Roland Barthes Comment Vivre Ensemble Cours Et Seminaires Au College de France 19761977 PDF [PDF]

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Zitiervorschau

RO LA N D B A R TH ES

COMMENT VIVRE ENSEMBLE SIMULATIONS ROMANESQUES DE QUELQUES ESPACES QUOTIDIENS Notes de cours et de seminaires au College de France, 1 9 7 6 -1 9 7 7

Texte etabli, annote et presente par Claude Coste

SEU IL / IMEC

T races Ecrites Collection dirigee par Thierry Marchaisse et Dominique Seglard

Les archives qui ont servi a ^elaboration de cette edition sont deposees et consultables a HMEC (fonds Roland Barthes) www.seuil.com ISBN

9 7 8 -2 -0 2 -0 4 7 8 4 3 -4

© Editions du Seuil, novembre 2 0 0 2 Le Code de la propriete intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinees a une utilisation collective. Toute representation ou reproduction integrale ou partielle faite par quelque procede que ce soit, sans le consentement de I'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefa^on sanctionnee par les articles L. 335-2 et suivants du Cod© de la propriete intellectuelle.

AVANT-PROPOS

«La forme cotate cher, disait Val6ry, quand on lui demandait pourquoi il ne publiait pas ses cours au College de France. Pourtant, il y a eu une p^riode, celle de T6criture bourgeoise triomphante, ou la forme coutait peu pres le prix de la pens6e.» C’est par ces lignes que s’ouvre « L’artisanat du style qui fut d^bord un article paru dans Combat, le 16 novembre 1950, avant d'etre repris dans Le Degre zero de Vecriture. Barthes, alors, engageait, aux c6t6s et au re vers de Sartre et de Blanchot, une reflexion sur la possibilite d'une 6thique litteraire qui fut 一 ni terrorisme, ni nihilisme — une responsabilit6 de la forme. S^l ignorait qu*il serait un jour professeur au College de France et que la question de publier ses cours se poserait, il est clair pourtant q u ^ u travers de Val6ry, c^tait avant tout une 6thique personnelle qu*il s^gissait pour lui d^difier et non un traits de morale pour ses contemporains. Cette 6thique, loin d*6tre liste de prescrip­ tions ou de sommations, supposait en effet bien plus qu'un engagement intellectuel: elle etait d^n e certain© fagon un

traits de style. En mati^re litteraire comme ailleurs, il n'y a, on le sait, jamais de derni^res volont6s, et quand par naivete ou par remords un ^crivain a cru bon, au dernier moment, de laisser des consignes, c’est bien stir pour qu’elles soient trahies, ce qui est toiyours le cas. Aussi, lorsqu'il a question de publier les « Cours du College de France» de Barthes, nous n^vons pas song6 a un quelconque testament, ni a une pieuse fid^lit6 au mort, mais nous avons voulu penser cette publi­ cation dans la logique globale de Toeuvre, de la pensee qui la guidait et de Tethique qui en avait ete tout a la fois Tobjet et le gardien. C’est done tout naturellement qu’au point de depart de notre reflexion, nous nous sommes rappele ce propos sur Val6ry, veritable mise en abyme du jeune Barthes au ccBur du Barthes posthume.

7

Le premier principe de cette Edition, et qui est presque un axiom©, est que ces cours du College de France ne pouvaient pas et ne devaient pas ^tre des livres. De ce fait, ont 6t6 ecartees d^mblee deux hypotheses :soit la r6白criture de ces cours qui leur aurait assure rapparence d*une production ecrite, soit la transcription imprimee de la version orale enregistree qui en aurait fait des artefacts d*oeuvre. Chacune de ces hypotheses possede sa logique. On voit bien ce qui nous a fait ecarter la premiere. La reecriture de la parole du Maitre par un disciple nJa de sens et de justifica­ tion que dans le cas extremement singulier ou il sJagit, aprds sa mort, de suppleer a une volontaire raret6 editorial©, d ^ o u te r a Tesot^risme de la doctrine Tespace d'une eluci­ dation possible, ou encore de federer disciples et lecteurs par le deploiement du message doctrinal en une biblioth^que posthume. Un tel projet n^urait evidemment pas de sens a propos de Barthes qui fut un homme du livre, dont Tenseignement 6tait une pratique seculidre et profane et dont les livres constituaient, a eux seuls, Tessentiel de ce qui lui importait de transmettre. D^illeurs, dans les cas ou Barthes a 6te tent6 de transformer tel ou tel seminaire en livre (S/Z,

Fragments dfun discours amoureux), celui-ci ne fut en aucun cas le prolongemant ©crit du cours mais un objet neuf Le refus de la second© hypothese, celle d'une transcription de la version orale des cours, possede d'autres justifications plus profondes encore, fournies par Barthes lui-meme et qui touchent a la question de la relation entre la parole et l^crit, soit a la question m^me de Vethos de Toeuvre. C^st dans un texte de jeunesse — 1959 — , a propos de la publication d’une table ronde sur le Nouveau Roman, que Barthes ecrit : « Passe encore que rdcrivain parle (a la Radio par example)



on peut toiyours apprendre quelque chose de son souffley de la maniere de sa v oix ; mais que cette parole soit ensuite reconvertie en ecriture comme si Vordre et la nature des langages etaient indifferents [...] ce n fest rien d1autre que de produire une ecriture batarde et insignifiante, qui n fa ni la distance frappee de la, chose dcrite, ni la pression poetique de la chose parlee. Bref, toute Table ronde extrait du meilleur des 6cri-1

1.

De cette distinction entre le « s to in a ire» et le livre, Barthes donne une illustration

k propos des Fragments d*un dlscours amoureux, Pai>ls, ^ld. du Seull, 1977, k regard duquel certains des participants avaient pu ressentir une forme de deception, lorsqu^ dlt dans son cours sur le VivTe-Ensemble :« Le livre sur le discours amoureux est peutStre plus pauvre que le s6mlnaire, mais je le tiens pour plus v ra l.»

vains la pire de ses paroles :le discours. Or la parole et Veori^ ture ne peuvent s'interchanger ni s'accouplerf car ce quril y a entre elles c fest tout simplement quelque chose comme un defi : l ,6criture est faite d,un refus de tous les autires langagesz. » Un cours prononce certes pas la vacuite de propos tenus lors d,une table ronde, mais il porte en lui la fatality meme de la parole, sa contingence, son caract^re ephem^re et transitoire, sa continuite irreversible, son lourd flux vocal qui Toppose en cela a la chose 6crite, necessaire, cernee, recursive, durable et fluide, discontinue et mesuree. Et puis il y a, pardela meme ces oppositions, par-del4 la triviality dont s^paissit tout parole fondue en un imprim6, ce par quoi Barthes d^finit l, 6criture: « ficrire es七pr6cis6ment; cette contradiction qui fait de l’6cliec d’une communication une communication seconde, parole pour autrui mais parole sans Tautre*3. » Le rejet de Thypoth^se de la r^^criture des cours de Barthes et de celle d^n e transcription « rewrites» ne fut pas seulement une question de principe relevant de la doctrine barth6sienne du livre. Si ces deux hypotheses ont 6t6 exclues, c^st 6galement en raison de la nature meme de ces cours, de leur statut concret et singulier dans le parcours intellectuel de Barthes. A Tevidence, Tecart entre la production ecrite et la pratique de Tenseignement s5est radicalise avec Tentree au College de France en 1977. Gar, si auparavant, lorsque Barthes animait un seminaire restreint a TEcole pratique des hautes etudes, il a pu, comme on Ta dit, etre tente de transformer tel ou tel cours en livre, cette hypoth^se a totalement disparu, lorsque vint le temps du College, ou plus rien de Fassemblee socratique d^utrefois ne subsistait pour susciter le d6sir cfune perennisation de la parole magistrale. Avec le College de France, les cours pour Barthes n'ont plus rien d^xplicitement fondateur pour sa pensee, ni de genealogique pour Toeuvre. Et cela est sans doute 116 aussi a la periode de transformation personnelle que Barthes connait alors. On n^piloguera pas sur cette situation, sauf 4 rappeler que Barthes explique au detour de tel ou tel cours les raisons pour lesquelles son propre discours semble se de-theoriser et, de ce fait-la, decevoir la demande de Tauditoire :« Nous sommes tres precisement dans une phase active de decons­ truction ^saine" de la ttmissionw de Tintellectuel: cette decons2, « Tables rondes», CEhivres oompldtes, t. I, Paris, 13d. du Seull, 1993, p. 803 (desoi*mads at)r6g6 OCI, 803). 3. Ibid., p. 802.

9

cette all^gorie, que la deception poss^de bien des vertus et ne doit pas etre comprise sur le mode banal de la defaillance, on tout au moins qu’elle s’inscrit dans une dialectique des effets qui nous situe alors dans le non-mesurable. Cette deception trouve d’ailleurs d’autres motifs d’apparaitre jusque dans le sujet meme du cours et cela, par exemple, de manidre trds explicite 4 propos du « Vivre ensemble». A la question souterraine de ce cours q u ^ n pourrait resumar ainsi: «L© groupe idiorrythmique est-il possible? Peut-il y avoir une communaute d^tres sans T61os, sans Cause?», la r^ponse est 6videmment negative, et cette n^gativite, puisqu’il s,agit (Tun propos sans commencement ni fin — sans ordre, comme on l,a dit — , est toi^jour日 d6j吞-14 comme pour annuler, dds Torigine, robjet meme de cette recherche. Et c’est alors comme si, au fond, cette n6gativit6 etait le veri­ table objet du cours, comme si elle 6tait sa verity. On pourra m^diter, a ce titre, tout© la difference de traitement dont cette question de la Communaute, devenue brulante dans de nombreux Merits d1intellectuals5, fait Tobjet avec la deconstruction negative qu^n fait Barthes. Et Ton pourra mesurer alors Tetrange negativite qui est devenue chez lui une sorte de methode paradoxale. Plus qu’une method©, une ascese ou peut se lire alors une espece d^ccds silencieux 4 ce degr6 zero, a ce suspens, a cet angle etroit de la pens6e ou la parole semble pouvoir echapper aux formes de mystifications (d 5alienations) sp^cifiques de Tintellectuel: mystification de la maitrise, mystification de la persuasion, mystification de la « theories, alienation du prestige, aliena­ tion de la domination et du conflit. II y a, dans cette quasi­ absence de Barthes a son propos, une manidre de deserter alors le champ du discours universitaire ou intellectuel — de celui qui a toi^jours quelque chose a dire — pour tenter d’occuper silencieusement la place d6cal6e d’un s^jet discret se contentant appareniment et simplement de designer des lieux de savoir, de cerner, de classer, d*inventorier des dos­ siers possibles, de produire une sorte de derive philologique de son objet, et cela, comme on l’a dit, dans le d^sordre vain de Tarbitraire alphabetique ou math^matique de fragments sans liens, issus d’une encyclop^die en cours. Quoiqu’ile n so it ,silaci6ceptionestenquelciuesorteconsubstantielle 4 Tobjet, a la forme, au protocole, et au detail meme de ces cours du College de France, on peut penser 6galement qu© cette deception touchait a Tacte meme de faire 5.

Blanohot, Agamben, Nancy... par exemple.

cours. Acte dont, apparemment, Barthes n^ttendait plus rien. Le cours est une production qui plus comme fin et comme existence que d^tre prof^ree. En temoigne le plus surement ce propos tenu par Barthes lui-meme lors de la premiere stance de cours sur le Neutre: « II faut tenir treize semaines sur Tintenable: ensuite, cela sJabolira.» Pour nous, il etait done Evident que les cours de Barthes ne pouvaient pas devenir des livres posthumes. II 6tait evident que les cours de Barthes ne pouvaient avoir d1existence phy­ sique que sous la forme des archives de cours et que tout traitement editorial qui ne partirait pas de cet axiome serait faux. Nous avons deux types d^rchives. L ?archive sonore et Tar* ciiive ecrite. Les cours enregistr6s, d’une part, et, de l’autre, les « notes de cours» que Barthes utilisait, notes auxquelles on peut aj outer les fiches preparatoires. Ce que nous proposons au lecteur ici, e’est l’archive ecrite. L ’archive sonore, elle, 6tant l’objet d’un travail particulier d’Mition qui la rend disponible au public sous forme de disques au format MP3. Nous avons 6te d^bord pai*ticuli6rement satisfaits de trouver, avec la collection « Traces 6 c r i t e s u n format, une maquette, une presentation qui evitaient concretement, jusque dans Tapparence physique du volume, toute confusion avec le livre. Bien au contraire, tout concourt dans ce type de publication a rappeler le caractdre institutionnel qui donne son cadre au propos quelle abrite et qu'elle diffuse. Barthes reprenait volontiers la distinction mallarmeenne du « liv re » et de l ’ 《album »• L ’objet Editorial forme par ces cours ne se veut ni livre — objet premedite et necessaire — , ni album — collection de feuillets 6pars — , mais plutot brochure, cahier ou encore fascicule. Le sous-titre de chaque volume, « Notes de cours au College de P r a n c e d i t trds exactement ce que le lecteur a a sa dispo­ sition : le « texte» 4 partir duquel Barthes faisait cours chaque semaine au College. Si nous plagons le mot «texte» ©ntre guillemets, c?est precis^ment que ces notes sont davantage ce q u ^ n pourrait appeler un infra-texte, c^st-a-dire \m etat de discours qui precede le texte mais dont le oaractere rudimentaire, abr§g§, miniaturist, r^duit, concentre, 61ementaire, parfois esquisse ou virtuel, tient a ce qu’il est tout entier dans la tension de sa prof Oration 4 venir, dans Tanticipation ou le projet de son actualisation. L^rchive se revile alors paradoxale :elle n'est pas lettre morte, traces poussi^reuses du pass§, ou texte mutil6 par le

temps. L ’archive — cette archive — possddeundispositifrlietorique qui, loin d’obliger 4 ces reconstitutions maladroites, 在 ces restaurations qui sentent le toe, 4 ces refections kitsch

pour le grand public, lui permet, nous a-t-il semble, par sa riohesse, d^tre reproduite quasiment telle quelle. Barthes ne redigeait pas ses cours, mais il les ecrivait. Ecriture particuli白re oil la phrase n ’est plus toujours l’unit^ du discours, mais ou les sequences verbales integrent line sorte de schematisme expressif personnel :filches, signes, raccourcis, juxtaposition de mots, abr^viations d^nonces, nominalisations, ellipses, listes, Equations... Entrer dans cette 6criture demande quelque temps d'accoutumance et le lecteur aura peut-etre le sentiment qu'on le contraint gratuitement k une situation inconfortable. Mais ce sentiment sera, poxir la plupart, provisoire, et sJy substituera sans aucun doute Timpression inverse :cells du plaisir de se situer an vif mgme d’une pensee en train d’op白rer ,d’une scription dynamique, du jeu propedeutique avec le savoir et rauditoire. Ges notes ne sont pas traces indifferentes. Sous les yeux du lecteur se trouve la partition du professeur. Au lecteur devoir le regard suffisamment vif, le tempo juste et Tempathie suffisante pour suivre et conduire chac\ine des seances vers ce que Barthes aspirait d^nouer de son objet ou eclaircir en lui. Le principe organisateur de chaque volume est la stance de cours, car tel est le veritable rythme de la lecture :rythme que Barthes imprimait apres coup a son manuscrit en signalant, par la date, Tendroit ou il s^tait arrete ce jour-la a telle heure et ou il devrait reprendre la semaine suivante. La seance est le rythme naturel que prend le cours en s'effectuant, c'est-fiL-dire en s^loignant du livre. A Tinterieur de ce decoupage, les structures propres k l^criture du cours prennent place: le titre du « trait» ou du fragment, qui constitue Tunit^ articulant Tensemble du propos, les diff^rents titres, sous-titres, Enumerations en colonnes, etc., qui, eux, consti­ tuent les articulations secondes pr^sentes 4 Tint^rieur d ^ n fragment ou d’un « trait »• Sur le « texte» du cours lui-meme, nous avons adopts le prinoipe d^ntervenir le moins possible. Nous avons conserve les symboles utilises par Barthes pour condenser par exemple une construction logique, mais en revanche nous nous sommes autorises 4 completer les abr^viations lorsque cellesci relevaient d’un automatisme commun (par exemple son Gruso冷 pour on a corriger une ponctuation parfois trop embrouill^e. Lorsqu^l arrive que le propos 6crit par Barthes soit par trop obscur, nous nous sommes ^galement

autoris^s, en note, a en paraphraser le sens general pour soulager le lecteur d^ n e enigme inutile. Nous avons exploits les larges marges de la collection « Traces Sorites» en y inscrivant les references bibliographiques utilis^es par Barthes pour les citations, et qu?il plagait, dans son manuscrit m^me, a cet endroit de la page. Ajoutons que les rares passages biffes par Barthes ont ete conserves, mais sont identifies comme tels par une note qui en delimite les contours. Lorsque la seance de cours est prec^dee dJun commentaire sur des lettres re 〇ues ou sur son propos de la semaine pr6cedente, celui-oi apparait en italiques. Enfin, pr^cisons que les inter­ ventions des editeurs dans le texte du cours sont signal^es par des crochets ([ ]) mais que, lorsqu’il s’agit d’une inter' vention de Barthes lul-meme a Tinterieur d ^n e citation, elle est signal^e par des soufflets C< >). Les notes sont des notes de philologie classique, indispensables dans un tel ecrit qui est parfois allusif. Les citations, les noms propres, les expressions en langue 6trangere Csinguli^rement en grec ancien que nous avons choisi de translitt^rer en alphabet latin), les noms de lieux, les 6venements historiques sont dans la mesure du possible 6claircis par oes notes, q u ^ n index bibliographique complet allege de celles qui seraient trop r^currentes. A cet index des noms et des 〇3uvres, nous avons ajoute un index des notions non raisonn6, c^st-^-dire purement alphabetique. Signalons par ailleurs que, lorsque Barthes donne des r6f6rences dans une edition vieillie ou introuvable, nous avons en note propose des references plus accessibles.

Une brdve preface situe le contexte du cours et en 6clair© les contours les plus saillants. Le lecteur pourra constater en auditionnant la version orale de ces cours, que des magnetophones d^uditeurs ont a Tepoque enregistr^e, le peu de deficit de contenu qui separe les « Notes de cours» du cours reel qui fut donn§, mais il pourra mesurer en meme temps la singularity inalienable de chacun de ces deux supports: la parole et Tecrit. Chacune s^paree de Tautre, ces deux versions dJun meme objet conservent la vulnerabilite, la fragilite essentielle qui doit demeurer :celle de Texpression vocale, celle de la notation 6crite. II nous semble alors que Tarchive d'nn texte Tinscrit a sa vraie place dans 1’architecture d’une QBUvre qui eut toujours a son horizon le plus proche la science des nuances comme sa seule et unique r^gle.

Eric Marty

SOMMAIRE

19

PREFACE

C O M M E N T VIVRE E N SEM B LE : SIM U LA TIO N S R O M A N E S Q U E S DE Q U E LQ U E S ESPA C ES Q U O TID IE N S Notes de cours au College de France SE A NC E DU 12 J A N V I E R 1 9 7 7

33

PRESENTATION Methode? (Methode. Culture), 33. — Fantasme, 34. — Mon fantasme : I’ idiorrythmie, 36. — Monachisme, 41. SEANCE DU 1 9 J A N V I E R

43

1977

PRESENTATION (suite) CEuvres, 44. — Reseau grec, 49. — Traits, 51 ‘

53

AKEDIA, Acedie SEANCE DU 2 6 J A N V I E R 1 9 7 7

57

ANACHORESIS Historiquement, 58. — Metaphoriquement, 58.

59

A N IM A U X

64

ATHOS, M ont Athos

1)

Robinson (Phases. Histoire), 59. — 2) Anachoretes, 62.

Histoire, 64. — Espace, 65. SEANC E DU 2 FEVRI ER 1 9 7 7

67

ATHOS (suite) Mode de vie, 67. — Propriete, 68. 一 Pouvoir, 69.

70 71 73

AUTARCIE BANC BEGUINAGES Histoire, 73. — Espace, 73. 一 Mode de vie, 74. — Socialeconomique, 74. — Pouvoir, 75. — Conclusion, 75.

SEANCE DU 9 FEVRI ER 1 9 7 7

77 78

BUREAUCRATIE CAUSE Christianisme, 79. 一 Autres Telos, 80. — Bion, 81. — Homeostasis, 83.

84

CHAMBRE 1) Le lieu total, 84. SEANC E DU 16 FEVRI ER 1 9 7 7

87

CHAMBRE (suite) 2) La chambre s'isole dans la maison, 88. 一 3) La chambre se detache du couple

91

Celia, 88. 一 La Magnificenza, 90.

CHEF SEANC E DU 2 M A R S 1 9 7 7

93

CLOTURE Fonctions (Protection. Definition), 9 3 . — Experience-limite, 95.

100

COLONIE D^NACHO RETES 1) Secte de Qumran, 100. — 2) Nitriotes, 101. — 3) Chartreux, 101. — 4J Solitaires de Port-Royal, 102. S l A N C E DU 9 M A R S 1 9 7 7

105

COUPLAGE ” Principe du coup丨 age, 105. — 2J Deux exemples de couplage fort [Histoire lausiaque, 145. Proust, 117-1 18), 106.

no 113

DISTANCE DOMESTIQUES 1) Besoin = desir, 114. 一 2) Besoin ^ desir, 115. S T A N C E DU 1 6 M A R S 1 9 7 7

1 17

ECOUTE

119

EPONGE EVENEMENT FLEURS IDYLLIQUE

Territoire et ecoute, 117. — Refoulement et ecoute, 118.

123 125 127

S l A N C E DU 2 3 M A R S 1 9 7 7

131

MARGINALITES Premiere marge : le cenobitisme, 131. 一 Deuxieme marge : I’ idiorrythm 丨 e, 132,

134

MO NO SIS Un / Deux, 135. — Le desir du Deux, 135. — Eloge du Un, 136.

138

NO M S Surnoms, 138,

SEANCE DU 3 0 M A R S 1 9 7 7

141

NO M S (suite)

144

NOURRITURE

Caritatisme, 141. 一 Sans Nom, 143. 1) Les Rythmes, 144. — 2) Les Substances (Les clivages de h n te rd it: ce qui est in te rd it/c e qui est tolere. Les connotations de nourriture, la nourriture connotante), 146. — 3) Les Pratiques, 1 5 2 . — Conclusion, 153. SEANCE DU 2 0 A V R I L 1 9 7 7

155

PROXEMIE

158

RECTANGLE

La notion, 155. — La Lamp©, 156. — Le Lit, 157. Civilisation du Rectangle, 158. 一 Le cadre, 159. — Subversions ?; 160. 161

REGLE Regula, 1 6 1 .— — Territoire, 161. — Regie et Coutume, 1 6 3 .— — Regie

et Loi, 163. SEANCE DU 2 7 A V R I L 1 9 7 7

167

SALETE

171

X E N IT E IA

Notable, 167. — Sens, 168. — Delicatesse, 170. Reseau semantique, 171. — Fausse Image, 173. 一 Derealite, 174. 一 Conclusion, 175. SEANC E DU 4 M A I

177 180

1977

L'UTOPIE ET LA METHODE? 1) Traits. Figures. Cases, 180. — 2j Classement, 181 • — 3)

Digression, 182. 一 4) Ouvrir un dossier, 182. — 5) Le Texte-

appui, 182.

Q U ^ S T-C E Q U E TE N IR U N D ISC O U R S? REC H ERC H E SU R LA PAROLE IN V ESTIE Seminaire S T A N C E DU 12 J A N V I E R 1 9 7 7

187

TENIR UN DISCOURS « Done, je disais...

187. — L’ intimidation de langage, 1 8 8 . —

L'idiotisme, 1 89. _

« Discours », 190. 一 « Tenir », 192. — « Tenir

discours 198.

193. — Investir, 1 9 5 .— — Aspects, 196. 一 Conclusion,

SEANCE DU 2 3 M A R S 1 9 7 7

203

LE DISCOURS-CHARLUS 1) Cinetique, 205. 一 2) Declencheurs, 208. SEANC E DU 3 0 M A R S 1 9 7 7

211

LE DISCOURS-CHARLUS (suite) 3) L'instance allocutoire (Andromaque. Discours-Charlus), 2 1 1 . — 4) Les forces (« Psychologie ». « Psychanalyse ». Intensites), 216. 一 Pour prendre conge et pour prendre rendez-vous, 219.

221

RBSUME

223

TA01EAUX D f CONCORDANCES

225

G L O S S A f R E DBS T E R M E S G R E C S

229

BfBU O G RA PH IE

2 37

INDEX N O M IN UM

241

IN DEX RERUM

PREFACE

Le 14 mars 1976, sur une proposition de Michel Foucault, Tassembl^e des professeurs 61it Roland Barthes a la chaire de semiologie litt^raire. Le nouveau professeur enseignera au College de France jusqu}4 sa mort, au printemps 1980. On a maintes fois souligne le parcours incertain d ^ n universitaire sans agr^gation, la singularity d5un chercheur qui a fait carri^re a Tetranger (Roumanie, Egypt©, Maroc) ou dans les marges de TUniversit^ frangaise. Sinueuse, la carri^re de Barthes s*ach6ve dans un lieu prestigieux, meme si son elec­ tion, acquise d^n e seule voix, rappelle les resistances intellectuelles et institutionnelles qui ont si souvent freine le parcours d’un penseur atypique." Barthes prononce sa LeQ〇n inaugurals le 7 janvier 1977. Des le IS du meme mois, il commence son enseignement devant les auditeurs trds meles du College de France. Les notes de cours conservent la trace d^n e telle proximite de dates. Les premieres stances font souvent reference a la Legon, dont elles se donnent comme rapplication directe et imme­ diate. Selon les regies de Fetablissement, le professeur doit donner 26 heures d^nseignement, a rdpartir librement entre le cours magistral et le seminaire. Le cours, intitule « Com­ ment vivre ensemble :Simulations romanesques de quelques espaces quotidiens», se deroule tous les mercredis ouvrables, du 12 janvier au 4 mai 1977, a raison d ^ n e heure par semaine. En contrepoint, Barthes tient un seminaire hebdomadaire, ouvert a des intervenants exterieurs1; sous le titre «Qu’est-ce que tenir un discours? Recherche sur la parole i n v e s t i e i l s'agira de s^interroger sur les « intimidations de1

1. Franoois Flahaut :« Discours et insigne» e t « Le rapport la compl6tude» ;Francois R6oanati :« Discours tenu, discours tenable, dlscours intenable »;Lucette Moullne :« La phrase de Proust*; Jacques-Alain M iller :« Discours de Tun, discours de Tautre » : Antoine Compagnon :« L'enthousiasme» ;Louis Marin :« La rencontre du Corbeau et du Renard »;Cosette Martel :« La femme parl6e».

langage*. Barthes a contribue au s^minaire par une intro­ duction g^n6rale C« Tenir un discours») et par Tanalyse du « Discours-Gharlus». Le projet initial subira une legere modifi­ cation horaire, dont font etat les notes de la derni^re seance. Barthes avait pense repartir le temps a 6galit6 entre cours et s^minaire, soit deux fois 13 heures. C'est en fait 14 seances qui seront consacrees au cours, pour IS seulement r^servees au seminaire. Comme en t^moignent les archives sonores, le cours magis­ tral sJest d^roule dans des conditions mat^rielles assez peu confortables. Devant Taffluence des auditeurs, qu^xpliquent Tengouement intellectuel, la curiosite mondaine ou les phenomdnes de mode, le College a du sonoriser une salle contiguS pour y diffuser en direct la parole du professeur. La pre­ miere seance en particulier est plusieurs fois interrompue par les d^faillances du systdme de retransmission, Tirritation amusee des etudiants, la recherche d ^ n appariteur, la gene du professeur devant tant de defaillances techniques. Meme si la situation sJest rapidement arrangee, Tinconfort a persiste durant toute Tannee. II est tr^s difficile de dater le travail de preparation. Quand Barthes a-t-il congu ses cours? L^nsemble des notes manuscrites 6tait-il 6crit avant la premiere seance? II semblerait, sans aucune certitude, que Tessentiel du cours etait pret debut janvier. Barthes avait Thabitude de profiter de Tete, dans sa maison d'Urt, au Pays Basque, pour travailler a son enseignement de Tannee suivante. Plusieurs passages des notes donnent quelques reperes temporels qui laissent supposer de rares interferences entre la conception et la dif­ fusion du cours :Tanecdote de la mauvaise m^re (situee en decembre), une allusion au Ring du centenaire a Bayreuth (6t6 1976), la reception d*une lettre de lecteur aprds la publi­ cation d ^ n article dans la revue Photo (au printemps 1977). C^st a peu prds tout. Quand il presente Torganisation de Tannee comme une succession de « traits*, Barthes avoue que Tordre n'en est pas definitivement fixe, laissant deviner une part d^l^atoire dans la conduite de son enseignement. A cote de ce flottement, dont les consequences sont tr^s minimes, la delimitation de chaque stance apparait avec la plus grande nettet^. Barthes avait rhabitude de marquer Tinterruption en inscrivant la date du jour dans ses notes. Nous avons choisi de placer en t§te de seance la date que Barthes avait portae dans le corps meme du texte. Du premier cours au College de France, la seule connaissance que le lecteur pouvait avoir ju sq u ^ present se limitait au

resume 6crit par le professeur lui-meme. Parues dans Tannuaire du College et reprises dans le troisieme tome des CEuvres completes, ces pages tr6s synth6tiques restent la meilleure introduction possible au travail de Barthes. Les autres docu­ ments sont tous inedits. Deposees ^ TIMEC (Institut de la memoire de l^dition contemporaine), les aroMves du « Comment vivre ensemble» comportent deux types de supports: le texte du cours lui-meme et les fiches de travail. Le plus important est constitue par le texte manuscrit des notes de cours. II s^git d’un ensemble de pages eorites au verso,d’une grapixie trds dense, numerotees de 1 a 92, avec un certain nombre d^ajouts intercalaires, nmnerotes ou non. Les premieres pages de notes sont souvent enrichies par des paperolles agrafees ou collees. Ces textes additionnels apportent une precision ponctuelle (sur la conception bachelardienne de Timaginaire, par exemple) ou proposent parfois un excursus plus long Csur Tanalyse du mot «rythme» propose© par Benvenlste)... Par choix editorial, ces paperolles ont 6te int6gr6es au texte principal dans lequel elles s^ s^ ren t sans aucune difficulte, grammaticale ou semantique. Du seminaire sur «Tenir un discourse, seules les deux inter­ ventions de Barthes figurent dans les archives :en tout, une trentaine de pages. Les manuscrits, ecrits tr^s lisiblement 4 Tencre bleue, ne presentent aucune difficult© de dechiffrement. La comprehension litterale du texte demande en revanche davantage d^fforts. Barthes ne redigeait pas ses cours, et les notes, congues pour le professeur, ne peuvent en aucune mani^re se comparer a un texte 6crit pense pour la publication. Ge travail ne se presente pas non plus comme un simple canevas, un aidememoire destine 4 conduire rimprovisation. Les notes de cours, de plus en plus ecrites au fur et a mesure des stances, offrent des 6tats de redaction trds divers. A des passages syntaxiquement construits, k des paragraphes enti^rement rediges, succ^dent de pures Enumerations, de simples series de mots. Mais, si le manuscrit multiplie les ellipses (du verbe et des liens logiques), appelle une accommodation permanente de Tintelligence et de Toeil, la comprehension ne fait jamais d6faut. On conserve une trace sonore de la quasi-totality des seances (seule manque la derni^re demi-heure de cours, le 4 mai). Ces enregistrements, naturellement (Time grande richesse, ont donn6 lieu dans T6dition des notes manuscrites a deux types d^xploitation. Dans un premier cas, la bande sonore vient expliciter une notation ecrite, Claire pour le professeur qui Tutilise alors comme un aide-memoire, mais obscure pour

le lecteur qni n'en ©st pas le destinataire. On trouvera en note la transcription literal© des propos de Barthes toutes les fois que la formulation orale donne sens au manuscrit. On trouvera ^galement les precisions et les prolongements que la parole apporte au texte 6crit. Ces ajouts r^v^lent autant les projets du professeur Cun s^minaire sur Sartre ou sur Torigine du langage), que ses pratiques intellectuelles. Quand le manuscrit propose un mot savant ( « irenique») ou une r6f6rence rare, Barthes manifeste en cours un souci de vulgari­ sation qui Tam^ne 4 doubler ou a reformuler le mot 6crit par un autre mot plus courant. L© chercheur dispose drun ensemble de fiches qui rev^lent les coulisses et les tatonnements du travail intellectuel. Ces fiches, egalement conservees et foliotees 4 TIMEC, sont rang6es dans trois enveloppes. Les deux premieres (class6es de 1 a 50 et de 51 4 100) comprennent dans Tordre alphabetique un ensemble de papiers d^coupes, ou remarques, exemples et citations sont ranges par themes ou par mots cl6s C«Danses», « Demons% * Discretion «Ecrire [et lire] La dernidre enveloppe, tres desordonn6e, comprend des fiches d6class§es, des notations volantes et plusieurs pages de bibliographie. Parmi ces pages, figure une liste des «livres l u s d o n t on trouvera les titres signales par une etoile dans la bibliographie gen^rale de cette Edition. Cette bibliotheque, constitute d ^ n e bonne cinquantaine de livres, lus ou simplement consultes, temoigne du soin avec lequel Barthes a constitue sa documentation. Les fiches rendent 6galement perceptible revolution d'une recherche en mouvement:certaines oeuvres , tr6s presentes dans les travaux pr^paratoires, s ’effacent presque du cours CEconomique de Xenophon) ou perdent en importance (Pot-Bouille) \ d^utres textes, au contraire, montent en puissance ou changent de traitement crhistoire d^m our de La Montagne magique disparait au seul profit de la sociability du sanatorium). La reproduction de quelques-unes de ces fiches permettra au lec­ teur d'entrer dans la fabrique du cours. Outre le resume du cours et du s^minaire r6dig6 par Roland Barthes lui-meme pour Tannuaire du College de Prance, le lecteur dispose de deux index (des noms et des notions) et d'un glossaire des termes grecs. Une table de concordances pour les livres du corpus permet d'avoir acc^s aux textes dans une edition disponible. Ainsi, arrive au sommet de sa notori6t6, Barthes quitte r«Ecole» pour le « College», comme il le dit lui-meme avec

humour dans «Tenir un discourse A TEcole pratique des hautes 6tudes, le dernier s^minaire portait sur le discours amoureux, travail de deux armies dont seront issus les Frag­ ments d fun discours amoureux. Du s^minaire au cours, Barthes change de statut, d’audience (le public s ’elargit), mais son travail ne connait pas de brusque mutation. La derni6re stance de cours a r«Ecole» se termine par une oppo­ sition, empruntee a Nietzsche, entre la « M6thode» et la « Culture». G'est sur cette meme opposition que debute la longue « Presentation» qui occupe les deux premieres stances au « C o lle g e A u t re lien entre le present et le passe, la redac­ tion de Fragments dfun discours amoureux et la preparation des cours appartiennent a la meme periode, assez ind§cise, qui s^tend de T6te 1976 4 Thiver 1977. Plus profondement, Fobjet et le titre lui-m§me ( « Comment vivre ensemble») disent clairement que ni le lieu ni la forme magistrale de Fenseignement ne mettent fin a une interroga­ tion 6thique (comment penser le rapport du sujet et de rau tre) ou morale — pour peu que Ton donne 4 ce mot une dimension concrete et pratique. Indissociables sur le plan institutiormel et intellectuel, le s6minaire et le cours entrent dans un jeu d^pposition et de com­ plementarity. Au s^minaire de representer la face noire du Vivre-Ensemble; au cours d^n exposer la face plus lumineuse, de se lancer dans la quete volontaire d*une utopie social©. Dans toute son oeuvre, Barthes decrit le langage comme le lieu meme de la sociability, qu’il s’agisse d’exercer son pouvoir par les mots ou de s^manciper du code par la lit e ­ rature. Dans le seminaire consacre aux intimidations de lan­ gage, Barthes essaie de cerner ce « discours» que chacun de nous tient toute sa vie et que seule la mort interrompt, ce discours qui nous constitue et qui vise souvent a soumettre nos interlocuteurs. «Tenir un discourse, fait rem arquer Barthes, c^st s^ ffirm er par sa parole et par son corps. «Tenir un discours c^st manifester cette hysterie qui hante toute Toeuvre de Barthes, cette infatuation du sxjjet grise par son propre imaginaire, cette th^atralisation de soi que Sartre, pour sa part, appelle « mauvaise fo i». En choisissant comme premier exemple la tirade d^ndromaque a Hermione, en analysant la rhetorique de la victime face a son bourreau, Barthes renoue avec le Sur Raciney avec ces « techniques degression» portees ^ leur comble dans Tunivers confine de la tragedie, oil Ton parle pour ne pas mourir. Le deuxieme exemple choisi par Barthes concerne le «Disco u rs-C h a rlu sc e discours vehement que Gharlus, en amou-

reux d^Qu, tient au narrateur dans Le Cote de Guermantes. Attentif une fois encore aux tactiques de langage, Barthes propose une premiere esquisse de cette « science de Tetre unique» dont revera La Chambre claire. Le « Discours-Gharlus» n ^st pas le prototype d ^ n discours general de seduction, mais la rencontre unique d’un sv〇et et d’une parole intraitables dont il convient de montrer le fonctionnement propre. Pour rendre compte de tant de particularites Cdiscours singulier individu singulier prof ere a nn individu singulier), Barthes s^m use a creer toute une serie de concepts ou de pseudo-concepts jubilatoires, comme explosdme» (figure de la colere) ou le «tacteme» (figure de la ruse). Bn contrepoint des obsessions du s^minaire, le cours exprime une recherche plus positive, toute port6e par Tenergie d ^ n «fantasme». Dans sa legon inaugurale, Barthes avait deja reclame le droit a un enseignement « fa n t a s m a t iq u e a une recherche qui accepte de se compromettre avec Taffect du chercheur sans pour autant tomber dans la confession ou Tegotisme Csur ce plan, le cours reste tres peu biographique). Pour permettre an fantasme de prendre conscience de luim§me et de connaitre Texpansion d^n e recherche, il manquait la rencontre d ^ n mot. Ce mot revelateur d ^ n fantasme latent de sociabilite, Barthes va le trouver en lisant L fEte

grec de Jacques Lacarriere :ce sera « idiorrythmie». Compose d'idios (propre) et de rhuthmos (rythme), le mot, qui appartient au vocabulaire religieux, renvoie a toute communaute ou le rythme personnel de chacun trouverait sa place. idiorrythmie» designe le mode de vie de certains moines du mont Athos, qui vivent seuls tout en dependant d ^ n monast^re ; a la fois autonomes et membres de la communaute, solitaires et int^gr^s, les moines idiorrythmiques rein­ vent d ^ e organisation situee 4 mi-chemin entre Teremitisme des premiers Chretiens et le cenobitisme institutionnalise. L 5origine religieuse du mot et de la pratique oriente Barthes vers l^tude des formes de vie communautaire, principalement des monastdres d’Orient dont la rdgle et l’organisation restent beaucoup plus souples. C'est une fois de plus la rela­ tion difficile et complexe de Tindividu face au Pouvoir (ou aux pouvoirs) qui int6resse Barthes. Prappe par la coinci­ dence entre le d^veloppement du cenobitisme et rinstallation du christianisme comme religion dJEtat, Barthes cherche a sortir du monachisme occidental. En glissant de TOccident a TOrient, de TOrient 4 TExtreme-Orient, Barthes elargit son corpus aux moines bouddhistes de Ceylan qui servent en quelque sorte de contre-exemple au dirigisme des Eglises

chr^tiennes de moins en moins favorables aux formes idiorrythmiques... A Topposition de TOccident et du Japon d6veloppee dans L fEmpire des signes, correspond d^sormais Topposition entre la r^gle de saint Benoit et le bouddhisme « doux» des moines de Ceylan. Au-dela du mond© religieux, le mot « idiorrythmie» s^uvre grace a la metaphore a d'autres champs d^pplication et d^nvestigation. Sans lien direct avec la vie conventuelle, Tidiorrythmie designe egalement, dans le cours de Barfches, toutes les entreprises qui concilient ou tentent de concilier la vie collective et la vie individuelle, l’ind6pendance du sujet et la sociability du groupe. Ouvrant son corpus au monde profane, Barthes choisit cinq textes litt^raires qui entretiennent, tout ou partie, un rapport avec la definition elargie du m ot« idiorr y t h m ie G r a c e 4 des ceuvres d^rigine culturelle tr^s diff6rente, Barthes joue sur les effets d^nsistance, de contrast©, de nuances, afin de cerner au mieux une notion qui n^st jamais trait6e de front par les diff6rents auteurs. Si VHistoire lausiaque de Pallade, avec sa description pittoresque de la vie eremitique au vme sidcle, ramdne au monde religieux, les autres textes s^ n 61oignent nettement. La Montague magique de Thomas Mann pour la sociability tr^s particuli^re du sana­ torium, Pot-Bouille d^m ile Zola pour la hi6rarchie strict© de rimmeuble bourgeois, Robinson Crusoe de Daniel Defoe et La S^questree de Poitiers d ^ n d re Gide pour le contreexemple du Vivre-Seul :chacun de ces textes apporte, par petites touches, sa contribution d Texploration d ^ n mode de vie que Barthes reve de constituer en art de vivre. A ce corpus principal, il convient

outer une multitude de refe­

rences ponctuelles (Xenophon, Le Corbusier...) et la presence progressive de Proust (la tante Leonie au coeur de la maisonn6e..,). Du premier cours ( « Comment vivre ensemble») aux deux suivants («Le Neutre» et surtout «L a Preparation du roman I et II 〇, A la recherche du temps perdu s'impose peu ^ peu comme la r^f^rence majeure des derni^res annees cr^atrices de Barthes. La demarche intellectuelle^que suit cette quete de Tidiorrythmie ne correspond gudre a Tidee que Ton se fait habituellement d’un cours au College de France. Barthes accumule les savoirs, multiplie les references souvent erudites, les emprunts au grec ancien, mais ses connaissances, le plus souvent de seconde main, ne valent jamais pour elles-memes. La longue « Presentation» du cours definit clairement les enjeux et les moyens d'une recherche atypique. Si, citant Nietzsche et Deleuze, Barthes oppose d^mbl^e la « M^thode»

et la « Culture», c'est pour choisir clairement la seconde. A la methode qui marche droit vers un but precis, s'interdit Ter­ rance et la bifurcation, Barthes pr^f^re la culture ou la paideia, c^st-a-dire la ligne courbe, la fragmentation. Comme dans d ’on discoujrs amoureux, le coups s’organise en une succession de « traits» (nouveau nom des « figures») qui se suivent dans Tordre alphab6tique, le seul ordre, rappelle Barthes, capable d^chapper aux contraintes de la dis­ sertation et aux ruses du hasard. «Nous ouvrons seulement un dossier...*: Barthes r6p 白te souvent cette formule pour introduire ou conclure un nou­ veau d^veloppement. Oppose au caract^re implacable de la demarche dialectique, le « trait» vaut 6galement comme un refus de tout approfondissement. Amorce de la pens^e, simple esquisse, voire approche purement descriptive, chaque « trait*, chaque « dossier» se retient d^tre exhaustif pour favoriser Tinvestissement personnel des auditeurs. Au risque assume de la banality, Barthes renonce 4 etre trop savant de peur de s^n ferm er dans la m6thode. En inaugurant une qu§te qu*il appartienb aux autres de poursuivre, en articulant la recherche singuli^re et la pluralite des prolongements, Barthes transpose dans le domaine intellectuel et pedagogique cette idiorrythmie qui Tinspire dans le contenu comme dans la forme de son cours. Curieux des differents savoirs, mais ne cedant jam ais a Tivresse de T^rudition, Barthes regarde moins du cot6 de la science que du c5t6 du rom an :les romans de Thomas Mann ou de Daniel Defoe, bien sur, qu'il commente 4 sa maniere, mais aussi le roman reve vers lequel il tend et dont la « Preparation» occupera les deux derni^res annees de son cours au College de France. Le roman comme utopie induit un renouvellement « romanesque» de T^criture intellectuelle et de Tenseignement. Bn pr^sentant son cours comme des « Simulations romanesques de quelques espaces quotidiens», Barthes experiment© a Toral un romanesque en marge du roman, c^st-a-dire un roman sans recit. Barthes ne raconte pas un© histoire. La succession des traits le dit bien: Torganisation du cours ob6it ^ une structure thematique («Ak^dia», « A n a c h fir^ s is«A n im a u x », «Athos», « Autarcie»...) et non pas narrative, toute forme de m^tonymie se voyant congediee par Tarbitraire de Tordre alphab^tique. Que restet-il done quand on 6crit ou que Ton parle un roman sans recit? De quoi le romanesque du cours peut-il bien ^tre fait? Le mot « simulations» nous engage a chercher une premiere reponse du cote de la mimesis. Comme le roman dont il pro-

c6de, le romanesque pose la r^alit^ comme le referent de toute representation. «C ,est tout ^ fait ga», s^crie Barthes en pr^sentant le roman de Thomas M an n :de sa propre expe­ rience de tuberculeux a La Montagne magique de Hans Castorp, c’est la meme realite qui rapproche la vie et la litterature. Le mot « simulations» nous engage egalement du cote de la «maquette»1 c^st-a-dire de cette construction imaginaire et bien reelle a la fois qu'un romancier dessine avant de commencer A 6crire. Lieu habitable par la fiction, la « maquette» est le decor romanesque qui precede le roman. Dans sa « Pre­ s e n ta tio n B a rth e s insiste beaucoup sur la fonction dynamique de cette simulation spatiale ;4 chacun des textes qu^l commente, correspond un lieu particulier qui entre en rela­ tion avec la sociability du Vivre-Bnsemble :le desert de Pallade, la chambre de la S6questree, rimmeuble de Pot-Bouille, Tile de Robinson, auxquels il convient, bien sur, d ^ o u te r les couvents du mont Athos ou de Ceylan. Repens6e par le prisme romanesque du cours, la recherche s^u vre aux espaces, la « sim ulation» devient description. Dans ces « maquettes» transform6es en decors intellectuels, les objets et les personnages investissent les lieux et les ouvrent a la temporalite. Comme Tecrit Barthes dans le trait «Even e m e n tR o b in so n perd de son int^ret avec l’arrivee des sauvages, avec le retour en Europe, c^st-a-dire avec le developpement du roman d^ventures. L^venement a sa place dans la « m a q u e tte m a is au singulier ou dans le desordre de la fragmentation : ev^nements tenus, desaccordes, insignifiants, evitant a la fois le devenir narratif et le sens justificatif. Comme tout romancier, Barthes montre plus qu^l ne d^montre, court-circuite la pensee avant quelle ne devienne trop abstraite, avant que 1$, « maquette» ne devienne sym­ bol©. Pour Barthes, le « scenario» fantasmatique se reduit a la « scdne», Tambiguit^ du mot renvoyant autant a Tespace dramatique quJa Taction theatrale... Le romanesque du VivreEnsemble naxt dans des lieux encombres d^bjets (fleurs, dechets, tables, chaises, bures...) ou se donnent 4 voir les gestes ordinaires de personnages souvent extraordinaires (un stylite, une s^questree, un naufrag^...). Nouvelle quete d ^ n e abbaye d© Thel6me ou s^arm oniseraient la solitude et la communaute, le cours de Barthes se developpe en opposition a deux contre-mod^les: le couple (le discours amoureux devenu conjugal) et la foule, indifferente ou agressive, dont le banc de poissons constitue la figure hyperbolique. Entre ces deux ecueils, Barthes part a la

recherche d'une morale de la delicatesse, ou espace g^ographique et espace social se confondent dans une meme topique de la distance. Tout le cours est dans cette question: a quelle distance dois-je me tenir des autres pour construire avec eux une sociability sans alienation, une solitude sans exil? Comme on s ^ n doute, le cours ne donne pas la reponse. Projetant de consacrer la derniere seance a une utopie du VivreEnsemble, Barthes choisit finalement de renoncer a son projet. Les raisons invoqu^es sont multiples :le manque d^ntrain, la difficult^ d’imaginer une vie idiorrythmique qui serait 4 elle-meme sa propre fin, la dimension necessairement collective de toute utopie, la conscience que seule une 6criture est capable de prendre en charge le fantasme. L ’echec de l’utopie — qui n’est pas l’6chec du cours — se laisse aussi deviner par la part de plus en plus importante que prend, de stance en seance, La Sequestree de Poitiers. Places au depart sur urx pied d?egalit6, les textes-supports se sont mis a travailler :Pot-Bouille s'efface, le texte de Gide impose peu a peu sa presence. La passion de la claustration, romnipresence des dechets autour d*un individu devenu d^chet lui-meme impriment au cours une tonalite etrange, ou se melent etonnement et sympathie, tendresse et desenchantement. Melanie 一- la Sequestree 一 , mais aussi la tante Leonie, si presente dans plusieurs traits, disent tour a tour et simultantoent la fascination inquire pour un repli sur soi que seules Timagination et l^critu re romanesque reussiraient a compenser. Melanie, decrite comme une creatrice de langu© (une «logoth6te»), la tante Leonie, lointaine premoni­ tion de la claustration creatrice du narrateur proustien, dessinent en filigrane la presence de la litterature comme seule idiorrythmie r^ussie, comme accord a venir entre la solitude ecrivain et la communaute de ses lecteurs.

Claude Coste

Je remercie pour leur pr^cieuse competence : Louis Bardollet, Ridha Boulaabif Michdle C&stells, Bernard Deforge, Philippe Derulef Carole Dornier, Gillea Faucher, Brigitte Gauvin, Dominique Goum ay, A zzedine et Suzanne Ouellouz, Nicole Ouilleux, Anne-Elisabeth B a lp em f Corinne Jouajino, Michdle Lacorre, Marie-Gabrielle Lallemand, JeanClaude Larrat, Nathalie Ldger, Bruno Lepr§tref Sophie Luoetf Alain Schaffner, JUrgen Siess, A n d y Stafford, Gerald Stieg, Paule Thouvenin et Serge Zenkine. Alice Ouillevinf du ddpartement de Langues anciennes de VuniversitS de Caen, s'est chargee de translittSrer le greo ancien. Je tiens a la rem ercier ohaleureusement pour sa competence, sa disponibilit^ et sa patience.

COMMENT VIVRE ENSEMBLE SIMULATIONS ROMANESQUES DE QUELQUES ESPACES QUOTIDIENS

Notes de cours au College de France

Presentation Methode et paideia Un fantasme: hdiorrythm ie Le monachisme Les oeuvres Le resea u grec Traits

Traits AKEDIA

EPONGE

ANACHORESIS

EVENEMENT

ANIMAUX

FLEURS

ATHOS

IDYLLIQUE1

AUTARCIE

MARGINALITES

BANC

MONOSIS

BEGUINAGES

NOMS

BUREAUCRATIE

NOURRITURE

CAUSE

PROXEMIE

CHAMBRE

RECTANGLE

CHEF

REGLE

CLOTURE

SALETE

COLONIE

XENITEIA

COUPLAGE DISTANCE

UTOPIE

DOMESTIQUES

ET LA METHODE ?

I ECOUTE

1.

Ije tmit, supprto6 en cours, est baiT6 dans le manuscrit.

Seance du 12 janvier 1 9 7 7

PRESENTATION METHODE? Au moment de commencer ce nouveau cours, je pense a une opposition nietzsch^enne, bien mise au jour par Deleuze1 (123-26 ) :methode / culture.

Methode Suppose «une bonne volonte de penseur», «une wdecision premedit6ew». Bn fait, « moyen pour nous eviter dialler dans tel lieu, ou pour nous garder la possibility d’en sortir (le fil dans le labyrinth©)». Effectivement, dans les sciences dites humaines — y compris la s6miologie positive — , methode Q'en ai moi-meme leurr6*2) : 1) Demarche vers un but, protocol© depurations pour obtenir un r6sultat; par exemple: m6thode pour d6chiffrer, pour expliquer, pour ddcrire exhaustivement. 2) Id6e de chemin droit (qui veut aller a un but). Or, para-

Deleuze

doxalement, le chemin droit d^signe les lieux o\l en fait le siget ne veut pas a lle r: il f^tichise le but comme lieu et par 1st, ecartant les autres lieux, la methode entre au service d ^ n e g6n6ralit6, d ^ n e «m oralite» (Equation kierkegaardienne3). Le sujet, par exemple, abdique ce qu*il ne connait pas de lui-meme, son irreductible, sa force (sans parler de son inconscient).

Culture Nietzsche

sens humaniste, ir6nique) = « violence subie par

la pensee», «une formation de la pensee sous Faction des 1• « La m6thode suppose toi^jours une bonne volont6 du penseur, une ad6cision pr6m6La culture au contraire est une violence subie par la pensee sous Taction de forces s61ectives, un dressage qui met en jeu t»ut Tinoonsoient du penseur* (G. Deleuze, Nietzsche et la Philosophie, Paris, PUP, 1962, p. 123-124). g. Barthes se r6f6re d ses travaux s6miologiques des ann6es solxante, en particulier Systdme de la mode CParis, Ed. du Seull, 1967), dont T« Avant-propos» s^ntitule « M6thode». [Oral :Barthes substltue « obs6d6» & « leurr6».] 3. Voir Le〇on COCm, 804). En axjquiesQant en silence au sacrifice dlsaac, Abraham 6chappe A la g§ri6rallt6 de la morale et du langage (Kierkegaard, Cralnte et Tremblement, 1843).

3 3

forces sdlectives, un dressage qui met en jeu l’inconscient du penseur* = la paideia4 des Grecs (ils ne parlaient pas de «m6thode»). « Dressage», « f o r c e « violence、 il ne faut pas prendre ces mots dans le sens excite. II faut revenir Tidee nietzsch^enne de force (ce n^st pas le lieu ici de la reprendre), comme engendrement d’une difference: on peut §tre doux, civilise meme! et se placer dans la paideia. Culture, comme « dressage» methode), renvoie pour moi 4 Timage d^n e sorte de dispatching an trac6 excentrique :tituber entre des bribes, des bornes de savoirs, de saveurs. Paradoxalement, culture, ainsi comprise comme reconnaissance de forces, est antipathique a Tidee de pouvoir Cqui est dans la method©). (Volonte de puissance ^ volont^ de pouvoir.) II s^agit done, ici, du moins postulativement, de culture, non de m^thode. N^ttendre rien sur la m^thode — 4 moins de prendre le mot dans son sens mallarm^en6 : « fiction » :langage reflechissant sur le langage.

Exercice de la culture =

ecoute des forces6. Or, la premiere force que je peux interroger, interpeller, celle que je connais de moi, meme a travers le leurre de Timagin a ire :la force du desir, ou pour 5tre plus precis (puisqu^l s5agit d5une recherche) :la figure du fantasme.

FANTASME Cf. Legon inaugurale sur Tenseignement fantasmatique. Faire partir la recherche (chaque axinee) d?un fantasme. Science et fantasm e: Bachelard: intrication de la science et de Timaginaire (xvine si^cle). Mais moralisme de Bachelard: la science se constituerait par decantation des fantasmes7. Sans discuter ceci (on pourrait dire qu*il a pas de decantation, mais surimpression du fantasme et de la science), admettons que nous nous plagons avant cette decantation.

Le fantasme

comme origine de la culture (comme engendrement de forces, de differences). Avant de dire explicitement mon fantasme originel (rien d?in­

4. Paideia Cgrec): 6ducatlon des enfants (de pals :enfant), puls formation. B. Voir St6phone Mallarmd :« Tout© mdthode est une fiction, et bonne pour la demons­ tration. « Le langage lui est apparu Tlnstrument de la fiction :11 sulvra la m6th〇de du langage 〇a determiner). Le langage se r6fl6chissant.» CNotes sur le langage, in CEuvres compldtes, t. I, Paris, Galllmard, coll. « Biblioth§que de la P16iade», 1998, p. 104.) 6. [Oral :Barthes ajoute «6coute des differences».] 7. Voir Q. Bachelard, La Form ation de Veaprit sclentlflque, Paris, Vrln, 1938, p. 38 : « Aiissi Tesprit scientiflque doit-11 sans cesse lutter contre les Images, contre les analo­ gies, contr© les m6taphores.»

decent), un mot sur la force fantasmatique en general du Vivre-Ensemble. Quelques remarques : 1) Je ne traiterai pas du Phalanst^re (sinon ^pisodiquement), bien qu^l soit evident que Phalanst^re = forme fan­ tasmatique du Vivre-Ensemble. Un mot tout de m§me. Chez Fourier, fantasme du Phalanst^re, paradoxalement, ne pai*t pas d^ n e oppression de la solitude, mais d'un gout de la soli­ tude :« J'aime etre seul.» Le fantasme n^st pas une contren^gation, il n*est pas Tendroit d?une frustration vecue comme envers :les visions eudemoniques coexistent sans se contredire. Fantasme :scenario absolument positif, qui met en sc6ne le positif du desir, qui ne connait que des positifs. Autrement dit, le fantasme n'est pas dialectique C^videmmentl). Fantasmatiquement, pas contradictoire de vouloir vivre seul et de vouloir vivre ensemble = notre cours. 2) Tox^jours 4 propos de Fourier: l’utopie s ’enracine dans un certain quotidien. Plus le quotidien du si^jet est pregnant (su r sa pens6e), plus Tutopie est forte (fignolee): Fourier est meilleur utopiste que Platon8. Quel etait le quotidien de Fou­ rier? Deux commentateurs de Fourier (A rm an d et Maublanc9) Tont bien points — et un troisidme (Desroohe) s^en

Deeroche, p. B1

est indign6 (4 tort bien s u r ): « Le phalanstere est un paradis confectioning 4 son usage personnel par un vieil habitu^ des tables d’hdte et des bordels10.* Tables d’h6te, bordels (ou lieux assim il^s): excellent materiel d’utopie. 3) Autre preuve de la force fantasmatique du VivreEnsemble : « bien» vivre ensemble, « bien» cohabiter ;ce qu^l y a de plus fascinant chez les autres, ce dont on peut etre le plus jaloux :couples, groupes, meme families, reussis. CJest le mythe (le leurre?) a Tetat p u r :la bonne mature romanesque. (II n ’y aurait pas de families s’il n’y en avait pas quelques-unes de r^ussies!) 4) J ’ai d it: le fantasme n ’est pas le contraire de son contraire rationnel, logique. Mais a Tint^rieur meme du fantasme, il peut y avoir des contre-images, des fantasmes n6gatifs (opposition entre deux images fantasmatiques, deux scenarios — et non entre une image et une reality). Par exemple : a) Etre enferme pour r^ternit^ avec des gens d^plaisants qui sont a c6t6 de nous au restaurant = Timage infernale du Vivre-Ensemble :le huis clos. 8.

[Barthes precise & l’oral que l’utopie passe par « l’lmagination du detail »■】

9. F61ix Armand et Ren6 Maublanc, Fourier, 3 vol., Paris, fid. Sociales, 1937. 10. Citation d'Armand et Maublano reprodulte par Henri Desroche, La, SoclStd festive. Du fourl6rl8me ^orlt aux fouri^rlsmes pra,tlqu6syParis, du Seuil, 1976.

3 5

b)

Autre fantasme horrible du Vivre-Ensemble: §tre orphe-

lin et se retrouver un pere vulgaire, une famille moche :Sajis fam ille11. (-> Vivre-Ensemble :se retrouver un «bon» p6re, une « bonne» fam ille: une Famille-Souverain Bien? Dans Toptique analjrtique, 1© vrai fantasme 1 le Familien-Roman l z 〇 5) A titre d5excursion fantaisiste, ceci :certes, nous prendrons le Vivre-Ensemble comme fait essentiellement spatial (v ivre dans un m§me lieu). Mais a Tetat brut, le VivreEnsemble est aussi temporel, et il faut marquer ici cette case: « vivre en meme temps que...», « vivre dans le meme temps que...» = la contemporaneite. Par exemple, je puis dire M allarm e : 1842-1898 M a rx : 1818-1883 Nietzsche : 1844-1900

sans mentir que Marx, Mallarm^, Nietzsche et Freud ont vecu vingt-sept ans ensemble. Bien plus, on aurait pu les r^unir dans quelque ville de Suisse en 1876, par exemple, et

F reud : 1856-1939

ils auraient pu 一 ultime indice du Vivre-Ensemble 一 « discu-

1856-1883

ter e n se m b le F re u d avait alors vingt ans, Nietzsche trentedeux ans, Mallarme trente-quatre et M arx cinquante-six ans. (On pourrait se demander quel est maintenant le plus vieux.) Cette fantaisie de la concomitance veut alerter sur un ph^nomene tr^s complexe, peu etudie, me semble-t-il: la contempo­ raneity. De qui suis-je le contemporain? Avec qui est-ce que je vis? Le calendrier ne repond pas bien. CJest ce qu^ndique notre petit jeu chronologique 一 a moins qu’ils ne deviennent contemporains maintenant? A 6tudier : les effets de sens chronologiques (c/. illusions dJoptique). On deboucherait peut-etre sur ce paradoxe :un rapport insoupQonne entre le contemporain et Tintempestif1 13 — comme la rencontre de 2 1 M arx et Mallarme, de Mallarme et de Freud sur la table du temps14.

MON FANTASME: l/IDIORRYTHMIE 15 Un fantasme (ce que du moins j^ppelle ainsi): un retour de desirs, d,images, qui rodent, se cherchent en vous, parfois toute

11. Le c616bre roman d'Hector Malot (1878). 12. Famlllen-roman Callemand) :roman familial. « Expression cr66e paj* Freud pour designer des fantasmes par lesquels le si^Jet modifie imaglnairement ses liens avec ses parents (lmagiiiant par exemple qu*U est un enfant trouv6)» (J. Laplanche et J.-B. Pontalls, Vocabul&ire de la psychanolyse, Paris, PUF, 1998, p. 4.27). Dans les fiches pr6paratoires comme dans la version orale du cours, Barthes se rdfdre sou vent A cet ouvrage. 13. [O ral :Barthes precise :«a u sens nietzsohden du terme*.l Voir Unzeltgem&ase Betraohtungen, que Ton tradult par Considerations lnaotuelles ou Consid^ratlona Intem-

peatlvea. 14. [Oral :Barthes 6voque le tableau de Max Ernst Au rendez-vous des amis (1922): I>ortrait collectif des Surr6allstes dans lequel prennent place Dostoiievskl et Raphael.] 15. Mot form6 4 partlr du grec idlos Cpropre, particulier) et rhuthmos Crythme).

une vie, et souvent ne s© cristallisent quJa travers un mot. Le mot, signifiant majeur, induit du fantasme a son exploration. Son exploitation par diff^rentes bribes de savoip = la recherche. Le fantasme s'exploite ainsi comme une mine a oiel ouvert. Pour moi, le fantasme qui se cherchait [n^etait] pas du tout li6 au s\jjet des deux dernidres annees (le « Discours amour e u x »16). Ge n’dtait pas l’exploitation d’un fantasme 〇 le Vivre-Ensemble). Ici, ce n^st pas le Vivre-a-deux, le Discours slmili-coryugal succedant _ par miracle — au Discours amoure u x 17. [C’esti】un fantasme de vie, de regime, de genre de vie, diaita, diete. Ni duel, ni pluriel (collectif). Quelque chose comme une solitude interrompue d*une fagon reglee :le paradoxe, la contradiction, l’aporie d’une mise en commun des distances _ l’utopie d’un socialisme des distances (Nietzsche

Le Crdpuscule des idoles,

parle, pour les epoques fortes, non gregaires, comme la Renaissance, d'un « pathos des distances » 18). (Tout ceci encore approximatif.) Or ce fantasme, a l’occasion d’une lecture gratuite (Lacarridre, L fEte ^rec19), a rencontre le mot qui Fa fait travailler. Sur le mont Athos :des couvents cenobitiques + des moines a

p. 107

la fois isoles et relies a Tint^rieur d ^n e certaine structure (les elements de cette structure seront decrits en leur temps) = des agglomerats idiorrythmiques. Chaque sujet y a son rythme propre20. 1) II faut bien comprendre que pour qu*il y ait fantasme, il faut q u ll y ait sc^ne (scenario), done lieu. Athos C〇u je ne suis jamais all6) procure un mixte damages :Mediterranee, terrasse, montagne (dans le fantasme, on oblitere; ici, la crasse, la foi). An fond, e’est un paysage. Je me vois 14, au bord d ^ e terrasse, la mer au loin, le crepi blanc, disposant de deux chambres a moi et autant pour quelques amis, non

16. De 1974 4 1976, Barthes a donn§ un s6minalre a FEcole pratique des hautes etudes consacr6 au « Discours amoureux». 17. Une dizaine de flches pr^paratolres sont consacr^es & «fitre amo;ireux» (principalement a propos de La Montagne maglque). 18. «... l'ablme entre homme et homme, entire une clause et une autre, la multiplicity des types, la volontd d’etre soi, de se distlnguer, ce que j ’appelle le pathos des distances est le propre de toutes les 6poques fortes» CLe CrSpuscule des idoles, Paris, D©no61 / Gonthier, coll. « M e d ia t io n s 1980). 19. Jacques Lacarrl^re, grec. Une Ordce quotldienne de 4 000 ansy Pans, Plon, 1976, 20. «La Montagne Sainte a suscit6 un genre de vie particulier, c© qu*on appelle I'idlolythm le. Cea monastdres athonltes appartiennent en effet & deux types dlf!f6rents. Geux qu^n appelle o6nobitiques, autrement dlt commiinautaires, ou tout, repas, liturgies et travaux, s'effectue en csommunautd. Et ceux qu'on nomme idiorythmiques, oil chacun vit litt^ralement 4 son propre rythme. Les moines y ont des cellules particuli6i»es, prennent leuPB repas chez eux (a l’exoeptlon de certalnes f§te8 annuelles) et peuvent oonserver les biens qu'ils poss6daient au moment de leurs voeux. [...] M6me les liturgies, en ces 6tranges communaut6s, restent facultatives, A Texceptlon de roffice de la nuit» (J. Lacarridre, grec, op. cit., p. 40). Sui* Torthographe ^Idlorrythm le, voir p. 67.

3 7

loin + une occasion de synaxe21 (bibliothdque). Fantasme tres pur qui fait abstraction des difficultes qui vont se lever comme des fantomes (ceci: un peu le siyet du cours). «Idiorrythmie», « idiorrythmique » :a le mot qui a transmute le fantasme en champ d© savoir. Par ce mot, j^cc^dais 4 des choses qui peuvent etre apprises. Qa ne veut pas dire que j ^ i pu les apprendre, car mes recherches, bibliographiquement, ont ete souvent decevantes. Par exemple, les formes monastiques d'idiorrythmie, les beguinages, les Solitaires d© PortRoyal, les petites communautes ne m ^nt guere apport^ 〇'y reviendrai) — et je reviendrai sur la dominance des modules religieux. 2) Excursus : rappel de Tarticle important de Benveniste sur la notion de «rythme», Probldmes de lingaistique generale, I, ch. xxvn. Rhuthm os :on rattache a rhein2^ (ce qui est juste morphologiquement, mais par un raccourci s^mantique inadmissible, que Benveniste deroystifie) : « mouvement r6gulier des flots »i Or Thistoire du mot: toute differente. Origins : ancienne philosophi© ionienne23, Leucippe, D6mocrite, createurs de Tatomisme :mot technique de la doctrine. Jusqu^ la p6riode attique, rhuthmos ne signifie jamais « rythme», n'est pas applique au mouvement regulier des flots. Le sens est : forme distinctive, figure proportionn^e, disposition ; tr^s proche et different de schdma. Schema = forme fixe, r^alis^e, pos6e comme un objet (statue, orateur, figure chor^graphique). Schema ^ forme, dans Tinstant quelle est assumee par ce qui est mouvant, mobile, fluide, forme de ce qui pas de consistance organique. Hftufciimos = pattern d’un 616ment fluide (lettre, p^pios2425 , humeur), forme improvisee, modifiable26. Dans la doctrine, mani^re particuli^re, pour les atomes, de flu e r ;configuration sans fixite ni necessity natu~ relle: un « fluement» (le sens musical, c’est-4-dire moderne: Platon, P h ild b e ^ .

21. Fiche 169 : *8ynaxe : assem ble g6n6rale pour la prldre.» Dans Tespace fantaamS par Barthes, la biblioth6que, comme lieu de reunion, jouera le m§me rfile que la synaxe des couvents athonites. 2S. Rhein Cgrec) :cx>uler. 23. Depuls Aristote, on appelle « ioniens» les philosophes pr6socratlques 6tablls dans les grandes cit6s c6tidres d'Asie Mineure (vi® sldole). 24. Pdplos Cgreo) :tunique. V§tement de femme, sans manches, qui s^grafalt sur l’6paule. 25. Le rhuthmos renvoie 4 tout oti)et Impliquant un mouvement :drap6 du vStement, trac6 de la lettre Cvoir I). Benveniste, Probldmes de Unguistlque g^ndr&le, Pai*is, Gallimard, 1.1, 1966, p. 330), instability de Thumeur. 26. Voir Benveniste, Ibid., p. 334. A propos d© la musique, Socrate 6voque les rap­ ports q u i« se manifestent dans les mouvements du corps, rapports qui se mesurent par des nombres et qu ^ faut, dlsent encore les Anoiens, appeler rythmes et metres» CPhl励 e, 17 b).

Ce souvenir §tymologique nous importe: 1. Idiorrythme, presque un pleonasme, car le rhuthmos est par d6finition individuel: interstices, fugitivit^ du code, de la manidre dont le sxyet s*insure dans le code social (ou naturel). 2. Renvoie aux formes subtiles du genre de vie : les humeurs, les configurations non stables, les passages depressifs ou exalt^s ;bref, le confcraire meme dMne cadence cassante, implacable de r^gularite. C^st parce que le rythme a pris le sens r^pressif (voir le rythme de la vie d ^ n c^nobite ou d'un phalansterien, qui doit agir a un quart d*heure pres) qu'il a fallu lui adjoindre idios^7:

idios ^ rythme, idios = rhuthmos Dans son lieu originel (FAthos), Tidiorrythmie pointe juste la proportion de communaute fantasm^e — et c’est la son avantage, sa force motrice (pour moi). Proportion = une ontologie de Tobjet. Architecture. Agrandissem ent: Cezanne / De Sta6127 *29. En effet, le fantasme = un projecteur net, puissant, sHr, qui decoupe la scene eclair6e ou le d6sir s^nstalle et laisse dans Tombre les deux cotes de la sc^ne : 1) Le couple. Peut-etre des couples idiorrythmiques ? Le probl^me n ^st pas la. Le lieu du couple n^st pas balay6 par le fantasme qui pr^cis6ment ne veut pas voir Timmuable chambre a coucher, la cloture et la legality, la legitimit6 du d6sir. L^ppartement centre ne peut etre idiorrythmique. On pourrait decider qu'on ne parlera pas du couple (ou alors de couples pris dans des ensembles, des exterieurs), comme la Soci6t6 de Linguistique avait decide, a sa fondation, dans ses statuts memes, qu'elle ne recevrait aucune communica­ tion sur Torigine du langage. Ajoutons :le Systeme-Famille bloque toute experience d^nachor^se, d^diorrythmie. Dans les « communes30* modernes, des families se reconstituent et la commune d^raille, par la rencontre de la sexualite et de la loi. 27. Idios (grec) :propre, paj*ticulier. 38. [A Toral, Barthes explicite son schema :* Idios s'oppose 4 iythme, mais c'est la mSme ohose que rhuthmos en quelque sorte.»] 29. {O ral :Barthes se rdf^re 4 la d6finitlon de rarchltecture comme art de la propor­ tion, H pourault alnsl : «Si vous agrandissez le detail d*un tableau, d ^ e peinture, vous produisez une autre pelnture. [...] On a pu dire 〇e Tal r6p6t6 plusieurs fois) qu© tout Ni£X)las de Staftl 6tait sortl de cinq centimetres carr6s de C6zanne.»] Pour cette r6f§renoe, voir « R6quichot et son corps » COCII, 1638), Le P la ls ir du texte COCII, 1804). 30. Dans La Revolution sexuelle (trad. fr. de Constantin Slnelnlkoff, Paris, UQE, 1968), Wilhelm Reioh ddcrlt le fonctlonnement des « communes» de jeunes en URS8 (voir chap, xn, 2 d, «La contradiction insoluble entre la famille et la commune»). Voir p. 78.

S) A Tautre extremite de la scene, ^galement dans Tombre : les macro-groupements, les grandes communes, les phalansteres, les couvents, le cenobitisme. Pourquoi? Je veux d ire : pourquoi le fantasme ne rencontre pas ces grandes formes? Evident :parce qu^elles sont structurees selon une architec­ ture de pouvoir Q'y reviendrai), et qu'elles sont d6clarativeinent hostiles a Tidiorrythmie (c*est meme pour cela, contre cela qu’historiquement on les constitue — on les a constituees). Voir rinhumanite fonciere du Phalanst^re fourieriste : Toppose m§me de Tidiorrythmie, avec son timing de quart d^eure en quart d'heure :casernes, internats. Disons encore :nous cherchons une zone entre deux formes excessives: — une forme excessive negative :la solitude, Teremitisme, — une forme excessive integrative :le coenobium^1 (laique ou non), — une forme median©, utopique, edenique, idyllique : Pidionythmi©. Notons que cette forme est tres excentrique : n 5a jamais bien pris dans TEglise (au mont Athos, en desherence), qui en fait l*a toujours combattue (saint Benoit et les Sarabaites3 32, moines qui vivent deux ou trois ensemble, 1 satisfaction des desirs). D ^utre part, la psychanalyse pas mordu sur les « petits groupes». C^st ou bien le sujet dans sa gangue familiale ou bien la foule (seul le livre de Walter Ruprecht Bion, Recherches sur les petits groupes, PUF, 1965; particulier :groupes en milieu hospitaller, livre assez peu clair). En somme: ni monastere, ni famille, echappant aux grandes formes repressives. Pour en finir avec cette premiere presentation de Tidiorrythmie, je vais donner un trait qui me parait caracteriser le probltoe d*une fagon topique. De ma fenetre ( l er d^cembre 1976), je vois une mdre tenant son gosse par la main et poussant la poussette vide devant elle. Elle allait imperturbablement a son pas, le gosse dtait tire, cahot6, contraint 4 courir tout le temps, comme un animal ou une victime sadienne quJon fouette. Elle va a son rythme, sans savoir que le rythme du gosse est autre. Et pourtant, c'est sa m6re 1 Le pouvoir — la subtility du pouvoir — passe par la dysrythmie, Theteroiythmie 33.

31. Coenobtum (latln) : oouvent. 32. Saint Benoit combattit les Sarabaites, moines vlvant sans regies, accuses de d^bauche. 33. [Pr6cision de Barthes d. Toral: « C^st en mettant ensemble deux rythmes diff^rents que Ton cr6e de profondes disturbances.»]

MONACHISME Forces par lesquelles le fantasme accede a ou debouche sur la culture: ix’agissent pas d’une fagon droite, subissent des tensions imprevisibles. Exem ple: fantasme de vie libre a quelques-uns idiorrythmie Athos. -> Retrouver dans cette forme des themes, des traits, des structures qui permettent d^claircir des problemes contemporains. Non pas des problemes generaux, culturels, sociologiques (par exemple les communautes ou communes), mais les problemes idiolectaux : ce que je vois autour de moi, chez mes amis, ce qui se postule en moi. Done on pouvait penser :direction d^n e psychologie passionnelle, rapport aux autres, a Tautre. En fait ici, deviation impr6visible :le cristallisateur, Athos, entrame des lectures. Tg,tonnements dans des romans (car beaucoup de romans du couple, mais peu du petit groupe) + lecture plus systematique :la vie Cau sens de diaita) monastique. Or, ces lectures s’av 白rent passionnantes, sans qu’on puisse savoir quel fantasme ©lies touchent (elles touchent surement un fantasme, non un signifie :aucune conversion a la spiritualite monacale). Investissement d6ja des6quilibrant dans le materiel monastique. Et puis encore line tension: le fantasme, visiblement, r^pugne au cenobitisme. L^xploration de lecture se detourne du cenobitisme occidental, de module benedictin (vi0 sidcle), et s^nteress© aux formes pr^cenobitiques :eremitiques ou semianachor白tiques (idiorrythmie), c’est-4-dire au monachisme oriental (Egypte, Constantinople). On revient d?ailleurs par la 4 TAthos. Je veux, a ce sujet, une fois pour toutes, bien imprimer quelques dates (v o ir p. 42). On voit que tout s^st joue au ive siecle. Cette date entraine au moins un effet de sens impressionnant. Le cenobitisme, comme liquidation de Tanachoretisme (eremitisme, semi-anachoretisme et idiorrjrthmie, consideres comme des marginalites dangereuses, resis 七antes a rintegration dans une structure de pouvoir), est strictement contemporain (avec Pacome) du renversement qui a fait passer le christianisme de religion persecute© (des martyrs) au statut de religion d’Etat,e’est-a-dire du Non-Pouvoir (du D6pouvoir) an Pouvoir. 380, date de Tedit de Theodose, est peut-etre la date la plus importante Cet occultee:qui la connait?) de Thistoire de notre monde a nous :collusion de la religion et du pouvoir, creation de nouvelles marginalites, separation de TOrierxt et de TOccident occidentalocentrisme (triomphe du cenobitisme).

Diocl6tien

2 7 5-3 0 5

F in in6 s.

A n toin e au D e s e r t34

B r^m itism e

C on version C onstantin

313

D6but rv6

A n ach or^tes autour d 'A n to in e (SinaD

Semi-anaohor6tism e Id io rry th m ie

31 4

D6but iv6

PacOme inau gu re le c6nobitism e 35

L e Christian ism e relig io n d ’e ta t Edit Th6odose

38 0

P in iv®-v®

Saint A u g u s tin : con version

P a rta g e O rien t / Occident (m o r t Th6odose)

39 5

R dgle de saint A u gu stin

Stylltes

53 4

VI6

Saint B en oit au m ont Cassin

Xs36

Fondation de ia u r a 37 au m on t A th os

C^nobitism e occidental

34. Piche 173: «Draguet xvm. P^res du desert. Les mis :vlvent seuls, en ermite :systdme antonien. Les autres, cas le plus frequent :group6s en colonies d'anachor^tes: avantages d'un minimum de vie en oommunaut6. Syst^me pacSmien (o6nobitique). * 36. Fiche 146 : *Pacdme :Ladeuze 273. Habit monastiqu©: 一 tunlque de lin sans manches — oeinture 一 peau de chdvre tann6e 一 sur le oou tr§s court mantelet et cuciille — manteau de voyage 一 pieds nus, sauf sandales pour ext6rieur. Cliaque molne: 一 deux oucuiles, deux tuniques + une us6e pour travailler et dormir 一 vStements non actuels :gardes dans un vestiaire oommun — entretien pour ohacun :lavage et s6chage & une heure commune 一 ortgine? pi^tres #gjrptiens? 一 cheveux coup6s Coulte de S^rapis par Pacfime?) 36. [Precision orale de Barthes : « Ca ne fait pas vralment partie du tableau.»] 37. Laura Gatin) : laure, monastdre m6dl6val.

Seonce du 19 janvier 1 9 7 7

PRESENTATION (suite)

Les references au monachisme (sous sa forme semi-anachordtique et egyptienne, byzantine) seront done nombreuses. J'espdre que cela ne vous lassera pas trop — car vous n^tes pas obliges, evidemment, de partager avec moi ce fantasme secondaire de culture. A ce sujet, je dois preciser ceci: une theorie (en ce sens nouvelle) de la lecture est possible (lec­ ture contre-philologique). Lire en s^bstrayant du signifie : lire les Mystiques sans Dieu, ou Dieu comme signifiant1 (alors que Dieu = signifi6 absolu, puisqu^n bonne theologie, il ne pent Stre le signifiant de rien d’autre que de lui-m吞m e : « Je suis celui qui suis1 2 〇 . II faut imaginer ce qui se passerait si Ton g^neralisait la methode de lecture par exemption du signifie, de tout signify. Par exemple Centre a u tre s): on se mettrait k lire Sartre sans le signifi^ « engagement »3. Ce qui se produirait alors, ce serait une lecture souveraine — souverainement lib re: tout sur-moi de lecture tomberait 一 , car la loi vient toujours du signifie, en tant qu^l est donne et regu comme dernier. Les effets d’une exemption de la foi, ou qu’elle se trouve (y compris aujourd’hui de la foi politique qui a remplac6 la foi religieuse pour toute la caste intellectuelle), sont pour le moment incalculables, presque insupportables. Car ce qu5il s^agit de lever, de perimer, de rendre insignifiant, ce sont les generateurs de culpabilite. CJest done travailler a un non-refoulement: moins refoulant de parler des moines sans la foi, que de n’en pas parler.

1. D6veloppant sa pens^e en cx>urs, Barthes distingue les ceuvres qu© Ton peut lire en exemptant le signifi6 et les oeuvres pour lesquelles cette exemption est impossible : Tceuvre de Bossuet, par exemple, se lit trds bien sans le signify Dieu... 2. Exode 3,14.

3. A Toral, Barthes projette de consacrer le prochain seminaire £L Sartre. En fait, il n*y aura pas de sdminaipe en 1978. En 1979, le s6mina±re portera sup le «Labyrinthe» et en 1980 but « Proust et la photographie *.

aUVRES A cote du monachisme, des materiaux de notre reflexion seront prelev^s dans un corpus litt^raire. Les romans sont des simulations, c^st-a-dire des experimen­ tations fictives sur un modele, dont le plus classique est la maquette. Le roman implique une structure, un argument (une maquette) a travers lequel on lache des sujets, des situations. II a pas, dans ma memoire, de maquette romanesque de Tidiorrythmie (si vous en connaissez, il faut me le dire). Mais il y a, dans presque tous les romans, un materiel 白pars concernant le Vivre-Ensemble (on le Vivre-Seul): des bribes de simulation, comme dans un tableau confus ou apparait tout d'un coup un detail tres net, fini, qui vient vous frapper (c'est la disposition meme, la topologie du Chef-

dfCBuvre inconnu^. J ’ai done pris quelques oeuvres d’oii j ’ai tire quelques mat白riaux int6ressant le Vivre-Ensemble. Mon choix est tout a fait subjectif, ou plutot tout a fait contingent. Cela dependait de mes lectures, de mes souvenirs. Cet anarchisme des sources est justifie par Teviction de la methode au profit de la paideia. Et, de plus, ces oeuvres ne seront pas prises «en soi» (cf. W erther6). Il y aura des enjambements, des marcottages d’une oeuvre a l’autre. En forgant un peu les choses, pour les rendre m^morables, chacune des oeuvres choisies correspond grosso modo a un lieu-probldme du Vivre-Ensemble et de son terme paradigmatique, le Vivre-Seul (la maquette dans un roman: lieu tr^s important. Balzac pose toujours la maquette). Mais ga ne veut pas dire que les oeuvres seront traitees thematiquement, en fonction de ce thdme topographique :Toeuvre 6clatera en « traits» (J’y reviens a 1, instant):4 5

4.

Nouvelle de Balzac 6crite en 1831. Le vieux Prenhofer oherche depuis des ann6es

t peindre le portrait de Catherine Lascault, une courtisane surnomm6e la Belle Noiseuse. Il ne produit qu*un amas de couleurs d*o\l Ton distingue cependant un pied remarquabl© de v§rit6. 5. Dans Fragments ^u n dlsoours amoureux, op. clt., Barthes utilise le W erther de Qoethe comme un repertoire de figures du dlscours amoureux.

CEuvre

Lieu (M a q u e t t e )

Gide :La S6questr6e

L a C h a m b re (so lita ire ,

H ls to lre d 'u n fa it di-

de Poitiers (Q a lllm a rd ,

n o n c o n fo rta b le )

v e r s , 1 9 0 1 : Gide s^est

cella6, k6111on7 (o n en

contents de m o n te r les

18e ed., 1 9 3 0 ).

a m Sm e u n e ph o to ).

O b s e r v a t io n s

docum en ts Cr6cit d 'u n e trd s g r a n d e fo r c e ). On d d c o u v re M61anie, a lo r s §,g6e de cin qu an te ©t u n a n s, d a n s u n 6tat de c r a s s e indescrip tible 一

cep en d an t

so ign e u sem en t d6crite — , d a n s u n e c h a m b re d ^ e m a iso n b o u r ­ geois© cx)S8ue de P oi­ tiers. D ep u is e n v iro n v in gt-cln q a n s , tenue e n fe rm ^ e d a n s c h a m ­ b r e A fe n e tr e s et v o ­ lets clos, s u r so n lit, p a r s a m 6re, v e u v e B a s t ia n de C h a rt re u x , so ix a n te -q u ln z e an s, v e u v e d ’u n d o y e n de la Faculty d es lettres. L e fr ^ re , P ie r r e B a s ­ tian , an c ien soxis-pr^fe t de P u get-T h6 niers, et les b o n n es son t a u co u ran t. C 5est le g alazit d ’u n e n o u v e lle b o n n e q u i fa it p r^ v e n i r la police. T r a n s fe r t de M e la n ie A TH opital, a r re s ta tio n de la m § re , in te rro g a to ire d u frd re . L a m 6re m e u rt en p riso n , le f r ^ r e a u n non-lieu. Gar, en fait, in certi­ tu de : o n n e s a lt p as s i ce n ’est p a s M61an i e , « f o l le » selo n les critd re s n o rm a u x , q u i v o u la it cette claustratio n .

« N e ju g e z

p a s d i t la collection. M61anie = T an ach o rd te abso lu e, m a is san s la fo i ( l a fo lie 4 la p la c e ? ).

6. 7.

4 5

Celia Clatln) : cellule. K6Uion Cgrec) : chambre A provisions, cellier.

D e f o e : Robinson

Cmao^ (V ie et A ventures de Robinson Cruso6) (P16iade).

L e R ep aire.

H o m a n d© 1719, d ’a p rd s u n e histoire v r a ie , cell© d u m a r in A le x a n d e r Selk irk , q u i fu t d6pos6 p a r son cap itain e p o u r u n e fa u te s u r Tile de J u a n F e rn a n d e z , ra m e n ^ en 1 7 09 (m e r d es A n ­ tille s ). R obin son, n6 e n 1 6 32 , p a r t d 'A n g le t e r r e en 1651. H o m a n histo riq u em en t tr^ s en g age. R o bin so n : capitalist©, colon, n ^ g r ie r 8. D6poss6d6 de tou t (so rt© de b a n q u e ro u te -n a u fra g e , il ne lu i re s t e q u ’u n co u teau ), il rem on te la pente, colonise et p eu p le so n lie, e n dev ie n t g o u v e rn e u r, etc. P r e m id re p a rtie (celle q u i nous in t^resse, a v a n t les v o y a g e s en E u r o p e ) : R o bin so n se u l (A la fin , a v e c V e n d re d i). O r ceci in t^ re sse le V iv r e E n sem ble, n o n seulem en t a u titre de te rm e opp osition n el ( la soli­ tu d e ), m a is a u s s i p a r c e q u e R obin so n a ffr o n t e u n p ro b l^ m e d 'a d a p ta tio n a n a lo gu e

^ celui d u V iv re -E n se m ble :objets, n a tu re = si^ets h u m ain s. N a t u r e : il doit v iv r e a v e c des fo rc e s au tre s, u n je u d© re sistan c es et de complicities. P a r e x e m p le :e ffr a y ^ p a r le ris q u e de fo u d re , il d iv ise et d is p e rs e sa p o u d re en p lu sie u rs e n d r o i t s : of. d is p e r­ sio n p ru d e n te des c h a rg e s a ffe c tiv e s (S e lk irk d a n s a n t avec ses c h e v r e a u x 9). D*une 8. (A Toral, Barthes precise que le roman de Defoe appelle un travail« lukacsien» ou « goldmannlen».] 9. Dans Crolsldre Autour du monde Cl712), le oapitaine Woodes Rogers raconte com­ ment 11 a ramen6 en Angleterre le marin Alexander Selcralg Cou Selkirk) qui avait 6t6 abandonnd depuls quatre ans et quatre mois sur l'lle Juan Fernandez. On trouve un extralt de cette relation dans T6dition de la R6iade GDanlel Defoe, Vie et Aventures de Robinson Cruso^, in Romans, t. I, trad. fr. de P6trus Borel, preface de Fi*ancis Ledoux,

m an id re g6n6rale, 4 T 6gard des otgets ou a n im a u x :intelligence, calcul, prudence, p ro vi­ sion, attendrissem ent pu is cruaut6 (11 tu e et m an g e le c h e v re a u q u ’il voulait apprivoiser, 6 3 ). E n fin 10, curieus© tautologie :cette 6pop6e de la solitaide est d6sign6e m ythiquem ent comm© le ro m a n fait exem plaire m en t p ou r v iv lfie r la so litu d e : « le liv re q u ’on em porte s u r un e lie d6s e r t e »1 M a lr a u x 11 : avec Don Qulchotte et Vldiot. Philar6te C hasles, s u r les b o rd s de T O h io 12, p. xiv. P a lla d e C P a lla d iu s ) :

L e D esert.

E n g r e c : d6di6 d. L au -

Histoire lausiaque

su s, c h a m b e lla n de

(A . Lucot, 1 9 1 2 13).

Thdodose n . = A n e c ­ dotes s u r le s m oines d 'E g y p te , d© Pa lestin e et de Sjrrie. P a lla d e , 3 6 3 -4 2 5 ,

d ’H6-

16nopolis, en B ith y n ie ( s u r le P o n t-E u x in , n o rd -o u e st A s ie M in e u r e ). V o y a g e s en E g y p te — 4 A le x a n d r ie et d a n s le d 6 sert de N itrie C 3 8 8 -3 9 9 ). G r a n d ch a rm e , souve n t, d rC lerie Innocente. R ich e e n « t r a i t s » C= s lg n lfia n t s ). T h o m a s M a n n : La

L ’H6tel,

n s ’agit bie n stir d ’u n

Montagne maglque

san ato riu m -h o tel. Cela

(t r a d . F a y a r d ,

re n v o ie a u n esp ace de

1 9 3 1 14).

V iv re -E n s e m b le a s s e z

Paris, Qalllmard, coll. «Biblloth6que de la P16iade' 1959, Introduction, Annexe I). Barthes fait allusion au passage sulvant : « II apprivolsa aussi des chevreairx: et, en guise de diver­ tissement, 11ohantalt et dansait de temps & autre avec ©ux et ses chats» (ibid., p. xxi). 10. Le paragraphs est blff6 dans le manuscrit. 11. Voir la preface de Pran 〇ois Ledoux: « Et de nos jours ,Andr6 Malraux fei^ dire 4 Tun de ses personnages que, pour qui a vu les prisons et les camps de ooncentration, seuls trois llvres oonservent leur v6rit6 : Robinson Crusod, Don Qulohotte et L ld lot. » H s'agit d'une allusion aux Noyers de VAltenburgyin A. Malraux, CEuvres completes, t. n, Paris, Galiimard, ooll. « Bibliothdque de la P16iade», 1996, p. 677. 12. Prdoision donn6e par Francois Ledoux dans sa preface de T^dition cit6e de Robinson Crusod: selon Phllar^te Chasles, un colon de l’Ohio trouvait un grand r6confort dans la lecsture du roman de Defoe. 13. n existe deux traductions plus r6oentes, par les Carmdlltes de Mazilie (1981) et par Nicolas Mollnler (1999). 14. Barthes utilise Tdditlon de 1961.

b ie n d ^fin i :san a-h o tel (p a q u ebo t-C ro isid re, peut-Stre C lub M ^diterra n 6 e I) = le V iv re -E n sem ble hotelier. Stru c­ tu re tr6s im p r e s s iv e : ch a m b re s s6par6 es + lieu de c o n v iv ia lity ; re la tio n s intenses et p a s sa g d re s , etc. S6jour de Th om as M a n n a D a v o s en 1911 (c u r e de sa fe m m e ). Ilc rit: 19 13 1913. P a r u en 1924. H is to ire : 1 9 0 7 -1 9 1 4 . C o n tre p artie de M o r t a V e n is e

:seduction

de la m o rt et de la m aladie. cJ’a i dit d an s la legon in a u g u r a le 15 le r a p ­ p ort que j ^ v a i s a ce l i v r e : a ) projectif (c a r :« c ^ s t tout 4 fait