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DONALD LAvarE
TUEUR
"
A GAGES Carole de Vault et
Richard Desmarais
Richard Desmarais
Carole de Vault
REMERCIEMENTS
Nous tenons à remerCier chaleureusement tous ceux et celles qui nous ont aidé et encouragé à rédiger ce livre et, plus particuliè rement Me Maurice C. Laniel, coroner en chef du district judiciaire de Montréal ainsi que tous les membres de son personnel. Certa ins détectives du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal ainsi que de la Sûreté du Québec. Plusieurs natifs et résidents du quartier Saint-Henri qui nous ont guidés sur des scènes de la « guerre de l'ouest» et nous ont ainsi permis de rencontrer certains acteurs de notre récit de même que quelques connaissances de personnages de cette œuvre. Monsieur Roland Bélanger, de la Société historique de Chicoutimi . La directio n du journal Allo-Police et plus particulièrement so n arch iviste, Monsieur Gustave Gosselin. La direction du journal Photo-Police qui nous a ouvert ses dossiers et a bien voulu nous prêter la plupart des photographies qui illustrent cet ouvrage. Enfin tous ceux qui doivent demeurer dans l'anonymat mais qui n'en demeurent pas moins nos plus précieux collaborateurs. Carole de Vault et Richard Desmarais 7
PROLOGUE
Le livre Le Clan des Dubois que j'ai écrit en 1976, peu après les audiences de la Commission d'enquête sur le crime organisé (CECO), se voulait un portrait de cette famille de neuf enfants qui terrorisaient non pas seulement le quartier Saint-Henri, d'où ils étaient originaires, mais le tout Montréal et une grande partie de la province de Québec. L'échec des policiers qui avaient consacré plusieurs années à leur faire la lutte, l'échec partiel de la Ceco et l'intervention des avocats de l'éditeur nous avaient à l'époque conseillé de retirer certains passages, m'avaient empêché de lever complètement le voile sur leurs activités criminelles. La toute puissance des Dubois était donc réelle. Leurs rackets multiples comme le prêt usuraire, la protection et plus tard le trafic de la drogue avaient même empiété sur les activités de la mafia italienne qui contrôlait jusque là le centre-ville de Montréal. Pour assurer la suprématie dans le milieu interlope, les Dubois ont eu recours à des hommes de main qui n' hésitaient pas à tuer pour leur patron . Les Claude Dubeau, Gilles Leblanc, Réal Lévesque, Alain Charron et Donald Lavoie étaient leurs fidèles chiens de garde. Les Dubois pouvaient dormir en paix. Tous ceux qui voulaient se mesurer à eux étaient rapidement éliminés. Les tueurs à gages ont fait tout le sale travail, sauf pour quelques exceptions où leurs «maîtres» ont daigné mettre la main à la pâte pour les aider. 9
La Ceco a cependant donné lieu à la formation par la police de la Communauté urbaine de Montréal, de la brigade Antigang. Ce petit groupe de policiers triés sur le volet et dirigés par le capitaine-détective Julien Giguère, un spécialiste de l'énigme, devaient avoir la main heureuse, en décembre 1980, lorsque Donald Lavoie, arrêté pour une affaire d'enlèvement, leur fait savoir qu 'il est prêt à tout dire sur les Dubois. Lavoie confesse une trentaine de meurtres auxquels il a participé. Il fournit des informations sur plusieurs autres dont il a eu connaissance. Il parle, il cause et il fait surtout trembler le Clan des Dubois. Les aveux de Lavoie permettent à la police de mettre en accusation certains des frères Dubois. Ils permettent aussi, à Carole de Vault et à moi-même, de vous livrer maintenant l'inédit de cette histoire criminelle. Donald Lavoie, enfant rejeté, tueur à gages et délateur, trois étapes d'une vie bien remplie qui vous est maintenant racontée. Richard Desmarais
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A VER TISSEMENT
Lorsque nous avons décidé, Richard Desmarais et moi, de rédiger un ouvrage sur Donald Lavoie, nous ne nous attendions sûrement pas à autant d'embûches. Du côté policier, nous nous sommes généralement heurtés à un mur de silence que même les trompettes de Josué n'auraient ébranlé. Ce silence nous a forcés à mener notre propre enquête qui fut fastidieuse, harassante et parfois pénible. Dès mai 1982, nous avons rencontré des parents, amis, religieux, archivistes qui nous ont renseignés au meilleur de leur savoir sur notre sujet de rédaction. Face à notre imposant matériel, nous avons dû trier le vrai du faux et revérifier à plusieurs reprises nos informations. Conscients de notre responsabilité, nous nous sommes toujours refusé de présenter une fabulation du personnage inquiétant mais combien fascinant qu'est Donald Lavoie. Mais nous pensons présenter un ouvrage conforme à la réalité. Les seules libertés que nous avons prises se retrouvent dans la description de certains gestes quotidiens et de certaines conversations. Nous tenions à offrir autre chose qu 'un simple rapport de police. Par contre, nous sommes contraints de ne pouvoir répondre à certaines questions que nos lecteurs se poseront par respect envers nos sources d'information auxquelles nous avons promis le secret de l'anonymat; certaines de nos réponses les identif ieraient aussitôt. 11
Plusieurs personnages de ce livre n'aya nt pas encore ete accusés ou ayant été acquittés devant les tribunaux, c'est à regret que nous nous sommes vus forcés d'utiliser à de trop fréquentes occasions des noms fictifs. Tous ces noms ont été choisis au hasard et n'ont par conséquent aucun rapprochement avec la réalité. Cependant, tous les faits décrits sont rigoureusement exacts. Ce livre n'est ni moralisateur ni accusateur. C'est la vie authentique d'un petit gars de Chicoutimi, DONALD LA VOIE, devenu dans la vingtaine, un des plus redoutables tueurs à gages du pays, puis, dix ans plus tard, délateur. Mais c'est aussi la vie d'un homme au destin tragique que nous avons tenté de comprendre, rien de plus. Nous avons fait notre métier le mieux possible sans prendre position et sans chercher à influencer le lecteur. Carole de Vault
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Donald Lavoie accusé de conduite dangereuse Mars 1981. Depuis trois jours des lumières falotes éclairent les murs blafards d'un petit bureau de la brigade Anti-gang de la police de la Communauté urbaine de Montréal. À l'intérieur, deux hommes, visiblement épuisés, exténués, les coudes sur une longue table de bois jonchée de verres de café vides, de sachets de sucre déchirés et de pots de crème éventrés, s'entretiennent devant un attaché-case posé à peu de distance d'eux. L'homme, à gauche de la table, semble, d 'après le geste de sa main, énumérer une quelconque liste à son compagnon attentif: - .. . il yale meurtre de Mario Saint-Pierre et de son amie, celui du type qui a été retrouvé sur le pont HippolyteLafontaine mais dont j'oublie le nom pour l'instant puis celui de Micheline Sylvestre.
Sa voix baisse, il cesse de parler, avale une dernière gorgée . d'un café froid. L'intensité de son regard semble s'attacher aux flocons de neige qui dansottent dans le faisceau lumineux du lampadaire de la cour arrière. Au tréfonds de ses pensées l'archet de la Mort entame la danse macabre. Quelques minutes plus tard, le déclic du briquet de son compagnon le ramène brusquement à la réalité. - Je crois que je t'ai tout raconté, du moins tout ce dont je me souvienne pour l'instant, mais si un autre fait revient à ma mémoire, je te le dirai. Tu sais, ajoute-t-il en s'allumant une cigarette, ce n'est pas facile de repasser toute une vie en quelques heures. Je ne sais pas si tu me comprends, mais c'est beaucoup plus difficile de raconter ces choses que de les commettre .. . 13
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Sans mot dire et d'un geste lent, son compagnon se lève, se penche au-dessus de la table et, les deux pouces enfoncés sur les fermoirs de la mallette, arrête le magnétophone dissimulé à l'intérieur. Cet homme, à l'aube de la quarantaine, bien que d'apparence robuste et calme, semble néanmoins écrasé sous la tâche. Il enlève ses lunettes, les dépose sur un coin de table, et des deux poings, frotte ses yeux rougis par de longues journées sans sommeil, de trop nombreuses cigarettes, une forte concentration. Sous ses airs blasés de bon enfant bon vivant, le sergentdétective Richard McGinnis, peu loquace, possède une véritable connaissance des méandres de l'âme humaine et c'est peut-être là la source de l'amitié qui l'unira bientôt à Donald Lavoie pour qui ce policier disparaîtra pour faire place au copain, à l'ami. Pendant que Donald ramasse ses effets épars sur la table, Richard McGinnis ouvre la porte du bureau adjacent pour y déposer la précieuse mallette à l'intérieur d'un coffre-fort. - Donald, dit-il en se retournant et après s'être assuré d'avoir bien refermé le coffre, mois je suis tout à fait crevé, si on allait manger! - Bonne idée ça, Richard, il y a quelques heures que je rêve d'une bonne bière bien froide , ajoute Donald en revêtant sa canadienne beige. Les deux hommes quittent la pièce déserte à cette heure tardive de la soirée et déambulent à travers les longs bureaux de la brigade. Seules décorations de ces lieux froids et inhumains, les photographies anthropométriques des principaux membres de la pègre monrréalaise laissent présumer l'activité fébrile qui y règne la journée durant. Passant devant l'une d'elles, le visage de Donald s'éclaire d'un sourire vengeur. Bientôt rejoints par le sergent-détective Howard Langlais qui verrouille la porte arrière et met le dispositif de sécurité en marche, le duo se dirige vers l'unique voiture du stationnement. - Que dirais-tu d'aller manger Chez Lanni? demande McGinnis à Donald installé seul à l'arrière. L'automobile tourne à droite sur la rue Lebrun puis emprunte la rue Sherbrooke vers l'ouest. Malgré son chaud 14
Richard McGinnis et Donald Lavoie ont besoin l 'un de l'autre. Richard McGinnis est maintenant « le protect eur>, de Donald Lavoie.
vêtement, Donald a froid . Le visage collé à la vitre, il n ecoute plus ses compagnons, ne les entend pas . Il ne voit qu 'une immense bâtisse de brique jaunâtre, des frères en longues soutanes noires, une courroie de cuir à la main et qui frappent ... Le Mont Saint-Antoine, un institut de réh abilitation. Rue Dézéry, les trois hommes parcourent en silence les quelque cent mètres qui les rapprochent de leur destination. L'ampleur du secret qui les unit maintenant est de la nature de ceux dont on ne parle p as. Pour chacun d'eux il revêt un as pect particulier et, la moindre allusion serait une trahiso n, une violation plutôt de l'âme de l'autre. Leurs p as s'accélèrent sur la mince couche de neige qui recouvre le trottoir et bientôt les trois silhouettes s'engouffrent dans le portique du restaurant. Richard McGinnis y e ntre tout d'abord seul et, quelques secondes plus tard, fait sig ne à ses co mpagnons de le suivre. 15
- Nous allons nous asseoir à la table du fond, précise-t-il de sa voix chaude à une jeune femme souriante et détendue malgré les vingt-trois heures indiquées par les aiguilles de l' horloge de bois. - Moi , je vais tout d'abord prendre une Molson bien froide, annonce tout de go Donald avant même d'enlever son manteau . - Et moi aussi! ajoute à son tour Howard Langlais tandis que McGinnis demande un Seven-Up. Bientôt détendus, décontractés, les hommes bavardent et blaguent avec la jeune femme occupée à servir les consommations. Ils doivent oublier, chasser de leur esprit le contenu trop lourd de ces harassantes journées de confidences. - Donald, je te laisse choisir le repas , il paraît que tu es un fin gastronome, lance Richard en tendant le menu à son vis-àVIS.
- Gastronome, il faut s'entendre sur le terme, disons que j'aime ce qui est bon, ajoute l'autre un peu mal à l'aise de ce compliment néanmoins flatteur. Allez, renchérit Langlais, on te fait confiance! Laissez-moi d'abord boi re ma bière puis après je choisirai le menu, rajoute un Donald de plus en plus à son aise. Le temps s'écoule. De temps à autre, le patron vient s'assurer d'un sourire avenant, qu 'ils ne manquent de rien. On rit - Donald possède cette rare faculté de pouvoir saisir puis de narrer les aspects cocasses de la vie - on jase de tout et surtout de rien. Le regard abrité derrière ses lunettes qu'il porte en guise de déguisement, Donald s'absorbe dans la composition du menu. - Bien, dit-il en s'adressa nt à la serveuse, je vais prendre un consommé, puis un tournedos saignant, avec des champignons sau tés et des pommes de terre en purée. Je choisirai mon dessert plus tard. - La même chose, répètent les deux policiers, mais la viande médium sa ignant. -
Prendrez-vous du vin? demande la serveuse.
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- Non, nous allons prendre une autre bière. Les bons vins sont hors de prix dans les restaurants et les autres ne sont pas buvables! répond Donald cherchant l'approbation de ses compagnons . Devant le repas qui lui est servi, Donald sent le besoin d'un retour aux quelques rares moments de son enfance, les pâles reflets d'un univers qu'il n'a pas connu. Sent-il la nécessité de prouver que lui aussi a connu l'affection? .. - Moi, quand j'étais jeune, à Chicoutimi, ma tante me préparait toujours de la tourtière lorsque j'avais la permission de lui rendre visite durant les fins de semaine. Je n'en ai jamais mangé de meilleure depuis ce temps-là! - Au fait, un jour il faudra bien que tu nous en prépares une, ajoute Richard McGinnis, devinant le désir de valorisation de son interlocuteur. - Pendant que j'y pense, Richard, demain matin j'aimerais bien que tu m'apportes des croissants avec de la confiture de pêches pour déjeuner. À cette demande, le visage du sergent-détective retrouve son sérieux habituel. Depuis qu'il côtoie Donald, il doit régulièrement, soit lui apporter sa nourriture de l'extérieur, soit la faire venir d'un restaurant et jamais les raisons d'une telle exigence ne lui ont été fournies.
- Au fait, risque-t-il à nouveau, voudrais-tu m'expliquer la raison pour laquelle tu refuses de manger la nourriture servie à Parthenais? Les traits de Donald se tendent; le policier comprend qu 'il vient de toucher une corde sensible, une corde qui, si on la laisse choir, atteindra le gouffre d'un univers que son interlocuteur s'efforce de chasser, de reléguer aux oubliettes de son passé. - Parce que j'ai peur d'être empoisonné! lance-t-il d'une voix ferme et cette fois sans hésitation aucune. -
À Parthenais! s'écrie, estomaqué, Howard Langlais.
Et, serait-ce pour se donner le temps d'étayer sa réponse ou permettre à Richard McGinnis de l'assimiler, Donald s'empresse d'achever, la tête penchée vers l'assiette, son plat de 17
champignons. Tout à coup, il relève le regard qu 'il arrête à la hauteur du policier, s'allume une cigarette, soupire : - Écoutez, moi je sais à quel point il est facile de faire entrer du poison dans un centre pénitenciaire. Il y a de cela quelques années, en 1975 je crois, j'ai fourni du cyanure à un ami bien connu de la ville de Québec qui l'a lui-même donné à un codétenu afin que ce dernier en empoisonne un autre. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévues : celui qui a reçu le poison a préféré se suicider avec le cyanure. Vous me comprenez maintenant? Ne voulant pas être appelé pour l'instant à fournir de plus amples détails sur le sujet, Donald fait, d'un geste autoritaire, signe à la serveuse : -
Qu'avez-vous comme dessert? demande-t-il.
Distraitement, Richard McGinnis étend sur les parois de la coupe le vert de la crème de menthe puis regarde sa montre : - Donald, il va falloir que nous allions te reconduire, il commence à se faire tard et demain je dois t'éveiller tôt. Pendant que le sergent-détective règle l'addition, Donald, un peu plus loin, revêt une canadienne puis se ravise : - Richard, je pense que c'est la tienne, ces gants ne m'appartiennent pas! La porte s'ouvre, les trois hommes sentent le froid les pénétrer et remontent leur col. Les mains dans les poches, Donald, les traits crispés, se retourne d'un mouvement brusque vers l'arrière. Rassuré il reprend sa place entre les deux policiers. Nerveusement, continuellement, son regard anxieux se braque tantôt sur les passagers des voitures, tantôt sur les rares badauds qui, à cette heure de la nuit, se hâtent vers leur domicile. Sur la banquette arrière de l'automobile banalisée, il reste seul avec ses pensées, s'allume une Export A pour bientôt l'oublier au fond du cendrier. Ses geste saccadés ne tardent pas à attirer l'attention de McGinnis : - Donald, qu 'as-tu, tu ne te sens pas bien? répète le détective pour la seconde fois. 18
- Quoi? Je n'ai pas compris, répond Donald qui s'allume une autre cigarette. -
Ça va bien ? réitère McGinnis .
- Oui ... oui, murmure l' homme qui, d'instant en instant, se métamorphose en une bête traquée.
A leur arrivée, les lourdes portes du quartier-général de la Sûreté du Québec se lèvent pour leur laisser passage. A peine quelques minutes plus tard, les trois hommes prennent l'ascenseur qui mène droit au quatrième étage. Un long corridor, une lumière bleutée, des murs beiges, des uniformes kakis , des barreaux ... Les précédant de quelques pas, un policier de la S.Q. s'empresse d'ouvrir la porte d'une cellule, beaucoup plus vaste que les autres, qui accueille Richard McGinnis et Donald tandis que le sergent-détective Howard Langlais veille à l'extérieur. - Eh bien, Donald, voilà, je suis obligé de te laisser ici. Passe une bonne nuit, lui souhaite-t-il, une main sur l'épaule, je te reverrai demain. Si jamais quoi que ce soit arrive, tu sais comment me rejoindre. Un fort bruit métallique étrangle la gorge de Donald. Seul, il est seul entre ces murs, confronté à lui-même, à la grisaille de plus en plus dense de ses souvenirs. D'un geste machinal , il tire le bouton du téléviseur qui ne lui renvoit qu'une tache grise. Il repousse le bouton et se met à arpenter les tuiles rougeâtres de sa cellule, vingt-cinq pas dans un sens, trente dans l'autre. Il y a longtemps qu 'il connaît le nombre des barreaux verts, combien y en a-t-il au fait? Il ne s'en souvient pas plus que de la surface du plancher. Du fond de la salle lui parviennent la sonnerie du téléphone des géôliers et leur inlassable bavardage. Si seulement il lui était possible de ne pas les entendre. Et ce téléphone qui ne sert à rien ... Un coin de papier pointe de sous le lit. Un lettre? Non, personne ne lui écrit et il se refuse le moindre mot. Un journal ? Il les a tous jetés et ce papier est glacé. Il s'approche. Ce n'est que ce vieux magazi ne qu' il a déjà lu à deux reprises. Il n'y a même pas une araignée à qui parler ... si seulement son brave Sultan, son fidèle berger était là.
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Au dehors, la nuit n'offre qu'un panorama de morte-saison. Le front collé à la vitre glacée de la fenêtre, il reste un instant accroché au rideau de neige tiré entre la rue Parthenais et lui avant de lever les yeux à la hauteur du sinistre pont JacquesCartier. Il semble aimanté par la structure d'acier, figé, le regard fixé sur deux silhouettes. Ne sont-ce pas plutôt des fantômes? Car c'est là, à cet endroit exact sur ce pilier ... Un rire fou, quasi démentiel envahit soudainement le vide de la cellule. Capté par ce pont, les mains le long des cuisses, Donald Lavoie rit à en perdre le souffle. « Accusés de conduite dangereuse ... » Son rire bourdonne dans sa tête, son diaphragme vibre. « Les nanas! se dit-il, moi qui ai ... » Il serre les paupières, des larmes coulent sur ce visage buriné qu'il s'empresse aussitôt de couvrir de ses mains .
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Pour une poignée de dollars À l' heure où les rues se vident au prof it des cuisines et des restaurants, les filles envahissent ce morne secteur à l'angle des rues Sainte-Catherine et Saint-Laurent et que tous les Montréalais connaissent sous le vocable de « la Main ». À la vue de ce jeune homme qu'elle reconnaît pour un gars du milieu, l'une d'elles, appuyée à une voiture, décroise de longues jambes qu'elle pointe vers le trOttOIr:
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Dis, chéri, tu viens?
Poursuivant sa route, j' homme, inattentif aux regards de la rue, s'engouffre bientôt dans l'une de ces tavernes dont les fenêtres poisseuses et opaques dissimulent les ombres qui alimentent quotidiennement la chronique criminelle de la métropole. Un fort relent de bière l'accueille à la porte. - Eh Donald, veux-tu une draft? lance du fond de la salle un petit homme à l'allure mièvre, je pense que c'est aujourd'hui que l'on va régler nos comptes! En effet les jours du jeune Ghislain Saint-Pierre sont comptés. Son témoignage devant le tribunal a sérieusement incriminé Claude Dubeau alors que ce dernier était accusé des meurtres de Roger Labelle et Gaston Blanc, tous deux assassinés à la Taverne Plateau, le 2 janvier 1970. Dans un de ces deux meurtres, Claude Dubeau a été acquitté mais dans l'autre il y a eu « no Ile prosequi », ce qui signifie que la Couronne pourrait, en l'espace d'un an et un jour, réaccuser Claude Dubeau pour ce dernier meurtre. Il ne faut pas que Ghislain Saint-Pierre puisse de nouveau témoigner et surtout le punir pour l'avoir déjà fait. 21
À peine entré dans la taverne, un homme ordonne d'un bref signe de tête à Letarte de le rejoindre. Après un court conciliabule, ils commandent à Donald Lavoie de les suivre. Quelques minutes de marche plus tard, Hector Letarte 1 et un complice pénètrent dans un de ces clubs où la détresse et la misère humaine flirtent devant le miroitement de faux rêves à bon marché. À vingt-trois ans, Ghislain Saint-Pierre s'offre une dernière illusion loin de sa jeune épouse lorsque le contact d'un objet appuyé le long de ses côtes le tire de sa torpeur.
- Sors dehors, on a quelque chose à te dire! entend-il murmurer derrière lui. U ne sueur froide envahit tout son corps. Tremblant de tous ses membres mais s'efforçant de n'en rien laisser voir, le jeune homme, au lieu de profiter de la relative sécurité que lui offre la clientèle, optempère devant la menace de l'arme et suit ses assaillants. Caresse-t-il encore l'espoir de les convaincre de sa future bonne foi? .. Projeté à l'arrière d'une voiture entre deux gardes du corps, il est aussitôt conduit dans un bouge du quartier Saint-Henri contrôlé par un membre d'une célèbre famille de la pègre du sud-ouest montréalais. Aussitôt entré, Hector Letarte s'empresse d'assouvir sa rage en rouant sa malheureuse victime de coups de pieds et de poings puis, s'armant d'une pelle, frappe à moult reprises jusqu'à ce que le pauvre s'effondre à peine conscient. Les deux complices, aidés de Donald Lavoie, le projettent sur le plancher arrière de l'automobile garée sur le terrain de stationnement du club. Le trio se dirige vers la réserve amérindienne de Caughnawaga à environ quinze minutes de route du quartier Saint-Henri et s'arrête non loin d'un dépotoir. Ils tirent leur victime hors de la voiture puis , se saisissant d'un révolver, Hector Letarte met fin aux jours de Ghislain Saint-Pierre. Les trois complices creusent une fosse dans laquelle ils jettent le cadavre.
1. Nom fictif.
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Donald Lavoie vient de faire un voyage sans rerour, un voyage lourd de conséquences. Nul dégoût, nul écœurement. Son geste lui semble aussi naturel que de boire son café au petit matin. Tout ce qu'il avait cumulé de violence, de haine et de révolte en plus de vingt ans s'exprime dans sa seule réaction. «C'est facile de tuer, se dit-il, la vie ne tient vraiment pas à grand-chose . .. » Il est dorénavant un meurtrier, un être froid, implacable. «Saint-Pierre n'avait qu'à ne pas témoigner contre Claude . .. » Donald Lavoie ne réalise pas la portée d'un assassinat, ne pense pas un seul instant aux conséquences que le meurtre peut avoir sur les proches de sa victime. Son sort est dorénavant lié à celui de ses deux complices. La fosse comblée, on se hâte de quitter la réserve. Mais on n'est pas tranquille pour autant. Un jeune homme, dont on ignore le nom, les a vu kidnapper Ghislain Saint-Pierre. Si cet individu parlait à la police ... Pendant guelgues jours, Hecror et Donald arpentent la Main à la recherche de l'inconnu gu'ils repèrent finalement à la table d'un club. Forcé à son rour de suivre les deux comparses, il est placé à bord d'une automobile et conduit dans la région de Trois-Rivières, à deux heures de route de Montréal. Letarte et Lavoie s'arrêtent près d'un boisé où, à l'abri des indiscrets, ils abattent leur victime guïls s'empressent aussitôt d'enterrer dans une fosse improvisée.
Claude Dubeau sortait depuis peu de prison lorsgue Donald Lavoie fit sa connaissance dans une taverne. Originaire d'une famille nombreuse du quartier ouvrier de Saint-Henri, Claude Dubeau, petit homme court, d'allure mièvre, au visage allongé et avare, ne brille ni par l'intelligence ni par son aspect physigue. Il n'en inspire pas moins une véritable terreur due à la folie homicide gui l'habite. Mais Donald Lavoie côroie Dubeau gui représente pour lui la force et le pouvoir gu'il rêve d'exercer sur ses semblables. Ce monde où tout s'acquiert par la violence, ou le respect des autres n'existe rout simplement pas, n'a rien de nouveau pour Lavoie gui, au cours des vingt-huit années de sa vie, n'a connu gue sévices et cruautés. La violence s'est imposée. Il régnera par cette violence et dorénavant, nul ne se dressera sur sa route.
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Donald Lavoie se souvient de sa première victoire. Il se revoit entrer au club Montmartre avec, au bras, cette jeune beauté qui fait rougir d'envie les motards des Devil's Disciples. À vingt-sept ans, Donald est un bel homme; son physique et son assurance gagnent le cœur de sa compagne. Aussi les motards décident-ils de régler le cas de Lavoie pour conquérir la belle. Au cours des jours suivants, les motards, vêtus de veste de cuir et armés de chaînes et de couteaux arpentent les trottoirs à l'intersection des rues Sainte-Catherine et Saint-Laurent. Ils attendent Lavoie de pied ferme. Flanqué de son frère, Donald est attaqué en pleine rue par le groupe. Un des agresseurs sort un revolver de sa poche, mais, avant qu'il ne puisse s'en servir l'intervention rapide de son frère lui fait glisser l'arme de la main grâce à un coup de pied bien appliqué. Cette bataille de rue attire l'attention d'une voiture de police sur le groupe. Savais-tu qu'il était chargé? demande un constable à Lavoie. -
Je pensaIs que c'était un jouet, répond-il.
Les motards sont aussitôt conduits au poste de police tandis que Donald Lavoie rentre chez lui. Entre lui et les Devil's Disciples une longue guerre vient de commencer. La ronde des tavernes et des clubs du centre-ville l'amène à faire la connaissance de truands, voleurs et assassins de tout acabit auxquels il fournit à l'occasion des armes à feu . Depuis quelque temps, Donald, qui n'ignore pas l'importance des armes dans le milieu, profite de ses voyages dans le Maine pour faire l'achat de revolvers qu'il dissimule dans les ailes de sa voiture à son retour au Canada. Il les revendra par la suite dans les tavernes . C'est ainsi qu 'un jour, il en fournit un à Claude Dubeau. Donald Lavoie est fasciné par son nouvel ami, celui-là qui, seul, n'aurait pas hésité dit-on à abattre froidement, en présence de dizaine de clients, le garçon de table de la taverne Plateau, Roger Labelle, dit Babine, puis Gaston Blanc, un client de passage, qui n'a eu d'autre tort que de se trouver sur son
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passage 2 • De même Lavoie n'a pas hésité à assassiner Ghislain Saint-Pierre et son ami qui tous deux menaçaient la sécurité de Dubeau. Donald Lavoie a beaucoup de difficultés à joindre financièrement les deux bouts . Ses petites activités criminelles lui permettent à peine de payer son loyer de l'est de la ville et de faire vivre sa concubine et leurs deux enfants en bas âge. Le ménage s'entend déjà mal et le manque d'argent n'aide pas surtout que Donald dépense la majeure partie de son argent à bourlinguer sur « la Main ». Aussi fait-il part un jour de ses difficultés à Claude Dubeau: il a besoin de 200$. -
Va voir Claude Dubois, c'est un ami, il t'en prêtera lui!
Donald Lavoie se rend, sur les conseils de son ami, au restaurant Martinique, angle de Bullion et Sainte-Catherine. Cette petite gargotte au cœur de la Main est le quartier-général du caïd de Saint-Henri.
2. Roger Labelle, 44 ans, spécialiste du vol d'automobile devant servir il des vols de banque, Cl été tué parce qu'il avait trop parlé. À la fin des années 1960, il avait collaboré avec la police qui avait dû le cacher il la prison commune de Saint·Jean. Le milieu ne pardonne pas à ce genre d'individu er décide de J'éliminer. Quant cl Gaston Blanc, 55 ans, il érair un honorable citoyen qui a e u le malheur de s'arrêter à la Taverne Plateau, En mourant, il a laissé un don de 200 OOOS il des œuvres de charité chrétienne. L'arme de J'assassin fit aussi deux blessés graves: François Baril fut atte int il un genou et Marcel Massie reçu une balle dans l'épaule,
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La terreur du sud-ouest Au début des années 1970, le monde criminel montréalais vit sous la férule de deux puissantes bandes organisées, la Mafia et le clan Dubois. Originaire du quartier Saint-Henri dans le sud-ouest montréalais, cette famille de onze enfants, compte neuf frères qui vivent essentiellement du crime. Leur père, Napoléon, dit Paulo, travaille bien à l'occasion mais possède surtout des relations utiles dans les cercles politiques. Ainsi personne dans le quartier n'ose-t-il le questionner sur ses sources de revenus. Dès l'enfance, les neuf frères, qui ne mangent pas toujours à leur faim, se débrouillent en volant des dentées alimentaires, puis en s'emparant de l'argent que contiennent les pintes de lait déposées sur le seuil des portes avoisinantes. A l'adolescence, ils sèment la terreur dans le quartier; leur sadisme, leurs méthodes impitoyables érigent autour d'eux un mur de crainte et de respect. Les neuf frères , soit Raymond, Jean-Guy, Normand, Claude, René , Roland , Jean-Paul, Maurice et Adrien forment déjà le noyau d'une bande parfaite, bien organisée contre laquelle bien peu de durs peuvent rivaliser. Leur cruauté dépasse largement les limites de leur quartier nata)3 et ils acguièrent rapidement la répuration d'être les plus impitoyables de Montréal. Très tôt ils imposent un système de «protection » aux commerçants du quartier notamment aux propriétaires d'établissements licenciés à qui ils réclament une somme d'argent pour pouvoir exploiter leur commerce sans ennuI. 3. À titre d·exemple, il faut mentionner le cas d·un restaurateur grec qui fut roué de coups et eut le torse lacéré d ·une croix gravée au cou teau parce quïl ava it eu le torr de réclamer le prix du repas à quelques -uns des frères venus manger dans son étab lissement.
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En temps d'élections, les Dubois offrent leurs services au candidat le plus favorisé en attente de diverses faveurs ... qui leur sont, il faut le mentionner, parfois accordées. Dans ce quartier qui, grâce à ses délimitations géographiques, possède toutes les caractéristiques d'un village, les frères dominent rapidement toute la truanderie locale. Délaissant peu à peu les vols d'épicerie, ils se lancent, avec l'aide des autres criminels du quartier à qui ils procurent ainsi un «emploi », dans les vols à main armée. Ce sont toujours eux, qui après avoir fourni les armes et les automobiles servant aux crimes, écoulent la marchandise volée. Vers le début des années 1960, deux des frères, soit JeanGuy et Claude, abandonnent leur quartier natal au profit du centre-ville. On retrouve le premier employé de certains cabarets tandis que le second travaille comme portier au Jazz Hot, juste au-dessus de La Casa Loma, boîte alors réputée et considérée comme l'un des châteaux-forts de la puissante mafia. Claude Dubois y succède en tant que portier à Jos Di Maulo, membre du gang Cotroni. Claude Dubois profite de son emploi pour instaurer un véritable système de protection à tous les employés de ce club, aux prostituées et proxénètes qui, pour opérer, doivent lui payer un tribut. Peu à peu, Claude Dubois contrôle la majeure partie des rackets, dont le prêt usuraire, puis, plus tard, le rentable commerce de la drogue. Ses affaires prennent vraiment de l'envergure lorsqu'il hérite de la liste des clients du réseau de prêt usuraire d'Harry Smith évaluée à 70000$. Pendant que Claude et Jean-Guy s'imposent graduellement dans le centre-ville, les autres frères, Jean-Paul, Maurice, Roland, Normand , René et Raymond implantent leurs réseaux de protection, de ventes de narcotiques et de vols d'autOmobiles dans Saint-Henri. Le 27 mai 1959, leur nom ne tarde pas à faire les manchettes des journaux lors du meurtre de Gilles Petit qui déclencha la célèbre «affaire Miron ». Bien que blanchis de cet assassinat, les Dubois seront dorénavant associés à tOute une série de meurtres, vingt ans durant. 28
Le 13 juin 1968, Claude Dubois et un certain Yvon Belzil, un autre portier avec lequel il s'est lié d'amitié, sont cités, de même que Jean-Guy Dubois, sa compagne, Gisèle Anctil, et un dénommé André Durocher, devant le coroner de Saint-Hyacinthe. Tous sont retenus comme témoins importants du meurtre de Michel Marleau, garçon de table au Harlem Paradise, retrouvé assassiné de cinq balles le 22 février de la même année non loin d'une route secondaire près de Drummondville. Peu de temps après la macabre découverte, un certain Raymond Bonenfant est lui aussi retrouvé criblé de balles dans une automobile garée dans la cour de triage Turcot, dans l'ouest de la métropole. Or, les deux victimes étaient des amis. «Règlement de comptes », concluent les sergentsdétectives Guy Gaudreau et André Ménard qui n ' hésitent pas à relier ces deux meurtres à l'attentat perpétré un peu plus tôt sur la personne de Jean-Paul Dubois, alias Mad Dog Bordeleau. En effet, le 21 février précédent, ce dernier, alors installé au bar Les Copains, château-fort de la famille Dubois, est la cible du tir d'un individu membre d'une bande adverse. Un tel crime ne doit pas rester impuni . . .4. L'affaiblissement progressif de la mafia dû à la vigilance et aux arrestations policières permet à Claude Dubois de renforcer son pouvoir et son empire qui s'étend sur plusieurs tavernes, clubs de nuit et discothèques du centre-ville, dont les tavernes Plateau et Bellevue, et l'Osstid'Plass qu'il administre conjointement avec Yvon Belzil et le journaliste Claude Jodoin. Il convoite même l'une des plus importantes agences d'effeuilleuses et de danseuses aux seins nus. En effet, en 1969, le propriétaire de cette agence, Claude Simard, meurt dans des circonstances mystérieuses que même les enquêteurs policiers sont incapables d'expliquer. Claude Dubois se rend au salon funéraire pour déposer, au nom des siens, une couronne de fleurs sur le cercueil. Apprenant que la veuve du défunt, madame Ginette Simard, a l'intention de poursuivre les opérations de son mari, il ne manque pas de lui rappeler que le disparu lui devait toujours les 500$ qu'il lui avait emprunté en 1968: 4. Faute de preuves, les cinq témoin s possédant tou s de solides alibis, furent relâc hés pa r le co rone r.
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- Tu ferais mieux de ne pas trop travailler si tu ne veux pas finir dans une poubelle! lance Dubois à la veuve 5 . Peu après, madame Simard cède l'agence à Claude Dubois, Paul Calcé et Robert Gendron . Ces deux derniers en sont les propriétaires mais doivent verser à Dubois un salaire hebdomadaire de 200 $ à titre de relationiste. En un mot, Claude Dubois est le véritable maître de l'Agence Calcé. Ce genre d'entreprises est en effet très lucratif: les jeunes filles, souvent mineures, doivent remettre à leur employeur un pourcentage de leurs gains, en plus de la prostitution qu'elles sont souvent obligées d'exercer au profit de leur patron. Pendant que Claude Dubois consolide son empire dans le centre-ville, à Saint-Henri, Raymond Dubois, l'aîné, contrôle plusieurs établissements licenciés dont le bar Les Copains, le Robert Bar Salon et le Bar Salon Houde. Bien que ne déclarant aucun emploi, les neuf frères affichent tous un opulent genre de vie: voitures coûteuses, voyages à l'étranger, maisons de ville et de campagne, bijoux, ... Au sein de l'organisation ce sont eux et uniquement eux qui sont à la fois le coeur et le cerveau. Contrairement à la mafia, le clan Dubois ne possède aucune structure: c'est une bande informe, invertébrée, qui s'agglutine au gré des formations des bancs de pourriture à la va-comme-je-te-pousse. Au début des années 1970, sa force est telle que même la puissante mafia italienne préfère négocier avec elle plutôt que de l'affronter. C'est au Martinique, une gargotte à hot-dogs de la Main où trône le redoutable et redouté Claude Dubois que Donald Lavoie lui demande 200$. Claude Dubois s'empresse de lui prêter la somme. Peut-être voit-il déjà en Lavoie un candidat de choix pour mener à bien la lutte au groupe des Devil's Disciples. « À l'apparition du phénomène de la drogue chez les jeunes vers 1967, le monde interlope met du temps à s'engager carrément dans cette activité. À ce moment-là, la distribution de drogues « douces » (haschisch et marijuana ) est assurée par une foule de petits « pushers » indépendants . Toutefois depuis lors, le milieu a monopolisé la vente au détail, éliminant, petit à petit, les indépendants. 5. Témoignage de madame Ginette Simard devant la Ceco.
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La nature de ce commerce a complètement changé. Alors qu'auparavant les petits vendeurs, la plupart du temps des adeptes de la drogue, vendaient celle-ci d'une façon non systématisée à leurs amis et clients, le trafic des stupéfiants est devenu une entreprise commerciale très organisée entre les mains des gens du milieu. Pour vendre de la drogue de cette manière, il faut implanter ce réseau de vendeurs là où les consommateurs se trouvent, c'est-à-dire dans les boîtes de nuit, dans les bars et les discothèques. Or, pour conquérir la clientèle, il est insuffisant de placer simplement un vendeur dans ces endroits. Afin que le système fonctionne à plein rendement, il faut que les garçons de table, les portiers, les barmen, en un mot tout le personnel de l'établissement connaisse le vendeur, accepte ses activités pour qu'il ne soit pas dénoncé et qu'il lui serve de rabatteur pour les
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clients en quête de drogue. Il faut également que ce personnel lui serve d ' indicateur lorsqu'il repère une surveillance policière ou l'infiltration d'agents doubles et qu'il l'informe si un autre vendeur vient lui faire concurrence sur place. C'est ainsi que le racket de la protection évolue vers une forme de contrôle du personnel-clé d ' un établissement licencié et des commerces illicites qui s'y exercent. Le commerce de la drogue, par sa nature et en raison de la cupidité des gens qui le dirigent, invite au monopole, c'est-à-dire à l'élimination de la concurrence. À cause des profits gigantesques qui sont en jeu, on assiste à des affrontements meurtriers pour l'obtention du contrôle d'un marché. » 6
6. Rapport offi cie l de la Ceco, 1976.
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Un affront impuni? Jamais! Dans l'après-midi du 19 juin 1971, Donald Lavoie se rend au Café Jan-Lou, une boîte de style western situé boulevard Saint-Laurent à quelques pieds au sud de Sainte-Catherine. Le propriétaire, Louis Fournier, âgé de quarante-trois ans, possède de solides amitiés parmi les policiers de la ville et se montre aussi très compréhensif envers les problèmes de ses clients habituels. Depuis quelque temps, les menaces des hommes de main du gang pleuvent sur lui: Louis Fournier refuse de payer pour la protection qu'on veut lui imposer. Traqué, il demande l'aide de la police qui confie au sergentdétective Yves Richard la mission de veiller à la sécurité de son ami Louis Fournier. Attablé, un verre à la main, inattentif à la chanson de Willie Lamothe que le juke-box diffuse pour la seconde fois, Donald Lavoie lève la tête à l'approche de Fournier. Appuyé au bar, Yves Richard regarde Fournier prendre place aux côtés de Lavoie. Une discussion s'engage. Soudain le propriétaire se penche vers le client et le saisit par le collet: - J'va te tuer, j'va te massacrer à coups de poings pis à coups de pieds! Lavoie n'en revient pas, jamais Louis Fournier ne lui avait montré la moindre animosité. Au contraire, il lui avait même proposé la semaine précédente de le dépanner si jamais il avait des ennuis à écouler sa marchandise. - Dis donc, t'es saoul ou quoi, qu'est-ce qui te prend? demande Lavoie stupéfait, je ne t'ai jamais rien fait moi, tu es un ami pour moi!
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M'a t'étrangler, m'a te tuer! rétorque Louis Fournier.
Donald réussit à s'échapper des mains de Fournier et quitte le Jan-Lou bien décidé à ne pas laisser cet affront impuni. Qu'est-ce que le milieu va penser de lui, personne ne traitera de la sorte Donald Lavoie. «Il va me le payer cher, se dit-il en luimême, très cher . .. » À son appartement de la rue Milton, Lavoie se verse une rasade de cognac tout en ruminant sa vengeance. Décidément, s'il laisse ce crime impuni, c'en sera fait de sa réputation et nul ne le respectera dans ce monde où il veut percer, tracer son chemin.
- Écoute, dit-il au téléphone à son ami Yvan Malenfant 7 , le bonhomme Fournier il va me le payer cher, je vais aller au Jan-Lou ce soir pUiS quand j'arriverai, ouvre-moi la porte!
Un peu plus tard, dans la SOIree, plusieurs hommes de main sous les ordres des frères Carol et Donald Lavoie envahissent la Taverne Montréal. Les négociations entre le propriétaire, monsieur Laurier Gatien, et les truands débutent dans un climat d'extrême tension et le moindre geste peut déclencher l'irrémédiable. - Pourquoi résistes-tu, tu es le seul dans le secteur qui ne bénéficie pas de notre protection. Tu ne veux pas avoir d'ennuis n'est-ce pas, alors paie! Il faut aussi que tu embauches les gars que nous te désignerons et tu leur laisseras vendre ce qu'ils veulent. Monsieur Gatien tente de gagner du temps, mais ses vis-àvis se montrent peu enthousiastes à lui accorder un délai de réflexion. Propriétaire de la Taverne Montréal, Laurier Gatien, un honnête sexagénaire, voit son établissement menacé par les sbires de Claude Dubois. Sis au coin du boulebard Saint-Laurent et de la rue Sainte-Catherine, au cœur du fief de la pègre, la Taverne Montréal nuit au bon roulement des tavernes Plateau et Bellevue toutes deux sous la coupe de Dubois. De plus, Laurier 7. N o m fi ctif.
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Gatien refuse l'entrée aux laquais du caïd et ne tolère d'aucune manière la vente de drogues dans son établissement. -
On va te descendre, mon gros chien!
- Allez-y, vous allez me rendre un grand service! rétorque Gatien peu impressionné par la fureur de la bande. - Tu vas payer comme les autres 100 $ par semaine, on va te prouver qu'on est sérieux, lis les journaux demain!8
Aux petites heures du matin, un jeune homme tout de noir vêtu, tel l'Archange de la mort, se présente à la porte du café Jan-Lou. À quelques pieds de lui, Louis Fournier, qui vient tout juste de souhaiter une bonne nuit au sergent-détective Yves Richard, se retourne et, reconnaissant l'homme, lui demande s'il veut une bière : -
Ouais, bien froide! répond le jeune homme.
Pendant que Fournier se retourne pour prendre une bière dans le réfrigérateur, l'individu sort de sa ceinture deux revolvers de calibre .22 et, sans broncher, atteint mortellement Louis Fournier de quatre balles en plein visage et d'une cinquième au cou qui lui sectionne la moelle cervicale. Le temps d'un éclair, les crosses chromées des armes se pointent vers l'organiste, Robert Beaupré, 34 ans: quatre balles dans l'oreille gauche. Une femme croise la route du tueur. Pétrifiée devant le regard impavide de l'assassin, la barmaid, Jeannette Diotte, devine, au contact glacial d'une arme sur sa tempe, sa dernière heure venue. amie.
Eh, n'y touche pas! s'écrie Yvan Malenfant, c'est mon
Par amitié, l' homme renonce à une troisième victime mais afin d'assouvir sa rage, la sort à coups de pieds de l'établissement. Malenfant de même que Roger Poirier, un individu 8. Déclaration de monsieur Gatien devant la Ceco. (sic).
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bien connu des milieux criminels et policiers, subissent le même sort. Le meurtrier s'enfuit, se fond dans la faune bariolée de la Main .. . Le dimanche 20 JUIn, les quotidiens de la métropole annoncent à la une le meurtre du propriétaire du Café Jan-Lou et de son organiste. L'établissement est situé à moins de huit cent pieds de la Taverne Montréal. Laurier Gatien apprend la nouvelle avec stupeur, mais sa réponse n'en demeure pas moins négative. Confortablement installé chez lui, Donald Lavoie ouvre son journal: sa photo lui saute aux yeux. La police le recherche pour le double meurtre du Jan-Lou! - Je me souviendrai de son visage toute ma vie, jamais je n'oublierai ses yeux! avait confié Jeannette Diotte aux détectives. Le gang qui devine en Lavoie un prospect sérieux pour l'avenir n'hésite pas à lui fournir son aide pour l'aider à fuir du pays. Yvon Doucet, dit Ti-Rouge, et Claude Lesage sont aussitôt désignés pour accompagner le fuyard. Installé au fond du taxi de Doucet en compagnie de sa concubine, Donald Lavoie a, pour la première fois de sa vie, la terrible impression d'être traqué. La police sait qui il est. Dès son arrivée à New-York, Donald Lavoie se retrouve parmi le petit monde interlope. Il ne peut travailler sous son nom, la police canadienne ayant sûrement communiqué avec le FBI et, pour gagner sa vie, doit se livrer à des activités clandestines. Après un an d'exil, une altercation le met aux prises avec le portier d'une boîte de nuit. Aussitôt alerté, un policier se précipite sur les lieux et dégaine son arme en direction de Donald Lavoie qui, à son tour braque le sien dans la figure du policier qui, apeuré, perd tout contrôle et permet ainsi à son agrésseur de s'enfuir. Moins d'une heure plus tard, une demi-douzaine de policiers cernent la cabine téléphonique dans laquelle se trouve Donald Lavoie qui est mis en état d'arrestation. Accusé de tentative de meurtre 9 , on lui accorde un 9. Aux États-U nis, le fait de po inte r une ar me à feu vers que lqu· un co nstitue une tentati ve de meurtre.
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cautionnement de 100000$ qu' il ne peut évidemment pas payer. Donald Lavoie est donc extradé au Canada. De Montréal, les sergents-détectives John Harvey et Laurent Guertin viennent le chercher et le ramènent au Canada où il est aussitôt mis en accusation pour le double meurtre du café Jan-Lou. Appelée à comparaître devant le tribunal,Jeannette Diotte change sa version des faits: elle ne peut plus reconnaître le meurtrier car « il faisait trop sombre dans l'endroit ... » Son témoignage innocente Donald Lavoie qui bénéficie aussi d'un alibi: son frère , déclare qu'il se trouvait avec Donald au café Eldorado au moment où Louis Fournier et Robert Beaupré rendirent l'âme.!O Donald Lavoie n'est pas le seul à être acquitté de meurtre ce jour-là au Palais de justice de Montréal. Richard Desormiers, le beau-frère de Frank Cotroni, membre réputé de la mafia, vient aussi d'être acquitté du meurtre de Lionel Corbeil.! ! Depuis son acquittement, en octobre 1972, Donald Lavoie ne quitte pratiquement plus Hector Letarte, promu depuis peu tueur à gages. Au service du gang, fidèles chiens de garde des trafiquants de drogues, des réseaux de prostitution et du contrôle des clubs et tavernes, en un mot des appétits insatiables du gang, les deux hommes sèment la terreur dans le centre-ville. Ils viennent de quitter leur nouveau quartier-général où régulièrement ils se rendent trois soirs par semaine et à heure fixe, faire leur rapport, recevoir et leurs ordres et leur salaire. Situé sur la Main, ce quartier-général n'est qu 'une minable gargotte imprégnée d'odeurs de vieille graisse. À l'intérieur, quelques banquettes et tabourets de cuirette rouge, des murs crasseux décorés de photos couleurs plastifiées annonçant fièrement le menu : hamburgers sauce-chili, hot-dogs bavant 10. Encore au jourd 'hui , Donald Lavoie nie êr re J'aureur du double meurrre du ca fé Jan-Lou . I\. Lionel Corbe il fur assassiné le 17 février 1972 , en face du 3155 es r, rue Fleury, à quelques p as de la Taverne Fleury. Poursuivi par R. Desormiers, To ny Tripod i er To ny Teoli , il fur rué d'une balle da ns les reins .
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d'une moutarde trop jaune, frites baignant dans un infâme liquide gluant et brunâtre. C'est là que nos deux hommes viennent de laisser Charles Labrosse au sein de drogués, de prostituées, d'ivrognes: des êtres qui n'ont plus d'humain que l'apparence et dont le moindre vice est exploité jusqu'à ce qu'il cesse d'être rentable. Soit à cause du travail, soit à cause des effets de la drogue, de l'alcool ou des plaisirs du sexe, qui, disons-le occupent la majorité de leur temps, les deux amis n'ont pas eu, depuis la libération de Lavoie, l'occasion de s'adonner aux confidences. Aussi ce soir-là se sont-ils promis une soirée en tête-à-tête hors de leur milieu . Au dehors, sur la chaussée, les reflets rouges des néons font penser dans l'obscurité, à de larges flaques de sang. À droite une affiche publicitaire représente une fille grandeur nature vêtue d'une longue robe noire particulièrement collante et dont les seins émergent d'une coupe de dry martini-olive . Aucune trace d'érotisme chez ces filles en guêpières photographiées par dizaines sur la vitrine repoussante de saleté d'un autre club. À l'angle de la rue Sainte-Catherine, une marque bleue apparaît en travers des filets du collant d'une fille amaigrie; elle regarde passer Lavoie avec des yeux dont les couleurs des fards déteignent les unes sur les autres. Porte-t-il attention à cette femme qui, grelottant sous une trop mince veste, semble vouloir se réchauffer les mains en fumant une cigarette? Ce beau gars à l'épaisse chevelure brune pourrait peut-être, l'espace d'une nuit lui faire oublier la route de l'enfer. . . Dans l'embrasure des portes, des hommes repoussent du pied quelques malheureux clochards, indifférents à leur chute sur les débris de bouteilles. Un peu au sud de la Main, rue Dorchester, Hector Letarte pousse la porte d'un bar où, parmi la clientèle huppée, leur arrivée ne passe pas inaperçue, surtout que Letarte affiche sous l'œil droit une superbe ecchymose, dernière séquelle d'une récente bataille de taverne. - Alors, si tu me racontais ce qui s'est passé durant mon absence? , demande Lavoie, un coude sur la nappe blanche et le poignet droit sur la hanche. 38
- Attends un peu, répond l'autre gonflé de l'importance subite que lui accorde la curiosité de Donald, prends d'abord une bière! Pas de bière, une bouteille de champagne! rectifie aussitôt Lavoie un peu dédaigneux de l'offre de son copain. Et tandis que Letarte s'allume fébrilement une cigarette, Donald Lavoie savoure une verre de Moet et Chandon. La lueur de la bougie vacille sur le visa_ge effilé de Letarte. - Je vais tout te raconter en commençant par le début. Le soir du 24 novembre 1971, donc peu après ton départ pour les États-Unis, Éric Lebon entre à La Clé de Sol, un club de l'est de la ville, et aperçoit un jeune type qui danse avec une amie. II dit au gars de la laisser tranquille mais il n'a rien voulu entendre. Que penses-tu qu'il a fait? Donald Lavoie hausse les épaules bien qu'il devine la suite. - « Sors dehors, on va jaser!» lui a-t-il dit. De nouveau, le petit Daniel Gagné refuse de l'écouter. Il va chercher son « morceau» 12 dans son char pis lui tire quatre balles, malheureusement il ne l'a atteint qu'à un genou. Les médecins l'ont amputé d'une jambe et, depuis ce temps, on le surnomme La Patte. Je te jure, Do, que cette Patte-là n'a pas fini d'entendre parler de Lebon; s'il se figure qu'il va témoigner contre lui, il se trompe!
Pressé par Lavoie, visiblement peu impressionné par le fait d'arme de La Clé de Sol, Hector vide son verre d'un seul trait avant de poursuivre son récit: - Tu sais que le gang ne tolère pas de vendeurs de drogues indépendants à La Grande?
Un an après l'achat de l'Osstid'Plass, repaire des motards et de vendeurs de drogues du Carré Saint-Louis, Claude Dubois, Yvon Belzil et le « propriétaire en titre », le journaliste Claude Jodoin, le vendent à un certain Robert Bartuccio, un proche de Raymond Dubois, pour une somme ridicule. En mai 1972, 12. Revolver, dans le langage du milieu.
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Claude Jodoin « achète» la discothèque La Grande, au 77 A, rue Sainte-Catherine est. En fait, l'endroit, où l'on ne vend pas d'alcool, regorge de prostituées, d'homosexuels et de pushers. Naturellement, seuls les vendeurs à la solde du gang sont autorisés à y écouler leur marchandise. Plus audacieux, certains persistent malgré les avertissements des hommes de main du gang, à vendre des cubes de haschisch et des joints de marijuana. Parmi eux, un certain Raymond Guertin, jeune homosexuel de 26 ans et vendeur de mescaline.
- . .. alors, il a fallu l'éliminer. Lebon et son frère, le responsable du groupe dans la vente des drogues, ont été chargés de le tuer. Le matin du 4 janvier 1972, monsieur Lucien Kelly remarque dans la ruelle arrière de son domicile, un vieux tapis qui y a été déposé au cours de la nuit. «Décidément, les gens sortent leurs ordures bien tôt ce matin », se dit-il en lui-même. Toute la journée, les enfants du voisinage qui, eux aussi, ont aperçu le tapis gelé et raidi, s'en servent comme filet pour jouer au hockey. Au retour de son travail, monsieur Kelly s'approche du tapis et croit y remarquer une forme étrange. Il appelle aussitôt la police. Peu après, les sergents-détectives John Harvey et Laurent Guertin de la brigade des Homicides découvrent à l'intérieur du tapis le corps d'un homme affreusement torturé: l'autopsie révèle que Raymond Guertin a été tué de vingt-quatre coups de hachette et d'une quarantaine de coups de pic à glace. Les lèvres d'Hector s'étirent cel un élastique en un sourire sardonique. - Tu sais, au prix que coûte un revolver, vaut mieux se servir d'un couteau! Il termine son récit dont il n'est pas peu fier. Quant à Donald Lavoie il fait signe au garçon de table d'apporter une seconde bouteille de champagne. Ce sadisme lui répugne bien un tantinet mais la question qui vient de le frapper le trouble encore plus. Saura-t-il agir de la sorte, faudra-t-il qu'il imite Lebon pour Qbtenir la confiance du gang et le respect du milieu? ... Il a peur de ne pas être à la hauteur. Le visage défait 40
par la jouissance de ses pensées, Letarte, devenu volubile, ne peut s'empêcher de parler. - Ce n'est pas tout, il y a aussi l'affaire de Guénard Poirier. " Qui est-ce, Je ne le connais pas? Ce gars-là était mêlé à un vol de bijoux puis, pour l'empêcher de parler, il a fallu le tuer. Lebon demande à Micheline Sylvestre de lui donner rendez-vous le 11 mars 1972 à l'appartement de la rue Saint-André. Lorsqu'il est arrivé, un autre gars que tu ne connais pas et Éric l'ont tué. Ils ont ensuite transporté son corps en automobile et l'ont abandonné sous le boulevard Métropolitain. - Et ce n'est pas tout, la semaine dernière le gang a réglé le compte d'un autre gars, mais ne m'en demande pas la raison, je l'ignore. Tu sais, ils ne nous disent pas toujours la raison pour laquelle ils veulent se débarrasser de quelqu'un! -
Qu'est-ce qui s'est passé?
- Tout ce que je peux te dire c'est que Bernard Barriault, un ami des frères McSween, fréquentait les bars de Saint-Henri où deux frères du gang sont solidement implantés. Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais on a donné une adresse à Éric en ajoutant qu'il devait tuer le gars. C'est Réal Lévesque l 3 et Éric qui ont fait le coup. Voici comment ça s'est déroulé: Le 24 décembre 1972, la veille de Noël, on frappe à la porte de l'appartement de Bernard Barriault, au second étage du 260 de la rue Greene. Sa concubine, Carole Régimbald demande à un ami qui y passe la nuit, de bien vouloir ouvrir. - ... Ils n'ont pas attendu, ont défoncé la porte d'un coup de pied! Un gars qui n'était pas Bernard Barriault est venu ouvrir. Ils lui ont envoyé une décharge en plein visage. Il est 6 h 35 du matin. La voisine, madame Nicole Guibault, s'éveille. Des bruits de l'appartement adjacent lui font croire à des fêtards. Revêtue d 'une robe de chambre, elle se rend à l'appartement voisin. La pone est maculée de sang ... Étendue
15. Réal Lévesque est décédé dans un accident de la route.
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dans son lit, Carole Régimbald gît dans une mare de sang, la tête appuyée contre une lampe de chevet. - Ils l'ont poignardée de vingt-neuf coups de pic à glace, piS, comme elle ne hurlait plus, l'ont tirée de trois balles. La police retrouve Bernard Barriault assis dans la salle de bain le dos contre la toilette. Ses vêtements laissent apparaître une grave blessure à la hauteur du thorax. Il a été transpercé de deux balles. Sur le trottoir, les ambulanciers de la police découvrent Yves d'Anjou. Malgré ses blessures, il avait trouvé la force de descendre les escaliers avant de s'effondrer dans la neige. Il est aussitôt transporté à l'Hôpital général de Montréal. 14 Un musée des horreurs. Donald Lavoie tente de chasser les images qui défilent dans sa tête et, le verre entre les deux mains, avale le contenu qui, cette fois, a un arrière-goût de saumure. Faudra-t-il que lui aussi? ... - Ils n'ont pas été ennuyés par la police? demande-t-il, question de faire dériver la conversation. - Mais non, ils n'ont aucune preuve. Même s'ils savent que ce sont eux, ils ne peuvent le prouver devant la Cour. Tu le sais bien, une certitude policière ne vaut rien devant les tribunaux. Dans les deux cas, ils portaient des gants et nulle empreinte n'a été laissée. Enfin, le seul témoin qui aurait pu les identifier, la Régimbald, a été tué. Ça c'est un point important, Donald, tu ne dois pas laisser un témoin vivant; il pourrait te valoir la prison à perpétuité. Par contre, si la police les accuse, le gang possède des avocats à son service et parfois, ajoute Letarte une lueur maligne au fond du regard, ils n'hésitent pas à faire disparaître certaines preuves. Quant aux alibis, ils peuvent en trouver autant que tu en veux! Un bon avocat peut faire avaler n'importe quoi aux jurés et, ce qui ne nuit pas, le monde n'aime pas la police.
14. Beau · frère des McSween, Yves d'Anjou est demeuré six mois dans le coma. Après l'extraction partielle du projectile, les médecins lui ont refait le visage avec des m atières pl astiques et posé un œil artificiel. Sa survie est attribuée à un miracle .
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- Le monde criminel est vraiement très fort, on pourrait presque affirmer qu'il contrôle tout, murmure Donald Lavoie qui commence à saisir les tentacules de la truanderie organisée. Derrière les rideaux de dentelles la neige tombe en de lourds flocons qui assombrissent les vieilles pierres grises des demeures ancestrales. Le regard de Lavoie reste accroché à cette étrange lumière qui semble le porter hors de la vie réelle. Sa coupe de champagne en main, il jette un regard de mépris sur les clients adossés à leurs fourrures et qui gesticulent en arborant fièrement leurs bijoux de chez Lucas . « Minables! se dit-il, vous n'êtes rien, absolument rien.» Gonflé d'un nouvel orgueil, il redemande au garçon stupéfait et de manière à ce que tous puissent j'entendre une troisième bouteille de Moet et Chandon.
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, Donald Lavoie na pas froid aux yeux Rue Saint-Denis à quelques pas au nord de Sherbrooke le Carré Saint-Louis déroule sa verdure et ses bancs de bois autour des vestiges d'une antique fontaine restaurée. Des jeunes femmes portant tresses et chignons promènent de jeunes enfants. De sous les arbres guitares et harmonicas racontent les légendes de nos ancêtres dans les effluves du haschisch et de la marIJuana. Tous se restaurent à La Fontaine de Johannie ou Chez Harry's, rendez-vous des hippies tout autant que des motards du groupe des Devil's Disciples et des revendeurs de drogue du clan Dubois. De par la nature de sa clientèle, le Carré SaintLouis est un lieu de prédilection pour la vente de narcotiques de toutes sortes et la lutte est féroce pour le contrôle de ce marché plus que lucratif. Dans ce domaine, le gang fait face non seulement aux Devil's mais aux revendeurs indépendants. Au printemps 1973, Hector Letarte doit éliminer un certain Robert Clair mont, un pusher qui alimente en stupéfiants les danseuses et les homosexuels du centre-ville et qui, de ce fait même, nuit au commerce du puissant gang. Hector fait appel à son ami Donald Lavoie. Depuis qu'il fréquente ce dernier, Letarte a décidé de faire de Donald Lavoie son assistant. Lavoie n'a pas froid aux veux, un meurtre lui semble aussi simple que de boire un café et surtout, il ne parle pas. En un mot, Donald possède à ses yeux toutes les qualités pour devenir un excellent tueur à gages. Face à cette proposition, Lavoie accepte. N'est-ce pas le poste idéal pour se faire respecter et 45
gagner le pouvoir dont il rêve depuis sa tendre enfance? Et puis un peu de l'aura du gang ne rejaillira-t-il pas sur lui? Le 13 avril, Clairmont rentre tout juste d'un voyage en Floride et, le teint bronzé, reprend aussitôt ses activités. Installé au club Saguenay, en plein cœur de la Main, en compagnie de Donald Lavoie et d' Hector Letarte, un membre du gang reçoit un appel téléphonique de Serge Tétreault, dit le Bull. - Je viens de repérer le p'tit Clairmont ... Donald et Hector partent aussitot. Ils forcent Clair mont à entrer dans la Chrysler de Donald Lavoie. On le conduit dans le nord de Montréal, où, à l'abri des regards, il est poignardé à mort. De retour chez lui, Donald Lavoie, un chiffon et un sceau d'eau froide, s'affaire à nettoyer le sang qui s'est infiltré partout sur le plancher, les banquettes et les fissures de son automobile. Il faut faire disparaître jusqu'à la plus petite tache de sang. Lavoie n'ignore pas que les experts de l'Institut médico-légal peuvent, à l'aide de divers instruments, procéder aux analyses de la plus infime goutte de sang et la relier à un individu en particulier. Le lendemain, le corps de Robert Clair mont est retrouvé en bordure de la Rivière des Prairies près de l'intersection du boulevard Henri-Bourassa et de la 6e avenue. Il gît dans quelques pouces d'eau le visage et le thorax transpercés d'une quarantaine de coups de couteau.
- Vous êtes tous déguisés, on y va? demande Letarte à Lavoie et Paré. En route pour l'Auberge du Cap! Laurent Fasoli, dit Sunny James avait gagné ses galons dans le milieu criminel montréalais en travaillant comme portier au Pal's Café, rue Sainte-Catherine. Fréquenté par les membres de la pègre italienne et canadienne-française, l'endroit lui permet de multiplier les contacts au sein d'une foule de gens impliqués dans toute une panoplie d'activités illicites. Ancien boxeur, Fasoli est un ami de deux dirigeants du gang, tous deux amateurs de combats de boxe.
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En 1973, Fasoli est engagé comme videur 15 à l'Auberge du Cap à Laval, ville de la banlieue nord de Montréal, propriété de son ami Patrice Saint-Louis, dit Pat Saint-Louis. Sunny James s'associe à Roger Létourneau, dit Moineau qu'il avait connu quelques années au paravant. Sunny James contrôle un réseau de drogues à l'Auberge du Cap, club que convoite le gang qui veut y étendre les tentacules de son propre réseau de narcotiques. À l'aide de ses contacts, Fasoli conclut un accord avec le gang pour s'approvisionner en drogue chez un fournisseur de New York. La transaction est importante et le trafiquant doit verser dès son retour la somme de 100000$ au gang.
Sunny James se sent plus fort que jamais. Son patron, Pat Saint-Louis, ne recule devant rien et il peut compter sur l'appui de certains membres du groupe McSween, une autre bande du sud-ouest montréalais qui se partage le territoire de ce secteur avec les Dubois. Il décide donc d'affronter le gang et refuse de verser la somme convenue sous prétexte de la mauvaise qualité de la drogue fournie. Fasoli s'attaque à plus fort que lui. Le gang est puissant et ses ramifications sont en train de s'étendre à toute la province. On convoque Pat St-Louis à une rencontre dans le terrain de stationnement du restaurant La Diligence sur le boulevard Décarie. Avec assurance, voire même avec arrogance, un des dirigeants du gang conseille à Pat Saint-Louis de faire en sorte que Fasoli règle sa dette. Aucunement impressionné, Saint-Louis réplique: -
Tu vas devoir me passer sur le corps pour j'atteindre!
Les deux hommes regagnent leur voiture et leurs occupations. Saint- Louis connaît la gravité de la réponse qu' il vient de fournir. À partir de ce jour, il ne se départit plus de son revolver. Pour les observateurs attentifs, la crosse de l'arme à feu est visible à sa ceinture et ce, à j'intérieur même de son établissement. Le soir du 1er juin 1973, l'atmosphère est à la fête à l'Auberge du Cap. La chanteuse Monique Vermont donne son 15. Nom donné à un portier dunt les bras sont souvent requis pour vide r l'établissement de clients indésirables.
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spectacle devant une centaine de clients, des habitués de la place. D ans la foule, la barmaid remarque un visage familier: Charles Labrosse. Elle demande à Fasoli de téléphoner immédiatement à Pat Saint-Louis. Ce dernier ne perd pas de temps et rapplique à son club. Il considère que lui seul peut maintenir l'ordre dans la place. À son arrivée, le visiteur est déjà parti. Après avoir jeté un coup d 'oeil sur la clientèle, Saint-Louis s'installe à proximité de la porte d 'entrée de manière à voir entrer et sortir tout le monde. Peu après minuit, Donald Lavoie immobilise devant l'Auberge du Cap l'automobile à bord de laquelle il conduit Hector Letarte et Denis Paré 16. Affublés de barbiches et moustaches postiches, vêtus de jeans, Letarte et Paré courent vers la porte d 'entrée. Donald, tout en demeurant au volant du véhicule, po rte la main à son arme. Il doit surveiller la porte d'entrée tout autant que les alentours. Si jamais la police ou quelqu'un de la bande adverse se présentait, il devrait ouvrir le feu pour couvrir Letarte et Paré. Tout comme ses complices, il est déguisé. Le moteur reste en marche. Le pied sur]' accélérateur, ]' oeil attentif au moindre mouvement, il attend. Cette opération est importante : le gang a de gros intérêts en jeu dans cette affaire. Un revolver de calibre .38 dans chaque main, Letarte s'approche au pas de course et tire sans arrêt sur Fasoli, 45 ans, qui s'écroule atteint de plusieurs projectiles dans le dos et au cou. Personne n'a eu le temps de réagir sinon Pat Saint-Louis qui bondit sur sa chaise pour prêter main forte à son portier et ami. Furieux, Saint-Louis ne voit pas le complice qui suit Letarte. Denis Paré ouvre le feu à son tour. Cinq détonations retentissent et le propriétaire de l'Auberge du Cap tombe atteint de quatre balles dans le dos. Les clients croient à une farce, pétards ou armes chargées à blanc. Lorsqu'ils réalisent que Fasoli et Saint-Louis gisent dans
16. N o ms fictifs.
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une mare de sang, les tueurs ont quitté les lieux. Le duo rejoint Lavo ie et l'on reprend le chemin de Montréal. Les intérêts du gang sont saufs. Aucun d'eux n'est inquiet. Déguisés, personne ne peut reco nnaître en eux les motards qui ont assassiné Fasoli et Sai nt-Louis, et ils ont rapporté leurs armes. Même si la police se doutait qu'ils sont les meurtriers , ils ne pourront jamais le prouver. Leurs alibis sont solides et ga rantis par le ga ng. Dorénavant les ennemis de Fasoli et Saint-Louis pourront en toute quiétude vendre leurs drogues à l'Auberge du Cap.
Robert Clair/nont e.r! trouvé le lendemain de son aHaHinat. en bordure de la Rivière-deJ- Prairie.f. prè.r de 1 Intersection du boulet'ard H enri- BottraJ'J'a et de la 6e at'entle. le tùage et le thorax transpercé.f d'une quarantaine de coups de couteatl.
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Après tout, il n'était même pas de la famille ... Cet après-midi du 20 juillet 1973, la canicule plonge les habitués du 157 17 dans une inhabituelle torpeur. Des dizaines de mouches dorment sur les murs écrasées par l'ardeur des rayons solaires. Tout près de la porte demeurée ouverte, Donald Lavoie, vêtu d'un T-shirt, est affalé sur la banquette devant un Coca-Cola glacé. Yvon Belzil, grand gaillard suffisant, dépourvu de scrupules de tout genre, ami, s'il y a, du gang qu'il n'a pratiquement pas quitté depuis une vingtaine d'années, se targue, depuis qu'il a cédé son poste à Claude Dubeau 18, d 'être en quelque sorte le conseiller de Claude Dubois. Les bras croisés à la hauteur du thorax, il s'assied aux côtés de Claude Dubeau et Donald Lavoie. - Le coup est pour ce soir. Richard Desormiers sera, soit au Concorde soit au Mon Pays!
Le club L'Osstid'Plass, avant d'être acheté par Claude Jodoin en avril 1971, appartenait sous le nom de Chez Bou-Bou, à Richard Desormiers, jeune beau- frère de Frank Cotroni. Même s'il a vendu le club, Desormiers ne pardonne pas à Jodoin de l'avoir acheté. Pour quelle raison exactement? Peut-être parce qu'il savait que Claude Dubois œuvrait derrière Claude 17. Nom donné au Miss Sainte-Catherine, le quartier-général de Claude Dubois, parce que sis au 157 est de la rue Sainte-Catherine. 18. D'après Claude J odo in , Cf Mes aveux sur le clan Dubois, Claude Jodoin , éd itions Québécor, Montréa l, 1983, page 141.
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Jodoin. Toujours est-il qu'il poursuit le journaliste de sa hargne. Peu après l'ouverture de L'Osstid'Plass, Richard Desormiers se présente au club en compagnie d'un jeune soldat du clan italien, Tony Teoli: - Toi, si tu continues ù opérer ça, tu ne vivras pas vieux! lance-t-il au journaliste qui, peu impressionné, rétorque aussitClt: -
Des menaces, ça ne me fait pas peur!
L'Osstid'Plass, campée au second étage d 'un édifice situé rue Saint-Denis à quelques mètres au nord du Carré Saint-Louis est un important centre de distribution de drogues, aussi Claude Dubois ne tient- il pas à ce que Desormiers y sème le trouble. Informé des menaces proférées par le jeune homme de trente ans, il délègue deux de ses hommes de main, Claude Lesage et Gilles Leblanc avec mission de s'occuper du trouble-fête. Mais conscients des liens qui unissent Desormiers à la mafia, ils n'osent exécuter les ordres reçus de crainte de représailles. Les visites et menaces de Desormiers se poursuivent jusqu'à ce que la police ]' accuse, au printemps 1972, conjointement avec Tony Mucci et Tony Tripodi du meurtre de Lionel Corbeil. 19 Un jour, Claude Jodoin, alors chroniqueur au Palais de justice de Montréal, apprend à Claude Dubois que le procès de Desormiers allait s'ouvrir. Le caïd fait une remarque lourde de conséquences: Lui, j'aimerais mieux qu' il soit acquitté, je veux le voir dehors! Heureusement pour Dubois et malheureusement pour lui, Richard Desormiers est acquitté, en octobre 1972, à la suite d'un long procès. Claude Jodoin opère maintenant la discothèque La Grande et malgré ce changement, Richard Desormiers reprend ses menaces.
19. Tony Mucei a été condamné à sept ans d 'emprisonnement pout tentative de meurtre sur la personne Je Jean -Pier re Charbonneau, jou rnaliste au quotidien Le Devoir, atteint d'une balle dans la salle de réJacrion, le 1er mai 1974. Charbonneau rédigeait à l'époque La Filière Canadienne, un livre qoi impliquait la mafia.
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- C'est un tannant, c'est pas possible! répète Claude Dubois. Au surplus, Richard Desormiers jette non seulement le trouble à La Grande, mais dans quelques-uns des clubs convoités par le gang, dont le Concorde à Laval, banlieue de l'Île Jésus, au nord de Montréal. Lors d'une rencontre au Château Champlain, le propriétaire de l'endroit, un certain monsieur Gauthier se plaint au gang des agissements du jeune homme qui peu de temps après cette rencontre atteint d 'une balle au dos un employé du Concorde, Pierre Gendron. En février 1973, exaspéré par les gestes du jeune troublefête, Claude Dubois décide de passer aux actes, non sans ignorer qu'il risque des représailles de la part des Italiens. Si les deux clans, la mafia et les Dubois, se partagent la criminalité organisée montréalaise, ils évitent, conscients de leurs forces respectives, les risques d'un affrontement sanglant. Mais cette fois , Claude Dubois en a vraiment assez. Malgré les avertissements répétés, Desormiers persiste. Richard Desormiers, petit truand sans envergure, passe le plus clair de son temps à bourlinguer, en compagnie de jeunes «picciotti» 20 de clubs en cabarets où, il n' hésite pas à se servir du nom de son beau-frère, le puissant Frank Cotroni, pour satisfaire ses moindres désirs et semer la zizanie. Si elle nuit à la bonne marche des affaires de Claude Dubois, la conduite de Richard Desormiers commence sérieusement à entacher 1'« honneur» de la famitle . En effet le code de l'esprit mafia stipule que « l'honneur de la famille ne doit pas être terni et que les torts qui lui sont faits doivent être vengés » 21 Richard Desormiers joue avec le feu . - Le chien de Richard Desormiers se tient au restaurant Mirco Tomik sur la rue Clark, vous n'avez qu'à entrer au restaurant, prendre une barre de fer et la lui envoyer sur la bouche!, ordonne, visiblement hors de lui, Claude Dubois à
20. Jeunes recrues au sein de la mafia. 2 1. Rapport officiel de la Ceco, Stanké, 1976, page 28.
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deux de ses hommes de main, Claude Lesage et Gilles Leblanc. Et ne faites pas comme la dernière fois! Conscients de cette menace à demi voilée, les deux malfrats garent leur voiture dans la côte de la rue Clark un peu au sud de Sherbrooke. À droite, le Mirco Tomik, un sombre estaminet appuyé à une vieille demeure de pierres grises. Quelques flocons de neige tombent monotones et froids entre une rangée d'édifices délabrés et biscornus. Leurs pas grincent sur la glace qui recouvre les escaliers de bois gui donnent accès au Mirco Tomik. Pendant de longues heures Leblanc et Lesage attendent, dans une vaste salle suréclairée la venue de Desormiers. Le jeune homme ne vient pas. Les jours passent et Claude Dubois songe que mieux vaudrait régler la question de manière plus diplomatique. Il charge Yvon Belzil et Claude Jodoin d'organiser une rencontre au sommet entre Frank Cotroni et lui. Après avoir fait part du projet à certains avocats, Yvon Belzil, accompagné de Jodoin, se rend à la discothèque Harlow, boulevard Maisonneuve où il apprend à un proche de Cotroni, Claude Faber, les intentions de son patron. Frank Cotroni et Claude Dubois décident d'un tête-à-tête. La réunion a lieu au bureau du criminaliste Sydney Leithman, un des avocats de Claude Dubois. Donald Lavoie, revolver en poche, monte la garde tandis que Claude Jodoin salue bien bas à l'arrivée de Cotroni. Le message de Dubois ne comporte aucune ambiguïté. Il exige gue Frank Cotroni se serve de son influence pour écarter Richard Desormiers de ses établissements. - Si tu n'interviens pas, moi je vais m'en occuper. On va l'enterrer! Mais Richard Desormiers ne modifie en rien son comportement. Aussi décide-t-on de lui tendre un piège. Sur invitation, il se rend, accompagné de Claude Chamberland, au 157. Cachés à l'arrière, dans un cagibi, Yvon Belzil et Claude Dubeau assistent à son arrivée. Malheureusement une trop forte présence policière sur la rue Sainte-Catherine fait échouer le traquenard. Selon le 54
plan prévu, deux cagoulards devaient faire irruption, enlever les deux hommes, les sortir par l'arrière où ils devaient les abattre. Tout est .\ recommencer. Cette fois ce sont Claude Dubeau et Donald Lavoie qui se chargeront de Desormiers. Où serez-vous ce soir? leur demande Belzi!.
Chez moi, à mon appartement, répond Dubeau, on va attendre ton appel. Claude Dubois entre et se joint au groupe. Après avoir confirmé les dires de Belzil, il raconte qu'il s'est trouvé un alibi afin que Cotroni ne puisse croire qu'il est l'auteur du meurtre de son beau- frère . Un peu en retrait selon son habitude, Donald Lavoie écoute. Définitivement il ne comprend pas Claude Dubois. Comment ce dernier, en se faisant arrêter, espère-t-il faire croire à Cotroni qu'il n 'est pas mêlé à l'assassinat de son beau-frèr~? « L'idée n'est vraiment pas très bonne, se dit Lavoie, même si elle vient de Claude Dubois. » Mais il se tait, jamais il n'oserait lui faire la moindre remarque. Il sait qu'on ne doit en aucune m anière critiquer Claude Dubois. Vers 19 h 00, il y a foule rue Sainte-Catherine. Dans ce secteur de la ville où la sexualité vit à l'air libre, les prostituées, juchées sur de trop hauts talons, ne dissimulent pas leurs charmes . Un petit sac en bandoulière, groupées à la porte d'un club ou arpentant le trottoir, elles proposent un prix à un éventuel client. Quelques pas derrière, un « pimp» 22 surveille le dialogue lorsqu' intervient le prix de la transaction. Si le client lésine, il avance les mains dans les poches, la cigarette au coin des lèvres: - Eh, elle te l'a dit, c'est 30$ la passe, si ça ne fait pas ton affaire, va voir ailleurs! Balançant son sac au bout de la main, une autre prend la relève. Accoudés à une voiture, des gars en jeans, bouteille de bière à la main, cherchent à vendre dix minutes de sexe ou un gramme de cocaïne. Tout ce monde affiche un air d ' innocence lorsque la voiture bleue et blanche de la police tourne le coin de 22. So ute neur.
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la rue. On prend une marche entre copines, on discute entre amis. face au 15 7, Claude Dubois, vêtu d'une chemise noire,d 'un pantalon foncé , d 'une paire de bottes et d'tIn large chapeau de cuir de manière ù ne pas passer inaperçu, s'éloigne, un Coke à la main. Quelques pas plus loin, sous le regard de Claude Dubeau, Donald Lavoie et Jules Bordeleau, il lance la bouteille dans la vitrine d 'un restaurant chinois. Donald Lavoie se retourne . Un chinois, visiblement mécontent, sort du restaurant un long couperet à la main. Il est bientôt suivi d ' un deuxième Chinois. Pendant que le premier Chinois blesse d 'un coup de couperet bien aiguisé la main gauche de Claude Dubeau, Dubois inquiet de la tournure des événements, saisit dans le coffre de sa vo iture une barre de fer qu' il brandit à la face du fils du Céleste Empire. -
What are you doing there? crie-t-il.
Donald Lavoie resso rt du 157 avec une serviette qu' il enroule autour du poignet de Dubeau puis hèle un taxi. En plein centre de la rue, il a tout juste le temps de voir Claude Dubois entre les mains de policiers. «Tiens, le bon dieu s'est fait arrêter comme il le voulait », se dit -il. Depuis un certain temps il qualifie ironiquement Claude Dubois de « bon dieu » tellement ce dernier a l'habitude de voir tous et chacun se soumettre à ses moindres exigences. Mais Lavoie n 'est pas dupe, il a deviné plusieurs des faiblesses de son patron. Aux médecins de l' hôpital Notre-Dame, Claude Dubeau raconte qu'il s'est blessé avec un verre, m ais sa blessure n 'en nécessite pas moins quelques points de suture qui l'obligent à remettre le meurtre de Desormiers. Au poste de police du quartier, Claude Dubois tente d 'expliquer l'incongruité de son geste. La rumeur de son arrestation circule c()mme il le voulait telle une traînée de poudre. Quelques heures plus gard, il est relâché et se rend, toujours revêtu de son étrange couvre-chef, à La Grande où Claude Jodoin, avertit par Yvon Belzil, le met au courant de la remise de l'assassinat. -
Les maudits imbéciles! s'écrie-t-il. 56
Tout est de nouveau à recommencer. Dans sa luxueuse voiture qui le conduit à son domaine du Lac Écho, il songe à un nouvel alibi pour le lendemain. « Pourvu que la main de Dubeau soit guérie .. . » Le lendemain matin, 21 juillet, Donald Lavoie se rend à l'appartement de Dubeau. Depuis quelque temps, les deux amis ont l' habitude d ' habiter les mêmes maisons de rapport. Cette fois, Claude Dubeau habite avec sa concubine Micheline Sylvestre, au premier plancher d 'une maison de la rue Lapierre à MontréalNord et Lavoie au dernier étage. Salut, comment va ta main? Aucun problème, je l'ai exercée tout à l' heure, elle est encore sensible, mais ce soir, ça ira. Donald Lavoie enlève les étiquettes cousues à j'intérieur d'une vieille chemise et d 'un chandail. Il ne doit prendre aucun risque. Tous deux porteront en effet ces vêtements par-dessus les leurs et devront s'en débarrasser une fois le meurtre accompli . Il ne devront en aucun cas correspondre au sIgnalement que les témoins donneront des assaSSIns. Pendant ce temps, Dubeau efface avec un linge toutes traces d'empreintes sur son revolver de calibre .38 Spécial ainsi que sur les balles et leur contenant. Quant à Lavoie, il met chacun des projectiles dans sa bouche puis, après les avoir bien imprégnés de salive, les essuie avec une guenille. Il frotte ensuite son revolver de calibre .22 et la boîte de munitions . Maintenant c'est fait, on ne doit plus y toucher! En début de soirée, peu après l'arrivée de Réal Lévesque, Dubeau reçoit un appel téléphonique: - C'est Yvon Belzil qui a repéré la Cadillac blanche de Desormiers au club Mon Pays, explique-t-il aux autres. Dubeau et Lavoie s'affublent chacun d'une perruque au style «afro» très accentué et d'une moustache postiche. Donald est en blond, Dubeau en brun. Deux semaines auparavant, ils s'étaient procuré ces accoutrements au prix de 60 $ chacun et sachant qu'ils étaient destinés au meurtre du trouble-fête. Claude Dubois, pour une fois, n' hésite pas à rembourser le montant.
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Perruques en tête, ils se collent maintenant des diachylons au bout des doigts afin de masquer leurs empreintes digitales. Rien, absolument rien, ne doit être laissé au hasard. Les deux amis prennent place dans la Chrysler grise, 1969, toit noir, modèle quatre portes de Claude Dubeau. À l'angle des rues Saint-Michel et Fleury, ils garent à l'extrémité d'un terrain de stationnement à l'arrière du super- marché Dominion. - As-tu tes gants? vérifie une dernière fois Donald Lavoie, avant de les apercevoir à la ceinture de Dubeau. Ils traversent le stationnement puis le boulevard SaintMiche!. Face à eux, au 10192, le club Mon Pays, aussi appelé le Bou!, Mich, probablement parce que situé boulevard SaintMiche!. Do, regarde la Cadillac de Desormiers est là juste devant le club! Ils poussent la porte. Ils sont calmes, du calme caractéristique des professionnels. À l'intérieur, Richard Desormiers, vêtu d'une chemise rose signée Oscar de la Renta, boit son cinquième verre de cognac en compagnie de William Girouard, dit Willie the Barber.
- Willie, j'aimerais entendre « Les portes du pénitencier », ça me rappellerait des souvenirs! Le chanteur Roland Montreuil entonne l'air. Les hautparleurs couvrent les conversations. Des dizaines de têtes se penchent vers d'autres. - Tenez c'est pour vous! dit Lavoie en remettant au portier un billet de 1 $, nous désirons une table non loin du bar. Dans cette nouvelle lumière, les objets perdent un peu de leur réalité. Il faut un moment à l'œil pour s' habituer à cet éclairage. Peu à peu, les traits se dessinent, les visages se précisent. Deux gm & tonie! demande Lavoie au garçon. Mais tu ne bois jamais de gin? murmure Dubeau. C'est justement pour cela que je demande du gin, tout le 58
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monde sait que Je n'en bois jamais! Boire du cognac serait apposer ma signature. Pendant que Claude Dubeau boit quelques gorgées, Lavoie, les mains sous la table, enfile une paire de gants pour protéger ses empreintes palmaires. -
Regarde au bar, il est là! dit Dubeau à
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basse.
Calme, il met à son tour une paire de gants, se lève et se dirige vers le bar. À trois pieds de Richard Desormiers, il sort son arme et tire cinq balles. Le beau-frère de Frank Cotroni s'effondre sur le plancher, la tête sur les genoux de Claire Milhomme, une blonde quinquagénaire qui, elle aussi, s'affaisse, une balle dans la jambe. De derrière le bar, un homme accourt vers Claude Dubeau; il n'échappe cependant pas au regard perçant de Donald qui, maître de lui, dégaîne son revolver et tire. Une seule balle fracasse à bout portant le crâne du malheureux garçon de table, Jacques-André Bourassa, cinquante-trois ans. Une indescriptible panique s'empare des clients. Claude Dubeau et Donald Lavoie quittent le club dans un concert de hurlements. Par dizaines les gens se bousculent, se jettent sous les tables. La barmaid, Colombe Graveline, se précipite la tête dans le réfrigérateur. Richard Desormiers est mort dans les règles comme l'exige l'implacable loi du milieu. Dans la rue, quelques clients plus hardis que les autres se lancent à la poursuite des meurtriers. - Viens-t-en par ici, crie Dubeau, on va se faire prendre si on utilise l'auto. Donald Lavoie lance son revolver dans le terrain de stationnement puis s'enfuit à travers un dédale de ruelles. Ils enjambent des clôtures et des parterres, se départissent de leurs déguisements qu'ils lancent, avec le revolver de Dubeau, au pied d'un arbre à l'arrière d'une maison de la rue Belleville. Ils atteignent bientC>t le boulevard Henri-Bourassa. Un autobus vient. Ils accélèrent et y montent de justesse. Comme ils ne prennent jamais les transports en commun, ils sont donc obligés de payer avec un billet de banque que Lavoie remet au chauffeur. 59
L'autobus est presque désert à cette heure de la nuit. Seuls, au fond du véhicule, ils s'enlèvent mutuellement les traces de colle laissées par la pose des moustaches. De temps ù autrc, Donald Lavoie jctte un coup d 'œil par la fenêtre . La nuit s'alourdit sous l'humidité, quelques lumières restent accrochées aux rebords des fenêtres. À l'orée de Montréal-Nord, ils descendent et marchent jusqu'à la rue Lapierre. En cours de route, Claude Dubeau se renfrogne. - Tu sais que l'on est très chanceux de s'en être tirés ainsi, avec la foule qu' il y avait là-bas, on aurait pu se faire arrêter. Mais veux-tu bien me dire la raison pour laquelle tu t'es débarrassé de ton revolver aussi rapidement. Qu'aurais-tu fait si les flics avaicnt ouvert le feu sur nous ~ Donald Lavoie lève les épaules. Il sait bien que les policiers ne leur auraient laissé que bien peu de chances. Debout sur le seuil de la porte, les bras croisés, Réal Lévesque les attend. - Tu vas immédiatement aller chercher l'automobile dans le stationnement du Dominion et te débarrasser de la boîte de .1H qui est sous le siège avant, lui dit Dubeau .
A l'intérieur de l'appartement de Dubeau, Lavoie téléphone à un taxi. Réal Lévesque se fait conduire au coin de Fleury est du boulevard Saint-Michel. Nonchalamment, avec l'air de quelqu'un qui se veut innocent, il traverse le stationnement, ouvre la portière de la Chrysler, ramasse la boîte de munitions, la jette sous une voiture. Quarante-cinq minutes plus tard, il est de retour rue Lapierre. Comme après chaque meurtre, ils boivent, non pour oublier, diront -ils, mais pour fêter le travail bien accompli, et fiers d 'eux, ne se couchent fins ivres qu'aux petites heures du matin. Le lendemain, Donald Lavoie a de la peine à ouvrir un œil, il a m al à la tête. Que lui veut Claude Dubeau au juste? - Prends une bière, cela te remettra les idées en place, tu sais que nous devons aller voir le curé afin de faire baptiser le bébé. 60
Micheline Sylvestre, la concubine de Dubeau, vient depuis peu de donner naissance à une fille. Et c'est pour organiser les préparatifs de la cérémonie du baptême que les deux assassins de la veille doivent rencontrer un prêtre. Les bouteilles de bière se succèdent. Ils ont peine à se tenir debout, aussi l'abbé Roland Lemay de la paroisse Saint-Zotique à Saint-Heuri est-il peu enclin à discuter avec eux. Vous reviendrez lorsque vous serez à jeun! leur répondil. La rage s'empare de Claude Dubeau. Il s'approche du prêtre, le saisit par le collet et lui flanque un solide coup de pOIng. Maudite face d ' hypocrite! hurle Lavoie, sous l'effet de l'alcool. Il ne voit plus l'abbé Lemay. Dans sa tête défilent les scènes de son enfance. Des religieuses le supplicient, des frères le fouettent. Toujours ces longues robes noires qui lui enfouissent la tête sous l'eau glacée afin d'étouffer les cris du petit gars de six ans. Donald a mal. Pourquoi le bat-on? Qu'a-t-il fait? Et toujours cette longue courroie de cuir. . . - Vous n'avez pas honte d'agir ainsi avec un prêtre! s'exclame l'agent de police, accouru sur les lieux suite à un appel du presbytère. - Un prêtre c'est pas mieux qu'un autre, je peux t'en dire long là-dessus! Lâchez- moi vous autres! hurle Donald Lavoie aux prises avec les phantasmes de son passé. D'un violent coup de coude, il fracasse la vitre de la voiturepatrouille vers laquelle les agents le traînent. Conduits au poste, ils sont aussitôt accusés de voies de faits et d 'entrave à un agent de la paix dans l'exercice de ses fonctions .23 Aussitôt relâchés et dessaoulés, ils se rendent au 157 où les attend Claude Dubois. - Veux-tu bien me dire pourquoi, le grand, tu as tué Jacques-André Bourassa, demande-t-il , visiblement contrarié, ;\ Donald Lavoie.
23. Il sera cond a mn é à quin ze jo urs de p riso n, le Il jan vier 1974.
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- Moi, j'étais là pour protéger Claude Dubeau, c'était ça mon ouvrage. Quand j'ai vu le gars courir vers lui, j'ai tiré, il n'y avait rien d 'autre à faire! - Ça va pour cette fois, mais à J'avenir tâche de ne pas tuer pour rien! J'ai demandé à Claude Jodoin de s'informer du déroulement des événements, il obtiendra sûrement des informations auprès des policiers au Palais de justice. Il doit me faire un rapport jeudi. «Tue pas pour rien .. . c'est facile à dire. Si tu n'es pas content, tu n'as qu'à les faire toi- même tes meurtres,» se dit Lavoie en lui-même, en se dirigeant vers le comptoir, «je me demande si tu aurais fait mieux . . . » Au Palais de justice, le sous-fifre rencontre l'avocat de feu Richard Desormiers, Me Franklin Shoofey qui lui dresse un tableau des circonstances entourant la mort de son client, puis le sergent-détective Dorion, responsable de J'enquête. Ce dernier lui apprend que la police a découvert deux perruques et deux moustaches postiches, un revolver de calibre .38 puis un second de calibre .22 coincé sous le pneu d'une voiture dans un terrain de stationnement de même qu'une boîte de balles. Mais ce qui retient surtout l'attention du journaliste c'est que, dans l'une des perruques, la police a trouvé un cheveu. Claude Jodoin décide de faire un test. Il se doute bien, pour ne pas dire qu' il sait bien, que les auteurs des meurtres font partie de la clientèle du 157. Depuis qu'il est question dans le groupe de régler le sort de Richard Desormiers! . .. Sa pipe à la bouche, le journaliste entre au 157. Installé à sa table habituelle à droite, Claude Dubois lui indique une place face à Claude Dubeau. Quoi de neuf, qu'est-ce que la police sait? questionne le caïd. Fais-toé-s'en-pas, c'est deux punks qui ont fait ça! répond Jodoin, sachant que J'emploi du mot « punk» porterait certainement fruir. Toujours en retrait, appuyé au zinc, Donald, pour qui se faire traiter de « punk» est certainement la pire des insultes, sent la moutarde lui monter au nez. Il tressaille, jette un regard de
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feu sur] odoin. « Si j'avais des revolvers à la place des yeux, tu tomberais raide mort », se dit-il. Claude ]odoin ignore Lavoie; il ne s'est même pas aperçu de sa présence, mais le regard foudroyant de Dubeau le cloue sur place. Piqué au vif, les deux mains à plat sur le rebord de la table, Claude Dubois fait signe au journaliste de le suivre. Sa physionomie ne laisse aucun doute sur le sentiment qui l' habite: pour une fois Claude ]odoin a vraiment peur pour sa peau. Acculé au mur du cagibi arrière, le caïd le regarde droit dans les yeux. - Toi tu es chanceux d'être mon amI parce que ça ne se passerait pas comme ça, c'est Yvon et moi qui ont organisé ça! Des mots comme « punk » , on n'utilise pas ça nous autres. Maintenant ferme ta gueule puis oublie ça vite! Tremblottant, ]odoin trottine derrière Dubois qui retourne à sa place. - Maintenant que j'ai parlé, tu vas me dire ce que tu as appris sur l'affaire! Deux ou trois semaines plus tard, la police appréhende Michel Dubeau et Carol Lavoie et, dans la voiture qui a servi aux meurtres, Claude Dubeau et Donald Lavoie. Menés au poste du quartier Saint-Michel, le sergent-détective Doucet prend leurs empreintes digitales et leur demande chacun une mèche de cheveux. Donald Lavoie téléphone à son avocat, Me Sydney Leithman, et lui demande de le rencontrer. Lors de sa visite, le criminaliste lui explique qu'il n'y a aucun danger à remettre des cheveux, car contrairement aux empreintes, un cheveu ne peut identifier son propriétaire avec certitude. L'avocat parti, Donald se coupe une mèche de cheveux, et, sur son conseil, les trois autres ne tardent pas à J'imiter. Après deux jours de détention, les enquêteurs les relâchent faute de preuves .
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!"
De retour chez lui, Donald fait part à Dubeau de son intention de déménager de quartier. -
La police connaît maintenant notre adresse, mOl, Je m'en vais ailleurs, toi, fais ce que tu voudras! En apprenant la nouvelle de l'assassinat de son beau-frère, Frank Cotroni clos l'incident par cette réflexion qui ne tarde pas à parvenir aux oreilles de la police : -
Après tout, il n'était même pas de la famille!
Note des au teurs : La majorité des faits II
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