales ne feraient que retrouver ; l’impasse à laquelle conduit cette position a pourtant été démontrée depuis longtemps par le Tractatus et par l’œuvre de Wittgenstein en général ! Ensuite, s’agissant de la forme d’organisation des représentations mentales, le cognitivisme, récusant la logique émanant de l’interaction, postule l’existence d’un système symbolique inné dont les unités et la syntaxe ne seraient autres que celles de la grammaire générative. Le langage de l’esprit serait donc organisé comme le langage humain, celui-ci n’étant toutefois pas saisi en tant que système sous-tendant les pratiques verbales à l’œuvre dans les sociétés humaines, mais, comme le reconnaît benoîtement J.-P. Desclés, en tant que « système symbolique séparé de son environnement socioculturel et anthropologique » (1980, p. 82). En raison du double postulat fixiste sur lequel il repose (préexistence d’informations dans le monde et innéité des structures de l’esprit), le cognitivisme peut certes invoquer les compétences mentales dont disposerait chaque sujet, mais il se révèle en réalité inapte à poser et la problématique du développement, et a fortiori celle de l’apprentissage. Pour synthétiser, le postulat philosophique sur lequel reposent de fait le cognitivisme modulariste et le constructivisme piagétien est, explicitement chez le premier, implicitement chez le second, le dualisme cartésien : la distinction radicale entre d’une part le monde de la matière objective, des objets inscrits dans l’espace et entre lesquels peuvent être posées des relations causales, et d’autre part le monde de l’esprit, des pensées radicalement immatérielles qui se déploient en implications logico-mathématiques, et qui constitueraient une propriété sui generis du cerveau humain. En d’autres termes, ces conceptions s’inscrivent dans la lignée de l’idéalisme subjectif ; elles admettent que l’esprit ou les idées sont une propriété spécifique de l’âme humaine, en l’occurrence rebaptisée « cerveau ». Et s’il peut être acceptable d’un point de vue religieux (il suffit d’admettre la spécificité de la « création » de l’homme), ce principe d’idéalisme subjectif reste pour le moins problématique d’un point de vue scientifique. Nous ajouterons encore que si le cognitivisme renvoie aux formes les plus primitives de ce courant de pensée (il s’articule aux Analytiques d’Aristote, et à leur remise à jour par Port-Royal), Piaget lui, a au moins intégré Kant et son analyse critique des conditions de construction de la raison humaine. Mais dans l’une et l’autre

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conceptions, aucune place n’est accordée au social dans le processus de développement ; les constructions historiques des groupes humains n’interviennent ni à titre de fondements de la pensée (celle-ci est biologique en son origine), ni à titre de facteur de développement de l’enfant ; celui-ci est censé se développer sans les interventions des adultes, et plus généralement, à l’abri de toutes les formes de médiations socioculturelles. Enfin et en conséquence, dans un tel cadre, le telos du développement, ce vers quoi est censé tendre inéluctablement le fonctionnement psychique humain, est une raison, de plus en plus pure, de plus en plus abstraite, de plus en plus mathématique. Et à y réfléchir un instant, il n’est pas évident que ce postulat ne puisse pas être discuté. À nos yeux, le behaviorisme s’articule à un questionnement philosophique plus acceptable, précisément en ce qu’il récuse d’emblée l’idéalisme subjectif, en même temps qu’il tente d’inscrire la psychologie dans les sciences de la nature. Mais l’homme pense, indiscutablement, et le behaviorisme commun a éprouvé la peine que l’on sait à en tenir compte, en niant d’abord la réalité du fonctionnement psychique, chez Watson ou chez Weiss, en le réduisant ensuite à un épiphénomène au statut lui aussi bien mystérieux. Lorsqu’il admet l’existence de la pensée, ce behaviorisme-là bascule de fait dans l’idéalisme objectif ; il admet la préexistence, de toute éternité, de l’esprit dans la matière. Position qui n’est guère plus tenable que celle de l’idéalisme subjectif, et que B.F. Skinner a magistralement récusée, en même temps qu’il indiquait la seule voie possible pour dépasser cette contradiction : la pensée humaine est le produit de l’intériorisation du langage, et donc du social. Mais le social de B.F. Skinner a ceci de particulier qu’il est anhistorique, a-culturel et homogène : il n’est qu’un ensemble de règles verbalisées exerçant une action unilatérale sur le devenir de chaque humain.

4 L’interactionnisme vygotskien Réalisée en à peine dix années, dans un contexte personnel et sociopolitique difficile (il se savait condamné par la tuberculose et était en permanence menacé par le stalinisme naissant), l’œuvre de Vygotski apparaît aujourd’hui surtout comme un projet : unifier l’objet de la psychologie en même temps que sa démarche interprétative. Ce projet s’articule, comme on le sait, à la tradition moniste héritée de Spinoza : il n’existe pas, comme le soutient le dualisme, d’une part un monde matériel, d’autre part un monde psychique spécifiquement incarné en l’homme ; mais la nature matérielle est une et d’un seul tenant et c’est la seule réalité accessible à notre connaissance. Mais le monisme spinozien admet également le Cogito de Descartes, à savoir que l’humain témoigne d’une activité mentale (la pensée) en même temps qu’il témoigne d’une activité corporelle (le comportement). Le problème qui se pose dès lors au

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

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monisme est d’expliquer comment la même substance naturelle est susceptible de se réaliser d’une part en mouvement des corps, d’autre part en activité de l’esprit. Chez Spinoza, comme plus tard chez Hegel (dont la méthode dialectique a fortement inspiré Vygotski), cette question était résolue par l’idéalisme objectif, qui n’était lui-même que la conséquence d’un panthéisme explicite : les idées préexistent de toute éternité dans la matière, parce qu’elles ne sont que la manifestation de l’activité divine, infinie et parfaite. Rejetant le panthéisme, et plus généralement la question de la déicité, Vygotski ne pouvait évidemment admettre la thèse de l’idéalisme objectif. Il lui fallait donc se doter d’une conception du statut et de l’origine de l’idéel qui soit différente, tout en restant compatible avec le monisme spinozien et avec la dialectique hégelienne, et c’est dans les écrits de Marx et Engels qu’il identifiait une voie de solution à ce problème. Dans les Thèses sur Feuerbach, et dans L’Idéologie allemande, ces auteurs, tout en conservant les principes mêmes de la dialectique hégelienne, en inversent le postulat de départ : ce n’est pas la dialectique de la conscience qui explique la vie matérielle et l’histoire des peuples, mais c’est la vie matérielle des hommes qui explique leur histoire, et le fonctionnement psychique humain n’est dès lors qu’un produit de cette vie matérielle. Et ils affirment en outre que la spécificité de l’essence humaine, en particulier sa capacité de pensée active, ne peut découler directement des propriétés du corps humain ; elle ne peut procéder, comme le montre Engels dans La Dialectique de la nature que de la réintégration, en l’humain, des propriétés de la vie sociale objective, dans ses aspects de praxis, d’action et de langage. La voie pour Vygotski était dès lors toute tracée ; il s’agissait de démontrer comment le social se mue en idéel, et comment ensuite l’idéel interagit avec le corporel. Dans son œuvre proprement psychologique, Vygotski n’a cependant pu, pour les raisons évoquées plus haut, donner une forme explicite à cette démonstration, et nous sommes donc contraints d’inférer, en nous fondant surtout sur les derniers chapitres de Pensée et langage, le statut même de la solution qu’il proposait. La thèse des deux racines du développement est bien connue, mais il ne nous paraît pas inutile de la reformuler. En une première étape de l’ontogenèse, on peut observer la coexistence de deux racines disjointes, l’une qualifiée de « stade préverbal de l’intelligence », l’autre de « stade pré-intellectuel du langage ». Témoignent de l’existence de la première racine les capacités des enfants de moins de 15 mois à résoudre, sans recourir au langage, divers problèmes cognitifs (notamment la distinction des moyens et des fins, et leur reconnexion dans le cadre d’actions pratiques). Témoigne de l’existence de la seconde racine le développement de formes successives d’interaction avec les partenaires sociaux, qui sont régulées par les productions vocales (et plus largement sémiotiques : les mimiques et les gestes y jouent également un rôle), mais qui n’auraient « rien de commun avec le développement de la pensée » (1934/1985, p. 126). En une seconde étape, l’apparition du langage, c’est-à-dire l’émergence d’une capacité de production d’entités sonores reconnues par l’entourage comme des

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« signes » d’une langue naturelle, procède de la fusion de ces deux racines. Une fois apparu, le langage se développe (en une troisième étape) selon deux axes fonctionnels distincts. Les productions verbales de l’enfant remplissent d’abord une fonction sociale de communication et d’interaction avec l’entourage ; en même temps qu’elles s’intériorisent, elles remplissent ensuite une fonction individuelle de planification et de contrôle des actions propres. Le langage intériorisé devient alors (quatrième étape) l’organisateur fondamental du fonctionnement psychologique de l’enfant. L’ensemble des constructions mentales issues de la racine préverbale de l’intelligence est désormais pris en charge et contrôlé par des unités langagières, dont l’enfant sait qu’elles sont signifiantes, et sur lesquelles il va donc pouvoir opérer. Le fonctionnement psychologique devient ainsi fonctionnement conscient, et la pensée s’instaure comme produit de l’intériorisation des unités et des structures de la langue de l’entourage social. Cette conception « en Y » du développement n’est pas sans poser d’importants problèmes, que nous avons exposés en détail ailleurs (cf. J.-P. Bronckart, 1997). Mais elle permet cependant d’inférer ce que sont les unités d’analyse, les principes explicatifs et la démarche interprétative d’une psychologie interactionniste. L’unité d’analyse de la psychologie de Vygotski est l’action médiatisée par le langage, ce qui correspond grosso modo à la notion d’« action censée » proposée dans un autre contexte par M. Weber (1971), par P. Ricœur (1986) et par J. Habermas (1987) : une séquence organisée d’événements imputables à un agent ou à une personne (organisme doté de capacités d’action), auquel peuvent être attribués des motifs (représentations rétroactives des raisons d’agir) et des intentions (représentations proactives de l’effet de l’action). Le principe explicatif de cette unité est l’activité collective, c’est-à-dire le flux continu d’actions auxquelles participent et collaborent plusieurs agents, dans le cadre structurel d’une ou plusieurs formations sociales. Cette activité collective étant par ailleurs en permanence soumise aux évaluations verbales, à un travail d’entente et de négociation ayant trait à la vérité et à l’efficacité des actions (à leur validité par rapport au monde en ce qu’il est objectif), à leur conformité sociale, et à leur authenticité subjective. Dans cette optique, l’action d’un agent humain est essentiellement le produit de l’intériorisation et de l’autonomisation des propriétés de l’activité collective, telle qu’elle est évaluée dans le langage. Et pour des raisons techniques que nous ne pourrons développer ici, la relation de dépendance ou de détermination entre activité collective et action sensée ne peut s’interpréter ni en termes de causes, ni en termes de modèles ; selon la formule de G.H. von Wright (1971), elle ne peut faire l’objet que d’une interprétation compréhensive, dont P. Ricœur ajoute qu’elle relève de l’herméneutique. Dans une telle conception, ce sont à l’évidence les médiations sociales qui entraînent et organisent le développement : de manière strictement inverse à ce que proposait Piaget, « c’est l’apprentissage (social) qui “cause” le développement ».

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

Bref retour à la didactique

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L’accent qui vient d’être porté sur les problématiques philosophique et méthodologique peut paraître nous éloigner des questions de didactique. Nous pensons qu’il nous y ramène au contraire bien plus sûrement. La critique que nous adressons au cognitivisme est radicale pour ce qui concerne ses fondements épistémologiques et pour l’avenir qu’elle prétend tracer à la psychologie. Mais, comme ce fut le cas naguère du behaviorisme, la plupart des chercheurs n’adhèrent à ce courant qu’en tant qu’il constitue une mode difficilement contournable, et que les postulats épistémologiques n’y fonctionnent en quelque sorte que « par défaut ». Ce qui signifie que les multiples données empiriques recueillies dans ce cadre sont, en soi, respectables et doivent être prises en compte. Mais, pour le didacticien, la question que posent ces données est celle de leur statut ou de leur interprétation. S’agissant de la lecture par exemple, si des expériences de psychologie cognitive démontrent que les processus de bas niveau, comme la conscience phonologique, jouent au départ un rôle plus décisif que les processus de haut niveau, qu’est-ce que cela implique pour les activités d’enseignement et d’apprentissage scolaire ? Et la même question peut être posée pour ce qui concerne les données relatives à la production ou à la compréhension des textes, ou pour tout autre corpus de données relatives à l’acquisition du langage. La leçon majeure de trois quarts de siècle de psychologie du développement, que celle-ci relève du constructivisme piagétien ou de l’interactionnisme social, est que les caractéristiques d’un état synchronique de fonctionnement psychologique ne permettent jamais de préjuger directement des modalités de construction de cet état, c’est-à-dire des processus dont il est le produit. Et c’est à l’évidence au niveau de ces processus mêmes que peut intervenir la démarche d’enseignement. Les données élaborées par la psychologie cognitive doivent donc impérativement être réintégrées à une conception du développement épistémologiquement crédible et pratiquement opérationnelle, ce qui implique notamment l’abandon de l’inutile postulat d’innéité des structures mentales. Cette psychologie du développement ne peut être à nos yeux le constructivisme piagétien, quelles que soient par ailleurs son indiscutable richesse et son exceptionnelle précision. Historiquement, l’œuvre piagétienne a eu le mérite de donner une caution scientifique aux injonctions de bon ton que nous évoquions au début de cet exposé : « il faut tenir compte du stade de développement de l’élève ». Mais au-delà de cette valeur injonctive, la psychologie piagétienne est de fait peu applicable à l’enseignement des langues, et ce pour deux raisons principales. La première est que le constructivisme a comme unique objet le développement de la pensée logico-mathématique, ou encore l’élaboration des règles de fonctionnement décontextualisées de la « raison pure ». Or, dans leur principe même, les règles d’organisation et de

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fonctionnement de la langue et des discours sont d’un autre ordre, celui d’une « raison pratique » contextualisée, ou encore fonctionnellement articulée aux caractéristiques de l’activité sociale et culturelle. Et il est d’ailleurs significatif à cet égard que la problématique du langage soit quasiment absente de l’œuvre piagétienne. On pourrait penser alors que la psychologie piagétienne est transposable à la didactique des mathématiques, par exemple, mais il s’agit aussi d’un leurre relatif, et ce pour une seconde raison, plus profonde et plus générale. Les possibilités d’apprentissage sont, dans la logique constructiviste, la conséquence des caractéristiques d’un stade de développement ; il importe donc de connaître ce stade pour choisir la démarche d’enseignement à mettre en œuvre. Or, comment identifier ce stade chez chacun des élèves composant une classe ? L’expérience montre que, dans les conditions de travail qui sont les siennes, un enseignant n’a ni le temps ni les moyens de procéder à l’évaluation de cet état ; de manière plus concrète, aucun enseignant ne peut administrer régulièrement les multiples tests susceptibles de fournir un « bilan cognitif » sérieux de chaque élève. Cette impossibilité est radicale, incontournable, et en conséquence l’enseignant ne peut que supposer un état théorique, ou un état cognitif moyen, qui est celui de la classe d’âge à laquelle appartiennent les élèves. Les rapports entre behaviorisme et enseignement ont fait déjà l’objet de nombreux commentaires, que nous ne reformulerons pas ici. Nous relèverons cependant que le behaviorisme a proposé de multiples techniques locales d’apprentissage, qui méritent d’être sérieusement analysées. D’abord parce que ces techniques continuent d’être utilisées, concrètement, dans la majorité des situations didactiques, et qu’il y a lieu de se poser la question du pourquoi de cette efficacité, réelle ou ressentie comme telle. Ensuite, parce que ce sont vers ces techniques que se tournent de facto, mais sans bien sûr l’avouer, les démarches d’intervention pratique officiellement inspirées du cognitivisme, comme en témoignent par exemple certaines des techniques proposées dans l’ouvrage de X. Seron et Ch. Laterre, intitulé pourtant Rééduquer le cerveau (1982). Mais le « déficit social » du behaviorisme reste néanmoins trop important, et les démarches didactiques qui s’en inspirent prennent le plus souvent l’allure de simples reformulations positivistes des techniques traditionnelles de transmission des savoirs. D’une part, la signification des objectifs visés n’est jamais véritablement questionnée : les comportements à promouvoir relèvent des normes en usage, dans la société telle qu’elle est, et sont de ce fait « réifiés » ou « naturalisés ». D’autre part, l’apprenant est conçu sur le modèle de la tabula rasa, ce qui interdit la prise en compte de ses capacités et de ses stratégies propres, tant sur le plan cognitif que socio-affectif. Il ne nous reste dès lors que le recours à l’interactionnisme social, en raison de la justesse de son questionnement épistémologique d’une part, en raison de l’accent qu’il porte sur la problématique des apprentissages d’autre part (ces deux aspects étant d’ailleurs profondément liés). Pour être plus explicite,

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si cette option nous paraît la plus adaptée à la solution des problèmes didactiques, c’est d’abord parce qu’elle est délibérément centrée sur l’analyse du développement humain dans son cadre social, et notamment dans le cadre scolaire. C’est ensuite parce qu’elle pose que ce sont les interventions humaines, les activités collectives médiatisées par le langage et les significations socioculturelles qui en émanent, qui orientent les apprentissages des élèves. C’est encore parce qu’elle reconnaît que ces apprentissages sont les ingrédients constitutifs du développement lui-même, et qu’en conséquence, étant donné la diversité et la complexité des interventions sociales, ce développement s’opère, pour chaque apprenant, à des rythmes différents et selon des modalités spécifiques (cf. B. Schneuwly, 1994). C’est enfin parce que cette option propose des ébauches de conceptualisation des conditions d’apprentissage en situation scolaire qui peuvent être considérées, en droit, comme des ancêtres des concepts que proposent aujourd’hui les didactiques des disciplines scolaires. La plus connue de ces ébauches de conceptualisation est évidemment celle de Zone de Développement Proche (ZDP), cet « espace de développement » qui se délimite et se construit dans une intervention didactique. Un élève peut ne pas être capable de réaliser une tâche en mobilisant ses seules capacités psychologiques actuelles, mais il peut y parvenir lorsque la collaboration avec l’adulte (l’enseignant) ou avec certains camarades plus avancés lui apporte de nouveaux contenus, lui fournit des instruments psychologiques nouveaux, ou encore l’oriente vers une nouvelle procédure de résolution du problème. Avec M.-J. Besson, nous avons tenté d’élucider les conditions d’exploitation de cette notion dans le cadre de la didactique de la grammaire comme dans celle de la production textuelle (cf. M.-J. Besson & J.-P. Bronckart, 1995). Nous avons notamment mis l’accent sur la nécessité d’élaborer des unités d’action didactique (les « activités-cadre »), orientées par un projet. Nous avons également souligné la nécessité de définir les unités d’apprentissage dans la même perspective actionnelle ou fonctionnelle. Nous avons encore relevé l’importance du discours autoréflexif de l’élève pour l’appropriation et la maîtrise de ces objets d’enseignement. Il faut en convenir cependant, cette exploitation possible de la ZDP ne débouche sur rien de miraculeux, et elle n’est pas sans présenter même un caractère de banalité ; en l’état actuel de sa conceptualisation, cette notion sert surtout à fédérer et à solidifier des pratiques didactiques déjà à l’œuvre dans ce que nous considérons comme les meilleures des démarches actives et/ou « rénovées ». En un premier temps, ce constat ne nous étonnera pas outre mesure. Après tout, si l’on accepte vraiment la réévaluation des rapports entre disciplines scientifiques et disciplines d’intervention, telle qu’elle émane de la didactique elle-même, à savoir le caractère fondamentalement dialectique du rapport entre pratiques en situation et « savoir savant », il n’y a rien de désobligeant pour un concept à constituer un miroir de pratiques déjà là. Nous ajouterons même que pour ce concept, c’est plutôt bon signe ! Mais

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en un second temps, il faut quand même admettre le caractère d’ébauche du concept de ZDP, et plus généralement, le caractère programmatique, inachevé et insuffisant des propositions de l’interactionnisme social. Et c’est une des directions qui nous paraît devoir être prise pour dépasser cet état qui sera évoquée en guise de conclusion. La psychologie de Vygotski reste, comme celle de Piaget, et quelles que soient les hésitations que l’auteur ait pu manifester sur ce point, marquée par une conception très rationaliste du développement, par l’idée que le devenir humain est en définitive tendu vers la construction de connaissances toujours plus rationnelles et plus décontextualisées, quand bien même ce sont des significations contextualisées, des représentations sociales, qui caractérisent les phases initiales de ce processus. La conséquence en est que le développement est censé se produire dans l’interaction et la coopération de partenaires « de bonne foi », qui ne rencontrent que des obstacles d’ordre scientifique dans l’élaboration de la connaissance de la vérité du monde. Mais tout enseignant est, on le sait, quotidiennement confronté à la « mauvaise foi », au refus, à l’incapacité inexplicable de comprendre et d’apprendre. Et ce parce que les cadres culturels et familiaux, les caractéristiques socio-affectives des élèves constituent l’obstacle majeur du développement, ou si l’on préfère, le terrain même en lequel s’élabore ce développement. C’est dans la compréhension, la négociation et l’exploitation même de ce terrain que doit s’orienter la recherche de solutions didactiques. Ce qui signifie plus largement que l’interactionnisme social a encore un long chemin à accomplir pour proposer une conception du développement et des apprentissages qui soit véritablement culturelle et véritablement sociale.

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Didactique du français : histoire, institutions, acteurs

Les quatre contributions réunies dans cette troisième partie essaient de circonscrire en diachronie et en synchronie la didactique du français langue maternelle comme un champ de recherches et d’interventions – double vocation qui fait, semble-t-il, désormais consensus. Si l’on ne peut prétendre encore faire l’histoire sociale de la discipline, au moins peut-on percevoir les évolutions institutionnelles, les variations en fonction des contextes géographico-culturels, les complexités de fonctionnement eu égard à la multiplicité des acteurs impliqués. Il est clair que l’histoire des Instructions officielles et programmes, des activités, des exercices constitue une donnée essentielle pour la compréhension des dispositifs didactiques tout comme l’examen des lieux de recherche, de décision et d’édition. L’imbrication des questions épistémologiques et institutionnelles semble aussi un phénomène particulièrement prégnant dans notre champ et paraît singulièrement s’illustrer dans la figure du formateur soumis à des injonctions contradictoires qu’il partage partiellement avec l’« enseignant-chercheur ». Enfin, il est important et fécond que se pose toute une série de problèmes sur l’amplitude du terrain couvert par la didactique du français là où les considérations historico-politico-institutionnelles déterminent des cloisonnements (par exemple entre didactique du français langue maternelle, étrangère et seconde) que ne justifieraient vraiment ni les fondements théoriques ni l’examen des conditions concrètes des processus d’apprentissage. Si cette troisième partie pouvait au moins suggérer la nécessité de ne pas séparer l’histoire intra-conceptuelle de la discipline de ses contextes culturels au sens large, le pari serait tenu.

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Troisième partie

André PETITJEAN

Je voudrais décrire et interpréter l’évolution de l’enseignement de la « rédaction » au primaire de 1915 à 1945 et contribuer ainsi, après A. Chervel, J. Hébrard, A.-M. Chartier, F. Marchand, B. Schneuwly… aux recherches historiques sur la discipline. J’examinerai l’exercice, sa finalité, ses formes et ses contenus et son évolution dans la période étudiée. Pour effectuer ce travail, je me suis appuyé : – sur les textes officiels (les Instructions officielles de 1923-1924 et de 1938, ainsi que les décrets et les circulaires qui les accompagnent) ; – sur les intermédiaires didactiques, en particulier les manuels scolaires et des écrits didactiques (articles issus de revues pédagogiques, essais pédagogiques essentiellement écrits pour les inspecteurs) ; – sur les travaux des élèves (cahier unique, cahier de rédaction, devoirs de vacances…)1. Traitant successivement du dispositif de 1923 et de celui de 1938, j’ai adopté la démarche suivante : – je pars des Instructions officielles que je compare afin de faire ressortir les continuités et les innovations ; 1.

Je remercie les services de documentation de l’INRP et du Musée national de l’éducation (Mont Saint-Aignan) pour leur compétence et leur disponibilité.

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Variations historiques : l’exemple de la « rédaction »



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

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– j’analyse les manuels à la fois pour concrétiser les propos programmatiques des textes officiels et pour mesurer les écarts pouvant exister entre ces discours didactiques ; – j’illustre ponctuellement mon propos par des textes d’élèves figurant en annexe.

A



1923 La composition française est placée au sommet du dispositif didactique : elle « permet de vérifier l’efficacité des autres », elle apparaît comme un bon moyen « d’apprécier la culture de l’enfant » et elle se voit attribuer une fonctionnalité sociale (elle est l’exercice « qui lui rendra le plus de services dans la vie »). Exercice suprême, la composition française est aussi l’exercice qui connaît, comme le regrettent les Instructions et de nombreux manuels, un degré de réussite très médiocre pour la majorité des élèves. Les auteurs des Instructions se livrent à des hypothèses sur ce dysfonctionnement didactique. Selon eux, pour réussir sa rédaction, il faut : 1. que l’enfant possède un volume suffisant de connaissances encyclopédiques (une « collection d’idées »). Celles-ci sont acquises grâce aux « autres disciplines (littéraire, historique et scientifique) » et permettent d’enrichir ce qui correspond à l’inventio dans la tâche rédactionnelle ; 2. que l’enfant ait une maîtrise suffisante de l’elocutio telle qu’il a pu l’acquérir grâce « aux exercices de vocabulaire et d’élocution, aux leçons de grammaire et d’orthographe » qui lui fournissent une « collection d’expressions ». La possession des idées et la maîtrise de l’expression sont considérées comme des prérequis nécessaires à la rédaction et jamais comme pouvant être obtenues, rétroactivement, par l’activité rédactionnelle elle-même. C’est pourquoi l’exercice de composition française, qui ne devrait commencer qu’au CM, est réservé au cours supérieur (« la véritable rédaction n’apparaîtra qu’au cours supérieur »), sachant que dans les années antérieures, l’apprentissage de l’écriture doit se réduire à des « exercices de composition de phrases ».

1 La composition de phrases Cette partition étagée entre composition de phrases et composition de textes est révélatrice d’une conception mécaniste de l’écriture, à l’intérieur de laquelle l’enfant est censé progresser linéairement du simple au complexe.

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Au cours élémentaire, l’exigence scripturale se limite à la production de quatre ou cinq idées exprimées, chacune d’elles dans le moule d’une phrase simple (« Soit le sujet La pendule. Les élèves du cours élémentaire écriront, par exemple : « la pendule marque les heures ; la pendule sonne les heures ; la pendule est sur la cheminée ; la pendule est arrêtée »). Au cours moyen, l’élève devra : 1. combiner ses phrases par coordination ou par juxtaposition (« la pendule marque les heures et une sonnerie les annonce » ; « la pendule est arrêtée, il faut la remonter ») ; 2. enrichir son idée à l’aide d’une phrase complexe (« Quand la pendule marche, on entend son tic-tac ») ; 3. passer des phrases uniquement déclaratives à d’autres modalités phrastiques (négative et interrogative) ; 4. effectuer des manipulations phrastiques (déplacement par inversion et condensation de phrases expansées) ; 5. réussir à écrire un paragraphe. « Moins exigeant à cet égard que l’ancien plan d’études, le nouveau conseille aux instituteurs de borner l’effort des enfants de dix ans à la construction d’un paragraphe. Après avoir imaginé quelques phrases sur un sujet déterminé, les grouper logiquement en un développement d’une douzaine ou d’une quinzaine de lignes, voilà tout ce qu’on demande à ces enfants. C’est tout ce qui est demandé à la première partie de l’exercice du certificat d’études primaires, à celle qui sanctionnera les études faites au cours moyen. » Remarquons que les Instructions peuvent d’autant mieux atomiser le savoirécrire – même si elles demandent de la souplesse dans l’application de ces directives (« Quoique nous venions d’indiquer une méthode et même un programme pour la construction des phrases, nous recommandons aux maîtres de n’en pas être trop esclaves ») – qu’elles ne disent rien des modalités de passage des parties au tout, si ce n’est que le groupement des éléments se fait logiquement (« les grouper logiquement en un développement »). Les paragraphes consacrés à la composition de phrases s’achèvent par une liste de sujets conseillés (le chat, le chien, la poule, le soleil, la lune, la rivière, le blé, la pendule, la lampe, le maçon, le menuisier, la violette, le repas, la promenade…). Comme l’illustrent les exercices proposés par Maquet, Flot et Roy, la commande scripturale est de l’ordre de la description, à partir d’une matière référentielle supposée connue de l’élève ou présentée à l’aide d’un support iconique. C’est ainsi qu’à partir de trois vignettes qui représentent une chambre, la boutique de l’épicier et la cour d’une ferme, on demande à l’élève de réaliser l’activité suivante :

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Variations historiques : l’exemple de la « rédaction »



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« Énumérez tous les objets qu’on voit dans cette chambre, en commençant par les plus importants. Composez deux phrases sur la chambre. Énumérez les objets qu’on voit dans une cour de ferme. Composez deux phrases sur : 1˚ la charrette ; 2˚ le puits ; 3˚ la mare. »

Cette conception de l’activité d’écriture se caractérise par une survalorisation du référent (l’objet à décrire) au détriment de la dispositio (rien n’est dit sur la cohésion interphrastique) et des enjeux communicationnels (décrire à qui, pour produire quels effets ?).

2 La composition de textes Indifféremment baptisé « rédaction » ou « composition française », l’exercice officiel est traité par les Instructions de façon assez générale. Quatre thèmes sont cependant abordés : – le type de sujets, – la préparation, – l’évaluation, – la motivation. Au niveau des sujets, les Instructions de 1923 désavouent la place privilégiée que le plan antérieur (1887) accorde à certaines descriptions. « Ce que nous avons délibérément laissé de côté, ce sont les arides descriptions des objets inertes qui ne suggèrent rien à l’imagination et n’éveillent aucune émotion… » Ce que vise ici le législateur ce sont des sujets du type « une plume, un sou, un timbre-poste, une montre, un jouet » que l’élève doit traiter en répondant aux questions suivantes : « 1) Quel est-il dans l’ensemble, quelles sont sa forme, ses dimensions, de quoi est-il fait ? Quelles sont ses différentes parties ? 2) À quoi nous sert-il ou pourquoi êtes-vous content de l’avoir ? » Remarquons ici que les Instructions n’excluent pas, loin de là, les descriptions, la liste des sujets qu’elles proposent en annexe en témoigne (ex. : « Votre chat. Son aspect, sa démarche. Ses habitudes » ; ex. : « Description d’un champ au moment des semailles… » ; « Décrivez le moulin sur la rivière »), mais accordent leur préférence à des entités référentielles animées (animal, personne) ou à des scènes qui impliquent des descriptions d’actions (« un jardin public », « un marché aux légumes »). La prépondérance est donnée aux narrations qui sont soit des récits d’expériences vécues (« Racontez une maladie que vous avez eue »), soit des récits « imaginaires » (« Une vieille plume raconte son existence depuis le jour où, toute brillante, elle est sortie de sa boîte »). Sont proposées aussi des lettres, au niveau du cours moyen (ex. : « Lettre à un camarade qui a quitté le village ou la ville ») et, pour le cours supérieur, des sujets de « réflexion » (« Le travail est-il seulement une nécessité ? Ne nous procure-t-il pas des joies et lesquelles ? »).

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Écho feutré des travaux de Célestin Freinet, les Instructions invitent les instituteurs à favoriser des textes libres au nom d’une représentation positive des « apprentis-scripteurs » : « […] la rédaction libre mettra en valeur tantôt la spontanéité et la fraîcheur des sentiments, tantôt le goût littéraire, tantôt l’ingéniosité intellectuelle de vos élèves. » Au niveau de la préparation du devoir, les Instructions de 1923 prennent leurs distances par rapport aux pratiques antérieures. Au nom de la liberté imaginative des élèves, elles contestent ce qu’elles appellent « la préparation collective trop directe et trop précise » qui fait « à sa place sa besogne », lui trace « d’avance un plan détaillé » et lui fournit « des idées et des expressions toutes faites » qu’il se contente de reproduire. Témoignent de cette pédagogie directive un exemple de sujet traité par F. Amand, La Pratique de la Composition française, Cours moyen et supérieur, Nathan, 1913 : « Vos parents viennent de recevoir une lettre. Décrivez le timbre-poste qui l’a affranchie et racontez son histoire. PLAN I. Description du timbre neuf II. Le timbre collé sur une enveloppe III. Son voyage. Ses maculations IV. Pourquoi l’État impose-t-il l’affranchissement des correspondances ? »

et la rédaction d’un élève de CM1 (voir Annexe 2). Ce même esprit de libéralisme influence les propos tenus sur les modes d’évaluation. Rien n’est dit de précis sur les critères de cohérence textuelle ni sur les normes linguistiques, mais on invite l’instituteur à agir de façon telle que sa correction soit « ferme et compréhensive » afin de maintenir les élèves « dans l’état d’alacrité, d’entrain joyeux, de libre élan […] ». Comme on le voit, les Instructions de 1923 font un portrait idyllique de l’élève (il possède une « vive sensibilité » et une « fraîche émotion »). Elles insistent sur le facteur de la motivation dans l’acte d’écriture (« Si en promenade scolaire, il s’enthousiasme pour la beauté d’une fleur, il éprouvera le besoin soit de la dessiner, soit de la décrire »). Elles attribuent à l’apprenant des qualifications qu’elles empruntent à l’arsenal des représentations romantiques de l’écrivain (« passion », « enthousiasme », « émotion », « spontanéité », « imagination »). Ce faisant, les auteurs ne s’embarrassent pas de contradictions internes au texte officiel (dans le préambule, il est écrit, à propos des élèves, que leur « vocabulaire est pauvre », qu’il « appartient plus souvent à l’argot du quartier, au patois du village, au dialecte de province qu’à la langue de Racine ou de Voltaire ») et demeurent silencieux sur les activités à mettre en place pour satisfaire le goût et l’envie d’écrire. Or il suffit d’observer les manuels pour mesurer ce qui sépare le discours ostentatoire officiel des pratiques réelles. La planification didactique, en matière de composition française, fait l’objet soit de manuels spécifiques (ex. : L. Bocquet & L. Perrotin,

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La Composition française, Cours moyen et supérieur, A. Colin, 1929), soit de chapitres particuliers, souvent situés à la fin du manuel (ex. : Maquet, Flot et Roy (op. cit.), soit emprunte un discours interstitiel qui clôt chaque chapitre du manuel (ex. : A. Souch). Pour mieux saisir les activités d’écriture effectuées, on peut s’appuyer aussi sur des essais pédagogiques, nombreux à cette époque, et écrits souvent par des inspecteurs (ex. : R. Hamel, Comment enseigner la composition française, Delagrave, 1925). Faute de place, nous limiterons notre examen des manuels scolaires aux rédactions dites « descriptives », au détriment des narratives, des dialogues, des lettres et des sujets de réflexion. À la lecture des dizaines de manuels que nous avons observés, il apparaît que la description demeure un exercice très pratiqué. Ce maintien prépondérant de la description s’explique par le fait que cette activité textuelle est présentée comme étant sous-tendue par une faculté jugée essentielle à l’école primaire : le sens de l’observation. L’importance de cette aptitude est justifiée à l’aide d’arguments d’ordres différents : – Scolaire d’abord. L’observation est une école de rigueur intellectuelle (elle favorise « l’attention ») et de probité morale (elle est un gage de « sincérité »). C’est pourquoi la rédaction de descriptions est rapprochée de la « leçon de choses ». R. Hamel tient à ce propos un discours que l’on retrouve dans la majorité des préfaces des manuels : « […] la rédaction, tout comme la leçon de choses, doit être d’abord et avant tout un exercice d’observation […]. La composition française n’est, après tout, qu’un prétexte à dresser le jugement droit, l’attention aiguë ; elle n’est qu’un moyen de former la pensée sincère2. » Il faut donc se garder d’imposer à l’élève du primaire l’exercice « d’analyse littéraire » qui nourrit son homologue de l’École normale ou du lycée « d’une pâture livresque et abstraite » et recourir à la lecture de textes d’auteurs mais sans lui imposer de modèles stylistiques qui annihilent sa spontanéité créatrice : « L’observation et la lecture sont pour le degré primaire, les deux sources de l’art d’écrire, mais tandis que la lecture seule risque de ne former qu’un mécanisme artificiel, l’observation directe des choses reste la meilleure éducation de la sincérité. » Et plus loin encore : « Non, les qualités de style ne sont pas des qualités de forme. Ce sont des qualités de cœur, d’imagination, de raison. » – Scientifique ensuite. Si les manuels font rimer raison avec « observation » c’est qu’ils appliquent à l’art d’écrire la démarche empirique et expérimentale de Claude Bernard, suivant, à ce niveau, les leçons données par É. Zola dans son Roman expérimental : « Nous, écrivains naturalistes, nous soumettons chaque fait à l’observation et à l’expérience, tandis que les écrivains idéalistes admettent des influences mystérieuses qui échappent à l’analyse […]. » 2.

Voir les conseils de l’« aiguille » dans le texte 2 de l’Annexe 2.

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Là encore, les propos de R. Hamel sont éclairants même s’ils sont répétitifs par rapport à ceux de M. Roustan – La Composition française (1907) – qui lui-même reprend A. Albalat (1899)… « Voici une leçon de choses sur le soufre et voici une rédaction sur le sentiment de la colère ou de la jalousie. Dans les deux cas, nous essayons d’abord de nous rendre un compte exact des faits, de les connaître intégralement. C’est l’expérience, la recherche, en un mot l’observation. Nous tentons ensuite un classement de ces faits. Nous nous efforcerons enfin de formuler nos aperçus, peut-être nos conclusions. Chercher, classer, exprimer, sont les opérations primordiales de tout travail intellectuel, qu’il soit scientifique ou littéraire. Il semble donc que l’on se trompe en ne basant pas l’enseignement de la composition française sur l’observation. » – Littéraire enfin. La réglementation des attendus de la composition française se réfère à l’écriture fictionnelle réaliste dont elle emprunte certains principes qu’elle systématise. On sait que les romans de Zola étaient précédés de dossiers dans lesquels il accumulait ainsi bien des savoirs documentaires élaborés à partir de ses lectures que des notes prises au cours de ses observations sur le terrain de ses futurs romans. Ces « choses vues », reproduites de manière minutieuse et « objectale » ou crayonnées de façon impressionniste, constituent l’une des sources de la nature descriptive de ses romans. On comprend, de ce fait, les recommandations de R. Hamel : « La première obligation de l’instituteur est de placer les enfants en contact direct avec le ou les objets à décrire […]. On connaît le “Crevez-vous les yeux à force de regarder !” de Flaubert. Il faut que, non seulement par l’œil, mais par tous les moyens d’exploration dont ils disposent, nos élèves s’emparent de la réalité. » Il apparaît donc logique, qu’en liaison avec l’observation, les manuels préconisent le recours systématique à la théorie des sens. La tradition est ancienne, en ce domaine, comme en témoigne Comenius qui écrit dans sa Didactica magna : « On doit présenter toutes choses, autant qu’il peut se faire, aux sens qui leur correspondent : que l’élève apprenne à connaître les choses visibles par la vue, les sons par l’ouïe, les odeurs par l’odorat, les choses sapides par le goût, les choses tangibles par le toucher. » De même, J.-J. Rousseau dans L’Émile attribue à l’éducation par les sens une grande importance : « Exercer les sens, c’est apprendre pour ainsi dire à sentir, car nous ne savons ni toucher, ni voir ni entendre que comme nous avons appris. » C’est ainsi que G. Fournier, dans Comment composer mon devoir de français, écrit : « Le monde extérieur vient à nous par les sens : retrouver les sensations qui s’attachent aux détails que vous nommez sensations visuelles, sensations auditives, sensations tactiles, sensations olfactives et gustatives. »

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Les premiers opèrent un classement fondé sur le référent en partant de « descriptions simples » (objet, animal, personne…) pour terminer par des « descriptions d’ensemble » (lieu, phénomène, scène)3. C’est ainsi que F. Amand (op. cit.) hiérarchise ses « rédactions descriptives », des descriptions d’objets (ex. : « Vos parents vous ont offert une montre. Décrivez-la. ») aux descriptions de scènes d’après gravure (ex. : « Décrivez le marché aux chevaux d’après la gravure ci-dessus. »). Les seconds croisent le critère du référent avec celui du sens perceptif susceptible d’être utilisé dans l’appréhension de l’objet à décrire. L’organisation du L. Bocquet & L. Perrotin (op. cit.) est significative à cet égard comme en témoigne le seul exemple des « sensations de l’ouïe » et des « sensations de l’odorat » : 3. Sensations de l’ouïe Les bruits et les sons ex. : Vous décrivez deux sonneries de cloches que vous connaissez bien4. 4. Sensations de l’odorat et du goût Les odeurs et les saveurs ex. : Vous entrez dans une pharmacie : dites ce que vous sentez.

Concrètement, quels sont les conseils que l’on donne à l’élève pour l’organisation de son devoir ? La phase de l’observation est essentielle au moment de l’inventio. Elle s’accompagne de mises en garde, au cours desquelles on précise que décrire ce n’est pas seulement énumérer les parties d’un objet ou d’une scène, mais c’est aussi opérer une sélection parmi les différents aspects de l’objet. Le choix se fait en fonction de la subjectivité du descripteur (ses sentiments, son imagination…) et de son activité réflexive. « Observer en vue de la composition française, c’est en somme, dénommer et analyser les états de conscience successifs ou simultanés déterminés en nous pas le sujet à dépeindre […]. Ce sont des produits du libre jeu des sens, de la mémoire, de l’association, de l’interrogation ou du sentiment, c’est-àdire des sensations et des perceptions plus ou moins complexes, des images anciennes ou neuves, des comparaisons, des émotions. Ils peuvent être des produits de la réflexion et du jugement : relations du sujet avec le milieu, le passé, l’avenir ou nous-mêmes (son histoire, son utilité, son but) ; ou encore des produits de la volonté : résolution d’agir ou de ne pas agir. » (R. Hamel, op. cit.)

3. 4.

Voir respectivement, en annexe 2, les textes 3, 4, 5. Voir le texte 6 en Annexe 2.

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Si l’on examine, maintenant, les types de sujets de rédaction que proposent les manuels, on peut classer ces derniers en deux catégories selon la logique qui préside à leur programmation.



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Pour aider l’élève dans la planification de son texte (dispositio), on lui propose des grilles de saisie de l’objet qui servent, en fait, de canevas à l’écriture, du type : – commencer par une impression générale, – faire suivre par les détails caractéristiques, – finir éventuellement par une réflexion. « S’agit-il de décrire un objet ? Vous répondrez à chacune des questions suivantes : 1. Quel est-il dans l’ensemble ; quelles sont sa forme, ses dimensions, de quoi est-il fait ? 2. Quelles sont les différentes parties ? 3. À quoi nous sert-il ou pourquoi êtes-vous content de l’avoir ? Pour une plante ou un animal on nous a montré qu’il faut quelque chose de plus, puisqu’ils vivent et meurent. 1. Où vit-il et où avez-vous l’habitude de le voir ? 2. Quelles sont ses parties, sa forme, sa physionomie ? 3. Comment se tient-il ou se meut-il ? 4. Est-il utile ou l’aimez-vous ? » (Duval, Bremond & Moustier, op. cit., p. 161)

C’est au niveau de la mise en mots de la rédaction (elocutio) que les manuels sont assez indigents. Aucun conseil n’est bien sûr procuré à l’époque sur la composition interphrastique. Il arrive que l’on donne à l’élève un bagage lexical : vocabulaire lié à un référent traité (l’âtre, le brasier, la braise, la cendre, les flammèches…) ou à un sens perceptif (voir, regarder, apercevoir, sentir…). Plus généralement, à l’intérieur d’un apprentissage par imitation, on confronte l’élève à des textes d’auteurs en espérant qu’il s’emparera de ces modèles pour effectuer les opérations de transfert nécessaires. Ces textes d’auteurs, les élèves les rencontrent soit au début (texte à expliquer), soit au cours d’exercices préparatoires à la rédaction sous la forme d’extraits « Quelques réponses d’auteurs », « Quelques notations », « L’écorce de la bûche se crispa pour éclater » (G. Sand). Quelques mots, pour finir, sur les normes stylistiques qui gouvernent l’élaboration des rédactions. On valorise en premier lieu la clarté. Ce qui signifie que l’on préfère les phrases simples aux phrases complexes (« Faites des phrases courtes » conseille F. Amand (La Pratique du vocabulaire et de la composition française, Cours moyen, F. Nathan, 1913), « supprimez les car, les mais, les si », « Supprimez les que, les qui ») et que l’on dévalorise à la fois les incorrections et les « ornements inutiles ». Pour apprécier la notion d’incorrection, on peut se référer aux nombreux opuscules du type « Écrivez N’écrivez pas », « Ne dites pas… Mais dites… » dont les prescriptions hypernormatives s’attaquent, comme l’indique le sous-titre du livre d’E. Le Gal (Ne dites pas Mais dites, Delagrave, 1931) aux « barbarismes », aux « solécismes » et autres « locutions vicieuses ». Un seul exemple : « Ne dites pas Il est en bras de chemise mais dites Il est en manches de chemise. » Au fil des manuels, on apprend aussi (voir Brandicourt & Boyon, La Langue française, Cours moyen et supérieur, Larousse, 1947) qu’il faut s’interdire la répé-

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tition, éviter l’usage de « on », remplacer « il y a » par un autre verbe5… Quant aux « ornements » qui parasitent la clarté du style, ils renvoient aussi bien aux « périphrases » du style « noble » et « précieux » d’un Honoré d’Urfé, désormais déprécié, qu’aux accumulations de termes, marques d’un style chargé et indexées au nom de la concision comme un « bavardage… d’un esprit facile mais superficiel qui se grise de mots ». On apprécie, en second lieu, le pittoresque, c’est-à-dire le « mot juste » qui permet d’allier la rigueur des traits « caractéristiques » à la vision « personnelle » et « originale ». Comme l’écrit, là encore, R. Hamel, à propos des rédactions modèles : « Les phrases claires et simples se suivent et s’enchaînent. Notre esprit les suit sans heurt : ce lui est une surprise d’y rencontrer parfois un mot qui vibre, ce lui est une jouissance d’être arrêté sur une expression profondément pensée […]. J’ajouterai seulement que […] le mot coloré, l’expression jolie […] sont le produit de la sincérité plutôt que de l’artifice. » Au total, on retiendra des « rédactions descriptives » : – qu’elles recourent à un univers de référence familier du scripteur (objets du quotidien, scènes vécues…) et privilégient l’observation par rapport à l’imagination ; – que les exigences stylistiques sont rarement étayées par une connaissance du fonctionnement des textes et qu’elles apparaissent paradoxales (ex. : soumission des élèves aux modèles littéraires et méfiance à l’égard de la culture littéraire au nom de la sincérité ; éloge de la transparence de la langue des textes à produire et appel à l’engagement énonciatif subjectif…) ; – que les descriptions sont autant de pièces détachées jamais insérées dans une globalité narrative qui donne sens et fonctionnalité aux descriptions à écrire.

5.

On trouve dans G. Gabet, La Grammaire française par l’image, certificat d’études, 1938, un bréviaire condensé de ces normes classées sous la forme alphabétique : De la GRAMMAIRE à la RÉDACTION A. Soyez précis : employez le mot propre. L. Allégez : remplacez la sub.relative. B. Employez des verbes expressifs. M. Placez le pronom relatif près de l’antécédent. C. Évitez les répétitions (utiliser les synonymes). N. Équivoques dues à l’emploi du pronom relatif. D. Équilibrez la phrase (compl. Ie plus court le premier). O. De à la place de des devant un adj. qual. E. Placez souvent en tête le C. de circonstance. P. Équivoques dues à l’emploi du pronom personnel. F. Évitez les phrases boiteuses (agencez les compl.). R. Remplacez la subord. par un pron. personnel. G. Compl. de même rôle : même mot de liaison. S. Emploi de celui-ci et de celui-là. H. Remplacez et ou par des virgules. T. Équivoques dues à l’emploi des adj. poss. I. Remplacez car, parce que par deux points. U. Possessions évidente, employez l’article. J. Allégez : remplacez la sub. conjonctive. V. Allégez la phrase (voix pronom. pour voix passive). K. Appareillez les compl. unis par et, ni, ou. X. Soyez vivant. Employez le style direct.

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Le texte officiel s’ouvre, comme celui de 1923, par un constat d’échec : « Les résultats de l’enseignement de la composition française à l’école primaire sont assez décevants. Au certificat d’études, c’est l’épreuve la plus faible. » À partir de ce diagnostic commun, les Instructions de 1938 développent une argumentation qui polémique avec le plan d’études précédent. Les désaccords sont fondamentaux et portent sur les finalités de l’exercice, les représentations de l’élève-scripteur et la conception de l’écriture.

1 Les finalités de la rédaction En cohérence avec les propos tenus sur les autres matières, les Instructions donnent la priorité à la fonctionnalité sociale de la rédaction et insistent sur ses enjeux pratiques. « […] on aura la préoccupation de donner à l’apprentissage de la rédaction un caractère essentiellement pratique […]. Ce caractère pratique ressort suffisamment de la nature des sujets qu’indique le programme. On évitera que ces sujets aient un caractère artificiel ; aussi, plutôt que d’en imaginer les circonstances, on prendra l’occasion d’un fait concret, d’un événement réel de la vie urbaine et rurale. Par exemple, on fera relater avec précision les détails d’un accident automobile qui s’est produit près de l’école […]. À la campagne, les enfants feront un “rapport” sur les dégâts causés par un orage ; et il ne s’agira en aucune façon de décrire l’orage et d’exprimer les impressions personnelles ressenties à l’aspect de la terre et du ciel, mais bien de relater des faits d’une précise objectivité […]. Ils rédigeront des lettres d’affaires précises, diront tout ce qu’il faut dire, sans détails inutiles. Ils apprendront les formules usuelles par lesquelles on commence ou l’on termine une lettre […]. » Si l’on en juge par les manuels scolaires, on assiste effectivement à un recul des sujets dits d’« imagination » (ex. : « Imagine quelle suite pourrait être donnée à la fable de La Fontaine : Le Renard et le bouc ») au profit des récits expérienciels. Le vécu de l’élève est continûment sollicité à travers les rédactions descriptives qui perdurent, mais surtout par l’intermédiaire de narrations « d’événement vécu »6. Voici quelques exemples de sujets proposés par Brandicourt & Boyon, La Langue française, Cours moyen et supérieur, Larousse, 1947 : « – Rapportez un vif souvenir de vos dernières vacances (une belle journée ou une belle sortie). 6.

Voir le texte 7 de l’Annexe 2.

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B





DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS



Racontez votre arrivée à la maison, où votre maman vous attend, le soir du jour de la rentrée des classes.



Chez vos grands-parents, vous explorez le grenier (ou une commode), dites vos trouvailles. »

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Quant aux écrits épistolaires, ils recouvrent aussi bien la correspondance privée que publique comme en témoignent les sujets que traite l’ouvrage méthodologique J’apprends à rédiger, édité par J. Anscombre en 1953 : LA VIE PRATIQUE Je sais présenter une lettre J’écris à ma famille, aux amis J’écris à un commerçant J’écris au Maire, au Préfet de… Je remplis les formulaires des P.T.T. […]

2 Les représentations du scripteur En réaction contre le portrait romantique du scripteur élaboré par les Instructions de 1923, le nouveau programme revendique un pragmatisme sociologique : « Certains maîtres voudraient que les enfants fissent preuve de certaines qualités personnelles dans la pensée et dans la forme ; ils sont contents quand ils trouvent dans un devoir “un joli passage” […] Sans doute qu’il faut encourager et pousser les élèves particulièrement doués, et qui sont capables de ces trouvailles […j. Mais, dans une classe, ce n’est pas à deux ou trois élèves seulement qu’il faut penser : c’est aux trente ou aux quarante élèves de la classe. » Les Instructions rappellent ensuite que la mission fondamentale de l’école primaire, contrairement à celle du secondaire, est de former des individus qui possèdent du « bon sens » et qui sachent, à la fois « observer avec méthode », « penser clairement » et « raisonner juste ». Les caractéristiques qui définissent la langue et l’écriture font système avec celles qui configurent le futur adulte issu du primaire : « […] la langue qui leur sera nécessaire est non pas une langue subtile, propre à rendre les nuances du sentiment, mais une langue précise, capable d’exprimer les caractères objectifs des choses […] une langue simple, dépouillée de tout ornement de mauvais goût […] il faut qu’ils sachent écrire avec correction et trouver les mots propres pour exprimer leur pensée […]. » En fonction de quoi, on préconise, comme on l’a vu, les écrits utilitaires et fonctionnels et, pour les narrations, une écriture « transparente » qui se garde de recourir à l’imitation des modèles littéraires. « […] emprunter d’une façon systématique à un grand écrivain des comparaisons ou des images, des constructions syntaxiques ou des rythmes, pour les introduire, comme du

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Variations historiques : l’exemple de la « rédaction »



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Ce qui n’empêche pas les auteurs des Instructions, en parfaite contradiction avec ce qui précède, de conseiller, au moment de l’apprentissage de la rédaction, des exercices de « reproduction d’un texte d’écrivain ». Les uns relèvent très clairement de la pratique du résumé (« résumer en quelques lignes un texte qu’ils ont sous les yeux »), les autres reconduisent, sans le dire, la pratique de l’imitation (« reproduire en une page le texte lu et commenté »).

3 La conception de l’écriture Le texte de 1938 partage avec son homologue de 1923 la conception naturaliste de l’écriture qui consiste à faire de la langue une représentation fidèle de la pensée : « […] une phrase est élégante quand l’ordre des propositions et des mots reproduit le mouvement de la pensée […] l’élégance du style ne peut résulter, pour eux, que de l’exacte propriété des mots, du relief de la pensée dans une phrase qui en suit tous les contours. » Cette négation de la textualité et de la discursivité est si prégnante qu’elle autorise les rédacteurs officiels à confondre l’ordre de l’oral et celui du scriptural : « Apprendre à écrire, comme apprendre à parler, c’est apprendre à penser. La méthode par laquelle l’enfant apprend à exprimer sa pensée par écrit ne diffère pas de celle par laquelle il apprend à parler. » Dans ce mouvement de radicalisation, les exercices d’élocution, qui étaient autonomes en 1923, se voient maintenant rattachés à la rédaction. Cette opération de transfert n’enrichit pas pour autant l’expression écrite. En effet, les contraintes liées à la textualisation écrite et les activités scripturales subséquentes demeurent oblitérées au nom d’une justification qui emprunte ses arguments à la fois aux conceptions littéraires du réalisme et à celles du romantisme : 1. on réduit et assimile le travail de l’écriture à l’activité de perception : « L’ordre dans lequel s’enchaînent les propositions reproduit l’ordre même selon lequel l’esprit a perçu successivement les divers aspects des choses » ; 2. on présente l’acte d’écrire comme un jaillissement instinctif : « Ce n’est donc pas par des exercices de construction “d’imitation ou d’enrichissement” de phrases détachées qu’on créera l’habitude d’écrire. Au contraire : on immobilise, ainsi, sous la clarté de la réflexion, une sorte d’élan vital, qui ne peut se développer qu’à la condition de rester spontané et instinctif. »

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dehors, dans une composition nouvelle, c’est risquer de cultiver le mauvais goût. […] les “jolis passages” qu’on trouve ensuite dans leurs devoirs, loin de témoigner de qualités personnelles, sont faits de “clichés”, comme on dit. […] ces élégances de clinquant n’ont rien à voir avec l’art d’écrire. »



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Plus fondamentalement, les Instructions de 1938 contestent explicitement la conception mécaniste de l’apprentissage de l’écriture du programme de 1923 qui, comme on l’a vu, progresse de façon analytique du simple au complexe. Conscients du fait qu’écrire est une activité qui nécessite la gestion simultanée d’une planification globale du texte et d’opérations locales de mise en texte, les rédacteurs officiels préconisent une démarche synthétique : « […] la démarche de la pensée va nécessairement du tout à la partie, c’est-à-dire de la rédaction au paragraphe et à la phrase, de la phrase à la proposition et au mot […]. Dans la rédaction, on commence par une idée d’ensemble du sujet : c’est en cherchant à le préciser que l’idée se divise, s’analyse et trouve par là même son expression. »

Références bibliographiques ABASTADO, C. (1981) : « La composition française et l’ordre du discours », Pratiques, n° 14. ALBALAT, A. (1899) : L’Art d’écrire, Paris, A. Colin. CHERVEL, A. (1987) : « Observations sur l’histoire de l’enseignement de la composition française », dans J.-L. Chiss et alii (éds), Apprendre/Enseigner à produire des textes écrits, Bruxelles, De Boeck. FOURNIER, G. (1942) : Comment composer mon devoir français, J. de Gigord. HÉBRARD, J. & CHARTIER, A.-M. (1989) : Discours sur la lecture (1880-1980), Études et recherche, Paris, BPI, centre Georges Pompidou. HAMEL, R. (1925) : Comment enseigner la composition française, Paris, Delagrave. LE GAL, E. (1931) : Ne dites pas… Mais dites, Paris, Delagrave. MARCHAND, F. (1971) : Le Français tel qu’on l’enseigne, Paris, Larousse. PETITJEAN, A. (1999) : « Un siècle d’enseignement de la composition fançaise ou de la rédaction au primaire (1882-1995) », dans A. Petitjean & J.-M. Privat (éds), Histoire de l’enseignement du français et textes officiels, Université de Metz, Didactique des textes n° 9. ROUSTAN, M. (1907) : La Composition française, Paris, Delagrave.

Annexe 1 Liste des manuels étudiés AMAND, F. (1913) : La Pratique de la composition française, Cours moyen et supérieur, F. Nathan. AMAND, F. (1939) : La Pratique de la composition française, Cours moyen (Livre du maître), F. Nathan. BACONNET, G., GRILLET C. (1937) : Exercices français, Pour toutes les classes, Librairie Emmanuel Vitta. BOCQUET, L. & PERROTIN, L. (1929) : La Composition française, Cours moyen et supérieur, Armand Colin.

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BOUILLOT, V. (1924) : Le Français par les textes, Cours élémentaire et moyen, Hachette (1924) : Cours moyen, Certificat d’études, Hachette. BRANDICOURT & BOYON (1947) : La Langue française, Cours moyen et supérieur, Larousse. BRUNOT & BONY (1921) : Méthode de langue française, Troisième livre, Cours moyen et supérieur, A. Colin. CALVET, J. & CHOMPRET, C. (1917) : Exercices français, Cours élémentaire, Librairie Poussielgue. DUMAS, L. (1918) : Le Livre unique de français, Cours moyen et supérieur et Certificat d’études, Hachette. DUVAL, BRÉMOND & MOUSTIER (1918) : Le Français à l’école primaire, Cours moyen et supérieur, E. André Fils, Éditeur. GABET, G. : La Grammaire française par l’image, – (1936), Cours moyen, Hachette. – (1938), Certificat d’études, Hachette. GABET, G. & GILLARD, G. (1938) : Vocabulaire et méthode d’orthographe, composition française, Cours élémentaire et moyen, Hachette. GOURDAN, G. & OZOUF, R. : Parler et écrire en français – (1938), Cours élémentaire, Gedalgue. – (1939), Cours moyen, Gedalgue. HARTMANN, L. & Dl-TREUILH, E. (1939) : Cours de langue française, Classe de 7e et Cours moyen, Éditions École et Collège. LARIVE & FLEURY (1933) : Exercices français de deuxième année, A. Colin. LAUNAY, F. (1933) : Le Français à l’école primaire, Cours élémentaire et Cours moyen, A. Colin. LYONNET, A., Le Français par les choses et par les images – (1930), Cours élémentaire, 1re année, Istra. – (1930), Cours moyen, Istra. MAQUET, FLOT & ROY, Cours de langue française – (1918), Cours préparatoire, Hachette. – (1918), Cours élémentaire, Hachette. – (1920), Cours élémentaire et moyen, Hachette. – (1920), Cours moyen et supérieur, Hachette. – (1921), Cours supérieur et cours complémentaire, Hachette. MARTIN, SCHONE & MORTREUX (1936) : Leçons de français, Certificat d’études et Cours supérieur, Belin. SOUCHÉ, A. : La Grammaire nouvelle et le français – (1934), Cours élémentaire, F. Nathan. – (1934), Cours élémentaire et cours moyen, F. Nathan. – (1933), Cours moyen 1re année, F. Nathan. – (1933), Cours moyen 2e année, Cours supérieur, Certificat d’études, F. Nathan. THABAULT, R. & YVON, H. (1937) : Langue française, Cours moyen, Delagrave. VIDAL, L. (1938), La Composition française facilitée aux enfants, Cours moyen et supérieur, Librairie du Sacré-Cœur.

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Variations historiques : l’exemple de la « rédaction »

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ANNEXE 2

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Texte 1 Un timbre-poste Plan : 1) Où est le timbre-poste ? 2) Sa forme sa couleur 3) Le dessin 4) Les inscriptions Développement J’ai reçu de mon parrain une carte postale illustrée sur la droite en haut est un timbre. Ce timbre a la forme d’un rectangle il a une couleur verte, les rebords sont dentelés. Dessous il y a une femme qui sème on l’appelle la semeuse. Au-dessous de la semeuse il y a d’écrit République Française à sa droite au bas est écrit « Poste » et à sa gauche 10 centimes. CM1, 1923 Texte 2 Sujet : Jeudi dernier en cousant une robe à votre poupée vous avez distingué une petite voix discrète. C’était celle de votre aiguille. Que vous disait-elle ? Développement Profitant d’un jour de congé tandis que j’étais en train de confectionner une robe à ma poupée j’entends une voix fine comme du cristal qui m’appelait : Denise Denise Je prêtais l’oreille et dit : « Je suis prête à vous écouter : vous pouvez parler. » Alors elle commença par ces paroles : « Écoute mon enfant les conseils de ton aiguille. Des hommes ont creusé la terre et ont extrait le métal grossier qui a servi à me confectionner et qui est l’acier. Ils m’ont fondue et creusé dans ma tête un trou appelé le chas par lequel tu passes ton fil qui sert à réaliser ton ouvrage. Puis ils m’ont donné du brillant et m’ont rangée dans un étui de papier avec plusieurs de mes compagnes… Travaille donc mon enfant travaille sans relâche souviens-toi de cela ! « Celui qui fuit le champ du travail est un lâche. » Continue de travailler aie du courage et de la patience pour donner quelque douceur à ta mère qui peine tant pour te donner le nécessaire travaille pour faire plaisir à ton père qui est toujours si las lorsqu’il revient à la maison fatigué de son travail du dehors. Qu’il doit être heureux d’avoir une petite fille courageuse et patiente. Il est heureux car avec ses deux vertus on arrive à tout dans la vie… Mais il doit se faire tard et je dois t’empêcher de travailler avec mon bavardage. » L’aiguille retomba dans sa torpeur. Désormais je tiens compte des conseils de mon amie l`aiguille à la grande joie de mes parents qui sont fiers de moi. Ils sont sûrs maintenant que je deviendrai une jeune femme accomplie. CM1, 1924

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Travaux d’élèves

Variations historiques : l’exemple de la « rédaction »



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Mon porte-plume Entrée en matière : J’écris avec mon porte-plume. En quoi est-il ? Mon porte-plume est en bois. La douille ? À un bout il y a une douille en fer qui sert à tenir la plume. La plume : la plume est blanche. La pointe est sale. Couleur : mon porte-plume est rouge. Conclusion : je prends soin de mon porte-plume. Emploi du pronom qui : on évite de répéter le sujet. Au lieu de « la douille sert à tenir la plume » on dit : il y a une douille qui sert à tenir la plume. CP, 1930 Texte 4 Sujet : Avez-vous déjà observé une poule à différentes reprises ? Dites les actions et les scènes qui ont attiré votre attention et l’intérêt que vous y avez pris. Notre voisine avait une belle poule jaune qu’elle avait été cherché chez sa mère. elle avait été la chercher dans une cage de moyenne grandeur où elle ne devait pas être très à son aise. Quand on la quitta pour aller se promener dans le jardin, elle se sauva effarouchée, droite sous son bonnet phrygien, elle cherchait des issues ou bien elle essayait de voltiger par-dessus les murs mais ils étaient trop hauts. Quand on venait y donner à manger, elle se sauvait n’importe par où. Mais le lendemain elle s’enhardit, elle venait même manger dans la main de sa maîtresse. Quand elle n’y donnait pas à manger assez vite, elle se mettait à codaquer. Une semaine plus tard elle avait pondu un œuf dans notre poulailler. Au bout d’un mois elle voulut couver ses œufs. Quand elle eut couché dessus pendant trois semaines, elle mena derrière elle, dix petits poussins noirs et blancs. Vous pensez si notre poule était heureuse. CM2, 1922 Texte 5 Sujet : Vous vous êtes arrêté devant un atelier de menuiserie ou de forgeron. Dites ce que vous y avez vu quand les ouvriers étaient en plein travail. L’autre jour j’étais allée à Neufchâlet chercher du pain pour bonne maman. En passant je vis un forgeron qui ferrait les chevaux. J’entendais des ouvriers qui tapaient à grands coups de marteaux. Ils faisaient chauffer les fers. Il y en avait qui tenait le pied d’un cheval avec un cordon qui était autour de son cou. L’autre mettait de l’eau sur le fer pour le l’eau sur le fer pour le refroidir et un peu après il le mettait sur le pied du cheval. CE2, 1925

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Texte 3

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Quels souvenirs, quelles images, quels sentiments éveille en vous le son des cloches de votre église ? Je suis encore au lit, je ne pense pas à me lever mais les cloches de l’église me rappellent par son (corr. « leur ») carillon que l’heure de la classe est proche. Le bruit des cloches tinte joyeusement à mon oreille ; c’est un mariage que le prêtre va bénir. Au contraire une personne a eu le malheur de perdre un de ses parents, le très pas des cloches me rappelle alors l’horreur de la mort ! Lorsque j’entends les cloches sonner tristement, je ne peux m’empêcher de songer au malheur qui afflige une famille : peut-être une personne vient-elle de voir mourir son fils bien aimé ? Peut-être aussi a-t-elle assisté à l’agonie de son père ou de son mari ? Je pense encore au jour, le plus triste de ma vie, où, tout jeune enfant, je suivais le corbillard qui transportait le corps inerte de ma pauvre maman que j’aimais tendrement. Le son lugubre des cloches me rappelle tous les bienfaits dont elle m’avait comblé. Quel malheur ! Au contraire, les jours de fête, le gai carillon me rappelle la joie que j’éprouvai l’heureux jour de ma première communion. Le son des cloches me rappelle les jours qui suivirent l’armistice et où j’attendais, anxieux, le retour de papa qui se battait pour notre patrie. J’aime beaucoup entendre le son des cloches. Il me rappelle des souvenirs. Cours supérieur, 1919 Texte 7 Sujet : Vous avez assisté à un accident sur la route. Quand s’est-il produit ? Où ? Et dans quelles circonstances ? Quelles ont été les suites ? Faites un récit vivant. C’était la noce de Denis Loupain. C’était le soir. Une belle auto belle venait du bois et l’auto avait beaucoup de petits arbres devant. L’auto qui venait de Pimont allait vite mais soudain une petite auto venait de partir au bal. L’auto qui venait de Tourville n’avait pas corné mais tandis que l’autre avait corné longuement. Les deux véhicules se rentra l’un dans l’autre mais l’accident ne fut pas grave. Mais avant que la vieille auto l’aille chercher d’autres gens pour aller au bal, un homme sorti de l’auto et alla trouver le conducteur qui était resté dans l’auto et ils se disputèrent avec les yeux. Fin d’études, 1949

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Texte 6 Sujet : Les cloches de votre ville résonnent. Vous les avez entendues bien des fois. Pourquoi ne leur trouvez-vous pas toujours le même son ?

Suzanne-G. CHARTRAND et Marie-Christine PARET

Conviées à une réflexion sur l’état d’une discipline, la didactique du français, afin d’orienter son développement1, nous formulons principalement un certain nombre de questions sur des problèmes conceptuels et épistémologiques qui ne nous semblent pas avoir suffisamment retenu l’attention, rejoignant ainsi les préoccupations de M. Dabène, sans pour autant reposer sur le même questionnement. Parmi toutes les questions proposées, il en est une qui est absente bien qu’elle soit essentielle : est-ce à la construction, modélisation de la didactique du français que nous travaillons ou à celle de la didactique du français langue maternelle (DFLM) ? À notre connaissance, cette question n’a pas encore fait l’objet de débat, soit qu’elle ait été jugée non pertinente, à partir d’options épistémologiques implicites, soit que certains y ont déjà répondu, optant résolument pour la constitution de la DFLM comme discipline à part entière. D’outre-Atlantique, il nous semble que cette DFLM ne peut faire l’économie d’une mise au point, même transitoire, sur la question suivante : en quoi la DFLM constitue-t-elle une discipline (un champ disciplinaire) spécifique et autonome en regard d’une discipline (ou champ ?) qui serait la didactique du français et dont la DFLM ne serait qu’une composante à côté de la didactique du français langue seconde (DFLS) et de la didactique du français langue étrangère (DFLÉ) ?2 1. 2.

C’est bien de didactique du français et non de DFLM dont il est question ici. On utilise indifféremment tantôt le terme de domaine, tantôt celui de discipline ou de champ disciplinaire sans préciser si on se réfère à la DFLM ou à la didactique du français. Une clarification de ces choix terminologiques apparaît nécessaire. Quels liens entretiennent ces notions entre elles ? Sont-elles dans un rapport d’extension où d’opposition ? Les notions de domaine d’études, de domaine disciplinaire et de discipline sont-elles synonymes ? Le champ est-il une partie constituante d’un domaine ou I’inverse ?

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Langues maternelle, étrangère, seconde : une didactique unifiée ?



A



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

En quoi la DFLM est-elle une discipline autonome et spécifique ?

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Y a-t-il des raisons autres qu’historico-politico-institutionnelles qui justifient la constitution de la DFLM comme discipline (domaine/champ) distincte, des considérations d’ordre épistémologique, relevant de son « système didactique » (J.-F. Halté, 1992, p. 17), par exemple ? En quoi la DFLM est-elle une discipline autonome et spécifique ? Une interrogation semblable a été soulevée au colloque du CRÉDIF tenu à Paris en 1987 : « Faut-il développer une didactique du français intégrant l’enseignement du français langue maternelle et du français langue étrangère ou faut-il distinguer deux didactiques du français : DFLM et DFLÉ ? »3. Des communications présentées alors, et reprises dans Langue française n° 82 (1989), trois proviennent de didacticiens de la DFLM, J.-P. Bronckart, J.-L. Chiss et F. Marchand. Or, J.-P. Bronckart et J.-L. Chiss posent d’emblée la spécificité de la DFLM sans avoir débattu le moindrement de la pertinence de développer une didactique du français. Quant à F. Marchand, après avoir analysé certains facteurs de différenciation entre DFLM et DFLÉ, puis de proximités, il conclut que si on ne peut envisager « de manière totalement assurée » la possibilité de constituer une didactique qui regrouperait FLM et FLÉ, « un certain nombre de considérations militent pour un rapprochement » (p. 80). Il présente plusieurs des avantages théoriques à ce nécessaire rapprochement, puis expose les obstacles qu’il y voit, ces derniers étant essentiellement d’ordre pratique (liés aux intérêts et aux habitudes des intervenants et des institutions). Malgré cela, les obstacles ont prévalu sur les « avantages », comme nous le savons. E. Roulet, quant à lui, dans la présentation de ce numéro de Langue française, prend catégoriquement position en ces termes : « S’il convient au mieux d’exploiter ces transversalités [entre DFLM et DFLÉ], on peut en revanche douter sérieusement qu’il faille constituer une discipline autonome intégrant DFLM et DFLÉ, car elle articulerait deux situations d’enseignement-apprentissage qui ne sont jamais liées chez un apprenant » (1989, p. 7). Rappelons enfin qu’un membre fondateur de l’association DFLM, M. Dabène a, lui aussi, répondu à cette question (1986, p. 31), soutenant que la DFLÉ avait plus d’affinité avec la didactique des langues étrangères en France qu’avec la DFLM, car ni les enseignants, ni les apprenants, ni le milieu n’étaient les mêmes en DFLM et DFLÉ, « le seul dénominateur commun n’étant, à la rigueur, que l’identité de la matière enseignée »4. Ces prises de position méritent pour le moins d’être examinées et confrontées à des positions différentes, celles exprimées par R. Richterich et 3. 4.

Notons au passage qu’on ne mentionnait pas la DFLS, comme si cette dernière n’existait pas ou qu’elle se confondait avec la DFLÉ. Notons que plusieurs années plus tard, la position de M. Dabène a sensiblement changé, cf. ici-même.

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Langues maternelle, étrangère, seconde : une didactique unifiée ?



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Selon R. Richterich, étant donné que de plus en plus les apprenants sont confrontés à l’apprentissage de langues, successivement ou parallèlement, il faut aller plus loin qu’exploiter les transversalités entre les diverses didactiques des langues, il faut penser l’unité de la didactique des langues. Cependant comme chaque langue a sa spécificité, il serait nécessaire de fonder une didactique de chaque langue particulière qui repérerait et décrirait les actes qui permettent d’enseigner et d’apprendre cette langue. Dans le continuum DG > DL > DF (où DG = did. générale ; DL = did. de langues ; DF = did. du français), seule la didactique du français est « pleine », comme la dernière poupée gigogne (1989, p. 84). Selon R. Galisson, associé au FLÉ, comme il y a toujours eu des emprunts et des échanges sauvages entre FLM et FLÉ, il semblerait pertinent de resserrer les liens institutionnels entre ce qui constitue deux domaines distincts (par ex. harmonisation/articulation des métalangages, des méthodes et procédures d’analyse). Cela entraînerait un effet de choc et contribuerait aux rapprochements souhaitables entre les didactiques des LM et les didactiques des LÉ (1986, p. 52). Or, même si certains didacticiens (F. Marchand, R. Galisson, E. Roulet) jugent nécessaire, voire urgent, d’exploiter les transversalités et d’opérer des rapprochements entre DFLM et DFLÉ (et DFLS), on constate que, dans les faits, le cloisonnement entre DFLM, DFLS et DFLÉ est encore très fort5. Nous connaissons tous les obstacles institutionnels existants (parallélisme des organisations scientifiques et professionnelles, des programmes de formation universitaire, des organes de diffusion, des centres de recherche, etc.) et sommes conscients qu’ils proviennent en bonne partie des parcours historiques différents de l’enseignement du français langue maternelle et langue seconde ou étrangère, en France notamment. Mais les intérêts institutionnels suffisent-ils à expliquer ce cloisonnement ? Comment l’association DFLM, ses acteurs et ses réalisations (colloques, journées d’études, publications) interviennent-ils dans la dynamique cloisonnement/rapprochement, que font-ils pour lever les obstacles ? C’est une question à laquelle nous devrions pouvoir apporter des réponses. Ajoutons que la diversité des situations particulières, dans la francophonie où les acteurs de la DFLM interviennent, en particulier les milieux scolaires concernés par leurs recherches, constitue sans doute un autre facteur explicatif du cloisonnement existant. 5.

Depuis une dizaine d’années, la situation a passablement évolué, à preuve la tenue de colloques et symposiums réunissant des didacticiens de LM, LS et LÉ (DFLM, Poitiers, 2000 ; FIPF, Paris, 2000 ; Liège 2002, par exemple ; voir les références des actes de ces colloques dans la bibliographie en fin de volume).

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R. Galisson par exemple, si l’on veut clarifier l’état de notre discipline et les voies de l’avenir.



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

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En France, politiquement monolingue, n’existe officiellement que l’enseignement du FLM. En Suisse et en Belgique, coexistent différents systèmes d’enseignement où domine soit le FLM, soit le FLS, jamais les deux dans la même institution, voire dans la même région. Au Québec, se côtoient deux systèmes d’enseignement parallèles où le français est obligatoirement enseigné, l’un français (où le français est considéré comme langue première), l’autre anglais (où le français est considéré comme langue seconde). Dans plusieurs pays d’Afrique (partiellement francophones), le français est enseigné tantôt comme langue maternelle, tantôt comme langue seconde ou étrangère, ou encore langue d’enseignement ; dans tous les cas, ces désignations sont assez mystificatrices. Dans ces différents cas de figure, l’acte d’enseignement-apprentissage du français est-il convenablement conceptualisé ? Il apparaît plutôt que nous charrions des notions imprécises et éminemment discutables parce que provenant de critères en partie étrangers à leur objet (critères géographiques, politico-scolaires). Ici encore, des précisions méthodologiques s’imposent.

B



Conceptualiser les notions de FLM, de FLS et de FLÉ ou « dénaturaliser les évidences »

1 Français langue seconde et français langue étrangère Qu’est-ce qui distingue le français LS du français LÉ ? On admet généralement que la distinction passe par le statut de la langue dans le pays où elle est enseignée et par l’utilisation que peuvent en faire les apprenants (H.H. Stern, 1983 ; W.-T. Littlewood, 1984 ; H. Besse, 1985 ; J.-P. Cuq, 1991, 1992 ; Z. De Koninck, 1993). La langue seconde serait une langue ayant un statut officiel dans le pays des apprenants qui, par ailleurs, sont susceptibles de la parler de façon significative, « de la pratiquer authentiquement » (H. Besse) en dehors des cours (pensons au français pour les jeunes anglophones du Québec ou pour les jeunes néerlandophones en Belgique). La langue étrangère serait celle qui est apprise en classe mais qui n’est pas parlée par la communauté environnante et qui ne jouit pas d’un statut officiel dans ce pays (pensons à l’espagnol ou à l’allemand, au Québec ou en France). Cette différenciation, très simple et commode au premier abord, pose de très sérieux problèmes dans la plupart des cas concrets d’enseignement-apprentissage du français. Prenons un exemple près de nous. Si l’anglais peut représenter pour les jeunes Québécois francophones une langue seconde puisqu’il a un statut officiel et qu’il est parlé par la communauté environnante, on sait par ailleurs que des facteurs d’ordre affectif, idéologique, culturel et politique ne leur permettent pas nécessairement de le parler de façon significative et de le « pratiquer de façon authentique », alors que ces obstacles n’interviennent pas autant dans l’apprentissage d’une langue dite étrangère

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choisie librement, l’espagnol, par exemple. Bref, en plus du statut officiel de la langue enseignée déterminé par des contextes politiques et scolaires, il y a les réalités socio-affectives et les représentations symboliques qui sont attachées à une langue qui devraient être prises en considération dans la situation didactique et la délimitation du champ concerné par la didactique.

2 Français langue maternelle Quant à l’expression langue maternelle, ne faudrait-il pas s’interroger sur le bien-fondé de la conservation et de la transmission de cette notion par l’association DFLM, et sur sa pertinence épistémologique6. Si on suit l’esquisse de sociogenèse proposée par J.-D. Urbain (1982), la langue maternelle représente la langue de la mère, de la nourrice, de la maison, de la terre d’origine, donc la langue commune, dévalorisée socialement ; elle désigne ce qui, depuis le XIVe siècle, s’oppose à la langue du Père, celle de la grammaire générale, bref celle de la Raison. On peut donc se demander quelle valeur opératoire peut avoir cette notion pour la constitution de notre discipline7. On le voit, la clarification conceptuelle des notions de FLM, FLS et FLÉ est dépendante des autres composantes du « triangle didactique » constituant le « système didactique ».

C



Le « système didactique » du FLM et ceux du FLS et FLÉ Afin de tenter de cerner la spécificité de la DFLM (si elle existe) et celles de la DFLS ou DFLÉ en regard d’une didactique du français, déterminons ce qui distingue leur « système didactique » en examinant chacune de ses trois composantes : le pôle des savoirs, le pôle enseignant et le pôle élève.

6.

7.

Pour une contribution plus récente, voir M. Marquilló Laruy (1999) « La notion de “langue maternelle” est-elle une valeur sûre ? », in G. Legros, M.-C. Pollet & J.-M. Rosier (éds), Actes du 7e colloque DFLM : Quels savoirs pour quelles valeurs ? Université de Bruxelles. Il nous semble aussi inévitable de poser encore cette question corollaire : comment la DFLM prend-elle en charge l’enseignement du français à des jeunes non francophones dans la classe de FLM ? Pour certains, cette question ne serait pas une question du ressort de la didactique, mais de la pédagogie. La présence (importante socialement, même si elle ne l’est pas toujours numériquement) d’élèves non francophones (et souvent à peine francisés) dans les classes de FLM ne mérite-t-elle pas qu’on réfléchisse collectivement à cette question ? Au Québec, les enfants non francophones de 6 à 16 ans sont accueillis dans une « classe d’accueil » durant 9 à 16 mois, après quoi ils sont intégrés aux classes régulières de français « langue maternelle » et des autres disciplines enseignées en français. La moitié des écoles de l’île de Montréal (près du tiers de la population globale du Québec) compte plus de 25 % d’élèves non francophones (nouveaux immigrants ou réfugiés en très grande majorité et, en minorité, enfants d’immigrants de plus longue date).

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Parmi tous les savoirs sur la langue et sur les textes, quels sont ceux que les institutions scolaires et étatiques choisissent de transformer en objets d’enseignement, en savoirs enseignés dans la classe de français LM, LS et LÉ8 ? Il s’agit bien entendu en premier lieu de la langue française écrite (ou plutôt des découpages scolaires de ses sous-systèmes), des textes (littéraires et non littéraires) et de l’expression orale et écrite « standard » et normée. Enseigner la langue et ses réalisations socialement valorisées implique nécessairement de transmettre une culture, que ce soit dans les classes de français LM ou de LS et de LÉ, la culture littéraire demeurant plus importante en LM. Dans l’enseignement de la LM, si l’oral est objet d’enseignement, on sait qu’il a une part congrue, que cet objectif est le plus souvent peu actualisé et enfin que l’oral pratiqué pour fins d’évaluation dans les classes ressemble beaucoup à l’écrit normatif oralisé (c’est du moins ce qui se passe au Québec ; pour la France, voir Le Français aujourd’hui, n° 101, mars 93). Pour ce qui est du travail sur la langue écrite, ce ne sont pas toutes les variétés de langue, ni tous les usages (usage poétique ou ludique) qui doivent être enseignés puis maîtrisés, mais un sous-système, parfois nommé langue décontextualisée, parce qu’elle ne prend pas appui sur un contexte extralinguistique, qu’elle est une langue non redondante et non ambiguë (M. Marland, 1977 ; C.E. Snow, 1987) et qu’elle est entièrement monogérée. Cette caractéristique de la langue scolaire est lourde de conséquences : la totalité du sens doit passer par la langue, ce qui requiert un haut niveau d’explicitation et de désambiguïsation, donc une maîtrise des procédés qui favorise ce type d’expression et une prise en charge plus fine des besoins de l’interaction verbale. Cette langue est requise par l’école pour la manipulation des connaissances et c’est elle qui donne accès aux discours scientifiques ou abstraits. Ce type d’utilisation de la langue, en plus de présenter des caractéristiques particulières au plan phrastique (qui détermine en grande partie un enseignement grammatical normatif), suppose également que l’élève puisse traiter les dimensions textuelles de l’organisation de l’information dans le cadre de types de textes et de conventions rhétoriques déterminées. Et c’est là qu’interviennent les textes littéraires, moins hégémoniques qu’auparavant, mais encore importants et dont une certaine maîtrise est nécessaire (au Québec, tous les élèves de 4e secondaire (16 ans) doivent pouvoir rédiger un texte s’apparentant à une nouvelle littéraire). À l’exception des textes narratifs, la plupart des élèves (francophones d’origine ou pas) n’ont que fort peu accès à un apprentissage systématique des autres types de textes (explicatif, expositif, argumentatif) et des diverses dimensions 8.

C. Garcia-Debanc (1990) propose de distinguer dans le pôle des savoirs, les savoirs à enseigner, les savoirs enseignés effectivement et les savoirs appris réellement.

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1 Les savoirs à enseigner et enseignés dans la classe de français



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de ce « français public », fort différent du français dit fonctionnel (N. Gueunier, 1978 ; K. S. Foley, 1991) et pourtant essentiel à un épanouissement professionnel et social. Ce français-là est un construit social très particulier, presque une nouvelle langue pour plusieurs élèves dépendant de leur origine linguistique et de leur milieu social et culturel. Aussi est-ce une illusion de croire que le français exigé dans le cours de français correspond à la langue maternelle de la très grande majorité des élèves, unilingues francophones, ou pas. Par ailleurs, en raison des pressions sociales, les finalités et les objectifs avoués du cours de français LS (et même LÉ selon F. Marchand, 1989, p. 75) sont de plus en plus proches de ceux de la LM (au Québec pour le moins), quoique l’enseignement de différentes variétés de langue orale et écrite soit sans doute plus répandu en LM, mais le point de référence quant à la langue à acquérir n’est pas pour autant le français parlé dans la communauté environnante, mais ce français public, standard, normatif avec souvent une survalorisation des textes littéraires par rapport aux discours courants (voir certains manuels de FLÉ). Même si la place du littéraire s’est peu à peu réduite au profit des textes courants, la référence à la norme et l’association « grands auteurs » culture française imprègne encore fortement les savoirs enseignés autant en LS ou LÉ qu’en LM9. Les savoirs à enseigner et les savoirs enseignés semblent donc de plus en plus proches les uns des autres, en LM et LS ou en LÉ. Le français qu’on doit et qu’on prétend enseigner est assez semblable ; ne se réfère-t-il pas à la même norme linguistique, à la même tradition rhétorique, aux mêmes « grands auteurs », au parler de la même classe sociale, et, au mieux, ne propose-t-il pas les mêmes descriptions formelles de la langue et des textes ? Quoi qu’il en soit, ces objets d’enseignement sont pour tous les élèves (francophones ou pas) des objets construits par et pour l’institution scolaire dont les effets sinon les objectifs demeurent encore massivement la sélection et la reproduction sociale.

2 Le pôle enseignant ou la problématique de l’intervention didactique Alors si ce ne semble pas d’abord la spécificité des objectifs et des objets d’enseignement et d’apprentissage qui fonde épistémologiquement la spécificité de la DFLM par rapport à la DFLÉ et à la DFLS, qu’en est-il des enseignants ou plutôt de la problématique de « l’intervention didactique » (J.-F. Halté, 1992, p. 19) ? Les enseignants sont d’abord des acteurs sociaux, profondément inscrits dans leur réalité sociale ; enseignant la langue et les textes, ils sont des por9.

Il faut cependant distinguer les finalités de l’enseignement du français et les pratiques scolaires concrètement réalisées.

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teurs de la culture hégémonique officiellement associée à la langue française, plus encore que les enseignants des autres disciplines. Ils ont une mission commune, qu’ils soient de FLM, FLS ou de FLÉ. Bien que la formation universitaire programme différemment les enseignants de LM, de LS ou de LÉ, ce n’est que dans la mesure où ils se soucient vraiment de savoir comment leurs élèves apprennent que la dynamique de leur intervention didactique sera spécifique dans les contextes de FLM (en milieu exclusivement francophone ou pas) de FLS ou de FLÉ. Car enseigner le FLM, à Dakar, à Marseille ou à Montréal, comme d’ailleurs enseigner le FLS à Montréal, à Berne ou à Anvers, devrait imposer des « interventions didactiques » différentes, compte tenu des différences dans « l’appropriation didactique » par les élèves. Mais est-ce généralement le cas ?

3 Le pôle élèves ou la problématique de « l’appropriation didactique » Finalement, le point d’ancrage qui peut permettre d’établir la spécificité de la DFLM par rapport à la DFLÉ ou à la DFLS semble être « le travail cognitif de l’apprenant » (J.-F. Halté 1992, en référence à L.B. Resnick, 1983 et à D.G. Brassart, 1990). En effet, les distinctions DFLM/DFLS/DFLÉ pourraient prendre toute leur pertinence dans l’examen des processus différenciés de l’apprentissage du français scolaire selon les différents contextes scolaires, selon les différentes situations d’apprentissage vécues par l’élève et aussi selon les représentations attribuées à l’objet d’apprentissage par les élèves. Quels sont les coûts sociocognitifs de l’apprentissage du français (langue/ textes/culture) dans ces différentes configurations didactiques, quelles sont les stratégies déployées, quels sont les savoirs et les savoir-faire réellement appris à l’école par rapport à ceux qui sont enseignés à l’école, à ceux qui sont acquis au-dehors dans le milieu social ambiant, et à ceux qui sont hérités par l’appartenance socioculturelle des élèves (C. Garcia-Debanc, 1990, p. 54) ? L’examen des conditions et des processus d’apprentissage (en LM, LS et LÉ) et de la dynamique que l’appropriation didactique imprime au système didactique pourrait étayer la spécificité et la nécessité d’une relative autonomie d’une DFLM par rapport à une DFLS ou DFLÉ, encore que la tendance soit de plus en plus à mettre en lumière les points communs entre LM (L1) et les autres langues (L2) en ce qui concerne l’acquisition de la lecture et de l’écriture (Z. De Koninck & E. Boucher, 1993). Pour cela, des rapprochements soutenus entre DFLM, DFLÉ et DFLS sont nécessaires au plan organisationnel et professionnel ; au plan des recherches en didactique ; au plan de la formation des maîtres du primaire et du secondaire.

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Des rapprochements entre DFLM et DFLS ou DFLÉ sont nécessaires

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Pour contrer l’échec et l’abandon scolaires, pour faire face aux changements des populations scolaires dans les sociétés occidentales actuelles, dans la perspective du renouvellement urgent et nécessaire des pratiques reliées à l’enseignement du français, et sachant par ailleurs que le français privilégié par l’école est différent de celui maîtrisé par la très grande majorité des apprenants (y compris les francophones), des rapprochements entre DFLM et DFLS et DFLÉ sont nécessaires, car c’est seulement alors, par la confrontation des expériences théoriques et pratiques, qu’on pourra évaluer sérieusement les spécificités des différents domaines et établir la nécessité de l’autonomie de la DFLM, ou plutôt construire un domaine disciplinaire appelé didactique du français.

Références bibliographiques BESSE, H. (1985) : « Remarques sur le statut de la didactique des langues étrangères dans le champ des sciences humaines et sociales », Bulletin de l’ACLA, 7, 2, p. 727. BRONCKART, J.-P. (1989) : « Du statut des didactiques des matières scolaires », Langue française, 82, pp. 53-66. CHISS, J.-L. (1989) : « Revendication d’autonomie et horizon de scientificité en didactique du français », Langue française, 82, pp. 44-52. CUQ, J.-P. (1992) : « Français langue seconde : un point sur la question », Études de linguistique appliquée, 88, pp. 5-26. CUQ, J.-P. (1991) : Le Français langue seconde : origines d’une notion et implications didactiques. Paris, Hachette. DABÈNE, M. (1986) : « Ralentir… Travaux ! Sur quelques évidences en didactique du français, langue étrangère », Études de linguistique appliquée, 64, pp. 3138. DE KONINCK, Z. (1993) : « Didactique de la langue maternelle et didactique des langues secondes ou étrangères : deux mondes ? », La Lettre de l’association DLFM, 13, pp. 3-5. DE KONINCK, Z. & BOUCHER, E. (1993) : « Écrire en L1 ou en L2 : processus distincts ou comparables ? », Bulletin de l’AQEFLS, 14, 2/3, pp. 27-51. FILLIOLET, J. (1990) : Colloque « Recherche en didactique du français et formation des enseignants », Auteuil, France. FOLEY, K. S. (1991) : « Decontextualized Language Development in Home and School Interactions », Revue de l’Association canadienne de linguistique appliquée, 13, 2, pp. 69-83. GALISSON, R. (1989) : « Problématique de l’autonomie en didactique des langues (contexte français) », Langue française, 82, pp. 95-115.

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GALISSON, R. (1986) : « Éloge de la didactologie/didactique des langues et des cultures (maternelle et étrangères) – D/DLC », Études de linguistique appliquée, 64, pp. 39-54. GARCIA-DEBANC, C. (1990) : « Didactiques du français et didactique des disciplines scientifiques : convergences et spécificités », dans Perspectives didactiques en français, Metz : CASUM. GUEUNIER, N. (1978) : Le Français devant la norme. Contribution à une étude de la norme du français parlé, Paris, Champion. HALTÉ, J.-F. (1992) : La Didactique du français, Paris, PUF. HALTÉ, J.-F. (1990) : « Didactique et enseignement du français », dans Perspectives didactiques en français, Metz : CASUM. LITTLEWOOD, W. T. (1984) : Foreign and Second Language Learning, Cambridge, Cambridge University Press. MARCHAND, F. (1989) : « Français langue maternelle et français langue étrangère : facteurs de différenciation et proximités », Langue française, 82, pp. 67-81. MARLAND, M. (1977) : Language Across the Curriculum, London, Heineman. RICHTERICH, R. (1989) : « De la transversalité et des spécificités : pour une didactique à imaginer », Langue française, 82, pp. 82-94. ROULET, E. (1989) : « Des didactiques du français à la didactique des langues », Langue française, 82, pp. 3-7. SNOW, C.E. (1987) : « Beyond Conversation : Second Language Learner’s Acquisition of Description and Explanation », dans J.-P. Lantolf & A. Labarca (eds), Research in Second Language Learning : Focus on the Classroom, Norwood, N.J. Ablex. STERN, H.H. (1983) : Fundamental Concepts of Language Teaching. Oxford, OUP. URBAIN, J.-D. (1982) : « La langue maternelle, part maudite de la linguistique ? », Langue française, 54, pp. 7-28.

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Jacques DAVID

Dans cette contribution1, nous nous proposons d’étudier des phénomènes récents, de porter un regard sur des réalités nouvelles en didactique du français langue maternelle (dorénavant DFLM). Il ne s’agit pas ici d’établir un quelconque rapport à l’histoire de la discipline2, mais de pointer des évolutions, des débats, des développements actuellement décelables dans ce champ. Pour ce faire, nous nous appuierons sur un corpus de publications, sans doute partiel, mais qui tentera de restituer les caractéristiques les plus fondamentales des recherches dans le domaine. Dans le cadre limité de cette étude, nous avons retenu pour l’essentiel la situation des recherches de DFLM en France, sans écarter toutefois des comparaisons avec des travaux similaires, conduits dans les autres pays de la francophonie, en Belgique, au Québec ou en Suisse3. Nous avons enfin centré notre attention sur des recherches qui s’appliquent tour à tour à l’enseignement-apprentissage du français à l’école primaire et au collège ; et pour certaines analyses aux actions de formation et de recherche déployées dans l’enseignement supérieur.

1. 2. 3.

Cet article est rédigé en orthographe nouvelle. De fait, ce chapitre entend prolonger celui de M. Dabène qui s’inscrit dans une dimension plus nettement historique. Pour une vision plus complète de ces recherches, il convient de se reporter à la banque de données DAF-INRP, au répertoire de G. Gagné et al. (1989-1993), Recherches en didactique et acquisition du français langue maternelle. Bruxelles, De Boeck-Wesmael, Paris, Éd. Universitaires – INRP, Montréal, Université de Montréal, PPMF ; un répertoire revu et augmenté dans Recherches en didactique et acquisition du français langue maternelle (1993). Mise à jour III, Montréal, Services documentaires multimédia ; mais également à la thèse de F. Ropé (1991), Recherches en didactique du français – Tendances générales, Paris, INRP… et aux publications qui en sont issues.

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Positions actuelles et évolutions institutionnelles et éditoriales



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Plus précisément, nous nous sommes attachés à analyser les différents lieux où s’élabore et circule le discours didactique, ou plutôt les discours didactiques. Nous avons ainsi envisagé d’analyser : i) les lieux de recherche, tels l’INRP, le CNRS et les universités, qui ont vocation à développer des études en rapport plus ou moins direct avec l’enseignement-apprentissage des langues en général et du français en particulier ; ii) les lieux de décision institutionnels comme le ministère de l’Éducation nationale et ses différentes directions, l’Inspection générale, le Conseil national des programmes, mais aussi les organismes officiels ou observatoires plus ou moins dépendants de ses services ; iii) les lieux de formation au premier rang desquels se situent les Instituts universitaires de formation des maitres ; iv) et enfin les lieux d’édition et d’échange avec les revues spécialisées, bien sûr, mais aussi avec les actes de colloques ou de congrès.

A



Les lieux de recherche Tout d’abord au sein de l’INRP, qui nous semble être le point de départ de nombreuses actions de recherches avec des méthodologies particulières comme les recherches-actions qui permettent l’observation précise des pratiques de classes et la formulation de propositions pour des apprentissages construits dans le domaine. Nous nous devons de reconnaitre que cet institut a joué et joue encore un rôle déterminant dans la constitution des didactiques des disciplines en général et de la didactique du français en particulier, à partir notamment de l’expérience cumulée de chercheurs impliqués dans l’ancien département de « Pédagogie du français 1er degré ». Une première question surgit quant au glissement terminologique. En effet, le passage d’une « pédagogie » à une « didactique » du français correspondaitil à une évolution, voire une rupture liée à la mise en place de nouvelles recherches, ou révèlait-il une certaine continuité de celles-ci sous une dénomination différente ? Il semble que l’abandon du terme « pédagogie » allait de pair avec une réorientation des recherches et plus précisément des objets de recherche. Notons que le changement d’appellation s’est accompagné d’une certaine désaffection pour des objets d’études, comme le langage oral4, pourtant largement développées dans les années soixantedix, à partir du plan (dit « Rouchette ») de Rénovation de l’enseignement du français. À cette époque, les recherches en pédagogie du français reposaient principalement sur une analyse des pratiques pédagogiques et des composantes linguistiques, surtout syntaxiques et phonologiques, liées à l’étude de

4.

Il est tout à fait curieux de constater qu’il a fallu près de trente ans pour voir ressurgir aujourd’hui cette question de l’oral dans le champ de la DFLM. Il reste qu’elle réapparait pour susciter un renouvellement interne de cette question dans le champ de la DFLM, mais aussi pour tenter de réponse à un problème externe, à savoir l’ « insécurité linguistique » – réelle ou supposée – de nombreux écoliers et surtout collégiens, et donc le désarroi de nombreux professeurs face aux variantes de français parlées par leurs élèves.

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la langue et à l’apprentissage de la lecture. Au cours des années quatrevingts, ces recherches tournées vers les travaux linguistiques disparaissent au profit d’autres plutôt marquées par des orientations psychologiques ou psycholinguistiques. Nous observons ainsi leur influence sur l’émergence des typologies textuelles et dans l’utilisation de modèles du scripteur-rédacteur pour la production d’écrits. Dans un passé encore récent, au début des années 1990, certaines recherches conduites à l’INRP – comme celles relatives à l’apprentissage de la lecture – se trouvaient alors réparties dans au moins quatre équipes de chercheurs appartenant chacune à des départements, et des paradigmes différents : J. Foucambert responsable de l’unité Didactique des apprentissages de base, G. et É. Chauveau du CRESAS (Centre de recherche de l’éducation spécialisé et de l’adaptation scolaire), É. Charmeux associée à l’unité Didactique du français, L. Sprenger-Charolles qui travaillait alors à l’inventaire thématique des recherches en DFLM, sans oublier J. Hébrard du Service d’histoire de l’éducation au sein du même INRP. Le moins que l’on puisse constater c’est que les recherches menées dans le cadre de cette problématique apparaissaient peu convergentes. Les méthodologies affichées, les référents théoriques dénotaient des conceptions et des implications pour la didactique du français également très différentes. Symptôme de cet éparpillement, la quasi-absence de numéros consacrés à cette question dans certaines revues de l’INRP. Certes, des initiatives éditoriales ont montré l’importance et l’étendue des recherches de cet institut dans le domaine5 ; mais elles ne concernaient pas la seule question de l’acquisition de la lecture et surtout, elles révélaient l’extrême dispersion des recherches que nous venons de mentionner. De plus, le fait qu’une revue comme Repères, parfaitement ciblée en DFLM, n’ait pas inscrit l’apprentissage de la lecture comme thème de l’un de ses numéros depuis 1973 montre à quel point la réflexion en didactique du français, au sein de l’INRP, « évitait » de probables conflits pour se porter sur des thèmes moins dissensuels : la production écrite ou l’analyse des faits de langues. Aujourd’hui, la délocalisation et la restructuration des équipes de l’INRP, la disparition du CRESAS en tant que centre de recherche autonome, le départ de plusieurs chercheurs ont accéléré cette désaffection pour l’apprentissage de la lecture. Conjointement, les thèses idéo-visuelles de l’apprentissage la lecture ont pratiquement disparu des préoccupations et des discours dans le domaine. Au point que la place est actuellement occupée presque exclusivement par les sciences cognitives, dont la plupart se sont développées en marge des recherches didactiques. De fait, les recherches pyscholinguistiques ont renouvelé les approches de la lecture et de son apprentissage. La multiplication des travaux et des publications accumulés dans le domaine 5.

Voir surtout le numéro hors série « Apprendre à lire et à écrire. Dix ans de recherche sur la lecture et la production de textes » de la Revue française de pédagogie, Paris, CNDP, 1989 ; et postérieurement Lire et écrire à l’école primaire. État des recherches à l’INRP, Paris, INRP, 1994.

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ont accéléré – sinon définitivement scellé – l’emprise de la psychologie cognitive sur les modèles d’enseignement-apprentissage de la lecture. Le rapport de synthèse publiée en 1998 par l’Observatoire national de la lecture6 marque en ce sens une étape décisive ; il a largement influencé la rédaction des tout derniers programmes de l’école primaire7. Et malgré quelques réactions critiques8, cette influence est désormais entendue, reconnue, sinon acceptée. L’élaboration de nouveaux manuels de lecture pour le cycle 2 de l’école primaire achève de compléter l’emprise de la psychologie cognitive9. Certains psycholinguistes n’hésitent en effet plus à s’impliquer dans la réalisation de supports d’apprentissage qui présentent les apprentissages graphophonologiques et morphologiques, dans des activités qui combinent désormais la lecture et l’écriture. À côté de la psychologie cognitive, et de façon complémentaire ou opposée, d’autres paradigmes de recherche éclairent les apprentissages de la lecture, et plus encore de l’écriture10. La linguistique génétique11 d’un côté, les travaux en littéracie12 de l’autre élargissent les approches du langage écrit et de son acquisition. Il s’agit de montrer que ces apprentissages prennent en compte le niveau linguistique par la description précises des propriétés des écritures et des systèmes orthographiques, et leur inscription dans un univers culturel spécifique, afin d’éviter leur réduction au simple montage de règles phono- ou morphographiques. Du côté du CNRS et des universités, l’appartenance de chercheurs à différentes sections et unités de recherches, permanentes ou associées, a également donné à la DFLM la vision d’une grande diversité. En fait, les travaux dans le domaine sont peu pris en compte en tant que tels. Les différents laboratoires de psychologie, comme ceux de M. Fayol à Dijon puis à Clermont-Ferrand, d’A. Piolat à Aix, d’É. Espéret à Poitiers, de J.-E. Gombert à Rennes ont des préoccupations en didactique du français, sans pour autant inscrire celles-ci dans des programme de recherche spécifiques. Les 6.

Morais J. & G. Robillart (éds) (1998), Apprendre à lire au cycle des apprentissages fondamentaux. Analyses, réflexions et propositions. Paris, CNDP & Odile Jacob. 7. Ministère de l’Éducation nationale (2002), Qu’apprend-on à l’école élémentaire ? Les nouveaux programmes. Paris, CNDP & XO-éditions 8. Notamment celle de J. Fijalkow intitulée « Un coup pour rien », dans la revue qu’il dirige : Les Dossier des sciences de l’Éducation, n° 1, 1999, aux Presses universitaires du Mirail. 9. Dans ce mouvement, on peut repérer l’édition d’une collection dirigée par J.-E. Gombert, P. Colé et alii (2001), Crocolivre CP et CE1, Paris, Nathan. 10. Dans cette perspective, voir l’ouvrage collectif dirigé par C. Fabre-Cols (2000), Apprendre à lire les textes d’enfants. Bruxelles, De Boeck ; et notre article de synthèse « Étudier les textes d’enfants : revue de travaux ». 11. Voir à ce titre, la contribution de J.-P. Jaffré & D. Ducard (1996), « Approches génétiques et productions graphiques », Études de linguistique appliquée, n° 101, pp. 87-98 ; et la discussion entamée par J.-L. Chiss & C. Puech (1996), « La genèse de l’écrit : constitution d’un objet de recherche et frontières disciplinaires », dans la même revue des Études de linguistique appliquée, pp. 99-111. 12. Depuis les travaux canadiens de D.R. Olson, (1994). The World on Paper : The conceptual and cognitive implications of writing and reading. Cambridge : Cambridge University Press (trad. franç. L’Univers de l’écrit. Comment la culture écrite donne forme à la pensée. Paris, Retz, 1998) ; jusqu’à ceux récemment publiés en France, notamment dans les actes du colloque de Grenoble (octobre 2002), publié par C. Barré-de Miniac et alii (2004). La Littéracie. Conceptions théoriques et pratiques d’enseignement de la lecture-écriture, Paris, L’Harmattan.

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équipes de linguistes présentent sensiblement les mêmes dispositions, même si dans certaines unités, F. François à Paris 5, R. Delamotte à Rouen, J.-P. Jaffré au CNRS à Ivry puis à Villejuif…, des chercheurs conduisent leurs recherches dans des classes de français avec des objectifs didactiques plus ou moins centraux. Il faut bien reconnaitre également que les initiatives ou les propositions didactiques des uns et des autres ne sont pas toujours reconnues ou favorisées par leurs institutions, et cela malgré la volonté affirmée par certains responsables de « s’impliquer davantage dans la société »13. Sur un autre plan, l’ouverture des universités à la DFLM va souvent de pair avec des implications dans la formation des enseignants14. Mais si certaines actions de recherche apparaissent de plus en plus affirmées en didactique de manière générale, notons qu’elles restent largement éparpillées dans des UFR distinctes : les sciences de l’éducation principalement, mais aussi la psychologie, les sciences du langage, les lettres et/ou la linguistique française, générale ou appliquée. Notons que, dans certaines universités, des enseignants et des chercheurs ayant une influence en DFLM se sont avant tout – et parfois prioritairement – investis dans la didactique du FLE. Ils ont pour cela constitué des équipes ou des laboratoires, associés ou non au CNRS, à Paris 3, à Lyon 2 ou à Grenoble 3. Certaines de ces équipes ont par la suite sensiblement élargi leurs projets de recherches à la DFLM, notamment au sein du « Modyco » à Paris 10, du « Lidilem » à Grenoble, ou du « Dyalang » à Rouen. De fait, les équipes universitaires qui ont plus que les autres intégré la DFLM à leurs programmes d’études et de recherches sont souvent liées à des unités ou des départements de sciences de l’Éducation – par exemple l’équipe « Théodile » à Lille 315. Cette dispersion de la DFLM ne permet guère de reconnaissance institutionnelle. Et au delà de quelques déclarations sans effet, les différentes directions de recherches – au CNRS comme dans les universités – n’entendent pas accorder de place, même réduite à la recherche en DFLM. Le plus souvent la simple mention du terme didactique (nominale ou adjectivale) suffit à écarter des programmes de recherches ancrés soit dans les sciences du langage, soit dans les études de lettres-littérature. Au-delà, l’attribution de postes d’enseignement du supérieur à des candidats dont les compétences en DFLM sont très marquées reste encore exceptionnelle. Excepté en FLE, ces postes ne mentionnent que rarement des profils en didactique du français ; les sections universitaires du Conseil national des universités (CNU) ne retiennent guère, non plus, ces qualifications particulières. 13. Allocution du directeur général du CNRS développant les orientations scientifiques du centre pour les années à venir (Le Monde du 6 octobre 1993). 14. La part prise par l’université dans la formation des enseignants est bien entendu liée à l’installation des IUFM ; nous y reviendrons par la suite. 15. C’est également le cas dans au moins deux pays de la francophonie, le Québec et la Suisse, où la DFLM est adossée aux sciences de l’Éducation.

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En marge, les bouleversements constatés, notamment dans « l’universitarisation » de la formation des maitres, suscitent des évolutions, voire des renversements de carrière, sur la base d’une expertise plus ou moins affichée en DFLM ; celle-ci pouvant constituer en certains endroits un atout considérable alors qu’ailleurs elle sert largement de repoussoir. Le recrutement actuel des enseignants-chercheurs et professeurs dans les Instituts universitaires de formation des maitres (IUFM) suit ces évolutions contradictoires : dans certains IUFM les expériences et publications en DFLM apparaissent indispensables, alors que dans d’autres elles sont écartées au profit des seules compétences disciplinaires, en linguistique ou en littérature.

B



Les lieux de décision institutionnels En France, au début des années quatre-vingt-dix, le ministère de l’Éducation nationale et ses différentes directions, l’Inspection générale, le Conseil national des programmes… se sont manifestés par l’édition de textes officiels, comme Les Programmes et instructions, mais aussi des textes d’orientation qui n’ont pas le même caractère réglementaire16, des documents de travail, des projets (cf. le Projet de programme pour l’école, publié dans le premier Bulletin officiel de l’Éducation nationale de septembre 1994) où le discours didactique a été diversement pris en compte. À partir de l’étude de ces textes, nous pouvions souvent observer des évolutions, des changements d’orientation, des phénomènes d’actualisation ou de focalisation singuliers, bref un ensemble de questions qui trouvèrent un écho en DFLM. Ainsi, nous avons discerné des tensions entre les textes réglementaires et les textes d’orientation, entre les projets de programme et les programmes effectivement publiés. Les textes d’orientation ou préparatoires sont plus nettement marqués par le discours didactique, par la référence aux sciences contributoires. Les programmes et instructions sont, quant à eux, généralement liés à des enjeux socio-économiques et politiques. Ils sont inévitablement pris dans l’histoire de l’institution et obligés de s’inscrire dans une certaine continuité. À titre d’exemple, les deux composantes de l’apprentissage de la lecture : « travail sur le code » et « travail sur le sens », sont présentées de manière sensiblement égales depuis 1923. Certes, la terminologie a changé : « associer des sons et des formes » se trouve remplacé par « repérer les correspondances phonographiques ». L’ordre de présentation de ces apprentissages s’est sensiblement rééquilibré : l’accès au sens, la question de la compréhension, le recours aux textes et à leur diversité typologique, apparaissent dès les petites classes. Les indications

16. Voir notamment La Maitrise de la langue à l’école, 1992, coédité par le CNDP et Savoir-Livre, ou plus récemment les rapports-synthèses de l’ONL (Observatoire national de la lecture), déjà évoqués, et ceux du PIREF (Programme incitatif de recherche sur l’éducation et la formation) qui sont des organismes plus ou moins dépendants de ce ministère.

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méthodologiques insistent plus volontiers sur la prise en compte de matériaux écrits moins morcelés, exit les phrases décontextualisées, les mots segmentés en syllabes plus ou moins artificielles. Mais fondamentalement, ces textes officiels étaient relativement imperméables aux évolutions didactiques et aux apports des sciences de référence. En fait, les problèmes de méthode étaient évacués, les techniques d’apprentissage, les exemples de démarches et surtout de progression étaient volontairement occultés, car c’est aux maitres qu’appartenait le choix d’adopter telle ou telle méthodologie ou support pour son enseignement. De fait, dans leur enquête sur les pratiques des maitres de CP17 É. et J. Fijalkow ont bien montré qu’elles avaient peu évolué et qu’elles reposaient principalement sur l’usage de manuels d’apprentissage avec des principes phonologiques plus ou moins prégnants. Aujourd’hui, l’importance des manuels comme élément exclusif de choix didactique est à relativiser. C’est en effet dans ce domaine de l’apprentissage initial de la lecture que les changements de discours sont les plus manifestes. Les Programmes et instructions de 2002 (voir note 7), concernant notamment le cycle 2 des apprentissages fondamentaux, déclarent plus nettement que les précédentes instructions que « certaines méthodes proposent de faire l’économie de l’apprentissage de la reconnaissance indirecte des mots (méthodes globales, méthodes idéo-visuelles…) de manière à éviter que certains élèves ne s’enferment dans dette phase de déchiffrage réputée peu efficace pour le traitement de la signification des textes. On considère aujourd’hui que ce choix comporte plus d’inconvénients que d’avantages… » (p. 78). Là encore, l’impact des sciences de référence, et plus particulièrement des recherches psycholinguistiques, agit directement sur les directives ministérielles, puisqu’il n’est plus interdit de dénoncer des dérives liées à des méthodes menant les élèves et leurs maitres à des impasses pédagogiques. De fait, nous constatons une évolution importante des discours ministériels. Jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, les propositions didactiques ne pouvaient être décelées que dans les manuels d’apprentissage et non dans les textes officiels ; ce n’est plus vrai aujourd’hui, pour l’enseignement primaire comme pour l’enseignement secondaire. Les programmes et instructions sont désormais en étroite relation avec les développements récents des recherches en DFLM, au point que certaines thèses ou modèles provisoires se trouvent intégrés sans précaution. Il en est ainsi des programmes du cycle 3 du primaire qui obéissent à des propositions contradictoires ou difficilement conciliables : à la fois ressourcer les acquisitions culturelles, littéraires, esthétiques et en même temps poursuivre les apprentissages instrumentaux de la lecture ; d’un côté réintroduire l’étude de la langue par son « observation réfléchie » et de l’autre restreindre les objets d’étude grammati17. « Pratiques d’enseignement de l’écrit au cycle 2 », d’E. & J. Fijalkow, Revue française de pédagogie, n° 107, INRP, 1994.

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caux18. Mais dans cette évolution des programmes et instructions du primaire, comme dans ceux du collège, le problème majeur est assurément le décalage croissant entre les capacités d’acquisition, de maitrise des nouveaux savoirs enseignés et les objectifs de connaissances qui leur sont assignés. En clair, nous assistons à un phénomène récurrent, un mouvement descendant historiquement répété, qui vise à universitariser le cycle secondaire et, par voie de conséquence, à secondariser l’école primaire. Car au collège, également, les évolutions sont conséquentes, les textes officiels proposent dorénavant des apprentissages articulés à la didactique de la langue et des discours – ou des textes –, dont les textes littéraires. Les corpus de textes à étudier, les dispositifs pluridisciplinaires, les activités intégrant lecture et écriture, la démarche en séquences…, s’ouvrent plus largement aux apports didactiques dans le domaine. Certes, certaines transpositions ou applications peuvent paraitre maladroites ou décalées19, mais les intentions et les faits sont là ; les recherches en didactique du français alimentent dorénavant les directives ministérielles, jusque dans les examens terminaux du brevet et du baccalauréat20. Concernant les autres apprentissages de la discipline « français », nous relevons également des avancées importantes, liées entre autres à la prise en compte des recherches en DFLM. C’est particulièrement nette dans le domaine de la production écrite – et plus encore de la production textuelle – qui se trouve, dans les orientations et les textes ministériels, dégagée des conceptions plutôt spontanéistes de l’« expression écrite » ou des formes normées de l’exercice de « rédaction » (voir A. Petitjean, infra). Mais, dans ce domaine également, il reste des problèmes quant à la présentation des apprentissages impliqués : sur la question des progressions, sur l’élaboration des démarches et surtout les articulations possibles avec l’étude de la langue. Ainsi, au début des années 1990, on pouvait relever que Les Objectifs de fin de cycles, (1991) offraient un programme de compétences quasi identique pour la fin du cycle 1 (élèves de 5-6 ans) et pour le cycle 3 (élèves de 11 ans). Ces objectifs, nettement inspirés par les recherches sur les typologies des discours, étaient repris tels quels sous la forme de nomenclatures textuelles dans lesquelles on ne pouvait discerner ni différencier des acquisitions spéci18. Lire à ce sujet les analyses critiques de J. David (2002), « Articulation entre étude de la langue et lecture », dans La Formation à l’apprentissage de la lecture, Paris : Observatoire national de la lecture ; J.-L. Chiss & J. David (2003), « Les nouveaux programmes pour l’école primaire française : questions pour la didactique du français », La Lettre DFLM, n° 32, pp. 12-15 ; J.-L. Chiss (2004), « Comprendre et interpréter : réflexions sur la lecture littéraire au cycle 3 », dans Nouveaux regards sur la lecture, Paris, Observatoire national de la lecture, CNPP/Savoir-livre. 19. Notamment pour ce qui concerne la tripartition « phrase-texte-discours », ou la volonté de tout articuler aux activités langagières orales et écrites, voir la contribution critique de J.-L. Chiss & J. David (1999), « Des relations entre langue et littérature. Éléments pour un débat théorique, institutionnel et didactique ». Le français aujourd’hui, n° hors série, pp. 4054. 20. L’épreuve dite d’ « écriture d’invention » au baccalauréat de français en est une illustration singulière.

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Sur cette question, nous devons analyser contrastivement les textes d’orientation qui ont plus nettement intégré les acquis des recherches en DFLM, avec – dans ce domaine également – une ouverture plus importante aux apports de la psychologie cognitive et une moindre prise en compte des travaux linguistiques. Ces avancées sont apparues décisives et l’ouvrage de synthèse La Maitrise de la langue à l’école, publié en 1992 sous l’égide de la Direction des écoles, a certainement constitué une synthèse importante des acquis accumulés en DFLM et dans les sciences contributoires. Il nous faut cependant relever certains manques assez singuliers et révélateurs de l’orientation des recherches en DFLM. Dans l’ouvrage cité, nous avions deux textes, l’un présentant des orientations didactiques, l’autre offrant une synthèse des savoirs disponibles dans les domaines de la lecture et de l’écriture ; mais sous ce titre, plutôt orienté vers des questions de langue, il fallait lire en fait maitrise des savoir-faire langagiers, parler, lire et écrire. De fait, il y était peu question du travail en langue ; l’état des recherches dans les domaines grammatical, orthographique ou lexical… y était très réduit. Il s’agissait encore moins de présenter les données de recherches sur les acquisitions métalinguistiques et de proposer des démarches ou des progression concernant son enseignement-apprentissage. En fait, plusieurs questions grammaticales se trouvaient insérées dans le texte sous la forme d’exemples permettant d’illustrer de possibles difficultés dans l’organisation des textes sur les deux versants de la réception-compréhension et de la production. L’analyse des problèmes de langue était essentiellement présentée comme dépendant de l’apprentissage de la lecture-écriture. De plus, ces exemples étaient, dans leur majorité, empruntés à la grammaire de texte et plus particulièrement aux phénomènes de cohésion nominale et pronominale : repérage ou articulation des dénominations-reprises, maintien des chaines anaphoriques. Une telle focalisation sur les apprentissages du lire-écrire visait bien évidemment à relativiser les apprentissages métalinguistiques et à inverser le cours des pratiques dominantes, principalement occupées par la maitrise des connaissances grammaticales et l’exercice de micro-habiletés décontextualisées des savoir-faire en lecture-écriture. Cependant, même en intégrant des éléments de linguistique textuelle, des manques apparaissaient. Ainsi, il était peu fait référence à l’acquisition de l’orthographe liée, ou non, à la production écrite et aux problèmes de cohésion temporo-verbale sous-jacents à la compréhension des textes.

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fiques à un âge ou un cycle donné. De même, l’impact des travaux sur la production d’écrits s’est traduit par la volonté affichée de l’articuler à l’étude de la langue et des discours, voire de la poser comme une condition ou un préalable à l’acquisition de savoirs métalinguistiques.



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Aujourd’hui, nous l’avons vu les textes ministériels s’appuient résolument sur les apports en DFLM. Aussi, loin de nous engager dans un inventaire des inévitables absences inhérentes à ces textes d’orientation ou à vocation prescriptive, nous entendons plutôt montrer que certaines questions, pourtant vives dans la conduite du cours de français, ne sont pas encore réellement prises en compte. Mais sont-ils plus clairement définis dans les recherches en DFLM ? Ce n’est pas évident. En fait, nous remarquons que ces manques révèlent souvent des désaccords sur des notions ou des conceptualisations encore peu stabilisées, entre autres et pour reprendre les mêmes exemples : le rapport – ou la fausse opposition – entre grammaire de texte et grammaire de phrase21, les procédures de mise en mots dans la composition d’un texte22 ; les valeurs d’emploi des différentes formes temporo-verbales (J.-L. Chiss, infra).

C



Les lieux de formation Nous les avons déjà évoqués en détaillant certains des effets provoqués par le rattachement récent des Instituts universitaires de formation des maitres (dorénavant IUFM) à l’enseignement supérieur. Au-delà de la question institutionnelle, il nous faut analyser les évolutions constatées du côté des acteurs sociaux concernés. Tout d’abord, nous observons que les différents formateurs des ex-Écoles normales, intégrés ou nommés aujourd’hui dans les IUFM, sont, par essence ou par vocation, des didacticiens de leur discipline. Cependant, les multiples questions posées en DFLM ne sont pas toujours prises en charge par les seuls professeurs de la discipline « français ». En fait, il existe depuis l’origine une partition entre les formateurs de français ou de lettres et les professeurs de psychopédagogie ou de « formation générale » : les uns et les autres devant traiter des questions souvent indissociables comme l’étude des textes et l’acquisition de la lecture. De plus, leur formation respective les entraine vers des enseignements auxquels ils ne sont pas forcément préparés : les premiers sont « naturellement » orientés vers l’enseignement des lettres (classiques ou modernes) alors que les seconds ont une base de réflexion philosophique. Nous constatons ainsi un double phénomène : une distribution plus ou moins artificielle des contenus de formation entre deux catégories de formateurs (au moins !) et un nécessaire recours à l’autoformation, voire à l’autodidaxie, pour la plupart de ceux qui interviennent auprès d’enseignants du premier degré.

21. Lire sur cette question le n° 135 de la revue Le français aujourd’hui, intitulé « Et la grammaire de phrase ? », J.-L. Chiss & S. Meleuc (éds), 2001. 22. Voir notre étude « Orthographe et production de texte », in J. David & S. Plane (éds), L’Apprentissage de l’écriture de l’école au collège, Paris, PUF, 1996.

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Il n’est dès lors pas exagéré d’insister sur l’importance de revues professionnelles et/ou militantes comme Pratiques, Repères ou Le français aujourd’hui dans l’autoformation de ces formateurs. Parce qu’ils en sont à la fois les auteurs et les lecteurs privilégiés, ces publications sont à la base de nombreux échanges ; elles permettent la circulation, comme le partage, d’informations qui contribuent largement à la constitution de la DFLM. Ces professeurs d’IUFM se trouvent ainsi à l’interface des recherches en sciences du langage ou en littérature et des pratiques des maitres. Ils assurent le « traitement » ou la traduction didactique des premières pour les secondes. De par cette place privilégiée, ils sont également les concepteurs de guides théoriques et méthodologiques dans le domaine. Ils produisent massivement des ouvrages de référence, des comptes rendus d’expérience, des recherches dont la dimension didactique est de plus en plus assumée et affirmée. Cette position engendre également des problèmes singuliers. En effet, la focalisation sur des tendances particulières, des domaines scientifiques privilégiés, des références plus ou moins modélisantes de la discipline « français », provoquent parfois des effets non maitrisés. Il en est ainsi de l’application directe des principes et méthodes de la grammaire distributionnelle, de l’usage des schémas et des superstructures du récit, du recours aux modèles du sujet lecteur ou scripteur, empruntés tour à tour à la linguistique, à la narratologie et à la psychologie cognitive, dans des ensembles didactiques « bricolés », plus ou moins cohérents, stables ou provisoires et parfois éloignés des acquisitions possibles dans les différentes classes de français. Parallèlement, l’investissement croissant – même s’il est inégal et involontaire – de l’université dans la formation des maitres fait que cette position privilégiée et cette capacité de relais leur sont de plus en plus disputées par les enseignants de ces universités. Plusieurs phénomènes peuvent être évoqués face à la redistribution actuelle, ou à venir, de ces compétences en DFLM. D’un côté la raréfaction des publics d’étudiants de DEA et de maitrise, de l’autre leur aspiration à rejoindre les carrières de l’enseignement, ont contraint les enseignants du supérieur à orienter leur discipline vers leur didactisation. C’était déjà une réalité pour les sciences du langage ; c’est aujourd’hui une tendance qui s’accentue, en se généralisant à d’autres disciplines. Ajoutons à ce phénomène la quasi-disparition des anciens professeurs d’École normale qui ont soit acquis un statut universitaire soit quitté les IUFM pour réintégrer les établissements du secondaire23. Autre évolution décisive, la vocation autrefois affichée par ces IUFM de se constituer comme pôles de recherche, en relation plus ou moins étroite avec 23. On notera bien sûr des différences sensibles d’une académie à l’autre, d’un site universitaire à l’autre. À Grenoble, par exemple, il n’existe plus de professeur de français issu des anciennes Écoles normales, alors que dans l’académie de Versailles ils sont encore majoritaires.

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des instituts de recherche, a aujourd’hui disparu. Non que les enseignantschercheurs aient abandonné toute perspective de recherche dans leurs champs disciplinaires respectifs, mais parce que les directives nationales et locales ont désormais retiré ces fonctions de recherche aux IUFM. Il reste que les travaux accumulés sur plus de dix années d’existence des IUFM – du moins en DFLM – se trouvent aujourd’hui dilués dans des programmes où dominent les sciences de l’éducation. Là où, anciennement, les professeurs d’IUFM de toutes catégories, conseillers pédagogiques, maitres d’accueil, enseignants, chercheurs, professeurs… pouvaient travailler conjointement à des recherches en disposant d’heures et de crédits – certes inégalement répartis –, ils ne peuvent plus aujourd’hui que proposer des recherches sur la base d’offres floues, et sans qu’une politique d’ensemble puissent véritablement les impulser ou les porter. De fait, le dernier programme de recherche d’ampleur, associant toutes les sciences impliquées dans les différents apprentissages scolaires – et donc les didacticiens de toutes les disciplines – a été lancé par les deux ministères de l’Éducation et de la Recherche du gouvernement de gauche en avril 2000. Il s’agit de l’immense programme « École et sciences cognitives », dans lequel plusieurs équipes des différentes didactiques – dont la DFLM – se sont trouvés impliquées. Les bilans publiés en avril 2002 et décembre 2003 ont prouvé qu’une coopération essentielle était possible et pour tout dire indispensable entre les différentes sciences sollicitées. Au-delà de cette entreprise d’envergure, l’avenir des recherches en DFLM, et plus largement au sein des sciences humaines, semble aujourd’hui largement hypothéqué.

D



Les lieux d’édition Concernant ce secteur, nous avons vu se développer plusieurs phénomènes. Tout d’abord, les universitaires, chercheurs en psychologie ou en linguistique, se sont impliqués plus directement dans la conception de manuels pour l’enseignement du français (voir notre § A). C’était une réalité pour l’enseignement de la grammaire24 selon une tradition déjà ancienne. C’est dorénavant un fait pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture25, cela malgré les échecs de transposition de travaux universitaires reconnus dans les années 1970, comme l’Alfonic d’A. Martinet et ses tentatives de diffusion d’une méthode de lecture reposant sur les composantes phonologiques du français.

24. Cf. La nouvelle Grammaire du français de J. Dubois & R. Lagane chez Larousse (1973), L’Enseignement de la langue de B. Combettes et al. chez Delagrave (1977), ou encore la Grammaire du sens et de l’expression de P. Charaudeau chez Hachette (1992). 25. Outre la collection de J.-E. Gombert, P. Colé et al. déjà évoquée, d’autres méthodes de lecture ont été auparavant élaborées pour l’apprentissage initial : Gafi le fantôme d’A. Bentolila et al. chez Nathan (1991), Mika de G. Chauveau et al. chez Retz (1993) et Écrit-Livre, Entrer dans l’écrit de J. Fijalkow et al. chez Magnard (1993).

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Si l’édition d’articles, d’ouvrages théoriques ou de vulgarisation à l’attention des enseignants a de tout temps prévalu dans les travaux des universitaires, en revanche la conception de manuels, de méthodes d’apprentissage pour les élèves relèvent de leur part d’un effort récent, tout à fait singulier. Dans le même mouvement, des chercheurs en DFLM – en tout cas ceux qui se sont clairement définis comme tels dans leurs travaux et publications – n’hésitent plus à publier des manuels pour les élèves26, alors qu’ils se contentaient auparavant de publier des études, des recherches, des comptes rendus d’expériences pour les seuls enseignants. Ensuite, nous constatons une inflation de publications qualifiées de didactiques. Certaines apparaissent comme de simples habillages de travaux anciennement liés à l’enseignement du français, quand ce ne sont pas des changements de surface où seuls les titres et les couvertures se trouvent augmentés du terme didactique. Cette étiquette sert ainsi à définir des ouvrages dont les conceptualisations sont souvent très diffuses, hétérogènes, empreintes de présupposés théoriques et méthodologiques mal définis, ou en référence à des concepts apparemment stables alors qu’ils font l’objet de débats parfois très âpres, comme la transposition didactique (voir les contributions de B. Schneuwly et d’Y. Reuter, infra) Enfin, nous remarquons une excessive dispersion des savoirs et savoir-faire liés à la DFLM, notamment dans le champ de l’écriture. Nous voyons ainsi se déployer des didactiques spécialisées : didactiques de l’écrit ou de l’écriture, des textes (lus ou produits), de l’oral, de l’orthographe, du vocabulaire, de la grammaire. Chacune ayant vocation à définir des principes dont on ne peut toujours trouver l’unité ou le rapport à la didactique du français, ou plus largement à la didactique des langues et des discours. Il reste que dans ces publications spécialisées, certaines sont plus importantes que d’autres. La focalisation récente de la réflexion didactique sur l’enseignement de la littérature a, par exemple, engendré une multitude de publications : ouvrages de références, actes de colloques et de journées d’études, articles de revues… Inversement des objets d’études comme le lexique ont été peu travaillés par les didacticiens27, sans doute parce que les méthodes et conceptualisations en lexicologie leur sont encore inaccessibles. Dans d’autres domaines – notamment sur les pratiques de l’oral –, on voit ressurgir des recherches éteintes depuis les années soixante-dix. Les colloques et les publications sur cet oral redécouvert, montre cependant une extrême diversité des approches, des paradigmes théoriques, des référents scientifiques, et donc la difficulté de mettre en place des méthodologies de recherches spécifiques.

26. Cf. les collections Maitrise de l’écrit – 6e de D. Bessonnat, et al. chez Nathan (1994) ou Expression écrite au Cycle III de B. Schneuwly & F. Revaz, également chez Nathan (1994). 27. Voir cependant l’ouvrage princeps de J. Picoche, Didactique du vocabulaire français, Paris, Nathan Université, 1993 ; et l’ouvrage collectif dirigé par É. Calaque & J. David, Didactique du lexique : contextes, démarches, supports, Bruxelles, De Boeck Université, 2004.

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Positions actuelles et évolutions institutionnelles et éditoriales



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Sur un autre plan, nous relevons des manques, des zones d’ombres, des domaines encore impensés ou peu travaillés. Il s’agit notamment de l’articulation de la réflexion didactique aux recherches en sociologie. Certes des passerelles, des échanges ont été tentées et le sont encore aujourd’hui28, mais nous sommes encore loin d’observer une réciprocité des échanges analogues à celle que la DFLM obtenu avec la linguistique ou la narratologie dans un premier temps, avec la psychologie du langage dans un second temps. Enfin, il faut bien constater que l’accroissement des ouvrages, articles, cédéroms, dont les différents chapitres du présent volume se font l’écho, masque en réalité un malaise profond, un malaise qui affecte le secteur éditorial des sciences humaines en général et des sciences liées à la DFLM en particulier. Si nombre de revues existent encore, elles ne font généralement que survivre dans un contexte économique qui raréfie leur diffusion. Si de nombreuses collections ont vu le jour dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, leur avenir est aujourd’hui suspendu à des politiques éditoriales dominées par des restructurations et des choix financiers peu propices à leur essor. Sur plus de vingt ans, les recherches en DFLM se sont développées considérablement : elles ont montré leur efficacité dans des secteurs de décision clés, qui concernent autant les politiques éducatives que les politiques linguistiques. À l’avenir, et parce qu’elles y sont aujourd’hui contraintes, il leur faudra assurer leur diffusion pour influer les choix plus largement sociaux et culturels de ces mêmes politiques.

28. Voir notamment les travaux conduits par les équipes « ESCOL » animées par É. Bautier, B. Charlot et J.-Y Rochex, ou encore les enquêtes et analyses conduites par B. Lahire, mais là encore les développements didactiques de ces recherches sont corollaires ; les premiers adossent leurs travaux aux sciences de l’Éducation, le second inscrit ses études en sociologie.

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Dominique BUCHETON1

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Un débat largement ouvert S’interroger sur les rôles des différents acteurs : enseignants, formateurs, chercheurs, dans le champ de la didactique du français langue maternelle, amène à poser toute une série de questions auxquelles il est bien difficile de répondre de manière tranchée et assurée. En effet, si le champ de la DFLM, son objet, ses finalités sont aujourd’hui institutionnellement à peu près reconnus, les rôles spécifiques, complémentaires ou interactifs des différents protagonistes du champ ne font pas, eux, l’objet d’un consensus, loin s’en faut. Le débat est largement ouvert. Il est complexe et porte sur des questions qui s’entrecroisent et se nourrissent les unes les autres. Examinons-les brièvement pour dresser le décor.

1.

Remarque préliminaire : le texte qui suit date de 1995. Il faisait un état des lieux de la place que jouaient les différents protagonistes de la discipline pour accompagner ses nécessaires mutations. Il pointait les nouveaux chantiers, possibles ou déjà ouverts. Sa relecture aujourd’hui, huit ans plus tard, révèle des avancées importantes, des changements dans le regard porté sur la discipline, dans les manières de la questionner, mais souligne aussi les questions récurrentes sur lesquelles nous piétinons. Il paraissait donc intéressant de ne pas modifier ce texte mais simplement de souligner de quelques commentaires le parcours accompli.

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Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur

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La tentation est inévitable de définir le champ des compétences de chacun en termes de positions institutionnelles. Cette perspective ne peut qu’augmenter les malentendus déjà largement installés (« Qui es-tu ? Pour qui te prends-tu pour me dicter ce qui est bon pour ma classe ? » Et, inversement : « Qui es-tu ? Pour qui te prends-tu pour oser ériger en théorie des faits observés localement ? »). La DFLM a mis quinze ans, voire plus, pour commencer à exister institutionnellement à l’université. Progrès important qui n’est pas sans inconvénients cependant. Certes, il est plus facile aujourd’hui de conduire des recherches en didactique du français : les thèses, DEA ou mémoires de maîtrise contribuent à l’objectivation et l’analyse de problèmes particuliers, développent des savoirs sur la didactique. Mais ces travaux, aussi riches soient-ils, ne sauraient nous faire oublier que la réussite dans la conduite d’une classe dépend aussi de toute une série de paramètres difficilement isolables et mesurables et que le savoir expérienciel des enseignants peut être tout autant déterminant. C’est pourquoi opposer de manière dichotomique, comme on l’entend parfois dans certains discours, les didacticiens d’une part, les praticiens et formateurs de l’autre, n’est pas souhaitable pour l’avenir même de la DFLM2. L’échange, posé en ces termes, n’a plus d’intérêt ni pour les uns ni pour les autres. Il devient simplement hiérarchique. De plus, on aperçoit alors très vite qu’il ouvre la voie à une nouvelle dérive : l’éclatement de la didactique du français. Les didacticiens, dégagés du souci gênant de la cohérence, de la cohésion et de la mise en scène du savoir dans la classe, c’est-à-dire de la construction du sens des apprentissages pour et par les élèves, peuvent subdiviser le champ en autant de micro-objets de recherche : didactique de la grammaire, didactique de l’écriture, didactique de la littérature, et pourquoi pas du discours explicatif, de la description ou de la ponctuation ! C’est une conception autre de la didactique et du didacticien qu’on défendra dans cet article3.

2 Un débat nécessaire sur les valeurs et les finalités de la DFLM En fait, lorsqu’on observe les recherches et pratiques qui se sont développées ces dernières années, leur diversité, leur évolution, on est frappé de voir que derrière tout cela un autre débat a lieu qui rend visibles les 2.

3.

Ce serait nier l’histoire même de la constitution de ce champ. En France, une grande partie des didacticiens de français viennent du terrain de la classe et de la formation ou de groupes de recherche, où enseignants, chercheurs et formateurs confrontent leurs analyses. Plus de dix ans de travail des acteurs de la didactique, côte à côte dans les IUFM, ont en France fortement modifié ces relations institutionnelles. Les coopérations nécessaires aujourd’hui pour analyser en formation les pratiques des stagiaires ont permis de croiser les regards, les savoirs théoriques ou professionnels des uns et des autres. Les travaux qui se développent actuellement sur les pratiques réelles, ordinaires, « commandées », ou préparées par les chercheurs renforcent encore la nécessité de collaborations.

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1 Un débat banal, inévitable en termes de places institutionnelles



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enjeux institutionnels, idéologiques, sociaux sous-jacents à toute prise de position, fût-elle théorique. Lorsqu’aujourd’hui certains (dont je suis) défendent l’idée qu’il faut laisser plus de place à l’approche de la littérature en maternelle et à l’école primaire, qu’il faut l’aborder autrement en collège et en lycée professionnel, qu’il ne faut pas en faire un enseignement à part, ce sont des valeurs, des choix idéologiques qui sont discutés4. Tout aussi idéologiques étaient les positions des Genevois qui, il y a quelques années, posaient avec force et à juste titre la nécessité de faire entrer dans les classes le langage dans toute la variété des pratiques sociales. C’est donc bien les finalités idéologiques de la DFLM qui sont ici toujours en discussion. Notre discipline, comme l’ont suffisamment montré dans leurs analyses historiques A.-M. Chartier et J. Hébrard, semble ne pas pouvoir y échapper ! Comment, en effet, poser la question du sens telle qu’elle apparaît très fortement dans la plupart des débats, sans poser conjointement celle des valeurs qui construisent le sens ? Cette question a fait l’objet d’un colloque international de l’association en 19985. Pour autant elle reste un objet insuffisamment travaillé du point de vue de la recherche. Cette question des valeurs, véhiculées par nos objets de travail, par les pratiques les mettant en scène, est insuffisamment problématisée, dans la formation et la recherche. Elle est probablement un des obstacles majeurs pour la transformation des pratiques

3 Des questions épistémologiques On ne peut pas non plus éviter les questions plus directement épistémologiques sur lesquelles nous avons grand besoin d’approfondir collectivement la réflexion. Elles portent notamment sur : – la nature des savoirs enseignés (que discute ici même B. Schneuwly) ; – la manière dont certains savoirs théoriques sont sélectionnés, ou carrément laissés de côté sur la façon dont ils sont reconstruits, hiérarchisés, divisés et par qui ; – les grandes cohérences ou les artefacts de cohérence6 qui les organisent. Peut-on ainsi, aussi facilement que dans d’autres disciplines, percevoir les grands soubassements théoriques qui servent de matrice disciplinaire à toutes nos constructions didactiques ? (Est-ce la réflexion parfois un peu fermée sur la typologie des textes ? La problématique déjà plus ouverte de l’hétérogénéité discursive ? Est-ce le champ plus vaste et intégrateur de la communication ?) – ce qu’on entend exactement derrière la formule : « maîtrise de la langue » ; – la gestion du rapport compréhension-interprétation ; 4.

5. 6.

La littérature, dans cette perspective, est envisagée comme un vecteur identitaire et culturel puissant qui permet à l’enfant, à l’adolescent de se trouver des repères, de s’intégrer dans le monde en y jouant des rôles fictifs ; elle sert d’interprétant, de filtre par lequel le monde est lu. Elle est en même temps le lieu de toutes sortes de positionnements énonciatifs, un espace où le langage joue. Quels savoirs pour quelles valeurs, Bruxelles, 1998 (textes édités par G. Legros, M.-C. Pollet & J.-M. Rosier. E. Nonnon montre comment la « cohérence typologique malgré son modernisme peut se greffer sur une pratique ancienne qu’elle conforte et légitime », Recherches, n° 20, « Enseignement et cohérence », 1994.

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– la nécessité de rendre compte du fait que tout, ou presque, dans la discipline passe par des médiations langagières intérieures ou « extérieures » : les savoirs, les modes de pensée et d’action ; – les savoirs enseignés en français : sont-ils aussi aisément objectivables et isolables que dans d’autres disciplines (les Instructions officielles, si elles ont toujours été explicites sur l’enseignement de la grammaire de la phrase, restent encore aujourd’hui très évasives et confuses en matière d’enseignement de l’écriture) ? Sur aucune de ces questions, il n’y a aujourd’hui de consensus ni chez les chercheurs, ni chez les praticiens. Elles nécessitent un travail collectif. Toutes ces problématiques restent aussi vives, même si les divers colloques de ces trois dernières années, montrent des avancées importantes.

4 La question du rôle des acteurs du champ Une autre question, que le sujet même de cette contribution pose inévitablement, est de se demander qui participe à l’élaboration des savoirs didactiques. Est-ce : – celui qui, en laboratoire, à l’école, à l’hôpital, dans la famille, dans les bibliothèques ou ailleurs observe les élèves, produit de nouveaux savoirs sur la lecture, l’écriture, les textes, les activités orales ? – celui qui met à jour, transpose, découpe, structure, planifie les savoirs en fonction des différents niveaux, qui fabrique des instructions, des programmes, des manuels, des outils d’évaluation ? – celui qui se demande pourquoi ces savoirs si savamment découpés, adaptés, enseignés ne sont pas acquis par certains élèves, ou restent parfois morts, non mobilisables, ni transférables ? – celui qui cherche à repérer et théoriser, dans les situations didactiques mises en place, les paramètres à manipuler pour gagner en efficacité (choix des objectifs de savoir, des thèmes, des textes, des situations de communication, des types d’interactions verbales mises en place, de la durée des séquences, etc. ; choix complexes qui vont rendre possible l’objectivation puis l’intégration des savoirs visés) ? – celui qui, dans l’espace clos de sa classe, observe très attentivement ses élèves, cherche à comprendre d’où ils viennent, où ils vont, la nature des obstacles langagiers, culturels, cognitifs ou sociaux qu’il leur faut surmonter. Qui alors bricole, construit une situation pédagogique très évolutive et en prise avec les réactions des élèves ? Qui, année après année, classe après classe, construit des savoirs d’expérience, tout à fait essentiels ? – ou encore celui qui se trouve dans une position circulante lui permettant de faire l’état des lieux des pratiques pédagogiques en usage. Qui ainsi mesure au quotidien les écarts entre les discours institutionnels de quelque origine qu’ils soient et le réel des classes ?

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On aura reconnu, dans la liste non close qui précède, des positions institutionnelles différentes, des acteurs travaillant dans des métiers voisins. Chacun contribue de manière variée au développement des savoirs, eux-mêmes hétérogènes, qui constituent le champ. S’agit-il de didactique dans tous les cas ? Discutons-en. Aux différentes questions qui ont été posées en guise de décor, chacun donnerait des réponses différentes. C’est cette variété des analyses, des problématiques, cette coconstruction des savoirs qui a permis à la DFLM de se constituer en tant que champ. C’est cette ouverture du dialogue qu’il est nécessaire de développer, non pas pour s’autojustifier en tant que champ ou en tant qu’acteur de ce champ, mais beaucoup plus parce que c’est la seule manière de répondre de manière raisonnable aux questions complexes qui sont posées. Mais, développons un peu plus les postulats qui sous-tendent la conception de la didactique qui sera ici défendue. Certains chercheurs définissent la didactique comme un « champ de savoirs », d’autres la pensent plutôt comme une ingénierie. J’essaierai pour ma part de déplacer un peu cette opposition, en posant comme tout à fait centrale, la question du sujet.

B



Postulats pour une DFLM centrée sur le sujet et son rapport au langage et aux textes Pourquoi ces postulats que certains trouveront peut-être un peu utopiques ? Tout simplement parce qu’il est difficile de bâtir ensemble une maison si on n’a pas une idée précise d’une part du plan, mais aussi des usages du bâtiment, ainsi que des contraintes du terrain sur lequel on va la construire. La co-construction de la DFLM mérite ce petit arrêt.

1 Premier postulat : l’ancrage social de l’action didactique et les choix nécessaires La DFLM est (devrait être !) au cœur des pratiques sociales. Elle est nécessairement dans l’action sociale. Si on veut « agir » sur le développement de l’élève, l’aider à transformer, construire son rapport au langage, à la culture, au savoir, à son identité, bref à son expérience, on ne peut faire l’économie d’une réflexion éthique sur les finalités et les effets de notre action éducative. Veut-on rendre les apprenants conformes, standards, dépendants, ou les aider à devenir des individus particuliers, libres et créatifs. La question peut paraître simple, voire simpliste ! Impossible pourtant d’y échapper dès lors qu’on réfléchit au rôle que joue l’école dans la transmission de normes langagières et culturelles. Vieux débat qu’A. Touraine pose au centre de sa réflexion sur la modernité7 et qu’on retrouve implicitement sous toutes sortes 7.

A. Touraine (1994), Critique de la modernité, Paris, Fayard.

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de discussions qui, dès lors qu’il s’agit de l’école, deviennent très vite passionnées. La décision d’imposer une liste réduite et précise d’œuvres littéraires au programme du baccalauréat a ainsi fait beaucoup polémiquer : allaiton pouvoir faire entrer tous les élèves dans le même moule culturel étroit ? L’épreuve en serait-elle plus démocratique, etc. Ce double et difficile ancrage social et individuel de l’action didactique ainsi que sa dynamique sont gommés dans la modélisation bien connue du « triangle didactique », modélisation qui a cependant l’immense mérite de poser conjointement le maître, l’élève et les savoirs ! Le modèle est aujourd’hui insuffisant et d’une certaine façon dangereux, ce que soulignait déjà M. Dabène au colloque de Montréal, en 1992. L’enseignant est au quotidien dans l’action. Sur le terrain, chaque jour, il lui faut inventer, adapter, cuisiner de fines stratégies. Le public des collèges a évolué, celui des lycées aussi. Les pratiques de classe se transforment dans cette immédiateté de l’action et dans l’urgente nécessité de répondre aux questions nouvelles que les mutations rapides de la société apportent. La DFLM se trouve nécessairement dans ce bricolage permanent (l’idée n’est pas nouvelle !). Ce qu’on pourrait davantage souhaiter – et c’est le rôle de la formation d’en donner les moyens – c’est que ces bricolages soient assis sur des principes et des choix didactiques objectivables et contrôlables, donc révocables au besoin. On constate d’ailleurs en retour que ces bricolages sur le terrain, dans le réel des classes, interrogent les cadres théoriques, modifient ou nuancent des affirmations théoriques, parfois trop rapidement érigées en principe didactique, et amènent de nouvelles questions. J’en donnerai ici quelques-unes qui viennent d’observations d’attitudes et pratiques d’écriture d’élèves dans des classes très diverses de collège, et lycées professionnels. – Faut-il ainsi s’appuyer aussi fortement sur le développement métalinguistique, la rationalité analytique de la logique formelle comme les modèles didactiques à dominante cognitive le préconisent massivement ces dernières années ? Dans des classes en très grandes difficultés, ces stratégies ne semblent pas très efficaces. Ne vaut-il pas mieux, dans certaines circonstances, par divers biais, prendre le temps de redonner du sens, redonner l’énergie et le désir d’apprendre à ces élèves, prendre en compte le vécu social, affectif et aider ces élèves à le mettre à distance, par le langage, la lecture littéraire ou l’écriture par exemple8 ? – Comment déclencher le « travail du langage sur le langage » qui se produit dans et par la réécriture, autrement que par l’objectivation analytique et critériée du texte déjà écrit ? Quelle part faire jouer au ludique, aux « jeux » de langage ? – Quels modes de travail pédagogique privilégier, quelles attitudes pédagogiques adopter par le professeur : une tutelle forte ? très souple ? un 8.

D. Bucheton (1995), Écriture, réécritures, récits d’adolescents, Genève, Peter Lang.

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rôle de simple conseilleur ? de correcteur ? de personne ressource ?9 Quelles situations d’interactions verbales mettre en place, sur quels objets et pour quelles finalités ? Sur ces questions, la réflexion issue des courants de la sociologie, comme de la psychologie sociale (cf. les travaux de Lesne, Ferry, Isambert-Jamati, Monteil, Perret-Clermont, Perrenoud, Alté10…) est déjà bien avancée. Elle permet de mesurer les enjeux didactiques que les diverses situations d’interactions verbales peuvent faire travailler. Dans cette urgence de l’action pédagogique11, émergent donc de nouveaux problèmes jusque-là insoupçonnés et en même temps naissent des solutions. Et ainsi, parce qu’elle est dans l’action qui l’amène à se poser sans cesse de nouvelles questions, la DFLM produit de nouveaux savoirs. Mais, pour comprendre l’évolution des questions soulevées ou à la mode, il faut aussi prendre en compte le fait que la DFLM se trouve et s’est trouvée au cœur de bouleversements culturels et idéologiques, au cœur de changements de paradigmes interprétatifs, mais aussi au cœur de changements qualitatifs importants dans les pratiques sociales de lecture et écriture dont elle traite12. Elle subit directement dans ses objets et supports d’enseignement, les savoirs et valeurs qu’elle véhicule et transmet, le choc de l’histoire ! Elle est aussi un champ de connaissances en plein « chantier » dont les savoirs, les modèles théoriques de référence ont subi ces quinze dernières années des bouleversements considérables. Les transformations sont rapides. On peut même constater, avec beaucoup d’inquiétude, la manière dont certaines des pratiques d’évaluation mises en place ces dernières années (référentiels divers, cahiers d’évaluation de fin de cycle) traduisent la perméabilité du système éducatif à des modes de pensée, des logiques économiques et politiques en apparence pourtant, bien extérieures à la discipline13. Pour ces quelques premières raisons, on postulera donc que les divers acteurs de la DFLM pourraient avoir, en effet, bien des choses à discuter ensemble : des responsabilités sociales, des choix idéologiques et théoriques. Choix à discuter, à objectiver et à assumer. Cet ancrage « social » de la

9. D. Bucheton (éd.) (1997), Conduites d’écriture au collège et LP, CRDP, CNDP de Versailles. 10. M. Alté (1994), « Note de synthèse : “Comment interagissent enseignant et élèves en classe ?” », Revue francaise de pédagogie, n° 107. 11. Ainsi, lorsqu’on s’est mis à travailler sur les chaînes de co-référence qu’on supposait mal repérées en lecture, on a découvert que les élèves non seulement ne reconnaissaient pas les personnages lorsqu’ils étaient désignés différemment, mais en plus qu’ils n’identifiaient pas les relations entre les personnages, et pas davantage leur appartenance à des « mondes » différents. De ce fait, ils ne décryptaient pas les valeurs et les significations symboliques dont ils étaient dotés ; la construction des significations qui se situaient à des niveaux de lecture différents, nécessitait donc la levée de plusieurs obstacles qui n’ont été repérés que progressivement. 12. L’entrée ou non dans l’usage des nouvelles technologies de la communication pourrait bien générer assez rapidement de nouveaux clivages sociaux. 13. Ce que montrent F. Ropé et L. Tanguy dans Savoirs et Compétences, 1994, Paris, L’Harmattan.

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2 Deuxième postulat : la DFLM traite du langage et donc du « sujet » Le lien étroit entre le « sujet » (un sujet scolaire avec une histoire sociale, familiale, scolaire particulière) et le langage n’est plus à démonter14. Ce lien est sans doute si évident qu’il semble avoir été un peu oublié. Il est vrai que ce n’est pas une donnée facilement manipulable. Elle semble pourtant tout à fait fondamentale dès l’instant où l’on cherche à comprendre pourquoi, par exemple, les savoirs enseignés inlassablement en français ne sont pas intégrés chez de nombreux élèves. La didactique « moderne » s’appuie pourtant très fortement sur l’idée reprise de L.S. Vygotsky qu’on n’enseigne pas le langage et ses formes culturelles, mais qu’on donne la possibilité à l’élève de se les « approprier », de les « reconstruire » en les « réinventant », ou les « réinterprétant » à sa manière. Mais, penser ainsi le sujet et son rapport au langage comme point d’ancrage central de la didactique du français n’est pas simple. Cela amène à poser trois conditions qui sont loin d’être en usage dans les classes : 2.1 Prendre en compte l’hétérogénéité psycho-socio-culturelle des élèves15 pour permettre la construction du sens des savoirs En didactique du français, la question ne se pose pas seulement en termes d’analyse des prérequis de savoir, de contrats didactiques à négocier, ou de remédiations à des manques (cahiers d’évaluation officiels) ; la question première est de repérer d’abord quel sens les élèves donnent aux savoirs16, aux conduites langagières diverses (expliquer, argumenter, raconter, commenter, résumer). Quel sens scolaire, quel sens social, quel sens pour eux, adolescents en train de se construire, de se « repérer » ? Je prendrai deux exemples à propos de l’enseignement de l’argumentation. – Le premier se situe dans une classe de 4e d’aide et de soutien (ex-Classe préparatoire de niveau rebaptisée). Pour ces élèves, donner un point de vue personnel, c’est trahir le groupe, la bande qui est leur dernier refuge. Leur identité personnelle a du mal à se dissocier de l’identité collective : ils veulent bien parler, discuter mais seulement en groupe dans un brouhaha confus ; à l’écrit, ils déclarent n’avoir « rien à dire ». Comment faire 14. Cet intérêt pour le sujet élève et son activité, et pas seulement pour les objets enseignés, s’est progressivement développé dans nos recherches à partir des années 1997 à partir notamment du colloque : Pratiques enseignantes – activité de l’élève dans la classe de français, Montpellier, 1997. L’étude de cette activité du sujet élève (lisant parlant, écrivant) dépasse aujourd’hui le cadre strict de la classe de français, voir D. Bucheton & J.-C. Chabanne (éds) (2002), Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire, l’écrit et l’oral réflexifs, Paris, PUF. 15. C’était la thématique du 5e colloque international de didactique du français langue maternelle de Montréal, mai 1992 ; voir M. Lebrun & M.-C. Paret (éds) (1993), L’Hétérogénéité des apprenants. Un défi pour la classe de français, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé. 16. B. Charlot, E. Bautier & J.-Y. Rochex, (1992), École et savoir dans les banlieues… et ailleurs, Paris, A. Colin.

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didactique du français a fait dans notre champ relativement l’objet de peu d’études.



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pour objectiver, voire déconstruire ces conduites langagières de protection, et pourquoi ? Cherche-t-on à leur inculquer un savoir rhétorique savant ou un savoir plus complexe qui prendra en compte leurs pratiques sociales et leur permettra de les dépasser ou de les complexifier. Pour l’enseignant, s’agit-il de mettre en place des « savoirs », ou s’agit-il d’aider ces élèves à construire, par la parole, leur espace propre d’existence, de les aider ainsi à affirmer un « JE » particulier qui parle, pense, écrit, sans lequel il n’est guère possible d’envisager d’enraciner un quelconque désir d’apprendre ? – Autre exemple, presque inverse : une classe de 3e, considérée comme en difficulté, en Zone d’éducation prioritaire, porte d’Italie, à Paris. Quatre élèves seulement ont le français comme langue maternelle, ce sont des élèves à peu près du même âge mais qui n’ont pas du tout le même rapport à l’école. Ceux-là viennent des quatre coins de la terre et croient à l’école comme seule branche de salut. Ils sont désireux de réussir scolairement, très dociles et de bonne volonté, mais ils refusent de communiquer entre eux et se méfient les uns des autres, tant les ethnies sont différentes et les cultures non partagées. Comment alors, construire des conduites d’argumentation qui ne soient pas seulement formelles, « cognitivement », « linguistiquement », « scolairement » correctes. Quelle intériorisation, quelle intégration culturelle de ces pratiques scolaires, quel usage social feront-ils de ces « formes » apprises ? La question, on le voit, n’est pas simple : il s’agit bien d’une certaine façon, dans les deux cas, de déconstruire des systèmes de protection et d’interaction socialement appris pour les ouvrir à d’autres formes de socialisation, d’autres usages du langage et de la pensée, sans pour autant mettre en danger leur identité culturelle, aussi instable soit-elle. 2.2 Penser dialectiquement la singularité ! Autre nécessité et non la plus facile à gérer. On touche probablement là la spécificité de la didactique du français évoquée plus haut : aider au développement d’individus que l’on souhaite différents, à l’émancipation de leur forme de pensée, de leurs formes d’expression lesquelles, quoique hautement socialisées, ne doivent pas être standardisées. C’est ainsi que se pose en didactique du français la question du sujet, non un sujet seulement cognitif mais un sujet de chair et d’émotions qui existe dans la classe et dans la vie. Cet équilibre entre la nécessité d’enseigner des savoirs à tout un groupe et l’autre, aussi importante, de trouver les situations, les conditions, qui permettront l’intériorisation, la mise à distance et l’appropriation particulière de ces savoirs, est difficile à trouver. La professionnalité de l’enseignant est là. Si le chercheur ou le formateur peut contribuer à clarifier, à objectiver les savoirs à enseigner et les principes didactiques qui président à l’invention et à la mise en place des situations scolaires, l’observation attentive par le prati-

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Cette plongée vers la singularité des sujets scolaires, des classes, des établissements, est indispensable. Elle nécessite une formation sérieuse des enseignants. Elle nécessite surtout qu’on peaufine les outils d’analyse17 qui permettent de rendre compte des productions langagières des élèves, de ce qu’ils disent et comment ils le disent, de ce qu’ils font ou ne font pas avec le langage et non seulement des écarts de leurs productions avec diverses normes formelles18. 2.3 Penser les situations d’enseignement comme des situations d’échange, des situations de parole (ce qui est différent d’enseigner la communication) C’est la troisième condition à poser si on veut parler d’une didactique centrée sur le sujet. Utilisons une comparaison : donner naissance à un dinosaure avec le programme génétique retrouvé dans un vieil os est biologiquement impossible. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on ne peut pas retrouver de « mère porteuse », d’ovule de dinosaure, riche en informations génétiques cytoplasmiques pour piloter le développement de la cellule. Autrement dit le vivant, le développement, est une chaîne aux maillons entrelacés. On ne peut l’interrompre sans risque. On peut ainsi faire l’hypothèse que la transmission du langage et de la culture obéit aux mêmes lois d’échange. Le maître apporte (importe ?) par des biais divers du savoir, de la culture, des formes linguistiques. L’élève lui aussi vient avec son capital culturel et linguistique. Pour que l’information nouvelle apportée par le maître « prenne », devienne du langage, de la vie, il est nécessaire qu’elle reçoive en retour les informations du milieu, qu’elle les traite, les incorpore. Selon les « matrices », les « milieux », la même information prendra des formes différentes. C’est cette chimie de la classe, la nature et les conditions du mélange que nous ne connaissons pas bien. On peut penser qu’une de ces conditions est la parole et l’écoute partagées dans l’action didactique. La recherche en DFLM aurait tout intérêt à observer ces différentes « soupes didactiques », au noble sens du terme, à essayer de les décrire, de les comprendre. On commence un peu à le faire, mais timidement. Ces trois conditions, hâtivement listées, montrent bien la complexité de la situation didactique. 17. Dans ce domaine de l’analyse des productions écrites et orales des élèves, nous n’en sommes probablement qu’aux balbutiements ; les logiques d’experts, ou les modèles textuels sur lesquels la plupart des outils d’analyse ont été construits ne permettent pas de décrire suffisamment les tâtonnements langagiers des novices. 18. Voir l’ouvrage co-écrit par J.-C. Chabanne, D. Bucheton et une équipe d’enseignants, Écrire en ZEP, un autre regard sur les écrits des élèves, Paris, Delagrave, 2002. Nous avons cherché à élaborer de nouveaux instruments d’évaluation de l’écrit. Voir aussi l’ouvrage dirigé par C. Fabre-Cols, Apprendre à lire des textes d’enfants, Bruxelles, De Boeck & Duculot, 2000.

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cien de sa classe, de ses élèves, de l’établissement est essentielle pour la « mise en scène » des savoirs. Celle-ci est toujours particulière si on veut qu’ils aient du sens pour l’élève.

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La situation didactique en français : complexité, spécificité

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1 Penser ensemble l’interaction de paramètres hétérogènes Quels que soient les objets ou les activités auxquels elle s’intéresse, la DFLM doit affronter la complexité, l’hétérogénéité. Les diverses composantes qu’elle manipule en permanence (les actes de langage, les savoirs qu’ils permettent de construire, le degré d’implication du sujet, les valeurs qu’ils véhiculent, les thèmes discutés, les objets et textes culturels, etc.) ne fonctionnent dynamiquement qu’ensemble. Continuer l’exploration de chacune des composantes est nécessaire mais il nous faut aussi penser l’articulation, l’interaction d’ensemble de ces paramètres hétérogènes, multiples et spécifiques qui constituent la situation didactique de français et sa dynamique. On fera remarquer au passage la difficulté, voire le danger, de plaquer sur l’enseignement du français un modèle général de la situation didactique19 renvoyant à une sorte de « didactique générale » qui remplacerait la défunte psychopédagogie. En effet, le statut des savoirs, leur nature, leur mode d’objectivation ou de transfert, le type de rationalité qu’ils font exister varient trop d’une discipline à l’autre. Dès la maternelle, la didactique du français met en jeu des objets complexes et ne fonctionne que dans la globalité des opérations de compréhension et d’interprétation nécessaires.

2 Bilan succinct Cela dit, où en sommes-nous dans l’analyse des composantes de la situation didactique en français ? L’enseignant de base qui veut se donner la peine de suivre l’actualité théorique constatera : – une expansion importante du champ des savoirs sur les textes et les discours, sur les processus d’acquisition de lecture et d’écriture, sur l’orthographe ; – depuis 1995, sur la question de l’oral, les travaux ont été considérables, les publications nombreuses tant sur la question de l’oral objet d’enseignement que sur celle de l’oral pour apprendre ; – plus récemment, sur la littérature, nous constatons que le chantier est bien ouvert. Plusieurs journées d’étude ont mis en évidence la nécessité de théoriser ce que pourrait être une lecture littéraire scolaire qui s’appuie aussi sur la lecture privée. La question de la littérature et de son enseignement pose en arrière plan une question plus large : penser la didactique du français dans une anthropologie culturelle plus générale où le développement de gestes culturels dépasse le cadre strict de la classe et de 19. Il se dessine dans les thèses de J.-P. Astolfi défendues dans Enseigner pour apprendre, Paris, ESF, 1992, ou dans celles, plus proches de notre réflexion par la dimension éthique de l’enseignement qui y est introduite, de M. Develay dans De l’apprentissage à l’enseignement, Paris, ESF, 1992.

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l’enseignement et donc la participation d’acteurs autres que ceux de l’école ; – beaucoup de discours critiques, mais aucune présentation véritablement satisfaisante du (des) système(s) de la langue et des discours, des fonctionnements en texte, qui puisse remplacer les « grammaires scolaires ». On piétine encore pour construire une vision scolarisable, un peu panoramique et en même temps étagée des usages et fonctionnements divers du langage. D’où le très grand malaise des enseignants sur ces questions et leur repli prudent sur la grammaire traditionnelle de la phrase. Le bilan du côté de la clarification des savoirs à enseigner n’est pas maigre quoiqu’un peu divers et éclaté. On a en effet précisé, objectivé mais aussi multiplié des savoirs parcellaires : le texte explicatif, le statut de l’exemple, le personnage, la description, le rôle et le statut des didascalies dans le texte théâtral, pour ne donner que quelques types d’objets travaillés sur une liste qui ne cesse de s’allonger. La transposition didactique de ces savoirs nouveaux et leur insertion dans des programmes ou progressions ne sont cependant la plupart du temps qu’à peine pensées. On a aussi beaucoup avancé dans la théorisation des divers angles d’attaque possibles de la tâche didactique (à partir de modèles plutôt cognitifs ou plutôt psycho- ou sociolinguistiques, ou plus directement issus de certains courants littéraires). Mais ces modèles théoriques ne sont pas des modèles didactiques. Ils ont certes donné de la visibilité aux composantes de la situation didactique en français. La tâche des formateurs, bien difficile, c’est d’arriver à théoriser l’ensemble (les théories des textes et discours, les théories de l’apprentissage, les théories de l’agir communicationnel, les théories du sujet…), et de montrer qu’elles ne sont pas contradictoires, mais souvent complémentaires, alternatives, interactives. Il reste donc à croiser, « cuisiner », approfondir et nuancer ces approches, ces modèles apportés par les théories de référence. Il s’agit maintenant de rendre vraiment compte de la complexité, de la diversité et de la spécificité de la situation didactique en français et tenter d’y introduire des composantes encore relativement peu travaillées dans les recherches qu’on peut lire. Ce n’est pas ici le lieu d’en faire l’inventaire, on se contentera de définir quelques axes de recherche où l’étroite collaboration des praticiens, des chercheurs et formateurs pourrait s’avérer très fructueuse.

3 Questions en chantier Pris dans la passion et l’invention d’une recherche didactique pour l’essentiel prescriptive, on ne s’est encore qu’assez timidement préoccupé (exception faite pour la maternelle ou l’école élémentaire) de la manière dont l’élève intègre les savoirs sur la langue, le langage et les textes avec le « déjà-là » construit familialement et socialement ; de la spécificité de ces approches en

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fonction de l’âge, du cycle d’enseignement, du milieu social où ils sont enseignés ou simplement de l’histoire scolaire des élèves. On ne trouve qu’assez peu posée non plus dans les recherches la question du temps nécessaire à l’intégration des savoirs (or le temps est un paramètre essentiel de la situation pédagogique). Enfin, le cloisonnement disciplinaire, y compris dans les champs de recherche universitaire, nous empêche de penser le français comme vecteur des apprentissages dans les autres disciplines. La question du transfert des compétences dans d’autres situations didactiques que celles de la classe de français n’est qu’assez peu souvent envisagée. Analysons un peu plus ces trois questions. 3.1 De la nécessité de penser conjointement le développement, l’enseignement et l’apprentissage La séparation, encore trop forte des champs d’analyse de la littérature, de la linguistique et de la psychologie, nous empêche de penser didactiquement ces trois pôles pour construire un modèle intégrateur et dynamique qui permettrait, par là même, de penser les processus d’intériorisation des savoirs (et qui poserait l’évaluation en d’autres termes que sommatifs ou formatifs). Lorsqu’en effet on observe attentivement dans une classe, sur la durée d’une année scolaire, le développement des compétences écrites et orales des élèves, on a du mal à discerner : – ce qui revient à l’enseignement objectivé de savoirs, – ce qui a été produit par les consignes, les situations-problèmes posées, les thèmes proposés, – ce qui est dû au simple besoin, désir, plaisir d’écrire de l’élève, – ce qui est de l’ordre de son développement psychoaffectif, – ce qui est de l’ordre du développement métalinguistique que génère l’activité même d’écriture ou de parole et qui pourrait bien être à l’intersection de tous les autres paramètres ci-dessus évoqués. On est en effet frappé par exemple du développement métalinguistique important, du mélange des types discursifs (expliquer, raconter, commenter, argumenter) qui se perçoivent dans les textes de jeunes élèves de 6e que l’on a simplement fait écrire et communiquer très fréquemment et diversement sans qu’il y ait une forte objectivation en classe de savoirs spécifiques. Ainsi, l’observation attentive de comportements d’élèves, sur des durées longues et dans des situations très diverses, pourrait s’avérer très nécessaire pour comprendre ce triple processus d’enseignement, apprentissage et développement. 3.2 L’interdépendance des savoirs et des savoir-faire Autre question, très étroitement liée à la précédente et au cœur de l’interrogation sur la nature des liens qui unissent les activités de lecture et d’écriture : celle de la maturation, de l’intériorisation d’un savoir et sa trans-

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formation en habileté linguistique nouvelle et/ou en instrument d’analyse. Prenons un exemple fréquent en classe de 3e de collège : la question de l’usage par l’élève, dans sa propre écriture narrative, de « savoirs littéraires », puis l’usage de ces mêmes savoirs comme outils d’analyse pour gloser son propre texte dans une écriture « théorique », ou l’usage de ces mêmes savoirs pour commenter un texte littéraire. Ce passage de la lecture « outillée », médiatisée par des savoirs enseignés, jusqu’à l’écriture critique, paraît très lent, rencontre nombre d’obstacles, mais semble exister. Il reste à le décrire finement, essayer d’en comprendre les mécanismes et/ou les conditions) voir comment on peut l’accélérer, sauter mieux les obstacles. Le temps, les thèmes, les types d’interactions, les lieux d’enseignement, semblent autant de paramètres qui entrent en ligne de compte dans les processus d’intériorisation des connaissances ; du moins de ce type très particulier de savoirs que nous avons à traiter dans notre discipline. On ne voit pas comment on pourrait avancer dans la connaissance fine de ces paramètres et de leur interaction, dans leur mise au point délicate, sans le metteur en scène des savoirs qu’est l’enseignant et son regard attentif sur les élèves. La classe et sa durée d’existence d’une année scolaire deviendraient ainsi une unité d’expérimentation et d’observation de première importance. 3.3 La question de l’identité de la discipline et de ses contours Derrière cette question, qui n’est pas nouvelle, s’en cachent plusieurs. Avec l’implantation dans les collèges et les écoles élémentaires de centres de ressources documentaires, le problème du traitement de l’information, de la diversité des médias est devenu urgent et très apparent. Relève-t-il de la simple intervention des documentalistes, lorsque toutefois ils existent ? Des projets interdisciplinaires, transdisciplinaires souvent bien flous commencent à se mettre en place. Quelle place doit y jouer l’enseignant de français ? Est-ce d’amener les élèves à percevoir, par exemple, que ce ne sont pas exactement les mêmes activités cognitives et langagières, les mêmes formes discursives qui sont attendues lorsqu’en cours d’histoire on commente un document et en cours de français un poème de Baudelaire. Ce n’est pas la même implication personnelle qui conduira à user d’autres positions énonciatives. Ces questions posent la question de l’identité de la discipline, du rôle de l’enseignant de français, de sa zone d’intervention. Elles ne sont pas théorisées20. Où commence, où s’arrête la didactique du français ?

20. On pourra trouver un début de réflexion sur ces questions et quelques pistes pédagogiques dans Le Retour des manuels (À la découverte des manuels scolaires en classe de français), D. Bucheton (éd.), Versailles, CRDP, 1994.

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De par la diversité des niveaux d’analyse et de traitement qu’elles nécessitent, ces questions ont besoin d’être travaillées avec des connaissances, des savoir-faire, des modes de pensée divers. Il y faut les regards en surplomb (ou plutôt en abîme) du chercheur et du formateur et le talent de l’enseignant, sa connaissance et sa compréhension fine du terrain. Il y faudrait aussi le regard des gens dont la tâche est d’évaluer le système, les corps d’inspection. Leur connaissance du terrain, les comparaisons qu’ils peuvent faire peuvent être, elles aussi, précieuses.

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De quelques questions polémiques On vient de voir ce que pourrait être la collaboration des différents partenaires de la DFLM, sur quels objets, quels types de question elle pourrait être efficace et ou pour quelles visées intégratives, théoriques, pratiques et sociales. Il reste à aborder deux ou trois questions supplémentaires (et polémiques) concernant l’élaboration du savoir didactique, sa validation, sa circulation dans la communauté des didacticiens de français.

1 Le nécessaire dialogue entre les acteurs L’imagerie dominante est la suivante : le chercheur produit des connaissances, le formateur les transforme, les adapte et les transmet et l’enseignant les applique en se livrant certes à quelques réglages de détail (c’est le modèle de la pédagogie en kit, fabriquée par des experts : faites-nous de vrais bons manuels, de vrais outils de remédiation, entraînez les enseignants et l’affaire est gagnée). Hélas cela ne marche pas vraiment ! Il faut penser un autre modèle de la formation des enseignants mais c’est un immense chantier plein d’embûches, comme on a pu le voir lors de la mise en place des IUFM. La construction du savoir se fait dans l’interaction, il n’est plus besoin de le démontrer. « C’est dans la pratique qu’on arrive à la théorie », ajoutait à Genève21, comme s’il s’agissait là d’une découverte toute nouvelle, Lauren Resnik, éminente psychologue américaine ! Une pratique qui s’accompagne, sous la pression et la nécessité sociale, à la fois d’une réflexion sur cette pratique et les théories qui la sous-tendent et sur les pratiques et théories des autres avec lesquels on travaille, on interagit. Il en va de même pour les savoirs didactiques. C’est pourquoi les rôles des différents acteurs ne sont pas seulement complémentaires mais hybrides, interactifs. Nous sommes tous en même temps dans l’action et dans l’élaboration théorique. Simplement nos actions, nos théorisations, nos modes d’objectivation ne sont pas de même nature, sur les mêmes plans, ou sur les mêmes espaces. La com-

21. Colloque « Piaget-Vygotsky », septembre 1994, organisé par les archives J. Piaget.

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2 Producteurs de savoirs, l’enseignant de terrain et le formateur le sont aussi, à leur manière On ne l’admet pas suffisamment. Qu’on ne se méprenne pas : mon discours n’est pas là pour remettre en cause des recherches aux méthodologies expérimentales rigoureuses. Elles sont indispensables. Cependant je voudrais rappeler qu’une partie des savoirs didactiques est directement sortie du terrain ou de la formation sans que leurs auteurs, des praticiens de terrain, n’aient été impliqués dans des protocoles de recherche dûment estampillés voire rémunérés comme tels. Les savoirs didactiques se sont ainsi en partie historiquement construits de manière très buissonnante. Ils viennent de l’observation passionnée d’enseignants qui analysant les « nœuds » où les apprentissages bloquent, les erreurs à répétition, ou au contraire les situations qui permettent de brusques et imprévus développements, d’enseignants qui ont « bricolé » des protocoles approximativement expérimentaux et ont ainsi mis en lumière des phénomènes intéressants ; en se donnant en même temps la peine – c’est la déontologie du métier – de trouver des solutions pour améliorer ou développer les processus observés (ce qu’on pourrait appeler l’implication de l’enseignant sous la pression sociale). Le très grand intérêt de cette démarche du praticien qui part de l’observation attentive des événements de la classe, des faits langagiers recueillis en situation sociale, normale, banale d’interaction, c’est : 1. qu’ils sont naturels, car venant d’une interaction ordinaire. Par là, ils sont probablement plus scientifiquement fiables que n’importe quel fait langagier provoqué (mais c’est là une vaste discussion !) 2. qu’ils ne sont pas filtrés ou déformés par le regard d’un « théoricien » qui va chercher des faits pour infirmer ou confirmer son hypothèse. Simplement la démarche de pensée n’est pas du tout la même ; elle a l’immense intérêt, si on veut bien être attentif à ces événements de langage, à ces conduites parfois surprenantes ou cahotantes, de mettre le doigt sur des problèmes nouveaux dont les « théories » disponibles ne rendent pas compte.

3 Le chercheur, à sa façon, est aussi dans l’intervention didactique Quelle peut être alors la place du chercheur comme celle du formateur ? Les savoirs didactiques (théoriques et très concrètement pratiques) arrivent lorsque le chercheur ou le formateur est très impliqué dans l’accompagnement proche des actions pédagogiques, lorsqu’un vrai dialogue s’instaure, lorsqu’il

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plexité de l’objet didactique nécessite l’interaction de modes d’action et de théorisation hétérogènes.



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y a un effort réel de la part de chacun pour entrer dans les modes de pensée et d’expression de l’autre. Ce n’est pas facile, il y faut beaucoup de temps et de respect mutuel. Le chercheur peut apporter (qu’on veuille bien excuser la prétention de la formulation) des cadres théoriques divers : sociologie, psychologie, linguistique, sémiotique, stylistique ; des outils d’analyse dont les enseignants – et c’est une immense lacune de la formation – sont dépourvus pour analyser les faits langagiers rencontrés. On discute alors pour améliorer l’intervention didactique autour des faits, de l’action dans la classe et non autour d’une théorie. Il arrive alors qu’en plus on fasse ainsi avancer la connaissance fondamentale, par ricochet. Ajoutons, en outre, que chercheurs et formateurs sont aussi de plus en plus fréquemment dans l’action didactique dans la mesure où ils s’aventurent dans la production d’outils pédagogiques, de manuels, de séquences ou dans l’expertise des politiques de formation. En fait, le chercheur, le formateur, l’enseignant sont impliqués à des degrés ou sous des formes en apparence différentes dans un triple processus qui semble définir la démarche didactique : ils produisent des savoirs, et en même temps ils sont dans l’urgence de l’action. La croisée de ces deux dimensions qui peuvent paraître contradictoires dans une conception classique de la science dite fondamentale, fait qu’ils sont aussi en permanence dans une dynamique de réajustement des savoirs, complexification, révision des modèles, réajustement, complexification-diversification des entrées pédagogiques. C’est cette dynamique qui, seule, peut donner des réponses à un champ qui lui aussi est mouvant de par ses objets d’étude. Aujourd’hui, les méthodologies issues de l’ergonomie du travail, et qui se développent pour l’analyse du métier réel de l’enseignant – autoconfrontation simple du praticien invité à commenter sa pratique et les incidents critiques qu’elle a rencontrés, ou autoconfrontation croisée de plusieurs praticiens commentant une prestation – montrent la richesse d’aller chercher le point de vue des acteurs. Ces méthodologies révèlent aujourd’hui la complexité des paramètres qui pilotent les décisions didactiques prises dans l’urgence de l’action. Elles n’ont cependant pas encore abordé la question de la coactivité maître-élèves, la gestion des dilemmes, malentendus partagés, à la base de la dynamique de la classe.

4 La question de la diffusion des savoirs Pour toutes sortes de raisons, les savoirs issus directement du terrain ont beaucoup de mal à être reconnus et entendus. On devrait pourtant aller regarder de plus près les trésors d’intelligence, de talent, la diversité des entrées dans des contextes variés que révèle le récit de ces pratiques. Mais les chercheurs lisent les chercheurs, les enseignants, quant à eux, cherchent un peu d’aide dans les revues pédagogiques, ou les publications des Centres

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Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

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régionaux de documentation pédagogique souvent sous le seul contrôle scientifique (ou la censure) des corps d’inspection. Les revues qui se veulent « scientifiques », à l’exception de quelques-unes, sont pour les enseignants de terrain très difficilement lisibles ou ne leur paraissent pas intéressantes (et c’est beaucoup plus grave). Si l’on pose que la DFLM est au carrefour des trois métiers, alors il y a là un problème important à discuter. Par ailleurs, la plupart des revues sont thématiques et n’ont pas, comme La Lettre de l’association DFLM, en plus des grands dossiers thématiques, une rubrique pour accueillir des articles plus divers. Elles modélisent donc d’une certaine façon la recherche sur des aspects particuliers, pointus, elles la limitent et la censurent : il est difficile de faire entendre sa voix si on n’est pas dans un créneau à la mode. Cela bloque l’arrivée de nouvelles problématiques, cela standardise la recherche. La didactique du français – qu’il n’est pas facile de définir – pourrait bien être au cœur de cette dynamique, au croisement de ces réajustements constants entre les savoirs théoriques issus de champs très divers et le réel de la vie, de la parole, de l’action dans la classe, du temps nécessaire à l’intégration, à la maturation des savoirs, au temps nécessaire pour qu’ils deviennent à leur tour des instruments de pensée et des modes d’expression. Il n’y a pas d’autre perspective pour les acteurs de ce champ que de travailler en très étroite collaboration, de réajuster en permanence les positions, diversifier les analyses, les regards, les modes de pensée, les méthodes d’élaboration de la connaissance, de validation et surtout de transmission de ces savoirs. Et c’est un long chemin… Si bien des aspects soulevés dans cette contribution mériteraient d’être à nouveau examinés dans le détail pour mesurer l’exact chemin parcouru, le point de vue général qui y est défendu n’a pas changé. Pas de didactique du français sans prise en compte du point de vue de ses acteurs divers. Pas de transformation des pratiques (notre visée générale) sans tenir compte de l’activité partagée, réelle et dynamique des maîtres et des élèves. Pas de didactique du français, sans prise en compte des contextes sociaux, scolaires, disciplinaires dans lesquels les pratiques langagières scolaires mettent en travail le sujet dans la globalité de sa personne.

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Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition Yves REUTER

Avertissement au lecteur : Au moment de reprendre cette « synthèse propositionnelle », je me suis trouvé face aux mêmes options que tous les contributeurs de cet ouvrage : ne rien y changer, la modifier de manière plus ou moins substantielle, la maintenir en l’état et y ajouter une actualisation. C’est cette dernière solution que j’ai retenue (en ne modifiant que quelques points qui me paraissaient obscurs ou mal rédigés), espérant ainsi donner à lire des strates de l’histoire de la didactique du français (certes filtrées par ma perspective !). Aux lecteurs de juger si, en fin de compte, ce choix était le bon…

A



La synthèse de 1994 L’écriture de ce dernier chapitre porte sans nul doute les traces des tensions entre lesquelles il s’est construit. Tension entre une conclusion, sous forme de bilan nécessairement partiel et partial, de ce livre, et le souhait d’ouvrir des pistes, de relancer la discussion, de continuer le débat. Tension encore, entre la synthèse d’écrits divers et de paroles collectives d’un côté et un point de vue personnel de l’autre. Tension donc entre référence et prise de distance, pluralité et unicité, passé et avenir. Autant que le lecteur en soit d’emblée averti. Cela me paraît d’autant plus important à souligner que cet ouvrage, dont la nécessité était discutée depuis longtemps au sein de l’association des chercheurs en didactique du français langue maternelle, s’articule à une situation vécue, elle aussi, de façon contradictoire. Sur le versant positif, on peut dire que la didactique du français est en pleine émergence. En témoignent aussi bien l’essor des recherches, des thèses, des ouvrages, des ouvrages

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Synthèse



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

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« méta » (sur le champ et son histoire) que le développement de son enseignement ou la naissance d’épreuves lui étant consacrées aux concours de recrutement. De ce point de vue, cet « état des lieux » correspond à la nécessité interne à toute discipline de « se réfléchir », de se formaliser, de mieux comprendre ce qu’elle pense, selon quels modes, etc. Mais sur l’autre versant, on peut dire que la didactique du français se trouve dans une situation conflictuelle. Du mode de résolution de celle-ci dépendent des enjeux historiques importants. Des définitions, des conceptions, des pratiques s’y confrontent et s’y affrontent, entre corps d’agents (inspecteurs, formateurs, chercheurs, praticiens, éditeurs…) ou à l’intérieur de ceux-ci. Dans ces conflits se jouent non seulement des débats d’idées mais aussi la place (et les formes) des recherches, les savoirs enseignés aux futurs enseignants (et aux élèves) ainsi que leur mode de recrutement, l’évaluation des pratiques etc. Autant donc en être conscient. C’est en tout cas, dans ce cadre que se situent les lignes qui suivent.

B



Définir la didactique du français ? De façon assez paradoxale au vu des remarques précédentes, la didactique du français n’a été ici que peu définie explicitement. Cela me paraît renvoyer à un relatif consensus fondé, peut-être, sur trois éléments définitoires : – la didactique serait centrée sur des savoirs et des savoir-faire propres à la discipline (ce qui la distinguerait de la pédagogie), en tant que ces savoirs et savoir-faire seraient pris dans des actes d’enseignement/apprentissage (ce qui la distinguerait des disciplines de référence) ; – elle se caractériserait par une « matrice disciplinaire »1 articulant ses objets et objectifs principaux (spécifiée à l’heure actuelle par la production/réception des discours oraux et écrits) ; – elle se construirait dans un réseau de relations et d’interactions entre trois « plans » : celui des pratiques d’enseignement/apprentissage ; celui – central en ce qui nous concerne – des théories et des recherches ; celui des métathéories (de l’histoire et de l’épistémologie de la discipline). À partir de ce consensus – ce qui n’a rien de spécifique et qui est plutôt de l’ordre de la réflexion générale sur les didactiques – les dissensus peuvent, fort classiquement, s’exprimer sur à peu près tous les points, comme il en sera question par la suite : définition des savoirs et savoir-faire, précision de la « matrice disciplinaire »2, construction des enseignables, des apprenables… et de leurs écarts, modes de relations entre les trois plans, place éventuelle d’une didactique générale…

1. 2.

M. Develay, 1992, pp. 43-50, reprend cette notion à T.S. Kühn pour définir le « principe d’intelligibilité », le « cadre de référence » d’une discipline. Voir les positions défendues ici par J.-F. Halté et l’écart qu’elles introduisent par rapport aux pratiques et aux textes officiels.

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Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition



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C



La question des méthodes Si cette question est peu débattue, centralement, dans les chapitres précédents, elle est néanmoins constamment présente (types de savoir à construire, modes de construction, validation…) et pèse fortement sur les positions de chacun. Il s’agit, sans aucun doute, d’un débat crucial dans notre discipline, lié notamment aux disciplines de référence convoquées et aussi aux modes de relations postulées avec celles-ci. Six problèmes mériteraient – à mon sens – d’être repris dans des débats ultérieurs. Ne serait-il pas nécessaire de distinguer recherches en didactique et recherches intéressant la didactique (i.e. construites dans d’autres disciplines, à d’autres fins…) ? Si tel était le cas, où et comment faire passer précisément les distinctions, au-delà de critères purement institutionnels : centrage plus ou moins important sur l’enseignement/apprentissage d’une discipline, prise en compte plus ou moins conséquente du terrain « réel », multi-référentialité, évaluation des transformations possibles, etc. ? Peut-on se contenter, sur ce terrain, d’une position de principe « œcuménique » : acceptation des différents types de techniques et de méthodes des sciences humaines ? Si oui, à quel titre3 et comment concilier cela avec une spécificité disciplinaire ? Comment l’organiser aussi pour mieux cerner les apports, les intérêts et les limites de chacun des modes d’investigation4 ? Si non, au nom de quoi ? En relation forte avec le problème précédent, ne convient-il pas, dans notre champ, de privilégier les recherches « écologiques » (tenant compte au maximum des situations courantes/réelles d’enseignement/apprentissage) par rapport aux recherches « en laboratoire » ? Et, dans le cas de ces dernières, peut-on véritablement parler de recherches en didactique ?

3. 4.

Ce serait, par exemple, envisageable au nom de la compréhension « la plus complète » des mécanismes en œuvre en vue de transformations estimées socialement bénéfiques. C’est ce que tente de faire J.P. Astolfi, 1993, avec sa typologie des recherches en didactique.

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Néanmoins, en l’état et même insatisfaisant, ce consensus relatif représente déjà une forme de clarification qui permet, par exemple, de mieux comprendre la logique des positions de chacun et/ou certains risques de dérives (applicationnisme, pédagogisme, scientisme, militantisme, etc.).



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Toujours en relation avec le problème précédent, ne convient-il pas, dans notre champ, de multiplier les recherches « qualitatives5, « compréhensives », dans la mesure où : – elles permettent sans doute plus de « finesse » dans la description et l’appréhension des mécanismes en œuvre ; – elles permettent d’éviter les pièges de « l’adultocentrisme » et de « l’ethnocentrisme » culturel. Comment, aussi, penser le rapport recherches-pratiques afin d’éviter que les nécessités, légitimes, de contrôle des variables ou de reproductibilité, ne mènent : – d’abord à évacuer du champ des recherches des pratiques riches fondées sur l’articulation de multiples variables (par exemple, la pédagogie du projet6) ; – ensuite à transformer cette évacuation méthodologique en position concernant des élèves (i.e. : « ils peuvent faire cela à cet âge », au lieu de : « dans tel cadre, ils peuvent faire cela à cet âge ») ; – enfin à nier tout constat issu d’analyses empiriques sur ces pratiques (i.e. rien ne dit, si ce n’est leurs promoteurs, que les résultats de ces démarches sont intéressants…). Un enjeu fondamental est attaché, à mon avis, à cette question : éviter que les principes de certaines recherches n’entraînent des cadres pédagogicodidactiques réducteurs en ce qu’ils ne permettent pas aux élèves d’actualiser ou de développer leurs compétences. Mais sur l’autre versant, cela impose l’absolue nécessité de revenir – toujours et encore – aux conditions d’opérationnalisation et de validation de méthodes plus « ouvertes », de la recherche-action7, etc. Tous ces éléments incitent, selon moi, à poursuivre un débat essentiel autour de la façon (des façons) dont la didactique du français doit (peut) penser la complexité, en tenant compte d’un côté de l’impossibilité constitutive de la recherche (ou, plus exactement, de chaque recherche) de tout penser en même temps et sous tous les angles ou d’entériner ce qui n’est guère qu’un point de départ : la complexité de l’objet réel ; en tenant compte de l’autre côté de sa spécificité et du fait qu’elle traite des relations entre des objets et des sujets, indissociablement cognitifs, affectifs, sociaux, culturels… Cela impose de penser les unités susceptibles de permettre ce travail, les modes d’analyse susceptibles de saisir les relations diverses qui s’y investissent, leur mode de construction, leurs modalités de relations à d’autres unités etc. Cela nécessite complémentairement de préciser la façon dont on peut s’emparer de recherches différentes à titres d’indices (plus que de preuves) pour comprendre les phénomènes étudiés. Cela signifie que la position de 5. 6. 7.

Ce qui n’exclut nullement la nécessité de cadrages et d’évaluations quantitatifs. Sur ce point, la thèse de Francis Ruellan soutenue en 1999 a montré qu’un travail précis était parfaitement possible. Voir, en ce sens, J. Fijalkow, 1992, sur la recherche-action et M. Bataille, 1981, sur le « chercheur collectif ».

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principe, dans notre champ, me paraît plutôt consister en la volonté de construire les conditions de possibilité pour penser le complexe plutôt qu’en l’affirmation préalable d’une impossibilité qui risque de nous « renvoyer » (de nous enfermer) dans telle ou telle discipline de référence ou, du moins, dans tel ou tel courant de celle-ci qui, en terme de paradigme, tend à éliminer la pensée du complexe.

D



Quant à l’histoire Une discipline se définit encore en fonction de son histoire (et de son rapport à l’histoire). Cette dimension est, de fait, récurrente dans cet ouvrage (ce qui explique que je serai amené à y revenir constamment). Si l’histoire de la didactique du français fait l’objet d’investigations de plus en plus importantes dans notre champ (voir Études de linguistique appliquée, n° 84, 1991, ou F. Ropé, 1990), indice complémentaire de son émergence, cette histoire est discutée, notamment quant aux origines8, selon que l’on se fonde, par exemple, sur des éléments cognitifs ou institutionnels, ou que l’on s’appuie sur l’émergence des termes ou des définitions, ou encore sur les modèles, les disciplines-mères, connexes, de référence, sur les institutions ou les acteurs9… Mais – de façon minimale – il est peut-être possible de s’accorder, au moins pour ce qui concerne la France, sur le fait que la didactique du français émerge véritablement entre les années soixante-dix et quatre-vingt-dix sur la base : – de disciplines moins « légitimes ou discutées (sciences de l’éducation, linguistique, FLE…) ; – d’acteurs10 ou d’institutions « dominés » ou discutés : praticiens, INRP… – d’une augmentation et d’une diversification sensibles du public scolaire ; – d’une demande sociale accrue quant à la durée de la scolarisation et à la maîtrise de la lecture et de l’écriture… Il nous reste, bien sûr (!), à articuler plus précisément ces diverses dimensions. En tout cas, cet ouvrage devrait contribuer à (ré)attirer notre attention sur trois éléments, au moins, en relation avec cette histoire. Le premier (voir la contribution de J.-F. Halté) concerne la mutation de la « matrice disciplinaire » qui, pour le dire schématiquement, passe d’un centrage sur langue et littérature (accompagné d’un poids considérable accordé aux (sur)(normes et aux valeurs et d’une relation forte au mode de travail magistral-transmissif) à un

8. Question fondamentale, réellement et fantasmatiquement, pour les êtres, les institutions et les sciences. 9. Voir Études de linguistique appliquée, n° 84, 1991 ; F. Ropé, 1990 ; et J.-L. Chiss, M. Dabène et J. David ici même. 10. Ces acteurs étant, pour un grand nombre d’entre eux, inscrits dans des débats et des engagements politiques et militants.

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Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition

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Le second élément (voir A. Petitjean) concerne la nécessité d’une prise en compte des pratiques dans leur histoire. Cela impose d’ailleurs – quel que soit l’objet retenu (ici la rédaction/description) – la saisie méthodologique de référents divers : théories éventuelles, textes de « loi » (Instructions officielles), manuels, cahiers des élèves etc. Cela peut permettre de mieux percevoir ce qui sous-tend – souvent inconsciemment – la matrice disciplinaire, les pratiques, etc., ce qui est de l’ordre des permanences et ce qui est de l’ordre des mutations (de surface ou profondes). Cela interroge encore la différenciation des pratiques selon les réseaux11 en invitant à ne pas oublier les relations entre échec/réussite et origine socioculturelle. Le troisième élément porte sur le rôle de certains concepts. On se référera ici aux analyses de B. Schneuwly concernant celui de transposition didactique. Il convient ainsi de remarquer comment certains concepts jouent un rôle fédérateur et cristallisateur dans l’histoire d’une discipline ou d’un ensemble de disciplines, fondant, au moins partiellement, le consensus à partir duquel peuvent émerger les dissensus. Reste, ici encore, à savoir pourquoi et comment celui-ci s’impose à ce moment de l’histoire. Trois questions complémentaires mériteraient encore, dans cette perspective, d’être approfondies, même si certains chercheurs12 ont commencé à les explorer. En premier lieu, celle des relations entre système social – système scolaire – discipline français – didactique du français (avec la « pression sociale » sur la lecture-écriture, la place attribuée au français dans l’échec scolaire etc.) en prenant en compte, entre autres : l’accélération de cette dernière décennie que nous évoquions en préambule et les relations avec les disciplines de référence (par exemple linguistique puis psychologie). En deuxième lieu, celle de l’autonomisation du champ13 de la didactique du français avec l’évaluation des « bénéfices » (légitimation en cours ; séparation des fonctions de praticien – chercheur – formateur avec conséquemment, un risque moindre de confusion des logiques ; des moyens possibles pour la recherche, etc.) et l’évaluation symétrique des « pertes » (l’occultation de savoirs issus de pratiques ; l’éloignement des questions des chercheurs de celle des praticiens ; des difficultés accrues de collaboration…) 11. Minorée aujourd’hui, car considérée comme « politique », cette problématique « portée » par des théoriciens aussi différents que C. Baudelot & R. Establet, 1971 et 1975 ; R. Balibar 1994a et 1994b, B. Bernstein, 1975 ; ou W. Labov 1978, gagnerait à être retravaillée en fonction des « avancées » des champs de la didactique et de la sociologie. 12. F. Ropé, 1990 ; D. Bucheton et J. David ici même. 13. Au sens de P. Bourdieu.

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centrage, tendanciel, sur la production-réception des discours oraux et écrits (avec la recherche des normes et une attention plus grande portée aux mécanismes d’appropriation des élèves). Il reste cependant à préciser l’organisation de ces « états matriciels » ainsi que leurs modes de transformation.



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Enfin, et complémentairement, la question des logiques différentes des acteurs du champ qui me paraissent être encore insuffisamment construites : logiques des décideurs politiques et institutionnels, de l’inspection, des praticiens, des chercheurs, des formateurs, des directeurs de collection et de revues… Que l’on ne s’y trompe pas, ces deux dernières questions sont loin d’être anecdotiques ou « externes ». Des réponses que l’on y apporte dépendent entre autres, la réflexion sur la formation initiale ou continue des enseignants, ainsi que la possibilité pour ces différents acteurs de véritablement collaborer entre eux.

E



À propos des objets et des pratiques Je me contenterai sur ce terrain de cinq remarques mais elles me semblent capitales pour la construction de la didactique du français. La délimitation de ce qui est à enseigner-apprendre dans notre discipline (langue, texte, image, culture, lecture, écriture, communication…) demeure, de fait, très discutée. Cela mériterait d’être précisé car nombre d’enjeux, pratiques et théoriques, en dépendent : temps et formes de la formation, collaboration sur le terrain entre la discipline français et les autres, sélection des théories de référence et relations à celles-ci, place des réflexions théoriques concernant, entre autres, français « transdisciplinaire », communication (voir J.-L. Chiss et J.-F. Halté ici même) ou interactions… En l’état actuel des recherches, et de leur relative hétérogénéité, selon leur objet, quant aux modes d’investigation et de formalisation, peut-on parler d’un champ de la didactique du français ou ne vaut-il pas mieux parler de plusieurs (sous) champs, de plusieurs didactiques ? Existe-t-il véritablement une unité entre la didactique de la littérature (voir la contribution de G. Legros, infra) et celles de la grammaire, de l’orthographe, des textes, de la lecture, de l’écriture ? Cette question serait d’ailleurs à approfondir dans sa dimension diachronique. Quels sont les objets et les pratiques sur lesquelles se polarisent les recherches en didactique à tel ou tel moment de son histoire ? Pourquoi ? Et pourquoi les accentuations se déplacent-elles14 ? Cela nous renvoie conjointement aux « bougés » de la matrice disciplinaire, aux mutations des pratiques et à leurs modes de relation. Cela signale aussi des flottements, pratiques et théoriques, quant aux relations entre objets et entre objets et pratiques traités par les enseignants et les théoriciens : « niveaux » micro- et macrostructurels des textes, objets et opérations (lecture-écriture) des sujets, textes et « culture », etc. En d’autres termes et sans pessimisme aucun, il me paraît que nous en sommes encore à la préhistoire

14. Sur ce point encore, voir F. Ropé, 1990, pour une première investigation.

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Troisièmement, et en relation avec le point précédent, se pose le problème des compétences complexes enseignées en français (lire, écrire, écouter, parler), qui articulent des savoirs et des savoir-faire de différentes natures16 et, du coup, des modalités de cet enseignement si tant est que l’acquisition de connaissances déclaratives, méta-procédurales ou non, ne saurait suffire. Posée de façon abrupte, la question est la suivante : « comment enseigner – aider à développer une compétence ? ». Ce qui suppose une réflexion fondamentale – interne à notre didactique – sur les stratégies d’enseignementapprentissage et leur articulation. Ce qui suppose encore – comme y invite la contribution de J.-F. Halté – de construire la relation enseignables/apprenables. Ce qui suppose enfin d’évaluer la place et l’importance de la conscience-conscientisation des démarches (le niveau « méta ») auquel on a accordé beaucoup de place ces dernières années17 face à d’autres thèses qui fonctionnent à l’« opposé » d’un détour formaliste et abstrait18. Tout en essayant de comprendre les effets de stratégies différentes quant à l’enseignement/apprentissage de procédures, y compris par instruction directe19. C’est ici un chantier fondamental et incontournable. Ces recherches ne pourront sans doute pas être menées en minorant la question des goûts et des valeurs, même si la tentation est forte de l’écarter, en raison d’une part d’une méfiance pour ce qui a architecturé et finalisé pendant très longtemps l’enseignement du français et de la littérature ; en raison d’autre part d’une confusion entre le fait que la recherche doit se garder de s’investir dans les goûts et les valeurs et le fait qu’elle ne devrait pas s’en occuper20. Il me semblerait en effet catastrophique d’ignorer que goûts et valeurs sont inscrits aussi bien dans les objets et les pratiques qui s’en emparent que dans les enjeux et finalités de leur enseignement. S’il est clair (voir ici encore G. Legros, infra) que ces problèmes surgissent « à l’évidence » dès qu’il est question de littérature, il devient de plus en plus patent qu’ils se posent incessamment dès que l’on parle de langue (normes/surnormes, acceptabilité…), de texte (cohérent, bien formé, intéressant, stéréotypé…), de lecture (compréhension/interprétation) ou d’écriture. Il est tout aussi clair qu’à les ignorer, on s’expose à ne rien comprendre à la différenciation sociale de l’échec ou de la réussite scolaire. Il est en revanche certain qu’à les prendre en compte, on s’expose en tant qu’enseignant, chercheur ou « expert » positionné dans le système des goûts et des valeurs. On expose ainsi ses 15. 16. 17. 18. 19. 20.

C’est dire à quel point les référentiels me paraissent fonctionner de façon illusoire. Cette question est soulevée « frontalement » dans les contributions de D.G. Brassart et J.-F. Halté. Voir, par exemple, J.-E. Gombert, 1990, ou le numéro 9 de Repères, 1994. Voir B. Lahire, 1993. Voir D.G. Brassart, infra. Ce serait oublier que la construction et la différenciation sociale des valeurs sont des objets de recherche classiques en histoire, psychologie, sociologie, ethnologie…

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d’une formalisation intégrative – et non énumérative15 – de ce qu’il convient d’enseigner et sous quelles formes, en français ainsi que des théories susceptibles d’en rendre compte…



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partis pris et ses impensés, ce que l’on refuse de penser et qui, de ce fait même, vous fait implacablement penser de telle sorte. La question, cruciale, consiste donc à construire la place des goûts et des valeurs afin de les penser pour éviter d’être pensés par eux. On conviendra que, sur ce terrain, il est difficile de ne pas faire appel à la sociologie ou à l’ethnologie des objets et des pratiques culturelles (voir la contribution de J.-M. Privat). Il reste encore à savoir en fonction de quelles représentations du « progrès » cognitif s’effectue l’enseignement. Cela demeure encore trop souvent implicite parce que relativement évident, « prépensé » en quelque sorte. Comme le remarque ici même J.-P. Bronckart : « La psychologie de Vygotsky reste, comme celle de Piaget (…), marquée par une conception très rationaliste du développement, par l’idée que le devenir humain est en définitive tendu vers la construction de connaissances toujours plus rationnelles et plus décontextualisées, quand bien même ce sont des significations contextualisées, des représentations sociales, qui caractérisent les phases initiales de ce processus. »

Deux conséquences non négligeables sont impliquées par cette conception. La première, notée par J.-P. Bronckart, consiste en une illusion pratique : « La conséquence en est que le développement est censé se produire dans l’interaction et la coopération de partenaires « de bonne foi », qui ne rencontrent que des obstacles d’ordre scientifique dans l’élaboration de la connaissance du monde. Mais tout enseignant est, on le sait, quotidiennement confronté à la « mauvaise foi », au refus, à l’incapacité inexplicable de comprendre et d’apprendre. »

Il convient donc, ainsi qu’il le signale à la suite de J.-M. Privat, de prendre en compte les cadres culturels et familiaux et les caractéristiques socio-affectives des élèves pour élaborer des solutions didactiques opératoires. La seconde conséquence consiste en la non-appréhension du caractère arbitraire (culturellement parlant) de cette conception même du développement qui fonctionne de fait à la prise de distance du « sens pratique » (P. Bourdieu, 1980) et de certaines formes sociales d’acculturation (B. Lahire 1993 a et b). De ce point de vue, il est urgent, sur notre terrain, d’évaluer si l’on théorise des fonctionnements et une évolution psychologiques partagés par tous ou socialement différenciés, i.e. si le mode de pensée lettré ne se dissimule pas sous le discours théorique. La compréhension de résistances ou d’échecs scolaires pourrait bien en dépendre.

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Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

De quelques concepts

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Il est assez frappant de constater d’abord que le nombre de concepts « spécifiques » à la didactique est somme toute assez restreint dans cet ouvrage et dans notre champ en général : transposition didactique, contrat didactique… D’autres sont sans doute « à cheval » sur le champ de la didactique et sur celui de la pédagogie : situation-problème, objectif-obstacle, pratique sociale de référence. Cela questionne sans nul doute le statut même de la didactique, sa spécificité ou son état de construction. Est-ce dû à son degré de constitution, à son émergence encore récente, à son autonomisation en cours ou au fait qu’il s’agit d’une discipline d’interaction ou encore que l’on se leurre parfois sur la « pureté » conceptuelle des sciences humaines ? J’ajouterai, de surcroît, qu’aucun de ces concepts n’a été véritablement construit dans l’espace de la didactique du français, ce qui l’interroge par rapport aux autres didactiques. S’agit-il d’un « retard » et dans ce cas à quoi est-ce dû ? S’agit-il du sentiment d’inéquation de ces concepts face à une discipline aux multiples spécificités (Y. Reuter, 1992) ? S’agit-il de la difficulté à conceptualiser différemment ce qui relève du langage-objet, du langage qui sert à l’enseignement-apprentissage du français, du langage qui sert à l’enseignement-apprentissage dans les différentes disciplines, etc. ? Un concept fait néanmoins incessamment retour, celui de transposition didactique élaboré par Y. Chevallard (1985), qu’a traité centralement B. Schneuwly ici même. De ce point de vue, sa mise au point est sans doute importante et j’y adhère à l’encontre de ce que j’avais pu imprudemment écrire ailleurs (cf. D.G. Brassart & Y. Reuter, 1992 et Y. Reuter, 1992). Il convient certainement de distinguer un usage détourné et inapproprié (cela doit se passer comme cela ; comment faire une « transposition didactique ») et un usage de ce concept comme catégorie d’analyse permettant de décrire des pratiques et de penser une série de problèmes spécifiquement didactiques. À ce prix, il devient un concept opératoire précieux. Pourvu sans doute que chacune des catégories qu’il pose soit interrogée. À ce titre, je maintiendrai qu’il est indispensable, sur le terrain de la didactique du français, de questionner la catégorie de « savoirs savants » qui, en matière d’objets et de pratiques culturelles, peut recouvrir des catégories aussi différentes que savoirs propres aux lettrés, propres aux experts, universitairement construits, « scientifiquement » construits etc. De la clarification conséquente dépendent sans doute des relativisations dans les objets et pratiques scolairement proposés, ainsi qu’un éclairage différent des blocages de certains élèves. Quant au triangle didactique, je me contenterai de noter son usage ici restreint, à l’opposé de sa floraison dans le nombre de manuels de vulgarisation. Peut-être, mais il faudrait le vérifier et comprendre pourquoi, s’avère-t-il

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moins opératoire pour penser des problèmes cruciaux dans notre discipline. Néanmoins, si l’on s’en sert, pour saisir les « angles d’attaque » dominants dans ce recueil, on peut faire trois remarques non négligeables : – le pôle « enseignants » est relativement réduit (cela correspond-il à ce que nous avons déjà rencontré : la difficulté à penser ses représentations et ses pratiques, à penser ce qui nous fait penser ?) ; – le pôle « savoir(s) » est relativement bien représenté mais un centrage sur lui entraîne souvent le risque d’une « abstraction idéalisante » qui construit les textes comme architextes et le sujet comme apprenant purement cognitif (dans ce cadre, écrits et élèves réels seraient presque des gênes méthodologiques…) ; – le pôle sujets/situations est, lui aussi, relativement bien représenté, avec une accentuation presque inverse, de la complexité des Sujets (voir D. Bucheton) et des variations (des pratiques linguistiques, des situations d’enseignement, des situations d’enseignement et d’apprentissageacquisition ; voir M. Dabène). Il nous reste donc, une fois de plus, à évaluer ce que chacune des entrées permet ou non d’éclairer, et comment articuler ces perspectives et les acquis de chacune d’entre elles.

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Les disciplines connexes Les disciplines « connexes » évoquées ont été de deux ordres : didactiques d’autres disciplines (mathématique, histoire, physique…) et didactiques de disciplines dont on se demande si elles sont vraiment différentes (voir M. Dabène, S. Chartrand & M.-C. Paret, infra) : Français Langue Maternelle, Français Langue Étrangère, Français Langue Seconde, etc. Dans le premier cas, les renvois – excepté en ce qui concerne les emprunts conceptuels déjà évoqués – ont été minimes. Je me demande – sachant que la situation est symétrique pour les autres disciplines – s’il ne devient pas urgent de confronter les approches, écueils, avancées… Cela d’autant plus que le débat sur la nécessité d’une didactique générale se fait récurrent (cf. J.-F. Halté). De fait, la constitution, même virtuelle, d’une didactique générale offrirait l’avantage d’objectiver les convergences et les divergences, les maniements de concepts communs, l’utilité de concepts différents, les contours de l’espace didactique etc. En revanche, cela me paraît engendrer inéluctablement deux risques : celui de réduire la part d’une théorie de la pédagogie et celui d’avancer trop vite par volontarisme en ne prenant pas le temps de comparer véritablement le mode de constitution, la problématique, les concepts et les démarches de chaque didactique. C’est pour ces raisons que je préfère encore, ce que certains trouveront bien jésuitique, la notion de didactique comparée.

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Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition



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Dans le second cas, la question posée – et je ne trancherai pas ! – est celle de véritables spécificités ou de variations (mais selon quels critères essentiels ?) au sein de la didactique du français entre D.F.L.M., D.F.L.E., D.F.L.S. Au-delà des enjeux d’acteurs ou d’institutions, se posent une fois de plus, d’autant plus finement que cela se joue dans une proximité reconnue, les questions des contours de la discipline et de sa didactique et des axes de variation sous lesquels l’appréhender. Et pour ne pas conclure sur ce point, je ne résisterai pas à l’envie de soulever un autre problème. Comment différencier disciplines connexes et disciplines de référence (surtout si l’on pense aux emprunts conceptuels) ? « Naturaliser » cette distinction – comme c’est un peu le cas en ce moment – n’est-ce pas établir des différences de « formes » (disciplines d’interaction définies par leur objet vs disciplines de référence) en sous-estimant le fait que c’est, au moins autant, un effet de la construction théorique de chaque discipline que d’en désigner (et d’user) d’autres comme connexes ou de référence, voire un effet de statut et de légitimité dans les champs scolaire, universitaire et scientifique ?

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Les disciplines de référence À n’en point douter, les disciplines de référence occupent une place considérable dans cet ouvrage. Elles suscitent vraisemblablement les débats les plus forts dans notre champ, déterminant la forme des modèles (cf. M. Dabène, infra), les emprunts théoriques et méthodologiques (cf. également D.G. Brassart, J.-P. Bronckart, J.-L. Chiss, J.-M. Privat…), les conceptions mêmes de la didactique. Je m’y arrêterai donc, l’espace de six remarques. Il me semble tout d’abord, qu’une opposition nette structure deux types de position : la première fondée sur une référence unique, la seconde fondée sur l’appel à de multiples disciplines de référence. Dans le second cas, cela me paraît reposer sur trois principes, au moins, plus ou moins explicites : la didactique comme discipline d’interaction ; la prise en compte de la complexité des sujets et des variations ; une volonté praxéologique. Plusieurs risques sont impliqués par cette position : la confusion tendancielle entre objet réel et objet construit ; la difficulté de formaliser de façon intégrative les différentes dimensions ; le désir (latent) de maîtrise et d’exhaustivité… Dans le premier cas, cela me paraît aussi reposer sur quelques principes, plus ou moins implicites, mais d’un autre ordre : primat accordé à telle dimension ; volonté de scientificité… Dans ce cas en revanche, la place éventuelle d’autres disciplines de référence et leur mode d’articulation avec la discipline

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En second lieu, mais ce point est tout à fait complémentaire du premier, comment (s’il faut le faire) hiérarchiser dans notre champ les disciplines de référence ou, sous une autre forme, légiférer sur leur proximité ? À dire vrai, et si l’on exclut provisoirement ce qui a trait aux diverses représentations de la scientificité, les principes posés par les uns ou les autres semblent également probants ou intéressants et l’on voit mal comment on pourrait s’en priver. Soit, à titre de rappels et d’exemples : – la validité dans le cadre de référence ; – la plausibilité (épistémologique, linguistico-textuelle, psychologique, sociologique…) ; – la pertinence dans le cadre didactique ; – l’opérationnalité pratique. Il reste cependant des problèmes épineux car les quatre dimensions ne se recoupent pas (voir les remarques de J.-L. Chiss sur les distinctions entre imparfait et passé simple, leur statut et leurs usages) et concernent soit des emprunts partiels, soit la référence à tel courant dans telle discipline, soit la référence à la discipline prise « globalement ». En outre, cela engage, selon les choix effectués, des problématisations différentes ou, sous une autre forme, des différences dans les dimensions estimées cruciales dans le champ de la didactique. Les débats à poursuivre ne sauraient oublier que l’on se trouve de facto, et quelle que soit sa position, contraint d’effectuer des paris : – soit quant aux multiples disciplines qui concourent à construire l’objet et que l’on ne peut toutes maîtriser ; – soit quant aux théories que l’on privilégie, même au sein d’une seule discipline (en raison de la nature très « imparfaite » des « preuves » ; des restrictions internes à la problématique ; de la relativité historique des modélisations…). Cependant, ces paris sont constructibles de façon raisonnée comme le montre J.-P. Bronckart à partir d’une évaluation précise des courants et des disciplines auxquels on emprunte, évaluation référée à la construction du cadre didactique23… Tout cela ne peut s’effectuer en sous-estimant la façon dont on pense les finalités sociales de la didactique, question qui ne recoupe d’ailleurs 21. La conséquence pratique de cet état de fait est de considérer nombre de dimensions, soit comme un « habillage », soit comme des variations secondaires hors du champ de la théorie. 22. La conquête de places institutionnelles et la revendication « scientifique » contrecarrent, pratiquement, dans nombre de cas, cette prudence. 23. L’exercice d’évaluation auquel se livre J.-P. Bronckart, à propos de la psychologie, nous inciterait d’ailleurs à effectuer le même à partir des courants de la didactique et de ses emprunts (voir E. Nonnon, 1994, sur la didactique du récit).

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dominante sont peu théorisés21. Les risques d’applicationnisme sont présents, malgré les modalisations avancées22.



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qu’imparfaitement les clivages précédents. Pour schématiser encore, il me semble que deux familles de positions sont en présence. Pour la première, la théorie didactique (ou les théories didactiques ou les théories de référence) n’a pas à intervenir sur les pratiques. Cela peut être tenu « jusqu’au bout24 » ou tenu contradictoirement à côté d’une conquête de places dans les revues, les manuels, la formation, etc. Pour la seconde famille, la théorie didactique (ou les théories didactiques, ou les théories de référence) a à intervenir sur les pratiques. Mais ici encore, surgit un clivage important entre ceux pour qui il s’agit d’un rôle pilote25 et ceux pour qui ce serait plutôt un rôle adjuvant : aider à comprendre en décrivant et en évaluant les pratiques et leurs effets : ouvrir ou affiner la palette des pratiques par une réflexion sur l’intégration d’apports théoriques, etc. Mais ce débat est insatisfaisant, voire tronqué, s’il continue à faire l’impasse, comme c’est encore trop souvent le cas à mon sens, sur les effets en retour des pratiques et des théories didactiques sur les théories de référence. Ainsi, en est-il de l’impulsion donnée aux recherches concernant la lecture et l’écriture relativement « en veilleuse » en psychologie ou en sociologie jusqu’à ces deux dernières décennies ; ainsi en est-il de l’intérêt porté aux écrits sociaux (voir M. Dabène, 1987 et la revue Lidil, 1990), au personnage ou aux scènes comme « articulateurs » de la lecture-écriture (Pratiques, 1998 et 1994), aux interactions lecture-écriture (Y. Reuter, éd., 1994) ou aux savoirs pratiques des enseignants (cf. D. Bucheton, infra). Cette absence de « dialectisation » empêche sans doute de voir à quel point la problématisation didactique a conquis une place certaine dans les sciences humaines et a déplacé ou remodelé des objets, des questions etc. dans les disciplines de référence. Bref, en quoi la didactique est – d’une certaine façon – discipline de référence pour d’autres.

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La didactique du français, 10 ans plus tard Reprenant cette synthèse près de dix ans plus tard, je souhaite montrer que, malgré la floraison des recherches, la didactique du français se trouve dans une situation aussi incertaine que lors de la première édition de cet ouvrage. J’essaierai donc de préciser en quoi, malgré des déplacements et des reconfigurations indéniables, certaines tensions restent vives ou certains problèmes demeurent en suspens.

24. Ce qui ne règle en rien cependant la question des effets qui se produisent « malgré » cette volonté. 25. Cette position se heurte à mon sens à trois écueils majeurs : la confusion entre science et politique ; l’absence de réflexion sur l’histoire des sciences jonchée de cadavres de théories « justes » ; le temps que devraient encore attendre les enseignants avant d’enseigner dans l’espoir de « preuves » suffisantes.

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Concernant la dimension institutionnelle de la didactique du français26, je m’arrêterai brièvement sur ce qui me paraît être, particulièrement en France, une période d’accentuation des tensions. En effet, sur le versant positif, en moins d’une décennie, cette discipline a connu une phase d’expansion prodigieuse : multiplication des colloques, des articles, des ouvrages, des postes d’enseignants-chercheurs, des thèses soutenues, place accrue dans les formations universitaires et professionnelles… Mais, d’un autre côté, plusieurs menaces persistent, notamment les attaques contre sa légitimité issues aussi bien des décideurs-prescripteurscontrôleurs institutionnels qui se sont sentis dépossédés, en vertu de son existence même, d’une partie de leur autorité, que des chercheurs d’autres disciplines qui n’ont pas forcément apprécié le développement d’une discipline qui, à certains égards, peut apparaître comme empiétant sur leur territoire ou remettant en cause la validité de leur discours sur le terrain scolaire27. D’autres menaces sont apparues plus récemment, par exemple la réduction « ciblée » des postes dans l’enseignement supérieur (et les I.U.F.M.) ou le retour en force, particulièrement sur le terrain du français, des discours idéologiques les plus traditionnels. Tout cela mérite non seulement une vigilance constante mais aussi des analyses et des débats, relativement mis en veilleuse à l’heure actuelle, quant au positionnement institutionnel de la discipline : à la fois sur son statut universitaire28, sur ses relations avec les autres disciplines et sur ses modalités de relation avec les instances de prescription, de certification, de contrôle… Tout cela n’a rien de simple et, de surcroît, est variable selon les pays.

2 La définition de la discipline scolaire La seconde dimension, sur laquelle je m’arrêterai plus longuement, est celle des contours de la discipline « français » qui me semble, au vu de l’état des recherches, en interrogation tant du point de vue des contenus que de celui des publics. Du point de vue des contenus, le premier élément que je retiendrai – déjà évoqué dans la synthèse précédente – porte sur la tension entre une conception centrée sur les savoirs (qui restent à définir) et une autre, devenue tendanciellement dominante, focalisée sur des compétences. Cette tension ne 26. Sur ce point, voir aussi la contribution de J. David. 27. À cela, il conviendrait peut-être d’ajouter les reconversions de certains didacticiens qui, devenus universitaires, préfèrent se réclamer de disciplines estimées plus légitimes, vérifiant ainsi la pertinence des analyses de P. Bourdieu sur la puissance des mécanismes institutionnels. 28. Je parle ici du rattachement en France des didactiques soit aux sciences de l’éducation, soit à d’autres disciplines (linguistique, littérature…) et de leur autonomisation éventuelle.

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1 Tensions institutionnelles



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soulève pas seulement la question désormais classique de l’articulation entre savoirs et savoir-faire. Elle en implique au moins trois autres, cruciales mais encore insuffisamment pensées à mon sens : – celle du mode (et du « niveau ») de catégorisation des compétences29 : en termes d’« activité » (insistant, par exemple en matière de lecture, sur son unicité, via un noyau commun d’invariants et sa décontextualisation) ou en termes de « pratiques » (insistant alors sur sa diversité, sa contextualisation, ses variations formelles et fonctionnelles…) ; – celle du mode (et du « niveau ») de catégorisation des objets langagiers : plus ou moins appréhendés sous l’angle de la généralité ou de la spécificité, sous celui de la production ou du produit : le récit comme type de texte, le discours narratif, les genres de récits… – celle de la congruence entre modèles de compétences et modèles d’objets langagiers30… Je poserai volontiers ici que la gestion de ces questions est une des tâches fondamentales auxquelles est confrontée la construction de modèles didactiques31, justement en ceci que, contrairement aux autres disciplines qui peuvent opter, au moins tendanciellement, pour l’un ou l’autre des modes de formalisation, la didactique a comme spécificité de ne pouvoir se priver d’aucun des deux, dans la mesure où ils sont structurellement impliqués par les fonctionnements de la discipline scolaire et par les nécessités de son analyse. Ainsi, le recours à la formalisation en termes d’« activité » permet, entre autres, de poser la permanence des enseignables (face aux effets de mode), leur progressivité (dans les curricula), leur économie (face à la multiplicité des formes de pratiques), les finalités (la traductibilité de la compétence dans le maximum de pratiques scolaires et extrascolaires), ainsi que les composantes susceptibles d’être transférées ou actualisées dans des situations différentes. Ainsi, le recours à la formalisation en termes de « pratiques » permet, entre autres, d’envisager l’évolution des enseignables, leur diversification, la spécification des finalités (ou l’analyse de ce que les objectifs retenus révèlent des finalités), l’analyse de la spécificité des pratiques scolaires, de leurs significations explicites ou implicites et de leurs effets potentiels au regard des pratiques extrascolaires des élèves. Le second élément d’interrogation quant aux contours renvoie à la tension – tout aussi classique – entre pôles des discours et pôle de la littérature (voir la 29. Sur cette question, voir Y. Reuter, 2001a et 2003. Par niveau, je désigne le niveau de généralité (produire/écrire/ écrire un récit…). 30. Sur ce point, voir mes remarques (Y. Reuter 2002) lors du colloque « L’écriture et son apprentissage. Questions pour la didactique, apports de la didactique » organisé par Sylvie Plane, à l’INRP en mars 2002. 31. Sur cette notion et les discussions qu’elle suscite, voir, entre autres, de J.-F. Pietro & B. Schneuwly, 2003 ; B. Schneuwly, éds, 1998 ; Enjeux, 1996 ; Y. Reuter, 1996, 2000 et 2001b.

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Cette tension me paraît d’autant plus difficile à travailler que chacun de ces pôles a connu une expansion de ses recherches32 mais sans qu’il existe de véritable communication entre eux. De surcroît, chacun d’eux est traversé de débats. Ainsi, le pôle des « discours » est confronté aux questions de ses limites, de la dominante accordée au faire ou aux savoirs linguistiques, au choix des cadres analytiques (par exemple grammaire de phrase, de texte ou de discours) et à la réorganisation ou non des sous-domaines de la discipline (orthographe, grammaire, lexique…). De son côté, le pôle de la « littérature », s’il apparaît comme un garde-fou utile pour sauvegarder la spécificité du français face aux mouvements centrifuges impliqués par le pôle des discours (sur lesquels je reviendrai immédiatement après), est confronté aux questions de sa modélisation didactique (comment la définit-on ?), de ses modes de justification au sein de la discipline français (qu’est-ce qui justifie sa place et les valeurs qui lui sont attachées ?), de ses spécificités (qu’est-ce que la littérature permet de faire qu’aucun autre ensemble de pratiques culturelles ne permettrait pas ?)33. De fait, c’est peut-être une spécificité de la didactique du français que d’être ainsi à la recherche de son identité entre compétence pratique et expertise analytique, entre participation à une communauté linguistique et distinction culturelle… Le troisième élément d’interrogation quant aux contenus, articulé au pôle des discours, réfère à la tension entre « français » envisagé comme une discipline autonome et « français » envisagé comme discipline commune ou transversale via les pratiques langagières34. Du côté de l’autonomie on voit bien que se pose la question de la spécificité (et donc du recours possible à la littérature). Mais, du côté de la transversalité se pose la question de la dilution disciplinaire ou d’un paradoxe redoutable. Comment en effet, sans être spécialiste des savoirs et des genres disciplinaires dans d’autres disciplines, ne pas être tenté de rabattre les pratiques langagières sur les points communs les plus généraux de l’argumentation, de l’explication, de la description… C’est-à-dire, par le recours à une formalisation par l’« activité » et les

32. Avec une accentuation assez remarquable des recherches concernant l’enseignement de la littérature à l’école primaire. Voir, par exemple, Repères, 1996 ou C. Tauveron, 2002. 33. De ce point de vue, il semble que la littérature effectue un « retour en force » mais sans le travail de déconstruction critique qui l’accompagnait lors des décennies précédentes, à quelques exceptions près (par exemple, J.-L. Chiss & J. David, 1999 ; B. Daunay, 1999). 34. Voir tout ce qui s’est publié depuis quelques années autour du français « transdisciplinaire » ou des relations entre pratiques langagières et construction des savoirs, par exemple : D. Bucheton & J.-C. Chabanne, éds, 2002 ; Les Cahiers pédagogiques (1999 et 2000) ; La Lettre de la DFLM (2002) ; Pratiques (2002) ; Recherches (2002) ; Y. Reuter, éd., 1998…

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contribution de G. Legros, infra), tension reconfigurée incessamment et de manière hétérogène selon les cycles (voir, en France, les dernières instructions officielles de l’école primaire et du lycée).

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Peut-être pourrait-on dire, ici encore, que cette tension est une des caractéristiques du « français », modulable selon les niveaux scolaires, liée à son statut de discipline « fondamentale »35 et à son entrée par les capacités et les objets langagiers. Reste cependant à construire, le plus précisément possible, les modes de gestion didactiquement viables de cette tension. Ces tensions, référées aux contenus, ne sont pas indépendantes du développement de recherches qui n’ont cessé d’étendre le champ de la didactique au-delà de son « public-cible » tel qu’il était, au moins implicitement, construit : les élèves de langue « maternelle » du primaire, du collège et du lycée. Cette expansion a ainsi concerné, lors de cette dernière décennie : – les zones initiale (maternelle) et terminale (université)36 de l’appareil scolaire ; – le statut complexe de la situation linguistique de nombre d’apprenants (remettant en cause les frontières avec le français langue étrangère ou le français langue seconde)37 ; – les relations entre pratiques scolaires (orales, écrites…) et pratiques extrascolaires38 ; – l’enseignement du « français » dans des dispositifs périscolaires ou extrascolaires (en entreprise, pour des publics de bas niveau de qualification, dans des dispositifs de lutte contre l’illettrisme…) ; – la formation des maîtres… Au travers de cette expansion, on perçoit bien que les contours, voire que la notion même de discipline scolaire est interrogée, questionnant en retour la didactique en tant qu’elle se définit en relation avec des contenus disciplinaires. Mais, ici encore, le morcellement des recherches empêche de penser ce que leur juxtaposition interroge et qui concerne, outre la manière dont les recherches en didactique construisent la discipline scolaire, d’autres problèmes non négligeables tels : – la définition d’une « activité de français » (i.e. Quand parle-t-on ? Quand effectue-t-on une activité de français ?) ; – la part accordée à la « forme scolaire » dans la spécification de la didactique (i.e. jusqu’où peut-on parler de didactique extrascolaire ou professionnelle ?) ;

35. C’est-à-dire initiale et nécessaire pour « entrer » dans nombre d’autres disciplines. 36. Voir, par exemple, D.G. Brassart, éd., 2000, Enjeux (2002 a et 2002 b), Lidil (1998), Lidil (2001), Spirale (2002)… 37. Le changement de sigle (en 2003) de l’Association Internationale pour le Développement de la Recherche en Didactique du Français Langue Maternelle (AIDR-DFLM) en Association Internationale pour la Recherche en Didactique du Français (AIRDF) constitue un indicateur non négligeable de ce déplacement. De fait, la question du français langue seconde avec les élèves issus de l’immigration est abordée frontalement dès 1997 dans l’ouvrage de D. Boyzon-Fradet & J.-L. Chiss. 38. Voir, notamment M.-C. Penloup, 1999 et Repères (2001).

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types de textes, d’oblitérer les spécificités langagières qui constituent justement la qualification disciplinaire.

Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition



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Je dois avouer que, pour moi, ces questions demeurent ouvertes, même si, sur le dernier point soulevé, j’avancerais volontiers que le fait d’envisager les pratiques des élèves (et non des enfants, par exemple) et de constituer l’investigation au travers d’une partition de l’espace social entre espaces scolaire et extrascolaire me paraît spécifique du regard didactique.

3 Les relations entre didactique et discipline scolaire Les problèmes de construction de la discipline au travers des recherches en didactique sont, dans une perspective complémentaire, indissociablement liés aux modes de relation qu’elles entretiennent avec la discipline scolaire. Ces modes de relation peuvent peut-être s’appréhender en distinguant trois pôles de référence39. Le premier pôle serait celui de l’abstention. La recherche en didactique revendique son altérité en se voulant absolument étrangère à la discipline scolaire et à sa mise en œuvre. Elle tient alors une posture descriptive et/ou explicative en s’attachant à éviter tout jugement de valeur et/ou toute proposition. Cette posture, qui revendique le clivage entre les recherches et pratiques scolaires et vise à positionner ainsi la didactique du côté des recherches « fondamentales » et des représentations classiques de la scientificité, s’expose à mon sens à trois écueils : celui qui consiste à ne pas s’interroger suffisamment sur la pertinence sociale et les spécificités des didactiques, celui d’une relation « soumise » aux évolutions de la discipline scolaire qu’elle se condamne à suivre incessamment, celui d’une validation, même à son corps défendant, de certains de ses fonctionnements. Tel me semble être le cas des recherches qui, analysant les performances des élèves face à tel exercice, leur attribue – de manière substantielle – la responsabilité unique des difficultés sans s’interroger sur la validité didactique de ce qui leur a été proposé40. Le pôle opposé serait celui de l’intervention. Dans ce cadre, la recherche en didactique revendique un rôle constituant par rapport à la discipline scolaire et à sa mise en œuvre. Elle se livre alors soit à un travail de critique, plus ou moins systématique, soit à un travail d’opérationnalisation, tendant parfois à la prescription. Cette posture n’est pas non plus sans risque : du militantisme à la confusion entre didactique et ingénierie, la didactique est souvent réduite

39. Je reprends ici, en les modifiant quelque peu, mes propositions précédentes (cf. notre partie H). 40. Je pense ici à nombre de recherches portant sur les rapports aux savoirs ou au langage.

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– la spécificité des objets et/ou de la perspective didactique et en fin de compte des recherches en didactique (i.e. en quoi des recherches sur les pratiques extrascolaires des élèves appartiennent au champ de la didactique ?)…

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

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Il existe à mon sens un troisième pôle possible, tentant de concilier le nécessaire clivage entre recherches et pratiques disciplinaires tout en évitant les écueils mentionnés. Il s’agit, de la recherche « impliquée41 » inscrivant les pratiques scolaires comme « horizon praxéologique » (Y. Reuter, 1992). Dans cette perspective, l’analyse des fonctionnements disciplinaires et des problèmes qu’ils suscitent constitue, en grande partie, la référence initiale de recherches qui inscrivent comme principe constitutif de la production des connaissances leur possible contribution à des transformations mélioratives. Cela implique conséquemment de ne se priver ni de la déconstruction critique des contenus et des exercices, ni de la construction de contenus et d’exercices alternatifs, sous réserve de trois conditions : l’étayage théoricoempirique de ce travail, l’évaluation des propositions afin de spécifier leurs intérêts et leurs limites, leur présentation en tant que contribution à une ouverture des possibles42. En tout état de cause, il me semble que la tension entre abstention et intervention structure les didactiques et participe donc de leur spécificité. Il serait cependant illusoire de sous-estimer le poids des mécanismes institutionnels qui compliquent la position de ce problème et pèsent sur ses modes de résolution. Je pense par exemple au fait que nombre d’acteurs peuvent tenir, synchroniquement, des places et des rôles différents dans les espaces sociaux concernés (enseignant/formateur/chercheur/expert/prescripteur/auteur de manuels…) sans bien spécifier les différences que cela implique, sans bien les rendre visibles non plus. Il me paraît en tout cas difficile de ne pas thématiser la question de la relation à la discipline dans le cadre d’une réflexion épistémologique sur la didactique.

4 Les pôles des recherches en didactique Les tensions ou les incertitudes évoquées précédemment peuvent encore se lire au travers de certains déplacements dans les pôles privilégiés par les recherches ou, du moins, des manières dont ils sont présentés. Ainsi, pour n’en prendre qu’un seul exemple, il est de plus en plus fréquent d’entendre affirmer qu’il serait souhaitable de développer des recherches sur le travail enseignant, la part du maître, dans la mesure où ce pôle aurait fait l’objet de moins d’investigations en didactique du français que ceux des savoirs et des apprenants43. Au-delà des débats sur les fondements de cette assertion, cela me paraît soulever trois problèmes importants. 41. Je reprends ce terme à J.-F. Halté, sans qu’il y ait, néanmoins, de recouvrement intégral. 42. Et non comme solution à appliquer… 43. Ce que j’écrivais d’ailleurs dans ma synthèse de 1994.

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au rôle d’intermédiaire entre des convictions, des théories de référence ou des demandes institutionnelles et les pratiques de terrain.



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Peut-on sous-entendre que les recherches sur les savoirs sont suffisamment développées ? Surtout si l’on pense que le prisme disciplinaire caractérise la didactique et si, on a en tête la question de la modélisation didactique (cf. I.2), c’est-à-dire de la construction de modèles de savoirs et de savoir-faire spécifiques à la didactique. Peut-on soutenir que les recherches sur les apprenants sont suffisamment développées ? Surtout si l’on tient compte de l’horizon praxéologique (cf. I.3) de la didactique et de questions aussi importantes que celles des modes d’apprentissage, des dysfonctionnements, des obstacles, voire de ce qui caractériserait une analyse proprement didactique des performances des élèves et de leurs évolutions. Peut-on enfin penser, sans risquer de réduire la spécificité didactique, que les recherches peuvent s’effectuer sur ces différents pôles, séparément ? Et non que la didactique se caractériserait justement dans les modalités de leur articulation (qui restent d’ailleurs à définir). En d’autres termes, il me semble que se joue en partie ici rien moins que la question de la spécificité des recherches en didactique, de ce qui fait qu’elles sont différentes des recherches menées dans d’autres disciplines. Je ne voudrais pas conclure ici, abruptement, sans signaler les limites de cette nouvelle synthèse. Ainsi, bien d’autres questions auraient pu être soulevées telles celles de la didactique comparée et du travail d’élaboration conceptuelle qui lui est attaché avec, par exemple, le sentiment que, paradoxalement, les relations entre didactiques demeurent peu pensées44 ou que certaines notions fonctionnent plus comme des emblèmes que comme des concepts qui nécessitent une réflexion critique constante45. D’un autre point de vue encore, si l’on admet que le développement d’une discipline est tributaire tout à la fois du développement de ses recherches, des débats du champ et de la réflexion épistémologique qui s’en empare, on peut penser que la didactique du français est bien vivante entre les Journées de Saint-Cloud qui constituent le fondement de la première édition de cet ouvrage, le colloque de Poitiers consacré aux questions épistémologiques (M. Marquilló, éd., 2001) et le colloque de l’AIRDF tenu en août 2004 à Québec autour du statut et de l’unité de la discipline français.

44. Voir, sur ce point, le numéro 141 de la Revue française de pédagogie (2002) et la faible part qu’il consacre à ce problème et à celui des pratiques langagières dans les différentes disciplines. 45. Par exemple celle de contrat didactique qui spécifie sans doute insuffisamment ce qui est de l’ordre de la « forme scolaire » (G. Vincent, éd., 1994), de l’ordre du mode de travail pédagogique et de l’ordre du didactique.

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Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition

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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

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Références bibliographiques



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Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

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Cette bibliographie recense des ouvrages et revues qui constituent le fonds commun de la didactique du français en particulier dans le domaine de la langue maternelle. Elle complète, dans un souci de large initiation, les bibliographies spécifiques qui suivent certaines contributions.

A



Banques de données INRP1 ÉMILE 1 : Éducation et formation. ÉMILE 2 : Recherches, équipes, chercheurs en éducation et formation. DAF : Recherches et publications en Didactique et acquisition du français langue maternelle depuis 1970. EMMANUELLE : Les manuels scolaires en France de 1789 à nos jours. EMMANUELLE 5 : Manuels scolaires français (bibliographie).

B



Actes de colloques de l’association AIRDF (ou anciennement AIRDFLM)2 PETITJEAN André & ROMIAN Hélène (éds) (1986), Recherches actuelles sur l’enseignement du français, Actes du colloque de Sèvres de 1983, Bruxelles, De Boeck-Duculot. CHISS Jean-Louis, LAURENT Jean-Paul, MEYER Jean-Claude, ROMIAN Hélène & SCHNEUWLY Bernard (éds) (1987), Apprendre/enseigner à produire des textes écrits, Actes du 3e colloque international de didactique du français de Namur, septembre 1986, Bruxelles, De Boeck-Wesmael. SCHNEUWLY Bernard (éd.) (1990), La Diversification dans l’enseignement du français écrit, Actes du 4e colloque international de didactique du français langue maternelle de Genève, septembre 1989, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé. LEBRUN Monique & PARET Marie-Christine (éds) (1993), L’Hétérogénéité des apprenants. Un défi pour la classe de français. Actes du 5e colloque international de didactique du français langue maternelle de Montréal, mai 1992, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé. BOUCHARD Robert & MEYER Jean-Claude (éds) (1996), Les Métalangages de la classe de français, Actes du 6e colloque international de la DFLM, Lyon, septembre 1995, DFLM et Université L. Lumière – Lyon II.

1. 2.

Accessibles sur le Web : http ://www.inrp.fr/bdd/accueil.htm. Par ordre chronologique.

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Bibliographie générale



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

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LEGROS Georges, POLLET Marie-Christine & ROSIER Jean-Maurice (éds) (1999), DFLM : quels savoirs pour quelles valeurs ?, Actes du 7e colloque international de la DFLM de Bruxelles, septembre 1998, Bruxelles, De Boeck. DOLZ Joaquim & MEYER Jean-Claude (éds) (1998), Activités métalangagières et enseignement du français. Actes des journées d’études en didactique du français de Cartigny, 28 février – 1er mars 1997, Bern, Peter Lang. MARQUILLÓ LARRUY Martine (éd.) (2001), Questions d’épistémologie en didactique du français (langue maternelle, langue seconde, langue étrangère), Actes des journées d’études DFLM de Poitiers, 20-22 janvier 2000, Poitiers, Les Cahiers FORELL – Université de Poitiers. DOLZ Joaquim, SCHNEUWLY Bernard, THÉVENAZ-CHRISTEN Thérèse & WIRTHNER Martine (éds) (2002), Les Tâches et leurs entours en classe de français. Actes du 8e colloque international de la DFLM de Neuchâtel, 26-28 septembre 2001. Cédérom.

C



Actes des autres colloques en didactique du français3 AEBY Sandrine, DE PIETRO Jean-François & WIRTHNER Martine (éds) (2000), Français 2000, L’enseignement du français en Suisse romande : un état des lieux et des questions (dossier préparatoire). Neuchâtel : IRDP. BARRÉ-DE MINIAC Christine (éd.) (2003). « La littéracie : vers de nouvelles pistes de recherche didactique ». Actes du colloque « La Littéracie : le rôle de l’école », Grenoble, octobre 2002, LIDIL, n° 27. BARRÉ-DE MINIAC Christine, BRISSAUD Catherine & RISPAIL Marielle (éds) (2004), La Littéracie. Conceptions théoriques et pratiques d’enseignement de la lecture-écriture. Actes du colloque, « La Littéracie : le rôle de l’école », Grenoble, octobre 2002, Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces discursifs ». BOISSINOT Alain (éd.) (2001), Perspectives actuelles de l’enseignement du français, Actes du séminaire national de la Sorbonne (Paris) d’octobre 2000, CRDP de l’académie de Versailles. BRASSART Dominique-Guy, GARClA-DEBANC Claudine, HALTÉ Jean-François, LEBRUN Monique, PETITJEAN André, LEGROS Georges & ROPÉ Françoise (1990), Perspectives didactiques en français, Actes du colloque de Cerisy de 1989, Metz, Centre d’analyse syntaxique de l’université de Metz. BUCHETON Dominique & CHABANNE Jean-Charles (éds) (1997), « Pratiques enseignantes / activités des élèves dans la classe de français. Actes des journées d’études de Montpellier », 23-25 octobre 1997. La Lettre de la DFLM, n° 21-2. CALAQUE Elizabeth & DAVID Jacques (éds) (2004), Didactique du lexique : contextes, démarches, supports. Actes du colloque international de Grenoble, mars 2003, Bruxelles, De Boeck Université. CANVAT Karl (éd.) (2001), « Recherches en didactique de la littérature ». Actes des journées d’études de Namur, 22-23 mars 2000, Enjeux, n° 51-52. COLLÈS Luc, DUFAYS Jean-Louis, FABRY Geneviève & MAEDER Costantino (éds) (2001), Didactique des langues romanes. Le développement de compé-

3.

Par ordre alphabétique.

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tences chez l’apprenant. Actes du colloque international de Louvain-la Neuve, janvier 2000, Bruxelles, De Boeck-Duculot, coll. « Savoirs en pratique ». DEFAYS Jean-Marc, DELCOMINETTE Bernadette, DUMORTIER Jean-Louis & LOUIS Vincent (éds) (2003), Didactique du français. Actes du colloque international de mai 2002, Cortil-Wodon (B), Éditions Modulaires Européennes. DUFAYS Jean-Louis, GEMENNE Louis & LEDUR Dominique (éds) (1996), Pour une lecture littéraire, tomes 1 et 2, Actes du colloque « La lecture littéraire en classe de français : quelles didactiques, pour quels apprentissages ? », Louvain-la-Neuve, 3-5 mai 1995, Bruxelles, Duculot-De Boeck & Larcier. FRAISSE Emmanuel & HOUDART-MEROT Violaine (éds) (2004), Les Enseignants et la littérature : la transmission en question. Actes du colloque de l’université de Cergy-Pontoise, novembre 2002, SCEREN-CRDP de Créteil – Université de Cergy-Pontoise. GAUDIN Josiane & LUREAU Serge (éds) (1999), « Lecteurs, littératures, enseignement. Actes du 11e congrès de l’AFEF à Nantes, mai 1998, Le Français aujourd’hui, hors série. HALTÉ Jean-François & PETITJEAN André (éds) (1982), Pour un nouvel enseignement du français. Actes du colloque de Cerisy de 1979, Bruxelles-Paris-Gembloux, De Boeck-Duculot. HALTÉ Jean-François, PETITJEAN André & PLANE Sylvie (éds) (2002), « L’écriture et son apprentissage ». Actes du colloque international de l’INRP à Paris, mars 2002, Pratiques, n° 115-116. HUYNH Jeanne-Antide & LUREAU Serge (éds) (2003), « Enseigner la langue de l’école au lycée », Actes du 12e congrès de l’AFEF à Besançon, mai 2002, Le Français aujourd’hui, n° 141. JAUBERT Martine, REBIÈRE Maryse, BERNIÉ Jean-Paul (éds) (2003), Construction des connaissances et langage dans les disciplines d’enseignement, Cédérom des Actes du colloque pluridisciplinaire international, IUFM d’Aquitaine & Université Victor Segalen, Bordeaux II, 3-5 avril 2003. LOUICHON Brigitte & ROGER Jérôme (éds) (2003), « L’Auteur entre biographie et mythomanie ». Actes du colloque de Bordeaux, mars 2002, Modernités, n° 18. PETITJEAN André & PRIVAT Jean-Marie (éds) (1999), Histoire de l’enseignement du français et textes officiels. Actes du colloque de Metz, décembre 1997, Université de Metz – Centre de recherche de didactique du français. PLANE Sylvie (éd.) (1999), « Manuels et enseignement du français ». Actes du colloque de l’IUFM de Caen-Saint Lô, 24-26 octobre 1996, Caen, CRDP de Basse-Normandie. PLANE Sylvie (éd.) (2002-2003), « L’écriture et son apprentissage à l’école élémentaire ». Actes du colloque international de l’INRP à Paris, mars 2002, Repères, n° 26-27. POLLET Marie-Christine & BOCH Françoise Karl (éds) (2002), « L’écrit dans l’enseignement supérieur ». Actes du colloque de Bruxelles, 23-25 janvier 2002, Enjeux, n° 53 (vol. I), n° 54 (vol II). REUTER Yves (éd.) (1994), Les Interactions lecture-écriture. Actes du colloque Théodile-Crel à Lille, novembre 1993, Bern, Peter Lang. VARGAS Claude (éd.) (2004), Langue et étude de la langue. Actes du colloque d’Aix-Marseille, 5-7 juin 2003. Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence.

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Bibliographie générale



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DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Références de base

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ASTOLFI Jean-Pierre & DEVELAY Michel (1989), La Didactique des sciences, Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? ». BRONCKART Jean-Paul & CHISS Jean-Louis (2002), » Didactique, Didactique des disciplines, Didactique de la langue maternelle ». Encyclopaedia Universalis. BRONCKART Jean-Paul, GAGNÉ Gilles & ROPÉ Françoise (éds) (1991), « État de la recherche en didactique du français langue maternelle », Études de linguistique appliquée, n° 84. CHISS Jean-Louis & DABÈNE Michel (éds) (1992), « Recherches en didactique du français et formation des enseignants », Études de linguistique appliquée, n° 87. CHISS Jean-Louis & MARCHAND Franck (éds) (1985), « Didactique du français langue maternelle : théories, pratiques, histoire », Études de linguistique appliquée, n° 59. CHISS Jean-Louis & MULLER Maurice (1993), Recherches en didactique de la langue et des discours, Paris, INRP. DABÈNE Michel & DUCANCEL Gilbert (éds) (1997), « Pratiques langagières et enseignement du français à l’école », Repères, n° 15. GAGNÉ Gilles, LAZURE Roger, SPRENGER CHAROLLES Liliane & ROPÉ Françoise, (1989) Recherches en didactique et acquisition du français langue maternelle (1970-1984). Bruxelles, De Boeck-Wesmael, Paris, Éd. Universitaires, INRP, Montréal, Université de Montréal, PPMF. Tome I : Cadre conceptuel, thésaurus et lexique des mots-clés. Tome II : Répertoire bibliographique. GAGNÉ Gilles, LAZURE Roger, SPRENGER CHAROLLES Liliane & ROPÉ Françoise, Recherches en didactique et acquisition du français langue maternelle (1990). Mise à jour I (1984-1988), Montréal, Services documentaires multimédia. GAGNÉ Gilles, LAZURE Roger, PASTIAUX-THIRIAT Georgette & SPRENGER CHAROLLES Liliane, Recherches en didactique et acquisition du français langue maternelle (1991). Mise à jour II, Montréal, Services documentaires multimédia. GAGNÉ Gilles, LAZURE Roger & PASTIAUX-THIRIAT Georgette, Recherches en didactique et acquisition du français langue maternelle (1993). Mise à jour III, Montréal, Services documentaires multimédia. GALISSON Robert & ROULET Eddy (éds) (1989) « Vers une didactique du français ? », Langue française, n° 82. GAUDREAULT Monique-N. (éd.) (1997), Didactique de la littérature. Bilan et perspectives. Québec, Nuit blanche éditeur. HALTÉ Jean-François (1992), La Didactique du français, Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? ». HALTÉ Jean-François (éd.) (1993), Inter-actions. L’interaction, actualités de la recherche et enjeux didactiques, Metz, Université de Metz, Coll. « Didactique des textes ». HUYNH Jeanne-Antide & PECHEYRAN Isabelle (éds) (1995), « Didactique du français : langue et textes », Le Français aujourd’hui, n° 109. JAFFRÉ Jean-Pierre (1992), Didactiques de l’orthographe, Paris, INRP – Hachette Éducation.

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MAURER Bruno (2001), Une Didactique de l’oral. Du primaire au lycée, Paris, Bertrand Lacoste. MELEUC Serge & FAUCHART Nicole (1999), Didactique de la conjugaison. Le verbe autrement, Paris, Toulouse, Bertrand Lacoste – CRDP Midi-Pyrénées. PASTIAUX-THIRIAT Georgette (1990), Recherches en didactique des textes et documents, Paris, INRP. PETITJEAN André (éd.) (1998), « La transposition didactique en français », Pratiques, n° 71. PICOCHE Jacqueline (1993), Didactique du vocabulaire français, Paris, Nathan Université. ROPÉ Françoise (1990), Enseigner le français. Didactique de la langue maternelle, Paris, Éd. Universitaires. ROPÉ Françoise (1991), Recherches en didactique du français – Tendances générales, Paris, INRP. ROSIER Jean-Maurice (2002), La Didactique du français, Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? ». ROUXEL Annie, LANGLADE Gérard & FOURTANIER Marie-José (éds) (2001), Recherches en didactique de la littérature, Rennes, Presses universitaires de Rennes. SIMARD Claude (1997), Éléments de didactique du français, langue première, Bruxelles, De Boeck Université. TOCHON François Victor (1990), Didactique du français. De la planification à ses organisateurs cognitifs, Paris, ESF.

E



Revues ENJEUX, revue publiée par le CEDOCEF, Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix – 61, rue de Bruxelles – B 5000 NAMUR. LA LETTRE DE LA DLFM, revue publiée par la DFLM puis l’AIRDF – Université de Lille 3 – UFR de Sciences de l’éducation – BP 149 – F 59653 VILLENNEUVE D’ASCQ. LE FRANÇAIS AUJOURD’HUI, revue de l’AFEF – 19, rue des Martyrs – F 75009 Paris, publiée par Armand Colin & Larousse – 21, rue du Montparnasse – F 75006 Paris. LES CAHIERS THEODILE, revue publiée par l’équipe Théodile (Théorie – Didactique de la lecture-écriture) – Université Charles de Gaulle – Lille 3, UFR de Sciences de l’éducation – BP 149 – F 59653 VILLENNEUVE D’ASCQ LIDIL, revue publiée par le LIDILEM – Presses universitaires de Grenoble – BP 47 – F 38040 Grenoble Cedex. PRATIQUES, revue publiée par le CRESEF – 8, rue du Patural – F 57000 Metz. RECHERCHES, revue publiée par l’ARDPF – Centre IUFM de Lille – 58 rue de Londres – BP 87 – F 59006 LILLE CEDEX REPÈRES, revue publiée par l’INRP – Place du Pentacle – BP 17 – F 69195 SAINT-FONS CEDEX. TRANEL, revue publiée par l’Institut de linguistique de l’Université de Neuchâtel – Faculté des lettres et sciences humaines – Espace Louis Agassiz 1 – CH 2000 NEUCHATEL

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Bibliographie générale



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

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Voir aussi : Babylonia, Cahiers Robinson, Études de linguistique appliquée, Français 2000, Langage & Pratiques, Langue française, Le français dans le monde, Lettres ouvertes, Les Cahiers du français contemporain, Les Cahiers pédagogiques, Littérature, Québec français, Poétique, Raison éducative, Reue française de linguistique appliquée, Spirale…

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A

Acteur (chercheur, formateur, enseignant) : 24, 25, 27, 35, 36, 51, 63-65, 70, 74, 82, 83, 85, 87, 108, 121, 122, 126, 128, 134, 135, 139, 145-147, 149, 173, 175, 193, 198, 199, 201, 203, 206-209, 214, 216, 218, 219, 230, 232 Apprenant (élève) : 27, 28, 38, 42, 45, 50, 51, 54, 57, 64, 65, 67, 68, 74, 80, 104, 106, 119, 124, 125, 131, 133, 144-146, 153159, 161, 170, 173, 174, 176, 197, 198, 200, 202, 204-206, 221 Apprentissage : 23, 28, 29, 40, 44, 53, 56, 61-70, 74, 77, 79-81, 89, 90, 92-94, 96, 99, 103-106, 108, 116, 118, 123, 126, 127, 131, 134-136, 138, 140, 143-146, 149, 152, 159, 161, 163, 164, 171, 172, 174-176, 181, 184-187, 190, 191, 203205, 212, 213, 218, 226, 231-233 B Behaviorisme : 136, 138, 141, 144, 145 C Communication : 36, 53, 63-65, 67, 68, 70, 74, 80-84, 89, 92, 93, 117, 132, 143, 195, 196, 199, 202, 217, 227 Constructivisme : 64, 136-140, 144 Culture/acculturation : 27, 38, 39, 42, 43, 49, 51, 58, 81-83, 87, 109, 115, 119, 120, 122, 124-126, 128-131, 152, 160, 174176, 182, 197, 202, 217, 219 D Déclaratif/procédural : 100, 104-109 Développement : 16, 19, 21, 25, 35, 38, 39, 43, 52, 55, 57, 59, 68, 77, 80, 82, 89, 99, 100, 105, 106, 109, 111, 112, 115, 118, 126, 135-144, 146, 147, 153, 169, 197, 198, 201-203, 205, 212, 219, 225, 228, 231, 232

Didactique des langues : 13, 15, 17-20, 23, 29, 30, 37, 92, 147, 170, 171, 177, 178, 191 Didactique générale : 21, 71-73, 203, 212, 221 Discipline français : 216, 217, 227, 231 E Écrit (acculturation, acquisition) : 17, 21, 26, 27, 30, 39, 43, 47, 52, 57, 77, 80-83, 92, 99, 103, 104, 116, 124, 130, 144, 155, 157, 160, 163, 166, 174, 176, 179, 181, 182, 185-188, 190, 191, 198, 200, 202, 203, 218, 219, 232, 233 Écriture/rédaction : 42, 44, 45, 51, 53, 54, 80, 82-84, 93, 94, 103, 116, 130, 131, 151, 152, 154-159, 161-164, 176, 182, 186188, 190, 191, 194, 196, 198, 199, 203, 205, 211, 215-218, 224, 226, 232-234 Édition, publication : 15, 18, 23, 26, 55, 71, 124, 149, 180, 182, 184, 190-192, 224, 231 Enseignement : 16, 18-25, 27-30, 35-45, 4857, 59, 62, 65, 67, 69-71, 74, 75, 77, 7982, 86, 87, 89, 90, 92, 93, 97, 99, 103, 106, 108, 109, 115, 118-121, 123, 124, 132, 135, 136, 144-146, 151, 157, 161, 164, 170-175, 177-180, 182, 183, 185, 188-191, 195, 196, 199, 200, 202, 203, 205, 206, 212, 213, 218, 219, 221, 225, 227, 228, 232-234 Ethnologie : 83, 119, 122, 123, 126, 129, 218, 219 F Formalisation : 24, 69, 217, 226, 227 Formation : 17, 21, 24, 25, 27, 29, 30, 39, 40, 45, 50, 68, 70, 71, 86, 90, 93, 102, 112, 118, 137, 148, 171, 176, 177, 179, 180, 183, 184, 188, 189, 194, 195, 198, 202, 207-209, 217, 224, 228, 232, 233

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Index thématique



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

G Grammaire : 23, 36, 54, 59, 66, 86, 88, 9194, 113, 116, 140, 146, 152, 173, 187191, 194, 196, 204, 217, 227 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 194.57.104.102 - 24/07/2020 14:48 - © De Boeck Supérieur

H Histoire, épistémologie : 16, 17, 24, 29, 30, 35, 36, 38, 39, 41, 44, 45, 47, 48, 58, 62, 66, 67, 69, 71, 80, 85, 86, 93, 124, 127129, 132, 135, 142, 149, 155, 158, 164, 179, 181, 184, 194, 199, 200, 205, 206, 211, 212, 215-218, 221, 224, 233 I Institution (lieu, cadre, instance) : 18, 23, 49, 52, 63, 67, 123, 128, 172, 175, 184 Interaction : 13, 62-65, 67-69, 72, 74, 80, 82, 83, 107, 138, 140, 142, 147, 174, 201, 203, 206-208, 219, 220, 222 Interactionnisme (social) : 136, 141-145, 147 L Langage (acquisition, activité, pratique) : 21, 25, 28, 39, 40, 43, 44, 55, 57, 64-67, 74, 79, 81-85, 87, 92, 94, 113, 115-118, 120, 128, 137, 140-146, 148, 180, 182, 192, 195, 197, 198, 200-204, 208, 220, 229 Langage (sciences du) : 13, 20-22, 25, 27, 50, 72, 77, 81, 82, 84, 86, 92, 183, 189 Langue étrangère : 13, 15, 16, 17, 18, 22, 27, 29, 30, 35, 169, 170, 172, 177, 178, 228 Langue maternelle : 15-17, 19, 21-23, 27, 29, 30, 35-37, 43, 47, 49, 51, 59, 77, 79, 83, 93, 95, 103, 104, 149, 169, 170-173, 175, 177-179, 193, 200, 201, 211, 232, 233 Langue seconde : 15, 27, 28, 35, 169, 171, 172, 177, 228 Lecture (acquisition, pratique de) : 23, 37-39, 42, 44, 45, 54, 58, 77, 81, 84, 88, 94, 99, 103, 104, 117-127, 129-134, 144, 156, 164, 176, 181, 182, 184-188, 190, 196, 198, 199, 203, 205, 215, 217, 218, 224, 226, 232, 233 Linguistique : 19-22, 23, 26-30, 35-38, 53, 54, 56, 58, 73, 79, 81, 82, 84, 86, 88-90, 92-94, 115, 116, 128, 175, 177, 178, 180, 182-184, 187, 189, 190, 192, 202, 205, 206, 209, 215, 216, 225, 227, 228, 232 Linguistique appliquée : 19, 20, 23, 26, 29,

30, 56, 58, 79, 93, 177, 178, 182, 215, 232 Littérature : 13, 27, 35-41, 43-45, 53, 63, 69, 70, 85, 119-122, 127, 128, 130, 131, 184, 186, 189, 191, 194, 195, 203, 205, 215, 217, 218, 225-227, 232, 234 M Métalangage : 28, 66, 69, 113 Métalinguistique : 82, 84, 101, 198, 205, 232 Modèles (didactique, psychologique) : 13, 15, 16, 18, 46, 69, 83, 85, 87, 91, 98, 99, 101, 102, 109-112, 133, 138, 139, 143, 156, 159, 160, 162, 181, 182, 185, 189, 198, 199, 202, 204, 209, 215, 222, 226, 231 N Norme (linguistique, culturelle) : 36, 40, 88, 175 O Officiel (texte, discours, orientation) : 154, 155, 161, 172, 184 Oral (corpus, pratiques d’) : 23, 61, 83, 87, 99, 104, 163, 174, 180, 191, 200, 203, 232 Outil, manuel : 48, 50, 83, 93, 120, 128, 156 P Pédagogie : 19, 20, 22, 30, 38, 58, 59, 64, 67-71, 74, 80, 92, 95, 96, 106, 107, 113, 115, 118, 120, 121, 123, 155, 173, 180, 181, 185, 199, 207, 212, 214, 220, 221, 233 Pratique culturelle, sociale : 55, 122-124, 130, 220 Psychologie : 19, 21, 23, 25, 43, 68, 77, 79, 81, 83, 95-98, 103, 113, 115, 117, 118, 136, 137, 141, 143, 144, 147, 148, 182, 183, 187, 189, 190, 192, 199, 205, 209, 216, 218, 219, 223, 224 R Recherche : 13, 15-25, 27, 28, 35, 38, 43, 50, 52, 54, 58, 59, 61, 66, 69, 73, 88, 92, 93, 97, 99, 109, 114, 122, 124, 130, 132, 147, 149, 157, 164, 171, 179-184, 189, 190, 194, 195, 202, 204, 208, 210, 214, 216, 218, 227, 229, 230, 232

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242

Index thématique

243

209, 216, 218, 219, 224 T Textualité : 163 Théorie didactique : 224 Transdisciplinaire (français) : 82, 217, 227 Transposition (didactique) : 13, 47, 48-51, 5359, 85, 97, 103, 116, 190, 191, 204, 216, 220, 232 Triangle didactique : 24, 74, 173, 198, 220 Type, genre de texte : 28, 39, 40, 52, 54, 6466, 87, 91, 95, 98, 100, 102, 105, 106, 111-113, 120, 121, 123, 127, 129, 154, 159, 174, 203, 206, 226 V Valeur (littéraire, culturelle) : 128 Variation (didactique, linguistique) : 88

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S Savoir, contenu d’enseignement : 38, 42, 44, 48-58, 63, 65, 70, 73-75, 80, 83, 85, 86, 89, 92, 99, 104, 108, 110, 116, 129, 130, 133, 141, 146, 176, 180, 194, 196, 197, 200, 201, 202, 205, 207, 213, 216, 219, 221, 226, 232, 233 Savoir-faire, compétence : 37, 49-52, 63, 69, 72, 74, 75, 79, 82, 87, 93, 95, 99, 100, 104, 105, 111, 113, 126, 133, 139, 151, 176, 187, 191, 205, 207, 212, 218, 226, 227, 231 Situation, pratique de classe : 17, 23, 24, 27, 28, 37, 48, 53, 65, 67, 81, 95, 97, 105, 106, 111, 124, 128, 129, 131, 146, 171, 173, 179, 196, 202-205, 208, 211, 221, 224, 228 Sociologie : 19, 67, 77, 79, 81, 83, 95, 117, 119, 120, 122, 123, 126, 129, 192, 199,



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Sommaire

5

Auteurs

7

Introduction Jean-Louis Chiss, Jacques David, Yves Reuter

9

Première partie DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : CONCEPTS, MODÈLES, FRONTIÈRES Chapitre 1

Quelques repères, perspectives et propositions pour une didactique du français dans tous ses états Michel Dabène

13 15

A ■ Histoires d’identités ?

17

B ■ Histoires de schémas et modèles

18

C ■ Spécificités et transversalités d’aujourd’hui

24

D ■ Quelques arguments et conditions pour une didactique du français

26

Références bibliographiques

29

Annexe

31

Chapitre 2

Quelle place pour la didactique de la littérature ? Georges Legros

35

A ■ Professeur de lettres ou enseignant de français ?

35

B ■ Savoirs ou savoir-faire ?

37

C ■ Littérature ou (types de) textes ?

39

D ■ Refonder l’objet : extension, spécificité, nécessité

41

E ■ Rendre sens au singulier défini

44

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Table des matières



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Chapitre 3

De l’utilité de la « transposition didactique » Bernard Schneuwly

47

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A ■ L’étonnant investissement affectif d’un concept

47

B ■ Petit (mal-)traité du concept

48

C ■ Les savoir-faire ou les pratiques sociales de référence : toujours des savoirs

50

D ■ Disciplines de référence et transposition descendante et ascendante : la DFLM comme prototype

53

E ■ Je transpose bien, tu transposes mal ou la transposition se fait derrière notre dos

55

F ■ L’enseignement comme condition nécessaire du développement

57

Références bibliographiques Chapitre 4

Interaction : une problématique à la frontière Jean-François Halté

58 61

A 1 2 3 4

■ Trois approches des interactions à fonction didactique L’importance du cadre communicationnel pour l’apprentissage L’interaction comme « activité même » de l’apprentissage dirigé L’objet du discours et l’histoire interactionnelle Les champs impliqués dans la recherche

61 63 63 66 66

B 1 2 3 4

■ Didactique et pédagogie La matrice disciplinaire du français La métadidactique et le travail ordinaire du didacticien Didactique générale ? Pour une didactique praxéologique

69 69 70 72 73

Deuxième partie DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET DISCIPLINES DE RÉFÉRENCE

77

Chapitre 5

79

Sciences du langage : le retour Jean-Louis Chiss

A ■ Penser l’état des lieux : applications et effets en retour

80

B ■ Deux questions pour la didactique du français

81

C ■ Traitement des contenus : le malentendu

84

D ■ De quelques avancées pour l’étude de la langue

87

Références bibliographiques

92

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246

Chapitre 6

Didactique du français langue maternelle : approche(s) « cognitiviste(s) » ? Dominique-Guy Brassart



247

95

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A ■ « Révolution cognitive » et didactique des disciplines

97

B ■ Connaissances déclaratives, connaissances procédurales

99

C ■ « À connaissances procédurales, didactique procédurale »

104

D ■ Didactique déclarative : la procéduralisation des connaissances déclaratives

107

E ■ De la pluralité des modèles de l’expertise et du développementapprentissage à une didactique cognitive différentielle ?

109

F ■ Conclusion

113

Références bibliographiques Chapitre 7

Socio-logiques des didactiques de la lecture Jean-Marie Privat

115 119

A ■ Lire, un devoir d’élève

119

B ■ Lire, un plaisir personnel

121

C ■ Lire, une pratique culturelle socialisée 1 Les apprentissages culturels 2 Les appropriations culturelles

123 126 128

Chapitre 8 A 1 2 3 4

Développement, compétences et capacités d’action des élèves 135 Jean-Paul Bronckart

■ La problématique du développement psychologique Le behaviorisme Le constructivisme piagétien Le cognitivisme orthodoxe L’interactionnisme vygotskien

B ■ Bref retour à la didactique Références bibliographiques

136 136 137 139 141 144 147

Troisième partie DIDACTIQUE DU FRANÇAIS : HISTOIRE, INSTITUTIONS, ACTEURS

149

Chapitre 9

151

Variations historiques : l’exemple de la « rédaction » André Petitjean

A ■ 1923 1 La composition de phrases 2 La composition de textes

152 152 154

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Table des matières

B 1 2 3



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

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■ 1938 Les finalités de la rédaction Les représentations du scripteur La conception de l’écriture

161 161 162 163

Références bibliographiques

164

ANNEXE 1

164

ANNEXE 2

166

Chapitre 10 Langues maternelle, étrangère, seconde : une didactique unifiée ? Suzanne-G. Chartrand et Marie-Christine Paret

169

A ■ En quoi la DFLM est-elle une discipline autonome et spécifique ?

170

B ■ Conceptualiser les notions de FLM, de FLS et de FLÉ ou « dénaturaliser les évidences » 1 Français langue seconde et français langue étrangère 2 Français langue maternelle

172 172 173

C 1 2 3

■ Le « système didactique » du FLM et ceux du FLS et FLÉ Les savoirs à enseigner et enseignés dans la classe de français Le pôle enseignant ou la problématique de l’intervention didactique Le pôle élèves ou la problématique de « l’appropriation didactique »

173 174 175 176

D ■ Des rapprochements entre DFLM et DFLS ou DFLÉ sont nécessaires

177

Références bibliographiques

177

Chapitre 11 Positions actuelles et évolutions institutionnelles et éditoriales Jacques David

179

A ■ Les lieux de recherche

180

B ■ Les lieux de décision institutionnels

184

C ■ Les lieux de formation

188

D ■ Les lieux d’édition

190

Chapitre 12 Au carrefour des métiers d’enseignant, de formateur, de chercheur Dominique Bucheton

193

A 1 2 3 4

193 194 194 195 196

■ Un débat largement ouvert Un débat banal, inévitable en termes de places institutionnelles Un débat nécessaire sur les valeurs et les finalités de la DFLM Des questions épistémologiques La question du rôle des acteurs du champ

B ■ Postulats pour une DFLM centrée sur le sujet et son rapport au langage et aux textes

197

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248

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1 Premier postulat : l’ancrage social de l’action didactique et les choix nécessaires 2 Deuxième postulat : la DFLM traite du langage et donc du « sujet » 2.1 Prendre en compte l’hétérogénéité psycho-socio-culturelle des élèves pour permettre la construction du sens des savoirs 2.2 Penser dialectiquement la singularité ! 2.3 Penser les situations d’enseignement comme des situations d’échange, des situations de parole (ce qui est différent d’enseigner la communication) C 1 2 3

■ La situation didactique en français : complexité, spécificité Penser ensemble l’interaction de paramètres hétérogènes Bilan succinct Questions en chantier 3.1 De la nécessité de penser conjointement le développement, l’enseignement et l’apprentissage 3.2 L’interdépendance des savoirs et des savoir-faire 3.3 La question de l’identité de la discipline et de ses contours

D ■ De quelques questions polémiques 1 Le nécessaire dialogue entre les acteurs 2 Producteurs de savoirs, l’enseignant de terrain et le formateur le sont aussi, à leur manière 3 Le chercheur, à sa façon, est aussi dans l’intervention didactique 4 La question de la diffusion des savoirs



249

197 200 200 201 202 203 203 203 204 205 205 206 207 207 208 208 209

Synthèse Didactique du français : éléments de réflexion et de proposition Yves Reuter

211

A ■ La synthèse de 1994

211

B ■ Définir la didactique du français ?

212

C ■ La question des méthodes

213

D ■ Quant à l’histoire

215

E ■ À propos des objets et des pratiques

217

F ■ De quelques concepts

220

G ■ Les disciplines connexes

221

H ■ Les disciplines de référence

222

I 1 2 3 4

224 225 225 229 230

■ La didactique du français, 10 ans plus tard Tensions institutionnelles La définition de la discipline scolaire Les relations entre didactique et discipline scolaire Les pôles des recherches en didactique Références bibliographiques

232

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Table des matières

250



DIDACTIQUE DU FRANÇAIS

Bibliographie générale

235

A ■ Banques de données INRP

235

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C ■ Actes des autres colloques en didactique du français

236

D ■ Références de base

238

E ■ Revues

239

Index thématique

241

Table des matières

245

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B ■ Actes de colloques de l’association AIRDF (ou anciennement AIRDFLM) 235