Chroniques de geographie economique
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Zitiervorschau

CHRONIQUES DE GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE

GÉOGRAPHIES EN LIBERTÉ sous la direction de Georges Benko GEOGRAPHIES EN UBERTE est une collection internationale pUbliant des recherches et des réflexions dans le domaine de la géographie humaine, conçue dans un sens très large, intégrant l'ensemble des sciences sociales et humaines. Bâtie sur l'héritage des théories classiques de l'espace, la collection présentera aussi la restructuration de cette tradition par une nouvelle génération de théoriciens. Les auteurs des volumes sont des universitaires et des chercheurs, engagés dans des réflexions approfondies sur l'évolution théorique de la discipline ou sur les méthodes susceptibles d'orienter les recherches et les pratiques. Les études empiriques, très documentées, illustrent la pertinence d'un cadre théorique original, ou démontrent la possibilité d'une mise en oeuvre politique. Les débats et les articulations entre les différentes branches des sciences sociales doivent être favorisés. Les ouvrages de cette collection témoignent de la diversité méthodologique et philosophique des sciences sociales. Leur cohérence est basée sur l'originalité et la qualité que la géographie humaine théorique peut offrir aujourd'hui en mettant en relation l'espace et la société.

Déjà

parus:

21. Québec, forme d'établissement. Étude de géographie régionale structurale G. RITCHOT, 1999

22. Urbanisation et emploi. Suburbains au travail autour de Lyon M. VANIER,

ed., 1999

23. Milieu, colonisation et développement durable V. BERDOULA

Yet O. SOUBEYRAN,

eds., 2000

24. La géographie structurale G. DESMARAIS

et G. RITCHOT,

2000

25. Le défi urbain dans les pays du Sud M. ROCHEFORT,

2000

26. Villes et régions au Brésil L. C. DIAS et C. RAUD, eds., 2000

27. Lugares, d'un continent l'autre... S. OSTROWETSKY,

ed., 2001

28. La territorialisation de l'enseignement Espagne et Portugal M. GROSSETTI

et Ph. LOSEGO,

supérieur et de la recherche. France,

eds., 2003

29. La géographie du XXle siècle P. CLAVAL,

2003

30. Causalité et géographie P. CLAVAL,

2003

31. Autres vues d'Italie. Lectures géographiques d'un territoire C. V ALLA

T, ed., 2004

32. Vanoise, 40 ans de Parc national. Bilan et perspectives L. LASLAZ,

2004

33. Le commerce équitable. Quelles théories pour quelles pratiques? P. CARY, 2004

34. Innovation socioterritoriale et reconversion économique: le cas de Montréal J.-M. FONT AN, J.-L. KLEIN, D.-G. TREMBLA y, 2005

35. Globalisation, système productifs et dynamiques au Québec et dans le Sus-Ouset français. R. GUILLAUME, ed., 2005

36. Industrie, culture, territoire S. DA VIET, 2005

37. Chroniques de géographie économique P. CLAVAL,

2005

territoriales.

Regards croisés

Chroniques de géographie économique Paul Claval

Éditions L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris France

L'Harmattan

Italia

Via Degli Artisti, 15 10124 Torino Italie

L'Harmattan Hongrie Kossuth L. u. 14-16, 1053 Budapest Hongrie

(QCouverture: La couverture et l'intérieur sont des photos de l'auteur

(Q L'Harmattan, 2005 Paris. France. Tous droits réservés pour tous pays. Toute reproduction. même partielle. par quelque procédé que ce soit, est interdite. Dépôt légal octobre 2005

ISBN: 2-7475-8208-6

ISSN: 1158-4 lOX

SOMMAIRE

INTRODUCTION

9

CHAPITRE 1- 1966 LA THÉORIE DES LIEUX CENTRAUX

19

1967 LES COMPTABILITÉS

43

CHAPITRE II

~

TERRITORIALES

CHAPITRE l11- 1968 ÉCONOMIE ET GÉOGRAPHIE

CHAPITRE IV - 1969 LA LOCALISATION CHAPITRE V - 1970 LES RESSOURCES

RURALES

DES ACTIVITÉS

INDUSTRIELLES

NATURELLES

CHAPITRE VI- 1971 GÉOGRAPHIE ET ANTHROPOLOGIE

LIEUX

CHAPITRE IX - 1974 LES MARCHÉS FONCIERS

111

143

ÉCONOMIQUES

CHAPITRE Vll-1972 L'ANAL YSE RÉGIONALE CHAPITRE Vl11- 1973 LA THÉORIE DES

73

183

211

CENTRAUX

REVISITÉE

251

277

Paul Claval

8

CHAPITREX - 1975 PLANIFICA TION RÉGIONALE DU TERRITOIRE

ET AMÉNAGEMENT

CHAPITRES XI-XII - 1978 LA LOCALISATION DES INDUSTRIES CHAPITRE XIII- 1979 LES CONCEPTIONS CHAPITRE XIV

-

DE L'ESPACE

ET DES SERVICES

ÉCONOMIQUE

313

357

391

1980

LA GÉOGRAPHIE DES TRANSPORTS

413

CHAPITRE XV - 1981 LES ÉCONOMISTES

429

ET LA VILLE

CHAPITRE XVI - 1982 LA THÉORIE DES DROITS DE PROPRIÉTÉ

- 1984 ÉCONOMIQUE

443

CHAPITRE XVII

INTERNATIONAL

459

CHAPITRE XVIII- 1985 UNE NOUVELLE VAGUE DE MODÈLES MARXISTES DU MONDE CONTEMPORAIN

475

L'ORDRE

INTRODUCTION

Entre 1966et 1985,j'ai rédigé dix-huit « Chroniques de géographie économique» pour la Revue géographique de l'Est. Pourquoi m'étais-je lancé dans cette entreprise? La géographie économique passait alors pour un chapitre un peu mineur de la discipline: elle se contentait, la plupart du temps, d'énumérer les productions et de décrire les flux qu'elles alimentaient à destination des consommateurs auxquels elles étaient destinées. Les concepts qu'elle utilisait

- matières

premières, sources d'énergie, énergie,

ressources naturelles, entreprises, marchés, etc. - étaient entrés en usage dans les dernières décennies du XIXesiècle. C'est également de cette époque que dataient des termes plus techniques: on opposait les systèmes agricoles extensifs à ceux qui étaient intensifs; la concentration des entreprises retenait l'attention: on distinguait l'intégration verticale, qui réunit dans une même unité toutes les étapes d'une filière de fabrication, et l'intégration horizontale visant à contrôler la totalité d'une étape de la production: on parlait volontiers des trusts à la manière américaine et des Konzerne à l'allemande. C'est au vocabulaire économique imaginé en URSS que l'on empruntait les termes de kolkhoze, de sovkhoze; on parlait aussi des stations de machines et tracteurs destinées à favoriser la mécanisation de ces très grandes exploitations. Dans le domaine industriel, c'est la mise en place de combinats qui avait retenu l'attention. Cette géographie économique avait un défaut: celui de vieillir vite, à la mesure de la croissance et des crises. Elle tenait une place importante dans l'enseignement secondaire. On lui reprochait d'apprendre aux élèves des chiffres la plupart du temps inexacts et destinés à se démoder rapidement: était-il sage d'encombrer le cerveau des jeunes de données que l'on savait éphémères? Dans les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, Jean Chardonnet avait montré qu'il était possible de produire des études plus riches que celles jusqu'alors pratiquées. Il avait une connaissance directe des grandes concentrations industrielles françaises et avait visité la plupart de leurs établissements. Ses travaux étaient fondés sur l'analyse précise des firmes, de leurs implantations, de leurs infrastructures et de leurs procédés de fabrication; son but était d'expliquer comment elles s'attiraient et se combinaient pour former de grands complexes industriels. ou pour donner leur force aux métropoles économiques1. I Chardonnet (Jean), Les grands types de complexes industriels. Sciences politiques, n° 39, Paris, Armand Colin, 1953. 196 p.

Cahiers

de la Fondation

nationale

des

JO

Paul Claval

Cette géographie économique ne faisait malheureusement l'économie.

guère appel à

La pensée économique s'était modernisée dans les années 1930et 1940: la macro-économie avait fait des progrès rapides sous l'impulsion de Keynes3; la mesure de la richesse s'était affinée au point de rendre courante la réalisation de comptabilités nationales. Le renouvellement était en bonne partie dû à des chercheurs anglo-saxons, et à des universitaires allemands ou autrichiens fuyant le nazisme et installés en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Sans recourir aux méthodes très

contraignantesemployées en Allemagne ou en URSS, ces deux pays avaient réussi à créer une économie de guerre remarquablement efficace: cela donnait la mesure de l'apport de la macro-économie. A la fin des années 1940 et dans les années 1950, l'économie jouissait donc d'un immense prestige. Elle justifiait les actions de planification souple sur lesquelles reposait le système dirigiste français: les prévisions du plan orientaient l'action des industriels; les crédits étaient encadrés et orientés vers les secteurs privilégiés. L'action sur la demande évitait les phases de récession, qui avaient si durement frappé l'Europe occidentale entre les deux guerres. Le prestige de l'économie avait été renforcé, à partir du début des années 1950,par la place qu'elle avait su se tailler dans le domaine en voie de gestation de l'action régionale. Les géographes voyaient avec consternation un domaine qu'ils avaient longtemps dominé leur échapper: ils savaient décrire les réalités régionales; ils ne disposaient pas d'instruments pour définir les politiques capables d'élargir leurs bases et de les rendre plus attractives et plus compétitives. Les économistes détaillaient les investissements nécessaires, et suggéraient de tirer parti des mécanismes d'entraînement dont bénéficiaient, depuis les débuts de la Révolution industrielle, les pôles de croissance'. L'économie avait d'autres leçons à offrir aux géographes: elle avait toujours compté un certain nombre de chercheurs attachés à la distribution spatiale de la production, de l'échange et de la consommation. Aux études déjà anciennes sur les localisations agricoless et industrielles. s'étaient ajoutées, dans les années 1930,la réflexion de Christaller sur les activités de service'. August Losch en ~ Chardonnet (Jean), Métropoles économiques, Cahiers de la Fondation nationale des Sciences politiques, 102, Paris, Armand Colin, 1959,269 p. Dalloz. . Keynes, n° John Maynard, 1936, The General Themy of Employment. Imerest and Money, Londres, Macmillan, 403 p. 4 Perroux (François), « La notion de pôle de croissance », Economie appliquée, vol. VIII, 1955, n° 1-2, ,p. 307 sq. Thünen (Johann-Heinrich von), Der isolierte Staal in Beziehung auf Landwirtschaji und Nationa/iikonomie. Hambourg, Perthes, tome i, 1826, Rostock, Léopold, tomes ii et iii, 1842-1850; traduction française, Paris, Guillaumin, 1851-1857.

" Weber

(Alfred),

Uber

den

Standort

der

Industrien,

Pmt.

1 : Reine

Theorie

des

Slllndorts,

1909. Traduction anglaise de C. J. Friedrich: Theory (!( the Locarion of Indu.rtries, Chicago, University Press, I"' éd., 1929,2' éd. 1957. 7 Christaller, Walter, 1932, Die zenrrale Orte SuddeuTschlands. lena, G. Fischer

Tübingen,

Chicago

Chronique de géographie

économique

Il

avait tiré une réflexion d'ensemble sur la localisation des activités économiques". La guerre avait ralenti la .diffusion des idées de Christaller et de Losch. Tout s'accélère alors. Hoovef1 les résume en anglais en 1948. Ponsarœo en présente une synthèse originale en français en 1955.Walter Isard crée au même moment l'école américaine de «science régionale »11,qui met à contribution l'économie spatiale pour concevoir les politiques régionales dont rêvent désormais populations, hommes d'affaires et gouvernements. Le renouveau de la pensée économique m'intéressait. La publication des manuels de Raymond Barrel2 (1955-1956)me permit, au sortir de l'agrégation, de devenir un autodidacte de l'économie. Je découvris Ponsard en 1957.Je décidai alors de présenter aux géographes français ce que la nouvelle économie et l'économie spatiale pouvaient apporter à notre discipline. Je pris connaissance des travaux de l'école de science régionale en 1959et découvris à partir de l'hiver 1960-1961les recherches que les géographes de Seattle menaient sur la localisation des activités agricoles et industrielles et sur la distribution des lieux centraux. Je compris que l'économie différait des autres sciences sociales par la manière dont elle abordait le réel: en supposant les conduites humaines rationnelles, elle se donnait le moyen d'expliquer les comportements sans avoir besoin de longues analyses empiriques; dans la mesure où un comportement rationnel est un comportement prévisible, elle ouvrait des perspectives sur les situations à venir. A dire vrai, il existait deux conceptions de l'économie: la première, que les auteurs anglo-saxons appellent quelquefois «substantive », considère que la discipline doit couvrir les domaines de la production, de l'échange et de la consommation des richesses matérielles; la seconde, « l'analytique », plus ambitieuse, fait de l'économie la science des comportements rationnels. Elle s'attache à la maximisation, à laquelle tous les agents économiques s'attachent, de leur «utilité »13; pour y parvenir, les producteurs cherchent à maximiser leurs revenus. C'est à cet aspect de l'économie que se consacre l'analyse économique. C'est elle qui me fascinait. Dès que je le pus, je tirai profit de l'histoire de l'analyse économique de Schumpeterl4 pour bien comprendre comment s'était développé cet axe de recherche. Claude N

Losch (August).

Die rallmhche

Ordnllng

der Wirtschaft,

Iéna, Fischer,

I~'" éd.,

1940, 2e éd.

1944,

380 p. 'J Hoover (B. M.Y, The Location of Economic Activity, New-York, Mc Graw-HiU Book Co.. 1948. 10 Ponsard (Claude), Economie et espace, Observation économique VIII, Paris, Sedes, 1995, XVI, 476 p. If

Isard (Walter),

Massachusetts,

Location

Institute

and Space

of Technology,

Economy, John

Wiley,

New York et Cambridge, 1956,

XX

- 350

The Technology

Press of

p.

11 BatTe, Raymond, 1956-1957. Economie, Paris, PUF, 2 voL 11 C'est-à-dire de la somme des jouissances qu'ils peuvent tirer des biens ou des services consomment. f4 Schumpeter (Joseph), History of Economic Analysis, New York, Oxford University Press, XXV, 1260 p.

qu'ils 1954,

12

Paul Claval

Ponsard, qui enseignait alors à Dijon, m'invitait parfois dans des jurys de maîtrise ou de thèse: j'appréciais la manière dont il rappelait, au cours des soutenances, tel ou tel principe essentiel de la discipline. C'était extrêmement utile pour l'autodidacte de l'économie que j'étais. Deux étapes me furent nécessaires pour mettre à la portée des géographes les résultats de la micro-économie et de l'économie spatiale classique et ceux de la macro-économie et de ses applications à la dynamique territoriale. Chacune fut marquée par la publication d'un

ouvragede synthèse: Géographie générale des marchés en 19621S,et Régions, nations, grands espaces en 196816. A l'inspirationproprement économique s'était ajoutée celle de la cybernétique, qui m'avait conduit à attacher une attention particulière à la circulation des informations, et celle de la sociologie des organisations, indispensable pour comprendre ce qu'était l'entreprise. Je complétai ce programme de traduction en termes géographiques de l'économie et de l'éconnomie spatiale par le petit ouvrage sur Les Relations internationales que je publiai en 197017. McCarty et Lindberg'S avaient rédigé en 1966un manuel d'initiation à la nouvelle géographie économique qui avait connu un grand succès et suscité beaucoup d'émules. L'ouvrage était passionnant, mais ne donnait pas aux leçons de la macro-économie la place qui leur revenait. Je rédigeai donc en 1976un manuel introductif, les Eléments de géographie économique'", conçu comme un équivalent de celui de McCarty et Lindberg, mais plus complet, afin de donner une image plus globale du champ qui venait de se renouveler. Je n'avais pas cessé de m'intéresser aux interprétations économiques de la ville: elles tiennent une large place dans La Logique des villes, que je publiai en 198110. Il ne suffisait pas de rédiger des ouvrages systématiques pour initier le public français à l'économie spatiale et à la restructuration de la géographie économique qu'elle avait déclenchée. Lorsque je préparais un livre, je laissais de côté une bonne partie de la documentation que j'avais rassemblée, parce qu'elle n'était pas dans le droit-fil de mes démonstrations. Les idées évoluaient vite; des débats s'élevaient. Les manuels fournissent une image figée parce que rendue cohérente du domaine dont ils traitent; la dynamique des idées leur échappe. C'est

pour la rendre sensiblequeje me décidaià rédiger des « Chroniques de géographie économique ». La Revue géographique de l'Est, à laquelle j'avais soumis ce projet, l'accepta. Elle publia durant douze ans tous mes envois quelle que 15 Claval. Paul, 1963, Géowaphie des marchés. Paris, les Belles Lettres, 362 p. 10 Claval, Paul, 1968, Régio/ls. /la rions. gra/lds espaces. Paris, Marie-Thérèse Genin, 838 p. 17 Claval, Paul, 1970, Les RelariO/Lv illfemario/lales. Paris.Seodel, 192 p. IX Me Carthy (Harold H.), Lindberg (James B.). A PreJclce 10 Economic Geography, Englewood N. J., Prentice-Hall, 1966, X. 261 p. 1'1Claval, Paul. 1976. Le.v Elémenr.v de géographie économique. Paris. Litee. 362 p. ~IIClaval, Paul. 1981, La Logique des villes. Paris, Litee, 634 p.

Cliffs,

Chronique de géographie

économique

13

soit leur taille. Les difficultés que la Revue rencontra à partir de 19751976réduisirent son volume: je réduisis parallèlement la longueur de mes textes. La préparation des chroniques me prenait beaucoup de temps. Je choisissais le thème dont je traiterais l'année suivante au mois. de novembre, en fonction des articles ou des ouvrages qui m'avaient frappés, et de ce qui pouvait contribuer à structurer la recherche française dans le domaine de la géographie économique. Je tirais alors profit de mes temps libres pour lire le maximum d'articles ou d'ouvrages sur la question. La mise en forme commençait à la fin du mois d'aôut et me prenait deux mois de gros travail. Les chroniques se donnent souvent pour but de signaler les ouvrages et articles importants publiés au cours de l'année écoulée dans le domaine couvert. Mon propos était différent: je m'adressais à un public qui ignorait l'essentiel de l'économie moderne, de l'économie spatiale et de la géographie économique telles qu'elles se pratiquaient à l'étranger. Pour être utile, je choisis donc d'axer chaque chronique sur un thème: j'y rappelais d'abord l'évolution des travaux auquel il avait donné lieu, puis essayais de le présenter d'une manière aussi cohérente et logique que possible. La plupart des lecteurs avaient l'impression que je me contentais d'exprimer en français ce que je trouvais dans les ouvrages anglo-saxons: ils n'eurent pas conscience de l'effort d'organisation et de structuration auquel je me livrais. Les thèmes choisis finirent par couvrir l'essentiel de la géographie économique. Comme l'évolution des idées était rapide, je revins sur certains. J'avais compris ce que la théorie des lieux centraux apportait à la compréhension de l'organisation régionale de l'espace en rédigeant la Géographie générale des marchés. Je m'étais étonné de ne pas trouver de traduction courante des termes utilisés en allemand ou en anglais: Christaller parlait des lieux centraux de l'Allemagne du Sud (Die zentralen Orte in Süddeutschland); en anglais, l'habitude s'était prise de parler de central place theory, la théorie de la place centrale. Il me sembla que l'apport essentiel de ce schéma d'interprétation était d'expliquer la formation, la structure et la hiérarchie des réseaux urbains: c'est pour cela que je choisis de parler, au pluriel, de la «

théorie des lieux centraux ».

L'économie spatiale classique traitait de la localisation des activités productives. J'avais abordé la localisation des activités de service dans la première chronique, en 1966 : « La théorie des lieux centraux ». Je parlai des travaux sur la localisation agricole dans la chronique n° 3, en 1968: «Economie et géographie rurale », de ceux sur la localisation industrielle dans la chronique n° 4, en 1969 : «La localisation des activités industrielles ». Je ne me contentais pas de passer en revue les travaux classiques sur la localisation des activités économiques. J'incorporais, par exemple, l'apport des travaux sur les comptabilités

14

Paul Claval

d'exploitations rurales qui se multipliaient alors; j'évoquais, dans l'évolution moderne des spécialisations agricoles, le rôle de l'information, que l'on ignorait généralement. Dans le domaine industriel, je traitais des apports de Weber et montrais la signification des travaux qui se développaient alors sur les coûts de communication de l'entreprise comme facteur de localisation. Aussi bien dans le domaine rural que dans le secteur industriel, c'est en passant de l'échelle de la branche à celle de l'entreprise que l'on progressait alors. La deuxième chronique, parue en 1967, n'était pas destinée à familiariser le lecteur français avec les différents aspects de la théorie de la localisationdes activitéséconomiques.Elle traitaitdes « Comptabilités territoriales », ce qui me permit de souligner le rôle-clef qu'elles avaient joué dans la mise en œuvre des politiques inspirées par la macroéconomie. On commençait à bien voir ce qu'apportaient les comptabilité territoriales menées à l'échelle des régions et des villes: une connaissance plus fine des réalités économiques. Elles n'ouvraient cependant pas de perspectives aussi riches que les comptabilités nationales: l'instabilité des flux interrégionaux interdisait de tirer profit des liaisons existant à un moment donné pour faire des projections dans le futur. Je revins sur les thèmes que j'avais abordés dans les quatre premières chroniques: je consacrai la chronique n° 8, en 1973,à «La théorie des lieux centraux revisitée », et la chronique n° 11-12,en 1978,à «

La localisationdes industries et des services». Dans cette dernière,je

m'attachai en particulier à la micro-géographie des établissements industriels, dont les travaux de Chardonnet avaient montré l'intérêt, mais qui n'était pas pratiquée à l'étranger. Je n'avais qu'esquissé la présentation des résultats relatifs aux dynamismes territoriaux, et qui tiraient profit des effets multiplicateurs mis en évidence par la macroéconomie. J'abordai longuement ces points dans la chronique n° 7, de 1972: «L'analyse régionale» et la chronique n° JO, de 1975: «La planification régionale et l'aménagement du territoire ». La théorie des lieux centraux faisait comprendre la distribution des villes et leur organisation en réseaux. Elle expliquait aussi, comme les travaux de Brian Berry l'avaient montré, la présence d'une hiérarchie de centres (commerciaux entre autres) au sein même des aires agglomérées. Il manquait un élément essentiel pour comprendre l'organisation complexe des espaces urbains: les questions foncières et immobilières: je leur consacrai en 1974 la chronique n° 9: «Les marchés fonciers ». Je proposai une vue plus synthétique des approches économiques de la ville dans la chronique n° 15, en 1981: «Les économistes et la ville ». Je ne me contentai pas d'aborder les divers aspects de l'analyse économique spatiale: la formule de la mise au point thématique était plus souple que celle de l'ouvrage structuré. A partir de 1965,je m'étais

Chronique de géographie

économique

15

passionné pour l'anthropologie: les travaux de Marcel Mauss et les grandes monographies anglo-saxonnes étaient devenues facilement accessibles. J'avais découvert, à leur lecture, les réflexions sur l'économie de donII et l'économie de redistribution. Je lus les travaux de Karl Polyani22 sur la grande transition, et ceux de George Dalton et des Bohannan23sur les marchés dans l'Ouest africain. J'en tirai la chronique n° 6, de 1971: « Géographie et anthropologie économiques ». La géographie économique avait toujours mis en œuvre la notion de ressource naturelle. Les préoccupation écologiques qui s'affiImaient alors conduisaient à l'envisager sous un angle nouveau: ce fut le thème de la chronique n° 5, en 1970: « Les ressources naturelles ». Les problèmes posés par la conservation de la nature avait conduit les économistes à s'interroger sur le cadre institutionnel des sociétés modernes. Leurs dysfonctionnements venaient de ce que les marchés existants ne fournissaient pas aux agents économiques des indications adéquates sur toutes les retombées de leurs décisions. Comment modifier le système des incitations pour rendre les choix plus conformes à l'intérêt bien compris de la communauté? C'est à cela que correspondait la curiosité nouvelle pour «La théorie des droits de propriété », dont je traitai en 1982dans la chronique n° 16. J'avais ainsi élargi le champ économique que couvraient les chroniques. Le temps passant, il me parut nécessaire d'approfondir la réflexion. C'est l'époque où la Revue géographique de l'Est me demandait des textes plus courts. Je décidai donc d'analyser la manière dont les économistes et les géographes de l'économie abordaient les problèmes spatiaux. La chronique n° 13, de 1979,fut ainsi intitulée: « Les conceptions de l'espace économique ». TIme parut utile, dans la chronique n° 14,en 1980,de m'interroger sur la manière dont l'obstacle de la distance était abordé: «La géographie des transports» me permit de rappeler le lien et les différences entre le transport des biens et des personnes et l'acheminement de l'information. Je traitai, dans la chronique n° 17, en 1984,de « L'ordre économique international ». Les économistes et les géographes marxistes avaient occupé le devant de la scène durant une partie des années 1970.Les théories de la dépendance, qui constituaient leur morceau de bravoure, ne résistaient pas aux transformations de la scène mondiale, où émergeaient déjà les pays nouvellement industrialisés d'Extrême-Orient. Une refonnulation 21 Mauss (Marcel), « Essai sur le don. Forme et raison de ('échange dans les sociétés archaïques », L'Année sociologique, 2Csérie, 1923-1924, t. I. Reproduit aux pp. 142-279 de Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, P.U.F., 1950, LXXV+ 482 p. 22 Polanyi (Karl), The Great Transformation. The Political and Economic Origill!i of our Time, Boston, Beacon Press, 1944, XII-315 p. 23 Bohannan (Paul), Dalton (George) (dir.), Markets in Africa, Evanston (Illinois), Northwestern University Press, 1962, XXIV+ 762p. Dalton (Georges) (dir.), Tribal and Pea.mnt Economies, Garden City (New York), the Natural History Press, 1967, XV+ 584 p.

16

Paul Claval

des thèmes marxistes était en cours. Ma dernière chronique, publiée en 1985,proposait une mise au point sur ces évolutions: «Une nouvelle vague de modèles marxistes». J'interrompis alors mes chroniques. Le service que j'assurais à Paris-IV était de plus en plus lourd. Le département où j'avais été nommé en 1973n'était pas tourné vers l'économie, et je n'avais pas réussi à le réorienter en ce sens. Ma curiosité allait désormais au moins autant aux questions politiques et sociales qu'à la vie économique. Je continuais à travailler sur certains problèmes - ceux de l'information vus à travers la métropolisation, par exemple. Mais j'étais débordé par le développement de nouveaux courants. Ce qui m'avait au départ fasciné dans l'économie, ce n'était pas son aspect substantif, la description qu'elle donnait de la production, de la distribution et de l'échange; c'était l'optique sous laquelle elle envisageait les faits sociaux: celle de la rationalité de décisions destinées à maximiser les avantages (profit ou utilité) des agents étudiés. C'était cela qui autorisait les économistes à dépasser le stade de la description: ils expliquaient les choix, ce qui leur permettait de prévoir ceux que feraient dans le futur les agents auxquels ils s'intéressaient. Les économistes devaient la place éminente qu'ils occupaient alors dans la Cité aux projections qu'ils étaient capables de faire. J'étais décidé à explorer ce que l'économie pouvait apporter à la géographie. Je ne cherchais pas à promouvoir une conception originale de l'étude des richesses - c'était l'affaire des économistes - ni à trancher entre les conceptions «substantives» ou «analytiques» de la discipline. Je cherchais à savoir ce que les méthodes et les procédures de l'économie pouvaient apporter à la compréhension de l'organisation de l'espace. J'étais à l'affût de tout ce qu'elle apprenait sur l'architecture des relations économiques (le rôle de la distance, la notion de portée-limite) et sur les relations entre les groupes et l'espace où ils travaillaient et vivaient (la notion de ressource, en particulier, et dans un autre domaine, cellede droit de propriété).J'essayais,tout au long des « Chroniques », de préciser l'apport de l'économie à la compréhension de l'architecture spatiale des sociétés humaines. Ce que j'avais appris de la cybernétique me convainquit rapidement qu'il était possible d'aller plus loin, en économie spatiale, que ne l'avaient fait les économistes, qui ne donnaient pas encore aux circuits d'information le rôle qu'ils doivent tenir. On voit, au fil des chroniques, mes idées se préciser dans ce domaine. Je prends également du recul vis-à-vis des économistes, comme on le voit dans « Les conceptionséconomiquesde l'espace».

Mon intérêt pour l'économie était lié à la capacité qu'elle montrait alors de proposer des politiques: elle me paraissait plus «applicable»

que la géographie.C'est pour cela que les « Chroniques de géographie économique» offrent aussi une réflexion sur l'aménagement: les techniques qu'il met en œuvre et dont certaines étaient largement

Chronique de géographie

économique

17

ignorées des géographes, comme les comptabilités territoriales ou interterritoriales, le jeu des multiplicateurs, la notion de base économique, etc. Au-delà de l'inventaire des moyens à mettre en œuvre pour connaître les espaces à aménager et les.ressorts de leur dynamisme, c'est sur la conception même de l'aménagement que des enseignements nouveaux se dessinent: c'est au cours des années 1960 que les planificateurs prennent conscience des limites de leur pouvoir d'intervention. Il ne leur sert à rien de dessiner des futurs de rêve si les acteurs sociaux et les mécanismes qu'ils mettent en œuvre ne vont pas dans le sens de leurs prédilections. Au fil des «Chroniques », c'est donc à une prise de conscience que j'assiste: les aménageurs agissent sur un espace pris en charge par les sociétés humaines; ils ont affaire à des systèmes qui ont leur dynamique propre. Avant de dessiner l'image du futur, l'expert qui prépare les plans d'aménagement doit comprendre le scénario des transformations en cours, et évaluer les moyens dont il dispose pour l'infléchir. Il m'apparut très vite que cette idée constituait un des apports majeurs - bien qu'indirect - de la réflexion économique sur l'espace. Cela rendit plus critique mes vues sur ceux qui prétendaient rendre le futur conforme à leurs aspirations, sans reconnaître aux acteurs géographiques le droit de bâtir à leur idée le monde où ils vivent. C'est cela qui explique la méfiance que j'ai éprouvée à l'égard du marxisme tout au long des vingt ans où j'ai rédigé les «Chroniques ». Je lui consacre la dernière chronique que j'ai préparée. Par son contenu, elle est moins positive que les autres. Rétrospectivement, je le regrette un peu: mon intention n'était pas de m'en arrêter là. Mais rééditant un ensemble de textes, il m'a semblé indispensable de les reprendre tous dans l'ordre où ils avaient été publiés. Cela fait longtemps que je rêve de réunir les «Chroniques de géographie économique»: elles éclairent les relations que notre discipline a développées avec la pensée économique entre 1955à 1985. Elles rappellent l'immense littérature qui était alors consacrée aux problèmes de la localisation des activités économiques et à la dynamique des constructions territoriales. Elles saisissent la géographie et l'économie au moment où les deux disciplines commencent à repenser les conditionnements naturels de l'action humaine, et où elles découvrent que l'économique ne se présente pas de la même manière dans toutes les sociétés: j'étais dès le départ convaincu du caractère daté, historique, des « lois de l'économie». Il s'agit d'un secteur d'activitéculturellementet

socialement encadré. Ces chroniques proposent par ailleurs une lecture originale de la réalité économique par l'attention qui y est apportée au rôle de l'information, à la manière dont les marchés fonctionnent dans l'espace, et aux dynamiques territoriales. Mes ouvrages de géographie

18

Paul Claval

économique traitent plus systématiquement de ces problèmes. Les « chroniques» soulignent mieux le cheminement des idées en ce domaine. Si mes travaux ont apporté une perspective neuve à l'économie, c'est bien celle qu'ouvre la prise en compte des coûts de commutation dans les circuits de communication qui s'établissent entre partenaires sociaux: comme Gilles CragueZ4vient de le rappeler, cet outil conceptuel offre un moyen de faire la synthèse des thèmes aujourd'hui explorés par la théorie des milieux innovateurs, l'économie de proximité et la Nouvelle Géographie Economique. Les chroniques de géographie économique ont-elles rempli le rôle que leur assignais? En un sens oui: les géographes français se sont désormais référés aux travaux de von Thünen, de Weber, de Losch et de Christaller. J'aurais aimé qu'ils aillent plus loin et qu'ils fassent progresser la réflexion et regrette qu'ils n'aient pas été plus nombreux à faire avancer l'économie de proximité. Pour l'essentiel, je crois avoir été entendu. Pour démystifier une discipline aussi orgueilleuse que l'économie, il faut apprendre à la connaître pour être entendus de ceux qui la développent. Les méthodes qu'elle a mises au point font mieux comprendre les réalités présentes. Elles permettent d'esquisser des projections. Mais c'est là qu'il convient de rappeler les économistes à la modestie. Les comportements humains ne sont, au mieux, qu'imparfaitement rationnels. Le but que se fixent les hommes est tout autant la reconnaissance, le statut, l'influence ou le pouvoir que la richesse. De là la nécessité de toujours resituer l'économique dans le cadre culturel et politique où il est à l'œuvre.

24 Crague, Gilles, 2004, « Commutation. Economie. Société. vol. 6, n° l, p. 9-20.

Essai

sur l'économie

de l'agglomération

», Géographie,

CHAPITRE

1- 1966

LA THEORIE DES LIEUX CENTRAUX

Les publications de géographie économique sont très nombreuses. TI nous semble difficile d'en faire un tour d'horizon complet annuel sans émietter complètement l'intérêt. Aussi la chronique que nous inaugurons dans ce numéro est conçue sous forme de mises au point sur des problèmes particulièrement importants. Nous nous attacherons surtout aux problèmes généraux de la géographie économique et essaierons plus spécialement d'éclairer tout ce qui touche aux rapports de la géographie et de l'économie. Nous insisterons davantage sur les problèmes de méthode et de. doctrine que sur les études de détail. La géographie économique est en pleine évolution. Elle a longtemps constitué un ensemble bien délimité à la fois du côté de l'économie politique et de celui de la géographie humaine classique: elle avait un domaine propre et n'entretenait que peu de rapports avec les disciplines voisines. La géographie économique actuelle est tout autre: elle est née du besoin d'employer des méthodes proprement économiques dans l'étude de la géographie humaine. Aussi a-t-elle cessé de représenter un compartiment isolé et autonome de la géographie humaine, pour devenir une des manières d'aborder l'étude des grands problèmes de celle-ci. Cette évolution a commencé lorsqu'est apparue, il y a maintenant une génération, la théorie des lieux centraux, qui a permis d'appliquer les méthodes de l'analyse économique aux problèmes de la géographie de la région et de la ville. Aussi nous semble-t-il particulièrement intéressant de montrer, dans cette première chronique, comment la théorie des lieux centraux est devenue une des bases les plus fécondes de la géographie moderne; nous voudrions aussi marquer quelles sont ses limites et voir comment peu à peu, à la suite d'études concrètes, elle se transforme pour mieux tenir compte de situations nouvelles.

20

Paul Claval

J. LES SOURCES CENTRAUX

ET L'HISTOIRE

DE LA THEORIE

DES

LIEUX

La théorie des lieux centraux n'est pas très familière au public géographique de langue française. Cela vient de la difficulté à se documenter dans ce domaine. Mais la situation se modifie rapidement. Des ouvrages, récents permettent de se faire une idée des points essentiels de la théorie et de son évolution. Il s'agit en particulier de la bibliographie publiée par Brian J. L. Berry et Allan Pred. : elle fournit plus de mille titres d'études intéressant de près ou de loin la théorie des lieux centraux. Cette bibliographie est précédée d'une courte mise au point qui fournit un exposé rapide et très bien fait de la théorie et de ses développements jusqu'en 1960. On trouvera une mise au point bibliographique moins complète, mais plus récente, suivie d'une analyse critique plus nourrie dans l'ouvrage qu'Eliseo Bonetti2 vient de consacrer à la théorie des lieux centraux dans les publications de la faculté des lettres de Trieste. Les ouvrages collectifs et les recueils de textes qui se multiplient en Amérique depuis quelques années3permettent de disposer facilement des articles jusqu'alors peu accessibles pour le lecteur

français. Les «Readings in Urban Geography »4 et l'ouvrage intitulé «Regional Development and Planning »s reprennent l'essentiel des articles de base. Le numéro des publications de l'Université de Lund6 où sont publiées les communications du Symposium de géographie urbaine de Lund (1960)contient quelques articles essentiels. Ces études figurent maintenant dans un grand nombre de bibliothèques françaises. Il ne nous a pas semblé nécessaire d'en faire l'analyse systématique. Nous avons préféré dégager les points qui nous paraissent les plus originaux dans cette masse de documents et mettre en relief les tendances qui s'affirment depuis trois ou quatre ans dans les principales publications qui s'intéressent à ces problèmes (au rang desquelles il faut placer, à côté de la plupart des publications géographiques des pays scandinaves, les revues américaines comme Economic Geography, Geographical Review, Annals of the Association .

Berry (Brian J. L.). Pred (Allan), Central Place Studies: a Bibliographyy of Theory and Application, Philadelphie, The Regional Science Institute, 1961, VI - 153 p. Une nouvelle édition de cet ouvrage vient d'être publiée. Elle comprend une mise à jour de la bibliographie jusqu'à la fin de 1964, réalisée par H. G. Barnum, R. Kasperson, et S. Kiuchi. Nous renvoyons à cet ouvrage les lecteurs désireux de trouver des indications plus complètes que les brèves notes que nous fournissons ici. 2 Bonetti (Eliseo), La teoria della località centrale. Università degli Studi di Trieste. Facoltà di p. Economia e Commercio. Istituto di Geografia. Pubblicazione n° 6,1964,122 .' Citons, parmi les ouvrages collectifs, ou les ouvrages de synthèse: Gibbs (Jack P.), (ed.), Urban Re.fearch

Geogmphy, 4

Metlwd.f,

Princeton,

D. Van

Lund Studies in Geography,

Nostrand,

1961,

IXXII

- 625

p. ; Bunge

Sér. C, n° I. Lund, G. W. K. Gleerup,

(William),

Mayer (Harold M.), Kohn (Clyde E) (eds.), Reading.f in Urban Geography, Chicago, at the

University Press, 1959, VII,-625 p. s Friedmann (John), Alonso (William) (eds.), Regional Development and Planning. Cambridge (Mass.), The Massachusetts Institute of Technology Press, 1964, XVII 722 p. 6

Theoretical

1962, XII -210 p.

-

A Reader,

Norborg (Knut) (ed. by), Proceeding.f of the IGU Symposium in Urban Geograph, Lund 1960, Lund

Studies in geography,

Ser. B, no 24. Lund, C. W. K. Gleerup, XIl- 602 p.

Chronique de géographie

oj American

économique

Geographers,

21

et des publicationsplus spécialiséescomme

les Papers and Proceedings de l'Association. de Science régionale7). Il est bon de rappeler les grandes étapes de l'évolution d'une théorie que suggérait depuis longtemps la disposition régulière des villes et des bourgs dans les plaines d'Europe occidentale ou du Centre-Ouest américain. Des, sociologues comme GalpinHen avaient dégagé les traits essentiels aux Etats-Unis dès le début du XXcsiècle. L'idée n'a connu de succès que lorsque les géographes l'ont redécouverte: elle était déjà esquissée dans les publications de Bobek", mais elle n'a été formulée d'une manière explicite qu'en 1933par Walter Christaller, dans son étude sur les lieux centraux de l'Allemagne méridionalelO. Les économistes s'intéressaient aussi à ces problèmes et August Loschll fonnula une théorie très semblable à celle de Christaller et. indépendamment de lui, quelques mois plus tard. C'est un des traits curieux de l'histoire de la théorie des lieux centraux que la multiplicité des auteurs qui en ont eu isolément l'idée; il faudrait joindre à la liste déjà indiquée le géographe américain Edward Ullmann qui était arrivé à peu près aux mêmes résultats peu d'années avant la guerre - ceci montre qu'il s'agit d'une théorie dont le besoin s'imposait à l'évidence pour quiconque étudiait systématiquement les conditions de la mise en place des réseaux urbains. Sous sa fonne classiquelJ, la théorie des lieux centraux est une théorie de la localisation des activités d'échange. On suppose une population agricole régulièrement répartie dans une plaine où il est facile de circuler dans toutes les directions - condition qui se trouve approximatjvement réalisée dans des plaines comme celles du CentreOuest des Etats-Unis, ce qui explique sans doute le nombre d'études qui leur ont été consacrées. Pour fournir à cette population rurale les biens et les services qu'elle ne produit pas, pour échanger contre eux les biens agricoles nécessaires aux ouvriers et aux acquéreurs de services, toute une série de centres va se développer. Pour chaque produit, ils auront tendance à. se disposer régulièrement dans la plaine. pour desservir des aires de marché de taille égale, couvrant l'ensemble de la plaine et se présentant sous la forme d'hexagones réguliers. Normalement, il devrait y avoir autant de réseaux de lieux centraux qu'il y a de types de produits ou de services échangés, car chaque article s'écoule jusqu'à une certaine 7 On trouve également des articles intéressants dans le Journal of Regional Science et dans Land Economics. HGalpin (c. J.), Social Anatomy of al! Agricultural Community. University of Wisconsin. Agricultural Experiment Station, Research Bulletin, n° 34,.Madison 1915. . Bobek (Hans), Innsbruck, ein Gebirg.çtadt, ihr Lebensraum. und ihr Erscheinung, Forschritt zur deutschen Landes- un Volkskunde, 1928. 152 p. .11

Christaller (Walter), Die zemraler Orle in Süddeut.çchland, Iéna, G. Fischer, 1933. L'exposé le plus simple des thèses de Losch se trouve dans un article un peu postérieur: Losch (August), « The Nature of economic regions », Southern Economic Journal. vol. V, 1938, p. 71-178. Cet article est replis dans «Regional Development and Planning» op. cit.. pp. 107-116. U Ullman (Edward L), Proceedings of the IGU op. cit.. p. 157-148. 13 Que l'on trouve présentée dans l'étude de Brian J. L. Berry et d'Allan Pred (Central Place Studies.... op. cit, çf note A). Nous la suivons de près dans le passage qui suit. ,.

22

Paul Claval

distance du lieu central - on dit encore que chaque bien a une «portée limite» différente. Mais les lieux centraux de biens dont les portées sont voisines ont tendance à se confondre - par suite, en particulier, des économies externes qui découlent de la réunion en un même point de plusieurs négoces et de l'économie réalisée dans l'aménagement et dans l'entretien de voies de communication. Aussi, au lieu d'avoir une gamme continue d'aires de marchés de rayons croissants, on n'a qu'un petit nombre de dimensions possibles. La théorie des lieux centraux suppose qu'il existe des seuils en dessous desquels les échangeurs préfèrent choisir une localisation déjà existante que de créer un nouveau réseau de lieux d'échanges. Le second point important de la théorie, c'est celui qui établit que les lieux centraux et leurs aires de marchés forment une hiérarchie régulière. Lorsqu'un commerçant dessert une aire de dimension supérieure, il va s'installer, non pas dans une localisation nouvelle, mais dans un lieu central déjà existant, et qui dessert à la fois un marché étendu et une aire de taille plus restreinte. Aussi, certains lieux centraux voient-ils apparaître des fonctions d'ordre supérieur: ils deviennent plus importants et pour certains produits desservent des aires plus vastes. Les villes s'ordonnent ainsi suivant une hiérarchie régulière en fonction de leur rôle et de la surface qu'elles desservent. Une partie du travail de Walter Christaller a consisté précisément à mettre en valeur les diverses possibilités de construction hiérarchique qui s'offraient dans ce domaine. I I est plusieurs façons de présenter les traits essentiels de la hiérarchie des lieux centraux que nous venons de rappeler. On peut le faire en construisant la hiérarchie à partir des centres les moins importants - à la manière de Losch - ou en partant des centres majeurs - à la manière de Walter Christaller. Les points essentiels sont les mêmes. Seuls varient quelques détails, secondaires. La théorie des lieux centraux ainsi présentée apparait sous une forme très abstraite, géométrique et déductive qui heurte les habitudes de la plupart des géographes. C'est peut-être ce qui explique la lenteur qu'elle a mise à pénétrer profondément dans le domaine géographique: près de dix ans avant de susciter !es premiers travaux importantsl. ! Ceux-ci se placent surtout aux Etats-Unis's, avec les publications d'Edward Ullman et de Chauncy D. Harris, et en Angleterre avec les 1< Cel1aines études réalisées avant la guerre indépendamment des recherches de Losch et de Chlistaller, traitent de problèmes très voisins: Proudfoot (Malcolm J.), «City retail structure », Eml10mic Geof.(raphy. vol. 13, 1937, pp. 425-428, replis dans: Readings in Urban Geography. op. cir.. 395-398. Geographical of cities in the United States ", Pl'"Harris (Chauncy D.), « A functional classification, Review. vol. 33, 1943, pp. 86-89, repris dans: Readinf.(s in Urban Geof.(raphy. op. cir., pp. 129-138; Ullman (Edward L.), «A theory of location for cities », American jOltr/wl of Sociology, vol. 46, 1941, ; Harris (Chauncy n° 6, pp. 853-864. Repris dans : Reading.~ in Urban Geography. op. cir.. pp. 202-209 D.), Ullman (Edward L.), «The nature of cities », Annals of rhe American Academy of Poliricaland Social Science. vol. 242, 1945, pp. 7-17. Repris dans: Readings in Urban Geof.(raphy. op. cir.. pp. 277286.

Chronique de géographie

économique

23

de Dickinson et plus tard de Smailes. Entre 1940 et 1950, les publications inspirées par la théorie des lieux centr~ux demeurent peu nombreuses. Elle se sont multipliées, depuis, aux Etats-Unis d'abord, puis dans tous les pays anglo-saxons et en Europe du Nord. Elles se généralisent à l'heure actuelle, et fournissent pour la première fois un cadre commun et rationnel à la plupart des études de géographie régionale et de géographie urbaine. études

II. LES ETUDES CONCRETES

Une grande partie des études nées de la théorie des lieux centraux est formée de travaux concrets. Les chercheurs décrivent des réseaux de lieux centraux, et essaient de voir dans quelle mesure ils se conforment à la théorie générale que nous venons d'évoquer. Ils se distinguent parfois mal de travaux menés dans une optique plus traditionnelle et..dans lesquels on décrit des villes ou des marchés sans chercher à expliquer les régularités constatées. La première analyse fut donc consacrée à l'Allemagne du Sud. Les Anglais ont suivi le mouvement dès 1940. Dickinson16 a montré l'évolution des réseaux de marchés de l'East Anglie depuis le Moyen Age. Smailes, Brush et Greent7 ont montré par des études précises la répartition des lieux,centraux dans l'Angleterre du Sud-Ouest et dans le reste du pays. Aux Etats-Unis, les travaux se situent à plusieurs échelles. Des études de détail ont permis de décrire les réseaux de lieux centraux dans certaines régions agricoles du Centre-Ouestt8. Les travaux plus récents se sont également attachés à analyser la répartition des points nodaux à l'intérieur des zones urbanisées américainest'. Quelques

t6 Dickinson (R. B.), City. Region and RegiO/wli.ml. Londres, Routledge et Kegan, 1947, XVI - 327 p. 17

Brac:ey (H. E.), « English central

A Geographical

villages. Identification,

Contribution

to Human

distribution and

Ecology.

functions », in:

Proceedings of the IGU. op. cir.. pp. 169-190; Brush (J. E.), « The urban hierarchy in Europe », Geographical Review. vol. 43, 1953; Green (F. H. W.), « Urban hinterlands in England and Wales: an analysis of bus services », Geographical Journal. vol. 116, 1950, p,. 64-81. Repris dans: Urban Research Methods. op. cit..p. 263-286; Green (F. H. W.), « Community of interest areas: notes on the hierarchy of central places and their hinterlands », Economic Geography, vol 34, 1958, pp. 210-226 ; Smailes (A. E.), « The urban hierarc:hy in England and Wales », Geography. vol. 29, 1944, pp. 41-51 ; Smailes (A. E.), « The urban mesh of England and Wales », TranSl/ction.ç and Papers of the Institute of British Geographers. 1946, pp. 85-101. 18 Brush (J. E.), « The hierarchy of central places in South-West Wisconsin », Geographical Review. vol. 43, 1953, pp. 380-402; Brush (John E.), Bracey (Howard E.), « Rural service centers in SouthWestern Wisconsin and Southern England », Geographical Review, vol. 45, 1955, pp. 559-569; Senninger (Earl J. Jr.), « A service classification of Michigan cities », Papers of the Michigan Academy (!t'Science. Arts and LeTters. vol. 99, 1964, p. 433-443; Thomas (Edwin N.), « The stability of distancepopulation-size relationships for Iowa towns, 1900-1950 », Proceedings (if the IGU op. cit.. pp. 1330; Weber (John W.), « Basic: concepts in the analysis of small urban centers of Minnesota », Annals. Association (!t' the American Geographers. vol. 49, 1959, p. 55-72. 11 faut ajouter à cette liste d'études sur le Centre-Ouest, celles de Brian J. L. Berry que nous citerons plus loin. ,. Vance (J. E. Jr.), « Emerging patterns of commercial structure in American cities », Proccedings (if the IGU... op. cit.. pp. 485-518; Johnson (Lane 1.), « Centrality within a metropolis », Economic Geography. vol. 40, 1964. pp. 324-336.

24

Paul Claval

synthèses, plus larges20ont été tentées, comme celle de Philbrick, qui a essayé de décrire la hiérarchie urbaine de la moitié orientale du pays. Des recherches analogues se développent tant au Canada21qu'en Afrique du Sud22et en Australien. Parmi les travaux. descriptifs entrepris dans l'ensemble de ces pays, il faut mettre à part tous ceux24qui ont trait à l'analyse des lieux centraux par excellence que constituent les quartiers d'affaire centraux des grandes agglomérations. A la suite des recommandations et des exemples donnés par Raymond E. Murphy, des méthodes standardisées de délimitation et d'analyse ont été employées, dans un grand nombre de centres nord-américains, et dans certains centres des dominions austraux. En Europe continentale, les études se sont multipliées à une date plus tardive. Elles sont nombreuses dans les pays scandinaves, où l'on a décrit avec plus ou moins de précision les réseaux du Danemark2s,de la Suède26,et depuis peu de la Finlande27.Des analyses analogues sont conduites aux Pays-Bas2K.Le réseau urbain et la hiérarchie des lieux 211Nelson (Howard J.), « A service classification of American cities", Economic Geography. vol. 31, 1955, pp. 189-210. Repris dans: Urban Re.çearch Mefhod.ç op. cif.. pp. 353-374, et dans: Reading.ç in Urban Geography. op. cif.. pp. 139-160; Philbrick (Allen L.), « Principles of areal functional organization ", Economic Geography. vol. 34, 1958, pp. 145-154. 2' Au Canada, les publications de langue anglaise reflètent les mêmes préoccupations que celles signalées aux Etats- Unis. Les notions nouvelles ont mis plus longtemps à être utilisées pour le Canada français: Trotier (Louis), « Some functional charactelistics of the main service centers of the Province canadiens offerts à Raoul of Quebec ", Cahier.ç de Géographie de Québec. mélanges géographiques ; Cazalis (Pierre), « Sherbrooke: sa place dans la vie de Blanchard, vol. 3, avril-sept. 1959, pp. 243-259 1964, relations des cantons de l'Est", Cahiers de Géographie de Québec. vol. 8, n° 16, avril-sept.

~p. 165-198 -- Carol (Hans), « Das agrargeographische Betrachtungssystem. Ein Beispiel landschaftskundlichen Methodik, dargelegt am Beispiel der Karru in Südafrika", Geo/(raphica Helvetica. vol., 4, 1952, ~p. 17-57. -. King (Herbert W. H.), «Wither urban geography? Some signpost from Australian scene", Proceedin/(s (if' fhe. JGU... op. cif.. pp. 275-284; Scott (Peter), «The Australian CBD", Economic Geo!(l'aphy. vol. 35" 1959, pp. 290-314. 24 Murphy (Raymond E.), Vance (J. E. Jr), « Delimiting the CBD", Economic Geo/(raphy. vol. 3D, 1954, pp. 189-222; Boyce (Ronald R.), Clark (W. A. V.), « Business district retail sales", Paper.ç and Proceedill/(s of fhe Regional Science As.wciafion. vol. Il, 1963, pp. 167-194; Horwood (Edgar M.), Boyce (Ronald R.), Studies of fhe Central Busines.ç Disfricf and Urban Freeway Developmenf., University of Washington Press, 1959, XII - 184 p. L'intérêt porté aux quartiers d'affaires se modifie quelque peu, comme en témoigne: Goodwin (William), « The management center in the United . States ", Geo/(raphical Review, vol. 55, 1965, pp. 1-16. 2S lIIeris (Sven), « The functions of Danish towns ; ", Geo/(rafisk Tidsskrijf, vol. 63, 1964, pp. 203-233

Rallis (Tom),

«

Urban development in Denmark: a communication ", Papers and Proceedin/(s of' fhe

Rei-:ional Science Associafion. vol. ID, 1963, pp. 153-156. 26 La théorie des lieux centraux sous-tend directement ou indirectement

bien des recherches

récentes

en Suède, comme en témoignent les publications de J'université de Lund. On se reportera en particulier aux travaux de Sven Godlund, par exemple à: Godlund (Sven), « Bus services, hinterlands and the location of urban settlement in Sweden", Lund Sfudies ill Geo/(raphy. Ser. B, n03, 1951, pp. 14-24; Godlund (Sven), « The function and growth of bus traffic within the sphere of urban influence", Lund Bengtsson (Rune), «The Swdies in Geography. Ser. B, n° 18, 1956. Sur des problèmes plus techniques: op. cif.. pp. 297-312; structure of retail trade in a small Swedish town ", Proceedings of fhe JGu. Olsson (Gunnar), Persson (Ake), « The spacing of central places in Sweden ", Papers and Proceedin/(s (1' (lie Regional Science A.uociafion, vol. 12, 1964, pp. 87-94. 2 Lindstahl (Sigvard), «A plan for investigation of central places in Agricultural communities", Proccedill/(s (iffhe GU... op. cif.. pp. 285-296; Palomaki (Mauri), «The functional centers and areas of South Bothnia, Finland", Fennia. vol, 88, 1964,235 p. 2. Steigenga (W.), « L'urbanisme moderne aux Pays-Bas", Annales de géo!(l'aphie, vol. 72, 1963, pp. 303-313. Article qui reprend: Steigenga (W.), « The urbanization of the Netherlands", Tijdschrif'f van hef Koninklijk Nederlansch Aardrijkskundii-: Genoo(schap. 1960, pp. 324-331 ; Thijsse (lac P.), « A

Chronique de géographie économique

25

centraux du Nord-Est de la Belgique, entre Anvers, Louvain et la région wallonne, ont fait l'objet d'une étude minutieusez9.En Suisse, grâce à Hans Carol"",. les études sur la hiérarchie des lieux centraux ont qommencé plus tôt qu'ailleurs et les recherches récentes ont, comme aux Etats-Unis, visé à mettre en évidence les structures de lieux centraux à l'intérieur des aires métropolitaines. L'Europe de l'Est, après avoir boudé longtemps les méthodes de la géographie économique moderne, est en train de rattraper son retard. C'est chose faite pour la Roumanie, où l'étude des trames urbaines est maintenant très poussée, ainsi. qu'en témoigne un récent article des Annales de Géographie"l. Si les travaux des géographes hongrois sont moins accessibles, il semble bien que, là aussi, les études soient nombreuses"z et souvent de .qualité. En Pologne"". la théorie des lieux centraux fait depuis une huitaine d'années l'objet d'un effort systématique et, comme dans beaucoup de domaines de la géographie, les chercheurs polonais sont à la.pointe du progrès. Dans les pays de vieille tradition géographique de l'Europe, occidentale, France, Italie, Allemagne, les analyses sont moins nombreuses. Les plus importantes sont le fait d'économistes - comme si la géographie universitaire avait répugné à s'aventurer dans ce domaine. En Allemagne"4,les grandes revues géographiques et les collections des rural pattern for the future of the Netherlands», Papers and Proceedings of the Regional Science Association, vol. 10, 1963, pp. 133-143. Il existe des articles plus anciens: Keuning (H. J .), « Proëve van een economische hierarchie van de Nederlande Steden», Tijdschr. Econ- Soc. Geogr., 1948, pp. 566-581. 29 Goossens (M.), « L'organisation urbaine_du Nord-Est de la Belgique. Confrontation de quelques méthodes », Bul/etin de la Société belge d'Etudes géographiques, vol 32, 1963, pp. 93-164 ; Goossens (M.), « Hierarchie en Hinterlanden der Centra. Ben Methodologische Studie toegepast op NoordoostBelgie », Acta Geographica Lovanien.ficl, vol. 2, 1963, 223 P JO Carol (Hans),» Industrie und Siedlungsplanung», Plan, Revue suisse d'urbanisme, décembre 1951 ; Carol (Hans), « The hierarchy of central functions within the city. Principles developed in a study of Zurich, Switzerland», Proceedings of the IGU..., op. cit., pp. 555-576.

.H Sandru (Ion), Cucu (Vasile), Poghirc (pompiliu),

«

Contribution géographique à la classification des

villes de la République populaire roumaine», AII/wle.f de Géographie, vol. 72,1963, pp. 162-185 .'1 Margit (Forizs), Jozsef (Orlicsek), « Videki varosaink fundcionalis tipusai» (Les types de villes provinciales en Hongrie), Fiildrajzi Ertesitii, vol. 12, 1963, pp. 167-200; Zsuzsanna (A. Hanicsek), « Szentendre funkcioi es vonzas karzete» (Les fonctions et la région d'attraction de la ville de Szentendré), Fiildrajzi Ertesitii. vol. 12, 1963, pp. 465-486; Pal (Beluszky), « Mateszalka vonzasterülete» (La région fonctionnelle de Matesalba), Fiildrajzi Ertesitii. vol. 12, 1963, pp. 201-224; Pal (Beluszky), « Kereskedelm kôzpontok Szabolcs-Szatmar megyeben», (Centres commerciaux du Comitat Szabolcs-Szatmar), Fiildrajzi Ertesitii. vol. 13, 1964, pp. 179-204. .1.\Dziewonki (Kazirmierz), « Rozwoz problematyki badan geograficznych, nad malym miastarni» (Development of geographical research into problems of small towns), Pol.fka Akademia Nauk, InsIytut 9, 1957, pp. 19-36; Kosinski (L.), « Problem of the functional Geogr(!tii, Prace geograficzne, n° vol. 21, 1959, supplément, pp. 35-68 ; Dziewonzki structure of Polish towns ", przeglad Geograjiczny. (Kazimierz), « Element y teOlii regionu ekonomicznego » (Elements of thetheory of economic region), Przeglad Geogrqficzny, vol. 23, 1961, pp. 593-613; Eberhardt (P.), Wrobel (A.), « Regiony handlu hurtowego Polsce», Przeglad Geograficzny, vol. 35, 1963, pp. 21-30; Chilcz.uk(Michal), « Siec osrodkow wiezi spoleczno-gospodarczej wsi w Polsce» (Rural service denters in Poland), Pol.fkie Akadelllii Nauk, InMytut Geografii, Prace Geograjiczne, n° 45, Warszawa, 1963, 155 p. .'4 Klapper (Rudolf), « Einstehung, Lage und Ve1teilung der zentralen Siedlungen in Niedersachsen », Forschungell zur deut.fchen Lalldeskunde, Band 71, 1952, 125 p; KlOpper (Rudolf), « Rheinland-Pfalz in seiner Qliederung nach zentralartlichen Bereiche », Forschungen zur deu/schen Lande.fkunde. Band

100, Bad Godesberg,

1957, 367 p; Brandes (Harald),

Güterverkehrs in der Stadtlandschaft Hamburg 233 P ; Voppel (Gatz), « Passiv-und Aktivraüme

Bad Godesberg,

«

Struktur und Funktion des Personen-und

», Hamburger Geographische Studien, Heft 12, 1901, », ForschulIgen Z!ll' del/tscbell Landeskunde, Band 132,

1961, 108 p; Boustedt (Olaf),

«

Die zentralen Orte und ihre Eintlussbereiche»,

26

Paul Claval

Instituts de géographie ne laissent que peu de place aux travaux de ce genre. Les études les plus marquantes sont celles de Rudolf Klapper. Elles ont été soutenues dans une large mesure par 1'« Institut für

Landforschungund Raumordnung» de Bad Godesberg. La divisionde l'Allemagne en aires d'influence urbaine a été ainsi mise en évidence et une carte est en cours de publication. En Italie également, les études réalisées par les géographes demeurent raresJ5 en dehors de l'étude importante d'Eliseo Bonetti que nous avons signalée - mais qui s'intéresse aux problèmes théoriques, et pas aux réseaux italiens. Les économistes italiens ont fourni deux études fondamentales dans ce domaine: celles du Pr TagliacarneJ6 sur le réseau des services commerciaux et des services bancaires en Italie. En France, les géographes ont longtemps ignoré l'analyse théorique des lieux centrauxJ7.Ils ont fourni de nombreuses études de détail sur la délimitation d'aires d'influence de villesJ8.Il est dommage que les critères retenus n'aient pas été plus systématiques, car les résultats sont difficilement comparables. L'étude des réseaux urbainsJ. et des aires d'influence est devenue plus méthodique depuis quelques années: l'analyse du réseau urbain languedocien par M. Raymond Dugrand40 illustre des tendances nouvelles. M. Michel Rochefort41 a décrit la situation et les problèmes de l'Alsace actuelle dans un esprit plus voisin de celui des recherches menées à l'étranger. Les enquêtes coordonnées par M. Chabot42 ont permis d'esquisser une carte des ProceedillJi.fof the IGU. pp. 201-226; Boesler (Klaus Achim). « Zum Problem der quantitativen Erfessung stadtlicher Funktionen», ProceedinJis l!fthe IGU. op. cit., pp. 145-156; Neff (Ernst), « Die Veranderlichheit der rentralen Orte niederes Range », ProceedinJis of the IGU op. cit., pp. 227-234. .'5 Aquarone (A.). Grandi, Citta e aree metropolitane inltalia. Bologne, Sanichelli, 1961 ; Nice (Bruno), «

Entwicklung. und Probleme der italienischen Grosstiidte» , Proceeding.f of the IGU

246; Toschi (Umberto), 1962, pp. 117-132. J6

« La Citta-Regione

e i suoi problemi », Rivistll Jieo/irajica

op. cit.. pp. 235italiana,

vol. 69,

Tagliacarne (Guglielmo), lA Carra commerciale d'ltalia, Milan, A. Giuffrè, 1960, VIII - 285 p.;

Tagliacarne (Guglielmo). LlI Carra dei servizi bancari. Milan, A. Giuffrè, 1962. VI - 280 p. ." Les géographes sont cependant en train de rattraper le retard qu'ils avaient pris dans ce domaine. Pour le voir, il suffit de citer quelques titres récents; à côté d'un économiste. nous trouvons surtout des géographes. Boudeville (Jacques R), Les espace.f économiques,. Collection « Que Sais-je?» , na 950, Paris, PU F, 1962, 128 p. ; Juillard (Etienne), « La ville et l'organisation de l'espace », Cahier.f de l'lSEA. supplément na 130, série L, na I( oct. 1962. pp. 178-182; Juillard (Etienne), « La région: essai de définition », Annales de Jiéowaphie, vol. VI, 1962, pp. 483-499 ; Chabot (Georges), « Définitions. de la région géographique et division régionale de la France », Bul/etin de III Société belJie d'Etudes l, pp. 37-51. ~éoJiraphiques, vol. 33, 1964, n° .. On ne peut citer toutes les recherches de ce type. Signalons par exemple: Berthe (Mme M. C.), «

L'aire d'influence de Toulouse », Revue JiétJ/iraphique des Pyrénées du Sud-Que.ft. vol. 32, 1961

pp. 245-263 ; Roncayolo (M.). « Structure urbaine et hiérarchie des villes dans la région marseillaise », Cahiers de l'I.S.E.A.. supplément n° 130, série L, n° Il, oct. 1962, pp. 159-178. .'. Parmi les études récentes sur le réseau urbain français dans son ensemble: Cooppolani (J.), Le réseau urbain de la France. Sa structure et son aménagemellt. Paris, Les Editions ouvrières, 1959, 80 p. ; Le Guen (Gilbert), « La structure de la population active dans les agglomérations françaises de plus de 20 000 habitants. Méthodes d'étude, Résultats », Annale.f de Géo/iraphie, vol. 69, 1960, pp. 355370: Canière (Françoise). Pinchemel (Philippe), Le fait urbain en Frarlce, Paris, Armand Colin, 1963, 374 p. ; George (Pierre), « Présentation de l'armature urbaine de la France », Humanisme et elltreprise. na 30, avril 1965, pp. 77-88. 411 Dugrand (Raymond), Vil/es et campa/i"es {lu Bas-ul1l/iuedoc. Paris. PUF, 1963, XII 638 p. 41 Rochefort (Michel), L'organi.wltion urbaine de l'Alsace, Strasbourg, Publications de la faculté des lettres de l'université de Strasbourg, 1960,385 p. 42 Chabot (Georges), « Carte des zones d'influence des grandes villes françaises », Mémoires et document.f, Centre de Documentation cartographique et géographique, t. VIII, 1961, pp. 139-143.

-

Chronique de géographie économique

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zones d'influence des grandes villes françaises. M. Hautreux4J vient de publier une carte qui, à partir de méthodes plus rigoureuses, confirme l'image d'ensemble fournie par l'étude collective présentée par M. Chabot. Les économistes ont déployé plus d'énergie que les géographes pour cartographier et étudier les lieux centraux français. "L'enquête Piatier" a permis de se faire une idée de la répartition de la plupart des zones d'influence commerciale. Son dépouillement est presque terminé, sa publication très avancée. L'ouvrage relatif au Sud-Ouest44 fournit en particulier une image très expressive des réseaux de marchés. Malheureusement, les questionnaires d'enquête ne permettent pas de préciser les aires d'influence de grande dimension: l'image de la hiérarchie des lieux centraux demeure incomplète. Il faut savoir gré à M. Piatier d'avoir su lancer une enquête aussi importante, et aux chercheurs du CRESCO,sous la direction de M. Claude Ponsard, d'en assurer le dépouillement pour une bonne partie de la France. Dans le reste du monde, les enquêtes sont moins nombreuses; les circonstances l'expliquent en partie. La hiérarchie des lieux centraux ne se développe bien que dans des économies ouvertes, dans lesquelles les campagnes commercialisent une bonne partie de leurs productions, et réclament aux villes des produits et des services nombreux. Les pays sous-développés ne possèdent que des réseaux de lieux centraux peu étoffés. Il y existe presque toujours des trames élémentaires d'unités de petites dimensions - bourgs ou marchés ruraux - permettant de satisfaire aux besoins d'échange à courte distance qui ont toujours existé même dans les économies autarciques. Lorsqu'une économie commerciale de type colonial s'est trouvée plaquée sur l'économie traditionnelle, elle a nécessité le développement de centres desservant pour des services rares l'ensemble de régions souvent très vastes. Aussi, des villes démesurées se développent-elles, cependant que les échelons intermédiaires de la hiérarchie manquent. Les études ne manquent pas, qui soulignent cette dysharmonie de la plupart des réseaux urbains en pays sous-développé.!. Elle a été mise en valeur par certains des chercheurs qui travaillent aux Indes'6, par un bon nombre des auteurs qui se sont intéressés aux problèmes de la mise en valeur du Brésilqu'ils soient français, comme Pierre Monbeig47 ou brésiliens, comme 43

Hautreux

(Jean),

« Les principales villes allractives et leur reSS011d'influence»,

Urbanisme. 32°

année. n° 78, 1963, pp. 57-66. 44 Le.v zones d'attractioncommerciale du Sud-Ouest. Collection d'Economie régionale du Sud-Ouest publiée sous la direclion de J. Lajugie, I. VII, Paris, Gauthier-Villars, 1964. ! Une des plus claires est celle de Milton Santos: Santos (Milton), « Quelques problèmes de grandes villes dans les pays sous-développés», Revue de Géographie de Lyon. vol. 36, 1961, pp. 197-218. La méthode a été recommandée dès 1938 par Georges Chabot. Chabot (Georges), «La détermination des courbes isochrones en géographie urbaine », C. R. du Congrè,ç international de géow'aphie. Amsterdam, 1938, t. 2, p, 110

,.

(L:f. supra. note 10). 55C'est la méthode utilisée dans le premier grand travail de Chlistaller C'est Michel Rochef0l1 qui a vulgarisé l'utilisation de cette méthode en France: Rochefort (Michel), «Méthodes d'étUde des réseaux urbains. Intérêt de l'analyse du secteur tertiaire de la population active 36

», Annales

de géoJ.ll"aphie,

Cf: .n/pra. note 30

vol. 66,

1957,

pp. 125-143.

51 Berry (Brian J. L.), Ganison (William L.), « The functional bases of the central places hierarchy», Economic Geography. vol. 34, 1958, pp. 145-154. Repris dans: Reading,ç in Urban Geography. op. cit., pp. 218-227 : Garrison (William L.), Ben'y (Brian J. L. ), Marble (Duane F.), Nystuen (John D.), MOITill (Richard L.), Studies of Highway Developlllel1f alld Geographic Change, Seattle, University of Washington Press, 1959, XVI 291 p. Cf plus spécialement la section 2 (pp. 38-140) : « Highways and retail business» ; Berry (Brian J. L.), Mayer (Harold M.), « Design and preliminary findings of the University of Chicago's studies of the central place hierarchy», Proceeding.v of the lGU op. cit., pp. 247 252; Berry (Brian J. L.), Barnum (H. Gardiner), « Aggregate relations and elemental components of central place systems », Journal (If Regiollal Science. vol. 4, 1962, pp. 35-68; Berry (Brian J. L.), Comparative Studies of Central Plaee Systems. Final Report. Project Nr 389-126, Contract 2 121-18, Geography Branch, U. S. Office, of Naval Research, 1961. Cette dernière publication est épuisée, nous n'avons pu la consulter.

-

Chronique de géographie

économique

29

commerce significatifs de tel ou tel niveau dans la hiérarchie des lieux centraux. On peut aussi tenir compte des services non commerciaux, comme le fait M. Rochefort en AlsaceSK. La délimitation précise des aires d'influence n'est cependant possible que par enquêtes. Celles-ci se pratiquent soit par questionnaire direct auprès des intéressés - les travaux de Brian J. L. Berrys9 fournissent des exemples de cette méthode-soit par utilisation d'observateurs locaux dont l'avis est considéré comme représentatifc'est la base de «l'enquête Piatier» et de la plupart des enquêtes étrangères comme celles du ProTagliacarne en Italie ou de Goossens en Belgique. Certains travaux renoncent à l'enquête pour délimiter les zones d'influence. Ils se fient aux méthodes théoriques dont le prototype est fourni par la loi de gravitation de Reilly. Celle-ci permet de dessiner les aires en tenant compte de l'importance de la population des divers centres d'attraction. D'autres formules ont été proposées, qui permettent de mieux coller à la réalité. La valeur de ces diverses méthodes n'est pas la même. Selon les buts poursuivis et suivant les crédits dont on dispose, il importe de savoir choisir celle qui convient le mieux. L'étude de Goossens6. fournit, à côté d'une description du réseau des lieux centraux et des aires d'influence dans la Belgique du Nord, un inventaire des méthodes que nous venons de signaler et une critique de leur valeur: nous y renvoyons le lecteur, qui trouvera là une analyse très détaillée, mais en flamand, et un court résumé très accessible en anglais. La théorie des lieux centraux est très souvent associée à l'étude de la base économique des agglomérations.' : cela ne doit pas étonner. Les activités domestiques desservent des marchés purement locaux, les activités fondamentales ou de base écoulent leur production dans des aires plus vastes. La théorie de la base économique est devenue un des outils les plus. fréquemment utilisés chaque fois qu'il est question d'étudier la croissance économique d'une unité territoriale, mais c'est un des outils dont l'emploi est également le plus critiqué. Nous laisserons de côté les aspects purement économiques et nous noterons qu'aux mains des géographes, la notion de base économique a permis de préciser la description de l'économie urbaine, en mettant bien en évidence ce qui fait vivre la ville, par opposition avec toutes les activités domestiques qu'on ne savait comment éliminer des descriptions SKC}:supra. notes 41 et 55. s.. Outre les publications signalées dans la note 57, citons: Berry (Brian J. L.), Barnum (H. Gardiner), Tennant (Robert J.), « Retail location and consumer behavior ", Papers and Proceeding.f of the Regional Science A.fwciation. vol. 9, 1962, pp. 65-106. ... M, Goossens (op. cit., note 29) fournit une excellente mise au point sur le problème, compare la valeur des différentes formules. .. Sur l'origine et l'évolution de la notion de base économique, on se reportera à: Andrews (Richard B.), « Mechanics of the urban economic base: histOlical development of the base concept", Land Economia. vol. 29, 1953, pp. 161-167.

30

Paul Claval

antérieures. La description des réseaux urbains fait donc de très larges appels à la notion de base économique62. Les travaux empiriques permettent de mettre en évidence des réseaux de lieux centraux hiérarchisés, conformément à ce que la théorie permet de prévoir. Cette constatation très générale justifie à elle seule toutes les analyses que nous venons de signaler: une succession régulière de villes ou de centres commerciaux hiérarchisés existe dans la réalité. Mais cette réalité nous révèle aussi que les réseaux ne sont jamais aussi réguliers que ne le voudrait la théorie. On ne voit pas les beaux ensembles d'hexagones que la géométrie de Losch ou celle de Christaller permettaient de dessiner. Et les études empiriques fournissent des éléments qui permettent justement d'expliquer une partie des irrégularités constatées. La plaine parfaite n'existe pas et le réseau des hexagones se déforme lorsqu'on l'applique sur la trame irrégulière du relief - comme l'explique par exemple fort clairement Walter Isard6.'. L'histoire - et plus particulièrement celle des voies et des moyens de transport - marque les trames urbaines. Les aires d'influence des grands centres urbains du Centre-Ouest américain sont curieusement allongées dans le sens Est-Ouest. Elles se sont constituées lors de la mise en valeur des plaines qui s'étendent à l'Ouest du Mississipi, en fonction des chemins de fer qui les ouvraient à la colonisation: chaque région est axée sur une des grandes lignes de l'Ouest, ce qui rend compte de l'allongement des aires. Cette disposition a été décrite et expliquée par de nombreux géographes et par des économistes comme Hooveru. Pierre Monbeig65 a décrit la création des régions dans l'État de Sao Paulo: il rappelle que le dessin des zones d'influence est à tel point modelé sur celui des voies ferrées que les régions portent le nom des réseaux qui leur ont permis de se constituer. Les voies ferrées qui se dirigent vers l'Ouest divergent à partir de Sao Paulo. Les régions s'allongent de la même façon vers l'Ouest et vont en s'élargissant. De manière générale, les trames urbaines qui apparaissent lorsque dominent les transports routiers sont assez régulières. Lorsque les villes se sont mises en place à l'époque des chemins de fer, elles allongent leurs zones d'influence très loin dans certaines directions, celles des 62 Alexander

(John W.). « The basic-non basic concept of urban economic functions", Eco/!omic Geo/(raphy. vol. 30. 1954, pp. 246-261. Repris dans: Readi/!/(.~ ill Urba/! op. cit., pp. 87- 100; Mattila (John H.), Thompson (Wilbur). « The measurement of the economic base of the metropolitan areas ", Land Economies, vol. 31, 1955, pp. 215-228. Repris dans: Urban Re.~earch Method.~, op. cit. pp. 329349 ; Roterus (Victor), Calef (Wesley), « Notes en the basic employment ratio ", Economic Geography, vol. 31, 1955, pli. 17-20. Repris dans: Readin/(s ill Urban op. cit., pp. 101-104; Alexandersson (Gunnar), The Industrial Structure of Ameriea/! Cities. Lincoln, University of Nebraska Press, 1956, pp. 14-20. Les méthodes d'analyse des réseaux en isolant les activités de base sont parfois antérieures aux articles cités ci-dessus (Chauncy D. Harris. note 15). Elles ont connu un très large succès depuis ( cf.Le Guen. note 39; lIIeris, note 25; Nelson, note 20). ..' Isard (Walter), Location and Space Eco/!omy, New York et Cambridge, The Technology Press of Institute of Technology, John Wiley, 1956, xx 350 p. ..Massachusetts, Hoover (B. M.Y. The Locatio/! of Eco/!()//!ic Activity, New-York, Me Graw-Hill Book Co.. 1948.

-

.5

Cf: sl/pra. note 47.

Chronique de géographie économique

31

voies ferrées qui les desservent, et n'ont qu'un rayonnement médiocre ailleurs. Les géographes australiens ont décrit dans les régions de l'Australie méridionale, du Victoria et de la Nouvelle-Galle du Sud, cette opposition entre les trames régulières des régions mises en valeur avant la création des voies ferrées et celles plus irrégulières des centres mis en valeur plus tard. Tout ceci permet donc de nuancer les données brutes du schéma théorique, en montrant comment la trame irrégulière des paysages réels voile la régularité idéale. Mais ceci ne permet pas de conclure à la validité du modèle ou à sa vanité: lorsqu'on introduit ainsi les éléments concrets, on renonce à la vérification du schéma abstrait; on arrive à expliquer toutes les situations, même celles qui paraissent les plus éloignées du modèle idéal. C'est ce qui explique que beaucoup d'études aient pour but d'écarter les éléments concrets de diversité, pour essayer de voir dans quelle mesure la théorie générale est valable. III. LES ESSAIS

DE VERIFICATION

DU SCHEMA

THEORIQUE

Le souci de voir si la réalité est bien en harmonie avec le modèlenon plus d'une manière vague et un peu intuitive, comme dans les cas que nous venons d'évoquer, mais de manière précise - a provoqué des l~echerches nombreuses en Grande-Bretagne, en Scandinavie et aux Etats-Unis. Petit à petit, les raisonnements et les méthodes utilisées dans ce genre de travail se sont affinés. Les premiers essais étaient assez grossiers. Ils font un peu sourire aujourd'hui. L'effort accompli pour vérifier avec plus de rigueur la validité de la théorie des lieux centraux a montré que celle-ci demandait à être perfectionnée sur bien des points. C'est ce qui explique que l'élargissement progressif de la théorie que nous analyserons dans le développement suivant soit pour une large part la conséquence du travail de vérification économétrique que nous voulons décrire ici. Les premières recherches remontent au début des années 1950: elles sont destinées à voir si les réseaux de lieux centraux réels s'ordonnent rigoureusement selon une hiérarchie à la manière de Chlistaller. Eliseo Bonetti-- consacre une bonne partie de sa mise au point à l'analyse de ces travaux. Nous renvoyons pour l'essentiel à son étude, nous nous contentons d'en dégager quelques points. Existe-t-il des lieux centraux d'ordre différent? Peut-on mettre en évidence des classes bien délimitées? Les centres de même rang hiérarchique ont-ils des populations semblables? D'une classe à l'autre, les populations s'ordonnent-elles suivant les règles énoncées par Christaller? Quel est le rapport entre le nombre des centres d'un certain rang et celui des centres de rang inférieur?La réalitépeut-ellese plier à -- Cf. supra. note 2.

32

Paul Claval

la géométrie des constructions de Christaller, ou à celle, moins rigide, de Losch? Les travaux entrepris" mirent tous en évidence une hiérarchie de centres et d'aires, et répondirent affirmativement à une des questions essentielles que l'on pouvait se poser. A partir de ce point, des difficultés apparurent. Les populations des villes de même rang hiérarchique étaient très dissemblables. Les distances qui les séparaient l'étaient aussi. Quant au nombre d'aires de marché de rang inférieur que l'on trouve à l'intérieur d'une aire de rang supérieur, il était très inférieur à celui que laissaient prévoir les schémas théoriques. Pour surmonter ces difficultés, Walter Christaller'" perfectionna sa théorie de la hiérarchisation des aires. Il montra que selon le type de service étudié, le nombre de marchés de niveau inférieur compris dans un grand marché pouvait varier. Pour rendre compte de l'inégal espacement des centres, Walter Isard6. reprit à son compte une idée de Losch. Dans cette variante de la théorie des lieux centraux, la dimension des marchés n'est pas déterminée uniquement par la portée des biens et des services, c'est-à-dire par la distance à partir de laquelle leur prix devient prohibitif. Elle est déterminée par le volume de la clientèle qu'un centre est capable de desservir - si bien que la dimension des marchés est plus petite dans les régions de forte densité: la portée des biens ne limite la taille des marchés que là où la population est clairsemée. Ces retouches au schéma initial ne modifiaient pas substantiellement la signification de la construction. Elles n'en facilitaient pas la vérification économétrique. Le résultat le plus prometteur, dans la voie de la vérification expérimentale de la théorie, était celui que fournissait la loi statistique dite règle de Zipf7o.Lorsqu'on étudie en effet comment varie le nombre des villes de population donnée dans une nation, on s'aperçoit qu'il existe une relation simple entre ce nombre et leur population: si l'on porte sur un graphique la population des villes en abscisse, et le nombre de villes de population donnée en ordonnée, on obtient une courbe continue, qui montre l'existence d'une relation fonctionnelle entre population et rang. La règle de Zipf est donc une vérification de la théorie des lieux centraux - mais une vérification qui soulève des difficultés: il y a relation entre le rang d'une ville et sa 67 Nous pensons aux recherches de H. E. Bracey, de J. E. Brush, de F. H. W. Green (notes 17 et 18). 6" Christaller (Walter), « Die Hierarchie der Sttidte », Proceeding.f of the IGU ... , op. cit., pp. 3-12 6. Cf Sl/pra, note 63. 70 On trouve l'exposé de la loi de Zipf dans: Zipf (G. K.), HI/ilia/! Behavior and the Pril!ciple of Lea.ft Effort. Cambridge, AddisonWesley Press, 1949. La loi de Zipf se trouve vérifiée dans un grand nombre font exception de pays. Très souvent pourtant, la ville la plus importante - ou les villes plus importantes

-

à la règle. On a même proposé une loi de la cité majeure ou Plimatiale : Jefferson (Mark),

«

The law of

the primate city», GeoJ!,rapllical Review, vol. 29,1939, pp. 226-282. On trouvera des discussions de ces problèmes dans Walter Isard) (op. cit.. cf SI/pra, note 63, pp. 54-76) et dans: Berry (Brian J. L.), « City size distributions and economic development », Ecol!omic Development and Cult!lral ChanJ!,e, vol. 9, juillet 1961. Repris dans: Regio/!al Developmetlt and Pla/!ni/!g, op. cit., pp. 138-152; Martin

(Geoffrey J.),

«

The law of the pli mate cities re-examined, (Abstract) », A/IItal.f. Associatiol!. of the

America/! GeoJ!,raphers. vol. 50, 1980, pp. 334-335. En français, comme étude consacrée à la loi de Zipf et à la hiérarchie des villes, citons: Adam (Henri), laos (A.), « Hiérarchie urbaine », HOlllllles et 2, p. 77-83 ferres dl/ Nord, 1964, n°

Chronique de géographie économique

33

population, mais cette relation est continue, alors que celle qui est prévue dans les présentations originales de Christaller et de. Losch est discontinue. L'existence de la règle expérimentale de Zipf - au moins pour les rangs inférieurs de la hiérarchie - plaide pour la validité de la théorie, mais elle met en relief des contradictions. C'est ce qu'ont bien w William Garrison et Brian J. L. Berry" et qu'ils ont exposé dans une série de publications échelonnées à partir de 1958.Ces deux auteurs ont eu le mérite de sentir que la théorie demandait à être formulée d'une manière plus rigoureuse. Ils entreprirent l'examen systématique des postulats implicites et explicites sur lesquels elle s'appuyait. Ils montrèrent l'intérêt qu'il y avait à partir de la notion de portée des biens et des services72pour aboutir à une construction cohérente. Le résumé de la théorie que nous avons placé à la tête de cet article est conforme aux schémas repensés et clarifiés de W. L. Garrisson et de Brian J. L. Berry . Cette remise en ordre théorique ne pouvait suffire à résoudre les difficultés apparues au cours des premiers essais de vérification systématique. Puisque la population des lieux centraux varie de manière continue, il n'y a pas de manière simple de fixer les classes dans la hiérarchie des lieux centraux. Toute l'analyse antérieure est remise en question - et beaucoup d'auteurs ont souligné l'arbitraire de travaux comme ceux de Green: il y avait une pétition de principe dans la méthode utilisée, puisque ces recherches commençaient par classer arbitrairement les centres en classes et utilisaient ensuite cette classification pour vérifier la répartition des marchés en classes d'importance variable! Toutes les recherches économétriques des années 1950souffraient d'un mal profond: elles étaient trop naïves. Mais les maladresses initiales ont provoqué une réaction salutaire: la géographie découvre les méthodes sophistiquées des autres sciences humaines; elle utilise la statistique d'une manière qui n'est plus descriptive; elle essaie de trouver ce qui, dans une série de résultats, est, significativement lié à tel ou tel phénomène'3; elle emprunte aux sciences psychologiques les procédés de l'analyse factorielle; elle fait œuvre pionnière lorsqu'elle utilise la théorie des graphes'. pour rendre compte de la structure des réseaux d'échange et de celle des points nodaux "BeITY

(Brian J. L.). Ganison

(William L.),

«

Alternate

explanations

of urban

rank-size

relationships", Annals, Association of American GeONI"aphers, vol. 48, 1958, pp. 83-91, Repris dans: ReadinNs in Urban GeoNraphy. op. cit., pp. 230-239. 72 Berry (Blian J. L.), Ganison (William L.), « Recent development of central place theory", Papers lInd ProceedinNs of the ReNional Science Association, vol. 4, 1958, pp. 107-120; Berry (Brian J. L.), Garrison (William L.), « A note on central place theory and the range of a good", Economic GeoNraphy. vol. 34, 1958, pp. 304-311. 73 On trouvera des exemples d'emploi des méthodes statistiques modernes dans les études de Brian J. L. Berry et de William L. Garrison citées dans la note 57. 74 Nystuen (John D.), Dacey (Michael F.), « A graph theory interpretation of nodal regions », Papers lInd ProceedÙINs (!(the Regional Science A,fsaciation. vol. 7, 1961, pp. 29-42; Ganison (William L.), « Connectivity of the interstate highway system ", Papers and Proceedingf (if the Regional Science AuocialiOll. vol. 6, 1960, pp. 121-138.

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qu'elle décrit. Les hypothèses de bases de la théorie des lieux centraux sont testées au, moyen de méthodes plus objectives. Leslie Currie7s et Michael F. Dacey" ont repris le problème de la corrélation entre le rang et la taille des centres d'une part, leur distance de l'autre: ils utilisent pour ce faire la méthode dite du plus proche voisin qui évite d'appuyer l'analyse sur un classement arbitraire des centres en classes. Dans ce domaine, les travaux de Brian 1. L. Berry et de son équipe sont particulièrement importants. Il manquait jusqu'alors une analyse fine et concrète de la taille des aires de marché des divers types de commerce et de service, Hans Carol77avait entrepris un travail de ce genre en Suisse et avait vu ses méthodes reprises dans certaines publications anglo-saxonnes, mais on savait au fond fort mal comment s'ordonnaient les aires commerciales sur lesquelles reposaient la théorie. Brian J. L. Berry7. s'attache plus particulièrement à analyser l'association des types de commerce qui animent les lieux centraux. Dès les premiers travaux, il montre qu'il est possible de mettre en évidence, dans la banlieue septentrionale de Seattle, une hiérarchie de fonctions centrales correspondant à des lieux centraux de rangs différents. L'analyse des fonctions centrales des localités étudiées permet de fixer leur rang hiérarchique sans a priori. L'expérience montre que les fonctions centrales des centres les plus peuplés sont d'un rang plus élevé que celle des bourgades moins peuplées, mais la liaison n'est pas rigoureuse, car il existe des fonctions urbaines qui ne sont pas liées à la centralité. Ainsi s'explique la contradiction apparente de la règle de Zipf: il existe bien une hiérarchie discrète de lieux centraux que l'analyse des fonctions centrales met en évidence, mais la population de ces lieux centraux ne dépend pas d'une manière simple et absolue du rang: la relation est aléatoire, ce qui explique que la relation de Zipf apparaisse sous la forme d'une courbe continue. Les recherches de Brian J. L. Berry permettaient de sortir - enfin - de cette irritante question de la mise en évidence de la hiérarchie sur laquelle la théorie butait depuis les premiers travaux de Christaller. Depuis lors, Berry et son équipe ont encore affiné leurs méthodes d'étude7.. Les secteurs qu'ils ont étudiés avec le plus de soin 75 Curry (Leslie), « The geography of service centers within towns: the elements of an opperational approach ». Proceedings (~f rhe IGU... lip. cir.. pp. 31-54 7 Dacey (Michael F.), « Analysis ot central place and point patterns by a nearest neighbor method », Proceedings (lrrhe IGU lip. cir., pp.55-76. On peut citer, sur le même problème les études de Edwin N. Thomas (note IS) et celles de .Gunnar Olsson et Ake Persson (note 26); à titre de comparaison, on peut lire une étude un peu plus ancienne: Stewart, (Charles T.), « The size and spacing of cities », Geographical Review, vol. 4S, 1955, pp. 222-245. Repris dans: Reading.~ in Urban Gellgral,hy. op. cir., ~p.Cf240-256. sl/pra. note 30. 7. Cf. sl/pra. note 57, pour les études que William L. GmTison et Brian J. L. Berry ont consacrées au problème. On peut leur joindre: Stafford (Howard A. Jr.), « The functional bases of small towns », Ecollomic Geography. vol. 39, 1963, pp. 165-175. 7. Berry (Brian J. L.), « The functional bases of the central place hierarchy», op. cir.. cf .~upra note 57 ; Ben'y (Brian J. L.). Meyer (Harold M.), (c Design and preliminary findings... », op. cir.. cf .mpra, note 57 ; BetTY (Brian J. L.), « Comparative studies of central place systems », op. cir.. cf supra note

57; Berry (Brian J. L.), Barnum, Tennant (Robelt J.),

c(

Retail location and consumer behavior ». op.

Chronique de géographie

35

économique

appartiennent aux grandes plaines de l'Ouest américain, ce qui leur permet de se placer dans des conditions optimales pour vérifier la validité de la théorie. L'hypothèse de la plaine parfaite et régulièrement pénétrable est presque réalisée. Dans ce milieu propice à l'expérience, l'équipe de, Berry a successivement étudié trois régions très diversement peuplées: un secteur d'agriculture extensive et de population éparse au pied des Rocheuses, une partie des riches campagnes de l'Iowa, une portion de la banlieue de Chicago. L'analyse des fonctions centrales a été menée avec un luxe de détails bien plus grand que précédemment. Les aires de marché ont été analysées par enquête directe menée sur un échantillon très large de la population. Les résultats antérieurs ont été confirmés. Dans chacun des milieux considérés, on a mis en évidence une hiérarchie parfaitement nette de centres, la même dans chacun des ensembles analysés. L'étude montre aussi que la population desservie par des centres d'un certain rang varie avec la densité de la population. Les centres sont plus nombreux par rapport à la population lorsque la densité diminue. Pour les degrés inférieurs de la hiérarchie, les différences sont très importantes (pour les villages et les bourgs, par exemple). La population desservie par les centres de rang supérieur (les villes) est moins dépendante de la densité de population. Ces études justifient donc l'ensemble de l'enquête menée depuis maintenant sept ans. Les travaux récents ont ainsi permis de préciser que la théorie était généralement valable. Les géographes possèdent donc un modèle des réseaux urbains et de la structure régionale qui leur permet de fournir une explication simple et cohérente de beaucoup de problèmes de géographie urbaine et régionale. La mise au point d'un modèle théorique a l'avantage de passer de la description à la prévision. Certains chercheurs américainsKoont ainsi essayé d'utiliser la théorie des. lieux centraux pour rendre compte de l'évolution des réseaux urbains et pour prévoir leur évolution future. De telles recherches doivent tenir compte de tous les facteurs aléatoires qui interviennent dans la vie économique et qui introduisent une part d'imprécision dans les mécanismes économiques. Il faut par exemple anticiper l'effet des créations d'axes de communication qui modifient les possibilités de transport. Les choix des axes sont rationnels, mais leur rationalité n'est pas totale: il existe une part non négligeable laissée à l'appréciation subjective du politique. Aussi, l'application de la théorie dt.. (;1:supra

note

59;

Berry

(Brian

J. L.),

« Aggregate

relations

and...

», op.

cit.,

cl

.wpra

note

57 ;

Berry (Brian J. L.), « Cities as systems within systems of cities», in: Regional Development and Planning, op. cil., pp. 116-137. KfI Gan'ison (William L.), « Toward simulation models of urban growth and development». In: Pmceedings (!fthe I. G. U..., op. cit.. p. 91-108. Mais les travaux essentiels dans ce domaine sont ceux de Richard L. Morrill: Morrill (Richard L.), « Simulation of central place patterns over time», in Proceedings of the I. G. U op. cit., pp. 109-120; Morrill (Richard L.), « The development of spatial distribution in Sweden, an jistorical-predictive approach», in: Regioncll Development and Planning, op. cit., pp. 173-186 ; Morrill (Richard L.), Migration and the Spread and Growth of Urban Settlement, Lund Studies in Geography, Ser. B. Human Geography, n° 26,1965, VIII - 208 p.

36

Paul Claval

des lieux centraux à la reconstitution de l'évolution d'un réseau urbain et à la prévision de son évolution future ne peut se faire qu'en utilisant des techniques assez complexes. Richard L. Morrill a essayé de mettre au point des modèles de simulation, tenant compte des facteurs de régularité apportés par l'attraction des lieux centraux et des facteurs aléatoires nombreux qui se glissent dans toute évolution. Ces modèles permettent de rendre compte de manière assez satisfaisante de l'évolution du réseau des centres de service de la Suède méridionale. L'intérêt de tels modèles de simulation est grand: ils peuvent permettre des prévisions et aider à la réalisation d'une politique cohérente d'investissements publics. Ce que la théorie des lieux centraux gagne en précision, dans tous, les travaux de ce type, elle le perd pourtant en partie en intérêt général. Sous sa forme première, il s'agit d'un cadre assez vague qui permet de rendre compte d'une manière assez grossière de l'ensemble des régularités qui s'imposent à l'évidence dans les trames urbaines et régionales du monde. La théorie des lieux centraux est une théorie générale des localisations des activités tertiaires et de la structure des espaces régionaux. Présentée sous sa forme précise et affinée, elle n'est plus qu'une théorie de la répartition de telles ou telles activités tertiairesdu commerce de détail par exempleK'. Elle se spécialise et perd une partie de sa valeur révolutionnaire. Peut-être n'est-ce qu'une apparence? Pourtant, on ne peut s'empêcher de penser que certaines des études les mieux menées des dernières années n'ont pas la large portée des analyses plus frustes de l'époque précédente. L'intérêt principal d'une théorie comme celle des lieux centraux ne provient pas de la manière plus ou moins parfaite dont elle permet de rendre compte des régularités observables, mais au contraire de tous les problèmes qu'elle pose lorsque les régularités n'existent pas: elle est génératrice de problèmes, car elle postule un ordre et tout ce qui ne se conforme pas à cet ordre demande explication, donc enquête. C'est moins par la part du réel qu'elle explique qu'une théorie est féconde que par la part qu'elle fait découvrir. La théorie des lieux centraux a provoqué un choc. Elle a montré qu'il y avait une explication à chercher derrière toutes les constructions régionales, toutes les trames urbaines; elle a permis de les ramener à des types de géographie générale. Elle a transformé la géographie des réseaux urbains et la géographie régionale. Les études de détail actuelles n'ont pas la même résonance. Elles n'intéressent plus que des aspects particuliers de la géographie. Ce qui est plus important, plus fécond, plus riche de développements futurs, c'est la transformation

K' Comme en témoigne un grand nombre d'études récentes, celles de Brian Outre celles que nous avons déjà mentionnées de cet auteur, deux sont évolution: Berry (Brian J. L.), « The retail component 01 the urban model Imtiiute (!/"Plwlllers. vol. XXXI, 1965, no 2, pp. 150-155; Berry (Brian. Retail Distribution, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1967, X-45 p.

1. L. Berry en particulier. très révélatrices de celle », Journal of the American J- L.), Market Center.~ and

Chronique

de géographie économique

37

et l'enrichissement progressif que la théorie des lieux centraux. a subi pour rendre compte de réalités qui apparemment lui échappaient. IV. TRANSFORMATIONS LIEUX

ET MUTATIONS

DE LA THEORIE

DES

CENTRAUX

Nous retrouvons ici les noms des chercheurs que nous venons d'évoquer en analysant les travaux consacrés à la vérification de la théorie des lieux centraux. Ceci n'a rien d'étonnant: parmi les situations qu'ils examinent, certaines paraissent irréductibles à la théorie qu'ils essaient de prouver. Ils se demandent tout naturellement si cette antinomie est fondamentale ou si elle ne provient pas simplement de la forme commune sous laquelle la théorie des lieux centraux est présentée. Aussi s'attachent-ils tout à la fois à vérifier et à élargÏfll2la validité de la théorie. De nombreux problèmes sont apparus lorsqu'on s'est mis à étudier les noyaux à fonction centrale"J dans les agglomérations américaines. Brian J. L. Berry"4a mis en évidence toute une hiérarchie de lieux centraux, analogue à celle que von Thünen observe dans les milieux ruraux. Mais à côté des noyaux commerçants caractéristiques à la fois de quartiers centraux et des zones périphériques, il existe des "2 Le besoin d'élargir et de vérifier les bases de la théorie des lieux centraux est présent dans les articles publiés en collaboration par Brian 1. L. Berry et William L. Garrison en 1958 (cf .fupra notes 57,71,72). 1\ est exprimé plus clairement dans des publications plus récentes: Thomas (Edwin N.), « Toward an expanded central place model» (Abstract), Annalof of the Aofsociation of American Geographerof. vol. 50, 1960, p. 350 ; Thomas (Edwin N.), « Toward an expanded central place model»,

Geographical Review. vol. 51, 1961, pp. 400-411 ; Gan;son (William L.), « Needed additions to central rlace theory" (Abstract), Annalof (if the A.f.wciatioll (!( American Geographer.f, \101. 52. 1962, p. 333. J L'application de la théorie des lieux centraux aux espaces urbains a été faite pour la première fois d'une manière systématique dans les études que Brian J. L. Berry a consacrées à la région de Seattle en 1958 et 1959 «( The functional bases of the central places hierarchy", cf .wpra note 57). L'intérêt de ces travaux est apparu plus clairement dans l'étude collective relative aux problèmes de circulation (Studieof in Highway Development... op. cit.. cf .fupra note 57). La théorie des lieux centraux a permis de fournir une explication satisfaisante d'une pm1ie des circulations urbaines, et a ainsi élargi la portée

de travaux un peu antérieurs comme: Marble (Duane F.), Nystuen (John D.),

«

Commercial geography

of urban areas. and the movement of persons" (Abstract), Amw/of (if the Aofofociation (if American Geogrllpherof. vol. 38, 1958, p. 279. L'application de la théorie des lieux centraux aux espaces urbains a également provoqué au même moment des recherches de Hans Carol: Carol (Hans), « Hierarchy of central functions within the city", Annalof of the Aofofociation (if American Geographer.f, vol. 50, 1960, Le même auteur a appliqué ces idées à l'étude de Zürich (cf ofupm note 30). Mais les recherches les plus nombreuses et les plus significatives sont dues à Berry et à son école. En dehors. des études systématiques consacrées aux divers milieux du Middle West, et que-nous avons indiquées à la note 79, mentionnons: Berry (Brian 1. L.), « The impact of expanding metropolitan communities upon the central place hierarchy", All/III/of (!( the Aofofociation (!( the American Geogmpherof, vol. 50, 1960, p. 112; Berry (Brian J. L.), Commercial Structure and Commercial Blig/j{, Department of Geography, Research Paper n° 85, University of Chicago, 1963. ". La théOl;e des centres commerciaux linéaires, qui. constitue le premier élargissement notable de la théOl;e des lieux centraux lorsqu'on l'applique aux villes, est exposée dans les chapitres de Sflldieof ill Highway DevelopmeFlt (op. cit., cf ofupra note 57) dus à Ben'y, et dans: Berry (Brian J. L.), « Ribbon development in the urban business pattern ", AmICI/of(if the Aof.wciation of American Geographer.f, vol. 49, 1959, pp. 145-155. Un autre exemple d'élargissement de la théorie des lieux centraux est fourni par les étUdes de régions où les fonctions urbaines sont exercées par des centres distincts: Burton (Ian), «

Retail trade in a dispersed city", Tnm.mctio/lof (if the I1Ii/loiofState Academy of Science, vol. 52, 1959,

pp. 145-150 ; Burton (Ian), « A restatement of the dispersed (!( the American Geographerof, vol. 53, ] 963, pp. 285.281.

city hypothesis

", Annalof (if the Aof.wciatio/l

38

Paul Claval

ensembles commerciaux à développement linéaire. Le long de certaines artères, les commerces se succèdent durant des kilomètres sans rien qui ressemble vraiment à un noyau. Il est alors difficile de repérer les points nodaux que la théorie prévoit. Doit-on pour autant renoncer à utiliser celle-ci? L'organisation commerciale des espaces urbains obéit-elle à des lois différentes de celles valables dans les régions rurales? Ce n'est guère vraisemblable, puisqu'il y existe une structure nodale très visiblele quartier des affaires n'est-il pas le type même du lieu central de la théorie? Comment résoudre alors la difficulté qui provient de la présence de ces quartiers commerciaux d'un type particulier? Brian. L. Berry et ses collaborateurs proposent une explication simple, qui permet d'étendre l'emploi de la théorie des lieux centraux à tous les cas rencontrés dans l'espace urbain: celui-ci est un espace anisotrope; le long de certaines voies, les communications sont si aisées que la distance ne compte pour ainsi dire pas. Les rubans commerciaux le long des voies importantes ne sont pas des exceptions à la théorie: ils indiquent simplement la présence de secteurs où la distance cesse de compter. On retrouve, dans cette façon de rendre compte de la présence de rubans commerciaux, une démarche analogue à celle de von Thünen lorsqu'il introduisait dans sa plaine idéale un fleuve le long duquel les frais de déplacement étaient négligeables. Moyennant cet aménagement, la théorie des lieux centraux voit son champ d'application s'élargir prodigieusement. Elle ne rend pas seulement compte de la répartition des villes ou des lieux centraux au sein des régions rurales et de la structure de celles-ci. Elle permet de comprendre la texture et l'organisation des espaces urbains. A l'intérieur des agglomérations, on retrouve en effet une hiérarchie complète de lieux centraux, analogue à celle observée dans les régions rurales. Quelques commerçants desservent les unités résidentielles. A un carrefour, un groupe de magasins plus importants et plus spécialisés assure la satisfaction de besoins de niveau supérieur. On peut distinguer dans les grandes agglomérations plusieurs échelons de quartiers commerçants; l'édifice est couronné par un quartier d'affaire central, une city. Nulle part, on ne trouve réalisée de manière plus frappante que dans les milieux urbains la hiérarchie complète des lieux centrauxKS. On voit donc l'intérêt de cette élargissement des modèles: la géographie urbaine se trouve à son tour fécondée par la théorie. Après avoir déchiffré les fonctions des villes, c'est-à-dire les mécanismes qui lient les agglomérations aux campagnes voisines et permettent de comprendre leur localisation et leur taille, la théorie des lieux centraux éclaire la dynamique propre des milieux urbains; la description des quartiers ne constitue plus l'unique fin de la géographie urbaine; on possède enfin une des clefs qui permettent de comprendre le mécanisme selon lequel l'espace urbain s'ordonne K5Ceci ressort clairement

des études de BelTY que nous avons indiquées

à la note 83.

Chronique

de géographie

économique

39

L'assouplissement que la théorie des lieux centraux a dû subir pour rendre compte de la géographie urbaine a ouvert la voie à des recherches fécondes sur la dynamique générale des agglomérations. Leur ordonnance est spécialement liée aux possibilités de communication. La ville à structure concentrique régulière correspond à un état dans lequel l'espace est encore isotrope; lorsque se développent les moyens de transport de masse, vers la fin siècle dernier,la structure

des villes se trouve bouleversée. Les axes rayonnants attirent l'essentiel des activités commerciales. Les quartiers de résidence s'allongent le long des axes privilégiés. La ville prend un aspect radioconcentrique, son plan devient parfois nettement tentaculaire. Lorsque les moyens individuels de transport apparaissent, la. congestion des quartiers centraux s'aggrave très vite et l'on voit se créer des points nodaux à. la limite des zones urbanisées; on obtient une structure en étoile qui est à l'heure actuelle caractéristique de bon nombre d'agglomérations américaines"'. Nous avons été obligés d'abandonner les hypothèses de départ de Christaller et de Losch. La répartition de la population desservie n'est plus une des données indépendantes du système. L'hypothèse de la plaine parfaite et régulièrement peuplée n'est plus vérifiée. La répartition de la population dépend de celle des lieux centraux: c'est là qu'elle trouve satisfaction à la plupart de ses besoins, c'est là aussi qu'elle va souvent travailler. Le choix du domicile se fait en relation avec la localisation des points nodaux. La théorie des lieux centraux ne permet donc pas de rendre compte, à elle seule, des trames urbaines. Il faut montrer comment la localisation des quartiers de services et d'affaires se trouve liée à celle des zones, résidentielles: il y a concurrence pour l'emploi des terres et il faut voir comment le choix définitif s'opère. La théorie des valeurs foncièrespermet de mettr~en évidenceles mécanismesqui régularisent l'usage des terres. Aux Etats-Unis, on s'attache depuis longtemps à analyser les prix de la terre dans les grandes agglomérations. Des économistes comme Homer Hoyt ou comme E. Hoovern ont fortement souligné le rôle régulateur des marchés fonciers dans la géographie des villes. Mais cette étude restait indépendante des autres recherches de géographie urbaine. Il n'en est plus de même et on s'aperçoit qu'il est possible d'expliquer l'espace urbain en combinant deux types de recherche poursuivis indépendamment jusque-là. La théorie nouvelle des villes""est une construction mixte dans laquelle sont combinés deux "6 La structure des nouveaux centres d'affaires périphériques commence à susciter des études: Garner (Barry J.), « The internal structure of outlying-service centers", Annals of the AvsociatÜm of American Geographers, vol. 53, 1963, p. 592. Mais l'analyse la plus complète est. celle deJ. E. Vance JI'. que nous avons déjà signalée (note 19). Hoyt (Homer), One Hundred Years (if ullld Value.v in Chicago, Chicago, University of Chicago Press, "'1933; Hoover (Edgar M.), The UJClltiO/!of Economic Activity. New, York, Mc Graw Hill 1948.

Traduction française: Lalocalismion de.vactivités économiques, Paris, Editions ouvrières, 1955,240 p. "" On trouvera un exposé informel de la théo\ie des. villes dans: George (Pierre), Guglielmo (Raymond),

Kaser (Bernard),

Lacoste

(Yves),

La Geog/"llpltie active,

Paris, P.U.F., 1964, VI\I-394

p.

40

Paul Claval

corps de théories: celle des lieux centraux et celle des valeurs foncières qui tire son origine des études sur la rente du sol de von Thünen. Les travaux relatifs à la théorie de la valeur foncière sont à la mode. Des études comme celle de William AlonsoH"en sont la preuve. On voit donc que la théorie des lieux centraux se combine, dans le cas de l'étude des villes, avec des théories des champs de force. La grande différence entre les espaces urbains et les espaces ruraux pour Iesquels la théorie des lieux centraux avait été initialement bâtie est que les prel1Ùers sont des espaces polarisés. Il est impossible, dans un espace, urbain, de supposer une répartition régulière de la population; le jeu des activités de marché a justement pour conséquence de créer des conditions inégales. La théorie des lieux centraux appliquée aux espaces urbains attire donc l'attention des géographes sur des corps de théorie qu'ils avaient jusque-là ignorés - théorie des espaces polarisés et des champs de forces éconol1Ùques en particulier. C'est à ces préoccupations que répondent ceux qui essaient d'introduire l'étude systématique des faits de gravitation économique dans l'étude de la géographie. Les études concrètes de Reino Ajo". se rattachent au même grand centre d'intérêt: il analyse systématiquement les champs de force qui dOl1Ùnent la répartition des variations de population dans les zones métropolitaines. Il précise ainsi les conditions, qui déterl1Ùnentles équilibres complexes réalisés au sein des grandes agglomérations. Les villes modernes cessent d'être construites autour d'un quartier d'affaire central unique. Le quartier central ancien subsiste. Il garde souvent le monopole d'une partie des fonctions centrales exercées par la ville au profit de la campagne voisine et des agglomérations secondaires qu'elle nourrit Petit à petit cependant, une partie de ces fonctions se trouve attirée par les quartiers d'affaires périphériques. Cette évolution distend la trame des villes, leur fait perdre une partie de leur cohérence. Lorsque l'agglomération s'étend sur plusieurs centaines de kilomètres carrés, lorsqu'elle renferme des centres d'affaires différents, la ville cesse de pouvoir être assil1Ùléeà un lieu, central. Les conditions dans lesquelles on se trouve cessent d'être celles que présuppose la théorie des lieux centraux. La distance n'est plus un obstacle aussi grave aux transports et déplacements, la portée des services s'accroît très largement. La trame des lieux centraux n'est plus déterl1Ùnéepar le jeu rigide des portées lil1Ùtes.Les aires desservies, par les lieux centraux cessent d'être de taille égale, les superpositions de zones d'influences se multiplient. La localisation des lieux centraux n'est Cet exposé est dû à PielTe George, dans le chapitre consacré au « développement urbain» : il se trouve aux pages 280-286 (Inadaptation des villes existantes aux activités actuelles). H" Alonso (William). Locatioll alld Lalld Use. Toward a Gelleral Theory (!{ Land Relll. Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1964, XII-204 p. Ajo (Reino), « Fields of population change: Oslo, Stockholm. Helsinki », Acta Geographica. Vol. 17, "" 1963, 19 p. ; Ajo (Reino), « On the structure of population density in London's field», Publicatiolls IlIstituti Geographici UlliversitatiJ Helsillgen.fis, n044, Helsinki, 1965, 17 p.

Chronique de géographie économique

41

plus commandée impérieusement par la répartition de la population - et réciproquement, dans un espace urbain, la répartition de la population cesse d'être étroitement liée à celle des lieux centraux. Des considérations nouvelles apparaissent dans le choix des localisations. La distance n'est plus le régulateur essentiel de la répartition des localisations. On assiste, à l'échelle des villes, à l'évolution que l'on a depuis longtemps notée dans le domaine agricole ou dans le domaine industriel. Lorsque la distance cesse d'être le facteur essentiel des choix, les éléments géographiques de sol et de climat prennent une place croissante: la trame des villes n'est plus aussi sérieusement liée à la répartition des lieux centraux majeurs, à partir desquels tout l'espace urbain s'organisait. Les considérations géographiques - le site, le climat, l'ensoleillement, la vue - deviennent des facteurs importants dans le choix des localisations, aussi bien pour les entrepreneurs qui veulent implanter une entreprise que pour les particuliers qui cherchent à se loger. La ville perd sa régularité. Cette évolution est sensible à tous. Des géographes comme Edward Ullman"' l'ont mise en évidence dans des articles très clairs. Elle frappe tous ceux qui se préoccupent à l'heure actuelle de problèmes d'aménagement. Les mécanismes qui présidaient à l'évolution des villes ne jouent plus, les villes éclatent et les principes qui réglaient leur ordonnance sont remis en cause. La crise qui. frappe les quartiers centraux, l'éclatement de la ville dans l'espace et son éparpillement dans l'espace rural constituent l'un des thèmes de méditation les plus fréquents de l'heure présente. La théorie des lieux centraux qui permet de rendre compte et des structures régionales, et des réseaux urbains, et des trames urbaines traditionnelles nous laisse ici désarmés; les conditions dans lesquelles les lieux centraux s'ordonnent régulièrement ont cessé de se trouver vérifiées; la géographie des villes qui se fait sous nos yeux n'est plus justifiable de la théorie telle qu'elle a été élaborée jusqu'à présent. On voit donc ce que le géographe peut attendre de la théorie des lieux centraux: comprendre l'ordonnance des villes et des régions, c'est énorme. Mais on voit aussi qu'elle ne permet pas de rendre compte de toute la géographie humaine. Les recherches actuelles laissent sur une déception: le modèle laborieusement développé ne semble pas applicable sans ménagement à la situation présente des agglomérations urbaines - et cela, à, l'instant même où les urbanistes et les aménageurs souhaiteraient disposer d'une doctrine justifiant leurs interventions. Que peut-on attendre des recherches futures sur la théorie des lieux centraux? Sera-t-il possible, en modifiant le jeu des postulats de base, d'adapter la théorie aux conditions nouvelles que nous venons d'évoquer? Une telle adaptation serait accueillie avec soulagement par .,

Ullman (Edward L.). « The nature of cities reconsidered », Papers A.çsociation. vol. IX. 1962. pp. 7-24.

Science

and Proceeding.t

of the Regional

42

Paul Claval

tous ceux qui ne disposent d'aucun moyen pour sonder l'avenir de nos villes. Mais sera-t-il possible de parvenir à une construction aussi féconde que celle de Christaller et Losch? Les conditions actuelles sont très différentes des conditions alors analysées. L'avenir nous dira seul si un nouvel élargissement est possible - qui permettra de deviner les régularités qui domineront l'espace humain de la génération qui vient.

CHAPITRE II

- 1967

LES COMPTABILITES TERRITORIALES

Les travaux de comptabilité territoriale sont à la mode. Us se sont multipliés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale au point que la plupart des nations, qu'elles soient développées ou sous-développées, disposent d'organismes spécialisés dans l'élaboration de tableaux dont le besoin se fait sentir de plus en plus profondément. La politique économique des pays ne peut être conçue de manière cohérente qu'à la condition de disposer d'informations précises sur les problèmes de la production, de la répartition, de la consommation et de l'investissement. Sans le guide de la comptabilité nationale, les interventions sont mal dosées. Le pays oscille sans cesse de la stagnation à la croissance inflationniste. Les comptes de la nation constituent un baromètre et renseignent le pouvoir sur ce qui est possible à un moment donné, sur ce qui est urgent et sur ce qui peut être dangereux pour l'équilibre d'ensemble. Les statisticiens se penchent aussi sur les ensembles territoriaux plus restreints. Les comptabilités nationales ont été mises au point durant la période de l'entre-deux-guerres, sous la double influence des besoins de la planification en Union soviétique et des recherches sur l'équilibre économique d'ensemble dans les pays capitalistes secoués par la grande crise. Depuis la guerre, on essaie de transposer les méthodes qui se sont révélées efficaces sur le plan des économies nationales au plan des ensembles régionaux. Les difficultés rencontrées sont nombreuses et les techniques ne sont pas encore fixées de manière défmitive. Les spécialistes des économies urbaines ont mis sur pied de manière indépendante des méthodes d'analyse globale qui donnent lieu à des travaux de comptabilité très importants: la théorie de la base économique s'est développée parallèlement à l'analyse des comptabilités territoriales, dont elle ne constitue qu'une forme particulière. Les géographes utilisent depuis longtemps les résultats obtenus par les spécialistes des comptabilités nationales. U y a déjà plus d'une quinzaine d'années que les bilans globaux de production et de consommation se sont multipliés dans les ouvrages de géographie économique. On a commencé par tirer parti des statistiques portant sur les quantités physiques. Pierre George a été l'initiateur de ces analyses

44

Paul

Claval

comparées: dans sa Géographie de l'énergie', il a dressé un inventaire complet des consommations énergétiques et a familiarisé le lecteur avec les barèmes d'équivalence énergétique. Depuis, l'intérêt toujours plus soutenu pour les problèmes du sous-développement a multiplié les recours aux statistiques globales fournies par les comptabilités nationales. Quel ouvrage n'emprunte pas aux publications des Nations Unies des données relatives au revenu moyen par habitant exprimé en dollars? Sans être toujours conscient de l'origine des renseignements ainsi utilisés, les géographes puisent depuis plus d'une décennie dans les données statistiques de la comptabilité globale. La publication de L'Atlas mondial du développement1, il y a quelques années, montre que les efforts pour utiliser ces informations nouvellement rassemblées a revêtu parfois une forme plus systématique. On a pris conscience qu'il y avait là une source de documentation d'une telle richesse que les géographes ne pouvaient l'ignorer. En France, l'intérêt manifesté à l'égard des comptabilités territoriales se fortifie beaucoup. Les problèmes qui se posent à l'échelle de la nation ne sont pas ceux qui attirent le plus l'attention des géographes français - quoique l'étude des économies sous-développées leur ait donné un regain de faveur; tant que l'essentiel des efforts a porté sur l'élaboration des comptes de la nation, les géographes sont restés indifférents. Le tableau économique 10rrainJ n'a été imité qu'après plusieurs années: il est difficile de se faire une idée exacte de la portée de tels travaux tant que l'on ne possède pas de données comparatives. Les travaux de comptabilité régionale se sont multipliés extraordinairement au cours de ces dernières années. Ils ont permis de préciser la valeur des quantités globales les plus importantes pour un certain nombre de départements français: l'Aube', les départements de la région languedociennes, à la suite des travaux de Gusset., les I George (Pierre), Géographie de l'énergie. Tome IV de la ColI. de « Géographie économique et sociale », Paris, Genin, 1950. 469 P 1

Ginsburg

(Norton).

Atla.v of Economic

Development,

Chicago, The University

of Chicago

Press. 1961.

VIII-119p Bauchet (Pierre), Les rableaux économiques. Analyse de la région lorraine. Paris. Genin, 1955, 182 p.

..

8, Palis. Armand Colin. 1963, 235 p. 4n°Favier (Hubert), Tableau économique du département de l'Aube, Coll. « Recherches sur l'économie française", 8. Paris. Armand Colin. 1963.235 p. 5 Levita (M.),n° Les comptes du département de l'Aude. Coll. « Etudes de l'économie méridionale", n° 3, Montpellier, C.R.P.E.E., 1962,258 p. ronéotées; Levita (M.), « Des comptes de la Nation aux comptes de la Région: le département de l'Aude". Revue d'Économie méridionale. vol. 10, 1962. pp. 194-208; Brousse (G.), Le.v comptes du département de la. Lozère, Coll. « Etudes de l'économie méridionale ". C.R.P.E.E., 1962. 2 vol.. 318 p.. ronéotées; Brousse (G.), «Les comptes de la n° 5. Montpellier. Lozère". Revue d'Economie méridionale. vol 10, 1962 pp. 321-334; Balme (Michel), Les revenu.v dWLv le département des Pyrénées oriemale.v. Montpellier, C.R.P.E..E., 1963; Balme (Michel), «Note sur l'économie des Pyrénées Orientales », Revue de l'Economie méridionale, vol. I l, 1963, pp. 70-79; Depezay (Pierre), «Les structures et les revenus agricoles dans la région de Lunel", Revue de l'Economie méridionale. vol. Il, 1963, pp. 156-180; Chevalier (B.), «Les flux d'investissement en 32 p. ; Ousset (J.), Languedoc-Roussillon", L'Economie méridionale, vol. 13, 1965. n° 49.janvier-mars, "Les comptes du Languedoc-Roussillon" 1962-1964, L'Economie méridionale. vol. 13. 1965. n° 51, juillet-septembre, 24 p.

. Ousset

(Jean), Les mmptes du département de l'Hérault. Essai d'application de la méthode de la

comptabilité nationale française à la région, Montpellier, C.R.P.E.E. 1962. XII, 367 p. ; Ousset (Jean), Chevalier (Bruno), Les comptes de la région u/IIguedoc-Roussillon. Montpellier, C.R.P.E.E.. 1964.

Chronique de géographie économique

45

départements de la région aquitaine7 à la suite des travaux de M. Jouandet Bemardat8.Des recherches analogues se sont poursuivies dans d'autres domaines. Roger Dumoulin" a transposé les méthodes proposées en France au domaine de l'analyse régionale des économies sous-développées. Des analyses ont permis de dresser le tableau d'une

économie villageoiselo,comme ceux d'économiesurbaines. La SEMAI! a réalisé un certain nombre de travaux importants depuis quelques années: la Rochelle et Rennes, par exemple, ont fait l'objet d'études approfondies. On en est arrivé depuis peu à une systématisation des résultats. La revue Etudes et conjonctures. vient de publier les comptes des 22 régions de programmel2.. Ainsi les géographes disposent-ils d'éléments d'appréciation qui leur manquaient jusqu'ici. En effet, les méthodes utilisées étaient si diverses qu'il était difficile de comparer les divers résultats obtenus. Parallèlement à la multiplication et à la systématisation des travaux concretslJ, on voit apparaître des analyses théoriques. Les premiers 7 Lacour (Claude), Le.f comptes économiques du département de la Dordogne, Coll. de l'Institut d'Economie régionale du Sud-ouest, Bordeaux, Bière, 1964, 256 p.; Belliard (Jean-Louis), « Les comptes de l'agriculture des Basses-Pyrénées ", Revue juridique et économique du Sud-Ouest, vol. 14,

1965, pp. 489-514;

Pyrénées",

Coustou (A.) et al.,

Rev/Ie juridique

et économique

({

La structure économique du département du Sud-Ouest,

vol. 14, 1965, pp. 459-488;

des Basses-

Balian

(Jean-

Jacques), La structure économique du dépat1ement du Lot-et-Garonne", Revue juridique et économique du Sud-Oue.tt, vol. 14, 1965, pp. 121-736; Belliard (Jean-Louis), La structure ({

({

économique

du département

des Landes",

Revue juridique

et économique

du Sud-Ouest,

vol. 14, 1965,

pp. 737-758; Lacour (Claude), Belliard (Jean-Louis), ({ Eléments de synthèse d'une comptabilité

économique de la région Aquitaine", Revue juridique et économique du Sud-Ouest, vol. 14, 1965, pp. 687-120. 8 Jouandet-Bernadat (Roland), Tableau économique du département de la Gironde. Coll. de l'Institut d'Economie régionale du Sud-Ouest, Bordeaux, Bière, 1963,432 p. Dumoulin (Roger), La structure asymétrique de l'économie algérienne. D'après une analyse de la de région de Bône, Paris, Armand Colin, 1959, XIV-375 p, 10 Wickam (Sylvain), Les comptes de village", Revue économique, vol. 5, 1954; Centre de Gestion et d'Economie rurale de la Gironde, « La commune de Douzac, étude monographique et comptable ", Revue juridique et économique dl/ Sud-Ouest, vol. Il, 1962, pp. 303-357 Il de l'agglomération, Etude S.E.M.A. Ville de la Rochelle, Rapport n° 3, Comptabilité. économique ronéotée, 1964; S.E.M.A, Le.f comptes de l'agglomération de Rennes, Metra, vol. Il, 1962, n° I et 2. 12 Soubie (PietTe), Présentation d'un cadre comptable régional », Etudes et Conjonctures, 20" année, ({

.

({

({

oct. 1%5, pp. 95-105; I.N.S.E.E, Comptes régionaux 1962», Etudes et Conjonctures. Série

comptabilité nationale n° 9, Paris, INSEE. 1966. IJ En dehors des travaux de comptabilité régionale déjà cités, on petit retenir: Sauvaigo (Paul), Tableau économique des Alpes Maritimes. Essai d'{/naly.fe sectorielle, Thèse Sciences économiques, Paris, 1959, 590 p. dactylographiées; Quiers (Suzanne), CO/llprabilité interrégionale de quelque.f produits d'origine agricole, Thèse Sciences économiques, Patis 1960, XXV, 435 p. dactylographiées; Brugnes-

Romieu (Marie-Paule),

({

Comptes intelTégionaux de la sidérurgie française », Revue de l'Economie du

(J.), Les comptes nationaux et régionaux de Centre-Est, vol. 5, 1962, pp. 12-8\ ; Capronnier-Spielhagen l'énergie, Paris, Armand Colin, 1962, 345 p. ; Introduction à une première tentative de comptabilité régionale, C.E.R.E.S., oct. 1963, pp. 18 -37; Urban (S.), La région du Ba.f-Rhin. Etude de comptabilité économique appliquée à l'industrie, Strasbourg, Thèse Sciences économiques, 1965, 2 tomes, 170 p. ronéotées; Jegouzo (G.), Problèmes de comptabilité économique régionale. Les comptes de l'agriculture bretonne. INRA, Station d'Economie rurale de Rennes, rapport ronéoté, mars 1965, 218 p. ; Causse (Lucien), Comptes agricoles de la Bourgogne 1962-\963. Essai d'évaluation ", Revue ({

de l'économie du Centre-Est. vol. 7, 1965, pp. 95-110; Institut d'Economie régionale Bourgogne ({

Franche-Comté, Les comptes économiques de la Bourgogne », Revue de l'économie du Centre-Est, vol. 8,1966, pp. 81-140. D'autres travaux SOl'lten cours ou ont été réalisés dans la région Midi-Pyrénées, dans la région RhôneAlpes, en Normandie, en Bretagne, dans la Vienne, etc. : Chambre de Commerce de Caen, Tableau

économique du département du Calvados, Caen, 1960; Dartel, ({ Le revenu disponibledans ('Eure», Etudes normandes, 196] ; Gelée (G.), Estimation du revenu disponible de la Basse-Normandie », ({

46

Paul Claval

ouvrages relatifs aux comptabilités territoriales semblaient destinés à effrayer les utilisateurs éventuels, tant ils mettaient au premier plan les problèmes techniques d'élaboration. La réflexion actuelle se situe à un niveau plus général; elle porte sur les concepts fondamentaux, sur l'utilisation possible des données relevées, sur les prévisions que l'on peut tirer de l'analyse économique. L'intérêt que les géographes portent maintenant aux problèmes de la comptabilité territoriale se manifeste par la publication de comptes rendus et d'articles. Pierre Estienne'" a récemment montré tout ce que les travaux de comptabilité menés dans le cadre des départements du Midi pouvaient nous apporter. François BeaujeutSa présenté très clairement, dans L'Information géographique, les éléments nécessaires à la compréhension de la comptabilité nationale. Il existe un arsenal nouveau de moyens d'étude des réalités spatiales. Il s'est développé en dehors de la géographie, sauf en ce qui concerne la base économique. Il ne peut manquer d'affecter les travaux des géographes. Ceux-ci manifestent un mélange de curiosité et d'inquiétude vis-à-vis de ces nouveaux outils: ils sentent qu'ils ne peuvent se désintéresser de techniques dont l'utilité est évidente, redoutent de s'être laissés distancer par d'autres et hésitent malgré tout à se lancer dans un domaine où les discussions théoriques sont infinies, où les problèmes de méthode sont innombrables et où, comme toujours en pareil cas, les spécialistes se complaisent à maintenir l'image de la confusion la plus totale.

Erude.ç normandes, 1959, pp. 265-292; Gyres (P.-J.), ComptabiliTé économique du déparTemenT de la Vienne. Thèse Sciences économiques, Poitiers, 1962, dactylographiée. Pour les études concrètes réalisées avant 1963. on trouvera des indications complémentaires dans: «

Inventaire des études économiques régionales (1959-1962) », Revue de l'Economie du CellTre-EsT,

vol. 6, 1963, pp. 33-38. On trouvera également des indications sur les analyses concrètes dans: Jouandet-Bernadat (Roland), Comptabilité économique eT e.çpaces régionaux, Coll. Techniques économiques modernes, n° ID, série 2, Paris, Gauthier-Villars, 1964, 233 p. Cet ouvrage constitue la meilleure Espace économique, n° introduction méthodologique aux problèmes de la comptabilité régionale. Pour bien comprendre celleci, il est utile de connaître les problèmes et les méthodes de la comptabilité nationale: Perroux (François), Les compTes de la NaTion, Paris, P.U.F., 1949; Prou (Charles), MéThodes de la Comptabilité l1aTionale[rançai.çe, Paris, Armand Colin, 1956; Malinvaud (M.), Initiation à la comptabiliTé nationale, Paris, P.U.F., 1957 ; 2< éd., sans nom d'auteur, sous le sigle de l'INSEE et du S.E.E.F, Paris, P.U.F., 1960, 223 p.; MarchaI (Jean), La comptabilité nationale française. Paris, Cujas, 1959,4< éd., 1966, 527 p. Cette édition contient une liste des publications du S.E.E.F., pp. 497-499, à laquelle nous renvoyons: Culmann (Henri). Le.ç comptabilités nationales, Coll. « Que Sais-je?" n° 1165, Paris, P.U.F., 1965, 128 p.; Vibert (G.), Exercices de comptabiliTé naTionale. Coll. « Statistique et Programme (Jean), Comptabilité nationaie, Economiques», n° 7, Paris, Dunod, 1965, XX-304 p.; Marczewski Précis Dalloz, Paris, Dalloz, 1965, 11-661 p. Ce dernier ouvrage retrace l'histoire des comptabilités territoriales. Il donne moins d'importance aux problèmes techniques et plus de place aux développements théoriques que ne le font la plupart des autres. Les comptabilités territoriales englobent maintenant les tableaux d'entrées et sorties (inputOlltPUt) à la manière de Leontief. On trouvera une bibliographie à jour de ces travaux, ainsi qu'un bref historique et un glossaire dans: Viet (Jean), Input-output. Essai de présentation documenTaire du s)'.çTème de W. LeonTief, Paris-La Haye, Mouton, 1966, 143 p. ,.

Estienne (P.),

«

pp. 334-338.

> Beaujeu (F.). 70-72

«

Economistes et analyse régionale",

AmUlles de Géographie, vol. LXXV, 1966,

La comptabilité nationale». informaTion Géographique, vol. 3D, 1966, pp. 18-21 et

47

Chronique de géographie économique

La définition même des comptabilités territoriales soulève des querelles. Pour Henri Culmann, par exemple, « la comptabilité nationale est une technique inspirée de la comptabilité commerciale quise propose de présenter de l'activité économique d'un pays une synthèse d'informations choisies et chiffréesl' ». Pour Jean Marczewski, «la comptabilité nationale est une branche de la science économique, branche spécialisée dans l'étude quantitative des réseaux économiques intégrésl7 ». Il n'est pas nécessaire, dans le cadre de cette chronique, de préciser, dans le détail, l'opposition entre ces deux conceptions extrêmes. Les ouvrages spécialisés, celui de Jean Marczewski en particulier, fournissent toutes les définitions nécessaires à la compréhension des analyses techniques - celles. des réseaux intégrés par exemple. Mais ce qui demande explication, c'est que l'on puisse présenter le même corps de connaissances comme une technique et comme une science. Il.Y a là une opposition, plus sensible sans doute en France que dans les pays étrangers, et qui demande à être expliquée si l'on veut comprendre des travaux actuels. I. L'HISTOIRE Une description

DES COMPTABILITES

TERRITORIALES

chiffrée

L'histoire de la comptabilité territoriale permet de comprendre la dualité des définitions qui en sont proposées et la signification des courants de pensée qu'ils représentent. Il ne fait de doute pour personne que les travaux de comptabilité territoriale sont très anciens. Jean Marczewski dresse un tableau des études les plus marquantes réalisées dans ce domainel8. Certaines remontent au XVIIC siècle. Il ne cite que des auteurs français ou anglais. S'il complétait son esquisse par les références aux auteurs italiens et allemands, il retrouverait presque la liste des ouvrages qu'Emile Levasseur recensait dans sa courte histoire de la statistiquel9.En fait, la description statistique, au sens premier du terme, et la comptabilité territoriale ne font qu'un: il s'agit de dresser un tableau des richesses et des productions d'un territoire donné,.et de l'exprimer si possible sous une forme chiffrée. Les premières analyses sont restées qualitatives; les travaux quantitatifs sont surtout caractéristiques de la fin du XVII"siècle et du XVIII"siècle: Gregory Kingzoen Angleterre, VaubanZIet plus tard 16

Culmann (Hem;), Les comptabilitb nll/ionales, op. cit., p. 20. 17 Marczewski (Jean), Comptabilité nationale, op. cit., p. 3. 18 Ibidem, pp. 7-25. Nous renvoyons, pour le détail de l'évolution

à l'abondante bibliographie de ce chapitre. 19 Levasseur (Emile), La Population française, Paris, Rousseau, 3 vol., 1889-1892. Les chapitres relatifs à la méthode et à l'histoire de la statistique ouvrent le premier vol ume. Il s'agit surtout du chapitre III. ZIILes travaux de statistique, au sens premier du terme, ou d'arithmétique politique aboutissent, dès la fin du XVII" siècle, à des synthèses: King (Gregory), Nalltral and Political Observations and Conc:/usÙms upon the State and Condition (!f" England, Londres, 1696; Piquet-Marchal (M.O.),

48

Paul Claval

Lavoisier!! peuvent à juste titre faire figure de précurseurs en ce domaine. Si les rapports entre la statistique traditionnelle et la comptabilité territoriale étaient étroits, ceux qui existaient entre cette même statistique et la géographie ne l'étaient pas moins: c'est ce qu'expliquait Emile Levasseur13,qui avait été conduit à la géographie par ses travaux de statisticien et d'économiste. On a oublié ce courant important dans l'histoire, de la géographie - on comprend mal, sans lui, le brusque épanouissement des analyses de géographie économique à la fin du XIX" siècle, alors que la géographie humaine n'avait pas encore pris tout à fait sa forme moderne. En fait, la géographie économique et la comptabilité régionale ou nationale peuvent se réclamer des mêmes origines - ce qui témoigne bien de la parenté souvent négligée des deux démarches. Les dernières années du xvrn" siècle et les premières du XIX" siècle ont vu se multiplier les recherches quantitatives en France. L'influence de Lavoisier n'est pas négligeable. Les nécessités politiques de l'époque révolutionnaire ont sans doute contribué fortement à la multiplication des travaux. Sous le Consulat et sous l'Empire, on a vu se

multiplierles tableauxde l'économiedes départements!4. A l'échellede la France, Chaptal!' a réalisé des analyses globales et les premiers dénombrements économiques cohérents. Dans le courant du XIX"siècle, l'intérêt pour les économies territoriales s'est maintenu de manière durable. Les tableaux économiques et les statistiques départementales se sont multipliés au cours de la période. Vers la fin du siècle, de Foville!., un des représentants les plus illustres de la statistique française, cherche à évaluer la fortune de la France. Le début du XX" siècle est marqué, dans notre pays, par une décadence à peu près complète de ce courant de recherches. Les raisons en sont multiples, La méfiance affichée par bon nombre d'hommes politiques et par la plupart des citoyens à l'égard de la statistique est certainement une des causes de cette éclipse. L'instabilité monétaire a gêné les recherches dans un domaine où l'on avait pris l'habitude de tout exprimer en valeur. Pour rendre les estimations comparables, il fallait désormais se livrer à un travail ingrat de réévaluation, de mise à jour, qui a sans doute découragé beaucoup de chercheurs isolés. La Seconde « Gregory King. précurseur de la comptabilité nationale », Revue économique. vol. 16. 1965. pp.212215. 11 Vauban (Sébastien le Prestre. marquis de), Projet d'ulle Dîme Royale. Palis, 1697. 11 Lavoisier (Antoine Laurent de), De la richesse territoriale du Royaume de France, Palis, 1791. Comme le fait observer Jean Marczewski. « Lavoisier a dû être particulièrement sensible au principe de la conservatioll des flux. qui est ci la base de la comptabilité ci parties doubles» (p. 13). 1.' Levasseur (Emile), La Population op. cit. Dans le chapitre déjà signalé relatif à l'origine de la statistique, Levasseur montre que les statistiques descriptives des auteurs italiens, allemands. anglais constituent déjà des travaux de géographie économique. Comme il est un des initiateurs de la géographie, et plus spécialement, de la géographie économique moderne en France, on voit que le lien historique est étroit entre les recherches de la Statistique et celles de notre discipline. z. Anstett (Maree\), « La comptabilité régionale sous le Consulat », Consommation, 1962, n° 3. pp. 111122. (Mémoire du Préfet de l'Indre en l'An XII). 15 Chaptal (Jean-Antoine). De /'indu.ftrie française. Paris, 1819. FovilIe (A. de), « La Richesse en France », Revue écollomique internationale, avril 1906.

!.

Chronique de géographie économique

49

Guerre mondiale voit les travaux de comptabilité globale reprendre une grande place dans la recherche française. L'initiative en revint dans une large mesure à L. A. Vincent17,qui durant les années de guerre conçut un système de comptabilité nationale. R. FromenP8 l'utilisa immédiatement après la guerre, pour réaliser les premières évaluations modernes. La comptabilité territoriale s'est donc développée en France en marge des travaux menés à l'étranger à la même époque. Certaines préoccupations communes aux analyses françaises et étrangères se traduisent par des orientations parallèles. Alors que les travaux menés au XVIIICet au XIXCsiècles portaient souvent sur l'évaluation des richesses, les analyses modernes portent sur les opérations effectuées par les agents économiques au cours d'une période donnée, Il s'agit d'une analyse en termes de flux, et non plus d'une analyse en termes de stocks. La mesure des flux est moins ardue que l'évaluation des fortunes. Mais la raison fondamentale de la préférence pour les flux provient de ce qu'ils constituent les catégories fondamentales de toute analyse macroéconomique. En France, le renouveau de la comptabilité territoriale n'est pas lié originellement à l'étude des problèmes de l'économie globale. Il a permis par la suite de pousser les travaux de macro-économie, mais l'intérêt premier a été de mettre au point un outil de conjoncture, une mesure du revenu et du produit territorial. Les experts français en matière de comptabilité territoriale sont beaucoup plus des comptables que des économistes. Ils se recrutent pour une bonne part dans les rangs de l'Inspection des Finances et sont rarement des universitaires. La jonction entre les recherches menées en France et les travaux réalisés à l'étranger a été faite par des hommes politiques19,qui ont très vite compris l'intérêt des nouvelles études, et par des universitaires, au premier rang desquels figurent François Perroux et Jean Marczewski3o.On comprend dès lors la dualité des points de vue que nous relevions tout à l'heure, et le brusque épanouissement des analyses de comptabilité au cours de ces deux dernières décennies. La comptabilité territoriale est demeurée une technique de la description économique jusqu'à la grande crise économique. Elle s'est depuis intégrée dans la science économique: on voit donc d'où vient le tiraillement qu'a longtemps subi la comptabilité économique française. Dans un souci de perfection technique, elle oubliait sa nouvelle finalité. Comme elle était plus parfaite, sur un plan 17

Vincent (L A.), L'organis«tÙm dollS l'ellfreprise et dans 1« N«tion, Nancy. Société industrielle de

l'E.~t. 1941 ; Vincent (L. A.), La Conjoncture, ,w:ience nouvelle, Paris. Editions de la vie industrielle, 1943. 18 Froment (René), «Richesse et revenu de la France », Le Point économique n° 5. Institut de Conjoncture, Service national des Statistiques. décembre 1945. 10 11 serait trop long de mentionner tous les hommes politiques qui œuvrèrent pour le développement d'une comptabilité nationale. Signalons cependant que René Mayer fut le premier ministre des Finances à utiliser la comptabilité nationale pour définir une politique et que Pierre Mendès-France systématisa Elus tard ces applications. ." L'Institut de Science Economique Appliquée a fait porter une grande partie de ses travaux à partir de 1945 sur les méthodes de la comptabilité nationale. Jean Marczewski fit partie de la Commission qui, de 1949 à 1953. fut chargée de promouvoir la normalisation internationale des comptes et des méthodes.

50

Paul Claval

formel, ses réalisateurs refusaient de voir le retard qu'elle gardait au plan théorique sur ses équivalents étrangers. Petit à petit, les écarts entre les deux familles de comptabilité tendent cependant à s'estomper. La comptabilité nationale française se rapproche du modèle commun, même si dans la présentation qu'on lui donne, elle garde certains traits originaux31,

La plupart des géographes ne voient dans les comptabilités territoriales d'autre utilité que celle que l'on mettait en avant dès le XVIIe siècle: en fournissant une précision chiffrée, le tableau de l'économie territoriale complète la description, lui donne une fermeté nouvelle. On compare les revenus nationaux, on établit une échelle des niveaux de vie et de consommation. En offrant une traduction commune sous forme monétaire, les comptes ont le mérite de rendre immédiatement comparables les résultats de la vie économique dans des pays de structures très dissemblables. La comptabilité régionale apparaît de même comme une description numérique. Les diverses quantités se trouvent là aussi rendues comparables. On établit des bilans de l'activité par secteur à l'intérieur d'une région, on compare les revenus des diverses catégories socio-professionnelles. Un palmarès de toutes les activités économiques est souvent dressé. Les cartes montrant, par départements, ou de plus en plus, par régions de programmes, les catégories de revenus, se multiplient en France. On a pris réellement conscience de certains aspects du déséquilibre régional de la France lorsque l'on a connu l'ampleur des écarts de rémunération des salariés. La région parisienne apparaissait comme un point de concentration démographique. On découvre qu'elle est plus encore qu'une concentration humaine, une concentration de richesse, de pouvoir et de revenus. En utilisant les travaux de comptabilité économique nationale ou régionale pour épauler sa description, le géographe se trouve tout naturellement amené à utiliser à des fins descriptives des données mises en évidence par les comptables et qui ont valeur explicative. Il est aujourd'hui fréquent de comparer d'un pays à l'autre la part du revenu national utilisée pour l'investissement. Ce faisant, on glisse vers l'analyse des processus dynamiques, on empiète sur l'explication macroéconomique. Il est fatal que l'on voit ainsi les utilisateurs glisser inconsciemment de la description à l'interprétation et à l'explication. Mais il est nécessaire qu'ils prennent conscience du changement de perspective; il n'est pas certain que les géographes français l'aient tous fait. Le cas est très net pour les mesures de la base économique. Alors que les travaux étrangers utilisent les données recueillies de telle manière que l'on puisse toujours retrouver leur signification économique, les

.'1 C'est entre 1954 et 1962 que les pratiques éCaJ1ées de l'usage international.

de la comptabilité

territoriale

française

se sont le plus

Chronique de géographie économique

51

indices utilisés par certains auteurs français effacent les données brutes et provoquent un appauvrissement économique des résultats. L'optique descriptive du géographe explique certains malentendus persistants. Dans la mesure où il désire faire un tableau fouillé de la réalité spatiale, le géographe aimerait obtenir des renseignements par toutes petites unités territoriales. Il rêve de posséder des comptes à l'échelon du canton, voire même de la commune rurale. La chose n'est pas impossible, nous l'avons dit. Mais elle ne séduit guère l'économiste: pour lui, le problème n'est pas de descendre au niveau des menus détails, mais de saisir des évolutions. Le foisonnement des unités complique sa tâche. Les calculs auxquels aboutissent ses mesures cessent d'être réalisables lorsque les comptes analysés sont trop nombreux. Il y a incompatibilité entre les besoins de celui qui décrit et les problèmes de celui qui cherche à utiliser les résultats obtenus pour asseoir une prévision. L'analyse des aspects théoriques de la comptabilité territoriale s'impose donc au géographe: elle lui permettra de comprendre quelles sont les limites imposées par le calcul à la subdivision en unités territoriales. Elle lui montrera les dangers des interprétations trop hâtives et des tentatives d'explication qui ne sont pas appuyées sur une documentation assez solide. Les mesures de base économique ont été ainsi parfois utilisées de manière trop aventureuse, comme nous le verrons par la suite, faute d'avoir bien vu les conditions générales de croissance des économies territoriales. Certains géographes français ont réalisé depuis une dizaine d'années d'importantes recherches de comptabilité territoriale. Les revenus des propriétés foncières ont été analysés dans sa thèse par M. DugrandJZ; il a évalué le montant des transferts réalisés entre exploitants et propriétaires - ou, ce qui revient au même dans la plupart des cas, entre ruraux et citadins. Les résultats obtenus demeurent difficilement interprétables, car ils sont isolés. L'évaluation du transfert réalisé au profit des propriétaires demanderait à être complétée par une mesure du revenu brut et du revenu net de l'agriculture, par une mesure des investissements ruraux. On pourrait alors voir dans quelle mesure le dynamisme de la campagne se trouve affecté par le paiement. à des citadins du loyer de la terre. Tant que de telles mesures n'existent pas, la valeur explicative de la recherche quantitative est faible. La définition que nous citions tout à l'heure, et qui est due à Jean Marczewski, le précisait bien: la comptabilité territoriale est la science des réseaux intégrés. Tant que l'effort de mesure ne porte que sur un poste, il est sans valeur explicative.

n Dugrand

(Raymond),

Villes el campl/Klles en Bl/s-WnKlledoc,

Paris, P.U.F., 1963, XII, 638 p.

52

Paul Claval

La théorie globale

Les recherches relatives aux aspects logiques et explicatifs des comptes économiques sont presque aussi anciennes que les descriptions chiffrées que nous venons d'évoquer. De l'avis unanime des spécialistes, le premier travail qui annonce la comptabilité économique moderne est celui de Quesnay. Il ne se présente pas sous la forme d'une comptabilité, au sens précis du terme. Le Tableau économique33 décrit les enchaînements qui caractérisent le cycle de production. S'inspirant sans doute des recherches sur la circulation du sang qu'il avait effectuées antérieurement, Quesnay cherche à voir comment circulent les biens et la monnaie, comment se crée la richesse et comment elle se consomme. Il met en évidence des relations quantitatives simples entre ce qui est produit, ce qui est consommé et ce qui est distribué. Il définit donc les cadres et les identités de base de toute analyse macro-économique. La comptabilité territoriale n'est en effet que la présentation sous forme de tableaux chiffrés des différentes étapes du zig-zag, comme disait Quesnay. Chaque étape est représentée par un compte et les opérations effectuées par ces comptes permettent de suivre le mouvement économique de l'ensemble. L'appareil conceptuel de base a ainsi été défini clairement dès le xvmc siècle. Les applications du tableau économique se sont pourtant fait attendre un siècle et demi. La critique de l'économie politique des mercantilistes a conduit les classiques à négliger les quantités globales34. Puisqu'il y avait coïncidence de l'intérêt particulier et de l'intérêt général, l'analyse macro-économique devenait superflue. Si la totalité des particuliers agit librement à la recherche de son intérêt, la croissance réalisée est la plus rapide possible: il est inutile de se pencher sur les problèmes des nations, puisqu'on les résout tout aussi bien en analysant les agissements des individus, Le renouveau des analyses globales est dû à la fois à la mise en place du socialisme en U.R.S,S., et à la crise qui secoua le monde capitaliste à partir de 1929.Dès la Révolution, les Soviets se heurtèrent à un problème fort délicat de planification de l'économie. Les méthodes théoriques de direction de la vie économique n'avaient jamais fait l'objet d'analyses bien sérieuses. Les difficultés furent telles que la N.E,P. fut instituée et la mise en place des structures socialistes provisoirement retardée. Durant ces années-là, un effort de réflexion considérable fut effectué. On avait renoncé au système de prix des économies capitalistes. Comment planifier l'économie? Il fallait reprendre le problème sur la base de l'analyse des transformations physiques des produits. On redécouvrit de manière indépendante le zig-zag de .\3 Quesnay 34

(François),

Le tableau éco/lomique,

Versailles.

1758.

A défaut de recherchesconcrètes. la fin du XIX" siècle est marquée par la publicationde travaux

qui fournirent aux tableaux économiques leur support théorique: Walras pure ou théorie de la richesse sociale. Lausanne. Rouge. 1874. 1877.

(Léon).

Eléme/lts

d'éco/lomie

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Quesnay. W. Leontief, un jeune économiste russe, se forma de la sorte dans les services du Goelro. Il émigra plus tard aux Etats-Unis et transposa les méthodes physiques des Russes dans le cadre d'une économie monétaire. Il jeta ainsi la base de toute la technique moderne des tableaux économiques"5, Le second courant dont est née la macro-économie moderne s'est développé au moment de la Crise. Les gouvernements sentent alors le besoin d'une information plus sûre sur la situation économique. Les théoriciens se penchent sur les problèmes de l'équilibre global. La comptabilité sociale se développe à la faveur des travaux de Keynes, de ses disciples, et des grandes analyses concrètes, comme celles de Simon Kuznets"., La guerre multiplie les applications des nouvelles techniques.n. Les tableaux économiques et la comptabilité sociale ont été conçus souvent comme deux techniques ne visant pas à décrire les mêmes réalités. Les spécialistes ont par la suite compris qu'il s'agissait de démarches complémentaires"., toutes deux nécessaires pour saisir l'ensemble des problèmes d'une économie territoriale. En Angleterre, Richard Stone, qui a contribué plus que tout autre à la mise au point des méthodes modernes et à leur application à la direction de l'économie de guerre, a montré comment s'articulent les diverses techniques comptables".. Plus récemment, il a élaboré une systématique des comptabilités territoriales"'. En France, Jacques R. Boudeville a établi une classification qui reprend dans ses grandes lignes celle proposée par Stone.' .

.'5 Leontief (Wassili),

« Quantitative input and output relations in the economic system of the United States », Review of Economies and Statistie.ç, vol. 18, Aoat 1936, pp. 105-125, Les résultats essentiels de Leontief sont acquis un peu plus tard: Leontief (W.), The Structure of American. Economy, 1919-1939. An emlJirical application (!{ equilibrium analysiJ, New-York, Oxford University Press, 1941, XVI, 264p. ... Kuznets (Simon), Nationallncome and its composition 1919-1938, National Bureau of Economic Research, 1941. Cet ouvrage résume le travail effectué dans le domaine de l'analyse du revenu national raI' le National Bureau of Economic Research, depuis 1920. .7 L'utilisation des nouvelles méthodes de la comptabilité se trouve consacrée par le Livre blanc britannique de 1941 : The Treasury, An AnalysiJ (if'the Sources of War Finance and an Estimate of the Nationallncome and Expenditure in 1938 and 1940, Londres, H.M.S.O., 1911. .'. La première combinaison de l'analyse interindustrielle et de la comptabilité sociale a été réalisée par Ie Netherlands Central Bureau of Statistics en 1953. J. J.N.R. Stone a été un des premiers comptables nationaux britanniques et son rôle a été important durant la guerre. Depuis, il a dirigé la Commission de Standardisation créée par L'O.E.C.E.et que nous avons déjà signalée. 4" Stone (Richard), « La comptabilité sociale à l'échelon régional: une vue d'ensemble », pp. 273-308 de : Isard (Walter). Cumberland (John H.) (eds.), Planificatioll économique régionale, Paris, O.C.D.E., 1961,467 p. 4' La présentation d'ensemble des différents types de comptes des économies territoriales, tableau interindustriel, comptabilité sociale, regroupés dans la comptabilité développée, est remarquablement claire dans: Boudeville (Jacques R.), Les programmes économiques. Collection « Que Sais-je? », n° 1073, Paris, P.U,F., 1963, 128 p.

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II. LES COMPTABILITES

NATIONALES

Lorsque l'on analyse le circuit économique, il est bon de partir de l'étude du processus de production4Z.Les agriculteurs et les industriels achètent des matières premières et les transforment en consommant de l'énergie, en utilisant des machines, de la main-d'œuvre, en provoquant des transports. Dans chaque entreprise, on peut mettre ainsi en évidence une série d'entrées (ou inputs) correspondant aux différentes dépenses qui ont été nécessitées par la production. De la même façon, la production représente ce qui sort de l'entreprise: elle figure sous forme de sorties, ou pour parler comme le font les auteurs anglo-saxons, d'outputs. On peut donc retracer la première partie du circuit économique, le zig-zag de la production, grâce à un tableau économique. Celui-ci se présente sous forme d'une table à double entrée dans lequel on fait figurer les divers secteurs qui interviennent dans la production: agriculture, industrie, commerce, transports, administration, ménages, par exemple, si l'on réduit au minimum les catégories. Les secteurs figurent deux fois, en lignes et en colonnes. Sur les colonnes, on inscrit conventionnellement les entrées, tout ce que l'on a dû acheter aux autres secteurs pour réaliser la production. Sur les lignes, on inscrit les sorties et on montre comment la production s'est trouvée affectée entre ces mêmes secteurs. La somme des termes qui figurent en lignes est égale à la somme de ceux qui figurent en colonnes, puisqu'il s'agit dans les deux cas de la même production. Le tableau économique ainsi réalisé est souvent appelé tableau d'input-output, ou tableau carré. Son utilité est très grande. Il permet de savoir avec exactitude ce qui est nécessaire pour obtenir une augmentation donnée de la production d'une catégorie spéciale de biens. Ce faisant, on met en évidence les coefficients de production qui indiquent les diverses entrées nécessaires pour produire une unité de telle ou telle matière première ou de tel ou tel produit fabriqué. Si les coefficients techniques de production sont stables, ce qui est sans doute le cas pour la courte période, il est possible de prévoir les modifications du système de production engendrées par une modification de la demande globale. On comprend aisément que les divers effets se combinent entre eux, que l'augmentation initiale de la demande sur une colonne se traduit par une modification générale de toutes les lignes et de toutes les colonnes. Le problème pratique de calcul posé par l'utilisation du modèle théorique est des plus ardus. On sait le résoudre, mais les techniques sont lentes. Malgré les progrès dus à l'emploi de calculatrices électroniques, les possibilités de subdivisions par secteurs ne sont pas infinies. Les comptes américains élaborés par Leontief sont les plus détaillés du monde. Mais dans la plupart des applications 42 Dans ce paragraphe. cit., el pp. 363-400.

nous prenons

pour guide:

Marczewski

(Jean),

ÙJ Comptabilité

nationale,

op.

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pratiques, même lui est obligé de renoncer à la multiplicité initiale des secteurs, à les regrouper en grandes branches, pour ne pas allonger indéfiniment les calculs. Le tableau économique retrace donc le circuit de production. La production a par ailleurs donné naissance à des revenus, dont le total est égal, par définition, au produit global. Ces revenus se trouvent dépensés et affectés soit à la consommation, soit à l'épargne. Celle-ci est à son tour utilisée à financer l'investissement. Lorsque l'on analyse après coup la marche de l'économie d'un territoire, lorsque l'on se place ex post, pour employer le terme des économistes, on peut donc écrire un certain nombre d'identités qui donnent à la comptabilité sa cohésion, permettent de multiplier les recoupements qui facilitent son élaboration et traduisent les liaisons mêmes du circuit économique: ce qui a été produit au cours d'une période donnée se trouve nécessairement égal à ce qui a été gagné ou encore à ce qui a été dépensé ou épargné, ou encore, à ce qui a été consommé directement ou investi pour accroître les stocks qui existaient en début de période. La partie de la comptabilité qui permet de retracer ces opérations est dite comptabilité sociale. C'est elle qui a le plus de signification pour ceux qui s'attachent à l'analyse des faits d'évolution. Parmi les quantités mises en évidence, en effet, l'épargne et l'investissement font figure de variables stratégiques. De leur valeur dépend l'avenir de l'économie, le taux de son expansion. De leurs déséquilibres naissent les accidents de croissance qui s'appellent sousemploi ou sur-emploi, déflation ou inflation4J.TIest donc. normal que ce soit l'élaboration des comptabilités sociales qui ait d'abord attiré l'attention des économistes. Comptabilité sociale et tableau économique se complètent. On tend de plus en plus à les intégrer l'une à l'autre dans un ensemble que l'on désigne sous le nom de comptabilité développée. Lui seul permet de saisir à la fois les données relatives au circuit de la production et celles relatives à la distribution et à l'utilisation des richesses créées: la comptabilité sociale met en évidence les mécanismes de la croissance de l'économie; le tableau économique permet de voir dans quels secteurs la modification de la demande finale nécessite des augmentations de production; la comptabilité développée rend sensibles les liaisons entre les variations escomptées du produit et les besoins en capitaux de l'industrie. Elle permet donc de serrer de plus près le problème des évolutions et de passer d'une analyse globale à une analyse sectorielle. L'inflation et les déséquilibres de croissance naissent parfois de désadaptations sectorielles, de goulots d'étranglement, pour employer l'expression consacrée. La comptabilité développée constitue donc l'instrument royal de la prévision économique de croissance. H

Pour un exposé simple des grands thèmes à: Kurihara (Kenneth K.), Nationallncome 1961, 176 p.

de l'économie a/Id Economic

globale

keynésienne,

Growth. Londres,

on pourra George Allen

se reporte~ and Unwin;

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La valeur explicative des systèmes de comptes que nous avons essayé de schématiser repose sur un certain nombre de postulats. La stabilité des coefficients techniques rend difficile la prévision des évolutions à long terme. Les travaux menés actuellement par Leontief" ont mis en évidence les profondes transformations subies par l'économie américaine en moins de quinze ans et incitent à la prudence. La prévision de croissance tirée de l'analyse de l'épargne et de l'investissement n'est parfaite qu'en économie close, en situation d'autarcie économique. Lorsqu'existent des transactions avec l'extérieur, les conditions se modifient. On peut facilement reporter sur les différents tableaux les transactions avec le reste du monde. Rien n'est changé à la comptabilité. Mais la nation se trouve souvent désarmée et sans moyen de contrôle vis-à-vis des initiatives venues de l'étranger. Les variables extérieures sont indépendantes. Les techniques du calcul global permettent de mesurer leur effet sur l'économie nationale. La variation initiale autonome de l'exportation se traduit, dans l'économie nationale par des effets en chaîne que l'on décrit en faisant appel au multiplicateur du commerce extérieur's. On peut donc évaluer numériquement les fluctuations provenant de l'extérieur. On peut les prévoir si on connaît la valeur des variations autonomes de l'exportation. Mais il est clair que de telles prévisions ne sont pas normalement possibles. Ainsi, les possibilités d'évolution autonome du système de l'économie territoriale ne sont pas infinies. Les économies territoriales ne sont jamais complètement closes, elles sont couplées à d'autres économies et les réactions des divers systèmes se trouvent liées. La valeur pratique des analyses de comptabilité territoriale varie donc largement en fonction de la dépendance vis-à-vis de l'extérieur. Lorsque cette dépendance est faible, le système réagit d'une manière à peu près autonome et son évolution est prévisible. Lorsque la dépendance est forte, la connaissance des particularités du système exprimées par la comptabilité sociale et par les mesures économétriques qui lui sont liées est utile à la compréhension du futur, mais elle ne permet pas de le prévoir d'une manière rigoureuse. Les systèmes de comptabilité territoriale ont été élaborés pour des économies développées, dont la cohésion interne est très forte. Ils ont vu leurs applications se multiplier durant la Seconde Guerre mondiale, c'est-à-dire dans des circonstances exceptionnelles. Les relations économiques avec l'extérieur se trouvaient alors complètement contrôlées par les autorités nationales, si bien que l'outil se trouvait être dans les meilleures conditions pour fournir de bonnes prévisions. Dans le monde.actuel, son efficacité est moins évidente. Cependant, mêmes les 44

Leontief (Wassili), Input-Output Economics, New-York, Oxford University Press, 1966; Carter

(Anne-M.), « The economics of technological change », Scientific American. vol. 214, 1966, n° 4, Avril, pp. 25-31. 45 Sur la mécanique de multiplicateur. LI Kenneth K. Kurihara, Nationa/lncome op. cit.. pp. 103114.

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économies nationales les plus ouvertes demeurent relativement indépendantes de l'extérieur: les transactions internationales des petits pays à tradition libérale de l'Europe du Nord-Ouest n'excèdent pas un tiers du total, comme le rappelle Jacques R. Boudeville46. Dans les conditions que nous venons de rappeler, les comptabilités nationales offrent bien mieux qu'une simple description de la vie économique, elles éclairent l'évolution de l'ensemble d'un territoire, expliquent sa croissance. Elles. constituent un instrument privilégié d'investigation et de prospective. Elles justifient de ce fait les dépenses très lourdes que leur mise en œuvre suppose. Elles permettent, selon les cas, de prévoir les conséquences des initiatives des résidents, ou de savoir quelle marge de liberté et de manœuvre leur restera dans un système largement intégré au monde extérieur. Au fur et à mesure que cette intégration croît, la liberté laissée au territoire décroît et l'efficacité de la comptabilité territoriale se trouve remise en question. III. LES COMPTABILITES

REGIONALES

Ces difficultés expliquent les hésitations que l'on trouve lorsque l'on passe des analyses d'économies nationales aux analyses d'économie régionalesn Comment définir les ensembles que l'on va analyser? Il n'y a plus de limites nettes, plus de lignes frontières admises par tous, plus de cordons douaniers limitant les relations avec l'extérieur - et les mesurant. Les difficultés matérielles de réalisation des comptabilités se trouvent donc multipliées à l'infini. Les solutions adoptées par un grand nombre de spécialistes sont modelées par ces nécessités pratiques. Dans des comptes comme ceux de l'Hérault, dont on doit la mise en œuvre à M. Ousset.., on a délibérément renoncé à évaluer les mouvements 4. Boudeville

47

(Jacques

R.), Les programmes

économiques,

op. cit.. cf p. 73.

Il existe toute une série d'articles qui se proposent de définir les problèmeset les caractères de la

comptabilité régionale: Institut d'économie régionale du Sud-Ouest. , Rapport sur l'état d'avancement de.v travaux économiques pour la région du Sud-Ouest, Bordeaux, 1955, 14 p., ronéotées; Commissariat général au Plan, Les différentes étapes des recherche.v dans le domaine de l'élaboration d'une comptabilité économique régionale depuis 1955, Paris, s.d., 25 p. ronéotées; Maillet (Pierre), « De la comptabilité nationale aux comptabilités régionales », Revue juridique et économique du Sud-Ouest, vol. 7. 1958, pp. 3-18 ; Merigot (J.), « Sur la voie de recherches nouvelles: les comptabilités régionales, leur nécessité », Revue de Science et Législation financières, 1959, n° l, pp. 60-76; Bauchet (Pierre), « La comptabilité économique régionale et son usage », Economie aplJliquée, vol. 14, 1961, pp. 51-83 ; Tavitian, Note sur l'établissemem d'IIII rableau économique, Caen, Centre d'Etudes régionales de l'Université, 1961, rapport ronéoté; Boca (A.), « Comptabilité régionale ", Revue économique, vol. 14, 1963. pp. 133-144; Lajugie (1.), « L'expérience bordelaise de comptabilité économique régionale », (Roland), « Les comptabilités Cahiers de l'I.S.E.A., série L, n° Il, 1963; Jouandet-Bernadat économiques régionales », Revue d'Economie politique, vol. 74, 1964, pp. 136-168; Lang (J,), Les buts de la comptabilité régionale. Caen, Bureau d'Etudes régionales de l'Université, 1965, 18 p. ronéotées. La mise au point la plus complète demeure celle de l'ouvrage déjà cité de Roland Jouandet'Bernadat, Comptabilité écÔno/llique et espaces régionaux. La comptabilité sociale régionale n'a pris forme qu'assez tard. Le premier exposé d'ensemble des problèmes que soulève son élaboration se trouve dans: Leven (Charles L.), « A theory of regional social accountings », Papers and Proceeding.v of the Regional Science Association, vol. 4, 1958, 221-238. . . Ousset (J.), Les comptes du departement cf. note 6.

Pt

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d'exportation et d'importation de la région étudiée. Il est relativement facile de calculer le produit territorial, grâce aux statistiques de production physique. Il est également assez aisé de se faire une idée des revenus disponibles, grâce aux statistiques fiscales. On peut enfin estimer, quoique assez approximativement, ce qui est dépensé sur place - produits de consommation ou biens d'investissements. Mais, à la différence de ce qui se passe dans une économie fermée, les trois quantités évaluées ne coïncident pas. Les recoupements deviennent difficiles: ils sont possibles pour certaines quantités élémentaires, ils ne le sont plus pour les quantités globales. Du même coup, des grandeurs comme l'épargne et comme l'investissement régional ne sont connues qu'avec une grande marge d'approximation. En renonçant à saisir les relations avec l'extérieur, le modèle de comptabilité adopté, et qui est calqué de manière étroite sur celui des comptes de la nation, perd la plus grande partie de sa puissance d'explication. Les comptes obtenus décrivent, mais ne permettent plus de saisir les mouvements autonomes, non plus que certaines des liaisons avec le monde extérieur. Aussi, malgré les difficultés, les auteurs essaient de combler systématiquement les lacunes de l'information. Il leur est alors possible de mettre en évidence les identités liées au fonctionnement même du système économique. En France, par exemple, les recherches effectuées depuis une quinzaine d'années ont permis d'élaborer et des tableaux économiques, et des comptes sociaux. On tend de plus en plus à mettre en place des systèmes de comptes développés. Le premier jalon, dans ces recherches, est constitué par le Tableau économique lorrain, construit par M. Pierre Bauchet en 19524..La difficulté essentielle tenait à ce que l'on ne savait généralement pas si on devait affecter les entrées et les sorties à la région ou au monde extérieur; l'analyse de la production est cependant plus facile que celle de la distribution des revenus et de la dépense et cela explique sans doute qu'il ait fallu près de dix ans pour aboutir à une comptabilité intégrée à l'échelle de la régionsD.Le modèle en a été fourni .. La comptabilité régionale a d'abord pris la forme de la construction de tableaux intenndustnels. L'idée a été formulée par Walter Isard: Isard (Walter), « Interregional and regional input-output Analysis: Model of a space economy», Review of Economics and Statistic.~, vol. 33, Nov. 1951, pp. 318-328. On trouvera un exposé d'ensemble des méthodes employées et des résultats obtenus aux Etats-Unis dans: Chenery (H.B.) et Clark (P.G.), Interilldu.rtry Economic.r, New-York, John Wiley, 1959; Isard (Walter), MetllOds of Regiollal Science. An Introduction to Regional Sciellce, New York, The Technology Press of M.I.T. et John Wiley, 1960, XXX-784 p., cf pp. 309-374. En France, les possibilités d'utiliser les méthodes de la comptabilité de Leontief ont été perçues dès le

début des années 1950: Boudeville (Jacques R.),

«

Wassily Leontief et l'étude dynamique du circuit

économique », Revue économique, vol. 6, 1953, pp. 819-846. Nous avons déjà signalé J'étude de M. Pierre Bauchet (cf supra, note 3). Sur les problèmes de réalisation: Cao-Pinna (Vera), « Problèmes posés par l'établissement et l'utilisation d'une comptabilité régionale d'entrée et de sortie », p. 317-352 de Isard (Walter), Cumberland (John H.) (eds), Plclllificaticlll Economique op. cit. 511La synthèse des divers courants de recherche est effectuée par J.N.R. Stone (Cf .mpra, note 40) et par Jacques R. Boudeville (cf supra, note 41). Sur les méthodes et les problèmes actuels de l'élaboration des comptes régionaux, on pourra consulter. outre l'ouvrage de Roland Jouandet-Bernadat, Comptabilité économique et espaces régionaux, 0/'. cit.. cf supra, note 13: Hochwald (Werner) (ed.), Design of Regiolla/ Accmtnts. Baltimore, The John Hopkins Press, 1961, 281 p.; Hirsch (Werner Z.) (ed.),

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par les comptes de la Gironde, élaborés par Roland Jouandet-Bernadat. Leur utilisation se trouve aujourd'hui élargie, puisque les méthodes mises au point pour la Gironde sont transposées à l'ensemble économique de la région de programme Aquitaine. Arrivés à ce point, les comptes régionaux ne présentent plus de différence appréciable dans leur structure avec ceux que l'on dresse pour les nations. Ont-ils la même utilité, peuvent-ils de la même manière servir de base à l'élaboration d'une programmation économique? Non, et pour plusieurs raisons, dont certaines tiennent à la nature même des espaces analysés. Au fur et à mesure que les relations avec l'extérieur deviennent plus importantes, l'accent mis sur les effets transmis des centres de décision extérieurs doit être plus fort. Jacques R. Boudeville, par exemple, montre que l'ouverture de l'économie d'une unité régionale comparable, par sa taille, à la Suisse ou au Danemark, est au moins double - les deux tiers des transactions se dénouent avec l'extérieur, au lieu d'un tiers, dans le cas de la nations,. Le degré d'ouverture ne croît pas de manière régulière avec la diminution de la taille. des unités retenues, mais le sens de la variation ne fait aucun doute. La structure retenue pour l'établissement des comptes nationaux n'est peut-être pas la plus adaptée aux conditions spéciales de l'économie régionale. Les relations avec l'extérieur demandent à être étudiées avec un soin tout particulier. Elles se trouvent en fait mal analysées dans les comptes habituels. Il y est impossible de faire le départ entre les influences des divers centres extérieurs et de mettre en évidence les relations décisives. Des efforts nombreux ont été effectués pour mieux répondre aux besoins de l'économie régionale, pour mieux cerner ses problèmes. Un des essais les plus remarqués a été celui de Charles L. Leven. Pour dresser une comptabilité de la région d'Elgin-Dundees2,aux Etats-Unis, il a rompu avec les habitudes prises dans les études nationales. Il s'agit d'un ensemble territorial de toute petite dimension, si bien que le problème de ses rapports avec l'extérieur est essentiel. Au lieu de bâtir le tableau comptable à partir de l'évaluation des comptes de production, de distribution, de dépense, Leven a tout ramené à l'analyse du compte des relations avec l'extérieur. Il lui a été ainsi possible de remédier à certaines des faiblesses que l'on note généralement en pareil domaine. Il a dû mettre en évidence le solde de la balance des paiements courants, les investissements faits par les habitants de la région à l'extérieur et les investissements faits par l'extérieur dans la région. De telles estimations sont nécessaires, dans la mesure où l'investissement se trouve de plus en Elements (!{ Regional ACCOUIIf.f, Baltimore, The John Hopkins Press, 1964, XVIII- 221 p. Dans cet ouvrage, on retiendra particulièrement: Peri off (Harvey S.), Leven (Charles L.), « Towards an integrated system of regional accounts: stocks, flows and the public sector », pp. 175-214. s. Boudeville (Jacques R.), Les IJrogrammes économiques, op. cit., cI p. 73. 52 Leven (Charles L.), TheO/y and methods of illcome alld product accouII/s for metropolitan areas, including the Elgin-Dundee Area as a Cllse sWd)', Ames (Iowa), Iowa State College, 1958, miméographié. 2" éd., Pittsburgh 1963.

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plus indépendant, géographiquement, de l'épargne qui le nourrit directement on indirectement. La méthode de Leven est donc mieux adaptée aux économies régionales que la plupart de celles qui ont été proposées à ce jour. Elle a le grave défaut de demander une richesse de données sur le commerce de la région avec l'extérieur et sur les flux monétaires qu'il est difficile de trouver partout. Aux Etats-Unis même, le modèle est demeuré relativement peu utilisé, à cause des difficultés matérielles rencontrées dans la construction des comptes. On voit à cet exemple combien l'écart qui sépare les données statistiques utilisables de celles qui seraient nécessaires pour la compréhension des problèmes est plus grave pour la région qu'il ne l'est pour la nation. Le poids des recherches concrètes nécessitées par les comptabilités conduites à la manière de Leven est tel que l'on manque de données comparatives. On a essayé de faciliter les analyses en menant de front l'étude de plusieurs unités économiques et de leurs rapports. On utilise les méthodes de la comptabilité économique développée, mais au lieu de se contenter de grouper dans un seul poste toutes les relations avec l'extérieur, on essaie de spécifier les relations qui se nouent avec chacune des régions et pour chacun des secteurs5J.Supposons que l'on distingue ainsi dans un pays trois régions, A,B,C. On va dresser pour la première un tableau développé, avec une partie consacrée à l'analyse des entrées et des sorties dans le circuit de production. On va noter les entrées réalisées dans le premier secteur (l'agriculture par exemple) à partir des autres secteurs (l'industrie, les services) de la région dans un tableau classique. Mais les entrées qui proviennent de la région B vont être portées sur la même colonne, dans un second tableau, qui correspondra aux relations entretenues par A avec B. De la même façon, on dressera un tableau des relations avec A de c. A la fin, on aura retracé toutes les opérations et toutes les liaisons, c'est-à-dire que l'on aura rempli 9 tableaux, dont 3 représenteront les relations internes aux régions, et 6, les rapports qu'elles nourrissent entre elles. On peut théoriquement procéder de la sorte à une division de l'espace aussi fine qu'on le désire et remplir toutes les cases donnant les affectations des entrées et des sorties. Il apparaît pourtant que le travail devient très vite écrasant. Nous avons dit combien les méthodes qui conduisent à l'élaboration des tableaux carrés étaient lourdes. La construction d'un tableau de relations interrégionales accroît encore la difficulté: pour trois régions, il y a 9 tableaux, pour quatre, 16,pour cinq, 25. On arrive très vite au delà de ce que les machines les plus perfectionnées peuvent absorber dans des conditions économiques. En fait, les travaux réalisés jusqu'à ce jourS4ont eu surtout pour but de .J Ce sont les mêmes auteurs, dans les mêmes études, qui ont proposé d'appliquer les techniques de J'analyse d'entrées et de s0l1ies aux problèmes de la région et à ceux des relations interrégionales: cf. supra, note 49. .4 En France, les travaux de comptabilité input-output interrégionale demeurent limités à des analyses sectorielles: cf .mpra, note 13. Aux Etats-Unis, des applications plus nombreuses en ont été faites.

Moses (L.),

«

The stability of interregional trading patterns and input-output analysis».

Amer;cllll

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61

mettre en évidence les relations qui existent entre deux grands ensembles territoriaux, trois exceptionnellement. Cheneryss a par exemple étudié les liaisons entre le Nord et le Sud de l'Italie. Il a pu suivre de la sorte les effets de la politique d'industrialisation et d'investissements massifs réalisée dans le Mezzogiorno. Il a montré que les emplois créés par les initiatives officielles étaient en définitive plus nombreux dans le Nord qu'ils ne l'étaient dans le Sud peu industrialisé encore et qui dépend du Nord pour la fourniture des biens d'équipement nécessaires. Même réduite à l'analyse des rapports entre deux régions, la technique de l'analyse des relations interrégionales se révèle de la sorte efficace. Elle comporte pourtant des limitations théoriques, qui expliquent, au moins autant que sa lourdeur statistique, qu'elle ne se soit pas généralisée autant que l'on aurait pu le croire. L'intérêt essentiel des travaux de recherche interrégionale est de mettre en évidence les liaisons qui existent entre les diverses régions au niveau de la production, telles quelles apparaissent dans les tableaux de Leontief. Les coefficients que permet de calculer le tableau carré expriment, dans le cadre de la nation, les interdépendances techniques. Les tableaux interrégionaux montrent à la fois les relations techniques et les rapports géographiques: ils précisent ce qui, pour une entrée donnée, est fourni par les diverses régions. On suppose alors que les coefficients géographiques et techniques obtenus sont stabless, : à cette condition, et à cette condition seulement, le modèle permet de faire des projections dans le futur. En réalité, le coefficient interrégional est beaucoup plus instable que le coefficient interindustriel : il varie en effet à la fois avec les progrès de la technique et avec les modifications des courants commerciaux. Les courants qui naissent d'une augmentation de la demande dans une région donnée ne sont pas les mêmes selon que l'on se trouve dans une situation de plein emploi ou dans une situation de sous-emploi. Dans le premier cas, il est nécessaire de créer de nouvelles capacités de production, qui vont s'implanter dans les lieux où les profits, mesurés à l'échelle du moment, seront les plus élevés. Dans le second cas, on se contente de remettre en service des capacités de production tenues en réserve, on utilise des unités marginales, peu rentables, et qui se trouvent situées très souvent dans des zones qui n'attireraient pas les fabrications nouvelles. Dans de telles conditions, postuler la stabilité des coefficients interrégionaux constitue une Economic Review. vol. 45, 1955, pp. 803-832; Isard (Walter), Schooler (Eugene W.), Vietorisz (Thomas), IndusTrial Complex Anldysis and Re/?ional DevelopmenT, New-York, The Technology Press of M.LT. et John Wiley, 1959,336 p. 55

Chenery

(Hollis

B.),

«

Regional

analysis », in Chenery

(Hol/lis B.), Clark (P.G.), Cao-Pinna

(Vera)

(eds.), The STrucTureand lil"OWTh of The lralian Eco/lomy, Rome, U.S. Mutual Security Agency, 1953; Chenery (Hollis B.), « Le interdipendenze strutturali fra la Italia dei Nord e quella dei Sud », L'lndusfria, RivisTa di ECOllOmia PoliTica, 1953, pp. 3-16. 56 On trouvera un exposé critique des modèles de relations interrégionales d'input-output de Walter Isard (;I: note 49) et de Leon Moses (cf note 54) dans: Stone (J.N. Richard), La compTabiliTé sociale..., op. ciT. e;l: pp. 298-303 ; Jouandet-Bernadat (Roland), ComprabiliTé éCll/lolllique op. ciT.. cf pp. 204206.

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démarche dangereuse, parfois inadmissible. L'utilisation prospective des tableaux de relations interrégionales suppose au préalable une étude de la structure des courants de trafic et de leur stabilité. D'après ce que l'on sait de beaucoup d'industries modernes, ces courants sont susceptibles de se modifier rapidement. Les industries lourdes sont assujetties à certains itinéraires, à certains fournisseurs, mais les fabrications légères peuvent s'adresser à des fournisseurs de demi-produits extrêmement divers sans que la structure de leurs prix de revient s'en trouve affectée de manière importante. Ainsi, l'espoir qu'avait fait naître la mise au point des techniques d'analyse interrégionale se trouve un peu déçu. On se heurte toujours à la même difficulté: les méthodes de comptabilité utilisées généralement se trouvent incapables de cerner certains traits caractéristiques des économies régionales. Les ensembles territoriaux analysés par les utilisateurs des modèles français aussi bien que par les utilisateurs des modèles d'Isard, ne sont pas des régions au sens plein du terme, ce sont des ensembles territoriaux, plus ou moins homogènes, mais qui ne possèdent pas de personnalité et de spécificité bien marquées. On comprend donc que les travaux les plus prometteurs, dans le domaine de la comptabilité régionale soient ceux qui essaient de cerner de près la réalité et les caractères propres de l'espace étudié. Il s'agit souvent de techniques plus frustes que celles qui sont inspirées des exemples de la comptabilité nationale, mais leur efficacité n'est pas douteuse. IV. LA THEORIE

DE LA BASE ECONOMIQUE

La théorie de la base économique est née, entre les deux guerres, mondiales, des analyses empiriques multipliées par les spécialistes américains des questions urbaines. On attribue généralement à Homer Hoyt la paternité de la méthodeS7,Les analyses de base économique ont été prodigieusement nombreuses. Longtemps, le procédé est demeuré purement empirique. Il permettait de mesurer l'importance des secteurs dont dépendait le développement de la ville analysée. La théorie de la base économique ne s'est élaborée que très progressivementsH.Elle se S7 La notion de base économique est tirée du Regiollal Survey of New-York alld its ellvirolls, ouvrage en plusieurs volumes du "Committee on Regional Plan of New-York and its environs". Le rôle de Homer Hoyt a été par la suite décisif: Weimer (Arthur), Hoyt (Homer). Prillciples of Urball Real Estate. NewYork. Ronald Press, 1939; Hoyt (Homer), «Homer Hoyt on development of econoinic base concept ", Land Ecollomics, vol. 30, 1954, pp. 182-186. Sur l'histoire et le développement de la théorie: Andrews (Richard B.), « Mechanics of the urban base: historical development of the base concept", Lalld Ecollomic,~, vol. 29, 1953. pp. 161-167. SHLa théorie de la base économique ne prend corps qu'avec la série des articles que Richard B. Andrews a publiés sur ce thème dans Lalld Ecollomics de 1953 à 1956. Nous avons cité le premier à la note précédente. On consultera également: Andrews (Richard B.). « Mechanics of the rrban economic base. Cause and effects of change in the base ratios and the ratio elements Land Ecollomic.f, vol. 31.

".

1955. I. pp. 144-165; Il, pp. 245-256; III, pp. 360-372; Andrews (Richard B.). «Mechanics urban economic

base. The base concept

and the planning

process

». Land

Ecollomie.f,

of the

vol. 32. 1956,

Chronique de géographie

économique

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présente à la fois conune une méthode simplifiée de comptabilité économique et conune un. modèle de multiplicateur économique. Sous l'aspect de cadre comptable, le modèle de la base économique a l'avantage d'être d'une très grande simplicité et de ne pas se heurter à des problèmes complexes d'évaluation et d'attribution. Il s'agit de savoir si les personnes actives d'une agglomération travaillent pour la satisfaction des besoins de l'agglomération (leur activité est dite domestique) ou si elles travaillent pour la vente à l'extérieur (elle est alors de base). Le tri est délicat, car les entreprises travaillent tantôt pour l'extérieur, tantôt pour la ville. Mais il est possible d'établir des comptabilités de base économique à partir d'enquêtes concrètes sans que le travail que cela demande soit démesurés,. Pour beaucoup de recherches, on se contente de méthodes indirectes, plus grossières, mais qui se sont révélées efficaces pour les comparaisons. L'une d'elles consiste à relever, dans une liste de villes, celle où la population active dans un secteur donné est la plus faible: on admet que ce pourcentage correspond au minimum de personnes nécessaires pour la satisfaction des besoins de la ville'.. Il est alors possible d'évaluer rapidement, par simple différence, les pourcentages de population active consacrés aux activités de base. Il est possible de calculer la base économique de la cité en termes monétaires, tout conune l'on peut mesurer son activité domestique en totalisant les revenus de tous ceux qui sont employés dans l'un ou l'autre de ces secteurs. En fait, on préfère utiliser les statistiques de l'emploi: c'est ce qui explique que l'on ne range pas toujours les mesures des bases économiques parmi les techniques de la comptabilité régionale. En fait, le passage des statistiques de revenus aux statistiques d'emploi n'altère pas la généralité des résultats obtenus: il existe des rapports de proportionnalité entre les effectifs employés et les revenus engendrés. La base économique permet de mesurer directement les rapports noués avec l'extérieur: elle convient particulièrement à la compréhension de situations caractérisées par une ouverture très large de l'économie, pp. 69-84. On peut également citer un cenain nombre d'anicles contemporains dans lesquels la théorie est progressivement clarifiée: Alexander (John W.). «The basic non-basic concept of rrban economic functions », Economic Geography, vol. 30, 1954, pp. 246-261 ; Mattila (John H.), Thompson (Wilbur). «

The measurement of the economic vase of the metropolitan areas », Land Economic.f, vol. 31. 1955,

pp. 215-228 ; Alexandersson (Gunnar), The Industrial Structure (!f' AmerÎCll/1 Cities, Lincoln, University of Nebraska Press, 1956, cf pp. 14-20. Un cel1ain nombre des anicles les plus imponants ont été repris dans: Pfouts (Ralph (W.) (ed. by), The TeL'hnks (!f Urban Economic Analysi.f, West Trenton, Chandler Davis,1960, 410 p. 5. Pour procéder à des évaluations directes de la base économique, Charles Leven recommande de se référer aux valeurs ajoutées: Leven (Charles L.), «Measuring the economic base », Papers and Proceedings (!f the Regional Science A.f.wciation, vol. Il, 1956, pp. 250-258. ,.. L'idée du minimum requis est exprimée pour la première fois en Amérique par Edward L. Ullman en 1953. Elle aurait été auparavant formulée de manière indépendante aux Pays-Bas - ce qui montre que la théorie de la base économique était employée sans avoir reçu dans ce pays la consécration d'une mise en forme: Klaasen (L. H.). Van Dongen-Torman (D.H.), Koyck (L.M.), HoodflUnen van de sociaal economÎ.fche aufwikkelung der Gemente Ame/foot VOl! 1900-1940, Leyde, 1949; Morrissett (Irving), « The economic structure of American cities », Papers and Proceedings of the Regional Science A.f.wciation,. vol. IV, 1958, pp. 239-256; Ullman (Edward L.), Dacey (Michael F.), « The minimum requirement. approach to the urban economic base », Paper.f and Proceeding.f of the Regional Science Association, vol. 6, 1960, pp. 175-194. Gunnar Alexandersson utilise la même technique (note 58).

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comme c'est le cas dans beaucoup de villes. Elle a servi de base à une théorie du multiplicateur de croissance6'. Pour la plupart des théoriciens de la base économique, la santé économique d'une agglomération dépend de l'importance de sa base économique et la croissance est liée à l'élargissement de la base économique. Comme on le trouve souvent exprimé dans les textes anglo-saxons, les citadins ne gagnent pas leur vie en lavant mutuellement leur linge sale. La croissance du revenu urbain est provoquée par le développement des activités de base - un celtain nombre de personnes se trouvant alors requises pour le service des travailleurs qui vendent leur produit à l'extérieur. Le rapport entre les activités domestiques et les activités de base constitue un multiplicateur d'emploi, qui permet de prévoir l'effet sur l'ensemble de l'agglomération du développement autonome d'une branche de l'activité de base. Les analyses bâties sur ce principe sont précieuses. Elles permettent de mettre en évidence les forces de croissance et de dégager leurs effets. Les recherches de Claude Ponsard et de Lucienne Cahen sont venues apporter des améliorations importantes aux modèles primitifs6z. En distinguant, parmi les activités de base, celles qui sont destinées à assurer des services régionaux et celles qui correspondent à des fonctions nationales, on peut mieux comprendre l'évolution des centres urbains. En isolant, parmi les activités domestiques, la construction des autres secteurs, on peut également affiner l'analyse6J. En France, le développement spectaculaire de la construction après 1955 a provoqué, dans un certain nombre de villes, un gonflement de l'emploi; l'analyse précise montre que cette croissance n'est pas toujours liée à un élargissement de la base économique: on conçoit l'intérêt d'une telle analyse pour prévoir une politique d'implantation et éviter les perturbations locales trop violentes. La théorie de la base économique n'est pas sans faiblesses. Dans certains cas, l'effet de multiplication se trouve systématiquement sousévalué. On ne compte évidemment que les réactions provoquées, sur le secteur domestique, par le changement des activités du secteur de base. En réalité, lorsque l'on a affaire à des fabrications complexes, dans une 'd La notion de base économique a été dégagée villes américaines; elle est dès "origine destinée

dans le but de prévoir les besoins de logement des à fournir un multiplicateur. Des recherches affinent

par la suite ce multiplicateur: Hildebrand (George), Mace (Arthur, Jr.),

«

The employment multiplier

of an expanding industrial market: Los Angeles County», 1940-47, Review of Eco/lomics a/ld Statistic.f, vol. 32, 1950, pp. 241-249; Federal Reserve Bank of Kansas City. The Employme/lt Multiplier Ùt Wichita. Monthly Review, Tenth Federal Reserve District, vol. 37, 1952, n° 9. On a par ailleurs montré l'analogie du multiplicateur de base économique et du multiplicateur du commerce extérieur, ce qui justifie la place donnée à la théorie de la base économique dans une analyse des comptabilités territOliales globales: Tiebout (Charles M.), «Regional and interregional input-output models: an appraisal », The Solllhem Eco/lomic Joumal, vol. 34, oct. 1957. 6Z Cahen (Lucienne), Ponsard (Claude), !.LI répartitio/l fO/lctio/l/lelle de la populatio/l des ville.f et S()/t I/Iilisatio/l pour la détermi/latio/l des multiplicateurs d'emploi, Ministère de la Construction et de l'Urbanisme, Direction de l'Aménagement Foncier et de l'Urbanisme, Centre d'Etudes économiques et sociales. Paris, juillet 1963, 101 p. ronéotées. 6-'

Carrère (Paul), Etude sur le dévelolJIJemelll de.f villes etle.f effets d'i/lductio/l da/ls leur populatio/l,

I.N.S.E.E., Direction régionale de Marseille. On trouvera une discussion détaillée de ces effets de multiplication dans: Repussard (Maurice), « Les fonctions de l'économie urbaine », Revue Jl/ridique et éco/lomique du Sud-Ouest, vol. 15, 1966, pp. 273-388.

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grande agglomération, on assiste souvent à des interférences entre les deux secteurs: une firme de sous-traitance, qui travaillait uniquement pour un marché extérieur, tire profit d'une commande de produits finis passée à un fabricant de la ville pour augmenter sa production: elle passe du secteur de base au secteur domestique, le multiplicateur croît. On a remarqué cette augmentation de la valeur du multiplicateur avec la dimension des villes, mais il est difficile d'en faire une mesure précise". La théorie du multiplicateur lié à la base économique se trouve en défaut pour d'autres raisons. Elle ne tient compte que des variations de la demande finale, mais ne fait pas entrer en ligne de compte les possibilités d'investissement, qui commandent en bonne partie la croissance. Lorsque la demande de produits exportés augmente, l'effet de multiplication se trouve repoussé dans le futur si les firmes. engagées dans des activités domestiques ont des difficultés à assurer leur financement. Les exemples sont multiples d'agglomérations industrielles qui se trouvent ainsi sous-équipées, et dont le sort peu enviable se maintient durant de longues périodes: les possibilités de profit dans le secteur domestique sont trop faibles pour que l'effet multiplicateur soit aussi élevé qu'il ne devrait l'être. En cas de déclin des activités de base, à l'inverse, les magasins et les services existent déjà: on les voit parfois subsister au-delà du moment où leur fonctionnement s'impose du point de vue économique: dans la mesure où leurs installations sont déjà amorties, ils peuvent vivre avec des marges de profit extrêmement faibles"'. On a souvent reproché à la théorie de la base d'avoir un certain parfum mercantiliste: la croissance ne serait possible que par une augmentation des exportations". La comparaison est valable, mais la croissance des petites unités est certainement très dépendante des résultats de leurs échanges avec l'extérieur - comme c'était le cas pour les nations mercantilistes. Dans un cas comme dans l'autre, le manque de souplesse de l'offre de monnaie à l'intérieur de la zone donne à l'exportation un rôle stratégique. Mais la croissance n'est pas tout entière liée au développement des activités exportatrices. Les profits les plus élevés et les capacités d'investissement les plus fortes appartiennent parfois aux firmes engagées dans des opérations destinées au marché local. Elles utilisent leurs disponibilités pour créer de nouvelles activités de services. Elles .. On trouvera des indications à ce sujet dans Edward Ullman et Michael Dacey (note 60). 65 Le problème des enchaînements de croissance provoqués par le jeu du multiplicateur d'expOltation est un des points qui ont opposé Douglass C. North et Charles M. Tiebout il y a une dizaine d'années: North (Douglass C.), « Location theory and regional economic growth », Joumal of Political Economy, vol. 63, juin 1955 ; Tiebout (Charles M.), « Exports and regional economic growth », Journal of Political Economy, vol. 64, avril 1956. Ces articles, et leurs compléments, sont reproduits aux pages 240-265 de : FI;edmann (John), Alonso (William) (ed. by), Re/?ional Development and Plannin/?, Cambridge (Mass.), The M.I.T. Press, 1964, XVIlI-721 p. .. Cette cl;tique a été formulée dans une violente attaque contre la théorie de la base par: Blumenfeld (Hans), « The economic base of the metropolis », Journal (!f the Americanlmtitute of Planners, vol. 21, 1955, pp. 114-132.

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stimulent la demande, provoquent l'apparition de nouveaux emplois. Sur une même base exportatrice, la pyramide des emplois dépendants se trouve exhaussée. Une bonne partie du dynamisme des très grandes agglomérations provient de ce type de processus. C'est grâce à l'élargissement progressif de leurs secteurs domestiques qu'elles connaissent une stabilité dans la croissance qui manque aux petites villes plus fortement liées au monde extérieur"7. On voit donc quelles sont les faiblesses du modèle de la base économique. Il permet de classer rapidement un grand nombre d'agglomérations, de se faire une idée de leurs fonctions, de voir les sources de leur développement. Négligeant de prendre en considération les modalités du financement des investissements, il ne permet pas de saisir les liens logiques qui expliquent la croissance. Il circonscrit les problèmes.K,il ne les résout pas. CONCLUSION

Pour arriver à expliquer le dynamisme des économies régionales, les procédés diffèrent selon le niveau atteint par le développement régional. Lorsque l'on a affaire à des régions économiques au sens moderne du terme, développées autour d'une métropole urbaine, on peut arriver à apprécier assez facilement les possibilités d'évolution, tant que la mobilité des capitaux demeure limitée et tant que l'épargne s'investit dans la région ou elle a été formée.Y.C'est la situation qui se trouvait réalisée dans un grand nombre de régions à la fin du XIXOsiècle, en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Pour de tels ensembles, le problème de la définition de l'unité régionale peut être résolu avec précision7". Dire que la région .7 Ce problème .K

est abordé dans la discussion

entre Dougla.~s C. North et Charles M. Tiebout (note 66).

C'est la raison pour laquelle nous avons accordé tant de place à l'histoire de la théorie de la base

économique. Elle est beaucoup plus géographique, dans son essence, que les divers autres modèles (ceux de Leontief, ou ceux d'économie globale) sur lesquels ont été construits les comptes territoriaux. Nous avons dit plus haut que parmi les comptabilités sociales régionales, celles qui avaient le caractère le plus géographique avaient été réalisées par Charles. L. Leven. Or, celui-ci a consciemment essayé de construire ses comptes en s'inspirant du modèle de la base économique. On suit cette évolution à travers les publications de Leven (notes 59, 52, 50). Il résume son expérience dans: Leven (Charles M.), « Regional and inteITegional accounts in perspective », Paper.~ and Proceedings of rhe Regional Science Associarion, vol. 13, 1964, pp. 127-144. C'est à Leven que nous devons l'idée que la comptabilité régionale doit être construite sur une base géographique spécifique, comme nous essayons de le montrer dans le dernier point de cette chronique. .Y Charles L. Leven apporte sur ce point encore des précisions intéressantes: il définit ce qu'il appelle l'autonomie quant aux capitaux d'une région: Leven (Charles L.), « Money flow analysis of metropolitan saving and investment », Pl/l'ers l/lId Proceeding.~ of rhe Regiollal Science Associarion, vol. 7, 1961, pp. 53-65. 7" Les auteurs français n'accordent généralement que peu de place au problème de la délimitation de l'unité territoriale analysée. Charles L. Leven au début de ses études (note 59) et de nouveau dans sa dernière mise au point (note 68), comme Douglass C. North et Charles M. Tiebout (note 65), s'attachent à définir de manière cohérente ces limites. Les critères que nous retenons ne sont pas les mêmes que les leurs, mais notre inspiration est voisine. On constate par ailleurs que certains géographes ou économistes américains essaient actuellement de donner une base fonctionnelle à la définition des unités régionales: ils retrouvent là une démarche voisine de celle d'August Lôsch et rejoignent des

économistes français qui, comme Jacques R. Boudeville, ont vu tout le parti que l'on pourrait tirer d'une

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éconoITliquecorrespond à la zone qui « tombe» sur une agglomération urbaine, c'est dire qu'elle peut être définie d'une manière comptable simple. Les points situés dans la région effectuent toutes leurs dépenses de services à l'intérieur de la région: celle-ci est bornée par le périmètre dessiné de telle sorte que les échanges de services avec l'extérieur soient nuls. Si les aires de services ne sont pas limitées par des frontières nettes, mais par des marges floues où les gens passent indifféremment d'un pôle d'attraction à l'autre, larégion n'est plus définissable comme un secteur dont les échanges de service avec l'extérieur s'équilibrent et s'annulent. Les régions urbaines ne sont pas toutes d'égale importance. Elles sont la plupart du temps sous la dépendance de capitales nationales qui sont seules capables de fournir certains services rares. Dans ces conditions, les balances de services avec l'extérieur ne sont pas nulles, mais elles ont des valeurs ITlinimales. Si l'on définit la région selon ces critères géographiques, on peut mettre en évidence certains de ses caractères spécifiques. Tant qu'elle échappe à l'influence d'une capitale envahissante, ses échanges avec l'extérieur ne portent que sur des produits secondaires ou sur des biens primaires. Son équilibre dépend donc en partie de la manière dont évoluent les prix de ces produits et des profits qu'ils permettent de réaliser. Une comptabilité construite à l'échelon de la région définie comme nous venons de le faire prolonge la comptabilité de base éconoITlique,telle que nous l'avons présentée plus haut. Dans un cas comme dans l'autre, on peut apprécier la part des éléments proprement régionaux et la part des éléments extérieurs dans le dynaITlismeet dans la croissance. Tant que les investissements réalisés sont d'origine locale, la mesure de l'épargne et celle des profits qui l'alimentent permettent de connaître les possibilités d'évolution d'un ensemble. Celles-ci dépendent à la fois de l'évolution des techniques de production des produits agricoles et des biens industriels fournis par la région, et des variations des prix. C'est en définitive dans l'analyse des rapports entre éconoITlies régionales que les thèses de Raùl Prebisch sur la dégradation des termes de l'échange des pays fournisseurs de produits peu transformés trouvent leurs applications les plus belles". Les analyses concrètes qui telle analyse: Losch (August),

« The nature of economic regions ", Southern Economic Journal, vol. S, aux ppo 107-115 de: Friedmann (John) et Alonso (William). Regional op. cit. ; Boudeville (Jacques R.), Les eo~paces éc(Jnomique.~. Coll. « Que Sais-je?" n° 950, Paris, P.U.F., 1961, 128 p. ; Fox (Karl A.), Kumar (T. Krishna), « The functional economic area: Delineation and implications for economic analysis and policy", Papers and Proceedings of the Regional Science Association. vol. IS, 1965, pp. 57-85. 11 La querelle entre Douglass C. North et Charles Mo Tiebout a pour OIigine l'interprétation donnée par le premier de la croissance des Etats du Nord-Ouest des Etats-Unis. Elle a provoqué plusieurs analyses dont les résultats sont contradictoires: North (Dougla.~s Co), Location Theoryand Economic Growth, op. dt; Pfister (Richard L.), « The commodity balance of trade of the Pacifie North-West for selected years, 1929 to 1955", Papers and Proceedings (!{ the Regional Science Associatioll, vol. 5, 1959, pp. 237-251 ; Tattersall (James N.), « ExpOlts and economic growth: the Pacific Northwest 1880 to 1960 », Papers and Proceedings of the Regional Science As.Wlciatioll, vol. 9, 1962, pp. 216-234; Pfister

1938, pp. 71-78. Reproduit Development and Planning.

(Richard L.), « External trade and regional growth: a base study of the Pacific Northwest". Economic

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commencent à paraître montrent d'ailleurs que la situation des régions exportatrices de matières premières agricoles on minières n'est pas toujours plus mauvaise que celles des pays qui vendent des produits fabriqués. Mais ces deux ensembles sont en situation d'infériorité vis-àvis des très grandes agglomérations urbaines qui vivent de la vente aux régions plus petites de services dont la valeur relative a augmenté avec le temps et dont la demande progresse à un rythme rapide. La construction d'une comptabilité à assise réellement régionale permet donc d'expliquer les évolutions constatées tant que les marchés de capitaux demeurent de dimension régionale. Elle donne des indications précieuses pour mesurer les chances de développement des secteurs qui ne peuvent compter que sur l'autofinancement et qui demeurent importants dans l'économie moderne. Une bonne partie des activités de services et la quasi-totalité des entreprises agricoles doivent se contenter de leurs ressources propres pour vivre et se développer. L'établissement de comptes à base régionale permet de mettre en évidence dans quelle mesure ces secteurs verront leur activité croître. Si l'on oppose, au sein des comptes d'une région, les activités de la métropole et celles des zones qui l'entourent, on peut apprécier dans quelle mesure le développement de la vie des petits centres et celui de l'agriculture se feront parallèlement à la croissance de la métropole régionale. Dans les conditions actuelles de la vie économique, les renseignements fournis par les comptabilités à assise purement régionale n'ont pas la même valeur prévisionnelle. Les marchés de capitaux se sont élargis. Les grandes places financières ont tendance à renforcer leur position. Il ne reste pour chaque pays qu'une ou deux villes où les transactions soient réellement importantes. La part de l'épargne qui passe par le marché financier a pourtant tendance à décroître, ce qui limite l'effet de la concentration des transactions en bourse. Une part très importante de l'investissement est alimentée par l'épargne des entreprises. L'auto-investissement est devenu un trait commun à toutes les sociétés capitalistes avancées. A la différence de ce qui se passait dans les petites entreprises familiales, le développement de l'autofinancement ne se traduit pas par un resserrement géographique de l'épargne et de l'investissement. Lorsqu'une entreprise est très puissante, qu'elle possède un grand nombre d'établissements répartis dans un pays, elle peut dégager des capitaux suffisants pour créer des installations neuves dans une nouvelle localisation. Les possibilités sont évidemment différentes selon les secteurs. Dans la métallurgie lourde, dans la sidérurgie en particulier, la taille des établissements est telle que la liberté dans le choix de l'implantation est limitée. Pour la plupart des industries de transformation, dans lesquelles on peut dissocier les Del'elopmenl and Cullural Chllll~e. vol. Il. lanv. 1963; repris aux pp. 285-302 Alonso (William). Re~ional Developmelll op. cil.

de Friedmann

(John),

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diverses étapes de la fabrication, la situation est toute différente. C'est ce que montre bien l'essaimage des ateliers de construction automobile, depuis une dizaine d'années, en France, en Allemagne et plus encore en Angleterre. Les liens entre l'épargne et l'investissement se trouvent également distendus dans la mesure où l'on se trouve hors des conditions normales de l'économie libérale. Les firmes qui disposent d'un pouvoir de monopole peuvent maintenir des taux de profits anormalement élevés. Elles disposent d'un pouvoir d'épargne et d'autofinancement supérieur à la moyenne mais elles le doivent à la possibilité qu'elles ont de déplacer l'épargne; elles prélèvent sur le revenu de leurs clients l'épargne qu'elles réalisent. Là enfin, où les procédés de financement sur épargne forcéepar recours à l'inflation - ou sans épargne préalable, se développent, les liens entre le pouvoir d'épargne et la localisation de l'investissement deviennent très lâches. La comptabilité territoriale perd une partie de son utilité. Elle ne peut plus servir à l'établissement de prévisions, elle ne permet plus d'isoler les fondements de la puissance régionale. La comptabilité effectuée selon les méthodes classiques, sur le modèle de la comptabilité nationale, ne débouche pas sur les mêmes applications, car l'espace régional est trop profondément ouvert. Sa situation à un instant donné ne dépend plus des résultats obtenus au cours des périodes précédentes: le territoire ne se développe plus en fonction des possibilités locales de l'épargne, mais en vertu de l'attrait qu'il exerce sur les détenteurs de capitaux de l'intérieur et de l'extérieur. Cela ne veut pas dire que la réalité régionale ait perdu de son importance dans la vie économique. Les décisions d'implantation sont très largement guidées par les perspectives que l'on pense avoir de bénéficier d'économies externes: celles-ci s'analysent d'habitude au plan de la micro-économie, mais elles montrent en réalité que les faits de dépendance mutuelle, qui constituent le trait caractéristique de l'analyse macro-économique, deviennent plus importants que par le passé. Les méthodes classiques de la comptabilité régionale ne permettent pas, même lorsque l'on a fait l'effort de définir l'espace régional d'une manière cohérente - nous dirions volontiers scientifique - de relier directement la situation en un instant donné à la situation immédiatement précédente. Dans la mesure où elles permettent cependant de mettre en évidence les divers multiplicateurs liés à la dépendance technique des fabrications et à la cascade des effets de revenus, elles constituent le moyen le plus efficace d'aborder l'analyse des économies externes. L'impuissance actuelle de la théorie dans ce domaine vient de ce que l'on essaie de la situer dans le cadre étroit de l'économie d'entreprise. La comptabilité régionale, menée de manière cohérente, est donc un des instruments nécessaires pour comprendre le dynamisme des composants d'un territoire national. Elle doit être complétée par des formes nouvelles de comptabilité interrégionale. Nous avons dit les

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difficultés et les limites des tentatives pour établir des tableaux économiques sous la forme inspirée de la méthode de Leontief. Il est certain que les enseignements apportés par de tels travaux demeureront limités et que leur lourdeur empêchera de les généraliser. Pour comprendre le dynamisme des économies régionales, il faut plus et moins que ces tableaux de relations interindustrielles et interrégionales: il faut savoir où s'investit l'argent. C'est en analysant de manière précise les flux d'investissements que l'on comprendra certainement l'évolution des économies régionales et que l'on arrivera à cerner les motivations des investisseurs. Il s'agit d'un domaine où les données sont souvent difficiles à apprécier. La difficulté provient d'abord de la rareté des sources statistiques de base. Elle tient ensuite à la confusion toujours possible entre investissement brut et investissement net. Il est certain que l'on ne peut pas arriver à une connaissance absolument précise de ces grandeurs: ce sont elles qui permettront pourtant de donner à l'analyse de l'économie régionale une assise aussi solide que celle de l'économie nationale12 .

L'étude de la comptabilité des ensembles territoriaux est un des domaines qui offrent le plus de possibilités d'enrichissement à l'enquête géographique. Dans l'état actuel des recherches, les méthodes mises au point sont lourdes à manier. Il n'est guère probable qu'elles s'allègent dans le futur. La comptabilité territoriale n'est pas à la portée du chercheur isolé, elle doit être réalisée par des équipes disposant des instruments statistiques et du personnel spécialisé que demande la manipulation d'un très grand nombre de données. Il est peu probable qu'elle soit un jour à la portée des équipes de recherche universitaires. C'est ce que montre au fond l'exemple des travaux menés par les économistes français depuis dix ans: ils constituent un échantillonnage précieux, mais même là où l'effort de systématisation a été le plus poussé, en Aquitaine ou dans le Languedoc, les résultats demeurent difficilement utilisables, car difficilement comparables. Les travaux deviennent intéressants au moment où ils sont intégrés dans un cadre uniforme. La publication des comptes des 22 régions de programme par Etudes et Conjonctures a beaucoup plus de signification géographique que tous les travaux antérieurs. Est-ce à dire que tout le travail d'isolés mené par les économistes des Universités est inutile? Non, car c'est à eux que l'on doit la définition progressive des concepts qui justifient les recherches entreprises. Nous ne croyons pas que les géographes aient intérêt, dans la situation actuelle à se lancer tête basse dans la réalisation de comptes territoriaux. En revanche, leur réflexion peut faciliter le développement 12

Lcs régions pour lesquelles on dispose de données suffisantes pour l'établissement de tels comptes sont rares; signalons toutefois une analyse des relations extérieures de Porto-Rico: Ingram (James C.). ReKitl/lt/1 PaymelltJ Medwni.fm.f: the Bt/Je of Puerto Rico, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1962. XV -152 p.

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futur des techniques d'investigation. Dans la mesure où ils cerneront mieux la réalité de la région, et où ils démonteront ses mécanismes avec plus de finesse, ils permettront de mieux adapter l'outil comptable aux dimensions de la région. C'est pour cela que les géographes devraient tirer profit de l'analyse précise des comptabilités et des efforts pour raisonner leur application au cadre de territoires de nature et de dimension variées.

CHAPITREIIl- 1968

ECONOMIE ET GEOGRAPIDE RURALES

Les géographes français ont toujours étudié avec beaucoup d'attention les problèmes que pose la vie rurale. Leurs méthodes étaient plus adaptées à l'exploration de ce domaine qu'à l'explication des concentrations industrielles et urbaines. Attirés par le paysage, soucieux d'évaluer les transformations imposées par l'homme au milieu naturel, les problèmes des campagnes leur semblaient plus au cœur du domaine géographique. Certaines possibilités d'analyse du milieu rural n'ont pourtant pas été complètement utilisées: on a hésité longtemps à tirer profit des travaux menés par les sociologues ruraux, comme à s'inspirer des recherches d'économie rurale. Les géographes ont à cela beaucoup d'excuses. En France, en particulier, les masses paysannes ont suscité plus d'essais, de romans, que de travaux de caractère scientifique. En sociologie rurale, les modèles d'étude sont venus des Etats-Unis au

cours des deux dernières décenniesI. En économie rurale, l'école française est plus ancienne, ses travaux sont nombreux et méritent d'être connus: ils étaient malheureusement difficiles à utiliser dans le cadre des enquêtes géographiques. Les économistes ruraux avaient beaucoup d'estime pour les géographes qui traitaient de la campagne, ils citaient leurs ouvrages, s'en inspiraient volontiers. En sens inverse, les géographes connaissaient les grands noms de l'économie rurale, mais ne savaient pas trop comment tirer parti de leurs conceptions trop générales pour les travaux très minutieux dont ils s'étaient fait la spécialité. La situation est en train de se modifier rapidement. il suffit, pour s'en convaincre, de feuilleter une thèse récente de géographie rurale, celle de Roger Brunet sur les campagnes toulousaines2, ou celle de Jacqueline Bonnamour sur le Morvan3. Que de chemin parcouru! il I Les sociologues ruraux français ne cachent pas ce qu'ils ont emprunté à leurs collègues américains, comme le montrent par exemple les travaux de Henri Mendras. Certains des résultats les plus intéressants en ce qui touche la campagne française ont été obtenus par des Américains travaillant en France, Laurence Wylie en particulier: Mendras (Henri), Etudes de sociologie rurale. Novis et Virgin, Paris. Armand Colin, 1953, 138 p. ; Mendras (Henri), Les Paysans et la modernisation de l'agriculture, Paris, C.N.R.S., 1958, 150 p.; Wylie (Laurence), Village in the Vaucluse, Cambridge, Mas., Harvard University Press, 1957,345 p. ; Wylie (Laurence), Révolution rurale en France. Paris, Editions de l'Epi, 1968. 2 Brunet (Roger), Les campagnes toulousaines, Toulouse, Publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Toulouse, série B, tome I, 1965,727 p. 3 Bonnamour (Jacqueline), Le Morvan. La Terre etle.f Hommes, Paris, P.U.F., 1966, VIII, 454 p.

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n'est question que de SAD., d'D.G.B., d'D.TlHa, d'D.F.4.Les géographes disparus il y a vingt ou trente ans auraient de la peine à suivre ces développements si pleins de notions et de termes techniques nouveaux. Les études rurales ne peuvent plus se concevoir sans référence au corps de concepts et de méthodes proposés par les économistes et par les sociologues. Nous n'avons pas la place ici de nous attarder sur les résultats obtenus par ces derniers. Nous voulons montrer les origines de la brusque mutation des rapports entre géographie et économie rurale, et l'expliquer en décrivant le mouvement de la recherche économique comme celui de la recherche géographique. Nous voulons dégager ensuite ce qui constitue l'intérêt essentiel des nouvelles méthodes et leur confère une signification géographique. J. L'EVOLUTION RURALES

DE LA GEOGRAPHIE

ET DE L'ECONOMIE

Dans une récente publication, Gyorgy Enyedij dresse un inventaire des travaux de géographie rurale menés en Hongrie; il esquisse une classification des méthodes de recherches et d'analyse employées en fonction des buts que l'on se propose: cette recension paraît très utile et de portée générale. Quatre grands courants peuvent se distinguer: le premier se donne pour but de décrire les grands marchés mondiaux, d'énumérer les sites productifs, d'évaluer les productions possibles et de prévoir ce qui pourra être vendu: c'est la géographie commerciale de nos grands-parents. La seconde façon de concevoir la géographie rurale dérive de la première et analyse les productions les unes après les autres dans un cadre territorial très vaste - celui de la nation, ou celui du monde. Elle se présente sous la forme d'analyses de géographie générale, pour reprendre les catégories habituelles de notre discipline - mais Enyedi fait remarquer qu'il vaudrait mieux parler de géographie des branches d'activité que de géographie générale; les Anglo-Saxons préfèrent d'ailleurs au terme de général, celui de systématique qui semble mieux convenir. Le but que l'on se fixe, c'est de fournir, au delà de la description des localisations, une explication des répartitions en fonction des aptitudes naturelles, des techniques connues, du niveau de peuplement et des conditions de commercialisation". 4 S.A.U.: Surface agricole utile; U.G.B. : Unité de gros bétail; U.T. : Unité de travailleur; U.F.: Unité foulTagère ; S.F. : Surfaces fourragères; S.N.F. : Surfaces non fourragères; S.T.H.: Surfaces toujours en j herbe; T.L. : Terres labourées. Enyedi (Gyorgy), « The progress of geographical typology of agriculture in Hungary". pp. 9-17 de Asztalos (Istvan), Enyedi (Gyorgy), Sarfaly (Béla), Simon (Laszlo), Geographical Types of Hungarian AgriculTUre, Budapest, Akadémiai Kiado, 1967,84 p. (, On reconnaît là la manière qui prévaut dans nombre de géographies économiques éditées dans les pays anglo-saxons; on pense par exemple à: Thomas (Richard S.), The Geography (if Economie Activity: an lllf/'Oductory World Survey, New-York, Mc Graw-Hill, 1962, 602 p.; Alexander (John W.), Economic Geography, Englewood Cliffs, N.J., Prentice-Hall, 1963,661 p.

Chronîque

de géographîe économîque

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La troisième manière de faire de la géographie rurale est celle qui a suscité le plus de travaux en France: on n'essaie plus de saisir ce qui conditionne l'équilibre d'une production dans un nation ou dans l'ensemble du monde; on cherche à montrer comment les cultures et l'élevage menés dans un région lui confèrent une personnalité unique. L'agriculture est saisie dans l'ensemble des relations qu'elle entretient avec le monde physique, elle est décrite dans son contexte économique et social. Elle est définie par ses productions et par tout ce qui contribue à accentuer son originalité. L'étude de géographie rurale menée dans un esprit régional comporte une description des paysages agraires, une analyse des structures sociales de la communauté et des chapitres ,

consacrésaux genresde vie et aux techniquescourammentutilisées'. Les recherches menées par Gyorgy Enyedi et son équipe ont un but légèrement différent de celles que nous venons de recenser et correspondent à la quatrième manière de concevoir la géographie rurale. Celle-ci présente des points communs avec la deuxième manière (elle donne une très large place à l'analyse des faits économiques), et avec la troisième manière (elle essaie de cerner ce qui fait l'originalité de l'agriculture' dans un espace donné en s'attachant aux caractères synthétiques et non pas à l'analyse d'un ou plusieurs traits considérés comme stratégiques). Elle ne se confond ni avec l'une ni avec l'autre, car elle attire justement l'attention sur les problèmes de la complémentarité des productions, sur la structure des exploitations, sur les types d'utilisation du sol et d'économie rurale. Les recherches menées en Hongrie ne sont pas les seules qui soient ainsi orientées: en Grande-Bretagne, par exemple, Coppock8 a essayé de définir l'agriculture des diverses régions en définissant un peu de la même manière des types d'utilisation du sol et des types d'exploitation. En France, les travaux modernes que nous évoquions tout à l'heure se proposent souvent de montrer l'originalité de l'agriculture d'une région en faisant porter l'essentiel de l'effort sur la connaissance des exploitations agricoles. Certaines des enquêtes régionales menées par des économistes ruraux" se sont inscrites plus étroitement encore dans ce cadre. 7

Il serait trop long de fournir là une bibliographie complète. Parmi les thèses où l'agriculture est

analysée dans un sens régional, citons toutefois: Lebeau (René), La vie rurale dans les montagnes du Jura méridional. Etude de géographie humaine, Lyon, Institut des Etudes rhodaniennes, 1953, 593 p. ; Juillard (Etienne), La vie rurale dans la plaine de Basse-Alsace. Essai de géographie .wciale, Strasbourg, Le Roux, 1952,582 p. 8 Coppock (J. T.), «Crop, livestock and enterprise combinations in England and Wales », Eco/lomic of British Geography, vol. 40, 1964, pp. 65-81 ; Coppock (J.T.), « Post-war studies in the geography agriculture », Geographical Review, vol. 54, 1964, pp. 409-426; Coppock (J. T.), Agricultural ATlas of England and Wales, Londres, Faber, 1964. '! En France, ce sont les enquêtes menées par le Centre d'Expansion de Bordeaux et du Sud-Ouest qui ont manifesté les premières les nouvelles orientations: Centre d'Expansion Bordeaux - Sud-Ouest, « Les fruits et légumes dans le Sud-Ouest », Tome Il des ContribuTio/lS à l'inventaire économique du Sud. Ouest. Bordeaux, Bière, 1957, 136 p. ; Centre d'Expansion Bordeaux - Sud-Ouest, « Economie de régions d'élevage », Tome IV des ConTribuTions à l'invenTaire économique du Sud. OuesT, Bordeaux, Bière, 1959, 127 p.

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En passant de la troisième à la quatrième manière, on a l'impression d'un certain appauvrissement. Les deux premières façons de mener les études de géographie rurale n'ont jamais connu en France la même faveur que dans les pays anglo-saxons - Gyorgy Enyedi fait la même remarque pour la Hongrie, elle vaudrait pour toutes les écoles géographiques du continent. Les analyses régionales ont attiré très vite l'attention des meilleurs auteurs. Elles se sont progressivement enrichies: après avoir porté essentiellement sur les densités rurales, les formes de l'habitat et les cultures pratiquées, elles se sont tournées plus franchement vers la reconstitution des paysages agraires et vers l'étude des problèmes d'équilibre social des campagnes. Les études modernes ont un champ plus étroit, elles laissent plus volontiers de côté ce qui ne se traduit pas directement dans les équilibres du moment, elles cessent de considérer que les problèmes des structures agraires sont au cœur de

toute l'analyse des campagnes10. A la réflexion pourtant, on s'aperçoit que l'appauvrissement est compensé par des améliorations sur certains points. Au lieu d'avoir une juxtaposition d'éléments dont les liens échappent parfois, il y a désormais concentration sur certains problèmes dont la compréhension en profondeur est possible. En prenant comme centre d'intérêt l'exploitation agricole, on redonne à la géographie rurale une cohérence qu'elle était en train de perdre dans beaucoup d'analyses régionales trop fragmentées. L'évolution de l'économie rurale fait également prendre conscience de l'importance de l'exploitation pour qui veut comprendre les problèmes des campagnes et les modalités de la modernisation qui les caractérisent un peu partout en Europe à l'heure actuelle. L'histoire des recherches dans le domaine agricole est longue et les problèmes de la ferme, de sa gestion, ont été abordés très tôt. Une transformation profonde s'accomplit pourtant depuis moins d'une génération. On a beaucoup parlé de la révolution agricole qui prend naissance au XVIllCsiècle en Grande-Bretagne, puis affecte les autres parties de l'Europe occidentale. On évoque les grands propriétaires éclairés qui ont été à l'origine de la plupart des améliorations apportées dans le domaine agronomique. Le problème qui se pose alors est celui de l'augmentation de la productivité des terres. La main-d'œuvre est abondante, elle n'a encore d'autres possibilités de s'employer qu'à la campagne. Ce qui limite le produit de la terre, c'est la médiocrité des techniques de culture, la mauvaise façon de mener l'élevage et l'impossibilité qui en résulte de rendre au sol les éléments qu'on lui enlève. Du moment que l'on augmente le produit physique des terres, le revenu global augmente et celui des propriétaires fonciers bénéficie de la transformation générale. Aussi, l'attention ne se porte guère chez les III

Cela est sensible lorsqu'on compare les thèses consacrées aux problèmes de la campagne dans les

années

1940 ou 1950 (Lf supra, Juillard ou Lebeau) et celles qui ont été publiées dix ou quinze

tard (c;t:supra, Roger Brunet. Jacqueline Bonnamour).

ans plus

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réformateurs britanniques et chez leurs émules français sur les problèmes de la gestion de l'exploitation. La situation est un peu différente dans les pays de civilisation germanique, où les premiers progrès ont été souvent réalisés par de moyens exploitants anabaptistes. Pour eux, le problème est dès le départ celui d'assurer la combinaison optimale d'activités sur une superficie qui est limitée et avec des moyens qui le sont également. Le choix des cultUres, la spécialisation sont analysés en termes économiques. Cela prépare la voie à von Thünen'\ qui situe son analyse au niveau de l'exploitation. Le choix des cultures qui lui permet d'optimiser ses revenus dépend de la situation géographique de ses terres: les calculs minutieux que la comptabilité de ses fermes lui permet d'effectuer montrent quelle doit être l'orientation générale des productions en fonction de la distance au marché. Tout ceci aurait pu conduire à une étude systématique de l'entreprise agricole: mais von Thünen et la plupart de ses contemporains ne cherchent pas à savoir pourquoi telle exploitation obtient de meilleurs résultats que la voisine; l'idée qu'il puisse y avoir une grande variété de formes de gestion n'est pas encore mûre. En fait, les économistes s'intéressent beaucoup plus à l'agriculture qu'à l'entreprise agricole. Les postulats de rationalité parfaite des classiques les empêchent de voir qu'il peut y avoir ambiguïté dans la manière de définir un optimum; ils négligent l'analyse précise de ce qui se passe à l'intérieur de l'entreprise, oublient de tenir compte des dimensions de l'exploitation. Le monde dans lequel ils vivent leur offre d'ailleurs le spectacle de l'homogénéité, sur de vastes espaces, des types d'exploitation, si bien que leur incuriosité est plus légitime qu'il ne peut sembler à première vue. Dans la premièremoitiédu XIXCsiècle, les conditions générales se modifient peu. Les efforts essentiels des spécialistes de l'agriculture portent sur les méthodes de culture. De grands progrès sont réalisés dans ce domaine. Les assolements deviennent plus divers, ils permettent d'éliminer la jachère dans la plupart des terres de l'Europe tempérée. La culture de nouvelles plantes, celle de la betterave à sucre par exemple, entraîne une amélioration générale du système agricole des régions qui l'adoptent. Les outillages se perfectionnent lentement. Les charrues modernes sont mises au point et leur emploi se généralise petit à petit. En Amérique, on se soucie plus vite de tirer un plus grand profit du travail: les premières applications au domaine agricole du machinisme sont réalisées là, pour accélérer la mise en valeur des terres vierges de l'Ouest. En Europe, l'accent est mis plutôt sur l'amélioration générale Il

L'étude de l'économie a été conduite, en Allemagne, dans lin climat très particulier: à la fin du

XVIIIe siècle, elle regroupe toute une série de chapitres hétéroclites. sans lien logique apparent, mais qlli préparent au" problèmes pratiques de l'e"istence. On sait que le jeune Humbolt tira assez grand profit de l'enseignement qu'i! reçut de la sorte à Gottingen. L'économie politique allemande doit à cette orientation pratique d'avoir attaché plus de poids que d'autres, et plus tôt, à l'analyse de J'entreprise d'une pm1, à celle de nation de l'autre. Thunen (Johann von), Der iso/ierte Slaal in Beziehung a/if LlIndwirtschafl und NalionaWkonomie, Hambourg, Pe11hes, tome l, 1826, Rostock, Léopold, tomes Il et III, 1842-1850; Traduction française, Paris, Guillaumin, 1851-1857.

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des équipements, sur l'amendement des terres. On découvre la vertu des travaux de drainage; on multiplie les équipements d'irrigation dans toute la partie septentrionale du monde méditerranéen. On travaille à l'amélioration des espèces cultivées, on découvre la vertu des amendements, on utilise les engrais, on créé la chimie agricole. Les recherches agricoles sont donc à la mode et des hommes comme Mathieu Dombasle ou le Comte de Gasparin en France illustrent un mouvement très général. En Allemagne, ce sont des chimistes, comme Liebig, qui sont au premier plan. Ailleurs, ce sont de grands propriétaires travaillant à la modernisation de leurs terres qui témoignent de l'effort de réflexion: c'est le cas dans le Piémont un peu avant l'unification italienne. La révolution des transports a permis la diffusion rapide de toutes les innovations, elle a ouvert des marchés nouveaux aux producteurs, les a conduit à se spécialiser beaucoup plus complètement que cela n'était jusqu'alors le cas. Elle a provoqué une mutation économique des campagnes et a fait naître de nouveaux problèmes. Alors qu'au XVille siècle et au début du XIxe siècle, la préoccupation dominante était d'augmenter la production, le souci le plus grave devient dans bien des cas, celui de la vente, de la commercialisation. Au fur et à mesure que le temps passe, la conscience des difficultés qui se présentent dans ce domaine devient plus aiguë. En Angleterre, dès la première moitié du XIxe

siècle,un conflit s'ouvre entreles grandspropriétaires,soucieux de

conserver le contrôle du marché intérieur et les manufacturiers ou les ouvriers, plus sensibles à la réduction générale des prix des produits de première nécessité: il se termine, on le sait, par la défaite des agrariens. En Europe, le problème ne prend réellement de gravité qu'un peu plus tard. Le libre-échange ne remet pas en cause, aux alentours de 1850,les intérêts des cultivateurs. La situation ne se transforme que lorsque les terres neuves d'Amérique commencent à vendre en Europe leur production rapidement croissante et ce, à des prix qui éliminent une grande partie des producteurs traditionnels. L'économie rurale cesse d'être alors tournée uniquement vers l'analyse des problèmes propres à la production: elle découvre les marchés. Comme le choc provoqué par l'élargissement des horizons économiques est violent, elle s'arrête peu aux problèmes de l'équilibre de l'entreprise. Elle est axée sur ceux qui se posent à l'ensemble de la branche, elle fait la part très large à la macro-économie. Les conditions politiques favorisent cette transformation. Les milieux ruraux essaient de se défendre contre la concurrence brutale à laquelle ils se heurtent sans s'y être préparés. Comme ils représentent une force politique considérable, ils ont tendance à préférer aux solutions d'adaptation technique les mesures de soutien ou de réforme des marchés, qui assurent à tous une amélioration des conditions de vie. L'enseignement agricole se développe rapidement dans les dernières décennies du siècle dernier. Aux Etats-Unis, par exemple,

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chaque Etat dispose d'une école d'agriculture richement dotée en te1Te, ce qui permet à la fois des démonstrations pratiques et une action de recherche. En France et dans un certain nombre de pays européens, des instituts spécialisés voient le jour. Ils forment des ingénieurs, des techniciens. Un enseignement économique y est donné. C'est à partir de ce moment que l'économie rurale devient une discipline académique, avec tout ce que cela implique: la recherche n'est plus le fait d'isolés qui sont obligés, plus ou moins, de repartir chacun de zéro; elle dispose d'une tradition qui s'élargit sans cesse. Les premiers maîtres en la matière ont donc une influence décisive sur tout le développement postérieur de la discipline. En France, par exemple, Edouard Lecouteuxl2 crée, à l'Institut national agronomique, l'enseignement de l'économie rurale. Tout ce qui se fait durant plus d'un demi-siècle est inspiré directement ou indirectement par ses cours, publiés pour la première fois en 1889.Dans ceux-ci, nous trouvons deux grands volets: les problèmes généraux de l'agriculture étudiée comme branche d'activité sont évoqués dans le premier tome. On voit là analysées les conditions générales de l'activité agricole, le capital, la terre, la main-d'œuvre. On traite également de tout ce~qui conditionne la production globale, on parle de la politique de l'Etat, des conditions de protection contre la concurrence internationale. Le second volume du cours est plus directement tourné vers l'analyse de l'entreprise agricole. Là sont étudiées avec beaucoup de détail les particularités de la production agricole et les conditions dans lesquelles les engrais, les fumures, les attelages doivent être employés: c'est une analyse des problèmes techniques que l'ingénieur agronome doit savoir résoudre dans une exploitation. L'équilibre économique de la ferme est également abordé: on explique comment elle doit être gérée, comment on peut dresser une comptabilité rurale. Mais ces développements, qui correspondent à nos préoccupations actuelles, n'occupent qu'une place réduite dans l'ensemble. Les conditions sont telles en cette fin du XIXCsiècle, d'ajlleurs, que les méthodes comptables auxquelles on commence à soumettre l'entreprise industrielle ne peuvent se transposer facilement à l'exploitation rurale. Seules les très grandes exploitations, menées selon des principes modernes, peuvent servir de champ d'application à une méthode calquée sur celle des spécialistes de la gestion industrielle. Durant les premières décennies du XXCsiècle, les centres d'intérêt demeurent les mêmes en économie rurale. Les manuels continuent à accorder plus de place aux problèmes de la branche qu'à ceux de l'entrepriseD. Les circonstances expliquent cette stabilité. Durant la plus grande partie de cette période, les difficultés auxquelles se heurtent de 12 Lecouteux (Edouard), Cours d'économie rurale, Paris, Librairie agricole de la Maison Rustique, 1889,2 vol., 500-548 p. " C'est ce qui apparaît par exemple à la lecture des ouvrages d'Augé-Laribé: Augé-Laribé (Michel), La politique agricole de la France de 1880 à 1940, Paris, P.U.F., 1950,483 p. ; Augé-Laribé (Michel), La ,ÙO!ttlÙIII agricole, Coll. L'Evolution de l'Humanité, vol. LXXXIII, Paris, Albin Michel, 1951, 435 p.

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manière presque exclusive les agriculteurs sont d'ordre commercial. Il faudra sans cesse résorber des excédents, lutter contre la surproduction, éviter l'effondrement catastrophique des prix et la ruine des petites exploitations. Lorsqu'on ouvre des manuels comme celui de Jules Milhau et Roger Montagne'4, on s'aperçoit que les points de vue sont demeurés semblables à ceux qu'avait Lecouteux à la fin du siècle précédent. La place qui est faite à l'entreprise est même plus réduite qu'elle ne l'était alors, car on fait maintenant mieux le départ entre ce qui est purement technique et ce qui est d'ordre économique: si on débarrasse l'analyse classique de l'exploitation de tout ce qui touche aux moyens de mettre en œuvre, sur le plan technique, les facteurs dont on dispose, il ne reste pratiquement plus rien. Il faut dire que jusqu'à une date récente, la théorie de l'entreprise était aussi élémentaire, sur le plan de l'économie générale, qu'elle l'était sur le plan rural: une fois que l'on avait appris aux étudiants la loi des rendements décroissants, une fois également qu'on leur avait parlé des indivisibilités qui affectent la production, on pensait avoir fait le tour du problème. Dans sa mise au point générale sur l'économie rurale, Jean Valarché's demeure pour l'essentiel fidèle à l'optique classique. Il se place au niveau de la branche beaucoup plus qu'à celui de la firme. Mais il signale au passage qu'une évolution est en cours. Il a été l'élève de Fromont, le maître incontesté de l'économie rurale française. Des transf9rmations se marquent à la fin de sa vie. Au lieu d'aborder, dans son Economie rurale'", l'étude de l'agriculture sous l'angle de la branche, il part d'une étude fouillée de la firme. Jean Valarché montre que les deux optiques ne sont pas incompatibles, que l'on peut dire dans une de ces perspectives tout ce que l'on exprime généralement dans l'autre. Il a raison, mais minimise peut-être une évolution qui est extrêmement importante. Si l'exemple de Fromont est frappant, il n'est pas isolé. Un peu partout, dans le monde, on découvre la firme: les économistes ruraux américains semblent être à l'origine de ce renouvellement, ce qui ne doit pas surprendre: dans leur pays l'étude de l'entreprise a fait au cours de ces vingt dernières années d'immenses progrès. Des auteurs comme Earl O. Heady17ont réussi à transposer à l'agriculture des méthodes mises au point par des économistes de l'industrie. La transformation a été très rapide, si bien que l'on a quelque peine à faire une mise au point critique: les manuels qui reprennent l'ensemble des points de vue nouveaux sont rares. En France, en dehors du livre de Pierre Fromont que nous signalions plus 14 Milhau (Jules), Montagne (Roger), Economie rurale, ColI. Thémis, Paris, P.U.F., Milhau (Jules), Traité d'Economie rurale, Paris, P.U.F., tomes [et Il, 1954,442 p. IS Valarché (Jean), L'Economie rurale, Coll. Bilans de la connaissance économique, Rivière, 1959,300 p. 1(, Fromont (Pierre), Economie rurale, Paris, M.-Th. Génin, 1957,528 p. 17 Heady (Earl O.), Economic.r of Agricultural Production llnd Re.wurce Use, New York, 1952, 850 p. ; Heady (Earl O.), Jensen (H. R.), Farm ManagemenT Economics, New Hall, 1954.

1964, 414 p. ; Paris. Marcel Prentice Hall, York, Prentice

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haut, il n'y a eu longtemps aucun ouvrage général réellement moderne dans sa conception. Le seul manuel qui permettait de s'initier aux problèmes de l'exploitation agricole était celui que Chombart de Lauwe et Poitevin'. avaient consacré à la comptabilité agricole: il contenait tout ce qui était nécessaire pour comprendre les problèmes actuels, mais il était très étroitement technique. Un professeur de l'Université de Louvain, Georges Bublot'9, vient d'écrire un volumineux traité sur l'exploitation agricole. Ses exemples sont belges, ce qui oblige à une certaine transposition lorsque l'on essaie de l'utiliser en France certains chapitres sont sans intérêt pour nous, car ils décrivent des institutions, ou des dispositions législatives qui n'ont pas d'équivalent ici. Mais dans l'ensemble, l'ouvrage permet de faire un tour général des problèmes de l'entreprise agricole. Plus récemment encore, les spécialistes du centre de gestion de Dijon20ont rédigé un manuel plus simple, et qui est tout spécialement destiné à la vulgarisation des nouvelles méthodes de comptabilité et d'analyse de gestion. Les exemples qui illustrent l'ouvrage sont pris pour l'essentiel en Bourgogne et en Franche-Comté, si bien que le livre présente un intérêt exceptionnel pour tous ceux qui s'attachent aux problèmes ruraux du Centre-est. Mais les méthodes d'analyse et de présentation mises au point par Raymond Launay et tous ceux qui travaillent avec lui ou l'ont secondé dans ses efforts, ont une portée très générale. Ainsi se trouve mise à la portée d'un très large public français un ensemble de méthodes qu'il ne pouvait connaître jusqu'à ces derniers temps qu'à travers un long apprentissage. Les transformations actuelles de l'économie rurale tiennent pour l'essentiel à ce changement d'optique: on s'attache davantage à la fIrme, on remet à plus tard l'étude de certains des problèmes de la branche. Les progrès actuels en ce domaine n'auraient pas été possibles s'il n'y avait eu amélioration générale, au cours des dernières décennies, des connaissances dans un certain nombre de secteurs. Un des problèmes sur lesquels butaient jusqu'il y a peu tous ceux qui s'intéressaient aux problèmes de l'entreprise agricole, tenait à la diffIculté que l'on avait à la décrire en termes comptables: les circuits de transfOlmation qui prennent place dans une ferme sont beaucoup plus divers que l'on ne pourrait le croire à première vue, beaucoup plus nombreux et enchevêtrés que ceux d'une entreprise industrielle même IX

Jean Chombat1 de Lauwe Il été, depuis vingt ans, un des agronomes les plus soucieux de faire

progresser la connaissance pratique de l'exploitation rurale. Chombart de Lauwe (Jean), «L'utilisation des tracteurs agricoles dans quelques régions de la France ", Economie rurale, fév. 1951, pp. 1-66; Chombart de Lauwe (l), Morvan CF.), Le.v po.v.vibilitÙ de la petite entrepri.~e dan.v l'agriculture .fi"l/llçaise, Paris, S.A.D.F.P., 1954, 150 P : résultats d'une enquête menée dans les petites exploitations du bassin de Chateaulin. Chombart de Lauwe (J.), Poitevin (J.), Ge.vtio/l de.v exploitatio/l.v agricoles, Paris, Dunod, 1957. Nouvelle édition: Chombart de Lauwe (J .), Poitevin (l), Tirel (l C.), Nouvelle ge.vtio/l des exploitllfion.v agricole,v, Paris, Dunod, 1963, XVI, 507 p. 1'1Bublot (Georges), L'e.l.1Jloitation agricole. Eco/lomie, ge.vtion, analy.ve, Louvain, Nauwelaerts, 1965, 647 p. 20 Launay (Raymond), Beaufrère (Jean-Paul), Debroise (Gérard), L'e/ltrepri.fe agricole. Analy.ve, diag/lo.vtic. prévisio/l, Coll. U, Paris, Armand Colin, 1967,365 p.

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plus importante. Pour réduire cette diversité à l'unité, on ne savait pas trop comment opérer. On a pris l' habitude de tenir des comptabilités matières - les économistes soviétiques ont peut-être servi là d'initiateurs - et pour tirer parti de ces données, on a opéré des transformations auxquelles l'écologie nous a initiées. Les conceptions actuelles des économistes ruraux ne se comprennent donc pas si l'on ignore cet ensemble complexe de notions, qui leur ont donné depuis peu des moyens susceptibles de rendre compte de l'articulation subtile de toutes les parties d'une entreprise agricole. Les géographes n'ont pas été longs à voir le profit qu'ils pourraient tirer de leurs recherches. On sait que parmi les méthodes qui permettent d'améliorer la gestion des fermes, certaines utilisent des moyens de calcul perfectionnés: on tient compte de tous les risques, de tous les aléas, et on définit la combinaison optimale en utilisant des procédés de calcul modernes. Aux Etats-Unis, un des premiers exemples d'application de ces techniques à la gestion d'une entreprise agricole a été celui de la Ferme Seabrook, dans le sud du New Jersey. TI s'agit d'une exploitation géante qui s'est spécialisée dans la fourniture de légumes. La définition d'un programme optimal était là très délicate: il s'agissait de réduire au minimum tous les temps morts qui alourdissent les frais généraux, s'opposent à l'utilisation rationnelle de la main-d'œuvre et d'équipements mécaniques très coûteux. Le problème ne peut être résolu que par une adaptation aussi bonne que possible de l'agriculture aux particularités du climat local. Charles Warren Thornthwaite21a été ainsi amené à définir un programme en fonction des particularités de la saison végétative dans la station de Seabrook. Il a fourni ainsi un des premiers exemples de recherche opérationnelle dans le domaine agricole. En dehors d'applications aussi exceptionnelles, les géographes peuvent trouver dans les nouveaux développements de l'économie rurale motif à réflexion pour bien des raisons. L'analyse des régions rurales leur avait appris qu'il fallait, pour comprendre la campagne et analyser les unités qui la composent, aller au delà de la trame sensible du paysage: c'est ce que l'économiste rural leur permet de faire en partie maintenant. II. L'EXPLOITATION

AGRICOLE

L'exploitation est la cellule de base de toute l'activité agricole. Ses formes sont très variées, comme ses dimensions, son statut et ses fonctions. Toutes les exploitations agricoles ont en commun de réaliser des combinaisons de travail, de matériel et de main-d'œuvre pour tirer 21 Thornthwaite (Charles Warren). « Operations research in agriculture », Joumalof the Operatio/lS Research Society of America. février 1953, pp. 33-38. Repris aux pp. 179-185 de Mc Closkey (1. F.),

Trefethen (F. N.)./ll1roductio/l ci la recherche opératiollnelle, Paris. Dunod, 1961,206 p.

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d'un terroir donné des productions agricoles. Mais que de diversité au delà de ces quelques points communs! La définition que nous venons de donner de l'exploitation agricole invite à en commencer l'étude dans une perspective agronomique, par l'étude de ses productions, par l'analyse de leur imbrication. On sait que les écologistes22 ont coutume de mettre en évidence les caractères du milieu qu'ils étudient en décrivant un double cycle (fig. 1) : 1- celui de l'énergie captée par le milieu, de sa mise en réserve parla matière vivante, puis de son utilisation par d'autres êtres jusqu'à dissipation complète; 2- celui des transformations de la matière vivante. Dans les pyramides écologiques, ils distinguent plusieurs niveaux; le premier est constitué par les végétaux, seuls capables de mobiliser directement l'énergie solaire; au-dessus se trouvent des êtres qui ne tirent leur énergie que de la consommation de la matière vivante fournie par les végétaux (c'est le niveau des herbivores) ou d'autres animaux (c'est celui des carnivores). Certains organismes (niveau des décomposeurs) mobilisent l'énergie que produit la destruction de la matière vivante et sa transformation en éléments minéraux. Ainsi se trouve décrit, à côté du cycle de l'énergie, un cycle de la matière vivante. L'image que l'on s'en fait lorsqu'on ne considère que les consommations d'énergie est très partielle, car la masse réelle des différentes composantes vivantes du milieu est sans rapport direct avec l'énergie globale qu'elles dépensent. Aussi a-t-on coutume de compléter le tableau décrivant le cycle de consommation d'énergie ou celui montrant les échanges de matière entre les organismes vivants par une pyramide montrant les biomasses correspondant à chacun des niveaux. Dans les schémas généralement établis pour l'analyse d'un milieu naturel, l'ensemble des échanges de matière est bouclé sur lui-même, si bien qu'il n'y a ni exportation, ni importation. Il n'en va pas toujours ainsi: une partie de la biomasse est mobile et les restitutions ne se font pas là où les consommations ont lieu. Les produits qui résultent de la minéralisation de la matière organique sont généralement solubles, si bien qu'une partie parfois importante se trouve entraînée par les eaux. Au total, on peut établir un bilan d'ensemble des relations qui se nouent à l'intérieur d'un milieu donné et un bilan aussi des relations qu'il établit avec l'extérieur. Les principes de l'analyse que les écologistes font du milieu naturel peuvent être utilisés à la description de ce qui se passe dans ce milieu tout à fait particulier que constitue l'exploitation agricole (fig. 2). On mesure d'abord le rendement énergétique total du système en montrant ce qu'il reçoit comme énergie solaire et ce qui se trouve utilisé par les végétaux et mis en réserve sous forme de biomasse. Une partie 22 On pourra se référer par exemple à Odum (E. P.). Odum (H. T.), FundamentalJ of Ecology, Pllillldelphie, W. B. Saunders. l'' éd., 1953, 2Céd., 1959. Stoddart (D. R.), « Organism and ecosystem as geographical models», pp. 511-548 de Chorley (R. J.), Haggett (P.) (ed. by), ModelJ in Geography, Londres, Methuen, 1967,816 p.

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de celle-ci est sans intérêt direct pour l'exploitant et subit un cycle de transformation similaire aux transformations du milieu naturel - les végétaux sont utilisés par une faune de petits herbivores, de rongeurs. L'ensemble de ces végétaux parasites et des animaux qui s'en nourrissent - ou qui sont concurrents des animaux domestiques pour la consommation des plantes nobles - constitue une portion du circuit global de matière vivante qui échappe au contrôle direct de l'agriculteur : l'essentiel, pour lui, c'est la portion du circuit qu'il organise à son profit; cette partie est plus ou moins complexe suivant les cas. TIarrive que l' homme soit seul consommateur des produits végétaux qu'il sait tirer du sol: en pareil cas, le circuit de la matière vivante est réduit au minimum; dans d'autres circonstances, il s'allonge dans la mesure, où l'homme ne consomme que des produits animaux, et n'utilise qu'indirectement la végétation (fig. 2).

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En additionnant les deux portions du circuit de matière vivante, on peut reconstituer l'ensemble et apprécier sa productivité physique - on peut voir quelle est la part d'énergie captée par le système à la base et la part qui se trouve récupérée dans chacun de ses étages successifs. En comparant la productivité totale d'un milieu naturel et celle d'un milieu

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analogue cultivé par l'homme, on peut se faire une idée de l'efficacité avec laquelle celui-ci tire parti des possibilités de l'environnement. Pour la partie du circuit de matière vivante qui est contrôlée par l' homme, on peut établir une série de balances qui permettent de suivre le détail des transformations. Comme le montre la figure (fig.2), on distingue dans la vie de l'exploitation agricole plusieurs boucles plus ou moins complexes: dans certains cas, il n'existe que deux étages, dans d'autres, il y en a trois. Le plus souvent, dans les pays tempérés, l'exploitation comporte à la fois deux et trois étages: une partie du produit végétal est utilisée directement par l'homme (la pyramide est à deux étages) et une partie va aux animaux domestiques. Parmi ceux-ci, certains ne servent qu'à fournir du travail, alors que d'autres fournissent des produits alimentaires: avec eux, la pyramide est à trois étages. Pour exprimer les équivalences et les passages d'un étage à l'autre, il faut disposer d'une unité comptable: les écologistes en utilisent une, la calorie, qui leur permet d'évaluer ce qui vient du soleil, ce que les plantes emmagasinent et ce que les animaux et les hommes utilisent. Dans la pratique, on utilise des unités dérivées, comme l'unité fourragère qui correspond, dans sa définition initiale, à l'énergie que donne un kilo d'orge, c'est-à-dire 3000 calories: la comptabilité en termes énergétiques permet de trouver une unité commune aux différentes boucles de l'exploitation rurale; elle est un des présupposés de toute comptabilité en termes éconoITÛquespuisqu'elle permet de comparer les prix d'éléments qui n'ont par ailleurs rien de commensurable. Les diagrammes construits par les écologistes permettent d'établir le bilan général des échanges du ITÛlieuavec l'extérieur. TIest possible de faire le même travail pour une exploitation, mais là les conditions sont beaucoup plus complexes. A l'intérieur même de l'exploitation, les échanges dans chacune des unités élémentaires que constituent les pièces de terre sont fréquemment déséquilibrés - ce qui complique l'étude des restitutions. A l'échelon d'ensemble, les conditions sont très variables. Dans les éconoITÛesde subsistance, le problème est assez simple: la strate supérieure, celle des consommateurs humains, réside sur l'exploitation, si bien que le bilan d'ensemble est assez comparable à celui que l'on trouve dans le ITÛlieunaturel et que le système peut vivre pratiquement refermé sur lui-même. Lorsque l'on passe à l'éconoITÛe ouverte, les conditions changent: une partie, voire même la totalité, des éléments destinés aux hommes, sert à alimenter des gens qui ne résident pas sur place. Les exportations prennent une place majeure dans le système et le problème des restitutions se pose en des termes nouveaux. La conception écologique de l'exploitation agricole sert de base plus ou moins explicite à tous les travaux modernes. Elle guide l'analyse d'une partie des circuits qui caractérisent la vie de la ferme. Elle met clairement en évidence l'opposition qui existe entre les systèmes d'économie domestique et ceux d'éconoITÛe ouverte. Elle n'est pas suffisante pour rendre compte de tout ce qui fait la complexité

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de l'exploitation agricole. Pour cela, il faut adopter la langue et les méthodes de l'économiste. Celui-ci décrit aussi des circuits et certains des éléments de boucles qu'il met en évidence se superposent de manière parfaite à ceux que l'écologiste décrit: ainsi, dans tout ce qui touche à la production, l'économiste se trouve conduit à relater des transformations de biens qui sont celles que l'agronome a analysées du point de vue des sciences naturelles (fig. 3). Mais il essaie de déterminer les facteurs de ces transformations. Pour cela, il analyse la manière dont sont utilisées les diverses ressources en énergie (en parlant en termes d'analyse fonctionnelle, à la manière de Launay, Debroise et Beaufrère) : il étudie successivement les contributions de la terre, des moyens de traction, des moyens matériels, du cheptel vif, de la main-d'œuvre, des services à l'élaboration du produit. Plus classiquement, il montre comment se combinent la terre, le capital, le travail et il insiste sur le rôle de celui qui assure la responsabilité de la combinaison, c'est-à-dire de l'entrepreneur. Il distingue alors la progression des opérations qui conduisent au produit final. Il définit des boucles intermédiaires, des circuits parallèles. Ainsi, dans l'exploitation agricole, il montre comment, au niveau de la production agricole, interviennent la terre, le travail, le matériel. Cette production agricole est utilisée de manière diverse. (1) Elle constitue pour partie un produit final, destiné à la consommation. (2) Elle sert à fournir l'énergie nécessaire à une partie des transformations opérées - en nourrissant les bêtes employées au labour et aux différents travaux agricoles. (3) Elle donne naissance à un nouveau cycle de transformation en permettant d'entretenir le cheptel vif qui fournit des produits de consommation - en pareil cas, le produit de la culture entre dans la catégorie des biens intermédiaires. L'analyse des circuits de production ne constitue qu'une des étapes du travail de l'économiste: celui-ci essaie de voir comment les richesses créées circulent. Il retrace donc le cheminement des revenus créés par la production, puis leur affectation. Là, la diversité est très grande dans le domaine agricole. Dans les exploitations qui vivent en autosuffisance, les choses sont simples (fig. 3a), puisque les différents circuits sont réduits au minimum - pas d'intermédiaire monétaire, les richesses circulent directement. La rétribution du travail se fait en nature et les travailleurs vivent de l'allocation qu'ils reçoivent. On comprend que les économistes ruraux aient longtemps négligé l'analyse précise des modalités de cette ventilation. Elle n'a attiré leur attention que depuis une génération, ou un peu plus. En Union Soviétique, après la révolution d'octobre, le travail de réflexion sur les conditions de la production agricole a été très fécond durant quelques années. Il était difficile de considérer les petites exploitations de l'ancienne Russie comme des

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de géographie

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entreprises capitalistes: certains spécialistes comme A. V. Chayanov2~ s'efforcèrent de caractériser les entreprises paysannes traditionnelles, de montrer quelles étaient leurs fonctions propres, de déterminer comment elles répartissaient entre les membres qui les composaient le revenu qu'elles créaient. Très souvent, ces entreprises familiales comprenaient des membres qui tiraient des revenus d'activités non agricoles, artisanales ou commerciales par exemple. Chayanov montrait la manière dont ces différents circuits étaient articulés les uns aux autres. Les diagrammes qu'il dessinait mettaient pleinement en évidence la complexité des relations de distribution et d'affectation au sein de cette unité jusqu'alors si négligée. Il expliquait que l'équilibre de l'ensemble ne pouvait se comprendre si l'on adoptait la démarche classique des économistes. Ce qui caractérise la petite exploitation familiale qui vit en économie autarcique ou partiellement autarcique, ce n'est pas la recherche du profit maximum, mais celle d'une certaine stabilité, ce qui la conduit à une exploitation de sa propre capacité de travail. Une partie de l'analyse de Chayanov retraçait la manière dont ces fermes familiales s'intègraient dans les circuits d'une économie marchande: ceci nous éloigne du cas de l' autosubsistance, mais nous laisse entrevoir que les principes mis en évidence dans le cas de la ferme traditionnelle peuvent aider à comprendre les situations de transition, celles qui sont les plus fréquentes, peut-être, dans notre monde. Dans les économies très ouvertes, les agriculteurs renoncent de plus en plus à produire pour leurs propres besoins. Leurs récoltes sont destinées à la vente, si bien que la rémunération de leur travail est réalisée par l'intermédiaire d'un marché, sur lequel s'établissent les prix des produits agricoles. Le circuit des revenus, comme ceux de la dépense paysanne (fig. 3b), ne constituent plus qu'un élément des faisceaux très complexes de l'économie générale. Dans le cas le plus simple, celui où l'exploitant est propriétaire de son sol, et consomme les produits qu'il obtient directement, l'affectation du revenu n'offre pas de difficulté, puisque les fonctions du travail et de l'entreprise sont confondues. Au fur et à mesure que les circuits deviennent plus complexes, on voit le problème de la répartition devenir plus délicat: qui joue le rôle d'entrepreneur? Quelle part doit revenir aux propriétaires du sol, du capital fixe ou du capital mobile? Parvenue à ce stade, l'analyse de l'exploitation agricole conduit à préciser un certain nombre de points longtemps négligés. Celle-ci estelle une entreprise au sens plein du terme? Certains refusent de voir dans les fermes familiales autarciques des entreprises. Il nous semble que c'est là une interprétation trop restrictive, dans la mesure où la responsabilité de la combinaison des facteurs peut être aussi lourde dans une unité close que dans une unité ouverte vers l'extérieur. Mais dans B Chayanov (A. V.) (ed. by Daniel Thorner. Basile Kerblay, R.E.F. Eco/lomy, Homewood (111.). Richard D. Irwin, 1966, LXXV, 317 p.

Smith), The Theory of Pea.WInt

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les économies traditionnelles, comme dans les économies commerciales, la fonction d'entreprise se trouve parfois partagée entre plusieurs personnes, dont certaines sont extérieures à l'exploitation: c'est là un des caractères les plus originaux du monde agricole. Dans beaucoup de sociétés paysannes, on constate par exemple que le choix des combinaisons n'est pas affaire individuelle: c'est le groupe qui décide si bien que l'exploitation agricole n'est pas une entreprise au sens plein du terme: ce qui correspond à l'entreprise, avec la combinaison d'innovation et de risques que nous lui attribuons habituellement, c'est la grande unité qui coiffe et domine les exploitations individuelles: il s'agit parfois du grand propriétaire qui garde un droit de direction sur la ferme qu'il loue ou donne à mi-fruit; il s'agit dans d'autres cas de la communauté rurale qui règle l'usage des terres, choisit les dates des travaux et organise le cadre général de la vie. Tout ceci compose une image très complexe qu'il faut analyser si l'on veut comprendre en profondeur la vie agricole. On a parfois tendance à considérer la multiplication des productions intégrées comme un phénomène récent qui dépouillerait l'exploitation agricole de ce qui constituait depuis toujours son originalité, c'est-à-dire sa fonction d'entreprise. En fait, la plupart des systèmes traditionnels sont des systèmes où la fonction d'entreprise est divisée entre l'exploitation et des entités extérieures, la communauté, le propriétaire et souvent les deux, en proportion variable, selon des modalités que l'étude de l'économie manoriale nous a appris à connaître en Europe médiévale2" mais dont on n'a pas toujours compris la très large signification économique. L'analyse de l'exploitation agricole, lorsqu'elle est parvenue à ce point, est suffisamment avancée pour que l'on puisse distinguer les différentes boucles de circuit qui la composent et savoir leur importance relative. Les économistes modernes sont parvenus de la sorte à étendre considérablement le champ d'application des méthodes de comptabilité. Il y a une génération encore, l'étude de la gestion de l'exploitation agricole n'était concevable que dans le cadre de très grandes entreprises menées sur le mode capitaliste. Les premières expériences systématiques menées en ce sens en France avant la Seconde Guerre mondiale l'ont été dans le Soissonnais2~- dans la région où les fermes se rapprochent le plus du modèle classique de l'entreprise industrielle. A l' heure actuelle, la situation est différente. L'élaboration de comptabilités est lourde, ce qui interdit évidemment de la généraliser à toutes les exploitations, mais tous les types sont susceptibles d'être analysés avec fruit par l'économiste. En France, cette évolution est accélérée par la mutation rapide qu'est en train de subir le monde 2" On consultera Bloch (Marc), LeJ caractèreJ originaux de l'hiJtoire rurale françaiJe, Oslo, 1931, 2e édition. Paris, Armand Colin, 1952, 265 p.; Duby (Georges), L'écol!omie rurale et la vie deJ campagne,ç dan,ç l'Occide/llmédiéval, Paris, Aubier, 1962, 2 vol. 822 p. 2~ M. Jean Fel1é avait créé, en 1927, l'Office de Comptabilité agricole de l'He de France, dont l'action s'étendait surtout dans le Soissonnais. Ferté (Jean), La comptabilité agricole en France, Paris, La Maison Rustique,

1939.

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aglicole et qui fait disparaître une bonne partie des entreprises les plus traditionnelles, les plus difficiles à connaître. Ailleurs, dans le monde sous-développé, on commence aussi à mieux cerner la rationalité économique d'exploitations qui sont très diverses. Certaines études, comme celles de Colin Clark et HaswelF6 se situent au niveau de la branche d'activité, bien plutôt qu'à celui de l'entreprise, mais elles apportent des données neuves sur le niveau réellement atteint par les exploitations traditionnelles. D'autres sont plus originales27,qui font comprendre la surprenante vitalité des systèmes traditionnels de l'économie itinérante: malgré .leur apparente fragilité, leur faible technicité, ils sont efficaces, en ce sens qu'ils offrent à travail égal une rémunération bien supérieure à celle que procurent des systèmes plus intensifs et plus savants. On peut donc arriver à connaître, pour les exploitations de tout un pays, ce que rapporte chaque hectare de superficie agricole utile, à préciser combien il nourrit d'unités de gros bétail, à déterminer ce qu'il assure comme revenu brut et comme revenu net. Les résultats ne sont pas toujours parfaits, car bien des choses risquent d'échapper au comptable. Mais les travaux déjà effectués offrent une masse de connaissances précises, à partir desquelles on peut formaliser l'étude des problèmes agricoles. Un des manuels les plus modernes d'économie rurale, celui de Bishop et Toussaint28 utilise ainsi systématiquement les notions d'entrées (inputs) et de sorties (outputs) pour décrire les opérations qui se déroulent dans l'exploitation agricole. C'est ouvrir la voie au calcul économique. Essayons de voir ce que ces recherches peuvent apporter à la géographie rurale. III. L'EQUILIBRE SPATIAL DANS LES ECONOMIES

DES EXPLOITATION TRADITIONNELLES

AGRICOLES

Les résultats qu'obtiennent les exploitations agricoles varient en fonction de leur dimension, de la gamme de productions qu'elles ont choisie, comme de la disposition et de la longueur des circuits qui aboutissent à la consommation des produits. Il est commode, pour mener l'analyse, de distinguer les économies pré-industrielles des économies actuelles où l'agrandissement des exploitations et l'allongement des boucles où celles-ci se trouvent incluses créent de nouvelles conditions d'équilibre. 26 Clark (Colin), VIII, 216 p. 27

ofSubsiuence

AKriculture.

Londres,

McMillan.

1964,

Béguin (Hubert), Modèles Kéogrllphiques pour l'espace rural africain, Bruxelles, 1964; Gould (P.

R.),

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American 28

Haswell (M. R.), The Economics

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his environnement: 53,

Bishop (C. E.). Toussaint

Wiley,

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p.

1963.

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», Annals

of the Association

(if

pp. 290-297.

(W. D.), Introduction

to AKricultural

Economic

Analysis,

New York, John

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Un des traits les plus originaux de l'exploitation agricole traditionnelle, c'est celui qui tient à l'absence d'économies d'échelle importantes. La courbe qui montre la variation des coûts moyens de l'exploitation agricole en fonction de sa dimension présente quelques caractères très généraux (fig. 4) : la portion où ils sont décroissants est absente ou extrêmement courte. Au delà du point où ils sont minimaux, le relèvement se fait très lentement, si bien qu'il existe une zone assez large où les résultats de l'exploitation demeurent presque constants: dans ce système, il y a donc une plage d'indétermination de la taille de l'exploitation. A partir d'un certain moment, pourtant, la courbe des coûts se relève de manière sensible, si bien qu'apparaît une limite économique supérieure de l'exploitation. Pourquoi la courbe de coût ne présente-t-elle guère de secteur où les coûts soient décroissants? Le travail de la terre demande, dans presque tous les cas, beaucoup de main-d'œuvre. Lorsque l'outillage utilisé est purement manuel, les économies que l'on peut attendre d'un accroissement des dimensions sont nulles, car la superficie que peut cultiver un homme seul est alors toujours faible et le travail en équipe n'apporte pas d'amélioration sensible au rendement, quand il ne se traduit pas par une diminution de la productivité, comme nous le verrons plus bas. Lorsque les travaux agricoles sont menés en utilisant la traction animale, des indivisibilités commencent à apparaître: les champs ne doivent pas être trop petits si on ne veut pas augmenter les temps morts. L'unité la meilleure est souvent constituée par la pièce que l'on peut travailler en une journée: les mesures agraires de bien des régions trouvent là leur origine, et l'on parle couramment de journaux, de charrues, pour évaluer les superficies. TI s'agit d'étalons dont la dimension varie d'un point à un autre, mais qui est de l'ordre de quelques dizaines d'ares: les économies d'échelle ne jouent qu'un rôle bien modeste! S'il n'y a pas d'économies d'échelle, il n'y a pas non plus de déséconomies bien marquées dans ce domaine, au moins jusqu'à un certain niveau. Cela explique la présence d'un long palier d'indifférence, avant que ne se manifestent les charges croissantes de la dimension et que les coûts ne se mettent à croître vigoureusement. La grande exploitation présente des avantages sur la petite en un domaine: si les conditions de rentabilité du travail sont analogues, l'unité de direction et la concentration des moyens permettent de mieux répondre aux sollicitations des marchés. Aussi, dans les économies traditionnelles, la prédominance de la petite ou de la grande exploitation dépend souvent de la plus ou moins large ouverture de l'économie agricole. Lorsqu'on cherche à assurer l'approvisionnement de marchés

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lointains et importants, les grandes unités sont mieux armées29: c'est ce que nous montrent la Rome du Haut-Empire ou les possessions européennes à l'époque du mercantilisme, dans l'Amérique intertropicale. Que les courants de relations deviennent moins importants et le système se trouve compromis. La grande propriété romaine se transforme au Bas-Empire, en laissant se multiplier les exploitations quasi-indépendantes des colons; les plantationsw, en pays colonial, luttent contre les crises en confiant à leurs ouvriers des lots individuels destinés à recevoir des cultures vivrières. CaOII

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Figure 4- Coûts et distances Mais à partir d'un certain moment, des déséconomies apparaissent toujours, qui tiennent aux difficultés de direction de la très grande unité. Les ouvriers agricoles ne participent pas directement aux résultats de l'entreprise, si bien qu'il faut prévoir un système de surveillance. Celle-ci devient de plus en plus difficile lorsque l'espace mis en valeur augmente et que l'on est obligé de créer des centres de résidence distincts pour les travailleurs. Plus généralement d'ailleurs, la source essentielle des déséconomies réside dans les frais qui résultent de la distance. Ceux-ci n'apparaissent comme une charge difficile à supporter que lorsqu'on a à couvrir

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29 Sur la finalité économique de la grande propriété à l'époque romaine, on consultera par exemple Rivet (A. L. F.), Town and COUlltryÙI Romain Britain, Londres, Hutchinson, University Library, 1958, 196p. .10

Sur l'économie de plantation, on consultera par exemple Waibel (Leo), Capitulosde geografia

tropical e do Brasil, Rio de Janeiro, 1958; Gregor (Howard F.), «The changing plantation », Annal.ç of the A.ç.mciation of American Geographer.ç, vol. 55, 1965, pp. 221-238; Courtenay (P. P.), Plantation Agriculture, Bell's Advanced Economic Geographies, Londres, Bell, 1965, VIII, 208 p. C'est dans l'article de Howard F. Gregor que se trouve le mieux dégagée la signification économique de l'agriculture de plantation.

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économies d'échelle pour le travail des champs disparaissent au niveau de un ou de quelques hectares. Là réside l'explication véritable du long palier de la courbe des coûts d'exploitation et de la variété des modes de répartition et de groupement des terres cultivées. Les charges de transport sont minimales lorsque les bâtiments d'habitation sont au centre de l'espace utilisé, mais les pièces de terre peuvent être éloignées de plusieurs centaines de mètres sans que les frais généraux se trouvent sensiblement élevés: aussi les exploitations familiales peuvent aussi bien s'ordonner par blocs compacts autour de fermes dispersées, que par parcelles isolées les unes des autres autour d'un hameau ou d'un village. Dans le second cas, l'exploitation supporte des charges directes plus élevées, mais ceux qui la mènent bénéficient d'avantages sociaux souvent supérieurs et peuvent s'appuyer sur une organisation collective et profiter de systèmes d'entraide. Très souvent, l'exploitation n'est alors qu'une entreprise à responsabilité partielle. Au fur et à mesure que l'on s'éloigne de l'exploitation, le temps perdu en déplacements augmente, les soins que l'on peut donner aux cultures deviennent plus difficiles à assurer. La distance introduit une différenciation dans l'utilisation des terres. Michaël ChisholmJJ a étudié systématiquement l'ordonnance des cultures en fonction de la distance au siège de l'exploitation: dans beaucoup de cas, on voit se disposer les terres en zones concentriques. La première reçoit les soins les plus attentifs ou abrite les bêtes que l'on ne peut astreindre à des déplacements trop longs: les jardins, les vergers pâturés dessinent un cercle étroit et exploité de manière très intensive. Au-delà, on cultive les céréales, les racines fourragères, on crée les prairies de fauche. La zone externe des terroirs ne peut recevoir que peu de soins: elle est consacrée aux pâtures extensives ou à des cultures temporaires. Cette disposition se retrouve dans de nombreux systèmes de cultures. Selon les climats et les sols, l'affectation des différents cercles est variable, mais le principe général est le même. Les gros villages méditerranéens offrent les exemples les mieux connus d'organisations de ce type - comme Michaël Chisholm le souligne. Il existe une dimension maximale des aires que l'on peut effectivement exploiter à partir d'un habitat fixe. On peut arriver à repousser un peu cette limite en affectant les zones extérieures à des productions qui ne demandent qu'un petit nombre d'heures de travail: un habitat temporaire permet d'abriter les cultivateurs durant les quelques jours qu'ils passent tous les ans pour labourer ou récolter. Si les terres lointaines servent à l'élevage, quelques bergers surveillent les troupeaux de la communauté et vivent séparés du reste du groupe durant quelques mois de l'année ou en permanence. Mais ces solutions entraînent une baisse progressive du rendement des terres avec la 'I Chisholm 207 p.

(Michaël),

Rural Seulement

and Land Use, Londres,

Hutchinson

University

Library,

1962,

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économique

distance: dans un état économique donné, il existe une limite à cette extensification; lorsque la demande de produits agricoles augmente, cette limite se déplace, se situe plus haut, si bien que la dimension maximale des entreprises (qu'elles soient unitaires, ou fragmentées en exploitations) varie avec l'état économique et social.

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Figure 5- Coûts de transport et répartition des cultures

La dimension maximale de l'espace agricole que l'on peut cultiver sans augmentation trop forte des frais et sans baisse des rendements trop catastrophique se lit donc, dans la plupart des économies traditionnelles, à la taille des terroirs exploités par des communautés rurales. La dimension de ceux-ci dépend pour une part des conditions physiques locales ou de préférences individuelles, si bien qu'il n'y a pas de rigidité absolue dans l'organisation des campagnes: mais la régularité assez remarquable des dimensions des terroirs à l'échelle de vastes régions montre assez l'importance des facteurs économiques. Les grandes exploitations unitaires se heurtent aux mêmes problèmes et trouvent les mêmes bornes. Les dimensions limites que font apparaître les déséconomies de distance varient beaucoup avec les conditions générales de la vie agricole. Les systèmes très extensifs, demandant peu de travail, supportent beaucoup mieux que d'autres les grands espaces. TIen va ainsi des élevages primitifs, si bien que les zones où dominent le ranching peuvent être divisées en immenses lots, sans que cela entraîne de difficultés supplémentaires. Dans le cas de systèmes autarciques, la dimension générale de l'aire peut se trouver accrue par la nécessité où l'on se trouve de faire de tout: ainsi les montagnards jurassiens ou valaisans tenaient~ils à posséder quelques parchets dans la vallée ou à la bordure de la montagne pour produire leur vin et subsister ainsi complètement sur eux-mêmes. En pareil cas, l'équilibre spatial du

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monde rural dépend de celui de chacun des produits qui composent le circuit économique clos. Comme la distance où sont cultivés certains biens est plus longue que les autres, on est tenté d'agrandir l'unité pour lui permettre de mieux satisfaire à la condition d'autarcie. Cela se traduit sur les cartes par l'allongement des terroirs que l'on observe fréquemment au contact d'unités physiques différentes: on assure de la sorte une meilleure organisation de l'ensemble; les frais d'exploitation sont accrus, mais cet accroissement est compensé par la maîtrise plus totale de l'ensemble du circuit de production. Dans le cas de sols très pauvres, de terroirs très dissemblables, la dimension de l'unité englobante qui intègre les différentes exploitations particulières et facilite la réalisation de l' autosuffisance peut être très vaste; c'est le cas des communautés montagnardes d'Europe, celles des Pyrénées ou celles des Alpes en particulier. Dans ce cas et exceptionnellement, l'entreprise collective peut être ordonnée autour de plusieurs centres d'habitat: il n'y a pas coïncidence du terroir groupé autour du village et de la cellule économique responsable de l'ensemble du circuit économique. Lorsque l'exploitation agricole est intégrée dans une économie de marché, les conditions lui imposent des formes différentes: comme nous l'avons vu, les grandes unités trouvent des conditions meilleures et on rencontre moins souvent les systèmes d'entreprise partielle avec exploitations à responsabilité et liberté limitées que l'on observe ailleurs. Les cultures sont ordonnées en fonction non seulement du foyer de l'entreprise productrice, mais aussi du lieu central où le circuit de consommation se noue au circuit de production. Au début du XIXe siècle, von Thünen32s'est justement rendu célèbre en montrant comment la spécialisation des exploitations se fait en fonction de la distance au marché: dans un monde où les transports sont très onéreux, la rente de situation impose une zonation rigoureuse (fig. 5), qui ressemble, en plus grand, à celle que l'on trouve autour des villages où règne l'autoconsommation. Comme les besoins du marché urbain sont différents de ceux de l'exploitation, certaines particularités se dessinent pourtant: pour alimenter les foyers domestiques, pour chauffer les maisons, pour alimenter les industries, les besoins de bois sont tels qu'une zone forestière doit se développer à proximité des grands marchés de consommation. Comme les charges qui pèsent sur le transport du bois sont écrasantes, certaines cultures, et la plus grande partie de l'élevage destinées au centre urbain se trouvent rejetées à l'extérieur du cercle forestier. L'orientation vers le marché de l'économie traditionnelle donne parfois aux grandes exploitations à direction centralisée plus d'efficacité qu'elle n'en laisse aux petites exploitations combinées en macroentreprises collectives. Cela n'augmente pourtant pas les dimensions 12 Thünen

(Johann

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de géographie

économique

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limites de l'aire organisée par l'entreprise, bien au contraire. Le problème n'est plus de faire dans chaque exploitation tout ce qui est nécessaire aux besoins différenciés d'une cellule sociale, mais de minimiser les frais de production, afin de mieux se placer sur un marché concurrentiel. Les annexes éloignées des terroirs traditionnels, les zones de parcours ou d'exploitation extensive qui permettaient de vivre sur soi perdent de leur intérêt: l'ouverture de l'économie se traduit par une régularisation de la taille limite des terroirs exploités par une même unité, par l'abandon des parties marginales, par leur regroupement parfois autour de sièges d'exploitation nouveaux. Des hameaux, ou de grandes fermes, s'installent dans ces zones autrefois peu exploitées, pour pratiquer des spécialisations en fonction du marché général. IV.

L'EQUILIBRE SPATIAL DE L'AGRICULTURE DANS MONDE ACTUEL: L'EXPLICATION CLASSIQUE

LE

Dans le monde agricole traditionnel qui essaie de s'ouvrir au commerce, la tyrannie de la distance est ainsi à peu près absolue. Avec la révolution des transports, tout change. Jusqu'alors, la portée des biens livrés par l'agriculture était supérieure à celle du travail agricole, mais elle était du même ordre de grandeur. Les charrois de fumier, les déplacements de troupeaux, les allées et venues du personnel d'exploitation ne pouvaient se faire sur des distances aussi longues que celles où pouvaient s'effectuer les envois de blé, de vin, de bétail: la limite, pour les premiers s'exprimait en kilomètres, pour les seconds elle dépassait la dizaine de kilomètres, mais excédait rarement la centaine lorsqu'on les acheminait par voie de terre. Aussi, la fermeture ou l'ouverture de l'agriculture se lisaient dans une ordonnance différente des paysages, mais le poids de la distance restait toujours prépondérant dans la répartition des activités agricoles. Avec les transports modernes, les conditions sont tout à fait différentes. Dans le domaine de la production, les contraintes de distance demeurent sévères. Les chemins ruraux se sont améliorés, les tracteurs permettent de déplacer plus vite des charges plus lourdes, le vélomoteur ou la voiture particulière conduisent plus rapidement le travailleur au champ: mais on ne peut multiplier à l'excès les déplacements si on ne veut pas perdre trop de temps. Pour les bêtes, les vitesses n'ont pas varié, si bien que l'ordonnance des pâtures autour des lieux d'exploitation est toujours dominée par les mêmes impératifs. Pour le circuit de distribution, les conditions sont totalement différentes: la plupart des produits peuvent être écoulés à des centaines de kilomètres ou même à des milliers sans que cela grève les coûts de manière trop forte. La distance aux lieux de consommation continue à être un facteur de spécialisation, mais un facteur qui n'a d'effet visible qu'à très grande

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échelle - celle du monde. Michaël ChisholmH a rassemblé des données qui montrent très clairement que la répartition des activités s'ordonne autour des grands foyers d'importation et de consommation mondiales que constituent les pays industrialisés de l'Europe du Nord-ouest, et de l'Amérique du Nord: ainsi, la comparaison entre les spécialisations des zones tempérées des deux hémisphères révèle incontestablement la prédominance des activités très intensives dans l'une, des activités extensives dans l'autre. Mais ces règles ne suffisent plus à expliquer la diversité des utilisations du sol que l'on observe dans la plupart des pays. Les contraintes de distance ne sont plus efficaces que dans le cas de produits dont la conservation est fragile: leur liste se raccourcit sans cesse, au fur et à mesure que les techniques du froid se perfectionnent. Quels sont donc les critères qui vont déteminer la spécialisation des exploitations agricoles? Il Y a longtemps que l'on a fourni des réponses à cette question. Au moment où se développent les premières études de géographie économique, dans la seconde moitié du XIX"siècle, la plupart des économies agricoles viennent de subir le choc de la révolution des transports. Ce que l'on considère comme la situation normale, c'est celle que l'on a sous les yeux: les producteurs cherchent à s'assurer les meilleures conditions de vente possibles en profitant des avantages que les sols qu'ils cultivent, le climat de la région où ils sont installés leur confèrent. De là vient l'attention presque exclusive accordée aux facteurs physiques dans la détermination des conditions de spécialisation. Chacun des «pays» dont on se plaît à reconnaître l'originalité vend sur le marché un ou deux grands produits - une ou deux « spécialités », pourrait-on même dire. Les géographes ne sont pas les seuls à être obnubilés par l'idée que chaque région est faite pour certaines productions. En France, où les systèmes de commercialisation restent plus marqués qu'ailleurs par les conditions qui régnaient à la fin du XIXe siècle, on se montre beaucoup plus soucieux de garantir

l'origine, le « cru », que la régularitédu produit. Les analyses des agronomes et celles des géographes ont cependant montré la part d'illusion qu'il y avait ainsi à mettre l'accent sur le pur déterminisme physique dans la délimitation des aires de production. Les régions de cultures spécialisées sont des créations humaines. La démonstration en a été faite pour l'ensemble des vignobles français dans la grande étude de Roger DionJ4.Les analyses de détail qui se multiplient à l'heure actuelle insistent toutes sur la part de création des terroirs, des sols par les cultivateurs; elle compte souvent autant que les aptitudes naturelles pour comprendre la répartition actuelle des activités. Dans bien des régions aussi, les limites qui semblaient importantes et marquées par la nature de manière )) op. cil., cj: pp. 76-112. )4 Chishohn (Michaël), Rural Settlement Dion (Roger), Hisloire de la vi~ne el du vin en France des (//'i~illes au XIX' .~iècle, Paris, Doullens, Imp. Sevens, 1959, XII, 768 p.

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parfaitement claire se modifient sans cesse. Roger Brunep5 a justement souligné, dans les conclusions de sa thèse, combien les petits pays perdaient de leur netteté à l' heure actuelle. Les modifications des techniques culturales y sont pour beaucoup. Ce qui donnait l'avantage à tel ou tel secteur, c'était la composition du sol, la manière dont il pouvait être pris par les labours ou encore la date des dernières gelées au printemps, la durée des périodes de sécheresse au moment de la maturation. Les différences importantes demeurent difficiles à effacer, mais beaucoup de nuances ont cessé d'être sensibles grâce à la mécanisation, à l'emploi de variétés nouvelles, à la généralisation des moyens de lutte contre le gel, ou au développement de l'irrigation de complément dans des zones où elle semblait complètement inutile il y a quelques années. Le problème de l'équilibre de la production dans les économies agricoles ouvertes est beaucoup moins simple qu'il n'apparaît en première analyse. Il est clair que dans un marché où la distance n'est plus un régulateur suffisant, les vocations vont être conditionnées par les rentes de fertilité. Comment donc analyser leur influence sur le système agricole? Von Thünen portait sur un graphique (fig. 5) les distances en abscisses, les rentes obtenues en ordonnées: il lisait de la sorte les spécialisations les plus avantageuses pour chaque secteur. Pour l'analyse des rentes de fertilité, utilisons une technique un peu comparable. Dans un ensemble territorial, il existe généralement certaines cultures ou certaines utilisations du sol qui sont partout praticables, si bien qu'il est possible de classer toutes les terres en fonction de leurs aptitudes dans ce domaine. Nous allons porter en abscisses les unités de terre en les disposant en fonction de leur fertilité pour un produit donné A ; comme l'espace étudié est [mi, la courbe (A) qui représente ainsi les aptitudes se trouve comprise entre deux verticales (fig. 6). Reportons maintenant, sur le même graphique, les données relatives à la fertilité des terres eu égard à une autre production, soit B. Le résultat obtenu (courbe B) peut varier énormément. Il arrive que les terres qui sont les plus aptes à produire A sont les moins bonnes pour obtenir B (fig. 6a) : il en va ainsi dans un pays comme la France pour la production des céréales et celle des vins de qualité supérieure. En pareil cas, le choix des spécialisations est évident - encore qu'il faille tenir compte du niveau général de la demande pour fixer les limites comme nous allons le voir plus bas. ,5

Brunet (Roger), Leof campagneof tou!ouofaineof, op. cit.. pp. 679-685. Au début du XXe siècle encore, avant les progrès des techniques agricoles, le poids des contraintes physiques semblait devenir toujours plus f0l1 dans la délimitation des espaces de production agricole: Baker (O. E.), « The Increasing Importance of the Physical Factors in Determining the Utilisation of Land for Agricultural and Forest Production in the United States», Anna/of of the A.çofociatiOlI (lf American Geographer.ç, vol. II, 192\, pp. 17-46.

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Figure 6- Fertilité et répartition des cultures

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Il peut arriver que les deux courbes de fertilité aient le même mouvement général - que les rendements et les rentes pour A diminuent lorsqu'ils diminuent également pour B (fig. 6b). Si les mouvements sont d'ampleur inégale, si la rente obtenue pour A est supérieure en un secteur, inférieure dans un autre, le problème du choix des spécialisations n'offre pas de difficulté apparente - réserve toujours faite des volumes respectifs de l'offre et de la demande. Il peut arriver que ..les rentes de A et de B varient dans le même sens et que celles de A soient constamment supérieures à celles de B (fig. 6C). Dans ces conditions, tous les producteurs ont intérêt, dans un premier temps, à se tourner vers A. Aussi l'offre de A augmente-t-elle sur le marché global, ce qui entraîne une diminution de ses prix, alors que la demande de B n'étant pas satisfaite, ses prix augmentent. Les courbes qui expriment les rentes obtenues pour A et pour B se déplacent donc tout entières: la première s'abaisse, la seconde se relève, jusqu'à ce que les prix se stabilisent: à ce moment-là, les offres et les demandes figurées en (A') et (B') se couperont de telle manière que les quantités produits correspondent aux conditions d'équilibre. Dans les deux cas précédents, ceux où le sens de la spécialisation était plus clair dès l'abord, l'ajustement des offres et des demandes se réalise de la même manière, si bien qu'aux limites des zones étudiées, il existe un secteur dont la vocation n'est déterminée qu'après que les courbes (A) et (B) ont trouvé leurs positions d'équilibre. Les recherches menées il y a une dizaine d'année par Klatzmann'\ pour l'espace agricole français, ont démontré la valeur générale du principe. Les orientations régionales ne se font pas en fonction de la répartition des rendements physiques, mais en fonction de la spécialité ou des combinaisons de spécialités qui permettent d'obtenir, sur un espace donné, la rente ou le revenu net le plus fort possible. Comme toutes les théories de la localisation mises au point dans la tradition classique, celle de la spécialisation agricoleH que nous venons d'évoquer suppose que les producteurs recherchent leur plus grand avantage absolu. En réalité, cela demande des modifications si profondes de la structure des exploitations agricoles et des déplacements de main-d'œuvre qui peuvent être si rapides, que les producteurs .10

Klatzmann (J.). £'ocafi,çation des cultures et des productions animales en FraI/ce. Paris. I.N.S.E.E., Impril11erie Nationale. 1955,477 p. 37 Pour se familiariser avec les théories classiques ou modernes de la localisation agricole. on. pourra dépouiller avec profit les deux grandes revues spécialisées dans le domaine: Economie rurale et The Journal of Farm Economics. On se reporter!!: plus précisément à: Thünen (Johann von), Der i.wlie/1e SWat. op. cit. ; Brinkmann (Théodor), «Die Okonomie des landwirtschaftlichen Betriesbes ». tome VII de Gundris.ç der SoziâWlwnomik. Tübingen. 1922. Traduction anglaise: Theodor Brinkmann's Economics of the Farm Business. Berkeley University of California Press, 1935. 160 p.; Dunn 'E. S.), The Locatioll of Agricultural Production. Gainesville, University of tlorida Press. 1954, 115 p. ; RulIière (Gilbert). ùJcalisations et rythmes de l'activité agricole. Essai d'analyse économique de la notion de structure agricole, Etudes et Mémoires du Centre d'Etudes économiques. Paris, Armand Colin, 1956, X, 348 p. ; Klatzmann (J.). ùJcalisation des culture.~ 01'. cit. D'un point de vue géographique, on se reportera à Mc Carthy (Harold R), Lindberg (James B.), A Preface to Economic Geography. Englewood Cliffs. N. J., Prentice-Hall. 1966, X, 261 p.; Symons (Leslie), Agricultural Geography, Bell's Advanced Economic Geography. Londres, Bell, 1967, X, 283 p.

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choisissent d'autres buts. Les travaux des géographes ont montré la stabilité souvent remarquable, dans le temps, des structures de la propriété et de l'exploitation rurale: voilà qui doit nous inciter à utiliser avec prudence les schémas de l'analyse classique. Essayons de voir ce qui va se passer lorsque dans une région, les exploitants sont soucieux de ne pas quitter la terre que leur ont transmise leurs pères, et lorsqu'ils ne veulent ou ne peuvent pas faire varier le volume de la main-d'œuvre qu'ils emploient - en un mot lorsque deux des facteurs de production (le travail et la terre) et non plus un (la terre) sont immobiles. Sur le graphique (fig. 6d), les cultivateurs de la région MN sont ainsi décidés à ne pas quitter la terre, à ne pas diminuer l'emploi. Normalement, ils devraient opter pour la production de A, puisque la courbe générale de rentabilité de A se trouve au-dessus de B pour le secteur MN. Mais la production de A ne suffit pas à employer toute la main-d'œuvre. Comme il s'agit d'une production très mécanisée et peu intensifiable, l'utilisation de l'excédent de main-d'œuvre se traduirait par une baisse de la rente obtenue (soit A'). La production B peut se prêter beaucoup mieux à l'intensification, car ses rendements varient avec les quantités de travail qui y sont consacrées d'une manière à peu près proportionnelle. En choisissant de produire le produit B, les producteurs de MN pourront améliorer les résultats qu'ils obtiennent: ils pourront tirer de chaque unité de sol un résultat supérieur à celui qu'ils obtiendraient avec la production de A: ils renoncent à recevoir, au moins provisoirement, une rémunération du facteur travail équivalente à celle qu'il obtiendrait s'il était mobile. Cela leur permet de compenser leur infériorité absolue dans la production de B en employant plus de main-d'œuvre: la spécialisation cesse de se faire en fonction de la recherche de l'avantage absolu le plus grand, c'est déjà la règle de l'avantage comparatif qui prévaut - comme dans le cas de la spécialisation internationale. TI n'y a pas de quoi nous étonner - car l'agriculture offre assez souvent l'image de cette viscosité des facteurs de production dont on a précisément cherché à tenir compte en élaborant la théorie classique de la spécialisation internationale: Ricardo n'est-il pas en même temps le père de la théorie de la rente de fertilité, et le premier à avoir exposé de manière systématique le principe de la spécialisation internationale? D'après ce que nous savons de l'histoire économique des cent cinquante dernières années, la répartition des spécialisations agricoles s'explique moins par la recherche de l'avantage absolu le plus grand, que par l'utilisation des avantages comparatifs supérieurs: la première règle ne vaut que là où l'ouverture de l'économie s'accompagne d'un accroissement considérable de la mobilité des travailleurs. Cela a été le cas dans la plus grande partie de l'Angleterre au début du XIXesiècle, grâce à la prépondérance de la grande propriété et de la grande exploitation. Cela a été le cas et pour les mêmes raisons, d'une partie des grandes plaines agricoles de la France du Nord, de la Belgique ou

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de l'Allemagne. Mais dans l'ensemble, les forces sociales ont retenu les cultivateurs: ils ont préféré opter pour la recherche de l'avantage comparatif que pour celle de l'avantage absolu. Ce sont ces forces qui expliquent également le maintien des systèmes d'ouverture partielle sur le monde extérieur qui caractérisent l'économie paysanne des régions happées par la vie économique moderne et que les classiques ne savent pas intégrer à leur schéma. Lorsque l'on passe de l'analyse des localisations à un instant donné à l'étude de leur évolution à long terme, le cadre général de l'explication par le mécanisme des rentes devient de plus en plus mal adapté. Tant que les rentes ne dépendent que d'une fertilité donnée par la Nature, indépendante du temps, tout se passe bien: le classement des terres en fonction de leur fertilité - ou, en langue économique - de leur produit net, est stable. Dans un monde où la terre est de plus en plus un facteur fabriqué, un capital créé plutôt qu'une richesse naturelle, le raisonnement perd son assise: qu'est-ce qui explique l'augmentation de fertilité? Comment se répartit-elle? En fonction des résultats obtenus au départ, ce qui assurerait aux régions les plus riches des avantages croissants, permettrait la concentration de l'exploitation agricole sur les terres les plus fertiles? Assurément dans bien des cas. Mais rien ne nous garantit que ce soit une règle absolue. Les conditions changeantes du milieu actuel n'empêchent pas les économistes ruraux d'utiliser les raisonnements théoriques que nous venons de décrire pour essayer d'expliquer la régionalisation des productions agricoles, pour en tirer des cadres généraux et des règles de répartition optimales. Ce sont des théoriciens de l'entreprise agricole qui sont responsables de ces recherches~H- mais ils nous semblent, ce faisant, oublier l'essentiel de ce que leurs travaux peuvent apporter à la compréhension des répartitions actuelles ou futures. TIest très difficile de passer de la connaissance d'une entreprise individuelle à celle d'une région: Philippe Mainié~')écrit: «Les difficultés que soulève l'agrégation par addition des plans des entreprises sont à peu près insurmontables. Nous ne connaissons pas, à un instant donné, l'effet global des décisions individuelles des agriculteurs... »

Il ajoute cependant: «Est-il tellement irréaliste de faire table rase de la situation' actuelle et, faisant abstraction des entreprises telles qu'elles sont, de considérer une région en ce qu'elle a d'immuable? La nature des sols et du climat, les ressources en eau, le volume des débouchés commerciaux, éventuellement les disponibilités en capital et en travail sont finalement les principales limitations que nous devons

~H

C'est à E. O. Heady que l'on doit les applications les plus connues des nouvelles méthodes d'analyse de l'entreprise à J'étude de la localisation agricole. Heady (E. O.), Egbert (A. C.), « Programming regional adjustments in grain production to eliminate surpluses ", Journal of Farm Economics, vol. 41, 1959, pp. 718-733. .'9 Mainié (Philippe), Calcul économique en agricullUre. Applicatio/l des programme.t linéaires et des jeux, Paris, Dunod, 1965, IX, 183 p.

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Paul Claval considérer... Finalement, en opérant comme pour une entreprise, construisent un programme linéaire extrêmement simple. »

les auteurs

et plus loin: « Rien d'étonnant si nous sommes encore une fois [pour apprécier les conditions de la concurrence régionalel, conduits à utiliser des raisonnements identiques à ceux utilisés dans le cadre de la firme et, en conséquence, à appliquer les mêmes

outils pour résoudrece nouveau problème.»

Partant de ces prémisses, les économistes établissent des modèles de régions agricoles homogènes, où toutes les entreprises sont construites sur le même principe, fonctionnent pour les mêmes marchés, avec les mêmes conditions de rentabilité. De tels raisonnements s'appliqueraient sans doute bien aux agricultures préindustrielles, ou à celles qui étaient contemporaines de l'ouverture des grands marchés: elles offraient les mêmes productions, les mêmes types d'exploitation sur de vastes superficies. Mais les conditions sont en train de changer. Les économistes ruraux nous fournissent le moyen d'expliquer la situation nouvelle, mais ne vont pas jusqu'au bout de leurs raisonnements.

v.

L'EQUILIBRE SPATIAL DE L'AGRICULTURE MONDE ACTUEL: DIRECTIONS NOUVELLES

DANS

LE

Tout l'intérêt des recherches récentes nous semble résider, nous l'avons dit, dans la compréhension plus profonde, plus intime de l'exploitation agricole: c'est en nous penchant sur celle-ci, en étudiant les conditions concrètes de son fonctionnement et de son équilibre que l'on comprend l'image actuelle des campagnes, que l'on devine la direction des courants qui les transforment et feront bien souvent oublier les aspects hérités du monde pré-industriel qui sont encore dominants et qui nous semblent immuables. Dans tous les pays développés, l'autoconsommation paysanne diminue rapidement~o.Elle ne disparaîtra sans doute pas complètement, mais elle ne jouera plus d'ici quelques années qu'un rôle tout à fait marginal. Les exploitants cherchent à obtenir sans cesse de meilleurs rendements, ce qui signifie que les circuits de l'entreprise sont de plus en plus largement ouverts. Dans la plupart des exploitations françaises, avant la Seconde Guerre mondiale, les conditions étaient telles que le circuit de production d'énergie destinée à la culture était fermé: les travaux étaient menés par les animaux de traction que l'on nourrissait avec les produits de la culture. Les régions qui, comme le vignoble languedocien, avaient renoncé à fournir leur énergie en totalité et ~o

Sur l'autoconsommation

(André

de), L'lIutocon.wmmarion

paysanne

en France,

af.:/"icole

on consultera

en France,

Paris,

l'ouvrage

Armand

Colin,

un peu ancien 1952,

p. 292.

de Cambiaire

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de géographie économique

105

achetaient à l'extérieur les fourrages et les céréales destinés à leurs bêtes étaient exceptionnelles. A l'heure actuelle, toutes les régions françaises demandent leur énergie, pour la plus grande partie, aux moyens mécaniques et achètent les carburants ou le courant électrique nécessaires. De la même manière, l'entretien de la fertilité des terres était possible grâce à l'association constante de la culture et de l'élevage, si bien que les engrais achetés à l'extérieur ne représentaient généralement pas de sorties très importantes. De nos jours, l'utilisation des engrais chimiques se répand; dans bien des cas, on n'hésite plus à se passer de fumure organique. V n nouveau circuit clos se trouve donc éclater; l'association intime de l'élevage et de la culture sur laquelle reposait la supériorité des systèmes mis au point en Europe du Nord~Ouest depuis le xvIIf siècle cesse d'être aussi nécessaire. L'ouvelture de l'exploitation agricole entraîne des transformations très profondes de ses conditions d'équilibre. Les circuits économiques propres à chaque ferme se simplifient au fur et à mesure qu'ils s'étendent vers l'extérieur. On renonce à faire de tout, on choisit quelques branches particulières. Les productions liées subsistent

dans la mesure où elles répondent à des nécessités techniques - celles de l'assolement en particulier- mais elles sont abandonnées

lorsqu'elles n'étaient pratiquées que pour des raisons d'économie générale. Vne ferme peut concentrer tous ses efforts sur une des étapes de l'élaboration des produits. Du coup, certaines limitations traditionnelles disparaissent. En réduisant la gamme totale des activités, on se donne la possibilité de mécaniser les opérations: les économies d'échelle commencent à jouer, en agriculture, un rôle qu'elles n'avaient jamais eu jusqu'alors. La courbe des coûts présente maintenant, au départ, une portion correspondant à des coûts décroissants, ce qui se traduit par la gêne sans cesse plus marquée qu'éprouvent les exploitations trop étriquées: elles ne peuvent soutenir la concurrence de fermes plus étendues et qui livrent des produits similaires. Les gains de productivité Ont été surtout marqués dans le domaine de la culture, si bien que l'augmentation de la taille minimale est plus rapide dans les régions qui se tournent vers la production des céréales, que dans d'autres domaines. L'élevage de la volaille a connu une révolution extrêmement rapide: il s'est dissocié de la culture et a connu des réductions de coûts très profondes grâce à la constitution d'unités de production dont la dimension a crû très rapidement. L'élevage des porcs s'industrialise de la même manière. Celui des bovins, dans le domaine laitier, n'en est pas encore au même stade. Tout indique cependant que des progrès importants seront obtenus dans les années qui viennent. Au fur et à mesure que les techniques de récolte des fourrages s'améliorent ou que l'on utilise davantage de céréales dans l'alimentation, il devient moins nécessaire de disperser les bêtes sur les pâtures, ce qui permet là aussi Oneconcentration de la production.

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Dans l'état actuel des techniques, les données qui conditionnent l'équilibre d'une exploitation sont plus diverses que par le passé4'. Sa dimension est devenue un élément stratégique, comme l'est également l'importance de la main-d'œuvre dont elle peut disposer régulièrement. Le calcul économique montre, et l'expérience confIrme, que dans un milieu donné, il n'existe pas d'unique meilleure manière de mener les fermes: selon les techniques utilisées, l'outillage disponible, la dimension, les connaissances et les goûts, des orientations très différentes pourront être retenues avec des résultats intéressants pour l'exploitant. Avec l'augmentation des moyens dont on dispose pour améliorer le milieu, lutter contre ses insuffIsances, c'est tout le principe de la spécialisation régionale qui se trouve remis en cause. La campagne cesse d'offrir normalement un spectacle d'orientation homogène: elle diversifIe ses activités, multiplie les spéculations diverses. Il arrive que l'effet de ces transformations soit directement perceptible dans le paysage: celui-ci offre toute une bigarrure de champs, de vergers, de terres en herbes, qui surprend celui qui est habitué à un manteau plus uniforme. Très souvent, l'évolution est moins voyante, car elle se traduit surtout par la multiplication des formes de valorisation de la production agricole: ce sont les types d'élevage qui changent, mais cela ne se voit guère, si l'on a affaire à des formes semi-industrielles. Ainsi, tel secteur de la Bretagne voit se juxtaposer des fermes qui livrent des œufs, de la volaille, des veaux, des porcs, sans que cela soit décelable pour le voyageur pressé. La bigarrure renforcée de l'espace agricole tient en défInitive à la transformation profonde qui affecte la plupart des exploitations agricoles: dans le monde traditionnel, elles n'étaient que des entreprises partielles et l'innovation était sévèrement contenue par tout un réseau d'habitudes ou d'institutions. L'exploitation moderne est presque toujours une entreprise au sens économique du terme, c'est-à-dire que le fermier pense la combinaison culturale sont il assume les risques. Cela lui est possible, car il a le choix entre plusieurs solutions techniques et qu'il arrive sans diffIculté à se spécialiser dans une branche qui fi' est pas pratiquée autour de lui. Jusqu'à une date récente, l'enseignement du métier d'agriculteur était un apprentissage réalisé sur le tas. 41

On trouvera une mise au point plus complète que celle que nous faisons ici sur les tendances

récentes de l'analyse de l'entreprise agricole et sur la signification géographique des facteurs qui conditionnent l'équilibre dans: Birch (J. W.), «Rural land use and location theory: a review», ; Harvey (David W.), «Theoretical concepts and the Economic Geography, vol. 39, 1963, pp. 272-276 analysis of agricultural land-use patterns in geography», Annal.~ of the AS.wciation of American Geographer.f, vol. 56, 1966, pp. 361-374; Henshall (Janet D.), «Models of agricultural activity», pp. 425-460 de Chorley (R. J.), Haggett (P.), Model.~ in Geography, op. cit. En français, on se reportera également à Malassis (L.), « Les relations entre l'analyse de l'exploitation agricole et les études d'économie régionale », pp. 263-272 de Isard (Walter), Cumberland (John H.), Planification économique régionale, Paris, O.C.D.E., 1961. Toutes ces recherches mettent l'accent sur l'étude des processus de décision. Elles montrent donc, comme nous le soulignons plus bas, que la formation des régions agricoles dépend dans une large mesure de processus de diffusion et d'imitation. On trouvera une description de la création du Corn Belt menée en ces termes dans Spencer (J. E.), Horvath (Ronald J.), «How does agricultural regions originate?» Annals (!fthe Association oft/Ie American Geographer.f, vol. 53,1963, pp. 74-92.

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Aujourd'hui, des écoles professionnelles existent, que viennent compléter les stages, les visites d'étude et tout ce que peut apporter le livre ou le journal technique. On ne se trouve plus lié au stock de pratiques traditionnelles dans la région, on peut rompre avec les pratiques du passé. C'est sans doute cette libération sociologique qu'apportent les nouvelles méthodes de diffusion du savoir technique agricole qui fait le plus pour rompre l'unité traditionnelle des paysages ruraux, car elle donne à. chaque agriculteur un sens nouveau de ses responsabilités et lui apprend à s'adapter à des marchés, à des besoins changeants. La transformation des exploitations agricoles les affranchit donc du milieu traditionnel. Comme il leur est difficile de se mettre en état de lutter contre une concurrence trop vive, très souvent, elles renoncent à une partie de leur liberté: elles se lient à des unités plus vastes. On connaît les exemples d'agriculture intégrée qui se multiplient dans le domaine de l'élevage avicole, de l'élevage porcin ou dans celui de la production des fruits et légumes. Parfois, l'intégration prend d'autres formes, plus discrètes. Le nouvel entrepreneur se voit limité dans son choix par les organismes de vente qu'il a à proximité, ou par les conditions qui s'offrent à lui de profiter de services spécialisés nécessaires à ses spéculations. Voilà donc des éléments qui freinent la diversification des orientations agricoles. L'espace rural garde de la sorte des éléments d'ordre: mais ce ne sont plus les mêmes qu'autrefois. Le milieu technique, les relations avec les centres de transformation des produits, avec les marchés, les infrastructures de service jouent un rôle essentiel dans le maintien de l'homogénéité à l'échelle régionale - mais cette homogénéité n'est plus aussi absolue que dans le cas des sociétés traditionnelles. On se prend du coup à rêver sur les grands espaces homogènes que nous offrait l'agriculture traditionnelle! Devaient-ils leurs caractères, autant qu'on ne le pensait, aux conditions naturelles qui leur imposaient certains choix? Non sans doute, car l'homogénéité des méthodes résultait d'abord de contraintes sociales, du poids du milieu paysan et de l'impossibilité où l'on se trouvait de diversifier les techniques faute d'ouverture intellectuelle. Voilà tout un type d'explication qui se trouve donc remis en question. Les grandes zones de spécialisation qui se sont développées au siècle dernier s'appuyaientelles seulement sur les différenciations de type physique? Certainement pas: lorsqu'on reprend l'étude de la formation des grandes zones homogènes dans le courant du xOC siècle, on s'aperçoit que leurs contours ne s'expliquent réellement que par la dynamique de la diffusion des innovations dans les milieux demeurés fidèles aux types traditionnels de formation professionnelle. L'étude moderne de l'exploitation agricole conduit donc à découvrir l'importance des facteurs proprement sociaux dans la dynamique économique: cela peut paraître paradoxal, mais dans bien d'autres domaines, les

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Paul Claval

développements actuels de la recherche économique redonnent à l'analyse des facteurs humains une place que les généralisations hâtives de naguère leur avaient interdit de prendre dans les explications scientifiques. L'espace agricole traditionnel était homogène dans la mesure où les exploitations qui le composaient étaient par nature incomplètes et n'exerçaient pas toute la gamme des fonctions d'entreprise. La diversification actuelle traduit la transformation des exploitations en entreprises, au sens économique du terme, et la complexité des combinaisons réalisables dans le domaine agricole, ce qui permet de tirer parti de bien des manières du même milieu. Un ordre réapparaît toutes les fois que cette exploitation libérée doit composer avec les autres ou avec les secteurs extérieurs, pour pouvoir s'adonner à la production qu'elle désire: cela traduit en somme l'augmentation de la taille minimale des unités de production ou de commercialisation ou de service, dans le monde rural. TIest possible que l'on retrouve, à terme, lorsque les dimensions actuelles des entreprises auront encore augmenté, une uniformité aussi grande que par le passé: la période actuelle, marquée par l'apparition d'un certain désordre dans les paysages de culture n'aura alors été que transitoire. Elle aura permis de mieux comprendre ce qui fait l'originalité de l'espace agricole et aura montré que les forces sociales et économiques ont plus d'importance pour la compréhension profonde de la campagne que la connaissance des conditions naturelles. Certains problèmes de localisation à l'échelle d'ensemble sont de nature différente de ceux du passé. Une bonne partie des activités

agricolesse fait aujourd'hui « sans terre», pour reprendre l'expression employée depuis quelques années. TI en va ainsi d'une partie des activités de production spécialisée de légumes; mais c'est dans le domaine de l'élevage que la transformation est la plus sensible, comme nous l'avons vu. Comment vont se répartir les activités liées à la terre et celles qui en sont en partie libérées? Le problème de la localisation de l'exploitation sans terre ressemble beaucoup plus aux problèmes classiques analysés par les théoriciens de l'économie spatiale que ce n'était le cas pour la ferme traditionnelle. L'élevage spécialisé reçoit des matières premières venues de la terre et sa position dépend de l'équilibre qui s'établit entre la force d'attraction des matières premières, la force du marché, et celle de la main-d'œuvre. Comme les coûts qui résultent de l'éloignement du marché final ne sont pas toujours très élevés, ce sont les conditions qui tiennent au milieu humain qui jouent le rôle déterminant - la situation est analogue à celle que révèlent les études actuelles de la localisation industrielle. Dans un cas comme dans l'autre, les résultats de l'exploitation dépendent de plus en plus des avantages qui résultent des économies externes: ceci revient à dire que les régions qui disposent d'équipements techniques plus importants ou d'équipements de

Chronique

de géographie

109

économique

services généraux plus parfaits, ont plus de chance de susciter le développement de ces activités que d'autres. Dans un premier temps, les cultures ou les spéculations sans terre ont surtout bénéficié aux zones de surpopulation rurale, où elles ont permis à des exploitations trop petites de subsister ou de prospérer. Si ces régions ne réussissent pas à se doter d'équipements techniques et d'équipements généraux qui les rendent accueillantes, elles risquent de se voir distancées par des terres dont la vocation agricole est médiocre, mais qui doivent à leur environnement social et économique des conditions générales meilleures. En France, ce sont les régions à forte densité de population de l'Ouest qui ont attiré une bonne partie des premières entreprises de spéculations sans terre, mais elles trouvent parfois de redoutables concurrentes dans les grandes exploitations bien gérées des plateaux du Bassin Parisien. A l'échelle européenne, le problème se pose de manière plus aiguë, car la richesse agricole de la France risque de ne pas lui rapporter grand chose, si les entreprises de valorisation se groupent hors de ses frontières, là où une avance considérable a déjà été prise depuis quelques années, comme c'est le cas aux Pays-Bas. A l'échelle d'un pays comme la Belgique, dont les milieux humains sont très contrastés, la concentration des activités sans terre sur un seul secteur, celui de la région flamande, est déjà notable, comme le remarque Georges Bublot dans son traité42.On voit donc que les problèmes de localisation des activités agricoles risquent d'ici quelques décennies, de se poser un peu dans les mêmes termes que ceux de la production industrielle. Les géographes, comme les sociologues, ont admis comme une donnée naturelle l'opposition de deux domaines humains, auxquels il fallait s'adapter en utilisant des méthodes et des procédures différentes. Si les théoriciens de l'évolution sociale affirmaient qu'avec la généralisation des formes de civilisation industrielle, l'opposition des villes et des campagnes devait petit à petit se résorber, rien ne permettait encore, au plan de l'économie, de sentir cette transformation. Les analyses patientes de comptabilité agricole et les études systématiques de gestion viennent de faire franchir un pas essentiel: elles montrent que les équilibres actuels de localisation résultent de l'action de forces plus semblables qu'on ne le croyait généralement, et qu'il y a une similitude profonde entre le monde agricole et le monde industriel et urbain. Elles indiquent que l'on a négligé l'analyse des composantes sociales des systèmes analysés. Voilà qui ouvre aux spécialistes des questions rurales des perspectives renouvelées de recherche - mais qui remet en cause beaucoup de leurs méthodes de travail. Ils se fiaient à l'étude des moyennes pour caractériser les ensembles homogènes qu'ils découvraient. Ils commençaient à utiliser les techniques de l'échantillonnage pour aller au-delà, associer les monographies en profondeur d'exploitations à la connaissance générale des espaces 42

Bublot (Georges),

L'exploitation

awicole,

op. cit., pp. 619-621.

110

Paul Claval

uniformes. Et voilà que l'analyse actuelle remet en cause l'une et l'autre de ces méthodes: comment appréhender un milieu qui a cessé d'être homogène, dont les éléments sont tous différents, ou qui risquent de l'être tous? Cela pose des problèmes qui sont très loin d'être résolus. Ils supposent, pour l'être, que l'on utilise des cadres systématiques d'échantillons dont on teste la signification: les géographes ne sont guère habitués à les manier - mais n'est-ce pas la dernière servitude que leur impose la nature du milieu rural? N'est-ce pas à propos de l'étude des techniques agricoles que les agronomes, pour cerner un réel qui fuyait, ont mis au point bien des aspects de l'analyse statistique? La géographie économique et sociale des campagnes suppose plus qu'aucune autre partie de notre discipline l'emploi des méthodes sophistiquées d'analyse qui sont les seules capables d'en faire une science explicative.

CHAPITRE

1V - 1969

LA LOCALISATION DES ACTIVITÉS INDUSTRIELLES

L'étude des localisations industrielles a été longtemps négligée par les économistes. Au XIXCsiècle, on ne peut guère signaler de travaux importants, alors que les problèmes soulevés par l'agriculture. donnent déjà lieu à de riches interprétations. Depuis 1900, la situation s'est renversée. Les publications relatives à la répartition des fabrications et à la constitution de régions ou de complexes industriels se sont

multipliéesI : elles sont bien plus nombreuses que celles qui intéressent le monde économique rural. Elles laissent l'impression d'être aussi plus cohérentes, parce qu'armées par une théorie plus générale. En étudiant de près le mouvement des idées, on devine, sous l'unité apparente des publications, bien des divergences, des évolutions, des innovations. Plus le temps passe, et plus les schémas proposés paraissent incomplets, imparfaits. Le choix d'un bon site industriel est un problème économique capital: les hommes d'affaires suivent avec intérêt les recherches des théoriciens, comme le font les planificateurs ou les aménageurs. Ils paient souvent fort cher les services des bureaux d'étude qui appliquent les méthodes scientifiques de détermination des implantations pour résoudre les problèmes de leurs entreprises. Ils seraient sans doute bien étonnés d'apprendre les doutes qui assaillent ceux qui élaborent les modèles généraux, et de les voir chercher des inspirations nouvelles dans l'analyse des comportements empiriques des firmes. L'étude des localisations industrielles s'est bâtie autour d'un schéma très simplifié de la vie économique. On suppose le comportement des chefs d'entreprises parfaitement rationnel, le coût de l'information négligeable. On élimine de la sorte tout ce qui ne se prête pas facilement au calcul économique. Une construction géométrique élémentaire permet de résoudre alors le délicat problème du. choix. On a bien sûr réagi contre cette schématisation outrancière, mais dans un premier temps, on a cru qu'il suffirait, pour obtenir de meilleurs résultats, d'affiner l'outil d'analyse mathématique. Par la suite, on s'est aperçu que les faiblesses essentielles de la théorie classique tiennent I On prendra conscience de cette multiplicité de travaux en consultant la bibliographie de Stevens et Brackett: elle retient essentiellement les publications anglo-saxonnes et compte plus de 800 titres. Stevens (Benjamin H.), Brackett (Carolyn A.). Industrial Location. A Review of Theoretical. Empirical and Case Studies, Bibliography Series Number Three, Philadelphie. Regional Science Research Institute, 1967, V-199 p.

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Paul Claval

bien davantage aux postulats choisis qu'aux méthodes utilisées. Il est apparu difficile d'abstraire l'usine de tout le milieu économique et social dans lequel elle s'intègre. Les limitations des méthodes microéconomiques communément utilisées jusqu'ici deviennent sensibles. Ce que nous voudrions brièvement présenter ici, c'est d'abord l'évolution des idées dans un domaine plus complexe qu'on ne le croit généralement, et ensuite un résumé des principaux résultats communément admis à ce jour.

I. L'EVOLUTION

DES THEORIES JUSQU'A ALFRED WEBER

DE

LA

LOCALISA TION

Alfred Weber a fourni le premier exposé systématique général des problèmes de localisation des installations industrielles2. Mais son travail n'était pas aussi neuf qu'on le dit souvent. Les fondateurs de l'économie politique se sont penchés sur les questions d'équilibre spatial: les fabriques se développaient, leur répartition se faisait selon des critères différents de ceux des ateliers traditionnels. On essayait d'en démêler les raisons. Les intuitions des classiques Adam Smith ne fournit pas d'exposé particulier des problèmes de la localisation industrielle3. Mais il dessine le cadre général dans lequel la théorie nouvelle de la localisation va se maintenir durant plus d'un siècle. Il raisonne comme si toutes les contraintes juridiques et politiques qui s'opposent à la mobilité des hommes et des biens étaient levées. Dans ces conditions, le commerce se développe, comme le font les échanges de procédés de fabrication, ou les placements de capitaux; des mouvements d'hommes s'établissent. Chacun cherche à se placer là où il lui est possible de tirer le profit maximum de son travail, de son capital. Ainsi le monde d'Adam Smith suppose réduites à l'extrême les immobilités de facteurs de production; la localisation des activités économiques résulte de la recherche du plus grand avantage individuel. Les premiers chapitres de la «Richesse des Nations» sont sans doute ceux qui ont le contenu géographique le plus dense. En expliquant que la spécialisation du travail est limitée par les dimensions du marché4, Adam Smith montre comment se trouvent liées la localisation, l'étendue du marché, les tarifs de transport, et l'échelle de production qui permet de réaliser des économies. En ce sens, Adam Smith pose le problème 2 Weber (Alfred), Uher den Standort der Industrien, Part. I: Reine Theorie des Standorts. Tübingen. 1909. Traduction anglaise de C. J. Friedrich: Theory of the Location of Industrie.f, Chicago, Chicago University Press, JeL'idée

de la croissance

allométrique

se trouve

utilisée

aussi bien dans l'étude

l'espace urbain, que dans celle de Berry et Woldenberg. Newling (Bruce E.). urban structure:

mathematical

models and empirical

evidence

pp. 213-225 ; Wo1denberg (Michael J.), Berry (Brian lL.).

», Geographical «

«

de Newling

sur

Urban growth and

Review,

vol. 56, 1966,

Rivers and central places: analogous

s¥stems », lOI/mai of Regional Science, vol. 7, 1967, pp. 129-140. 7 Curry (Leslie), « Central places in the random spatial economy», op. cit. 75 Berry (Brian J.L.), « Cities as systems within systems of cities », op. cit. 7fi Wilson (A.), « Notes on some concepts in social physics », Papers of the RegiOluzl Science Association, vol. 22, 1969, pp. 159-193; Olsson (Gunnar), « Central place systems. spatial interaction and stochastic processes ». Papers of the Regional Science Association, vol. 18, 1967, pp. 13-48. Cette vue est exprimée par: Harvey (David), Explanation in Geography, Londres, Arnold, 1969, " XX-521 p. Olsson (Gunnar), « Central place systems, spatial interaction and stochastic processes », op. cit. '"

Chronique de géographie économique

273

Cependant, avec le temps, on prend conscience de la fécondité probable du détour. TIest clair que toute la peine qu'on se donne pour expliquer la répartition des lieux centraux est motivée par la curiosité que suscite la régularité plus ou moins marquée des réseaux urbains. Si on ne veut pas tomber dans la gymnastique intellectuelle pure, il importe encore une fois de revenir aux sourceS mêmes des modèles de centralité. Gunnar Olsson" dans un article fondamental, et que nous avons plusieurs fois cité, insiste ainsi sur le fait que les problèmes de centralité se rattachent à la famille plus large des problèmes d'interaction. On les a abordés, à la suite de Losch, sous un angle économique, si bien que l'échange de biens est apparu essentiel - mais c'est de manière plus large, à un échange de produits, de nouvelles et de signes monétaires que l'on assiste dans tout acte commercial. Les travaux sur les comportements que nous signalions plus haut essaient de remplacer les axiomes trop schématiques que l'on retient généralement pour construire des modèles d'interaction fidèles à la complexité des motivations et des déterminations. En montrant la parenté avec l'analyse de l'interaction, Olsson rappelle qu'il existe d'autres façons d'aborder les comportements spatiaux. TIévalue les résultats obtenus par les divers modèles de gravitation, et essaie de voir quelle peut être leur application dans le domaine de l'interprétation des régularités urbaines. Au lieu de se placer au point de vue étroit des relations de service, il analyse les rapports qui existent entre la concentration des individus en certains points, la hiérarchisation des centres, et les lois qui régissent les faits de relation; il ne traite pas de lieux centraux, au sens étroit du terme. Entre ses mains, la théorie devient une théorie générale des répartitions urbaines. Bien des signes traduisent la profondeur du changement d'optique qui s'opère ainsi; On a de plus en plus tendance à distinguer, en matière de lieux centraux, deux niveaux: celui des études relatives au commerce de détail'., et celui des travaux qui portent sur les places centrales elles-mêmes, sur les villes et les systèmes de ville'!. On s'interroge alors sur la signification des structures hiérarchiques dans l'espace.

,. Ibidem. .11

Les manuels récent~ sur la théorie des lieux centraux mettent l'accent sur la localisation des activités de détail, et passent de là à l'étude des réseaux urbains - qui ne constitue qu'un aspect limité de ces ouvrages: Mulvthill (Donald F.), Mulvihill (Ruth C.), Geograph,y Marketing and Urban Growth, New York, Van Nostrand Rheinhold, 1970, VJI\-188 p.; Scott (Peter), Geography and Retaîling, Londres, Hutchinson, 1970, 192 p.; Berry (Brian J.L.), Geography of Market Centers and Retail Distribution, Englewoods Cliffs, N.J., Prentice Hall, x-146 p. TraductÜmfrançaise: Géographie de.v marchb et du commerce de détail, Paris, Armand Colin, 1971,254 p. ., Carter (Harold), The Study (!( Urban Geography, Londres, Arnold 1972, XIV-346 p. ; Marshall (John Urquhart), « The location of service towns», op. cit.; Berry (Brian J.L.), Horton (Frank E.),

Geographic Perspective.v Prentice

OIl

Hall, 1970, XII-564 p.

Urban

Systems (with Integrated Reading.v), Englewood Cliffs, N.J.,

274

Paul Claval

On connaît les travaux que Torsten HagerstrandHza consacrés à la diffusion - un des résultats les plus tangibles de l'interaction. La plupart des modèles qu'il a mis au point dans le courant des années 1950 s'attachent à décrire, à expliquer et à simuler la diffusion qui se fait par effet de voisinage dans les milieux ruraux. Mais dès cette époque, il signale que dans les premiers stades d'un processus de diffusion, le phénomène se déroule dans d'autres conditions, puisque c'est en fonction de la taille des villes que s'explique la répartition des premiers qui adoptent une innovation. TIrevient par la suite sur ce thème et montre que l'effet de voisinage n'est qu'un des aspects de la diffusion, le second, la diffusion hiérarchique, étant beaucoup moins connu. Depuis peu, des travaux essaient de préciser la manière dont les nouvelles, les infonnations et les innovations circulent au sein d'un réseau urbain. Allan PredH3a montré la curieuse géométrie de la propagation des nouvelles aux U.S.A. avant que le progrès de l'électronique ne pennettent la diffusion instantanée. Les rapports s'établissent alors de la grande ville aux villes subordonnées, mais aussi, dans certains cas, entre des villes de même taille, le long de chenaux horizontaux qui viennent se tresser avec les chenaux verticaux de l'organisation hiérarchique. Dans un domaine un peu différent, PyleH4a suivi la propagation de quelques vagues d'épidémies dans les EtatsUnis du XIX"siècle. Les premières épidémies de choléra mettent en évidence des effets de voisinage et le rôle des grands axes le long desquels le cheminement est plus rapide. Les épidémies plus tardives font apparaître au contraire le rôle des villes: avec les chemins de fer, l'épidémie saute d'un centre urbain à l'autre avec plus d'aisance, et se répand en suivant les itinéraires des professionnels des déplacements: tout va très vite entre les grands centres unis par des liens étroits, alors que les délais s'allongent vers le bas de la pyramide, dans les centres qui ne sont atteints qu'indirectement et avec une fréquence beaucoup plus faible. HudsonHs a montré que la diffusion, lorsqu'elle s'effectue par effet de voisinage pur, n'aboutit pas à l'extension des nouveaux adoptants selon la loi logistique que la plupart des travaux expérimentaux ont révélé. De même, la diffusion par le chenal des lieux centraux devrait se faire à un rythme unifonnément accéléré qu'on n'observe pas. Si les deux modes se combinent, on peut au contraire H2

Hagerstrand (Torsten).

« Aspects of the spatial structure of social communication

and the dispersion

of information ", Paper.f of Regional Science Association, vol. 16, 1966, pp. 27-42. Pour une vue d'ensemble sur les problèmes de diffusion, on peut également se reporter à Brown (Lawrence A.), DifJ"usionProce,f.fes and Location: a Conceptual Framework and Bibliography, Bibliography Series Regional Science Research Institute, 1968, 177 p. n° 4, Philadelphie, H.< Pred (Allan R.), « Large city interdependance and the preelectronic diffusion of innovation in the U.S. », Geographical Analysis, vol. 3, 1971, pp. 165-181. .. Pyle (Gerard F.), « The diffusion of cholera in the United States in the nineteenth Century", Geographical Analy.fis, vol. l, 1969, pp. 59-75. HS Hudson (J.c.),« Diffusion in a central place system", Geographical Analysis, vol. I, 1969, pp. 4558.

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assister à une explosion dans une première phase, puis à un ralentissement progressif. Cela semblerait indiquer que les deux modes de diffusion interviennent simultanément, ou encore, que les lieux centraux jouent un rôle fondamental dans toutes les formes d'interaction. A présenter l'étude des réseaux urbains de cette manière, on comprend le rôle de la hiérarchie au sein de la société globales6.Depuis une trentaine d'années au moins, les sociologues sentent l'importance du cadre national pour qui veut comprendre l'originalité de la société moderne. Il n'est pas douteux qu'un aussi bon sociologue que Zipf voyait dans la règle qu'il avait mise en évidence une preuve de la cohérence qui existe au niveau supérieur de la société - ce qu'il traduisait en disant que le principe du moindre effort y était applicable. Mais par la.suite, les géographes ont vu dans le système urbain un cadre bien plutôt qu'un ensemble dont la compréhension est nécessaire à qui veut expliquer le pourquoi de la régularité de la hiérarchie des villes. Cela est très sensible dans un ouvrage comme celui de Berry et Horton: dans les perspectives qu'ils ouvrent sur les systèmes urbains, ils accumulent les données inductives, reprennent les éléments contenus dans la théorie des lieux centraux et dans quelques autres (lorsqu'ils se penchent sur l'équilibre de l'espace urbain), mais ne proposent nulle part une interprétation globale des ensembles dont ils découvrent structure et organisation spatiale. On peut se demander si, de ce point de vue, le recours au langage de l'entropie n'a pas endormi la curiosité et retardé le progrès de la réflexion: si la règle rang-taille est tout simplement l'expression de l'état le plus probable d'un ensemble en équilibre, est-il nécessaire de s'interroger vraiment sur les facteurs qui conditionnent l'agencement des parties qui le constituent, et l'architecture générale de celles-ci? Non sans doute, a-t-on pensé. A la réflexion, pourtant, une loi statistique comme celle de Zipf n'implique pas qu'il n'existe pas de mécanismes dont l'analyse serait éclairante: elle nous indique l'état vers lequel tendent, par suite de faits d'interaction complexes, les mécanismes mis en évidence. On a comme l'impression qu'il n'est qu'un pas à franchir pour dépasser la formulation traditionnelle de la théorie des lieux centraux, et parvenir à une théorie unitaire des réseaux urbains: pourquoi la dualité actuelle? Pour expliquer d'une part la constitution de la hiérarchie par le jeu de la centralité, et les formes que prend la diffusion par la canalisation qui s'opère de la sorte? Les deux phénomènes sont-ils réellement indépendants? Il ne nous le paraît pas. Si l'on pense que 86 Berry (Brian J.L.), « Hierarchical

diffusion: the basis of development filtering and spread in a

system of growth", in: Hansen (Niles M.) (ed. By), GrowTh CenTen and Regional RCOllOmic DevelopmenT, New York, Macmillan, the Free Press, 1971, Repris aux pp. 340-359 de: English (Paul W.), Mayfield (Robert C.) (ed. By), Mall, Space and EnvironmenT, New York, Oxford University Press 1972.

276

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dans une société globale le but est d'optimiser une fonction d'utilité complexe combinant les objectifs de production et ceux d'interaction, le réseau urbain apparaît comme l'organisation qui permet d'obtenir le niveau d'interaction directe ou indirecte le plus élevé possible, sans nuire aux objectifs de la production (qui impliquent une certaine dispersion, en fonction de la localisation des ressources) et sans atteindre le niveau à partir duquel les déséconomies viennent annuler les avantages résultant de l'accroissement de l'interaction. La ville apparaît, à l'échelon audessous, comme la configuration qui autorise l'interaction directe la plus efficace. La région est ordonnée autour de la ville qui autorise tous ceux qui l' habitent à participer à la vie sociale sous ses formes les plus attirantes. On dispose ainsi d'une théorie qui permet d'expliquer d'une manière satisfaisante tous les faits d'organisation spatiale du niveau de la micro-région à celui de la nation. Dans une construction de ce type, la notion d'information est fondamentale - mais elle est prise dans un sens plus concret que celui utilisé par les théoriciens de l'entropie. La morphologie des groupements humains est en défmitive modelée par les possibilités du système de communications - communications à distance, ou communications directes supposant des déplacements de personnes pour que l'échange soit effectif. La théorie des lieux centraux apparaît alors comme un cas particulier d'une théorie plus générale, dans la mesure où les déplacements d'achat sont motivés en dernier ressort par le besoin d'accéder à l'information par une interaction directe. Au cours de ces dernières années, les travaux récents sur la centralité ont apporté à la géographie beaucoup plus peut-être qu'au cours des décennies précédentes. Ils ont appris la fécondité de la rigueur axiomatique, montré l'enrichissement que l'on pouvait tirer de l'emploi de postulats plus souples ou plus variés. Ils ont contraint les statisticiens à adapter aux problèmes spatiaux des outils mis au point dans d'autres disciplines - ou bien à en inventer de nouveaux. Ils ont appris les démarches délicates de la preuve expérimentale ou les étapes de la modélisation. A un autre niveau, l'apport est plus important encore. La théorie des lieux centraux, sous sa forme étroite, a «passé» comme l'écrit Berry, et ne garde de valeur que dans le cadre étroit de l'analyse des commerces de détail. Mais elle suggère selon quelles lignes il convient d'élaborer une théorie plus générale de l'organisation spatiale. Elle montre à tous ceux qui s'intéressent à la géographie humaine que la quête de principes explicatifs n'est pas inutile et permet de remettre de l'ordre dans le désordre apparent des lieux et des civilisations.

CHAPITRE IX - 1974

LES MARCHES FONCIERS

Il est impossible au géographe de ne pas s'intéresser au marché foncier. Le ruraliste le rencontre lorsqu'il s'interroge sur les structures agraires ou sur l'économie de l'exploitation. Pour le spécialiste des problèmes urbains, son rôle est plus évident, car il rend compte de l'affectation du sol à tel ou tel usage. La géographie a pourtant longtemps refusé d'analyser de près les mécanismes de fixation des prix de la terre. Elle différait en cela de l'économie, dont ce fut un des premiers sujets de curiosité: la pensée physiocratique fait une large place à la rente et les classiques, avec Ricardo et von Thünen, reprennent et amplifient les études esquissées dans ce domaine. Durant tout le XVIII"siècle, le problème du prix du sol est ainsi au premier plan des discussions entre spécialistes. Il enflamme les socialistes comme

Gossen, soutientl'agitation géorgisteen Amériquedans les années 1870 et 1880, et aboutit, chez Léon Walras, à une analyse sur laquelle il convient d'insister: nous la retrouverons plus loinl. Au début du xxe siècle, les prix de la terre retiennent moins l'attention des économistes. Ils cessent d'être un sujet de réflexion pour les grands penseurs du moment. Les travaux sont nombreux, mais ils sont plutôt l'affaire de chercheurs spécialisés dans l'étude de l'économie rurale ou dans celle des marchés du sol urbain2. Les uns et I Jean-Louis Guigou fournit une bonne introduction à l'histoire des idées dans le domaine de la rente foncière: Guigou (Jean-Louis), Pour une économie de l'e.fpace, Paris, CETEM, février 1972, 20 p., ronéotées; Guigou (Jean-Louis), Théorie économique el Iransformalions de l'espace agricole, Paris, Gauthier-Villars, 1972,2 vol., 321+304 p. ; Guigou (Jean-Louis), « Analyse économique de l'utilisation du sol et valeurs foncières », pp. 21-169 de Guigou (Jean-Louis), Aydalot (Philippe), Huriot (JeanMade), Théorie économique el ulilisalion de l'espace, « TEM Espace n° 6 », Paris, Cujas, 1974, 213 p. Le texte de Jean-Louis Guigou reprend l'essentiel de la contribution théorique du même auteur dans: Analyse économique des différenrs modes d'occupalion de l'espace, Rapport d'étude au CORDES, Paris, CETEM, 1972, 180 p. ronéotées, annexes. Les œuvres les plus marquantes dans le développement de la réflexion sur la rente sont celles de Ricardo (David), On Ihe Principle.f of Polilical Econamy and Taxalian, Londres, 1817; Von Thünen (Johann), Der i.fOlierle Slaal in Beziehung OIIf ulIldwirtschafl und NatimlOliikOllOmie, Hambourg, Perthes, 1825, I vol., 290 p., Rostock Leopold, 2 vol., 1842-1850, 391+284 p.; Mill (James), Elemenls af Palilical Econamy, Londres, 1826; Gossen (Hermann), En/Wicklung der Geselze des menschlichen Verkehr.f und der daraus fiiessenden Regeln fiir Men.fchlisclles Handeln, 1854; Walras (Léon), Théarie malhématique du prix des lerres el de leur rachall,ar l'Ela l, Mémoire à la Société Vaudoise des Sciences Naturelles, Lausanne le 17 novo 1880, Reproduit à partir de la p. 267 des Etude.f d'Economie Sociale, Paris, 1936; George (Henry), Progress and Poverty, 1879. Traduction française par Le Monnier, Progrès el pauvrelé, Paris, 1925. 2 Le point de départ de ces recherches est sans doute la publication de l'ouvrage de Hurd. Les manuels les plus classiques dans ce domaine sont ceux de Ely et Wehrwein, et de Ratcliff; Hurd (Richard), Principles a.fCity Land Values, New York, the Record and Guide, 1903; Ely (Richard T.), Wehrwein

278

,

Paul Claval

les autres sont surtout nombreux aux Etats-Unis, où la taxation des propriétés joue un rôle prépondérant dans la fiscalité des Etats et des communautés locales. Pour ceux qui n'ont pas de pareilles motivations pratiques, la rente ne semble pas receler de mystère économique - si bien que ceux qui s'y intéressent le plus sont des sociologues: en France, Maurice Halbwachs3 montre comment s'est effectuée la mise en valeur des sols urbains depuis Haussmann jusqu'à la fin du XIXesiècle. Depuis une vingtaine d'années, les études se multiplient de nouveau. Elles émanent d'historiens de l'économie qui s'interrogent sur les mouvements de la rente à l'époque moderne et contemporaine comme ils s'intéressent à tous les mouvements de prix4; elles sont le fait de sociologues qui découvrent dans le jeu des mécanismes du marché du sol un des instruments de la différenciation de la société et y lisent le rôle de la lutte des classes.. On ne doit donc pas s'étonner de la part tenue, dans cette floraison de travaux, par ceux qui ont une inspiration marxienne ou socialiste. Les formes pathologiques que prend la spéculation dans certaines économies sous-développées renforcent évidemment cette orientation, comme l'évolution. des marchés urbains dans les zones métropolitaines d'Europe et d'Amérique du Nord. Les économistes reviennent au marché foncier par suite de l'urgence des questions que pose un des rouages de l'économie libérale qui ne fonctionne pas bien et donne souvent des signes de dérèglement.

Ils sont conscientsde toutes les simplificationssur lesquellesreposait la théorie classique et ont le souci d'intégrer dans le corps de leurs hypothèses des éléments plus réalistes. Ils sont sensibles aux imperfections qu'entraîne l'espace, source d'opacité, de faible fluidité, mais aussi de valeurs d'autant plus appréciées que l'accroissement de la population mondiale en fait un bien de plus en plus rare. Devant les (George s.), Land Economics, 10 ed. 1929, Madison, Wisconsin, the University of Wisconsin Press, 1964,496 p.; Ratc1iff(Richard U.), Urban Land Economics, New York, McGraw Hill. 1949,533 p. .' Halbwachs (Maurice), Les exp/"Opriation.r et le prix des terrain.r ci Pari.r (1860-1900), Paris, Cornély, 1909,416 p.; Halbwachs (Maurice), La population et le tracé de.r voies ci Paris depuis un siècle, Paris, P.U.F., 1928,273 p. 4 Cornut (Paul), Répartition de la fortune privée en France par départemem et nllfure des biens au cours de la première moitié du XX' siècle. Paris, Armand Colin, 1963,659 p. ; Hubscher (R.), «La rente Lévyfoncière du Pas-de-Calais de 1846 à 1914", Revue Hi.rwrique, n° 498, 1971, pp. 369-392; Leboyer (Maurice), Le Revenu agricole et la reme foncière en Basse-Normandie. Etude de croissance régionale, Paris, Klincksieck, 1972, XI-208 p. 5 Beaucoup d'entre eux sont d'inspiration marxiste et doivent leur intérêt pour l'étude de la rente foncière à l'exemple de Engels. Engels (Friedrich), La question du logement, Leipzig, 1887, Paris, Les Editions sociales, 1957. Parmi les œuvres les plus marquantes des sociologues qui s'intéressent à la rente, on retiendra: Lefebvre (Henri), La révolution urbaine, Paris, Gallimard, 1970, 249 p.; Castells (Manuel), La question urbaine, Paris, Maspéro, 1972,451 p. ; Medam (Alain), La ville-censure, Paris, Anthropos, 1970, XVI-245 p. ; Vieille (Paul), Marché des terrains et société urbaine. Recherche .fur la ville de Tehran, Paris, Anthropos, IX-316 p.; Alquier (M.), Contribution ci l'étude de la rente surle.r terrains urbains, Espaces et Sociétés, 1971 ; Topalov (C.), Le.r promoteurs immobiliers. Es.rai d'analy.re .wciologique d'llIl sy.rtème d'acteurs éCOllOmique.r, Paris, Centre de Sociologie Urbaine, 1970. Aux confins de la sociologie et de l'économie, on trouve également des études originales de mécanismes fonciers: Lojkine (Jean), La politique urbaine dlll~f la région parisienne, /945-1971, Paris, Mouton, 1972, 281 p. ; Lojkine (Jean), «y a-t-il une rente foncière urbaine?" Espace.r et Société.r, 1971, Lipietz Alain. Le tribwfoncierurbain, Palis, Maspéro, 1974,290 p.

Chronique de géographie

279

économique

problèmes qu'ils recensent, les chercheurs se trouvent mal armés, car la réflexion n'a guère fait de progrès depuis le temps de von Thünen et de Léon Walras. Les travaux d'Alonso", ceux du groupe de CETEM'et de Jean-Louis Ouigou. apportent cependant des éléments nouveaux et clarifient considérablement les concepts. Les géographes abordent les problèmes fonciers de deux manières. Dans le cadre de la description des organisations spatiales, ils prennent conscience du rôle régulateur des prix et de l'importance des faits d'appropriation: les données qu'ils ont rassemblées en France depuis une vingtaine d'années sont nombreuses', mais la plupart du temps, elles ne sont guère exploitées au-delà de la description. Depuis (0

Alonso (William), « A theory of the urban land market », Papers and Proceedings of The Regional

Science AssociaTion, vol. 6, 1960, pp. 149-157; Alonso (William), Location and Land Use. Toward a General Theory (!( Land Rem, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1964, XII,204 p. Des idées analogues ont été formulées par Lowdon Wingo, reprises et développées par Richard Muth et

René Mayer; Wingo (Lowdon, Jr.), « An economic model of the utilization or urban landfor residential pm'poses », Paper.v and Proceeding.ç (if The Regional Science AssociaTion, vol. 7, 1961, pp. 199-205; Wingo (Lowdon. Jr.), TranSpOrTaTion and Urban Land. Washington, Resources for the Future Inc., 1961 ; Muth (Richard F.), « The spatial structure of the housing market », Paper.~ and Proceedings (!( The Regional Science As.wdarion, vol. 7, 1961, pp. 207-220; Muth (Richard F.), CiTies (lI1d Housing: the Spatial PaTTern of Urban Residential Land Use, Chicago, University of Chicago Press, 1969, XXII-335

p.; Muth (Richard

F.), « Urban

residential

land and housing markets », pp.285-333 Economics, Baltimore, the Johns Hopkins Press, 1968, X-668 p. ; Mayer (René), « Prix du sol et prix du temps. Essai de théorie sur la formation des prix fonciers », BulleTin des Ingénieurs des Ponrs eT Chaussées eT de.v Mines, n° 10, 1965,

de : Perloff (Harvey S.), Wingo (Lowdon, Jr.) (ed.), I.mles in Urban

~p. 9-37. Aydalot (Philippe), Thanh Binh (Hua) (avec la collaboration de), MobiliTé eT croissance spatiale, TEM, Espace n° l, Paris, Gauthier-Villars, 1971, 140 p.; Guigou (Jean-Louis), Aydalot (Philippe),

Huriot (Jean-Marie), Théorie économique eT utilisaTion de l'espace, op. dT. . Cf supra. note I. o Les données recueillies en matière foncière concernent d'abord l'évolution des prix. Dans ce domaine, les travaux les plus nombreux concernent Paris - où ils prolongent des curiosités déjà anciennes: Canière (Françoise), La crise des placemenrs immobiliers, Etude de la rentabilité des immeubles parisiens depui.v 1914, Pmis, Centre d'Etudes économiques, juillet 1957, 213 p.; Marnata (Françoise), Les loyers bourgeoi.v de Paris, 1860-1958, Paris, Armand Colin, 1961, 117 p.; Daumard

(Adeline), Maisons eTpropriétaire.v parisien.v IIU XIX' siècle, 1809-1880,

Paris, Cujas, 1965, 276 p.;

Duon (Gaston), «Evolution de la valeur vénale des immeubles parisiens », Journal de la SociéTé STatisTique de Paris, 1943, pp. 169-172; Michel (E.), « La valeur du terrain à bâtir à Paris », Journal de la SodéTé Statistique de Paris, 1941, pp. 4-32 ; Insee, Documellts sur le problème du logemenT à Paris, Paris, Imprimerie Nationale, 1946, 165 p. Les études relatives à la situation actuelle des marchés fonciers dans les grandes agglomérations françaises (et à Bruxelles) se sont multipliées depuis dix ans: Bastié (Jean), « Capital immobilier et marché immobilier parisien », Annales de Géographie, vol. 69, 1960, pp. 225-250; Granelle (Jean-Jacques), ETude des facteur.v de la valeur du .wl dans la région parisienne. Paris, IAURP, 1964, 244 p. multigraphiées ; Granelle (Jean-Jacques) et collaborateurs, Le marché des Terrains à Paris de 1960 ci 1969, Paris, Atelier d'Urbanisme, 1970-1972; Dalmasso (Etienne), « Plix des terrains et urbanisation à Nice », pp. 233-244 des: ACTes du quaTre-vingT-dixième Congrès NaTional des Sodétés Savante,v, Comité des Travaux historiques et scientifiques, Paris, Bibliothèque Nationale, 1966; Bureau d'Etudes et de Réalisation urbaines (B.E.R,U.), ETude du marché fonder ci Renne.~. Recueil de données, inTel7JréTaTion sommaire, Paris, Ministère de l'Equipement, 1968, 61-50 p., cartes; Société d'Etudes pour le Développement Economique et Social (S.E.D.E.S.), ETude du marché.fiJ/lder à Lyon de 1954 ci 1963, Paris, Ministère de l'Equipement, 43 p. multigraphiées ; Société Rouennaise d'Etudes Urbaines (S.O.R.E.T.U.R.), ETudedu marchéfonder, aggloméraTions de Rouen et d'Elbeuf, Paris, Ministère de l'Equipement, 1968, 94-33 p., cartes; Société de Mathématiques et d'Economie Appliquées (S.E.M.A.), ETude du marché des Terrain.~, enquêTe pilote .vur l'aggloméraTion de Names, Paris, Ministère de l'Equipement, 1966, 29 p, multigraphiées, cartes; Vandermotten (Christian), Le marché des Terrain,vcibâtir dan.~ la région bruxelloi,ve, Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 1971, 257 p. Les études actuelles débouchant sur la recherche de modèles: Dutailly (Jean-Claude), «Les valeurs foncières en région parisienne. Recherche d'un modèle », Cahier,v de l'InstiTl/T d'Amémlgement de la Région Parisienne, octobre 1971; Taieb (Françoise), Modèle de développemellt spaTial de l'agglmnérarionlymlllai.ve, rapporT du synthè.~e, CERAU, Paris, Ministère de l'Equipement, 1972.

280

Paul Claval

peu, et surtout dans les pays anglo-saxons, on s'intéresse plus directement aux mécanismes mêmes du marché: on retrouve là les préoccupations des économistes spatiaux, de William Alonso en particulier. Il n'est plus question d'aborder l'analyse des problèmes urbains sans tenir compte du jeu du marché de la terre'.. Après avoir admis qu'il fonctionnait de manière à assurer l'allocation optimale des telTes, les géographes américains prennent conscience de la multiplicité des distorsions qui l'affectent. La jeune géographe sociale d'inspiration radicale souligne les tares du système foncier et montre comment le marché permet à certains groupes d'imposer la ségrégation spatiale sans avoir besoin d'utiliser la contrainte physique". En France, l'indigence des réflexions en matière de politique urbaine, la multiplicité des problèmes théoriques que soulève le fonctionnement des marchés fonciers, l'imperfection des instruments d'étudel1 et la carence de doctrines d'intervention logiquement assises proposent un tableau d'ensemble de la recherche américaine sur la '" Greer-Wooten et Gilmour -

structure de l'espace urbain l'analyse des problèmes fonciers y tient une large place. Greer-Wootten (Bryn). Gilmour (G.M.). « Le modèle de la structure inteme des villes nord-américaines ", Annales de Géographie. vol. 82, 1973, pp. 675-694. Les recherches américaines sur les marchés fonciers ont été suscitées par le souci d'asseoir sur une base juste les impôl~ fonciers: Bickerdike (C.F.), « Taxation of site values ", Economic Journal, vol. 12, 1902, pp. 472-484; Bickerdike (C.F.), « The principle of land value taxation ", Economic Journal, vol. 22, 1912, pp. 1-15. L'intérêt a glissé de l'appréciation des valeurs urbaines à la théorie des prix de la terre en milieu urbain, comme on le constate dans les travaux de Hurd (cf. supra note 2), de Ratcliff, Ely et Wehrwein (ibidem) ou de Wendt: Wendt (Paul F.). Real £.ftate Apprai.m/, a Critical Analysi.v (if Theory, New York, Henry Holt, 1956, 320 p. ; Wendt (Paul F.), « Theory of urban land values", Land Economics, vol. 33, 1957, pp. 228-240. Les recherches ont permis de préciser progressivement les facteurs qui influencent la valeur du terrain; Simon (Herbe11 A.), « The incidence of a tax on urban real property", Quaterly Journal (if Economics, vol. 57, 1942-1943, pp. 398-421 ; Hoyt (Homer), One Hundred Year.v (if Land Values in Chicago, Chicago, University of Chicago Librairies, 1933; Muth (Richard F.), « Economic change and ruralvol. 29, 1961, pp. 1-23; Seyfried (Warren S.), « The urban land conversions ", Econometrica, centrality of urban land values ", Land Economics, vol. 39, 1963, pp. 275-284 ; Brigham (Eugène F.), «

The determinants of residential land values ", Land Economics, vol. 41, 1965, pp. 325-334; Yeates

(Maurice), « Some factors affecting the spatial distribution of Chicago land values, 1910-1960 ", Economic Geography, vol. 41, 1966, pp. 57-70; Kitchen (James W.), Hendon (William S.), « Land values adjacent to an urban neighbourhood park ", Land Economics, vol. 43, 1967, pp. 357-360; Casetti

(Emilio),

«

Equilibrium land values and population densities in an urban setting ", Economic Geography,

vol. 47,1971, pp. 16-20. On trouvera une mise au point récente sur le problème des valeurs foncières urbaines dans les manuels de Goodall et Mills, et dans le colloque sur les valeurs foncières édité par Hall. Goodall (Brian), The

Economic ()f Urban Areas, Oxford, Pergamon Press, 1972, XIl-379 p.; Mills (Edwin S.), Urban Econo/1/ics, Glenview (Illinois), Scott, Foresman and Co., 1972, X-277 p. ; Mills (Edwin S.), « The value

of urban land ", Johns Hopkins Colloquium held Londres, Sweet

pp. 251-256 de Perloff (H.S.) (ed.), The Quality (if Urban Environment, Baltimore, the Press, 1969; Hall (Peter) (ed.), Land Value.v. The Report (if the Proceedings of a in London on March 13 and 14, 1965, Under the Auspices of the Acton Society Trust, and Maxwell, 1965, Cf. : Clark (Colin), « Land taxation: lessons from international

experience ", pp. 126-147; Clarke (P.H.),

«

Site Value Rating and the Recovery of Betterment »,

pp. 73-96; Lichfield (Nathaniel), Land Nationalization, pp. 107-125; Parker (Ronald), « The History of débouchent sur des théories Compensation and Betterment since 1900 ", pp. 53-72. Ces recherches globales de la ville : Hoover (Edgar M.), « The evolving form and organization of the metropolis ", pp. 237-284 de Perloff (Harvey S.), Wingo (Lowdon, Jr.) (ed.), Is.vues in Urban ECOllIJmic.v, op. cit. ; Alonso (William), u« The historic and structural theories of urban form: their implication for urban renewal ", Land Economics, vol. 40, pp. 227-231 ; Chapin (Stuart F.), « Toward a theory of urban frowth and development", Journal (if the Americl/ll bwitute of Planners, vol. 30, n° I, Fév. 1964. I Cox (Kevin), Conflict. Power and Politic.v in the City, New York, Mc Graw hill, 1973, XIV -133 p. ; Harvey (David), Social justice and the city, Londres, Arnold, 1973, 336 p. 12 Les travaux de théorie relatifs au plix du sol ne se sont multipliés en France que depuis une dizaine d'années: les travaux de Galan et ceux de Granelle témoignent de ce renouveau, en même temps qu'ils soulignent l'imperfection des instrumenl~ d'étude. En Allemagne, où la situation est analogue à celle que l'on trouve en France, le renouveau de la réflexion théorique est sensible depuis le livre de

Chronique de géographie économique

281

ont justifié depuis deux ans la réunion d'un groupe interdisciplinaire de réflexion qu'anime Philippe J. BernardlJ. Les communications effectuées au cours de ces séminaires ont contribué à affermir les idées et à orienter les travaux vers de nouvelles pistes. Les recherches contemporaines ont permis de souligner les traits qui singularisent les marchés fonciers: il nous semble indispensable de commencer par en dresser le tableau. Nous analyserons ensuite le fonctionnement des marchés fonciers, puis nous évoquerons les politiques d'intervention dans un domaine où le libéralisme intégral est depuis longtemps abandonné. TI conviendrait, pour avoir une vue d'ensemble des problèmes fonciers, de fournir un tableau des mécanismes par lesquels les utilisations du sol sont fixées dans les pays socialistes. Nous nous contenterons de quelques brèves indications sur ce point: on manque d'études sérieuses, et une bonne part des localisations économiques, dans les pays de l'Europe de l'Est surtout, date d'une époque où le marché fonctionnait. En URSS,on comprend assez bien les principes qui inspirent la politique agricole, mais la politique urbaine d'allocation des sols est moins connue. I. QUELQUES TRAITS IMPORTANTS DE L'EVOLUTION MECANISMES ET DES PRIX FONCIERS

DES

L'étude des marchés fonciers repose sur des données assez nombreuses, mais de valeur contestable en ce qui concerne le prix auquel la transaction s'établit. Pour échapper à la fiscalité, les deux parties ont un commun intérêt à minorer le montant de l'opération: les indications recueillies par les services officiels sont donc inexactes - et les autres documents sont fragmentaires. Cela explique sans doute la réticence de la plupart des chercheurs qui préfèrent travailler dans des domaines où les sources sont d'accès plus facile et les données plus sûres. Le groupe de réflexion sur les problèmes fonciers a cependant recensé en France 22 sources d'information sur ces questionsl4. C'est dire que des recoupements sont aisés et que la valeur des renseignements obtenus est satisfaisante lorsqu'on se donne la peine de procéder à une critique sérieuse des données. Les valeurs absolues des

Klafkowski. GraneIle (Jean-Jacques), Espace urbain et prix du sol, Paris, Sirey, 1970, XI-296 p.; Granelle (Jean-Jacques), La valeur du sol et ses facteurs, sources .ftatistiques et données biblioWaphiques, Paris, Ministère de l'Equipement, 1965, 88 p. ronéotypées et annexes; Galan (P.), Le marché de fa terre awicole dalt~ l'économie moderne, Toulouse, thèse Université, 1970; Klafkowski (Maximilian), Der Relllenbegrijf in der Wirtschaftstheorie. eine systematise/le Analyse, Volkswirtschaftsliche Schriften, Heft 70, Berlin, Duncker und Humblot, 1963,216 p. IJ Bernard (Philippe 1.), Le problème foncier et l'aménagement sociaf, Paris, Maison des Sciences de l'Homme, 1973, 24 p. ronéotées; Bernard (Philippe J.), « Structures urbaines et prix du sol», Revue Economique, vol. 22,1972, pp. 88-105. 14

Ibidem.

282

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prix ne sont sans doute pas exactes, mais les grandeurs relatives ont de bonnes chances de l'être. Que nous apprennent les études empiriques? Des bien souvent soustraits au principe du marché Dans beaucoup de sociétés traditionnelles, il existe plusieurs circuits d'échanges des biens et des services15.Il arrive fréquemment que les articles de consommation courante soient échangés sur un marché: il permet dans certains cas l'ajustement de l'offre et de la demande par les prix; à un niveau plus simple, il sert simplement à assurer la transparence sur une aire où les transactions sont régies par des termes d'échange conventionnels. La plupart du temps, on se refuse à soumettre les biens fonciers au régime d'échange de marché. Comme d'autres biens capitaux (le bétail, les femmes, ou certains outillages) et biens de prestige, la terre est incluse dans des circuits dont la logique n'est pas celle du rapport marchand, mais celle de l'allocation et de la redistribution: tout se passe comme si la société tenait à assurer à tous des chances équivalentes d'accès aux richesses indispensables à la vie. Les changements de propriétaire se font au moment des mariages, par héritage ou à l'occasion de fêtes et de cérémonies où les participants sont contraints de faire des dons et des contre-dons. Mary Douglas" a montré que lorsqu'existent des monnaies ou des quasi-monnaies sur ces circuits de biens nobles, leur rôle est plutôt celui d'un système de tickets, dans une économie de rationnement, que celui d'un instrument permettant la fluidité maximale des transactions. A l'inverse, dans d'autres économies traditionnelles, la plupart des échanges se font sur des circuits de troc, avec des rapports d'échanges conventionnels, alors que les biens nobles sont soumis au marché: cette situation était celle de l'Europe d'hier. La plupart des familles paysannes essayaient de vivre sans utiliser l'argent qu'elles gagnaient par la vente de quelques produits: l'épargne était indispensable pour acquérir, le moment venu, des terres. C'est donc deux circuits qui existaient; le premier comprenait la quasi-totalité des biens de consommation; le second englobait à la fois les biens commercialisables, les impôts, et les biens capitaux. L'esprit d'économie qu'on a longtemps vanté dans les campagnes françaises n'est que la traduction psychologique de cette structure duale des circuits économiques. L'étude des sociétés archaiques et traditionnelles montre combien la conception des réalités foncières varie d'un milieu à l'autre. Les Occidentaux ont tendance à considérer que la propriété totale du sol, 15 Claval (Paul). «Chronique de Géographie économique n° 6: géographie et anthropologie", Géoxra/)hique de l'Est, vol. Il, 1971, pp. 39-65. ,. Douglas (Mary), «Primitive rationing: a study in controlled exchange", pp. 91-117 (Raymond) (ed.), Themes ill Ecollomic Allthrop%XY, Londres, Tavistock, 1967, X-292 p.

Rel'ue de Filth

Chronique

283

de géographie économique

telle qu'elle est définie par le droit romain, est le système normal d'appropriation. Il ne constitue en fait qu'une exception. En Europe même, il ne s'est généralisé qu'à partir de la Renaissance. Auparavant, l'habitude était de distinguer des droits éminents et des droits d'usage: le.bien foncier n'était pas seulement défini par ses caractères physiques ou par sa situation géographique: il devait une partie de sa spécificité aux modes de possession qui s'appliquaient à lui. Tout le monde sait en France la distinction qui existait entre les biens nobles et les biens roturiers: les premiers échappaient à l'impôt. Cela se reflétait dans les prix pratiqués. Les droits fonciers africains.7 distinguent généralement droits éminents et droits d'usage: les premiers appartiennent aux descendants de ceux qui ont ouvert pour la première fois le sol à la culture: cela explique leur nom de maîtres du feu; ils n'ont sur la terre que des droits restreints mais sont responsables de la fertilité du sol: leur présence limite la liberté d'usage et donne au système foncier africain la souplesse qui le caractérise. Il n'est pas de bien plus intangible et plus durable que la terre. Est-ce à dire que sa nature économique soit claire? Non, comme le montre la multiplicité des droits fonciers. On peut disserter dans l'abstrait du facteur terre, mais ce qu'on échange est un bien défini en fonction de la civilisation dans laquelle on se place. Pour le géographe, cette diversité est d'un grand intérêt puisqu'elle aide à comprendre la multiplicité des paysages et de l'ordonnance des utilisations du sol. Des fluctuations au rythme original Les études qui portent sur des périodes plus proches ou des civilisations plus semblables aux nôtres apportent d'autres résultats. Les marchés fonciers existent depuis longtemps dans les pays d'Europe occidentale et dans les civilisations historiques de l'Orient et de l'Extrême-Orient. Des particularités d'organisation méritent d'y être soulignées, mais les similitudes sont assez grandes pour qu'il soit raisonnable d'y comparer les prix. On dispose de séries assez longues dans la plupart de pays d'Europe Occidentale et de données inégales, mais utilisables, pour la plupart des nations du monde libéral. Les prix de la terre varient de manière générale comme la pression exercée sur ce facteur; ils sont d'autant plus élevés que les densités sont plus lourdes. Ils sont souvent plus forts .là o~ les techniques d'utilisation sont intensives - plus forts dans les villes que dans les campagnes, dans les zones d'agriculture savante que là où l'on gaspille l'espace en pratiquant un élevage primitif. Ceci n'est guère étonnant. Ce qui l'est davantage, ce sont les différences qui apparaissent parfois entre des nations de densité et de niveau de croissance analogues, ou entre des 17 Sautter (Gilles), Les sTrucfllres agraires en Afrique Tropicale, Paris. C.D.V..

1968,267

p.

284

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régions ou des villes dont les caractères paraissent proches. Pourquoi la terre est-elle plus chère en Bretagne que dans d'autres régions françaises où le produit à l'hectare est équivalent? Pourquoi les terrains dans les quartiers centraux d'agglomérations similaires ont-ils des valeurs qui varient du simple ou décuple au sein d'une même nation? C'est Ie cas de l'Allemagne de l'Ouest. Les prix fonciers sont soumis à des fluctuations. Elles s'inscrivent dans plusieurs types de périodes; les plus étonnantes sont celles à long terme'". Elles s'apparentent aux cycles longs que les historiens ont mis en évidence depuis longtemps, mais les limites des phases ne sont pas toujours les mêmes. C'est ainsi que la période qui va du premier tiers du XVlll"siècle à la décennie 1870-1880apparaît presque pat10ut en Europe comme une période de croissance continue des rentes foncières et des prix de la terre. Quelques irrégularités viennent troubler la tendance générale - à la fin du XVlll" siècle, par exemple - mais n'altèrent pas l'allure d'ensemble. Les rentes et les prix de la terre commencent généralement à baisser après le renversement de conjoncture des années 1873-1875- souvent quatre ou cinq ans plus tard, ce qui est assez normal, compte tenu de l'inertie des transactions et des baux. Mais le mouvement de baisse ne s'interrompt guère lorsque la reprise s'esquisse dans les autres secteurs de l'économie, à partir de 1895et de 1900.Les courbes de prix indiquent simplement, dans les années qui précèdent la guerre de 1914,une stabilisation. Pour l'entre-deux guerres, lorsqu'on compte en francs constants, la dépression des prix de la terre agricole se poursuit. Il faut attendre les années 1950-1960pour voir s'affirmer une hausse rapide qui porte les prix réels souvent bien au-delà de ce qu'ils étaient vers 1870. Dans les autres pays européens, l'évolution présente des similarités: un peu partout, la hausse était rapide dans les trois premiers quat1s du XIXesiècle. Elle s'est par la suite ralentie. Dans l'ensemble, on ne constate cependant pas de dépression aussi marquée qu'en France: il s'agit plutôt d'un long palier que d'une récession suivie. L'Angleterre est sans doute le seul pays à avoir connu des fluctuations aussi marquées et brutales qu'en France. Si l'on se tourne vers les marchés du sol urbain, la situation est un peu différente. La tendance est à la hausse, mais les irrégularités sont nombreuses, les crises économiques de la fin du XIXesiècle et du début du xxe plus directement visibles. Quelques parallélismes existent cependant entre les zones rurales et les zones urbaines: la période de l'entre-deux guerres coïncide avec une phase de dépression, en France en particulier où on ne retrouve pas les niveaux atteints en 1913.Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'augmentation des prix fonciers s'est faite à peu près partout à un rythme rapide. Celui-ci est justifié I" Lévy-Leboyer (Maurice). Le revenu croissance régionale. op. cil.

agricole

el la renIe foncière

en Bas.çe-Normandie.

Etude

de

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dans les pays sous-développés par la rapidité de l'urbanisation. Il l'est aussi dans les nations qui, comme la France, étaient demeurées profondément rurales jusqu'en milieu du xxesiècle. Mais la hausse ne peut s'expliquer par ces causes dans les nations dont la population est stable et où l'urbanisation totale remonte déjà à deux générations. La poussée contemporaine des prix du terrain en région urbaine est si rapide qu'elle pose une série de problèmes. La demande de biens publics est particulièrement forte dans les agglomérations; un des avantages de vivre en ville tient aux opportunités d'accéder à des consommations que l'on. ne peut pratiquer ailleurs - consommations collectives que le marché ne peut fournir, car il est difficile de percevoir un prix sur des biens que l'usage individuel n'altère pas. Le coût du terrain dans le centre des villes est devenu tel qu'il devient difficile de fournir à la population les équipements qui justifient son installation dans l'agglomération. Une bonne part des activités et des biens publics se trouvent rejetés à la périphérie de l'agglomération. Peut-être cette solution n'est-elle pas mauvaise dans la mesure où elle réduit une congestion nuisible aux quartiers centraux, mais elle crée de nombreuses difficultés. Pour atteindre des points situés à la périphérie de l'agglomération, les moyens de transport collectifs ne sont guère appropriés. La dispersion des biens publics et des activités est donc un des facteurs de la multiplication des déplacements en voiture, et partant, de la congestion qu'elle aurait pu limiter. L'augmentation des prix de la terre ad' autres effets néfastes: ainsi, la croissance des agglomérations a cessé de se faire de manière continue. Pour bénéficier de terrains moins chers, l'urbanisation procède par bonds, ce qui finit par créer un tissu dont l'équipement est très coûteux. Les zones agricoles interstitielles sont de moins en moins exploitables. Elles sont d'ailleurs souvent stérilisées par la spéculation foncière. Ces traits sont visibles dans toutes les grandes villes du monde moderne, comme aussi la difficulté de loger la fraction de la population dont les revenus sont les plus faibles et les plus irréguliers. On décrit presque partout l'étalement urbain, l'éclatement du tissu, l'apparition de bidonvilles et de shanty-towns. Mais au-delà des mots, l'observateur attentif perçoit des différences significatives. La ségrégation des emplois du sol est plus visible dans les grandes villes du monde anglo-saxon qu'ailleurs. La spéculation n'a pas partout les mêmes effets: en Europe, elle ne se traduit généralement pas par l'extension de la. friche sociale, sinon dans des conditions particulières comme celles qu'analysait, il y a une vingtaine d'années, Wolfgang Hartke en Allemagne moyenne, là où les ouvriers paysans de jadis devenaient des ouvriers et des employés à plein temps. En Amérique du Nord, les terres sous spéculation sont généralement à l'abandon et leur superficie est considérable: dans le cas de Montréal, on estime celle-ci supérieure au triple des emprises actuelles de l'agglomération.

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Paul Claval

L'intérêt que suscite l'étude des valeurs foncières est en partie lié à ces faits très spectaculaires: n'y a-t-il pas, dans les évolutions contemporaines, le signe de dérèglements lourds de conséquence pour l'avenir des villes, des campagnes et pour l'aménagement global de l'espace? Peut-on imaginer une croissance quasi-indéfinie des prix? Une activité agricole demeure-t-elle possible là où le prix du terrain excède les capacités des agriculteurs, ainsi qu'on l'observe dans certaines régions françaises, dans le Var ou les Alpes-Maritimes en pat1iculier ? Que nous disent sur ce point les analyses du fonctionnement des mat'chés fonciers? II.

LES MECANISMES FONCIERS: ORIGINAUX DE LA TERRE

LES

CARACTERES

Le marché des biens fonciers possède un si grand nombre de singularités qu'on ne doit pas s'étonner de ses imperfections: il ne ressemble guère au modèle de concurrence pure et parfaite que décrit la théorie économique. Les particularités du marché foncier tiennent à la nature du bien échangé. La multiplicité des types de transaction Ce qu'on cède, ce sont les droits que l'on détient sur la terredroits de propriétés ou droits d'usage. Cela crée deux types de transactions: vente et location. Il existe évidemment une liaison entre les deux, mais elle est moins rigide qu'il ne ressort de la plupart des analyses théoriques qui se contentent d'analyser la valeur locative des terres. L'offre vatie avec le système juridique. Les terres sont des biens patrimoniaux dont la valeur est souvent considérable. Lorsque le droit de succession impose le pat1age égal entre les descendants, il arrive fréquemment qu'aucun ne puisse racheter aux autres les parts qui leur reviennent. Il n'y a d'autre solution que de vendre et de partager les sommes obtenues: beaucoup de terres se trouvent ainsi remises sur le marché toutes les générations dans les pays où le droit d'aînesse est inconnu, Le marché est également bien alimenté lorsque les héritages sont frappés de droits très élevés même si le majorat existe. A l'inverse, l'offre se rétrécit lorsqu'il y a un secteur de mainmorte, terres d'Eglise dans la France d'Ancien Régime, bien habous dans les pays de droit musulman, bien des collectivités publiques partout. Les prélèvements fiscaux affectent donc le fonctionnement des marchés fonciers. L'impôt sur les biens fonciers et immeubles joue de

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de géographie

économique

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ce point de vue un rôle plus important que les droits de succession. L'assiette en est facile à établir: il est aisé d'inventorier des terres, impossible de les dissimuler; on peut leur appliquer des barèmes objectifs d'évaluation sans créer d'injustices. Dans la plupart des pays d'économie traditionnelle, l'Etat tire l'essentiel de ses ressources de la taxation du sol. De nos jours, les prélèvements sur le revenu, sur le capital et sur les produits de consommation occupent la première place, mais la fiscalité foncière et immobilière reste à la base des finances locales. Les terres et les immeubles sont l'objet d'un autre type de transactions: ils servent souvent de gage à des prêts et une bonne partie des crédits ouverts dans les économies modernes trouve là son origine. Il y a donc quatre séries d'opérations d'échange possibles à propos de la terre; on ne peut arbitrairement isoler un. des compartiments sans risquer de laisser échapper une part de ce qui fait la complexité des situations réelles. Les caractères des biens fonciers!. Il est des biens faciles à définir: une seule mesure y pourvoit. La valeur de la terre est fixée en fonction de plusieurs critères; elle varie avec la dimension et la configuration des parcelles: il est des seuils audessous desquels certaines utilisations deviennent impossibles. Dans ce cas, on retire davantage de la vente d'une grande pièce que de celle des lots qu'on pourrait y tailler. Dans d'autres circonstances, c'est la division qui permet, à l'inverse, de tirer d'une vente le maximum: dans les régions rurales où la propriété est dispersée, on a intérêt à multiplier les subdivisions; il en faut autant que de personnes désirant arrondir leur bien. La forme de chaque terrain importe également beaucoup. Les lanières allongées sont indispensables à l'économie des openfields, mais se prêtent mal à la mécanisation. Les parcelles massives du bocage ne sont pas toujours faites pour le labour. En ville, la configuration devient plus décisive encore: on ne peut tirer parti des angles trop aigus, des parcelles trop étroites. Les lotissements géométriques aux formes régulières sont les plus faciles à utiliser. La terre tient ensuite sa valeur de tout ce qui contribue à sa fertilité: qualité du sol, du sous-sol, du climat et du micro-climat. La position est le dernier facteur important. Selon l'usage projeté, la manière d'évaluer ces qualités change d'ailleurs.

,. Aydalot (Philippe), Thanh Binh (Hua), Mobiliré er croissance spariale, op. dr. ; Guigou (Jean-Louis), Anllly.çe économique de l'urilisarion du .wl er valeursjimcières, op. ciro ; Guigou (Jean-Louis), Pour une économie de l'espllce, op. cir. ; Guigou (Jean-Louis), Théorie économique er rran.~formarion de l'e.çpace lI/:ricole. op. ciro

288

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La terre comme facteur de production, élément de consommation ou support de spéculation2"

Le sol a des fonctions multiples: il est à la fois facteur de production, bien de consommation et motif de spéculation. En matière de production, la terre est indispensable aux activités agricoles, industrielles et de service, et dans chaque cas, elle se trouve appréciée de manière différente. Dans le monde industriel, la dimension des biens fonciers convoités compte moins, dans la mesure où les emprises sont plus faibles, mais c'est un facteur important dans les aires urbaines. La fonne y joue également un rôle. Les qualités que l'on apprécie dans le sol ne sont plus sa fertilité, mais la facilité d' Y établir des fondations et d' Y mettre en place des réseaux de canalisations ou de circulation. La position s'apprécie à la fois par rapport à l'agglomération la plus proche, au réseau des voies de transport indispensables à l'approvisionnement de l'établissement et à l'ensemble du marché que l'on dessert. Pour la culture, c'est la dimension des parcelles, leur fonne, la fe11ilitédes sols et les caractères du climat qui comptent d'abord. Leur position n'est pas indifférente: la disposition des parcelles les unes par rapport aux autres est un des éléments déterminants de l'équilibre de l'exploitation; la situation par rapport aux marchés de consommation fait varier le revenu comme tout le monde le sait depuis von Thünen. Les usages pour les services sont peu gourmands de place, ce qui réduit aussi les contraintes qu'introduit la fonne des parcelles. Les qualités propres du sol deviennent presqu'indifférentes dans la mesure où ces usages sont suffisamment intensifs pour que les frais qu'entraînent de mauvaises aptitudes physiques soient faciles à supp0l1er. Le facteur primordial est désonnais la position par rapport au réseau d'interaction dans lequel on s'insère. Le sol est également un bien de consommation: il le devient dans les logements, dans les jardins qui les entourent ou dans les aires qui permettent la détente et le repos. De ce point de vue, la fonne et la dimension jouent un rôle complexe. Il faut une aire minimale et une configuration adéquate pour pouvoir construire. Mais au niveau de l'utilisateur, à partir de ce seuil, il n'y a pas de différence importante qui apparaisse. Ce n'est pas l'avis du promoteur: il a intérêt à mettre en chantier un grand nombre d'appartements ou de maisons individuelles pour bénéficier d'économies d'échelles dans la construction et d'économies externes dans les infrastructures qu'il prend à sa charge; il sait que la taille et la disposition des propriétés qu'il acquiert pour bâtir sont des éléments-clefs de la réussite de l'opération.

2"Ibidem.

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En tant que bien de consommation, la valeur du sol varie en

fonction de ses qualités propres - la topographie d'une part, et les aménités de l'autre. Il est facile de construire sur un terrain plat mais il est rare que l'agrément soit aussi grand que dans des zones accidentés: l'appréciation est délicate en ce. domaine. La position est un élément plus fondamental encore: elle se définit par la proximité des services dont on a besoin de manière régulière, par l'accessibilité de ceux dont l'usage est moins fréquent et par l'ouverture sur la trame de réseaux d'une interaction sociale variée dans laquelle on désire s'intégrer. Le sol est enfin acquis pour des motifs de spéculation. C'est un bien durable dont les qualités physiques échappent aux fluctuations économiques. Les terres et immeubles sont donc des éléments importants de patrimoine. On leur a longtemps reproché d'être difficilement mobilisables - mais le reproche n'a plus guère de fondement. Pour le système de crédit, la terre offre l'avantage d'être facile à évaluer et indestructible; il apparaît sans danger de prêter sur un bien aussi sûr. Sa durée lui permet de porter des anticipations à très long terme. Les anticipations des opérateurs La même pièce de terre est évaluée différemment selon les usages auxquels elle est destinée. A un instant donné, il est facile de dire ce qu'elle vaut dans l'emploi qui en est fait, mais il est souvent impossible de prévoir ce qu'elle pourra porter dans dix ou vingt ans. Sur le marché, les opérateurs ont des pouvoirs d'anticipation très inégaux. Les isolés ne connaissent généralement qu'un compartiment d'activité étroit. Ils sont en position d'infériorité vis-à-vis des professionnels qui ont les moyens de se tenir informés de toutes les décisions susceptibles de peser à moyen ou à long terme sur la gamme des utilisateurs du sol. La profondeur des anticipations des acteurs individuels varie d'autre part avec leur âge et le système de succession. Les vieux cherchent à transmettre à leurs enfants sous une forme solide ce qu'ils ont accumulé durant leur vie. Les jeunes sont prêts à jouer et à prendre des risques en fonction des possibilités encore mal définies qu'ils croient voir se dessiner dans le futur. Les institutions ont des stratégies plus longues encore puisqu'elles ne souffrent pas dans leur équilibre de difficultés de succession. Elles n'ont pas de cycle de vie et leur surface facilite la collecte de l'information utile. Ainsi, le jeu différentiel des pouvoirs d'anticipation crée une série de dissymétries dans les marchés fonciers: les partenaires sont inégaux et ceux qui n'interviennent qu'épisodiquement sont souvent mal placés pour prévoir les possibilités nouvelles: ils risquent de laisser échapper les plus-values que la rigidité que l'offre engendre.

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Les infirmités des marchés fonciers21

Les biens fonciers ont en effet comme propriété essentielle de mal se prêter aux transformations qui garantissent le bon fonctionnement des marchés. Ils sont immobiles et ignorent la transformation spatiale. Ils échappent à la transformation en volume qui permet de produire le bien ou de le reproduire - il n' y a guère que la fertilité qui soit susceptible d'une recréation permanente. En matière de fractionnement, nous avons déjà indiqué les limites que la forme et la dimension minimale d'utilisation imposent. La terre ne peut en définitive subir que deux types de transformations: elle peut changer d'affectation ou bien voir sa valeur varier. Sur les cinq types de transformations qu'on reconnaît aux biens, il en est trois auxquels la terre ne se prête pas, ou se prête mal. On comprend donc aisément que le marché foncier soit assez singulier. On ne peut y reconnaître les cinq caractères qui définissent les conditions de la concurrence pure et parfaite: a) Le produit offert sur le marché n'est ni défini (en fonction des utilisations anticipées, sa valeur varie pour les partenaires), ni homogène. b) Il n'y a jamais sur un marché foncier qu'un petit nombre d'acheteurs et de vendeurs: c'est dans un secteur donné, dans une région qui possède telle ou telle aménité, tel ou tel climat que l'on désire s'installer. Le nombre de vendeurs comme celui des acheteurs qui se trouvent en concurrence réelle est de la sorte limité. Il existe toujours un élément d'oligopole ou de monopole. Il peut se présenter des situations de monopole bilatéral: il n'y a qu'un vendeur et qu'un acheteur en présence. c) La superficie des terres étant limitée, il n'y a pas d'entrée sur le marché foncier, au sens où on parle de l'entrée des nouveaux producteurs sur le marché des denrées agricoles ou des articles manufacturés. Ainsi, aucune des conditions de la concurrence pure ne se trouve réunie. d) Tous les participants au marché n'ont pas la même connaissance des facteurs significatifs. La transparence est limitée par l'immobilité des biens qu'on ne peut rassembler pour les comparer et par l'hétérogénéité du produit qui autorise la multiplicité des anticipations. e) La telTepeut changer d'usage - c'est là le seul point où l'on est en accord avec les conditions définies par la théorie - mais la substitution a un coût qu'on ne doit pas négliger: le sol porte des aménagements qui ont une durée de vie propre. Si on les détruit avant amortissement, cela entraîne une perte dont il faut tenir compte.

21Ibidem.

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Usages collectifs et opérateurs publics

Ainsi les conditions de la concurrence parfaite ne se trouvent pas plus réunies que celles de la concurrence pure: le marché sur lequel on échange les terrains et les constructîons immobîlières ou celui sur lequel on loue leur usage sont très imparfaits. Faît plus grave, il y a certaines catégories d'usages pour lesquels ils sont incapables de remplir leur rôle et ne conduisent pas à l'allocation du facteur terre aux emplois les plus nécessaires. Parmi les utilisations du sol, il en est en effet beaucoup de collectives". C'est le cas des voies de communication comme de la plupart des espaces de détente et de loisir. Comment faire payer à un piéton l'usage qu'il fait de la rue où il se promène? Il n'entraîne aucune gêne, aucune diminution de jouissance pour ses voisins. En un sens même, l'usage qu'il fait de la chaussée augmente l'utilité qu'autrui retîre de celle-ci: lorsque la fréquentation augmente, l'agrément d'un parcours est accru du spectacle. que les passants se donnent mutuellement. Comment comptabiliser cela? Comment faire payer? Dans certains cas, on y parvient - pour les autoroutes, pour les transports en commun, de plus en plus pour l'usage des espaces de repos et de loisir même s'ils appartiennent à la communauté. Mais tout ne peut être taxé proportionnellement à l'usage; dans bien des cas, il apparaît impossible d'arriver à une juste balance entre les différentes catégories d'utilisateurs; la seule solution est souvent de renoncer à faire payer. Voici donc un singulier marché: pour que tous les besoins soient satisfaits, il est indispensable de faire appel à des agents qui sont par nature différents des autres: ils représentent des collectivités, ou la collectivité, et peuvent mobîliser des ressources dont l'origine n'a aucun rapport avec celle dont disposent les autres acteurs. Nous voici donc en présence d'un marché déséquilibré. Ne risque-t-on pas de voir l'agent public abuser de sa situation? Cela ne crée-t-il pas une inégalité structurelle entre les partenaires? Oui, sans doute, et en matière d'achat, les particuliers auront souvent de la peine à rivalîser avec la collectivité. Mais cela ne crée pas nécessairement un déséquilibre à l'avantage de la puissance publique: le marché foncier est de nature monopolistique dans la mesure où la terre est très étroitement localisée. Au fur et à mesure que les choix pour l'implantation d'un équipement ou d'une infrastructure se réduisent, le pouvoir des détenteurs du sol augmente. S'il s'agit de faire passer une route dans un pays plat, on peut modifier facilement l'itinéraire, ce qui limite les prétentions des propriétaires. Que la voie doive emprunter un point de passage obligé et tout change: lorsque le pouvoir est faible, les propriétaires monnaient leur avantage en " Jessua (Claude),

Coût.f sociaux et coûts privés, Paris, P.U.F., 1968; Hirsch (Werner Z.), «The

supply

of urban public selvice ", pp. 477-526 de : Perioff (Harvey S.), Wingo (Lowdon Jr.) (ed.), Issues Economics, op. cir. ; Margolis (Julius), « The demand for urban public service ", pp. 527-566 Perloff (Harvey S.), Wingo (Lowdon Jr.) (ed.), Is.mes ÙI Urban Economics, 0/). cir. Urban

ÙI

de

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prélevant des péages comme ce fut le cas durant le Moyen Age et une partie de l'époque moderne. Si le pouvoir est fort, il cherche à acquérir le point névralgique, mais il doit payer un prix qui correspond à l'anticipation des profits péagers. Il est donc amené à tricher avec le mécanisme de marché par des procédures d'expropriation. III. LE MARCHE

FONCIER

ET LES EXTERNALlTES

L'impuissance du mécanisme de marché que corrige ainsi l'action de l'autorité publique résulte du jeu des externalitész3. Les droits sur le sol- droits de propriété ou droits d'usagedéfinissent ce que chacun peut faire dans son lot. En mettant en œuvre ses projets, il crée des avantages ou des désavantages à ses voisins: l'apiculteur est bien vu des propriétaires de vergers car ses abeilles favorisent la fécondation des fleurs; l'agriculteur qui tient mal ses champs, ne lutte pas contre les mauvaises herbes et les parasites ou néglige de drainer ses terres, gêne le travail de ses voisins et compromet leurs résultats. Dans le domaine industriel, les avantages apparaissent lorsque des firmes complémentaires s'installent à proximité les unes des autres. Les nuisances produisent des charges pour d'autres transformateurs: une usine polluante est une plaie pour une industrie de précision dans laquelle il importe de faire toutes les opérations dans une atmosphère propre. Les bruits, les vibrations se transmettent aussi et sont des obstacles à la bonne marche des fabrications et une source de fatigue et de tension, donc de coûts psychologiques, pour le personnel employé. En matière de services, certains commerces gagnent à être proches les uns des autres: les acheteurs aiment à regrouper leurs achats: ils sont contents, pour un grand nombre de produits, de se voir offrir un large choix; pour les commerçants qui les vendent, la concentration dans des artères spécialisées est une bonne chose. A l'inverse, pour des articles courants, la proximité des concurrents est un handicap. Des économies et des déséconomies apparaissent aussi en matière de consommation d'espace. Une partie de l'agrément d'un lot de terrain, d'une maison, d'un immeuble tient aux perspectives qui s'y

ouvrent.Quel avantagequ'une « vue imprenable», comme le soulignent les promoteurs mais que de désillusions pour ceux qui se fient à leur publicité! Les économies et les déséconomies naissent aussi de la position dans le réseau des relations sociales et du genre de vie de ceux B L'analyse des externalités a commencé avec Alfred Marshall. Les travaux de Davis et Whinston permettent de bien comprendre leur jeu dans l'environnement urbain. Marshall (Alfred), Principles of Economics, Londres, Macmillan, 1890; Davis (O.A.), Whinston (A.), « Economic problems in urban renewal ", in Phelps (E.S.), (ed.), Private Want.ç and Public Needs, New York, W.W. Norton, 1965; Davis (o. A.) Whinston (A.), « Externalities, welfare and the theory of games ", Journal of Political ECllnomy. vol. 70, 1962, pp. 241-262; Davis (o. A.), Whinston (A.), « The economics of complex system; the case of municipal zoning ", Kyklos, vol. 27, 1964, pp. 419-446.

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qui vous entourent. Des voisins bruyants, sales, indiscrets, malhonnêtes enlèvent tout son charme à la vie d'un quartier. A l'inverse, un environnement humain agréable crée des satisfactions pour lesquelles on est prêt à payer. Les économies et déséconomies externes naissent fréquemment de la juxtaposition d'activités hétérogènes. Les usages de loisir et de détente font mauvais ménage avec l'agriculture au-delà d'un certain seuil. La proximité de la ville crée des nuisances pour l'exploitant dont les plantations sont menacées par la pollution atmosphérique - les vergers d'orangers de Los Angeles souffrent beaucoup de cela. A l'inverse, la proximité du marché pousse à l'intensification. Les incompatibilités entre usages industriels et usages résidentiels sont bien connues. Elles naissent du bruit, des fumées, ainsi que de l'environnement malsain lié à certaines activités, comme les abattoirs ou les papeteries. On considère partout comme nécessaires les mesures de zoning qui ont pour but de minimiser ces déséconomies. Mais l'éloignement du lieu de travail est un inconvénient et lorsque les distances sont telles que l'on doit recourir à des moyens de transports individuels ou collectifs, tous les travailleurs voient leur fatigue et les coûts qu'ils supportent majorés. Une bonne partie des économies et des déséconomies externes entre usages du sol est liée la à juxtaposition des zones d'appropriation privée et des zones publiques, celles auxquelles il est difficile de donner naissance par le seul jeu du marché. Cela provient précisément de ce que les avantages créés ne sont pas seulement sensibles sur le domaine public: ils sont également importants sur les propriétés privées qui l'entourent. Ainsi, la création d'un parc crée un agrément pour ceux qui le fréquentent, pour ceux surtout dont les maisons sont directement construites en bordure, car elles bénéficient d'un air meilleur, de perspectives plus plaisantes et sont à l'abri des mauvaises surprises que le remodelage permanent des quartiers bâtis peut provoquer. De la même manière, l'ouverture d'une artère entraîne pour ceux qui l'empruntent sans être installés en bordure une économie de temps et de fatigue; mais pour les propriétaires riverains le bruit, les gaz d'échappement, la cohue détériorent l'environnement; à l'inverse, l'accès plus facile pousse à l'intensification de l'usage du sol, à des constructions plus denses et à la multiplication des activités commerciales. Où s'arrêtent les avantages et. les désavantages ainsi créés? D'une utilisation à l'autre, les portées varient; il est généralement difficile, voire impossible, de marquer des limites nettes: la diminution ou l'augmentation des externalités sont des fonctions continues de la distance, bien plus que des fonctions discrètes. Une bonne partie du manque de transparence des marchés fonciers tient aux économies externes - au rôle de la position que nous notions plus haut en prenant le problème sous un autre angle. Comment

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connaître les projets et les perspectives d'utilisation de toutes les parcelles dont dépend la valeur de la terre qu'on vend ou qu'on achète? Ceux qui ont accès aux informations relatives aux actions publiques bénéficient d'atouts importants: ils peuvent mieux évaluer les possibilités futures d'emploi et ont les moyens de confisquer à leur bénéfice toutes les plus-values des opérations prévues. La connaissance de projets privés importants présente les mêmes avantages. Faut-il dès lors essayer d'améliorer la transparence du marché? Est-on certain, si on œuvre dans ce sens, de créer des conditions de fonctionnement meilleures? En un sens oui: il est évident que l'on ne peut que gagner à la diffusion d'une information aussi exacte que possible sur l'usage du sol et sur les droits et les charges qu'il supporte. En ce qui concerne les projets d'utilisation, la question est plus douteuse. Ce n'est pas par simple décret que l'on pourra rendre publics les projets formés par l'ensemble des opérateurs. Alors, ne risque-t-on pas, en faisant de la publicité autour des actions qui apparaissent indispensables aux opérateurs collectifs, de donner aux agents privés des moyens d'anticipation qu'ils utiliseront pour peser sur le marché? Ils achèteront à bon escient et refuseront de vendre jusqu'au moment où ils auront confisqué l'essentiel des bénéfices que la collectivité attend du projet. D'un autre point de vue, comme il est difficile pour un agent collectif de conserver un secret total, ne vaut-il pas mieux prendre le risque de donner à tous les mêmes informations que de les garder pour les quelques personnes susceptibles de profiter d'indiscrétions inévitables? Les effets des externalités sur le marché foncier ont fait récemment l'objet d'analyses systématiques de la part de David Harvey et de Kevin COX14.Ils développent des idées de Davis et Whinstonzs. Les détenteurs du sol ne sont jamais à l'abri de mauvaises surprises. Leurs voisins changent. et les nouveaux venus peuvent créer des nuisances très dommageables. Supposons que A crée de la sorte des déséconomies à B, C et D. Comment ceux-ci peuvent-ils réagir? La première démarche est de demander au gêneur des compensations. Celui-ci les refuse généralement: il a le droit d'utiliser sa propriété à sa guise. Il ne reste alors qu'à lui proposer une somme pour qu'il renonce aux activités que créent des nuisances. La négociation est difficile: A est en position de force, si bien qu'il peut exiger plus pour interrompre ce qui déplaît aux voisins qu'il ne lui en coûte réellement. La solution suppose donc, de la part de B, de C et de D, une forte dose de réalisme et l'absence de toute réaction sentimentale et passionnelle. Les nuisances ont d'autre part une portée inégale: il est rare que B, C et D soient les seuls à être réellement touchés et qu'ils le soient de manière identique. Pourquoi paieraient-ils pour des voisins qui ne font rien? Pourquoi 2.

2S

q:

note Il, sl/pra.

Ct: wpra

note 23. travaux de Davis et Whinston.

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accepteraient-ils de verser quelque chose sans être certains de le faire pour eux-mêmes plutôt que pour d'autres? Rien d'étonnant donc si les solutions négociées aux problèmes des déséconomies sont exceptionnelles. Dans ces conditions, la sagesse est plutôt d'essayer de se dégager dès qu'on sent que les terrains vont être. atteints par des pollutions nouvelles: on vend ainsi sans perdre..,...mais du même coup, on risque de provoquer une panique qui accroît les difficultés des voisins. Il existe des solutions collectives: si l'installation d'une activité nouvelle est préjudiciable à toute une communauté, si certains types de comportements y sont jugés indésirables, ne faut-il pas donner au groupe le pouvoir de les éliminer? Une autorité assez forte peut contraindre ceux qui créent des gênes et des déséconomies à se conformer à la norme. Si on ne peut résoudre. ainsi le problème,.il n'est d'autre solution que celle, plus hypocrite, qui s'appuie à la fois sur des dispositions réglementaires et sur le jeu des prix. On fixe un plan de zonage, on détermine une dimension minimale des lots et une densité limite qui éliminent ceux dont les revenus sont plus faibles et parmi lesquels il est plus de chances de trouver des conduites déviantes ou des activités polluantes. On évite de la sorte des installations nuisibles aux intérêts des premiers venus. Mais que le contrôle se relâche, que des emplois indésirables s'installent et tout le dispositif devient caduc. Puisque la négociation est impuissante à résoudre la question si la réglementation échoue, la seule solution pour les propriétaires fonciers est la fuite: les plus sagaces ont vite compris les menaces qui pèsent sur l'environnement. Ils n'ont plus qu'une stratégie raisonnable: vendre avant que les prix ne soient modifiés et s'installer dans un environnement indemne de toute perturbation. Le jeu des externalités et celui de l'autorité se combinent pour expliquer la genèse des ségrégations sociales. Dans les environnements où s'exerce une forte autorité, il est possible de faire coexister plusieurs groupes dont les habitudes et les comportements sont incompatibles et ressentis mutuellement comme des nuisances. Dans les villes du monde traditionnel, les classes modestes vivaient fréquemment dans les mêmes quartiers, souvent dans les mêmes immeubles, que les classes opulentes: ces dernières occupaient les étages nobles, les premières se contentaient des sous-sols, rez-de-chaussée, entresols, combles ou de bâtiments construits sur les façades arrière des lots. La cohabitation était rendue possible par l'adhésion de tous à des normes communes et par le pouvoir de répression dévolu aux classes supérieures. Si on supprime la coercition entre groupes, la solution des conflits passe par la ségrégation spatiale: celle-ci est donc corrélative d'une structure institutionnelle où la pression sociale mutuelle est faible, mais où l'intégration de normes communes de conduite est insuffisante pour que la cohabitation soit facile. Les sociétés fortement hiérarchisées du monde traditionnel y échappent. Les tensions spatiales s'aggravent dans

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les pays dont les structures évoluent dans le sens de la démocratisation: on le constate dans les villes nord-américaines et dans une moindre mesure, dans celles de l'Europe Occidentale. On voit tout ce qui vient compliquer la structure des marchés fonciers: on est loin de la définition selon laquelle un marché est fait pour assurer l'échange d'un bien unique, défini par une dimension unique passible de mesure quantitative et susceptible de subir les cinq types normaux de transactions économiques. La terre se caractérise par quatre types de traits qui ne sont pas tous quantifiables, elle est échangée pour trois types de motifs, ne peut subir que deux des transformations économiques de base. Elle donne lieu à quatre types de transactions économiques - achat-vente, location, prélèvement fiscal et octroi de crédit. Les externalités introduisent enfin toute une série de difficultés que le marché ne peut résoudre. Pour rendre compte d'un marché aussi peu orthodoxe, un seul modèle théorique ne suffit pas: Jean-Louis Guigou et les chercheurs du CETEM26 le sentent; ils se lancent dans l'analyse inductive de situations concrètes pour mettre en évidence les traits essentiels de structures difficiles à appréhender directement. Sans doute ont-ils raison de rassembler de nouvelles données, de les classer, de les interpréter et de chercher à dégager de nouveaux principes d'explication. Il nous semble que cela ne doit pas exclure l'approche théorique. IV.

LE FONCTIONNEMENT ELEMENTS THEORIQUES

DES

MARCHES

FONCIERS:

La situation la plus simple est celle dans laquelle l'espace est déjà structuré (c'est-à-dire doté des biens collectifs, routes et rues en particulier, qui en permettent l'utilisation par tous) et dans laquelle il y a divorce complet entre possession et utilisation: c'est par l'entremise du marché de la location que les affectations du sols se font. C'est le cas qu'envisageaient au siècle dernier les théoriciens de la rente agricole. Ricardo et von Thünen27,et plus près de nous, celui que retiennent beaucoup des théoriciens de l'espace urbain. Pour schématiser encore il est bon de partir des exemples où la terre n'est employée que comme bien de production - c'est chose à peu près réalisée dans les régions rurales. Comment va se fixer le loyer de la terre? Comment vont se répartir les usages du sol? Ce sont là des questions auxquelles les modèles théoriques traditionnels permettent de répondre. Ce que l'on peut tirer comme revenu d'une parcelle dépend essentiellement, à 26

Cf. supra

note

19.

H Richard {David}. 011 the Prillciple.~ of Political Economy and Taxatioll. op. cit.; Von Thünen (Johann), Der/.mlierte Staat. op. cit.

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superficie égale, de la fertilité du sol, de sa position et de l'usage auquel il est affecté. Supposons d'abord que la position ne joue pas, que seule la fertilité importe. Si on ne pratique qu'une culture, on commence par exploiter la terre la plus fertile. On s'arrête dans la mise en valeur au niveau pour lequel le revenu s'annule - c'est la terre marginale. Si on pratique plusieurs cultures, on affecte chaque pièce à l'activité qui s' y rapporte le plus. L'allocation des terres se fait automatiquement de manière à ce que l'usage soit le plus efficace grâce au jeu du marché foncier: les fermiers entrent en compétition entre eux et poussent leurs offres jusqu'au point où ils ne réalisent plus que les gains minimaux sans lesquels ils renonceraient à travailler. Tout ce qui traduit la différence de fertilité entre les sols les plus riches et les derniers qu'on est contraint de mettre en valeur pour satisfaire la demande va dans les poches du propriétaire: la rente foncière est donc un revenu qui a son origine dans l'inégale aptitude des terres. Sa perception permet d'assurer l'allocation optimale, puisqu'elle contraint chacun des exploitants à choisir l'activité la plus utile à tous, qu'elle limite la superficie mise en valeur au strict minimum, et conduit à économiser les facteurs autres que la terre en les combinant aux sols les meilleurs, donc en créant les combinaisons les plus productives. Le schéma de répartition des affectations en fonction de la position, tel qu'il a été proposé par von Thünen, présente des analogies avec le schéma ricardien. La rente y est analysée comme revenu différentiel en fonction de la distance et des coûts de commercialisation qu'elle entraîne. Les produits vendus au marché central supportent des charges d'acheminement inégales: pour que tous les besoins exprimés soient satisfaits, il suffit que les prix des produits qui supportent les frais de transport les plus élevés soient ceux qui créent les revenus les plus forts près du marché: une zone circulaire se consacre de la sorte aux cultures maraîchères. Les autres produits proviennent d'anneaux concentriques: dans chacun on pratique la culture qui, compte tenu des frais de transports, est la plus rentable. La compétition entre les cultivateurs garantit là aussi la rigueur des affectations: il n'est pas possible au fermier de faire moins que le maximum, car la concurrence pour l'usage du sol fixe le loyer à un niveau où tout le profit de l'exploitation est confisqué par le propriétaire: la rente qu'il perçoit naît des différences de position. On a essayé depuis le début du siècle de transposer le schéma de von Thünen aux espaces urbains: on y a décelé une structure concentrique analogue à celle que l'auteur mecklembourgeois mettait en évidence avant la révolution industrielle dans la grande plaine de

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l'Allemagne du Nord. Depuis Richard Hurd et Alfred Marshallz", les études se sont multipliées pour éclairer l'ordonnancement de l'espace urbain. TIest apparu facile de transposer aux firmes commerciales ou industrielles ce qui avait été dit des firmes agricoles. Des différences existent cependant: pour l'entreprise commerciale, les prix de vente ne s'établissent pas sur un marché central, si bien que ce qui varie en fonction de la localisation n'est pas le revenu unitaire, mais le chiffre d'affaires global. Dans une ville, la plus grande partie du sol est réservée aux usages résidentiels: c'est un bien de consommation. La nature du problème change donc. Comment les logements vont-ils se disposer? On doit à L. Wingo29et à W, Alonso'" des analyses qui éclairent la question - celle de W. Alonso est la plus séduisante. Elle reprend les perfectionnements apportés par Dunn et par Isard à la théorie de l'équilibre spatial de la firme puisqu'elle tient compte à la fois de la position et de la dimension de l'exploitation. Elle est surtout intéressante par l'interprétation qu'elle fournit de la localisation des ménages. Pour un niveau de revenu donné, il existe des possibilités multiples de substitution entre les dépenses de biens de consommation, celles d'espace et celles de frais de transport: cela définit une surface d'opportunités qui précise toutes les combinaisons possibles. On peut d'autre part définir une surface d'indifférence, pour le même revenu, entre les consommations diverses, l'étendue de la résidence et la proximité du centre. L'individu rationnel va choisir évidemment de s'installer au point où la surface des opportunités qui lui sont offertes est tangente à une surface d'indifférence car celle-ci est la plus haute de celles qu'il peut ainsi atteindre. Des substitutions entre superficie et frais de transport peuvent être effectuées sans que le niveau de satisfaction soit modifié: ainsi se dessine la courbe des enchères qu'un individu de revenu donné est prêt à verser comme loyer de la terre en fonction de la distance au centre. W. Alonso montre que le prix qui en résulte décroît avec la distance au centre de la ville, comme c'est le cas de ceux qu'acceptent de payer les usagers agricoles ou industriels. TI indique aussi que la forme est généralement concave. Alonso peut alors montrer comment les usages s'ordonnent dans l'espace: chaque type d'utilisation crée des avantages qui rendent les usagers capables de verser une certaine somme pour l'usage du sol. Dans tous les cas, ces offres décroissent avec la distance au centre, mais la pente n'est pas identique pour tous: elle est spécialement élevée dans le cas des emplois commerciaux, plus faible pour les emplois résidentiels, plus faible encore pour les emplois agricoles. Quant aux 2" Marshall (Alfred), Princil,les (!f ECOIlOlllic.ç, op. cir. ; Hurd (Richard M.), Principles (!r City Land Values. op. cir. 29 Wingo (Lowdon. Jr.) TrcIlLfp0,.,lITion and Urban Land, op. cir. ; Wingo (Lowdon, Jr.), An Economic Model of rheUlITiliZilrÜm (!r Urban Land for Residential PurlJOses. op. cir. .'" Alonso (William), A Theory ofrhe Urban Land Marker, op. cir.; Alonso (William), LoclITion Md Land Use. 01'. cir.

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sommes offertes pour la localisation centrale, les plus élevés proviennent des firmes commerciales, puis se placent celles des ménages et enfin celles des agriculteurs. Ainsi s'explique l'ordonnance d'ensemble des espaces urbains et des espaces péri-urbains autour du noyau des agglomérations. Cette théorie est beaucoup plus raffinée et satisfaisante que les autres analyses des marchés fonciers, mais elle ne va pas aussi loin sur certains points que celle de Ricardo et de von Thünen. Tant que l'on a affaire à un groupe homogène d'utilisations du sol, le jeu du marché garantit l'affectation optimale des sols comme on l'a rappelé plus haut pour les usages agricoles. Dans le cas analysé par W. Alonso, la situation est moins simple: les courbes de demandes et d'enchères des différentes catégories ne sont pas facilement comparables comme l'indique l'auteur et comme le souligne GuigouJ1. Les agriculteurs ont leur comportement fixé par le prix au marché et le jeu de la rente de position; les entrepreneurs industriels et commerciaux obéissent à la logique de la maximisation du revenu, les citadins, à celle de la maximisation de l'utilité. Chacun choisit la localisation qui est la plus satisfaisante pour lui, un équilibre s'établit entre usagers concurrents, mais rien n'indique que ce soit la solution la meilleure pour la collectivité - rien ne dit non plus qu'elle s'en éloigne. Ce qu'on peut affirmer, c'est que le raisonnement théorique reste impuissant à définir l'usage optimal. La seconde critique que l'on peut faire au schéma d'Alonso comme d'ailleurs à celui de von Thünen est d'impliquer des simplifications peu réalistes. En se donnant l'espace comme déjà structuré, ces théories ignorent des opérateurs dont l'action est souvent décisive. Elles ne s'appliquent qu'à des économies dont les transformations sont de peu d'importance. Le modèle d'Alonso explique des villes dont le quartier des affaires est déjà en place et les rues tracées. Il suppose que les changements d'affectation sont incapables d'engendrer une congestion qui remette en cause l'ordonnance concentrique. Si la circulation trop dense rend difficile l'activité du centre, une restructuration devient indispensable: elle peut résulter d'une réallocation générale des activités ou d'une modification du réseau de circulation - plus généralement, des deux à la fois. Les agents collectifs qui interviennent alors sont systématiquement négligés. Sous ces réserves, les théories classiques du marché foncier que nous venons d'évoquer expliquent les zonations qui frappent l'observateur en région urbaine comme elles le frappaient jadis en pays rural. Elles montrent comment le marché de la location aboutit à une allocation des terres qui est, dans certains cas, optimale et ne doit pas

.H Alonso (William), Localion and Land Use. op. cil. ; Guigou /'ulili.Wllion du .wl el valeurs foncières. op. cil., et: note p. 43.

(Jean-Louis),

Analyse

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de

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être trop mauvaise dans le cadre plus général du schéma d'Alonso. Mais beaucoup de questions restent sans réponse. Dans tout le raisonnement, on n'a tenu compte que des valeurs locatives. Généralement, on traite du marché de la vente et de l'achat des telTesen partant de celui de la location: le prix de vente se déduit de la valeur locative en faisant intervenir un coefficient d'actualisation du revenu. Le prix devrait s'établir à un niveau tel que, placé au taux courant d'intérêt, il engendrerait un revenu égal à celui que l'on peut retirer de la location. Il y a des cas où un tel système d'évaluation est employé; c'est celui que retient le droit rural suisse pour l'établissement des versements de succession entre frères, quand un seul reste à terre - mais les prix réellement pratiqués n'ont généralement rien à voir avec ceux qui sont établis selon cette procédure. Si les prix s'établissent ainsi, le revenu de celui qui vient d'acheter une terre est aussi justifié que celui d'un détenteur de capitaux, puisqu'il lui est possible de retirer les mêmes revenus en opérant sur le marché financier. A la réflexion cependant, la similitude n'est pas complète. Le revenu que l'on tire de la telTe naît de la rareté de celle-ci. Au fur et à mesure que la population d'une nation augmente, la compétition devient plus vive, si bien qu'il devient nécessaire de mettre en valeur des telTes moins fécondes: la rente perçue s'accroît à la mesure même de la pression sur les ressources et de la paupérisation de l'ensemble de la collectivité. Les revenus du travail se trouvent progressivement laminés, cependant que la part qui revient aux détenteurs du facteur telTe croît sans cesse. Les théoriciensde la premièremoitiédu XlXesiècle ont été très sensibles à ce type d'évolution: les prix des denrées alimentaires et ceux des terres augmentaient régulièrement dans un système où la surpopulation rurale n'était pas encore épongée par le développement de l'industrie et où le commerce international n'avait pas modifié les conditions de l'offre en élargissant les zones cultivées. On pouvait se demander si à long terme, la propriété n'allait pas creuser un fossé dans la population et y accroître l'inégalité. Tout un courant de réflexion se développasur ce thème: il se suit dans la première moitiédu XlXesiècle chez des auteurs socialistes et chez des économistes comme Stuart Mill ou Gossen.12.Il inspire dans la seconde moitié du XlXesiècle le courant d'agitation des fermiers de l'Ouest américain, à l'instigation d'Henry George. Les théories de l'échange international montraient cependant que la mobilité des facteurs de production conduisait à une atténuation des raretés; les gens capables d'en tirer les conséquences qui s'imposaient furent peu nombreux. Les libres-échangistes, en AngletelTe en particulier, sentaient cependant que l'abolition des lois qui restreignaient l'importation des grains ruinerait le pouvoir des propriétaire fonciers, favoriserait le triomphe de la société industrielle et abaisserait le prix des .\z On trouvera des indications

sur ces points dans Guigou. cf. note I.

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produits alimentaires. Sous l'effet de l'ouverture du monde au commerce international et de la mise en valeur corrélative des steppes tempérées, tout se passe en effet dans la seconde moitié du XIXesiècle comme si l'offre de terre dans les vieilles économies d'Europe occidentale avait brusquement gonflé, ce qui explique l'effondrement prévisible, mais généralement inattendu, des prix des denrées, des terres et de la rente. Le progrès technique a eu des effets du même ordre. Chaque fois qu'il est possible, grâce à des innovations, de parvenir à des combinaisons plus productives sans qu'elles incorporent davantage de facteur-terre, la rareté se trouve réduite et le pouvoir des propriétaires fonciers restreint: la rente qu'ils retirent de leurs terres diminue. Ne se trouve-t-on pas de nos jours dans une situation un peu analogue à celle du début du XIXe siècle? Les stocks de produits alimentaires diminuent, leurs cours s'emballent - mais c'est cependant la hausse des prix du sol urbain qui paraît la plus inquiétante. Ne voit-on pas les valeurs atteintes dans les quartiers des affaires se compter en milliers de francs au m2? Peut-on prévoir dans le proche avenir un desserrement des contraintes qui naissent ainsi pour l'aménagement urbain? La situation n'est pas très encourageante. Il y a eu une poussée des prix du sol urbain tout au long du XIXe siècle, mais l'évolution était coupée par les crises périodiques. Dans la première moitié du xxe siècle la hausse s'est souvent interrompue. C'est vrai en particulier des terrains à bâtir: la révolution des transports urbains permet d'atteindre sans fatigue accrue des lieux dix fois plus éloignés, si bien qu'en peu de temps, la superficie offerte à la croissance urbaine a été multipliée par cent: rien d'étonnant donc à ce que la montée des prix ait été arrêtée ou freinée par cette abondance relative. Dans les grandes villes nord-américaines, les réserves de terrain accessibles s'épuisent. En Europe, on n'en est pas encore là, mais la politique urbaine a souvent réduit l'offre en restreignant le droit de construction hors de l'aire déjà en partie construite et en ne procédant qu'à des investissements modestes dans le domaine des voies de communication. Au total, les prix augmentent partout de manière continue et rapide (souvent plus de 5% par an, en valeur constante, dans

les aires urbaines)33. La mobilité accrue des produits n'a pas les mêmes effets sur le prix des terrains urbains que sur ceux du sol agricole; elle revient à augmenter indirectement l'offre d'espace industriel mais n'a guère d'effets au niveau des services. Leur portée s'est beaucoup moins allongée que celle des biens. Dans ces conditions, on peut se demander si le raisonnement traditionnellement accepté par les théoriciens des prix du sol reste valable. Ils ont toujours supposé que le niveau des revenus actuels ou Bemard

(Philippe

1.). Le problème foncier

er /'al1lénaxel1lent social. op. cir.

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futurs que l'on peut retirer d'une terre fixe sa valeur d'emploi et, pmtant, sa valeur de vente. Ne peut-on envisager l'inverse? Dans le cas de produits dont la demande est très inélastique - c'est vrai des services, pour certains d'entre eux au moins -les augmentations de prix fonciers peuvent se répercuter sur les baux et sur les tarifs facturés à la clientèle. Dans le cas des services banaux installés dans des cités dont les activités de base sont industrielles, l'augmentation du coût des services est limitée par la concurrence sur le marché des produits: si les prix de revient augmentent trop en un point, les industries y périclitent ou migrent vers l'extérieur, ce qui restreint évidemment la hausse des terrains. Lorsque le secteur de base est tertiaire, dans une métropole nationale par exemple, et dispose dans l'aire qu'elle dessert d'un monopole solide, il y est possible de répercuter sur les prix demandés à la clientèle l'augmentation des valeurs foncières sans que cela réduise l'activité générale par les coûts. On s'étonne depuis longtemps de voir les prix des terrains se fixer sans rapport avec ce qu'ils peuvent effectivement rapporter dans le présent quelle que soit leur utilisation. La possibilité de répercuter les hausses du sol dans le prix des produits ou services fait comprendre le manque apparent de prudence des acquéreurs: ils espèrent toujours faire peser la charge de leurs achats sur les utilisateurs des articles ou des prestations qui proviendront des parcelles qu'ils détiennent. Une fois compris que la rigidité de la demande adressée à la terre permet de rendre rémunérateur l'achat d'une parcelle en modifiant les prix des produits qu'elle fournit, on saisit mieux ce qui rend fondamentale la contribution de Léon WalrasJ4.Il cherche à établir quel est le prix normal d'une terre en fonction de sa valeur d'usage actuelle, c'est-à-dire du fermage ou de la rente qu'elle acquitte, et en fonction de l'augmentation future de la valeur d'usage, qui se traduira par une plusvalue des rentes. L'acheteur devra payer pour la terre qu'il convoite une somme qui correspond au capital qui fournirait au taux d'intérêt du marché le revenu actuel, augmenté de celle qui est capable de compenser les valeurs actualisées de la plus-value. Walras montre alors que le prix normal dépend du taux d'intérêt normal de l'économie (ce que rapporte en moyenne les capitaux mobiliers dans le système) et du taux de plus-value des rentes. Si le taux de revenu normal de l'économie est égal aux taux de plus-value, il est indifférent au possesseur de capitaux de les placer dans les affaires immobilières ou dans les affaires mobilières - mais le prix normal est indétenniné, car dans l'équation qui le fixe figure en dénominateur la différence entre taux de revenu normal et taux de plus-value - différence qui justement s'annule. Lorsque le taux de plus-value est inférieur au ... Walras (Léon), Théorie mathématique du prix des terres et de leur rachat par l'Etat. op. cit. Le travail de Walras est analysé en détail par Guigou: Guigou (Jean-Louis), Pour IlIIe économie de l'espace. op. cit. ; Guigou (Jean-Louis), Analyse éco/lomique de l'utilisatio/l et valeur.f foncières. op. cit. Nous suivons dans ce passage l'exposé de Guigou.

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taux d'intérêt général de l'économie, le prix normal tend vers l'infini, et les possesseurs de capitaux sont incités à placer leurs avoirs en terres, cependant que les propriétaires terriens ont tout intérêt à ne pas vendre pour profiter de la hausse qui se produit spontanément; ils contribuent de la sorte à accélérer le mouvement. Léon Walras montre que dans une telle économie, les capacités d'investissement se trouvent détournées de leur usage normal; elles servent à la thésaurisation et à la spéculation, ce qui est contraire à l'intérêt général. Ainsi donc, dans un. système libéral, le fonctionnement des marchés fonciers, par suite des éléments monopolistiques qu' ils comportent et de la fixation possible des plus-values par les utilisateurs du sol. qui en résulte, éloigne certainement de l'optimum économique. On comprend donc la conclusion de Léon Walras, qui est tout à fait logique même dans l'optique de la libre-entreprise: l'Etat se doit de racheter les terres pour éviter une perversion du système économique. L'hypothèse d'un taux de plus-value de la rente supérieur aux taux moyen de revenu de l'économie n'est pas du tout irréaliste dans le cas où l'on voit une population croissante se disputer des terres de plus en plus indispensables (situation des civilisations agraires traditionnelles), comme dans celui où il est possible de répercuter les plus-values foncières sur les prix pratiqués (on a vu que c'était le cas pour certains secteurs de l'activité urbaine). Les pays développés se trouvent sans doute assez près de la seconde situation. Les pays sousdéveloppés ont le triste privilège de se trouver dans un cadre où la rareté du sol agricole et la rigidité de la demande tertiaire rendent probables des plus-values croissantes aussi bien dans les villes que dans les campagnes. On risque donc de voir le progrès freiné, la croissance bloquée et, en tout cas, tous les bénéfices qu'on peut en attendre confisqués par les propriétaires fonciers: on retrouve les conclusions pessimistes de tous les schémas à deux secteurs économiques dans lesquels aucun feedback ne vient limiter les gains d'un secteur aux dépens de l'autre: c'est ce que soulignaient les classiques qui voyaient s'accroître sous l'effet de la surpopulation l'écart entre propriétaires et exploitants. C'est ce que l'on retrouve chez les socialistes lorsqu'ils dénoncent l'écart croissant entre les revenus du capital et ceux du travail et s'insurgent contre la paupérisation inéluctable. C'est ce que retrouve un certain socialisme contemporain qui prône la municipalisation ou la collectivisation des sols pour éviter à notre civilisation de graves contradictions. Le tableau que l'on dresse ainsi des rapports des marchés de la location et de la propriété n'est cependant pas complet. TIconvient de tenir compte du marché du crédit dont les théoriciens classiques ne disent pour ainsi dire rien. Les biens fonciers constituent des gages de première qualité et le droit hypothécaire permet généralement de les utiliser ainsi avec toutes les garanties possibles.

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Les banques ou les institutions spécialisées accordent facilement des prêts sur les terres et les biens immobiliers. Dans un système à pyramide bancaire, ceux-ci peuvent de la sorte être à l'origine de la création de monnaie. Celle-ci peut se poursuivre indéfiniment si les anticipations de plus-value sur les prix des terrains sont fermement établies: c'est le cas si l'augmentation des rentes est de règle; cela se produit parfois aussi lorsque les revenus de la terre sont stables: on peut toujours supposer qu'ils ne manqueront pas de croître dans un avenir qu'on espère assez proche, ce qui justifie une hausse anticipée des terrains. Le rôle monétaire du marché foncier peut prendre des formes pathologiques: on l'a vu dans des pays neufs, au système bancaire mal intégré et où la pratique des prêts se faisait sans prudence. On connaît les booms spéculatifs qui ont secoué l'histoire de la mise en valeur de l'Amérique du Nord, depuis celui de Chicago, dans les années 1830, jusqu'à celui qui se déclencha en Floride au lendemain de la Première Guerre mondiale. D'autres pays neufs ont éprouvé des poussées de fièvre analogues. Dans les économies contemporaines, le jeu des anticipations foncières et de la création de monnaie est un des facteurs de l'inflation par les coûts, on l'a vu, mais aussi par les revenus; les moyens monétaires gagés sur les terrains et mis à la disposition des particuliers peuvent être utilisés à des fins très diverses. Si les propriétaires fonciers sont nombreux et peu puissants, ils utilisent l'essentiel de leurs gains à des achats de produits de consommation. Il y a de la sorte un semblant de justice sociale, dans la mesure où les profits des opérations foncières sont réparties entre beaucoup, mais l'effet sur l'économie générale est plutôt défavorable. Si la propriété est concentrée entre un petit nombre de mains, une faible partie de la plus-value transformée en moyens de paiements est utilisée pour des achats de biens de consommation: son effet inflationniste est limité, l'essentiel va à des investissements immobiliers ou mobiliers, selon les cas, ce qui contribue à augmenter le capital national. Les fonctions monétaires du marché foncier ont souvent facilité l'attribution aux agents les plus dynamiques des possibilités d'investissement qui leur étaient indispensables pour lancer leurs entreprises. Dans une perspective schumpetérienne, le marché foncier n'est plus alors un élément de dysfonctionnement du système économique: sous la réserve que les crédits qu'il permet d'obtenir et de multiplier soient affectés aux entrepreneurs et utilisés à des tâches productives, il apparaît comme un des éléments fondamentaux du système libéral - non pas celui que décrit la théorie classique, mais celui qui fonctionne réellement depuis le siècle dernier et tient son dynamisme de sa capacité à créer de grandes organisations, ce qui implique la faculté de mobiliser des fonds au moment opportun.

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Il est possible que le fonctionnement du marché foncier soit de la sorte utile à certains moments et que ses aspects négatifs deviennent plus sensibles à d'autres époques. Durant tout le XIXe siècle et les premières décennies du xxe, les crises venaient périodiquement imposer des remises en cause et ruinaient les anticipateurs trop hardis. Cela se traduisait sur le plan foncier par des chutes brutales de prix: elles évitaient la confiscation de tous les bénéfices de la croissance par les propriétaires du sol. Fait négatif, elles favorisaient la concentration des terres entre les mains des banques qui avaient accordé des prêts hypothécaires - les structures foncières de la campagne américaine ont été profondément affectées par ces changements, en particulier lors de la grande crise, comme en témoignent les grands romans de l'époque, Les

Raisins de la colère par exemple. On oublie bien souvent les effets profonds que les politiques de bien-être et de plein emploi ont eu sur le système économique dans son ensemble. Les révisions à la baisse du système des prix ont cessé d'avoir lieu aussi dramatiquement et les anticipations erronées ne sont plus sanctionnées de manière aussi brutale. Les pyramides de crédit construites sur les terrains et les biens immobiliers se développent sans plus guère avoir de rapport avec les revenus qu'on peut en tirer et les valeurs d'usage: dans la plupart des économies occidentales, les investissements fonciers agricoles sont devenus très lourds, l'argent placé ainsi ne rapporte plus que 1,2, 3% au mieux, alors que les taux réels de marché varient de 5 à 10% Le gonflement des prix de la terre est ainsi lié à l'ambiance laxiste que crée, en matière de crédit, une économie qui pardonne trop facilement les erreurs; du même coup, les inconvénients de l'irrationalité du système des prix deviennent plus évidents, et l'organisation de l'espace urbain plus contestable: on le voit à la congestion engendrée par la nécessité plus forte d'intensifier les usages du sol dans les secteurs centraux aux nuisances plus difficiles à contrôleret aux déséconomiesen chaîne plus catastrophiques. Tous les développements théoriques que nous venons de passer en revue s'inscrivent dans la même lignée: ils s'intéressent exclusivement aux décisions d'utilisation d'un sol déjà structuré; ils sont incapables de dire comment les décisions de structuration et les décisions d'adaptation s'enchaînent et se conditionnent: dans le schéma de von Thünen la position de la villeest donnée,comme dans celui de William Alonso la localisation du centre; dans ce dernier cas, on suppose que chaque acteur joue comme si tous ses partenaires s' y trouvaient situés. Ces hypothèses éliminent les effets de pouvoir qui naissent nécessairementde la présence d'acteurs collectifs capables de réunir des ressources importantes et de fixer des règles de comportement. C'est au prix de ces vues simplificatrices que l'on peut analyser le marché foncier comme un marché ordinaire de facteurs de production ou de biens de consommation et qu'on peut le réduire au jeu

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d'automatismes qui impliquent qu'aucun n'est capable d'imposer sa volonté à l'ensemble de ses partenaires. Dans le cas du sol, ces hypothèses sont démenties, on l'a vu, par la faible transparence qui introduit des anticipations inégales et par l'immobilité qui donne à chaque compartiment local des traits monopolistiques. Les imperfections sont telles que l'allocation du facteur terre est nonoptimale dans bien des cas. Comment se rapprocher de cette optimalité ? La réponse que l'on trouve partout, c'est celle de la suppression du marché foncier, ou tout au moins de certaines de ses composantes. Pour Léon Walras et pour les socialistes dont les théories sont proches de la sienne sur ce point, le rachat des terres par l'Etat aboutira à la suppression du marché de vente, mais le marché de location, une fois évités les dérèglements qui tiennent aux anticipations de plus-values, devrait permettre une allocation satisfaisante des terres. N'est-ce pas se montrer trop optimiste? Comment arriver à concilier usages collectifs et usages particuliers, et à déterminer leur répartition optimale? Comment choisir la meilleure structure de l'espace? La solution de la municipalisation ou de la socialisation des sols élimine bien des éléments d'imperfection dans la répartition de la terre entre les usagers, mais elle n'apporte pas de réponse globale au problème posé. Pour régler l'organisation spatiale dans son ensemble, ne faut-il pas rompre complètement avec le principe du marché et se fonder sur une planification physique des sols? C'est ce qui se fait dans les villes socialistesJS: on détermine ce qui est indispensable comme espace pour chaque activité; des grilles indiquent la surface à consacrer à l'habitation, celle à affecter aux usages collectifs sous forme d'espaces de repos, de détente et de loisir et ce qu'il convient de réserver pour la circulation. L'aménagement de l'espace cesse alors d'être une affaire économique: elle est confiée à des urbanistes et à des aménageurs dont les responsabilités sont supérieures à celles de leurs collègues des pays libéraux. Ces derniers établissent les règlements de zoning qui limitent les nuisances d'une part et essaient d'ordonner les espaces publics, ceux de circulation en particulier, en fonction d'affectations économiques qui leur échappent. Dans une économie socialiste, le pouvoir de planification spatiale en zone urbaine est bien supérieur à celui des systèmes libéraux, car il n'est pas le complément limité d'un aménagement automatique par le marché. Est-ce dire que les rentes de situation, de proximité, que les effets de nuisance, les déséconomies et les économies externes sont supprimés? Certainement pas. On risque donc, à ne pas les intégrer dans l'analyse préalable, de faire des choix irrationnels, de dessiner des ensembles où les distances seront par exemple trop fortes et entraîneront des pertes de temps en déplacement. Pour les très grandes villes se .\S On trouvera une réflexion générale sur les méthodes de planification spatiale dans des contextes sans marché dans l'ouvrage deMalisz.Malisz (Boleslaw), Le.çforl1latilJ/z.ç des systèmes d'habitCII, Paris, Dunod, 1972,431 p.

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posent des problèmes de ce genre. Comment sont-ils résolus? Les études sur le sujet manquent. La crise urbaine qui est devenu un des sujets de préoccupation essentiels des sciences sociales dans tous les pays d'Occident a suscité toute une série de réflexions sur les mécanismes et les politiques d'affectation des sols. Les plus nombreuses sont sans doute celles des théoriciens marxistes qui s'efforcent de montrer comment la ville est le théâtre privilégié de la lutte des classes et comment celle-ci s'exprime dans la ségrégation sociale et la répartition des charges entre les différentes composantes de la population. C'est à ce genre de travaux qu'appartiennent le livre de Lojkine36 sur la politique urbaine dans la région parisienne, celui de Manuel Castells37sur la question urbaine ou celui de Lipietz3Msur le problème foncier et la production du cadre bâti. Ces études sont intéressantes dans la mesure où elles soulignent les faiblesses des mécanismes libéraux, montrent leur utilisation par certains groupes et les inégalités qui en résultent. Elles apportent parfois d'utiles innovations théoriques: Lipietz par exemple, en analysant le marché foncier comme lieu où s'affrontent des agriculteurs, des entrepreneurs industriels et commerciaux et des promoteurs, évite la pluralité des motivations économiques des participants qui est si gênante dans le modèle d'Alonso et éclaire l'ensemble du fonctionnement du marché sous l'angle de la recherche du profip.. Le modèle qu'il propose ne diffère cependant pas fondamentalement, dans ses catégories, de ceux que proposent les théoriciens libéraux. C'est un peu la faiblesse de beaucoup de travaux marxistes: ils tirent parti des interprétations de l'économie marginaliste en notant toutes les faiblesses des mécanismes d'allocation qui y sont en œuvre, ils essaient de décrire ceux-ci en employant un vocabulaire nouveau mais ils n'apportent d'autre idée neuve que celle de l'inégalité des pouvoirs dévolus aux acteurs spatiaux. Les ouvrages d'Henri Lefebvre4",de Paul Vieille4. ou d'Alain Medam42, pour n'être pas économiques, sont d'une inspiration plus riche, car on y voit mieux reconnues les difficultés propres à l'allocation du bien limité et rare qu'est la terre: le livre de Medam. est symptomatique de ce point de vue, puisqu'il essaie de comprendre pourquoi le système socialiste, tout en reposant sur des principes opposés à ceux du système capitaliste, n'a pas été capable d'engendrer un ordre urbain qui en soit réellement différent. La ville actuelle lui apparaît dans les deux cas comme génératrice d'une rareté artificielle, .'fi Lojkine ." Castells 3MLipietz ." Guigou £.43. Lefebvre

(Jean), La polirique urbaine dans la région pari.viellne 1945-1972. op. cir. (Manuel), La quesrion urbaine. op. ciro (Alain), Le tribur.f(mcier urbain, op. cir. (Jean-Louis), Analyse écollomique de l'urilisation du sol er valeurs foncières. (Henri),

La révolurion

urbaine.

op. cir" el note

op. cir.

.." Vieille (Paul), Marché des rerraills er sociéré urbaine. Recherche ., Medam (Alain), La ville cellsure. op. ciro

sur la ville de Téhran. op. cir.

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socialement imposée: le marché ou la planification productiviste sont les instruments de cette médiation répressive qui maintient les masses dans l'asservissement. L'idée est fort intéressante mais ne permet pas de résoudre les problèmes de structuration et d'adaptation que pose tout espace: elle nous incite simplement à tenir grand compte de la nature des agents qui interviennent dans l'aménagement urbain et à voir, audelà des motivations explicitées, les significations dont elles sont les instruments. Les théoriciens radicaux du monde anglo-saxon ont peut-être apporté davantage à la compréhension des problèmes urbains: ils ont eux aussi insisté sur les faits de domination, comme William Bunge4J lorsqu'il décrit les rapports de la cité de la superfluité, de la cité du besoin et de la cité de la mort à Détroit. L'apport le plus original n'est cependant pas là: il réside dans l'analyse des externalités, de leur influence indirecte sur l'ordonnance spatiale et de leur utilisation à des fins de ségrégation lorsque la domination d'un groupe sur l'autre devient impossible au même lieu: nous l'avons montré en évoquant les recherches de Kevin COX"et de David Harvey4s.Les travaux de Richard Morrill46 et de Harold Rose" vont dans le même sens bien que l'appréhension des mécanismes y soit moins systématique. Les recherches sur les biens collectifs et sur les externalités se multiplient un peu partout. Elles ne concernent pas directement les marchés fonciers, mais elles aident à comprendre leurs faiblesses et leur inefficacité. Lorsqu'on sait évaluer l'avantage que le groupe retire d'un bien public, lorsqu'on peut mesurer toutes les retombées d'un usage particulier sur l'environnement, on peut corriger le marché en donnant plus de vérité aux prix exigés pour l'usage du sol. La taxation de ceux

qui engendrentles nuisances est à la mode- « les pollueurs seront les payeurs» ! Dans le même ordre d'idée, on essaie de plus en plus de faire supporter par ceux qui les créent les charges dont ils sont responsables: les entrepreneurs parisiens par exemple subventionnent désormais les transports en commun. Peut-on arriver à une formulation synthétique plus satisfaisante de la théorie des marchés fonciers? On voit assez bien les éléments qu'elle devrait inclure - la multiplicité des acteurs, leur statut inégal, les décisions génératrices d' externalités, celles qui structurent l'espace et celles qui s'inscrivent dans une organisation déjà en place et ne la modifient que progressivement. La présence de partenaires inégaux 4.\

Bunge (William),

«

The human geography of Detroit », pp. 49-69 de: Roberge (Robei1) (ed.), La

crise urbaine. A Challenge /0 Geographers, Ottawa, Editions de l'Université 4~ Cox (Kevin), COI!flict. Power alld Politics ill the City. op. cir. 4, Harvey (David), Social Justice alld the City. op. cir.

d'Ottawa,

1974,209

p.

46

Morrill (Richard L.), Wohlenberg (Ernest H.), The Geogral]hy of Poverty ill the United states, New York, Mc Graw Hill, 1971, X-148 p.; Monill (Richard L.), «The Negro Ghetto: problems and

alternatives 47

»,

Geographica!

Rose (Harold M.), 1971, XII.147 p.

The

Review, vol. 55, 1965, pp. 75-84. Black

Ghetto:

a SI]atia!

Belwviora!

Perspective,

New

York,

McGraw-Hili,

Chronique de géographie économique

309

exclut qu'on puisse rendre compte de la fonnation des prix par un simple mécanisme automatique. Pour arriver à une situation optimale, la puissance publique doit veiller à faire peser sur chaque participant les charges qu'il suscite et doit taxer les propriétaires qui tirent bénéfice des biens collectifs. Si ces corrections sont apportées, le marché foncier présente un avantage sur les solutions centralisées dans la mesure où les ajustements se font plus rapidement que là où le choix est bureaucratisé. La solution alternative repose sans doute sur le calcul des affectations optimales par programmation linéaire - mais il apparaît douteux que l'on puisse ainsi déterminer facilement une utilisation optimale du sol tant le nombre de facteurs est important. Le dernier point que l'on peut invoquer, c'est l'impérieuse nécessité dans laquelle on se trouve de préciser les rapports du marché des terres et du système de crédit : c'est un des points les plus négligés par la théorie classique. V. LES POLITIQUES

FONCIERES

Il est indispensable après avoir analysé le fonctionnement du marché foncier, ses lacunes et ses imperfections, de voir les actions que l'on a proposées pour améliorer son jeu.H. Les premières mesures sont d'inspiration libérale. Elles ont pour but de corriger indirectement les anomalies les plus criantes. Faciliter les communications dans une aire donnée pour élargir le rayon où les terres sont en compétition et promouvoir la construction de voies ferrées ou de voies routières et autoroutières agrandit l'aire des migrations quotidiennes. Les transformations de la morphologie des villes européennes et américaines s'expliquent ainsi. Mais les effets de cette extension spatiale sont-ils tous bénéfiques? Ne risque-t-on pas d'accroître la superficie soumise à des pressions spéculatives plus vite qu'il n'est indispensable? Dans l'immédiat, on rend plus aisée la solution du problème du logement, mais à tenne, l'organisation territoriale risque d'être gênée par des distances inutilement gonflées. Du côté de la demande, on peut agir par l'octroi de prêts à la construction. On peut également, et sans se départir du libéralisme, moraliser le marché en veillant à ce que la publicité y soit assurée de

.8 Philippe Bernard fournit un tableau des politiques d'inspiration libérale, de leurs motivations et de leur efficacité. Bernard (Philippe J.), structures urbaines et prix du sol, op. cil. ; Bernard (Philippe J.), Le problème foncier el l'aménagement social, op. cil. Le Monde du 5 juin 1973 a fourni des indications sur deux des voies de la politique foncière actuelle: Gilli (Jean-Paul), « Redéfinir les règles pour enrayer la spéculation sur les sols», Le Monde, 5 juin 1973, p. 21 ; Piettre (André), « Un renouveau de la propriété rurale anonyme», Le Monde, 5 juin 1973, p. 20. Sur la question souvent débattue de la socialisation des sols, on trouvera une mise au point dans: Burrough (Roy J.), « Should urban land be publicly owned », Land Economics, vol. 42, 1996, pp. [1-20.

310

Paul Claval

manière honnête: c'est très important dans un domaine où les biens sont immobiles. La plupart des politiques foncières sortent du cadre du pur libéralisme. Dans la mesure où les biens fonciers sont définis par le droit, on influe sur leur allocation en modifiant les règles d'usage, le régime de la propriété. On peut accorder ou refuser le droit de bâtir, faire varier la hauteur ou la densité des emplois permis, imposer des mesures de zoning; on peut transformer le marché en modifiant le système hypothécaire ou les successions. Durant les années d'après-guerre, la mise au point du droit de la co-propriété a facilité les opérations immobilières offrant des logements de bon standing. Les interventions prennent souvent une forme qui rompt avec la logique pure du marché: c'est le cas chaque fois que des opérations de restructuration s'imposent. Pour éviter que leur coût ne soit excessif, et que quelques propriétaires récalcitrants ne s'opposent à l'intérêt général et ne tirent tout le parti de l'opération, on procède à des expropriations ou on en utilise la menace pour parvenir à conciliation. Dans les zones rurales, ces interventions prennent souvent la forme de remembrements. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les actions de remodelage du cadre urbain sont souvent accompagnées d'une législation qui prévoit la récupération par la collectivité des plus-values qu'elle a créées. On a mis beaucoup d'espoir dans ces mesures mais elles se sont généralement révélées décevantes à l'usage tant il est difficile de procéder à une évaluation satisfaisante de l'avantage. De toute manière, sa récupération intégrale apparaît peu souhaitable si on veut que les zones urbanisées s'équipent rapidement - le financement de la construction est réalisé souvent sur l'anticipation des valeurs supplémentaires que suscite l'opération. On intervient souvent sur le marché en combinant limitation des droits et expropriation: en les faisant se succéder, on évite, sans avoir besoin de moyens considérables, les erreurs que provoquerait une politique à courte vue; on arrête la spéculation dans les zones réservées: c'est le sens de toute la législation française sur les ZUPet sur les ZAC. Ces interventions autoritaires ne sont pas nécessaires là où l'achat des terres a pu être effectué à l'avance par les collectivités; les villes du monde germanique, certaines villes scandinaves se sont ainsi constituées des patrimoines étendus, ce qui leur permet d'agir librement et d'éviter les charges excessives liées à la spéculation. L'expérience montre cependant qu'il est difficile de tenir la balance entre les achats de terrain en avant de la zone de spéculation et les emplois dans les aires où l'urbanisation progresse: la vague de spéculation va souvent si vite que les municipalités s'essoufflent et que leurs réserves foncières fondent rapidement; on l'observe dans les grandes villes allemandes de la vallée du Rhin, à Francfort par exemple. Il arrive que l'on dispose en économie libérale de la pleine maîtrise des sols: cela s'est produit dans certaines stations touristiques,

Chronique de géographie économique

311

celles du Bas-Languedoc par exemple, ou dans certaines stations des Alpes par exemple. L'expérience montre qu'il est même dans ces cas difficile d'arriver à une allocation satisfaisante des terres. Bien souvent, la ville nouvelle manque de ce qui lui donnerait structure et vie. Cela montre à la fois la nécessité des interventions massives sur le marché foncier et le danger qu'il Y a à les multiplier sans avoir une doctrine précise d'aménagement et une théorie qui permette d'en mesurer l'efficacité. L'analyse des marchés fonciers est fondamentale pour comprendre l'ordonnance de l'espace géographique et les politiques d'aménagement qui visent à un meilleur équilibre. L'intérêt de l'étude des mécanismes d'allocation des sols réside d'abord dans la mise en évidence de leur complexité. il est possible d'améliorer les choses par des réformes, mais bien souvent, leurs auteurs se bercent d'illusions: ils ne se rendent pas compte des conséquences de ce qu'ils proposent et ne voient pas quels problèmes concrets il leur faudra résoudre une fois le marché modifié ou supprimé. D'un point de vue plus géographique, l'analyse du fonctionnement du marché conduit à souligner l'opposition entre décisions d'adaptation et décisions de structuration. Elles s'ordonnent en séquences au sein desquelles les effets de causation mutuelle sont multiples. A ne retenir que les faits d'adaptation, la théorie est facile à construire mais elle n'est guère utilisable que pour l'interprétation d'équilibres statiques. Une théorie qui tient compte à la fois des divers types de décisions et de leur imbrication peut beaucoup mieux déboucher sur une appréhension dynamique du réel, mais la formulation en apparaît difficile. Jusqu'à présent, on n'a guère proposé que des modèles de simulation pour comprendre les ordonnances complexes de l'espace. Que donneront-ils lorsqu'on les utilisera pour éclairer les valeurs foncières?

CHAPITREX-1975

PLANIFICATION ET AMENAGEMENT

REGIONALE DU TERRITOIRE

Cela fait plus d'une génération que les géographes se préoccupent des applications de leur discipline. Tant qu'ils demeuraient fidèles aux démarches mises au point à la fin du xrxe siècle, les perspectives qui s'offraient à eux étaient médiocres: ils ne pouvaient guère faire autre chose que de cartographier des données sur lesquelles les autres spécialistes des sciences sociales appuyaient leurs diagnostics et leurs suggestions; pour aller plus loin, il fallait nouer le dialogue avec l'économie, la sociologie, la psychologie et faire de la géographie humaine une discipline des comportements spatiaux, apprendre à lire dans les répartitions le jeu des décisions et des mécanismes qui les conditionnent et assurent leur ajustement, comprendre les processus qui donnent naissance à l'organisation de l'espace et être capables de les projeter dans l'avenir. La nouvelle géographie a permis cette indispensable réflexion sur les bases et les méthodes de la discipline. Grâce aux développements récents, on sait rendre compte d'une situation contemporaine, retracer sa genèse et les étapes de son évolution: il est dès lors possible de la projeter dans l'avenir, de savoir comment elle se transformera si les variables indépendantes restent les mêmes que dans le passé et si les régularités observées ne se démentent pas!. La géographie classique se prêtait mal aux applications dans la mesure où elle était statique. Comment la nouvelle géographie peut-elle servir aux tâches de la planification régionale et de l'aménagement du territoire? C'est la question fondamentale qu'on se pose maintenant. Tous les développements théoriques sont-ils également significatifs pour celui qui prépare des plans? Depuis une quinzaine d'années, les progrès ont été rapides en ce domaine. Ds n'ont pas été au premier chef le fait de géographes: les initiatives sont souvent venues d'ingénieurs ou d'urbanistes confrontés avec les problèmes qu'engendre la croissance urbaine, ou bien encore d'économistes chargés d'atténuer les disparités régionales au sein d'un espace national ou de provoquer la

I

Sur ce point. on se reportera

Lettres,

1964.

162 p.

à mon E.vsai .vur l'évolution

de la géographie

humaine.

Paris, Belles

314

Paul Claval

croissance dans telle ou telle zone d'interventionz. Les géographes restaient confinés dans la planification physique. Petit à petit, leur optique a changé, ils ont appris à intégrer les résultats de la recherche récente et les pratiques mises au point par les aménageurs en un corps de principes et de démarches ordonnées. L'art de la planification régionale a fait suffisamment de progrès pour qu'on puisse le présenter d'une manière cohérente et claire. Jusqu'à présent, il s'appuie davantage sur les acquis de l'économie que sur ceux des autres disciplines sociales, mais la situation évolue vite. Des manuels permettent aujourd'hui d'aborder aisément le domaineJ: les ouvrages anglais et américains sont nombreux; certains présentent le problème sous un angle essentiellement historique, ce qui permet de mesurer le progrès et de voir la logique du développement'; la plupart adoptent un plan z Sur ce point. mais surtout pour ce qui se rappol1e à la Grande-Bretagne, on se reportera au récent du territoire en ouvrage de Peter Hall. J'ai déjà indiqué le rôle des économistes dans l'aménagement France: Hall (Peter), Urban and Regional Planning, Harmondsworth, Penguin Books, 1974, XVIII312 p. ; Claval (Paul), « Les économistes, les sociologues et les études régionales », pp. 20-29 de Claval (Paul), Juillard (Etienne) (ed.), Région et régionalisation dans d'autre.f science,f sociales, Palis, Dalloz, 1967,99 p. ; Claval (Paul), «Les théories économiques de la région », pp. 133-150 de Provinces et régitms. Tome I : La réforme régionale, Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Reims, n° l, Reims, 1969. .' La littérature sur ,'aménagement du territoire est à la fois abondante et décevante en français. Elle est faite d'analyses économiques (BoudevilIe en particulier), de traités géographiques (Labasse), d'ouvrages de présentation, de critique ou d'apologétique sur ce qui se fait en France (Damette, Guichard, Monod, Trintignac, Delmas, etc.). Les premières publications sont déjà anciennes (George, Gottmann). On trouvera une vue d'ensemble développée par des étrangers dans Allen et Mac Lennan et dans Hansen. Allen (Kevin), Mac Lennan (M.C.), Regional Problemf and Politics in Italy and France, Beverly Hills, Sage, 1970, XVI-352 p.; Boudeville (Jacques-R.), Les espaces economique.f, Que sais-je? n° 950, 1961, 128 p.; BoudevilIe (Jacques R.), Le,f programmes économiques, Que saisje? n° 1073, Paris, P.U.F., 1963, 128 p.; Boudeville (Jacques-R.), Problems of Regional Economic Planning, Edimbourg, Edinburgh University Press, 1966, 192 p.; Boudeville (Jacques-R.), Aménagement et polarisation, Paris, Marie-Thérèse Génin et Librairies Technqies, 1972, 279 p.; Damette (F.), Le territoire français. Son aménagement, Paris, Editions Sociales, 1969, 146 p. ; Dessus (G.), George (P.), Weulersse (J.), Matériaux pour une géographie volontaire de l'industrie ji"ançaise, Paris, A. Colin, 1949, 179 p. ; Delmas (CI.), L'aménagement du territoire, Que sais-je? n° 987, Paris, P.U.F.. 1962, 128 p. Edition nouvelle rédigée par Jérôme Monod et Philippe de Castelbajac, 1971; Gravier (J.F.), L'aménagement du territoire et l'avenir des régions françaises, Palis, Flammarion, 1964, 336 p. ; Gravier (J.F.), Economie et organi.mtion régionales, Paris, Masson, 1971, 215 p. ; Guichard (Olivier), Aménager la France, Paris, Laffont-Gonthier, 1965, 246 p.; Hansen (Niles M.), French Regional Planning, Bloomington (Indiana), Indiana University Press, 1968, XVI-319 p.; Labasse (Jean), L'organisation de l'espace, Palis, Hermann, 1966, 605 p.; Monod (Jérôme), Tran.iformation d'un pay.f. Pour une géographie de la liberté, Paris, Fayard, 1974, XVI-187 p.; Philiponneau (Michel), Géographie et action. Introduction à la géographie appliquée, Paris, Armand Colin, 1960, 227 p.; Trintignac (A.), Aménager l'hexagone. Villages, villes, régions, Paris, Editions du Centurion, 1964, 303 p. Pour suivre l'évolution des idées, des politiques et des institutions qui touchent à l'aménagement de la France, on dispose d'une série d'annuaires précieux: Aménagement du territoire et développemellt régional, Grenoble, Institut d'Etudes des Politiques, Paris, La Documentation Française, ,7 tomes publiés depuis 1967. Il s'agit

en particulier

de : Cumberland

(John

H.),

Regional

Development

Experiences

and

Prospects

in tlie United States of America, Paris et La Haye. Mouton, 1971, XVI-170 p. ; Hall (Peter), Urban and Regional Policy in Britain, Londres, George Allen and Unwin, 1969, 280 p. ; Petrella (Riccardo) (ed.), Le développement régional en Europe, Paris, La Haye, Mouton, 1972, IX-479 p.; Sant (Morgan) (ed.), Regional Policy and Planning for Europe, Lexington (Mass.), Heath, 1974, IX-170 p.; Taylor (John) (ed.), Planning for Urban Development; British Perspectives on the Planning Process, New York, Praeger, 1972, X-194 p. A titre de comparaison, et pour d'autres aires, on consultera: Caire (Guy), «

La planification régionale en Union Sociétique », pp. 143-178 de Aménagement du territoire et

développement régional III, Paris. La Documentation Française, 1970 ;Chaline (Claude), « L'aménagement du territoire en Grande-Bretagne ». pp. 125-166 de Aménagement du territoire et développemellt régional Il. Paris, La Documentation Française, 1969; Coing (Henri), «Organisations décentralisés d'études et de planification aux Pays-Bas », pp. 649-688 de Aménagement du territoire et développement régional III, Paris, La Documentation Française, 1970; Croisat (M.), «L'expérience

Chronique de géographie économique

315

systématiques. Ils ont une structure générale commandée par les réflexions modernes sur les systèmes: les sociétés sont des systèmes québécoise

en matière de régionalisation », pp. 688-705 de Aménagement du territoire et développement régional Ill, Paris, La Documentation Française, 1970; Jobert (B.), « Organisations décentralisées d'études et de planification en Allemagne », pp. 535-582 de Aménagement du territoire et développement régionall/l, Paris, La Documentation Française, 1970; Okuda (Y.), Nozawa (H.), « Les problèmes de la politique d'aménagement du territoire au Japon », pp. 407-444 de Aménagement du territoire et développement régional Vil, Paris, La Documentation Française, 1974; Pred (Allan R.), « Urbanisation, domestic planning problems and Swedish geographic problems ", pp. 1-76 de Board (Chtistopher) et al., Progress in Geography V, Londres, Arnold, 1973; Roig (Charles), « L'évolution de la planification urbaine aux Etats-Unis )', pp. 167-214 de Aménagement du territoire et développement régional Il, Paris, La Documentation Française, 1969; Strong (Anne-Louise), Planned Urban Environments: Sweden, Finland, the Netherlands, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1971, XXXIV406 p. s On peut les ranger en deux grandes catégories; ceux qui se contentent de tracer un bilan des problèmes, des méthodes d'études ou des solutions et ceux qui font la part belle à l'analyse des systèmes. A la première catégorie se rattachent; Bendavid (Avrom), Regional Economic Analysis for Pratictioners: an Introduction to Common Descriptive Methods, New York, Praeger, XXII, ]95 p.; Blunden (John), Brook (C.), Edge (G.), Hay (A.) (ed.), Regional Analysis and Development, Londres, Harper and Row, 1973,318 p.; Branch (Melville C.), Comprehensive Urban Planning: a Selective Annotated Bibliography with Related Materials, Beverly Hills, Sage, 1970, 480 p. ; Burton (Michael J.) (ed.), The Spirit and Purpose of Planning, Londres, Hutchinson, 1974,233 p.; Catanese (Anthony U.), Scientific Methods (if Urban Analysis, Urbana (111.), University of Chicago Press, 1972, 336 p.; Cowan (P.), The Future of Planning, Beverly Hills, Sage, 1973, vol. l, 182 p. ; Dunham (David M.), Hilhorst (Jos G.M.) (ed.), Issues in Regional Planning: a Selection (if Seminal Paper.v, Paris, La Haye, Mouton, 1971 ; Glasson (John), An Introduction to Regional Planning, Londres, Hutchinson, 1974, XlII337 p.; Hall (Peter), The Theory and Practice of Regional Planning, Londres, Pemberton, 1970; Hufschmidt (Maynard M.) (ed.), Regional Planning. Challenge and Prospects, New York, Praeger, 1969, XXV-396 p. ; Hughes (James) (ed.), New Dimensions in Urban Planning: Growth Controls, New Brunswick (N.J.) Rutgers University, 1974,246 p.; Krueckeberg (Donald A.), Silvers (Arthur L.), Urban Planning Analy.vis. Methods and Models. New York, John Wiley, 1974, XX-486 p.; Ratc1ife (John), An Introduction to Town and Country Planning, Londres, Hutchinson, 1974, XlI-378 p.; Roberts (Margaret), An Introduction to Town Planning Technique.v, Londres, Hutchinson, 1974, VIII-406 p.; White (Brenda), The Literature and Study (if Urban and Regional Planning, Londres, Routledge and Kegan, 1974, XI-223 p. A la deuxième catégorie se rattachent; Catanese (Anthony J.), Steiss (Alan W.), Systematic Planning: Theoryand Application, Lexington (Mass.), D.C. Heath, 1970, XVIII-376 p. ; Chadwick (George), A System.v View of Planning Proces.v, Oxford, Pergamon Press, 1971, XIII-390 p.; Cripps (E.L.) (ed.), Space-time Concepts in Urban and Regional Models, Londres, Pion, 1974, 237 p.; Forrester (J.W.), Urban Dynamics, Cambridge (Mass.), the M.I.T. Press, 1969, XIII-286 p.; Hamilton (H.R.), et al., Systems Simulation for Regional Analysis. An Application to River Basin Planning, Cambridge, the M.l.T. Press, 1969, XII-407 p.; Hilhorst (Joe G.M.), Regional Planning: a Sy.vtem.v Approach, Rotterdam, University Press, 1971, XIV-151 p.; Inbar (Michael), Stoll (Clarice S.), Simulation and Gaming in Social Science, New York, the Free Press, 1972, XIV-313 p.; Judge (George G.), Takayama (Takashi) (ed.), Studies in Economic Planning over Space and Time, New York, American Elsevier, 1973, XlI- 727 p.; Kuenzlen (Martin), Playing Urban Games. The System Approach to Planning, Boston, Press, New York, George Braziller, 1972, 119 p.; La Patra (Jack W.), Applying the Sy.çtems Approach to Urban Development, Stroudsburg (Pa), Dowden, Hutchinson and ross, 1973" IX296 p. ; Lee (Colin), Models in Planning. An Illfroduction to the Use (if Quantitative Models in Planning, Oxford, Pergamon Press, 1973, X-139 p.; McLoughlin (J. Brian), Urban and Regional Planning. A Systems Approach, Londres, Faber and Faber, New York, Praeger, 1969, 331 p. 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Academic Press, 1974, XlI-301 p.; Edel (Matthew), Rothenberg (Jérôme) (ed.), Readings ÙI Urban Economics, New York, Macmillan, 1972, VI-602 p. ; Goodall (Brian), The Economics of Urban Areas, Oxford, Pergamon Press, 1972, XlI-379 p.; Greenberg (Michael R.) (ed.), Readings in Urban ECO/lOmic.v and Spatial Patterns, New Brunswick (N.J.), Rutgers University, 1974, 286 p. ; Grieson (Ronald E.), Urban Economic.v, Readings and Analysis, Boston, Little Brown, 1973, X-453 p. ; Harris (CUl1is C. Jr.), Hopkins (Franck E.), Locational

316

Paul Claval

où toutes les décisions ont des implications spatiales; ainsi s'explique leur implantation et la manière dont elles se modifient avec le temps. Faire de la planification spatiale, ce n'est pas déterminer un état idéal vers lequel le corps social devrait tendre et dont il ne bougerait plus ensuite, mais évaluer les avantages et les inconvénients de l'évolution spontanée et prévoir un système (un sous-système pour être plus précis) qui corrige les erreurs et remodèle l'évolution de manière à la rendre aussi conforme que possible aux objectifs que se donnent la collectivité, le gouvernement ou toute autre instance chargée de prévoir le futur et de définir les politiques indispensables à la réalisation des idéaux retenus. La planification spatiale cesse d'être radicalement différente des autres formes de la planification. Elle appartient à la grande famille des démarches par lesquelles les sociétés complexes coordonnent les actions échelonnées dans le temps'. Dans une telle optique, la planification distingue deux secteurs dans le corps social: celui des décideurs sur lesquels elle est sans action; celui des décideurs et des décisions sur lesquels elle a le pouvoir d'influer. On avait coutume d'opposer des planifications autoritaires dans lesquelles l'autorité centrale peut tout et des planifications indicatives dans lesquelles l'évolution est prévisible, mais où le système politique ne dispose que de la persuasion pour arriver à ses fins. La réalité est plus complexe: les différentes situations s'échelonnent sur un continuum: à une extrémité, on trouve la centralisation absolue; tout le développement social et spatial est aux mains d'un décideur unique; il Y a confusion entre le système social global et le système de planification; à l'autre extrémité, il y a la décentralisation absolue; le sous-système de planification décrit le présent, prévoit l'avenir mais est incapable de modifier le sens de l'évolution. Un système centralisé à la manière soviétique est assez proche du premier terme, mais une part des décisions lui échappe pourtant - les agents économiques travaillent plus ou moins bien, plus ou moins volontiers; ils sont rebelles à certains déplacements ou bien migrent à contresens de ce qui est jugé Analysis: an Interregioool Econometric Model of Agriculture, Mining, Manufacturing and Service.f, Lexington (Mass.). Lexington Books, 1972, XIV-303p.; Heilbrun (James), Urban Economics and Public Policy, New York, Saint Martin's Press, 1974, XVI-380 p.; Hirsch (Werner Z.), Urban Economic Analysi.f, New York, McGraw Hill, 1973, XVIIl-450 p.; Hoover (Edgar M.), An llllroduct;on to Regional Economics, New York, Alfred A. Knopf, 1971, XV-395 p.; Hoyle (B.S.), Spatial Aspects of Development, New York, John Wiley, 1974, XVI-372 p.; Isard (Walter), Introduction to Regional Science, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1975, XXII-506 p.; Kain (John F.), Meyer (John R.) (ed.), Es.mys in Regional Economics, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1971, X-412 p.; Killbridge (Maurice D.), O'Block (Robert P.), Tepilitz (Paul V.), Urban Analy.fis, Boston, Harvard University Graduate School of Business Administration, 1970, XV-332 p.; Mills (Edwin S.), Urban Economic.f, Glenview (Ill), Scott, Foresman and Co., 1972, X-277 p.; Nourse (Hugh O.), Regional Econmnics, New York, McGraw Hill, 1968, 247 p.; Orr (Frédéric J.), Cullingworth (J.B.) (ed.), Regional and Urban Studies: a Social Science Approach, Beverly Hills, Sage, 1969,282 p. ; Rasmussens (David W.), Urban EcmlOmic.f, New York, Harper and Row, 1973, VIII196 p. ; Richardson (Harry W.), Regional Economics. Location Theory, Urban Structl/re and Regional Clllmge, Londres, Weidenfeld and Nicholson, 1969, XII-457 p.; Richardson (Harry W.), The Economics of Urban Size, Lexington (Mass.), Heath Lexington, 1973, VII-243 p. fi

Hall (Peter), Urban and Regional Planning. op. cit. Toute l'évolution récente des idées sur la

planification

est clairement

présentée

dans cet ouvrage.

Chronique

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souhaitable; ils sont aussi des consommateurs et leurs choix en ce domaine sont libres: on peut les prévoir statistiquement, mais il est difficile de les modifier d'un trait de plume. Dans un régime de libéralisme extrême, l'impact direct de l'élaboration des plans est nul, mais son impact indirect est quelquefois notable; les agents économiques modifient leurs anticipations et leurs projets en fonction de l'image du futur que dessinent les prévisions de la planification ten.itoriale. La tâche des planificateurs n'est donc pas terminée lorsqu'ils ont achevé de prévoir et de proposer des choix: elle se prolonge par l'appréciation de l'efficacité de l'intervention; elle se complique par l'analyse des interférences entre les horizons des divers groupes qui sont affectés par l'opération. Elle prend ainsi une dimension politique qui a été longtemps négligée: dans une société où tous les problèmes semblaient pouvoir se résoudre grâce à une bonne information et à une bonne gestion, il suffisait de savoir bien planifier pour satisfaire tout le monde. A partir du moment où les groupes ont des objectifs qui ne sont pas compatibles, le choix des orientations futures implique toujours arbitrage entre des valeurs incomparables et des intérêts qui ne s'expriment pas sur une échelle unique: la planification territoriale est, comme toutes les planifications sociales, un des aspects fondamentaux de l'activité politique. A l'instant où les géographes arrivent enfin à proposer des schémas élaborés selon les techniques les plus modernes, ils se trouvent précipités dans les querelles et les tensions qui déchirent la société. Ce n'est pas aux techniciens qu'incombent les choix fondamentaux, mais leur responsabilité est tout de même lourde: ils éclairent les conséquences lointaines des décisions présentes, ils indiquent la portée des options prises en chaque circonstance. Leurs projets sont donc volontiers critiqués. Le travail du planificateur se fait désormais dans un univers où dominent la méfiance et les mauvais sentiments. il lui faut en prendre son parti: c'est un aspect normal de la situation dans un système démocratique'. Sans cela, le planificateur ne serait-il pas tenté de relâcher son effort critique et de proposer les solutions qui sont pour lui les plus faciles à élaborer même si elles ne sont pas les meilleures? Comment est donc née la pratique moderne de la planification? A quels besoins répond-elle? Quels problèmes pose sa généralisation? Ce sont les points sur lesquels nous allons nous étendre maintenant un . peu.

,

C'est un problème très souvent évoqué dans la presse. Sur les effets des changements d'attitude à l'égard de la planification urbaine, on trouvera une bonne illustration dans Wolpert: Wolpert (Julian), Ginsberg (Ralph), « The transition to interdependance in locational decisions », pp. 69-80 de Cox (Kevin R.), Golledge (Reginald G.) (ed.), Behavioral Problems ;'1 Geography, Evanston (III.), NorthWestern University, Studies in Geography, n° 17, 1969.

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Paul Claval

I. L'EMERGENCE DU BESOIN DE PLANIFICATION TRANSITION A LA SOCIETE POST-INDUSTRIELLEH

ET LA

L'aménagement du territoire n'est sans doute pas une activité nouvelle dans les groupes humains: les structures agraires que l' histoire et la géographie rurales expliquent naissent de modèles sociaux d'organisation; elles varient avec les techniques mobilisées pour cultiver et élever, avec les règles de la dévolution et de la succession des richesses, du sol et du pouvoir; elles reflètent le jeu des institutions et les règles du droit. Une structure agraire est une certaine façon d'aménager l'espace; elle résulte souvent d'essais et d'erreurs, témoigne d'une longue évolution; lorsqu'elle est au point, elle peut servir de patron à ceux qui cherchent à créer de nouveaux terroirs, à coloniser de nouvelles terres; selon la forme du pouvoir, l'aménagement de l'espace est alors œuvre collective ou œuvre individuelle. Dans son essence, ce n'est pas quelque chose de très différent de ce que l'on appelle dans nos sociétés aménagement de l'espace et qui y apparaît comme un besoin neuf. Pourquoi ce paradoxe? Dans les sociétés traditionnelles, les problèmes essentiels d'organisation de l'étendue se posent d'abord au niveau des collectivités territoriales de base: les paroisses, les communautés locales doivent structurer les terroirs de façon à faire face à tous leurs besoins; elles y parviennent en diversifiant les cultures, par l'autarcie donc, ou par une certaine spécialisation qui permet d'acheter ce qu'on ne peut produire en vendant ce pour quoi on est bien placé. La communauté rurale satisfait ainsi les aspirations immédiates; elle doit également veiller à l'avenir: elle se trouve donc tout naturellement conduite à la prudence dans l'exploitation; il est rare qu'elle ne pratique pas, sous une forme ou sous une autre, la conservation des ressources. Au niveau des sociétés encadrantes et du pouvoir politique, les problèmes d'organisation fondamentale de l'espace sont beaucoup plus restreints: ils concernent parfois l'agriculture - dans les sociétés hydrauliques, l'Etat prend à sa charge les équipements d'irrigation qui ne peuvent être menés à bien par les communautés paysannes - mais les grandes réalisations sont toujours restées rares même dans des pays où toute l'agriculture repose sur l'utilisation de terroirs irrigués. La plupart des tâches d'aménagement propres à la société encadrante ne concernent que la vie de relation: le Prince doit veiller au bon état des routes, des voies navigables, des ports s'il veut connaître ce qui se passe sur ses terres et favoriser l'essor du commerce qui lui apporte une part importante de ses ressources. Il prend donc les mesures essentielles en ce qui concerne les réseaux de voies. Est-ce déjà de l'aménagement du territoire? Pas tout à fait: il s'agit d'une tâche technique, d'une . Pour ce paragraphe, on pourra se rapporter à : Claval (Paul), 568 de l'Ellcyclopédie

Ullive,..~elle Larol/s.~e, Paris, 1971.

«

Aménagement

du territoire

», pp. 564-

Chronique de géographie économique

319

opération dont on n'a pas à mesurer toutes les implications spatiales dans un calcul complexe. Les rares domaines où les calculs se font plus subtils et évoquent déjà l'aménagement du territoire au sens moderne du terme sont ceux où il faut modeler plusieurs champs d'activité à la fois: en matière stratégique par exemple, la fortification d'une frontière implique à la fois la construction de redoutes isolées, la création ou le renforcement des enceintes qui protègent les villes, l'évacuation pelmanente de certaines zones et à l'inverse, le peuplement des régions où l'on doit pouvoir recruter rapidement les troupes dont on a besoin9 : que l'on pense à l'action systématique menée sur les confins militaires par la monarchie autrichienne lorsqu'elle gagne progressivement sur l'Empire

ottoman,

au tournant

des XVUCet XVIUCsièclesl.

!

Les besoins de l'aménagement du territoire n'apparaissent vraiment qu'avec la révolution industrielle et l'ouverture générale de l'espace qui en est corrélative. Les vieilles autarcies disparaissent. Dans le monde rural, les productions ne sont plus destinées à la consommation directe; elles sont vendues sur un marché dont on n'est pas maître: lorsque les prix baissent, il faut réduire les frais, si bien que certaines des pratiques courantes jusqu'alors pour éviter les risques d'érosion ou d'épuisement des sols doivent être abandonnées. Le souci du lendemain devient d'ailleurs moins lancinant: dans un monde où les opportunités urbaines se multiplient, l'avenir de la famille et de la communauté locale cesse d'être lié au terroir qui les a jusque-là fait vivre. L'organisation de l'espace agricole est commandée par le jeu du marché et les ajustements et corrections volontaires que l'on qualifie justement d'aménagement du territoire disparaissent à l'échelle locale; rien ne vient encore les remplacer à l'échelle de la nation ou du grand marché international. Dans le domaine industriel, l'évolution va dans le même sens: la localisation des activités est commandée par la recherche du. point de coût minimum ou par celle de l'accessibilité la plus grande à la clientèle ou aux secteurs d'amont et d'aval. Le problème d'aménagement ne se pose qu'à l'intérieur de la firme où l'on essaie de tout disposer pour l'efficacité, et dans l'espace qui l'entoure immédiatement lorsque l'entrepreneur se trouve dans l'obligation de loger ses employés. Au niveau de la ville, les grandes opérations volontaires se limitent souvent au tracé de la voirie: la croissance est affaire de lotisseurs ou de promoteurs et l'équilibre spatial général est commandé là aussi par le principe du marché. Dans une première phase, la révolution industrielle modifie donc l'échelle d'ajustement des phénomènes sans créer de nouveaux besoins et surtout de nouvelles pratiques d'aménagement volontaire. Pourquoi 9

N'est-ce point ce qui fait de Vauban le premier aménageur? appliquée

" C'est ce géogrtlphie

que rappelle la thèse d'André Blanc: Blanc (André), lA Croatie occidentale. Etude de humaine,

au Canada",

Mélange.~ géographiques

Philipponeau (M.), « Vauban et la

iléographie

Paris, Institut d'Etudes

slaves. 1957.498

(]!fens el Raoul Blanchard, p.

Québec,

1959.

320

Paul Claval

en aurait-on besoin d'ailleurs? Le mécanisme du marché ne garantit-il pas l'allocation optimale des ressources? Ne conduit-il pas à l'architecture économique d'ensemble la plus favorable sans qu'il soit indispensable de prévoir la coordination des branches? Il n' y a que quelques secteurs d'activité où on ne peut laisser faire les mécanismes de l'économie libérale: en matière de construction des voies de communication, de voies ferrées par exemple, la puissance publique est tenue d'intervenir pour assurer les expropriations; elle s'interroge sur leur bien-fondé et cherche à prévoir l'impact des équipements sur les régions traversées; c'est l'amorce d'une action d'aménagement, mais elle est bien modeste. Les insuffisances de l'organisation de l'espace qui résulte du jeu des automatismes économiques ne tardent pas à se manifester. La concurrence devient désastreuse pour beaucoup de producteurs agricoles; elle est d'autant plus dure que les fermiers des prairies du Nouveau Monde pratiquent une agriculture brutale, sans aucun souci de ménager le sol; les pays d'Europe occidentale sont obligés de les suivre sur cette voie ou bien de se protéger par des barrières douanières, ce qui revient à reconnaître que dans certains cas, le libéralisme ne conduit pas à la solution la meilleure pour la collectivité. Mais les causes essentielles d'insatisfaction se manifestent ailleurs: l'environnement urbain est de plus en plus déplorable; ses qualités esthétiques sont sacrifiées, la pollution atmosphérique provoquée par l'emploi du charbon s'accroît; l'extension des espaces bâtis provoque l'allongement des trajets, la congestion des centres, et nécessite donc le recalibrage de la voirie et la création de transports en commun modernes. Les déséquilibres régionaux se creusent, la dépopulation des campagnes conduit dans certains cas à la désertion. Les métropoles se gonflent sans cesse et leur coût pour la collectivité augmente. La spécialisation intégrale à laquelle conduit le principe du marché se révèle désastreuse en cas de crise: toute une région se trouve frappée en même temps, si bien que la misère y atteint des proportions dramatiques et qu'il n'existe rien sur place pour la soulager. Dès l'époque d'Alfred Marshall, les économistes ont compris que la plupart des activités économiques sont très libres dans leur localisation; elles ne dépendent guère de leurs sources d'approvisionnement ou de leurs débouchés. Est-il donc rationnel de voir l'accumulation humaine se poursuivre au-delà de certaines limites? On parle d'économies externes; jusqu'à quel point justifient-elles le gigantisme? Celui-ci ne tient-il pas tout autant à l'imparfaite information des entrepreneurs sur les opportunités qui leur sont offertes? On commence à douter de l'efficacité de l'économie libérale. Dans la première moitié du Xxc siècle, l'évolution des attitudes se précipite: dans le cadre de l'Etat libéral, la réalisation d'espaces où l'égalité devant la loi est parfaite rend de plus en plus facile le jeu des mécanismes de marché qui poussent à la spécialisation et à la polarisation des activités. Les préoccupations sociales se font plus

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vives: l'Etat ne peut laisser la répartition des revenus à la seule logique du marché du travail et des marchés de facteurs de production. TIessaie de les corriger en pratiquant une certaine redistribution: le voilà qui intervient directement dans les équilibres économiques. Cela a des implications spatiales, comme d'ailleurs en ont les nationalisations ou les prises de participation qui se multiplient dans certains secteurs. Si les mécanismes de marché ne conduisent pas à l'allocation optimale des ressources et des revenus entre les catégories sociales, ne donnent-ils pas naissance à une géographie qui s'éloigne du meilleur état possible? Bon nombre de coûts ne peuvent être pris en considération dans une économie libérale. L'écart entre les coûts sociaux, les coûts écologiques et les coûts économiques est souvent notable: c'est là la source de distorsions graves dans l'équilibre spatial. Ainsi, en peu d'années, l'opinion publique prend-elle conscience des méfaits de l'excessive concentration, et, à l'inverse, de la désertification de certaines zones; elle s'indigne du gaspillage des ressources, de l'érosion des sols; elle découvre un peu plus tard la gravité des pollutions qui la menacent de partout. Parmi les choix politiques que doit faire toute société, il en est donc qui touchent à la manière de structurer l'espace et pour lesquels on ne peut s'en remettre totalement aux mécanismes d'ajustement automatique des décisions. Selon que le régime politique est plus ou moins critique à l'égard du système de marché, la part de l'action volontaire est plus ou moins forte, mais ce qui est universel, c'est l'émergence, parmi les grands problèmes que doit résoudre le politique, de ceux de l'aménagement de l'espace. Pour répondre à des questions qui se posent à des échelles très variées, il faut disposer de moyens d'étude appropriés: la planification régionale naît de ce besoin. Il.

LES ORIGINES DE LA PLANIFICATION LA PLANIFICATION PHYSIQUE

REGIONALE:

La planification territoriale a précédé l'apparition des problèmes d'aménagement de l'espace à l'échelle des économies modernes qui en expliquent l'importance actuelle. Sous ses premières formes, elle n'analyse pas de mécanismes, de processus, elle saute tout de suite à la conclusion: elle s'exprime toute entière dans une carte ou dans un plan qui indiquent ce qu'il convient de faire et où il convient de le faire. Cette planification se situe hors du temps; elle travaille dans l'absolu. AVe£ les effets néfastes de l'industrialisation, le problème change de nature, mais le pli ne se modifie pas immédiatement.

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Paul Claval

La planification physique normative, ou utopique/J

La planification physique est d'abord le fait de l'architecte auquel on demande d'étendre ses dessins pour englober tout un quartier ou toute une ville; elle peut aussi être conduite par un arpenteur ou un lotisseur qui prend en charge la création ex nihilo d'un environnement urbain. A ces besoins, il est difficile de répondre autrement que par un dessin, une esquisse de l'organisation de l'espace, ou plus simplement, un schéma précisant les utilisations du sol et indiquant le tracé des voies. Les motifs utilitaires ont longtemps prédominé: le succès des plans rectangulaires en est la preuve. La réflexion sur ce qu'est la ville, sur la manière dont elle sert l'économie régionale et dont elle doit s'articuler sur l'extérieur est réduite au minimum: on se contente généralement de prévoir des places pour les manifestations collectives et de grouper autour de l'une d'elles la plupart des institutions officiellesmairie, palais du gouverneur, église, citadelle, marché, etc. Ce mode de planification était connu des Anciens

- que

l'on pense à Hippodamos de

Milet, ou aux arpenteurs romains. Il revit au Moyen Age chez les créateurs de bastides dans le Sud-Ouest ou en Angleterre, et plus tard chez tous les Européens qui créent des établissements nouveaux dans les terres qu'ils ouvrent à leur commerce et à leur influence. La Renaissance donne cependant une dimension nouvelle à ce genre de travailu. Ludovic Sforza demande au Filarete de lui dessiner le plan d'une ville idéale: Sforzinda ne répond pas seulement à un besoin utilitaire; elle est traduction dans l'espace d'un rêve, d'une nouvelle manière de concevoir l'organisation du monde. Durant toute la deuxième partie du Xye siècle et la première partie du XVI",les grands peintres dessinent des paysages urbains qui sont déjà ceux du classique ou du baroque: au moment où ils les représentent, ils les imaginent. La ville baroque naît de la volonté de matérialiser ces décors rêvés. Elle traduit une espèce d'utopisme esthétique qui explique la primauté donnée à l'artiste, au concepteur. Tous les grands génies de la Renaissance ont désiré s'exprimer ainsi dans des créations urbaines: Léonard de Vinci brosse le plan de toute une région, Albert Dürer dessine une ville idéale, Michel-Ange prévoit les fortifications de Florence. Tous songent déjà aux longues perspectives harmonieuses dont Sixte Quint est le premier à avoir fait un principe du nouvel urbanisme, à la fin du XVIesiècle. Au XYlICet au XVIII"siècles, les besoins en matière de planification spatiale d'inspiration esthétique sont multiples: ils naissent de la Il Sur les planifications de type normatif et utopique, (Charles L.), « Determinants of the size and spatial Science As.weilllion, vol. XXII, 1969, pp. 7-28. 12 L' histoire des utopies urbaines est bien présentée urbaine à l'Antiquité et à la tradition juive, mais je coupure nette. Rosenau (Helen), The Idelll City. Ils Row, 1972.2< ed., 176 p. (I"' ed. : 1959).

l'inspiration première form of urban areas

me vient de Leven. Leven ", Papers (!f Ihe Regional

par Helen Rosenau. Elle fait remonter l'utopie pense qu'on peut placer à la Renaissance une Architeclural Evolurion, New York, Harper and

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création de villes neuves, de l'agrandissement rapide des capitales, de la construction de palais et de résidences. Avoc le développement de l'architecture paysagère, on sort du cadre urbain. La campagne, les bois sont traités comme des motifs de composition. Dans le courant du XVIII" siècle, le succès de ces aménagements est tel qu'ils finissent par affecter dans certains pays une part importante de la superficie totale - plus de 10% parfois dans la campagne anglaise après l'engouement pour les

créations de Bridgeman, Kent, Brown,W oods et Repton. Au courant de l'urbanisme esthétique se joint un courant utopique dont le contenu social est plus dense. TIest déjà présent au XVIesiècle avec Thomas More, se prolonge par la Christianopolis de Johann Valentin Andreae, la Cité du Soleil de Campanella ou la Nouvelle Atlantis de Bacon. Au xvme siècle, fait nouveau, l'inspiration sociale touche les grands visionnaires de l'architecture: les œuvres dessinées de E. L. Boullée et de Nicolas Ledoux, et les salines d' Arc-et~Senans du second en témoignent. Le mouvement prend de l'ampleur au moment de la Révolution industrielle. Tout un courant socialiste rêve ainsi de remodeler l'espace: Robert Owen, après avoir créé l'ensemble des logements ouvriers de New Lanark, fonde Harmony dans l'Indiana. Des phalanstères se constituent sur le modèle de Fourrier à Condé-surVesgres, grâce à la North American Phalanx d'Horace Greeley près de Red Bank dans le New Jersey, ou sur le principe du familistère de Godin. L'Icarie de Cabet se concrétise par l'achat aux Mormons de Brigham Young du site de Nauvoo, sur les rives du Missouri, dans l'Illinois. Tous les projets ne connaissent pas ces essais d'application: ils n'en témoignent pas moins de l'intérêt pour la réforme sociale réalisée à travers un nouvel ordre spatial. Dans les dernières années du XIXe siècle, le mouvement de réflexion est particulièrement actif en Angleterre: l'environnement créé par la société industrielle est décevant. Les rêves socialistes s'allient avec une. nouvelle sensibilité esthétique; ils s'articulent sur des idéaux naturistes nouveaux -l'idée que l'homme ne trouve son équilibre que dans un milieu où il n'est pas coupé des arbres, des animaux, de la vie spontanée fait des progrès rapides. La citéjardin de demain d'Ebenezer Howard est ainsi à la convergence d'une grande variété de courants: elles prolonge l'inspiration socialiste des utopistes, reprend les thèmes de l'aménagement de l'espace des colonisateurs britanniques comme Wakefield, se concilie fort bien avec l'esthétisme social de John Ruskin ou de William Morris et porte sans doute la marque des grands architectes paysagistes américains de la fin du XIxesiècle, Frederick Law Olmsted en tout premier lieu'J; 13 Sur la formation des idées d'Ebenezer Howard, l'étude la plus accessible est constituée par "introduction que FJ. Osborn a écrit pour l'édition anglaise de 1946 de Garden Cities of Tomorrow et que reproduit la traduction française. Osborn (JJ.), «Préface », pp. XV-XXXVI de: Howard (Ebenezer), Les Citb-jardins de demain, Paris, Dunod, 1969, XLIX + 130 p. ; Mac Fayden (Dugald), Si,. Ebenezer Howard and the Town-Planning Movement, Cambridge (Mass.), the M.I.T. Press, 1970, IX-199 p.

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La plupart des formes de la planification normative ou utopique qui sont ainsi issues de l'urbanisme baroque et de l'utopie socialiste s'attachent à remodeler les villes. Elles n'abordent l'espace rural que pour le discipliner, l'harmoniser, le faire entrer dans le cadre des ordonnances policées que crée la civilisation. Vers le milieu du XIXe siècle, les progrès des sciences naturelles entraînent de nouvelles attitudes; on s'intéresse davantage à la richesse de la flore et de la faune, on comprend ce qu'elle signifie dans l'évolution et dans le maintien des formes de la vie à la surface de la terre. Le défrichement et la mise en valeur des terres vierges menacent des espèces jusque-là préservées. Certaines ont déjà disparu. Ne convient-il pas de sauvegarder la vie sauvage, d'assurer la conservation de la nature"? Il faut pour cela mettre en défends des surfaces importantes et y interdire toute forme d'exploitation et même de cueillette. Aux motifs esthétiques et sociaux s'ajoute ainsi celui de la préservation: il s'agit toujours d'impératifs qui n'admettent pas de partage, de principes avec lesquels on ne peut pas composer. Une composition urbanistique est belle ou elle est laide, un environnement est favorable à l'épanouissement des types de vie sociale que l'on désire promouvoir ou bien il les exclut; la nature est intégralement défendue ou bien l'opération perd tout son sens. Il est donc difficile de prévoir, en de tels domaines, des techniques d'analyse préparatoire à la publication du plan. Celui-ci sort tout prêt de l'esprit de l'homme de l'art. Il correspond à un état idéal qu'il faut atteindre à tout prix. Il n'y a pas de niveau intermédiaire entre la réalisation totale et l'échec. Celui-ci attend la plupart des projets: c'est vrai des utopies sociales, mais ce l'est aussi des plans demandés aux urbanistes. On met un projet au concours: des dizaines de dessins sont quelquefois en concurrence. On en retient un, mais il est rare qu'on lui soit parfaitement fidèle: les moyens manquent, il faut composer avec des données économiques ou sociales négligées dans le travail abstrait de réflexion. La planification physique normative ne réussit que rarement à atteindre les objectifs qu'elle s'est fixée. Elle est généralement incapable de procéder aux remaniements et aux retouches indispensables pour rendre un milieu qu'on ne peut pas totalement bouleverser plus humain, plus sain, plus plaisant. Il faut donc prévoir pour ces tâches d'autres méthodes. La planification physique analytique

Le monde urbain de la fin du

XIXC

siècle n'a pas besoin d'une

planification d'inspiration esthétique. On ne peut le reconstruire en entier car tous les moyens dont disposent les sociétés modernes n' y suffiraient pas. Il faut l'améliorer, faire porter les efforts sur les points 14 Sur l'origine du mouvement V: les ressources naturelles".

de conservation: Claval (Paul), « Chronique de géographie économique Revile Géographiqlle de /'EJt, vol. 10, 1970, n° 1-2, pp. 87-124.

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noirs et conserver au moins provisoirement ce qui le mérite. Dans une optique réformiste, l'urbaniste a besoin de plans qui reposent sur une information solide et sur une sélection correcte des objectifs. Où trouver l'inspiration pour ce genre de démarches? Le mérite de Patrick GeddeslS est d'avoir été le chercher du côté des sciences sociales, d'une certaine sociologie d'abord, celle de Frédéric le Play, et de la géographie humaine française ensuite. Par sa formation de naturaliste, il a le goût de l'enquête scientifique précise: le Play lui offre un modèle à la fois empirique et rigoureux pour fonder la démarche du planificateur. C'est à lui qu'il emprunte son idée essentielle, celle qu'il faut effectuer des levers et des enquêtes précises avant de bâtir des

plans: « survey before plan !» Après la collectedes données,l'analyse permet de porter un diagnostic et de proposer les mesures que le plan traduira sous la forme d'un document facile à utiliser. La géographie humaine à la française lui apprend à poser les problèmes dans un cadre adéquat: l'unité administrative que la plupart des services officiels adoptent coupe souvent à travers un milieu naturel homogène, à travers des unités sociales uniformes. Il convient donc de choisir une aire d'enquête suffisante, celle qui correspond à un ensemble vivant: la région naturelle fournit le modèle. A l'intérieur de la zone ainsi délimitée, les recherches doivent être variées: il faut mener un travail exhaustif à la fois dans le domaine des données physiques et dans celui des données humaines. Pour les premières, une série de cartes figurent la géologie, les sols, le climat et la végétation actuelle et potentielle sont indispensables. La manière dont la terre est aujourd'hui occupée et transformée constitue le point de départ de toute l'interprétation subséquente et conditionne les aménagements que l'on peut faire. A ces données fondamentales s'en ajoutent d'autres sur la population, ses activités ou ses mouvements. Au total, la liste des faits à collecter ne peut répondre à un schéma rigide et universellement valable, mais la structure d'ensemble ne peut qu'être la même à peu près partout. Comment utiliser les documents graphiques auxquels donnent lieu les différentes enquêtesl. ? Les procédures sont multiples, mais la plus simple, celle du filtrage, donne déjà des indications précieuses sur les possibilités d'action. On en connaît le principe. Chaque carte conduit à un classement des terres par grandes catégories. Ainsi, dans le domaine agricole, il est possible d'établir une hiérarchie des fertilités; on peut la compléter en indiquant les zones dont le maintien à l'état IS

Sur la formation, les idées.et le rôle de Patrick Geddes, on se reportera à mon E.çsai sur l'évolution

de la géographie humaine. op. cit.. chap. VII et à Peter Hall, Urban and Regional planning. op. cÎt., chap. 3. Pour une analyse plus fouillée, la source la plus récente est: Stailey (Marshall), Patrick Geddes: Spokeman for Man and the Envirmlment, New Brunswick (N.J.), Rutgers University Press, 1972. ,. Sur les plincipes de l'aménagement physique et du «filtrage» tel qu'il était pratiqué il y a une vingtaine d'années, on glanera des indications dans: Gottmann (Jean) et al., L'aménagemellf de l'espace. Planification régionale et géographie. Paris, Armand Colin, 1952, 140 p.

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agricole est indispensable pour la sauvegarde du milieu. Pour le climat, on figure par exemple les zones où la végétation peut démarrer plus tôt, où l'insolation est plus grande: c'est là que les cultures délicates sont à leur place - mais c'est là également que les activités touristiques trouvent leur lieu d'élection. La carte géologique donne naissance à des documents qui indiquent la valeur du sous-sol pour la construction ou précisent les conditions hydrologiques. La carte d'utilisation des sols autorise également des discriminations faciles: dans le domaine rural, certaines masses forestières sont à protéger et se trouvent ainsi soustraites à toutes les opérations; dans le domaine urbain, les changements qui modifieraient le cadre et le paysage sont impossibles dans les quartiers historiques: cela limite les transformations qui peuvent s'y produire. Dans les zones proches des usines polluantes, les constructions d' habitations doivent être évitées. Autour des aéroports, les aires de bruit ne se prêtent pas mieux à l'implantation de logements. En superposant les différentes cartes obtenues, on voit apparaître par transparence les secteurs où les opérations envisagées sont possibles: qu'il s'agisse d'édifier de nouveaux immeubles, de créer des parcs industriels, d'étendre les espaces verts, on s'aperçoit que la marge de manœuvre dont disposent les autorités est faible. L'opération de filtrage élimine tous les sites qui pour une raison ou une autre ne conviennent pas. Très souvent, il ne reste qu'un secteur où l'action est possible: la décision est de la sorte préparée d'une manière simple, et elle échappe à toute critique. L'issue de l'analyse graphique n'est pas toujours aussi claire. Dans certains cas, elle laisse apparaître plusieurs sites utilisables dans des conditions aussi avantageuses. Ailleurs, il n'existe pas de terrains répondant aux besoins d'aménagement. Que faire alors? Il faut choisir de nouveaux critères, reprendre le travail et modifier les conditions de classement. Pour trier des sites destinés à la construction, on fait par exemple intervenir l'accessibilité aux centres. Pour des espaces verts, on tient compte de la proximité des quartiers auxquels ils doivent servir de poumon. Lorsque la première analyse n'a révélé aucune localisation possible, il convient de reprendre chacun des documents élaborés et de voir si les catégories retenues sont toutes aussi urgentes: ne peut-on sacrifier certains terrains agricoles de bonne qualité? Ne peut-on tolérer des bandes de sécurité plus étroites autour des activités polluantes? Ne peut-on procéder à une modernisation partielle du centre-ville? N'y a-til pas de secteurs dont la reconstruction ne nuirait pas à l'image du noyau historique ancien? Ne peut-on sacrifier une zone verte à une opération par ailleurs indispensable - en exigeant toutefois d'en reconstituer une un peu plus loin? La planification physique traditionnelle est faite de tous ces arbitrages. Ils impliquent une réévaluation fréquente des critères utilisés lors de la première phase de l'analyse. La faiblesse du travail empirique

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ainsi mené réside là. Il n'est pas possible de réaliser les ajustements nécessaires sans accepter une certaine hiérarchie des objectifs - mais ces objectifs ne sont jamais très clairement définis, jamais classés en tout cas. On décide au départ d'en privilégier quelques-uns, un seul parfois; les autres sont rejetés avec le plus grand arbitraire. Ainsi, dans la deuxième moitié du XIX"siècle, les grandes opérations de rénovation urbaine entreprises par Haussmann et par ses émules français ou étrangers reconnaissent trois finalitésl7: l'amélioration des conditions de circulation dans des centres villes surpeuplés, l'assainissement de quartiers où les densités sont excessives et où l'on manque d'air, de lumière et souvent d'eau propre; le contrôle stratégique plus efficace de zones souvent agitées par les mouvements populaires. Il se trouve que ces trois objectifs sont facilement conciliables, que les mêmes opérations permettent de les réaliser: l'ouverture de grandes voies rectilignes décongestionne, aère et permet les mouvements de troupe. Mais les autres aspects de la vie urbaine sont négligés; cela cache des options implicites: pour mener à bien des opérations coûteuses, il n'est d'autre moyen que de profiter aussi largement que possible de la plus-value que créent les grands travaux: les immeubles reconstruits se trouvent réservés à une clientèle aisée; l'opération de remodelage a une dimension sociale inavouée et sans doute involontaire au départ. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les politiques américaines de rénovation des centres ont fait l'objet des mêmes critiquesl8. Elles répondent à un seul but: l'amélioration physique du patrimoine bâti. Elles y parviennent en évinçant les résidents les plus modestes, en les remplaçant par des personnes dont les revenus sont supérieurs; comme elles ne prévoient rien pour reloger les pauvres, le sort de ceux-ci se trouve détérioré par l'opération entreprise. On a pris peu à peu conscience des faiblesses de la planification physique empirique. Elle n'est le plus souvent que la première phase d'une opération conduite selon les lignes normatives classiques: une fois déterminés les secteurs adéquats pour telle ou telle opération, l'initiative revient à ceux qui savent projeter, faire un dessin, imaginer un quartier, ordonner une percée, concevoir une ville. Au lieu de travailler sur une table rase, on leur demande de s'adapter à un cadre qu'on ne modifie que partiellement; ceci étant admis, on leur .laisse la liberté de modeler le reste à leur gré.

17 Sur l'urbanisme d'Haussmann, on trouve quelques indications dans Françoise Choay, et une présentation plus complète dans Siegflied Giedion. Choay (Françoise), The Modern City: Planning in the 19th Celltury, New york, Braziller, 1969, 128 p.; Giedion (Siegfried), Space. Time and Architecture, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 5c ed., 1967, LVI-897 p. lMSur le mouvement d'Urban Renewal et sur ses insuffisances et les injustices qu'il entraîne: Anderson (Martin), The Federal Bulldozer: a Critical Analysis of Urban Renewal, Cambridge (Mass.), ; Glazer (Nathan), "The renewal of cities", Scientific American, vol. 213, the M.I.T. Press, 1964 n° 3, sept. 1965, pp. 194-204.

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Paul Claval

La planification physique traditionnelle et la technocratie

Qu'elle soit tout entière normative ou qu'elle prenne d'abord la forme analytique et empirique qui se développe depuis le début du XXe siècle, la planification à dominante physique qui a prévalu jusqu'à une date toute récente repose sur une logique dangereuse. Elle confie en effet au planificateur une mission et une responsabilité très étendues: elle les fait maîtres du dessin de la ville - ou parfois de la régionfuture; elle attribue le droit de créer et de modeler l'espace à un milieu étroit sélectionné en fonction de ses compétences techniques, de son goût et de ses qualités artistiques. La planification physique est élitiste. On dénonce souvent le règne des technocrates irresponsables et on les accuse de la plupart des maux dont souffre notre environnement. Dans la grande vague de contestation des organisations qui caractérise le monde contemporain, les administrations se trouvent spécialement visées dans la mesure où elles ont acquis dans le domaine de l'aménagement une autonomie et une liberté d'action qui ne peuvent pas se justifier sur la base des principes de la démocratie. Le reproche est justifié. Mais où se trouve le vrai responsable de ces abus de pouvoir généralisés? Est-ce le système administratif, comme l'admet une analyse superficielle, ou les règles de comportement qu'implique le système normatif de planification? Il nous semble que le second aspect est décisif. La planification physique statique qui se matérialise dans la confection de plans d'urbanisme définitifs et dans le dessin autoritaire de vastes ensembles suppose que l'on sache déterminer la forme optimale d'un aménagement spatial. Cela n'est possible que si toutes les opérations envisagées peuvent s'analyser selon une logique linéaire, que si elles peuvent s'ordonner en fonction d'un seul principe. Dans le cas des urbanismes classiques ou baroques, ce principe est à la fois esthétique et politique: la ville est une scène de théâtre où les hommes se donnent en spectacle les uns aux autres, et où leurs princes doivent apparaître, à l'occasion des fêtes, des cérémonies civiles et des grandes manifestations de la vie politique, au point de convergence de tous les regards. Dans le courant du XIXCsiècle, on voit apparaître de nouvelles préoccupations, celles de l'efficacité de la machine urbaine dans le cas des praticiens comme Haussmann, celle du bien social chez tous les réformateurs et révolutionnaires, celle de l'hygiène et de la santé dans la secondemoitiédu XIXCet les premières décennies du XXC. Les principes de l'urbanisme nouveau qui est prêché par Le Corbusier en France et sous des formes un peu différentes, par les adeptes du Bauhaus dans l'Allemagne des années 1920ou dans les Etats-Unis des années 1930, représentent une coupure mais en même temps une synthèse des courants précédents: le modernisme esthétique s'y double d'un fonctionnalisme qui permet de prendre en compte les objectifs d'efficacité et d'hygiène et de les concilier avec la recherche d'un cadre adéquat pour une vie sociale plus juste et pour un retour à la nature. Un

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peu partout dans le monde, et plus particulièrement en France, ces idées nouvelles ont abouti à la généralisation de nouveaux types de composition urbaine: on a opté pour l'open planning; la rue a disparu ; I'habitat individuel a perdu du terrain; les immeubles élevés ont logé une part croissante de la population; les principes du zoning le plus rigoureux ont été appliqués. Il s'est développé une forme d'orthodoxie moderniste très rigide dont les tenants ont fait preuve d'une remarquable intolérance: il est peu de domaines qui aient autant souffert que celui de l'urbanisme du triomphe d'une certaine forme de terrorisme intellectuell. : comment résister à des groupes qui peuvent vous faire apparaître comme réactionnaire si vous les critiquez? Comment un service public pourrait-il défendre l'habitat individuel lorsque ses défenseurs sont présentés comme victimes d'une aliénation coupable et propagateurs au moins involontaires des idéaux et des formes de vie de la petite bourgeoisiezCl? Ainsi, le pouvoir de certaines écoles de pensée architecturale a-t-il pu devenir prépondérant dans certains pays; en France, c'est le modèle de Le Corbusier plus ou moins revu et simplifié par les tenants des grandes opérations combinées qui a triomphé; en Angleterrezl, les idées d'Ebenezer Howard ont connu un succès analogue: renforcées par les conclusions déposées par la Commission Barlow à la veille de la Seconde Guerre mondiale, liées à la politique d'ensemble de restructuration de l'économie et du peuplement à l'occasion de la publication du plan du Grand Londres préparé par Sir Patrick Abercrombie, la ville-jardin est devenue la solution privilégiée. Alors qu'en France, il est difficile de dire sa préférence pour les formes étalées d'urbanisme, la situation est inverse en Grande-Bretagne. Elle y devient cependant plus nuancée dès les années 1950,puisque certains groupes d'architectes optent pour l'urbanisme en hauteur sur le modèle continental: l' horizon de certaines banlieues de grandes villes s'en trouve précocement transformé. Le problème de la concentration des pouvoirs réels d'aménagement entre les mains d'une poignée d'administrateurs irresponsables est grave; toute structure pyramidale entraîne une réduction du nombre des décideurs; elle peut donc conduire à des abus. Ceux-ci n'auraient pas eu la gravité qu'ils ont revêtue dans le domaine de l'urbanisme du second après-guerre si les conceptions de la planification spatiale avaient été un peu différentes. La tradition de l'urbanisme donnait toute l'initiative de l'aménagement à celui qui sait dessiner et projeter. Dans le monde d'après-guerre, avec la référence l' Les ouvrages l'avenir, Paris, 1965,128 p.

de Michel Ragon sont très Planète, s.d., 254 p. ; Ragon

symptomatiques (Michel), Paris,

à cet égard: Ragon (Michel), Les ci/b de hier, aujourd'hui, demain, Paris, Hachette,

ZCl

C'est un des thèmes les plus fréquents de la sociologie urbaine française des années 1950 et 1960: Lefebvre (Henri), Du rural el l'urbain, Patis, Anthropos, 1970,287 p. ; Haumont (Nicole), Raymond

(M.G.), Raymond (Henri), L'habi/a/l~avillonnaire, Paris, C.R.U., 1967; Comuau (C.) et al., L'UI/rae/ion de Paris sur sa banlieue, Paris, Les EditionsOuvrières, 1965, 320 p. ZI Sur ce point: Hall (Peter). Urban and Regional Planning, op. cil.

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constante au rôle central des organismes de planification dans les démocraties populaires, il est apparu tout naturel à beaucoup de fonctionnaires de se trouver investis de la responsabilité de modeler le cadre de cités entières - ou d'une nation, puisque les modalités des opérations de construction et d'expansion des aires urbaines sont définies par la législation. Les formes totalitaires de planification sont donc fréquentes même en démocratie: elles sont nées d'une certaine idéologie élitiste de l'aménagement et se sont imposées grâce au système bureaucratique: celui-ci a permis les excès; il ne les a pas imposés, car il peut se prêter à d'autres formes d'action, à d'autres types de pratiques de la planification. On aurait tort de croire que l'idéologie totalitaire de la planification a disparu au cours des dernières années. Elle a été vivement critiquée, elle se fait plus modeste, plus discrète, mais elle reste présente au cœur de beaucoup d'aménageurs. Un jour, je parlais avec un de mes étudiants employé par les services d'urbanisme d'une grande ville de l'Est. Son équipe avait préparé un projet de S.D.A.V. dans lequel celle-ci estimait souhaitable et probable le doublement de la population de l'agglomération en 25 ans. Les élus locaux refusaient absolument cette perspective car ils savaient la fragilité des bases de la croissance et mesuraient les charges qu'elle aurait entraînées. Cette opposition semblait intolérable au groupe de jeunes urbanistes dynamiques qui s'étaient donnés corps et âme à leur tâche: n'étaient-ils pas les seuls à pouvoir trancher en pareille matière? De quel droit des maires ou des conseillers généraux incompétents et motivés par des considérations assez impures, venaient-ils les gêner? J'essayai de parler des principes de la planification démocratique: je m'aperçus que je prêchais dans le désert. La forme la plus nouvelle de la planification idéologique totalitaire à avoir émergé au cours des dernières années se réclame de l'écologie. Elle insiste sur la nécessité de préserver les associations naturelles et de conserver les richesses qui ne se reproduisent pas. Elle se place dans un domaine où la logique des choix économiques ne peut s'appliquer facilement: peut-on chiffrer ce que coûte la destruction d'une niche écologique indispensable au maintien d'une espèce? Non, si bien qu'aucun avantage matériel, aucune compensation monétaire venant de certains groupes ou de la collectivité ne peut être mis en balance de cet objectif. De tous les idéaux simples pouvant servir de principe unique aux actions d'aménagement, celui de la conservation des milieux, de la qualité de la nature et de la vie est celui qui se prête le moins aux compromis, aux accommodements et prend la forme la plus entière. Beaucoup de ceux qui combattent aujourd'hui pour ménager les équilibres naturels sont beaucoup plus sensibles au caractère rassurant de leur foi et à son impact psychologique, qu'à l'environnement dont ils parlent si abondamment.

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économique

Les faiblesses des méthodes de planification physique pure ne tiennent pas seulement à la place trop. grande qu'elles laissent aux options idéologiques. Elles résultent aussi de leur inefficacité à résoudre les problèmes des déséquilibres régionaux. Pour reprendre la distinction proposée par Peter Hall, elles sont adaptées à la planification à l'échelle régionale/locale, celle de la ville, de l'aire métropolitaine et de la zone qui «

tombe» sur elle; elles ne fournissentpas de procédures satisfaisantes

pour régler les questions qui naissent à l'échelle supérieure, ou nationale/régionale. Il faut pour cela disposer d'instruments d'analyse plus raffinés. C'est à eux que l'on doit la rénovation des méthodes de la planification territoriale depuis une vingtaine d'années. III.

LES FORMES TERRITORIALE

Les transformations

MODERNES

DE

LA

PLANIFICA

TI ON

du cadre de pensée

Les transformations des méthodes de la planification territoriale s'inscrivent dans un mouvement très large de l'intelligence contemporaine. La plupart des disciplines traditionnelles s'intéressaient presqu'exclusivement à la description et à l'interprétation des faits sociaux; elles ne s'interrogeaient guère sur la manière d'agir sur la réalité et de la transformer; elles hésitaient même à faire des projections. L'économie était la seule discipline résolument normative, la seule à être installée dans la perspective temporelle et à avoir une optique rétrospective et prospective. Elle le devait à sa logique propre, à son souci de déterminer l'ordre optimal. Elle ne pouvait malheureusement résoudre les problèmes de l'équilibre le meilleur que par référence à un critère de valeur étroit - celui de la valeur-travail pour les marxistes, celui de l'utilité pour les divers représentants de l'école libérale. L'utilisation des méthodes de l'économie ouvrait déjà de nouvelles avenues à la planification territoriale: elle permettait de faire des projections sur des bases solides, d'éprouver la cohérence des objectifs que peut se fixer une politique de développement, de suivre l'évolution différentielle des divers sous-ensembles que l'on peut distinguer au sein d'une nation. Dès le début des années 1950, les préoccupations nouvelles en matière d'aménagement de l'espace rendent nécessaire l'appel aux économistes22.Dans certains pays, des zones industrielles sont frappées par la crise; elles doivent se convertir à de nouvelles activités ou sont condamnées à la récession. Ailleurs, les espaces ruraux achèvent de se vider et la concentration urbaine prend une allure inquiétante. Dans d'autres pays, il existe des poches de 22 Sur les débuts de la réflexion cf supra, note 2.

des économistes

sur la région et la planification

territoriale

en France,

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pauvreté et de sous-développement qui introduisent au sein de la nation un dualisme spatial qui est sans doute aussi grave et aussi dangereux pour l'unité que ne l'est le dualisme social jusque-là plus répandu. Les problèmes d'aménagement qui se posaient jusque dans les années 1930 étaient presque tous d'échelle régionale/locale. Ceux qui surgissent dans la période de la Grande Crise ou de l'après-guerre sont de nature régionale/nationale. Au moment où les économistes étaient donc appelés à participer aux discussions sur l'aménagement du territoire et redécouvraient l'importance de la théorie spatiale qu'ils avaient longtemps négligée, on assistait à une transformation profonde des sciences sociales. Leurs barrières disparaissaient et de nouvelles démarches étaient inventées. Dans l'optique nouvelle, les problèmes que pose la vie pratique prennent le pas sur les distinctions traditionnelles de domaines. Ils surgissent dans le cadre des unités qui structurent la vie sociale, culturelle, politique ou économique; ils naissent au niveau des organisations, des Eglises, des administrations ou des entreprises; ils apparaissent au moment où des décisions doivent être prises: comment choisir entre des voies qui paraissent également défendables au nom de principes sains? Comment rendre l'action des organisations aussi rationnelle que possible? Sans la réflexion sur les systèmes et leur régulation qu'apportait dans le début des années 1950 le développement de la cybernétique, de telles préoccupations n'auraient pu déboucher sur l'élaboration de cadres nouveaux: toute organisation est désormais conçue comme un système dont il faut s'assurer le contrôle pour qu'il se développe en conformité avec les objectifs assignés par la société. L'analyse des formes sociales s'inscrit nécessairement dans le temps et la planification apparaît sous un jour nouveau: il ne suffit pas de décrire l'état final souhaité pour que tout soit réglé; il faut ajuster sans cesse les moyens mis en œuvre aux conditions internes ou externes du système si l'on veut réaliser ses fins avec le minimum de gaspillage et de perte de temps2J. Pour assurer l'harmonisation permanente des décisions et les réviser dès que le besoin s'en fait sentir, la direction doit disposer d'un modèle qui lui indique les évolutions possibles à partir d'une situation donnée, les effets des mesures que l'on peut prendre pour les infléchir et leurs coûts respectifs. Le plan n'est plus le but définitif vers lequel il convient de s'acheminer: il est un instrument de direction; il indique comment l'ensemble étudié est susceptible de se transformer; il montre toutes ses trajectoires possibles et permet de choisir la plus efficace pour répondre aux fins adoptées. 2.' L'application de la théorie des systèmes à la planification est dans l'air à la fin des années 1960, comme le montre la publication presque simultanée des travaux de Mcloughlin, d'Hamilton et de Jay Forrester. L'exposé le plus structuré des nouvelles tendances est sans doute celui de Chadwick. FOI'rester (J.W.), Urban Dynamics, op. ciro; Hamilton (H.R.), et al., Sysrems Simulation of Regional Allalysis. An Application to River Basin Planning. op. cit. ; McLoughlin (J. Brian), Urban and Regional PllI/ming. A System Approach, op. cir. ; Chadwick (George), A System view (!f Planning. Toward a Theory (!!"the Urban and Regional Planning Process. op. cit.

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L'architecture générale des. opérations de planification se trouve modifiée14.La première tâche est de définir la finalité de l'action, d'en déduire des objectifs et de se fixer des cibles qui. correspondent à des étapes dans la voie à parcourir. On peut alors se pencher sur l'état des choses au présent, en effectuer l'analyse, en mettre en évidence les déterminants. Lorsque les causes de transformation et les lois d'évolution ont été précisées, le travail de planification proprement dit commence: il est facile de projeter dans le futur le système dont on a la charge, de suivre son évolution si rien n'est fait pour infléchir le cours actuel des choses, de tester l'efficacité des divers moyens dont on dispose pour faire converger le système vers les cibles choisies. L'élaboration d'un plan comporte donc toute une série d'opérations de simulation qui rendent sensibles les effets à long terme des décisions présentes et qui permettent, par une série d'itérations, de définir la marche optimale de l'ensemble. La tâche est d'autant plus aisée que les objectifs sont plus clairement définis et qu'ils présentent plus d'unité. En matière de planification territoriale, il n'en va malheureusement pas souvent ainsi: il faut à la fois améliorer l' habitat, faciliter l'interaction sociale sous toutes ses formes, éviter la congestion, conserver la nature. Ces fins sont dans une certaine mesure incompatibles: le travail de projection permet de préciser à quels moments les tensions apparaissent. Si les objectifs sont clairement hiérarchisés, il est alors possible de faire les arbitrages nécessaires. La plupart du temps, le problème n'est pas posé à l'organisme de planification en termes aussi simples. Les instances politiques qui sont demanderesses hésitent sur les choix. Les implications lointaines des principes dont elles se réclament leur échappent souvent. Confrontées aux perspectives qu'ils ouvrent, leur avis change. Dans une telle optique, le rôle de l'organisme de planification, beaucoup plus ambitieux en matière de prospective que ne l'était la planification normative traditionnelle, se fait plus modeste en matière de choix. Conscient de la difficulté des décisions à prendre, de la nature conflictuelle des objectifs proposés, il soumet ses résultats à ceux qui sont investis de responsabilités et au-delà, aux citoyens: la participation devient nécessaire. Elle fait sortir le processus de planification du domaine purement technique: elle lui rend sa dimension politique. Le planificateur cesse d'être celui qui décide de l'avenir. C'est celui qui éclaire les choix, celui qui met les détenteurs du pouvoir devant le tableau des effets lointains de leurs préférences. Le rôle du planificateur n'est pas passif: de sa finesse et de sa perspicacité dépend la valeur de ses projections; il lui appartient de faire apparaître des conséquences auxquelles personne ne pensait, de souligner les retombées néfastes au niveau de l'environnement, de la justice sociale ou 14 Sur l'ensemble des opérations qu'impliquent ces nouvelles formes de planification, on se reportera (Donald A.), à : Catanese (Anthony 1.). Scientific Mellwds of Urban Analysis, op. cil. ; Krueckeberg Silvers (Arthur L.). Urban Planning Analysis. Mellwds and Model.v, op. cil.

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de l'efficacité économique de conduites qui s'inscrivent pour l'essentiel dans d'autres registres. Le planificateur n'est donc pas un élément neutre dans le système de choix qui permet au système social de se donner une direction plus rationnelle. Les analyses sur lesquelles reposent ses projections ne peuvent jamais retenir toutes les dimensions de la réalité. Quelle que soit sa volonté d'être exhaustif, il lui faut trier entre ce qui paraît essentiel et ce qui semble accessoire. Les moyens modernes de calcul rendent le choix moins douloureux, mais ils risquent, en donnant une place injustifiée à des éléments secondaires, d'introduire dans l'étude de la situation de départ des biais inverses de ceux dont elle souffrait autrefois, mais tout aussi dangereux. Le planificateur est ensuite prisonnier du système d'interprétation causale et de simulation qu'il emploie pour établir ses projections: il essaie souvent d'en limiter l'arbitraire en procédant à un calibrage sans cesse plus fin de l'appareil utilisé - mais c'est aux dépens de la portée logique et de la puissance explicative des mécanismes utilisés. Tout le développement de la réflexion théorique s'en trouve infléchi: au lieu de viser à un éclairage aussi simple et aussi brutal que possible de la réalité, le chercheur essaie de la simuler avec la plus grande fidélité. Il finit par abandonner la quête de principes universels et à leur préférer des procédés qui sentent la cuisine. En opérant ainsi, il tente à la fois d'accroître son efficacité et de limiter sa responsabilitéz5. Il y a sans doute là une part d'illusion: la simulation empirique du réel n'implique pas que tous les aspects de la réalité soient également bien traités; elle cache seulement à ceux qui la pratiquent et à ceux qui l'ont commandée la nature et la portée des axiomes sur lesquels repose toute la prévision. On conçoit que le planificateur soit soucieux de se dérober à la critique idéologique des schémas qu'il propose, Sa position s'est bien dégradée depuis l'époque où il était investi du pouvoir de dessiner l'avenir pour tout un groupe en fonction de ses rêves. Il n'est plus qu'un spécialiste qui prépare les choix. Il lui est pénible de se voir contesté dans un rôle bien plus modeste que celui qu'il tenait autrefois. Il doit cependant s'y faire: il n'y a pas d'autre issue possible lorsque les décisions redeviennent politiques. La seule manière de limiter les critiques dont on peut faire l'objet, c'est de dégager clairement les axiomes sur lesquels repose l'opération de modélisation et de marquer ses avantages mais aussi ses limites: en prévoyant ainsi les reproches qu'on peut lui adresser, le chercheur s'oblige à plus de clarté, il évite les 25 Alvin Gouldner pose très bien le problème: il montre comment le souci d'efficacité conduit les sciences sociales vers l'empilisme et les détourne, par souci d'utilité et d'efficacité, des objectifs plus ambitieux qu'elles se fixaient naguère. Sur le plan géographique, les études de Stephen Gale souligne les transformations épistémologiques que cette évolution entraîne. Gouldner (Alain), The Coming Cri.çÏs lit We.f/em Sociology, New York, Basic Books, 1970, 528 p.; Gale (Stephen), «Comments on 4, geographic theories: descriptive, explanatory and prescriptive ", L' espace géographique, vol. Il, n° a review of David Harvey's 1973, pp. 299-302 ; Gale (Stephen), «On the heterodoy of explanation: 'Explanation in Geography' ", Geographical alllllysis, vol. 4, 1972, pp. 285-322.

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présupposés inutiles, il explicite mieux les buts de la démarche et ses faiblesses. Dans la nouvelle. optique, la planification est une opération dont l'aspect essentiel est temporel: elle permet d'établir la succession des opérations à engager pour atteindre un certain but. TIest clair qu'une bonne part de la planification s'inscrit ainsi en dehors de toute perspective spatiale implicite ou explicite: dans le cadre d'une entreprise, le problème est d'avoir de bons résultats et non pas de s'implanter ici plutôt qu'ailleurs; au niveau d'un Etat, les questions les plus urgentes sont celles de la croissance, de la sécurité, de la justice ou de l'égalité des chances. La plupart des décisions qui sont prises dans ces domaines ont des implications spatiales, mais elles ne sont pas prises dans une optique d'aménagement de l'espace. Décide+on par exemple de procéder .à des transferts en faveur des vieillards? Cela se traduit par des flux qui bénéficient aux régions où les retraités s'installent volontiers, mais le ressort de l'opération n'est pas territorial. La planification spatiale a donc pour but, dans le cadre général des sociétés dont la direction s'est transformée en fonction du progrès des techniques de prévision et de l'affinement des méthodes de préparation des décisions, d'expliciter les effets dans l'espace des mesures prises dans le cadre global, d'en mesurer les conséquences et de les modifier ou les infléchir de manière à éviter qu'elles n'engendrent des frictions sociales, économiques ou politiques qui viendraient compromettre la politique générale. Elle se donne également pour mission de réaliser un certain nombre d'objectifs spécifiques: conservation de la nature, qualité esthétique des paysages et texture harmonieuse des milieux habités doivent être systématiquement recherchées. Dans bien des cas, la recherche de ces objectifs peut se concilier avec celle des objectifs non spatiaux sans que cela modifie de manière considérable l'affectation des ressources à leur consacrer: le dessin d'un ensemble d'habitations peut être bon ou mauvais sans que les coûts soient très différents. La planification spatiale possède une spécificité qui l'empêche d'être tout entière intégrable à la planification générale: elle doit lui être coordonnée, mais tant qu'on ne sait pas exprimer en un langage unique, en fonction d'une échelle de valeurs unique, tous les critères à retenir, elle la déborde dans certains domaines. Elle ne peut s'y dissoudre que si l'on renonce à tenir compte des impératifs esthétiques, naturels ou stratégiques qui concourent à la définition de l'ordre spatial; si l'on juge possible de les chiffrer et de les intégrer à un calcul économique global, elle la prolonge sans qu'il soit nécessaire de changer d'instruments. Les instruments de base de la nouvelle planification territoriale

La nouvelle planification territoriale repose d'une part sur les instruments généraux de prévision que fournissent les sciences sociales

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et d'autre part sur les connaissances relatives aux comportements et aux régularités spatiales qu'offrent à la fois l'économie spatiale et la nouvelle géographie. L'arsenal utilisable ne correspond cependant qu'à une toute petite partie de ce que les travaux modernes ont apporté dans ces divers domaines. Les projections mobilisent tout d'abord le savoir acquis sur un certain nombre de régularités sociologiques. Toute planification globale repose sur la connaissance des budgets-temps, des budgets-espaces et des budgets économiques des ménages. Le premier domaine à être exploré a été celui de la dépense: dès le siècle dernier, Engel avait montré qu'il existe des lois qui lient la répartition des dépenses aux revenus disponibles. Les recherches économétriques qui se sont multipliées depuis une quarantaine d'années ont permis de prolonger ces travaux précoces. On a appris à relativiser les premiers résultats: pour un niveau constant de revenus réels, les comportements ne restent pas stables à long terme; ils sont marqués par un glissement progressif vers des niveaux supérieurs de consommation aux dépens de l'épargne. Parmi les affectations, les changements s'expliquent à la fois par les modifications des revenus et par celles des prix. La détermination des coefficients d'élasticité conduit à des estimations satisfaisantes de la demande adressée à chaque produip6. Les projections sont d'autant plus sûres que l'horizon temporel pour lequel elles sont établies est plus proche. Elles ont d'autant moins de chance d'être infirmées qu'elles concernent un secteur plus vaste: entre produits voisins, des effets de substitution peuvent apparaître et fausser les résultats. On a ainsi surestimé la tendance à l'augmentation des consommations de viande rouge dans les pays de l'Europe de l'Ouest: on avait négligé la concurrence des œufs, de la volaille, des poissons ou même de la viande de porc. Lorsqu'on considère l'ensemble des consommations de protéines d'origine animale, on a beaucoup moins de chance de se tromper. En s'élevant à un degré supérieur encore, en s'arrêtant à la part du revenu qui doit aller aux dépenses alimentaires, les prévisions sont assez bonnes à long terme: on peut travailler à vingt ans sans risque de grosses erreurs. La connaissance des budgets-temps n'avait guère d'importance lorsque la semaine de travail était longue et que les congés payés étaient inconnus27.Elle est aujourd'hui indispensable car elle indique comment les ménages répartissent leurs consommations de loisirs et de services extérieurs au marché: il faut disposer d'évaluations précises des habitudes actuelles et de leurs transformations si l'on veut savoir quels seront demain les besoins de loisirs de plein-air, d'activités culturelles ou de pure vie de relation. Le temps passé en déplacements mesure en 16 En France. les travaux du CREDOC des consommations. 17

fournissent

des indications

précises sur les niveaux

et l'évolution

Chapin (F. SlUat1.Jr.). Human Activity PatteI'm in the City. Things People do in Time and ÙI Space,

New york. John Wiley,

1974, XXII-Z72 p.

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outre assez bien les contraintes que l'organisation spatiale impose à l'individu; on peut estimer qu'il ne doit pas excéder, pour le travail, une heure ou une heure et demie par jour - selon que l'on effectue deux ou quatre déplacements. De ce point de vue, le budget-temps permet de porter un jugement d'ensemble sur le budget-espace des individus ou des groupes. La connaissance des besoins territoriaux des individus, des ménages et des autres groupes sociaux ne s'est développée que depuis une trentaine d'années28. Elle a permis d'élaborer des normes minimales à respecter en ce qui concerne les appartements, les équipements de sport, les espaces verts. Il s'agit là de domaines où les résultats ne sont pas encore très solides, mais ils permettent de prendre une mesure de l'étalement qui doit presque nécessairement découler d'une amélioration des niveaux de vie. Les préférences pour telle ou telle forme de groupement, pour l'insertion à tel ou tel niveau des constructions territoriales sont plus difficiles à saisir. L'étude des déplacements, des lignes de désir et des budgetsespaces réels29 est plus difficile et plus longue que la plupart des autres analyses de comportement. Elle coûte cher. Il a fallu, pour la généraliser, que la congestion crée des problèmes délicats à toutes les instances urbaines et aux ingénieurs chargés des voies de circulation. Les questionnaires systématiques ont permis de voir comment s'ordonnent les déplacements d'achat, de loisir et de travail en fonction de la distanceJo. Ils font apparaître des distributions statistiques simples: par rapport à un pôle d'attraction, la répartition des points d'émission du trafic répond presque toujours à une loi de gravitation. Il existe donc une liaison de caractère statistique entre les divers foyers entre lesquels se répartissent les activités des individus: cela introduit à la connaissance de l'ordre spatial. Les données recueillies ne valent que pour un certain contexte technique, certains moyens de déplacement, certains revenus.

Elles sont plus stables lorsqu'on les traduit en temps de déplacement qu'en distance absolue: on dispose ainsi d'un moyen de nuancer les projections que l'on peut faire et d'y intégrer ce que l'on sait de l'évolution du réseau de circulation et de la répartition entre les divers modes de transport dans un avenir de quelques années ou à plus long terme. Les régularités sociologiques de comportements de consommation, d'affectation des revenus, de partage entre temps de 28

C'est à Chombart de Lauwe que l'on doit en France les premières études systématiques sur les

besoins d'espace et des individus et des ménages. Chombart de Lauwe (Paul-Henry), Ul vie quotidienne des JClIftilles ouvrières, Chombmt de Lauwe (Paul-Henry) et al., Famille et habitation, Paris, Editions du C.N.R.S., 2 vol., 1959-1960,220 P et 374 p.; Chombart de Lauwe (Paul-Henry), Paris. Essais de sociologie 1952-/964, Paris, les Editions Ouvrières, 1964, 197 p. 29 Sur ces modalités, on se repOltera à Stuart Chapin. Cf .mpra, note 27. .'" L'origine des travaux sur les lignes de désir et la génération des mouvements est à chercher dans les travaux des ingénieurs de la circulation. Highway Research Board, Trip Generation and Urban Freeway Planning, Bulletin n° 230, 1959; Buchanan Report, Traffic in Town.~, Hardmonsworth, Middlesex, Penguin Books, 1963, 263 p.

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travail et temps de loisir, et de mobilité spatiale permettent donc de projeter dans l'avenir la demande qui émane de la population: rien d'étonnant donc à ce que ces études qui sont d'essence sociologique aient été surtout développées par des ingénieurs et par des économistes. Elles seraient cependant inutilisables si on ne pouvait les compléter par des précisions relatives aux effectifs de population. Les recherches démographiques sont donc directement intégrées aux travaux de planificationJ\. On sait depuis longtemps vieillir une population. On le fait systématiquement pour connaître les effectifs par âge à telle ou telle date; on peut également prévoir l'évolution des actifs: il suffit de connaître les lois d'entrée et de sortie dans l'ensemble renouvelé en âge de travailler. Dans les sociétés stabilisées dans lesquelles nous vivons, la mort a perdu toute incertitude statistique dans le court et même dans le moyen terme. Le seul élément dont les variations apparaissent aléatoires et difficilement prévisibles est la natalité. Le nombre d'enfants varie rapidement pour des raisons qui échappent encore aux sociologues et aux démographes. On observe des régularités d'ensemble, une tendance à la baisse lorsqu'on passe de la société traditionnelle à la société industrielle puis à la société postindustrielle, mais l'allure des courbes se caractérise aussi par des sautes très brusques. Cela impose à toutes les prévisions sociales une longueur maximale; en matière d'équipements scolaires, on n'est prévenu que 2 ou 3 ans à l'avance pour les maternelles, 5 ou 6 ans pour les classes primaires, 10 ou 12 pour les lycées et collèges. Pour les universités, le délai est de dix-huit ou dix-neuf ans. C'est là le seuil au-delà duquel il devient impossible de faire des prévisions solides de population active, et partant, de revenus et de dépenses. Les techniques de la planification trouvent là un horizon profond qu'elles ne peuvent guère espérer franchir. Les prévisions en matière de production sont dictées par ce que l'on sait de l'évolution prévisible de la demande globale. Elles pelmettent de connaître dans le détail comment les ressources doivent être affectées dans le court terme pour parvenir aux objectifs requis: les techniques de l'analyse d'entrée et de sortie ont fourni l'instrument statistique qui autorise facilement ce genre de projectionJ2.Tant que les sources d'énergie employées et les techniques utilisées ne se modifient pas, la projection garde un sens. Dans un univers où le progrès est rapide, les calculs perdent rapidement de leur précision. Ils permettent cependant de se faire une idée de la masse totale des matières premières .H On consultera à ce propos le chapitre que Walter Isard consacre à la prévision démographique dans son ouvrage sur les méthodes de l'analyse régionale. Isard (Walter), Method.ç of Regional Analysis, New York, the M.I.T. Press and John Wiley, 1960, XXIX-784 p. Traduction française, Paris, Dunod. 2 vol., 1972. .11On consultera sur ce point: Boudeville (jacques-R.), Les programmes écollomiques. op. cit.; Boudeville (jacques-R.), Problems of Regiollal Ecollomic Planning. op. cit. ; Isard (Walter), MetllOds (if ; Richardson (Harry W.), Input-output and Regional Economics, Londres, Regiollal AllalysÜ. op. cit. Weidenfeld and Nicolson, 1972, 294 p.; Czamanski (Stan), Regional and lllferregional Social ACCllullfillg, Lexington (Mass.), theM.I.T. Press. 1971, XVIl-228 p.

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ou de l'énergie qui seront indispensables dans un délai de. dix ou de quinze ans. Pour les besoins de base, ceux de .l'alimentation, par exemple, on peut même aller jusqu'à vingt ou trente ans. L'expansion de l'économie implique que l'on trouve les ressources indispensables aux fabrications désirées ou qu'on les achète à l'extérieur; elle nécessite un effort d'investissement qui déclenche à son tour des effets multiplicateurs de revenu; ceux-ci peuvent créer des tensions. L'analyse macro-économique met en évidence les conditions indispensables pour que la réalisation des objectifs soit possible: dans une économie fermée, les états futurs du système sont prévisibles, en l'absence de progrès technique, lorsqu'on connaît les comportements d'achat des particuliers, leurs habitudes d'épargne et les procédés de fabrication qui leur sont connus. La mécanique de l'investissement, des effets d'entraînement et des effets multiplicateurs est donc la pièce essentielle de toutes les techniques modernes de projection. Lorsque le système économique cesse d'être clos, son avenir est en partie déterminé par ses liaisons avec le monde extérieur: les techniques de l'analyse d'entrée et de sortie permettent de les décrire avec précision; la connaissance des importations et des exportations ou, exprimée sous une autre forme, celle de la base économique, indiquent les effets d'entraînement qui peuvent se produire d'une unité territoriale33à l'autre. L'analyse économique globale débouche alors sur une spatialisation de ses résultats, mais ce n'est jamais qu'une spatialisation incomplète: on sait comment la croissance se propage d'un ensemble à ses sous~parties ; on ne sait pas en quels points elle se produira. Rien n'empêche, dans l'abstrait de procéder à un découpage suffisamment fin pour que les résultats apparaissent au niveau des

circonscriptions élémentaires- mais les données statistiques dont il faudrait disposer pour mener à bien un tel travail n'existent pas; les ordinateurs les plus puissants auraient de la peine à l'effectuer; la précision obtenue serait illusoire enfin car les coefficients qui retracent les entrées et les sorties d'une unité territoriale à l'autre ne possèdent pas la même stabilité que ceux que l'on met en évidence lorsqu'on fait le travail de secteur à secteur. Les démarches utilisées pour préparer les projections sont donc à la fois efficaces et partielles. Elles permettent de se faire une idée assez satisfaisante de ce qui va se dérouler dans des ensembles clos. Elles donnent, grâce aux lois de comportement spatial que l'on a pu mettre en évidence, certains détails des répartitions: autour d'un centre d'emploi, d'une usine, d'un quartier d'affaires, on sait à peu près comment vont se répartir les travailleurs. De même, la fréquentation d'un magasin est prévisible. Existe-t-il des liaisons spatiales aussi impérieuses dans le domaine de la production que dans celui de la consommation? Elles .oJOn trouvera des exemples d'analyses de ce type dans: Isard (Walter), Methods of Regional Analysis. op. cit. ; Isard (Walter), Cumberland (John H.) (ed.), Planification économique régionale, Paris,O.C.D.E., 1961,467 p.

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étaient déterminantes dans le domaine industriel au début de l'utilisation de la machine à vapeur: celle-ci était tellement inefficiente, exigeait tant de combustible, qu'on ne pouvait l'installer qu'à proximité des mines! A I'heure actuelle, la plupart des industries se sont libérées des règles de localisation qui les fixaient autrefois; seules les fabrications lourdes demeurent nécessairement liées aux sites de production d'énergie, d'extraction des matières premières ou d'accès commode aux

communicationsde masse - les ports offrent de ce point de vue les meilleures opportunités. L'analyse de la polarisation a essayé de préciser les rapports qui naissent entre industries d'aval ou d'amont dans un processus complexe de fabrication34.Les résultats ont été un peu décevants: pour la plupart des articles, les frais de transport sont suffisamment faibles par rapport au prix de l'article pour que la distance ne joue qu'un rôle secondaire. Tous les travaux récents insistent en revanche sur le rôle des externalités en matière de localisation: les complexes régionaux de forces productives n'apparaissent naturellement que dans le secteur des fabrications lourdes. Pour le reste, ce qui compte au moment décisif, c'est l'appréciation des avantages indirects d'agglomération. Les modèles que l'on a appris à élaborer ne peuvent donc fournir que des indications partielles sur les répartitions futures. Au niveau d'un l'ensemble national fermé, il est facile d'apprécier les volumes d'activité indispensables à la satisfaction des besoins de la population future. Lorsqu'on descend à l'échelle de la région, ou à celle de l'agglomération urbaine, une telle précision n'est plus possible. Ce qui est variable dépendante au niveau national devient variable indépendante au niveau régional ou local: la population peut fluctuer en fonction des mouvements migratoires, les activités selon les décisions de création ou de déplacement des chefs d'entreprise. La portée de l'analyse et les stratégies qu'elle inspire varient donc en fonction de l'échelle à laquelle les plans sont élaborés.

.'4 L'exposé le plus classique de la théorie de la polarisation et de ses applications à la planification régionale se trouve dans Boudeville. Cattalas en fournit une bonne illustration et Perrin en fait la théorie dans le domaine industriel surtout. Saliez se situe à un niveau moins abstrait. Hansen montre à la fois l'intérêt et les limites de la théorie. Boudeville (Jacques-R.), Aménagemell1 et polarisation, op. cit.; Cmtalas (René), L'indu.vtrie chimique et la croissance économique, Paris, Marie-Thérèse Génin, 1970, 240 p. ; Perrin (Jean-Claude), Le développemell1 régional, Paris, P.U.F., 1974. 208 p. ; Saliez (Alain). Polari.mtion et sOIl.Hraitance. ConditiolLV du développement régional, Paris, Eyrolles, 1972. 237 p.; Hansen (Niles M.) (ed.), Growth Centers in Regional Economic Development. New York, the Free Press, 1972, 298 p. ; Kuklinski (Antoni R.), et al., Pôles de dévelol'l,emelll et centres de croissance dans le développement régional. Paris, Dunod, 1970, 127 p. ; Kuklinski (Amoni R.) et al.. Growth Poles and Growth Cell1er.v in Regional Planning. Paris, La Haye, Mouton, 1972. X-306 p.

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de géographie économique

IV. LES NIVEAUX

DE LA PLANIFICATION

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TERRITORIALE

Le niveau national/régional

La nation offre un cadre privilégié à toutes les prévisions et à l'exercice des contrôles et des planifications volontaires: elle constitue un ensemble généralement assez fortement refermé sur lui-même. C'est peut-être moins vrai aujourd'hui qu'il y a une génération dans les pays industriellement avancés: l'imbrication des économies nationales a fait de grands progrès, si bien que leur ouverture est aujourd'hui trop importante pour qu'on puisse raisonner sans en tenir compte; c'est une des causes de difficultés des planifications conçues à la manière française. Dans les études menées à l'échelon de la nation, on considère d'habitude que les variables indépendantes sont celles du comportement démographique et du comportement économique de la population. On évalue alors la demande pour telle ou telle date du futur et on détermine les opérations indispensables pour la satisfaire. Si certaines projections sont incompatibles, on procède aux arbitrages nécessaires: on décide par exemple d'accroître l'épargne pour permettre les investissements indispensables à la croissance requise3s. Peut-on spatialiser ces résultats? D'une manière globale, la chose est possible. On connaît les besoins d'espace indispensable aux différents types d'activité: on peut donc transformer les projections de population, de production et de consommation en surfaces indispensables: on apprend de la sorte qu'il faut augmenter de 40% la surface bâtie dans les villes au cours des 20 prochaines années, que la production agricole peut se faire en revanche sur des superficies plus faibles grâce à l'amélioration probable des rendements, etc. Connaissant les utilisations actuelles du sol, les opportunités qui existent au niveau de chaque catégorie de fertilité, il est possible de prévoir si la croissance s'opérera sans mal, ou bien si elle fera naître des tensions. Si celles-ci sont graves, on peut reprendre toute la séquence de programmation et introduire les modifications indispensables pour éviter les impossibilités. Au niveau national, on peut également tenter des projections indicatives pour mettre en évidence les tendances de la spécialisation et .\S La préparation des plans d'équipement fournit de bons exemples de ces procédures: Bauchet (Pien-e), Ul planificatimlfrançaÜe, vingt an.f d'expérience, Paris, Le Seuil, 1966, 399 p.; Fourastie (J.), Courthéoux (J.P.), La planification économique en France, Paris, P.U.F., 2< éd., 1968, 314 p. Le problème de la coordination des projections nationales et régionales est plus directement traité par Courbis. Fliedman le pose sous un angle plus large, celui du dynamisme global et de l'action régionale. Chisholm, Frey et Haggett essaient de fournir un échantillon de techniques plus évoluées et de projections régionales: Courbis (R.), « Le modèle REGINA d'analyse interdépendante des problèmes pp. 137-162 de: Aménagement du terrifOire et développement régimU/1 VII, régionaux et nationaux ", Paris. La Documentation Française, 1974; Le modèle FlFI. Présentation générale et utilisaTion, Collections de l'I.N.S.E.E., Série C, 22, Paris, I.N.S.E.E., 1973, 148 p. ; Fliedman (John), UrbanizaTion, Plllnnin!l and NaTional DevelopmenT, Beverley Hills, Sage, 1973, 351 p.; Chisholm (Michael), Frey (Allan E.), Haggett (Peter) (ed.), Re!limwl Foreca.vTin!l, Harnden, Anchor Books, 1971, X-470 p.

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de la régionalisation des activités: en tenant compte des dynamismes démographiques de chaque région, des mouvements migratoires qui en partent ou qui leur sont destinées, en faisant intervenir ce que l'on sait de l'évolution des divers secteurs d'activité qui y sont à l'heure actuelle représentés, en évaluant ensuite les créations possibles d'emploi qu'entraîneront de nouvelles implantations - et les règles de localisation qui prédominent dans chaque secteur et donnent une idée de ce qui se

produira - on décrit l'évolution qui se déroulerait si le système de planification n'existait pas: on met en évidence l'effet des économies d'agglomération, des avantages urbains et des équipements de transport accumulés dans certains secteurs". Les scénarios d'évolution régionale servent essentiellement à souligner les conséquences lointaines des pratiques actuelles et à mesurer l'importance des facteurs de différenciation de l'espace. Celuici ne doit plus seulement sa diversité à l'inégalité des ressources agricoles ou minières. Son dynamisme varie de plus en fonction des équipements qu'il a reçus, de l'accumulation des hommes et de la richesse des systèmes de relations qu'ils se sont créés. La géographie du futur est commandée par les extemalités beaucoup plus qu'elle ne l'est par aucun autre facteur; elle le restera tant que les pollutionss ne viendront pas limiter les effets positifs de l'agglomération, tant que de nouvelles technologies de la communication ne modifieront pas profondément les données en ce domaine, tant que surtout les politiques volontaires ne corrigeront pas les effets de l'évolution spontanée du système. La désagrégation au niveau régional des prévisions nationales est donc une opération indispensable pour agir en connaissance de cause sur la géographie des incitations à la localisation. Dans un système économique où la planification est totale, on peut aller beaucoup plus loin dans la voie de la désagrégation et prévoir dans le détail comment les activités doivent se répartir. En fait, une telle opération est très lourde et elle risque de ne pas conduire aux solutions optimales: elle tient difficilement compte des économies externes, surtout lorsque les prix utilisés pour faire les calculs ne sont pas établis sur un marché. La .'. La planification française est très sensible à cette évolution. A l'échelle des villes, cela se marque, dans le cadre de la loi d'orientation foncière du 30 juin 1967, par les conditions d'élaboration des SDAU; ceux-ci sont obligatoirement précédés par la préparation d'un livre blanc sur les perspectives d'évolution de l'ensemble urbain visé jusqu'en 2000. A l'échelle nationale, ce souci s'est traduit par certaines études prospectives demandées par la DATAR. Une image de la France en l'an 2000Française, 1971, 176 p.; Travaux et recherches de prospective n° 20, Paris La Documentation Documents. méthodes de travail: une image de la France en l'an 2000; Travaux et recherches de Française, 1972, 336 p.; Scénario.ç européens prospective n° 30, Paris, La Documentation d'aménagement du territoire, Travaux et recherches de prospective n° 47, Paris, La Documentation Française, 1974, 176 p. ; Sésame année 5. Systèmes d'études du schéma d'aménagement de la France, Française, 1974, 72 p.; ln Travaux et recherches de prospectives n° 50, Paris, La Documentation méthode des scénarios. Travaux et recherches de prospectives n° 59, Paris, La Documentation Française, 1975, 131 p. Pour avoir une idée d'ensemble des méthodes françaises de planification urbaine et d'analyse régionale, on se reportera à: Mesnard (André-Hubert), ln planijication urbaine, « Dossier Thémis », Paris, P.U.F., 1972, 96 p.; Teneur (J.), Di QuaI (L.), Economie régionale et aménagement du territoire, « Dossier Thémis », Paris, P.U.F., 1972,96 p.

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régionalisation des résultats globaux est donc difficile même lorsqu'on dispose des pouvoirs les plus étendus sur l'économie: elle doit toujours composer avec les décisions indépendantes qui se produisent au sein du système - celles de la main-d'œuvre par exemple; il faut veiller à ce que ses mouvements soient compatibles avec les prévisions régionales d'activité. Dans le cadre des économies libérales ou des économies mixtes à secteur public et à secteur privé, la projection régionale a beaucoup moins de précision: elle est crédible à court terme lorsqu'elle indique la traduction différentielle sur les régions de l'évolution des divers secteursJ7: on peut prévoir l'effet de la réduction prévisible de l'activité textile sur les régions françaises, dire qu'elle sera particulièrement sensible dans le Nord, ell Lorraine et en Alsace ou en Normandie. Le bilan reste malgré tout imparfait, car toutes les entreprises d'un même secteur ne font pas preuve de la même combativité, de la même faculté d'adaptation ou de reconversion. Lorsqu'on passe aux activités en expansion rapide, celles pour lesquelles de nouvelles implantations d'établissements apparaîtront dans le futur, toute projection rigoureuse devient impossible dans un système libéral. Est-ce à dire que le travail de planification devient inutile? Non, mais les stratégies à adopter doivent être modifiées. Si pour la plupart des activités, les localisations ne sont plus commandées que par la recherche des extemalités, la correction des évolutions spontanées et la direction efficace du système passent par la transformation de la géographie des avantages. On peut créer des aides et offrir des subventions pour corriger les inégalités dont les effets seraient à la longue déséquilibrants :la politique spatiale se traduit, dans presque toutes les nations libérales, par l'octroi d'avantages spéciaux aux zones dont on cherche à provoquer la reprise ou le développement. Cette action serait inutile si les chefs d'entreprise n'en étaient pas correctement informés: elle s'accompagne nécessairement d'un effort pour rendre l'espace plus transparent et corriger les erreurs d'appréciation qui sont fréquentes lorsqu'on mesure des avantages. La politique d'aide à la décentralisation ne peut avoir qu'une justification passagère: elle doit permettre de créer les conditions d'une concurrence plus égale; elle autorise l'accumulation des équipements, ou assure leur maintien là où une crise les menaçait: de la sorte, les externalités dont disposent les régions déprimées augmentent ou cessent de diminuer. Si la politique d'aide devait se prolonger indéfiniment, cela signifierait que les localisations retenues ne peuvent devenir économiquement compétitives: la correction nuit au dynamisme global

37 Beaud (Michel), « Une analyse des disparités régionales: composante régionale et composante structurale de l'évolution de l'emploi régional en France », Revue économique, vol. 17, 1966, pp. 5591.

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si elle pousse à une répartition des activités qui n'est pas la plus efficaceJ". La politique de régionalisation doit donc être conçue sous un angle positif plus que correctif: au lieu de se limiter à l'atténuation de contrastes jugés excessifs, elle doit se donner pour but de développer le plus efficacement possible les avantages de chaque région. Ceux-ci sont liés à la présence de grands centres urbains, à la qualité des équipements dont ils disposent, à la rapidité et à la fréquence de leur desserte par les moyens de transport modernes. Ils résultent également de l'utilité que les résidents retirent de la proximité des plages, des pistes de ski ou des terrains d'escalade. Créer les conditions d'un nouvel équilibre territorial suppose que l'on donne à certaines agglomérations les moyens de développer leurs atouts au moment opportun. La politique urbaine devient ainsi un élément majeur de toute l'action d'aménagement de l' espaceJ.. En un sens, l'échelon régional devient inutile: les forces économiques qui modèlent le développement différentiel d'une nation s'exercent au niveau des agglomérations. Les externalités maximales semblent à l'heure actuelle apparaître au niveau des grandes villes, celles qui ont entre 100et 500000habitants plutôt d'ailleurs que parmi les plus importantes ou les plus petites. Les centres plus modestes ne bénéficient d'un grand dynamisme que s'ils appartiennent à la couronne qui participe au dynamisme des métropoles dans un rayon de 30 ou 40 km

alentour- ou de 100 ou 150pour les concentrations les plus fortes, l'agglomération parisienne par exemple. La planification spatiale au niveau national et au niveau régional/national de Peter Hall n'implique donc pas le retour à la planification physique détaillée à laquelle on s'attachait exclusivement autrefois. Elle ne nécessite que la confrontation des besoins en espace et des disponibilités existant à chaque niveau. Faute de savoir localiser de manière précise les effets qui se produiront dans chaque région, il est impossible de dessiner des plans satisfaisants: seuls les équipements de transport, ceux d'approvisionnement en eau ou les actions de conservation de la nature peuvent être décidés efficacement à ce niveau. La planification régionale se traduit par une action sur les infrastructures de base, par un effort pour transformer la transparence et pour changer la position des grandes villes dans la compétition générale pour l'espace.

.'"C'est la question que pose Peter Hall à propos de la planification régionale et urbaine en GrandeBretagne depuis la guerre. Sur le plan théorique, Mougeot s'interroge sur la meilleure manière d'atteindre l'optimum spatial: Hall (Peter), Urballalld Regiollal Plallllillg. op. cit. ; Hall (Peter), Gracey (Harry), Drewett (Ray), Thoma.~ (Ray), The CrJ/lll/illmellt of Urball Ellglalld, Londres. Allen and Unwin, 2 vol. 1973,648+ 464 p. ; Mougeot (Michel), Optimum éco/lomique etallalyse spatiale, Thèse Science économique Dijon 1972, Dijon, 501 + XXXVII p. ronéotées.

.'. Ce

qui explique

la place

faite,

dans

l'aménagement

de la France,

à la politique

urbaine:

la politique

des métropoles d'équilibre et un peu plus tard, celle des villes moyennes, sont des aspects de cette orientation.

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Le niveau régional/local

Cette planification régionale/nationale implique une action fondamentale au niveau des centres urbains: c'est d'eux et de leurs avantages que dépend en fin de compte le dynamisme à long terme de chaque ensemble territorial. L'articulation des actions au niveau régional/national et celles menées au niveau régional/local est donc indispensable. Les politiques d'aménagement dépendent essentiellement du succès des opérations menées dans les agglomérations. A ce niveau, les variables indépendantes ne sont pas les mêmes que pour la nation prise dans son ensemble. La population future est bien déterminée en partie par celle qui est déjà présente, mais le dynamisme démographique n'est qu'un des éléments de l'évolution: les migrations peuvent amenuiser rapidement le nombre des jeunes ménages si l'emploi se détériore; l'afflux de migrants permet à l'inverse de faire face à une forte poussée de l'activité. La base de toutes les projections est donc ici l'évaluation des effectifs employés: c'est elle qui commande la croissance ou le déclin. A la différence de ce qui se passe aux échelons supérieurs, il est possible, à partir de là, de procéder à une spatialisation détaillée et de retourner à la planification physique que l'on avait jusqu'ici négligée. Le principe de toutes les opérations de modélisation qui se sont multipliées depuis quelques années est simple: c'est celui imaginé par Ira Lowry'.. L'analyse des tendances. démographiques, celle des décisions d'implantation déjà amorcées et celle du dynamisme économique et social de l'agglomération font prévoir l'accroissement des emplois. En fonction de la répartition actuelle des activités et de l'ouverture de nouveaux secteurs d'emploi, il est possible de savoir où se trouveront localisés les nouveaux postes de travail. Où logeront les travailleurs qui s'embaucheront là? Où pourront-ils faire leurs achats, où mettront-ils leurs enfants à l'école? Ce sont les questions auxquelles il importe de répondre dès avant que les implantations soient réalisées si .. Lowry (Ira), A Model of Metropolis, RM-4035RC, Santa Monica (Calif.), the Rand Corporation, 1964, XI-136 p. ; Lowry (Ira), « A short course en model design », Journal of the American Institule (if Plallners, vol. XXX, mai 1965, pp. 158-166. Reproduit aux pp. 490-499 de : Berry (Brian J.L.), HOl1on (Frank E.), Geographic Perspective.~ Oil Urball Systems, Englewood cliffs (N.J.), Prentice Hall, 1970, XII-564 p. On trouve des modes de projections analogues dans leur principe à ceux proposés par Lowry, mais adaptés à une échelle plus réduite et à la planification en terrain vierge, dans les travaux de Boleslaw Malisz et dans les méthodes de classement des matrices fréquemment utilisées par les architectes"urbanistes. Malisz (Boleslaw), La formation des systèmes d'habitat. Esquisse de la théorie des seuils, Paris, Dunod, 1972, 342 p. On trouvera en français une présentation rapide des différents modèles de projection de la ville dans: Merlin (Pierre), Méthodes quantitatives et espace urbain, Paris, Masson, 1973, 190 p. Pour une vue plus large des modèles de planification urbaine, on se reportera à "Croissance et planification urbaine", Revue économique, vol. 23, 1972, pp. 929-1101 : Paelinck (J.), « Modèles urbains dynamiques», pp. 931-951: Mercadal (G.), « Peut-on tirer un enseignement des essais français de modélisation du développement spatial urbain », pp. 952-991 ; Nols (E.), Remy (J.), « Croissance urbaine et économie exterl1e», pp. 992-1022; Derycke (P.H.), « La prévision de la croissance urbaine française, 1970.2000 », pp. 1022-1062; Stone (P.A.), The Structure, Size and Costs Urball Selllements, New York, Cambridge University Press, 1974, XVIII-284 p. ; Yuill (Robert S.), A "" Geneml Model .tàr Urban Growth: a Spatial Simulation, Ann Arbor, University of Michigan, Depm1ment of Geography, 1970, XIll-221 p.

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on veut éviter que la création se fasse dans des conditions difficiles de logement, avec des services notoirement insuffisants. Ira Lowry utilise pour sa projection (I) le mécanisme de la base économique qui lui donne le nombre d'emplois induits par la croissance du secteur fondamental et (2) les modèles de gravitation qui lui indiquent comment se répartissent les logements en fonction des lieux d'emploi, puis les commerces ou les services en fonction des lieux de résidence de la population nouvelle. Toute la valeur de la projection dépend donc de la rapidité avec laquelle joue le mécanisme multiplicateur, et de la valeur des données relatives à la génération des mouvements de migrations quotidiennes qu'ont révélés l'analyse d'activités et le tracé des lignes de désir. Les calculs disent alors combien de nouveaux logements doivent être construits au sein des différentes unités élémentaires que l'on distingue autour du centre d'emploi; ils précisent comment les flux actuels seront modifiés. Les documents établis par l'analyse de l'utilisation des sols révèlent alors si la réalisation des objectifs impliqués est possible: existe-t-il dans les zones proches du foyer d'emploi des terrains disponibles pour la construction? Peut-on envisager une densification de l'habitat par remodelage des quartiers où les conditions d'hygiène et de desserte en services sont médiocres? Là où les artères et les moyens de transports se révèlent incapables de supporter les nouveaux courants, il convient de prévoir des modifications4l. Ainsi, par approximations successives, on envisage comment les nouveaux habitants seront intégrés dans l'agglomération, comment ils seront desservis dans tous les domaines et comment la qualité du milieu se trouvera maintenue ou améliorée à travers toute cette séquence complexe d'opérations. Le modèle d'Ira Lowry est insatisfaisant par certains de ses aspects: le schéma de gravitation qui y est utilisé ne convient pas bien à l'analyse des mouvements de migrations quotidiens. Employé brutalement, il conduit à des absurdités. Le mérite d'Alan Wilson" a été de proposer des formulations plus rigoureuses: en considérant la répartition des flux à un moment donné comme l'état le plus probable que peut prendre le système habitat- lieux d'emploi - itinéraires, il donne une base plus saine à l'étude des faits de gravitation - mais il introduit les complications notables dans les procédures de calcul.

4' Sur la planification des transports urbains: Buchanan Rep0l1. TrcifJ;c in TOlVnç. op. cit.; Boyce (David E.), Day (Norman D.), McDonald (chris). Metropolitan Plan-Making: an Antilysis (if Experience with the Preparation tlnd Evaluation (!( AltenU/tive Land Use and TransportatÜm Plans, Philadelphia, Regional Science Research Institute, 1970, XVI-475 p.; Creighton (Roger L.), Urban Tr(/IIspo/1ation Planning, Urbana, University of Illinois Press, 1970, X-375 p. U Wilson (Alan), Entropy in Urban and Regional Modelling, Londres, Pion, 1970, 166 p.; Wilson (Alan), Paper.~ ÙI Urban and Regional Analysis, Londres, Pion, 1970, 166 p. ; Wilson (Alan), Urban and Re/!.iOlIllI Models in Geography and PlamÛn/!.. op. cit. ; Nijkamp (P.), Paelinck (lH.P.), « A dual interpretation and generalization of entropy-maximizing models in regional science", Papers of the Regional Science Association, vol. 33, 1974, pp. 13-31.

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Le champ d'emploi des modèles globaux de répartition à la manière de celui d'Ira Lowry est considérable: il correspond à la plus grande partie des études qui intéressent les grandes agglomérations4J. Pour les villes moyennes, les régularités supposées ont moins de chance d'être observées; lorsque les itinéraires ne sont pas saturés, que les distances parcourues en moyenne sont faibles et très inférieures en temps à ce que l'on peut accepter de consacrer aux déplacements domicile-travail, le développement peut prendre des fOm1es différentes sans que cela eritraîne de gêne; tous les nouveaux logements peuvent être, par exemple, implantés dans la même aire pour des raisons de commodité et d'économie d'infrastructures. Le problème se pose alors à l'inverse: comment implanter les zones industrielles, les emplois tertiaires et les équipements publics par rapport à l'habitat pour arriver à l'organisation la plus favorable? C'est sous cette forme que la question se pose pour la plupart des villes françaises - la politique de construction par grands ensembles, par Z.U.P. ou par Z.A.C. a créé un contexte institutionnel très différent de celui auquel on se réfère généralement.. . Les plans physiques auxquels conduit la planification moderne sont assez différents dans leur principe de ceux que l'on élaborait autrefois: ils sont conçus pour un système dont l'évolution se poursuivra au terme de la planification; ils sont articulés en fonction de plusieurs profondeurs d'anticipation45. En matière d'infrastructures de transport, les coûts à supporter sont d'autant plus élevés qu'on doit tailler dans un tissu plus urbanisé et peuplé: les charges d'expropriation représentent une part très importante de toute opération menée dans une zone dense. Dans ce domaine, il vaut mieux faire des prévisions très longues et réserver à l'avance les terrains indispensables. Pour l'emploi et les logements, la profondeur des anticipations raisonnables est de cinq ou de dix ans. Il existe dans la trame urbaine des zones dont l'utilisation n'a pas d'impact direct sur l'équilibre général, à la condition toutefois qu'elle ne soit pas génératrice de flux trop importants ou de pollutions gênantes. La planification physique débouche donc sur un zoning, mais qui est généralement moins rigoureux dans beaucoup de ses indications que celui auquel on procédait naguère: pourquoi créer des contraintes là H

Imaginé pour l'agglomération de Pittsburghau début des années 1960,le modèle de Lowry a été

appliqué à bon nombre de métropoles américaines, à San Francisco en particulier. En Angleterre, il a été utilisé pour des aires fortement urbanisées, comme le Nord-Est du Lancashire, ou les comtés de Derby et de Nottingham. Il a également été employé pour des villes de moindre dimension comme ..Reading. La procédure de projection et d'élaboration des schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme (SDAU) ne faisait pas de place aux modèles projectifs de type anglo-saxon. Il n'y a guère que pour Paris que l'on a essayé d'élaborer un modèle global. Merlin (Pierre), « Modèle d'urbanisation spontanée », Cahiers de /'Institur d'Aména~ement et d'Urbanisme de la Ré~i(}n Parisienne, vot. 4-5, aVlil 1996, 47 p. H C'est le principe des profondeurs d'anticipation différentes qui explique l'économie des travaux préparatoires à l'élaboration des SDAU : projection à l'horizon 1985 et à l'horizon 2000; mise en évidence des besoins à ces dates, retour vers des horizons plus proches pour l'élaboration des POS, conçus pour une perspective de dix ans.

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où les décisions des utilisateurs sont sans impact appréciable sur la collectivité? Des indications précises ne sont pas indispensables à l'efficacité de la machine spatiale que l'on essaie de faire fonctionner le mieux possible. Elles ne sont utiles que pour assurer la conservation de la qualité du milieu et la sauvegarde d'une part suffisante d'espaces verts; elles ne s'imposent que là où l'on désire une composition architecturale d'ensemble harmonieuse. On retrouve là les préoccupations classiques de la planification physique comme des aspects particuliers d'une opération plus complexe que celles que l'on menait autrefois. Les préoccupations

nouvelles de la planification spatiale

Les méthodes de la planification spatiale moderne reposent sur l'utilisation de résultats simples en matière de sociologie des comportements et de construction de modèles dont les mécanismes sont fournis pour l'essentiel par l'analyse géographique (lois de gravitation) et par l'économie (mécanismes d'ajustement global, multiplicateurs, mécanismes de marché). La valeur des résultats dépend évidemment du réalisme et de la fidélité des données et du processus mis en œuvre. La comptabilité traditionnelle ne prend en compte que ce qui s'exprime en argent. Pour arriver à faire des choix rationnels, il convient de faire intervenir d'autres dimensions du problème; à côté des avantages qu'une amélioration de tracé routier provoque en matière d'usure du matériel et d'économie de carburant, il en est d'autres qui sont également importants: le temps de transport diminue, la tension nerveuse de tous ceux qui empruntent l'itinéraire se fait moindre, le nombre des accidents, des blessés et des morts décroît. On peut proposer des évaluations économiques pour tous ces avantages: le temps gagné est décompté au salaire moyen, les blessures et les vies humaines à la valeur des hospitalisations ou des estimations retenues par les compagnies d'assurance. On cUTivede la sorte à comparer l'intérêt de divers projets et à faire des choix plus justes. C'est sans doute dans le domaine des équipements de transport que les bases de calcul sont ainsi l'objet des raffinements les plus grands46.C'est là aussi que l'on voit mieux apparaître les limites de leur efficacité. Ainsi, en France, les méthodes de projection et de choix utilisés ont abouti à équiper par priorité en voies autoroutières les zones dont les densités sont supérieures à 200 personnes au km2 : le Nord, la région parisienne, une partie de la Lorraine, le carrefour lyonnais et la région Rhône-Alpes, une partie de la Provence et du Languedoc. Lorsqu'on regarde l'effet de la procédure de calcul sur le tracé global du réseau tel qu'il existera dans une dizaine d'années, on ne peut 46 Nous avons essayé de les analyser dans; Claval (Paul), Revue xéoxraphique de l'Est, vol. 5, 1965, pp. 157-172.

«Les

autoroutes

et le taux d'actualisation

",

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qu'être frappé du caractère conservateur des options retenues: pour les liaisons interrégionales, les itinéraires reprennent pour l'essentiel la disposition en étoile autour de Paris: dans un calcul de ce type, on ne peut en effet tenir compte que des flux prévisibles; on ignore ce que la voie créée est capable de provoquer comme effets propres de localisation; on se prive du moyen de faire des paris sur structures neuves. Une partie des scénarios à long terme que l'on s'ingénie à programmer a pour but de s'affranchir de ces limitations et d'intégrer des effets que l'on peut escompter, mais qui sont difficilement appréciables par les méthodes courantes de projection. A côté des études portant sur les secteurs où les transformations sont facilement chiffrables, il en est d'autres où l'on traite de consommations publiques ou d'avantages liés à l'utilité directe des lieux. L'évaluation paraît là impossible. On a cependant appris depuis une quinzaine d'années à mieux prendre en compte les biens publics47: en matière urbaine, la réflexion menée dans ce domaine a conduit aux propositions de réforme du droit foncier qui sont à l'heure actuelle en discussion: si l'utilisation du sol à des fins productives ou pour la construction de logements entraîne nécessairement l'apparition de besoins corrélatifs d'espaces publics qu'on ne peut faire payer directement à leurs utilisateurs, pourquoi ne pas financer l'achat de ces terrains par des taxes prélevées sur ceux qui modifient l'utilisation du sol et multiplient les emplois ou les appartements? Ainsi, les règles du jeu économique se trouveraient modifiées dans un sens favorable à la réalisation d'équipements satisfaisants pour tous et les mécanismes imparfaits du marché foncier perdraient une partie de leur nocivité: la planification directe de l'espace physique deviendrait une partie de leur tâche: les aménageurs ont toujours souffert de ne pouvoir agir que par des contrôles; ils regrettent que dans un système libéral, leur action se traduise seulement par des interdictions et des entraves. Si l'intérêt d'un système de libre entreprise est de pousser les acteurs économiques à faire preuve d'un maximum d'initiative, les mesures de planification manquent leur but si elles apparaissent comme un simple moyen de brider l'innovation, de retarder les projets, de décourager ceux qui sont capables de transformer le système. De ce point de vue, les recherches modernes sur la planification indirecte par une plus grande vérité des prix et par la création de mécanismes correcteurs automatiques sont d'un grand intérêt. Dans la plupart des travaux, les éléments sont comptés au prix du marché. On peut mettre en doute le bien fondé d'un tel choix lorsqu'il est question de l'utilisation de ressources rares, non renouvelables. Ne .,

Ce souci est apparent à la fois chez Isard et chez Mougeot. Il est également présent, sous un angle plus géographique, dans les publications de Massam: Isard (Walter), IlItroductioll to regiOTUlI science. op. cit. ; Massam (Bryan), « Political geography and the provision of public services », pp. 179-210 de Board (Christopher) et al. (ed.), Progress itl Geogl"Clphy VI, Londres, Arnold, 1974; Mougeot (Michel), Optimum économique et alla lyse spllliale. op. cit.

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conviendrait-il pas alors de compléter les appréciations qui prennent en compte les coûts normaux des opérations et les circuits purement économiques, par une évaluation écologique dans laquelle l'équilibre du milieu serait une préoccupation majeure et dans laquelle les conséquences indirectes et lointaines des opérations envisagées apparaîtraient clairement.. ? Les efforts pour élargir ainsi les bases de toute la planification spatiale ont déjà donné des résultats intéressants. Ils ne peuvent être toujours retenus lors de l'élaboration des plansdans un système concurrentiel, on ne peut accroître les charges que supportent un entrepreneur, une ville, une région sans exiger qu'il en soit fait autant ailleurs. Même si ces recherches ne conduisent pas dans l'immédiat à une modification des pratiques existantes, elles aident à la prise de conscience des problèmes et débouchent à la longue sur des mesures législatives fondamentales: ainsi, en France, l'action menée a doté les agences de versant des pouvoirs indispensables pour mener à bien la lutte contre la pollution des rivières et des nappes d'eau. V. LES IMPLICATIONS TERRITORIALE

POLITIQUES

DE LA PLANIFICATION

On ne peut pas toucher aux répartitions existantes sans modifier l'équilibre des forces sociales, sans poser de problèmes politiques au sens le plus général du terme. Toutes les recherches sur les coûts sociaux le montrent: en mesurant les avantages que les systèmes distribuent en dehors du marché, en évaluant la manière dont ils sont accessibles aux différentes couches de la population, elles font prendre conscience de dimensions ignorées de l'inégalité sociale. De même, les ..

C'est sans doute Odum qui a plaidé avec le plus de conviction pour l'intégration des facteurs écologiques dans la planification; Odum (Howard T.), Environnement. Power and Society, New York, John Wiley. 1971, IX-331 p. Les études économiques sur la gestion des ressources et de l'environnement se sont multipliées depuis peu. Berry (Brian J.L.), et al., Land Use. Urban Form and Enviroll1nental Quality, Chicago, University of Chicago, Department of Geography, Research Paper Management: n° 155, 1974, 111-440 p.; Berry (Brian J.L.), Horton (Frank E.), Urban Environmental PIll/minI! jàr Pol/ution Control, Englewood Cliffs (N.J.), Prentice Hall, 1974, XV-425 p.; Hagevik (George H.), Decision-making in Air-Pollution Control, New York Praeger, 1970, V-217 p.; Hite (James C.), Laurent (Eugène A.), Environme11l Planning: llll Economic Analysis. Appliclllions jilr the Cmwal Zone, New York, Praeger, 1972, XIV-155 p.; Isard (Walter),

«

Activity-industrial complex

analysis for environmental management », Paper.v of the Regional Science As.vociation, vol. 33, 1974, pp. 127-140; Klassen (Leo H.), Botterweg (Teun H.), « Evaluating a socio-economic and environmental project », Papers of the Regional Science Association, vol. 33, 1974, pp. 155-175; Klassen (Leo H.), Paelinck (Jean H.P.), Integration (!( Socio-Economie and Physical Planning, Rotterdam, Rotterdam University Press, 1974, VI-69 p.; Krutilla (John V.) (ed.), Nalllral Enviroll1ne11ls: Swdie.v in Theoreticaland Applied Analy.vis, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1972, VIII352 p.; Maler (Karl-Goran), Environmenllll ECOllOlIlic.v: a Theoretical Inquiry, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1974, X-267 p.; Miernyk (William H.), Sears (John T.), Air Pollution Abatement and Regiollal Ecollomic Development, Lexington (Mass.), Heath, 1974, XVI-194 p.; O'Riordan (Thimothy), « Environmental management », pp. 173-231 de : Board (Christopher) et al. (ed.), Progress ill Geography III, Londres, Arnold, 1971; O'Riordan (Thimothy), Perspectives on Resource Mallagemellt, Londres, Pion, 197/, 183 p. ; Schuler (Richard E.), « Air quality improvement and longrun urban form ", Papers (!( the Regional Science A.v.vociation, vol. 32, 1974, pp. 133-148; Watt (Kenneth (E.F.), Ecology and Re.vource Management: a Qualllillltive Apl'/'lIach: New York, McGraw

Hill, 1968, XII-450 p.

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travaux que nous venons d'évoquer plus haut sur la conservation de la nature et le maintien des équilibres écologiques conduisent à répercuter enfin sur ceux qui en sont responsables les coûts engendrés par les nuisances. La planification territoriale n'est jamais un exercice innocent. Elle provoque des réactions hostiles de la part des groupes qu'elle lèse; elle n'est jamais simplement technique: elle révèle aux acteurs sociaux des aspects de la compétition qui les oppose pour le partage du produit et des avantages qu'apporte la collectivité. Sans elle, ils lesméconnaîtraient sans doute La planification territoriale s'inscrit d'autre part dans un contexte institutionnel précis: elle n'aborde pas les problèmes avec la même optique dans un cadre libéral, dans le cadre d'une économie socialiste centralisée ou dans le cadre d'une économie socialiste décentralisée; nous l'avons montré au niveau des problèmes de la planification de niveau régional/national. TI existe une troisième dimension politique des problèmes de planification territoriale: c'est celle du cadre dans lequel les actions doivent être conçues et menées. Quelle est la meilleure solution, au point de vue du découpage territorial, pour réussir l'aménagement de l'espace? Faut.il prévoir une hiérarchie unique de circonscriptions territoriales ou bien utiliser des découpages had oc adaptés à chaque problème? Quelle part de responsabilité doit revenir au gouvernement central? Quelle est celle qui peut être confiée aux collectivités locales? Le tracé et la dimension de celles-ci ne sont-elles pas un des éléments fondamentaux de la situation qu'il faut transfonner? Toutes ces questions se posent à l'aménageur et la réponse à leur apporter n'est pas évidente. Les géographes se sont faits en France les porte-paroles d'une doctrine souvent simpliste: à les entendre, les problèmes d'organisation de l'espace ne pourraient trouver de solution satisfaisante sans la création d'une structure régionale adéquate. La plupart pensent également qu'un accroissement de l'autonomie des collectivités territoriales et en particulier, de celle des régions, est une des conditions d'un développement harmonieux de l'espace. Les difficultés commencent lorsqu'il s'agit de préciser la dimension et les contours des êtres régionaux à structurer. Pour certains, attentifs à ce qui se passe en Allemagne fédérale, il convient de dessiner un petit nombre de grandes régions dotées de moyens puissants. Pour d'autres, le découpage actuel en régions de programme convient; certains aimeraient un regroupement autour des villes importantes, celles qui ont 100000habitants par exemple; ils proposent alors de quarante à cinquante circonscriptions, mais se heurtent à des difficultés dans les zones où de grands organismes urbains sont proches, dans le Nord, dans la région Rhône-Alpes ou dans le Midi méditerranéen. Enfin celtains des représentants de la gauche qui se veulent les plus hardis et les plus novateurs géographiques se prononcent pour le maintien du cadre départemental !

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Une telle divergence sur les dimensions suffit à montrer, semble+ il, qu'il n'est pas de division optimale sans référence à des critères spécifiques, sans dire dans quel but l'articulation est faite. L'utilité des grandes divisions n'est évidente que si on leur donne des pouvoirs étendus; il se pose alors le problème de l'équilibre entre l'Etat et ces grands ensembles, et entre ceux-ci: les rapports entre l'Etat national et ses composantes sont difficiles. L'Allemagne fédérale le sait et beaucoup de ses hommes politiques regrettent que la compétence des Lander ne soit pas plus étroitement limitée. De toute façon, l'action territoriale demande une subdivision ultérieure des grandes régions. L'analyse du fonctionnement spatial du système social et économique conduit à d'autres conclusions: il n'y apparaît guère d'intermédiaire entre le niveau national, celui que représente. la capitale lorsque la centralisation est importante, et les grandes aires urbaines. Le réseau des centres n'est fortement hiérarchisé qu'aux niveaux inférieurs, et il l'est moins qu'on ne le croît souvent. A partir d'une dimension voisine de 80 ou de 100000 habitants, les administrations et les services sont directement en contact avec les échelons nationaux, les activités de base ont presque toujours un marché national ou international. Le rôle des services à fonction régionale n'est pas négligeable, mais il est généralement plus faible: comment pourrait-il en être autrement dans une structure où les campagnes se sont vidées en dehors de l'aire voisine des grands centres? Dans ces conditions, les articulations régionales ne peuvent avoir de compétences très étendues: elles ne sont faites que pour régler des problèmes d'infrastructures d'importance moyenne en matière de transport ou de services régionaux; c'est à l'échelle de la nation que se nouent les réseaux fondamentaux, à celle des fortes agglomérations qu'émergent les externalités. C'est de ses dernières que dépend dans une large mesure le dynamisme économique global, puisqu'elles constituent les points hauts de la surface générale des avantages territoriaux, ceux qui ont le plus de chance d'être choisis par les activités à localisation libre. De leur bon agencement dépend la qualité de la vie de leurs habitants et celle des services qu'elles rendent à leur environnement. De la bonne transparence de l'espace dépend alors leur succès. L'échelon régional, au sens où l'on emploie à l'heure actuelle le terme en France, n'est pas l'échelon essentiel de la politique régionale d'aménagement: celle-ci se décide au niveau régional/national dans les services centraux du gouvernement, à Paris. La D.A.T.A.R. a dans ce domaine une responsabilité particulière, mais les actions de longue durée sont du ressort des ministères techniques, Agriculture et Equipement, et du ministère de l'Intérieur. Cette politique se décide pour l'essentiel au niveau des agences d'urbanisme ou des G.E.P. en ce qui concerne l'échelon régional/local. C'est d'ailleurs là que les structures d'études et de programmation les plus fortes ont été mises en place: les

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O.R.E.A.M. répondent aux besoins des ensembles urbains les plus considérables, les agences d'urbanisme à ceux des villes moyennes, cependant que l'action des G.E.P. les double ou les remplace là où les initiatives locales ne sont pas suffisantes. On ne pourrait cependant confier toute la planification d'échelon régionaVlocal aux grandes villes: elles n'ont pas à structurer les zones à dominante rurale qui ne gravitent pas directement autour d'elles ou les aires de détente, de loisir et de préservation de la nature qui se créent là où les densités sont devenues très basses. Que les compétences reviennent en pareil domaine à un échelon régional n'est peut-être pas une mauvaise chose, mais l'on peut concevoir d'autres solutions: celle de l'autonomie des circonscriptions locales, ou celle d'une centralisation assez poussée des études et des initiatives. En matière d'aménagement de l'espace naturel, les cadres sont souvent dictés par les conditions physiques: il en va ainsi pour les agences de versant. Il y a là un domaine où les articulations polyvalentes que l'on essaie de mettre en place n'apportent rien. En définitive, les régions de taille moyenne répondent davantage à une finalité administrative qu'à un impératif de l'aménagement de l'espace: elles sont certainement utiles à la déconcentration qui s'impose du fait de la multiplication des tâches de l'Etat. Elles peuvent remplir un rôle positif dans l'organisation de certaines catégories d'équipements collectifs et dans la structuration des liaisons à moyenne distance. Revendiquer leur autonomie pour accroître l'efficacité de l'organisation de l'espace tient à une mauvaise analyse des conditions contemporaines de la vie économique et sociale. Il est beaucoup plus important, de ce point de vue, de restructurer les agglomérations, d'imposer la formation de communautés urbaines là où les limites actuelles coupent au travers de tissus continus, et de leur donner des moyens accrus de préparation et d'exécution des programmes. C'est d'ailleurs la direction qui s'est pratiquement imposée depuis une dizaine d'années. Les organismes d'études mis en place au niveau des régions servent plus souvent de consultants aux aires urbaines de l'ensemble que de maîtres d'œuvre pour des travaux de caractère global. Ils ne s'en voient confier qu'au moment de la préparation des plans d'équipement: ils assurent l'évaluation des besoins futurs de l'ensemble régional; ils analysent souvent de manière plus précise la structure de certaines infrastructures. Au total, ils font œuvre utile, mais ne tiennent pas, dans l'aménagement de l'espace, la place qui leur est faite dans la théorie. Dans ces conditions, les circonscriptions territoriales qui apparaissent aujourd'hui indispensables au bon fonctionnement de la machine de l'Etat n'ont pas d'influence très directe sur l'articulation de l'espace. Le système qui s'est mis en place en France a l'avantage de reprendre dans nombre de cas des tracés anciens et de souligner des solidarités importantes et demeurées vivantes. Les circonscriptions sont assez nombreuses pour que presque toutes les villes importantes soient

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à la tête de l'une d'elles. Là où il en existe plusieurs, la pratique a imposé le partage des postes de responsabilité et la balance des représentations entre elles, ce qui évite que l'une soit délibérément sacrifiée à l'autre. La place faite aux zones rurales et aux petites villes leur permet aussi de lutter contre les effets de masse qui tendent naturellement à faire profiter les centres les mieux équipés de tous les nouveaux investissements. Le système a donc des avantages indéniables. Aucune considération économique ou structurelle ne justifie pourtant que l'on dote ces instances d'une autonomie plus poussée: ceux qui luttent en ce sens ont peut-être raison de le faire mais pour des motifs politiques ou culturels. La cause de l'aménagement de l'espace ne gagne en revanche rien à s'associer à des mouvements dont le but n'est pas l'allocation la meilleure possible des hommes et des équipements au sein d'un espace national. Ceux qui militent pour des régions à forte autonomie se battent pour le maintien d'une spécificité régionale souvent réelle, mais aussi pour la défense d'égoïsmes sociaux tout aussi tangibles mais dont on parle moins, ou pour le démantèlement de l'Etat dans une stratégie de conquête du pouvoir conçue, ce qui est nouveau, en termes spatiaux. Le débat régionaliste est ancien dans un pays comme la France: il s'est développé dès la fin du XIXesiècle. Il avait alors des résonances presqu'uniquement politiques. Sous l'influence des géographes, de Paul Vidal de la Blache déjà, ou de Jean-François Gravier plus récemment, sous l'influence des économistes plus tard, on a pris l'habitude de l'envisager de plus en plus sous un angle économique. C'était là une évolution heureuse: elle a aidé à la prise de conscience des disparités territoriales, a conduit à s'interroger sur leur bien-fondé. Elle ne doit pas conduire à des conclusions erronées: ce dont a besoin la région, c'est d'institutions métropolitaines capables de maîtriser le développement des grandes villes tout en les rendant accueillantes, c'est aussi de services de coordination des équipements de base en matière de transport, de communication ou de services rares, hospitaliers ou universitaires. Cela implique un échelon régional, mais surtout une action suivie d'équilibrage des composantes du territoire national et un accroissement systématique de la transparence, une politique nationale donc plus que régionale. Comment espérer d'ailleurs d'un éclatement des cadres de l'action politique une plus grande efficacité et une plus grande justice? A une époque où les affaires se concentrent, où les moyens dont elles disposent pour infléchir les décisions deviennent plus considérables, renforcer le pouvoir de décision des échelons inférieurs aux dépens de ceux du centre revient bien souvent à rendre plus forte l'influence des grandes entreprises ou à l'inverse, celle des contrepouvoirs qu'elles engendrent, celui des syndicats en particulier. L'enseignement universitaire de l'aménagement du territoire et de la planification régionale est sans doute celui qui a été en France le moins profondément affecté par les tendances nouvelles de la

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discipline: jusqu'à présent, l'effort de renouvellement a presque partout été plus net au niveau du premier ou du troisième cycle. Les techniques modernes de la planification territoriale supposent acquises un minimum de connaissances de géographie générale ou d'économie spatiale. Elles ne peuvent être maîtrisées si on ne comprend pas à quoi sert la modélisation. Elles ne sont pleinement assimilées que lorsqu'on sait à la fois réunir des données, construire une projection et l'adapter aux buts poursuivis par toute une série d'ajustements récurrents. Il y a là un domaine où une action rapide et énergique s'impose. Il est également indispensable de faire comprendre aux jeunes le contexte dans lequel leur action s'insère, de leur apprendre la différence qui doit exister entre l'approche analytique de la planification et la projection globale de l'utopie. La seconde est certes indispensable: elle est seule capable de fournir les objectifs par rapport auxquels on peut mesurer orienter l'action. Elle n'est en aucun cas suffisante pour arriver à une bonne gestion de l'espace. Pour assurer celle-ci, il faut de la compétence, de la modestie et une bonne appréciation du cadre politique dans lequel l'action est menée.

CHAPITRES XI-XIl-1978

LA LOCALISATION DES INDUSTRIES ET DES SERVICES

Les recherches sur la localisation des activités secondaires et tertiaires ont fait de grands progrès depuis une quinzaine d'années. On parle, pour désigner les nouvelles tendances, de courant béhavioriste; nous en avons indiqué les contours dans de précédentes chroniques!. Nous voudrions montrer ici que le progrès essentiel vient de la prise en considération des faits de communication; l'analyse des décisions et des comportements n'est que la conséquence de ce changement d'optique. Avec l'évolution des transports, les frais d'approvisionnement et d'expédition perdent de leur poids relatif dans les prix de revient des objets livrés aux utilisateurs. La transparence du milieu se révèle alors l'élément déterminant en matière de localisation. La géographie des industries se met à obéir aux mêmes impératifs que celle des services: c'est ce qui nous a conduit à regrouper ici leur étude. I. L'ESPACE

INDUSTRIEL

La réflexion classique sur l'implantation des activités industrielles se situe à l'échelle de la région, de la nation ou du grand espace. Elle ne s'attarde guère sur l'organisation interne des établissements industriels. Les géographes ont singulièrement négligé ce niveau. Ils n'insistent que sur les facteurs technologiques qui déterminent l'activité. Chardonnetz décrit ainsi les installations de l'industrie sidérurgique ou celles de la pétroléochimie. Pour les centrales hydroélectriques, les schémas sont plus détaillés: la production dépend du site et des caractères des cours d'eau équipés, ce qui intéresse le géographe soucieux de faire comprendre l'insertion des équipements dans le milieu naturel. Pour les autres fabrications, il semble que tout soit commandé par la technique, si bien que l'on passe vite. I

Claval {Paul}, « Chronique de géographie économique IV : la localisation des activités industrielles",

Rel'ue géographique de /'E.çt, vol. 9, 1969, pp. 187"214; Claval {Paul}, «Chronique de géographie économique 1 : La théorie des lieux centraux", Ibidem, vol. 6, 1966, pp. 131-152; Claval {Paul}, «Chronique de géographie économique VIII: La théorie des lieux centraux revisitée", Ibidem, vol. 13, pp. 225-251. z Chardonnet (Jean), Géographie industrielle, Paris, Sirey, 2 vol., 1962-1965, 521 + 461 p.

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Gustave Fischer' s'attache aux établissements et essaie de comprendre la logique de leur organisation. L'usine porte la marque d'un effort de structuration rationnelle: le chef d'entreprise, ses architectes, ses ingénieurs et ses psycho-techniciens cherchent à rendre aussi aisé que possible le déroulement des tâches de fabrication, de manutention, d'expédition et de réception. Mais la conciliation de ces divers objectifs n'est pas toujours facile: il ne suffit pas de minimiser les déplacements de pièces et de ménager les circulations les plus aisées pour arriver à la solution optimale: il convient aussi de donner à chacun un espace de travail convenable et d'assurer le contrôle de l'activité de tous. L'impératif de surveillance est aussi vieux que l'industrie moderne. Jedidiah Strott4 est le premier patron à avoir édifié des usines textiles mues par la force mécanique et utilisant les machines nouvelles. L'usine qu'il a construite à Belper, un peu au Nord de Derby, en 1776, est fort instructive. Elle a une curieuse forme en galette ronde: cela facilitait la distribution de l'énergie aux différents métiers, tous entraînés par la même roue hydraulique, au centre; cela autorisait également la surveillance de l'ensemble par un contremaître unique: il était installé au cœur du bâtiment et n'avait qu'à tourner sur lui-même pour tout voir. C'est le principe du panopticon de Bentham! qui se trouve de la sorte appliqué au monde des manufactures avant que Bentham n'imagine de l'utiliser dans l'univers pénitentiaire! L'objectif de contrôle et de surveillance n'a jamais disparu. Dans le domaine des activités de bureau, il justifie par exemple les grands halls-jardins dans lesquels l'espace n'est coupé par aucune cloison. Les subdivisions sont basses et les plantes qui créent des discontinuités n'isolent pas complètement les secrétaires les unes des autres et ne les protègent pas de ceux qui sont chargés de veiller à leur efficacité. Les grandes salles d'atelier des usines modernes n'ont bien souvent comme fonction que de faciliter la supervision des tâches à partir d'un petit nombre de points. Mais dans les usines, le contrôle devient indirect lorsque l'on dispose d'une comptabilité électronique perfectionnée: on mesure alors le travail des gens à ce qu'ils produisent, à ce qu'ils utilisent ou à ce qu'ils rejettent sans avoir à les importuner par une présence tatillonne et gênante. Les travailleurs sont la plupart du temps hostiles à l'espace ouvert et impersonnel qu'on prétend leur imposer. Ils imaginent des stratégies souvent fort ingénieuses pour donner à chaque poste une marque individuelle, pour le personnaliser. Les sièges et les distances de travail .' Fischer (Gustave). Psychologie de l'espace industriel. Vile conception de l'entreprise comme espace. Thèse 3< cycle. Strasbourg, 1974, 333 p. ronéotées; Fischer (Gustave), Psychologie de l'e.vpace illdustriel. Le concept de budget spatial, Thèse d'Etat, Strasbourg, 1977, 388 p. ronéotées. . Penguin Books, Cf p. 220 de Hoskins (W.G.), The Making of the English umd.veape, Harmondsworth, 1970, 326 p. $ Foucault (Michel), Surveil/eret punir. Nai.vsallce de la prisoll, Paris, Gallimard, 1975,318 p. . III Gustave Fischer, op. cit.

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sont adaptés à la morphologie de chacun; des posters, des photos, soulignent l'appropriation par l'ouvrier du territoire où il travaille. Il existe souvent, dans l'usine, des zones qui échappent à la transparence générale, des angles morts; elles servent à la constitution d'aires individuelles ou collectives plus faciles à garder et à délimiter. Comment la direction laisse-t-elle se développer ces secteurs qui sont soustraits à son contrôle? 1) C'est d'abord pour des raisons matérielles: le fonctionnement de l'usine demande que l'on prenne en compte tant d'impératifs qu'il est souvent impossible de tout concilier parfaitement. Il convient, pour que l'usine fonctionne bien, d'y assurer la distribution de l'air, de la lumière et de l'énergie et d'y permettre la circulation des produits et des travailleurs. De nos jours, ces objectifs paraissent facilement conciliables: la lumière artificielle et l'air conditionné donnent partout de bons environnements de travail, cependant que l'électricité conduit l'énergie là où elle est requise. Il n'en allait pas de même autrefois. Que l'on soit dans une usine mue par une machine hydraulique ou par une machine à vapeur, le problème était le même: il n'y avait, pour tout l'établissement, qu'une source d'énergie. Les moyens dont on disposait pour la répartir étaient peu efficients: on transmettait l'énergie mécanique par des axes, des poulies et des courroies. Les pertes étaient considérables: il convenait donc de minimiser la longueur du système de distribution; le meilleur volume, pour y parvenir, était le cube. Les industries avaient donc tendance à s'installer sur plusieurs niveaux. Cela impliquait la construction de bâtiments lourds, capables de résister aux vibrations et aux efforts imposés par les machines installées aux étages. On essayait d'assurer un bon éclairage en vitrant au maximum les parois. L'aération créait toujours un problème. Les circulations de pièces et de produits se faisaient sur plusieurs plans, ce qui coûtait cher et limitait la mécanisation des opérations. Dans certains cas, cependant, l'utilisation de chaînes sans fin et de courroies de distribution assurait déjà une alimentation économique des postes de travail. Dans les conditions actuelles, la structure optimale de l'espace industriel est devenue très différente: le moteur électrique a supprimé les contraintes d'approvisionnement énergétique. Du coup, il cesse d'être nécessaire de construire des usines massives à plusieurs étages. A condition que les terrains ne coûtent pas trop cher, les industriels préfèrent les constructions basses. Ils diminuent les investissements immobiliers: ils implantent leurs machines dans des hangars légers. Il suffit de bonnes fondations pour que le problème des vibrations, si gênant dans les installations d'autrefois, disparaisse. Une implantation plus espacée permet alors, pour assurer la circulation des pièces, d'utiliser des tapis roulants ou des moyens mécaniques de manutention, si bien que l'allongement des distances est plus que compensé par la diminution des frais de manipulation.

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2) Même dans ces bâtiments ultra-fonctionnels, la surveillance exercée sur les tâches n'est pas totale: la direction gagne souvent à laisser s'opérer un certain partage territorial à l'intérieur de l'établissement. N'est-ce pas nécessaire si l'on veut que les ouvriers se sentent chez eux? L'autogestion clandestine' qui se développe alors n'est-elle pas bénéfique à l'ensemble de l'entreprise? N'est-ce pas grâce à elle que le monde industriel échappe à la tension permanente qui devrait naître des conflits d'intérêt? Comme dans d'autres domaines, la division de l'espace permet de transformer en coexistence plus ou moins pacifique ce qui serait sans cela hostilité et tension permanentes. Le glissement des établissements urbains vers les périphéries des grandes agglomérations, là où le terrain moins cher autorise le desserrement des ateliers et l'adoption des nouvelles normes d'organisation, ne fait donc que traduire une mutation profonde dans l'aménagement de l'espace interne de la firme: il ne faut pas négliger les études micro-industrielles si l'on veut comprendre les transformations qui se produisent à échelle moyenne. II.

LES LIMITES TRADITIONNELS

DE VALIDITE DE LOCALISA nON

DES SCHEMAS DES INDUSTRIES

David Smiths a proposé une synthèse commode et informée des travaux classiques relatifs à la localisation industrielle, et le recueil d'articles préparé sous la direction de Karaska9 le complète en fournissant les textes originaux les plus significatifs. L'abondance et l'originalité des figures rendent particulièrement précieux l'exposé de David Smith. Lorsqu'on établit les surfaces de coûts de production, on s'aperçoit qu'il existe bien souvent, au voisinage du point minimum, de larges zones où les variations sont faibles: il existe de ce fait une certaine indétermination dans les localisations optimales. Les usines se répartissent sur des aires assez étendues; ce sont des éléments relativement secondaires d'appréciation qui l'emportent alors au moment du choix - la forme et la disposition des parcelles disponibles, l'accès aux voies de communication, par exemple. David Smith explique ainsi l'aspect quasi-aléatoire d'un bon nombre de distributions industrielles. La logique même du schéma wébérien, la recherche du point où les coûts sont minimaux, ne s'applique plus sous sa forme originelle qu'aux industries les plus lourdes. Pour les produits qui incorporent

. 7

L'expression est de Gustave Fischer. Smith (David M.),/nduJtrial Location. An Economic

1971, 9

XII-553

Geol(raphical

AlIlI1YJiJ, New York, John Wiley,

p.

Karaska (Gerald J.). Bramhall (David F.) (ed.), Loclltional AII1I1YJÜfor MlIlIufacf!trÙll(, Cambridge

(Mass.). the M.l.T. Press, 1969, XI-515 p.

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beaucoup de valeur ajoutée par unité de poids, l'incidence des charges de transport est souvent négligeable. La liste des produits dont la fabrication implique la manipulation de matières premières lourdes, l'utilisation d'une grande quantité d'énergie où l'expédition de demi-produits ou de produits finis pesants ou encombrants est encore longue et elle correspond aux secteurs de base de l'économie moderne: fabrication du ciment .et des matériaux de construction, sidérurgie et métallurgie des métaux non ferreux, raffinage pétrolier et pétrochimie, chimie minérale lourde sont dans ce cas. Au XIXCsiècle, la prépondérance, comme source d'énergie, de la houille et la faible efficacité de la machine à vapeur provoquent

l'accumulationde la plupartde ces fabricationsdans les Pays Noirs - à moins qu'elles ne mobilisent une matière première plus difficile à transporter que le charbon - ainsi s'explique l'installation de la sidérurgie sur la minette lorraine, alors qu'elle boude la plupart des gisements riches. Les conditions ont changé. Les capacités productives de la plupart des industries lourdes sont telles qu'il n'y a généralement pas intérêt à les fixer près des ressources énergétiques ou minières: celles-ci sont rarement assez importantes pour alimenter les équipements durant leur durée normale de vie. La baisse des tarifs de transport par mer a par ailleurs étendu à la dimension du monde la portée des matières premières et des formes d'énergie utilisées. Au lieu d'avoir, pour la houille ou pour le minerai de fer, des marchés régionaux d'un rayon de I 000ou I 500km, on a des marchés mondiaux. Du coup, les usines ont intérêt à s'installer en front de mer, là où parviennent les denrées lourdes employées. Pour obtenir les coûts d'élaboration et de transport les plus faibles, il suffit de minimiser la distance entre l'usine et ses clients. Les industries de front de mer constituent donc de nos jours l'application la plus importante du schéma classique de Weber. Les surfaces de coûts y diffèrent de celles choisies comme modèles par David Smith: il n'y a pas de zone d'indifférence sur le littoral, même si les marchés à desservir sont également accessibles de plusieurs points de la côte. Les établissements ne se dispersent pas sur tout le secteur théoriquement favorable: les investissements à réaliser pour recevoir minéraliers ou tankers sont si élevés qu'on ne peut les multiplier. La puissance publique négocie avec les industriels concernés le choix des terminaux: il n'est pas question de créer des installations sans être certain de les voir utilisées à plein. La géographie de l'industrie lourde tend donc à être de plus en plus concentrée sur des façades maritimes étroites: il y a là des régions industrielles de spécialisation absolue en ce sens que tout le front de mer est souvent occupé par les polders où se pressent de grandes usines, cependant que les agglomérations ouvrières se développent en retrait. Jamaisau XIXCsiècle, l'accumulation des moyens de production n'avait atteint des proportions aussi gigantesques - jamais non plus, la

362

Paul Claval

collaboration entre les pouvoirs publics et les entreprises privées n'avait été aussi étroite. On comprend que Castells et Godard'o aient choisi de décrire l'agglomération dunkerquoise comme type de leur Monopolville. L'analyse wébérienne limitée aux coûts de transport ne perd donc pas ses droits: elle continue à expliquer une bonne partie de la géographie contemporaine. Mais pour les industries légères, d'autres facteurs entrent en compte. III.

LA LOCALISATION DES INDUSTRIES PROBLEMES D'INFORMATION

LEGERES

ET

LES

a) Weber suppose la firme installée dans un espace parfaitement transparent et néglige les problèmes de communication. TIles réintroduit de manière subreptice lorsqu'il parle des externalités, mais ne voit pas qu'elles sont créées par la proximité d'agents variés et par la facilité des communications qui en résulte. La compréhension des problèmes de relation dans la vie industrielle doit beaucoup aux progrès de la sociologie des organisations". La firme est conçue comme un espace de communication structuré par des chenaux et ordonné par des règles d'acheminement des messages et des ordres - elle est définie par son organigramme. Les services préposés aux relations avec l'extérieur reçoivent, élaborent ou émettent des informations. Ils doivent à leur rôle de ne pas être soumis étroitement aux principes hiérarchiques qui assurent à l'ensemble de l'entreprise unité de commandement et d'action: ils appartiennent à l'état-major et aident à préparer les décisions; les choix sont d'autant plus sûrs que l'information dont disposent les responsables est plus précise et plus abondante, ce qui implique pour ceux chargés de la collecter une liberté considérable. L'implantation de la firme résulte d'un arbitrage: il faut balancer les frais qui résultent de la recherche de la transparence à l'intérieur même de l'organisation et ceux qui naissent de ses relations avec le milieu extérieur. Les dépenses internes sont minimales lorsque tous les services sont groupés au même point. Pour les relations externes, la situation est différente: dans la mesure où les partenaires sont situés en des lieux différents, les responsables des marchés et de l'action commerciale ont souvent intérêt à disposer d'antennes qui assurent de bonnes liaisons; eux-mêmes remplissent d'autant mieux leur rôle qu'ils

III Caste Ils (M.), Godard (F.), Monopolville. Paris, Mouton, 1974. Sur ce point, on se reportera à notre chronique de 1969 et à : Collins (Lyndhurst), Walker (David F.) " (ed.), ùlCational Dynamic.f (if Malllifacturin~ Activity, New york, John Wiley, 1975, X-402 p.; Hamilton (F.E. Ian) (ed.), Spatial Per.çpectives on Industrial Or~anizati(}n and Decision Makin~, New York, John Wiley, 1974, XxiV-533 p.

Chronique de géographie économique

363

sont mieux placés pour entrer en contact direct avec les banques ou les gros clients et les gros fournisseurs. Avec les progrès dans les. techniques sociales de l'organisation, il est devenu plus facile, au cours des dernières décennies, d'améliorer la transparence interne que la transparence externe. Cela donne aux firmes une grande liberté d'implantation: elles. peuvent se montrer efficaces même si elles sont éclatées entre de multiples établissements. Elles ont d'autre part intérêt à absorber des activités qui leur sont nécessaires, mais pour lesquelles elles trouvaient jusque-là avantageux d'avoir recours à des maisons spécialisées. C'est un des ressorts du mécanisme de la concentration: par l'élargissement de la fmne, on améliore son accès aux informations techniques, on facilite sa pénétration commerciale et on accroît son rôle dans la recherche. Shigeto Tsuruu a parfaitement analysé cette dynamique d' internalisation. Toutes les activités ne peuvent cependant être absorbées par la firme: il est souvent avantageux de laisser une part des fabrications ou de la prospection des marchés à des entreprises plus spécialisées. Dans le domaine commercial, l'intégration est limitée par la difficulté qu'il y a à gérer un appareil de distribution comportant un grand nombre de points de vente. Dans la mesure où la firme dépend d'institutions publiques, d'administrations ou de centres de recherche financés par l'Etat, elle se trouve liée à des activités qu'elle ne peut contrôler. Enfm, l'entreprise dépend indirectement des services nécessaires à ses employés, à ses cadres et à ses ouvriers. Leur niveau de satisfaction n'est pas seulement fonction de leur salaire: il varie avec la diversité et la qualité des équipements qu'ils trouvent à leur disposition. L'expérience montre que la firme n'a généralement pas intérêt à prendre en charge la fourniture de ces services: si elle le fait, elle institue un climat de paternalisme qui peut à la longue se retourner contre elle. Les externalités dont dépendent les activités industrielles sont donc diverses et leur rôle va croissant dans le monde moderne. Elles commandent en partie la localisation des fabrications légères. Celles-ci cherchent à minimiser l'ensemble des charges de transport, de communication et d'accès aux foyers générateurs d'économies externes dont elles ont besoin. Dans la mesure où les avantages bénéficient tantôt au personnel employé, tantôt directement à l'entreprise, leur prise en compte au moment du choix d'une implantation dépend de l'influence des différents groupes au sein des organes de décision de l'entreprise. Cela explique la faveur que connaissent depuis une dizaine d'années les analyses béhavioristes'.'. Les critiques qui leur sont adressées, comme (Shigeto). « The economic significance of cities ». pp. 44-55 de Handlin (Oscar), Burchard " Tsuru (John) (ed.), The Historic/I! alld the City, Cambridge, Mass., the M.I.T. Press, 1963, XII-299 p.; Tsuru (Shigeto), « Marx and the analysis of capitalism », pp. 322-330 de: Marx et la pellsée scielltifique nJ/ltemporaille, Palis, La Haye, Mouton, 1969,612 p. IJ Ce thème est abondamment développé dans les conttibutions aux ouvrages collectifs diligés par Ian Hamilton et par Lyndhurst Collins et David Walker (el Sl/pra, note. Il).

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celle de Doreen Massey!', manquent souvent leur cible faute de prendre en compte l'économie des communications internes et externes à l'entreprise et le jeu des externalités qu'elles engendrent. Il est des aspects plus particuliers des problèmes de localisation que la prise en compte des impératifs de communication éclaire d'un jour très nouveau. La théorie de la polarisation, sur laquelle nous reviendrons en abordant les politiques industrielles, souligne que les activités s'appellent parfois. Elle suppose que des complémentarités techniques sont à l'origine de ces associations. C'était vrai autrefois, lorsque les frais de transport étaient considérables, ce qui liaient entre elles les fabrications d'amont et d'aval dans bon nombre de domaines. Ce n'est plus exact aujourd'hui, sauf exception. Dans la plupart des cas, les établissements qui concourent à une même fabrication, qu'ils appartiennent à une même firme ou qu'ils soient indépendants, peuvent s'implanter n'importe où. La situation ne change que lorsque la firme cliente impose un contrôle très strict des fabrications auxquelles elle fait appel. En matière de sous-traitance", on a souvent intérêt à avoir tous les établissements fournisseurs répartis dans un rayon de quelques dizaines de minutes autour de l'usine où se fait le montage: il est alors possible de contrôler effectivement et à peu de frais le travail de tous ceux qui concourent à la fabrication. A l'inverse, les agglomérations industrielles ne doivent souvent rien, dans notre monde, aux externalités d'origine technique. Elles résultent de la recherche d'une bonne ambiance commerciale et du souci de s'implanter dans un milieu où l'ensemble du personnel employé trouve les aménités et les services dont il a besoin, et un marché du travail assez large pour lui donner de la liberté de choix en matière d'emploi. b) Comment prendre en compte, dans l'analyse des localisations, les divers facteurs sur lesquels les modèles wébériens traditionnels glissent trop rapidement? Le marché ne peut être assimilé à un foyer ponctuel lorsque la firme travaille pour le consommateur ou place ses produits dans un grand nombre d'entreprises de transformation finale. Les coûts de main-d'œuvre jouent un grand rôle dans les calculs de rentabilité, mais ils varient peu au sein des grands Etats - nous les retrouverons en analysant le problème des localisations industrielles au niveau international. Ce sont donc d'autres éléments sur lesquels il convient d'insister. I - Il importe de définir en tout point de l'espace les possibilités de marché qui s'offrent à l'industriel. On sait, depuis une trentaine d'années, figurer de manière simple l'influence de la clientèle au sein ,.

Massey

pp. 33-39.

(Doreen),

«

Towards

a critique

of industrial

> Saliez (Alain). Polarisatiol1 et .wus-traital1ce. J972, 237 p.

location

theory»,

Al1tipode, vol. 5, n° 3, 1973,

COl1ditiom du développemelll

régiol1al, Paris, Eyrolles,

Chronique de géographie économique

365

des nations: la cartographie des potentiels.6 indique en chaque point .la somme cumulée des attractions (mesurée au niveau de la population ou des revenus), compte tenu de l'effet de distance. Ces cartes existent pour toutes les nations. On peut grâce à elles mesurer les forces qui agissent sur les industries orientées vers la consommation finale. 2 - On ne disposait pas, jusqu'à ces dernières années, de cartes analogues pour apprécier les positions relatives dans l'espace des communications. Gunnar Tornqvist" a réussi à définir une mesure des potentiels de contact qui résout ces difficultés. Il est des activités pour lesquelles l'attraction d'un centre ne dépend pas de sa population totale, mais du nombre d'emplois dans les secteurs où les besoins de relations face-à-face, pour les négociations importantes, sont pressants : certaines administrations publiques, les banques et les sociétés financières, les sièges sociaux ou les directions commerciales et techniques d'entreprise rentrent dans cette catégorie. Tornqvist. n'a donc retenu, pour mesurer l'attraction des centres urbains suédois, que la population tournée vers les emplois qui impliquent un recours fréquent aux contacts directs. Il l'a évaluée par enquête auprès des entreprises grâce au concours que lui ont prêté les banques suédoises. L'espace dans lequel se déroule les contacts économiques n'est pas continu: il est fait de noyaux entre lesquels les gens se déplacent en utilisant l'automobile, les trains d'affaires ou l'avion - selon la distance, l'équipement des lignes et les niveaux de trafics. Pour son modèle de potentiel, Tornqvist a donc calculé les distance-temps en fonction des horaires les plus rapides entre les villes suédois et il a mesuré combien d' heures un aller et retour laissait, dans la journée, pour rencontrer des partenaires dans la ville où l'on se rend. Il a pondéré les populations intéressées par les contacts par les distances mesurées sur les relations rapides et a obtenu une mesure du potentiel de contact du réseau urbain suédois. Il a reconstitué son évolution au cours des trente dernières années et l'a projetée dans les années qui viennent en tenant compte des programmes d'équipement en cours de réalisation. L'amélioration des communications renforce l'attraction des foyers les mieux placés, Stockholm, Goteborg ou Malmo, mais réduit aussi le désavantage des secteurs les plus enclavés. Depuis vingt ans, l'espace des relations s'uniformise à partir de quelques pôles majeurs. 3 - Une troisième force intervient en matière de choix des localisations industrielles: celle qui tient à l'attrait que les lieux exercent 16

L'analyse des potentiels a son origine dans les travaux de Stewart et de Warntz. Béguin en fournit

une bonne illustration en français. Stewat1 (John Q.), « The development of social physics", Journal (!I Physics, vol. 18, 1950, pp. 239-253; Stewart (John Q.), Warntz «

Macrogeography

American (William),

and social science», Geographical Review, vol. 48, 1958, pp. 167-184; Beguin

(Hubert), L'organisation de l'espace au Maroc, Bruxelles, Académie Royale des Sciences d'OutreMer, 1974,787 p. 17 Tornqvist (Gunnar), Flows (!{lnjilrmation and the Location (!l'Economic Activities, Lund, C.W.K. Gleerup, 1968; Tornqvist (Gunnar), Contact Systems and Regional Development, Lund C.W.K. Gleerup, 1970, 148 p. ; Pred (Allan), Tornqvist (Gunnar), Systel1l.~ of Cities and Information Flows, Lund, CWK Gleerup, 1973, 121 p.

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366

sur la main-d'œuvre. On pouvait autrefois négliger cet élément: tant que les niveaux de salaires variaient beaucoup au sein des nations, les industriels pouvaient attirer des cadres et fixer de la main-d'œuvre n'importe où à condition qu'ils y mettent le prix - et sous réserve de rester compétitifs. De nos jours, la situation est différente'M.Les salaires sont régis par des conventions collectives qui effacent, au sein de chaque branche, les différences régionales. L'employeur ne peut jouer, pour s'attacher une main-d'œuvre de qualité, que sur les avantages indirects: celui de vivre dans un lieu plaisant est devenu essentiel avec la mode actuelle de l'écologie et le souci de la qualité de vie qui traduit l'amélioration générale des niveaux de consommation. Les cartes mentales à la manière de Peter Gould" fournissent une image synthétique de ces attractions. L'appréciation tient compte à la fois de la qualité du paysage ou du climat et de la qualité des services et équipements urbains tels qu'ils sont perçus par l'ensemble d'une population. 4 - Il n'est généralementpas possible de disposer, à l'intérieur

d'un pays, des trois séries de cartes de champs qui conditionnent la localisation des industries légères. On manque généralement de données sur les potentiels de contact. On peut utiliser des substituts. Ullman101 se fiait à la répartition des sièges sociaux, à la domiciliation des académiciens ou à celle des détenteurs de brevets déposés. D'autres mesures sont possibles. Elles ont l'inconvénient de révéler un état de fait en partie hérité, d'intégrer l'effet d'installations cumulées au cours des décennies, alors que la carte des contacts traduit la situation à un instant du temps - celle que prend en considération le chef d'entreprise qui cherche à développer sa firme en créant un établissement nouveau. Sous cette réserve, il est possible d'analyser la répartition des implantations en comparant les nuages de sites choisis aux champs dont on a réalisé la call0graphie et à la carte d'évaluation indirecte des contacts. 5 - Il existe, pour les Etats- Unis11, des cartes montrant la localisation par branches des activités industrielles: elles sont intéressantes à comparer aux potentiels de contact ou de population ou aux images mentales. La zone dont le potentiel de marché est la plus forte coïncide avec l'industrial belt tel qu'on a pris l'habitude de le définir depuis les recherches de Sten de Geerl1; il s'y ajoute, autour des grands pôles urbains de la Côte Pacifique, des foyers dont l'attraction lM

Shigeto Tsuru a particulièrement insisté sur cet aspect des externalités (cf supra. note 12). Penguin Books. 1974,204 p. '" Gould (Peter). White (Rodney), Mental Maps, Harmondsworth. lOI Ullman (Edward L.), « Regional development and the geography of concentration ". Paper.~ and ProceedillMs of the Regiollal Sciellce Association, vol. 4,1958, pp. 169-198. 21

On trouvera

de bonnes cartes de répartition de l'industrie américaine dans:

Alexandersson

(Gunnar). GeoMraphy (!f Mallufacturing. Englewood Cliffs. Prentice Hall. 1967, 154 p.; Gottmann (Jean). Megalolmlis. Cambridge. Mass.. the M.I.T. Press, 1961. XIl-810 p. Cf. pp. 451-500; Pred (Allan). «The concentration of high-value-added manufacturing". Ecollomic Geowaphy, vol. 41. 1965,

pp. 108-132.

22 La notion de «manufacturing belt" a été proposée il y a un demi-siècle par Sten de Geer: Geer (Sten de). «The American manufacturing belt". GeoMfl!fiska Annale,., vol. 9. 1927. pp. 233-359.

Chronique de géographie économique

367

n'est pas négligeable. Les cartes mentales23donnent un score assez élevé à certaines parties du Sud-Ouest et à la Floride, qui apparaissent comme des points hauts, cependant que le vieux Sud demeure assez déprimé, sauf chez ceux qui en sont originaires. Les agglomérations dont le potentiel de contact est élevé sont surtout celles du Nord-est et de la Côte Pacifique,mais les grandes métropolesdu Sud ont rattrapéune partie de leur retard grâce à de bonnes liaisons aériennes: Atlanta, Houston ou Dallas rivalisent avec Denver ou Phœnix, mais aussi avec des centres comme Saint-Louis ou Boston Les industries sont très attirées par le marché - dont le poids est renforcé par l'accumulation dans une même zone, et durant plus d'un siècle, des activités lourdes et des usines de transformations. L'industrial belt continue à fixer certains types d'investissements. Mais la structure de cette immense zone n'est pas homogène. Les fabrications lourdes, celles qui dépendent du charbon pour leur approvisionnement en énergie, demeurent concentrées aux environs des Appalaches ou là où des communications à bon marché existent. Les branches plus techniques, appareillage électrique, véhicules, outillage, coïncident plus étroitement avec les zones de potentiel de marché élevé. Les activités qui demandent des techniques de pointe ou celles qui sont liées à la mode s'agglomèrent là où le potentiel de contact est le plus grand. L'image des répartitions industrielles dans les zones densément peuplées de Californie est assez différente: il n'y a pas là de tissu industriel continu: les usines lourdes sont fixées par le marché - la sidérurgie de Los Angeles par exemple - comme le sont toutes les autres fabrications. L'attraction liée au climat et à l'environnement se lit à la présence de fabrications à haute technicité dans lesquelles il est important de pouvoir disposer d'une main-d'œuvre très qualifiée. Les industries textiles, celles du bois, certaines fabrications mécaniques simples - une partie des composants électroniques par exemple - manifestent des orientations différentes: elles fuient les secteurs à potentiel de population élevé. Elles s'installent parfois dans les métropoles bien intégrées aux réseaux nationaux de contact, ou à leur proximité, mais on note là de plus en plus d'industries mécaniques ou électriques dont la localisation était jusqu'aux années 1950confinée à l'industrial belt. Les fabrications techniquement plus simples n'ont besoin ni d'un potentiel de marché très fort, ni d'un potentiel de contact important. Elles peuvent prospérer dans des secteurs peu attractifs pour la majeure partie de la population. On note ainsi, à la marge de l'industrial belt, vers le Sud et vers le Sud-Ouest surtout, une ceinture d'activités nouvelles, qui trouvent dans ces zones longtemps délaissées des terres à bon marché, une main-d'œuvre moins combative et des autorités locales prêtes à consentir des avantages fiscaux importants. 1.'On se reportel'a en particulier aux cartes mentales des Etats-Unis reprises par Gould dans son ouvrage (LI ,fllpl'a, note 19),

368

Paul Claval

Certaines branches ont une double répartition: la confection se divise entre New York - où se fait la mode - et une partie du Vieux Sud. Ce secteur est à la fois lié à la desserte facile d'un grand marché, à la nécessité de se tenir au courant des nouveautés et au souci de comprimer au maximum les coûts. c) Les entreprises ne sont pas faites uniquement d'établissements de fabrication: elles comportent des sièges sociaux, des directions commerciales et techniques, des services de recherche. L'implantation des bureaux dépend de celle des usines et réciproquement: il importe, pour que la firme soit efficace, que chaque activité soit installée en un point où elle bénéficie de bonnes conditions spécifiques sans que cela nuise à la marche de l'ensemble et aux communications internes à l'entreprise. Il est possible, lorsque les circonstances l'exigent, d'éloigner considérablement les établissements d'un même groupe; on arrive à les faire fonctionner correctement en joignant à une large autonomie un contrôle rigoureux de certains secteurs-clefs. Mais il est toujours important de pouvoir disposer de liaisons rapides et faciles entre les parties de la firme. Les sièges sociaux sont attirés par les métropoles économiques, comme le sont les directions et les services commerciauxl4. Dans certains pays, en France par exemple, la capitale finit par regrouper la quasi-totalité de ces fonctions, mais ce n'est pas un cas général. Les recherches d'Allan PredIs prouvent qu'aux Etats-Unis, une firme n'a pas besoin d'implanter son siège au sommet de la hiérarchie urbaine du pays pour organiser de manière efficace ses relations internes et externes. L'industrie s'appuie sur le réseau urbain pour développer ses diverses connexions, mais elle ne se calque pas sur sa structure, elle l'utilise. Au fur et à mesure que les firmes deviennent plus puissantes et plus capables d'internaliser une partie des services qui leur sont indispensables, elles sont plus aptes à prospérer à partir d'une ville moyenne. Entre les établissements d'une société industrielle, les liens sont plus ou moins étroits. Au fur et à mesure que les techniques de gestion et de contrôle s'améliorent, les distances entre les diverses localisations peuvent s'allonger sans que l'efficacité se trouve amoindrie. Mais les relations sont souvent si nombreuses que de bonnes liaisons ferroviaires ou aériennes sont indispensables, ainsi qu'un réseau efficace de télécommunications. Les expériences de décentralisation ont prouvé l'importance de ces facteurs. En Francel6, les industriels ont boudé les aides souvent 14 Tornqvist (Gunnar), COllTact Sy.çtems and Regional DevelopmellT, op. cit. 15 Pred (Allan R.), The Spatial Dynalllic.ç (if V.S. Vrban-/ndu.çtrial Growth, /800-/914. /llTerprewtive and Theoretical E.uays, Cambridge. Mass., the M.I.T. Press, 1966, X-225 p.; Pred (Allan R.), CitySrstellls in Advanced Economies, Londres, Hutchinson, 1977,255 p. 16 Bastie (Jean) (sous la dir. de), La décellTrali.mtÜm indu.w'ielle en France, 1954-1974, Paris, rapport ronéoté, 1975, p.

Chronique de géographie

économique

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massives qui leur étaient offertes dans l'Ouest ou dans le Sud.Ouest. Dans une première phase de la politique de desserrement des activités parisiennes, l'essentiel des créations d'emploi en province s'est fait dans un rayon de 200km autour de Paris - la zone que l'on peut gagner facilement en voiture dans la journée en ayant le temps de travailler dans l'établissement visité. Les trains d'affaire et les liaisons aériennes rapides ont modifié cette situation mais au.delà de 200 km, l'espace offert aux décentralisations cesse d'apparaître comme homogène: il n'est intéressant qu'autour des gares ou des aéroports bien reliés à Paris. Dans la pénétration des régions traditionnellement peu industrialisées, loin des grandes métropoles - de Paris ou de Lyon en France - ce sont les entreprises les plus puissantes, celles qui ont le plus largement internalisé les services qui leur sont nécessaires, qui peuvent se montrer les plus hardies. Cela explique la place des multinationales dans les opérations d'industrialisation de l'Ouest français27depuis une quinzaine d'années. Cela explique aussi les politiques de structuration régionale autour de grandes villes de province que l'on voit mener par certaines grandes firmes - le cas de Philips autour d'Eindhoven, aux Pays.Bas, est le plus connu28.

-

IV. LA LOCALISATION L'EST

DES INDUSTRIES

DANS LES PAYS

DE

a) Les problèmes de localisation des activités industrielles dans les pays de l'Est sont relativement mal connus. Ce n'est pas que les géographes et les économies soviétiques ne les abordent pas, mais il est difficile de trouver dans leurs réflexions une logique cohérente. Ils donnent souvent une liste des objectifs à respecter en matière de régionalisations et d'implantations industrielles29. Ils en distinguent généralement huit: 1)la nécessité d'éliminer l'opposition villes. campagnes; 2) la nécessité de réduire les flux de transports; 3) l'industrialisation prioritaire des régions arriérées pour faciliter le développement économique et social des minorités; 4) la préparation de la défense du territoire; 5) la spécialisation régionale pour satisfaire la demande nationale; 6) un degré suffisant d'autarcie régionale pour satisfaire la demande régionale; 7) la spécialisation internationale dans le cadre du C.O.M.E.C.O.N.; 8) la nécessité de distribuer les activités de 27

DATAR, lnvestissement.f

étrangers et aménagements

du territoire, Paris, La Documentation

Française, 1974, 141 p. 28 Le phénomène avait déjà été décrit par Pierre George dans le cadre néerlandais il y a une quinzaine d'années: George (Pierre), «Les établissements Philips aux Pays-Bas: une politique de répartition géographique des usines », Bulletin de l'Association des Géographes français, nov.-déc. 1961, pp. 198205. 29 Nous empruntons ces listes à : Barr (Brenton), « The changing impact of industrial management and decision-making on the locational behaviour of the soviet firm », pp. 411-416 de: Hamilton (F.E. Ian) (ed.), Spatial Perspectives 0111ndustrial Organization and Decision-Making, op. cit.

370

Paul Claval

manière à utiliser rationnellement les ressources matérielles et humaines de chaque région. A ces objectifs de localisation se superposent des objectifs plus généraux: I) la nécessité de donner, dans l'action de développement, la priorité à l'industrie de manière à réaliser le plus rapidement les conditions de passage à la société socialiste; 2) la priorité aux industries lourdes, conformément à l'orthodoxie marxiste. Ces objectifs ne sont pas nécessairement compatibles. Comment s'effectuent les arbitrages indispensables? Les auteurs restent muets sur ce point. b) Les travaux soviétiques insistent volontiers, en matière de géographie industrielle, sur les complexes de forces productives. Les publications qui les concernent sont abondantes. A l'occasion du Congrès International de Géographie de Moscou et du symposium de géographie industrielle qui l'a précédé à Novossibirsk, les communications ont été nombreuses.'". On voit mieux maintenant quelles sont les études menées pour modeler les centres industriels. La mode est de les présenter comme des analyses de systèmes. Les techniques d'input-output sont largement employées. On a l'impression qu'il y a là, pour les géographes, tout un domaine où les progrès méthodologiques sont importants - et où ils sont récents. Les économistes n'avaient-ils pas une certaine avance dans ce domaine? Ils ont joué un rôle prépondérant dans l'organisation de l'espace depuis une cinquantaine d'années: les géographes, trop occupés à l'analyse synthétique des milieux naturels, ne participent que depuis peu de temps à la définition de modèles de localisation correspondant aux normes modernes de sciences sociales. Malgré l'utilisation de démarches sophistiquées, les fondements de l'étude des complexes demeurent voisins de ceux adoptés il y a une trentaine d'annéesJI : on met toujours l'accent sur les complémentarités techniques; les externalités ne paraissent pas faire l'objet d'une approche systématique. Nul ne dit jusqu'à quel moment il convient d'agglomérer des industries complémentaires. Les critères de décision échappent toujours aux investigations. .,,'

Sur la notion de complexe régional de forces productives: Saushkin (Yu. G.), Kosmachev (K.P.),

Bykov (V.I.), « The scientific school of Aleksandrov-Baransky-Kolosovsky an its role in the development of societ geography», pp. 59-62 de: History of Geographical Thouglll. These.f {If the Papers. Leningrad, I.G.U., 1976; Aganbeguian (Abe\), Bandman (Marc), « Modèles de formation des complexes territOliaux de production», pp. 10 1-124 de: Etude.f géographiques de,f chercheurs swiétiques, Moscou. Académie des Sciences de l'U.R.S.S., 1976, 270 p. ; Granberg (A.G.), « Spatial models of the national economy», pp. 143-146 de : Problème.f généraux de géographie et élClblissemellt des modèles des géo-s)'stème.f, Moscou, I.G.U., vol. XI, 1976. Dans les séries des comptes rendus du congrès International de Moscou, on consultera également le fascicule 6: Géographie économique géllérale. et plus spécialement la 2c partie: « Theory and practice in economic regionalization, areal planning and territorial-production complexes », pp. 76-185.

. I Sur l'histoire de la notion de complexe de forces productives, l'étude la plus accessible est celle de Saushkin,

Kosmachev

et Bykov, mentionnée

à la note précédente.

Chronique de géographie

économique

371

c) Les connaissances les plus pertinentes en matière de vie des entreprises soviétiques, de règles de localisation et de dynamisme viennent donc d'études occidentales nourries de statistiques soviétiques

et du dépouillementsystématiquede la presse du pays

~

c'est par elle

que l'on découvre souvent le mieux les problèmes réels des clients ou des chefs d'entreprise. Le cinéma est parfois très révélateur - il faut avoir vu la Prime pour mesurer l'acuité des problèmes de transparence dans une firme soviétique. Brenton Barr32 fournit une mise au point particulièrement infOlmée et intéressante sur la structure et l'équilibre spatial de l'entreprise soviétique. Il expose les principales directions suivies par la réforme des conditions économiques depuis une vingtaine d'années et donne une interprétation originale des effets des unions qui se multiplient depuis quelques années dans les secteurs-clefs. On dispose également en français d'une étude sur ce thème33. L'idée fondamentale qui ressort de ces travaux, c'est que la structure même de l'économie socialiste fragmente à l'extrême les espaces d'information extérieurs à la firme. Celle-ci n'a, en principe, aucune réalité juridique - toutes les sociétés sont propriété d'Etat

-

mais

elle constitue le seul espace social à l'intérieur duquel les relations sont organisées, la subordination est assurée et la circulation des nouvelles s'avère relativement facile. Puisqu'on a condamné l'économie de marché, il n'est pas question de laisser les entreprises nouer entre elles des relations directes; à le tolérer, on risquerait de voir se reconstituer des mécanismes d'offre et de demande; toute communication doit donc emprunter la voie hiérarchique et passer par les directions industrielles des ministères techniques. On a donc trois instances à l'œuvre dans la vie industrielle: le Plan assure la coordination générale, définit les objectifs de croissance, programme les équipements et répartit les capitaux; il assure la coordination générale de secteur à secteur. Les directions techniques de branche assurent, au sein de chaque ministère, la coordination par secteurs. L'entreprise gère les équipements localisés en un point ou dans une région. On souligne volontiers .le gigantisme des entreprises soviétiques - en 1969,les 5 550 firmes comptant plus de I 000 ouvriers ont assuré 62,4%de la production et réalisé 63,3% des profits Le choix de la grande dimension s'est imposé pour des raisons géographiques (la dimension de l'espace et du marché russes), et pour des raisons doctrinales (on cherche à hâter l'accumulation qui permet le passage aucoD1munisme). D'un point de vue pragmatique, le choix a également des justifications: il facilite la

.'2 BmT (Brenton), « The changing impact of industrial locational-behaviour of the soviet finn ", op. cir. Egnell (Erek), Peissik (Michel), U.R.S.S. L'el!frepriJefllce ... Chiffres cités par Brenton Barr, op. cir.

management

and

decision-making

el l'Etar, Paris, Le Seuil, 1974,303

on the p.

372

Paul Claval

collecte des infonnations indispensables au Gosplan et la gestion centralisée des branches par les directions techniques ministériellesJs. Il serait cependant faux de croire que la grand entreprise soviétique est à la dimension des grandes affaires du monde capitaliste: les établissements sont très grands, mais ils sont rarement regroupés dans une même unité. Il n'existe pas de procédure qui pennette de fusionner les usines si leurs productions deviennent complémentaires. Lorsque les liaisons techniques se développent dans un espace réduit, elles sont prises en compte, au moment de la programmation des implantations, par l'analyse des complexes de forces productives. Lorsque les fabrications sont en route, rien ne vient plus assurer la cohérence de l'ensemble, sauf lorsqu'il y a organisation en combinat. Dès que les liaisons sortent du cadre régional, elles ne dépendent plus que du ministère - ou des ministères - techniques compétents. Les conséquences de ces structures sont très curieuses et expliquent en partie les difficultés que rencontre la vie industrielle du pays. Faute de subordination organique et donc de moyens de pression sur les fournisseurs ou sur les clients, les entreprises sont forcées d'accepter des livraisons défectueuses dans des délais qui sont sans rapport avec ceux fixés par le Plan. La tendance est donc, au sein de chaque usine, de compter sur ses forces propres: les établissements ont beau être grands, les fabrications sont souvent quasi-artisanales, car il faut produire l'essentiel des sous-ensembles indispensables aux productions choisies: sur 100 entreprises de mécanique, 99 fabriquent leurs engrenages, 65 leurs joints, 71 possèdent leurs fonderies, 84 leurs forges, etc.'" Il est de la sorte impossible de bénéficier des économies d'échelle que la dimension du pays semble rendre faciles. Le manque de transparence interdit de tirer pleinement parti de la socialisation des forces productives. Le rôle des directions de branche, dans les ministères techniques, est particulièrement difficile et ingrat: il leur faut établir des prévisions à partir de chiffres souvent inexacts, définir des normes exécutables tout en sachant qu'une partie des moyens pour les remplir risque de manquer faute de bonne coordination. Il faut faire des choix d'implantation et définir des programmes de croissance sans connaître les avantages des diverses localisations possibles. Le système de prix ne renseigne pas sur les économies externes réalisables en chaque point. Le manque d'autorité des chefs d'entreprise fait qu'ils ne sont pas toujours à même de faire partager leurs points de vue sur les difficultés et les atouts des divers sites possibles. Les externalités indirectes qui résultent de la satisfaction que la main-d'œuvre retire du milieu où elle travaille et où elle loge sont souvent complètement négligées. .'5 Nous avons insisté sur le rôle des contraintes d'information dans la politique économique des pays socialistes dans: Claval (Paul), Elélllellf.~ de Kéographie écollomique. Paris, Utec et Marie-Thérèse Génin, 1976.361 p. Cf pp.226-258. .'" Cité par Brenton Barr, op. cil.

Chronique

de géographie économique

373

Pour guider leurs choix, les directions de branche disposent de la liste des critères de localisation mentionnée plus haut, mais elles n'ont pas les moyens de les moduler et de les hiérarchiser, si bien qu'elles opèrent souvent arbitrairement. Cela permet aux faits d'influence et de clientèle de jouer: les régions dont sont originaires les dirigeants du pays sont parfois favoriséesJ7. Les directions de branche sont avant tout soucieuses de ne pas créer dans la population de mécontentement grave. Une entreprise socialiste ne se trouve pas constamment menacée de faillite et de disparition, à la différence de ce qui se passe pour les entreprises capitalistes. Les implantations déjà réalisées pèsent lourdement sur les choix nouveaux: il convient de donner du travail aux usines qui existent déjà. Malgré la liberté apparente que donne aux actions géographiques la centralisation de la décision économique, l'inertie des localisations est plus grande qu'en régime libéral. Tant qu'on crée des capacités nouvelles, il est effectivement possible de les situer dans les terres vierges, en Sibérie par exemple. Pour les secteurs dont le développement est ancien, la situation est différente: l'industrie textile continue à tenir une place importante dans la région industrielle centrale, dans un rayon de 200 ou de 300 km autour de Moscou, quoique la diversification des industries et le développement des fabrications électriques et mécaniques créent dans ce secteur une pénurie certaine de main-d'œuvre. A l'inverse, la part de l'Asie Centrale, qui produit la matière première, dispose de ressources énergétiques abondantes et d'une population jeune, demeure modeste quoiqu'on s'accorde à juger son industrialisation indispensable. Lorsque de nouvelles localisations sont retenues, l'absence de prise en compte des extemalités se traduit par des facilités très inégales de réalisation des projets. Les secteurs les plus favorisés voient le programme aboutir dans les délais prévus; la main-d'œuvre recrutée est de bonne. qualité et se montre stable; la proximité d'entreprises capables d'effectuer des réparations ou de pourvoir à l'entretien des machines permet, malgré la lourdeur de la bureaucratie, d'aplanir une partie des difficultés d'approvisionnement et de maintenance. Dans les espaces où les déséconomies externes sont notables, les chantiers languissent, les équipements sont souvent arrêtés faute de spécialistes, d'entretien et de bases de maintenance. Les coûts créés par les erreurs de localisation sont ainsi supportés par la collectivité: les investissements se révèlent moins productifs qu'ils ne le seraient dans d'autres circonstancesJ.. La géographie qui résulte de l'application de ces stratégies se caractérise par la création de bases lourdes utilisant les ressources .17

Le fait est souligné par André Blanc, à propos de l'Europe de l'Est: Blanc (André), L'Europe

.wciali.ue, Paris, P.U.F., 1974,263 p. Cf p. 170. .-. Le poids des erreurs de localisation sur l'ensemble de l'économie nationale est souligné, dans le cas de la Hongrie, par: Schultz (Joseph), Eco/lomie de la HO/lllrie cO/ltemporai/le, Pmi s, Bordas, 1973, 144p.

374

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naturelles exploitables dans les régions périphériques et par la stabilité remarquable des autres implantations, qui continuent à assurer la prospérité des régions de vieux peuplement. Les établissements se répartissent dans les villes moyennes, en l'absence de juste évaluation des avantages engendrés par les grands centres; cela explique la faible hiérarchie du réseau urbain et l'absence de très grandes métropoles que la dimension du pays semble pourtant appeler. d) Les Soviétiques sentent pmfaitement les limites et les faiblesses du système actuel - un film comme la Prime le dit clairement. Plusieurs tentatives ont été imaginées depuis une vingtaine d'années pour arriver à plus d'efficacitéJ". La réforme de Libermann redonne aux entreprises une certaine autonomie de décision, ce qui soulage le Gosplan et les directions ministérielles d'une partie des tâches de gestion qui leur faisaient oublier leur fonction d'impulsion et de prévision. La création des unions industrielles est très intéressante pour qui veut comprendre la géographie qui est en train de se dessiner dans le pays. II s'agit d'un essai imaginé pour briser les pesanteurs bureaucratiques qui freinent l'essor de la production. Le principe est simple: les entreprises cessent d'être indépendantes. Elles sont désormais intégrées dans une union - la direction par branche, au niveau du ministère, perd l'essentiel de ses prérogatives traditionnelles; elle n'est plus chargée de gérer l'ensemble des relations interindustrielles. Elle n'est qu'un organisme de programmation qui complète les indications données par le Gosplan. La mise en œuvre des instructions incombe à l'union. Des entreprises variées et complémentaires se trouvent intégrées pm'celle-ci. Une firme joue le rôle moteur et assure la coordination des plans. Elle veille aux bonnes performances de l'ensemble. Les usines peuvent alors compter sur la régularité et la qualité des livraisons extérieures, ce qui permet de pousser la spécialisation du travail. Le contrôle de la qualité des pièces détachées et demi-produits intégrés dans la fabrication est suivi de sanctions si les spécifications prévues ne sont pas respectées: on dispose d'une structure d'organisation adaptée aux tâches complexes d'un pays industriel avancé. L'application de la réforme qui crée les unions industrielles s'est faite progressivement et elle ne touche qu'un nombre limité se secteurs. Elle soulève des problèmes idéologiques qui ont sans doute ralenti sa mise en œuvre. Elle semble aujourd'hui admise par la plupart des théoriciens, même si elle continue à se heurter à l'hostilité des services ministériels qui ont perdu une partie de leurs attributions de naguère. Les expériences réalisées sont d'ores et déjà concluantes. La productivité du travail augmente, les gaspillage sont moins nombreux et la qualité des produits est plus régulière. Géographiquement, les .\9

cr.

Brenton

Barr,

op. ciro

Chronique de géographie économique

375

solidarités entre les établissements sont renforcées; la firme responsable est dotée d'une fonction de direction importante; on voit donc s'esquisser une organisation hiérarchique, de base en partie régionale, qui manquait jusqu'alors à l'espace économique soviétique. Il n'est pas douteux que ces structures donnent une appréciation plus juste des externalités et qu'elles renforcent les tendances à la polarisation, demeurées jusqu'ici plus faibles en U.R.S.S.que dans les pays libéraux. V. L'INDUSTRIALISATION

DES PAYS DU TIERS MONDE

Jusqu'au début des années 1960,l'industrie comptait si peu dans la plupart des pays du Tiers Monde que son absence était tenue comme un des critères les plus significatifs du sous-développement4o. On extrayait des matières premières et l'on exploitait les sources d'énergie; on leur faisait subir une première transformation lorsque cela facilitait leur exportation. Pour le reste, on ne pouvait guère mentionner que des activités d'import-substitution, surtout nombreuses lorsque le dernier traitement de l'article doit se faire à proximité du marché de consommation. Les industries du Tiers Monde n'étaient jamais concurrentes de celles des pays avancés. Lorsque des fabrications de masse destinées à la consommation s'étaient implantées, elles étaient tournées vers le marché intérieur. Il en allait ainsi de l'industrie textile indienne, déjà puissante, mais orientée vers les marchés du sous-continent. Les deux guerres mondiales avaient favorisé l'épanouissement d'activités déjà diversifiées dans certains pays d'Amérique latine, le Brésil, l'Argentine, mais aussi le Mexique et le Chili. Les entreprises trouvaient leur débouché naturel sur place. Depuis quinze ans, le bouleversement est profond. L'industrialisation a fait de rapides progrès dans le Tiers Monde et les produits qui sortent de ses usines font une concurrence redoutable aux articles européens ou américains4'. Quelles sont les raisons de ce renversement d'équilibre? La faible transparence des pays traditionnels y a longtemps rendu presqu'impossible l'implantation d'activités manufacturières. Au fur et à mesure que le progrès s'affirme, le nombre de procédés qui se trouvent suffisamment mécanisés et automatisés pour être utilisés par une main-d'œuvre peu compétente s'allonge. Les progrès de l'électronique, de l'asservissement et de la standardisation ont donc ouve11aux firmes des pays avancés les nations pauvres: il suffit d' y 40

On le voit nettement dans la première édition de l'ouvrage déve/ollpemellt. Paris, P.U.F., 1965,285 p. 41

d'Yves

Lacoste,

Géographie

du sous-

En français. le premier à avoir insisté sur l'ampleur de cette transformationest Milton santos.

Gachelin en analyse les aspects les plus récents. Santos (Milton), L'e.vpace partagé. Les deux circuits de l'écollomie urbaine des pays sous-développés, Paris, Litec et Marie-Thérèse Génin, 1975, 405 p.; Gachelin (Charles), u,/oca/isatÙm de.v industrie.v, Paris, P.U.F.. 204 p.

376

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disposer d'un petit nombre de cadres compétents pour mener à bien des fabrications complexes. Les progrès de l'instruction modifient d'autre part l'ambiance sociologique de pays entiers: avec l'école, c'est l'acceptation d'une certaine discipline du travail qui pénètre; ce sont aussi les connaissances de base sans lesquelles il n'est pas possible de conduire des machinesil faut savoir compter, lire un tableau, utiliser une fiche d'instructions. Dans certains pays, la part des jeunes alphabétisés dépasse 80, voire 90 ou 95%. L'enseignement secondaire est de bonne qualité, l'enseignement technique se développe et les universités pratiquent une sélection beaucoup plus impitoyable que celle de la plupart des nations industrielles. La politique sociale qui s'est imposée dans les pays les plus développés entraîne l'unifonnatisation des rémunérations pour un même travail; c'est la raison pour laquelle les coûts de main-d'œuvre ne jouent plus autant de rôle qu'il y a un demi-siècle dans la localisation des établissements industriels. C'est désonnais aux frontières des Etats que les conditions de travail et les salaires varient. Les cartes d'opportunité des localisations dont nous avons indiqué les composantes - potentiel de population ou de marché, potentiel de contacts, image mentale des aménités - se prolongent hors des frontières des Etats. La surface des possibilités significatives doit alors intégrer la carte des charges salariales et celle des charges pesant sur les capitaux et sur les profits. Depuis une vingtaine d'années, la liste des branches d'industries qui trouvent intérêt à s'installer dans les nations en voie de développement pour desservir les pays avancés s'allonge sans cesse. Aux textiles et aux articles de confection s'ajoutent des fabrications optiques, mécaniques et électriques. Les industries lourdes ne sont plus absentes - les producteurs d'acier du Tiers Monde commencent à peser sur un marché international déjà déprimé par l'accumulation de capacités excédentaires de production dans les vieux foyers métallurgiques. L'action des multinationales est donc le résultat d'une transformation profonde de l'espace international. L'avantage structurel que possédaient sans s'en rendre compte les Européens et les Américains est en train de s'évanouir; ils détenaient le monopole des connaissances techniques et sont en train de le perdre. Jusqu'en 1960, c'est vers l'Europe que les finnes américaines à la recherche de maind'œuvre compétente se tournaient pour implanter leurs nouvelles fabrications; c'est aujourd'hui vers l'Afrique, vers l'Amérique du Sud et vers l'Asie des Moussons. L'espace industriel a cessé de se composer de deux compartiments4Z: celui des nations développées et celui du Tiers .1 Nous avions déjà souligné le rôle de la transparence dans la géographie industrielle du XIX" siècle. puis son effacement avec le progrès des moyens de diffusion des innovations et la démocratisation de l'enseignement. Claval {Paul}. Régions. nations. granos espaces, Paris. Marie-Thérèse Génin. 1968, 838 p.

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377

Monde. Il est en train de retrouver l'unité qu'il avait perdue il y a près de deux siècles, au moment de la révolution industrielle. Tous les secteurs ne sont pas touchés simultanément, mais l'évolution est irréversible. Les fabrications très élaborées demeurent liées aux grands foyers de recherche et d'innovation, mais la liste des productions dont l'Occident détient le quasi-monopole s'est déjà suffisamment réduite pour que l'opulence des vieux pays industriels se trouve menacée. Ceux qui fournissent des produits rares, des biens d'équipement, des articles très élaborés vendent ce qu'ils produisent sans que le coût de la maind'œuvre constitue pour eux un handicap sérieux. Les secteurs où la concurrence n'est plus possible sont alors abandonnés, la spécialisation se fait plus étroite dans les activités de pointe: l'Allemagne, le Japon, les Pays-Bas, les pays Scandinaves figurent dans la petite cohorte des nations qui échappent ainsi aux crises structurelles du monde moderne. Pour les autres producteurs, la situation est grave: ils vendent des articles dont les coûts de production sont en train de fléchir grâce aux nouveaux équipements du Tiers Monde. Les exportations deviennent difficiles, les profits s'effondrent. On prend ainsi conscience de ce qu'il Y avait de juste dans les raisonnements d'Arghiri Emmanuel"J: une partie de l'exploitation du Tiers Monde par les pays industriels bénéficiait aux salariés de ceux-ci; leurs rémunérations augmentaient sans rapport avec l'évolution des productivités. Le niveau d'industrialisation du Tiers Monde n'est pas encore à la mesure de son impact sur l'équilibre économique mondial. Les implantations n'ont été nombreuses que dans un petit nombre de nations: l'Asie du Sud-Est s'est révélée le milieu le plus favorable. Le monde méditerranéen et le Moyen-Orient, les Caraïbes, certains pays d'Amérique du Sud sont également bien placés. L'Afrique est encore peu touchée. Les installations se sont faites de préférence dans les ports ou dans les métropoles où on était sûr de trouver. les services et les équipements indispensables, si bien que, dans un premier temps, l'industrialisation n'a fait qu'accentuer les déséquilibres de croissance déjà si dramatiques dans le Tiers Monde. On assiste depuis peu à une décentralisation notable des actions: les activités télécommandées depuis l'Europe ou depuis les Etats-Unis sont souvent tellement liées au marché extérieur qu'elles sont quasi-indifférentes aux conditions locales. Elles reçoivent les machines, les matières premières et les demiproduits de l'étranger: il suffit de disposer de conditions de transport et de télécommunications satisfaisantes pour que l'affaire marche. L'essaimage des établissements demeure cependant soumis aux mêmes impératifs que dans les pays industriels: les implantations se font rarement à plus de deux ou trois heures des villes capables d'assurer les liaisons internationales qui leur sont indispensables. '.' Emmanuel

(Arghiri),

L'échallge

illégal, Paris, Maspéro,

1969, 368 p.

378

Paul Claval

Les critiques adressées à l'industrialisation actuelle du Tiers Monde sont innombrables44: il n'est question que de néo-colonialisme, de dépendance accrue, de formes détournées de domination. On dénonce l'asservissement des nations pauvres à des centres étrangers. L'argument utilisé pour stigmatiser ces formes modernes de capitalisme sont les mêmes que ceux employés pour critiquer les efforts d'équipement des régions périphériques des nations avancées4s: l'unique motivation des industriels serait de lutter contre la baisse tendancielle des taux de profit et leur implantation dans les zones déshéritées ne permettrait absolument pas le démarrage économique de celles-ci. Il y a certes un danger à voir ainsi la croissance réalisée par l'action de groupes multinationaux lointains. Mais dans un monde où les échelles de fabrication ont tendance à grandir, où la dimension des marchés s'élargit sans cesse et où l'efficacité des productions résulte de la fusion de firmes qui se dotent d'installations plus puissantes et réduisent les charges d'administration et de prospection qu'elles supportaient séparément, il n'est pas réaliste de demander que toutes les décisions de production soient prises dans un cadre local: un des acquis essentiels de ces vingt dernières années est la transparence accrue de l'espace; elle a permis d'accroître notablement le niveau de vie de la plupart des hommes, même si, localement, des situations acquises se sont trouvées compromises. Le problème que pose ces nouvelles formes d'industrialisation est celui du contrôle de l'activité économique par le pouvoir politique: les moyens dont disposent les administrations sont déjà considérables; en les utilisant judicieusement, les autorités des pays en voie de développement peuvent veiller à la formation des pôles de croissance, à la réalisation de régions complexes et au jeu de complémentarités - en imposant, par exemple, dans la fabrication des produits exportés, l'inclusion d'une part croissante de composants de haute technologie fabriqués sur place. Les organisations politiques offrent malheureusement un front désuni aux entreprises multinationales; c'est ce qui fait leur jeu, et ce qu'il faut éviter. Le problème du nouvel ordre économique mondial est posé par cette évolution. Sans coopération accrue au plan international, il n'est d'autre solution, si l'on veut éviter les excès des entreprises étrangères, que le nationalisme économique et le protectionnisme - mais on détruit du même coup les avantages de la transparence internationale. De nouvelles formes de collaboration politique entre Etats sont indispensables pour parer aux dangers que le laisser-faire actuel a fait naître sans détruire en même temps les avantages des grands espaces.

Cf par exemple Milton Santos, op. cir. Carney (J.), Hudson (R.), Ive (G.), Lewis (J.), «Regional under-development in late capitalism: a study of the Northeast of England », pp. 11-29 de : Masser (I.) (ed.), Theory and Pracrice ill Regio1lal Scie1lce, Londres, Pion, 1976, 163 p.

44

4;

Chronique de géographie économique

VI. INDUSTRIE

379

ET CROISSANCE

a) Les recherches sur les relations interindustrielles et sur les effets multiplicateurs de l'investissement sont à l'origine de la plupart des politiques volontaires de croissance régionale conçues depuis vingtcinq ans.. Avec les analyses des effets d'entraînement des exportations, elles ont des équivalents dans le domaine du commerce international". Le contrôle indispensable pour conduire totalement une action volontaire est malheureusement si lourd qu'il tend à priver l'économie de son dynamisme : l'entreprise privée n'a plus de ressort lorsqu'elle est trop étroitement encadrée. Les planifications centralisées butent contre l'impossibilité où elles sont de bien prendre en compte les externalités et n'aboutissent souvent, on l'a vu, qu'à des aménagements imparfaits. On comprend que les politiques libérales de décentralisation aient cherché à se faire aussi légères et aussi efficaces que possible en s'appuyant sur les liaisons en chaîne qui caractérisent le secteur industriel: les fabrications sont étroitement solidaires les unes des autres. Certaines sont plus importantes que d'autres. C'est la clef de tout le raisonnement mis à la mode par François Perroux47au début des années 1950. La théorie des pôles de croissance a d'abord connu le succès en France et en Italie. Dans les pays sud-américains, elle a été adoptée précocement et utilisée dans de nombreux contextes. Les chercheurs nord-américains4" l'y ont rencontrée et l'ont adoptée en lui donnant des formes nouvelles. La première phase de la recherche a été marquée par des généralisations enthousiastes: en triangulant les matrices de relations interindustrielles, on déterminait les secteurs qui commandaient au plus grand nombre d'activités; on concentrait les efforts d'investissement sur eux. Pour beaucoup, l'industrie lourde était la seule capable de tenir ce rôle moteur - c'est sous cette forme que la théorie de la polarisation a connu le plus de succès; elle rejoignait en un sens les priorités marxistes. L'idée d'industrie industrialisante, développée par Destanne de Bernis4., et qui a justifié par moment la politique industrielle 46

CI par exemple mes E/éments de géographie économique, op. cit. La littérature proprement

économique sur ces questions est surabondante. On se reportera par exemple à: Richardson (H.W.), Regional ECOlJOl/lics. Location Theory, Urban Structure and Regional Change, Londres. Weidenfeld and Nicholson, 1969, XII-457 p. ; Richardson (H.W.), Regional Growth Theory, Londres, Macmillan, 1973, :Z64.p. ; Hoover (Edgar M.), An Introduction to Regional Economics, New York, McGraw Hill, 1968. 247 p.; Paelinck (Jean R), Nijkamp (Peter), Operational Theory a/id Method ;'1 Regional Economics, Westmead, Saxon House, 1975, XIIl-473 p. 47 François PelToux est à l'origine de la réflexion sur la polarisation. Perroux (François), « La notion de pôle de croissance ", Economie Appliquée, vol. 8, 1955, p. 305 sq. Repris aux pp. 142-144 de Perroux (François), L'économie du xX" .fiècle, Paris, P.U.F., 1961,598 p. 4" Friedmann (John), « A general story of polarized development ", pp. 82-107 de: Hansen (Niles M.) (ed.) Growth Centers in Regional Economic Development, New York, the Free Press, 1972. Cet article avait été publié originellement dans les travaux de la Ford Foundation sur le programme de développement régional et urbain au Chili (Santiago, 1967). 4.Destanne de Bernis (Gérard), « Industries industrialisantes et contenu d'une politique d'intégration régionale

".

&'OIJOmie

Appliquée,

vol. XIX,

n° 3-4,

1966.

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380

algérienne, appartient à cette catégorie. Mais d'autres auteurs montrent au contraire que les dépendances les plus nombreuses sont celles déterminées par d'autres secteurs - l'agriculture en particulier, comme l'a signalé Boudevillesudans certaines de ses études. La seconde phase a été celle des applications et des déceptions: les dépendances techniques sont réelles, mais elles ne se traduisent généralement plus, comme au siècle passé, par des liens géographiques étroits: les études sur la sous-traitance l'ont montré; en dehors des fabrications de précision qui demandent un contrôle constant, la distance importe peu dans ce domaine. On s'est donc mis à douter de l'utilité de la notion de pôle de croissance. Des analyses comme celle de Cartalassl montrent d'ailleurs combien l'intégration régionale de branches industrielles dynamiques - il étudie les industries chimiques de la France du Sud-Est - demeure faible. On ne retient donc plus, comme effet polarisateur, que celui qui se produit à travers le jeu de la redistribution du revenu des employés de la firme. Sous cette fonne, le modèle multiplicateur se révèle extrêmement précieux pour les planificateurs: c'est lui qui donne sa valeur au modèle de Lowry-Garins2. A travers ses mutations internationales, l'idée de croissance polarisée a subi quelques mutations intéressantes. Dans la fonnulation qu'en donne Friedmanns3, l'accent est mis sur le rôle de la diffusion hiérarchique de l'innovation dans le réseau urbain: les procédés nouveaux se répandent nonnalement à partir des villes les plus importantes. Une fois les fabrications lancées dans les agglomérations qui dominent le pays, il n'y a plus qu'à attendre; l'activité glissera spontanément vers les échelons inférieurs pour bénéficier d'espaces moins chers, d'une main-d'œuvre plus stable et de milieux moins pollués, cependant que des activités nouvelles prendront le relais au sommet. Dans une telle optique, l'action d'aménagement en pays en voie de développement doit porter par priorité sur la structuration d'un réseau urbain hiérarchisé, à l'image de celui que l'Europe et l'Amérique du Nord se sont créés au siècle dernier. L'idée est féconde dans la mesure où elle attire l'attention sur les régions périphériques du Tiers Monde et détourne les investissements publics des métropoles où ils ont trop tendance à se concentrer. Elle repose cependant sur deux hypothèses qui s'appliquent mal au cadre où on l'utilise: dans les sociétés modernes, la forme optimale du réseau urbain n'est sans doute pas celle de la pyramide régulière de centres répartis sur tout le territoire SU

Boudeville 1972, 280 p. SI

(Jacques.R.),

Aména!(emellf

du

lerrilOire

el l'olari.mIÎCm,

Paris,

Marie.

Thérèse

Génin,

Cartalas (René), L'induslrie chimique el la croissance économique, Paris, Marie.Thérèse Génin,

1970, 240 p. 52 Lowry (Ira S.), « A short vol. 30, 1965, pp. 158.166. SJ

Friedmann

course

in model

design",

Journal

(John), « A general theory of polarized development

of the American

», op. cit.

InSlilUle

of Planners,

Chronique de géographie économique

381

national; la diffusion de l'innovation industrielle ne se conforme pas toujours à la hiérarchie des villes: les travaux d'Allan Pred le montrent en ce qui concerne l'espace industriel américain contemporain. Les recherches sur les effets de polarisation n'ont donc pas donné aux planificateurs libéraux l'instrument souple d'intervention dont ils rêvaient. Elles ont en revanche souligné l'importance des effets indirects de multiplication et montré par là que l'industrie est de plus en plus liée5~,dans ses localisations, aux secteurs où la transparence est élevée : l'intérêt porté aux faits de communication se trouve donc une fois encore justifié. b) Pour suivre les mouvements spatiaux de l'industrie en même temps que la croissance des différentes branches, d'autres modèles sont indispensables. Le plus séduisant est sans doute celui imaginé par Raymond Courbis55.Il est dérivé de ses recherches sur le modèle PIPI (flux financiers, contraintes physiques) imaginé pour prévoir les inflexions de la croissance française. Il a permis, dans le cadre du Laboratoire Gama, d'élaborer le modèle REGINA(région-nation) qui indique, au sein du pays, comment vont se répartir, pour les divers secteurs d'activité, les changements de niveau de production. Le principe du modèle est simple. Il distingue, parmi les activités économiques, trois grandes catégories: 1) les fabrications à marché lié, dont la liberté d'implantation est nulle; elles suivent nécessairement la clientèle; il s'agit du bâtiment, de la fabrication des produits de consommation difficilement transportables et des activités de service; 2) les fabrications concurrentielles, dont la production est soumise à la compétition spatiale, mais qui réalisent des taux de profit élevés; elles disposent ainsi de possibilités financières suffisantes pour choisir à leur gré leurs nouvelles implantations; c'est par ce secteur que la plasticité s'introduit dans les économies territoriales; c'est donc sur lui qu'il faut se pencher si l'on veut modeler effectivement le futur; 3) les fabrications concurrencées sont soumises à la compétition spatiale, et correspondent aux entreprises qui ne peuvent plus imposer les prix qui leur assureraient des profits nOlmaux. Leurs possibilités d'autofinancement sont faibles et la modernisation de leurs installations est lente; le plus souvent, leur croissance n'est possible qu'en réduisant toutes leurs dépenses inutiles: elle ne peut s'effectuer que par les réaménagements d'installations déjà existantes. Cette typologie simple permet de distinguer, dans tout territoire, les secteurs dont l'implantation est rigide et ceux qui sont susceptibles de migrer. On peut alors prévoir les conséquences géographiques de la croissance. Si l'on prolonge les tendances spontanées de l'évolution, on 5~ On rencontre là un des thèmes favoris de Jean-claude Perrin: Pen;n (Jean-Claude), Le dél'e/oppemellT régÎona/, Paris, P.U.F., 1974,208 p. 55 Courbis (Raymond), « Le modèle REGINA, modèle du développement national. régional et urbain de l'économie française". EcmwmÎe AppUqlfée, vol. 28, 1975, pp. 569-600.

382

Paul Claval

écrit le scénario de la transformation la plus probable; on juge de son intérêt, on établit s'il est conforme à l'intérêt général ou s'il ne l'est pas. En imaginant les divers types d'intervention possibles, on prévoit leur impact; le choix de la meilleure politique d'aménagement se trouve éclairé. Le modèle REGINAoffre donc, à l'échelle des nations, à peu près les mêmes avantages que celui de Lowry-Garin à celle de la ville. Il lui est cependant inférieur sur un point: parmi les activités à localisation libre, il ne prend en considération que celles du secteur secondaire. Dans la société avancée, la croissance est de moins en moins liée à la création d'emplois industriels, de plus en plus aux activités de service. C'est vers elles qu'il faut se tourner si l'on veut comprendre les traits les plus originaux de la géographie des grandes nations modernes. VII. LA TYPOLOGIE DES ACTIVITES TERTIAIRES

a) Le secteur tertiaire de la classification de Colin Clark est un fourre-tout où il a groupé tout ce qui ne touche pas directement à la production de biens matériels. Fourastié a montré la logique profonde de cette opération: jusqu'à ces vingt dernières années, le progrès technique n'avait concerné que les activités primaires et secondaires. L'interprétation des grandes transformations subies par les sociétés occidentales devient facile à partir de là : la population active glisse vers les secteurs à faible productivité et qui sont soumis à une forte demande. Dans une société affluente où les consommations alimentaires sont satisfaisantes et où la pression sur les produits manufacturés commence à faiblir, on note une tertiarisation croissante de l'économie: aux EtatsUnis, près de 70%des actifs travaillent dans ce secteur. L'évolution est plus profonde encore que ces chiffres ne le laissent supposer. Dans l'industrie, la nature des emplois change profondément. Les ouvriers de fabrication se font moins nombreux, alors que les employés de bureau, les cadres et le personnel de manutention, d'expédition ou de magasinage sont en constante augmentation. La limite entre les secteurs tertiaires et secondaires devient de la sorte de plus en plus imprécise. On n'hésite pas à classer panni les services le personnel d'une société de conseil juridique ou fiscal qui travaille pour des firmes industrielles. Lorsque celles-ci sont assez puissantes, elles se dotent souvent de services contentieux qui leur permettent de se passer de ce recours extérieur. L'activité de ceux qui y sont employés est-elle moins tertiaire que celle de la petite société indépendante? Le succès même de l'interprétation de Fourastié montre que l'analyse de Colin Clark doit être complétée: il devient de plus en plus nécessaire de ventiler par sous-ensembles les services; les effectifs qui y sont employés le justifient; il est indispensable d'opérer des

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383

subdivisions dans la mesure où le progrès technique bénéificie aux services depuis la révolution informatique, mais où il se manifeste de manière très inégale. b) Depuis toujours, on a l'habitude de diviser le tertiaire par branches d'activités: transports, commerce, administration, santé, éducation, banque, assurances, tourisme et hôtellerie, services personnels et domestiques. Un tel groupement ne permet malheureusement pas d'isoler des ensembles professionnellement homogènes: il y a dans chaque branche des cadres et des subalternes, des personnes qui sont en relation avec la clientèle et d'autres qui n'on pas besoin de contacts directs. Il est possible, pour pallier cet inconvénient, de distinguer différents niveaux au sein du tertiaire: au bas de l'échelle se situent ceux qui rendent des services de routine, en haut ceux qui conçoivent, dirigent et supervisent. Dès le début des années 1960,Michel Rochefort56 soulignait de la sorte les spécificités du tertiaire supérieur. D'autres parlent, dans le même sens, de secteur quaternaire. La distinction n'a guère de. sens dans les sociétés peu développées - un petit boutiquier assume tout à tour des fonctions d'exécution et de responsabilité. Elle a plus de portée dans les économies contemporaines: au sein des grandes organisations, la division des tâches est de plus en plus poussée. Pour le géographe soucieux de comprendre les faits de localisation, cette dichotomie effectuée au sein du secteur des services n'est pas d'un grand secours: elle ne satisfait que celui qui interprète les répartitions en terme de domination - c'est ce que fait Michel Rochefort57- mais cette manière de voir n'est pas satisfaisante sur le plan théorique: elle réintroduit dans le domaine des analyses sociales un principe psychologique dont on sait la pauvreté. Il est d'autres façons d'envisager la question: Riquet5K,dans une étude récente sur les activités de service en Allemagne, insiste sur les rapports entre les divers secteurs et leurs clients: il se demande pour qui et pour quoi chaque catégorie travaille; il oppose par exemple ceux qui sont liés aux entreprises et ceux qui s'adressent aux particuliers. L'idée est ingénieuse, car elle permet d'isoler des groupes dont les rapports externes sont similaires. Une terminologie trop lourde rend malheureusement le travail difficile à utiliser. D'un point de vue géographique, la façon la plus efficace de classer les activités tertiaires et de bureau nous semble reposer sur l'analyse des flux d'information qu'elles impliquent. Il est ainsi 56

Rochefort (Michel), L'organisation t/rbaine de l'Almee, Strasbourg, Publications de la Faculté des

Lettres de Strasbourg, 1960,384 p. ; Rochefort (Michel), Hautreux (Jean), « Physionomie de l'armature ~rbaine française », Annales de Géographie, vol. 74, 1965, pp. 660-677. ,7 Rochefort (Michel), Les activités tertiaire.f. Let/r l'me dans l'organisation de l'espace, Tome l, formes de relatiol1.f ellfre activitb tertiaires et organisation de l'espclee, Paris, SEDES, 1976,78 p. Riquet (Pierre), « Secteur tertiaire et métiers tertiaires. Approche statistique des activités de services en Allemagne fédérale », Annales de Géograp/zie, 85e année, 1976,pp. 1-27.

,.

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384

possible d'isoler du tertiaire véritable tout ce qui touche au transport où ce sont des biens qui sont manipulés, et non des nouvelles. La frontière avec le primaire et avec le secondaire cède par ailleurs là où elle est fragile: le chef d'une grande exploitation agricole, le directeur d'une firme industrielle travaillent essentiellement sur de l'information - même si cette information a trait à la fabrication, à la distribution et à la vente de biens. Leur localisation est soumise aux mêmes impératifs que celle des employés de sociétés de purs services. c) Dans beaucoup de cas, l'activité tertiaire consiste à fournir à des particuliers ou à des firmes des informations spécialisées acquises lors d'un apprentissage préalable: elles portent sur la santé, sur les connaissances indispensables à l'épanouissement individuel, sur la marche des affaires ou sur l'état du marché. Elles peuvent également avoir trait à la qualité des biens: tous les actes de commerce peuvent, de ce point de vue, être analysés dans le cadre d'une théorie de la communications,. Ces relations sont par nature dissymétriques: le prestataire de service (un notaire par exemple) demande à son client des informations simples (sur ses volontés testamentaires, par exemple) et fournit en réponse un avis motivé par sa connaissance du problème (les droits de succession). Les rapports des assujettis à l'administration sont un peu différents: il y a bien, là aussi, intervention de spécialistes seuls capables de donner une interprétation satisfaisante des situations, mais en échange des informations demandées, ce sont souvent des injonctions ou des ordres qui sont émis. Ces catégories d'activités tertiaires impliquent donc un échange d'informations dont le traitement n'offre pas de difficulté au prestataire. Mais il a besoin de s'assurer de la qualité de l'information qu'il interprète -la relation face-à-face est indispensable. Elle cesse de l'être dans certains cas grâce aux systèmes de communication à distance - on donne parfois des consultations médicales par téléphone ou par radio mais le procédé est exceptionnel. Les ventes se font plus volontiers par correspondance - le catalogue remplace alors l'inspection directe des produits par l'acheteur et leur présentation de manière claire par le vendeur. d) Une seconde catégorie de services s'occupe d'élaborer une information déjà collectée: c'est le cas de la gestion des firmes, de la conduite administrative de l'Etat ou du traitement de données scientifiques fournies par des observateurs spécialisés. La relation entre ceux qui demandent le service et ceux qui le rendent ne sont plus face-àface: elles portent sur des informations qui se transmettent bien. Les 59

Ce qui permet de faire de la théorie des lieux centraux

la communication

et de la transparence

(cf. Elémellls

un cas particulier

de géographie

d'une

économique.

théorie op. cil..

plus large de pp.

135-159).

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économique

385

partenaires n'ont plus besoin de se rencontrer, ils n'ont pas nécessairement la même localisation. Avec les progrès des moyens de communication à distance, l'écart peut s'élargir. L'ordinateur est commandé par des terminaux lointains: les gros centres de calcul sont implantés sans égard pour la localisation éventuelle de leurs clients. De manière générale, les progrès récents de l'électronique ont rendu plus facile la dissociation de lamanipulation de l'information et des lieux où elle est recueillie ou demandée.

e) Les fonctions d'innovation ne sont pas fondamentalement différentes dans bien des cas, de celles que nous venons d'évoquer. Un centre de recherche fabrique une partie de l'information dont il a besoin; il reçoit le reste par le canal d'une presse spécialisée, à périodicité généralement assez faible, par le truchement des programmes et instructions auxquels donnent accès les terminaux d'ordinateur et par les déplacements des techniciens et des ingénieurs. L'implantation des laboratoires se fait donc sans qu'on ait à tenir compte de la proximité de ceux qui commanditent les travaux. Les liaisons qui existent avec l'environnement ne sont cependant pas négligeables: le personnel est très sensible aux aménités, et l'effort est plus payant lorsque le milieu est stimulant; les externalités que l'on trouve donc dans des zones bien équipées en services d'enseignement supérieur et de recherche sont considérables. La création artistique manifeste la même liberté dans sa localisation. Les sources d'inspiration sont très diverses. D'innombrables environnements sont susceptibles d'inspirer un paysagiste. Le tableau n'est souvent terminé qu'en atelier, très loin du .

lieu où il a été esquissé.

Les liens entre le milieu et l'artiste ou l'écrivain se situent ailleurs, au niveau de la diffusion des œuvres. Pour un livre, les rapports peuvent

s'établir entre l'éditeur et l'auteur

sans que la proximitéjoue un rôle

déterminant - le courrier et quelques voyages suffisent à les nouer. Pour le journaliste, la situation est déjà différente: il dépend de la salle de rédaction et celle-ci doit communiquer facilement avec les ateliers de composition. Jusqu' à l'invention des moyens de télé-composition, il y avait un lien étroit entre le réseau de diffusion des nouvelles et ceux chargés de les collecter et de les élaborer. Le problème est le même pour la radio ou pour la télévision, au moins pour les programmes d'actualité. Pour les émissions dramatiques, la situation ressemble davantage à celle du cinéma: il faut des installations importantes pour réaliser les films, mais les délais de diffusion comptent peu, si bien que les activités de création peuvent s'implanter très loin des centres à partir desquels l'ensemble de la production est commercialisée - Hollywood n'a jamais rompu avec les foyers artistiques et avec les centres financiers de la côte Est, où s'effectue encore l'essentiel de la programmation.

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386

f) La direction d'une grande affaire, l'élaboration de politiques publiques, l'assistance aux entreprises et le conseil travaillent sur des informations dont la valeur se démode très vite. Les décisions importantes touchent à la vie de relation: il faut connaître les partenaires, évaluer leur sérieux, apprécier leurs motivations. Des contacts face-àface sont indispensables pour mesurer exactement les risques de chaque opération. Les activités névralgiques de l'entreprise et de l'administration doivent se situer dans un centre bien équipé pour la vie de relation: on retrouve là le domaine que Gunnar Tornqvist6oexplore depuis une dizaine d'années -le quartenaire, si l'on veut. g) Toutes les activités tertiaires ne peuvent prendre place dans la grille d'échanges d'information que nous venons d'esquisser. Y échappent les services personnels ou domestiques, ainsi que les activités touristiques. On peut évidemment dire que les gens qui voyagent cherchent à faire l'expérience de choses qui ne peuvent se communiquer à distance - ils désirent bénéficier d'un climat ou d'un paysage agréables, ou encore découvrir personnellement ce qui subsiste d'un foyer ancien de civilisation. Mais cela n'aide guère à comprendre la localisation des zones attractives. VIII. LA LOCALISATION DES ACTIVITES RESEAUX D'INFORMATION

TERTIAIRES

ET LES

a) La plupart des travaux contemporains sur la localisation des activités tertiaires sont axés sur l'analyse des problèmes de relation et de communication. On le sent d'abord quand on suit les publications relatives aux problèmes des centres villes. Dans la plupart des recherches urbaines, on considère que le centre des affaires est donné: il est fixé pour des raisons exogènes6'. Une fois qu'il est ainsi mis en place, toute l'ordonnance du tissu urbain devient intelligible. Les recherches récentes vont plus loin. L'analyse des systèmes de communication montre que la recherche de l'efficacité conduit nécessairement à ordonner l'ensemble des relations autour d'un foyer majeur de commutation- le « central» des systèmes téléphoniques ou le quartier des affaires dans les agglomérations: la concentration de toutes les activités de contact en un seul foyer maximise l'interaction sociale tant que ne se posent pas de problèmes de circulation61.La multiplication des foyers périphériques d'affaires est la réponse donnée Tornqvist (Gunnar), Conract systems al1d regiol1al develol,mel1t. op. cit.; Pred (Allan). Tornqvist "" (Gunnar), Sy.çtems (,rcities al1d illformatiol1 j/mvs, op. cit. Bonne mise au point dans: Richardson (H.W.), Tile New Urball Ecol1omÙ:.ç: alld Altemlllives, "' Londres, Pion, 1977,266 p. ,., C'est l'idée que nous poursuivons depuis: Claval (Paul), « La théorie des villes», Revue }iéo}i/"(/phique de l'Est, vol. 8, 1968, pp. 3-56.

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387

naturellement à la congestion; la géométrie décentralisée qui se dessine alors conduit encore, dans des conditions nouvelles, à la maximisation des possibilités d'interaction. Autour du foyer ainsi défini, un champ d'externalités décroissantes s' ordonne"3 :ainsi s'explique la structure générale de l'espace urbain et les gradients de densité et d'activités qu'on y note généralement. Par rapport à la campagne voisine, la ville, grâce à ses quartiers centraux, joue également le rôle de foyer d'interaction facile: la théorie des réseaux urbains et celle de l'organisation interne de la ville reposent de la sorte sur la même base. b) La structure des quartiers d'affaires a fait l'objet de plus de descriptions que d'interprétations théoriques", mais les études commencent à se multiplier dans ce domaine. Certaines soulignent la diversité extrême du tissu de ces quartiers étroits: on y lit le besoin de donner à l'espace sa plus grande transparence en regroupant dans un même secteur tout ce qui est complémentaire. Les centres-villes n'ont pas seulement une valeur fonctionnelle: ils ont une signification symbolique que les études de perception se plaisent à souligner. On interprète souvent comme affirmation de puissance l'architecture en hauteur des grands immeubles de bureau. Mais Jean Gottmann"Srappelle justement que l'explication fonctionnelle demeure fondamentale: l'accumulation des activités sur une toute petite surface a des avantages considérables; grâce aux ascenseurs rapides, on réduit à presque rien les distances-temps entre les bureaux dont les contacts sont fréquents. c) La place de la communication dans les activités permet de comprendre la mobilité différentielle des services. Certains restent obstinément attachés aux vieux centres même lorsque leur accessibilité commence à diminuer. D'autres essaiment volontiers en banlieue: les commerces de type hypermarché ouvrent la voie; les activités directionnelles suivent et vont s'installer dans des zones bien desservies par les voies rapides, à proximité d'un aéroport de fréquentation internationale. Bon nombre d'activités échappent aux grandes villes où elles se groupaient naguère: les services de comptabilité, les services contentieux, les laboratoires de recherche se satisfont volontiers de villes moyennes, souvent fort loin des directions dont ils dépendent. ".>C'est ce qui ressort le mieux de l'étude de Richardson, op. cit.. note 61. ,. On trouvera un bon choix d'études sur "organisation des centres de villes dans J'ouvrage

de Larry

Bourne. L'étude fondamentale est celle que Godard a consacrée au centre de Londres; Bourne (Larry S.) (ed.), IlIternal Structure ('fthe CiTY,New York, Oxford University Press, 1971, VIlI-528 p.; Goddard (lB.), « Multivariate analysis of office location in the city centre: a London example », Re}iiolllll Studies, vol. 2, 1968, pp. 64-85.

's Gottmann (Jean),

«

Why the Skyscraper? », Geo}iraphicalReview, vol. 56, 1966, pp. 190-212;

Gottmann (Jean), « Urban centrality and the interweaving of quaternary activities », EkisTic,f, vol. 29, n° 174, mai 1970, pp. 322-331.

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Dans une société qui se tertiarise rapidement, il importe de comprendre les raisons de ces différences de comportement si l'on veut définir une politique efficace d'aménagement. Il convient de distinguer, en fonction de leurs besoins d'information et des types de contact qu'elles nécessitent, les branches qui peuvent s'établir dans des foyers de petite dimension et celles qui demandent pour leur épanouissement une grande ville ou une métropole nationale. C'est à cela que s'attachent depuis dix ans certains chercheurs britanniques - Goddard" et Daniels.7 par exemple. Leurs préoccupations rejoignent celles de Tornqvist.H,mais elles sont moins axées sur les directions de grandes entreprises. CONCLUSION

La géographie du tertiaire est celle de l'organisation de la transparence au sein de milieux étendus. En fonction des progrès des moyens de transport rapides et des systèmes de télécommunication, le modèle hiérarchique traditionnel de structuration de l'espace cesse d'être le seul en œuvre. Il continue à expliquer l'essentiel des répartitions actuelles d'activités de services, car la part des héritages y est considérable. Les réseaux urbains réguliers et hiérarchisés à la manière de Losch et de Christaller correspondent à une logique spatiale dépassée. La géométrie qui se met en place n'a pas la même symétrie et la même uniformité. Nous vivons dans un monde dont l'organisation est plus plastique: le réseau urbain n'est plus lié à la desserte d'une population dispersée nombreuse; les fonctions de direction arrivent à s'y localiser à des niveaux hiérarchiques très variés.. ; une bonne partie des activités de service peut s'exercer en ambiance semi-dispersée, dans le cadre de zones rurbaines dont la densité est suffisante pour assurer la rentabilité d'équipements importants. La liberté d'implantation est d'autant plus grande que les informations traitées voyagent mieux et se démodent moins vite: dans le domaine artistique, les possibilités sont aujourd'hui très grandes, comme dans celui de la recherche. Expliquerait-on, sans cela, la prolifération des laboratoires dans le SudOuest des Etats-Unis, ou le succès d'une expérience comme celle du plateau d'Antipolis en France ? Brian Berry'" s'est essayé à préciser ce que serait la géographie du futur que nous voyons ainsi à se dessiner sous nos yeux. D'autres

.0 Goddard (John B.), OfJice Location in Urban and Regional Development, Londres, Oxford University Press, 1975,60 p. .7 Daniels (P.W.), Office Location. An Urban and Regional Study, Londres, G. Bell and Sons, 1975, XVI-240 p. .K Cf les analyses de Tornqvist, supra, note 17. 0" Pred (Allan R.), City-Syslell1.ç in Advanced Economies, op. cit. 7" Berry (Brian J.L.), « The geography of the United States in the Year 2000 », Eki.çtics, vol. 29, 1970, pp. 339-351.

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travaux" sont en cours. Ils soulignent des aspects négligés, des inflexions encore mal perçues. Tous insistent cependant sur le même point: c'est la révolution en cours en matière de transparence de Fespace qui explique à la fois la nouvelle répartition de la plupart des activités industrielles et celle des activités tertiaires.

,.

Abler (Ronald), Janelle (Donald), Philbrick (Allen). Sommer (John). Human World. North Scituate, Mass, Duxvbury Press. 1975,307 p.

Sllrinkillg

Geography

in a

CHAPITRE

LES CONCEPTIONS

Xlll

-

1979

DE L'ESPACE ECONOMIQUE

Quels sont les caractères les plus significatifs de l'espace pour qui essaie de comprendre la localisation et l'organisation des activités, des échanges et des faits de consommation à la surface de la terre? Tout l'édifice de la géographie économique repose sur le choix des traits spatiaux retenus comme pertinents. S'attarde+on d'habitude à analyser ces options fondamentales? Non: la question paraît si simple qu'on ne songe même pas à l'examiner: chacun pense que la même évidence qui emporte sa conviction s'impose aussi aux autres. L'analyse des travaux économiques prouve pourtant qu'il n'existe aucun accord sur ce point. Les apports les plus originaux de la géographie économique moderne tiennent à la prise en considération de la transparence de l'espace. L'expérience montre cependant qu'il s'agit là d'une notion que la plupart des étudiants et des collègues ont quelque réticence à utiliser. Il paraît donc indispensable de se pencher sur elle et de lui restituer la place qui doit lui revenir dans l'évolution générale des idées relatives à l'espace. On mesurera mieux ainsi sa nécessité et sa fécondité. I. L'ESPACE

DES MERCANTILISTES

Les mercantilistes apportent beaucoup aux XVII"et XVITI"siècles, à la connaissance géographique du monde.. Ils se préoccupent de fournir au Prince les moyens de sa puissance: ils s'interrogent sur ce qui fait sa richesse, analysent ses possessions, ses sujets et leurs activités. Leur propos n'est pas de développer la production pour assurer un revenu national ou individuel plus élevé; leur but est de donner au monarque une assise économique, et partant, un pouvoir plus large. L'arithmétique politique est donc l'instrument privilégié de leur démarche: imaginée par Grégory King dans les années 1660,elle ne cesse de se perfectionner dans le courant du xvmc siècle et se maintient en France sous la Révolution, sous l'Empire et sous la Monarchie de Juillet, avant de se fondre dans la statistique moderne. En Allemagne et en Russie, comme 1 Sur les mercantilistes. on consultera: Dockès (Pierre). L'espace dans la pensée économique au XVIII' .tiède, Paris, Flammarion, 1969,461 p. ; Schumpeter (Joseph), History of Economic New York, Oxford University Press, 1954, XXV, 1260 p.

du XVI' Analysis,

392

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aussi en Autriche, l'intérêt pour ces types d'analyse ne se dément jamais>. Mais toutes les richesses ne retiennent pas de la même manière les mercantilistes: ils savent l'importance de la population; sans elle, il n'est pas de développement économique possible, pas de puissance armée non plus; ils sont également fascinés par tout ce qui est négoce : leur intérêt pour l'échange tient à leur souci de procurer au Prince les ressources dont il a besoin. Il n'est guère possible de mobiliser ce qui s'autoconsomme ou ce qui s'échange sur le mode des dons et des contre-dons dans les petites cellules du monde rural. Le commerce lointain offre des conditions tout à fait différentes: les mouvements sont faciles à contrôler et les règlements sont effectués en monnaie, ce qui rend aisa le prélèvement fiscal. Le caractère apparemment bullionniste3 du mercantilisme naît de là: le problème de l'économie politique naissante n'est pas de comprendre ce qui fait la richesse des nations, mais de fournir à l'Etat les moyens de ses ambitions politiques. Les activités productives se trouvent dévalorisées par l'accent mis sur le négoce. L'agriculture retient moins l'attention que la manufacture, puisque ses productions s'échangent encore pour l'essentiel dans des cercles restreints. Les sollicitudes du pouvoir vont plutôt aux grandes foires, où se nouent des relations lointaines que vers les marchés, où s'équilibrent les offres et les demandes locales4. L'espace des mercantilistes est donc fait de traits contradictoires: en tant que saisie de la diversité du territoire que domine l'Etat, il est analysé en termes de peuplement, de répartition des villes et des centres de négoce, de manufactures et d'ateliers; il est alors présenté sous un angle descriptif; en tant qu'objet d'appréhension théorique, il est vu sous l'angle des réseaux commerciaux et des paiements qu'ils engendrent. La conception de la vie économique apparaît de la sorte très formelle: la richesse est confondue avec l'accumulation monétaire; l'économie est pensée comme un jeu où les partenaires essaient de tirer à eux la plus grande partie d'un fonds inextensible. n. LE NATURALISME DU xvnl"

SIECLE ET L'ESPACE

a) Comme la plupart des sciences sociales, l'économie est apparue comme une réflexion détachée de toute référence au monde naturel: au XVIICsiècle, les problèmes qui passionnent les esprits sont ceux de la 2

On trouve des indications sur cette histoire dans: Levasseur (Emile), La population jrallçaÜe, Paris,

)Rousseau, 1889, 3 vol., cf pp. 50-52. On qualifie ainsi les interprétations de la vie économique qui confondent richesse et abondance monétaire. 4 Turgot prend nettement position contre J'attitude des mercantilistes dans son article "Foire" de l'Encyclopédie: pour lui, les marchés locaux sont aussi intéressants pour le pouvoir que les grandes foires, dans la mesure où ils stimulent la division du travail au niveau le plus bas.

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économique

393

formation de la sociabilité à partir d'une constellation d'individus saisis comme indépendants. La société est pensée comme une création artificielle, sous l'angle d'un contrat volontaires. Elle n'est pas conçue comme une institution naturelle et qui prolongerait un ordre plus général - celui des sociétés animales par exemple. Le XVllI"siècle ne renonce pas à concevoir la société humaine comme fondamentalement différente de ce qui peut s'observer ailleurs dans la création - les schémas du contrat social demeurent à la modemais la nature ne lui est plus étrangère. Elle apparaît comme un modèle plus facile à lire que celui des institutions humaines et dont le déchiffrement permet de faire avancer la connaissance des lois naturelles: l'activité scientifique consiste à les mettre en évidence. Le rôle de la réflexion sur les groupements humains ne doit-il pas s'inspirer de cela? Le propos de la science sociale ne doit-il pas être de repérer les lois naturelles de la vie en groupe ?6 b) A cette première version du naturalisme s'en ajoute bientôt une autre: la nature n'est pas seulement le modèle selon lequel toute chose est organisée; elle est aussi la source de toute vie', de toute force. La mécanique newtonienne familiarise la pensée du XVIIIe siècle avec la notion de force. Au côté des forces inanimées dont la physique commence à faire l'inventaire, il convient de faire une place à tout ce qui naît de la vie. La nature est la source de tout ce qui est mouvement et énergie. La vie humaine n'est pas concevable sans l'utilisation du potentiel ainsi créé. Les économistes du XVIIIesiècle sont prompts à saisir la signification de ce naturalisme et à l'appliquer à leur domaine: sans cette irruption du réalisme, sans ce matérialisme nouveau, l'analyse de la société serait restée coupée de toute étude sérieuse des besoins de l'homme, de toute considération pour les richesses réelles: la production que l' homme tire du milieu pour satisfaire ses goûts fait surgir un nouveau problème - celui de l'origine de la valeur, que le XVITe siècle pouvait ignorer". C'est par le courant physiocratique que la nature fait ainsi irruption dans l'économie: l'espace n'est pas, pour les disciplines de Quesnay, le support aléatoire des hommes et de leurs activités; il n'est pas, non plus, le simple réseau des échanges; il est le créateur de toute richesse, puisque c'est de la nature que proviennent tous les biens qui alimentent la vie sociale. s Claval (Paul), Les mylhesfondaleurs des sciences s()ciale.~, Paris, P.U.F., à paraître (Michel), Les moIs elles choses, Paris, Gallimard, 1966, 400 p. 6

fin 1979: Foucault

Sur ces orientations de la réflexion du XVIII' siècle sur la nature: Lenoble (Robert), Histoire de

l'idée de nature, Paris, Albin Michel, 1969, 446 p.; Hampson (Norman), Hi.~lOire de la pen.~ée européenne: 4 - Le siècle de.~ Lumière.f, Paris, Le Seuil, 1972, 255 p., éd. originale anglaise, Penguin Books, 1972. 1 Ibidem. H Schumpeter (Joseph), Hislory of Economic Anellysis. op. cil.

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La prise de conscience naturaliste annonce déjà l'écologie: elle est appréhension des rapports de la société à son environnement. Mais elle diffère de l'écologie en ce que l'on ne sait pas encore percer la logique profonde des rapports entre les êtres vivants et leur milieu. On reste prisonnier d'une image imparfaite, celle des forces à l'œuvre dans la nature - des forces qui produisent les richesses -, ces forces productives dont les économistes classiques se font les théoriciens, mais dont ils finissent par oublier la consistance exacte, une fois la doctrine physiocratique rejetée. Pour les meilleurs auteurs, cette inspiration naturaliste permet cependant de rendre compte de la révolution industrielle: c'est par l'utilisation de nouvelles forces productives que l'augmentation de la production devient possible9, C'est dans la mesure où ces forces paraissent illimitées que le problème de la rareté pourra être résolue. La conception naturaliste de l'espace situe en effet l'économie classique entre deux pôles: pour ceux qui ne voient comme forces productives que la terre, l'augmentation de la population conduit inexorablement au paupérisme - c'est l'interprétation de Malthus; pour ceux qui, comme Marx, donnent à la notion de forces productives une extension beaucoup plus large, la pénurie n'est pas à craindre dès l'instant où l'on sait maîtriser ce qui jusqu'ici n'a pas pu être mobilisé au service de l'homme. L'espace dans lequel s'installe l'économie rajeunie par le naturalisme - ou le matérialisme - du XVIDesiècle n'est donc pas fondamentalement obstacle: il est facteur de production, facteur variable dans son efficacité selon ses dons, c'est -à-dire selon la diversité naturelle. L'économie suppose une discipline antérieure, une géographie des aptitudes, pour parvenir à une explication satisfaisante. III. LE TRAVAIL ET LE MARCHE

a) Adam SmithlOa su prendre aux physiocrates l'essentiel de ce qu'ils apportaient de positif: sa conception de la richesse nationale ne saurait s'imaginer sans les emprunts qu'il fait, par l'intermédiaire de Quesnay ou de Turgot, au naturalisme français du xvme siècle. Mais sa conception de l'économie s'enrichit de bien d'autres idées. Sans renoncer à voir dans la nature la source des richesses dont l'économie s'occupe, il cesse de la considérer comme la mère de la valeur. Il emprunte à Locke son analyse du travail comme fondement de

la propriétéIl . Il remet donc l'accent sur l'aspect social que les

9

C'est le sens de l'interprétation marxiste du progrès technique et la source de son optimisme. I" Sur Adam Smith, on se reportera à : Schumpeter (Joseph), Hislory of Economic Analysis. 01>.cil. Il Sur la filiation de la réflexion économique de Locke à Smith: Dumont (Louis), Homo aequalis. Genèse el épal1ouissemel1l de l'idéologie écol1omique, Paris, Gallimard, 1977,271 p. Sur la pensée de Locke: Macpherson (C.B.), La Ihéorie polilique de l'individualisme pos.çessif, Paris, Gallimard, 1971, 347 p., édition anglaise, Londres, 1961.

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physiocrates risquaient de faire oublier. TI souligne également le rôle moteur de l'échange dans la vie économique.: c'est à travers lui que les hommes découvrent l'intérêt qu'ils ont à se spécialiser, à travers lui, donc, qu'ils arrivent à satisfaire plus complètement leurs besoins. Fidèle aux interprétations naturalistes. Adam Smith voit dans les besoins une série d'exigences fondées sur la physiologie beaucoup plus que le résultat d'une dialectique de l'imitation et de la différenciation. sociales: les virtualités du besoin sont ainsi inscrites en chaque individu par la nature, même si c'est le commerce qui aide à les révélerlZ. b) L'espace dans lequel s'inscrit la réflexion d'Adam Smith n'est donc pas simplement celui des différences naturelles; c'est un espace virtuellement indéfini, universel, puisque les hommes sont partout des créatures de besoins, partout aptes, donc à participer à la division du travail qui permet de mieux satisfaire leurs appétits par une exploitation mieux organisée du milieu et par une productivité plus élevéelJ. Mais la friction de l'espace vient gêner cet épanouissement. Les frais de transports limitent l'étendue des marchés", si bien que le monde se trouve fractionné tant que les moyens de déplacement restent imparfaits et les envois de marchandises onéreux. Avec Adam Smith, les coûts de la distance deviennent un des éléments-clefs de toute l'analyse géographique. Puisque les besoins sont universels et qu'ils sont élevés, réaliser une société meilleure n'est possible qu'à travers l'élargissement des marchés: on a souvent souligné que Smith n'avait en rien anticipé la révolution industrielle qui, allait bouleverser le monde - mais c'est le premier théoricien de la révolution des transports et la transformation qu'elle entraîne est aussi importante que celle des procédés de production: sans marché important, la plupart des machines seraient sans intérêt. c) Adam Smith est par ailleurs le premier à mettre en évidence, dans le domaine social, le jeu d'autorégulations qui évoque celui des lois que les physiciens venaient de découvrirl5. En reprenant à la fable des abeilles de Mandeville l'idée que l'ordre social est différent de l'ordre moral, et que la bonne société n'est pas forcément celle qui est conforme aux préceptes de la morale individuelle, Smith se détache du modèle normatif qui avait jusqu'alors paralysé l'analyse sociale - dans laquelle on ne voyait qu'une construction volontaire, que le résultat d'un contrat. Le mécanisme de marché montre comment la recherche par chacun de 12

Le point est présenté par: Rosanvallon (Pierre), Le capitalisme utopique. Critique de l'idéologie

économique, Paris, Le Seuil, 255 p. IJ Ibidem. 14 « De la division du travail, limitée par l'étendue du marché », tel est le titre du chapitre III du Livre I de La Richesse des Nations. 15 Sur le rôle des mécanismes d'autorégulation et de la main invisible dans la pensée d'Adam Smith: Schumpeter (Joseph), History of Economic Analysis. op. cit. ; Dumont (Louis), Homo aequali.v. op. cit.

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son intérêt égoïste peut coïncider avec la réalisation de l'intérêt général. Turgot fournissait sans doute une interprétation plus fine de la logique des marchés", mais Smith est le premier à souligner la portée philosophique de cette découverte: une bonne partie des affaires humaines n'a point besoin de gouvernement. Au-dessous de la sphère du politique, il existe une sphère de la société civile: celle-ci est assez consistante pour qu'il ne soit pas nécessaire à l'Etat de l'organiser, tout au contraire; la meilleure politique, c'est de se conformer à la loi naturelle: il faut donc laisser faire là où le marché suffit à régler les rapports entre les hommes; il faut aussi laisser passer pour éviter qu'une restriction artificielle de l'étendue du marché ne vienne écarter de l'optimum qu'il est possible d'atteindre. d) Théoricien de la révolution des transports, sensible à l'influence de l'étendue du marché sur la division du travail, Adam Smith est le premier à souligner la marche de la société civile vers la dimension universelle: dans la mesure où tous les rapports entre citoyens s'exprimeraient par des échanges marchands, ce qui paraît possible à Smith, l'humanité est proche de l'instant où un espace social à l'échelle du monde sera enfin en place. L'espace dans lequel l'économie est analysée, à la fin du XVille siècle, est ainsi très divers dans les attributs qui lui sont alloués: c'est celui de la diversité géographique des activités et de l'organisation des réseaux d'échange pour les mercantilistes; c'est celui de la plus ou moins grande fécondité de la nature pour les physiocrates et pour ceux qui s'inspirent d'eux parmi les économistes classiques; c'est celui de l'universalité de la valeur-travail, des besoins et des marchés pour Adam Smith - et par là même, celui de la gêne que la distance vient introduire dans le fonctionnement des relations. Jamais, le problème de la communication des nouvelles et de la transparence de l'espace n'est posé de manière claire. Cela explique sans doute son absence dans la problématique de l'économie et de la géographie économique jusqu'à une date récente. On signale bien, lorsqu'on énumère les conditions du bon fonctionnement des marchés, l'importance de la transparence, mais on ne va pas plus loin: on ignore les conditions à réunir pour qu'elle soit assurée.

'fi Schumpeter économiques.

(op. cil.) souligne

fortement

cette supériOlité de Turgot comme analyste

des mécanismes

Chronique de géographie

économique

IV. LES PROBLEMATIQUES DE L'ESPACE DANS ECONOMIQUE CLASSIQUE

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LA PENSEE

a) La conception de l'espace économique qui caractérise l'économie classique est empruntée à l'un ou l'autre des courants que nous. venons d'évoquer, ce qui explique à la fois la diversité des positions qui le concernent et la place relativement modeste des développements sur l'étendue et sur la localisation. Le courant anglais, autour. de Malthus et de Ricardo, est surtout sensible à ce qui reste d'inspiration naturaliste chez Smith - et qui rencontre un des courants. de la pensée philosophique écossaise du XVillesièclel7: le souci est évident de comprendre comment la terre dispense ses richesses; lorsque le travailles valorise, il apparaît qu'on ne peut espérer le même rendement des unités de main-d'œuvre successivement employées sur la même parcelle; les rendements deviennent nécessairement décroissants. La rareté contre laquelle les hommes luttent à une racine naturelle. L'espace est pris en considération dans la mesure où il est un des éléments des combinaisons productives. Sa rareté explique que les propriétaires reçoivent un revenu qui ne rémunère aucune activité productive. Cette rente ne risque-t-elle pas de perturber toute la vie économique lorsque la pression démographique devient plus forte? Toute la problématique classique, de Malthus à Ricardo, tourne autour de ce problèmel8. Mais. la pensée classique anglaise se souvient aussi parfois des enseignements de l'arithmétique économique. Ainsi, dans le domaine du commerce international, Ricardo renoue-t-il avec les préoccupations traditionnelles, mais pour démontrer le mal-fondé de leur pessimisme et du protectionnisme qui en découle. On admet que les facteurs de production sont immobiles entre les nations; si les biens sont eux aussi immobiles, le développement des pays est nécessairement inégal en fonction de l'inégale dotation initiale de chacun. Si les produits voyagent, cela suffit à rétablir une croissance équilibrée et à donner des chances égales à tous: chacun exporte les biens qui incorporent les facteurs dont il est le plus richement doté. On assiste alors à une spécialisation qui est bénéfique à l'ensemble et accroît la rémunération de tous les facteurs de production. b) En Allemagne, la leçon de Smith est développée dans une autre direction: Johann-Heinrich von Thünenl, est intéressé par la limitation que la distance vient apporter à l'extension des marchés. En analysant 17

Il s'agit de l'école historique écossaise du XVIII< siècle, Adam Ferguson, William Robertson et John

Millar. Pierre Rosanvallon (Le ClIpiralisme ulopique. op. cil., p. 47) insiste sur leur influence p,ensée économique anglaise. 8 Schumpeter (Joseph), Hislory of Economie Anlllysi.f, op. cil.

sur la

I' Thünen (Johann-Heinrich von), Der isolierle Slaal ill Beziehung auf Landwirlschaft l/IId NatiOlwliikonomie, Hambourg, Pel1es, 1826, 290 p. ; Rosnock, Leopold. 2 vol., 1842-1850, 391, 284 p.

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Paul Claval

l'organisation des cultures autour de la ville isolée dans l'Etat agricole dont il se fait le théoricien, il donne la première interprétation systématique des répartitions régulières que les statisticiens à la manière du xvrnc siècle avaient bien souvent signalées. Von Thünen suppose toujours que la plaine sur laquelle porte son attention est la plaine de transports où toute différence de fertilité est gommée. Il simplifie de la sorte le problème de la localisation et peut le résoudre de manière géométrique simple. Mais son parti-pris est également révélateur d'un appauvrissement: il est moins sensible que ses contemporains anglais à la part de la nature dans la production des richesses - moins proche donc de la sensibilité écologique moderne. c) C'est en Allemagne aussi que les leçons d'Adam Smith sur l'universalisme du marché sont le mieux entendues. En s'appuyant sur les analyses de Paul Chamleyzo,Rosanvallonzl montre que c'est de là que Hegel tire son idée de l'universalisation de la société civile - c'està-dire de la société artificielle articulée autour de l'économie de marché. Il comprend aussi que cette évolution crée des problèmes, des tensionsil va plus loin que Smith et perçoit, dans la transformation en cours, le danger de conflits sans cesse avivés entre les classes sociales et entre les nations. C'est de l'Etat qu'Hegel attend la résolution de ces difficultés. Marxzzpuise largement à la fois chez les physiocrates, chez Adam Smith et chez Hegel. Des premiers et des classiques anglais, de Ricardo en particulier,il tire son inspirationnaturaliste- et matérialiste: étudier la société et comprendre ses problèmes, c'est mettre en évidence les forces qui lui permettent de vivre - c'est porter son attention sur les forces productives. A la différence des physiocrates, Marx ne les lit pas toutes du côté de la nature: elles sont faites à la fois d'énergie naturelle et de travail humain. Ainsi peut-on rendre compte de l'évolution historique, du progrès de l'humanité et des perspectives ouvertes par la révolution industrielle. Mais l'analyse de Marx s'appuie aussi très largement sur l'idée de l'universalisation du marché: il y voit, comme Smith et comme Hegel, une conséquence évidente de l'universalité des besoins et de l'unité du genre humain. Sans passage à un système valable pour toute l'humanité, il n'y aurait pas réalisation véritable de l'homme - et celle-ci n'est effective qu'avec l'abondance réalisée. Marx sait que la distance offre un obstacle à la mobilité des biens et à l'étendue des marchésZJ.Il sait de même que la mobilisation des forces productives n'est pas encore complète. Mais ces imperfections présentes comptent peu quand on met en balance la certitude, pour zn Chamley (Paul), Economie Iwlitique et philosophique chez Slewart el chez Hegel, Palis, Dalloz, 1963. ZI Rosanvallon (Pierre), Le capitalisme !/topique. op. cil. H Claval (paul), « Le marxisme et l'espace », L'Espace Géographique, T. VI, n° 3, [977, pp. 145-164. H

On trouve des développements sur le rôle des transpol1S dans l'économie dans les GI'I/Ildrisse.

Chronique de géographie économique

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-

demain, de l'universel enfin réalisé sur terre quand on sent arriver la fin de l' histoire. L'espace analysé en des termes voisins de ceux de Smith, est au point de départ de la certitude de l'achèvement de l'histoire: la société civile rend inutile le jeu de l'Etat lorsque l'échange peut enfin se libérer du carcan où l'enferme la rareté - lorsqu'il peut devenir relation directe de l' homme générique à l' homme générique. Mais la vision de l'espace ainsi ordonnée, la plus complexe sans doute de l'économie classique puisqu'elle reprend tous les thèmes antérieurs, est ainsi ordonnée qu'elle ne suscite pas de curiosité et d'enquête: elle ne nécessite pas de corps de connaissances spécialisées. Il suffit de comprendre la manière dont se fait le passage du particulier à l'universel pour avoir tout compris: les trois premiers chapitres du Livre I du Capital l'expliquent sans enquête, par simple analyse conceptuelle - l'épistémologie du concret réel, dont le mouvement serait reproduit par celui du concret de pensée, escamote complètement l'espace d'une pensée qui est pourtant nourrie d'une bonne part de l'apport pré-classique et classique en ce domaine24. La systématisation prématurée des notions dégagées empêche Marx d'approfondir les intuitions très neuves qu'il offre du rôle de l'information dans la constitution des classes et dans les luttes sociales2s: ce sont là des pièces qui ne rentrent pas dans le jeu global de son système et qui sont négligées au moment de la synthèse. Pour incomplète qu'elle soit, la vision de l'espace de l'économie classique ne manque pas d'intérêt. A travers l'héritage de von Thünen et dans une moindre mesure de Ricardo, c'est toute l'économie spatiale jusqu'à ces vingt dernières années qui en est issue. V. L'ESPACE

DU MARGINALISME

a) Il Yavait chez Adam Smith et chez Turgot deux orientations de la réflexion économique: la première était tournée vers l'appréhension des réalités globales, à l'échelle de la nation ou du grand ensemble; la seconde était axée sur la logique des choix et sur les mécanismes qui aboutissent à leur ajustemenP6. Des deux voies ainsi ouvertes, les classiques ont surtout exploré la première. Elle correspondait aux inquiétudes d'un monde où la question des subsistances jouait un grand rôle et où on n'était pas encore certain de pouvoir accéder à la prospérité et à l'abondance. . En suivant cette voie, les difficultés soulevées par l'adoption les principes d'Adam Smith étaient d'ailleurs multiples. Le rapport du travail à la valeur ne peut se saisir qu'à l'intérieur d'un ensemble économique, d'une nation, où 24 Claval (Paul). Le mal"xisme el l'espace. op. cil. 2S Marx (Karl). Le 18 Brumaire de ùJUis-Napo/éol! BOl!aparte. Paris. Editions Sociales. 26 Schumpeter (Joseph). History (!f Ecol!omic Al!alysis. op. cil.

1969. cf p. 127.

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400

s'établit la péréquation entre l'ensemble des prestations productives fournies par les travailleurs et l'ensemble des biens qu'ils livrent. Mais l'analyse des marchés montre que pour chaque produit, l'étendue de la sphère des échanges est différente: en toute rigueur, il n'y a nulle part d'ensemble territorial clos où les ajustements globaux puissent se réaliser. Ricardo et Marx se débattent avec ces problèmes sans parvenir à leur proposer de solutions satisfaisantes. En radicalisant l'analyse en termes de valeur-travail, Marx engage la recherche économique dans la voie s'une scolastique assez vaine. Il n'arrive à formuler de réponse aux interrogations qu'il se pose qu'en renonçant à rendre ses constructions

falsifiables- c'est la grande faiblesse de l'interprétation marxiste, comme le montre clairement Popper27. L'approche globale avait l'avantage de prendre en compte la dimension écologique de la vie économique: elle soulignait l'importance des forces productives dans les performances des nations. Elle réduisait au contraire à peu de chose les stratégies des acteurs économiques. b) C'est contre ces tendances que se développe à partir des années 1850 le courant marginaliste. Il refait de l'économie une discipline sociale et la détache des cadres naturalistes et matérialistes qu'elle s'était donnée à l'époque des physiocrates. Elle n'ignore pas le poids des contraintes du milieu, de l'insuffisante fertilité des terres ou de l'inégalité des dotations - mais cela lui paraît sortir de son domaine propre. La nouvelle économie de la fin du XIXesiècle appelle, comme un double nécessaire, une géographie économique uniquement préoccupée d'établir le poids de ces contraintes et de montrer la localisation des cultures, des minerais et des ressources encore inexploitées. Cette géographie économique s'épanouit en décrivant les localisations productives et les courants d'échange, à la manière de l'arithmétique politique du XVIIIesiècle, vers laquelle elle se tourne souvent. Les économistes manifestent cependant peu d'intérêt pour ces tableaux d'ensemble; ils demandent à la recherche spatiale des données, et non des interprétations. La nouvelle économie repose sur l'étude des décisions et de leur composition. Dans une telle optique, les références aux mécanismes auxquels fait appel la théorie classique n'ont pas de sens: on imagine mal un agent suspendant son jugement jusqu'au moment où la valeur de l'équivalent-travail sera enfin établie. L'approche paraît totalement irréaliste. Les ménages ou les chefs d'entreprise ne peuvent attendre indéfiniment avant de choisir. Ce qui importe pour eux, ce sont les jouissances qu'ils tireront des biens qu'ils auront à disposition: le raisonnement à la marge se substitue à celui fondé sur la valeur travail2K. 27 Popper (Karl R.), The Open Society and it-v Enemie.~. yol. I : Plato; Routledge 2K

and Kegan

Schumpeter

Paul,

(Joseph),

1945,

2e éd..

1966.

XII-361.

VI-420

Hi-vtory (!f Economic Analy-vi-v. op. cit.

p.

yol. 2 : Hegel and Marx. Londres,

Chronique

de géographie économique

401

L'économîe apparaît dès lors comme constituée par autant de circuits qu'il y a de biens mîs en vente. Chacun s'écoule sur des marchés qui ont des étendues et des caractéristiques propres. L'économîe marginaliste n'ignore pas les dimensions de l'espace où s'inscrit la production, l'échange et la consommation - mais elle ne se consacre pas directement à l'approfondissement de ces domaines: est-il nécessaire de connaître l'articulation spatiale des réseaux si l'on dispose de critères qui permettent de dire si l'on est proche ou éloigné de l'optimum? - et si ces critères n'impliquent pas directement la prise en considération de l'étendue? Pour avoir une vue complète de l' économîe, il convient d'ajouter l'analyse des équilibres partiels à celle des équilibres globaux: il n'y a pas de frontière rigide entre les divers compartiments de la vie économîque; les revenus dont disposent les ménages sont limités, si bien que toute augmentation de la demande dans un secteur se traduit par des baisses dans d'autres domaines. Léon Walras donne à la nouvelle économîe un cadre synthétique satisfaisant lorsqu'il se lance dans l'analyse de l'équilibre général. De même que pour les équilibres partiels, la vision du système global implique la prise en considération des dimensions de chacun des éléments de circuit: l'architecture d'une économîe globale est quelque chose de complexe, puisqu'il y CI,selon les domaines, des échanges locaux, des échanges régionaux, des échanges nationaux ou des échanges internationaux. Certains auteurs essaieront de développer l'analyse économîque en ce sens - c'est vrai par exemple de Lucien Brocard1', l'un des premîers à s'être interrogé sur les composantes

territoriales du système économîque. Mais ces préoccupations ne .

s'imposent pas à l'évidence, puisqu'on peut reconnaître l'efficacité et la perfection d'un système sans faire intervenir l'espace. L'espace de l'économîe néo-classique est donc par excellence celui des circuits de marché - qu'on n'étudie guère, puisqu'il suffit d'évaluer leur perfection pour apprécier les performances du système analysé. C'est aussi, dans une certaine mesure, celui des composantes naturelles de l' économîe - mais c'est à une autre discipline, la géographie économique, très proche des sciences naturelles dans sa démarche, qu'il revient de l'étudier. c) L'économîe néo-classique va plus loin, dans son analyse de l'espace, dans deux directions - mais sans que cela suscite des courants importants de recherche. Léon Walras est très sensible à la spécificité du marché foncierJO: la terre est un facteur dont le rôle est différent de celui l' Il tire, i\ est vrai, son inspiration de l'économie historique allemande tout autant que du courant marginaliste. Brocard (Lucien), Principes d'économie nationale et imernatiOllale. Paris. Sirey, 3 vol. \929-1931. .'0 Claval (Paul), « Chronique de géographie économique n° 9, Les marchés fonciers »,Revue Géo!(raphiqlle de l'Est, vol. 14, n° 1, 1974, pp. 1\3-147.

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du travail ou du capital. Son offre est nécessairement rigide. Cela perturbe l'équilibre global en introduisant, parmi les prix, une catégorie qui n'est pas fixée par le rendement à la marge, mais qui peut évoluer en fonction de mouvements spéculatifs autonomes. C'est surtout Alfred Marshall qui est sensible aux facettes spatiales de l'analyse économique. Consulté sur le problème du logement des classes laborieuses par les gouvernements anglais, il suggère la multiplication des chemins de fer de banlieue et la fixation de tarifs très bas pour les déplacements quotidiens, de manière à élargir les aires urbanisables et à limiter la rente que les propriétaires de terrain peuvent en attendre: il ne fait que transposer au domaine urbain les raisonnements de von Thünen, qu'il connaissait bien.". L'originalité essentielle de Marshall réside ailleurs: c'est dans son traitement de la localisation des activités économiques qu'il innove; il est le premier à prendre en considération, dans les choix des entrepreneurs, les économies externes32.L'expression est certainement malheureuse pour la géographie économique et pour l'économie spatiale, car elle masque ce qui est pourtant au cœur de la réflexion de Marshall: le rôle des configurations locales d'activités et des réseaux de communication. D'un secteur à l'autre, les liaisons ne se font pas seulement par la circulation des revenus, comme le veut le schéma walrasien: elles se font aussi par l'apparition d'avantages ou de désavantages dus à la proximité réciproque des activités. Toute l'analyse moderne des structures territoriales est en germe dans l'approche marshallienne - mais son intuition ne suscite durant longtemps aucune recherche

systématique33.

On ne peut reprocher à la pensée marginaliste d'avoir ignoré l'espace: la conception de l'étendue mise en œuvre par les grands maîtres de la fin du XIX"siècle reprend les thèmes explorés à la fin du XVllI"siècle: celui des richesses naturelles, et celui de l'étendue du marché et des obstacles que la distance apporte au mouvement des biens et des facteurs de production. Elle l'enrichit en soulignant la spécificité des marchés fonciers et en mettant en évidence le rôle des structures territoriales que révèlent les externalités. Mais le facteur territorial n'apparaît jamais comme primordial: pour arriver à l'état optimal, il n'est pas nécessaire d'agir sur l'étendue et d'organiser l'espace; il suffit de veiller à ce qu'une concurrence pure et parfaite fasse régner partout un système de prix fixés à la marge, ce qui élimine toute position

... Ce point nous a été indiqué oralement par David Harvey. .'2 Sur l'histoire de la notion d'externalités: Claval (Paul), Région.f. nations. grands espaces, Géographie générale des ensemble.f territoriaux. Paris. Marie-Thérèse Génin, 1968,832 p., cl pp.213219. .\.\ Ibidem. La première étude notable, après le traité de Marshall, est celle de Young (Allyn), «

Increasing

returns and economic

progress ». Economic

Journal,

vol. XXXVIII,

1928, pp. 527-542.

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403

de monopole et assure la production la plus forte et la distribution la

plus apte à améliorer le sort de tous3.. La réflexion sur l'espace se trouve de la sorte chassée du champ central de la recherche: elle ne garde une relative autonomie que dans l'analyse des conditions naturelles - dans la géographie économique, au sens traditionnel du terme, donc. Une curiosité plus vigilante aurait sans doute pu conduire à une réflexion sur les conditions de perfection de la concurrence: le rôle de l'espace dans la transparence serait apparu névralgique, comme il l'aurait fait à quiconque se serait penché sur la signification des externalités. A la fin du XIX"siècle et durant les premières décennies du XX", la théorie marginaliste demeure encore en deçà de ce qu'elle est capable d'apporter à la compréhension des répartitions territoriales. Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour voir les recherches s'orienter dans cette voie. VI. LES LIMITES

DE L'ECONOMIE

SPATIALE

CLASSIQUE

a) L'économie spatiale s'est développée longtemps en marge des courants principaux de la pensée économique"s. Elle s'est inscrite dans la problématique du début du XIX"siècle, celle d'Adam Smith, celle de l'étendue du marché limitée par les frais de transport; elle a ignoré la dimension naturaliste présente dans la physiocratie et dans une partie de la pensée classique - elle ne fait jamais référence aux «forces productives» et réduit le poids de l'environnement à l'inégale répartition de ressources dont elle ne se soucie même pas de dresser l'inventaire - c'est là la tâche de la géographie économique. L'économie spatiale se développe donc dans un cadre conceptuel un peu étroit; elle précise les conditions que la friction de la distance impose à la localisation de l'activité agricole, de l'activité industrielle et des services, mais sans jamais se donner vraiment la peine d'expliquer ce qui confère aux lieux centraux et aux pôles, par rapport auxquels l'essentiel de son analyse s'ordonne, les avantages qui les caractérisent. Dans von Thünen comme dans Christaller ou dans Losch, l'existence de foyers qui commandent l'organisation de l'espace est présentée comme un fait d'évidence: tout ce que l'on peut s'attacher à montrer, c'est la manière dont ils se disposent les uns par rapport aux autres. Le schéma d'Alfred Weber est plus satisfaisant dans la mesure où la prise en considération des frais de transport justifie, dans le cas de l'industrie, la concentration des installations au point où ils sont minima. Le schéma ne rend pas compte de tout: pour les entreprises légères, le rôle des économies externes est prépondérant; Weber emprunte la notion à 34 Pour une expression moderne de ce point de vue: Mougeot (Michel), Théorie et politique écol!omiques régionale.~, Paris, Economica, 1975, 332 p. 3S Ponsard (Claude), Hi.~toiredes théories écol!olllique.~slJatiales, Paris, A. Colin, 1958,202 p.

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Marshall, mais il ne l'exploite pas sous l'angle géographique; il n'essaie pas de percer la logique des configurations qui sont attirantes et de celles qui au contraire sont à l'origine d'effets négatifs. August Losch se moule également dans le cadre général hérité des classiques, mais il a le souci de présenter les acquis de l'économie spatiale sous la forme d'une théorie générale, selon le modèle walrasien; lorsque Walter Isard reprend la réflexion sur l'espace, au début des années 1950,c'est également dans cette voie qu'il s'inscrit. b) La nouvelle géographie, en quête de schémas interprétatifs globaux, puise largement dans l'arsenal fourni par l'économie spatiale: au départ des analyses de Brian Berry, de GarrisonJ