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French Pages 357 [455] Year 1984
Correspondance generale d'Helvetius VOLUME II : 1757-1760 / LETTRES 250-464
Portrait d'Helvetius par Vanloo
Correspondance gdneral d'Helvdtius VOLUME II : 1757-1760 / LETTRES 250-464
Introduction, etablissement des textes et appareil critique par Alan Dainard, Jean Orsoni et David Smith, directeur de 1'edition, et Peter Allan, pour la preparation des lettres de Madame Helvetius
UNIVERSITY OF TORONTO PRESS Toronto and Buffalo
THE VOLTAIRE FOUNDATION Oxford
www.utppublishing.com © University of Toronto Press 1984 Toronto Buffalo London Printed in Canada ISBN 0-8020-5641-5 Published in Great Britain by the Voltaire Foundation Taylor Institution Oxford ox 1 3NA ISBN 0-7294-0251-7
Donnees de catalogage avant publication (Canada) Helvetius, C. A., 1715-1771. Correspondance generale d'Helvetius (University of Toronto romance series, ISSN 0082-5336; v. 51) Contenu: v. 1. 1737-1756, lettres 1-249 v. 2. 1757-1760, lettres 250-464. Comprend des references bibliographiques. ISBN 0-8020-5517-6 (v. 1) ISBN 0-8020-5641-5 (v. 2) 1. Helvetius, C. A., 1715-1771. 2. Philosophes - France - Correspondance. I. Dainard, Alan, 1930II. Orsoni, Jean. III. Smith, D. W. (David Warner), 1932IV. Allan, Peter, 1931V. Title. VI. Series. B2046.H44A4 1981
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C80-94481-X
Introduction
Ce deuxieme volume embrasse la periode de 1'affaire de L'Esprit. II debute par une lettre de Janvier 1757 ou 1'attentat de Damiens centre la personne de Louis xv est rapporte par Helvetius qui se met en devoir, au printemps de la meme annee, malgre le regain d'hostilite envers les idees nouvelles qu'a provoque cet evenement, de sender ses amis sur 1'opportunite de publier son livre en France. Les dernieres lettres du volume datent de la fin de 1760, epoque ou Helvetius, objet de la satire de Palissot sur la scene du Theatre-Francais, comme des louanges des journaux etrangers, songe a s'exiler hors de France. Dans 1'intervalle, De I'Esprit avait provoque un tolle general et sans exemple a la cour, au sein de 1'Eglise et parmi les autorites civiles, et avait connu un immense succes de scandale, ayant ete accuse de renfermer la quintessence des idees les plus dangereuses, et condamne comme athee, materialiste, sacrilege, immoral et subversif. Le privilege de 1'ouvrage avait ete revoque en vertu d'un arret du Conseil du roi. De leur cote, les autorites religieuses — archeveque de Paris, Assemblee du clerge, Faculte de theologie et Saint-Siege — avaient ete les plus acharnees a le poursuivre, et leur dechainement avait engendre nombre de censures et de condamnations. Quant au Parlement, soucieux de ne pas se laisser distancer dans la repression, il etait alle jusqu'a soutenir la these d'un complot, attribuant le livre a "une societe formee pour soutenir le materialisme, pour detruire la religion, pour inspirer 1'independance et nourrir la corruption des moeurs". Sur le plan litteraire, 1'interet de 1'affaire reside cependant moins dans la reaction extreme de 1'Eglise aux idees de 1'auteur que dans 1'interactibn complexe, tant de ses attaches personnelles et familiales que des forces politiques qui dirigeaient le royaume, les unes et les autres ayant converge ou s'etant opposees pour affecter sa fortune. Helvetius s'est en effet trouve mele a des conflits imprevus, souvent etrangers a 1'heterodoxie de son ceuvre, et qui n'ont pas toujours pour autant joue en sa defaveur : s'il a pu soustraire sa propre personne a la vindicte des hommes d'Eglise et autres soutiens de la religion, il 1'a du a 1'intervention de personnages puissants, tels Mme de Pompadour et Choiseul, qui avaient leurs raisons de le proteger, et non a la solidarite des autres philosophes. Bien que compatissant
INTRODUCTION
a sa detresse, ceux-ci etaient trop divises, tant sur les idees que sur les methodes d'action, pour pouvoir le soutenir efficacement. En outre, ils lui reprochaient d'avoir provoque, par sa hardiesse, des mesures repressives centre la liberte d'expression. L'existence d'un tel jeu de forces explique que le sort du livre et celui de son auteur aient defraye la chronique pendant pres d'un an. En effet, si les observateurs avises se doutaient bien que des influences s'exercaient en sous-main, le grand public n'etait pas en mesure de comprendre les nombreux paradoxes qui marquaient 1'affaire, et dont le sens devait parfois echapper a Helvetius lui-meme. On se demandait ainsi pourquoi Helvetius n'avait pas suivi 1'exemple de Montesquieu, qui avait public L'Esprit des lots a 1'etranger dix ans plus tot, et Ton soulignait avec surprise qu'il avait ignore les conseils que la plupart de ses amis lui avaient prodigues en ce sens, de meme que leurs mises en garde contre le risque d'affronter la censure officielle. Certains etaient egalement perplexes sur les raisons du censeur Tercier d'avoir approuve 1'ouvrage et sur les motifs des mesures prises a son encontre. Ses autres taches 1'avaient-elles trop absorbe pour qu'il put 1'examiner avec le soin voulu, et I'avait-il seulement lu? Ou sa bonne foi avait-elle etc surprise par quelque ruse ourdie par I'auteur et par leur ami commun Le Roy? Pourquoi avait-on demis le censeur de son poste de commis aux Affaires etrangeres, alors que sa faute avait etc d'avoir approuve un ouvrage qui, visiblement, n'avait nullement trait a la politique de son temps, comme a la diplomatic? Pourquoi, enfin, cette disgrace avait-elle etc justement 1'ceuvre des deux principaux protecteurs d'Helvetius? De multiples autres questions relatives a 1'affaire de L'Esprit se posent encore aujourd'hui. Le fait meme que I'auteur ait etc poursuivi reste etonnant, etant donne qu'il a pu, comme il etait previsible, faire valoir qu'il avait observe a la lettre tous les reglements de la Librairie. Et si 1'on pouvait sans doute faire grief au censeur de son approbation, celle-ci n'en paraissait pas moins assurer une immunite a Helvetius. Dans ces conditions, pourquoi les amis de ce dernier avaient-ils tenu a faire revoquer le privilege accorde a 1'ouvrage? D'autres questions du meme ordre peuvent etre evoquees. Etant donne qu'Helvetius avait desavoue par avance dans sa Preface toutes celles de ses idees que 1'on estimerait contraires au bien public, pourquoi les jesuites avaient-ils insiste pour qu'il reitere ce desaveu sous la forme d'une retractation formelle? Pourquoi, ayant juge celle-ci satisfaisante, en avaient-ils exige une seconde, qui ne differait de la premiere que par son caractere nettement plus humiliant? Et comment expliquer qu'une fois ces retractations rendues publiques, 1'animosite des ennemis d'Helvetius soit restee entiere, et surtout, celle des jesuites, dont les attaques avaient redouble, de telle sorte que I'auteur de L'Esprit avait pu s'estimer victime d'une machination? VI
INTRODUCTION
Par ailleurs, 1'observation que 1'offensive dirigee centre Helvetius est partie de Versailles, et 1'idee subsequente qu'il avait peut-etre irrite certains membres de la famille royale ou de la haute noblesse, offrent un vaste domaine a la speculation. A cet egard, 1'hostilite notoire du Dauphin aux idees nouvelles peut etre evoquee, mais on hesite quelque peu a croire que la reine, si devote fut-elle, s'etait vouee a la perte d'Helvetius. Liee d'une grande amitie avec le pere de ce dernier, qui avait ete son medecin personnel, elle etait particulierement attachee a sa veuve, et c'est a sa haute intervention qu'Helvetius avait du son poste de fermier general. On peut done se demander pourquoi Marie Leszczynska avait fait quitter a celui-ci sa charge de maitre d'hotel ordinaire de sa maison. Et Ton peut trouver non moins singuliere son absence d'initiative pour defendre Tercier, qui avait pourtant bien servi sa famille d'origine alors qu'il etait en poste en Pologne. Helvetius n'a-t-il done ete qu'un bouc emissaire? II est certain qu'aux yeux des apologistes catholiques, des parlementaires et des docteurs de la Sorbonne, son ouvrage representait les idees nouvelles les plus impies, et refletait une mentalite analogue a celle qui animait \'Encyclopedic. Mais autre chose est d'en conclure que 1'Eglise, a travers 1'ouvrage vulnerable qu'etait De I'Esprit, avait entendu s'attaquer de fagon decisive a YEncyclopedic, et a 1'irreligion en general. Et a supposer qu'il en ait ete ainsi, il resterait a expliquer pourquoi les philosophes, a 1'exception de Le Roy, se sont abstenus de prendre ouvertement la defense d'Helvetius. Etait-ce repudiation de sa philosophic, ou bien disapprobation de la publication de 1'ouvrage, jugee inopportune, ou encore adoption lucide d'une tactique d'abstention visant a ne pas fournir a la persecution des pretextes pour qu'elle puisse s'en prendre a la personne meme de 1'auteur? L'intervention du Parlement n'est pas non plus sans soulever de nombreuses questions. C'etaient sans doute les decisions de cette instance judiciaire qu'Helvetius craignait le plus pour sa securite personnelle, mais comme il a deja ete mentionne, aucun fondement legal ne se presentait pour justifier une condamnation de 1'auteur, lequel n'avait enfreint aucun reglement ni aucune ordonnance. En fait, on ne voit guere que la Librairie elle-meme qui aurait pu etre legitimement tenue pour responsable du privilege accorde, et c'est la un facteur qui contribuait a enfermer le Parlement dans un dilemme. S'il condamnait un livre revetu d'un privilege royal, n'allait-il pas s'exposer aux accusations d'empieter sur 1'autorite du chancelier, laquelle s'exerc,ait sur la Librairie, et surtout, de chercher a s'approprier la censure et de vouloir s'arroger un plus grand role politique? S'il condamnait 1'auteur, dont la moralite et la conduite etaient exemplaires, et qui comptait des appuis a la cour, au gouvernement et meme au Parlement, ne serait-il pas taxe de severite abusive? Et si le livre ou 1'auteur echappaient a toute sanction du Parlement, ne serait-ce pas ouvrir tout vii
INTRODUCTION
grand la porte a la diffusion d'autres ouvrages dangereux? II a incombe aux gens du roi de denouer cette situation delicate, et en premier lieu, a 1'avocat general Jean-Omer Joly de Fleury, dont 1'ascendant et les fortes convictions politiques et religieuses allaient s'exercer de facon decisive lors des deliberations du Parlement. Au demeurant, ce magistrat allait surtout avoir a faire preuve d'habilete pour eviter des confrontations, d'une part, entre le Parlement et le pouvoir royal, et d'autre part, au sein meme du Parlement, entre le parquet et les chambres reunies. Enfin, la position qu'a adoptee le roi dans 1'affaire de L'Esprit constitue peut-etre le domaine de reflexion le plus interessant. Des le debut, il lui a fallu tenir compte de deux ensembles de facteurs, a savoir des influences individuelles et des considerations purement politiques, dont presque toutes correspondaient a des interets distincts et souvent divergents, et appelaient des managements de sa part. Ainsi, Louis xv pouvait difficilement oublier les soins excellents qu'il avait rec,us du pere d'Helvetius qui avait retabli sa sante en le saignant au pied; ni les services de Tercier, qui assurait la fonction importante de principal attache a la correspondance secrete; ni meme ceux de Le Roy, organisateur diligent des chasses de Versailles, activite qui venait juste au second rang dans les plaisirs du souverain. Sollicite par les demandes et recommandations de son entourage immediat, Louis xv devait aussi determiner avec prudence celles qu'il retiendrait. Donnerait-il raison au Dauphin, dont le temperament s'accordait si mal avec le sien, ou a la reine, avec laquelle il n'avait pas plus d'affinites, mais dont 1'irritation etait d'autant plus vive que 1'ouvrage de son maitre d'hotel etait sorti des presses "de I'imprimeur de la Reine et de Monseigneur le Dauphin"? Ou bien le roi ecouterait-il plutot ses favoris, Choiseul et la marquise de Pompadour, engages dans la defense de 1'auteur, tout en souhaitant le congediement du censeur, qui faisait obstacle a leur politique etrangere? Le souverain devait aussi compter avec les differents pouvoirs qui s'exergaient dans son royaume : les autorites religieuses, qui deploraient sa conduite personnelle, et n'etaient pas toutes favorables au gallicanisme; le chancelier de Lamoignon et son fils, Malesherbes, qui reagissaient respectivement de fagon tres differente aux progres des Lumieres; et surtout, le Parlement, dont il avait toujours fallu contenir avec fermete les efforts pour gruger le pouvoir royal ou s'en affranchir. La presente edition a pour but, non pas 1'examen de ces nombreuses questions, mais la presentation de donnees documentaires pouvant permettre d'y apporter des reponses. Les lettres d'Helvetius, ecrites a la hate, souvent sous le coup de 1'emotion, et avec la certitude, lorsqu'il devait les confier a la poste, qu'elles seraient lues au Cabinet noir, sont souvent moins revelatrices que celles des autres protagonistes du debat dont son ouvrage a etc 1'objet : Bernis, Choiseul, Jean-Omer Joly de Fleury, Malesherbes, Saint-Florentin et Tercier. D'autres observateurs, comme Thieriot, Pierrevni
INTRODUCTION
Michel Hennin et le nonce apostolique, sont moins fiables, mais leurs commentaires presentent 1'interet d'avoir trait aux reactions et perceptions du public, et aux rumeurs qui y avaient cours. C'est pourquoi le present volume comporte un grand nombre de lettres echangees entre tiers. Certaines, comme celles de Bernis a 1'avocat general Joly de Fleury, et de Choiseul a Saint-Florentin, sont parmi les plus interessantes de la Correspondance d'Helvetius, en ce qu'elles eclairent le fonctionnement des rouages de 1'Ancien Regime. Les appendices contiennent des textes tres utiles, sinon indispensables, pour comprendre le deroulement des circonstances de 1'affaire — arrets, retractations, proces-verbaux, condamnations, relations, chansons, etc. Les principes de la presente edition, ainsi que les abreviations et sigles bibliographiques utilises, figurent dans le l er volume (pp. xv-xxiii et xxviixxix). La convention suivante est a ajouter auxdits principes : "Lorsqu'un element de date, ou un groupe d'elements de date, sont matieres a conjecture, un point d'interrogation suit cet element ou le dernier des elements de date vises (ex. : 20? mars 1758; 26 mai? 1759). La raison de 1'incertitude signalee fait 1'objet d'une note." Nous renouvelons les remerciements que nous avons exprimes precedemment (vol. I, p. xxv-xxvi). Nous desirons en outre marquer notre reconnaissance envers plusieurs personnes dont 1'aide nous a ete precieuse : Christine Appleton, Paul Bouissac, Nancy Fraser, Marie-Therese Inguenaud, David Ray nor, Roseann Runte, Francis Sparshott, Ava Weinberger et Francis Wozniak. Nous sommes egalement heureux de signaler nos obligations envers les bibliotheques et institutions suivantes : Accademia nazionale dei Lincei e Corsiniana (Rome), Archives du Vatican, Bibliotheque du ministere des Affaires etrangeres (Paris), Bibliotheek des Boekhandels (Amsterdam), Bibliotheque historique de la ville de Paris, Bibliotheque municipale de Besancon, Bibliotheque publique et universitaire (Geneve), Huntington Library (San Marino, Californie), Musee royal de Morlanwelz-Mariemont (Belgique), Royal Society of Edinburgh, Voltaire Foundation (Oxford) et Universite du Wisconsin. Enfin, nous tenons a remercier la comtesse d'Herouville de nous avoir autorises a publier deux lettres qui font partie de sa collection.
Cet ouvrage a ete public avec 1'aide d'une subvention accordee par la Federation canadienne des etudes humaines, organisme finance par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. II a egalement beneficie du concours du Publications Fund de 1'University of Toronto Press. IX
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Abreviations et sigles bibliographiques N.B. A moins Vindication contraire, Paris est le lieu d'edition des ouvrages indiques ci-apres.
Aff. etr. A.N. Andlau Argenson
Barbier Best. Best. D.
Bibl. mun. BK B.N. Le Bonheur, 1772
Le Bonheur, 1776 Brit. Libr. Caussy Colle
Archives du ministere des Affaires etrangeres. Archives nationales. B. d'Andlau, Helvetius, seigneur deVore, 1939R. L. de V., marquis d'Argenson, Journal et memoires, 1859-1867, 9 vol. E. J. F. Barbier, Journal historique et anecdotique du regne de Louis XV, ed. Villegille, 1847-1856, 4 vol. Voltaire's Correspondence, ed. Besterman, Geneve,
1953-1965, 107vol.
Les (Euvres completes de Voltaire, Geneve, Toronto, Thorpe Mandeville & Oxford, 1968—. Les lettres tirees de la correspondance de Voltaire, qui forme les volumes 85 a 132, sont indiquees par simple adjonction a la mention "Best. D." du numero qu'elles portent dans cette edition. Pour les oeuvres de Voltaire, le numero du volume et celui de la page sont fournis. Bibliotheque municipale. Copie preparee par Beaumarchais pour 1'edition dite de Kehl des (Euvres de Voltaire et qui se trouve a 1'Institut Voltaire a Geneve. Bibliotheque nationale. Edition originale du Bonbeur, Londres, 1772, cxx + 116 p., 8°, titre en noir et rouge. Le Bonheur, Londres, 1776, 184 p. British Library, Londres. F. Caussy, "Lettres inedites de Thieriot a Voltaire", R.H.L.F., xv (1908), pp. 131-161, 340-35 let 705-721; xvi (1909), p. 160-180. Ch. Colle, Journal et memoires..., ed. Bonhomme, 1868, 3 vol.
ABREVIATIONS ET SIGLES BIBLIOGRAPHIQUES
Corr. litt.
C.P. Gumming De I'Esprit Desne
Gebelin Guillois Guillois, Salon Institut Jusselin Keim Kehl Leigh Luynes
M.C.
Moland Morellet Morgan Nagel
xii
F. M. baron Grimm, Correspondance litter aire, philosophique et critique, ed. Tourneux, 18771882, 16vol. Correspondance politique. I. Gumming, Helvetius : His Life and Place in the History of Educational Thought, London, 1955. Edition originale de L'Esprit, Durand, 1758, xxii + 643 p., 4°. R. Desne, "Helvetius, fermier-general", Beitrage zur franzosischen Aufklarung und zur spanischen Literatur; Festgabefur Werner Krauss zum 70 Geburtstag, Berlin, 1971. Montesquieu, Correspondance, ed. Gebelin, 1914, 2vol. A. Guillois, "Correspondance d'Helvetius avec sa femme (1753-1765)", Carnet historique et litteraire, 1900, pp. 424-446 et 481-498. A. Guillois, Le Salon de Madame Helvetius..., 1894. Institut de France. M. Jusselin, Helvetius et Madame de Pompadour, a propos du livre et de I'affaire de L'Esprit, 17581761, LeMans, 1913. A. Keim, Helvetius, sa vie et son ceuvre..., 1907. Voltaire, (Euvres completes, Kehl, 1785-1789, 70 vol. Rousseau, Correspondance complete, ed. Leigh, Geneve, Thorpe Mandeville & Oxford, 1965-. C. P. d'Albert, due de Luynes, Memoires sur la courde Louis XV (1735-1758), 1860-1865, 17 vol. Minutier central, Archives notariales. Le numero de 1'etude notariale est indique en chiffres remains, et est suivi de celui de la liasse, en chiffres arabes. Voltaire, (Euvres completes, 1877-1885, 52vol. Abbe A. Morellet, Memoires inedits..., ed. Lemontey, 1823, 2 vol. Pierpont Morgan Library, New York. Montesquieu, (Euvres completes, ed. Masson, Nagel, 1950-1955, 3vol.
ABREVIATIONS ET SIGLES BIBLIOGRAPHIQUES
Noel (Euvres, 1781
G. Noel, Une "Primitive" oubliee de I'ecole des "cozurs sensibles" : Madame de Grafigny (16951758), 1913. Helvetius, (Euvres complettes..., Londres [ =
Roth
Societe typographique de Bouillon], 17791781, 5vol., 8°. Helvetius, (Euvres completes..., ed. La Roche, Didot, An m, 1795, 14 vol. Helvetius, (Euvres completes..., 1818, 3vol. D. Ozanam, "La Disgrace d'un premier commis : Tercier et 1'affaire de L'Esprit (17581759)", Bibliotheque de I'Ecole des Chartes, cxin (1955), p. 140-170. Revue d'histoire litteraire de la France. J. M. J. Register, "Le Gouvernement, le parlement de Paris et 1'attaque contre De I'Esprit et \'Encyclopedic en 1759", Dix-huitiemeSiecle, xi (1978), p. 321-354. Diderot, Correspondance, ed. Roth & Varloot,
Sgard
Dictionnaire des journalistes (1600-1789), ed.
(Euvres, 1795
(Euvres, 1818 Ozanam
R.H.L.F. Register
Smith
Smith, Bibliography
1955-1970, 16vol.
J. Sgard, Grenoble, 1976. D. W. Smith, Helvetius : A Study in Persecution, Oxford, 1965. Reedite, avec deux pages de corrections, par Greenwood Press, Westport, Connecticut, U.S.A. (1982). D. W. Smith, "A Preliminary Bibliographical List of Editions of Helvetius's Works", Australian Journal of French Studies, vii (1970),
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Smith, Publication
D. W. Smith, "The Publication of Helvetius's De I'Esprit", French Studies, XVIH (1964),
p. 332-344. Studies Trublet
Walpole's Correspondence
Yale, G.P.
Studies on Voltaire and the Eighteenth Century,
Geneve, Thorpe Mandeville & Oxford, 1955-. Abbe N. C. J. Trublet, Un Journal de la vie litteraire au XVIII6 siecle. La Correspondance de I'abbe Trublet, ed. Jacquart, 1926. Horace Walpole's Correspondence, ed. W. S. Lewis, Yale University Press, 1937-1983. Universite Yale, Graffigny Papers. xiii
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Correspondance generale d'Helvetius VOLUME II : 1757-1760 / LETTRES 250-464
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Janvier 175 7
LETTRE 250
250. Helvetius a Madame Helvetim [8 Janvier 1757] Je n'ay, ma chere amie, que le terns de te demander comment tu te portes. Monsieur votre pere, qui est venu prendre du the chez moy, n'en sort que lorsque je suis oblige de monter au chateau. On est icy trouble comme des* fols et cela gagne. Le Roy a dormi six heures; on pretend qu'il s'habillera aujourd'huy. On ne scait encor rien de positif au sujet de 1'assasin1. Chaqu'un fait des histoires. Peutestre en scaiton plus a Paris. Fais-moy dire en quel etat tu es. Je n'ay pas besoin de te dire que je t'adore. Lorsque j'auray pu voir le Roy, je m'en retourneray a Paris. Peutestre le verrat-on demain ou apres-demain. Adieu; je t'embrasse et je t'adore. Mille respects a ma mere et des compliments a tout le monde. [adresse : ] A Madame / Madame Helvetius la jeune, rue Ste- /Anne, vis-avis la rue des Orties / A Paris [instructions relatives au porteur : ] On donnerat douze sols au cocher qui rendrat / cette lettre a son adresse avant quatre / heures du soir / ce 8 Janvier 1757 MANUSCRIT
*A. Vore; 2 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant deux M entrelaces, surmontes d'une couronne. TEXTE Le A : "des ".
a
NOTE EXPLICATIVE
1. Le soir du 5 Janvier 1757, RobertFrancois Damiens, demi-fou qui s'etait donne la mission de corriger le roi, frappe Louis XV d'un coup de couteau, au moment ou celui-ci, entoure de ses gardes, monte en voiture au chateau de Versailles. Le
desarroi est general, car on craint que 1'arme ne soit empoisonnee et Ton soupconne Damiens d'etre 1'instrument d'une conspiration centre 1'ensemble de la famille royale. Le roi, croyant peut-etre qu'il va mourir, se laisse prescrire plusieurs actes de repentir. Et bien que sa blessure soit benigne, ce que sait toute la cour des le lendemain soir, il ne quitte pas sa chambre avant le 15 et ne reprend son train accoutume que le 17, pour s'occuper d'abord des details de 1'execution de Damiens.
3
LETTRE 251
Fevrier 17 57
251. ? a Helvetius 13 fevrier 1757 [L'expediteur felicite Helvetius de la naissance de son fils, ClaudeFranf ois-Joseph!. ] MANUSCRIT A. Vore2; orig. autogr. NOTES EXPLICATES
1. Fils unique d'Helvetius, mort en has age. 2. L original, dont la comtesse Beatrix
d'Andlau atteste la presence a Vore en 1939 (Andlau, p. 39), semble
setre perdu. Par contre le Proces^verture de M. Helver
tius rils', dresse a Paris le 23 avnl 1758, s'y trouve toujours.
232. Helvetius a Madame Helvetius [Avril 1757?]1 Mande-moy, ma chere amie, comment tu te portes. Pour moy, je suis aussy bien que je puis 1'etre loin de toy. J'ay vu la Reine et je n'ay pu luy parler qu'hier au soir. Elle peut vous voir jeudy matin. Ainsy je vous attends mecredy dans la journee avec vos* deux filles. Viens, si tu veux, diner chez Quenay2. Viens dumoins avant six heures afinque je puisse demander le soir a la Reine 1'heure qu'elle pourrat te donner. Fais-moy surle-champ reponsepar un cocker des caches. Mr Duclos et moy t'embrassent de tout notre cceur. Adieu, ma chere amie. [instructions relatives au porteur : ] On donnerat douze sols au cocher qui / rendrat cette lettre a son adresse avant / six heures [du soir] MANUSCRIT
NOTES EXPLICATIVES
*A. Vore; 1 p.; orig. autogr.; fragments de cachet sur cire rouge representant deux M entrelaces, surmontes d'une couronne.
1. Trois criteres sont a retenir. Le "petit gar?on" dont parle Helvetius (v. note a ci-dessus) est son fils Claude-Franc.ois-Joseph, qui a vecu de fevrier 1757 au 23 avril 1758. D'autre part,
TEXTE
Les deux tiers du deuxieme feuillet, portant la fin des instructions au cocher et 1'adresse, ont etc arraches. a Le A :
"vos ". bLe haut du d et celui du s sont visi 4
la reference faite par Helvetius a la reine signifie probablement que
Mme Helvetius cherchait a etre regue
en audience par Marie Leszczynska bles. afin de briguer pour son frere
LETTRE
Avril-mai 11'57
253
Mathieu-Joseph la promotion au rang d'enseigne, a lui accordee par le roi le 23 avril 1757, ou encore, pour la remercier d'etre intervenue a cet effet, ce qui rend tres probable la date d'avril 1757. Enfin, on peut remarquer que le cachet de cette lettre est le meme que celui utilise le 8 Janvier 1757 (lettre 250). Francois Quesnay (1694-1774), secretaire perpetuel de 1'Academic de chirurgie et medecin ordinaire de Mme de Pompadour, devenu par la faveur de cette derniere, ainsi que par ses merites, le premier medecin
consultant du roi. Quesnay a ete le principal fondateur de 1'ecole physiocratique, a collabore a \'Encydopedie (articles "Fermiers" et "Grains") et est 1'auteur de plusieurs ouvrages, dont VEssai physique sur I'economie animate (1747), les Maximes du gouvernement economique d'un royaume agricole (1758) et Le Droit naturel (1765). Mme de Pompadour se melait souvent aux discussions libres des philosophes et economistes qui se reunissaient dans 1'appartement de Quesnay a Versailles.
2.53. Helvetius a Madame Helvetius [Fin avril-debut mai 1757]* J'arrive, ma chere amie, a Montigny 2 . Je compte demain matin porter a Mde Duprez3 les lers cahiers de mon ouvrage, et je la priray, si elle en est contente, de les communiquer a Mr de Trudaine . Je vais done faire, en petit, le metier d'adroit et de courtizan. Je souhaite fort que mon ouvrage leur plaise et qu'ils n'y trouvent rien de trop fort. J'auray, comme tu le juges bien, un peu la venette jusqu'au moment que je seray a cet egard tire d'inquietude. Mr de Brecourt5 est icy. II m'a par ses demandes force de luy montrer un" de mes discours. J'aurois bien voulu 1'eviter. Je t'aime de toute mon ame; aimes-moy de meme. Soiez-moy bien fidelle dans mon abscence. Je voudrois bien etre aupres de toy, mais ce voiage-cy m'etoit absolument necessaire. Toute mon ame vole vers toy et s'en occupe, quoiqu'elle soit (comme tu le scais bien), fort inquiete du jugement du maitre et de la maitresse de la maison. J'ai fait par inadvertance aupres de 1'abbe de Condilliac une petite imprudence. Apres luy avoir parle la derniere fois qu'il etoit chez toy de la maniere dont j'avois ete recu du due d'Anguien et 1'avoir remercie de 1'annonce qu'il luy avoit fait de moy, il me demanda comme vous etiez avec 1'abbe de Mably. Je luy dis que vous vous etiez encor brouillassez et que je crois que vous ne pouviez plus jouer ensemble, que vous lui en aviez parle et qu'il n'avoit pas ^assez bien repondu* a cette avance. II faut que tu repares ma faute en disant que tout cela n'est rien. 5
LETTRE
Avril-mai 1757
253
Adieu, ma chere amie. Aimes-moy tou jours et repete-le-moy souvent dans tes lettres. Mille respects a ma mere et autant de compliments a Mr Diest, Lotte, Adelaide, 1'abbe Pluquet, Mde Geoffrin, Burigny 7 , &c. [adresse : ] A Madame / Madame Helvetius, rue Ste- / Anne, butte Sc-Roch, vis-a-vis / la rue des Orties / A Paris MANUSCRIT
*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant le profil droit d'un homme; timbre de la poste : NANGI [s]8. IMPRIME
I. Guillois, p. 429-430. TEXTE
* Omis dans le I. repondre".
b
Le I : "ose bien
NOTES EXPLICATIVES
1. Premiere d'une serie de trois lettres ecrites par Helvetius a sa femme alors qu'il faisait lire les premiers cahiers de L'Esprit a son ami Trudaine. Elle ne saurait etre anterieure a mai 1757 (v., dans la lettre suivante, la mention du "retardement [des] regies" de Mme Helvetius, qui avait accouche debut fevrier). Elle ne peut non plus etre posterieure a ce meme mois de mai, si Ton tient compte des deplacements de Saurin, qui se trouvait a Montigny en meme temps qu'Helvetius, y etait reste plus longtemps que lui, et avait ensuite rendu visite a celui-ci a Lumigny, avant de se retrouver avec lui a Paris le 23 juin (v. lettres 255 et 257). On remarquera aussi qu'Helvetius a certainement montre son manuscrit a ses amis avant sa visite du 24 juin au censeur Tercier (v. lettre 258). D'autre part, Helvetius est muet, dans cette lettre, sur la fausse nouvelle de la prise de Prague, dont il se fera 1'echo le 23 juin (v. lettre
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2.
3.
4. 5. 6.
258). La nouvelle de la bataille de Prague, livree le 6 mai, etait parvenue a Paris vers le 15 (v. Best. D. 7260, 7261 et 7268). Or, Helvetius, apres son sejour a Montigny, a du transiter par Paris (v. lettre 255) avant de rejoindre sa femme a Lumigny, et il n'a certainement pas mentionne 1'affaire de Prague lors de ce passage, puisqu'il en parle comme d'une nouvelle fraiche le 23 juin. C'est done avant la mi-mai qu'il a du traverser la capitale, ce qui suppose que la presente lettre et les deux autres datent du tout debut de ce meme mois. Voir aussi la lettre suivante, note 2. Le chateau et les terres de Montigny, mentionnes longuement dans la lettre 255, etaient la residence de Trudaine. Montigny-Lencoup est en Seine-et-Marne, a mi-chemin entre Provins et Fontainebleau. Marie-Marthe Dupre de Saint-Maur, nee d'Alleon, morte en 1788, femme du traducteur de Milton, etait tres liee avec Trudaine de Montigny et avec Montesquieu, selon lequel elle etait "egalement bonne" pour qu'on en fit "sa maitresse, sa femme ou son amie" (Nagel, lettre 657, note d). Voir lettre 196, note 2. Voir lettre 221, note 6. Louis-Joseph de Bourbon, due d'Enghien (1736-1818), plus connu sous le nom de prince de Conde. Gouverneur de Bourgogne depuis 1754, il aura une carriere militaire active apres 1792, et la terminera
LETTRE 254
Mai 17 57
comme chef de 1'emigration. 7. Jean Levesque de Burigny (16921785), verse en langues anciennes, en histoire, en theologie et en philosophie, et auteur de nombreux ouvrages qui lui avaient ouvert en
1756 les portes de 1'Academie des inscriptions et belles-lettres. 8. Aujourd'hui chef-lieu de canton, situe a une dizaine de kilometres de Montigny, a mi-chemin entre Provins et Melun.
254. Helvetius a Madame Helvetius [Debut mai 1757]1 Ma chere amye, j'aye icy une ecritoire aussy mal en ordre que la tienne. Mr de Laitre qui arrive m'apporte une lettre charmante de ta part. Je t'aime, je t'aime, de toute mon ame. Je suis enchante de te paroitre toujours aimable. Je ne refuze aucunes des louanges que tu me donne, puisque ton illusion fait que tu m'en aime mieux. Vois si tu n'as pas bien mieux fait de m'avoir toujours pour amant que ce Mr de Brecour avec lequel tu serois morte d'ennuy. Juge un peu de ce qu'il t'auroit dit, si tu avois etc sa femme. Vas! si j'ay une bonne femme, sans vanite tu as aussy un bon mary. La fin de ta lettre m'inquiete. Ce retardement de tes regies pourroit peutestre t'occassionner du malaize et peutestre encor une maladie. D'ailleurs, tu ne reprendras pas de force et tu ne pourras pas monter a cheval que cela ne soit revenu; et point de cheval, point ou peu de plaisir. Je compte aller samedy a Paris2, parceque Madame Dupres3 n'avance point sa lecture. Je suis cependant assez content d'elle. Adieu, ma chere amie; aimemoy toujours et compte sur le retour le plus tendre de ma part. Mille respects et mille compliments a qui tu scais4, sans oublier Lolotte. \adresse : ] A Madame / Madame Helvetius, rue Ste- / Anne, butte St-Roch, vis-avis / la rue des Orties / A Paris MANUSCRIT
A. Vore; 3 p. ; ong. autogr.; cachet sur , , , cire rouge; timbre de la rposte : NANGis. NOTES EXPLICATIVES 1. Voir lettre precedente, note 1, et note 2 ci-apres. 2. Probablement le samedi 7 mai 1757. Mais Helvetius a ensuite change d'intention : dans la lettre suivante, il ecrit que "c'est toujours lundy au
soir qu il compte partir pour Pans. Dans une lettre posteneure a celleci, anterieure a la suivante, et aujourd'hui perdue, Helvetius a done du annoncer a sa femme qu'il remettait au lundi son depart. 3. Voir lettre precedente, note 3. 4. Helvetius adresse en general ses "respects" a sa mere et ses "compliments" a ses amis et enfants.
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LETTRE 255
Mai 1757
255. Helvetius a Madame Helvetius [Debut mai 1757]' Tu est done, ma chere amie, arrive hier au soir a Lumigny. J'espere [que] tu y seras debarque sans accident. C'est toujours lundy au soir que je compte partir d'icy et vendredy que j'iray te joindre2. Saurin ne viendrat que de lundy en quinze nous voir. II reste a Montigny tout le terns qu'y reste Mr de Trudaine qui a difere son retour de huit jour. Montigny est la plus belle chose du monde. Vore n'est qu'une chaumiere auprix de Montigny. Ce sont partout les plus beaux bois, les mieux perces, des allees a perte de vues. Le chateau, d'ailleurs, est admirable. Tout y est comode. On fait icy tout ce qu'on veut. Je ne m'etonne point que Saurin prefere ce sejour au notre. Si je ne t'avois pas, j'en ferois autant que luy. Mais je t'avoue qu'avec toy j'aime mieux ma mazure de Lumigny que toutes ces belles choses que j'admire. Je ne te dis rien du maitre de la maizon. C'est 1'homme du monde le plus aimable en campagne comme a la ville. Mais je voudrois cependant bien etre au matin du lundy pour quitter toutes ces choses qui ne sont pas toy. Je t'aime de toute mon ame et je te le repete cent fois pour tacher de te faire entendre par la repetition du meme mot la vivacite du sentiment que je veux exprimer. Aime-moy de meme. J'espere a mon arrivee a Paris trouver une lettre de toy qui m'apprendra 1'etat de ta sante et de ton cceur. Adieu, ma chere amie. Menage-toy, ne te fatigue point trop, aime-moy comme je t'aime. Fais mille compliments a Mr 1'abbe de Mably et embrasse Mr Guerin. Ce samedy. [adresse : ] En Brie, pres Rosoy / A Madame / Madame Helvetius, en son chateau / de Lumigny, pres Rosoy-en-Brie / A Lumigny MANUSCRIT
NOTES EXPLICATIVES
*A. Vore; 2 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant le profil droit d'un homme; indication manuscrite d'un postier : Nangis.
1. Voir lettre 253, note 1, et lettre 254, note 2. 2. Helvetius a du vouloir passer par Paris, car Lumigny n'est situe qu'a quelque trente-cinq kilometres de Montigny.
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LETTRE
Juin 1757
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256. Helvetius a Jacques Car donl 8 juin 1757 [...] Je vous prie de leur2 dire de se confbrmer a cela afin que M. de Maison-Maugis3 n'ait plus lieu de se plaindre d'eux a cet egard, mais de bien leur recommander en meme temps de bien conserver la chasse et les autres choses qui m'appartiennent. [...] MANUSCRIT
REMARQUES
L'original, non retrouve a Vore, s'y trouvait encore en 1939.
Le 5 mai 1756, Guerin avait ecrit a Cardon : "M. Helvetius compte beaucoup sur votre exactitude pour la regularite de la procedure a cause de 1'enfant trouve mort a Regmalard, et avec vous il ne craint pas, comme avec celui qui vous a precede, que le juge royal ait aucune prise sur sa justice." (Andlau, p. 83, note 15.) Helvetius, qui exer^ait la basse et la moyenne justice a Vore, et la haute justice a Feillet, etait tres attache au maintien de ses droits, mais les officiers royaux prenaient souvent pretexte des irregularites de la justice seigneuriale pour attribuer sa juridiction au bailliage royal de Mortagne.
IMPRIME
*i. Andlau, p. 85; extrait. NOTES EXPLICATIVES
1. Cardon etait a cette epoque procureur fiscal de Remalard. II allait devenir en 1760 notaire royal en la chatellenie de Mortagne. 2. II s'agit des gardes-chasse. 3. Pierre-Antoine de Fontenay (v. lettre 243).
25 7. Helvetius a Madame Helvetius [23? juin 1757]1 Je suis, ma chere amie, arrive en bonne sante a Paris; je te 1'ay fait dire hier par le cocher. Je souhaite que tu te trouves aussi bien que moy. Si mon corps est bien, mon ame n'est pas de meme. Je suis au desespoir de n'etre pas avec toy. Je t'aime a la folie; il me semble que j'aye sur le coeur un poids de mille livres. Je suis comme une ame en peine, qui erre toujours dans la garenne, qui entre vingt fois dans le sallon et dans ton cabinet, qui t'embrasse, et qui jouit du bonheur de scavoir qu'il est aime, car je suis bien sur maintenant que tu m'aimes et que tu m'aimeras toujours. J'ay vu Mde de G.2 a qui j'ay dit que tu etois plus belle et plus grasse que jamais et qui, pour sa consolation, n'a pas voulu en croire un mot. Elle m'assure meme que tu ne m'aimes plus tant et qu'au bout de six ans de
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LETTRE 257
Juin 1757
mariage il faut s'y attendre. Tu sc,ais bien que je n'en crois rien et qu'ainsy tu ne dois pas t'en inquieter. J'ay vu Duclos3 qui est fort change. Le medecin qui etoit chez luy m'a dit qu'il s'etoit afoibly a forge de se purger, et qu'il demandoit une medecine comme une grace. II pourroit bien avoir eu un accez d'hepoconderie. J'ay vu Saurin et Mde de Cologon4 a qui je viens ce matin de porter mon contrat. L'abbe de Mably n'est point a Paris. A mon retour de Versailles il y serat peutestre revenu et je m'acquitteray alors de votre commission. La Jeunesse5 est tombe malade en arri^ant. II a une grosse fievre. C'est c S -Marc6 que j'emmeneray a Versailles ou je vais demain matin vendredy. Adieu, ma chere amie. Je t'aime et t'embrasse de toute mon ame. Mandemoy d'abord si tu te portes bien et secondement si tu m'aimes. Pour moy, je ne t'ay jamais autant aime. \adresse : ] Par Rosoy-en-Brie / A Madame / Madame Helvetius, par Rosoy- / en-Brie/A Lumigny MANUSCRIT *A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge. NOTES EXPLICATIVES 1. Voir lettre suivante, note 1. 2. Sans doute Mme de Grafflgny 3. Duclos etait alors tellement malade qu'il est reste absent jusqu'au 27 aout des seances de 1'Academic francaise, dont il etait le secretaire perDetu196,
4. Le seul Cologon dont nous avons
releve 1'existence est Philippe de Cologon, gentilhomme de la mai-
son et de la veneria du roi au dix-
septieme siecle (B.N., Pieces orig. 822>- n est improbable qu'il s'agisse . dans cette lettre d'un representant des Coetlogon, famille noble de Bretagne qui comptait plusieurs branches. 5 - Domestique d'Helvetms. el 6. Portier d'Helvetius (v. lettre
note
258. Helvetius a Madame Helvetius [23? juin 1757]1 Je t'aime, ma chere amie, de toute mon ame. Je m'ennuie beaucoup loin de toy. Je pars demain pour Versailles. Je te rendray compte de ce que j'y auray fait avec ce Mr Tercier2. Je te diray en attendant que Prague pourroit bien etre pris3, que Mr 1'eveque de Dignes a la feuille4, que Mr de Stainville 5 , amy de notre amy Mr 1'abbe Pluquet, a une bonne abbaye, et que cette abbaye luy donne, a
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Juin 1757
ce qu'on dit, la nomination de plusieurs bons benefits. Ainsy dit a 1'abbe que je partage avec luy la joye que cette nouvelle doit luy cauzer. Mde Geoffrin doit m'envoier la maniere de secher vos cerises. Ainsy vous voiez que je n'ay pas oublie votre commission. Tout Ie monde t'aime et t'embrasse, et moy aussy. Si Mde la comtesse de Vasse est encor a Lumigny quand tu receveras ma lettre, assure-la bien de mon respect et dis-luy bien combien je I'aime et combien je compte sur son amitie. Adieu. Je vais me coucher et ce n'est pas avec toy. Je n'auray pas Ie plaisir de sc, avoir de combien ton derriere est devenu plus gras. Je Ie baise de tout mon cceur. Aimes-moy autant que je t'aime et aimes-moy toujours. Adieu, ma chere amye. J'ay vu Mr 1'abbe de Mably. Je me suis acquire de la commission. II a rougit et a pris ensuite Ie party de rire. Mes compliments a notre abbe6. [adresse : ] En Brie / A Madame / A Madame Helvetius, en son / chateau de Lumigny, en Brie / A Lumigny, pres Rosoy MANUSCRIT
*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; traces de cire rouge. NOTES EXPLICATIVES
1. En premier lieu, les deux nominations qu'Helvetius mentionne (par. 2) sont rapportees par la Gazette de France, les 23 et 25 juin (v. notes 4 et 5 ci-apres). D'autre part, cette lettre et la precedente ont ete ecrites Ie meme jour : les references a la commission confiee par Mme Helvetius a son mari pour 1'abbe de Mably indiquent que ces deux lettres se suivent dans 1'ordre adopte, et Helvetius exprime dans 1'une et 1'autre son intention de se rendre a Versailles Ie lendemain, jour qui est un vendredi, d'apres la premiere (par. 5). C'est done sans doute Ie jeudi 23 juin qu'il les a ecrites, quoique la date du 30 reste plausible. 2. Jean-Pierre Tercier (1704-1767), censeur de L'Esprit, avait d'abord ete secretaire d'ambassade et avait
concouru a cette epoque a 1'evasion de Stanislas Leszczynski, roi de Pologne, pendant le siege de Dantzig. Homme aimable et erudit, il avait ete admis en 1747 a 1'Academie des inscriptions et belles-lettres. Puis, apres avoir ete secretaire de la delegation franchise lors du congres d'Aix-la-Chapelle (1748), il avait ete nomme premier commis des Affaires etrangeres (1749) en recompense des services qu'il avait rendus au beau-pere de Louis XV, et il avait ete attache a la correspondance secrete du roi. Malgre la haute consideration qu'il s'etait acquise a la cour, Tercier allait perdre ses postes de commis et de censeur a la suite de sa malencontreuse approbation de 1'ouvrage d'Helvetius, unanimement jugee trop indulgente. Le roi lui conservera neanmoins sa confiance (v. lettre 428, Remarques). 3. Le 6 mai, dans 1'une des batailles les plus sanglantes de la guerre de Sept Ans, Frederic II bat les Autrichiens 11
LETTRE
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sous les murs de Prague et met le siege devant la ville. Mais il ne reussira jarnais a la prendre et sera vaincu a Kollin le 18 juillet. 4. Apres la mort du cardinal de La Rochefoucauld, survenue le 29 avril 1757, c'est 1'eveque de Digne, Louis-Sextius Jarente de La Bruyere, qui avait ete charge de la nomination aux benefices (v. Gazette de France, p. 309, nouvelle du 23 juin 1757). 5. Leopold-Charles de Choiseul-Stainville (1724-1781), frere cadet du due
de Choiseul, ministre de Louis xv, allait devenir eveque d'Evreux, archeveque d'Albi et archeveque de Cambrai. A cette epoque, il est vicaire general de 1'eveche de Chalons-sur-Marne, et d'apres une nouvelle du 25 juin 1757 (v. Gazette de France, p. 309-310), c'est le benefice de 1'abbaye de Saint-Arnoul, a Metz, que le roi lui accorde, attribution dont 1''Almanack royal ne fera etat qu'en 1761. 6. Sans doute Pluquet (v. les indications du second paragraphe).
2.59. Helvetius a Madame Helvetius [24? juin 1757]1 Je n'ay que le terns de t'assurer que je t'aime et que je suis arrive en bonne sante. Je regois dans le moment une lettre a 1'occasion de Mr votre frere 2 . Si nous sommes obliges de paier pour luy, il faut faire en sorte dumoins que nous ne soions pas tous les ans sa duppe. C'est pourquoy je voudrois que le paiment se fit par Mr votre pere et qu'il ne paroisse point du tout que nous nous en melions, car sans cela cea sera toujours a recommanger et nous sommes hors d'etat de subvenir a ses depenses. Je t'envoie aussy une lettre de Mlle de Barville3 a laquelle il faut que Mr Guerin fasse reponse. Adieu, ma chere amie. Ma mere te fait mille compliments. Mr Dieste vient de regevoir ta lettre au sujet de 1'arsenic; il en etoit inquiete. Adieu, ma chere petite, je te baize partout et de tout mon cceur. MANUSCRIT
*A. Vore; 2 p.; orig. autogr.; le deuxieme feuillet a ete arrache, emportant 1'adresse et le cachet, ainsi que les indications et marques postales. TEXTE
*Le A : "se". NOTES EXPLICATIVES
1. Lettre ecrite entre le manage de Marguerite-Elisabeth de Barville,
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conclu en Janvier 1757 (v. note 3 ciapres) et la mort de Guerin (septembre 1757). Dans sa lettre precedente, qui est tres probablement du 23 juin (v. lettre 258, note 1), Helvetius a indique qu'il partirait pour Versailles le lendemain; dans la presente, il commence par annoncer son arrivee, sans mentionner de lieu, mais il ne peut s'agir que de Versailles. La destinataire etait sans
LETTRE
Septembre 1151
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doute a Lumigny, ou elle s'etait rendue en mai avec Guerin (v. lettre 255). 2. Peut-etre Mathieu-Joseph (v. lettre 53, note 8). 3. Le voisin d'Helvetius, Pierre-Marie de Barville, seigneur de Noce (16941771), avait deux filles. Helvetius n'a pas besoin de preciser celle dont
il s'agit, car 1'ainee, MargueriteElisabeth, avait epouse FrancoisSimon d'Escorches le 17 Janvier 1757. "Mile de Barville" est done la cadette, Marie-Marguerite, dont le manage avec Frangois-Louis de Mesenge aura lieu le 13 Janvier 1759.
260. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 5 septembre 1757]1 Je suis a la fois, ma chere enfant, et bien aize et bien fache de te sfavoir dans cet etat de melancolie ou mon absence te plonge. Je t'aime plus que je ne puis te le dire, et tu me deviens de jours en jours plus chere. Je suis a present dans la plus grande douleur. Mr Guerin a une fievre maligne, il est en tres grand danger, et son sort est fort incertain. Tu sgais que je 1'aime beaucoup; juge de mon inquietude. J'ay envoie chercher Mr Dupont2 a Paris; il est arrive d'hier. Sa presence me rassure et depuis son arrivee il semble que Mr Guerin aille un peu mieux. D'icy a deux ou trois jours son sort serat decide. Je compte toujours etre le vingt-cinq a Marly. II n'y a que la mort de Mr Guerin ou la mienne qui put retarder ce voiage. Tu scais avec quelle exactitude je tiens mes paroles, et surtout celles que je te donne, et qu'il s'agit de t'aller retrouver. Pelletier3 t'a vraiement bien tenu parole : il ne m'a rien dit des accez de fievres que tu as eu, mais tu ne m'a pas tenu la tienne, car tu m'avois bien promis de m'instruire toujours bien exactement de ton etat. Je scais bon grez au lait du bien qu'il te fait. Je voudrois bien qu'il en coulat un peu dans ton ame pour egaier ta melancholic. J'esperois que notre amy Valleray pourroit la dissiper, que sa gaiete bruiante seroit un bon specifique pour ton etat. Je ne suis cependant pas fache que mes idees te plaisent plus que les siennes, et que tu prefere 1'uniformite des raisonnements au tintamare de ses sentiments, et que tu aye eu tant de plaisir a vivre seule avec moy. Je t'avoue que je craignois pour toy cette epreuve. Sens-tu que tu put vivre comme cela longtems avec moy? Examine-toy et dis-le moy. Tu dois cependant de la reconnoissange a Valleray d'avoir etc te voir. Ainsy il ne faut pas que ton chagrin se tourne en humeur centre luy. Monte souvent a cheval; compte que je t'aime autant que tu m'aimes, que nous allons bientost jouir du plaisir de nous embrasser. Dissipes-toy le plus que
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LETTRE
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tu pourras. Dis a Valleray que, si je ne luy ecris pas, c'est que 1'etat ou je trouve Mr Guerin ne me laisse pas meme le terns de travailler. "Dis-luy combien je I'aime et I'estime, et combien je compte sur son amitie. Adieu encor une fois; je t'embrasse de tout mon cceur/ \adresse : ] Par Rosoy-en-Brie / A Madame / Madame Helvetius, en son chateau / de Lumigny / Par Rosoy-en-Brie / A Lumigny MANUSCRIT
*A. Vore; 3 p.; orig. autogr. TEXTE
a
Ecrit en haut de la troisieme page.
NOTES EXPLICATIVES
1. Premiere d'une serie de quatre lettres adressees de Vore par Helvetius a son epouse, restee a Lumigny. Elles concernent toutes la maladie de Julien Guerin, intendant et secretaire d'Helvetius, qui mourra a Vore le 23 septembre 1757. Les etapes de cette maladie etablissent la chronologic des lettres : debut, annonce d'une cinquieme saignee, confirmation que celle-ci a eu lieu, et esperances de guerison. Helvetius n'a effectue qu'un sejour a Vore en 1757, entre le 2 et le 19 septembre (v. Registre-journal de Vore, 17 octobre 1757). La lettre suivante est a dater du 8 septembre environ : Helvetius s'y declare sur le point de monter a la chambre des
juges, ou on lui rendra compte de 1'affaire de Thermite Cordier; or, c'est le 7 que 1'accuse Vandresip a etc recu a presenter ses faits justificatifs, et le 9 que 1'ordonnance d'audition de ses temoins a etc rendue a Versailles (v. Archives de Vore, et lettre suivante, note 2). D'autre part, Helvetius est sans doute a Vore depuis deja quelques jours a la date de cette lettre, ayant eu le temps de recevoir des nouvelles de son epouse, qui lui a confie sa tristesse d'etre seule. 2. Helvetius connaissait deux chirurgiens du nom de Dupont : Nicolas, qui allait mourir rue Sainte-Anne en 1759 (A.M., Y 11338), et son parent Claude, mort apres 1759, qui avait epouse Marie-Jeanne Chavotier, fille de Jean-Baptiste Chavotier, procureur fiscal de la justice a Lumigny (M.C., LVI, 171, papiers, n° 94). 3. Voirlettre 145, note 3, et lettre 223, note 3.
261. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 8 septembre 1757]1 Je n'ay, ma chere amie, que le terns de te dire que je t'adore, je te desire, et que je me porte bien. Monsieur Guerin a toujours la fievre et la fievre est continue. On le saigne aujourd'huy pour la cinquieme fois. J'espere que cette saignee ferat tomber totalement cette fievre. II n'a d'ailleurs aucune oppression, il a le ventre mollet, il n'est point assoupi; ainsy je ne
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Septembre 17 57
crois pas qu'il y ait de danger. Au moins le medecin qui est aupres de luy n'en voit encor aucun. Tu t'imagine bien qu'on en a grand soin, que je monte vingt fois par jour chez luy, et que j'en suis fort inquiet. Comme je ne 1'ay point pour me defaire des gens qui ont a me parler, je suis oblige de leur repondre, et tu sens bien que j'ay peu de terns a moy, et que je suis de fort mauvaise humeur. Comme on va au plus presse, et que je 1'aime beaucoup, et que je serois au desespoir de le perdre, je ne songe gueres a 1'ennuy des visittes que m'occassionne sa maladie*. Adieu, ma petite, je t'aime et je t'adore. Je monte dans la chambre des juges ou Ton me va rendre compte de 1'affaire de votre hermitte 2 . Je crois qu'il n'y a point de preuves centre luy. Cependant, 1'instruction de ce proc.ez nous couterat encor assez cher3. Aimez-moy et mandez-le-moy. Depuis ma lettre ecrite Mr Guerin me prie de te marquer de donner 18lc au capucin qui a remplace le pere Nicolas5 qui doit maintenant dire ta messe. [adresse : ] A Mad[ame] / Madame [Helvetius, en son chateau] / de Lumigny / Par Ro[soy-en-Brie] MANUSCRIT
*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; traces de cire rouge; timbre de la poste : REMAL[ARD]. TEXTE Mme Helvetius a ajoute a la page 4 : "Le lievre pour le beaume de la vie, rile de Seine". "A. cet endroit, se termine la page 2. Une dechirure a emporte un morceau du deuxieme feuillet, ce qui a fait disparaitre une partie de 1'adresse, mais n'a pas affecte, semble-t-il, le contenu manuscrit de la page 3. NOTES EXPLICATIVES
1. Voir lettre precedents, note 1. 2. Dans la nuit du 22 au 23 mai 1757, Jean-Baptiste Cordier, hermite, originaire de Remalard, est assassine dans l'hermitage de Saint-Thomas, paroisse du Mage, pres de Feillet. II porte une violente contusion sur la tempe droite, ses machoires sont fracturees, et il a la gorge coupee ainsi que plusieurs brulures depuis
la plante des pieds jusqu'aux fesses. Le 7 juin, on arrete un autre hermite, Etienne-Joseph Vandresip de Dorigny, originaire d'Ypres, frere du tiers ordre de Saint-Francois, demeurant alors a l'hermitage de la Madeleine, paroisse de Brunelles. Vandresip aurait eu une querelle avec Cordier, qui aurait refuse de s'occuper de son chien. Apres une enquete menee par Corbay, procureur fiscal de la haute justice de Feillet, le proces de Vandresip est instruit le 21 juillet par Charles-Rene Plancher de Lanoe, avocat au parlement de Paris et aux sieges royaux de Mortagne, ainsi que bailli et juge civil et criminel de Feillet. Le 7 septembre, 1'accuse est admis a faire la preuve de ses faits justificatifs, le principal d'entre eux etant qu'il se trouvait a Versailles au moment du meurtre, et fin septembre, c'est done a Versailles meme que sont entendus les temoins qu'il a cites en vue
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Septembre 1757
de soutenir cet alibi. Le 11 octobre, Feillet, Helvetius assumera les frais il est acquitte faute de preuves et de 1'enquete et de la procedure. En elargi. Les documents relatifs a cette plus, la cause sera portee en appel affaire se trouvent aux archives de devant le parlement de Paris en Vore. 1758. 3. L'affaire coutera effectivement cher 4. Trois couvents de capucins exisa Helvetius - au moins 2 000 livres taient dans la region de Lumigny : (v. les registres-journaux de Vote) — a Coulommiers, Melun et Provins. et cela pour deux raisons. II est 5. Non identified ordonne qu'en tant que seigneur de
262. Helvetius a Madame Helvetius [11 septembre 1757]1 Ma chere femme, je suis un peu incommode d'un rhumatisme dans la tete qui m'a fait beaucoup souffrir hier, mais qui commence a se dissiper. Je n'ay point de fievre et demain j'en seray tout a fait quitte. Je ne puis pas m'apliquer encor; ainsy ma lettre serat courte. M r Guerin nous a donne beaucoup d'inquietude. II a etc saigne cinq fois. Nous avons craint la fievre maligne, mais 1'en voila tout a fait quitte, et je compte que demain il commencerat a manger. Menage-toy bien, aime-moy toujours, et mandemoy comment tu te portes. [adresse : ] Par Rosoy-en-Brie / A Madame / Madame Helvetius, a son chateau de / Lumigny / Par Rozoy, a Lumigny MANUSCRIT
NOTE EXPLICATIVE
*A. Vore; 1 p.; orig. autogr.; cachet aux armes d'Helvetius sur cire rouge; timbre de la poste : REMALARD.
1. La lettre suivante contient 1'indication "Je vous ai ecrit dimanche", reference possible a la presente lettre, qui est done a dater du 11 septembre. Voir aussi lettre 260, note 1.
263. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 15 septembre 1757]1 Ma petite, je me porte fort bien aujourd'huy; ainsy n'ayez point d'inquietude. Monsieur Guerin n'est pas encor tire d'affaire, il a toujours la
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LETTRE 263
Septembre 1757
fievre. Cependant, j'espere que nous en serons quitte pour la peur. II a eu beaucoup d'inquietude et cela a pu augmenter sa fievre. Oui, ma chere enfant, je vous ai ecrit dimanche et vous recevray ma lettre jeudy. Je suis fort aize que vous ayez ete au-devant d'elle. Tout ce qui m'assure de ta tendresse m'est precieux. Je ne puis trop te dire combien je t'aime. Je sens que tu m'es aussy necessaire a Vore qu'a Paris, mais je suis mieux a Vore, parceque je suis moins tracasse et que c'est cette peinela de moins. Tes conversations avec Lolotte repandent dans mon ame un beaume qui se fait sentir dans toutes mes veines. II me semble que c'est un extrait de vie qu'on y injecte, et ce n'est pas 1'effet de la vanite, car je conviens de bonne foy que je ne merite pas le portrait que tu luy fais de mon ame, mais je suis charme que tu me voye comme cela. Je sens que tout 1'eloge que tu fais de moy est un sentiment qui m'assure de ta tendresse. Les exemples que tu a pris du Scithe et du Grec dans les Dialogues de Lucien2 sont tres bien choisis, et nous en cauzerons quand je seray avec toy. II doit y avoir encor de bonnes choses dans ses autres dialogues que tu feras fort bien de lire et de m'en faire des extraits. Je te sf ais grez d'avoir ete t'ennuier deux heures chez Madame Le Saleur3, pourvu que cela determine Mr Le Saleur4 a nous faire rendre la justice qui nous es du au sujet de ce maudit pont de Guerard5. Je serois au desespoir qu'apres avoir avange a Mr 1'intendant qu'on nous faisoit injustice, nous perdissions notre procez par la prevention du subdelegue7 que tu feras bien de voir a ce sujet. Tache de scavoir de Mr Le Saleur s'il persiste dans 1'idee que nous avons raison, et si le subdelegue s'est a cet egard rendu a son avis. Mande-moy ce que tu sfauras a ce sujet. L'abbe8 est fort aimable icy. II est fort sensible aux compliments que tu luy fais. Nous avons peu parle de toy ensemble, parceque nous ne [nous] voions qu'a table et a la chasse, et que la maladie de Mr Guerin, qui nous a fort inquiete, a ete le sujet des conversations. Adieu, je t'adore de plus en plus. [adresse : ] Par Rosoy-en-Brie / A Madame / Madame Helvetius, en son chateau de / Lumigny / Par Rozoy-en-Brie, Lumigny MANUSCRIT
*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet aux armes d'Helvetius sur cire rouge; timbre de la poste : REMALARD. NOTES EXPLICATIVES
1. Plus precisement, entre le 11 et le ly septembre, dates respectives de la lettre precedents et du jour ou Helvetius quitte Vore pour Pans. ~ „ 2. tn tait, il ne s agit pas des Dia-
logues, mais d'un ouvrage intitule Le Scythe, ou I'Etranger, dans lequel Anacarsis, Scythe nouvellement arrive a Athenes, cause avec son
compatnote hellenise Toxaris ( v - Lucien, (Luvres, 1733, 3 vol., I ,
p (475-483)
3. Mane-Anne-Suzanne Roblastre (v. / . v . note 4 ci-apres).
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LETTRE
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Septembre 1151
4. Pierre-Francois Saleur, ne a Rozpy en 1699, secretaire du roi de 1733 a 1754, et receveur des tailles de 1'election de Rozoy. II avait epouse Marie-Anne-Suzanne Roblastre en secondes noces en 1748. 5. Le pont qui traverse la riviere GrandMori n a Guerard se trouve a 10 km au nord de Lumigny. 6. L'intendant de la generalite de Paris, dont dependait 1'election de Rozoy, etait depuis 1744 Louis-Jean Berthier de Sauvigny, conseiller d'Etat, maitre des requetes et petitfils de 1'ancien controleur general Orry. 7. Les subdelegues etaient des mandataires designes discretionnairement par les intendants pour les decharger de certaines de leurs responsa-
8.
bilites administratives, et ils etaient le plus souvent mis a la tete d'une partie d'une generalite, appelee subdelegation ou departement. Les subdelegations se superposaient aux elections et bailliages, dans un systeme inextricable de juridictions administratives et fiscales. Nous n'avons identifie aucun habitant de Rozoy ou fonctionnaire qui ait ete qualifie de subdelegue dans la mouvance censitaire de 1768. Le maire de la ville, Louis-Antoine-Toussaint Fadin, avocat au parlement, assumait les fonctions de president de 1'election de Rozoy (Archives departementales de Seine-et-Marne, Melun, G 5). Probablement Pluquet.
264. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 22 septembre 1757]* Je me porte beaucoup mieux; ainsy n'ayez nulle inquietude. Je t'ecris pour que tu fasses souvenir Mr Malouet2 d'examiner les linges de la nourrice3 pour scavoir si elle n'a point de verole dans le sang. Adieu, je t'embrasse." II ne faut pas, a ce que dit mon cousin 4 , renvoier la nourrice de Lumigny. II faut I'amener a Paris pour qu'il ait le terns de 1'examiner a cet egard/ Tournez la page*. [admse : ] Par Rosoy-en-Brie / A Madame / Madame Helvetius, en son / chateau de Lumigny / En Brie, pres Rosoy / A Lumigny' MANUSCRIT
vous fait compliment du bon etat de *A. Vore; 1 p.; orig. autogr.; traces de 1'enfant . Vous avez bien de remercicolle rouge. ments a faire a Mme de La Fortel6. Le sang que 1'enfant a rendu, joint a des TEXTE a Traits obliques successivement des- douleurs vives causes par 1'acretee des tines a marquer la fin de la lettre. b Le humeurs contenu dans les intestins, medecin Diest a ecrit a la page 2 : "Je auroit conduit promtement a 1'inflam-
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Septembre 11'57
LETTRE 265 mation des entrailles, si on n'avoit pas etc avertie a terns. Votre mary va bien. II avale du quinquina a force, et j'espere qu'il n'aura point d'acces demain." ' On a barre "Par Rosoy-en-Brie" et "En Brie, pres Rosoy", et ajoute "A Paris, rue SteAnne / butte St-Roche, a Paris". NOTES EXPLICATIVES
1. Plusieurs themes sont communs a cette lettre et aux deux suivantes. Dans les trois, Helvetius rassure sa femme sur sa sante; dans les deux premieres, il est question de celle "du petit enfant et de la nourrice"; et dans les deux dernieres, il mentionne son sejour chez la comtesse de Vasse et la visite de sa belle-sceur. Elles ont etc ecrites du vivant de son fils, soit entre fevrier 1757 et avril 1758, et pendant la saison de la chasse, done en automne 1757. La reference que contient la suivante a 1'arrivee d'Helvetius a Marly (v. premiere ligne) permet de la dater du 25 septembre, jour ou, selon la lettre 260 (par. 3), il comptait y arriver. Quant a la presente, elle lui est un peu anterieure. Helvetius, qui
2. 3. 4. 5.
6.
avait quitte Vore le 19 septembre, avait du faire un court sejour a Paris avant de se rendre a Marly, et c'est de la capitale qu'il avait expedie cette lettre a Lumigny. Comme 1'indiquent les modifications apportees a 1'adresse, sa destinataire allait entretemps gagner Paris. Probablement le medecin PierreLouis-Marie Maloet (1730-1810). Non identifiee. Jean de Diest. II ne peut s'agir que du fils unique d'Helvetius, Claude-Francois-Joseph (v. lettre 251), le seul de ses enfants assez jeune pour avoir eu une nourrice au moment ou Helvetius terminait De I'Esprit. Soit Louise-Marguerite de CastilleChenoise, deuxieme femme d'un voisin d'Helvetius a Lumigny, Robert Langlois de La Fortelle (v. lettre 191, note 2), soit la belle-fille de ce dernier, Gabrielle de Maupeou, epouse de Jean-BaptisteJoseph, fils du premier lit de La Fortelle.
265. Helvetius a Madame Helvetius [25 septembre 1757]1 Ton mary, ma chere enfant, est arrive en bonne sante a Marly2. II va diner tout seul; ainsy n'ait aucune inquietude sur sa sante. Donne-moy seulement des nouvelles de la tienne et de celle du petit enfant et de la nourrice, car tout cela se tient. Dis-moy si tu me boude encor, si tu repete encor entre tes dents : "Us 1'ont bien dit, mon mary aime encor mieux la gloire que moy", et examine a quoy tient dans la plupart des femmes ce desir d'etre plus aimee que la gloire. Demandez a celuy qui dit aimer plus une femme que la gloire si pour sa maitresse il commettroit une action centre 1'honneur, il repondrat que non. Pourquoi cela? C'est que la crainte du mepris seroit plus forte en luy que
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LETTRE 266
Octobrel757
1'amour de cette femme. Ors, ce qu'il fait pour la crainte du mepris, un autre peut le faire pour 1'amour de 1'estime sans aimer moins que luy cette femme, puisque dans 1'un et 1'autre cas ces deux hommes auroient en eux un sentiment plus fort que 1'amour de cette femme. Tu vois par ce petit raisonnement que tout ce qu'on dit aux femmes sur des objets pareils sont des galanteries que, faute d'habitude, de reflechir, et d'examiner ce qu'une chose veut dire, elles prennent pour des accusations bien graves. Adieu, ma petite. La refutation des arguments qu'on te fait centre moy te prouves combien je t'aime. Je finis en t'embrassant de toutes mes forces et de toute mon ame. Assure ta sceur3 de mes respects. Dis-luy bien que voila encor les meilleurs menages et qu'ainsy, si elle ne se marioit point, elle pouroit se consoler. Je crois que tout cela luy aurat bien roule dans la tete. II est bon que tu luy demandes la-dessus ce qu'elle pense du manage. Comme il y a autant a parier qu'elle ne serat pas mariee qu'elle le serat, il n'y a pas de mal qu'elle n'en pense pas de bien. J'ay pourtant bien du chagrin de t'avoir fait pleurer, mais c'est que j'avois de I'humeur, peutestre parceque je te quittois, et que j'allois etre quelques jours sans pouvoir travailler, et que je voudrois que mon ouvrage fut tout a fait fini pour etre en repos. [adresse : ] A Madame / Madame Helvetius la jeune, rue Ste-Anne, butte / St-Roch, vis-a-vis la rue des Orties / A Paris MANUSCRIT
A. Vore; 3 p.; original autographe; cachet sur cire rouge; timbre de la poste : SGERMAIN. NOTES EXPLICATIVES 1. Voir lettre precedents, note 1. 2. Helvetius etait sans doute 1'hote de la comtesse de Vasse. 3. Une des soeurs de Mme Helvetius
etait manee, et quatre autres etaient, soit religieuses, soit impuberes. 1 1 ne peut s agir que de Claire-Ursule, agee de 19 ans (v. lettre 53, note 7), ou d'Anne-Marguerite-Charlotte, agee de 17 ans, qui allait epouser en 1759 le fermier general FrancoisJacques Baudon. 4. Del'Esprit.
266. Helvetius a Madame Helvetius [2octobre 1757]1 Je suis, ma chere amie, enchante de ta lettre. Je ne puis t'exprimer combien j'en suis touche. Je t'aime et je t'aime de toute mon ame, ne trouvant point d'expression qui rende en ce moment tout ce que je sens pour toy. Je te le repeterois volontiers jusqu'a la fin de ma lettre ce meme 20
LETTRE 267
Fevrier 1758
mot je t'aime de toute mon ame. J'imagine que la quantite de repetition supleroit a la foiblesse de 1'expression. Je pars aujourd'huy dimanche pour Versailles. Je compte revenir icy2 lundy au soir. J'y resteray jusqu'a jeudy parcequ'il y a une grande battue ce jour-la, qui finirat a une heure; ainsy je seray a quatre ou cinq heures a Paris. J'ay fait sans vanite et sans vouloir me faire valoir tout ce que j'ay pu pour partir mecredy, aimant etre un jour de plus avec toy que de voir la plus belle chasse, mais on m'a tant presse que je me suis rendu et parce que le refus cut etc ridicul. Vous aurez done la bonte de m'envoier des chevaux ou mecredy au soir ou jeudy de tres bonne heure afin que les chevaux se puissent repozer avant que je parte. Mde la comtesse3 et 1'abbe Pluquet sont fort sensibles au sentiment que tu as pour eux. L'abbe Pluquet est enchante et 1'abbe de Mably me charge de t'assurer de ses respects. J'ay etc deja deux fois a la chasse et je m'en trouve tres bien. J'ay recouvre presque toute ma force. Adieu, mon enfant. Je recois dans ce moment ta 2de lettre. Assure ta soeur et ma mere de mes respects; bien des compliments a Mr Dieste et Mlle Lagrange. [adresse : ] A Madame / Madame Helvetius la jeune / rue Ste-Anne, butte St-Roch / vis-a-vis la rue des Orties, / A Paris MANUSCRIT
*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge comportant deux ecussons surmontes d'une couronne; timbre de la poste : SGERMAIN. NOTES EXPLICATIVES
a rega deux lettres de sa femme (v. avant-dernier paragraphe). On peut done inferer de la mention "aujourd'huy dimanche" que la presente lettre a etc ecrite une semaine plus tard.
1. Helvetius est arrive a Marly le dimanche 25 septembre (v. lettres 2. A Marly. 3. La comtesse de Vasse. 260, rpar. 3, et 264, note 1). Depuis r , . . . , ' 4. Voir lettre precedente, note 3. lors, il a participe a deux chasses et
267. Helvetius a Madame Helvetius [15fevrier 1758]1 J'attends, ma chere amie, de tes nouvelles avec la plus grande impatienfe. Ce n'est pas que je craigne que ta fievre soit beaucoup augmentee. Tu es sobre, quoiqu'on en dize chez ma mere, tu es sage; ainsy tu n'auras
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LETTRE 268
Fwrier 1758
point mange, et tu te seras tenu dans ton lit pour entretenir ta transpiration. Mais je voudrois bien sfavoir si tu as etc purge et si ta purgation a emporte cette petite fievre qui te tracasse, t'ennuie. Je sfais que 1'ennuy, qui est un mal pour tout le monde, est encor un plus grand mal pour toy que pour un autre : tu es naturellement impatiente, et quelle patience tient a 1'ennuy? Je suis au desespoir d'etre eloigne de toy. J'avois les larmes aux yeux quand je t'ay quitte. Je t'aime plus de jour en jour. Je te le repeterois cent fois que je ne croirois pas encor te 1'avoir dit. Quant on a 1'ame pleine d'un sentiment vif, qu'a-t'on autre chose a dire que ce qu'on sent. Ce n'est jamais que de peur de deplaire a 1'objet aime qu'on ne luy repete pas toujours qu'on 1'aime. Tout le reste n'est que de 1'esprit; je n'en veux pas faire avec toy. Je te repeteray done encor que je t'adore. Adieu, ma petite. La domestique de Mr Le Roy qui doit aller aujourd'huy a Paris passerat chez toy, scaurat comment tu te portes, et M r Le Roy me le dirat ce soir. Adieu. Aime-moy et porte-toy mieux. Des respects et des compliments a tous ceux a qui il en appartient. MANUSCRIT
*A. Vore; 2 p. (demi-feuille); orig. autogr. NOTE EXPLICATIVE
1. Dans la lettre suivante, du 16 revrier, Helvetius mentionne a nouveau la
fievre et la purgation de sa femme en des termes qui situent ladite lettre juste apres la presente, et il se refere sans doute a celle-ci lorsqu il ecnt : Je t aime comme hier.
268. Helvetius a Madame Helvetius [I6fevrier 1758]1 J'apprends, ma chere amie, par la lettre de Mr de Jouval2 que tu te portes mieux et que tu dois etre purgee aujourd'huy. J'en suis ravi, si la purgation doit emporter le reste de la fievre. Je t'aime comme* hier, je te le repete de meme, et j'attends de tes nouvelles avec impatience. II est huit heures du matin. Je m'habille pour etre a neuf heures au lever de Mr le due d'A[n]guien 3 . De la je me rendray chez Mr 1'abbe de Bernis 4 . J'ay deja vu Mr de St-Florentin, qui a fait inscrire ton frere 5 pour 1'ordre de St-Lazare6. Adieu, je t'embrasse de toute mon ame. Puisque tu te portes mieux, j'iray samedi diner chez Mr Tercier7, et je reviendray coucher ce meme jour avec vous. Adieu. Aimez-moy et portez-vous bien. 22
Gravure du cardinal de Bernis
LETTRE
268
Fevrier 1758
[17 fevrier 1758] Us ont oublie, ma chere femme, de porter hier cette lettre a la poste. Je vous la renvoie par un cocher en vous assurant de nouveau combien je vous aime et combien je seray ravi de t'embrasser. [adresse : ] A Madame / Madame Helvetius la jeune, rue / Ste-Anne, butte St-Roch, vis-a-vis la / rue des Orties / A Paris [instructions relatives au porteur : ] On donnerat douze sols au cocher qui / rendrat cette lettre a son adresse avant une / heure / Ce vendredy, 17 fevrier 1758 nomme archeveque dAlbi en juillet 1764. II sera par la suite membre de deux conclaves et poursuivra sa carriere diplomatique a Rome, ou il TEXTE mourra. " Le A : "comme -hier". 5. A cette epoque, deux des quatre NOTES EXPLICATIVES freres de Mme Helvetius etaient 1. D'apres le post-scriptum et les inmilitaires : Pierre-Jean, ne en 1730, structions au cocher, Helvetius a capitaine au regiment des Gardes commence sa lettre le 16, veille de lorraines, et Mathieu-Joseph (v. son envoi. lettre 53, note 8). Six mois apres 2. Secretaire d'Helvetius. cette lettre, le comte de Saint-Flo3. Enghien (v. lettre 253, note 6). rentin ecrira au prince Charles-Just 4. Francois-Joachim de Pierres, comte de Beauvau : 'Je proposerai au Roy deBernis(1715-1794), abbe, poete le plus tot qu'il me sera possible, et bel esprit, que Voltaire avait surM., Mrs de Ligneville et le vicomte nomme Babet-la-Bouquetiere. Elu de Crevecceur pour etre admis dans en 1744 a 1'Academie francaise. De 1'ordre de Saint-Lazare." (A.N., 1752 a 1756, Bernis deploie des O1 400, p. 504.) talents comme ambassadeur a 6. L'ancien ordre militaire et hospitaVenise, puis a Rome, ce qui lui vaut lier de Saint-Lazare-de-Jerusalem, d'entrer au Grand Conseil en Janvier qui existe toujours, avait etc fonde 1757 et d'etre nomme ministre des pour le service des lepreux de Terre Affaires etrangeres en juin de la Sainte. Devenu presque exclusivememe annee. Mais sa politique ment lai'c, il comptait parmi ses pacifiste pendant la guerre de Sept chevaliers de nombreux membres de Ans en fait un implacable ennemi de la grande noblesse militaire du xvme Mme de Pompadour, qui avait siecle. En 1757, le roi avait designe pourtant contribue a son accession son petit-fils, le due de Berry, futur au ministere, et en decembre 1758, Louis XVI, comme grand maitre de peu apres avoir rec,u la barrette de 1'ordre, et confle a Saint-Florentin la cardinal, il est remplace aux Affaires charge de 1'administrer pendant la etrangeres par le due de Choiseul, et minorite du prince. exile dans le Soissonnais, ou il devra 7. Tercier signera son approbation de rester cinq ans. Rappele apres la L'Esprit un mois plus tard, le 27 mort de Mme de Pompadour, il est mars. MANUSCRIT
*A. Vore; 2 p. (demi-feuille pliee); orig. autogr.; traces de colle rouge.
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LETTRE 269
M.ars-novembre 1758
269. Helvetius a Monsieur de Montbazin1 [Entre mars et novembre 1758]2 Ecrire a Monsieur de Montbazin : Qu'il ait la bonte de voir Monsieur Le Begue3, secretaire du Roy, a 1'occasion de 1'arrest d'erection et confirmation pour les foires et marches de Remalard pour 1'obtention de cet arrest, et de renvoyer le tout a Vore afin de le renvoyer au procureur de la chambre des comptes a Rouen pour faire enfin passer 1'aveu. C'est une chose qui devroit avoir pris sa fin des il y a plus de six mois. Ce retard oblige Monsr Helvetius de payer tous les ans les courses des huissiers sans necessite. Lui ecrire aussy qu'il voye Monsieur le president d'Aligre , qu'il s'explique sur ce que Monsieur d'Aligre doit un aveu a Mr Helvetius a cause de sa seigne de Feillet5 pour sa terre et seigne de La Lande pour lequel il y a contestation; que Monsieur Helvetius a envoye des il y a pres de trois ans son feodiste; le voir a son chateau de La Riviere7; qu'il fut arreste que Monsieur d'Aligre prendroit un avocat de sa part et Monsieur Helvetius un de la sienne pour terminer les differents; scavoir de Monsieur d'Aligre s'il est dans le meme sentiment, qu'il disc quel avocat il prendra pour luy, et Monsieur Helvetius en prendra un du sien. Et apres la reponse on enverra les memoires ainsy que les pieces qui doivent servir au soutien des pretentions de Monsieur Helvetius, sur lequel Monsieur d'Aligre fera ses soustient au contraire comme il le jugera a propos; Monsieur Helvetius ne dezirant autre chose que ce qui luy est dub legitimement et ne voulant avoir aucun proces avec les seigneurs ses voisins, a moins qu'il n'y soit expressement force. MANUSCRIT *A. Vore; 2 p.; autogr TEXTE
II s'agit dun projet de lettre redige sous forme Vindications donnees a un secretaire
NOTES EXPLICATIVES 1. Secretaire d'Helvetius, dont le nom figure souvent dans le Registrejournal de Vore entre 1757 et 1762. II a probablement remplace Guerin a ce poste. 2. Le ler mars 1758, Helvetius declare son intention de demander au roi de
nouvelles lettres patentes pour con. firmer son droit de tenir des foires et marches a Remalard (v. lettre 270). Ces lettres, conservees a Vore, seront accord6es en d£cembre 1758.
3. Peut-etre aAvhille Le Begue ne en 1700, avocat au Parlement (1731), devenu secretaire du roi en 1744 et syndic en 1754.
4. Etienne-Francois d'Aligre (1727-
1798), s'etait d'abord distingue aux armees avant de rejoindre la carriere familiale de la magistrature. Su cessivement conseiller (1745), president a mortier au parlement de
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LETTRE 270 Paris (1752), vice-chancelier (1768) et premier president (1768), il prendra une part active a la lutte des parlements centre la royaute. Helvetius etait proprietaire de 1'une des terres que d'Aligre occupait (v. A.N., P 890). 5. Feillet etait un ancien domaine des comtes du Perche, qu'avait achete en 1712 Alexandre-Julien Clement, conseiller au Parlement. En 1740, il y batit le chateau qui existe toujours, et le 28 avril 1753, son fils aine, Ambroise-Julien Clement de Feillet, egalement conseiller, le vend
Mars 1758 a Helvetius pour 420000 livres. Feillet est sorti de la famille d'Andlau a la mort de la fille cadette d'Helvetius (1817), pour lui revenir en 1849 et en ressortir en 1893. 6. La Lande-sur-Eure, entre Remalard et La Ferte-Vidame. D'Aligre, seigneur de La Lande, voulait s'en voir reconnaitre la suzerainete, tant pour le fief que pour rhommage. 7. La Riviere est situe a 12 km de Mortagne, dans la direction ouest-nordils ouest, a mi-chemin entre Laleu et Bazoches-sur-Hoene.
270. Helvetius a Louis-Francois Lallemant, comte de Levigmnl Monseigneur, J'ay 1'honneur de vous ecrire pour vous prier de m'etre favorable dans une affaire qui m'interresse beaucoup. J'ay fait faire le papier terrier 2 de ma terre de Vore. Je suis pret a presenter 1'aveu et le denombrement3 au Roy. J'ay emploie dans cet aveu les foires et marches qui se tiennent de terns immemorials a Regmallard et qui ont toujours etc mis dans les aveux de mes predecesseurs. On a exige que je representat les lettres d'etablissements des dittes foires et marches. Je les ai fait chercher dans mes titres sans pouvoir les retrouver. Apparament que Monsieur Fagon les aurat egare, car il est certain qu'on les y a vu. Je voulois les faire chercher dans les archives du Louvre, et dans celle du secretaire d'Etat charge de cette partie 5 . Mais Ton m'a dit que ces recherches me couteroient baucoup et seroient peutestre longues, et que j'aurois plutost fait de demander de nouvelles lettres. En consequence, je me suis determine a presenter au Conseil un memoire et une requeste, afin d'obtenir ces nouvelles lettres. On doit vous les renvoier du bureau de la chanchelerie pour donner votre avis6. J'espere que vous me serez favorable dans cette affaire, vu que les dittes foires et marches ont toujours etc exactement tenues tous les ans, les jours indiques dans la requete, sans aucune opposition. J'ay deja tant recu de marques de bontes de votre part que je ne doute pas que je ne vous aye encor bientost une nouvelle obligation. Je vous priray de vouloir bien a cette grace en ajouter une autre : c'est de faire
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LETTRE
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Avril 1758
expedier promptement cette affaire pour me mettre en etat de rendre mon aveu. Vous voulez bien que je vous assure d'avance de ma reconnoissance et que je vous suplie de vouloir bien toujours me continuer les memes bontes dont vous m'avez toujours honorez. Je suis, avec le plus profond respect, Monseigneur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Paris, ce 1 mars 1758* ministre de la Maison du roi. Helvetius avait deja eu 1'occasion de lui soumettre une requete (v. note 6 ciapres). IMPRIMES 6. Dans ce genre d'affaires, les requetes I. Keim, p. 203, note 1 (extrait). etaient adressees au Conseil d'Etat ii. Andlau, p. 153-154. du roi, et 1'administration consulTEXTE tait pour avis 1'intendant de la proa Ajoute en haut du A : "R[epondu] le vince interessee. Aussi Saint-Flo9 mars". rentin expedie-t-il la depeche suivante a Levignen, le 2 mars 1758 : NOTES EXPLICATIVES "Je vous envoye, Monsieur, un pla1. Le comte de Levignen, nomme a cet par lequel le Sr Helvetius, mai1'intendance d'Alencon en 1726, est tre d'hotel ordinaire de la Reine, reste quarante ans a ce poste (v. lettre demande des lettres portant esta202). blissement de foires et marches dans 2. Document ou les droits attribues a le lieu de Remalard, afin que vous un seigneur etaient specifies. prenies, s'il vous plaist, la peine de 3- Voir lettre 248, note 6. me faire savoir vostre avis sur ce 4. Voir lettre 156, note 5. sujet." (Archives departementales de 5. Saint-Florentin, qui etait compe1'Orne, c88.) tent en cette matiere en tant que MANUSCRIT
*A. Archives departementales de 1'Orne, Alencon, c 88; 3 p.; orig. autogr.
271. Louis-Francois Lallemant, comte de Levignen, a Louis Phelypeaux, comte de Saint-Florentin1 A Alencon, ce 10 avril 1758 Monsieur, J'ay pris des eclaircissements2 sur le placet de Mr Helvetius, maitre d'hotel ordre de la Reine, par lequel jl demande des lettres patentes portant 27
LETTRE 271
Avril 1758
etablissement de foires et marches dans le bourg de Rhemallard, dont jl est seigneur. Jl parroist, Monsieur, par 1'adveu qui a etc rendu de cette terre en 1659 qu'il n'y est fait mention d'aucun droit de foires et marches, mais celuy rendu le 28 8bre 1707 enonce trois foires, la premiere qui se tenoit le mardy d'apres Pasque, la seconde le mardy d'apres la Pentecoste, et la trois6 le jour de* feste S'-Jullien3. Jl est aussy constate, par une transaction passee le 27 aout 1736 entre feu Mr Fagon4 et feu M r le marquis de Riantz 5 , sur les contestations mues entre eux a 1'occasion de leurs fiefs, que Mr le marquis de Riantz a cede a Mr Fagon, seigneur de Regmallard, le droit de foire qui se tenoit le jour Sc-Michel 29 7 bre de chaque annee dans un pre sittue au bout du pont de Regmallard, et jl consentit a ce que cette foire tint a 1'avenir dans le bourg de Regmallard. Cependant, Monsieur, jl resulte de Information qui a etc faitte au mois de may 1757 par le lieutenant general du baillage de Mortagne, en execution d'un arret de la chambre des comptes6 de Rouen, que cette foire n'a jamais etc exercee. Jl resulte aussy que les deux premieres foires, qui se sont etablies naturellement depuis cinquante a soixante ans, sans titre, ont varies pour les jours de la tenue. Suivant 1'aveu de 1707 elles se tenoient le mardy d'apres Pasque et de la Pentecoste, et depuis ce temps elles ont tenu le lundy. Jl a etc fait a cet egard des representations par les gens des trois etats entendu dans Information du mois de may 1757. Jls ont demande que ces foires fussent fixees aux jours de marche suivant 1'usage, parce que dans la province du Perche le lieutenant general du baillage de Mortagne y a aussy conclu par ses observations adressees a la chambre des comptes sur la verification de 1'aveu rendu par Mr Helvetius. Quant a la troisieme foire fixee au jour Sc-Julien, elle n'a jamais varie. Comme jl demeure constant que les foires existent depuis environ 60 ans, et qu'elles se sont etablies naturellement pour le bien du commerce, je croirois, Monsieur, qu'il seroit convenable d'accorder a Mr Helvetius les lettres patentes qu'il demande, en observant d'y fixer la tenue des deux premieres foires au mardy suivant les festes de Pasque et de la Pentecoste, la trois6 au jour Sc-Jullien, et la quatrieme au jour Sc-Michel de chaque annee. Quant aux marches qui se tiennent les lundys et jeudys de chaque semaine, jls sont etablis depuis longtemps et ne souffrent aucune contestation. Jl parroist juste d'en accorder la confirmation. Je dois vous observer, Monsieur, qu'il n'y a aucune pencarte7 des droits de foires, et qu'il seroit necessaire d'assujettir Mr Helvetius a se pourvoir devant les officiers du baillage de Mortagne pour estre arrestee un tarif de ces droits. J'ay 1'honneur de vous renvoyer son placet et les pieces qui etoient jointes a la lettre que vous m'aves fait celuy de m'ecrire le 2 du mois der8. Je suis, M., V[otr]e 28
LETTRE 272 MANUSCRIT
*A. Archives departementales de 1'Orne, Alencon, c 1124; 4 p.; copie offic. IMPRIME
I. Andlau, p. 154-155. TEXTE " L e A : "le". NOTES EXPLICATIVES
1. Voir lettre 231, note 2, et lettre 270, note 5. 2. Eclaircissements fournis par ClaudeCharles Saraude de La Charpentrie, conseiller du roi et lieutenant general civil, criminel et de police au bailliage du Perche, dans deux lettres des 25 mars et 5 avril 1758 (v. Archives departementales de 1'Orne, c88).
3. Le 9 Janvier. 4. Voir lettre 156, note 5.
Avril 17 58 5. Denis de Riants, dit marquis de Riants, dont on sait qu'il occupait les fonctions de brigadier du roi en 1709, etait mort en 1745. Ses ancetres, gens de robe, seigneurs de Vore de 1587 a 1714, avaient fait construire le chateau actuel (v. Andlau, p. 19-24). 6. Les cours ou chambres des comptes, juridictions souveraines, jugeaient a ce titre en dernier ressort en matiere de finances. 7. Cette pancarte, indiquant les droits payables a Helvetius et etablie a la suite de la recommandation de Levignen, se trouve aux archives departementales de 1'Orne (C 88, VII, D), et elle est reproduite par Andlau (p. 156-161). 8. Voir lettre precedente, note 6.
272. Helvetius a Louis-Francois Lallemant, comte de Levigmn Ce 12 avril 1758 Monsieur, Vous m'avez fait esperer que vous vouderiez bien donner votre avis au Conseil au sujet des foires et marches etablis a Regmallard. Je connois trop vos bontes pour moy pour dourer que votre avis ne me soit pas favorable, d'autant que je ne demande que ce dont je suis en possession et uniquement pour eviter 1'embarras des recherches de titre. Ozerois-je vous prier, Monsieur, de vouloir bien vous ressouvenir de cette affaire et de donner votre avis le plus promptement que vous pourray? Permettez-moy de vous remercier d'avance du service que vous voulez bien me rendre dans cette affaire. Vos bontes passees me sont garant de vos bontes a venir. Je suis, avec le plus profond respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius
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LETTRE 273
Mai 1758
MANUSCRIT
NOTE EXPLICATIVE
*A. Archives departementales de 1'Orne, Alencon, C 88; 2 p.; orig. autogr.
pour la signification de cette lettre, voir les trois precedentes.
IMPRIMES
I. Keim, p. 203, note 1 (extrait). ii. Andlau, p. 156.
273. Francois-Antoine Devaux1 a Madame Helvetius A Luneville, 18 may 1758 Votre lettre, belle dame, ne nous a plus trouves a Paris. Nous 1'avons meme devancee de plusieurs jours en Lorraine, ou elle nous a etc envoyee, et Mde de Bouflers2 en avoit recu une de Mr votre pere en ordinaire auparavant. L'interet que vous portes a 1'affaire dont il est question luy suffisoit pour qu'elle s'y interessat. Aussi n'a-t-elle pas attendu votre recommandation pour parler au Roy3 en faveur de Mr 1'abbe de Ligniville , mais elle a trouve notre maitre engage a Madame de Bassompierre5 pour Mr 1'abbe de Grand Champs , proche parent de son mari. Mde de Bouflers est tres faschee de cet obstacle, qui empesche de vous donner dans cette occasion une preuve de 1'envie qu'elle a de vous obliger. Elle me charge de vous dire de sa part les choses les plus tendres et de faire mille compliments a Mr Helvetius. En verite, apres Mr son fils 7 , et Mr son frere8, elle ne regrette rien a Paris plus que vous deux. Elle et moy, belle dame, nous avons etc tres touches de votre douleur9; nous sommes alles plusieurs fois a votre porte pour vous le temoigner. Nous vous avons plainte de votre chagrin beaucoup plus que de votre perte, qui est tres facile a reparer. Mr Helvetius est dans le cas de compter la facon pour rien. Vous croyes bien que je n'ai pas entendu dire plus de bien a Paris de La Fille d'Aristidew que vous n'en aves entendu dire a la campagne. J'ay presque eu la fievre a la premiere representation. II me semble, pour vous en dire mon avis, qu'on 1'a jugee trop severement; le public n'a pas voulu se prester a bien des choses sur lesquelles il auroit fallu le prevenir. Je persiste a penser que, le sujet donne, il ne me paroit guerre possible de mieux faire et qu'il y a tant d'art et tant d'esprit qu'il ne peut nuire a la reputation de Md. de G. Ce qui m'a fait encor plus de plaisir, c'est qu'elle n'a pas nui a sa sante. Elle a pris la chose avec toute la raison imaginable, et comme si on ne 1'avoit pas accoutumee aux plus grands succes. Adieu, belle dame. Ne me recommandes pas de vous aimer. Peu s'en faut que je ne vous aime asses pour que les regrets de n'etre plus a portee 30
LETTRE
Mai 1758
273
de vous faire ma cour ne gaste le plaisir d'etre ches moy. Je suis a vos pieds avec les sentiments de respect et d'attachement que je vous ai voues pour la vie. M. Helvetius veut-il bien que je 1'embrasse de toute mon ame? Quand le lirons-nous a notre aise11? C'est la un enfant dont la facon est cousteuse. [adresse : ] Madame / Madame Helvetius / la jeune, rue Ste-Anne / A Paris MANUSCRIT
*A. Vore; 4 p. (demi-feuille pliee); original autographe; fragments de cachet sur cire rouge; timbre de la poste : LUNEV[ILLE]. NOTES EXPLICATIVES 1. Identifie d'apres 1'ecriture et le cachet. L'expediteur venait de quitter Paris apres un sejour de neuf mois. 2. Marie-Francoise-Catherine de Beauvau-Craon (1711-1786), cinquieme fille de Marc de Beauvau-Craon et d'Anne-Marguerite de Ligniville, avait epouse en 1735 LouisFrancois de Boufflers de Remiencourt, qui 1'avait laissee veuve en 1752. Amie intime de Mme de Graffigny, elle avait frequente assidument son salon durant un sejour a Paris (1743-1745). Revenue en Lorraine, elle avait ete successivement la maitresse du chancelier La Galaiziere, du roi Stanislas et du poete Saint-Lambert. A partir de 1757, elle est dame d'honneur de Mesdames de France, mais effectue chaque annee des sejours en Lorraine a partir du printemps. 3. Stanislas Leszczynski (v. lettre 62, note 3). 4. Sans doute Nicolas-Jean-Jacques (v. lettre 53, note 12), qui cherchait peut-etre a se procurer un benefice vacant (v. lettre suivante, note 3). 5. Charlotte-Nicole de BeauvauCraon (1717-1787), soeur de Mme de Boufflers, avait epouse en 1734
6.
7.
8.
9.
LO.
11.
Leopold-Clement, marquis de Bassompierre, chambellan du roi Stanislas. L'abbe de Grandchamp (17081769), grand doyen de 1'eglise primatiale de Lorraine et conseiller prelat de la cour souveraine de Lorraine. Un autre membre de sa famille, Jean-Francois-Louis de Picon de Grandchamp, avait epouse Elisabeth-Therese de Bassompierre, cousine germaine du marquis de Bassompierre. Ou bien Charles-Marc-Jean-Regis de Boufflers, colonel d'un regiment, ou bien son frere cadet Stanislas (1738-1815), qui etait le celebre chevalier de Boufflers. Charles-Just, prince de BeauvauCraon (v. lettre 60, note 2), le seul des quatre freres de Mme de Boufflers encore en vie en 1758. La mort du fils unique d'Helvetius, Claude-Francois-Joseph, est survenue vers le 22 avril 1758, alors qu'il etait a peine age de 14 mois (v. lettre 251). LaFilled'Aristide, comedie en cinq actes et en prose de Mme de Graffigny, avait ete tres mal accueillie lors de sa premiere representation au Theatre-Francais, le 29 avril 1758. Dediee a 1'imperatrice Marie-Therese, la piece sera publiee a Paris en 1759 apres la mort de son auteur. De 1'Esprit avait recu un privilege royal le 12 mai. Sa publication aura lieu le 27 juillet suivant. 31
LETTRE 274
Mai 1758
274. Helvetius a Madame Helvetius [19 mai 1758] Ma chere femme, je suis on ne peut pas plus malheureux et je ne doute pas que tu ne le sois aussy. L'habitude de vivre seal*, comme nous 1'avons fait a Lumigny, me donne un besoin de toy qui me rend tout odieux et insuportable. Et je ne te dis pas encor le quart de ce que je sens. J'en suis honteux, car enfin il faut bien faire sa charge, lorsqu'on en a une 1 , et le devoir, qui a toujours etc ma premiere passion, ne se represente plus a moy que comme un souvenir. II faut que tu m'encourages toi-meme pour me faire supporter ton abscence. Mais ne parlons plus de cela, car je m'attendris. J'ay vu hier 1'abbe Pluquet; j'ay dine avec luy chez Quenay. II doit, en arrivant a Paris, etre alle chez toy te dire que Mr de Juliac 2 , maitre d'hotel de quartier, s'est marie a Paris hier, et que je suis icy cloue en fonction jusqu'a son retour. J'ay passe hier chez monsieur 1'eveque d'Orleans3, que je n'ay pas trouve; je retourneray encor aujourd'huy chez luy. Je le trouveray, a ce qu'on m'a dit, a midy et demie; je le souhaitterois bien, parcequ'il faut que je sois a une heure chez la Reine et que je ne puis 1'attendre, vu que je suis de service. Mais si ce n'est pas aujourd'huy, c'est apresdemain que je le verray. Adieu, mon cher enfant; aime-moy toujours. Embrasse pour moy Lollote et Adelaide. C'est le fruit de notre tendresse. Mille respects a ma mere et des compliments a tout le reste. Adieu, je t'embrasse toy-meme de tout mon cceur. Je ne puis te dire le jour de mon retour; je depends de Mr de Julliac. \adresse : ] A Madame / Madame Helvetius la jeune, rue / Ste-Anne, vis-avis la rue des Orties / butte Ste-Roch / A Paris [instructions relatives au porteur : ] [On. donnerjat douze sols au cocher qui remettrat / [avant tr]ois heures cette lettre a son adresse / [Ce v]endredy, 19 may 1758 MANUSCRIT "seul ". * Le A : "pas *A. Vore; 3 p.; traces du cachet sur cire ". rouge, qui s'est detache en enlevant un fragment du papier. NOTES EXPLICATIVES 1. Helvetius etait maitre d'hotel ordiIMPRIME naire de la reme, charge dont il sera i. Guillois, p. 428-429. , rL, nEsprit. „• cc • destitue lors de 1 affaire de TEXTE 2. Cosme de Picquet de Julliac de Les instructions au porteur et le postVignolles (1701-1769), lieutenantscriptum ont etc omis dans le I. a Le A : colonel de cavalerie, chevalier de
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LETTRE 275
Mai 1758
Saint-Lazare et chevalier de SaintLouis, avait quitte 1'armee apres la bataille de Lawfeld (1747). Le 18 mai 1758, il epouse Catherine-Julie Morin, fille de Joseph Morin, conseiller secretaire du roi. II demissionnera de son poste de maitre d'hotel de quartier en 1760.
3. Louis-Sextius Jarente de La Bruyere, ministre de la feuille des benefices depuis 1757 (v. lettre 258, note 4), avait ete sacre eveque d'Orleans en avril 1758. Helvetius voulait peutetre solliciter de ce prelat un bene-
fice pour le frere aine de son epouse (v.' lettre precedents, note 4).
2 75. Helvetius a Madame Helvetius [21 mai 1758]
Ma foy, ma chere amie, si je te manque, je te reponds que tu me manque bien aussy. Loin de toy, les jours me paroissent des siecles. Mr de Juliac, pour qui je fais le service aupres de la Reine, est marie depuis trois jours. J'ignore le jour de son retour et 1'incertitude m'est insupportable. J'ay honte de moy; je n'oze pas relire ta lettre en t'ecrivant, de peur de trop m'attendrir. Quand je dis que j'ay honte de moy, je ne veux pas dire que je rougis de t'aimer autant. Mais c'est quand on a un devoir indispensable, il faut bien le remplir, et scavoir prendre sur soy. Je n'ay jamais ressenti autant de tendresse que j'en ai pour toy et, de bonne foy, je n'aurois pas cru a 1'existence de ce sentiment, si je ne 1'eprouvois. J'ay un peu de fluxion dans 1'oreille, mais cela ne serat rien. J'ay ete chez Mr 1'eveque d'Orleans, a qui j'ay donne votre memoire. J'iray ce soir voir un moment Mde de Vasse avec M r Le Roy, et je me rendray a huit heures au grand couvert. Moiennant cette visitte a Mde de Vasse, des que Mr de Juliac reviendrat, je partiray pour Paris. Comme je ne puis pas te dire le jour, je prendray icy des chevaux de remizes qui me conduiront a Paris. Adieu, ma chere femme; je t'embrasse de tout mon cceur et de tous les cotes. Croy que tu ne peux pas mieux faire que de m'aimer, car je te jure que je te le rends bien. Aimez-moy et portez-vous bien. [adresse : ] A Madame / Madame Helvetius la j[eune, rue]* / Ste-Anne, visa-vis la rue [des Orties]* / butte St-Roch / A Partis]'2 [instructions relatives au porteur : ] On donnerat douze sols au cocher / qui remettra avant trois heures cette lettre a / son adresse, ce dimanche, 21 may 1758 MANUSCRIT
NOTE EXPLICATIVE
*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant le profil droit d'une femme.
Pour 1'explication des allusions et references contenues dans cette lettre, voir les notes de la precedents.
TEXTE
" Dechirure.
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LETTRE 276
Mai 1758
276. Helvetius a Madame Helvetius [23mai 1758]1 Tu juges bien, ma chere amie, que ce n'est pas pour mon plaisir que je reste icy et que, si je le pouvois, j'irois te rejoindre a Paris. Mais Monsieur de Juliac2 se marie; il faut bien le laisser quelques jours avec sa femme. Je compte qu'il reviendrat demain ou apres-demain. S'il ne revennoit pas, j'aurois bien de la peine a tenir icy, car en verite je suis bien malheureux loin de toy. D'ailleurs, Monsieur Du Four, qui est le seul maitre d'hotel de quartier qui put me remplacer, vient de perdre sa mere3; il faut done de toute necessite rester icy. J'ay Tame si noire que je ne puis pas te parler la-dessus davantage. Mon ame est affaisee et je me deferois de ma charge, si je ne craignois de paroitre ingrat envers la Reine. Je n'ay plus de mal a 1'oreille, mais je suis fort enrhume du cerveau. Je ne scais pas si cela augmente mon noire, mais j'ay 1'esprit et Tame basse. Je vois que tu t'es parfaitement bien acquitte de mes commissions. Tu remettras a Monsieur de Jouval, mon secretaire, le petit mot [que] je t'adresse pour luy. Adieu, ma chere femme que j'aime et que j'adore plus que jamais/ Mes respects a ma mere et des compliments a tous nos amis/ N'oublie pas le caffe du pere Plesse4. \adresse : ] A Madame / Madame Helvetius, rue Ste-Anne, butte / St-Roch, vis-a-vis la rue des Orties / A Paris [instructions relatives au porteur : ] On donnerat douze sols au cocher / qui remettrat avant quatre heures cette lettre / a son adresse, ce mardy, 22 may 17581 MANUSCRIT *A. Vore; 2 p.; orig. autogr.; traces de colle rouge. TEXTE
aApres cnacun deces paragraphes, Helvetius a trace un trait horizontal pour indiquer la hn de la lettre. Les deux i ij j dermeres hgnes sont done des postscnptum. NOTES EXPLICATIVES
1. Helvetius a fait erreur sur le quantieme, le 22 mai 1758 etant un lundi. 2. Voir lettre 274, note 2. 34
3. En 1754, Pierre Dufour, diplomate pensionne et gentilhomme ordinaire du roi, avait succede a son pere au poste de maitre d'hotel de la reine v servant par quartier. Sa mere, Louise-Francoise Gonet, qui avait ete la nournce du Dauphin et premiere femme de chambre de la Dauphme, est morte a Versailles le 20 mai (v. Mercure de France, juillet 17 5o, vol. I, p. 203).
4. Pierre-Joseph Plesse ou Pleix (17041766), ne aSaint-Brieuc, entredans la Compagnie de Jesus en 1723, avait enseigne la grammaire, les
LETTRE 277
Mai 1758
humanites, la rhetorique, la philosophie et la theologie, et etait attache zMjournal de Trevoux. D'apres SaintLambert, il y avait en 1758 vingt ans deja qu'Helvetius etait son bien-
faiteur, et il est de fait qu'ils etaient tres lies. C'est sous la forme d'une lettre publique adressee a Plesse qu'Helvetius redigera sa premiere retractation de L'Esprit.
277. Helvetius a Madame Helvetius [25 mai 1758]1 Je suis au desespoir, ma chere femme, de ne pouvoir aller voir ma mere, mais comme je te 1'ay dit, il n'y a point icy de maitre d'hotel de quartier, Mr Dufour venant de perdre sa mere et M r de Chalu2 etant sur son depart pour 1'armee. Je suis dans la plus grande inquietude sur ma mere. Faism'en donner des nouvelles. Tu sgais comme je t'aime, combien je suis malheureux. Je t'attendois aujourd'hui, mais puisque Mr de Juliac viendrat mardy 3 , ce n'est pas la peine que tu vienne. Je tacheray cependant de venir a Paris avant ce terns, mais je ne te reponds pas de pouvoir reussir. Informe-moy exactement de 1'etat de ma mere que j'embrasse de tout mon cceur et a qui je te prie de dire les choses les plus tendres et de 1'assurer de mes respects. Adieu. Je t'embrasse, je t'adore, et je suis fort malheureux. [adresse : ] A Madame / Madame Helvetius, rue Ste- / Anne, butte StRoch, vis-avis / la rue des Orties / A Paris MANUSCRIT *A. Vore; 2 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant le profil droit d'une femme. NOTES EXPLICATIVES 1. La lettre precedente, qui est a dater du 23 mai 1758, et ou la mort de la mere de Dufour est mentionnee comme etant une nouvelle, est anterieure a celle-ci, dans laquelle Helvetius indique avoir deja annonce ce evenement a sa femme. D'autre part Helvetius signale que Chalut est sur son depart pour 1'armee (v. lettre cidessus,par. 1), et dans la suivante, datee du 28 mai, qu'il y est parti depuis trois jours. La presente lettre
a done pu etre ecrite le 24 ou le 25, mais la premiere de ces deux dates semble a ecarter : le 23, Helvetius envisage le retour de Julliac pour le lendemain (mercredi 24) ou le surlendemain (jeudi 25), alors que dans la P^sente, il mentionne a titre de confirmation que ce retour n'aura
lieu que le mardi suivant. If est donc
probable qu'il a de,a annonce cette
nonvelle a sa femme, ce quil na pu faire que le 24, dans une lettre qui ne nous est pas parenue. ' Voir lettre 198, note 2. 3 ' C'est-a-dire lemardi 30 mai (v. note
2
l C1-dessus>-
35
LETTRE
Mai 1758
278
278. Helvetius a Madame Helvetius [28 mai 1758] Tu sgais, ma chere amie, qu'il n'y a point icy de maitre d'hotel de quartier, que Mr de Chalu, chez qui j'envoiay hier, lorsque je rec,u ta lettre, est parti depuis trois jours pour 1'armee, que M r Dufour a perdu sa mere, et que je ne puis rien attendre que de ta patience. Si M r de Juliac vient mardy, j'iray jusque-la. Je tacheray meme d'obtenir pour demain la permission de m'en aller, mais je ne le puis aujourd'huy parcequ'il y a grand couvert et que la Reine ne veut pas dans ce cas qu'on luy manque. Pourvu que Mr de Juliac, comme je le crois, vienne mardy, il est meme inutil de le presser pour venir un jour plutost; il en feroit peutestre des plaisanteries a la Reine. Mais je vous avoue que, s'il falloit passer trois mois icy, j'aimerois mieux quitter ma place, parceque j'y mourerois de chagrin et d'ennuy. Je ne puis t'exprimer combien je souffre. J'ay passe presque deux jours entiers a ma fenetre pour sc. avoir, a chaque carosse qui venoit au grand commun 1 , si c'etoit M r Juliac qui arrivoit. Juges par la de la tranquillite de mon ame. Tu connois assez 1'impatienge pour m'entendre a demi-mot. Adieu, ma chere amie que j'aime plus que je ne puis [dire]. J'ay eu le plaisir de parler hier de toy, de tes tendresses pour moy, et de mon amour pour toy, avec M e de La Ferte-Imbaut 2 . J'ay pendant ce terns presque oublie que j'etois a Versailles. Aime-moy toujours et porte-toy bien. Des respects a ma mere, embrasse mes enfants, et fais des compliments a nos amis. [adresse : ] A Madame / Madame Helvetius la jeune, rue / Ste-Anne, butte St-Roch, vis-a-vis la / rue des Orties / A Paris {instructions relatives au porteur : ] On donnerat douze sols au cocher / qui remettrat avant trois heures du soir cette / lettre a son adresse, ce dimanche, 28 may/ 1758 MANUSCRIT
*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet sur cire rouge representant le profil droit d'une femme. NOTES EXPLICATIVES
1. Corps de batiment avec cuisines et offices [...] comme le grand commun du roi a Versailles (Dictionnaire de Trevoux, 1747). 2. Marie-Therese Geoffrin (17151791), veuve de Philippe-Charles, marquis de La Ferte-Imbault, dont
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le trisaieul etait le marechal d'Etampes. D'une humeur vive, mais peu encline aux audaces novatrices, elle ne favorisa jamais les idees des encyclopedistes. Preferant a leur societe celle des aristocrates conservateurs, elle allait ouvrir un salon "des amis des bons principes et de la saine philosophic". En 1776, d'Alembert la qualifiera de "sotte creature, vendue a la cabale devote" (Best. D. 20417).
LETTRE 279
Avril-juin 1758
279. Achille Le Begue1 a Louis-Francois Lallemant, comte de Levignen [Entre le 10 avril et le 29 juin 1758]"2 Monsieur, Par 1'avis que vous avez eu la bonte de donner sur le memoire qui vous a etc adresse par Mr le comte St-Florentin au sujet des fbires et marches dans le lieu de Remalard, terre que Mr Helvetius tient des heritiers de Mr Fagon. Jl demande 1'etablissement de quatre foires. Trois, comme vous 1'avez observe, sont anciennes : celle d'apres Pasque, celle d'apres la Pentecote, la 3me celle de la St-Michel. Cette derniere a un jour fixe et ne souffre aucun changement. Pour les deux autres, suivant 1'observation des differens etats, vous estes d'avis qu'elles soient remises au jour de marche suivant. Elles ont variees comme vous 1'avez observe pour les jours mais elles se tenoient d'abord le mardy, en dernier lieu le lundy, tous deux jours de fettes, et vous scavez que ce sont les jours les plus comodes pour les gens de travail. Le concours de ceux-cy forme le plus grand nombre des gens du pais et sont ceux qui viennent a la foire. Les reglemens enseignent de remetre au jour suivant les foires ou marches qui tombent un jour de fette annuelle mais je n'en connois pas qui forment un empeschement pour la tenue des foires les fettes ordinaires. On vous a allegue 1'usage de la province et cependant jl paroist que depuis longtems on les tient les fettes de Pasques et Pantecote. Si Mr Helvetius est oblige de les remettre au jour de marche suivant, n'est-ce pas le priver par 1'effet des deux foires dont jl jouissoit? Jl n'y aura personne. Votre avis doit faire la loy. Peutestre pouriez-vous sur les observations revenir a laisser les deux foires les jours ou elles avoient coutume de se tenir. L'affaire n'a pas etc raporte au bureau. Nous attendons vos derniers ordres. Trouvez-vous bon que je vous fasse une observation sur la foire qui doit se tenir le jour St-Michel dans le pre des patis? Mr Fagon n'en a jouy qu'en 1736 en vertu d'un accord fait avec Mr le marquis de Ryant. Si vous vous determinez a changer les deux foires de Pasques et de Pentecote, 1'etablissement de celle pour le jour St-Michel feroit une consolation. Enfin, Monsieur, comme vous n'avez pas parle des jours de marches qui se tiennent les lundy et jeudy de chaque semaine, je vous prie de vous en expliquer. Je ne les insererai dans les lettres que sur votre aveu. J'ay 1'honneur d'estre, avec un profond respect, Monsieur, Votre tres humble et obeissant serviteur, Le Begue, stre du Roy 37
LETTRE 280
Juin 1758
MANUSCRIT
2. Le 10 avril est la date de la reponse
*A. Archives departementales de 1'Orne, C 88; 4 p.; orig. autogr.
de Levignen (lettre 271) a la demande d'eclaircissements de Saint-
TEXTE
Florentin relative aux foires et marches de Remalard. La presente
aAjoute en haut du A : R[epondu] le 29 mm 1758 . NOTES EXPLICATIVES 1. Voir lettre 269, note 3.
280.
lettre a toutefois du etre expediee bien plus tard, voire peu avant le 29 juin, date a laquelle y repond Levignen (v. lettre suivante).
Louis-Francois Lallemant, comte de Levignen, a Achille Le Begue Ce 29 juin 1758
J'ay receu, Monsieur, la lettre sans datte1 que vous m'aves fait 1'honneur de m'ecrire a 1'occasion dea la demande faitte par M. Helvetius de lettres patentes portant etablissement de quatre foires dans le bourg de Regmallard. On ne peut desirer plus que je fais de 1'obliger, mais vous sentes que je ne puis rien changer aujourdhuy dans mon avis que j'ay adresse a la cour des le 10 avril dernier 2 et qui est relatif au voeu des trois etats entendus dans rjnforma[ti]on faitte devant le lieutenant general du baillage de Mortagne. Jl estf peu decent que des foires soient fixees a des jours de festes tels que le mardy de Pasques et de la Pentecoste. Jl semble plus convenable de les mettre aux jours de marche suivants, et je ne vois aucun jnconvenient a cet arrangement, non pas meme pour les jnterrets de M. Helvetius, puis que les memes personnes qui se rendroient le jour de feste a Regmallard peuvent tres bien s'y rendre le jour de marche pour y faire leur commerce. Quant a la foire fixee au jour S'-Michel 29 7bre de chaque annee, comme elle n'a jamais este exercee, jl semble jnutile que M. Helvetius en demande la confirmation. Cependant, si vous juges a propos de 1'jnserer dans les lettres patentes, je n'y vois pas d'jnconvenient. Je n'ay point parle dans mon avis des jours de marche qui se tiennent a Regmallard les lundys et jeudy de chaque semaine, n'y ayant pas eu de contestation a cet egard, et parroissant par le memoire de M. Helvetius qu'jl ne demandoit de lettres patentes que pour les foires. S'jl a quelque difficulte a cet egard, jl est a propos qu'jl presente un nouveau memoire a M. le comte de S c -Florentin. Je vous prie d'estre persuade de tous les sentimens avec lesquels j'ay 1'honneur d'estre, M, V. [destinataire : ] M. Le Begue, secre du Roy
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LETTRE
281
MANUSCRIT
*A. Archives departementales de 1'Orne, C 88; 2 p.; brouillon autogr. conserve comme copie officielle. TEXTE
" Le A : "de la demande". Le A : "avis que j'ay". ' Le A : "est ". "'Le A : "Jl ". NOTES EXPLICATIVES
1. Lettre precedente. 2. Lettre 271. REMARQUES
Rappelons que, le 10 mars 1756, Helvetius avait "fait et porte la foy et hommage" qu'il devait au roi en tant que
Juillet 1758 seigneur de Vore (v. lettre 248, note 3)Le 3 septembre suivant, il avait fourni "aveu et denombrement" des elements de sa seigneurie a la cour des comptes de Normandie (v. lettre 248, note 6). En decembre 1758, en pleine affaire de L'Esprit, le roi, "desirant donner aud[it] s[ieu]r Helvetius des marques de [son] affection singuliere et de [son] contentement de son service" aupres de la reine, fera droit a sa demande de "lettres d'etablissement" des foires et marches du bourg de Remalard. Ces lettres patentes seront enregistrees a Rouen le 11 fevrier 1762 (v. Archives departementales de Seine-Maritime, Rouen, II B 172, tome 128, f° 53 verso a 94 recto, et Andlau, p. 84).
281. Helvetius a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes1 Monsieur, J'ay refu jeudy la lettre2 que vous m'avez ecrite a Vore. Je suis party vendredy3 pour avoir 1'honneur de conferer avec vous sur ce qu'elle contient; j'ay passe a votre hotel le samedy. On m'a dit que vous ne seriez de retour a Paris et que je ne pourrois vous voir que le mardy. Ozerois-je vous prier, jusqu'a ce que j'aye eu avec vous une conversation, de ne parler a qui que ce soit de ce que vous m'avez ecrit? Vous me feriez tort et j'espere, lorsque je vous verray, pouvoir dissiper toutes vos craintes. Je suis extremement touche des marques de bontes que vous me donnez, et j'en conserveray toute ma vie la reconnoissance la plus vive. Je suis, avec le plus profond respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius Ce samedy, l er juillet 1758
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Gravure de Malesherbes par Gaucher
LETTRE 282 MANUSCRIT
*A. B.N., ms. fr. 22191, f° 33-33 bis"; 2 p.; orig. autogr. TEXTE a
Pagination que nous attribuons au deuxieme feuillet, qui n'en comporte pas et est blanc. NOTES EXPLICATIVES
1. Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes (1721-1794), fils du chancelier, directeur de la Librairie de 1750 a 1763, annees critiques pour le mouvement philosophique. Favorable au principe de la liberte de la presse mais tres conscient de son devoir, il ne reussira pas a pro-
Juillet 1758 teger son ami Helvetius des persecutions suscitees par son livre. Plus tard, il fera la preuve de son liberalisme et de son courage en plaidant pour Louis XVI devant la Convention. 2. Non parvenue jusqu'a nous. Averti par un de ses inspecteurs (v. lettre 287) peu apres 1'impression de L'Esprit, Malesherbes avait convoque en hate son auteur. 3. D'apres le Registre-journal de Vore, c'est bien le vendredi 30 juin qu'Helvetius a quitte Vore, ou il sejournait depuis le 5 du meme mois.
282. Helvetius a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes Monsieur, Mille pardons si je vous importune; ce n'est cependant pas tant en qualite d'auteur que de mary. Je voudrois bien pouvoir retourner a ma campagne et, par consequent, etre instruit de mon sort. Votre* suisse m'a dit que je ne pourrois vous voir avant mardy. Si vous reveniez avant ce tems-la a Paris, faites-le-moy dire, ou marquez-moy si je pourrois* voir celuy a qui vous avez renvoie mon ouvrage et scavoir ou il en est1. Je vous redemande a la fin de ma lettre encor un autre millions de pardons, mais vous sentez bien que je dois m'ennuier a Paris et ma femme a Vore. Je suis, avec respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius Ce samedy, [l er ] f2 juillet 1758 [adresse : ] A Monsieur / Monsieur de Lamoignon de Malesherbes / en son hotel / A Paris
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LETTRE 283 MANUSCRIT *A. B.N., ms. fr. 22191, f° 34-35; 2 p.
(demi-feuille pliee); orie. autogr.; cachet a u x armes d Helvetms s u r cire rouge. TEXTE Le nombre de ratures qu'elle contient donne a cette lettre 1'aspect d'un brouillon, mais la presence du cachet atteste qu'elle a bien etc expediee. a Le A : "Votre . Helvetius a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes [Vers le 6 juillet 1758]' Monsieur, Je vous ecris pour vous demander toujours le plus grand secret, pour qu'il n'y ait que vous qui examine mon ouvrage, ou dumoins quelqu'un d'aussy secret que vous-meme. Vous pourrez faire tous les retranchements que vous jugerez a propos de faire. Puisque vous me permettez de prendre 45
LETTRE 286
Juillet 1758
un amy pour juge, c'est vous que je prends. Comme je voudrois bien partir pour Vore, je desirerois que vous pussiez un peu m'expedier. Si vous vouliez me donner une heure de terns, je vous mont[r]erois les endroits qui pourroient blesser les hommes scrupuleux et peu eclaires. Vous sentez bien que je ne vous tromperois pas. Surtout ne lizez rien de mon ouvrage dans votre famille, car je ne sgais pas trop cornme elle pense et surement le secret2 se divulgueroit. Je suis, avec respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius [adresse : ] A Monsieur / Monsieur de Lamoignon de / Malesherbes / en son hotel / A Paris MANUSCRIT
done intermediaire entre les deux
*A. B.N., ms. fr. 22191, f° 31-32; 3 p. (demi-feuille pliee); orig. autogr.; cachet aux armes d'Helvetius sur cire rouge.
indiquees ci-dessus, 1'auteur en etant encore a demander a Malesherbes que celui-ci examine lui-meme son livre, responsabilite qu'il declinera.
NOTES EXPLICATIVES
1. Dans sa lettre a Malesherbes du 4 millet, Helvetius avait declare: e ne veux ni ne puis meme mettre davantage la main a cet ouvrage. Vers le 8, a cent a son epouse : II raut que e la I mon arrairej hnisse moy-meme, car [...J il nest point d'amis." La date de cette lettre est
2. Helvetius voulait sans doute eviter
que le public soit mis au courant de a deuxieme censure qu avait subie son ouvrage et de la recommandation de Malesherbes d y apporter des cartons a u x endroits l e s plus torts (Journal de la Libraine, B.N., ms. fr. 22160, r 99 verso),
286. Helvetius a Madame Helvetius [Vers le 6 Juillet 1758]l Je suis, ma chere amie, enchante de ta lettre. J'y vois que tu m'aimes autant que je t'aime. Oui, je fais bien de t'aimer a la folie. Oui, ma chere femme, je passeray delicieuzement ma vie avec toy. Je le sens de plus en plus tous les jours. Je vois que nous n'avons besoin [que] 1'un de 1'autre et que nous nous suffisons. Ce n'est point de la cour que vient la tracasserie que j'essuie et cela est fort heureux; ce sont des indiscretions de petits gens qui ont fait toute cette tracasserie qui dure cependant encor2. Je compte t'aller rejoindre dimanche 46
LETTRE
286
Juillet 1758
ou lundy pour ne plus revenir icy, a ce que j'espere, et c'est pourquoy j'aime mieux passer icy un jour ou deux de plus. Je t'expliqueray tout cela lorsque je seray a Vore. Je ne scais pas encor comment cela finirat. J'ay vu Mr de Feuillet3 qui m'a dit que 1'affaire de Thermite ne me couteroit pas grand'chose, parceque le fond de la procedure etoit bien fait et qu'on ne seroit pas oblige de la recommencer, mais qu'il y avoit deux nullites, 1'une parcequ'on n'avoit pas interroge le frere Francois, hermite 4 , qui par parentheze en a donne avis a Mr le procureur general 5 , 1'autre parcequ'on n'avoit [pas] mis le patient sur la sellete pour luy lire sa sentence. Mr de Feuilet croit qu'il y a eu omission de quelques interrogatoires dans le paquet que Mr Ducoudray6, greffier de Feuillet, a envoie au procureur general7. Je tacheray de le voir au sujet de 1'affaire de 1'eglize et pour qu'il la renvoie au prevost8. Adieu, ma chere amie. Depuis que je suis icy je cours comme un fou, car j'ay outre mes affaires encor celles de mon oncle9. Je t'embrasse et vais me coucher et sans toy. Mes respects a ta sceur. Embrasse mes enfants pour moy. [adresse : ] Route du Perche / A Madame / Madame Helvetius, en son / chateau de Vore, pres Regmallard / A Vore, pres Regmallard taire, lequel a quitte Vore le 30 juin (v. lettre 281, note 3). Elles sont anterieures aux deux autres, car Helvetius s'y preoccupe encore assez NOTES EXPLICATIVES peu de la deuxieme censure de son 1. II s'agit de la premiere d'une serie ouvrage, mais 1'ordre de leur envoi de quatre lettres non datees, adresest incertain. Signalons cependant sees de Paris par Helvetius a son que dans la lettre 288, 1'auteur fait epouse, alors a Vore (les trois autres : etat de motifs d'abattement qu'il ne lettres 288, 289 et 291). Les lettres semble pas avoir encore decouverts 291, ou Helvetius annonce etre sur a la date de la presente lettre. son depart, et 289, sont sans doute Observons enfin qu'Helvetius a du, a dater respectivement du 11 et 8 comme il le faisait toujours, ecrire a juillet, compte tenu des references sa femme des son arrivee a Paris, d'ou qu'elles contiennent au second exail suit qu'une ou plusieurs lettres de men de L'Esprit (v. les notes explilui, anterieures a celles-ci, ne nous catives de ces deux lettres). Quant sont pas parvenues. aux deux precedentes, elles datent 2. Helvetius pense ici a des intervende la periode comprise entre le 3 'et tions telles que celle de Salley (v. le 10 juillet : dans chacune, Helvelettre suivante). tius accuse reception d'une lettre de 3. Ambroise-Julien Clement de Feillet son epouse, et ces correspondances (1715-1778), conseiller au Parlen'ont pu atteindre la capitale que ment (v. lettre 269, note 5). quelques jours apres leur destina-
MANUSCRIT
*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; fragments de cachet sur cire rouge.
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LETTRE 287
Juillet 17 58
4. Le frere Francois Francois (1704- 7. Le procureur general avait demande 1759), hermite de 1'ordre de Saint"la minute du proces de Thermite de Francois, avait etc le seul temoin a St-Thomas" le 22 avril 1758, c'estrepondre au monitoire. II habitait a a-dire huit jours apres la decision du La Coupiliere, dans la paroisse de Parlement de "recevoir appelant". Boissy-Maugis (v. lettre 261 et Le dossier avait ete envoye au greffe archives de Vore). du Parlement le 3 juillet. 5. Guillaume-Francois-Louis Joly de 8. Affaire et prevot non encore identiFleury, procureur general du parlefies. ment de Paris (v. lettre 309, note 9. II ne peut s'agir que de 1'oncle 3). maternel d'Helvetius, Antoine de 6. Rene Lanois Du Coudray, greffier de Carvoisin d'Armancourt (v. lettre 1, la haute justice de Feillet. Remarques).
287. Charles-Alexandre Salley1 a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes A Ljslebelle 2 , le 6 juillet 1758 Monsieur, J'ay I'honneur de vous jnformer que Durand3 m'ecrit que vous suspendes le debit du livre de M. Helvetius et jl me temoigne la crainte qu'jl a que sa condescendance a m'en procurer la lecture n'en soit la cause. J'espere que vous ne desaprouveres pas, Monsieur, que je vous suplie de ne pas dire que je vous en ay rendu compte. Jl etoit et de mon devoir et plus encore de mon attachement de vous en parler, mais quelque peu de comparaison qu'jl y ait entre ce que je vous dois et la confiance que Durand m'a temoignee, j'ay toujours compte que vous voudries menager la delicatesse que je me dois faire de n'etre pas la cause jmmediate de la peine que ce nouvel ordre va causer a M. Helvetius et a luy. Plusieurs personnes ont lu son manuscrit; e'en est asses pour que la singular! te de 1'ouvrage aye perce jusqu'a vous, et j'ose vous demander par grace que ce soit par cette voye que vous en ayies entendu parler. J'assure Durand dans la response que je luy fais que je n'ay parle a personne de cet ouvrage. J'ay I'honneur d'etre, avec le plus respectueux attachement, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Salley
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LETTRE 288
Juillet 1758
MANUSCRIT *A. B.N., ms. fr. 22191, f° 28-28 bis; 2 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICATES
rencontre Duclos, Mme de Graffigny et sans doute aussi Helvetius.
2. La terre de L'Isle-Belle appartenait a Armand-Jerome Bignon (1711-
177). 0 bibliothercire du roi depuis
1. Salley (vers 1700-1761) avait ete 1743 er cousin ussu de germains de secretaire et homme de confiance de Maureas Maurepas, ministre de la Marine, 6. Laurent Durands mort en 1763 qu'il avait accompagne en exil lors libraire qui avait ete charge par Helque ce dernier avait ete contramt d vetius de publier De L Esprit avait quitter Paris. Cette disgrace ayant edite les premisers ourvages de Didepns fin en 1756, Salley avait pu rot et vollaborait avec Briasson, acceder en 1757 a la fonction d'in David et Le Breton a la publication specteur de la Libraine. Membre de
de l'Encyclopedie L"'Etat du fonds de la societe litteraire connue sous le
librairie" de Durand se trouve aux nom de Bout-du-Banc, il y avait
Archives notrarials (M.C., XLIX, 738).
288. Helvetius a Madame Helvetius [Versle7 juillet 1758]l Ta lettre, ma chere amie, m'encourage un peu. J'ay toute la doze de chagrin que je puis supporter; il ne m'en faudroit pas davantage. J'espere pourtant que ces tracasseries-cy finiront bientost, mais mon ame est toujours si abbatue que je ne vis point. Je songe a toy pour me soutenir dans tous les chagrins qui m'accablent. Je suis toujours en I'air et sans repos comme un juif errant. Si je n'etois pas venu icy, j'aurois ete perdu. Ah! ma chere ame, ma chere amie, *je suis* heureux de t'avoir et d'etre aussy sur que je le suis d'etre aime de toy. Tu es ma consolation; au moins, j'ay quelqu'un qui m'aime. Ah! qu'il est heureux dans le malheur d'avoir une femme aussy estimable. Tu ne scaurois imaginer quelle consolation ta tendresse met dans le cceur de ton mary. Je pleurs en ecrivant cette lettre, et en me rapellant combien je t'aime et combien je suis aime. II faudrat bien que tout cecy finisse et j'en sentiray mieux mon bonheur; je t'aimeray, s'il se peut, davantage. Aime-moy; ne me le dis pas trop dans ta lettre, de peur de trop m'attendrir, car mon ame ne peut supporter dans cet instant aucune secousse. Adieu, 1'ame de mon ame. Tu vois que je t'adore et, tu vois bien, je compte bientost t'embrasser. Demain matin j'espere en scavoir le moment. Adieu encor une fois. Ah! que ce mot est affreux! Tu vois le desordre de mon ame et combien je t'aime. Adieu done. [adresse : ] Rou[te du Perche] / A Madame / Madame Helvetius [en son] / chateau de Vore, proc[he Regmallard] / A V[ore]* 49
LETTRE 289
Juillet 17 58
MANUSCRIT
NOTE EXPLICATIVE
*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; fragments ". ' C'est sur ce mot que le A se termine. Le B porte : "votre tres humble [et] tres obeissant serviteur. De Lamoignon de Malesherbes." ^Ayant signe cette lettre, Malesherbes n'avait sans doute pas 1'intention d'en faire un second brouillon. Mais apres en avoir biffe neuf mots, il a du decider de la faire recopier. NOTES EXPLICATIVES
1. Voir lettre 258, note 2. Tercier avait etc charge en 1749, en tant que censeur royal, d'examiner des ouvrages relatifs a la politique, au droit et a 1'histoire, domaines ou sa competence etait reconnue. A son sujet, Bernis ecrira a Choiseul : "Tercier travaille vite; il faut revoir son travail; mais il est docile; en general, cela est bien monte et fort tranquille." (Bernis, Memoires et lettres, ed. Masson, 1878, 2 vol., II, p. 329.) 2. De I'Esprit, paru le 27 juillet, a fait immediatement grand bruit (v. lettre 292). Tercier repond a cette lettre le 5 aout. 3. Le 8 aout 1758, dans une lettre a la
duchesse d'Ayen, Malesherbes qualifie Tercier de "complaisant" (v. B.N., ms. fr. 22132, f° 107 recto). II s'exprimera en termes encore plus critiques dans ses Memoires sur la Librairie : "II est inconcevable qu'un censeur, et surtout un homme de 1'etat et du caractere de M. Tercier, ait approuve le livre De I'Esprit" (op. cit., 1809, p. 12). 4. Malesherbes s'abstient done d'informer Tercier que 1'ouvrage a subi une seconde censure, officieuse et destinee a tester anonyme. Ainsi, sur le plan reglementaire, le premier censeur restait le seul responsable de 1'approbation dont le livre etait revetu. REMARQUES
Le 4 aout, Mme de Graffigny explique ainsi a Devaux la reaction des ecrivains : "Les gens de lettres sont muets sur L'Esprit d'Helvetius. Jl y en a, je crois, parmy eux qui seront sourd volontairement quand les langues se denoueront et d'autres qui essourdiront les autres a force de crier. Je me trompe si vous-meme vous taises sur le chapitre de 1'amitie. Pour moy, j'en enrage de bon cceur car mon sentiment ne prouve pas pour 1'auteur." (Yale, G.P., LXVI, p. 20.) Le chapitre mentionne est le quatorzieme du discours III, intitule "De 1'amitie". Pour la reaction de Voltaire a ce chapitre, voir les Remarques de la lettre 364.
297. Jean Levesque de Burigny a Madame Helvetius [...] J'ai recu le livre de Mr Helvetius. [...] J'entend deja fredonner les theologiens et quelques jaloux qui traitent d'impiete et de licence la noble hardiesse avec laquelle on a attaque des erreurs trop accredited. 60
LETTRE 298
Aout 1758
[ . . . ] La reine en avoit dit beaucoup de bien. J'aprehende que si elle lit la note de la page 229 1 , elle ne change d'avis. [...] A Paris, ce 1 aoust 1758 MANUSCRIT
NOTE EXPLICATIVE
*A. Collection du marquis de Rosanbo, fonds Lamoignon 263 ap 6; 4 p.; orig. autogr.
1. De/'Esprit, p. 229, note (a) : "Quiconque tue le roi de Sumatra est elu roi. C'est, disent-ils, par cet assassinat que le ciel declare ses volontes."
298. Le pere Pierre-Joseph Plesse a Helvetius Monsieur, J'ay lu tout votre ouvrage : vous y peignez 1'esprit et le genie en homme qui en a toute la plenitude : s'il y en avoit une surabondance possible a 1'humanite, je crois qu'on la trouveroit en votre livre. Vous en aves fait en mil endroits 1'usage le plus heureux, on ne saurait trop vous en tenir compte, mais je ne saurois vous le dissimuler, une debauche d'esprit et de savoir vous a souvent emporte au dela du bien ou vous tendies. Avant que de lire votre ouvrage qu'on devore, j'en etois prevenu. Les reproches qu'on vous fait m'etoient revenus du sein du plus grand monde, de ce monde qui, quoyque peu scrupuleux, connoit cependant des regies que les plus grands auteurs doivent le plus respecter quand ils ambitionnent, en visant a 1'hutilite publique, la plus flateuse universalite des suffrages. On vous reproche des anecdotes, des images et des peintures voluptueuses qui coulent de votre plume elegante dans vos lecons morales et qui derogent a ces transports de zele et d'eloquence dont on ne sauroit trop admirer la force sublime et 1'heureuse energie. Quoique vous parlies de la religion avec respect et avec estime, il vous echappe des traits qui la blessent : en mil endroits on la *croit percee* sous des livrees etrangeres pa.rb 1'art des allusions et des allegories les plus sensibles. Je ne vous parle point du fond de 1'ouvrage : sous les auspices de 1'amitie la plus tendre et de la plus haute estime j'espere en disserter avec asses d'egards pour pouvoir, sans vous deplaire, m'acquitter envers le public judicieux de ce qu'il attend 1 . Je serai toujours plus jaloux de conserver les bonnes graces d'un amy solide que d'eviter la violence de nos ennemis 61
LETTRE
Aout 1758
298
passionnes. Je me flatte de vous dire le reste a Vore, ou j'aspire a 1'honneur de rendre mon hommage a Madame Helvetius et a tout son monde. Je suis, avec le plus respectueux devouement, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, R. P. Plesse Ce2 juillet [ = aout]2 1758 [adresse : ] A Monsieur / Monsieur Helvetius, en son / chateau de Vore / A Remalard MANUSCRIT
A. Bibl. mun. de Chartres; copie, qui a ete detruite (v. Remarques ci-apres). IMPRIME
*i. Jusselin, p. 24-25.' TEXTE
Note portee en haut du manuscrit par Charles-Jacques Collin, homme de confiance de Mme de Pompadour (v. lettre 336) : "Coppie par moy tiree sur 1'original d'une lettre du P. Plesses jesuitte, 1'un des autheurs du Journal de Trevoux, a M. Helvetius, dattee du 2 juillet 1758. "a Note de Jusselin : "Ilfautprobablement lire : wit percer." Le A : "par par". ' A en juger par les transcriptions que fournit Jusselin de passages figurant dans les planches de son ouvrage, il reproduit les originaux assez exactement. En ce qui concerne toutefois la presente lettre, 1'orthographe du texte que Jusselin en public presente probablement quelques infidelites par rapport a celle de 1'original detruit, etant donne les irregularites qu'elle comporte, surtout pour ce qui est des desinences verbales (peignez, aves; saurait, saurois). Nous n'en avons pas moins reproduit ce texte a la lettre, en ne modifiant parfois que la ponctuation et 1'accentuation, conformement aux principes suivis dans la presente edition.
62
NOTES EXPLICATIVES
1. II pourrait etre infere des termes employes par Plesse que cet ecclesiastique s'adressait a Helvetius en qualite de censeur officiel (v. Smith, p. 25). Cette hypothese doit pourtant etre ecartee, 1'ecriture de Plesse etant fort differente de celle du second censeur de L'Esprit (cf. les originaux autographes des lettres 290 et 448). En fait, Plesse se refere tres probablement, dans ce paragraphe, a un compte rendu critique de L'Esprit, qu'il avait alors 1'intention de publier dans le Journal de Trevoux. II renoncera a ce projet (v. lettre 368). 2. Par inadvertance, Plesse a date sa lettre du mois qui venait de se terminer. C'est au debut d'aout, et non de juillet, que le public a pu "devorer" le livre De I'Esprit (v. par. 1). D'autre part, Helvetius se trouvait a Paris le 2 juillet, alors qu'un mois plus tard il avait regagne Vore, ou la presente lettre lui a ete adressee. REMARQUES
La copie de cette lettre faisait partie du recueil Collin conserve a la bibliotheque municipale de Chartres (n° 18019, armoire 20, rayon D), qui a ete detruit, au cours d'un bombarde-
LETTRE 299 ment pendant la deuxieme guerre mondiale. C'etait un volume in-quarto, relie en veau, portant au dos le titre : PIECES SUR LE LIVRE DE L'ESPRIT, et sur le plat interieur, 1'ex-libris de Collin. La premiere partie du recueil comprenait plusieurs pieces imprimees concernant 1'affaire de L'Esprit, dont Ylndiculus de la Faculte de Theologie (v. lettre 371 et appendice 7) et une chanson sur Del'Esprit commencant ainsi : "O 1'incomparable livre" (v. appendice 2). La deuxieme partie, manuscrite, renfermait sept lettres d'Helvetius a Collin,
Aout 1758 quatre copies de lettres concernant De I'Esprit, une lettre autographe de Plesse, la copie d'une autre lettre de ce dernier, faite par Collin, et enfin deux exemplaires d'une chanson sur De I'Esprit commencant par les mots : "Admirez cet ecrivain-la" (v. appendice 1). Les deux lettres de Plesse sont la lettre 448 et la presente. Les quatre copies sont celles de deux lettres figurant dans le present volume (387 et 463), d'une lettre du secretaire de la reine de Suede en date du 10 fevrier 1761, et d'une quatrieme sur laquelleJusselin est muet.
299. Jean-Pierre Tercier a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes Monseigneur, Je suis tres sensible a la bonte que vous aves de m'informer des plaintes qui vous sont revenues centre le livre intitule De I'Esprit et de ce que, sur quelques endroits que vous en aves lu, vous voies avec peine que j'y aie donne mon approbation1. Jl se peut faire que les plaintes que ce livre excite soient fondees a quelques egards, et en ce cas je ne disconviendrai point d'avoir eu soin de 1'approuver, les raisons qui m'y ont determine n'estant pas suffisantes au jugement de gens plus eclaires que moi. Si vous venes icy demain, Monseigneur, et que vous voulies bien me donner vos ordres, je m'y rendrai exactement pour vous exposer les motifs que j'ay eus. Si vous ne venes pas, je compte aller la semaine prochaine a Paris; j'aurai 1'honneur de vous en prevenir. Si vous croies en attendant devoir suspendre le debit de ce livre2, et 1'edition in-12 que Ton en fait 3 , on aura le terns de mettre des cartons; j'ecris a 1'auteur ce que vous me marques qui excite en moi autant de regret d'y avoir donne lieu que de reconnoissance. Je suis, avec bien du respect, Monseigneur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Tercier A Versailles, ce 5 aoust 1758 63
LETTRE
300
Aout 1758
cier (v. les termes qu'il emploie dans la lettre 302, qu'il adresse le 7 aout a Jean-Omer Joly de Fleury). Get ordre a du etre donne le 5 au plus TEXTE tard. L'ecriture de Tercier, deja peu lisible, 3. II s'agit sans doute d'une edition en est d'autant plus difficile a dechiffrer que trois volumes dont les ornements et le censeur n'observait ni principes, ni le papier ressemblent a ceux de regularite en matiere de ponctuation, 1'edition originale publiee par d'accentuation et d'utilisation des Durand, et imprimee par Moreau (v. majuscules, et se preoccupait encore Smith, Bibliography, p. 315-317). moins de 1'espacement des mots (a ce A la page de titre de certains exemsujet, v. aussi Iettre425, notes relatives plaires de cette edition, figure la au texte). Tel etait egalement 1'avis de mention "A Paris, Chez Durand", ses contemporains, temoin la reference mais dans les autres, la page de titre, faite par un commis des Affaires etrancartonnee, porte "A Amsterdam & geres a un document ecrit "en grande a Leipzig, Chez Arkstee & Merkus". partie de la main de M. Tercier, dont II est probable que cette edition a la lecture est presqu'impossible" (Aff. ete une entreprise commerciale conre etr., Personnel, l serie, vol. 65, piece jointe des libraires hollandais et de 223, f° 374. Memoiredu l er aout 1775). Durand (v. lettre 344, Remarques), mais il n'est pas exclu qu'un autre NOTES EXPLICATIVES libraire ait utilise leurs noms pour 1. Tercier reprend les termes employes dissimuler 1'origine de son edition. par Malesherbes dans la lettre 296, Parmi les dix autres editions de a laquelle le censeur repond ici. L'Esprit publiees en 1758 et 1759, 2. Malesherbes a tres probablement fait cinq portent le nom de Durand, et arreter le debit de L'Esprit avant quatre, ceux d'Arkstee et Merkus. meme d'avoir recu cet avis de TerMANLJSCRIT
*A. B.N., ms.fr. 22191,f°4l-42;3 p.; orig. autogr.
300. Jean-Omer Joly de Fleury1 a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes Paris, ce 6 aoust 1758 Jl n'est pas, Monsieur, qu'il ne vous soit revenu comme a moy que le nouveau traite De I'Esprit cause dans le public une sensation des plus grandes. Je ne 1'ay pas lu, ainsi je ne suis pas a portee d'en juger par moymeme, mais on dit tout haut que ce livre attaque ouvertement la religion et sa morale. Je vais 1'examiner et en raisonner avec des personnes en etat d'en juger. Ne jugeries-vous pas convenable, Monsieur, d'apres ce premier jugement du public qui ne se trompe guerres sur des choses qui jnteressent autant le bien general de la societe, de faire suspendre tres rigoureusement la distribution de ce livre 2 ? Ce qui est fort singulier, c'est que j'ay vu sur
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Gravure de Jean-Omer Joly de Fleury par Coqueret d'apres la peinture de Le Moine
Aout 1758
LETTRE 301
le seul exemplaire que Ton m'en a montre 1'approbation d'un censeur, sur la foy duquel le privilege a etc accorde. Cette circonstance ne m'empesche pourtant pas d'insister aupres de vous pour arrester le livre et, comme vous aimes, Monsieur, que tout se passe dans 1'ordre et y soit ramene, ne jugeries-vous pas aussi convenable de faire passer ce livre sous les yeux de quelque theologien eclaire qui puisse juger sans partialite du merite ou des jnconvenients des principes du livre? J'ay 1'honneur d'etre, avec les sentiments les plus jnviolables d'attachement et de respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Joly de Fleury, avocat general [destinatatre : ] Monsieur de Malesherbes MANUSCRIT *A.e.N.,ms. fr. 22191, f°43-44; 2 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES
1. Jean-Omer Joly de Fleury (17151810), nomme avocat general au parlement de Paris en 1746 et premier avocat general en 1755, deferera De I'Esprit au Parlement en Janvier 1759 et deviendra president a
mortier en 1768. Frere puine du procureur general (v. lettre 309, note 3), ce magistrat s'est signale par son ardeur a promouvoir la censure publique et a reprimer la liberte de penser. Aussi s'est-il attire le mepris de Voltaire, qui 1'a qualifie de "bel esprit faux, qui hait les bons esprits" (Moland, x, p. 377). 2. Conseil deja exprime la veille par Tercier (v. lettre 299, et note 2).
301. Laurent Duranda Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes Monsieur, Si quelque chose peut me consoler de 1'ordre1 que vous m'avez donne de suspendre le debit du Trattte de I'Esprit, c'est la bonte que vous avez eu de me le faire tenir par Mr Gibert 2 ; j'en suis penetre de la plus vive reconnoissance. Dans le moment j'ai arrete la vente, & refuse de vendre cet ouvrage aux particuliers & colporteurs qui se sont presentes pour en acheter. Oserois-je, Monsieur, vous supplier de me continuer vos bontes, & de m'accorder votre protection dans des temps aussi facheux pour la librairie en general, & pour moi en particulier qui ai de gros engagemens a remplir,
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LETTRE 302
Aoutl758
& moins de debit que jamais, quoiqu'avec un fbnds assez considerable & sur lequel je dois beaucoup? Je suis, avec un tres profond respect, Monsieur, Votre tres humble & tres obeissant serviteur, Durand Ce 7 aoust 1758 MANUSCRIT
*A. B.N., ms. fr. 22191, f° 45-45 bis; 2 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES
1. Ordre peut-etre emis par une note ecrite non retrouvee. 2. Joseph-BalthasarGibert(1711-1771), ne a Aix, venu jeune a Paris pour y etudier le droit, avait etc recu en
1746 a 1'Academic des inscriptions et belles-lettres en tant qu'historien et erudit. En 1750, il devient secretaire a la fois de Malesherbes et du premier avocat general d'Ormesson. II sera ensuite inspecteur de la Librairie, puis inspecteur general du Domaine, tout en restant etroitement lie a Malesherbes.
302. Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes aJean-OmerJoly de Fleury Je ne suis pas surpris, Monsieur, de ce que vous me mandes qui vous a este dit du nouveau traite De I'Esprit1. Ce qui m'etonne beaucoup, c'est que le censeur y ait mis son approbation. Je n'avois pas attendu I'avis que vous voules bien me donner pour faire dire au libraire d'en arrester la vente. Quand vous aures examine le livre, vous ne trouveres peutetre [pas]* qu'il soit necessaire de consulter un theologien pour se determiner. Le censeur n'est pas theologien par etat, mais il passe pour homme de bien, homme eclaire, point leger, fait pour sentir les consequences de ce qu'il laisse passer. Et ce qu'il y a de plus singulier, c'est qu'il n'avoit aucune liaison personnelle avec 1'auteur et que je 1'avois averti de prendre garde a 1'ouvrage. Je 1'ay fort prie de passer ches moy et je compte le voir demain. II m'a deja mande qu'il persiste dans son sentiment2. Je vous rendray compte de ma conversation avec luy et en tout [cas]* j'auray 1'honneur de vous entretenir de cette affaire plus au long d'icy a quelques jours.
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LETTRE 303
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Vous connoisses I'attachement et le respect avec lequel, je suis, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, De Lamoignon de Malesherbes Paris, ce lb aoust 1758 MANUSCRITS *A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 341341 bis; 2 p.; orig. autogr. B. B.N., ms. fr. 22191, f° 48-48 bis; 2 p.; copie offic.
envoyee le 7 par Joly de Fleury est la lettre 304.a Ajoute par le copiste dans le B. Malesherbes avait d'abord ecrit "ce 8 aoust" dans le A, et a repasse sur le 8 pour former un 7 tres appuye. Dans le B, qui a ete ecrit avant que cette cor-
TEXTE
rection ne soit raite, le copiste a transEcnt en haut du A par le destmataire : cnt la date du 8, puis Malesherbes a Traite De I Esprit. Reponse a ma lettre aioute les mots du 7 aoust 1758 en du 6 aoust. Repondu a celle-cy le 7 que haut de la copie. le party etoit bon, que je pensois qu falloit enlever toute 1'edition et que NOTES EXPLICATIVES 1'arrest du Conseil pour revoquer le pri- 1. Voir lettre 300. vilege parut promtement." La reponse 2. Voir lettre 299.
303. Luigi Gualtieri1 au cardinal Alberico Archinto2 Emmo e Revmo Sigre, *Sigre Pron Colmo" [...] L'annesso grosso volume col titolo De I'Esprit che mi e parso necessario spedirlo per la posta stante il fracasso che qui fa per rapporto alia religione, e stato composto da un fermier generale chiamato M. Elvetius, che e figlio di un defonto medico della Msta di questa Regina3; e 1'approbatore di tal libro si e il Sigre Tercier, giubbilato officiale della Real Segret3 di Stato degli affari stranieri 4 . II medmo libro, per moke massime di totale liberta contrarie alia religione, fa del rumore anche nello stesso Parlamento, quale si spera, che dia manifesti segni di sua disapprovazione, e che lo condanni. lo pero mi stimo in precise dovere di parlarne alia corte, come procurero di fare nell'udienza di domani. [...] E qui rinnovando all'Emza Vra gli atti del mio sommo rispetto, profondamente m'inchino. D. V. Emza *Umo Dmo Obb° Serve* L'arcivescovo di Mira Parigi, 7 agosto 1758
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LETTRE
Aout 1758
303
[destinataire : ] Sige Card1 Segno di Stato / Roma con stampa [Traduction : ] Eminentissime et reverendissime Seigneur, Seigneur mon maitre tres respecte [...] Etant donne le bruit qu'il fait relativement a la religion, j'ai cru devoir vous expedier par la poste le gros volume ci-joint, qui porte le titre De I'Esprit. II a etc ecrit par un fermier general nomme M. Helvetius, fils d'un medecin maintenant defunt de Sa Majeste la Reine3. Et I'approbateur de ce livre est M. Tercier, fonctionnaire retraite du secretariat d'Etat royal des Affaires etrangeres4. Ce livre, qui contient de nombreuses maximes favorables a une liberte complete, et contraires a la religion, fait du bruit jusqu'au Parlement, qui, on 1'espere, donnera des signes non equivoques de sa disapprobation et le condamnera. Mais j'estime quand meme de mon devoir rigoureux d'en parler a la cour, ce que je tacherai de faire a 1'audience de demain. [...] Et renouvelant ici a Votre Eminence 1'expression de mon plus grand respect, je m'incline profondement. De Votre Eminence, le tres humble, tres devoue et tres oblige serviteur, L'archeveque de Mira Paris, 7 aout 1758 [destinataire : ] Monsieur le Cardinal Secretaire d'Etat / Rome. Imprimes MANUSCRIT *A. Archivio Segreto Vaticano, Nunziatura di Francia 501, fPs 146 recto146 verso, et 147 recto; 3 p.; orig. signe. TEXTE
Nous nous abstiendrons, dans les lettres suivantes echangees entre le nonce apostolique en France et le Vatican, de reproduire les formules d'usage. a Signore Padrone Colendissimo. b Umilissimo, Devotissimo, Obbligatissimo Servitore. NOTES EXPLICATIVES
1. Luigi Gualtieri (1706-1761) avait etc camerier d'honneur et prelat domestique de Benoit xui, inquisiteur du Saint-Office a Make, nonce pres le roi des Deux-Siciles (1743) et archeveque titulaire de Myra, en Lycie. En 1726, il avait ete charge
d'apporter la barrette a Fleury, qui allait devenir premier ministre de fait la meme annee. Nomme nonce apostolique a Paris en novembre 1753, Gualtieri le restera jusqu'au 28 septembre 1759, date a laquelle il sera nomme cardinal, comme 1'avaient deja etc deux membres de sa famille. D'apres Bernis, il n'avait pas "autant de discernement que de probite", il donnait sa confiance a des gens qui avaient "plus de prejuges que de lumieres et moins de bonne foi que d'artifice", et ses depeches n'etaient dressees "que d'apres des raports suspects ou meme infideles" (Aff. etr., C.P. Rome, f° 254 verso-255 recto). 2. Alberico Archinto (1698-1758), membre d'une illustre famille du Milanais et titulaire d'un doctorat en droit acquis en 1722, avait ete
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LETTRE
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successivement vice-legat de Bologne (1730), nonce a Florence (1739), puis en Pologne (1746-1754), et enfin gouverneur de Rome et archeveque titulaire de Nicee. Cree cardinal en avril 1756, ainsi que secretaire d'Etat et chancelier de 1'Eglise la meme annee, il quittera ces deux dernieres fonctions le 31 aout 1758. 3- Gualtieri ignorait qu'Helvetius avait abandonne sa charge de fermier general en 175 1, quatre ans avant la mort de son pere. 4. Tercier etait toujours en fonction. REMARQUES
Reponse d'Archinto, du 23 aout : "J'ai
recu avec plaisir le livre intitule De I'Esprit, que Votre Tres Illustre Seigneurie m'a expedie par le dernier courrier, et je suis encore plus content du bruit universellement dirige centre son auteur pernicieux, etant donne la liberte intolerable avec laquelle il s'est evertue a repandre ses maximes erronees, qui ne peuvent que devenir tres desavantageuses pour la purete de la religion. Je me rejouis a 1'avance d'apprendre les resolutions que prendra le Parlement pour reprimer une telle hardiesse, mesures que Votre Tres Illustre Seigneurie nous fait esperer." (Francia 615, f° 254; orig. signe.)
304. Jean-Omer Joly de Fleury a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes Paris, ce 7 aoust 1758 Je crois, Monsieur, que vous aves pris le bon party 1 . Mais jl faudroit faire enlever toute 1'edition, et que 1'arrest du Conseil qui revoquera le privilege parut promtem1. Cela peut seul tranquiliser le public et faire un exemple capable de rendre les censeurs plus circonspects. Je seray fort aise d'avoir 1'honneur de vous voir a ce sujet et, si j'etois assure de vous trouver, j'irois avec plaisir vous renouveller les assurances du respectueux attachement avec le quel j'ay 1'honneur d'etre, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Joly de Fleury, avocat general [destinataire : ] Monsieur de Malesherbes MANUSCRIT
*A. B.N., ms. fr. 22191,f°46-47; 1 p.; orig. autogr.
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NOTE EXPLICATIVE
1. Voir lettre 302.
LETTRE 305
A out 1758
305. Jean-Pierre Tercier a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes A Versailles, ce 7 aoust 1758 Monseigneur, Je compte partir d'icy demain de tres bonne heure pour me rendre a vos ordres. Je vous serai tres redevable de vouloir bien me les faire remettre ches M. Baron1, notaire, rue Coqheron, ou je loge, afin que les recevant a mon arrivee, je puisse les executer ponctuellement. Je vous aurai aussi, Monseigneur, beaucoup d'obligation de me mettre en estat de vous expliquer mes raisons de maniere que je puisse repartir mercredi au soir2 afin d'estre icy a mon devoir jeudi matin. J'attens ce soir M. Helvetius3. Je suis, avec bien du respect, Monseigneur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Tercier Je me rendrai ches vous a Paris, ou a Clichy4 comme vous le jugeres convenable. p.s. Je recois dans le moment, Monseigneur, la lettre dont vous m'honores5. J'y vois que vous etes a Clichy. Si vous ne me donnes point d'ordre contraire, je m'y rendrai demain au soir. II vous sera, Monseigneur, plus facile de m'entendre, et a moi de dire mes raisons. MANUSCRIT *A. B.N., ms. fr. 22191, f° 49-50; 3 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES
1. JJean-Louis Baron (vers 1720-1786), conseiller du roi et notaire au Chatelet depuis 1756 2. Le 9 aout. 3. A la date du 7 aout, le Registreournal de Vore porte la mention : Kemis a Monsieur Helvetius 360 .. livres pour faire son voiage de Paris . Helvetius n a done pu arriver a Versailles que le 8, sauf a admettre qu'il
est parti le matin tres tot et a fait tout le voyage "a creve-cheval", selon 1'expression du temps. 4. Le beau-pere de Malesherbes, Gas-
Pafd Gnmod d e L a Reymere, possedait a Chchy-la-Garenne une proPriete agrements de magnifrques jardins ou Malesherbes faisait de fre' quents sejours. 5. Cette lettre, posteneure a la lettre 296 expediee vers le i1e r aout, ne se trouve pas dans le dossier constitue par Malesherbes ( B . N . , ms. fr. 22191).
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LETTRE
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Aout 1758
306. Guillaume de Lamoignon de Blancmesnil1 a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes A Versailles, le 7 aoust 1758 L'ouvrage De I'Esprit fait icy grand bruit. Bien des gens m'en ont parle. J'en parlay hyer a M. 1'abbe de Bernis 2 , qui me dit n'en scavoir rien. Je crois qu'il m'a dit vray. Quoy qu'il en soit, tout le monde en parle. Mandesmoy si vous aves vu le censeur et ce qu'il vous a dit. [destinataire : ] M. de Malesherbes MANUSCRIT *A. B.N., ms. fr. 22191, f° 51-51 bis; 1 p. (feuille de 26 sur 19,5 cm, pliee); orig. autogr. TEXTE
L'ecriture de cette lettre est la meme que celle de deux autres lettres signees de Lamoignon (B.N., ms. Joly de Fleury 1683, f f s 8 8 e t 9 1 ) . REMARQUES
Mme de Graffigny exprime le meme jour ses premieres reactions au bruit que fait 1'ouvrage : "Parlons un peu a present du livre d'Helvetius. II fait un bruit terrible ycy. Pour peu que tu en aye lu, tu pense bien que la pretraille est bien dechainnee contre. J'atends avec jmpatience des nouvelles d'un courier que Mon r de Malzebes lui a envoye. Je crains qu'il ne soit question de quelques retractation. Enfin je ne scais ce que c'est. Tu scais que je suis comme Prusias3 : je n'aime pas que moi ou les miens nous ayons affaire avec la republique." (Yale, G.P., LXVI, p. 24.)
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NOTES EXPLICATIVES
1. Guillaume de Lamoignon de Blancmesnil (1683-1772), pere de Malesherbes, avait etc conseiller au parlement de Paris (1704), avocat general (1707), president a mortier (1723) et premier president de la Cour des aides (1746). En 1750, il succede a d'Aguesseau au poste de chancelier de France, qu'il conservera jusqu'a sa mort. Son conservatisme pieux, qui contrastait avec les idees assez liberales de son fils, rendait a celui-ci fort delicate la tache de diriger la Librairie, car toute 1'autorite de Malesherbes procedait de celle de son pere, chef de la magistrature. 2. Voir lettre 268, note 4. 3. Prusias, roi de Bithynie, avait consenti, devant les menaces des Remains, a tuer Hannibal. Cf. le Nicomede de Corneille, dans lequel Prusias declare : "Ah! ne me brouillez point avec la Republique. / Portez plus de respect a de tels allies." (Acte n, sc. II.)
LETTRE 307
Aout 1758
307. Helvetius a Madame Helvetius [Versle9aout 1758]1 Je t'ai done quitte, ma chere amie. Je suis loin de 1'endroit ou es[t] toute ma tendresse et tout mon bonheur. Pendant la route je disois : "Ma femme se leve, ma femme est triste, ma femme lit. Le dine sonne, elle boit interieurement a ma sante. Ma femme va sur la route de Paris*2 se promener, mais ma femme est triste parcequ'elle ne m'y trouverat pas. Ma femme enfin se retire chez elle et elle pense a moy." Excepte les moments ou j'ay affaire, dis-en de meme de ton mary. Penses-y a neuf heures sonnantes, car il est toujours rentre a cette heure-la et il pense a toy. C'est un rendezvous que je te donne. Je suis accable de critiques : il en pleut, et des plus cruelles. Mais malgrez cela mon livre se soutient. Je seray encor six mois en proie a la vile canaille, et cela est triste. II y a une quantite de gens acharne contre cet ouvrage, et je t'avoue que cela est desagreable. Oh! que j'ay vu d'amis me tourner le dos! Je puis bien dire : "Oh! mes amis, il n'est point d'amis3!" Mais tu me restes; c'est en toy que j'ay mis mon bonheur, et tu ne me manqueras pas. II paroit cependant qu'on me fait moins grize mine, et qu'on me refoit assez bien. Mais toutes les criailleries jesuittiques sont la cauze de ce froid. Je n'ay pas encor vu le pere Plesse, ni 1'abbe de Goove , mais j'ay eu en arrivant une scene *assez vive* avec ma mere. Oh! ma chere amie, que j'aurois voulu t'avoir avec moy, et que j'ay d'impatienc,e de t'aller rejoindre et de jouir avec toy de la tranquillite de nos champs. *Je vais me coucher et mes pieds ne rechauferont [point] les tiens. Je ne te tiendray point dans mes bras. Je ne riray point avec toy des sotizes que nous aurons entendu dans la journee/ Oh! que cette confianfe, le doux epanchement de 1'ame est delicieuze avec ce qu'on aime. Que de sources^ de bonheur tu m'as fait trouver; j'en jouiray dans peu de jours, et mon abscence me les rendra encor plus agreable. Adieu, ma chere amie. Je n'ay pu voir encor Mr Forme5; il n'etoit pas chez luy, et je suis accable de petites affaires. Aime-moy et porte-toy bien. Je compte aller dimanche a Marly6. MANUSCRIT
NOTES EXPLICATIVES
*A. Vore; 4 p.; orig. autogr.
1. Cette lettre est la premiere d'une serie de cinq, adressees par Helvetms a sa femme restee a Vore, au debut de 1 affaire de LEspnt, le quatre autres etant les lettres 317, 318, 321 et 323. Aucune n'est datee, mais il est mentionne dans la
IMPRIME
I. Gmllois, p. 430-431 (extrait). TEXTE " Le I : "paves". b Omis dans le I. '"Le I : "joies et".
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LETTRE
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lettre 318 que la reine a exige d'Helvetius une retractation — celle qu'il elaborera a la mi-aout. D'autre part, le 5 aout, Tercier a informe Helvetius, alors a Vore, du bruit provoque par son ouvrage (v. lettre 299); le 7, il a ecrit a Malesherbes qu'il attendait 1'arrivee d'Helvetius a Versailles pour le soir meme, a la suite de quoi le directeur de la Librairie a envoye un courrier a Helvetius (v. lettres 305, et 306, Remarques). Et nous savons que ce dernier n'est arrive a Versailles que le 8 (v. lettre 305, note 3). La presente lettre, dont la teneur indique qu'elle est la premiere qu'Helvetius a ecrite depuis son arrivee a Versailles, est done a dater du 9 aout, a un jour pres. 2. Le chateau de Vore est situe a quelque 500 metres de 1'ancienne route Paris-Le Mans. 3. Aristote, d'apres Diogene Laerce (Vie des philosophes, v, 21). Cf. Ethique de Nicomaque(ix, x, 6). Helvetius avait
Aout 17'58 exprime la meme idee dans la lettre 289. 4. D'apres Voltaire, 1'abbe Degouve, qui avait etc banni de la maison paternelle par son pere, "congreganiste de la congregation des messieurs", parce qu'il aimait les vers, avait ete deux ans novice chez les jesuites. "Grand garcon bien fait, ayant de 1'esprit, ne sachant que faire", il s'etait presente en 1739 a Cirey. Voltaire lui avait fait don du manuscrit de sa Vie de Moliere, et Degouve 1'avait vendu au libraire Prault (v. Best. D. 1920, 1924, 1930, 1956, 1957 et, dans le Supplement [vol. 130, p. 71], D. 1920). 5. Soit Pierre-Louis Forme le Jeune, procureur du Parlement depuis 1746, soit, plus probablement, Louis Forme (1690-1763), procureur depuis 1712. Forme avait recu une procuration d'Helvetius le 5 juin (v. M.C., LVI, rep. 10). 6. Chez la comtesse de Vasse.
308. Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes a I'abbe Francois-Joachim de Pierres, comte de Bern is [9 aout 1758]" Je viens d'apprendre, Monsieur, par M. Tercier que vous lui conseilles de presenter une requete au Parlement dans laquelle il retracte 1'approbation qu'il a donnee au livre De I'Esprit, et cela pour prevenir une procedure qui pourroit etre dirigee contre lui. Si ce sont quelques-uns de messieurs du Parlement qui vous ayent donne ce conseil, j'en suis on ne peut plus surpris . Jl n'est pas etonnant, Monsieur, qu'occupe d'affaires d'un tout autre genre, vous les croyes dans ce qu'ils avancent sur 1'ordre des jurisdictions.
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Mais ils doivent scavoir que 1'usage n'est point que le Parlement fasse rendre compte aux censeurs royaux de 1'execution des ordres que leur donne M. le chancelier. Outre que le Parlement n'a sur cela aucune possession en sa faveur, vous sentires aisement combien il seroit dangereux de lui donner un pareil droit; et si dans ce moment-cy on laissoit faire un acte de possession qui pourroit etre allegue dans d'autres circonstances, vous sentes combien M. le procureur general, moy et tous ceux qui y ont eu part nous aurions de reproches a nous faire. D'ailleurs la crainte d'un decret qu'allegue M. Tercier est une crainte frivole ou au moins prematuree. Je ne crois pas que le Parlement se porte a une procedure dont il n'y a pas d'exemple, et je ne peux pas me persuader que M. le procureur general, qui est parfaitem' instruit des principes, y prete son ministere. Au reste, quand meme il en auroit le projet, il est toujours certain qu'il ne feroit rien sur cela sans avoir pris les ordres de M. le chancelier. Ainsi quelque chose qui arrive, la demarche qu'on propose a M. Tercier est toujours au moins inutile dans ce moment-cy. Si les choses se passent comme elles se sont toujours passees, il ne doit jamais la faire. Si au contraire on croit que ce soit le cas d'innover et de donner au Parlement une nouvelle autorite, il en sera toujours terns quand 1'affaire aura etc discutee. En voila plus qu'il n'en faut, Monsieur, pour vous faire connoistre que ce conseil n'est qu'un piege pour etablir indirectement et par le fait particulier de M. Tercier une jurisdiction que le Parlement n'a jamais pretendu avoir. Et quand meme la question seroit douteuse, au moins est-il certain que ceux qui 1'eleveroient dans ce moment-cy susciteroient gratuitem c une affaire fort embarassante. Je dis gratuitement puisqu'il y a eu beaucoup d'affaires du meme genre dans lesquelles le Parlement n'a jamais pretendu envelloper les censeurs. Si cependant on trouvoit dans les registres du Parlement quelques exemples contraires, ce que je ne pretends pas assurer, parce qu'on en trouve de tout, ce sont des exemples singuliers et contraires au droit actuel, dont par consequent il est peu convenable d'argumenter. Voila, Monsieur, tout ce que je peux dire sur le fond de 1'affaire et une lettre n'est pas susceptible d'un plus grand detail. A present me permettres-vous de parler de la forme dans laquelle elle s'est presentee avec toute la franchise dont j'ay toujours fait profession avec vous et dont j'espere que vous me permettres de ne point m'ecarter par la suite? Des que j'ay etc instruit du bruit que faisoit le livre De I'Esprit, j'en ay averti M. le chancelier, et en meme terns j'ay prie M. Tercier de passer chez moy quand il viendroit a Paris. Je manday a mon pere que le censeur avoit 1'honneur de travailler sous vos ordres et que par cette raison je croyois 75
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Aout 1758
lui devoir 1'egard de ne proposer aucun parti sans m'etre concerte avec lui. Sur cette lettre mon pere vous en parla et attendit que je lui rendisse compte de ma conversation avec M. Tercier. J'ay eu cette conversation hier matin; j'allay a Versailles le soir; je portay a mon pere un projet d'arret du Conseil2 pour la suppression de 1'ouvrage. Le censeur n'est point nomme dans ce projet. D'ailleurs il est important de rendre cet arret tres promptement pour prevenir le bruit que 1'affaire pourroit faire au Parlement. J'en fis 1'observation a mon pere, et malgre cela il me repondit qu'il ne vouloit rien statuer sans vous en avoir entretenu et vous avoir communique son projet. J'ay fait prier M. Tercier de passer ce matin chez moi pour vous demander de sa part un rendes-vous pour terminer cette affaire, et c'est alors que j'ay appris le conseil que vous lui aves donne. Au reste, Monsieur, tout cela est tres aise a arranger. Mon pere, comme j'ay eu 1'honneur de vous le dire, ne compte faire rendre 1'arret du Conseil qu'apres vous 1'avoir communique. II vous expliquera mieux que je ne pourrois le faire les inconveniens de ce qu'on propose a M. Tercier et concertera avec vous les mesures necessaires pour prevenir les demarches du Parlement centre un homme qui vous est attache et qui, malgre la faute qu'il a faite dans ce moment-cy, est a beaucoup d'autres egards tres dlgne de votre protection. J'ay 1'honneur d'etre, &c. MANUSCRIT
*A. B.N., ms. fr. 22191, f° 55-56; 3 p.; copie offic. IMPRIME
I. Ozanam, p. 167-169. TEXTE
" Mention portee en haut du A : "Copie de la lettre que M. de Malesherbes a ecrite a M. 1'abbe de Bernis au sujet du livre intitule De I'Esprit et censure par M. Tercier, du 9 aoust 1758." NOTES EXPLICATIVES
1. Malgre la formule conditionnelle qu'il emploie par civilite, Malesherbes savait que les gens du roi avaient effectivement donne un tel avis a Bernis, connaissance dont il
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conviendra en fevrier 1759 : "M. Tercier disait au contraire, 1'annee passee, que c'etait M. le cardinal de Bernis qui le lui avait conseille par 1'avis de MM. les gens du roi du Parlement." (Memoires, 1809, p. 28.) Voir aussi lettre 309. 2. Deux versions de ce projet d'arret ont etc redigees, 1'une et 1'autre de la main de Malesherbes, et se trouvent a la B.N. (ms. fr. 22191, f 5859). L'arret est date du 10 aout. Sur le role de Malesherbes dans 1'affaire de L'Esprit, voir "Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes et 1'affaire du livre d'Helvetius De I'Esprit", these de maitrise de William Hanley, soutenue en Sorbonne en 1972.
LETTRE 309
Aout 1758
309. Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes aJean-OmerJoly de Fleury [9 aout 1758]" Je viens d'apprendre, Monsieur, par Mr Tercier1 que M. 1'abbe de Bernis lui avoit conseille de retracter son approbation par une requete au Parlement de peur d'un decret. Vous scavez mieux que moi que dans les affaires de ce genre, le Parlement n'a jamais poursuivi les censeurs qui prennent les ordres immediats de M. le chancelier. Mais comme nous sommes dans un temps ou on voit souvent des choses nouvelles, celle-la pouroit etre du nombre. Cependant j'ai assure M. Tercier qu'il pouvoit ne pas se presser de faire cette demarche. Je 1'ai meme mande a M. 1'abbe de Bernis2 et *j'y ai ajoute* que j'etois certain que ni M. le procureur general, ni vous n'entameriez une affaire de cette nature, contre un homme qui dans 1'espece presente a agi par les ordres de M. le chancelier, sans Ten avoir prevenu et lui avoir demande son consentement. Voila 1'avantage qu'il y a a traitter des affaires avec ses parents, ses amis et des personnes "qu'on connoit depuis longtemsf. Si j'avois eu affaire a tout autre procureur general3 ou*' avocat general, je me serois contente de dire que c'est la la conduite que je croi qu'ils doivent avoir; mais pour vous, Messieurs, j'ai assure que ce seroit celle que vous auriez et je ne crains pas que vous "me desavouieze; je le mande pareillement a mon pere qui vous connoit trop 1'un et 1'autre pour douter de votre facon de penser. Pour moi, Monsieur, vous connoissez la mienne et 1'attachement respectueux avec lequel j'ai 1'honneur d'estre, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, De Lamoignon de Malesherbes MANUSCRITS *A. B.N., ms.Jolyde Fleury 572, f° 342342 bis; 2 p.; orig. signe. B. B.N., ms. fr. 22191, f° 52-53; 3 p.; brouillon autogr. TEXTE
Le copiste reproduit assez hdelement 1 orthographe des brouillons de Malesheroes, mais allege parrois les phrases, sans doute sous la dictee de 1 auteur des i lettres. Malesherbes a mscnt au bas du B : "A Paris, ce 9 aoust 1758".
D'autre part, le destinataire a ajoute en haut du A : "Recu le 9 aoust 1758. Recrit a Mr 1'abbe de Bernis le 10 aoust
en luy envoyant copie de la lettre de Mr
de Malesherbes." Cette lettre de JeanOmer Joly de Fleury a Bernis ne nous
est pas parvenue. Le B : j y aioute . Le B : sous qui on a anciennement 1 honneur de travailler . Aioute dans le B : tout autre . Le B : men dementies .
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LETTRE 310 NOTES EXPLICATIVES 1. Malesherbes avait recu Tercier le matin du meme jour (v. lettre precedente). 2. Voir lettre 308. 3. Guillaume-Francois-Louis Joly de Fleury (1710-1787), frere ame de Jean-Omer, successivement substitut (1729), avocat general (1731) et premier avocat general au parlement de Paris, en etait le procureur general, ayant succede a ce poste a son pere, Guillaume-Francois, en 1746. II n'avait ni 1'esprit penetrant et la science juridique de son pere, ni la personnalite volontaire de son frere cadet (v. lettre 300, note 1).
Aout 1758
LEL dossieq quil avit constitue sur 1'affaire de L'Espnt se trouve dans la collection Joly de Fleury (n° 352).
^oir * son su)et Lesjo/y de Fleury, de
Paul Bisson (1964, p. 35-40). 4 - En 1741, Malesherbes, alors age de vm ^ ans > etait devenu substitut du procureur general, GuillaumeFrancois Joly de Fleury (v. note 3 cidessus). REMARQUES Au grand deplaisir de Malesherbes,
Tercier finira par soumettre au Parle-
ment une retractation de son approbation et une requete ou "supplication" v
iettres 403, 404, 408 et 412).
310. Jean-Omer Joly de Fleury a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes Ce 9 [aout 1758] Je pars, Monsieur, pour la distribution des prix de 1'universite. C'est ce qui fait que je n'ay qu'un moment pour vous repondre. Vous aves bien dit en repondant que rien ne se feroit que de concert avec vous. C'est une jdee qui nous est venue hier ches Mr le premr presid.1 ou etoit Monsieur d'Ormesson2. Vous sentes qu'un auteur comme un censeur paroissent responsables de laisser passer dans le public un livre qui renverse la religion et que le Parlem', le condamnant, ne pouroit s'empescher de sevir centre 1'auteur et le censeur; qd je dis le Parlemr c'est la grd-chambre3. Vous juges bien que 1'avis que Mr 1'abbe de Bernis a donne n'estoit qu'un conseil de prudence et a murir avec vous, Monsieur, et Mr le chancelier. Nous ne voulons certainement qu'eviter au censeur que nous aimons et estimons les desagrements auxquels il se trouve expose sans mauvaise intention de sa part, et le mettre meme par sa conduite a la bry du dechainement de personnes de tous etats qui s'elevent centre le livre. Vous nous seres d'un grd secours pour nous tirer de tout cecy et vos conseils auxquels nous avons tant de titres pour pretendre nous seront necessaires. Nous n'aimons pas le bruit, mais nous ne pouvons pas garder le silence sur un livre de cette espece, sur lequel meme on ne voit nulle marque d'improbation publique de 1'autorite du roy par la revocation du privilege. Vous connoisses, Monsieur, mon respect et mes sentim5. 78
Aout 1758
LETTRE 311 MANUSCRIT
*A. B.N., ms. fr. 22191, f° 54-54 bis; 1 p. (feuille de 27 sur 18 cm, pliee); orig. autogr. TEXTE
Les nombreuses abreviations que contient cette lettre refletent la hate avec laquelle elle a ete ecrite. NOTES EXPLICATIVES
Cette lettre est une reponse a la precedente. 1. Mathieu-Francois Mole (17051793), devenu conseiller en 1724 et president a mortier en 1731, avait accede a la charge de premier president du Parlement en 1757. II s'en demettra en 1763. 2. Louis-Francois de Paule Le Fevre d'Ormesson de Noyseau (17181789), avocat general (1741), premier avocat general (1747), puis president a mortier au parlement de Paris (1755-1771). Admis a 1'Academie des inscriptions et belleslettres en 1776 a titre de membre honoraire, ce magistrat integre et laborieux a joue plus d'une fois un role de mediateur entre le roi et le Parlement.
3. Cette precision a pour but d'apaiser Malesherbes : alors que tous les parlementaires etaient admis a deliberer lorsque les chambres etaient reunies, seuls siegeaient a la grandchambre un certain nombre de presidents et de conseillers, ainsi que le roi, les princes du sang, les dues et pairs, le chancelier, le premier president (seul parlementaire nomme par le roi), et les "gens du roi" (le procureur general, ses douze substituts et les trois avocats generaux). Ces derniers, quoiqu'ayant achete leurs charges, n'en etaient pas moins dans une grande dependance par rapport au gouvernement. Intermediates entre les chambres et le roi, ils se trouvaient souvent dans une situation delicate, recevant des injonctions contradictoires des deux pouvoirs. Dans 1'affaire de L'Esprit, c'est un tel conflit d'influences qui s'est produit. Malgre raffirmation de 1'avocat general, c'est aux chambres reunies qu'a ete defere 1'ouvrage d'Helvetius, et les gens du roi ont eu la tache malaisee d'essayer de temperer les tendances repressives de celles-ci (voir lettre 404, note 2).
311. Guillaume de Lamoignon de Blancmesnil a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes A Versailles, le 11 [= 10]T aoust 1758 Je viens de voir M. Tercier. Le projet de donner une requeste au Parlement est ridicule. Je luy charge de faire voir a M. 1'abbe de B[ernis] le projet d'arrest du Conseil. II vient de me dire de sa part qu'il le trouvoit bien. Je vous envoye une copie de I'arrest; mandes le directeur de 1'Imprimerie royalle2, des que vous aures recu la presente, pour luy dire d'impri-
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Aout 1758
LETTRE 311
mer tout de suitte 1'arrest3 mais de ne pas le publier qu'il n'ayt de mes nouvelles. Je doutte que je puisse voir le Roy ce soir pour luy montrer 1'arrest qu'il approuvera sans doutte, et sur-le-champ je manderay a I'lmprimerie royalle qu'on le face publier et crier. Si je ne vois le Roy que demain, comme il y a apparence, on n'aura de mes nouvelles a I'lmprimerie royalle que demain sur les cinq heures. Je songe que vous estes a Clichy ou cette lettre pourra vous trouver. Si cela est, vous n'aures qu'a ecrire au directeur de I'lmprimerie royalle. Le porteur de la presente se chargera de porter la lettre. Vous me le renvoires quand vous n'aures plus besoin de luy/ Je viens d'apprendre que le Roy arrivera a six heures. Si cela est, je pourray bien des ce soir mander que 1'arrest soit public demain matin. [destinataire : ] M. de Malesherbes MANUSCRIT *A. B.N., ms. fr. 22191, f° 60-60 bis; 1 p. (feuille de 26,5 sur 19,5 cm, pliee); orig. autogr. TEXTE
a
L'expediteur a fait suivre ces mots du chiffre 1 et a trace au-dessous une ebauche de ligne pour marquer la fin de sa lettre. Le dernier paragraphe est done un post-scriptum. REMARQUES
Le jour meme, Lamoignon envoie une seconde lettre a son fils sur le meme sujet : "Je viens d'envoyer a M. Du Perron2 ordre de faire publier 1'arrest du Conseil demain matin. J'ai vu le Roy ce soir qui en est convenu. J'avois oublie de vous envoyer un titre pour 1'arrest; je viens de 1'envoyer aussy a 1'Imprimerie royalle. Je regarde cette affaire comme finie. Je vous renvoye vos arrests que j'avois garde . Mes compliments a vos dames." (B.N., ms. fr. 22191, f° 5757 bis; 1 p. [feuille de 26 sur 19,5 cm, pliee]; orig. autogr.)
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NOTES EXPLICATIVES
1. Lamoignon a redige sa lettre le 10, mais ne comptant pas pouvoir rencontrer le roi ce meme jour, et ne croyant done pas pouvoir expedier la presente avant le lendemain, il 1'a datee du 11. II a ensuite perdu de vue qu'il avait ecrit cette date, ce dont temoignent les mots "ce soir" (6e phrase), et a omis de la corriger. C'est le 10 que 1'arret du Conseil a ete approuve et que Lamoignon a ecrit a Malesherbes une autre lettre, qui est certainement posterieure a celle-ci (v. Remarques ci-dessus). 2. Jacques Anisson-Duperron, ecuyer, seigneur de Ris-Orangis, avait succede a son frere aine en 1733 comme directeur de rimprimerie royale, fonction qu'il exercera jusqu'a sa mort(1788). 3. Pour le texte de 1'arret, voir 1'appendice 3- Le plus souvent les conseillers du roi siegeaient en 1'absence de celui-ci. Ces seances, que presidait le chancelier, etaient appelees "comites des ministres". 4. Voir lettre 308, note 2.
LETTRE 312
Aout 1758
312. L'abbe Francois-Joachim de Pierres, comte de Bernis, a Jean-Omer Joly de Fleury Ce llaoust [1758] Mr de Malhzerbes, Monsieur, s'est echauffe dans son harnois sans savoir trop pourquoy. Mais tout cela est appaise. Le livre De I'Esprit est proscrit par un arret du Conseil. Ainsi il y a apparance que cette affaire n'aura plus de suites. J'ay deffendu par ordre du Roy au Sr Tercier d'approuver aucun livre qui n'auroit pas un rapport immediat a la politique. Je vous assure qu'il n'a hi1, ni entendu celui de L'Esprit. J'avoiie que je suis etonne de la facilite avec laquelle on permet 1'impression des livres modernes. Le materialisme est la theologie d'aujourdui, et 1'independance le but auquel on appelle tous les membres de 1'Estat. II y a a perdre pour tout le monde si ce mauvais esprit continue a se rependre et a s'etablir. Vous connoisses mon tendre attachement. MANUSCRIT *A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 343; 1 p. (demi-feuille); orig. autogr.
TEXTE
Lettre n o n signee, mais entierement la mam de Bernis. NOTE EXPLICATIVE 1. Affirmation que Tercier dementira en fevrier 1759 "(v. lettre 425).
D'apres Colle, Tercier avait lu De I'Esprtt avec une grande attention, car le lendemain du bruit provoque par 1'affaire, il avait fait "un petit memoire justificatif de sa conduite, qui contenait en deux pages un resume si precis de 1 ouvrage, que Ton ne saurait douter qu'il 1'eut bien present a 1'esprit" (Colle, II, p. 152).
313> L'abbe Francois-Joachim de Pierres, comte de Bernis, a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes A Versailles, le 11 aoust 1758 M. Tercier m'a remis, Monsieur, la lettre1 que vous m'avez fait 1'honneur de m'ecrire sur 1'approbation qu'il n'auroit pas du donner au livre De I'Esprit. Tout mon objet etoit que Ton put concerter entre vous, Monsieur, et M. le procureur general les moyens de le tirer de cette desagreable affaire dont il auroit etc facheux pour luy que le Parlement cut pris conoissance. L'arrest du Conseil qui doit etre public aujourdhuy suivant le cours ordinaire de ces sortes d'affaires, terminera selon les apparences celle-ci. II ne 81
LETTRE
314
Aout 1758
peut trop se louer, Monsieur, de tout ce que vous avez bien voulu faire pour luy dans cette occasion et des bontes de M. le chancelier dont il m'a rendu compte. Je suis, avec un inviolable attachement, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, L'abbe comte de Bernis [destinataire : ] M. de Malesherbes, Per Presidc de la Cour des Aydes MANUSCRIT
NOTE EXPLICATIVE
*A. B.N., ms. fr. 22191, f° 61; 1 p. (feuille de 31,5 sur 20 cm, non pliee); orig. signe.
1. Lettre 308.
314. Victor Riqueti, marquis de Mirabeau1, a Helvetius Paris, 11 aout 1758 [Mirabeau peint a Helvetius, sous les couleurs les plus vives, le concert de recriminations que son livre De I'Esprit lui attire.] [...] Votre livre excite aujourd'hui un dechainement universel centre vous. On vous accuse d'attaquer ouvertement tous les principes moraux et physiques de la societe. [...] J'y consulte sur cela des hommes de trop de genie pour etre intolerants, et je les ai trouves d'une chaleur qui m'a effraye. [...] M. de Fenelon se condamna lui-meme 2 . [...] Pourquoi une belle ame de nos jours ne se sentirait-elle pas la force d'imiter une belle ame du siecle passe?
MANUSCRIT
*A. L'original autographe comprenait quatre pages selon le fichier Charavay, qui n'en fournit que le resume et les extraits ci-dessus. NOTES EXPLICATIVES
1. Le marquis de Mirabeau (17151789), pere du celebre revolution- • naire, avait eu une jeunesse tapageuse suivie d'une carriere militaire. Apres avoir public L'Utilite des Etats provinciaux (1750), il s'adonne 82
surtout a 1'etude des doctrines physiocratiques. C'est son second ouvrage, L'Ami des hommes (17561758), origine de sa liaison avec Quesnay, qui le rend celebre par la sensation qu'il cause. Le marquis de Mirabeau publiera egalement une Theorie de I'impot (1760), et, apres un emprisonnement a Vincennes et un exil sur ses terres, une Philosophic rura/e(U64).
LETTRE 315 2. En 1699, Fenelon avait retracte les "erreurs" de son Explication des maxims des saints (1697), ouvrage condamne par la Sorbonne et par le pape. REMARQUES
Cest loin d etre avec un enthousiasme unanime que les philosophies avaient accueilli la parution de L Esprit, et 1 invitation a se retracter adressee par le marquis de Mirabeau a Helvetms n en est qu une illustration. Tous les Enqclopedistes ne sont pas ses partisans, cent Jean-Michel Hennm a son his, puisque d Alembert en dit pis que r , pendre. Les autres pretendent que ce qui
Aout 1758 luy a fait prendre ce parti, c'est qu'au moyen de L'Esprit une douzaine de petits ouvrages q u ' j l etoit prest de faire paroitre et qui roulent sur les memes matieres deviennent inutiles et ne pourn ront voir le pur. (Lettre du l10 septembre 1758, Institut, ms 1262, r 5 8 recto.) Les memes sentiments seront cn expnmes par Grimm en revner 1759 : On peut dire avec vente qu il [De I Espnt\ n a pas etc assez utile aux hommes m au progres des lettres et de la philosophie pour nous dedommaeer du coup qu il a porte en France a la liberte de Denser et d ecnre. (Corr. litt., IV, p. oU.)
315. Madame de Graffigny a Francois-Antoine Devaux Vendredi, 11 aoust [1758] [...] Je fus obligee hier de sortir le matin, quoique fort traineuse, pour aller tacher d'arreter les poursuites du procureur general centre L'Esprit. Je n'en obtins que sa parolle de ne rien faire de lui-meme, mais il me dit que le Parlement etoit si revoke qu'il craignoit qu'on ne le forca. Je fus diner par fantaisie chez mon embassadeur1 ou je fus comme chez moi car il lut haut jusqu'a six heures que j'en sortis. Un moment apres que je fus rentree, Nicole vint et sa niece 2 , et puis Helvessius que j'etrillai de la bonne sorte, et puis je mis I'emplatre avec I'article de ta lettre qui le regarde dont il fut bien contant 3 . II te remercie et te fait mille complimens. II venoit m'apporter ton livre et voici comme j'arange cela. J'avois garde celui que j'ai achete au Bon Ami 5 , croiant qu'il arrivoit. Puisqu'il ne vient pas, qu'il te rende tes 10c 12. On gardera le livre et je lui donnerai le tien ici. [...] J'ai eu le Dromgold a diner aujourd'huy qui m'a bien amusee apres diner, et puis le seigneur de L'Esprit a qui j'ai montre 1'aret du Conseil qui 1'anule. Nous n'en faisons plus que rire. II ne craint plus que le Dauphin, mais quand il ira a la cour, tout sera oublie. MANUSCRIT
REMARQUES
*A. Yale, G.P., LXVI, pp. 31-32 et 32- Deux jours plus tard, Mme de Graffi33; 3 p. (demi-feuille pliee); orig. ' gny se montre toujours aussi optiautogr.; cachet sur cire rouge. miste : "Beaucoup d'autres que toy 83
LETTRE 315
n'ont pas concu comment le censeur du livre d'Helvetius a laisse passer certains traits hardis que tu desaprouve. Toutte la pretraille est dechainnee contre. Enfin le livre est suprime par un arrest du Conseil. II seroit peutestre arrive pis si le Parlement eut eu la prevantion sur lui. Cependant 1'auteur a baucoup de sectateurs. II est vrai que son ouvrage contient baucoup de belles et bonnes choses, mais jl a trop hazarde a bien des egards. D'abort jl a eu des alarmes; depuis la supresion jl est tranquile mais un peu embarasse de presenter sa personne en cour parceque tu sens bien que les gens les plus dechaines contre son livre ne luy auront pas prepares un acuei'l favorable dans les esprits qu'ils dominent. Mais avec sa philosophic cela ne peut luy paroitre que bagatelle et en effet ce ne sera 1'affaire que d'un moment dont jl scaura bien sortir par le moyen de la resignation dont jl s'est prepare les voyes dans son avertissement au lecteur 7 ." (G.P..LXVI, p. 36-37.) NOTES EXPL1CATIVES
1. Peut-etre Durand d'Aubigny, surnomme "L'Envoye" (v. lettre 130, note 5), ou le comte de Luce, ministre de Louis xv aupres de Stanislas Leszczynski, surnomme "Son Excellence" (v. lettre 132, notre 4), ou bien le marquis de Stainville, "ambassadeur" de Mme de Graffigny aupres du pere d'Helvetius (v. lettre 161, note 3), ou encore, parmi d'autres personnages dont le nom pourrait etre avance, GeorgAdam, comte de Starhemberg (1724-1807), ambassadeur imperial en France depuis 1754.
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Aout 1758 2. Mile Quinault avait trois nieces. L'une d'entre elles, Jeanne-Catherine Quinault, nee en 1725, etait la fille naturelle du comedien AbrahamAlexis Quinault-Dufresne (16931767) et de Catherine-Marie-Jeanne Dupre (1705-1767), dite Mile de Seine. Les deux autres etaient les filles naturelles de Marie-AnneCatherine Quinault 1'ainee (16951791). L'une de celles-ci, nee en 1722, avait pour pere Louis d'Orleans (v. Mathieu Marais, Journal et memoires, 1863-1868, 4 vol., II, p. 221). L'autre, nee des oeuvres du due de Nevers, et que 1'on avait fait passer pour la niece de sa mere, avait etc surnommee Mademoiselle Pantoufle par Mme de Graffigny, et avait etc mariee avant 1739 a un officier de la terre de son pere. C'est probablement d'elle qu'il s'agit ici. Voir G.P., II, p. 117, et F. RavaissonMollien, Archives de la Bastille, 18661904, 19vol., xii, p. 306. 3. Lettre de Devaux qui ne nous est pas parvenue. 4. Un exemplaire de L'Esprit destine a Devaux. 5. Voir lettre 163, note 18. 6. Voir lettre 163, note 197. Del'Esprit, Preface, p. ii : "Si, contre mon attente, quelques-uns de mes principes n'etoient pas conformes a 1'interet general, ce seroit une erreur de mon esprit, & non pas de mon cceur; & je declare d'avance que je les desavoue."
LETTRE 316
Aout 1758
316. Luigi Gualtieri au cardinal Alberico Archinto II compiegato arresto del Real Consiglio di Stato porra V. Emza al fatto di quello, che fin'ora e stato operate dalla corte contro il libro intitolato De I'Esprit che inviai nel passato ordinario1. lo ne avevo antecedentemente parlato al Sige Abbe Conte de Bernis, rilevandogli i pessimi essenziali punti del medmo, ed egli mi attesto la gran pena della corte in avendolo inteso impresso, e mi promesse, che vi si sarebbe dato riparo; come ancora d'aver gia chiamato a se, e fortemente rimproverato il revisore di esso, che e uno dei giubbilati2 officiali della sua segretaria, il quale erasi scusato con dire, che restava mortificato della censura, che dal pubblico si dava al d° libro, poiche in leggendolo non aveva saputo conoscervi cosa, che potesse offendere la religione : cio per altro e difficile, quando veramente 1'abbia letto; ma generalm6 si suppone, che possa averlo approvato senza fame la dovuta lettura. Di piu mi accerto il regio ministro, che si era fatto anche chiamare 1'autore, che si ritrova alia campagna3, per indurlo a correggerlo, e spiegare il necessario; benche in linea di correzzione si creda assai difficile, perche converrebbe rifonderlo tutto nuovamente. [...] L'arcivescovo di Mira Parigi, 14 agosto 1758 [destinataire : ] Sige Card1 Segno di Stato / Roma con stampe
\Traduction : ] L'arret du Conseil d'Etat ci-joint mettra Votre Eminence au courant des mesures prises jusqu'a maintenant par la cour centre le livre intitule De I'Esprit, que je vous ai envoye par le dernier courrier 1 . J'en avais parle auparavant a M. 1'abbe comte de Bernis, a qui j'avais signale les plus importants des passages detestables que contient cet ouvrage. De son cote, il m'avait traduit la peine considerable que 1'impression de celui-ci avait causee a la cour, et m'avait promis qu'il serait remedie a cette situation. En outre, il m'avait informe qu'on avait deja convoque et severement reprimande le censeur. Celui-ci, qui est 1'un des fonctionnaires a la retraite 2 employes au secretariat de 1'abbe comte de Bernis, s'etait excuse en disant qu'il etait mortifie des critiques adressees au livre par le public, etant donne que lorsqu'il 1'avait lu, il n'avait lui-meme rien pu y decouvrir d'offensant pour la religion. C'est d'ailleurs la un argument difficile a admettre s'il a vraiment fait cette lecture, mais on suppose generalement qu'il a pu accorder son approbation sans y avoir precede. De plus, le ministre du roi m'a assure qu'on avait aussi convoque 1'auteur, actuellement a la campagne3, pour 1'inviter a corriger son livre et a fournir toutes explications necessaires. 85
Aout 1758
LETTRE 317
Mais on estime qu'il lui sera assez difficile d'y apporter des corrections, car il lui faudrait refondre tout 1'ouvrage. [...] L'archeveque de Mira Paris, 14 aout 1758 [destinataire : ] Monsieur le Cardinal Secretaire d'Etat / Rome. Imprimes. MANUSCRIT
REMARQUES
*A. Archivio Segreto Vaticano, Nunziatura di Francia 501, fps 157 recto157 verso, et 159 recto; 5 p.; orig. signe.
Le 30 aout, le cardinal Archinto envoie de Rome a Gualtieri la reponse suivante, qui laisse deja prevoir la condamnation papale de L'Esprit qui sera emise le 31 Janvier 1759 : "Sous la forme de 1'arret du Conseil d'Etat du roi rendu centre le celebre livre De /'Esprit, Sa Majeste Tres Chretienne a apporte un remede opportun aux consequences pernicieuses pour la religion que la lecture d'un tel ouvrage aurait pu avoir dans le public. II sera examine ici egalement, et comme il n'est pas douteux qu'on le trouve impregne de maximes erronees, on prendra les mesures les plus appropriees et opportunes pour mettre un frein salutaire a la licence qui se manifeste dans les pensees de 1'auteur. Notre Saint-Pere a beaucoup apprecie 1'action de la cour, qu'il estime etre due largement aux sages representations faites par Votre Tres Illustre Seigneurie aupres du ministre [...]" (Francia 615, f° 266 recto, traduction.)
NOTES EXPLICATIVES
1. Voirlettre 303. 2. Voir lettre 303, note 4. 3. En fait, Helvetius, qui avait rendu visite a Mme de Graffigny le 10 (v. lettre 315), etait a Versailles depuis le 8 (v. lettre 305, note 3). Et le but de sa visite n'etait pas d'elaborer les corrections a apporter a son livre, qu'il avait terminees un mois plus tot (v. lettre 291), au cours de son precedent voyage a Paris, mais de s'entretenir avec Tercier et Malesherbes du projet d'arret du Conseil (v. lettre 305, et lettre 306, Remarques).
317. Helvetius a Madame Helvetius [15 aout 1758]1 Ma chere amie, tu crois bien que je ne reste pas a Paris pour mon plaisir. J'ay beaucoup souffert et je souffre meme encor beaucoup. Tu scauras tout le detail quand je te reverray. Les jesuites heureuzement m'ont tres bien servi. Ma mere va demain chez la Reine qui luy a ecrit une lettre vive2; elle conte en revenir jeudy, et lorsque je scauray ce qu'elle luy aurat dit, je partiray pour Vore.
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LETTRE 318
Aout 1758
Tu sens bien dans quel etat je suis, eloigne de ce que j'aime et n'ayant autour de moy que des objets douloureux. Je te demande pardon si je t'ecris sur un ton si triste, c'est que je suis loin de toy, c'est que j'ay Tame noire et qu'il faut bien que j'epanche mon chagrin dans ton ame. Ah! que je voudrois bien que ma mere fut revenu de Versailles pour *monter dans ma chaize eta t'aller rejoindre! Nous passerons peutestre trois mois a Vore sans revenir pour laisser oublier tout cela a Versailles, ou je voudrois bien ne pas retourner* de sitost, comme tu le sens bien. Pardon, ma chere amie, de te cauzer innocement tant de chagrins. Tu m'aimes, cela me soutient. Ne fais pas la folie de revenir parceque j'espere que tu ne recevras plus de lettres de moy, et qu'il faut necessairement que nous restions a Vore pour laisser passer 1'orage qui, ma fby, a etc vif. Mais ne parle de cecy a personne, ni dans tes lettres. Adieu, je t'adore. Aime-moy toujours et je ne seray plus si malheureux. [adresse : ] Route du Perche / A Madame / Madame Helvetius, en son / chateau de Vore, proche Regmallard / A Vore MANUSCRIT
phrase du premier paragraphic ("Ma
*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; fragments de cachet sur cire rouge.
mere va demain chez la Reine [...]; elle conte en revenir jeudy [...]"), cette lettre a du etre ecrite un mardi, A et seul celui du 15 aout se situe entre
IMPRIME
i. Guillois, p. 436-437 TEXTE a Omis dans le I. ' Le I : "je ne voudrais pas retourner". NOTES EXPLICATIVES
1. D apres le contenu de la derniere
le mardi 8, jour de 1 arnvee d Helvetius a Versailles, et le vendredi 18, date de sa lettre a Malesherbes dans laquelle il lui annonce que sa retractation est prete.
2. Lettre non parvenue usqu a nous.
318. Helvetius a Madame Helvetius [18 aout 1758]1 Tu sens bien, ma chere femme, combien je suis malheureux d'etre eloigne de toy. Je t'aime a la folie, je meurs de douleur loin de toy, mais il s'agit icy du coup de party 2 . Mon affaire commence reellement a bien tourner 3 . Ma mere a vu la Reine et, apres avoir beaucoup crie contre mon ouvrage, elle a exige que je fisse une retractation. J'y ai consenti pour obliger ma mere, et je 1'ay fait hier. Elle est tournee de maniere a ne point me faire de tort . Ma mere doit 1'envoier demain a la Reine, qui me recevrat aussitost en grace*. Je seray oblige d'attendre la 87
LETTRE 318
Aout 1758
reponse de la reine; je compte meme la voir un instant en particulier et monter tout de suite dans ma chaize pour aller a Vore. Soutiens mon courage, ma chere amie, car j'en ai grand besoin ou du moins j'en ai eu grand besoin depuis que je suis icy. Tu vois bien maintenant que mon affaire tourne bien. Quel risque j'ay couru! Je te diray tout cela lorsque je seray a Vore, mais il n'en faut parler a personne. Rejouistoy, tu vas bientost revoir un mary qui t'adore et que les dangers auxquels il a etc expose rendront encor plus cher a ta belle ame. Adieu. Je t'embrasse mille fois partout*. Je te quitte parce qu'il est tres tard, que je suis outre de fatigue, et qu'il faut que j'ecrive encor deux lettres pour mon affaire. Adieu, je t'adore; porte-toy bien. Je compte bientost te rejoindre. Ne t'impatiente pas. Sois bien persuadee que je ne perds pas un moment et que, comme je suis pret a tout sacrifier pour toy, si tu me marquois trop d'impatienfe, tu me perdrois. [adresse : ] Route du Perche / A Madame / Madame Helvetius, a son chateau / de Vore, proche Regmallard / A Vore deux autres lettres; 1'une d'entre elles est peut-etre la suivante, adressee a Malesherbes, datee du 18 aout, ecrite sur le meme papier, et portant IMPRIME le meme sceau. i. Guillois, p. 434-435. 2. II s'agit peut-etre des jesuites, des TEXTE intentions desquels Helvetius etait a Le A : "grace. CSt ^ ™ ^ C°n™~ cation du gouvernement qu'Helve. ,, . , ,^ .,. tms s etait rendu a Versailles.
323. Jean-Michel Hennin1 a Pierre-Michel Hennin2 A Versailles, ce 22 aoust 1758
Le livre de M. Helvetius a fait beaucoup de bruit. On n'en parlera peutetre plus dans trois mois. Un arrest du Conseil 1'a supprime. L'auteur va donner une retractation 3 . M r Tercier est fort fache de 1'avoir approuve. Jl 1'avoit vu par morceaux detachez et la lere partie la derniere, ses occupations ne luy permettant pas de le lire de suite. Ce qui est certain, c'est qu'jl a passe par la presse depuis 10 ans bien des propositions au moins aussy fortes aque celles dont on veut faire un crime dans ce livre* dont on n'a point parle, mais ce qui a le plus fait crier c'est que les pretres s'y* trouvent blesses. Jl y est dit et prouve que dans toutes les religions les ministres ont toujours duppe les peuples. Le public jnstruit scavoit cela comme M. Helvetius. Jl y a d'ailleurs des nottes qu'on assure trop fortes. En voicy une que M. Tercier dit n'avoir point viie dans le manuscrit. Jl s'agit de 1'ame des betes. L'auteur dit que "1'ecriture et 1'eglise n'ayant dit nulle part que les animaux fussent de pures machines, nous pouvons fort bien jgnorer les motifs de la conduite de Dieu envers les animaux et supposer ces motifs justes. Jl n'est pas necessaire d'avoir recours au bon mot du pere Malebranche qui, lorsqu'on luy soutenoit que les animaux etoient sensibles a la douleur, repondoit en plaisantant qu'apparemment jls avoient mange du foin deffendu ." Au reste ce livre est aujourdhuy difficile a avoir et est augmente de prix 5 . Je 1'ai lli et je ne vois pas qu'jl y ait grand profit a faire dans cette lecture, quoy que j'avoiie qu'jl y ait des choses utiles et bien ecrites, mais jl s'explique mal sur des articles jmportants et c'est ce qui a fait crier fort haut.
MANUSCRIT
*A. Institut, ms. 1262, ff* 55 recto, et 55 verso-56 recto; 4 p.; orig. autogr.
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TEXTE
- Ajoute dans 1'interligne. b Le A : "si".
LETTRE 326 NOTES EXPLICATIVES
1. Jean-Michel Hennin (1700-1781), pere de Pierre-Michel, etait avocat au Parlement, procureur du roi au bailliage de Versailles et inspecteur general du domaine de Versailles. 2. Pierre-Michel Hennin (1728-1807), diplomate de carriere, secretaire de I'ambassade de France en Pologne de 1752 a 1764, sauf pendant laperiode 1757-1759. Apartirde 1760, il est attache a la correspondance secrete. Comme resident de France a Geneve (1765-1777), il fait de son mieux pour pacifier la ville, agitee par des troubles politiques endemiques au cours de cette periode. Homme cultive, parent de Le Roy et correspondant de Voltaire, il frequentait les
Aout 1758 milieux philosophiques. Pour sa relation de 1'affaire de L'Esprit, voir 1'appendice 15. 3. Le l er septembre, Pierre-Michel Hennin commente ainsi cette decision d'Helvetius : "La retractation est a mon avis une chose inutile a un homme qui a cent mille livres de rente et ne depend que de luymeme. Si c'est pour ses amis que M. Helvetius la fait, je crois qu'elle ne leur servira pas beaucoup." (Institut, ms. 1262, f° 86 recto.) 4. Del'Esprit, p. 3, note (a). 5. Le 11 aout, De I'Esprit coute 10 livres 12 sols (v. lettre 315). En novembre, le prix de 1'ouvrage atteindra 24, et meme 36 livres (v. iettre 367).
326. Alexis Piron1 a [Charles Pinot Dudos]2 [Vers le 28 aout 1758]3 Vous me direz, Monsieur & cher ami, que j'ai etc bien long a rendre L'Esprit. Binbin repond qu'en cela il croit ressembler a bien du monde, & que ce doit etre a qui le rendra le plus tard qu'il pourra. Binbinerie cessante, je 1'avoue : j'ai garde long-temps le beau livre que vous avez eu la bonte de me preter, sans me fixer de terme pour vous le rendre. C'est que je 1'ai lu & relu tres attentivement; & vous concevez bien que si c'etoit un grand plaisir pour mon esprit, ce ne pouvoit manquer d'etre une terrible fatigue pour d'aussi mauvais yeux que les miens. Je vous en remercie comme d'un bienfait tres reel. J'en ai ete affecte le plus agreablement du monde. Judiciaire, genie, logique, eloquence, erudition grave & riante, tout y brille, y abonde, y triomphe; mais ce n'est pas en deux ou trois mots vagues comme ceux-la que se peut louer quelque chose d'aussi haut, d'aussi vaste & d'aussi profond. L'eloge devroit etre du meme volume que le livre, & je n'ai ici que 1'espace d'une missive. En un mot, je 1'ai lu deux fois & le relirois trois & quatre tout de suite, si mon oculiste ne me le defendoit. J'ai entendu des gens y reprocher la frequence des similitudes & des comparaisons; qu'on en ote une seule, je la reclamerai, n'y en ayant point qui ne soit aussi juste qu'heureuse, & qui ne prouve une des belles & vives
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LETTRE 326
Aout 1758
imaginations que je connoisse, tout familiers que me soient Homere & Bergerac, mes deux heros. Pour peindre 1'ouvrage en entier, texte & notes, en un trait de plume, on peut representer le texte comme un grand plat de mets exquis, & les notes comme des guirlandes de fleurs qui le couronnent. *L'auteur a souffert des persecutions; & cela ne devoit pas manquer. Vaut-on mieux que les autres impunement dans la carriere du bel esprit? Et d'ailleurs rechercher des verites & les decouvrir, ne fut-ce pas de tout temps chercher & trouver des ennemis? II y a trop d'honnetes gens interesses au mensonge pour qu'on leur echappe. Faux citoyens, faux amis, faux sages, & pis que tout cela, faux devots, quatre especes de mensonges incarnes qui, des qu'il y va du leur, nieroient 1'existence des quatre elements dont ils jouissent. Ainsi quand on veut s'approcher, ou partir du but, je veux dire du vrai, il faut passer absolument a travers ces piques-la. *On m'a parle d'une retractation; je n'y sens rien que d'honorable a qui 1'a faite : honneur & gloire au persecute dans ces sortes de tyrannies! Cac quesangueb & Maulubec aux persecuteurs! Le plus loyal, le plus courtois, le plus brave & le plus franc des derniers chevaliers gaulois, Franc,ois i er , a Madrid, sous la coupe du plus fort, signa tout ce qu'on voulut 5 . Si ceux qui 1'y forcoient disoient dans leur cceur : Vce victis6\ celui qui signoit avoit droit de dire dans le sien : Vce victori\ J'ai etc le plus vaillant, sortons d'affaire, & le temps fera voir apres qui a tort ou droit. Dites-moi, quand le pauvre Galilee auroit dit aux RR. PP. dominicains : "J'ai menti", la Sainte Inquisition en eut-elle etc plus glorieuse, & lui moins avance? Ne restoit-il pas un temoin qui nasarde encore tous les jours sesf beaux juges? Le soleil. Je n'ai plus qu'un mot a dire pour encourager notre aimable philosophe a dormir, comme je crois qu'il fait deja, sur 1'une & 1'autre oreille. Une retractation bien autrement piquante & bien plus formelle que celle-ci, puisque ce fut de vive voix & en pleine chaire, fait une des belles anecdotes de la vie du plus sage & du plus aime des beaux genies du siecle passe : de 1'archeveque de Cambrai7. Je connois des gens qui, d'indignation de cette violence, ne donneroient pas trois sols de 1'estampe de Bossuet, que les curieux payent quatre louis8. Resultat : Forage est passe, 1'ouvrage reste & restera a jamais pour la gloire & la justification de son illustre auteur a qui tous les gens de bien s'interessent; & non pas a ce maussade moraliste de Geneve qui vient d'ecrire a notre d'Alembert, & de dire de si belles injures au gouvernement, au royaume, & nomement a nos pauvres comediens, qui n'etoient pas deja, selon lui, assez a plaindre d'etre excommunies de notre sainte Eglise, il veut qu'ils le soient encore de celle de Geneve9. Je ne sai s'il y a fou qui le vaille dans les litanies de Maitre Francois10. J'en doute, car ils n'ont la chacun qu'une epithete, & il en faudroit vingt pour designer celui-ci.
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Aout 1758
LETTRE 326 Qui m'amene cet Allobroge11 Avec ses tons sees & pedants? De la sagesse il fait 1'eloge, Mais ce n'est qu'en grinc,ant des dents. Tels sont ses crayons imprudents, Que pour en donner un modele, II nous fait le portrait fidele De lui-meme & de son pays, Et qu'il nous degoute ainsi d'elle Presque autant que de ses ecrits.
Haro sur 1'ennemi des hommes qui se met a la place du misantrope de Moliere, & qui pretend que c'est un Jean-Jacques, & non pas un Alceste, qui en devoit etre le heros. Bonjour, Monsieur & cher ami. Gardez-vous bien de ne vous ressouvenir de moi que dans vos prieres. IMPRIMES
*i. LeBonheur, 1776, p. 144-148. n. (Euvres, 1781, v, p. 209-212. HI. (Euvres, 1795, xm, p. 133-139. iv. (Euvres, 1818, m, p. 185-188. TEXTE
Tous les imprimes portent la note suivante : "Cette lettre, sans date & sans adresse, est de 1'annee ou le livre De I'Esprit parut. Quoique trouvee dans les papiers de M. Helvetius, il ne paroit pas qu'elle ait ete adressee a lui-meme, mais a quelqu'ami commun qui avoit prete le livre De I'Esprit a M. de Voltaire." "Alinea absent dans tous les imprimes. Les ill et IV : "Cacasangue", ' Le iv : "ces". NOTES EXPLICATIVES
Comme le manuscrit autographe de cette lettre n'a pas ete retrouve et que La Roche est seul a en attester 1'authenticite, cette derniere reste incertaine. On imagine pourtant mal que ce publiciste ait pu reussir en 1776 un long pastiche de Piron, et qu'il se soit abstenu d'y inserer des passages traduisant ses idees politiques.
1. Bien que cette lettre soft attribute dans les imprimes a Voltaire, son auteur ne peut etre qu'Alexis Piron (1689-1773), surnomme Binbin, qui avait la vue si faible qu'il etait presque aveugle. Auteur de La Metromanie (1738), comedie satirique que Ton avait applaudie, Piron etait connu pour son esprit caustique, ses reparties mordantes et ses epigrammes. Son humour se retrouve dans la presente lettre, ou les opinions litteraires exprimees correspondent aux gouts qu'on lui connait. 2. Le nom de Duclos, ami commun de Piron et d'Helvetius, n'est avance ici qu'a titre de probabilite. C'est en tout cas a tort que, dans le IV, le destinataire a ete identifie comme etant La Roche; celui-ci n'a connu Helvetius qu'apres 1'affaire de L'Esprit. 3. II n'est question que d'une seule retractation dans la presente lettre. Celle-ci est done a situer entre le 23 aout et le 2 septembre, dates approximatives de la publication 97
LETTRE
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5.
6. 7.
327
des deux premieres retractations (v. lettres 325 et 333). Cf. Rabelais, Pantagruel, Prologue: "Le maulubec [ulcere des jambes] vous trousse, la caquesangue,[dysenterie]vous viengne." Fait prisonnier par Charles-Quint a la bataille de Pavie (1525), Francois ier avait recouvre sa liberte en signant le traite de Madrid. Des son retour en France, il avait annonce qu'il s'estimait degage de son serment. Malheur aux vaincus! Fenelon (v. lettre 314, note 2).
Ao&t 1758 8. Sans doute la peinture de Rigaud, gravee par Drevet. 9. II s'agit de la Lettre a d'Alembert sur les spectacles de Rousseau. C'est a la mi-juillet 1758 que d'Alembert avait recu un exemplaire de cet ouvrage que Rey lui avait envoye sur la demande de Rousseau (v. Leigh, lettres 667 et 672). 10. Rabelais. 11. Allobroge : C'est ainsi qu'on appelait autrefois un ancien peuple de la Gaule. [...] Dans le style comique et burlesque il est pris pour grossier. (Dictionnaire de Trevoux, 1747.)
327. L 'abbe Jean-Clement Gervaisel a Guillaume-Fran^oisLouisjoly de Fleury Monsieur, Comptant que vous donneries audiance aujourdhuy, je me suis presente pour prendre vos ordres au sujet du traite De I'Esprit, que je dois deferer vendredy prochain 2 a 1'assemblee de la Faculte de theologie, si vous y consentes3. J'ay 1'honneur d'etre, avec un tres profond respect, Monsieur Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Gervaize, g[ran]d-m[ai]tre de Navfarre] et syndfic] de theo[lo]gie Ce 29 aoust 1758 MANUSCRIT
*A. B.N., ms. Joly de Fleury 352, f° 24; 1 p. (demi-feuille); orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES
1. L'abbe Gervaise (1703-1765), docteur en Sorbonne et grand-maitre du college de Navarre, etait abbe
98
commendataire de 1'abbaye royale de Miseray, de 1'ordre de Saint-Augustin, dans le diocese de Bourges. Deja syndic provisoire de la Faculte de theologie en 1746, il avait etc titularise a ce poste en 1752 par une lettre de cachet. Gervaise, "homme de ressources", selon Les Nouvelles
LETTRE
328
ecclesiastiques, avait etc constamment en butte, depuis cette date, a Topposition de docteurs qui estimaient que la responsabilite de nommer leur propre syndic aurait du leur revenir. 2. Le dossier de 1'avocat general contient un resume des propositions dangereuses de L'Esprit (B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 430438), en haut duquel il a ajoute de sa main : "Extrait fait par Mr Gervaise, sindic de la Faculte, et qu'il m'a remis le 31 aoust 1758, devant denoncer le livre le lendemain au Prima mensis." Les deliberations de cette assemblee n'ont pas etc enregistrees dans les Sacra Facultatis Commentarii (A.N., MM 257), le roi ayant ordonne, pour des raisons etrangeres a 1'affaire de L'Esprit, que "tout ce qui s'[y etait] passe soit regarde comme nul" (v. le rapport du 2 octobre 1758 dans le ms. Nunziatura di Francia 502, f° 19
Aout 1758 recto). LesNouvellesecclesiastiques n'en presenteront pas moins un compte rendu le 24 decembre 1758 (p. 205). Pour calmer 1'assemblee, Gervaise proposera, a la suite de sa denonciation, la nomination de deux "brulots", Hillaire et Le Bel, comme membres d'une commission devant etre constitute pour examiner De I'Esprit. 3. Le syndic de la Sorbonne, qui reconnaissait le Parlement comme "principal depositaire de 1'autorite royale dans 1'administration de la justice" (v. lettre de 1733 au procureur general, A . M . , MM 257, f° 84), jugeait prudent de tenir le procureur general au courant de toute condamnation portee par la Faculte contre un livre dangereux. Le concours du Parlement lui etait en effet necessaire pour infliger des peines non-religieuses.
328. Jean-Omer Joly de Fleury a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes Paris, ce 29 aoust 1758 J'ay 1'honneur de vous prevenir, Monsieur, que les journalistes de Trevoux ont annonce dans leurs Memoires pour le mois present le traite De I'Esprit, art. 88. intitule Nouvelles litteraires1. Jl me paroist qu'un livre si condamnable ne doit trouver place dans un journal autorise qu'avec les notes d'improbation qu'il merite, et que quoique 1'arrest du Conseil qui 1'a condamne n'ait paru que depuis 1'impression de ce volume du journal, les journalistes n'ont pas du I'annoncer sans le lire, et jls n'ont pu le lire sans 1'improuver2. Jls croiront peutetre se couvrir et [se] mettre a 1'abry de tout reproche, par une lettre imprimee de 1'auteur que je n'ay pas, mais qui m'a etc montree, qu'ils se proposeront d'jmprimer dans le volume prochain3; mais j'ay 1'honneur de vous prevenir que je doute que cette retractation de 1'auteur, de la maniere dont elle est libellee, satisfasse le public, et qu'il peut
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LETTRE 329
Aoutl758
etre dangereux pour luy de ne se retracter qu'imparfaitement, et dangereux pour les journalistes de se contenter de cette retractation. Vous connoisses les sentiments d'attachement et de respect inviolables avec lesquels j'ay 1'honneur d'etre, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Joly de Fleury, avocat general [adresse : ] M r de Malesherbes, Premier Presid. / de la Cour des Aides / A son hotel MANUSCRIT *A. B.N., ms. fr. 22191, f° 70-71; 1 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES 1. Le Journal de Trevoux n'avait fait qu'annoncer le titre de 1'ouvrage d'Helvetius dans son numero d'aout 1758 (art. LXXXVIII, p. 2099), sans preciser si ses redacteurs 1'avaient deja lu, et sans emettre d'appreciations a son sujet. Cette severe mise en garde de Joly de Fleury est sans doute a mettre sur le compte a la fois de ses sentiments hostiles aux jesuites et de considerations d'ordre politique.
2. Condamner, desapprouver (Dictionnairede Trevoux, 1747). 3. U s'agit de la premiere retractation, la Lettre au reverend pen ***, que le Journal de Trevoux ne publiera d'ailleurs pas Un premier examen critique des "principaux caracteres de
ce livre- paraitra dans le numero de
septembre 1758 (art. xcvi, p. 22972302). Suivra une analyse detaillee, entierement condamnatoire, dans les numeros d'octobre (vol. n, art. cxi, p 2649-2683) et de novembre 1758 (art CXVIII; p 2825-2856).
329. Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes aJean-OmerJoly de Fleury Je n'ay point a present, Monsieur, la retractation de 1'auteur du traite De I'Esprit. Je luy ai fait dire hier de m'en envoyer quelques exemplaires et je ne manqueray pas de vous la faire tenir. Je pense fort que cette declaration est insuffisante et les journalistes de Trevoux auroient d'autant plus de tort de s'en contenter qu'ils donneroient lieu au gazettier ecclesiastique1 et aux autres auteurs ennemis des jesuites de les accuser de connivence. Mais la conduite de 1'auteur et celle de ces journalistes leur ont este dictees par des personnes si puissantes qu'on a pu rien y opposer2. Au reste la retractation actuelle n'est faite que pour satisfaire les personnes a qui M. Helvetius a 1'honneur d'estre personnellement attache . La veritable retractation, celle dont le public doit avoir connoissance, merite d'estre concertee avec des theologiens non seulement capables, mais ayant qualite pour exiger d'un auteur la declaration de ses sentimens. J'en parlay
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Aout 1758
LETTRE 329
hier au syndic de la Faculte de theologie et 1'auteur du livre a du le voir ce matin pour convenir avec luy de la conduite qu'il doit tenir. Pour ce qui regarde les auteurs du Journal de Trevoux, je les feray avertir de ce que vous me marques, mais je vois qu'il faudra en meme terns en faire prevenir les personnes de qui sont emanes les ordres respectables qu'on a donnes jusqu'a present a ce sujet. En voila asses, Monsieur, pour vous faire connoitre qu'il y a sur cela bien des choses a dire dont une lettre n'est pas susceptible. J'auray 1'honneur de passer incessamment ches vous et nous en causerons plus amplement. Je suis, avec tout 1'attachement et le respect que vous me connoisses, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, De Lamoignon de Malesherbes Paris, ce30aoust [1758]" MANUSCRIT
*A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 344345; 3 p.; orig. autogr. TEXTE
a
Joly de Fleury a ajoute en haut de la premiere page : "30 aoust 1758". NOTES EXPLICATIVES
Cette lettre est une reponse detaillee a la lettre precedente. 1. Reference aux Nouvelles ecclesiastiques, periodique janseniste clandestin que d'Alembert qualifiait de "libelle sans esprit, sans verite, sans charite et sans aveu" (Encyclopedic, article "Ecclesiastique"). Le numero du 17 decembre contiendra un compte rendu des analyses de L'Esprit parues dans le Journal de Trevoux. On ne manquera pas d'y accuser les jesuites d'encourager la libre pensee. 2. II s'agit de la cour, et en particulier, de la reine et du Dauphin, tous deux fort pieux.
3. Remarque visant trois personnages : la reine, a la maison de laquelle Helvetius est attache en tant que maitre d'hotel, la mere d'Helvetius, qui a ete convoquee par la reine a la suite de la parution de L'Esprit, et le pere Plesse, ami de 1'auteur. REMARQUES
Le meme jour, Mme de Graffigny ecrit a Devaux : "Helvetius est reparti. Ses affaires sont finies, mais c'est au prix d'une retractation que la Reine a exigee absolument. Beaucoup de gens et surtout les femmes sont affollees de son ouvrage. D'autres 1'estiment avec des modifications. D'autres le trouvent spirituel et dangereux. D'autres le regardent comme abominable ou du moins le disent : ce sont les moines et antienciclopedistes. Chacun en porte son jugement conforme a son esprit de partye." (Yale, G.P., LXVI, p. 53.)
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LETTRE
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Septembre 17 5 8
330. L'abbe Francois-Joachim de Pierres, comte de Bernis, aJean-OmerJoly de Fleury J'espere, Monsieur, que moyenant vos soins 1'affaire du livre De I'Esprit n'aura pas de suites. Le Sr Tercier ne sera plus censeur que des livres politiques. II a etc trompe par 1'opinion de quelques docteurs qui ont lu trop legerement et a qui il s'en estoit rapporte1. Je suis desole de ne vous avoir pas vu ce voyage. La grande affaire qui sera jugee aujourdui en est sans doute la cause. Je serai ici lundi au soir et j'espere avoir I'honneur de vous voir au grenier 2 . Ce l er [septembre 1758]3 MANUSCRIT
*A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 340340 bis; 1 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES
1. Assertion non confirmee. Dans sa justification de son approbation (v. lettre 425), Tercier ne laissera entendre d'aucune facon qu'il ait consulte des docteurs en theologie. 2. Terme par lequel Bernis semble designer les gens du roi et 1'endroit ou ils se reunissaient (cf. lettre 421). 3. La mention "aoust 1758" a etc ajoutee apres le quantieme, sans doute par un secretaire de Joly de Fleury. Cette lettre a pourtant du etre expediee le ler septembre, ceci pour trois raisons : 1° — Le 6 aout, Bernis avait assure Lamoignon qu'il ne savait rien du bruit souleve par De I'Esprit et,
bien qu'avec une hesitation perceptible, le chancelier lui avait accorde creance (v. lettre 306). 2° - Meme si Ton tient que Bernis ne pouvait manquer d'etre deja au courant, le ler aout, des remous provoques par 1'ouvrage, il n'etait guere en mesure, a cette date, de prevoir la necessite de s'assurer, pour le reglement de cette affaire, 1'appui du Parlement. 3° — Aucune "grande affaire" connue n'a etc jugee par le Parlement le ler aout, alors que le ler septembre, le Parlement, toutes chambres reunies, a enregistre un edit royal portant que pendant six annees il serait paye un don gratuit extraordinaire par les villes, faubourgs et bourgs de tout le royaume (v. B.N., ms. fr., n. a. 8227, f° 441-446).
331. Jean-Pierre Tercier a Francois-Michel Durand 1 deDistroff1 A Versailles, le ler 7bre 1758 [... ] Une autre preuve de 1'affection du Roy a 1'affaire secrette2, c'est une marque de bonte qu'il m'a donnee dont je suis touche au dela de ce que je puis dire. J'ay eu le malheur et 1'imprudence d'approuver en qualite de
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Septembre 1758
LETTRE 332
censeur un livre intitule De I'Esprit dans lequel on a cru voir le materialisme. Ce livre a etc supprime par arrest du Conseil. Au moment que Mr le chancellier sortit de chez le Roy avec cet arret, S. M. m'a fait I'honneur de me rassurer sur la crainte que j'avois de luy avoir deplu en m'ecrivant qu'Elle etoit contente de moy, que je continuasse a le bien servir et que je me renfermasse dans ma besogne, et autres choses de cette nature 3 . Vous pouves juger de 1'effet que tant de bonte a pu faire sur moy, et quel peut etre mon zele pour son service dans une affaire ou Elle m'a fait I'honneur de me donner sa confiance immediatement apres un prince de son sang4, ce que je ne puis m'accoutumer a croire. [. . .] MANUSCRIT *A. Aff. etr., C.P. Pologne, Suppl. 11, ff°s 181 verso, et 184 verso- 185 recto; 12p.;copie. NOTES EXPLICATIVES
1. Durand de Distroff (1714-1778) a rait une longue carnere diplomatique et, a partir de 1754, a etc 1'un des prmcipaux agents de la diplomatie secrete, fonction qui 1 a amene a resider dans de nombreuses cours. Entre 1754 et 1760, il est ministre plempotentiaire a Varsovie. 2. La correspondance secrete du roi.
3. Tercier se refere a une lettre du roi du 10 aout 1758 : "Continues a me bien servir, et kisses la 1'approbation des beaux esprits, ce qui a acheve de boulverser les tetes. Je suis content de vous; renrermes-vous dans votre besogne. (A.N., K 157, ° QQ } 4 £ s> ^ de Louis.Francois de Bour-
^ ince de Cond (17n_1776)j cousin du roi qui avait abandonne le cabinet secret en 1756 apres y avoir servi pres de vmgt-cmq ans.
332. Pierre Rousseau1 a Marc-Michel Rey A Liege, ce 2e 7bre 1758* [...] Un homme qui me doit 3 , m'offre en payement tant d'exemplaires que je voudrai de 1'ouvrage de Mr Helvetius De I'Esprit a raison de 4 C . II en est a la fin de son second volume, et il commencera bientot le 3eme; il le fait imprimer en trois volumes grand in 124. II a pris si bien ses dimentions qu'il devancera toutes les autres contrefactions. Si vous en voules, je vous en procurerai autant d'exemplaires que vous en desireres. [...] [adresse : ] A Monsieur / Monsieur Rey, libraire / A Amsterdam MANUSCRIT
TEXTE
*A. Archives royales, La Haye, G 16, A a Le verso du deuxieme feuillet porte les 287, piece 6; 2 p.; orig. autogr.; traces indications suivantes : "Liege 2 7 de colle rouge. 1758 / Rousseau / Rep. le 7e 7bre 1758."
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LETTRE
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NOTES EXPLICATIVES
1. A cette epoque Rousseau (17161785) venait de se lancer dans une carriere de journaliste bien dispose envers les philosophes, et avait commence en 1756 a editer a Liege son Journal encyclopedique. En 1781, il publiera a Bouillon deux belles editions des (Euvres d'Helvetius, dont le texte avait ete prepare par Lefebvre de La Roche (v. Les Lumieres dam les Pays-Bas autricbiens et la principaute de Liege, Bruxelles, 1983, p. 194). 2. Voir lettre 292, note 2. 3. Everard Kints, libraire le plus important de Liege, dynamique et peu scrupuleux, etait aussi imprimeur du prince-eveque, des Etats et du chapitre de la cathedrale. 4. II s'agit d'une curieuse edition en trois volumes, dont le premier et le troisieme sont in-12 et le deuxieme in-8 (v. D. W. Smith, "Helvetius et 1'edition liegeoise", dans Livres et Lumieres aupays de Liege 1730-1830, ed. Droixhe, Liege, 1980, p. 190192). REMARQUES
Le 6 novembre, Rousseau ecrit de nouveau a Rey : "Le 3e volume de L 'Esprit est parti ce matin. Mr Hintz, qui est le
Septembre 1758 libraire qui en fait 1'edition, vous le passe a 3 r comme vous 1'aves voulu, et pardessus le marche vous le livre broche, ce qui fait encore un objet. Vous seres tres content de cette edition. Elle se vend tres bien; elle est tres correcte, du moins je le crois; je 1'ai corrigee avec soin, et meme les fautes qui sont dans I'original, ce que les autres editeurs n'auront pas fait. Je me suis arrange avec Mr Hintz pour cet objet; il me regarde; ainsi ce sera un compte entre nous deux." (Archives royales, La Haye, G 16, A 287, piece 7.) Rey n'accepte pas avec complaisance ce retard de plus de deux mois dans la livraison du dernier volume, car le 17 novembre, Rousseau lui ecrit : "Si je n'etois bien persuade de votre candeur, je ne scaurois que croire de la lettre qui s'est egaree; je vous marquois que la maladie de deux ouvriers de ches Mr Kints qui a fait cette edition, la retarderoit; ne voyant pas arriver de contr'ordre, j'ay presume que vous persisties dans votre demande. Quoiqu'il en soit, Monsieur, cet ouvrage ne vous pesera pas, j'en suis sur, et si vous voules, nous 1'echangerons contre des livres de votre fonds; rien de plus simple; je ne crois pas que vous devies vous eloigner de cette proposition." (Ibid., pieceS.)
333. Laurent Durand a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes Monsieur, M. Helvetius s'etant charge de distribuer les deux retractations 1 qu'il a fait imprimer, & ne m'en ayant donne que quelques exemplaires, j'ai du presumer que vous en auriez recu des premieres; sans quoi je n'aurois pas manque d'avoir I'honneur de vous en presenter. II vient de me renvoyer ce qui lui restoit d'exemplaires de la Lettre au P. Pless. pour les distribuer, & me marque de dire que route 1'edition de la seconde est epuisee. Je n'ai pu
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en avoir que deux exemplaires que j'ai 1'honneur de vous adresser, ne pouvant avoir celui de vous les presenter, pour cause de maladie dont je suis tourmente depuis pres de quinze jours. J'ai recu depuis huit jours YHistoire des insectes par Swammerdam en anglois in fo tres bien execute, & avec de belles planches2; j'en ai deux exemplaires seulement. J'ai occasion de faire venir de Londres, des (Euvres de David Hums en 3 vol. in 4 to3 . Si vous souhaittez m'honorer de vos ordres, je dois ecrire dans la semaine prochaine. Je suis, avec un tres profond respect, Monsieur, Votre tres humble & tres obeissant serviteur, Durand Ce 2 7bre 1758 MANUSCRIT *A. B.N., ms. fr. 22191, f° 78-79; 3 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES
1. Texte de la deuxieme retractation : voir appendice 5. 2. The Book of Nature : or the History of Insects, Londres, 1758.
3. II s'agit peut-etre de 1'ensemble des deux ouvrages suivants : Essays and Treatises on Several Subjects, Londres, 1758, 4°, et The History of Great i T Britain, hdimbourg & Londres, 1754-1757, 2 vol., 4 .
334. Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes au syndic et aux adjoints de la Librairie1 [Vers le 3 septembre 1758]" M. le chancelier me charge de vous mander de veiller avec attention a ce qu'il ne soit fait aucune nouvelle edition du livre De I'Esprit. On a avis que quelques libraires de Paris se disposent a en donner une in 122. Je vous charge de faire des visites dans les imprimeries pour vous en assurer. Dans le cas ou vous soupconneries quelqu'un de vos confreres d'en faire faire dans les provinces ou dans des imprimeries clandestines, avertisses-les qu'ils seront punis avec la plus grande rigueur. MANUSCRIT
TEXTE
*A. B.N., ms. fr. 22191, f° 80; 1 p.; " Date proposee en fonction de 1'ordre brouillon conserve comme copie offic. de classement des documents contenus
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dans le dossier Malesherbes. Cette lettre s'y trouve entre les lettres 333 et 338.
le syndic etait Le Mercier (depuis 1756), et les adjoints, Savoye (1755), Simon (1756), Durand NOTES EXPLICATIVES (1756) dt saillant (1757) 1. Selon 1 Almanack royal de 1759, les 2. Sous la date de 1758 ont paru trois membres du bureau de la Chambre editions in-12 dont les pratiques royale et syndicale de la Libraine et compositoriales permettent de Impnmene etaient le syndic et les determiner leur engine pansienne ad omts en ronction. ainsi que les (y- Srnitn> Bibliography, pp. 313-314 anciens syndics et adiomts. En 1758 ON et 315-317, et lettre 299, note 3).
33,5. Helvetius a [I'abbe Henri-Philippe de Chauvelin\l [Vers le 3 septembre 1758]2 Je vous remercie, Monsieur 1'abbe, des bontes que vous m'avez temoignees pendant mon sejour a Paris, & de 1'interet que vous avez bien voulu prendre a mon affaire. Vous n'ignorez pas sans doute qu'on m'a denonce a la Sorbonne, & que cette denonciation est remise au premier d'octobre. Je ne sais quelle suite elle peut avoir, & si Ton peut eviter que la Sorbonne aille plus loin. Je m'en rapporte a vous sur tout cela. Je vous observerai, cependant, que nous croyions vous & moi cette affaire assoupie, & qu'il me semble qu'elle ne Test point du tout. On m'a meme assure que M. le Dauphin etoit prevenu centre moi au point de n'en jamais revenir 3 . Vous etes a portee de savoir ce qui en est. Mandez-le-moi, sans me flatter, afin que je puisse en consequence prendre un parti convenable . J'ai peur qu'en me faisant signer une* retractation, on ne m'ait tendu un piege, & qu'on ait eu dessein de me mettre dans le cas de ne pouvoir nier mon livre, suppose qu'on voulut me faire des affaires au Parlement. La haine theologique a passe en proverbe, & je sais qu'elle est aussi adroite qu'implacable. Vous voyez quelle est ma confiance en vous. Je ne crains pas qu'elle soit trahie. IMPRIMES
NOTES EXPLICATIVES
*i. (Euvres, 1781, v, p. 267-268. II. (Euvres, 1795, xiv, p. 42-43. III. (Euvres, 1818, ill, p. 254-255.
L'authenticite de cette lettre parait indiscutable, quoique le manuscrit originalnese soit pas retrouve. Par centre, la designation de 1'abbe Chauvelin comme destmataire, qui figure dans tous r les impnmes, est loin d etre irrefra-
TEXTE
dLe III : ma . Les II et III : n ait .
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LETTRE 336 gable. Bien qu'a meme de savoir ce qui se passait a la Sorbonne et au Parlement, Chauvelin etait moins bien place pour se renseigner sur les preventions du Dauphin. Notons egalement que La Roche a designe Chauvelin dans deux autres cas comme destinataire d'une lettre d'Helvetius, et cela probablement a tort. L'une a vraisemblablement etc adressee a Jean-Omer Joly de Fleury (lettre 399); 1'autre est sans doute apocryphe (v. vol. 4, appendices). 1. L'abbe de Chauvelin (1714-1770), conseiller au Parlement, s'etait signale par son opposition aux immunites du clerge et aux refus de sacrements, et en 1761, il allait etre a 1'avant-garde de la campagne qui aboutirait a 1'expulsion des jesuites. Son zele en faveur des jansenistes ne 1'empechait d'apprecier ni le theatre, ni les plaisirs. Helvetius avait peutetre fait sa connaissance dans le salon de Mme Doublet, connu sous le nom de la "Paroisse". Voir L. Gossman, La Curne de Sainte-Palaye (Baltimore, 1968), p. 57. 2. Le livre d'Helvetius est denonce en Sorbonne le l er septembre. En second lieu, la lettre suivante, envoyee par Helvetius a Collin, et
datee du 3 septembre, contient la meme denonciation de la "haine theologique"; et les memes craintes et preoccupations s'y expriment. 3. L'etroite piete et 1'attachement aux jesuites du dauphin Louis (17291765) lui avaient valu la haine de Choiseul, de Mme de Pompadour et des philosophes. Helvetius etait fonde a craindre ses preventions. Voir a ce sujet D. J. Garat, Memoires historiques [...] sur le XVHIe siecle, 1820, 2vol., i, p. 29-30. 4. S'estimant menace, et craignant meme pour sa personne, Helvetius songe serieusement a cette epoque a s'exiler, dessein qu'il evoque au moyen des expressions "prendre un parti" ou "prendre mon parti", employees dans quatre autres lettres de la meme periode (341, 353, 357 et 359). II envisagera, soit d'abandonner son domicile parisien pour habiter uniquement dans ses terres (lettre 357), soit de quitter la France pour aller s'etablir en Angleterre (lettre 345), ou bien a Geneve ou en Hollande (lettre 386). C'est cette seconde solution que 1'exhorteront a adopter son epouse (v. lettre 345), ainsi que Voltaire (lettre 384).
336. Helvetius a Charles-Jacques Collin1 Personne ne peut mieux [etre] informe que vous, Monsieur et cher amy, de ce qui se passe a Versailles a mon sujet. Mandez-moy done s'il ne reste plus d'impressions centre moy dans 1'esprit du Roy, et si je suis a 1'abry des coups que peut porter la haine theologique. J'ai toujours aime le Roy et je serois au desespoir qu'il fut prevenu centre moy. Remerciez bien aussy la personne qui a bien voulu prendre ma defence 2 . Je lui etois deja attache par gout, je le suis maintenant par reconnoissance, et en verite la reconnoissance ne me pezerat pas avec elle : je n'auray qu'a me laisser aller au sentiment tendre que j'ay toujours eprouve
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Gravure de Madame de Pompadour
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pour sa personne. Je ne vous remercie pas, vous, parce que vous etes mon amy, et que vous ne voulez pas de remerciments, mais je ne puis m'empecher de vous dire que des amis comme vous sont bien rares. Dites, je vous prie, a Madame de2 que selon le stile de la cour je me jette a ses pieds, mais ce n'est pas selon 1'uzage de cette meme cour pour les mordre, mais pour les baizer du meilleur cceur du monde. Adieu, mon amy. Aimez-moy toujours et portez-vous bien. Je suis, avec le plus respectueux attachement, Monsieur et cher amy, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Vore, ce 3 septembre 1758* \adresse : ] A Monsieur / Monsieur Colin, a 1'hotel de / Pompadour / A Versailles MANUSCRIT
NOTES EXPLICATIVES
A. Bibl. mun. de Chartres; orig. autogr., qui a ete detruit; cachet sur cire rouge aux armes d'Helvetius et de Mme Helvetius; timbre de la poste :
1. Collin (1707-1775), ancien procureur au Chatelet (1732-1748), controleur honoraire de 1'ordre de SaintLouis, futur tresorier general de la Venerie, et homme de confiance de Mme de Pompadour. Dans sa correspondance, Diderot exprime la plus vive admiration pour sa competence professionnelle et ses qualites personnelles. Dans 1'affaire de L'Esprit, il a joue un role d'intermediaire entre 1'auteur et Mme de Pompadour. Voir J. Levron, Les Inconnus de Versailles, 1968, ch. vm. 2. Mme de Pompadour.
REMALARD. IMPRIME
*i. Jusselin, p. 30-31; la planche IV de cet ouvrage est une reproduction de la page qui portait 1'adresse. TEXTE a
Collin a ecrit sur la lettre : "M. Helvetius. Receue 9 septembre 1758".
337. Luigi Gualtieri au secretariat d'Etat du Vatican1 [...] Io tanto contro questo libro2, quanto contro 1'altro gia trasmesso col titolo De I'Esprif, di cui mi si assicura che non ostante 1'avvisata regia proibizione di pubblicarlo4, se ne vada attualm6 facendo una nuova edizione in ottavo5, non manchero al mio dovere di parlarne a questo regio ministero. Intanto, il fermiere gnale Elvezio, autore del medmo, ha dato fuori I'ingiunta stampata sua dichiarazione , e perche il pubblico non ne e stato 109
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contento, fa egli correre 1'annesso manoscritto segto A7, col quale neppure sembra appresso del pubblico giustificato. Questa Sorbona poi, a cui e stata denunciata tal'opera, secondo il dettaglio espresso nell'altro annesso foglio B8, ha deputati alcuni dottori del suo corpo per maturam6 esaminarla9. L'arcivescovo di Mira
Parigi, 4 sett6 1758
\destinataire : ] Sige Card1 Seg° di Stato / Roma con libro e fogli [Traduction : ] [...] Je reprouve tout autant ce livre-ci2 que celui que je vous ai deja envoye, intitule De I'Esprit. Au sujet de ce dernier, on m'assure que, malgre 1'interdiction royale de le publier, dont je vous ai rendu compte , on est actuellement en train d'en faire une nouvelle edition inoctavo5, et je ne manquerai pas a mon devoir d'en parler au ministre du roi. Entre-temps, le fermier general Helvetius, auteur de cet ouvrage, a fait paraitre la declaration imprimee ci-incluse , et comme le public n'en a pas etc satisfait, il fait maintenant circuler le manuscrit signe A, egalement ci-joint7, qui n'apparait pas devoir le justifier mieux aupres du public. D'ailleurs, la Sorbonne, a laquelle cet ouvrage a etc denonce, selon les modalites indiquees dans la feuille B, egalement ci-incluse8, a designe quelques-uns de ses docteurs pour qu'ils 1'examinent avec toute la reflexion voulue9. [...] L'archeveque de Mira Paris, 4 septembre 1758 [destinataire : ] M. le Cardinal Secretaire d'Etat / Rome. Livre et papiers. MANUSCRIT *A. Archivio Segreto Vaticano, Nunziatura di Francia 501, fPs 206 verso et 207 verso; 4 p.; orig. signe.
1754, 13 vol.), qui avait etc mis a 1'Index en 1756. 3. Voir lettre 303. 4. Voir lettre 316.
NOTES EXPLICATES
5' ^°US ne C™™™°™ auCUne ^«ion
1. Le poste de secretaire d Etat du Vatican est alors vacant : Archmto a en effet cesse ses fonctions le 31 aout, et son successeur, Torngiam, ne prendra les siennes que le 8 octobre suivant (v. lettre 3 56, note 1). 2. Le livre que Gualtien joint a sa lettre est celui de 1 abbe Bonaventure Racine, Reflexions sur chaque siecle de Ibistoire ecdesiastiqm (Cologne, 1758, 2 vol.). Cet ouvrage constituait la suite de son Abrege de I his torn ecclesiastique (Utrecht & Cologne, 1748-
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6. /.
8. 9-
francaise m-8 de L Esprit qui ait paru en 1758. C est la premiere retractation, Sans doute la seconde retractation, L affirmation de Gualtien est la seule attestation connue q u Helvetius 1 aurait fait circuler sous forme manuscnte. Reference au compte rendu de 1 assemblee de la Sorbonne, tenue au debut de septembre. Information mexacte (v. lettres 327, note 2, et 341, note 4).
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338. Le cardinal Nicolas-Charles de Saulx-Tavanes1 a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes Versailles, 5 7bre 1758 J'ay lu, Monsieur, la seconde retractation qu'a fait M. Helvetius; je 1'ay trouvee fort bien, mais beaucoup de personnes, qui se plaignent qu'elle n'est pas asses connue, desireroient que vous en fissies faire une nouvelle edition pour la repandre davantage dans le public . Je ne doute pas que vous n'adopties cette jdee dont I'execution ne peut qu'ediffier les gens de bien que le livre De I'Esprit a scandalises. Rendes justice, Monsieur, a tous les sentimens avec lesquels je vous honore et vous suis bien attache. Le card, de Saulx-Tavanes [destinataire : ] M. de Malesherbes MANUSCRIT *A. B.N., ms. fr. 22191, f° 81-81 bis; 1 p.; orig. signe. NOTES EXPLICATIVES
1. Voir lettre 295, note 3.
2. A 1'encontre du vceu de SaulxTavanes et des "gens de bien" scandalises, Helvetius allait demander a Malesherbes de limiter la diffusion de cette deuxieme edition de sa /1N seconde retractation (v. lettre 341).
339. Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes au cardinal Nicolas-Charles de Saulx-Tavanes [6septembre 1758]1 Monseigneur, La Reine m'a ordonne dimanche dernier 2 de faire publier la seconde retractation de M. Helvetius avec plus d'authenticite qu'elle ne 1'a etc jusqu'a present. En consequence j'ay ecrit a 1'auteur qui est a la campagne pour scavoir de lui entre les mains de* *qui la premiere edition est resteV". Je recevrai selon les apparences sa reponse demain f3 , et j'ay pris d'ailleurs des mesures pour faire faire une seconde edition si celle-cy est insuffisante, en sorte que de fagon ou d'autre je compte que cette retractation sera en vente" *apres-demain matin* chez tous les libraires4. J'espere, Monseigneur, que vous voudres bien rendre compte a la Reine
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de I'execution de ses ordres et etre persuade du respect avec lequel j'ay 1'honneur d'etre, Monseigneur, de Votre Eminence, Le tres humble et tres obeissant serviteur. MANUSCRIT *A. B.N., ms. fr. 22191, f° 72; 2 p.; brouillon avec corrections autographes.
du mardi 5 septembre, jour ou Malesherbes a recu la lettre de SaulxTavanes (v. lettre 338), et qu'il 1'a corrige le lendemain en y modifiant TEXTE les indications relatives aux lours. a Le A : de . Surcharge autographe. Le A : . , . . ordre cent de cette nature et emademam . Le A : nant de la reine ne ngure dans le pour < q u il y > faire u n e edition dossier Malesherbes. si celle- . Malesherbes a remplace les 3. Declaration temeraire. D apres la mots barres par raire , seconde et reponse d Helvetius (lettre 341), la cy , mscnts dans I interligne. Le A : lettre de Malesherbes, auiourd hui vente perdue, a etc ecnte le mardi 5 sepNOTES EXPLICATIVES tembre et est parvenue a Helvetius 1. Les corrections que Malesherbes le jeudi 7. apporte au brouillon (v. notes r e t e ) 4. C'est ce que confirmeront les deux indiquent que le texte primitif date lettres suivantes.
340. Laurent Durand a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes Monsieur, Suivant les ordres que vous m'avez donne par mon neveu1, j'ai fait imprimer la lettre de M. Helvetius2 dont j'ai 1'honneur de vous adresser inclus cent exemplaires; le restant ne sera pret que demain ou samedy matin; j'attendrai vos ordres pour le nombre que vous en souhaiterez. Je suis avec un tres profond respect, Monsieur Votre tres humble & tres obeissant serviteur, Durand Ce jeudi [7 septembre 1758]3
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MANUSCRIT
*A. B.N., ms. fr. 22191, f° 84-84 bis; 1 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES
1. Ce neveu est, soit Pierre-EtienneGermain Durand, gendre de Jacques Lambert, libraire en 1761 et adjoint a la Librairie en 1779, soit ClaudeJacques-Charles Durand de Surgeres, neveu et gendre de Laurent Durand, libraire en 1771, et habitant en 1788 rue du Foin, dans la maison de Laurent. 2. II s'agit ici de la seconde edition de la deuxieme retractation, ce qui resulte de 1'echange des lettres 338 et 339 entre Malesherbes et SaulxTavanes, et indirectement, d'une autre lettre de Durand a Malesherbes, datee du 17 septembre. Celle-ci contient une reference precise a la premiere retractation, dont on peut justement inferer qu'une seconde retractation a deja etc publiee : "II ne m'a pas etc possible d'avoir de rimprimerie, avant-hier au soir, 1'edition de trois cent que
j'ai fait faire de la premiere lettre de Mr Helvetius, dont je prends la liberte de vous adresser six exemplaires; je ferai distribuer le reste." (B.N., ms. fr. 22191, f° 86; orig. autogr.) 3. Voir la lettre citee ci-apres, dans les Remarques. REMARQUES
Dans une lettre datee "Ce 8 7bre 1758", c'est-a-dire ecrite le lendemain de la presente, Durand ecrit a Malesherbes : "J'ai fait appreter encore deux cent de la lettre de M. Helvetius, dont je vais envoyer cent a la mere de M. Helvetius qui me les demande; j'en donnerai cent autres a deux colporteurs, dont 1'un ira au Palais-Royal vers le midi, & 1'autre aux Thuilleries, pour les vendre a leur profit." (B.N., ms. fr. 22191, f° 85; orig. autogr.) Outre les deux editions qui existent de chacune des deux retractations, une autre en a ete publiee, dans laquelle figure 1'une et 1'autre retractations (v. appendices 4 et 5).
341. Helvetius a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes Monsieur, Je n'ay pu recevoir que jeudy a dix heures du soir la lettre que vous m'avez fait 1'honneur de m'ecrire le mardy 1 . J'imaginois, je vous 1'avoue, que contente de cette retractation 2 , la Reine n'exigeroit pas une si grande autenticite. Cette retractation m'a ete arrachee par les larmes et la desolation de ma mere puisque j'y conviens des torts ou que je n'ay pas ou du moins que je ne crois pas avoir. Vous ne pouvez pas vous oppozer aux ordres de la Reine, mais cette persecution me paroit bien forte, et je prevois que tost ou tard il faudrat que je prenne mon party3. Je vous supliray seulement, si vous avez deja donne vos ordres a Durand, de faire faire cette edition tres courte et ne luy en permettre d'en delivrer
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que par votre ordre et a ceux que vous jugerez a propos. S'il est de bonne foy, je luy tiendray compte de ce qu'il ne vendrat pas. Vous voulez bien que je vous remercie de toutes les bontes que vous me marquez dans cette affaire. En tout age et en tous pais j'en conserveray une reconnoissance tres vive. Ce n'est, je crois, qu'au premier octobre qu'on denoncerat mon livre a la Sorbonne. J'auray encor grand besoin de votre protection dans ce moment . Je suis, avec le plus profond respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius. AVore, ce* 6 [ = 8]5 7bre 1758 MANUSCRIT
*A.B.N., ms.fr. 22191, f° 82-83; 3 p.; orig. autogr., impression en relief du timbre de la poste, sur les deux feuillets de la lettre : REMALARD^. TEXTE " Le A : "ce ce". L'enveloppe, qui portait sans doute le timbre postal, n'a pas ete conservee. NOTES EXPLICATIVES
1. Lettre non parvenue jusqu'a nous, qui a vraisemblablement ete ecrite le mardi 5 septembre (v. lettre 339). 2. II s'agit de la seconde edition de la deuxieme retractation de L'Esprit (v. lettre precedente). 3. Voir lettre 335, note 4. 4. Helvetius confond deux moments de 1'action entreprise contre son ouvrage. A la date de la presente lettre, la denonciation de L'Esprit est chose faite, le livre ayant ete defere a la Sorbonne par Gervaise le ler septembre, comme il 1'a annonce dans sa lettre du 29 aout (327), et le mentionne d'autre part dans le titre de Ylndiculus (v. appendice 7, note
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1). Le 2 octobre, on proposera de nommer des docteurs pour examiner De I'Esprit, mais les deliberations devant avoir lieu a cet effet seront remises au 4 novembre par suite d'une lettre de cachet du roi "touchant les actes d'opposition que voudroient faire des docteurs particuliers" (Compte rendu de cette seance : Archivio Segreto Vaticano, Nunziaturadi Francia 502, f° 19-20). 5. La mention "ce 6" est une erreur, que Ton peut sans risques imputer a 1'extreme agitation qu'eprouvait alors Helvetius, laquelle transparait dans sa graphic. II declare en effet avoir recu la lettre de Malesherbes un jeudi soir (v. par. 1), soit le 7 septembre, et c'est certainement le lendemain qu'il y a repondu. REMARQUES
Le 11, la reine ecrit au president Henault : "Je suis bien aise que vous soyez content de la retractation; de quoi je le suis encore davantage, c'est de la douleur de 1'auteur." (Lettres inedites de la reine Marie Leckzinska, 1886, p. 333.)
Septembre 1758
LETTRE 342
342. Nicolas-Claude Thieriot a Voltaire 12sept bre [1758]", a Paris [...] On vous aura fait savoir tout le fracas qu'a fait ici le livre de M. Helvetius. La cour en a temoigne un scandale des plus marques. La Reine et M. le Daufin en etoient les chefs. Les jesuites, qui se fourent partout, et qui veulent faire les importants, ont voulu s'emparer de cette affaire. Us 1'ont conduit avec toute 1'astuce et la friponerie dont ils sont capables. Us ont fait les chattemites aupres de 1'auteur, et se sont fait ensuite ses persecuteurs. Ils ont commence par la douceur, et ont fini par les menaces. Ils lui ont presente la Bastille, la perte de sa charge, ou une retractation a signer, toute des plus fortes et des plus humiliantes qu'on ait jamais produit. II a fait comme Galilee, il a cede a la violence, et il a tres bien fait, car on le plaint, et il n'en est que plus aime et estime. J'ai leu son livre, et je 1'ai leu comme M. Locke conseille la premiere lecture de son Entendement1. II m'a tres fort interesse, malgre toutes les imperfections des talents, du bel esprit, et du genie de 1'auteur. II manque plus souvent par les formes que par le fond. II a souvent de la finesse et du gout, et les fait souvent desirer. Enfin il est fort inegal, mais il n'est jamais ennuyeux. Voila 1'impression qu'il m'a fait. [...] Thieriot MANUSCRIT
*A. B.N., ms. fr. 12902, ff s 209 recto, 209 verso-210 recto, et 210 verso; 4 p.; orig. autogr. IMPRIMES
I. Caussy, p. 156-158. n. Best. 7146. HI. Best. D. 7856. TEXTE
Ajoute par une main inconnue dans le A. NOTE EXPLICATIVE
nions dont on est prevenu sur les questions qui sont traitees dans cet ouvrage; et la seconde, dejuger des raisonnemens de 1'auteur par rapport a ce qu'on trouve en soi-meme, sans se mettre en peine s'ils sont conformes ou non a ce qu'a dit Platon, Aristote, Gassendi, Descartes, ou quelque autre celebre philosophe." (Locke, Essai philosophique concernant I'entendemnt humain, Amsterdam & Leipzig, 1755, p. viii-ix.) REMARQUES
1. Reference a l'"Avertissement", qui La presente lettre a du croiser celle, n'est pas de Locke, mais du traduc- adressee le 17 septembre par Voltaire a teur, Pierre Coste, et qui contient le Thieriot, qui contient les commentaipassage suivant : "II y a encore, a res suivants : "J'avais lu dans un journal mon avis, deux precautions a pren- que Mr Helvetius a fait un livre sur 1'esdre, pour pouvoir recueillir quelque prit, comme un seignr qui chasse sur ses fruit de cette lecture. La premiere terres, un livre tres bon, plein de litteest, de lamer a quartier toutes les opi- rature et de filosofie, approuve par un
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LETTRE
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l er commis des Affaires etrangeres; et j'apprends aujourduy qu'on a condamne ce livre, et qu'il le desavoue comme un ouvrage dicte par le diable. Je voudrais bien lire ce livre pour le condamner
Septembre 1758 aussi. Tachez de me le procurer. Vous voyez sans doute quelquefois cet infernal Helvetius : demandez-luy son livre pour moy." (Arsenal, ms. 7567, n° 5, et Best. D. 7864.)
343 • Le cardinal Domenico Passiomi1 a Helvetius Rome, le 13 7bre 1758 M. de Ste-Palaye2, mon ami, m'a fait passer, Monsieur, votre livre De I'Esprit que vous aviez eu 1'attention de remettre pour moi a M. de Burigny. Je le lirai avec plaisir. [...] D[omenico] : card[ina]l Passionei MANUSCRIT
*A. Collection du marquis de Rosanbo, fonds Lamoignon, 263 ap 6; 1 p. (demi-feuille); orig. autogr. NOTES EXPLICATIVES
1. Le comte Domenico Passionei (16821761), avait fait des etudes brillantes a Rome, pour devenir legat du Saint-Siege aux congres d'Utrecht (17 12) et de Bade (1714), nonce en Suisse (1721), et a Vienne (1730), cardinal (1738) et conservateur en chef de la bibliotheque du Vatican (1755). S'interessant vivement aux inscriptions grecques et latines, il avait continue a entretenir, depuis un sejour qu'il avait effectue en France de 1706 a 1708, des relations suivies avec les intellectuels de
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ce pays, notamment Voltaire et Montesquieu, et recevait un monde brillant dans sa villa de Frascati. Adversaire des jesuites, il etait plutot jansenisant que janseniste (v. E. Dammig, // Movimento giansenista a Roma, Vatican, 1945, p. 51-63). 2. Jean-Baptiste de La Curne de SaintePalaye (1697-1781), membre de 1'Academie des inscriptions et belleslettres en 1724 et de 1'Academie franchise en 1758, auteur d'un Glossaire de I'ancienne langue fran^aise (1756) et de Memoires de I'ancienne chevalerie (1759-1781). On lui doit la premiere edition d'Aucassin et Nicolette ainsi qu'un Dictionnaire des antiquites franfaises, en 40 volumes in folio, manuscrits.
Septembre 1758
LETTRE 344
344' Laurent Durand a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes Monsieur, On vient de m'envoyer une lettre en reponse a ce qui a ete insere dans le Journal de Trevoux sur le livre de Mr Helvetius1; on me presse beaucoup pour 1'impression que j'ai dit ne pouvoir commencer, que je n'aye votre permission. J'ai 1'honneur de vous adresser cette lettre, & vous supplie de vouloir bien avoir la bonte de me donner vos ordres le plutost qu'il sera possible. Je suis, avec un tres profond respect, Monsieur, Votre tres humble & tres obeissant serviteur, Durand Ce 23 7Dre 1758 MANUSCRIT
REMARQUES
*A. B.N., ms. fr. 22191, f° 87-87 bis; 1 p.; orig. autogr.
C'est sans doute de cette meme Lettre que, le 26 octobre, Hans-Kaspar Arkstee et Hendrick Merkus, qui ont ete imprimeurs et libraires a Amsterdam de 1734 a 1782, entretiennent Malesherbes : "On vient de nous communiquer une Lettre qui nous a paru etre bien faite, & n'avons pas voulu manquer de vous 1'envoyer d'abord; oserions-nous prendre la liberte, Monsieur, de vous prier de nous permettre d'en faire present a Mr Durand d'un couple de douzaine?"(B.N., ms. fr. 22191, f° 89.)Le 2 novembre, Durand ecrit a ce meme sujet a Malesherbes : "L'auteur de la lettre sur L'Esprit auroit ete flatte d'en avoir quelques exemplaires; c'est pour lui qu'Arkstee & Merkus d'Amsterdam vous ont demande la permission de m'en adresser."(Ibid., f 90.)
NOTE EXPLICATIVE
1. Voir Journal de Trevoux, septembre 1758, art. xcvi, "Nouvelles litteraires", p. 2297-2302. La lettre ecrite en reponse a cet article pourrait bien etre la Lettre au R.P. *** [Berthier}, journaliste de Trevoux (Hollande, [1758]), qui est devenu la troisieme partie de 1'ouvrage de Ch. G. Le Roy public anonymement sous le titre Examen des critiques du livre intitule : De I'Esprit (Londres, 1760). Un compte rendu de cet Examen est fourni par Smith (v. Helvetius, p. 87-89).
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LETTRE 345
Septembre 1758
345. Helvetius a Charles-Jacques Collin [Vers le 24 septembre 1758]1 Conserver, mon amy, une ame aussy ferme et aussy pure au milieu de la corruption des cours, c'est Arethuze qui conserve la purete de ses eaux au milieu des mers 2 . Je vous jure done aussy, foy de bourgois de Paris, que je suis penetre de la plus vive reconnoissance de tout ce que votre amitie fait pour moy. Vous scavez que j'ay toujours etc attache a Madame de Pompadour, et que je n'avois pas attendu qu'elle me rendit service pour 1'aimer; je suis fort de son avis, je n'ay nulle envie d'aller a Versailles, et j'attendray tant qu'on voudra. Je vous avouray meme que je ne me sens pas le courage de m'y presenter; il me semble voir toutes les femmes de chambres de la Reine et la pluspart de nos duchesses attentives a me regarder pour voir si je n'ay pas des comes sur la tete et une queue au cul. D'ailleurs la 2de lettre qu'on m'a fait faire me paroit vile3, et pour peu qu'on me tracasse encor, je passerois dans un autre pais; ma femme meme m'y exhorte, elle est outree de ce qu'on m'a fait, et je suis sur d'etre tres bien recu en Angleterre ou j'ay des amis . Monsieur Berrier 5 a lu mon livre, il faudrait scavoir ce qu'il en pense, je crois etre sur qu'il en a dit du bien. Si cela est, il pourroit, appuie de Madame de Pompadour, dissiper les preventions du Roy sur mon ouvrage, luy faire sentir que je n'ay pas attaque les grands principes et que dans tout mon livre' je ne preche que la vertu. Je n'y parle point a la verite des vertus crethiennes, parce que je parle a toutes les nations et que toutes les nations ne sont pas crethiennes. J'y fonde la vertu sur 1'interest, parce que notre interest bien entendu nous conduit a etre vertueux . C'est uniquement parce que j'ay releve les abus que les pretres font de la religion en voulant etablir 1'intolerance que les pretres crient centre moy. Le Roy est bon, il n'est point aveuglement soumi aux moines; de plus le Roy entend, ainsy il reviendrat quand on luy montrera la verite. Mandezmoi ce que vous scavez de M. le D.. . 7 S'il est fache et si, comme on le dit, il ne revient jamais sur le compte d'un homme, vous m'avourez que si j'avois le malheur de survivre au Roy8, il seroit facheux d'avoir son maitre pour ennemy et qu'il vaudroit autant plier bagage. Adieu, mon amy; je compte toujours sur vous. Si vous trouvez 1'occasion de remercier Madame la marquize, vous me ferez plaisir et vous 1'assurerez de mon plus profond respect. Si je reviens a Versailles, il faut qu'elle ait encor la bonte de me donner un petit quart d'heure d'audience. Je suis, avec la plus grande estime et le plus sincere attachement, Monsieur et cher amy, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius 118
LETTRE
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Depuis ma lettre ecritte j'en ai rec.u encor une d'un jesuitte qui semble m'annoncer que la Societe voudrait me jouer quelque nouveau tour9. Je 1'attends avec patience. Si le Roy n'est pas contre moy, il ne pourront me rien faire. MANUSCRIT
A. Bibl. mun. de Chartres; orig. autogr., qui a etc detruit. IMPRIMES
*i. Jusselin, p. 32-33. II. Mercure de France, cvm (1914),
p. 572-573. NOTES EXPLICATIVES
1. Collin a ecrit dans la marge de la lettre : "M. Helvetius. J'ay receiie cette lettre le 27 septembre 1758". Helvetius, alors a Vore, a du 1'expedier peu avant cette date. 2. La celebre Fontaine d'Arethuse, situee dans 1'ile d'Ortygie, qui se trouve a 1'entree du port de Syracuse, sort d'un rocher entoure par la mer. 3. II s'agit de la deuxieme retractation de L'Esprit. 4. Voir lettre 335, note 4. 5. Nicolas-Rene Berryer (1703-1762), aussi impopulaire qu'inefficace dans
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les nombreux postes qu'il a occupes, et surtout a la lieutenance de police (1747-1755), avait du le succes de sa carriere a la protection de Mme de Pompadour. Selon Duclos, il avait rendu plus de services a cette derniere qu'a 1'Etat (v. ses Memoires secrets dans (Euvres, 1820-1821, 9 vol., vn, p. 330). Cette justification avait deja ete avancee par Helvetius dans la preface de L'Esprit, ainsi que dans la lettre 284, et dans sa premiere retractation. Le Dauphin. Crainte vaine, le Dauphin etant mort en 1765 et le roi ayant survecu a Helvetius de plus de deux ans. Plus d'un an apres, le 15 decembre 1759, Helvetius aura 1'occasion d'expliquer, de fagon savoureuse, en quoi consistait ce "mauvais tour" auquel il s'attendait de la part des jesuites (v. lettre 450).
346. Helvetius a Voltaire [Vers le 24 septembre 1758]1 Vous ne doutez pas que je ne vous eusse adresse un exemplaire de mon ouvrage le jour meme qu'il a paru, si j'avois scu ou vous prendre. Mais les uns vous disoient a Manheim 2 , les autres a Berne3, et je vous attendois* aux Delices pour vous envoier ce maudit livre qui excite contre moy la plus violente persecution. *Vous seUes n£ ^^ mauvaises et que
k ^^ ^ souffre „ (Tmblet)
109-110 )
LETTRE 359 3. Marie-Francoise de Saint-BelinMalain (1732-1769), qui appartenait a une des grandes maisons de Bourgogne.
Novembre 1758 4. II s'agit sans doute de 1'appui de Mme de Pompadour (v. lettres 336 et 345).
359. Helvetius au pere Pierre-Joseph Plesse [Debut novembre 1758] * Mon Reverend Pere, Les memes gens, dites-vous, qui vous ont avertis que vous etiez ma duppe pourroient bien m'avoir insinue que j'etois la votre. [...] J'ay d'abord tenu bon centre tous mes amis et mes connoissances et meme j'en avois converti beaucoup. Vous sentez que depuis les sermons et les ecrits du pere Neuville et du pere Berthier 3 , ils ont beau jeu pour se moquer de moy. Ma femme et moy, nous nous attendons encor a de nouvelles persecutions. Nous avons mis les choses au pis, et notre party est pris au cas que ce pis arrive. [...] Je scais de quelle maniere on a force Querlon5 a inserer ma 2de lettres dans les Affiches de province6. Je scais le nom de celui qui 1'a fait mettre dans les Affiches de Paris1. [ . . . ] MANUSCRIT
*A. Collection du marquis de Rosanbo, fonds Lamoignon, 263 ap 6; 4 p.; brouillon autogr. NOTES EXPLICATIVES
1. L'emoi qui se revele tout au long de cette lettre a sans doute etc la consequence immediate de la premiere critique detaillee de L'Esprit parue a la fin d'octobre dans le Journal de Trevoux. Voir aussi la lettre precedente, ecrite le 31 octobre (lignes 3 a 6 et note 2). 2. Voir lettre 38, note 3. Lire : Les sermons du pere [Charles Frey de] Neuville et les ecrits du pere Berthier. 3. Auteur de 1'article du Journal de Trevoux mentionne ci-dessus (v. note 1).
4. Voir lettre 335, note 4. 5. Anne-Gabriel Meusnier de Querlon (1702-1780) avaitfonde en 1752 les Affiches de province. 6. Les Affiches de province avaient presente, les 2 et 9 aout, une analyse assez favorable des deux premiers discours de L'Esprit (n° 31, p. 121122; n° 32, p. 125-126). Le 20 septembre, la seconde retractation d'Helvetius se trouve publiee dans ce journal, accompagnee du seul commentaire suivant : "Comme dans les deux notices du livre intitule De I'Esprit, en deferant a la premiere impression qu'il avait faite sur beaucoup de lecteurs, nous n'avons point pretendu en juger le fond, voici la retractation de 1'auteur."
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LETTRE
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Novembre 1758
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Dans les Affiches de Paris, le texte de la deuxieme retractation est presente ainsi : "Autant M. Helvetius a etc prompt a se retracter, quand on lui a eu fait voir que son livre De I'Esprit etait dangereux, autant on doit se hater de publier sa retractation. C'est pour cette raison que nous 1'inserons ici. Les motifs qui nous engagent a exposer aux yeux du
public les vrais sentiments de 1'auteur ne doivent pas paraitre moins louables que ceux qui nous ont determines a garder le silence sur 1'ouvrage avant qu'il fut supprime." (Affiches de province, 28 septembre 1758, p. 605.) L'abbe Jean-Louis Aubert (1731-1814) etait depuis 1752 le redacteur des sections litteraires de ce journal.
360. Helvetius a Madame Helvetius [l er novembre 1758]1 Enfin, ma chere femme, voila, je crois, toutes mes affaires finies. Demain matin j'iray chez le sindic de la Sorbonne2 pour luy parler et, selon ce qu'il me dirat, je partiray pour Vore peutestre jeudy ou vendredy. II est sur *du moins* que cela ne peut maintenant* aller qu'a deux ou trois jours de plus ou de moins. J'ay bon besoin de te revoir, car en verite je suis excede des fatigues de corps et d'esprit. J'ay une fluxion dans 1'oreille qui me fait beaucoup souffrir. Mais je songe a toy, je songe que je seray bientost dans tes bras, et je souffre moins. Je suis enchante de la fermete que tu as fait paroitre dans toute cette affaire-cy; aussy je ne me retiens point sur les louanges que tu merite. Tu es la plus digne femme du monde et je m'honore de t'avoir. Tu ne peux imaginer combien j'y met d'amour-propre, combien j'en suis glorieux. Je t'estime autant que je t'aime, et c'est dire beaucoup. Ah! que j'auray de plaisir a te raconter tout ce que j'ay souffert! C'est a la verite le plaisir des malheureux. Mais c'est une ombre au tableau qui fait ensuite mieux sentir le bonheur. Je ne t'aurois pas si bien connu, si je n'avois pas eprouve ces malheurs. Tu ne m'aurois pas tant aime et, puisque je dois t'en etre plus cher, ces maux sont pour moy de vrais biens. Adieu, ma petite. Je t'aime et je t'aimeray toute ma vie. II ne me reste qu'un seul souhait a faire, c'est de mourir avant toy. Adieu encor une fois, la plus digne et la plus aimable des femmes. J'embrasse mes enfans. [adresse :] Route du Perche / A Madame / Madame Helvetius, en son chateau / de Vore / A Vore, proche Regmallard MANUSCRIT
TEXTE
*A. Vore; 3 p.; orig. autogr.; cachet aux armes d'Helvetius sur cire rouge.
" Le I : "maintenant". b Omis dans le I.
IMPRIME
1. Voir lettre 357, note 1. 2. Gervaise (v. lettre 327, note 1).
I. Guillois, p. 440. 140
NOTES EXPLICATIVES
LETTRE 361
Novembre 1758
361. Helvetius a Madame Helvetius [3 novembre 1758]: J'arrive tout harasse chez moy pour te dire que je t'adore. Je scavois* d'hier ce que 1'abbe Lambert2 te mandoit. J'ay vu le sindic de la Sorbonne3. II m'a confirme ce que t'a mande Mr Lambert. II m'a nomme les commissaires charges de faire ma censure4. Us sont au nombre de huit, mais je n'en verray que trois qui sont les plus habiles. J'ay eu une longue conference ce matin avec 1'un d'eux. Je compte en voir encor^1 un demain et peutestre deuxf. Cette maudite affaire me retarde necessairement deux jours et j'en suis au desespoir. J'ay un rendez-vous dimanche matin avec Forme5 a qui j'avois dit de faire cette maudite transaction et qui ne 1'a pas encore faite. J'ay tant d'affaire dans la tete qu'en verite je deviendrois fou si je restois plus longtems a Paris. Depuis que j'y suis je cours comme un fou et pour des affaires bien desagreables. II semble qu'elles se multiplient a mesure que je les fini^. J'ai fait mon compte avec Montbassin 7 . J'ay aussy fini" 1'echange de mes billets du mois de Xbre et de Janvier ce matin avec Pelletier8. Tu vois bien que je ne perds pas mon tems. Attends-moy mardy et ne me gronde pas, car en verite je me tue pour finir mes affaires. Je vais samedy matin chez mes censeurs theologiques. Le soir je reviendray diner chez ma mere. De la je vais chez Mde de La Valliere 9 , ensuite chez ta tante 10 , et si j'en ai le tems, chez Mde Geoffrin. Dimanche j'iray chez Forme et ^ensuite chez un censeur^. Le soir j'iray chez Mde Dupain 11 et chez %n nomme d'Arget*12 a qui j'ay affaire. Lundy matin j'iray chez le pringe de Conty 13 , le soir chez Mde La FerteImbaut 14 . Et mardy j'iray embrasser ma femme a Vore ou je voudrois deja etre. Ah! ma pauvre amie, que je suis malheureux loin de toy! Je te reponds, quelque ennuy que tu ayes eprouvee, que tu n'es pas aussy malheureuze que moi. Aussy je ne me porte pas trop bien et je n'auray du plaisir et de la sante qu'a tes pieds que je baize. MANUSCRIT
*A. Vore; 4 p.; orig. autogr. IMPRIME
i. Guillois, p. 431-432. TEXTE Le I : "recois". h Omis dans le I. ' Le A : "d'eux". ^Le I : "fuis". 'Le I : "fait". ' Le A : "censeur. ". g Le I : "Boucher d'Argis". a
NOTES EXPLICATIVES
1. Voir lettre 357, note 1. 2. L'abbe Antoine-Louis Lambert, docteur en Sorbonne- A sa mort' en 1785, il etait sacristain de la Chapelle oratoire du roi, chanoine de Reims et abbe commendataire de Mauleon (diocese de La Rochelle). 3. Gervaise.
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LETTRE
Novembre 1758
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4. C'est le 4 novembre que les sept comrmssaires suivants ont ete designes par la Sorbonne pour examiner De I'Esprit, sous la presidence de Hillaire : Bonet, Bouillerot, Burette, Carteaux, Couteaux, Cuneau, Le Bel (v. A.M., Sacrae Facultatis Commentarii, MM 257, f° 500-504). Helvetius a done ete informe de 1'identite de ces commissaires avant leur nomination officielle. 5. Le procureur d'Helvetius (v. lettre 307, note 5). 6. II s'agit peut-etre a nouveau de la demande de lettres patentes portant etablissement de foires et marches a Remalard (v. lettres 270, 271, 279 et 280). 7. Secretaire d'Helvetius (v. lettre 269, note 1). 8. Voir lettres 145, note 3, et 223, note 3. 9. Anne-Julie-Francoise de Crussol, duchesse de Vaujour et de La Valliere (1713-1793). Elle avait epouse en 1732 Louis-Cesar de La Baume Le Blanc, due de La Valliere, grand fauconnier de France, qui posse-
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dait une des plus riches bibliotheques de France. Mme de Graffigny. Louise-Marie-Madeleine de Fontaine (1706-1799), qui avait epouse en 1724 le futur fermier general Claude Dupin, etait la fille adulterine du financier Samuel Bernard et la petite-fille de 1'auteur dramatique Dancourt. Son mari possedait 1'hotel Lambert a Paris, et le chateau de Chenonceaux. Louise Dupin, qui etait d'une beaute remarquable, a tenu longtemps un salon celebre, et reunissait a sa table des hommes de lettres, tels Fontenelle, Marivaux et Mairan. Claude-Etienne Darget avait ete secretaire du marquis de Valory, ambassadeur en Prusse, puis de Frederic II. Rentre a Paris en 1752 pour soigner une maladie de la vessie, il avait pris le poste d'intendant de 1'Ecole militaire. Nomme plus tard ministre des eveques de Liege et de Spire, il mourra en 1778. Voir lettre 357, note 5. Voir lettre 278, note 2.
3 62. Mathieu-Joseph, chevalier de Ligniville1, a Madame Helvetius A Loriant*, ce 8 novembre 1758 Ma chere soeur, Mon pere m'a mande avec plaisir 1'etat de votre sante. Je desireroit qu'elle puisse etre aussi bien etablie que la mienne, car je ne scais pas encore ce que c'est que d'etre malade. Donne-moi, je vous suplie, vous-meme de vos cheres nouvelles, et de celle [de] Mr Helvetius que j'assure de mes respects, ainsi de vos chers enfans que j'embrasse mille fois. La campagne que je vient de faire2 est des plus heureuse, et il faut etre
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LETTRE
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de la famille pour cela3. Je ne vous fait aucun detaille, car cela vous ennuiroit, n'etant surtout pas au fette de la marinne. J'ai aprit le mariage de mon frere4 avec bien du plaisir. Ayant heureusement echape aux fureures et risques de la guerre, il est bien fait pour etre heureu. Pour moi, je prevoit que dans peu je recommencerai a voguer au greis^ des flots, vue que nous avons beaucoup d'officiers prisonnier. Nous ne sommes dans le port5 que pour pret de trois semaines. Je vous prie de m'adresser ainsi vos lettres au ch. de Ligneville, enseigne de vesseau sur le vesseau du roi Le Bisard6, presentement a Loriant*, en son absence a Breste, ou nous irons desarmer. Ce n'est qu'a trentes lieux d'icy. Je suis, en attendant de vos cheres nouvelles, avec la plus parfaite amitie, votre frere Le che. de Ligniville MANUSCRIT
*A. Vote; 1 p.; orig. autogr.; fragments de cachet sur cire rouge; une dechirure a emporte la moitie du second feuillet, ou se trouvait sans doute 1'adresse. TEXTE
a
Le A : "1'oriant". gre.
NOTES EXPLICATIVES
1. Voir lettre 53, note 8. 2. Reference, soit a la defaite humiliante infligee aux Anglais par le due d'Aiguillon en septembre 1758 sur la plage de Saint-Cast, soit a une operation dirigee contre le blocus qu'exercait alors la flotte anglaise tout le long des cotes de lAtlantique.
3. Allusion probable a la carriere militaire brillante de plusieurs autres Ligniville. 4. Pierre-Jean de Ligniville (v. lettre 268, note 5) avait epouse LouiseAnne-Sophie de Bouchard de Launoy en septembre 1758. 5. Village insignifiant au xvile siecle, Lorient est devenu au xvm e un important port militaire et une ville fortifiee de 18 000 habitants, qui avait tenu tete avec succes en 1746 aux attaques de la flotte anglaise. 6. Le Bizarre, vaisseau de ligne de 64 canons, dont 1'equipage atteignait 450 hommes, etait commande par le prince de Montbazon, chevalier de Rohan, et faisait partie de 1'escadre d'Hubert de Brienne, comte de Conflans.
3 63. Louis XV au cardinal Nicolas-Charles de Saulx-Tavanes1 [Vers le 11 novembre 1758]2 J'ai donne 1'attention la plus serieuse aux representations que le clerge m'a faites concernant les mauvais livres, & j'en ai senti toute 1'importance pour le bien de 1'Etat, comme pour celui de la religion.
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LETTRE
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J'ai ordonne en consequence qu'on usat du plus grand discernement dans le choix des censeurs, & qu'on avertit ces derniers d'etre moins indulgents pour les ouvrages qu'ils approuvent3. J'ai defendu encore, de la maniere la plus precise, de repandre, ou de faire entrer, soit dans la capitale, soit dans les provinces de mon royaume, aucun livre qui n'ait etc autorise. Je prendrai les mesures les plus justes, pour arreter enfin le cours de ces libelles, dont 1'objet paroit etre de donner atteinte aux decisions de 1'Eglise, & au respect qui est du au ministere des pasteurs; je ferai veiller soigneusement a 1'execution de mes ordres. Au surplus, non seulement je partage routes les alarmes du clerge, sur les suites que pourroit avoir pour la religion & pour 1'Etat, la licence de penser & d'ecrire, qui s'est introduite depuis quelque temps, mais je 1'invite moi-meme a s'occuper, par-dessus tout, du soin de remedier a un mal aussi pernicieux, en s'appliquant a cet objet le plus essentiel de son ministere; il peut etre sur qu'il entrera dans mes vues, et qu'il trouvera dans ma protection tout 1'apui dont il aura besoin. MANUSCRITS
A. Brit. Libr., Add. Ms. 20655, f° 244 verso-245 recto; 2 p.; copie. B. Aff. etr., C.P. Rome 825, f° 434 recto-435 recto; 3 p.; copie. IMPRIME *l. Collection des proces-verbaux des assemblees generates du clerge de France, 17671778, 8 vol., vin, pieces justificatives, p. 241(B.N., Res. Ld5 16). NOTES EXPLICATIVES
1. C'est en tant que president de 1'Assemblee du clerge de 1758 que le cardinal de Saulx-Tavanes (v. lettre 295, note 3) est le destinataire de cette lettre. 2. Le 6 novembre, le cardinal de SaulxTavanes avait presente au roi un memoire sur les mauvais livres, redige par I'eveque de Valence. Le 13, on donne lecture a 1'Assemblee de la presente reponse du roi (op. cit. [v. le i], vm, p. 654-655). 3. Reference a Tercier, seul censeur qui encourait alors la critique pour son indulgence, et qui est d'autant plus certainement le personnage vise par
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cette remarque que Louis XV avait pu avoir sous les yeux le passage suivant du Memoire [...] au sujet des mauvais livres : "Un Dieu indifferent sur les actions de 1'homme, et trop grand pour s'abaisser jusqu'a lui; rhomme degrade et avili jusqu'a la condition des betes; une religion sans culte; une societe sans mceurs; des loix sans autorite, plus inventees pour intimider le crime, que pour inspirer la vertu; le crime meme depouille de tout ce qui doit en donner de 1'horreur. Tels sont les principes et les consequences de ces pernicieux ouvrages. [...] Ces maux, Sire, sont d'autant plus affligeants, qu'ils semblent toleres, et que par des intrigues sourdes, qui sont familieres a 1'erreur, des productions empoisonnees se montrent souvent sous le sceau de 1'autorite publique." (Op. cit. [v. le l], VIII, pieces justificatives, p. 241.) REMARQUES
Lorsque 1'Assemblee du clerge de 1765 assignera une commission presidee par
Novembre 1758
LETTRE 364 Lomenie de Brienne, archeveque de Toulouse, a 1'examen des mauvais livres, le livre De I'Esprit figurera nommement dans le rapport du president comme 1'un des ouvrages "qui ont etc [...] les plus repandus depuis plusieurs annees et [...] ont paru le plus meriter 1'animadversion de 1'Eglise" (op. cit., vm, p. 1354). Le memoire traditionnel envoye au roi a cette occasion contiendra une reference tres claire a Helvetius et a son ouvrage, sans toutefois que les eveques aillent jusqu'a les nommer : "Si 1'auteur d'un livre impie est assure qu'une disgrace de quelques jours est le seul chatiment qu'il ait a craindre, ou si
meme il peut echapper a ce leger chatiment, par un desaveu, ou par une retractation qui ne repare rien, et qui n'etant, pour 1'ordinaire, de sa part, qu'un acte d'hypocrisie, ne le rend que plus criminel [...], il faut bien que, malgre le zele et les intentions pures de Votre Majeste, la religion s'affaiblisse parmi nous, et que la France se precipite, tot ou tard, dans la nuit profonde de 1'erreur." (Op. cit., vm, pieces justificatives, p. 465.) De I'Homme sera decrie de facon analogue lors de 1'Assemblee de 1775 (op. cit., vm, p. 2232).
364. Nicolas-Claude Thieriot a Voltaire 129 b r e [1758f, a Paris Votre avis arriva trop tard 1 , mon tres illustre ami : L'Esprit etoit parti a 1'adresse de M. Tronchin a Lion, et il vous sera parvenu dans le meme temps que je recevois votre tres aimable lettre. Ce sont la de tres petits inconvenients de cette vie. M. Helvetius est ici depuis quelque jours. II m'est venu voir; il m'a temoigne le contentement ou il etoit de votre suffrage. II m'a reproche avec raison de ne vous avoir pas specific les retranchements qu'on avoit fait dans son ouvrage de tout ce qui vous regardoit et des traits honorables qu'il y ajoutoit 2 . Je puis vous certifier que depuis dix ans il m'a leu et m'a fait lire plusieurs fois ce que j'ai etc bien surpris de ne pas trouver a cet egard. II s'est meme engage de me faire voir a son retour cet hyver ces endroits ratures sur le ms. qui lui est reste. Vous demandes d'ou est parti 1'orage et le dechainem' des bonnets a trois comes? Vous pouves voir dans I'article des Memoires de Trevoux d'octobre jusqu'ou ils poussent le fanatisme en apellant 1'autorite a leur secours3. Us viennent d'ailleurs exciter leur petite troupe d'auteurs lai'ques a redoubler leurs clameurs contre les ouvrages de M. de Montesquieu, de vous-meme, de Mrs de Buffon, d'Alambert, Diderot et Helvetius, dans un livre qui va paroitre incessament ; leur plaisanterie des Kakouacs est froide et ne s'est point souteniie5. Ce qui me fait plaisir, c'est que 1'ame philosophique et ferme de M. Helvetius n'en est point du tout alteree. II est a 1'abri de leur
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LETTRE
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fureur bavarde par les deux retractations qu'ils ont dresses eux-meme et qu'ils lui ont fait signer, comme des racolleurs font signer un engagement a celui qls tiennent dans un four . II y a cependant vingt-sept cartons7 dans le livre de M. Helvetius avant la persecution et la condamnon de cet ouvrage, de sorte que ce sont comme des bouts-rimes et des remplissages forces. On en verra quelque jour le ridicule, et la preuve de ce que je vous ai dit cy-dessus pour ce qui vous regarde. On pouroit ajouter a ce que vous remarques fort bien de la hardiesse et de la liberte repandiies dans L'Esprit des loix et surtout dans les Lettres persanes, qu'il est fort singulier qu'on vienne de les imprimer et de les vendre librement a Paris en 3 beaux vol. in-4°8 dans le temps meme qu'on veut faire bruler le livre de M. Helvetius9. M. Helvetius est retourne au Perche. Vale. Thc
*A. B.N., ms. fr. 12902, fP 217 recto218 recto, et 218 verso; 4 p.; orig. autogr.
monstres!" (Lettre du 24 decembre 1758, Bibl. hist, de la ville de Paris, Res. 2027, f° 216-217, et Best. D. 7995.)
TEXTE
NOTES EXPLICATIVES
MANUSCRIT
" Annee ajoutee par une main inconnue dans le A. IMPRIMES
I. Caussy, p. 340-341. II. Best. 7228. HI. Best. D. 7940. REMARQUES
Extrait de la reponse de Voltaire : "Quel fracas pour le livre de Mr Helvetius. Voyla bien du bruit pour une ommelette10! Quelle pitie, quel mal peut faire un livre lu par quelques philosophes? J'aurais pu me plaindre de ce livre, et je scais a qui je dois certaine affectation de me mettre a cote de certaines gens11. Mais je ne me plains que de la maniere dont 1'auteur traitte 1'amitie, la plus consolante de touttes les vertus12. Envoyez-moy, je vous prie, cette abominable justification de la ScBartelemy13. J'ay achete un ours, je mettrai ce livre dans sa cage. Quoy, on persecute Mr Helvetius! et on soufre des
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1. Voir lettre 354. 2. Aucun des retranchements exiges par le second censeur n'a trait a Voltaire. 3. Voir le Journal de Trevoux, octobre 1758, vol. ii, art. cxi, p. 26492687. 4. La Religion vengee, ou Refutation des auteurs impies [...] dediee a Monseigneur le Dauphin [...] par unesociete de gens de lettres, ouvrage du au pere J.-N.-H. Hayer et aG.-J. Soret et al. (1757-1760, 12 vol.). Cette charge centre 1'ensemble des philosophes sera qualifiee par Grimm de "libelle d'autant plus infame que ceux qui seront calomnies ne pourront opposer a leurs ennemis que le silence et le mepris" (Corr. lift., in, p. 349). II faut cependant reconnaitre que la refutation de L'Esprit parue sous la forme de lettres dans les sixieme et septieme volumes a peut-etre etc la meil-
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LETTRE 364 leure qui ait etc ecrite, par la solide logique de ses arguments. 5. Le terme "Cacouacs", qui designe les philosophes, est employe pour la premiere fois dans un "Avis utile" paru dans le Mercure de France d'octobre 1757 (p. 15-17), et dont 1'auteur est probablement OdetJoseph de Vaux de Giry, abbe de Saint-Cyr (v. Best. D. Appendice 160). II se rencontre ensuite dans un Nouveau Memoire pour servir a I'histoire des Cacouacs (Amsterdam, 1757) de J.-N. Moreau, et enfin dans une satire du meme abbe de Saint-Cyr intitulee Catechisme et decisions de cas de conscience, a I'usage des Cacouacs, avec un discours du patriarche des Cacouacs, pour la reception d'un nouveau disciple ("Cacapolis", 1758). 6. On appellefour a Paris une maison ou des soldats attirent ou poussent les gens, et les y retiennent en prison pour les enroler par force (Dictionnaire de Trevoux, 1747). 7. On ne sait si Thieriot emploie le terme "cartons" au sens de "feuilles cartonnees" ou seulement dans celui de "passages corriges". On ignore egalement s'il etait au courant de la deuxieme censure de L 'Esprit. 8. II s'agit d'une edition des (Euvres de Montesquieu parue en juillet 1758 (v. la suite de la lettre 292), et publiee, selon la page de titre,
9.
10.
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13-
a Amsterdam et a Leipzig par Arkstee et Merkus. En fait, elle est due a Pissot, de Paris, et a etc imprimee par Moreau, imprimeur de 1'edition originale de L'Esprit. De I'Esprit sera lacere et brule par 1'executeur de la haute justice le 10 fevrier 1759, en vertu d'un arret du Parlement du 3 fevrier de la meme annee. Reminiscence d'un mot de Des Barreaux, qui entendait tonner pendant qu'il mangeait une omelette au lard un jour maigre. Voir De /'Esprit, p. 130, discours n, ch. 12 : "[...] pour former des Corneille, des Racine, des Crebillon & des Voltaire [...]"; p. 477478, discours IV, ch. 1, note b; p. 529-530, discours iv, ch. 5; et p. 625, discours iv, ch. 16. D'apres Thieriot, c'est Duclos qui avait persuade Helvetius d'associer le nom de Crebillon pere a celui de Voltaire (v. lettre 422). Voir De I'Espnt, p. 350-360, discours in, chapitre 14 intitule "De Famine" : "Aimer, c'est avoir besoin. [...] L'amitie, ainsi que 1'avarice, 1'orgueil, 1'ambition & les autres passions, est 1'effet immediat de la sensibilite physique." [Abbe Jean Novi de Caveirac,] Apologie de Louis XIV, et de son conseil sur la revocation de I'edit de Nantes [ . . . ] avec une dissertation sur la journee de la S. Barthelemi, 1758.
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LETTRE 365
Novembre 1758
365. Jean-Baptiste-Louis Chomel1 a Charles Bagard2 15 novembre 1758 [Lettre relative a Helvetius et a la sante de Mme de Graffigny.] MANUSCRIT 2. Bagard (1696-1772), medecin du Original autographe de 4 pages mendue Leopold de Lorraine et directeur tionne dans le fichier Charavay. des hopitaux de ses Etats. Illustre en son temPs Par ses Plications et par NOTES EXPLICATES la Cr6atlon de la facult6 de medecme 1. Chomel (1709-1765), professeur a de Nancy' l! a fait connaitre en la faculte de medecine de Paris, France les vertus de la station ther' doyen de celle-ci, chirurgien du roi male de Contrexeville. et medecin a 1'Hotel-Dieu.
366. Le cardinal Luigi-Maria Torrigiani a Luigi Gualtieri [...] Non e pero minore la premura, che ha Nostro Signore1 di vedere una volta raffrenata la somma liberta di pensare, e di scrivere in materia di religione di tal'uni, li quali sentesi da piu parti che sieno giunti a formare una scuola d'ateismo, capi del quale si pretendono d'Alembert, Buffon, Dident 2 , Maillet 3 , Ivon4, Crebillon, LaTouche 5 , Rousseau, Helvetius, ed altri, che nei loro libri fanno vedere un positive disprezzo non solo della cattolica religione, e dei suoi mister], ma per fino della stessa Divinita. Quindi sara parte del consueto zelo di V.S. Illma di porre sotto la considerazione del sudetto Sige Cardinale di Bernis una cosi perniciosa sfrenata licenza, affinche procuri colla sua autorita di apportare 1'opportuno rimedio ad una cosi sacrilega empieta. [...] L. Cardle Torrigiani Roma, 15 novbre 1758 [destinatatre : ] Monsr Nunzio / Parigi [Traduction : ] [ . . . ] Mais tout aussi important est le vif desir de Notre Saint-Pere1 de voir refrener, une fois pour toutes, 1'extreme liberte que se permettent certaines personnes de penser et d'ecrire en matiere de religion. De plusieurs cotes, on entend dire qu'elles sont en train de fonder une ecole d'atheisme, dont pretendent etre les chefs d'Alembert, Buffon, Dident2, Maillet 3 , Yvon4, Crebillon, LaTouche 5 , Rousseau, Helvetius et d'autres, qui expriment dans leurs livres un mepris non deguise, non seulement pour la religion catholique et ses mysteres, mais aussi pour 1'Etre divin lui-
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LETTRE 366
Novembre 1758
meme. C'est pourquoi le zele habituel de Votre Tres Illustre Seigneurie la portera a soumettre a 1'attention de M. le cardinal de Bernis une licence aussi effrenee et pernicieuse, afin qu'il use de son autorite pour qu'un remede approprie soit apporte a une impiete aussi sacrilege. [...] Luigi, cardinal Torrigiani Rome, 15 novembre 1758 [destinataire : ] Monseigneur le Nonce / Paris ment son Telliamed, ou Entretiens d'un philosophe indien avec un missionnaire franc^ais sur la diminution de la mer, la formation de la terre, I'origine de I'homme, etc. (Amsterdam, 1748), ouvrage dans lequel il avance deja la theorie transformiste moderne selon laquelle tous les etres ont pris naissance dans 1'eau des mers. IMPRIME 4. Claude Yvon (1714-1791), abbe et I. Pietro Savio, Devozione di Mgr Adeopedagogue, avait ecrit pour \Encydato Turchi alia Santa Sede, Rome, 1938, clopedie les articles "Ame", "Athee", p. 43, note 1. "Dieu" et d'autres sur 1'histoire ecclesiastique. Accuse d'avoir colNOTES EXPLICATIVES labore en 1751 a la celebre these de 1. Clement xin (1693-1769), ne a 1'abbe de Prades, il s'etait refugie en Venise, cardinal (1737), eveque de Hollande pour y rester dix ans. En Padoue (1743) et successeur de 1758, il collaborait &u Journal encyBenoit xiv au siege pontifical (juin clopedique. Apres son retour a Paris, 1758-1769). Tres hostile a 1'esprit il sera nomme chanoine de Couphilosophique, qu'il fera condamtances et historiographe du comte ner en 1766, il etait par ailleurs un d'Artois. On lui doit La Liberte de ardent defenseur des jesuites. conscience resserree dam ses homes legi2. Diderot. times (Londres, 1754-1755). 3. Benoit de Maillet (1656-1738), consul de France dans plusieurs 5. II s'agit sans doute de Jean-CharlesGervaise de Latouche, auteur de Etats, et principalement en Egypte, YHistoire de Dom B[ougre], portier des a Livourne et au Levant, puis inChartreux, et non du poete dramaspecteur des comptoirs francais dans tique Claude Guimond de La Touche cette derniere region (1708). Apres (1723-1760), auteur de la tragedie sa mort, 1'abbe Le Mascrier avait Iphigenie en Tauride (1757). public ses manuscrits, et notam-
MANUSCRITS
*A. Archivio Segreto Vaticano, Nunziatura di Francia 448, fPs 29 recto-29 verso, et 30 recto; 3 p.; orig. signe. B. Ibid., 447A, f° 122 recto-122 verso; 3 p.; copie offic. c. Ibid., 449, f° 68 verso-69 recto; 3 p.; copie offic.
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LETTRE 367
Novembre 1758
367. Mary Lepel, baronne Hervey! an reverend Edmund Morris2 London, the 21st November 1758
There is another French book that has made a great noise both here and at Paris, which I propose sending you as soon as I receive that designed for you, and another copy for myself. It is now forbid at Paris, and can't be had for any money whatever. As soon as I heard the price was raised there, from fourteen to four-and-twenty livres, I wrote immediately for two copies to be secured for me before they grew still dearer, or were not to be had at all. I judged right, for my bankers sent me word that three days after they secured the two copies, the book sold for thirty-six livres, sous le manteau, and a week after that was not to be had for any sum. It is entitled L'Esprit, is wrote by Monsieur Helvetius, a man of wit, learning, probity, and every amiable quality any one can be possessed of, an acquaintance of mine, and a particular friend of Mr Stanley's3, to whom I refer you for his character, and many particular circumstances, too many for me to write, who have bad eyes. \Traduction : ]
Londres, 21 novembre 1758
Un autre ouvrage franc, ais a fait grand bruit, tant ici qu'a Paris. Je vous enverrai 1'exemplaire qui vous est destine des que me parviendront celuici, en meme temps qu'un autre que j'ai demande pour moi. Ce livre est maintenant interdit a Paris, et il est impossible de se le procurer, aussi cher qu'on soit pret a le payer. Des que j'ai su que son prix etait passe la de 14 a 24 livres, j'en ai commande immediatement deux exemplaires, pour qu'on me les reserve avant qu'il augmente encore ou que 1'ouvrage ne disparaisse du marche. J'ai bien fait, car mes banquiers m'ont fait savoir que trois jours apres qu'ils m'ont eu reserve les deux exemplaires demandes, le livre se vendait pour 36 livres, sous le manteau, et qu'une semaine plus tard, il etait completement introuvable. II est intitule L'Esprit et a pour auteur Monsieur Helvetius, homme plein d'esprit, de savoir, de probite et de toutes les qualites qu'il est possible de posseder. Monsieur Helvetius est une de mes connaissances, et c'est un ami intime de M. Stanley. 3 Ce dernier pourra vous renseigner sur son caractere et sur beaucoup de circonstances notables le concernant, trop nombreuses pour que je puisse les relater par ecrit, moi qui ai de mauvais yeux.
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LETTRE
Novembre 1758
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IMPRIME *i. Letters of Mary Lepel, Lady Hervey,
Londres, 1821, p. 244-245. REMARQUES
Mary Lepel reviendra sur 1'ouvrage d'Helvetius dans deux autres lettres adressees a Morris, dont la premiere date du 6 mars 1759 : "Je crains de ne pouvoir vous envoyer avant longtemps le livre de Monsieur Helvetius que je vous ai promis, car il est a Paris avec plusieurs autres choses que devait m'apporter 1'ambassadeur d'Espagne designe pour etre affecte ici . Quand vous le lirez, vous ne serez pas surpris qu'il ait ete traite si severement dans un pays ou la monarchic et le papisme exercent les pouvoirs temporel et spirituel. Cela ne serait certainement pas tolere dans ce pays-ci, ou la liberte predomine dans les deux domaines, du moins lorsque des licences de toutes sortes ne regnent pas dans toutes les couches de la population, en prenant le nom de liberte." (Op. cit., p. 248; traduction.) La seconde lettre, du 23 juillet 1759, porte sur les qualites que Mary Lepel attribue a De I'Esprit : "Je ne suis pas du tout de votre avis sur le livre d'Helvetius et je suis loin de croire que cet ouvrage soit jamais ennuyeux. Au contraire, il n'est, a mon sens, aucune de ses parties qui ne soit egayee par quelque historiette ou quelque trait qui divertit et instruit." (Op. cit., p. 269; traduction.) Ces observations de Mary Lepel ne sont pas les seuls commentaires favorables a De I'Esprit emis a cette epoque. Caroline de Hesse exprime des opinions de meme nature dans sa lettre du 2 decembre 1758 a Amelie de Prusse : "V. A. connoit-elle un livre qui a pour titre De I'Esprit'? Je crois qu'elle le lira
avec plaisir, malgre toutes les critiques qu'on en fait. II n'aime pas les moines, cet Helvetius; il prend 1'essor, mais je le lis avec satisfaction. Je ne vous dis pas, Madame, qu'il soit le comble de la perfection : 1'homme n'y atteindra jamais, il seroit plus qu'un mortel et nous ne connoissons que cette espece." (Briefwechsel der Grossen Landgrafin von Hessen, ed. Walther, Vienne, 1877, 2 vol., I, p. 290-291.) NOTES EXPLICATIVES
1. Mary Lepel (1700-1768), fille d'honneur de la princesse Caroline de Galles, avait epouse en 1720 lord John Hervey, baron d'Ickworth, qui etait mort en 1743. Femme aussi belle que cultivee, amie de Hans Stanley et du prince de Conti, elle sejournait souvent en France, ou elle s'etait rendue notamment en 1735, 1750, 1753 et 1755. 2. Pasteur de Nursling et de Millbrooke, dans le Hampshire, non loin des terres que Hans Stanley possedait a Paultons, pres de Southampton. 3. Hans Stanley (1721-1776), petit-fils de sir Hans Sloane, membre de la Chambre des communes depuis 1742 et lord de 1'Amiraute de 1757 a 1765, allait representer 1'Angleterre dans les negociations de paix infructueuses de 1761. II connaissait Helvetius depuis au moins huit ans, ayant dine chez lui avec Colle le 15 novembre 1750 (v. Colle, I, p. 248). 4. Le nouvel ambassadeur d'Espagne en Grande-Bretagne, Joaquin-Anastasio Pignatelli, comte de Fuentes, n'allait entrer en fonction qu'en mai 1760.
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LETTRE 368
Novembrel758
368. Labbe Nicolas-Charles-Joseph Trublet1 a Laurent Angliviel de La Beaumelle2 Paris, 23 nov. 1758 [...] Je crois vous avoir parle du livre intitule Prejuges legitimes contre I'Encyclopedie^', et dit que le 3e volume devait etre contre le livre De I'Esprit. Ce 3e volume parait depuis quelques jours et M. Helvetius y est encore plus maltraite que dans le Journal de Trevoux. Ce 3e volume sera suivi d'un quatrieme. II y aura aussi une critique4 du pere Plesse, jesuite et journaliste, et ci-devant tres ami de M. Helvetius. [...] M. Helvetius, qui a passe quelque temps ici, est retourne a la terre de Vaure et y restera jusqu'a 1'hiver prochain, a 1'exception de quelques petits voyages qu'il fera de temps en temps a Paris. Au bout d'un an, 1'orage excite par son livre sera sans doute calme, quoiqu'il soit encore bien fort. La censure de Sorbonne, qui doit paraitre bientot 5 , le fortifiera encore. C'est bien dommage qu'un homme aussi aimable se soit jete dans un si grand embarras et qui peut empoisonner le reste de sa vie. Je vous embrasse de tout mon cceur. IMPRIME *i. Trublet, pp. I l l et 112. NOTES EXPLICATIVES 1. Voir lettre 353, note 5.
2. Voir lettre 351' note 1. 3! Voir lettre 356^ note 2. 4. Cette critique, dont il est question
369.
Jans ia lettre 298, n'a jamais etc
publiee.
^ • Trublet voulait sans doute parler de \'lndiculus (v. lettre 371, note 1). La censure de la Sorbonne ne paraitra
^'^ la fin de mai 1759 ann6e- Bes'
. terman observe avec raison ^ue le 13 decembre, Voltaire etait aux Delices.
* Mots omis dans le B et dans tous les imprimes anterieurs aux editions de Besterman.
TEXTE Les deux manuscrits ne sont pas de la meme main. - Indications portees en NOTES EXPLICATIVES haut du A : "a Ferney pays de Gex. 13. L V°ir lettre 335' n°te 4" Xbre 1758". La mention de 1'an- 2' Voir lettre 364, note 12.
383. Helvetius a Char les-Jacques Collin1 [17 ou 18 decembre 1758]2 Ma femme fut hier a Versailles, Monsieur et cher amy; elle comptoit vous y voir et vous y remercier. Elle vous demanda deux fois chez Madame de P. et ne se souvint point que vous logiez a 1'hotel de P. 3 et elle vous manqua. Elle est penetree comme moy de reconnoissance. Elle iroit vous voir a Paris, si elle scavoit le jour que vous y serez. Pour moy je crois devoir attendre que tout soit fini pour vous remercier. Je suis, avec tout 1'attachement et la reconnoissance la plus vive, Monsieur et cher amy, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius [adresse : ] A Monsieur / Monsieur Colin, a 1'hotel / de Pompadour / A Versailles
173
LETTRE 386 MANUSCRIT A. Bibl. mun. de Chartres; original autographe, qui a etc detruit; traces de cire rouge. IMPRIME *
i. Jussehn, p. 35-36.
NOTES EXPLICATIVES 1. Voir lettre 336. 2. Collin a indique en haut de la lettre sa date de reception : "M. Helve-
Decembrel758 tius. 18 dccembre 1758". Or, elle a etc expediee de Paris, ou Helvetius se trouvait certainement, puisqu'il est au courant des demarches faites la veille par sa femme, et elle n'a pu prendre plus d'un jour pour parvenir a Versailles. 3. Hotel de Pompadour, que la favorite possedait a Versailles, rue des Reservoirs,
386. Luigi Gualtieri au cardinal Luigi-Maria Torrigiani [...] Fu eseguita nello scorso venerdi in questa Sorbona lapubblicapomposa funzione nella maniera descritta in una mia ossequiosa dello scorso ordinario 1 , e la tesi, che per formalita venne sostenuta, fu del tenore del compiegato esemplare. L'orazione poi, che vi fu pronunciata, ebbe per tema 1'affrenata liberta in pensare, ed in scrivere libri; ed in essa fu fatta si dottame 1'analisi della vera religiosa filosofia, che fu creduta utile per la religione, e che si volesse anche tacitam6 declamare contro il noto libro dell'Helvetius intitolato L'Esprit2. Questo Parlamento non parlera piu del noto inviato Mandamento di Monsr Arciv0 di Parigi contro il poc'anzi nominato libro De I'Esprit, bensi ad istanza del procurator generale del medmo ha rimesso ad altra sessione I'esame dell'affare di tal libro, e vi e soda speranza, che non solamente lo condanni, ma ancora che faccia qualche regolamento contro le massime di quelli, che scrivono con tanta irreligione e liberta nel presente secolo, talmente che vada a toccare direttamente gli autori della nota Encyclopedia; e la corte anche crede, che se riesce tal metodo nel Parlamento, sara questo piu atto a porre in soggezzione tali autori, di quello che avessero potuto fare la vigilanza o del luogotenente de la polizie3, o del prefetto di questa Real Biblioteca4, e gli istessi mandamenti dei vescovi. E cio e a derivo a quello, che V. Emza si degno ordinarmi in una Sua venerma del 15 del passato novembre5. II prefato Helvetius autore del libro De I'Esprit e andato a trovare i revisori deputati di questa Sorbona per I'esame del medmo libro, ed ha voluto spiegare, e difendere molte proposizioni di esso7, ma non ha potuto niente appagare i dd1 revisori, ai quali ha minacciato di voler andare a
174
LETTRE 386
Decembre 1758
dimorare in luogo da lui chiamato di liberta, come sarebbe in Ginevera, o inOlanda 8 . [...] L'arcivescovo de Mira Parigi, 18 dice 1758 [destinataire : ] Sige Card1 Segno di Stato / Roma con fogli e stampa [Traduction : ][...] Vendredi dernier, s'est deroulee a la Sorbonne la seance publique que j'ai eu 1'honneur de vous decrire dans 1'une des lettres de mon dernier courrier1, et vous trouverez ci-joint un compte rendu exact de la these qui a ete soutenue dans les formes au cours de ladite seance. Le discours qui a suivi avait pour theme la liberte effrenee qui se manifeste dans la pensee et dans les livres, et on y a presente une si docte analyse de la vraie philosophic de la religion qu'elle a ete jugee utile pour celle-ci, et qu'on a tenu egalement a la considerer comme une condamnation tacite du livre bien connu d'Helvetius intitule De I'Esprit2. Le Parlement ne parlera pas de 1'illustre M.andement de Mgr 1'archeveque de Paris centre 1'ouvrage mentionne ci-dessus, mais a la demande de son procureur general, il a reporte a une autre seance 1'examen de 1'affaire dont ce livre est 1'objet. Et Ton espere fermement que cette assemblee ne se limitera pas a le condamner, et qu'en plus, elle emettra quelque edit centre les maximes de ceux qui ecrivent en ce siecle avec tant d'irreligion et de liberte, et qu'une telle mesure atteindra directement les auteurs de la fameuse Encyciopedie. On croit aussi, a la cour, que si le Parlement decide de recourir a des moyens de cet ordre, ils seront plus propres a reduire de tels auteurs que toute la vigilance du lieutenant de police3 et du directeur de la Bibliotheque royale , et meme que les mandements des eveques. Tous ces evenements sont les consequences des ordres que Votre Eminence a daigne me donner dans sa lettre du 15 novembre dernier5. L'auteur du livre De I'Esprit, Helvetius, dont j'ai deja parle, est alle trouver les commissaires nommes par la Sorbonne6 en vue de 1'examen de son livre. II a voulu leur expliquer et defendre devant eux de nombreuses propositions qu'il contient 7 , mais il n'a nullement pu les satisfaire et les a menaces d'aller vivre en un endroit qu'il appelait libre, tel que seraient, d'apres lui, Geneve ou la Hollande8. [...] L'archeveque de Mira Paris, 18 decembre 1758 [destinataire : ] M. le Cardinal Secretaire d'Etat / Rome. Papiers et imprimes. MANUSCRIT
IMPRIME
*A. Archivio Segreto Vaticano, Nunziatura di Francia 502, f° 189 verso-190 verso; 4 p.; orig. signe.
I. Pietro Savio, Devozione di Mgr Adeodato Turchi alia Santa Sede, Rome, 1938, pp. 39, note 3, et 42-43.
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LETTRE
Decembre 1758
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NOTES EXPLICATIVES
1. Voir lettre 380. 2. Cette seance de la Sorbonne, qui a eu lieu le 15 decembre d'apres les indications fournies par Gualtieri, n'a pas etc enregistree dans les Sacra Facultatis Theologice Commentarii. 3. Le lieutenant general de police, qui etait alors Henri - Leonard - Jean Baptiste Bertin de Belle-Isle (17191792), futur controleur general des Finances, n'etait peut-etre pas considere par certains comme suffisamment vigilant a 1'egard des "mauvais livres". Ce protege de Mme de Pompadour etait porte, comme elle-meme, a encourager les arts et les lettres. 4. La vigilance du bibliothecaire du roi, qui etait en 1758 Armand-Jerome
5. 6. 1.
8.
Bignon (1711-1772), ne pouvait guere s'exercer qu'en matiere de depot legal des ouvrages imprimes. Voir lettre 366. Noms de ces commissaires : voir lettre 361, note 4. C'est sans doute en vue de preparer la defense de son livre qu'Helvetius avait redige des Edaircissemnts sur les propositions extraites du lime "De I'Esprit", dans l'"Indiculus" publie par la Facultede theologie de Paris (v. appendice 7). Cette defense a du etre presentee oralement aux commissaires nommes pur la Sorbonne, et n'a ete ni publiee, ni soumise a la Faculte de theologie. Voir lettre 335, note 4.
387. Le cardinal Domenico Passionei1 a Helvetius Rome, le 20 Xbre 1758 Je suis plus sensible que je ne puis 1'exprimer, M r , aux marques d'attention que vous voulez bien me continuer 2 , & c'est avec plaisir que je vois les mesures que vous avez prises pour etouffer les mauvaises impressions que votre livre auroit pu faire; et ce n'est point du tout d'apres votre ouvrage De I'Esprit que je juge de vos sentimens, mais bien d'apres les deux lettres que vous avez donees en consequence, & qui doivent convaincre le public de la droiture de vos intentions, comme j'en suis convaincu moimeme. On peut tomber dans 1'erreur apar des expressions hazardees*, mais il est bien louable de s'en relever, & de se retracter, avec autant de docilite que vous avez fait, de tout ce qui pouvoit etre "susceptible de mauvaises interpretations'2. Je vous en fais bien sincerement mon compliment *& je* suis du meilleur de mon coeur, avec une estime bien distinguee, Monsieur, tres parfaitemc & entierement a vous. Et sans la moindre reserve, D[omenico] : Card. Passionei.
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LETTRE 387 MANUSCRITS
*A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 348; 1 p.; copie'. B. Bibl. mun. de Charcres; copie, qui a ete detruite.
1. Voir lettre 343, note 1. 2. Reference de Passionei aux deux retractations d'Helvetius, que celuici lui avait fait parvenir (v. suite de la presente lettre).
IMPRIME
REMARQUES
I. Jusselin, p. 37.
La sympathie qu'exprime Passionei dans la presente lettre s'attiedira par la suite. En tant que secretaire des brefs, il signera la condamnation de L'Esprit qu'emettra Clement XIII le 31 Janvier 1759. Par ailleurs, le 7 fevrier 1759, il qualifiera d'"imprudence des plus marquee" 1'usage qu'Helvetius avait fait de la presente lettre en la montrant a des conseillers du Parlement (v. lettre 416). Enfin, il felicitera Chaumeix des premiers volumes de ses Prejuges legitimes (op. cit., IV, p. v). Saint-Lambert estime pourtant, dans son Essai sur [...] Helvetius, que Passionei admirait De I'Esprit : "Plusieurs hommes revetus des premieres dignites de 1'Eglise, & entr'autres, le cardinal Passionnei, s'empresserent d'ecrire a 1'auteur pour le remercier du plaisir qu'il leur avoit donne. Un autre cardinal [...] lui mandoit 'qu'on ne concevoit pas a Rome la sottise & la mechancete des pretres francois'." (Helvetius, LeBonheur, 1772, p. Ixxxviii-lxxxix.)
TEXTE
D'apres Jusselin, le B portait en has de page la note suivante : "J'ai vu et lu 1'original de cette lettre. Tout le corps est de la main d'un secretaire a 1'exception des mots et sans la moindre reserve, qui sont de la meme main que la signature." a Passages soiilignes dans le B, sans doute par Helvetius, qu'il ait voulu seulement marquer ainsi 1'importance qu'il leur accordait, ou attirer sur eux 1'attention de lecteurs eventuels. Le A et le B : "& que je". ' Cette copie, qui est de la main d'un secretaire d'Helvetius, a ete envoyee par ce dernier a Omer Joly de Fleury, jointe a la lettre 399. NOTES EXPLICATIVES
Le 31 Janvier 1759, Passionei remerciera Levesque de Burigny d'avoir communique la presente lettre a son destinataire : "Je vous suis oblige de 1'attention que vous avez cue d'envoyer ma lettre a M. Helvetius. J'aurais bien souhaite, pour 1'honneur de la religion et pour lui, que cet ouvrage n'eut jamais vu le jour; il est bien facheux qu'un honnete homme et doue d'aussi bonnes qualites que M. Helvetius ait enfante un ouvrage aussi pernicieux. [...] C'est le poison entre les mains de tout le monde." Voir Abbe J. V. Genet, Une Famille remoise au XVHIe siecle, Reims, 1881, p. 278.
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LETTRE 388
Decembrel758
388. Luigi Gualtieri au cardinal Luigi-Maria Torrigiani Ho stimato di dovere riassumere la venerma di V. Emza del 15 del passato concernente [...] la facilita dei libri, e la cattiva intenzione degli autori 1 , e d'infbrmarne di tutta la sostanza questo regio ministro Sige Duca de Choiseuil. [...] Rispetto poi ai libri e loro autori, avendo nominati al Sige Duca anche gl'indicatimi nella citata lettera di V. Em za , accerta egli non esservi qui alcuna scuola di formale ateismo, che non si permetterebbe in modo alcuno, e che la liberta dei nominati autori proviene dalle credute filosofie alia moda, che in oggi regnano in molte parti del mondo; e mi ha confermato, che nell'esame, che attualmente si fa dal Parlamento del noto libro dell' Helvetius intitolato L'Esprit, procurera che si dia anche freno agli stessi autori 2 . [...] L'arcivescovo di Mira Parigi, 25 dice 1758 [destinataire : ] Sige Card1 Segno di Stato / Roma [Traduction : ] J'ai estime de mon devoir de resumer la lettre de Votre Eminence du 15 du mois dernier concernant la facilite avec laquelle les livres s'impriment et les intentions coupables des auteurs 1 , afin d'informer M. le due de Choiseul, ministre du roi, sur toute cette question. [...] En ce qui concerne les livres et leurs auteurs, j'ai en outre indique a M. le due de Choiseul ceux que Votre Eminence a mentionnes dans sa derniere lettre; il m'a alors assure qu'il n'y avait ici aucune ecole d'atheisme formel, que jamais on ne tolererait qu'il en existat une, et que la liberte avec laquelle ces auteurs se comportent a pour cause ces philosophies a la mode qui regnent aujourd'hui dans bien des parties du monde. Et il m'a confirme que le Parlement, a 1'occasion de son enquete en cours au sujet du livre bien connu d'Helvetius intitule De I'Esprit, veillerait a ce qu'un frein soit mis a la liberte dont jouissent ces memes auteurs 2 . [...] L'archeveque de Mira Paris, 25 decembre 1758 [destinataire : ] M. le Cardinal Secretaire d'Etat / Rome MANUSCRIT
NOTES EXPLICATIVES
*A. Archivio Segreto Vaticano, Nunziatura di Francia 502, fPs 219 recto, et 219 verso-220 recto; 3 p.; orig. signe.
1. Voir lettre 366. 2. Contrairement aux assurances que Gualtieri dit avoir recues de Choiseul, Helvetius et Diderot seront les deux seuls auteurs, parmi les neuf que Torrigiani avait nommes, dont , ., les ouvrages seront denonces par Jean-Omer Joly de Fleury dans son requisitoire.
IMPRIME
I. Pietro bavio, Devoziom di Mgr Aaeodato Lurchi alia Santa Seae, Rome, 1938,
p. 44 178
LETTRE 389
Decembre 1758
389. Pierre-Michel Hennin a Charles-Georges Le Roy A Rome, le 26 dec. 1758 [...] Vous ne serez peut-etre pas fache d'apprendre un trait de ce payscy sur un sujet dont je voulois ne plus vous* parler. Le livre De I'Esprit etant arrive icy a etc deffere a 1'Inquisition. On a sur-le-champ dresse I'acte de la condamnation, et sur les lettres de Paris qui 1'attribuoient a M. Helvetius fermier general, celui qui redigeoit le decret a pris le nom de 1'auteur pour un nom de bateme et a mis "par M. le general Fermer". Peu s'en est fallu que cette balourdise n'ait etc imprimee. Ecrivez-moi toujours a Rome jusqu'a ce que je vous envoye une autre adresse. MANUSCRIT * A. Institut, ms. 1268, f° 234 verso; 4 p.; orig. autogr. TEXTE
a Le A : vous vous . REMARQUES D'apres Horace Walpole, De I'Esprit a donne lieu a une autre anecdote, qui sera racontee chez Mme Du Deffand le jour de 1'an 1766. Un officier de justice suisse, ayant recu du Conseil de Berne 1'ordre de saisir 1'ouvrage d'Helvetius ainsi que La Pucelle de Voltaire, avait rendu compte de son execution en ces
termes : "Magnifiques Seigneurs, apres toutes les recherches possibles, on n'a pu trouver dans toute la ville que tres peu de 1'esprit et pas une pucelle." (Lettre a George Montagu du 5 Janvier 1766, Walpoles Correspondence, x, p. 192-193; cf. ibid., vn, p. 292, Paris Journals.) L'interdiction de ces deux ouvrages par le Conseil de Berne est datee du 10 fevrier 1759. Le texte s'en trouve aux Archives de 1'Etat de Berne (Mandaten-Buch, 1756-1759, X I X , f° 422-427) et a etc reproduit par Besterman (Best. D., vol. 103, appendice 169).
390. L 'abbe Nicolas-Charles-Joseph Trublet a Laurent Angliviel de La Beaumelle Paris, 27 decembre 1758 [...] Tout ce que vous me dites sur le livre de M. Helvetius est egalement bien pense et bien rendu. Vous avez exprime ce que tout le monde en pense et dit a Paris, et ses amis memes. II parait deja plusieurs critiques de cet ouvrage, mais par gens peu capables de le bien critiquer. Quelquesunes memes de ces critiques peuvent etre plus dangereuses que le livre. At-on recu dans vos quartiers le Mandement de M. 1'archeveque de Paris? On en a etc fort content ici et encore plus des deux feuilles des Nouvelles
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ecclestasttques^, parce que, comme vous le savez, le parti janseniste est le dominant a Paris. La denonciation au Parlement se fera certainement le mois prochain et le livre sera brule, mais ce sera tout, et la personne de 1'auteur sera menagee2. Elle merite de 1'etre. M. Helvetius est le plus aimable et le plus honnete homme du monde, et de la I'inconcevabilite qu'il ait public un pareil livre. [...] On avait parle aussi d'une critique de L'Esprit par un des journalistes de Trevoux nomme le P. Plesse; il est de ma province3. Deux jesuites me dirent il y a quelques jours qu'ils ne croyaient pas qu'elle parut, et vous en devinerez aisement plus d'une raison. Peut-etre les confreres de 1'auteur ne 1'ont-ils pas trouvee assez bonne. Peut-etre, dans leur situation actuelle et qui n'est pas favorable4, ont-ils senti qu'il ne fallait pas se faire de nouveaux ennemis des amis de M. Helvetius. Le P. Plesse etait fort lie avec lui. [...] IMPRIME *i. Trublet, p. 113-114.
4. On accusait les jesuites d'etre trop indulgents envers De I'Esprit. En
,58' ll§ *™"\ ann°nc6 ^
NOTES EXPLICATES 1. Les Nouvelles ecclesiasfiques des 12 et
18 novembre 1758. 2. En etfet, 1 ouvrage sera defere au Parlement le 23 lanvier 1759, condamne le 6 revner, et brule le 10 revner, mais aucun decret, de prise de corps ou autre, n a amais ete pns contre 1 auteur. 3. Plesse et Trublet etaient tous deux bretons.
titre de 1 ouvrage dans les Nouvelles litteraires du journal delrevoux, sans emettre de commentaires a son suict, c e qui avait provoque 1 irntation delean-Omer Joly de Fleury; et comme 1 avait pressenti et reprouve d avance ce dernier, ils s etaient ensuite satisraits de publier la premiere retractation d Helvetius mtitulee Lettre au R. P. [Plesse], jesmte, qui allait etre jugee msurfisamment humiliante (v. lettre 328).
39.?. Madame Helvetius a Francois-Antoine Devaux A Vore [fin decembre 1758 / Janvier 1759]l Mon cher Panpan, voulez-vous bien que je pleure avec vous la perte commune que nous avons faite dans Mme de Graffigny? Vous avez ete, dans tous les temps, 1'ami de son cceur et elle vous en donne a sa mort une marque bien chere. Elle vous legue tous ses ecrits; c'est sa volonte expresse qu'ils vous soient tous remis 2 . Je vous dirai pour sa gloire et pour notre consolation que tout Paris les attend avec la plus vive impatience. Je crois, mon cher Panpan, que vous aimez trop son nom et sa reputation pour
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frustrer 1'attente du public. Sans doute que, des qu'on vous les aura remis, vous travaillerez sans relache a les rendre dignes de son juste empressement et a en donner une edition qui soit egalement honorable a 1'auteur et a 1'editeur. Mais ne croyez-vous pas, mon cher Panpan, qu'il soit necessaire que vous veniez passer a Paris au moins un an pour vous mettre en etat de la mieux faire par les secours et les avis des gens de lettres qui cherissaient la gloire de notre amie commune autant qu'ils cherissaient sa personne? Vous pensez quel interet nous y avons tous les deux. II me semble que ma douleur augmente mon attachement et que je ne puis recevoir de consolation qu'autant que je croirai contribuer a rendre la memoire de ma chere maman immortelle. Vous etes bien en etat, mon cher ami, de me donner cette satisfaction, mais je me defierais un peu de votre paresse qui peutetre n'est occasionnee que par votre mauvaise sante que je craindrais de rendre encore plus mauvaise par ce travail; cependant, si vous vous sentez la force et le courage de 1'entreprendre, je vous prie tres instamment de le faire par 1'intime assurance que j'ai que vous le ferez mieux que tout autre, inspire surtout par 1'amitie3. Mais il ne faut point perdre de temps. II faut profiter des dispositions presentes du public. Elles sont tout a fait heureuses; elles peuvent ne pas durer. Rien n'est si leger et si inconsequent que ce meme public; il ne faut point le laisser languir. II nous en punirait. Partez done, mon cher Panpan, aussitot ma lettre recue. Je crois cela necessaire. II s'agit de la gloire de votre plus tendre amie. Vous devez tout oublier pour elle. L'amitie vous en fait une loi indispensable. Recueillez, chemin faisant, tout ce que vous trouverez de lettres d'elles et faites-en un choix. Je vous attends avec la derniere impatience. J'oubliais de vous dire de ramasser aussi routes les anecdotes les plus interessantes de sa vie, car, a la tete de ses ouvrages, il faudra, s'il vous plait, que vous en donniez un abrege dans lequel vous aurez soin de developper, avec toute la force et 1'energie dont vous etes capable, la grandeur de son ame, la sensibilite inoui'e de son cceur, la penetration et 1'etendue de son esprit. Vous la connaissez mieux que personne, ainsi vous etes plus en fonds pour en faire un portrait digne d'elle, et de vous et de la posterite. Attachez-vous surtout a faire connaitre cette douce et sublime philosophic du cceur qui caracterisait ses mceurs et ses ouvrages. Je vous embrasse, mon cher Panpan, de tout mon cceur et mon mari aussi. MANUSCRIT
IMPRIMES
L'original faisait encore partie de la col- *i. Guillois, Salon, p. 21-22. lection de Guillois en 1894 (v. le I ci- II. G. Maugras, Dernieres Annees de la apres). cour de Luneville : Mme de Boufflers, ses enfants et ses amis, 1906, p. 187-189. m. Noel, p. 363-365.
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LETTRE
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TEXTE Le texte du I a etc repris litteralement dans le II, et assez exactement dans le in, lequel comporte plusieurs modifications, au demeurant mineures. NOTES EXPLICATIVES
1. La presente lettre a etc redigee par Mme Helvetius avec 1'aide de son mari, alors que celui-ci se trouvait a Vore. Elle est sans doute posterieure d'au moins plusieurs jours au 18 decembre, date vers laquelle les Helvetius sejournent toujours a Paris (v. lettre 385), ce qui est d'autant plus vraisemblable qu'elle a etc composee apres qu'ils ont etc informes des dispositions testamentaires de Mme de Graffigny, decedee le 12 du meme mois. Elle doit etre anterieure au 21 Janvier, jour oil Helvetius etait probablement deja revenu a Paris pour remettre sa troisieme retractation au Parlement (v. lettre 402). Signalons que ni le Registre-journal de Vore, ni les archives du notaire d'Helvetius a Remalard ne fournissent de renseignements sur les deplacements de ce dernier au cours de cette periode. 2. Le testament olographe de Mme de Graffigny, date du 23 juin 1758, contient en effet les dispositions suivantes : "Je donne et legue a Mr Francois de Vaux, lecteur du Roi Stanislas, ma montre d'or a repetition, un flacon de poche garni d'or,
et generallement tous les papiers, lettres et manuscrits qui se trouveront soit dans mes tiroirs ou portefeuilles, et que ces porte-feuilles lui soient rendus sans les ouvrir, etant ma volonte exprece que cet article soit execute fidelement." (M.C., xcn, 619.) 3. Devaux n'a jamais travaille a une edition des ceuvres de Mme de Graffigny, se contentant de conserver avec soin tous ses papiers. Acquis par la Bibliotheque nationale et 1'universite Yale en 1965, ils sont entres recemment dans le domaine public. Une equipe de chercheurs de 1'universite de Toronto, dirigee par le professeurj. A. Dainard, aentrepris en 1978 de preparer une edition critique des 2 000 lettres de Mme de Graffigny, dont le premier volume sortira dans un proche avenir. Les celebres lettres de Cirey, dont le texte sera enfin etabli d'apres leurs originaux authentiques, n'en seront pas le moindre interet. REMARQUES
Selon Pierre Vallere, 1'executeur testamentaire de Mme de Graffigny, les dettes de celle-ci etaient de 8 000 livres. Par contre, les fermes de Toscane lui devaient 10 000 livres, payables en quatre ans a raison de 2 500 livres par an. (Lettre de Vallere a Devaux, B.N., ms. fr., n. a. 15581, f° 83-85.)
392. Louis-Guillaume Baillet, baron deSaint-Julien1, a ? 1759 [Baillet tient son correspondant au courant des livres, brochures et chansons diriges contre De I'Esprit, et recopie pour lui deux couplets d'une des chansons.!
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LETTRE 393 MANUSCRIT Le fichier Charavay mentionne 1'existence de trois lettres autographes de Baillet, datees de 1755 a 1759, dont deux sont signees.
TEXTE
Le manuscrit ne comporte qu'une partie du texte de la lettre. NOTE EXPLICATIVE
1. Poete et critique d'art, ne vers 1715, mort en 1780.
393. Helvetius a I'abbe Qttaviano di Guasco [Debut]1 Janvier 1759 Vous n'aurez point de compliments, M r , puisque vous n'en voulez point. Je vous sauverai meme ceux du Nouvel An. Mais vous voudrez peut-etre bien recevoir mes remercimens sur tout ce que vous me dites de mon livre2. II ne me falloit pas moins que cela pour me consoler un peu des persecutions que les jesuites et leurs devots ont suscites contre moi. Vous aurez sans doute vu leurs saintes imprecations, leurs imputations odieuses et leurs magnifiques calomnies dans leurs Trevoux. Les ames honnetes sont obbliges de chercher longtems le mal avant de le decouvrir meme ou il est. Les jesuites savent tres bien le trouver meme ou il n'est pas. Voila ce que vaut une addresse exercee. Je ne dois pourtant pas me plaindre d'eux. J'ai etc eleve au college de Louis-le-Grand, et ces RR. PP. sont en droits d'en conclure que je scais tres bien deguiser mes intentions et que plus je proteste de leur purete, plus il y a de restrictions a supposer et de faut-fuyant a craindre. Au reste, je me felicite d'avoir pu fournir quelques gibiers a un chasseur tel que vous. Votre honnete critique me fait honneur. A Dieu, Mr; ma femme vous fait ses complimens, et moi je vous prie de vous souvenir quelques fois de moi. Vale, et me ama^. MANUSCRIT
*A. Bibl. mun. de Verone, ms. 247, f° 3; 1 p.; copie. IMPRIME I. S. Rotta, "Montesquieu nel sette'cento italiano : note e ricerche", dans Materiali per una storia delta cultura giuridica, 1971, I, p. 194-196. NOTES EXPLICATIVES
1. Helvetius se refere aux vceux de
Nouvel An qu'il epargne a son correspondant. 2. Lettre non parvenue jusqu'a nous. 3. Adieu, et aimez-moi toujours. REMARQUES
L'abbe Guasco, qui se trouvait a Vienne lors de la parution de L'Esprit, s'etait fait envoyer de Paris "la cattiva opera dell' Elvezio", mais la douane avait saisi 1'ouvrage (v. Rotta, op. cit., p. 194-195, note 1).
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LETTRE 394
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3 94. Elizabeth Montagul a Edward Montagu2 London, 2 d jan y 1759 [...] I am now reading a very ingenious pernicious French author, his name Helvetius, a descendant of ye famous Helvetius3. He is a man of fortune in France, very amiable in his private character, good natured, liberal & witty, so has many disciples at Paris from respect to his person. I fear he will have many here from respect to his doctrines well adapted to the corruptions of ye human heart. He endeavours to shew it is custom makes virtue & vice, like Epicurus placing his good in pleasure but not his pleasure in good. He thinks a less strict observation of some moral rules would make man in general happier. He would trust every thing to laws : legislature is to be the God & conscience of mankind. He does not consider how many by their situation are above the law, how many one may say are below it, & how many more by fraud, evasions, concealment w[oul]d hope to escape it. I hope conscience, called by Mr Pope the God within the mind 4 , will keep her empire in spight of Monsieur Helvetius, else what wrongs may not ye great commit with impunity? and the subtle with concealment? I am a little affronted at ye gentleman who does not think our sex worth making a particular property of 5 , tho his wife is young, handsome, agreable, & he has just married her for love, he has a very great fortune & she not a shilling. I think this author a wretched philosopher, a poor metaphysician, a detestable moralist, but he is a man of great wit, infinite memory & much reading. The Church has obliged him to a retractation which indeed may in some measure mortify ye author but will not alter ye arguments of his book. I hope it will do the less harm as it is written in so vague & immethodical a manner, I defy ye best memory to retain it. But indeed scepticism is not founded on dogma's, a general habit of doubt will do & it is ye fashionable philosophy of the age. [...] E. M. [Traduction : ] Londres, 2 Janvier 1759 [...] Je lis en ce moment 1'ouvrage d'un auteur franc,ais tres ingenieux et tres pernicieux nomme Helvetius, qui est un descendant du celebre Helvetius3. II compte en France parmi les gens fortunes, et comme il est d'un caractere tres aimable et d'un bon naturel et qu'il est tres genereux et spirituel, il en est beaucoup a Paris qui 1'admirent en tant qu'homme. Je crains qu'ici, ce soient les doctrines qui lui gagnent des disciples, car elles sont des plus propres a satisfaire les corruptions du cceur. II essaie de demontrer que ce sont les mceurs qui creent la vertu et le vice, estimant, comme Epicure, que le plaisir est la source du bien, au lieu de voir dans le bien la source du plaisir. II pense qu'une observation moins stricte de certaines regies morales rendrait l'homme plus heureux la plupart du temps. 184
LETTRE 394
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II demanderait que tous les domaines soient regentes par des lois : la legislation serait le dieu et la conscience des hommes. II ne se demande pas combien d'entre eux sont au-dessus des lois, en raison de leur situation, ni combien sont, pourrait-on dire, au-dessous d'elles, ni combien esperent s'y soustraire grace a la fraude, a la dissimulation ou a des subterfuges. J'espere que la conscience, que M. Pope appelle le dieu qui habite 1'esprit4, gardera son empire malgre Monsieur Helvetius, sans quoi quels crimes ne pourront etre commis impunement par les grands, et par les individus ruses qui recourront a la dissimulation? Je suis un peu offensee par ce monsieur, qui ne croit pas que notre sexe merite une consideration particuliere 5 , bien que son epouse soit jeune, belle et aimable et qu'il 1'ait epousee uniquement par inclination, car il possede une tres grosse fortune, alors qu'elle n'a pas un sou vaillant. Get auteur est, a mon avis, un tres mauvais philosophe, un metaphysicien mediocre et un moraliste detestable, mais c'est un homme qui a beaucoup d'esprit ainsi qu'une memoire prodigieuse, et qui a beaucoup lu. L'Eglise 1'a contraint a faire une retractation qui est certainement de nature, dans une certaine mesure, a le mortifier en tant qu'auteur, mais qui n'affectera en rien les arguments qu'il utilise dans son ouvrage. J'espere que ce dernier fera d'autant moins de mal qu'ayant etc ecrit de la facon la plus vague et la plus desordonnee, je defie la meilleure memoire de le retenir. Mais il reste que le scepticisme n'est pas etabli par des dogmes, qu'une habitude de doute generalisee suffit a 1'installer, et que c'est justement cette philosophic qui est maintenant a la mode. [...] E. M. MANUSCRIT *A. Huntington Library, San Marino, Californie (Hastings Papers MO 237 1); fPs 1 recto, et 1 verso-2 verso; 4 p.; orig. autogr. NOTES EXPLICAT1VES
2.
1. Elisabeth Montagu (1720-1800), remme d esprit et d erudition, avait epouse Edouard Montagu en 1742. En 1750, ils s mstallent a Londres, et dans leur residence de Mayrair, la Mme Du Derrand de la societe anglaise recevra pendant cm3quante ans les mtellectuels les plus en vue de son epoque : Burke, Garrick, Johnson, walpole, etc. C est aux remmes qui rrequentaient ses assemblees qu on a applique lap4. pellation de blue-stockings (bas5. bleus). Correspondante mratigable
et auteur de talent, elle publiera, entre autres ouvrages, un Essai sur le genie et les cents de Shakespeare (1769) pour venger 1'illustre dramaturge des railleries de Voltaire. Edouard Montagu, mort en 1775, petit-tils du premier comte de Sandwich, arepresente le bourgde Huntingdon au rarlement de (jrandeBretagne de 1734 a 1768. Propnetairede houilleres et de terres considerables, il s mteressait a 1 agnculture et aux matnematiques. II s agit probablement d u grand-pere d Helvetius, Jean-Adnen, qui etait bien connu en Angleterre, tout comme le pere du philosophe, JeanClaude-Adnen. Essay on Man, partie II, vers 204. Del Esprit, p. 75. 185
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3 95 . Giovanni-Gaetano Bottaril au cardinal Neri-Maria Corsini2 [Entre le 2 et le 11 Janvier 1759] Em° e Rmo Sigre, Nella Cong6 del S. Offizio che giovedi prossmo, 1 1 del corrte genro 1759, si terra avanti La Snta di Nro Sigre, si riferira 1'annessa censura distesa dal P. Baldoriotti3 de' Servi di Maria sopra il libro francese intitolato De I'Esprit, per la quale li Sign Cons" teologi specialmte si congregarono nella feria 3a, II gennaro corrte 1759, a diedero la loro censura, come si legge nel foglio annesso segnato l[ette]ra A , qual censura poi essendosi letta agli altri Sign Consul" nel medmo giorno, fu da tutti approvata, aggiungendo "prefatum librum publice comburendum esse manus carnificis", avendo anche questi avuto preventivam te sotto gli occhi la censura del P. Baldoriotti 5 . \Traduction : ] Eminentissime et reverendissime Seigneur, Lors de la reunion de la Congregation du Saint-Office qui aura lieu jeudi prochain, 11 Janvier 1759, en presence de Notre Saint-Pere, sera examinee la censure ci-jointe, qui porte sur le livre francais intitule De I'Esprit et a ete redigee par le pere Baldoriotti 3 , servite de Marie. C'est egalement pour condamner cet ouvrage que messieurs les conseillers en theologie se sont reunis specialement pendant la troisieme ferie, le 2 Janvier dernier, et qu'ils ont alors emis leur propre censure, comme il est relate dans la feuille cijointe, qui porte la lettre A . Cette autre censure a ete lue le meme jour aux autres conseillers, qui 1'ont unanimement appuyee et y ont ajoute que "ledit ouvrage devait etre brule par le bourreau", car ils avaient deja sous les yeux la censure du pere Baldoriotti 5 . pontifical (Clement X I I ) et e nomme cardinal la meme annee. A 1'epoque de la presente lettre, il est secretaire du Saint-Office depuis plusieurs annees. Possesseur d'une NOTES EXPLICATES riche bibliotheque, il 1'ouvre au 1. Bottari (1689-1775), philologue et public en 1754. Corsini, protecteur archeologue, membre de la congrede Bottari, etait lie avec le courant gation de 1'Index et fiitur conservajanseniste de Rome (v. E. Damteur de la bibhotheque du Vatican. mig, // Mwimento giamenista a Roma, 2. Corsini (1685-1770) avait ete Vatican, 1945, p. 63-98). d'abord au service des Medicis. En 3. Arcangelo Baldoriotti, frere de 1730, il entre dans les ordres, 1'ordre des Servites ou Blancs-Manimmediatement apres 1'election de teaux, etait rapporteur du Saintson oncle, Lorenzo Corsini, au siege Office et conseiller en theologie du
MANUSCRIT *A. Accademia nazionale dei Lincei e Corsiniana, Rome, Cod. Cors. 1484, f° 198; 1 p.;orig.
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cardinal Passionei. 4. Cod. Cors. 1484, f° 223. 5. Les conseillers du Saint-Office s'etaient referes, pour formuler cette clause, aux conclusions, egalement redigees en latin, que contenait la censure de Baldoriotti. Le texte de celle-ci se trouve dans le dossier qui contient la presente lettre (Cod. Cors. 1484, f° 201-222). REMARQUES
Le dossier dans lequel figure la presente lettre contient aussi des "nota di mano di Pier-Francesco Foggini", conseiller en theologie du cardinal Corsini, relatives a la censure du pere Baldoriotti : [Traduction : ] "Le livre intitule De I'Esprit est divise en quatre discours et comprend en tout soixante-dix-sept chapitres, qui occupent six cent quarante-six pages in-quarto. Deja attaque par certains auteurs, il a ete condamne par 1'archeveque de Paris, et le Parlement 1'a condamne au feu. Le pere Baldoriotti, qui 1'a analyse pour le compte du Saint-Office, a divise son examen de cet ouvrage en deux parties. Dans la premiere, il expose le systeme elabore par 1'auteur a propos de la nature de 1'ame humaine. Dans la seconde, il designe certaines propositions impies, fausses ou scandaleuses avancees par 1'auteur dans les nombreuses digressions ou il s'est engage afin d'etaler son erudition. En ce qui concerne la nature de Tame humaine, 1'auteur de ce livre impie professe des idees manifestement epicuriennes. II enseigne que 1'ame humaine est materielle, et semblable a tous egards a celle des animaux, desquels 1'homme ne se distingue pas substantiellement, n'en differant que par des qualites accidentelles, comme sa plus grande activite, la perfection de ses organes, ou son
Janvier 1759 education. Selon le censeur, c'est la un systeme 'qui corrompt la morale naturelle, mosai'que et evangelique, contrevient aux principes reveles de la foi divine, et attaque, assaille et renverse la religion chretienne'. Quant aux nombreuses autres propositions que renferme ce livre, le censeur fait remarquer que le droit de punir les heretiques s'y trouve denie a 1'Eglise et a ses princes, que les peches de luxure y sont excuses, que du mepris s'y manifeste a 1'egard des gens religieux, et que les avantages materiels y sont presentes comme preferables aux qualites spirituelles. Cet examen ayant ete soumis aux conseillers en theologie, puis a 1'ensemble des conseillers, tous ont ete d'avis qu'un livre aussi pernicieux et impie devrait etre interdit en vertu d'un bref special, etre brule par le bourreau, et se voir exclu de toutes les permissions, meme de celles qui ont deja ete accordees. Je ferai trois remarques : 1 — On pourrait saisir cette occasion pour envoyer un bref a tous les eveques pour les exhorter a s'opposer avec tout leur zele aux ecrits des libertins, dont la secte compte maintenant beaucoup d'adeptes. 2 — Comme il est souhaitable que de tels livres restent inconnus, meme pour ce qui est de leur titre, on pourrait specifier dans le bref que ce livre devrait etre toujours considere comme exclu des permissions speciales et qu'il n'y sera jamais identifie. 3 — II faudrait preciser dans le bref que des exemplaires dudit bref seront remis aux inquisiteurs et aux eveques, car on ne doit pas ignorer ces derniers, comme cela s'est fait dans d'autres brefs." Note marginale, probablement due au cardinal Corsini, portee a la suite de la seconde remarque : "Dans ce cas, il 187
LETTRE 396 convient d'expliquer dans le bref que le livre dont il s'agit est 1'un de ceux qui attaquent directement la foi, et fait done 1'objet d'une interdiction au premier degre." Autres notes marginales de la meme main : "Resolutions : 1 — Que Ton fasse un tel bref condamnant ces livres et leurs maximes, mais qu'il soit general, au lieu de n'etre adresse qu'aux eveques, et qu'il ait une valeur permanente. 2 — Ce livre [De I'Esprit] sera exclu des permissions
Janvier 1759 speciales du pape. 3 - II ne sera pas brule, pour ne pas eveiller a son sujet la curiosite a Rome, ou il est inconnu." Signalons enfin, a propos de ces "permissions", que la condamnation pontificale de L'Esprit contiendra la declaration suivante : "Les permissions, meme les plus amples, obtenues de vive voix ou par ecrit, de lire les livres defendus, ne peuvent autoriser personne a lire & a garder celui-ci" (v. appendice 13, p. 387).
396. Luigi Gualtieri au cardinal Luigi-Maria Torrigiani L'accluso foglio segnato A istruira V. Emza di tutto quello che e passato in questa Sorbona nella solita sua radunanza chiamata Prima Mensis1. Trasmetto al S. Offizio YIndicolo delle proposizioni condannabili, che i deputati della da Sorbona hanno cavato dal noto libro De I'Esprit nell'esame di esso fatto 2 , e per gli 15 del corrente 1'istessa Sorbona ha intimata un'assemblea, in cui verra condannato il d° libro 3 , avendo a tal'effetto ciaschedun dottore avuto il riferito Indicolo. La condanna e certa, ma e incerto, se si fara in globo, il che non piace ai Giansenisti, o con qualificazione di ciascheduna proposizione . Invio parimente all'istesso tribunale una lettera stampata escita alia luce in questa settimana contro il materialismo 5 . [... J Questo Parlamento continua esso ancora ad esaminare 1'accennato libro De I'Esprit, ed a far credere di volere emanare decreto contro il medmo; non sono pero sicuro, se in tal decreto framischiera anche qualche cosa contro il Mandamento di Mgr Arciv0 di Parigi circa il caso riservato in esso fatto per la lettura di d° libro6. [... ] L'arcivescovo di Mira Parigi, 8 genn° 1759 [destinataire : ] Sige Card1 Seg° di Stato / Roma con fog0 [Traduction : ] La feuille A ci-incluse instruira Votre Eminence de tout ce qui s'est passe a la Sorbonne lors de sa seance ordinaire appelee Prima Mensis1. J'envoie au Saint-Office Ylndiculus des propositions condamnables que les commissaires de la Sorbonne ont relevees dans le fameux livre De I'Esprit, lors de son examen2. D'autre part, ladite Sorbonne a convoque pour 188
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le 15 de ce mois une assemblee pour qu'elle condamne cet ouvrage3, et a cet effet, elle a fait parvenir a chacun des docteurs un exemplaire de \'lndiculus mentionne ci-dessus. II est certain que le livre sera condamne, mais on ne sait s'il s'agira d'une condamnation d'ensemble, perspective qui deplait aux jansenistes, ou si chaque proposition sera commentee separement4. J'envoie aussi, a ce meme tribunal, une lettre imprimee qui a paru cette semaine contre le materialisme 5 . [...] Le Parlement poursuit son examen du livre De I'Esprit et continue a laisser entendre qu'il prendra contre lui un decret, mais je ne sais si ce dernier sera egalement dirige contre le Mandement de Mgr 1'archeveque de Paris, qui a impose une reserve relative a la lecture de cet ouvrage . L'archeveque de Mira Paris, 8 Janvier 1759 [destinataire : ] M. le Cardinal Secretaire d'Etat / Rome. Document inclus. MANUSCRIT *A. Archivio Segreto Vaticano, Nunziatura di Francia 503, fP 30 recto-30 verso, et 32 verso; 6 p.; orig. signe. NOTES EXPLICATIVES
1. Cette seance, qui a eu lieu le 2 Janvier 1759, a ete rapportee dans les Sacra Facultatis Commentarii (A.N., MM 257, p. 507) et dans 1'une des depeches expedites par le nonce (v. Archivio Segreto Vaticano, Nunziatura di Francia 503, f° 3334). 2. Voir lettre 361, note 4, et lettre 371, note 1, ainsi que 1'appendice 7. 3. Le 15 Janvier 1759, le nonce ecrira au secretaire d'Etat : "[...] Comme je vous 1'ai annonce, la Sorbonne s'est reunie aujourd'hui pour deliberer au sujet du fameux livre De I'Esprit. [...] Etant donne le grand nombre de docteurs qui sont intervenus aujourd'hui, au cours de la reunion mentionnee ci-dessus, la faculte de la Sorbonne n'a pu, faute de temps, recueillir 1'opinion de chacun d'entre eux au sujet de 1'opportunite, soit de censurer separement les proposi-
tions de 1'ouvrage, soit de les condamner globalement, et elle a remis la suite de cette reunion a mercredi prochain." (Archivio Segreto Vaticano, Nunziatura di Francia 503, f° 46 verso; traduction.) En fait, la decision relative a la censure de L'Esprit sera prise bien apres le mercredi 17 Janvier, comme cela ressort d'une lettre de Gualtieri du 22 : "[...] Le texte du decret que rendra la Faculte, pour determiner avec precision sur quoi portera la condamnation du livre, ne sera pas connu avant le 5 du mois prochain." (Loc. cit., f° 63; traduction.) Un compte rendu des seances des 15 et 17 Janvier 1759 se trouve dans les Sacra Facultatis Commentarii (A.M., MM 257, p. 509); la seconde de ces reunions a egalement etc decrite dans une depeche du nonce (Nunziatura di Francia 503, f° 65). 4. L'incertitude sur la forme que prendrait la condamnation de L'Esprit a fait 1'objet d'un rapport particulier de Gualtieri au Vatican (Nunziatura di Francia 503, f° 34).
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LETTRE 397 5. LettreauR, P. Berthiersurlematerialisme, de 1'abbe Gabriel-Francois Coyer (1707-1782), decrite par Joseph d'Hemery dans son Journal de la Librairie, a la date du 11 janvier, comme etant une "brochure de 77 pages in-12 imprimee avec une espece de tolerance de la part de Mr de Malesherbes". D'Hemery ajoute : "C'est une critique vive et spirituelle dont je crois que 1'abbe Coyer
Janvier 11'59 esc 1'auteur." (B.N., ms. fr. 22161, f° 2.) En feignant d'abonder dans le sens antimaterialiste des articles de Berthier parus dans le Journal de Trevoux, Coyer prend indirectement la defense d'Helvetius. Aussi le Parlement condamnera-t-il cet ecrit en meme temps que De I'Esprit. 6. Voir lettres 373 et 374, et appendice 6, p. 325.
397. L'abbe Jean-Louis-Gabriel Gueret1 aJean-Omer Joly de Fleury Je suis bien reconnoissant, Monsieur, de la confiance que vous me temoignes en me communiquant le projet de requisition'2 que j'ay 1'honneur de vous renvoier. Tout ce que vous relevez dans les ouvrages que vous vous proposes de deferer est bien capable d'en donner de 1'horreur et de faire sentir combien ils meritent 1'animadversion publique. Mais peut-etre votre requisitoire seroit-il plus anime et plus propre a exciter 1'indignation contre le systeme de nos philosophes modernes, si sans entrer dans un detail si circonstancie de leurs erreurs, vous vous fussiez contente de presenter les textes ou ils se declarent nettement pour le materialisme, detruisent la liberte, donnent tout a la fatalite et au hazard, meconnoissent les idees innees du juste et de 1'injuste, reduisent toute la morale a la recherche du plaisir sensible et la fuite de la douleur, canonisent toutes les passions comme la source de 1'heroisme, confondent la religion avec le fanatisme et decrient ses ministres sous le nom des bonzes, &c2. Un petit nombre de ces traits frappans accompagnez de reflexions courtes et vives pour devoiler toute 1'horreur de ces principes et presenter les consequences affreuses qu'elles entrainent aprez elles, exciteroient contre les livres que vous denoncez toute 1'indignation qu'ils meritent et je suis bien sur que le public revoke applaudiroit a la plus severe condamnation. C'est, Monsieur, ce que tous ceux qui ont lu ces ouvrages, surtout celuy de L'Esprit, qui developpe tout 1'horrible systeme des encyclopedistes, attendent de votre ministere et du zele du Parlemt. Une simple prohibition et la seule fletrissure de tant d'impietes deplaira infailliblem' au public le plus modere; il n'y a que le feu3 qui convienne a pareils productions, avec de severes punitions de ceux 190
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qui depuis votre arret seroient assez audacieux pour les imprimer, les vendre ou les distribuer. II ne s'agit point d'user de moderation avec gens qui n'ont rien menage. On peut user d'indulgence pour les auteurs connus qui se retracteront, mais informer contre ceux qui ne se cachent peut-etre que pour continuer a repandre leur poison. Voicy, Monsieur, ce que je prens la liberte de vous ecrire avec toute la confiance que m'inspirent les bontes dont vous m'honorez. J'ay 1'honneur d'etre, avec un profond respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissc serviteur, Gueret Ce9 e Janvier [1759] MANUSCRIT
*A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 460460 bis; 2 p.; orig. autogr. TEXTE
" requisitoire. NOTES EXPLICATIVES
1. Voir lettre 374, note 1.
2. Voir De I'Espnt, p. 151-152. 3. Lors de 1'assemblee de la Faculte de theologie du 3 fevrier, Gueret proposera qu'on renvoie "un pareil monstre a M. le procureur general pour etre condamne aux flammes" (Archivio Segreto Vaticano, Nunziatura di Francia 503, f° 97).
398. Louis Phelypeaux, comte de Saint-Florentin, a Guillaume-Fran^ois-LouisJoly de Fleury A Vlles, le 10 janver 1759 J'ai, Monsieur, recu la lettre que vous m'avez ecrite au sujet de M. Helvetius1. Je remets a vous entretenir de cette affaire la pere fois que nous nous verrons. Je vous prie cependant de veiller que jusque-la, il ne soit pris aucun party a cet egard. On ne peut etre plus parfaitement que je le suis, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, S.-Florentin [destinataire : ] M. le Procureur General MANUSCRITS
NOTE EXPLICATIVE
*A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 347: 1 p. (une feuille, non pliee); orig. signe. B. A.N., O1 401, f 16, piece 36; 1 p.; copie offic.
1. Lettre non parvenue jusqu'a nous. Elle concernait peut-etre le projet de troisieme retractation d'Helvetius qui fait 1'objet de la lettre suivante.
IMPRIME
i. Keim, p. 383. 191
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399. Helvetius aJean-OmerJoly de Fleury1 Monsieur, Si le Parlement exigeoit absolument une troisieme retractation, il en est une qui m'a etc dictee par un homme respectable2, et* qui est entre les mains de Monsieur le comte de St-Florentin3. Elle est honete, elle est vraye, conforme a ma preface, et c'est la seule que je puisse signer. Mais je desirerois bien que vous pussiez m'eviter cette troisieme retractation. Apres les marques de bontes et de protection que vous m'avez donne, j'espere, Monsieur, comme vous me le promettez, que vous n'en ferez uzage qu'a la derniere extremite, que vous ne la ferez point imprimer, et que vous la laisserez au greffe puisque cela depend de vous. Je n'imaginois pas qu'apres deux retractations le Parlement voulut encor en exiger une troisieme. Je vous envoie la copie d'une lettre que je viens de recevoir du cardinal Passioney . Vous y verrez que ce prelat croit les deux retractations que j'ay donne suffisantes. Le Parlement seroit-il moins indulgent qu'un prelat qui a etc grand inquisiteur a Make, et qui est actuellement de la congregation de la Propagande5? Vous verrez meme par le ton de la lettre de ce cardinal qu'il ne juge pas mon livre aussy dangereux qu'on *le croit^1 icy. Car enfin ce prelat sgavoit la persecution suscitee centre moy, et cependant lorsqu'il m'a ecrit il ne dit pas comme vous le verrez dans sa lettre cque mon livre soit susceptible de mauvaises interpretations mais qu'ilpourroit I'etre1. Ors, quel livre est a 1'abry des interpretations? Les herezies les plus monstrueuzes et les plus ridicules ne sont-elles pas toutes fondees sur quelques passages mal interpretes de 1'Ecriture? Quelles interpretations la malignite n'a-t'elle pas meme donne aux sages remontrances du Parlement? ^D'ailleurs mes intentions ne sont pas douteuzes, puisque je me suis soumis a la censure et par consequent a la loy a la quelle les magistrats ont assujetis tous les citoiens. C'est une loy que le Parlement peut changer, mais qui est reputee loy jusqu'a ce qu'il ait declaree qu'elle ne Test plus. Autrement ce seroit un piege qu'il tendroit aux citoiens et ce corps respectable Vest pas' capable d'en tendre. Si j'ay failli en observant la loy, c'est une faute de la loy meme, et mes intentions sont du moins justifiees. ^Comme vous pouvez ne pas trouver Mr le comte de St-Florentin, je vous envoie la copie de cette retractation, dont je vous ai deja parle. Je ne puis m'empecher de vous repeter en finissant ma lettre que la persecution me paroit bien forte, et je sens bien que j'y succomberois sans votre protection, mais j'espere en vous. ^Je suis, avec le plus profond respect, Monsieur. Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Vore, ce 14 Janvier 1758 [=1759? 192
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LETTRE 399 MANUSCRIT *A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 349351; 5 p. (une feuille et une demifeuille); orig. autogr. IMPRIMES
I. (Euvres, 1781, v, p. 269-270. ii. (Euvres, 1795, xiv, p. 44-47. HI. (Euvres, 1818, HI, p. 255-256. TEXTE
Le texte du I a ete suivi presque exactement dans les II et III, qui n'en different que par quelques details de ponctuation et d'orthographe. L'absence de 1'indication de date dans les imprimes, les ecarts qu'ils presentent par rapport au manuscrit (v. notes a, b, d, e, /et g ci-apres) et le fait que 1'abbe Chauvelin y est donne comme destinataire (v. note 1 ci-apres) attestent que les editeurs du I n'avaient sous les yeux qu'une copie partielle de 1'original, qu'ils avaient du trouver dans les papiers de ce destinataire suppose. Cette copie avait sans doute ete remise a Chauvelin par Helvetius, qui 1'avait etablie en omettant d'y reproduire 1'avant-dernier paragraphe (v. note/ci-apres). * Mot omis dans les imprimes. ; Imprimes : "voudroit le faire croire". ' Passage souligne dans les trois imprimes, comme dans le A, a 1'exception du mot "mais" dans le I. d Alinea dans les imprimes. e Imprimes : "ne peut etre". ' Paragraphe omis dans les imprimes. g Imprimes : "J'ai 1'honneur d'etre, &c." NOTES EXPLICATIVES
1. II a ete indique ci-dessus (v. Texte, note generale) que Chauvelin avait ete designe dans les imprimes comme etant le destinataire de cette lettre, et ceci, a tort. En dehors des
2.
3.
4. 5.
conclusions dans ce sens que permet deja la comparaison des imprimes et du manuscrit, exposees plus haut, on peut s'en aviser en remarquant d'abord que c'est dans les papiers de Jean-Omer Joly de Fleury, et non dans ceux de Chauvelin, que s'est retrouve 1'original. D'autre part, c'est a un premier avocat general qu'Helvetius s'adresse dans la presente, lorsqu'il 1'implore de ne pas faire usage du texte de sa troisieme retractation — c'est-a-dire de ne pas en faire mention dans son requisitoire — et d'en laisser au greffe le manuscrit, sans le faire imprimer, toutes decisions que seul pouvait prendre un personnage puissant. Chauvelin, lui, n'etait qu'un humble conseiller clerc a la troisieme chambre des enquetes. Enfin, le ton tres solennel et respectueux de la presente exclut qu'elle ait pu etre adressee a Chauvelin, qu'Helvetius appelle "monsieur 1'abbe" dans la lettre 335. II s'agit tres probablement de Choiseul. C'est dans un bureau des Affaires etrangeres qu'a ete redigee la troisieme retractation d'Helvetius, qu'il a adressee au Parlement (v. appendice 12, par. 2). Texte de cette troisieme retractation : voir appendice 8. Les premiers et derniers mots de celle-ci seront cites dans la condamnation prononcee par le Parlement. Voir lettre 387. Passionei avait ete secretaire de la congregation de la Propagande un certain temps, au cours des annees 1715-1721 (v. Dammig, II Movimento giansenista, p. 54).
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LETTRE
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400
400. Louis-Francois de Paule Le Fevre d'Ormesson de Noiseau1 a Jean-Omer Joly de Fleury [Vers le 18 Janvier 1759]2 Je vous rens, Monsieur, le tres bon projet de discours que vous m'avez communique. Voyez si les corrections et observations que j'y ay faites 3 vous paroissent bonnes. La liberte de n'en pas user est bien plus juste encore que n'a etc celle de les faire. Si vous pensiez devoir ajouter selon mon idee a 1'exposition des verites ou a la refutation des erreurs, vous pourriez abreger d'ailleurs le morceau general qui precede le detail du livre De I'Esprit. Tout 1'ouvrage se peut serrer aussy par le retranchement de quelques repetitions ou de certaines recapitulations ou transitions. Je vous envoye en meme tems le requisitoire centre la these de 1'abbe de Prades dont on me rappella 1'idee hier. Jl contient bien des idees qui peuvent revenir a cecy, et vous verrez que cette these etoit absolument de la meme doctrine que L'Esprit et VEncidopedie. Vous voudrez bien me le rendre, n'etant pas sur d'en avoir autre minute et n'etant point imprime. MANUSCRIT
REMARQUES
*A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 461461 bis; 1 p.; orig. autogr.; les deux tiers du deuxieme feuillet ont ete decoupes.
Joly de Fleury avait sollicite des commentaires de la part de d'Ormesson, a qui le requisitoire de 1'avocat general avait du parvenir le 13 ou 14 Janvier. C'est a cette derniere date qu'il lui en accuse reception : "Comptez-vous toujours, Monsieur, sur le rendez-vous de cet apresmidy? Je ne vais point a Versailles pour avoir tout le tems de travailler sur votre discours, qui peut etre rendu tres fort et tres beau en y changeant peu de choses. Comme ces matieres sont delicates et demandent un ton qui ne soit ny theologien ny devot, sans rien omettre de ce qui conviendroit a 1'un et a 1'autre, ce travail ne va pas si vite qu'on le voudroit. Si vous voulez que je vous renvoye le tout, mandez-le moy, sauf a le reprendre demain. Vous aurez jusqu'a la semaine prochaine." (B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 458459.)
NOTES EXPLICATIVES
1. D'Ormesson (v. lettre 310, note 2), qui avait precede Joly de Fleury a la fonction d'avocat general, etait president a mortier au Parlement depuis 1755. 2. Le 14 Janvier, d'Ormesson vient a peine de prendre connaissance du requisitoire de Joly de Fleury (v. Remarques ci-apres). II a du mettre au moins quatre jours pour lire ce tres long document (v. appendice 10) et rediger le commentaire dont il est question dans la presente lettre (v. note 3 ci-apres). 3. D'Ormesson joint a sa lettre deux pages d'observations sur le requisitoire de Joly de Fleury (v. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 62, et appendice 10 sous la rubrique Texte).
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401. Voltaire a Helvetim Aux Delices, 19 Janvier [1759]" II est vrai, mon tres cher philosophe persecute, que vous m'avez un peu mis dans votre livre in communi mart irurn1, mais vous ne me mettrez jamais in communi de ceux qui vous estiment* et qui vous aiment/. On vous avait assure, dites-vous, que vous m'aviez deplu2. Ceux qui purent^ vous dire cette chose qui n'estpas, comme s'exprime notre ami Suift 3 , sont enfans du diable. Vous me deplaire? Et pourquoy et en quoy? Vous en qui est'gratia, fama^, vous qui etes ne pour plaire, vous que j'ay toujours aime, et dans qui j'ay cheri toujours depuis votre enfance les progres de votre esprit. On avait comme cela dit a Duclos qu'il m'avait deplu, et que je luy avais refuse ma voix a 1'Academic5. Ce sont en partie ces tracasseries de Mrs les gens de lettres et encor plus les persecutions, les calomnies, les interpretations odieuses des choses les plus raisonables, la petite envie, les orages continuels attachez a la litterature qui m'ont fait quitter la France. On vend tres bien des terres pendant la guerre, vu que cette guerre enrichit et Mrs les tresoriers de 1'extraordinaire6 et Mrs les entreprerleurs des vivres, fourages, hopitaux, vaissaux, cordages, beuf sale, artillerie, chevaux, poudre, et messieurs leurs commis et messieurs leurs laquais et mesdames leurs putains. J'ay trois terres icy, dont une jouit de toutte franchise comme le franc alleu le plus princier, et le roy m'ayant conserve par un brevet la charge de gentilhomme ordinaire, je jouis de tous les droits les plus agreables. J'ay terre/aux confins de France, terre a Geneve, maison a Lausane, tout cela dans un pays ou il n'y a point d'archeveque qui excomunie les livres qu'il n'entend pas. Je vous ofre tout, disposez-en. Get archeveque dont vous me parlez ferait bien mieux d'obeir au roy et de conserver la paix que de signer des torchecus de mandements. Le Parlement a tres bien fait il y a quelques annes d'en bruler quelques-uns7, et ferait fort mal de se meler d'un livre de metaphisique portant privilege du roy. J'aimerais mieux qu'il me fit justice de la banqueroute du fils de Samuel Bernard8, juif, fils de juif, mort surintendant de la Maison de la reine, maitre des requetes, riche de neuf milions et banqueroutier. Vendez votre charge de maitre d'hotel, vende omnia quce babes et sequere me9. II est vray que les pretres de Geneve et de Lausane sont des heretiques qui meprisent Sc Atanase, et qui ne croyent pas Jesus Christ dieu, mais on peut du moins croire icy la Trinite comme je fais sans etre persecute10. Faites-en autant. Soyez bon catolique, bon sujet du roy comme vous 1'avez toujours etc, et vous serez tranquile, heureux, aime, estime, honore partout, particulierement dans cette enceinte charmante couronnee par les Alpes, arrosee par le lac et par le Rone, couverte de jardins, et de maisons de plaisance, et pres d'une grande ville ou 195
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LETTRE 401
Ton pense. Je mourrais assez heureux si vous veniez vivre icy. Mille respects a madame votre femme. V. Notre niece est tres sensible a 1'honneur de votre souvenir. MANUSCRIT
*A. Morgan MA 1752(24); 4 p.; orig. autogr. IMPRIMES
i.LeBonheur, 1776, p. 159-161. H. (Euvres, 1781, v, p. 222-224. in. Kehl, LVII, p. 24-26. iv. (Euvres, 1795, xiv, p. 225-229. v. (Euvres, 1818, v, p. 226-227. vi. Best. 7342. vii. Best. D. 8055.
3. 4. 5.
TEXTE
Ajoute en haut du A : "a M. Helvetius". " Ajoute dans le A : "1761". Cette date a etc reproduite dans le III. b Les I, II, IV et v : "aiment". ' Les I, II, IV et v : "estiment". d Les I, n, IV et v : "peuvent"; le in : "ont pu". * Omis dans les I, II, iv et v. ' Le A : "terres ". NOTES EXPLICATIVES
1. Helvetius n'avait nullement range Voltaire parmi les auteurs persecutes. Par centre, il avait quelque peu critique Voltaire sous couleur d'eloges, dans son quatrieme discours (v. par ex. p. 529-530), et c'est peut-etre a cette petite "persecution" que Voltaire fait allusion ici. 2. Reference a la facon dont Voltaire avait commente les reflexions d'Helvetius sur 1'amitie. S'en etant deja plaint a ce dernier le 17 decembre 1758 (v. lettre 384), il avait exprime de nouveau ses doleances a ce sujet le 27 decembre, dans une lettre a Saurin, ami intime d'Helvetius : "Dites-moy, je vous prie, ce que devient Mr
196
6. 7.
Helvetius. J'aurais un peu a me plaindre de son livre si j'avais plus d'amour-propre que d'amitie. Je suis indigne de la persecution qu'il eprouve." (Best. D. 8006.) Euphemisme souvent utilise pour qualifier un mensonge, dans les Voyages de Gulliver. Horace, Epitres, I, iv, 10. Contrairement a ce qu'a avance Besterman, il ne s'agit pas de 1'election de juin 1746, ou Duclos avait etc battu par 1'abbe de La Ville (v. Best. D. 8055), mais de celle du 22 septembre 1746, lors de laquelle il avait obtenu vingt-trois voix sur vingt-quatre. Dans une lettre a Duclos du 20 juin 1760, Voltaire dementira a nouveau que cette voix solitaire ait etc la sienne : "Un homme de cour s'avisa d'imaginer que je vous avais refuse ma voix a 1'Academic. Cette calomnie jeta du froid entre nous, mais n'a jamais affaibli mon estime pour vous." (Duclos, Correspondence, ed. Brengues, 1970, p. 96.) Fonds destines aux depenses de guerre. Allusion aux querelles des annees 1752 et 1753 au sujet des billets de confession et des refus de sacrements aux jansenistes. "On brula, raconte Voltaire dans son Histoire du parlement de Paris, plusieurs mandements d'eveques, plusieurs ecrits qui annoncaient le schisme. Le peuple les appelait les feux de joie, et battait des mains." (Moland, xvi, p. 83.)
Janvier 1759
LETTRE 402
8. Samuel-Jacques Bernard (1685-
1753), maitre des requetes et surintendant des finances de la reine, avait passe sa vie a se ruiner. Son pere, le banquier Samuel Bernard (1651-1739), s'etait rendu celebre par les prets qu'il avait consentis a Louis xiv et a Louis xv, et par ses banqueroutes. Us n'etaient pas juifs mais calvinistes. 9. Mathieu, xix, 21; Marc, x, 21; Luc, xvin, 22 : Vends tout ce que tu as et suis-moi. 10 Saint Athanase avait lutte au 4e siecle centre 1'heresie arienne. Vol-
402.
taire se divertit ici a feindre d'etre catholique orthodoxe pour vanter la tolerance dont font preuve a son egard les "heretiques" de Suisse, et engager en consequence Helvetius a 1'y rejoindre. Quant a 1'idee que les sociniens presumes de Geneve ne voyaient pas un dieu en JesusChrist, d'Alembert, qui s'en etait laisse persuader un peu nai'vement par Voltaire, avait ecrit dans son article "Geneve" que "plusieurs ne croient plus a la divinite de JesusChrist".
Louis Phelypeaux, comte de Saint-Florentin, a Jean-Omer Joly de Fleury A Versles, le 20 j[anvi] er 1759
J'ai ecrit, Monsieur, a M r Helvetius comme nous en etions convenus, et je ne doute pas qu'il ne parte sur le champ, comme je luy marque1. Je verrai aussi Mr Tercier ainsi que vous me le mandez. Vous connoissez les sentiments avec lesquels je suis, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, S.-Florentin [destinataire : ] M. Joly de Fleury, Avocat General MANUSCRIT *A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 352; 1 p. (demi-feuille); orig. signe. NOTE EXPLICATIVE
1. Reference a une lettre non parvenue jusqu'a nous. Saint-Florentin y invitait probablement Helvetius a
remettre au parquet sa retractation qui allait porter la date du 21 Janvier, avant 1'assemblee des chambres prevue pour le 23- La phrase suivante concerne sans doute une invitation similaire signifiee oralement a Tercier, relative a la retractation qu'il allait dater du 22.
197
Janvier 1759
LETTRE 403
403. Jean-Pierre Tercier aJean-OmerJoly de Fleury A Versailles, le 21 Janvier 1759 Monsieur, J'aurois 1'honneur de joindre jcy la retractation 1 que vous jugez convenable que je donne de rnon approbation du livre De I'Esprit, selon ce que Monsr le comte de Sc-Florentin m'a dit hyer2 et qui m'a etc confirme par Mgr le due de Choiseul, si j'en eusse eu la formule. Elle doit etre differente en qualite de censeur de celle que M. Helvetius a donnee en qualite d'auteur. Si vous croiez, Monsieur, qu'jl suffise d'adherer a celle de M. Helvetius, je vous suplie de vouloir bien m'en envoyer une copie, et au bas le projet d'adhesion que je dois signer; je vous le renvoyerai aussitot. J'irois le signer sous vos yeux si mes occupations ne me retenoient actuellement jcy, mais a mon premier voyage a Paris, je ne manquerai pas de me presenter chez vous pour vous remercier de ce que vous avez bien voulu faire pour moy dans cette occasion, sans que j'eusse aupres de vous pour le meriter d'autre titre que la purete de mes jntentions, a laquelle je me flatte qu'on a rendu justice dans cette malheureuse affaire. Je suis, avec bien du respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Tercier
MANUSCRIT
*A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 353354; 3 p.; orig. signe. NOTES EXPLICATIVES
1. Le texte integral de la retractation de Tercier, qui est en fait un desaveu de 1'approbation qu'il avait accordee, ne s'est pas retrouve. On en connait les premiers et derniers mots, qui sont cites dans la condamnation de L'Esprit par le Parlement : "Je soussigne declare qu'ayant approuve en qualite de censeur royal [...] desirant que mon approbation soit declaree comme nulle" (v. appendice 10, p. 369). En outre, le dossier de Guillaume-
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Francois-Louis Joly de Fleury en contient 1'extrait suivant : "apres avoir pris lecture de la retractation ci-dessus [d'Helvetius], j'adhere en entier a tous les principes et sentiments qui y sont contenus et me repentant dans toute la sincerite de mon coeur de 1'inadvertance qui m'a porte a approuver un ouvrage ou sont etablis des maximes contraires a 1'Etat, a la religion et aux bonnes moeurs." (B.N., ms. Joly de Fleury 352, f° 17.) 2. Voir la lettre precedente. REMARQUES
II est manifeste que le desaveu de Tercier a ete exige de lui par le Parlement.
LETTRE 404 Aussi Malesherbes accueillera-t-il avec le plus grand scepticisme les affirmations des gens du roi, selon lesquelles "c'est le censeur qui, de son propre mouvement, leur a porte sa retractation" (Memoires sur la Librairie, 1809, p. 28). L'assujettissement de Tercier aux volontes de 1'avocat general s'exprimera a nouveau dans sa lettre a ce dernier du 2 fevrier : "Je sais toute 1'etendue des
Janvier 1759 obligations que je vous ai. Je vous prie
d'etre persuade de celle de ma reconnoissance. J'aurois eu 1'honneur d'aller vous la temoigner des aujourd'huy si mon devoir ne me retenoit icy. Agrees, )e vous suplie, Monsieur, que je fasse percevoir ce que je voudrois faire personnellement et dont je m'aquitterai aussitost qu'il me sera possible." (B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 360 recto.)
404. Mathieu-Fran^ois Mole1 a Guillaume de Lamoignon de Blancmesnil Monseigneur, Mrs les gens du Roy ont denonce ce matin aux chambres assemblies2 le livre De I'Esprit, YEnciclopedie et plusieurs autres livres3 contenant les principes les plus dangereux et les plus contraires a la religion, aux bonnes mceurs et a la police du royaume . Us ont joint a cette denonciation une retractation de I'auteur du livre De I'Esprit, et une autre du censeur qui I'a aprouve5. Us ont requis le depost au greffe de ces deux retractations, que le livre De I'Esprit et tous les autres livres denonces fussent condamnes au feu a 1'exception de Y Enciclopedie ou ils ont reconnu differens endroits a conserver et plusieurs autres a corriger et a reformer. Ce motif les a determine a soumettre ce livre a I'examen de quelques docteurs et avocats qui seroient nommes par la Cour, pour sur leur raport etre ordonne ce qu'il appartiendroit, et deffenses par provision d'imprimer et debiter le livre. La Compagnie sur le tout a rendu un arret par lequel elle a nomme des comissaires7 qui s'assembleront jeudy 8 , et par provision fait deffenses a tous libraires, imprimeurs, colporteurs ou autres de vendre, imprimer ou distribuer tous lesd[its] livres denonces. J'ay 1'honeur d'etre avec respect, Monseigneur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Mole A Paris, ce 23 janv r 1759
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LETTRE
404
MANUSCRIT *A. A.N., Chartrier de Tocqueville 154 AP II, fonds Lamoignon, dossier 6, n° 59; 2 p.; orig. signe. NOTES EXPLICATIVES
1. Voir lettre 310, note 1. 2. Malesherbes s'est etonne qu'on ait choisi de "provoquer une assemblee de chambres pour un fait qui, par sa nature, ne devait etre porte qu'a la grand-chambre, qui a etc de tous les temps tres competente pour faire bruler des livres" (Memoires sur la Librairie, 1809, p. 16). Le Parlement avait deja recouru a une telle procedure en decembre 1755, pour condamner six ouvrages dangereux, dont \Histoire du peuple de Dieu, du jesuite Berruyer (v. Register, p. 324). 3. Ces livres, au nombre de huit, etaient tous parus sans nom d'auteur : [D'Argens,] La Philosophie du bon sens, La Haye, 1755; [Louis de Beausobre,] Le Pyrrhonisme du sage, Berlin, 1754; [Abbe G. F. Coyer,] Lettre du R. P. Eerthier sur le materialisme, Geneve, 1759; [Diderot,] Etrennes aux esprits forts, Londres, 1757; Q. B. Pascal,] Lettres semi-
pbilosophiques du chevalier de * * au comte de * *, Amsterdam & Paris, 1757; et [Voltaire,] La Religion naturelle. Poem [...]parM. V * * *, Geneve, 1756. 4. II s'agit du requisitoire de Joly de Fleury, dont la lecture, d'apres un rapport destine au marquis de Paulmy et redige, selon Register (p. 336), par Louis Mayou d'Aulnoy, avait dure une heure et quart (v. B.N., ms. fr. 14039, f° 300). Texte de ce requisitoire : voir appendice 10. 5. Retractations de Tercier (v. lettre precedente) et d'Helvetius (v. lettre
200
Janvier 1759 399 et appendice 8). L'une et 1'autre sont lues au cours de cette seance du 23 Janvier 1759. 6. II ne s'agit plus ici des magistrats du parquet, qui se sont retires apres le requisitoire de 1'avocat general, mais des conseillers des chambres assemblies. Ceux-ci, qui entendaient soumettre tous les livres en question, et en particulier De I'Esprit, a un examen plus approfondi avant toute condamnation, decident egalement de surseoir a statuer jusqu'a plus ample reflexion au sujet des personnes memes d'Helvetius et de Tercier (v. Journal de la premiere chambre des enquetes, Brit. Libr., Add. ms. 9031, f° 383 verso, et appendice 11). 7. On a distingue, dans les registres du Parlement, trois groupes de conseillers, parmi ceux qui ont ete nommes pour examiner les livres denonces : en premier lieu, dix conseillers laics, qui etaient, par ordre d'anciennete, Pierre-Barthelemy Rolland, MarcJacques Ferme, ne en 1686, EtienneVincent Lemee (1681-1775), Jerome-Alexandre de Lattaignant, Denis-Louis Pasquier (vers 16981783), Denis-Bernard-Frangois de Barally (vers 1695-1769), PaulEtienne-Charles Mayneaud de La Tour, Claude Pellot, mort en 1769, Louis Le Prestre de Lezonnet et Charles-Louis Aubin (1702-1776); en second lieu, les cinq conseillers clercs suivants : Claude Boucher (vers 1688-1776), Pierre Langlois, mort en 1766 (frere cadet du voisin d'Helvetius, Robert Langlois de La Fortelle), Elie Bochart de Saron, mort en 1762, Franc, ois-Benigne Du Trousset d'Hericourt (v. lettre 405, note 3) et 1'abbe Joseph-Marie Terray (1715-1778), futur contro-
Janvier 1759
LETTRE 405
leur general; enfin, "des Enquetes et des Requetes les anciens de chaque chambre". Voir B.N., ms. fr. n. a. 8228, f° 115 verso; A.N., u 288,
f° 92 verso; X 1A 8501, f° 65 recto; et X1B 8937, Registres du Parlement pour le mardi 23 Janvier 1759. 8. Le 25 Janvier (v. lettre 406).
403. Henri-Philippe Chauvelin a Jean-Omer Joly de Fleury M. 1'avocat general trouvera cy-joint le papier qu'il a bien voulu confier. La requete fut faite et signee conforme hier au soir a 1'exception d'un seul mot1. M. Forme procureur 2 , qui 1'a signee apres sa partie, doit remettre ce matin a huit heures et demie la requete a M. le rapporteur afin qu'il la communique a M. le procureur general pour avoir les conclusions de maniere que M. le rapporteur puisse en rendre compte a 1'assemblee des commissaires cet apres-midi 3 . M. 1'avocat general voudra-t-il bien recevoir en meme terns que le papier cy-joint les respects de celui qui est bien fache de n'avoir pas pu le lui remettre lui-meme? Jeudi, 25 Janvier [1759], 7 heures et demie du matin MANUSCRIT
*A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 356; 1 p. (demi-feuille); orig. autogr. TEXTE
Lettre non signee, mais qui est de la main de Chauvelin (cf. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 477-478). NOTES EXPLICATIVES
court, ne en 1703, abbe de Molome en 1731, conseiller clerc a la quatrieme des enquetes en 1730, et grand chambrier de 1745 a 1761. II allait faire son rapport a 1'assemblee des chambres le samedi 3 mars (v. les registres du Parlement, B.N., ms. fr. n. a. 8228, f° 185). REMARQUES
1. II s'agit de la supplication d'Helve- Joly de Fleury avait eu plusieurs fois tius, sans doute redigee par Joly de recours aux bons offices de Chauvelin Fleury et qui a etc reproduite dans pendant cette periode. En particulier, {'Arrest de la Cour de Parlementportant ce dernier avait prete a 1'avocat general condamnation de plusieun livres et autres les livres dont il devait demander la outrages imprimes (v. appendice 10, condamnation dans son requisitoire du p. 370). L'original de cette requete 23 Janvier. Voir a ce sujet deux lettres n'est pas parvenu jusqu'a nous. de Chauvelin respectivement datees des 2. Voir lettre 307, note 5. 15 et 20 Janvier, ainsi qu'une note por3. Voir lettre 406, par. 2. Le rapportant la liste des livres pretes, avec la teur de la commission chargee mention : "Renvoye a M. 1'abbe Chaud'examiner De I'Esprit ainsi que les velin le 7 fev[rier] 1759" (B.N., ms. Joly autres livres denonces etait Frande Fleury 572, ff s 477, 478 et 479). cois-Benigne Du Trousset d'Heri-
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Janvier 1759
LETTRE 406
406. Mathieu-Fran^ois Mole a Jean-Omer Joly de Fleury Je viens d'ecrire dans le moment, Monsieur, a Mr le due de Choiseuil pour qu'il vous envoie tout de suitte Mr Tercier s'il est a Paris, et qu'il le fasse revenir sur-le-champ de Versailles, s'il y est, pour se rendre ches vous. Ayes pour agreable en cas qu'il arrive ce soir, de vous arranger avec Mr le p[rocureur] g[eneral] de maniere qu'il trouve quelqu'un ches vous a qui jl puisse parler1. Vous scaves que je m'enferme a quatre heures avec les commissaires, que je ne pourray vous voir qu'apres 1'assemblee2. J'ignore 1'heure a laquelle elle finira. Le pis-alle si vous avies a me parler seroit d'entrer ches Made Mole3. Ce 25 janv. 1759 MANUSCRIT
*A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 355; 1 p. (demi-feuille); orig. autogr. TEXTE
Lettre non signee, mais qui est de la main de Mole (cf. ms. Joly de Fleury 394, ff s 154, 178, 182 et 203 : lettres autographes signees). NOTES EXPLICATIVES
1. C'est sans doute au cours de 1'entretien prevu par Mole que Tercier a etc persuade par Joly de Fleury, d'une part, d'adresser au chancelier sa demission du poste de censeur royal (v. lettre suivante), et d'autre part, de presenter au Parlement une requete dans laquelle il priait la cour de lui donner acte de ses desaveux relatifs a De I'Esprit, et annoncait sa decision de "[ne] plus se charger d'examiner ou d'approuver aucun livre" (v. appendice 10, p. 370371). Dans 1'original de cette requete, datant du 29 Janvier 1759, signee par Tercier et son procureur Antoine Regnard, et sans doute redigee par 1'avocat general, Tercier se referait a sa "qualite de censeur royal". Ces derniers mots ont etc
202
ratures par Joly de Fleury, pour qu'ils ne soient pas reproduits dans 1'arret du Parlement du 6 fevrier 1759, ceci parce qu'ils presentment probablement a ses yeux le risque de froisser le chancelier (v. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 373). Trois brouillons de cette requete se trouvent dans le dossier de Joly de Fleury (fPs 375 et 376). Elle est reproduce par Ozanam (p. 169-170), sans indication que la reference faite dans 1'original a la fonction de censeur royal a ete raturee, et qu'elle ne figure pas dans 1'arret du Parlement. Voir aussi Register (p. 338339). 2. Voir lettre 404, par. 2. 3. En tant que premier president du Parlement, Mole occupait 1'hotel du Bailliage, situe dans la cour meme du Palais. II avait epouse en 1743 Bonne-Felicite (1721-1784), fille du financier Samuel Bernard. REMARQUES
Apres avoir brievement rapporte ces evenements a Voltaire le meme jour, Thieriot lui apportera des details sur la querelle dont Tercier a ete 1'objet : "Le Parlemc est apres 1'examen et la con-
Janvier 1759
LETTRE 407 damnation de 1 'Encyclopedic, de L'Esprit de M. Helvetius, et de quelques autres ouvrages. Le nonce requeroit sans cesse du card1 de Bernis une satisfaction en punissant le pauvre Tercier. II lui a fait finir ses plaintes et ses pretentions en lui disant courageusemc que c'etoit sa faute, et qu'il etoit la cause que Tercier avoit aprouve le livre sans 1'examiner et
sans le lire, parcequ'il avoit alors besoin de lui pour des affaires importantes et serieuses. Voila ce qui s'apelle un homme d'Etat. C'est le ministre que j'ai veu le plus regrette. II a ete bien vite ele've, et bien vite precipite." (B.N. , ms. fr. 12902, f° 202 verso; et Best. D. 8065.)
407. Jean-Pierre Tercier a Guillaume de Lamoignon de Blancmesnil Monseigneur, Les occupations dont j'ai 1'honneur d'etre charge pour le service du Roy sous les ordres de Mgr le due de Choiseul ne me permettant pas de dormer a la censure *des livres* que feu Mr le chancellier d'Aguesseau m'avoit confiee1 et que vous avez bien voulu me continuer, le terns necessaire pour en remplir exactement les fonctions, je vous suplie, Monseigneur, de vouloir bien m'en dispenser a 1'avenir et de* recevoir ma demission. Je conserverai toujours un ^souvenir precieux des bontes dont vous m'avez honnore a cet egard. Je suis, avec un profond respect, Monseigneur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Tercier A Versailles, le 26 Janvier 1759 MANUSCRITS
NOTE EXPLICATIVE
*A. B.N., ms. fr. 22191, f° 94; 1 p. (feuille non pliee); orig. signe. B. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 359; 1 p.; copie autogr/
1. Henri-Frangois d'Aguesseau (16681751), avocat general en 1691 et procureur general en 1700, avait ete chancelier de 1717 a 1750, date de sa demission. C'est precisement en 1750 que le nom de Tercier etait apparu pour la premiere fois dans Y Almanack royal, au nombre des censeurs royaux pour 1'histoire et les belles-lettres.
TEXTE a
Omis dans le B. * Le B : "precieux souvenir". ' Copie qui porte en haut les mots : "Copie de ma lettre a Monseigneur lechancelier", et, devant la signature, les mots "Pour copie".
203
Janvier 1759
LETTRE 408 REMARQUES
Le lendemain, Tercier avise en ces termes Malesherbes de sa demission de son poste de censeur : "Vous aurez sans doute deja scu par Mgr le chancellier les raisons qui me determinent a le suplier de me dispenser doresnavant d'examiner aucun livre et de recevoir ma demission du titre de censeur. Je vous suplie, Monseigneur, de vouloir bien agreer aussi cette demission fondee sur mes occupations, et de me continuer dans toutes les occasions ou je pourai y avoir recours les bontes dont vous m'avez
honnore jusqu'a present." (B.N., ms. fr. 22191, f° 95.) Le ler fevrier, Tercier jugera necessaire d'envoyer copie de cette demission (manuscrit B) a 1'avocat general, avec la lettre suivante : "Pour ne laisser aucun doute sur la demission portee dans ma requete, de ma place de censeur, je crois devoir avoir 1'honneur de vous envoier copie signee de la lettre que j'ay eu celui d'ecrire a Mgr le chancelier. Je laisse a vos bontes pour moi a en faire 1'usage que vous jugeres convenable." (B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 358.)
408.' M.athieu-F ran^ois Mole a Jean-Omer Joly de Fleury A Paris, le 29 janv. [1759] Je viens, Monsieur, de remettre a Mr 1'abbe d'Hericourt 1 la requete de M Tercier2. Jl en est content et Mr Bochart3 vient de dire affirmativement qu'on ne peut pas [faire] une retractation plus precise, d'autant plus qu'il abdique sa qualite de censeur. Je pense qu'il faut que vous trouvies le moyen d'instruire des aujourduy Mr le comte de St-Florentin de ce que M r le chancelier pense par raport a \Encyclopedie et 1'instruire soit par ecrit soit verballement, encore mieux verballement si faire se peut 4 . Vous scaves qu'il ne doit point venir ches rnoy5. Hates-vous de luy demander un rendesvous, soit ches lui, soit ches vous, soit ches moy ou je seray jusqu'a sept heures, en cas que vous jmaginies que je puisse estre necessaire. Je voudrois ce soir voir M r de Montmartel au sujet de notre affaire avec Mr le controlleur general pour qu'elle puisse estre finie cette semainne quand jl sera a Paris . Je ne pourray pas le voir demain a cause de notre assemblee de commissaires7. Si vous aves quelque chose a me faire scavoir j'attenderay de vos nouvelles. Vous voules bien, Monsieur, que cette lettre soit commune a Mr le p[rocureur] general a qui je ne fais point de reponse8. r
MANUSCRIT
*A. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 357; 2 p. (demi-feuille); orig. autogr.
204
NOTES EXPLICATIVES L
Rapporteur de la commission parlementaire (v. lettres 404, note 7, et 405, note 3).
LETTRE 408 2. Voir lettre 406, note 1. 3. Jean-Baptiste-Gaspard Bochart de Saron (1730-1794), conseiller en 1748, avocat general en 1753 et president a mortier depuis 1755. Mathematicien distingue, il sera le dernier des premiers presidents du Parlement et mourra sur 1'echafaud. Son oncle, 1'abbe Elie Bochart de Saron, conseiller a la grand-chambre depuis 1736, etait membre de la commission constitute pour examiner les livres denonces (v. lettre 404, note 7), mais n'etait pas investi de 1'autorite necessaire pour etre le personnage nomme dans la presente lettre. 4. Comme le privilege royal accorde a Y Encyclopedic, contrairement a celui obtenu par De I'Esprit, n'avait pas encore etc revoque lorsque cet ouvrage avait ete denonce par Joly de Fleury le 23 Janvier, le chancelier avait ete irrite de n'avoir pas ete consulte prealablement a ce sujet (v. Malesherbes, Memoires sur la Ukraine, 1809, p. 17). Le 4 fevrier, Saint-Florentin mandera Joly de Fleury pour le lendemain, en vue de 1'entretenir des reactions de Lamoignon (v. lettre 413), mais ils avaient deja du se rencontrer a ce propos, a la suite de la demande instante exprimee a cet effet par Mole dans la presente lettre. 5. Selon Register (p. 333, note 36), la raison qui empechait Saint-Florentin de se rendre chez Mole "etait
Janvier 1759 peut-etre que le cas de {'Encyclopedic ne regardait que le chancelier et non pas le ministre ayant le departement de Paris". II pouvait aussi bien s'agir, pour Saint-Florentin, d'eviter tout risque qu'on puisse lui reprocher d'avoir exerce des pressions sur un magistrat, pour 1'une des multiples affaires dont il avait a connaitre. 6. Jean Paris de Montmartel (16901766), banquier qui avait deja rendu de grands services financiers a la cour. A 1'epoque de cette lettre, il etait en train de manoeuvrer activement, avec 1'appui du Parlement, dans le but de remplacer Jean de Boullongne (1690-1769) au poste de controleur general des finances, que ce dernier occupait depuis 1757, et dont il devait se demettre le 4 mars 1759. 7. La commission nommee le 23 Janvier (v. lettre 404, par. 2). 8. Le caractere ambitieux et volontaire de Jean-Omer Joly de Fleury a deja ete evoque (v. lettre 309, note 3), et 1'ascendant considerable qu'il exercait sur son frere aine, Guillaume-Franc.ois-Louis, procureur general au Parlement depuis 1746, en etait une manifestation. Cette influence avait amene certains a qualifier Jean-Omer de "veritable procureur general" (v. P. Bisson, Les Joly de Fleury, 1964, p. 42 et note), et d'autres, comme Mole, a considerer son frere comme quantite negligeable.
205
LETTRE 409
Janvier 1759
409- Luigi Gualtieri au cardinal Luigi-Maria Torrigiani Ho 1'onore di compiegare a V. Emza un'arresto di questo Parlamento, da cui si rileva 1'esame, che vuol fare d'alcuni pessimi libri in materia di religione esciti da pochi anni in qua in questo regno1. E benche tal'esame non sara fatto probabilmente in breve tempo per vederne la formale decisione, nondimeno ognuno resta persuaso, che n'escira una condanna, mediante la quale, oltre il bene, che ne risultera per li fatti pessimi libri, e per il pubblico disprezzo degli autori, e delle loro societa in comporre unitamente come in quella dell'Encyclopedia, servira anche di gran freno non meno agli stessi autori, che agli censori medmi dei libri. In d° Parlamento fu parlato ancora, se si dovevano mandare i libri indicati in d° arresto all'esame di questa Sorbona, ed incominciarsi i rigori, ed il processo contro i revisori ed approvatori dei medmi; ma sopra 1'uno e 1'altro punto non fu presa deliberazione; e resta ora a sapersi, se ne riassumera 1'assunto, allorquando udira la relazione dei commissar] deputati del vero contenuto dell'istesse opere2. lo non ho mancato di dare le lodi convenevoli al Parlamento per simile vigilanza, aggiungendo ancora, che se continuera ad averla in ogni stampa, che qui esce, la religione ed il regno ne ritroveranno il loro bene, ed il medmo Parlamento la sua vera gloria. Anche i revisori dei libri sono stati dalla corte avvertiti ad usare ogni oculatezza; e si puo credere, che tutto il riferito operate del Parlamento abbia rapporto a quelle speranze, che dalla corte furono date nelle sue risposte3 all'ultima assemblea di qto clero sopra 1'articolo delle stampe. Per appendice della da deliberazione di questo Parlamento accludo al S. Offizio un libro escito in questi giorni col titolo di Catechisme des Cacouacs che ha rapporto ai principal! errori di varj dei sopradd1 libri, e specialmente a quelli contenuti nz\\Encidopedia, e nel libro De I'Esprit, di cui la Gazzetta Eccfa seguita tuttavia a declamare 1'orrore5, dando anche molta lode all'editto di Mgr Arciv0 di Parigi condannatorio del medmo; e tale Catechismo riceve qui molto applauso. [...] L'arcivescovo di Mira Parigi, 29 genn° 1759 [destinataire : ] Sige Card1 Seg° di Stato / Roma con stampa [Traduction : ] Je prie Votre Eminence de bien vouloir trouver ci-joint un arret du Parlement qui prevoit 1'examen de certains livres detestables qui traitent de religion, et qui paraissent dans le royaume depuis quelques annees1. Et bien qu'on ne s'attende pas a ce que cet examen ait lieu assez rapidement pour que la decision qui s'ensuivra soit connue dans un avenir proche, tout le monde reste persuade qu'une condamnation en decoulera. Celle-ci n'emportera pas seulement des resultats heureux relatifs aux livres 206
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detestables deja publics aussi bien qu'au public, dont le mepris s'abattra sur les auteurs desdits livres et sur les societes qui travaillent en association etroite avec eux, telles que celle de 1' Encyclopedie; cette condamnation incitera aussi tres efficacement, tant ces auteurs que les censeurs de leurs ouvrages, a faire preuve de beaucoup de retenue. On s'est en outre demande au Parlement si les livres designes dans 1'arret devaient etre soumis a 1'examen de la Sorbonne, et s'il fallait deja prendre des mesures rigoureuses centre les censeurs qui les ont revus et les personnes qui les ont approuves, et les traduire en justice; mais aucun de ces deux points n'a fait 1'objet de deliberations, et il reste a se demander si Ton y reviendra lorsque les commissaires nommes pour determiner le contenu exact de ces ouvrages rendront leur rapport2. Je n'ai pas manque d'adresser au Parlement les compliments qu'appelle sa vigilance et j'ai ajoute que si celle-ci se poursuivait a 1'egard de tous les imprimes qui paraissent ici, la religion et le royaume recouvreraient leurs prerogatives, et le Parlement, sa vraie gloire. Les censeurs ont d'autre part etc invites a faire preuve de la plus grande vigilance, et il est permis de croire que toutes les initiatives du Parlement rapportees ci-dessus sont consecutives aux esperances que la cour avait exprimees sur la question des imprimes dans ses reponses3 aux recommandations de la derniere Assemblee du clerge. A titre de complement a la deliberation du Parlement, j'inclus dans le present envoi, a 1'intention du Saint-Office, un livre paru ces jours-ci, intitule Catechisme des Cacouacs4, qui a trait aux principales erreurs que contiennent les ouvrages dont il a etc question ci-dessus, et en particulier, 1'Encyclopedic et le livre De I'Esprit. De ce dernier, la Gazette ecclesiastique continue sans relache a denoncer le caractere horrible5, tout en gratifiant de beaucoup de louanges 1'edit par lequel Mgr 1'archeveque de Paris 1'a condamne. Quant au Catechisme mentionne plus haut, il recoit ici beaucoup d'applaudissements. [... ] L'archeveque de Mira Paris, 29 Janvier 1759 [destinataire : ] M. le Cardinal Secretaire d'Etat / Rome. Imprime. MANUSCRIT 2. Le rapport des commissaires sera *A. Archivio Segreto Vaticano, Nunpresente le 3 fevrier (v. lettre 412 et ziatura di Francia 503, ff°s 80 recto-81 appendice 11, p. 379). recto, et 82 verso; 6 p.; orig. signe. 3. Voir lettre 363. 4. L'auteur de ce Catechisme etait 1'abbe NOTES EXPLICATIVES deSaint-Cyr(v. lettre 364, note 5). 1. Arret du 23 lanvier, precede du 5. Les Nouvelles ecdesiastiques avaient deia requisitoire de 1 avocat general attaque De I Esprit en novembre 1758 (v. appendice 10).
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(v. lettre 390). Les 17 decembre et 9 Janvier, parait dans ce journal un compte rendu des analyses qu'en avait faites le Journal de Trevoux, ainsi qu'un examen des Prejuges legitimes de Chaumeix, et les 16 et 23 Janvier, c'est le Mandement de 1'archeveque de Paris qui s'y trouve commente. Mais le bref eloge que decerne le gazetier a cet ecrit n'a d'autre but que de 1'amener a une attaque centre les jesuites et 1'arche-
Janvier 1759 veque lui-meme : "C'est done a ce prelat a interroger sa conscience sous les yeux de Dieu, et a se demander a lui-meme s'il peut se defendre d'avoir une grande part aux ravages que fait parmi nous 1'impiete de la fausse philosophic, par la grande influence qu'il a dans les causes qui 1'ont produite ou qui en ont etendu 1'empire" (op. cit., 23 Janvier 1759, p. 18). De ces remarques, Gualtieri ne dit mot dans la suite de sa lettre.
410. Chretien-Guillaume de Lamoignon de Nlalesherbes a Jean-Pierre Tercier A Paris, ce 29 janv. 1759 M. le chancelier m'a remis, Monsieur, la lettre par laquelle vous luy envoyes votre pretendue demission de la place de censeur1 et il me charge de vous mander que cette piece est totalement inutile, attendu* que vous estes deja raye de 1'etat des censeurs qui s'arreste tous les ans au mois de Janvier*. II est vrai que, par egard pour vous et pour la place que vous occupes dans le bureau des Affaires etrangeres, M. le chancelier a bien voulu remettre cet acte de severite jusqu'au terns ou 1'etat est arreste et envoye a la Chambre syndicale2. II a cru par la diminuer 1'eclat facheuxf de cette radiation. Mais apres le scandale qu'a cause le livre De I'Esprit il seroit centre le bon ordre qu'il n'existat dans les registres de la Chambre syndicale aucuns vestiges du parti qui a este pris sur le censeur. J'ay 1'honneur d'estre, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur [destinatam : ] M. Tercier MANUSCRITS
apres), Malesherbes etait sous 1'empire *A. B.N., ms. fr. 22191, f° 96; 2 p.; d'une animosite peu habituelle chez lui copie offic. lorsqu'il a redige cette lettre, et les B. B.N., ms. fr. 22191, f° 97; 2 p.; marques de cette reaction apparaissent brouillon autogr. encore dans le A, qui est sans doute une copie fidele de la lettre expediee. " Le TEXTE b Comme en temoignent les passages de B : "attendu ." ' Le B : que annee. "facheux est en ^neral attnbuee a
J-' B - Menan. Voir aussi les Remarques ci-apres.
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LETTRE 432 5. Histoire de la maison de Stuart sur le trone d'Angleterre, dont la traduction, commencee par 1'abbe Le Blanc et terminee par Prevost, ne paraitra qu'en 1760. 6. De I'Esprit : or, Essays on the Mind, and its Several Faculties. Written by Helvetius. Translated from the Edition printed under the Author's Inspection, Londres, Dodsley, 1759, 4°. REMARQUES
Le l er mars, le negociant en vins John Stewart, ami intime de Hume, lui promet de lui faire parvenir la traduction de son Histoire naturelle de la religion, qu'avait effectuee Trudaine de Montigny : "II a fait une traduction de votre Histoire naturelle de la religion, qui est trop volumineuse pour etre envoyee par
la poste." Au debut de sa lettre, Stewart avait mentionne de facon plus generale les relations qu'entretenaient Hume, Helvetius et Trudaine de Montigny : "Veuillez ne pas oublier non plus votre vieil ami Helvetius qui dit avoir 1'intention d'aller vous voir en Angleterre si vous ne venez a Paris. II est lie d'amitie avec le groupe que j'ai mentionne [Mme Dupre de Saint-Maur, Trudaine de Montigny et son pere Daniel-Charles Trudaine, Turgot et Chastellux], parce qu'ils apprecient son caractere aimable, sans faire grand cas de sa philosophic. II est certainement un des meilleurs hommes qui ait jamais existe." (Royal Society of Edinburgh, fonds Hume, vn, 49; The Letters of David Hume, n, p. 348, traduction.)
432. L'abbe Jean-Clement Gervaise a Mathieu-Fran^ois Mole Monsieur, Je ne dis rien a nos deputes des mesures que je prends pour faire aprouver notre censure par la cour1 et par les magistrats, et c'est demain qu'on doit y mettre la derniere main. Je seray par consequent oblige de m'expliquer, si avant I'assemblee je ne puis avoir 1'honneur de vous entretenir et de prendre vos ordres. Si vous pouves, Monsieur, me donner un quart d'heure d'audience avant demain 3 heures apres midy, vous me tireres d'un grand embarras2. On me trouvera toujours prest a partir pour me rendre chez vous. J'ay 1'honneur d'etre, avec un tres profond respect, Monsieur, Votre tres humble et tres ob. serviteur, Gervaize, synd[ic] de th[eol]ogie A Paris, ce 13 mars 1759 MANUSCRIT
NOTES EXPLJCATIVES
*A. B.N., ms. Joly de Fleury 352, f° 3232 bis; 1 p.; orig. autogr.
1. Le l4avril, Saint-Florentin annonce ainsi a Gervaise 1'accueil favorable
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LETTRE 433 que reserve la cour a cette censure : "Sa Mte trouve bon que les deputes de la Faculte de theologie ayent 1'honneur de presenter a Sa Mte la censure du livre De I'Esprit." (A.M., O1 401, p. 179.) Le l er mai, la Sorbonne decidera d'envoyer a Versailles le doyen Tamponnet, le syndic Gervaise, ainsi que six autres docteurs, pour lire sa censure au roi,
au Dauphin et au chancelier (v. A.M., MM 258, ff s 1 et 6-8). Cette lecture aura lieu le 10 mai (v. Les Nouvelles ecdestastiques du 10 juillet 1759) et Gualtieri en rendra compte a Torrigiani le 14 mai (v. lettre 439). 2. L'entrevue sollicitee a eu lieu le 14 a midi (v. ms. Joly de Fleury 352, ff os 29 et 30).
433. Jean-Pierre Terrier a Francois-Michel Durand de Distroff Versailles, le 13 mars 1759 Je ne doute pas, mon cher M., que vous ne soies instruit par le ministre meme de ma retraite des Affaires etrangeres. On a pris pretexte des lettres qu'on dit que M. Helvetius a ecrites a M. de Voltaire, dans lesquelles il dit que, ne pouvant penser* librement en France, il songe a passer en Angleterre et me nomme dans ces lettres comme son ami 1 . On m'a dit qu'apres ces lettres et/ M. Helvetius aiant ordre de se defaire de sa charge, je ne pouvois rester icy, et que par consequent je devois songer a ma retraite. J'ai represente que je ne devois point porter la faute d'un homme qui ecrivoit ce qu'il vouloit sans que j'y eusse part. Comme ce n'estoit qu'un pretexte, on n'a point adopte ma reponse2. Le Roy, a qui M. le comte de Broglie en a ecrit, a repondu qu'il avoit etc fache pour moi des le commencement de cette affaire, mais que, ne connoissant que ses secretaires d'Etat, il les laissoit les maitres de ceux qui travailloient sous eux, qu'il vit avec moi ce que je pouvois demander, et a concerter les moyens de continuer 1'affaire secrette3. Tout ceci est une affaire d'intrigues et de cabale, menagee de longue main par des envieux et des jaloux. [...] NOTES EXPLICATIVES
MANUSCRITS
*A. Aff. etr., C.P. Pologne 264, f° 55 recto-55 verso; 4 p.; brouillon autogr. B. Aff. etr., C.P. Pologne, suppl. 11, f° 189 verso; 3 p.; copie offic. TEXTE a
Le B : "passer".
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Le B : "de".
1. Voir lettre 425, note 47. 2. Broglie avait certainement fait valoir a Tercier que la lettre qu'il avait preparee serait mai recue du roi (v. lettre 425, note explicative generate), et Ton sait qu'il avait avance d'autres arguments aupres de
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Louis XV pour tenter de faire conserver au censeur sa charge de commis aux Affaires etrangeres. Mais a la suite de 1'echec de cette demarche, Tercier avait conclu qu'il avait etc condamne d'avance, a titre de bouc
emissaire d'Helvetius, et il est clair qu'aux yeux du censeur, la cause en etait que 1'auteur de L'Esprit avait Choiseul pour protecteur. 3. Voir lettres 426 et 427.
434. Jean-Omer Joly de Fleury a Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes Paris, ce 14 mars 1759 Je vous donne avis, Monsieur, qu'il commence a se distribuer dans Paris une nouvelle edition in-8° et contrefaite du livre De I'Esprit. Suivant les informations qui me sont revenues, elle est de Bassompiere, imprime a Liege1, et on la croit entree a Paris. J'en ay un exemplaire. Jl en est aussi entre plus ancienement peutetre 2 editions, une dite de Lyon 2 , 1'autre d'Avignon 3 , routes deux in-12. Jl en a etc de meme des editions de Candide, imprimees, dit-on, a Geneve . On dit aussy qu'il y a au Palais-Royal un colporteur nomme Robin et qui, suivant* les parents que Ton dit qu'il a, est asses vilainement allie, qui est le centre de routes ces mauvaises productions 5 . Je ne puis faire un meilleur usage de ces connoissances que de vous les faire arriver, afin que vous voyies les moyen d'y remedier. Vous connoisses, Monsieur, les sentiments fidels d'attachement et de respect avec lesquels j'ay 1'honneur d'etre Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Joly de Fleury, avocat general [destinataire : ] Monsieur de Malesherbes, en son hotel MANUSCRITS
TEXTE
*A. B.N., ms. fr., n. a. 3345, f° 220; 1 p. (demi-feuille); orig. autogr. B. B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 363; 2 p.; copie officielle comportant des notes manuscrites autographes (v. Texte ci-apres).
Joly de Fleury a inscrit les indications suivantes en haut du B : "Note que j'ay prie ayc via M. Le Mercier, sindic adj[oint] 6 . Du livre De I'Esprit. L'edition in-8° est de Liege. Jl en est entre a Paris. Bassompiere 7.
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LETTRE
Deux editions in-12° entrees 1'une d'Avignon, 1'autre de Lyon. D'Optimisme ou Candide est entre une edition de Geneve, et un colporteur dans le Palais-Royal. Ecrit en consequence le meme jour a M. de Malesherbes ce qui suit." a Texte du B. Le A : "suivi". REMARQUES
Reponse de Malesherbes a Joly de Fleury, envoyee le 16 : "Je vous suis tres oblige, Monsieur, des avis que vous voules bien me donner tant au sujet de Candide que des nouvelles editions de L'Esprit. II est bien difficile que, quand ces sortes d'ouvrages ont paru une fois, soit dans le royaume, soit meme dans les villes voisines comme Liege et Geneve, on les empesche absolument de se distribuer, mais au moins peut-on empescher le debit public. Celui qui se fait au Palais-Royal ou aux Thuilleries est une suite de Tabus des lieux privilegies7. Cependant il y a encore des moyens de contenir les libraires ou colporteurs qui y sont etablis, et j'ay charge un jnspecteur de veiller particulierement a la conduite du nomme Robin qui, comme vous me le marques, a etc soupconne depuis peu de tenir 1'entrepost de ce commerce illicite. Vous connoisses 1'attachement et le respect avec lequel j'ay 1'honneur d'etre, Monsieur, votre tres humble et tres obeissant serviteur." (B.N., ms. Joly de Fleury 572, f° 362; 1 p.; orig. autogr.) Deux mois auparavant, le 23 Janvier 1759, jour meme du requisitoire prononce par 1'avocat general, 1'inspecteur Joseph d'Hemery avait deja entretenu le lieutenant general de police, Bertin de Belle-Isle, de la circulation d'editions illicites de L'Esprit : "En consequence de vos ordres j'ay demande au Sr Durand, libraire, combien il avoit envoye d'exemplaires du livre De /'Es-
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prit au sieur Delbourse, libraire a Lille8. II m'a assure qu'il n'y avoit eu que trois exemplaires qu'il avoit envoyes au Sr d'Expilly, libraire a Paris 9 , pour remettre audfit] Delbourse, son correspondant, qu'au surplus il n'etoit pas etonnant que ce livre parut en quantite dans la province puisqu'on 1'avoit reimprime dans beaucoup d'endroits." (B.N., ms. fr., n. a. 1213, f° 280 verso-281 recto.) NOTES EXPLICATIVES
1. II s'agit probablement d'une edition in-8° (xx + 481 p.), qui porte sur la page de titre "A Paris, Chez Durand, Libraire, rue du Foin, M.DCC.LIX", mais dont les caracteres et les ornements sont les memes que ceux utilises a Liege par Jean-AndreFrangois Bassompierre. Voir B.N., . Res. R 2463 et Res. R 2464; Smith, Bibliography, p. 317-318; et surtout Ph. Vanden Broeck, Supplement pour le xvin* siecle a la Biblwgraphie Itegeoise de X. de Theux (ouvrage a paraitre). 2. Cette edition est sans doute celle que d'Hemery attribuait a Jean-Marie Bruyset, imprimeur a Lyon, et dont il avait saisi en octobre 1758 quarante-quatre exemplaires in-12° qui en provenaient (v. B.N., ms. fr., n. a. 1214, f° 277, et Smith, Bibliography, p. 316). 3. Edition non encore identifiee. 4. L'edition de Candide visee est celle des freres Cramer de Geneve, a laquelle on a attribue le sigie 299G (v. Best. D. XLVIII, p. 86). 5. Etienne-Vincent Robin, mort en 1784, fils d'un marchand mercier. Ce colporteur, qui vendait surtout des livres interdits, jouissait de la protection du due d'Orleans, qui 1'avait autorise a ouvrir une boutique au Palais-Royal et qui al le
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faire admectre comme libraire en police et de Librairie n'osaient y 1764. sevir, de peur d'encourir la rancune 6. Pierre-Gilles Le Mercier (1698du due d'Orleans. La vente des livres 1773), libraire en 1718, libraireavait lieu dans les salles des Tuileimprimeur ordinaire de la ville de ries, sous la protection de personnes Paris en 1728 et imprimeur ordide la cour. naire du Grand Conseil. 8. Charles-Joseph Delebourse, libraire 7. Le Palais-Royal etait le lieu d'eleca Lille depuis 1751. tion des vendeurs de livres interdits, 9. Jean-Baptiste Despilly, libraire car ni les syndics et adjoints de la depuis 1743. chambre syndicale, ni les officiers de
435. Helvetius a David Hume Monsieur, Lorsque j'ay rendu homage a la superior!te de votre genie et de vos lumieres, j'ay joint ma voix a celle de tous mes concitoiens, et je suis tres flatte que vous ayez bien voulu la distinguer. Votre nom honore mon livre 1 , et je 1'aurois cite plus souvent, si la severite du censeur me 1'eut permis 2 . Depuis dix mois je suis 1'objet de la haine et de la persecution des devots et j'ay malheureuzement appris a mes depends combien ces menins*3 de la cour etheree sont implacables dans leur vengeance. Mais, quelque mal qu'ils m'ayent fait, j'en suis bien dedomage si vous accordez quelque estime a 1'ouvrage et quelque amitie a 1'auteur. Lorsque la guerre s'est declaree entre les deux nations, j'avois deissein d'aller en Angleterre pour y passer quelques mois avec des Anglois de mes amis. Maintenant que vous voulez bien m'honorer de votre amitie, vous ne doutez pas que le desir d'y voir un homme que j'admire ne m'y conduise des que la paix me le permettra. L'objection que vous me faites dans votre lettre 4 me paroit tres bonne, et s'il est permis de jurer in verba magistri c'est/ surement d'apres vous; aussy suis-je pret a convenir de mon erreur. J'imagine cependant que 1'estime publique concue pour un talent ou une science doit etre 1'effet combine et de 1'utilite dont ce talent est au public et de la difficulte d'y exceller, difficulte que nous ne pouvons mezurer en quelque genre que ce soit que par le grand nombre des entreprizes compare au petit nombre des succez. En effet, s'il n'est point d'idees innees, qui nous auroit fait naitre 1'idee de 1'estime pour un tel talent, si ce n'est {'interest, (expression que je prends dans le sens le plus etendu, puisque j'entends par ce mot depuis le plus imperceptible jusqu'au plus fort degre de plaisir et de douleur)? Si toutes les nations ont pour Monsieur Hume la plus haute estime, c'est que ses ouvrages sont un bienfait pour 1'humanite et que chaque nation a interest
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d'estimer celui qui 1'eclaire. Le plaisir et la douleur, et par consequent 1'interest, doivent done etre les inventeurs de toutes nos idees et tout s'y doit generalement rapporter, puisque 1'ennuy meme et la curiosite se trouvent alors compris sous ces noms de plaisir et de douleur. En partant de la, voiez et jugez si j'ay tort ou raison; je m'en rapporte entierement a vous. A 1'egard de 1'amitie, il me paroit que la cause pour laquelle nous aimons notre amy peut etre plusf ou moins claire a notre esprit, selon que nous avons plus ou moins contracte 1'habitude de nous etudier nous-memes, mais que cette cauze existe toujours, et je luy donne le nom d'interest que peutestre on n'a pas toujours pris dans toute 1'etendue du sens que je luy donne. Je me suis acquitte des commissions dont vous m'avez charge. J'ay vu Mr 1'abbe Prevost; il a traduit votre ouvrage et malheureuzement les deux premiers volumes sont deja imprimes 5 . Nous sommes cependant convenus que dans un appendix il renvoiroit a la fin de sa traduction les changements que vous aviez fait dans votre nouvelle edition . Ce meme abbe m'a paru tres dispose a traduire YHistoire d'Ecosse ^que vient de faire^M r Robertson7 et j'ay pris des mezures pour luy faire parvenir tous ces livres. Souffrez que je vous remercie icy du present inestimable de vos osuvres8. Quelques etudes que j'avois etc oblige de faire m'avoient distrait de 1'etude de la langue angloise; je m'y remets pour vous lire et m'eclairer. ^Puisque je vous suis deja si redevable, je veux vous 1'etre encor davantage. Voicy ce dont il s'agit. Je desirerois fort d'etre agrege a la Societe roiale de Londres. Vous sentez qu'en butte comme je le suis a la haine des bigots il me seroit fort agreable, surtout dans ce moment-cy, d'etre admis dans un corps aussy respectable. Cependant ne tentes rien que vous ne soiez sur du succez : une tentative vaine donneroit a mes ennemis trop d'avantages sur moy9. Monsieur de Stanley10 est mon amy; je suis sur que s'il peut me servir dans cette occassion, il s'y emploira de tout son coeur. Si vous le connoissez, voiez avec luy ce qu'il y a a faire/ Vous scavez que Mr Stuard11 est party pour Madrid. II m'a promis a son retour de passer par ma terre. Plut a dieu que nous fussions alors en paix et que je pusse partir avec luy et sous sa protection pour vous aller rendre mes devoirs a Londres. Si vous decouvrez le nom de celuy qui veut bien traduire mon ouvrage, mandez-le-moy pour que je'luy envoie mon livre'12. Acceptez-en, je vous prie, un exemplaire que mon libraire adressera pour vous a Mr de Hondt13 en Hollande. Compare au present que vous me faittes, c'est la drachme de la veuve que je vous prie de recevoir avec bonte. Je suis, avec tout le respect du aux grands hommes, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius 248
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Du l r avril 1759 e
Comme je vais souvent a la campagne, je vous prie, si vous m'honorez d'une reponse, de 1'adresser toujours a Durand, mon libraire a Paris, et sous envellope double/ MANUSCRIT
*A. Royal Society of Edinburgh, fonds Hume, vol. v, piece 50; 6 p. (deux feuilles); orig. autogr.
5.
IMPRIMES
I. (Euvres, 1781, v, p. 261-264. ii. (Euvres, 1795, xiv, p. 33-38. HI. (Euvres, 1818, m, p. 250-252. IV. Letters of Eminent Persons Addressed to David Hume, ed. Burton, Edimbourg & Londres, 1849, p. 6-9. TEXTE
Nous nous sommes dispenses, ci-apres, d'indiquer les nombreuses modifications d'orthographe et de ponctuation que contiennent les imprimes. a Les I, II et ill : "Messieurs". b Le iv : "s'est". ' Le iv : "peu". ^ Les I, net m : "de"/Omis dans les I, n et m. -^Les I, II et ill : "le lui envoie".
6.
NOTES EXPLICATIVES
1. Voir lettre 431, note 2. 2. Le deuxieme censeur n'a supprime nulle part le nom de Hume (v. Smith, Publication, p. 337340). 3. Mot derive de 1'espagnol "menino", et designant, en France, des gentilshommes attaches a la personne du Dauphin. 4. Lettre non parvenue jusqu'a nous. Cette objection, dont la substance peut etre inferee de la presente lettre, avait deja etc formulee dans un compte rendu de L'Esprit paru dans la Critical Review de decembre 1758, et dont 1'auteur n'etait autre que Hume, selon D. Raynor (v. "Hume's Critique of Helve-
7.
8.
9.
tius' De I'Esprit", Studies, vol. ccxv [1982], p. 223-229). Voir lettre 431, note 5. La censure avait attendu pres de deux ans pour accorder officieusement 1'autorisation de faire imprimer la traduction des Stuart, que Prevost avait terminee en 1757. Voir "David Hume and the Official Censorship of the Ancien Regime', de L. L. Bongie (French Studies, xii [1958], p. 239-240). La seconde edition de 1'ouvrage de Hume, qui comprenait des corrections, avait paru en deux volumes en 1759. Le troisieme et dernier volume de la traduction, intitulee Histoire de la maison de Stuart sur le trone d'Angleterre (Londres [ = Paris], 1760), se termine en effet par un long "Appendix pour les regnes de Charles II et de Jacques n" (p. 475-524), dans lequel Prevost avait fait un rapport sur les corrections de Hume. Voir lettre 431, note 1. Cet ouvrage n'a pas etc traduit par 1'abbe Prevost, mais par Besset de La Chapelle. (v. Corr. litt., v, p. 473). Reference probable aux Essays and Treatises on Several Subjects (Edimbourg, 1750-1753), qui avaient deja etc reedites plusieurs fois. Helvetius n'a jamais ete admis a la Societe royale de Londres. Son pere, avec qui il est souvent confondu au titre de ladite admission, y avait ete recu comme membre etranger en 1755 (v. Gumming, p. 103, note 1).
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AvriI1759
LETTRE 435 10. Voir lettre 367, note 3. 11. John Stewart, fils du lord provost d'Edimbourg. Ses activites de negociant en vins 1'amenaient souvent a voyager en Espagne et en France, et Montesquieu signale sa presence a Bordeaux pendant 1'ete de 1749 (Nagel, lettres 480, 486 et 506; The Letters of David Hume, ed. Greig, Oxford, 1932, I, pp. 133, note 2, et 138, note 2). C'est peut-etre depuis cette epoque qu'il connaissait Helvetius qu'il decrit, dans une lettre a Hume du l er mars 1759 (v. lettre 431, Remarques), comme etant leur "vieil ami". Le 16 mai 1759, Trudaine de Montigny entretient Hume de Stewart qu'il avait vu chez Helvetius : "Nous avons etc bien fache de ne pouvoir pas retenir ici Mr Stewart plus longtems. Si ses affaires ne 1'avoient pas appelle en Espagne, je me serois flatte de jouir souvent de 1'amitie qu'il a bien voulu m'accorder. J'espere qu'il voudra bien vous rendre compte du plaisir que nous avions souvent a nous entretenir de vous et de vos ouvrages. Mais je compte reparer a son retour la brievete du terns qu'il a pu nous accorder. Je ne puis vous dire combien nous avons ete fache de le perdre et combien nous avions de plaisir a jouir de la douceur et de 1'amitie de son caractere. [...] M. Helvetius est a la campagne. J'ai fait mettre a son adresse le pacquet que vous lui aviez destine." (Royal Society of Edinburgh, fonds Hume, vol. VI, piece
250
49; voir aussi une lettre de Mme Dupre de Saint-Maur du 16 mai 1759, ibid., iv, 86.) Toujours en Espagne en octobre 1759 (Ibid., vi, 51), Stewart repassera en 1760 par Paris qu'il quittera vers le 17 mars (Ibid., VI, 52). 12. Voir lettre 431, note 6. 13. Pierre de Hondt (1696-1764), libraire a La Haye, possedait une des plus grandes maisons d'edition des Pays-Bas. REMARQUES
Le 12 avril 1759, Hume se fera 1'echo de la presente lettre aupres d'Adam Smith : "La peste soit des interruptions! J'avais ordonne qu'on me laisse en paix, et a nouveau, quelqu'un vient de me deranger. C'est un homme de lettres, et nous nous sommes longuement entretenus de iitterature. Vous m'avez dit que vous etiez curieux d'apprendre des anecdotes litteraires, et je vous en rapporterai done quelques-unes dont j'ai eu connaissance. Je crois vous avoir deja parle du livre d'Helvetius intitule De I'Esprit. Get ouvrage merite d'etre lu, non pour sa philosophic, que je ne tiens pas en haute estime, mais parce qu'il est agreablement compose. J'ai re". m Est-ce. * Le I : "peut". ° Le I : "L'Amigny". p Omis dans le I. NOTES EXPLICATIVES
1. Voir lettre 350, note 4. 2. Helvetius avait prie Hume de s'informer au sujet de ses chances d'etre admis a la Societe royale de Londres (v. lettre 435, note 9). 3. Cette lettre de Hume, qui n'est pas parvenue jusqu'a nous, concernait sans doute la traduction de YHistoire de la maison de Stuart, de Hume (v. lettre 431, note 5), et de I'Histoire d'Ecosse, de Robertson (v. lettre 435, note 7). 4. Reference aux productions de Hume qui ne figurent pas dans ses (Euvres philosophiques (Amsterdam, 17581760, 5 vol.).
260
5. Henry Saint-John, vicomte Bolingbroke (1678-1751), homme d'Etat et ecrivain anglais. Refugie en France en 17 15 a la mort de la reine Anne, il avait epouse en secondes noces la marquise de Villette. Ses (Euvres avaient paru en 1754. 6. II s'agit de la section v de 1'ouvrage intitule An Enquiry concerning the Principles of Morals, dans laquelle Hume ecrit : "We frequently bestow praise on virtuous actions, performed in very distant ages and remote countries, where the utmost subtility of imagination would not discover any appearance of self-interest. [Nous decernons souvent des eloges a des actions vertueuses, qui ont ete accomplies en des temps et en des pays fort lointains, et dans lesquelles 1'imagination la plus subtile ne saurait discerner la moindre apparence qu'un interet personnel les ait motivees.]" 7. Au sujet de Robertson, voir lettre 431, note 1. Le celebre peintre Allan Ramsay (1713-1784), fils du poete du meme nom, etait 1'auteur d'un dialogue sur le gout intitule Investigator(H-55). 8. William Pulteney, comte de Bath (1684-1764), riche savant et homme d'Etat. Membre du parti whig, mais ennemi personnel de Walpole, il participera peu aux affaires politiques apres 1'avenement de Georges in (1760). II faisait partie de la coterie d'Elisabeth Montagu.
LETTRE
442
Juillet 1759
442. Helvetius a Louis-Jean Berthier de Sauvigny1 Monsieur, J'ay recours a votre protection pour faire mettre sur 1'etat des chemins celuy que j'ay fait faire a mes depends pour communiquer de Lumigny a Rosoy. Voicy les raisons sur lesquelles je fonde ma demande. Ce chemin est une continuation de celuy que le Roy a fait construire de Rosoy a La Fortelle2. Avant qu'il fut fait, les habitants de ma paroisse et de celle des environs ne pouvoient porter a Rosoy ni leur bled ni les menues marchandises de bois qui ne sont pas propres a la consomation de Paris ni leur autres denrees. Us ne pouvoient non plus aller a Tournant sans beaucoup de peines3. D'ailleurs les marchands de charbon du canton abregent par la baucoup de chemin qu'ils avoient a faire pour voiturer le charbon a Paris/ Je suis, avec respect, Monsieur, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius A Vore, ce 29 juillet 1759* MANUSCRITS
*A. Galeriefranfaise, 1823, in, p. 196; 1 p.'; facsimile de 1'orig. autogr. B. Archives departementales de Seineet-Marne, Melun, Mdz 37; 1 p.; copied IMPRIME
I. Keim, p. 207, note 3 (extrait). TEXTE
" II se peut que le texte reproduit dans le A soit incomplet. b Le B : "1753". ' L'original comportait peut-etre plus d'une page. Le B est sans doute une copie du A, et non de 1'original. NOTES EXPLICATIVES
1. Helvetius etait en rapport depuis longtemps, pour les affaires concernant ses domaines, avec Berthier de Sauvigny, intendant de la generalite
de Paris, dont faisait partie 1'election de Rozay (v. lettre 263, note 6), et il est probable que cette lettre lui etait adressee. II est cependant possible que le destinataire en ait etc son subdelegue (v. lettre 263, note 7). 2. Le village de Lumigny se trouve a six kilometres au nord de Rozay-enBrie, et le chateau de La Fortelle est situe a mi-chemin entre ces deux localites. 3. Tournan-en-Brie est situe sur la grande route de Paris, a 16 kilometres de Rozay. Les paysans de Lumigny pouvaient s'y rendre par une route plus directe, mais aussi plus difficile que celle de Rozay, en passant par Marles-en-Brie.
261
LETTRE 443
Aout 1759
443 • Chretien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes a Madame Helvetius [Vers le 20 aout 1759]1 J'ay recu, Madame, la lettre2 que vous m'aves fait 1'honneur de m'ecrire a Orleans ou je suis depuis quelques jours. Je n'ay point sous les yeux la feuille du Journal chretien dont vous vous plaignes, ainsi je ne peux vous faire aucune reponse positive. Des que je seray a Paris je 1'examineray, et si le journaliste a este au dela de la critique du livre, s'il a attaque personnellement 1'auteur, je feray au censeur la reprimande severe qu'il merite. Vous me rendes justice, Madame, en croyant que je m'interesse sincerement a M. Helvetius. Je suis son ami depuis bien des annees; je connois les qualites de son coeur. J'aurois bien voulu prevenir tous les malheurs que la publication de son livre a entraines et le seul moyen de les prevenir auroit este que le livre ne parut pas. Mais vous estes trop juste, Madame, pour ne pas convenir que mes sentimens personnels ne doivent point influer sur mon administration, et que je ne peux pas fermer la bouche a des auteurs qui croyent avoir la religion et les mceurs a vanger. D'ailleurs je crois pouvoir vous assurer qu'apres les eclats qui ont este faits, ce ne seront plus les cris de 1'auteur du Journal chretien ny ceux d'Abraham Chaumeix3 qui augmenteront I'opinion avantageuse ou desavantageuse qu'on aura du livre De I'Esprit4. Pour ce qui est de M. 1'abbe Trublet*, il ne m'a jamais paru ny capable de noirceurs ny* zele jusqu'au fanatisme. Au reste je ne connois point le fond de son ame et je ne peux pas juger des' raisons de plainte que vous aves de luy, mais je ne vois pas quelle partie il peut avoir a la critique du Journal chretien. L'auteur de ce journal est 1'abbe Joannet 5 , et le censeur est 1'abbe Salmon, docteur de Sorbonne. II me semble qu'il n'y a que sur eux que vos reproches puissent tomber. J'ay 1'honneur d'estre avec respect, Madame MANUSCRIT
NOTES EXPLICATIVES
*A. B.N., ms. fr. 22191, f° 68-69; 3 p.; En 1758 et 1759, \ejournalchretien avait brouillon autographe conserve comme public a trois reprises des critiques de copie officielle. L'Esprit : 1° - En novembre 1758, 1'abbe Trublet lui avait consacre une
TEXTE
aLe A : Trublet . Le A : ny . Le A : des " Au-dessus des mots "suis pas" Helvetius a ecrit, puis barre "pretends pas", et ensuite "demande". d "a ". "egard ". q "a ". r "et ". J "votre) ". ' "On ". " "imprime ". NOTES EXPLICATIVES
1. Mme Helvetius repond ici a la lettre 443, que Malesherbes avait expediee d'Orleans vers le 20 aout. 2. L'abbe Joseph-Adrien Lelarge de Lignac (1710-1762), ami et collaborateur de Reaumur, avait ecrit un Examen serieux et comique des discours sur "L'Esprit", par 1'auteur des "Lettres americaines" (Amsterdam, 1759, 2 vol.). 3. Au moins sept editions de L'Esprit ont paru en 1758, et six autres en 1759. 4. Les personnages connus pour avoir deja ecrit a Helvetius au sujet de
267
LETTRE 446
Septembre 1759
L'Esprit, a la date de la presente lettre, etaient Berny d'Ouville, Fordel, Frederic II, 1'abbe Guasco, David Hume, Levesque de Burigny, Mirabeau pere et le cardinal
Passionei. Leurs lettres n'avaient pas toutes etc elogieuses. 5. Cette lettre, qui ne figure pas dans le dossier de Malesherbes, n'a peutetre pas etc envoyee.
446. Helvetius a Madame Helvetius [ISseptembre 1759]1 Ma chere amie, je m'ennuie a Paris comme un mort. Je regrette mes champs; ce sont les champs qu'habite celle que j'aime. C'est pres d'elle qu'est mon bonheur; elle ne perdra jamais son serviteur. J'ay vu la ditte dame2. C'est demain que je verray chez elle la personne que tu scais3, mais cela ne me retarderas pas. Suppoze qu'il y eut quelque chose a cet egard, ce ne seroit que dans un terns eloigne. II leur a fallu, disent-ils, beaucoup de terns pour me nuire; il ne leur en faut pas moins pour me rendre service. II feront au surplus ce qu'ils voudront; cela ira comme cela pourra. Tu m'aime, tu me reste, c'est assez. A propos je te diray que Miledy Harvey4 a demande mon portrait a Mde Geoffrin, apres luy avoir dit tout ce qu'on pensoit de moy de flatteur en Angletterre. J'ay donne ordre a mon portier de laisser prendre copie de mon portrait 5 . Adieu, ma chere amie, a jeudy, mais jeudy est loin. Tu m'attendras a diner. Mr Collet entre chez moy; nous parlons de toy : il t'aime et t'estime autant que moy. "Cette femme-la, dit-il, a un caractere fort et plein de sentiment." {adresse : ] Par Rosoy-en-Brie / A Madame / Madame Helvetius, en son chateau / de Lumigny / Par Rosoy, a Lumigny MANUSCRIT
*A. Vore; 3 p. (demi-feuille pliee); orig. autogr.; traces de colle rouge. NOTES EXPLICATIVES
1. Dans la lettre 450, qu'il adresse a Collin le 15 decembre 1759, Helvetius rapporte qu'ayant passe quatre ou cinq jours a Paris au mois de septembre precedent, il avait alors rendu visite a Mme de Scieux, et rencontre le pere Plesse chez elle le
268
jour suivant. Comme Helvetius annonce dans la presente lettre pour le lendemain cette rencontre avec le religieux, precise que cela ne le retardera pas, ce qui est une allusion a son prochain depart pour Lumigny, et ajoute qu'il entend rejoindre sa femme un jeudi, la presente lettre date probablement d'un mardi. Par ailleurs, la seule mention d'un passage d'Helvetius a Paris en septembre 1759 est un acte passe devant
LETTRE 447
2. 3. 4. 5.
Septembrel759
son notaire le lundi 17 de ce mois (v. M.C., LVI, Rep. 10). Cette lettre a done vraisemblablement ete ecrite lelendemain. Mme de Scieux (voir lettre 448, note 1). Le pere Plesse. Voir lettre 367, note 1. Cette copie a du etre celle du por-
trait d'Helvetius par Van Loo (v. lettre 242, Remarques, et le frontispice du present volume), 6. Charles Colle (1709-1783), chansonnier, auteur dramatique et memorialiste. Comme Helvetius, il etait membre de la societe du Caveau.
447. Helvetius a Charles-Jacques Collin [Vers le 29 septembre 1759]1 Monsieur et cher amy, Puisque Madame de Pompadour me protege, je crois devoir justifier sa protection. Je vous envoie done la traduction d'un journal italien qui se debite dans le pais2. Vous y verrez que Ton n'y croit pas mon livre aussy dangereux qu'on 1'a voulu persuader icy. Ce n'est pas les eloges que ce journal me donne qui m'engage a vous 1'envoier, mais le desir de vous faire voir que, dans un pai's aussy superstitieux que 1'Italie, et ou les pretres sont armes du flambeau de 1'Inquisition, j'aurais vraisemblablement ete moins maltraitte qu'icy. Ou en etois-je, si Madame de Pompadour ne m'eut pas protege, si le Roy cut ete moins juste et moins bon, s'il cut d'abord prete 1'oreille au cry de mes ennemis, et si la suspension d'esprit, qualite si rare dans les hommes, si necessaire dans un souverain, et qui forme en partie le caractere du notre, n'eut pas laisse a la verite le terns de parvenir jusqu'a luy? Adieu, mon amy, je pars pour Vore. Je suis tres fache que le respect que j'ay pour Madame la marquize m'empeche d'exprimer aussy vivement que je le sens tous les sentiments qu'elle m'a inspire. Faites mille compliments, je vous prie, a notre amy Ojuesnay] a qui j'ay aussy tant d'obligation. Je crois qu'il seroit bon que le Roy lut ce morceau du journal italien. Aimez-moy toujours, et soiez bien persuade de la reconnoissance de 1'estime, de 1'amitie et de 1'attachement avec lequel j'ay 1'honneur d'etre, Monsieur et cher amy, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius
269
LETTRE 448
Octobre 1159
MANUSCRIT
*A. Bibl. mun. de Chartres; orig. autogr., qui a etc detruit. La planche v du I est un fac-simile de la derniere page du manuscrit, laquelle commengait aux mots "pas laisse a la verite" (milieu du second paragraphe). Ce texte partiel a ete suivi ci-dessus. IMPRIME
*i. Jusselin, p. 40-41. TEXTE
Lettre sans adresse, Le Roy 1'ayant livree personnellement a Collin (v. lettre 449, premiere ligne). NOTES EXPLICATIVES
1. Selon Jusselin, qui s'appuie sans doute sur une indication du manuscrit, Collin a recu cette lettre le 29 septembre (p. 40). Comme Helvetius 1'a expediee de Paris — ce n'est pas de Lumigny qu'il aurait ecrit "Je pars pour Vore" — il 1'a probablement ecrite le jour meme ou Collin 1'a recue. 2. Cette traduction, qui a ete detruite avec le reste du recueil de Collin, est reproduite par Jusselin, en regard du texte en italien (p. 40, note 3) : "Jugement que le journal italien intitule Estrutto della litteratura europea per I'anno 1759, tomo /, gennajo, febrajo, marzo : C'est-a-dire, Precis
448.
des ouvrages de litterature de 1'Europe pour 1'annee 1759. Tom. I. Janvier, fevrier, mars; a porte du livre De I'Esprit apres avoir donne 1'extrait de cet ouvrage, page 36. C'est un ouvrage qui, infailliblement, apportera un grand avantage a 1'humanite, qui lui fournira des lumieres telles que, si on en veut faire usage, non seulement on se connaitra mieux, mais on apprendra a diriger, selon la morale, toutes ses actions. L'auteur neanmoins (disons meme le grand auteur) ne sera peutetre pas satisfait d'avoir public cet admirable production, parce qu'elle est du genre de ces ouvrages qui, en illuminant le genre humain, sont la cause de la ruine de leurs auteurs. M. Helvetius cependant doit se rejouir, etant tres assure de la reconnaissance et de la grande estime qu'auront pour lui les vrais seavan ts, c'est-a-dire ceux qui, concevant bien ses grandes idees, cette brillante lumiere qu'il a repandue sur cette variete de sujets interessants qui constituent son ouvrage, sauront excuser ses legeres negligences qui se peuvent trouver dans un ouvrage d'un si grand merite, et qui ne sont autre chose que des suites necessaires de 1'humanite."
Le pere Pierre-Joseph Plesse a Madame de Scieux1
Madame, P. X. 2
La personne dont vous me parlez3 m'a dit qu'elle alloit passer 1'hyver a sa campagne. J'ai tache de Ten detourner et de I'engager a revenir a Paris 270
Novembre 1759
LETTRE 449
au terns ordinaire 4 . Je ne sais ou il prend ses conseils; la source n'en est pas trop bonne. II faut prier Dieu d'avoir pitie de cette ame egaree. [...] Je suis avec respect, Madame, Votre tres humble et tres obeissant s r , R. P. Plesse Ce 10 8bre 1759
[adresse : ] A Madame / Madame de Scieux*, rue de La / Harpe^ / A Paris MANUSCRIT *A. Bibl. mun. de Chartres; 1 p.; orig. autogr. qui a ete detruit. La planche VI du I est un fac-simile de la lettre. IMPRIME
I. Jusselin, p. 46. TEXTE
Mentions ajoutees par Collin en interligne : a maquerelle de son metier. b visa-vis les Jacobins 5 . NOTES EXPLICATIVES
On ne sait pas comment la presente lettre est arrivee entre les mains de Collin. II 1'a fait parvenir a Helvetius qui expliquera dans la lettre 450 de quoi il s'agit ici.
1. Une Marguerite Menan, veuve de Louis Sieux, morte en 1784, est mentionnee dans les registres des Archives departementales de la Seine (DC 31, f° 183 recto), mais c'etait peut-etre une toute autre personne que la correspondante du pere Plesse. 2. Pax Christi. 3. Helvetius. 4. Debut decembre. 5. Le vaste couvent des Jacobins, fonde au Xlll e siecle, etait situe entre la rue Saint-Jacques et la rue de La Harpe (actuel boulevard Saint-Michel). II sera secularise en 1790, et demoli au xix e siecle.
449. Helvetius a Charles-Jacques Collin [Peu apres le 3 novembre 1759]1 Monsieur et cher amy, Monsieur Le Roy vous a remis une lettre de ma part 2 avec 1'extrait d'un journal italien. Ozerois-je vous demander si vous en avez fait uzage, et si les deux personnes considerables3 que je desirois qui le lussent, ont jette les yeux sur cet extrait et si cela a fait quelque impression? J'en recois tres souvent de pareil des autres pais, mais je ne vous les enverroy pas, a moins que vous ne crussiez necessaire. Je scais qu'on a la-bas bien d'autre chose a
271
LETTRE 449
Novembre 1759
penser qu'a de pareilles mizeres, mais aussy comme cela ne leur coute qu'une minute d'attention, je* souhaite que cette minute me soit favorable et detruise toutes les impressions defavorables qu'on leur avoit donne de moy. Je connois votre coeur, je scais que vous vous faites une affaire d'obliger votre amy, et je m'en repose entierement sur vous. A propos d'affaires, on arrete le paiement des billets des fermes et des rescriptions , et j'ay une partie de ma fortune sur ces effets, ma mere ayant tous ses biens sur mes terres. Je vous avoue, mon amy, qu'il serait triste pour moy d'avoir ete persecute 1'annee passee et d'etre ruinee celle-cy. Vous etes plus a portee que qui que ce soit, par vos lumieres et votre place, de scavoir a quoy on en veut venir. Peut-on esperer que ces effets reprendront leur cours ou faut-il s'attendre a etre mine? Je ne scais pas comment des devots peuvent si ouvertement violer la loy naturelle. Je vous avoue que je suis tres inquiet non pas tant pour moy que pour ma femme. Adieu, mon amy, aimez-moy. Portez-vous bien et permettez-moi de vous assurer de la vive reconnoissance et de I'attachement lable avec lequel j'ay 1'honneur d'etre, Monsieur et cher amy, Votre tres humble et tres obeissant serviteur, Helvetius Pourroi-je vous prier de me mettre aux pieds d'une certaine dame 5 ? [adresse : ] A Monsieur / Monsieur Collin, a 1'hotel de / Pompadour / A Versailles MANUSCRIT
2. Lettre447.
A. Bibl. mun. de Chartres; original autographe, qui a ete detruit; ffagments de cire rouge; timbre de la poste : REMALARD.
3. Mme de Pompadour et le roi. 4. Sommes tirees par les receveurs generaux sur les commis a la recette des tallies, a six ou huit rnois d'echeance, et remises par eux au
IMPRIME
*i. Jussehn, p. 44-45. TEXTE Le texte etabli par Jusselin comporte des variations orthographiques qui ne figuraient peut-etre pas dans 1'original, en particulier en ce qui concerne les terminaisons verbales (enverroy, pourroi). " Le mot "et", ecrit par inadvertance, precede "je" dans le A. NOTES EXPLICATIVES
1. Voir note 4 ci-apres.
272
Tresor royal qui les negociait en attendant de pouvoir les rembour ser. Le 3 novembre 1759, en vue de pallier la crise que traversaient alors les finances royales, le controleur general Silhouette arrete le paiement des rescriptions ainsi que des billets des fermiers generaux, mesures qui provoquent une emotion intense et amenent, le 21 du meme mois, la chute de ce ministre. 5. Mme de Pompadour.
LETTRE 450
Decembrel759
450. Helvetius a Charles-Jacques Collin A Vore, ce 15 decembre 1759 Je ne puis vous exprimer, mon cher amy, combien je suis sensible aux marques d'amitie que vous ne cessez de me donner. J'avois a coeur, je vous 1'avoue, de prouver a Madame de P.* que je n'etois pas tout a fait indigne des bontes qu'elle m'avoit accorde. Je crois qu'en pareil cas il est du devoir d'un honete homme de justifier sa protectrice; c'est presque la seule maniere dont je puisse luy marquer ma reconnoissance. Mettez-moy done a ses pieds que je baise du meilleur coeur du monde. Je n'imagine pas, mon amy, que ce soit icy2 qu'on m'accuze d'avoir tenu des colloques ou des assemblies. Nous y sommes seuls ma femme et moy, et n'y avons vu que Du Tartre3 et* un avocat des amis de ma femme et des miens4, qui ont passe quelques jours avec nous. Je vous diray done que la lettre que vous m'envoiez et dont la l re partie seule me regarde est du pere Plesse5. Voicy 1'histoire. Une femme jadis maquerelle et pour qui j'avois par consequent une certaine veneration, me pria de passer chez elle lorsque la Reine me fit defaire de ma charge. Je me rendis chez elle a sa premiere ou 2de sommation. "Pourquoy vendre votre charge?" me dit-elle, en entrant. "Parce qu'on ne veut pas de moy", repondis-je. "Je puis tout a la cour, reprit-elle, et je veux vous y remettre en grace." "Qui se douteroit, dis-je, en regardant les meubles de son quatrieme, que vous y fussiez si puissante?" "Je puis tout sur Madame la duchesse de Villars7, par consequent sur 1'abbe de St-Cir8, M. le due de Lavauguion9, M. le D. et la R 10 ." Le debut piqua ma curiosite et il me parut drole qu'une maquerelle se vanta de son credit sur les saints. Quoique je ne cru pas d'abord un mot de tout ce qu'elle me contoit, elle me dit cependant des choses si singulieres, elle etoit si bien informe de mon affaire, dont elle avoit, disoit-elle, etc instruite par les gros bonnets des jesuittes, entre lesquels elle nomma le pere Plesse, qu'il me prit envie de m'assurer du fait. Je la defie de faire venir chez elle le pere Plesse, qui, a mon grand etonnement, s'y rendit deux jours apres et qui m'assura qu'il ne tiendroit qu'a moy de me raccomoder avec la Reine. Comme j'etois alors a ma terre de Brie et que je ne faisois qu'un voyage tous les deux mois de quatre ou cinq jours a Paris, vous jugez bien ^que je ne 1'ay pas vu souvent, mais a mon dernier voiage du mois de septembre a Paris je 1'allay voir a mon ordinaire parce qu'elle me divertit reellement; alors elle m'assura que, si je voulois me livrer aux jesuittes, ils me feroient avoir quelle place je voudrois. Que je ne devois pas m'etonner du bruit qu'avoit fait la cour devote, que ce n'etoit entre les mains des jesuittes que des marionnettes dont ils tenoient les fils, et qu'ils faisoient agir et penser a leur grez, mais que sans eux je ne devois rien esperer, que Mr de Choiseuil, Mr le prince de Beau273
LETTRE
450
Decembre 1759
veau, Mr le due d'Ayen 11 , le Roy lui-meme ne pourroit rien pour moy, qu'ils gouvernoient la France, comme 1'ame le corps, sans que les membres qu'ils gouvernent s'en apercussent, qu'il n'y avoit point de tetes^1 a Versailles ni de ministres en etat de leur resister. Voila a peu pres 1'extrait de son long discours. Je vis encor le lendemain chez elle le pere Plesse, parce qu'il me paroissoit toujours plaisant de faire venir un jesuitte chez une maquerelle. Ce pere me dit que si je revenois a Paris a la Saint-Martin 12 , on adouciroit tout la-bas. Majs comme je ne me fie point aux jesuittes, et que d'ailleurs je ne veux ni faire de bassese ni jouer 1'hipocrite comme ils voudroient que je le fis, je ne me suis point rendu a ses conseils. Vous sentez bien que je ne vous donne icy que 1'abrege d'une tres plaisante histoire dont je ne vous cacheray rien et dont les details vous feront rire. J'iray a Paris le 15 de Janvier; je compte vous y voir ainsy qu'a Versailles ou je me flatte de pouvoir faire ma cour a madame la marquize. Voila le premier de mes desirs; je ne me soucie gueres du reste. Au reste je vous prie que tout cecy ne vous passe point. Les jesuittes s'en vengeroient sur cette pauvre maquerelle, et je serois en verite au desespoir de faire tort a aucune personne de son etat et surtout a elle. Si vous croiez devoir en parler a Madame de ', demandez-luy le plus grand secret. Adieu, mon amy. J'ai bien peur que mon bavardage ne vous ait ennuie; je me hate de finir. Vale et me semper ama^. Ma femme vous fait mille compliments. MANUSCRIT
*A. Bibl. mun. de Chartres; orig. autogr., qui a etc detruit. La planche VII du I est un fac-simile d'une partie du manuscrit. IMPRIME
*i. Jusselin, p. 47-49. TEXTE
Les textes que nous avons suivis sont celui du fac-simile, et pour les parties de la lettre qui n'y figurent pas, celui etabli par Jusselin. " Le A : , mot qu'Helvetius a barre par erreur (v. note 3 ci-dessous). b Texte du fac-simile. ' Espace laisse en blanc dans le A. NOTES EXPLICATIVES
1. Pompadour. 2. AVore. 3. Ni 1'un ni 1'autre des freres Dutartre (v. lettre 158, note 4, et lettre 171,
274
note 4) n'etaient avocats. 4. Probablement Vallere (v. lettre 128, note 3). 5. Lettre 448. 6. Mme de Scieux (v. lettre 448). 7. Dame d'honneur de la Dauphine (v. lettre 177, note 1). 8. L'abbe de Saint-Cyr (1694-1761), conseiller d'Etat, superieur de 1'abbaye royale de Troarn (Bayeux), et membre de 1'Academie francaise. Saint-Cyr etait egalement sous-precepteur du Dauphin, aumonier ordinaire de la Dauphine et auteur d'une satire contre les philosophes (v. lettre 364, note 5). 9- Antoine-Paul-Jacques de Quelen de Stuer de Caussade, due de La Vauguyon (1706-1772), intendant general des armees du roi et chevalier des ordres du roi. La Vau-
Janvier 1760
LETTRE 451
guyon assumait alors les fonctions de gouverneur du due de Bourgogne et de ses trois freres, les futurs Louis xvi, Louis xvm et Charles x. 10. Le Dauphin et la reine. 11. Louis de Noailles, due d'Ayen
(1713-1793), qui etait aupres de Louis XV lors de 1'attentat de Damiens, et sera promu marechal de France en 1775. 12. Le 11 novembre. 13. Adieu, et aimez-moi toujours.
451, Helvetius a Madame Helvetius [Versle23 Janvier 1760]1 Ma chere femme, je n'ay que le terns de t'ecrire un mot. Je me suis leve a 4 heures du matin pour arriver a Paris fort fatigue. Je me porte bien. J'ay deja vu Pelletier 2 . Je tache de retirer mon argent; il m'a deja assure que, quand meme je devrois perdre quinze ou vingt pour cent, il faudroit s'y resoudre pour ne pas perdre le tout 3 . Cela m'a un peu donne la venette; je vais voir ce matin s'il n'y auroit pas des moiens de se retourner. Je ne te mande rien ni a Madame de Vasse parceque je ne scais encor rien. Tu peux etre sur que je ne prendray pas de terns pour finir mes affaires et te rejoindre*. Adieu; la poste part et je n'ay que le terns de t'embrasser, de te jurer combien je t'aime et d'assurer madame la comtesse de mes respects et de la plus vive amitie. [adresse : ] A Madame / Madame Helvetius, en son / chateau de Vore, pres Regmallard / A Vore D'autre part, c'est a la comtesse de Vasse qu'il adresse ici ses respects. La presence de celle-ci a Vore le 23 Janvier est attestee par le registrejournal de Vore, et autant que nous sachions, ce n'est qu'au cours de ce TEXTE meme mois qu'elle s'y est trouvee * Le A : "rejoindre.
Rz 2529 et R 2852), a 1'Arsenal (4° Sc A 299 [6] et 4° Sc A 302) et a la bibliotMque Sainte-Genevieve. D'autres institutions possedent des exemplaires de
1>un ou de 1>autre des imprimes . bibl
mun. de Dijon, University College (Londres), universite de Glasgow, bibl. TEXTE Saltykov-Chtchedrine (Leningrad), A Pans, des exemplaires du I se trouBowdoin College (Maine, E.-U.), vent a la B.N. (ms. fr. 22191, r 73-76; Newberry Library (Chicago), et umveret 8 R piece 6596); du II, a la B.N. (R sites du Wisconsin et de Toronto. 2860 et Rz 3331) et a 1 Arsenal (4 Sc
APPENDICE 5
Deuxieme retractation d'Helvetius1 Ayant appris que ma lettre au pere *** n'avoit pas assez fait connoitre mes vrais sentimens, je crois devoir lever tous les scrupules qui pourroient encore rester sur ce sujet.
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APPENDICE 5
Deuxieme retractation
J'ai donne avec confience le livre De I'Esprit, parce que je 1'ai donne avec simplicite. Je n'en ai point prevu 1'effet, parce que je n'ai point vu les consequences effrai'antes qui en resultent. J'en ai etc extremement surpris & beaucoup plus encore afflige. En effet, il est bien cruel & bien douloureux pour moi d'avoir allarme, scandalise, revoke meme des personnes pieuses, eclairees, respectables, dont j'ambitionnois les suffrages, & de leur avoir donne lieu de soupconner mon cceur & ma religion, mais c'est ma faute, je la reconnois dans toute son etendue, & je 1'expie par le plus amer repentir. Je souhaite tres vivement & tres sincerement que tous ceux qui auront eu le malheur de lire cet ouvrage, me fassent la grace de ne me point juger d'apres la fatale impression qui leur en reste. Je souhaite qu'ils sachent que des qu'on m'en a fait appercevoir la licence & le danger, je 1'ai aussitot desavoue, proscrit, condamne, & ai ete le premier a en desirer la suppression. Je souhaite qu'ils croient en consequence & avec justice que je n'ai voulu donner atteinte ni a la nature de 1'ame ni a son origine, ni a sa spiritualite, ni a son immortalite, comme je croyois 1'avoir fait sentir dans plusieurs endroits de cet ouvrage. Je n'ai voulu attaquer aucune des verites du christianisme que je professe sincerement dans toute la rigueur de ses dogmes & de sa morale, & auquel je fais gloire de soumettre toutes mes pensees, toutes mes opinions & toutes les facultes de mon etre, certain que tout ce qui n'est pas conforme a son esprit ne peut 1'etre a la verite. Voila mes veritables sentiments, j'ai vecu, je vivrai & je mourrai avec eux. Helvetius MANUSCRIT
A. Bayerische Staatsbibl., Munich; 2 p. IMPRIMES
*l. S.l.n.d., 2 p. (la premiere page se termine par le mot 'Tame"). II. S.l.n.d., 2 p. (la premiere page se termine par les mots 'Tame ni a son"). III. S.l.n.d., 4 p. (accompagne de la premiere retractation). IV. Affiches de province, 20 septembre 1758, n° 38, p. 151. TEXTE
Ajoute en haut du A : "Na. A Rouen, 5 may 1776. On m'a assure que ceci est de 1'ecriture du celebre et tres celebre Helvetius, autheur du livre De I'Esprit, et j'observe que c'est du pere Plesse,
jesuitte, dont il parle a la lere ligne. Haillet de Couronne 2 ." L'ecriture de la retractation n'est pourtant pas celle d'Helvetius. A Paris, des exemplaires du I se trouvent a la B.N. (ms. fr, 22191, f° 77, et R 2848 [10]); du n, a 1'Arsenal (4° Sc A 299 [10] et 4° Sc A 301); et du m, a la B.N. (R 2852), a 1'Arsenal (4° Sc A 302) et a la bibl. Sainte-Genevieve. NOTES EXPLICATIVES
Les imprimes I et II ont ete publics par Durand (v. lettres 333 et 340). 1. Ce titre est notre. 2. Jean-Baptiste-Guillaume Haillet de Couronne (1728-1810), litterateur et biographe.
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Page de titre du Mandement de I'archeveque de Paris
APPENDICE 6
Mandement de I'archeveque de Paris
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Mandement de Monseigneur I'archeveque de Paris, portant condamnation d'un livre qui a pour titre, De I'Esprit Christophe de Beaumont, par la misericord e divine, & par la grace du Saint-Siege Apostolique, archeveque de Paris, due de Saint-Cloud, pair de France, commandeur de 1'ordre du Saint-Esprit, &c., a tous les fideles de notre diocese : Salut et benediction. II etoit done reserve a nos jours, mes tres chers freres, d'etre obscurcispar les vapeurs sorties de I'abyme (Ascendit fumus putei, & obscuratus est sol & cer, Apocal., ix, 2) 1 . Ces vapeurs pestilentes sont la fausse philosophic du siecle, la doctrine absurde du materialisme, la haine de toute religion, tant naturelle que revelee, les sophismes contre la distinction du bien & du mal, du juste & de 1'injuste, les maximes de la plus honteuse morale, les discussions temeraires sur les droits & sur la conduite des souverains, tout 1'orgueil de 1'esprit, toute la corruption du cceur, tout le dechainement des passions contre le Seigneur & contre son Christ (Psal., H, 2). Oui, M. T. C. F., ce sont la les noires vapeurs de 1'enfer, ce sont les oeuvres du prince des tenebres, & nous avons la douleur d'en voir les traces trop marquees dans un livre extremement repandu parmi les brebis confiees a nos soins. Le grand eloignement ou nous sommes de notre diocese2 ne nous a pas permis d'elever la voix aussi-tot que ce pernicieux ouvrage, intitule De I'Esprit, a vu le jour. Nous ne 1'avons connu qu'apres 1'eclat scandaleux qu'il a fait dans la capitale & dans les principales villes du royaume. Alors nos entrailles pastorales se sont emues, & nous avons desire les larmes de Jeremie, pour satisfaire a la majeste divine outragee par un si grand attentat (Quis dabit capiti meo aquam, & oculis meis fontem lacrymarum? Jerem., ix, I)3. Mais notre douleur seroit insuffisante, si elle demeuroit concentree dans nous-memes. Nous devons la partager avec vous, M. T. C. F., & vous premunir en meme temps contre la seduction. Comme le mal est pressant, & que les remedes ne pourroient etre differes sans danger, nous n'entreprendrons pas de former un plan d'instruction detaillee. Nous nous contenterons d'articuler les points principaux qui rendent le livre De I'Esprit extremement reprehensible, & nous nous haterons de prononcer 1'anatheme qu'il a si justement merite. S. Augustin observe que 1'ennemi de notre salut est en meme temps & un lion furieux qui attaque a force ouverte, & un serpent tortueux qui cherche a tendre des embuches (Diabolus biformis est, leo in impetu, draco in 313
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insidiis, Aug., [Enarratio] in PsaL, LXIX). Tels sont aussi ses emissaires. Celse combattoit ouvertement le christianisme, Hobbes deguisoit son abominable systeme. Dans le livre De I'Esprit on emploie tour a tour la hardiesse & 1'artifice contre la religion sainte que nous professons. Tantot on paroit vouloir subjuguer de force 1'empire de J.-C., & etablir sur ses ruines les passions, les loix purement humaines, la philosophic profane; tantot on precede avec plus de circonspection, on temoigne de 1'estime pour 1'Evangile, on affecte d'en reconnoitre la douceur & la beaute, on declare qu'il est capable d'elever I'ame d la saintete, &c. (De I'Esprit, pag. 232). Langage insidieux, M. T. C. F.! Au fonds cet ouvrage ne respire que la haine du christianisme, que le dessein forme d'eteindre dans tous les esprits la lumiere divine dont J.-C. meme est 1'auteur. Ecoutez-nous done quelques momens, 6 vous, M. T. C. F., qui n'avez point porte vos regards vers ces vanites & ces mensonges; & si quelqu'un parmi vous s'est laisse surprendre, qu'il nous ecoute aussi, & qu'il apprenne a condamner ses folles curiosites. Audite, dilectissima viscera corporis Christi... qui non respicitis in vanitates & insanias mendaces; & qui respicitis, audite ne respiciatis (Aug. In PsaL, ixxn)5. L'auteur du livre qui arme aujourd'hui notre zele, est un partisan declare de la philosophie du siecle. II se plaint souvent, & avec toute la vivacite d'un interet personnel, de ce qu'il appelle des declamations contre les philosophes (pag. 180). II accuse les devots de hair la philosophie, & a ce titre il les taxe de bigoterie & de fanatisme (pag. 560, 561, 563, 564). II ne doute point que les philosophes d'aujourd'hui ne soient des hommes degenie\ il les defend, les flatte, les comble d'eloges. II s'eleve avec force contre ceux qui retardent les progres de la philosophie, &c. Mais enfin, M. T. C. F., quelle est done cette philosophie dont on nous vante si fort les avantages? Apprenez une bonne fois a la bien connoitre. Ce n'est qu'une incredulite palliee, qu'une impiete paree du plus beau nom. La philosophie, en elle-meme, est utile, parce qu'elle developpe a 1'homme ses facultes naturelles & leurs usages. Les philosophes de 1'antiquite s'appliquerent a tirer de la raison & de 1'experience des regies de conduite. Leurs vues & leurs efforts purent etre louables, mais il falloit d'autres lumieres pour dissiper les tenebres dont 1'homme est environne. Le christianisme a repandu le grand jour, & si Ton ne peut pas dire qu'il a detruit la philosophie, au moins faut-il reconnoitre que c'est a lui de la gouverner, de la perfectionner, de la preserver des ecarts, d'ennoblir ses decouvertes, &c. Les philosophes, dit si bien Clement d'Alexandrie6, ne sont aujourd'hui que des enfans, si J.-C. ne les rend des hommes (Parvuli sunt etiam philosophi, nisi a Christo viri fiant. Clem. Alex., Stromat., lib. i). // n'y a de philosophie waiment sure 6- utile, ajoute S. Justin, que celle qu'on apprend d I'ecole deJ.-C. (Hanc solam [Christi] philosophiam reperiebam quae quidem tuta & utilis foret. Justin, Dial[ogus} cum Tryph[one]7) & le grand Augustin, si 314
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long-temps partage entre les diverses sectes philosophiques, ne nous represente-t-il pas la philosophic comme une montagne aride d'ou Ton decouvre le sejour de la paix, sans jamais decouvrir le chemin par ou Ton y arrive, au lieu que la doctrine evangelique montre la voie qui conduit a cette bienheureuse patrie (Aliud est de syhestri cacumine videre patriam pads, & her ad earn non inven'm... aliud tenere viam illam ducentem. Aug., Conf., lib. 7, cap. 218)? Or, M. T. C. F., si les saints docteurs ont eu ces idees de la philosophic, prise dans son sens naturel, & degagee des artifices de ceux qui veulent en abuser, qu'auroient-ils pense de la fausse philosophic de nos jours, de cette hardiesse a rejetter tous les mysteres, a condamner toutes les verites recues de la multitude, a mepriser toutes les pratiques de la religion? Quel cas auroient-ils fait de ces sages pretendus, dont 1'orgueil est 1'appanage, de ces hommes vraiment & foncierement frivoles, qui ne sgavent que s'estimer eux-memes, decrier les autres, attaquer 1'Eglise & ses saints usages, detruire toute verite consolante, & ne rien substituer a la place? Defiez-vous, disoit Clement d'Alexandrie, de ces philosophes pleins d'arrogance & de vanite (Suspectam reddit philosophiam arrogantia & gloriosa de se persuasio. Clem. Alex., Stromat., lib. 2). Us traitent les vrais fideles, comme S. Augustin dit que les gentils traitoient les premiers Chretiens. Us ne manquent pas a"user de railleries & d'injures, ils appellent ceux qui ont la simplicite de la foi, des ignorants, des idiots, des laches, des esprits homes (Ubicumque invenerint christianum, solent insultare, exagitare, irridere, vocare hebetem, insulsum, nullius cordis, nullius peritice. Aug., In Psal., xxxiv). Mais voici, M. T. C. F., 1'oracle du grand apotre; c'est la regie infaillible que nous devons suivre; c'est le bouclier impenetrable que nous devons opposer a la fausse philosophic, a la science qui nous detourne du salut, a tous les systemes imagines par les ennemis de Dieu & de son culte. 0 Timotbee, s'ecrioit le divin Paul, gardez le depot qui vous a eteconfie, fuyez les profanes nouveautes de paroles, & toute doctrine contraire qui porte le nom de science (0 Timothee! depositum custodi, devitam profanas vocum novitates, & oppositiones falsi nominis scientia, I Tim., vi, 20). Ainsi, quand 1'auteur du livre De I'Esprit nous promet d'etendre nos lumieres, de nous developper les principes de la morale, de nous delivrer des prejuges & des erreurs qui nous environnent, de nous faire connoitre les ressorts d'une bonne legislation, de nous ouvrir la route du bonheur, de nous rendre utiles a la societe, &c., voyons si ses instructions conviennent avec le depot dont la conservation doit nous etre infiniment chere, si tout le plan de cette science pretendue rentre dans celui de 1'Evangile. Mais que peut-on imaginer qui y soit plus contraire? II suffit, pour vous en convaincre, de vous rappeller que ce pernicieux ouvrage (De I'Esprit) n'annonce & ne respire qu'une indifference extreme a 1'egard de toute religion. Combien de fois n'y parle-t-on pas des religions 315
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en general, & par consequent de celle qui est 1'unique vraie, comme de pures opinions (pag. 58, 68, 209)! Quelle attention n'y apporte-t-on pas a exalter la sagesse pretendue de ceux qui passent pour athees ou pour materialistes! Quel soin n'y prend-on pas de faire entendre au lecteur que I'espoir ou la crainte des peines ou des plaisirs temporels sont aussi propres a former des hommes vertueux, que lespeines & lesplaisirs eternels (pag. 233)! Mais ne nous trompons-nous pas, M. T. C. F., & de pareils traits ne prouvent-ils que de 1'indifference pour la religion? Ne renferment-ils pas plutot des principes formellement opposes a toute espece de culte; & si Ton rapproche de ces divers textes ceux ou 1'auteur se declare pour la tolerance universelle, ceux ou il invective sans distinction & sans reserve contre tous les intolerants, ceux ou il manifeste un fonds d'animosite contre les ministres de 1'Eglise, ceux ou il s'egaie en rapportant de petits faits tres insultants pour la religion, ceux ou il renverse, autant qu'il est en lui, toute la morale de 1'Evangile, pourra-t-on s'empecher de reconnoitre que ce livre s'eleveavec hauteur contre toute la science de Dieu (n Cor., x, 5)? Au reste, M. T. C. F., tout ce qu'il dit en faveur de la tolerance absolue des religions, & contre 1'intolerance des catholiques, est une pure illusion. Jamais il ne donne les vraies notions sur la tolerance, jamais il n'en assigne les droits & les bornes, jamais il ne distingue la tolerance ecclesiastique de la tolerance civile. II repete de temps en temps que la religion de J.-C. est toute de charite & de condescendance. Qui en doute, M. T. C. F.? Mais cela empeche-t-il que cette sainte religion ne soit 1'unique vraie, 1'unique necessaire, qu'elle ne se soit elevee sur les debris de 1'idolatrie & de toutes les fausses religions du monde, qu'elle n'ait condamne depuis dix-huit siecles un nombre infini d'heresies? Cela empeche-t-il que S. Paul n'ait livre a Satan, Alexandre & Hymenee (i Tim., I, 20), parce qu'ils blasphemoient contre la verite, qu'il n'ait ordonne a Tite, d'eviter les heretiques apres deux monitions (Tit., in, 10), que S. Jean n'ait defendu de saluer (il Joan., 10-11) ceux qui ne demeurent pas fermes dans la doctrine de J.-C., que cet homme-Dieu lui-meme ne fasse des reproches a deux des anges de 1'Apocalypse (Apocal., II, 14, 20), parce qu'ils souffroient dans leur troupeau des hommes de mauvaise doctrine & des seducteurs? II est bien surprenant, M. T. C. F., que les incredules d'aujourd'hui, jaloux, comme ils le sont, du titre de philosophies, s'attachent a une doctrine aussi mo[n]strueuse que Test le materialisme. Cent fois on a developpe 1'horreur & 1'absurdite de ce systeme. On a demontre la spiritualite de notre ame par le sentiment que nous avons de la pensee, par la faculte qui est en nous de produire des jugements, des raisonnements, des desirs, des doutes, des resolutions, par la vivacite avec laquelle nous comparons nos idees, nos sensations, nos reminiscences, par 1'avantage de pouvoir nous clever a la connoissance de Dieu, de la vertu, de la loi, du merite, & en general, de tous les objets purement intellectuels, par le libre arbitre inse316
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Mandement de I'archeveque de Paris
parablement attache a notre nature. Et cet amour necessaire de 1'existence, cette ardeur dominante que nous eprouvons pour la gloire, ce cri violent de toutes nos facultes vers la possession d'un bonheur sans bornes & sans vicissitudes, ne sont-ce pas autant de gages d'une vie future, autant de temoignages sensibles & subsistants de 1'immortalite de 1'ame? Arguments infaillibles par eux-memes, & qui se presenterent a 1'intelligence humaine, jusqu'au milieu des tenebres de I'idolatrie. Quelle force n'acquierent-ils point par les lumieres de la Revelation! Quelle joye ne repandent-ils point dans les cceurs que la grace a detaches du monde! Cependant, le livre De I'Esprit vient nous enlever cette puissante ressource & cette douce consolation. II commence par mettre en probleme la spiritualite de 1'ame (pag. 5 & 32); il semble n'admettre entre rhomme & la bete que des differences accidentelles dans le physique & dans la conformation des organes (pag. 2), imagination qui etoit deja venue, il y a plus de quinze siecles, au grand adversaire de la religion chretienne, a 1'impie Celse. II disoit que l'homme & 1'abeille ne differoient pas essentiellement, & qu'on pouvoit en juger par leurs travaux respectifs. A quoi Origene repondoit que l'homme opere par la raison, & la bete par 1'instinct (Origen., Contr. Cels., lib. iv), ce qui signifie que l'homme a dans lui-meme le sentiment de son action purement spirituelle, & qu'on ne peut assurer la meme chose de la bete, dont la nature nous est inconnue. L'auteur du livre De I'Esprit passe bien-tot du pur probleme aux assertions positives. II parle toujours de 1'ame comme d'un etre, qui n'a que la sensibilite physique; il n'admet dans cette puissance que la force & du mouvement (pag. 293,328, 371);illa soumet comme le corps a des attractions & a des inerties\ il fait voir qu'il ne la croit capable ni d'aimer Dieu, ni de le posseder, puisqu'il avance cette etrange proposition : que I'homme n'etant, par sa nature, sensible qu'aux plaisirs des sens, ces plaisirs, par consequent, sont I'unique objet de ses desirs (pag. 326). Quelle doctrine, M. T. C. F.! Elle aneantit, tout a la fois, & la spiritualite de 1'ame, & son immortalite; elle rabaisse 1'homme a I'etat des animaux; elle borne toutes ses vues aux biens de cette vie. Et quels biens encore! Ce ne seront, ni les beautes de la vertu, ni les richesses de la science, ni les delices de 1'amitie, ni la gloire de servir la patrie, &c. Tout se bornera aux plaisirs des sens, a la satisfaction des desirs terrestres. Nous ne demanderons pas, M. T. C. F., si ce langage est celui du christianisme. Tout 1'Evangile de J.-C., tous les livres des s[aint]s apotres, tous les ouvrages des docteurs de la religion, toutes les lecons des pasteurs de 1'Eglise, condamnent un principe si revoltant. On pourroit demander si, dans aucune ecole payenne, on a jamais enseigne nuement & publiquement, que les plaisirs des sens sont I'unique objet des desirs de l'homme, si Epicure lui-meme ne s'est pas propose les plaisirs de 1'esprit. Epicure, disoit un ancien, soutient hautement qu'on ne peut vtvre agreablement, si I'on ne vit avec 317
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Mandement de I'archeveque de Paris
sagesse, avec honnetete, avec justice. (Clamat Epicurus non posse jucunde vivi, nisi sapienter, hones te, justeque vivatur. Cic[eron], De finib. bon. & mal., 1. 1, n. 18.) Nous ne croyons pas que personne attribue aux plaisirs des sens le privilege d'etre toujours accompagnes de la sagesse, de I'honnetete, de la justice; & de la il faut conclure que le plus decrie d'entre les philosophes avoit des idees superieures a celles qui se trouvent repandues dans le livre De I'Esprit. Nous ne vous montrerons pas en detail, M. T. C. F., que ce funeste ouvrage depouille absolument l'homme de toute liberte. C'est 1'effet & la preuve du materialisme que 1'auteur enseigne (pag. 36, 37, 114, &" Le A : "preuves. < J'en reconnois de certaines, & quand meme elles ne seroient pas de nature a convaincre entierement la raison, la revelation, en fixant notre croyance, comme je 1'ai deja dit, ne nous laisseroit a cet egard nulle espece d'incertitude.>" Le A : "dire ". m Le A : "cru ". f Le A : "chartreuse, " "" Passage autographe ajoute en marge, destine a remplacer le passage suivant, lequel n'a pourtant pas ete rature : «Or, 1'histoire prouve qu'en general les nations ont toujours viole leurs traites, lorsqu'elles ont eu quelque avantage a le faire & que pour cela elles n'ont pas ete degradees, parce qu'il n'en est aucune qui ne soit coupable de ce crime." pp Le A : "Saadi, " qq Le A : "vii. " rr Helvetius a omis de raturer, en haut de la page, le passage suivant : "comme un exemple noble et vertueux. Un sujet zele pour la vraie gloire de son prince ne sera pas celui qui lui cachera la verite, car en parlant pour les interets du peuple qui sont les vrais interets du prince, il remplit non seulement les devoirs d'un bon citoyen mais ceux d'un sujet fidelle, tel que ceux dont parloit le bon Louis XII lorsqu'il disoit : On me rend justice, on me croit capable d'ecouter la verite. Reponse consacree par 1'humanite & qui, en devoilant le caractere de ce monarque, lui a merite le prenom depere du peuple."
Eclaircissements 6- Indiculus " Passage autographe ajoute en marge, destine a remplacer le passage suivant, lequel n'a pourtant pas ete rature : "Ceci est tire d'un chapitre ou j'examine ce que c'est que le courage, ou il n'est question ni de gouvernement ni de legislation. Par consequent, j'ai pu, d'apres les idees qu'on a de la fagon de penser des Romains, distinguer ceux qui, comme Brutus, s'exposoient a la mort pour delivrer la republique, de ceux qui se donnoient la mort pour n'etre pas temoin des malheurs qui 1'affligoient." " Passage autographe ajoute en marge, destine a remplacer le passage suivant, lequel n'a pourtant pas ete rature : "J'ai appele courageux celui qui, emporte par une passion tres forte, se donne la mort parce qu'il ne peut vivre s'il ne satisfait sa passion, mais par sage je n'ai entendu que le calculateur qui se tue apres qu'il a suppute & compare les avantages & les malheurs de la vie, sans pretendre pour cela avancer que ce calcul puisse jamais etre juste & que dans aucun cas on ait jamais raison de se tuer surtout parmi des Chretiens a qui la religion le defend." *" Le A : "l. note 2' f la fin du deuxieme paragraphe de cette Rda"™ de Daragon). 3 ' Tercier etait un ami de Le Roy et de , Hennm' mais non Pas d'Helvetms. 4' Certains parlementaires auraient VOulu faire Paraitre Helvetius a la barre' mais n>ont Pas eu Sam de cause (v' aPPendlce 1 D5' Brult dont Jean-Michel Hennin s'etait fait 1'echo (v. lettre 325).
APPENDICE 13
Condamnation et prohibition d'un ouvrage qui a pour titre De I'Esprit Clement XIII Pape Pour servir de memoire aux siecles futurs La sollicitude du ministere pastoral qui Nous a ete impose, quoique audessus de Nos forces, demande de Nous que, comme la divine Providence Nous a place a la tete de toutes les eglises, Nous employions aussi les soins & les efforts dont sa grace Nous rend capables, pour deraciner les differentes ivraies que 1'homme ennemi seme dans toute 1'etendue du champ du Seigneur, celles qui tendent a corrompre la purete des moeurs, comme celles qui combattent les dogmes de la religion catholique. Penetres de ce devoir, Notre cceur a ete perce de la plus vive douleur, lorsque Nous avons appris qu'on venoit de donner au public un livre ecrit en francois, qui a pour titre De I'Esprit, a Paris, chez Durand, in-4°, dans lequel 1'auteur, foulant aux pieds les loix divines & humaines, ferme toutes les voyes qui peuvent conduire a la pratique des vertus chretiennes, lache la bride a tous les vices, sappe les fondemens de la doctrine catholique, & sous les dehors d'un langage etudie, ouvre le chemin le plus large pour conduire les ames a la perdition.
385
Premiere page de la condamnation de L'Esprit par Clement XIII
APPENDICE 13
Condamnation par Clement XIII
Afin done de ne pas manquer a ce qu'exige Notre ministere apostolique, & pour arreter le progres des erreurs contenues dans ce livre, qui pourroient pervertir un grand nombre de fideles, Nous Nous sommes appliques de Notre mieux a apporter un prom[p]t remede a un si grand mal. Pour cet effet, Nous avons charge ceux de Nos venerables freres les cardinaux de la Sainte Eglise Romaine qui sont etablis par 1'autorite apostolique inquisiteurs generaux centre 1'heresie dans toute la chretiente, d'examiner cet ouvrage avec la plus grande maturite. En conformite de Nos ordres, les theologiens deputes pour un premier examen se sont d'abord assembles, & ayant dans ces seances approfondi la matiere, ils ont expose leur sentiment de vive voix & par ecrit. Le rapport en a etc fait ensuite dans la congregation de Nosdits venerables freres les cardinaux de la Sainte Eglise Romaine, inquisiteurs generaux, qui s'est tenue devant Nous le jeudi onzieme du present mois de Janvier. Apres avoir lu & pese avec attention les consultations par ecrit desdits theologiens, & pris 1'avis de nos venerables freres les cardinaux inquisiteurs generaux, Nous condamnons par ces lettres apostoliques & reprouvons ledit livre, tant en francois qu'en quelqu'autre langue qu'il puisse etre ecrit ou imprime, comme tendant a renverser la religion chretienne, a etouffer la loi & 1'honnetete naturelle, adoptant & soutenant les fictions perverses & proscrites des epicuriens & des materialistes, & comme rempli de propositions impies, scandaleuses & heretiques. Et afin d'empecher autant qu'il est possible que le poison mortel dont ce livre regorge ne se repande davantage & n'infecte les ames qui Nous ont etc confiees, Nous defendons de le lire & de le garder, de le reimprimer ou de le copier en quelque langue que ce puisse etre. Nous ordonnons de plus non seulement aux libraires & imprimeurs, mais encore a tous & chacun des fideles, ecclesiastiques & secul[i]ers, de quelque rang, condition ou dignite qu'ils soient, a ceux memes dont il faudrait faire ici une mention speciale, que si ledit livre imprime, ou meme manuscrit, en francois ou en autre langue, leur tombe entre les mains, ils ayent a le porter aux ordinaires des lieux, ou aux inquisiteurs de 1'heresie, ou a leurs vicaires, afin qu'ils le brulent aussitot. Et Nous 1'ordonnons sous peine d'excommunication majeure pour les seculiers, & pour les ecclesiastiques, meme reguliers, sous peine de suspense, qui sera encourue par le seul fait, & sans qu'il soit besoin d'autre declaration, par ceux qui n'obeiront pas, ou qui contreviendront a Notre presente injonction. Desquelles censures Nous reservons a Nous & a Nos successeurs les pontifes remains qui existeront dans le terns, le pouvoir de donner 1'absolution respective, 1'article de la mort seulement excepte pour I'excommunication. Nous declarons enfin que les permissions, meme les plus amples, obtenues de vive voix ou par ecrit, de lire les livres defendus, ne peuvent autoriser personne a lire & a garder celui-ci; & que nous reservons a Nous seuls & a Nos successeurs de donner cette permission speciale. Or afin que les presentes lettres viennent 387
APPENDICE
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Condamnation par Clement Xlll
plus facilement a la connoissance de tout le monde, & que personne n'en puisse pretendre cause d'ignorance, Nous voulons, et par 1'autorite cidessus mentionne Nous ordonnons qu'elles soient publiees & affichees selon 1'usage par un de Nos curseurs a la porte de la basilique du Prince des apotres, a celles de la chancellerie apostolique, & de la cour generate du Mont-Citatoire, de meme qu'a la place du Champ de Flore hors la ville, & qu'aussitot qu'elles auront etc ainsi publiees, elles obligent tous ceux qu'elles concernent, aussi etroitement que si elles leur avoient etc notifiees & intimees personnellement. Voulons aussi que, tant en jugement que hors, meme foi soit ajoutee aux copies & aux exemplaires imprimes des presentes, pourvu qu'ils soient signes de la main d'un notaire public & scelles du sceau de quelque personne constituee en dignite ecclesiastique, que celle qu'on auroit a 1'original, s'il etoit exhibe & represente. Donne a Rome a Sainte-Marie-Majeure sous 1'anneau du Pecheur, le trente-un Janvier mil sept cens cinquante-neuf, la premiere annee de Notre pontificat. Le cardinal Passionnei. Le jour, mois & an que dessus, la susdite condemnation & prohibition a eteaffichee & publiee a la porte de la basilique du Prince des apotres, a celles de la chancellerie apostolique, de la cour generate du Mont Citatoire, au Champ de Flore & aux autres lieux accoutumes, par moi Joseph Olivetani, curseur apostolique. Antoine Pelliccia, maitre des curseurs IMPRIMES
I. Roma?, Ex Typographia Reverends Gamers Apostolicae, M. Dec. Lix, 1 p., in-fol." *II. Romas1, Ex Typographia Reverendae Camerae Apostolicae, M. DCC. LIX, 4 p., 4°.*
du Wisconsin.a En latin seulement. Le texte commence par les mots : "Injuncti Nobis". b Le texte est dispose en deux colonnes, I'original latin, a gauche, et la traduction francaise, a droite.
TEXTE
1. Malgre la mention de Rome, cette edition a ete imprimee et publiee a Paris, par les soins du cardinal Gualtieri (v. lettre 430).
Des exemplaires du I se trouvent aux archives des Affaires etrangeres (C.P., Rome 826, f° 192), a 1'Arsenal (4° Sc A 302) et a 1'Accademia nazionale dei Lincei e Corsiniana, a Rome (Cod. Cors. 1484, f° 226); du II a la B.N. (ms. fr. 22094, f° 23-24; mss Joly de Fleury 352, f° 22-22^ 572, f° 287287 bis; et R 2857), a 1'Arsenal (4° Sc A 299[7]), a la Brit. Libr. (Add. Ms. 20655, f°221), a la Newberry Library (Chicago), a 1'universite Harvard, et aux universites de Glasgow et
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NOTE EXPLICATIVE
REMARQUES
Le 17 juillet, le pape felicitera le Grand Inquisiteur d'Espagne d'avoir condamne De I'Esprit (v. A. Barberi, Bullarii romani continuatio..., Rome, 1835-1858, 19 vol., I, p. 209-210). Le 3 septembre, c'est \Encydopedie qui subira la condamnation papale.
APPENDICE 14
Censure de la Faculte de theologie
APPENDICE 14
Censure de la Faculte de theologie de Paris contre le livre qui a pour titre De I'Esprit PREFACE
Le doyen & les docteurs de la faculte de theologie de Paris, a tous les fideles, salut en Jesus-Christ. On a vu dans les siecles precedens des insenses, qui ont dit dam le secret de leur cceur, il n'y a pas de Dieu (Psal. 52), mais il etoit reserve a la corruption du notre de produire des hommes qui fissent profession publique d'impieti, & qui donnassent meme leurs discours impies & sacrileges pour une preuve de leur sagesse (Epist. B[eati] Judas, v. 151). Ces hommes sans egard pour les loix, sans crainte pour les chatimens, sans respect pour les gens de bien, ne se defiant nullement de leur ignorance, inventent tous les jours des blasphemes nouveaux, & osent tout contre la religion. A les en croire, la foi n'est plus \efondement de nos esperances (Hebr. xi, v. 1), elle est le tombeau de la raison, elle n'est plus la source du salut, elle n'est que 1'appanage des hommes simples & superstitieux; on ne peut etre sincerement religieux que quand on a 1'esprit borne & 1'ame foible. Ce n'est pas seulement dans la capitale que cette maladie fait ses ravages; devenue comme epidemique, elle a passe dans les provinces meme les plus eloignees, ou les ecrits de ces auteurs audacieux, semblables a de noires vapeurs & a des exhalaisons infectees, forment des nuages epais qui portent avec eux la contagion & la desolation dans tous les lieux ou ils se dechargent. Mceurs, religion, usages les plus respectables, rien n'est epargne; tout est en proie a la fureur de ces ecrivains. S'ils traitent de la nature de I'homme, rhomme, selon eux, n'est qu'une portion de matiere organisee jettee au hasard sur la surface de la terre, qui ne differe du singe qu'autant que le singe differe des autres animaux, ce qui, dans leur systeme, ne degrade point rhomme, puisque ce qu'il a audessus des autres animaux, il le doit a 1'education, a 1'invention des arts & a 1'usage des langues. C'est de ces belles decouvertes qu'on voit sortir une histoire naturelle de 1'ame, comme cette ecume sale queproduisent les flots d'une mer agitee (Epist. B. Jud., v. 13). S'ils parlent de la religion, ils lui enlevent ses dogmes les plus sacres, ils combattent ses loix les plus saintes, & la reduisent a n'etre plus qu'un vain fantome; imposteurs, qui suivent leurs passions dereglees &pleines d'impiete(lbid., v. 18). 389
Page de titre de la Censure de la Faculte de theologie contre De I'Esprit
APPENDICE 14
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S'ils ecrivent sur les moeurs, c'est avec le dessein forme de combattre les principes & les maximes qui doivent les regler; corrompant ce qu'ils connoissent naturellement comme les betes (Epist. B. Jud., v. 10). S'ils entreprennent de fixer les limites qui separent les droits respectifs des princes & des sujets, souffrant impatiemment toute domination, & meprisant ceux qui sont eleves en dignite (Ibid., v. 8), ils transportent aux peuples ce qui n'appartient qu'aux souverains. Blasphemant ce qu'ils ignorent (Ibid., v. 10), ils sont assez temeraires pour citer a leur tribunal le Createur de toutes choses, lui demander compte de ses ceuvres, & pour se croire en etat de corriger 1'ordre admirable qu'il a mis dans 1'univers. Us avoient cependant connu ce qu'on peut decouvrir de Dieu, 6- Dieu lui-meme le leur avoit fait connoitre, man pane qu'ils m I'ont pas glorifie, & qu'ils ne lui ont pas rendu graces, ils se sont egares dans leurs vains raisonnemens, & leur coeur insense a ete rempli de tenebres; ils sont devenus fous en s'attribuant le nom de sages, ... ils ont mis le mensonge a la place des verites divines, & ont refuse a I'Auteur de leur etre I'adoration & le culte souverain qui lui sont dus...; c'estpourquoi ils ont ete livres a des passions honteuses... Comme ils n'ont pas voulu reconnoitre Dieu, Dieu aussi les a livres a un sens deprave, & ils ont fait des actions indignes de I'homme, ils ont ete remplis de toute sorte d'injustice & de mechancete, ... d'envie & d'artifices, 6- sont devenus calomniateurs, ennemis deDieu, superbes, altiers, inventeurs de nouveaux moyens de faire le mal..., sans prudence, sans modestie, sans affection & sans foi (Rom., cap. 1). Tels sont ces auteurs graves, ces philosophes profonds, qui se sont charges de nous faire renoncer a la religion de nos peres, de nous faire changer de moeurs, de peser les droits, I'autorite & le pouvoir de nos rois en presence du peuple meme, & de les renfermer dans les bornes qu'ils jugent a propos de leur prescrire; en un mot, qui mettent tout en ceuvre pour tout changer, quoi qu'il puisse en couter a 1'Etat & aux particuliers, puisque la religion n'est pas un soutien moins essentiel aux empires que la loi & la puissance. Attentifs a saisir tous les moyens de pervertir les esprits, ils ont des maitres en seduction, maitres infatigables pour tous les ages, pour les differens sexes, & pour toute sorte de condition. Ils ont porte leur attention jusqu'a avoir une grammaire destinee a former des impies; il n'est point de livres sortant de leurs mains, sous quelque titre qu'ils les donnent, & quel qu'en soit 1'objet, qui ne renferment un poison tout pret a s'insinuer dans 1'esprit de ceux qui les lisent sans precaution. C'est une conjuration formee centre la foi & la morale du christianisme, & centre 1'obeissance due a I'autorite souveraine, conjuration qui tend a tout renverser, & qui va jusqu'a se promettre, si elle n'est point arretee dans ses projets, d'arracher du cceur de I'homme toute estime de la vertu, tout amour de la patrie & les sentimens les plus chers de la nature. De la quelle confusion! quel desordre! puisque briser les liens qui unissent entr'elles les differentes parties de la 391
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societe civile, c'est attaquer sa constitution & 1'exposer a une dissolution entiere. Mais c'est aux hommes d'Etat a porter leur attention sur ces exces & a en prevoir les suites. En qualite de citoyens, il nous etoit permis de faire entendre notre voix en passant; nous revenons a nos fonctions de theologiens. Entre tous ces conjures qui semblent distribues chacuns dans leurs postes, il en est un qui, pour nous servir de 1'expression de S. Leon, paroit avoir mele dans la meme coupe tout ce que les opinions modernes ont deplus detestable pour avaler tout a la fois le poison dont les autres ne s'etoient abreuve qu'en partie (Ep. 93 contre Priscill.2). On reconnoit a ce seul trait 1'auteur du livre qui a pour titre De I'Esprit, cet homme qui dans son ouvrage semble avoir voulu se montrer aussi incredule que les athees, aussi livre aux sens que les betes, aussi corrompu que les libertins, aussi hardi que les sujets les plus seditieux. La secte d'Epicure auroit rougi dans Athenes de pareils emportemens. Tout lui est bon pourvu qu'il en impose aux gens peu instruits, ou qu'il plaise aux esprits corrompus. II meprise egalement 1'honnetete publique, les loix, la patrie & sa propre reputation, & fait parade d'une effronterie qu'on ne trouve jamais qu'a la suite des vices les plus enracines, qui ont etouffe jusqu'au moindre sentiment de la vertu. Et apres avoir vomi tant de paradoxes monstrueux, osant encore affecter de la pudeur, il fait entendre que s'etant souvent eleve jusqu'aux grandes idees, il a ete force de les taire, ou du mains contraint d'en enerver la force par le louche, I'enigmatique 6 lafoiblesse de 1'expression [De I'Esprit, disc, iv, ch. 4, p. 518], mais cette precaution, dont 1'art n'est point nouveau, n'etoit qu'une maniere plus sure de piquer la curiosite, & d'enseigner I'erreur sans se compromettre. Au reste le livre qu'il a donne au public n'est de lui que pour 1'arrangement des materiaux que d'autres avoient employes avant lui; c'est en travaillant sur le fond d'autrui qu'il a pretendu se faire un nom. Quel nom! Est-ce un nom capable de flatter la vanite de qui que ce soit, que celui qu'on se fait pour s'etre nourri de mille poisons dont d'autres s'etoient deja servis, & de les rendre ensuite plus infects par le sejour qu'ils ont fait dans un estomac corrompu? Mais de peur que cet auteur ne s'inscrive en faux contre une pareille imputation, il est necessaire de mettre sous les yeux de nos lecteurs les sources empoisonnees ou il a puise toute la doctrine de son funeste ouvrage. Nous ne dirons rien de son style, parceque notre objet n'est pas de censurer ces ornemens puerils, ces tours effemines, ce vain appareil de grands mots, indignes d'une matiere grave, & qui ne sont bons que pour tromper les esprits superficiels. Que 1'auteur jouisse de ce merite, si e'en est un. 392
APPENDICE 14
Censure de la Faculte de theologie DE L'AME
Les sens sont la source de toutes les pensees, car il n'y a aucune idee de 1'esprit qui n'ait auparavant etc produite dans un des sens, entiere ou en partie; des pensees produites dans les sens naissent toutes les autres... La cause de la sensation est le corps exterieur, ou 1'objet qui presse 1'organe, & qui, en agissant sur lui, communique le mouvement, par les nerfs & les membranes, jusqu'au cerveau, & de la au coeur... L'effort du coeur qui, par un mouvement au-dehors, repousse 1'impression qu'il a recue, paroit etre quelque chose d'exterieur, & c'est cette apparence que nous appellons sensation 3 . Hobbes, De I'Homme, chap. 1, p. 3Nous n'avons d'idees que celles dont nous sommes redevables a nos sens. [Mandeville, La] Fab. desAbeilles, [Londres, 1750, 4 vol.,] torn. Ill, p. 236. Juger n'est autre chose qu'appercevoir & reconnoitre les rapports, les quantites & qualites ou facon d'etre des objets... II est done evident que ce sont les sensations elles-memes qui produisent les jugemens; ce qu'on appelle consequences, dans une suite de jugemens, n'est que 1'accord des sensations par rapport a ces jugemens; toutes les apprehensions ou apperceptions ne sont que des fbnctions purement passives de 1'etre sensitif; il paroit cependant que les affirmations, les negations & les argumentations marquent de 1'action dans 1'esprit, mais c'est notre langage & surtout les fausses notions... qui nous en imposent... J'appercois dans les animaux 1'exercice des memes fonctions sensitives que je reconnois en moi-meme... Nos connoissances evidentes ne suffisent pas, sans la foi, pour nous connoitre nous-memes, pour decouvrir la difference qui distingue essentiellement 1'homme ou 1'animal raisonnable des autres animaux, car, a ne consulter que 1'evidence, la raison elle-meme, assujettie aux dispositions du corps, ne paroitroit pas essentielle aux hommes. Diction, encyclop., [17511780, 35 vol., vi, pp. 148, 155 et 156,] Articl. "Evidence" [par Quesnay]. Nous ne connoissons pas 1'essence de la matiere, ni toutes les proprietes que Dieu peut lui donner; nous ne sommes done pas en droit d'assurer qu'une de ses facultes ne peut pas etre la faculte de penser. Loke, Essai sur I'entendement humain. Nous ne connoissons que tres imparfaitement la matiere, nous ignorons une partie de ses attributs. Un philosophe moderne vient d'en decouvrir un qui lui est aussi essentiel que 1'etendue, c'est 1'attraction... Qui scait si 1'on ne decouvrira pas dans la suite de nouvelles proprietes (en elle) & si 1'une de ces proprietes ne sera pas celle de penser. Note ajoutee a la derniere edition de VEssai sur I'entendement humain^. II ne s'agit pas de scavoir si 1'ame est materielle ou spirituelle. On convient qu'elle est spirituelle, puisque la religion nous 1'a appris, mais on demande si elle n'auroit pas pu etre materielle, si Dieu 1'eut voulu. Or soutenir le contraire..., c'est borner mal a propos la puissance de Dieu..., c'est raisonner mal & supposer pour certain ce dont on dispute. Le marquis d'Argens, Memoire[s] secret[s] de la republique des lettres, [Amsterdam, Neaulme, 1744, 7vol., iv, p. 376-377]. L'homme est doue d'une raison destinee a le rendre sociable... La nature de ses facultes, ainsi que les principes naturels de leurs operations, nous sont inconnus... II n'y a que les precedes de cette raison qui puissent etre suivis & observes par une attention reflechie de cette meme faculte... Nous ignorons ce qui est en nous la base & le soutien de cette faculte, comme nous ignorons ce que devient ce principe au trepas. On dira que peut-etre ce principe intelligent subsiste-t-il encore apres la vie..., mais il est inutile de chercher a connoitre un etat sur lequel 1'Auteur de la nature ne nous a instruit par aucun phenomene. [Morelly,] Code de la nature, [1755,] p. [227-]228.
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Le premier instant de la vie (de 1'homme) le trouve enveloppe d'une indifference totale, meme pour sa propre existence. Un sentiment aveugle qui ne differe pas de celui des animaux est le premier moteur qui fait cesser cette indifference. Code de la nature, page 20. Le desir d'etre heureux est un effet de notre sensibilite. Code de la nature, p. 156. Les besoins (de 1'homme) 1'eveillent par degres, le rendent attentif a sa conservation, & c'est des premiers objets de cette attention qu'il tire ses premieres idees. Code de la nature, p. 21. Des animaux a 1'homme la transition n'est pas violente. Qu'etoit I'homme avant 1'invention des mots & la connoissance des langues? Un animal de son espece qui n'etoit distingue du singe & des autres animaux que comme le singe 1'est lui-meme. [La Metric, (Euvres philosophiques, Amsterdam, 1753, 2 vol. 5 ] L'Homme machine, p. 30[-31]. L'ame n'est qu'un vain terme dont on n'a pas d'idee & dont un bon esprit ne doit se servir que pour nommer la partie qui pense en nous. Pose le moindre principe du mouvement, les corps animes auront tout ce qu'il faut pour se mouvoir, sentir, penser, se repentir & se conduire en un mot dans le physique & le moral qui en depend. L'Homme machine, p. 71. Etre machine, sentir, penser, scavoir distinguer le bien du mal, en un mot etre ne avec 1'intelligence, & un instinct sur de morale, & n'etre qu'un animal, sont des choses qui ne sont pas plus contradictoires qu'etre un singe & un perroquet, & scavoir se donner du plaisir... Je crois la pensee si peu incompatible avec la matiere organisee qu'elle semble etre une propriete, telle que 1'electricite, la faculte motrice, I'lmpenetrabilite, 1'etendue, &c. L'Homme machine, p. 97. Je sais que la figure des animaux n'est pas tout a fait humaine, mais ne faut-il pas etre bien borne, bien peuple, bien peu philosophic, pour deferer ainsi aux apparences... Les sens internes ne manquent pas plus aux animaux que les externes. Par consequent ils sont doues comme nous de routes les facultes spirituelles qui en dependent, je veux dire de la perception, de la memoire, de 1'imagination, du jugement, du raisonnement. D'ou il s'en suit... que les animaux ont une ame produite par les memes combinaisons que la notre. [La Metric, (Euvres philosophiques,] Les Animaux plus que machines, pages 4 & 5. L'ame est toujours necessitee. Elle est necessitee a deliberer, quand elle delibere; elle est necessitee a se determiner, quand elle se determine; des objets egalement aimables la mettent en suspens; s'ils paroissent inegaux en bonte, I'ame ne manque point de choisir celui qui merite la preference... Tout le monde avoue que les perceptions de I'ame ne sont point libres; or il en est de meme des jugemens, qui ne sont que des especes de perception, car juger c'est prononcer sur la convenance ou disconvenance des objets qu'on compare, ce qui ne se fait qu'en appercevant cette convenance ou cette disconvenance; I'ame n'a done jamais de liberte, puisque jamais elle n'agit sans perception & sans jugement. Ses motifs la determinent... Or ses motifs se reduisent a ses idees, & ses idees se reduisent a des perceptions & a des jugemens qui ne sont point libres. La plupart des auteurs qui ont ecrit sur la liberte se sont embarrasses dans des difficultes infinies, & en voulant la defendre, ils parlent un langage ou ils posent des principes qui la contredisent. Collins, Ecrit sur la liberte dans le Recueil de pieces sur la philosophic par Desmaiseaux6. N'est-ce pas renverser 1'ordre de la question qui concerne la liberte & la necessite, que de la commencer comme Ton fait par 1'examen des facultes de I'ame & de 1'influence de I'entendement sur les operations de la volonte; que ne discute-t-on auparavant une question
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plus simple, celle qui regarde 1'operation des corps & de la matiere organisee? que n'essayet-on de se former des idees de causalite & de necessite distinctes de la liaison constante des objets, & de cette induction qui en est la consequence? Si toute la necessite que nous concevons dans la matiere se reduit a ces deux points, lesquels, de 1'aveu de tout le monde, ont egalement lieu dans les operations de 1'ame, la dispute est finie. Essaisphilosophiques sur I'entendement humain, par Hume, torn. I, pages 234 & 235 7 . On peut rendre une autre raison de la grande vogue que la doctrine de la liberte s'est acquise. II y a une sensation trompeuse d'un etat indifferent, fondee sur une fausse lueur d'experience qui accompagne, ou peut, du moins, accompagner plusieurs de nos actions... Dans la plupart des occasions, nous sentons nos actions assujetties a notre volonte, & nous nous imaginons de sentir que la volonte n'est assujettie a rien, a cause que lorsqu'on nous nie ce point, & qu'on nous provoque a des essais, nous sentons qu'elle se meut aisement en tous sens... Nous avons beau avoir un sens intime de notre liberte, rarement un spectateur s'y trompera; le plus souvent il sera en etat d'inferer nos actions de leurs motifs & 'de notre caractere; ou s'il ne le peut pas, il conclura en general que ce n'est que faute de connoitre parfaitement toutes les circonstances de notre situation & de notre temperament, & les ressorts secrets de notre complexion & de notre humeur. Or c'est precisement en quoi, selon moi, consiste 1'essence de la necessite. Ibid., [vol. I,] note, pages 236, 237 & 238. Qu'entend-on par la liberte, lorsqu'on nomme les actes de la volonte libres? On ne peut entendre par liberte que le pouvoir d'agir, ou de n'agir pas, conformement aux determinations de la volonte; c'est-a-dire que si nous choisissons de demeurer en repos, nous le pouvons, & que si nous choisissons de nous mouvoir, nous le pouvons aussi. Or personne ne nie que tous les hommes n'aient cette liberte hypothetique, a moins que d'etre emprisonnes ou en chaines; ainsi point de dispute sur cet article. Ibid., [vol. i,] pages 239 & 240. On convient universellement que rien n'existe sans cause, & que le terme de hasard, a le bien examiner, n'est qu'un terme negatif qui ne peut signifier aucun pouvoir reel & existant dans la nature. Mais on pretend qu'il y a des causes necessaires & des causes non necessaires; d'ou paroit la merveilleuse utilite des definitions. Qu'on me definisse une cause, sans faire entrer dans la definition la liaison necessaire avec 1'effet... C'est une chose impossible... Notre definition etant admise, la liberte, autant de fois qu'on 1'oppose, non a la contrainte, mais a la necessite, sera la meme chose que le hasard, qui, de 1'aveu de tout le monde, est equivalent au neant. Ibid., [vol. I,] pages 240, 241 & 242. DE LA MORALE Je n'entends autre chose par ce droit naturel que les regies de la nature de chaque individu... Comme c'est une loi generale pour toutes les choses naturelles, que chacun en particulier se perpetue en son etat autant qu'il est en elle, sans avoir egard qu'a sa propre conservation, il s'ensuit que le droit naturel de chaque individu est de subsister & d'agir selon les forces que la nature lui a donnees. Dans cet etat nous ne distinguons pas les hommes d'avec les autres etres naturels, ni les hommes doues de la veritable raison, d'avec ceux qui ne 1'ont pas. Spinosa, edit, francoise du Traite theologico-politique, [intitule La Clef dusantuatre, Leyde, Warnaer, 1678, p. 400-402,] chap. 16.
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Dieu a 1'egard des actions des hommes, comme dans 1'ordre physique du monde, a etabli une loi generale, un principe infaillible de tout mouvement... Comme il a livre les etres inanimes a un mouvement aveugle & mechanique, il a de meme livre les hommes a un guide qui les penetre, pour ainsi dire, & les possede tout entiers. C'est le sentiment de 1'amour de nous-memes... La sensibilite physique est en nous ce qu'est le mouvement primitif imprime a la matiere, & qui bientot perd son uniformite pour donner naissance a la variete des plus belles combinaisons entre les corps. C'est sur des regies presque toutes semblables, que la Divinite a construit & gouverne le monde moral. Code de la nature, pag. 128, 129, 1578. Nos organes sont susceptibles d'un sentiment, ou d'une modification qui nous plait & nous fait aimer la vie. Si 1'impression de ce sentiment est courte, c'est le plaisir; plus longue, c'est la volupte; permanente, on a le bonheur : c'est toujours la meme sensation, qui ne differe que par sa duree & sa vivacite. J'ajoute ce mot, parce qu'il n'y a pas de souverain bien si exquis que le plaisir de 1'amour; plus ce sentiment est durable, delicieux, flatteur, nullement interrompu & trouble, plus on est heureux. Plus il est court & vif, plus il tient de la nature du plaisir. Plus il est long & tranquille, plus il s'en eloigne & s'approche du bonheur... Avoir tout a souhait, heureuse organisation, beaute, esprit, graces, talens, honneurs, richesses, sante, plaisir, gloire, tel est le bonheur reel et parfait. La Metric, [CEuvres philosophiques,] Anti-Seneque, ou Discours sur le bonheur, pag. [6-]7. Nous ne disposerons pas de ce qui nous gouverne; nous ne commanderons pas a nos sensations; avouant leur empire & notre esclavage, nous tacherons de nous les rendre agreables, persuades que c'est la ou git le bonheur de la vie; & enfin nous nous croirons d'autant plus heureux, que nous serons plus hommes, ou plus dignes de 1'etre, que nous sentirons la nature, 1'humanite, & toutes les vertus sociales; nous n'en admettons point d'autres, ni d'autre vie que celle-ci. Ibid., pag. 5 & 6. On dit avec raison qu'un homme qui meprise sa vie peut detruire qui bon lui semble. II en est de meme d'un homme qui meprise son amour-propre. Adieu toutes les vertus, si on en vient a ce point d'indolence, la source en sera necessairement tarie. L'amour-propre seul peut entretenir le gout qu'il a fait naitre. Son defaut est beaucoup plus a craindre que son exces... Le bien-etre est le motif meme de la mechancete. II conduit le perfide, le tyran, 1'assassin, comme 1'honnete homme... II est done tres evident que, par rapport a la felicite, le bien & le mal sont tres indifferens, & que celui qui aura une plus grande satisfaction a faire le mal, sera plus heureux que quiconque en aura moins a faire le bien. Ce qui explique pourquoi tant de coquins sont heureux dans ce monde, & fait voir qu'il est un bonheur particulier & individuel, qui se trouve & sans vertu, & dans le crime meme... (Telle) doit etre la source des egards, des indulgences, des excuses, des pardons, des graces, des eloges, de la moderation dans les supplices qu'on doit ordonner a regret, & des recompenses dues a la vertu, & qu'on ne scauroit accorder de trop grand coeur. Anti-Seneque, depuis la page 50 jusqu'a la page 56. Voyons en quoi consiste la fameuse dispute qui regne en morale entre les philosophies & ceux qui ne le sont pas. Chose surprenante! II ne s'agit que d'une simple distinction, distinction solide, quoique scholastique; elle seule, qui 1'eut cru, peut mettre fin a ces especes de guerres civiles & reconcilier tous nos ennemis. Je m'explique, il n'y a rien d'absolument juste, rien d'absolument injuste, nulle equite reelle, nulles vices, nulle grandeur, nuls crimes absolus. Politiques religionnaires, accordez cette verite aux philosophies, & ne vous laissez pas forcer dans des retranchemens, ou vous serez honteusement defaits. Concevez de bonne foi que celui-la est juste qui pese la justice au poids de la societe; & a
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leur tour les philosophies vous accorderont, & dans quel terns 1'ont-ils nie, que telle action est relativement juste ou injuste, honnete ou deshonnete, vicieuse ou vertueuse, louable, infame, criminelle, &c. Qui vous dispute la necessite de toutes ces belles relations arbitraires?... Oui, vous avez raison magistrals, ministres, legislateurs, d'exciter les hommes par tous les moyens possibles, moins a faire un bien dont vous vous inquietez peut-etre peu, qu'a concourir a 1'avantage de la societe, qui est votre point capital, puisque vous y trouvez votre interet. La Metric, [(Euvres philosophiques,} Discours preliminaire, pag. 31 & 329. Puisque nous s^avons a n'en point douter... que ce qui tient du legal ne suppose absolument aucune equite, laquelle n'est reconnoissable qu'au caractere que j'ai rapporte, je veux dire I'interet de la societe. Voila done enfin les tenebres de la jurisprudence & les chemins couverts de la politique eclaires par le flambeau de la philosophic; ainsi toutes les vaines disputes sur le bien & le mal moral, a jamais terminees. Ibid., pag. 59. Puisque la morale tire son origine de la politique, comme les loix & les bourreaux, il s'ensuit qu'elle n'est pas 1'ouvrage de la nature, ni par consequent de la philosophic ou de la raison, tous termes synonimes. Ibid., pag. 6. Les vices des particuliers menages avec dexterite par d'habiles politiques, peuvent etre tournes a 1'avantage du public. [Mandeville, Fable des abeilles, Londres, 1750, 4 vol., n, p. 216.] II seroit absolument impossible de rendre une nation peuplee, riche & florissante, si Ton en bannissoit ce que nous appellons mal, soit physique, soit moral. [Ibid., n, p. 141.] Une nation frugale & temperante sera pauvre, ignorante, sans vices considerables, mais sans vertus. [Ibid., I, 225-226.] Jamais 1'homme ne s'anime avec tant d'ardeur, que lorsqu'il est excite par les desirs. Son excellence & sa capacite demeurent enfoiiies si nul objet considerable ne le reveille. Sans 1'influence des passions, notre machine est semblable a un vaste moulin, dans un terns de calme. [Ibid., i, p. 226-227.] Le bonheur d'une nation consiste dans 1'opulence, dans le pouvoir, la gloire & la splendeur... Or la vertu, la probite, la frugalite, la moderation, la modestie ne produiront pas ces effets, mais bien la prodigalite, I'avarice, 1'envie, I'ambition, la vanite & I'orgueil, & les autres vices temperes les uns par les autres. [Ibid., Preface, I, p. xiii-xiv.] L'orgueil & la vanite ont plus batis d'hopitaux, que toutes les vertus ensemble. [Ibid., n, p. 37.] Si les femmes etoient modestes, raisonnables, obeissantes a leurs maris, en un mot si elles avoient toutes les vertus, elles ne contribueroient pas de la millieme partie autant a rendre un royaume opulent, puissant & florissant, qu'elles y contribuent par les qualites qui les deshonorent. [Ibid., I, p. 296.] Le chef-d'oeuvre du legislateur a etc d'apprendre aux hommes a combattre leurs appetits, & de leur persuader qu'il convenoit mieux d'avoir egard a I'interet public, que de se borner a leur interet particulier. [Ibid., n, p. 2.] Le genre humain s'est accorde a donner le nom de vice a toute action que l'homme commettroit pour satisfaire quelques-uns de ses appetits, sans egard a I'interet public, & le nom de vertu a toutes les actions qui, etant contraires aux mouvemens de la nature, tendroient a procurer les avantages du prochain. [Ibid., n, p. 10.] Plus nous examinerons de pres la nature de l'homme, plus nous nous convaincrons que les vertus morales sont des productions politiques, que la flaterie engendra de I'orgueil. [Ibid., n, p. 14.]
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\&pulchrum & I'homstum changent comme les modes. [Ibid., n, p. 171.] C'est le mal, soit moral, soit physique, qui est le fbndement de toutes les societes. [Ibid., n, p. 215.] Pour veiller a notre propre conservation, 1'Auteur de la nature nous a fait naitre avec 1'amour de nous-memes par-dessus toutes choses. [Ibid., I, p. 250.] 10 C'est le comble de la folie que de se proposer la ruine des passions. [Diderot,] Pensees philosophiques, [La Haye, 1746, 136 p.,] pag. 6[-7], pensee sixieme [ = cinquieme]. Les moralistes declament d'ordinaire avec force centre les passions, & ne se lassent pas de vanter la raison. Je ne craindrai pas d'avancer qu'au contraire ce sont nos passions qui sont innocentes, & notre raison qui est coupable. [Toussaint,] Les Moeurs, [s. 1., 1748, 474 p.] pag. 73, i partie. Regardera-t-on comme une pente incommode, cette pente insurmontable qui entraine un sexe vers 1'autre... ? Consentir a satisfaire ce besoin, c'est le seul moyen raisonnable pour s'affranchir de son importunite. Les Maeurs, pag. 65[-66], i partie. Si le hasard a voulu que (le philosophe) fut aussi bien organise que la societe peut, & que chaque homme raisonnable doit le souhaiter, le philosophe s'en felicitera & meme s'en rejouira, mais sans suffisance & sans presomption. Par la raison contraire, comme il ne s'est pas fait lui-meme, si les ressorts de sa machine jouent mal, il en est fache, il en gemit en qualite de citoyen; comme philosophe, il ne s'en croit pas responsable. Trop eclaire pour se trouver coupable de pensees & d'actions, qui naissent & se font malgre lui, soupirant sur la funeste condition de 1'homme, il ne se laisse pas ronger par ces bourreaux de remords... Nous ne sommes pas plus criminels en suivant 1'impression des mouvemens primitifs qui nous gouvernent, que le Nil ne Test de ses inondations, & la mer de ses ravages. La Metric, [(Euvres philosophiques,} Systeme d'Epicure, [p. 30-31,] art. 47 & 48. La continence, quoique volontaire, n'est pas estimable par elle-meme; elle ne le devient qu'autant qu'elle importe accidentellement a la pratique de quelques vertus, ou a 1'execution de quelques desseins genereux; hors ces cas, elle merite souvent plus de blame que d'eloges. Les Mosurs, II partie, pag. 303. Que faire pour etre heureux? Etre mechant si Ton a 1'esprit, 1'ame, le coeur & les penchans tournes a la mechancete; etre bon si on a 1'ame, le coeur & les penchans tournes a la bonte, & mourir comme on a vecu... J'aurai beau dire aux moutons de faire les loups, ils seront toujours moutons; & aux loups d'etre doux comme des agneaux, ils resteront toujours loups. [Mme de Puisieux,] Les Caracteres, [Londres ( = Paris), 1750-1751, 2 parties en 1 vol.,] i partie, pag. 132 & 133Les loix (etablies contre ceux qui se tuent eux-memes) sont bien injustes. Quand je suis accable de douleur, de miseres, de mepris, pourquoi veut-on m'empecher de mettre fin a mes peines & me priver cruellement d'un remede qui est en mes mains. Lettres persannes, Iettre74, edit, de 1722 11 . Veut(-on) me condamner a recevoir des graces qui m'accablent? (En separant mon ame de mon corps) troublai-je 1'ordre de la Providence, lorsque je change les modifications de la matiere, & que je rends quarree une boule que les premieres loix du mouvement... avoient fait ronde? Non, sans doute; je ne fais qu'user du droit qui m'a etc donne... sans que Ton puisse dire que je m'oppose a la Providence. Lorsque mon ame sera separee de mon corps (par le suicide), y aura-t-il moins d'ordre & moins d'arrangement dans I'univers? Toutes ces idees n'ont d'autre source que notre orgueil... Nous nous imaginons que I'anneantissement d'un etre aussi parfait que nous degraderoit toute la nature. Ibid., lett. 74 n .
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Cette action (le suicide) chez les Remains etoit 1'effet de 1'education, elle tenoit a leur maniere de penser & a leurs coutumes. Chez les Anglois elle est 1'effet d'une maladie; elle tient a 1'etat physique de la machine & est independante de toute autre cause... II est clair que les loix civiles de quelques pays peuvent avoir eu des raisons pour fletrir 1'homicide de soi-meme, mais en Angleterre, on ne peut pas plus le punir qu'on ne punit les effets de la demence. Esprit des loix, [Londres, 1757, 4 vol.,] torn, n, [p. 52-53,] liv. 14, chap. 12. DE LA RELIGION La religion cut pu parler le langage de la raison; Nicole, cette belle plume du siecle passe qui 1'a si bien contrefait, le lui cut fait parler. La Metric, [(Euvres phi/osopbiques,] Discours preliminaire deses ceuvres, pag. 59 [ = 52-53]. L'attachement mal entendu au culte exterieur dans lequel on est eleve, est une source de haine entre ceux qui en professent de differens... On couvre du nom de zele ce qui n'est qu'attachement a son propre sens, aveugle opiniatrete, fanatisme & barbaric. Les Moeurs, in part., pag. 444[-445]. L'esprit d'intolerance est un esprit de vertige, dont les progres ne peuvent etre regardes que comme une eclipse entiere de la raison humaine. Lettrespersannes, lettr. 73 12 Julien Apostat valoit-il moins que Chretien? en etoit-il moins un grand homme & le meilleur des princes?... Croire un Dieu, en croire plusieurs, regarder la nature comme une cause aveugle & inexplicable de tous les phenomenes, ou seduits par 1'ordre merveilleux qu'ils nous offrent, reconnoitre une intelligence supreme plus incomprehensible encore que la nature..., voila le champ ou les philosophes ont fait la guerre entr'eux, depuis qu'ils ont connu 1'art de raisonner, & cette guerre durera tant que cette reine des hommes, 1'opinion, regnera sur la terre. Voila le champ ou chacun peut encore aujourd'hui se battre & suivre parmi tant d'etendards celui qui rira le plus a sa fortune, ou a ses prejuges, sans qu'on ait rien a craindre de si frivoles & si vaines escarmouches, mais c'est ce que ne peuvent comprendre ces esprits qui ne voient pas plus loin que leurs yeux. La Metric, [CEuvres philosophiques,} Discours preliminaire, pag. 26 & 27. DU GOUVERNEMENT Magistrats, grands d'une republique, monarques, qu'etes-vous dans le droit naturel a 1'egard des peuples que vous gouvernez? De simples ministres deputes pour prendre soin de leur bonheur, dechus de tout emploi, & les plus vils membres de ce corps, des que vous remplissez mal votre commission... Une nation qui met un de ses citoyens a sa tete, n'estelle pas en droit de lui dire... : "Si nous trouvons notre utilite a vous proroger le gouvernement, si nous jugeons que quelqu'un des votres en soit capable, apres vous, nous pourrons agir en consequence, par un choix libre & independant de toute pretention."? Et je demande quelle capitulation, quel titre, quel droit d'antique possession peut prescrire contre la verite de cette chartre divine, peut en affranchir les souverains?... Que Ton juge sur cet expose de la forme ordinaire des gouvernemens. Code de la nature, pag. 117, 120 & 121. Toute autorite vient d'une autre origine que de la nature; qu'on examine bien, & on la fera toujours remonter a 1'une de ces deux sources : ou la force & la violence de celui qui s'en est empare, ou le consentement de ceux qui s'y sont soumis par un contrat fait ou suppose entre eux & celui a qui ils ont defere 1'autorite... La puissance qui vient du consen-
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tement des peuples suppose necessairement des conditions qui en rendent 1'usage legitime, utile a la societe, avantageux a la republique, & qui la fixent & la restraignent entre des limites... La vraie & legitime puissance a necessairement des bornes... Enoch & Elie qui resisteront (a I'Antechrist) ne seront ni des hommes rebelles ni seditieux... mais des hommes raisonnables, fermes & pieux, qui sc.auront que toute puissance cesse de 1'etre des qu'elle sort des bornes que la raison lui a prescrites, & qu'elle s'ecarte des regies que le Souverain des princes & des sujets a etablies; des hommes, enfin, qui penseront comme saint Paul, que toute puissance n'est de Dieu qu'autant qu'elle est juste & reglee. Le prince tient de ses sujets 1'autorite qu'il a sur eux, & cette autorite est bornee par les loix de la nature & de 1'Etat. Les loix de la nature & de 1'Etat sont les conditions sous lesquelles ils se sont soumis. Diclionnaire encydop., [1751-1780, 35 vol., I, p. 898,] article "Autorite [politique]" [par Diderot]. Nul ne promet sans fraude de renoncer au droit qu'il a sur toutes choses, & personne ne tiendra effectivement sa promesse, s'il n'y est invite par la crainte d'un plus grand mal ou par 1'esperance d'un plus grand bien... Nulle convention n'est valide qu'autant qu'elle est utile; sans cette circonstance tout contrat est de nul effet. Par consequent on ne doit exiger de personne une foi inviolable, a moins que Ton n'ait fait en sorte que 1'infracteur ne souffre encore plus de dommage que de profit. Spinosa, Traite theologico-politique, [La Clef du santuaire, 1678, p. 407-408,] chap. 10 [= 16]13. Un prudent & avise seigneur ne peut ni ne doit garder si etroitement sa foi, quand telle observance lui est prejudiciable, & que les occasions & necessites qui la lui ont fait promettre, sont [de]ja passees & eteintes, car si tous les hommes etoient bons, ce precepte seroit a blamer, mais vue leur ordinaire mauvaisete, & qu'eux-memes ne te la garderoient pas, tu n'es tenu aussi de la leur observer; & ne faut point avoir peur qu'un prince ne trouve toujours suffisante raison pour tolerer cette infraction de foi; on peut amener infinis exemples a ce propos; combien de paix, de treves & promesses ont etc rompues par infldelite des princes, & que celui qui a mieux fait le renard, est le plutot venu au-dessus de ses affaires; si est-il besoin toutefois de deguiser bien fort cette nature & user de grande feinte & dissimulation. Le Prince de Machiavel, traduit de I'italien en franfois, edit. in-4° de 1634, chap. 18, pag. 64&65 1 4 . Quel mal, je le demande aux plus grands ennemis de la liberte de penser & d'ecrire, y at-il d'acquiescer a ce qui paroit vrai, quand on reconnoit avec la meme candeur & qu'on suit avec la meme fidelite ce qui paroit sage & utile?... Ne peut-on tacher d'expliquer & de deviner 1'enigme de I'homme? En ce cas, plus on seroit philosophe, plus, ce qu'on n'a jamais pense, on seroit mauvais citoyen. Enfin quel funeste present seroit la verite, si elle n'etoit pas toujours bonne a dire; quel apanage superflu seroit la raison, si elle etoit faite pour etre captivee & subordonnee? Soutenir ce systeme, c'est vouloir remper, & degrader 1'espece humaine... mais ecrire en philosophe, c'est enseigner le materialisme? He bien! quel mal? La Metric, \CEuvresphilosopkiques,] Discourspreliminaire, pag. 17 & suivantes.
Nous nous abstiendrons d'indiquer les autres sources ou a puise 1'auteur que nous nous proposons de censurer, de crainte que les vapeurs empoisonnees qui s'exhalent de ces cloaques d'impurete & d'irreligion, ne deviennent funestes a nos lecteurs. Les esprits sont aujourd'hui si susceptibles de mauvaises impressions, qu'on doit craindre de leur fournir la moindre occasion de tornber dans les delires de la philosophic de nos jours. 400
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Allez done, sectateurs vains & orgueilleux d'une fausse philosophic, vils esclaves d'une folle sagesse, dont vous etes le jouet, admirateurs infatigables d'une force pretendue de raisonnement qui vous egare, allez, la simplicite chretienne n'a pas besoin de vos lemons, elle sc,ait sans vous, & mieux que vous, ce qui est bon, ce qui est saint, ce qui contribue au salut des ames & au bonheur du genre humain. Quand vous nous parlez de Dieu, vous le peignez comme un etre oisif & inutile dont on peut se dispenser de chercher a connoitre 1'existence & les attributs, qui n'ont aucune espece d'influence sur la societe humaine. Vous defigurez l'homme, que vous ne distinguez des betes que par 1'appareil de ses organes exterieurs. Vous ne connoissez de recompense pour la vertu que la jouissance des plaisirs honteux, qui seuls, dites-vous, peuvent vous consoler du malheur d'etre. Enfin vous voulez que les rois prennent ou quittent au gre du caprice d'un peuple aveugle & injuste les droits & 1'exercice de la royaute. Le christianisme suit d'autres principes : il professe un Dieu unique, doiie de toutes les perfections, un Dieu bon, juste, dont la Providence s'etend sur tout, & principalement sur les choses humaines. II sgait que le genre humain, innocent & pur", au sortir des mains de Dieu, a ete souillie par le crime du premier homme, rachete par le sang de J.-C. & rendu a sa premiere destination. II croit que 1'ame de l'homme est faite pour Dieu; qu'elle ne peut etre rassasiee que de Dieu, & que son cceur ne trouve point de repos, a moins qu'il ne se repose en Dieu. Enfin il reconnoit que la puissance des rois est une emanation de la puissance de Dieu meme; qu'il faut obeir aux rois pour plaire a Dieu, & que si on leur resiste, Dieu meme punit la resistance. Ce sont la les sentiments dont un cceur chretien se nourrit; il les tient de Dieu meme qui a parle par ses prophetes, par son fils, par les apotres. Et on ne 1'accusera pas de se livrer imprudemment a la foi qui le persuade, a moins qu'on ne suppose que Dieu peut tromper les hommes, ou que 1'univers entier a pu etre seduit par des hommes, foibles, ignorans, par de simples pecheurs qui n'avoient d'autres armes que la patience, d'autres richesses que la pauvrete, d'autre conseil que la simplicite, qui n'annonfoient du verbe de vie que ce qu'ils avoient entendu, que ce qu'ils avoient vu, que ce qu'ils avoient touche de leurs mains, & qui scellant de leur propre sang la verite qu'ils prechoient, convainquirent les grands & les petits, les scavans & les ignorans, & forcerent le genre humain de renoncer a 1'idolatrie pour croire en J.-C. crucifie. Mais les livres sacres sont-ils assez clairs par eux-memes pour dissiper nos doutes & fixer notre croyance? Et s'ils ne le sont pas, quelle sera la lumiere qui pourra nous eclairer? J.-C. a fonde son Eglise avec laquelle il a promis de demeurer jusqu'a la consommation des siecles; on peut toujours la reconnoitre par les caracteres qui lui sont propres & qui la distinguent de toutes les autres societes qui 401
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pouroient avoir quelque trait de ressemblance avec elle; on peut la consulter, parce qu'elle est toujours presente; elle a ses pasteurs, elle a ses maitres que Dieu a institues pour travailler a la perfection des saints & aux fonctions de leur ministere... afin que nous ne soyons pas comme des enfans, comme des personnes flotantes, 6- qui se laissent emportera tons les vents des opinions humaines, par la tromperie des hommes & par I'adresse qu'ils ont a engager artificieusement dans I'erreur (Eph., c. 4, v. 11 & 12). II suffit de sfavoir si elle a parle, parce que quand elle a parle, les recherches sont inutiles, la resistance est une folie, & le doute seul est un crime. Qu'ils cessent done ces philosophes, (car ils aiment qu'on les nomme ainsi) ces philosophes sortis, non de 1'Academie de Platon, ni du portique de Zenon, mais de 1'etable (a) d'Epicure! Qu'ils cessent de nous reprocher notre aveuglement dans ce qui concerne la nature & la Divinite. Nous n'avons d'autre doctrine que celle de nos Peres, que celle qu'ils professoient eux-memes avant que d'avoir renonce a leur bapteme. Qu'ils cessent de nous faire de mauvais proces sur une religion, sur des principes de mceurs qu'un long usage & un droit incontestable nous assurent. Qu'ils cessent d'ebranler la fidelite due au meilleur des rois, a qui toute la nation a donne de concert le nom de Bien-Aime. Qu'ils se considerent eux-memes, qu'ils examinent ce qu'ils sont, quels droits ils ont, quels titres, quelle mission, & surtout a quel ennemi ils osent declarer la guerre. C'est a cette Eglise sainte que J.-C. a fondee sur la pierre, qui a soutenu tant d'assauts, a cette Eglise qui a brave des tempetes mille fois plus terribles que celle-ci, & qui, loin de 1'ebranler, n'ont fait que 1'affermir davantage sur ses fondemens. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle a ete en butte aux traits de ceux que le siecle appelle philosophes. On 1'a vu aux prises avec ces memes ennemis lorsqu'elle ne faisoit que de naitre, & qu'elle etoit renfermee dans les bornes les plus etroites, lorsqu'elle etoit livree a la fureur des bourreaux & qu'on employoit le fer & le feu pour la detruire. Dans ces momens critiques elle repoussoit les attaques des sages du paganisme, mais quels sages! des hommes profonds dans toutes les sciences, armes de la plus subtile dialectique & de la plus forte eloquence, soutenus de 1'effort unanime de toutes les sectes conjurees contre le christianisme. Le schisme a tente mille fois de lui enlever ses milices; 1'heresie souvent appuyee de 1'autorite des rois & des empereurs, a voulu forcer ses retranchemens; 1'enfer a arme contre elle toute sa fureur; dans tous les terns, point de repos, point de treve, mais toujours soutenue par la main de Dieu & plus terrible qu'une armee rangee en bataille, elle a vu ses ennemis, & ils ont fuis comme le mensonge fuit devant la verite. (a) Cette expression, qui paroit trop forte, n'est que juste, puisque ces auteurs se mettent eux-memes au niveau des betes.
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C'est toutefois cette meme Eglise qui s'appuie aujourd'hui sur tant de trophees, qui est protegee par tant de rois, surtout par le Roi Tres-Chretien, qui est defendue meme par les loix civiles, enfin qui est etablie dans les moeurs des peuples depuis dix-huit siecles, c'est cette Eglise qui se trouve attaquee aujourd'hui par les pratiques secrettes d'un petit nombre d'hommes sans nom, la plupart vils, mercenaires, faisant trafic de leur impiete, parce qu'ils n'ont pas d'autres ressources. La posterite, sans doute, reprochera a notre siecle sa patience excessive & sa foiblesse. La plupart de ces hommes ne sont pas inconnus; 1'Eglise les souffre encore, quoiqu'a regret, dans son sein comme des insectes venimeux. L'Etat les laisse encore dans la societe; cependant le souverain pontife, 1'illustre archeveque de cette capitale, le Roi, le Parlement, viennent de leur faire presentir leur indignation, & ce qu'ils doivent attendre, s'ils perseverent dans leurs fureurs. Get avis doit suffire, s'ils sont encore capables de reflexion, pour les faire rentrer en eux-memes, & pour les engager a renoncer au pro jet qu'ils ont forme de pervertir les esprits & de corrompre les cceurs. Qu'ils craignent surtout qu'on ne les oblige de composer cette republique, dont ils aiment a tracer le plan, ou les hommes uniquement occupes de 1'interet personnel, sans loix, sans religion, sans frein pour arreter la fougue des passions, se detruiroient mutuellement, les plus forts en usant du glaive, & les foibles en se servant du poison, & par ce moyen delivreroient la terre d'une race inhumaine qui la deshonore. Pour nous, charges que nous sommes par le Seigneur de garder son camp & de veiller sous les armes, pour etre toujours prets a combattre (l Mac., cap. 12, [v. 27]), il etoit de notre devoir de nous opposer aux entreprises de 1'ennemi & d'arreter, autant qu'il etoit en nous, ses progres. C'est par cette raison que nous avons choisi le livre De /'Esprit, commereunissant toutes les sortes de poisons qui se trouvent repandues dans differens livres modernes; nous en avons extrait un certain nombre de propositions, que nous avons notees, ainsi que la Faculte a coutume de le faire, mais avec des qualifications extraordinaires que la nature des erreurs a exige de nous. PROPOSITIONS SUR L'AME
I. Pour pouvoir donner [...] causes productrices de nos idees. (Disc. I, ch. 1, pag. 1 & 2, edition in-4°.)15 II. Je dis que [...] la sensibilite physique. (Disc. I, ch. 1, p. 6.) in. Toutes les operations de 1'esprit se reduisent a juger... tout jugement n'est qu'une sensation. (Disc. I, ch. 1, pag. 9 & 10.) [V. Juger... n'est proprement quesentir. (Disc. I, ch. 1, p. 41.) v. Dans 1'homme [...] certaines erreurs de 1'esprit. (Disc. I, ch. 1, p. 12.) 403
APPENDICE 14
Censure de la Faculte de theologie CENSURE
Ces propositions, dans lesquelles on assure "que toutes les operations de 1'ame, sc,avoir ses perceptions & ses jugemens, ne sont que des sensations, c'est-a-dire, des impressions que les objets exterieurs ou les corps font sur nous; que toutes les facultes de 1'ame se reduisent uniquement a deux puissances passives, sc.avoir la sensibilite physique & la memoire, puissances qui sont les seules causes productrices de nos idees". Ces propositions puisees dans les sources impures de 1'atheisme, sont fausses, absurdes, contraires au sens intime; elles depouillent I'homme de toute liberte dans ses deliberations; elles soumettent tous les jugemens humains a une fatale necessite; elles supposent que 1'homme n'a & ne peut avoir aucune connoissance de Dieu, & des choses spirituelles, puisque ces objets ne tombent pas sous les sens; elles detruisent toute regie commune de verite, regie qui ne peut etre la sensation, laquelle varie suivant les dispositions differentes du sujet qu'elle affecte, est toujours determinee a un objet particulier, & doit etre soumise au tribunal de la raison qui peut seule decider de la verite de son rapport; elles renversent, par consequent, les fondemens de toute veritable science; elles contiennent enfin le venin du materialisme, & conduisent a 1'atheisme. vi. Ces facultes [...] des troupeaux fugitifs. (Disc. I, ch. 1, p. 2.) vii. Sans une certaine organisation exterieure, la sensibilite & la memoire ne seroient en nous que des facultes steriles. (Disc. I, ch. 1, p. 4.) viii. On a beaucoup ecrit [...] 1'ame des animaux. (Disc. I, ch. 1, p. 2, note (a).} ix. C'est en combinant [...] des facultes steriles. (Disc. I, ch. 1, p. 3, aux notes, colonne 2.) CENSURE
Ces propositions dans lesquelles on assure "que la sensibilite physique & la memoire sont tellement communes a rhomme & aux animaux, qu'il n'y a d'autre cause de 1'inferiorite de ce qu'on appelle Tame des betes & de la superiorite de 1'homme sur la brute, que la difference exterieure des organes, en sorte que cette seule difference d'organisation exterieure rend ces facultes moins steriles dans les hommes que dans les animaux". Ces propositions sont fausses, temeraires; elles outragent 1'humanite; elles avilissent la dignite de 1'ame creee a 1'image de Dieu, & tendent a detruire la foi de son immortalite; elles sentent le materialisme. x. L'on a de tout temps [...] 1'opinion contraire. (Disc. I, ch. 4, p. 31 &
32.) 404
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Censure de la Faculte de theologie CENSURE
Cette proposition ou il est dit "qu'on ne peut demontrer que la faculte de sentir n'est pas une propriete commune a tous les corps, quoiqu'elle ne se manifeste que dans les corps organises des animaux; que la decouverte d'une force telle que 1'attraction peut nous faire soupconner que les corps ont encore quelques proprietes inconnues, telle que la faculte de sentir; et par consequent qu'on ne peut decider cette question qu'en calculant & comparant la probabilite de cette opinion avec la probabilite de 1'opinion contraire". Cette proposition est fausse, absurde; elle decouvre la temerite & la mauvaise foi de 1'auteur, qui, pour detruire la religion, abuse de la philosophic de Newton, centre 1'intention expresse de ce philosophic & de ses disciples les plus celebres; et rapprochee des precedentes deja condamnees, elle presente aux lecteurs un systeme complet de materialisme egalement funeste a la religion & a la societe. XL Peut-etre me demandera-t-on [...] calcul des probabilites. (Disc. I, ch. 1, pag. 4 & 5.) xn. Quelque Stoi'cien [...] pour un songe. (Ibid., pag. 4 et 5, note (d) relative a la proposition precedente.) xm. Une preuve [...] apres cette vie. (Ibid., meme note, p. 5.) CENSURE
Ces propositions en tant qu'elles "representent la spiritualite de 1'ame comme une opinion problematique pour quiconque n'en juge que par les seules lumieres de la raison, & qu'elles enoncent que les principes de 1'auteur sur 1'esprit s'accordent egalement bien avec les deux hypotheses de 1'ame spirituelle ou materielle". Ces propositions sont fausses, contraires aux lumieres evidentes de la raison, & degradent la nature humaine. Et en tant que 1'auteur dans ces memes propositions, apres s'etre couvert d'un masque de catholicite, "presente le sentiment de I'immortalite de Fame comme une opinion douteuse; y insinue sous un nom etranger que cette immortalite n'est qu'un songe; qu'avant la naissance de la religion chretienne, cette croyance n'avoit point eu de sectateurs dans 1'empire remain; que le dogme d'une vie future, nouvellement introduit, fut envisage, sous le regne de Neron, comme contraire aux interets de la republique". Ces propositions contiennent une doctrine fausse, scandaleuse, qui contredit la croyance universelle de tous les lieux & de tous les temps, opposee aux sentimens des philosophes les plus celebres de 1'antiquite payenne; 405
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doctrine qui ore a la vertu ses motifs les plus puissans & lache la bride a tous les vices; qui est egalement injurieuse a la sagesse, a la bonte & a la justice de Dieu; qui detruit les principes de la religion naturelle, & qui n'a ete imaginee que pour rendre odieuse la religion chretienne. A 1'egard de ce que 1'auteur avance sous le nom de Seneque, & de celui qu'il attribue au peuple remain, on n'y voit que des imputations fausses & de la mauvaise foi, ou du moins ignorance grossiere de 1'histoire romaine, & une meprise dans le sens qu'il donne au passage de la lettre du philosophe qu'il cite avec complaisance, (a) xiv. Que seroit-ce [...] effets sans cause. (Disc. I, ch. 4, p. 36.) Du moins (dira-t-on) sommes-nous libres [...] synonyme d'eclaire. (Ibid., p. 37.) II faut que toutes nos pensees [...] des effets sans cause. (Ibid., p. 37 & 38.) xv. II est encore des gens [...] un des bassins de la balance. (Ibid., page 37, note (b), relative a la proposition precedente.) CENSURE
Ces propositions ou Ton soutient "que les hommes ne sont libres, ni dans le choix des moyens qu'ils peuvent employer pour se rendre heureux, ni dans la suspension des jugemens de 1'esprit; que lorsqu'on croit deliberer, on ne fait alors que prendre pour deliberation la lenteur avec laquelle, entre deux poids a peu pres egaux, le plus pesant emporte un des bassins de la balance; que toutes nos pensees & tous les actes de notre volonte sont, ou des effets immediate, ou des suites necessaires des impressions involontaires que nous avons recues; qu'un traite philosophique de la liberte seroit une production aussi ridicule qu'un traite des effets sans cause; qu'il faut considerer la liberte comme un mystere, & s'ecrier avec saint Paul, 6 altitudo\; que la theologie seule peut discourir sur une pareille matiere". Ces propositions (heretiques en elles-memes) repugnent au sens intime que nous avons de notre liberte; elles sont injurieuses aux philosophes, aux theologiens, a 1'Ecriture sainte, & sur-tout a 1'apotre saint Paul; elles sont impies; elles anneantissent le merite & le demerite des actions; elles detruisent toute difference entre les crimes meme les plus enormes & les maux physiques qui ont une cause necessaire; elles etablissent le fatalisme; elles ruinent toute legislation morale, & par consequent celle de Dieu meme (a) Quand le jour sera venu, qui separera 1'humain d'avec le divin, je laisserai ce corps ou je 1'ai trouve, & je me rendrai avec les dieux. Ce n'est pas que je sois maintenant sans eux, je suis seulement retenu par une masse pesante & terrestre. Le sejour qu'on fait dans cette vie mortelle, n'est qu'une preparation a une meilleure & plus longue vie... Ce jour, que vous craignez comme s'il etoit le dernier de votre vie, est celui de votre naissance pour 1'eternite. Traduct. de [la Suitte des Epistres de\ Seneque par Du Ryer, [Paris, Sommaville, 1654, Epistre en, p. 163-165].
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qui suppose evidemment une vraie liberte dans 1'homme; elles ne laissent aucun lieu a la manifestation de la saintete & de la justice divine; elles sappent & renversent ouvertement & d'un meme coup tous les principes de la morale chretienne & de la probite naturelle. SUR LA MORALE
I. Si la poesie [...] 1'enfance du monde. (Disc, n, ch. 23, p. 222.) ii. Quels ennemis de 1'humanite [...] les crocodiles sacres de Memphis. (Disc, n, ch. 23, pag. 223, 224, 225 & 226.) in. II suffit, pour cet effet [...] ennemis de 1'humanite. (Disc, n, ch. 24, p. 228.) iv. Si 1'examen [...] aux peuples abrutis. (Disc, n, ch. 24, pag. 238 & 239.) v. Pourquoi le nom des Descartes [...] des maximes sur la vertu. (Disc, n, ch. 22, pag. 219 & 220.) VI. Les principes que j'etablis [...] une physique experimental. (Preface, pag. 1 & 2.) En morale, ainsi qu'en physique, c'est toujours sur des faits qu'il faut etablir ses opinions. (Disc, ill, ch. 5, p. 296.) vii. Plus de connoissance du mal doit donner aux moralistes plus d'habilete pour la cure. Us pourront considerer la morale d'un point de vue nouveau, &, d'une science vaine, faire une science utile a 1'univers. (Disc, n, ch. 14, p. 154.) CENSURE
Ces propositions, selon lesquelles "la morale recue chez tous les peuples, quant aux premiers principes, depuis le commencement du monde jusqu'a ce jour, & meme la morale divine que professent les nations chretiennes, n'est qu'une science frivole et inutile, etablie au hasard par les premiers hommes qui s'unirent en societe, & se donnerent des mceurs, avant que 1'observation leur en cut decouvert les vrais principes, en sorte que la morale est encore a peine sortie du berceau, & que nous n'avons que la morale informe de 1'enfance du monde; selon lesquelles les moralistes ont jusqu'a present perdu leur temps a composer des maximes sur la vertu, & n'ont ete d'aucun secours a 1'humanite; selon lesquelles il faut introduire une nouvelle morale, une morale experimental, fondee uniquement sur les faits & deduite des actions des hommes corrompus & livres a leurs passions, comme le montrent les exemples que I'auteur rapporte dans son livre; selon lesquelles enfin ceux qui s'opposent a cette nouvelle morale & veulent qu'on retienne celle qui lui est contraire, & par consequent la morale chretienne, doivent etre diffames comme des impies, des fanatiques, des scelerats, comme les plus cruels ennemis de 1'humanite, les protecteurs de la stupidite, qui tiennent le sceptre de 1'ignorance pour commander aux peuples abrutis". 407
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Ces propositions sont fausses & absurdes; elles renversent 1'ordre des choses, en fondant la regie des moeurs sur les actions des hommes memes corrompus, au lieu que les actions humaines doivent etre conformes aux regies des mceurs; elles degradent avec impiete la Providence du Createur, en tant qu'elles supposent les premiers hommes abandonnes a eux-memes sans aucune loi; elles insultent sans pudeur des hommes illustres qui dans tous les siecles ont tres bien merites de 1'humanite, elles insultent meme tout le genre humain; elles outragent les ministres de 1'Eglise & les magistrats Chretiens; elles sont blasphematoires centre les prophetes & les apotres, & centre Jesus-Christ lui-meme; elles sont pleines de fureur & d'extravagance. viii. II semble que [...] le bonheur du monde moral. (Disc, in, ch. 9, p. 322.)
CENSURE
Cette proposition, ou il est dit que "1'ordre dans lequel on suppose a present 1'univers physique s'est forme enfin, apres mille assemblages monstrueux des elemens, par la seule force imprimee d'abord a la matiere; que de meme dans 1'univers moral il paroit qu'il n'y a qu'un principe de tout ce qui s'y fait, scavoir la sensibilite physique, par laquelle 1'homme, aveugle instrument des volontes de Dieu, remplit, sans le scavoir, tous ses desseins; que les hommes mis sous la garde du plaisir & de la douleur, apres avoir etc le jouet de mille passions & de mille fureurs, & avoir enfante mille systemes absurdes & differens de morale & de legislation, doivent decouvrir un jour les principes simples au developpement desquels est attache 1'ordre & le bonheur du monde moral". Cette proposition est fausse & absurde; elle presente sur la formation du monde physique un systeme insense, qui en enleve a Dieu la partie ou eclatte le plus sa sagesse, & qui ne peut plaire qu'aux athees; elle soumet a la necessite & au fatalisme le monde moral* & toute la suite des actions humaines, & rend manifestement Dieu auteur de toutes les erreurs, de tous les crimes & de toutes les fureurs des hommes; elle rejette par consequent avec impiete & blaspheme la Providence de Dieu dans 1'ordre moral, & contient, quant aux mceurs, tout le venin de 1'atheisme. En tant que cette meme proposition fait entendre que "du developpement des principes expliques dans 1'ouvrage, resultera 1'ordre & le bonheur de 1'univers moral", elle montre 1'orgueil incroyable & la folle presomption de 1'auteur, qui ose preferer ses idees a la sagesse de tout le genre humain, & meme a la legislation divine. 408
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IX. La douleur & le plaisir des sens font agir & penser les hommes, & sont les seuls contrepoids qui meuvent le monde moral. (Disc. HI, ch. 15, p. 366.) x. L'homme n'etant, par sa nature, sensible qu'aux plaisirs des sens, ces plaisirs, par consequent, sont 1'unique objet de ses desirs. (Disc, m, ch. 30, p. 326.) XL II faut [...] une morale utile. (Disc, n, ch. 24, p. 230.) xn. C'est uniquement a la maniere differente dont 1'interet personnel se modifie, que Ton doit ses vices & ses vertus. (Disc. 11, ch. 5, p. 52.) Le vulgaire [...] soustraire a des peines. (Disc, n, ch. 1, note (b), p. 46.) xiii. Quel autre motif (que 1'interet personnel) pourroit determiner un homme a des actions genereuses? II lui est aussi impossible d'aimer le bien pour le bien que d'aimer le mal pour le mal. (Disc. II, ch. 5, p. 73.) xiv. Les hommes ne sont point mechans, mais soumis a leurs interets. Les cris des moralistes ne changeront certainement pas ce ressort de 1'univers moral. Ce n'est done point de la mechancete des hommes dont il faut se plaindre. (Disc. II, ch. 5, note (a), p. 73.) CENSURE
Ces propositions, dans lesquelles on assure que "le plaisir & la douleur des sens sont le principe de toutes les affections, de tous les mouvemens de 1'esprit humain, & le seul objet des desirs des hommes; que ces deux impressions (le plaisir & la douleur des sens) sont tellement la cause de toutes les actions humaines qu'il n'est point d'autre motif qui puisse determiner les hommes a des actions genereuses, & qu'il leur est aussi impossible d'aimer le bien pour le bien, que d'aimer le mal pour le mal; que les hommes, quoiqu'ils fassent, ne sont point mechans, mais seulement soumis a leurs interets, & que ce n'est pas de leur mechancete qu'il faut se plaindre; que le plaisir & la douleur sont les seuls moteurs, les seuls contrepoids, les seuls ressorts de 1'univers moral; et qu'ainsi le sentiment de 1'amour de soi, c'est-a-dire, de la pente aux plaisirs des sens, est la seule base sur laquelle on puisse fonder une morale utile". Ces propositions sont fausses; elles eteignent le sentiment intime du beau & de 1'honnete; elles etouffent dans les hommes la bienveillance mutuelle que la nature leur inspire, & toutes les affections de bonte, de reconnoissance, d'equite, de compassion, de deference, en un mot d'humanite, qui sont en eux le germe des vertus morales & les liens de 1'union & de la paix; elles ne leur laissent pour principe de leurs actions que la cupidite, source des divisions & de tous les vices; elles detruisent la volonte, cette faculte a laquelle il appartient de moderer 1'appetit sensitif, & par la elles rabbaissent rhomme a la condition des betes, 1'homme ne pour Dieu, 409
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& capable des biens spirituals; elles renversent, dans les premiers principes, tous les devoirs de la societe civile & de la religion. xv. La vertu n'est que le desir du bonheur des hommes... je regarde (la probite) comme la vertu mise en action. (Disc, n, ch. 13, pag. 140 & l4l.)Je considererai [...] 1'unique jugede la probite. (Disc, n, ch. 1, pag. 47&4S.) xvi. Je me crois en droit de conclure que 1'interet personnel est 1'unique & universel appreciateur du merite des actions des hommes; & qu'ainsi la probite, par rapport a un particulier, n'est... que 1'habitude des actions personnellement utiles a ce particulier. (Disc. II, ch. 2, p. 54.) xvii. La probite, (par rapport a une societe particuliere) n'est que 1'habitude plus ou moins grande des actions particulierement utiles a cette petite societe. (Disc, n, ch. 5, p. 73.) xviii. Ce n'est plus de la probite par rapport a un particulier ou une petite societe, mais de la vraie probite, de la probite consideree par rapport au public, dont il s'agit... Cette espece de probite est la seule qui reellement en merite & qui en obtienne generalement le nom. (Disc. II, ch. 11, p. 119.) xix. Qu'importe au public la probite d'un particulier? Cette probite ne lui est de presqu'aucune utilite. (Disc. II, ch. 6, pag. 81 & 82.) xx. Dans tous les siecles [...]. & de vicieuses. (Disc. II, ch. 13, pag. 133 & 134.) xxi. On pourroit [...] si funestes a 1'univers? (Disc. II, ch. 17, p. 168.) xxii. L'on ne peut rendre (les hommes) vertueux, qu'en unissant 1'interet personnel a 1'interet general. Ce principe pose, il est evident que la morale n'est qu'une science frivole, si Ton ne la confond avec la politique & la legislation. (Disc, n, ch. 15, p. 161.) xxiii. Cette utilite (publique) est le principe de toutes les vertus humaines... c'est... a ce principe qu'il faut sacrifier tous ses sentimens, jusqu'au sentiment meme de 1'humanite... tout devient legitime & meme vertueux pour le salut public. (Disc. II, ch. 6, pag. 80 & 81.) xxiv. S'il existoit une probite [...] probite d'intention, par rapport a 1'univers. (Disc. II, ch. 25, pag. 240 & 241.) xxv. De tous les interets des particuliers [...] les auteurs de toute justice. (Disc, m, ch. 4, p. 276.) CENSURE
Ces propositions dans lesquelles on enseigne que "1'interet personnel, c'est-a-dire, selon 1'auteur, tout ce qui peut nous procurer les plaisirs des sens, ou nous soustraire a des peines, est 1'unique & universel appreciateur du merite des actions des hommes; que la probite d'autrui, par rapport a un particulier, n'est que 1'habitude des actions utiles a ce particulier; qu'il 410
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en est de meme des societes particulieres & des nations, qui n'appellent probite que 1'habitude plus ou moins grande des actions qui leur sont utiles; que la probite d'un particulier a 1'egard d'un autre particulier, n'est que tres peu, ou meme point du tout interessante pour le public; que la probite, par rapport a une nation, est la seule vraie probite, la seule vraie vertu, la seule probite qui reellement en merite & en obtienne generalement le nom; que cette vertu invariable dans 1'objet qu'elle se propose, scavoir 1'utilite publique, ne Test point dans les moyens propres a remplir cet objet; qu'ainsi Ton doit regarder les actions comme indifferentes en elles-memes, qu'elles deviennent successivement utiles ou nuisibles selon les divers changemens qui arrivent dans les etats, & prennent, par consequent, tour a tour, le nom de vertueuses & de vicieuses; que c'est au legislateur, par la connoissance qu'il doit avoir de 1'interet public, a fixer 1'instant, ou chaque action cesse d'etre vertueuse & devient vicieuse. Qu'il est evident que la morale n'est qu'une science frivole, si Ton ne la confond avec la politique & la legislation; qu'il faut sacrifier (a 1'interet public) tous ses sentimens, jusqu'au sentiment meme de 1'humanite; que tout devient legitime & meme vertueux pour cette fin; qu'il ne peut y avoir de probite a 1'egard de 1'univers, puisqu'il n'est point d'action qui puisse influer immediatement sur le bonheur de tous les peuples; qu'on doit done reconnoitre que de la sensibilite physique est ne 1'interet personnel, qu'ensuite 1'interet personnel produisit les societes politiques & les conventions, que des societes politiques & des conventions a pris naissance 1'interet commun ou national, qui dut donner aux differentes actions les noms de justes, de permises & d'injustes, selon qu'elles etoient utiles, indifferentes ou nuisibles aux societes, & que par consequent la sensibilite physique & 1'interet personnel sont les auteurs de toute vertu & de toute justice". Ces propositions sont fausses, absurdes, contraires aux plus nobles inclinations de 1'ame & aux plus claires notions de 1'esprit; elles detruisent toute difference entre le bien & le mal moral, difference fondee dans la nature meme des choses & confirmee par la revelation divine; elles enlevent a I'homme tous les motifs reprimans que le sens moral, la raison & la religion lui fournissent; elles I'invitent a se livrer en secret a toute sorte de sceleratesse, a commettre clandestinement toute sorte de crimes, & meme a se porter ouvertement, soit avec violence, soit avec artifice, aux actions les plus noires centre tout citoyen & meme centre 1'Etat, toutes les fois qu'il aura 1'esperance d'un succes heureux, & qu'il croira, au moins, pouvoir echapper aux peines decernees par les loix civiles; elles sont done, a tout egard, pernicieuses aux citoyens & aux Etats; elles detruisent tout droit naturel & divin; elles sont impies, detestables, blasphematoires. xxvi. Tout 1'art du legislateur [...] la perfection de ces deux sciences. (Disc, ii, ch. 24, pag. 237, 238 & 239.) 411
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xxvii. Ce n'est... point de la mechancete des hommes [...] leur inspiroit plus de probite. (Disc, n, ch. 5, p. 73, notef^j.) xxviii. Ce sont uniquement les passions fortes qui font executer les actions courageuses & concevoir ces idees grandes qui font I'etonnement & 1'admiration de tous les siecles. (Disc. HI, ch. 5, p. 296.) xxix. J'entens, par ce mot de pass ion forte [ . . . ] marche contre les Cyclades. (Disc, m, ch. 6, p. 298.) xxx. Les peines & les plaisirs [...] consoler du malheur d'etre. (Disc, ill,
ch. 15,pag. 364, 365, 366.)
xxxi. L'amour des femmes [...] dans la premiere jeunesse. (Disc, in, ch. 13,
p. 339 & 340.)
xxxii. Si le plaisir [...] on lui assigne pour recompense. (Disc. HI, ch. 15,
pag. 363 & 364.)
xxxiii. Qu'on ouvre 1'histoire [...] la recompense du plus vaillant. (Disc. m, ch. 15, p. 361.) CENSURE
Ces propositions dans lesquelles on assure que "c'est de nos passions que sortent tous nos vices & toutes nos vertus; que le desir vague du bonheur se reduit toujours au plaisir des sens; que les seules passions fortes qui bravent les dangers, la douleur, la mort & le ciel meme, font executer ces actions courageuses qui font 1'etonnement & 1'admiration de tous les siecles; qu'entre toutes les passions, 1'amour des femmes est, chez les nations policees, le ressort presque unique qui les meut; qu'une preuve qu'en effet ce sont les passions de cette espece qui nous animent, c'est que Ton n'est susceptible de 1'acquisition des grands talents & capable de ces resolutions desesperees, necessaires quelquefois pour monter aux premiers postes, que dans la premiere jeunesse ou cette passion a plus d'empire; que la jouissance seule de ces plaisirs peut nous faire supporter avec delices le penible fardeau de la vie & nous consoler du malheur d'etre; que, pour qui n'est pas eclaire des rayons de la foi, il n'est point d'objet plus digne de notre adoration que la beaute; qu'ainsi tout 1'art d'une legislation parfaite consiste a encourager les citoyens a faire des actions genereuses, en leur proposant pour recompense la jouissance des voluptes corporelles, & surtout des plaisirs de 1'amour, la force de la vertu etant toujours proportionnee au degre du plaisir des sens qu'on lui assigne pour recompense". Ces propositions sont fausses, insensees, impies, obscenes, & dictees par la fureur du libertinage; elles degradent la raison, cette faculte la plus noble de 1'ame, & lui otent 1'empire pour mettre a sa place, par un renversement monstrueux, le desir deregle des plaisirs les plus brutaux; le souverain bien de 1'ame raisonnable, immortelle, destinee a la jouissance de Dieu, elles 1'etablissent dans des voluptes fragiles & passageres, que dedaigne & meprise 412
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une ame elevee, voluptes qui ne sont d'aucun secours centre les infirmites du corps, les peines de 1'esprit & les revers de la fortune; elles presentent 1'idee d'une legislation infame, pleine d'absurdites & de contradictions, dans laquelle les plus grands hommes, apres s'etre consumes par de longs travaux entrepris pour la patrie, n'auroient aucune recompense a esperer, ou il ne se trouveroit nul motif qui put porter un citoyen a sacrifier sa vie pour le salut public, ou Ton verroit sans cesse, au sujet des memes recompenses, s'elever dans le sein de 1'Etat des dissensions d'autant plus funestes a la societe, que les passions de chacun des pretendans seroient plus fortes & en meme temps moins reprimees; la loi naturelle, toutes les loix divines & humaines y sont foulees aux pieds, & les expressions manquent pour les qualifier comme elles le meritent; elles montrent quel est le caractere des hommes qui rejettent la religion, & a quels exces honteux ils sont capables de se porter dans les systemes qu'ils inventent centre elle. xxxiv. Que la raison nous dirige dans les actions importances de la vie, je le veux, mais qu'on en abandonne les details a ses gouts & a ses passions. (Disc, iv, ch. 15, p. 618.) xxxv. Rien de plus dangereux [...] qui les adopteroient. (Disc, n, ch. 16, p. 164.) xxxvi. De tous les dons [...] qu'une apathie. (Disc, iv, ch. 12, pag. 582 &583.) xxxvii. Qui sait si [...] pour y resister. (Disc, iv, ch. 11, p. 573 & 574.) xxxviii. Le caractere une fois forme [...] n'ayez pas la fiewe. (Disc, iv, ch. 11, p. 571.) CENSURE
Ces propositions ou il est dit "qu'on veut bien que la raison nous dirige dans les actions importantes de la vie, mais qu'on doit en abandonner le detail a ses gouts & a ses passions; que le precepte de moderer ses passions seroit la ruine des etats qui 1'adopteroient; que de tous les dons que le ciel peut verser sur une nation, le don, de tous, le plus funeste, seroit, sans contredit, la prudence, si le Ciel la rendoit commune a tous les citoyens; que la raison, synonime du mot de bon sens, & la sagesse qu'on lui suppose, ne meritent que peu d'estime; que c'est a 1'imprudence & a la folie que le Ciel attache la conservation des empires & la duree du monde; que le caractere une fois forme au mal, ne peut plus se tourner au bien, & que quand 1'homme modere dit a 1'ambitieux, /'/ ne faut point etre ambitieux, il est aussi ridicule que le seroit un medecin qui diroit a son malade, Monsieur, n'ayez pas la fievre; que le bonheur de bien des gens est attache a des passions, qui doivent les plonger dans les plus grands malheurs, lesquels neanmoins seroient fous de vouloir etre plus sages; qu'il est meme des hommes 413
APPENDICE 14
Censure de la Faculte de theologie
assez malheureusement nes, pour ne pouvoir etre heureux que par des actions qui menent a la Greve; qu'en s'abandonnant a son caractere, on s'epargne au moins les vains efforts qu'on fait pour y resister". Ces propositions sont pleines de folie & d'impudence; elles contiennent non seulement le fatalisme, destructif de toute religion, selon 1'auteur meme, comme on le verra dans la suite, mais elles en annoncent de plus, ouvertement, une des plus pernicieuses consequences, scavoir qu'il faut s'abandonner a son caractere quelque deprave qu'il soit; elles font l'apo[lo]gie de tous les crimes, & de tous les scelerats; elles sont egalement pernicieuses a la surete des particuliers, & au salut de 1'Etat; elles sont blasphematoires centre Dieu legislateur & vengeur des crimes; elles doivent etre detestees de tout le monde, & en execration au genre humain. xxxix. Us devoient (les moralistes) faire sentir que la pudeur est une invention de 1'amour & de la volupte rafinee. (Disc. II, ch. 15, p. 159.) XL. II n'est point de nation [...] 1'autre vraievertu. (Disc, n, ch. 13, p. 141.) Consequemment [...] avec le bonheur d'une nation. (Disc, n, ch. 14, p. 146.) Que de maux, dira-t-on [...] quelque autre vice du gouvernement. (Ibid., p. 150.) XLI. Nulle proportion [...] les ennemis de cette nation. (Disc, n, ch. 15, pag. 157 & 158.) XLII. Differens peuples ont cru [...] plus rien de dangereux. (Disc, n, ch. 14, pag. 146 & 147.) XLIII. C'est 1'unique moyen [...] d'amour pour la patrie. (Disc, n, ch. 5, p. 75.) XLIV. (Les) hommes qui se donnent la mort [...] que d'etre malheureux. (Disc, m, ch. 18, p. 450.) CENSURE
Ces propositions ou il est dit que "la pudeur est une invention de 1'amour & de la volupte rafinee, & que c'est ce que les moralistes devroient faire sentir; ou Ton assure que la corruption religieuse, c'est-a-dire, le libertinage de toute espece, & principalement celui des hommes avec les femmes, n'est point oppose a la vraie vertu, mais seulement a une vertu de prejuge, & qu'en considerant les choses, non en theologien, mais en philosophe, on ne peut regarder le libertinage comme une corruption politique dangereuse dans un Etat, ni contraire a 1'honnetete morale, puisque, selon 1'auteur, la morale n'est qu'une science frivole, si Ton ne la confond avec la politique & la legislation; suivant lesquelles les depenses que les femmes galantes font par le desir de plaire sont plus utiles que les aumones que font les femmes sages & pieuses; ou Ton pretend que 1'unique moyen d'etouffer dans un Etat des vices qu'autorise une apparence de vertu, en lui procurant 414
APPENDICE 14
Censure de la Faculte de theologie
les plus grands avantages, seroit de briser entre les hommes tous les liens de la parente, de rendre les femmes communes, & de declarer tous les citoyens enfans de 1'Etat; ou enfin on ose avancer que ceux qui, par degout de la vie, se donnent la mort, meritent le nom de sages & de courageux". Ces propositions sont fausses, contraires a l'honne[te]te & aux plus nobles sentimens de la nature; elles rejettent avec une impudence cynique la pudeur, ce don precieux de la nature, cette vertu qui est la gardienne des bonnes moeurs & le frein naturel des desirs deregles; elles font un eloge licencieux du libertinage, & elles preferent au lien sacre du manage, a sa fecondite, au bonheur d'une union bien assortie & a celui des enfans, un desordre que la pudeur empeche de nommer, que les peres & les meres doivent avoir en horreur, & qui seroit pernicieux aux enfans qui en pourroient naitre; par une inhumanite inouie, elles estiment plus les depenses vaines & criminelles des femmes galantes & les desirs qu'elles ont de plaire, que 1'amour du prochain & les aumones des femmes sages & pieuses; elles rompent les liens inviolables du mariage & du sang, qui sont necessaires a la conservation du genre humain; elles anneantissent les devoirs reciproques des peres & des enfans, en un mot, tous les devoirs de la vie domestique, & par la, elles otent une des principales douceurs de la vie, celle qu'on goute a remplir ces devoirs, & elles detruisent les plus pressans motifs qui animent les hommes au travail, & a mettre en oeuvre une Industrie ou les particuliers & 1'Etat trouvent leur utilite; elles prodiguent, par la plus grande absurdite, les noms de sages & de courageux a ceux qui ont la fureur de se tuer eux-memes; fureur qui, selon les philosophes meme payens (b), ne vient que d'un defaut de courage & de fermete, & que doivent reprimer un amour regie de soi, 1'amour de la patrie, & la volonte divine que la loi naturelle & la revelation nous font connoitre; enfin, par une perversite sans exemple, elles renversent a la fois tous les devoirs de la vie privee, domestique & politique, sans egard a toute espece de loi qui les etablissent. SUR LA RELIGION
I. (Les) Turcs qui, dans leur religion, admettent le dogme de la necessite, principe destructif de toute religion... peuvent, en consequence, etre regardes comme des deistes. (Disc. II, ch. 24, p. 233.) n. La derniere cause de 1'indulgence [...] plutot que 1'olive. (Disc, n, ch. 10, pag. 114 & 115.) (b) Voyez Platon, Aristote, Josephe, &c. dans le livre Du droit de la nature & des gens, [Basle, Thourneisen, 1732,] par le baron de Puffendorf, traduction de Barbeyrac, liv. 2, chap. 4, pag. 250 & 251.
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APPENDICE 14
Censure de la Faculte de theologie CENSURE
Ces deux propositions, dont la derniere renferme le "dogme de la necessite dans tous les jugemens & routes les actions des hommes," erreur qui, deja condamnee dans les proposirions xiv & xv sur Fame, esr clairement exprimee dans celle-ci, & repetee en plusieurs endroirs du livre; et dont la premiere assure que ce "dogme de la necessite est un principe destructif de toute religion; que par consequent, ceux qui admettent ce dogme peuvent etre regardes comme des deistes, qui meprisent egalement toutes les religions". Ces propositions reunies ensemble montrent evidemment que 1'auteur adopte cette espece de deisme, qui se joue de toutes les religions, & qui porte avec soi tout le venin & toute 1'impiete de 1'atheisme. in. L'homme humain & modere est un homme tres rare. S'il rencontre un homme d'une religion differente de la sienne, c'est, dit-il, un homme qui, sur ces matieres, a d'autres opinions que moi. (Disc, n, ch. 2, p. 58, note (e).) IV. La difference de religion [...] au rang de leurs plus grands empereurs. (Disc, n, ch. 21, p. 209-) CENSURE
Ces deux propositions, qui "representent toutes les religions, & meme la religion chretienne comme de simples opinions, sur lesquelles 1'humanite & la moderation demandent qu'on permette a chacun de penser & de dire ce qu'il lui plait". Ces propositions sont absolument contraires a la droite raison, dont la lumiere suffit pour faire rejetter toutes les fausses religions, & demontre que la seule religion chretienne est evidemment croyable; elles contiennent aussi cette detestable impiete qu'on appelle I'indifferentisme de toutes les religions. La derniere de ces propositions dont "1'objet est de faire passer pour d'infames calomnies toutes les accusations qu'ont intentes des auteurs tres digne de foi & de tres saints docteurs de 1'Eglise, centre un empereur apostat, 1'idolatre le plus superstitieux, qui a employe 1'artifice & la force pour persecuter injustement les Chretiens". Cette derniere proposition est fausse, injurieuse aux auteurs & aux docteurs de 1'Eglise qui ont parle de ce prince; elle manifeste un esprit anime de la haine la plus decidee centre la religion chretienne. v. Ce n'est qu'en contemplant [...] 1'etendue de la sottise humaine. (Disc, n, ch. 10, p. 110 & 111.) 416
APPENDICE 14
Censure de la Faculte de theologie CENSURE
Cette proposition qui presente "un philosophe eleve a une certaine hauteur, contemplant de ce point de vue les moeurs, les loix, les coutumes, & meme toutes les religions (dans le nombre desquelles la religion chretienne est comprise), lequel philosophe, degage de tous les liens des prejuges, passe sans etonnement du serrail a la chartreuse, & se repait avec plaisir de 1'etendue de la sottise humaine". Cette proposition est scandaleuse, impie; elle fait regarder du meme ceil les plus honteuses voluptes & les saints exercices de la perfection de 1'Evangile; elle ajoute a I'indifferentisme de religion, 1'horrible indifferentisme des moeurs & des actions. vi. Des motifs d'interet temporel [...] ces plaisirs eternels. (Disc, n, ch. 24, p. 232 & 233.) vn. C'est done uniquement [...] de leur legislateur. (Disc. II, ch. 29, p. 236 & 237.) CENSURE
Ces propositions qui enseignent que "les motifs d'interet temporel (c'esta-dire, comme 1'auteur dans son systeme 1'explique en plusieurs endroits de son livre, le plaisir & la douleur des sens), manies avec adresse par un legislateur habile, suffisent pour rendre des hommes vertueux; que les hommes ne peuvent etre formes a la vertu que par des lois humaines qui fassent agir a propos ces ressorts du plaisir & de la douleur; que les exemples des Turcs, des Chinois materialistes, des Sadduceens, des Gymnosophistes, & de mille autres peuples, qui, sans aucune idee de Dieu, vivent cependant en societe, plus ou moins heureusement, selon 1'habilete plus ou moins grande de leur legislateur; que tous ces exemples prouvent que 1'espoir ou la crainte des plaisirs ou des peines temporels sont aussi propres a former des hommes vertueux que les peines & les plaisirs eternels". Ces propositions sont fausses, scandaleuses, blasphematoires centre 1'Evangile; elles favorisent 1'atheisme; elles detournent les hommes de la pensee d'un Dieu qui recompense la vertu & punit le vice eternellement; elles fournissent un exemple de la hardiesse & de la malignite prodigieuses de 1'auteur a controuver des faits ou a les ajuster a ses vues. vm. Rien de plus sage [...] regarde comme vertueux. (Disc, n, ch. 13, p. 139 & 140.)
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APPENDICE 14
Censure de la Faculte de tbeologie CENSURE
Cette proposition qui "met au rang des vertus, & qui honore du nom de la plus haute sagesse les mensonges & les fraudes d'un imposteur, qui, pour s'attacher des peuples & les soumettre a ses loix, leur a persuade que les loix qu'il leur proposoit, lui avoient ete dictees par le Dieu son pere". Cette proposition renferme une doctrine abominable, &, sous le voile d'un fait historique, presente a 1'esprit un blaspheme qui fait horreur. ix. (Sous le titre des moyens de perfect ionner la morale) A quel mepris [...] les vrais principes de la morale. (Disc, n, ch. 24, p. 229 & 230.) CENSURE
Cette proposition qui suppose qu'on "ignore les vrais principes de la morale, & que cette ignorance provient de la puissance de ces genies malfaisans qui repandent, a dessein, d'epaisses tenebres dans 1'esprit des peuples; que le deluge des prejuges couvre encore la face du monde; qu'il y a de toute part des auteurs eleves a 1'erreur, qu'on ne doit cependant pas renverser en un jour, & que c'est avec beaucoup de management qu'il faut avancer une opinion nouvelle; qu'en detruisant les prejuges on doit les respecter, & qu'il faut envoyer quelques verites a la decouverte, pour voir si on appercoit ga & la dans I'univers quelques isles ou la Vertu & la Verite puissent prendre terre pour se communiquer aux hommes". Cette proposition est fausse; elle insulte les philosophes moralistes qui ont si bien merite de 1'humanite; elle est injurieuse aux princes & aux magistrats Chretiens, outrageante contre les ministres de I'Eglise, impie, blasphematoire contre Jesus-Christ & les apotres; elle decouvre de plus les artifices & les deguisemens de 1'auteur & de tant d'autres pretendus philosophes, qui, lors meme qu'ils font tous leurs efforts pour detruire la religion, veulent paroitre la respecter; elle montre clairement pour quelle raison ils ont coutume de s'envelopper, & de presenter souvent leur pernicieuse doctrine, en traitant des sujets qui lui sont etrangers. x. Quel homme vertueux [..] les hommes a la vertu. (Disc, n, ch. 24,
p. 235 & 236.) XL Sur quelle autre base [..] la base de 1'interet personnel. (Disc, n, ch.
24, p. 232.)
CENSURE
Ces propositions suivant lesquelles "les principes de la probite ne peuvent etre appuyes sur la base de la religion chretienne, quoique respectable, 418
APPENDICE 14
Censure de la Faculte de theologie
mais sur le fondement de 1'interet personnel (qui n'est autre chose que 1'impression du plaisir des sens, suivant la doctrine de 1'auteur deja exposee), soit parce qu'il est moins facile d'abuser de 1'impression qui vient de ces plaisirs, & que, sans etre contraire aux principes de la religion chretienne, elle suffit pour necessiter les hommes a la vertu, soit parce que les principes de la religion chretienne ne pourroient convenir qu'au petit nombre de Chretiens repandus par toute la terre, & qu'un philosophe qui est toujours cense parler a 1'univers, doit donner a la vertu des fondemens sur lesquels toutes les nations puissent egalement batir, & par consequent 1'edifier sur la base de 1'interet personnel". Ces propositions allient un mepris horrible de la religion chretienne avec un respect apparent pour cette meme religion; elles detruisent totalement la morale de 1'Evangile, qui est destinee par son auteur a eclairer 1'univers; elles sont fausses, absurdes, impies, blasphematoires, ennemies de toutes les religions, pernicieuses aux bonnes mceurs & a la societe. SUR LE GOUVERNEMENT
I. L'Eglise & les Rois [...] aucun vol & aucune injustice. (Disc, in, ch. 4, p. 279.) II. Chaque nation [...] est plus incertaine. (Disc. HI,.ch. 4, p. 279 & 280.) in. II sait (le public eclaire) combien il est utile de tout penser & de tout dire. (Preface, p. 6.) On est toujours fort [...] & qu'il fut ne Anglois." (Disc, iv, ch. 4, p. 518.) IV. Ce n'est souvent [...] jusqu'au trone." (Disc. II, ch. 6, p. 79.) "Ce n'est point [...] jusqu'au trone." (Ibid., note (£).) v. Si vous etiez reellement animes [...] la suppression des impots. (Disc.
n, ch. 16, p. 162 & 163.) vi. Chez les anciens Perses [...] paroissoit penetre. (Disc, m, ch. 17, p. 386.) vii. En quels climats [...] les passions n'inspirent-elles point, &c. (Disc. m, ch. 6, p. 300 & 301.) vni. Parmi tant de Romains [...] qui desarmoit leur bras. (Disc. Ill, ch. 18, p. 450.) CENSURE
Ces propositions en tant que telles assurent "que 1'Eglise & les rois pensent qu'il n'y a, entre les souverains, d'autres droits que ceux de la force & de 1'adresse, & qu'il ne peut y avoir aucune injustice entr'eux; que la religion meme des traites ne forme point un engagement qui lie les princes, & que 1'infraction des conventions les plus solemnelles est une clause tacite de tous les traites, toutes les fois que 1'utilite se trouvera jointe a la perfidie". 419
APPENDICE 14
Censure de la Faculte de theologie
Ces propositions sappent le droit des gens commun & necessaire, qui n'est pas different du droit naturel; en detruisant la bonne foi entre les puissances contractantes, elles rendent les guerres interminables & otent tout moyen de maintenir la paix; elles sont impudemment calomnieuses envers 1'Eglise & les souverains; elles renouvellent la doctrine de Machiavel. Ces memes propositions en tant qu'elles declarent "que, dans un etat, il doit etre permis a chacun de penser & de dire ce que bon lui semble; que, lorsque le peuple se croit traite trop durement, il faut que ses cris puissent par la bouche de la licence percer directement jusqu'au trone; qu'alors tout citoyen, anime de la passion du bien public, doit, sans etre arrete par la majeste du throne, se presenter au souverain, & le fatiguer par ses cris & ses reproches; qu'alors 1'autorite des princes cesse d'etre legitime; qu'alors le noble orgueil & la passion de la gloire doivent armer centre eux leurs sujets, & meme les porter aux plus noirs attentats". Ces propositions renversent le droit politique jusques dans ses fondemens; troublent la paix publique; aneantissent la puissance des princes, scellee de 1'autorite des loix naturelle & divine (c); elles arrachent du cceur des sujets les sentimens de respect, d'obeissance & de fidelite qu'ils doivent a leur prince; elles les excitent aux factions, aux seditions, a la revoke, & aux crimes les plus enormes; elles tendent ouvertement a la ruine entiere de 1'Etat, & doivent etre en execration a tous les hommes. Les propositions, au reste, qui viennent d'etre censurees, ne sont pas les seules reprehensibles dans le livre De I'Esprit; il s'y en trouve presqu'a chaque page, & meme la Faculte de theologie y en a remarque un grand nombre, qui, sans qu'on ait cru devoir les rapporter, meritent neanmoins des qualifications tres fortes. On peut partager en quatre classes principales la plupart de ces propositions. 1°. Les unes ont rapport a des propositions que la Faculte vient de condamner, & expriment tantot moins clairement, tantot en termes formels, une doctrine egalement pernicieuse. (Vide pag. 7, 8, 35, 148, 174, 206, 358, 359, 362, 554, 598, 599, 607, 608, &c.) 2°. Dans d'autres, on presente comme vrais des faits controuves ou alteres; on y donne pour constant des choses incertaines & douteuses; on y dit que 1'Eglise & les princes ont statue ce qu'ils ne statuerent jamais, que de saints docteurs ont enseigne ce que fut toujours oppose a leurs sentimens; & ces exposes faux & artificieux, on s'en sert pour attaquer 1'Eglise, le gouver(c) Le saint Concile, desirant abolir de fond en comble telles maximes (qu'on peut oter la vie a un tyran, &c.), 1'affaire mise en deliberation, declare telle doctrine pleine d'erreurs en la foi & es mceurs; la condamne comme heretique, scandaleuse, & introductive de trahisons, seditions & perfidies; tous ceux qui opiniatrement la soutiennent, heretiques, & comme tels punissables suivant les saints decrets. Traduction du clerge de France en 1615.
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Censure de la Faculte de theologie
nement, les loix, les bonnes moeurs & la religion. (Pag. 138, 224, 225, 229, 233, 236, 468, &c.) 3°. II en est beaucoup qui renferment des traits d'obscenite si revoltans, qu'il faut avoir plus qu'une impudence cynique pour se plaire a les presenter aux lecteurs. 4°. II y a enfin plusieurs ou 1'auteur donne a entendre ce qu'il n'ose dire expressement, & ces allusions sont si impies & si contraires aux etats monarchiques, qu'un homme qui a du respect pour la religion & de 1'amour pour sa patrie, ne peut sans fremir en appercevoir le sens. (Pag. 173, 186, 294, 390, 392,411, 519, &c.) La Faculte de theologie n'a pas juge a propos de censurer toutes ces propositions en detail. Ce qu'on doit a la pudeur, a 1'Etat & a la religion, ne lui permettoit pas de developper les horreurs qu'en renferme une grande partie, ni meme d'en faire les extraits. D'ailleurs une condamnation particuliere de toutes ces propositions lui a paru inutile, apres avoir expose & censure celles qui contiennent le systeme de 1'auteur, & les principaux corollaires de son systeme. Elle rejette neanmoins toutes ces sortes de propositions & tout ce qui se trouve de condamnable dans 1'ouvrage, protestant que son silence ne doit & ne peut point etre regarde comme une approbation de ce qu'elle n'a pas releve. Elle declare meme qu'elle condamne le livre De I'Esprit comme un ouvrage des plus detestables qui puisse jamais paroitre. Fasse le Dieu de misericorde que 1'auteur, qui s'est deja vu oblige de donner plusieurs retractations, reconnoisse sincerement combien il auroit du se defier de ces lectures & de ces societes, qui lui ont gate 1'esprit & corrompu le cceur. Fasse le Ciel qu'il depose cet orgueil insupportable qui s'annonce a chaque page de son livre, qu'il se separe pour toujours de ces maitres qui 1'ont seduit, & qu'il abjure enfin ce qu'il a appris d'eux; que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honnete, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint, tout ce qui est d'edification & de bonne odeur... soit I'objet de sespensees & de ses actions (Philipp. cap. 4). Que par une vie penitente & exemplaire il repare, autant qu'il lui sera possible, le scandale qu'il a donne par son livre, & que le Dieu depatx soit avec lui. De Mandate D. Decani & Magistrorum Sacrae Facultatis Parisiensis. Herissant, Scriba. MANUSCRIT A. A.N., MM 257, p. 514-561; 58 p.; texte en latin, a 1'exception des citations francaises. IMPRIMES *i. [page de titre : ] DETERMINATIO / SACR^ FACULTATIS / PARI-
SIENSIS / Super Libro cui titulus, / DE L'ESPRIT. I [trait double] /CENSURE / DE LA FACULTE / DE THEOLOGIE DE PARIS, / Centre le Livre qui a pour titre, / DE L'ESPRIT. I [vignette] / A PARIS, I ChezjEAN-BAPTiSTE GARNIER, Imprimeur-Libraire de la Reine, 421
APPENDICE
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I de Madame la Dauphine, & de la Faculte de Theologie, rue S. Jacques, / vis-a-vis le College du Plessis, a la Providence. / [trait double] / M. DCC. LIX. II. Parisiis, Gamier, 1759, 68 p.; texte en latin, a 1'exception des citations franchises.
Censure de la Faculte de theologie
6. En fait, ce paragraphe est un resume d'un passage des Recherches philosophiques sur la liberte de I'homme, (v. Des Maizeaux, Recueil de diverses pieces sur la philosophie, Amsterdam, 1720, 2 vol., II, p. 339-350); cf. "La plupart de ceux qui s'imaginent ecrire en TEXTE faveur de la liberte, la detruisent, Des exemplaires du I (79 p.; texte en lorsqu'on etablit nettement 1'etat latin et en franc,ais) se trouvent dans les de la question" (p. 343). bibliotheques suivantes : B.N. (ms. fr. 7. Edition d'Amsterdam, 1758,2 vol. 22094, f° 30-69; R 2847; et R 2855), Pour "matiere organisee", lire Arsenal (4° Sc A 299[4]), bibl. Sainte"matiere brute". Genevieve, universitede Glasgow, uni8. Dans 1'original, le mot "sensibiversite Harvard, Ohio State University lite" n'est pas suivi de 1'adjectif et universite du Wisconsin. Un exem"physique". plaire du II se trouve a Ohio State Uni9- La Mettrie avait ecrit : "Poliversity. Le A est signe "J. Tamponnet tiques, religionaires, accordez [...] decanus". En plus des erreurs suiConvenez de bonne foi [...] vous vantes, le I contient plusieurs autres qu'il y trouvez votre surete." a paru inutile de corriger. a Le I : "pure". 10. Dans la section intitulee "Morale", b Le I : "morale". seule cette derniere citation de Mandeville est accompagnee d'une NOTES EXPLICATIVES reference : "Fable des abeilles, 3 pre1. Le texte latin porte : "ex omnibus miers vol.". duris quas loquuntur contra 11. Lettre 76, dans les editions Deum". modernes. 2. Citation tiree de 1'epitre 15 de S. 12. Lettre 85, dans les editions Leon, intitulee "De Priscillianismodernes. tarum erroribus", par. 695 (v. Patrologia latina, ed. Migne, 13- Pour "invite", lire "incite"; pour "convention", lire "obligation"; et LIV, p. 679). Cette epitre, pour pour "souffre", lire "encoure". interessante qu'elle soit, est generalement consideree comme apo- 14. Discours de I'estat de paix et de guerre [ . . . ] , traduicts d'italien en fran^ois, cryphe. ensemble un traite [...] intitule le 3. Le texte de 1'original latin est prePrince [...], Paris, Quinet, 1634, sente en bas de page. 4°, ch. 18, p. 65. 4. Paraphrase d'un passage de 1'edi15. Hormis pour les citations courtes, tion d'Amsterdam de I'Essai sur nous n'indiquerons que les preI'entendement humain (1758, 4 vol., miers et derniers mots des passages in, p. 396-397, livre iv, ch. 3, de L'Esprit figurant dans la Censure par. 6). de la Faculte de theologie. 5. Chacun des ouvrages des (Euvres comporte une pagination autonome.
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APPENDICE 15
Relation faite par Hennin
APPENDICE 15
Relation de 1'affaire de L'Esprit faite par Pierre-Michel Hennin1 1758. Janvier2. Je fus vers ce tems-la a portee de voir le commencement d'une affaire qui fit peu aprez beaucoup de bruit dans le monde. Le Roy, mon parent et mon ami 3 , avoit etc lie des 1'enfance avec Helvetius. Une conformite de sentiments et un degre de chaleur a peu prez pareil dans 1'imagination avoit fortifie cette liaison. Us se voyoient souvent a Paris, et surtout a Marly chez la M:se de Vasse , femme singuliere, mais qui devoit avoir quelque merite puisqu'il luy restoit des amis. Helvetius, aprez avoir donne sa jeunesse aux plaisirs et a la poesie, s'etoit tout d'un coup jette dans 1'etude de la metaphisique. II avoit redige ses idees et ses compilations en ce genre, et s'etoit enfin resolu a les publier. Longtems incertain sur le titre qu'il donneroit a son ouvrage, il choisit de 1'intituler a 1'antique De I'Esprit. II le lut a ses amis Didrot5, Duclos et autres. Le Roy en fut enthousiasme6 et, tant pour la gloire de son ami que pour le triomphe de la verite, il pressa fortement Helvetius de le faire imprimer. II y avoit deja quelque terns que le mot encyclopediste etoit devenu 1'objet de la haine des jesuites et des sots. Palissot avoit fait ses Petites Lettres sur de grands philosophes1, 1'abbe de S'-Cyr, le Catechisme des Cacouacs8, enfin, en les attaquant collectivement, on les avoit forces de se reunir. Le Roy, qui n'avoit donne que quelques articles d'oeconomie9, se croyoit oblige de faire cause commune avec ses amis. II imagina qu'un des plus surs moyens d'en imposer a leurs adversaires etoit de faire imprimer avec privilege un sisteme complet de morale par un encyclopediste et, le plaisant de cette idee lui en derobant les dangers, il s'offrit a en faciliter les moyens. Helvetius, qui scavoit tres bien que son livre n'etoit pas de nature a etre approuve d'un censeur, y resista quelque terns. Enfin, 1'esperance de faire taire par la les ennemis de ceux aux quels il s'etoit uni le decida. II consentit a tout et promit meme de sacrifier quelque passages, s'il etoit necessaire. Aussitot Le Roy se fit fort de faire accepter cette commission a Tercier, premier commis des Aff[aires] etrangeres, avec qui il avoit eu quelques liaisons que je 1'avois engage a conserver parce que ce galant homme pouvoit m'etre utile et me 1'avoit ete effectivement depuis plusieurs annees10. En arrivant un jour de Paris, mon parent me fit confidence de ce projet; je sentis une partie des consequences, et le priai de n'en rien faire, et de laisser a Helvetius le soin de trouver un censeur. Je lui dis meme que le meilleur parti seroit de s'en passer, parce que j'etois bien persuade, par tout ce que je scavois de 1'auteur, que 1'ouvrage n'etoit pas de nature a subir un examen rigoureux. J'allai meme jusqu'a m'offrir a porter le ms. en Hollande ou je devois aller 423
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Relation faite par Hennin
au mois de mars, et a 1'y faire imprimer. Mon ami ne m'ecouta pas, traita ma prevoyance de timidite, et fut trouver Tercier, qui fit d'abord beaucoup de difficulte sur ce que, quoiqu'il fut ancien censeur, il n'avoit depuis son sejour a Versailles rien approuve11 et que d'ailleurs ses occupations ne luy en laissoient pas le terns. On leva toutes ces difficultes. On luy fit ecrire par M. de Malsherbes12. M. Helvetius le vint voir, et 1'accapara. Enfin on luy envoya les premiers cahiers. J'etois chez luy au moment ou il en commenca la lecture. II m'en parla comme d'un ouvrage qui luy paroissoit bien ecrit. Comme je n'avois que des soupcons sur le sisteme de 1'auteur par quelques fragments que Le Roy m'en avoit recites de memoire, je ne crus pas devoir luy faire part de mes idees, mais je luy en dis assez pour luy faire comprendre que cet ouvrage fixeroit 1'attention du public, qu'il appartenoit a un parti, et que la severite etoit plus necessaire que jamais, s'il vouloit se mettre a couvert de tout reproche. Un autre jour Tercier me dit que ce livre feroit du bruit, qu'il y avoit des choses hardies, et qu'il en avoit deja raye plusieurs*. Les cahiers venoient de loin en loin, et il ne les pouvoit pas meme lire de suite. II les rendoit a Le Roy avec quelques ratures sur les quelles meme ils avoient souvent ensemble de petites contestations, et le censeur se retractoit par complaisance pour ne pas se donner la reputation d'un pedant vis-a-vis d'un homme du monde. Voila tout ce dont je fus temoin, parce que je partis peu de terns aprez pour la Hollande13, mais je me souviens tres bien d'avoir insiste plusieurs fois auprez de mon ami pour ne pas suivre un projet auquel il tenoit tres fort. l Le livre parut au mois de et tout le monde sfait le bruit qu'il fit. Mandements, arets du Parlement, censure de la Sorbonne, tout se dechaina centre le livre et son auteur. La Reine a laquelle Helvetius etoit attache comme maitre d'hotel ordinaire, aigrie par les jesuites et les devots, employa tout pour le faire retracter. Sa mere, effrayee du sort dont on le menacoit et plus encore de 1'impiete dont on le taxoit, ne cessa de le prier de flechir. II le fit enfin. II signa jusqu'a deux retractations qu'on luy presenta . Beaucoup de gens luy ont reproche ces actes, etf ses ennemis en triompherent. II repondit un jour a quelqu'un qui le luy faisoit sentir : "Vous ne scavez pas, M., ce que c'est que de voir sa mere a ses genoux", et je crois etre sur que ce fut principalement ce qui le decida^. Son dessein avoit etc de se retirer en Hollande [ou] en Angleterre et sa femme meme etoit la premiere a 1'y exhorter15, mais des raisons plus puissantes le retinrent 16 . Cette affaire cut des suites encore plus facheuses pour le pauvre Tercier. II n'etoit coupable que d'une complaisance trop aveugle pour un homme avec qui il n'avoit que des liaisons de societe, mais il etoit homme public, son nom avoit paru a la tete de 1'ouvrage17. II fut cite au Parlement. J'ai 424
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Relation faite par Hennin
etc depuis en etat de scavoir beaucoup de details du proces18, mais il est, je crois, inutile de les rapporter. 11s prouvent tous que les compagnies cedent plus souvent a 1'impression du moment qu'aux loix. Le Parlement etoit depuis longtems en oppo[siti]on avec la cour. II voulut se faire honneur de sa severite dans une occasion ou la cour paroissoit prendre parti centre des citoyens assez temeraires pour avoir parle de 1'autorite et de 1'obeissance a peu prez comme les remontrances 1'avoient fait depuis plusieurs annees, et Mde Tercier, qui fut sollicker les juges, remarqua que c'etoient les moins devots qui la recurent le plus mal, lorsqu'elle fut les sollicker, a peu pres comme dans le Concile de Trente les plus jeunes prelats furent ceux qui s'opposerent le plus vivement au mariage des pretre/. line grande partie des juges opinoient a une punition exemplaire, mais quelques hommes sages et surtout sa reputation de probite sauverent Tercier des desagrements dont on 1'avoit menace. II fut un peu question de mon parent, centre lequel Tercier s'etoit dechaine avec un acharnement puerile. Quelques juges meme vouloient qu'on le citat, mais la faute du censeur n'etoit pas excusable; c'etoit a lui a connoitre le piege, suppose qu'il y en cut eu. Dans le vrai je dois dire que certainement mon parent, trompe par sa propre opinion et son amitie pour 1'auteur, n'avoit pas juge le liv[re] aussi capable d'exciter la clameur publique, et que le chagrin que cette affaire causa a Helvetius et a Tercier le penetrerent de douleur. II ne fut pas meme sans inquietude pour lui-meme. Plusieurs de ces honetes gens de la cour, qui sont si habiles a perdre un galant homme pour profiter de ses depouilles, aigrirent 1'esprit de M. le Dauphin [et] de la Reine contre lui, et allerent meme jusqu'au Roy19. On craignit^ que le c[omte] de Noailles20 ne fut force de luy oter sa place de lieutenant des chasses, mais je scais que le Roy se contenta de marquer par une plaisanterie qu'il ne vouloit pas qu'on luy parlat de cette affaire. Quelqu'un ayant saisi une occasion de proferer le nom du lieutenant des chasses, le Roy dit en riant : "II est alle faire de 1'esprit aux Loges21." II n'en fut plus question, et S[a] Mfajeste] n'a pas cesse depuis de lui temoigner les memes bontes. Les ennemis de Tercier furent plus habiles et plus heureux. Us saisirent le moment ou M. le d[uc] de Choiseul, nouvellement entre dans la place de secretaire d'Etat des Affaires etrangeres, avoit peu de connoissance des anciens services de ce premier commis et de ceux qu'il pouvoit rendre encore22. J'ai lieu de croire qu'ils lui representerent que conserver un homme cite au Parlement seroit deshonorer le corps de premier commis, mais surtout que ce seroit deplaire ah la cour et particulierement a la Reine, calomnie pure, puisque la Reine en particulier n'avoit cesse de proteger Tercier, et de s'interesser fortem[ent] pour que sa citation n'eut aucune suite. Quoiqu'il en soit, M. le d[uc] de Choiseul se decida sur-le-champ a congedier Tercier. II lui dit de faire un memoire pour demander sa retraite, que le Roy vouloit le traiter favorablement. Cette signification fut un coup 425
APPENDICE
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Relation faite par Hennin
de foudre pour le premier commis. II eut recours a la Reine qui 1'assura que le Roy n'avoit point donne de pareils ordres a M. le d[uc] de Ch[oiseul]. II n'etoit plus terns; Tercier fut congedie avec environ 12 m[ille] livres de pension23. II resta cependant a Versailles sous differents pretextes jusqu'au mois de' decembre 1759, esperant toujours; sa place, mais les appointements dont il avoit ete prive ayant ete partages, ainsi que le detail dont il etoit charge, entre les deux autres premiers commis, 1'abbe de la Ville24 et Bussi25, cette place fut censee supprimee. Je dois dire a la louange de Tercier qu'il ne m'a jamais scu mauvais gre d'avoir pour parent un homme qui etoit la cause immediate de ses chagrins, et que meme il a cesse de s'exprimer comme il I'avoit fait sur le compte de Le Roy, des que je luy ai fait sentir qu'il y avoit tort des deux cotes. Je serois peut-etre parvenu a les reconcilier, mais je ne I'ai pas voulu. D'ailleurs, j'etois fache qu'un homme de bons sens, riche et considere, eut montre autant de pusillanimite dans un malheur qu'il s'etoit attire par sa faute, et sans lui oter 1'estime que les qualites de son cceur lui meritent, j'avoue que depuis j'ai beaucoup perdu de 1'idee que j'avois de son esprit. MANUSCRIT
NOTES EXPLICATIVES
*A. Institut, ms. 1223, f 82-87; l i p . ; Cette relation, dont le titre nous est du, se trouve dans un volume de manuscrits brouillon autogr. intitule "Divers opuscules en prose". IMPRIME 1. Indications biographiques relaI. Ozanam, pp. 144-146, 147, 152, tives a Hennin : voir lettre 325, 161, etc. (extraits). note 2. 2. Cette date n'est pas celle de la TEXTE redaction de ce texte, mais celle a Le texte est assort! de plusieurs adjonclaquelle se place Hennin pour se tions, remaniements et ratures places rememorer les evenements. Elle dans les interlignes et les marges. Seuls correspond a 1'epoque ou De I'Esceux d'entre eux qui ont paru imporprit a fait 1'objet de la censure de tants et etaient suffisamment lisibles ont Tercier, car ce dernier en a accepte ete signales ci-apres. Les paragraphes de la responsabilite pendant 1'ete Hennin ont ete conserves, mais sa cou1757, et a emis son approbation le tume de souligner tous les noms pro27 mars 1758. pres a ete ignoree. a Le A : "plusieurs. Quant a 1'epoque de la redaction " b du present document, elle est Le A : "presenta, ". ' Le A : "et ". Le A : "decida. ". e Passage ajoute dans la marge. mais les erreurs chronologiques et ' Le A : "pretres. ". g Le autres, commises par Hennin A : "craignit ". h Le A : "a ". ' Le A : "de decemquent que son souvenir des evenebre". ; Le A : "toujours ".
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redaction ait eu lieu nettement plus tard. D'apres Ozanam (p. 144, note 2), cette relation fait partie des memoires de Hennin, qu'il redigea pendant sa vieillesse mais laissa inacheves a sa mort en 1807. Si Ton adopte pourtant 1'opinion d'Anderson, la redaction de ce document a du avoir lieu avant la mort de Tercier en 1767. Selon cet auteur, les temps des verbes du dernier paragraphe, notamment celui de "meritent", donnent a croire que le censeur etait toujours en vie quand Hennin a elabore son reck (v. "Apropos of the affaire de L'Esprit", Trivium, I [1966], p. 910). Pour notre part, nous signalons que, dans la correspondance de Hennin, un papier identique a celui du manuscrit de sa relation (34 sur 22 cm, filigrane d'une ruche, i DUPUY FIN et AUVERGNE 1742) ne se retrouve employe que dans un brouillon de lettre redige a Varsovie le 28 octobre 1760 (v. Institut, ms. 1255, f° 216217). 3. Indications biographiques relatives a Le Roy : voir lettre 236, note 4. La grand-mere maternelle de Hennin, Marie-Anne-Nicole Le Roy, etait la tante paternelle de Le Roy. Voir Anderson, op. cit., p. 6-7. 4. Voir lettre 184, note 2. Mme de Vasse n'etait pas marquise, mais comtesse. 5. Nous avons releve deux autres indications qu'il y ait eu des relations entre Helvetius et Diderot avant 1760. La premiere resulte d'une lettre de Devaux a Mme de Graffigny, datee du 13 mai 1746, dans laquelle il est question de la nomination eventuelle de Diderot
Relation faite par Hennin a un poste de maitre de mathematiques disponible a Luneville : "Le marquis [d'Adhemar, v. lettre 46, note 3] ne doute pas, sur plusieurs conversations qu'il a eues avec lui [Diderot], qu'il ne 1'accepte, a moins que Mr Helvetius, qui 1'aime beaucoup, ne 1'ait mieux place ailleurs." (Yale, G.P., xxxv, p. 346, reference que nous devons a English Showalter.) La seconde est contenue dans une lettre datee du 10 aout 1749, adressee par Diderot au lieutenant general de police, dans laquelle il ecrit : "Quant a la probite, j'en appelle a la voix publique, au temoignage de ceux qui ont seulement entendu parler de moy. J'ose vous assurer, Monsieur, que, quoique l'homme de lettres ne soit pas tout a fait ignore, 1'honnete homme est encore plus connu. C'est par la que j'ai merite la protection, la connoissance, 1'estime ou 1'amitie d'un grand nombre de personnes, entre lesquelles je puis compter Madame Du Deffens, Mr de Bombarde, Mr Helvetius, Madame la marquise Du Chatelet, Mr Duclos, Mr de Buffon, Mr de Voltaire, Mrs de Fontenelles, Clairaut, d'Alembert, d'Aubenton et autres. Qui ne puis-je vous nommer icy entre mes protecteurs?" (B.N., ms. fr., n. a. 1311, f° 13 verso, et Roth, I, p. 87, lettre 21.) Pourtant, ecrivant le meme jour au chancelier d'Argenson, Diderot omet les noms de Duclos, d'Helvetius et de Voltaire parmi ceux des personnes "qu'il a 1'honneur d'avoir pour protecteurs, pour connoissances ou pour amis" (B.N., ms. fr., n. a. 1311, f° 14 verso, et Roth, i, p. 82, lettre 20). Ce n'est qu'en
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1760 que le nom d'Helvetius reparaitra dans les lettres de Diderot (v. Roth, lettre 218). Selon V. W. Topazio, il est douteux qu'une amide reelle ait existe entre Diderot et Helvetius, meme pendant les annees 60 (v. "Diderot's supposed contribution to Helvetius' works", Philological Quarterly, xxxiii [1954], p. 324). De son cote, A. C. Kors estime qu'"avant la parution de L'Esprit Helvetius etait en contact direct avec Diderot" (v. D'Holbach's Coterie, Princeton, 1976, p. 32). Smith, enfin (p. 187), acquiesce a 1'opinion de Grimm, selon qui il n'y avait aucune liaison entre eux avant 1'affaire de L'Esprit, et qui affirme meme qu'ils ne se rencontraient pas "deux fois par an" (15 fevrier 1759, Corr. litt., IV, p. 81). Dans une lettre du 28 septembre 1758, Augustin-Henri Hennin de Beaupre, frere cadet de Hennin, avait entretenu ce dernier de "1'entousiasme avec lequel il [Le Roy] parloit de 1'auteur, qui est son ami particulier, et de 1'ouvrage" (Institut, ms. 1263, f° 59 recto; cite par Anderson, p. 22, note 92). Ouvrage public en 1757 par Charles Palissot de Montenoy (v. lettre 180, note 1). Affirmation erronee : cet ouvrage a paru peu apres De I'Esprit. Hennin le confond peut-etre avec le Nouveau Memoire pour servir a I'histoire des Cacouacs (1757), de Moreau (v. lettre 364, note 5). Les articles "Engrais", "Fermier", "Foret" et "Garenne", dans les volumes vi et VII de I'Encyclopedie. A la mort de Tercier en 1767, Hennin ecrira au comte de Broglie : "Une longue amitie m'unis-
Relation faite par Hennin soit a luy. II m'avoit rendu de tres grands services et je faisois grand cas de son coeur et de la facilite de son esprit." (Institut, ms. 1255, f° 261 recto; cite par Anderson, op. cit., p. 8.) Le pere de Hennin avait etc le voisin de Tercier de 1753 jusqu'en juillet 1758 (v. Anderson, op. cit., p. 9). 11. Tercier avait, au contraire, approuve plusieurs ouvrages depuis 1749, date a laquelle il avait etc nomme premier commis des Affaires etrangeres et censeur royal (v. lettre 425, note 10, et approbations manuscrites de Tercier a la B.N., ms. fr. 22139). 12. Lettre non parvenue jusqu'a nous. 13. Hennin s'etait rendu en Hollande vers la fin du mois de mars 1758 (v. Institut, ms. 1262, f° 71 recto). L'approbation de Tercier datedu 27 mars 1758. l4.-Ces quatre points de suspension figurant dans le A denotent 1'imprecision des souvenirs de Hennin. De I'Esprit avait paru vers le 27 juillet 1758 (v. lettre 292). 15. Voir lettre 335, note 4. 16. Helvetius s'etait assure la protection de Mme de Pompadour (v. lettres 336, 345, etc.). 17. En fait, c'est a la fin de 1'edition originale de L'Esprit que figure 1'approbation de Tercier. 18. Le Parlement n'a instruit aucune procedure criminelle centre Tercier, qui n'a jamais ete cite devant la barre du Parlement. 19. Si Hennin entend parler des personnes qu'il qualifie plus loin d'"ennemis de Tercier", il s'agit sans doute des deux autres premiers commis des Affaires etrangeres (v. notes 24 et 25 ci-dessous).
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Documents rediges par Helvetius
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Affaires etrangeres. En plus, le 20. Philippe, comte de Noailles, ne en Secret lui fournit un traitement 1715, intendant, gouverneur et annuel de 3 000 livres. Voir Ozacapitaine des chasses des ville, chanam, p. 165, et lettre 428, teaux et pare de Versailles depuis Remarques. 1720. 21. Les Loges-en-Josas (v. lettre 349, 24. Voir lettre 425, note 19. 25. Francois de Bussy (1699-1780), Remarques). avait ete charge d'affaires a Vienne 22. Choiseul savait fort bien quels ser(1725-1728) et a Londres (1737), vices Tercier avait rendus en puis ministre plenipotentiaire a Pologne au pere de la reine, et quel Londres (1740-1744). Nomme etait son role en 1758 eu egard a la premier commis en 1749, il "ne correspondance secrete de Louis XV cessait depuis des annees de (v. Ozanam, p. 161-163). repandre sur le compte de Tercier 23. Tercier recut une rente de 6 000 critiques, injures et accusations livres sur les postes et une pension calomnieuses" (Ozanam, p. 160). de 6 000 livres sur les fonds des
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Documents rediges par Helvetius en vue d'une intervention eventuelle dans 1'affaire de L'Esprit
A. Lettre de Jacob Perroquet a Mrs Soret et compagnie "Quelque brillante qu'ait ete mon education, elle ne m'a point gate. Une voix secrete m'annoncoit que je n'avois point encor trouve celuy que je devois estimer. Je me croiois sans esprit mais — 1'avouerai-je? — mon gout pour vous m'en fait douter. Non, le fils du fermier ne sent pas comme moy ce que vous valez; j'ay done plus d'esprit que luy. J'ozeroy meme dire que les Voltaire, les Montesquiou, les Buffon, les d'Alembert, les Didrots, &c., ne me paroissent pas avoir pour vous de cette estime sentie dont parle 1'auteur de L'Esprit; aussy ne les ai-je jamais estime et toujours Je leur ai prefere les auteurs inconnus De ces livres nouveaux qui ne sont jamais lus. Quelque haute idee que m'ait donne de moi-meme celle que j'ay concu pour vous, j'ay le matin a mon ordinaire ete dans la basse cour. J'y ai recite la satire que vous avez fait sur L'Esprit. J'ay vu les oies se pamer d'aize, le canard en signe d'approbation faire un plongeon, et les dedons* battre des ailes. Ce sont ces derniers, et je leur dois cette justice, qui ont ete le plus
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Documents rediges par HeIvetius
vivement frapes des beautes de votre ouvrage. Quoy de meilleur que les dedons? "Ne sommes-nous pas, disoit un d'entre eux, apporte en France par les jesuittes? Est-il quelque province ou Ton ne trouve des troupeaux nombreux de dindons? Qui sent mieux votre merite que les jesuittes? Ne voudroient-ils pas peupler la France de dindons? N'ont-ils pas change les habitants du Paraguay en dindons? N'en ont-ils pas fait autant des Espagnols et des Portugais qui commencent a s'ennuier de cette forme, tant l'honner est inconstant pour le bien de ce roiaume? Ne voudroient-ils pas en faire autant des Francois? Partout Ton ne voit que dindons, dindons phisique, dindon morale; ils voudroient qu'ils n'y cut partout que des dindons. L'amitie de ces memes jesuittes pour vous est a leur yeux une preuve de votre merite. Ils sont tous convenus, comme vous le dites, que Baile, Montesquieu, Buffon, Voltaire, les enciclopedistes n'avoient pas le sang*' commun, que vous en aviez triomphe, ce qui prouve bien que c'est de la main de 1'enfant dont Dieu se sert pour triompher du geant. Les hommes n'avoient point eu assez de confiance en vos lumieres pour vous charger de leur cauze. Qui croiroit que Dieu vous eu remis la sienne et que vous la plaidassiez si bien?" MANUSCRIT
*A. Vore; 2 p. (deux demi-feuilles; le texte ne figure que sur un cote de chacune); brouillon autogr.
dirigee centre les auteurs jesuites de La Religion vengee (v. lettre 364, note 4). Les sections de cet ouvrage relatives a De I'Esprit, qui se trouvent a la fin du TEXTE volume 6, se presentent sous forme de aaPremiers mots du A :