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B e r l i n X V I I I Encyclopedie
ALPHA
Berlin XVIII Encyclopedie
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Univers et jeu original
Eric Bouchaud, Nicolas Théry, Laurent Trémel, pour les versions de 1988, 1989, 1993
p l Textes
Fabrice Colin, d’après la « bible de l’univers de Berlin XVIII » élaborée dans la Falkhouse sous la direction de Maitre Sinh. Un merci tout particulier à Dox, Teenage, Capt. Heinrich, Hans Gruber, FrancKL
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Responsable d’édition Maître Sinh
Illustrations et maquette Philippe Marichal
Tous droits réservés par leurs auteurs et par 500NDG pour la présente version. La copie et la diffusion sont autorisées pour une utilisation personnelle.
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INTRODUCTION Après presque un quart de siècle, Berlin XVIII revient dans une 4ème édition ! Depuis plus de deux ans, nous travaillons dessus pour lui donner un écrin digne de ce nom, avec un forum privé où les fans peuvent contribuer. L’heure est presque arrivée de sortir de la Falkhouse (ou me dit que c’est féminin) et passer au crowdfunding (au mois de juin 2018). Notre but est de faire profiter Berlin XVIII du meilleur des innovations apparues depuis ce temps, tout en faisant en sorte que chaque table puisse y trouver tout ce qu’elle a besoin pour continuer à faire vivre cet univers exceptionnel. Nous proposons donc le jeu sous deux systèmes différents. Voici ce que vous trouverez lors de la campagne • Une version du jeu « propulsée à l’Apocalypse » (beta dispo gratuitement) • Une version du jeu « propulsée par Fate » (alpha ce mois-ci) • Une « encyclopédie » qui contient le background développé plus une série de nouvelles par Fabrice Colin (dont un petit quart des textes ici). • Un écran de MJ (Apo et Fate) • Un insigne de falk en métal (le prototype a déjà été réalisé) • - Une carte de Berlin grand format • et plein d’autres choses.... Quelques mots sur « l’encyclopédie ». Vous trouverez dans cette livraison une partie des textes écrits par Fabrice Colin. Les deux versions du JDR contiennent tout ce qu’il faut pour jouer. L’encyclopédie va plus loin, en fournissant en nourrissant l’imaginaire et les yeux du lecteur. Comme elle est indépendante du jeu (vous pouvez vous en passer), elle est aussi accessible aux non-joueurs, ce qui nous permet de dégager plus de moyens pour sa réalisation. Ce sera donc un « beau livre » dans la tradition, par exemple de l’Encyclopédie Galactique pour Empire Galactique, et illustrée par des pointures contemporaines de l’illustration « geek » (dont Laurie Greasley). Cette encyclopédie (qu’il nous reste encore à nommer proprement) est donc
écrite par Fabrice Colin à partir d’une « bible » (à la façon des séries télé) de l’univers de Berlin XVIII que nous avons réalisé avec les fans du jeu, sur le forum de 500NDG, en épluchant et synthétisant les trois versions successives du jeu et leurs suppléments. Notre ligne a été de conserver entièrement l’univers et d’agir pour justifier et re-interpréter l’existant, tout en développant ce qui était à peine ébauché ou suggéré. Le rôle de Fabrice a été de donner une âme à tout cela. Plus qu’un simple background, c’est une « vision du futur », a travers les yeux des protagonistes et de divers documents. Cela laisse de la place pour vos interprétations, ce qui était le but. Plus d’infos sur le forum (http://www.500nuancesdegeek.fr/forum/viewforum. php?f=7) et sur le site de 500NDG (http://www.500nuancesdegeek.fr/category/ en-cours/berlin-xviii/). On attend vos retours, suggestions, jets de seringues et autres. Maitre Sinh
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PRÉFACE FAUT-IL QUE JE VOUS RAFRAÎCHISSE LA MÉMOIRE ? Par Ivan Geffen La violence et la peur s’engendrent et se dévorent mutuellement dans un cycle sans fin. Sur les flancs à vif de cet Ouroboros fleurissent les guerres, les famines, l’amnésie de l’histoire, la haine de l’autre, l’industrie du divertissement, de la consolation chimique et du crime. Au siècle dernier, nos ancêtres, ni meilleurs ni plus vicieux que nous-mêmes, crurent qu’une peur suffisamment intense parviendrait à intimider la violence. Durant quelques décennies, ils en eurent l’illusion. Mais à l’ombre de cette peur, à peine dissimulée, la violence prospérait. Il fallait être dur d’oreille pour ne pas l’entendre glapir. En 2030, la violence et la peur se retrouvèrent, se reconnurent et se rappelèrent le pacte qui les liait depuis si longtemps. Il suffit d’un doigt tremblant, d’une mâchoire crispée, de deux clés, d’un code alphanumérique et d’un bouton écarlate. Mach 15. La vitesse des missiles. 37 minutes. Le temps entre la mise à feu et l’impact. 280 millions. Le nombre de morts évalué à l’aube du second jour. Vous croyez que les présidents américain et chinois ont alors soupiré, la tête entre les mains : « Qu’avons-nous fait ? » Moi, je pense qu’ils se sont contentés de boire un verre d’alcool fort dans la pénombre de leur QG impénétrable avant d’aller pisser un coup. Ensuite, il y eut les retombées, les pluies radioactives, les plaines et les villes contaminées, et un très long et très douloureux hiver pour les hommes et les bêtes de l’hémisphère nord, mais ça, nos deux ivrognes prostatiques n’en avaient vraisemblablement rien à battre. La peur, plus que jamais. La violence, encore et toujours.
Après un bref moment de stupeur, nous recommençâmes à nous entretuer, et aucun état ne manqua à l’appel. En Russie comme en Europe, la démocratie fut prestement enterrée et peu de gens s’en soucièrent. Il y avait tant d’autres deuils à porter. Nous assistâmes à des spectacles qui semblaient surgis tout droit du passé : les assauts mécanisés, les champs de bataille boueux, les gaz, les cohortes de réfugiés affamés et transis : nous vécûmes l’histoire à rebours. La technologie régressait aussi vite que les hommes. Plus de réseaux de communications, plus d’information en continu, plus de réalité augmentée ou je ne sais quelle autre prouesse oiseuse dont nos aïeux étaient si fiers. Il fallut une génération pour qu’enfin, on commençât à deviner une lumière au milieu de toutes ces ténèbres. Un espoir de paix et d’ordre retrouvés : Europa. C’est tout ce que l’on pouvait s’offrir. Bien sûr, ce n’est pas la panacée, les bâtards y ont toujours leur place au soleil et ils ne sont pas prêts à la céder, mais cela vaut mieux qu’un camp militaire à perte de vue ou un charnier haut comme une montagne, vous ne croyez pas ?
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1ere Partie 2075 Patrouilles
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Journal semi-intime de Ludmila Pohl, extraits reproduits avec l’autorisation de monsieur le procureur général du secteur 18
2 septembre 2075 Petite soirée pépère devant ma télé Diptychon après une dure journée. J’ai fait mon quota mensuel d’arrestations en dix jours. Je devrais demander des congés. Sur l’écran de gauche, un film du siècle dernier, Scarface. La plupart des références historiques m’échappent complètement. Sur l’écran de droite, une chaîne de « réconfort » parmi les douze dont on dispose gratis dans l’immeuble. Bayerischer Traum : montagnes aux sommets immaculés, marmottes, chalets et edelweiss. Un mélange de maquettes et d’effets de synthèse. C’est bien foutu, on pourrait s’y croire. Les canalisations gargouillent depuis que je suis rentrée. Ça sent la coupure d’eau. J’ai bien fait de prendre ma douche au boulot. Les collègues me demandent souvent pourquoi j’ai choisi de vivre dans le quartier Rorschach. Tout bêtement parce que j’ai le droit à la gratuité du loyer (petit privilège d’une ancienne falkriek doublement médaillée). Et puis bon, ce n’est pas le coupe-gorge qu’on imagine. Faut éviter de s’y promener en uniforme, c’est tout. J’ai lu dans une revue d’ornithologie que le quartier Rorschach abritait le plus grand nombre d’espèces d’oiseaux de tout le Zentrum. Moi, je fais confiance aux oiseaux… Tony Montana est en train de sniffer un bon kilo de cocaïne tandis qu’un chœur de marmottes yodle joyeusement. Riche idée d’avoir acheté cette télé. Ça fait longtemps, tiens, que je n’ai pas saisi de cocaïne ou un dérivé quelconque. C’est devenu extrêmement rare et cher comme drogue. En ce moment, c’est le feenpulver qui a la cote. Bon marché, facile à cuisiner, fidélité du consommateur assurée dès la troisième prise. Ça rend les dents fluorescentes. Les kinder adorent. Une vraie saloperie. Rien que dans notre district,
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THOMAS BATHKE, LA MÉMOIRE DU FALKAMPFT (un entretien publié en 2091 dans la revue Geschichte) Chaque jour, qu’il pleuve ou vente, Thomas Bathke arpente tranquillement le parc de la maison de retraite Holger Münch, la tête pleine de souvenirs, l’émotion au bord des lèvres. Thomas est né avec le siècle. Il était déjà policier avant le nuke de 2030, jeune recrue berlinoise de la Bundespolitzei. Il a vécu l’effondrement des institutions étatiques et européennes, quand les salaires des policiers ont cessé d’être versés, les ordres d’être donnés et que la chaîne hiérarchique s’est brisée à mesure que les hommes désertaient leur poste. Beaucoup partaient grossir les rangs de l’armée. D’autres tentaient par tous les moyens de quitter le vieux continent. Certains, pour survivre, devenaient pilleurs, trafiquants, mercenaires. Thomas, lui, a continué à porter son uniforme et à patrouiller dans les rues de son quartier. Pour protéger sa femme et son jeune fils, ses amis, ses voisins, simplement pour faire son devoir de flic, insiste-t-il, assis sur un banc au pied de son arbre favori : un grand aulne vieux de plusieurs siècles. « J’ai vu des gens mourir de froid et de faim. J’ai vu des gens, autrefois civilisés, rationnels, sombrer dans la pire des barbaries. J’ai perdu mon fils, puis ma femme, et à la fin tous les gens que je connaissais. Alors, ce qui faisait de moi un flic s’est éteint pour de bon. Parce que la justice n’était tout simplement plus de ce monde… Je me suis contenté de survivre sans trop céder à la sauvagerie, en restant droit, en secourant mon prochain quand cela m’était possible. « J’ai erré quelques années. Je suis allé jusqu’en Espagne. Là-bas aussi, les gens crevaient. Je suis revenu à Berlin en 39. La ville où j’avais vu le jour était méconnaissable. Des forteresses militaires, énormes, grisâtres avaient surgi à la périphérie comme ces champignons tout flasques qui poussent en cercle après la pluie. Vous savez, avant tout ça, j’étais de ceux qui espéraient qu’une armée européenne voie le jour. Mais là, ce que j’avais sous les yeux, ce n’était rien d’autre qu’une dictature. La Justice et l’état de droit n’était plus qu’un conte pour enfants. « J’ai retrouvé d’autres anciens policiers. Au début, on se réunissait dans un bar près du Bundestag. On bavardait, on se saoulait et on versait des larmes.
« Les choses se sont mises à bouger au début des années 40, quand les conflits sur les fronts de l’est ont connu une décrue. On était passés d’une vingtaine de flics nostalgiques et pleurnichards à une centaine d’hommes et de femmes prêts à agir. Comme on avait pas mal de gars dans l’armée, on a commencé à nouer des contacts avec les autorités militaires. Il n’y avait rien à attendre de la clandestinité. Nous aurions tous fini devant un tribunal d’exception avec comme options l’enrôlement de force, la déportation ou le peloton d’exécution. On a été rejoint par Franz Dieter-Meyer. Il avait été magistrat à la Cour européenne des droits de l’Homme et député à la chambre de Berlin. En 25, il avait même failli être élu gouverneur. Ça s’était joué à quelques voix. Un sacré bonhomme. Il a ranimé quelque chose en nous tous… Cette flamme que le désespoir avait soufflée. « Nous sommes devenus le Front zur Abwehr der Lokalen Kriminalität, le Front de défense contre la criminalité locale, ou Falkampft. Nous avons obtenu un mandat officiel du gouvernement militaire, une aide matérielle et financière pour mener des actions de police dans le secteur 18, et des locaux à proximité de la place Brunnen. On a occupé un ancien magasin de meubles. La première falkhouse. « Tous ceux qui avaient tiré profit du chaos, tous ces salopards, ces trafiquants, ces exploiteurs de la misère et de la faiblesse, allaient réapprendre à nous craindre. « Nous étions placés sous le contrôle des magistrats militaires. Il y a eu des anicroches, c’est un euphémisme de le dire. On nous encourageait non seulement à procéder à des enquêtes et des arrestations, la tâche première d’un policier, mais aussi à nous faire juges, procureurs et surtout bourreaux. Il fallait, nous disait-on, désengorger les tribunaux et simplifier le travail des magistrats. Certains d’entre nous l’ont accepté et y ont même mis du zèle. J’étais de ceux, et nous étions nombreux, qui s’y refusaient obstinément. « Pour éviter que n’éclate une guerre interne au sein du Falkampft, le gouvernement militaire a créé les falkrieks, une force de police distincte sous contrôle direct de l’armée. Ça a éclairci nos rangs, mais c’était mieux ainsi. On a pu travailler plus sereinement. « Quand le gouvernement militaire a finalement cédé la place à des institutions démocratiques solides, Franz Dieter-Meyer a plaidé notre cause et a vanté notre action auprès du Tribunal constitutionnel d’Europa. En 2056, nous étions officiellement reconnus comme la seule force de police de la mégapole berlinoise. Deux ans plus tard, j’étais nommé capitaine de la toute nouvelle falkhouse du secteur 18. J’ai pris ma retraite en 72. Il était plus que temps. « J’ai fait mon devoir toute ma vie durant. Et je crois avoir le droit, maintenant, d’attendre sereinement la mort à l’ombre de ce vieil ami qui a l’écorce aussi rugueuse que la mienne. »
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Journal semi-intime de Ludmila Pohl
4 septembre 2075, peu après l’aube. La journée commence mal. Après le briefing, la sergente-chef Eisner m’a encore collé un bleu dans les pattes. Elle doit penser que je suis une espèce de nourrice, de maman ourse… Le gamin s’appelle Robrecht Bakeland, il a vingt et un ans, et il n’a pas l’air d’avoir inventé l’eau tiède. Ils ont tous la même dégaine quand ils sortent de l’académie. Raides, avec les bras ballants et les yeux qui roulent. J’ai donc passé la matinée à lui faire visiter der Palast (le petit nom qu’on donne à la falkhouse du secteur 18) depuis les sous-sols jusqu’aux combles. J’étais trop fatiguée et de mauvaise humeur pour lui faire le coup de la salle de torture ou du labo secret d’expérimentation biocybernétique. D’autres que moi se chargeront de le bizuter dans les prochains jours. Il n’y coupera pas. Il y a de quoi être impressionné quand on met pour la première fois les pieds dans notre « luxueux » palace de brique et de béton : dix-sept étages au-dessus de la rue, pas moins de cinq en dessous (bientôt, si on en croit la rumeur, on aura même notre propre station d’U-Bahn ; j’attends de voir) ; 6232 flics, tous grades confondus, qui vont et viennent quotidiennement, 1780 employés administratifs, agents d’entretien, agents de maintenance ; 3400 plaintes recueillies chaque jour (c’est une moyenne, on voit des pics à plus de 6000 les nuits de pleine lune, les lendemains de match de mörderball ou la veille de Noël) ; et, quels que soient le jour et l’heure, il y a entre 200 et 400 gardes à vue qui ont cours simultanément. Les geôles du niveau -2 sont toujours pleines à craquer. On en a ouvertes d’autres au niveau 5 et au niveau 8, plutôt destinées à nos « hôtes de marque ». On dispose de notre propre source d’énergie : une minicentrale nucléaire Flexbraun qui turbine au niveau -4, fournissant je ne sais plus combien de mégawattheures, un sacré paquet en tout cas. Les salles d’entraînement, stands de tir et dojos, sont au niveau -3. Il y
flotte une délicate odeur de sueur et de poudre. Notre parfum, à nous, les falks. Y en a pas de meilleur. Au niveau -1, on a un parc de 450 voitures de patrouille (surtout des Krüger X309 datant de la fin des années 50, quelques prototypes maison qui illustrent le fait que nos mécanos sont tous alcooliques, une flottille de Porsche 1112 pour les parades ou les escortes d’officiels), 200 motos (essentiellement des Neo-Horex et divers autres modèles provenant de saisies), 32 fourgons blindés et une trentaine de véhicules dits « opérationnels » qui vont de la station mobile de communication à l’engin d’assaut chenillé. Sur le toit du palace se trouve notre aérogare : douze hélicoptères de type militaire et une vingtaine de minicoptères… Sans compter une flotte de drones aérostatiques pour les missions de surveillance. Tout ça fait un bruit qui évoque l’éveil d’une ruche au printemps. Durant notre visite, le gamin ne s’est pas montré bavard. Il n’a pas fait de commentaires, n’a quasiment pas posé de questions. Rien n’a semblé l’impressionner. Pire, mes blagues ne l’ont pas fait rire. Cerise sur la tarte, il préfère le thé au café et trimballe une photo de sa chérie glissée dans sa poche. C’est trop mignon. J’espère juste qu’il n’est pas du genre tire-au-flanc.
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BIENVENUE À LA FALKHOUSE DU DISTRICT 18 Plus qu’un commissariat, une grande famille fière de travailler au service de tous les Berlinois. Nous avons les meilleurs états de service du Zentrum, le plus fort taux d’élucidation et la note la plus haute de satisfaction citoyenne. C’est votre premier jour ? Vous vous sentez perdu ? Ne vous inquiétez pas, vous serez bientôt ici comme chez vous. Présentez-vous d’abord au bureau du personnel du niveau 0 avec votre lettre d’affectation et votre carte d’identité professionnelle provisoire. Le temps de quelques formalités et d’un café bien serré, et l’on vous remettra votre carte définitive, votre badge et le code de votre casier (ce code est strictement personnel et confidentiel, ne le communiquez à personne). Rendez-vous alors dans le vestiaire du niveau 1 que l’on vous désignera. Vous trouverez dans votre casier la dotation vestimentaire et tactique de base. Mettez-vous en tenue. En cas de problème (erreur de taille ou de pointure, omission dans l’inventaire), adressez-vous aussitôt au service dotation, qui se trouve en face des vestiaires hommes. Rappel : Lorsque vous êtes en uniforme, votre badge doit toujours être visible.
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Dotation vestimentaire et tactique de base (peut être sujet à variations en fonction des disponibilités) : • Une paire de chaussures type ranger, semelle antidérapante à absorption de choc, de couleur noire. • Un pantalon de couleur bleue 70 % polyester 30 % coton à coutures renfor-
cées, genouillères fibres de carbone intégrées. •• Un jumper unisexe 70 % polyester 30 % coton avec renforts épaules et coudes de couleur noire ou bleue foncée. •• Une veste imperméable de couleur bleue avec doublure polaire amovible, deux poches ventrales, une poche pectorale, de couleur bleue, coudières fibres de carbone intégrées. •• Un gilet antibalistique avec deux poches pectorales. •• Une ceinture tactique avec boucle de goupille en acier carboné accompagnée du matériel suivant : une matraque de type tonfa, une lampe tactique à piles, une paire de menottes à quatre points avec deux clés, une bombe aérosol au gel neurotoxique (niveau 5 d’incapacité sur l’échelle de Schneider, ne pas utiliser dans le cadre d’une mission de contrôle des foules), un stylo et un carnet de notes résistant à l’immersion et aux acides, un flacon de décontaminant de marque Böttcher avec sa notice d’utilisation. •• Une paire de gants en nylon extensible et néoskaï de couleur noire. •• Une casquette ajustable 100 % polyester avec renforts carbone de couleur bleue. Rappel : vous êtes responsable du matériel et des tenues qui vous sont confiés. En cas de perte ou de dommages suite à une utilisation non réglementaire, des retenues sur salaire pourront vous être appliquées préalablement à tout remplacement. Il est à présent temps de vous rendre à l’armurerie que vous trouverez au niveau 6. Le sergent-chef Vogel vous remettra votre arme de service, un holster, un Löwitch kit d’entretien et deux chargeurs, ainsi que votre radio mobile. Soufflez et prenez un instant pour vous regarder dans le miroir. Que voyezvous ? Un vrai falk prêt à servir la Justice et la Liberté en toutes circonstances.
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Niveau -5 : Espace non assigné actuellement (sert parfois à la reconstitution de scènes de crime). Niveau -4 : Mini-centrale Flexbraun, source principale d’alimentation électrique de la falkhouse. Accès restreint au seul personnel de maintenance habilité par la société Flexbraun, via un ascenseur sécurisé situé au niveau -1. Niveau -3 : Stands de tir. Salles d’entraînement aux sports de combat. Vestiaires et douches. Niveau-2 : Geôles, capacité d’accueil d’environ 500 individus, généralement réservées aux flagrants délits et aux attentes de transfert vers le tribunal ou la prison. Niveau-1 : Parking pour les véhicules terrestres d’intervention disposant de trois sorties, au sud, au nord et à l’ouest du bâtiment. Atelier mécanique. Atelier de maintenance des locaux. Réserve de carburant. Niveau 0 : Accueil du public. Bureau d’accueil du personnel. Salle de réunion « presse et média ».
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Niveau 1 : Vestiaires à l’usage du rang et des sous-officiers. Espace de repos et de loisir. Cantine du personnel. Niveau 2 : Service médical (médecine du travail). Poste de secours (peut prendre en charge une centaine de personnes, y compris en cas de contamination d’origine chimique ou radioactive). Crèche pour les enfants du personnel non scolarisés. Niveau 3 : Salles de briefing « patrouilles ». Salles de rédaction des rapports de patrouilles et d’interventions. Bureau du service des archives. Niveau 4 : Central radio pour les véhicules de patrouille (pas moins d’une trentaine de répartiteurs s’y relaient jour et nuit). Bureaux du service de consultation et mise à jour des fichiers judiciaires. Niveau 5 : Geôles de garde à vue. Salles d’audition. Bureaux du service de gestion des ressources humaines. Niveau 6 : Armurerie. Salles de stockage provisoire des pièces à conviction. Laboratoires du service forensique d’analyse balistique. Niveau 7 : Vestiaires réservés aux officiers et officiers supérieurs. Salles de briefing « enquêtes et investigations ». Bureau et appartement de fonction du capitaine. Niveau 8 : Geôles ultra-sécurisées (dites « geôles VIP »). Bureaux du service de lutte contre les gangs et le crime organisé. Niveau 9 : Bureaux du service des stupéfiants. Laboratoires du service forensique d’analyse toxicologique. Niveau 10 : Laboratoires du service forensique de médecine légale et d’analyse anthropométrique (les autopsies proprement dites se déroulent dans une annexe de l’hôpital central du secteur 18). Bureaux du service de la documentation criminelle (ou archives forensiques). Niveau 11 : Bureaux du service de renseignement (interceptions judiciaires des communications téléphoniques, radios et réseau, analyse des supports informatiques). Bureaux du service forensique de profilage et psychologie criminelle.
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Niveau 12 : Bureaux du service de lutte contre les violences routières. Centre de liaison avec les brigades de motarradfahrers. Niveau 13 : Bureaux du service de répression du terrorisme. Bureaux du service de répression du proxénétisme et des atteintes aux mœurs (ce service a également en charge la répression des délits contraceptifs). Niveau 14 : Bureaux du service de lutte contre les violences à la personne (y compris les homicides si les services de répression du terrorisme et de lutte contre les gangs et le crime organisé n’ont pas été saisis). Niveau 15 : Bureau et appartement de fonction du Faltfur. Bureau du procureur divisionnaire. Divers bureaux avec espace couchage mis à la disposition des falkrichters (magistrats de liaison). Niveau 16 : Administration et centre de coordination radio du Groupe d’Intervention Falkampft (la base logistique du GIF n’est pas abritée dans la falkhouse). Bureaux du service de la protection des hautes personnalités. Niveau 17 : Bureaux du service spécial d’investigation.
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Si quelqu’un sait précisément à quoi ces types passent leur temps, qu’il balance l’info, putain !
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4 septembre 2075, matinée Allez, première sortie pour le bleu. Le seul véhicule de patrouille soi-disant disponible est une foutue antiquité rapiécée avec des bouts de tôle. Un chien n’en voudrait pas comme niche. Les trois mécanos de service se marrent en nous voyant monter dedans. Évidemment, il y en a un qui me sort : « je vous fais le pare-brise ? » Ça fait cinq ans que j’entends cette blague. Et ça fait cinq ans que j’y réponds avec le majeur de ma main droite. Bon, comme je m’y attendais, Robrecht débarque de sa campagne et ne connaît rien à la géographie du secteur. Rappel pour les bleus : Il faut connaître chaque rue de votre secteur, chaque itinéraire. Apprenez la carte par cœur. Ça peut vous sauver la vie, la vôtre et celle de vos coéquipiers. Ne comptez pas sur le geoloc. La moitié du temps, ça ne fonctionne pas et l’autre moitié, ça confond la Spree avec l’autobahn. De toute façon, cette voiture n’en est pas équipée. Aujourd’hui, sauf si une urgence nous tombe dessus, on va débuter en douceur par un peu de tourisme. Pendant que je me fraye un chemin dans la circulation, Robrecht se décrispe et commence à me lâcher quelques mots. Il était temps. Rien de pire qu’un coéquipier mutique. Je lui demande ce qui l’a poussé à devenir flic. Il me dit qu’il avait depuis longtemps envie de vivre à Berlin et l’idée de faire un métier qui le mette au contact du réel, des gens, de la rue, lui plaisait. Sa réponse me rassure. Je me méfie de ces recrues qui prétendent vouloir combattre le crime, rendre le monde meilleur, aider la veuve et l’orphelin, ce genre de conneries. En général, ils n’ont rien dans le ventre. Il me parle un peu de sa copine, Juliana, qu’il a laissée à La Haye, mais qu’il souhaiterait faire venir. Il a l’air sincèrement amoureux d’elle. Le problème, c’est qu’avec un salaire de koss, on ne se paye pas le nid douillet de ses rêves. Au mieux, après quelques années, on peut s’offrir un appartement correct dans un quartier qui n’est pas trop gangréné par la drogue et la violence. Robrecht m’apprend qu’il loue un petit appartement dans un immeuble de Reinicken-
dorf. Il n’a pas trouvé mieux. Lui qui veut être au contact du réel, des gens et de la rue, il doit être servi. Je lui dis au passage qu’il peut me tutoyer. Je suis son chef direct, mais entre koss le tutoiement est de rigueur. Il a du mal. Je ne sais pas si c’est une histoire de hiérarchie ou si c’est parce que je suis une femme qui pourrait avoir l’âge d’être sa mère. Finalement, presque bégayant, il me demande : « Et… toi ? Qu’est-ce qui t’a amenée à devenir flic ? » MARXMEN La fiabilité et la robustesse allemande
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Ça, mon poussin, c’est une trop longue et trop triste histoire pour la raconter sans être en état d’ébriété. Pour faire court, j’ai commencé comme falkiek, d’abord dans les marches du Nord, en Suède puis en Finlande, enfin dans les marches de l’Est, en Estonie. On nous baladait beaucoup. On ne restait jamais plus de trois mois au même endroit. C’était l’horreur, surtout en Estonie : une terre complètement empoisonnée. J’ai arrêté des gens qui avaient commis des actes de cannibalisme, t’imagines ? On faisait la police, sans trop se soucier d’une quelconque procédure. Pas d’enquête, pas de procès-verbaux. Les arrestations étaient brutales, les condamnations expéditives. Et puis en Estonie, on a fait face à des incursions ursiennes. Le froid était atroce, il y avait ces grandes plaines de boue gelée, les traces fossilisées des chenillards, ces mares jaunâtres qui, elles, ne gelaient jamais, qui dégageaient constamment des gaz soufrés. Là-bas, je tirais plus de balles en une journée que je n’en ai tirées dans toute ma carrière de flic berlinois, entraînements compris. Alors, les loubards défoncés à qui l’on passe quotidiennement les menottes, même les gangs que la presse qualifie d’ultra-violents ou les tueurs cinglés qui font des cartons à la sortie des maternelles, après ce dont j’ai été témoin dans les marches, ils me font l’effet de charlots. 4 septembre 2075, fin de matinée
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J’ai d’abord suivi la voie sur berge du Landwzehrkanal. À cette heure, on n’y circule pas trop mal. Un brouillard épais cascade en permanence du tronçon d’autobahn qui surplombe le canal. On ne voit rien à travers, ça dessine une véritable muraille. J’ai demandé à Robrecht de remonter sa vitre. Cet imbécile avait le nez au vent. T’es à Berlin, mon chéri, et le seul parfum que tu pourras respirer, ce sera un subtil assemblage de gaz d’échappement, de rôtisserie turque, de pisse de chien et de fumée sulfurée. Avant d’arriver à la hauteur de l’hôpital central du secteur 18, j’ai obliqué au nord, vers chez moi. « On va vraiment traverser le quartier Rorschach ?», m’a demandé Robrecht. Il y avait dans sa voix un mélange de crainte et d’excitation. Je lui ai rappelé que pour un falk, il n’y a pas de territoire de non-droit. Un falk doit se sentir partout chez lui. On a descendu à vitesse réduite l’avenue centrale. À l’instar de toutes les rues de cette zone, elle n’a jamais été officiellement baptisée. On l’appelle juste l’avenue centrale, ou bien l’avenue des mille morts en mémoire des émeutes. C’est un bon test pour les suspensions d’une voiture.
On s’est fait modérément caillasser. La vitre côté passager s’est étoilée. Robrecht a gardé son sang-froid. Bon point. Quant aux petits cons qui nous ont lancé des pavés, j’irai sous peu leur tirer les oreilles. Ensuite, on a pris la Ringstrasse qui ceinture le secteur 18. Une incroyable cohue, même en fin de matinée. Un véhicule sur trois n’est pas homologué. Certains sont de vrais monstres de Frankenstein, à se demander tout bonnement comment ils peuvent rouler. Enfin, c’est l’affaire des motarradfahrers. Je les plains sincèrement. Nous, au moins, on ne risque pas notre vie chaque minute. Je suis sortie à Halensee et on a remonté le Kurfürstendamm. C’était l’heure de la pause déjeuner. Les trottoirs étaient bondés. Robrecht a pas mal mâté les fräuleins habillées de robes moulantes en néoskaï. De plus en plus moulantes, les robes, à chaque saison qui passe. Sa copine doit déjà salement lui manquer. Nous avons eu le droit à une dose d’adrénaline au croisement avec Joachimstalher strasse. Un motard sans casque nous a coupé la route avant de perdre le contrôle de sa Néo-Horex débridée et d’aller se manger une rambarde de sécurité. Le type a été projeté cinquante mètres plus loin, sur le trottoir, au milieu des minettes en faux cuir et des cadres sups couverts de tatouages néopagans. Il ne s’est pas relevé. On voyait sa cervelle déborder de son crâne fracturé. Cinq ou six filles, la plus vieille ne devait pas avoir plus de seize ans, ont sorti de leurs sacs des kameraminus et ont commencé à prendre des photos. J’ai demandé à Robrecht d’aller disperser ces merdeuses pendant que j’appelais le central. Le temps de passer l’appel et mon bleu
ée d’un cœur arrive enfin sur le marché. Constitu La nouvelle konsole Prophet-16 n CRT repoécra d’un , ique clavier électromécan procédural cadencé à 40 MHz, d’un t-16 permet phe Pro sole kon la ue, ression thermiq *. sitionnable et d’un radio-fax à imp dard via une prise téléphonique stan également la connexion au Netz ö-
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s’était acquitté de cette tâche. Deux appareils photo étaient en miettes à ses pieds. Une des gamines courait à perdre haleine en sanglotant. Robrecht avait l’air content de lui. En attendant les secours, Robrecht a tenu sans trop de peine les autres badauds à l’écart et j’ai fait les premières constatations. Puis on a cédé la place aux paramédics (qui n’ont pu que confirmer le décès) et aux motarradfahrers. Il y aura probablement une enquête, mais ce n’est pas de notre ressort. « Ça commence bien, je trouve », m’a lâché la bleusaille après qu’on a regagné notre voiture. Question de point de vue. 5 septembre 2075, minuit passé. Après le service, on est allés boire un pot au café Wendel. Un « rade à flics » à quelques rues de la falkhouse, géré par un ancien de la maison. On s’y retrouve souvent entre policiers, tous grades confondus. Il y a un DJ qui mixe à petit volume de l’elektro-schlager. C’est sirupeux, indolore, ça engourdit l’esprit aussi bien que la bière et le schnaps. Les collègues qui cherchent des sensations plus fortes vont deux rues plus loin, au Neu ! Le rendez-vous des gros bras du GIF. Là, ils passent du kalterkrieg, interminables morceaux électroniques générés par des algorithmes, et du broiler, musique infra et ultrasonique censée te griller ce qui te reste de neurones après une longue journée de travail. Robrecht s’est fait charrier comme il convient. Il a bu modérément et nous a quittés vers 22 heures. Moi, j’ai continué à picoler, puis j’ai pris l’avant-dernier tram pour rentrer chez moi. Et me voilà assise dans la pénombre, à moitié ivre, à pianoter sur ma konsole, levant la tête après chaque phrase pour contempler la nuit, ses lumières innombrables qui percent le brouillard gris. Si j’avais quelques années de moins, je me le taperais bien, le bleu. On ne peut pas dire qu’il soit beau, mais il a son charme, et quelque chose me dit qu’il est du genre performant au pieu. Je vais finir par jalouser sa copine. Merde, je ne devrais pas écrire ce genre de trucs sur mon persönetz. Va falloir que je picole encore plus pour m’ôter cette idée de la tête. Je ne vais pas être fraîche, demain. Pour changer.
FICHE DE RÉVISION 11 L’arrestation Vous ne pouvez procéder à l’arrestation d’un individu que dans les situations suivantes : Si vous avez connaissance d’un mandat judiciaire d’arrêt ou d’amener délivré par un magistrat à l’encontre de l’individu. Si vous avez été directement témoin de la perpétration d’un délit ou d’un crime dont l’individu est l’auteur. Si vous avez des raisons objectives de penser que l’individu s’apprête à commettre un délit ou un crime. Si, à la suite de la perpétration d’un délit ou d’un crime dûment constaté, la clameur publique vous désigne l’individu comme étant l’auteur probable de ce délit ou crime. Si vous relevez que l’individu est en possession d’objets, ou porte des traces ou indices laissant penser qu’il a pris part à la perpétration d’un délit ou d’un crime dûment constaté. Si, après avoir informé l’individu de votre qualité de falkampft, celui-ci refuse d’obtempérer à vos demandes. Toute arrestation ne répondant pas à l’une des situations présentées ci-dessus sera considérée comme abusive et pourra déboucher sur des sanctions disciplinaires et des poursuites pénales.
Rappel L’usage de la force lors d’une arrestation doit être proportionnel et mesuré. Il ne peut être fait usage de l’arme à feu que dans le cadre légal de la légitime défense, telle que définie par les articles 156 à 158 du Code de procédure pénale d’Europa. L’utilisation d’entraves doit répondre à la stricte nécessité (si la personne arrêtée est dangereuse pour elle-même ou pour autrui ou si elle est susceptible de vouloir prendre la fuite).
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FICHE DE RÉVISION 13 La Garde À VUe Une mesure de garde à vue ne peut-être décidée que par un falkampft ayant rang d’officier (dans la plupart des cas, sergent-chef ou inspecteur), soit de sa propre initiative, soit à la demande d’un magistrat. Une mesure de garde à vue ne peut être appliquée à un individu que s’il existe des raisons plausibles de penser que cet individu a commis ou a tenté de commettre un délit ou crime passible d’une peine de prison. Si un falkampft ayant rang d’officier décide de sa propre initiative d’un placement en garde à vue, il doit aussitôt en informer le procureur divisionnaire en charge de sa falkhouse ou à défaut un falkrichter. Si, au vu des éléments fournis par le falkampft ayant rang d’officier, le magistrat juge que la garde à vue ne se justifie pas, la mesure est immédiatement interrompue et l’individu relâché. La durée de la garde à vue ne peut excéder 72 heures. Seuls le procureur divisionnaire, le procureur général ou l’un de ses substituts peuvent autoriser une prolongation de la mesure, soit de 72 heures en maximum dans le cas d’une infraction de droit commun, soit de 144 heures au maximum dans le cas d’une affaire de terrorisme ou de criminalité en bande organisée. Le suivi des différentes étapes de la garde à vue doit faire l’objet d’un procès-verbal distinct des procès-verbaux d’interrogatoire. Le magistrat ayant demandé ou confirmé la mesure de garde à vue, devra être régulièrement informé du déroulement de cette dernière. À l’issue de la garde à vue, sur décision du magistrat régulièrement informé, l’individu sera soit remis en liberté soit déféré devant un magistrat instructeur, un magistrat du parquet ou une chambre de jugement. La garde à vue d’un mineur de 12 à 15 ans ne pourra excéder 48 heures (sauf ordonnance spéciale du procureur général). Les parents ou tuteurs légaux du mineur devront être informés du placement en garde à vue dans un délai maximum de 24 heures après le début de la mesure.
La garde à vue d’un mineur de moins de 12 ans ne pourra excéder 24 heures. Les parents ou tuteurs légaux du mineur devront être informés du placement en garde à vue dès le début de la mesure. Les mineurs de moins de 9 ans ne peuvent pas faire l’objet d’un placement en garde à vue.
Annexe : déclaration des droits de la personne soumise à une mesure de garde à vue. Cette déclaration sera systématiquement énoncée par l’officier enquêteur à la personne placée en garde à vue, au tout début de la mesure et avant tout interrogatoire. Vous bénéficiez des droits suivants : •• Le droit de garder le silence. •• Le droit à l’assistance d’un avocat. •• Le droit d’être vu par un médecin. •• Le droit d’être informé des charges retenues contre vous. •• Le droit à un interprète si vous ne maîtrisez pas la langue de la procédure. •• Le droit de prévenir un tiers, membre de votre famille ou employeur, de votre arrestation
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FICHE DE RÉVISION 16 La MaGistratUre Tout au long de votre carrière, vous serez amené à travailler avec les magistrats de votre secteur. Connaître vos interlocuteurs judiciaires et la chaîne hiérarchique dont ils dépendent est indispensable dans l’exercice quotidien de votre métier.
Le procureur général Il existe un procureur général par secteur, assisté de plusieurs substituts. Le procureur général dirige le palais de justice de son secteur. Il s’assure de l’application concrète des directives données par le ministère de la Justice du Zentrum. Il examine tous les dossiers dits « sensibles » (terrorisme, délits politico-financiers, criminalité organisée) et représente l’accusation auprès des grandes chambres pénales (procès criminels).
Le haut-richter Un haut-richter est chargé d’instruire les dossiers complexes. Il préside également les grandes chambres pénales. Un haut-richter ne peut à la fois instruire et juger un même dossier. Le nombre de hauts-richters en poste varie d’un palais de justice à l’autre, mais il s’établit en moyenne à douze juges.
Le richter Un richter a en charge de juger les affaires délictuelles au sein des petites chambres pénales, en particulier les chambres de comparution immédiate à juge unique. Un richter se doit d’être rapide et efficace dans le traitement des affaires qui lui sont soumises. Une chambre pénale de comparution immédiate traite en moyenne 50 affaires par jour.
L’avocat général 30
Un avocat général représente les intérêts de la société lors des procès en petites chambres pénales. Un avocat général s’assure de la solidité juridique des dossiers
qui lui sont soumis en coordination directe avec les enquêteurs en charge du dossier. Il est libre d’orienter un dossier vers une juridiction de jugement supérieure ou de décider d’un classement sans suites. Lors du procès, il propose au juge la peine qui lui semble la plus adaptée, dans l’intérêt de la société, des victimes ainsi que des accusés, et dans le respect absolu du Code pénal du Zentrum.
Le procureur divisionnaire Le procureur divisionnaire est le représentant du procureur général au sein d’une falkhouse de son secteur. Il y dispose d’un bureau et d’un secrétariat. Il s’assure de la bonne application des politiques pénales définies par le procureur général et assure le suivi en temps réel des enquêtes considérées comme sensibles.
Le falkrichter Les flakrichters sont des magistrats dits de liaison, en contact quotidien avec les forces de l’ordre. Ils sont habilités à délivrer des mandats d’arrêt, de perquisition et des ordonnances de placement en garde à vue. À la demande d’un officier, ou de leur propre initiative, après en avoir référé au procureur divisionnaire, ils peuvent accompagner les falkampfts dans leurs missions de terrain au titre d’observateur et de conseil. Ils sont détenteurs d’un port d’arme et, de ce fait, sont soumis aux mêmes entraînements réglementaires que les falkampfts.
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Journal semi-intime de Ludmila Pohl
30 septembre 2075 Le mois a été chargé. Mon bleu n’en est déjà plus vraiment un. Je dois avouer, malgré mes craintes, qu’il s’en tire très bien. J’ai demandé à ma sergente-chef de pouvoir le conserver comme coéquipier après sa période d’évaluation. Si je fais le compte : on a arrêté une quinzaine de dealers de rue (des habitués qu’on reverra probablement avant Noël). On est intervenus sur douze cas de violence domestique, dont un cas vraiment délicat avec prise d’otage de deux gamins en bas âge par un père de famille en pleine décompensation psychotique qui venait de défigurer son épouse à l’acide. On a fait trois descentes dans des appartements-bordels. La routine, en ce qui concerne les deux premiers, mais dans le troisième on a découvert ce que je croyais être une pure invention de journaliste de trottoir. Il y avait une dizaine de filles, certaines sans doute mineures, vautrées sur des matelas, incapables de parler ou de se mettre debout. On a cru qu’elles étaient défoncées, puis on a constaté la présence d’importantes cicatrices recousues à la diable au niveau de leurs tempes. Elles avaient été trépanées, afin, je suppose, d’en faire de véritables zombies juste bonnes à ouvrir les cuisses à la demande. Ce jour-là, j’avoue, j’ai franchi la ligne rouge. J’ai entraîné leur proxénète dans la salle de bain et je lui ai fait cracher ses dents contre le rebord de la baignoire. Je lui ai aussi brisé trois côtes et éclaté la rate. L’enfoiré ne savait pas grand-chose, sinon il aurait lâché des noms. J’ai expliqué dans mon rapport que l’individu avait violemment résisté à son arrestation et que nous avions dû faire usage de la force. Robrecht m’a couvert. Quant aux filles, les malheureuses, les médecins ont conclu que les lésions cérébrales étaient irréparables. J’espère de tout cœur qu’on arrivera à choper le malade qui leur a fait ça.
LES QUARTIERS DU CRIME DANS LE SECTEUR 18 (source : dossier publié en 2086 dans le mensuel Observatorium)
Rorschach Si la tradition populaire a donné à ce quartier le nom du célèbre psychiatre suisse, c’est probablement parce que, vu du ciel, le dessin de ses rues abîmées évoque à certains la première planche du test homonyme : on y devinera la gueule d’un fauve, ou la radiographie d’un bassin, ou bien encore deux corbeaux dos à dos, ou tout ce que l’inconscient de ceux qui le survolent souhaite inventer À la fin des années 40, ce petit quartier, jouxtant la plus grande caserne militaire de Berlin, était sans conteste le plus misérable de Berlin, reflet consternant de l’échec des premières tentatives de reconstruction. Au milieu des anciens faubourgs pavillonnaires à l’abandon, des immeubles de vingt ou trente étages avaient été érigés dans l’urgence, sans concertation ni plan d’urbanisme, avec des matériaux de récupération parfois contaminés : des ruines construites avec des ruines, pour ainsi dire. Ces logements étaient destinés en priorité aux familles de vétérans, de soldats rendus inaptes au service ou décédés. Pour ces familles, aucun loyer ni charge n’étaient réclamés. Des milliers de personnes pouvaient prétendre à ce « privilège ». Une population souvent jeune, désœuvrée, marquée par la guerre et le deuil afflua pour peupler ces taudis. C’était toujours mieux que de vivre dans les égouts ou de compter sur des aides sociales qu’aucune administration ne versait plus. Pas de loyers à payer, certes, mais pas d’infrastructures non plus, pas de transports en commun, deux heures d’électricité par jour, au mieux, de l’eau souillée jaillissant par saccades des robinets, des ordures s’accumulant dans les rues, faute d’un service de ramassage. Un désastre sanitaire. Des épidémies se propagèrent :
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gale, dysenterie, leptospirose. Des enfants mouraient à même le trottoir. En 63, il y eut une émeute que les forces armées réprimèrent impitoyablement. Le quartier passa sous contrôle militaire : mur d’enceinte, check-point à l’entrée, couvre-feu, distribution journalière de nourriture sous le joug des fusils. Une figure émergea durant cette période, un leader populaire qui avait des airs de Che Guevara : Markus Dali. Le blocus du quartier dura pendant six ans. Puis le gouvernement du Zentrum, sous la pression de la Cour suprême d’Europa, commença à prêter l’oreille aux doléances des habitants. Markus Dali devint l’interlocuteur incontournable. Il l’est encore à ce jour. Sa popularité ne s’est jamais érodée. Les bâtiments furent réhabilités, un hôpital et des écoles construits, des commerces ouvrirent, le tracé de la ligne de tram M12 fut modifié afin de créer une station au cœur même du quartier. Mais ne nous leurrons pas : le spectre de la misère et de la violence plane toujours dans les rues du quartier Rorschach. Les murs d’enceinte ont été conservés, les miradors et le check-point sont toujours entretenus, comme en prévision d’émeutes à venir. Les falks qui y patrouillent ne sortent jamais de leurs véhicules, car ils craignent les guets-apens : « Ici, c’est une nasse et les flics en uniforme sont la friture », ont-ils coutume de dire. Ils savent aussi qu’une solidarité infrangible lie les habitants : on ne recrute pas d’indic ou de balance à Rorschach.
ReinicKendorf
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L’ancien arrondissement de Reinickendorf fut anéanti par le blast de 2038, quand les Russes lâchèrent leur MOAB conventionnelle au-dessus de l’aéroport de Berlin. Quasiment tous les bâtiments furent soufflés dans un rayon de deux kilomètres. Un gigantesque nuage de feu illumina la nuit allemande avant de se répandre sur le nord de Berlin. Des survivants ont raconté que les eaux du lac de Tegel étaient entrées en ébullition. Les pertes humaines furent épouvantables. Entre 60 et 70 % des habitants de Reinickendorf trouvèrent la mort cette nuit-là. L’arrondissement fut réduit à l’état de plaine charbonneuse sur laquelle on ne glanait rien d’autre que des squelettes. Quand les populations oslaves et ostiaques affluèrent en cohortes, misérables, affamées, contaminées par les radiations et les armes chimiques, ce fut sur la plaine noircie qu’on les rassembla, dans des camps de fortune, des labyrinthes de toiles grises ; comme si le quartier dévasté renaissait sous une forme fantomatique afin que des hommes pussent à nouveau y mourir. Peu après arrivèrent ceux du nord de l’Europe, Swedishs et Danishs, qui fuyaient l’hiver sans fin. Puis se profila la deuxième vague d’immigration anglaise, ceux de la classe moyenne qui avaient espéré naïvement que la crise économique prendrait fin rapidement. Ces Européens, refusant de se mêler aux populations de l’est, s’installèrent dans ce qui avait été autrefois le quartier de Tegel.
Jusqu’au début des années 50, les mouvements migratoires ne faiblirent pas. Sous l’afflux constant de populations et avec l’aide de quelques associations citoyennes, mais aussi avec celle, moins désintéressée, des gangs berlinois, turkishs et utergrunds en tête, l’on vit peu à peu renaître l’arrondissement de Reinickendorf : des bâtiments en dur se substituèrent aux campements de fortune, des rues furent dessinées. À l’ouest, Tegel et ses quartiers européens, de longues avenues pavillonnaires s’enroulant autour du lac, à l’est les quartiers oslaves et ostiaques aux rues étroites et tortueuses à travers lesquelles les véhicules ont toutes les peines à circuler. Cette partition ethnique, même si l’on observe depuis deux décennies un certain assouplissement, est encore à ce jour le prétexte à des explosions de violence ; violence que le crime organisé instrumentalise et soutient. Reinickendorf est le quartier de toutes les économies parallèles : à l’ouest, on fait dans le trafic de voitures, la techno prohibée et les drogues de « luxe » ; les Britons tiennent l’industrie florissante des paris clandestins ; à l’est, on cuisine et on deale les drogues bon marché, on vend des armes et on peut recruter à « prix cassé » des hommes de main pour tous les coups bas. Reinickendorf concentre à lui tout seul un tiers de la criminalité de petite et moyenne intensité du secteur 18.
Zehlendorf Zehlendorf, quartier qui couvre l’ancien arrondissement de Steglitz-Zehlendorf au sud-ouest du secteur 18, n’a pas connu de dévastation comparable à Reinickendorf. Entre les années 30 et 50, il était même devenu le refuge des Berlinois privilégiés, ceux dont les affaires avaient prospéré avec la guerre ou qui avaient simplement la chance de disposer de quoi assurer leurs arrières, mais aussi de quelques expatriés fortunés. Profitant de l’immense confusion de la première décennie post-nuke, la pègre berlinoise fit du quartier sa cible privilégiée : chantage, kidnapping, meurtre rythmaient le quotidien des habitants. Un nombre considérable de sociétés de sécurité vit le jour, la plupart n’étaient que des succursales du crime organisé ou finissaient, tôt ou tard, sous sa coupe. En 2046, quelques habitants, sous l’autorité de Paul Lohmann, l’homme qui allait par la suite fonder l’entreprise de haute technologie Prophet, décidèrent, selon leurs termes, de « nettoyer une bonne fois pour toutes » l’arrondissement. Ils engagèrent et armèrent des mercenaires oslaves. Durant plusieurs jours, on assista à de véritables batailles rangées qui firent de nombreux morts dans les deux camps. L’armée finit par intervenir, avec pour seul résultat de semer plus encore le chaos. Ce fut un désastre qui laissa un goût amer aux habitants de Zehlendorf. Dans l’élan frénétique de reconstruction et d’extension du tissu urbain qui s’emparait de Berlin, les gens commencèrent à quitter le quartier pour s’installer dans des secteurs plus hospitaliers comme Teltow ou Kreis Bernau. À mesure que Zehlendorf se vidait de ses occupants, d’autres prenaient leur place, squattant
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maisons et appartements laissés vacants : les marginaux, les exclus, les fous, les contaminés, toute une faune interlope au nombre sans cesse grandissant. On vit fleurir les I.F. (illegale fabrik, ces ateliers et usines clandestins où l’on fabrique absolument de tout à des tarifs imbattables : du véhicule non homologué aux armes artisanales en passant par les drogues de synthèse et les médicaments contrefaits), les pseudo-églises de cultes syncrétiques aux rites délirants, les schmutzpuffs, ces maisons de passe où l’on satisfait les fantaisies les plus crasseuses. Zehlendorf devint également le lieu de ralliement des utergrunds, ces extrémistes nostalgiques du troisième Reich qui, entre deux discours exaltés, font dans le trafic d’armes et de drogue. Ces dernières années, la police berlinoise est parvenue, à force d’exercer sur le quartier une pression constante et de multiplier les arrestations, à ramener un semblant d’ordre. Mais Zehlendorf est tel un tonneau des danaïdes. Pour une I.F. fermée, ce sont trois nouvelles qui voient le jour. Quand une cellule utergrund est démantelée, une autre, plus extrémiste encore, prend aussitôt sa place. La tâche est sans fin.
Petite AMsterdaM Au nord de l’avenue Osloer, s’étend le quartier connu sous le vocable de petite Amsterdam, un haut-lieu de la prostitution pour tout le Zentrum. À la différence des sombres et clandestines schmutzpuffs de Zelhendorf ou des appartements-bordels non déclarés qui s’ouvrent un peu partout, les lupanars de la petite Amsterdam sont considérés comme relativement sûrs et contrôlés. On compte plus d’une centaine de maisons closes ayant pignon sur rue et employant chacune entre cinq et cinquante prostitués des deux sexes (le plus important de ces établissements, «La Boîte à Bonbons », abrite, selon le recensement le plus récent, plus de cent travailleurs du sexe). À la nuit tombée, le quartier se nimbe d’une lueur carmin, celle qui éclaire les vitrines derrière lesquelles des femmes et des hommes dansent pour aguicher les badauds. Le racolage de rue est théoriquement interdit. Les prostitués qui s’y adonnent et leurs souteneurs risquent non seulement d’être arrêtés par les falks (le temps d’une garde à vue qui ne débouche que rarement sur des poursuites pénales si l’on se fie aux statistiques du ministère de la Justice), mais aussi d’être violemment « rappelés à l’ordre » par les groupes de vigiles qui assurent la sécurité des maisons closes et de leurs abords. La prostitution dans le quartier de la petite Amsterdam est une activité commerciale franchisée que se partagent trois sociétés : Rotelichter, une discrète, mais néanmoins lucrative filiale de Zentrum Entertainment ; DeWallen Network, société hollandaise propriétaire des chaînes érotiques Climax et Europa Schritt ; et la plus ancienne, Rest des Kriegers, dont la création date des débuts de la dictature militaire.
Derrière le rideau de légalité, de sécurité et d’hygiénisme (il faut entendre les discours de l’actuel président de DeWallen Network présentant le quartier comme « un parc d’attractions pour adultes » et invoquant « le droit inaliénable au plaisir pour tous les budgets »), les coulisses de la petite Amsterdam sont moins reluisantes. L’exploitation des êtres humains, la drogue, le blanchiment d’argent sale, les violences et les meurtres sont les tristes avatars de cette industrie dont on lit quotidiennement la chronique dans les rubriques judiciaires des journaux berlinois. Il convient aussi de rappeler que la petite Amsterdam se structura durant la première décennie post-nuke. Les maisons closes originelles étaient avant tout des bordels à soldats. À partir des années 40, quand la politique nataliste s’imposa avec acharnement sur l’Europe en pleine reconstruction, la prostitution fut considérée comme un moyen parmi d’autres de soutenir la croissance démographique. La pénalisation de la contraception s’appliquait alors drastiquement aux prostituées et à leurs clients. Pour éviter un désastre sanitaire, le pouvoir militaire institua le dépistage systématique au sein même des bordels, mais le test par prélèvement urinaire alors utilisé s’avéra peu fiable et les maladies vénériennes prospérèrent. Sans compter un nombre effrayant de décès dus aux avortements clandestins. Les maisons closes de la petite Amsterdam furent par conséquent les premiers espaces à bénéficier de la loi de 2069 dite de « tolérance contraceptive », loi qui s’applique dorénavant à bien d’autres situations et qui devrait (nombreux, en tout cas, sont ceux qui l’espèrent) déboucher à terme sur la dépénalisation inconditionnelle de la contraception en Europa.
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MOTORIK KRIMINELLER Ivan Geffen : Je ne veux pas m’étendre sur ma vie intime, ce n’est pas le sujet et ça ne le sera jamais, mais il faut que je rende grâce à ma compagne Livia, car parmi les innombrables choses dont je lui suis redevable, il y a ces pages que vous venez d’entamer et que j’espère vous ne lâcherez pas en chemin. Sans Livia, sans son amour, sa volonté et sa rudesse, je serais encore un médiocre qui court après les piges, un faker qui invente la pousse d’un troisième sein doué de conscience sur la poitrine d’une vieille star du porno (merde, vous y avez vraiment cru ?) ou qui promeut les vertus d’un régime à base d’eau de vaisselle. Je ne la mérite probablement pas. Ce matin-là, c’était le premier jour de l’automne, Livia m’a dit, tandis qu’elle remettait de l’ordre sur son visage de noctambule devant l’évier turquoise de la salle de bain : — J’ai rencontré maître Netchev au Tour de France (un nouveau restaurant crudivore qui s’est ouvert dans le district 18, on y picole du vin boosté tout en mâchant du foie cru et des navets marinés, si j’ai bien compris le concept). — Maître Netchev ? Le mec qui est à l’Ordre des avocats ce que Peter Berg le cannibale est à la grande cuisine ? — Ouais… Et je lui ai glissé que tu souhaitais faire un article, un article sérieux, sur Bakeland. — Quand j’ai suggéré ça, j’étais extrêmement ivre. — Ça fait combien de temps que tu n’as pas écrit quelque chose de potable ? Quatre, cinq ans ? C’était quoi déjà ta dernière enquête ? Les plus beaux tatouages péniens d’Europa ? Livia avait raison. Elle a raison la plupart du temps ; à force de m’incliner devant sa perspicacité, j’ai gagné en souplesse. Netchev lui avait filé le téléphone de son client. Il était écrit au dos de sa carte de visite, comme s’il s’agissait du numéro d’un plombier ou d’un bon chiropracteur. Après avoir contemplé les treize chiffres (avec l’indicatif du district 47) jusqu’à les connaître par cœur, je me suis décidé à appeler. Bakeland a décroché. Il a dit : « Allo ? » Ça a été aussi simple que ça. Je me suis présenté. Je lui ai dit : « Monsieur Bakeland, je voudrais vous inter-
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viewer. Quand ça vous convient, où ça vous convient, vous posez vos conditions. » Il avait une voix presque juvénile au téléphone. Il était cordial, il blaguait. On a convenu d’un premier rendez-vous, chez lui. Il m’a donné l’adresse, m’a prévenu qu’on me fouillerait à l’entrée, que je ne devais pas porter d’arme, ni de caméra cachée, sans quoi on me renverrait, non sans m’avoir d’abord sévèrement chahuté, que par contre, je pouvais venir avec un enregistreur, si je voulais, et qu’une bouteille de bon schnaps, ce n’était pas interdit non plus. Je m’étais préparé à investir une forteresse, à négocier cette entrevue durant des heures au téléphone. C’était Robrecht Bakeland, quand même, un type extrêmement dangereux, dont le nom devait figurer en tête sur la liste de la plupart des tueurs à gages d’Europa, l’homme qui avait fait tomber Arakel Garabedian, ce qui impliquait une espérance de vie des plus courtes et une mort peu enviable. Et là, il m’invitait chez lui aussi simplement que l’on invite un pote à passer prendre un verre. Je me suis dit qu’il avait peut-être envie de se confier, de se raconter, laisser quelque chose pour la postérité avant de finir dissous dans un fût d’acide chlorhydrique. Ou alors, il avait lu et aimé mon article sur les tatouages péniens. Durant les quelques jours qui ont précédé notre entretien, j’ai contacté d’autres personnes impliquées : des proches de Bakeland, des falks qui l’avaient connu, des voyous qui l’avaient côtoyé… Afin d’élargir mon champ, d’avoir un regard choral sur les événements. Je ne me posais pas la question de savoir à qui j’allais vendre mon papier ni combien je pourrais en demander. Je voulais avant tout que Livia soit fière de moi. Livia Gal : Sur le coup, ça m’a paru sensationnel. Approcher un homme comme Bakeland. Je veux dire, son nom est dorénavant inscrit dans l’histoire criminelle du Zentrum, l’histoire tout court aussi. Alors, oui, sur le coup, j’étais heureuse pour Ivan, pour nous deux. Ivan est un journaliste, pas un faker de trottoir-presse. Ça a toujours été un journaliste. Il souffrait de s’être égaré. J’ai pensé que ce serait bien de lui remettre le pied à l’étrier. Mais chaque fois qu’il partait rencontrer Bakeland, je ne pouvais pas m’empêcher de trembler. Je n’étais jamais certaine de le voir revenir. Le problème, ce n’était pas Bakeland, je n’avais pas peur de lui. Dans sa position, je ne croyais pas qu’il soit dangereux… Les gens qu’il pouvait attirer, par contre… Les Armins voulaient sa peau, les Russkis voulaient sa peau, les Turkishs, et je ne sais qui d’autre encore. Des flics, aussi, probablement. Bakeland, c’était un aimant à carnage. Et je venais d’envoyer mon mec dans ses parages. Un jour, pour voir ce que ça fait, il faudra que j’essaye d’être raisonnable.
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Ivan Geffen : La dernière fois que j’ai mis les pieds dans le district 47, c’était en 2090. Et encore, je n’avais pas trop eu l’opportunité de visiter la surface. Je me souvenais vaguement de friches, de quartiers décrépis, de façades ruinées, de routes impraticables à cause des fissures et des cratères. Durant le conflit de 66, on y avait testé des missiles pénétrants, des engins mininucléaires capables de souffler des installations souterraines. À l’époque, les stratèges européens voyaient des bases souterraines partout. À les en croire, la moitié de la population russe se planquait dans des bases souterraines. Toute cette terre brassée et cette roche fracturée, ça a grandement facilité le creusement de l’autobahn Dresde-Zagreb et plus tard du Zentrum-Istanbul, et puis d’autres filant droit vers l’est à travers le no man’s land. Le sous-sol du district 47 est à ce jour un des trois plus grands hubs routiers d’Europa. Une manne pour le blanchiment d’argent. Des types bien avisés comme Bakeland y ont injecté des fortunes. Bakeland a misé sur les infrastructures de surface. Il a financé en partie la transformation du quartier Konigs-Wusterhausen : centre commercial géant, centre d’affaires, pépinière industrielle. De l’acier et du verre fumé se sont mis à pousser sur les vieilles briques et le béton poreux. L’ancien bâti n’a pas été démoli, perte de temps, perte d’argent, il s’est retrouvé enchâssé dans cette prolifération clinquante. Et au milieu de tout ça une falkhouse à rendre jaloux tous les flics du vieux Berlin, posée sur de solides pilotis en acier inoxydable, qui trône comme l’œil omniscient du panoptique de Bentham. Un trait commun à tous les criminels endurcis : ils aiment avoir des flics à portée de la main. La demeure de Bakeland, à l’ouest, échouée dans des sous-bois fangeux, a une vilaine allure de tombeau. Une horreur de béton au toit pyramidal, cernée de contreforts épais et courtauds. Elle est d’un autre temps, d’un temps où l’on redoutait plus que tout la transparence et la grâce. Je ne sais pas si ça en dit long sur lui. J’ai rencontré des mafieux qui aimaient la dorure et le néon, les jungles en plastique et les fauves empaillés. Visiblement, ce n’est pas son cas. Sa garde rapprochée, trois gaillards, le mot est vieillot, mais il convient, parlent avec un brin d’accent néerlandais. Courtois, professionnels, ils me palpent et me passent au détecteur de métaux et de composés instables. Je montre le contenu de mon sac : un enregistreur compact, un cahier à couverture rigide, quelques stylos et une bouteille de Kräuterlikör. Je suis clean. Je vais pouvoir rencontrer l’homme qui se décrit lui-même comme « un salopard de niveau dopolympique » : Robrecht Bakeland. Robrecht Bakeland : Je suis né le 7 juin 2056, dans les nouveaux quartiers flottants de La Haye. Mon père, Frans, était ingénieur dans une ferme piscicole. Il passait surtout le plus clair de son temps à vidanger les systèmes de filtrage bouchés par la merde des harengs. Le week-end, il partait pêcher en mer avec un groupe
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d’amis, des nostalgiques d’un temps où l’océan était source de vie et d’émerveillement. Vous avez déjà vu la tronche de ce qu’on sort des eaux polluées de la mer du Nord ? Frans nous ramenait ses plus belles prises afin, comme il disait, qu’on admire l’horreur d’un monde à l’agonie. On restait, moi, ma sœur Jenny et mon petit frère Joris, à regarder ces choses difformes suffoquer sur la table de la cuisine et se vider par les ouïes, jusqu’à ce que ma mère, Gerd, vienne mettre fin à leurs souffrances en les assommant d’un coup de maillet. J’aimais bien ce moment. C’était le rituel du dimanche soir : le massacre des poissons mutants. Ma mère travaillait bénévolement dans une association de décontamination. Elle partait, parfois plusieurs jours d’affilée, avec son compteur Geiger, sa combinaison blanche, son masque et ses gants jaunes, traquer les dernières touffes d’herbe radioactives. Elle était membre d’une église syncrétique catholico-païenne, ce qui explique probablement sa miséricorde à l’égard des poissons et la précision de son coup de maillet. La dernière fois que je l’ai vue, c’était en 2082. Elle avait plusieurs cancers, dont deux très rares d’après les médecins. Elle est morte l’année suivante. J’ai payé les funérailles, mais n’ai pas pu m’y rendre. J’avais une excuse valable : à ce moment-là, j’étais incarcéré. Jenny Bakeland : Les poissons que ramenait notre père nous donnaient des cauchemars, à moi et à Joris. Robrecht, je ne crois pas que quoi que ce soit ne lui ait jamais inspiré des cauchemars. Une fois, il a planqué un de ces monstres dans mon lit. Une espèce de sole couverte de grosses tumeurs. J’avais treize ans. Il en avait dix. Je lui ai donné une gifle. Il me l’a rendue et on s’est battus. Il a fallu que ma mère intervienne pour nous séparer. Il pouvait être enragé parfois, et puis, à d’autres moments, se comporter avec beaucoup de douceur et de pondération. Je sais qu’il aime à répéter qu’il est né mauvais. Je n’y ai jamais cru. Robrecht Bakeland : Il y a toujours eu une bonne entente entre moi et Jenny. Elle désapprouve ce que je suis, et de toutes ses forces, mais je sais qu’elle sera toujours là pour moi d’une façon ou d’une autre. Elle s’en sort bien dans la vie. Elle bosse pour la filiale européenne d’un consortium australien qui développe des thérapies géniques. Son mari est une mauviette, mais c’est un gars gentil, apparemment. Ils ont deux gosses que je n’ai pas eu l’occasion de voir autrement qu’en photo. Quand on était gamins, on se chamaillait parfois durement. Un jour, elle m’a même envoyé à l’hôpital : six points de suture derrière le crâne. Je sens encore la cicatrice quand je passe mes doigts dans mes cheveux. Est-ce que j’avais mérité qu’elle me défonce la tête avec son trophée de gymnastique ? Oui, on peut dire
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que je l’avais quand même salement mérité. Joris, ça fait vingt ans que je n’ai plus de nouvelles de lui. J’ignore même où il habite. On était des étrangers l’un pour l’autre et on l’est restés. C’était un pleurnicheur qui partait se réfugier dans les jupes de notre mère à la moindre contrariété. Je ne lui ai jamais cherché de noises. Il n’en valait pas la peine. Ma mère a accouché de Joris à la maison, pour respecter un des nombreux préceptes de son église. Ça a été laborieux. On jetait un œil avec Jenny par la porte entrouverte de la chambre. J’avais quatre ans. Jamais rien vu d’aussi horrible. Pire que les poissons mutants de mon père… La première fois que j’ai rencontré un juge, j’avais onze ans. Avec la reprise du conflit à l’est, on traversait une période difficile. Les magasins étaient mal approvisionnés, il y avait constamment des coupures de courant. À la ferme, les harengs suffoquaient dans leur jus ; les pompes fonctionnaient un jour sur deux. Mon père était sous pression. Ma mère priait Odin et la Sainte Vierge. Moi, j’avais envie d’un Brenrad, un vélo à combustion, pour ne plus être obligé de prendre le bus avec les autres écoliers. J’en rêvais toutes les nuits. Ça ne va pas vite, mais ça fait un boucan terrible. Et on peut remplir le réservoir avec quasiment n’importe quoi : de l’alcool, de l’huile de poisson, du pétrole… Le fils d’un de nos voisins en avait un. Je le voyais passer et repasser sur la digue. Il était là sur son vélo enrobé de fumée noire, à narguer tout le monde. Alors, un soir, j’ai forcé le cadenas de la remise où il rangeait le Brenrad, et je suis allé faire un tour. Faut pédaler avec ce genre d’engin, ce n’est pas une mobylette, le moteur n’est là que pour assister l’effort. On pédale en suffoquant, les oreilles pleines de pétarades et le cul qui chauffe. Pour un gosse, c’est génial. J’ai roulé deux heures, jusqu’à la nuit tombée. Puis avant de rentrer chez moi, je suis allé au bout de la digue et j’ai jeté le vélo dans la mer. Je savais que je ne pourrais pas le garder de toute façon. Ils sont parvenus à le repêcher, mais le moteur était définitivement fichu. Le lendemain, les flics sont passés à la maison. Ma mère, vous imaginez, dans tous ses états… Mon père, les mâchoires fermées et les poings serrés… Enfin, vous voyez le tableau. Deux jours après, j’ai comparu devant une juge des enfants, une femme que j’allais revoir plusieurs fois par la suite. Elle m’a sermonné avec un regard qui était censé glacer d’effroi le jeune délinquant que j’étais. J’avais plutôt envie de rigoler, mais j’ai fait bonne figure. J’ai baissé la tête. J’ai dit : « oui madame, non madame, je ne recommencerai plus, je vous le promets… » Elle a fini par m’avoir à la bonne. Juliana Maas : J’ai été juge des enfants dans le secteur maritime de La Haye pendant presque vingt ans, avant de devenir procureur à Berlin. Je me souviens parfaitement de Robrecht Bakeland. Il a comparu devant moi une dizaine de fois entre ses onze ans et sa majorité. Pour des vols, des violences, des petits trafics. À
Robrecht Bakeland : Oui, il m’arrivait de chaparder des trucs. Chez moi, c’était mal vu de désirer quelque chose, en tout cas quelque chose de futile comme un Brenrad ou une ludo-konsole, ou de chouettes boots à ferrures. Alors bon, faute de mieux, quand je pouvais le faire sans trop de risques ni de casse, je me servais. J’ai donné quelques coups aussi, mais je n’ai jamais causé de blessures graves. Est-ce que j’avais peur de la sanction ? Non, pas du tout. Le prison, le camp militaire, je voyais ça au pire comme une colo du genre viril. Il faut reconnaître qu’on est assez con à quinze ans. Mon délit le plus grave… Je m’étais mis à traîner avec des gamins des quartiers secs qui revendaient du matériel provenant des zones de conflit. Pas d’armes létales, parce que ça, à l’époque, ça pouvait te mener devant une juridiction militaire. Leur spécialité, c’était les armes soniques légères démilitarisées et détournées pour devenir des émetteurs de psy-ton. C’est passé de mode, mais en ce temps-là, c’était le nec plus ultra de la défonce. Tu te visais le front, comme un type qui veut rater son suicide, tu appuyais quelques secondes sur la détente et tu avais la cervelle qui clapotait littéralement sous ton crâne. Tu voyais tournoyer de magnifiques mandalas de lumière soutenus par des drones de sitar psychique. Ensuite, tu vomissais toutes tes tripes et tu te trimballais une horrible migraine jusqu’au lendemain. Des gens payaient pour ça. Je m’occupais d’une psy-ton-house pour ces mecs. C’était juste une cave avec deux canapés récupérés dans une décharge et une lampe stroboscopique. Je faisais ça après les cours. Je recevais une vingtaine de clients par jour. J’expliquais aux débutants comment se servir des émetteurs, je récupérais l’argent, et je tendais le seau à vomi au besoin. Je gagnais dans les deux mille euromarks net pas semaine. Puis un jour, il y a eu une descente, et je me suis fait embarquer. Je me suis retrouvé dans les bureaux de l’unité spéciale antidrogue de la Koninklijke Marechaussee, menotté à une chaise, la bouche en sang, entouré d’une dizaine de flics
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cette époque, nous étions très démunis à l’égard de la délinquance juvénile. Nous manquions de moyens pour mettre en place des suivis socio-éducatifs dignes de ce nom. Nous n’avions que deux réponses pénales à notre disposition : la prison ou le camp de formation militaire. La prison n’est jamais une bonne solution pour un adolescent, mais faute de mieux, on s’y résout parfois. Le camp militaire… Mon dieu… On nous poussait dans cette voie, mais je m’y refusais obstinément malgré les pressions de ma hiérarchie. Robrecht a échappé à l’incarcération. Il arrivait toujours à me convaincre qu’il allait s’amender, et du reste, après chaque comparution, il se tenait tranquille durant quelques mois. Quand j’ai appris qu’il était entré à la Falk Akademie, j’ai pensé que j’avais bien fait mon travail. Et puis des années plus tard, en découvrant ce qu’il était devenu… Enfin… Tout magistrat doit apprendre à vivre avec ça. Lire les profondeurs de l’âme humaine, même avec l’expérience, ça reste hors de notre portée, n’est-ce pas ?
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cagoulés. Je venais d’avoir dix-sept ans, et je me rendais bien compte que, ce coupci, j’étais mal barré. Pourtant, je ne me suis pas affolé. Avec les stups, il y a toujours une échappatoire, parce que ces types n’ont qu’une obsession : remonter jusqu’à la tête du réseau. Ils en perdent le sommeil, font des ulcères, et finissent en général le nez dans la drogue qu’ils saisissent. Alors, ils sont prêts à couvrir les pires trucs si on peut leur balancer quelque chose… Il suffit que ça ait l’air intéressant. Pas question pour moi de donner les gens pour qui je travaillais. Ça, c’est une ligne rouge qu’il ne faut jamais franchir. Ma chance, c’est que je connaissais l’adresse de trois autres psy-ton-house concurrentes. Ce sont mes clients qui m’avaient renseigné. Les camés, ça bavasse sans même s’en rendre compte. J’ai dit à l’officier qui m’interrogeait que j’avais quelque chose pour lui. Dans la minute, ses hommes sont partis vérifier. Je n’avais pas menti. Et le soir même, je rentrai chez moi. Pas de procès-verbal, pas de poursuite. Mes parents ne se sont doutés de rien. Mais ça m’a fait réfléchir. Je me suis dit qu’il était peut-être temps que je me calme, au moins que je me fasse oublier de la Justice et de ses sbires. C’est durant cette période que j’ai rencontré Juliana, et que nous sommes tombés amoureux l’un de l’autre. Un moment, j’ai vraiment cru qu’il était possible de changer, de changer radicalement. Je me suis mis dans la tête cette idée complètement stupide : que le crime et la loi se font la guerre, et que dans une guerre, en définitive, l’important n’est pas de savoir dans quel camp on est, l’important, c’est d’y participer. J’allais vite me rendre compte de mon erreur. Juliana Gransberg : J’ai fait la connaissance de Robrecht en dernière année de lycée. J’aimais bien son côté mauvais garçon ; mine de rien, il savait imposer le respect. Et en même temps, je pouvais sans honte le présenter à mes parents. Ce n’était pas un strahlungpunk avec les joues couvertes de lésions artificielles ou un nihil larmoyant défoncé aux super-dépresseurs. Il n’avait même pas de tatouages et ne touchait pas à la drogue. Il était vraiment épris de moi. J’étais sa première petite amie sérieuse. On couchait ensemble. Il mettait des préservatifs. À La Haye, on pouvait alors en acheter légalement. C’était une période pleine d’espoir. Il y avait un élan positif, on parlait paix durable, embellie économique, démocratie. Cette année-là, on était en 73 si je me souviens bien, aucune tuerie scolaire n’avait été déplorée dans la zone de La Haye, c’est dire si les choses s’étaient apaisées. Robrecht voulait qu’on parte vivre dans le Zentrum, il parlait même de fonder une famille. Un soir, ça l’a pris brusquement, il m’a dit qu’il allait tenter le concours d’entrée de la Falk Akademie. Je connaissais un peu son passé, ses bêtises, alors ça m’a fait rire, mais il était sérieux, et deux mois après, le voilà reçu à la Falk Akademie d’Hanovre. J’étais plutôt fière de lui.
Mederick Hirsh : J’ai été formateur en autodéfense, techniques de combat rapproché et maniement du tonfa, à la Falk Akademie d’Hanovre, pendant trois ans, entre 72 et 75. Après, j’ai été muté à l’académie de Varsovie. Ça fait cinq ans que je suis à la retraite. J’aurais aimé continuer à enseigner. Maintenant, que voulez-vous, je m’empâte, j’ai des douleurs chroniques et je dois me gaver d’anti-inflammatoires juste pour soulever une fourchette. Quand le corps se sent inutile, il crève à petit feu. J’ai eu Bakeland comme élève. J’ai un souvenir clair et précis de ce garçon. Il n’était pas le plus doué ni le plus appliqué, mais il était certainement le plus… vicieux. Et croyez-moi, dans ma bouche, il s’agit d’un compliment. C’est le genre d’attitude qui n’est pas vraiment encouragé dans une académie de police, on oriente les élèves vers une utilisation raisonnée et maîtrisée de la violence. Le fameux principe de juste nécessité. Mais on ne neutralise pas un adversaire avec des sauts de chat et une réplique bien sentie. Et ça, Bakeland l’avait parfaitement compris. Ces filles et ces garçons, ils vont être confrontés à de vraies menaces.
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Robrecht Bakeland : La police du Zentrum recrutait à tour de bras. Le conflit de 66 n’avait pas mis un frein à l’accroissement démographique et urbain. Ils avaient besoin de toujours plus de flics pour maintenir un semblant d’ordre. Le concours d’entrée à l’académie, franchement, pour le rater, il fallait vraiment le vouloir. En fonction des résultats obtenus au concours, on était dispatchés dans les cinq falk akademien d’Europa. La plus classe, c’était celle de Potsdam. Pour la rejoindre, en plus d’excellentes notes, le piston était indispensable. Ensuite venait celle d’Hanovre, puis enfin, les plus excentrées, Munich pour la zone sud, Hambourg pour la zone nord, et Varsovie pour l’est. Dans cette dernière, ils envoyaient les taches, les futures recrues du Falkiek. Les recrues d’Hanovre se faisaient appeler les rotehunde, les chiens rouges. Quand on sortait en vêtements civils, on enfilait toujours quelque chose d’écarlate, des pompes, un foulard, une casquette, peu importe, on portait nos couleurs, comme un gang. Mais il y avait clairement deux camps : les ambitieux qui voulaient devenir enquêteurs ; ceux-là se la jouaient fins limiers, c’était des connards pour la plupart ; et ceux qui avaient envie de porter l’uniforme, d’arpenter le bitume, d’être au front, quoi. J’étais l’un d’eux. En plus, on pouvait être opérationnel en à peine un an, alors que les autres passaient deux années de plus à bûcher la criminologie et la science forensique, ou à apprendre par cœur le code de procédure pénale. Ce qui m’a le plus botté durant mon année de formation ? Tout ce qui avait trait à l’exercice légal de la violence. La self-défense, le maniement du tonfa, le tir… Je ne suis pas spécialement un homme violent, je veux dire, je ne suis pas du genre à défoncer un mec juste parce qu’il m’a regardé de travers ou à coller une balle dans sa nuque parce qu’il me doit quelques centaines d’euromarks. Mais c’était indéniablement ce qu’il y avait de plus marrant à faire à l’académie.
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Quoi que disent nos politiques, la rue est un théâtre de guerre. On dispose d’un excellent matériel dans les falk akademien : protections en biostalh, masques balistiques, tonfas électriques, matraques assistées, revolvers Marxmen de dernière génération, grenades soniques, et j’en passe. Le problème, c’est après, sur le terrain. Faut voir les dotations au sein des falkhouses, c’est catastrophique : il y a encore des gilets pare-balles en Kevlar, des Marxmen 12.33 qui s’enrayent une fois sur deux, des matraques tellement fatiguées qu’on ne pourrait même pas assommer une mouche avec. Les filles et les garçons que j’ai eu l’occasion de former, je les préparais à ça, à la réalité du terrain, je leur apprenais à se débrouiller avec trois fois rien. Parce qu’au final, on ne peut compter que sur sa propre fureur et son propre instinct. Bakeland, de la fureur, il en avait à revendre. Ça ne se voyait pas sur son visage, non, pas du tout. Il avait plutôt la tête d’un futur expert-comptable ou d’un vendeur de robots aspirateurs. Je ne sais pas d’où il tirait cette rage, cette espèce d’intelligence tactique innée dont disposent certains prédateurs. C’est un mystère, pour moi. Je n’ai jamais pensé qu’il ferait un bon flic tel que les gens se le figurent ; en tout cas, pas de ceux qui gravissent promptement les échelons et collectionnent les médailles du mérite. Mais je vous pose la question : est-ce qu’on a vraiment besoin de bons flics ? Moi, je crois plutôt qu’on a besoin de gens prêts à se salir. On a besoin de nettoyeurs. Robrecht Bakeland : Mon année de formation s’est déroulée sans anicroche. Un week-end sur deux, je retournais à La Haye pour retrouver Juliana et pour acheter un peu de came que je revendais aux élèves de l’académie. Rien de bien méchant : du braun, de la syngras, enfin des trucs qui s’avalent et qui se fument. À la fin, j’ai été reçu avec mention et j’ai pu choisir mon affectation. Je voulais le district 18 et rien d’autre. Vous savez : Berlin, c’est le district 18, c’est là que tout se fait, que tout se décide, et puis ça a du charme ces monuments d’avant-guerre qui tiennent encore debout. Je m’y voyais déjà avec Juliana et pourquoi pas, une ribambelle de gosses… ou de petits clébards. Après la remise des diplômes, on est tous allés en ville pour fêter ça, habillés des uniformes qu’en temps normal, on n’avait pas le droit de porter hors de l’enceinte de l’académie. On descendait des bières à la terrasse d’une brasserie, et puis une espèce de junkie s’est ramené, il baragouinait un mélange d’allemand, de roumain, de je ne sais quoi d’autre. Il s’est mis à nous insulter, à nous traiter de sale flic, d’enfants de putain. Il a même menacé de nous crever. Les autres l’ont envoyé balader en se marrant. Mais moi, ça ne m’a pas fait rire. J’étais un falk dorénavant, je sentais ça en moi, profondément ; un falk ne doit jamais accepter qu’on lui manque de respect. Ce soir-là, j’ai perdu mon sang-froid comme jamais. J’ai repéré par où le type filait, et quand les autres sont partis en quête d’une
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boîte où finir la nuit, je leur ai faussé compagnie. Je l’ai retrouvé dans la rue qui longe le lac Maschsee. À l’époque, le lac servait de dépotoir à tous les quartiers alentour. À part des ragondins pelés, personne ne se promenait sur les berges. Le junkie était là, titubant au bord d’un caniveau, complètement dans les vapes. Je ne lui ai pas laissé le temps de l’ouvrir. J’ai marché droit sur lui, je lui ai fauché les jambes, il est tombé, je me suis accroupi, j’ai enfoncé mon genou dans ses côtes et je me suis mis à le tabasser. Vraiment méchamment. Je ne me suis arrêté que quand mes poings ont commencé à me faire un mal de chien. Je me suis relevé. J’ai dû encore lui coller quelques coups de pied, mais comme il restait inerte, je n’ai pas insisté. J’avais du sang et des glaires sur mon uniforme, alors je suis rentré directement à l’académie, j’ai pris une douche et j’ai dormi. Le lendemain, je suis allé me faire dépister, une précaution élémentaire quand un camé vous vomit dessus. Pendant quelques jours, je me suis demandé si j’avais tué ce type. Il me semblait qu’il respirait encore quand je l’avais laissé étalé sur le trottoir. Je n’ai pas trop cherché à savoir. Avec le recul et l’expérience, je dirais qu’il y a des chances pour que je l’aie tué. Même si, à mon avis, les drogues avaient déjà fait le plus gros du travail.
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8 décembre 2075 Les jours n’en finissent pas de rétrécir, l’hiver s’annonce rigoureux, et ça fait une semaine qu’on n’a plus d’eau courante dans l’immeuble. Hier, j’ai accepté de tirer un coup avec le sergent Alkan dans les toilettes pour hommes du niveau 3. Gros bide, moustache et petite queue… C’est dire si je déprime. Le mois dernier, on a perdu onze falks, dont la moitié dans une fusillade à Zehlendorf lors d’une opération de démantèlement d’une usine chimique illégale tenue par ces tarés de la Bratva. Onze hommes et femmes qui ne faisaient que leur devoir. On a eu une moyenne de sept morts en service par mois cette année, sans compter les suicides. Le pire, c’est que notre hiérarchie considère ces chiffres comme « satisfaisants ». Pour eux, ce ne sont que quelques noms en plus à faire graver sur la « stèle des héros » qui trône dans le hall de notre falkhouse. J’ai aussi appris par des bruits de couloir que Robrecht et moi faisions l’objet d’une préenquête d’évaluation par ces faux-derches du SAD, la police des polices. Je ne sais pas précisément pour quel motif. Est-ce à cause du mec que j’ai démoli il y a un mois de ça ? L’incident a pourtant été classé sans suite. Bon, on s’est mis dans la poche quelques billets saisis sur des dealers, mais tout le monde le fait. Entre falks, on appelle ça « la prime de risque », c’est presque officiel. Non, sincèrement, je ne sais pas ce qui justifie cette enquête.
GdF Gewerkschaft der Falkampft Premier syndicat du Falkampft
Nous constatons une fois de plus, au terme de cette année 2088, l’indifférence de notre hiérarchie, pourtant censée nous soutenir face à la dégradation de nos conditions de travail, dégradation accentuée par le harcèlement quotidien du SAD. ÇA NE PEUT PLUS DURER ! C’est pourquoi nous appelons tous nos collègues, agents et officiers, à entamer, à compter du 1er janvier, une grève du zèle. Nos revendications : • Nous demandons le renouvellement complet du matériel obsolète, à commencer par le remplacement des armes de service Marxmen 12.33 (qui équipent encore plus de 65 % des agents et donc le manque de fiabilité sur le terrain est dénoncé depuis des années) par le modèle 12.35. • Nous demandons la suppression du plafond d’heures supplémentaires, dispositif absurde qui ne tient aucun compte de la réalité de notre métier. • Nous demandons enfin un réel soutien de la part de notre hiérarchie à l’égard du SAD qui outrepasse quotidiennement son champ d’action réglementaire. Assez de persécutions et de brimades ! Assez de payer de notre sang l’avarice et l’incompétence de nos politiques ! Nous ne céderons pas !
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28 décembre 2075 Robrecht est allé passer Noël chez ses futurs beaux parents. Ça ne lui a pas réussi. Depuis qu’il est rentré, il est d’une humeur merdique. Je me suis hasardée à lui demander s’il avait des soucis avec sa copine. Il m’a renvoyée dans mes cordes en me disant que ce n’était pas mes oignons. Un peu plus tard, il m’a quand même lâché, que non, en effet, ça n’allait pas très fort entre eux. Moi, je n’ai personne chez qui passer les fêtes, alors je fais toujours partie des volontaires pour l’astreinte de Noël. En plus j’ai horreur de l’arôme chimique des sapins artificiels. Cette année, on a encore eu le droit aux bandes de weihnachtspunks avec leurs fausses barbes dégueulasses et leurs gros manteaux rouges qui puent la crasse. Il y a ceux qui font dans le vol à l’arraché, n’hésitant pas à défoncer à coups de cloche à manche la tête des victimes qui leur résistent. Il y a ceux qui vont cambrioler les maisons bourgeoises et qui restent coincés dans les conduits de cheminée, ou qu’on retrouve, complètement bourrés, devant le minibar qu’ils ont dévalisé. Il y a enfin les adeptes du Sol Invictus qui fêtent le solstice en foutant le feu à des sans-abri. On ne manque pas de boulot, à Noël. 16 Janvier 2076
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Ça fait un moment que Robrecht ne vient plus picoler avec nous après le service. Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a répondu qu’il n’aime pas la musique qui passe au café Wendel. Je lui ai proposé d’aller au Neu ! s’il préférait. Il a haussé les épaules avant de m’avouer qu’il fréquente un autre endroit en ce moment : le Motorik. Je n’en avais jamais entendu parler, alors je me suis renseignée auprès de collègues mieux informés. C’est sur Tiergartenstrasse, ai-je appris, en face du seul poumon vert qui subsiste dans le secteur. Les ha-
bitués viennent pour danser sur du vieux krautrock du siècle dernier. Paraît qu’on peut voir des robots jouer de la musique. Paraît aussi qu’on y trouve à foison toutes les drogues à la mode et que la boîte est dans le collimateur des stups depuis des années. Bref, pas l’endroit idéal pour décompresser quand on est un falk. J’en ai touché un mot à Robrecht. « J’y vais pour danser, m’at-il rétorqué, j’adore ce rythme tellement entêtant, ça me vide l’esprit. Et ne commence pas à t’imaginer des trucs : je ne touche pas à la drogue. » Ça, je n’en ai jamais douté. 3 février 2076 Scheiss scheisse ! J’ai appris qu’on allait faire partie des heureux élus qui se taperont la sécurisation du championnat annuel de la Ligue européenne de mörderball. Un week-end d’ultra-violence, autant sur le terrain que dans les tribunes et aux abords du stadium. Sergente-chef Eisner, malgré tout le respect que je vous dois, allez donc vous faire empaler au sommet de la Fernsehturm ! Je ne sais pas si on dépassera le record de 71 (plus de quatrevingts morts lors d’une bataille rangée entre les supporters des Cyclopes de Varsovie et ceux des Équarrisseurs de Dublin), mais il est évident qu’on aura besoin d’un bon stock de sacs mortuaires. En plus, cette année, c’est le grand retour des Bourreaux de Zurich, une équipe interdite de championnat trois ans durant après que le capitaine, mécontent de l’arbitrage, a tiré au fusil mitrailleur sur la tribune officielle. Le dispositif de sécurisation prévu est impressionnant. On aura sur place une dizaine de véhicules blindés avec des canons à eau et des lance-fumigènes. Tous nos drones de surveillance seront déployés au-dessus du quartier. Il y aura plus de trois cents falkampfts mobilisés, le GIF en renfort, ainsi que deux escadrons militaires (et je ne sais pas encore si l’on doit s’en réjouir ou se préparer à un désastre, parce qu’il faut bien avouer que la coordination entre corps, ça n’a jamais été leur fort ni le nôtre du reste).
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L’ÉDITO DE HANS WEGNER MÖRDERBALL : UN PUTAIN DE CARNAGE MAGNIFIQUE ! Je l’affirme sans hésitation : nous, peuples d’Europa, pouvons être fiers de ce qui matérialise avec le plus d’acuité notre âme commune. Je veux bien sûr parler du mörderball. J’entends déjà tous les pisse-froid, les démocrasseux et les pacifistes se récrier : le mörderball est un spectacle violent qui flatte les plus bas instincts. Oui ! leur réponds-je, oui, le mörderball est violent, sanguinaire, sans merci ! C’est un sport de conquérants et de guerriers ! Mais notre civilisation n’est-elle pas née de la conquête et de la guerre ? N’a-t-elle pas surmonté les pires crises grâce à cette âme violente et ludique qui nous habite ? Toi, l’ami qui vient de loin, l’étranger curieux et respectueux de nos coutumes, laisse-moi te présenter ce sport héroïque. Le mörderball est une audacieuse synthèse de football, de rugby, de football américain et de joute médiévale. Il se joue sur une dalle rectangulaire de 150 mètres de longueur et 80 mètres de largeur ponctuée d’obstacles (aucune règle n’en fixe la nature : il peut s’agir de blocs de ciment, de tas de gravats, d’épaves de voitures, de fossés ; c’est à la discrétion de l’organisateur du match). À chaque extrémité du terrain se trouve une zone circulaire figurée par un cercle rouge de 7 mètres de diamètre : la base. Sur ce terrain s’affrontent deux équipes de seize joueurs (et huit remplaçants). Ces derniers sont libres du choix et de l’apparence de leurs équipements de protection. La seule obligation est de respecter la couleur de leur équipe. Certains privilégient la vitesse et s’habillent de protections légères. On appelle ces joueurs « fantassins ». D’autres, tels les chevaliers d’antan, se caparaçonnent des pieds à la tête : on les appelle « panzers ». Le ballon est en acier galvanisé. Il pèse 6,5 kg précisément. Un match se déroule en cinq engagements, chaque engagement étant divisé en deux phases de jeu distinctes. Durant la première phase, dite défensive, le but est d’amener le ballon à l’intérieur de sa base. On ne joue alors qu’au pied et les
contacts physiques entre adversaires sont interdits sous peine de pénalité. Merveilleuse musique que celle des chaussures renforcées de métal qui heurtent lourdement le ballon d’acier, comme le marteau d’un forgeron frappant sur l’enclume. Quand une équipe est parvenue à amener le ballon dans sa base sonne la deuxième phase : l’offensive. C’est cette phase qui donne tout son sel au mörderball. L’équipe qui a remporté la phase défensive doit maintenant amener le ballon jusqu’à la base adverse, et ce dans un temps limité (en championnat : huit minutes auxquelles sont retranchées ou ajoutées d’éventuels temps de pénalité). Pendant l’offensive, tous les coups sont permis, toutes les brutalités tolérées. Le ballon peut être joué au pied ou à la main. L’équipe adverse peut s’en emparer (on parle alors de capture). Aucune interruption de jeu n’intervient durant cette phase, et les arbitres se mettent en retrait. Si l’équipe ayant remporté la première phase parvient à amener le ballon dans la base adverse avant la fin du décompte, elle marque trois points. Si, à la fin du décompte, le ballon n’est pas dans la base adverse, un point revient à l’autre équipe. Après d’éventuels (et même probables) remplacements de joueurs, un nouvel engagement démarre. S’il y a égalité au bout des cinq engagements réglementaires, c’est l’équipe qui a le plus de joueurs encore valides qui remporte le match. S’il y a le même nombre de joueurs valides (au mörderball, valide signifie : « encore capable de se tenir debout sans une béquille ») dans les deux camps, un dernier engagement est joué pour définitivement départager les équipes. Alors, mon ami, toi qui viens d’assister, le cœur battant et les yeux écarquillés, à ton premier match de mörderball, qu’en penses-tu ? N’était-ce pas un putain de carnage magnifique ?
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7 février 2076 On a frôlé le désastre, ce week-end. Heureusement que les Bourreaux de Zurich ont été éliminés dès le premier tour (score de 10 contre 1 à l’avantage des Loups-Garous de Hambourg, deux morts et sept blessés graves pour les Zurichois, une vraie boucherie), sinon, ça aurait fini en guerre civile. Les militaires qui sont venus nous prêter main-forte se croyaient encore au temps de la dictature. Impossible de leur faire entendre raison ou de se coordonner avec eux. Il y a eu quarante-sept morts parmi les supporters, et je pense qu’on peut en imputer les trois quarts à l’armée. Le soir, à la télé, on a pu voir le ministre de la Police et le ministre des Armées s’empoigner en direct comme deux mörderballers sous amphés. Ça va finir devant le Conseil constitutionnel d’Europa, cette affaire. Chez nous, on est parvenus à limiter la casse. Une vingtaine de falks blessés, dont trois avec pronostic vital engagé. Robrecht, je ne sais pas quelle mouche l’a piqué, mais il est allé à l’affrontement contre une bande de supporters des Francs Massacreurs, tout seul, son tonfa dans une main, sa bombe lacrymo dans l’autre. Il en a démoli trois ou quatre, quand même, avant de recevoir en pleine tête ce qu’on a identifié comme étant une boule de pétanque. Résultat : traumatisme crânien, dix jours d’ITT. 8 mars 2076
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Pas de nouvelle de l’enquête du SAD. J’ai coincé notre capitaine, ce matin, et je lui ai carrément demandé ce qu’il en était. Ce n’était peut-être pas le truc le plus malin à faire, mais j’avais besoin de savoir. Il m’a avoué qu’il était au courant, et a ajouté que je n’avais pas à m’inquiéter personnellement. Est-ce que ça signifie que seul Robrecht est visé par l’enquête ? Je suis son chef, merde, on pourrait me mettre au parfum. Je suis censée rendre mon rapport d’évaluation avant la fin du mois, et je
ne sais pas encore ce que je vais écrire. 11 mars 2076 À l’aube, il y a eu une grosse opération au Motorik, menée en personne par le directeur des stups, le lieutenant Kunduraci. Selon le planning, on aurait dû en faire partie, mais la sergente-chef nous a mis sur la touche en nous envoyant patrouiller à l’autre bout du secteur. Je ne sais pas si c’est moi qui commence à me faire des films, mais Robrecht avait l’air vraiment tendu. De retour au Palace, on a appris que la descente s’était soldée par un échec. Aucune saisie de produits illégaux, aucune arrestation. J’ai suggéré à Robrecht de s’abstenir dorénavant de mettre les pieds au Motorik. Il m’a répondu sèchement : « Je ne vois pas pourquoi. Cet endroit est clean, t’en as la preuve, maintenant, non ? » Après mon service, j’ai passé une partie de la nuit aux archives, les yeux rivés sur l’écran de lecture des microfiches. J’ai réussi à récolter quelques renseignements sur le Motorik. Cette boîte a ouvert en 68. Elle appartient à un certain Martin Sorensen, un Danish installé dans le secteur depuis 2045. Je ne suis pas habilitée à consulter son casier, mais d’après ce que je peux lire dans les rapports d’enquête, Sorensen a déjà été mêlé à des affaires de stupéfiants et de proxénétisme. Ce n’est pas un enfant de chœur. On le soupçonne d’être un membre influent du gang danish Altid Klar qui contrôle plusieurs zones de Reinickendorf. Un gang très violent, raciste, anti-muslim, qui n’hésite jamais à tirer dans le tas. Leur spécialité, c’est le vol et le maquillage de voitures. Ils exportent des voitures volées vers les marches du Nord en échange d’armes provenant de Russie qu’ils revendent ensuite, avec un gros bénéfice, aux délinquants berlinois. Ils ont également le quasi-monopole des cryptoamphétamines, ces drogues qui se présentent sou forme de patchs cutanés. Je ne sais pas si Robrecht est mouillé là-dedans d’une façon ou d’une autre, mais ça ne sent pas bon du tout, cette histoire. 13 mars 2076 Journée très tendue. Robrecht a su, je ne sais trop comment, que je m’étais renseigné sur le Motorik. « Tu ne me fais pas confiance, c’est ça ? m’a-t-il seriné pendant notre patrouille. Qu’est-ce que tu vas raconter dans ton rapport ? Tu vas m’assaisonner ? Je ne veux pas rester koss toute ma vie, moi. Je ne suis pas comme toi. J’ai de l’ambition. » On patrouillait à pied, dans le métro. Tout le monde pouvait l’entendre me
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brailler dessus, putain ! J’ai horreur, par-dessus tout, des patrouilles dans le métro. On respire mal, il fait sombre, ça pue la pisse et le caoutchouc brûlé. Entre les gamins qui te font les poches, les pousseurs qui te balancent sur les voies au passage de la rame ou ces malades de piqueurs qui t’injectent les pires saloperies à ton insu, il faut être constamment sur ses gardes. Ça me met les nerfs à vif. J’envie ceux qui gagnent assez de pognon pour s’offrir des courses en hélicotaxi. Au bout d’un moment, j’ai craqué. J’ai plaqué Robrecht contre un mur et je lui ai soufflé sous le nez que j’en avais marre de ses conneries et qu’il avait intérêt à définitivement la fermer jusqu’à ce qu’on soit de retour à la falkhouse. Il est resté coi, mais je n’ai pas aimé la lueur que j’ai aperçue dans ses yeux. Parce que cette lueur, je la connais, je l’ai déjà vu bien des fois dans les yeux des types que j’ai interpellés. Il y a un truc qui ne tourne pas rond chez ce garçon. Je me demande sérieusement s’il a sa place parmi nous.
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J’ai commencé à rédiger mon rapport d’évaluation. Je ne prends pas cette tâche à la légère. C’est une lourde responsabilité. Si je rends un rapport très critique, Robrecht passera devant une commission d’évaluation présidée par un lieutenant. Tout son dossier sera épluché. Il sera mitraillé de questions sur son travail, ainsi que sur sa vie privée. Ce qu’il risque ? La révocation, purement et simplement. Je veux bien couvrir quelques erreurs de débutant, quelques manquements à la discipline, mais avec Robrecht, le problème est plus profond : personnalité versatile, impulsivité mal dirigée, manque d’esprit d’équipe, replié sur lui-même… Est-ce que je dois mentionner mes doutes concernant
sa fréquentation du Motorik ? Ce serait le coup de grâce. Sans compter l’enquête du SAD. Ça va lourdement peser dans la balance. J’ai bien quelques éléments positifs à consigner : il est plutôt courageux, ponctuel, intelligent, à ma connaissance il n’a pas la moindre addiction… Mais ça ne suffira pas à lui sauver la mise. Je fais face à un choix difficile. 17 mars 2076 23H47. Je tape en vitesse pour garder trace. Mauvais pressentiment. Coup de fil de Robrecht. En panique. Dit que ça ne va pas, gros ennuis, danger de mort, veut que je vienne au plus vite au Motorik. Demande de renforts ? Non, pas de falks. Savait pas qui appeler. Pas d’autre amie dans le Zentrum. Conseille de prendre mon flingue. Ok. Peux encore attraper le dernier tram. Descendre à Potsdamer Platz. Trouver un taxi. 25 minutes au pire. Fais chier, Robrecht !
Ludmila Pohl (2029-2076)
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2eme Partie 2087 Enquetes
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MOTORIK KRIMINELLER (PART 2) Robrecht Bakeland : Je suis arrivé à Berlin, 18e secteur, en plein été, sous la pluie tiède et les grondements d’orage. Je voulais absolument louer quelque chose dans le centre : Mitte ou Kreuzberg. J’ai vite déchanté. Avec mes quelques économies et la minable prime à l’installation que le Zentrum verse aux nouvelles recrues, je n’aurais même pas pu m’offrir un placard à balais. Et mon futur salaire de koss premier échelon y serait passé en entier tous les mois. J’ai déniché un hôtel à bas prix à Alt-Treptow. Mon unique fenêtre ouvrait sur une ligne aérienne de S-Bahn. Un train toutes les dix minutes, de jour comme de nuit. J’avais fui l’agonie dégueulasse des poissons mutants de mon père, et c’était pour me retrouver à écouter les horribles couinements de wagons vieillissants et crasseux. Tous les jours, depuis la konsole publique de l’hôtel, j’envoyais un message sur le persönetz de Juliana pour lui raconter combien ma vie à Berlin était formidable et enivrante. À compter de cette époque, je n’ai plus jamais cessé de lui mentir. Ça me désole quand j’y repense. Une semaine avant de prendre mon poste, j’ai finalement trouvé un petit meublé pas trop insalubre dans le quartier de Reinickendorf, en plein dans l’enclave oslave. C’était dans mes prix. L’immeuble faisait cinq étages et abritait une trentaine de logements. C’était un Tchèque qui encaissait les loyers… Mara quelque chose… Je ne sais plus… Au rez-de-chaussée cohabitaient un bortsch-shop tenu par un lituanien et un kebab turc. L’un et l’autre étaient hebdomadairement rackettés par une bande de Yougos. Je ne me suis jamais mêlé de leurs affaires. Mes voisins de palier étaient cinglés, mais ne me causaient pas de problèmes. Il y avait un jeune couple qui se présentait comme « organisateurs de soirées », ce qui signifiait probablement que le mec faisait le DJ en dealant par la même occasion et que sa copine enchaînait les passes backstage. Il y avait aussi une ancienne gloire de mörderball, ruinée dans tous les sens du terme. Il devait avoir moins de quarante ans, mais il me racontait ses exploits avec la voix fatiguée et blasée d’un vieillard. Il était rafistolé des pieds à la tête. Les gamins du quartier l’appelaient « le cyborg » et la grande poilade, pour eux, consistait à lui demander si sa bite aussi était en métal. C’était assez savoureux de le regarder leur courir après en clopinant sur ses prothèses de contrebande.
Lou Eisner : À l’époque, j’avais le rang de sergente-chef. Je m’occupais en particulier de la coordination des patrouilles quotidiennes. J’organisais les équipes et je déterminais les itinéraires. Ludmila Pohl était une de mes subordonnées. Soyons francs, on ne s’entendait pas très bien. Ludmila était une ancienne falkriek et elle avait un caractère plutôt… sans vouloir manquer de respect à sa mémoire… revêche et asocial. C’était, cela dit, une excellente falk qui prenait son travail très au sérieux. Elle aurait pu être sergente ou sergente-chef, mais non, elle n’a jamais voulu d’une promotion. La rue était le seul territoire où elle se trouvait bien. Je regretterai jusqu’à mon dernier souffle de lui avoir adjoint Bakeland. Je confiais souvent des nouvelles recrues à Ludmila. Je me disais que s’ils arrivaient à la supporter sans venir me supplier à genoux de leur donner un autre instructeur, et, croyez-moi, c’est arrivé plus d’une fois, ils seraient capables de survivre au pire. D’autre part, Ludmila était plutôt perspicace avec les bleus. Je ne sais pas comment Bakeland a fait pour l’entourlouper. Il faut croire qu’il maîtrisait déjà à merveille l’art de la tromperie. Robrecht Bakeland : Faut-il encore que je revienne là-dessus ? J’ai aimé travailler avec Ludmila, j’avais du respect pour elle et sa mort m’a désolé. J’ai une part de responsabilité, je ne le discute pas, mais ce n’est pas moi qui l’ai descendue. J’ai été mis hors de cause dans cette affaire. Point final. Vous voyez le personnage de Brunnhilde dans La Valkyrie de Wagner ? Probablement pas. Enfin, Ludmila aurait pu l’interpréter. Elle avait du coffre, comme on dit. Son biotope, c’était la rue. Elle connaissait tous les dealers, toutes les putes, les cinglés, les clodos irradiés, les junkies et les enfants perdus du secteur 18. Elle avait pour eux de la sollicitude. Ce qui ne l’empêchait pas de leur passer les menottes et de se mettre dans la poche quelques billets de temps en temps. Tous les agents, ou presque, le font. Disons qu’on choppe un dealer de feenpulver avec cinq stern (une stern, c’est une dose de poudre, souvent emballée dans
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Je ne me suis pas caché d’être un flic, au contraire, je crois même m’en être pas mal vanté. Les premiers temps, les gens se sont montrés méfiants. Normal : dans l’immeuble, je devais être le seul à gagner honnêtement ma vie. Mais ils ont vite pigé que je n’avais aucune intention de mettre le nez dans leurs affaires. Même les Yougos qui passaient ramasser le fric des restaurants ont fini par me saluer en m’appelant par mon prénom. On ne peut pas jouer au falk vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Quand on rentre chez soi, dans son quartier, après de longues heures de patrouille, il faut savoir ranger son badge et laisser courir. Tous les flics de terrain agissent ainsi. La vérité, c’est que je n’avais même pas encore intégré la falkhouse de mon secteur que les beaux principes que je m’étais inventés au cours de mon année d’académie commençaient déjà à se fissurer.
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du papier brillant plié en forme d’étoile) et quelques billets de 50. Bon, on verse les doses au dossier, la moitié des billets, et on met l’autre moitié dans nos poches. C’est une petite somme, un genre de pourboire. Mais si on répète la manœuvre une vingtaine de fois dans le mois, avec un peu de chance, on peut quasiment doubler son salaire. Une fois, j’ai proposé à Ludmila de dépouiller complètement un de ces dealers de feenpulver et de le laisser filer. On récupère la dope, le fric, on s’économise un rapport d’intervention et on n’est pas obligé de se trimballer dans la voiture un malade mental en plein trip régressif puant la merde et les confiseries. Elle m’a lancé un regard aussi avenant qu’un peloton d’exécution. Je n’ai pas insisté… Chaque flic a ses propres limites morales qu’il se refusera toujours à dépasser. Ludmila, elle piquait un peu de fric, mais elle ne transigeait jamais avec les délinquants. Le problème avec l’argent sale, que ce soit cent euromarks ou deux millions, c’est de savoir quoi en faire. L’accumuler sous son matelas ? Pas question, surtout quand on habite dans des quartiers comme Rorschach ou Reinickendorf. Le placer en banque ? Très mauvaise idée. Les comptes bancaires, c’est la première chose que le SAD épluche. Le dépenser ? On peut, à condition de ne pas accumuler les signes extérieurs de richesse. Ludmila, elle s’achetait de la camelote technologique, genre dernier modèle de télé Prophet, konsole personnelle (à l’époque, c’était un luxe) ou bidet à ultrasons… Ça restait relativement discret. Moi, j’avais une autre méthode : je claquais tout au Motorik. Gregor Speyr : J’ai été le premier barman du Motorik. J’y ai travaillé pendant six ans. À l’origine, l’endroit s’appelait le Purpur. C’était un club de strip-tease cher et minable. Il a fait faillite en 68 et Martin Sorensen l’a racheté pour une bouchée de pain. Martin adorait le rock allemand du siècle dernier. Il collectionnait tout ce qui tournait autour du krautrock. Sa boîte est vite devenue un temple nostalgique dédié à sa passion. Et ça a marché du tonnerre. Chaque soir, on refusait du monde, et le week-end, c’était la folie. Martin, qui était ingénieur de formation, avait fabriqué des robots, enfin des genres d’automates, qui se trémoussaient en rythme sur une petite scène, près du bar. Le dancefloor était pavé d’écrans où passaient en boucle des clips d’époque. Les gens se collaient sur la nuque ou les bras des patchs de cryptoamphé et dansaient comme des malades jusqu’à en faire des syncopes. Martin, qui était 100 % danish, avait des liens avec le gang Altid Klar. Il en était même probablement l’un des boss. Je ne peux rien affirmer, parce que je préférais me tenir à l’écart de son business. En tout cas, les Danishs avaient le monopole du deal dans la boîte, et je peux vous dire que les affaires se portaient très bien. Bakeland faisait partie des habitués, oui. On le voyait au moins trois fois par semaine. Il aimait mes cocktails et lâchait pas mal de pognon au bar. Martin et lui se sont liés d’amitié. Avoir un falkampft dans sa poche, c’est toujours utile… Surtout que les stups et l’antigang nous mettaient la pression. Bakeland prévenait
Gregor Speyr : Il était onze heures passées. Le robot drummer déroulait ses rythmes synthétiques sans fatigue ni lassitude. Moi, je préparais shooter sur
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Martin des descentes, l’informait des enquêtes en cours. En échange, Martin lui présentait du monde. Je dirais même qu’il lui a mis le pied à l’étrier. Et il n’a pas eu besoin de le forcer. Au début de l’année 76, une grosse embrouille entre Martin et le gang a éclaté. Martin n’était pas raciste. Il entretenait de bonnes relations avec les Médis, les Turquishs. Le Motorik était ouvert à tout le monde. Et le gang voyait ça d’un très mauvais œil. Les Nordiques avant tout, si tu n’as pas un O barré dans ton nom, tu n’es qu’un sous-homme, enfin vous voyez le genre de mentalité… Ce n’était peutêtre qu’un prétexte pour entamer une guerre d’influence, je n’en sais rien. En tout cas, ça s’est conclu dans le sang. Robrecht Bakeland : Je suis instantanément tombé dingue de cette musique du siècle dernier, de ces rythmes répétitifs, de ces nappes de sons électroniques qui vous enveloppent le bas-ventre de ouate. Mon corps y répondait avec euphorie, mes cellules vibraient comme celles d’un camé après son shoot. La musique postnuke, c’est soit de la merde bruitiste qui t’assomme, soit du sirop qui veut te faire croire que la vie n’est pas aussi pourrie qu’elle en a l’air. Mais ce qui passait au Motorik n’avait rien à voir avec ce que j’avais entendu jusque-là. Tout le monde dansait dans la boîte de Martin. Chaque ethnie avait sa manière : les Turkishs toupillaient avec les yeux mi-clos, les Russes se tordaient les rotules, les Européens gigotaient avec des gestes saccadés de robot, les Danishs se donnaient avec une ferveur endiablée, jusqu’à en perdre l’équilibre. Moi, je m’essayais à tous les styles. Quand on se posait au bar ou dans une alcôve pour reprendre son souffle, on discutait tranquillement en buvant des cocktails. On ne s’imagine pas, mais les malfrats passent la plupart de leur temps à causer. Ils sont plus diplomates que des politiks, moins enclins aux hostilités. Bien des guerres de gangs ont été évitées dans la pénombre pastel du Motorik. Martin disait, sur le ton de la plaisanterie, mais il y avait du vrai, que sa boîte était les Nations Unies de la pègre berlinoise. Le soir où les choses ont mal tourné, le Motorik n’était ouvert qu’aux habitués, aux bons clients. Martin inaugurait en grande pompe son nouveau robot drummer. Il devait y avoir trente ou quarante personnes, pas plus : quelques personnalités du show-biz comme la chanteuse Jenny Spelunken avec ses cordes vocales greffées d’ours des Carpates ou la star du psychociné, Jacques Golse, vous savez celui qui a à son actif plus d’une centaine de tentatives de suicide, je crois qu’il détient toujours le record ; quelques politiks corrompus comme il faut, je ne donnerai pas leurs noms, ils sont tous morts ou en taule à l’heure qu’il est ; un parrain de la mafia yougo, une figure du gang Arif, un comptable bossant pour Podolsk… Et de simples amateurs comme moi.
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shooter avec la même cadence. Les gens commençaient à être faits comme il faut. Des coups de feu ont alors éclaté dans l’entrée. On a vu le corps d’un de nos vigiles rouler en bas des marches, puis une dizaine de mecs cagoulés et armés de mitraillettes, des MP5K modifiées, ont fait irruption dans la salle. L’un d’eux a vidé sans prévenir son chargeur sur un Turkish du gang Arif, un certain Yüsel, qui était tranquillement en train de siroter un verre. La rafale l’a littéralement éventré. Ses tripes débordaient de son ventre, c’était affreux. Le pauvre a mis plusieurs minutes à mourir. Personne ne s’est donné la peine de l’achever. Robrecht Bakeland : Après avoir buté le Turkish, les assaillants nous ont contraints à nous coucher sur le sol et nous ont fouillés méthodiquement. Puis deux d’entre eux sont allés derrière le bar. Ils connaissaient avec exactitude l’emplacement de la cache où Martin stockait la cryptoamphé. Ils ont commencé à torturer le barman, Gregor, pour qu’il leur révèle le code de la serrure électronique. Ils lui ont entaillé la figure et les avant-bras avec un tesson de bouteille. Martin leur a demandé d’arrêter et leur a finalement donné le code. Un barman comme Gregor, c’était plus précieux que toute la came planquée au Motorik. À ce moment-là, on s’est dit qu’ils venaient pour voler la drogue, et qu’ayant fait leur coup minable, ils repartiraient aussitôt. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Gregor Speyr : Il y avait environ deux cents doses dans la planque. Pour une valeur de quoi ? Trente mille euromarks, grand maximum. C’était carrément débile de buter trois videurs, un parrain de la pègre, et de se mettre à dos les gangs les plus influents du Zentrum pour trente mille euromarks. Ces types-là étaient tarés, j’ai des cicatrices qui le prouvent, mais ils ne pouvaient pas être aussi cons. Ils avaient nécessairement autre chose en tête.
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Robrecht Bakeland : Contrairement à ce qu’on espérait, ils ne se sont pas tirés avec la came. Ils se sont mis à traîner là, à picoler de la vodka tout en arpentant le dance floor. Ils collaient des coups de pied et de crosse à ceux qui la ramenaient. Ils ont passé à tabac Jacques Golse, car lui, il était du genre à ne pas pouvoir la fermer. Soudain, j’en ai entendu un s’exclamer au-dessus de moi : « Putain, je le reconnais, ce connard ! C’est un falk ! Il patrouille avec une espèce de pute bouffeuse de bagels. Ils ont fait coffrer mon petit frère, le mois dernier ». J’ai deviné, alors, que ça allait être ma fête. Ils se sont mis à trois pour me castagner. Ensuite, ils ont déchiré ma chemise et ont pensé que ce serait distrayant de me coller des patchs de cryptoamphé sur le corps ; je ne sais pas combien, mais beaucoup trop pour un seul bonhomme. « T’as déjà vu un falk crever d’overdose ? » s’est esclaffé celui qui m’avait détronché. La came a agi dans la minute. Je me suis mis à suer et à suffoquer. La cyptoamphé fait très vite grimper la température corporelle. J’avais déjà ramassé des types
Gregor Speyr : Ils sont tombés à quatre sur Bakeland. Ils l’ont dérouillé et lui ont ensuite collé quinze ou vingt patchs d’amphé sur la peau, une dose énorme. Bakeland, il levait le coude, mais il ne touchait pas à la drogue. Alors j’imagine l’effet que ça a dû avoir sur lui. Je l’ai perdu de vue quand ils ont commencé à déglinguer les automates de Martin. Martin, qui n’avait pas trop moufté jusque-là, s’est mis à leur aboyer dessus en danois. Ça devenait de plus en plus évident que cette bande de connards était venue pour lui faire peur, ou l’humilier ou lui trouer la peau ; je pense qu’ils n’avaient pas d’objectif bien arrêté ou que leurs opinions divergeaient ou qu’il leur manquait juste les couilles pour aller jusqu’au bout.
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en pleine surdose. Ils avaient tellement perdu de liquide que leur peau s’était racornie et que leurs yeux étaient devenus vitreux comme ceux d’un poisson cuit au court-bouillon. Je me souviens m’être traîné sur le sol dans un sillage de sueur et de pisse. Tous mes membres étaient saisis de crampes et mes oreilles taraudées par un son perçant. J’étais en train de mourir, mais pas assez vite pour maintenir l’intérêt de mes persécuteurs. Ils ont fini par ne plus me prêter attention et se sont trouvé une nouvelle distraction avec les robots de Martin. Je suis parvenu à me glisser derrière le bar et à attraper le téléphone qui s’y trouvait : l’instinct de survie. On a tous un pilote automatique dans la cervelle ; parfois, il est bon de lui confier le manche, d’autres fois, il vous crashe lamentablement. J’aurais pu, j’aurais dû appeler les collègues. Mais j’étais à l’agonie, en panique totale. Alors j’ai composé le seul numéro que je connaissais dans le secteur. Celui de Ludmila. Le quartier merdique où elle vivait n’était pas relié au réseau, mais elle possédait un relais hertzien, un truc parfaitement illégal qui piratait la tour de télécom de la base militaire toute proche. Elle a décroché à la première sonnerie. Qu’est-ce que je lui ai dit ? Je me souviens juste que je bavais et que ma bave était si sèche que j’avais l’impression de mâcher de la pierre ponce.
Robrecht Bakeland : J’ai tenu le coup en m’aspergeant constamment de flotte et de glace pilée. Sauvé par le bar ! J’ignore ce que se racontaient Martin et les autres gars, mais j’avais l’impression qu’ils récitaient à tour de rôle une interminable poésie nordique. Les robots déglingués jouaient en boucle une version cacophonique d’un morceau de Kraftwerk. J’ai pensé que ma cervelle était en train de cramer. Heureusement, j’ai fini par m’évanouir. J’ai repris connaissance deux jours plus tard, dans une chambre d’hôpital, sous perfusion et intubé. Gregor Speyr : L’autre falk, la collègue de Bakeland, elle a débarqué au moment où les mecs se décidaient enfin à partir. Elle s’est retrouvée nez à nez avec eux
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dans l’antichambre. Elle a juste eu le temps de sortir son arme. Ça a été un massacre. J’ai aperçu son cadavre, ensuite. Elle n’avait plus de visage, l’un de ses bras avait été arraché, sa poitrine ressemblait à de la bouffe pour chiens… J’imagine que les légistes ont arrêté de compter les balles qu’elle avait dans le corps passée la centaine… Quelques minutes plus tard, le GIF a déboulé et a embarqué tout le monde. Les flics n’ont jamais mis la main sur les malades qui nous avaient attaqués. Mais, croyez-moi, Martin s’est chargé de faire le travail à leur place. Justice a été rendue, comme on dit. Ils n’auraient jamais dû s’en prendre à ses robots. Robrecht Bakeland : Après cette catastrophique soirée au Motorik, j’ai été mis à pied, le temps que le SAD mène son enquête. Franchement, je ne donnais pas cher de ma carrière au sein du Falkampft. Je savais que le Service Action Défense nous avait dans le pif depuis un moment, Ludmila et moi. Pour eux, l’occasion était trop belle. Ils allaient m’enfoncer au maximum. Les agents du SAD se croient investis d’une mission sacrée. Ils en ont plein la bouche de leurs droits civiques à la con. Ils débarquent dans une falkhouse comme en terrain conquis, avec leur arrogance et leur mandat de la cour constitutionnelle en guise de gilet pare-balles. Mais qu’est-ce qu’ils connaissent du terrain ? Rien. Ils ne s’y risquent jamais. Ils auraient trop peur de froisser leurs vestons cintrés et de tacher leurs pantalons de tantouzes en fibroïnes de synthèse. Martin était en taule, attendant de passer en jugement pour trafic de drogue. Avec son casier et le dossier rassemblé par le Service des stupéfiants, il allait prendre le maximum : vingt ans sans conditionnelle possible. Mais pour un mec comme lui, le business ne s’arrête pas à la porte de la prison. Dans les semaines qui ont suivi son placement en détention, les collègues ont commencé à ramasser des cadavres à la pelle dans le quartier danish de Reinickendorf. Toutes les victimes étaient mortes lentement et péniblement. Martin avait donné des instructions dans ce sens. J’ai profité de mes vacances forcées pour prendre un peu de distance avec ce merdier. Je suis retourné à La Haye. Je n’avais pas vu Juliana depuis Noël. Lors de ma précédente visite, ses parents avaient été glacials avec moi, et ma fiancée, guère plus chaleureuse. Quelque chose clochait et je n’avais pas mis longtemps à deviner que ce quelque chose était un autre garçon. Les parents de Juliana appartenaient à l’une de ces mouvances catholiques post-nuke qui ont fleuri dans les années 30, l’Église de la béatitude ionisante ou un délire du même style. À Noël, ils décoraient un sapin défolié avec des étoiles en forme de pictogramme nucléaire, et les rois mages de la crèche apportaient au petit Jésus, au lieu d’encens et de myrrhe, de l’uranium et du plutonium. Pour eux, le Zentrum, c’était Sodome, Gomorrhe et Babylone réunies. L’idée que leur fille
Juliana Grandsberg : Robrecht avait changé. Cela m’avait sauté aux yeux, pour la première fois, quand il était venu nous voir à Noël. Mes parents aussi avaient perçu ce changement, et de leur point de vue, le Zentrum, que leur église désigne comme la source de toutes les corruptions, était l’unique coupable. Je n’ai pas cherché à les contredire. Je savais que Robrecht n’était pas un enfant de chœur, et c’est même ce qui m’avait séduite chez lui, mais après seulement quelques mois passés au sein du Falkampft, il était devenu si froid et cynique. Il racontait des choses terribles sans exprimer la moindre compassion. Dans sa bouche, tout avait l’air banal : viols, meurtres, morts par overdoses, terrorisme. Je veux bien qu’au fil des ans, un flic s’endurcisse et finisse par s’habituer au pire, mais là… C’était encore un gosse débarquant de sa cambrousse. Il aurait dû, je ne sais pas… s’émouvoir un peu. J’ai alors compris, et ça m’a terriblement blessée, qu’il n’était rentré dans la police que pour faire partie de tout ça, pour y être plongé jour et nuit, que tout son être était habité par le crime, et qu’il n’y aurait jamais de bonheur pour nous, jamais de tendresse ni de quiétude… aucun avenir, en somme. J’ai commencé à fréquenter Lodewijk, un voisin de mon âge qui me faisait la cour depuis le collège. Je n’étais pas vraiment amoureuse de lui. Il était très banal et même franchement rasoir, mais, au moins, il ne se gargarisait pas d’horreurs et de violences. Je n’avais peur que d’une chose : que Robrecht l’apprenne et qu’il revienne pour le tuer. Robrecht Bakeland : Quand je suis reparti pour Berlin, j’étais conscient que ma relation avec Juliana touchait à son terme. Elle pouvait bien baiser avec qui elle voulait, je m’en fichais dorénavant. Lodewijk ? L’espèce de géant pâlichon qui traînait constamment autour de sa maison ? Pourquoi est-ce que je me serais fatigué à lui démonter la gueule ? Chaque fois que je pense à Juliana, j’ai un pincement au cœur. Je l’aimais. Mais quand on mène une vie comme la mienne, on n’embarque pas une fille bien avec soi. Les filles bien méritent des mecs bien. Et je ne suis pas un mec bien ; une des rares choses dont je sois absolument sûr. J’ai retrouvé ma plaque et mon flingue. L’enquête interne avait fait chou blanc. Tous les habitués du Motorik avaient témoigné en ma faveur. Martin en personne m’avait mis hors de cause. Je n’avais rien à voir ni avec la mort de Ludmila ni avec les trafics dans la boîte. Le SAD est reparti la queue basse et j’ai même reçu une promotion. Je suis passé koss-chef.
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puisse un jour m’y rejoindre leur était devenue insupportable. On a joué quelques jours aux amoureux ; c’était le printemps après tout, et je crois que ça amusait Juliana de faire pester ses vieux.
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On m’a mis en binôme avec un type qui n’était pas trop embarrassé par les scrupules. J’ai donc pu reprendre mes petites affaires, à la différence près qu’on ne se contentait plus de ponctionner du pognon, on piquait aussi de la came. Je la refilais ensuite à mes voisins fêtards pour qu’ils la revendent. J’avais fixé leur commission à vingt pour cent et je leur laissais assurer leur consommation personnelle. Ils avaient de quoi avoir le sourire… Il faut savoir être généreux dans ce métier. Les radins, les mesquins finissent toujours par être balancés. L’argent a commencé à rentrer, et là, je ne parle pas d’un treizième mois. On palpait pas mal. Martin, à qui je rendais visite assez régulièrement, m’a alors mis en contact avec son avocat : maître Lanzo Yildiz. Yildiz fait partie de ces avocats mercenaires que les grands cabinets berlinois emploient discrètement pour travailler avec leurs clients les plus embarrassants. Ils ont leur propre déontologie, si vous voyez ce que je veux dire. Ils se mouillent jusqu’au cou, et pour ça, touchent des honoraires mirobolants. Par la suite, après que Martin a passé l’arme à gauche, terrassé par le cancer, maître Yildiz a accepté de devenir mon avocat attitré. Si je suis là, à vous parler, assis confortablement dans mon fauteuil, plutôt qu’à l’isolement dans une cellule infecte, c’est grâce à lui. Sur ses conseils, et avec l’aide d’un prête-nom, j’ai monté une société immobilière ; une coquille vide, sans bureau, juste une boîte postale. Cette société achetait pour une bouchée de pain des logements dans le secteur 47. À l’époque, ce n’était qu’une friche avec de vieux patelins en ruine. Personne ne voulait vivre là. Et ceux qui avaient le malheur d’y vivre ne pensaient qu’à une chose : se tirer. Maître Yildiz était pourtant persuadé que le secteur allait connaître un boom économique. Je lui demandais : « quand ? » Il me répondait : « bientôt, bientôt, soyez patient. » Moi, je voyais filer mon fric dans des gourbis juste bons à être rasés. Je n’en profitais pas. Depuis la fermeture du Motorik, je ne sortais même plus. J’avais une vraie vie de flic. Quoi qu’on pense de moi aujourd’hui, je m’acquittais de mon travail avec un certain dévouement. J’ai arrêté un paquet de tordus. J’ai sauvé des vies. J’ai été blessé en service à trois reprises. Lors de l’assaut de l’ancienne station Augsburger qui servait aux utergrunds de planque d’armes, j’ai reçu une balle dans l’épaule. Une autre fois, j’ai été renversé par des braqueurs qui tentaient de forcer un barrage. Résultat : une sale fracture du tibia, trois opérations et plusieurs mois de rééducation. J’ai aussi pris un coup de couteau dans le ventre lors d’une mission de contrôle à l’entrée d’un match de mörderball. La lame a traversé mon gilet balistique aussi facilement que si j’avais juste porté un tricot de corps. Je m’en suis bien tiré, pas d’organes vitaux touchés, mais j’ai dégusté pendant des semaines. Après cette agression, tous les collègues se sont mis en grève pour réclamer de nouveaux gilets. Ça a fait les gros titres. Europol s’en est même mêlé. Il y a eu des démissions au ministère de la Police. On a obtenu le renouvellement des gilets, mais au compte-gouttes, comme un cadeau réservé aux plus méritants. Les
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jeunes recrues continuaient à se promener avec des protections hors d’usage. Il y avait de quoi être amer. Cette histoire, en tout cas, m’a valu une nouvelle promotion. Je suis passé sergent, puis sergent-chef dans la foulée. Attendez voir… C’était en octobre 2079, une ou deux semaines avant la tentative foireuse de putsch militaire du groupe alte-Welt. J’avais en charge la planification des patrouilles dans la partie oslave de Reinickendorf, que je connaissais comme ma poche, forcément. J’étais responsable de douze équipes. Au sein de ces équipes, il y avait une dizaine de flics qui ne demandaient pas mieux que d’en palper. Les autres se partageaient en deux groupes : ceux que j’appelle les « regarde-ailleurs » qui refusent de sortir de la légalité, mais qui n’auront jamais l’idée de balancer un collègue, et puis, les inévitables incorruptibles. Vrais convaincus, carriéristes, crétins purs et durs… Peu importe ce qui les motive, baver leur colle la trique. Ils doivent être tenus à l’écart par tous les moyens. Les gangs du quartier raquaient pour que j’organise les patrouilles à leur avantage. Ils payaient pour avoir la paix. Ils payaient pour qu’on aille harceler des concurrents. Les concurrents payaient pour se venger. Et cetera, et cetera. Ils ne se lassaient jamais de nous filer du fric. Vous voulez un exemple ? Début 80, les Hongrois avaient le monopole du braun dans le quartier. Quand les Yougos se sont mis à en vendre, les Hongrois nous ont demandé de leur coller la pression. Facile. Je concentre les patrouilles sur les zones de deal Yougos et donne des consignes de tolérance zéro. Les arrestations et les saisies se multiplient. Au bout de deux semaines de ce régime, les Yougos nous supplient d’aller rendre la monnaie de leur pièce aux Hongrois. Ok, mais on demande le double de ce que les Hongrois ont aligné. Et quelques semaines après, les Hongrois remettent le couvert… C’est comme une putain de danse folklorique, ça n’a jamais de fin. Et pour nous, il n’y a que des bénéfices : on évite des règlements de compte sanglants, on met des délinquants hors circuit, notre hiérarchie est contente, et on empoche du pognon bien mérité. Jusqu’au jour où ces abrutis ont commencé à en avoir marre de notre manière de gérer leurs affaires.
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