Transition Energitique [PDF]

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Zitiervorschau

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

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L’Académie des sciences sociales du Việt Nam (ASSV), l’Agence Française de Développement (AFD), Global Development Network (GDN), l’Institut de recherche pour le développement (IRD), l’Ecole française d’Extrême-Orient (ÉFEO), l’université de Nantes, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) ont décidé de soutenir l’université d’été en sciences sociales intitulée « Les journées de Tam Đảo » dans le cadre d’un accord de partenariat. Ce partenariat a pour objectif de développer une formation pluridisciplinaire d’excellence, de constituer une plateforme de discussion sur les politiques et de drainer un large public académique et non académique à travers l’Asie du Sud-Est.

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Cet ouvrage présente un verbatim des interventions et des débats tenus lors des séances plénières et des ateliers qui se sont déroulés du 8 au 16 juillet 2016 à l’université Duy Tân (Đà Nẵng) sur la problématique de la transition énergétique. Quatre principaux axes de réflexion sont privilégiés dans le cadre d’ateliers thématiques : (i) outils pour une approche locale de la transition énergétique ; (ii) outils d’analyse des filières biomasse-énergie ; (iii) usages des modèles informatiques pour l’aide à la prospective énergétique et l’accompagnement de politiques de transition ; (iv) formation aux enquêtes de terrain. Programmes biogaz dans deux communes rurales du district rural de Hoà Vang, province de Đà Nẵng (Việt Nam).

ISBN: 978-604-943-809-7

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786049 438097

Non destiné à la vente

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Ouvrage collectif

MAISON D’ÉDITION DE LA CONNAISSANCE

OUVRAGE COLLECTIF

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Coordinateur scientifique Stéphane LAGRÉE École française d’Extrême-Orient, ÉFEO

MAISON D’ÉDITION DE LA CONNAISSANCE

La collection Études de l’AFD rassemble les études et recherches soutenues et coordonnées par l’Agence Française de Développement. Elle contribue à la diffusion des savoirs tirés de l’expérience du terrain et de travaux académiques. Les manuscrits sont systématiquement soumis à l’approbation d’un conseil éditorial, qui s’appuie sur l’avis de référés anonymes.

Retrouvez nos publications sur http://editions.afd.fr/

AVERTISSEMENT Les analyses et conclusions de ce document sont formulées sous la responsabilité de ses auteurs. Elles ne reflètent pas nécessairement le point de vue de l’AFD ou de ses institutions partenaires.

Directeur de la publication : Rémy RIOUX Directeur de la rédaction : Gaël GIRAUD Conception et réalisation : Tomorrow Media Co., Ltd. - [email protected] Imprimé par : Tomorrow Media Co., Ltd.

Sommaire Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

Partie 1.  Séances plénières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 1.1.  La transition énergétique. Énergie, climat et prospérité, Gaël Giraud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 1.2.  Transition énergétique et territoires, Sébastien Velut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 1.3.  Énergie, pouvoir et société : approches anthropologiques, Pierre-Yves Le Meur . . . . . . . . . 57 1.4.  Les enjeux d’une transition bioénergétique dans les pays en développement, Laurent Gazull . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 1.5.  Synthèse des séances plénières. Complexité et transition énergétique,  Alexis Drogoul . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

Partie 2.  Ateliers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 2.1.  Outils pour une approche locale de la transition énergétique,  Johanna Lees, Sébastien Velut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 2.2.  Outils d’analyse des filières biomasse-énergie, Hélène Dessard, Denis Gautier, Laurent Gazull . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 2.3.  Formation aux enquêtes de terrain. Programmes biogaz dans deux communes rurales du district rural de Hoà Vang, province de Đà Nẵng (Viêt Nam), Pierre-Yves Le Meur, Emmanuel Pannier, Olivier Tessier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171 Biographies des formateurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 Sigles et abréviations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

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Avant-propos Le modèle « JTD » repose sur dix années de capitalisation (2007-2016) dans le domaine du renforcement des capacités méthodologiques en sciences sociales et la structuration de réseaux opérationnel et de recherche. Si le socle de son développement est vietnamien, la plateforme de formation et d’échange s’est élargie à trois pays voisins (Cambodge, Laos, Myanmar) et, depuis juillet 2015, à Madagascar – cf. publications et modules audiovisuels en ligne sur le site http://www.tamdaoconf.com et http://www.tamdaoconf.com/tam-dao-mada/ Les « Journées de Tam Đảo » (JTD) s’inscrivent dans une démarche pluridisciplinaire et croisent les apports des différentes disciplines des sciences sociales (économie, statistiques, socio-anthropologie, histoire, géographie, sciences politiques, etc.). Les thématiques développées annuellement s’articulent autour des objectifs de développement du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Une thématique spécifique présentant un caractère d’enjeu régional ou international est identifiée pour permettre aux participants d’améliorer leurs connaissances et de se familiariser avec des approches, des outils ou des méthodes d’analyse en sciences sociales mobilisés par des chercheurs. Outre la formation dispensée, le modèle constitue une plateforme de discussion sur une thématique transversale donnée et les politiques qui s’y rapportent. La formation se construit en deux temps complémentaires. • Les deux premières journées, sous la forme de séances plénières, se concluent par une présentation synthétique des interventions. Cette dernière séance permet d’ouvrir la réflexion en questionnant les outils méthodologiques proposés, elle sert également d’introduction aux ateliers proposés en « séminaire clos ». • Afin de préserver une forte dynamique de groupe, les stagiaires sont répartis entre quatre ateliers thématiques et pluridisciplinaires durant cinq jours. Chaque atelier est composé d’une vingtaine de personnes ; le taux d’encadrement est fort, entre trois et six formateurs par atelier. Les travaux de groupe et le développement d’un « mini-projet » sur la thématique de l’atelier constituent une modalité centrale de cette formation à la recherche par la recherche. • En fin de semaine, stagiaires et formateurs se réunissent dans le cadre d’une journée de mise en commun et de restitution des résultats et des travaux d’analyse de chaque atelier. Deux stagiaires par atelier viennent exposer les principales conclusions de la semaine et les outils méthodologiques développés.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Une plateforme, reflet d’une synergie partenariale « Global Development Network » (GDN) 2015 et 2016 : consolidation et ouvertures à d’autres réseaux internationaux La dimension régionale/internationale devait être consolidée afin d’élargir la mise en réseau scientifique. La reconnaissance des JTD lors de l’appel à candidature GDN « Renforcement des capacités dans les pays les moins avancés » autorise aujourd’hui, en collaboration étroite avec l’université royale de droit et de sciences économiques du Cambodge (URDSE), un élargissement de l’influence et du rayonnement de la formation initialement proposée au Việt Nam : • une consolidation au Cambodge et au Laos ; • une ouverture à la Birmanie et à Madagascar ; • une visibilité accrue grâce à la mise en ligne de modules de communication en 2015 (institutionnels, formateurs et stagiaires) et à l’enregistrement des séances plénières en 2016 – site Web : www.tamdaoconf.com. La diversité géographique, le nombre croissant de dossiers enregistrés témoignent à la fois de la pertinence du modèle et de sa capacité à répondre aux attentes d’un public varié : universitaires, praticiens et institutions d’appui à la décision politique. Après dix années d’exercice, les JTD ont ainsi constitué un véritable savoir-faire reconnu en termes de renforcement des capacités et de mise en réseau. Un nouvel accord de coopération sur la période 2016-2018 a été signé au premier trimestre 2016 ; il associe aux partenaires historiques des JTD le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). De la même façon, le Laboratoire d’économie et de management Nantes-Atlantique (LEMNA) a signé avec GASS une convention de coopération sur trois ans afin d’accroître sa visibilité au sein des JTD.

Impact et pérennité Les JTD produisent des compétences et des connaissances scientifiques qui contribuent au renouvellement des sciences. La pratique pluridisciplinaire est réelle, dans un format pédagogique qui favorise une compréhension suffisante des chercheurs aux approches différentes. Les JTD participent ainsi à la reconnaissance des sciences sociales et humaines comme secteur disciplinaire reconnu de manière croissante par la communauté scientifique et les décideurs. L’effet attendu est une optimisation des apports tant en matière de connaissances nouvelles que de découverte de méthodes et approches différentes des sciences humaines et sociales. L’accent mis sur l’organisation, la préparation des intervenants, leur disponibilité et la densité de l’encadrement sont autant de leviers participant à une appréciation positive des stagiaires. Une attention particulière est portée sur l’équilibre théorique/pratique au cœur de la programmation.

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Avant-propos Les JTD proposent une manière de procéder qui peut conduire à un effet plus large, sur plusieurs années. Elles permettent de révéler des besoins de formation complémentaires ou plus approfondis. La sélection mixte des stagiaires, profils académiques et praticiens du développement, apporte un potentiel de création de réseau. La formation donne aux stagiaires une possibilité réelle de s’exprimer – place des échanges en séances plénières, travaux de groupe en atelier, échanges/ discussions en soirée, restitution par des stagiaires le dernier jour, etc. Au-delà de l’apprentissage, les modules livrés sont réutilisés dans les différentes structures et institutions des pays bénéficiaires ; les JTD participent ainsi à la formation de formateurs.

Une production scientifique annuelle Depuis leur création, les JTD s’engagent à publier dans l’année l’intégralité des journées. La diffusion est trilingue (vietnamien, français et anglais) et s’inscrit dans la collection Conférences et Séminaires de l’AFD (2010 à 2015) puis Études de l’AFD (depuis 2016) en co-édition ÉFEO et Tri Thức. Les ouvrages sont téléchargeables gratuitement sur le site de l’AFD (www.afd.fr/home/publications/travaux-derecherche), des JTD (www.tamdaoconf.com) et des partenaires associés. Les actes constituent la production de connaissances la plus visible des JTD ; ils en sont un reflet fidèle et une référence essentielle pour tous ceux qui souhaitent en connaître le contenu et le déroulement. L’ouvrage peut être assimilé à un manuel de sciences sociales. Les méthodes et les approches scientifiques qu’il présente constituent autant d’exemples et de points de référence pour les chercheurs, enseignants et praticiens du développement. Les actes fournissent des outils de recherche, pour certains d’entre eux directement applicables ; ils reflètent en cela la spécificité des JTD de produire de la connaissance scientifique et de s’appuyer sur les sciences sociales pour favoriser le développement.

« Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est » Le fil directeur des JTD 2016 était de s’intéresser aux enjeux de la transition énergétique à travers le prisme des sciences sociales, humaines et économiques ; conformément au cadre logique, cette dixième édition a été organisée selon deux axes complémentaires : • une formation en séances plénières de deux jours (traduction simultanée) les 8 et 9 juillet. Cinq interventions ont introduit et développé sous un angle méthodologique et pluridisciplinaire les questions liées aux enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est. Les séances plénières se sont achevées par une restitution synthétique des deux journées ; • quatre ateliers de cinq jours, du lundi 11 au vendredi 15 (traduction consécutive), ont porté sur les outils pour une approche locale de la transition énergétique (atelier 1), les outils d’analyse des filières biomasse-énergie (atelier 2), l’usage des modèles informatiques pour l’aide à la prospective énergétique et l’accompagnement de politique de transition (atelier 3),

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est une formation aux enquêtes de terrain, avec les programmes biogaz dans deux communes rurales de la province de Danang (atelier 4). La formation s’est achevée par une restitution des ateliers présentée par les stagiaires, le samedi 16 juillet. En guise d’introduction, Gaël Giraud, économiste en chef à l’Agence Française de Développement, propose une intervention intitulée « Énergie, climat et prospérité ». La transition énergétique engage des options de société qui requièrent une discussion démocratique et des choix politiques. Il importe que les économistes incorporent effectivement et sérieusement les questions climatiques, énergétiques et écologiques dans leurs modèles. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) s’y emploie mais les difficultés qu’il rencontre montrent que la communauté des économistes a beaucoup de mal à dialoguer avec celles des climatologues. En début d’après-midi, l’attention se porte sur les éléments de compréhension de la transition énergétique et de nouveaux regards depuis les territoires, avec l’intervention de Sébastien Velut, géographe, professeur à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (Sorbonne-Nouvelle) et directeur délégué aux relations internationales de l’université Sorbonne Paris Cité. Sébastien Velut insiste sur le fait que la transition énergétique n’est pas uniquement, ni même principalement, un problème technique mais bien un sujet social dans ses différents aspects. Si l’on ne considère pas la transition énergétique comme un futur inéluctable lié au déploiement de solutions technologiques plus performantes, mais bien comme un processus de changement social mettant en œuvre des modes de production et de consommation, mais aussi des valeurs et des modes d’orga­nisation des territoires, on doit reconsidérer la façon dont la question des énergies est saisie dans différents contextes socioéconomiques. Cela amène à remettre en question un certain nombre de notions fondamentales, considérées comme acquises et notamment la tendance à toujours plus de concentration liée à des économies d’échelle, au poids croissant des grands acteurs du marché et des structures étatiques par rapport à une tendance à la décentralisation de la production et de la décision. Pour envisager ce changement de point de vue, il est nécessaire d’introduire dans les débats sur l’énergie un regard différent. Pour y parvenir, le conférencier insiste sur la façon dont l’entrée par les territoires à différentes échelles est essentielle pour comprendre les enjeux de la transition énergétique, qu’il s’agisse de la compréhension des politiques publiques, de l’organisation des marchés et de nouvelles formes de production et de consommation de l’énergie. La journée se conclut par l’exposé de Pierre-Yves Le Meur, anthropologue et directeur de recherche à l’IRD. La présentation fait dans un premier temps un détour historique afin d’examiner la manière dont l’anthropologie a abordé la question énergétique depuis plus d’un siècle. Deux approches se dégagent. L’une, relevant de l’anthropologie des techniques et de la culture matérielle, s’inscrit dans une vision classiquement holiste de l’anthropologie et se focalise sur l’étude de sociétés « exotiques » et de taille réduite. La question énergétique apparaît comme une dimension d’un projet de compréhension globale de la société étudiée, sans faire l’objet d’une problématisation spécifique. La seconde aborde l’énergie selon un modèle évolutionniste et cherche à mettre en évidence une corrélation entre question énergétique et évolution culturelle.

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Avant-propos Le nouvel intérêt des anthropologues pour l’énergie émerge dans les années 1970, en lien avec l’enjeu nucléaire et la crise pétrolière, et pose déjà la question de la transition énergétique et des énergies renouvelables. Depuis une dizaine d’années on observe un foisonnement d’études en sciences sociales et parti­ culièrement en anthropologie sur les questions énergétiques. Ce foisonnement contemporain fait l’objet de la seconde partie de la présentation avec pour objectif de dégager les lignes de force de cette littérature. On distingue (i) un axe centré sur les pratiques de consommation énergétique en lien avec les transformations des modes de vie et des relations domestiques ; (ii) un axe visant les politiques énergétiques à différentes échelles et les conflits associés, qui peuvent porter sur l’accès aux ressources énergétiques et leurs contrôle, ou sur les choix effectuées entre options en la matière. L’approche anthropologique commune à ces deux axes permet d’identifier et d’analyser les jeux d’acteurs, les relations de pouvoir et la pluralité des savoirs et des normes qui structurent les questions énergétiques tout au long de la chaîne allant de la production – et donc de la négociation des choix en la matière –, à la consommation et à la gestion des impacts, en passant par les formes de régulation, les modes de gouvernance et les controverses portant sur la question énergétique. Enfin, la troisième partie aborde quelques exemples spécifiques à l’Asie du Sud-Est. Les exemples de l’énergie hydroélectriques sur le Mékong et du pétrole au Timor-Leste permettent en particulier de mettre en évidence les enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux qui traversent la question énergétique et la manière dont ils se déclinent et interagissent à différentes échelles. La seconde journée débute par l’intervention de Laurent Gazull, géographe à l’université Paris 7 et chercheur au CIRAD, sur le thème de la transition énergétique et l’usage de la biomasse-énergie. Dans les pays en développement, les principaux enjeux de la transition énergétique ne sont ni la réduction des énergies fossiles ni la réduction de la consommation, mais l’amélioration de l’efficacité énergétique des systèmes actuels à partir de biomasse, l’augmentation de l’offre en énergies renouvelables, le développement de services énergétiques productifs en milieu rural et l’accès à l’électricité pour tous. La particularité principale des systèmes énergétiques à partir de biomasse est qu’ils nécessitent la création de filières de production et d’approvisionnement en amont. Ainsi, si la transition énergétique suppose des changements techniques et comportementaux majeurs dans les modes de consommation et de conversions énergétiques, dans le domaine des bioénergies, elle suppose également des changements dans les modes de production agricoles ou forestiers. La présentation dresse tout d’abord un état des lieux de la production actuelle dans les pays du Sud – Amérique latine, Afrique et Asie du Sud-Est – et dessine les tendances d’évolution. Puis, Laurent Gazull rappelle les principaux déterminants de ces évolutions : politiques agricoles, industrielles ou énergétiques, lutte contre le changement climatique, logiques industrielles et de marché. Enfin, il montre les enjeux d’une transition en termes de changement dans les systèmes de production, de conversion et de consommation avant de finalement souligner les débats et controverses que ce secteur continue de soulever. La dernière conférence porte sur la gestion multi-acteurs de systèmes énergétiques et l’intégration de l’énergie renouvelable avec les systèmes multi-agents, elle est menée par Alexis Drogoul, informaticien et directeur de recherche à l’IRD. Le conférencier présente (i) le cadre général de

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est modélisation pour la gestion de systèmes électriques de taille importante, (ii) des solutions basées sur l’approche multi-agents afin de saisir le caractère multi-acteurs de ces systèmes et de faciliter la prise en compte et l’intégration de sources de production distribuées basées sur les énergies renouvelables. Enfin, Alexis Drogoul clôture ces deux journées d’exposés et d’échanges sous la forme d’une conclusion critique. La formation se poursuit du lundi 11 au vendredi 15 juillet dans le cadre d’ateliers thématiques à l’université Duy Tan. L’atelier « Outils pour une approche locale de la transition énergétique » s’articule autour de séances thématiques qui livrent des outils pour aborder la question de la transition énergétique dans différents contextes. À chaque séance correspond la présentation d’un outil méthodologique spécifique et comporte l’intervention de stagiaires à partir de textes en lien avec le thème et l’outil de la séance. Les interventions contribuent à la présentation finale de synthèse. Les sessions sont organisées en fonction des thématiques suivantes : • Qu’est-ce que la transition énergétique ? • Les conflits d’usage, le cas du Mékong. • L’articulation des échelles dans l’approche de la précarité énergétique. • Réseaux techniques et réseaux sociaux. • Inégalités environnementales, santé, mobilisations. • Le territoire, une catégorie d’analyse. Des cartes pour quoi faire ? La particularité principale des systèmes énergétiques à partir de biomasse est qu’ils nécessitent la création de filières d’approvisionnement en biomasse. Avant d’être transformée en énergie, la biomasse doit être produite, collectée ou récoltée, souvent préconditionnée, puis transportée jusqu’aux unités de transformation. Ces chaines d’approvisionnement peuvent avoir des dimensions locales, nationales ou internationales. Elles offrent un potentiel important en termes de revenus et d’emplois en particulier en milieu rural. Elles peuvent néanmoins avoir des impacts majeurs en termes d’occupation des terres, de concurrence avec d’autres filières existantes, de pratiques agricoles, pastorales et forestières, et sur l’environnement. Ce deuxième atelier « Outils d’analyse des filières biomasse-énergie » recense ces impacts potentiels et offre des outils permettant d’étudier et d’organiser les filières d’approvisionnement à des échelles locales. La semaine est organisée en quatre séances de deux demi-journées chacune et une séance de synthèse/restitution. Chaque demi-journée est consacrée à des exposés et études théoriques ; formateurs et stagiaires développent durant une demi-journée des ateliers participatifs d’études de cas, de jeux, d’analyse de documents, de construction prospective, etc. • Séance 1. L’analyse systémique d’un territoire et d’une filière. • Séance 2. L’approche systémique des innovations : le système d’innovation.

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Avant-propos • Séance 3. Les outils participatifs pour analyser une filière d’approvisionnement en biomasse : l’observation participante, les modèles de simulation, les jeux de rôle. • Séance 4. La prospective. • Séance 5. Synthèse, débats et restitution. Représenter un système réel, comme une ville, dans toute sa complexité pour en mesurer les évolutions possibles ou pour concevoir des solutions d’aménagement qui lui soient adaptées est l’un des enjeux des recherches actuelles en modélisation informatique, en particulier dans la modélisation à base d’agents. Complémentaire des méthodes analytiques classiques, cette approche permet de concevoir, de façon incrémentale, des modèles dont la dynamique est la résultante des inter­ actions entre des représentations informatiques des entités (acteurs, institutions, environnement) du système modélisé. Ces modèles servent ensuite de support à une démarche expérimentale « virtuelle » (faisant appel à des simulations) où les dynamiques résultantes peuvent être étudiées avec tous les détails nécessaires, et où l’interaction avec l’utilisateur est encouragée. Ce troisième atelier intitulé « Usage des modèles informatiques pour l’aide à la prospective énergétique et l’accompagnement de politiques de transition » est organisé autour de la plateforme de modélisation Gis and Agent-Based Modelling Architecture (GAMA) et d’un tutoriel plaçant les stagiaires dans une position de conception d’une politique de transition énergétique pour une ville moyenne. L’objectif est (i) de découvrir et comprendre via la conception de modèles de complexité croissante et la prise en compte de différents scénarios économiques ou climatiques, les enjeux des politiques de transition énergétique à l’échelle locale ; (ii) de s’appuyer sur ces modèles pour proposer, tester et comparer des stratégies réalistes concernant la production, la distribution et la consommation d’électricité[1]. L’objectif du dernier atelier « Formation aux enquêtes de terrain. Programmes biogaz dans deux communes rurales du district rural de Hoa Vang, province de Danang » est de familiariser les stagiaires aux outils et aux méthodes de recherches qualitatives en sciences sociales à travers la conception et la mise en œuvre d’une enquête de terrain. Au cours de la semaine, les principales étapes d’une démarche scientifique sont abordées : élaboration de la problématique, construction de l’objet d’étude, identification des hypothèses et des axes de recherche, collecte des données, classement et analyse. La particularité de la formation réside ici dans sa dimension pédagogique de nature expérimentale : former par la pratique des enquêtes de terrain, en instituant l’apprenant comme acteur du processus d’apprentissage. Au final, par l’implication dans une étude in situ, le module créé des conditions adéquates pour l’acquisition des bases pratiques de l’approche qualitative socio-anthropologique, en établissant un va-et-vient entre méthodes et concepts théoriques d’une part, et compétences techniques du chercheur de terrain d’autre part.

[1] Le caractère particulièrement complexe de la thématique développée en atelier, nous a amené – en accord avec Alexis Drogoul, responsable de la formation – à ne pas insérer ce chapitre dans le cadre de cet ouvrage. Le lecteur pourra se référer aux précédentes publications JTD pour se familiariser avec les apports de la modélisation appliquées aux sciences sociales. Cet atelier a été animé par les formateurs suivants : Alexis Drogoul, Benoît Gaudou, Patrick Taillandier, Julien Mazars, Hypatia Nassopoulos et Damien Philippon.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est L’atelier s’organise en trois volets : (i) introduction des techniques et des méthodes d’enquête de terrain, ainsi que de quelques concepts opératoires pour étudier une réalité sociale ; (ii) mise en application impliquant la préparation et la réalisation d’étude de terrain de trois jours mobilisant les modes de productions classiques (observations, imprégnation, sources écrites, entretiens, procédés de recension, etc.) ; (iii) traitement et l’interprétation des données collectées. Sur cette base, l’atelier aboutit sur une présentation orale de la démarche suivie et des principaux résultats.

Principales caractéristiques des ateliers thématiques organisés lors des JTD 2016 Échelles / niveau d’analyse

Disciplines

Outils / méthodes

-1Outils pour une approche locale de la transition énergétique

Échelle multiscalaire

Géographie, sociologie, anthropologie, aménagement, urbanisation, environnement

Études de cas, conflits d’usage

-2Outils d’analyse des filières biomasse-énergie

Territoires, villes

Géographie, agronomie, sciences économiques et sociales

Analyse systémique, filiaires d’approvionnement, système d’innovation, jeux de rôle

-3Usage des modèles informatiques pour l’aide à la prospective énergétique et l’accompagnement de politiques de transition

Villes

Modélisation, géographie, informatique, urbanisation

Plateforme de modélisation GAMA, groupes de travail

-4Formation aux enquêtes de terrain. Programmes biogaz dans deux communes rurales du district rural de Hoà Vang, province de Đà Nẵng

Échelle locale : communes, et villages. Unité d’analyse : enquêtes auprès des ménages et des individus

Socio-anthopologie, sciences économiques

Entretiens qualitatifs, biographies

Ateliers

Les quatre ateliers sont construits pour accueillir des participants de différentes disciplines, la priorité étant de permettre à tous de mobiliser des approches et des outils les plus ouverts possibles. Cette volonté de croiser les regards sous un angle pluridisciplinaire s’est cristallisée lors de la dernière journée de restitution, le samedi 16 juillet. Comme cela est d’usage dans les JTD, un certificat de participation et de suivi signé par GASS, l’AFD, l’IRD, l’ÉFEO et le CIRAD est remis à chaque stagiaire en fin de séance.

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Avant-propos

Profil des stagiaires Plus de 300 demandes de candidatures ont été déposées pour cette dixième édition ; quatre-vingt candidats ont été retenus incluant deux auditeurs libres. Les fiches d’inscription des stagiaires sélectionnés permettent de dégager le profil suivant : − une majorité de femmes : 59 % des stagiaires ; − un public mature avec un rajeunissement des effectifs dans les ateliers consacrés à la modéli­ sation et aux enquêtes de terrain (respectivement 55 et 65 % de moins de 30 ans) : Par atelier (en % de l’effectif) : Atelier 1

Atelier 2

Atelier 3

Atelier 4

20-25 ans

22 %

10 %

15 %

10 %

26-30 ans

28 %

33 %

40 %

55 %

31-35 ans

33 %

38 %

30 %

30 %

+ 36 ans

17 %

19 %

15 %

5%

− une diversité des statuts et du niveau d’éducation : master, master et enseignant, master et développement, doctorant, docteur/doctorant et enseignant, chercheur, chercheur et enseignant, enseignant et développement, praticien du développement ; − une forte pluridisciplinarité : économie (agricole, internationale, développement, travail) ; urbanisme ; planification urbaine ; agronomie ; anthropologie ; sociologie, droit ; éducation ; environnement ; géographie ; gestion (administrative, publique) ; modélisation ; sciences politiques ; − une diversité géographique des candidats sélectionnés au Việt Nam, provinces de : An Giang, Bạc Liêu, Cần Thơ, Đà Nẵng, Hà Nội, Gia Lai, Huế, Hồ Chí Minh Ville, Nha Trang, Thái Nguyên, Quảng Bình, Quy Nhơn ; − une ouverture régionale/internationale : Birmanie, Cambodge, Laos, Madagascar, République démocratique du Congo ; − un pluralisme institutionnel : • Việt Nam : instituts de formation de l’ASSV (Hà Nội, Centre et Sud du Việt Nam), université des sciences sociales de Hà Nội, école supérieure du commerce extérieure, université des sciences et technologies de Hà Nội, université Thái Nguyên, université Okayama- Huế, université Duy Tân, université des sciences et de technologie de Hồ Chí Minh Ville, université des sciences sociales et humaines de Hồ Chí Minh Ville, université Thủ Dầu Một, université des ressources hydrauliques, université Tôn Đức Thắng, universités des ressources naturelles et de l’environnement de Hà Nội et de Hồ Chí Minh Ville, université d’agriculture et de sylvi­ culture de Hồ Chí Minh Ville, Centre de recherche sur la technologie et l’environnement, Center for Social Research and Development (CSRD), International Center for Tropical Agriculture (CIAT), Vietnam German University, université d’économie de Hồ Chí Minh Ville, université de Quảng Bình, université de An Giang, université de Quy Nhơn, université de Cần Thơ ;

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est • Birmanie : université de Mandalay (département de français), chambre de commerce, ministère du plan et des finances ; • Cambodge : université royale de droit et sciences économiques ; département général des impôts ; institut national des affaires sociales ; école royale de notariat ; • Laos : faculté des sciences de l’environnement ; faculté des lettres ; laboratoire du changement social et politique ; • Madagascar : Institut pour la maîtrise de l’énergie ; ONG. Enfin, nous avons le plaisir d’annoncer à nos lecteurs que la 11è édition des Journées s’est tenue à l’université de Cần Thơ, au cœur du delta du Mékong, du 7 au 15 juillet 2017, sur la thématique « Fleuves et deltas en Asie du Sud-Est ». Stéphane Lagrée Responsable de la Cellule de coopération francophone GASS-ASSV

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Remerciements La synergie institutionnelle scellée par un accord de partenariat depuis 2010 insuffle aux « Journées de Tam Đảo » un rayonnement régional à l’échelle du Sud-Est asiatique et au-delà. Nous en remercions : l’Institut de formation de Académie des sciences sociales du Việt Nam (GASS-ASSV), l’Agence Française de Développement (AFD) – direction Études, Recherches et Savoirs, Global Development Network (GDN), l’École française d’Extrême-Orient (ÉFEO), l’Institut de recherche pour le développement (IRD) – direction des Programmes de recherche et de la formation au Sud, l’université de Nantes et le Laboratoire d’économie et de management de Nantes-Atlantique (LEMNA), l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), ainsi que le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). La présente publication doit beaucoup aux recommandations de Sophie Chauvin, il nous importait ici de remercier la division Édition et publication de l’AFD pour la qualité des échanges entretenus. Nous adressons toute notre reconnaissance à l’ensemble des formateurs pour les qualités scientifiques et pédagogiques dont ils ont témoigné lors de l’organisation, de la réalisation mais également de la valorisation des présentes JTD : Hélène Dessard, Alexis Drogoul, Benoît Gaudou, Denis Gautier, Laurent Gazull, Javier Gil Quijano, Gaël Giraud, Pierre-Yves Le Meur, Johanna Lees, Julien Mazars, Hypatia Nassopoulos, Emmanuel Pannier, Damien Philippon, Patrick Taillandier, Olivier Tessier et Sébastien Velut. Le travail de retranscription est un exercice particulièrement long et exigeant, que soient remerciés pour les efforts déployés et la qualité des textes fournis : Glenn Pian-Villemain, atelier 1, enseignant de français et de latin au lycée français Alexandre Yersin de Hà Nội ; Laure Dieudonné, atelier 2 ; master métiers de l’enseignement de l’éducation et de la formation ; Antoine Drogoul, atelier 3 ; master de l’université Mc Gill ; Marie Docco, atelier 4 ; professeur des écoles. Nous tenons à féliciter les interprètes et traducteurs qui ont accompagné cette édition 2016 : Trần Thị Phương Thảo, université de Hà Nội ; Ngô Thị Hồng Lan, université nationale d’économie ; Lê Kim Quy, ministère vietnamien des Affaires étrangères ; Đặng Đức Tụê et Huỳnh Hồng Đức, indépendants ; Nguyễn Thị Tuyết Lan, ambassade de France au Việt Nam ; David Smith, traducteur indépendant.

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Le succès de l’édition 2016 doit beaucoup aux conditions d’accueil du Comité populaire de la ville de Đà Nẵng et à la direction de l’université Duy Tân, Messieurs Lê Công Cơ (président) et Đoàn Hồng Lê (directeur du centre d’études socioéconomiques) que tous ici en soient remerciés sincèrement. Enfin, nous souhaitons également remercier le département Société et Mondialisation de l’IRD, et notamment Flore Gubert et Olivier Évrard, pour le soutien financier apporté à la publication de cet ouvrage. Prof. Dr. ĐỖ Hoài Nam Institut de formation en sciences sociales

Carte 1. Localisation RÉPUBLIQUE SOCIALISTE DU VIỆT NAM

VINH

ĐÀ NẴNG

Source : Tomorrow Media.

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Partie 1.  Séances plénières

1.1. La transition énergétique. Énergie, climat et prospérité Gaël Giraud – Agence Française de Développement

(Retranscription) Le travail présenté ci-dessous est engagé sous la direction de Gaël Giraud, au sein de la direction exécutive « Etudes, recherches et savoirs » de l’Agence Française de Développement[2] (AFD), et de la chaire « Energie et prospérité »[3].

1.1.1. Le climat, c’est sérieux Le dernier rapport du GIEC (Groupe intergouvernemental des experts du climat) a montré qu’il n’y a plus aujourd’hui le moindre doute sur l’origine anthropique du dérèglement climatique. Le graphique ci-dessous, extrait de ce rapport, présente en effet l’historique de la progression de la température moyenne à la surface de la planète. Depuis le début de l’ère industrielle au XIXe, elle ne cesse de croître et cette augmentation est évaluée à plus d’un degré Celsius (cf. graphique 1). Le rapport du GIEC révèle également que la trajectoire business as usual, est à un terme relativement proche incompatible avec la survie de la planète et de ses habitants. Il existe toutefois plusieurs scénarios possibles d’évolution de la température à la surface de la planète. Selon le scénario médian, la moyenne de l’augmentation vraisemblable de la température sous l’hypothèse que les 195 pays qui se sont engagés à la COP21 en 2015 à Paris mettent en œuvre les contributions intentionnelles déterminées au niveau national, devrait augmenter de 3,5°C, niveau très élevé aux conséquences graves et sans doute peu réversibles, qui devraient affecter les plus pauvres en premier lieu. Plus grave, une augmentation de 6°C est affectée par les climatologues d’une probabilité de 10 %. Ce scénario apocalyptique, notamment par la libération du méthane séquestré dans le pergélisol, fait de la disparition de l’humanité une hypothèse plausible à un terme qui ne s’apprécie pas en périodes géologiques mais en nombre fini de générations humaines.

[2] [3]

www.afd.fr www.chair-energy-prosperity.org

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Graphique 1. Températures globales

Sources : GIEC, 2001.

Monteriez-vous aujourd’hui dans un avion qui aurait une chance sur dix de s’écraser ? Telle est bien aujourd’hui la question adressée à la communauté internationale, qui semble s’accommoder de plans de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui ne sont pas conçus pour écarter pareil scénario. Cela est d’une extrême gravité.  Le Việt Nam est bien au fait du dérèglement climatique car ses effets y sont déjà ressentis. L’augmentation du niveau de la mer affectera par exemple le delta du Mékong et celui du fleuve Rouge, en privant le pays d’une partie de son grenier à céréales. Les dernières informations qui proviennent des climatologues sont à cet égard de mauvaises nouvelles car la calotte antarctique fond plus vite que ce que nous pensions initialement, au point que la montée du niveau de la mer pourrait atteindre deux mètres à la fin de ce siècle et non pas un mètre dans le scénario habituellement mis en avant. Deux mètres signifient que New York et certainement une bonne partie des deltas du Việt Nam seraient sous l’eau. Des zones entières, actuellement dévolues à la riziculture seraient inondées et impropres à l’agriculture à cause de la salinisation des sols, entraînant un flux important de migrations de Vietnamiens des terres basses vers des zones encore émergées. Un deuxième phénomène concerne la fonte des glaciers. Alors que les glaciers sont d’énormes réfrigérateurs gratuits que la nature régénère chaque année pour fournir l’homme en eau douce,

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La transition énergétique. Énergie, climat et prospérité les grands glaciers des plateaux du Tibet sont en train de fondre à très grande vitesse et alimentent de grands fleuves tels l’Indus et le Gange. Le Mékong n’est pas épargné par cette fonte. D’ici un tout petit nombre de décennies, les grands fleuves qui fournissent l’essentiel de l’eau douce d’irrigation pour des millions de personnes pourraient être à sec pendant la saison sèche. Les populations qui vivent sur le cours de ces fleuves ne pourront plus pratiquer l’irrigation et donc plus l’agriculture. Le même problème se pose en Amérique latine, dans les Andes. Une ville comme La Paz, en Bolivie, à 4 000 mètres d’altitude, est aujourd’hui dans un désert. Au moment où elle a été construite, le milieu était florissant mais la fonte des glaciers andins a totalement transformé l’environnement de La Paz. Le troisième problème est la baisse de fertilité des sols, en partie lié à l’érosion des sols (un problème qui affecte le Việt Nam). C’est l’une des variables de l’équation complexe que nous devons résoudre pour nourrir neuf milliards de personnes à l’horizon 2050. Aujourd’hui il n’y a aucune garantie que la sécurité alimentaire soit assurée dans des régions à forte croissance démographique comme l’Afrique subsaharienne. La cause en est notamment le croisement entre une progression démographique fulgurante en Afrique et la baisse de fertilité des sols due à l’érosion et à l’augmentation de la température. Le quatrième problème est la désertification – problème majeur en Afrique et au Moyen-Orient. Il s’agit du même problème pour la Chine puisque le désert de Gobi descend vers le sud et n’est plus maintenant qu’à 240 km de Pékin. Il progresse chaque année, et dans un avenir proche, Pékin sera aux portes d’un désert. Le cinquième problème concerne aussi le Việt Nam au premier chef : la raréfaction des ressources en eaux souterraines. Dès aujourd’hui les Vietnamiens pompent dans le delta du Mékong de l’eau souterraine à une vitesse supérieure à la vitesse à laquelle la nappe se reconstitue. En réalité, il y a dans le monde plus d’eau douce souterraine que d’eau douce de surface, mais si les hommes continuent à la pomper à cette vitesse, ces ressources extrêmement précieuses seront épuisées. À Amman, en Jordanie, l’eau douce est pompée à 400 mètres sous le sol ; or : - le pompage exige des infrastructures et des matériels aussi coûteux que ceux mis en œuvre pour l’extraction de pétrole, et nécessite donc des investissements importants ; - cette nappe dans laquelle pompe Amman est une nappe fossile qui ne se renouvelle pas et qui sera épuisée d’ici 25 ans.

Horizon 2100 : incertitude sur la progression de la température La progression de la température est une question centrale. L’une des raisons pour lesquelles il y a une incertitude sur l’évolution de la température en fonction des émissions de dioxyde de carbone (CO2) est ce qu’on appelle la sensibilité du climat au gaz carbonique. Imaginons par exemple que la concentration en CO2 dans l’atmosphère soit multipliée par deux à la fin du siècle. Aujourd’hui, les scientifiques du climat, les physiciens, ne sont pas d’accord sur la sensibilité de l’augmentation de la température à celle de la concentration en CO2. Cette sensibilité varie de 1 à 6 en fonction du modèle utilisé par les climatologues.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Si elle valait 1, une partie des scénarios ne se réaliserait pas. En tout cas, pas au XXIe siècle, et heureusement, parce que l’augmentation de concentration n’induirait pas une augmentation massive de la température. Si elle valait 6, l’humanité serait déjà embarquée dans une catastrophe. Là-dessus, il y a encore une marge d’incertitude, d’où les différents scénarios que le GIEC décrit dans son rapport. Un principe élémentaire de prudence impose de tout mettre en œuvre pour faire face à la situation dans laquelle la sensibilité du climat à l’augmentation de la concentration de CO2 serait égale à 6. Ceci est d’autant plus grave qu’il existe une très forte « inertie climatique », telle qu’une inflexion favorable de la trajectoire climatique sera de toutes façons sensiblement postérieure à l’amélioration des variables environnementales sur lesquelles nous tentons d’agir. Prenons par exemple la dilatation de l’eau ; supposons que nous arrivions à faire baisser les émissions de CO2 dès aujourd’hui et à atteindre très rapidement une émission nulle. Qu’adviendrait-il de l’augmentation du niveau de la mer ? Le niveau de la mer continuerait de s’élever. À défaut d’efforts considérables maintenant, il y aura des conséquences dramatiques, liées aux évènements climatiques, à la fin de ce siècle et même plus tôt, à cause des émissions de CO2 enregistrées dans le passé. N’oublions pas que c’est la concentration de GES (gaz à effet de serre) qui provoque le changement climatique, c’est donc une réduction des stocks de CO2 qu’il faut viser ; celle-ci résultera d’une part de la baisse des flux d’émissions de GES et de la « désactivation » des gaz à effet de serre en stock, qui ont des durées de vie et des « pouvoirs de réchauffement global » très variables selon leur nature (cf. graphique 2). Les principales victimes du dérèglement climatique sont d’abord malheureusement les pays du Sud parmi lesquels le Việt Nam, cinquième pays (non insulaire) le plus exposé au dérèglement climatique. L’Afrique subsaharienne est également très exposée. Cette carte 2 a été élaborée à ClermontFerrand, en France, et est utilisée par l’AFD. Un enjeu majeur de la négociation internationale d’aujourd’hui est que la plupart des pays qui sont les plus exposés sont aussi des pays dans lesquels les institutions publiques sont très fragiles voire complètement défaillantes. La communauté internationale est donc réticente à aider ces pays car elle craint que l’aide aux « mauvais élèves de la classe » soit dévoyée ou mal utilisée. Cet indicateur de vulnérabilité essaie donc de séparer les deux aspects : l’exposition physique au changement climatique d’un côté et l’éventuelle vulnérabilité institutionnelle des institutions politiques du pays. Malheureusement, le plus souvent, ces pays ou leur population sont frappés d’une double peine : les pays les plus touchés par les effets du changement climatique sont aussi les pays dont les institutions sont les plus défaillantes.

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La transition énergétique. Énergie, climat et prospérité Graphique 2. Indice de vulnérabilité au changement climatique

Sources : GIEC, 2001.

Carte 2. Indice de vulnérabilité au changement climatique (2)

Sources : Maplecroft, 2014.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Une mer sans poissons en 2050 ? Carte 3. Abondance des poissons. Atlantique nord en 1900 et 2000

Sources : Cury, P. et Y. Miserey (2008) ; Christensen et al (2003).

La biodiversité est au moins aussi importante que la question énergétique. En un siècle, l’homme a vidé de ses poissons la partie nord de l’océan atlantique. Une espèce comme la morue par exemple a pratiquement disparu au large des côtes canadiennes malgré des efforts de réintroduction dans la mer depuis une trentaine d’années – sans succès ! L’homme est donc capable de détruire entièrement, ou quasi-entièrement la faune halieutique d’une partie de l’océan. Certains océanologues estiment que si la pêche industrielle en eau profonde continue comme elle est pratiquée aujourd’hui, les chaînes trophiques de reproduction des espèces de poissons seront brisées et il pourrait ne plus y avoir de poissons comestibles dans les océans de la planète entre 2040 et 2050. Cette perspective est dramatique, en particulier pour un pays comme le Việt Nam, pour qui la pêche est une ressource fondamentale. En revanche, les océans ne seraient pas vides, contrairement à ce que ces cartes peuvent donner à croire, mais ils seront peuplés de méduses.

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La transition énergétique. Énergie, climat et prospérité

1.1.2. La transition énergétique Une bonne partie du dérèglement climatique provient de l’activité humaine et en particulier des émissions de gaz à effet de serre induite par la consommation et la dissipation de l’énergie. La deuxième moitié du vingtième siècle marque à cet égard une rupture par rapport à la tendance précédente de croissance de la demande d’énergie. Les émissions de CO2 augmentent considé­ rablement à partir de 1945, avec l’avènement d’une ère de consommation de masse. La crise des deux chocs pétroliers des années 1970 a induit une faible et courte rupture de pente, et l’humanité a rapidement repris sa course vers l’augmentation exponentielle de la quantité d’énergie consommée. Au sein du mix énergétique mondial, le charbon n’a pas décliné. Au contraire, sa part a augmenté ces dernières années notamment à cause de la croissance économique de la Chine mais pas seulement. Le Việt Nam pourrait aussi malheureusement faire partie des pays dont l’accroissement de la production d’électricité proviendra majoritairement de la combustion du charbon, avec d’autres, tels l’Indonésie et l’Afrique du Sud. Or la transition vers une économie décarbonée est devenue une nécessité étant donné la gravité de l’enjeu climatique. Une autre vue de la question du bouquet énergétique au niveau mondial consiste en la répartition à des secteurs responsables des émissions de gaz à effet de serre. Le charbon est l’origine de 21 % des émissions. Il est toutefois important de remarquer que l’agriculture est également extrêmement émettrice. Image 1. Décomposition des gaz à effet de serre dans le monde en 2014

Sources : Jancovici, 2015.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Un autre sujet fondamental est la déforestation. Elle est émettrice de gaz à effet de serre car elle détruit l’un des puits majeurs d’absorption du CO2 émis dans l’atmosphère.

Le lien croissance-énergie La difficulté est que les économies sont dopées à l’énergie. La transition vers une économie décarbonée est à cet égard difficile à concevoir car il n’existe pas de démonstration empirique montrant qu’il soit possible de découpler croissance économique et demande d’énergie. Le Việt Nam illustre bien cette difficulté car sa consommation énergétique augmente deux fois plus vite que son produit intérieur brut (PIB). Pourquoi est-ce compliqué ? Parce qu’au fond, les économies dépendent fondamentalement de la consommation d’énergie. Cette dépendance est décrite par l’équation suivante :

Premièrement, cette équation est toujours vraie. Elle exprime que le PIB par habitant (Yt/Nt) est égal au produit de la quantité d’énergie consommée par habitant multipliée par l’efficacité énergétique de l’économie (PIB divisé par la quantité d’énergie consommée). La deuxième ligne de l’équation de Kaya donne le taux de croissance du PIB/habitant toujours égal au taux de croissance de la consommation d’énergie par habitant plus le taux de croissance de l’efficacité énergétique d’un pays. Au niveau mondial, entre 1965 et 1980, la croissance mondiale annuelle a atteint 2,38 %. Jamais l’humanité n’a connu une telle augmentation du PIB/habitant. Ce taux se décompose en 1,6 % d’augmentation de la consommation d’énergie par habitant et + 0,78 % d’augmentation de l’efficacité énergétique. À partir de 1981, on constate que la croissance résulte principalement de celle de l’efficacité énergétique (1,36 %), bien moins de celle de la consommation d’énergie par habitant (0,5 %). La consommation d’énergie au niveau mondial augmente quasiment à la même vitesse que la démographie, donc moins vite que précédemment.

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La transition énergétique. Énergie, climat et prospérité

Le cas du Japon Cette équation devient triviale pour le Japon entre 2000 et 2012 : 0 = 0 + 0. Le Japon n’enregistre plus de croissance, ni d’augmentation de la consommation d’énergie par habitant, ni de progrès technique au sens de l’efficacité énergétique. Littéralement, le Japon a été piégé par une maladie très grave qui s’appelle la déflation. Cette illustration très simple suggère qu’une bonne partie de l’augmentation du PIB, donc de la manière dont est mesurée la croissance par les économistes, est essentiellement due à la faculté du pays d’augmenter la consommation d’énergie par habitant. Et le progrès technique y joue sa part également, mais il s’agit d’une part relativement mineure par rapport à la question de l’augmentation de consommation d’énergie. Le graphique 3 met en relation PIB mondial et consommation d’énergie. La corrélation, mise en évidence par une quasi-droite des moindres carrés, apparaît très forte. Ce graphique nous dit que pour augmenter le PIB en 2011 d’un dollar par habitant, il faut remonter la consommation d’énergie au niveau mondial d’à peu près la même quantité qu’en 1960. Les inflexions sont légères – la crise des années 1970 et celle des subprimes en 2008 – et n’ont pas perturbé la tendance de fond. Graphique 3. Évolution du produit intérieur brut et de la consommation d’énergie dans le monde

Sources : construction de l’auteur.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Absence de progrès ? Le graphique 3 montre qu’il n’y a pas eu d’amélioration de l’efficacité énergétique au niveau mondial entre 1960 et 2011. Cette absence possible du progrès va à l’encontre du discours de certains pays, notamment européens, qui se targuent d’avoir considérablement augmenté l’efficacité énergétique de leurs économies. La réponse tient dans le fait que cette droite ne passe pas par l’origine comme si le monde avait payé un coût fixe de consommation d’énergie, au début du XXe siècle, pour avoir le PIB mondial d’aujourd’hui. Cette « dépense » ayant été déjà supportée, nous avons ainsi l’illusion d’avoir fait des progrès considérables en termes d’efficacité énergétique. La bonne question à se poser est de savoir quelle est l’augmentation marginale de la consommation énergétique qui permet la croissance d’une unité de PIB. Le raisonnement en flux montre que les progrès ont été très faibles depuis 50 ans, alors que le raisonnement en stock, en raison du « coût fixe » que nous ne supportons plus, donne l’illusion d’un accroissement considérable de l’efficacité énergétique de la croissance. Cette réflexion pose le grand débat sur le découplage entre la consommation d’énergie et l’augmentation du PIB. Si le découplage est possible, le PIB doit dans certaines conditions croître sensiblement plus vite que la consommation d’énergie et la droite ci-dessus doit pouvoir s’infléchir vers la verticale. Les 50 dernières années montrent que ce ne fut pas le cas, et que la possibilité d’un découplage croissance-consommation d’énergie reste à démontrer. Graphique 4. Indice de vulnérabilité au changement climatique

Sources : construction de l’auteur.

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La transition énergétique. Énergie, climat et prospérité

Quasi-absence du progrès ? L’illusion d’avoir fait des progrès majeurs vient donc du fait que le coût fixe a été payé il y a plus d’un siècle, alors qu’en augmentation de la consommation d’énergie, il n’y a quasiment pas de progrès au niveau mondial. Toutefois, ceci n’est pas incompatible avec de vrais progrès au niveau régional. En réalité, un continent comme l’Europe, fait de vrais progrès, mais ceux-ci sont aussi dus à la délocalisation d’une partie de ses usines dans des pays comme la Chine, dont la consommation d’énergie assure la prospérité européenne qui achète les produits chinois à bas coût et forte intensité énergétique. Les Chinois consomment et polluent donc aujourd’hui pour le compte de tiers ! (cf. graphique 4)

Elasticité PIB/énergie primaire L’élasticité – la sensibilité de la croissance du PIB à la croissance de la consommation d’énergie – est extrêmement élevée. La plupart des macro-économistes, y compris ceux du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale, estiment que l’élasticité de la croissance du PIB par rapport à la consommation d’énergie est très faible et qu’elle devrait être d’environ 8 à 10 %. Ils estiment aussi que la sensibilité du PIB à la consommation de l’énergie devrait être égale à la part de l’énergie dans le pays. Il se trouve que la part de l’énergie dans le PIB, à cause de la faiblesse des prix de l’énergie, est faible depuis longtemps. Elle est comprise entre 8 et 14 % dans la plupart des pays avec des pics à 14 % juste après le deuxième choc pétrolier de 1979, elle est située à une moyenne entre 8 % et 10 % pour la plupart des pays. Pour beaucoup d’économistes, le PIB dépend très peu de la consommation d’énergie. Les études récentes ont permis de revisiter ces estimations par l’étude de séries longues. En effet, la sensibilité du PIB à la consommation d’énergie est de 60 % et non pas de 8 ou 10 %. Par ailleurs, le chiffre de 60 % est une moyenne. Il est de l’ordre de 70 % aux États-Unis. Ce fait n’est pas très étonnant. Les États-Unis sont des très grands consommateurs d’énergie. Cette élasticité est de 40 % seulement en Europe, ce qui veut dire que les Européens sont moins consommateurs d’énergie, à PIB égal, que les États-Unis. Ce ratio est probablement considérable pour le Việt Nam puisque sa consommation d’énergie augmente plus vite que son PIB.

La transition énergétique est une urgence absolue La transition énergétique ne consiste pas à diminuer la quantité d’énergie consommée dans un pays. En revanche, il est possible de modifier le mix énergétique. À partir du même graphique que précédemment, mais en abscisse, nous avons la consommation de pétrole et non plus de toute forme d’énergie primaire et en ordonnée nous y mettons de nouveau le PIB mondial. L’analyse graphique montre une vraie rupture de pente dans les années 1970 et un rapprochement vers la verticalité. Cela signifie qu’il est possible de substituer au pétrole des énergies primaires moins polluantes. Après les années 1970, la pente est devenue un peu plus verticale, ce qui veut dire que la croissance économique nécessite moins de consommation de pétrole.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Graphique 5. Consommation de pétrole et produit intérieur brut mondial

Sources : BP Statistical Review of World Energy (2012).

Quelles énergies peut-on substituer au pétrole sans accroître la masse des émissions de GES, donc en évitant d’y substituer des énergies primaires encore plus polluantes comme le charbon ? Des énergies renouvelables bien sûr, mais aussi, à défaut, le gaz, beaucoup moins polluant que le pétrole et le charbon.

Relation entre la consommation d’énergie et la production industrielle La corrélation quasiment linéaire entre la consommation d’énergie et la production industrielle illustre l’absence d’avancée technologique notable à cet égard depuis quarante ans. Au moment de la crise des subprimes en 2008, la courbe s’est déplacée vers la gauche et non pas vers la droite : ce phénomène montre qu’à l’issue d’une forte crise financière, comme celle de 2007-2008, la consommation d’énergie baisse et qu’ensuite le PIB baisse. Cela signifie que la causalité va de la consommation d’énergie vers le PIB et non pas dans l’autre sens. Ce point suscite un grand débat entre économistes sur fond d’appréciations divergentes de l’élasticité du PIB par rapport à la consommation d’énergie évoquée précédemment.

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La transition énergétique. Énergie, climat et prospérité Graphique 6. Énergie consommée et production industrielles pour l’OCDE, 1970-2013

Sources : BP Statistical Review of World Energy (2012).

Cette causalité est fondamentale. Si la consommation d’énergie ne pouvait pas augmenter, pour des raisons diverses, alors la croissance en serait affectée. L’augmentation de la consommation de l’énergie fait la croissance. Si la consommation d’énergie baisse, à cause du climat par exemple, la croissance va s’effondrer. Certains économistes l’ont inconsciemment compris et essaient de changer la mesure du PIB pour dissimuler la chute prévisible de la croissance dans les années à venir. En 2015, au niveau mondial, le PIB nominal a baissé de 6 %, soit l’équivalent de la suppression de l’économie japonaise. Or il n’y eut en 2015 ni crise financière majeure, ni catastrophe naturelle d’ampleur mondiale et aucun pays n’a fait défaut sur sa dette. Pourquoi en parle t-on si peu ? D’abord, parce que les économistes sont embarrassés et se rassurent en disant que le PIB réel (corrigé de l’inflation) a augmenté. D’autant que le PIB réel au niveau mondial est calculé « en trafiquant » le taux de change entre pays. Ce PIB réel, qui est une construction artificielle, continue à augmenter alors que le PIB nominal mondial baisse de 6 %. Le PIB réel n’est toutefois pas une bonne construction car les dettes sont souvent remboursées avec de la vraie monnaie (en đồng, en dollars, en yens, en euros). Elles ne sont pas remboursées en monnaie réelle qui sert à calculer le PIB réel. Le PIB réel ne sert à rembourser aucune dette. Le PIB nominal sert à rembourser les dettes. Si le PIB nominal mondial baisse de 6 %, la planète aura un énorme problème devant elle pour rembourser ses dettes.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

La consommation d’énergie ne peut plus augmenter. Pourquoi ? Premièrement, à cause du climat, et deuxièmement à cause du « Peak Oil ». Graphique 7. Pic pétrolier ? Pour bientôt ?

Sources : http://www.carbone4.com/

La projection de la consommation mondiale de pétrole montre qu’elle a atteint ou va atteindre son pic dans peu de temps. Atteindre ce pic ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de pétrole. La totalité des réserves disponibles mesurée par la surface en dessous de la courbe s’épuisera une fois que cette courbe aura atteint 0. La totalité du pétrole consommé correspond à cette aire. Le pic du pétrole est donc le moment où le sommet de la courbe est atteint et à partir duquel il ne sera plus possible d’augmenter la quantité de pétrole consommé sur terre. Naturellement, au lendemain de ce pic, il restera du pétrole et l’humanité continuera de le consommer, mais simplement moins que la veille. Le pic du pétrole avec les techniques conventionnelles d’extraction a déjà été atteint au niveau mondial en 2005 avec 88 millions de barils de pétrole produits chaque jour. Ceci est admis par tout le monde, en particulier par l’Agence internationale de l’énergie. Cette agence a mis cinq ans à le reconnaître, en raison des pressions exercées par le lobby du pétrole. Aujourd’hui, la discussion est close. Il existe également un débat sur le pic du pétrole toutes techniques confondues, incluant la fracturation hydraulique, qui permet l’extraction de pétrole et gaz de schiste, aux États-Unis et au Canada particulièrement.

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La transition énergétique. Énergie, climat et prospérité Aujourd’hui, la communauté des ingénieurs pétroliers est très divisée. Les optimistes pensent que le pic du pétrole mondial – toutes formes et techniques confondues – sera aux alentours de 20502060, les plus pessimistes disent qu’il sera pour 2025. Cependant, il y a des raisons bien objectives pour l’envisager en 2025, consensus des géophysiciens. La réponse que l’humanité peut apporter au défi climatique s’avère donc compliquée. Schéma 1. Développement de l’équation de Kaya

Sources : construction de l’auteur.

Dans cette nouvelle version de l’équation de Kaya, la quantité de CO2 émise dans l’atmosphère par l’humanité se trouve à gauche. Elle est toujours égale au terme de droite, c’est-à-dire la quantité de CO2 divisée par l’énergie consommée, multipliée par l’énergie consommée divisée par le PIB et multipliée par le PIB par habitant et la population elle-même. La population « s’élimine » donc, le PIB s’élimine, l’énergie s’élimine et le CO2 est toujours égal au CO2. Ceci est une tautologie utile car elle permet de comprendre les enjeux. La quantité de CO2 émise est toujours égale à l’intensité en CO2 de l’énergie consommée, multipliée par l’intensité énergétique du PIB, multiplié par le PIB/habitant et multiplié par la population. La communauté internationale, en particulier à Paris en 2015, s’est engagée à diviser par trois la quantité de CO2 au niveau mondial d’ici 2050. Il s’avère impératif d’arriver à la conclusion de cet accord si l’humanité veut éviter l’apocalypse à la fin de ce siècle, occurrence probable avec une augmentation de +6° de la température. Pour cela, il faut diviser par trois le terme de gauche et

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est donc celui de droite pour préserver l’identité. Quelles sont les marges de manœuvre ? Cherchons des réponses dans les termes de l’équation : - la population : l’évolution démographique d’un pays est peu manipulable ; les scénarios de l’ONU prédisent une transition démographique en Afrique saharienne plus lente que prévue et une population mondiale de neuf milliards en 2050, de onze milliards à la fin de ce siècle. Une division par trois de la population n’est donc pas envisageable. Au mieux, la population resterait constante. Ceci est déjà pratiquement impossible puisque la tendance démographique d’ici 2050 se détermine aujourd’hui ; - le PIB/habitant ou le revenu par habitant. Il paraît assez clair qu’aucun gouvernement n’est capable de proposer un programme politique construit sur la baisse du revenu par habitant, dont il n’est donc pas sérieux de proposer une telle division. La projection est plutôt une augmentation annuelle de 2 % du revenu par habitant, multipliant le PIB par habitant par deux d’ici 2050. Si l’on veut parvenir à une division par trois de la masse des émissions de CO2, et considérant comme prédéterminés la croissance démographique et la croissance économique ciblée, il faut diviser par sept le produit des deux autres termes de l’équation pour maintenir l’identité ; - l’intensité énergétique ou la quantité d’énergie, toutes énergies confondues, rapportée au PIB. Elle a baissé de 30 % dans le monde depuis 40 ans mais la prolongation de cette tendance n’est pas justifiée et, en tout état de cause, ne permettrait pas d’atteindre le facteur de réduction nécessaire pour maintenir l’identité des termes de l’équation ; - il faut par conséquent réduire très sensiblement le contenu en CO2 de l’énergie produite, la diviser par au moins quatre (par sept si l’on enregistre pas de réduction supplémentaire de l’intensité énergétique) : c’est cela la transition énergétique, la transition d’une économie carbonée vers une économie décarbonée réside en ce terme. En conclusion, le seul terme sur lequel il est possible d’agir est bien le dernier cité. L’humanité va-t-elle réussir à le diviser par sept ? Nous n’en savons rien. Par contre, tant qu’un pays comme le Việt Nam continuera à fonder sa prospérité sur le charbon, il sera difficile d’y arriver. Le Việt Nam n’est pas tout seul, la Chine aussi, et au fond, les Européens aussi puisqu’ils ont délocalisé en Chine les usines polluantes dont la production leur bénéficie. Tous les pays sont donc responsables. Ayons conscience de l’énormité de l’enjeu. Il est possible que l’humanité réussisse à réduire la quantité de CO2 qu’elle émet en agissant sur cette variable qui est la plus facile à infléchir par les progrès de la science, par ceux des comportements, et par l’intelligence politique collective et individuelle. D’autres phénomènes moins souhaitables peuvent également y conduire, tel l’effondrement du revenu par habitant, ce qui est malheureusement tout à fait possible, voire celui de la population comme effet d’un désastre humanitaire dans les années qui viennent. Les prospectives d’Agrimonde rendent tout à fait possible, malheureusement, cette possibilité d’effondrement.

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La transition énergétique. Énergie, climat et prospérité

1.1.3. S’adapter à la possibilité d’un effondrement En 1972, un travail absolument remarquable a été réalisé au Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Boston par des physiciens, des agronomes, des biologistes et des ingénieurs (pas un seul économiste dans cette équipe). Cette équipe a rendu son rapport au Club de Rome intitulé « Limits to Growth » (« Halte à la croissance » dans sa version française) qui a eu un énorme succès à l’époque avec plus de dix millions d’exemplaires vendus. Malheureusement, ce rapport a été complètement ignoré par les économistes qui se sont bien abstenus de le commenter car qu’il n’y avait pas une ligne d’économie dans le texte. L'analyse de Meadows (1972) n’a pas encore été démentie. Graphique 8. Effondrement

Sources : Turner, 2014.

Ce rapport disait que la poursuite de la trajectoire business as usual donnerait lieu à des effondrements planétaires au XXIe siècle. L’un de ces scénarios prédisait un effondrement de la production agricole, donc industrielle et de la population dans la décennie 2020. Ce travail a été complètement ignoré et méprisé par les économistes. Cependant, le physicien australien, Graham Turner, l’a testé en 2008, et ensuite a regardé si les trajectoires de Meadows avaient effectivement été suivies par la planète depuis 1972. Malheureusement, Turner (2014) est arrivé à la conclusion que les modèles de Meadows étaient fiables. L’équipe de Meadows en 1972 avait effectivement construit un modèle qui a prédit de manière très fiable des variables essentielles d’évolution de la planète sur 40 ans. Alors qu’un modèle macro-économique ne permet de dire « des choses intelligentes » que sur deux ans. Sans une ligne d’économie, Meadows avait conçu un modèle « qui marche » sur quatre décennies. Meadows envisageait deux scénarios d’effondrement planétaire, l’un dans les années 2020 le second dans les années 2060.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Cet effondrement probable serait dû à deux phénomènes : la raréfaction des ressources naturelles pour le premier scénario et la saturation des puits d’absorption de la pollution pour le second, indépendamment pour ce dernier de toute considération sur le changement climatique. Le climat s’ajoute aux conclusions de Meadows. Essentiellement, la différence entre le premier et le second scénario se trouve dans la question du pic du pétrole, soit en 2014 soit en 2050-2060. À l’AFD, un modèle économique est en cours de construction qui intègre les paramètres de l’énergie et du climat dans la projection des déterminants de l’économie de demain. Les conclusions de ce modèle confirment, malheureusement, le travail de Meadows. Ce modèle macro-économique, au niveau mondial, tient compte en particulier de la dette (privée et publique). Les boucles de rétroaction du climat, autrement dit l’impact du climat sur l’économie mondiale, renvoit à un effondrement planétaire au cours du XXIe siècle. Celui-ci n'est pas aussi rapide que le prévoit Meadows et n’est pas pour 2020, mais plutôt pour le début de la deuxième moitié du XXIe siècle. De nombreux scénarios ont été envisagés, en fonction notamment de la sensibilité du climat à la concentration de CO2. Evidemment, si elle est égale à 1, il n’y aura pas d’effondrement planétaire. L’homme peut continuer à polluer, et finalement la température n’augmente que très peu. Si elle est égale à 6, l’effondrement planétaire sera très rapide, en 2050-2060, simplement à cause du climat, c’est-à-dire en négligeant tous les autres aspects du travail qui avait été fait par Meadows : le pic du pétrole, le pic cuivre, le pic phosphore mais aussi la saturation des puits d’absorption des autres pollutions que nous émettons. À titre d’exemple, le trou de la couche d’ozone a cessé d’augmenter mais il ne se réduit pas aujourd’hui, contrairement à ce qu’on apprend quelquefois dans les médias. Cela signifie que les autres aspects de la pollution de l’activité humaine indépendamment du climat, et donc du CO2, sont fondamentaux et que des progrès considérables n’ont pas été faits dans la réponse apportée à ces autres aspects. En conclusion, mon message général est que la trajectoire du business as usual va conduire l’humanité au désastre. Pour ces raisons, cette trajectoire n’est pas envisageable et il faut l’éviter à tout prix, d’où la nécessité impérative de la transition énergétique.

La question des prix La plupart des économistes ne manifestent aucune inquiétude face au pic du pétrole et assurent que son prix va augmenter vite et donner le signal au marché de sa raréfaction : cela va fournir les incitations nécessaires à une conversion rapide à l’utilisation d’autres énergies primaires. Les économistes ont en particulier en tête un modèle qui date des années 1930 (le modèle de Hotelling) qui permet de prévoir que si une ressource diminue, alors les prix des autres ressources vont augmenter. Par ailleurs, comme le prix de cette énergie augmente, elle incite aussi ceux qui puisent cette énergie à continuer de forer un peu plus loin pour épuiser définitivement les ressources. Donc, pour ce qui est du pétrole, en principe, le prix du baril devrait augmenter très fortement pour permettre aux pétroliers d’avoir des investissements rentables pour épuiser les dernières réserves qui restent et obliger le reste de la demande à s’orienter vers d’autres types d’énergies.

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La transition énergétique. Énergie, climat et prospérité La réalité est bien différente. Le prix des matières premières et en particulier le prix du pétrole n’explose pas en ce moment. Au contraire, ce paradoxe d’un prix du baril qui s’est effondré au cours des trois dernières années et qui reste encore très faible aujourd’hui se confirme. Pourtant, nous savons que le prix du pétrole dicte le prix de toutes les énergies qui dépendent fortement de son prix, et que le prix de l’énergie dicte en grande partie le prix des matières premières : il faut de l’énergie pour extraire les matières premières. Graphique 9. Prix du baril vs PIB en dollars contants de 1960 à 2014

Sources : Jancovici, op. cit, 2015.

Le constat est qu’il n’y a aucune corrélation entre l’augmentation de la consommation de pétrole et son prix. Deux pics d’augmentation massive ont été observés pendant les chocs pétroliers des années 1970 et la crise des subprimes en 2008. En dehors de ces pics, le prix du pétrole s’effondre. Le modèle de Hotelling est violemment contredit par les observations. Il est complètement faux, empiriquement. Et quand les faits contredisent la théorie, il faut changer de théorie. Malheureusement dans la tribu des économistes, quand les faits montrent que la théorie est fausse, la théorie est maintenue et les faits sont démentis.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Ce graphique montre bien que les prix ne transmettent pas l’information pertinente sur la raréfaction des ressources. Graphique 10. Prospectives de l’Agence internationale de l’énergie sur le prix du pétrole et le prix du pétrole observé

Sources : http://www.iea.org ; http://www.worldenergyoutlook.org

Le graphique 10 montre les prospectives transmises par l’Agence Internationale de l’Énergie sur le prix du pétrole et le prix du pétrole observé. Il est très clair que le prix du pétrole est complètement déconnecté de sa projection par l’Agence internationale de l’énergie. À aucun moment, les économistes ne se sont avérés capables de prédire correctement le prix du pétrole, ils se trompent en permanence. Il y a deux explications à ces fluctuations des prix du pétrole qui ne sont pas liées à la demande et à l’offre du pétrole. Premièrement, le marché du pétrole est un marché extrêmement trafiqué. Le prix mondial est calculé de la manière suivante : chaque jour une institution privée téléphone aux principales compagnies pétrolières en leur demandant à quel prix ils ont vendu la veille. Elle téléphone à une vingtaine de compagnies, élimine celles qui sont très en haut de la fourchette et celles qui sont très en bas et fait la moyenne des autres. Cette institution annonce que le prix du pétrole aujourd’hui est de tant. Les mêmes mécanismes président à la définition du London Interbank Offered Rate (LIBOR), taux d’intérêt révisable fixé à Londres par la consultation de banques

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La transition énergétique. Énergie, climat et prospérité de la place. Il y a trois ans, on a constaté que les banques qui étaient interrogées pour calculer le prix du LIBOR avaient manipulé les informations qu’elles donnaient à l’institution qui devait le fixer. Pourquoi ? Parce que si vous savez quel taux d’intérêt sera décidé demain matin à l’avance, vous pouvez gagner de l’argent en pariant sur le taux d’intérêt, et comme c’est vous qui avez donné l’information qui servira à calculer ces taux d’intérêt, vous êtes sûrs de gagner !

Trop de volatilité tue les prix Nous savons aujourd’hui qu’une vingtaine de grandes banques ont manipulé sciemment le cours du LIBOR pour gagner de l’argent. Il en va de même pour le pétrole. Il est possible que le prix du pétrole soit manipulé car il n’est pas calculé en fonction de l’offre et la demande mais en fonction d’une déclaration des compagnies pétrolières sur ce qu’elles font. Y a-t-il un intérêt pour les compagnies pétrolières à manipuler une déclaration qu’elles font à l’organisme qui calcule le prix du pétrole ? La réponse est sans doute dans la question ! Par ailleurs, le prix du pétrole aujourd’hui est très financiarisé car il y a plus de transactions financières sur le pétrole (« pétrole papier ») que de quantités physiques objet de transactions commerciales. Le marché spot du pétrole – le marché du pétrole où le « vrai » pétrole est acheté – est trente fois plus petit que les marchés financiers sur le pétrole sur lesquels des grandes banques vendent et achètent des dérivés, ou des actifs financiers, sur le pétrole. Par exemple, des actifs peuvent être des contrats qui promettent la livraison du pétrole dans 30 ans. Alors que les grandes banques achètent les contrats de livraison de pétrole pour dans 30 ans, elles n’ont aucune intention de se faire livrer du pétrole mais elles espèrent que dans quelques mois ou dans quelques années, le prix de ces contrats aura augmenté. Et dès que le prix de ces contrats a suffisamment augmenté, les banques revendraient l’actif pour gagner la différence de prix entre le prix auquel elles avaient acheté l’actif et celui auquel elles le revendraient. Tout ce processus s’appelle de la spéculation sur des actifs financiers dérivés sur le pétrole. La raison pour laquelle cette spéculation est évoquée ici est que la spéculation est énorme puisqu’elle pèse 30 fois plus lourd que le marché physique du pétrole et elle finit par avoir une influence sur le prix lui-même.

C’est exactement ce qui s’est passé en 2008 En 2008, le prix du pétrole a explosé. Le prix du baril était à 60 $ à la fin de l’année 2007, il est monté à 145 $ en milieu d’année 2008 puis s’est effondré à 40 $ et enfin est remonté à 60 $. Ces fluctuations n’avaient qu’une durée de 12 mois. Une telle variation 60-145-40-60 n’a en effet rien à voir avec l’offre et la demande réelle du pétrole. L’offre et la demande réelle de pétrole sont extrêmement stables au niveau mondial, elles croissent lentement en réalité, d’environ 500 000 barils par an, à la faveur de la croissance des pays émergents.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Que s’est-il passé ? Les investisseurs financiers, les traders, qui avaient acheté énormément d’actifs financiers « pourris » (subprimes), ont compris à la fin de l’année 2007-début 2008, que ces actifs ne valaient plus rien. Ils devaient les vendre dans la panique et lorsqu’ils sont dans la panique, ils réinvestissent leur argent, toujours dans les mêmes trois valeurs : - l’or car l’on continue de penser que l’or est une réserve sûre, alors que l’or joue un rôle très mineur aujourd’hui dans l’économie mondiale ; - le pétrole, parce que le pétrole joue un rôle fondamental dans l’économie mondiale ; - le franc suisse, pour des raisons obscures. En tous cas, ce sont ces trois réserves-refuge dans lesquels les traders dans le monde occidental mettent leur argent quand ils paniquent. Ces phénomènes sont bien observables grâce à l’évolution du cours de l’or et du pétrole en 2008 qui sont absolument parallèles. Les prix de l’or et du pétrole ont explosé et se sont effondrés, puis ont réaugmenté en même temps. Pourquoi ? Parce que les traders, dans la panique de la crise financière, ont commencé par vendre leurs actifs subprimes, et acheté massivement de l’or, du pétrole et du franc suisse, avant de revendre ces actifs, quelques mois plus tard. Ainsi, le prix du pétrole aujourd’hui ne reflète pas la raréfaction réelle physique du pétrole, ni même l’évolution de l’offre et de la demande physique du pétrole mais des manipulations des compagnies pétrolières et les pronostics des banques. Un résultat des travaux mathématiques de scientifiques français a montré que la financiarisation du prix du pétrole pouvait empêcher complètement le prix du pétrole de donner quelque information que ce soit. La tendance déterministe du prix devrait être en effet exponentielle si le modèle de Hotelling était vrai, puisqu’elle devrait refléter la raréfaction croissante du pétrole – cela vaut pour les cuivres, pour le phosphore, puisque l’on sait qu’ils vont atteindre leur pic dans les années prochaines. Supposons maintenant que ce prix-là, qui est le prix lié au marché réel, soit financiarisé et dépende de mouvements aléatoires sur les marchés financiers, et supposons que ces mouvements aléatoires soient d’amplitude relativement faible. Dans ces cas, la tendance déterministe ne va pas se voir. À sa place, il y aura quelque chose d’un peu chaotique qui correspond à la tendance et qui est simplement la tendance augmentée d’un événement moyen. Dans cette situation-là, pour ceux qui observent les cours du pétrole sur le marché, ils ne verraient pas grand-chose au jour le jour mais sur le moyen terme ils verraient bien une tendance se dessiner, qui leur donnerait la bonne information. Si la volatilité, c’est-à-dire la taille, l’amplitude des fluctuations aléatoires des cours financiers, est très grande alors le prix va forcément s’effondrer. Le prix sous-jacent d’un pétrole de plus en plus rare va forcément exploser exponentiellement. À l’inverse, la financiarisation, si elle s’accompagne elle-même d’une agitation aléatoire suffisamment importante peut provoquer la chute du prix. D’un point de vue théorique, ce processus est absolument réaliste. Il implique qu’un prix financiarisé ne puisse plus être considéré comme un indicateur d’une quelque réalité que ce soit. Il peut transmettre des informations qui sont complètement fausses.

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Conclusion La maîtrise économique et politique de la transition énergétique suppose une connaissance fine, par les économistes, des mécanismes de formation du prix des carburants. Que les économistes cessent de regarder des prix qui ne transmettent pas la bonne information, et qu’ils prennent l’habitude à regarder les quantités, comme le font les ingénieurs et les physiciens ! Le changement du mode de raisonnement nous évitera de persister dans l’erreur de croire qu’un prix faible de l’énergie démontre que l’énergie n’est qu’un paramètre mineur parmi les variables de « l’équation de croissance ». L’analyse des grandeurs physiques, des volumes et des masses, révèle au contraire que « l’énergie commande le PIB » et le grand enjeu de la transition énergétique est bien de réduire de manière drastique le « contenu en dioxyde de carbone » de l’énergie que nous transformons.

Bibliographie BP Statistical Review of World Energy (2012) – Web Site: bp.com/statisticalreview Climate Change and Environmental Risk Atlas – Web Site: maplecroft.com/portfolio/ new-analysis/2014/10/29/climate-change-and-lack-food-security-multiply-risks-conflict-and-civilunrest-32-countries-maplecroft/ Christensen, V., S. Guénette, J.J. Heymans, C.J. Walter, R. Watson, R. Zeller, D. Pauly (2003), Hundredyear decline of North Atlantic predatory fishes, Fish and Fisheries, Volume 4, Issue 1. Cury, P. et Y. Miserey (2008), Une mer sans poisson. Paris : Calmann-Lévy. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) (2001), Climate Change 2001: The Scientific Basis. Contribution of Working Group I to the Third Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Houghton, J.T., Y. Ding, D.J. Griggs, M. Noguer, P.J. van der Linden, X. Dai, K. Maskell, and C.A. Johnson (eds.)], Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA, 881p. Jancovici, J-M (2015), Dormez tranquilles jusqu’en 2100, éditions Odile Jacob. Maplecroft (2014), Climate Change Vulnerability Index; available at http://www.maplecroft.com/ about/news/ccvi.html Meadows, D, J. Randers, W. Behrens (1972), The Limits to Growth, Universe Books. Turner, G. (2014), Is Global Collapse Imminent? An Updated Comparison of The Limits to Growth with Historical Data, Technical Report, University of Melbourne.

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1.2. Transition énergétique et territoires Sébastien Velut – université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle

La notion de transition énergétique a été utilisée par les spécialistes pour décrire les grands changements de système énergétique qui ont eu lieu depuis la révolution industrielle. Le passage du bois au charbon fossile puis du charbon au pétrole constituent deux des changements majeurs qui ont été précisément analysés (Grubler, 2012). Depuis le début des années 2000, l’expression de transition énergétique acquiert un nouveau sens : celui d’une impérieuse nécessité pour faire face à l’épuisement progressif des ressources fossiles et, surtout, limiter les émissions de gaz à effet de serre responsables de la dégradation du climat mondial. En Allemagne, la notion de transition énergétique – Energiewende – apparaît dès les années 1980 dans la continuité des mouvements d’opposition à l’implantation de nouvelles centrales nucléaires, sans que soient à ce stade pris en compte les effets des énergies fossiles sur le climat qui ne sont pas encore clairement identifiés. À l’échelle européenne, la feuille de route pour l’énergie à l’horizon 2050 de 2011 souligne la nécessité de mettre en place pour 2050 un système d’approvisionnement énergétique sûr, compétitif et décarboné. En France, la loi du 17 août 2015 sur « la transition énergétique et la croissance verte » rassemble une série d’initiatives pour accroître la part des énergies renouvelables et favoriser la sobriété énergétique. Elle a été accompagnée de larges débats, qui ont notamment eu lieu à l’échelle des régions, pour mobiliser les différents acteurs du secteur de l’énergie. Ainsi, la catégorie descriptive de transition énergétique est devenue un concept ordonnateur des politiques publiques en Europe et elle inspire, au-delà des frontières européennes, de nombreuses initiatives. Toutefois, les objectifs mis en avant sont multiples. Dans le cadre général de sécurisation des approvisionnements et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, peuvent se glisser plusieurs approches distinctes, telles que le développement des énergies renouvelables conventionnelles – c’est-à-dire principalement la grande hydraulique, mais peut-être faudrait-il inclure désormais l’énergie éolienne, dont la technologie est éprouvée et non conventionnelles, ce qui peut aller de technologies déjà éprouvées quoiqu’améliorables (solaire photovoltaïque, petite hydraulique) aux expérimentations encore à confirmer (biocarburants produits par des micro-organismes, solaire thermique, hydrogène natif par exemple). Toutefois, même si de nombreux travaux ont tendance à survaloriser les aspects technologiques, la transition énergétique relève également des modifications des cadres règlementaires, des marchés de l’énergie et surtout, de l’évolution des besoins et des pratiques des usagers et de la façon dont les entreprises du secteur y répondent. Elle a donc, et c’est un point essentiel, un fondement social. Non seulement parce que

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est la transition énergétique est de nature à modifier la compétitivité des entreprises et donc à affecter l’emploi, mais aussi parce qu’on ne saurait occulter les problèmes de coût et d’accès à l’énergie pour les ménages, un problème que l’on rassemble parfois sous les expressions de pauvreté énergétique ou de précarité énergétique (Bafoil et al., 2014). Si l’évolution du mix énergétique se traduit par une augmentation des coûts, comment ne pas priver les ménages les plus pauvres d’un accès à l’énergie essentiel pour sortir de la pauvreté ? Plus généralement, modifier les modes d’accès à l’énergie, c’est agir en profondeur sur les modes de vie, sur les façons de se déplacer, de produire, de consommer, de se loger, et non pas seulement sur la source d’énergie primaire utilisée. Dans les pays européens, qui disposent de réseaux très développés d’approvisionnement énergétique, l’une des conséquences possibles de la transition énergétique est l’augmentation des prix pour les ménages pour prendre en compte les investissements dans de nouvelles infrastructures, l’utilisation de technologies non conventionnelles plus coûteuses et les prix ou taxes pesant sur les émissions de gaz à effet de serre. Dans les pays du Sud, la transition énergétique ne peut laisser de côté les enjeux majeurs de l’accès à l’énergie, que ce soit dans les régions mal desservies par les réseaux ou les problèmes rencontrés dans les quartiers d’habitat précaire. Ainsi, la transition énergétique est principalement pensée en Europe – et notamment en France – comme une modernisation de l’offre énergétique (fermeture envisagée des centrales à charbon, diminution progressive de la part du nucléaire, déploiement de l’éolien). Toutefois, la problématique est plus complexe dans les pays du Sud en forte croissance démographique. La nécessité de faire face à la croissance économique et d’élargir l’accès à l’énergie des ménages sont des objectifs prioritaires et la sobriété énergétique mise en avant en Europe n’apparaît pas comme une option satisfaisante. Une transition énergétique mondiale est bien un objectif central dans une perspective de développement durable : elle doit assurer à la fois l’accès à l’énergie pour tous, l’amélioration des conditions de vie et la minimisation des impacts sur l’environnement et particulièrement sur le climat. Toutefois une telle transition doit être pensée à différentes échelles, à partir des territoires où se nouent des enjeux spécifiques, peuvent s’élaborer des solutions mais aussi se mettre en place des blocages. Ce texte vise à préciser la façon dont peut être prise en compte cette dimension territoriale de la transition, en insistant particulièrement sur les enjeux métropolitains, et les points de blocage qu’on peut identifier. Pour aborder ces questions, il paraît nécessaire de présenter dans un premier temps les évolutions de la géographie de l’énergie, autrement dit la façon dont les systèmes énergétiques s’inscrivent dans l’espace.

1.2.1. Vers une nouvelle géographie de l’énergie L’énergie a besoin d’espace, mais le rapport à l’espace est en train de changer, sous l’effet notamment de la mise en place de nouvelles technologies de l’énergie mais aussi de demandes sociales et d’un contexte géopolitique en évolution. Le tableau 1 regroupe de façon schématique ces changements. À une période marquée par la centralisation et les économies d’échelle, fait suite un moment où sont visibles des tendances à la décentralisation et une valorisation des proximités et des niveaux locaux de décision.

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Transition énergétique et territoires On peut dater au début des années 1990 le basculement progressif du modèle énergétique qui s’était mis en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale vers de nouvelles règles d’organisation. Cette coupure chronologique a été préparée par les premiers chocs pétroliers (1973 et 1979) qui ont alerté sur la dépendance des pays importateurs par rapport à des fournisseurs pas toujours fiables, et auxquels fait suite une lente décroissance de la part du pétrole dans l’énergie primaire. Toutefois, ce ne sont pas les seuls changements à prendre en compte. À partir de la chute du mur de Berlin et de la désagrégation rapide du bloc de l’Est, une nouvelle géopolitique mondiale se met en place, alors même que s’affirment les préoccupations mondiales pour le climat. On peut rappeler que le premier rapport du GIEC sur le climat est publié en 1990, sous l’égide de l’organisation météorologique internationale, et c’est en 1992, à la conférence de Rio qu’est signé l’accord cadre des Nations unies sur le changement climatique – United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC). Parallèlement, l’ouverture des marchés et l’affirmation des principes du capitalisme amènent des réformes économiques, des délocalisations industrielles et la croissance des pays émergents. Elle a pour conséquence l’accroissement de leur demande énergétique et un recours accru aux combustibles fossiles dans un scénario de continuité technologique et de recours aux solutions les moins coûteuses, donc aux hydrocarbures fossiles en priorité. Au milieu des années 2000, l’ensemble Asie-Pacifique dépasse l’Amérique du Nord comme première région de consommation d’énergie et, logiquement, comme foyer émetteur de gaz à effet de serre – en 2014 les émissions de la Chine seraient le double de celles des États-Unis. Émerge ainsi une nouvelle géographie de la consommation des hydrocarbures, que renforce le transfert des unités les plus émettrices de gaz à effet de serre du Nord vers le Sud, pour répondre aux engagements du protocole de Kyoto. Pendant les mêmes années, est remis en cause le schéma d’approvisionnement en énergie des grandes puissances industrielles et qui reposait principalement sur le pétrole du Moyen-Orient. Schématiquement, dans les années 1950, le Moyen-Orient est le principal fournisseur de pétrole et tout particulièrement l’Arabie Saoudite qui passe avec les États-Unis un accord privilégié pour stabiliser les prix, sécuriser les approvisionnements et garantir la stabilité politique. Ce schéma s’est diversifié, notamment avec les découvertes de gaz en mer du Nord et la construction des grands gazoducs entre l’URSS et l’Europe occidentale – gazoduc Soyouz, mis en service au début des années 1980 – qui ont permis à l’Europe de diminuer sa dépendance à l’égard des fournisseurs du Moyen-Orient. Le développement de gisements en Afrique et en Amérique latine et l’usage accru du gaz redessinent la carte mondiale des échanges et les pays développés s’efforcent de disposer de sources alternatives, telles que le nucléaire ou les hydrocarbures non conventionnels. Dans les pays industrialisés, de grands réseaux de transport d’énergie électrique de niveau national sont progressivement réalisés et interconnectés avec les pays voisins. Dans le cas français, les premières grandes lignes électriques ont été établies dans les années 1930. Elles constituent progressivement un réseau national à mesure que se construit le parc nucléaire français dont elles sont le complément indispensable. Elles permettent en effet de distribuer dans tout le territoire l’électricité produite dans un petit nombre de centrales, et en dissipent une partie non négligeable, par effet joule, tout au long du parcours. C’est à partir de ces réseaux nationaux que se met en place un réseau européen qui couvre désormais toute l’Europe occidentale, s’étendant de la Finlande à l’Italie et de l’Espagne à la Pologne. Avec plus de 300 000 km de lignes à haute tension, ce réseau

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est est considéré par beaucoup comme l’un des objets techniques les plus vastes et les plus complexes jamais réalisés. Il suppose en effet que soit équilibré en temps réel l’offre et la demande de l’électricité sur l’ensemble de ce vaste espace comptant plus de 500 millions d’habitants. Différentes initiatives existent pour accroître ce réseau vers d’autres pays partenaires, notamment au sud de la Méditerranée et pour la préparer à la croissance des énergies renouvelables, voire penser progressivement à la constitution d’un réseau électrique mondial. Ces grands réseaux électriques, dont l’Europe fournit l’exemple, se retrouvent également dans les Amériques et en Asie. En République populaire de Chine, l’entreprise d’État State Grid construit et opère des réseaux électriques sur 88 % du territoire national, dessert plus d’un milliard de consommateurs et emploie 1 720 000 personnes. Il s’agit donc d’une gigantesque entreprise dont la croissance est liée à l’industrialisation de la Chine et à l’amélioration de l’accès à l’énergie pour l’ensemble de ses habitants. Plus largement, l’existence de ces grands réseaux témoigne de facteurs économiques et politiques : ils répondent à une logique d’économies d’échelle dans la production d’électricité, de tendance à faire de l’électricité la principale source énergétique utilisée par le consommateur final – hors usages dans les transports – et ils n’ont pu être réalisés que sous l’effet d’une politique continue. Les économies d’échelle ont été au centre de tout le développement des systèmes électriques, avec le passage à des usines de génération de plus en plus importantes pour abaisser le coût unitaire du kilowatt-heure (kWh) : grands barrages comme celui des Trois Gorges (Chine) ou d’Itaipu (Brésil-Paraguay), centrales nucléaires et grandes centrales à charbon offrent les meilleurs coûts de fonctionnement. D’autre part, le passage au tout électrique dans l’industrie et dans les foyers – avec par exemple la généralisation des dispositifs de cuisson et de climatisation électriques – est vu comme une façon d’accéder à une forme de modernité énergétique, plus propre, plus sûre, plus fiable, par rapport à des solutions jugées traditionnelles utilisant différents combustibles, comme par exemple le charbon de bois. L’intérêt porté aujourd’hui aux véhicules électriques relève de la même logique : limiter les émissions polluantes liées à la circulation (mais non pas à la production d’électricité !) et utiliser les réseaux existants pour amener l’énergie aux consommateurs. Les investissements considérables que représentent les grandes infrastructures et les modifications profondes des usages, n’ont pu se faire que parce que les États en ont assumé directement une partie et créé les conditions permettant une planification à long terme du secteur. Qui plus est, la couverture des territoires nationaux par les réseaux répond aussi à une volonté géopolitique d’intégration de l’ensemble des régions, de politique d’accès à l’énergie et de valorisation des potentiels disponibles et d’unification des marchés. Au début des années 1990, un nouveau scénario se fait jour, qui concurrence le modèle que l’on vient de décrire, sans le remplacer du tout au tout, puisque se poursuivent extension des réseaux et réalisation de grandes infrastructures. Mais ce modèle plus décentralisé, qui faire jouer à nouveau les proximités dans le domaine de l’énergie, montre qu’il est possible de penser différemment la carte énergétique. Les flux d’échange se diversifient avec la montée en puissance de nouveaux producteurs d’hydrocarbures en Afrique, en Amérique latine et en Asie, qui viennent se substituer partiellement aux fournisseurs du Moyen-Orient. Plus récemment l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels contribue à cette diversification. Le pétrole reste la principale source d’énergie

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Transition énergétique et territoires primaire, mais il est de plus en plus complété par le gaz naturel, avec de nouveaux fournisseurs, et les renouvelables connaissent un développement significatif, notamment l’éolien. Surtout, on ne pense plus seulement en termes d’accroissement des fournitures, mais aussi de rationalisation des usages, d’efficacité voire de sobriété énergétique. Dans les pays émergents, il faut non seulement trouver de nouvelles sources d’énergie – ce qui justifie la construction de grands barrages et de centrales thermiques – mais aussi connecter des régions isolées aux grands réseaux. D’après les chiffres du World Energy Council, en 2013, 1,2 milliard de personnes n’auraient pas accès à l’électricité. Environ la moitié d’entre elles se trouvent en Afrique et principalement dans les régions rurales. On passe ainsi d’une problématique de la quantité d’énergie, à une approche plus qualitative : quelle énergie ? De quelle source ? Pour quels usages ? Ce contexte marque l’affirmation de nouvelles logiques spatiales dans le domaine de l’énergie. À l’échelle mondiale, le commerce se diversifie, de grands consommateurs s’affirment. À des échelles locales, on cherche à valoriser davantage les ressources disponibles pour répondre aux demandes. La notion de réseau intelligent – smart grid – est mise en avant pour désigner des boucles locales d’approvisionnement d’électricité permettant un contrôle beaucoup plus fin de la consommation des ménages et l’inclusion d’un grand nombre de producteurs d’électricité dispersés grâce à l’utilisation massive de technologies de gestion de l’information. Les smart grids doivent être capable d’équilibrer usage et consommation non pas dans le schéma précédent où il existait seulement quelques producteurs centralisés d’électricité et un grand nombre de consommateurs, mais dans une situation où il existe aussi un grand nombre de petits producteurs, tels que des propriétaires de parcs éoliens et électriques, et où il est possible de moduler directement la consommation des usagers, par exemple en déclenchant ou en arrêtant à distance certains équipements domestiques. Autrement dit, alors que le réseau électrique ne transportait que du courant électrique, le réseau intelligent véhicule tout autant de l’information, la traite en temps réel et dispose de systèmes de contrôle automatisés. Les smart grids suscitent de nombreuses recherches qui vont du traitement de l’information à la mise au point de matériel pouvant être commandé à distance, en passant par les aspects légaux et sociaux de leur déploiement. À l’heure actuelle, elles relèvent encore d’une approche expérimentale dans de petits territoires et se heurtent à une certaine méfiance des usagers qui ne souhaitent pas que leur mode de consommation de l’énergie soit surveillée et contrôlée. Il s’agit aussi d’élaborer et de tester des modèles permettant la mise en connexion de différents producteurs et d’usagers, et la commande à distance de certains équipements. On ne rentrera pas ici dans une discussion technique approfondie : il faut cependant souligner que les réseaux intelligents relèvent d’une spatialisation différente par leur échelle, par la volonté d’équilibrer production et consommation à l’échelle de chaque territoire, du fait aussi que le réseau ne fonctionne pas dans un seul sens – du producteur au consommateur – mais que dans les deux sens – le consommateur peut devenir producteur et il envoie au réseau des informations. Même si de grands réseaux continuent à fonctionner et à intégrer nations et grands espaces, la réflexion sur les smart grids contribue à montrer l’importance nouvelle acquise par les échelles locales dans les débats sur l’énergie.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Tableau 1. Un nouveau contexte pour l’énergie 1950-1990

Après 1990

Contexte géopolitique

Guerre froide

Monde multipolaire Forum internationaux

Géoéconomie

Domination des États-Unis Foyers secondaire en Europe et au Japon Prix de l’énergie stable Transport à longue distance

Affirmation de la Chine Économies émergentes Instabilité des prix de l’énergie Revalorisation des proximités

Réseaux

Grands réseaux

Réseaux intelligents

Environnement

Faible sensibilité aux problèmes environnementaux

Préoccupation planétaire pour le climat Demandes locales

Source énergétique dominante

Pétrole

Diversification des sources

Enjeu

Accroître les disponibilités en énergie

Faire la transition énergétique

Source : construction de l’auteur.

1.2.2. Le rôle des territoires dans la transition énergétique Pendant les décennies de la guerre froide, les questions d’énergie ont été envisagées à l’échelle des nations, ce qui allait de pair avec le renforcement de l’intervention de l’État dans la société à différents niveaux et passait par la construction de grandes entreprises nationales – compagnies pétrolières, entreprises de transport, compagnies d’électricité. L’extension, le bon fonctionnement et la fourniture d’énergie à un prix contrôlé allaient de pair avec l’accroissement de la place de l’État, et s’est bien souvent accompagné d’un poids politique pour les syndicats du secteur de l’énergie. La géopolitique globale de l’énergie s’organisait sur le principe des relations entre États, avec par exemple la formation de cartels comme l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), des accords privilégiés de fourniture comme ceux qui ont permis la réalisation des gazoducs provenant d’Union soviétique, ou encore les dispositifs d’intégration régionale. La transition énergétique amène à revaloriser la place des territoires infranationaux et plus généralement à raisonner non plus à la seule échelle nationale mais de façon multiscalaire : elle s’inscrit dans un rééchelonnement (rescaling) des questions énergétiques. En premier lieu, la valorisation de ressources énergétiques non conventionnelles amène à considérer différemment les territoires pour en estimer les nouveaux gisements d’énergie renouvelables. Les cartographies réalisées de l’ensoleillement, des vents, des courants marins, de la production de biomasse mettent en évidence une distribution des ressources énergétiques bien différentes des cartes des hydrocarbures. Des régions, comme le Sahel, où l’accès aux hydrocarbures et à l’électricité restent compliqués comptent parmi ceux qui disposent du plus fort ensoleillement. La prise en compte fine de ces potentiels et, surtout, la mise en place de filières permettant de les utiliser requiert une approche spécifique en termes d’aménagement du territoire et d’organisation locale. Ainsi, par exemple, l’installation de parcs éoliens passe non seulement par l’identification des zones où soufflent régulièrement des

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Transition énergétique et territoires vents adaptés, mais aussi par une prise en compte des contraintes d’accès au foncier, des aspects environnementaux, des impacts paysagers ainsi que de la facilité à se raccorder aux réseaux existants. L’usage des biocarburants a des conséquences sur les cultures et l’usage du sol, mais a besoin également de réseaux particuliers de collecte, de transformation, de stockage et de distribution. Il suppose aussi de définir des normes garantissant à l’usager l’adéquation de ces biocarburants aux machines dont il dispose. De même, la valorisation énergétique de la biomasse relève largement de la mise en place de filières locales de collecte et de distribution, notamment pour éviter de transporter de la biomasse sur de grandes distances, l’utiliser au plus près des lieux de collecte et récupérer les déchets de transformation pour un usage énergétique, puisqu’il s’agit de produits dont la faible densité énergétique ne justifie pas le transport. En France, c’est au niveau des régions, qu’ont été mises en place des filières bois-énergie, comme par exemple en Franche-Comté, où il existait déjà une filière bois bien structuré, et où les usages énergétiques du bois ont connu un fort développement pour le chauffage des logements, mais aussi dans des chaudières collectives et industrielles. La rationalisation des usages, l’accroissement de l’efficacité énergétique peuvent également être pensés à l’échelle des territoires, à commencer par les aspects concernant le bâti et le transport. En effet, il existe de nombreuses solutions techniques pour des constructions adaptées au climat, telles que des systèmes de ventilation naturelle ou la qualité de l’isolation thermique. Ces solutions doivent être, bien évidemment, conçues et appliquées en fonction des conditions climatiques locales, mais aussi à partir de techniques construction. De même, la planification du transport paraît être une source importante d’efficacité énergétique. L’amélioration des conditions de circulation pour le transport en commun, par la création de couloirs dédiés, l’usage de véhicules plus efficaces, ou moins polluants tels que des bus hybrides relèvent en général de décisions locales. Ces évolutions modifient également les perceptions de l’énergie par les habitants en rapprochant les sources d’énergie des consommateurs. D’une certaine façon, la territorialisation des enjeux énergétiques revient aussi à la matérialisation de ces enjeux dans des espaces de proximité. Tant que l’énergie est facilement accessible à la pompe ou à la prise, et que les systèmes techniques et politiques qui permettent cette disponibilité restent invisibles, les consommateurs ne perçoivent pas l’ensemble des enjeux que l’énergie véhicule – sauf quand elle vient à manquer, ce qui révèle les failles des systèmes existants. En relocalisant les sources d’énergie à proximité des consommateurs, des débats s’enclenchent sur la pertinence d’installer des infrastructures de conversion énergétiques, qui ont inévitablement des impacts environnementaux et paysagers, et en termes d’occupation du sol. Les mouvements d’opposition aux grandes infrastructures, tels que les barrages, se multiplient et touchent aussi les énergies renouvelables, comme les éoliennes, en raison de leur inscription dans les paysages. Plus précisément, les habitants demandent à connaître précisément les avantages apportés par ces installations et acceptent de moins en moins leur réalisation si elle ne s’accompagne pas d’amélioration concrète de leur situation. Le territoire s’affirme ainsi comme un niveau privilégié de négociation entre acteurs sociaux, d’autant plus que le principe selon lequel l’État est en mesure de porter seul l’intérêt général n’est plus aussi généralement accepté, et que l’on demande au contraire une traduction plus fine et localisée des enjeux. Ainsi, par exemple, la réalisation de grands barrages hydroélectriques, longtemps portée par les États dans un souci d’aménagement rationnel du territoire et de mise en valeur des

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est ressources, est désormais fortement contestée par les sociétés locales et les groupes de protection de l’environnement qui voient très directement les inconvénients apportés par ces constructions et beaucoup moins les avantages qu’ils peuvent en espérer. En effet, la réalisation de grands barrages n’a bien souvent pas signifié une amélioration de l’accès à l’énergie dans les régions où ils sont installés, car l’électricité qu’ils produisent était destinée en priorité aux grandes métropoles et y étaient directement transportée par des lignes à très haute tension sans connexions locales. A contrario, les bouleversements des écosystèmes et des sociétés locales sont perçus comme de sérieuses menaces sur la diversité biologique et culturelle. C’est à l’échelle des territoires qu’il convient de penser les processus de concertation et d’accompagnement pour ces réalisations. De même, c’est à ce niveau qu’il est plus facile de coordonner les acteurs d’une filière énergétique, d’harmoniser l’offre et la demande, d’agir sur les comportements. L’approche par les territoires ne se substitue pas aux approches nationales de la transition énergétique. En fonction des architectures institutionnelles existantes, certaines compétences demeurent au niveau central. En revanche, on ne peut envisager de faire la transition énergétique sans mise en œuvre précise à l’échelle des territoires concernant la valorisation des ressources énergétiques disponibles et la modification des usages. S’il existe des modèles énergétiques nationaux bien différents, on peut penser aussi à la diversification des modèles énergétiques régionaux et locaux en fonction des ressources locales disponibles, des besoins et des choix collectifs. Cela n’ôte en rien l’intérêt des grands réseaux qui sont en mesure de sécuriser les approvisionnements énergétiques. Cette complémentarité peut être illustrée dans le cas des grandes métropoles.

1.2.3. Les enjeux métropolitains : fragmentation et coordination Les grandes métropoles concentrent un grand nombre d’enjeux spécifiques relatifs à la transition énergétiques. Elles sont le lieu de concentration d’une part croissante de la population partout dans le monde, mais particulièrement dans les pays du Sud et par voie de conséquence les principaux foyers de consommation énergétique. S’y posent des problèmes spécifiques, de transport et de logement, qui ont tous deux une dimension énergétique. Elles sont aussi des lieux de production, avec à la clé les problématiques de transition des activités économiques. Elles sont enfin le lieu des inégalités sociospatiales avec des problèmes d’équité dans l’accès à l’énergie et des difficultés particulières pour impulser une transition énergétique imposant de faire évoluer un système complexe et profondément enraciné dans l’histoire. Les caractéristiques de l’espace bâti, les réseaux existants conditionnent largement les possibilités d’améliorer l’efficacité du transport et des logements et les sources d’énergie utilisées. Ces problèmes se posent avec particulièrement d’acuité dans les métropoles des Suds qui connaissent une forte croissance spatiale et démographique. Toutefois, la mise en œuvre d’une transition énergétique se heurte à des nombreuses difficultés liées notamment à l’organisation institutionnelle du secteur et non pas seulement à des paramètres techniques, ainsi qu’au processus de métropolisation en soi, qui combine inégalités, étalement spatial et fragmentation politique. On peut illustrer ces difficultés à partir des cas des métropoles latino-américaines et en particulier de Buenos Aires en Argentine. Dans les années 1990, les réformes ont conduit à libéraliser les marchés

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Transition énergétique et territoires de l’électricité et à privatiser les entreprises du secteur qui étaient, en général, des sociétés d’État. On cherchait alors à diminuer les coûts supportés par les États et à favoriser des modes de gestion plus efficaces en renforçant la concurrence au sein du secteur énergétique. Ainsi, par exemple, la libéralisation des marchés permet aux distributeurs d’électricité de se fournir auprès des producteurs les moins chers. Ce retrait partiel de l’État du secteur électrique le rend plus complexe à piloter car coexistent de nombreux intérêts, des firmes inégalement puissantes et performantes, des niveaux techniques hétérogènes correspondant aux étapes du développement. Or, la responsabilité de l’État est très directement engagé tant la fourniture régulière d’une énergie au meilleur prix apparaît comme essentiel pour le développement. Ce système pose plusieurs problèmes. Dans les grandes métropoles, il ne prend pas bien en compte les populations pauvres, et notamment celles des bidonvilles, qui ne sont pas en mesure de payer l’électricité, et ne représentent donc pas un marché solvable pour les entreprises de distribution. Faute de réseaux formels, les habitants ont recours à des connexions illégales qui engendrent de sérieux problèmes de sécurité pour les usagers par le non-respect des normes techniques, pour les compagnies qui perdent une partie du revenu et par la fragilisation de l’ensemble du système de distribution en raison des vols de courant électrique. D’autre part, la recherche du meilleur coût de fourniture et la compression des dépenses limite les possibilités d’investissements : la dégradation des réseaux urbains, le manque de fiabilité des transformateurs entrainent une fourniture de courant de moins bonne qualité. Dans le cas de Rio de Janeiro, Pilo (2016) montre par exemple que les défauts de fourniture – coupures de courants, fluctuations de tension – affectent beaucoup plus les quartiers pauvres que les quartiers riches de la métropole. L’inefficacité énergétique de l’habitat, lié au choix des matériaux et aux énergies mobilisées pour son fonctionnement, cumule de nombreux problèmes, d’autant plus difficiles à résoudre que le parc immobilier est important. Bien souvent, le choix de la construction au plus bas coût signifie que les critères d’optimisation thermique et d’isolation ne sont pas pris en compte, ce qui amène les occupants à utiliser ensuite des appareils peu efficaces pour leur logement, tels que des poêles mobiles au gaz ou à la paraffine, des appareils de climatisation bon marché mais de faible efficacité qui provoquent des pics de demande lors de fortes chaleurs. Le troisième champ de dépense énergétique est la mobilité, et bien souvent l’immobilité dans les encombrements du trafic qui représentent une dépense inutile de carburants. L’amélioration du niveau de revenu s’accompagne généralement de l’acquisition d’une automobile par les ménages : les taux d’urbanisation ont largement augmenté depuis dix ans et, dans de nombreuses métropoles, cet accroissement est allé de pair avec l’allongement des temps de parcours. Au niveau mondial, le parc automobile en circulation est passé de 650 millions à plus de 900 millions de véhicules entre 2005 et 2014, et l’essentiel de l’augmentation s’est produit en Chine et dans les pays du Sud en développement. Aborder ces différents enjeux dans le cadre d’une transition énergétique se heurte à la question de la superposition et de l’enchevêtrement des territoires. En effet, sur le plan politique, les métropoles s’étendent généralement sur plusieurs municipalités, voire sur plusieurs régions administratives et ne disposent pas toujours d’une instance de coordination ou de gouvernement métropolitain, mais sont parfois l’objet d’une attention particulière des États nationaux. Sur le plan technique, les

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est réseaux énergétiques imposent leur propre logique, liée à la disposition des lignes d’approvisionnement et de distribution et aux contraintes techniques. La fourniture de l’électricité s’organise suivant des aires de concession, correspondant aux entreprises. Enfin, la géographie sociale de la métropole recoupe ces différentes dimensions. On comprend bien que, même si on doit penser la transition énergétique à partir des conditions spécifiques des territoires, sa mise en œuvre impose une démarche transterritoriale, qui combine ces différents espaces d’organisation. Il ne s’agit donc pas d’une seule question technique mais d’une démarche relevant de la gouvernance, autrement dit de la capacité à faire dialoguer ces différents niveaux et à mettre en place les instruments incitatifs appropriés.

Conclusion Pour certains penseurs de la crise écologique contemporaine, celle-ci s’ouvre notamment sur la nécessité de re-localiser les sociétés humaines, autrement dit de valoriser à nouveau les proximités et de penser la durabilité à l’échelle des régions. Cette réflexion se traduit concrètement par les mouvements visant à promouvoir les circuits courts d’approvisionnement alimentaire, mais aussi dans la valorisation des processus de décision à l’échelle des territoires qui permettent davantage de participation des citoyens. Sur un plan plus fondamental, ces réflexions dessinent une nouvelle utopie qui tire les conséquences de l’affaiblissement des États et des problèmes d’une mondialisation sans contrôle pour privilégier des espaces de proximité. La réflexion sur la transition énergétique et les territoires s’articule avec ces approches en valorisant l’autonomie des territoires par rapport aux ressources énergétiques, aux modèles de consommation et aux processus de décision. On y voit aussi bien une modalité disruptive d’organisation des systèmes énergétique aussi bien sur le plan technique que sur le plan politique. On ne saurait toutefois pousser trop loin ce raisonnement. Les systèmes énergétiques restent encore dominés en termes quantitatifs par des moyens de conversion centralisées et massifs, structurés par des grands réseaux techniques et régulés par les États. La question n’est donc pas tant de substituer un modèle à un autre, mais bien de savoir comment peuvent s’articuler ces deux façons de structurer les systèmes énergétiques en tirant au mieux parti des acquis, tout en imaginant de nouvelles façons de les faire fonctionner. Transition n’est pas rupture.

Bibliographie Bafoil, F., F. Fodor et D. Le Roux (2014), L’accès à l’énergie en Europe – Les précaires invisibles – Paris, Presses de Sciences Po, 300 p. Bridge, G., S. Bouzarovski, M. Bradschaw et N. Eyre (2013), "Geographies of Energy Transition: Space, Place and the Low-Carbon Economy", Journal of Energy Policy, 53, pp. 331-340. Grubler, A. (2012), "Energy Transition Research, Insights and Cautionary Tales", Journal of Energy Policy, 50, pp. 8-16.

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Transition énergétique et territoires Laville, B., S. Thiébault et A. Euzen (dir.) (2015), Quelles solutions face au changement climatique ? CNRS Editions, Paris, 2015, 382 p. Pilo, F. (2016), "Rio de Janeiro: Regularising Energy Consumption in Favelas through Reshaping Consumers into Customers", in Luque A. et J. Silver (dirs) Energy, Power and Protest on the Urban Grid. Geographies of the Electric City. London, Routledge: pp. 67-85. Prévôt-Schapira, M.-F. et S. Velut (2013), « Buenos Aires : l’introuvable transition énergétique d’une métropole fragmentée », Flux 3 N° 93 - 94, pp. 19-30. Solomon, B. et K. Krishna (2011), "The Coming Sustainable Energy Transition: History, Strategies, and Outlook", Journal of Energy Policy, 39, pp. 7422-7431. Velut, S. (2015), « Transition énergétique », in Euzen A., L. Eymard et F. Gail, Le développement durable à découvert, éditions du CNRS.

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1.3.  Énergie, pouvoir et société : approches anthropologiques[4] Pierre-Yves Le Meur – IRD

Le monde actuel est secoué par des crises multiples – économiques, politiques, environnementales – qui tournent largement autour de la question énergétique. Elles portent à la fois sur les questions d’approvisionnement en sources d’énergies fossiles et sur les dégâts environnementaux massifs générés par ces mêmes sources d’énergie. Exploitation des hydrocarbures, pollution à grande échelle et réchauffement climatique tendent ainsi à se renforcer mutuellement et la recherche d’alternatives énergétiques devient une urgence vitale, dont les ressorts ne sont pas simplement technoscientifiques, mais aussi profondément politiques. Les manifestations de la crise énergétique contemporaine sont diverses : approfondissement des conflits autour des ressources énergétiques ; diffusion rapide et globalisation des problèmes, via en particulier l’effet multiplicateur des marchés des matières premières ; course désordonnée vers des solutions alternatives, des énergies renouvelables au nucléaire en passant par les gaz de schiste ; négociation souvent âpres de régulations internationales qui deviennent contraignantes ; tendance (encore faible) à la relocalisation des productions consommatrices en énergie ; transformation des modes de consommation mais aussi pression à la décentralisation/relocalisation de la production d’énergies renouvelables. Le caractère « total » de la crise (ou transition) énergétique, ses effets à la fois globaux et locaux, en font un objet « bon à penser » pour l’anthropologie et les sciences sociales plus généralement. En témoigne la multiplication récentes des publications sur ce thème : entre autres Love (2008) ; Strauss et al. (2013) ; Boyer (2014) ; Tyfield et Urry, (2014) ; Love et Isenhour (2016). On pourrait penser que cet intérêt de l’anthropologie pour la question énergétique est nouveau, issu d’une convergence entre transformations du contexte sociopolitique et évolutions de la discipline ; cette convergence serait à l’origine de la construction de nouveaux objets ethnographiques et de la prise en compte des processus variés que recouvre le terme de globalisation. Nous verrons [4] Je remercie ici Elsa Faugère, anthropologue à l’Institut national de recherche agronomique (INRA), qui a lancé le travail bibliographique à la base de cet article mais n’a malheureusement pas pu prendre part à la suite de ce travail.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est que ce n’est pas le cas, les questions énergétiques apparaissant comme consubstantielles de l’étude des sociétés et de l’anthropologie en particulier. On peut même avancer que c’est l’histoire longue de l’intérêt de l’anthropologie pour la question énergétique qui explique sa réactivité actuelle face aux nouveaux enjeux liés à l’accès aux sources d’énergie et à leurs usages. Après une première section consacrée à la présentation du double contexte énergétique et anthropologique qui sera la toile de fond de chapitre, la deuxième section fera un détour historique pour voir la manière dont l’anthropologie a abordé la question énergétique depuis plus d’un siècle. Nous reviendrons dans la troisième section sur les renouvellements de l’anthropologie de l’énergie liés aux crises et mutations contemporaines. La conclusion permettra de discuter les défis auxquels doit faire face une anthropologie contemporaine de l’énergie.

1.3.1. Double contexte : énergie et anthropologie Contexte énergétique

“Life on Earth is driven by energy. Autotrophs take it from solar radiation and heterotrophs take it from autotrophs. Energy captured slowly by photosynthesis is stored up, and as denser reservoirs of energy have come into being over the course of Earth’s history, heterotrophs that could use more energy evolved to exploit them. Homo sapiens is such a heterotroph; indeed, the ability to use energy extra-somatically (outside the body) enables human beings to use far more energy than any other heterotroph that has ever evolved. The control of fire and the exploitation of fossil fuels have made it possible for Homo sapiens to release, in a short time, vast amounts of energy that accumulated long before the species appeared” (Price, 1995: 301).

La question énergétique est au cœur de la production des sociétés, ce n’est pas un élément qui lui serait extérieur, sorte de facteur matériel contextuel contribuant à expliquer des crises ou des conflits dont les moteurs réels se situeraient ailleurs. Énergie et pouvoir sont intrinsèquement liés, ce que rend l’expression d’ « énergopolitique/pouvoir » (energopolitics/power) forgée par Boyer (2011) par analogie – et en complémentarité – avec la biopolitique et le biopouvoir foucaldiens (Marchetti et Salomoni, 2004) : “power over energy has been the companion and collaborator of power of life and population from the beginning”. Le lien entre maîtrise de l’eau et régime politique a été l’objet d’une attention ancienne depuis Marx, puis Wittfogel à qui l’on doit la notion de « despotisme oriental » (1957). Le terme, très critiqué, a récemment été revisité autour de la relation triangulaire entre maîtrise de l’eau, infrastructure et pouvoir politique (Obertreis et al., 2016). Le lien intrinsèque entre question énergétique, formation de l’État et régime politique a en particulier été exploré par Mitchell dans son étude fondatrice Carbon Democracy :

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“Political possibilities were opened up or narrowed down by different ways of organising the flow and concentration of energy, and these possibilities were enhanced or limited by arrangements of people, finance, expertise and violence that were assembled in relationship to the distribution and control of energy” (Mitchell, 2013).

Énergie, pouvoir et société : approches anthropologiques Dans le même ordre d’idée, Boyer (2011) note aussi que “the staggering significance of energy as the undercurrent and integrating force for all other modes and institutions of modern power has remained remarkably silent.”. La relation entre énergie, pouvoir et société a souvent pris une forme conflictuelle au point que l’image de la guerre, guerre pour les ressources (Ballard et Banks, 2003), guerre du charbon dans l’immédiat après-Seconde-Guerre ou guerre du pétrole dans les années 1970 a fini par brouiller les limites entre métaphore et réalité guerrière : les guerres d’Irak de 1991 et de 2003 sont bien des guerres et elles sont bien des guerres du pétrole. La question énergétique occupe le devant de la scène économique et géopolitique depuis au moins la crise pétrolière de 1973 qui a vu les pays producteurs de pétrole s’organiser pour imposer leurs prix aux consommateurs du Nord, avec l’accord tacite des États-Unis qui ainsi pouvaient rentabiliser leurs propres ressources en hydrocarbures. Le pétrole devient l’objet vers lequel convergent les tensions et les crises économiques, politiques et environnementales contemporaines. Les « marées noires » sont devenues des catastrophes récurrentes. Depuis le Torrey Canyon en 1967 dans la Manche à la plateforme pétrolière BP Deepwater Horizon en 2010 dans le golfe du Mexique en passant par l’Exxon Valdez sur les côtes de l’Alaska en 1989 – et sans oublier le sabotage des puits de pétrole koweitien par l’Iraq pendant la première guerre du golfe – la liste des désastres pétroliers est longue. Le lien intrinsèque entre combustibles fossiles (charbon puis hydrocarbures), régimes politiques et expansion coloniale, brillamment analysé par Mitchell (2013), ne doit pas nous faire oublier l’importance de l’industrie nucléaire dans l’économie globale, la géopolitique des guerres et les crises environnementales depuis 1945. À cet égard, les catastrophes de Tchernobyl en 1986 en Ukraine – dont le nuage radioactif s’est miraculeusement arrêté aux frontières françaises, signe de la puissance de l’appareil communicationnel de l’État nucléaire français (Hecht, 2009) – et de Fukushima au Japon en 2011 constituent des exemples malheureusement très parlants (voir Dupuy, 2002 et 2005 pour une réflexion très stimulante sur l’enjeu nucléaire et plus largement la notion de risque et de catastrophe). Le « problème de l’énergie » (Urry, 2014) n’est plus « seulement » synonyme de crises économiques, désastres environnementaux et tensions géopolitiques, il est devenu, à un échelon supérieur, le symbole d’une crise systémique, planétaire, dans le contexte de l’avènement d’une ère géologique caractérisée par son origine humaine, l’anthropocène (Sayre, 2012). Cette crise déploie ses effets à tous les niveaux d’organisation de la vie sociale et des écosystèmes. Derrière ses manifestations plurielles, l’accélération de la globalisation des problèmes, les enjeux liés à la négociation de régulations internationales et la course souvent désordonnée aux solutions alternatives, elle oblige à repenser tout autant les styles de vie, les modes de production et de consommation – des biens en général mais aussi de l’énergie – que les rapports à l’État et à l’environnement.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Contexte anthropologique Depuis les années 1970, la discipline anthropologique est entrée dans une phase – dont elle n’est pas totalement sortie – de questionnement quant à ses méthodes et ses objets, et de renou­ vellement de ceux-ci. Ces renouvellements ont en particulier pris deux directions complémentaires. Il s’agit d’une part de sortir du microlocal et de la logique – dont la productivité heuristique reste indéniable – de la monographie ethnographique, pour élargir la focale – « studying-up » pour reprendre la fameuse expression de Nader (1980) – et prendre en compte l’importance de plus en plus flagrante – même si elle n’est pas résolument nouvelle – des processus globaux (Appadurai, 1996 ; Tsing, 2004). Sortir des objets et lieux traditionnels de l’anthropologue apparaît vital pour la discipline si elle veut rester en prise avec les transformations du monde contemporain qui traversent, souvent brutalement, ses terrains habituels. L’autre direction prise par le renouvellement de l’anthropologie concerne donc les objets qu’elle étudie, sans qu’il faille nécessairement changer de terrain pour autant : tout anthropologue travaillant en milieu rural ouest-africain finit par croiser un programme de développement, une Organisation non gouvernementale (ONG) ou un expert en mission. Cela valait pour les années 1980 et actuellement ce même anthropologue risque de tomber sur un champ pétrolifère, une multinationale et d’autres experts en mission, qu’il travaille au Niger, au Ghana ou en Papouasie Nouvelle-Guinée. L’obligation d’élargir la focale n’est pas immédiate – les nouveaux objets viennent à l’anthropologue – mais elle apparaît rapidement nécessaire dans la mesure où pour comprendre ce qui se joue dans un projet de développement ou une enclave minière ou pétrolière, il faut enquêter les acteurs concernés dont les bases arrières et les raisons de faire ce qu’ils font ne sont pas locales. D’où l’importance d’une approche multisites et multi-échelles (Marcus, 1995 ; Revel, 1996) : l’anthropologie de la globalisation est nécessairement une anthropologie de la (multi)localisation. Dans ce contexte, l’énergie apparaît comme une question particulièrement « bonne à penser » pour l’anthropologie : le caractère « total » de la crise énergétique, dont les ramifications sont politiques, économiques, environnementales, culturelles, religieuses, ses effets à la fois « globaux » et « locaux », la multiplication des tensions et des conflits à dimension énergétique, entrent en résonnance avec le renouvellement d’un projet anthropologique qui continue de gérer la tension productive entre holisme et point de vue des acteurs. La contribution de l’anthropologie, et en particulièrement de la démarche ethnographique – à la fois méthode et épistémologie – qui la sous-tend est de sortir des explications unilatérales, monocausales ou réductrices, souvent très normatives, qui souvent dominent les champs académiques et politiques, comme par exemple la notion fourre-tout (et bien peu sociologique) de « malédiction des ressources » (resource curse ; voir par exemple Watts pour une critique salutaire (Watts, 2004)). Dernier point, l’anthropologie contemporaine se retrouve confrontée à un apparent paradoxe : science de l’homme dans une ère où celui-ci possède un pouvoir de destruction total – avec le luxe de choisir entre l’arme atomique et le changement climatique (Dupuy, 2005) –, l’anthropologie doit faire face à une injonction de décentrement pour prendre en compte l’ensemble des non-humains, biologiques ou non, naturels ou non, qui peuplent le monde (Latour, 1999 ; Descola, 2005)

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Énergie, pouvoir et société : approches anthropologiques et deviennent parfois des sujets de droit (Hermitte, 2011). Il s’agit en quelque sorte de développer une anthropologie non anthropocentrée à l’âge de l’anthropocène – idée proche de la proposition d’étendre la notion de gouvernementalité au système terre – (Lövbrand et al., 2009).

1.3.2. Histoire de l’anthropologie et énergie L’apparente nouveauté de l’intérêt des anthropologues pour la question énergétique, symbolisée par une floraison d’articles et numéros spéciaux, doit être relativisée. D’une part elle pose question, si l’énergie est, comme soulignée plus haut au cœur des sociétés et de l’évolution humaine – de fait, l’énergie n’a pas été retenue comme entrée du Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie édité par Bonte et Izard en 1991. D’autres part, cette nouveauté n’est finalement qu’apparente, ce qui ne veut pas dire que le thème de l’énergie a été problématisé à sa juste place et de manière suffisamment visible dans le champ de l’anthropologie. On peut schématiquement distinguer deux grandes tendances dans le traitement de l’énergie dans l’histoire de l’anthropologie, l’une relevant du structuro-fonctionnalisme dominant dans la première moitié du XXe siècle, l’autre marquant le retour de l’évolutionnisme au mitant de ce même siècle.

Approche structuro-fonctionnaliste La première approche relève de l’anthropologie des techniques et de la culture matérielle. Elle s’inscrit dans une vision classiquement holiste de l’anthropologie, se focalisant sur l’étude de sociétés « exotiques » et de taille réduite (Malinowski, 1935). La question énergétique apparaît comme une dimension d’un projet de compréhension globale de la société étudiée, sans faire l’objet d’une problématisation spécifique. Ce projet passe par une attention portée aux conditions matérielles et idéelles d’existence, et donc, entre autres, aux ressources naturelles utilisées pour se nourrir, se loger, se loger, se déplacer, échanger. Les sources d’énergie primaires dont disposent les sociétés étudiées par les anthropologues à la fin du XIXe et au début du XXe siècle sont le bois et le charbon, l’énergie animale et humaine, l’énergie hydraulique et éolienne. Bois et charbon servent à la cuisine, au chauffage et à l’éclairage, l’agriculture et les déplacements mobilisent les énergies humaines et animales. Enfin l’eau et le vent servent à faire fonctionner les moulins permettant la transformation des céréales en aliments.

Approche (néo) évolutionniste La seconde approche anthropologique de l’énergie aborde le sujet selon un modèle évolutionniste, qui plonge ses racines dans le XIXe siècle. La théorie évolutionniste constitue à l’époque la matrice de la réflexion scientifique, qu’elle concerne les sciences de l’homme ou de la nature. L’anthropologie évolutionniste vise à situer les sociétés humaines sur une ligne de progrès allant du primitif au civilisé en passant par différents stades intermédiaires. Son propos est très normatif et elle a aussi fonctionné comme un répertoire de justification à l’entreprise coloniale (Thomas, 1996).

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est L’évolutionnisme a été violemment critiqué par les fondateurs de l’anthropologie contemporaine au Royaume-Uni – l’anthropologie sociale de Malinowski – comme aux États-Unis – l’anthropologie culturelle de Franz Boas. Les raisons de cette critique étaient diverses, mais elles visaient globalement le caractère très spéculatif et normatif de l’évolutionnisme, préférant étudier les sociétés dans leur fonctionnement concret plutôt que de tenter d’en reconstruire une trajectoire très hypothétique en l’absence de sources historiques tenues pour fiables. L’évolutionnisme fait un grand retour dans la seconde moitié du XXe siècle – il n’a jamais quitté les arènes politiques coloniales – sous couvert de développement et en particulier de théorie de la modernisation. Il imprègne aussi le matérialisme historique très mécaniste de bien des marxistes et sous-tend aussi l’écologie culturelle d’un anthropologue comme Steward (1955). L’approche évolutionniste de l’énergie cherche à mettre en évidence une corrélation entre question énergétique et évolution culturelle.

“All living beings struggle to live, to perpetuate their respective kinds. In the human species the struggle for survival assumes the cultural form. The human struggle for existence expresses itself in a never-ending attempt to make of culture a more effective instrument with which to provide security of life and survival of the species. And one of the ways of making culture a more powerful instrument is to harness and to put to work within it more energy per capita per year” (White, 1943).

Ce néo-évolutionnisme restera isolé dans le champ de l’énergie et la figure de Leslie White ne fera pas école dans l’immédiat malgré un contexte marqué par l’avènement du nucléaire – militaire puis civil –, la guerre froide et l’enjeu post-Seconde Guerre mondiale du charbon qui est entre autres à l’origine, via la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) créée en 1951, de la construction de l’Union européenne.

Demande politique aux sciences sociales dans les années 1970 : une occasion manquée ? Les années 1970-1980 sont marquées par la crise pétrolière, la montée de la contestation écologique et une transition énergétique manquée. Le nouvel intérêt des anthropologues pour l’énergie émerge dans les années 1970, en lien avec l’enjeu nucléaire et la crise pétrolière, et posant déjà la question de la transition énergétique et des énergies renouvelables (Nader, 1980 ; Adams, 1978). Aux États-Unis, la Commission sur l’énergie de l’Académie des sciences commandite un rapport qui sera publié en 1980 sous le titre Energy choices in a democratic society. Laura Nader, anthropologue réputée dans le champ du droit et qui s’investira durablement dans la question énergétique, affirme de manière forte dans ce rapport que « l’énergie est un problème social et non technologique ». La plupart des études de cette période restent toutefois plutôt historiques, en particulier autour des transformations sociales et politiques induites par l’électrification de l’Occident (Schivelbusch, 1988). Il y aura certes un certain nombre d’études liées aux droits des peuples indigènes et aux

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Énergie, pouvoir et société : approches anthropologiques impacts environnementaux (pétrole, nucléaire, uranium ; Hiesinger et Johnston et al. dans Nader, 2010). Pourtant la question énergétique sera largement laissée aux ingénieurs et aux économistes. On peut donc finalement parler d’un rendez-vous manqué dans les années 1970-1980, au moins partiellement, entre question énergétique et sciences sociales, en particulier avec l’anthropologie, dans un contexte où pourtant une demande sociale et politique émerge, certes timidement, en la matière.

1.3.3. Montée des crises et actualité de l’anthropologie de l’énergie Après les tournants des années 1940-1950 – début de l’ère nucléaire – et 1970-1980 – crise pétrolière et fin d’un cycle de « modernisation » naïve –, les années 2000 voient la convergence de plusieurs crises générer une crise globale ou systémique qui touche l’ensemble de la planète. On observe une multiplication des conflits sur les ressources des guerres du pétrole – comme les deux guerres d’Irak – aux guerres de l’eau, du Proche-Orient à la Bolivie – cas évoqué dans le film d’Icíar Bollaín, También la lluvia, 2010. L’enjeu des grands barrages, que ce soit en Amérique Centrale (Raimbeau, 2016) ou sur le fleuve Mékong, devient également sources de tensions aiguës et de violences diverses. La guerre pour les ressources énergétiques se déploient à différentes échelles et mobilisent des répertoires de justification – nationalisme des ressources, responsabilité sociale d’entreprise, droits des peuples autochtones – et des dispositifs – Impact and Benefit Agreements/IBA, accords internationaux, etc. – variés. L’un des enjeux de ces négociations porte sur le degré de localisation des politiques mises en œuvre, entre accords locaux qui parfois contournent nettement les instances étatiques (O’Faircheallaigh, 2013 ; Le Meur et al., 2013), positions nationalistes (Chaloping-March, 2014, au sujet des Philippines) et globalisation des normes, autorégulations par le secteur extractif et « offshoring » (Urry, 2014). S’ajoutent à ces transformations en quelque sorte internes à l’arène énergétique les changements globaux liés en particulier au réchauffement climatique et à l’avènement de l’anthropocène dont la caractérisation est intrinsèquement liée à la question de l’énergie. Ces mutations qui engagent l’avenir de la planète sont génératrices de controverses (certaines soigneusement entretenues par les industriels ; cf. Kirsch, 2014 sur la notion de « corporate science ») et de prises de conscience souvent désordonnées et tardives.

Entrées par les pratiques et les politiques Dans ce contexte, l’anthropologie – pas seule bien sûr, l’interdisciplinarité est vitale dans ce domaine comme dans d’autres – peut occuper une position clef de l’anthropologie comme science des logiques humaines multi-échelles (Crate et Nuttall, 2009 ; Crate, 2011 sur l’anthropologie du changement climatique par exemple). De fait, depuis une dizaine d’années on observe un foisonnement d’études en sciences sociales et particulièrement en anthropologie sur les questions énergétiques. Dans ce foisonnement

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est contemporain, on peut dégager certaines lignes de force de cette littérature et on voit schématiquement deux axes émerger : - un axe centré sur les pratiques de consommation énergétique en lien avec les transformations des modes de vie et des relations domestiques ; - un axe visant les politiques énergétiques à différentes échelles et les conflits associés, qui peuvent porter sur l’accès aux ressources énergétiques et leur contrôle, ou sur les choix effectuées entre options en la matière. L’approche anthropologique commune à ces deux axes permet d’identifier et d’analyser les jeux d’acteurs, les relations de pouvoir et la pluralité des savoirs et des normes qui structurent les questions énergétiques tout au long de la chaîne allant de la production – et donc de la négociation des choix en la matière –, à la consommation et à la gestion des impacts, en passant par les formes de régulation, les modes de gouvernance et les controverses portant sur la question énergétique. Par ailleurs, les analyses mettent en évidence la nature mutuellement constitutive de la technologie, de la société et du politique en matière énergétique, selon une approche « technopolitique » (Hecht, 2009 ; Strauss et al., 2013). La question des modes de vie constitue une porte d’entrée particulièrement riche pour une approche ethnographique. L’enjeu énergétique et les préoccupations environnementales et économiques qu’il nourrit tendent à imprégner de manière de plus en plus explicite les vies quotidiennes. Les pratiques de consommation énergétique sont de plus en plus réfléchies selon un prisme socioenvironnemental, au-delà de la question du coût – que reflètent par exemple les décisions effectuées en matière d’achat de voiture ou d’isolation de l’habitat. On le voit clairement dans les choix de consommation alimentaire combinant produits bio et approvisionnement local. Les pratiques de consommation sont en même temps profondément modelées par des normes de plus en plus contraignantes et des choix politiques qui dépassent le consommateur individuel – soutien massif à la voiture diésel en France par exemple. Le traitement de la question énergétique dépasse la conjonction entre choix et respects des normes, dans une logique de subjectivation et de gouvernementalisation, pour entrer dans le champ de l’action collective et du politique. L’exemple de l’île de Samsø au Danemark où la population locale s’est organisée pour devenir autosuffisante voire légèrement excédentaire en termes énergétiques est emblématique à cet égard (Kolbert, 2008). À l’autre extrémité de la chaîne, les modes de vie des populations peuvent être profondément transformés par leur insertion non sollicitée dans la production énergétique, comme on le voit autour des mines d’uranium (Johnston et al. dans Nader, 2010) ou des grands barrages hydro-électriques (Obertreis et al., 2016). Dans ce cas aussi, ce sont à la fois les pratiques quotidiennes et la politique locales de l’énergie qui se trouvent reconfigurées.

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Énergie, pouvoir et société : approches anthropologiques

Anthropologie et arène énergétique Les pratiques et politiques énergétiques sont mutuellement liées car elles sont ensemble constitutives de la construction de la société et du régime politique. Ainsi, les choix effectués localement de produire son énergie et en particulier son électricité sont un défi aux agences nationales qui produisent leur électricité via un réseau dont la gestion est centralisée. La question des échelles et de leurs articulations – le caractère multiscalaire des politiques énergétiques – se pose donc différemment selon que l’on est dans une logique centralisée ou décentralisée en matière de production énergétique. Ce choix a bien sûr des impacts en termes de participation à la production de la politique énergétique et donc, plus généralement, de pratique politique. La question de la relation entre énergie et société est donc inséparable des enjeux relatifs à la transparence, la responsabilité, la démocratie et la participation. À cet égard, l’analyse fine des enjeux, impacts, controverses et conflits associés à l’accès et au contrôle des ressources énergétiques, tout comme aux options et aux choix effectués en la matière, est plus que jamais essentielle. Dans ce contexte où les questions technologiques et scientifiques sont centrales, le contrôle du savoir et le rôle de l’expertise et de la science constituent des enjeux majeurs et des objets de luttes d’influence très fortes entre firmes et États. C’est que montrent par exemple Kirsch (2014) et Jasanoff (2012) en développant respectivement les notions de « corporate science » et de « regulatory science ». L’anthropologie s’est intéressée au fonctionnement et aux impacts d’options énergétiques actuellement très débattues, que sont les biocarburants et l’hydroélectricité, et qui toutes deux présentent l’avantage de se situer dans le champ des énergies renouvelables et donc d’apparaître comme des alternatives à l’exploitation des combustibles fossiles. Le biocarburant a toutefois besoin d’espace et le foncier qui lui sera consacré sera soustrait à la production alimentaire. Il y a là un choix politico-éthique mais aussi économique et social. Le développement du biocarburant passe souvent par la mise en place de grandes exploitations capitalistes qui accèdent à la terre via des mécanismes souvent peu transparents et qui dépossèdent la petite paysannerie. Ces mécanismes, qui sont divers – concession, achat, intimidation, violence, corruption – sont capturés par la notion d’accaparement foncier (land grabbing) (Borras et al., 2010), et ils participent aux formes de prolétarisation et d’« accumulation par dépossession », caractéristiques du capitalisme contemporain selon Harvey (2003). L’hydroélectricité est elle aussi dévoreuse d’espaces et d’habitats et la mise en place de grands barrages génère déplacements de populations et destruction d’espaces naturels et agricoles. Elle pose donc la question des droits des populations affectées, paysannerie et/ou peuples autochtones, et de la négociation de compensations. Les acteurs impliqués sont bien sûr les États mais aussi les multinationales de l’eau et les ONG environnementales et associations de défense des droits des populations touchées. On retrouve d’ailleurs cette problématique de la privatisation des droits sur les ressources face à la défense de droits autochtones dans le contexte du développement des énergies renouvelables marines, i.e. éolienne et marémotrice (Kerr et al., 2015). Enfin la dimension géopolitique de ces ouvrages est très forte lorsque les bassins fluviaux sont de grandes dimensions, traversent plusieurs frontières et se situent dans des zones de conflits (le bassin de l’Euphrate et du Tigre).

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Le cas du bassin du Mékong est exemplaire à cet égard (Dosch et Hensengerth, 2005), posant à la fois des questions de géopolitique de l’eau – aide au développement, intégration régionale et nationalisme des ressources –, d’impact environnemental des grands barrages – manque d’eau en aval, salinisation, sédimentation –, de politique locale de l’énergie – enjeu foncier, accès aux infrastructures – et de jeux d’acteurs multi-échelles – populations locales, gouvernements, ONG, bailleurs, etc. Les hydrocarbures sont devenus plus récemment un objet d’étude pour l’anthropologie et ce depuis différents points de vue. La manière dont les enclaves pétrolières s’insèrent dans la société locale et nationale sous forme d’enclaves connectées à certains niveaux politico-administratives constituent un premier angle d’attaque qui permet la comparaison entre enclaves extractives et enclave développementiste par exemple, comme le montre Ferguson (2005) dans son article « Seeing like an oil company ». La métaphore de la greffe a pu être utilisée (Olivier de Sardan, 1995 ; Magrin, 2013) mais elle fonctionne a priori moins bien pour l’activité extractive – on pourrait étendre le périmètre à l’activité minière (Le Meur, 2015) – dans la mesure où, à la différence d’un projet de développement, un projet minier ne vise pas une logique de greffe mais d’enclave, et ne génère pas les mêmes effets que la machine développementiste (Ferguson, 2005). Toutefois, les évolutions actuelles tendent à relativiser la différence, en particulier avec la montée en puissance du discours de la responsabilité sociale d’entreprise (RSE). Dans tous les cas, le secteur extractif (énergétique et minier) et le développement présentent des analogies du point de vue des controverses que ces objets déclenchent concernant les « bons » positionnements et les engagements « légitimes » des anthropologues. En amont de cet enjeu, la ressemblance tient aussi à ce que ces deux mondes génèrent des situations d’interface marquées par de fortes asymétries en termes de pouvoir et de ressources mobilisables, et de profondes discontinuités normatives et cognitives. L’anthropologie du secteur extractif énergétique s’est aussi concentrée sur sa matérialité. Le travail de Mitchell (2013) montre comment le fonctionnement physique de l’économie du charbon a permis, via la prise de contrôle (grève, blocage) de nœuds stratégiques dans la chaîne de production et de circulation de la houille, des avancées démocratiques sous pression des mobilisations ouvrières et syndicale, tandis que la délocalisation du pétrole vers les périphéries impériales, les collusions entre firmes extractives et gouvernements – en particulier états-unien et britannique, mais aussi français et allemand – et l’extension du réseau de production et de distribution des hydrocarbures ont joué dans un sens très différent. Appel (2012), dans son étude du fonctionnement de plateformes pétrolières dans le golfe de Guinée, élabore la notion de « modularité » pour montrer que la notion de production offshore n’est pas le simple reflet d’une localisation géographique, mais qu’elle résulte d’un assemblage technosocial combinant des technologies et une force de travail également mobiles, cette dernière étant insérée dans un tissu de contrats et de sous-traitances. Cet ensemble est transportable ou transposable, permettant une relative déconnexion de l’enclave gazière ou pétrolière de son contexte proche. Cette déconnexion n’est bien sûr pas absolue, elle ne peut pas l’être, ne serait-ce que parce que le pétrole ou le gaz doit sortir de l’enclave pour être commercialisé et utilisé. Un enjeu central est donc celui du mode de connexion de l’enclave gazière ou pétrolière à l’extérieur, directement au plus haut niveau de l’État hôte, via une logique clientéliste, ou bien dans

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Énergie, pouvoir et société : approches anthropologiques le cadre d’un dispositif institutionnel juridico-administratif (plus) transparent. La réalité peut bien sûr combiner des éléments des deux pôles, tandis qu’un troisième – la société locale et les communautés affectées – est pris en compte via les dispositifs de compensation, de reconnaissance de droits fonciers et de responsabilité sociale d’entreprise – Weiner (2007), pour le projet gazier Kutubu en Papouasie Nouvelle-Guinée. Le cas du Timor-Leste met quant à lui en évidence les enjeux géopolitiques du contrôle des hydro­ carbures dans le cadre d’une décolonisation très complexe et violente. De l’occupation indonésienne à partir de 1975, à caractère quasi-génocidaire – un tiers de la population disparaît pendant cette période – à la brutalité de l’impérialisme régional australien, les marges de manœuvre du nouvel État indépendant apparaissent étroites. Cela vaut en particulier pour le contrôle du gaz et du pétrole offshore qui a fait l’objet de négociations difficiles avec l’Australie, en particulier concernant la délimitation des frontières maritimes et l’attribution des champs gaziers et pétrolifères (Catry, 2004). En outre, l’enjeu environnemental et la gestion de la rente via un fonds hydrocarbure posent des questions de construction de la nation, en termes de transparence de la gestion de cette rente et de souci des générations futures (Drysdale, 2008). Carte 4. Exploration et exploitation de la zone de coopération entre l’Australie et le Timor-Oriental

Source : Durand (2002).

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est L’analyse de l’enclave extractive dans ses relations à l’extérieur, passe donc par la mise au jour de différents niveaux d’enclavement et de branchements : enclave matérielle, institutionnelle, idéo­ logique. Ces articulations sont affaire de contrôle des rentes et de relations de pouvoir, et elles posent de manière très directe et souvent frontale les questions de la construction de l’État, de la souveraineté et de la citoyenneté. C’est ce que montre, par exemple, Anthias avec le concept de « pétro-citoyenneté » (hydrocarbon citizenship) forgé à partir du cas bolivien pour souligner la place intrinsèque du secteur des hydrocarbures dans la construction de la citoyenneté, de la nation et de l’État (Anthias, à paraître).

1.3.4. Les défis de l’anthropologie de l’énergie L’anthropologie de l’énergie ne constitue pas un champ disciplinaire autonome. La production, la circulation, le contrôle de l’énergie sont consubstantiels de la production des sociétés et des régimes politiques. Ce n’est pas nouveau mais le constat et l’analyse de ces imbrications sont relativement récentes, comme le montre la réception de l’ouvrage de Mitchell (2013) « Carbon Democracy » dont la première édition date de 2011 (voir aussi Urry, 2013). C’est au fond le projet de White qui est revisité, débarrassé de sa charge évolutionniste et investi d’une approche directement politique.

“[E]nergy is a field of technical uncertainty rather than determinism, and (…) the building of solutions to future energy needs is also the building of new forms of collective life” (Mitchell, ibid. : 238).

Un nouveau facteur vient toutefois fortement brouiller les cartes, à savoir le changement climatique associé à une accélération d’une constellation de changements globaux de moins en moins maîtrisables. L’avènement de l’anthropocène reflète la prise conscience – tardive – de l’empreinte, largement irréversible, de ces changements, de la responsabilité de l’humanité et de la fragilité du « système terre ». Faire de l’anthropologie à l’âge de l’anthropocène suppose de prendre en compte ces évolutions, mettant à mal – ou du moins questionnant – le localisme supposé de la discipline. Ce contexte implique un autre décentrement pour les anthropologues, par rapport à une tendance que l’on pourrait imaginer « anthropocentrée par nature » : l’anthropologie comme science de l’homme. En fait l’intérêt ancien pour les modalités multiformes du lien homme-nature et le comparatisme large consubstantiel du projet anthropologique constituent un avantage comparatif important pour la discipline (Descola, 2005) en termes de compréhension des politiques de la nature (Latour, 1999). Enfin, le tournant de l’anthropocène ne doit pas nous faire perdre de vue l’hétérogénéité des temporalités à l’œuvre dans la question énergétique : géologique, écologique, politique, culturelle, etc. Dans ce contexte, certaines boussoles théoriques s’avèrent utiles. On pense ici à l’approche foucaldienne des rapports et régimes de savoir/pouvoir et aux concepts associés de gouvernementalité, biopolitique et biopouvoir. La biopolitique insiste sur le gouvernement des individus comme corps et sujets, et sur celui des populations prises comme un tout, un corps social, calculé, mesuré et gouverné via des dispositifs de sécurité, de santé et de l’économie. L’élargissement de la notion à celle d’énergopouvoir/politique (Boyer, 2011) exprime la fécondité de cette approche tout en la complétant. La question énergétique et ses mutations historiques – du charbon aux hydrocarbures

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Énergie, pouvoir et société : approches anthropologiques sans oublier le nucléaire et à présent les énergies renouvelables – apparaissent comme constitutive du pouvoir moderne – et aussi de son inertie face aux crises, comme le montrent les débats sur le nucléaire (Hecht, 2009) et les gaz de schiste (Willow et Wylie, 2014). Biopolitique et énergopolitique ne doivent pas être perçues comme des notions opposées, mais comme intégrées dans un jeu de relations mutuellement constitutives. La nécessaire prise en compte de la matérialité de l’énergie appelle une autre « boussole théorique », à savoir celle de la sociologie des sciences et de techniques et de l’acteur-réseau (Latour 2005). L’intégration des humains et des non-humains à l’analyse de la chaîne énergétique, la matérialité de son fonctionnement et les impacts de celle-ci sur l’économie politique globale sont des éléments essentiels à prendre en compte pour situer le rôle constitutif de l’énergie dans la production de la société. Dans ce contexte, les enjeux d’une anthropologie de l’énergie attentive aux transformations contemporaines tout comme aux héritages historiques peuvent être synthétisés. Il s’agit tout d’abord de développer une vision large, intégrative, attentive aux différences culturelles et aux asymétries de pouvoir dans la manière dont se tissent des relations entre humains et non-humains. Pour ce faire, il faut s’attacher à identifier les capacités et compétences des acteurs, repérer les innovations sociales, situer les responsabilités et les inégalités de parole et de pouvoir. Enfin, il apparaît nécessaire de promouvoir une anthropologie à la fois fondamentale et appliquée/impliquée de l’énergie.

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1.4.  Les enjeux d’une transition bioénergétique dans les pays en développement Laurent Gazull – CIRAD

Le concept de transition énergétique désigne deux grands changements sociotechniques : d'une part le passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables et d'autre part la réduction de la consommation énergétique par amélioration de l’efficacité énergétique et passage à des modèles de sobriété, le tout dans le cadre d’objectifs globaux de réduction des gaz à effet de serre – dioxyde de carbone, méthane. Dans ce contexte global, parmi les énergies renouvelables disponibles, la bioénergie par son caractère renouvelable, local, non intermittent et neutre en carbone, est amenée à prendre une place de plus en plus importante à l’échelle mondiale. En effet, les différentes prospectives menées par le GIEC montrent que, pour atteindre des objectifs de diminution de la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, le recours à la bioénergie, en substitution des énergies fossiles, devra quadrupler à l’horizon 2100. La bioénergie représente toute forme d’énergie ou de service énergétique rendu par la biomasse : chaleur, électricité, force motrice. Elle produit par une conversion de la biomasse agricole, forestière ou urbaine (déchets urbains) en biocarburants solides (bûches de bois, tiges de céréales), liquides (éthanol, biodiesel) ou gazeux (biogaz). Dans le contexte des pays en développement (PED), en Asie du Sud-Est, comme en Afrique ou dans certaines régions d’Amérique latine, la transition énergétique prend des accents particuliers. En effet, ces pays se caractérisent par i) des consommations énergétiques très faibles ; ii) des besoins en énergie très importants pour leur développement économique et en particulier celui des zones rurales ; et enfin, iii) une dépendance forte à la biomasse, et en premier lieu le bois, comme source principale d’énergie. Cette énergie est principalement consommée sous une forme dite « traditionnelle » de chaleur pour la cuisson des aliments ou le chauffage des logements et ces systèmes énergétiques peu dépendants du pétrole sont sources de revenus et d’emplois importants en milieu rural. Dans ces pays, les principaux enjeux de la transition énergétique ne sont donc ni la réduction des énergies fossiles

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est ni la réduction de la consommation, mais l’amélioration de l’efficacité énergétique des systèmes actuels à partir de biomasse, l’augmentation de l’offre en énergies renouvelables, le développement de services énergétiques productifs en milieu rural et l’accès à l’électricité pour tous. Par ailleurs, la particularité principale des systèmes énergétiques à partir de biomasse est qu’ils nécessitent la création de filières de production et d’approvisionnement en amont. Ainsi, si la transition énergétique suppose des changements techniques et comportementaux majeurs dans les modes de consommation et de conversions énergétiques, dans le domaine des bioénergies, elle suppose également des changements dans les modes de production agricoles ou forestiers. Notre objectif principal est de présenter les transitions en cours ou à venir dans les principales filières agricoles et forestières déjà engagées dans la production de bioénergie, d’en rappeler les moteurs et enfin d’en souligner les enjeux sociaux et écologiques.

1.4.1. Les transitions en cours dans les principales filières agricoles et forestières des pays du Sud Cinq grandes filières agricoles participent activement à la production de bioénergie dans les pays du Sud : le palmier à huile, la canne à sucre, les céréales secondaires (maïs/sorgho), l’élevage et le bois. Ainsi, à l’échelle globale, près de 10 % de l’huile de palme sont transformés en biodiesel, 15 % du sucre de canne est distillé en bioéthanol, une part croissante des déchets animaux sont soit brûlés, soit transformés en biogaz pour la cuisson des aliments et enfin plus de 50 % du bois produit dans le monde est utilisé pour la production d’énergie de cuisson (OCDE, FAO, 2014). Ces grandes filières sont entrées dans des phases de transition où l’énergie est devenue un réel objectif de production au même titre que la production primaire. Cette tendance est en passe de se généraliser à l’ensemble des filières agricoles tropicales – cacao, anacarde, coton – où une part croissante des résidus et de la production principale – grain, sucre, huile – sera consacrée à la production d’énergie. Mais ce nouveau débouché nécessite des changements à tous les niveaux de la filière, depuis la production agricole jusqu’à la consommation finale, même si ces changements sont variables selon les filières et les types d’énergie produites au final : chaleur, électricité, biocarburant, etc.

Dans le secteur de la production de la biomasse Le débouché énergétique oriente déjà le développement de matériel végétal adapté à un usage énergétique, les pratiques agricoles et l’usage des terres. Ainsi, alors que pendant longtemps, la sélection variétale était orientée vers un marché unique – amidon, protéine, saccharose, huile ou fibre – la perspective de nouveaux marchés énergétiques conduit les chercheurs et semenciers à produire des variétés à usage multiple. De nouvelles variétés de canne à sucre par exemple sont développées pour produire à la fois du sucre et de plus en plus de fibres ligno-cellulosiques pour la production d’électricité dans des centrales à bagasse. Des cannes entièrement dédiées à l’énergie – avec des taux de sucre très faibles – sont également en développement. De la même façon, de nouveaux sorghos sont développés pour produire à la fois

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Les enjeux d’une transition bioénergétique dans les pays en développement du grain pour l’alimentation humaine ou animale, de la matière végétale pour la production de biogaz et des polymères pour des biomatériaux. La recherche s’oriente également vers des variétés dont les cycles culturaux pourraient être adaptés à la production de biomasse destinée à l’énergie entre deux cycles de cultures alimentaires. Photo 1. Deux exemples de nouvelles pratiques agricoles pour l’énergie (électricité) : le ramassage des pailles de canne à sucre et celui des feuilles de palme

Source : Laurent Gazull.

L’objectif d’augmentation de la production de biomasse change également les méthodes de cultures et de récolte. Ainsi, toujours dans le secteur de la canne à sucre, de moins en moins de résidus sont laissés au champ et les agriculteurs récoltent de plus en plus les têtes (choux) et les feuilles des canne qui étaient traditionnellement laissés à terre car ne contenant pas de sucre. Dans le secteur de l’huile de palme, certains producteurs commencent à récolter les feuilles mortes de l’année – le palmier produit environ vingt feuilles par an – pour alimenter des usines électriques et méthanisent les rafles des régimes anciennement compostées pour produire du biogaz. De la même façon, bien qu’encore de manière anecdotique, les tiges de maïs sont convoitées dans certaines régions du monde pour alimenter des filières de production de biocarburant dits de deuxième génération. Dans un secteur autre, les cabosses de cacao aujourd’hui laissées en bord de champs après retrait des fèves pourraient faire l’objet d’une récolte pour alimenter des centrales électriques. Dans le domaine de l’élevage, la nécessité de récolter les déchets pour la production de biogaz pousse à la concentration et à la stabulation du bétail au détriment de pratiques des troupeaux en parcours libre. Enfin dans le secteur du bois, de nouvelles formes de plantations à vocation

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est énergétique – taillis à très courte rotation (TTCR) – voient le jour et les exploitants forestiers intègrent de plus en plus le marché de l’énergie en récupérant les petits bois d’éclaircies, les arbres malformés et les résidus d’exploitation (houppiers, racines, etc.). Enfin, la bioénergie entraine également des changements dans les rotations culturales et l’usage des terres. En effet les usines électriques ou les unités de production de biocarburants ont besoin de tourner toute l’année alors que beaucoup de productions sont saisonnières. Ainsi peut-on observer le développement de plantations ligneuses pour complémenter la bagasse dans les périmètres de canne à sucre, ou l’introduction de plantes fourragères énergétiques – maïs ou sorgho biomasse – dans les fermes d’élevage pour complémenter les déchets animaux dans les unités de biogaz. On peut également observer le développement de modèles agroforestiers où par exemple du manioc pour l’alimentation humaine serait en association avec des plantations d’acacias pour produire du charbon de bois (cf. photo 1).

Dans le secteur de la conversion La production d’énergie, et en particulier d’électricité, au sein des unités de transformation agro-industrielles existe depuis longtemps. Dès le début du XXe siècle, les sucreries produisent de l’électricité à partir de la bagasse ; la production de chaleur et d’électricité à partir de la sciure des scieries est également un fait ancien, tout comme la chaleur avec les rafles des régimes de palmier. Mais cette production d’énergie était destinée uniquement au fonctionnement interne des usines de traitement de la biomasse : extraction du sucre, pressage des noix de palme, sciage du bois. La nouveauté en ce début du XXIe siècle réside, d’une part, dans la diversification des formes d’énergie produites par les filières agricoles et en particulier les biocarburants liquides ou gazeux ; et, d’autre part, dans la participation de ces filières aux réseaux nationaux ou locaux de distribution de l’énergie : réseau électrique, réseaux de distribution des hydrocarbures. Dès lors, les agro-industriels négocient les tarifs de rachat de leur énergie avec les acteurs du secteur énergétique et cherchent à augmenter cette production de réseau tout en minimisant leur coût. Plusieurs stratégies sont à l’œuvre : les économies d’échelle qui visent à construire de grosses centrales alimentées par plusieurs sources de biomasse ou par de nombreux circuits de collecte ; l’amélioration de l’efficacité énergétique du processus de transformation qui vise à minimiser la consommation énergie interne des usines afin de pouvoir distribuer plus d’énergie restante ; l’amélioration de l’efficacité énergétique des unités de production bioénergétique en investissant dans des moyens modernes de conversion : chaudières et turbines haute pression, chaudières poly­ combustibles, centrales à éthanol, bioraffineries, etc. Ainsi, les évolutions les plus remarquables sont à noter dans les filières canne à sucre où pratiquement toutes les stratégies sont mises en œuvre pour augmenter la production d’électricité et d’éthanol. Dans de nombreux pays d’Asie et d’Amérique latine les usines sucrières sont devenues en vingt ans de véritables usines de production d’électricité de réseau et de biocarburants. Au Brésil ou en Argentine par exemple, un hectare de canne à sucre produit en moyenne cinq mégawattheures (MWh) électrique par an, soit l’équivalent de la consommation moyenne de dix habitants africains, de quatre Vietnamiens ou de six Indonésiens. En Asie du Sud-Est, l’efficacité énergétique

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Les enjeux d’une transition bioénergétique dans les pays en développement des usines sucrières est pratiquement deux fois moindre et en Afrique pratiquement aucune usine ne produit en dehors de ses propres besoins. On retrouve ce constat dans pratiquement toutes les autres filières. Même si de nombreux projets d’installation sont en cours dans les scieries d’Afrique centrale, les presses d’huile de palme de la côte guinéenne et d’Asie du Sud-Est, ou les digesteurs de grandes fermes porcines en Chine, les investissements sur des unités de conversion efficaces servant à nourrir des réseaux de distribution sont encore très faibles dans les pays en développement. L’énergie produite est encore principalement consacrée aux besoins des usines ou à un usage domestique local. Schéma 2. Un exemple de future centrale électrique polycombustibles, adossée à une production de canne à sucre

Source : Albioma 2016 - http://galion2.albioma.com

Dans le secteur du bois-énergie et de son utilisation traditionnelle pour la cuisson, de nombreuses actions ont déjà été tentées pour améliorer l’efficacité énergétique de la conversion à deux niveaux : au niveau de la carbonisation – transformation du bois en charbon de bois, et au niveau des postes de cuisson : les foyers améliorés. Les meules ou fours modernes de carbonisation permettent d’augmenter l’efficacité d’un facteur 2 et les foyers améliorés d’un facteur en moyenne de 1,5. Mais peu de pays ont réussi à introduire et pérenniser des moyens de carbonisation modernes pour des usages domestiques et la plupart des chaînes de production sont encore très peu efficaces. En revanche, de nombreuses campagnes de diffusion de foyers améliorés ont été menées dans de nombreux pays en Afrique, Asie et Amérique du Sud, mais leur taux de réussite est très variable. Les foyers améliorés

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est n’ont pratiquement pas touché les populations rurales et en zone urbaine, si environ 60 % des ménages urbains en disposent, leur taux d’utilisation est souvent faible car ces derniers ne sont pas adaptés à toutes les cuissons (cf. schéma 2).

Dans le secteur de la consommation La bioénergie est produite à partir de biocarburants solides ou liquides qui n’ont pas les mêmes caractéristiques que les carburants fossiles. De la même façon, si la bioélectricité peut être considérée comme une énergie quasi permanente, comparée à l’électricité solaire ou éolienne, adossée à une production agricole elle est souvent saisonnière et en partie versatile. L’utilisation de la bioélectricité et des biocarburants suppose ainsi des changements comportementaux et le développement d’équipements adaptés qui vont du foyer à bois à la voiture Flex fuel. Là encore le changement le plus remarquable est certainement le développement des moteurs Flex fuel au Brésil. Ce moteur a été développé pour permettre d’utiliser indifféremment des carburants tels que l’essence, le bioéthanol ou un mélange des deux. Aujourd’hui, au Brésil, le nombre d’automobiles vendues équipées du système Flex fuel a dépassé celui des voitures traditionnelles à essence. Le biodiesel quant à lui ne nécessite pas de modifications majeures à faire sur les moteurs traditionnels. En revanche le biogaz nécessite un équipement adapté pour être utilisé soit dans des moteurs traditionnels – bi-carburateur – soit dans des réchauds. De la même façon les nouveaux carburants solides à base de bois : pellets, briquettes nécessitent également des foyers adaptés à ce type de conditionnement que ce soit pour la production de chaleur domestique ou d’énergie de cuisson. Dans le secteur de la cuisson, comme nous l’avons souligné précédemment, l’adoption et l’utilisation des foyers améliorés à bois ou à charbon de bois, restent encore faibles en grande partie car ils ne sont pas adaptés aux modes de cuisson traditionnels qui nécessitent des temps de cuisson longs et de grandes quantités d’aliment. Néanmoins, on peut supposer que l’évolution des habitudes alimentaires en zone urbaine vers des cuissons plus rapides et en petites quantités va favoriser leur développement dans un avenir proche.

1.4.2. Les moteurs de ces évolutions Les moteurs de toutes ces évolutions le long des filières de production agricoles ou forestières sont multiples. En premier lieu, l’argument économique : la production de bioénergie répond à une nouvelle demande et participe à un nouveau marché qui s’internationalise. Mais ce moteur n’est pas unique et parfois n’est pas le plus déterminant. La production de bioénergie répond également des objectifs sociaux, politiques ou environnementaux locaux.

Une demande bioénergétique croissante Les scénarios tendanciels de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit une augmentation de la demande énergétique des pays en développement de l’ordre de 3 % par an jusqu’à l’horizon 2030. La demande d’énergie des pays en développement d’Asie devrait même s’accroître à un

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Les enjeux d’une transition bioénergétique dans les pays en développement rythme moyen de près de 4 % par an, soit beaucoup plus rapidement que dans toutes les autres régions du monde. Dans ces prévisions, l’utilisation de la biomasse pour la production électrique devrait augmenter de 5 % par an, l’usage traditionnel (cuisson et chauffage) de 6 % par an et le secteur des biocarburants de 5 % par an également. Aujourd’hui, la biomasse représente environ 10 % de la production énergétique primaire. Cette proportion devrait rester stable jusqu’à 2030, mais compte tenu de l’augmentation générale de la demande, il est naturel que cette production bioénergétique augmente au moins au même rythme voire à un rythme supérieur. D’après les prédictions, les usages de cette bioénergie devraient néanmoins varier au profit de l’électricité et du transport, au détriment des usages traditionnels pour la cuisson (cf. schéma 2 ci-avant). Bien qu’il existe un marché international du bioéthanol, du biodiesel et nouvellement des pellets de bois, ce marché représente moins de 10 % de la production et les marchés sont avant tout locaux. Les échanges internationaux sont principalement à destination de l’Europe et proviennent majoritairement de pays sans problèmes d’accès à l’énergie : Brésil, Argentine, États-Unis, Canada. Dans les pays en développement, les besoins énergétiques sont tels que la demande locale absorbe pratiquement tout surplus produit. Néanmoins, les cas de l’Indonésie exportatrice de biodiesel alors qu’une grande partie de sa population n’a pas accès à l’électricité, ou de la Thaïlande visant à exporter du bioéthanol alors que sa production électrique peut être insuffisante à certaines périodes de l’année montrent que les stratégies économiques des États ou des grandes entreprises productrices peuvent ne pas servir l’intérêt local. Graphique 11. Évolution attendue des usages énergétiques de la biomasse

Source : Agence internationale de l’énergie, 2012.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Les engagements des États et des filières dans le développement des énergies vertes Depuis la signature du protocole de Kyoto en 1997, les accords de Marrakech en 2001 et encore davantage depuis les Accords de Paris en 2015, la majorité des États du monde se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Et même si les efforts de réduction annoncés par les pays en développement sont faibles, ces derniers se sont engagés en particulier dans le développement des énergies renouvelables. Dans ces pays majoritairement en zone intertropicale, les ressources et potentiels de production de biomasse sont très forts. D’autant plus qu’en Afrique et en Amérique du Sud, la plupart de ces pays recèlent encore de grandes surfaces de terres arables non cultivées. Ainsi avec le solaire et l’hydroélectricité, la bioénergie fait partie de la plupart des stratégies de développement des énergies renouvelables de la plupart des États. Nombre d’États, y compris dans les pays les moins avancés, ont mis en place des mesures incitatives pour la promotion des bioénergies. Elles prennent des formes très variables selon les énergies produites. Dans le secteur de la bioélectricité, une mesure essentielle est la garantie du tarif de rachat du kilowatt-heure (kWh) produit et injecté sur le réseau. Une autre peut-être l’aide à l’investissement des équipements de production : centrale à biomasse, génératrices Flex fuel, etc. Dans le secteur des biocarburants, les mesures passent en général par des obligations d’incorporation garantissant aux producteurs un volume d’achat annuel, une taxation différentielle pour s’aligner sur les prix des hydrocarbures, ou des aides à l’investissement. Certains pays comme le Brésil ont également développé des mécanismes de garantie d’achat des productions agricoles – cas du ricin – auprès des producteurs afin d’alimenter des chaînes. Dans le domaine de la biomasse, ces stratégies vont de pair avec des objectifs de développement rural et de limitation des importations d’hydrocarbures. En effet, d’une part les filières bioénergétiques sont pourvoyeuses de nombreux emplois en milieu rural – à énergie produite équivalente, les filières bioénergétiques procurent dix fois plus d’emplois que celles des hydrocarbures fossiles ; et d’autre part, elles augmentent les possibilités de transformation et de conservation des produits agricoles – par séchage, froid, sciage, mouture, etc. – et participent ainsi à l’augmentation de la valeur ajoutée en zone rurale. Enfin, elles sont à même de fournir une énergie de proximité, aux formes variées, peu chère comparée à celles produites à partir des énergies fossiles, améliorant ainsi les conditions de vie des populations. Ces deux dimensions « développement rural » et « énergie de proximité » sont deux éléments forts appréciés des populations locales et contribuent à son acceptabilité sociale dans de nombreux pays, renforçant ainsi la demande interne. Le biodiesel d’huile de palme en Colombie ou l’éthanol de canne à sucre au Brésil sont ainsi devenus des produits dont les habitants sont fiers et forts demandeurs. De manière concomitante, les grandes filières agricoles commerciales – canne, huile de palme, cacao, soja, etc. – se sont engagées progressivement dans des processus de certification pour répondre à des demandes de durabilité de leur clientèle : normes Table ronde sur l’huile de palme (RSPO), Table ronde pour des biocarburants durables (RSB), certification BONSUCRO, Rainforest Alliance, etc. Ces certifications ne font pas explicitement référence au développement des énergies vertes. Néanmoins, toutes se placent dans une logique de réduction des déchets, d’efficacité d’utilisation de la biomasse et de réduction des sources de pollution. La production de bioénergie

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Les enjeux d’une transition bioénergétique dans les pays en développement s’inscrit dans cette démarche de recherche d’efficacité et d’optimisation de l’utilisation des résidus, de culture ou de transformation, dans une logique d’économie circulaire.

Des filières agricoles et forestières en quête de diversification Au-delà des objectifs de certification, et d’efficacité énergétique, le développement des bioénergies au sein des grandes filières agricoles répond avant tout à des stratégies de diversification des débouchés. Avec la hausse des prix des hydrocarbures – avérées durant les années 2007-2010, ou prévisibles à moyen terme – les mesures prises par les États pour le développement des énergies vertes et une demande sociale en augmentation, les biocarburants – solides ou liquides – et les bioénergies sont devenus des productions rentables dans de nombreuses filières. Ils sont passés du rang de sous-produit à celui de coproduit voire de produit principal. C’est particulièrement remarquable dans les filières bois où pendant de nombreuses années les grands exploitants forestiers et les États ont chercher à réduire, voire à supprimer la production de bois-énergie. Aujourd’hui, en Afrique centrale comme en Asie du Sud-Est la production de bois-énergie – pellets, charbon de bois, bûches – soit en complément d’une production de bois d’œuvre, soit en débouché principal est une option recherchée par les États et les exploitants. Comme nous l’avons vu précédemment, les modes d’exploitation et de plantation sont en train de changer pour s’adapter à ce débouché potentiel et les filières cherchent les organisations et les circuits commerciaux les plus efficaces pour fournir la demande locale ou internationale. Dans le domaine agricole, les stratégies de diversification des débouchés et des marchés étaient déjà à l’œuvre dans de nombreux pays. Les biocarburants et la bioélectricité ont offert une nouvelle source de diversification pour l’agriculture limitant ainsi les risques de dépendance au seul marché de l’alimentaire et offrant ainsi aux agriculteurs et à leurs organisations représentatives un pouvoir de négociation supérieur. Dans la mesure où la production de bioénergie n’entraine pas d’irréversibilités – gels des terres, dégradation des sols, investissement trop lourds – de changements majeurs dans leurs pratiques, ou de nouvelles dépendances, les études montrent que la plupart des agriculteurs sont prêts à fournir ce nouveau débouché. À cet égard, l’échec mondial de production du Jatropha est éclairant. En effet, le Jatropha Curcas est un arbuste pérenne produisant un fruit et une graine oléagineuse, dont l’huile peut être utilisée brute en biocarburant ou être transformée en biodiesel. Dans les années 2005-2010, partout en zone intertropicale, en Asie du Sud-Est en Afrique subsaharienne, en Amérique latine, des projets de plantation de Jatropha pour la production de biodiesel ont vu le jour. Aujourd’hui presque tous sont arrêtés. Les raisons de cet échec sont multiples, mais parmi ces dernières, en particulier en Afrique, on peut en retenir deux : le Jatropha est une plante toxique non utilisable pour l’alimentation animale ou humaine et il est une plante pérenne. Ainsi, ce dernier introduit une dépendance exclusive au marché de l’énergie dont le cours est très fluctuant et une forme d’irréversibilité de par son côté arbuste permanent qui gèle des terres dans un espace majoritairement consacré aux cultures annuelles ou au passage des animaux.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Image 2. Promotion de la filière maïs en Argentine : l’énergie est clairement présentée comme un débouché aussi important que l’alimentation du bétail

Source : Asociación Argentina de Productores en Siembra Directa (Aapresid) - www.aapresid.org.ar

L’absence de solutions alternatives Enfin, dernier élément moteur, même s’il est en creux par rapport à tous les autres : l’absence de solutions énergétiques alternatives à la biomasse et accessibles à la population. Dans de nombreux pays en développement, malgré tous les efforts des gouvernements et des grands bailleurs de fonds pour favoriser le développement des énergies fossiles dans la sphère domestique, en particulier pendant les trois décennies les années 1970, 1980 et 1990, la transition vers le gaz ou le pétrole lampant n’a pas eu lieu. Aujourd’hui, l’Organisation des Nations unies (ONU) considère que près de trois milliards de personnes dépendent encore de la biomasse et majoritairement du bois ou du charbon de bois comme principale source d’énergie domestique. Dans le contexte actuel, cette transition apparaît de plus en plus compromise et même à contre-courant d’une transition énergétique moderne. De nombreux pays africains n’arrivent plus à subventionner le gaz butane à usage domestique et ce carburant est encore majoritairement délaissé par les usagers urbains ou ruraux : trop cher, trop mal distribué, trop incertain et jugé trop dangereux le gaz butane peine encore à intégrer les cuisines des ménages urbains et est totalement absent en milieu rural ; le pétrole lampant n’est pas mieux

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Les enjeux d’une transition bioénergétique dans les pays en développement accepté par les usagers ; les plaques de cuisson électriques sont impossibles en l’absence d’électricité. Ainsi la biomasse est-elle la seule ressource accessible et abordable pour encore de très nombreux ménages.

1.4.3. Les principaux défis à relever pour une transition bioénergétique Le développement des bioénergies est souhaité, souhaitable et en cours dans de nombreux pays. Cependant, ces évolutions posent encore de nombreux problèmes et de nombreux défis à relever. Le principal est la mobilisation en grande quantité de la biomasse. En effet, la production énergétique n’est pas un marché de niche, c’est un marché de masse qui répond à une demande croissante. Produire de grandes quantités de biomasse pose le problème de la compétition pour la terre, des modèles de production et de leur localisation ; le second défi est certainement celui de du prix et de l’accessibilité de l’énergie produite qui dans le contexte de pays pauvres doit pouvoir être concurrentiels avec les autres solutions énergétiques : hydrocarbures et autres énergies renouvelables ; et enfin, le dernier défi est celui de la durabilité de la production. La bioénergie ne peut en effet se justifier que par son caractère neutre en carbone, par un bilan énergétique positif et par des impacts environnementaux et sociaux acceptables.

Produire et mobiliser plus de biomasse Dans un futur proche caractérisé par une demande énergétique croissante et des acteurs de l’énergie aux dimensions internationales, la production de bioénergie est actuellement majoritairement pensée et organisée comme une production de masse mobilisant de grandes surfaces. Les exemples de réussites souvent exemplaires de production électrique à partir de canne au Brésil ou de biodiesel à partir d’huile de palme en Colombie vont dans ce sens : une usine bioélectrique au Brésil est alimentée en moyenne par environ 20 000 ha de canne à sucre situés dans un rayon de 50 km ; une usine de biodiesel en Colombie est alimentée en moyenne par 30 000 ha de palmeraies situés dans un rayon de 60 km. Mais ces modèles de production à grande échelle nourrissent de nombreuses peurs dont celles d’une compétition pour la terre avec les cultures alimentaires et celles d’un accaparement des terres par des acteurs industriels au détriment des petits paysans locaux. Il est vrai que les projets de grands investissements, en particulier en Asie et en Afrique, ont pris de l’ampleur ces dix dernières années. 40 % de ces projets visent à produire des biocarburants solides ou liquides. Néanmoins, d’une part il existe un grand fossé entre les déclarations d’intention et les investissements réels sur le terrain, et d’autre part la plupart des projets sont à double usage : alimentaire et bioénergie – palmier à huile, canne à sucre, manioc. En effet, la bioénergie est actuellement un coproduit ou un sous-produit des productions alimentaires. Rares sont les productions réellement dédiées même si certains pays, à l’instar de l’Indonésie, pour le palmier à huile, ou de la Thaïlande, pour le manioc, visent à augmenter la part des productions dédiées à l’énergie.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Par ailleurs, ces grands modèles de production agro-industrielle, pour de nombreuses raisons, ne sont pas transposables dans tous les pays, de par leurs règles d’accès à la terre, le morcellement de l’espace agricole restant, les infrastructures routières peu développées, une faible disponibilité de la main d’œuvre, etc. Dans les PED, un des défis majeur pour la production de bioénergie est de pouvoir développer des modèles de production et de collecte de biomasse qui s’appuieront sur les agriculteurs familiaux existants qui représentent encore l’immense majorité de la main d’œuvre en milieu rural. Ces modèles sont en cours de développement dans le secteur de l’huile de palme, du cacao, et du sorgho. Dans ce type de modèle associant un réseau de producteurs agricoles et un industriel de l’énergie, la question de l’organisation de la collecte et du transport de la biomasse est une question cruciale. Afin de limiter les coûts de transport, ces nouveaux modèles amènent également à repenser la taille des installations de conversion vers des unités de plus petite taille pour des usages plus locaux. Dans le domaine du bois-énergie, l’enjeu de production se localise principalement aux abords des grandes villes. L’approvisionnement des villes du Sud en combustibles ligneux, la forte demande actuelle et son augmentation prévisible aboutissent déjà à des situations de dégradation et de raréfaction de la ressource ligneuse dans les zones périurbaines, à des distances pouvant aller jusqu’à 200 km autour de grandes villes. L’enjeu est de recréer de la ressource en particulier par des plantations villageoises, paysannes ou industrielles et de l’organiser dans l’espace de manière à concilier le développement urbain, l’expansion agricole et la fourniture de bois-énergie. Enfin, l’augmentation de la ressource passe également par la mobilisation des résidus de récolte et de déchets de transformation : pailles, coques, glumes, rémanents forestiers, résidus d’éclaircies, etc. De nombreuses études et expérimentations sont en cours pour étudier les conditions et les modes de collecte des résidus dans pratiquement toutes les grandes filières agricoles et forestières du Sud. Mais au-delà des aspects pratiques de collecte au champ ou en forêt, le principal problème est celui du transport du bord du champ jusqu’à l’usine de production énergétique. La biomasse est un produit foisonnant et lourd, et les infrastructures routières secondaires des pays en développement sont peu développées. Dans certains pays, les flottes de camions sont également limitées. Les schémas permettant physiquement de concentrer la biomasse résiduelle et de la transporter à des coûts raisonnables sont encore à construire.

Produire équitablement une énergie utile en milieu rural Le second défi majeur est relatif au coût de production de la bioénergie, de ses conditions d’accès par les populations locales et à son rôle potentiel dans le développement en milieu rural. En effet, les pays en développement se caractérisent par un besoin immense en énergie pour se développer. L’énergie est devenue un Objectif de développement durable reconnu par l’ONU – ODD n°7. En particulier, l’accès à l’électricité pour tous est une priorité partagée par tous les États alors que près de 600 millions de personnes en Afrique et 500 millions en Asie n’en disposent pas. D’une manière générale, ce besoin électrique et énergétique se concentre essentiellement en milieu rural. Aujourd’hui, les grands bailleurs de fonds et de nombreux gouvernements, faute de moyens, ont abandonné leurs grandes politiques de développement des réseaux électriques nationaux au profit de solutions de production et de distribution décentralisées. Si les investissements

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Les enjeux d’une transition bioénergétique dans les pays en développement s’en trouvent réduits, les expériences montrent que l’électricité produite à petite échelle, majoritairement à partir de groupe électrogènes diesels, est beaucoup plus chère que celle produite et distribuée dans les grandes villes et que le service est rarement continu. Ainsi, ces solutions décentralisées sont doublement inéquitables : coût plus important et service inférieur en milieu rural qu’en milieu urbain. Par ailleurs, si l’électricité est évidemment une nécessité pour l’amélioration des conditions de vie, cette dernière n’est que de peu d’utilité en agriculture qui reste le secteur économique dominant en milieu rural. Dans ce contexte, la bioénergie est à même de jouer un double rôle. D’une part, elle peut fournir différentes formes d’énergie : biocarburants nécessaires à la mécanisation agricole, chaleur ou froid nécessaires à la conservation des produits, électricité nécessaire à leurs transformations et au développement d’autres activités ; d’autre part, la bioénergie suppose le développement de chaînes d’approvisionnement susceptibles de fournir des revenus paysans complémentaires, des emplois et de l’innovation locale. Mais pour ce faire, comme dans les modèles de production les modèles d’approvisionnement et de production électrique devront intégrer les acteurs locaux. Les technologies utilisées devront en particulier pouvoir être appropriées localement, au risque d’être abandonnées rapidement et les services énergétiques rendus devront répondre aux besoins locaux et au contexte rural.

Produire durablement La durabilité des modes de production de bioénergie et le renouvellement de la biomasse sont des enjeux majeurs et des conditions nécessaires au développement d’une telle production. En premier lieu, l’intérêt de la bioénergie repose sur un bilan neutre en carbone. Or, de nombreuses productions n’affichent pas un bilan neutre en carbone et certaines ont des bilans énergétiques proches de zéro – elles consomment autant d’énergie qu’elles en produisent. C’est le cas en particulier de l’éthanol de maïs dont le cycle de production est fort émetteur de dioxyde de carbone et dont le bilan énergétique est d’environ une tonne d’équivalent pétrole (tep[5]) consommée pour une tep produite. En revanche, l’éthanol de canne à sucre ou le biodiesel d’huile de palme affichent des émissions de dioxyde de carbone réduits de 75 % à 90 % par rapport à leurs équivalents fossiles. D’une manière générale, même si le bilan carbone de la production de bioénergie n’est pas nécessairement neutre, car produire de la biomasse peut nécessiter des moyens mécanisés ou l’utilisation d’engrais chimiques consommateurs de carbone, ce bilan est toujours meilleur que l’équivalent obtenu à partir d’énergies fossiles. Pour une production de chaleur ou d’électricité, les émissions de dioxyde de carbone d’un cycle biomasse sont plus de vingt fois moindres que des productions équivalentes (en kWh) à partir de charbon ou de diesel. Néanmoins, ce bilan dépend grandement de l’occupation des sols antérieure à la production de biomasse. En effet, si une plantation de bois-énergie ou de palmier à huile est plantée sur une terre initialement boisée, la production d’énergie, même par des pratiques vertueuses pourra difficilement compenser la perte de carbone initialement libéré par la déforestation.

[5]

1 tep = 7,33 barils de pétrole (équivalence conventionnelle du point de vue énergétique).

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Une autre préoccupation majeure est le maintien de la fertilité des sols. La production massive de biomasse à des fins énergétiques, l’utilisation des résidus, des récoltes plus fréquentes et des passages plus fréquents aux champs, sont autant d’éléments qui peuvent aboutir à une dégradation des sols. D’une manière générale, l’intensification des prélèvements de biomasse sur de sols tropicaux déjà pauvres nourrit la crainte de nombreux agronomes et de forestiers qui s’opposent ainsi à une utilisation autre qu’alimentaire des terres. Pour répondre à ces exigences de durabilité, les filières essayent d’une part de développer des normes de durabilité et de bonnes pratiques et d’autre part jouent sur les complémentarités de marchés entre l’alimentaire, l’énergie et les matériaux afin d’éviter les irréversibilités. Ceci est particulièrement vrai dans le cas de la canne à sucre, où la récupération des feuilles ou la production de canne plus riches en lignocellulose – les cannes fibres – font encore l’objet de nombreuses réticences, en particulier à cause de craintes de non-durabilité. C’est encore plus vrai dans le domaine forestier où la production de bois-énergie fait l’objet de nombreuses résistances de la part des forestiers « traditionnels ». Les conséquences à long terme d’une récolte accrue des résidus ou de production de variétés à haute teneur en biomasse ne sont pas encore connues et les itinéraires techniques durables associant énergies, aliments et matériaux sont encore à construire.

Conclusions et perspectives Les besoins en énergie des pays en développement sont considérables. Cette demande se localise essentiellement en milieu rural où actuellement plus de 80 % des besoins énergétiques sont assurés par de la biomasse – essentiellement du bois, utilisé pour la cuisson des aliments et pour le chauffage des habitations. Avec les tensions sur les marchés des hydrocarbures, les nouvelles solutions techniques de production d’énergies renouvelables à moindre coût, et les engagements des États pour la réduction des gaz à effet de serre, la satisfaction des besoins en énergie de ces pays ne devraient pas suivre les mêmes trajectoires technologiques que celles suivies par les pays développés. Dans les PED, la prédominance des secteurs agricoles, la disponibilité a priori en terres arables, les perspectives d’accroissement des rendements, les ressources forestières encore importantes, font des biomasses agricoles et forestières des sources énergétiques à même de répondre au développement énergétique des zones rurales. Des changements sont en cours, vers une utilisation de plus en plus importante de la biomasse pour des productions énergétiques aux formes de plus en plus diverses : biocarburants liquides et gazeux, pellets de bois, bioélectricité. Mais la transition « bioénergétique » vers des formes modernes de bioénergie, même si elle offre de réelles perspectives en termes d’emplois, de coûts de l’énergie, de services énergétiques, devra relever de nombreux défis. La production de bioénergie devra en premier lieu trouver sa place en synergie et complémentarité avec les autres productions agricoles et forestières. Des modèles conciliant énergie, élevage, cultures alimentaires et forêt sont possibles et certains sont en cours d’expérimentation, mais les besoins en recherche sur ce sujet sont encore nombreux ; en second lieu, la bioénergie doit faire ses preuves en termes de coûts et offrir des services énergétiques adaptés aux besoins des populations rurales ; en troisième lieu les filières bioénergétiques, depuis la production jusqu’à la consommation,

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Les enjeux d’une transition bioénergétique dans les pays en développement doivent intégrer les acteurs locaux et veiller à l’équité au sein des chaînes de production et d’approvisionnement ; et enfin l’exportation massive de biomasse que cette production entraîne doit pouvoir être compatible avec le maintien de la fertilité des sols et les modèles agroécologiques en cours de développement. Ainsi, les composantes d’une transition énergétique réussie dans les PED peuvent s’énumérer en quatre points : i) tirer parti des potentiels existants – ressources agricoles et naturelles – dans une logique d’économie circulaire en s’appuyant sur les filières agricoles et forestières existantes et trouver des complémentarités entre filières ; ii) répondre techniquement et socialement aux spécificités de la demande, en particulier en milieu rural ; iii) améliorer l’efficacité énergétique et l’impact environnemental des filières traditionnelles, tout en limitant l’impact social ; iv) inscrire la biomasse dans l’organisation, le fonctionnement et les projets des territoires.

Bibliographie Cotula, L., L. Finnegan et D. Macqueen (2011), "Biomass Energy: Another Driver of Land Acquisitions?" (IIED Briefing Papers No. 17098IIED) (p. 4), IIED Publications Database. Gazull L. et D. Gautier (2014), "Woodfuel in a Global Change Context", Wiley Interdisciplinary Reviews: Energy and Environment, 4 (2), pp. 156-170. International Energy Agency (2012), "Energy for Cooking in Developing Countries", In : World Energy Outlook 2006, IEA. Paris, OCDE/IEA, pp. 419-446. IEA Bioenergy (2007), Potential Contribution of Bioenergy to the World’s Future Energy Demand. Rotorua, New Zealand, IEA Bioenergy. OCDE, FAO (2014), « Biocarburants », In : Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2014-2023. Paris, Éditions OCDE, pp. 121-140. OCDE/IEA (2012), Key World Energy Statistics 2012, International Energy Agency, Paris, 87 p. REN21 (2015), Renewables 2015 Global Status Report, United Nations Environment Programme (UNEP), Paris, 32p, http://www.ren21.net/status-of-renewables/global-status-report. Salvatore, M. et B. Damen (2010), Bioenergy and Food Security: the BEFS analysis for Thailand, Environment and Natural Resources, Working Paper No. 42. FAO, Rome, 107 p.

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1.5.  Synthèse des séances plénières. Complexité et transition énergétique Alexis Drogoul - IRD

Production, distribution et consommation d’énergie : un ensemble de systèmes complexes Les interventions[6] effectuées dans le cadre des JTD 2016 ont brossé un portrait extrêmement riche des réflexions actuelles sur l’ensemble des phénomènes regroupés sous le terme de « transition énergétique ». Sous l’angle de leurs disciplines respectives, les intervenants ont su mettre en exergue les aspects économiques, sociaux, politiques mais aussi écologiques et environnementaux des nombreuses initiatives existantes ou planifiées. Il est ressorti de cet ensemble d’exposés trois grandes tendances : - tout d’abord une assez nette séparation entre, d’une part, des travaux portant sur la description de « transitions énergétiques » déjà à l’œuvre (Sébastien Velut, Laurent Gazull, Pierre-Yves Le Meur, Javier-Gil Quijano[7]) et, d’autre part, des travaux ayant pour vocation de prescrire et de concevoir des transitions énergétiques à venir (parce qu’inéluctables ou nécessaires : Jean-Marc Châtaignier, Michel Eddi, Gaël Giraud) ; - une certaine difficulté, partagée par tous les intervenants, à donner une définition claire et acceptée de tous à la notion même de « transition énergétique », en particulier dans des contextes aussi différents que ceux présentés dans les exposés (parle-t-on de la même chose lorsque l’on décrit les politiques de transition énergétique à l’échelle de l’Europe et les pratiques à l’échelle d’un village ?) ;

[6] Les interventions utilisées dans ce texte concernent, d’une part, les présentations des intervenants en plénière (Gaël Giraud, Pierre-Yves Le Meur, Laurent Gazull, Sébastien Velut), dont le texte est disponible dans cet ouvrage, et, d’autre part, deux allocutions d’ouverture (Michel Eddi, pour le CIRAD, et Jean-Marc Châtaignier, pour l’IRD). [7] La présentation de Javier-Gil Quijano est disponible sous forme de vidéo à l’adresse suivante : http:// www.tamdaoconf.com/2017/03/10/synthese-des-seances-plenieres-5/

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est - une constatation commune que ces différents phénomènes ne peuvent être appréhendés, étudiés ou conçus qu’en tenant compte des multiples interactions qu’ils entretiennent avec les socioécosystèmes où ils se déploient (ou sont censés se déployer). Ce dernier point a particulièrement retenu mon attention. Jean-Marc Châtaignier, Michel Eddi, Gaël Giraud, Sébastien Velut, Laurent Gazull et Pierre-Yves Le Meur ont tous, dans des registres différents, insisté sur le fait que parler de transition, souhaitée ou constatée, dans le seul domaine énergétique, ne capturait qu’une infime partie de la réalité. D’un point de vue descriptif, toute évolution en termes de pratiques énergétiques ne peut se comprendre correctement que rapportée à des évolutions parallèles qui l’accompagnent ou avec lesquelles elle apparaît enchevêtrée : évolutions démographiques, économiques, écologiques, alimentaires, agricoles, sociales. Inversement, comme cela a été souligné plus particulièrement par Michel Eddi, aucune prescription ou planification de transitions énergétiques ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la manière de faire évoluer parallèlement ces autres domaines. Sébastien Velut et Pierre-Yves Le Meur ont enfoncé le clou sur ce point en prenant une perspective historique plus large, le premier plaçant la transition énergétique actuelle dans une succession de transitions, le second s’appuyant sur les travaux de Leslie White concernant la corrélation entre complexification sociale et usage de l’énergie. La diversité des intervenants a de plus permis de constater que les interrelations entre transition énergétique et évolution socioécosystémique sont fortement dépendantes des points de vue et des horizons envisagés. Cela est particulièrement vrai concernant la question des « échelles » : l’échelle spatiale ou sociale choisie pour décrire ou prescrire une transition en termes de distribution ou de consommation d’énergie va se traduire par des différences non seulement quantitatives mais aussi qualitatives. Javier-Gil Quijano montre ainsi que les choix de gouvernance et les choix techno­logiques ne peuvent pas être les mêmes à l’échelle d’une commune et à l’échelle de l’Europe, un point également souligné par Sébastien Velut, pour qui les choix faits à l’échelle mondiale ne rendent pas compte des transitions à l’œuvre aux niveaux locaux. Le passage à l’échelle impose d’inventer de nouvelles formes (de production, de distribution, de consommation), dont certaines n’ont rien à voir avec une transformation « isomorphe » des solutions locales, en particulier parce que de nouveaux acteurs interviennent et que des contraintes technologiques différentes s’appliquent. Sébastien Velut et Pierre-Yves Le Meur vont plus loin et insistent tous deux sur le caractère multiscalaire de la transition énergétique, c’est-à-dire sur la nécessité de prendre en compte simultanément différentes échelles sociales et spatiales pour l’appréhender, parce que les mécanismes étudiés apparaissent, entre autres du fait de l’interdépendance des réseaux de distribution, fortement liés, et parce que les négociations font intervenir des acteurs hétérogènes représentant différents niveaux d’organisation sociale (populations, bailleurs de fonds, gouvernements, ONG, etc.). Il est intéressant de constater, à cet égard, que l’échelle temporelle, pourtant essentielle – voire nécessaire – à la définition d’une transition (qui implique a priori un avant et un après), est celle qui, finalement, a été la moins explicitement convoquée, notamment dans les exposés à vocation « prescriptive » (Jean-Marc Châtaignier, Gaël Giraud, Michel Eddi), où seule une réflexion sur l’urgence (ou sur une date limite de transition, chez Gaël Giraud) a prévalu. Et pourtant, comme le souligne Laurent Gazull, une réflexion sur la transition énergétique ne peut pas faire l’économie

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Synthèse des séances plénières de cet aspect : les solutions considérées comme satisfaisantes à une échelle de temps donnée le restent-elles indéfiniment ? Au vu des interrelations qu’elles entretiennent avec d’autres évolutions, on est en droit d’en douter, ce qui implique de s’interroger sur la durabilité des choix énergétiques à différents horizons temporels. Inversement, comme le rappelle Javier-Gil Quijano, les choix technologiques effectués dans le passé pour mettre en œuvre des solutions impriment forcément un rythme – et une inertie – aux transitions à venir : basculer le réseau européen de distribution d’énergie vers un mode plus décentralisé en termes de production et de consommation ne se fera pas en un jour, quel que soit par ailleurs la volonté politique de le faire. La dynamique temporelle, comme les dynamiques spatiales et sociales, doit être abordée de façon multiscalaire. À l’issue de ces interventions, la question que posent, d’une part, les interactions multiples entre dynamiques (sociales, spatiales, temporelles) et, d’autre part, la nécessité d’aborder simultanément différentes échelles (d’analyse ou de conception) est celle de la posture à adopter pour en rendre compte de la meilleure façon possible ou tout simplement pour la penser. L’approche qualifiée de « systèmes complexes » (Banos, 2015) apporte une réponse possible à cette question. Elle permet en effet de considérer un système (ensemble a priori cohérent de composants en interaction) dans son intégralité, en termes de structure(s), d’interactions (possiblement non-linéaires), d’existence et d’émergence de niveaux d’organisation différents, et de comportements collectifs non-triviaux : auto-organisation, bifurcations, boucles de rétroaction entre composants. L’approche complexe propose une vision à l’opposé d’une vision réductionniste, en tentant de conserver la richesse (en termes de composants, d’interactions, etc.) du système aussi loin que possible dans l’analyse ou dans la conception.

Apports d’une approche « complexe » aux réflexions sur la transition énergétique Adopter une approche où les « systèmes énergétiques » seraient analysés comme des « systèmes complexes » offre une possibilité de représenter avec toute la richesse nécessaire leurs évolutions, notamment par la prise en compte des boucles de rétroaction entre leurs composants à différentes échelles de temps et d’espace. Quel intérêt à cela ?

Penser « complexe » plutôt que « simple » Tout d’abord, peut-être, une capacité immédiate à mettre à l’épreuve les solutions « simples » et « évidentes » que l’on voit fleurir dans la littérature spécialisée en les confrontant à leurs éventuelles contradictions internes, à savoir qu’une solution plébiscitée par des analyses effectuées à une échelle donnée peut ne plus l’être à une échelle différente. Prenons par exemple le cas d’une transition vers l’énergie solaire : si tout le monde s’accorde à reconnaître son intérêt, Javier-Gil Quijano a montré qu’elle ne pouvait pas être généralisée à grande échelle en raison des problèmes de « lissage » et de pics de consommation, et le problème de son stockage rejoint l’interrogation de Sébastien Velut sur la durabilité des solutions énergétiques : que deviennent par exemple les batteries et les capteurs une fois leurs dates de péremption dépassée, et la nécessité de renouveler ces dispositifs

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est technologiques ne risque-t-elle pas de générer des problèmes plus graves que ceux que la mise à disposition d’énergie solaire semble résoudre ?

Penser « rupture » plutôt que « permanence » Une leçon qu’une posture « complexe » peut nous apprendre est qu’il est nécessaire, en permanence, de repenser les a priori et les résultats considérés comme acquis, car la caractéristique première d’un système complexe est de pouvoir changer d’état (ou « d’attracteur ») de façon parfois brutale sans forcément de signes annonciateurs. Par exemple, quelle garantie peut-on avoir que le postulat énoncé par Gaël Giraud, selon lequel existe une relation linéaire intangible entre le produit intérieur brut et la consommation d’énergie – vérifiée sur les 50 dernières années – restera vrai demain, qui plus est dans un monde supposé être en transition ? A priori aucune, car, dans un système complexe, le passé n’est pas forcément le meilleur prédicteur du futur (Edmonds et Gershenson, 2015).

Penser « interdépendance » plutôt que « causalité » Un autre apport de cette approche est de considérer que les composants, ou les sous-systèmes, d’un système complexe entretiennent entre eux des interactions constantes, appelées « boucles de rétroaction », via lesquelles ils s’influencent mutuellement et grâce auxquelles des propriétés émergentes peuvent voir le jour à des niveaux plus élevés. Toute action individuelle, toute inter­ action entre composants peut donner naissance à des formes ou à des dynamiques qualitativement nouvelles et l’approche complexe dispose d’outils permettant de représenter et de penser cette émergence. Elle fournit ainsi un cadre analytique possible aux différents exposés qui, tous, à leur façon et dans leur domaine, ont mis en évidence la difficulté à concilier l’unicité d’une politique de transition énergétique avec l’hétérogénéité des participants devant la mettre en œuvre. Cette vision systémique fortement dynamique permet de comprendre certaines corrélations comme des interdépendances et de dépasser les approches causales, difficiles à mobiliser pour rendre compte de phénomènes aussi riches que les mécanismes « d’économie circulaire » décrits par Laurent Gazull, par exemple. Elle permet également, et cela est souvent crucial pour appréhender les évolutions possibles d’un système ou suivre sa dynamique passée, de construire des indicateurs à la confluence d’un ou plusieurs composants du système, comme ceux évoqués par Pierre-Yves Le Meur (inégalités sociales ou différences culturelles pour rendre compte de l’impact des innovations) ou Laurent Gazull (déforestation, études d’impact, pour évaluer les conséquences de l’usage de biomasse). La transition opérée en Europe, des compteurs électriques vers les « smart meters » présentés par Javier-Gil Quijano, en est un autre exemple : de simple outil de mesure de l’énergie consommée, ce dispositif devient un capteur opérant à la jonction des sphères sociales et énergétiques, indicateur des comportements et préférences individuels vis-à-vis de la consommation d’électricité.

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Synthèse des séances plénières

Penser systèmes en interaction Si l’approche complexe invite à penser les systèmes énergétiques comme des « touts » composites, elle invite également à les appréhender comme des composants possibles d’autres systèmes plus vastes, dans lesquels de multiples boucles de rétroaction les incluant sont susceptibles d’exister. Ainsi, Pierre-Yves Le Meur, Sébastien Velut ou Gaël Giraud ont bien montré les innombrables inter­ actions existant entre, d’une part, le « système énergie » et la construction du pouvoir politique et, d’autre part, le mode de gouvernement et la production et distribution de cette énergie.

Acteurs et jeux d’acteurs Ce qui découle de la plupart de ces points – et en particulier du dernier – est que le principal apport d’une approche complexe, d’un point de vue méthodologique, réside dans la possibilité de rendre compte des acteurs dans leur hétérogénéité, aux multiples échelles auxquels ils opèrent, avec leur stratégie et leurs interactions décrites de façon explicite. Sébastien Velut, dans son exposé, montre bien, en effet, que la difficulté de gérer correctement certaines formes de transition énergétique réside dans la contradiction entre l’inscription locale de la grande majorité des acteurs concernés et l’inscription globale des choix ou stratégies énergétiques envisagés. Cette contradiction rend malaisée toute démarche qui ne pourrait pas prendre en compte les deux échelles simultanément, notamment quand la transition en termes d’énergie nécessite une évolution équivalente du point de vue social, politique ou économique. Pierre-Yves Le Meur montre ainsi l’interdépendance étroite entre modes de vie et consommation d’énergie ; Laurent Gazull insiste lui sur l’accepta­ bilité sociale des artefacts ou des technologies sous-jacentes, dans son cas la transformation de la biomasse en biocarburant, comme préalable à une transition large ; et Gaël Giraud ouvre une perspective plus large en montrant comment le prix de l’énergie peut dépendre d’acteurs tout à fait extérieurs (compagnies d’assurance, banques, marchés dérivés, etc.). En dépit de la différence entre leurs domaines d’étude, tous disent la même chose : aucune politique de transition énergétique ne peut faire l’économie d’un accompagnement social élargi aux acteurs avec qui des boucles de rétroaction potentielles existent.

Contraintes d’une approche « systèmes complexes » Les exposés précédents semblent prendre en compte la dimension de complexité nécessaire à l’appréhension des cas d’études présentés, mais l’expérience montre qu’il y a loin du discours à la méthodologie dès lors que cette complexité dépasse un certain seuil ou que les boucles de rétroaction sont trop nombreuses. Les caractéristiques d’un système complexe d’un point de vue méthodologique apparaissent en effet souvent déroutantes et peu adaptées à des approches de recherche « classiques ». Elles peuvent en effet se révéler : - contre-intuitives : les résultats peuvent aller à l’encontre de toutes les attentes basées sur le « bon sens » ; - confuses : les processus à l’œuvre sont individuellement compliqués et interagissent de façon trop enchevêtrée pour pouvoir être suivis en détail ;

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est - non linéaires : des changements apparemment insignifiants dans les conditions initiales peuvent entraîner une différence significative dans les résultats ; - qualitativement différentes : les résultats de l’évolution du système peuvent faire émerger des processus d’un type différent de ceux à l’œuvre initialement ; - spécifiques : les principes et les schémas particuliers qui s’appliquent à un système peuvent ne pas fonctionner pour un système apparemment semblable ; - causalement ouvertes : l’arrivée de nouveaux facteurs peut radicalement changer les « règles du jeu ». Ces caractéristiques exigent de nouveaux outils pour pouvoir être prises en compte correctement. Au-delà des outils conceptuels (autour des approches popularisées par Morin (2007) ou Le Moigne (1999), une approche « complexe » doit pouvoir s’appuyer sur des outils opérationnels, permettant à la fois de capturer les systèmes dans toute leur richesse et de généraliser les résultats au-delà des cas d’études spécifiques étudiés. Au rang de ces outils figurent les modèles (comme l’indique Gaël Giraud, qui y voit la seule façon rationnelle de pouvoir penser, comprendre, proposer et évaluer des solutions de transition énergétiques) et en particulier les modèles informatiques, comme les modèles à base d’agents (Drogoul et al. 2002), développés à partir de la fin des années 1980 pour répondre en partie à cette problématique. Utiliser des modèles informatiques comme base des réflexions ne va évidemment pas de soi pour de nombreux domaines de recherche, en particulier dans les sciences sociales. Mais il apparaît de plus en plus clairement que cette évolution est inéluctable, notamment parce que : - les domaines plus proches des sciences de l’ingénieur ont déjà recours à des modèles pour évaluer la faisabilité de leurs propositions technologiques et que la seule façon d’y introduire des aspects liés aux acteurs sociaux est de participer, le plus en amont possible, à leur conception. Cette co-construction interdisciplinaire est actuellement au cœur de nombreuses approches dans l’étude des socioécosystèmes via l’hybridation de modèles (Drogoul et al. 2016) et permet de prendre en compte à la fois les contraintes et les souhaits de chacune des parties prenantes de façon méthodologiquement fondée ; - au-delà de l’effort même de modélisation, les méthodes modernes de simulation informatique de ces modèles permettent aux chercheurs d’explorer les scénarios d’évolution ou de transition possibles en tenant compte de très nombreuses variables et de l’évolution parallèle d’autres systèmes ; - enfin, il est important de souligner, comme le fait Gaël Giraud, que les évolutions des « forçages » à grande échelle (comme ceux liés aux facteurs climatiques, économiques ou démographiques) sont elles-mêmes, maintenant, issues de modèles proposant différents scénarios. Toute étude sérieuse de la transition énergétique doit pouvoir s’appuyer dessus. La difficulté, dans cet exercice nouveau pour beaucoup de scientifiques, est essentiellement due au décalage entre les attentes (parfois naïves) qu’ils peuvent avoir vis-à-vis de la modélisation et la réalité de ce que sont les approches modernes de la modélisation des systèmes complexes. En effet, des outils de modélisation et de simulation comme la plateforme GAMA offrent une beaucoup

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Synthèse des séances plénières plus grande liberté que les outils classiques (essentiellement mathématiques, encore utilisés dans de nombreux domaines comme l’économie), en permettant, par exemple, de ne pas avoir à simplifier outre mesure les données qualitatives disponibles (comportements des acteurs), mais elle se fait au prix, néanmoins, d’une plus grande difficulté d’interprétation, par les modélisateurs, des « résultats » obtenus (Grignard et al. 2013). À cela, plusieurs raisons, dont la principale est que ces nouveaux types de modèles ne peuvent plus être utilisés à des fins prédictives : ils permettent, souvent, d’explorer différents scénarios, mais sans pouvoir leur attribuer de probabilité d’occurrence. Une éducation à la conception et à l’interprétation de ces nouveaux types de modèles est donc nécessaire avant d’envisager qu’ils ne deviennent la norme.

Conclusion Ce que révèlent (et ce que partagent) les précédentes interventions est que nous rentrons pleinement dans un monde fait d’incertitudes, comme le précise Pierre-Yves Le Meur, concernant à la fois l’évolution des systèmes énergétiques (quelles technologies, quels choix ?) et l’évolution des inter­ actions entre les acteurs de ces systèmes (populations, opérateurs, États). Si, pour les citoyens, elles signifient devoir s’adapter et accepter de vivre dans un environnement moins sûr et moins prévisible, ces incertitudes posent aussi de considérables défis aux scientifiques, aussi bien en termes d’analyse que de conception de nouveaux systèmes. Le panorama fourni par les intervenants est à ce titre passionnant et a pleinement relevé la gageure de parler de façon didactique et riche de « transition énergétique » dans une école dédiée aux sciences sociales, ce qui n’allait pas forcément de soi sur le papier. Parce qu’elles n’ont pas encore investi massivement ce nouveau champ de recherches, les sciences sociales ont été en toute logique fortement interpellées, et à plus d’un titre, par les exposés. Tous, y compris le plus technique (celui de Javier-Gil Quijano) ont finalement posé en filigrane la même question : quelle(s) société(s) la (les) transition(s) énergétique(s) à venir dessinent-elles et comment faire en sorte qu’elle(s) soi(en)t la (les) plus harmonieuse(s) possible(s) ? Que les équilibres parfois précaires construient sur une politique énergétique existante ne soient pas brutalement rompus ? Que les acteurs sociaux soient tous impliqués dans la conception et le devenir des systèmes énergétiques sur lesquels leurs sociétés reposeront ? Que la transition énergétique ne soit pas que le résultat d’une contrainte « physique » ou « environnementale » (changement climatique, raréfaction des énergies fossiles, pollution) mais qu’elle devienne une opportunité de réduire les fractures sociales et de faire accéder les plus défavorisés à une énergie propre et bon marché ? Le message à destination des chercheurs est en tout cas clair : il est nécessaire que les sciences sociales investissent ce champ de recherches et y prennent toute leur place, mais il faut pour cela qu’elles se dotent d’outils nouveaux, en premier lieu d’outils de modélisation, afin de pouvoir pleinement construire de nouveaux mariages entre les sciences de l’homme, de l’environnement et de l’ingénieur.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Bibliographie Banos, A. (2015), « La ville, un système complexe ? Les nouveaux enjeux de la modélisation urbaine », in Lagrée St. (dir), « Regards sur le développement urbain durable. Approches méthodologiques, transversales et opérationnelles », Conférences et Séminaires, n° 13, AFD-EFÉO. Drogoul, A., Q. Huynh Nghi et C. Truong Quang (2016), Coupling Environmental, Social and Economic Models to Understand Land-Use Change Dynamics in the Mekong Delta, Frontiers in Environmental Science, vol. 4, 2016, http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fenvs.2016.00019 Drogoul, A., D. Vanbergue et T. Meurisse (2002), "Multi-Agent Based Simulation: Where are the Agents?" In: Simão Sichman J., F. Bousquet et P. Davidsson (dir) Multi-Agent-Based Simulation II. MABS 2002. Lecture Notes in Computer Science, vol 2581, Springer, Berlin, Heidelberg. Edmonds, B. et C. Gershenson (2015), "Modelling Complexity for Policy: opportunities and challenges". In: Geyer, R. & Cairney, P. (dir) Handbook on Complexity and Public Policy. Cheltenham: Edward Elgar, pp. 205-220. Grignard, A., P. Taillandier, B. Gaudou, D. An Vo, N. Huynh et A. Drogoul (2013), "GAMA 1.6: Advancing the Art of Complex Agent-Based Modeling and Simulation", In the 16th International Conference on Principles and Practices in Multi-Agent Systems (PRIMA), 8291, pp. 242–258. Le Moigne, J-L. (1999), La modélisation des systèmes complexes, Dunod. Morin, E (2007), "Restricted Complexity, General Complexity", in: Worldviews, Science and Us: Philosophy and Complexity. Gershenson et al. World Scientific Publishing Co. Pte. Ltd., pp. 5-29.

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Partie 2.  Ateliers

2.1.  Outils pour une approche locale de la transition énergétique Johanna Lees – Centre Norbert Elias, Sébastien Velut – université Sorbonne Paris Cité

Journée 1, lundi 11 juillet Présentation des formateurs et des stagiaires (cf. liste des stagiaires en fin de chapitre et biographies)

2.1.1. Qu’est ce que la transition énergétique ? [Sébastien Velut] Pendant longtemps, l’humanité n’a utilisé que des énergies issues de la biomasse, le bois notamment. Puis ces énergies ont perdu en importance relative, elles ont été remplacées vers la fin du XVIIIe siècle par le charbon – invention de la machine à vapeur. À la fin de la Première Guerre mondiale, Winston Churchill prend une décision majeure : passer du charbon au pétrole pour les besoins de la marine. On pense alors que le pétrole est l’énergie la plus sûre. L’histoire des transitions énergétiques est faite de « petites » décisions qui sont autant de points d’inflexions à partir desquels une direction est prise ; ces microdécisions ont abouti à des évolutions imprévues. La principale évolution est la consommation d’énergie à l’échelle planétaire. Quand on parle de transition énergétique, de quoi s’agit-il ? Prenons le cas français. 75 % de l’électricité consommée aujourd’hui provient de centrales nucléaires. Pourquoi ce choix ? - L’indépendance énergétique. La France a dans les pays qu’elle contrôle des sources d’uranium. Il y en a en France certes mais surtout au Niger, d’où la possibilité d’importer le carburant.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est - La maîtrise des technologies. Cela donne à l’industrie française un certain avantage : maîtriser les technologies nucléaires revient à maîtriser les technologies de pointe. La dimension peut être militaire, stratégique : la France est une puissance nucléaire et le développement de cette énergie implique des recherches en termes d’armement. Les conséquences sont également économiques : un coût de l’énergie faible pour les industries françaises. - En ce sens, le choix est stratégique. Cela a des conséquences sur l’aménagement du territoire avec l’implantation de centrales nucléaires dans des endroits adaptés – effets en termes de réseaux électriques. Cette transition énergétique a été voulue pour des raisons de souveraineté nationale. Au moment où l’on parle de changement climatique et des gaz à effet de serre, la France peut se vanter d’une énergie faiblement carbonée – mais l’on mentionne moins d’autres aspects environnementaux peu audibles dans le paysage politique français. Aborder la transition énergétique fait ressurgir des questions connues telles que le coût de l’énergie, l’acheminement au meilleur prix pour l’usager final ainsi, par exemple, que la sécurisation des approvisionnements. Quand la France opte pour le nucléaire, il s’agit aussi d’une question de sécurité nationale par rapport à l’énergie importée. Désormais, on introduit une nouvelle contrainte : les émissions de gaz à effet de serre. Certaines politiques volontaristes vont chercher à modifier ces paramètres. Ce qui veut dire que l’on va agir au niveau de politiques publiques pour modifier le mix énergétique, influer sur les prix relatifs des énergies. On va agir sur les variables technologiques (la recherche) mais également chercher à modifier les comportements des acteurs, c’est-à-dire la gouvernance du secteur énergétique.

Đặng Viết Đạt La part de l’énergie nucléaire est la plus importante dans le mix énergétique français. La France bénéficie d’une expérience considérable dans ce domaine, à la fois en termes de sécurité et de sûreté nucléaire. Est-ce que la France a les moyens technologiques et politiques pour se prémunir des risques éventuels ? On pense à Tchernobyl et à Fukushima.

[Sébastien Velut] Cette question est fondamentale. Il s’agit de deux catastrophes écologiques majeures. Dire que jamais il n’y aura d’incident est impossible. Mais la France souhaite diminuer la part du nucléaire dans le mix énergétique. Cet objectif officiel est toutefois difficile à atteindre car on ne sait pas quoi utiliser de moins coûteux et, surtout, les acteurs ont des intérêts élevés dans le développement de la filière et ne souhaitent pas s’en dégager. Il existe de grandes entreprises en France dont l’activité est de développer le nucléaire.

[Johanna Lees] À mon sens, avant même de s’engager dans la réflexion énergétique, il faut certainement remettre en question ce lieu commun de transition énergétique. À qui cela sert ? À quoi cela sert ? Qui défend cette notion, en politique par exemple ? Certains auteurs pensent qu’il s’agit d’une notion douce

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique cachant une situation politique et sociale complexe. La transition énergétique doit être considérée comme un objet de recherche.

[Sébastien Velut] Nous avons travaillé sur les questions de production énergétique dans les régions françaises. Des initiatives pour la transition énergétique ont été menées par des entreprises locales, notamment des entreprises fabriquant du matériel électrique. Pourquoi ? Si l’on arrive à changer les normes sur les prises électriques, les interrupteurs, les ampoules ou l’électroménager, un marché considérable s’ouvrira. On contraint ainsi les consommateurs à s’équiper avec du nouveau matériel plus économe. Une des motivations de ces entreprises consiste à créer de nouveaux marchés. Dans le secteur électrique en particulier, la transition énergétique amène à gérer « intelligemment » la consommation, à proposer au consommateur des dispositifs de surveillance accrue – consommation électrique ou d’eau par exemple. Il s’agit de formes de contrôle social liées à la transition énergétique. On se trouve face à deux langages : lister sa consommation d’énergie sur la semaine ou bien introduire des formes de contrôle social plus sévères sous couvert d’éducation du consommateur (Criqui et La Branche, 2016). Traitons des politiques publiques à travers le cas d’une puissance économique émergente : le Brésil. Il s’agit de l’un des plus vastes pays au monde, ce qui représente un défi par rapport au déploiement énergétique et son accès pour les populations – dans sa partie nord, l’Amazonie représente cinq millions de km², le peuplement est faible et les problématiques écologiques sensibles (conservation de la forêt dans un intérêt durable). Graphique 12. Approvisionnement en énergie primaire totale (Brésil)*

* Hors commerce d’électricité Source : www.iea.org/statistics/

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est On observe une croissance forte et régulière de la consommation d’énergie primaire. Vers 1980, on est à 100 millions de tonnes de pétrole équivalent ; vingt ans plus tard, on atteint 200 millions de tonnes puis 300 millions de tonnes autour de 2015. Comment rendre compte de cette augmentation ? Ce qui augmente dans les dernières années sont : le pétrole, l’hydroélectricité (plus lentement), le gaz naturel (depuis la fin des années 1990), les carburants issus de la biomasse (rôle important). En revanche, la part de nucléaire est faible et le charbon peu présent. Je tâcherai de montrer que ces secteurs économiques sont liés à des intérêts économiques différents, que leur développement a des conséquences en termes d’aménagement du territoire et d’interconnexions avec les pays voisins. Nous aborderons aussi les questions d’accès à l’énergie et comment atteindre les régions brésiliennes les plus éloignées. La production d’électricité représente la quasi-totalité de la production d’énergie hydroélectrique, elle présente l’intérêt d’être renouvelable et peu émettrice de gaz à effet de serre. L’efficacité énergétique est stable – volume de pétrole utilisé pour produire mille dollars de produit intérieur brut (PIB). La croissance économique du Brésil ne s’accompagne pas d’une plus grande efficacité énergétique. En réalité, le Brésil vit avec l’idée que ses ressources sont abondantes et que pays trouvera toujours des ressources complémentaires pour fournir la consommation d’énergie. Quelles sont les caractéristiques des programmes liés aux biocarburants au Brésil ? Il s’agit d’éthanol de canne à sucre, culture dont le rendement énergétique est considérable. Au début des années 1970, le pays a lancé un programme – sans grand succès – qui a permis d’accumuler de l’expérience et de relancer en revanche la production d’éthanol à la fin des années 1990. La particularité du programme brésilien éthanol-canne à sucre est l’utilisation totale de la canne : la fermentation pour la production d’éthanol, le reste de la masse ligneuse pour l’électricité. Une des innovations consiste à doter les raffineries de chaudières plus performantes pour transformer la bagasse en électricité. La production d’électricité est suffisante pour justifier les raccordements au réseau. Une autre innovation est l’introduction de véhicules Flex pouvant fonctionner avec différents types de carburants. Aujourd’hui, à la pompe, les consommateurs ont le choix entre l’éthanol ou l’essence.

Yolande Leondaris Razafindrakoto Quel est le carburant le moins cher ? Quel est celui le plus difficile à produire ?

[Sébastien Velut] L’éthanol est moins cher mais l’autonomie légèrement inférieure à l’essence. Le processus de production d’éthanol est moins compliqué. Une raffinerie de pétrole crée tout un spectre de produits. Le développement de la canne à sucre pour la fabrication de sucre ou d’énergie est assuré par de petites et moyennes entreprises locales, cela a un effet sur le développement économique dans les régions notamment parce que le Brésil revend ses technologies – bioraffineries.

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique Đinh Lê Na S’agit-il d’entreprises privées ou publiques ? La taille de ces entreprises affecte-t-elle ou non le marché ? Existe-t-il des groupes d’intérêts qui interviennent ?

[Sébastien Velut] Il s’agit d’entreprises privées pour l’essentiel – certaines produisent du matériel : ingénieries mécaniques. Ces entreprises ont des groupes, des associations qui forment autant de groupes de pression pour défendre le secteur de la canne à sucre au niveau national. La production de la canne à sucre est efficace en termes d’énergie. Le rendement entre l’énergie utilisée et celle récupérée peut représenter un ratio de 1 à 8. La canne à sucre repousse et absorbe plus du dioxyde de carbone. De ce point de vue, le bilan est positif. Mais l’extension des champs de canne à sucre se fait au prix de changements d’usage des sols, et notamment d’une déforestation libératrice de gaz à effet de serre. Photo 2. Développement de la canne à sucre dans le midwest brésilien. Ville de Rio Verde, Goias

Source : Valarié (2007).

À la différence de la canne à sucre, le pétrole est géré par Petrobas, entreprise d’État de recherche, d’extraction, de raffinage, de transport et de vente. La croissance du secteur est liée à la découverte de nouveaux gisements de pétrole au large des côtes brésiliennes, ainsi qu’à la mise au point de nouvelles technologies d’exploration et de production en eaux profondes. La compagnie pétrolière est devenue une compagnie de niveau mondial depuis une quinzaine d’années. La transition énergétique se caractérise ainsi par une extension des espaces exploités pour le pétrole, secteur stratégique pour l’État.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Le Brésil a été connecté à la Bolivie par un gazoduc de 4 000 km reliant les régions de production (Bolivie) à celles de consommation vers São Paulo. Le barrage d’Itaipu, dans le sud du Brésil, à la frontière avec le Paraguay était le plus important ouvrage au monde avant la construction du barrage des Trois gorges en Chine. Évidemment les impacts sur le fleuve sont considérables. Photo 3. Barrage d’Itaipu

Source : http://onenparleici.over-blog.com/article-le-lieu-du-vendredi-le-barrage-d-itaipu-111678148.html

Le territoire brésilien est relativement plat, ce qui implique l’inondation de surfaces considérables – cas en Amazonie brésilienne. Le système hydroélectrique englobe une surface plus étendue que le système européen mais il dessert moins de populations. Il est moins dense, moins maillé même si les distances sont considérables. Le système est en expansion et nombre de barrages sont en construction afin de les connecter au réseau national – des lignes électriques vont être tendues dans la forêt tropicale, ouvrant la voie à la colonisation et à des axes de déforestation. J’ai travaillé dans la ville de Manaus, ville désormais connectée au réseau national – disposer de connexions permet d’améliorer la sécurité énergétique. Les sources d’énergie sont diversifiées et l’approvisionnement est plus sûr. Toutefois, le bilan de ces évolutions doit être nuancé. L’État brésilien met en place des programmes d’aides pour les populations les plus pauvres dans un souci d’équité sociale – programme « L’électricité pour tout le monde ». Il s’agit de faciliter l’accès à l’énergie pour plusieurs types de populations, principalement pour les populations rurales isolées mais aussi pour les populations citadines les plus démunies. On crée de nouvelles lignes

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique électriques : 800 000 km de lignes durant les quinze dernières années. On prévoit des tarifs spéciaux pour ces populations. Le programme a permis d’améliorer les conditions de vie et créé de nouvelles entreprises. Le problème est que le tarif social est prévu pour une consommation faible. Quand les foyers sont desservis, les gens n’ont aucune idée de leur niveau de consommation et les usagers ne sont pas en mesure de payer. Ce type de programme a dû être complété par des programmes d’éducation afin d’apprendre à utiliser, à gérer la consommation d’énergie. La priorité pour le Brésil demeure la croissance économique. Le souci d’accès à l’énergie pour les populations pauvres est secondaire. Qu’apporte cette transition énergétique ? Plus de renouvelables, plus d’hydroélectricité, plus de canne à sucre mais l’impact social et environnemental est considérable. Cette transition énergétique favorise les connexions avec les pays voisins (gaz) qui impliquent un forte dynamique dans l’aménagement du territoire : intégration nationale, réaffirmation du rôle de l’État (intégrateur du territoire et des populations). Ces transformations sont aussi sources d’augmentation des émissions de gaz à effets de serre résultant à la fois d’une forte consommation de pétrole et de l’altération des sols dans les zones d’activités sylvicoles et agricoles. Une transition énergétique est donc portée par des politiques publiques (État) ; elle change la géographie de l’énergie au niveau des États (nouvelles régions de production, nouveaux réseaux). Les questions liées aux changements climatiques, si elles ne sont pas incluses par les États, n’appa­ raissent pas par miracle ! De même, on ne peut penser cette transition énergétique sans penser à l’intégration des populations des différents territoires dans l’accès à l’énergie. Résoudre les problèmes de quelques industries dans les grandes villes est une chose, une autre est de garantir l’accès à l’énergie pour tous. La raréfaction des ressources fossiles n’a pas été abordée. Cette question n’est pas « motrice ». Il faut réfléchir en termes de prix, de géopolitique, d’émissions de gaz à effet de serre (dans une moindre mesure). Le Brésil n’a pas lancé une politique de changement de son mix énergétique uniquement parce qu’il pensait qu’il n’y aurait, à terme, plus de pétrole. Les changements techniques viennent avant ; l’âge de pierre ne s’est pas terminé parce qu’il n’y avait plus de pierres ; l’âge du pétrole ne se terminera pas parce qu’il n’y a plus de pétrole !

Đặng Viết Đạt Quels étaient les réels objectifs du gouvernement brésilien dans la transition énergétique ?

[Sébastien Velut] On pense souvent que seule la croissance économique peut sortir certaines populations de la pauvreté, ce postulat n’est pas forcément exact. C’est en tout cas le discours qui est porté. Ensuite, le Brésil est un grand pays et l’on considère que les impacts environnementaux ne sont pas majeurs. On observe une différence de perception entre le stock et le flux, entre l’existant et ce que l’on entreprend. Au début des années 2000, le Brésil a été gouverné par le Parti des travailleurs qui a davantage été préoccupé par l’application de mesures sociales, de redistribution. Des mesures correctives ont aussi appliquées pour une forte croissance économique. On constate également que les politiques de préservation de l’environnement rentrent en conflit avec cette politique

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est d’expansion économique – construction de lignes électriques et de barrage à travers des espaces protégés. On voit les contradictions de la politique publique.

2.1.2. Les conflits d’usage, la cas du Mékong L’après-midi débute par un exposé portant sur les formes de conflit sur le fleuve Mékong : typologie des acteurs, enjeux, stratégies. Il s’agit pour les stagiaires d’utiliser les méthodes et outils des sciences sociales présentées et d’expliquer la démarche choisie : quels type d’acteurs rencontrés ; quelles types d’observations menées ; quels éléments de contextes politique, historique, sociologique prendre en compte. L’intervention repose sur les textes de lecture et les ressources en ligne préalablement transmis à la formation (cf. liste présentée en fin de chapitre).

[Johanna Lees] On observe souvent des rationalités différentes – économiques, symboliques et sociales – afin de comprendre les enjeux des conflits d’usage. Il nous faut observer l’arène et déterminer les acteurs. Les groupes stratégiques[8] peuvent varier dans le temps et dans l’espace, suivant le sexe, la caste, la classe sociale, etc. On peut appartenir à plusieurs groupes – un membre d’une administration étatique peut aussi être membre d’une organisation non gouvernementale (ONG) par exemple. L’outil principal de l’anthropologie est l’observation. Elle doit être la plus fréquente possible afin de connaître et de comprendre les pratiques des acteurs. L’anthropologue laisse parler les gens (entretiens) et s’emploie à relancer la discussion sur des propos qui paraissent intéressants, sur ce qui le surprend. Ainsi, l’enquêté peut aiguiller l’anthropologue vers de nouveaux questionnements, de nouveaux faits qui suscite sont intérêt et peuvent venir interroger sa problématique de recherche. Cette méthode, dite inductive, s’oppose à la méthode déductive où le chercheur réalise des entretiens afin d’infirmer ou de confirmer ses pistes de recherche. Revenons sur le terme de « développement » afin de l’analyser et lui enlever toute connotation positive ou négative. Selon Jean-Pierre Olivier de Sardan, il s’agit de « (...) l’ensemble des processus sociaux induit par des opérations volontaristes de transformation d’un lieu social, entreprises par le biais d’institutions ou d’acteurs extérieurs à ce milieu, reposant sur une tentative de greffe de ressources, de techniques ou de savoirs » (Olivier de Sardan, 1995). Quand on travaille sur le développement ainsi défini, on peut se demander pourquoi les projets de développement répondent rarement à leurs objectifs. Il s’agit pour le chercheur d’observer, dans un premier temps, des dérives ou des écarts entre les objectifs et la vérité du terrain. Il faut se détacher de toute explication idéologique face à ces éventuels écarts – « les habitants sont réfractaires à la politique de développement », « ils ne sont pas éduqués ». Le mot « éducation » est récurrent dans les discours à ce propos.

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Voir également le développement proposé en partie 2.3. de cet ouvrage.

Outils pour une approche locale de la transition énergétique Pour le Mékong, les politiques ont des effets sur les pratiques des populations du fait des aménagements hydrauliques. Pour comprendre les conflits d’usage, il faut décortiquer les résistances aux changements en analysant les rationalités économiques, politiques, symboliques, sociales et/ou religieuses. Le conflit n’est pas une anomalie dans la vie des sociétés. C’est un temps possible de rééquilibrage et de structuration des forces adversaires rationnelles ; il est le principal vecteur des ajustements des règles et des institutions de toute société. Les conflits d’usage représentent une forme d’expression des forces en présence, des relations sociales, des dynamiques institutionnelles et des changements sociotechniques. Ce sont de bons indicateurs des mutations et des modes de gouvernance des territoires. Ils montrent aussi des innovations et révèlent les oppositions qu’elles suscitent. Les conflits permettent d’observer la manière dont les acteurs se mobilisent et cherchent à peser dans les décisions publiques, de voir comment des acteurs remettent en cause certaines formes d’appropriation de l’espace. Il existe plusieurs types de conflit d’usage : - oppositions entre les usagers à propos d’un espace ; - situations de conflit de localisation – par exemple, contrer une implantation industrielle ou d’infrastructures ; - conflit d’aménagement – lorsque l’usage est porté par un projet public ; - conflit d’environnement – lorsque la question des espaces naturels, des nuisances est au cœur du débat ; - conflit de proximité – lorsque des habitants se mobilisent contre un phénomène affectant leur espace proche. Le cas du Mékong illustre plusieurs de ces conflits. Il y a des oppositions entre les différents usagers de l’espace. C’est un conflit de localisation – détermination de l’endroit où le barrage doit se situer –, un conflit d’aménagement – le projet est porté par un projet public –, un conflit d’environnement, un conflit de proximité – les habitants et les ONG peuvent se mobiliser contre l’implantation du barrage. Les principales situations saisies en termes de conflit d’usage concernent l’utilisation des ressources naturelles – en particulier l’eau –, les pratiques des espaces protégés, les questions d’urbanisation, les dynamiques d’occupation des espaces ruraux ou périurbains, les débordements des activités industrielles. Certains analystes des conflits d’usage émettent cependant des critiques. - L’approche est statique, elle est déconnectée des transformations et de la dynamique des territoires, de leur histoire. - L’analyse est trop centrée sur les aspects économiques et pas suffisamment sur les dimensions sociales, spatiales, symboliques et politiques. Ces conflits se déroulent dans des arènes politiques : lieux d’affrontement entre acteurs, entre politiques publiques – le terme prend son origine dans la corrida (tauromachie), lieu d’affrontement et de violence. La transposition de l’arène dans le milieu politique véhicule l’idée d’une confrontation

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est faisant sens dans le langage populaire et scientifique. L’arène signifie un espace codé de confrontations (normes), d’affrontements politiques. Pourquoi mettre en exergue les normes que l’on peut observer lors d’un conflit d’usage ? JeanPierre Olivier de Sardan a longuement travaillé au Niger où il analyse la gouvernance d’État. Il identifie les principaux modèles – le clientélisme par exemple – et une idéologie sur les normes mises en œuvre par les acteurs de cet État. Il existe une multiplicité de normes : officielles, sociales, routinières mais aussi des normes pratiques. De quoi s’agit-il ? Les comportements réels ne sont pas simplement des déviances par rapport aux normes officielles, elles relèvent aussi d’autres normes, latentes, que l’on appelle normes pratiques. La difficulté est qu’elles ne sont pas nécessairement conscientes et peuvent échapper aux acteurs eux-mêmes. Les normes pratiques ont pour intérêt de se tenir à distance de nos valeurs et de nos intérêts. En Afrique, il existe un écart entre les normes officielles et les pratiques effectives. Par exemple, la norme officielle consisterait à travailler de 8 heures à 17 heures dans les administrations. Or, certains agents partent à 14 heures. En réalité, ces personnes travaillent ailleurs en complément d’un salaire trop faible. Si l’on ne s’intéresse pas de près à ces pratiques, le risque est de penser qu’ils sont corrompus (théorie idéologique quant à leurs pratiques), paresseux ou qu’ils ne font pas leur travail. Ces théories font peu cas de la signification émique – ce que l’on observe du point de vue des acteurs. Il faut procéder à des enquêtes et mettre à jour ces normes pratiques. Un autre exemple sur les théories « idéologiques » : la société, en Afrique de l’Ouest, repose sur des valeurs traditionnelles. Or dans les hôpitaux on observe que les infirmiers et les médecins ne prennent plus en compte les personnes âgées contrairement à la conception traditionnelle. Le postulat de la culture et des normes traditionnelles est remis en question. C’est au chercheur d’analyser ce qui compose cette norme pratique. Dans ce cas, les travaux ont montré que le personnel soignant travaillait plus vite de sorte à être libéré plus tôt et compléter leurs revenus. Une attention particulière doit être portée à la posture idéologique, culturelle et culturaliste. Cela exprime que certaines valeurs traditionnelles sont mises en œuvre à certains moments et dans certaines circonstances. Jean-Pierre Olivier de Sardan montre une imbrication des normes sociales, professionnelles, pratiques et religieuses. Cette imbrication permet de saisir les pratiques. Parler de culture politique locale, de culture professionnelle et de logique culturelle spécifique impose une triple condition : (i) ne pas mêler culture et tradition ; (ii) éviter tout présupposé d’homogénéité culturelle – la culture ne serait pas un tout en soi, immuable, elle est au contraire faite d’éléments dynamiques qui se transforment– ; (iii) avoir révélé par l’enquête de terrain l’existence attestée de comportements ou de représentations partagées par des acteurs et des contextes donnés. On observe une espèce de dichotomie entre les normes officielles et les normes traditionnelles. Olivier de Sardan rappelle que l’explication culturaliste est « paresseuse » : plutôt que d’aller découvrir quelles sont les normes informelles, elle reprend des idées reçues érigées sur les normes sociales traditionnelles. Pour comprendre un mode de gouvernance, il ne faut pas concevoir en un mot la posture traditionaliste, culturaliste, qui est une idéologie scientifique et qui ne présume en rien de l’attitude des acteurs.

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique Yolande Leondaris Razafindrakoto À Madagascar, des normes techniques ont été mises en place pour le reboisement, 1500 plans par hectare. Or la pratique voudrait que le nombre soit fixé à 1100 plans par hectare car les zébus ne peuvent pas passer à l’intérieur de la plantation.

[Johanna Lees] Cette norme technique est certainement imposée de l’extérieur. Il faut chercher le sens de la résistance ou du conflit : il y a un sens éminent qui vient d’une pratique elle-même issue d’une norme, et cette norme consiste à faire passer les élus. Pour résumer, il nous faut comprendre le sens des pratiques et des normes informelles afin de mieux saisir les comportements des acteurs. Lors de projets de développement, cela apporte des clés de compréhension des formes de résistance au changement social et à l’innovation. Prenons l’exemple de la conduite au Việt Nam. Olivier de Sardan souligne que les normes ne sont pas respectées mais la population obéit à des règles tacites partagées. Ces normes pratiques ne vont pas être exprimées comme telle par les acteurs sociaux. Elles sont le plus souvent automatiques et routinières dans un registre qui relève plus du latent que de l’explicite. Il importe au chercheur de les dégager, de les identifier, de les analyser à partir des pratiques et du discours des acteurs. Pourquoi avoir fait ce détour sur les normes pratiques ? La diversité des normes pratiques s’oppose à l’interprétation unificatrice de normes sociales qui traversent toutes sciences sociales : tous les membres d’une même société partageraient nécessairement des normes communes qui s’imposeraient à eux de l’extérieur. Les sociétés seraient alors des communautés de sens, de significations partagées. De telles affirmations sont largement démenties par les faits et par le travail de terrain. Nombre d’actions publiques ne requièrent pas de communauté de sens et s’accommodent de compromis entre normes différentes. Les normes sociales officielles ou pratiques ne sont pas réductibles à un type unique de sens. Elles n’ont de sens que dans le contexte et dans le type d’activités auxquelles elles sont appliquées. Le concept de norme pratique n’est pas un concept analytique mais exploratoire permettant de découvrir une variété de modes de régulation sociale sans les organiser par type a priori. Le concept est à géométrie variable. Certaines normes pratiques sont plus proches des stratégies de certains acteurs, d’autres plus proches de logiques sociales transversales, de cultures professionnelles ou locales. On peut penser que certaines normes pratiques s’opposent plus que d’autres à certains projets de développement. On peut aussi considérer que certaines pratiques peuvent avoir des effets positifs, que la transformation de certaines normes pratiques est une voie à explorer. L’introduction de nouvelles pratiques par des acteurs locaux plutôt que l’importation de normes officielles par des institutions étrangères doit être encouragée, appuyée. Dans tous les cas, il faut chercher à les analyser et à les décrire.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est [Sébastien Velut] Quand on parle de transition énergétique, il s’agit aussi de modifier les pratiques des consommateurs, des usagers. On se heurte à ce type de problème puisque bien souvent l’usager refuse que l’on modifie ces pratiques et que l’on invente ses propres normes – soit par rapport au sens attribué, soit par rapport à sa propre compréhension des enjeux technologiques. Tous ces programmes, généralement sur les questions d’environnement, impliquent des mesures éducatives. L’éducation est un moyen servant à modifier les comportements. L’éducation est aussi une imposition de ces normes extérieures.

Journée 2, mardi 12 juillet En matinée, les stagiaires et formateurs de l’atelier « Usage des modèles informatiques pour l’aide à la prospective énergétique et l’accompagnement de politiques de transition » rejoignent celui sur les approches locales afin que Sébastien Velut précise certaines définitions sur les unités énergétiques.

2.1.3. Transition énergétique en ville On parle des villes dans la transition énergétique et de la transition énergétique dans les villes. Les villes sont des lieux privilégiés de transition énergétique notamment parce qu’elles concentrent population et consommation d’énergie. En 2010, le taux d’urbanisation mondiale a dépassé 50 %. Cette tendance va s’accroître. Le programme des Nations unies sur l’urbanisation prévoit 60 % de la population en ville à l’horizon 2040-2060. On annonce six milliards d’urbains en 2050. Il est notable de voir combien les grandes métropoles se trouvent dans les pays du Sud alors qu’au début du siècle dernier elles étaient localisées en Europe et aux États-Unis (cf. carte 5). On observe encore quelques grands centres urbains en Europe (Paris, Moscou), aux États-Unis (New York, Los Angeles) mais le poids des pays du Sud se dégage, particulièrement en Asie. La question de l’urbanisation et de la transition énergétique dans les villes est une question stratégique à l’échelle globale, et essentielle dans les pays du Sud. Les métropoles sont des puits d’énergie, des endroits où l’énergie disparaît du fait des transports (embouteillages), du logement (éclairage, climatisation, etc.). Elles sont aussi le lieu d’activité économique : l’énergie part dans les industries, les services, le secteur commercial. Il faut aussi penser à l’énergie utilisée pour la construction d’une ville : transports des matériaux de construction, des bâtiments, des infrastructures. Changer cet « environnement bâti » est significatif et impose beaucoup d’énergie. Dans le cas de Paris, avant la révolution industrielle, il s’agissait d’apporter de la nourriture – de l’énergie pour la population –, la principale énergie était le bois. La Seine était utilisée pour ce transport afin que la population se chauffe et cuisine. Imaginez Londres et son nuage de charbon. Cela permet de visualiser la consommation d’énergie dans les villes.

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique Carte 5. L’évolution du monde urbain dans les vingt prochaines années

Source : ONU-Habitat (2005).

Une carte du réseau électrique de l’Argentine soulignerait la convergence vers la capitale : les ressources de tout un territoire sont mises au service de Buenos Aires qui regroupe un tiers de la population totale du pays. Répondre à la demande en énergie est un enjeu politique majeur : on attend de l’État qu’il nous apporte de la lumière – « Panem et circenses », c’est-à-dire « Du pain et des jeux ». Les villes sont aussi la solution au problème énergétique. Des solutions spécifiques existent pour augmenter l’efficacité énergétique. - L’efficacité des transports publics de masse, la possibilité de se déplacer à vélo, à pieds (cas du pédibus). - L’utilisation des déchets – notamment des systèmes de récupération de méthane –, la qualité des normes de construction – dynamique lente mais dont les bénéfices sont immédiats pour les occupants. - L’amélioration de l’efficacité d’un logement existant – mais les taux de retour sur l’investissement sont longs.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Je suis consterné de voir comment les pays du Sud construisent indépendamment des conditions climatiques ; des bâtiments de villes asiatiques sont pensés de la même manière qu’à Paris ou à New York. Il est pourtant possible de construire efficacement avec de la ventilation naturelle ou des puits de fraîcheur par exemple. Notons également que la température en ville est plus élevée que dans les espaces ruraux voisins du fait de la réflexion de chaleur par les bâtiments, des appareils de climatisation et de la circulation automobile notamment : l’augmentation est de l’ordre de plus de 3 degrés par rapport à l’extérieur d’une ville. Quelques éléments me paraissent clés dans cette politique de transition énergétique urbaine. Il s’agit de ce qui à trait : au service énergétique, à la régulation du secteur immobilier, à l’inclusion sociale, aux espaces de décisions politiques, à la question de la croissance économique. Les idées techniques existent mais leurs misent en œuvre peuvent se retrouver bloquer face à la réalité des marchés, des entreprises, des habitants. Comment est géré le service énergétique dans la ville (principalement électrique) ? La compagnie est-elle privée ou publique ? Qui a autorité sur la dite compagnie ? Dans beaucoup de pays, les compagnies électriques ont d’abord été des compagnies publiques, souvent municipales, puis ont pour la plus part été privatisées dans les 20 dernières années. L’entreprise privée doit répondre à un cahier des charges. Autre point : comment l’énergie distribuée est-elle produite ? Généralement, les entreprises qui font la distribution dans les villes ne produisent pas l’énergie mais l’achètent – en préservant le plus possible la marge qui est en jeu. À ce jour, l’énergie la moins chère est celle provenant des centrales à charbon. Sur un modèle, on peut réfléchir à la meilleure façon de faire, comment optimiser, comment consommer moins, comment être plus efficace. Dans le monde réel, on se trouve face à des entreprises, un syndicat, des habitants. Il existe des tensions, des problèmes sociaux et politiques. Des rationalités qui ne sont pas forcément compatibles s’affrontent. Les entreprises d’énergie et d’électricité jouent souvent de multiples rôles : elles perçoivent de façon déguisée des impôts pour les municipalités, elles sont le lieux d’emplois. L’optimisation n’est pas seulement technique et passe aussi par du dialogue social. Si l’on veut travailler sur les transitions énergétiques urbaines, il faut comprendre les rationalités, les pratiques, les normes, les différents groupes en jeu dans les transformations des usages de l’énergie. Des quartiers précaires – illégaux – des villes en développement, l’énergie n’arrive pas. Les quartiers ne sont pas connectés au réseau technique de façon formelle, légale. Les branchements sont multitudes sur les réseaux électriques et posent de nombreux problèmes de sécurité – aucune norme n’est respectée –, et les détournements de courant électrique sont monnaie courante. On cherche souvent à légaliser, à rationaliser ces approvisionnements énergétiques pour garantir un approvisionnement plus sûr et mesurable. Or l’habitat est illégal, il n’existe pas – absence de titres de propriété. Pour la compagnie électrique, il est impossible de brancher un logement si le propriétaire n’est pas identifié. Il s’agit aussi d’une manière pour encadrer les populations.

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2.1.4. Précarité et pauvreté énergétiques Trois stagiaires exposent sur les notions de précarité et de pauvreté énergétiques appliquées aux cas du Laos et de Madagascar à partir des ressources en ligne préalablement livrées par les formateurs.

[Johanna Lees] Les choses se définissent en fonction du contexte local. Ce qui semble représenter un problème en Europe peut ne pas l’être dans d'autres contextes économique, géographique et social. Personnellement, lorsque j’ai commencé mes travaux de recherche sur la notion de précarité énergétique, je ne savais précisément pas sur quoi j’allais travailler ! La question du confort et de l’accès à l’énergie peut être ou non un problème. À un niveau national, l’objectif est l’accès à l’énergie pour tous. La mise en œuvre de standards internationaux à l’échelle locale peut amenée des points de friction – difficultés pour régler sa facture énergétique par exemple. L’exposé souligne bien la distinction entre précarité – absence d’installations électriques et énergétiques – et pauvreté énergétique – présence d’installations mais absence de ressources pour accéder à l’énergie. Afin d’éclaircir cette axe de réflexion, je souhaite reprendre avec vous certains points méthodologiques de mes recherches doctorales (Lees, 2014). En 2008-2009, un appel d’offre est lancé par l’Agence nationale du développement et de l’énergie (ADEN) sur la précarité énergétique – les institutions commencent à s’intéresser à cette thématique, ce qui représente un premier élément d’enquête. Il s’agit de procéder à des entretiens avec des familles afin de définir la précarité énergétique : quel est le sens de « précarité énergétique » ? Pourquoi les institutions publiques se posent-elles aujourd’hui cette question ? Comment vivre en situation de précarité énergétique ? Il s’agit également de comprendre les situations par des recherches bibliographiques sur le sujet, en assistant aux débats institutionnels, aux programmes européens. Des enquêtes exploratoires sont menées dans le même temps auprès de différents acteurs qui font permettre d’identifier des quartiers cibles à Marseille : pompiers, SOS médecins, travailleurs sociaux, militants associatifs, etc. Les premières enquêtes m’amènent d’emblée à reformuler le terme de précarité énergétique afin d’être compréhensible par la population, on parle de difficultés d’accès au chauffage, à l’énergie. Pourquoi, à un moment donné, se pose-t-on la question de la précarité énergétique en France ? La question des difficultés d’accès à l’énergie est apparue dans les années 1990 (loi Besson). Mais Bruxelles décide peu après de la libéralisation des services de l’énergie. Cette libéralisation provoque une série de grève des agents de l’entreprise publique française Électricité de France (EDF) puis un durcissement du mouvement social avec certains agents qui rétablissent, souvent à titre individuel, l’énergie chez les familles ou qui évitent toute coupure d’énergie – slogan : « Tout le monde doit avoir accès à l’énergie ». Le concept de précarité énergétique est avant tout issu des inégalités sociales et d’accès à l’énergie. À l’échelle européenne, des problématiques liées à l’environnement

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est commencent à la même période à émerger – changement climatique, transition énergétique, etc. En France, la question de la précarité énergétique naît dans le champ de l’environnement (loi Grenelle 2 en 2007). À titre de comparaison, ces questions sont posées au Royaume-Uni depuis les années 1970 ; il s’agit ici d’une question de politique de santé publique et non d’environnement : les personnes âgées meurent davantage en hiver car elles n’arrivent pas à se chauffer. En fonction des contextes, de situations similaires, la prise en compte par les politiques publiques fluctue selon des périodes et l’argumentaire associé. La précarité énergétique en France ou en Angleterre est appelée en sciences politiques un problème public : c’est-à-dire une situation où à un moment, des acteurs vont se mobiliser pour défendre la cause. L’émergence d’un problème public n’est pas source de consensus – en France, certains voulaient parler de « précarité énergétique » tandis que d’autres préféraient le terme de « pauvreté énergétique ». En France, la question du logement et de son accès pour tous demeure compliquée. Selon la Fondation Abbé Pierre, une personne sur huit éprouve des difficultés pour accéder à un logement ou s’y maintenir. Le taux de pauvreté ne cesse de s’accroître : en 1997, 7 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté, ce taux a aujourd’hui doublé pour atteindre 15 %. La question de la précarité énergétique et de l’accès à l’énergie naît dans un contexte général de paupérisation de la société et de difficultés d’accès au logement. Quels sont les dispositifs de politique publique en 2014 ? - Un soutien financier annuel, ou biannuel, de l’État appelé Fonds solidarité énergie – dispositif peu réaliste, la pauvreté se vit au quotidien. - Tarifs sociaux de l’énergie. - Programme « Habiter mieux » : rénovation des logements – qui s’adresse davantage aux classes moyennes car le financement des travaux doit être avancé. La question de précarité énergétique concerne des problèmes sociaux d’importance (niveau de pauvreté, difficultés d’accès au logement) ; pour autant, les dispositifs identifiés restent en marge des problèmes du fait de leurs aspects peu réalistes.

L’approche terrain Je vais pour la première fois dans des logements dégradés dans les quartiers nord de Marseille. Je me rends dans un atelier qui vise à donner des conseils pratiques pour améliorer son logement mis en place par un travailleur social – par exemple lors d’un atelier sera expliqué comment remplacer une vitre. Il me demande de me présenter aux femmes présentes :

« Bonjour, je m’appelle Johanna. Je suis étudiante. Je travaille sur les problèmes liés à l’énergie ». Les femmes me regardent d’un air dubitatif. Je reformule. « Oui, par exemple je travaille sur les questions de chauffage ». Une dame me répond : « Mais… de chauffage seulement, c’est tout ? Parce que franchement, il n’y a pas que le chauffage. Il y a les vitres cassées, il y a les fuites de gaz, il y a les factures, il y a l’humidité dans le logement, il y a le logement pourri, le logement est cher, le propriétaire est méchant.

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique Le propriétaire sait seulement téléphoner pour récupérer le loyer. C’est tout ce qu’il sait faire ! » (Lees, 2014) La question de l’accès à l’énergie telle qu’elle est posée par les politiques publiques est ambiguë. Sur le terrain, l’écart est considérable. Je vais sur le terrain pendant près de trois ans. L’objectif est de passer le plus de temps possible avec des femmes, des familles – à la sortie de l’école, dans le logement, etc. Être en situation de précarité énergétique, c’est notamment avoir froid chez soi. Les implications sont multiples : souffrance physique, repli sur soi (des personnes ne sortent plus, d’autres vont chercher à l’extérieur des endroits chauffés). En cas de non paiement et d’endettement, certaines familles restreignent l’utilisation de l’énergie (limitation du chauffage). La situation peut amener des coupures : sans énergie domestique, la cuisine devient impossible sauf à utiliser un poêle à pétrole. Des familles peuvent aussi recourir au voisinage pour conserver la nourriture mais il faut alors se débarrasser de tout sentiment de honte et de bénéficier de bonnes relations sociales. Être en précarité énergétique, c’est aussi : - ne pas avoir accès à l’eau chaude pour se laver. Les femmes font alors chauffer de l’eau sur la gazinière pour laver elles-mêmes leurs enfants. C’est une situation fastidieuse et coûteuse en temps – bien souvent, les femmes ont au moins trois enfants ; - la dangerosité des installations électriques – fils dénudés, rallonges multiples, etc. Cela peut créer un climat anxiogène ; - faire fonctionner un ou deux appareils électriques en même temps pour ne pas que le circuit disjoncte. Avec le froid, certains espaces vont être privilégiés : on se regroupe dans la même pièce pour dormir en hiver ; - subir des pannes d’ascenseur – dans des immeubles de plus de quinze étages parfois. Le quotidien s’organise autour de cette contrainte : limitation des déplacements ; retour avant la nuit, etc. Certaines choses sont invisibles et il faut aller sur le terrain pour comprendre les difficultés rencontrées par ces familles. « Habiter » est un invariant anthropologique, universel. Habiter permet d’établir une frontière entre le dedans et le dehors (fonction protectrice). C’est un espace de repos qui vous protège de l’extérieur – littéralement, mais aussi symboliquement. Ici, cette fonction de « protection » est mise à mal par le froid. Avec les dangers électriques, la menace se trouve à l’intérieur. Autre aspect : le maintien de soi ou la construction de l’identité. Quand on « habite », on cuisine chez soi, c’est une manière de construire son identité. Cette construction de l’identité se trouve aussi dans l’hospitalité. Quand on habite un logement dégradé, la situation peut devenir humiliante. Enfin, dernière fonction, la permanence dans le temps. Les coupures d’énergie peuvent être appréhendées comme des coupures dans l’espace et dans le temps. La fonction de permanence dans le temps va alors reposer sur des ruptures qui se répètent. Tout cela pour montrer que ces situations

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est ont de vrais effets sur l’être, sur le rapport à l’autre. Les conséquences sont finalement bien plus graves et invisibles que de prime abord. L’analyse des politiques publiques apportent des éléments importants mais il est fondamental de se confronter au terrain afin d’appréhender la réalité dans sa globalité.

Journée 3, mercredi 13 juillet 2.1.5. Réseaux techniques et réseaux sociaux À partir des textes de lecture transmis, un groupe expose sur les réseaux énergétiques au sein de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). L’objectif est d’apporter des éléments de réponse sur : les dynamiques d’intégration régionale du Sud-Est asiatique – réseaux techniques, enjeux politiques ; comment décrire et qualifier les réseaux sociaux opérant à l’échelle locale dans un territoire choisi par les stagiaires pour l’offre et la gestion des énergies renouvelables.

[Sébastien Velut] Les pays producteurs – Indonésie, Malaisie, Birmanie – et les pays consommateurs sont plus ou moins connectés. Quels sont les obstacles à l’intégration des pays de l’ASEAN ?

Phạm Hoàng Phước Les questions techniques, les capitaux et les divergences institutionnelles et politiques représentent les principaux obstacles à ces projets.

Vũ Quý Sơn En comparaison à l’Europe, la géographie n’est pas favorable à l’interconnexion : pays insulaires et continentaux. Ensuite le choix des marchés prioritaires diffère selon les pays.

[Sébastien Velut] L’intégration énergétique doit certes passer par des réseaux techniques mais aussi par l’existence d’un projet de développement commun. Il semble qu’à ce niveau il y ait effectivement trop de divergences pour aboutir à une intégration énergétique à proprement parler. Il existe une tension entre une logique de proximité et la logique des marchés – de par le monde, on trouve des pays producteurs d’hydrocarbures dont les voisins voudraient bien profiter. Bien souvent, les pays producteurs vendent sur les marchés mondiaux et le fait de dépendre des hydrocarbures de pays voisins est un facteur de crises qui incitent à diversifier les sources d’implantation d’énergies. Pour s’intégrer, il faut une grande confiance entre partenaires.

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique L'intégration énergétique est avant tout portée par les énergies traditionnelles - sauf dans le cas des barrages au Laos du fait de leur capacité à fournir de l’électricité à l’ensemble du système. Il s’agit cependant de projets conflictuels à l’échelle régionale. Les réseaux techniques sont des réseaux physiques – réseaux gaziers, fils électriques. Il est possible de réfléchir au-delà de ces réseaux ; en réalité, il n’existe pas de systèmes énergétiques sans réseaux sociaux. La notion de réseaux sociaux implique l’idée de connexions multiples et de différentes natures entre les individus ; les logiques ne sont pas seulement de classe ou de groupe, les connexions produisent des effets sociaux. Lorsque l’on aborde les conflits d’arènes, il s’agit aussi de réseaux : comment les acteurs d’un conflit se relient les uns aux autres ? À qui sont-ils reliés ? Ces catégories de connexions sont extrêmement importantes pour comprendre comment les acteurs d’un conflit vont agir. La dimension stratégique d’un acteur se mesure à sa capacité à créer et à jouer avec les réseaux au fil du temps ainsi qu’avec ceux dont il dispose. Cela est développé dans certaines branches de la sociologie – analyse et quantification des relations entre personnes. Les réseaux énergétiques sont liés à des connexions physiques et à la mise en relation d’acteurs sociaux qui partagent une même infrastructure. Cela ne veut pas dire que ces acteurs soient égaux, ni que certains soient plus puissants que d’autres, mais qu’ils jouent d’une certaine façon sur un « plateau de jeu » – différents acteurs (bûcherons, charbonniers, etc.) sont mis en relation (système de commercialisation) ; il s’agit d’un réseau social existant derrière un transfert d’énergie entre l’espace rural et l’espace urbain. Prenons l’exemple d’une station-service, élément d’un réseau technique et social. Lorsque l’on prend de l’essence à la pompe, cela inclut des réseaux de transports, de transformation, des acteurs économiques qui nous permettent d’avoir du carburant. Il importe de penser ce qui fonctionne derrière de sorte à appréhender le système énergétique dans son ensemble. Pour qu’il y ait des biocarburants sur le marché, il ne suffit pas simplement de faire pousser de la canne à sucre. Une série d’acteurs entrent en relation pour que notamment les produits répondent à certains standards. La capacité à standardiser est un consensus entre les acteurs d’un réseau sur le type de produit qu’ils vont fournir au consommateur. Cela suppose un réseau dans lequel les acteurs vont partager un certain nombre de normes, soit en les définissant entre eux soit en établissant un système de normes avec les autorités publiques qui vont légiférer, émettre des textes dans lesquels on établit une norme d’usage – pourcentage d’éthanol par exemple. La production de normes permet la confiance du consommateur, contrairement à d’autres systèmes existant dans les campagnes où l’on utilise des biocarburants mais sans respect de quelques normes que ce soit. L’imposition des normes s’accompagne aussi d’une fiscalisation – perception des taxes sur ces circuits. Dans le fonctionnement des réseaux énergétiques, outre une face sociale et technique, il est nécessaire d’établir progressivement des règles communes afin d’assurer le fonctionnement de règles du jeu partagées. Au niveau des acteurs, l’intervention de l’État est souvent nécessaire pour rendre crédible les règles pour les usagers. À titre de comparaison, regardons les questions d’intégration énergétique européennes et en Amérique du Sud.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Le réseau énergétique européen est un réseau de réseaux. Il représente l’interconnexion des réseaux nationaux construits dans les années 1960 ou 1970. Dans le cas des réseaux français, l’unité était forte – encore récemment – du fait de la présence d’un acteur dominant : EDF, entreprise nationale, desservant tout le territoire, en charge de la production à la fourniture au consommateur. La France est au milieu de l’Europe, le pays est frontalier de plusieurs pays européens. Le commerce entre les différents pays passe le plus souvent par la France. Les réseaux ont aussi pour rôle de connecter les différents pays. D’autres pays européens, comme l’Espagne, ont des organisations tout à fait différentes : les secteurs électriques sont davantage décentralisés (multitudes de compagnies) et les connexions sont moindres avec les autres pays. Établir le réseau européen revient à mettre en relation des pays dont l’organisation est différente en termes spatial et de marché énergétique. La construction d’un réseau macro ne revient pas simplement à reconnecter les réseaux nationaux, il faut aussi établir des systèmes communs de règles. À ce réseau connecté doit correspondre un marché unique de l'énergie. Entre autres, les usagers peuvent choisir leur fournisseur d’énergie permettant à chacun d’utiliser l’énergie au meilleur prix grâce au levier de concurrence. Aujourd’hui, en France, le consommateur peut souscrire auprès de producteur d’énergies renouvelables – contrat auprès d’agriculteurs ayant des dispositifs de production d’énergie dans leur exploitation (panneaux solaires, éoliennes) – assurant une fourniture annuelle d’énergie. L’idée est intéressante en termes de changement social et de mise en œuvre de la transition énergétique mais n’est réalisable parce ce type de réseaux distribués est disponible sur l’ensemble du territoire. La libéralisation a amené sur le marché énergétique des acteurs censés être moins chers qu’EDF, mais les faits, les prix ont peu baissé pour le consommateur. Des liens vont pouvoir aussi se recréer pour le producteur fournisseur de cette énergie – comme pour l’alimentation, le consommateur veut savoir d’où vient le produit qu’il utilise. Ce déploiement technologique sert à développer un marché – qui est une construction sociale – et la société se donne les moyens légaux techniques pour le faire fonctionner. Le marché n’est pas une création spontanée comme voudraient le faire croire les économistes mais une création volontaire des États. Cette interconnexion n’empêche pas aux pays d’avoir des politiques énergétiques spécifiques. L’Allemagne, par exemple, veut augmenter considérablement la part des énergies renouvelables qu’elle produit et qu’elle utilise. Elle est en train d’arrêter ses centrales nucléaires. Néanmoins, cette stratégie n’est réalisable que si elle est soutenue par l’ensemble du réseau et qu’elle achète de l’électricité à la France : l’Allemagne ne peut produire des énergies renouvelables que parce qu’elle utilise des énergies non renouvelables issues des pays voisins (!) Par ailleurs, l’introduction des énergies renouvelables a pour effet l’augmentation des prix sur le marché européen car leur coût est plus élevé que celui des énergies fossiles. Les autres cas de libéralisation du marché de l’énergie, notamment en Amérique latine, se traduisent également par des hausses de prix. L’idée que le marché entraîne une baisse des prix n’est pas vérifiée empiriquement. Est-ce que l’énergie est un droit qui doit être assuré par l’État ? S’agit-il d’une marchandise qui doit être assurée par un marché ? Si cela est le cas, une part de la population n’y aura pas accès.

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique Le réseau de gaz est plus étendu que le réseau électrique. Il permet à l’Europe de faire venir du gaz de fournisseurs différenciés : Russie, pays d’Asie centrale, pays d’Afrique du Nord, Écosse et Norvège. Le gaz permet de stocker de l’énergie, ce qui n’est pas le cas avec l’énergie électrique. En revanche, ces dispositifs créent des dépendances par rapport aux pays fournisseurs et à ceux de passage (Russie, Ukraine, Biélorussie). Récemment, cela a été facteurs de tensions fortes entre la Russie et l’Europe qui ont conduit à des inquiétudes quant aux approvisionnements en gaz. Il est vrai qu’aucune règle commune n’a été établie. Si la Russie décide de couper l’approvisionnement, l’Europe doit négocier. Autrement dit, le réseau électrique est un réseau qui intègre véritablement les pays européens. Le réseau de gaz ne joue pas le même rôle intégrateur. En Amérique latine, au contraire, le réseau joue un rôle intégrateur mais de façon plus limitée et avec des inconvénients. Par rapport à l’ASEAN, l’Amérique latine est riche en initiatives d’intégration. Deux dispositifs émergent : le marché commun du Sud (Mercosur) regroupant le Brésil, le Paraguay, l’Argentine et l’Uruguay ; sur la façade pacifique, la Communauté andine avec la Colombie, l’Équateur, le Pérou et la Bolivie. Le Venezuela et Chili hésitent sur quelle côte se positionner. Au nord, le Mexique forme avec les États-Unis et le Canada un troisième ensemble. L’énergie est un des thèmes fondamentaux de cette intégration nord-américaine. Le Mexique est un producteur de pétrole, le Canada de gaz et d’électricité, et les États-Unis sont producteurs mais essentiellement consommateurs. Dans cet ensemble, le Venezuela détient les réserves en hydrocarbures parmi les plus importantes du monde, la Bolivie possède des ressources importantes en gaz. Dans les années 1990, une forme d’intégration a vu le jour principalement grâce aux réseaux gaziers : depuis le centre producteur (Bolivie) vers les pays voisins (particulièrement le Brésil). Ces connexions ne coïncident pas avec les ensembles géopolitiques précédents. Les formes d’intégrations sont principalement portées par des acteurs privés. Cette intégration par le gaz a mal fonctionné : - la production de gaz en Argentine a diminué. Le pays a préféré interrompre ses exportations vers le Chili plutôt que de couper l’approvisionnement de son marché intérieur ; - la Bolivie a estimé que le prix payé pour son gaz n’était pas suffisamment élevé. En 2007, l’État a nationalisé les hydrocarbures et augmenté les prix. Pour le Brésil, par exemple, l’intégration est apparue moins intéressante. L’intégration ne fonctionne pas faute de règles communes aux États et de règles communes aux acteurs sur les marchés énergétiques – les comportements sont imprévisibles, la confiance manque. Des problèmes similaires se posent au niveau de l’ASEAN. Au niveau de l’Union européenne (UE), le projet politique est prioritaire : assurer la coopération et, à terme, la communauté européenne. L’Amérique latine a cherché à tirer partie des complémentarités économiques entre les pays ayant des ressources et ceux avec besoins mais le cadre politique était insuffisamment solide. Cela a engendré des tensions entre les pays, notamment entre le Chili et l’Argentine à propos de la couverture du gaz. La création d’interconnexions énergétiques dans un but uniquement économique ne fonctionne pas et débouche souvent sur des conflits géopolitiques entre les États. De plus, l’existence de grandes connexions n’est pas un gage de globalisation de l’accès à l’énergie – cas de l’Amérique latine – puisque la priorité n’est pas de l’amener au meilleur coût. L’intégration technique n’est pas synonyme d’intégration politique ; il n’y a pas de déterminisme de la technique sur le social. On peut être connecté à l’échelle des continents sans être connecté à l’échelle des pays.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Phạm Hoàng Phước Pour l’Europe, les consommateurs ont le choix. Ils peuvent choisir leurs fournisseurs, lesquels créent eux-mêmes le réseau.

[Sébastien Velut] Choisir un fournisseur d’énergie ne veut pas dire qu’il installe une ligne jusqu’à votre maison mais injecte dans le réseau, à un certain moment, la quantité d’énergie dont le consommateur a besoin. Les compagnies ne mettent pas en place des réseaux concurrents les uns des autres, elles partagent toutes le même réseau et bénéficient des mêmes conditions tarifaires de connexion.

[Johanna Lees] Il faut séparer la distribution d’énergie et le fournisseur auprès duquel on paie l’énergie.

[Sébastien Velut] Il faut comprendre que la régulation est d’ordre légal – savoir par exemple si les règles sont appliquées par les fournisseurs d’énergie, les distributeurs – et s’assurer que techniquement la circulation de l’énergie se fait correctement.

[Johanna Lees] Le réseau reste national mais la distribution d’énergie est privative. Les fournisseurs achètent de l’énergie au réseau national qu’ils revendent.

Nguyễn Ngọc Vàng Peut-on considérer ce réseau comme une chaîne de valeur ?

[Sébastien Velut] La chaîne de valeur est celle qui va du puits de pétrole jusqu’au consommateur. Quand vous transportez de l’énergie dans le réseau, le prix est le même pour tous. Une entreprise a besoin d’une certaine puissance pendant un certain temps, elle va donc rechercher le fournisseur qui lui propose la puissance au meilleur coût. Deux distinctions doivent être faites : - entre l’usager individuel domestique – contrat à long terme de fourniture d’électricité avec des prix garantis ou encadrés – et le consommateur – notamment les industriels qui peuvent avoir des contrats directement avec le producteur et renégocier ces contrats ; - les prix de l’énergie sont généralement affectés d’un certain nombre de taxes. Le prix n’est donc pas lié uniquement au coût de production de l’énergie.

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique Đinh Lê Na Vous avez dit qu’il fallait définir des règles communes pour faire fonctionner un système de ce type. Suite au « British Exit » – « Brexit » – si la France se retirait de l’UE, que se passerait-il ?

[Sébastien Velut] D’un point de vue technique, le marché britannique n’est pas véritablement intégré au marché européen. On peut imaginer que des règles économiques s’appliquent pour un marché énergétique sans qu’il y ait le même degré de coordination politique. Des auteurs pensent que la raréfaction des combustibles fossiles va amener des régions à travailler davantage avec leurs ressources, les interconnexions vont ainsi devenir moins importantes. Le concept à la mode de Smart grids permet une gestion locale. Ce réseau électrique intelligent interconnecte une série de producteurs et de consommateurs hétérogènes grâce à un usage poussé des technologies de l’information. Quelles en sont les particularités ? L’usager est identifié et connecté au niveau de la maison et des différents appareils dont il dispose (chauffe-eau, réfrigérateur, lave-linge, etc.) de manière à les utiliser lorsque l’énergie est disponible. Un usager peut aussi devenir un fournisseur : cas d’un usager disposant de panneaux solaires. Ces microréseaux vont permettre un équilibre instantané entre les sources de productions des renouvelables (vent, solaire, etc.) et les usages discontinus dans le temps à travers des dispositifs technologiques.

Journée 4, jeudi 14 juillet 2.1.6. Inégalités environnementales, santé, mobilisations La matinée débute par deux exposés traitant des inégalités environnementales au Việt Nam et au Cambodge – il s’agit respectivement de rejet d’eau polluée en mer en avril 2016 par l’usine chimique Formosa (Taïwan) située dans la province de Hà Tĩnh et du dépôts, en 1998, de containers de déchets toxiques sans protection ni sensibilisation de la population par Formosa Plastics Corporation dans une zone proche de la ville de Sihanoukville.

[Johanna Lees] L’un des points essentiels du concept d’inégalité environnementale est la santé. Ce concept est né aux États-Unis à la fin des années 1970, et a été développé par Robert D. Bullard lors de recherches portant sur les populations noires et hispanophones vivant près d’usines industrielles (Bullard, 1994 et 2000). Les effets du stockage de déchets toxiques vont principalement toucher les populations les plus pauvres et vulnérables (Amérindiens, Afro-Américains, Hispaniques). La problématique des inégalités environnementales va susciter nombre de mobilisation et le concept va progressivement s’insérer dans le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Qu’est-ce que la justice environnementale ? Il s’agit du traitement égalitaire de l’ensemble de la population, sans distinction de race, de couleur, de revenu, en respect avec l’environnement. Dans cette conception, il y aurait l’existence d’un racisme environnemental qui voudrait que certaines populations soient discriminées du fait de la couleur de leur peau et qu’elles subissent les effets et les risques d’un environnement polluant. Le racisme environnemental est l’intention – ou non – de discriminer des populations suivant leurs origines ethniques. Bullard va montrer qu’à Houston les populations noires sont surexposées aux risques environnementaux – six des huit incinérateurs et quinze des dix-sept décharges publiques sont localisées dans des quartiers noirs. Il va également mettre en lumière que les fragilités politiques de ces populations autorisent un racisme environnemental puisqu’elles ne bénéficient que d’une marge réduite pour se mobiliser et faire valoir leurs droits (Bullard, ibid.). Prenons l’étude de l’étang de Berre situé à Fos-sur-Mer, à 50 km de Marseille en France. Il s’agit de la zone industrielle chimique la plus importante du sud de l’Europe. Elle compte près de 400 installations industrielles : industries chimiques, raffineries pétrolières, centres de stockage de gaz, aciéries, etc. On recense plus de 58 sites Seveso – la directive Seveso est le nom générique d’une série de directives européennes qui imposent aux États membres de l’UE d’identifier les sites industriels présentant des risques d’accidents majeurs. Réparties dans une trentaine de villes, 400 000 personnes vivent dans cette zone – plus de 30 % sont ouvriers pour une moyenne de 15 % dans la région. L’espace industriel est source d’émission de polluants (arsenic, plomb, métaux lourds, etc.) et d’un ensemble d’agents chimiques facteurs d’accroissement de maladies cardio-vasculaires, respiratoires et de cancers. Au niveau local, le langage vernaculaire fait souvent référence à la mort (Allen et al., 2017).

« Ici c’est pas Fos-sur-Mer, c’est la fosse mortuaire où l’on enferme les gens » « Ici, je vous le dis tout net, c’est un cimetière vivant » « Ils nous tuent pour de l’argent, ils nous empoisonnent, ils tuent la planète »

Les usines ont été construites dans les années 1970, en Camargue, site naturel exceptionnel et haut lieu de migration des oiseaux. Il y a une contradiction forte entre un site naturel exceptionnel et la dimension industrielle. Une étude participative en santé environnement a été lancée du fait des nombreuses interrogations des habitants sur leur état de santé et des demandes de connaissances sur le sujet (Allen et al., ibid.). Aucune étude épidémiologique sérieuse n’avait été réalisée auparavant malgré le malaise ambiant – la population a occupé la caisse de sécurité sociale pour obtenir des données sur leur état de santé. Lors de l’étude, 4 000 maisonnées ont été visitées, près de 900 questionnaires ont été rendus. L’objectif était de connaître le type d’exposition et de maladie dans le cadre professionnel. Il fallait aussi obtenir des informations sur les pratiques alimentaires. Voici quelques résultats : 44 % des personnes disent avoir les yeux irrités, 37 % de fréquents maux de tête, 43 % des inflammations nasales et de gorge répétées, 15 % des adultes souffre d’asthme (contre 10 % au niveau national), 11,8 % de la population a ou a eu un cancer (contre 6 % niveau national), etc. Les allégations de la population au sujet de sa santé sont fondées et confirmées par l’étude.

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique Retraçons également l’historique de l’installation d’un incinérateur de déchets dans la même région suite aux développements des industries. Un projet d’incinérateur est né dans les années 2000, il devait s’implanter à Marseille. À la suite de la mobilisation de la population, le projet d’implantation dans les quartiers Est de Marseille a été recalé ; les quartiers Nord (quartiers plus fragiles sur les plans économique et social que les quartiers Est de la ville) ont alors été choisis pour l’implantation dudit projet. Or, après la mobilisation des acteurs de la ville, il a été décidé de délocaliser le projet à l’extérieur de la ville dans la zone industrielle de Fos-sur-mer. Il s’agit en réalité d’un cas typique d’inégalité environnementale. Une installation industrielle est implantée dans une zone déjà polluée. La population locale subit donc une démultiplication des effets délétères de la présence des usines industrielles toutes implantées sur un même territoire. L’installation de l’incinérateur dans ce territoire a été vécue comme un déni de démocratie à l’échelle locale : en effet, les habitants de la zone industrielle ont fait montre d’une grande mobilisation contre l’implantation de l’incinérateur dans la zone. Or, la décision politique de localiser l’incinérateur malgré la mobilisation a été perçue par la population comme une injustice « environnementale » de plus.

[Sébastien Velut] Peux-tu nous expliquer comment cette étude a été réalisée ?

[Johanna Lees] Le terrain s’est imposé pour l’élaboration de l’étude, ce qui a permis de saisir le problème de santé publique qui faisait sens pour les habitants, les médecins et certaines associations. Le questionnaire a été élaboré avec ses acteurs. Il nous a fallu environ une à deux années pour élaborer le questionnaire et effectuer le terrain. L’enquête participative a véritablement commencé avec l’acquisition de premiers résultats qui ont été présentés à la population. Après avoir formé des groupes de travail, les individus ont analysé et d’interprété les résultats en fonction de leur expérience du territoire et de leurs savoirs locaux – connaissance des vents, des émissions des différents types de polluants, des quartiers (profils de travailleurs), etc. Cette interaction locale a guidé la réflexion sur de nouvelles pistes de recherches. Les acteurs locaux étaient à même de contester le projet d’incinérateur en mesurant le taux de pollution grâce à l’acquisition de savoirs techniques et scientifiques précis. La mobilisation a amené les personnes à se former dans le but de contrer les pouvoirs publics. Pour terminer, voici l’extrait d’un discours prononcé par le maire de Fos-sur-Mer lors des manifestations contre l’incinérateur :

« Ce qui nous arrive à Fos n’est qu’un reflet des politiques de ce gouvernement qui n’entend plus son peuple, qui fait charger des CRS – Compagnies républicaines de sécurité – contre des jeunes qui ne veulent pas de la société qu’on leur propose faite de précarité et de mépris. À Fos, comme en France, le pouvoir a décidé de faire ce que lui dicte le monde du profit. À Fos, le préfet et le maire de Marseille se moquent complètement de nous. En France on envoie des CRS contre des jeunes, des syndicalistes et des élus. Qu’est devenue cette République qui n’entend plus ses enfants, son peuple, qui crie son désespoir et sa colère ? Quelle est cette République qui ne sait proposer qu’un avenir fait de précarité à sa

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est jeunesse ? Nous voilà revenus au joyeux temps des colonies où le maître dispensait ses largesses à sa cour et humiliait le peuple qui travaillait pour son compte. La jeunesse de ce pays est en train de faire reculer ce gouvernement à force de mobilisations, de déploiements, de force. Des jeunes se battent pour leur avenir professionnel. Ici, à Fos, nous nous battons pour l’avenir des générations futures qui veulent vivre dans un environnement sain. » (Lees, 2014)

[Sébastien Velut] Je retiens les aspects méthodologiques, comment les habitants perçoivent les problèmes environnementaux et comment ils les vivent. Cette méthode peut être reprise dans un tout autre contexte pour comprendre les positions des populations. Il ne s’agit pas seulement de percevoir leurs sensations mais de travailler ensemble, d’établir une compréhension de ce qui est en train de se produire afin de modifier la situation. L’enquête qui a été menée auprès des populations complète les données recueillies – par les hôpitaux par exemple : on sait combien de malades viennent consulter, avec quelle(s) pathologie(s), etc. Il est possible de dresser la situation sanitaire d’un territoire. Je voudrais revenir sur la question de justice environnementale : parler des inégalités et de justice. On sait que la mesure des inégalités est multidimensionnelle (politique, économique, etc.). Pendant longtemps les sciences sociales se sont limitées aux inégalités politiques et économiques – les revenus et la position dans la société. Avec les travaux de Engels sur la population ouvrière au XIXe siècle en Grande-Bretagne, on comprend que les conditions de vie des populations sont une barrière au développement sain des personnes. On va progressivement se rendre compte que le développement de la société industrielle est producteur de catastrophes, de dérives environnementales (Carson, 1968) ; on commence dès lors à croiser la question de l’environnement avec des catégories usuelles de l’inégalité : classe sociale, race et genre. Ces inégalités face à l’environnement se déclinent soit en termes de risques (cas de Fos-sur-Mer) soit en termes d’accès aux ressources (eau pure, air de qualité, ressources environnementales pour l’activité économique, etc.). Les populations pauvres habitent généralement dans des zones plus exposées aux risques naturels (glissements de terrain, inondations, etc.). Ces catastrophes touchent les quartiers pauvres plus qu’elles ne touchent les quartiers riches. La méthodologie Millenium Ecosystem Assessment a été mis en place par les Nations unis pour évaluer la capacité d’un écosystème à fournir, ou non, les biens et les services dont la société a besoin. Un certain nombre de questions se posent : quelle est la capacité d’un écosystème à se régénérer par rapport aux perturbations anthropiques qu’il subit ? Faut-il continuer à utiliser les ressources de certains écosystèmes ? Combien de bois peut-on extraire sans destruction de la forêt ? Comment régule-t-on l’accès à cet écosystème ? Ces inégalités d’accès et la manière dont elles sont régulées nous amène à la notion de justice. On entre dans un autre débat puisque l’on peut dire que ces inégalités sont inévitables : elles sont dans la société et la société est inégale. En revanche, on peut juger que certaines inégalités ne sont pas souhaitables, qu’elles sont injustes. Je trouve que la justice environnementale telle qu’elle est pensée aux États-Unis est très normative – entre ce qui est juste et injuste. Dans le discours du maire de Fos-sur-Mer, il y avait une notion de justice liée à une certaine idée de la République. Cela amène à mettre en avant les approches de l’écologie politique : il s’agit

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique de comprendre comment sont régulées les rapports de pouvoir pour distribuer l’accès inégal aux ressources naturelles. C’est une approche transdisciplinaire qui s’insère entre les sciences politiques, l’anthropologie, l’histoire et la géographie. Elle cherche à comprendre la position de l’État – quels sont les intérêts économiques qui amènent à déverser la pollution sur une zone plutôt qu’une autre ? Dans le cas du Việt Nam présenté en début de séance, on avait certes des problèmes locaux de pollution industrielle mais, en filigrane, il s’agit d’opter pour un modèle de développement économique, de savoir comment l’État contrôle les entreprises et le type de capitalisme mis en place. Il faut ainsi réfléchir à la question des conflits autour des problématiques d’inégalité et de justice environnementale. Il nous faut comprendre ce que chacun défend, les revendications et le sens de ces revendications, et, à un niveau plus politique, quels sont les positionnements des acteurs par rapport à ces conflits environnementaux. Les conflits font-ils naître de nouvelles normes, de nouveaux compromis, de nouvelles alliances ? Au Chili, des collègues ont mis en évidence que les conflits sont plus nombreux dans les quartiers aisés, où les habitants vont plus facilement entreprendre des actions en justice afin de bloquer les projets de développement immobilier. Il y a bien des cas de justice environnementale mais il n’y a pas de conflit car il existe une forme de contrôle social qui bloque leur développement. Pour ma part, j’ai travaillé dans des régions où étaient implantées des industries très polluantes, mais la population était satisfaite car les industries apportaient des emplois, finançaient des écoles, etc. À l’exemple des zones autour des centrales nucléaires, un discours s’est installé faisant croire aux gens que leur implantation est formidable, même s’il y a des situations de risques avérées.

L’atelier se divise en groupes de travail afin à préparer la restitution de la semaine qui sera exposé le samedi en matinée en séance plénière. Les principales pistes de réflexion s’articulent autour des questions suivantes : qu’est-ce que la transition énergétique ? Comment est-elle pensée par les différents acteurs ? Quelles critiques peut-on émettre ?

Journée 5, vendredi 15 juillet 2.1.7. Précarité énergétique, normes de consommation énergétique et notion de confort [Johanna Lees] La notion de confort évolue au fil du temps, des sociétés et des progrès techniques. Des populations vont privilégier l’aspect sécuritaire alors que pour d’autres les questions techniques et de climatisation seront prioritaires. Les normes de confort sont au cœur des questions de la transition énergétique et de l’égalité d’accès pour tous. En France, dans les années 1950, seuls 4 % des logements ont accès à l’eau courante pour 95 % aujourd’hui. Puis l’installation de l’électricité et du chauffage va être promulguée dans les lois.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Depuis 2009, l’absence de chauffage est un critère qui identifie un logement indécent. Le confort est un processus souvent historique et n’est pas normatif en soi. De norme technique, la notion glisse vers une norme sociale ; ce lien est important pour interroger les questions énergétiques car il faut consommer de l’énergie pour bénéficier du confort nécessaire. En début de semaine, certains d’entre vous annonçaient qu’il n’était pas nécessaire pour tous d’accéder à l’énergie mais du fait d’un ensemble de normes de confort, l’accès va devenir une nécessité sociale. Pour exister et être reconnu socialement, il importe de disposer d’une fourniture en énergie. Extrait d’entretien auprès d’une personne mal logée sur le long terme à Marseille et à présent bien logée (Lees, 2014) : « Et maintenant, toi, dans ton appartement, tu es mieux ? – Oui oui, je suis mieux, je suis dans un appartement confortable. – C’est quoi un appartement confortable pour toi ? – Eh bien déjà pour moi un appartement confortable, c’est quand il y a le chauffage. » Les populations les plus pauvres, les plus précaires, intériorisent les normes techniques. Dans un souci de normalité, la consommation d’énergie concerne tous les types de population. Extrait d’entretien réalisé auprès d’une femme comorienne ayant vécu à Madagascar puis en France sans bénéficier d’électricité durant une année dans son logement (Lees, op. cit) : « Combien de temps es-tu restée dans cet appartement sans électricité ? – Pendant un moment, pendant plus d’un an. – Un an sans électricité. Et alors comment faisais-tu ? – Eh bien on se débrouille. Le soir on mettait des bougies. – Et pour te chauffer tu faisais comment ? – Pour le chauffage j’avais le four à pétrole. – Et alors ce n’était pas grave de ne pas avoir la lumière ? – Non non… ce n’était pas grave. Je mettais beaucoup de bougies, car j’avais peur pour les enfants. J’avais peur aussi du feu. On se mettait au salon avec les enfants. Et pour regarder la télévision, j’avais la télévision de la voisine d’en face, on mettait une rallonge. – Tu n’avais pas d’électricité, tu n’avais pas la lumière mais tu avais la télé ? – Oui... j’avais la télé pour les enfants. Pour eux, ça les amusait. Pour les bougies c’était moins drôle mais on avait quand même la télé de la voisine. – Mais pour toi c’est plus important d’avoir la télé plutôt que l’électricité ? – Oui oui... plus que l’électricité. » L’absence d’électricité n’est pas perçue comme la privation d’un bien de première nécessité : les bougies pallient le manque. Puis la famille va disposer d’un bien de consommation de masse, la télévision. Puisque cette femme a grandi à Madagascar et qu’elle ne disposait pas alors d’électricité, cela ne représente pas un véritablement problème pour elle en France. Les normes de confort

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique en usage dépendent du lieu et de la dimension temps – à quel moment dans l’espace temporel. Disposer de la télévision peut être interprété comme un accès à un produit énergétique facteur de reconnaissance sociale. On observe une banalisation et une normalisation des critères de confort ; il y a ceux qui vivent en dessous du seuil minimum et les autres. Cela engendre une césure entre le confortable et le précaire. Ce processus est à la source d’une forme de ségrégation : dans une société qui promeut le confort et la consommation, ceux qui ne peuvent pas consommer – énergie ou biens de consommation – se sentent socialement relégués. Entretien effectué à Marseille. Une quarantaine de familles Rom vivent dans un squat, tous travaillent en tant que ferrailleurs. Il n’y a pas d’énergie officielle. Quatre ou cinq familles se sont associées pour acquérir un groupe électrogène. La soirée coûte six euros. Les familles gagnent entre 30 et 40 euros par jour grâce à la vente de ferraille. Propos recueillis auprès d’un père de famille (Lees, op, cit) : « Maintenant il faut payer le groupe pour l’électricité. Mais ça a augmenté le prix. Avant on payait 6 euros chacun, on était quatre à cinq familles. Un jour c’est toi qui paie, un jour c’est moi. Et puis finalement le prix a augmenté, et maintenant c’est 10 euros la nuit. – Mais c’est juste pour la nuit ? – Oui... l’électricité c’est juste pour la nuit. Le jour, on n’en a pas besoin. Le bon Dieu a donné la lumière et le soleil pour tout le monde, pas l’énergie. On partage, mais la nuit il n’y en a pas. – Alors vous payez 10 euros pour l’électricité pour la nuit ? – Oui... On achète le gazole. En fait ça ne dure que quatre ou cinq heures. – Alors il y a de l’électricité de quelle heure à quelle heure ? – De 19 heures à 23 heures. Le bidon ne dure pas plus de quatre heures. Mais le truc c’est que la nuit c’est pour dormir et le jour c’est pour travailler. Moi et ma femme, la nuit, à 10 ou 11 heures on dort, on est claqués. En fait l’électricité c’est pour les enfants. Nous on dort. Eux ils mettent la télévision ou ils jouent aux jeux vidéos. C’est pour ça qu’on a l’électricité. » Accéder à l’énergie permet d’allumer la télévision et de jouer aux jeux vidéos. Même dans des conditions difficiles, on pourrait penser qu’ils pourraient se passer de ces biens de consommation, la réalité de terrain prouve le contraire. L’enquête montre, dans le cas de cette famille, que l’énergie permet de satisfaire des besoins secondaires. Ces normes de confort définissent ce qui est socialement acceptable et ce qui ne l’est pas dans les usages de la consommation de la consommation d’énergie.

Yolande Leondaris Razafindrakoto À Madagascar, l’exclusion sociale se fait entre les enfants. Lorsque l’on n’a pas la télévision, on ne peut pas suivre les séries et les films quotidiens, on ne peut en discuter avec les autres. L’exclusion sociale commence à ce niveau.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Latdany Latdamy Au Laos, dans les zones montagneuses, les maisons disposent d’une parabole. Pour eux, c’est un moyen de rester connectés à la société extérieure.

[Sébastien Velut] Quelles sont les formes de consommation et les représentations du confort d’une classe moyenne en croissance – cas du Việt Nam ? Les exigences portent sur la nécessité d’avoir l’air conditionné, une voiture, plusieurs télévisions, etc. Autrement dit, cette classe moyenne exige des modes de consommation énergétique qui sont probablement insoutenables. Des travaux sont faits pour apporter des services aux populations pauvres, pour les quartiers d’habitats précaires. Ces habitants ne sont pas satisfaits car ils veulent avoir les mêmes dispositifs pour l’eau, la lumière, etc. Ils veulent bénéficier des mêmes normes de confort que celles dont bénéficient les personnes aisées. Cela tire la consommation énergétique vers le haut.

[Johanna Lees] La transition des énergies fossiles aux énergies renouvelables va-t-elle suffire à pallier la demande croissante en énergie ? Faut-il réfléchir différemment en posant la question de la consommation à une échelle collective ? En France des travailleurs sociaux se rendent chez des familles pauvres afin d’apporter des conseils en termes de consommation d’énergie. Si les normes explicitées ne sont pas respectées, ces familles sont jugées transgressives.

Extrait d’entretien avec un agent EDF s’occupant de la formation auprès des familles (Lees, op. cit.) : « C’est vrai que je leur dis aux personnes, il y a des normes de confort, 19 degrés dans les pièces habitées, 17 degrés dans les chambres. Les personnes réagissent toujours quand elles entendent le 17 degrés ou le 19 degrés. Elles me disent que ce n’est pas beaucoup. Je leur dis que c’est comme ça, que c’est une norme. Quand on a froid on met un pull, on ne monte pas le chauffage. C’est ça la norme responsable. Et on estime qu’il y a un certain confort. En fait il y a une distorsion entre le comportement et le rationnel. Oui c’est vrai, on dit toujours que le prix de l’électricité augmente. Mais après, quand on analyse les choses, c’est différent car on consomme en fait beaucoup plus qu’avant. » Il s’agit d’éduquer les pauvres aux comportements énergétiquement et écologiquement corrects. Ces dispositifs peuvent être perçus comme violents. Sur le terrain, on se rend compte que les personnes pauvres sont souvent en situation de restriction et de mépris de leur consommation d’énergie. Si ces personnes vivent dans des conditions précaires et aspirent à consommer de l’énergie, elles demeurent dans une maîtrise constante de leur consommation d’énergie. Ces dispositifs de formation renvoient la responsabilité à une échelle individuelle, cela évite de se poser des questions au niveau collectif : l’effet peut être de dépolitiser les questions aux niveaux social, économique et politique – si cela est de votre faute, il n’y a pas de problème de transition énergétique ni de finitude des ressources !

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique

La session se termine par deux études de cas, Myanmar et Laos. Il s’agit pour les stagiaires d’échanger autour des deux questions suivantes : (i) à partir de vos connaissances et de votre expérience du territoire en Asie du Sud-Est, comment se décline à l’échelle locale des formes d’inégalités environnementales ? Ces inégalités environnementales donnent-elles lieu à des mobilisations et à des controverses ? Si oui lesquelles ? ; (ii) à partir de la problématique de la transition énergétique, des enjeux environnementaux et énergétiques contemporains, donner quelques exemples d’inégalités environnementales à l’œuvre dans le monde. Quelles questions impliquent ces situations en termes de politiques publiques à l’échelle locale et globale ?

2.1.8. Le territoire, une catégorie d’analyse [Sébastien Velut] La question du territoire est la façon dont on pense les relations entre la société et l’espace terrestre. La société transforme non seulement son espace mais est aussi influencée par l’espace dans lequel elle vit. L’approche en premier lieu a été déterministe : le milieu naturel détermine la société ; puis, l’on a cherché à comprendre comment la société transformait ces espaces et tirait partie des possibilités qu’il offrait – un climat plus chaud avec une pluviométrie abondante amène des choix différents dans la façon de vivre. Aujourd’hui, la démarche est davantage systémique, il existe des interrelations entre la société et l’espace. L’approche territoriale met en ordre nos connaissances, nos manières d’appréhender les relations entre les sociétés et les surfaces terrestres à différentes échelles (cf. schéma 3). On ne peut penser le territoire qu’à partir de quatre entrées principales, quatre descriptions de dimension des territoires : - le milieu naturel – fournisseur de potentialités énergétiques – ; - les organisations spatiales – comment la population est distribuée dans le territoire ? Comment s’organisent les voies de communication ? Comment s’établissent les échanges ? Qui traitent de l’organisation matérielle de l’espace ? – ; - les acteurs sociaux – bien souvent, le terrain montrent qui sont les réels acteurs ; le système des acteurs doit être repensé par rapport à chaque situation ; - enfin, il faut donner du sens à la situation dans laquelle on se trouve – comment se représenter, penser le territoire, soi-même et les autres, afin de comprendre la façon dont certains acteurs vont agir, de saisir le sens accordé aux situations et aux actions pour les interpréter. Ces relations sont systémiques. Il n’y a pas de causalité du milieu vers l’organisation, les acteurs et les formes de représentation. C’est à partir de l’inventaire des différentes dimensions que l’on peut travailler sur un diagnostic territorial – outil d’action et de jonction entre la recherche et les politiques publiques. Il s’agit de comprendre comment fonctionne un territoire et de l’améliorer en fonction de certains critères et de valeurs extérieures.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Voici un graphique représentant la consommation d’énergie. Graphique 13. Densité urbaine et consommation liée au transport

Source : Newman, P. et J. Kentworthy (1989).

La corrélation est forte entre la densité urbaine et la consommation d’énergie par habitant : plus la densité est élevée, moins la consommation d’énergie est élevée. D’un point de vue du transport, certaines organisations territoriales sont plus efficaces que d’autres en termes d’usage de l’énergie. Trois principaux groupes se dégagent clairement correspondant à un ensemble de villes et de pays : villes européennes, américaines et australiennes. La densité est corrélée à des facteurs historiques et politiques donnant lieu à certaines formes de villes – Houston, par exemple, au cœur du Texas, est la capitale du pétrole ; les facteurs ne sont donc pas uniquement liés au type d’organisation du territoire.

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique Schéma 3. Dimensions du territoire

Source : construction de l’auteur.

Finalement, pour répondre aux questions de transition énergétique, on peut tout d’abord travailler sur la construction d’une cartographie, de l’inventaire précis des ressources et des besoins. On observe la façon dont vont fonctionner les sociétés, l’organisation de l’espace, la culture et l’environnement. Un lien doit être fait entre la transition énergétique et les processus d’aménagement du territoire : décision d’usage du sol – comment va-t-on planifier les villes, les nouveaux quartiers tout en tenant compte d’une optimisation énergétique et de la demande des habitants ? Comment valoriser les ressources énergétiques du territoire ? Comment effectue-t-on la transition énergétique incluant les différents aspects de la vie d’un territoire ?

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Textes de lecture Bridge, G. Bouzarovsky, S. Brashaw, M. Eyre (2013), "Geographies of Energy Transition: Space, Place and the Low Carbon Economy", Energy Policy, 53, pp. 331-340. Bierschenk, T. et J-P. Olivier de Sardan, « Un canevas d’enquête collective multi-sites »: ECRIS, Cf. www.tamdaoconf.com (2008). Grubler, A. (2012), "Energy Transitions Research: Insights and Cautionary Tales", Energy Policy. 50, pp. 8-16. Hira, A. (2003), "Does Energy Integrate", Energy Policy, 31/2. pp. 185-199. Lees, J. (2014), Ethnographier la précarité énergétique: au-delà de l’action publique, des mises à l’épreuve de l’habiter, Thèse de doctorat en sociologie, EHESS, Marseille, 12 septembre, https://halshs. archives-ouvertes.fr/tel-01117039 Olivier de Sardan, J.-P. (1995), Anthropologie et développement – Essai en socioanthropologie du changement social, Karthala, Paris, 221 p. Revel, J. (dir.) (1996), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard et Le Seuil, coll. Hautes Études, 243 p., bibliogr. par Raymond Massé, Anthropologie et Sociétés, vol. 20, n° 3, pp. 143-145. Sivarajah, U., Z. Irani, N. Savino, J.-P. Jiménez, H. Lee, R. Rascazzo, V. Molendini et A. Martin (2015), "Decision Support System for Fostering Smart Energy Efficient Districts", Twenty-first Americas Conference on Information Systems, Puerto Rico. Turner, O., B. Kinnane et B. Basu (2014), "Demand-Size Characterization of the Smart City for Energy Modeling", 6th International Conference on Sustainability in Energy and Buildings, Energy Procedia, 62 p. Velut, S. (2013), « La transition énergétique », in Euzen, A. L. Eymard, et F. Gaill, Le développement durable à découvert, éditions du CNRS.

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique Carrizo, S., S. Velut et J. Hevia, « Le Nord du Chili : un isolat énergétique dans un désert minier », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Espace, Société, Territoire, article 567. Carson, R. L. (1968), Le Printemps silencieux, Plon. Chabrol, M. et L. Grasland (2014), « Contraintes spatiales et enjeux territoriaux d’une déclinaison régionale de la transition énergétique : l’exemple de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur », VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Volume 14, n° 3. URL : http:// vertigo.revues.org/15657 ; DOI : 10.4000/vertigo.15657 Criqui, P. et S. La Branche (2016), « Compteur électrique linky, comprendre la polémique ». The Conversation. 23 mai, http://theconversation.com/compteur-electrique-linky-comprendre-la-polemique-59769 Di Méo, G. (2008), « Une géographie sociale entre représentations et action. Montagnes méditerranéennes et développement territorial » – https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00281573/ document. Granovetter, M. (1973), "The Strength of Weak Ties", American Journal of Sociology, vol. 78/6, Mai, pp. 1360-1380. Moine, A. (2006), « Le territoire comme système complexe. Des outils pour l’aménagement et la géographie », L’Espace géographique, n°2, pp. 115-132. Newman, P. et J. Kentworthy (1989), Sustainable and Cities: Overcoming Automobile Dependence, Island Press, Washington. ONU-Habitat (2005), Responding to the Challenge of an Urbanizing Word, UN-Habitat. Valarié, P. (2007), « La gestion intégrée de l’eau à l’épreuve de la biodiversité », communication ERSA, Papers in Regional Science. XIX. Vol. 2.

Ressources en ligne http://www.mrcmekong.org/ http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/11/08/au-laos-le-chantier-du-barrage-controversesur-le-mekong-relance_1787739_3244.html http://www.energy-uk.org.uk/policy/fuel-poverty.html https://www.turn2us.org.uk/Benefit-guides/Fuel-Poverty/What-is-fuel-poverty https://www.theguardian.com/world/2016/may/18/nigeria-labour-congress-union-defies-banlaunch-fuel-strike http://www.theguardian.com/society/2015/jan/09/working-households-fuel-poverty-rising-energy-bills-policy-exchange https://www.entsoe.eu/Pages/default.aspx

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est https://www.epa.gov/environmentaljustice/learn-about-environmental-justice https://www.nrdc.org/stories/environmental-justice-movement http://deohs.washington.edu/environmental-justice Our Living River: Voices against Xayaburi, 2012, film de Natalie Maib, vidéo de l’ONG Thaïlandaise Living River Siam – https://youtu.be/u1d-iS1Y-W8

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Outils pour une approche locale de la transition énergétique

Liste des stagiaires Nom

Rattachement

Domaine/ discipline

Thème de recherche

Courriel

Đặng Viết Đạt

Institut de formation politique

Gestion publique

Sécurité énergétique et développement durable

vietdatdanghv4@ gmail.com

Đinh Lê Na

-

Développement urbain durable

Eau et environnement

lenadinh@gmail. com

Latmany Latdany

Département de français, faculté des Lettres, université nationale du Laos

Sciences humaines sociales

Entreprenariat et jeunes diplômés

[email protected]

Ma Doãn Giang

Institut de recherche et de développement de la sylviculture université d'agriculture et de sylviculture de Thái Nguyên

Sylviculture

Accumulation de carbone dans les zones de préservation des espèces naturels à Nam Xuân Lạc, district Chợ Đồn, province de Bắc Cạn

gianglnbk@gmail. com

Keomanichanh Mimy

Laboratoire de changement social et politique (LCSP)

Migration et développement

Migrations des femmes vers les zones urbaines

mimikmnc@gmail. com

Nguyễn Ngọc Vàng

Université de An Giang

Économie agricole

Développement durable

[email protected]

Nguyễn Xuân Tùng

Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est

Économie

ASEAN

xuantung23992@ gmail.com

Phạm Hoàng Phước

Institut de recherche pour le développement de Hồ Chí MinhVille

Urbanisme

Énergie, changement social et développement économique

phamhoang­ phuoc­87@gmail. com

Khemngeun Pongmala

Faculté des sciences de l’environnement, université nationale du Laos

Environnement

Contamination des eaux

kpongmala@gmail. com

Su Thet Paing

-

Mandalay University of Foreign Languages

-

stpjinjin@gmail. com

SOR Sopunna

Département général des impôts

Investissements étrangers au Cambodge

Investissement direct étranger et fiscalité

punna.sor@gmail. com

A A Thant

-

Ministère du Plan et des Finances

-

aathant4290@ gmail.com

Trần Lan Hương

GASS

Économie

Économie culturelle

[email protected]

Trịnh Thị Hiền

Institut de recherche pour le développement de Hồ Chí MinhVille

Environnement urbain

Croissance verte et développement durable

tthien.hids@ tphcm.gov.vn

Sounanxay Vongphokham

Faculté des lettres, département de français, université nationale du Laos

Éducation

Français langue étrangère

sounanxay_5m@ yahoo.fr

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Nom

Rattachement

Domaine/ discipline

Thème de recherche

Courriel

Vũ Quý Sơn

VASS

Études régionales

Chine et transition énergétique électrique des pays de la sous-région du Mékong

quehuong1983@ gmail.com

Vũ Thị Ngọc Bích

Université Thủ Dầu Một

Gestion administrative

Transition énergétique

bichvu13@gmail. com

Léondaris Razafindrakoto Fanjambola Yolande

ONG EFA

-

-

[email protected]

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2.2.  Outils d’analyse des filières biomasse-énergie Hélène Dessard, Denis Gautier, Laurent Gazull - CIRAD

(Retranscription) Journée 1, lundi 10 juillet Présentation des formateurs et des stagiaires (cf. liste des stagiaires et biographies).

[Laurent Gazull] Nous allons travailler ensemble sur les outils de représentation, de compréhension et d’analyse d’une filière pensée comme un système. La notion de filière d’approvisionnement en bois-énergie ou en biomasse-énergie d’un village, d’une ville ou d’un pays sera notre fil conducteur ; une filière est un ensemble d’acteurs et d’opérations qui transforment un produit de base – canne à sucre, bois – en produit fini – éthanol, charbon de bois.

2.2.1. L’analyse systémique : concepts et méthodes [Denis Gautier] Ma présentation renvoie au questionnement posé lors de la synthèse des séances plénières proposée par Alexis Drogoul : comment appréhender la complexité des choses ? La définition la plus courante du mot système tient en ces quelques mots : « un ensemble d’éléments en interaction ». Une telle définition, trop générale, ne peut suffire à donner un cadre rigoureux à cette notion. Une seconde définition, relativement répandue elle aussi, s’exprime en ces termes : « un système est un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d’un but ». Outre la caractérisation de l’interaction, dynamique, et non statique, cette définition introduit l’idée de finalité. Bien que plus complète, cette définition n’en est pas moins à nouveau très générale. La tentative de saisie du concept de « système » par une définition semble donc malaisée. Elle doit plutôt se faire par l’enrichissement indirect du concept de système à travers la description de ses principales caractéristiques et propriétés.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Avant d’aborder ces deux questions, il faut retourner aux aspects de genèse et considérer le rôle important de l’analyse systémique dans la manière d’aborder les phénomènes par les scientifiques. Il faut se rappeler que pendant longtemps on simplifiait la manière d’appréhender les faits scientifiques et que cette manière passait par une décomposition élémentaires. On mettait de côté tout ce qui allait effectivement au-delà de la simplicité. La microéconomie par exemple parle des agents économiques et cherche à comprendre les habitudes de consommation et les comportements de production. À l’opposé, la vision macro-économique globalise les choses : on parle de groupes, de groupes de sociétés, de groupes sociaux, d’agrégats. Entre les deux visions, se posait la question de savoir comment parler de la complexité, comment admettre que dans un scénario de prospective, il puisse y avoir des incertitudes, des irréversibilités et que des phénomènes dus au hasard jouent un rôle important comme le soulignait Gaël Giraud en plénière inaugurale. L’analyse systémique essaie de répondre à ce défi justement ! Elle se présente comme une méthode de résolution des problèmes et, à partir de là, elle admet la complexité comme un outil, important à mettre en place. Elle pose la question des comportements : comment modifier les comportements d’agents dans un système. Et enfin, elle réfléchit sur les prospectives en termes de politiques publiques, de politiques sociales voire en termes de politiques environnementales puisque l’on peut être amené à prendre une série de décisions intégrant cette irréversibilité. Photo 4. Pères fondateurs de la systémique

Source : construction de l’auteur.

Depuis les années 1930 s’est développé un courant de pensée dit « systémique » né de la prise de conscience de la complexité. L’ambition des pères fondateurs était de mettre au point des

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Outils d’analyse des filières biomasse-énergie méthodologies permettant de surmonter les difficultés rencontrées dans la tentative d’appréhension des problèmes complexes par les outils analytiques existants. Durant trois décennies, le dialogue constructif entre différentes disciplines scientifiques donnera naissance aux grands principes qui sont au fondement de l’analyse systémique. Ce dialogue a lieu pour l’essentiel au sein du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Boston. Norbert Wiener, professeur de mathématique au MIT va tenir un rôle important sur la manière d’appréhender scientifiquement l’analyse systémique. Il parle alors de « cybernétique ». Il travaille sur les systèmes de la National Aeronautics and Space Administration (NASA) et les systèmes d’armement et il a pour ambition de savoir comment communiquer entre ces systèmes et comment anticiper les comportements des pilotes d’avion, des satellites. Wiener réfléchit en fait sur la manière de complexifier les méthodes et programmes de la NASA. La deuxième personne est le biologiste Ludwig von Bertalanffy. Celui-ci va comprendre qu’un système est toujours ouvert, des flux rentrent et sortent. Le système est ouvert et devient ainsi auto-organisé. Le système est en fait capable d’exister par lui-même, de fonctionner par lui-même, il évolue et forcément l’auto-organisation joue un rôle essentiel. Bertalanffy est l’auteur d’une œuvre première : la théorie générale des systèmes. La troisième personne est Jay Forrester qui vient aussi du MIT et qui va travailler sur le fameux modèle de simulation de l’effet catastrophe sur l’épuisement des ressources naturelles, travail relaté dans le rapport Meadows (Meadows et al., 1972). On peut rajouter à ce trio une quatrième personne qui ne parle pas de systémique en tant que telle mais qui a une capacité à naviguer dans l’incertitude, le hasard et la complexité : le sociologue et philosophe français Edgar Morin. Quel que soit le niveau de complexité des systèmes, ceux-ci présentent un certain nombre de caractéristiques communes : - tout d’abord, sous peine de disparaître, les systèmes sont en relation permanente avec leur environnement. On parle de l’ouverture du système. Les systèmes que nous serons amenés à étudier sont en interaction constante avec leur écosystème qu’ils modifient et qui les modifie en retour ; - ensuite, les systèmes peuvent être décrits par un certain nombre d’éléments tels que leurs composants, les relations entre ceux-ci, leur frontière, etc. Une méthode classique utilisée pour étudier un système est la double caractérisation par l’aspect structural et fonctionnel ; - les systèmes sont caractérisés par le principe d’arborescence, c’est-à-dire que les éléments de tout système sont hiérarchisés en niveaux d’organisation, ce qui légitime en particulier la décomposition d’un système en sous-systèmes ; - les systèmes sont finalisés. La finalité qui détermine le comportement du système de manière transcendantale se manifeste par exemple par une capacité à maintenir leur équilibre par des phénomènes de régulation ; - les systèmes ont besoin de variété, condition sine qua non à la capacité d’adaptation, et donc de survie, de tout système ; - enfin, les systèmes sont auto-organisateurs. Ils possèdent la double capacité à l’adaptabilité et au maintien de la cohérence interne en vue de la finalité qui est la leur. Cette capacité repose en

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est grande partie sur l’équilibre assuré par la complémentarité des rôles amplificateur des boucles de rétroaction positives et régulateur des boucles de rétroaction négatives. Un principe rétroactif est un principe qui s’applique lorsque l’effet rétroagit sur la cause et amplifie ou diminue le nouvel effet. Il s’applique en particulier à tous les principes non linéaires que l’on peut trouver dans la plupart des questions sociales et environnementales : changement climatique, déforestation, disparition de la biodiversité, exode rural, désertification, disparités sociales, migrations, etc. L’analyse systémique se pose sur une architecture importante. L’aspect structural correspond à l’organisation dans l’espace des différents éléments du système alors qu’à travers l’analyse fonctionnelle, il s’agit plus particulièrement de caractériser les phénomènes dépendant du temps : flux, échanges, transfert, etc. Ainsi, les principaux traits structuraux de tout système sont sa frontière, ses éléments constitutifs, les réservoirs ou stocks, et les principaux réseaux de communications. Les traits fonctionnels du système, quant à eux, sont les flux d’énergie, de matière ou d’information, les vannes contrôlant les débits des différents flux, les délais et les boucles de rétroaction.

[Laurent Gazull] Une demande se traduit par des flux d’énergie, d’argent, de matière, d’aliments ou bien plus simplement par des flux d’information. Schéma 4. Aspect structurel d’un système

Source : construction de l’auteur.

[Denis Gautier] L’architecture d’un système est avant tout structurelle. Elle renvoie à plusieurs questions :

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Outils d’analyse des filières biomasse-énergie - un système a des frontières. Un système sera ainsi toujours défini par ses frontières et c’est un enjeu important que de les définir ; - un système renvoie aux éléments qui le constituent. Quels sont les agents qui vont définir ce système ? Quand on parle d’un écosystème par exemple, on peut imaginer que la faune, la flore mais aussi l’humain constitue ces différents éléments ; - on conçoit que ces éléments rentrent en interaction. L’information circule : celui qui émet, celui qui reçoit et les biais cognitifs. Quand vous percevez un message, êtes-vous sûr d’avoir bien compris ce message ? ; - un système tel qu’un écosystème renvoie au stockage : comment stocker l’information ? Comment décrypter l’information ? Et en quoi ce stockage devient utile pour comprendre l’évolution du système ? Schéma 5. Aspect fonctionnel d’un système

Source : construction de l’auteur.

Progressivement, l’approche systémique a été au-delà de l’approche structurelle. Cela a permis l’appréhension d’un fonctionnement car lorsque l’on parle d’aspect fonctionnel, on évoque les flux. Pendant longtemps, on stockait et on jouait sur les capacités de stockage des éléments. Désormais on estime que les flux, d’énergie, de matière ou d’information ont joué un rôle important dans l’approche systémique. Et puis surtout, on va considérer que derrière ces flux, il y a des gens qui prennent des décisions. Les centres de décision transmettent l’information – l’information sur les flux par exemple – et, en même temps, la décrypte pour éventuellement la modifier, ce qui va influer sur la compréhension systémique. Un système a des boucles. Certaines sont des boucles à rétroaction positive : elles vont amplifier le phénomène ; d’autres boucles sont négatives et vont stabiliser le phénomène. Tout modèle, tout cycle systémique a ce genre de boucles positives ou négatives.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Enfin quatrième élément fonctionnel : le délai de réponse. Tous les systèmes n’ont pas les mêmes délais de réponse. La nature a besoin de temps pour réagir ; la croissance économique, un paysan dans le besoin immédiat, est dans le court terme. Ce délai peut être à l’opposé de l’intérêt sur un temps long. C’est toute l’ambiguïté que l’on voit aujourd’hui quand on étudie le système planétaire, entre la nécessité d’une croissance économique et la difficulté d’une régulation environnementale. Prenons une approche systémique avec la boucle de population du rapport Meadows. Schéma 6. Un exemple d’approche systémique : la boucle de population

Source : construction de l’auteur.

Si le quota alimentaire individuel venait à augmenter dans un pays en développement, si le taux de natalité venait à augmenter, la richesse par individu baisserait. La boucle est exponentielle et déstabilise le système. À l’opposé, un taux de mortalité relativement important et une baisse du quota alimentaire par personne réduira une population donnée. L’approche systémique permet de comprendre la complexité des phénomènes en intégrant les conditions et les opportunités socioéconomiques et/ou environnementales. La régulation des systèmes repose fondamentalement sur l’articulation entre les différentes boucles de rétroaction et cet arrangement n’est pas le fruit du hasard. Passons à l’application de l’analyse systémique à partir d’une étude de cas des agro-écosystèmes. Prenons l’exemple d’une exploitation en agriculture biologique, avant et après l’implantation du biogaz, afin d’évaluer les implications sur le fonctionnement de l’exploitation. Ce schéma reproduit ce qui a été modélisé pour une ferme organique.

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Outils d’analyse des filières biomasse-énergie Schéma 7. Étude de cas : exemple d’une transition énergétique à l’échelle d’une exploitation agricole

Source : construction de l’auteur.

Les stagiaires se répartissent en groupes de travail. Dans un premier temps, il s’agit d’intégrer des échanges au sein de la ferme organique d’agriculture d’élevage – flux financiers, de matières, d’énergie, d’informations, etc. À partir des éléments constitutifs de l’exploitation, l’atelier doit réfléchir à l’ensemble des liens possibles et construire un modèle systémique sans biogaz puis avec biogaz. Le produit de la réflexion est ensuite restitué oralement par un représentant de chaque groupe. Voici un modèle sagittal d’une exploitation agriculture-élevage organique avec les intrants à gauche, les extrants y compris les pertes en carbone et en nitrogène avec un zoom sur les interrelations sous-systémiques d’énergie en pointillé, de nutriments en fragmenté et de flux de matériel en point-trait. (cf. schéma 8) Concernant les intrants, les nutriments biologiques permettent la fixation de la matière organique. En l’absence de biogaz, l’énergie est apportée par l’électricité et le fuel. On note de l’apport en travail, capital, information, mais aussi des subventions car les fermes organiques sont considérées vertueuses d’un point de vue environnemental. Pour les extrants, vont sur le marché les céréales, les animaux et les produits dérivés – des produits sont également transformés, comme le lait par exemple. Il y a une idée de transformation alimentaire au sein de l’exploitation. Dans un deuxième temps, le schéma indique l’exportation de nutriments, de déchets. Il y a aussi des services environnementaux : la ferme peut proposer des services pour les fermes voisines qui utilisent des engrais. On note de la pollution liée à des émissions fossiles.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Schéma 8. Ferme organique mixte

Source : Siegmeier et al,. 2015.

Schéma 9. Ferme organique mixte avec biogaz

Source : op. cit.

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Outils d’analyse des filières biomasse-énergie Les auteurs ont clairement marqué les différents flux – en pointillés, les flux d’informations ; en tirets, les nutriments et en tirets-pointillés, les matériaux. Prenons un exemple : les animaux vont fournir des nutriments ; en échange, ce qui est ramassé dans les pâturages est destiné au fourrage pour la production animale. Enfin, une différence est faite entre la pâture – c’est à dire les animaux qui viennent pâturer sur la prairie – et les productions de fourrage. Examinons la seconde phase avec implantation de biogaz. (cf. schéma 9) Les effets agronomiques de l’intégration du biogaz dans l’exploitation peuvent être conceptualisés dans le même modèle sagittal. Au centre, on introduit du biogaz pour une transition énergétique du fonctionnement de l’exploitation – disparition de l’électricité. - En (1), nous avons l’utilisation des ressources en biomasse sous-utilisées ou non-utilisées et des déchets qui permettent d’augmenter la disponibilité en nutriments ; - en (2), cela permet d’améliorer la nutrition de la plante grâce aux digestats du biogaz ; - en (3), une amélioration de la fixation de nitrate par les légumineuses ; - en (4), une réduction des pertes de nitrogène et des émissions de gaz à effet de serre du stockage de fumier et de son épendage ; - en (5), une réduction du potentiel de mauvaises herbes par un paillage ; - et enfin, en (6), un accroissement des rendements des cultures et de la qualité des productions. La critique à apporter est que les points (3) et (5) ne sont pas liés au biogaz.

[Laurent Gazull] Nous sommes en présence d’un schéma vertueux et théorique de la ferme organique et de l’installation du biogaz. L’hypothèse est liée au contexte européen. Le développement des plantes de couverture pour l’agriculteur est intéressant si l’on valorise et produit de l’énergie à partir de ces plantes essentiellement cultivées afin de conserver un couvert végétal sur le sol. Pourquoi ne veut-on pas de sol nu ? Les principales raisons sont la lutte contre l’érosion (pluies, vent), la pousse des mauvaises herbes et, de fait, l’enrichissement du sol. En Europe, des subventions sont disponibles pour l’introduction de plantes de couverture à destination de l’énergie. L’intérêt d’une unité de production d’énergie avec plantes de couverture en association avec des résidus de l’élevage est que l’exploitant verra immédiatement sa facture d’électricité ou de gaz diminuée. L’introduction d’une production de biogaz induit une subvention pour le développement de plantes de couverture qui aura pour effet une réduction des dépenses en électricité. Il manque à ce schéma les flux d’énergie en lien avec le biogaz. Il est supposé que la consommation d’énergie n’augmente pas or l’alimentation du biogaz implique l’apport de résidus – consommation de fuel liée à l’emploi de tracteur par exemple. Le bilan énergétique demanderait à être calculé.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est [Denis Gautier] Je souhaite à présent aborder les questions de méthode afin de proposer une représentation systémique partagée avec les acteurs. Schéma 10. Les quatre étapes du protocole pour la modélisation conceptuelle d’un agroécosystème et ses principaux composants

Source : Lamanda et al., 2012.

Ce protocole se décompose en trois parties : (i) une modélisation conceptuelle ; (ii) une méthode qui part de la définition de l’objet pour y revenir ; (iii) les limites, les intrants, les extrants et les composants. Ce découpage introduit de nouveaux éléments tels que les variables d’action, les dynamiques de l’environnement et les hypothèses retenues, ou non, par rapport au modèle conçu selon l’analyse systémique. - Étape 1 : l’analyse structurelle – dans cet exemple, le nombre d’entre-nœuds d’une plante. - Étape 2 : l’analyse fonctionnelle – la production de biomasse.

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Outils d’analyse des filières biomasse-énergie - Étape 3 : la dynamique – augmentation du nombre d’entre-nœuds (structure) et augmentation du biomasse (fonction). - Étape 4 : l’analyse de la cohérence par rapport au problème défini – si le nombre d’entrenoeuds augmente, cela est-il cohérent avec la production de biomasse à l’échelle de la plante par exemple ? À l’échelle de la parcelle et non plus de la plante, on noterait une absence de cohérence ; au niveau de la parcelle, on regarderait la densité des plantes et on l’associerait à la biomasse de chaque plante. - À ces quatre étapes s’ajoute la vérification de l’hypothèse : vérifier si plus on a d’entre-nœuds plus on a de biomasse et si ce n’est pas le cas redéfinir l’hypothèse et le modèle. La méthode définit la question sur l’objet, dans notre cas la biomasse. Nous avons identifié précédemment les composants – la production végétale et animale, la transformation des produits et les pâturages –, nous les avons reliés aux intrants et extrants, et entres eux. Puis, les ultimes démarches identifient les étapes clefs du cycle du système tel que nous l’avons abordé dans le cas du système du biogaz, et le contrôle des changements de culture et de fonction. La cohérence entre le problème et le modèle doit être assurée – le modèle doit être modifié si la fonction « plus d’entre-noeuds plus de biomasse » n’est pas vérifiée par exemple. En dernier lieu – colonne à l’extrême droite du schéma –, dans le cadre des limites du système étudié (la plante), il faut déterminer la meilleure unité afin de discuter de la production de biomasse et la répartition entre les différentes exploitations. Les intrants vont être l’environnement : la lumière, l’eau, les nutriments ; les extrants, la production de matière sèche (biomasse), la quantité d’azote et d’eau (le nombre d’entre nœud est une variable d’état). Les variables d’état identifient ce qui est lié à la structure – le nombre d’entre-noeuds, le stock de biomasse (matière sèche produite), d’azote et d’eau dans les entre-nœuds produits. Les variables de flux sont liées à la fonction – pour nos propos, la matière sèche sénescente, la matière sèche verte, le flux d’eau du sol à la plante, la lumière interceptée, etc. Quant aux variables d’action, cela peut être des animaux détruisant la semence et empêchant la pousse, les oiseaux qui se posent sur la plante et la cassent, etc. Enfin, les interactions sont définies par le transfert de biomasse d’un entre-noeud à l’autre ainsi que par le facteur hydrique – s’il y a de l’azote disponible mais pas assez d’eau, l’azote ne peut pas monter à la plante). Voici un exemple de modèle conceptuel. (cf. schéma 11) Le schéma doit être lu de la gauche vers la droite. L’environnement actif (EA) regroupe des éléments qui influencent le système, comme le climat ou le mode de gestion du système. Ils sont caractérisés par des variables d’état qui définissent les composants du système. Le système lui-même est défini par ses limites et par une combinaison de « n » composants de différents types. Chaque composant est caractérisés par des variables d’état (x; y; z) qui mettent en relation chacun de ces composants avec l’environnement actif, avec les autres composants et avec l’environnement passif (avec des variables de flux ou d’actions). Ce diagramme montre les hypothèses selon lesquelles les éléments de l’environnement actif sont liés aux composants du système (HEA), les hypothèses liant les composants entre eux (HC) et les hypothèses liants les composants du système aux éléments de l’environnement passif (HEP).

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Schéma 11. Un exemple de modèle conceptuel d’un agroécosystème

Source : op. cit.

Par exemple : - HEA1 : le climat agit sur le composant 1 à travers une variable d’action qui modifie la variable d’état X ; - HEA2 : la variable d’état “mode de gestion” détermine le flux du composant 3 qui va changer la variable d’état Z ; - HC1 : le composant 1 agit sur le composant 3 ; son action déclenche une action sur le composant 2 qui influence le composant 3 (action indirecte entre les composants 1 et 2 à travers le composant 3) ; - HC2 : le composant 1 agit directement sur le composant 2 qui en retour agit sur le composant 1 (boucle de rétroaction). Si l’on reprend l’exemple de la plante, l’ensemble du système est un entre-noeud qui produit de la biomasse. - Le composant 1 est le stock d’eau, la variable d’état est la quantité d’eau. - Le composant 2 est le stock de matière sèche et la variable d’état est la quantité de matière sèche. - Le composant 3 est le stock d’azote et la variable d’état est la quantité d'azote.

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Outils d’analyse des filières biomasse-énergie - Les interactions sont que pour avoir la matière sèche on a besoin d’eau et d’azote. - La dynamique est la formation continue d’entre-nœuds pour produire de la biomasse. Enfin, le service peut être la quantité de biomasse qui reste sur la parcelle afin de couvrir le sol – service écosystémique. Les performances se caractérisent par les indicateurs d’efficience – la matière produite sur l’azote prélevé – et l’efficacité – la matière produite sur l’azote disponible. Ce schéma illustre un modèle conceptuel du fonctionnement de la mort d’un cépage de vigne, le Syrah. Schéma 12. Une application de ce modèle conceptuel à l’analyse fonctionnelle du déclin du cépage de vin Syrah

Source : construction de l’auteur.

Le système a quatre composants : les racines grossières, le point de greffage, le vieux bois, et les fruits. Les variables d’état qui caractérisent chacun de ces composants sont en italique. Les éléments de l’environnement actif sont uniquement des facteurs biophysiques – l’évapotranspiration de référence ETo, la pluviométrie et ses effets sur la teneur en eau dans les sols. L’environnement passif est défini par des indicateurs de détérioration de la vigne – le rougissement

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est des feuilles, la mort de la plante. Les flèches grises correspondent aux flux principaux de l’eau en termes quantitatifs ; les flèches noires correspondent aux flux de carbohydrate. Nous allons désormais réaliser à titre d’exercice l’analyse systémique de la filière d’approvisionnement en bois-énergie de la ville de Bamako au Mali (bois de feu et charbon) que nous avons étudiée avec Laurent Gazull. À partir de cet exemple, notre objectif est de construire ensemble un modèle conceptuel. Schéma 13. La filière de Bamako

Source : construction de l’auteur.

Les premiers agents sont les producteurs de bois et les charbonniers. Ils peuvent être regroupés en « groupes professionnels de bûcherons » ou être indépendants avec ou sans permis. Puis, arrivent de la ville de Bamako des transporteurs et des grossistes-collecteurs de bois et de charbon. On note également des consommateurs locaux puisque le milieu rural implique la présence de consommateurs de bois et de charbon. L’agent forestier doit réglementer les ventes et les coupes. Le bois et le charbon sont transportés par la route jusqu’à Bamako ; ils peuvent être contrôlés par des forestiers

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Outils d’analyse des filières biomasse-énergie – permis de coupe, de transport et quantité de bois transportée. Il s’agit d’un composant régulateur de la filière. Enfin, le grossiste peut se rendre sur le marché et vendre à des détaillants. La journée 3 sera consacrée à un jeu de rôle à partir de cette filière.

L’atelier doit effectuer par groupe de travail une modélisation systémique schématique de la filière. La première étape est l’identification des composants du système, de l’arbre à la cuisine. Chaque groupe expose son analyse.

[Laurent Gazull] Nous travaillerons demain sur l’analyse des transitions énergétiques à partir de trois innovations : l’éthanol au Brésil (Sperling, 1987), l’huile de jatropha en Indonésie (Suraya, 2014) et le biogaz en Chine (Zuzhang, 2013 ; Li et al., 2014). Les textes sont distribués à l’atelier afin que les stagiaires puissent sélectionner l’étude de cas pour la session du lendemain.

Journée 2, mardi 11 juillet 2.2.2. L’analyse du changement sociotechnique et de l’innovation [Laurent Gazull] Nous allons procéder en deux étapes : une première intervention portera ce matin sur l’analyse du changement et de l’innovation ; l’après-midi sera consacré à des travaux pratiques à partir des textes distribués hier. La transition énergétique est un changement sociotechnique. Elle suppose une évolution simultanée des technologies de production/transformation de l’énergie et des sociétés qui utilisent l’énergie produite. Cette transition implique donc des changements des modes de consommation. Elle renvoie finalement aux innovations tant technologiques qu’organisationnelles. Qu’est ce qu’une innovation ? Comment naissent-elles et comment se développent-elles ? L’innovation a été définie par l’éconosmiste américain Schumpeter comme une invention qui a trouvé un marché monétaire (Schumpeter, 1934). Depuis, la définition a quelque peu évolué : on parle de quelque chose de nouveau s’intégrant dans un tout organisé, structuré, fonctionnel. L’innovation correspond à la fois à des processus (invention, création, apprentissage, diffusion) et à leur résultat.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Schumpeter distingue cinq processus pouvant donner lieux à de l’innovation : - la fabrication de biens nouveaux ; - un besoin de nouvelles méthodes de production ; - un nouveau marché – un même produit est utilisé dans un autre marché ; - la découverte et l’utilisation de nouvelles matières premières – marché des biens renouvelables ; - les nouvelles façons de travailler – travail à distance. Le domaine des bioénergies rassemble toutes ces catégories d’innovations : nouvelles méthodes de production et de travail, nouvelles matières premières et nouveaux débouchés. On distingue deux grands types d’innovations : - les innovations incrémentales. Elles sont juste une amélioration de l’existant sans bouleverser tout l’environnement – cas du biodiésel. - L’innovation de rupture/radicale – cas du smartphone, de la carte à puce ou encore de capsules de café qui amènent le consommateur à acheter une nouvelle machine et le contraint à des achats dans des magasins spécialisés. Dans le monde des bioénergies, les innovation liées à l’éthanol et aux pellets (granulés de bois) sont plus radicales que le diésel. Premièrement, il est impossible de faire fonctionner une voiture classique avec juste de l’éthanol, un moteur approprié est nécessaire. Au Brésil, le succès de la politique de l’éthanol est lié à la création de chaînes de production d’éthanol mais aussi de voitures adaptées. Deuxièmement, l’éthanol est moins concentré en énergie que l’essence. Cela a amené le Brésil à développer des stations service de pompes à essence équipées d’éthanol dans tout le pays. Les pellets concentrent l’énergie dans un petit élément, facilement transportable. Leur utilisation implique l’abandon de la cheminée ou du foyer ouvert – certains foyers sont alimentés automatiquement comme une cuve au fuel. En amont, la chaîne de production des pellets est une nouveauté pour les forestiers. Enfin, le transport est aisé et la distribution s’effectue à l’échelle de la planète. L’analyse de l’innovation est délicate et non normalisée, il n’y a pas véritablement de méthode normalisée car elle dépend de la définition donnée et du type d’innovation concernée. Schumpeter voit l’innovation par le prisme des innovateurs, des entrepreneurs qui ont la faculté de mettre en relation un marché avec une technologie. Le sociologue et statisticien américain Rogers parle d’innovation comme un phénomène individuel, de décision des consommateurs ; l’innovation est alors le résultat d’une décision et d’une adoption (Rogers, 1962). À partir des années 1970, les sociologues s’emparent du processus : l’innovation est le fait d’un réseau d’acteurs qui échangent de l’information et construisent une forme d’intérêt commun pour le changement – acteurs en interaction et système. Les années 2000 marquent plusieurs tentatives de développement visant à expliquer voire conduire le changement technologique – la théorie des niches d’innovation s’est particulièrement intéressée aux énergies renouvelables.

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Outils d’analyse des filières biomasse-énergie Enfin, depuis une vingtaine d’années, les économistes – courant de l’économie institutionnelle – ont tenté d’incorporer des éléments institutionnels dans l’analyse économique du changement technique et on conceptualise la notion de « système d’innovation ». Il s’agit d’un ensemble d’agents économiques – États, institutions, entreprises, individus, etc. – qui interagissent en réseau afin de développer une structure et des fonctions dont le but est de faire émerger l’innovation. Examinons à présent trois principaux outils d’analyse de l’innovation : - la diffusion des innovations développée par Rogers ; - l’analyse sociotechnique ; comment appréhender l’innovation comme un phénomène sociologique ? ; - l’innovation comme résultat d’un système d’innovation. Les travaux pratiques de cette journée reposent sur ce cadre d’analyse. Rogers a théorisé le phénomène de diffusion, comment naît l’innovation dans une société puis est adoptée par le plus grand nombre ? Il se place du point de vue du consommateur final, de l’utilisateur, qui fait partie d’un réseau de communication. L’utilisateur prend connaissance d’une invention en fonction sa personnalité, de son degré d’ouverture au monde extérieur mais aussi de ses caractéristiques socioéconomiques. L’invention est ensuite évaluée, analysée en fonction de ses différentes caractéristiques : quel est l’avantage relatif d’utilisation par rapport à l’existant ? Est-ce compatible avec mon mode de vie ou d’utilisation ? Est-ce complexe ? Pour Rogers, tout processus d’innovation suit la courbe du graphique (cf. graphique 14). Au début de l’innovation, il y a un ensemble d’individus, « les pionniers », qui acceptent le risque même si le phénomène n’est pas généralisé. Il ne s’agit pas des entrepreneurs de Schumpeter mais de consommateurs qui aiment la nouveauté. Peu nombreux, ils vont montrer aux autres l’intérêt de l’innovation. Les innovateurs sont des individus qui, eux, peuvent réagir rapidement et augmenter le nombre d’adoptants. Le processus amorcé, la majorité précoce ou tardive de la population adopte l’invention. Rogers a théorisé les effectifs dans une population donnée : les pionniers (3 %), les innovateurs (13 %), la majorité précoce et tardive (68 %) et les retardataires. Une deuxième vision de l’innovation a été développée dans les années 1980 par les sociologues français Michel Callon, Bruno Latour et Madeleine Akrich, fondateurs à l’École nationale supérieure des mines de Paris de la chaire de sociologie de l’innovation – théorie de l’acteur-réseau ou sociologie de la traduction (Callon, 1999). L’approche de l’innovation repose sur l’art de l’intéressement. Le processus créé des liens inédits entre les acteurs : humains et objets. L’enrôlement se fait par le biais de porte-paroles dont l’objectif est de tisser des liens entre des communautés d’acteurs. Deux rôles principaux sont avancés : - favoriser la communication, l’échange d’informations entre les acteurs ; - porter l’intérêt du groupe que les acteurs représentent. Un autre rôle est de « mobiliser des alliés », c’est à dire de mettre en actions les différents acteurs dans un intérêt commun. Ce réseau d’acteurs et de technologie est appelé « environnement ».

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Cette théorie avance que l’environnement n’est pas extérieur à l’innovation : la technologie et les acteurs qui l’utilisent créent leur propre environnement. Graphique 14. La diffusion des innovations

Source : Rogers, 1962.

Laurent Gazull illustre ces propos en présentant une publication de Madeleine Akrich relatant l’histoire d’une innovation liée aux bioénergies au Nicaragua – fabrication de briquettes combustibles à partir de tiges de coton afin de remplacer le charbon de bois et le bois de cuisson (Akrich, 1989). L’étude de cas démontre que l’innovation est un processus de co-adaptation de pratique et de technologie et que la rentabilité d’une invention est difficile à calculer – le succès d’une innovation implique sa rentabilité, et ce n’est pas parce qu’une inventation est économiquement viable a priori qu’elle produira de l’innovation. Dans les années 2000, Rip, Kemp et Geels (Rip et Kemp, 1998 ; Geels, 2002) proposent le cadre d’analyse multiniveaux. Cette théorie explique comment l’innovation est introduite dans un « régime

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Outils d’analyse des filières biomasse-énergie sociotechnique » – nos comportements de consommation, associant des règles sociales et une technologie, sont facteurs d’évolution de la société. Schéma 14. Le changement sociotechnique selon la perspective multiniveaux

Source : Geels, 2002.

En parallèle ou à l’intérieur du socio-régime, des inventions se développent dans des niches technologiques – entreprises, centres de recherches, etc – où elles sont testées et développées pour devenir de l’innovation potentielle. L’invention est la nouveauté technologique et devient innovation lorsqu’elle est diffusée. Les niches et le régime sont soumis à un environnement global nommé un « paysage ». Lorsque l’environnement général créé une pression sur le régime sociotechnique s’ouvrent alors des fenêtres d’opportunités : les inventions en stade pré-innovation deviennent des innovations, elles remplacent ou modifient le régime sociotechnique. Typiquement, il s’agit des engagements pris lors de la Conférence de Paris en 2015 (COP21) ou encore des difficultés d’approvisionnement en pétrole pour certains pays qui sont autant de facteurs d’opportunités pour toutes les innovations dans le domaine des énergies renouvelables. Ce schéma a été repris dans de nombreuses publications pour expliquer la transition énergétique ; une principale critique est que les changements de régime sociotechnique et les innovations ne sont possibles que lors d’une déstabilisation à partir de l’environnement extérieur. Le système d’innovation, concept et outil, a été développé dans la décennie 2000 par des économistes qui ne se satisfaisaient pas de la théorie de Rogers, et encore moins de celle de Schumpeter.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Schéma 15. La décomposition d’un système d’innovation et son cadre d’analyse

Source : Bergek et al., 2008.

Il s’agit d’introduire des éléments institutionnels dans l’analyse économique du changement. L’innovation est un processus collectif issu d’un réseau d’acteurs, de sous-réseaux, de marchés et d’institutions inter-connectées. Comme tout système, le système d’innovation a une structure et un fonctionnement dont l’objectif principal est de permettre le processus d’innovation, de le développer et le diffuser. La structure de ce système est classique – des acteurs forment des réseaux et des institutions – mais les fonctionnalités du système sont posées. - (1) Développement de connaissances et circulation de l’information entre les acteurs, les institutions et les différents réseaux – en particulier depuis les institutions de recherche vers les utilisateurs ou des réseaux d’entrepreneurs. - (2) Les mécanismes financiers favorisent avant tout la formation du marché – à partir de subventions, de taxes, etc. - (3) Rendre l’innovation légitime au sein de la société. - (4) Mobilisation de ressources financières – un des rôles du système d’innovation est de faire circuler des capitaux, des ressources d’information, de matière, etc, afin que toutes les ressources soient facilement mobilisables.

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Outils d’analyse des filières biomasse-énergie - (5) Agir sur la direction de la recherche – lobbying auprès des institutions de recherches et des États pour orienter les recherches vers des produits spécifiques. - (6) Favoriser l’expérimentation en entreprise. - (7) Externalité économique. L’invention en elle-même et son marché ne suffissent pas, il faut des retombées externes sur d’autres secteurs ou d’autres marchés – externalités financières ou environnementales. Dans un premier temps, l’analyse porte sur la structure du système d’information c’est à dire l’identification des acteurs, des institutions, des réseaux, etc., qui s’intéressent ou qui travaillent autour d’une innovation. Puis se pose des questions autour des fonctions : toutes les fonctions sont-elles satisfaites ? Quels sont les porteurs du développement de la connaissance, de la mobilisation des ressources ? Enfin, il faut identifier les mécanismes de blocages ou/et d’incitation sur les différentes fonctions. Ce schéma représente les sept fonctions encadrées par les facteurs qui les favorisent ou les bloquent. Schéma 16. Liens entre le mécanisme d’incitation / blocage et les fonctions dans le cas des énergies renouvelables en Suède

Source : Johnson et Jacobsson, 2000.

Les fonctions de développement de la connaissance sont appuyées par des programmes gouvernementaux de recherche et développement mais ils peuvent être bloqués par des réseaux de recherche trop peu développés. Des efforts sont réalisés pour la formation du marché : les subventions, les mesures sur les prix, la création d’acheteurs publics et une conscience générale

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est pour l’environnement sont autant de facteurs favorables. On note un certain nombre de facteurs de blocages : absence de vision à long terme du gouvernement ou/et de compétence de la part des consommateurs, caractéristiques des nouvelles technologies comme frein à la formation de marché. Le schéma met également en avant le manque d’actions vers une une légitimité des solutions, pour créer de l’expérimentation entrepreneuriale, développer des externalités positives. Ce schéma est intéressant car il offre une grille de lecture d’une innovation ou d’un processus en cours d’innovation.

À titre d’exemple, Laurent Gazull retrace l’histoire de panneaux photovoltaïques développés en Alllemagne (Bergek et al., 2008). L’après-midi est consacrée à des travaux pratiques à partir des textes distribués la veille décrivant l’évolution d’une innovation dans le monde des bioénergies (jatropha en Indonésie, éthanol au Brésil et biogaz en Chine) ; l’analyse des innovations doit suivre la grille de lecture exposée (cf. les sept fonctionnalités d’un système d’innovation). Les groupes de travail se focalisent sur les points de blocages et de facilitation puis proposent des stratégies en interaction avec l’ensemble des stagiaires et les formateurs.

Journée 3, mercredi 12 juillet La matinée est consacrée au jeu de rôle Djolibois élaboré par le CIRAD au Mali puis mis en œuvre pour sensibiliser les acteurs de l’approvisionnement en bois-énergie de la ville de Bamako au manque de coordination et d’information au sein de la filière (cf. Journée 1). Le jeu est conçu et utilisé comme (i) un outil de recherche et de diagnostic pour identifier les stratégies des acteurs de la filière, (ii) un outil d’aide à la décision permettant de simuler diverses solutions de gestion et (iii) un outil d’information auprès des acteurs de la filière, des (nouvelles) règles de gestion édictées par l’administration.

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Outils d’analyse des filières biomasse-énergie

Journée 4, jeudi 13 juillet 2.2.3. Prospective(s) : démarche, méthodes, outils [Hélène Dessard] Nous allons aborder quelques aspects de la prospective – « foresight » en anglais – et de ses méthodes. Cette démarche s’appuie à la fois sur l’analyse systémique examinée avec Denis Gautier et celle des systèmes d’innovation présenté par Laurent Gazull. Elle permet d’explorer la transition de systèmes complexes sur un temps long. Parmi les nombreuses définitions de la prospective, nous en retiendrons deux : (i) la prospective est une méthode d’investigation du futur par l’analyse des mécanismes de fonctionnement d’une société et des processus d’évolution qui sont inhérents à ces mécanismes ; (ii) il s’agit d’une anticipation (préactive et proactive) pour éclairer l’action présente à la lumière des futurs possibles et souhaitables. Schéma 17. Concepts de base de la démarche prospective. L’exemple du Millenium Ecosytem Assessment

Source : MEA, 2005.

Prenons l’exemple de l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire – Millenium Ecosystems Assessment (MEA) – par application de la méthode des scénarios (MEA, 2005).

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Quatre scénarios plausibles explorent le futur des écosystèmes et l’impact de leur évolution sur le bien-être humain pour les 50 années à venir et au-delà. Ces scénarios ont été construits à partir de la formulation d’hypothèses sur les forces, et leurs interactions, qui sous tendent les changements des écosystèmes. Elles sont résumées par deux grands axes structurants, l’un correspondant à un gradient de globalisation/régionalisation. L’autre axe positionne deux approches différentes de la gestion des écosystèmes : les problèmes sont avérés et, en conséquence, des mesures sont prises de façon réactive ; la gestion des écosystèmes est proactive et vise délibérément la préservation à long terme des services fournis par les écosystèmes. Le scénario Global Orchestration (GO) est caractérisé par un niveau élevé de mondialisation, une croissance économique rapide, mais aussi des politiques d’investissement dans les biens publics ; cependant l’approche reste seulement réactive aux principaux problèmes environnementaux. À l’opposé, le scénario Adapting Mosaic (AM) est basé sur un niveau moindre d’intégration des économies internationales et de croissance du produit intérieur brut (PIB) ; le développement local est privilégié par rapport aux échanges internationaux. L’attitude est proactive vis-à-vis des problèmes environnementaux grâce à des institutions locales renforcées. Le scénario Techno Garden (TG) propose une vision d’un monde très intégré internationalement, à forte croissance économique, soutenue par le développement global de technologies environnementales de pointe et d’ingénierie écologique. Enfin, le scénario Order by Strength (OS) définit un monde préoccupé avant tout par les problèmes de sécurité, refermé sur des marchés régionaux et une gestion réactive des écosystèmes – par création d’aires protégées par exemple. Ces scénarios constituent quatre récits exploratoires plausibles contenant des éléments de réflexions pour permettre aux décideurs publics et privés de construire un plan d’action de gestion des écosystèmes dans un contexte d’incertitudes. Il s’agissait surtout de faire prendre conscience aux décideurs de l’importance de la biodiversité pour le développement économique et le bienêtre humain et éviter des irréversibilités en provoquant un changement d’attitude : de la réactivité à la proactivité. On doit à Özbekhan, la méthode des scénarios, beaucoup développée en France dans les années 1970-1980 pour réfléchir l’aménagement du territoire, et les concepts de préactivité – se préparer aux changements prévisibles – et de proactivité – agir pour provoquer les changements souhaités (Shearer, 2005). L’attitude prospective vise à maîtriser le changement attendu (être préactif) et à provoquer le changement souhaité (proactif). Les méthodes de la prospective ne se limitent pas aux scénarios, bien que ceux-ci soient les plus employés aujourd’hui – on consultera Popper (2008) pour une revue. En résumé, les études prospectives visent différents objectifs : analyser de façon approfondie la réalité que l’on entend faire évoluer ; identifier des enjeux ; élaborer une vision partagée (émergence de consensus) ; réagir aux changements avant qu’ils n’imposent leur logique ; anticiper les changements en étant « proactif » ; élaborer collectivement les discours du futur (apprentissage social) ; orienter les politiques publiques et les processus de planification (outil d’aide à la décision). Une première distinction, fondamentale, oppose la prospective exploratoire et la prospective normative.

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Outils d’analyse des filières biomasse-énergie Tableau 2. Types de prospectives

Source : Les cahiers du développement durable en Île-de-France, 2013.

Dans le premier cas, on part du présent pour explorer des hypothèses de changements à long terme et leurs conséquences. Dans le second, il s’agit au contraire de construire des visions contrastées du futur et d’en calculer les conditions de réalisation. À l’intérieur de ces deux grandes catégories, des distinctions plus fines conduisent à opposer : - au sein de la prospective exploratoire, une prospective des « tendances lourdes » (proche de la prévision) et de « ruptures » ou « signaux faibles » ; - au sein de la prospective normative, une prospective centrée sur la « construction de visions contrastées du futur » et une prospective stratégique, où il s’agit de définir les conditions et possibilités de réalisation d’un objectif (ou scénario) considéré comme souhaitable a priori (démarche « backcasting »). La méthode des scénarios cherche à mettre en évidence d’une part les tendances lourdes et d’autre part les facteurs de changement qui permettent de repérer des transformations possibles vers des états nouveaux. Le plus souvent, les travaux de prospective fondés sur la méthode des scénarios déterminent un scénario tendanciel qui traduit les transformations du système en l’absence de toute intervention déterminante des acteurs, et un ou plusieurs scénarios contrastés qui reposent sur quelques hypothèses d’actions, de transformation des comportements ou de changements importants dans l’environnement politique et économique.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est On ne détaillera que la méthode des scénarios sachant que différents outils peuvent également être mobilisés pour les construire (Godet, 2007). Schéma 18. La construction de scénarios

Source : construction de l’auteur.

La méthode des scénarios est la plus usitée, notamment face à un niveau d’incertitude élevé et une contrôlabilité faible. Un scénario est un récit cohérent qui décrit une situation future, une anticipation pour un sujet spécifique. Cette approche permet de mobiliser un ensemble d’acteurs, d’identifier des enjeux et des incertitudes, de les rendre appréhendables et de déterminer des étapes de planification stratégique. Deux types de démarches sont considérées : exploratoire – que se passerait-il s’il y avait tel événement ? – ou normative – il s’agit alors de répondre à la question « comment » ? Les scénarios répondent à cinq différentes étapes de construction. - Établissement d’un diagnostic du système étudié : sujet et horizon temporel de l’étude ; attendus précis, pertinence de la démarche ; institutions et personnes impliquées et rôles ; calendrier du projet, moyens. - Représentation dynamique de système complexe : définition des variables (facteurs et acteurs) ; regroupement des variables en composantes (sous-systèmes). - Construction d’un référentiel, d’une base prospective. On distingue les variables internes au système des variables externes qui font évoluer ce système. Pour chacune de ces variables, on définit des tendances à partir du passé pour comprendre leur évolution naturelle, sans

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Outils d’analyse des filières biomasse-énergie intervention d’aucun acteur par exemple. De nouveaux faits sont examinés même s’ils ne sont pas visibles pour ces variables. On peut imaginer des ruptures, des changements de directions. Les incertitudes qui pèsent sur les variables sont définies. L’analyse est centrée sur les objectifs et intérêts des acteurs ainsi que sur les relations de pouvoir nouées entre eux. - Construction de scénarios. Parmi les différentes méthodes envisageables, l’analyse morphologique par exemple consiste à émettre des combinaisons d’hypothèses sur chacune des variables. - Comparaison des scénarios, incluant éventuellement une évaluation chiffrée. Tableau 3. Etapes de construction de scénarios Scénarios

Exploratoire (Forecasting)

Normatif (Backcasting)

Démarche

Futurs possibles Point de départ : présent

Futurs souhaités Comment l’atteindre (théorie du changement) Point de départ : futur

Objectif

Exploratoire, connaissance, apprentissage

But, fonction cible développement d’une stratégie

Implémentation

Étude des opportunités et incertitudes, actions possibles et test de processus de décisions

Identification de buts intermédiaires et de chemins possibles (backcasting)

Question centrale

Que se passe t-il ? Que se passerait-il si ?

Comment ?

Probabiliser

Éventuellement

Indirectement pour évaluer une planification

Source : Godet, 2007.

Les deux outils essentiels de construction sont l’approche matricielle et l’analyse morphologique (Godet, op. cit.) : cette dernière, très utilisée, consiste à combiner les variables des différentes composantes du système étudié en y ordonnant les incertitudes majeures, en tenant compte des compatibilités entre hypothèses émises sur les variables et justifiant les conjonctions ainsi réalisées. Une étude commanditée par le ministère de l’Agriculture français en 2010 a ainsi utilisée cet outil pour explorer le devenir de l’agricuture face à la transition énergétique.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Tableau 4. Scénarios : liens entre l’agriculture et l’énergie en France Scénario 1 Territorialisation et sobriété face à la crise

Scénario 2 Agriculture duale et réalisme énergétique

Scénario 3 Agriculture-santé sans contrainte énergétique forte

Scénario 4 Agriculture écologique et maîtrise de l’énergie

Contexte global

Crise énergétique et climatique Repli des échanges Prix du pétrole durablement élevé

Croissance conventionnelle et régulation par le marché Forte volatilité et hausse tendancielle du prix du baril

Stratégies défensives, spécialisations compétitives Stabilisation du prix du pétrole

Coopération international accrue Prix du carbone élevé

Transport et organisation des filières

Relocalisation à l’échelle régionale Rééquilibrage des bassins de production

Spécialisation des territoires et accroissement des disparités Augmentation des flux

Croissance de l’innovation dans les transports Très fort poids de l’aval sur les filières

Recentrage sur l’Europe et report modal Modernisation écologique des filières

Politiques publiques

Forte montée en puissance des régions Mosaïque de politiques énergétiques, agricoles et environnementales

Repli de l’action publique Forte baisse des aides agricoles mais rémunération des services environnementaux

Métropolisation et efforts modérés en matière d’énergie et de climat Politique ambitieuse d’alimentation santé

Priorité environnementale forte Politique publique intégrée et ambitieuse

Agriculteurs et société

Diversification et multifonctionnalité Attachement au territoire, développement local

Désinstitutionalisation du secteur agricole Dualisation

Focalisation sur les enjeux nutritionsanté Restructuration et productivité

Consensus environnemental fort Mobilisation des agriculteurs, des consommateurs et des pouvoirs publics

Source : Prospective Agriculture Énergie 2030, 2010.

Cette étude repose sur une démarche de prospective exploratoire dont l’objectif était de comprendre l’évolution des exploitations françaises face au défi de la transition énergétique. L’intérêt pour cette question était motivé par la place majeure des énergies fossiles dans le dispositif de rentabilité des exploitations agricoles françaises. Les itinéraires techniques de ces exploitations agricoles induisent un stockage de carbone et il était intéressant de dresser un bilan énergétique dans le cadre du changement climatique. La question était aussi de se demander comment diminuer la consommation d’énergie fossile et rendre cette agriculture productrice en bioénergie. La principale originalité était d’identifier des consommations d’énergie directe – fuel, gaz, électricité – et indirecte – transport, fabrication des intrants.

164

Outils d’analyse des filières biomasse-énergie Chaque scénario est nommé et représente une évolution possible du système agricole français face à la crise énergétique à venir et au changement climatique. La première composante correspond au « contexte global » c’est à dire l’environnement mondialisé dans lequel s’insère l’agriculture française – il s’agit souvent de variables sur lesquelles les acteurs du système considéré ont peu de prise. Les trois autres composantes décrivent le contexte d’intervention du système sur lequel on peut agir. Ainsi ces scénarios permettent de juger des marges de manœuvre pour obtenir de meilleurs bilans énergétiques et identifier quels leviers l’action publique pourrait mobiliser.

[Laurent Gazull] L’agriculture française est face à de fortes incertitudes, qu’il s’agisse du modèle agricole intensif ou par rapport au financement européen. Elle doit répondre à de nouvelles demandes énergétiques, organiques ou de santé publique. Compte tenu de ces demandes et des tendances d’évolution, quatre scénarios plausibles pour l’agriculture française ont été dressés à l’horizon 2030. Il s’agit de s’interroger sur les évolutions possibles ; chaque scénario suit une logique et une cohérence afin de tenter de répondre aux enjeux actuels. À partir de scénarios, il est possible de définir des politiques publiques ou de réaliser des études économiques et techniques pour évaluer le coût de passage financier, social ou environnemental. Cet exercice de construction de logique en fonction de différentes composantes sera au cœur des travaux de groupe de la matinée de demain.

Journée 5, vendredi 14 juillet L’atelier doit imaginer le futur énergétique de villages selon deux études de cas.

Tableau 5. Construction de scénarios exploratoires Territoire

Type Madagascar

Type Vietnam

Situation de départ Une ville AVEC électricité

Villages SANS électricité

Villages AVEC électricité

- Décrire le système territorial - Référentiel prospectif - Variables clés - Hypothèses à combiner - Scénarios (au moins 2) Source : construction des formateurs.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Le premier système est composé d’une ville centrale qui est alimentée en électricité à partir d’une centrale à charbon ou à fioul. Autour de la ville, les villages ne sont pas reliés au réseau électrique et dépendent avant tout du bois énergie. Les villageois cuisinent avec du charbon de bois ou des résidus agricoles. Dans certains villages, on note la présence de panneaux solaires. Dans ce monde rural, de petites entreprises produisent leur propre électricité à partir d’un groupe électrogène. Les ressources naturelles du territoire sont l’eau, le soleil, le bois, l’agriculture et l’élevage. La situation est typique à nombre de pays en développement. Dans le second système, la ville centrale est également alimentée par une centrale à charbon ou à fioul. En revanche, un réseau électrique alimente les villages environnants. Les activités agricoles sont comparables et de petites industries agroalimentaires sont reliées au réseau. En revanche, la cuisine est toujours alimentée par le bois ou le charbon de bois. Cette situation est typique de pays émergent ou en développement.

L’après-midi est consacrée à l’élaboration de la présentation des travaux synthétiques de la semaine qui sera exposée en scéance plénière en Journée 6.

Bibliographie Akrich, M. (1989), « La construction d’un système sociotechnique : esquisse pour une anthropologie des techniques ». Anthropologie et sociétés, Québec : département d’Anthropologie, Faculté des sciences sociales, Université Laval. Akrich, M, M. Callon et B. Latour (dir) (2006), Sociologie de la traduction : textes fondateurs, Paris, Mines ParisTech, les Presses, « Sciences sociales », Textes rassemblés par le Centre de sociologie de l’innovation, laboratoire de sociologie de Mines ParisTech. Bergek, A., S. Jacobsson, B. Carlsson, S. Lindmark, et A. Rickne (2008), "Analyzing the Functional Dynamics of Technological Innovation Systems: A Scheme of Analysis", Research Policy, 37, pp. 407-429. Bergek, A., M. Hekkert, et S. Jacobsson (2008), "Functions in Innovation Systems: A Framework for Analysing Energy System Dynamics and Identifying Goals for System-Building Activities by Entrepreneurs and Policy Makers". Innovation for a Low Carbon Economy: Economic, Institutional and Management Approaches, 79. Callon, M. (1999), "Actor-network theory: the market test". In: Law, J. et J. Hassard, Actor Network Theory and After. Blackwell Publishers, Oxford, pp. 181-195.

166

Outils d’analyse des filières biomasse-énergie Geels, F. W. (2002), "Technological Transitions as Evolutionary Reconfiguration Processes: a MultiLevel Perspective and a Case-Study", Research Policy, 31(8-9), pp. 1257-1274. https://doi.org/10.1016/ S0048-7333(02)00062-8. Godet, M. (2007), Manuel de prospective stratégique, Une indiscipline intellectuelle, tome 1-3, édition Dunod. Johnson, A., et S. Jacobsson (2000), "Inducement and Blocking Mechanisms in the Development of a New Industry: the Case of Renewable Energy Technology in Sweden", In R. Coombs, K. Green, A. Richards, & V. Walsh (dir), Technology and the Market, Demand, Users and Innovation. Cheltenham: Edward Elgar Publishing Ltd. Meadows, D, D. Meadows, J. Randers et W. W. Behrens (1972), "The Limits to Growth", Universe Books. (ISBN 978-0-4510-9835-1) Lamanda, N., S. Roux, S. Delmotte, A. Merot, B. Rapidel, M. Adam et J. Wery, J. (2012), "A Protocol for the Conceptualisation of an Agro-Ecosystem to Guide Data Acquisition and Analysis and Expert Knowledge Integration", European Journal of Agronomy, 38. Les cahiers du développement durable en Île-de-France (2013), La prospective appliquée aux projets territoriaux de développement durable, n°10. Li, J., B. Bluemling, A. P. J. Mol et T. Herzfeld (2014), "Stagnating Jatropha Biofuel Development in Southwest China: An Institutional Approach", Sustainability, 6, pp. 3192-3212. Millennium Ecosystem Assessment (MEA) (2005), Scenarios, Washington D.C., Island Pres. Popper, R. (2008), "Foresight Methodology", The Handbook of Technology Foresight, pp. 44-88. Prospective Agriculture Énergie 2030 (2010), L’agriculture face aux défis énergétiques – Centre d’études et de prospective. Rogers, E. M. (1962), Diffusion of Innovations, New York: Free Press of Glencoe. Rip, A., et R. Kemp (1998), Technological Change. In S. Rayner et E. L. Malone (Eds.), Human Choice and Climate Change, vol. 2, Columbus, OH: Battelle Press. Schumpeter, J. A. (1934), “The Nature and Necessity of a Price System”, in Harris, Seymour E., Bernstein, Edward M., Economic Reconstruction, New York, London: McGraw-Hill Shearer, A. W. (2005), “Approaching Scenario-Based Studies: Three Perceptions about the Future and Considerations for Landscape Planning.” Environment and planning B: Planning and Design 32.1: pp. 67-87. Siegmeier, T, B. Blumenstein et D. Möller (2015), "Farm Biogas Production in Organic Agriculture: System Implications", Agricultural Systems, Volume 139, octobre. Sperling, D. (1987), Brazil, Ethanol and the Process of System Change, Energy, Vol. 12, N°1, Great Britain. Suraya, A. A. (2014), "Engineering the Jatropha Hype in Indonesia", Sustainability, 6, pp. 1686-1704.

167

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Zuzhang, X (2013), Domestic Biogas in a Changing China: Can Biogas Still Meet the Energy Needs of China’s Rural Households? International Institute for Environment and Development, London.

168

Outils d’analyse des filières biomasse-énergie

Liste des stagiaires Nom

Rattachement

Domaine/ discipline

Thème de Recherche

Courriel

Chafiaa Djouadi (auditeur libre)

Expert Arab Bank of the African Development (BADEA) Technical advisor for the Finance Ministry Cabinet du ministre/ Cellule de suivi et évaluation des projets Kinshasa, République démocratique du Congo

Développement durable

Modèles de développement dans les pays pauvres

chafiaa.djouadi@ gmail.com

Rakotoarisoa Fanomezana Herijaniaina

Planète-Urgence Madagascar

Agronomie, foresterie

-

[email protected]

Hoàng Anh Vũ

Université de Quảng Bình

Sciences de l'environnement

Changement climatique, bioénergie

vuhoang304@ gmail.com

Hứa Minh Trọng

Département des ressources naturelles et de l’environnement

Environnement

Ressources en eau, changement climatique

minhtrongbl@ gmail.com

Randriamanan­ tena Lovasoa

Responsable suiviévaluation/coordinateur Adjoint du projet ARINA

Filière bois-énergie

Filière bois-énergie

lovasoa.rl@gmail. com

Nguyen Binh Duong

École supérieure du commerce exterieur

Économie

Économie régionale

nguyenbinhduong.ftu@gmail. com

Nguyen Thu Huyen

Université des ressources naturelles et de l’environnement

Technologies de traitement des déchets solides

-

huyen.mt.gtvt@ gmail.com

Nguyen Duy Tam

Université d’économie de Hồ Chí Minh Ville

Économie, société et humanité

Croissance verte et développement durable

nguyenduytam@ ueh.edu.vn

Nguyễn Hoàng Mỹ Phương

Chercheur indépendant

Économie, agriculture, anthropologie économique

Commodity Markets and Risk Socialization: A Case Study of Southern Vietnamese Marketplaces

menfuong@gmail. com

Nguyễn Ngọc Ánh

Université des ressources naturelles et de l’environnement de Hà Nội

Environnement, changement climatique, énergie

Solutions énergétiques et changement climatique

ngocanh40amt@ gmail.com

Université de Cần Thơ

Utilisation de l’énergie renouvelable

Énergie renouvelable et développement durable, commune de Thach Thoi, district Vĩnh Thạnh, Cần Thơ

[email protected]

Nguyễn Thị Hà Mi

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Nom

Rattachement

Domaine/ discipline

Thème de Recherche

Courriel

Nguyễn Thị Huế

Centre de recherche urbain

Gestion des ressources naturelles et de l'environnement

Développement urbain durable

nguyenhue1684@ gmail.com

Nguyễn Thị Lan Anh

Université de Thái Nguyên

Économie du développement, management

Développement économique des ménages dans les régions défavorisées

ctminhanh@gmail. com

Nguyễn Thị Thân

International Center for Tropical Agriculture (CIAT)

Télédétection et systèmes d’information géographiques

Modèle prédictif d'occupation des sols, évaluation de la vulnérabilité au changement climatique

nguyenthan. [email protected]

Nguyễn Thị Yến

Université d’agriculture et de sylviculture de Thái Nguyên

Économie du développement

Développement de l’agriculture rurale et pauvreté

Nguyenyen­ [email protected]

Phạm Thị Ngọc Sượng

Open University Hồ Chí Minh Ville

Économie agricole et développement rural

Économie agricole

suong.ptn@ ou.edu.vn

Ching Sreytouch

École royale de notariat du Cambodge

Droit immobilier et droit de la famille

Financement immobilier

chingsreytouch@ yahoo.com

Thái Thành Dư

Université de Cần Thơ

Développement énergétique durable

Production de biogaz commune de Ngã Bảy, Hậu Giang

dum3315002@ gstudent.ctu. edu.vn

Truong An Ha

Université des sciences et de la technologie de Hà Nội

Énergie Renouvelable

Bioénergie

truonganha87@ gmail.com

Võ Hữu Hòa

Université Duy Tân, Đà Nẵng

Géographie rurale

Développement agricole

vohoadl@gmail. com

Võ Thị Diệu Thảo

Université Okayama, Huế

Pédologie

Nutrition des sols pour le développement des plantes médicinales en milieu d’érosion

hoahuongduong172@gmail. com

Võ Thị Ngọc Tú

Centre de recherche sur des technologies et l’environnement Hải Âu, Hồ ChíMinh Ville

Technologie environnementale

Bioénergie

ngoctuvo.dhnn@ gmail.com

2.3.  Formation aux enquêtes de terrain. Programmes biogaz dans deux communes rurales du district rural de Hoà Vang, province de Đà Nẵng Pierre-Yves Le Meur – IRD, Emmanuel Pannier – CNRS, Olivier Tessier – ÉFEO

(Retranscription) Journée 1, lundi 11 juillet [Olivier Tessier] Cette première matinée sera consacrée à une présentation théorique, plutôt méthodologique, sur les enquêtes de terrain ; puis, dans l’après-midi, nous travaillerons par sous-groupe afin de préparer une grille d’entretien qui nous guidera pour le démarrage de notre enquête de terrain  Présentation des formateurs et des stagiaires (cf. liste des stagiaires en fin de chapitre et biographies)

171

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

2.3.1. Le cycle de recherche : les étapes d’une étude qualitative fondée sur des enquêtes de terrain [Emmanuel Pannier] Je vais commencer par présenter le cycle de recherche qui correspond aux différentes étapes et opérations à effectuer pour mener une étude qualitative fondée sur les enquêtes de terrain. Mon intervention porte sur des aspects spécifiques aux enquêtes qualitatives en socioanthropologie, mais la démarche s’applique de façon générale aux recherches en sciences sociales. Je vous renvoie également au texte de lecture de Jean-Pierre Olivier de Sardan « La politique de terrain » (2008) préalablement transmis. Nous tenterons d’aborder ensemble tout au long de la semaine les différentes étapes d’une recherche. - Définir le thème de recherche, élaborer une problématique et réfléchir au sujet précis sur lequel l’enquête portera. - Élaborer l’objet de recherche. - Définir le protocole de recherche ; quelle méthode suivre afin de mener la recherche et répondre aux questions posées ? - La production de données – à savoir le moment des enquêtes de terrain. - Le traitement et l’interprétation des données. - La restitution des résultats, sous forme d’écriture d’un texte scientifique ou d’un exposé. Cette présentation est chronologique mais dans la pratique, les étapes s’enchevêtrent. L’objet de recherche évolue constamment au fil des interactions entre ces différentes opérations et des allers-retours entre bureau et terrain, entre observations et interprétations, entre hypothèses et données empiriques. Concrètement, des réunions par groupe se tiendront en soirée, au retour du terrain, afin d’échanger sur les données récoltées dans les villages et d’initier cette dynamiques de construction progressive de l’objet de recherche. Précisons d’emblée quelques termes afin d’établir un socle commun de discussion.

Approche L’approche est une manière spécifique d’appréhender la réalité observée. Il s’agit d’un choix subjectif dont il faut avoir conscience. Comme si l’on plaçait des « lunettes » – un filtre – devant nos yeux : on ne peut appréhender une réalité directement, sans une perspective particulière, mais on peut choisir et changer la perspective adoptée.

172

Formation aux enquêtes de terrain

Méthode La méthode est un ensemble d’opérations, de cheminements effectués et de moyens mobilisés pour mener une recherche. La méthode concerne autant la production des données que leur traitement – on parle par exemple de méthode inductive, déductive, quantitative, qualitative, etc.

Outils méthodologiques Les outils méthodologiques sont des techniques particulières utilisées pour produire des données ; il ne s’agit donc pas d’une stratégie globale adoptée pendant la recherche. Les entretiens et observations, par exemple, n’appartiennent pas au domaine de la méthode, ce sont des outils méthodologiques mis en œuvre dans une démarche plus générale (méthode). En résumé, on distingue l’entretien, l’observation et les questionnaires comme des outils de production de données et la méthode comme un ensemble d’outils mobilisés, assemblés et combinés pour mener la recherche.

Problématique et objet de recherche Objet de recherche et problématique dialoguent tout au long de la recherche. Je vais donner quelques conseils pour commencer à construire une problématique puis décrire plus en détail en quoi consiste l’objet de recherche. Dans un premier temps, la problématique se construit à partir d’un thème de recherche ou d’une question générale – par exemple : comment se manifeste la transition énergétique au Việt Nam ? Quels en sont les enjeux, les ressorts, les objectifs et les finalités ? Puis, cette question initiale se décline en un ensemble de questions portant sur ce sujet mais liées à un contexte scientifique (théories et recherches passées sur ce sujet), culturel (la société au sein duquel on aborde ce sujet) et empirique (les lieux et les personnes concernées par le sujet). Enfin, une première problématique s’élabore à travers la mise en relation de la question de départ avec les contextes scientifiques, culturels et empiriques au sein desquels elle s’insère. La problématique peut être construite à partir de deux questions : que sait-on ?, que ne sait-on pas ? « Ce que l’on sait » consiste à réunir des informations sur le thème de la recherche en fonction de la question de départ. À ce niveau, deux sources d’informations principales peuvent être identifiées : concernant le contexte général et les recherches passées portant sur un sujet similaire. Le contexte peut être appréhendé à trois niveaux différents. - Le contexte général : environnements social, politique, économique et culturel dans lequel s’insère le sujet. Si le thème général est la transition énergétique au Việt Nam, on déterminera dans quel contexte plus large (le changement climatique par exemple) s’insère ce sujet. - Le contexte théorique ou scientifique renvoie aux différentes recherches, menées précédemment sur un thème comparable au vôtre, ainsi qu’aux écoles de pensée et approches méthodologiques mobilisées.

173

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est - Le contexte empirique c’est-à-dire le terrain sur lequel porte l’étude : lieux concrets, populations, environnement naturel, temporalité. Il est important de situer sa recherche par rapport à ce qui a déjà été produit et théorisé afin de ne pas perdre trop de temps à « découvrir » ce qui a déjà été mis en évidence. Cette opération permet également d’identifier les cadres théoriques – ou conceptuels – que l’on veut mobiliser pour observer la réalité ainsi que ceux que l’on souhaite critiquer. Encadré 1

Formulation d’une problématique -

Le thème général et les contextes (social, politique, économique, culturel, etc.) dans lequel le sujet s’inscrit.

-

Le questionnement général : une interrogation sur un objet donné dans un contexte particulier.

-

Comment en est-on venu à choisir ce sujet ?

-

Cadres temporel et spatial.

-

Autres recherches liées au sujet, théories et concepts relatifs au thème. Toute théorie repose sur un assemblage cohérent de concepts propres au domaine.

-

La question. Il s’agit d’une concrétisation du problème sous forme de questions claires et précises. Un problème de recherche peut donner lieu à de multiples questions de recherche ; une recherche bien construite n’aborde directement qu’une seule question à la fois.

-

Les hypothèses – les réponses présumées (et à tester empiriquement) aux questions posées.

Sources : construction de l’auteur ; Tremblay et Perrier (2006).

L’objet de recherche est une construction propre au chercheur. Je vous renvoie à l’ouvrage de Luckmann et Berger (1966) : la réalité n’existe pas en soi, c’est une construction sociale et intellectuelle. L’objet d’étude ne constitue pas la problématique, mais ce sur quoi cette dernière porte. L’objet de recherche se définit par les phénomènes sociaux concrets et circonscrits dans l’espace et le temps sur lesquels la réflexion va être menée et sur lesquels on va produire des données pour fournir des éléments de réponses. La problématique vise quant à elle à interroger cet objet en lien avec des contextes (scientifique, historique et empirique) plus larges. Pour préciser et sérier un objet de recherche dans le temps et dans l’espace, il est nécessaire de réaliser une phase de pré-terrain. L’objectif est d’évaluer, d’une part, la faisabilité du sujet que l’on souhaite aborder (contraintes de temps, d’accès au terrain, etc.) et, d’autre part, sa pertinence en fonction de la réalité empirique observée sur le terrain. À ce stade, il est essentiel d’adopter une attitude ouverte afin de ne pas s’enfermer dès le départ du cycle de recherche, dans un carcan idéologique et méthodologique. Autrement dit, il faut être capable à l’issue de cette phase de découverte du terrain de remettre en cause les hypothèses initiales, voire même de changer de

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Formation aux enquêtes de terrain sujet de la recherche. La pratique montre qu’à l’issue du pré-terrain, certaines hypothèses élaborées sur la base de la littérature scientifique ne s’avèrent pas pertinentes ou utiles pour comprendre le sujet de recherche, alors que de nouvelles interrogations émergent de ce premier contact avec le terrain. Il n’y a pas de règles précises pour évaluer la pertinence de telle ou telle question, cela dépend du « savoir-faire » du chercheur et de la rigueur avec laquelle a été élaborée la problématique et menée la phase de pré-enquête. La pertinence scientifique de l’objet de recherche est cependant en lien avec certaines exigences de la pratique socioanthropologique : - contextualiser les groupes sociaux et les pratiques sociales : donner à un fait social, à un comportement social sa place dans son époque et dans le cadre social dans lequel il est saisi et étudié. La démarche consiste ainsi à interpréter les pratiques individuelles en les rapportant à leurs conditions sociales et historiques de possibilité et de déroulement ; - le travail de construction de l’objet renvoie à l’identification et à la prise en compte des catégories de pensée. Il faut prévenir de toutes dérives ethnocentristes en gardant à l’esprit que les catégories de pensée du groupe étudié (emic) sont potentiellement différentes des nôtres (etic). Il s’agit aussi à ce stade d’évaluer la faisabilité concrète de l’étude. Cette évaluation est fonction de contraintes majeures qui pèsent sur le processus de recherche, par exemple le temps disponible, les moyens financiers, le nombre d’enquêteurs, les conditions d’accès au terrain et aux sources. Examinons ces deux derniers points. La définition de l’objet implique un inventaire prospectif des sources disponibles. Tout travail de recherche et d’élaboration scientifique est fondé sur l’exploitation de matériaux bruts, de données primaires ou secondaires, de sources écrites ou orales. Par nature, les sources et terrains qui peuvent être utilisés sont extrêmement variées en fonction du champ disciplinaire en général et du sujet de recherche en particulier. Deux types de sources peuvent être différenciées. - Pour les sources préexistantes (généralement des sources écrites ou fixées – films, photographies, enregistrements audiovisuels), il convient de se poser la question de leur disponibilité, de leur accessibilité, de leur volume. Par exemple, le fonds des archives villageoises produites pendant la période coloniale au Việt Nam est si vaste qu’il serait irréaliste d’en proposer un traitement exhaustif : la sélection d’une fraction du fonds s’opère sur la base de critères géographiques, chronologiques, thématiques, etc. - Pour les sources originales – créées par le chercheur par le biais d’entretiens, d’enquêtes systématiques, de compilation de séries statistiques dispersées, de photographies, de cartographies, etc. – il faut s’interroger sur les conditions et les possibilités de leur production. Cette limite effective est fixée par notre capacité de production et par l’espace de liberté liés à l’environnement social, politique, institutionnel et matériel.

175

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Concernant les étapes d’une étude qualitative fondée sur des enquêtes de terrain, le lecteur se réfèrera également à l’édition des JTD 2014 – notamment sur les questions liées à la maîtrise du temps et à la dimension « immersion dans la réalité » (Le Meur et al., 2015).

Schéma 19. Construction de l’objet de recherche

Source : construction de l’auteur ; Culas, Tessier (2009).

Ce schéma renvoie au jeu d’aller-retour qui préside à la construction d’un objet de recherche. Il existe un lien fort entre thème de départ, questions que l’on se pose, hypothèses et axes de recherche. Nous travaillerons cet après-midi par sous-groupe à l’identification des axes de recherche. Une des méthodes peut être de les associer à des hypothèses. En socioanthropologie, garder en mémoire que la méthode est toujours singulière. Le chercheur l’élabore, l’invente, la crée en fonction de son terrain ; mais ce processus est raisonné et il doit aussi être en mesure de justifier la méthode choisie. L’intérêt des enquêtes de terrain est de mettre en avant des mécanismes et des processus sociaux et non pas seulement des corrélations entre des variables. Elles visent à expliquer comment se déroule un phénomène social et à montrer, autant que possible et sans jamais pouvoir épuiser l’ensemble des facteurs à l’œuvre, pourquoi ces phénomènes se manifestent de la sorte. Si ces

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Formation aux enquêtes de terrain enquêtes peuvent parfois déboucher sur des propositions d’action adaptée, elles visent dans tous les cas à proposer des réflexions et des interprétations ancrées dans la réalité empirique, c’est-à-dire les actes, les pratiques, les comportements ainsi que les jugements et les représentations des agents sociaux. Schéma 20. La production de données

Source : construction de l’auteur ; Olivier de Sardan (2008).

Pour les enquêtes de terrain, en tant que méthode qualitative, quatre outils (ou techniques) de production de données sont disponibles : l’observation (participante), les entretiens, les procédés de recension et les sources écrites (Olivier de Sardan, op. cit).

Pour un cadrage méthodologique sur les approches quantitatives et qualitatives, nous renvoyons à la lecture à la publication JTD 2011 (Razafindrakoto et al., 2011).

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Détaillons la question des entretiens, outil que nous allons privilégier durant notre enquête de terrain. Tableau 6. Discussions, entretiens et questionnaire : une question de degré

Source : construction de l’auteur.

Il existe trois types d’entretiens : directifs, semi-directifs et libres. La différence se situe dans le degré avec lequel l’enquêteur dirige la conversation. Soit l’entretien est complètement dirigé, soit l’on se place dans le registre d’une conversation libre. Pour notre pré-terrain, nous utiliserons l’entretien semi directif : les thèmes et questions sont définis mais l’on reste ouvert à d’autres sujets que peuvent aborder les enquêtés. Un entretien n’est pas un questionnaire, la forme et les objectifs divergent. - Le questionnaire est une liste de questions précises que l’on pose toujours dans le même ordre à toutes les personnes interrogées, les réponses possibles sont limitées. - Dans un entretien les questions sont plus flexibles, ouvertes ; on ne s’attend pas à des réponses précises. Elles ne sont pas non plus posées dans un ordre prédéfini : les questions sont posées en fonction de (et en réaction à) ce que dit la personne. Un autre élément fondamental des entretiens est de savoir passer de « la question du chercheur » à « la question posée à la personne enquêtée ». Ce passage s’opère à travers un travail de reformulation, de découpage en questions concrètes qui font sens pour les personnes interrogées.

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Formation aux enquêtes de terrain Autre élément important : le canevas d’entretien – liste de questions à poser, organisée en thèmes – doit être compris comme un « pense-bête » qui évolue constamment. Tout l’enjeu est de traduire et reformuler des thèmes, des sujets et des questionnements définis par le chercheur, c’est-à-dire hors de l’univers de références des enquêtés, en questions adaptées aux enquêtés, à leurs expériences et à leur univers de sens. Cette opération suppose de connaître un minimum le terrain. Passons à présent du processus qui part de la réalité sociale pour arriver au produit scientifique. Schéma 21. De la réalité au produit scientifique

Source : Olivier de Sardan, op. cit.

De la réalité empirique aux résultats, différentes techniques sont mises en œuvre : entretiens, observations, sources écrites, études de cas, etc. Ces outils sont connectés entre eux et se répondent – un entretien peut confirmer une observation, une étude de cas ou des documents. Par le filtre du terrain, les hypothèses de départ se transforment en analyses portant sur la thématique initiale pour in fine se muer en interprétations ayant valeur de résultats de recherche. Nous reviendrons en fin de semaine sur le traitement des données et les manières de les conduire. Un aspect essentiel doit cependant être rappelé dès maintenant : sur le terrain, essayez d’avoir constamment une posture réflexive – c’est-à-dire un retour critique sur vous-même, et votre positionnement sur le terrain, sur vos interprétations, sur ce que vous pensez comprendre de la réalité

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est sociale. Un aspect fondamental des enquêtes qualitatives est cette capacité à faire dialoguer et à vérifier production de données et interprétations (cf. « l’adéquation empirique » de Olivier de Sardan, 2008) .

[Pierre-Yves Lemeur] La construction de l’intervention sur le terrain implique des choix, tout d’abord en fonction des questions que l’on se pose. Il faut aussi entendre ce que le terrain nous dit, se situer dans une position de découverte. Il s’agit là d’une posture pratique, évolutive. Le but est d’explorer une réalité que l’on découvre progressivement. Pour préparer son terrain et en cours d’enquête, le chercheur peut s’appuyer sur un petit nombre de concepts exploratoires mobilisables à la fois pour appréhender les réalités sociales et pour les analyser. Ces notions, dont je vais parler, servent à construire le cadre de réflexion abordé par Emmanuel Pannier. Il s’agit des notions d’acteur social, de groupe stratégique, d’interaction sociale, et enfin d’innovation – à mettre en lien avec la question de la médiation. L’innovation renvoie intuitivement à une idée technique, qui peut être portée par certains acteurs ou individus qui ont un rôle d’intermédiaire, d’où le lien intrinsèque entre innovation et médiation.

Acteur social Même dans des conditions extrêmes, toute personne a des capacités d’actions : des compétences, des connaissances, des capacités de jugements, de valeurs, des normes, des capacités réflexives. Toute personne est dotée de compétences et de capacité lui permettant de réfléchir ses expériences et d’évoluer, idée que résume la notion de réflexivité. L’enquête de terrain vise à restituer les points de vue de différents acteurs sociaux et leurs logiques d’action qui sont à la fois ancrées dans des représentations du monde (logiques « représentationnelles ») et dans des objectifs et stratégies (logiques « stratégiques »). Il nous faut donc écouter les points de vues exprimés et les raisons données, prendre au sérieux les récits, les savoirs, les jugements, les attentes des acteurs sociaux. Mais il faut aussi les confronter à d’autres discours et aux autres réalités de terrain, en particulier en confrontant discours et pratiques, ce qui est difficile dans le temps court de cet atelier.

Groupe stratégique « Les groupes stratégiques apparaissent (...) comme des agrégats sociaux (...) empiriques à géométrie variable, qui défendent des intérêts communs, en particulier par le bais d’actions sociales et politiques. » (Olivier de Sardan, 2003) La notion de groupe stratégique se base sur une hypothèse simple : des groupes d’acteurs ont des intérêts ou points de vue communs par rapport à un enjeu donné – mais ils ne se constituent pas forcément aux collectifs organisés, conscients d’eux-mêmes. Il s’agit d’une hypothèse exploratoire, très différente d’un cadre d’analyse qui serait posé a priori, par exemple en termes de classes sociales. Cette hypothèse exploratoire devra être affinée à mesure que l’enquête de terrain avance. Pour ce

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Formation aux enquêtes de terrain faire, on s’intéressera aux trajectoires des acteurs, à leurs origines sociales, aux formes de capitaux dont ils disposent (foncier, économique, physique, politique, social, etc.) afin d’identifier des caractéristiques communes entre acteurs et/ou des différences internes à un « groupe stratégique ». On verra ensuite si apparaissent des modes d’organisation (associations ou groupements divers, etc.) donnant une forme institutionnelle et organisationnelle spécifique à un groupe stratégique. Nous partons de l’hypothèse qu’il y aurait trois groupes stratégiques pour notre terrain : des paysans aidés par l’un des deux programmes menés par l’État ; ceux qui se sont lancés dans le biogaz sans soutien financier et/ou technique extérieur ; ceux qui ne se sont pas lancés dans l’innovation. Il existe probablement aussi d’autres acteurs qui potentiellement interviennent dans le développement du biogaz : autorités locales, agents du programme, commerçants et organismes de crédit. C’est par l’enquête de que l’on repèrera quelles sont les personnes qui sont ou ont été impliquées. L’ensemble de ces acteurs sociaux, de leurs interactions – conflits ou malentendus, mais aussi alliances et coopération – forment l’arène du programme biogaz. Il est important de savoir qui est « dedans », qui est « dehors » : en d’autre termes, ce programme crée-t-il des formes d’exclusion ? Inversement, on peut se demander si par rapport aux groupes cibles prédéfinis, d’autres personnes se sont invitées dans le projet.

Interaction sociale Les interactions sociales constituent la trame de la vie quotidienne. Elles peuvent être racontées par les acteurs interviewés ou observées (réunion, manifestation, transaction, etc.). Évidemment, il est toujours extrêmement riche d’observer des interactions « naturelles » du quotidien – en famille, au travail, dans des lieux sociaux, etc. Nous nous concentrerons sur un ensemble spécifiques d’interactions, donnant à voir des moments de négociation, alliance, transaction, conflit, sanction (infraction à une régulation), arbitrage, etc. Il s’agit là de comprendre le positionnement des acteurs les uns par rapport aux autres dans le cadre de l’interaction. L’analyse des conflits présente un intérêt spécifique car ils sont présents partout (mais dans des formes différentes) et peuvent servir de « porte d’entrée », ou de « révélateur » de clivages ou de positionnements différents (et aussi des formes de traitement différents en fonction des situations, des contextes, des acteurs, etc.). L’étude des interactions permet de voir comment un projet fonctionne, de comprendre ce qui circule dans le champ social ou l’arène qu’il génère : information, technologie, échanges d’argent, etc. Elle permet également de repérer l’existence d’éventuels réseaux sociaux : l’innovation technique peut se diffuser de manière plus rapide dans certains cercles – ces cercles peuvent être des réseaux de gens qui ont déjà des relations préexistantes. Si la nature des réseaux est fonction du type de relation entre les personnes – relations familiales, professionnelles, etc. –un autre aspect important à considérer est l’extension de ces réseaux – réseaux très localisés ou plus larges, éventuellement transnationaux – pouvant permettre d’accéder à d’autres informations ou sources de capitaux.

181

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Enfin, il importe de réfléchir sur les questions d’égalité entre personnes engagées dans une interaction : soit les individus sont d’un niveau social équivalent (de manière générale ou par rapport à l’activité concernée) et échangent de l’information a priori plus facilement, entre « pairs » ou « égaux », soit les réseaux sont inégalitaires et les relations de pouvoir sont fortes entre les différents membres – et dans ce cas les échanges d’informations, de biens ou de services, en général asymétriques, peuvent être qualifiés de « clientélistes » (sur un mode descriptif, sans jugement de valeur).

Innovation Le premier point est de caractériser ce qui fait l’innovation. Deux principaux types d’innovation peuvent être dégagés : l’innovation comme objet technique qui s’insère dans un système pour l’améliorer sans le modifier profondément ; l’innovation comme facteur d’effets systémiques, c’est à dire amenant des transformations en chaîne des systèmes de production. Un aspect important est le cheminement de l’innovation – quelle est son entrée dans une localité et comment circule-t-elle ? L’idée de cheminement essaie de dépasser une idée simpliste qui stipule qu’il existe des innovations exogènes et d’autres dont la production est locale. Pour nos propos, des individus ont adopté la production de biogaz sur la base d’un programme (innovation exogène), pour d’autres l’initiative est individuelle (innovation endogène ou locale). Cette distinction est évidemment trop simple : les individus peuvent adopter une innovation de l’extérieur puis la transformer et, dans ce cas, l’innovation devient, en partie, locale ; d’autres ont pu se lancer « localement » dans l’innovation puis opter pour une trajectoire extérieure en mobilisant un projet exogène. Finalement, la question de l’innovation n’est jamais purement technique. Il faut s’y intéresser en tant qu’objet technique mais aussi en fonction du contexte institutionnel, économique, politique qui permet sa diffusion. Ce que l’on croit identifier en tant qu’innovation technique – par exemple l’introduction d’un système de production du biogaz – peut correspondre à une multitude de petites innovations extérieures et locales, techniques et sociales, organisationnelles et institutionnelles.

Nguyen Minh Nguyet Quelles sont les techniques à employer pour construire un questionnaire ?

[Olivier Tessier] Nous n’avons que trois jours de terrain. Aussi, nous ne pourrons malheureusement pas travailler sur la base de questionnaires ouverts mais nous utiliserons des entretiens semi-dirigés.

[Emmanuel Pannier] La construction de questionnaire est très spécifique et exigeante en temps. Cela ne nous empêche pas d’utiliser des méthodes quantitatives sans faire de questionnaire. Par exemple, il est possible de recenser le nombre total de foyers qui font du biogaz, le comparer au nombre total de foyers dans la commune – il sera ainsi pertinent de produire des pourcentages : ratio de foyers produisant du

182

Formation aux enquêtes de terrain biogaz, quantité de gaz produit, quantité de lisier utilisé pour faire du gaz, quantité de porcs avant et après introduction du biogaz, etc. L’usage de recensements quantitatifs et la production de données systématiques concerne donc aussi les enquêtes qualitatives.

2.3.2. Techniques d’enquêtes, présentation du biogaz et des communes [Olivier Tessier] Je souhaite vous exposer quelques recommandations tirées des précédents ateliers de terrain des JTD. Le premier point concerne les éléments communs à demander à toutes les personnes interrogées. Il est bien sûr indispensable de se présenter, d’expliquer la raison de l’enquête et le cadre institutionnel dans lequel elle se déroule. Puis, il importe de caractériser le foyer : - caractérisation du foyer : composition ; enfants au village ou migration économique (pendulaires, quotidienne ; longue durée ; définitive) ; - reconstitution d’une brève histoire de la famille : lieu d’origine du chef de foyer et de son conjoint, migration (pays natal), etc. ? ; - position du chef de foyer (homme ou femme), du conjoint, des enfants / commune, village : Comité populaire (CP) de la commune, chef de village, secrétaire de la cellule du Parti ; associations de masses, etc. ; - caractérisation économique : structure de l’exploitation agricole (surface de terre, systèmes de production, élevage), activités extra-agricoles (commerce, etc.), migration économique à l’extérieur du village (quotidienne, sur une longue durée, définitive), etc. ; - mode de production : surface de terre ; élevage ; activités agricoles et non agricoles ; - évolution de l’exploitation et des activités agricoles/non agricoles – détails sur l’évolution de l’élevage porcin. Il faut remarquer ici que les informations ne proviennent pas uniquement des échanges verbaux ; l’observation directe donne également des indications : type d’habitat, niveau de confort, etc. Le deuxième point porte sur l’enregistrement des entretiens. Si les appareils actuels d’enregistrement (téléphone ou matériel spécialisé) ont une forte capacité de stockage, on risque de se retrouver au bout de trois jours avec des dizaines d’heures d’enregistrement qu’il est extrêmement difficile de traiter et d’analyser. C’est pour cela qu’il est essentiel de procéder à une prise de notes lors de chaque entretien, sachant que le débriefing quotidien en soirée et le traitement des informations recueillies seront basés sur cette prise de notes. Cette prise de note raisonnée et légère est un premier niveau de traitement de l’information puisque lors de l’entretien vous procédez déjà à une sélection des points qui vous paraissent importants.

183

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Olivier Tessier introduit des éléments de techniques d’enquêtes présentés lors des JTD 2010 : socle commun à tout entretien, canevas (trame) de questions et pistes de recherche, passage de la question de chercheur à la question de terrain, attitude lors de l’entretien, intervention de l’extérieur (Bourdeaux et al., 2011).

Nguyễn Hồng Nam Il y a deux ans, nous avons mené une enquête au Cambodge ; l’une des difficultés était que nous ne parlions pas le cambodgien. Cela pose deux problèmes : le temps de traduction et la qualité de l’interprétariat.

[Olivier Tessier] L’équipe de traducteurs des JTD est rôdée à l’exercice depuis plusieurs années. Par ailleurs, nous travaillerons ensemble sur le canevas d’entretiens – réunions quotidiennes en soirée.

[Pierre-Yves Lemeur] Un entretien est un travail de décomposition d’une question générale en une série de questions, même si cela s’effectue dans votre propre langue. Cela permet à votre interlocuteur de mieux vous comprendre et de créer une situation de conversation. La tâche pour l’interprète sera ainsi facilitée. C’est aussi à l’interprète de créer une relation détendue afin d’interrompre la personne enquêtée pour le temps de traduction. Enfin, il faut éviter que l’interprète décide de lui même de résumer les propos. Il faut une traduction exhaustive, et prendre le temps de discuter avec l’interprète sur ce qui a été dit lors de l’entretien, et aussi sur les impressions qu’il a pu en avoir de cette interaction (moments de tension ou de gêne non verbalisés par exemple).

Njaratiana Andrianony Rabemanantsoa Parfois dans l’année, les familles voient défiler nombre d’enquêteurs, sans qu’ils ressentent les effets de ces enquêtes. Comment gérer cette situation ?

[Emmanuel Pannier] Personnellement, j’explique aux foyers rencontrés le type d’enquête que je mène et montre en quoi il ne s’agit pas des mêmes objectifs que les enquêtes passées, surtout lorsqu’il s’agit d’enquêtes rapides liées à des projets de développement. Généralement mes enquêtes sont beaucoup plus longues, on passe des semaines dans les villages, elles mobilisent d’autres méthodes. On obtient alors une forme de sympathie qui permet d’être mieux accepté pour mener nos enquêtes, quelles que soit les expériences des familles lors d’enquêtes antérieures.

184

Formation aux enquêtes de terrain

2.3.3. Présentation du biogaz et de la situation des communes d’étude [Olivier Tessier] Si l’objet d’étude concret durant ces trois jours de terrain est centré sur les systèmes biogaz, notre finalité n’est pas de faire de vous des spécialistes de la construction et du fonctionnement de ces systèmes. Au risque de me répéter, l’objectif de cet atelier est de vous donner un aperçu des outils et des méthodes de recherches qualitatives qui peuvent être mobilisés dans le cadre d’une enquête de terrain en traitant pour cela d’une question concrète, ici le biogaz, mais cela aurait tout aussi bien pu être le développement des activités extra-agricoles dans un village ou un autre sujet. Schéma 22. Installation de biodigesteurs domestiques au Việt Nam

Source : construction de l’auteur ; https://www.zebu.net/media/assets/file/Contenu%20du%20site_Projets%20de%20biogaz.pdf

Trois principaux éléments se dégagent du système de biogaz ci-dessus : l’arrivée de la matière – réaction avec une création de méthane dans cette cuve – ; une fermentation ; une sortie de gaz

185

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est pour des usages domestiques. Pour que la réaction se produise, la présence de trois familles de bactéries est indispensable ; elles vont vivre en symbiose dans la cuve en milieu anaérobique sous forme de dioxygène. La production de méthane est graduelle. Nous verrons que le système est alimenté en permanence par les excréments porcins. La fermentation dure de 60 à 80 jours. La matière organique étant ajoutée quotidiennement, la production de méthane est permanente. Les photos autour de ce schéma ont été prises sur le terrain. En termes visuels, on ne voit pas bien la partie enterrée, la cuve, représentée sur le schéma. Il vous faudra vous faire expliquer par chaque personne interrogée, l’utilisateur, le fonctionnement concret et détaillé du système biogaz installé chez lui. Deux programmes nationaux ont financé une aide à l’installation du biogaz dans les deux communes d’étude : - QĐ 33 (décision 33) : soutien financier public dans le cadre du programme national pour construire « une campagne nouvelle » (nông thôn mới - 2013).

• Province Đà Nẵng : route, système irrigation, infrastructures sociales et construction de cuves biogaz: facilité sur le taux d’intérêt à la Banque agricole dans une limite de 10 millions de đồng par foyer.



• District de Hoà Vang : référence ĐQ 5138 mais nous n’avons pu nous procurer ce document.



• Commune Hoà Khương : fonds de 156 millions de đồng pour 52 foyers (03/12/2014).

- « Projet d’amélioration de la qualité et de la sécurité des produits agricoles et de développement du programme biogaz » (ĐA QSEAP).

• 16 provinces bénéficiaires dont Đà Nẵng (100 milliards VND).

[Emmanuel Pannier] Olivier nous présente des projets dans lesquels s’insère le système de biogaz. Il sera intéressant de croiser ce que l’on sait sur le projet à partir des sources écrites avec le discours des acteurs sur le terrain.

[Olivier Tessier] Nous allons travailler dans deux communes du district de Hòa Vang. La commune de Hòa Sơn située à 17 km de notre base et celle de Hoà Khương à 25 km. L’éloignement géographique, relatif, entre les deux communes, impose de séparer l’atelier en deux groupes. Lors de la mission de reconnaissance sur le terrain, nous avons croisé différents critères afin d’obtenir une masse critique suffisante d’enquêtés potentiels. L’accessibilité a également été un facteur primordial.

186

Formation aux enquêtes de terrain Carte 6. Province de Đà Nẵng et sites d’étude

Sources : carte administrative du Việt Nam ; construction de l’auteur.

Voilà une liste exhaustive des foyers qui sont équipés en biogaz, ainsi que le programme qui a permis leur investissement. Comme on peut le constater, apparait une importante variabilité entre foyers en matière d’autofinancement. Leurs trajectoires semblent également relativement différentes les unes des autres, deux caractéristiques qui vont contribuer à enrichir nos enquêtes.

187

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Tableau 7. Communes d’étude - Les foyers installés en biogaz Commune Hoà Khương DA QSEAP

QĐ 33

Autofinancement

Total

Gò Hà

9

6

5

20

2

Phú Sơn Nam

8

3

Phú Sơn 1

Villages 1

6

14

33

33

4

Phú Sơn 2

6

8

14

5

Phú Sơn 3

9

12

21

6

Hương Lam

1

6

7

7

Phú Sơn Tây

2

5

7

7

7

2

10

12

8

Phước Sơn

9

Thôn 5

10

La Châu

1

6

7

Total

38

99

137

Commune Hoà Sơn Villages 1

DA QSEAP

QĐ 33

An Ngãi Tây 1

Département des sciences et techniques

Autofinan­ cement

Total

1

2

3

2

An Ngãi Tây 2

2

2

5

9

3

An Ngãi Tây 3

3

3

7

13

4

Tùng Sơn

1

1

1

3

5

An Ngãi Đông

3

2

6

11

5

5

4

14

6

Hoà Khê

7

Phú Thượng

2

2

8

Đại La

3

1

9

Xuân Phú

1

2

4

7

18

27

64

10

Phú Hạ

1

Total

19

Sources : construction de l’auteur.

188

4 1

Formation aux enquêtes de terrain Nous avons prévu trois enquêtes par jour et par binôme. L’organisation a été planifiée avec chaque chef de village afin de nous permettre d’avoir un accès relativement facile aux foyers retenus. Tabeau 8. Village et foyers d’études par commune Commune Hoà Khương Villages

QĐ 33

DA QSEAP

Auto­ financement

Pas bio.

Enq.

Tot.

Enq.

Tot.

Enq.

Tot.

Enq.

Tot. enq.

Total biogaz

% enq./ total

Gò Hà

3

6

4

9

4

5

4

15

20

75 %

Phú Sơn 3

4

12

5

9

4

13

21

65 %

Phú Sơn I

9

33

0

0

4

8

4

17

41

44 %

19

51

14

18

9

13

12

45

82

Tot. bio.

% enq./ total

Commune Hòa Sơn Villages

QĐ 33

DA QSEAP

Auto­ financement

Pas bio.

Enq.

Tot.

Enq.

Tot.

Enq.

Tot.

Enq.

Tot. enq.

An Ngãi Tây 2

2

2

2

2

4

5

3

11

9

82 %

An Ngãi Tây 3

3

3

3

3

4

6

3

13

12

92 %

An Ngãi Đông

3

3

2

2

4

7

3

12

12

100 %

8

8

7

7

12

18

9

36

33

Sources : construction de l’auteur.

Chaque binôme mènera des entretiens avec des foyers relevant des trois cas de figure identifiés : financement par l'un des deux programmes étatiques ; autofinancement ; foyer non équipés en biogaz.

189

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

L’atelier se divise en deux groupes, un par commune. Emmanuel Pannier et Pierre-Yves Le Meur supervisent le groupe à Hoà Khương, Olivier Tessier celui à Hòa Sơn. Commune de Hoà Khương Les objectifs ne doivent pas être trop définis, ce qui pourrait rendre la réflexion « rigide » et fermer des pistes de recherche pertinentes. Les questions doivent être définies par groupes d’acteurs, par exemple : ceux qui ont été financés par les différents projets, ceux qui se sont autofinancés et enfin ceux qui n’ont pas adopté le système de biogaz. - Existe-t-il un décalage entre les objectifs des autorités locales et l’appropriation du projet par la population ? - quel accès à l’information pour ceux qui n’ont pas adopté le biogaz ? - quels écarts entre la connaissance des villageois et la pratique ? Évaluation des connaissances, pratiques et attitudes sur la qualité et la sécurité des produits agricoles ; - typologie des exploitations. Quels sont les agriculteurs qui ont les moyens de diversifier leurs activités ? Quelles en sont les raisons ? Une liste de thèmes et de sous-thèmes se dessine : - le parcours du foyer (histoire, constitution de la famille, revenus, système de production, etc.) ; - aspects techniques : caractérisation de l’innovation et trajectoire ; - les politiques de l’État  sur les projets biogaz ; - le fonctionnement des projets (dates, quels montant, avantages, qui est l’investisseur). Quel suivi technique, quel mode de sélection des bénéficiaires et quelles formations proposées ? - objectifs officiels de chaque projet (faire du gaz, fertilisant, engrais, hygiène, etc., et les décalages avec les faits observés ; - comment le projet-il est reçu localement ? - les effets sur les bénéficiaires (sociaux, économiques, hygiène, santé et agricoles, etc.) ; - situation avant/après projet sur utilisation de source d’énergie. Commune de Hòa Sơn Olivier Tessier rappelle deux aspects qui doivent être abordés lors des entretiens : - retracer l’histoire de l’apparition et du développement des systèmes de biogaz en fonction des trois groupes d’acteurs (financement par un des deux programmes étatiques ; autofinancement ; foyers non équipés en biogaz ) ; - la nécessité de bien définir la situation socioéconomique des familles (trajectoire du foyer) ;

190

Formation aux enquêtes de terrain

Le groupe définit une liste de questions et d’étapes qui constituent la base du canevas d’entretien : - comment et par qui l’enquêté a-t-il été informé de l’existence des programmes étatiques de soutien au biogaz (canaux de diffusion) ? - comment a été fait la sélection des familles bénéficiaires des subventions de l’État ? - quelle est la partie du coût global pris en charge par les subventions ? - quelle est l’efficacité économique avant et après l’installation du biogaz ? Quel en est l’impact environnemental ? - existe-t-il des installations biogaz dans le village, dans la commune avant le lancement du programme étatique de subvention ?  - comment fonctionne le biogaz (descriptions) ?  - que fait-on des surplus de gaz ? La réflexion collective aboutit à l’élaboration d’un canevas d’entretien qui sera utilisé au cours des journées 2, 3 et 4.

Journées 2, 3 et 4 L’atelier se déplace dans les communes de Hoà Khương et de Hòa Sơn. Chaque midi, les stagiaires se retrouvent par groupe pour déjeuner et échangent sur les entretiens réalisés dans la matinée. En soirée, les groupes mettent en commun les données, réorientent les hypothèses, affinent les axes de recherche et définissent de nouvelles pistes de recherche.

Journée 5, vendredi 15 juillet Cette journée est consacrée à la mise en commun des données recueillies ainsi qu’à l’élaboration du plan de présentation exposé le lendemain en séance plénière. Chaque groupe établit une base de données et hiérarchise ensuite les thèmes qui émergent des informations collectées terrain. Les résultats sont débattus au sein de chaque groupe puis entre les deux groupes réunis.

191

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Le produit final s’articule autour des axes suivants : (i) le contexte général du biogaz au Việt Nam et les sites spécifiques de l’étude dans le cadre de la transition énergétique ; (ii) présentation de l’enquête : description des échantillons, des outils méthodologiques déployés, etc. ; (iii) les éléments techniques de fonctionnement du biogaz ; (iv) la trajectoire de l’innovation ; (v) les motivations et les logiques des acteurs ; (vi) l’aménagement du territoire, les politiques de développement de l’élevage porcin et les politiques de développement environnemental. L’exposé se conclut sur deux questions : dans quelle mesure le biogaz est-il un outil de transition énergétique et/ou un outil de développement territorial ? Quelles perspectives dégagées ? Pierre-Yves Le Meur propose de poser la problématique en fin de présentation. L’intérêt est de faire comprendre qu’il s’agit d’une pré-enquête exploratoire permettant d’identifier des questions de recherche.

Texte de lecture et document de travail Olivier de Sardan, J.-P. (2008), « La politique du terrain. Sur la production des données en anthropologie », in Lagrée, St. (dir.), Nouvelles approches méthodologiques appliquées au développement, université d’été en Sciences sociales 2007, éditions The Gioi.

Bibliographie Bourdeaux, P., E. Pannier et O. Tessier (2011), « Formation aux enquêtes et aux pratiques de terrain en socioanthropologie. Enjeux, tensions et conflits autour de l’appropriation et de l’usage du foncier », in Lagrée, St. (dir.), « Transition décrétées, transitions vécues. Du global au local : approches méthodologiques, transversales et critiques », Conférences et Séminaires, n°2, AFD-ÉFEO. Culas, C. et O. Tessier (2009), « Formation en sociologie et anthropologie : méthodes et flexibilité, enquêtes de terrain et organisation du recueil de données », in Lagrée St. (dir.), Nouvelles approches méthodologiques appliquées au développement (2), Université d’été en Sciences sociales 2008, éditions The Gioi. Le Meur, P-Y., E. Pannier, O. Tessier et Trương Hoàng Trương (2015), « Formation à l’enquête de terrain. Pratiques, réseaux et stratégies liés à la culture maraîchères en zone péri-urbaine », in Lagrée St. (dir.), « Regard sur le développement urbain durable. Approches méthodologiques, transversales et opérationnelles », Conférences et Séminaires, n°13, AFD-ÉFEO. Luckmann, T. et P.L. Berger (1966), La construction sociale de la réalité, Random House. Olivier de Sardan, J.-P. (2003), « L’enquête socioantropologique de terrain : synthèse méthodologique et recommandation à l’usage des étudiants », Laboratoire d’études et recherches sur les dynamiques sociales du développement local (LASDEL), Études et travaux, n°13.

192

Formation aux enquêtes de terrain Razafindrakoto, M., J.-P. Cling, C. Culas et F. Roubaud (2011), « Comment la transition économique est-elle vécue et perçue par la population ? Analyse de la complémentarité entre approches quantitatives et qualitatives », in Lagrée St. (dir.), « Transition décrétées, transitions vécues – Du global au local : approches méthodologiques, transversales et critiques », Conférences et Séminaires, n°2, AFD-ÉFEO. Tremblay, R., R. et Y. Perrier (2006), Savoir plus : outils et méthodes de travail intellectuel, Les Éditions de la Chenelière inc., 2e éd.

193

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Liste des stagiaires Nom

Rattachement

Domaine/ discipline de recherche

Thème de recherche

Courriel

Bùi Việt Thành

Université des sciences sociales Université nationale de Hồ Chí Minh Ville

Anthropologie sociologie

Changement des moyens de subsistance dans les villages artisanaux traditionnels à Quảng Trị

bvthanh2001@ gmail.com

ChhornDina

Université royale de droit et des sciences économiques

Économie publique, intégration économique

Dynamiques de pauvreté et de vulnérabilité en Asie

dina.chhorn.edu@ gmail.com

Phommaxay Chittasavone

Université nationale du Laos

Sociolinguistique

Sociolinguistique et didactiques

chittasavonep@ yahoo.fr

Đồng Bích Ngọc

Institut d’économie du Việt Nam

Économie internationale, croissance verte

Transition énergétique – Việt Nam

bngocdong@ gmail.com

Lê Ngọc Thuấn

Université des ressources et de l'environnement de Hà Nội

Traitement des eaux usées, processus de production de biogaz

Traitement des eaux usées par les biotechnologies, biogaz à partir des déchets d'élevage

thuanlengoc@ gmail.com

Lê Trương Ngọc Hân

Université d'agriculture et sylviculture de Hồ Chí Minh Ville

Gestion des ressources naturelles

Moyens de subsistance des communautés et évaluation des ressources

[email protected]

Lienghuy Lorn

Université royale de droit et des sciences économiques

Droit

-

leanghuy@gmail. com

Nguyễn Hồng Nam

Université des sciences et des technologies de Hà Nội

Énergie et environnement

Enquête de terrain, gazogènes domestiques

nguyen-hong. [email protected]

Nguyễn Diệu Linh

GASS

Droits de l'homme

Développement

linhmarie.gass@ gmail.com

Nguyễn Minh Nguyệt

Université des sciences sociales et humaines de Hà Nội

Anthropologie

Projet hydraulique Phước Hòa : étude anthropologique du modèle de gouvernance et de la participation

nguyetk35b@ yahoo.com

Nguyễn Thanh Huyền

VASS

Économie internationale

Croissance verte et développement économique du Việt Nam

thanhhuyen9306@ gmail.com

Nguyễn Thị Tám

Institut d'ethnologie VASS

Anthropologie sociale, économie du développement

Développement rural - la commune Hòa Nhớn, district de Hòa Vang, Đà Nẵng

hongtam.ls89@ gmail.com

Nguyễn Thị Thanh Xuyên

ASSV – Centre Việt Nam

Anthropologie

Modèle de développement des ruraux au centre du Việt Nam

xuyenthanh27@ gmail.com

194

Formation aux enquêtes de terrain

Nom

Rattachement

Domaine/ discipline de recherche

Thème de recherche

Courriel

Nguyễn Trung Đức

VASS

Environnement et développement durable

Croissance verte

nguyentrungduc1711@gmail. com

Phạm Tiến Thành

Université Tôn Đức Thắng

Économie du développement

Microfinance

thanhpham1.6.85@ gmail.com

Njaratiana Andrianony Rabema­ nantsoa

Génie

Groupe de réflexion sur l’énergie

Technologie de valorisation de la biomasse dans la fourniture d’énergie domestique

[email protected]

Nuch Ramo

Institut national des affaires

Sciences politiques

Protection sociale au Cambodge

nuchramo@yahoo. com

Trần Thị Châu Phương

Université des sciences sociales et Humanité de Hồ Chí Minh Ville

Anthropologie

Développement rural

tranthichauphuong@gmail. com

195

Biographies des formateurs

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Hélène DESSARD Courriel : [email protected]

TITRE ET DIPLÔMES 1996 : thèse de doctorat en statistique appliquée à l’université de Montpellier II. 1991 : diplôme d’ingénieure en agronomie de l’École nationale supérieure agronomique (ENSA)Montpellier.

SITUATION PROFESSIONNELLE Chercheure au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) depuis 1998, au sein de l’unité propre de recherche Biens et services des écosystèmes forestiers tropicaux (B&SEF). Actuellement, en poste à Montpellier France.

RÉSUMÉ DES TRAVAUX Mon activité professionnelle est principalement centrée sur l’analyse quantitative pour traiter de questions qui relèvent de l’étude des socioécosystèmes forestiers : de la méthodologie statistique appliquée à la dynamique des forêts tropicales à l’utilisation de méthodes quantitatives et participatives pour l’étude des interactions sociétés-forêts tropicales. Mes tâches s’inscrivent plus généralement dans la thématique de changement d’utilisation des terres sous la pression de nouveaux investissements, en particulier l’exploitation minière industrielle récemment redéveloppée dans les forêts du bassin du Congo.

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Biographies des intervenants

Alexis DROGOUL Courriel : [email protected] 

TITRE ET DIPLÔMES  2000 : habilitation à diriger des recherches, Informatique, université de Paris 6   1993 : thèse de doctorat en Informatique, université de Paris 6, félicitations du jury. 

SITUATION PROFESSIONNELLE  Directeur de recherches depuis décembre 2004 à l’IRD. Directeur adjoint de l’UMI UMMISCO (IRD/UPMC) et directeur de l’ICT Lab, université des sciences et technologies de Hà Nội depuis 2015. Chercheur associé (de 2012 à 2015) à l’université de Cần Thơ (Việt Nam). Professeur invité à l’université de Kyoto en 2011.

RÉSUMÉ DES TRAVAUX  Ma problématique de recherche générale concerne la conception d’outils d’Intelligence artificielle pour aider à la modélisation et la simulation de systèmes complexes, avec une volonté marquée de facilitation du travail interdisciplinaire et d’extraction de concepts transversaux à de multiples domaines. À ce titre, j’ai participé, dès 1991, à la définition de certains des concepts fondamentaux de la « modélisation à base d’agents », tout en travaillant parallèlement sur de nombreuses applications thématiques (en éthologie, hydrologie, géographie, trafic routier, pour n’en citer que quelques-unes). À partir de 1998, à la croisée des domaines de l’informatique, de l’économie expérimentale et de la conception participative, j’ai travaillé plus spécifiquement sur la modélisation et la simulation participatives, approches qui permettent d’impliquer les acteurs sociaux dans la conception de modèles et se sont montrés particulièrement adaptées à la gestion des conflits d’usage de ressources partagées ; ils ont été appliqués avec succès sur le terrain (au Bhoutan, Việt Nam, Thaïlande, Mexique). À partir de 2005, je suis devenu le concepteur et l’un des principaux artisans de la plateforme de modélisation et simulation GAMA (http://gama-platform.googlecode.com), qui, récapitulant 15 années de recherches dans le domaine, a pour objectif de mettre à la disposition de non-informaticiens des outils de conception de modèles spatialement explicites, multiformalismes et multi-échelles, ainsi que de permettre une exploration « intelligente » (par simulation et optimisation) de l’espace de leurs paramètres. Parallèlement, les projets thématiques auxquels je participe depuis maintenant cinq ans, d’abord à Hà Nội puis avec l’Université de Cần Thơ, s’orientent vers l’aide à la décision en matière de politique de lutte contre les catastrophes environnementales (montée et salinisation des eaux dans le delta du Mékong, invasions biologiques, épidémiologie de grippe aviaire, catastrophes urbaines).

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Benoît GAUDOU Courriel : [email protected]

TITRE ET DIPLÔMES 2008 : thèse de doctorat en intelligence artificielle, université de Toulouse.

SITUATION PROFESSIONNELLE Après deux années de post-doctorats à l’Institut de la francophonie pour l’informatique (IFI) à Hà Nội, je suis depuis 2010 maître de conférence à l’université Toulouse 1 Capitole, dans la faculté d’informatique. Je mène mes activités de recherche au sein de l’Institut de recherche en informatique de Toulouse (IRIT) dans l’équipe Systèmes multi-agents coopératifs (SMAC).

RÉSUMÉ DES TRAVAUX D’une manière générale, mes travaux de recherche s’intéressent à la modélisation de manière formelle ou non de différentes notions intervenants dans la cognition et la prise de décision des humains (et notamment la confiance et les émotions) et l’intégration de ces modèles dans des simulations multi-agents. Ces travaux s’inscrivent actuellement dans deux projets de recherche. - Le projet MAELIA (Multi-Agent for EnvironmentalNorms Impact Assessment) soutenu par le RTRA STAE. Le projet MAELIA consiste à modéliser les impacts socioenvironnementaux des normes de gestion et de gouvernance de ressources naturelles renouvelables et de l’environnement. Il vise à développer une plateforme de modélisation et simulation des impacts directs/indirects et attendus/inattendus des normes sur un territoire dont les ressources sont à la fois soumises à des exploitations concurrentes et dépendantes de variabilités physico bio géochimiques. Le domaine d’application privilégié est la gestion de l’eau dans le bassin Adour-Garonne. - Le projet ANR EmoTES (Les émotions dans l’interaction sociale : théorie, expérimentations, étude logique et informatique). L’objectif du projet EmoTES est d’étudier les émotions dites stratégiques, telles que la culpabilité, le remords, la satisfaction morale, l’envie et la colère qui peuvent survenir dans un contexte d’interactions stratégiques (c’est-à-dire quand l’utilité des choix d’un agent dépend aussi de ce que d’autres agents vont décider de faire) sous le triple point de vue des théories psychologiques, de la formalisation logique et de la simulation. Le but est d’intégrer dans le comportement des agents de la plateforme SocLab (plateforme de simulation des organisations basée sur la formalisation de C. Sibertin-Blanc et P. Roggero de la Sociologie de l’action organisée) des émotions stratégiques. Je suis également impliqué dans plusieurs réseaux thématiques soutenus par le Réseau national des systèmes complexes (RNSC), dont les réseaux SimTools-Network et Modélisation multi-agents

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Biographies des intervenants appliquée aux phénomènes spatialisés (MAPS). Enfin je participe au développement de la plateforme de modélisation et simulation multi-agents GAMA.

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Denis GAUTIER Courriel : [email protected]

TITRE ET DIPLÔMES 2011 : habilitation à diriger des recherches en géographie de l’université de Paris 1, PanthéonSorbonne. 1996 : thèse de doctorat de géographie, spécialisé en analyse des structures et dynamiques spatiales à l’université d’Avignon et des pays de Vaucluse (mention Très honorable, avec les félicitations du jury à l’unanimité).

SITUATION PROFESSIONNELLE Chercheur au CIRAD depuis 1999, au sien de l’unité propre de recherche B&SEF. Actuellement, en poste au Burkina Faso.

RÉSUMÉ DES TRAVAUX Mes compétences s’articulent autour des thèmes de la gestion des ressources naturelles végétales et de la gestion des territoires ruraux, considérés dans une perspective dynamique d’interactions entre des pratiques et stratégies d’acteurs et des processus territoriaux. De formation agronomique, spécialisé en foresterie tropicale, mes activités se sont concentrées initialement sur la gestion des ressources renouvelables selon deux axes privilégiés : la gestion des arbres par les communautés rurales et la gestion des zones périphériques des aires protégées. Ces deux thématiques s’inscrivent dans l’interface nature / société qui figure le domaine de recherche. Les méthodes utilisées, de type systémique, cherchent à intégrer l’action de l’homme par le biais des pratiques rurales. Cela m’a conduit à acquérir, en plus des compétences techniques agro­nomiques et forestières, des concepts, méthodes et outils des sciences humaines. Une première expérience de terrain en pays Bamiléké (Cameroun) ayant montré, sur la base d’études en agroforesterie et en foresterie rurale, l’intérêt d’analyser la gestion des ressources par les acteurs dans l’espace et dans le temps, c’est vers l’analyse spatiale et la géographie que se sont orientées mes recherches afin d’acquérir les éléments conceptuels (territoire, paysage) et techniques (systèmes d’information géographique, modèles de simulation) permettant de « territorialiser » les pratiques de gestion des ressources et de les articuler avec les processus de différents niveaux et de différentes natures qui les déterminent en partie et qu’elles influencent en retour. Mes travaux m’ont ainsi conduit à circonscrire un questionnement central : dans quelle mesure les processus de territorialisation, de différentes natures (mondialisés, étatiques, coutumiers, en lien avec une activité) et les représentations qui les sous-tendent influent-ils les pratiques de gestion et d’exploitation des ressources naturelles et donc les dynamiques environnementales, et comment, en retour, ces pratiques participent-elles des jeux de pouvoir pour l’accès aux ressources naturelles

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Biographies des intervenants et aux dynamiques territoriales ? Ce questionnement m’a conduit à me rapprocher de la communauté de la Political Ecology qui sert désormais de base à mes travaux.

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Laurent GAZULL Courriel : [email protected]

TITRE ET DIPLÔMES 2009 : thèse de doctorat de géographie à l’université Paris 7 (mention Très honorable, avec les félicitations du jury à l’unanimité).

SITUATION PROFESSIONNELLE Chercheur au CIRAD depuis 1999, au sein de l’Unité propre de recherche B&SEF (Biens et services des écosystèmes forestiers tropicaux). Actuellement en poste à Montpellier, France.

RÉSUMÉ DES TRAVAUX En tant que géographe et agronome, mes travaux portent essentiellement sur l’analyse spatiale (localisation, interactions sociales et spatiales, modélisation) des pratiques agricoles et d’exploitation des ressources naturelles (forêt, eau). Depuis dix ans, ma thématique principale est la bioénergie : électricité, chaleur, carburants solides ou liquides, dans les pays du Sud. Ma démarche vise à allier analyse filière, analyse des stra­ tégies d’acteurs et analyse spatiale afin de comprendre et prévoir le développement des filières biomasse-énergie et ses conséquences en termes de changement des pratiques agricoles et d’utilisation des terres.

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Biographies des intervenants

Javier GIL QUIJANO Courriel : [email protected] 

TITRE ET DIPLÔMES  2007 : thèse de doctorat en informatique, université de Paris 6.

SITUATION PROFESSIONNELLE  Référent technique en intelligence artificielle depuis septembre 2014 au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ; ingénieur chercheur au CEA depuis octobre 2010. 

RÉSUMÉ DES TRAVAUX  Ma problématique de recherche actuelle est l’utilisation des méthodes d’intelligence artificielle pour la modélisation et le pilotage de systèmes sociotechniques. Lors de mes expériences de recherche précédentes, je me suis intéressé à l’utilisation de méthodes d’apprentissage automatique, statistique et simulation multi-agents pour la modélisation de phénomènes complexes urbains (démographie), biologiques (évolution de tumeurs cancéreuses) et du comportement humain. Depuis 2014 je représente l’institut LIST (spécialisé sur le développement de solutions logicielles et de robotique pour des domaines tels que l’énergie, l’industrie, le transport, les objets connectés et la santé) du CEA en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Mon rôle est celui de faciliter le transfert de technologies développées par le CEA/LIST aux industriels de la région. En parallèle, j’encadre des doctorants et post-doctorants sur des sujets portant sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans des domaines tels que les réseaux de communication sans fil, la domotique et le transport. De 2012 à 2014, j’ai encadré une équipe de cinq chercheurs qui ont travaillé sur le développement de méthodes d’optimisation distribuée pour le pilotage multi-acteurs de systèmes énergétiques. Un des résultats les plus importants de ces travaux est la plateforme multi-agents pour le pilotage de systèmes énergétiques Gestion de ressources énergétiques autonomes et distribués (GRENAD). Je suis actuellement leader technique sur plusieurs projets européens et industriels qui impliquent l’utilisation de systèmes multi-agents dans le monitoring distribué de systèmes complexes (bâtiments, réseaux de distribution) et le management et l’optimisation distribués de systèmes énergétiques à différentes échelles (éco-quartiers, centrales virtuelles de génération d’électricité à partir de l’éolien, génération d’électricité à partir du solaire pour véhicules électriques). Dans le domaine des technologies de l’information et de la communication pour l’efficacité énergétique et les systèmes de management, je suis le coordinateur technique des projets EDENS (2012-2016, financé par la BPI - France), RESILIENT (2012-2016, FP7).

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Gaël GIRAUD Courriel : [email protected] Gaël Giraud est jésuite. Ancien élève de l’École normale supérieure de Paris, de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE) et ancien fellow du Center of Operational Research (CORE), Louvain-la-Neuve, Belgique. Il a obtenu son doctorat au Laboratoire d’économétrie de l’école polytechnique en 1998. En 2009, il a été nominé comme meilleur jeune économiste français par Le Monde / Le Cercle des économistes. Gaël Giraud est le chef économiste de l’Agence Française de Développement. Ses travaux au CNRS, où il est directeur de recherches, portent sur les mesures alternatives du développement, la théorie de l’équilibre général, la théorie des jeux, la finance et les questions énergétiques. Au sein du programme CODEV (ESSEC), il a participé à de nombreuses enquêtes de terrain (Nigeria, Indonésie, Inde, etc.) destinées à la construction d’un indicateur mesurant la qualité du tissu social, comme indice de la qualité du développement. Il est le coordinateur scientifique de l’équipe de recherche « Riskergy » sur le risque énergétique et la dette souveraine et membre du Comité scientifique du « Laboratoire d’excellence » consacré à la réglementation financière (LabExReFi). Il a fait partie du Comité des experts pour le débat national sur la transition énergétique auprès du gouvernement français. Il préside la chaire « Énergie et prospérité» à l’Institut Louis Bachelier. Il est également membre de l’ONG européenne Finance Watch et de la fondation Nicolas Hulot.

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Biographies des intervenants

Pierre-Yves LE MEUR Courriel : [email protected]

TITRE ET DIPLÔMES 2006 : habilitation à diriger des recherches (HDR) en ethnologie et anthropologie sociale, EHESS, Paris (titre : Anthropologie de la gouvernance. Politique des ressources, dispositifs du développement et logiques des acteurs ; publiée en 2011).

SITUATION PROFESSIONNELLE Anthropologue, directeur de recherche à l’IRD, membre de l’UMR Gouvernance, risque, environnement, développement (GRED), chercheur associé à l’EHESS (Centre Norbert Elias, Marseille), en poste au centre de Nouméa (2008-2015), actuellement à l’IRD Montpellier.

RÉSUMÉ DES TRAVAUX Mes champs de recherche actuels explorent les questions de politique des ressources et des appartenances en Nouvelle-Calédonie et dans le Pacifique, autour des enjeux fonciers, miniers et environnementaux et des enjeux de valeur associés à ces ressources et lieux. (i) Question foncière (foncier terrestre et maritime) : interaction entre droits fonciers, politique des appartenances et autorités politico-juridiques, en lien avec l’histoire du peuplement, les transformations politiques contemporaines et les trajectoires de réforme foncière. (ii) Anthropologie de la mine : relations entre arènes locales (reconfigurations sociopolitiques et économiques, identitaires), activité minière (extraction/transformation) et production des politiques publiques (gouvernance, RSE, accords locaux). (iii) Environnement et valeur des lieux : relations entre registres de savoirs (traditionnels, scientifiques, juridiques, administratifs, techniques), biodiversité, appropriation et valorisation de l’espace et de la nature, dispositifs environnementalistes, services écosystémiques. (iv) Discours et dispositifs, pratiques et politique du développement comme thème transversal.

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Johanna LEES Courriel : [email protected]

TITRE ET DIPLÔMES  2014 : thèse de doctorat en sociologie (EHESS) : « Ethnographier la précarité énergétique : au-delà de l’action publique des mises à l’épreuve de l’habiter », (mention Très honorable avec les félicitations du jury).

SITUATION PROFESSIONNELLE  Chercheure associée au centre Norbert Elias, Johanna Lees travaille depuis la fin de son doctorat pour des projets de recherche hébergés au centre Norbert Elias. Le premier s’intitule « Ville ordinaire, citadins précaires : transition ou disparition programmée des quartiers-tremplins ? ». Il est dirigé par Agnès Deboulet. Le second, FOS EPSEAL « Étude participative en santé environnement » dans la zone de l’étang de Berre est dirigé par Barbara Allen, de l’université de Virginia Tech. Parallèlement, Johanna Lees est membre et chercheure au Laboratoire de sciences sociales appliquées (LaSSA).

RÉSUMÉ DES TRAVAUX  Johanna Lees a mené sa thèse sur la catégorie « précarité énergétique » dans laquelle elle propose à la fois une analyse politique de l’émergence et de  la structuration de cette catégorie et une ethnographie des familles concernées par le phénomène habitant à Marseille dans les grandes copropriétés dégradées et les petites du centre ville. Ses thèmes de recherche concernent la sociologie et l’anthropologie des milieux « populaires », de la migration et de la pauvreté en milieu urbain, est à l’intersection des problématiques d’accès à l’énergie, de « mal logement » et d’inégalités environnementales. Elle s’intéresse de plus en plus à la question des inégalités environnementales, inégalités qui ne sont encore que peu pensées en France, alors même qu’elles ont émergé depuis le début des années 1970 aux États-Unis avec le mouvement pour la justice environnementale. Actuellement, elle réalise avec une équipe pluridisciplinaire (sociologie, anthropologie, épidémiologie), une recherche appliquée en santé environnementale auprès de la population de l’étang de Berre, l'une des plus importantes zones industrielles en France. Dans le cadre de ce projet, le projet Fos EPSEAL, les méthodes de Community based Participatory Research (CBPR) sont expérimentées afin de donner aux habitants et aux acteurs locaux, la possibilité de co-élaborer avec les chercheurs cette recherche en santé environnementale. Plus généralement, le but des travaux est dans une perspective d’anthropologie politique, de comprendre le rapport à l’État des « milieux populaires », à travers l’expérience des individus (participation à des mobilisations collectives, expériences des dispositifs sociaux ou administratifs par exemple).

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Biographies des intervenants

Julien MAZARS Courriel : [email protected]

TITRE ET DIPLÔMES 2013 : diplôme d’ingénieur en informatique à l’université technologique de Compiègne (UTC).

SITUATION PROFESSIONNELLE Volontariat international en administration (VIA) à l’IRD depuis octobre 2015, en ingénierie logicielle et animation scientifique autour de la plateforme de modélisation « GAMA ».

RÉSUMÉ DES TRAVAUX J’ai rejoint l’IRD après deux années d’expérience en société de services, où j’ai pu travailler pour des grands groupes tels que le CEA, Air Liquide, ERDF et EDF, exerçant une activité d’ingénierie informatique autour de problématiques telles que la visualisation et la simulation.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Hypatia NASSOPOULOS Courriel : [email protected]

TITRE ET DIPLÔMES 2012 : thèse de doctorat sur « Les impacts du changement climatique sur les ressources en eaux en Méditerranée », université Paris-Est - École des Ponts ParisTech, France, École doctorale “Ville, Transports, et Territoires”, domaine « sciences économiques ».

SITUATION PROFESSIONNELLE Hypatia Nassopoulos est enseignante-chercheuse à l’École des ingénieurs de la ville de Paris (EIVP), au pôle énergie et climat. Elle représente l’EIVP au réseau Communauté européenne de connaissances et d’innovations (KIC Climat), ainsi que dans le montage de projets d’innovation et également dans le cadre de montages de projets européens H2020 (aspects scientifiques, administratifs, financiers). Elle est également responsable des stages de cette école et participe à l’encadrement académique des étudiants de l’EIVP, à travers des cours et des supervisions de projets au sein du pôle énergie et climat.

RÉSUMÉ DES TRAVAUX Les recherches d’Hypatia Nassopoulos portent essentiellement sur le changement climatique (CC) et notamment sur l’intégration de la question de l’adaptation au changement climatique à des échelles locales opérationnelles notamment l’échelle des projets d’aménagement urbains. Actuellement, elle est impliquée dans le projet de recherche Adaptatio financé par le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie. L’objectif du projet est de proposer une nouvelle méthodologie pour l’intégration de l’adaptation au CC dans le processus de conception des projets d’aménagement urbains. Plus précisément, l’objectif du projet Adaptatio est de penser à l’adaptation et la mitigation de manière conjointe et en amont du processus de conception des projets d’aménagement urbains, en se focalisant sur deux ressources clé, l’énergie et l’eau. Dans le cadre de cette recherche, l’objectif est de développer un nouvel et simple outil d’évaluation des consommations hydriques et énergétiques d’un projet urbain pour différents scénarios climatiques et de choix techniques, et de rassembler dans le cadre du processus de décision toutes les parties prenantes/praticiens impliquées dans ces processus. Dans ce cadre, trois thèmes de recherche sont coordonnés par Hypatia Nassopoulos : - afin de rapprocher le défi de l’adaptation au CC de la sphère opérationnelle, des interviews sont réalisées avec des agents de la ville de Paris, et des acteurs publics/privés qui interviennent dans les projets d’aménagement urbain. Avec le protocole mis en place pour les interviews, l’objectif est d’évaluer la compréhension des praticiens, publics et privés, de l’urbain, du défi du CC, et de voir si ce dernier est pris en compte dans leurs activités opérationnelles. Ces interviews

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Biographies des intervenants permettent aussi d’identifier un projet d’aménagement urbain parisien qui peut être utilisé afin de tester l’approche multidisciplinaire développée dans le cadre du projet Adaptatio : - afin de pouvoir fournir des informations quantitatives en vue d’anticiper la situation future et de penser en amont l’adaptabilité et la flexibilité d’un projet d’aménagement urbain, des activités de modélisation sont effectuées avec ENVI-met, un logiciel tridimensionnel, stationnaire, non hydrostatique. Le logiciel ENVI-met est utilisé afin d’analyser au niveau des projets d’aménagement urbain le microclimat urbain sous différents scénarios climatiques et de choix techniques ; - afin de proposer un nouveau cadre d’organisation de la réflexion avec la participation active de toutes les parties prenantes concernées, en vue de les impliquer dans le processus d’innovation, une recherche exploratoire est réalisée sur la théorie du Design Thinking. L’objectif est de découvrir tous les aspects de cette théorie et d’établir un parallèle avec le processus d’aménagement urbain, dans la perspective d’identifier des synergies potentielles. Hypatia Nassopoulos coordonne les actions menées par l’EIVP dans la cadre des projets européens KIC Climat ACCENT sur la transition énergétique et H2020 Resin sur l’adaptation au changement climatique et la résilience.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Emmanuel PANNIER Courriel : [email protected]

TITRE ET DIPLÔMES 2013-2014 : qualifié aux fonctions de maître de conférence aux sections 19 (Sociologie, démographie) et 20 (ethnologie, préhistoire, anthropologie biologique) du Conseil national des universités. 2006-2012 : thèse de doctorat en anthropologie, université Aix-Marseille 1.

SITUATION PROFESSIONNELLE Chercheur post-doctorant à l’École française d’Extrême-Orient. Chargé de cours à l’université de Toulouse-Jean Jaurès (UFR Sciences Espaces et Sociétés Département de sociologie et d’anthropologie).

RÉSUMÉ DES TRAVAUX Installé au Việt Nam depuis 2005, je mène des recherches auprès des populations rurales du delta du fleuve Rouge, auprès des groupes ethniques du Nord (Mường, Tày, Thái, Hmong, Dao) et dans quelques localités au Sud du Việt Nam (Đồng Nai, Long An et Tây Ninh). L’approche commune à mes différents travaux consiste à éclairer les expressions et les transformations du lien social à travers l’étude des réseaux de relations, des échanges et des modes de régulations sociales. Dans cette perspective, mes recherches abordent les phénomènes sociaux non seulement au niveau des individus séparés, ni uniquement au niveau des structures, mais surtout au niveau des relations, des interactions et des échanges qui relient les agents sociaux. Mes travaux se concentrent en parti­ culier sur la circulation non marchande, les pratiques de sociabilité, les relations État-populations, les projets de développement rural, la gestion sociale de l’irrigation et le changement social. Situées entre l’anthropologie économique et l’anthropologie politique, mes recherches posent en définitive la question du politique, entendu comme les actes, les alliances et les conflits qui participent à la construction, le maintien et la reproduction de la société.

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Biographies des intervenants

Damien PHILIPPON Courriel : [email protected]

TITRE ET DIPLÔMES 2015 : master Informatique option « Systèmes intelligents et multimédia » à l’Institut de la francophonie pour l’informatique en double diplômation avec l’université de la Rochelle.

SITUATION PROFESSIONNELLE Titulaire d’une licence informatique en option « développeur » et aussi « multimédia », je complète ma formation par l’apprentissage de la modélisation de systèmes complexes dans un cadre plus axé dans la recherche afin de pouvoir effectuer une thèse dans ce domaine au sein d’un pays de l’Asie du Sud-Est.

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Patrick TAILLANDIER Courriel : [email protected]

TITRE ET DIPLÔMES 2008 : thèse de doctorat en sciences de l’information géographique, université Paris-Est, menée au laboratoire COGIT de l’IGN : « Révision automatique des connaissances guidant l’exploration informée d’arbres d’états. Application au contexte de la généralisation de données géographiques ».

SITUATION PROFESSIONNELLE Maître de conférences en géographie à l’université de Rouen - UMR IDEES « Identité et différenciation des espaces, de l’environnement et des sociétés » - Laboratoire MTG « Modélisation et traitements graphiques en géographie ». Titulaire d’une chaire d’excellence CNRS.

RÉSUMÉ DES TRAVAUX Mes travaux de recherche concernent la modélisation et la simulation informatique des systèmes complexes. En particulier, je m’intéresse à la modélisation à base d’agents des systèmes socioenvironnementaux. Je poursuis, dans ce cadre, trois axes de recherche : - intégration de données géographiques dans les modèles à base d’agents. L’objectif de cet axe est de donner aux modélisateurs des outils pour intégrer et manipuler des données issues de SIG dans les simulations ; - définition d’agents cognitifs en simulation. Il existe aujourd’hui de nombreuses plateformes visant à aider les modélisateurs à créer leurs propres modèles. Néanmoins, dans le cadre de la modélisation d’entités complexes telles que des êtres humains, ces plateformes sont souvent très limités. Je m’intéresse donc à la définition d’outils permettant de pallier ce manque. Cet axe de recherche est au cœur du projet ANR ACTEUR dont je suis le coordinateur et qui a débuté fin 2014 ; - analyse et calibration de modèles à base d’agents. Les modèles à base d’agents sont généralement très complexes. Comprendre leur dynamique et pouvoir les calibrer se révèlent la plupart du temps très difficile. Je travaille ainsi sur le développement de méthodes permettant, à l’aide de techniques issues de l’intelligence artificielle, l’analyse et la calibration automatique de modèles. Je suis également impliqué dans le développement logiciel de la plateforme GAMA. Cette plateforme intègre un langage riche de modélisation et une gestion poussée des données géographiques.

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Biographies des intervenants

Olivier TESSIER Courriel : [email protected] ; [email protected]

TITRE ET DIPLÔMES Docteur en anthropologie, université d’Aix-Marseille I, 1995-2003, « Le pays natal est un carambole sucré ». Ancrage social et mobilité spatiale : essai de définition d’un espace social local au nord du Vietnam. Académie d’Aix-Marseille, université de Provence (Aix-Marseille I), département d’anthropologie, secteur Lettres & sciences humaines, décembre 2003, 658 p. + 150 p. d’annexes.

RÉSUMÉ DES TRAVAUX Après une formation d’ingénieur en agronomie tropicale et une expérience de quatre années comme responsable de programmes de développement (Burkina Faso, Haïti), Olivier Tessier a débuté en 1995 un doctorat d’anthropologie (université d’Aix-Marseille) dont le terrain se situait au nord du Việt Nam (province de Phú Thọ). Au fil de sa thèse, soutenue en 2003, il s’attache à montrer que l’espace rural kinh (ou viet), généralement conçu et décrit comme l’agrégation d’unités totales et exclusives que sont les villages, présente un tout autre aspect lorsqu’il est envisagé sous l’angle des échanges, de la dynamique de constitution et de transformation des espaces sociaux et politiques. À l’enracinement légendaire des paysans « à la terre de leurs ancêtres » se substitue une réalité plus complexe et foisonnante, celle d’une population mobile se déplaçant aisément au gré des opportunités. Coéditeur de l’ouvrage Le village en question qui finalisa un programme de recherche pluridisciplinaire mené conjointement de 1996 à 2000 par le centre de l’ÉFEO de Hà Nội et l’Académie des sciences sociales du Việt Nam, Olivier Tessier a coordonné, parallèlement à ses propres travaux de recherche, deux programmes de coopération scientifique (1999-2004) pour le compte de l’Université catholique de Louvain dans les provinces montagneuses de Sơn La et Hoà Bình. Pendant la même période, il a participé à différentes missions d’expertise pour des organisations internationales (Union européenne, Banque mondiale). Enfin, il a dirigé de janvier 2005 à septembre 2006, le projet FSP « Appui à la recherche sur les enjeux de la transition économique et sociale au Vietnam » financé par le ministère des Affaires étrangères et mis en œuvre par le centre de l’ÉFEO de Hà Nội. Dans le cadre de son recrutement à l’ÉFEO en qualité de maître de conférence (septembre 2006), il poursuit ses travaux de recherche consacrés à la question centrale de l’évolution des rapports « État – collectivités paysannes » au cours des XIXe et XXe siècles en les envisageant sous l’angle de la gestion de l’eau et de l’hydraulique, dont l’omniprésence ordonne le paysage et imprègne la culture des hommes. Concrètement, il convient de s’interroger sur les conditions sociales, politiques et économiques de la mise en place d’une hydraulique à grande échelle dans les deltas du fleuve Rouge et du Mékong, d’envisager les possibilités de contrôle de la terre et des hommes offertes par un tel quadrillage de l’espace, de s’intéresser aux techniques de construction qui ont progressivement abouti au remodelage du territoire, d’analyser les modalités d’intendance de l’eau mises en œuvre par les collectivités paysannes d’un côté, et par l’État au travers de ses corporations

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est spécialisées, véritables services techniques, de l’autre. Afin d’aborder l’impressionnante masse documentaire produite pendant la période coloniale sur la question de l’hydraulique, un projet intitulé « Analysis and Reconstruction of Catastrophes in History within Interactive Virtual Environments and Simulations » associant l’ÉFEO, l’IRD, les ANV et l’université des sciences et technologies de Hà Nội (USTH), a vu le jour en 2013. D’une durée de trois ans, il se focalisera sur l’histoire contemporaine delta du fleuve Rouge. Responsable du programme de coopération archéologique ÉFEO-ASSV, il a coordonné différentes actions afin de soutenir l’Institut d’Archéologie dans sa démarche de conservation – mise en valeur patrimoniale du site. Parallèlement à ces actions, il a mené pendant deux ans au Vietnam et en France une recherche archivistique consacrée à l’histoire de la citadelle de Hà Nội au XIXe. Basé sur les annales impériales vietnamiennes et sur d’abondantes sources écrites et iconographique (plans, cartes, photographies) produites pendant la période coloniale, ce travail de reconstitution historique a donné lieu à l’organisation d’une exposition et de plusieurs conférences. Un ouvrage est en cours de rédaction. Après avoir été représentant de l’ÉFEO au Việt Nam (centre à Hà Nội et antenne à Hồ Chi Minh ville) pendant trois années (2012-2015), il est depuis septembre 2015 responsable de l’antenne de Hồ Chi Minh ville où il coordonne le programme de recherche « Gouvernance locale – Projet de gestion des ressources en eau de Phước Hòa. Relations entre les acteurs locaux impliqués dans la gestion de la ressource ». L’ÉFEO a en effet été sollicitée par l’AFD en 2014 pour mener une étude sur l’impact sociale du grand projet d’aménagement hydraulique du bassin du Đồng Nai (sous-bassins de Sài Gòn et Vàm Cỏ Đông) qui est mis en ouvre et cofinancé par le gouvernement vietnamien, l’AFD et la Banque asiatique de développement. Son objectif est d’améliorer la disponibilité des ressources en eau et de promouvoir une gestion durable et efficace de la ressource à l’échelle de l’ensemble de ce bassin. Dans ce cadre, l’étude menée par l’antenne de l’ÉFEO à Hồ Chi Minh ville vise à décrire et analyser les modalités de gouvernance locale de l’eau dans deux grands périmètres irrigués aménagés par le projet : Tân Biên (6 500 ha – province de Tây Ninh) et Đức Hòa (10 200 ha – province de Long An). Concrètement, il s’agit d’évaluer l’adéquation entres les objectifs assignés au projet en 2003 en termes de gestion sociale et de politique des ressources en eau, et les attentes des différents acteurs impliqués dans un contexte évolutif marqué par de profondes transformations sociales et économiques tant à l’échelle régionale que locale.

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Biographies des intervenants

Sébastien VELUT Courriel : [email protected]

TITRE ET DIPLÔMES 2007 : habilitation à diriger des recherches, université de Paris 3 - Sorbonne-Nouvelle. Thèse de doctorat « nouveau régime » université de Paris III - Sorbonne-Nouvelle - Institut des hautes études d’Amérique latine - discipline : géographie, aménagement, urbanisme, spécialité : géographie (mention Très honorable avec les félicitations du jury à l’unanimité). 1991 : agrégation de géographie.

SITUATION PROFESSIONNELLE Je suis actuellement professeur à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (SorbonneNouvelle), que j’ai dirigé de 2011 à 2015, et directeur délégué aux relations internationales de l’université Sorbonne Paris Cité. J’ai été précédemment chercheur en détachement à l’IRD et basé au Chili.

RECHERCHE Mes recherches portent sur la géographie politique du développement, particulièrement en Amérique latine même si mes travaux m’ont conduit également au Liban et en Nouvelle-Calédonie. J’ai travaillé ces dernières années sur plusieurs projets de recherche en lien avec la transition énergétique notamment l’ANR Transition énergétique dans les métropoles du Sud (TERMOS) et Transition énergétique en Amazonie brésilienne (Tedamaz). Je m’efforce d’apporter sur les questions de transition énergétique une vision depuis les territoires et les acteurs pour défendre l’idée qu’il existe une pluralité de trajectoires possibles de transition énergétique.

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Sigles et abréviations ADEN

Agence nationale du développement et de l’énergie

AFD

Agence Française de Développement

AIE

Agence internationale de l’énergie

AM

Adapting Mosaic

ASEAN

Association des nations de l’Asie du Sud-Est

ASSV

Académie des sciences sociales du Việt Nam

AUF

Agence universitaire de la Francophonie

B&SEF

Biens et services des écosystèmes forestiers tropicaux

CC

Changement climatique

CBPR

Community based Participatory Research

CEA

Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives

CIAT

International Center for Tropical Agriculture

CIRAD

Centre international de la recherche agronomique pour le développement

CNRS

Centre national de recherche scientifique

CO2

Dioxyde de carbone

COP21

Conférence de Paris en 2015

CORE

Center of Operational Research

CP

Comité populaire

CRS

Compagnies républicaines de sécurité

CSRD

Center for Social Research and Development

EDF

Électricité de France

ÉFEO

École française d’Extrême-Orient

ENSA

École nationale supérieure agronomique

ENSAE

École nationale de la statistique et de l’administration économique

EIVP

École des Ingénieurs de la Ville de Paris

ETo

Évapotranspiration de référence

FAO

Food and Agriculture Organisation

FMI

Fonds monétaire international

GAMA

Gis and Agent-Based Modelling Architecture

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Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est GASS

Graduate Academy of Social Sciences

GDN

Global Development Network

GES

Gaz à effet de serre

GIEC

Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

GRED

Gouvernance, risque, environnement, développement

GRENAD

Gestion de ressources énergétiques autonomes et distribués

GO

Global Orchestration

IBA

Impact and Benefit Agreements

IFI

Institut de la francophonie pour l’informatique

INRA

Institut national de recherche agronomique

IRD

Institut de recherche pour le développement

IRIT

Institut de recherche en informatique de Toulouse

JTD

Journées de Tam Đảo

kWh

Kilowatt-heure

LaSSA

Laboratoire de sciences sociales appliquées

LIBOR

London Interbank Offered Rate

LEMNA

Laboratoire d’économie et de management de Nantes-Atlantique

MAELIA

Multi-Agent for Environmental Norms Impact Assessment

MAPS

Modélisation multi-agents appliquée aux phénomènes spatialisés

MCSA

Modélisation conceptuelle d'un système agraire

MEA

Millenium Ecosystems Assessment

Mercosur

Marché commun du Sud

MIT

Massachusetts Institute of Technology

MTG

Modélisation et traitements graphiques en géographie

MWh

Mégawatt-heure

NASA

National Aeronautics and Space Administration

OCDE

Organisation de coopération et de développement économiques

ODD

Objectifs de développement durable

ONG

Organisation non gouvernementale

ONU

Organisation des Nations unies

OPEP

Organisation des pays exportateurs de pétrole

OS

Order by Strength

PACA

Région Provence-Alpes-Côte d’Azur

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Sigles et abréviations PED

Pays en développement

PIB

Produit intérieur brut

RNSC

Réseau national des systèmes complexes

RSB

Table ronde pour des biocarburants durables

RSE

Responsabilité sociale d’entreprise

RSPO

Table ronde sur l’huile de palme

SMAC

Systèmes multi-agents coopératifs

TERMOS

Transition énergétique dans les métropoles du Sud

TG

Techno Garden

TTCR

Taillis à très courte rotation

UE

Union européenne

UNFCCC

United Nations Framework Convention on Climate Change

URDSE

Université royale de droit et de sciences économiques du Cambodge

USTH

Université des sciences et technologies de Hà Nội

UTC

Université technologique de Compiègne

VIA

Volontariat international en administration

221

MAISON D’ÉDITION TRI THỨC 53 Nguyễn Du - Hà Nội - Việt Nam Tél : (844) 3945 4661 ; Fax : (844) 3945 4660 Courriel : [email protected]

Ouvrage Collective Coordinateur Scientifique: Stéphane Lagrée (Ecole Francaise d'Extreme-Orient, EFEO) Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Responsable de la publication CHU HẢO Editeur : Nguyễn Bích Thủy Conception et mise en page : Tomorrow Media Couverture : Tomorrow Media En partenariat avec Tomorrow Media Co., Ltd. Adresse : Số 59 ngõ Xã Đàn 2, Nam Đồng, Đống Đa, Hà Nội

Imprimé en 1.000 exemplaires, format 16 x 23 cm au Công ty TNHH In và Thương mại Mê Linh. Adresse : Xóm chợ, Xã Mê Linh, Huyện Mê Linh, Hà Nội. Licence numéro 2028-2018/CXBIPH/6-20/TrT. Décision de publication 26/QĐLK-NXBTrT par le directeur de la Maison d’Édition Tri Thức, signée le 19 juin 2018. ISBN : 978-604-943-809-7. Dépôt légal : 3e trimestre 2018.

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

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L’Académie des sciences sociales du Việt Nam (ASSV), l’Agence Française de Développement (AFD), Global Development Network (GDN), l’Institut de recherche pour le développement (IRD), l’Ecole française d’Extrême-Orient (ÉFEO), l’université de Nantes, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) ont décidé de soutenir l’université d’été en sciences sociales intitulée « Les journées de Tam Đảo » dans le cadre d’un accord de partenariat. Ce partenariat a pour objectif de développer une formation pluridisciplinaire d’excellence, de constituer une plateforme de discussion sur les politiques et de drainer un large public académique et non académique à travers l’Asie du Sud-Est.

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est

Cet ouvrage présente un verbatim des interventions et des débats tenus lors des séances plénières et des ateliers qui se sont déroulés du 8 au 16 juillet 2016 à l’université Duy Tân (Đà Nẵng) sur la problématique de la transition énergétique. Quatre principaux axes de réflexion sont privilégiés dans le cadre d’ateliers thématiques : (i) outils pour une approche locale de la transition énergétique ; (ii) outils d’analyse des filières biomasse-énergie ; (iii) usages des modèles informatiques pour l’aide à la prospective énergétique et l’accompagnement de politiques de transition ; (iv) formation aux enquêtes de terrain. Programmes biogaz dans deux communes rurales du district rural de Hoà Vang, province de Đà Nẵng (Việt Nam).

ISBN: 978-604-943-809-7

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786049 438097

Non destiné à la vente

Les enjeux de la transition énergétique au Việt Nam et en Asie du Sud-Est Ouvrage collectif

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