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Adolescence et psychopathologie
Chez le même éditeur Dans la collection Les âges de la vie : Enfance et psychopathologie, par D. Marcelli, 10e édition, 2016, 832 pages. Psychopathologie générale des âges de la vie, par D. Marcelli et F. Marty, 2015, 288 pages. Petite enfance et psychopathologie, par A. Guedeney, 2014, 312 pages. Crise et urgence à l'adolescence, par P. Duverger et M.-J. Guedj-Bourdiau, 2013, 352 pages. Psychopathologie de l'adulte, par Q. Debray, B. Granger et F. Azaïs, 4e édition, 2010, 488 pages.
Autres ouvrages : Les violences sexuelles à l'adolescence – Comprendre, accueillir, prévenir, par P. Roman, 2012, 208 pages.
Collection Les âges de la vie Dirigée par le Pr Daniel Marcelli
Adolescence et psychopathologie Daniel Marcelli professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service, centre hospitalier Henri-Laborit, CHU de Poitiers.
Alain Braconnier ancien chef de clinique, psychiatre des hôpitaux, centre Philippe-Paumelle, Paris.
Louis Tandonnet pédopsychiatre, praticien hospitalier, ancien chef de clinique-assistant des hôpitaux de Poitiers, CH, La Candélie, Agen ; président de la maison des adolescents du Lot-et-Garonne.
Préface du professeur D. Widlöcher
9e édition
Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex, France © 1996, 2005, 2007, 2011, 2013, 2018, Elsevier Masson SAS ISBN : 978-2-294-75427-2 e-ISBN : 978-2-294-75502-6 Tous droits réservés.
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Liste des auteurs Floriane Brunet, pédopsychiatre, CHU Lille, Hôpital Fontan, service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, Lille. Nicole Catheline, praticien hospitalier, centre hospitalier Henri-Laborit, CHU de Poitiers. Jean Chambry, pédopsychiatre, vice-président de la Société française d'étude et de prise en charge du transexualisme. Jean-Bernard Chapelier, maître de conférences des universités, psychologue/psychothérapeute, UFR des sciences humaines, université de Poitiers, Poitiers. Régis Coutant, professeur des universités, praticien hospitalier, service d'endocrinologie pédiatrique, pôle médicochirurgical de l'enfant, CHU d'Angers. Catherine Doyen, pédopsychiatre, praticien hospitalier, service de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent, Hôpital Robert-Debré ; centre hospitalier Sainte-Anne, Paris. Nelly Gaillard-Janin, psychiatre/psychanalyste, ASM 13, Paris. Claudia Ghica-Lemarchand, maître de conférences de droit privé à l'université de Paris-XII, Paris. Ludovic Gicquel, professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de pôle, centre hospitalier Henri-Laborit, CHU de Poitiers. Mickaël Humeau, ancien chef de clinique assistant, service universitaire de psychiatrie adulte, centre hospitalier Henri-Laborit, CHU de Poitiers. Agnès Louis-Pécha, maître de conférences de droit privé à l'université de Brest, co-directrice du master droit des personnes vulnérables. François Medjkane, pédopsychiatre, responsable de service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, Centre hospitalier universitaire de Lille. Marie-Laure Paillère Martinot, praticien hospitalier, département de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris. Louis Tandonnet, pédopsychiatre, praticien hospitalier, ancien chef de clinique-assistant des hôpitaux de Poitiers, CH, La Candélie, Agen, ; Président de la maison des adolescents du Lot-et-Garonne.
Préface L'ouvrage que nous proposent D. Marcelli et A. Braconnier se présente comme un travail de synthèse et d'actualité. Il nous offre un tableau d'ensemble de la psychopathologie de l'adolescent en tenant compte des contributions les plus récentes. Ce qui frappe d'emblée, à la lecture, c'est que dans un domaine où tant de choses ont été dites, et souvent bien dites, les auteurs évitent les lieux communs et les banalités. On les lit avec d'autant plus de plaisir et d'intérêt que, tout en faisant une juste part aux idées et aux connaissances acquises de longue date, ils les présentent sous un jour neuf, en les intégrant à des réflexions et à des interrogations contemporaines. L'intérêt pratique de l'ouvrage est évident. Au bilan des connaissances, ils ajoutent l'expérience et la réflexion concrète d'hommes de terrain. On trouve à chaque page la remarque pratique ou le jugement de bon sens qui en témoigne. Mentionnons l'intérêt tout particulier du chapitre consacré à « l'adolescent et le droit », rédigé par deux chercheurs en droit. Mais cet intérêt pratique se double d'un intérêt théorique. Il s'agit d'une réflexion d'ensemble sur la psychopathologie de l'adolescence. La difficulté est, ici, de concilier la cohérence de l'ensemble et la diversité des systèmes de référence. Sans doute ce problème n'est pas propre à cette étape de l'existence. Il y revêt toutefois une acuité spéciale en raison de l'incidence particulière de la maturation biologique et des interactions sociales, à un âge où se forment déjà des organisations pathologiques relativement stables. On ne peut plus donner une large priorité aux problèmes de développement, comme chez l'enfant. On ne peut pas non plus prendre appui sur les seuls cadres nosographiques de l'âge adulte. En ce sens, la difficulté est salutaire car elle nous protège de commodités de pensée qui oblitèrent parfois la réflexion psychopathologique, tant chez l'enfant que chez l'adulte. Les auteurs ont raison de souligner la difficulté particulière d'établir les limites du normal et du pathologique. À l'adolescence, plus qu'à tout autre âge, la gravité des conséquences pratiques des conduites ne dépend pas seulement de l'organisation de la personnalité. La notion de crise ne suffit d'ailleurs pas à expliquer cet écart. Il nous faut mener plus loin une réflexion sur la notion de conduite. Le marginalisme social caractérise en partie le statut de l'adolescence, du moins dans nos sociétés. L'outrance de certaines conduites se trouve ainsi facilitée, sans aucune commune mesure avec l'importance de l'altération du fonctionnement mental ou des relations familiales. La facilité du passage à l'acte est un autre facteur, également souligné par de nombreux auteurs. Mais on se contente, trop souvent, d'expliquer les causes sociales de ce marginalisme ou les raisons psychologiques de cette tendance au passage à l'acte, sans chercher à décrire les particularités de cet « agir »
X si spécifique de l'adolescence. Une des originalités du présent ouvrage est de mener une réflexion approfondie, à travers l'étude des conduites pathologiques, sur ces particularités. En témoignent, en particulier, les études sur la pluralité des approches théoriques, sur l'équilibre ou le déséquilibre entre l'action et la mentalisation, sur l'emboîtement des structures pathologiques. L'inconvénient du terme « conduite » est qu'il est trop souvent pris dans un sens « behavioriste ». On conçoit la conduite comme un objet de connaissance précis, le comportement du sujet dans une situation donnée. Une perspective, par trop positiviste, invite à classer ces comportements en fonction de leurs traits observables, d'en rechercher l'origine et la finalité comme s'ils étaient des objets naturels qui se donnent à voir à l'observateur. Pour échapper à cette perspective, le clinicien est tenté de se réfugier dans une observation globale et empathique du « vécu » du sujet. Cette alternative tient avant tout à la vision trop « objective » que l'on se donne de la conduite. Tout acte, qu'il s'agisse d'un acte observable, d'une parole ou d'une activité de pensée, n'est interprétable qu'en fonction de la manière dont l'observateur l'isole au sein d'un continuum d'activité. On l'objective en la mettant en relation avec deux chaînes intégratives. L'une correspond à la pluralité de ses significations (ou intentions), la seconde correspond à la séquence des actes dans laquelle il s'inscrit. Il est rare qu'un acte ne revête qu'une seule signification. La psychanalyse nous a fait découvrir la surdétermination. Celle-ci ne s'applique pas seulement aux symptômes névrotiques. Bien au contraire, ce sont les actes les plus normaux de l'existence qui sont le plus surdéterminés, dans la mesure où chacun d'entre eux est engagé dans une pluralité de finalités diverses. En écrivant ces lignes, je témoigne de mon estime et de mon amitié aux auteurs, je réponds à leur invitation, je marque mon intérêt pour certaines idées qu'ils expriment, j'en tire parti pour développer celles qui me tiennent à cœur, etc. Cette pluralité des intentions explique que la même conduite puisse s'inscrire dans des séquences différentes. Liée au seul intérêt pour l'ouvrage, la rédaction de cette préface se fermerait sur elle-même. Liée aux relations avec les auteurs, elle se poursuivra dans d'autres activités. Liée à certaines idées qui s'y trouvent développées, elle se prolongera, peut-être, par d'autres écrits. C'est en ce sens, en raison de son caractère polysémique, que la même conduite peut être interprétée par rapport à différents systèmes d'action. Les symptômes observables chez l'adulte sont, certes, caractérisés par leur caractère polysémique, mais aussi par le fait que les séquences dans lesquelles ils se trouvent engagés tournent court. L'idée obsédante, quelle que soit la richesse de ses significations, s'achève avec elle-même ou les mesures défensives qu'elle entraîne. D. Marcelli et A. Braconnier insistent très justement sur le fait que l'adolescent exposé à la dépression lutte contre celle-ci par une hyperactivité. Mais cette hyperactivité n'est pas productive. Elle n'est pas un engagement dans de nombreuses entreprises à long terme.
XI Elle est désordonnée, sans but autre que sa propre réalisation. C'est en ce sens que l'on peut parler d'un système fermé en opposition avec les systèmes ouverts qui caractérisent l'activité « normale ». Or, précisément, on peut se demander si chez l'adolescent une des particularités de l'« agir », à la différence de l'adulte, ne tient pas à la pauvreté de la polysémie de ses actes et au caractère souvent fermé des systèmes d'action dans lesquels il est engagé. Chez l'enfant, le jeu offre une occasion privilégiée d'activité fortement polysémique. L'adolescent ne joue guère sur cette polysémie de l'action. Il s'engage au contraire dans une diversité d'actions hétérogènes et diversifiées pour réaliser les buts qu'il se donne. Ceci est très visible dans le domaine de la sexualité où se trouvent juxtaposées les actions qui caractérisent la mise en place d'une relation sexuelle génitale à autrui et celles qui caractérisent les relations partielles pré-œdipiennes. Une des tâches qui lui incombe est de développer des actions de plus en plus polysémiques et de mieux en mieux intégrées dans des systèmes largement ouverts. Ce sont précisément les difficultés qu'il rencontre dans l'accomplissement de cette tâche qui marquent sa pathologie. Celle-ci est en effet l'expression du morcellement des actions auquel il est exposé. Engagé dans des systèmes d'actions faiblement surdéterminés, il offre souvent le spectacle de l'incohérence, de l'extrême investissement de systèmes d'actions clos, quand ce n'est pas celui d'un état pré-dissociatif. La vivacité des passages à l'acte, les difficultés de mentalisation, l'importance des mécanismes de clivage, en sont autant d'expressions qui sont bien décrites par les auteurs. Telles sont quelques réflexions qu'inspire la lecture de cet ouvrage. On verra qu'elles font écho à de nombreuses analyses psychopathologiques qui le jalonnent. D'une manière plus générale, une des particularités de l'adolescence, et c'est là l'un des lieux communs évoqués au départ, est de manifester en quelques années d'importants changements du mode de fonctionnement mental. Le clinicien le sait bien mais a du mal à le vérifier sur le terrain. Il a en effet rarement l'occasion d'être l'observateur attentif mais non engagé, qui peut étudier ces processus de changement. Il est souvent consulté dans un climat de crise, sollicité pour intervenir sous le signe de l'urgence et appelé à prendre des décisions à court terme. Il est pourtant indispensable que, sans renoncer à ses obligations pratiques, il en mesure la portée et en définisse la place dans un fonctionnement psychique en évolution rapide. Rappeler et illustrer la nécessité de cette double démarche, tel semble avoir été le grand objectif de ce livre, celui du moins auquel il répond fort bien. D. Widlöcher
Avant-propos à la 9e édition La première édition de cet ouvrage date de 1983 ! À l'occasion de cette 9e édition, en 2018, Adolescence et psychopathologie a fait l'objet d'une profonde refonte. Initialement publié dans la collection des « Abrégés », l'ouvrage a rejoint au début de ce siècle la collection « Les âges de la vie » dirigée par l'un d'entre nous. Il est vrai que, d'emblée, Psychopathologie de l'adolescent, son titre initial, n'avait d'abrégé que le nom : dès sa première livraison, ce livre avait le format d'un manuel regroupant, ainsi que le précise le Pr D. Widlöcher dans sa préface, l'ensemble des connaissances de l'époque sous une forme synthétique relativement nouvelle et originale. En effet, jusque-là il n'y avait aucun ouvrage consacré uniquement à l'adolescence. Cette période de la vie était en général abordée de façon parcellaire dans les livres de psychiatrie de l'enfant sous forme de quelques chapitres, psychopathie, tentative de suicide, anorexie mentale, qui n'abordaient pas vraiment les caractéristiques spécifiques du développement et de la psychopathologie propres à cet âge. Avec Adolescence et psychopathologie, nous avons donc proposé dès 1983 une synthèse des connaissances dans un champ nouveau en cours d'émergence puis d'explosion. La première parution de notre ouvrage a coïncidé avec la formidable vague d'intérêt pour l'adolescence en tant que processus psychique porteur d'une vulnérabilité rendant compte des particularités de certaines expressions pathologiques. En même temps que ce manuel proposait des clés de compréhension pour cette phase du développement, du moins avons-nous l'audace de le croire, cette vague d'intérêt a aussi, en retour, fait son succès : la nécessité de ces multiples éditions complétées de tirages supplémentaires réguliers en est la preuve. D'emblée nous avions repris l'architecture du livre Enfance et psychopathologie que l'un d'entre nous venait d'achever, marquée par une répartition en cinq grandes parties, préfiguration de l'approche multi-axiale devenue aujourd'hui une évidence : – les modèles de compréhension ; – la sémiologie et les grands regroupements nosographiques ; – la psychopathologie des conduites ; – l'adolescent dans son environnement ; – les modes d'accueil et de traitement. Chaque chapitre, à l'intérieur de ces cinq parties, était traité avec le souci de mettre en exergue la dimension développementale et de tenir compte des éventuels aspects spécifiques. Il est inutile de plus s'étendre sur cette présentation dont nous sommes convaincus qu'elle fonde la valeur pédagogique
XIV reconnue de cet ouvrage. Notre souci a été de conserver autant que faire ce peut cette architecture d'ensemble au fil des éditions successives. Mais précisément, trente-cinq ans, c'est pour un ouvrage pédagogique contemporain l'équivalent d'une éternité ! La psychologie, la psychopathologie et la psychiatrie de l'adolescent ont traversé bien des changements, voire des bouleversements. L'irruption des classifications internationales, le poids écrasant du DSM, la place grandissante prise par l'épidémiologie et la santé publique, la multiplication des références théoriques, les résultats des recherches neurophysiologiques et neurocognitives que permettent les techniques nouvelles d'exploration du système nerveux central (entre autres l'IRM fonctionnelle), l'irruption des neurosciences, l'arrivée de thérapeutiques nouvelles et la nécessité d'en comparer avec rigueur les effets respectifs, les études de cohortes suivies au long cours, tout cela a profondément changé, complexifié, relativisé un grand nombre de connaissances, fait éclater les certitudes, rendu caduque et réductrice toute approche cramponnée à une seule théorie. Notre ambition, dans ces éditions successives, fut d'apporter au lecteur ces nouvelles données, d'en montrer la pertinence, d'analyser la dimension de continuité ou de rupture qu'elles provoquent dans le champ qui continue de nous préoccuper : celui de la psychopathologie des états mentaux d'un individu confronté aux exigences de l'adolescence. Nous avons conscience que cet enjeu est de plus en plus difficile à tenir : peut-être est-ce une gageure ? Mais, pour les individus adolescents (et pour leurs parents), cette position nous semble irréductible et essentielle. Pour répondre au mieux à ces constants progrès, nous avons régulièrement fait appel à la compétence de divers contributeurs spécialisés dans tel ou tel domaine. Mais pour cette 9e édition nous avons demandé à Louis Tandonnet de nous proposer une relecture complète et une réactualisation d'ensemble de cet ouvrage. Il s'y est attaché avec enthousiasme. Tout en conservant l'architecture initiale de l'ouvrage, cette nouvelle édition propose une refonte ambitieuse de presque tous les chapitres afin d'y inclure les recherches et les approches théoriques les plus pertinentes. Nous tenons à remercier Louis Tandonnet pour ce travail novateur qui donne à cet ouvrage un « coup de jeune » en harmonie avec son objet, l'adolescence ! C'est la période de la vie où chaque individu doit pouvoir « se soucier de lui-même », soit en d'autres termes, développer à son propre égard une connaissance de soi et de ses limites à l'intérieur desquelles la capacité à « prendre soin de soi » est un facteur fondamental de santé, physique et mentale, actuelle et future. Cela ne se fait ni en un jour ni par la grâce d'une génération spontanée. L'objectif le plus ambitieux de cet ouvrage est d'apporter à chaque professionnel au contact d'un adolescent en difficulté les connaissances et les repères lui permettant de répondre au mieux à cette priorité.
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Introduction
L'adolescent est étymologiquement « celui qui est en train de grandir » et qui pourtant commence à prendre la parole, par opposition à « l'infans », « celui qui ne parle pas », et l'adulte (adultus) « celui qui a cessé de grandir ». Ce terme d'adolescence renvoie principalement à ce processus de croissance individuelle, qui démarre par la dimension physique de la puberté et s'accompagne de transformations psychologiques et comportementales initialement étiquetées « crise d'adolescence ». Il appartient, de par cet aspect individuel, plutôt aux champs médicaux et psychologiques qu'à celui de la sociologie. Cette dernière y préfère les notions de « jeune » ou de « jeunesse », qui rendraient mieux compte du relativisme socioculturel de ce phénomène. En effet, ses limites ne sont pas simplement physiologiques : l'adolescence démarre non seulement avec la puberté physique, mais aussi avec son dévoilement social (puberté subjective) et l'entrée de la majorité du groupe des pairs dans la puberté ; et elle s'étend jusqu'à une limite plus floue qui correspond à l'entrée dans l'âge adulte : majorité légale pour certains, fin des études ou entrée dans les responsabilités adultes à travers l'emploi, la stabilité financière, la parentalité… soit un âge entre 18 ans (âge le plus souvent retenu) et 25–30 ans ! Cette adolescence telle que nous la connaissons aujourd'hui semble être une construction moderne, apparue à la fin du xixe et prenant son essor dans la seconde moitié du xxe siècle avec la prolongation de la scolarité et plus largement l'ensemble de ce qui complique l'entrée dans l'âge adulte. Précisément, si l'on voulait fixer une date de naissance à la catégorie moderne de « l'adolescence » ce serait sans doute 1904, date de la publication de l'ouvrage de Granville Stanley Hall (1844–1924) : Adolescence, its psychology and his relations to physiology, anthropology, sociology, sex, crime, religion and education. À en croire la réception faite par le pédagogue J.-G. Compayre, fondateur de l'école républicaine française, cette proposition susceptible d'améliorer la compréhension des adolescents ouvrait un champ de recherche relativement vierge : « La psychologie de l'adolescence est un beau sujet d'étude, mais il est aussi neuf que beau. Une page fameuse d'Aristote il y a 2 000 ans ; et maintenant 1 300 pages de G. Stanley Hall, et dans l'entre-deux, rien ou presque rien ». Avant cela, l'idée d'une particularité de l'adolescent est parfois esquissée, mais l'adolescence ne prend pas de réelle consistance en tant que période de développement. Aristote affirme pourtant : « il est nécessaire de diviser l'enfance en deux périodes dont la première va de sept ans à la puberté, la seconde de la puberté à vingt et un ans » (Aristote cité par Mendousse, 1907). Il souligne aussi le caractère tempétueux et instable des jeunes : « La jeunesse a pour Adolescence et psychopathologie © 2018, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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Bases théoriques et généralités
caractère d'être remplie de désirs… C'est surtout aux passions de l'amour que les jeunes gens se laissent entraîner, avec une intempérance dont ils ne sont pas les maîtres. Mobiles dans leurs désirs, et prompts à se dégoûter, ils désirent avec une ardeur extrême et se lassent non moins vite. Leurs volontés sont des plus vives, mais sans force, et sans durée, comme la soif ou la faim des malades. Ils sont en colère, d'une vivacité excessive à s'emporter, et toujours prêts à suivre l'impulsion qui les domine… Leur ambition ne leur permet pas de supporter le mépris, et ils se courroucent d'indignation à la moindre idée d'une injustice qu'on leur fait… » (Aristote, cité par Compayre, 2006). Par ailleurs, le terme adolescens est utilisé à Rome mais il désigne autre chose : les hommes en âge de porter les armes et dont la conscription ne s'achève que vers l'âge de 30 ans. Les femmes romaines passent elles directement du statut de l'enfance à celui d'épouse, sans adolescence. Ce terme disparaît ensuite. Au Moyen Âge, on ne distingue que deux classes d'âge : enfants et adultes, la bascule se faisant autour de l'âge naturel de la puberté. On est instruit directement par l'apprentissage en partageant les tâches des adultes. Huerre (2001) précise qu'alors, l'entrée des jeunes dans la vie adulte peut être artificiellement et alternativement retardée ou avancée en fonction d'impératifs sociaux. Par exemple, au xiie siècle, on recule l'âge du mariage pour limiter la surpopulation ; inversement, après la Révolution en 1792, celui-ci est avancé à 13 et 15 ans pour lutter contre la surmortalité. L'adolescence dans son acception actuelle n'émerge que vers le milieu de xixe siècle pour désigner les jeunes collégiens poursuivant leurs études et financièrement dépendants, mais cela ne concerne encore qu'un nombre restreint d'individus appartenant à la bourgeoisie. En outre, à cette époque, penser l'adolescent renvoie à deux champs, d'une part la philosophie et la littérature décrivent l'instabilité adolescente ; d'autre part, la médecine et la psychiatrie repèrent la puberté comme une frontière physiologique. D'abord, chez les philosophes, les pédagogues et dans la littérature, les descriptions mettent en avant les passions, l'instabilité et l'irresponsabilité des jeunes pubères. Pour Blaise Pascal (1623–1662) : « Les jeunes gens sont tout dans le bruit, dans le divertissement, et dans la pensée de l'avenir ». Citons aussi le philosophe Jean-Jacques Rousseau (1762) : « Nous naissons, pour ainsi dire, en deux fois : l'une pour exister, et l'autre pour vivre ; l'une pour l'espèce, et l'autre le sexe. Ceux qui regardent la femme comme un homme imparfait ont tort sans doute ; mais l'analogie extérieure est pour eux. Jusqu'à l'âge nubile les enfants des deux sexes n'ont rien d'apparent qui les distingue, même visage, même figure, même teint, même voix, tout est égal. Les filles sont des enfants, les garçons sont des enfants ; le même nom suffit à des êtres si semblables. […]. Mais l'homme en général n'est pas fait pour rester toujours dans l'enfance. Il en ressort au temps prescrit par la nature ; et ce moment de crise, bien qu'assez court, a de longues influences.
Introduction
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Comme le mugissement de la mer précède de loin la tempête, cette orageuse révolution s'annonce par le murmure des passions naissantes ; une fermentation sourde avertit de l'approche du danger. Un changement dans l'humeur, des emportements fréquents, une continuelle agitation d'esprit, rendent l'enfant presque indisciplinable. Il devient sourd à la voix qui le rendait docile ; c'est un lion dans sa fièvre ; il méconnaît son guide, il ne veut plus être gouverné. Aux autres signes moraux d'une humeur qui s'altère se joignent des changements sensibles dans la figure. Sa physionomie se développe et s'empreint d'un caractère ; le coton rare et doux qui croît au bas des joues brunit et prend de la consistance. Sa voix mue, ou plutôt il la perd : il n'est ni enfant, ni homme, et ne peut prendre le ton d'aucun des deux. Ses yeux, ces organes de l'âme, qui n'ont rien dit jusqu'ici, trouvent un langage et de l'expression ; un feu naissant les anime, leurs regards plus vifs ont encore une sainte innocence, mais ils n'ont plus leur première imbécillité : il sent déjà qu'ils peuvent trop dire ; il commence à savoir les baisser et rougir ; devient sensible avant de savoir ce qu'il sent ; il est inquiet sans raison de l'être. Tout cela peut venir lentement et vous laisser du temps encore ; mais si sa vivacité se rend trop impatiente, si son emportement se change en fureur, s'il s'irrite et s'attendrit d'un instant à l'autre, s'il verse des pleurs sans sujet, si, près des objets qui commencent à devenir dangereux pour lui, son pouls s'élève et son œil s'enflamme, si la main d'une femme, se posant sur la sienne, le fait frissonner, s'il se trouble ou s'intimide auprès d'elle, Ulysse, ô sage Ulysse ! Prends garde à toi ; les outres que tu fermais avec tant de soin sont ouvertes ; les vents ont déjà déchaîné, ne quitte plus un moment le gouvernail ou tout est perdu ». Cette figure du jeune passionné et mélancolique apparaît aussi dans la littérature romantique de la fin du xviiie et du xixe siècles. Goethe (1774) décrit la trajectoire passionnée et dramatique du jeune Werther qui fini par se suicider, ouvrage que l'on tiendra pour responsable d'une série de suicide chez les jeunes ; Châteaubriant (1802) décrit un autre héros romantique, « René », qui souffre « d'inutiles rêveries » et tente de soigner son « mal de l'infini » par les voyages ou la réclusion. Par ailleurs, la médecine de la fin du xviiie et du xixe siècles privilégie pour la première fois les repères physiologiques pour décrire le développement humain, et commence à utiliser le terme « adolescence ». Il renvoie alors principalement à une description biologique de la puberté ou de la « nubilité » : « une période de la vie qui commence par les premiers signes de la puberté et s'achève avec la fin de la croissance staturale ». En psychiatrie, des adolescents sont pris en charge (environ 4 % des hospitalisés ont entre 15 et 19 ans au xixe siècle ; Arveiller, 2006), mais la clinique psychiatrique de l'adolescent ne se distingue pas de celle de l'adulte : avant la puberté, l'enfant reste indemne des pathologies adultes, une fois pubère, il
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Bases théoriques et généralités
devient vulnérable aux pathologies adultes. Plusieurs tentatives sont réalisées pour décrire une psychopathologie spécifique de cet âge : celle de rattacher la « chlorose » et les « dépravations du goût » à une maladie nerveuse (ces deux formes de troubles historiquement rattachées à l'hématologie et au système digestif ne deviendront que plus tard l'anorexie mentale) ; celle de Karl Kahlbaum qui rattache l'hébéphrénie (future schizophrénie) à la puberté, source selon lui « d'un renouveau et un remaniement psychique du moi » ; ou encore celle de la psychiatrie médicolégale qui commence à accompagner la justice dans la création de quartier pour mineurs dès 1830, dans lesquels pour la première fois les adolescents pubères sont séparés des adultes. Dans ce sens, Paul Moreau de Tour dans son ouvrage De la folie chez les enfants (1888) pointe les transformations adolescentes : « Le passage de l'adolescence est sans contredit un des phénomènes les plus importants si ce n'est même le plus important de l'existence humaine. Cette fonction physiologique qui modifie si profondément la constitution et physique et morale… ». Cependant, ces tentatives qui ébauchent une psychopathologie de l'adolescence se concluent lors du congrès de médecine de Paris de 1900 par un effacement de l'adolescence : les pathologies de cette période ne sont retenues que comme des formes précoces de pathologies adultes, précipitées par « des perturbations légères et passagères de l'équilibre mental produites par les processus physiologiques de la vie génitale (puberté, menstruation, grossesse, accouchement), par les états passionnels ou par les grandes émotions » – Pitres et Regis évoquant l'impulsion suicidaire – (Arveiller, 2006 ; Pitres et Regis, 1902). Ainsi, bien que l'adolescent commence à émerger au croisement de l'enseignement bourgeois et de l'industrialisation, qu'il perturbe déjà le rationalisme triomphant et le modèle patriarcal, l'adolescence elle se réduit toujours à l'événement de la puberté. Il faudra attendre le xxe siècle pour qu'elle existe vraiment en tant période de vie et de développement à part entière. D'un côté, le « sentiment d'adolescence » partagée par toute une classe d'âge s'affirme définitivement avec la généralisation de la scolarité obligatoire, et se renforce après la Seconde Guerre mondiale avec la prolongation de celle-ci. De l'autre se construit une véritable théorisation de l'adolescence qui révèle la complexité du développement bio-psycho-social à cette période. Comme nous l'avons vu, le psychologue américain G. Stanley Hall est le premier à décrire ce qu'il nomme « l'âge d'or de la vie ». Ses travaux se diffusent rapidement en Europe tant chez les psychologues comme P. Mendousse (1870–1933) qui publie L'âme de l'adolescent (1909) puis L'âme de l'adolescente (1928), que chez les pédagogues comme J.-G. Compayé (1843–1913) qui publie L'adolescence en 1910, ou les philosophes comme E. Spranger (1882–1963) avec Lebensformen (1922) et Psychologie des Jugendalters (1925). Il ne s'agit plus ici simplement de médecine physiologique, ni de maladies mentales, mais d'une psychophysiologie qui témoigne de l'influence grandissante d'une psychologie
Introduction
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préférant la mesure et l'expérimentation à l'introspection, et reposant sur une anthropologie évolutionniste dans le domaine de la pédagogie qui jusque-là s'intéressait seulement à l'enfant. Notons que ces premières monographies sur l'adolescence s'inspirent principalement : d'une part des problématiques pédagogiques posées par des adolescents qui commencent à se confronter à la scolarité obligatoire et à l'ordre patriarcal établi ; et d'autre part d'explorations qui reposent au départ plutôt sur l'analyse de la littérature et des biographies célèbres (telles que Confessions de J.-J. Rousseau ou L'histoire de ma vie de G. Sand) que sur de véritables expérimentations ou explorations épidémiologiques. De ce fait, il n'est pas étonnant de les voir présenter d'abord une vision romantique de cette « seconde naissance » : « En connexion avec le développement des organes sexuels, l'amour est né avec toutes les passions qui l'accompagnent, jalousie, rivalité, colère. Le sentiment religieux se régénère, s'enrichit de nouveaux éléments. Le sentiment de la nature s'éveille et fait résonner dans l'âme juvénile son riche orchestre d'émotions diverses. Le goût de l'art, à cet âge peut devenir un véritable enthousiasme : en tout cas, c'est alors seulement qu'il est réellement et profondément senti. Enfin, la vie morale se fortifie et s'élargit, parce que le sens du péché s'éveille » (G. Stanley Hall, cité par Compayre, 2006) ; et d'insister aussi sur l'émotivité, l'instabilité et surtout pour G. Stanley Hall l'alternance de sentiments opposés : excitation/inertie ; plaisir/peine ; confiance/timidité ; égoïsme/altruisme ; sociabilité/goût de la solitude ; pitié/dureté ; étude/action ; esprit conservateur/humeur révolutionnaire ; sens/intellect ; etc. Pour ces auteurs, la menace du trouble psychiatrique reste présente mais banalisée, car les perturbations témoignent selon eux le plus souvent de l'adolescence normale : « En général, il est des anomalies mentales des pubères comme de leur mauvaise conduite ou de l'état de semi-criminalité que traversent vers 16 ou 17 ans certains sujets qui plus tard feront de très honnêtes gens » (P. Mendousse, 1909). C'est ce modèle qui forgera le mythe de la « crise d'adolescence » faite d'une tempête de sentiments et d'opposition associée à une forme de banalisation de la souffrance psychique. Ajoutons que le point de vue évolutionniste amènera de surcroît à chercher et trouver sans cesse dans les manifestations adolescentes des réminiscences du passé historique ou préhistorique, ce qui retardera la découverte de certaines spécificités liées à cette période. À partir de là, différents courants scientifiques vont participer à construire les connaissances modernes sur l'adolescence. Certaines de ces données manquent de visibilité, d'autres reçoivent une publicité exagérée, probablement car coexistent dans les discours des idées qui proviennent de contextes théoriques et expérimentaux très différents. La première partie de cet ouvrage vise précisément à replacer les principaux modèles et les grandes notions dans leur contexte historique et théorique afin de dessiner les influences de compréhension du phénomène adolescent. On peut considérer que ces théorisations s'articulent autour de sept modèles principaux :
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Bases théoriques et généralités
• le modèle physiologique avec la crise pubertaire, les remaniements somatiques subséquents, l'émergence de la maturité génitale et les tensions qui en résultent ; • le modèle socioanthropologique qui met en valeur le rôle essentiel joué par l'entourage dans l'évolution de l'adolescent : la place que chaque culture réserve à l'adolescence, les espaces que chaque sous-groupe social laisse à l'adolescent, enfin les rapports entre l'adolescent et ses parents sont des éléments déterminants ; • les modèles psychanalytique et attachementiste qui rendent compte des remaniements de l'identité et des identifications, des changements dans les liens aux objets œdipiens, des enjeux de la séparation et de l'intégration dans la personnalité de la pulsion génitale ; • les modèles cognitif et éducatif qui abordent les modifications profondes de la fonction cognitive et son interdépendance critique aux apprentissages sociaux. • les modèles systémiques et stratégiques qui insistent sur l'influence du « système familial » et du contexte relationnel sur les comportements individuels. Nous présenterons ici aussi les formulations psychothérapeutiques récentes centrées sur les souvenirs traumatiques ; • l'épidémiologie psychiatrique qui s'est imposée avec la naissance de « l'Evidence Based Medecine » comme une source majeure des publications depuis la fin des années 1970. Elle apporte un nouvel éclairage sur la forte morbidité associée à la période de l'adolescence, sa place centrale dans nombre de trajectoires morbides, et dans l'évaluation des thérapeutiques. • Le modèle neurophysiologique du fonctionnement cérébral a bénéficié ces dernières années des progrès technologiques de l'imagerie structurale et fonctionnelle et permet de décrire le caractère « critique » de la période de l'adolescence du point de vue de la maturation cérébrale. Il apparaîtra clairement que comme le reste de la médecine, la psychiatrie de l'adolescent se construit dans un équilibre autour de différentes théories, bien qu'elle s'en défende parfois pour paraître plus « scientifique ». Ces théories permettent de guider l'investigation clinique, de donner des repères pour juger de l'évolution des patients, de communiquer avec d'autres professionnels et de favoriser l'apprentissage du débutant (Lanteri-Laura, 2004). Elles permettent aussi d'articuler différents domaines de connaissances, portant sur le même objet ou issus d'horizons plus éloignés, et d'intégrer sans cesse de nouvelles connaissances ; en cela, elles relèvent, comme toute théorie, plus de la croyance que de la vérité, mais d'une croyance construite sur des sources claires et toujours renouvelables, autrement dit qui n'a rien d'un dogme. Il apparaît essentiel pour les utiliser de manière vivante dans la pratique clinique d'en connaître les limites. Dans le souci éthique d'éclairer
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sur ces limites, nous aborderons dans le dernier chapitre de cette partie plusieurs questions épistémologiques : • la construction des classifications contemporaines et leur évolution vers une référence à la psychopathologie développementale ; • l'opposition « crise » versus « processus » adolescent ; • la question de la limite entre normal et pathologique ; • la question de la causalité en pédopsychiatrie. Rappelons tout de même l'écart entre théorie et pratique. En particulier, si l'adolescent accepte volontiers la rencontre lorsqu'on s'intéresse à ce qu'il est et à ce qu'il traverse en tant que sujet, voire lorsqu'on tente de comprendre avec lui sa souffrance ; il s'oppose fermement à toute tentative d'objectivation le réduisant à ce qu'il a. Comprendre cette période transitoire, décrire les lignes de force autour desquelles ce bouleversement psychique et corporel s'ordonnera peu à peu, constitue une entreprise ardue et périlleuse. Face aux incessants changements, aux ruptures multiples, aux nombreux paradoxes qui animent tout adolescent, le clinicien risque lui aussi d'être tenté par diverses attitudes : il peut se laisser aller à une sorte de fatalisme, se contenter de « suivre », « d'accompagner » l'adolescent, renonçant, pour un temps au moins, à toute compréhension, et surtout à toute possibilité d'évaluation des conduites de ce dernier. À l'opposé, dans une tentative de saisie du processus en cours, le clinicien peut adopter un modèle de compréhension donnant un sens à ces multiples conduites, mais il est alors guetté par un risque de formalisme, de théorisation artificielle, cherchant à inclure l'ensemble des « symptômes » que tout adolescent peut présenter, dans un cadre qui apparaît vite comme arbitraire et artificiel. Cette alternative, se contenter d'un accompagnement empathique en renonçant à toute compréhension ou évaluation d'un côté, formaliser à l'excès toutes les conduites de l'adolescent pour les faire entrer dans un cadre conceptuel unique de l'autre, doit être dépassée. Plus qu'à tout autre âge de la vie, l'adolescent confronte le clinicien aux modèles qu'il utilise, l'obligeant à un réexamen constant pour évaluer la pertinence de ce modèle dans chaque cas : ce va-et-vient entre la pratique et la théorie, cette réévaluation permanente et nécessaire, font la richesse de la pratique clinique de la psychopathologie de l'adolescent. La remarque suivante de Brusset nous paraît de ce fait particulièrement pertinente à l'adolescence : « sans doute faut-il prendre acte de l'impossibilité d'ordonner tous les faits psychiatriques dans un même système qui lui donnerait à la fois une classification logique et une théorie unificatrice ; quelles qu'en soient la séduction intellectuelle et la valeur pédagogique, les tentatives de comprendre toute la psychopathologie en fonction d'un même paramètre peuvent légitimement laisser insatisfait. » L'ordre de présentation que nous avons choisi n'implique pas une prééminence d'un des modèles sur les autres, néanmoins selon notre point de vue, bien que strictement individuel et intrapsychique, le modèle
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sychanalytique est en partie conditionné par les modèles physiologiques p et sociologiques, tout en affirmant avec vigueur que ces deux modèles ne suffisent pas, tant s'en faut, à rendre compte de l'ensemble des faits observés lors de l'adolescence. Dans la pratique clinique, l'interaction et l'intrication de ces divers modèles de compréhension sont la règle, mais l'un peut avoir plus de poids que l'autre pour appréhender telle ou telle conduite, tel ou tel type de pathologie. Ces interrogations ne sont pas purement spéculatives car, à notre sens, pouvoir déterminer l'axe qui paraît prévalent, influe ensuite sur l'évaluation psychopathologique elle-même et sur le choix de la réponse thérapeutique la plus appropriée. L'objet de ce premier chapitre est de donner un aperçu, nécessairement concis, de ces divers modèles. Notre souci a été d'articuler le plus possible la description de ces modèles avec les états psychopathologiques où ils semblent particulièrement pertinents : ceci rend compte des multiples renvois aux chapitres ultérieurs Bibliographie À lire Lanteri-Laura, G. (2004). Principales théories dans la psychiatrie contemporaine. EMC-Psychiatrie, 2004/1, 128–149. Le Breton, D., & Marcelli, D. (2010). Dictionnaire de l'adolescence et de la jeunesse. Paris : PUF. Pour en savoir plus Arsever, S. (2008). L'adolescence, un âge en crises. Le Temps. Arveiller, J. (2006). Adolescence, Medecine et psychiatrie au xixe siècle. L'évolution psychiatrique, 71, 195–221. Arveiller, J. (2010). Les idées médicales et la construction de la catégorie moderne d'adolescence (xviiie et xixe siècles). Le Télémaque, 2010/2(38), 111–128. Compayre, J.-G. (2006). La psychologie de l'adolescence. L'évolution psychiatrique, 71, 223–246. Huerre, P. (2001). L'histoire de l'adolescence : rôles et fonctions d'un artifice. Journal français de psychiatrie, 2001/3(14), 6–8. Mendousse, P. (1907). L'âme de l'adolescent. Paris : PUF. 1907/1947. Moreau de Tour, P. (1888). De la folie chez l'enfant. Paris : JP Ballière et Fils. Pitres, A., & Regis, E. (1902). Les obsessions et les impulsions. In Les textes fondateurs de la psychiatrie française. Toulouse : Privat. ss la dir. de Lemperière T. Rousseau, R. E. (1857). De la folie à l'époque de la puberté. Thèse de docteur en Médecine. Faculté de Medecine de Paris. GooglePlay.com. Rousseau, J. C. (1762). Émile ou de l'éducation. Tome V In Livre IV (pp. 157–158). Rousseau, J., & Israël, P. (1968). Jalons pour une étude métapsychologique de l'adolescence. L'inconscient, 6, 105–115.
Introduction
De nombreuses références bibliographiques peuvent être consultées dans quatre revues Adolescence : 2 numéros/an. Publié par GREUPP, 13, rue Santeuil, 75231 Paris Cedex 05. Adolescent Psychiatry : 1 numéro/an. Publié par The University of Chicago Press, Chicago, 60637, USA. Journal of Adolescence : 4 numéros/an. Publié par Academic Press Inc. (London). 24-28 Oval Road, London, Angleterre. Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'Adolescence : 8 numéros/an, Publié par Elsevier. Revue de la Société Française de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent et Disciplines Associées.
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Physiologie de la puberté1
Historiquement, c'est la médecine de la fin du xviiie siècle qui introduit la puberté comme le moment de l'entrée dans l'adolescence, en substituant l'approche du développement par les chiffres de tradition hippocratique (qui divise la vie en parties égales), par une approche privilégiant les repères physiologiques. L'adolescence est alors décrite d'un point de vue exclusivement biologique : « une période de la vie qui commence par les premiers signes de la puberté et s'achève avec la fin de la croissance staturale, et qui s'insère entre enfance et âge adulte dans une périodisation à quatre termes » (Arveiller, 2006). La compréhension du phénomène de l'adolescence s'est complexifiée depuis : on y associe des modifications psychologiques et affectives profondes, et le déploiement progressif de comportements sociaux et sexuels. Cependant, cette dimension physique (la puberté) reste un élément central. Cette puberté correspond à la maturation rapide de la fonction hypothalamo-hypophyso-gonadique, aboutissant au développement complet des caractères sexuels, à l'acquisition de la taille définitive, de la fonction de reproduction et de la fertilité. L'adolescence s'associe également à des modifications psychologiques et affectives profondes, et au début des comportements sociaux et sexuels des adultes. La maturation pubertaire est contrôlée par des facteurs neuroendocriniens et endocriniens. Le déclenchement de la puberté est caractérisé par la réactivation de la fonction gonadotrope après la période de quiescence en postnatal et tout au long de l'enfance : la sécrétion pulsatile de LH-RH va entraîner une sécrétion accrue et pulsatile de LH et FSH, aboutissant à une augmentation de la production de stéroïdes gonadiques (testostérone chez le garçon, œstradiol chez la fille). Cette série de changements étalée sur plusieurs années se caractérise sur le plan auxologique par une poussée de croissance étroitement contemporaine de l'apparition des caractères sexuels secondaires. Les différents stades du développement pubertaire sont cotés de 1 (stade prépubère) à 5 (stade adulte) selon la classification de Tanner (tableau 2.1). Nous verrons que cette puberté physiologique s'associe à des dimensions subjectives et sociales pour influencer le déroulement de l'adolescence et, inversement, apparaît sensible au contexte environnemental.
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Paragraphe rédigé en collaboration avec Régis Coutant, professeur des universités, praticien hospitalier, service d'Endocrinologie pédiatrique, pôle médicochirurgical de l'enfant, CHU d'Angers.
Adolescence et psychopathologie © 2018, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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Bases théoriques et généralités
Tableau 2.1. Stades pubertaires de Tanner. Stades
Pilosité pubienne
Développement mammaire chez la fille
Développement des OGE (organes génitaux externes) chez le garçon
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Absence
Absence
Testicule et verge de taille infantile
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Quelques poils longs sur le pubis
Petit bourgeon mammaire avec élargissement de l'aréole
Augmentation du volume testiculaire de 4 à 6 ml (L 25 à 30 mm)
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Pilosité pubienne au-dessus de la symphyse
La glande mammaire dépasse la surface de l'aréole
Continuation de l'accroissement testiculaire de 6 à 12 ml (L 30–40 mm). Accroissement de la verge
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Pilosité pubienne fournie
Développement maximum du sein (apparition d'un sillon sous-mammaire). Saillie de l'aréole et du mamelon sur la glande
Accroissement testiculaire de 12 à 16 ml (L 40–50 mm) et de la verge
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S'étend à la racine de la cuisse et s'allonge vers l'ombilic chez le garçon
Aspect adulte. Disparition de la saillie de l'aréole
Morphologie adulte
Le développement des caractères sexuels primaires L'activation de l'axe gonadotrope Le développement pubertaire correspond à un programme de maturation graduelle, plutôt que brutale, de l'axe hypothalamo-hypophyso-gonadique, probablement génétiquement déterminé et également sous l'influence de facteurs environnementaux (voir plus bas). Le déclenchement pubertaire résulte de l'activation successive de l'hypothalamus, de l'antéhypophyse, des gonades puis des tissus cibles périphériques. En réalité, l'activité de l'axe gonadotrope est détectable durant l'enfance, mais reste de degré faible, et la puberté correspond plutôt à une augmentation nette des activités hormonales hypothalamiques et hypophysaires, responsable d'une production accrue par les gonades des stéroïdes sexuels qui vont entraîner les modifications physiques de la puberté.
L'hypothalamus Le phénomène initiateur de la puberté correspond à la réactivation de la sécrétion pulsatile de GnRH (gonadotropin-releasing hormone, ou LH-RH
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luteinizing hormone-releasing hormone) par les neurones de l'hypothalamus médiobasal, principalement le noyau arqué. La sécrétion pulsatile de GnRH hypothalamique est fonctionnelle dès la vie fœtale, et est particulièrement active en période néonatale, puis entre en quiescence pendant l'enfance pour être réactivée à la période pubertaire. En réalité, la production pulsatile de GnRH n'est pas un phénomène en « tout ou rien » : la phase de quiescence de l'enfance n'est pas complète, une production pulsatile de GnRH est détectable à cette période, la réactivation gonadotrope correspond plutôt à une augmentation de la pulsatilité et de l'amplitude des pics de GnRH, repérable plusieurs années avant les manifestations physiques de la puberté. Le GnRH est sécrété au niveau de l'éminence médiane dans le système porte hypophysaire jusqu'aux cellules gonadotropes antéhypophysaires.
L'hypophyse Le GnRH se fixe sur son récepteur à sept domaines transmembranaires, couplé aux protéines G, sur la membrane des cellules gonadotropes hypophysaires. La pulsatilité du GnRH est nécessaire pour la production des gonadotrophines, alors que l'infusion continue entraîne une désensibilisation du récepteur. La sécrétion de LH (luteinizing hormone) et FSH (follicle stimulating hormone) suit la rythmicité du GnRH, et les pics de LH et FSH peuvent être détectés dans la circulation, environ 2 à 4 ans avant les manifestations physiques de puberté. C'est d'abord durant la nuit que les pics de gonadotrophines deviennent plus amples. Alors que la puberté progresse, la fréquence et l'amplitude des pics de LH augmentent également pendant la journée. L'amplitude des pics de LH, gonadotrophine prédominante à partir de la puberté, est multipliée par 20–30.
Les gonades Les gonadotrophines hypophysaires libérées dans la circulation générale se fixent sur leurs récepteurs respectifs, récepteur LH et récepteur FSH, appartenant également à la famille des récepteurs à sept domaines transmembranaires couplés aux protéines G. Chez le garçon, dans les testicules, les cellules de Leydig, en réponse à l'activation du récepteur LH, produisent essentiellement la testostérone. C'est la dihydrotestostérone (DHT), qui provient de la réduction de la testostérone par la 5 alpha réductase dans les tissus cibles, qui est principalement responsable des modifications physiques de la puberté (allongement de la verge, développement de la pilosité) car l'affinité de la DHT pour le récepteur aux androgènes est environ dix fois plus forte que celle de la testostérone. Les cellules de Sertoli produisent principalement l'inhibine B et l'hormone antimüllerienne (AMH). L'inhibine B augmente durant la puberté : sa production est stimulée par la FSH, et l'inhibine B exerce elle-même un
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r étrocontrôle négatif sur la sécrétion de FSH. L'AMH est produite de manière abondante durant la période embryonnaire et fœtale, et durant l'enfance. À partir de la puberté, ses taux s'effondrent, en raison d'un rétrocontrôle négatif de la testostérone sur sa sécrétion. En dehors de sa fonction essentielle à la période embryonnaire et fœtale, entraîner la régression de structures mülleriennes, son rôle postnatal est mal connu. La maturation des tubules du testicule et des cellules germinales, qui rendent compte de l'augmentation du volume testiculaire, s'effectue en réponse à l'augmentation des taux de testostérone intratesticulaire, produite par les cellules de Leydig en réponse à la LH, et à l'action de la FSH sur la cellule de Sertoli. Chez la fille, dans l'ovaire, les cellules interstitielles de la thèque, en réponse à l'activation du récepteur LH, produisent des androgènes, essentiellement l'androstènedione. Les androgènes sont aromatisés en œstrogènes dans les cellules de la granulosa, sous l'effet stimulant de la FSH, également responsable de la maturation folliculaire (figure 2.1).
La poussée de croissance pubertaire Dans les deux sexes La vitesse de croissance s'accélère. Elle passe de 5 cm/an avant la puberté à un maximum de 9 cm/an chez les filles, 10,3 chez les garçons (Alsaker, 2014). Le gain statural pubertaire dépend en partie de l'âge de démarrage
Environnement physique
Système nerveux central
Environnement relationnel
Hypothalamus –+
–+ –
neurones à GnRH
+ Adéno-hypophyse cellules gonadotropes FSH
Ovaire granulosa
+
maturation folliculaire inhibine oestradiol
–
GnRH
thèque interne
– –
LH
+
androgènes
Testicule
+ +
cellules de Leydig
testostérone
cellules de Sertoli
inhibine
Régulation de l'axe gonadotrope (N. Fuertes, 2018)
Figure 2.1. L'axe hypothalamohypophysaire.
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pubertaire : il est d'autant plus élevé que la puberté démarre tôt. Mais l'âge de démarrage de la puberté ne modifie pas de façon importante la taille finale, à condition que la puberté démarre dans les limites physiologiques. En outre, l'héritabilité de cette taille est importante (0,9), mais avec un écart type conséquent de 6,5 cm. On peut ainsi estimer la taille à venir des enfants à partir de celle de leur parent en appliquant les formules suivantes : • Taille garçon = (T. père + T. mère + 13)/2. • Taille fille = (T. père + T. mère - 13)/2.
Chez la fille Le démarrage de la croissance pubertaire est chez la fille synchrone des premiers signes pubertaires vers 10,5 ans (extrême de 10 à 14). La taille au début de la croissance pubertaire est en moyenne de 140 cm. La croissance pubertaire totale moyenne est de 23–25 cm. La taille finale est atteinte autour de 16 ans et se situe en France à 163 cm en moyenne (160 cm en 1970).
Chez le garçon Le démarrage de la croissance pubertaire est chez le garçon retardé d'environ un an par rapport aux premiers signes pubertaires. Il se situe vers 13 ans (extrêmes entre 12 et 16 ans). La taille au début de la croissance pubertaire est en moyenne de 150 cm. La croissance pubertaire totale moyenne est de 25–28 cm. La taille finale est atteinte autour de 18 ans et se situe en France à 176 cm en moyenne (170 cm en 1970).
Expertise de détermination de l'âge (âge osseux) Cette croissance s'accompagne d'une maturation osseuse qui permet de déterminer un « âge osseux » ou « biologique ». Celui-ci est souvent utilisé afin de déterminer un âge chronologique lors d'expertises réalisées à la demande du juge des Enfants qui cherche à confirmer ou infirmer la minorité d'un individu, souvent déclaré mineur isolé. Or, la concordance entre âges osseux – déterminé à de la radiographie du poignet et de la main gauche selon l'Atlas de Greulich et Pyle ou la méthode de Tanner et Whitehouse – est critiquée. Ces méthodes ne donneraient une bonne approximation de l'âge développemental qu'en dessous de 16 ans, mais distingueraient difficilement l'évolution entre 16 et 18–20 ans, avec une marge d'erreur de plus d'1 an. Ainsi, le Comité consultatif national d'Éthique et l'Académie de Médecine incitent à ne jamais considérer ce type d'analyse médicale comme un argument déterminant pour statuer sur la minorité (CCNE et Acad. Médecine cités par Rongé, 2009).
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Le développement des caractères sexuels secondaires (cf. tableau 2.1) Chez la fille Les premières manifestations pubertaires sont : • Le développement des glandes mammaires. La poussée mammaire se produit en moyenne à partir de 10,5–11 ans (8 à 13 ans pour 95 % des filles), pour atteindre le stade adulte 4 ans plus tard. L'âge de démarrage pubertaire est moins bien corrélé à l'âge civil (puisqu'il se produit physiologiquement dans un intervalle large qui va de 8 à 13 ans), qu'à l'âge osseux. Le début de la puberté se situe pour un âge osseux de 11 ans (10 à 12 ans) chez la fille, correspondant grossièrement à l'apparition du sésamoïde du pouce. • La pilosité de la région pubienne commence le plus souvent 6 mois après la glande mammaire. Elle peut parfois précéder ou être synchrone du développement mammaire. En 2–3 ans, la pilosité pubienne prend un aspect d'adulte en forme de triangle à base supérieure horizontale. La pilosité axillaire apparaît en moyenne 12 à 18 mois plus tard. Elle évolue en 2–3 ans. • Les graisses corporelles se redistribuent et le corps enfantin prend progressivement les formes de l'adulte. • Les organes génitaux augmentent de taille (utérus, vagin, clitoris, lèvres vaginales). La vulve se modifie dans son aspect et son orientation : horizontalisation de la vulve qui passe de la position verticale, regardant en avant chez l'enfant impubère, à la position horizontale, regardant en bas en fin de puberté ; et hypertrophie des petites lèvres, accentuation des grandes lèvres et augmentation du clitoris. La vulve devient sécrétante avec apparition de leucorrhées. • Les premières règles (ménarche) apparaissent plus tard autour de 13 ans (10 à 16 ans), 2–2,5 ans après l'apparition des premiers signes pubertaires (au maximum 4 ans après le début pubertaire) et après le pic de croissance pubertaire, durant la phase de décélération. Plus rarement, chez certaines filles, les règles peuvent apparaître en début de puberté. Les hémorragies ne sont pas cycliques d'emblée, le devenant au bout de 18–24 mois, quand les cycles seront devenus ovulatoires. • La capacité de fécondité est souvent décalée.
Chez le garçon Le premier signe de puberté est : • L'augmentation de volume testiculaire. Il se produit vers l'âge de 12–13 ans (9 à 14 ans pour 95 % des garçons). Le volume testiculaire devient égal ou supérieur à 4 ml ou si l'on mesure la plus grande longueur, celle-ci atteint ou dépasse 2,5 cm. Le début de la puberté se situe pour un âge osseux de 13 ans (12 à 14 ans) chez le garçon, correspondant grossièrement aussi à l'apparition du sésamoïde du pouce.
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• La pilosité pubienne apparaît entre 0–6 mois après le début du développement testiculaire (parfois inversé). Elle évolue en 2–3 ans. • L'augmentation de la verge au-delà de 5–6 cm débute un peu plus tard vers l'âge de 13 ans, un an après l'augmentation de volume testiculaire. • Les modifications les plus apparentes arrivent tardivement. La pilosité axillaire est comme chez la fille plus tardive, 12 à 18 mois après l'augmentation de volume testiculaire. La pilosité faciale est encore plus tardive, de même que la pilosité corporelle, inconstante et variable, et que la mue de la voix et la modification de la corpulence. Chez 30 % des garçons apparaît en milieu de puberté une discrète gynécomastie bilatérale qui régressera en quelques mois dans la quasi-totalité des cas.
Rapport muscle-graisse dans les deux sexes Cette croissance s'accompagne d'une prise de poids avec une augmentation de la performance sportive chez l'homme (rapport M/G = 3/1), contrairement à la femme qui voit ses performances diminuer (rapport M/G = 5/4). Cela renvoie aux insatisfactions corporelles souvent liées à l'insuffisance en taille et musculature chez les garçons, alors qu'elle concerne plutôt le poids et la minceur chez les filles.
Influence du timing pubertaire et de la rapidité de maturation sur les tâches développementales Décalage subjectif Si l'ensemble des séquences du développement pubertaire présente une nette précocité chez les filles comparativement aux garçons, ce décalage est majoré par une mise à jour sociale plus rapide chez les filles. Le décalage subjectif est donc plus important que le décalage réel. En effet, la croissance mammaire dévoile immédiatement l'entrée de la jeune fille dans la puberté, alors que les modifications restent longtemps intimes chez le garçon (poils pubiens, croissance de la verge). Ainsi les adolescents qui se développent précocement (timing pubertaire) et rapidement (rythme pubertaire) connaissent une expérience de leur adolescence très différente des autres de par le caractère « non normatif » des tâches auxquelles ils doivent faire face.
Timing pubertaire chez les filles Les filles s'associent avec des garçons qui ont le même statut pubertaire qu'elles. En cas de maturation plus précoce, elles fréquentent des amis masculins plus âgés mais aussi plus transgressifs, tant en termes de délinquance
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que de comportements sexuels à risque, et s'exposent précocement à des conduites à risque (ivresses, p. ex.). En outre, ces jeunes filles précoces apparaissent plus affectées de troubles intériorisés (anxiété, dépression, somatisation, TCA) et en particulier d'insatisfaction corporelle de par leur évolution avancée. Par opposition, les garçons sont plus insatisfaits de leur image corporelle lorsque leur maturation est retardée.
Rythme pubertaire chez les garçons Comme nous l'avons vu, le caractère plus intime des changements du garçon le rend plus vulnérable au rythme de maturation.
Les facteurs influençant la puberté Le rétrocontrôle de l'axe gonadotrope par les stéroïdes gonadiques durant l'enfance L'axe hypothalamohypophysaire est extrêmement sensible aux taux très faibles de stéroïdes gonadiques produits durant la période prépubertaire, qui contribuent à maintenir l'axe gonadotrope en quiescence.
Le rôle du système nerveux central Plusieurs neuromédiateurs du système nerveux central modulent la sécrétion des neurones à GnRH, en particulier l'acide gamma amino butyrique (GABA) – inhibiteur – et le glutamate – stimulateur : la quiescence de l'enfance correspondrait à l'effet prédominant du tonus inhibiteur, et l'activation pubertaire à une levée de cette inhibition et à l'effet devenu prépondérant du tonus excitateur. De plus, les cellules gliales influencent également l'activité des neurones à GnRH, par l'intermédiaire de facteurs de croissance sécrétés capables d'activer directement ou indirectement la sécrétion de LHRH. La glie contribuerait ainsi au déclenchement pubertaire, et pourrait être en particulier impliquée dans les pubertés précoces observées au cours de certaines tumeurs cérébrales. Un autre élément modulant l'activité gonadotrope a été identifié : il s'agit du récepteur GPR54 (G proteincoupled receptor), récepteur couplé aux protéines G présent au niveau de l'hypothalamus et de l'hypophyse, dont le ligand, la kisspeptine-1, est détecté entre autres dans le système nerveux central.
L'environnement physique La nutrition, la santé générale, l'altitude modulent le début de la puberté. La théorie actuelle suppose que des gènes multiples interagissent entre eux (épistasie) et avec l'environnement pour déterminer le démarrage
Physiologie de la puberté
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ubertaire. À partir de l'étude de jumeaux, on a estimé que les facteurs p génétiques expliquaient au moins 50 % de la variance du début pubertaire. La nutrition prénatale (et plus généralement la croissance fœtale) et la nutrition postnatale (acquisition de la masse grasse) semblent moduler le démarrage pubertaire. Ceci a été mieux établi chez la fille que chez le garçon. Deux hormones semblent plus particulièrement impliquées dans la relation entre état nutritionnel et axe gonadotrope : la leptine, produite par le tissu adipeux principalement, et la ghréline, produite par l'estomac. Les concentrations circulantes de leptine sont proportionnelles au pourcentage de masse grasse, alors que les concentrations de ghréline sont augmentées par le jeune, et diminuées en cas d'excès de masse grasse. L'administration de ces hormones chez l'animal a influencé le démarrage pubertaire. Leur implication en physiologie humaine reste cependant encore discutée. Les cycles jour-nuit, le climat, les produits chimiques interrupteurs hormonaux ont été également impliqués dans le déterminisme du démarrage pubertaire. La puberté précoce, plus fréquemment observée chez les enfants adoptés de pays étrangers, pourrait traduire plusieurs de ces influences : nutrition prénatale et postnatale, exposition à des interrupteurs hormonaux. Le stress et l'hyperactivité physique pourraient retarder le démarrage pubertaire.
L'environnement relationnel Des études prospectives ont montré que le soutien parental est un facteur prédictif du ralentissement de l'adrénarche. Inversement, la précarité socioéconomique, l'adversité précoce, la présence de conflits familiaux et l'absence du père favoriseraient une puberté précoce. Ceci souligne le cercle vicieux lié à l'accumulation des risques puisqu'on a vu que timing précoce et accélération du rythme exposaient à des tâches développementales plus complexes que la norme.
Conclusion L'étude de la puberté physiologique replace d'emblée la question de l'adolescence dans sa complexité puisqu'il apparaît une interaction permanente entre les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. L'explosion de croissance est plus précoce chez les filles et se dévoile d'emblée socialement les rendant sensibles au timing pubertaire. Celle des garçons reste plus longtemps intime et ces derniers seront plus facilement bousculés par la rapidité du rythme de sa croissance. Finalement, la maturation du corps sexué qui s'impose à l'adolescent témoigne déjà des traces laissées par la rencontre entre son appareil biologique et son environnement, et avec lesquelles il va devoir se construire. L'accueil de ses changements dépendra des attentes de l'adolescent, de ses capacités réflexives, défensives, cognitives, des réactions de l'entourage et de la poursuite de sa maturation corporelle et en particulier cérébrale.
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Bases théoriques et généralités
Bibliographie À lire Weill, J. (2014). Croissance et puberté normale et pathologique. In J. L. Wémeau, J. L. Schlienger, & B. Vialettes (Eds.), Endocrinologie, Diabète, Métabolisme et Nutrition pour le Praticien. Paris : Elsevier Masson. Pour en savoir plus Alsaker, F. (2014). La puberté : étapes du développement pubertaire et incidences psychologiques. In M. Claes & L. Lanegrand-Willems (Eds.), La psychologie de l'adolescence. Montréal : Les presses de l'Université de Montréal. Arveiller, J. (2006). Adolescence, Médecine et psychiatrie au xixe siècle. L'évolution psychiatrique., 71, 195–221. Rongé, J. L. (2009). L'expertise de détermination de l'âge : la vérité tombe toujours sur un os. Journal du droit des jeunes, 2009/5(N° 285), 33–44. https://doi. org/10.3917/jdj.285.0033 Rousseau. (1762). Émile ou de l'éducation. Tome V In Livre IV. (pp. 157–158).
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Le modèle socioanthropologique : adolescence et jeunesse
La sociologie ne s'est intéressée que tardivement à l'adolescence, bien après que la psychologie et la psychanalyse aient pris en considération l'enfant et l'adolescent comme un sujet à part entière. Elle suit un double mouvement. Historiquement, l'ethno-anthropologie éclaire d'abord sur la relativité du phénomène de l'adolescence, forme moderne de sortie de l'enfance, là où la médecine et la psychologie tendent à excessivement le naturaliser et l'universaliser. Ensuite, il faudra attendre la deuxième moitié du xxe siècle et « l'émergence de plus en plus nette au fil du temps du sentiment d'appartenance à une classe d'âge, avec ses valeurs, ses modes de vie, sa culture et la sociabilité » (Morin, 1962) pour voir véritablement se développer des travaux de sociologie donnant la parole aux adolescents.
L'adolescence, une forme moderne d'émergence de la personne sociale Face à la tendance naturaliste de la médecine qui insiste sur la croissance pubertaire, ou de la psychologie qui évoque un processus de maturation, les sociologues décrivent l'adolescence avant tout comme un phénomène culturel : elle n'existe ni dans toutes les sociétés, ni de tout temps, et ne recouvre pas la même réalité au sein d'une même société. Ceci explique leur utilisation préférentielle de la catégorie de la jeunesse à celle de l'adolescence. Les seuls invariants anthropologiques seraient la sortie de l'enfance et l'entrée dans l'âge adulte. Dans ce temps de passage (liminaire), le déploiement d'une adolescence dépend de la manière dont le collectif perçoit le jeune lors de sa maturation sexuelle et régit son entrée progressive dans les responsabilités. En outre, chaque jeune négocie son parcours singulier en fonction de son propre environnement culturel, affectif, genre, sexe, etc.
Apport de l'ethnologie : hétérogénéité des adolescences Multiplicité des formes de passage à l'âge adulte Les arguments les plus convaincants sur le caractère relatif de l'adolescence ont été rapportés par les ethnologues, avec à leur tête Adolescence et psychopathologie © 2018, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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Bases théoriques et généralités
Margaret Mead (Coming of age in Samoa : A psychological study of primitive youth for Western civilisation, 1928). Ses travaux, bien que controversés, ont installé l'idée qu'il existait de multiples formes de passage à l'âge adulte, en rapportant notamment une transition et une sexualité apaisées chez les jeunes filles des îles Samoa, par opposition au modèle de la crise émotionnelle et conflictuelle (« strom and stress ») de Stanley Hall, dominant à l'époque dans les pays occidentaux. En outre, l'adolescence peut être réduite, voire effacée dans les sociétés qui pratiquent des rites d'initiation efficaces. In fine, si elle tend à relativiser l'universalité de l'adolescence, cette comparaison des différentes modalités d'accès à l'âge adulte contribue surtout à en éclairer les enjeux. Schématiquement, trois formes de transitions vers l'âge adulte peuvent être décrites (Rosa, 2010 ; Goguel d'allondans et Lachance, 2014). Les rites de puberté sociale Ces rites existent surtout dans les sociétés traditionnelles, où les destins se déterminent a priori et l'identité sociale garde une forte stabilité d'une génération à l'autre. Selon Van Gennep (1909, in Goguel d'Allondans et Lachance, 2014), les adultes mettent en scène une épreuve, réelle ou symbolique. Celle-ci utilise souvent la métaphore de la passe (franchissement, saut, passage sous une voûte, etc.) et rappelle le caractère périlleux de la transformation à l'œuvre – ici mort de l'enfant et renaissance symbolique. Le rite, temps fort pour la communauté, renvoie aux mythes fondateurs de la culture et à l'importance de la cohésion sociale pour dominer les épreuves. Précisément, le rite de passage à l'âge adulte se structure en trois temps : • Le rite préliminaire, est un temps de sacralisation, où le groupe se rassemble et annonce la mort symbolique de l'enfant souvent théâtralisée par la séparation du novice de sa mère. Précisons que la participation d'un individu n'est pas forcément concomitante de sa puberté physiologique. • Le rite liminaire est le temps de l'initiation, dans un espace-temps de marge comme « flottant entre deux mondes », où s'opère la maturation symbolique de l'état de nature à un état inscrit dans la culture. • Enfin, le rite post-liminaire permet la reconnaissance de la nouvelle situation par le groupe social avant le retour au quotidien désacralisé. On peut repérer la persistance de certains de ces rites dans nos sociétés à travers des cérémonies religieuses notamment (profession de foi pour les Catholiques, bar-mitsva pour les Juifs, etc.), et on retrouve ces ingrédients dans certaines formes de voyages initiatiques à l'adolescence (séjour à l'étranger) ou dans les séjours dits « de rupture » proposés par les travailleurs sociaux, pour peu que ces dimensions symboliques soient mises au travail.
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Le projet Dans les sociétés modernes, le rythme de transformation intergénérationnel est plus élevé. Ici, l'identité trouve sa stabilité dans la continuité du projet personnel. Le projet de l'individu prime sur celui du groupe, bien que ce dernier participe à prédéfinir et reconnaître les statuts significatifs. L'adolescent doit être en mesure de s'imaginer un parcours, d'anticiper son avenir. Puis ce sera la réalisation de ce destin qui lui permettra de franchir le seuil de la vie adulte en accédant par exemple à un statut professionnel en Europe du Nord, à l'autonomie financière au Royaume-Uni, à l'autonomie résidentielle en Espagne, ou encore en devenant parent. Notons que les marqueurs majeurs restent l'émancipation individuelle et l'installation familiale (Ferreira et Nunes, 2010). Cependant, aujourd'hui, l'instabilité et la précarité des carrières individuelles insécurisent tellement les perspectives que la capacité à se projeter devient en elle-même la caractéristique d'un adulte accompli. Face à cette instabilité, une troisième modalité de passage se dessine. L'expérimentation Dans les sociétés de la modernité avancée, l'accélération et la multiplication des facteurs de changement rendent l'anticipation impossible sur le long terme et obligent à une adaptation permanente aux changements de situations et de contextes. L'avenir reste une préoccupation mais il est trop incertain. La flexibilité devient alors le pilier d'une l'identité « situative » : l'expérimentation permet de se définir progressivement, au gré des situations, dans un contexte vécu comme chaotique. Le passage se fait par tâtonnement. Par exemple, dans les pays nordiques, quitter le domicile parental représente le début d'un long processus de transition, caractérisé par l'hédonisme et la découverte de soi, et par des mouvements d'aller-retour – on parle de la « génération boomerang » (Ferreira et Nunes, 2010 ; Gaudet, 2007). Cette expérimentation touche autant la sphère de la formation, de l'emploi que les relations participant à transformer les aspects intimes de la vie où l'incertitude a pour contrepartie une forme de liberté. On peut rapprocher cette modalité de passage, par l'expérience, des contrats proposés par les travailleurs sociaux aux adolescents en panne dans leur parcours et dans l'incapacité de formuler un projet personnel. Précisons que ces trois modalités de passage peuvent coexister dans nos sociétés occidentales contemporaines ; par exemple, un adolescent pouvant porter un projet de formation l'inscrivant dans son groupe de pair, bénéficier d'une reconnaissance familiale à travers le rite religieux de la bar-mitsva, et se lancer dans des expérimentations pour déterminer ses choix sexuels et amoureux. Cependant, en ayant abandonné les efficaces rites de puberté sociale pour des frontières floues, les sociétés modernes ont
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majoré les inégalités entre les adolescents bénéficiant d'environnements bienveillants susceptibles de les guider comparativement à ceux livrés à eux-mêmes. Ces derniers risquent de se perdre dans « l'entre-deux mondes » et multiplier les conduites à risques, formes intimes de passage « en force », criantes d'une impatience à vivre mieux, et visant à mettre fin à un sentiment d'impuissance intolérable qui menace leur goût de vivre, mais qui, restant intimes, n'offrent malheureusement aucune reconnaissance sociale positive (Le Breton, 2010).
Hétérogénéité selon les sociétés Dans cette approche culturelle, les caractéristiques de l'adolescence varient selon les sociétés, à différents niveaux : • au niveau de la durée : dans les cultures africaines attachées à la tradition, elle sera déterminée par les rites de passage qui varient d'une ethnie à l'autre ; • au niveau des méthodes adoptées pour la socialisation de l'individu : certaines cultures adopteront volontiers un mode prévalent de socialisation des adolescents au sein du foyer familial (culture occidentale), d'autres au sein d'un autre foyer (p. ex., vers l'âge de 8 ans, les garçons dans la tribu de Gonja, peuple du Nord-Ghana, vont vivre chez le frère de la mère et son épouse, la fille chez la sœur du père et son époux), d'autres au sein d'institutions extrafamiliales (par ex., chez les Samburu, un des groupes massaï nomade du Nord-Kenya, les jeunes vivent à la périphérie de la tribu et ont pour rôle de protéger cette même tribu ou d'attaquer les tribus rivales), d'autres enfin dans le groupe des pairs (chez les Muria, dans l'État de Bastar en Inde, les adolescents vivent dans un dortoir collectif et mixte : le Gothul). Il est ainsi intéressant de constater que, dans nos sociétés occidentales contemporaines, ces différents modes de socialisation existent, du moins potentiellement (séjour chez l'oncle ou la tante, internat, foyer, communautés) ; • au niveau des types de cultures : dans son livre Le fossé des générations, M. Mead distingue trois types de cultures : – les cultures postfiguratives, qui forment la plus grande partie des sociétés traditionnelles où les enfants sont instruits avant tout par leurs parents et les anciens, – les cultures cofiguratives, dans lesquelles enfants et adultes apprennent au contact de leurs pairs, autrement dit, où le modèle social prévalent est le comportement des contemporains. Les modèles les plus nets de cultures cofiguratives sont rencontrés dans les pays d'immigration (États-Unis, Israël), – les cultures préfiguratives, qui se caractérisent par le fait que les adultes tirent aussi des leçons de leurs enfants (Bruner, 1983 ; Mead, 1972).
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Hétérogénéité selon les milieux sociaux Dans une même culture et en particulier dans nos sociétés, l'adolescence variera également pour les sociologues selon le milieu social d'origine ou selon les activités exercées. Rappelons par exemple l'enquête historique de Zazzo portant sur quatre groupes d'adolescents (lycéens, élèves d'école normale d'instituteurs, apprentis et salariés). Ces groupes se distinguaient globalement par les réponses vis-à-vis de trois variables psychologiques : les attitudes de critique et de contestation, les relations avec la famille et avec autrui et les rapports avec le monde (Zazzo, 1972). De même, certains ont pu distinguer deux types de marginalité chez les jeunes dans les années 1970 : une marginalité intellectuelle, avec deux tendances : une tendance « hippie », une tendance « gauchiste » et une marginalité « populaire » (Mauger, 1975). Par ailleurs, certains auteurs ont évoqué un mouvement d'affranchissement des déterminismes sociaux : « dans un contexte social qui a profondément évolué, et grâce à une maturation mentale plus précoce, beaucoup de jeunes (d'étudiants) prennent des positions culturelles relativement indépendantes par rapport aux conditionnements qui autrefois étaient décisifs pour leurs différenciations socioculturelles » (Grassé, 1974). L'identité culturelle distendrait son lien des différences de sexe, d'âge, d'origine régionale et surtout à la différence des classes sociales. Cependant, aujourd'hui, le constat persistant de reproductibilités sociales remet en question ces hypothèses : par exemple, en France, 118 points séparent en moyenne un enfant « bien né » d'un enfant d'origine modeste aux évaluations PISA (PISA, cité par Le Monde, 2016). De même, l'accès aux « grandes écoles » à la française maintient des différences selon le milieu social d'origine même si des progrès minimisant ce facteur peuvent être peu à peu constatés.
Approche historique : l'adolescence, une institution d'après-guerre en continuelle évolution Émergence de l'adolescence dans l'après-guerre Quels qu'en soient les prémisses (que certains voient chez le jeune révolutionnaire du xviie siècle ou l'enfant prématurément vieilli par le travail au xixe siècle), l'adolescence telle que nous la connaissons aujourd'hui ne prend son essor qu'après la Seconde Guerre mondiale, dans les pays industrialisés de l'Occident chrétien, parallèlement à la reprise économique. Elle apparaît d'abord dans les classes les plus aisées et la bourgeoisie, avant d'atteindre les classes moyennes, puis populaires. Auparavant, « l'enfant passait directement et sans intermédiaires des jupes des femmes, de sa mère ou de sa "mie" ou de sa "mèregrand", au monde des adultes. Il brûlait les étapes de la jeunesse ou de l'adolescence. D'enfant il devenait tout de suite un petit homme, habillé comme les hommes ou comme les femmes, mêlé à eux, sans autre distinction que la taille. Il est même probable que dans nos sociétés d 'Ancien Régime, les enfants entraient plus tôt dans la vie des adultes que dans les sociétés primitives » (Aries, 1969).
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L'émergence, l'allongement et la conflictualité adolescente reposent sur la complexification de notre société (travaux de Malinowski, de Benedict, de Kardiner ou de Linton), avec trois piliers principaux (Aries, 1973 ; Goguel d'Allondans et Lachance, 2014) : • La prolongation de la scolarité. Dans un souci de démocratisation du savoir, l'obligation scolaire s'étend jusqu'à 14 ans (1936 en France) puis 16 ans (1959 en France). Après guerre, s'y ajoute une concurrence pour la prospérité militaire et économique. L'identification de l'éducation comme une ressource stratégique majeure amène à viser l'objectif de porter 80 % d'une génération jusqu'au baccalauréat et 100 % à une formation professionnelle qualifiante (CAP, BEP) (Bernard, 2013). L'échec de cette « égalité par le bas » est aujourd'hui de plus en plus patent en raison entre autres de l'engorgement de l'entrée à l'université et de la remise en cause de l'insuffisance en France de la filière vers l'apprentissage professionnel, contrairement à d'autres pays d'Europe. • L'entrée de plus en plus différée dans la vie active. D'une part, la loi limite de plus en plus le travail des mineurs d'abord à 8 ans (1841), puis 15 ans pour les apprentis seulement (2001), le travail entre 16 et 18 ans étant quasi exclusivement limité aux apprentissages. D'autre part, depuis la crise pétrolière, s'y ajoutent le chômage endémique et la difficulté à entrer dans l'emploi pour les jeunes (25 % de chômage au 3e trimestre 2016 en France, source Insee, 2018). • Un bouleversement de l'équilibre familial avec l'abandon du modèle unique et autoritaire des familles régies par le pater familias pour une pluralité de modèles familiaux où la parole circule, où le pouvoir est négociable. L'ouverture relationnelle apparaît comme une dimension cruciale de cette évolution des rapports d'autorité et de l'émergence d'un adolescent « négociateur » (Mead, 1928 in Goguel d'Allondans et Lachance, 2014).
Actuellement, trois aspects évolutifs se dégagent : • L'organisation sociale en classe d'âge (les enfants, les adolescents, les vieillards, etc.) remplace probablement en partie l'ancienne hiérarchisation sociale qui a perdu de sa rigidité. La bande d'adolescents en est la caricature (chap. 4, : « Adolescents et groupes sociaux »). La bande est pour l'adolescent le moyen grâce auquel il tente de trouver une identification (idéalisation d'un membre du groupe, d'une idéologie), une protection (tant envers les adultes qu'envers lui-même, en particulier sa propre sexualité : c'est le versant homosexuel de toute bande d'adolescents), une exaltation (puissance et force de la bande contrairement à la faiblesse de l'individu), un rôle social (dynamique interne à la bande avec les divers rôles qui s'y jouent : meneurs, soumis, exclus, hôtes, ennemis, etc.). La dépendance de l'adolescent à l'égard de sa « bande » est souvent extrême, mais Winnicott souligne à juste titre que « les jeunes adolescents sont des isolés rassem-
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blés » : en effet, sous cet attachement parfois contraignant au conformisme de la bande, l'individu développe peu d'attachements profonds aux autres, comme en témoignent les fréquentes ruptures, dispersions, regroupements de bande sur de nouvelles bases, etc.. Toutefois, la quête de ce conformisme peut enfoncer l'adolescent dans des choix aberrants car, à la recherche d'une identification, il peut adhérer aux conduites les plus caricaturales. Citons Winnicott : « dans un groupe d'adolescents les diverses tendances seront représentées par les membres du groupe les plus malades. » Parmi ces positions pathologiques, le vécu persécutif de la bande est probablement l'un des plus fréquents : la bande est menacée (par les autres bandes, par la société…) et doit par conséquent se replier plus fortement sur elle-même en s'homogénéisant le plus possible afin de pouvoir se défendre et même attaquer. On observe là le déplacement sur le groupe de la problématique paranoïde potentielle de l'individu adolescent. Ce phénomène renforce la défiance entre les groupes d'âges différents. Finalement, les bandes peuvent progressivement se structurer en « groupe restreint », dans lequel chaque individu se stabilise dans un rôle propre, parfois négatif (délinquance, p. ex.). • La rapidité des changements d'une génération d'adolescents à la suivante : l'attitude et le vocabulaire qui décrivaient la réalité des années 1960 semblent avoir muté dans les années 1980, puis 2000. « Les mots-clés du rapport de l'Unesco de 1968 étaient : confrontation-contestation ; marginalisation ; contre-culture ; contre-pouvoir ; culture des jeunes. Les jeunes étaient alors perçus comme un groupe historique distinct et identifiable… Cette génération a été séparée de ses aînés par un énorme fossé… ». (Burguière, 1983) Depuis 1980, la majorité d'entre eux s'attendent à connaître le chômage comme s'il faisait partie d'un passage obligé de la vie et les mots-clés deviennent : pénurie ; chômage ; surqualification ; inadéquation entre l'emploi et la formation reçue ; anxiété ; attitude défensive ; pragmatisme ; et l'on pourrait même ajouter à cette liste, subsistance et survie… Si les années 1960 ont mobilisé certaines catégories de jeunes dans certaines parties du monde autour d'une crise de culture, d'idées et d'institutions, les années 1980 imposeront à la nouvelle génération une crise matérielle et structurelle d'incertitude économique chronique, voire de privation » (La jeunesse dans les années 1980, Unesco). Les années 2000 ajoutent une nouvelle rupture avec l'accélération des rythmes, des incertitudes, l'inadaptation de l'enseignement publique à se réformer, bien que des efforts se fassent progressivement et l'arrivée massive du numérique dans la vie des adolescents alors que la génération de leurs parents se familiarise plus lentement avec ces technologies. D'autres termes émergent : performance, jouissance, consommation, connecté, réseau social, geek, instantanéité, accélération, identité situative, conduites à risque, scarifications, binge, claustration… Travailler avec les adolescents impose une continuelle mise à jour sur les contraintes que rencontre cette classe d'âge et la culture qu'elle reconstruit continuellement.
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• Dans la culture préfigurative qui est la nôtre, et dans le contexte d'une autorité de l'adulte qui « se négocie » avec la personne de l'enfant, l'adolescent est devenu prescripteur en termes de culture. Pour Bruner, la caractéristique de nos sociétés occidentales actuelles est que « pour la première fois peut-être dans notre tradition culturelle, une place est faite à une génération intermédiaire qui a le pouvoir de proposer le modèle de formes nouvelles de conduites ». En effet, la communauté des adultes, par la complexité des tâches et l'abstraction de plus en plus grande des fonctions de chacun, s'avère incapable de proposer aux enfants une série de modèles identificateurs et un système de valeur pédagogique, professionnelle, morale, etc., qui tiennent compte des changements permanents. Dans ces conditions, l'adolescence constitue le relais nécessaire entre le monde des enfants et le monde des adultes car « elle propose de nouveaux styles de vie mieux adaptés à ce qui est perçu comme des conditions nouvelles et changeantes, à des changements qu'elle affirme, à tort ou à raison, percevoir mieux que ceux qui se sont adaptés à l'état de choses antérieur ». On assiste ainsi, selon Bruner, à une sorte de renversement de per spective : le monde traversant des changements permanents, l'adolescence, par sa caractéristique propre d'être une période de changement, devient une sorte de modèle social et culturel, tant pour les enfants que pour les adultes. La question essentielle qui surgit alors est de savoir « si la génération intermédiaire peut réduire le degré d'incertitude inhérent au fait de grandir dans des conditions de changements imprévisibles et si elle peut fournir à la fois des maîtres à penser et des pourvoyeurs charismatiques de jeu paradoxal : promouvoir l'efficacité en même temps que l'adhésion » (Bruner, 1983). Par certains aspects, ce retournement de perspective en termes de prescription des conduites associé à l'accélération des rythmes peut être compris comme un mouvement vers une nouvelle disparition de l'adolescence. « L'écart qui existe entre les jeunes et les moins jeunes tend à se réduire et cela grâce aux mouvements des années 1960. En effet, la culture originale revendiquée par les jeunes au cours de la dernière décennie, fait désormais partie du patrimoine de toutes les générations : la liberté sexuelle, le droit à la parole, les formes d'expression dans lesquelles la vie privée et la vie politique se mêlent profondément, sont des valeurs maintenant reconnues par tous » (Conférence générale de l'Unesco, 21e session, 1981). Les codes adolescents diffusent vers l'âge adulte. On décrit vers la fin des années 1970 les « post-adolescents » qui tardent à prendre leur place d'adulte tantôt par nécessité, tantôt par choix. Puis, dans les années 2000, apparaît le terme « adulescents » pour désigner les adultes qui continuent de se comporter comme des adolescents. Finalement, le groupe des adolescents ne serait plus isolable par ses valeurs propres. Au final, à travers les données ethnologiques et historiques, la sociologie forge la représentation de l'adolescence comme un phénomène hétérogène. L'approche anthropologique rééquilibre ce point de vue en soulignant les enjeux transculturels de la sortie de l'enfance.
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Approche anthropologique : une constante, tuer l'enfant au seuil de l'âge adulte Pour Quentel (2004, 2012), le seul véritable événement généralisable et fondateur, retrouvé dans toutes les sociétés c'est la sortie de l'enfance. L'adolescence n'est en fait que la forme sociale à travers laquelle ce problème se résout chez nous. Ce point de vue anthropologique permet d'insister sur ce qui caractérise la crise de sortie de l'enfance : l'émersion de la personne au social. Autrement dit, c'est l'émergence de celui qui était enfant à participer et contribuer au social. Dans toutes les sociétés il existe une bipartition sociale entre les enfants, sans autonomie, et les adultes, responsables. Dans l'adolescence contemporaine, comme dans les sociétés traditionnelles, quitter l'enfance suppose une « seconde naissance », abandon de la dépendance aux parents et de l'irresponsabilité, en s'instituant personne à part entière, potentiel acteur de sa société, capable d'un échange d'égal à égal avec autrui. Ce « meurtre de l'enfant », cet affranchissement de la tutelle parentale suivie d'une ouverture au social impose une transformation radicale de soi. Cela suscite des conflits implicites et fonde une nouvelle identité, une nouvelle manière d'exister et de nouveaux rapports au monde environnant. Cette description éclaire sur les conflits implicites qui traversent chaque adolescent (Cuin, 2011 ; Quentel, 2004 et Quentel, 2012) : • L'avènement du soi au social est par essence indissociable de la mort de l'enfant. D'une part, l'entourage doit faire le deuil de l'enfant et accepter de négocier ses frontières avec cette nouvelle personne qui lui est encore étrangère. D'autre part, l'adolescence pousse au meurtre d'une partie de soi. Ceci éclaire sur l'explosion des tentatives de suicide à cet âge, car dit Quentel pour qu'il y ait du « sui-cide » il faut cette éclosion du « soi », il s'agit de mourir soi-même. • L'adolescent s'ouvre aussi sur une véritable altérité. Entrer dans un échange avec l'Autre suppose de se laisser pénétrer jusqu'à un certain point par la différence de l'autre pour constamment se restituer dans l'échange et soutenir une position qui lui soit propre. Ceci confronte à une sorte de vide, d'abstraction, car en s'ouvrant aux relations sociales, notamment de filiation et d'alliance, il fait l'expérience étrange de la facticité de son être et d'une dépendance fondamentale en lui-même, en tant qu'il fonde l'identité de l'autre et inversement. • Simultanément, il comprend l'arbitraire de la loi. La loi devient discutable, relative, puisqu'elle ne se fonde plus sur une évidence naturelle de la loi parentale acceptée par l'enfant. Le risque est le « naufrage dans la possibilité » (Heidegger cité par Quentel, 2004), puisque tout devient possible. Certains échoueront à entrer dans la négociation puisqu'il s'agit de se confronter à la tyrannie de son interlocuteur en même temps qu'on affirme la sienne, et choisiront la soumission à un absolutisme – le leur ou celui d'un autre.
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Ainsi, la véritable « crise » n'existe pas forcément par l'explosion d'un tumulte émotionnel ou par une opposition aux parents (Offer, 1969 ; Offer et Offer, 1975 ; Saucier et Marquette, 1985) mais à travers une série de transformations internes imposées par l'ouverture relationnelle et l'affirmation de la personne sociale (Quentel, 2004 et Quentel, 2012), crise qui possède un écho familial (Goldbeter-Merinfeld, 2008). Enfin, nous n'avons pas abordé dans ce chapitre les relations entre l'adolescent et son proche environnement, en particulier sa famille. L'approche familiale pourrait être conçue comme une sorte de pont entre l'évidente dimension socioculturelle qu'elle véhicule, le système en constante évolution qu'elle constitue, et la problématique intrapsychique de l'adolescent face à ses images parentales. Ces rapports ont une importance telle qu'ils sont étudiés dans un chapitre spécifique de cet ouvrage (chap. 25).
Méthodes et thèmes de la sociologie de l'adolescence Nous n'aborderons pas ici toutes les thématiques adolescentes investiguées par la sociologie et qui seront reprises dans chaque chapitre respectif. Cependant, il est intéressant de souligner, à côté des essentielles études démographiques, l'utilité des études qualitatives pour investiguer l'hétérogénéité des carrières adolescentes et les subjectivités à l'œuvre derrière les conduites groupales.
Données démographiques Quantitativement, les adolescents représentent un groupe social important – 5 586 087 soit 8,61 % de la population en 2017 en France métropolitaine – (données Insee, 2017 ; voir aussi figure 3.1). Parmi les collégiens, la grande Projections européennes de population - Pyramides des âges : 2015 700 600 500 400 300 200 100 0
France 100+ 90
Union européenne (28 pays) 100+ 2015
80
90
2080
2015
80
Population au 1er janvier
70
70
60
Hommes
0,8
50 40
60
Femmes
Hommes
50 40
30
30
20
20
10
10
0
0,6 0,4 0,2 0,2 0,4 0,6 âge % de la population totale % de la population totale Source : Eurostat, projections de population 2015-2080
0,8
0,8
0,6 0,4 0,2 % de la population totale
0 âge
Figure 3.1. Projections européennes de population 2015–2080.
Source : Eurostat.
Femmes
0,2 0,4 0,6 % de la population totale
0,8
© Insee 2017, Eurostat 2017 (data)
INSEE
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majorité se considère en bonne santé (près de 9 élèves sur 10) et perçoit leur vie comme positive (8 sur 10). Cependant, 4 élèves sur 10 déclarent des plaintes somatiques et/ou psychologiques récurrentes. Sur la période 2010–2014, ces plaintes ont augmenté pour les deux sexes et le fait d'avoir une perception positive de sa vie a diminué chez les filles (enquête HSBC, Robert et coll., 2016).
La rigueur des enquêtes qualitatives de terrain Les enquêtes socioanthropologiques de terrain permettent non seulement de décrire l'hétérogénéité plus proche de la réalité des adolescences, toujours mouvantes et hypersensibles aux modes, milieux, moments, mais surtout d'en saisir certains déterminants ou invariants plus intimes. L'image souvent donnée est celle de l'étude d'une population empruntant un trajet de bus. Les données démographiques ou épidémiologiques offrent une vision moyenne de la population présente à chaque arrêt, alors que le suivi des carrières individuelles permet de connaître le parcours et les motivations singulières de chacun avant, pendant et après son trajet en bus. Les enquêtes dites « socioanthropologiques » (ou « de terrain », ou « ethnographiques »), cherchent à être au plus près des « situations naturelles » des sujets : vie quotidienne, conversations, routines, grâce à une situation d'interactions prolongées entre l'enquêteur et les acteurs du milieu investigué. Il permet de produire des connaissances in situ, contextualisées, transversales, visant à rendre compte du « point de vue de l'acteur » (caractère émique), des représentations ordinaires, des pratiques usuelles et de leurs significations pour eux. Généralement, ce type d'enquête de terrain révèle un entrelacs complexe de tendances, de descriptions, d'illustrations significatives, de discours et représentations « locales », associées à des interprétations prudentes plus ou moins généralisables. Le tout est pris dans de constantes variations d'échelle et de perspective. « Avec cette mosaïque quelque peu hétéroclite de données commentées et interprétées, nous sommes bien dans de l'à-peu-près. Mais cet à-peu-près n'a rien d'un n'importe quoi. Le cahier des charges est de rendre familier et compréhensibles les sujets de notre enquête, qu'ils soient culturellement proches ou lointains. » (Olivier De Sardan, 2009). Ce type d'enquêtes repose très schématiquement sur la combinaison de quatre grandes formes de production de données (Olivier De Sardan, 2009) : • l'observation participante (l'insertion prolongée de l'enquêteur dans le milieu de vie des enquêtés) ; • l'entretien (les interactions discursives délibérément suscitées par le chercheur) ; • l'étude de cas (les cas cliniques) ; • les procédés de recension (le recours à des dispositifs construits d'investigation systématique).
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Bases théoriques et généralités
Certaines thématiques adolescentes ont particulièrement été investiguées ces dernières années : la suicidalité ou les conduites à risque (Le Breton, 2007), la consommation ou les usages du numérique (Goguel d'allondans et Lachance, 2014), le phénomène du nouveau djihadisme européen (Khosrokhavar, 2017), etc.
Conclusion Ainsi, nous pouvons parler d'adolescence en tant que groupe, car les individus y partageant une incertitude identitaire provoquée par le sentiment de sortir de l'enfance sans pour autant se sentir encore appartenir au groupe des adultes. Cette modalité prolongée de passage à l'âge adulte est une construction récente de nos sociétés modernes, née, après guerre, avec la complexification de nos sociétés. L'allongement du temps de formation et l'entrée différée dans la vie active allongent le seuil d'entrée dans l'âge adulte. La disparition des rites sociaux, le bouleversement de l'équilibre familial et l'accélération des changements dissolvent ce seuil et modifient les exigences de ce passage. Le groupe d'adolescent fait corps pour prescrire des comportements à leurs pairs comme à leurs aînés. Reste pour eux, à choisir parmi l'hétérogénéité des trajectoires possibles, comment quitter définitivement leur statut d'enfant et affirmer leur identité. Ils devront trouver les moyens de négocier un compromis pour gagner leur autonomie car, pour être reconnu, il faudra reconnaître sa dépendance à l'Autre. Bibliographie À lire Goguel d'Allondans, T., & Lachance, J. (2014). Étudier les adolescents. Rennes : Presses de l'EHESP. Olivier De Sardan, J.-P. (2009). La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l'interprétation socioanthropologique. Louvain-la-Neuve : Bryliant Academia. Rosa, Harmut. (2010). Accélération. Une critique sociale du temps. Trad. francaise D. Renault Paris : La Découverte. Pour en savoir plus Alberoni, F. (1981). La jeunesse face au défi libertaire. In La jeunesse dans les années 1980 (pp. 311–322). Paris : Les presses de l'Unesco. Aries, P. (1969). Le rôle de la mère et de l'enfant dans la famille moderne. Les carnets de l'enfance, 10, 36–46. Aries, P. (1973). L'enfant et la vie familiale sous l'ancien régime. Paris : Seuil. Bernard, P. Y. (2013). Le décrochage scolaire. Coll. « Que Sais-je ? ». Paris : PUF. Bruner, J. S. (1983). Savoir faire, savoir dire. Paris : PUF. Cuin, C.-H. (2011). Esquisse d'une théorie sociologique de l'adolescence. Revue européenne des sciences sociales (p. 49). 2.
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Introduction au modèle psychanalytique Les psychanalystes ont très prudemment et progressivement construit une description de l'adolescence comme un processus psychologique relativement homogène selon les sociétés. Historiquement, S. Freud signale le premier l'importance des « métamorphoses de la puberté », et à sa suite, chacun reconnaîtra le problème central du corps, de la puberté et de l'accession à la sexualité adulte dans les transformations « pubertaires ». Au départ, ceux qui privilégient une compréhension cyclique du développement considèrent l'adolescence essentiellement comme l'achèvement et répétition de l'enfance après coup – plaçant tout le poids de la causalité dans les événements les plus anciens. Le regroupement des pulsions partielles sous le primat de la pulsion génitale précipite ; d'une part un mouvement de deuil des objets infantiles, et d'autre part la répétition des conflits œdipiens et archaïques. Ces précurseurs (découvreurs de la sexualité infantile) restent prudents et hésitent à proposer des cures aux adolescents dont les problématiques narcissiques certes interpellent, mais semblent inaccessibles à la thérapie individuelle. Ce seront leurs élèves qui, dans le contexte d'après guerre, franchiront le pas de proposer des soins dédiés aux adolescents. Ils isoleront alors l'adolescence comme un véritable troisième temps développemental (les trois temps étant : archaïque, infantile, adolescence) et révéleront la véritable spécificité du « travail de l'adolescence » : moyens de défense spécifiques, émancipation et construction de l'Idéal du moi ; problématique narcissiques ; construction de l'identité et des identifications. En proie à ses pulsions, l'adolescent doit rejeter ses parents dont la présence réactivent les conflits œdipiens et le menacent d'un inceste maintenant réalisable ; mais dans le même mouvement, il va jusqu'à rejeter les bases identificatoires de son enfance, c'est-à-dire ses imagos parentales. Pourtant, la découverte d'une identification d'adulte ne pourra advenir que dans l'insertion de cet adolescent au sein de la lignée familiale, d'où sa recherche désespérée d'une image de soi dans les racines culturelles, dans le groupe social ou dans les souvenirs familiaux (les grands-parents sont souvent les seuls à être épargnés par la contestation de l'adolescent). À la base de toute adolescence, il y a ce meurtre des imagos parentales, condensé fantasmatique de l'agressivité liée à toute croissance : « grandir est par nature Adolescence et psychopathologie © 2018, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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un acte agressif » (Winnicott). Confronté à ce paradoxe, l'adolescent doit éprouver ses conflits avant d'en trouver la solution : les moyens de défense dont il dispose, soit qu'il les réutilise (retour aux processus défensifs de la période œdipienne ou préœdipienne), soit qu'il en découvre des nouveaux (processus défensifs spécifiques de l'adolescence), ont pour but de rendre supportable cette dépression et cette incertitude identificatoire sous-jacente. Le temps reste le facteur thérapeutique essentiel (Winnicott) même si, pris dans l'urgence de l'instant, l'adolescent et ses parents ne voient rien d'autre que la situation actuelle. Finalement, l'ensemble des psychanalystes comprend l'adolescence comme un processus intrapsychique spécifique. Cependant, à l'intérieur de ce consensus, on peut schématiquement distinguer deux tendances dans la manière de concevoir et présenter les changements. Elles reflètent les tensions internes à l'adolescent : les premiers adoptent un point de vue développemental, plus en continuité de la perspective évolutionniste. Ici, la psychopathologie adolescente se conçoit plutôt comme révélatrice des défaillances et des problématiques restées en suspens dans l'enfance et la petite enfance. C'est le modèle par exemple de la séparation individuation ou de la subjectivation. Les seconds tentent de décrire l'émergence d'une structure spécifique de l'adolescence, sous la dépendance du pubertaire. Pour eux, cette « crise d'adolescence » permet l'émergence d'une nouvelle organisation psychique et surtout explique les expressions psychopathologiques de cet âge. Le modèle typique est celui de la crise juvénile, du pubertaire ou des aménagements de la dépendance.
Approche historique : les psychanalystes à la découverte de l'adolescence Premier temps : les précurseurs, S. Freud et la première génération des psychanalystes d'enfants Au début du xxe siècle, le concept d'adolescence vient à peine d'émerger et le modèle familial traditionnel domine. La psychanalyse naissante se concentre sur la vie psychique infantile qu'elle commence à dévoiler, d'abord à travers la psychanalyse d'adulte (S. Freud, S. Ferenczi, C.G. Jung, E. Jones, etc.), puis à travers celle des enfants (A. Freud, M. Klein, etc.). Dans ce contexte, elle mettra du temps à investir l'adolescence comme un temps de développement à part entière. Sigmund Freud et certains psychanalystes de la première génération laisseront tout de même quelques indications fondamentales puisqu'elles offriront à leurs continuateurs les concepts de base sur lesquels ils bâtiront la métapsychologie de l'adolescence. Ces précurseurs bénéficient d'une formation médicale – ce sont
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d'abord des neurologues (S. Freud, E. Jones) – et fondent leur réflexion psychopathologique à partir de « l'être adulte-malade » qu'ils reçoivent en psychanalyse. S'y associent ensuite des psychiatres (G. Heuyer), des éducateurs ou pédagogues (A. Ainchorn, S. Bernfeld, W. Hoffer) qui, confrontés plus directement aux jeunes délinquants ou orphelins, vont tenter d'adapter l'outil psychanalytique à cette population. Sans prendre en soin directement les adolescents, ils esquissent déjà des axes essentiels : • identification de l'adolescence comme un temps de « métamorphose » ; • remise en jeu du conflit œdipien avec l'avènement de la sexualité génitale ; • réaction défensive du Moi contre les modifications pulsionnelles quantitatives et qualitatives ; • construction de l'Idéal du Moi ; • repli sur la libido narcissique dans le temps de transition nécessaire à la réorientation de la libido d'objet ; • particularités de la relation thérapeutique à l'adolescence. Cependant, leur perspective développementale reste très imprégnée de la psychologie évolutionnisme de Darwin et surtout Haeckel – qui décrit le développement comme une éternelle récapitulation (la répétition et renforcement de la phylogenèse dans l'embryogenèse ou l'ontogenèse devient celle de l'embryogenèse dans l'infantile, puis de l'infantile à la puberté) – et ils pensent initialement l'adolescence en continuité de l'enfance, la réduisant quelque peu à la répétition et la mise à l'épreuve de la sexualité infantile (Duvernay Bolens, 2001 ; Grive et Tassel, 2007 ; Lebovici et Soule, 1970 ; Marty, 2006 ; Perret-Catipovic et Ladame, 1997). Sigmund Freud (1856–1939) évoque clairement dès 1905 dans Trois essais sur la théorie sexuelle les « métamorphoses de la puberté » : « l'avènement de la puberté inaugure les transformations qui doivent mener la vie sexuelle infantile à sa forme normale ». Pour lui, le temps infantile s'achève avec la suspension du conflit œdipien et l'entrée dans la phase de latence, puis la puberté permet d'aboutir à la psychosexualité adulte (Freud, 1905). Ces « métamorphoses de la puberté » (Puberät en allemand) ne se limitent pas à un achèvement de l'enfance mais rendent compte d'une reprise de l'activité libidinale infantile caractérisée au premier plan par la relance de la problématique œdipienne et le renoncement à l'inceste. Il affirme : « L'ajournement de la maturité sexuelle aura permis de gagner le temps nécessaire pour ériger, à côté des autres inhibitions sexuelles, la barrière contre l'inceste et se pénétrer des préceptes moraux qui excluent expressément du choix d'objet les personnes aimées de l'enfance ». Ceci accompagne le mouvement d'émancipation : « En même temps que ces fantasmes manifestement incestueux sont surmontés et rejetés, s'accomplit une des réalisations psychiques les plus importantes, mais aussi les plus douloureuses de la période pubertaire : l'affranchissement de l'autorité parentale ».
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S. Freud rencontre plusieurs patientes adolescentes (par ex. Dora qui avait 18 ans), et les échanges retranscrits dans les minutes de la société psychanalytique de Vienne témoignent aussi de la préoccupation des premiers psychanalystes pour des problématiques comme les tentatives de suicide, la masturbation, l'éducation sexuelle. Pour autant, ces derniers ne développent pas de métapsychologie spécifique de la puberté (Perret-Catipovic et Ladame, 1997). L'importance de la découverte de la sexualité infantile et la confrontation à des adultes névrosés englués dans leurs conflits inconscients (découverte de l'inconscient, des conflits infantiles et des instances psychiques) relèguent au second plan l'investigation du développe ment pubertaire. En outre, S. Freud pose une barrière à l'exploration de l'adolescence lorsqu'il décrit les problématiques narcissiques comme peu accessibles à l'exploration psychanalytique : « la psychanalyse ne nous fournit des informations sûres que sur les transformations intéressant la libido d'objet » ; par opposition, la libido narcissique se situe pour lui « comme au-delà d'une frontière qu'il ne nous est pas permis de franchir » (S. Freud, 1905). Ainsi, les premiers disciples de la psychanalyse investiront d'abord les enfants comme objets d'étude et, comme S. Freud, n'aborderont que prudemment le sujet adolescent. À Vienne, sur un fond de révolte contre les valeurs traditionalistes héritées de l'éducation victorienne, va naître une alliance entre psychanalystes et pédagogues. De leurs rencontres hebdomadaires et de leurs réflexions naît une école psychopédagogique capable d'accompagner des mouvements de jeunesse (mouvement « les oiseaux migrateurs » où intervient S. Bernfeld), d'accueillir de jeunes orphelins de la Première Guerre mondiale (institution pour enfant de Baumgarten créée par S. Bernfeld et W. Hoffer) ou de prendre en charge des jeunes présentant des troubles du comportement dans des dispositifs alternatifs à la cure (consultations psychopédagogiques, familiales et collaboration avec les foyers éducatifs initiés par A. Aichhorn, A. Adler et auxquels se joindra Anna Freud). Pendant cette période, August Aichhorn (éducateur autrichien, 1879– 1949), fer de lance de ce mouvement, publie en 1925 la Jeunesse à l'abandon, ouvrage dans lequel il transmet son expérience d'éducateur dans deux internats pour jeunes délinquants et orphelins. Il y insiste sur la fonction essentielle de la capacité d'empathie face à ces jeunes en détresse, mais limite son objet d'étude à l'éducation et la carence, sans non plus développer de métapsychologie propre à l'adolescence. Parallèlement, Siegfried Bernfeld (pédagogue et psychanalyste viennois 1892–1953) et Helene Deutsch (psychiatre-psychanalyste élève de Kraeplin et analysée par S. Freud, née en 1884 en Pologne, dirigeante de l'Institut psychanalytique de Vienne de 1924 à 1935, date de son départ pour les États-Unis où elle décède en 1982), éclairent sur l'intensité des processus psychiques adolescents en s'intéressant respectivement aux spécificités
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des développements masculin – le premier publie en 1922 À propos d'une forme typique de puberté masculine – et féminin – la seconde exposant sur « La psychanalyse des fonctions sexuelles de la femme » en 1924, ce qui la mènera plus tard vers le concept de personnalité « comme si » (1942) et « les problèmes de l'adolescence » (1967). Pour cette dernière, la puberté est marquée dans le développement féminin par « des événements incisifs majeurs », car « aussi bien pour le corps que pour l'âme, il est des traumatismes qui impliquent une solution de continuité et une souffrance » (Deutsch cité par Parat, 2010). Dans le même sens, Bernfeld introduit le concept de « puberté étendue » pour souligner que la sexualité adulte n'est pas atteinte par la seule puberté ; elle passe par une transformation psychique qui concerne le changement d'objet d'amour. Il s'attarde aussi sur l'étude des « tendances à la créativité, qu'elles soient artistiques, littéraires ou scientifiques [et au] goût marqué pour les causes idéalistes et spirituelles », tendances qui témoignent sur le plan dynamique du destin de la libido d'objet transformée en libido narcissique dans l'attente de la trouvaille d'un nouvel objet ; et sur le plan topique de la création d'une instance psychique : l'Idéal du Moi, née de cette dynamique psychique. Il comprend ce processus normal comme une réponse aux frustrations internes, externes et à la pression sociale. De ce mouvement viennois naît un véritable enseignement psychopédagogique et, à la fin des années 1920, Anna Freud participe à la création de l'Hietzing Schule, école psychopédagogique qui verra passer dans ses rangs les futurs spécialistes de l'adolescence Erik Erickson et Peter Blos (voir plus bas). Elle publie avant Guerre deux articles « Le Moi et le Ça à la puberté » et « Anxiété instinctuelle pendant la puberté », et centre la 4e partie de son ouvrage, Le Moi et les mécanismes de défenses (1936) sur les « mécanismes de défenses déclenchés par la peur des pulsions trop puissantes : étude des phénomènes de la puberté ». Elle y explique pourquoi la psychanalyse a « négligé la puberté » – car celle-ci considère que la vie sexuelle de l'homme commence bien avant la puberté – mais s'y intéresse tout de même dans le but d'illustrer les luttes engagées par le Moi pour maîtriser les changements quantitatifs et qualitatifs des pulsions. Face à l'intensification des pulsions, le Moi prépubère achevé et soumis à l'influence du Surmoi devient inflexible et résiste avec violence. Elle repère deux modalités défensives spécifiques de cette période : l'ascétisme et l'intellectualisme qui visent à contrôler les pulsions respectivement au niveau corporel et de la pensée en les retournant en leur contraire (A. Freud, in Perret-Catipovic et Ladame, 1997, voir plus bas, « Approche conceptuelle »). Anna Freud mettra surtout en question l'intérêt de la technique psychanalytique classique pour les adolescents, point de vue aujourd'hui partagé par de nombreux psychanalystes d'adolescents. Par ailleurs, au Royaume-Uni, Ernest Jones (neuropsychiatre, psychanalyste 1879–1958), correspondant de S. Freud et précurseur de l'entrée de la psychanalyse au Royaume-Uni, rencontre d'abord la problématique
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arcissique à travers la psychanalyse de soldats souffrant de névrose de n guerre (Trehel, 2006) avant de s'intéresser à l'adolescence. En 1922, il rédige une monographie sur l'adolescence qui résume la pensée de l'époque (Jones, 1922) : • L'adolescence se distingue comme un des quatre temps du développement psychoaffectif qui comprend la période infantile, la seconde enfance (la latence), l'adolescence et l'âge adulte. • Le développement culmine à la puberté. Cependant, cette période n'est pas complètement singularisée, elle reste appréhendée comme une « récapitulation » de la première enfance. • L'adolescent doit apprendre à contrôler son impulsivité et son manque d'inhibition émotionnelle (elle était surtout motrice dans l'enfance). • L'adolescence confronte à une forte conflictualité interne, elle lève l'inhibition de la latence sur l'objet de la pulsion sexuelle, qui doit être redirigée sur des figures étrangères à l'environnement proche (répétition du conflit œdipien). • Le désir d'être aimé est remplacé par la capacité à désirer. Le renoncement à la dépendance parentale et le sentiment d'incomplétude sont dépassés par des rêveries intenses, les investissements mystiques et le déploiement de la personnalité vers le monde extérieur (indépendance). Autrement dit, sur le plan dynamique, la réorientation de la libido d'objet passe par un temps de réinvestissement de la libido narcissique. Mélanie Klein (psychanalyste, née en 1882 à Vienne, analysée par S. Ferenczi puis K. Abraham, décédée en 1960 à Londres), créatrice d'une nouvelle méthode d'analyse des enfants, rencontre peu d'adolescents et rapporte surtout l'analyse de cas plus jeunes. Sa rencontre avec des adolescents précède sa théorisation des positions schizoparanoïdes et dépressives. Elle souligne elle aussi, dans un article de 1932 intitulé « La technique d'analyse des enfants à l'époque de la puberté », les analogies avec l'analyse des petits enfants, notamment car la sensorialité et les affects y sont plus marqués, par opposition à la latence. Elle n'investiguera pas plus l'adolescence, où les troubles seront compris comme une reprise de l'infantile, l'essentiel se jouant dans la capacité de l'enfant à négocier son agressivité. Elle insistera cependant sur l'importance des échos transgénérationnels et des liens affectifs entourant l'adolescent, en affirmant en 1937 : « la capacité d'une mère d'aimer et de comprendre ses enfants sera particulièrement mise à l'épreuve lorsqu'ils traverseront le stade de l'adolescence […] Elle pourra aider ses enfants […] si sa capacité d'aimer s'est développée de manière à s'identifier très fortement à la fois à son enfant et à une mère sage dont elle garde l'image dans son esprit » (Geissmann, 2001). En France, au début du xxe siècle, la clinique aliéniste et la psychopathologie psychanalytique sont difficiles à dissocier parce que la connaissance passe par l'être malade et par les médecins qui s'emparent de la psychanalyse.
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L'approche, d'abord essentiellement médicale – ce qui aura probablement l'intérêt de maintenir présente la question du corps – va voir l'influence psychanalytique s'introduire progressivement encore une fois à travers la délinquance et la pédagogie. Georges Heuyer (1884–1977) fait office de pionnier à travers sa préoccupation pour les mineurs délinquants auxquels il s'intéresse dès sa thèse (1914 : Enfants anormaux et délinquants juvéniles) et ce jusqu'à son dernier ouvrage (1969 : La délinquance juvénile : étude psychiatrique). Il ouvrira en 1925 une consultation dédiée (en collaboration avec le juge Henri Rollet), puis obtiendra en 1948 la première chaire européenne de psychiatrie infantile. Dans ses nombreux rapports réalisés avant guerre, tous les cas sont considérés comme mineurs sans distinction d'une adolescence. Cependant, il questionne déjà sur « la dynamique du délit des mineurs » et « les conditions du passage à l'acte » devançant et amorçant le point de vue psychogénétique. Il identifie aussi la schizophrénie comme « une maladie de l'adolescence » (Delille, 2017), mais l'approche développementale dominante continue de freiner la reconnaissance de l'adolescence comme une période propre de développement. Finalement, le pédagogue Maurice Debesse (1903–1998), éveillé par ses maîtres Delacroix et Wallon qui partagent l'idée du caractère cyclique du processus de croissance, présente dès 1936 l'adolescence comme un véritable stade de développement dans sa thèse La crise d'originalité juvénile (Debesse, 1936). « Qu'on ne s'y trompe pas, affirme M. Debesse (1958), la discussion déborde le domaine de l'adolescence ». Il s'agit de savoir si l'évolution est un continuum régulier ou si elle est rythmée par des périodes de crise c'est-àdire de « changements décisifs », soudains, source de « troubles profonds ou de conflits aigus », « mais qui ne suppose pas forcément une discontinuité ». D'abord, il poursuit l'idée de Wallon selon lequel au stade de l'adolescence plus qu'à tout autre, corps, affectivité, cognition, identité (« prise de conscience personnelle des valeurs culturelles et spirituelles ») et socialisation se trouvent étroitement mêlés. Aussi influencé par les écrits de Stanley Hall (1905) et Mendousse (1909), il décrit « la crise d'originalité juvénile » comme une modalité d'affirmation de soi qui passe par des excentricités comportementales ou intellectuelles (encadré 4.1). Pour lui, la pensée juvénile est « gonflée de sentiments ». Les problématiques identitaires et de continuité de soi y sont centrales : « De toutes ses forces l'adolescent original aspire à l'unité sentimentale de son être, reflet social de l'unité du moi intérieur. Tout ce qui brise ou altère cet absolu le blesse ». Par ailleurs, son apport est aussi méthodologique. Comme il l'explique dans sa thèse complémentaire Comment étudier les adolescents : examen des confidences juvéniles en 1937, sa technique consiste à examiner les confidences juvéniles, car, fort de son expérience de professeur à l'école Normale, il juge les jeunes capables de s'analyser. Ainsi, même s'il prend soin d'utiliser des méthodes complémentaires (questionnaire et observation du comportement « pour saisir le psychisme en acte »), il brise le tabou de
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Encadré 4.1
La crise d'originalité juvénile (Debesse, 1936) Le désir d'originalité de l'adolescence, son horreur de la banalité, la propension à faire de soi un être exceptionnel constitue un des premiers éléments de la « puberté mentale ». La crise d'originalité désigne sa forme la plus visible et complète. Elle survient brusquement, souvent à la suite d'une déception (perte, chagrin, ambition déçue, etc.) ; cette crise de la pensée, gonflée de sentiments, présente deux faces individuelle et sociale : ■ La face individuelle se caractérise par l'affirmation de soi avec exaltation. Cette découverte et contemplation de soi peuvent se traduire par un goût de la solitude, du secret ou par des excentricités vestimentaires, comportementales, langagières ou épistolaires. La pensée est avide d'inédit et de singulier. La passion de réformer le monde est intense. Plusieurs degrés se retrouvent : simple désir d'originalité, croyance ou encore certitude d'être original. ■ La face sociale se manifeste par la révolte juvénile à l'égard des adultes, des systèmes de valeurs et des idées reçues. Les revendications concernent le manque de compréhension des adultes et tout ce qui entrave l'affirmation de soi et la prise d'indépendance. M. Debesse décrit trois phases : ■ le besoin d'étonner (14–16 ans) ; ■ l'affirmation intense de soi (16–17 ans) ; ■ et le dénouement (18 ans) où le sujet réussit à s'apprécier avec une certaine tranquillité, fort d'un jugement plus nuancé. « L'attention au corps, l'attention au milieu et l'attention à la pensée » sont structurantes et aboutissent à l'affirmation consciente du Moi : cette crise d'originalité doit donc être distinguée des processus psychopathologiques. Cette prise de conscience du Moi par le développement d'une vie intérieure, du sentiment du différent et de l'unique est pour cet auteur invariable, quelles que soient les époques et les cultures. En revanche, le contexte culturel peut favoriser ou entraver cette crise d'originalité. De même la révolte n'aura ni la même allure ni le même retentissement si elle se développe dans un milieu informé de son existence et de ses particularités ou dans un milieu qui en est ignorant. La reconnaissance de la crise d'originalité juvénile permet de respecter les modes et les idéaux des adolescents et de proposer une « pédagogie de la crise », c'est-à-dire un accompagnement adapté à chaque sujet qui évite les erreurs liées à l'ignorance du phénomène. Précisons que M. Debesse reconnaîtra lui-même que cette crise concerne plus particulièrement les sujets dont l'origine sociale et le niveau intellectuel favorisent une richesse de la vie intérieure et sentimentale, un développement intellectuel souvent brusque et une certaine excitabilité spontanée.
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l'entretien avec l'adolescent et plaide pour une « pédagogie d'accompagnement », faite de compréhension et de respect. Cependant, malgré leur force, ses thèses qui anticipent sur la période suivante, la Seconde Guerre mondiale en retarde la réception et elles ne seront discutées qu'après 1945. Ainsi, au début du xxe siècle, sous l'influence de Stanley Hall qui met en exergue la tempête adolescente, de la psychologie évolutionniste avec sa compréhension cyclique du développement humain, et de la découverte de la sexualité infantile, les premiers psychanalystes décrivent à la puberté une régression en direction de la première enfance. Certes les principaux axes de développement sont déjà indiqués, mais l'adolescence reste étroitement associée à l'infantile et ne gagne pas encore son indépendance. Par ailleurs, le sujet adolescent n'entre pas encore directement dans la thérapie, car le regard psychanalytique passe encore par la cure de l'adulte, l'institution pédagogique et la consultation familiale.
Deuxième période : les psychanalystes, à la rencontre de la psychopathologie de l'adolescence Après guerre, dans le contexte des Trente Glorieuses, l'adolescence continue de faire symptôme. Les transgressions des « inadaptés » montrent encore une fois les limites du modèle éducatif traditionnel. S'ajoutent maintenant ceux qui échouent à répondre aux nouvelles exigences sociales d'une scolarité prolongée. Pour évoluer dans sa réponse à apporter à ces adolescents, l'institution, notamment scolaire, sollicite les soignants et la psychanalyse. Encouragés par Anna Freud qui reste marquée par l'expérience viennoise, les psychanalystes de la génération suivante, dont les plus créatifs ont émigré comme elle pendant la guerre, vont à la rencontre des adolescents et se confrontent aux tentatives de suicide, à l'anorexie, aux fugues, aux décompensations psychotiques, etc. Avec en figure de proue Peter Blos aux États-Unis, Moses et Eglé Laufer en Grande-Bretagne, Pierre Mâle et Evelyne Kestemberg en France, cette génération construit une pratique et une métapsychologie spécifiquement tournée vers l'adolescence. Leurs apports vont progressivement permettre de glisser d'une recherche de « réadaptation » à la découverte de la « souffrance » de ces jeunes en échec et du processus adolescent (Birraux, 2010). Ce dernier traverse une période spécifique du développement dont les faillites éclairent sur les voies d'entrée dans la pathologie adulte, notamment les états limites et les psychoses. Ils mèneront aussi une réflexion sur les techniques thérapeutiques et les aménagements de la cure nécessaires à cet âge. Pour tous les auteurs de cette époque, que la perspective privilégie la continuité ou la crise, l'adolescence gagne son indépendance en tant que période développementale. Deux membres du premier cercle viennois (Anna Freud et Jeanne Lampl-de-Groot) participent à ce deuxième mouvement d'après guerre. Anna Freud, installée en Grande-Bretagne depuis 1937, y poursuit
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la défense d'une psychanalyse d'enfant distincte de celle des adultes. En 1958, elle publie une synthèse sur l'adolescence dans la revue The Psychoanalytic Study of the Child, véritable appel à l'exploration de l'adolescence. Pour elle, la « crise d'adolescence » est « tout simplement l'indice extérieur visible de la mise en place des remaniements internes ». Si cette crise passe parfois par « des combats terribles entre le Ça et le Moi » (voir plus bas, « Approche conceptuelle »), ceux-ci ne sont pas mauvais par essence. Seulement, ils peuvent, devenus excessifs, déclencher des pathologies et mettent à l'épreuve les parents. Cependant, dans un premier temps, Anna Freud reste craintive pour accueillir les adolescents en thérapie. Instruite de l'expérience psychopédagogique viennoise et probablement aussi par la mort d'Hermine von Hug Hellmut, assassinée par son neveu qu'elle avait tenté d'analyser, elle insiste initialement sur les difficultés thérapeutiques posées par les adolescents qui « ont tendance à utiliser toute relation en cours comme un moyen de réalisation des désirs et non comme une source d'éclairement sur eux-mêmes », et renvoie vers d'autres modalités thérapeutiques que la cure : « modification de l'environnement, traitement institutionnel, communautés thérapeutiques » (A. Freud, 1958 in Perret-Catipovic et Ladame, 1997). Jeanne Lampl-de-Groot (1895–1987, élève de S. Freud l'ayant assisté dans ses travaux sur l'Œdipe, puis membre avec A. Freud du premier cercle viennois), alors exilée aux Pays-Bas, répond à son amie dans un article de 1960. Elle y défend l'accessibilité de la cure aux adolescents par « les bons résultats obtenus […] en particulier avec les patients inhibés, dépressifs ou obsessionnels » mais en précise les risques. C'est à partir de cure d'adulte que J. Lampl-deGroot pense l'adolescent. Ce dernier apparaît affaibli par sa prise d'autonomie à trois niveaux. D'abord, il ne peut plus s'appuyer sur le Moi auxiliaire parental pour faire face à ses nouvelles exigences pulsionnelles. Ensuite, il traverse souvent une période de deuil secondaire au désengagement du lien parental. Ce travail de deuil le confronte à l'hostilité archaïque et aux tendances autodestructrices. Enfin, le Surmoi de l'adolescent s'autonomise lui aussi des normes parentales pour se construire une référence morale interne, l'Idéal du Moi. Cette distanciation des idéaux parentaux ébranle les assises narcissiques et renforce les sentiments de culpabilité et de honte à l'évocation de ses propres conflits et contradictions. Lampl-de-Groot démontre ainsi que dans la cure d'adulte, l'évocation des vécus infantiles sert parfois à se défendre contre les vécus adolescents, non moins intéressants pour la cure, mais plus menaçants émotionnellement et narcissiquement pour le patient. Aborder le vécu adolescent nécessite de confronter l'analysant à des sentiments de culpabilité et de honte, épreuve pour le patient, mais aussi pour « l'analyste [qui] doit être prêt à supporter des manifestations bien plus brutes […], plus irritantes, douloureuses, parfois franchement insupportables ». « Les reproches concernant l'inutilité et l'impuissance de l'analyste vont de pair avec la conviction archaïque et infantile de la toute-puissance de ce dernier […]
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encore indispensable au maintien d'un précaire équilibre narcissique » (Lampl-DeGroot, 1960 in Perret-Catipovic et Ladame, 1997). Ainsi, dans un deuxième temps, A. Freud dépasse ses réticences initiales et encourage la génération suivante à travailler avec les adolescents, d'abord dans le domaine psychopédagogique (voir l'ouvrage Initiation à la psychanalyse pour éducateur, 1956), puis concrètement par le financement des premières consultations d'adolescents rattachées à la Hampstead Clinic (voir plus bas). Aux États-Unis, Peter Blos (1904–1997, né en Allemagne, pédagogue de formation, supervisé par A. Aichhorn et élève de S. Berfeld et A. Freud à Vienne) est le premier à proposer une approche développementale de l'adolescence basée sur une expérience clinique directe auprès de cette population, plutôt qu'indirecte à partir de cure d'adultes. Il travaille sur l'adolescence prolongée (1954) et la préadolescence (1958), avant de proposer son texte princeps « Les adolescents » (1962), puis « The second individuation process » (1967), augmentant le corpus adolescent de la revue The Psychoanalytic Study of the Child. Pour lui, l'adolescence sépare la névrose adulte des conflits infantiles. Ces derniers se transforment avec la maturité génitale : « Nous observons l'installation de mécanismes de régulation nouveaux ainsi qu'une transformation des structures psychiques » (Blos, 1967). Il regroupe ces modifications dans le concept de « seconde individuation ». Il reprend la terminologie de M. Mahler. « Ce que Mahler a appelé l'éclatement de la membrane symbiotique dans la petite enfance [qui s'achève] vers la fin de la 3e année de vie au moment où est atteinte la permanence de l'objet [l'internalisation des figures parentales et l'avènement du « Je »], se répète à l'adolescence par l'éclatement des liens de dépendance et de désengagement des liens objectaux infantiles […], c'est seulement avec la fin de l'adolescence que les représentations de soi et des objets acquièrent une permanence et des limites stables ». À l'adolescence, cette autonomisation vis-à-vis des objets internes parentaux se construit progressivement, par de multiples allers-retours entre des mouvements de différenciation et de régression, pour finalement aboutir à un sentiment d'identité suffisamment stable. Dans ce processus, « les mouvements régressifs servent à retrouver un contact émotionnel avec les passions de la petite enfance, vécu qui conditionne la possibilité de les désinvestir » et de se frayer un autre chemin vers la nouveauté. En outre, « ces deux périodes ont en commun une vulnérabilité exacerbée sur le plan de l'organisation de la personnalité et une urgence à procéder à des remaniements des structures psychiques en consonance avec la poussée maturative ». Cette fragilité associée au processus de désengagement peut se manifester à travers une diversité de signes : le langage d'action (passage à l'acte), le langage du corps (somatisations), opposition systématique aux parents ou à leurs substituts (Police, enseignants), idolâtrie de personnes célèbres, l'idéalisation d'abstractions telles que la vérité/la beauté/le bien, les conversions religieuses « quasi fusionnelles », les troubles d'apprentissage,
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la temporisation, l'absence de motivation, la morosité, le négativisme. Pour beaucoup d'adolescents, ces attitudes témoignent d'une tentative de mise en suspens du renoncement aux idéaux parentaux. En effet, les états d'ambivalence confrontent le Moi à une situation qui est ressentie comme intolérable. Les positions d'attente limitent l'excès de tension et le risque de verser dans une position plus régressive encore. Le passage à l'acte (fugue, vol, abus de toxiques, conduites sexuelles à risque), manière parfois « frénétique de se tourner vers l'action et la mise en jeu du corps » permet d'échapper à la passivité, de lutter contre la régression et de tester la réalité, c'est-à-dire de confronter directement le vécu infantile à l'environne ment présent. De surcroît, « ces deux périodes, si elles capotent, entraînent des déviations psychopathologiques du développement dont la caractéristique est l'échec de l'individuation ». La pathologie intervient lorsque ces symptômes s'installent, et aboutissent à une façon d'être, véritable position régressive. « La distinction entre une régression normale et une régression pathognomonique se fera précisément en fonction du fait que la régression vers un état d'indifférenciation est approchée ou bien consommée ». La réussite de ce mouvement dépendra de la capacité de l'adolescent à réguler et transformer ses vécus infantiles et son équilibre narcissique : « l'engorgement du self par la libido narcissique a pour conséquence une surestimation du pouvoir du corps et de l'esprit ce qui affecte négativement l'épreuve de réalité. Si le processus de développement est stoppé à ce stade, il peut en résulter une pathologie narcissique, dont les formes les plus graves sont le retrait du monde des objets, c'est-à-dire la psychose » (citations de Blos, 1967). (Blos, 1967 in Perret-Catipovic et Ladame, 1997 ; Houssier, 2010). Par ailleurs, Blos décrit des tâches psychiques essentielles de l'adolescence, tout en alertant sur les risques d'une description normative. L'adolescent doit pouvoir s'appuyer sur des identifications stables acquises pendant la latence et sur un passage de relais du Surmoi archaïque vers un couple Surmoi œdipien-Idéal du Moi. Autrement dit, il rejoint Lampl-de-Groot pour affirmer que la vulnérabilité du Moi n'est pas simplement due à l'afflux pulsionnel, mais aussi à l'émancipation : « l'individuation implique que le sujet adolescent assume de plus en plus sa responsabilité de qui il est et de ce qu'il fait, et cesse de blâmer ceux sous l'influence et sous la tutelle desquels il a grandi ». Il insiste aussi sur le rôle joué par le groupe des pairs : « La faim objectale et l'appauvrissement de moi à l'adolescence […] trouvent un apaisement dans les relations avec les pairs », qui constitue « un substitut à la famille » (voir plus bas, « Approche conceptuelle ») Associée aux dynamiques groupales, Blos décrit aussi une modalité défensive émergente dans le contexte culturel américain : l'uniformisme, qui rejoint l'ascétisme et l'intellectualisation d'A. Freud. Il permet à l'adolescent d'échapper à la pulsion sexuelle par l'adoption d'une attitude codifiée (voir plus bas, « Approche conceptuelle » et Blos, 1967 in Perret-Catipovic et Ladame, 1997 ; Grive et Tassel, 2010).
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Finalement, sur le plan technique, Blos plaide pour un accompagnement individualisé et prolongé jusqu'à la fin de l'adolescence. Il souligne le relativisme social : « chaque époque a son style propre pour favoriser la réalisation de cette tâche maturative (individuation). La trajectoire de chaque individu ne peut être comprise qu'en étudiant son histoire individuelle, son milieu, la manière dont ont été sanctionnés ses écarts de comportement ». Il ajoute : « seule une observation prolongée permet de porter un jugement sur le comportement habituel d'un tout petit enfant ou d'un adolescent en termes de normalité ou de déviation ». « En suivant l'évolution de patients schizophrènes que j'avais traités avec succès comme enfant, je me suis rendu compte que le risque de réapparition des troubles était à son acmé vers la fin de l'adolescence […] au moment où les adolescents devaient quitter la maison » (Blos, 1967 in Perret-Catipovic et Ladame, 1997 ; Houssier, 2010). Erik Erickson (1902–1994, psychanalyste américain, né en Allemagne) analysé par A. Freud, devient analyste d'enfants et membre de la Société psychanalytique de Vienne en 1933 avant de s'installer à Boston cette même année. Selon lui, l'urgence de la construction identitaire oblige l'adolescent à revisiter ses conflits infantiles. À l'adolescence, l'individu recherche des idéaux qui doivent lui donner une cohérence interne (l'identité) autour d'un ensemble unifié de valeurs et qui se traduisent dans le comportement par la fidélité des engagements (Cohen-Scali et Guichard, 2011, cf. encadré 4.4). James F. Masterson (1926–2010, psychiatre et psychanalyste américain), influencé par les théories kleiniennes, winnicottiennes, promeut la métapsychologie psychanalytique dans les problématiques narcissiques et limites incontournables à l'adolescence. Il les relie à des problématiques infantiles précoces. Il sera aussi l'un des premiers à s'élever contre la banalisation du « tourment adolescent ». Études longitudinales à l'appui, il affirme le pronostic néfaste des symptômes impactant le fonctionnement de l'adolescent et plaide pour l'identification précoce et la prise en charge psychothérapeutique de ces troubles psychiatriques : « on croit que les adolescents symptomatiques n'interprètent que temporairement une musique différente sous l'influence de la croissance adolescente. Or, ce qu'ils jouent n'est pas une mélodie transitoire orchestrée par l'adolescence, mais bien une complainte invasive et persistante arrangée par la maladie psychiatrique » (Masterson, 1958, 1967a, 1967b, 1968 ; Masterson et Washburne, 1966). En Grande-Bretagne, les élèves d'Anna Freud explorent directement l'adolescent par la cure, tandis que ceux de Mélanie Klein s'y intéressent plus indirectement via l'étude des conséquences à long terme des pertes précoces. Moses Laufer (1928–2006), ancien travailleur social canadien, ayant exercé en Israël auprès d'enfants traumatisés par la guerre puis auprès de jeunes de quartiers est-londoniens envahis par les problématiques de violence, convainc son analyste, Anna Freud, de l'intérêt de proposer des cures types aux adolescents sévèrement perturbés qu'il rencontre. Il ouvre ainsi, grâce au soutien financier de cette dernière, un service ouvert de c onsultation
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rattaché à la Hampstead Clinic, le Young People Consultation Center (1961–1962), qui deviendra le Brent consultation Center puis le Center for Research Into Adolescent Breakdown. Sur le plan développemental, les conceptions de M. Laufer (construites à travers un échange permanent avec son épouse Eglé Laufer) poursuivent les réflexions annafreudiennes sur les réaménagements psychiques du Moi à l'adolescence face à la violence pulsionnelle, au nouvel équilibre Surmoi-Idéal du Moi et aux exigences sociales. Ils rassemblent l'ensemble du travail de « compromis » psychique de l'adolescence sous le concept de « fantasme masturbatoire central », car pour lui, « les trois tâches développementales de l'adolescence – modification de la relation aux objets œdipiens, modification de la relation aux pairs, modification de l'attitude vis-à-vis du corps propre – peuvent être subsumées sous une seule fonction développementale et ne doivent pas être considérées séparément l'une de l'autre » (Laufer, 1976, in Perret-Catipovic et Ladame, 1997). En particulier, Laufer réintroduit le corps et l'importance des modifications corporelles tant comme source de perturbation des perceptions et des représentations que comme lieu d'expression symptomatique. Sur ce point, il soutient que l'appropriation du corps sexué par l'adolescent est étroitement liée à la qualité des interactions précoce de la mère avec le corps du jeune enfant. Il élabore aussi la notion « d'action d'essai » – proche de l'acting out de Blos – dont l'exemple paradigmatique est la masturbation chez le garçon. Cette action d'essai permet de sortir de la passivité en engageant le corps génital perçu et représenté dans une confrontation avec la réalité. Qu'elles passent par le corps ou la pensée, ces actions permettent une expérimentation progressive, par tâtonnement, à la recherche active d'un compromis entre les exigences contradictoires : attirances régressives, désirs œdipiens, identifications œdipiennes et acceptation de la nouvelle réalité génitale. Il décrit deux étapes dans cette construction d'un compromis psychique : • premièrement, la levée des défenses favorise la passivité et la régression ; • secondairement, l'ouverture aux pairs, l'appui sur les « actions d'essai » et l'identification au parent de même sexe permettent de surmonter le mouvement régressif et d'avancer vers l'appropriation définitive d'une identité sexuée (voir plus bas, « Approche conceptuelle »). Sur le plan pathologique, M. Laufer insiste sur l'expression corporelle des symptômes et les attaques du corps, ce dernier cristallisant les conflits et représentant la source de ce qui submerge l'adolescent. En outre, « l'éclosion de troubles pathologiques chez de jeunes adultes doit être comprise comme le résultat d'une cassure (« breakdown ») dans le processus développemental » (Laufer, 1976) lorsque l'adolescent démuni renonce à gérer l'ambivalence due aux exigences très contradictoires contenues dans le fantasme masturbatoire central. Cette expérience de breakdown confronte l'adolescent à un sentiment de folie et détruit l'épreuve de réalité : sentiment d'étrangeté, rupture du sentiment de continuité de soi (Zilkha et Ladame in Grive et Tassel, 2010).
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Sur le plan thérapeutique, M. et E. Laufer exigent que le psychanalyste se positionne sans ambiguïté en termes de normal ou pathologique, l'analyste n'ayant pas à rester « neutre » dans le cas où il existe un processus pathologique avéré. En effet, la proposition d'une cure apparaît comme une urgence thérapeutique pour maintenir le choix développemental ouvert. Lorsque la cassure a eu lieu, il s'agira alors (chez le jeune adulte) d'en défaire les conséquences. M. Laufer précise les éléments diagnostics à explorer au cours du suivi : « la libido est-elle encore objectale ? Le rapport à son corps génitalisé témoigne-t-il encore d'une position active ou d'un renoncement ? Les pensées et le comportement témoignent-ils d'un détachement ou d'une mise en scène et en acte du fantasme masturbatoire central ? » (Laufer, 1976 in Perret-Catipovic et Ladame, 1997 ; Zilkha et Ladame, 2010). Parallèlement aux travaux de l'école psychanalytique d'A. Freud, Mélanie Klein avait attiré l'attention de John Bowlby (1907–1990, psychiatre et psychanalyste britannique) sur les pertes précoces. Ce dernier montre le lien entre ces pertes et séparations précoces, l'indifférence et la délinquance à l'adolescence : « Les interruptions prolongées [du lien affectif mère-enfant] pendant les trois premières années de la vie laissent des traces caractéristiques sur la personnalité de l'enfant. Cliniquement, ces enfants se montrent affectivement renfermés et solitaires. Ils ne parviennent pas à nouer des liens libidinaux avec d'autres enfants ou avec des adultes, et n'ont, par conséquent pas d'amis dignes de ce nom. Il leur arrive parfois de se montrer sociables superficiellement ; mais une étude approfondie de leur attitude nous contraint de leur refuser tout sentiment réel, toute profondeur dans leurs attachements. C'est là que réside, il me semble, l'explication de leur dureté. Parents et professeurs déplorent l'inefficacité de toutes les mesures verbales ou autres. Si on frappe l'enfant, il commence par pleurer un peu ; mais il ne présente aucune réaction à cet état de disgrâce, comme on s'y attendrait chez un enfant ordinaire. Il semble que le fait d'être en faveur ou non auprès des adultes ne présente aucun intérêt pour ces âmes perdues. Puisqu'ils sont incapables de contacts affectifs sincères, la nature d'un lien affectif à un moment donné ne présente pour eux aucun intérêt ». (Bowlby, 1951 cité par Caïtucoli, 2005). Donald W. Winnicott (1896–1971, pédiatre et psychanalyste britannique, cf. ouvrage Psychopathologie de l'enfance), membre du Middle group, sans pour autant proposer de théorisation de l'adolescence, poursuit cette réflexion sur les problématiques de l'agressivité et de la perte propres à cette période. Pour lui, un des enjeux de l'adolescence serait la construction d'un Moi « avisé », capable d'arrangement plus ou moins sophistiqué avec sa destructivité. Il insiste sur l'importance de « la capacité dépressive dans le développement normal » (Winnicott, 1954) forme de sollicitude envers soi-même ou envers l'autre qui donne accès à une capacité de restauration face à la perte et à la culpabilité. « Chez l'enfant normal, le sentiment de culpabilité découle d'une source personnelle, il n'est nul besoin de lui enseigner le sentiment de culpabilité ou de sollicitude » (Winnicott,
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1954). Pour lui, les comportements de vols, de mensonge, de destruction, découlent d'une « déprivation », ou « béance [qui] s'est produite dans la continuité de la vie de l'enfant, du point de vue de l'enfant lui-même ». L'enfant déprivé se sent dépossédé de quelque chose et le manifeste par un appel au secours, autrement dit une tendance antisociale, dont le comportement d'appropriation par le vol est le plus typique avec le mensonge qui y est associé. Pour lui, l'enfant tente de se réapproprier ce dont il a été privé. Cela relève d'une tentative d'autoguérison. « Cliniquement, nous voyons des enfants dénués de sentiment de culpabilité, mais il n'y en a pas qui soient incapables de trouver un sentiment personnel de culpabilité si l'occasion leur en est donnée avant qu'il ne soit trop tard pour atteindre la position dépressive » (Winnicott, 1954). L'enfant essaie inconsciemment de relier ses pulsions agressives (ou motrices) et libidinales. Au plan thérapeutique, Winnicott plaide pour un traitement institutionnel de ces sujets. Le traitement initial n'est pas la psychanalyse, c'est plutôt la confrontation à un cadre qui protège, sécurisant, suffisamment bon pour fournir à l'enfant la possibilité de redécouvrir des soins infantiles et, avec le temps, trouver une personne à aimer, au lieu où poursuivre sa quête en jetant son dévolu sur des substituts de l'objet « dont la valeur symbolique est perdue ». Car pour Winnicott, dans cette institution, « les véritables thérapeutes étaient les murs et le toit, la serre dont les vitres servaient de cible aux briques… Les véritables thérapeutes, c'était aussi le cuisinier, la régularité des repas, les couvertures assez chaudes… ainsi que les efforts de David pour maintenir l'ordre en dépit du manque de personnel et d'un sentiment général d'inutilité ; l'idée même de réussite était étrangère à ce type d'établissement et ne correspondait pas à sa fonction… ». La psychanalyse n'interviendrait que dans un deuxième temps pour refaire l'unité du Moi (Winnicott, 1954, 1956, et 1970 cité par Caïtucoli, 2005). Dans la France d'après guerre, à la suite de Debesse, l'adolescence est décrite comme une crise structurante. Apparaissent d'abord les centres psychopédagogiques pour enfant d'âge scolaire – dont le centre Claude-Bernard (1946), modèle des futurs CMP et CMPP – à partir desquels vont émerger les premières consultations pour adolescent. Pierre Mâle (1900–1976) psychiatre, psychanalyste, ancien chef de clinique du Pr G. Heuyer, inspiré de la psychologie de Piaget et Wallon et par les apports de la psychanalyse – il participe en 1950 au congrès organisé par Henri Hey et le « groupe de l'évolution psychiatrique » où interviennent M. Klein et A. Freud – fonde en 1948 le service de guidance infantile à l'hôpital Henri-Rousselle, premier lieu d'accueil réservé aux adolescents. Il dirige des équipes pluridisciplinaires médico-psycho-sociales, collabore avec notamment René Zazzo et Pierra Aulagnier, et participe ainsi à la création de nouveaux outils conceptuels à partir de sa rencontre avec la psychopathologie de l'adolescent qui feront de lui le pionnier de l'école française de clinique et de psychothérapie de l'adolescent.
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C'est à partir de la psychopathologie, « aspect morbide de l'efflorescence juvénile » qu'il conçoit l'adolescence comme une « crise qui organise la personnalité dans son ensemble », qui « fait émerger le sujet, à travers des difficultés variables, du monde protégé de l'enfance ». Il insiste sur la double dimension interne et externe de cette « crise juvénile » ; qui rejoint les dimensions historique et groupale du point de vue développemental de Blos et Laufer. Intérieurement, les aspects de cette crise renvoient selon lui d'abord aux conflits infantiles ; ils « ne trouvent leur interprétation que dans la longue histoire préliminaire du développement instinctuel depuis la naissance ». Extérieurement, il souligne le rôle central des enjeux sociaux : « l'adolescent émerge du monde familial clos […] pour entrer dans un monde social plus ouvert auquel il faudra s'adapter ». Il insiste : « le développement de l'individu se conditionne par le groupe, la rencontre des autres, par l'adaptation de la société. Le thérapeute ne peut nier l'importance du milieu, de la société et en particulier de la famille "reflet de l'état social actuel" ». La crise transforme aussi le groupe familial. En outre, reprenant les développements de M. Debesse, il conçoit avant tout cette crise juvénile comme un moment fécond, comme une « phase d'assomption, d'extension de la personnalité, d'adaptation, à travers des comportements originaux ». « L'adolescence est une seconde naissance, où ce qui était enfoui va venir affleurer, à portée de son action, véritable moment fécond où pourra s'exercer la possibilité d'un rattrapage des ratés du premier développement ». Mais il alerte aussi, car il craint les évolutions pathologiques de cette crise dont les risques sont certes immédiats (délinquance, échecs scolaires, replis, morosité), mais surtout à long terme : « derrière la crise juvénile, se profilent les aspects névrotiques et psychotiques redoutables pour l'avenir, qu'il faut savoir reconnaître ». (Mâle, 1964 ; Mâle, 1982 ; encadré 4.2). Pour protéger des évolutions dramatiques, il développe une psychothérapie individuelle d'inspiration psychanalytique pour les adolescents. Dans le contexte actuel, où il est parfois reproché aux services psychiatriques d'avoir eu recours à des approches trop exclusivement psychanalytiques, il paraît intéressant de souligner ici le cadre d'emblée très intégratif posé par Mâle. Dans ces thérapies « domine l'analyse, qui permet l'accès au monde de la psychologie profonde », mais s'intègre aussi des attitudes issues d'autres influences « suggestion, direction, rééducation, séparation d'avec le milieu, etc. ». Mâle recommande d'y associer les traitements médicamenteux, parfois nécessaires, et les « modes d'éducation et de rééducation […] des troubles du langage, des troubles de l'équilibre temporospatial, c'est-à-dire des dyslexies ou dysorthographies, rééducations motrices, pédagogiques spécialisées non seulement dans le sens du rattrapage mais aussi dans celui de l'adaptation au réel d'un psychisme perturbé ». L'intervention psychothérapeutique lorsqu'elle se justifie devra tenir compte des facteurs liés à la vie affective, instinctuelle, à la longue histoire des relations vécues vis-à-vis du milieu, mais aussi de l'existence de « facteurs innés, indiscutables, d'équipements liée à l'hérédité ».
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Encadré 4.2
Normal et pathologique chez Pierre Mâle (1964) Pour Mâle, l'adolescent entre avec la puberté dans la « crise pubertaire » puis traverse la « crise juvénile » qui lui fait suite dans la post-puberté. À partir de son expérience clinique, il tente de mieux cerner les indications et les modalités de la psychothérapie : « crise et troubles névrotiques ne sont pas synonymes et exigent une discrimination du point de vue thérapeutique ». La crise pubertaire se caractérise par deux aspects : ■ Le développement d'un « nouveau schème corporel », nécessitant un travail d'identification de soi et de son corps propre. Doute sur le corps, crainte d'être observé, station devant le miroir en sont des manifestations fréquentes. Or, l'acceptation du réel et la constitution d'un Moi solide reposent sur cette reconnaissance de soi-même, lentement construite « à travers la relation maternelle initiale et les relations objectales ultérieures ». ■ L'entrée dans la vie génitale, « la masturbation, les premières pollutions, l'évolution dans la sexualité adulte sont souvent difficiles à assumer et profondément culpabilisées », elle appelle des attitudes défensives à type d'inhibition, d'ascétisme, d'intellectualisation. La crise juvénile peut s'étaler jusqu'à 25 ans et plus. Essentiellement féconde, elle se caractérise par : « l'opposition bruyante au milieu familial, l'extension des intérêts, l'émancipation de la pensée, le goût de l'abstraction et de la rationalisation, […] l'isolement, l'exaltation de la vie amoureuse, des originalités ou bizarreries ». Trois niveaux de problématiques peuvent émerger à l'occasion de ces crises : ■ Les crises pubertaires ou juvéniles simples rencontrent le soin de part des angoisses, des échecs répétés, des comportements masochiques ou agressifs, etc. Ici, le thérapeute reste un interlocuteur réel et solide dans l'esprit de l'adolescent. L'acceptation de l'image de soi est assez facile, les réactions de l'adolescent sont liées à des motivations vivantes et chargées d'angoisse. Si les attitudes d'échec sont observables, elles sont réversibles et l'intelligence reste disponible. Les attitudes de réassurance et de déculpabilisation sont efficaces. La qualité des relations objectales avec les figures œdipiennes, voire les traumatismes subis (notamment agressions sexuelles extrafamiliales) influencent ces blocages. ■ Les dysharmonies de l'évolution pubertaire traduisent les tensions liées à un assynchronisme entre les tendances infantiles (corps, défenses) et adultes (corps génitalisé, pulsionnalité). Ces tensions, qui concernent surtout les pubertés précoces ou retardées, mettent aussi en jeu l'histoire du sujet et de sa famille. La sexualité bloquée se manifestera par des « pulsions latérales », c'est-à-dire des activités agressives : attitude caractérielle, fugue, actes délinquants, etc. La sphère cognitive peut aussi être envahie, entraînant notamment des refus scolaires. La relation thérapeutique, prenant en compte l'immaturité de la pensée adolescente (traces d'animisme, d'artificialisme, de pensées magiques), peut permettre d'accompagner cette maturation nécessaire à l'harmonisation. Il s'agit d'opérer une réassurance
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corporelle, une déculpabilisation, d'accompagner une autonomisation de la famille pour lutter contre les pulsions latérales (puberté précoce) ou soutenir l'image de soi (pubertés tardives). ■ Les formes sévères de crises révèlent des troubles névrotiques ou psychotiques sous-jacents. Ici, le praticien semble flottant, incertain, décevant aux yeux de l'adolescent. L'acceptation de l'image de soi est difficile. Les réactions de l'adolescent font écho à des attitudes anciennes, prenant la forme de véritable automatisme. Trois tableaux caractéristiques sont décrits : – la névrose d'inhibition, avec des inhibitions multiples (intellectuelle, relationnelle, d'expression) et souvent des traits phobo-obsessionnels et notamment une crainte de la personne du sexe opposé) ; – la névrose d'échec avec des conduites qui se retournent contre l'individu : échec scolaire et sentimental, acting, expression brutale d'interdits surgissant de l'inconscient ; refus du succès que semble souhaiter le conscient. La pensée devient perturbée, labile, investie par des conflits névrotiques ; – la morosité, état proche de l'ennui infantile : « je ne sais pas quoi faire, à quoi m'intéresser, à quoi jouer, etc. ». Sans caractère ni dépressif ni psychotique, il manifeste plutôt un glissement, un refus d'investir le monde, les objets, les êtres : « rien ne sert à rien ». Des passages à l'acte (fugue ou délinquance, drogue, suicide) s'y associent comme pour sortir de l'ennui. Le sujet paraissant incapable de « supporter le recommencement de la vie quotidienne […] et de considérer comme valable autre chose que ce qu'il y a de concret dans la réalité, c'està-dire l'expression instinctive immédiate, sans considération pour les objets ». Le besoin insatiable de changement, de nouveautés, de prise de distance vis-à-vis de l'enclos familial, caractéristiques de ce cadre, favorise ici le passage à l'acte. L'expression pulsionnelle par les réalisations érotiques ou par les fantasmes, ne peut être ni vécue directement, ni sublimée. Si la vie se déroule, elle est vécue sans discrimination, en expériences successives, n'attachant d'importance ni à l'objet, ni à la fonction. Au cours de cette crise morose, l'adolescent ne se représente pas le temps. Selon P. Mâle, tout ceci est compatible avec un très bon niveau intellectuel, avec une bonne verbalisation, ce qui constitue un écran trompeur pour le clinicien qui n'approfondit pas ces problèmes. À ces troubles viennent s'ajouter les autres formes de névroses, de dépressions réactionnelles/névrotiques/cyclothymiques, les borderline, les préschizophrénies (formes mineures et insidieuses de schizophrénies parfois curables par l'association des neuroleptiques à la psychothérapie), et les formes de déstructurations schizophréniques graves et rapides. Dans ces cas, la psychothérapie se doit d'être « très prudente » car l'angoisse de castration masque souvent les angoisses archaïques. L'appui sur des dérivations extérieures comme la pédagogie ou la rééducation cherche avant tout à « renforcer le moi ».
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En outre, il plaide pour repenser « la cure-type analytique qui n'est applicable que dans de rares cas à cet âge ». Le levier essentiel reste tout de même le transfert et il dégage les attitudes susceptibles d'apporter une « expérience émotionnelle correctrice ». Il insiste sur la « magie relationnelle » qui émerge de la rencontre avec l'adolescent, pour qui « les premiers contacts sont souvent décisifs, et la relation intuitive avec l'inconscient du sujet, dès la première heure, contient fréquemment la réussite même du traitement » (Mâle cité par Colbeaux, 2009). Le thérapeute doit « se désinvestir d'une attitude parentale », « sans pour autant renier sa position d'adulte, dialoguer à la manière de Socrate et non rester silencieux, échanger sur tous les sujets même banals s'il le faut, être "séducteur" ou "complice" avec des guillemets, c'est-à-dire sans aucune complaisance, adapter son attitude à chaque cas, parler le premier de la sexualité en banalisant des problèmes qui sont pour l'adolescent autant de montagnes ». Il faut « garder notre personnage présent », « l'adolescent avide d'identification a besoin de sentir la puissance du médecin », position qu'il nomme « séduction ». La « conversation » porte d'abord sur l'actualité et le quotidien, les expériences intérieures se déployant sur la scène actuelle. Il conseille aussi de soutenir l'adolescent par une ambiance positive, « des gratifications verbales importantes, directes, discrètes, [l'] utilisation continue des aspects positifs du transfert, rejets fréquents des aspects négatifs et de l'agressivité susceptible d'amener à la rupture de la relation », mais aussi le guider pour penser « cela me fait penser… » et n'interpréter qu'avec prudence et souplesse. Le psychothérapeute doit toujours laisser disponibles plusieurs possibilités identificatoires afin de s'appuyer sur la force nouvelle que représente l'autonomie croissante portée par la crise pour dégager le sujet de ses positions régressives et infantiles. Ces attitudes thérapeutiques vont permettre aux formes sévères de la crise de voir leur potentiel destructeur s'atténuer, évitant ainsi à l'adolescent de basculer dans les tableaux psychopathologiques fixés, tels qu'une dépression, un déséquilibre, ou une psychose débutante. Évidemment, accompagner l'attitude familiale à l'égard des différentes formes de crise influence pour une part non négligeable son déroulement (Mâle, 1964 ; voir aussi Colbeaux, 2009 ; Grive et Tassel, 2010). Sa contemporaine, Evelyne Kestemberg (1918–1989, psychanalyste) souligne dès 1958 l'urgence pour la psychanalyse de penser « Sur l'adolescent » (Kestemberg, 1958). À partir de son expérience de soignante, elle décrit l'adolescence comme un « organisateur », et dégage « une certaine unité spécifique s'exprimant diversement dans les variantes des conduites et des symptômes ». Elle rejoint Mâle et affirme « l'aspect non pathologique de la crise de l'adolescence, en rappelant un truisme : l'adolescence est un moment de réorganisation psychique qui est induit à plus ou moins long terme – bien sûr – par tout ce qui l'a préparée, c'est-à-dire par toute la sexualité infantile ». Elle croit aussi à la corporéité de la pensée : « Le corps est le point d'ancrage obligé du travail psychique » et considère la puberté comme le moteur du
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processus : « l'adolescence se caractérise par le réajustement de la structure antérieure du Moi à une modification corporelle. […] Il doit également être capable de s'invertir narcissiquement de façon satisfaisante en fonction de cette nouvelle image » et des modifications relationnelles que cela implique. « L'acquisition d'un appareil génital adulte induit chez l'adolescent la reviviscence des conflits fantasmatiques – qu'ils soient œdipiens ou archaïques – que la période de latence avait relativement éteints ». Elle insiste particulièrement sur un point : ce bouleversement corporel brise l'équilibre précédemment acquis entre libido narcissique et objectale. Autrement dit, « l'identité et l'identification chez l'adolescent » (article publié en 1962) sont profondément liées et se voient simultanément ébranlées par l'accession à la génitalité. La puberté modifie le rapport à soi-même (corps-objet) autant que le rapport aux autres (corps-sujet vecteur des relations aux autres). « Il semble se produire, au cours de l'adolescence, une sorte de fusion entre la libido objectale et la libido narcissique, tout conflit concernant la première retentissant en profondeur sur la seconde ». L'angoisse de castration s'infiltre d'une angoisse archaïque de morcellement. En cherchant la distanciation des imagos parentales, l'adolescent est tenté de s'investir lui-même narcissiquement, mais il est rapidement confronté au manque de cohésion de sa propre personne. Il ressent souvent un intense sentiment de solitude, doublé de la conviction de ne pas pouvoir être aimé. « En fin de compte l'adolescent qui ne veut ni ne peut s'identifier aux autres, c'est-à-dire aux imagos parentales, ne peut plus s'identifier en quelque sorte à lui-même, car il ne sait plus qui il est », ni ce qu'il vaut : les adolescents sont à la recherche « d'un Idéal du Moi, d'une image satisfaisante d'eux-mêmes qui soit de nature à leur apporter une réassurance narcissique, mais l'écart entre ce qu'ils sont et ce qu'ils veulent entraîne à nouveau une angoisse intense quant à la cohésion interne » et l'estime de soi. L'adolescent devra dépasser ce conflit narcissico-objectal pour « se conquérir soi-même, certes au travers d'un objet, mais d'un objet en fait mal individualisé en son altérité, nécessaire surtout en sa fonction de "tremplin" narcissique, éloigné qu'il apparaît des figures œdipiennes que pourtant il retrace à l'insu du sujet. ». « Que va-t-il faire de cette "inquiétante étrangeté" ? ». Pour Kestemberg, « tout travail psychique […] se trouve d'une certaine manière assimilable à un travail de deuil », perpétuel recommencement : trouver l'objet, le conquérir, puis s'en détacher en un même mouvement. Ainsi l'adolescence normale est un « temps de la conflictualité, apprivoisé, intégré, qui permet de passer de la déception à la conquête », en passant par deux étapes : • La première est généralement celle de la déception, pouvant même aller jusqu'à la désillusion vis-à-vis de ce qu'imaginairement et inconsciemment l'adolescent attendait. À l'inverse, il peut vivre cette étape comme profondément éblouissante, ce qui l'entraîne au-delà de ses possibilités. • La seconde étape est celle du passage de la déception à la conquête : conquête de soi, au travers d'un objet, base des assises narcissiques des
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adultes de demain. Ce passage se réalise quand l'adolescent n'a plus besoin de tout, tout de suite, lorsqu'il peut vivre un projet comme une potentialité future, et non comme une réalisation immédiate, quand il a retrouvé le temps d'attendre et par conséquent de fantasmer. Le thérapeute se doit d'être particulièrement attentif car « la question "être ou n'être pas" – qui est celle de l'adolescence –, c'est-à-dire "être qui", […] peut être vécue comme une déception tout à fait fondamentale », source de dépression ou de décompensations plus traumatiques encore pour le sujet en construction (encadré 4.3).
Encadré 4.3
Pathologie et attitude thérapeutique chez E. Kestemberg Pour Kerstemberg, le travail de deuil et l'ébranlement des équilibres narcissiques et objectaux précipités par les bouleversements de la puberté, peuvent être source de dépression, mais encore de trois autres expressions plus traumatiques encore pour le sujet en construction : ■ La psychose froide : ici, il y a absence apparente de crise et absence de réorganisation : « l'altération pubertaire entraîne un déni presque instantané, un effacement du changement […] sorte d'hyperlatence prolongée, un rejet du corps plus ou moins affiché […]. Le modèle de l'anorexie mentale en est une forme extrême, certaines sont plus discrètes, [d'autres prennent la] forme de psychose de l'adulte sans production délirante que nous avons appelées les “psychoses froides” ». Cela rejoint la « morosité » de Mâle. ■ La dépression à vif : « l'altération pubertaire est au contraire hautement proclamée et un pragmatisme sexuel sans frein ni choix vise en fait – tout autant (bien que différemment) que pour les sujets précédemment décrits – à éteindre immédiatement la nouveauté et la surprise en d'autres termes à court-circuiter les conflits. Ce sont ces adolescents que j'ai décrits ailleurs comme présentant une dépression à vif accompagnée d'une inhibition à l'activité intellectuelle ou créatrice, se jetant dans l'activisme sexuel ». Ici la lutte contre la réorganisation pubertaire passe par le passage à l'acte. Ces deux dernières descriptions rejoignent les deux aspects passif et actif de la morosité de Mâle. ■ La rupture est consommée dans l'instauration de la schizophrénie de l'adulte au moment de l'adolescence, « le sujet, au travers de l'altération pubertaire trouve sa propre altérité », il devient étranger à lui-même, « se disloque ». Sa technique thérapeutique répond à sa compréhension du « sentiment d'inadéquation » ; l'ensemble des symptômes renvoie à une déviation pathologique d'une même unité : la corrélation intime et profonde entre l'identité – les fondements identitaires primaires – et les identifications – l'actualité des liens entre l'adolescent et son entourage. La sensibilité à la relation théra-
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peutique est intimement liée à cet âge au rapport étroit entre estime de soi et relations. Il faudra beaucoup de souplesse pour accueillir la personne et les mouvements identificatoires acceptés ou refusés par elle. Il convient aussi de « s'écarter des injonctions parentales » et « valoriser l'entretien thérapeutique comme étant le propre d'une décision traduisant la maturité du sujet » car « toute consultation implique une blessure narcissique ». En dehors des traitements rapides, il faut « trouver une technique capable rendre l'adolescent en possession des pulsions libidinales qu'il refoule sans pour autant endommager l'investissement narcissique qui est le sien, il faut rendre possible l'instauration d'une relation transférentielle qui est ce précisément contre quoi l'adolescent s'insurge ». Finalement, pour contourner ces difficultés, Kerstemberg développe le psychodrame (voir plus bas, « Thérapeutique »).
Troisième période, les contemporains Socialement, la crise récurrente fait suite à l'optimisme des Trente Glorieuses. L'adolescence a gagné son indépendance en tant que période développementale. La prévalence et l'impact durable de la souffrance à cet âge sont reconnus, de même que l'intérêt des interventions thérapeutiques précoces. Dans ce contexte, la troisième génération des psychiatres-psychanalystes construit une réponse de plus en plus spécialisée pour répondre à des manifestations pathologiques adolescentes qui continuent d'interpeller tant par leur ampleur que par leur évolution permanente. Leurs écrits se multiplient pour poursuivre l'exploration des questions qui leur sont léguées. Ils affirment le caractère essentiel des bouleversements pubertaires pour la construction du sujet, ils explorent les manifestations pathologiques dans leurs spécificités (inhibitions et phobies scolaires, tentatives de suicide et passages à l'acte, dépressions, abus et dépendances aux toxiques et comportementales, pathologies limites et psychotiques) et continuent de faire progresser les cadres thérapeutiques. Ainsi, à la fin des années 1970, le corpus psychodynamique concernant l'adolescence déborde de celui de l'enfance. La Société américaine de psychiatrie de l'adolescent (ASAP) voit le jour en 1976. En France, ce n'est pas un hasard si le manuel Adolescence et Psychopathologie s'extrait de celui de l'enfance à l'initiative de Marcelli et Braconnier la même année que voit le jour la revue Adolescence autour de Gutton et Ladame. Ces derniers participeront aussi à la création en 1993 de l'Association européenne de psychanalyse de l'adolescent (EAAP) avec, entre autres, Cahn, Lebovici et Laufer. Nous ne développerons pas ici les apports de chaque auteur qui seront abordés plus loin (« Approche conceptuelle ») et dans les chapitres spécifiques concernant chaque regroupement syndromique (Partie II) et la thérapeutique (Partie IV).
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Approche conceptuelle : les principaux aspects de la dynamique pubertaire La métapsychologie de l'adolescence s'est construite progressivement. Il a d'abord fallu identifier cette période de développement ; puis l'isoler en même temps que s'ouvraient les premiers espaces de consultations dédiés aux adolescents, enfin enrichir sa compréhension en même temps que les soins spécialisés se diffusaient et s'adaptaient à une psychopathologie en constante évolution. Finalement, les notions accumulées peuvent être regroupées autour de cinq thématiques : • le corps occupe une place centrale pour l'ensemble des auteurs ; • les problématiques de deuil et de répétition de l'infantile sont développées par les premiers découvreurs de l'adolescence ; • les questions de l'émancipation, de l'attachement et de la séparation sont ensuite développés par ceux qui isolent l'adolescence comme une période de construction à part entière ; • celles du narcissisme, de la construction identitaire et de la subjectivation viennent confirmer l'adolescence comme la période d'émergence du sujet ; • enfin, les thèmes de la famille et du groupe appartiennent aussi à cette métapsychologie. Les regroupements proposés ici ne sont pas exclusifs, ils apportent tous un éclairage heuristique sur la traversée de l'adolescence ou éclairent plus particulièrement certaines trajectoires pathologiques. Comme nous l'avons vu, ce mouvement psychanalytique garde toujours une visée pragmatique : proposer des modalités thérapeutiques adaptées à l'adolescence, mais ce point sera abordé dans la 4e partie de l'ouvrage (Partie IV).
La problématique du corps : intégration psychique des changements corporels Pour l'ensemble des auteurs, les bouleversements physiologiques de la puberté sont à la source du processus psychologique de l'adolescence. Les modifications corporelles surviennent dans un temps et un rythme qui surprennent toujours les attentes de l'adolescent. Pour autant, celui-ci doit les intégrer pour se construire.
La puberté et l'accession à la sexualité génitale Des changements adviennent : développement des organes génitaux, de la pilosité, des seins, premières règles, érections avec éjaculation, possibilité d'avoir des rapports sexuels et de procréer. Dès 1905, S. Freud propose : « l'avènement de la puberté inaugure les transformations qui doivent mener la vie sexuelle infantile à sa forme normale définitive ». Pour lui, la jouissance sexuelle liée à l'émission des produits génitaux permet d'accéder au « plaisir terminal », opposée en cela
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aux plaisirs préliminaires liés aux zones érogènes partielles (orale, anale, urétrale). Ces dernières vont se subordonner au « primat » de la zone génitale (organe sexuel) qui vient donc concrétiser et finaliser le développement préalable. La pulsion « devient altruiste », c'est-à-dire qu'en se mettant au service de la fonction de reproduction, elle découvre l'objet sexuel chez autrui. Après lui, Jones, Klein, Winnicott, entre autres, verront également dans ces modifications physiologiques la source de perturbations dans l'équilibre psychique de l'adolescent. Précisons que ces bouleversements s'exercent tant sur la réalité concrète du corps propre qu'aux niveaux imaginaire et symbolique sur le corps social et le groupe social. Le mouvement pubertaire s'initie ainsi à la fois par la puberté réelle de l'adolescent, par son dévoilement social, et par l'entrée de la majorité de ses pairs dans la puberté. L'avènement des capacités reproductive et orgasmique, l'excitation sexuelle, entraîne une explosion libidinale, une éruption pulsionnelle génitale et un mouvement de régression vers les pulsions prégénitales. Ferenczi parle de « traumatisme pubertaire » pour évoquer la brusque entrée de la passion adulte dans la tendresse de l'enfance (Ferenczi, 1932). D'un point de vue économique, l'apparition brusque d'énergie libre (énergie non liée) conduit l'individu de façon incoercible à la recherche d'une décharge tensionnelle. L'affrontement entre la vie fantasmatique et les transformations pubertaires bouleverse aussi la dynamique conflictuelle (voir plus bas).
L'image du corps et le schéma corporel Le corps se transforme à un rythme variable et de manière globale. En profondeur, les repères corporels changent ; la « silhouette » elle aussi évolue aux yeux de l'adolescent lui-même, mais aussi pour ceux qui l'entourent. Le schéma corporel Pour Schilder, la subjectivité repose sur une existence corporelle. Autrement dit, le corps offre un repère à partir duquel s'organise l'espace et se vivent les relations. Or, « L'adolescent est un peu comme un aveugle qui se meut dans un milieu dont les dimensions ont changé » (Haim, 1970). L'adolescent est confronté à la transformation de cet instrument de mesure et de référence, ces gestes sont maladroits, la perception de soi et du monde sont perturbées (Laufer). L'identification de ce « nouveau schème corporel » (Mâle) et l'ajustement du Moi à cette modification (Kestemberg) sont essentiels pour appréhender le réel et soutenir une pensée sensible. Ceci remet aussi en jeu les schèmes précocement construits dans le développement et les interactions précoces (Kristensen, 2014 ; Merleau-Ponty, 1945 ; Schilder, 1968). L'image du corps Les changements interviennent aussi sur la représentation explicite que l'adolescent ou les autres se font de son corps.
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Les retentissements sont multiples pour le sujet qui fait partie du monde (place de l'image corporelle), en même temps qu'il est la source de son monde (place du schéma corporel) : • Corps, repli narcissique et insatisfaction corporelle : quel adolescent n'a passé de longs moments devant sa glace ? Quel adolescent n'a manifesté à un moment ou à un autre un intérêt exagéré à l'égard de sa silhouette ou d'une partie de son corps ou paradoxalement un désintérêt apparent total ? Faisant partie d'un ensemble plus général d'hyperinvestissement ou de désinvestissement de soi, l'intérêt ou la négligence de ce corps traduit la mise en jeu de la lignée narcissique à cet âge. Par ailleurs, le discours porté sur l'image de soi traduit aussi l'estime de soi. Les éléments les plus fréquents d'insatisfaction corporelle sont ceux liées au poids chez la fille ou au manque de caractère athlétique chez le garçon. • Le corps et le sentiment d'identité. Ce centrage sur ce phénomène psychique de la puberté rend compte du doute par lequel tout adolescent est habité : celui du lien entre le « je » et son corps. « Le sentiment de bizarrerie ou d'étrangeté qu'ont beaucoup de sujets à cet âge à propos de leur corps est du même type, en dehors de tout facteur psychotique, que le sentiment de ne pas s'identifier de manière sûre » (Mâle, 1982). Mais cette « inquiétante étrangeté » (Kestemberg), ce dépaysement vis-à-vis de soi-même peut être tel qu'il rend vulnérable à un sentiment de dépersonnalisation fréquemment associé à l'angoisse à cet âge, avec son risque de décompensation dissociative, ou à l'inverse d'attitudes de lutte pour effacer les changements corporels. • Le corps comme représentant symbolique et moyen d'expression. Le dévoilement du corps sexué à l'entourage modifie son regard et ses attentes sur l'enfant. La pression sociale peut être forte, d'autant que le corps de l'adolescent représente l'accomplissement du narcissisme parental. En outre, par la façon dont il est utilisé, mis en valeur ou méconnu, aimé ou détesté, source de rivalité ou de sentiment d'infériorité, habillé ou parfois déguisé, le corps représente aussi pour l'adolescent un moyen d'expression symbolique de ses conflits et des modes relationnels. Par exemple, chez la fille, les cheveux longs ou les cheveux courts peuvent être le reflet d'une mode, mais aussi l'expression symbolique de l'identité sexuelle. Autres exemples, les gestes autoagressifs doivent être lus dans leur dimension symbolique (attaque de la pensée par l'ingestion médicamenteuse, recherche du sentiment d'exister par la vision du sang qui coule dans la scarification, etc.) • Le corps moyen d'essai. La mise en action du corps permet de sortir de la passivité, d'expérimenter, de substituer l'acte et la sensation à la pensée et aux sentiments (voir plus bas). Nous dirons simplement ici que la problématique activité/passivité constitue un des axes conflictuels essentiels à cet âge. Elle traduit un mode d'aménagement et de réponse face à cette excitation (chap. 20, Le problème de l'agir et du passage à l'acte). En pathologie, nous en verrons l'intérêt dans plusieurs regroupements cliniques comme
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l'anorexie mentale (chap. 12) ou la toxicomanie (chap. 23). Ces points seront abordés dans la partie 2 dans les chapitres abordant la psychopathologie des conduites centrées sur le corps.
Répétition et deuil de l'infantile Les premiers psychanalystes d'adultes et d'enfant, découvreurs de la sexualité infantile décrivent d'abord l'adolescence comme l'achèvement de l'infantile. La perspective dominante est évolutionniste dans laquelle le développe ment s'entend comme un perpétuel recommencement. L'adolescence ne crée rien de fondamentalement nouveau ; elle met à l'épreuve et révèle les faiblesses de l'infantile.
Pulsion sexuelle et répétition des conflits archaïques et œdipiens Le corps pubère impose une sortie de la quiétude infantile. La puberté est une période de poussée libidinale ; les exigences pulsionnelles y sont particulièrement renforcées. Les désirs demeurés refoulés voire clivés au sein du Moi réémergent. En premier lieu, l'adolescent est confronté aux fantasmes œdipiens incestueux et parricidaires qui deviennent accessibles à son corps adultomorphe. Ils imposent une distance vis-à-vis des parents mais les choix objectaux ne permettent pas encore pour l'heure des déplace ments suffisants pour échapper aux conflits. Ce point de vue freudien classique est celui que développe Laufer avec sa notion de « fantasme masturbatoire central » dans lequel la poussée pulsionnelle et la nécessaire modification de la relation aux objets œdipiens occupent une place centrale. De même, dans le contexte du début du xxe siècle, Édith Jacobson a longuement développé le rôle de ces modifications dans la réactivation de l'angoisse de castration, aussi bien chez les garçons que les premières éjaculations conduisent habituellement à se masturber, que chez les filles dont on a pu considérer que les premières règles renforçaient leur croyance infantile de castration. Ces transformations et cette accession à la sexualité génitale peuvent être à l'origine de rapports sexuels « expérimentaux » ou de repli défensif vers une homosexualité latente ou même transitoirement patente (chap. 14 : la question sexuelle à l'adolescence). Sur ces points, Gutton décrit un processus moins asymétrique entre filles et garçon : l'adolescence viendrait contredire le point de vue œdipien infantile avec une notion nouvelle de « complémentarité des sexes », qui dépasse l'opposition phallique/castré. Cette représentation impose un travail sur l'altérité identique quels que soient le sexe et le choix du partenaire. Aujourd'hui, les changements sociétaux comme l'impératif de jouissance devraient amener à requestionner les significations associées à l'avènement de la puberté et en lien avec les nouvelles expressions symptomatiques dominantes (par ex. augmentation de la prévalence des conduites à risque comparativement aux tableaux plus classiques d'inhibition de la pulsionnalité).
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Mais pour Kestamberg, l'angoisse de castration s'infiltre toujours d'angoisses plus archaïques. Le conflit intérieur de l'adolescent n'est pas une simple réplique du conflit œdipien ; secondairement s'y associent des conflits plus « archaïques » comme un conflit entre le Moi idéal réactualisé et le Moi déstabilisé (Terrier et Terrier, 1980). L'insécurité et l'ambivalence des liens réémergent, rappelant aussi les conflits de la phase dépressive. Pour Rousseau and Israël (1968), la qualité de l'angoisse est liée à la dimension mégalomaniaque du désir.
Défense du Moi face aux conflits Cette explosion libidinale avec ses aspects économiques et dynamiques déborde le pouvoir de maîtrise du Moi acquise pendant la période de latence. Son rôle de pare-excitation s'en trouve fragilisé. Mais comme le souligne A. Freud, « tout renforcement des exigences pulsionnelles accroît la résistance du Moi à la pulsion… ». Pour cet auteur, le pronostic de l'aboutissement de la puberté ne repose pas tant sur la puissance des pulsions, que sur la tolérance ou l'intolérance du Moi à l'égard de ces pulsions. De même ce n'est pas tant les modifications du « Ça » humain, mais plutôt les relations différentes qu'établit le Moi avec le Ça qui déterminent les différences observées dans les représentations d'objet. Ainsi, l'étude des moyens de défenses déployées par le Moi renseigne sur le processus à l'œuvre. Certaines défenses n'offrent pas de particularités notables (refoulement, déplacement, isolation) mais les autres paraissent plus spécifiques ou particulièrement fréquentes à cet âge. Seules ces dernières seront envisagées ici. A. Freud distingue les défenses contre la « perte de lien avec l'objet infantile » (défense par déplacement de la libido, défense par renversement de l'affect, défense par le retrait de la libido dans le soi, défense par la régression) et les défenses contre les pulsions (ascétisme, intransigeance, intellectualisme). On pourrait aussi distinguer les défenses centrées sur le conflit œdipien et les défenses élaborées contre le conflit préœdipien. Cependant, en pratique clinique, les conduites de l'adolescent témoignent généralement de l'intrication de ces divers niveaux. Nous évoquerons successivement les systèmes défensifs suivants : • l'intellectualisation, l'ascétisme (A. Freud) et l'uniformisme (Blos) ; • le clivage et les mécanismes associés ; • la mise en acte. L'intellectualisation, ascétisme et uniformisme Selon A. Freud (1949), l'intellectualisation est un mécanisme défensif du Moi pour mieux contrôler les pulsions au niveau de la pensée. Chacun connaît ces adolescents qui passent des heures interminables en discussion, en reconstruction du monde. L'adhérence massive, immédiate, sans nuance, à des théories philosophiques ou politiques est un exemple à la fois de l'intellectualisation et de l'idéalisation projective. À côté de l'intellectualisation,
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A. Freud décrit aussi l'ascétisme qu'on pourrait définir comme une tentative du Moi de « récuser » les pulsions au niveau du corps, en s'attaquant directement à « l'ancrage somatique de la pulsion » pouvant aller jusqu'à une négation même des besoins physiologiques les plus élémentaires. Il s'agit ici de ces adolescents qui s'imposent des tâches ou des restrictions physiques plus ou moins draconiennes : faire un nombre de kilomètres quotidiens de cross, s'interdire telle nourriture, ne pas se vêtir chaudement, braver les intempéries, refuser toute satisfaction ou plaisir corporel. On perçoit aisément, derrière cet ascétisme, les tentatives de contrôle des désirs sexuels, en particulier de la masturbation. Toutefois, on peut observer en quelques années une évolution culturelle très importante, évolution qui a atténué en grande partie la culpabilité liée à la sexualité. Par ailleurs, P. Blos ajoute à ces défenses « l'uniformisme ». Ici, l'adoption d'un code de conduite permet de séparer le sentiment de l'action. L'attitude codifiée, standardisée et l'appartenance groupale permettent d'échapper à la confrontation avec la pulsion sexuelle en regroupant divers mécanismes de défense : déni, isolation, identification et position contraphobique (Grive et Tassel, 2010). Le clivage et les mécanismes archaïques associés Ils représentent la réapparition à l'adolescence de mécanismes archaïques souvent abandonnés au décours du conflit œdipien pour des mécanismes défensifs plus adaptés tels que l'inhibition, le refoulement. L'utilisation du clivage a pour but de protéger l'adolescent de l'inconciliable de ses ressentis ambivalents, notamment la part d'agressivité nécessaire à l'émancipation. Il permet de disperser ses désirs génitaux et d'ignorer la menace incestueuse. Cette défense plus massive qui rejette la représentation et l'affect (en comparaison au refoulement qui ne rejette que sa représentation) témoigne de menaces archaïques plus massives, d'angoisses d'effondrement de nature psychotique. Ainsi, pour Meltzer, « le trouble central à l'adolescence est celui qui résulte de la confusion d'identité due à la réémergence du violent clivage du self… Ce mécanisme se déploie à la puberté pour faire face à la marée montante des désirs génitaux dans toutes leurs formes infantiles polymorphes et perverses encore peu modifiées par le self adulte et par l'identification introjective ». Cliniquement le clivage s'illustre par les brusques passages d'un extrême à l'autre, tant au niveau de la pensée (passage d'une opinion à une autre, d'un idéal à un autre) que dans le comportement (alternance de rapprochement/rejet). Or, tout se passe comme si l'adolescent ne percevait pas ses contradictions : ainsi tel adolescent qui réclame bruyamment son indépendance (pour sortir le soir, partir en vacances, etc.) veut être accompagné de ses parents pour d'autres conduites en apparence banales. Ces brusques changements, ces contradictions sont d'autant plus incompréhensibles en apparence, que l'adolescent qui ne s'en inquiète pas, tient tout un discours rationalisant et intellectualisant. Voire, il s'agace lorsqu'on les lui pointe.
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Associée au clivage, une série de mécanismes défensifs de type archaïque s'observe souvent. Nous ne ferons que les citer ici : identification projective déjà évoquée à travers ces brusques et massives adhésions à des systèmes d'idéaux sans nuances ; idéalisation primitive marquée par des choix d'objets totalement irréalistes et inaccessibles ou par un Moi idéal mégalomane ; projection persécutive traduite par le sentiment d'un monde hostile et dangereux dont il faut se défendre pour survivre. L'activation de ces mécanismes défensifs primitifs, fréquente à l'adolescence, a conduit certains auteurs à comparer cette crise à un état limite transitoire ; ils doivent tout de même alerter sur le risque d'installation de ce fonctionnement limite dans un trouble plus durable dominé par ces mêmes mécanismes défensifs (Masterson, 1967). Ils expliquent les particularités des relations d'objets qui peuvent s'observer à l'adolescence : avidité, rejet, intensité des affects, manque d'authenticité de l'engagement relationnel, etc. (chap. 22). La mise en acte Elle protège l'adolescent du conflit intériorisé et de la souffrance psychique. La mise en action du corps permet d'échapper à la passivité et, simultanément, de mettre en présence vécus infantiles et réalité actuelle. Parfois cette « action d'essai » (Laufer) ou cet « acting out » (Blos) ouvre à une élaboration, offre une limite et permet un changement. Mais il témoigne fréquemment « d'une expression instinctive immédiate sans considération pour les objets » (Mâle), qui « court-circuite les conflits » (Kestemberg). Et le plus souvent, la fuite dans le passage à l'acte entrave toute possibilité de maturation de telle sorte que son incessante répétition apparaît comme la seule issue. Elle occupe alors tout le champ comportemental, formant lorsqu'elle atteint son maximum, le tableau de la psychopathie (chap. 5 et 12).
L'adolescence en tant que travail de deuil Dans la perspective évolutionniste, le développement est un perpétuel recommencement, mouvement continuel fait de trouvailles et de détachement. Ceci implique un travail de deuil que l'on retrouve particulièrement à l'adolescence. Aux modifications physiologiques et pulsionnelles s'ajoute une expérience de distanciation des personnes influentes de l'enfance, des changements dans les modes relationnels, les projets et les plaisirs élaborés en commun. Anna Freud rapproche ce mouvement de perte ou séparation suivi d'un réinvestissement de deux situations de pertes réelles : la déception sentimentale et le deuil. Elle affirme : « la libido [de l'adolescent] est sur le point de se détacher des parents et de s'attacher à de nouveaux objets. Un certain deuil des objets du passé est inévitable ». Au-delà de rappeler les défenses contre cette « perte d'objet » (voir plus haut), comparer le « travail
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de l'adolescence » à celui du deuil permet d'insister sur les deux dimensions de la perte des « objets infantiles » : • perte de l'« objet primitif » d'abord. À l'adolescence rejoue et termine la séparation d'avec l'objet maternel. Citons Kestemberg, Meltzer et surtout Blos qui parle de deuxième phase du processus de « séparation- individuation », prolongation de la première phase infantile de séparation décrite par Malher (voir plus bas). Cette remise en tension constitue, selon Masterson, une période sensible notamment pour les personnalités limites. En effet, elle confronte aux « déprivations précoces », fragilise les liaisons entre les pulsions agressives et libidinales qui s'expriment par l'hostilité, les reproches (Lamp-de-Groot), ou encore des comportements transgressifs d'appropriation (vols), mensonges caractéristiques de la tendance antisociale (Bowlby, Winnicott). • perte de l'« objet œdipien » chargé d'amour, de haine, d'ambivalence : l'adolescent est amené « à conquérir son indépendance, à se libérer de l'emprise parentale et à liquider la situation œdipienne » (Haim, 1970). On peut en rapprocher le fait que l'imago parentale idéalisée, le sentiment de tout pouvoir réaliser (« l'idéal mégalomaniaque infantile »), projetés durant l'enfance sur les parents, sont eux aussi remis en cause par le désir d'autonomie, par la rencontre d'autres idéaux et par une meilleure perception de la réalité. Pour Haim (1970) : « comme l'endeuillé, l'adolescent reste à certains moments abîmé dans le souvenir de ses objets perdus, et, comme lui, l'idée de la mort lui traverse l'esprit. Mais, comme la dynamique de deuil normal permet d'en entreprendre le travail, celle de l'adolescence fait que rien ne se fixe ». Ainsi, l'adolescent normal passe « de la déception à la conquête » (Kestemberg, 1980). Une des tâches psychiques centrales de l'adolescence est donc de parvenir au détachement de l'autorité parentale et des « objets infantiles ». Un adolescent qui évolue normalement vit des moments de dépressivité (on préférera ici le terme de dépressivité à celui de dépression pour différencier ce mouvement d'une véritable dépression pathologique) inhérents au processus développemental dans lequel il se trouve engagé. On peut distinguer deux phases successives : • dans la première adolescence, le deuil du refuge maternel et des images parentales idéales. Ces deuils ne sont pas voulus mais imposés, non vécus comme libération mais comme un abandon ; • dans la seconde phase de l'adolescence, le deuil renouvelé de l'objet œdipien sous la pression des pulsions génitales s'accompagne du deuil du corps de l'enfant (de sa quiétude et de sa toute-puissance infantile) qui oblige à l'acceptation de la dépendance à l'autre et en particulier au partenaire sexuel. La perte s'accentue aussi avec la prise de conscience de l'écart entre la réalité de ce que l'on est et l'idéal attendu du côté des attentes parentales autrefois idéalisées, et d'un autre côté ses nouvelles aspirations personnelles (Idéal du Moi).
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Émancipation de l'adolescence : les aléas de la prise d'autonomie Après guerre, les psychanalystes reçoivent des adolescents en thérapie et explorent plus spécifiquement cette période de développement. Il ne s'agit plus seulement de rejouer les problématiques infantiles face aux réaménage ments corporels, au surcroît pulsionnel, à la perte de la quiétude infantile, et par de simples réaménagements défensifs. La prise d'autonomie de l'adolescent impose des remaniements profonds.
La place de l'Idéal du Moi à l'adolescence À l'adolescence, l'afflux pulsionnel et l'impératif de socialisation imposent une émancipation. Cette prise d'autonomie s'appuie sur l'affirmation d'idéaux propres et des décisions assumées en son nom, par opposition à l'enfant qui s'appuie sur le Moi auxiliaire parental et les idéaux infantiles. Bernfeld et Debesse insistent sur les tendances à la créativité, ou le goût profond des adolescents pour les causes idéalistes et spirituelles qui participent de cette construction d'idéaux propres. Pour de nombreux analystes, l'Idéal du Moi joue un rôle essentiel dans cet « affranchissement de l'autorité parentale » (Freud). Blos et Laufer ont particulièrement bien décrit la place de l'Idéal du Moi à cette période. Nous résumerons successivement et de façon comparée leurs points de vue. Pour Blos, l'Idéal du Moi est l'héritier du processus de l'adolescence, de la même manière que le Surmoi est l'héritier du complexe d'Œdipe. L'Idéal du Moi trouve certes ses racines dans le narcissisme primaire, mais Blos distingue l'idéalisation du soi propre à l'enfant et l'Idéal du Moi. Cette idéalisation du soi est alimentée par le sentiment de toute-puissance infantile, en particulier grâce à la position bisexuelle, qui chez l'enfant n'est pas trop conflictuelle, et permet toute sorte de compromis : la transformation pubertaire rompt cette bisexualité potentielle, ce qui représente une atteinte majeure à ce sentiment de toute-puissance infantile. À l'adolescence « la composante féminine de la vie pulsionnelle du petit garçon se restreint, s'atténue ou est rejetée de façon beaucoup plus vigoureuse par les injonctions narcissiques manifestées à travers la honte et le mépris que par les interdits surmoïques ». L'identification au père, mais surtout l'intériorisation de l'image paternelle au sein de l'Idéal du Moi prennent le relais de la soumission homosexuelle passive au père et de la relation de tendresse que le petit garçon avait pu maintenir jusqu'à la puberté. Ce rapport de tendresse entre père et fils est, rappelons-le, directement issu du conflit œdipien inversé, résultant du déplacement de l'agressivité dirigée contre le père sur d'autres domaines (en particulier le champ de la connaissance) et du maintien atténué du lien libidinal. En quelque sorte, la relation intrapsychique entre le Moi et l'Idéal du Moi marquée du sceau du projet, du devenir, succède à la relation œdipienne passive entre père et fils : le renoncement à l'attachement œdipien passif
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ne peut se faire que par l'intermédiaire de l'intégration de l'Idéal du Moi. Peter Blos déclare explicitement : « l'Idéal du Moi n'arrive à son organisation définitive que tardivement, au déclin du stade homosexuel de la première adolescence… C'est dans l'abandon irréversible de la position œdipienne négative (homosexuelle) pendant la première adolescence que se trouve l'origine de l'Idéal du Moi. ». La fonction de l'Idéal du Moi est de contribuer à la formation de l'identité sexuelle, puis de maintenir stable cette identité. Notons que le point de vue développemental dans lequel se situe Blos transparaît ici dans sa conception de l'Idéal du Moi. Pour satisfaire à ce point de vue, Blos est contraint de réintroduire chez l'enfant une nouvelle instance ou du moins une fonction particulière qu'il nomme « Idéalisation du soi ». La distinction entre cette « Idéalisation du soi » de l'enfant et « l'Idéal du Moi de l'adolescent puis de l'adulte » nous paraît peu claire, sinon que la première ne se constituerait que sur le seul narcissisme infantile précoce et sur l'illusion de la toute-puissance infantile, tandis que le second inclurait les divers systèmes d'identifications. Il serait souhaitable d'approfondir les fondements théoriques d'une telle distinction qui, selon nous, serait peutêtre justifiée pour le nourrisson à la période préœdipienne, mais beaucoup plus incertaine à la période œdipienne et à la phase de latence. Laufer adopte une position beaucoup moins développementale. Pour cet auteur, l'Idéal du Moi apparaît au déclin du conflit œdipien en même temps que le Surmoi. En période préœdipienne, « avant que se soit faite l'internalisation, les précurseurs de l'Idéal du Moi sont encore relativement instables, en partie dépendants des sources extérieures ». La stabilisation des systèmes d'identifications et d'intériorisation (précurseurs indispensables) permet au conflit œdipien de se déployer, au Surmoi et à l'Idéal du Moi de se constituer. Pour définir les origines et le contenu de ce dernier, Laufer cite Ritvo et Solnit (1960) : « On peut considérer que l'Idéal du Moi provient de trois sources principales : l'idéalisation des parents, l'idéalisation de l'enfant par les parents et l'idéalisation de soi par l'enfant… » Quant à la fonction de cet Idéal du Moi, Laufer conçoit « l'Idéal du Moi comme la partie du Surmoi qui contient les images et les attributs que le Moi s'efforce d'acquérir afin de rétablir l'équilibre narcissique. » Kestemberg insiste sur cette recherche par l'adolescent « d'un Idéal du Moi, d'une image satisfaisante [de soi-même] » susceptible de le rassurer narcissiquement. Cette préservation de l'équilibre narcissique est la fonction essentielle de l'Idéal du Moi. Or la caractéristique de l'adolescence est de remettre en cause les gratifications et les ressources narcissiques de l'enfance, en particulier toutes celles qui proviennent des parents et/ou des images parentales. Pour réagencer l'équilibre narcissique temporairement perdu à l'adolescence, l'Idéal du Moi aura trois tâches : • aider à modifier les relations internes avec les objets primaires ; • aider à contrôler la régression du Moi ; • et favoriser l'adaptation sociale.
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Concernant ce troisième point, Laufer et Blos se rejoignent en affirmant qu'une caractéristique de l'Idéal du Moi à l'adolescence est de se servir de l'extérieur, du groupe des pairs comme relais d'identification et de gratification narcissique. En somme, l'une des hypothèses de Freud concernant la psychologie de la foule est reprise pour en faire une des caractéristiques dynamiques et structurelles de l'adolescent : « l'adolescent se trouve confronté aux nouvelles espérances que le monde extérieur met en lui (et en premier lieu ses congénères) et il s'identifie à elles. Ce sont là des identifications du moi, mais elles sont ressenties comme étant du même ordre que les premières exigences intériorisées, et c'est dans ce sens que je les considère comme faisant partie de l'Idéal du Moi à l'adolescence » (Laufer). Le groupe des pairs devient ainsi l'une des sources de gratification et de soutien narcissique. Cependant, Laufer voit en cette recherche l'une des possibilités majeures de conflit intrapsychique chez l'adolescent. En effet, « l'Idéal œdipien peut ne pas être conforme à ce qu'attendent les congénères. Dans ce cas, le Moi est mis en demeure de choisir entre le parent œdipien et les congénères ». Il est important d'évaluer les tensions provoquées par ce conflit – idéal œdipien vs idéal groupal – et les moyens que l'adolescent se donne pour le résoudre, en étudiant par exemple la nature des conduites d'identifications au groupe des pairs : traduisent-elles une tentative de désengagement des liens aux objets œdipiens infantiles ou au contraire une lutte exacerbée contre les exigences surmoïques en raison du maintien des liens aux objets œdipiens ? Dans le second cas, l'adolescent risque de résoudre son conflit en élaborant ce que Laufer appelle un pseudo-Idéal du Moi, sorte de conformisme adaptatif de surface, soit au groupe des pairs, soit aux exigences parentales, mais qui laisse intacts les liens aux objets œdipiens infantiles. Ceci rejoint la défense par l'uniformisme de Blos. Il apparaît important d'investiguer si l'investissement du groupe des pairs permet de nouvelles identifications ou s'il sert de refuge à travers un conformisme qui permet d'éviter toute élaboration d'une autonomie vis-à-vis des images parentales. Par ailleurs, soulignant encore l'importance de cette instance à cet âge, Lebovici, pointe le conflit SurmoiIdéal du Moi comme l'un des conflits clés de l'adolescence, expliquant en particulier certaines conduites d'échec compulsives.
Du processus de séparation-individuation au concept d'attachement et de confiance épistémique Séparation-individuation Plusieurs psychanalystes ont comparé le processus d'adolescence au mouvement de séparation-individuation décrit par Mahler chez le petit enfant. Si le jeune enfant s'est dégagé de sa mère par internalisation, l'adolescent se dégage des objets internalisés pour aimer les objets extérieurs et extrafamiliaux. Notons ici, qu'à l'adolescence, second processus de séparation-individuation et processus identificatoire sont intimement liés,
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bien que leurs cours naturels apparents aillent dans des sens opposés (voir plus bas), p. ex. les identifications mélancoliques liées au travail de deuil, ou les identifications hystériques participent à offrir des « images composites » qui se stabilisent progressivement. La représentation de soi continue ainsi de se construire jusqu'à la fin de l'adolescence. Historiquement, Deutsh (1969) écrivait dès 1944 : « La prépuberté est une phase pendant laquelle les pulsions sexuelles sont les plus faibles, et où le développement du Moi est le plus intense. Elle se caractérise par une poussée vers l'activité et une démarche vers la croissance et l'indépendance et représente un processus intensif d'adaptation à la réalité, de maîtrise de l'environnement, résultant de cette évolution du Moi. L'adolescent s'y trouve pris entre passé et futur, entre enfance et âge adulte, tout comme le petit enfant l'était entre relation symbiotique et autonomie. La lutte pour l'indépendance ayant lieu à cette période de la vie nous rappelle intensément les processus qui se déroulent entre l'âge d'un an et demi et 3 ans, lors de ce que nous qualifions de phase préœdipienne de l'enfance (le passage du stade symbiotique à l'autonomie) ». Mais ce sont essentiellement Blos et Masterson à propos des adolescents borderline (chap. 22) qui ont transposé les concepts de Margaret Mahler à l'adolescence. Le « second processus de séparation-individuation » est le fil fonctionnel qui serpente tout au long de l'adolescence. Il procède par de multiples allers-retours entre mouvements de différenciation et de régression, pour aboutir à un sentiment d'identité stable. Peter Blos en décrit différentes phases : • la préadolescence caractérisée par l'augmentation quantitative de la pression pulsionnelle et par la résurgence de la prégénitalité ; • la première adolescence marquée par la primauté génitale et le rejet des « objets internes parentaux ». « Le véritable processus de rupture des liens avec le premier objet a commencé » ; • l'adolescence proprement dite où dominent le réveil du complexe œdipien et les détachements des premiers objets d'amour : « L'individualisation atteint un sommet avec le réveil du conflit œdipien et l'établissement du plaisir préliminaire agissant comme il le fait sur l'organisation du Moi ». Au cours de cette phase : – le narcissisme s'amplifie, – le deuil apparaît et nous en verrons les liens avec la dépression (chap. 16), – « l'état amoureux » reflète les problèmes liés au choix d'objet sexuel (chap. 14, La question sexuelle à l'adolescence) ; • l'adolescence tardive est une phase de consolidation des fonctions et des intérêts du Moi et de structuration de la représentation du Soi ; • enfin, la postadolescence au cours de laquelle la tâche de l'adolescence doit s'achever, c'est-à-dire « quand l'organisation de la personnalité est telle que la paternité ou la maternité peuvent apporter leur contribution spécifique à la croissance de la personnalité ».
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Au-delà de ce cloisonnement en différentes phases, un processus d'un ordre général s'établit. Sa direction et son but restent les mêmes tout au long de l'adolescence. Ils cheminent continuellement vers le désengagement de l'objet infantile et la maturation du Moi. Inversement, les troubles du développement des fonctions du Moi à l'adolescence sont symptomatiques de fixations pulsionnelles et de dépendance aux objets infantiles. L'attachement à l'adolescence La nécessité pour l'adolescent de s'éloigner de ses objets de soins primaires (caregiving), de trouver sa place parmi ses pairs et de s'inscrire dans des relations sociales élargies sollicite les liens d'attachements intériorisés dans la petite enfance. Bolby décrit dès l'enfance l'existence d'un équilibre concurrentiel entre les systèmes d'attachement d'un côté, d'exploration de l'environnement de l'autre (pour toute la théorie de l'attachement, voir l'ouvrage Enfance et psychopathologie) : l'activation du système d'exploration malmène le système d'attachement, d'autant plus que celui-ci est fragile. De plus, la sécurisation par le rapproché et la tendresse (caregiving) n'est plus possible. L'irruption de la maturité génitale ne permet plus de maintenir ces échanges « neutres » de proximité entre le corps des parents et celui de l'enfant. La proximité suscite le conflit. D'où la nécessité pour l'adolescent de pouvoir substituer au système comportemental d'attachement qui prévaut dans l'enfance un modèle intériorisé d'une figure d'attachement (« modèle interne opérant » selon Bowlby) qui autorise le déploiement d'un scénario d'attachement rassurant, apaisant et facilitant une exploration sereine. Ce passage du modèle comportemental au modèle intériorisé a constitué le défit relevé par les théoriciens de l'attachement qui ont succédé aux pionniers (Bowlby, Ainsworth). Une des premières questions fut en effet de savoir si les modèles d'attachement forgés dans l'enfance restaient stables au cours du développement. Afin d'évaluer ces modèles internes (qui ne sont plus directement observables dans le comportement comme cela peut être le cas dans l'enfance avec la situation étrange), diverses échelles d'évaluation ont été progressivement élaborées : Adulte Attachement Interview, Attachement History Questionnaire, Attachement Style Questionnaire, etc. (pour une synthèse voir Perdereau, Atger et Guedeney, 2006) qui, toutes, explorent les représentations imaginaires que construit chaque individu avec ses figures intériorisées issues de l'enfance et ce qui en résulte sur les interactions actuelles. Certes, il existe une certaine concordance entre les modèles d'attachement observés dans l'enfance et ceux qui sont retrouvés à l'adolescence puis à l'âge adulte. Ainsi, les sujets secure dans l'enfance le restent volontiers à l'adolescence et entretiennent de ce fait des relations plus confiantes avec leurs parents (Kobak et Sceery, 1988). Mais la stabilité de ces modèles d'attachement reste faible car elle apparaît extrêmement sensible à l'environnement,
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les événements stressants ayant tendance à diminuer le taux d'attachement sécure (Atger, 2006). C'est probablement la raison pour laquelle on n'a pas encore décrit un lien précis entre un état psychopathologique particulier et tel ou tel modèle d'attachement. Les travaux publiés, de plus en plus nombreux, concluent souvent à une augmentation de fréquence des attachements « détachés », « préoccupés » ou « désorganisés » par rapport aux attachements dits secure (Nakash-Eisikovits, Dutra et Westen, 2004). C'est ce que l'on retrouve chez les adolescents avec des traits psychopathiques, les adolescents dits « limites » (borderline), consommateurs de produits d'allure toxicomaniaque, les adolescents délinquants, etc. Inversement, une des caractéristiques d'un comportement sécure à l'adolescence est représentée par l'accession à la dimension de réciprocité des relations : capacité à recevoir de la sécurité de la part d'un adulte notamment, mais aussi capacité à donner à autrui soutien et attention, selon son besoin. Ceci s'observe dans les relations aux pairs et plus encore à l'objet d'amour. Les modèles d'attachement sont intensément activés dans les investissements affectifs nouveaux et dans le choix du (de) la petit(e) ami(e). Cette dimension de réciprocité montre que l'étude des modèles d'attachement chez l'adolescent et l'adulte ouvre à un degré de complexité supplémentaire. Confiance épistémique et mentalisation Peter Fonagy a poursuivi cette réflexion sur la variété des modalités d'attachement et ses conséquences sur le fonctionnement notamment à l'adolescence. Selon lui, la difficulté à saisir un lien stable entre style d'attachement et psychopathologie serait liée à l'extrême sensibilité de celui-ci à l'environnement culturel et relationnel. Il propose de changer la manière d'appréhender l'attachement en insistant sur sa fonction d'adaptation à l'environnement (approche évolutionniste) : il est porté et transmis par l'entourage familial qui indique à l'enfant le style comportemental le plus adapté pour son développement dans les circonstances actuelles. Il formule ainsi une théorie de la « confiance épistémique » qui suppose que l'enfant – souvent dans le contexte des premières relations d'attachement – est instinctivement enclin à développer une ouverture aux apprentissages sociaux proposés par le caregiver. Cette confiance, apparue à l'ère du Pleistocène (Homo habilis), est la base principale de l'apprentissage culturel. Dès les premières communications, l'enfant repère les indications sociales données par l'adulte digne de confiance à travers : des contacts oculaires, l'appel par le nom, la tonalité du langage, l'attention conjointe, etc. Quand une fiabilité suffisante existe, cette confiance fondamentale s'installe et ouvre un canal stable pour la transmission sociale de la connaissance. Ceci favorise le développement de toute une série de systèmes participant à la régulation socioémotionnelle (chap. 5) : motivation sociale, initiation de jeux dyadiques, jeux symboliques, régulation de
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l'affect, compréhension de l'expression faciale et émotionnelle, théorie de l'esprit, empathie, mentalisation. Inversement, une méfiance fondamentale peut s'installer car les enfants ne sont pas naïfs et ce canal de communication ne reste pas ouvert par défaut. Face à aux mauvaises intentions ou aux maladresses de l'adulte, se développe une hypervigilance qui amène l'enfant à rejeter les signaux sociaux significatifs et fermer ses capacités relationnelles. Typiquement, une histoire de vie marquée par l'adversité favorise la dégradation de la confiance épistémique et de la mentalisation, à la fois cause et conséquence de troubles de la régulation émotionnelle. Ceci culmine dans son caractère pathologique lorsque l'individu, démuni de ces capacités, se montre incapable de tirer parti de son environnement social : il se rigidifie dans son fonctionnement avec une imperméabilité toujours plus grande à l'influence sociale positive. Ainsi, pour cet auteur, cette « confiance épistémique » (« epistemic trust ») forge la base du développement des compétences d'apprentissage social. Celle-ci s'observe à l'adolescence notamment à travers le déploiement de la capacité de la « mentalisation » : cette conscience implicite et/ou réflexive qui permet de porter attention aux états mentaux de soi-même et d'autrui pour expliquer et réguler son comportement. Elle constitue un atout essentiel pour la traversée de l'adolescence : accession aux métareprésentations et métacognitions supports du travail d'abstraction et d'intériorisation, ouverture à la réciprocité relationnelle préalable indispensable pour tirer bénéfice d'une relation d'aide, voire thérapeutique. Ainsi, repérer le modèle interne d'attachement, le niveau de confiance fondamentale et la capacité de mentalisation permet de mieux appréhender la nature et l'intensité des probables difficultés (passages à l'acte, rupture, transfert idéalisant, etc.) qui surgiront à mesure que ce type de thérapie sollicitera les bases de sécurité (ou d'insécurité) interne et l'étayage nécessaire pour que l'adolescent s'intéresse à ses expériences et à la relation qu'il entretient avec le thérapeute, les autres et avec lui-même, comme une source d'apprentissage positif (Fonagy et al., 2017a ; Fonagy et al., 2017b ; Fonagy et Bateman, 2015 ; Fonagy, Leigh, Steele, et al., 1996 ; Marcelli, 2004).
La construction du sujet : narcissisme, identité et subjectivation Les travaux d'après guerre ont commencé à révéler l'importance de la période d'adolescence dans la construction de la personne à travers son émancipation : construction d'idéaux propres, travail de séparation et de deuil de l'enfance, autonomisation et ouverture à la réciprocité sociale. Mais l'adolescent ne construit pas seulement son autonomie, il met en jeu et stabilise plus profondément son narcissisme, son sentiment d'identité et sa subjectivité.
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Régressions narcissiques à l'adolescence Tous les psychanalystes insistent sur les modifications du narcissisme, non seulement en termes d'augmentation quantitative, mais aussi dans le sens d'une répartition dynamique différente. D'abord « un certain degré de retrait narcissique est aussi inévitable : il permet la transition avec des périodes pendant lesquelles aucun objet n'est investi » (A. Freud). Autrement dit, la réorientation de la libido d'objet passe par un temps de réinvestissement de la libido narcissique (Jones). De surcroît, le développement puis l'établissement du narcissisme adulte passent à l'adolescence, non seulement par le choix de nouveaux objets, mais aussi par le choix de soi-même en tant qu'objet d'intérêt, de respect et d'estime. Ainsi, du point de vue psychanalytique, l'adolescent manifeste une certaine prédominance des conduites issues de la lignée narcissique sur celles de la lignée objectale, par opposition à la période de latence. Rappelons que d'un point de vue clinique, le narcissisme « pathologique » peut se définir comme le regroupement de deux conduites : • un désintérêt à l'égard du monde extérieur (l'égoïsme) ; • une image de soi grandiose (mégalomanie). L'égoïsme et la mégalomanie sont deux « reproches » souvent adressés à un moment ou à un autre de l'adolescence de tout sujet. Au-delà de cette tendance, l'adolescent révèle aussi ses fragilités narcissiques. La façon dont certains adolescents maltraitent leur corps en est un signe parmi d'autres (scarifications, restrictions alimentaires, incapacité à investir les soins d'hygiène, refus de soins, etc.). Certains ont même décrit ses expressions « narcissiques » sur un continuum s'étendant d'une quasi-normalité aux états les plus pathologiques : • Un premier mode se manifeste sous la forme de préoccupation de soi, d'amour de soi et même de fantasmes grandioses : il caractérise un narcissisme normal à l'adolescence marqué par l'augmentation de l'investissement libidinal de soi et sa coexistence avec un investissement libidinal persistant des objets (cela renvoie aux descriptions que nous avons vu de Debesse avec « la crise d'originalité juvénile » et Mâle avec « la crise juvénile »). • Régression : un deuxième type plus pathologique est représenté par une identification pathologique et régressive de soi aux objets infantiles et la recherche d'objets qui représentent le soi infantile. Il n'y a plus de mélange d'investissements narcissiques et d'investissements objectaux. • Un troisième type encore plus pathologique se manifeste par la conservation constante d'un soi grandiose avec projection d'un soi primitif grandiose pathologique sur l'objet. L'accès à la relation est difficile, marqué par les attitudes d'opposition et d'agressivité. La fragilité du narcissisme à l'adolescence est également mise en rapport avec le narcissisme parental projeté sur l'enfant devenant potentiellement celui qui peut réaliser les fantasmes grandioses des parents, mais qui peut
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aussi se sentir très dévalorisé de ne pas les réaliser. Certaines dépressions de l'adolescence peuvent être directement comprises par rapport à ce dernier phénomène (chap. 16, « La dépression d'infériorité »).
Identité, identifications et conflit narcissico-objectal La recherche par l'adolescent de son identité sous-tend pour la psychanalyse deux dimensions profondément liées : identifications et sentiment d'identité. D'une part, la quête identificatoire de l'adolescent s'appuie sur la libido objectale et se nourrit de l'interaction avec l'environnement. D'autre part, le sentiment d'identité à proprement dit qui se construit dans la continuité d'une quête ayant débuté depuis le plus jeune âge renvoie à la libido narcissique. Elle associe les sentiments de continuité, de différenciation et d'autonomie. Historiquement, la diversité des apports théoriques et le polysémisme des concepts ont pu rendre les choses confuses. Une certaine tension opposait deux descriptions, reflétant la tension interne à chaque adolescent. D'un côté une description « constructiviste » du développement de l'identité, comprise comme continue de la petite enfance jusqu'à l'âge adulte, l'adolescence intervenant comme une mise en tension des acquis de l'enfance : E. Erickson cherchant à distinguer les « confusions identitaires » pathologiques, des « crises identitaires » (Erikson, 1972 ; cf. encadré 4.4). D'un autre côté, d'autres auteurs insistaient sur la dimension critique de l'adolescence
Encadré 4.4
Identité : crise d'identité et confusion d'identité (E.H. Erikson) Dans une approche psychosociale, Erik H. Erikson appréhende la « crise d'identité » de l'adolescent à partir de son équivalent pathologique, la « confusion d'identité » ou « perte d'identité du Moi » La confusion d'identité Certains jeunes semblent « incapables d'embrasser les carrières offertes par leur société » au moment de choisir et s'engager dans une relation affective, une profession, un statut, etc. La tension ainsi créée entre l'individu, son histoire et les perspectives offertes par la culture dans laquelle il vit peut mener à cette confusion qui se caractérise par : ■ L'incapacité à s'engager de façon authentique avec d'autres, à établir une intimité plaisante, qu'il s'agisse d'amitié, d'amour, de compétition, etc. L'adolescent crée alors des relations avec des partenaires les plus invraisemblables ou s'isole totalement. Cela s'accompagne de honte et d'une incapacité à éprouver un sentiment d'accomplissement quelle que soit son activité. Son sentiment de continuité se désintègre.
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■ Le désintérêt pour le temps comme dimension de la vie. Le sujet peut à la fois se sentir très jeune et vieux au-delà de toute possibilité de rajeunissement. Une incapacité à se concentrer sur diverses tâches, une désorganisation du sens du travail s'observent aussi. S'y associe parfois une aspiration à se laisser mourir, voire un véritable désir de mourir. ■ Le choix d'une « identité négative » : l'adolescent met en scène « une identité perversement établie sur toutes les identifications et les rôles qui, aux stades critiques antérieurs du développement, avaient été présentés comme indésirables ou dangereux ». Cette identité négative s'exprime souvent par une hostilité méprisante et prétentieuse à l'égard des rôles que l'entourage recommande. Elle représente une tentative désespérée pour maîtriser une situation dans laquelle les sentiments disponibles d'identité positive s'annulent les uns les autres. Un état de désespoir, des gestes suicidaires, des épisodes de délinquance ou des manifestations frôlant la psychose peuvent constituer des conduites symptomatiques de cette confusion d'identité. Devant ces manifestations symptomatiques l'intérêt de reconnaître un tableau de confusion d'identité est de ne pas leur attribuer la même fatale signification que celle qu'elles pourraient avoir à d'autres âges de la vie ou dans un autre contexte.
La crise d'identité La confusion d'identité ne représente en fait que l'aggravation pathologique de la crise d'identité survenant normalement à l'adolescence et qui permet d'intégrer les changements corporels, pubertaires pour construire un nouveau sentiment de continuité et d'unité (l'identité finale) qui intègre ces changements en les confrontant à la fois aux premières crises du développement identitaire, et aux exigences sociales. Les manifestations de cette crise d'identité à l'adolescence vont donc dépendre du déroulement des crises d'identité antérieures : ■ confiance vs méfiance fondamentale (0–18 mois) : si le 1er stade lègue un important besoin de confiance en soi et dans les autres, l'adolescent redoutera un engagement à la légère ou fera preuve d'une méfiance excessive. Il recherchera avec ferveur des hommes et des idées auxquels il puisse accorder sa foi ; ■ combat pour l'Autonomie vs honte, doute et désapprobation (18 mois–3 ans) : si 2e stade a été prévalent, l'adolescent sera effrayé par toute contrainte ; cela le conduira au comportement paradoxal de faire n'importe quoi, à la seule condition que ce soit de son libre choix ; ■ initiative vs culpabilité (3–6 ans) : l'héritage de l'âge ludique dominé par l'imagination illimitée quant à ce que l'on pourrait devenir fournira un champ d'action imaginaire, sinon illusoire à bon nombre d'adolescents. Ils supporteront très difficilement toute limitation à l'éventail imaginaire de leurs propres images de soi, et feront preuve d'ambitions démesurées, parfois fortement culpabilisées ;
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■ travail vs infériorité (6–12 ans) : l'âge scolaire amène l'enfant au désir de faire fonctionner quelque chose comme il faut. Les adolescents très concernés par cet âge chercheront leurs satisfactions et leurs identités dans une activité où toutes les questions matérielles de statut, de rémunération passeront au second plan par rapport à la valeur de cette activité ou de cette profession. Cette crise d'identité, sous ses différentes formes, débouchera sur la formation d'une identité variable selon les individus, mais dont la caractéristique générale sera la capacité d'une prise de distance, c'est-à-dire d'un équilibre entre d'une part la délimitation d'un territoire d'intimité propre et d'autre part une solidarité avec autrui. Au cours de cette crise : « L'identité n'est pas donnée à l'individu par la société, ni n'apparaît comme un phénomène de maturation, comme les poils pubiens. Elle doit être acquise à travers des efforts individuels intenses. C'est une tâche d'autant plus difficile qu'au moment de l'adolescence, le passé est en train de s'effacer avec la perte de l'ancrage dans la famille et la tradition, le présent se caractérisera par les changements sociaux, et l'avenir est devenu moins prévisible. » Précisons que cette crise d'identité sera suivie chez l'adulte d'une crise d'intimité/isolation (20–45 ans) et de générativité/stagnation (45–65 ans) qui se croise temporellement avec la crise d'adolescence des enfants. Avec la crise d'identité et la confusion d'identité, Erikson introduit des concepts et des repères parfois difficiles à cerner. Pour le comprendre il est nécessaire de resituer son objectif : la réflexion d'une équipe interdisciplinaire sur l'évaluation d'un problème social par une approche qui repose sur une méthodologie clinique et psychanalytique.
(rupture économique et dynamique), marquée par un certain rejet des identifications antérieures et par une recherche-conquête d'objets nouveaux d'identification. C'est cette ligne identificatoire qu'explorent les modèles de la « crise d'originalité juvénile » (Debesse, cf. encadré 4.1), de la « fusion entre lignée narcissique et objectale » ou entre « identité et identifications » (Kestemberg, 1962, cf. chap. précédent), et à un moindre degré celui de la « crise juvénile » (Mâle, cf. encadré 4.2). De nos jours, cette tension entre l'identité (sentiment d'identité, au singulier) et les identifications (au pluriel) se comprend mieux, comme le reflet d'un antagonisme narcissico-objectal caractéristique du travail psychique de l'adolescence. Cette formulation reprend l'opposition classique proposée par S. Freud entre l'identification primaire, corrélative de la relation d'incorporation orale et du lien à l'objet primaire d'un côté et, de l'autre, les identifications secondaires qui impliquent le choix d'objet sexuel (chap. 14 : la question sexuelle à l'adolescence). L'identité renvoie au narcissisme de l'individu et à la qualité des premières relations, en particulier des relations de soins précoces constitutives de ce
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narcissisme. Plus ces relations précoces ont été satisfaisantes, ont permis un investissement du soi en continuité et équilibré (l'investissement libidinal du soi « neutralisant » en partie les investissements agressifs du soi), plus le sentiment d'identité sera stable et assuré. Dans ce cas, la quête d'objet nécessaire aux nouvelles identifications n'apparaît pas comme une menace pour le sujet dans la mesure où la relation d'objet précoce a toujours étayé l'investissement narcissique. Dans ce cas, la survenue de l'adolescence marquée par son « besoin d'objet » ne menacera pas l'assise narcissique de l'individu. Conflit narcissico-objectal À l'opposé, d'autant plus que le jeune enfant a subi des défaillances excessives dans la qualité ou la continuité de son investissement, qu'il a vécu des relations traumatiques ou qu'il n'a jamais pu faire l'expérience de brèves et positives séparations lui procurant les préformes de son autonomisation, il risque d'être porteur de brèches narcissiques. Autrement dit, d'autant que l'objet précoce a été défaillant, le sentiment d'identité est plus fragile et/ou incertain. Dans ce cas, le besoin objectal inhérent à l'adolescence risque d'être éprouvé comme une menace potentielle pour l'assise narcissique. En effet, pour accepter de s'ouvrir à la relation objectale, l'adolescent se voit obligé d'assumer son incomplétude et ceci le renvoie à ses failles narcissiques. L'autre, « ce dont j'ai besoin et dont je dépends, parce que j'en ai besoin, et à la mesure même de ce besoin, menace mon autonomie » (Jeammet et Corcos, 2005). D'autant plus que les failles narcissiques sont béantes, les liens sont sexualisés. L'augmentation des investissements pulsionnels et le besoin relationnel objective la dépendance aux objets. L'investissement d'objet au lieu d'être perçu comme complémentaire à l'investissement narcissique, apparaît comme antinarcissique pour l'adolescent qui est contraint à une attitude d'opposition, de rejet ou de négativisme. Il peut s'ensuivre un mouvement régressif, véritable « hémorragie narcissique » aux conséquences développementales désastreuses tant les conduites narcissiques entraînent rapidement une rupture entre l'adolescent et ses appuis indispensables : son entourage, son environnement social, sa pensée et son corps. Comme beaucoup d'autres, nous pensons que cette tension conflictuelle entre l'appétence objectale pour quérir les identifications nouvelles et la préservation narcissique pour conserver l'assise identitaire représente un des enjeux essentiels de l'adolescence. Construction des identifications Quand l'identité narcissique est suffisamment assurée, l'adolescent peut sans danger s'engager dans une quête identificatoire, qu'elle soit mimétique ou oppositionnelle. Précisons que cette identification ne se limite pas à une imitation : selon les auteurs, elle représente tantôt un processus, tantôt un fantasme se situant toujours au niveau inconscient. Elle repose sur différents mécanismes : d'intériorisation (A. Freud), d'introjection (Klein et les
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auteurs kleiniens : identification introjective opposée à la projection) et d'incorporation (Torok) renvoyant à des stades différents d'organisation des relations d'objets. L'adolescent tend à rejeter les objets parentaux parce que l'émergence pubertaire le contraint à « sexualiser » ses relations avec ceux-ci. C'est l'époque où l'adolescent s'oppose et multiplie les expériences, les nouvelles relations d'objet lui servant de support aux intériorisations puis identifications à venir. Peter Blos évoque ainsi la « faim d'objet » externe qui habite tout adolescent. Si cette « appétence objectale » permet à l'adolescent d'enrichir sa personnalité et d'affirmer ses traits de caractère, elle a aussi certaines conséquences. D'une part, l'adolescent s'avère particulièrement sensible et vulnérable aux facteurs d'environnement et aux aléas des rencontres externes. Ainsi les appropriations identificatoires dépendent en grande partie des « objets médiateurs » retrouvés soit chez d'autres adolescents, dans un groupe ou chez un adulte, le cas échéant chez le thérapeute. D'autre part, nous l'avons vu, cette appétence objectale peut être vécue par l'adolescent comme une insatiable envie qui le menace d'un débordement, d'une perte d'autonomie, c'est-à-dire d'une menace narcissique. Dans ce moment de reconstruction de soi, la relation identificatoire aux objets œdipiens n'est pas seulement oppositionnelle, elle est aussi mimétique. Peter Blos a insisté sur l'importance de la relation au parent isogénérique, c'est-à-dire dans le conflit œdipien, la relation œdipienne inversée au parent du même sexe : l'adolescent se « soumet » au parent du même sexe, pour se protéger de la menace incestueuse représentée par le parent œdipien direct, et ce faisant il y trouve aussi des bénéfices identificatoires. Parlant du père et du fils, Blos (1985) déclare : « la résolution du complexe paternel dyadique est en général la tâche essentielle de l'adolescence ». Pour cet auteur, la résolution du complexe d'Œdipe se déroule en deux phases dont la seconde, déclin du complexe d'Œdipe négatif, « achève » l'adolescence. L'Idéal du Moi adulte représentera l'héritier de ce travail (voir plus haut : l'Idéal du Moi) : « il est préservé comme un attribut personnel, chéri, dont les origines archaïques sont à rechercher dans l'attachement au père, dans l'idéalisation du père ou plus simplement dans le complexe négatif ». C'est en se reposant sur ce lien œdipien indirect que l'adolescent réalise l'investissement libidinal de ses nouveaux attributs identificatoires en particulier sexuels. C'est le sens qu'il faut donner à l'expression « relation homosexuelle » au parent du même sexe : « homosexuelle » est à entendre ici comme l'investissement libidinal de l'image identitaire et sexuée, ce que d'aucuns préfèrent appeler relation isogénérique ou homomorphe. Il est bien évident que l'adolescent déplace souvent ce modèle relationnel sur ses pairs (relation aux adolescents du même sexe : l'ami) ou sur d'autres adultes idéalisés du même sexe. Néanmoins, la place de cette relation œdipienne indirecte dans le travail d'adolescence explique l'importance de la question de l'« homophilie ».
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Alors que les « pratiques homosexuelles » sont relativement rares à l'adolescence, l'homophilie et les questionnements sur l'homosexualité sont fréquents (chap. 14 : la question sexuelle à l'adolescence»). Ainsi comprise, la construction des identifications à l'adolescence est un processus complexe, progressif qui s'étaie en opposition ou en mimétisme sur la personne et les images intériorisées des deux parents, mais peut-être plus encore du parent du même sexe. A contrario, les constatations épidémiologiques montrent combien l'absence de père est pour l'adolescent garçon un facteur de risque majeur pour toute forme de déviance et confortent ces hypothèses psychogénétiques.
La subjectivation, et ses troubles à l'adolescence Les auteurs les plus récents ont acquis la conviction que le processus de l'adolescence est une étape cruciale dans la construction du sujet autonome, différencié, porteur de son histoire. Ils enrichissent les théorisations pour mieux éclairer les problématiques psychopathologiques que la diffusion des soins leur amène à rencontrer. Le concept de pubertaire Pour Gutton, « La crise d'adolescence, normale ou pathologique, est la recherche de solution permettant d'assurer le sentiment continu de l'existence tout en intégrant la nouveauté pubertaire » (Gutton, 1991 ; Gutton, 1997 ; Gutton, 2014). Cette « nouveauté pubertaire » est à la psyché ce que la puberté est au corps, nous dit Gutton, qui conçoit une véritable rupture entre la sexualité infantile et ce pubertaire : « la puberté impose une discontinuité incontournable et non différable ». L'adolescence ne se limite pas à l'après-coup de l'infantile, et va au-delà d'une séparation des objets parentaux. La caractéristique du pubertaire est de « délier phallus et pénis » (p. 195), permettant qu'ainsi se révèle « la complémentarité des sexes » (p. 194) et leur fonctionnement obligatoirement interactif, sur le modèle du couple zone érogène/objet partiel » (p. 194). Au primat du phallus, caractéristique de la sexualité infantile, le pubertaire contraint l'adolescent à affronter cette complémentarité des sexes et le dévoilement du sexe féminin. Cela ne se fait pas sans excitation et désormais le pubertaire pousse l'adolescent à chercher cet objet complémentaire. Hélas pour l'adolescent, « la sexualité qui a trouvé son but, n'a pas (encore) trouvé un objet adéquat » ; « une force anti-séparatrice anime la frénésie de l'enfant vers ses parents » (p. 196). Tourné vers ses objets œdipiens, l'adolescent élabore des « scènes pubertaires » susceptibles de devenir traumatiques « dans la mesure où une coïncidence s'y produit entre le désir inconscient de l'adolescent et les manifestations désirantes d'un de ses parents » (p. 198). Ainsi, le réel biologique de la puberté vient faire pression sur les trois instances psychiques (Ça, Moi, Surmoi) et se heurte à la barrière de l'inceste légué par le développe ment œdipien. Cette « inadéquation fondamentale entre réalité interne
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et externe » (p. 198) constitue le pivot du changement de l'adolescence où se retrouve en présence : • la pression de la pulsion trouvant son but par le nouvel objet génital complémentaire ; • l'horreur des interprétations sur les investissements incestueux et la mise à l'épreuve du Surmoi face à l'entrée dans la catégorie du possible œdipien ; • la recherche par le Surmoi de nouveaux étayages car l'alliance établie, en particulier au cours de la période de latence, entre le Moi et le Surmoi se défait. Pour trouver l'objet adéquat, l'adolescent doit d'une certaine façon renoncer à ces « scènes pubertaires ». Cette désillusion conduit à une élaboration objectale, à une perte de l'objet adéquat, travail d'élaboration secondaire que Gutton nomme « adolescens ». En outre, le corps à corps avec l'objet investi des motions pulsionnelles n'implique pas seulement l'objet en tant que but des pulsions, mais c'est aussi un « objet en tant qu'il est un autre sujet », avec ses désirs propres, que l'adolescent devra prendre en compte. Il y a donc bien trois temps : archaïque, infantile et adolescent. Le rapport à la symbolisation est transformé et « passe par l'acte ». Ceci expose aux troubles psychopathologiques ; en particulier l'épreuve de réalité devient vacillante (risque psychotique), la violence narcissique est réactivée (potentialités perverses). L'aventure de la subjectivation R. Cahn (1997, 1998) parle de son côté de processus de subjectivation. Celui-ci, élaboré à partir d'un cas clinique, « Pauline », prise en charge en institution, est défini comme un processus de différenciation plutôt que de séparation-individuation, « permettant à partir de l'exigence interne d'une pensée propre, l'appropriation du corps sexué, l'utilisation des capacités créatives du sujet, et l'aptitude à l'autodédoubler en quelque sorte, y compris au niveau de l'action, aptitude allant de pair avec le désengagement, la désaliénation du pouvoir de l'autre ou de sa jouissance et, par là même, la transformation du Surmoi et la constitution de l'Idéal du Moi ». Le sujet de la psychanalyse ne représente en fait que le résultat d'un long processus de subjectivation dont « l'adolescence pour autant qu'elle reprend, élabore, modifie, crée de nouvelles modalités du travail psychique, constitue un moment essentiel ». « Le processus de subjectivation a essentiellement affaire au moi [qui] à partir de l'exigence d'une pensée propre, permet l'appropriation du corps sexué et l'utilisation des qualités créatrices du sujet » (Cahn, 1997, p. 215). Ainsi définie, cette subjectivation permet au sujet de se dégager du « pouvoir de l'autre » ou de se désaliéner de sa jouissance. Mais « c'est à l'adolescence que s'exacerbent les obstacles internes et externes à l'appropriation par le sujet de ses pensées et désirs propres, de son identité propre » (p. 217), à cause des incertitudes liées aux remaniements pubertaires, à la place nouvelle de l'objet compte tenu de la maturité sexuelle, aux liens aux images parentales et à la réalité des parents. « Ce mouvement d'appropriation, de son corps certes, mais aussi de sa place en tant
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que sujet sexué dans la succession des générations, ne peut se faire sans conflits ni contradictions, ni sans passer par un temps préalable… d'interrogations angoissées sur ce familier brutalement devenu étranger, de dessaisissement du corps et du monde » (p. 226). Autrement dit, le besoin essentiel pour l'adolescent est de maintenir la continuité et la stabilité des processus psychiques dans un moment de remaniement d'un « corps » dont les changements doivent être intégrés et élaborés dans un processus de construction identitaire. Le processus de liaison-déliaison permet à l'adolescent de « garder ce qui du passé ne doit pas changer, ce qu'il ne doit pas abandonner et ce qui doit se modifier en lui ou rester modifiable ». Les risques de déliaisons pulsionnelles, de confusion entre dedans et dehors mises ici au premier rang permettent de comprendre la fragilité psychotique particulière à cette période de l'existence ; et d'élaborer le travail d'accompagnement thérapeutique notamment en institution (Cahn, 1997, 2007 ; Cahn, 1998 ; Chagnon, 2012 ; cf. chap 19 : Les différents états psychotiques). Les aménagements de la dépendance Jeammet et Corcos (2001) ont proposé une manière originale de mettre en valeur les spécificités du processus d'adolescence et la compréhension de ses avatars. « L'adolescence voit se conjoindre deux grandes lignes de développe ment : celle de l'intériorisation qui se nourrit de l'interaction avec l'environnement » ; et « celle de la différenciation (ou subjectivation) par laquelle le sujet se reconnaît et s'affirme ». En mettant à l'épreuve chacun de ces axes, elle risque de les conflictualiser et de la faire apparaître comme antagonistes (voir plus haut : conflit narcissico-objectal). « Sexualisation des relations et désidéalisation conjuguent leurs effets pour faire perdre aux objets leur rôle de support narcissique, tandis que la nécessité dans laquelle se trouve l'adolescent d'assurer son autonomie nouvelle, et par là même d'achever ses identifications et de confirmer la solidité de ses acquis internes, renforce sa dépendance objectale, exacerbe et réactualise l'antagonisme entre besoin objectal et autonomie du sujet » (Jeammet et Corcos, 2001, p. 40 et suivantes). Si l'adolescent ne parvient pas à dépasser le paradoxe suivant, « pour être soi il faut se nourrir des autres et, dans le même temps, il faut s'en différencier », les conséquences sont doubles : • il bloque les mécanismes d'intériorisation nécessaire à sa subjectivation ; • et sa pensée se sidère, il bloque aussi ses capacités de représentation. Ainsi, pour ces auteurs, l'équilibre autonomie-dépendance peut être décrit sur le modèle de la réaction aux expériences de séparation précoce, en observant l'utilisation de la réalité perceptivomotrice comme contre-investissement défensif d'une réalité psychique interne défaillante ou menaçante. Ils distinguent schématiquement trois situations lorsque l'enfant est confronté à l'absence : • celui-ci trouve en lui les ressources internes suffisantes (autoérotismes) lui permettant de rester paisible et sécurisé, en réactivant les souvenirs agréables ou en se rattachant aux bons objets internalisés ;
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• l'enfant plus vulnérable pleure pour solliciter et retrouver un bon objet externe. Cela passe souvent par la plainte corporelle et l'accroissement des exigences propres ; • l'enfant n'a aucune ressource, il les remplace par l'autostimulation de son corps (balancements, stéréotypies). Dans cette perspective, la dépendance est une constante du fonctionnement mental qui existe toujours un jeu dialectique d'investissement et de contre-investissement entre la réalité psychique interne et la réalité externe du monde perceptivomoteur. Elle pose problème dans la mesure où le surinvestissement du contrôle perceptivomoteur en fait le mode prévalent et durable de gestion du lien et de la distance au détriment d'autres modalités. Les adolescents qui deviennent pathologiquement dépendants sont ceux qui utilisent de façon dominante et contraignante la réalité externe, c'està-dire le monde perceptivomoteur, pour se défendre et contre-investir une réalité interne sur laquelle ils ne peuvent pas s'appuyer. On comprend ainsi l'importance des modalités comportementales que les adolescents utilisent de façon privilégiée par rapport aux modalités réflexives, et la place particulière de l'objet chez ses jeunes : objet idéalisé, recherché avidement, conduisant à la fétichisation de la relation (Kestemberg) et aux variantes de la relation de maîtrise (Corcos et Jeammet, 2005). Hypothèses lacaniennes sur l'adolescence Nous nous référerons ici au travail de Rassial (1990) qui ne résume sûrement pas tous les travaux à orientations lacaniennes, mais qui présente une approche différente des points de vue précédents. Cet auteur s'appuie sur la question du Réel, de l'Imaginaire et du Symbolique. Le Réel mis en avant à l'adolescence est évidemment celui de la puberté physiologique mais pas seulement. Il est aussi « ce qui affecte l'incarnation imaginaire de l'Autre que sont les parents et va en exiger un déplacement » (Rassial, 1990, p. 198 et suivantes). Imaginairement l'adolescent doit « intégrer des infinis auxquels il se confronte […] infini de l'espace, infini du temps […] qu'aucun Autre ne puisse à la longue satisfaire ». Enfin, à l'adolescence, le signifiant, dans sa fonction même de représenter le sujet, change de valeur, et le Symbolique est mis en question dans les « trois niveaux de son fondement. Au niveau du signifiant-maître […] au niveau du signifiant phallique […] au niveau du Nom-du-Père ». L'approche lacanienne met en valeur le fait que l'adolescent subjective son statut de sujet pour l'Autre, se confrontant au désir de l'Autre et au manque qui s'ensuit.
Adolescence et groupes sociaux : pairs, famille, société Sur le plan symbolicoculturel, l'accès au corps adulte provoque un changement de statut social : identité sexuée adulte, corps désirable, capacité de reproduction dans une filiation, et capacité de production. Immédiatement,
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il s'agit de régler la menace de l'inceste : la crise est aussi familiale (Corcos et Jeammet, 2005). Secondairement, il s'agit de trouver ses idéaux et de s'inscrire dans le groupe social : elle concerne aussi les pairs et la société dans son ensemble. • Adolescence et crise familiale. Nous l'avons vu, la famille est le lieu des premières interactions, du choix des attachements et des fondements de la confiance épistémique. Elle offre les premières identifications, par lesquelles l'adolescent reste irrésistiblement attiré et duquel il doit s'émanciper. Même dans ce mouvement de rejet, elles restent un support narcissique et d'identification par opposition ou mimétisme. Cette crise d'adolescence n'épargne pas la famille. En particulier, comme le souligne M. Klein, le parent revisite à cette occasion ses propres identifications parentales, et l'écho transgénérationnel positif ou négatif participe de la capacité de contenance parentale. • Adolescence et groupe des pairs. La participation d'un adolescent à un groupe de congénères, son insertion dans une bande ou un groupe restreint constituent des faits d'observation courante. Les relations établies entre l'adolescent et ses pairs, par-delà les implications sociologiques évidentes dont elles témoignent, répondent à des motivations intrapsychiques et témoignent du processus en cours (chap. 3 et 25). D'abord, le groupe et ses membres apparaissent un relais essentiel pour l'Idéal du Moi, comme médiateur des systèmes d'identification et d'identité. Pour Blos : « La faim objectale et l'appauvrissement de moi à l'adolescence […] trouvent un apaisement dans les relations avec les pairs », qui constitue « un substitut à la famille », « comme chez le tout-petit qui montre au cours de la phase d'individuation une capacité étonnante à solliciter un apport de contact avec la mère ». Le groupe permet des identifications d'essai, qui n'ont rien de définitif, des expériences qui tranchent avec la dépendance infantile, sans être nécessairement durables. Il permet aussi de diminuer le sentiment de culpabilité. Laufer rejoint Blos en insistant sur la place essentielle des identifications aux pairs, dont les attentes prennent fonction d'idéal et facilitent le détachement des objets primaires et œdipiens au profit de nouvelles relations. Il précise que cette ouverture doit être authentique pour permettre une véritable intériorisation structurante pour l'individu. En effet « le développement de l'individu se conditionne par le groupe, la rencontre avec les autres » (Mâle). De surcroît, le groupe peut aussi être utilisé comme lieu d'externalisation des différentes parties de l'adolescent : « grâce à la distribution des parties du self sur les membres du groupe, les besoins masturbatoires peuvent s'atténuer et les processus sociaux mis en route favorisent à travers la réalisation dans le monde réel, la diminution graduelle du clivage, le déclin de l'omnipotence et la décrue de l'angoisse de la persécution » (Meltzer, 1977). Cette fonction support de l'extérieur qui favorise les projections, voire la suppléance, de certaines fonctions de la psyché adolescente servira aux
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modalités thérapeutiques groupales (psychodrames, groupes à médiation). Pour les auteurs qui adoptent un point de vue développemental, le groupe jouerait un rôle plus important au début de l'adolescence (13–15 ans) qu'en fin d'adolescence. Dernièrement, au-delà de ces diverses fonctions dans le processus de l'adolescence, le groupe peut aussi avoir une fonction dans le champ psychopathologique. Ainsi Winnicott souligne que le groupe peut être utilisé par les adolescents pour « rendre réel leur propre symptomatologie en puissance » (Winnicott, 1975). Ceci explique qu'un groupe s'identifie volontiers au membre le plus malade : si, dans un groupe, il y a un adolescent dépressif ou délinquant, le groupe tout entier manifeste une humeur dépressive ou est maintenant avec ce délinquant : « dans le groupe que trouve l'adolescent afin de s'y identifier ou dans les agrégats isolés qui se transforment en groupe en liaison avec la persécution, les membres extrêmes du groupe agissent pour le groupe entier. La dynamique de ce groupe, assis en rond à écouter du jazz ou participant à une beuverie, doit englober toutes sortes d'instruments de la lutte de l'adolescent : le vol, les couteaux, l'explosion et la dépression. Et si rien ne se passe, les membres commencent à se sentir individuellement peu sûrs de la réalité de leur protestation, tout en n'étant pas assez perturbés eux-mêmes pour commettre l'acte antisocial qui arrangerait les choses. Mais s'il y a dans ce groupe un, deux ou trois membres antisociaux qui veulent commettre l'acte antisocial, ceci crée une cohésion de tous les autres membres, les fait se sentir réels et structure temporairement le groupe. Chaque individu sera loyal et donnera son soutien à celui qui veut agir pour le groupe, bien qu'aucun individu n'ait approuvé ce que fait ce personnage très antisocial » (Winnicott, 1975). On peut opposer ce processus de la bande à ce qu'on observe dans la relation avec l'ami(e). La bande suscite chez l'adolescent une régression et favorise l'usage des mécanismes archaïques, clivage, projection, etc. À l'inverse, la relation avec l'ami(e) suscite chez l'adolescent une relation spéculaire narcissique moins dispersée avec surtout l'expérience de la réciprocité des affects. L'exemple extrême en est ce « premier amour » qui s'offre à la quête narcissique et à la conquête objectale. Ainsi, ce qui est vécu à travers « le premier amour » regroupe et unifie les affects, alors que ce qui est vécu à travers « la bande » disperse et fragmente ces mêmes affects.
Conclusion Le support représentatif forgé par S. Freud et enrichi par ses continuateurs a permis d'éclairer sur les processus psychiques mis en jeu par les transformations pubertaires, et sur leurs potentialités tant positives en termes de résiliences possibles des blessures précoces, que négatives, en termes de vulnérabilité. Elle offre aujourd'hui des connaissances essentielles pour pouvoir comprendre la souffrance des adolescents, se positionner clairement sur les risques évolutifs et proposer un accompagnement adapté.
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Une critique a cependant été émise car ses apports oscilleraient entre deux formes : d'un côté, des observations précises sur le développement associé à quelques inférences simples et pratiques rattachées à la métaphore de la psychosexualité, et de l'autre une théorisation parfois excessive qui a justifié le reproche d'une réification de la théorisation au détriment d'une efficacité thérapeutique. Bibliographie À lire Blos, P. (1967). Les adolescents, essais de psychanalyse. Trad. par P. Truffert, F. Gantheret Paris : Stock. Braconnier, A. (2005). L'adolescent aujourd'hui. Paris : Eres. Kestemberg, E. (1962). L'identité et l'identification chez les adolescents. Psychiat Enf., 5(2), 441–522. Laufer, M. (1975). Troubles psychiques chez les adolescents. Trad. par M. Waldblerg Paris : Le Centurion. Mâle, P. (1982). La crise juvénile. Paris : Payot. Pour en savoir plus Atger, F. (2006). Attachement et adolescence. In N. Guedeney & A. Guedeney (Eds.), L'attachement. Concepts et applications. (2e éd, pp. 81–90). Paris : Masson. Bariaud, F. (1997). Le développement des conceptions de soi. In Regards actuels sur l'adolescence. Paris : PUF. Blos, P. (1979). The adolescent passage. New York : Int. University Press Inc. Blos, P. (1985). Fils de son père. Adolescence, 3(1), 21–42. Blos, P. (1988). L'insoumission au père ou l'effort pour être masculin. Adolescence, 6(1), 19–31. Brusset, B. (1978). La démarche diagnostique dans la pathologie de l'adolescence. Rev. Neuropsychiat. Infant., 26(10-11), 559–567. Burguiere, A. (1983). Les 15–20 ans jugent la France. Le Nouvel Observateur. (25–31 mars). Cahn, R. (2004). Subjectalité et subjectivation. Adolescence, 2004/4(50), 755–766. Cahn, R. (1997). Le processus de subjectivation à l'adolescence. In M. PerretCatipovic & F. Ladame (Eds.), Adolescence et psychanalyse : une histoire (pp. 213–227). Paris : Delachaux et Niestlé. Cahn, R. (1998). L'adolescent dans la psychanalyse. Paris : PUF. Caïtucoli, D. (2005). Winnicott : voler, détruire, l'appel au secours ou la tendance antisociale. Filigrane, Vol. 14(N° 1). Catheline, N. (2001). Quand penser devient douloureux. Intérêt du travail thérapeutique de groupe en institution avec médiateur dans la pathologie du jeune adolescent. Psy Enf, 64(1), 169–210. Chagnon. (2012). 45 commentaires de textes en psychopathologie psychanalytique. Paris : Dunod. Cohen-Scali, V., & Guichard, J. (2011). « L'identité : perspectives développementales », L'orientation scolaire et professionnelle [En ligne], 37/3 | 2008. mis en ligne le 15 septembre. URL http://osp.revues.org/1716. https://doi.org/10.4000/osp.1716.
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Introduction et historique On passe souvent sous silence les changements cognitifs concomitants de la période de l'adolescence. Cependant, il existe un bouleversement dans les structures cognitives, au moins aussi important que les transformations pubertaires. Trois courants psychologiques apportent un regard sur ces changements : la psychologie génétique de Jean Piaget, la psychologie sociale et culturelle d'Henri Wallon et Lev Vygotski, et la neuropsychologie cognitive. Historiquement, la psychologie de l'enfant ne s'extrait que tardivement d'une préoccupation pour l'enfant dominée jusqu'au xviiie siècle par la pédagogie et les approches descriptives plutôt qu'expérimentales (voir Didactica Magna de Comenius, ou Some thoughts concerning education de John Locke, cité par Chapelle, 2001). Jean-Jacques Rousseau interpelle ces pédagogues dans la préface de l'Emile : « On ne connaît point l'enfance : sur les fausses idées qu'on en a, plus on va plus on s'égare. Les plus sages s'attachent à ce qu'il importe aux hommes de savoir, sans considérer ce que les enfants sont en état d'apprendre. Ils cherchent toujours l'homme dans l'enfant, sans penser à ce qu'il est avant d'être homme. […] Commencez donc par bien étudier vos élèves, car, très assurément, vous ne les connaissez point » (1762). Cependant, il faudra attendre le xixe siècle pour voir les scientifiques s'intéresser aux capacités des jeunes mineurs souvent à travers l'observation systématique de leurs propres enfants, complétée de quelques ébauches expérimentales. Avec d'un côté Charles Darwin, qui publie en 1877 Esquisse biographique d'un petit enfant, et de l'autre l'Allemand William Preyer qui publie en 1882 The Mind of the Child, se dessinent respectivement deux intentions de la psychologie de l'enfant (Chapelle, 2001) : • d'une part, passer par l'enfant pour accéder à la compréhension de la construction de l'humain et de sa pensée (psychologie génétique appelée aujourd'hui développementale) ; • d'autre part, mieux connaître le développement normal et atypique de l'enfant, qui renvoie plutôt à la psychologie différentielle (Lubart et al., 2011 ; Zazzo, 1972). À la fin du xixe et au début du xxe siècle, la psychologie de l'enfant se structure, avec notamment A. Binet en France, Edouard Claparède en Suisse, O. Decroly en Belgique, M. Montessori en Italie, et G. Stanley Hall aux États-Unis (cf. l'ouvrage Enfance et psychopathologie). C'est l'époque ou Adolescence et psychopathologie © 2018, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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A. Binet et T. Simon créent l'échelle métrique d'intelligence qui sera étendue à l'adolescence (cf. Ouvrage Enfance et psychopathologie). S'ajoute à ce mouvement l'influence sociale de la critique de la bourgeoisie et des excès du nationalisme qui mène à l'horreur de la Première Guerre mondiale. Dans ce contexte, émergent deux courants qui marqueront la psychologie de l'enfant : « l'épistémologie génétique » de J. Piaget et la « psychologie culturelle » d'H. Wallon et L. Vygotski. Jean Piaget (1896–1980) concrétise ses idéaux adolescents – F. Vidal (2015) rappelle que Piaget adolescent recherche son propre équilibre et défend l'idée, la vie, la science et le progrès contre l'égoïsme, le conservatisme et le nationalisme, comme en témoignent ses textes poétiques et littéraires, « La Mission de l'Idée » (1915) et « Recherche » (1918) – en déployant un ambitieux programme de recherche qui vise à comprendre l'évolution des « états de moindre connaissance à des états de connaissance plus poussée », non seulement dans le développement de l'enfant (psychologie génétique), mais au-delà dans l'histoire des sciences et des sociétés (épistémologie génétique). Il propose une approche « constructiviste », c'est-à-dire une pensée qui se développe en interaction continue avec son environnement, en cherchant progressivement son équilibre par « assimilation et accommodation ». Il décrit les stades d'évolution de la pensée dont le dernier, le stade de l'intelligence formelle, correspond à l'explosion des capacités réflexives à l'adolescence et abouti à l'acquisition de la pensée abstraite. Lev. Vygotski (1896–1934) comme Henri Wallon (1879–1962), animés par un projet psychopédagogique dont l'ambition est d'utiliser la psychologie pour éduquer massivement, se rejoignent pour concevoir le développement comme le produit d'une interaction permanente entre facteurs biologiques, affectifs et sociaux. Cependant, ils insistent particulièrement sur l'importance du contexte socioculturel. Le bébé appuie ses premières actions sur son entourage social qui le nourrit, notamment par les échanges émotionnels (Wallon) et qui l'étaye pour explorer sa « zone proximale de développement » (Vygotski). Cette « psychologie culturelle » que prolongera J. Bruner (voir plus bas) décrit l'interaction permanente entre la culture et le développement cognitif de l'adolescent : elle est à la fois moyen et expression de celui-ci. Ces courants seront ensuite enrichis par les apports de la psychologie cognitive et de la neuropsychologie. La psychologie cognitive naît avec Georges Miller et Jérôme S. Bruner (A study of thinking en 1956), dont la volonté est de sortir du behaviorisme pour étudier « les activités symboliques que l'homme utilise pour construire et donner un sens au monde qui l'entoure et à sa propre existence » (Bruner cité par Barth, 1995). Dans le contexte de l'après-guerre, les progrès technologiques influencent rapidement cette approche. D'abord, la cybernétique, née des conférences de Macy (1942–1953) – qui véhicule les notions de théorie de l'information,
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de feedback, d'associer calcul symbolique et support électrique, et qui donne naissance à l'intelligence artificielle – laisse penser que le rêve des philosophes rationalistes – René Descartes (1596–1650) ou G.W. Leibniz (1646–1716) – pourrait se réaliser : résumer l'activité de l'esprit à quelques règles simples de raisonnement ou de calcul. De cette rencontre émerge un courant dominant qui propose de décrire les opérations mentales selon l'analogie avec l'ordinateur : la pensée est au cerveau ce que le logiciel (software) et à la machine (hardware). Ces représentants sont notamment le linguiste Noam Chomsky (Syntaxic structures, 1957) ou le philosophe Jerry Fodor qui défend cette « théorie symbolique de l'esprit » (The langage of thought, 1975). Selon eux, penser, c'est manipuler des symboles logicomathématiques (voir Dortier, 2001 ; Barth, 1995). Par ailleurs, la neurophysiologie et la neuropsychologie ont continué leurs progrès. Depuis les premières indentifications d'aires de fonctionnement cérébrales dévoilées par les aphasies (Broca 1824–1880 et Wernicke 1848–1905), puis les cartographies cérébrales (W. Campbell 1868– 1937 et K. Brodmann 1868–1918), les progrès de l'imagerie cérébrale (EEG, EMG, scanner, IRM, TEP, etc.) renforcent le sentiment d'une description possible de la pensée à travers le fonctionnement cérébral (Changeux, 1983). Ces différents courants se rejoignent dans les années 1990 : c'est l'essor de la « neuropsychologie cognitive » qui, en associant symbolisme et neurosciences, séduit et bouleverse les rapports de force entre les disciplines (voir Chamak, 2011). En France, le premier « Institut des sciences cognitive » pluridisciplinaire est créé à Lyon en 1990 par Marc Jeannerod. Cette approche dominante permet de décrire de nombreuses fonctions mentales autonomes dont elle tente de saisir le support neuronal : attention, mémoires, praxies, langage oral et écrit, calcul, attention, mémoire de travail, fonctions exécutives (inhibition, planification, etc.), cognitions sociales (théorie de l'esprit, mentalisation, etc.). Elle assied de nombreuses propositions cliniques et thérapeutiques (thérapies cognitives, remédiations cognitives ; Partie III). En particulier elle participe à la description catégorielle actuelle des troubles spécifiques des apprentissages, voire plus largement des « troubles neurodéveloppementaux ». Elle enrichit aussi progressivement la description des spécificités du fonctionnement à l'adolescence. Cependant, Bruner luimême et d'autres acteurs des sciences cognitives critiquent ce « computationnalisme » (Varela, 1988) d'une part pour avoir déporté sa réflexion de l'esprit et la construction de la signification vers l'ordinateur et le traitement de l'information ; (Bruner, 1990) et d'autre part pour véhiculer une vision trop désincarnée, modulaire et solipsiste du cerveau et du fonctionnement mental. Ils tentent aujourd'hui de réintroduire le corps, l'interaction socioaffective, l'intersubjectivité et le contexte dans la compréhension de la cognition, ouvrant sur de nouvelles questions qui rejoignent les problématiques adolescentes (Chamak, 2011 ; Dortier, 2001).
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Psychologie génétique : maturation du raisonnement cognitif et moral à l'adolescence Pour Vidal (2015), Piaget décrit une pensée qui se déploie toujours de « l'égocentrisme, la subjectivité, le raisonnement concret, le conformisme et la transcendance, vers le jugement socialisé, l'objectivité, la pensée abstraite, l'autonomie et l'immanence ». Dans ce sens, Piaget et Inhelder décrivent à l'adolescence la maturation des dernières étapes des raisonnements logique, expérimental, épistémologique et moral (Piaget, 1947, 1964 ; Piaget et Inhelder, 1966).
L'intelligence opératoire formelle Les « structures » de l'intelligence opératoire formelle se mettent en place vers 12–13 ans (Piaget et Inhelder, 1966). Cette modalité de pensée vient progressivement chapeauter le développement de la pensée logique qui comprend quatre stades : • sensorimoteur de 0 à 2 ans, qui s'achève par l'acquisition de la permanence de l'objet, des représentations mentales et du langage ; • préopératoire de 3 à 7 ans, inaugurée par l'arrivée de la pensée symbolique, avec notamment l'imitation et le jeu symbolique, pensée qui reste à ce stade égocentrée, voire animique – les choses inanimées peuvent être conçues comme vivantes et douées d'intentionnalité – et marquée par un certain transitivisme (ou « équivalence symbolique » c'est-à-dire confusion monde interne-monde externe) ; • opératoire concret de 7 à 12 ans, où l'égocentrisme cède la place à une socialisation plus opérante dans laquelle des discussions deviennent possibles, avec le besoin de faire le lien entre des idées et l'utilisation de justification logique. L'anticipation, la réflexion et la recherche de causalité commencent à asseoir la construction d'une personnalité. Le raisonnement s'appuie sur les opérations logiques (concepts, relations, opérations mathématiques, temporelles, géométriques, etc.) qui portent sur la réalité concrète ; • opératoire formel, qui correspond au développement de la structure de « groupe combinatoire » et débute à partir de 12 ans. L'adolescent (entre 12 et 16 ans) commence à raisonner par hypothèse. Il dépasse les limites de la pensée sur le concret pour se mettre à penser sur ses propres pensées : le réel n'apparaît plus que comme un simple cas particulier, car il envisage maintenant l'ensemble des cas possibles. La méthode expérimentale, la nécessité de démontrer les positions énoncées, la notion de probabilité, deviennent accessibles. Sur le plan pratique, la mise en place d'une possibilité de raisonnement hypothético-déductif se traduit par l'accession au groupe des opérations formelles de transformation : l'identique, la négation, la réciproque et la négation de la réciproque, c'est-àdire la corrélative (INRC). Ainsi, à titre d'exemple, au stade concret, l'enfant
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c omprend que 2/4 est plus grand que l/4 parce qu'il n'a à comparer que 1 et 2 ; mais c'est seulement au stade formel qu'il comprend l'égalité 1/3 et 2/6 parce qu'il peut établir un rapport entre la comparaison des numérateurs d'une part, et la comparaison des dénominateurs d'autre part : il peut poser ces deux proportions et le rapport entre deux rapports. Il est essentiel de comprendre qu'avec le stade des opérations formelles, le rapport au monde change complètement : au lieu que « le possible se manifeste simplement sous la forme d'un prolongement du réel ou des actions exécutées sur la réalité, c'est au contraire le réel qui se subordonne au possible » (Piaget). Le préadolescent s'affranchit du concret et du quotidien pour « élaborer des théories abstraites » portant son intérêt sur « des problèmes inactuels, sans rapport avec les réalités vécues au jour le jour ». Il déploie une pensée réflexive de 2e degré, qui devient possible « sans l'appui de la perception, de l'expérience, ni même de la croyance » (Piaget, 1964). Elle se porte maintenant sur le langage – peu importe qu'il soit fait de mots ou de symboles mathématiques – sur des propositions ou sur des opérations et une combinaison de ses opérations (groupe combinatoire INRC). On parle du caractère « récursif » de la pensée (Dolle, 1974 ; Bariaud, 1997). Mais cette explosion cognitive repose sur la stabilisation de certains préalables et en particulier : capacité d'inférence, catégorisation et inclusion, permanence de l'objet et conservations, et sécurité à penser au-delà de la perception concrète. L'instabilité de ces prérequis fragilise le développement de cette pensée et le fonctionnement de la personnalité dans son ensemble (voir plus bas). En outre, sur le plan temporel, le déploiement de cette pensée formelle précède celui de la puberté ou en accompagne les premiers stades. Cette préséance de quelques mois permettrait que s'ébauchent de nouveaux modèles d'appréhension de soi et des autres, avant que survienne la sexualisation de la pensée (Catheline, 2001 ; Bariaud, 1997). Sur le plan clinique, l'évaluation de ces opérations formelles est devenue possible avec la mise au point de l'Échelle de Pensée Logique (EPL) puis le l'UDN-II. L'EPL, étalonnée sur un groupe mixte de 9 à 16 ans, se compose d'une série de cinq épreuves qui couvrent une partie du stade opératoire concret et l'ensemble du stade des opérations formelles A et B (Longeot, 1979) : • Quatre épreuves logicomathématiques : – une épreuve d'opérations combinatoires de type permutation ; – une épreuve de quantification des probabilités ; – une épreuve faisant appel à la logique des propositions, construite autour des facteurs qui modifient la fréquence des oscillations d'un pendule (poids, hauteur du lancer, longueur du fil, poussée) ; – une épreuve de coordination de deux systèmes de référence distincts dans la représentation de l'espace (courbes mécaniques) ; • Et une épreuve infralogique, structurant l'objet : de conservation et de dissociation des notions de poids et de volume.
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Les résultats permettent de situer le fonctionnement mental d'un enfant et d'un adolescent dans l'une des quatre classes : stade concret, intermédiaire, formel A et formel B. Cette épreuve a été critiquée pour mesurer principalement le même facteur d'intelligence générale que les tests de QI plus classiques : Humphreys, Rich et Davey (1985) retrouvent une corrélation de 0,80 entre le score à une série d'épreuve piagétienne et le QI au WISC sur un échantillon de 148 enfants de 6 à 18 ans. En pratique, elle a aussi été délaissée pour sa lourdeur d'utilisation, bien que ce même auteur affirmât que les épreuves piagétiennes enrichissent l'exploration et qu'elle a permis à Gibello de démontrer la présence de « dysharmonies cognitives pathologiques » chez des jeunes en difficulté présentant des résultats normaux et homogènes aux échelles d'intelligence (Gibello, 2009). Plus récente, l'Utilisation Du Nombre (UDN-II), vise à observer la pensée logicomathématique de l'enfant par cinq types d'épreuves inspirées de la théorie piagétienne (Conservations, Logique élémentaire, Utilisation du nombre, Origine spatiale et Connaissances scolaires en mathématique), mais se limite à l'enfance et n'explore pas le stade formel (Meljac et Lemmel, 2007).
Développement épistémologique et moral L'adolescence apparaît aussi comme une période cruciale pour la maturation des croyances épistémologiques – c'est-à-dire du rapport aux connaissances et à leur acquisition – ainsi que pour le jugement moral (Lehalle in Claes et Lannegrand-Willems, 2014). On distingue trois grandes modalités de rapport aux connaissances : l'absolutisme (les connaissances reposent sur des faits qui doivent être pensés en vrais ou faux, et qui restent considérés indépendamment), le multiplicisme (les connaissances sont des opinions considérées comme variables et incertains, « tout est possible »), et l'évaluationnisme (forme plus aboutie de pensée qui fonde ses décisions sur une analyse critique des données en considérant la relativité de leur source). Précisons l'influence importante des temps de débat et d'échange entre pairs sur le développement d'une pensée évaluationniste (tableau 5.1). Parallèlement, le jugement moral se développe de l'hétéronomie (morale imposée de l'extérieure) vers plus d'autonomie en fin d'adolescence. Kohlberg décrit 3 niveaux et 6 stades (Lehalle in Claes et LannegrandWillems, 2014, Lehalle et al., 2004) : • I. Au niveau préconventionnel, l'intérêt personnel prime. – 1. Les jugements visent à se soumettre aux autorités dans le but d'éviter les sanctions. – 2. La décentration de soi permet de tenir compte du point de vue de l'autre, de coopérer, de partager ses intérêts, mais la solution recherchée reste la meilleure solution personnelle.
Les modèles cognitif et éducatif
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Tableau 5.1. Comparaison des pensées absolutiste et évaluationniste. 5 aspects de la croyance
Pensée absolutiste
Pensée évaluationniste
1. Stabilité de la connaissance
Conclusions définitives
Conclusions toujours à reconsidérer au regard de nouvelles données
2. Relations entre les connaissances
Isolées, ne se contredisent jamais
Reliées en réseau, s'enrichissent les unes les autres
3. Origine des connaissances
Experts omniscients Rapport de faits vrais ou faux
Fruit d'une discussion rationnelle avec une considération de la source des données factuelles observées
4. Processus d'acquisition
Rapide en tout ou rien
Progressif Demande un effort
5. Possibilité d'acquisition
Aptitudes déterminées
Aptitudes acquises et toujours améliorables
D'après Schommer-Aikins, 2004 ; Kuhn et al., 2000 ; Kuhn et Crowell, 2011 ; Kuhn et Crowell, 2011.
• II. Au niveau conventionnel, les contraintes sociales sont prises en considération. – 3. Les normes sociales de référence sont celle du groupe des proches (confiance, respect) ; loyauté et soucis des proches interviennent pour satisfaire les attentes des personnes familières. – 4. Les considérations sociales s'étendent à la société : le respect de la légalité apparaît comme indispensable au bon fonctionnement social. • III. Au niveau post-conventionnel, le conformisme et l'idéologie dominante sont dépassés par une éthique de la relativisation et de la discussion. – 5. La loi est considérée avec une certaine relativité en fonction du temps et des lieux ; la décision se complexifie lorsqu'il y a conflit entre la morale et la loi ; – 6. Ce conflit est dépassé par l'invocation de principes éthiques (mérite, équité, etc.), et une relativisation en fonction du contexte. Les stades 2 et 3 sont les plus fréquents au début de l'adolescence, puis les stades 4 et 5 progressent lentement durant cette période. Le stade 3 reste cependant relativement fréquent. Le plus souvent, ce n'est qu'en fin d'adolescence qu'un individu apparaît capable de remettre en question une loi groupale qui irait contre certains principes, quitte à porter une position minoritaire. Les études utilisant le Moral Jugment Interview ou le Questionnaire à choix fermé de Rest ont en effet montré que les deux dernières positions (5 et 6) restent minoritaires en population générale ; leur développement se corrélant à celui des capacités d'empathie (EisenbergBerg et Mussen, 1978). Ces bouleversements de la pensée participent à la construction de soi et à la manière d'appréhender les apprentissages proposés par le milieu.
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Bases théoriques et généralités
Psychologie culturelle : apprentissages sociaux et culturels À l'adolescence, les apports de la psychologie culturelle de Wallon, Vygotski puis Bruner témoignent d'une maturation cognitive particulièrement sensible aux « apprentissages » sociaux ou culturels. Précisément « l'immersion » culturelle donne sens à l'activité en situant l'intentionnalité qui la sous-tend. La psychologie culturelle défend cette réflexion à travers des thèmes récurrents de recherche, notamment : l'influence du contexte, l'attention conjointe (c'est-à-dire à la trame dans laquelle s'établit la communication ; cf. l'ouvrage Enfance et psychopathologie) ou encore la narration qui exprime le sens par un mode interprétatif et contextualisé (par opposition à un sens donné par un code décontextualisé) et permet la stabilisation d'une identité narrative.
Influence réciproque entre pensée, environnement et construction du sens de soi Cette influence semble d'autant plus présente chez l'adolescent qui n'est pas contraint de se conformer à un rôle rigoureusement défini. Il s'émancipe de sa famille et se confronte aux pressions du groupe des pairs (chap. 25), mais garde suffisamment de liberté pour naviguer dans son environnement et ses identifications par expérimentations successives. Dans ce processus, l'évolution de la pensée précipite la remise en cause progressive des références intellectuelles construites pendant l'enfance, le choix de nouvelles valeurs et de buts. L'adolescent s'engage alors plus personnellement dans des expériences essentielles pour la construction identitaire et de l'estime de soi. Inversement, la stabilité du sentiment d'identité soutien le développement de la pensée et sa « résistance » à l'environnement. Par exemple, l'étude des trajectoires des adolescents issus de milieux sociaux défavorisés et ayant fait des choix « exemplaires » témoigne que l'existence d'un sentiment cohérent d'identité (cohérence entre leur passé, leur situation actuelle et leur projet), apparaît comme le déterminant principal de leur capacité à se construire une pensée propre et s'extraire du déterminisme social (Lehalle et al., 2004).
Le développement de l'identité narrative et du raisonnement autobiographique Pour Paul Ricoeur, l'homme n'accède à une identité que lorsque son expérience temporelle s'inscrit de manière narrative. Autrement dit, la qualité de son récit de vie témoigne de sa capacité à intégrer les événements de vie dans un tout cohérent et plein de sens, pour former une identité narrative aboutie. Or, l'adolescence et ses changements sont une période d'intense construction de cette identité narrative : « si l'adolescent se relance à la découverte de soi, c'est qu'il est dépaysé par sa propre personne » (Wallon, 1941). Il se
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redécouvre, puis élabore son propre système de valeurs sociales (éthiques, culturelles, professionnelles, etc.) et ainsi atteint à la fois le sentiment d'individualisme et d'intégration sociale. À travers l'étude du raisonnement autobiographique (RA), la neuropsychologie cognitive opérationnalise le concept de narrativité. Le RA est un niveau particulièrement complexe de narration qui permet de relier les événements ayant une dimension épisodique, c'est-à-dire impliquant le point de vue propre du Sujet : • au contexte social (la culture) ; • au temps et à l'espace ; • en y arrimant des liens de causalité physiques et surtout motivationnels générateurs de sens pour le locuteur et l'auditeur ; • et susceptible finalement de construire une cohérence thématique entre les événements ou les actions des individus (Habermas, 2011 ; Habermas et de Silveira, 2008). D'un point de vue développemental, ce mode de raisonnement bénéficie de précurseurs (notamment les précurseurs du langage et la complexification progressive de la langue très dépendant du contexte environnemental). Il permet d'échafauder progressivement une cohérence globale du récit et surtout un sentiment de continuité du Sujet ; c'est-à-dire un sentiment de consistance (ou d'incarnation) et de stabilité (à la fois immutabilité de soi ou identité-mêmeté, et permanence de soi malgré les changements ou identité-ipséité). Ceci repose sur quatre organisateurs de la cohérence du récit : – La cohérence culturelle, acquise précocement, permet, d'une part de maîtriser la violence de l'imprévu en favorisant l'anticipation du sens de ce qui peut survenir et le codage de l'expérience vécue, et d'autre part de connaître les implicites de la narration en prescrivant les attendus des scénarios de vie typiques et des récits. – La cohérence temporelle ne s'acquiert que très progressivement. Ce n'est que vers l'âge de 12 ans que les facultés de repérage et de manipulation du temps narratif sont complètement acquises : les événements peuvent être ordonnés sur des périodes distantes, le calendrier est entièrement intégré, le temps peut être facilement manipulé. Cette familiarisation avec la temporalité semble un préalable indispensable à l'expression des deux derniers niveaux de cohérence dont les indicateurs explosent à l'adolescence. – La cohérence causale permet de donner du sens aux événements en reliant les actes aux motivations personnelles des acteurs. On l'observe dans les récits à travers la description des états mentaux ou des traits de personnalité. Et lorsque ces éléments viennent à manquer, les événements semblent incohérents, comme vidés de leur sens ou livrés au hasard. Alors qu'un enfant de 10 ans ne s'intéresse qu'aux états mentaux immédiatement liés à un événement (ex. : « il ne veut pas jouer car il est triste »), celui de 12 ans réfléchit sur l'état mental et peut relier cet état mental à un autre état mental ou à une expérience antérieure («…il est triste parce que. »).
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Bases théoriques et généralités
– La cohérence thématique permet d'assurer un lien de continuité malgré des changements, entre différentes attitudes synchroniques (p. ex. différents rôles) ou diachroniques (intégration temporelle à travers un argument biographique, p. ex.). Cette cohérence transparaît à travers la transparence du processus réflexif dans le discours à la fois directement (interprétation, explicitation, analogies, etc.) ou indirectement (marque de l'insécurité et du doute du narrateur : utilisation du conditionnel, pondérations : « il me semble », « je pense », etc.). Ainsi, vers 15 ans, la quête interprétative se renforce et se complexifie. La stabilité des acteurs est mise en tension par une compétition entre différents traits de personnalité parfois contradictoires. Vers 17–18 ans, la projection dans l'avenir facilite la résolution des contradictions et offre un sentiment de soi plus consistant et sécurisant. Ainsi, il a été démontré que témoigner, par la qualité de son récit de vie, d'une identité narrative aboutie, est un facteur de santé mentale. Précisons que cet effort narratif ne doit pas être entendu comme un code symbolique qui permet d'acquérir des connaissances, mais plutôt comme un geste qui permet de se forger une expérience signifiante et incarnée utile pour construire son point de vue sur le monde, sa subjectivité. Cet ancrage corporel de la narrativité semble confirmé par l'augmentation de la conscience intéroceptive suite à une stimulation de la mémoire épisodique (Ainley et al., 2013). Notons que cette approche cognitive de la narration rejoint les psychanalystes comme L. Kaplan qui évoque l'intérêt à l'adolescence d'une reviviscence des désirs, des souhaits, des fantaisies issus du passé infantile : cette reviviscence permettrait une prise de conscience, une transformation et une sélection de ce passé. Elle explique aussi l'importance des (re)narrations dans le cadre des thérapies et en particulier des « thérapies narratives » (White et Epston, 1990).
La sensibilité au rejet par les pairs Il existe cinq phases dans le développement social selon que la source principale de motivation sociale, est : • la figure d'attachement dans la première enfance ; • les jeux avec les pairs dans la deuxième enfance ; • l'acceptation et l'intégration du groupe des pairs dans la première adolescence ; • puis les relations amoureuses plus intimes dans la deuxième adolescence ; • et enfin une phase adulte avec un équilibre entre relations avec un groupe multigénérationnel relativement stable, des relations intimes et le soin apporté aux enfants. Chacune de ces phases apparaît comme une période critique où le haut degré d'implication émotionnelle et motivationnelle participe à modeler différents patterns neurobiologiques et comportementaux. L'adolescence semble une période particulièrement sensible à l'influence des pairs. Au
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moment de s'émanciper de sa famille, l'adolescent s'attache particulièrement au jugement de ses pairs. Lorsqu'il est exclu d'un jeu expérimental, il manifeste des réactions anxiodépressives plus marquées que celle des adultes. De même, les adolescents testés en présence d'un pair prennent deux fois plus de risques que ceux testés seuls, alors que les adultes ne modifient pas leur prise de risque en fonction du contexte (tâche expérimentale de conduite avec gestion d'un risque). Ils craignent particulière ment l'isolement et la solitude. Inversement, le support par les pairs (présence d'un confident, p. ex.) apparaît comme un des plus solides facteurs protecteurs en termes de psychopathologie. Les études d'imagerie retrouvent aussi, durant une tâche d'exploration de visages, une augmentation de l'activation préfrontale chez les adolescents comparativement aux enfants ou aux adultes. Finalement, des études animales plaident même pour une véritable « période sociale critique » en termes de développement cérébral : des rats isolés socialement en début « d'adolescence » développent des patterns neurobiologiques de vulnérabilité aux addictions même s'ils sont ensuite réexposés socialement, contrairement à des rats exposés plus tardivement à cet isolement (Gardner et steinberg, 2005 ; Myklestad et al., 2012 ; pour revue voir Blakemore et Mills, 2014).
Neuropsychologie cognitive Modules cognitifs et troubles neurodéveloppementaux La neuropsychologie a progressivement proposé des hypothèses sur le fonctionnement normal en étudiant les troubles comportementaux et émotionnels secondaires à des lésions cérébrales, notamment à travers des épreuves de « doubles dissociations » (réussite et échec croisés à deux épreuves proches A et B chez deux patients différents, permettant de faire l'hypothèse d'une indépendance de deux modules cérébraux : par exemple troubles de compréhension et persistance d'une fluence verbale dans l'aphasie de Wernicke, et inversement dans l'aphasie de Broca). Concrètement, elle a décrit une spécialisation des aires cérébrales et une série de fonctions relativement autonomes de deux niveaux. Les premières sont spécifiques à certains domaines (mémoires, praxies, schéma corporel, langage oral, langage écrit, calcul, motricité, sensorialités), et les secondes renvoient à des fonctions plus globales qui permettent de coordonner les informations précédentes (efficience générale ou facteur g, cognition sociale, attention, mémoire de travail et fonctions exécutives). Ensuite, les observations des pédiatres et le développement
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Bases théoriques et généralités
de nouveaux paradigmes expérimentaux permettant d'explorer la pensée des enfants (p. ex : variations du regard ou de la succion face à un événement significatif) ont permis de décrire des (dys)fonctions développementales se rapprochant de celles observées à partir des tableaux cliniques lésionnels adultes. Ces descriptions structurent aujourd'hui la catégorisation des troubles dits « neurodéveloppementaux (tableau 5.2 ; Schnider, 2008 ; Gil, 2006 ; Mazeau et Pouhet, 2014, et ouvrage Enfance et psychopathologie).
Tableau 5.2. Catégorisation des troubles dits « neurodéveloppementaux » au regard des fonctions cognitives principalement impliquées. Fonctions cognitives
Atypicités neurodéveloppementales Fonctions cognitives globales
Capacité intellectuelle globale, « Facteur G » Capacité d'inférence Vitesse de traitement
Déficience intellectuelle homogène Haut potentiel intellectuel
Cognition sociale (théorie de l'esprit, empathie, etc.) Pragmatique sociale Régulation socioémotionnelle Capacité d'apprentissage social
Troubles du spectre autistique Trouble pragmatique de la communication sociale Autres troubles envahissants « non spécifiés » Trouble de la personnalité Méfiance épistémique et troubles de la mentalisation
Fonctions exécutives et attentionnelles
Troubles déficit de l'attention hyperactivité Syndrome dysexécutif Dysphasie sémantique-pragmatique
Fonctions cognitives spécialisées et liées aux apprentissages Mémoire à court terme et mémoire de travail (auditivoverbale, visuospatiale, buffer épisodique et administrateur central)
Dysmnésies de travail Participe aussi des dysphasies et dyslexies phonologiques
Mémoire procédurale (apparaît dès la naissance, permettant l'inscription de savoir-faire practomoteurs, langagiers, cognitifs)
Amnésies développementales (dysmnésies développementales et amnésies procédurales acquises précocement)
Mémoire déclarative : – M. Épisodique (apparaît vers 3 ans, explose vers 5 ans avec l'inscription des souvenirs épisodiques dans un repérage temporel et de mentalisation) – M. Sémantique (apparaît vers 8 mois, explose avec l'apprentissage scolaire)
Amnésies développementales (dysmnésies développementales et amnésies déclaratives acquises précocement)
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Compétences liées au langage oral : – phonologie, et mémoire de travail auditivoverbale (boucle phonologique) – lexique/sémantique, et mémoire déclarative – syntaxe
Dysphasies : – dysphasie phonologique – manque du mot – dysphasie phonologique-syntaxique
Fonctions perceptivognosiques
Dysgnosies, asomatognosies, autotopoagnosies, hétérotopoagnosies Troubles du schéma corporel, dépersonalisation (out-of-body experience)
Fonctions visuo-practo-spatiales et graphiques : – coordinations motrices – coordinations visuomotrices et gestuelles
Troubles d'acquisition de la coordination Dyspraxies Dysgraphie-symptôme
Fonctions logiques et calcul : – raisonnement logique (classifications, inclusions, sériation, conservation, combinatoire) – subitisation, sens des estimations et traduction sémantique du nombre : sens du nombre – arithmétique (lexique et syntaxe mathématique ; comptage et dénombrement selon les 5 principes de Gelman et Gallistel : relation biunivoque terme à terme, stabilité de l'ordre, cardinalité, non-pertinence de l'ordre et abstraction du nombre vis-à-vis de l'objet ; gestion de la symbolique indo-arabe et des opérations)
Troubles logicomathématiques : – troubles logicomathématique du type « Dysharmonies cognitives » (Gibello) – dyscalculies « vraies » : trouble du sens (sémantique) du nombre ; syndrome de Gertsman (dyscalculie avec troubles spatiaux, dysgraphie, agnosie digitale, indistinction droite/gauche) – autres troubles logicomathématiques liés aux apprentissages mathématiques, parfois secondaires aux troubles visuospatiaux, de mémoire de travail, de fonctions phonologiques ou exécutives.
Langage écrit
Dyslexie-dysorthogaphie
Adapté d'après Gil, 2006 ; Schnider, 2008 ; Mazeau et Pouhet, 2014.
L'adolescence, période de déséquilibre entre manque de régulation émotionnelle et prise de risque Régulation émotionnelle et dysrégulation émotionnelle Avec le concept de régulation émotionnelle (RE), Fox réintroduit l'émotion et sa régulation comme objet d'intérêt de la recherche cognitive. La RE se définit comme l'ensemble des procédures à travers lesquelles l'expérience émotionnelle est mise en forme (volontairement ou non) au service d'un comportement et de relations adaptées. Ces procédures impliquent différents mécanismes (fonctions attentionnelles, exécutives, cognition sociale, etc.) et sont mesurées indirectement par l'observation du caractère plus ou moins adapté du comportement. Inversement, la dysrégulation
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émotionnelle se traduit par une vulnérabilité plus importante aux troubles internalisés (troubles de la socialisation, troubles anxieux précoces, dysphorie), externalisés (agressivité, impulsivité) et à la désorganisation psychotique. Cette RE repose sur un équilibre entre deux types de circuits : • Les circuits bottom-up (hautement héritables et de maturation précoce), d'une part sérotoninergiques qui favorisent les troubles internalisés et, d'autre part, dopaminergiques qui favorisent l'agressivité et l'impulsivité ; ces premiers circuits apparaissent nécessaires mais insuffisants pour provoquer une psychopathologie qui nécessite par ailleurs un défaut des circuits inhibiteurs. • Les circuits régulateurs, top-down (moins héritables, plus sensibles à l'environnement social et continuant leur maturation jusqu'à l'âge de 20 ans environ) comprennent d'une part les circuits préfrontaux- latéraux qui inhibent l'amygdale et l'anxiété et, d'autre part, les circuits préfrontaux-ventraux-médiaux qui inhibent le striatum et l'impulsivité. L'intérêt de cette approche est qu'elle pourrait proposer des endophénotypes (dosages hormonaux, mesures électrophysiologiques) susceptibles d'éclairer sur les mécanismes sous-jacents à un trouble. Par exemple, il a été suggéré que la mesure électrocardiographique de l'espace R-R, refléterait, non seulement le fonctionnement parasympathique, mais indirectement des capacités de régulation émotionnelles : un R-R lent et réactif aux émotions traduisant un manque de régulation, par opposition à un R-R plus rapide et moins réactif associé à une meilleure résilience (Beauchaine, 2015 ; Latham et al., 2017 ; Shulman et al., 2016).
Influence de l'environnement sur la régulation émotionnelle L'environnement et les stress précoces exercent une « contrainte » sur le développement du cortex cérébral régulateur. Ainsi, l'expression importante par l'entourage d'affects négatifs (humiliation, colère, violence) et la fuite des émotions négatives, qu'elles prennent leur source en soi-même (autocritique) ou chez les autres, favorisent la dysrégulation et la labilité émotionnelle. Même les traits hautement héritables d'impulsivité ou d'anxiété subissent cette influence de l'environnement : il a ainsi été montré que l'exposition à la maltraitance augmentait le risque de décompensation anxiodépressive chez les porteurs de l'allèle court de la sérotonine, ou le risque de troubles externalisés chez les jeunes impulsifs (Beauchaine, 2015). Cette approche cognitive nourrit par ailleurs la théorie de la confiance épistémique développée par Peter Fonagy (chap. 4 et 22).
Déséquilibre favorisant la prise de risque et limitant les comportements prosociaux à l'adolescence Steinberg et Casey postulent déséquilibre maturatif entre les systèmes corticaux de régulation, favorisant la prise de risque à l'adolescence : • Le système de contrôle de l'inhibition localisé au niveau des cortex préfrontal (latéral et cingulaire antérieur) et pariétal reste immature tant sur le plan structurel comme nous venons de le voir, que fonctionnel (passage progres-
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sif d'une activation diffuse à une activation focale durant les tâches d'inhibition type go/no-go). • A contrario, le système motivationnel socioémotionnel, impliquant le « cortex limbique » (striatum, cortex préfrontal médian et orbitofrontal), présente une maturation plus précoce et tend à augmenter la recherche de récompense. • Certains y ajoutent un système émotionnel, lié à l'amygdale cérébrale, qui favorise l'intensité du vécu émotionnel, la tendance à l'évitement et la recherche de récompense immédiate (augmente le caractère coûteux du délai dans les tâches de récompense différée). Ainsi, du fait de ce déséquilibre, on observe durant l'adolescence une augmentation puis un pic dans la prise de risque, la recherche de sensation et de récompense ; pic qui diminue ensuite rapidement avec l'entrée dans l'âge adulte. Cette sensibilité apparaît d'autant plus que les taches se réalisent en situation d'ambiguïté, en présence de pairs, et qu'elles sont excitantes (par opposition à effrayantes). De ce point de vue, l'adolescent apparaît particulièrement vulnérable aux consommations à risque : tabac, cannabis, etc. (tableau 5.3 ; Spear, 2013 ; Shulman et al., 2016 ; et figure 8.3).
Tableau 5.3. Arguments comportementaux et expérimentaux en faveur d'un déséquilibre maturatif favorisant le manque de régulation émotionnelle et la prise de risque à l'adolescence. Type de tâche
Évolution des comportements avec l'âge
Comportement de recherche de sensation observé
Augmente de 9 à 13 ans, pic vers 16–17 ans pour les filles, 18–19 ans pour les garçons, diminution chez les adultes
Impulsivité rapportée
Diminue durant la 2e décennie, et continue de diminuer durant la 3e décennie
Planification : test de la Tour de Londres
Augmente progressivement avec l'âge sans aucune sensibilité au statut pubertaire
Inhibition (test de go/no-go ; test de Stroop, test des antisaccades ; neutres ou émotionnels)
Augmente depuis l'enfance jusqu'à l'adolescence, puis stable pour les tâches non émotionnelles, et continue de progresser de l'adolescence à l'âge adulte pour les tâches émotionnelles
Prise de risque : test de conduite en présence de pairs
La prise de risque augmente en présence des pairs
Sensibilité à la récompense (Iowa Gambling Task)
Augmente entre 14 en 21 ans, puis diminue. Durant l'adolescence, augmentation de l'activation striatale pour les fortes récompenses, diminution pour les récompenses faibles ou différées.
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De même, cette lente maturation se traduit par une progression lente dans les taches explorant les comportements prosociaux (jeux de coopération) : les attitudes de confiance et la capacité à prendre en compte la perspective des autres et leur contexte (réciprocité) augmente durant toute l'adolescence (Van den Bos et al., 2010).
Application en psychopathologie et psychopédagogie En termes de psychopathologie Dans le domaine de la psychopathologie, il n'est pas rare que ce soit les difficultés cognitives et scolaires qui incitent à la consultation. Cependant, comme nous l'avons vu, la cognition ne peut être totalement isolée, elle s'appuie largement sur les affects et les relations ; et inversement : pour preuve, les perturbations affectives et comportementales souvent très importantes que la puberté provoque chez les enfants encéphalopathes (chap. 28, « Adolescence et déficience mentale ») témoignent clairement combien « l'intelligence » participe à ce que l'adolescent puisse assumer et intégrer les modifications corporelles, affectives et relationnelles qui s'opèrent dans et autour de lui. De cette intrication, il découle une forme de hiérarchisation dans la démarche diagnostique lorsque l'on explore les problématiques cognitives à l'adolescence : • Il convient d'abord de rechercher un trouble des fonctions supérieures globales, révélé par les exigences cognitives et socioémotionnelles de l'adolescence. Il s'agit d'abord d'écarter une déficience ou une « précocité » intellectuelle cliniquement ou en utilisant le QI donné par les échelles de Weschler en étant particulièrement attentif aux épreuves saturées en Facteur g (Similitudes, Cubes, Identification de concepts et Matrices). Ensuite, il convient de rechercher un trouble du spectre autistique, voire un trouble pragmatique de la communication plus discret. Enfin, doivent être écartés les troubles attentionnels, dysexécutifs ou les autres troubles envahissants du développement associés à une forte dysrégulation émotionnelle (cf. ouvrage Enfance et psychopathologie). • Ensuite le diagnostic des troubles spécifiques du développement repose sur l'association de leur consistance (durabilité), leur intensité (déviation significative vis-à-vis de la norme sur une évaluation psychométrique étalonnée) et de la présence d'une dissociation ou de signes pathognomonique (cf. supra). Ceux-ci sont présents depuis l'enfance, mais se révèlent à l'adolescence car les exigences, notamment d'efficience scolaire et d'autonomie ne permettent plus leur compensation (Mazeau et Pouhet, 2014).
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• Il convient aussi de savoir repérer les hétérogénéités du développement. Certaines acquisitions apparaissent comme des précurseurs indispensables au déploiement de la pensée adolescente formelle, épistémique et narrative. Ces hétérogénéités rendent la « métapensée » adolescente peu fonctionnelle, voire douloureuse. Il peut s'agir d'hétérogénéités liées aux « dys-neurodéveloppementaux » précédemment décrits, mais aussi des hétérogénéités psychocognitives du type des « dysharmonies cognitives » décrites par Gibello : maintien de modalités défensives archaïques, manque de permanence de l'objet, dyschronies, dyspraxies, dysgnosies, trouble de la symbolisation ; ou encore de troubles du schéma corporel (Lenoble et Durazzi, 2014 ; Gibello, 2009). De même, l'instabilité des premiers niveaux de cohérence narrative (culturelle, temporelle) dégrade significativement la possibilité pour l'adolescent de développer et d'utiliser de manière fonctionnelle les niveaux de raisonnement causal et thématique (Habermas, 2011). En pratique clinique, on observe souvent des tentatives inabouties d'accompagnements de jeunes adolescents placés ayant vécu dans une instabilité permanente perturbant leur capacité de repérage temporel, tentatives qui reposent sur l'attente qu'ils se positionnent de manière adaptée face à leurs proches maltraitants (effort de mentalisation reposant sur des inférences causales), sans pour autant ni s'être assuré au préalable de leur niveau de raisonnement temporel, ni avoir organisé les rencontres familiales de manière suffisamment repérées dans le temps pour compenser cette difficulté. • Même lorsque le jeune semble posséder l'attirail nécessaire au développement de la pensée formelle, celle-ci peut expliquer une « douleur à penser » chez les jeunes adolescents : inhibition, évitement, apparition d'un doute plus ou moins envahissant, etc. Plusieurs facteurs participent du caractère intolérable de cette pensée. D'abord, l'adolescent éprouve parfois une intolérable excitation dans l'exercice de cette fonction cognitive, excitation prenant parfois une signification directement sexuelle d'où découlent un sentiment de culpabilité et une inhibition intellectuelle plus ou moins importante (chap. 15 « L'inhibition »). Ceci peut s'expliquer en partie par la conjonction temporelle entre le déploiement de l'intelligence opératoire formelle d'un côté, et de la pulsion génitale de l'autre côté. En outre, penser par soi-même exige d'assumer son émancipation, autrement dit de penser la séparation ; et ceci peut devenir angoissant en cas d'antécédent d'angoisse de séparation dans la petite enfance, surtout si cet adolescent n'a pas investi au cours de son enfance un plaisir à penser protecteur. En effet, « le maintien du plaisir à penser constitue un apport narcissique important face au doute suscité par l'explosion des capacités cognitives » (Catheline, 2001). Dans ce cas, le doute indissociable de la situation d'apprentissage sera rapidement insupportable dès que les problèmes posés gagneront en complexité, ou que les connaissances nouvelles et l'ouverture sociale obligent à réviser ses croyances familières : ici la pensée peut se rigidifier et favoriser des attitudes
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de refus ou d'opposition, ou encore se teinter d'un absolutisme vulnérable aux influences sectaires. De même, dans le champ des relations sociales, la difficulté à accéder aux structures combinatoires peut rendre compte des difficultés relationnelles, en particulier à travers l'impossibilité d'accéder à la compréhension de la réciprocité et de la mutualité dans les échanges sociaux et/ou affectifs. « Ça me prend la tête », dit le jeune adolescent ; et on retrouve particulièrement cette fuite de la pensée et ces attitudes égocentrées dans le cas des conduites psychopathiques chez des jeunes marqués par des carences précoces et manifestant une hétérogénéité dans leur développement psychoaffectif (chap. 20, 21, 22). Une grande partie des perturbations affectives des adolescents débiles profonds ou encéphalopathes peut aussi être comprise ainsi. • Dans d'autres cas, l'adolescent peut hyperinvestir de façon défensive ces nouvelles possibilités que lui donne la pensée formelle : de même que l'enfant qui vient d'accéder au premier stade de la pensée opératoire joue souvent avec beaucoup de plaisir avec ses nouvelles facultés, de même l'adolescent voit s'ouvrir l'immense champ du possible où la pensée peut se déployer sans support concret. Le surinvestissement intellectuel de certains adolescents peut, dans certains cas, être analysé comme une tentative de préserver la toute-puissance infantile appliquée cette fois au champ idéique. A. Freud décrit ainsi « l'intellectualisation », moyen de défense psychique spécifique des adolescents (chap. 4, Les défenses du Moi face aux conflits). De même, l'hyperréflexivité morbide observée dans la psychose schizophrénique est considérée par les tenants d'une approche phénoménologique comme un moyen de lutte déployé par l'adolescent en proie aux vécus de dépersonnalisation (Parnas et Handest, 2003). • Comme nous l'avons vu, le développement de la pensée se réalise dans un échange permanent et réciproque avec la construction identitaire et les influences socioculturelles. Ces dernières ayant un poids plus important encore à l'adolescence, elles doivent être intégrées pour appréhender le développement cognitif et la pédagogie. En clinique, la fréquence des conduites déviantes et marginales chez les adolescents a ainsi pu être interprétée comme le résultat d'une sorte d'apprentissage par essai et erreur à une période de transition où l'identification hésitante de l'adolescent l'autorise précisément à effectuer ces diverses tentatives. À travers les réponses de la société, l'adolescent « apprend » progressivement les limites de ses actions et des rôles qu'il adopte successivement. Inversement, promouvoir une identité affirmée et cohérente favorise la résistance à l'influence sociale. Sur le plan pédagogique, si l'influence piagétienne avait tendance à favoriser des méthodes centrées sur la réflexion et l'apprentissage individuel, l'influence de la psychologie culturelle promeut l'interaction comme un moyen de développement avec des techniques utilisant plus la participation et la collaboration que le travail individuel. Elle incite aussi à trouver ses ressources
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au-delà de sa mémoire, dans son environnement. Elle plaide pour utiliser l'influence sociale et les identifications groupales comme un levier d'apprentissage pour la prévention et les soins. Elle souligne finalement le caractère incontournable du bain social pour prendre en compte l'autre (raisonnement moral, empathie, confiance, réciprocité) et se comprendre soi-même.
Conclusion Le point de vue cognitif désigne à son tour l'adolescence comme une période de bouleversement : explosion des capacités réflexives avec l'accession à la pensée formelle et l'envolée du raisonnement narratif autobiographique. Il s'agit aussi d'une période marquée par une forte sensibilité à l'influence sociale à la source certes de prise de risque, mais aussi d'une meilleure prise en compte de l'autre et de l'apprentissage social : développement épistémologique et moral ; augmentation des capacités prosociales d'empathie et de réciprocité. Finalement, l'approche neuropsychologique en fait même une véritable « période critique » car la maturation cérébrale est toujours en cours, plus encore un déséquilibre existe à cette période entre les fonctions de régulation et socioémotionnelles. Les attitudes engagées à cette période risquent de forger durablement la construction cérébrale, cognitive et identitaire. Bibliographie À lire Beauchaine, T. P. (2015). Future direction in emotion dysregulation and youth psychopathology. Journal of child and adolescent psychology, 1–22. Bruner, J. (1990a). Car la culture donne forme à l'esprit. De la révolution cognitive à la psychologie culturelle. Paris : Retz. Piaget, J., & Inhelder, B. (1955). De la logique de l'enfant à la logique de l'adolescent. Paris : PUF. Varela, J.-F. (1988). Invitation aux sciences cognitives. Paris : Seuil. Pour en savoir plus Ainley, V., et al. (2013). More of myself : Manipulating interoceptive awareness by heightened attention to bodily and narrative aspects of the self. Conscious. Cognition, 22, 1231–1238. Barth, B. M. (1995). Présentation générale : l'émergence d'une psychologie culturelle et les processus d'éducation. Revue Française de pédagogie, Vol 111, 5–9. Blakemore, S. J., & Mills, K. L. (2014). Is adolescence a sensitive période for sociocultural processing. The Annual Revue of Psychology. 65. (pp. 9–21). 9.1. Bruner, J. (1990b). Car la culture donne forme à l'esprit. E la révolution cognitive à la psychologie culturelle. Paris : Retz. Catheline, N. (2001). Quand penser devient douloureux. Intérêt du travail thérapeutique de groupe en institution avec médiateur dans la pathologie du jeune adolescent. Psy Enf, 64(1), 169–210.
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Les apports des modèles systémique et stratégique : interactions et changement
Introduction et fondements Après la Deuxième Guerre mondiale, on assiste à l'émergence d'un nouveau paradigme en psychiatrie sous une double influence : d'abord sociale, mais aussi en raison de l'arrivée de nouveaux paradigmes scientifiques. Sur le plan social, l'enchaînement des événements historiques du début du xxe siècle éclaire dramatiquement sur la difficulté pour l'individu d'échapper à son destin collectif, et par là sur l'influence déterminante du contexte social et familial sur le sort des individus. À titre d'exemple, un des fondateurs du courant systémique, Nathan Ackerman, né en Russie et ayant émigré avec sa famille aux États-Unis en 1912 pour fuir pauvreté et antisémitisme, semble rattrapé par son destin collectif lorsque dans les années 1930 la crise économique bat son plein aux États-Unis, et Hitler promulgue les premières lois anti-juives et envahi l'Europe. Dans le même temps, la psychanalyse, qui a redynamisé la psychothérapie, se trouve aussi critiquée pour véhiculer une vision trop patriarcale de la famille, bien que les femmes aient à nouveau démontré leur capacité à travailler durant la guerre. L'esprit vif de certaines femmes, dont Frieda Fromm-Reichmann, anticipent certains changements en insistant sur la nécessité de s'intéresser au système de référence des patients psychotiques pour comprendre le sens de leurs symptômes. Dans ce même mouvement, Harry Stack Sullivan plaide pour redéfinir la psychiatrie comme « l'étude du comportement interpersonnel » plutôt que le diagnostic des structures psychiques (Elkaïm, 1995 ; USHMM, 2017). Sur le plan épistémologique, la cybernétique (science du contrôle et de la communication) amène une série de révolutions conceptuelles. D'abord, les travaux sur la communication (du latin communicare : être en relation), fortement influencés par la linguistique générale de Ferdinand de Saussure (1916) et l'anthropologie structurale (C. Levi Strauss, 1908–2009) affirment que le langage véhicule ses informations, non seulement par l'explicite, mais surtout par les relations que ses éléments entretiennent entre eux (Albherne, 2004 ; Minuchin, 1974). En particulier : • sur le plan pragmatique, il est impossible de ne pas communiquer. Toute forme de comportement, même l'opposition et le refus de communiquer, est un message adressé à l'autre ; Adolescence et psychopathologie © 2018, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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Bases théoriques et généralités
• sur le plan sémantique, le sens n'est jamais donné a priori par les mots, c'est le contexte qui affirme le sens des mots. La connotation importe tout autant que ce que le mot désigne ; • sur le plan syntaxique, différents niveaux de langages coexistent : digital/ analogique (explicite/implicite), contenu/contenant relationnel, indice/ ordre, communication/métacommunication… et s'associent de manière plus ou moins congruente pour transmettre un message qui peut aller de la clarté et la cohérence jusqu'au plus paradoxal. En outre, la manière dont les personnes « ponctuent » les séquences de communication informe de leur positionnement les uns par rapport aux autres (acceptation, refus, domination, symétrie, etc.). L'intérêt glisse progressivement de l'individu au « système » et aux comportements relationnels. Par ailleurs, les sciences physiques et biologiques s'enrichissent des travaux novateurs de biologistes comme : Ludwig von Bertalanffy (1901–1972) qui travaille sur l'équilibre des systèmes ouverts ; de mathématiciens comme Norbert Wiener (1894–1964) dont les travaux sur les canons antiaériens l'amènent à concevoir les notions de rétrocontrôle négatif ; ou encore d'Alan Turing (1912–1954) et John Von Neuman (1903–1957) sur l'intelligence artificielle. Cette série de « révolutions » conceptuelles permet de penser le fonctionnement des systèmes : les interactions impliquent des rétrocontrôles et une causalité circulaire des événements (feedback) ; de la totalité du système émergent des fonctions qui ne sont pas réductibles à la somme de ses éléments (émergence) ; un même état peut être atteint pas différentes associations (équifinalité) ; les systèmes recherchent une homéostasie, voire, selon H. Maturana et F. Varela (1946–2001), se transforment et s'auto-organisent en créant de nouveaux équilibres qui suivent toujours des états de crises ou de « catastrophes » (autopoïèse). Les fondateurs de la thérapie systémique vont saisir ces opportunités pour appréhender les familles en crises, confrontés à des problématiques adolescentes : schizophrénie, anorexie mentale, délinquance. Chaque « école » insiste sur une dimension spécifique indissociable de la propre histoire des thérapeutes : • l'approche systémique de l'école de Palo Alto redéfinit le symptôme comme le produit des interactions familiales ; • l'approche structurale cherche à s'affilier à la famille pour mieux en comprendre les règles, puis les déjouer ; • l'approche intergénérationnelle veut dégager l'enfant des conflits qui devraient n'appartenir qu'à son histoire familiale ; • l'approche stratégique s'applique à apporter du changement en termes de tentatives de solution, de sens, de contexte et de comportement ; • apparues plus récemment, les approches centrées sur les souvenirs traumatiques sont des protocoles brefs relativement intégratifs.
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L'ensemble de ces thérapies réintroduit la famille et son histoire dans la prise en charge de l'adolescent. Le développement identitaire de ce dernier impliquant toujours une confrontation à ses appartenances familiales qui font vaciller avec lui l'ensemble de son entourage.
Les principaux courants des thérapies systémiques et stratégiques Approche systémique de l'École de Palo Alto : soigner la communication Gregory Bateson (1904–1980), sensibilisé à l'importance du réseau relationnel en tant qu'ethnologue observateur de la tribu Latmul en Nouvelle Guinée (lieu de sa rencontre avec Margareth Mead) et en tant qu'acteur des conférences de Macy au fondement de la cybernétique, apporte un regard neuf sur les problématiques psychiatriques : « Le psychiatre est formé pour aborder un cas particulier avec un modèle de maladie mentale. […] Bateson ne s'est pas demandé pourquoi cette personne-ci se comporte de manière folle. Il s'est demandé dans quel système humain, dans quel contexte humain ce comportement peut faire sens » (Watzlawick cité par Elkaïm, 1995). À partir du Veterans Administration Hospital de Palo Alto en Californie, il recrute une équipe pluridisciplinaire pour étudier « les paradoxes de l'abstraction dans la communication ». Accompagné notamment par John Weakland (chimiste), Jay Haley (ingénieur en communication) et William Fry (psychiatre), ils décrivent l'alcoolisme et la schizophrénie comme des problématiques interpersonnelles secondaires à des paradoxes de communication au sein de la cellule familiale. Cette découverte de la « théorie de la double contrainte » enrichie ensuite par la rencontre avec l'hypnothérapeute Milton H. Erickson (1901–1980) amène une évolution de leur questionnement vers une problématique psychothérapeutique : « Comment comprendre la communication familiale ? » devient « Comment modifier les règles du système familial pour faire en sorte que le symptôme porté par l'un de ses membres disparaisse ? ». C'est la création du Mental Research Institue de Palo Alto en 1959, avec Don Jackson, Virginia Satir, Paul Watzlavick et d'autres. De ce premier mouvement naît l'approche systémique dont l'objet n'est plus le patient porteur du symptôme ni son histoire, mais le « système familial » dont il faut modifier la structure d'ensemble. De surcroît, le thérapeute, en tant que membre du système, devient un agent actif du changement. Cela plaide, d'une part pour un travail avec tous les membres de la famille prise dans son actualité et, d'autre part, pour une attitude plus interventionniste, où des tâches peuvent être prescrites aux patients.
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Approche structurale : affiliation et restructuration Pour Elkaïm, cette approche a été créée sans conteste par Salvador Minuchin (1921–2017) à travers son travail à la « Child Guidance Clinic » de Philadelphie en collaboration avec Braulio Montalvo (1934–2014). La sensibilité particulière de Minuchin pour la « structure » familiale émerge de plusieurs sources : • Premièrement, sa propre souffrance d'enfant, né en Argentine, dans un milieu rural au milieu « d'une famille enchevêtrée qui comptait quarante oncles et tantes et environ deux cents cousins, le tout formant un réseau familial étroit » constitue une expérience fondatrice : « J'ai dû apprendre à me sentir à l'aise dans une situation de promiscuité, et aussi à me dégager suffisamment pour protéger mon individualité » (Minuchin, 1974). Ceci l'amène à protéger inlassablement les frontières individuelles et défendre la réciprocité. • Deuxièmement, il reçoit l'enseignement du psychanalyste Ackerman qui a l'habitude d'intervenir directement en séance sur les interactions familiales. Puis, à cette formation initiale s'ajoute l'apport de l'école de Palo Alto à travers Haley qui le rejoint à Philadelphie en 1967. Fort de cette expérience en thérapie familiale, il s'autorise « comme un technicien qui utilise un zoom », à varier la focale du malade et de l'intrapsychique d'un côté, jusqu'aux constellations familiales élargies de l'autre. De surcroît, il cherche lui aussi à « normaliser » les problématiques : « le jus de ma famille est le même que celui de millions de familles "ordinaires" parce que les problèmes fondamentaux de ma famille sont les mêmes que ceux de millions de familles ». • Troisièmement, il intègre la 3e révolution cybernétique qui considère le sujet inséparable de son milieu, autrement dit que l'esprit est extracérébral. Il cite Ortega y Grasset : « Je suis moi-même plus mes conditions de vie » et précise : « considérez un homme qui abat un arbre avec une hache. Chaque coup de hache est corrigé selon la forme de la trace laissée par le coup précédent. Le processus autoconstructif […] est effectué par un système arbre-yeux-cerveaumuscle-hache-coup-arbre. C'est ce système total qui a les caractéristiques de l'esprit ». Pour lui, le thérapeute fait partie du système qu'il co-construit avec la famille et son environnement : le travail d'affiliation à la famille pour se fondre dans le système devient le préalable incontournable à toute prise en charge. • Quatrièmement, il construit son expérience clinique auprès de deux types de publics. Sa rencontre avec les familles précaires des ghettos noirs et portoricains l'amène à relier la précarité du contexte social à un certain type de déstructuration familiale marquée par l'enchevêtrement et les changements de rôle. Inversement, il travaille aussi auprès de familles plus aisées, intactes et rigides qui rencontrent des problématiques « psychosomatiques », notamment anorexiques. De cette opposition, il élabore des typologies de structures familiales (tableau 6.1). Selon lui, la plupart des familles fonctionnent
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Tableau 6.1. Typologies familiales selon l'approche structurale de S. Minuchin. Typologie familiale normale
Familles nucléaires, enchevêtrées
Familles éclatées, désengagées
Frontières claires
Frontières diffuses
Frontières trop rigides
Équilibre entre autonomie individuelle et interdépendance
Manque d'autonomie
Autonomie excessive
Sentiment d'appartenance
Excessif
Insuffisant
Mode de communication apaisé
Communications surabondantes
Pauvres Manque de communication parents-enfant et oppositions encouragées par la fratrie
Tensions interpersonnelles et relations en situation de conflit
Tensions importantes (surprotection et surimplication) ; seuil bas de sensibilité aux conflits mais tendance à les éviter et ne pas les résoudre ; conflits violents et monolithiques
Tensions faibles (désintérêt d'autrui) Réactions molles et désinvesties
Adapté de Favez, 2010 ; Albernhe, 2004 et Minuchin, 1974.
de manière « mixte » en adoptant une typologie ou l'autre en fonction du temps ou des sous-systèmes concernés. Par exemple, une fille peut avoir une relation enchevêtrée avec sa mère alors que son père présente plutôt un désengagement. Finalement, le travail thérapeutique consiste à s'affilier, diagnostiquer la structuration familiale puis provoquer des changements (restructuration), d'abord collectifs puis individuels en redélimitant les espaces, manipulant l'ambiance affective, surmontant les tensions, etc.
Approche intergénérationnelle : rejouer l'histoire familiale Parmi les fondateurs de ce courant, on retrouve notamment Ivan Broszormenyi-Nagy (1920–2007) ou Murray Bronen (1913–1990) et, concernant l'application auprès de problématiques pédopsychiatriques nous nous intéresserons à l'école italienne, dont les deux figures principales sont Mara Selvini Palazzoli (Nouveau Centre d'étude pour la famille, Milan) et Maurizio Andolfi (Académie de psychothérapie de la famille, Rome). Cette école italienne naît d'un double mouvement : d'une part une série de critiques tant de la psychiatrie asilaire que des échecs de la cure psychanalytique individuelle ; d'autre part une redécouverte de l'histoire familiale
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et des conflits intériorisés sous influence de la psychanalyse. D'abord, ces thérapeutes constatent les limites du travail sur le patient isolé à travers plusieurs problématiques adolescentes : la toxicomanie, l'anorexie et la schizophrénie. C'est l'époque où la lutte anti-institutionnelle menée en Italie débouche sur la création des centres de diagnostics et de cure, puis la fermeture des « asiles » psychiatriques amenant à requestionner l'ensemble des modalités thérapeutiques (loi « 180 » et « 833 » de 1978 ; Postel et Quetel, 2004). Mara Selvini comme Maurizio Andolfi veulent rompre avec la fragmentation et la dysqualification des familles pratiquée par la pédopsychiatrie. Pour lui, il faut « faire tomber le mur entre la salle d'attente et le cabinet du thérapeute » car « faire participer la famille est le meilleur moyen de lui redonner un sentiment de compétence », ce pour quoi il se forme à la thérapie familiale et pratique aux États-Unis, notamment autour d'interventions de crise au domicile et de prévention communautaire. Elle aussi insiste sur l'intérêt des « connotations positives » pour effacer les différences entre les personnes, s'affilier et paradoxalement provoquer des changements en soulignant l'homéostasie par ce moyen. Plus encore, elle plaide pour abandonner les critiques et les explicitations, préférant recourir à l'expérimentation par l'intermédiaire de tâches ou de rituels. Pour eux, l'enfant « désigné » n'est que le signal d'alarme d'une problématique familiale plus large. L'enfant est bloqué dans une « fonction » qui l'empêche d'évoluer. Finalement, l'influence psychanalytique leur permet de redécouvrir le poids de l'histoire familiale pour mieux comprendre ce « symptôme-fonction ». Des conflits familiaux non résolus entravent la liberté des individus lorsqu'ils constituent leur famille et ces problématiques sont progressivement déléguées aux générations suivantes dans des triangles relationnels impliquant trois générations. En particulier, les adultes meurtris par des vécus de rejet et d'abandon recherchent sans cesse des substitutions d'abord dans leur couple puis dans la relation à l'enfant ; ils perdent leur disponibilité pour répondre avec réciprocité aux attentes affectives du partenaire et de l'enfant. Ce point de vue rejoint aussi celui apporté par la description des attachements insécures. L'enfant ou l'adolescent doit être dégagé des triangulations dans lequel il se trouve impliqué sous forme « d'imbroglio » (relation privilégiée à un parent contre un autre), ou engluement – positionnement d'un parent en victime du symptôme de l'enfant – (Selvini Palazzoli et al., 1975, Selvini Palazzoli, 1995 ; Ackermans et Andolfi, 1987 ; Andolfi et al., 1993).
Approche stratégique et brève : changer les comportements interactifs Ayant rejoint le Mental Research Institute de Palo Alto en 1963 et fort de ses recherches sur les changements thérapeutiques obtenus par le « thérapeute hors du commun » Erickson, Haley (2007) déplace à nouveau le
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questionnement. Il se désintéresse non seulement du porteur du symptôme mais aussi du diagnostic structural pour s'intéresser à « Comment changer les comportements interactifs ? ». Suivant cet intérêt nouveau pour les leviers du changement, naîtra du MRI de Palo Alto le « Centre de thérapie brève » (1967) autour de R. Frisch, P. Watzlawick, John Weakland notamment. Haley poursuivra son travail en dehors de ce centre d'abord auprès de S. Minuchin à Philadelphie (1967) puis avec C. Madanes au Family Therapy Institute à Washington (1975). Progressivement, les bases de thérapies stratégiques et brèves proposées par J. Haley s'enrichissent sous la contrainte du faible nombre de séances (maximum 10). De nouveaux principes thérapeutiques prévalent : se focaliser sur le problème présent ; définir un objectif concret ; viser à modifier le contexte qui a laissé émerger le problème plutôt que le problème lui-même ; recontextualiser des difficultés rencontrées en termes de problématiques simples appartenant au cycle de vie normal ; repérer des tentatives infructueuses de solution et de leurs connotations émotionnelles pour mieux les bloquer car elles maintiennent le problème et l'intensifient ; adopter une attitude interventionniste en tant que thérapeute pour permettre l'expérimentation d'un changement minimal certes restreint mais opérationnalisable ; vérifier les changements et connoter positivement (Elkaïm, 1995 ; Haley, 2007 ; Nardone et coll., 2004). Plus récemment, cette approche stratégique intègre deux autres apports : d'une part celui des thérapies orientées solution, qui reprennent comme levier principal de changement les projections positives vers l'avenir proposées initialement par l'hypnose Ericksonienne ; et d'autre part, la thérapie narrative proposée par M. White (1948–2008) qui, influencé par Bateson et par le constructivisme social de Bruner (chap. 5), propose aux patients de revisiter leur histoire. Il s'agit de cesser de raconter une même histoire marquée par la souffrance et les problèmes internalisés, pour explorer une autre histoire personnelle plus cohérente avec ses valeurs, ses attentes, susceptible d'externaliser et de distancier les problèmes ou, encore, de souligner les compétences personnelles (White et Epston, 2003 ; Doutrelugne, Cottencin et Betbèze, 2013).
Approches centrées sur les mémoires traumatiques : intégrer son histoire Récemment, de nouveau protocoles psychothérapeutiques brefs ont été proposés, visant initialement les états de stress post-traumatique, puis ont été étendus à une gamme plus large de symptôme que le patient relie à un souvenir traumatique. La plus médiatique de ces approches est sans nul doute l'EMDR (désensibilisation et retraitement par le mouvement oculaire) ou « thérapie de retraitement » proposé en 1989 par Francine Shapiro, professeure californienne et Senior Fellow au MRI de Palo Alto.
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Bases théoriques et généralités
Il s'agit d'une approche relativement intégrative puisqu'elle emprunte schématiquement : • à sa propre histoire, sa résilience face au cancer et aux ruminations anxieuses ; • à la psychanalyse l'idée que les symptômes actuels sont la conséquence d'une expérience passée mal intégrée et l'association libre ; • aux thérapies comportementales et cognitives le choix de cibles spécifiques à désensibiliser, une exposition contrôlée et un travail sur les cognitions et les croyances ; • à l'hypnose ericksonienne la modification de l'état de conscience, la création de sécurité (« lieu sûr »), l'attention double clarifiant la dissociation entre le passé et le présent, un questionnement favorisant une décontraction progressive ; • à la systémique et la théorie de l'attachement l'utilisation du groupe familial comme base de sécurité dans les protocoles pour les enfants ; • à la thérapie brève et stratégique, le faible nombre de séance, la définition des objectifs et l'attention pour les changements minimaux ; • à la thérapie orientée solution la projection sur des cognitions et un avenir positif ; • à Pierre Janet, l'appréhension de la mémoire traumatique comme mal intégrée et fragmentée ; • S'y ajoute l'outil de la stimulation bilatérale alternée reposant sur le mouvement des yeux, des sons ou des tapotements qui pourrait favoriser le maintien de l'attention dans « l'ici et maintenant », une distraction vis à vis des images traumatiques, et de stimuler de nouvelles associations mieux hiérarchisées dans le temps et émotionnellement (Morris-Smith et Silvestre, 2015 ; Shapiro, 2007). D'autres types de protocoles thérapeutiques orientés sur les mémoires traumatiques et le changement peuvent être rapprochés de celui-ci, soit parce qu'ils utilisent les mouvements alternatifs répétés (MATH : Mouvements Alternatifs en Thérapie et en Hypnose proposé en France par l'équipe de J.-F. Terakowski ; ou HTSMA : Hypnose Thérapeutique et Stratégique par le Mouvement oculAire proposé par l'équipe nantaise menée par J. Betbeze ; voir Doutrelugne et al., 2013), soit qu'ils utilisent la narration répétée de l'histoire de vie (ICV : Intégration du Cycle de Vie, proposée par P. Pace ; voir Pace, 2014 ; Thorpe, 2016). Ces protocoles se déclinent chez l'adolescent, qui dévoile son vécu traumatique souvent brutalement par sa nouvelle prise de parole, ou plus bruyamment encore par la répétition d'actes traumatogènes ou des passages à l'acte autoagressifs ; dévoilement doublement traumatique puisqu'il bouleverse souvent en retour la quiétude et l'équilibre familial (chap 15 et Partie IV).
Les apports des modèles systémique et stratégique
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Familles adolescentes et cycles de vie L'ensemble du système familial vacille avec l'entrée en adolescence d'un enfant. En même temps qu'il construit son identité, celui-ci teste son appartenance. Il remet en question le « mythe familial » (représentation que la famille à d'elle-même) qui le sécurise, mais aussi le menace par sa rigidité et dont il tente de s'émanciper : ceci provoque des résonances intergénérationnelles. Ainsi l'adolescence constitue une étape cruciale du « cycle de vie » des familles. Ce concept, introduit dans les années 1950 par le sociologue Duvall, et opérationnalisé pour la thérapie familiale par J. Haley, décrit six stades de développement familial dont quatre impliquent des adolescents ou de tout jeunes adultes : • le départ de la maison du jeune adulte ; • la formation du couple ; • l'arrivée des enfants ; • l'entrée de l'enfant dans l'adolescence ; • le départ des enfants de la famille ; • la retraite des parents. Bien que cette description ait été critiquée pour manquer de relativismes culturels (elle rapporte surtout les transitions typiques de la famille nucléaire blanche américaine), ce modèle semble garder son utilité. Même dans un contexte où les transitions sont plus floues et où la famille nucléaire ne constitue plus la norme, il permet de prédire les enjeux familiaux : niveau de besoin financier, occupation professionnelle de la mère, niveau de tension conjugale, dissensions parents-enfant, etc. En outre, il permet raccrocher à la normalité les luttes entre individus et les problématiques familiales ce qui rend leurs dénouements plus accessibles (Bradley et Pauzé, 2008). Chacune de ces étapes implique une modification de l'organisation du système familial, qui passe par une période d'instabilité. L'entrée de l'enfant dans l'adolescence met particulièrement la famille en tension (Miccuci in Goldeber-Merinfeld, 2008) : • Le début de l'adolescence (11 et 13 ans) implique l'ajustement aux change ments pubertaires, l'adaptation aux changements cognitifs, la recherche d'une place parmi les pairs et la confrontation aux attentes liées au sexe. L'adolescent souhaite prendre de nouvelle responsabilité mais ne les revendique pas encore. Il reste très attaché à sa famille. Or, certains parents surestiment leur capacité d'autonomie et l'adolescent manque de soutien ; il peut alors se mettre en danger, d'autant qu'il a le sentiment d'avoir déçu sa famille et que la société les expose plus aux risques : sexualité, toxiques, pression sur la performance esthétique et académique. De surcroît, un enfant se sentant délaissé se laisse facilement prendre en charge par la bande, ce qui augmente ces risques. Certains parents ne savent que faire de la demande
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Bases théoriques et généralités
d'attention des adolescents ou apparaissent trop pressés de se décharger de leur responsabilité. Cela concerne notamment les parents isolés qui manquent ou ont manqué eux-mêmes de soutien émotionnel et financier ; ou encore ceux qui ne savent que faire des expressions bruyantes des « luttes adolescentes » qui s'expriment par la fuite ou la violence relationnelle (lutte pour se sentir réel, lutte contre la dépression, lutte pour la reconnaissance). Il faut soutenir ces familles pour qu'elles dépassent leur désarroi et leur anxiété, quitte à maintenir l'état de crise jusqu'à ce qu'elles trouvent leur ressource. Les parents doivent aussi pouvoir garder leur autorité, c'est-àdire assumer leurs responsabilités, poser des repères et des exigences, ce qui n'est ni un autoritarisme ni une séduction de l'enfant. En particulier, si une hospitalisation est envisagée, le travail préalable doit permettre au parent de se positionner comme tuteur de ce soin. Inversement, un lâcher prise des parents se déresponsabilisant par l'hospitalisation risquerait de les disqualifier durablement et dramatiquement pour la suite ; de même une hospitalisation assénée comme une démonstration de puissance parentale n'assied pas plus l'autorité. • Le milieu d'adolescence (14–16 ans) amène des prises de décision morales, un engagement de relations plus profondes, un nouvel équilibre entre prise d'autonomie et appui sur l'autre, la gestion de la sexualité ; l'adolescent revendique son besoin d'autonomie. Pour les parents, il n'est pas facile d'ajuster son soutien à quelqu'un qui revendique son autonomie. Certains parents craignent de perdre leur lien privilégié à l'enfant et cherchent à rester responsables, ils continuent de le superviser et/ou le blâment ; d'autres vivent les attitudes d'oppositions comme une forme de rejet, ce qui renforce leur propre attitude de rejet. Les réactions d'un adolescent renvoient tout de suite le parent : d'une part à ce que lui-même a vécu et d'autre part, à son niveau d'engagement/désengagement de la famille. Or, l'éventail des ressources parentales se limite souvent à se référer à leur propre histoire, qu'elle soit positive et idéalisée, ou traumatique et constituant un modèle en négatif. Ces ressources peuvent aussi ne pas être disponibles lorsqu'elles restent engagées dans la résolution des cycles précédents : différenciation de la famille d'origine et construction de la relation conjugale. Il apparaît essentiel d'aider les parents à maintenir un lien émotionnel avec leur adolescent en mutation ; leur implication continuelle et leur capacité d'attention constituant les points de repère que l'adolescent privilégie pour se sentir soutenu émotionnellement. • Par ailleurs, d'autant que cette période correspond à la crise identitaire du milieu de vie (Erikson, cf. chap. 4), certains parents prennent conscience qu'ils ne se sont pas réalisés ; ils décident alors de prendre une autonomie « volée » à leur adolescent qui se trouve contraint de rester soutenir le parent resté seul. En effet, d'une part les adolescents en quête d'autonomie restent particulièrement sensibles à ce qui se passe dans sa famille ;
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ils s'inquiètent spécifiquement de la capacité de leur parent à supporter leur absence, d'autant plus qu'il existe un conflit conjugal. D'un autre côté, le couple, progressivement déchargé des tâches parentales, est mis à l'épreuve. Le taux de divorce augmente à ce stade ; et la douleur morale qui s'ensuit augmente la « dynamique d'abdication » envers l'enfant qui se sent trop vite abandonné. • La fin de l'adolescence (17–19 ans) correspond à une identité consolidée, l'autodétermination d'objectifs propres, l'expérience de l'intimité, et le départ de la maison ; la relation avec les parents devient plus symétrique du point de vue tant personnel que dans l'autorité. Mais comment accompagner l'adolescent dans ses choix alors que l'écart d'âge entre les générations augmente (aujourd'hui moins d'un chef de famille sur 3 à moins de 40 ans) et que les changements sociétaux compliquent l'entrée dans l'âge adulte ? Nombre de parents se sentent incompétents, les rituels repérants ont disparu, rien ne les rassure ni ne les guide quant au cheminement de leur adolescent vers l'adultité. Ils peuvent être tentés de figer la situation en proposant un lien infantilisant, niant les compétences de l'adolescent. Or, l'adolescent d'aujourd'hui à besoin de frontières souples, lui permettant des allers-retours pour conquérir progressivement et par lui-même son autonomie ; et la famille doit pouvoir supporter cette ouverture à la nouveauté. Dans l'ensemble de ces situations, l'apparition d'un symptôme rétroagit immédiatement sur l'organisation familiale (fonction du symptôme) : il permet de stabiliser le système sur des interactions déjà connues ou qui suscitent moins de tensions ; quitte à refermer la famille sur elle-même et bloquer son évolution. Les adultes restent alliés, préoccupés par une tâche parentale. Le temps s'arrête sur cette triangulation ; et le fonctionnement se rigidifie autour d'attitudes anxieuses et surprotectrices. Précisons que les tentatives du système pour limiter l'autonomie de l'adolescent aboutissent à deux extrêmes dysfonctionnels : soit le renoncement et l'abandon de soi dans la loyauté familiale ; soit la fuite dans la quête d'approbation et l'hyper investissement des pairs. La crise provoquée par le symptôme de l'adolescent doit être réutilisée comme un levier pour remobiliser la créativité familiale et transformer son écosystème. Finalement, en cas d'amélioration clinique du « patient désigné », il faut aussi veiller à ce que l'ensemble du système familial poursuive son évolution afin de limiter le risque de rechute : soutenir le couple mais aussi la fratrie qui souffre souvent plus en silence et en « conformité » des mêmes problématiques familiales. L'adolescent aura besoin de temps, de sécurité, d'espace, de souplesse (allers-retours) et de soutien émotionnel, voire matériel pour mener sa famille vers un nouvel équilibre (Andolfi et Mascellani, 2013 ; Bouley et al., 2006 ; Goldbeter-Merinfeld, 2008 ; Marcelli, 2012 ; Wawrzyniak et Schmit, 2008).
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Bases théoriques et généralités
Conclusion Les approches systémiques et stratégiques poursuivent le mouvement d'une thérapie active initié par la psychanalyse des adolescents. En se focalisant sur le contexte et les relations, elles redonnent toute sa place à la famille et à ses ressources parfois négligées par les approches trop appliquées à catégoriser les symptômes et explorer l'intrapsychique. Elles apportent un complément indispensable à la prise en charge des problématiques adolescentes. En effet, la famille est ébranlée par l'entrée de l'enfant dans l'adolescence : elle doit passer d'une organisation qui protège l'enfant vulnérable, à une unité préparant l'adolescent à affronter lui-même le monde. Les enjeux pubertaires (émotionnels, cognitifs, corporels) percutent en permanence le système familial (ses frontières, son style relationnel, sa souplesse, ses capacités de soutien et d'ouverture, son « mythe familial » et les identifications qu'il propose), et le mettent en tension. Les frontières doivent être redéfinies, les règles doivent s'assouplir pour permettre une prise de responsabilité, l'adolescent doit pouvoir transiger entre sa famille, ses amis, l'école. Les différentes approches thérapeutiques familiales permettent aussi de trouver des ressources familiales à une période où l'adolescent symptomatique est rarement demandeur de soin. Elles participent aussi à renouveler l'organisation des soins : travail communautaire, management familial, équipes mobiles, etc. (cf. Thérapeutique). Bibliographie À lire Andolfi, M., & Mascellani, A. (2013). Histoire d'adolescence. Expériences de thérapie familiale. Paris : De Boeck. Elkaïm, M. (1995). Panorama des thérapies familiales. Paris : Seuil. Bouley, J. C., et al. (2006). La famille adolescente. Eres : Conversations thérapeutiques. Paris. Pour en savoir plus Albherne, K., & Albherne, T. (2004). Les thérapies familiales systémiques. Paris : Masson. Ackermans, A., & Andolfi, M. (1987). La création du système thérapeutique. L'école de thérapie familiale de Rome. Paris : ESF. Andolfi, M., et al. (1993). La forteresse familiale. Un modèle de clinique relationnelle. Paris : Dunod. Bradley, M. F., & Pauzé, R. (2008). Cycle de vie familiale, échec dans les tâches développementales et apparition de l'anorexie à l'adolescence. Thérapie familiale, Vol. 29(n° 3), 335–353. Genève. Doutrelugne, Y., Cottencin, O., & Betbèze, J. (2013). Thérapies brèves : principes et outils pratiques (3e éd). Paris : Masson. Favez, N. (2010). L'examen clinique de la famille. Modèles et instruments d'évaluation. Paris : Mardaga.
Les apports des modèles systémique et stratégique
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Goldbeter-Merinfeld, E. (2008). Adolescence : de la crise individuelle à la crise des générations. Cahier critique de thérapie familiale et de la pratique de réseau, 2008/1(40), 13–26. Haley, J. (2007). Un thérapeute hors du commun : Milton H. Erickson Paris : Desclée de Brouwer. Marcelli, D. (2012). Le règne de la séduction. Paris : Albin Michel. Minuchin, S. (1974). Familles en thérapies. Paris : Eres. 1974/1998. Morris-Smith, J., & Silvestre, M. (2015). L'EMDR avec l'enfant et sa famille. Paris : Dunod. Nardone, et al. (2004). Manger beaucoup, à la folie, pas du tout. Paris : Seuil. Pace, C. (2014). Pratiquer l'ICV. L'intégration du cycle de vie. Paris : Dunod. Postel, J., & Quetel, C. (2004). Nouvelle histoire de la psychiatrie. Paris : Dunod. Selvini Palazzoli, M., et al. (1975). Paradoxe et contre-paradoxe (4e éd). Paris : ESF [1975/2017]. Selvini Palazzoli, M. (1995). Survol d'une recherche fidèle à son objet. In M. Elkaïm (Ed.), Panorama des thérapies familiales. Points. Shapiro, F. (2007). Manuel d'EMDR. Paris : Dunod-Intereditions. Thorpe, C. (2016). Les stratégies thérapeutiques de l'ICV. L'intégration du cycle de vie. Paris : Dunod. United States Holocaust Memorial Museum. (2017). La législation antisémite dans l'Allemagne d'avant-Guerre. Trad. Mémorial de la Shoah. Paris. France. Wawrzyniak, M., & Schmit, G. (2008). Les luttes psychiques de l'adolescence. Identité et appartenance. Cahier critique de thérapie familiale et de la pratique de réseau., 2008/1(40), 27–43. White, M., & Epston, D. (2013). Les moyens narratifs au service de la thérapie. Trad Française de J.-F. Bourse Paris : SATAS.
7
Apport de l'épidémiologie psychiatrique et développementale
L'épidémiologie étudie les caractéristiques des maladies que dévoile sa distribution inégale (non randomisée) dans la population. Historiquement, la forme moderne de notre épidémiologie psychiatrique infantojuvénile est née en 1964 avec les études menées dans l'île de Wight en Grande-Bretagne (Rutter, Tizar, Yule, Graham, & Whitmore, 1976), puis a pris son essor dans les années 1970, pour constituer, aujourd'hui, la source principale des études cliniques contemporaines. Cet essor a largement été favorisé par la diffusion des classifications nosographiques (CIM-10 et DSM dans ses différentes versions) et par les outils de dépistage qui en découlent. En isolant des entités diagnostiques catégorielles exclusives les unes des autres, très centrées sur les comportements visibles et de ce fait aisément repérables, ces classifications répondent parfaitement à la logique de repérage et de comptage de l'épidémiologie descriptive et facilitent les comparaisons internationales en augmentant la fidélité interjuge (chap. 9, « De la théorie à la pratique »). La mise au point d'échelles plus ou moins spécifiques (échelles d'anxiété, de dépression, d'événements de vie, de qualité de vie, etc.) facilite ce dénombrement. Les catégories « comorbidités », inhérentes à la logique catégorielle de ces classifications, apportent de surcroît une apparente complexité autorisant des études épidémiologiques analytiques plus fines à la recherche des associations morbides ou des « facteurs de risque » les plus saillants. Finalement, la pédopsychiatrie possède quelques certitudes grâce à ces progrès méthodologiques appliqués aux trois champs de cette discipline : l'épidémiologie descriptive, analytique et évaluative. Cependant, l'approche communautaire (au niveau de la population) proposée par l'épidémiologie reste toujours en tension avec l'approche singulière (du sujet) qui est celle du clinicien. De surcroît, l'épidémiologie doit aujourd'hui construire de nouveaux outils pour mieux appréhender les trajectoires prémorbides et l'émergence pathologique qui concernent particulièrement la psychiatrie de l'adolescent.
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Bases théoriques et généralités
Épidémiologie descriptive : charge de morbidité liée aux pathologies pédopsychiatriques Les enquêtes épidémiologiques décrivent l'importance d'une conduite particulière (tentative de suicide, conduite boulimique, consommation d'un produit toxique, etc.) ou une « maladie » (anorexie mentale, boulimie nerveuse, dépression, etc.), à travers les taux de : • mortalité : rapport entre le nombre de décès et l'effectif de la population où ils se sont produits pendant un temps déterminé ; • morbidité : sommes des problématiques (maladie, trait, etc.) pour un individu ou un groupe d'individus dans un temps donné ; • prévalence : nombre de cas existant dans une population sur une période donnée (ponctuelle, annuelle, vie entière), sans distinction entre les cas nouveaux et les cas anciens cumulés, exprimée en proportion par rapport au nombre total d'individus ; • incidence : nombre de nouveaux cas qui sont apparus pendant une période donnée (souvent un an) dans une population définie ; cette dernière s'obtient par des études de cohorte prospectives ou peut être estimée à partir d'études rétrospectives. Ces données permettent d'évaluer les besoins sanitaires d'une population et d'apprécier l'évolution naturelle d'une pathologie. Nous les retrouverons en début de chaque chapitre et dans le tableau 7.1.
Tableau 7.1. Prévalence et variations significatives d'incidence des troubles psychiatriques à l'adolescence. Trouble
Prévalence à l'adolescence (ou enfants et adolescents confondus)
Tous « problèmes » confondus
10–23,6 % (enf. et ado.)
Tous diagnostics confondus
12 % (ado.)
Âge moyen de début (variations significatives d'incidence ou de prévalence)
Troubles internalisés et psychoses émergentes à l'adolescence Anorexie mentale et boulimie nerveuse
Anorexie mentale : 1,8/1 000 (15–18 ans) Boulimie nerveuse : 1 %
Anorexie mentale : 16–17 ans Boulimie : plus tardive
Troubles anxieux
2–24 % : médiane 8 % (ado.)
Trouble angoisse de séparation
Dominant : 0,1 à 25 % (enf. et ado.)
Milieu de l'enfance
Phobies spécifiques
P. ponctuelle 0,1–0,8 (ado.)
Milieu de l'enfance
Apport de l'épidémiologie psychiatrique et développementale
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Phobie sociale
P. ponctuelle : 0,3 % (ado.) P. annuelle : 2,8 % (ado.)
Première adolescence ; 2/3 avant 18 ans 11 ans si associé à un abus de substance.
Trouble panique
P. ponctuelle 0,2 % (ado) P. annuelle 0,7 % (ado.)
13,9 ans ; 2e adolescence (Rare avant 12 ans)
Trouble anxieux généralisé
0,4–2,4 % (ado.)
Début de l'âge adulte
Troubles obsessionnels-compulsifs
1 % (ado.)
Début de l'âge adulte (Rare avant 12 ans : prévalence 0,15 % avant 12 ans)
Dépressions
Annuelle : 1,7 à 3 % (ado.) Cumulée en fin adolescence : 23 à 43 %)
11–14 ans. (prévalence [consulté en 04/2013]. Perdereau, F., & Godard, N. (2004). Thérapie familiale et anorexie mentale. PSNVol-II N°1 Janv–Fév. 2004. Pines, M. (1982). Reflections on mirroring. Group analysis, 15(suppl. 1–32), 2. Rabreau, J. P. (1983). L'autorité parentale fonctionnelle et dysfonctionnelle. Neuropsychiat. Enf., 31(7), 339–343. Rifkin, A., Karajgi, B., Dicker, R., et al. (1997). Lithium treatment of conduct disorders in adolescents. The American Journal of Psychiatry, 154(4), 554–555. Rifkin, A., Wortman, R., Rardon, G., & Sirir, S. (1986). Psychotropic medication in adolescents. Review J. Clin. Psychiatry, 47(8), 400–407. Rinsley, D. B. (1971). Theory and Practice of intensive residential treatment or adolescents. Adolescent Psychiatry, 1, 479–509. Rinsley, D. B. (1974). Residential treatment of adolescent. In Vol. 2. American Handbook of Psychiatry. ((2e éd.), pp. 353–366). New York : Basic Book Inc. Roth, A. D., & Pilling, S. (2007). The competences required to deliver effective cognitive and behavioural therapy for people with depression and with anxiety disorders. London : Department of Health. Roux, L. M. (1981). Le corps en psychothérapie. Le Praticien, 376, 39–48. Samuel-Lajeunesse, B., Mirabel-Sarron, C., Vera, L., Mehran, F., et al. (2004). Manuel de thérapie comportementale et cognitive ((2e éd.)). Paris : Dunod. Sburlati, E. S., Lyneham, H. J., Mufson, L. H., & Schniering, C. A. (2012). A model of therapist competencies for the empirically supported interpersonal psychotherapy for adolescent depression. Clinical Child and Family Psychology Review, 15(2), 93–112. Schaefer, E. (1982). Group therapies for children and youth. Washington, Londres : Jossey-Bass Publishers. Schmit, G. (2001). L'hospitalisation de l'adolescent. Travail avec les familles. In Adolescence et séparation (pp. 125–131). Poitiers : FIREA. Schneider, P. B. (1976). Propédeutique d'une psychothérapie. Paris : Payot. Selvini-Palazzoli, M., Soslolo, L., Cecchin, G., & Prata, G. (1980). Paradoxe et contreparadoxe. Paris : ESF. Tomkiewicz, S. (1980). Autour de la psychothérapie dans le foyer de semi-liberté. Neuropsychiat. Enfance, 28(10–11), 455–459. Vaneck, L. (1978). Réflexions à propos de quelques psychothérapies d'adolescents. Rev Neuropsychiat. Infant., 26(7–8), 359–392. Wallerstein, R. S. (1975). Psychotherapy and psychoanalysis. New York : International Uni-Press Inc.
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