Thomas Durand Management de La Technologie Et de Linnovation [PDF]

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Zitiervorschau

Le Management de la Technologie et de l’Innovation par Thomas Durand

Paru dans l’Encyclopédie de la gestion et du management, R Le Duff, Dalloz (1999) I - Introduction La technologie est en quelque sorte une nouvelle venue dans le champ des préoccupations de la gestion. Non pas que l’innovation et l’évolution des techniques n’aient pas depuis longtemps affecté la vie des entreprises. La prise de conscience des enjeux du changement technique et de leurs conséquences sur la vie des organisations et sur la dynamique des marchés remonte même en fait aux origines du développement industriel. C’est plus simplement peut-être que la sphère de l’ingénieur et le champ du management n’avaient pas encore eu le temps ou l’occasion de se fertiliser l’un l’autre ; en tout cas pas de façon explicite ni organisée. C' est maintenant chose faite ou en voie de l' être. Il existe en effet désormais un domaine de recherche et d' enseignement en gestion que nous choisirons ici de désigner par le vocable de "management de la technologie et de l’innovation". Clarifions tout d' abord le vocabulaire. Fille naturelle de la science et de la technique, la technologie n' est pourtant réductible ni à la seule application de la découverte scientifique, ni à la seule mise en œuvre de techniques empiriques. La science relève de la connaissance fondamentale que produit la recherche. Elle vise à repérer, décrire et caractériser puis modéliser les mécanismes de base du monde qui nous entoure, dans ses différentes dimensions physiques, chimiques, biologiques, médicales, sociales... La technique relève de savoir-faire construits empiriquement dans l' action, dans l' accumulation d' expériences concrètes, par l' apprentissage, en faisant. En cela, la technique tient du tour de main, de la recette, de la pratique sur un objet ou une opération particulière. Une bonne part de la technique est tacite (Nonaka, 1995), c' est à dire qu' elle n' est pas codifiée et donc difficilement reproductible sans expérience préalable : son transfert se fait principalement par compagnonnage. Cet enracinement de la technique dans le réel et dans l' action constitue à la fois une force et une faiblesse. A l' évidence, la puissance de la technique provient de la force de l' expérimentation et de l' accumulation d' expérience. A l' inverse, faute d' une connaissance suffisante et d' une compréhension des mécanismes qui permettent à la technique de fonctionner, les adaptations, les extensions, les transferts d' application sont difficiles, aléatoires et potentiellement coûteux.

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La technologie fait référence à une activité de conception et de production, souvent industrielle mais aussi de service, en réponse à des besoins de marché. La technologie combine pratiques techniques et connaissances scientifiques, au service de finalités économiques explicites. En cela, la technologie a vocation à être gérée alors même que, par nature, elle relève pour partie de savoir-faire tacites. La tâche n' est donc pas aisée. Pour sa part, l'innovation peut être définie comme la réalisation de la nouveauté. Alors que l' invention se limite à l' idée nouvelle sans réelle confrontation au besoin qu' elle entend satisfaire, l' innovation franchit ce pas considérable qui va de l' idée à sa réalisation concrète et à la satisfaction du besoin. L' innovation, c' est le changement réalisé, qu' il soit limité ou radical, qu' il porte sur le concept de produit, sur le procédé de fabrication ou sur l' organisation,... Le lien entre innovation et technologie est naturel : la technologie s' améliore en continu au travers d' innovations dites incrémentales qui tracent, chemin faisant, une trajectoire technologique en exploitant le potentiel de la veine ainsi explorée, jusqu' à ce qu' une rupture technologique (une innovation révolutionnaire) vienne substituer une nouvelle technologie à l' ancienne, en un processus de destruction créatrice décrit par Schumpeter (1941). En référence à ces définitions, nous entendons par "management de la technologie" l’ensemble des problématiques suivantes : (a) l’observation, l’identification et l’évaluation des technologies alternatives pour remplir une fonction générique sur le marché, (b) le choix des technologies les plus pertinentes parmi celles possibles pour permettre à l’entreprise de tenter de construire un avantage concurrentiel durable, (c) l' accès à la maîtrise des technologies choisies, que ce soit par développement interne, collaboration R&D ou acquisition externe, (d) la gestion corollaire des activités de recherche mais aussi de celles de développement, d' études de faisabilité et plus généralement la gestion de projet, (e) la mise en œuvre et l' amélioration ultérieure en continu des technologies nouvellement intégrées au portefeuille des technologies de l' entreprise, qu' elles relèvent des concepts de produit ou des procédés de fabrication, ainsi que (f) l' abandon de technologies obsolètes, auxquelles de nouvelles technologies sont progressivement ou soudainement substituées. Fondamentalement, ces problématiques du management de la technologie tournent en fait essentiellement autour du thème du changement technologique. Ce n' est pas tant la technologie qui est ici l' enjeu que la question de son évolution et du passage d' une technologie à une autre... C' est là sans doute qu' il faut voir la raison qui fait que le thème de l' innovation a été historiquement lié à celui de la gestion des technologies, alors même que les innovations qui affectent les entreprises et leurs clients ne sont pas toutes techniques, loin s’en faut. Avec le "management de l'innovation", nous entendons donc déborder du cadre strict de la technique pour couvrir la problématique plus générale du changement. L' innovation peut certes concerner la technologie et alors porter sur le concept de produit ou le procédé de fabrication, mais elle peut aussi concerner l' organisation, que ce soit dans les relations externes de l' entreprise avec ses clients, ses fournisseurs et autres partenaires extérieurs ou dans les processus internes qui routinisent son propre fonctionnement (Nelson et Winter, 1982). Le management de l' innovation recouvre ainsi (a) la promotion de l' innovation pour faciliter la génération d' idées nouvelles, c' est à dire leur éclosion et l' écoute des porteurs d' idées, mais aussi l' accompagnement du développement des projets d' innovation, (b) la sélection des innovations pertinentes pour l' entreprise, en gérant un portefeuille de projets

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financièrement accessibles et dont la faisabilité technique et marketing est escomptée, (c) la gestion des compétences et des moyens requis pour mener à bien les projets, y compris en mobilisant des partenariats externes, et (d) la prise en compte des implications sociales et organisationnelles de l' innovation et donc de l' inertie voire des oppositions que peut susciter tout changement non ou mal préparé. Ainsi le management de la technologie et de l' innovation traite-t-il de questions qui sont au cœur de la gestion : quelles technologies maîtriser ? Quels changements technologiques opérer dans le temps face à la concurrence ? Comment accéder aux compétences et en particulier aux savoirs et savoir-faire techniques qui nous font défaut ? Comment renforcer la capacité d' innovation de l' organisation ? Comment et suivant quels critères sélectionner les projets d' innovation ? En cela le management de la technologie et de l' innovation traverse nombre des problématiques de la gestion, que ce soit la stratégie avec les choix de technologies ou la gestion des compétences dites clés, l' organisation avec les articulations entre innovation et développement organisationnel, le droit avec la protection de l' innovation et la propriété industrielle, mais aussi la gestion de projet ou encore la gestion des opérations et plus particulièrement la gestion de production. L' importance de ce thème ne provient en fait pas seulement de l' intérêt qu' il y a à étudier en soi la dynamique intrinsèque des technologies et les caractéristiques propres des processus d' innovation. L' enjeu véritable est que la technologie traverse l' entreprise : il est alors essentiel de mieux comprendre en quoi et comment la technologie, et plus encore son évolution apparemment inéluctable, conditionnent la vie de l' entreprise, son positionnement concurrentiel et son fonctionnement. C' est là ce qui fait du management de la technologie et de l' innovation une autre porte d' entrée passionnante sur la gestion.

II - Perspective historique et revue de la littérature La littérature rend compte de la montée en puissance progressive des préoccupations de la gestion pour la technologie et l' innovation. Il peut être commode, pour simplifier, de décomposer les différents travaux passés en 7 grandes familles, chacune consacrée à un thème spécifique. 1. La gestion de la R&D Pour beaucoup, gérer la technologie et l' innovation revient encore aujourd' hui essentiellement à gérer la R&D. Dans cette logique, l' intérêt des chercheurs en gestion s' est d' abord historiquement tourné vers la contribution des activités de R&D au développement de l' entreprise et vers la question corollaire de l' apparition et de la maîtrise de nouvelles technologies. Les activités de recherche présentent des caractéristiques spécifiques qui exigent une gestion adaptée : les budgets de recherche sont en fait par nature discrétionnaires, en ce sens qu’il n’y a pas de niveau de dépenses R&D qui puisse être considéré comme intrinsèquement optimal dans un contexte donné ; les chercheurs ont vocation à se spécialiser dans la durée et de tels parcours s' accommodent mal des inévitables fluctuations des besoins du marché et d' une saine

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mobilité fonctionnelle au sein des entreprises ; les carrières d' expert pour les spécialistes les plus pointus doivent faire l' objet de dispositifs adaptés pour offrir aux intéressés des incitations suffisantes car sinon ils s' efforceront d' accéder à un cursus de management, abandonnant leur compétence technique. Allen (1977) a ainsi analysé le fonctionnement des centres de recherche de grandes entreprises et les conditions d' efficacité des travaux de recherche qui s' y déroulent. La revue R&D Management représente ce courant de recherche qui s' essouffle aujourd' hui quelque peu. L' ANRT et son périodique ' Le progrès technique's' inscrivent dans le même courant, tout comme l' association des directeurs R&D de grands groupes européens, l' EIRMA. 2. Science, recherche publique, technologie et innovation Une autre veine de travaux a concerné le rôle de la science et de la recherche publique en matière de technologie et d' innovation. Cette perspective a permis de clarifier la nature des articulations au sein des "systèmes nationaux d' innovation", en particulier entre recherche privée et publique (Nelson, 1993, Lundvall, 1988 ; Niosi, 1994 ; Foray et Freeman, 1992 ; Gambardella, 1995). Des travaux de recherche dits bibliométriques ou scientométriques se sont par ailleurs efforcés d' analyser les dynamiques des communautés scientifiques nationales et internationales au travers de leurs publications et par exemple des coopérations dont les cosignatures sont le reflet (Okubo, 1997). La question des transferts de technologie et de la valorisation de la recherche publique constitue un autre aspect autour de ce thème, Gonard et Durand (1994). Une contribution particulièrement intéressante est celle du modèle dit "chain-link" de Kline et Rosenberg (1986) qui choisissent avec raison de distinguer fortement les deux éléments constitutifs de ce que l' on désigne à tort par R&D. Dans ce modèle illustré par la figure 1, la recherche interne à l' entreprise permet de constituer un vivier de compétences d' accompagnement qui ont vocation à être mobilisées tout au long du processus d' innovation, quelle que soit l' étape dans laquelle on se trouve. En contraste, le développement participe directement à ce processus, au stade de la concrétisation d' une idée et de l' élaboration d' un prototype ou de l' optimisation d' un produit ou procédé existant. Dans cette même veine, le schéma de la figure 2 clarifie différents termes utilisés pour qualifier tout ou partie des activités de R&D.

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Figure 1

Le modèle Chaînage-Interaction (Chain Link Model)

.

R

R

3

K

.

3

1

Marché

Développement Reconception prototype C

élaboration

potentiel

et

d'un concept f

I

S

1

1

C

4

2

2

Invention et/ou

3

4 K . K . Compétences

2

C

.

R

Recherche 4

D

.

et

Distribution et

C

production

marché

test

nouveau f

f

f

f f F

Source : Kline S.J. & N. Rosenberg (1986)

Figure 2

Les liens entre Nature des Recherches et Objectifs

Réaliser et Optimiser

Recherche R&D

Recherche scientifique

Recherche de base

Recherche technique

Créer / Résoudre / Concevoir

Développement

Développement

• Pour combler les lacunes révélées par l'aval

Recherche technologique

Recherche appliquée

• Pour l'utilité à terme

Recherche finalisée / orientée

Recherche Fondamentale ou Cognitive

Recherche industrielle

Comprendre • Par intérêt scientifique

Recherche académique

Multiples boucles de rétroaction

Source : Michel Rapin

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Une perspective d' investigation particulière de ces sujets est celle de la sociologie de la recherche et de l' innovation qui s' est astreinte à observer les activités de recherche dans les laboratoires ou les jeux d' acteurs autour des projets innovants avec les outils méthodologiques de la sociologie (Akrich, Callon, Latour, 1988a et 1988b) et de l' anthropologie (Latour, 1996). Cette approche a montré que la technologie résulte moins d' une pure dynamique de la technique que de l' émergence de coalitions d' acteurs au sein des réseaux de l' innovation, et de leurs trois pôles principaux que sont science, technologie et marché (Callon, 1991). Le rôle des clients et des fournisseurs avait déjà été largement souligné (Von Hippel, 1988), comme celui des utilisateurs et plus généralement des différents partenaires de l' entreprise, participants directs ou indirects aux projets d' innovation (Midler, 1993). Une même idée s' est progressivement imposée et traverse tous ces modèles, celle d' un processus non linéaire de l' innovation fait de nombreuses boucles d' itération et d' interaction, où la recherche ne constitue ni la première source ni même le maillon principal du développement de technologies nouvelles et de leur mise en œuvre dans l' entreprise mais plutôt un support essentiel et bienvenu pour l' apprentissage technologique des organisations. 3. Comprendre la dynamique des technologies Un ensemble de travaux a permis de mieux décrire les mécanismes de diffusion de l' innovation technologique. Une meilleure compréhension des phénomènes de substitution et d' accumulation technologiques a vu le jour avec les travaux pionniers de Abernathy et Utterback (1975, 1978) qui ont élaboré une première proposition de modèle sur la base de l' observation de l' histoire industrielle de quelques secteurs, ou ceux de reconstruction théorique de Dosi (1982) qui a clarifié le concept de trajectoire technologique dans la même veine que les trajectoires naturelles de Nelson et Winter (1982), ou encore ceux de Clark (1985) qui suggère un processus d' exploration par les entreprises au sein d’une triple hiérarchie d' options techniques et de besoins de marché. La description de cas de ruptures technologiques par Cooper et Schendel (1976) a été suivie par les illustrations de Foster (1986) de la modélisation en courbe en S ou les arbres technologiques de Durand et al (1986, 1991, 1992). Résumons simplement ce qu' il convient d' en retenir : •

Sur un marché donné, un besoin à satisfaire par un produit ou un service, c’est à dire une fonction générique est remplie par une certaine technologie devenue dominante. Des alternatives technologiques sont envisagées mais ne sont pas adoptées car elles restent trop futuristes, pas au point ou trop chères. Au fur et à mesure que la technologie dominante s’est établie, le marché s’est segmenté, faisant apparaître des besoins spécifiques sur certains sous-segments, quitte à nécessiter des adaptations de la technologie pour y répondre. Mais cette technologie dominante reste la référence et renforce sa position car il n’existe pas à ce moment-là de meilleure façon de satisfaire les besoins du marché. C’est là un lent processus de maturation.

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Progressivement, parmi les options technologiques alternatives, l’une d’elle émerge comme une voie novatrice susceptible d’apporter une performance supérieure, des fonctionnalités nouvelles, un coût inférieur ou une combinaison de ces trois formes d’amélioration. Cette nouvelle technologie est souvent le fait de nouveaux entrants qui choisissent de s’engager sur une niche de marché pour y satisfaire des besoins spécifiques, peu ou mal traités jusque là par la technologie dominante. Cette nouvelle technologie n’est pas nécessairement intrinsèquement la meilleure solution technique mais elle a le mérite de faire l’objet d’une première industrialisation et d’une commercialisation qui, par accumulation d’expérience, lui assureront vite d’atteindre un niveau de performance réalisée supérieur à ce que les autres voies technologiques envisageables peuvent laisser espérer au même moment. Cet effet se renforcera naturellement au cours du temps, débouchant sur une situation de blocage (‘lock-in’). Un nouveau paradigme et une nouvelle trajectoire technologiques apparaissent ainsi.



Sur cette niche, la nouvelle technologie est rapidement améliorée et tend à faire tâche d’huile vers d’autres segments de marché, à travers des mécanismes de tâtonnement, d’essais et d’amélioration par essence cumulatifs. Des suiveurs joignent les premiers développeurs et accélèrent ces processus d’apprentissage, de mise au point et de diffusion.



La nouvelle technologie s’étend progressivement à une part toujours plus grande du marché et cannibalise littéralement les parts de marché de l’ancienne technologie dominante en un processus à la fois explosif et difficilement réversible. Les leaders sur l’ancienne technologie dominante ont le choix entre l’entêtement pour tenter d’améliorer une technologie pourtant dépassée ou la stratégie du suivi tardif pour prendre le train en route et tenter de rester dans la course, en acceptant les nouvelles règles du jeu imposées par les exigences de la nouvelle technologie qui s’impose comme dominante.



Dans le même temps la segmentation du marché évolue, les frontières du métier se déplacent, le marché est dans certains cas amené à s’élargir, des sous-segments apparaissent. Un nouveau processus de maturation est à l’œuvre avant le prochain épisode de dé-maturation dont l’avènement est inévitable, parce qu’ainsi va la vie des technologies.

La figure 3 (Durand, 1992) représente graphiquement (pour le cas des centraux de commutation téléphonique) certains des aspects de cette modélisation qui s' inscrit dans le courant dit évolutionniste au sein de l' économie du changement technique et qui recourt largement aux concepts de routines et d' apprentissage organisationnel. Cette approche conduit ainsi à re-boucler sur une autre veine de recherche en économie industrielle et en gestion, celle de la perspective basée sur les ressources et son corollaire, la théorie encore émergente dite des compétences de l' organisation. Nous y revenons dans l’avant-dernière section de cette revue de la littérature, section 6.

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Indice de coût / Performance

Figure 3

Evolution des technologies alternatives autour d'un même besoin générique

Innovations de produits

Micro-ruptures

Innovations de process

Rupture

Trajectoire technologique Innovations incrémentales

Temps

4. La promotion de l'innovation Depuis les années 70 et plus encore avec les années 80, le changement technique et plus largement l' innovation sont identifiés comme une source de bouleversement et donc de construction d' avantages concurrentiels significatifs. Pour Porter (1985), l' importance spécifique de la technologie réside dans sa capacité à influencer le jeu concurrentiel en modifiant à la fois la structure des secteurs concernés et les règles du jeu qui y prévalent. La technologie peut bousculer ou même anéantir les positions établies par les concurrents et créer des opportunités pour de nouveaux entrants. Dans cette vision très schumpétérienne, c' est la principale sinon la seule force capable de modifier de façon significative les parts de marché. Des technologies de substitution et les produits qui leur sont associés peuvent ainsi recomposer des pans entiers de secteurs de l' industrie, comme ce peut être le cas du multimédia face à l' informatique, l' électronique grand public, l' édition et le secteur télévisuel par exemple. En ce sens, l' innovation est une arme concurrentielle pour qui sait y recourir. Burns et Stalker (1961) ont été parmi les premiers à suggérer que la nature et le mode de fonctionnement de l' organisation puissent faciliter ou au contraire limiter la capacité de l' entreprise à innover. Roberts et Frohman (1972), Maidique (1980), Doz et al (1985), Burgelman et Sayles (1987), Van de Ven et al. (1989), Dougherty (1992), Roberts (1987), Utterback (1994), Bellon (1994) ou Tushman et O’Reilly (1997) ont chacun à leur manière analysé les formes d' organisation adaptées pour favoriser l' innovation. Les travaux de Burgelman et Sayles sur l' intraprenariat sont particulièrement éclairants. Ils montrent comment la grande entreprise a tendance à étouffer dans l' œuf les idées nouvelles car elles dérangent le fonctionnement de l' organisation et comment il est possible de protéger et d' accompagner les porteurs de projet internes (les intrapreneurs).

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Il convient dans le même temps de souligner l' engouement actuel pour les créateurs d' entreprise, les entrepreneurs, sorte de héros des temps modernes, et pour la question corollaire du financement de leurs projets à travers le capital risque et les dispositifs publics de soutien à l' innovation comme ceux de l' Anvar (Histoires d' innover, 1993) ou de la Commission de l' Union Européenne (Le Livre vert de l' innovation, 1995). 5. Innovations organisationnelles : JIT, TQM, développement simultané Le management de la technologie présente des liens évidents avec la gestion de la production ou avec la gestion de projet. La production recourt à des technologies de procédé et un nombre important de projets de développement, qu’il s’agisse de nouveaux produits ou de nouveaux process, gravitent autour de questions de technologies alternatives. Pourtant, c' est plus à travers le concept d' innovation organisationnelle que la littérature consacrée au management de la technologie et de l' innovation a traité de production et de gestion de projet. Si l' on s' astreint en effet à repérer sur une période longue les innovations qui auront le plus fortement et le plus durablement marqué les activités manufacturières phares comme l' automobile ou l' électronique et au-delà une large part de l' industrie, force est de constater que ces innovations ont porté sur des révolutions organisationnelles. La révolution du juste à temps ou la mise en place de démarches de qualité totale ont transformé les entreprises et les secteurs qui s' y sont employés. Skinner (1978), Hayes et Wheelwright (1984), Teboul (1990), de Meyer (1992) ou Kanji et Asher (1996) rendent compte de ces bouleversements introduits dans le monde de la production et qui ont diffusé bien au-delà. D' une façon similaire, l' organisation par groupe projet et l' approche dite du développement simultané ou d’ingénierie concourante ont permis de considérablement réduire les délais et corollairement les coûts de développement de produits nouveaux (Midler, 1993 ; Clark et Fujimoto, 1991 ; Nishigushi, 1996). C' est dans cette même veine qu' il est possible de replacer l' approche du développement de produits nouveaux à travers le concept de modularité (Sanchez, 1996). Il s' agit de découper le produit et son développement en modules dont les interfaces sont alors spécifiées strictement pour permettre un travail indépendant sur chaque module. C' est là encore une innovation organisationnelle. Ce n' est d' ailleurs pas un hasard si dans son rapport "les 100 technologies clés pour la France" (1995), le ministère en charge de l' industrie a choisi de donner une place de choix à ces "technologies organisationnelles", d' ailleurs improprement qualifiées de molles. 6. Le management des technologies et des compétences Au-delà du flux des nouvelles technologies que Allen (1977) se proposait déjà de gérer, Morin (1985) est celui qui a le plus systématiquement suggéré de considérer la technologie comme une ressource constitutive d' un patrimoine qu' il convient de recenser, évaluer, surveiller pour mieux le préserver, l' optimiser, l' enrichir. C' est pour cette raison qu' il parle pour sa part de management des ressources technologiques. Il reprend ainsi une idée des consultants du cabinet ADL qui recommandent de construire le portefeuille des technologies de l' entreprise en les caractérisant suivant diverses dimensions. Ces consultants ont en particulier proposé de caractériser chaque technologie d’une part suivant la position plus ou moins forte de l’entreprise face aux autres détenteurs de cette technologie et d’autre part suivant le caractère plus ou moins stratégique de cette technologie. Les consultants d’ADL - page 9 -

ont ainsi suggéré de distinguer les technologies clés (celles dont la maîtrise est susceptible de procurer un avantage concurrentiel significatif et potentiellement durable), les technologies émergentes (celles en cours de développement ou de première diffusion dont on ne sait pas encore si elles sont susceptibles de devenir clés) et enfin les technologies de base (celles dont la diffusion a été telle qu’il est possible d’y accéder facilement par exemple à travers des sous traitants, ou en achetant des équipements et en embauchant sur le marché du travail des techniciens déjà formés,…). Ainsi la typologie ADL constitue-t-elle la première grille d’évaluation du portefeuille des technologies de l’entreprise. Dans cette logique, Durand (1988) et Kandel et al (1991) proposent des outils de recensement et d' évaluation du potentiel technologique d' une organisation. Une perspective différente mais connexe est celle des modes d' accès à la technologie. Durand (1988) propose une typologie des voies génériques d' accès à la technologie pour une entreprise, voir figure 4. Les problématiques classiques du choix entre faire ou faire faire en R&D, ou encore celle du choix entre une recherche centrale (un ou des centres de recherche éloignés des activités) ou au contraire des équipes réparties dans les divisions et les centres de profit, apparaissent comme des cas particuliers d' une problématique d' ensemble beaucoup plus vaste. Lorsqu’il s’agit d’acquérir une technologie, Bidault (1986) montre pour sa part combien il est difficile d' en évaluer la valeur, tant il est vrai que le marché de la technologie est imparfait, avec une offre souvent monopolistique et rarement exprimée.

Figure 4

Matrice des stratégies génériques d'accès à la technologie

INTERNE

EXTERNE Développer

Faire (R&D)

•Concurrentiel

•R&D interne centralisée

exclusif et

Etat d'esprit

plutôt centralisateur

•Coopératif

Acquérir

Faire-Faire (R&D) •Sous-traitance R&D morcellée, exclusive

•R&D interne décentralisée

•Entreprenariat

partenarial et

interne.

plutôt

Opérationnels

décentralisateur

innovateurs

Acquisition de technologies

•Co-traitance R&D

•Collecte de l'information suivie de l'état de l'art •Débauchage de spécialistes des concurrents •Achat de techno-logies (achat de licences, etc.) •Troc

Acquisition de sociétés •Prise de contrôle

•Prise de participation •Foisonnement

(entrepreneurial)

•Collaborations R&D •Joint ventures

Après Mansfield (1985), et avec son concept d' actifs complémentaires, Teece (1986) analyse les conditions "d' appropriation" d' une technologie nouvelle pour l' innovateur ou au contraire pour un suiveur (imitateur ou détenteur d' actifs spécifiques), suivant le régime de propriété intellectuelle en vigueur et suivant l' accessibilité aux différentes compétences et ressources nécessaires pour maîtriser l' innovation (les actifs complémentaires). D' une certaine façon les recherches portant sur les alliances stratégiques et leur évolution dans le temps reprennent une partie de ces arguments (Dussauge et Garrette, 1995).

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En fait le fondement théorique de ces travaux vient du concept des coûts de transaction de Williamson (1975) qui, dans la lignée de Coase, tente d' éclairer le débat autour de la question de l' existence de la firme. Au cœur de cette reconstruction théorique se trouve toute la question de l' apprentissage et de la compétence des organisations. A défaut, le seul fonctionnement du marché devrait suffire à combiner les ressources nécessaires à la satisfaction des besoins économiques. Si les entreprises existent et si donc les ‘hiérarchies’ semblent l' emporter si souvent sur le ‘marché’, c' est qu' elles ont cette capacité unique de se doter de routines, de connaissances et de savoir-faire accumulés, en un mot de compétences, qui les rendent plus performantes que d' autres dispositifs (ce que les économistes appellent les modes de gouvernance), et en particulier plus performantes que le marché. La technologie est dans ce cadre un des constituants majeurs de la compétence. Notons au passage que cette approche purement économiste ignore naturellement les aspects psychosocio-organisationnels de la vie des construits humains que sont les entreprises. Cette perspective des compétences a d' abord été introduite sous la forme de la "perspective basée sur la ressource" par Wernerfelt (1984) puis Barney (1986) sur la base des travaux de Penrose (1959) avant d' être popularisée par Prahalad et Hamel (1990) avec leurs "compétences clés". S’en est suivi un bouillonnement de contributions. Pour un développement sur ce thème, voir par exemple Durand (1997). 7. La technologie dans le management stratégique Kantrov (1980) plaidait déjà pour une meilleure intégration de la technologie dans le management stratégique. Ansoff (1986), Dussauge et Ramanantsoa (1986), Durand (1988), Larue de Tournemine (1991), Broustail et Fréry (1993), Ait el Adj (1989), vont tous dans le même sens. Comme évoqué précédemment, la technologie traverse l' entreprise, et son évolution peut affecter l' organisation en profondeur au point de bouleverser la donne concurrentielle de tout un secteur. En ce sens, ces auteurs ont tous plaidé pour une prise en compte explicite de cette variable spécifique dans les processus stratégiques, que ces processus soient planifiés ou émergents. Une perspective particulièrement intéressante aura été la contribution des grappes technologiques ou bonsaïs. Dans cette vision, l' entreprise "est" par ses technologies qui sont valorisées sur des marchés différents à travers des produits et services qui les combinent en fonction des besoins. Cette perspective rappelle naturellement l' approche de la théorie de la compétence. La figure 5 présente cette idée sous la forme d' un bonsaï technologique dont les racines vont puiser dans le terreau de la science pour irriguer un tronc qui symbolise le cœur du potentiel technologique de l' entreprise. Les branches de l' arbre vont alors porter des fruits, les produits qui exploitent ces technologies au service de différents marchés. La vision stratégique de l' entreprise n' est plus alors celle d' un portefeuille de couples produits-marchés, comme de célèbres matrices des années 70 avaient pu le laisser croire, mais celle d' un portefeuille de technologies. Durand (1992) reprend cette même idée à travers une présentation détaillée du schéma présenté figure 6. Ce schéma rééquilibre l’importance relative qu’il convient d’attribuer d’un côté à la technologie et de l’autre aux couples produits-marchés. Il convient en effet de ne pas tomber dans le travers d' une vision de

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l' entreprise par trop techno-centrée. La technologie peut avoir son importance mais ne saurait être la seule ressource pertinente…

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F igure 5

R eprés entation s ynthétique, s ous forme d ’arbre, de la F onction T echnologique de l ’entrepris e japonais e

Valoris ation s ectorielle des technologies s ur différentes lignes de produits / marchés

P roduits

S ous -s ecteurs

S ecteurs

Intégration des technologies génériques en une capacité technologique et indus trielle propre à la

P otentiel technologique et indus triel

firme

T echnologies génériques T echnologies génériques

S cience

(en inter-relations avec les domaines s cientifiques )

Source :GEST (1986)

Figure 6

Management de la Technologie : la problématique générale

Environnement

Domqines d'activités actuels

Stratégie Stratégie de de la la Firme Firme

Attributs technologiques * Concepts de produits •Process

Domaines d'activités futurs

Cession de technologie

Innovation Innovation Patrimoine • Stock des technotechnologies -logique • Compétences • R&D actuel Environnement technologique

Patrimoine techno-logique futur

Accès Accès aux aux ressources ressources technologiques technologiques

Stratégie Stratégie technologique technologique

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Dans le même esprit, Le Duff et Maïsseu (1991) s’attachent eux aussi à proposer une prise en compte équilibrée de la ressource technologique au sein des problématiques de gestion. Ils suggèrent de repartir de l’approche traditionnelle des économistes consistant à identifier les facteurs de production au sein du système économique et, sur cette base, à caractériser les divers sous-systèmes pertinents pour l’analyse. Plus spécifiquement, ils proposent de décomposer le facteur travail en distinguant ce qui relève de l’énergie et ce qui relève de la connaissance, c’est à dire la puissance de travail d’un côté et l’apprentissage accumulé ou l’expérience de l’autre (‘labor’ et ‘opus’ ou ‘ergos’ et ‘ponens’ selon les distinctions associées aux définitions grecques et latines du travail). Ce faisant, ils suggèrent de prendre en compte un facteur de production supplémentaire, en l’occurrence le savoir (savoir et savoir-faire). Au total cette revue synthétique de la littérature à travers ces 7 grandes familles de travaux atteste de l’existence d’un corpus de contributions qui toutes convergent pour proposer aux gestionnaires des pistes pour leur permettre de mieux prendre en compte la technologie et l’innovation dans leurs actes de management. Si beaucoup reste encore à faire pour mieux étayer certaines des généralisations hâtives que nous proposent certains auteurs à partir d' études de cas souvent intéressantes mais inévitablement limitées, il nous faut souligner ici la pertinence et l’intérêt de cet apport complémentaire à la gestion qui est celui du management de la technologie et de l' innovation, tel qu' il émerge de la littérature. La prochaine partie va mettre en exergue quelques-uns uns des syndromes typiques rencontrés dans la pratique des entreprises en matière de management de la technologie et de l’innovation. Sur cette base seront alors abordées trois problématiques génériques liées à trois préoccupations concrètes de management, c’est à dire en fait trois points d’ancrage qui nous paraissent devoir fonder durablement l’action managériale dans ce domaine. Cette partie sera donc par essence plus prescriptive dans son propos. La quatrième et dernière partie dessinera pour conclure quelques perspectives d' évolution possible des problématiques liées au management de la technologie et de l’innovation.

III - Préoccupations de praticiens et leviers pour l’action Parmi les multiples syndromes que l’observation des pratiques d’entreprise permet de relever en matière de gestion de la technologie et de l’innovation, il nous faut tout d’abord citer le cas le plus fréquent, celui des organisations qui ne se préoccupent guère de technologie ni d’innovation. Ce peut être parce que le management au plus haut niveau de ces entreprises a du mal à comprendre la technique ou pire ne veut même pas essayer de s’y employer ; ce peut être aussi parce que la pression opérationnelle est telle que l’on croit ne pas disposer de temps pour faire autre chose que de l’optimisation du fonctionnement, sans se donner les moyens d’explorer des voies alternatives, qu’elles soient technologiques ou organisationnelles. Ce sont alors les clients qui poussent ces entreprises à remettre en cause leur offre, ce sont leurs fournisseurs qui les amènent à faire évoluer leur process en leur proposant des équipements plus performants et ce sont les concurrents qui innovent et sortent des produits nouveaux. Ces entreprises sont passives et subissent de plein fouet l’évolution technologique venue d’ailleurs. Au moins aussi fréquents sont les cas d’entreprises où le marketing fait loi et au sein desquelles la volonté d’innover et la préoccupation technologique existent mais restent le

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parent pauvre. Les directions de la R&D s’y lamentent des difficultés qu’elles rencontrent à faire accepter des idées nouvelles et à communiquer avec leurs collègues du marketing pour les intéresser aux potentialités d’options technologiques alternatives riches de promesses mais souvent difficiles à appréhender pour les non-spécialistes. Une autre situation est celle, inverse, des organisations dominées par la technique et qui, feignant d’ignorer le marketing et les besoins des clients, se lancent dans de coûteux développements et de subtils perfectionnements technologiques qui peuvent les conduire à leur perte. Broustail et Fréry (1993) a ainsi analysé en profondeur le cas de Citroën qui s’est enferrée dans cette logique d’innovation technique à tout crin et qui a fini par être reprise par Peugeot. En outre ces organisations au sein desquelles existe un potentiel technique significatif ont souvent du mal à accepter d’aller chercher à l’extérieur les compétences qui leur font défaut. Toute idée venant de l’extérieur a tendance à être rejetée ; c’est le syndrome dit du NIH (‘not invented here’). Ces différentes situations conduisent à un florilège de complaintes qui chacune est le reflet de difficultés rencontrées au quotidien dans la gestion de la technologie et de l' innovation : ‘chez nous prime le pilotage par le marketing et on rate des innovations’ ; ou au contraire, ‘chez nous la technique fait la loi mais ignore le marché et les besoins des clients’ ; ‘nos concurrents ont agi avant nous’ ; ‘on n' exploite pas assez les ressources extérieures’; ‘ma DG ne comprend pas la technique et se complait à ne même pas vouloir essayer’ ; ‘on subit une telle pression opérationnelle que l’innovation n’est pas au cœur de nos préoccupations…’ Face à ces diverses difficultés, trois approches complémentaires permettent d’ouvrir des voies pour l’action. La première relève d’un double devoir de surveillance et d’évaluation interne et externe. La seconde consiste à explorer les façons de s’organiser pour innover, quitte à recourir pour cela à une démarche de changement culturel et organisationnel en profondeur. La troisième porte sur l’accès aux compétences nouvellement requises par l’évolution technologique et par l’innovation, que ce soit par apprentissage interne, par acquisition ou à travers des alliances. 1. Un double devoir de surveillance Le point de départ de toute démarche organisée en matière de gestion de la technologie et de promotion de l’innovation consiste très logiquement à conduire d’une part un travail de veille externe et d’autre part un recensement des potentialités internes. Il n’est nul besoin de consacrer des ressources considérables pour s’efforcer de repérer et de caractériser les options technologiques alternatives susceptibles d’apparaître sur son marché, d’évaluer leurs chances de succès, de s’informer sur les choix des concurrents face à ces options techniques, de dialoguer avec les fournisseurs pour bénéficier de leurs avis et suggestions, de faire parler les clients pour re-écouter leurs besoins à l’aune des fonctionnalités nouvelles que ces options alternatives pourraient rendre possibles,… Ce devoir de veille technologique et concurrentielle relève d’une sorte d’hygiène de management destinée à nourrir la réflexion stratégique relative aux choix technologiques et aux projets de développement et d’innovation. Dans certains cas, comme en matière de biotechnologies par exemple, il importe de se tourner vers l’amont et vers la science pour tenter de déceler ce qui se trame dans les laboratoires et pour identifier les voies technologiques en cours de développement, en aval d’une révolution scientifique déjà bien - page 15 -

visible mais aux conséquences concrètes encore incertaines. Dans d’autres cas, ce sont principalement les fournisseurs, les clients ou les concurrents qui constituent les principaux acteurs des évolutions attendues. C’est que dans ces cas, il est raisonnable de s’attendre à ce que la dynamique technico-économique de rencontre entre l’offre et la demande sur le marché conduise à suivre la même trajectoire technologique en continuant à explorer la voie technologique actuellement dominante, au moins à l’horizon de réflexion envisagé. Cette veille technologique externe a pour but de construire de véritables cartes des contrées technologiques à explorer. Partant d’une rétrospective des trajectoires technologiques passées et en cours, il s’agit d’aider les acteurs des processus stratégiques à se construire et à partager des représentations des voies technologiques potentielles pour le futur. Des outils de présentation visuelle de ces options technologiques peuvent s’avérer utiles, comme par exemple celui utilisé dans la figure 3 ou encore celui que propose Durand (1992) à travers l’arbre technologique dual, c’est à dire une visualisation des arborescences hiérarchiques de Clark (1985). Concrètement ce mode de représentation cartographique consiste à partir de la fonction générique que l’entreprise entend satisfaire sur le marché et à incorporer en un même schéma l’ensemble des voies technologiques passées, présentes (dont la voie dominante actuelle) et prospectives. Chaque voie technologique est représentée comme une branche dans l’arborescence, étant entendu d’une part que les choix relevant de la dualité ‘concept de produit’ et ‘processus de fabrication’ y sont représentés différemment (par exemple respectivement horizontalement et verticalement) et surtout d’autre part que les choix qui remettent significativement en cause les compétences de l’organisation sont placés haut en amont dans l’arbre, alors que ceux qui n’affectent guère les entreprises présentes sont placés tout en bas des branches. Une telle arborescence permet alors de visualiser l’imbrication étroite entre innovation produit et innovation process. Elle permet aussi de suivre les priorités d’allocation de ressources tant de l’entreprise que de ses concurrents. Elle permet surtout de mesurer au passage l’ampleur du risque encouru en matière ‘d’écart compétence’, c’est à dire l’étendue du pas à faire franchir au portefeuille de compétence de l’organisation au cas où certaines des innovations prospectives représentées viendraient à survenir. Dans le même temps, ce devoir de veille externe se double ainsi d’un besoin de description des compétences internes dont dispose l’organisation. L’enjeu véritable est en effet de confronter le potentiel interne aux exigences des évolutions technologiques que l’environnement externe impose à l’entreprise. C’est là une démarche de réaction et d’adaptation. Pourtant, l’entreprise peut aussi s’efforcer d’être proactive et tenter de repérer et d’emprunter des voies innovantes plus vite et mieux que ses concurrents, par exemple à travers des recombinaisons originales de compétences déjà détenues en interne, quitte à mobiliser quelques compétences complémentaires externes. C’est là la logique de l’offre créatrice qu’a pu proposer l’Institut de l’Entreprise (1989). Cette évaluation du potentiel interne mobilisable rejoint les propositions de Morin (1985) relatives au management des ressources technologiques. Toutefois les technologies ne constituent qu’une partie des capacités de l’entreprise. Les compétences à recenser et à évaluer sont autant individuelles qu’organisationnelles, sont pour partie tangibles et pour partie intangibles. Elles sont aussi pour partie tacites, c’est à dire non codifiées et donc difficilement caractérisables. Les compétences relèvent des trois dimensions que sont la connaissance (le savoir), la pratique (le savoir-faire) et le comportement (le savoir être). Ce sont ces deux dernières dimensions qui recouvrent les compétences les moins aisées à appréhender en particulier pour ce qui concerne les processus organisationnels et les aspects liés à la culture de l’entreprise. - page 16 -

Dans cet esprit, il importe de reconnaître que certaines compétences sont négatives, c’est à dire qu’elles entravent l’organisation dans son fonctionnement et dans ses efforts d’évolution. C’est en effet véritablement d’incompétence qu’il s’agit lorsqu’une entreprise est incapable d’accepter le changement du fait par exemple des routines qui se sont construites au cours du temps et qui se sont enracinées dans les profondeurs culturelles de l’organisation jusqu’à en constituer une partie de l’identité. Durand (1996) cite le cas des difficiles adaptations de certains monopoles publics aux conditions de concurrence qu’une nouvelle réglementation a introduites sur leur marché ou encore les difficiles et longs processus d’adaptation des pays de l’Est à l’économie de marché. Ceci rejoint l’idée selon laquelle la partie la plus délicate de l’apprentissage est en fait constituée par le besoin préalable du désapprendre. L’enjeu de cet exercice d’introspection est bien effet de décrire ce que l’organisation de l’entreprise est capable de réaliser, forte de ses compétences (et incompétences) internes et du tissu des relations qu’elle a tissé avec ses clients, ses fournisseurs et ses divers partenaires. Au total, ce double devoir de surveillance interne et externe constitue l’amorce d’un processus de réflexion stratégique sur les technologies et sur l’innovation. C’est un point de départ logique pour l’action. 2. S'organiser pour innover La grande organisation présente une caractéristique qui pose problème, celle d’avoir tendance à sécréter naturellement ses propres anticorps contre l’innovation. L’enjeu est alors de lutter contre ces mécanismes internes qui conduisent à privilégier le fonctionnement, c’est à dire l’efficacité opérationnelle de court terme au détriment de la créativité, de la génération d’idées nouvelles et du lancement de projets nouveaux. C’est que toute innovation est d’abord une perturbation qui vient remettre en cause l’ordonnancement d’une mécanique consciencieusement huilée et qui a été construite pour durer. En cela organisation et innovation sont les deux faces apparemment antinomiques d’une même réalité managériale, celle de la vie d’une organisation condamnée à fonctionner et à évoluer à la fois. La promotion et la gestion de l’innovation supposent d’aider l’entreprise à précisément s’organiser pour innover. Au premier niveau, ceci peut nécessiter la mise en place de démarches du type développement simultané ou ingénierie concourante qui sont susceptibles de permettre des gains de temps et des réductions de coût significatifs à travers des modes d’organisation plus souples et plus réactifs. Ceci passe bien sûr par une attitude de direction générale qui soit clairement duale, avec d’un côté une pression opérationnelle capable d’amener l’organisation à réaliser les résultats recherchés, en particulier financiers, mais aussi et simultanément de l’autre côté une attitude affichée d’ouverture et de soutien a priori aux porteurs d’idées nouvelles, mêmes lorsqu’elles sont dérangeantes. Ceci passe aussi par des processus organisationnels qui facilitent les échanges entre fonctions et la confrontation d’idées au travers des multiples cloisons que génère naturellement la majorité des structures organisationnelles. Ceci suppose encore une culture d’écoute, de curiosité et de respect a priori pour les idées émises, quelles qu’elles soient, en s’efforçant de - page 17 -

répondre à toutes les suggestions exprimées, y compris lorsqu’elles sont finalement rejetées mais en précisant alors pourquoi. (Les causes d’échec des ‘boîtes à idées’ destinées à susciter et collecter les suggestions du personnel viennent généralement du non-respect de ce principe de base consistant à donner suite à toute idée, c’est à dire à informer de la suite donnée, même si elle est négative). La promotion de l’innovation peut donc nécessiter de travailler sur la culture d’une organisation pour tenter d’implanter durablement dans l’identité collective la symbolique de l’innovateur comme générateur de succès futurs, mais aussi pour promouvoir les valeurs de confiance, de solidarité, d’écoute et d’enthousiasme qui apparaissent comme des vecteurs d’innovation. S’il est souvent difficile de prédire avec certitude le résultat d’un processus de changement culturel, il est parfois inévitable d’en passer par là. C’est en particulier le cas lorsque les blocages socio-organisationnels internes sont enracinés tellement profondément au cœur de l’identité de l’organisation qu’ils rendent toute autre démarche vaine. S’organiser pour innover, c’est aussi reconnaître le bien fondé de stratégies émergentes qui s’imposent chemin faisant, en dehors de la logique planifiée de la stratégie définie ex ante. C’est aussi tenter de mobiliser les différents membres de l’organisation pour générer des voies de développement qui valorisent les savoir-faire de l’entreprise en les recombinant de façon nouvelle pour ‘inventer le futur de son industrie’ plutôt que de le subir, selon l’expression de Hamel et Prahalad (1995). Le futur n’est en effet pas à découvrir car il n’est pas prédéterminé, il n’est pas écrit mais à écrire, il est à inventer, à construire et résultera du jeu des acteurs et de leurs stratégies. A chacun d’influer sur ce jeu, avec sa propre capacité créatrice et son pouvoir de marché. Qu’il s’agisse de changement culturel pour renouer les fils du dialogue entre des acteurs que la pratique de l’organisation a séparés mais que l’innovation a besoin de faire retravailler ensemble, de comportement volontairement opportuniste consistant à tirer profit d’idées inattendues, de modes de gestion de projet renouvelés,… les voies de progrès sont multiples pour promouvoir l’innovation. Il convient toutefois de veiller à ne pas tomber dans l’excès inverse du ‘tout pour l’innovation’ car innover ne saurait être une fin en soi. Un second levier pertinent pour l’action consiste ainsi à recourir aux démarches du changement organisationnel pour réveiller les capacités innovatrices d’une organisation, surtout lorsque cette dernière paraît en quelque sorte droguée par la seule logique de l’efficacité opérationnelle.

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3. Accéder aux technologies et compétences nécessaires La problématique de l’accès à la technologie et aux savoir-faire constitue un troisième thème permettant de proposer des pistes pour l’action. Face à l’évolution technologique, il n’est en général guère aisé de prédire quelle voie nouvelle est susceptible de l’emporter et de devenir la future technologie dominante. Il ne saurait en effet y avoir de vision déterministe de la technologie tant l’histoire a montré que la dynamique des technologies peut réserver des surprises. Par contre, il est en général possible de décrire, en termes suffisamment précis pour être utilisables, les grandes familles de compétences et de savoir-faire que chacune des voies technologiques en compétition à un moment donné est susceptible de nécessiter. Ainsi est-il pertinent pour l’entreprise de conduire périodiquement l’exercice de repérage des compétences qui pourraient lui être nécessaires et d’explicitation des voies les plus appropriées pour accéder à ces compétences et à ces technologies. Il peut s’agir d’équipements ou de brevets achetables sur le marché ; il peut s’agir d’actifs spécifiques comme des canaux de distribution auxquels un accord de partenariat devrait pouvoir donner accès ; mais il peut s’agir de savoir-faire organisationnels d’autant plus difficiles à appréhender et à internaliser qu’ils sont pour partie tacites (à titre d’exemple, il n’est pas aisé de mettre en place une démarche d’assurance qualité permettant de garantir la stabilité et la régularité d’une production dans le cadre de spécifications strictes. Se fixer comme objectif d’y parvenir et décider de s’y atteler est une chose, atteindre durablement cette performance en est une autre). Une variété de voies alternatives d’accès à la technologie, et par extension aux savoir-faire, est ouverte comme l’illustre la figure 4. Les voies les plus pertinentes dépendent naturellement des situations et des besoins ; mais dans tous les cas, l’enjeu est pour l’entreprise de se préparer à maîtriser et à mobiliser les compétences et les technologies qui s’avèreront lui être nécessaires. Cette maîtrise peut être directe ou indirecte, à travers des partenaires extérieurs qui prolongent l’organisation de l’entreprise et étendent ses capacités, parfois au point de conduire à des entreprises virtuelles qui sous-traitent une grosse part de leurs activités mais en conservent précieusement ce qu’elles considèrent comme l’essentiel… Durand et al. (1995) proposent un cadre d’analyse des compétences détenues ainsi que des compétences nouvellement nécessaires compte tenu des besoins anticipés dans le cadre d’une innovation annoncée, voir Figure 7 présentée ci-après. A travers l’exemple de la télévision numérique interactive, ils suggèrent des pistes pour l’accès aux compétences et en profitent pour conduire une analyse stratégique des forces en présence par catégorie d’acteur.

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Variable

Nature

Exemples de questions

R&D, Conception, Industrialisation

Cognitif Processus et Structure



• •

compétences en R&D organisation de la fonction R&D et liens

Disposez-vous des compétences R&D adaptées pour faire face aux problèmes soulevés par cette innovation ?



Votre R&D est-elle dotée d' une capacité d' apprentissage suffisante pour développer rapidement ces compétences ?



Saurez-vous mobiliser des ressources extérieures pour acquérir rapidement ces compétences, ou y accéder ?

Processus et Structure



Connaissez-vous le "marché amont" des nouveaux fournisseurs désormais nécessaires ?

Cognitif et Processus Structure et Processus



Disposez-vous d' une capacité d' exploration suffisante pour repérer rapidement les fournisseurs désormais adaptés et



Avez-vous la capacité de mobiliser des compétences extérieures pour acquérir cette connaissance ?

aux autres fonctions •

veille technologique



méthodes

de

Cognitif et Processus conception

/

industrialisation

Achats / Approvisionnements •

relations avec les fournisseurs

• •

nouveaux fournisseurs nouveaux matériaux / composants



sous-traitance



spécifications

nouer avec eux des relations de travail efficaces ?

Cognitif et Processus des

achats

/

Cognitif et Processus

approvisionnement

Production •

usines / ateliers / lignes

• •

gestion de la production nouveaux procédés, équipements



gestion de stocks



organisation du travail

Marketing, Distribution, Commercial

Cognitif, Structure et Processus



Votre système de gestion de la production est-il adapté aux exigences de cette innovation ?

Processus Cognitif et Processus



Savez-vous expliciter les caractéristiques d' un mode de gestion plus approprié ?



Votre organisation dispose-t-elle d' une capacité d' apprentissage suffisante pour développer rapidement un mode de

Processus



Avez-vous la capacité de mobiliser des acteurs extérieurs pour adopter un mode de gestion approprié ?

Processus

gestion plus approprié ?

Cognitif



Les canaux de distribution sont-ils adaptés aux besoins nouveaux issus de cette innovation ?



nouveaux clients finaux

Processus



Disposez-vous d' une capacité d' apprentissage suffisante pour développer rapidement ces canaux de distribution ?



organisation du S.A.V



Saurez-vous mobiliser des compétences extérieures pour accéder rapidement à ces canaux de distribution ?

• •

canaux de distribution nouveaux concurrents

Cognitif, Processus Cognitif



transformation des segments

Processus



politiques publicitaire

Identité



image Structure et Processus



Les processus d' articulations inter-fonctionnelles existants au sein de votre organisation sont-ils suffisamment adaptés

Processus Structure



Général •

articulations inter-fonctionnelles

• •

contrôle de gestion structure de l' organisation



recrutement



culture d' entreprise

Cognitif

aux exigences de cette innovation ?

Processus Identité

Disposez-vous d' une capacité d' apprentissage suffisante pour développer rapidement d' autres modes d' articulations entre fonctions ?



Avez-vous la capacité de mobiliser des ressources extérieures pour vous aider à adopter des articulations interfonctionnelles plus appropriées ?

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Anticiper, se préparer à un éventail de futurs possibles (et pas uniquement au seul futur considéré comme le plus probable ou le plus souhaitable), c’est suivre les enseignements de la prospective (Godet, 1992) et ainsi se mettre en position d’acheter des ‘assurances’, c’est à dire de se doter par avance des capacités potentiellement utiles demain, ou à tout le moins de repérer comment et à travers quelle voie l’entreprise y accèdera. C’est là un troisième levier pour l’action en matière de management de la technologie et de l’innovation. C’est un troisième point d’entrée qui, s’il est emprunté, peut permettre de progresser dans la maîtrise du cheminement de l’entreprise, pour atteindre ce que Ackoff (1970) appelle un ‘futur désiré’.

IV - Perspectives et Conclusion Malgré la richesse des contributions déjà disponibles et des enseignements qu’il est possible d’en tirer, le champ du management de la technologie et de l’innovation a encore à acquérir ses lettres de noblesse au sein des sciences de gestion. Le thème des stratégies technologiques a été à la mode mais a quelque peu cédé le pas depuis aux travaux et aux préoccupations gravitant autour de la question élargie des compétences et de leur partie émergée, celle consacrée aux compétences clés. Pourtant l’enjeu et la problématique restent fondamentalement les mêmes, à savoir repérer et choisir les technologies ou les compétences autour desquelles l’entreprise entend pivoter pour se redéployer afin de construire des avantages concurrentiels durables. Le problème principal auquel les chercheurs du domaine sont susceptibles de devoir s’atteler tient à la difficulté d’opérationnaliser le concept de compétence et on peut s’attendre à de nouveaux développements sur ce sujet délicat mais passionnant. La question de la gestion des technologies et des compétences a clairement un lien avec le thème des alliances, même s’il est souvent difficile et probablement vain de distinguer parmi les alliances celles qui seraient uniquement ou principalement motivées par la technologie. Le thème des alliances a déjà fait l’objet de nombreux travaux et de développements significatifs ces dernières années. Pourtant il reste encore à mieux comprendre la dynamique des partenariats dans la durée, le rôle et l’importance de la confiance mais aussi les mécanismes de transfert (volontaires ou involontaires) et d’appropriation de savoir-faire au travers des interfaces organisationnelles entre partenaires. Le thème de la promotion de l’innovation est susceptible de rester durablement d’actualité. Toutefois une évolution pourrait apparaître dans la façon dont les chercheurs abordent cette problématique. En effet, jusqu’ici l’essentiel des travaux a porté sur l’art et la manière de ne pas tuer les idées nouvelles dans l’œuf en facilitant le processus d’accompagnement des porteurs de projets, c’est à dire des intrapreneurs. Il faut s’attendre à un déplacement du centre d’intérêt vers la phase amont des processus d’innovation, celle de la créativité, de la génération d’idées. Il y a là un terrain propice à nombre de travaux qui devront probablement aller mobiliser des cadres théoriques issus des sciences sociales et en particulier de la psychosociologie pour appréhender les phénomènes de création.

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Un ensemble de thèmes liés à l’économie du changement technique est susceptible de faire l’objet de nouveaux développements, par exemple autour des thèmes de la normalisation et des standards ou dans le prolongement des travaux portant sur l’économie des conventions ou encore dans l’élaboration d’une théorie économique de la connaissance. Ce dernier volet est probablement le plus prometteur car il est possible d’en attendre plusieurs résultats potentiels. On peut d’une part espérer voir émerger une reconstruction théorique de la firme qui vienne alimenter l’approche par les compétences telle qu’elle se développe en gestion ; d’autre part ces travaux peuvent contribuer à mieux faire prendre en compte par la théorie économique la technologie et les savoir-faire associés (la théorie économique a en effet trop longtemps fait montre de difficultés pour traiter de la science, de la technique et du progrès technique) ; enfin ces travaux peuvent permettre de progresser dans la compréhension des mécanismes de développement régional sous la forme de districts industriels, de filières ou de grappes (les ‘clusters’) articulés autour de technologies et de compétences complémentaires ou partagées localement. C’est en fait de toute l’articulation entre économie et technologie qu’il s’agit. Dans la lignée des systèmes techniques de B. Gilles (1978), il faut attendre (et souhaiter) de nouveaux progrès dans la connaissance des conditions de développement économique associé au progrès scientifique et à l’évolution technologique. Science, technologie, innovation et développement économique constituent les pierres angulaires d’un édifice conceptuel en construction. Au cœur de ce dispositif, l’entreprise, l’entrepreneur et le manager jouent un rôle clé que les recherches dans le domaine du management de la technologie et de l’innovation sont susceptibles de contribuer à éclairer et à renforcer. Un dernier point de développement potentiel de ce champ mérite d’être évoqué ici. Une des difficultés principales que rencontre le management de la technologie et de l’innovation tient paradoxalement à ce qui fonde son importance même. Si la technologie et l’innovation traversent directement ou indirectement l’ensemble des fonctions et des problématiques de l’entreprise, motivant ainsi l’intérêt croissant qu’elles suscitent, à l’inverse il n’est pas de représentant patenté, de défenseur nommément désigné dans l’entreprise pour en assurer la gestion et la promotion. Même si ce rôle lui est souvent confié plus ou moins implicitement, la fonction R&D est imparfaitement placée pour véritablement prendre en charge cette responsabilité. Précisément en effet, comme évoqué plus haut, la technologie et l’innovation débordent largement du seul cadre de la R&D et entretiennent des rapports certes multiples et complexes mais seulement partiels avec cette fonction dont on a vu qu’elle est elle-même hétérogène. Les tentatives connues de création d’une direction de la technologie ou d’une direction de l’innovation dans certains grands groupes ont tourné court. Il serait vain de suggérer ici que ces questions relèvent ‘naturellement’ des directions générales, tant celles-ci se retrouvent déjà dans les faits investies de toutes les responsabilités de gestion possibles et imaginables dans l’entreprise. Dès lors une piste évidente consiste à voir comment l’organisation dans sa diversité peut être amenée à se partager la tâche en se coordonnant pour que la technologie et l’innovation soient gérées et utilisées comme sources d’avantages concurrentiels plutôt que subies comme des contraintes extérieures. Au total, ce champ particulier de la gestion que nous avons convenu de désigner ici par le vocable de management de la technologie et de l’innovation est sans nul doute promis à un bel avenir tant les enjeux de la technologie et de l’innovation paraissent devoir rester en haut de l’agenda des chercheurs et des praticiens du management. Une littérature s’est progressivement constituée, jetant les bases de principes d’action et de premières

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prescriptions susceptibles d’être adoptés et enseignés. Des perspectives de nouveaux développements existent et c’est là de bonne augure pour la suite.

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Revues, Associations et Conférences annuelles pour en savoir plus : Research Policy R&D Management

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