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French Pages 139 Year 2011
Réflexions autour du bassin
Springer Paris Berlin Heidelberg New York Hong Kong Londres Milan Tokyo
Samy Bendaya Véronique Salvator Witvoet Jean-Claude Goussard
Réflexions autour du bassin
Samy Bendaya Rééducation neuro-orthopédique Hôpital Rothschild 33, boulevard Picpus 75012 Paris
Véronique Salvator Witvoet UMPR Bellan 16, rue de l’Acqueduc 75010 Paris
Jean-Claude Goussard Médecine physique et de réadaptation 24, rue George Sand 75016 Paris
ISBN : 978-2-8178-0219-0 Springer Paris Berlin Heidelberg New York
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Maquette de couverture : Nadia Ouddane
Liste des auteurs
Gérard Amarenco
Service de neuro-urologie et d’explorations périnéales Hôpital Tenon, AP-HP, UR6/UPMC 4, rue de la Chine 75970 Paris Cedex 20
Samy Bendaya
Service de rééducation neuro-orthopédique Hôpital Rothschild 5, rue Santerre 75571 Paris Cedex
Angélique Brotier
Service de neuro-urologie et d’explorations périnéales Hôpital Tenon, AP-HP, UR6/UPMC 4, rue de la Chine 75970 Paris Cedex 20
Yves Catonne
Département de chirurgie orthopédique Hôpital Pitié-Salpêtrière 43, boulevard de l’Hôpital 75013 Paris
Patrick Dehail
Service de médecine physique, pavillon Tastet Girard CHU Pellegrin Place Amélie Raba Léon 33076 Bordeaux
Thierry Delmeule
FC Girondins de Bordeaux rue Joliot-Curie 33185 Le Haillan
Jean-Paul Diverrez
Service de neurologie Hôpital Américain de Paris 63, boulevard Victor-Hugo 92200 Neuilly-sur-Seine
VI
Réflexions autour du bassin
Serge Dubeau
FC Girondins de Bordeaux rue Joliot-Curie 33185 Le Haillan
Jean-Claude Goussard
Médecine physique et de réadaptation 24, rue George Sand 75016 Paris
Armelle Jean-Étienne
Service de médecine physique CHU Emma Ventura Route de Schoelcher 97200 Fort de France
Marylène Jousse
Service de neuro-urologie et d’explorations périnéales Hôpital Tenon, AP-HP, UR6/UPMC 4, rue de la Chine 75970 Paris Cedex 20
Jean-Yves Lazennec
Département de chirurgie orthopédique Hôpital Pitié-Salpêtrière 43, boulevard de l’Hôpital 75013 Paris
Frédérique Le Breton
Service de neuro-urologie et d’explorations périnéales Hôpital Tenon, AP-HP, UR6/UPMC 4, rue de la Chine 75970 Paris Cedex 20
Jean Lecacheux
Médecine physique et de réadaptation 55, rue Jean-Jaurès 27500 Pont-Audemer
Jean Legaye
Service de chirurgie orthopédique Cliniques UCL de Mont-Godinne 1, avenue Therasse 5530 Yvoir Belgique
Anne-Marie Leroi
Faculté de Médecine de Rouen, ADEN EA4311 22, boulevard Gambetta 76000 Rouen
Liste des auteurs
VII
Patrick Middleton
Clinique de MPR Les Grands Chênes 40, rue Stéhelin 33200 Bordeaux
Besma Missaoui
Service de rééducation neuro-orthopédique Hôpital Rothschild 5, rue Santerre 75571 Paris Cedex
Alain Nys
Médecine physique et de réadaptation Hôpital Américain de Paris 63, boulevard Victor Hugo 92200 Neuilly-sur-Seine
Agathe Papelard
Service de rééducation Hôpital Cochin 27, rue du Faubourg Saint-Jacques 75014 Paris et Clinique Méchain 9-13, rue Méchain 75014 Paris
Hervé Petit
Centre ORTHOPOLE 53 bis, avenue Maryse-Bastié 33520 Bordeaux-Bruges et Clinique de MPR Les Grands Chênes 40, rue Stéhelin 33200 Bordeaux et FC Girondins de Bordeaux rue Joliot-Curie 33185 Le Haillan
Patrick Raibaut
Service de neuro-urologie et d’explorations périnéales Hôpital Tenon, AP-HP, UR6/UPMC 4, rue de la Chine 75970 Paris Cedex 20
VIII Réflexions autour du bassin M.A. Rousseau
Département de chirurgie orthopédique Hôpital Pitié-Salpêtrière 43, boulevard de l’Hôpital 75013 Paris
Patrick Sautreuil
Service de rééducation neuro-orthopédique Hôpital Rothschild 5, rue Santerre 75571 Paris Cedex
Véronique Salvator Witvoet
UMPR Bellan 16, rue de l’Acqueduc 75010 Paris
Philippe Thoumie
Service de rééducation neuro-orthopédique Hôpital Rothschild 5, rue Santerre 75571 Paris Cedex
Delphine Verollet
Service de neuro-urologie et d’explorations périnéales Hôpital Tenon, AP-HP, UR6/UPMC 4, rue de la Chine 75970 Paris Cedex 20
SOMMAIRE
Avant-propos ................................................................................................................................................
XI
S. Bendaya et J.-Y. Lazennec
Biomécanique du complexe lombo-pelvi-fémoral Conséquences fonctionnelles des relations hanche-rachis.................
1
J.-Y. Lazennec, M.A. Rousseau et Y. Catonne
Le bassin tridimensionnel dynamique en évolution dans le complexe lombo-pelvi-fémoral .......................................................................
17
J. Legaye
Examen programmé du bassin...............................................................................................
39
J. Lecacheux
Syndrome du piriforme...................................................................................................................
47
J.-C. Goussard
Pubalgie du sportif ................................................................................................................................
63
H. Petit, A. Jean-Étienne, S. Dubeau, T. Delmeule, P. Middleton et P. Dehail
Douleurs périnéales .............................................................................................................................
71
A.-M. Leroi
Anatomie et physiologie du système nerveux périphérique du bassin ............................................................................................................................................................
75
J.-P. Diverrez
Devenir des troubles neuro-périnéaux après lésions sacrées...........
83
F. Le Breton, M. Jousse, A. Brotier, D. Verollet, P. Raibaut et G. Amarenco
Réflexions autour du bassin Quelques pièges diagnostiques .............................................................................................. A. Nys et A. Papelard
93
X
Réflexions autour du bassin
Manipulations sacro-iliaques .................................................................................................. 115 J. Lecacheux
Pelvis et neuro-acupuncture ..................................................................................................... P. Sautreuil, P. Thoumie, V. Salvator Witvoet, S. Bendaya et B. Missaoui
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Avant-propos
Le pelvis est le confluent de tous les viscères pelviens, la dernière vertèbre et clé de voûte du rachis, c’est lui qui dicte les courbures rachidiennes à travers les mouvements automatiques d’anté- et de rétroversion pelvienne. Cette cinématique lombo-pelvienne dépend non seulement des paramètres pelviens mais aussi des états pathologiques qui affectent cette région, dont nous retrouvons en chef de file le vieillissement normal et les pathologies de surmenage. Ainsi, les rapports anatomiques, cinématiques, et par conséquent pathologiques entre rachis lombaire, sacrum, articulations sacro-iliaques et coxo-fémorales, sont très étroits. Cette intrication, forte d’éléments ostéo-articulaires, musculaires, neurologiques, vasculaires et viscéraux rend très complexe le diagnostic lésionnel. Aussi allons-nous revisiter à travers ce manuscrit les bases anatomiques et biomécaniques de ce complexe régional, défricher élément par élément les principaux signes qui peuvent orienter vers une pathologie déterminée, même si nous avons conscience de la faible spécificité de nombre de signes cliniques qui y sont décrits. C’est pourquoi, au-delà d’une écoute attentive des signes fonctionnels qui peuvent être révélateurs d’une pathologie déterminée, et malgré un examen clinique rigoureux et méthodique, il est impératif de bien orienter les examens complémentaires et de les corréler à la clinique. C’est de cette confrontation anatomoradiologique et au besoin électrophysiologique que le diagnostic lésionnel est établi, puis un traitement spécifique et efficace alors proposé. Ce livre est ainsi divisé principalement en quatre chapitres s’articulant autour des éléments anatomiques qui recouvrent cette région. Sont abordés ainsi les pathologies du bassin osseux ou ostéo-articulaire, celles des parties molles ou bassin abarticulaire, le bassin neurologique en traitant aussi bien les neuropathies locorégionales que celles occasionnant à distance des symptomatologies ou des douleurs projetées de diagnostic encore plus difficile, sans oublier bien entendu les pièges diagnostiques. Il va sans dire qu’une place de choix est réservée au traitement spécifique de chaque état pathologique. À cet égard, en préambule, un rappel anatomique et fonctionnel du complexe régional lombo-pelvien est bien développé, il permettra de bien asseoir cette réflexion autour du bassin. Celle-ci est menée par des spécialistes rompus à la prise en charge des pathologies du bassin que vous découvrirez à la lecture de ce livre très riche qui retranscrit le XXVe congrès de l’ANMSR. Ce manuscrit est dédié à notre cher et regretté ami le Dr Étienne Jauffret. S. Bendaya et J.-Y. Lazennec
Biomécanique du complexe lombo-pelvi-fémoral Conséquences fonctionnelles des relations hanche-rachis J.-Y. Lazennec, M.A. Rousseau et Y. Catonne
Introduction L’équilibre du tronc est la manifestation d’une stratégie posturale conditionnée par des paramètres anatomiques et fonctionnels, parfois très différente d’un sujet à l’autre. La détérioration de cet état d’équilibre, souvent associée au vieillissement du rachis, peut générer une cascade d’événements fonctionnels, neurologiques ou mécaniques. La place du secteur pelvien dans l’équilibre sagittal est évidente pour les chirurgiens du rachis qui tiennent compte dans leurs raisonnements de la pente sacrée, de l’angle d’incidence et de la version de la vertèbre pelvienne. Ces considérations sont encore souvent étrangères aux chirurgiens de la hanche qui se focalisent sur le référentiel osseux du pelvis pour leurs planifications, leurs réglages et l’analyse de leurs échecs. Le cliché de face du bassin est le « gold standard », la vision latérale du secteur pelvien est peu utilisée. Influencés par la culture anatomique classique des coupes transversales, ils considèrent le scanner comme un outil de référence pour l’appréciation « horizontale » de l’articulation coxo-fémorale. Notre objectif est d’attirer l’attention sur une vision plus globale des secteurs pelvien et sous-pelvien au sein de l’équilibre sagittal, frontal et transversal du tronc. Cette analyse, fondée sur de nouveaux procédés radiologiques mais aussi sur l’imagerie conventionnelle « revisitée », permet d’envisager avec un œil neuf de nombreux aspects de la pathologie de la hanche.
Principes fondamentaux : les variations posturales de référentiel lombo-pelvien dans le plan sagittal Chaque sujet est caractérisé par un paramètre « morphologique » : « l’angle d’incidence » qui représente de façon schématique « l’épaisseur du bassin » (1). L’adaptation d’autres facteurs « fonctionnels », comme la version pelvienne et les paramètres rachidiens (pente sacrée, lordose lombaire, cyphose thoracique), permet de positionner de façon spécifique le centre de gravité du segment corporel supporté par S. Bendaya et al., Réflexions autour du bassin © Springer-Verlag France, Paris 2011
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Réflexions autour du bassin
les têtes fémorales par rapport au socle pelvien afin de maintenir l’équilibre au prix d’un effort musculaire minimal (fig. 1a et b).
Fig. 1 – A. I : angle d’incidence pelvienne. Cet angle est tracé à partir du milieu du plateau sacré entre la perpendiculaire au plateau de S1 et la ligne passant par le centre des têtes fémorales. Valeur moyenne : 50-55° (DS : 11°). Il s’agit d’un angle morphologique, invariable quelle que soit la position. P.S. : angle de pente sacrée. Cet angle est formé par la tangente au plateau supérieur de S1 et l’horizontale. Valeur moyenne : 39-42° (DS : 8-9°). Il s’agit d’un paramètre fonctionnel, variable selon la position. B. À gauche : Angle d’incidence élevé. À droite : Angle d’incidence faible.
Le bassin présente des mouvements de rotation autour de l’axe bi-coxo-fémoral, aboutissant à des situations de version antérieure (la partie craniale du bloc pelvien bascule vers l’avant) et des positions de version postérieure (la partie craniale du bassin bascule vers l’arrière). Les amplitudes de cette bascule pelvienne sont appréciées par les variations angulaires de la pente sacrée (fig. 2). Les variations de la bascule pelvienne influencent l’orientation du plan pelvien antérieur, ou plan de Lewinnek, classiquement utilisé comme référence pour la navigation des implantations acétabulaires des prothèses totales de hanche (PTH). Les conséquences étonnantes de certaines arthrodèses rachidiennes sur les hanches et les difficultés de réglage de prothèses au-dessous d’un rachis enraidi mettent en lumière l’importance de ces paramètres anatomo-fonctionnels. Les positions debout, assise, allongée, ou accroupie correspondent à des « instantanés » d’un mouvement complexe, conditionné par des paramètres morphologiques comme l’angle d’incidence, et faisant intervenir la souplesse rachidienne, les variations de lordose lombaire, la bascule du sacrum et la flexion des hanches proprement dite (2) (fig. 3).
Position debout La position debout (fig. 4) correspond à une bascule antérieure du bloc pelvien. Dans cette situation, le plateau supérieur de S1 de profil fait avec l’horizontale un angle de pente sacrée d’environ 40°. Certains sujets présentent un angle de pente sacrée faible en position debout : on parle alors de « version pelvienne postérieure » et le sacrum vu sur un cliché de profil paraît plus vertical que d’habitude (fig. 5).
Biomécanique du complexe lombo-pelvi-fémoral…
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Fig. 2 – Les variations de bascule pelvienne sont évaluées par la mesure de la pente sacrée. L’angle d’incidence est un paramètre morphologique invariable.
Fig. 3 – Équilibre sagittal typique debout et assis. A.L. : angle du plan de Lewinnek avec la verticale ; P.S. : angle de pente sacrée ; I : angle d’incidence. L’angle d’incidence reste fixe quelle que soit la position En position debout, la pente sacrée est plus élevée qu’en position assise. Variations simultanées de l’inclinaison du plan de Lewinnek (bascule postérieure associée à la version pelvienne postérieure).
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Réflexions autour du bassin
Fig. 4 – Schématisation de la position debout. Version antérieure du bassin avec : horizontalisation relative du sacrum de profil et augmentation de l’angle de pente sacrée. L’angle d’incidence est fixe et invariable.
Fig. 5 – Version pelvienne postérieure permanente sur un rachis enraidi en position debout comme en position assise, la pente sacrée est faible. Pour ce patient, en position debout, le secteur pelvien et le rachis fonctionnent comme s’il était en position assise.
Au contraire, chez d’autres sujets, le sacrum est très horizontal en position debout avec un angle de pente sacrée parfois bien supérieur à 50° (version pelvienne antérieure).
Au cours de la position allongée Lorsque les membres inférieurs sont en extension, la pente sacrée est souvent plus importante qu’en position debout. L’angle de pente sacrée mesuré par rapport à la verticale est souvent supérieur à 40°. Ceci peut être observé sur les « scout-views » des scanners de bassin. Cette bascule pelvienne supplémentaire peut être mal tolérée en cas de rachis enraidi ou déformé, puisque le décubitus dorsal oblige à « creuser » la lordose lombaire. Parfois, une limitation de la réserve d’extension des hanches ou une arthrose postérieure rendent le décubitus strict « insupportable » à moins d’un compromis en légère flexion des articulations coxo-fémorales.
En position assise Le phénomène est inverse (fig. 6). Le bassin bascule en arrière au fur et à mesure de la progression vers la situation assise. La pente sacrée diminue ; on peut observer des pentes sacrées encore positives (de 5 à 20°) ou même parfois négatives. En fonction de la hauteur de siège, de la morphologie du sujet ou des pathologies rachidiennes associées, on observe des versions pelviennes postérieures plus ou moins accentuées avec un sacrum plus ou moins « vertical ». Ces situations posturales peuvent être analysées sur de simples clichés de profil assis (3).
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Fig. 6 – Schématisation de la position assise. Version postérieure du bassin avec : verticalisation relative du sacrum de profil et diminution de l’angle de pente sacrée. L’angle d’incidence est fixe et invariable.
Fig. 7 – A. Variations du plan de Lewinnek debout/assis. Variation habituelle : le plan pelvien antérieur bascule en arrière en position assise (angle Lewinnek – verticale plus grand), parallèlement à la réduction de la pente sacrée et à la version postérieure du bassin. B. Faibles variations de posture sur une charnière lombo-sacrée enraidie. C. Angle du plan pelvien antérieur négatif en position debout.
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Réflexions autour du bassin
Ces diverses situations posturales entraînent des modifications considérables pour l’orientation du plan pelvien antérieur. Ces variations doivent nous interpeller. Le plan de Lewinnek (plan pelvien antérieur) est évalué en décubitus dorsal pour la collecte des données morphologiques de planification des prothèses de hanche. Les renseignements obtenus doivent être extrapolés avec prudence car il n’est pas toujours strictement vertical en position debout et sa bascule est extrêmement variable en position assise (4) (fig. 7).
Influence de la posture sagittale sur l’orientation acétabulaire frontale et sagittale en situation fonctionnelle Bases anatomiques L’interdépendance entre la bascule sagittale du cotyle et la pente sacrée est évidente à la lecture des clichés de la charnière lombo-sacrée assis et debout de profil. En position debout, la valeur de la pente sacrée est élevée, alors que l’angle de bascule acétabulaire est faible. Inversement, en position assise, la pente sacrée diminue et la bascule acétabulaire augmente. De face et de profil, le cotyle prothétique paraît plus vertical en position assise par rapport à la position debout. Ces variations de bascule acétabulaire contribuent à modifier « l’ouverture antérieure » de l’acétabulum et donc l’orientation du cône de mobilité fonctionnelle généré par la morphologie et la situation du cotyle prothétique (5) (fig. 8).
Fig. 8 – Modifications de l’orientation de l’acetabulum en fonction de la position. Assis, l’acetabulum est plus « vertical » de face et de profil, et l’antéversion (ici mesurée selon la technique de Pradham) est plus importante.
Biomécanique du complexe lombo-pelvi-fémoral…
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Perturbations pouvant provenir de postures atypiques Une version postérieure excessive du bassin est souvent associée à un déséquilibre postural pour compenser une bascule en avant de l’ensemble du tronc. Cette adaptation posturale verticalise le cotyle de face et de profil et place les hanches en hyperextension debout. Cette sollicitation de la réserve d’extension des hanches peut aboutir à un conflit postérieur. L’exemple typique est représenté par les conflits postérieurs des prothèses de hanche en position debout même si le cotyle a été parfaitement implanté en fonction du référentiel osseux pelvien (fig. 9). Cette même situation peut être rencontrée sur la hanche native en cas de version postérieure du bassin (posture pathologique, vieillissement du tronc et coxarthrose postérieure induite). L’analyse de ces situations peut être difficile en raison de l’intrication des pathologies du rachis et des hanches : l’appréciation de la réserve d’extension des hanches est alors essentielle pour distinguer les vrais et les faux flessum de hanche (fig. 10a et b). À l’inverse, une version antérieure excessive du bassin en position assise peut entraîner un conflit antérieur. Dans ces cas, la bascule antérieure du cotyle est également excessive en position debout : le cotyle est « horizontalisé » de face et de profil ; tout se passe comme si les hanches fonctionnaient en permanence en flexion lorsque le sujet est debout. Ce type de mécanisme est évoqué sur la hanche native dans le cadre des conflits antérieurs, en particulier dans certains gestes sportifs ou professionnels répétitifs (fig. 11).
Influence de la posture sagittale sur l’orientation « transversale du cotyle » : antéversion anatomique et antéversion fonctionnelle Données classiques L’antéversion « de l’anatomiste » est évaluée dans un plan transversal perpendiculaire à l’axe sagittal du référentiel osseux pelvien (6). Les mesures par scanner sont censées évaluer directement l’antéversion anatomique à partir de coupes transversales. Mais l’orientation de ces coupes par rapport au plan sagittal est laissée à l’appréciation du radiologue sans critère précis de standardisation, alors que ceci conditionne de façon essentielle les valeurs angulaires mesurées. Fortuitement, elles peuvent être strictement perpendiculaires à l’axe longitudinal du référentiel osseux du bassin. La plupart du temps, ces coupes, perpendiculaires au plan de la table d’examen, ne correspondent pas au plan des anatomistes en raison de la position du sujet allongé, qui génère plus ou moins de bascule pelvienne sagittale. La variation d’antéversion mesurée est d’environ 0,5° pour 1 degré de rotation du plan de coupe par rapport au bassin (7). L’évaluation de la posture lombosacrée et de son influence sur la bascule sagittale du cotyle prothétique montre bien que la mesure de l’antéversion ne doit pas être liée à une orientation arbitraire des plans de coupe au scanner (8).
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Réflexions autour du bassin
Fig. 9 – La version postérieure inhabituelle du bassin peut être détectée sur le cliché de face debout : trop bonne visibilité des foramens obturés. Après PTH, elle peut aboutir à un conflit postérieur en position debout (luxation ou subluxations antérieures).
Fig. 10 – Principe de mesure de la réserve d’extension spino-pelvienne (système EOS®). Le patient est évalué en position debout de profil (A). Chaque hanche est ensuite évaluée dans son amplitude d’extension maximale en position debout, en plaçant le membre inférieur controlatéral sur une marche de telle sorte qu’il soit dans la position de flexion maximale de l’articulation coxo-fémorale (B et C).
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Fig. 11 – La version antérieure anormale du bassin peut être détectée sur le cliché de face debout : moins bonne visibilité des foramen obturés. Un conflit antérieur peut survenir : risque de lésion du labrum et lésions cartilagineuses associées sur la hanche native, risque de luxation postérieure en cas de PTH.
Concept d’antéversion fonctionnelle L’antéversion acétabulaire fonctionnelle mesure l’angle d’ouverture antérieure du cotyle qui varie en fonction de la bascule du bassin ; elle est calculée sur les coupes scanner pratiquées en fonction de la pente sacrée mesurée sur le cliché standard de profil préalablement pratiqué (9). Dans notre pratique courante, les mesures d’antéversion sont réalisées selon trois orientations : – mesure classique selon un plan de coupe perpendiculaire au support du scanner (fig. 12a) ; – mesure selon un plan de coupe (plan 1) dont l’angle d’inclinaison avec le plateau supérieur du sacrum correspond à l’angle PS debout (antéversion anatomique fonctionnelle debout). Ceci permet d’évaluer l’antéversion selon un plan de coupe correspondant à une simulation de la position debout (fig. 12b) ; – mesure selon un plan de coupe (plan 2) dont l’inclinaison avec le plateau supérieur du sacrum correspond à l’angle PS assis (antéversion fonctionnelle assis) (fig. 12c) ; ceci correspond à une mesure d’antéversion en position assise. Ces coupes scanner dans un plan reconstituant avec le plateau supérieur du sacrum l’angle de bascule sacrée mesuré en position debout, assis ou allongé, permettent d’observer des changements très importants dans l’orientation du cotyle ; elles nous aident à mieux comprendre certains dysfonctionnements des articulations coxo-fémorales (10). En position debout, l’antéversion transversale est moins importante qu’en position assise où le cotyle s’ouvre complètement en avant, favorisant ainsi la flexion de hanche et évitant le conflit sur le col fémoral (fig. 13). En position allongée, membres inférieurs en extension, la bascule du bassin est souvent plus importante qu’en position debout avec une lordose plus accentuée et l’antéversion est encore plus réduite qu’en position debout.
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Fig. 12 – A. Protocole scanner classique pour la mesure de l’antéversion acétabulaire. B. Réalisation pratique d’un scanner reproduisant la coupe du cotyle selon le plan horizontal en position debout.
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Fig. 13 – La position du bassin modifie l’antéversion fonctionnelle de l’acetabulum. Debout, l’antéversion fonctionnelle est plus faible qu’en position assise et l’acetabulum est plus « couvrant » sur une vue de profil.
Les mesures classiques réalisées au scanner ne représentent donc qu’un instantané des positions du sujet, qui ne reflète que rarement la situation luxante pour une prothèse instable ou la position de conflit pour une pathologie microtraumatique par subluxation (11, 12). Globalement, les mesures scanner « classiques » ont tendance à surévaluer l’antéversion en position debout et à sous-évaluer l’antéversion en position assise. Certains sujets présentent une charnière lombosacrée complètement enraidie, ce qui ampute de façon significative les variations d’antéversion acétabulaire entre les positions assis et debout. Un tel enraidissement du bassin avec une position du bloc pelvien en version antérieure ou postérieure relative peut aboutir à une situation de conflit reproductible. Ce phénomène est documenté dans la littérature pour les déformations du plan sagittal des spondylarthrites, dans les arthrodèses lombosacrées mal réglées (dos plat) et surtout dans le cadre du vieillissement du tronc. Dans ces cas, on assiste à une diminution de la lordose et à l’apparition d’une version pelvienne postérieure adaptative. Le patient est debout comme en position assise. Ce phénomène réduit les adaptations dans le secteur lombo-sacré et dévie le cône de mobilité fonctionnelle des coxo-fémorales dans le sens de la flexion. Le cotyle est en permanence en antéversion excessive, gênant peu lors de la flexion de hanche mais posant en revanche le problème d’un conflit postérieur, notamment en position debout : le sujet perd progressivement sa « réserve d’extension » (fig. 14a). L’hyperextension compensatrice des hanches a souvent un impact limité chez ces patients, surtout si elles sont pathologiques ou vieillissantes. La dernière adaptation pour tenter une amélioration de l’équilibre est alors la flexion des genoux qui autorise un supplément de version postérieure du bassin. Une situation voisine est rencontrée chez les sujets présentant un angle d’incidence pelvienne faible car cette conformation anatomique particulière limite de façon significative les possibilités d’adaptation du secteur sous-pelvien (fig. 14b).
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Fig. 14 – A. Modification du cône de mobilité fonctionnelle des hanches en cas de perturbation de la version pelvienne (cyphose sur rachis opéré et version postérieure du bassin). B. Faible incidence (26°). Moindres possibilités d’adaptation au niveau du secteur sous-pelvien (moins de possibilité d’extension des coxo-fémorales) déséquilibre antérieur relatif et flessum adaptatif des membres inférieurs). Noter la pente sacrée négative en position assise.
Fig. 15 – Importante rotation du bassin associée à une scoliose : la PTH parfaitement implantée par rapport au référentiel osseux se subluxe en permanence en avant en position debout : la rotation du bassin induit une antéversion anormale de l’acétabulum debout. Noter que la rotation du bassin disparaît en position assise (patiente asymptomatique en position assise).
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Influence de la rotation axiale du bassin et du bloc lombo-pelvien Il nous semble artificiel de définir une « normalité » de la posture pelvienne pour les bilans d’imagerie sur un sujet en position strictement anatomique, les deux ailes iliaques se projetant exactement de façon symétrique par rapport à l’axe longitudinal du tronc. La pratique de clichés debout et assis de face dans la « position habituelle » du sujet est particulièrement instructive. Il est fréquent de rencontrer de façon reproductible une avancée d’un hémi-bassin et donc un recul de l’hémi-bassin controlatéral. Ce phénomène de « vrillage » du bassin est poussé à l’extrême dans le cas des scolioses intégrant la vertèbre pelvienne dans la déformation ; il est parfaitement analysé par l’imagerie EOS® (13) (fig. 15).
Influence des relations hanche-rachis pour le choix des référentiels d’imagerie et de planification L’analyse globale des secteurs pelvien et sous-pelvien au sein de l’équilibre sagittal, frontal et transversal du tronc permet d’apporter un nouvel éclairage sur certaines pathologies rachidiennes et de la ceinture pelvienne. L’évaluation de la bascule pelvienne dans le plan sagittal est essentielle : elle est conditionnée par les positions debout ou assise et les déformations et/ou enraidissements rachidiens, par exemple dans le cadre du vieillissement. Cette notion pose la question du référentiel pour apprécier l’antéversion acétabulaire : doit-on considérer cette valeur par rapport au cadre osseux du bassin et ne s’intéresser qu’à l’antéversion « morphologique » dont la valeur dépend seulement du plan de référence choisi pour le calcul angulaire (perpendiculaire à l’axe du tronc, parallèle au plateau sacré ou perpendiculaire au plan de Lewinnek) ? Si le choix du référentiel conditionne les valeurs mesurées, celles-ci sont fixes quelles que soient les positions considérées. Au contraire, ne faut-il pas indexer la mesure de l’ouverture antérieure du cotyle à la bascule pelvienne pour chiffrer l’antéversion fonctionnelle ? (14-16) (fig. 16a et b). L’appréciation de la rotation pelvienne dans le plan transversal est un nouveau concept : faut-il s’intéresser uniquement aux clichés du bassin de face normalisés qui négligent la rotation pelvienne habituelle du sujet et considérer la référence comme l’axe passant par les centres des articulations coxo-fémorales ? Les clichés EOS® réalisés en positions debout et assise dans la posture habituelle du sujet nous interpellent sur l’importance de la rotation de la vertèbre pelvienne et de la jonction lombo-pelvienne pour l’interprétation des « bascules du bassin » et des « fausses » inégalités des membres inférieurs (fig. 17).
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Fig. 16 – A. La mesure de l’antéversion acétabulaire par rapport au plan de Lewinnek se fait selon le plan perpendiculaire au plan pelvien antérieur. Il s’agit d’une donnée morphologique, fixe, puisqu’elle est indexée au référentiel osseux du bassin. B. Mesure de l’antéversion acétabulaire par rapport au plan pelvi-sacré (passant par le plateau supérieur de S1). Il s’agit d’une donnée morphologique, fixe, puisqu’elle est indexée au référentiel osseux du bassin. C. Le plan fonctionnel transverse représente le plan horizontal dans l’espace : ce plan coupe le bassin de façon différente selon la bascule pelvienne. L’antéversion fonctionnelle est mesurée dans ce plan. La mesure scanner de l’antéversion n’est qu’un instantané de l’antéversion fonctionnelle pour une valeur donnée de bascule pelvienne en décubitus dorsal.
Biomécanique du complexe lombo-pelvi-fémoral…
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Fig. 17 – Les plans de référence classiques (plan pelvien antérieur, plan passant par le centre des têtes fémorales) négligent la rotation pelvienne pourtant très fréquente (ici sur deux reconstructions EOS®. PPA : plan pelvien antérieur ; ACTF : axe passant par le centre des têtes fémorales.
Conclusion La connaissance de la mécanique de la charnière lombo-sacrée est essentielle aussi bien pour le spécialiste en chirurgie du rachis que pour le chirurgien amené à poser des prothèses de hanche sur des sujets âgés ou présentant une anomalie de posture sagittale, frontale ou rotatoire, et/ou une réduction importante des amplitudes fonctionnelles. La réflexion sur l’équilibre sagittal du tronc ne doit donc pas s’arrêter à la simple analyse du cliché de profil de rachis debout. La position des hanches est essentielle et l’interprétation des flessum doit intégrer la mesure de la réserve d’extension. Les clichés assis nous montrent d’importantes variations d’équilibre. Tous ces documents radiologiques ne représentent néanmoins qu’un « instantané » des situations posturales de nos patients. L’analyse du bassin découle des constatations réalisées sur le rachis : cette « grosse vertèbre » gère les adaptations complexes du secteur sous-pelvien, en particulier l’orientation des cotyles et donc les secteurs de mobilité des hanches. L’implantation d’un cotyle prothétique ne doit pas être seulement raisonnée dans le plan frontal en termes d’abduction, ou dans le plan transversal « en terme d’antéversion », mais bien aussi dans le plan sagittal en termes de bascule. L’utilisation de nouveaux outils d’imagerie comme la pratique très simple de scanners en situation fonctionnelle restituant l’antéversion vraie du cotyle doivent nous faire réfléchir différemment. Dans cette approche tridimensionnelle du complexe spino-pelvi-fémoral, le système EOS® constitue une véritable révolution puisque cette technologie nous procure une vision dans l’espace des situations fonctionnelles essentielles comme les positions debout et assise.
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Réflexions autour du bassin
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Le bassin tridimensionnel dynamique en évolution dans le complexe lombo-pelvi-fémoral J. Legaye
Introduction L’anatomie du bassin témoigne de la complexité de sa fonction. Composé de trois os, les deux ilions articulés avec les fémurs et le sacrum dans la prolongation du rachis, unis par trois amphiarthroses complexes, les sacro-iliaques et le pubis. Il est l’élément central du complexe lombo-pelvi-fémoral, point d’ancrage de multiples structures ligamentaires et musculaires intervenant dans le rachis, les hanches, les membres inférieurs et assurant les fonctions périnéales. Dubousset proposa, en 1984, de considérer le bassin comme une pièce rachidienne à part entière, véritable socle mobile intercalé entre le rachis et les membres inférieurs, assurant le transfert des forces venant du sol transmises par les têtes fémorales et supportant le poids du corps par la colonne vertébrale (1). Ces forces s’équilibrent au sein des sacro-iliaques sous la dépendance de l’anatomie sagittale du bassin (2). Nous proposons ici l’étude de l’analyse morphologique tridimensionnelle du bassin, véritable empreinte de ces fonctions et des relations d’équilibre au sein du complexe lombo-pelvi-fémoral, son évolution, sa dynamique et ses implications cliniques.
Données de base de l’équilibre sagittal Données antérieures De nombreux morphotypes sagittaux ont été décrits par les anthropologues (3). Stagnara en a proposé une classification basée sur l’intensité et la topographie des courbures rachidiennes (4). Il a ainsi défini les morphotypes « normaux, en cyphose, en lordose, en cypholordose, en totale lordose ou cyphose, les dos inversés, les « dos plats » selon les valeurs moyennes de flèches. Par la suite, les répercussions sur la lordose de la rotation sagittale du bassin, exprimée par l’inclinaison du plateau sacré, ont été rapportées (5, 6). S. Bendaya et al., Réflexions autour du bassin © Springer-Verlag France, Paris 2011
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Réflexions autour du bassin
Paramètres positionnels de l’équilibre sagittal En 1998, Madame Duval-Beaupère a défini un paramètre pelvien sagittal anatomique, l’incidence pelvienne, et des paramètres positionnels (i.e. variant avec la position du sujet) pelviens et rachidiens. L’évaluation de l’harmonie de leurs valeurs permet d’accéder à une étude analytique fonctionnelle de l’équilibre sagittal, et non plus simplement descriptive (2).
Paramètres positionnels pelviens (fig. 1A) – Pente sacrée (PS) : angle entre l’horizontale et le plateau supérieur de S1 ou plateau sacré (– 40,6° ± 8,5 de 25 à 59).
– Version pelvienne (VP) : angle entre la verticale et la droite joignant le milieu du plateau sacré à l’axe bi-coxo-fémoral (11,4° ± 5,9 de – 0,1 à 29,2).
– Porte-à-faux de S1 (PAF) : distance entre l’axe bicoxo-fémoral et la projection verticale du milieu du plateau sacré (21 mm ± 10,8 de 43,5 à – 1,5). – Épaisseur pelvienne (EP) : distance entre le milieu du plateau sacré et l’axe bi-coxofémoral (95 mm ± 9 de 83 à 112).
Paramètres positionnels rachidiens (fig. 1B) – Lordose (L) : angle entre le plateau sacré et le plateau vertébral le plus incliné vers l’arrière (63,5° ± 10,9 de 45 à 87).
– Cyphose (C) : angle entre le plateau supérieur de lordose et le plateau vertébral sus-jacent le plus incliné vers l’avant (49,3° ± 9,2 de 33 à 71).
Paramètre anatomique « incidence pelvienne » (fig. 1A) – Incidence pelvienne (IP) : angle entre la perpendiculaire au plateau sacré en son milieu et la droite unissant ce point à l’axe bi-coxo-fémoral. Cet angle est anatomique (i.e. indépendant de la position du bassin) et propre à chaque individu. Il reflète les relations respectives entre les ilions et le sacrum par les sacro-iliaques dont la mobilité est considérée comme négligeable. Sa valeur moyenne proposée par Duval-Beaupère (2) était de 53°± 9 (min. 33,7, max. 77,5), corroborée ensuite par de nombreuses publications (7-11). Les paramètres angulaires sont exprimés en degrés, les paramètres dimensionnels en millimètres. Une inclinaison ou une distance vers l’arrière sont définies positives, vers l’avant négatives. Une relation géométrique a permis de démontrer que l’incidence pelvienne IP était égale à la somme des paramètres positionnels PS et VP (IP = VP + PS) (2).
Analyse fonctionnelle de l’équilibre sagittal lombo-pelvi-fémoral Corrélations entre les paramètres pelviens et rachidiens (fig. 2) Une séquence de corrélations significatives entre les paramètres a été rapportée par Duval-Beaupère (2), confirmées ensuite par d’autres auteurs (7-11). La première corrélation
Le bassin tridimensionnel dynamique en évolution dans le complexe…
Fig. 1 – Paramètres sagittaux pelviens (A) et rachidiens (B).
Fig. 2 – Corrélations fondamentales entre paramètres.
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fondamentale reliait le paramètre anatomique « incidence pelvienne » et le paramètre positionnel « pente sacrée » (r = 0,86). La seconde corrélation entre la « pente sacrée » et la « lordose » était également hautement significative (r = 0,84). Ces corrélations ont dès lors permis d’établir le rôle essentiel de la morphologie du bassin dans la régulation des courbures rachidiennes sagittales : à une grande incidence correspond une pente sacrée forte et une lordose forte, à une petite incidence correspond une pente sacrée faible et une lordose plus plate. C’est dans l’évaluation harmonieuse de ces relations que réside l’appréciation du caractère approprié d’une situation sagittale, et non par la comparaison des valeurs observées avec des valeurs moyennes. Équations prédictives : PS = (0,5425 uIP) + 12,4 (± 6) et L = (0,591 u PS) + 2 (± 4) Par ces équations, il devient dès lors possible d’évaluer la pente sacrée adaptée à la valeur de l’incidence pelvienne et de la comparer à la valeur observée (la différence est dénommée 'PS) ainsi que la valeur de lordose adaptée à la pente sacrée observée (la différence avec la valeur de lordose observée est dénommée 'lord) et la valeur de lordose adaptée à la pente sacrée appelée par l’incidence pelvienne (la différence avec la valeur observée est dénommée 'lord optimale). Une bascule pelvienne sera significative si 'PS est supérieure à 12°, une lordose est inadaptée à la pente sacrée observée si 'lord est supérieure à 8° ou inadaptée à l’incidence pelvienne si 'lord optimale est supérieure à 8°.
Mesure de la gravité Cette harmonie pelvi-rachidienne exprime un équilibre dit « économique » en termes de sollicitations sur les structures disco-ligamentaires et d’efforts musculaires nécessaires à son maintien. Cela a été démontré par une mesure innovante des bras de levier de la gravité appliquée à chaque étage vertébral et pelvien : la bary-centremétrie.
Techniques anciennes Diverses techniques d’évaluation du centre de gravité du corps entier ont été proposées jusqu’à l’utilisation concomitante de plate-forme de force et de radiographies. Dans cette dernière méthode, la position de la gravité est considérée comme étant la verticale élevée sur le rachis total à partir du point d’application au sol de la gravité du corps entier (12). Cette technique reste cependant imprécise car elle n’accède pas à la position en hauteur de la gravité. Elle est surtout inexacte car elle intègre l’ensemble du corps (y compris les membres inférieurs sous-jacents au bassin) dans l’établissement de la position des sollicitations de la gravité appliquées sur les structures spinales et pelviennes. Malgré cela, elle reste utilisée dans diverses publications.
Bary-centremétrie Un scanner prototype à rayons gamma (dont l’absorption est proportionnelle à la masse traversée) a permis d’accéder chez des sujets in vivo à la position de la gravité de
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tranches corporelles de 1 centimètre d’épaisseur (13). Ce scanner était couplé à un système de reconstruction tridimensionnelle du rachis et du bassin à partir de radiographies bi-planaires simultanées. Après mise en concordance des deux référentiels, un processus d’intégration permettait de connaître les bras de levier des sollicitations de la gravité sur l’ensemble des étages vertébraux et discaux ainsi qu’au niveau du bassin et des têtes fémorales en position debout : la bary-centremétrie (13-16) (fig. 3).
Fig. 3 – Bary-centremétrie par scanner à rayons gammas déterminant les bras de levier de la gravité sur chaque niveau des structures rachidiennes et pelviennes en position debout.
De cette manière, il a été constaté que les points d’application de la gravité se projetaient au sein d’un cylindre d’un centimètre de diamètre, situé en avant des vertèbres thoraciques, en arrière du rachis lombaire (26 mm en arrière du milieu du plateau supérieur de L3), croisaient le plateau supérieur du sacrum en arrière de son milieu et en arrière des têtes fémorales (36 mm). Le centre de gravité du segment corporel supporté par les têtes fémorales se trouvait le plus souvent en avant de T9 (0 à 14 mm si la cyphose thoracique était moindre que 35°, 20 à 32 mm si elle y était supérieure) (13-16).
Évaluation fonctionnelle et analytique de l’équilibre sagittal L’analyse des relations harmonieuses des paramètres pelviens et rachidiens a été mise en relation avec les bras de levier d’application de la gravité. Il a été constaté, par détection d’activité musculaire grâce à des enregistrements directs électromyographiques
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Réflexions autour du bassin
et par le scanner à rayon gammas, que seul le respect des relations personnalisées entre paramètres permet un « silence musculaire » : l’équilibre est économiquement stable. En cas de rétroversion ou antéversion pelvienne intempestive ou d’insuffisante de courbure lombaire, le bras de levier de la gravité devenait antérieur par rapport aux structures lombaires ou fémorales, induisant par là un excès de sollicitations mécaniques et des contractures musculaires de rééquilibration accentuant encore l’excès de sollicitations sur les structures ostéo-ligamentaires : l’équilibre n’était plus économique ni stable (15, 16).
Situations cliniques de déséquilibres Trois types de perturbation entraînant un déjettement antérieur du tronc et un excès de sollicitations peuvent se présenter : – une lordose insuffisante enraidie avec une pente sacrée trop faible ; – une pente sacrée importante reflétant une raideur en flexion des hanches insuffisamment compensée par une accentuation de la lordose ; – une lordose insuffisante pour compenser une hypercyphose sous-jacente accompagnée d’une pente sacrée compensatrice en rétroversion. Chacune de ces situations tend à induire une translation antérieure des sollicitations de la gravité, défavorable pour l’évolution du sujet. L’analyse de l’équilibre sagittal doit donc être individuelle et intégrée dans l’évolution globale du sujet dans le temps.
Le bassin évolutif Durant l’évolution de l’homme Chez les primates Les valeurs de l’incidence pelvienne observée chez différents grand singes bipèdes occasionnels (gorilles, chimpanzés, orang-outan, mandrill) se situent dans la variation des plus basses valeurs observées chez l’homme (32 à 38°) mais sont beaucoup plus faibles chez les primates essentiellement quadrupèdes (23° chez le macaque, 16° chez l’alouatte). Selon les mêmes relations que chez l’homme, la pente sacrée est faible, le sacrum presque rectiligne et en position haute par rapport aux ailes iliaques et les valeurs de l’épaisseur pelvienne élevées. La courbure lombaire est absente ou faible (17).
Chez les hominidés Les valeurs de l’angle d’incidence pelvienne observées sur les bassins des premiers australopithèques se situent dans la plage des valeurs humaines basses (Australopithecus afarensis : 43° à 48° ; Australopithecus africanus : 47° à 54°).
Rôle de la bipédie Les grands singes présentent un bassin dit « en tension » (18) caractérisé par la forte distance séparant articulations sacro-iliaques et coxo-fémorales (épaisseur pelvienne
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importante). Le positionnement sagittal des coxo-fémorales est quasi à l’aplomb du plateau sacré (porte-à-faux de S1 faible), ce qui n’entraîne pas d’instabilité vu que la position érigée du tronc n’est qu’occasionnelle. Cette distance interarticulaire s’est trouvée raccourcie sur le bassin humain dit « en pression », ce qui minimise les efforts de cisaillement en position redressée et bipède. C’est la permanence de la position redressée et bipède qui a entraîné, dans la lignée des hominidés, une augmentation de l’incidence, de la lordose lombaire et des autres courbures rachidiennes. Il en est de même chez le jeune enfant au cours de l’apprentissage de la marche (19-24) et chez des macaques japonais entraînés à la bipédie dès leur plus jeune âge (25).
Durant l’acquisition de la marche, de l’enfant à l’adulte Au cours de la croissance fœtale, le squelette subit la contrainte majeure de la contention dans l’utérus maternel. Sa mise en charge lors de l’apprentissage de la marche le soumettra aux contraintes de la gravité et entraînera des changements drastiques dans l’organisation et le fonctionnement de cette chaîne articulaire avec la formation des courbures vertébrales et les modifications anatomiques du bassin souple, affectant l’orientation 3D des articulations lombo-sacrées, sacro-iliaques et coxo-fémorales. Le nouveau-né présente un angle d’incidence faible (30°), comparable à celui du chimpanzé. Cet angle augmente progressivement avec l’acquisition de la marche (valeur moyenne de 42° de 10 mois à 10 ans, 47° de 10 à 17 ans, 50° de 17 à 19 ans, 54° chez l’adulte), en étroite association avec la formation de la courbure lombaire (20). À l’inverse, le bassin des enfants non marchant reste de configuration infantile, avec une petite incidence, démontrant bien le rôle de la gravité sur un bassin déterminé génétiquement mais dont la plasticité cartilagineuse permet une adaptation aux sollicitations de la marche bipède debout. La modification au cours de la croissance touche également le sacrum, partie intégrante du bassin. Le sacrum de l’enfant est quasi rectiligne, et celui-ci s’incurve progressivement, à l’instar de l’évolution de l’angle d’incidence (21). Il est remarquable de constater que les relations entre les paramètres, la morphologie sacrée et les courbures rachidiennes sont respectées, chez les primates, les hominidés, et chez l’homme dans la variété des valeurs d’incidence pelvienne, à l’âge adulte et durant la croissance (fig. 4).
Équilibre du système lombo-pelvi-fémoral en pathologie Spondylolisthésis isthmique La valeur de l’incidence pelvienne y est plus élevée que chez les sujets normaux. La forme du sacrum adulte est également perturbée, proche de celle des enfants avant la marche (21). Le listhésis est d’autant important que cette valeur d’incidence pelvienne
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Réflexions autour du bassin
Fig. 4 – Variations de la morphologie sacrée, de la pente sacrée, de l’épaisseur pelvienne et du porte-à-faux de S1 avec la valeur de l’incidence pelvienne.
(PI) est élevée et la projection de la gravité plus antérieure que chez les sujets sains, avec une diminution de la gîte sagittale de T9 témoignant du déplacement antérieur du tronc. La valeur élevée d’incidence pelvienne implique également une inclinaison plus forte du plateau de S1 accentuant les forces de cisaillement entraînant le listhésis et un cercle vicieux d’accentuation du déplacement antérieur du tronc et de l’hyperlordose L4L5S1 lysant l’isthme. L’importance de la valeur d’incidence pelvienne peut être considérée comme un facteur pronostic d’évolutivité du listhésis (26).
Lombarthrose – lombalgies Les valeurs d’incidence pelviennes sont identiques à celle de la population adulte normale. Le plus souvent, la perte essentielle de lordose lombaire (par discopathies, par rétroversion pelvienne en réaction à une obésité, etc.), associée à une éventuelle raideur en flexion des hanches par coxarthrose, induit un déjettement antérieur du tronc souvent évolutif en raison des faiblesses musculaires fréquemment constatées chez les sujets vieillissants (27). Cette application plus antérieure de la gravité sur le bassin tend à basculer le sacrum en avant, mais les forces de réaction au sol transmises par les têtes fémorales tendent à basculer les os coxaux en arrière. Cela induit un phénomène de torsion au sein des sacro-iliaques, source de douleur et d’apparition de syndrome « du pyramidal ». Cet effet de cisaillement-torsion au sein des sacro-iliaques peut y entraîner une rotation du sacrum entre les os iliaques et amener à une augmentation significative de la valeur d’incidence pelvienne.
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Hernies discales Une incidence pelvienne plus faible a été constatée chez les sujets de moins de 40 ans présentant une hernie discale lombaire (28).
Implications sur les résultats des arthrodèses chirurgicales Le respect de l’harmonie des paramètres est capital. Une pente sacrée trop horizontale associée à un déficit de valeur de lordose a été constatée de manière significative chez les sujets restant douloureux en postopératoire, sans autre cause manifeste (29-31). Le phénomène de torsion au sein des sacro-iliaques est à redouter en cas d’arthrodèse lombaire en lordose insuffisante, surtout si la fusion entreprend L5-S1. De plus, l’aspect péjoratif de la lordose haute compensatrice en cas de fusion chirurgicale en hypolordose est à prendre en considération : une décompensation discale sus-jacente en rétrolisthésis est à craindre. Tout déséquilibre, quelle que soit l’indication (maladie dégénérative ou malformative telle que les scolioses) est donc préjudiciable au résultat clinique à court et long terme. L’origine en est vertébro-discale par accentuation des sollicitations musculaires par induction de contractures musculaires de rééquilibration lombaires et pelviennes, et sacro-iliaques par effet de torsions locales.
Déformations sur ostéoporose L’élément péjoratif y est la cyphose thoracique évolutive pour laquelle la compensation lombaire puis pelvienne devient progressivement insuffisante (28). Le même principe est appliqué en cas de tassements ostéoporotiques ou de fractures du rachis en cyphose mal réduites. Le déjettement antérieur du tronc évolutif doit être combattu, ce d’autant que la capacité lordosante est entravée par les tassements vertébraux.
Fonctions périnéales Boulay rapporte qu’une valeur élevée de l’incidence pelvienne (> 62 degrés) est un facteur prédictif significatif (81 %) d’insuffisance de la sangle périnéale et de descente des organes (32).
Le bassin en trois dimensions Les données 3D Une conception uniplanaire sagittale du bassin ne suffit pas à la compréhension de sa fonctionnalité globale réelle, comme il a été pressenti lors de la description du modelage plastique durant la croissance. Dès lors, plusieurs paramètres tridimensionnels ont été proposés (33).
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Réflexions autour du bassin
Paramètres dimensionnels (fig. 5) – Poutre : distance entre le centre du plateau sacré et le centre de chaque cotyle (127 mm ± 9,2).
– Proue : distance entre la projection sagittale du milieu de la ligne bi-cotyloïdienne et le point supérieur du pubis (50 mm ± 6,7).
Fig. 5 – Paramètres dimensionnels 3D : (A) poutre (B) proue.
Paramètres angulaires (fig. 6 et 7) – Angle sous-pubien ou V pubien : angle entre les deux segments (droit et gauche) reliant les points inférieurs de la tubérosité ischiatique à la symphyse pubienne (74° ± 12).
– Angles d’ouverture : angles (droit et gauche) entre chaque segments de poutre et la droite entre le milieu du plateau sacrée et le cotyle (41° ± 3).
– Angles d’évasement : angles entre chaque bord latéral du bassin et le plan sagittal (28° ± 4).
– Angle de proue: angle entre la proue et la prolongation en avant de la droite entre le milieu du plateau sacrée et le cotyle (61° ± 11).
– Angle des axes acétabulaires : angle formé par les deux axes acétabulaires mesurés dans leur propre plan (102° ± 9).
– Angles d’inclinaison des cotyles : angles entre chaque axe acétabulaire (droit et gauche) et le plan horizontal, ou angles entre le plan acétabulaire et la verticale (34° ± 5). Il est l’angle complémentaire de l’angle d’inclinaison anatomique défini par Murray (34). – Angle d’antéversion acétabulaire : angle entre chaque axe acétabulaire (droit et gauche) et le plan frontal (19° ± 9) (i.e. « l’antéversion anatomique » de Murray) (34). Ces paramètres angulaires ont été conçus sur un bassin en position anatomique, dont le plan pelvien antérieur (PPA ou plan de Lewinneck, défini par les épines iliaques antéro-supérieures et la symphyse pubienne) est vertical (35).
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Fig. 6 – Paramètres angulaires 3D : (A) angles sous-pubien, d’ouverture, dévasement ; (B) angle de proue ; (C) angle des axes acétabulaires.
Fig. 7 – Angles d’inclinaison et d’antéversion du cotyle.
Relations morphologiques tridimensionnelles L’intérêt de ces paramètres 3D n’est pas uniquement descriptif. Des relations significatives ont été observées (tableau I et fig. 8). Un bassin à faible incidence (fig. 8A), à pente sacrée faible, aura des cotyles moins inclinés mais plus antéversés et sera globalement plus large dans le plan sagittal et frontal avec un V pubien plus ouvert mais un évasement iliaque moins marqué (et inversement en cas d’incidence forte – fig. 8B).
Dimorphisme sexuel Les bassins féminins se distinguent par un angle de V pubien et une distance entre les épines sciatiques de plus grande importance, mais un angle de proue, un angle d’évasement, un rayon de cotyle et une longueur pubienne plus faibles. Seule la distance inter-épine sciatique paraît justifier la renommée faite au bassin féminin d’être plus large que celui des hommes. Toutes les autres valeurs dimensionnelles, exprimées en valeur absolue, étaient en effet comparables entre sexes. Cependant, exprimés en pourcentage
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Réflexions autour du bassin
Tableau I – Coefficients de corrélation de Spearman (r) significatifs entre les paramètres 3D (p < 0,005). Relations entre paramètres
r
Pente sacrée – inclinaison du cotyle
0,606
Pente sacrée – antéversion du cotyle
– 0,413
Angle de proue-antéversion du cotyle
– 0,665
Pente sacrée – V pubien
– 0,491
V pubien – angle de proue
– 0,708
V pubien – angle d’évasement
– 0,636
V pubien – proue
0,708
V pubien – distance entre les épines sciatiques.
0,817
V pubien – distance entre les acetabula
0,725
Épaisseur – Poutre
0,918
Poutre – angle d’ouverture
– 0,526
Poutre – angle d’évasement
– 0,351
Poutre – proue
0,326
Poutre – distance entre les épines sciatiques
0,755
Poutre – distance entre les acetabula
0,783
du diamètre du cotyle (« unité cotyle »), tous les paramètres dimensionnels (excepté la longueur pubienne) sont significativement plus importants dans le sexe féminin. La taille absolue des cotyles, utilisée comme unité de mesure, étant significativement plus faible chez les femmes, introduit un biais qui oblige à relativiser le caractère soi-disant plus large du bassin féminin. La valeur plus faible du rayon de cotyle féminin ne peut être rapportée à la stature ou au poids des sujets : il a été rapporté que le rayon de la tête fémorale (et par conséquent celui du cotyle) n’était aucunement lié à l’indice de corpulence du sujet (ce qui est cependant le cas pour l’incidence pelvienne). Par un plus faible encombrement intrapelvien, la petite taille de l’acétabulum paraît contribuer à l’espace accueillant la nidation. En effet, le bassin féminin s’avère surtout offrir une contenance plus grande et une voie d’expulsion plus large (fig. 5a). Les valeurs relativement plus importantes chez la femme de la proue, des distances inter-épines et interacétabulaires contribuent à l’augmentation de la capacité intrapelvienne. Parallèlement, les valeurs plus faibles d’angle d’évasement et de longueur pubienne, celle plus importante du V pubien, contribuent à faciliter les capacités d’expulsion lors de l’accouchement. Or, tous ces paramètres sont influencés à la fois par la valeur du V pubien et aussi par la valeur de la poutre, elle-même liée à la valeur d’épaisseur pelvienne (36).
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Fig. 8 – Bassin à faible (A) et forte incidence (B).
Croissance tridimensionnelle L’aspect tridimensionnel du bassin se modifie aussi au cours de l’acquisition de la marche, en particulier l’orientation et la position des cotyles. L’angle de couverture et l’angle d’antéversion des cotyles augmentent fortement, alors que l’antéversion du col fémoral diminue, ce qui confirme le rôle inducteur de la tête fémorale au niveau du cartilage en Y dans le développement tridimensionnel du bassin. En résumé de l’état néonatal à l’état adulte, le bassin subit les modifications suivantes (22-24) : – la pente sacrée, l’incidence pelvienne et la lordose augmentent ; – le sacrum s’incurve avec un enfoncement progressif entre les ailes iliaques et recule par rapport aux cotyles ; – les articulations sacro-iliaques ont tendance à se sagittaliser ; – l’angle sous-pubien et les échancrures sciatiques s’ouvrent ; – l’antéversion et la couverture des cotyles augmentent tandis que l’antéversion du col fémoral diminue.
Asymétrie pelvienne L’utilisation de ces paramètres 3D sur une série de pièces anatomiques a permis à Boulay de constater une asymétrie significative systématique de la morphologie du bassin (33). L’aile iliaque droite est plus large mais moins inclinée que la gauche, contrebalancée par un aileron sacré gauche plus volumineux. La distance entre le cotyle et l’aile iliaque à droite est plus faible. Simultanément, la symphyse pubienne droite est plus grande en hauteur, induisant un grand axe du trou obturateur plus important qu’à gauche. Cette asymétrie semble suivre une trajectoire en spirale dans le bassin (fig. 9a) : – dans la partie supérieure, les ailes iliaques tournent dans le sens horaire ; – dans la partie inférieure, la symphyse pubienne tourne dans le sens anti-horaire.
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Réflexions autour du bassin
Cette asymétrie anatomique a des implications fonctionnelles dans la dynamique du bassin. Elle peut être mise en relation avec la torsion scoliotique dans le prolongement de la torsion pelvienne souvent observée (fig. 9b). Cependant, la gamme d’asymétrie du pas observée pour une population normale, nécessairement variable selon la dominance cérébrale, contraste avec la relative constance et le caractère unidirectionnel de l’asymétrie pelvienne (37).
Fig. 9 – Asymétrie pelvienne : (A) asymétrie pelvienne en spirale (B) torsion pelvienne dans le prolongement caudal d’une scoliose.
Orientation 3D des cotyles Relations personnalisées entre paramètres pelviens et cotyles Les relations significatives entre l’inclinaison et l’antéversion du cotyle et les paramètres pelviens 3D ont été présentés dans le tableau I. Deux paramètres apparaissent essentiels : la pente sacrée (en référentiel au plan pelvien antérieur vertical) et le V pubien. (33, 36) L’inclinaison cotyloïdienne est principalement reliée à la pente sacrée, et par conséquent à l’incidence pelvienne, alors que l’antéversion pelvienne est sous la dépendance de l’angle de V pubien par l’angle de proue (fig. 10 et 11). De ce fait, comme pour l’intensité des courbures rachidiennes, l’orientation du cotyle est propre à chaque individu (36). En cas d’implantation de prothèse totale de hanche, l’orientation de l’implant cotyloïdien doit être personnalisée pour être anatomiquement fonctionnelle.
Inclinaison cotyloïdienne personnalisée Pour une valeur médiane d’incidence (53°) et de pente sacrée (41°), l’inclinaison du cotyle a été observée de 34°. Des valeurs plus élevées d’incidence pelvienne et de pente sacrée impliquent un positionnement plus incliné du cotyle (2 degrés de plus d’inclinaison pour 5 degrés de plus de pente sacrée). Inversement, le positionnement sera plus vertical dans la même proportion inverse en cas de faibles valeurs de d’incidence et de pente sacrée.
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Fig. 10 – Organigramme des relations significatives entre paramètres et l’orientation 3D des cotyles.
Fig. 11 – Juxtaposition de deux hémi-bassins à forte et à faible valeur d’incidence pelvienne.
Antéversion cotyloïdienne personnalisée Les valeurs moyennes de V pubien (74°) et d’angle de proue (61°) ont été observées associées à une antéversion cotyloïdienne moyenne de 19 degrés. Un positionnement adapté personnalisé du cotyle nécessite un accroissement d’« antéversion » pour des valeurs plus élevées de V pubien et des valeurs plus faibles d’angle de proue dans la proportion de 3 degrés d’« antéversion » pour 5 degrés de V pubien en plus et d’angle de proue en moins. En outre, une diminution de l’« antéversion » est impliquée dans la même proportion pour les valeurs inférieures de V pubien et des valeurs plus élevées d’angle de proue (35, 36).
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Réflexions autour du bassin
Évolution de l’orientation acétabulaire durant la croissance Inclus dans le bassin en développement plastique, l’orientation 3D des cotyles évolue durant la croissance. L’antéversion des cotyles des nouveau-nés (moyenne 3° ± 10) est beaucoup plus faible que celle des adultes (moyenne 19° ± 9). À l’inverse, l’inclinaison des cotyles évolue peu : 34° chez l’adulte, 35,4° chez le nouveau-né (fig. 12).
Fig. 12 – Vue latérale du bassin du nouveau-né et de l’adulte.
La dispersion des valeurs d’incidence pelvienne chez les nouveau-nés (écarttype 12,7) est plus forte que chez les adultes (écart-type 9). Ces variations expriment des mécanismes de sollicitation différents de ceux de la vie post-natale. Au cours de la croissance prénatale finale, la forte contention du fœtus dans la cavité utérine entraîne une flexion forcée des fémurs, permise par la souplesse des articulations sacro-iliaques. Cette flexion entraîne une bascule des os coxaux vers l’arrière. L’antéversion faible des cotyles des nouveau-nés et forte des adultes est à relier à l’antéversion des cols fémoraux, forte chez les nouveau-nés puis diminuant au cours de la croissance. Les angles d’antéversion du cotyle et du col fémoral entretiennent des relations antagonistes : tandis que l’antéversion du col fémoral diminue, l’antéversion du cotyle augmente (23). De même, la moindre couverture du cotyle chez les nouveau-nés est le résultat du rôle inducteur de la tête fémorale dans le développement du cotyle. Selon la loi de Delpech, la croissance osseuse a lieu dans les zones de moindre pression. Dès lors, le cotyle ne se « creuse » pas mais se développe au niveau de sa périphérie, la pression de la tête fémorale s’exerçant en son centre. Le rôle du cartilage en Y dans ce processus de formation est indéniable, chacune de ses branches développant respectivement les parties iliaque, pubienne et ischiatique de l’os coxal.
Angles sagittaux du cotyle (fig. 13) Lazennec et Saillant ont décrit l’orientation du cotyle dans le plan sagittal par l’angle sacro-acétabulaire (entre le plateau sacré et la pente acétabulaire, moyenne 74,8° ± 3,57, min. 67° max. 84°) (38, 39). Cet angle est anatomique et indépendant de l’inclinaison
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Fig. 13 – Angles acétabulaires : angle sacro-acétabulaire = pente sacrée + pente acétabulaire = incidence pelvienne + incidence cotyloïde.
pelvienne. Tardieu a proposé un autre paramètre sagittal, « l’angle d’incidence cotyloïde » : angle entre l’épaisseur et la médiane des deux axes des cotyles (22-24). La médiane des axes des cotyles relie le milieu de la distance interacétabulaire et le point d’intersection des axes des cotyles (ou le milieu de leur segment de convergence en cas de cotyles asymétriques). Il est corrélé négativement à l’angle d’incidence sacrée. Il rend compte simultanément de la position sagittale du sacrum par rapport aux cotyles et du degré d’antéversion (r = 0,50) et d’inclinaison (r = – 0,34) des cotyles. La somme géométrique de ces deux angles, incidence pelvienne et incidence cotyloïde est égale à l’angle sacro-acétabulaire. La corrélation entre incidence pelvienne et incidence cotyloïde est négative (r = − 0,33). L’angle d’incidence cotyloïde est cependant non utilisable cliniquement avec des radiographies simples. D’autre part, l’évaluation de l’angle sacro-acétabulaire dépend de la qualité de la radio, imposant un profil sagittal strict. En pratique, quand l’incidence pelvienne augmente avec la pente sacrée et l’enfoncement du sacrum entre les ailes iliaques, les axes des cotyles en vue sagittale ont tendance à se rapprocher de l’épaisseur pelvienne et l’antéversion des cotyles diminue. Inversement, quand l’incidence pelvienne diminue avec la pente sacrée et l’ascension du sacrum, les axes des cotyles ont tendance à s’éloigner de l’épaisseur pelvienne et l’antéversion des cotyles augmente.
Implications cliniques Toutes ces descriptions anatomiques présupposent un bassin en situation anatomique « normale », sans bascule sagittale, caractérisé par la verticalité du plan pelvien
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Réflexions autour du bassin
antérieur de Lewinneck. Cette situation bien a été retrouvée chez les sujets sains mais ne l’est plus en cas de pathologie rachidienne ou des membres inférieurs entraînant une rotation sagittale du bassin (35). En cas de rétroversion pelvienne (ex. compensation d’une hypercyphose, ou d’une hypolordose, passage de la position debout à assise). Lazennec et Saillant ont démontré la relation entre la diminution de la pente sacrée et l’augmentation de la pente acétabulaire sagittale, l’angle morphologique sacro-acétabulaire restant identique (38, 39). En cas de rétroversion pelvienne exagérée, le cotyle est en permanence en antéversion fonctionnelle excessive, gênant peu lors de la flexion de hanche mais en revanche posant le problème de conflit postérieur notamment en position debout (fig. 14). Il en est de même lorsqu’un implant acétabulaire de prothèse totale de hanche est posé avec trop d’antéversion : il en résulte un potentiel conflit postérieur, source d’usure anormale, d’instabilité voire de luxation. Ce concept permet d’expliquer la survenue de luxation de prothèse après plusieurs années dans les suites d’une perturbation sagittale globale de l’ensemble lombo-pelvi-fémoral (35, 36, 38-42).
Fig. 14 – Le même bassin en trois circonstances de bascule sagittale : (A) position debout standard équilibrée physiologique ; (B) en position assise, hanche fléchie ; (C) en position debout, mais en rétroversion « pathologique » : conflit postérieur.
Adaptations selon les pathologies rachidiennes L’enraidissement progressif de la charnière lombo-sacrée chez les sujets devenant âgés est source de rétroversion pelvienne progressive puis permanente correspondant à la position assise : le sujet est en permanence « debout comme s’il était assis ». Dans ces conditions, l’amplitude articulaire d’une prothèse de hanche est limitée et les risques de conflit postérieur réels. Cette situation peut aussi être précipitée par la réalisation d’une arthrodèse lombaire mal réglée (28). Les répercussions sur l’inclinaison du cotyle sont faibles. Pou l’antéversion en revanche, en plus de l’adaptation individuelle anatomique décrite, une seconde adaptation doit être prise en compte. Certains ont proposé une correction fonctionnelle de 0.5 degrés d’antéversion pour 1 degré de mal rotation pelvienne (35, 36, 38-42). Ceci permet également de définir les patients « à risque », différents selon qu’on considère la sphère rachidienne ou pelvienne. Les sujets à petite incidence auront moins de risque d’être en hypolordose, du fait de la faible lordose physiologique, mais ils seront
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plus facilement enclins à un déséquilibre global instable car leur marge d’adaptation est faible. En revanche, les sujets à grande incidence auront une plus grande marge d’adaptation à une perturbation spino-pelvienne, mais risqueront plus facilement une hypolordose relative (en particulier lors d’une fusion lombaire) et une rétroversion pelvienne significative, source de conflits acétabulaires. Nous suggérons dès lors une analyse sagittale de l’ensemble lombo-pelvi-fémoral en préalable de toute arthroplastie de hanche ou lors de complication injustifiée, intégrée dans l’évolution du sujet, globale et prévisionnelle dans le temps (35, 42).
Asymétrie Dans le cadre de l’asymétrie pelvienne en spirale, l’orientation des cotyles est également asymétrique : l’orientation du cotyle gauche a une tendance à être plus sagittale et celle du cotyle droit plus frontale (33). Ces tendances sont confirmées par l’angle de l’axe acétabulaire (fig. 6c), plus important à droite et moindre à gauche. Cette situation conduit à une moindre couverture supérieure du cotyle droit et une meilleure couverture du cotyle gauche (angles Wiberg et Hilgenreiner). L’apparition de coxarthroses asymétriques peut y trouver une explication, de même que les lésions du labrum par excès de sollicitations.
Conclusions Le bassin évolutif La morphologie pelvienne et rachidienne se révèle évolutive, en particulier au cours de la croissance. L’acquisition de la station érigée et de la marche induit la formation de la courbure lombaire, l’augmentation de la pente sacrée de l’incidence pelvienne et la diminution de l’épaisseur. Le sacrum s’enfonce entre les ailes iliaques et s’horizontalise par l’action des muscles sacro-lombaires, lordosants, qui tirent sur le sacrum en arrière et en haut. Ces muscles sont contrecarrés en distal par les ligaments sacro-sciatiques et ischio-coccygiens, ce qui induit l’incurvation du sacrum et sa bascule entre les os coxaux et donc l’augmentation de l’incidence pelvienne. Les articulations sacro-iliaques ont tendance à se sagittaliser au cours de la croissance. La mise en charge du squelette permet de nombreuses modifications des relations articulaires pelvi-rachidiennes et intrapelviennes, conditions d’un équilibre stable du tronc sur les membres inférieurs. Le vieillissement également voit la morphologie pelvienne se modifier sous l’effet de la déstabilisation des sacro-iliaques induite par les sollicitations anormales en torsion résultant de perturbation de l’équilibre global du complexe lombo-pelvi-fémoral. L’accentuation potentielle de l’incidence pelvienne accentue l’insuffisance de lordose lombaire et pérennise le cercle vicieux de déstabilisation, majoré en cas de fusion lombaire mal réglée.
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Réflexions autour du bassin
Le bassin dynamique Pièce mobile entre le tronc et les membres inférieurs, la morphologie pelvienne intervient dans l’équilibre du rachis et la transmission des forces au sein des cotyles par les têtes fémorales. Les bassins adultes à très faible incidence et forte épaisseur offrent un équilibre rachidien instable sollicitant fortement les muscles spinaux dont la contraction permanente devient douloureuse. Lors d’une intervention de fusion lombaire, ils ne nécessitent cependant qu’une faible lordose à une équilibration physiologique. En revanche, les bassins à grande incidence ont une plus grande plage d’adaptation pelvienne et lombaire à une perturbation, mais nécessitent une lordose conséquente en cas de fusion afin de maintenir ou restaurer l’harmonie individuelle des courbures. Ces bassins sont également plus susceptibles de problème au niveau des articulations coxales en cas de perturbation de l’harmonie dynamique du complexe lombo-pelvi-fémoral.
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Réflexions autour du bassin
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Examen programmé du bassin J. Lecacheux
Structurer un examen programmé du bassin permet de dégager un algorithme diagnostic qui peut faciliter et optimiser l’examen clinique.
Déroulement de la consultation Observer le patient se déplacer est le temps initial – et obligé – de l’examen clinique, à la recherche d’une boiterie. Interroger à l’aide de questions simples et inciter le patient à répondre avec ses propres mots. Exiger un déshabillage. Retrouver, impérativement, par l’examen manuel, l’élément qui souffre, qu’il s’agisse de la peau, d’un muscle, d’un périoste ou d’un tendon, en ayant soin de toujours commencer par examiner le côté sain. Replacer cette douleur dans son métamère d’origine et chercher d’autres éléments susceptibles de souffrir dans ce même métamère pour remonter à l’origine du trouble.
Interrogatoire Il comporte, au minimum, six questions :
– Où siège la douleur et s’accompagne-t-elle d’irradiations ? – Quand s’est-elle installée et dans quelles circonstances ? – Quel est son « horaire » actuel ? – Quels sont les facteurs déclenchant ou aggravants ? – Comment évolue-t-elle ? – Existe-t-il des antécédents médicaux, chirurgicaux ou traumatiques ?
S. Bendaya et al., Réflexions autour du bassin © Springer-Verlag France, Paris 2011
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Réflexions autour du bassin
Examen Parmi ceux qui souffrent d’une douleur en arrière Il faut distinguer deux cas.
– Ceux qui souffrent d’une douleur médiane qui peut traduire une pathologie lombosacrée. L’examen du rachis comporte une étude de la flexion, de l’extension, des flexions latérales et des rotations à la recherche d’une souffrance discale ou articulaire postérieure. Dans ce cas, la recherche d’une radiculalgie par le signe de Lasègue ou le signe de Bragart s’impose, de même que l’examen segmentaire du rachis lombaire et dorsal inférieur, patient en décubitus ventral en travers de la table afin d’exécuter une pression axiale, latérale et latérale contrariée sur les épineuses, ainsi qu’une recherche d’irritation du ligament interépineux. – Une douleur médiane peut traduire une dysfonction sacro-iliaque et une multitude de tests prétend tester les articulations sacro-iliaques, nous en retiendrons trois et, en premier, l’appui monopodal (fig. 1) : une pression sur les épaules de la patiente réveille une douleur fessière du côté du membre inférieur, en appui, en cas de dysfonction sacro-iliaque homolatérale.
Fig. 1 – Appui monopodal.
Un autre test simple consiste à écarter (fig. 2) et rapprocher (fig. 3) les ailes iliaques à la recherche d’une douleur fessière unilatérale qui peut traduire une souffrance sacroiliaque. Enfin, le test le plus connu, c’est le test dit de Piedallu. Il se pratique en position debout (fig. 4) et en position assise (fig. 5) pour éliminer le piège de l’inégalité des membres
Examen programmé du bassin
Fig. 2 – Écartement des ailes iliaques.
Fig. 4 – Piedallu debout.
Fig. 5 – Piedallu assis.
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Fig. 3 – Rapprochement des ailes iliaques.
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Réflexions autour du bassin
inférieurs. Il consiste à rechercher une dysfonction sacro-iliaque en appréciant l’amplitude d’élévation des pouces du thérapeute, placés sur les EIPS de la patiente au cours de l’antéflexion du tronc. L’ascension plus importante d’un des deux pouces traduit, de ce côté, un blocage du sacrum en avant, par rapport à l’ilium. Il est toujours possible, cliniquement, de différencier une atteinte sacro-tubérositaire, d’une atteinte sacro-iliaque ou d’une atteinte ilio-lombaire (fig. 6) par des tests connus. Une douleur très basse, médiane, fréquemment déclenchée et toujours entretenue et aggravée par la position assise, est très évocatrice de souffrance sacro-coccygienne. C’est la coccygodynie dont le diagnostic est porté à l’interrogatoire et au toucher rectal. Ligament ilio-lombaire Crête iliaque Ligament sacro-iliaque
Épine iliaque postéro-supérieure Épine iliaque postéro-supérieure
Ligament sacro-tubérositaire
Fig. 6 – Les différents ligaments postérieurs.
Parmi ceux qui souffrent en arrière et sur le côté Il faut distinguer trois cas.
– Ceux qui souffrent de la fesse. Dans ce cas, l’examen du relief trochantérien et des muscles pelvi-trochantériens s’impose. Sachant qu’une connaissance de l’innervation de chacun de ces muscles permet d’aller rechercher dans le métamère correspondant d’autres éléments qui souffrent et ainsi, de remonter à l’origine rachidienne, axiale de cette douleur. – Ceux dont la douleur fessière est très bas située et qu’on retrouve à la palpation de l’ischion. À ce niveau, les insertions musculaires sont nombreuses : adductor magnus, biceps femoris, semi tendinosus, semi membranosus. À part l’adductor magnus (L1), tous sont innervés par le plexus lombaire inférieur. – Ceux dont la douleur est située au-dessus de la fesse. Dans ce cas, c’est l’examen en décubitus ventral en travers de la table qui permet la mise en évidence du point de crête, sur l’aile iliaque (fig. 7). Ensuite, la recherche d’une cellulalgie à l’émergence du rameau nerveux correspondant (T12, L1) (fig. 8) permet, enfin, de mettre en évidence par l’examen segmentaire l’origine rachidienne de la pathologie sus-fessière (fig. 9).
Examen programmé du bassin
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Fig. 7 – Recherche du point de crête. Fig. 8 – Recherche d’une cellulalgie susfessière.
Fig. 9 – Examen segmentaire.
Parmi ceux qui souffrent en avant, en bas et latéralement On trouvera un grand nombre de pathologies coxo-fémorales. – C’est pourquoi, dans ce cas, l’examen des mobilités coxo-fémorales s’impose, en ayant bien soin de fixer le bassin pour être certain de n’examiner que la coxo-fémorale. – En l’absence d’une pathologie de hanche authentifiée, il faut revenir à l’examen du triangle de Scarpa (fig. 10) et rechercher une souffrance de l’arcade crurale, de l’adductor longus ou du sartorius par des mises en tension sélectives. – Lorsque l’articulation coxo-fémorale et le triangle de Scarpa sont indemnes de toutes pathologies, il reste à éliminer une souffrance du psoas ou de l’iliaque (fig. 11), d’autant que la douleur est inguinale, à irradiation antérieure à la cuisse, que s’y associe une lombalgie moyenne homolatérale et que le tout est aggravé par l’extension de la cuisse sur le bassin.
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Réflexions autour du bassin
Petit psoas Grand psoas Ilium
Iliaque
Tendon du petit psoas Ligament inguinal Pubis Petit trochanter Fémur
A Fig. 10 – Triangle de Scarpa.
B
Fig. 11 – Psoas et Iliaque (fig. 11A). Mise en tension du psoas (fig. 11B).
Parmi ceux qui souffrent en avant et au milieu Il faut distinguer trois cas. – Les pathologies d’adducteurs, en se souvenant que les adducteurs sont innervés par le N. obturatorius (L2, L3) dont la cellulalgie se recherche à la face interne du tiers distal de cuisse (fig. 12) et (fig. 13). – Les pathologies de symphyse pubienne imposent une radiographie et si cette dernière n’objective pas d’anomalie il faut vérifier les articulations sacro-iliaques. En effet, biomécaniquement, la symphyse pubienne se comporte comme le ligament antérieur de ces articulations. – Les souffrances périostées pubiennes traduisent une irritation de l’iliohypogastricus (T12). Une fois confirmée cette irritation par le pincé-roulé, il faut rechercher une irritation des branches postérieures de T12 par l’examen en décubitus ventral, en travers de la table, qui permet d’objectiver le point de crête (fig. 14), la cellulalgie des branches postérieures de T12 (fig. 15) et de pratiquer l’examen segmentaire vertébral de la charnière dorso-lombaire (fig. 16).
Fig. 12-16 : parmi ceux qui souffrent de partout Parmi ceux qui souffrent de partout, et après avoir formellement éliminé la douleur symptomatique d’une affection plus sévère, il faut chercher à mettre en évidence une logique d’organe ou reconnaître son absence. Il existe une logique d’organe quand la douleur a une topographie localisée qui répond à une base anatomique. Quand cette douleur est influencée par le nycthémère, par certains gestes ou certaines positions, enfin et surtout, quand il est possible de retrouver son origine et de l’influencer par un traitement, quel qu’il soit. Nous devons cette notion de logique d’organe au Docteur Jean-Yves
Examen programmé du bassin
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Fig. 12 – Cellulalgie obturatrice.
Fig. 13 – Recherche d’une cellulalgie obturatrice.
Fig. 14 – Point de crête.
Fig. 15 – Cellulalgie T12.
Fig. 16 – Examen segmentaire.
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Réflexions autour du bassin
Maigne. En l’absence de logique d’organe, il faut évoquer un dysfonctionnement des voies de la douleur comme on en rencontre dans certaines névroses et la fibromyalgie. Il faut également savoir évoquer une manifestation psychologique dans un contexte de problème médico-légal.
Synthèse Il est possible, à ce stade de l’examen programmé de dégager un algorithme diagnostique. – Recueillir les informations qui permettront de caractériser la douleur et de s’assurer de l’existence d’une logique d’organe. – Retrouver l’élément qui souffre par la mise en évidence d’une perturbation fonctionnelle ou par la palpation. – Rechercher d’autres éléments en souffrance dans le même métamère (peau, tendons, périostes, muscles). – Évoquer la possibilité d’une origine rachidienne et chercher à l’objectiver par l’examen manuel. – Documenter, si besoin, le tableau douloureux par des examens complémentaires, choisis en fonction des résultats de l’examen manuel.
Conclusion Si cet examen programmé a pour but de simplifier au maximum la recherche d’un diagnostic positif et d’un diagnostic étiologique, à aucune des étapes décrites il n’est possible de faire l’économie d’une culture médicale.
Syndrome du piriforme J.-C. Goussard
Introduction Le syndrome du muscle piriforme est à la fois sous-estimé et mal connu. Il associe une douleur glutéale, unilatérale et des signes de souffrance du nerf ischiatique. Les facteurs favorisants et déclenchants de ce syndrome seront recherchés, et son diagnostic sera évoqué au décours d’un examen clinique soigneux utilisant des manœuvres spécifiques de sensibilisation qui seront ici développées. Les examens complémentaires permettront d’affirmer le diagnostic et d’éliminer les autres causes de douleurs glutéales. Les traitements médicaux ciblés, parfois aidés des examens complémentaires, seront utilisés en première intention, la chirurgie ne sera envisagée qu’en cas d’échec.
Rappel anatomique Le muscle Le muscle piriforme est un muscle de forme triangulaire à base sacrée et à sommet trochantérien. Sa base naît de la face antérieure des 2e, 3e et 4e vertèbres sacrées. Ses fibres musculaires passent en pont au-dessus des 2e, 3e et 4e trous sacrés afin de permettre le passage des racines nerveuses correspondantes. Il s’insère sur le pourtour des deuxième et troisième foramens sacrés et sur le bord supérieur de la grande incisure ischiatique. Son corps musculaire se dirige en dehors, en avant et vers le bas, en longeant la face antérieure de l’articulation sacro-iliaque, et il va s’insérer par son tendon terminal sur une fossette osseuse située sur le bord antéro-supérieur du grand trochanter. Il appartient au plan profond des muscles pelviens, et il entretient des rapports étroits avec les structures musculo-tendineuses et osseuses qui lui sont proches. En haut, par son bord supérieur, il délimite avec la partie supérieure de la grande incisure ischiatique le canal suprapiriforme. S. Bendaya et al., Réflexions autour du bassin © Springer-Verlag France, Paris 2011
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Réflexions autour du bassin
En bas, par son bord inférieur, il délimite le canal infrapiriforme avec le bord supérieur du ligament sacro-épineux et du muscle jumeau supérieur. Il divise ainsi la grande incisure ischiatique en un espace suprapiriforme et en un espace infrapiriforme. Le foramen infrapiriforme est ainsi limité en haut par le muscle piriforme et en bas par le muscle jumeau supérieur qui double la partie supérieure du muscle obturateur interne, et médialement par le ligament sacro-tubéral (grand ligament sacro-sciatique). Ce dernier permet le passage d’éléments vasculo-nerveux du pelvis à la région glutéale basse, à savoir : le nerf ischiatique, le rameau cutané postérieur de la cuisse, le nerf glutéal inférieur qui innerve le muscle grand fessier, le nerf pudendal (honteux) interne, les rameaux nerveux des muscles jumeaux et du muscle obturateur interne, les artères et veines pudendales internes, et l’artère glutéale inférieure. Le muscle piriforme est innervé par une branche du nerf ischiatique et parfois par un rameau issu du plexus sacré. Sa racine motrice est S1 (1).
Physiologie Ce muscle pelvi-trochantérien appartient au groupe des muscles rotateurs latéraux de la hanche au même titre que les muscles jumeaux supérieur et inférieur, obturateurs interne et externe, et carré fémoral. Selon Duchenne de Boulogne (2), le pyramidal, les jumeaux, l’obturateur interne et le carré fémoral impriment à la cuisse un mouvement de rotation en dehors. Le pyramidal la porte, en outre, obliquement en arrière et en dehors. Lorsque la hanche est en extension, il est rotateur latéral de celle-ci. Il est abducteur et rotateur médial lorsqu’elle est en flexion. Il est testé comme rotateur externe de la cuisse (3).
Ses rapports En avant, le muscle piriforme croise le plexus sacré et les artères glutéale inférieure et pudendale interne. Le nerf sciatique est le nerf le plus long et le plus volumineux de l’organisme. Il mesure en moyenne 5 mm d’épaisseur et 10 à 15 mm de largeur à son origine. Il constitue la branche terminale du plexus sacré. Il s’agit d’un nerf mixte constitué de neurofibres issues des racines lombaires L4 et L5 et des racines sacrées S1, S2 et S3. Le nerf sciatique arrive le plus souvent (84 % des cas) dans la région glutéale en passant au-dessous du muscle piriforme et au-dessus des muscles jumeaux supérieur et obturateur interne. Au cours de sa traversée pelvi-fémorale, le nerf sciatique peut être comprimé à différents niveaux, de même que ses branches et les vaisseaux qui l’accompagnent, constituant au niveau du bassin l’équivalent du syndrome de la traversée thoraco-brachiale (4). Il sort du petit bassin par le foramen ou canal infrapiriforme.
Syndrome du piriforme
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Dans cette région fessière, le nerf sciatique répond en arrière au nerf cutané postérieur de la cuisse et à la branche glutéale de l’artère glutéale inférieure et médialement aux nerfs obturateur interne et rectal inférieur, aux vaisseaux obturateurs internes et glutéaux inférieurs. Plus à distance et médialement, se trouvent le nerf pudendal et les vaisseaux pudendaux internes.
Étiopathogénie du syndrome du muscle piriforme Pour Kouvalchouk (5), il existe quatre mécanismes étiopathogéniques : les modifications du muscle, les malformations anatomiques, les causes indirectes et les causes morphostatiques. Les modifications du muscle sont habituellement traumatiques ou secondaires à un effort intense ou répété. La pratique sportive est souvent en cause, principalement chez les coureurs de fond (sciatique du coureur), mais également chez les coureurs cyclistes, les cavaliers, les joueurs de tennis. Une chute violente sur la fesse est une cause fréquente dans plusieurs séries de la littérature (6, 7). Les variantes anatomiques qui ont été constatées dans quelques séries chirurgicales semblent plutôt un facteur favorisant qu’une cause primitive. Les causes indirectes sont des pathologies régionales, coxo-fémorale, sacro-iliaque, pathologie tumorale pelvienne, ou les suites de chirurgie de la hanche (arthroplasties) ou du bassin. L’inégalité de longueur des membres inférieurs a été évoquée comme facteur favorisant une hypertrophie du muscle piriforme du côté le plus court (par étirement ?), les douleurs étant soulagées par le port d’une talonnette.
Causes du syndrome du muscle piriforme Causes traumatiques Il s’agit de la cause la plus fréquemment décrite. Dans la majorité des cas, c’est la contracture musculaire réflexe à l’occasion d’un choc sur le muscle piriforme associée à la formation d’un hématome intra ou périmusculaire qui provoque la compression nerveuse.
Malformations anatomiques Des études anatomiques du piriforme en peropératoire ou lors de dissections anatomiques ont montré l’existence de variations anatomiques du muscle, souvent associées à des anomalies de division du nerf ischiatique (8).
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Pour certains auteurs, ces anomalies favoriseraient une compression du nerf ischiatique (9). L’anomalie est un chef musculaire bifide. L’espace libre entre les deux faisceaux musculaires pourrait laisser passer le nerf ischiatique ou une de ses branches de division. Le nerf passant entre ces deux faisceaux pourrait être comprimé lors de la mise en tension du muscle, par exemple lors de la rotation médiale du membre inférieur. Pour le nerf ischiatique, un certain nombre de variations de constitution ou de trajet du nerf sciatique ont été également rapportées. Il peut traverser ou passer au-dessus du muscle piriforme. Il peut également être divisé en deux contingents, fibulaire commun et tibial, lorsque sa division ne se fait pas au-dessus du genou. Ainsi, l’un des contingents nerveux peut traverser le corps musculaire du piriforme alors que l’autre contingent passe au-dessus ou au-dessous du muscle piriforme. Les contingents nerveux peuvent également passer de part et d’autre du muscle piriforme. Il convient de rester prudent avant d’incriminer une variante anatomique à l’origine d’une sciatique tronculaire, car ces variations anatomiques peuvent être observées chez de nombreux sujets asymptomatiques.
Hypertrophie ou contracture C’est l’atteinte la plus fréquente chez les patients sportifs. L’atteinte de ce muscle pourrait être en rapport avec l’hypersollicitation lors de la marche prolongée ou de course de fond (phases successives de contraction et étirement). L’hypertrophie musculaire tendrait à fermer le canal infrapiriforme et ainsi à comprimer le nerf ischiatique. Cette compression serait accentuée par la mise en rotation médiale et flexion de la hanche et par l’hyperlordose lombaire (position du cavalier). Certains sports ont été incriminés comme la course de fond, le cyclisme, les courses hippiques (position du jockey, traumatisme direct et posture). La position assise prolongée a été évoquée comme pouvant être à l’origine d’une tension anormale du muscle et de douleurs typiques de ce syndrome (10).
Les points-gâchettes Par définition, les points-gâchettes sont des entités pathologiques affectant le muscle et caractérisées en premier lieu par une douleur à la palpation. Les critères diagnostics sont : présence d’un point musculaire douloureux associé à une bande intramusculaire palpable et dont la pression reproduit la douleur ressentie habituellement par le patient ainsi que la douleur projetée ; déclenchement d’un sursaut (jump sign) chez le patient et déclenchement d’une réponse impulsionnelle dans l’environnement du muscle.
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Le muscle piriforme peut, selon Travell et Simons, être le siège de points-gâchettes en cas de surutilisation : boiterie par pathologie coxo-fémorale, raccourcissement de jambe, perte de mobilité sacro-iliaque, etc. (11).
Autres causes Nous citerons : l’hématome du muscle chez une patiente éthylique chronique souffrant de troubles de la crase sanguine, sarcome ou abcès intramusculaires, hématomes intramusculaires calcifiés, atteintes iatrogènes lors d’actes chirurgicaux (12). Le syndrome du muscle piriforme est, en théorie, l’expression clinique d’une pathologie musculaire touchant ce muscle. Or, ce muscle est souvent normal. Pour Bard et al., il est préférable de parler de syndrome du foramen (ou du canal) infrapiriforme dans lequel ce muscle peut être impliqué, mais pas nécessairement (13).
Signes fonctionnels La symptomatologie du syndrome du piriforme est assez évocatrice. Le signe fonctionnel le plus important est une douleur profonde de la fesse, sans lombalgie associée, avec irradiation fréquente à la face postérieure de la cuisse, et parfois dans le pelvis et les organes génitaux. La sciatalgie ne dépasse que très rarement le niveau du genou (sciatique tronquée). Elle s’accompagne parfois de paresthésies de la fesse et du membre inférieur. Elle est le plus souvent unilatérale. Qu’elle soit d’apparition brutale en cas de traumatisme direct ou de survenue progressive à l’effort prolongé (sportifs, coureurs de fond, marches de longue durée), ou à la position assise prolongée (taxis, coureur cycliste), il existe fréquemment des douleurs nocturnes et persistantes malgré le repos, avec une tendance à l’aggravation progressive. Les signes cliniques sont parfois trompeurs ou peu évocateurs. Le syndrome du muscle piriforme reste un diagnostic d’élimination. L’examen clinique et les examens complémentaires permettront d’éliminer les diagnostics différentiels.
Interrogatoire Le diagnostic est évoqué devant une douleur fessière, unilatérale, irradiant à la face postérieure de la cuisse, parfois au mollet, survenant à la marche en côte ou prolongée, aux stations assises prolongées ou non, ou parfois en décubitus dorsal. Il conviendra de s’enquérir de la pratique d’un sport à risque tel que course à pied, équitation, cyclisme, tennis, ou d’une activité professionnelle en station assise prolongée telle que taxi ou chauffeur routier. Nous rechercherons des antécédents de traumatisme fessier par choc direct ou d’une pathologie rachidienne lombaire basse.
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Examen physique À l’inspection, il conviendra de noter la présence de troubles morphostatiques à type d’hyperlordose lombaire, d’inégalité de longueur des membres inférieurs, ou d’un flessum de hanche. On recherchera une amyotrophie du muscle grand glutéal parfois présente dans les formes chroniques. Dans les formes traînantes et évoluées, il a été décrit une attitude en rotation latérale du membre inférieur atteint (par contracture du piriforme) et une douleur vive à la tentative de correction de cette attitude. La palpation de la région glutéale, entre le bord latéral du sacrum et le grand trochanter, peut percevoir un muscle piriforme contracté et douloureux (cordon myalgique), par rapport au côté opposé. Cette contracture très localisée est habituellement retrouvée dans le cadre d’un syndrome vertébral segmentaire S1 (R. Maigne) (1, 14).
Manœuvres spécifiques Ces manœuvres visent à reproduire la douleur habituelle ressentie par le patient lors de la mise en tension du piriforme ou lors d’une contraction prolongée du muscle par compression du nerf ischiatique dans le canal infrapiriforme. Les manœuvres de sensibilisation décrites sont nombreuses, nous retiendrons les suivantes.
En station debout Il s’agit de tests de flexion antérieure du tronc dans trois positions : pieds parallèles à l’axe antéro-postérieur, pointe des pieds vers l’intérieur et pointe des pieds vers l’extérieur. La douleur reproduite sera plus précoce et plus intense si les pieds sont en rotation médiale (manœuvre de sensibilisation), et retardée voire absente si la flexion a lieu avec les pieds en rotation externe (15).
En station assise Il s’agir de la manœuvre de Pace et Nagle (16). Le patient est assis sur la table d’examen, jambes pendantes, genoux fléchis à 90°. L’examinateur teste l’abduction active résistée et prolongée en plaçant ses mains à la face externe des genoux du patient. La manœuvre est positive si la douleur est reproduite.
En décubitus ventral La mise en adduction et en rotation médiale du membre inférieur genou fléchi déclenche la douleur glutéale homolatérale accompagnée dans certains cas des irradiations.
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En décubitus dorsal C’est la manœuvre de Freiberg. Elle consiste, sur un patient en décubitus dorsal, membre inférieur en extension, à placer ce membre en adduction-rotation interne, ce qui met en tension le muscle contre le bord supérieur du ligament sacro-tubéral, et entraîne la compression du nerf ischiatique contre le bord inférieur du muscle. La manœuvre est positive si la douleur glutéale et ses irradiations sont reproduites. Elle est parfois utilisée en association avec l’EMG pour confirmer l’atteinte tronculaire à ce niveau.
En décubitus latéral La manœuvre de Beatty (17) met le muscle en course externe. Pour cela, on place le patient en décubitus latéral du côté non symptomatique, le membre inférieur allongé. La cuisse du côté symptomatique est fléchie, le genou venant reposer sur la table afin d’obtenir une adduction, la cheville reposant sur l’autre jambe. On demande alors au patient d’élever ce membre dans un mouvement d’abductionrotation externe contre résistance et de le maintenir quelques centimètres au-dessus de la table. Si la douleur est reproduite, la manœuvre est positive. Ce test est proche du FAIR test (Flexion-Adduction-Internal Rotation) décrit par Fishman (18, 19) où, à partir de la même position, il est demandé au patient de remonter la jambe le long du membre controlatéral.
Signes négatifs Les signes négatifs sont également importants, avec en particulier une mobilité du rachis et de la coxofémorale normales. Ceci est à nuancer dans la mesure où certaines douleurs du piriforme sont en rapport avec des cordons myalgiques au sein de ce muscle liés à un syndrome cellulo-ténopériosto-myalgique (R. Maigne) d’origine lombo-sacrée L4-L5 ou L5-S1 (14). Il conviendra de faire un examen clinique soigneux à la recherche de cette atteinte rachidienne (antécédents rachidiens, douleur, raideur, etc.). Il peut exister des signes déficitaires ou des troubles sensitifs dans le territoire sciatique. En revanche, le signe de Lasègue n’est pas discriminant, étant présent dans certaines séries et même considéré par certains comme un test diagnostique, surtout lorsque la douleur déclenchée par cette manœuvre est soulagée en mettant le membre en rotation externe et plus intense et/ou plus précoce en mettant le membre en rotation interne (15). La pelvispondylite est une cause connue de douleurs glutéales irradiant vers la cuisse, de même que les atteintes arthrosiques ou traumatiques des sacro-iliaques. Les atteintes infectieuses et néoplasiques seront suspectées devant un tableau associant altération de l’état général, hyperthermie, antécédents évocateurs et sciatalgies.
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Examens complémentaires Radiographie La radiographie simple du bassin et des hanches est un préalable indispensable. Elle permet l’étude du cadre osseux, des régions ischiatiques, des articulations sacro-iliaques et du sacrum à la recherche d’une ostéolyse pelvienne, d’une fracture, d’une atteinte sacro-iliaque ou d’ossifications ectopiques. Elle est aussi nécessaire en cas d’antécédent chirurgical pelvien (clips) et d’arthroplastie de hanche.
Échographie La région des foramens supra- et infrapiriformes est profonde et d’exploration difficile. Le nerf sciatique peut être suivi sur son trajet après sa sortie de l’échancrure sciatique jusqu’au tiers supérieur de la cuisse. S’il est facilement repéré dans la région ischiatique, son étude est plus difficile à hauteur de la fesse.
Scanner-IRM Un scanner pelvien peut être réalisé en cas d’orientation clinique en faveur d’une atteinte du muscle piriforme. Elle permet l’étude de l’anatomie locale, des limites osseuses et musculaires des foramens supra et infrapiriformes et du nerf sciatique sur tout son trajet. Elle recherche une variante anatomique, comme par exemple une augmentation de volume du piriforme qui peut être plus volumineux que le muscle controlatéral et refouler le nerf sciatique en avant, ou bien un muscle piriforme bipartite. Kouvalchouk a décrit le cas d’un marathonien dont le scanner pelvien avait révélé une hypertrophie du piriforme du côté symptomatique. Si le scanner n’est pas le meilleur examen pour la mise en évidence de l’hypertrophie musculaire, la bonne visualisation des articulations sacro-iliaques permet d’éliminer toute atteinte de celles-ci. L’IRM permettra d’éliminer une tumeur intramusculaire dans la mesure où la masse décelée est homogène et de même signal que le muscle controlatéral. L’IRM peut également mettre en évidence un processus expansif, une masse du petit bassin, une localisation secondaire, une myosite, une localisation extrapelvienne d’endométriose, ou des dilatations variqueuses des veines glutéales, rapportées dans la littérature comme des causes exceptionnelles de syndrome du piriforme (20).
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Électrophysiologie La mise en évidence d’un syndrome canalaire nécessite une stimulation en amont et en aval de la compression pour objectiver une diminution des vitesses de conduction sensitive ou motrice, ce qui est très difficile voire impossible dans un syndrome canalaire proximal comme celui du foramen intrapiriforme. L’électromyographie de détection est un moyen de détourner ce problème (21).
Diagnostic différentiel Une douleur fessière irradiant à la cuisse, voire au mollet, conduit à envisager de nombreux diagnostics entre les différentes causes de sciatique radiculaire ou tronculaire et les douleurs pseudo-radiculaires (14). Des arguments cliniques comme une lombalgie, une raideur rachidienne, une impulsivité aux efforts, des antécédents rachidiens vont orienter vers une cause rachidienne. En revanche, la survenue élective de la douleur en station assise doit faire évoquer une pathologie glutéale en l’absence de signes rachidiens. Un antécédent chirurgical de la hanche ou du pelvis, un traumatisme du bassin feront rechercher une pathologie glutéale profonde. Un contexte néoplasique, pelvien ou non, une altération de l’état général devront conduire à explorer le bassin et le rachis à la recherche d’une métastase ou d’une extension locorégionale. La pratique de coupes explorant les sacro-iliaques lors d’une TDM lombaire et de coupes en IRM devrait permettre la découverte plus rapide de causes extrarachidiennes (22). Le muscle obturateur interne s’est révélé être la cause d’une compression du nerf sciatique chez 6 patients opérés pour un syndrome du piriforme, sans anomalie retrouvée au niveau de ce muscle ou du foramen infrapiriforme (23). Une arthropathie sacro-iliaque, une tendinopathie des ischio-jambiers, une bursite ischiatique ou obturatrice interne, une pyomyosite de l’obturateur interne ou d’un autre muscle de la région glutéale profonde peuvent également être la cause d’une douleur fessière et de la face postérieure de la cuisse.
Traitement Le traitement d’un syndrome du canal infrapiriforme est fonction de son étiologie. Le traitement est essentiellement conservateur et comporte la suppression des facteurs favorisants, les étirements du muscle et les infiltrations. S’il s’agit d’un syndrome du piriforme imputable à une pathologie fonctionnelle du muscle, le traitement sera en premier lieu symptomatique par antalgiques, myorelaxants et kinésithérapie comportant massages, physiothérapie et surtout étirements du muscle.
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Correction des facteurs favorisants Il convient tout d’abord de limiter la durée des positions qui déclenchent la douleur : positions assises prolongées, positions qui mettent en tension le muscle piriforme (flexion, rotation médiale et adduction des hanches) et corriger un éventuel flessum de hanche. En pathologie sportive, les impératifs sont : repos sportif et correction de toute technopathie (course sur terrain plus souple, modification de la position sur le vélo, selle moins traumatisante, etc.), puis, dans un but préventif, des étirements du muscle seront conseillés avant et après l’effort.
Massages et étirements Ces techniques sont l’élément essentiel du traitement conservateur. Elles seront initiées par le médecin-rééducateur ou le kinésithérapeute puis réalisées régulièrement par le patient lui-même. Elles permettent de lutter contre la contracture et de redonner au patient une bonne sensibilité kinesthésique de la région glutéale. Les techniques sont variées, cependant les résultats restent inconstants du fait de la profondeur du muscle. Seules les manœuvres de massages portant sur la portion externe et sur le tendon sont réalisables et efficaces. Travell et Simons (10) préconisent la technique du « spray and stretch » (application de froid suivie d’un étirement et compression digitale sur le « trigger point » ou pointgâchette).
Étirements passifs avec mise en tension Il s’agit de la mise en tension progressive du muscle piriforme en associant une flexion, adduction et rotation médiale de la hanche du côté atteint. La durée de l’étirement ne doit pas dépasser 30 secondes ; et l’exercice doit être répété 5 à 10 fois. Kouvalchouk (5) a proposé la technique suivante. Le patient est assis par terre, membre inférieur gauche allongé (pour une atteinte du côté droit), pied droit placé à la face latérale du genou gauche. Le buste est tourné vers la droite de telle façon que le coude gauche vienne se placer à l’extérieur du genou droit. Cette position est maintenue pendant l’inspiration. Au cours de l’expiration, l’étirement est augmenté en poussant le genou droit vers le dedans. Barton (24) a gardé les mêmes principes le patient étant debout, pied droit posé sur un tabouret.
Manœuvres myotensives Trois manœuvres peuvent être utilisées (décrites pour une atteinte du piriforme droit).
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Patient en décubitus ventral, hanche du côté à traiter en adduction, genou fléchi à 90° Le praticien, placé du côté à traiter, à hauteur de la hanche du patient, imprime avec sa main gauche une rotation médiale de la hanche jusqu’à ressentir la mise en tension du muscle. Il demande au patient d’effectuer le mouvement inverse contre la résistance de sa main gauche appliquée à hauteur de la malléole tibiale. La contraction est maintenue 5 secondes, puis la position est maintenue 3-4 secondes après afin de permettre aux fibres musculaires de se relâcher. Le praticien cherche alors à obtenir une nouvelle mise en tension lors d’une nouvelle rotation médiale de la hanche et recommence la même procédure. La manoeuvre est renouvelée de 4 à 6 fois.
Patient en décubitus dorsal, hanche fléchie à 90° Le praticien est placé du côté atteint. De sa main gauche placée sur la face latérale du genou, il imprime un mouvement d’adduction lente jusqu’à la sensation d’étirement du piriforme et, de sa main droite, il porte le pied droit du patient vers l’extérieur (rotation médiale), jusqu’à ressentir une nouvelle mise en tension. Le piriforme est ainsi mis en tension maximale relative. Le praticien demande au patient de faire une abduction de cuisse contre la résistance de la main gauche du praticien pendant 5 secondes. À la fin du relâchement total, le praticien effectue une nouvelle adduction et rotation médiale, puis recommence la même procédure 4 à 6 fois (15).
Patient en décubitus dorsal, praticien debout, du côté gauche de la table, à hauteur du bassin Le praticien saisit le genou droit du patient, le fléchit, et l’amène dans son creux axillaire droit. Il place les doigts de sa main droite à la partie latérale du muscle piriforme, près du grand trochanter. Il glisse son avant-bras gauche sous la jambe droite du patient et pose sa main sur la face latérale de son avant-bras droit. La mise en tension du muscle s’effectue en portant la cuisse droite du patient en adduction et en rotation médiale, jusqu’à perception de la tension du muscle sous ses doigts. La manœuvre consiste à demander au patient d’effectuer une abduction contre résistance pendant 3-4 secondes, de relâcher, puis d’obtenir une nouvelle mise en tension du piriforme en allongeant légèrement le membre inférieur droit du patient associé à une nouvelle adduction et rotation médiale (25). Les auto-étirements passifs du muscle piriforme sont des manœuvres préconisées au patient à réaliser régulièrement (11).
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Infiltrations Hormis les cas où une compression du nerf ischiatique avec signes déficitaires peut conduire à un traitement chirurgical sans délai, des infiltrations cortisonées et/ou anesthésiques peuvent être proposées, guidées par la clinique et l’imagerie (scanographie, échographie, voire résonance magnétique). Depuis les études de Pace et Nagel (16), les infiltrations locales de corticoïdes sont souvent utilisées en complément des techniques manuelles. La procédure consiste à repérer le muscle, à injecter un anesthésique local, et voir si la douleur disparaît. Si ce test est positif, et en l’absence de paresthésies ou de déficit dans le territoire ischiatique, on procède à l’injection du corticoïde.
Injection de toxine botulinique Dans les cas rebelles, des injections de toxine botulinique sont utilisées. Le but est d’obtenir une relaxation musculaire durable par dénervation chimique temporaire. L’injection sera d’autant plus efficace qu’elle sera faite au plus près de la plaque motrice. Les protocoles d’études utilisent deux types de toxines de type A. Elles provoquent une paralysie transitoire. La récupération progressive limite l’inhibition motrice à quelques semaines ou quelques mois (26). Des injections itératives peuvent être nécessaires selon la durée d’effet. Les effets indésirables sont rares et bénins le plus souvent (douleur locale, hématome au point d’injection, anesthésie passagère, vertiges, syndrome pseudo-grippal, troubles digestifs), les complications graves étant exceptionnelles (27, 28).
Traitement chirurgical Les explorations chirurgicales ont apporté des explications quant à la physiopathologie de ce syndrome (5). Elles mettaient en évidence la compression du nerf ischiatique et sa cause (29). La chirurgie ne doit être envisagée qu’après certitude du diagnostic et échec des traitements médicaux bien conduits. Elle consiste en une ténotomie du piriforme au niveau du grand trochanter et une neurolyse du nerf ischiatique et/ou de ses branches en cas d’anomalies de division. Certaines variations anatomiques ont été ainsi révélées : anomalies de division du nerf ischiatique (5), anomalies morphologiques du muscle piriforme (9), présence d’une bandelette fibreuse cravatant le nerf (30), anévrismes de la face profonde du muscle piriforme (31).
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Discussion – Conclusion Le syndrome du muscle piriforme est encore mal connu. Certaines atteintes peuvent être à l’origine d’une contracture du piriforme. En particulier, les atteintes sacro-iliaques, coxo-fémorales et principalement les atteintes rachidiennes lombo-sacrées L4-L5 et surtout L5-S1 dont la contracture du piriforme est constante comme cela a été décrit par R. Maigne. Ce muscle est d’innervation surtout S1, ce qui explique la présence d’une contracture lors des atteintes S1, qu’elles soient latentes, aiguës ou séquellaires. Le syndrome du muscle piriforme comporte une douleur glutéale, et des signes d’atteinte du nerf ischiatique par souffrance locale. Cette irradiation correspond soit à une atteinte du tronc ischiatique, soit à une atteinte d’une de ses branches, le plus souvent dans le territoire du nerf fibulaire commun, en raison d’une division très haute du nerf ischiatique. Le tronc du nerf fibulaire commun passe alors au-dessus ou à travers le muscle piriforme, qui comprime ce nerf en cas de contracture. Il convient de rechercher les causes favorisantes de ce syndrome par un examen clinique rigoureux utilisant les manœuvres spécifiques de sensibilisation. Ce syndrome est probablement favorisé par certaines variations anatomiques du muscle piriforme et du nerf ischiatique, qui sont difficiles à mettre en évidence. Il est nécessaire d’éliminer les radiculalgies d’origine discale et les pathologies coxofémorales, qui donnent également des douleurs glutéales. L’apport des examens complémentaires permet d’affirmer le diagnostic et d’éliminer d’autres causes de ces douleurs. Le traitement dépend des données cliniques et de l’intensité de la douleur. Les étirements, les manœuvres myotensives et les techniques d’auto-étirements spécifiques sont à envisager en première intention. En cas d’échec, des infiltrations anesthésiques et de cortisones doivent être proposées, voire, éventuellement, des injections intramusculaires de toxine botulinique qui ont ont une efficacité meilleure et plus durable. La chirurgie sera réservée aux patients ayant un syndrome du piriforme rebelle à tous les traitements médicaux.
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Syndrome du piriforme
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Pubalgie du sportif H. Petit, A. Jean-Étienne, S. Dubeau, T. Delmeule, P. Middleton et P. Dehail
Introduction La pubalgie reste par définition un syndrome, défini par la présence d’une douleur de la région pubienne, pouvant correspondre à de multiples étiologies. Ces douleurs sont fréquentes chez les sportifs mais il n’existe pas de consensus concernant le démembrement de ce syndrome, dont les dénominations restent très variables dans la littérature (pubalgie, hernie du sportif, osteitis pubis, groin pain, adductor muscle strain, etc.). De nombreux arguments plaident néanmoins pour regrouper, comme le propose Bouvard (1), sous le terme de pubalgie du sportif, quatre affections, d’origine principalement micro-traumatique : – pubalgie par insuffisance pariéto-abdominale ; – ostéo-arthropathie pubienne ; – tendinopathie d’insertion des adducteurs ; – tendinopathie d’insertion des grands droits abdominaux. Ces pathologies ont en effet une localisation proche, tout autour de la symphyse pubienne, qui joue le rôle d’un véritable carrefour anatomique et fonctionnel. Elles surviennent dans un cadre commun, constitué de sollicitations mécaniques de la région pubienne, du fait de la pratique de sports comprenant des changements d’appuis au sol et/ou des frappes du pied. Par ailleurs, ces quatre affections sont souvent intriquées chez le sportif, même si elles peuvent survenir de façon isolée.
Physiopathologie La pubalgie du sportif, initialement décrite chez les escrimeurs, a ensuite été rapportée au cours de la pratique de multiples sports. Elle est néanmoins plus fréquente chez les footballeurs, rugbymen, basketteurs et hockeyeurs. Bien que sa physiopathologie reste très débattue, la principale hypothèse est qu’elle est liée aux surcharges mécaniques en cisaillement de la symphyse pubienne, principalement provoquées par les changements d’appuis et de direction de course ainsi que par les frappes du pied (2). S. Bendaya et al., Réflexions autour du bassin © Springer-Verlag France, Paris 2011
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Cette surcharge mécanique déclenche de façon isolée ou associée des tendinopathies de proximité touchant le plus souvent le long adducteur et les grands droits abdominaux, une inflammation et une ostéolyse de la symphyse pubienne, une inflammation ou des lésions de l’insertion basse des obliques abdominaux et du fascia transversalis. De nombreux facteurs favorisants ont été décrits : – extrinsèques : geste technique mal coordonné, jeu sur surface humide ou synthétique, crampons inadaptés, augmentation brutale de la charge d’entraînement ; – intrinsèques : le morphotype en antéversion du bassin avec hyperlordose lombaire et rétraction des chaînes musculaires antérieures des membres inférieurs augmente les contraintes sur la symphyse pubienne (3, 4), on peut en rapprocher les pubalgies survenant chez des patients victimes d’une spondylolisthésis lombaire. Les raideurs de hanche, les différences de longueur des membres inférieurs, ainsi que les restrictions de mobilité des articulations sacro-iliaques, ont également été accusées de majorer les contraintes symphysaires (2, 5). La conception classique considère que le principal déséquilibre musculaire favorisant la pubalgie est la faiblesse des abdominaux, notamment obliques, contrastant avec des adducteurs puissants et rétractés. Pour Rochcongar (6), les programmes de correction (renforcement des abdominaux et étirements des adducteurs) proposés à la suite de cette hypothèse physiopathologique ont permis une nette réduction de la fréquence des pubalgies chez le footballeur de haut niveau. Néanmoins, les travaux plus récents de Tyler (7, 8), réalisés chez des hockeyeurs professionnels, ont montré que le principal facteur de risque de survenue de lésion des adducteurs (adductor muscle strain) était la faiblesse des adducteurs, alors que leur manque de souplesse n’intervenait pas. De plus, la correction de cette faiblesse permet de réduire l’incidence de survenue de ces lésions. On peut donc considérer qu’il manque des preuves scientifiques en faveur de l’efficacité des étirements des adducteurs, alors que le renforcement musculaire (adducteurs et abdominaux) semble avoir un effet de prévention primaire et secondaire (chez le sportif ayant déjà été blessé).
Examen clinique Diagnostic positif L’interrogatoire doit faire décrire le site de la douleur et les circonstances de sa survenue (lien avec les gestes sportifs, caractère inflammatoire nocturne dans les formes évoluées, déclenchement positionnel, impulsivité et déclenchement lors des rapports sexuels pour les formes pariéto-abdominales). L’examen clinique doit s’attacher pour les deux formes tendineuses à retrouver des douleurs à la palpation des tendons (au-dessus de la symphyse pour les grands droits abdominaux et palpation des tendons adducteurs, notamment du tendon commun du long adducteur et du gracile qui est le plus superficiel), à l’étirement des muscles grands droits abdominaux et adducteurs, et à la contraction résistée de ces mêmes muscles (en décubitus dorsal, relever du tronc jambes fléchies pour les grands droits abdominaux,
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adduction jambe tendue pour les adducteurs, puis jambe fléchie qui détend le long adducteur, le petit adducteur et le gracile et teste donc préférentiellement le grand adducteur). Pour les formes ostéo-articulaires, il faut rechercher principalement une douleur à la palpation de la symphyse, en décubitus pour sa face antérieure, sujet en position assise et penché en avant pour sa face supérieure et postéro-supérieure. Pour les formes pariéto-abdominales, le temps essentiel de l’examen est le toucher scrotal, où l’on réalise une palpation comparative du canal inguinal avec recherche d’un élargissement, de hernies (très rares) et repérage de douleurs palpatoires rappelant au patient ses douleurs habituelles. La contraction résistée des muscles obliques abdominaux n’est que rarement algique dans ces formes. Enfin, le signe de Malgaigne (voussure située au-dessus de l’arcade crurale lorsque le sujet contracte ses abdominaux ou gonfle le ventre) est un argument en faveur d’une faiblesse de la paroi abdominale.
Diagnostics différentiels Les trois plus fréquents sont : les pathologies de hanche, le syndrome de Maigne avec dérangement intervertébral T12-L1 et projection douloureuse périsymphysaire, les pathologies neurologiques canalaires (nerf obturateur notamment). L’examen clinique du rachis, de la hanche et de la sensibilité cutanée locale est donc impératif. Les autres diagnostics différentiels comprennent notamment les fractures de fatigue du pubis, les autres tendinopathies et bursites régionales, la chondrocalcinose symphysaire, les infections symphysaires, les rhumatismes inflammatoires et les pathologies tumorales.
Recherche de facteurs favorisants extrinsèques C’est principalement un temps d’interrogatoire, à la recherche d’une augmentation de la charge d’entraînement, d’un changement de surface de jeu ou de matériel (crampons notamment), voire d’un défaut de technique.
Recherche de facteurs favorisants intrinsèques L’examen clinique va devoir repérer les facteurs incriminés dans la surcharge mécanique de la région pubienne, surtout s’ils sont curables. Il s’agit principalement des troubles de la statique rachidienne et du bassin (majoration de la lordose lombaire, différence de longueur des membres inférieurs surtout), de limitations d’amplitudes articulaires (hanches particulièrement, articulations sacro-iliaques), de rétractions musculo-tendineuses (droit fémoral et psoas surtout, adducteurs), de faiblesses musculaires (abdominaux droits, obliques, transverse-adducteurs-moyen fessier et rotateurs de hanche).
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Examens complémentaires Ces examens ne sont pas nécessaires dans les formes cliniquement typiques et bénignes. Dans les autres cas, l’association d’une radiographie du bassin avec cliché centré sur la symphyse et d’une échographie avec sonde à haute fréquence permet dans la plupart des cas de retenir un diagnostic positif, d’éliminer les principaux diagnostics différentiels et de guider le traitement initial (9). La radiographie va en effet permettre de rechercher les stigmates d’une pubalgie à forme ostéo-articulaire, constitués d’un élargissement de l’interligne symphysaire, avec images d’ostéolyse, de géodes ouvertes ou fermées dans l’articulation, puis de sclérose des berges avec images de reconstruction osseuse, il faut néanmoins savoir que de telles images sont parfois de découverte fortuite chez le sportif, en l’absence de toute plainte clinique. La recherche d’une instabilité symphysaire sur des clichés du bassin réalisés en appui monopodal n’a jamais été validée. L’échographie va explorer les tendons mais aussi la paroi abdominale et ce de façon dynamique grâce aux manœuvres de Valsalva, qui permettent de démasquer un élargissement de l’orifice inguinal et/ou une pathologie herniaire. En cas de persistance d’un doute concernant le diagnostic ou l’indication thérapeutique, notamment chirurgicale, une IRM sera indiquée. Cette dernière permet l’exploration complète de la région, elle repèrera notamment les phénomènes œdémateux osseux périsymphysaires, témoins d’une pubalgie à forme ostéo-articulaire non visible sur les autres examens, elle permettra également l’exploration des tendons et la recherche de fissurations du tissu fibreux symphysaire et des tendons adducteurs (signe de la double fente), ainsi que l’analyse de la paroi abdominale et des hanches.
Traitement médical Repos sportif Total au départ pour les formes aiguës, il évolue ensuite vers une éviction des gestes nocifs avec reprise d’activités non douloureuses (course à pied, cyclisme). On propose en général un arrêt sportif de 2 mois dans les formes pariéto-abdominales et de 1 à 3 mois dans les formes tendineuses, dans les formes ostéo-articulaires cet arrêt est extrêmement variable et peut atteindre 6 à 8 mois.
Traitement anti-inflammatoire Il reste très utilisé en pratique à titre symptomatique sous forme de cures d’antiinflammatoires non stéroïdiens de 2 à 3 semaines. Pour les formes ostéo-articulaires, certains auteurs proposent des cures courtes de cortico-stéroïdes per os sur 10 jours. Les indications d’infiltrations ne sont pas consensuelles (6), elles sont utilisées pour les tendinopathies des adducteurs résistantes au traitement médical, et sous contrôle radioscopique au niveau symphysaire, pour les formes ostéo-articulaires avec inflammation persistante à l’IRM.
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Rééducation Elle est utilisée dès que la phase initiale algique et inflammatoire est dépassée. Les objectifs de cette rééducation sont : – de raccourcir les délais d’évolution des tendinopathies ; il a en effet été montré qu’un programme actif était plus efficace que le repos et les étirements passifs dans ce cadre (10) ; – de corriger les facteurs de risque intrinsèques cités dans les paragraphes précédents. Les moyens utilisés pour les tendinopathies sont la physiothérapie à type d’ultrasons et d’ondes de choc, les massages transverses profonds, les étirements et le renforcement progressif à partir des principes du protocole excentrique de Stanish (11, 12). En fin de programme, des techniques de Kabat peuvent être utiles. Pour les formes pariéto-abdominale et ostéo-articulaire, le renforcement abdominal, notamment des obliques abdominaux, est abondamment utilisé, à condition d’être indolore et en position corrigée, sans lordose lombaire, il est à associer à des techniques de gainage et à l’assouplissement des chaînes musculaires antérieures sous-pelviennes. Par ailleurs, tous les facteurs de risque repérés à l’examen clinique initial doivent être corrigés : limitations d’amplitudes articulaires, faiblesses musculaires, rétractions musculo-tendineuses, troubles posturaux, en tenant compte des anomalies propres au patient, plutôt qu’en appliquant des protocoles standardisés. Des programmes plus globaux ont été proposés en complément à l’approche analytique décrite ci dessus, comme le protocole de Pau-Toronto (13). Ce protocole cherche à améliorer l’équilibre du sportif, sa posture et l’efficacité de ses muscles stabilisateurs du bassin, il repose sur des exercices de renforcement isométrique des muscles périarticulaires de hanche, avec rétrocontrôle visuel et manuel du patient sur sa position, en appui monopodal. Vidalin (12) propose également des exercices de mobilisation contrôlée du bassin en appui monopodal et de glissé contrôlé dit mouvement de « serpillière » (en appui bipodal, un membre reste fixe et l’autre glisse et écrase le sol selon un trajet défini). La dernière phase de rééducation comprend une reprogrammation neuro-musculaire des gestes sportifs et une reprise progressive. Le traitement médical donne globalement, selon les séries, entre 70 et 85 % de bons résultats, il est moins efficace dans les formes pariéto-abdominales.
Traitement chirurgical Le traitement chirurgical est très efficace pour les formes pariéto-abdominales, qui résistent souvent au traitement médical. Chez le sportif de haut niveau, dans le cas d’une forme pariéto-abdominale pure, ou mixte prouvée, on utilise la chirurgie si le repos et les soins de rééducation utilisés pendant 2 mois ne permettent pas la reprise sportive. Les deux techniques chirurgicales les plus utilisées en France (14, 15) sont les techniques de : – Nésovic, dont le principe est une mise en tension bilatérale des muscles larges de l’abdomen par un abaissement sur l’arcade crurale ;
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– Shouldice, dont le principe est de lutter contre l’élargissement du canal inguinal à l’aide d’une suture en trois plans : fascia transversalis retendu en paletot, suture entre arcade crurale et tendon conjoint, fermeture de l’aponévrose du grand oblique. Les résultats obtenus sont bons ou très bons dans 80 à 90 % des cas. Pour les tendinopathies rebelles des adducteurs, le traitement proposé est une désinsertion du tendon du long adducteur, cette technique est utilisée soit en association aux techniques abdominales dans le cadre de formes mixtes de pubalgie, soit de façon isolée (15). Il n’y a pas de chirurgie spécifique efficace pour les formes ostéo-articulaires, et les patients opérés pour forme mixte doivent être informés que leur douleur ostéo-articulaire régressera moins rapidement que leur douleur pariéto-abdominale. Les tendinopathies des grands droits réagissent bien au traitement médical et ne nécessitent pas de geste chirurgical.
Remerciements Les auteurs remercient le Dr G. Reboul pour ses conseils.
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Douleurs périnéales A.-M. Leroi
Introduction Les douleurs périnéales sont un motif fréquent de consultation dans les centres anti-douleurs (4-5 % des consultations). La première étape dans l’exploration de ces douleurs repose sur l’élimination d’une pathologie organique à l’aide d’examens radiologiques, endoscopiques, cytologiques, etc. orientés en fonction de la symptomatologie présentée par le patient. Il ne faut pas hésiter à renouveler éventuellement ces examens si la symptomatologie se modifie ou s’aggrave dans le temps. La seconde étape repose sur l’interrogatoire et l’examen clinique qui permettront d’orienter vers une origine neurologique, myofasciale ou ostéo-ligamentaire.
Douleurs d’origine neurologique : les névralgies pudendales, ilio-inguinales, ilio-hypogastriques et génito-fémorales Les douleurs neurogènes ont deux caractéristiques : elles correspondent à un territoire d’innervation et elles se traduisent par des paresthésies (picotements, engourdissements, fourmillements, pelote d’aiguilles, etc.), des décharges électriques ou des brûlures. Le patient peut également signaler une allodynie. L’existence de dysesthésies au contact (contact qui déclenche des sensations désagréables), d’une hypoesthésie au piquer-toucher ou au chaud-froid est très évocatrice de douleurs neurogènes. Les névralgies pudendales correspondent à une douleur d’origine neurologique sur le territoire du nerf pudendal. Il peut s’agir d’une atteinte radiculaire, plexique ou tronculaire. Les lésions radiculaires sont observées en cas de syndrome de la queue de cheval, de canal lombaire étroit, de fracture ou de tumeur du sacrum. Les lésions plexiques (siégeant au niveau du plexus pudendal) ont été décrites après amputation du rectum, hystérectomie élargie, accouchement difficile avec délivrance par forceps, ou étirement sur table de chirurgie orthopédique. Les lésions tronculaires sont secondaires à une compression du nerf pudendal, à des lésions d’étirement ou à d’autres causes toxiques, infectieuses, métaboliques responsables de polyneuropathie. S. Bendaya et al., Réflexions autour du bassin © Springer-Verlag France, Paris 2011
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Dans le syndrome du canal d’Alcock, le nerf pudendal est comprimé dans son passage au travers du dédoublement aponévrotique de l’obturateur interne ou au niveau de l’épine sciatique entre le ligament sacro-épineux et sacro-tubéral. Les critères indispensables au diagnostic de syndrome canalaire du nerf pudendal ou de névralgie pudendale d’origine compressive (critères de Nantes) (1) sont : – douleur située dans le territoire anatomique du nerf pudendal (de l’anus à la verge ou au clitoris) ; – douleur prédominant en position assise alors que les patients sont soulagés lorsqu’ils sont assis sur le siège des toilettes ; – douleur ne réveillant pas la nuit ; – absence de déficit sensitif objectif. Devant tout déficit sensitif superficiel périnéal, il faudra évoquer avant tout une atteinte lésionnelle radiculaire sacrée (syndrome de la queue de cheval) ou plexique sacrée ; – soulagement des douleurs après la réalisation d’une infiltration anesthésique du nerf pudendal. Le tableau I récapitule les principales névralgies entraînant des manifestations douloureuses périnéales, en dehors de la névralgie pudendale (2). Tableau I – Principales névralgies entraînant des manifestations douloureuses périnéales Nerf Ilio-inguinal
Racines D12-L1
Ilio-hypogastrique D12-L1 Génito-fémoral
L1-L2
Fémoro-cutané latéral
L2-L3
Innervation motrice Oblique interne Transverse Oblique interne Transverse Portion latérale du bulbo-caverneux Aucune
Innervation sensitive Partie supéro-médiane de cuisse – racine du pénis – partie supérieure du scrotum – mont de Vénus – grande lèvre Partie supéro-latérale de cuisse – région pubienne Partie supérieure et médiale de cuisse – grande lèvre – scrotum Partie latérale et antérieure de cuisse
Le diagnostic de ces névralgies est essentiellement clinique. L’électromyogramme de détection peut retrouver des signes de dénervation dans les muscles striés dépendant d’un territoire somatique. L’étude des latences distales motrices et des mesures de conductions nerveuses motrices et sensitives n’est pas facilitée par la localisation pelvienne. L’étude des potentiels évoqués somesthésiques est relativement peu sensible dans les atteintes sensitives périphériques. Dans les syndromes canalaires, les explorations électrophysiologiques permettront soit d’évoquer une autre origine aux douleurs périnéales du patient (atteinte radiculaire, plexique), soit de donner des facteurs prédictifs avant une intervention de décompression du nerf pudendal (1).
Douleurs myofasciales Le syndrome myofascial est défini par un syndrome douloureux musculaire avec faiblesse motrice, corde musculaire tendue, point gâchette et douleur référée. Il serait dû
Douleurs périnéales
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à un dysfonctionnement neuro-musculaire localisé, entraînant une sensibilisation des nocicepteurs de voisinage. La douleur myofasciale s’exprime par une douleur régionale complexe, mais reproductible à l’examen clinique (3). Peuvent être responsables de douleurs pelviennes, l’élévateur de l’anus, le muscle piriforme, le muscle obturateur interne, le psoas, le droit fémoral, le transverse profond. Le diagnostic est essentiellement clinique mais il convient de rechercher une cause irritative locale en s’aidant de l’imagerie. Les douleurs d’origine myofasciale ont les caractéristiques suivantes : – elles sont déclenchées par le mouvement, le changement de position, la mise en tension des muscles abdominaux ; – existence d’un point douloureux gâchette au sein d’un muscle.
Douleurs ostéo-ligamentaires Le syndrome de la charnière dorso-lombaire est dû à une irritation des nerfs rachidiens D12 et L1 qui émergent du rachis au niveau de la charnière dorso-lombaire. Ces deux nerfs innervent par leur branche antérieure, les plans cutanés de la région abdominale inférieure, la face interne des cuisses à leur partie supérieure, les grandes lèvres ou le scrotum, le pubis. De chacune des branches antérieures se détache, à la verticale du trochanter, un rameau cutané perforant latéral qui innerve la peau de la partie superoexterne de la cuisse (fig. 1). Les rameaux cutanés de leur branche postérieure innervent les plans cutanés de la région lombaire inférieure et de la partie supérieure des fesses (4).
Fig. 1 – Les douleurs projetées à partir de la charnière dorso-lombaire occupent le territoire cutané de ces nerfs qui est le siège d’une cellulalgie réflexe. Mais ces douleurs sont ressenties comme des douleurs profondes : lombalgie (branche postérieure), douleur pseudo-viscérale et de l’aine (branche antérieure), douleur pseudo-trochantérienne (rameau perforant). La cause habituelle est un dérangement intervertébral mineur d’un segment de la charnière dorso-lombaire (d'après Pr Maigne).
La manifestation la plus fréquente du syndrome de la charnière dorso-lombaire est une lombalgie basse simulant une lombalgie d’origine lombo-sacrée ou sacro-iliaque. Il peut également s’agir de douleurs abdominales basses pseudo-viscérales, ou de douleurs simulant une bursite trochantérienne ou plus rarement de douleur pubienne (5).
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L’examen clinique recherchera une douleur provoquée à la pression des épineuses, des manifestations cellulagiques (pincé-roulé douloureux dans le territoire des nerfs rachidiens), un point gâchette au niveau de la crête iliaque (trigger point). L’IRM permettra d’éliminer une cause de conflit au niveau D12-L1. La coccygodynie correspond à une douleur en position assise, strictement localisée au coccyx, reproduite par la pression du coccyx par voie externe ou lors du toucher rectal. Elle peut parfois être le témoin d’une instabilité coccygienne démasquée par les clichés dynamiques du coccyx (une instabilité supérieure à 25° entre position debout et assise étant considérée comme pathologique). Lorsque le coccyx reste stable, les douleurs peuvent être dues à une arthrose intercoccygienne ou une épine coccygienne.
Conclusion L’exploration des douleurs périnéales repose sur l’élimination d’une pathologie organique. Si ce type de pathologie a été éliminé, le diagnostic de ces douleurs est essentiellement clinique. Les explorations électrophysiologiques peuvent être utiles pour confirmer le diagnostic mais surtout apprécier la sévérité de la lésion neurologique.
Références 1. Labat JJ, Riant T, Robert R (2007) Critères diagnostiques d’une névralgie pudendale (critères de Nantes). Pelv Perineol 2: 65-70 2. Benson JT (1998) Neuropathic pain. In Chronic pelvic pain. An integrated approach. Eds Steege JF, Metzger DA, Levy BS. WB Saunders Company 3. Labat JJ, Guérineau M, Bensignor M, Robert R (1995) Composantes pariétales et musculosquelettiques des algies pelvi-périnéales. In : Pelvi-Périnéologie. Blanc B, Siproudhis L, eds. Springer-Verlag. 4. Maigne JY, Lazareth JP, Guérin-Surville H, Maigne R (1986) The lateral cutaneous branches of the dorsal rami of the thoraco lumbar junction. An anatomical study on 37 dissections. Surg Radio. Anat 8: 251-6 5. Maigne R (1981) Le syndrome de la charnière dorso-lombaire. Lombalgies basses, douleurs pseudo-viscérales, pseudo-douleurs de hanche, pseudo-tendinite des adducteurs. Sem Hôp Paris 57: 545-54
Anatomie et physiologie du système nerveux périphérique du bassin J.-P. Diverrez
Introduction Le muscle levator ani s’insère sur les éléments osseux du bassin : pubis en avant, coccyx en arrière et ischions. Il sépare le périnée du pelvis dont l’innervation est très différente : – l’innervation des muscles striés du périnée est assurée par les nerfs pudendaux qui comportent également des fibres sensitives cutanées et des fibres végétatives ; – le système nerveux végétatif est le seul mode d’innervation de la région pelvienne.
Anatomie Généralités (1) L’innervation du rectum et de l’anus se répartit en innervation intrinsèque et extrinsèque. L’innervation intrinsèque, ou système nerveux entérique, est formée de cellules organisées en réseaux entre les couches musculaires de la paroi de l’intestin et du rectum, le plexus de Meissner et le plexus d’Auerbach. – Le plexus myentérique d’Auerbach joue un rôle essentiel dans la motricité. Il se situe entre les deux couches musculeuses longitudinale et circulaire et envoie des prolongements aux ganglions entériques et à la muqueuse intestinale. – Le plexus myentérique de Meissner permet de percevoir de façon autonome la tension de l’intestin et son environnement biochimique. Il régule en retour les débits sanguins, la motricité, les sécrétions digestives et les transferts de fluide. Il se situe dans la sousmuqueuse et innerve les cellules de l’épithélium, les cellules endocrines, les vaisseaux et les ganglions sous-muqueux. Des communications entre les deux plexus permettent de coordonner les phénomènes de sécrétion et l’activité motrice. Les deux plexus sont connectés avec le système nerveux extrinsèque. L’innervation extrinsèque comporte les nerfs en connexion directe avec le système nerveux central. Elle comporte une innervation sensitivo-motrice et une innervation végétative. S. Bendaya et al., Réflexions autour du bassin © Springer-Verlag France, Paris 2011
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Innervation sympathique (2) Elle est issue d’un plexus intermésentérique provenant des racines T11 à L2 pour le rectum et L1 à L3 pour le canal anal. Ce plexus donne naissance aux deux nerfs hypogastriques situés en dedans des uretères et qui sont donc sous le fascia pariétal pelvien ou fascia de Waldeyer. Ces nerfs pelviens rejoignent le plexus hypogastrique inférieur et le périnée antérieur en progressant au niveau du fascia pelvien. Ils atteignent la partie basse du rectum au niveau de l’aponévrose de Denonvilliers ou à la base de la cloison recto-vaginale, au-dessous et en avant des ligaments latéraux du rectum.
Innervation parasympathique (2) Elle est issue des racines S2 à S4. Ces nerfs cheminent dans l’espace pelvi-rectal en dehors du fascia pariétal et au contact du fascia viscéral pelvien pour rejoindre le plexus hypogastrique d’où partent les plexus à destinée rectale (plexus rectal moyen), canalaire (plexus rectal inférieur), prostatique, vésical et utérin.
Innervation sensitivo-motrice Le sphincter externe et la marge sont innervés par le nerf rectal inférieur et le nerf pudendal (S2-S4). Au plan sensitif, la zone cutanée péri-anale est innervée par les racines S4 et au-delà, la région glutéale par S3 comme le scrotum. La contraction du scrotum est obtenue par la stimulation de la face interne de la cuisse (L1-L2) ou de la marge anale (S4).
Innervation du rectum et de l’anus (3) Le périnée comporte en arrière la région anale et en avant les organes génitaux externes et le méat urinaire. Entre ces deux structures siège le noyau fibreux central du périnée. Les éléments cutanés de cette région sont innervés par le nerf pudendal essentiellement et les nerfs voisins qui chevauchent son territoire expliquent l’absence habituelle de déficit neurologique sensitif dans les compressions tronculaires du nerf. En profondeur et entourés par leur fascia, se situent les sphincters striés de l’anus et de l’urètre et les muscles érecteurs (ischio-caverneux et bulbo-caverneux). Sur le noyau fibreux central s’insèrent en deux couches les muscles transverses superficiels et profonds. Les douleurs périnéales sont donc situées dans les régions cutanées qui correspondent au dermatome des racines sacrées au territoire du nerf pudendal. D’autres éléments nerveux partagent leur territoire d’innervation sensitive avec lui, le nerf génito-fémoral, l’ilio-inguinal, le nerf clunial inférieur et, plus accessoirement, le nerf obturateur.
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Cette trame nerveuse pluritronculaire explique les suppléances et donc le respect de la sensibilité dans le cadre des syndromes de souffrance tronculaire. Une anesthésie devra faire évoquer une souffrance radiculaire comme rencontrée dans le cadre des syndromes de la queue de cheval. Les deux sources principales des algies périnéales tronculaires tirent leur origine de deux régions différentes : – origine sacrale pour les algies pudendales et cluniales inférieures ; – origine thoraco-lombaire pour les autres troncs nerveux responsables. La souffrance pudendale est majorée par la position assise dans le cadre d’un syndrome canalaire ne réveillant pas le patient la nuit et s’accompagnant d’un examen neurologique normal. Les douleurs cluniales inférieures proviennent d’une souffrance du rameau périnéal de ce nerf et entraînent des douleurs latéro-anales, scrotales ou labiales. Le petit bassin contient les viscères uro-génitaux et le rectum qui sont innervés par le système végétatif. Les nerfs afférents se regroupent dans la condensation mésenchymateuse infrapéritonéale et supralévatorienne plus connue sous le terme de lames sacro-recto-génito-pubiennes. Les ganglions hypogastriques inférieurs reçoivent les différentes informations qu’ils transmettent au plexus hypogastrique supérieur de Hovelacque au niveau de la jonction L4-L5. Ces voies afférentes ne seraient qu’orthosympatiques. Les fibres remontent ensuite, utilisant les vaisseaux comme vecteurs jusqu’au rachis lombaire haut puis rejoignent les chaînes ganglionnaires latéro-vertébrales, empruntent les rameaux communicants pour gagner les racines somatiques et entrer avec elles dans la moelle spinale. Les nerfs érecteurs (racines S2, S3 et S4) sont essentiellement parasympathiques. Cependant, issus du plexus sacré par des racines communes avec celles du nerf pudendal, il est probable qu’ils servent aussi de vecteurs à la douleur végétative d’origine périnéale par le biais de fibres orthosympathiques centripètes. Les douleurs végétatives sont beaucoup moins nettes que les douleurs somatiques, prennent souvent la forme d’une douleur régionale profonde (sus-pubienne, rectale, vaginale, vésicale) et ne doivent pas orienter vers une pathologie d’organes. C’est dans la région glutéale que se situent les pinces ligamentaires menaçant le nerf pudendal qui peut par ailleurs subir des compressions dans le canal pudendal d’Alcock. C’est aussi dans cette région que les muscles pelvi-trochantériens et notamment l’obturateur interne, mais aussi et surtout le piriforme, se mettent en tension en réponse à une douleur, cette tension pouvant entraîner une souffrance des nerfs voisins (ischiatique et nerf cutané postérieur de la cuisse) expliquant certaines projections douloureuses accompagnant les douleurs périnéales ou pelviennes.
Innervation pelvi-périnéale On peut distinguer schématiquement deux grandes voies principales :
– celle des racines sacrées S2, S3, S4 principalement somatiques qui empruntent le trajet des nerfs pudendaux ;
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Réflexions autour du bassin
− celle du plexus hypogastrique inférieur neuro-végétative, sympathique et parasympathique.
Nerf pudendal Le nerf pudendal est un nerf mixte qui naît dans la cavité pelvienne à partir des 2e, 4e et surtout 3e racines sacrées au niveau de la face antérieure du muscle piriforme, puis il sort du pelvis par la grande échancrure ischiatique. Il passe alors dans la région glutéale où il fait un court trajet et revient dans le pelvis par la petite échancrure ischiatique et se prolonge dans la fosse ischio-rectale Il passe ainsi au-dessous du plancher pelvien ; il chemine entre l’élévateur au-dessus et le prolongement du ligament sacro-tubéreux au-dessous, puis dans le canal d’Alcock qui est un dédoublement de l’aponévrose du muscle obturateur interne. Il se termine enfin par trois branches : – le nerf dorsal du pénis ou du clitoris qui innerve la majeure partie de la peau du pénis ou du clitoris ; – le nerf périnéal qui comporte : • une branche superficielle qui innerve la peau du périnée postérieur au clitoris ; • une branche profonde qui innerve le sphincter strié de l’urètre le constrictor de la vulve et le bulbo-caverneux ; – le nerf rectal inférieur qui innerve la peau de la région périanale et des deux tiers inférieurs du canal anal, le sphincter anal externe et le muscle pubo-rectal. La zone cutanée innervée par le nerf pudendal est en forme de selle ou de triangle isocèle, au sommet arrondi, avec sa base en-dessous de l’anus et le sommet au-dessus des organes génitaux. La sensibilité du pubis du tiers antérieur des grandes lèvres passe par les branches génitales des nerfs génito-fémoraux, ilio-inguinaux et ilio-hypogastriques et le nerf clunial inférieur, qui est une branche du nerf cutané postérieur de la cuisse et qui participe à l’innervation de la région glutéale péri-anale et de la partie moyenne des grandes lèvres.
Plexus hypogastrique inférieur Le plexus hypogastrique inférieur est une lame per-réticulée, située dans la partie latérale du ligament utéro-sacral près du rectum et du fornix vaginal. Chaque plexus hypogastrique inférieur reçoit : – le nerf hypogastrique (sympathique) issu du plexus hypogastrique supérieur ; – les nerfs splanchniques sacraux (sympathiques) ; – et les nerfs splanchniques pelviens ou nerfs érecteurs (parasympathiques). Il ne contient pas de fibres somatiques. Il assure l’innervation des organes pelviens (situés au-dessus du plancher des muscles élévateurs) par trois plexus : le plexus utérovaginal destiné à l’utérus et au vagin, le plexus vésical destiné à la vessie et l’urètre et le plexus rectal moyen.
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Physiologie (4) L’appareil ano-rectal a une fonction de sas entre le moment où le côlon déverse une partie de son contenu dans l’ampoule rectale et le moment où l’individu décide de satisfaire son besoin exonérateur. La fonction ano-rectale a pour objectif de satisfaire les fonctions de continence et de défécation après que le côlon a expulsé son contenu dans le rectum. Les matières séjournent essentiellement dans le côlon, et le rectum est presque toujours vide, en dehors des moments où survient un besoin. Les mécanismes ano-rectaux de la continence ne sont donc que très peu sollicités puisque le rectum est le plus souvent vide, et la continence est donc essentiellement d’origine colique grâce au stockage colique des matières. Il est nécessaire de considérer globalement l’ensemble colo-ano-rectal dans l’étude de la physiologie destinée à la compréhension de la pathologie colo-rectale.
Physiologie ano-rectale (3) Elle a pour but de permettre soit la retenue du contenu issu du côlon, soit l’évacuation, avec une fréquence variable de façon confortable pour l’individu en lui laissant le choix de la décision entre ces deux options en fonction des impératifs sociaux. L’initialisation du choix entre la continence et la défécation dépend d’abord de la perception du remplissage rectal puis de l’analyse du contenu rectal (gaz ou matières) et de l’analyse de l’environnement social afin de pouvoir décider de déclencher l’exonération ou de la différer en renforçant les moyens de continence. En raison de la multiplicité des phénomènes physiologiques impliqués dans la défécation et la continence, le contrôle de la fonction ano-rectale est complexe, mettant en jeu le système nerveux central, y compris le cortex. Ce contrôle n’est pas inné mais appris au cours de l’apprentissage de la propreté qui permet l’acquisition d’un comportement social adapté.
Sphincter anal interne Le sphincter anal interne est responsable à lui seul de 80 % environ du tonus anal de repos qui se traduit par une pression de fermeture permanente exercée sur toute la hauteur du canal anal. L’arrivée d’une fraction du contenu colique provoque une distension de l’ampoule rectale à l’origine d’une chute transitoire de la pression au niveau du canal anal appelée réflexe recto-anal inhibiteur dû à la relaxation du sphincter anal interne. La relaxation induite par la distension de l’ampoule rectale survient uniquement sous l’effet du système nerveux entérique. L’amplitude et la durée de la relaxation dépendent des systèmes nerveux sympathiques et parasympathiques.
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Le tonus de base du sphincter anal interne est modulé par le système nerveux végétatif : le système sympathique augmente le tonus basal alors que le para-sympathique tend à le diminuer. Le parasympathique intervient donc dans l’exonération alors que le sympathique intervient dans le mécanisme de la continence ano-rectale.
Sphincter anal externe Les trois faisceaux du sphincter anal externe et le muscle pubo-rectal agissent comme une seule unité fonctionnelle. Le muscle pubo-rectal, le faisceau profond et le faisceau superficiel du sphincter anal externe attirent le canal anal vers l’avant, tandis que le faisceau moyen attire le canal anal vers l’arrière. La contraction du sphincter anal externe et du muscle pubo-rectal favorise donc la continence en accentuant l’angle ano-rectal et en cisaillant le canal anal. Le sphincter anal externe peut être contracté volontairement par l’individu avec une contraction efficace pendant environ 40 secondes lorsque l’effort de contraction est maximal. Il présente également une action tonique permanente sous l’effet des nerfs efférents, somatiques sacrés. La destruction du cône médullaire ou la section des racines rachidiennes sacrées provoquent le silence électromyographique du sphincter anal externe et des autres muscles striés comme le muscle pubo-rectal. L’augmentation de la pression abdominale se propage au rectum et menace la continence anale. L’activité du sphincter anal externe va devoir s’adapter à cette augmentation de la pression abdominale. La parole, le chant, le rire, la toux, l’éternuement, les changements posturaux, le port d’une charge, l’exercice physique augmentent la pression abdominale dans des circonstances où le sujet n’est pas prêt à évacuer son ampoule rectale. L’augmentation de cette pression abdominale s’accompagne alors d’une contraction réflexe du sphincter anal externe et du muscle pubo-rectal qui ferme l’angle ano-rectal et augmente la pression du canal anal, prévenant ainsi l’issue involontaire de matières. La réponse du sphincter anal externe à l’augmentation de pression abdominale est présente chez l’homme spinal indiquant donc qu’il s’agit d’un réflexe médullaire.
Ampoules rectales L’arrivée des gaz et des matières provenant du côlon augmente la pression intrarectale menaçant donc la continence anale. La paroi rectale a la possibilité d’adapter sa tension à son contenu en se relâchant afin de diminuer la pression intrarectale facilitant ainsi l’action des sphincters de l’anus et du muscle pubo-rectal pour contenir le contenu rectal. Des influx sympathiques favorisent la relaxation de la paroi rectale et permettent la distancibilité de l’ampoule rectale. Ces fibres sympathiques sont originaires de T11 à L2 et sont véhiculées par les nerfs hypogastriques. Les variations de pression intraluminale dans le rectum provoquent l’étirement de tenso-récepteurs qui génèrent les influx nerveux responsables de la perception de la distension rectale. Il existe un lien entre les propriétés mécaniques de la paroi et l’intensité des perceptions de la distension rectale.
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L’innervation extrinsèque de l’appareil ano-rectal est assurée par le système nerveux entérique, modulé par le système nerveux autonome. Les fibres efférentes parasympathiques et sympathiques destinées aux sphincter anal interne et à l’ampoule rectale empruntent respectivement les nerfs pelviens et les nerfs hypogastriques. Le fonctionnement ano-rectal étant à commande volontaire, l’innervation est également assurée par des fibres somatiques. Les fibres somatiques destinées au sphincter anal externe empruntent les nerfs pudendaux. Les efférents sympathiques viennent de T10 à L2 et les efférents parasympathiques et somatiques de S2 S3 et S4. Les nerfs pelviens hypogastriques et somatiques sont des nerfs mixtes contenant non seulement des efférents sympathiques, parasympathiques et somatiques, mais aussi des afférences sensitives qui pénètrent par les racines dorsales et peuvent conduire l’influx nerveux au niveau supraspinal par les voies de la somesthésie. Après un relais au niveau sous-cortical, les influx afférents parviennent au cortex pariétal. Lorsque les influx afférents parviennent au niveau du tronc cérébral, la voie noradrénergique coeruléo-spinale déclenche une réponse motrice visant à provoquer l’exonération. La décision de l’individu de satisfaire ou non le besoin est prise au niveau du cortex frontal par la voie cortico-pontique, l’individu peut inhiber la voie noradrénergique coeruléo-spinale et mettre en jeu les mécanismes de la continence. Le déclenchement de la défécation dépend du moment où l’individu décide de satisfaire la vidange rectale. S’il a la possibilité de satisfaire son besoin au moment où il survient, toutes les conditions sont réunies pour une évacuation facile du contenu rectal. Le tonus du SAI (sphincter anal interne) est faible. La pression d’adaptation rectale à la distension est encore élevée, il existe une activité contractile rectale. Il suffit donc d’interrompre l’activité du SAE (sphincter anal externe) pour que les forces propulsives suffisent à elles seules à permettre une évacuation facile, complète et rapide du rectum, aidées éventuellement par de petites poussées abdominales. On peut alors parler de défécation physiologique. Les informations sensitives du besoin sont parvenues au niveau du tronc cérébral et, à ce niveau, il existe une voie motrice qui met en jeu le mécanisme de défécation en facilitant l’action du parasympathique sacré et en inhibant le sympathique. Lorsque l’individu décide de satisfaire son besoin bien après sa survenue, il inhibe le mécanisme de déclenchement de la défécation au niveau du tronc cérébral. La défécation sur ordre est très difficile à obtenir contrairement à la miction. Les mécanismes de la continence anale demeurent tous actifs et il faut donc trouver une solution alternative pour vider le rectum. L’individu peut alors utiliser la voie pyramidale pour provoquer une contraction des abdominaux avec inspiration profonde et glotte fermée afin d’augmenter au maximum la pression abdominale à l’origine d’une descente importante du plancher pelvien et d’une ouverture de l’angle ano-rectal. Il y a alors un relâchement du muscle pubo-rectal et du sphincter anal externe : c’est la défécation sociologique.
Conclusion En regard de L4-L5 se trouvent des filets nerveux qui forment un plexus hypogastriques supérieur qui est une réunion des systèmes sympathique et parasympathique
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donnant naissance à deux nerfs qui s’unissent au niveau sacré à des ganglions nerveux avec lesquels ils forment le plexus hypogastrique inférieur qui innervent la paroi du rectum, les sphincters externes de l’anus et de l’urètre, la prostate et la vessie. Le contingent sympathique est responsable de la continence et de l’éjaculation. Le contingent parasympathique est responsable de l’élimination (défécation et miction) et de l’érection. Les nerfs pudendaux assurent l’innervation des muscles striés du périnée. Ils comportent aussi des fibres sensitives cutanées et des fibres végétatives. Un traumatisme du sacrum (S2, S3, S4) peut aboutir à une incontinence vésicale et anale plus ou moins complète ou, au contraire, provoquer une atteinte de l’évacuation obligeant le patient à se sonder ou à éliminer ses selles (5, 6).
Références 1. Amarenco G, Chantraine A (2006). Les fonctions sphinctériennes, Collection de l’Académie Européenne de Médecine de Réadaptation. Paris, Springer 2. Crossman AR, Neavy D, Vibert JF (2004) Neuroanatomie, Coordination scientifique de l’édition française. Campus illustré. Paris, Elsevier 3. Godeberge P (2007) Traité de proctologie, Médecine-Sciences. Paris, Flammarion 4. Boureau F, Lavallard-Rousseau MC, Sebille A, Vibert JF (2005). Neurophysiologie. De la physiologie à l’exploration fonctionnelle. Campus illustré. Paris, Elsevier 5. Biette G, Catonne Y, Cucurulo Th, Laude F (2007). Traumatismes de la ceinture pelvienne (cotyle compris) ; 13e journée de la Pitié Salpêtrière. Montpellier, Sauramps Medical 6. Cambier J, Dehen H, Poirier J, Ribadeau Dumas JL (1982) Propédeutique neurologique, Collection de Propédeutique médicale. Paris, Masson
Devenir des troubles neuro-périnéaux après lésions sacrées F. Le Breton, M. Jousse, A. Brotier, D. Verollet, P. Raibaut et G. Amarenco
Introduction Les traumatismes sacrés (fracture transverse par AVP (accident de la voie publique), défenestration ou chute d’une hauteur) ou les résections chirurgicales sacrées (tumeurs sacrées ou pelviennes, chirurgie d’endométriose) peuvent entraîner des complications urinaires, ano-rectales ou génito-sexuelles. Ces troubles peuvent facilement passer inaperçus à la phase initiale dans un contexte souvent polytraumatique (51 % des patients avec lésion sacrée peuvent avoir une lésion rachidienne associée) (1). La section ou compression d’une ou plusieurs racines sacrées responsables de l’innervation somatique des muscles du plancher pelvien entraîne une dénervation progressive des muscles innervés par le nerf pudendal (métamères S2, S3, S4) tel que le sphincter strié urétral, le sphincter anal. L’atteinte associée des plexus pelvien et/ou hypogastrique assurant l’innervation végétative de la vessie, du col vésical, du sphincter anal interne, de la fonction génito-sexuelle est responsable d’un dysfonctionnement de la sphère périnéale.
Quels sont les signes évocateurs d’une atteinte neuro-périnéale ? Après lésion des racines sacrées, le tableau clinique caractéristique associe un ou plusieurs des signes cliniques suivants : anesthésie en selle, et troubles neuro-périnéaux touchant la sphère urinaire, ano-rectale et génito-sexuelle (2). Si le tableau de rétention complète d’urines reste le plus classique, les troubles urinaires peuvent être variés en fonction du caractère complet ou incomplet, uni- ou bilatéral de la lésion (3). La fonction vésico-sphinctérienne est souvent considérée comme « normale » si les patients n’ont pas de fuites ou qu’ils urinent, quel que soit le mode mictionnel. Cependant, un interrogatoire spécifique objective une dysurie avec miction par poussées abdominales fortes, en plusieurs jets avec une sensation de mauvaise vidange vésicale, souvent associée à une altération du besoin mictionnel (émoussement de la sensation de besoin remplacée par une sensation de pesanteur pelvienne). La rétention est alors S. Bendaya et al., Réflexions autour du bassin © Springer-Verlag France, Paris 2011
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indolore (par perte de la sensibilité vésicale), pouvant passer inaperçue. La dénervation progressive du sphincter strié urétral est responsable d’une incompétence sphinctérienne à l’origine d’incontinence urinaire à l’effort. Les troubles ano-rectaux passent souvent inaperçus à la phase initiale. L’interrogatoire révèle une perte de discrimination du contenu endorectal (disparition du besoin d’exonération) pouvant se compliquer de volumineux fécalomes. La constipation est fréquente, associée à une impossibilité d’exonération spontanée (dyschésie ano-rectale). Les incontinences anales majeures sont associées à une hypotonie anale dans les tableaux complets. Des lavements évacuateurs peuvent être nécessaires ainsi que des manœuvres facilitatrices d’exonération (exonération digitale). Dans les lésions unilatérales ou lorsque la racine S3 est intacte, La continence anale est généralement préservée, dans 87 % des cas pour Todd (4). Gunterberg et Stener rapportent après plusieurs travaux sur l’exérèse des tumeurs sacrées que la préservation de la racine S3 serait suffisante à la conservation des fonctions ano-rectales (5-7) tandis que la préservation des racines S1 et S2 ne serait pas suffisante pour conserver une sensibilité à la distension rectale, à la discrimination lors du passage des selles, même si le réflexe recto-anal inhibiteur est préservé. Les troubles génito-sexuels rapportés concernent la perte de la libido, les troubles érectiles, les dysfonctions orgasmiques et éjaculatoires. Ils peuvent avoir une répercussion majeure quand ils sont associés à une incontinence urinaire, notamment pendant les rapports sexuels du fait d’une incompétence sphinctérienne. Souvent, la plainte n’est pas spontanée. Dans les atteintes périphériques, il est classique de retrouver des difficultés d’érections réflexes par stimulation tactile compte tenu de l’atteinte des centres sacrés parasympathiques (S2-S4), alors que les érections psychogènes sous contrôle du système sympathique (T10-T12) sont conservées. Nakai rapporte qu’une section unilatérale des racines sacrées n’entraîne pas de troubles génito-sexuels, tandis qu’en cas de section bilatérale, tous les patients auront besoin de traitement spécifique (8). L’examen clinique permet de rechercher des signes d’atteinte neurogène périphérique sacrée : recherche d’un trouble de la sensibilité sacrée (territoire S2 face postérieure des cuisses, S3 correspondant aux territoires fessiers et S4 correspondant au pourtour de la marge anale) constituant le tableau d’anesthésie en selle uni- ou bilatérale. Le tonus anal est diminué au retrait du doigt intrarectal dans les atteintes bilatérales (béance anale), le plus souvent normal dans les atteintes incomplètes. Gutenberg a montré qu’une atteinte unilatérale ne modifie pas significativement le tonus anal et que la disparition des réflexes anal (atteinte S4-S5) et bulbo-anal (S3-S4) traduit une atteinte bilatérale (7). La présence de signes d’atteinte centraux (signe de Babinski, réflexes vifs) devra en revanche faire rechercher une atteinte suprasacrée fréquemment associée lors des traumatismes sacrés.
Quelles explorations complémentaires effectuer ? Il est important d’apprécier le dysfonctionnement neuro-périnéal afin d’adapter la prise en charge thérapeutique à moyen et long terme.
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Devenir des troubles neuro-périnéaux après lésions sacrées
Rétention urinaire Elle doit être recherchée par la mesure du résidu post-mictionnel (évaluation par ultrasons ou hétérosondage).
Bilan urodynamique Il permet de rechercher un trouble de la sensibilité vésicale et de la contractilité détrusorienne, témoignant de l’atteinte neurogène périphérique. La débitmétrie permet de confirmer la dysurie (courbe polyphasique se faisant par poussée abdominale, cette dernière pouvant être objectivée par la mesure simultanée de la pression endorectale). La cystomanométrie permet d’apprécier la contractilité détrusorienne. Il est classique, en cas d’atteinte des racines sacrées, de retrouver un détrusor hypoesthésique, hypocontractile, hypercompliant (fig. 1). La dénervation périnéale, notamment bilatérale, pourra entraîner une insuffisance sphinctérienne (effondrement des pressions de clôture urétrale). Quand il persiste un doute, il peut être nécessaire d’avoir recours à des remplissages en conditions sensibilisatrices (vitesse rapide, test à l’eau glacée). À l’inverse, la présence d’une hyperactivité détrusorienne, notamment sur le test à l’eau glacée, témoigne d’une libération du réflexe spinal (activation des fibres amyeliniques C) et doit faire rechercher une lésion centrale suprasacrée passée inaperçue. Cysto PR 50ml EMG det#3
Pdet
100
Cap Max
uV
B1
EMG
0 90 60
cm H2O 30 0 90 Pves
60
cm H2O 30 0 90 Pabd
60
cm H2O 30 0 600 Vinfus
400
400
300
ml
200
200
100
03:00
T V 04:30
06:00
T V 07:30
420 B1
Toux
01:30
T V
Toux
00:00
T V
Toux
45 s
PB
Toux
ST T
Toux
Toux
0
480
TCM 09:00
Fig. 1 – Bilan urodynamique. Cystomanométrie à 50 mL/min retrouvant un détrusor hypoesthésique, hypocontractile, hypercompliant secondaire à une chirurgie de chordome sacré.
Électrophysiologie périnéale Elle a un intérêt diagnostique mais également pronostique. La présence d’un tracé neurogène (activité spontanée de dénervation, potentiels de ré-innervation) est en faveur d’une souffrance axonale. L’allongement des latences sacrées, uni- ou bilatérales, témoigne
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Réflexions autour du bassin
soit d’une atteinte tronculaire du nerf pudendal, soit d’une atteinte plexique sacrée, soit d’une atteinte radiculaire ou radiculo-médullaire. La normalité des latences sacrées chez un patient qui conserve une rétention chronique d’urines après chirurgie sacrée est un argument en faveur d’une atteinte des plexus pelviens ou hypogastriques (fig. 2).
Fig. 2 – Électrophysiologie périnéale. Étude des latences sacrées permettant d’étudier l’arc réflexe nerf pudendal-métamères S2-S3-S4.
Manométrie ano-rectale La manométrie ano-rectale, comme le bilan urodynamique, apprécie les paramètres sensitifs, moteurs, les reflexes ano-rectaux sous contrôle à la fois végétatif et somatique. Elle permet d’enregistrer la pression de repos du canal anal haut reflétant le fonctionnement du sphincter anal interne (innervé par le nerf hypogastrique), et la pression du canal anal bas reflétant l’activité du sphincter anal externe soumis à un contrôle somatique (par le nerf pudendal). Cet examen permet d’objectiver spécifiquement une atteinte du système somatique (défaut de contraction volontaire du sphincter anal) et/ou du système nerveux autonome (effondrement de la pression de repos du sphincter anal interne) (8). Les paramètres de sensibilité ano-rectale peuvent être altérés avec retard à la perception de la distension du ballonnet intrarectal, retard à l’apparition du besoin d’exonération constant et retard à l’apparition du volume maximum tolérable comme cela a pu être décrit dans le diabète (9).
Quels sont les mécanismes lésionnels ? Fractures sacrées Les complications neurologiques apparaissent le plus souvent après fractures transverses. Bien qu’elles soient moins fréquentes que les fractures verticales (5 à 16 % des fractures sacrées), elles sont associées dans un tiers des cas à des lésions pelviennes et sont secondaires à des traumatismes violents (AVP, défenestration ou chute d’une hauteur).
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En fonction du risque de complications neurologiques, Denis et al. ont proposé une classification des fractures sacrées en trois stades (1). Les lésions sacrées extraforaminales de l’aileron sacré occasionnent surtout des lésions de la racine L5 (Denis II). Les fractures transforaminales (Denis II) induisent plutôt une compression du nerf sciatique. Les fractures transcanalaires (Denis III) donnent préférentiellement des lésions du nerf pudendal (S2-S3-S4) et sont le plus souvent à l’origine de complications neuro-périnéales Elles sont rapportées dans ce cas chez 60 % des patients pour Gibbons (10). À travers une revue de la littérature, Robles en 2009 rapporte les cas de 90 patients avec fracture transverse : 97 % de ces patients présentent une atteinte neurologique allant de la radiculopathie aux troubles neuro-périnéaux (11) ; 87 à 100 % des patients présentent des lésions neurologiques périnéales dans les fractures transverses de type III au-dessus de S4 (12, 13). Le pronostic de récupération dépend du caractère uni- ou bilatéral de la lésion. Il n’y a pas de données évidentes sur le bénéfice d’un traitement chirurgical de la fracture sacrée par rapport au traitement conservateur sur le devenir des troubles neuro-périnéaux (14). Sur 60 cas, Dussa rapporte que 72 % des patients opérés ont eu une amélioration des troubles neuro-périnéaux, tandis que 76 % des patients traités orthopédiquement ont bien récupéré. La présence d’une sévère angulation, d’une fracture déplacée et d’un neurotmésis sont de mauvais pronostic (15, 16). Les patients présentant une atteinte complète bilatérale conservent tous des séquelles plus ou moins sévères avec ou sans traitement chirurgical (17).
Chirurgie sacrée Les atteintes neuro-périnéales constituent les séquelles majeures du traitement des tumeurs sacrées ou des tumeurs pelviennes (gynécologiques, colorectales, endométriose). Le traitement des tumeurs sacrées primitives (le plus souvent des chordomes) repose exclusivement sur une exérèse chirurgicale large associant une résection étendue du sacrum et le sacrifice d’une ou plusieurs racines sacrées (18-20). Les atteintes unilatérales n’entraînent habituellement pas de rétention urinaire : 80 à 89 % des patients n’ont pas de rétention urinaire après sacrectomie unilatérale, tandis que tous les patients ayant subi une résection bilatérale S2-S5 conservent tous des troubles neuro-périnéaux majeurs (rétention urinaire, dysurie, incontinence fécale). Lorsque les racines S3 sont préservées, les patients ont peu ou pas de gêne (4). Mais les données de la littérature sont probablement sous-estimées car il y a peu d’études portant sur l’analyse urodynamique (débitmétrique et cystomanométrique) en postopératoire de chirurgie sacrée. L’analyse des troubles mictionnels reste souvent peu spécifique et l’atteinte est certainement sous-évaluée ; un interrogatoire spécifique et un bilan urodynamique en postopératoire pourraient peut-être apprécier un trouble de la sensibilité vésicale ou objectiver une hypocontractilité détrusorienne. La chirurgie endométriosique ou la chirurgie gynécologique (hystérectomie élargie) peuvent entraîner des troubles mictionnels dans 20 à 30 % des cas, allant de la dysurie, diminution du besoin mictionnel à la rétention urinaire complète (21). L’exérèse
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d’endométriose pelvienne profonde peut nécessiter le sacrifice des plexus hypogastriques ou pelviens, parfois englobé dans la masse endométriosique. Ces atteintes touchant l’innervation végétative de la vessie entraînent alors des tableaux de dysurie et de rétention urinaire, notamment lors de la résection bilatérale des ligaments utéro-sacrés. Dans l’étude prospective (pré- et postopératoire) de Dubernard, les latences sacrées sont respectées lors de l’électrophysiologie périnéale témoignant de l’intégrité au moins partielle des racines somatiques sacrées (22).
Quel est le devenir des troubles neuro-périnéaux ? Le pronostic de la récupération neurologique reste péjoratif lorsqu’il existe un tableau clinique de syndrome de la queue de cheval (23). Il existe une plus grande sensibilité à la compression des fibres nerveuses parasympathiques (responsable de la contraction détrusorienne) par rapport aux fibres somatiques (innervant le sphincter strié), laissant préjuger d’un mauvais pronostic de récupération lorsqu’il existe une rétention complète d’urines (24-26). Le traitement de ces vessies neurogènes périphériques repose sur le traitement de la dysurie ou de la rétention : la vidange vésicale doit être assurée par la réalisation de sondages intermittents (auto- ou hétérosondages) et est préférée aux mictions par poussées abdominales (vidange incomplète, risque de reflux vésico-rénal induit). Le risque de retentissement sur le haut appareil urinaire est lié aux pressions endovésicales élevées. Le risque de complications uro-néphrologiques reste faible dans les neurovessies périphériques compte tenu de l’absence de hautes pressions endovésicales (27). Néanmoins, les patients qui réalisent des mictions par poussées abdominales vont engendrer des pressions vésicales excessives qui peuvent être à l’origine d’un reflux vésico-urétéral ainsi que d’une altération du plancher pelvien, notamment chez les femmes. Chez les patients présentant un tableau incomplet, il peut apparaître une activité résiduelle du sphincter strié, notamment s’il existe une atteinte essentiellement végétative qui crée un nouvel obstacle fonctionnel à la vidange vésicale augmentant les pressions intravésicales permictionnelles. La dénervation périphérique peut entraîner à plus ou moins long terme une hypertrophie urétrale dite « de dénervation » susceptible d’entraîner un facteur obstructif. La constitution d’un obstacle à la vidange vésicale (hypertonie urétrale, dyssynergie vésico-sphinctérienne, ou hypertrophie bénigne de prostate) représente alors un danger chez les patients qui conservent des mictions par poussées abdominales. Même si le risque de complication est faible, Il est nécessaire de contrôler les pressions et la compliance vésicale. La dénervation peut se compliquer de l’apparition d’un trouble de compliance vésicale témoignant d’une mauvaise adaptation de la paroi vésicale au remplissage et peut être responsable de complications uro-néphrologiques et de troubles mictionnels importants (fig. 3). La présence de signes de lutte endovésicale à la cystographie est classiquement associée aux hyperactivités détrusoriennes mais elle est également retrouvée dans 50 % des syndromes de la queue de cheval (28). Un suivi neuro-urologique annuel est donc nécessaire, au minimum en consultation.
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Fig. 3 – Cystomanométrie montrant un trouble de compliance. Complication d’une atteinte neurogène périphérique et facteur de risque sur la haut appareil urinaire.
Conclusion Les troubles neuro-périnéaux sont des complications classiques des fractures sacrées et de la chirurgie pelvienne. La suspicion d’une atteinte neurogène périphérique doit faire l’objet d’un interrogatoire et examen clinique spécifique (sensibilité sacrée, tonus anal, résidu post-mictionnel) et d’explorations fonctionnelles. Le bilan urodynamique et électrophysiologique périnéal apporte des informations diagnostiques et pronostiques. Il permet de comprendre le mécanisme physiopathologique des troubles vésico-sphinctériens et d’évaluer l’étendue des lésions lombo-sacrées. Le pronostic de récupération est mauvais dans les atteintes bilatérales du fait de l’atteinte du système végétatif (plexus pelvien et hypogastrique). Si les complications sur le haut appareil restent rares, la gêne fonctionnelle et les conséquences périnéales sont fréquentes, responsables d’incontinence urinaire et/ou anale, altérant considérablement la qualité de vie de ces patients. Une prise en charge des troubles urinaires, ano-rectaux et génito-sexuels est indispensable afin d’améliorer le confort de vie et de protéger à long terme le haut appareil urinaire.
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Réflexions autour du bassin Quelques pièges diagnostiques A. Nys et A. Papelard
Introduction Il n’est pas rare que nos collègues urologues nous adressent en consultation un patient qui avait consulté pour une « douleur des reins », alors qu’il s’agissait d’une douleur d’origine rachidienne. Il n’est pas rare non plus que nos collègues gynécologues nous adressent en consultation une patiente qui avait consulté pour « une douleur des ovaires » alors que le bilan gynécologique s’est avéré négatif. Dans un premier temps, il conviendra de rattacher la symptomatologie douloureuse à une cause ostéo-articulaire soit locale, soit projetée versus douleur non ostéo-articulaire. Dans un deuxième temps, il conviendra d’en déterminer la nature du processus pathologique (mécanique, inflammatoire, voire infectieux ou tumoral) ; de préciser la chronologie aiguë ou chronique. Nous sommes certainement moins confrontés, dans notre spécialité, aux douleurs pelviennes aiguës. Néanmoins, il est important de ne pas méconnaître une affection d’origine génitale qui nécessiterait une prise en charge très rapide (par exemple grossesse extra-utérine, torsion d’annexe, salpingite aiguë). Le problème du diagnostic lésionnel peut être plus difficile dans le cas de douleur chronique où il conviendra d’éliminer une douleur d’origine urologique, digestive, pariétale, voire une douleur qui serait d’origine projetée. La difficulté diagnostique peut se poser également devant une pathologie débutante de hanche, de la sacro-iliaque ou de la symphyse pubienne. Bien entendu, il ne faut pas méconnaître les atteintes purement osseuses qui souvent peuvent conduire à des errements de diagnostic, au moins au début, par exemple une fracture de fatigue, un ostéome ostéoïde, une localisation osseuse primaire voire secondaire. Il faudra aussi se méfier d’une atteinte ostéo-articulaire inflammatoire, voire infectieuse qui, au départ, peut revêtir un masque trompeur. Enfin, sans toutefois être exhaustif, citons les fréquentes bursopathies et syndromes canalaires dont le diagnostic, mais aussi la prise en charge thérapeutique, n’est pas toujours des plus simples. S. Bendaya et al., Réflexions autour du bassin © Springer-Verlag France, Paris 2011
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Dans tous les cas, devant une douleur du bassin, la démarche diagnostique doit être, comme toujours, rigoureuse avec un interrogatoire précis, un examen clinique complet étayé par des examens complémentaires. Nous n’aborderons pas, dans cet exposé, les coccygodynies, le syndrome du piriforme, les pathologies de la symphyse pubienne et les pathologies abarticulaires, tous ces chapitres étant développés par ailleurs.
Éliminer une douleur symptomatique Il conviendra en premier lieu de rattacher la douleur « du bassin », pelvienne, à une origine ostéo-articulaire et donc éliminer une cause viscérale ou une douleur projetée. Nous pouvons grossièrement distinguer le cas des douleurs aiguës et celui des douleurs chroniques.
Devant une douleur pelvienne aiguë Certains tableaux cliniques, plus ou moins bruyants, sont assez évocateurs. Il ne faut cependant pas les méconnaître, ne serait-ce que pour déterminer le degré d’urgence, même si nous n’avons que peu de chance de les rencontrer dans nos consultations. Devant une douleur pelvienne aiguë, il faudra éliminer en premier lieu, une cause génitale, urinaire, voire digestive.
Éliminer en premier lieu une cause génitale Grossesse extra-utérine C’est la première des causes de douleur pelvienne aiguë à éliminer. Son incidence, actuellement de deux grossesses extra-utérines (GEU) pour 100 naissances, augmente chez les femmes sans contraception alors qu’elle diminue chez les autres. Les manifestations classiques sont des douleurs pelviennes, « du bas ventre », un retard de règles et des saignements. Toutefois, aucune séméiologie douloureuse n’est spécifique. On sera attentif dans le cas d’antécédents de chirurgie pelvienne, notamment tubaire, ou antécédents infectieux pelviens. Les signes cliniques qui semblent contributifs sont la douleur à la mobilisation utérine, la douleur à la décompression ou la défense abdominale. Au moindre doute, on demandera un dosage plasmatique quantitatif de l’hormone gonadotrophine chorionique, bêta-HCG et une échographie pelvienne (1).
Torsion d’annexe C’est le diagnostic à faire en urgence en dehors de la GEU. C’est la torsion autour du ligament utéro-ovarien de l’annexe ou de la trompe seule ou de l’ovaire seul dont le risque est la nécrose ischémique (6 heures). Le tableau clinique associe une douleur brutale unilatérale de la fosse iliaque, irradiant vers le pelvis et la cuisse, non calmée par les antalgiques de palier I ni II, à des nausées et vomissements. À l’examen, est constatée
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une contracture abdominale, voire une défense. Au toucher vaginal, une masse latéroutérine unilatérale très douloureuse, indépendante de l’utérus. Le dosage de bêta-HCG est négatif. L’échographie pelvienne confirme le diagnostic de kyste ovarien remanié par la torsion. La prise en charge est chirurgicale, en urgence.
Rupture hémorragique de kyste C’est la rupture de kyste ovarien avec, dans un premier temps, une hémorragie intrakystique qui peut ensuite devenir intrapéritonéale. Cliniquement, cela se traduit par une douleur de la fosse iliaque rapidement évolutive, des métrorragies et des signes d’hémopéritoine. L’échographie pelvienne visualisera le kyste ovarien, affaissé dans le cas de rupture avec présence d’un épanchement péritonéal plus ou moins abondant.
Salpingite aiguë C’est une infection tubaire secondaire à l’ascension de germes dans l’endomètre puis les trompes à la suite d’une maladie sexuellement transmise (dans 60 % des cas liée à Chlamydiae trachomatis) ou d’une manœuvre endo-utérine (sont alors en cause : streptocoques, staphylocoques, entérocoques, Escherichia coli, Klebsiella, etc.). Elle peut être aiguë ou chronique. Dans le premier cas, le tableau clinique est en général assez bruyant avec une douleur pelvienne uni- ou bilatérale, parfois intense, s’accompagnant de fièvre, leucorrhée parfois abondante, jaunâtre, parfois avec de discrets signes d’irritation péritonéale : nausées, ballonnement, constipation. Mais dans de nombreux cas le tableau clinique est de caractère pauci-symptomatique, plus silencieux.
Éliminer en second lieu une cause extragénitale, urinaire Pyélonéphrite La plupart du temps, les signes orientent rapidement vers la sphère urologique avec des signes urinaires (brûlures mictionnelles, pollakiurie, pyurie voire hématurie), une douleur unilatérale de la fosse lombaire ou de l’angle costo-lombaire pouvant irradier en avant vers le pubis et les organes génitaux externes et de la fièvre (température t 38,5 °C). Dans certains cas, cela m’est arrivé, le patient vous consulte pour une lombalgie aiguë. Il se présente à la consultation se tenant de la main le flanc douloureux. L’examen clinique est en général contributif, permettant de redresser le diagnostic. La douleur n’est pas majorée par les mouvements du rachis. L’examen segmentaire du rachis lombaire (pression directe et latérale, droite et gauche, des épineuses) est indolore ; en revanche, la palpation de la fosse lombaire est douloureuse. Il existe le plus souvent des signes généraux. Ceci oriente rapidement vers la sphère urologique. La clinique est étayée par un examen cytobactériologique urinaire (ECBU) et une échographie de l’arbre urinaire. Parfois, le diagnostic peut être égaré par des signes digestifs qui sont au premier plan : douleur abdominale, météorisme abdominal, nausées, vomissement, voire diarrhée.
Colique néphrétique La symptomatologie est en général évocatrice, bruyante : douleur violente, unilatérale, d’une fosse lombaire, à irradiation descendante vers la fosse iliaque homolatérale,
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les organes génitaux externes, la face antérieure ou interne de la cuisse. S’y associent des signes généraux : agitation, recherche vaine d’une position antalgique, anxiété, sueurs. Le diagnostic différentiel peut se poser, dans les formes moins évocatrices, avec une lombalgie aiguë (2).
Éliminer en troisième lieu une cause extragénitale, digestive Appendicite La difficulté de diagnostic peut se poser dans certaines formes atypiques et notamment la forme pelvienne dont la symptomatologie clinique peut évoquer une infection urinaire ou gynécologique. Également, il faudra être plus vigilant chez les sujets âgés où le tableau clinique est souvent atypique. En principe, il existe des signes francs au toucher pelvien (TR) (2).
Occlusion aiguë, colite spasmodique Elles ne posent en général pas de gros problème de diagnostic différentiel.
Devant une douleur pelvienne chronique Suivant la même démarche diagnostique rigoureuse, il faudra éliminer une origine génitale, urologique, digestive.
Éliminer une cause génitale Les principales étiologies à rechercher dans ce cadre des douleurs pelviennes chroniques sont : les salpingites et infections péri-utérines, l’endométriose, les dysfonctionnements ovariens.
Salpingites et infections péri-utérines Elles sont responsables de douleurs pelviennes au long cours avec des poussées subaiguës fébriles qui sont assez évocatrices. Parfois, elles évoluent plus à bas bruit. Dans les antécédents, on va retrouver une salpingite aiguë, un avortement septique, voire la complication infectieuse d’un accouchement. En général, il s’agit là de tableaux cliniques qui ne nous posent pas trop de problème de diagnostic différentiel sauf dans les cas, non rares, où la douleur est soulagée par le décubitus.
Endométriose pelvienne La situation peut être plus difficile dans ce cas. L’endométriose touche 15 % des femmes en âge de procréer. C’est la présence ectopique de tissu endométrial en dehors de la cavité utérine. Il s’agit soit d’une endométriose interne, ou utérine (adénomyose), soit d’une endométriose tubaire, soit d’une endométriose externe qui est une autogreffe de la muqueuse utérine sur les organes voisins.
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La symptomatologie associe une douleur pelvienne, qui s’exprime de façon différente suivant la localisation et une dyspareunie. Un élément important pour orienter le diagnostic vers la sphère gynécologique est le caractère périodique des douleurs dans les phases pré- et per-menstruelle, notamment le 2e jour des règles (3, 4).
Malpositions utérines, fibromes La plupart des malpositions (rétrodéviations utérines) n’entraînent ni douleur ni dysménorrhée, ni stérilité ni infertilité. Deux situations semblent à l’origine de douleurs pelviennes : – les rétrodéviations fixées par des adhérences soit du fait de séquelles inflammatoires, soit de foyers d’endométriose ; – le syndrome de Masters et Allen qui résulte, sur le plan anatomique, d’une déchirure du feuillet postérieur du ligament large d’origine obstétricale (accouchement traumatique d’un gros enfant, forceps maladroit ou brutal) associée à une rétroversion de l’utérus. Cliniquement, la douleur pelvienne est permanente, exagérée à la fatigue et à la station debout. Il existe une dyspareunie très pénible, avec une douleur rémanente, persistant plusieurs heures après le rapport sexuel. Le traitement est chirurgical. Les fibromes sont dans 50 % des cas totalement asymptomatiques. Ils sont découverts le plus souvent de façon fortuite, lors d’un examen systématique. Parfois, ils sont à l’origine d’une sensation de pesanteur pelvienne ou des signes de compression des organes de voisinage responsables de pollakiurie par irritabilité vésicale ou de constipation par compression digestive.
• Cas clinique n° 1 Citons ici le cas d’une patiente, Mme Michèle C., actuellement âgée de 65 ans, qui a des antécédents de lombosciatalgies sur discarthrose L5-S1 traités une première fois en 1998 puis une deuxième fois en 2003 par les médications habituelles, infiltrations épidurales, et prise en charge rééducative avec un bon résultat. En 2005, elle consulte à nouveau pour une « douleur de la jambe droite », mal systématisable, ne correspondant pas à un trajet radiculaire précis. Un nouveau scanner du rachis lombaire objective les lésions connues de discarthrose L5-S1, sans rétrécissement foraminal, sans conflit disco-radiculaire patent. Une scintigraphie osseuse montre un discret foyer d’hyperfixation mais sur la partie gauche du corps vertébral de L5, de type dégénératif (« lésion dégénérative bénigne de type arthrosique » indique le compte rendu) sans autre anomalie sur le reste du squelette. Une IRM du genou puis de la jambe et du pied ne révèlera aucune anomalie. La patiente nous dit qu’elle a un volumineux fibrome, connu. Nous avons alors questionné son gynécologue sur la relation possible entre cette douleur mal systématisable de « la jambe droite » et du fibrome. Il a retenu un lien possible et a proposé l’exérèse. Finalement, l’intervention a eu lieu en octobre 2009. La pièce opératoire a comporté un fibrome pesant 940 grammes. Les suites opératoires seront simples et la patiente ne se plaindra plus de cette « douleur de la jambe droite ».
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Éliminer en second lieu une cause extragénitale, urinaire Pyélonéphrite La plupart du temps, les signes orientent rapidement vers la sphère urologique avec des signes urinaires (brûlures mictionnelles, pollakiurie, pyurie voire hématurie), une douleur unilatérale de la fosse lombaire ou de l’angle costo-lombaire pouvant irradier en avant vers le pubis et les organes génitaux externes et de la fièvre (température t 38,5 °C). Dans certains cas, cela m’est arrivé, le patient vous consulte pour une lombalgie aiguë. Il se présente à la consultation se tenant de la main le flanc douloureux. L’examen clinique est en général contributif permettant de redresser le diagnostic. La douleur n’est pas majorée par les mouvements du rachis. L’examen segmentaire du rachis lombaire (pression directe et latérale, droite et gauche, des épineuses) est indolore ; en revanche, la palpation de la fosse lombaire est douloureuse. Il existe le plus souvent des signes généraux. Ceci oriente rapidement vers la sphère urologique. La clinique est étayée par un examen cytobactériologique urinaire (ECBU) et une échographie de l’arbre urinaire. Parfois, le diagnostic peut être égaré par des signes digestifs qui sont au premier plan : douleur abdominale, météorisme abdominal, nausées, vomissement, voire diarrhée.
Colique néphrétique La symptomatologie est en général évocatrice, bruyante : douleur violente, unilatérale, d’une fosse lombaire, à irradiation descendante vers la fosse iliaque homolatérale, les organes génitaux externes, la face antérieure ou interne de la cuisse. S’y associent des signes généraux : agitation, recherche vaine d’une position antalgique, anxiété, sueurs. Le diagnostic différentiel peut se poser, dans les formes moins évocatrices, avec une lombalgie aiguë (2).
Éliminer une origine extragénitale : urinaire Sans vouloir alourdir ce qui peut déjà paraître un catalogue un peu fastidieux, citons les : – cystalgies à urines claires ; – prostatites chroniques abactériennes (inflammatoires avec leucocytes, non inflammatoires sans leucocytes) ; – syndrome de congestion pelvienne ; – tension musculaire du plancher pelvien, etc. Il s’agit là d’affections dans lesquelles les douleurs pelvi-périnéales alléguées sont sans support lésionnel évident objectivé sur les examens complémentaires. Plusieurs traits communs sont retrouvés : – les douleurs pelviennes évoluent depuis plus de 6 mois ; – elles sont persistantes malgré les traitements mis en œuvre ; – est associé un syndrome dépressif réactionnel ; – une diminution des activités physiques ; – une perturbation des relations familiales. Il s’agit là de symptômes pour lesquels nous avons beaucoup de mal à rattacher la symptomatologie à une origine lésionnelle précise, la plupart de ces patients, ou patientes,
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consultent tour à tour, gynécologue, urologue, proctologue, etc., sans trouver de réponse précise. Ce sont des situations où une prise en charge, certes médicamenteuse, mais surtout pluridisciplinaire sera nécessaire (5).
Éliminer une douleur projetée Éliminer une douleur projetée de la charnière thoraco-lombaire Cette symptomatologie, source d’erreur de diagnostic, a été fort bien décrite par R. Maigne (6) sous le nom de syndrome de la jonction dorso-lombaire (T11-T12-L1). Au complet, le syndrome comprend : – une lombalgie basse ; – des douleurs abdominales basses, pseudo-viscérales ou testiculaires ; – une fausse douleur de hanche ; – une pubalgie. Ce sont souvent ces cas où, après que des investigations digestives et ou gynécologiques se sont avérées négatives, les collègues urologues et gastroentérologues nous adressent le ou la patiente à la recherche d’une cause ostéo-articulaire. À l’examen, au niveau vertébral est constatée une douleur d’un ou deux étages, le plus souvent T12-L1, T11-T12, parfois T10-T11 alors que le patient, ou la patiente, ne se plaint pas du rachis. À distance sont les manifestations du syndrome segmentaire cellulo-téno-périosto-myalgique, essentiellement les zones cellulalgiques dans les territoires cutanés correspondants à celui de la branche postérieure (région de la crête iliaque), de la branche antérieure (région inguinale, pubis), rameaux perforants latéraux (région du grand trochanter et face latérale de cuisse) (fig. 1) (6).
Fig. 1 – Syndrome de la jonction dorsolombaire décrit par Robert Maigne. Les trois projections douloureuses : 1 : branche postérieure, 2 : branche antérieure, 3 : rameau cutané perforant latéral.
100 Réflexions autour du bassin
Douleur d’origine ostéo-articulaire pelvienne Éliminer en premier lieu une lésion osseuse tumorale Notre premier souci, lorsque nous avons rattaché la douleur à une origine osseuse, est de ne pas méconnaître une lésion tumorale, a fortiori cancéreuse, primaire ou secondaire (métastatique).
Atteinte osseuse néoplasique, primitive ou secondaire Les métastases osseuses sont les tumeurs osseuses les plus fréquentes. Elles représentent 70 % des tumeurs osseuses malignes. Le diagnostic sera plus facilement évoqué dans le cas d’antécédents connus, d’altération notable de l’état général, lorsque la douleur n’a pas un caractère strictement mécanique, nocturne, d’évolution progressive, mal voire non soulagée par les antalgiques habituels. On sera d’autant plus attentif chez un sujet de plus de 50 ans et notamment si l’interrogatoire oriente vers la possibilité d’un cancer primitif : tabagisme, toux inhabituelle, hémoptysie, hématurie, constipation récente opiniâtre, présence de sang dans les selles, etc. L’examen clinique devra être attentif et complet à la recherche d’une lésion pouvant évoquer un cancer. Dans ce contexte, les explorations complémentaires, biologiques et d’imagerie, au premier rang desquelles l’IRM, sont indispensables. Néanmoins, la radiographie standard garde sa place, il conviendra de demander des clichés centrés sur les zones douloureuses. La scintigraphie osseuse est utile pour faire le bilan d’extension. Il faut toutefois savoir que 10 à 15 % des métastases osseuses lytiques ne fixent pas. Pour les rares centres qui en sont déjà équipés, mais surtout dans l’avenir, c’est la tomographie par émission de positons (TEP) ou, suivant la terminologie anglo-saxonne, positron emission tomography (PET) ou PET scan, qui sera là l’examen de choix (fig. 2).
Fig. 2 – Le PET scan permet un bilan d’extension.
Quelques pièges diagnostiques
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Rappelons ici que les cancers les plus ostéophiles sont par ordre de fréquence décroissant : les cancers du sein (70 % des étiologies chez la femme), rein, prostate (60 % des étiologies chez l’homme), poumon, thyroïde. Rappelons également que les métastases osseuses rachidiennes sont les plus fréquentes, suivies des localisations secondaires au bassin, crâne, côtes, extrémité proximale des humérus et des fémurs. Soixante dix pour cent des métastases prostatiques sont observées au bassin, au sacrum (fig. 3) et au rachis lombaire inférieur (7).
Fig. 3 – Scanner : image de localisation secondaire au niveau de S1.
• Cas clinique n° 2 Mme Dominique C., née en mars 1924, consulte pour une douleur lombo-fessière gauche et inguinale, de caractère non strictement mécanique, avec cependant une majoration à la mise en charge et à la marche. Elle est suivie pour un carcinome canalaire infiltrant du sein droit. Le bilan lésionnel va montrer des lésions multiples de l’aileron sacré gauche (fig. 4 et 5) mais aussi du cadre obturateur (fig. 6), et une image condensante du cotyle gauche.
• Cas clinique n° 3 M. Gérard P., né en mars 1946, ne présente pas d’antécédents particuliers, il ne suit pas de traitement régulier. Retraité, il consulte son médecin traitant pour une douleur qui a débuté insidieusement, sans élément mécanique déclencheur qui aurait pu survenir au cours de ses activités de jardinage ou bricolage. La douleur a pour origine la fesse droite, irradie en avant vers la région inguinale droite et suivant la face antéro-externe de la cuisse vers le genou droit. Un diagnostic de cruralgie est initialement retenu. Le traitement habituel avec antalgiques de palier I puis II associés aux AINS n’apporte pas d’amélioration. La douleur va croissante prenant son acmé en fin de journée et la nuit. Elle entraîne également une difficulté à la marche avec une boiterie. Nous verrons le patient, qui n’aime pas particulièrement se plaindre ni consulter, au 3e mois de l’évolution. L’histoire et l’examen clinique orientent vers une pathologie de hanche. Le bilan d’imagerie mettra en évidence une image de type localisation secondaire au niveau de l’extrémité supérieure du fémur droit (fig. 7 à 9). Le bilan à la recherche d’une lésion primitive mettra en évidence une lésion prostatique néoplasique.
102 Réflexions autour du bassin
Fig. 4 et 5 – Coupes scanner : image de lésion secondaire au niveau de l’aileron sacré gauche.
Fig. 6 – Lésion de type secondaire au niveau de la branche ischio-pubienne.
Quelques pièges diagnostiques
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Fig. 7 et 8 – Images IRM de localisation osseuse de type secondaire au niveau de l’extrémité supérieure du fémur droit.
Fig. 9 – Images IRM de localisation osseuse de type secondaire au niveau de l’extrémité supérieure du fémur droit.
104 Réflexions autour du bassin
• Cas clinique n° 4 M. Wolf K. est un homme actuellement âgé de 81 ans. Il a des antécédents de lombosciatique par hernie discale L4-L5 traité en avril 2000 par chimionucléolyse à la papaïne avec un excellent résultat. Il avait pu reprendre l’équitation un mois et demi après. À la fin du printemps 2004, sans élément déclenchant, il souffre à nouveau de la région lombaire, progressivement. Dans un premier temps, il prend des antalgiques qui n’apportent pas d’amélioration significative, puis un AINS, et observe un repos strict au lit pendant 15 jours. Son état n’étant toujours pas amélioré, il prend rendez-vous avec le spécialiste parisien qui avait pratiqué la nucléolyse. Une infiltration épidurale de dérivé corticoïde est faite fin juin 2004, apportant une légère amélioration. Des explorations complémentaires sont réalisées, notamment un scanner. Une récidive de hernie discale L4-L5 est retenue sur un canal peu large avec arthrose interapophysaire postérieure. Une épidurographie avec injection de corticoïdes est effectuée en septembre 2004 puis, du fait de l’absence d’amélioration, une infiltration foraminale droite L4-L5 fin octobre 2004. Il se présente à ma consultation le 8 novembre 2004. Il n’est pas constaté d’altération significative de l’état général, pas d’amaigrissement notable, pas de notion d’épisode fébrile. Les doléances sont une douleur du flanc droit irradiant vers la région inguinale sans réel trajet radiculalgique. À l’examen, l’attention est surtout attirée par une attitude en psoïtis. Il n’y a pas de syndrome rachidien net. Pas de déficit à l’examen neurologique des membres inférieurs. La palpation du flanc droit est douloureuse avec une douleur extrêmement vive au niveau du colon ascendant. Une échographie faite le même jour montre « un aspect épaissi et hétérogène des parois du bas fond cæcal dont la lumière est partiellement collabée…/… structure hétérogène dans la partie terminale du muscle psoas droit ». Les examens complémentaires permettront d’arriver au diagnostic d’adénocarcinome du bas fond cæcal révélé par une perforation abcédée. Le patient a été traité par chirurgie et chimiothérapie avec un bon résultat. Début 2007, il se présente à nouveau à la consultation pour une rechute lombalgique avec une douleur d’installation progressive. À l’examen, on réveille une sensibilité de la région lombaire droite en L4-L5 et L5-S1 mais aussi une douleur au niveau de l’aile iliaque droite. Le bilan d’imagerie objectivera une image lytique au niveau de l’aile iliaque droite avec une image de tissu tumoral finement cerclé (fig. 10). Après complément de bilan par les oncologues, celle-ci est considérée comme une métastase de l’adénocarcinome précédemment opéré. Une radiothérapie sera réalisée et une chimiothérapie reprise. Le résultat est jugé bon, jusqu’à ce jour. Mais le tableau n’est pas toujours aussi tranché. Au moindre doute, devant une douleur dont le caractère est « suspect », il ne faut pas hésiter à multiplier les explorations complémentaires. Les hémopathies sont également une cause possible non négligeable de localisations secondaires, en particulier au niveau du bassin.
• Cas clinique n° 5 Mme Joëlle H., âgée de 45 ans, a des antécédents de cervicalgies et lombalgies mécaniques. Elle est habituellement soulagées par une prise en charge kinésithérapique. En février 2007, elle consulte son médecin traitant pour une sciatalgie gauche, avec en outre
Quelques pièges diagnostiques
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Fig. 10 – Scanner en fenêtre tissulaire et osseuse objectivant la lésion lytique avec présence de tissus tumoral.
une impression « d’étau » au niveau de la région de la charnière thoraco-lombaire. La douleur est mal soulagée par le repos, peut entraîner des réveils nocturnes, s’accompagne d’un dérouillage matinal supérieur à 30 minutes pouvant atteindre une heure. Sur le plan général, on constate un contexte d’asthénie. Une suspicion de spondylarthropathie est évoquée. Les antalgiques de palier II n’apportent pas de soulagement significatif, ni les AINS. À l’examen, il n’est pas constaté de réelle raideur rachidienne mais une douleur en fin d’amplitude, une douleur plus nette au niveau de la charnière thoraco-lombaire et de la charnière lombo-sacrée. Pas de douleur dans la manœuvre de Lasègue. La biologie de première intention monte un syndrome inflammatoire avec une VS à 45 mm, CRP : 43 mg/L, et sur l’électrophorèse des protéines sériques une augmentation des alpha 2.
106 Réflexions autour du bassin Le HLA B27 reviendra négatif. Les examens complémentaires d’imagerie mettront en évidence des images osseuses lytiques au niveau du sacrum (fig. 11 et 12) mais aussi de la charnière thoraco-lombaire (fig. 13 et 14). Le bilan étiologique permettra de retenir le diagnostic de lymphome.
Fig. 11 et 12 – Scanner du bassin objectivant des lésions lytiques au niveau du sacrum.
• Cas clinique n° 6 M. John D., né en 1924, est régulièrement suivi pour maladie de Waldenström. Depuis quelques mois, il est de plus en plus gêné par une sciatalgie gauche, d’installation et d’évolution progressive. La douleur est surtout marquée en fin de journée et la nuit. Il a des antécédents de lombo-sciatalgies par discarthrose, de cure de hernie inguinale, d’adénome prostatique et de stripping veineux des membres inférieurs. Il est également régulièrement traité pour des antécédents comitiaux. La douleur à point de départ lombosacré irradie dans le membre inférieur gauche épousant une topographie radiculaire mixte, L5 et S1. Elle est mal soulagée par les
Quelques pièges diagnostiques
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Fig. 13 et 14 – Scanner du rachis objectivant des remaniements de type secondaire au niveau de L1. On aperçoit le remaniement de S1.
Fig. 15 et 16 – Scanner : image lytique au niveau de l’aileron sacré gauche avec présence de tissu tumoral.
antalgiques de palier I et II. Un bilan complémentaire sera effectué. La biologie retrouve le pic IgG en rapport avec la pathologie hématologique connue. Le bilan d’imagerie va mettre en évidence une localisation lytique de l’aileron sacré gauche avec présence de tissu tumoral (fig. 15 et 16). Outre les tumeurs primitives et secondaires, les localisations osseuses des hémopathies, l’atteinte osseuse peut être primitive bénigne.
Atteintes osseuses primitives bénignes Nous retiendrons ici deux cas, l’ostéome ostéoïde, et, plus rarement, l’ostéoblastome où le diagnostic n’est pas toujours évident, pouvant conduire à des errances avant la mise en place du traitement adapté.
108 Réflexions autour du bassin
Ostéome ostéoïde Il s’agit d’une lésion osseuse bénigne qui apparaît à l’adolescence ou chez l’adulte jeune. Il représente 4 % des tumeurs osseuses primitives, 12 % des tumeurs osseuses bénignes. Le sex-ratio est de 2 hommes/1 femme. On devra donc être attentif chez un sujet jeune qui consulte pour des douleurs d’origine inflammatoire, à recrudescence nocturne, soulagées par l’aspirine (dans 70 % des cas). La localisation au niveau du bassin n’est pas la plus fréquente. Elle est dans 70 à 80 % des cas au niveau des os longs, mais le rachis, notamment l’arc postérieur peut être touché voire les os plats. Le diagnostic n’est pas toujours aisé à mettre en évidence. Devant un épaississement cortical sur les clichés radiographiques standard, au moindre doute, on complètera par une scintigraphie osseuse et/ou des coupes scanner pour visualiser le classique nidus (8).
Ostéoblastome C’est une tumeur bénigne, plus grande que l’ostéome ostéoïde, plus de 2 cm, peu fréquente, dont la localisation est au niveau du rachis dans un tiers des cas, surtout l’arc postérieur, dans un autre tiers des cas aux os longs et dans un dernier tiers des cas aux mains, pieds (talus notamment) et aux os plats dont le bassin. Sur l’imagerie, l’ostéoblastome se traduit par une ostéolyse limitée entourée d’une ostéocondensation variable avec des calcifications ou ossifications intralésionnelles (8, 9).
Éliminer une atteinte ostéo-articulaire infectieuse Sacro-iliite infectieuse Les sacro-iliites infectieuses sont assez rares. Elles représentent de 1 à 2 % jusqu’à 4 % des ostéoarthrites suivant les auteurs. Cette rareté associée à un tableau clinique souvent trompeur peut être à l’origine d’une méconnaissance du diagnostic. On pense à la brucellose, en particulier chez les populations exposées (travail en milieu d’élevage, bergers, agriculteurs, travailleurs des abattoirs, etc.). Il ne faut pas oublier également la possibilité d’une atteinte tuberculeuse. Mais, parmi les infections à germes banaux, le germe le plus souvent en cause est Staphylococcus aureus. L’infection est d’origine hématogène le plus souvent. Le tableau clinique associe une fièvre, une douleur de la région lombosacrée latéralisée, une irradiation fessière, une boiterie, une sciatalgie tronquée, parfois une irradiation abdominale. Sur le plan radiographique, il y a un retard diagnostic de 2 à 3 semaines. C’est l’IRM qui montre les premiers signes en T1 perte de la bande en isosignal correspondant au cartilage articulaire et rehaussement synovial après injection de gadolinium. Le diagnostic différentiel va se poser avec les spondylarthropathies séronégatives et l’hyperparathyroïdie (10).
• Cas clinique n° 7 Mme Nicole T., née en novembre 1937, est suivie pour une gonarthrose avec une atteinte du compartiment antérieur fémoro-patellaire, des lombalgies avec épisodes de sciatalgies en rapport avec une discarthrose L4-L5 modérée et des cervicalgies en rapport avec une discopathie C5-6.
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En décembre 2003, après le port de charges lourdes, elle a des douleurs de la fesse droite, d’horaire plutôt mécanique. Le lendemain, elle a plusieurs épisodes de frissons. Elle recevra des AINS qui l’ont peu soulagée et a eu, à la suite, un épisode de méléna. Elle a été admise avec un tableau clinique comportant une certaine altération de l’état général, une température à 38,4 °C, une douleur à l’examen de l’articulation sacro-iliaque droite et un hypochondre droit sensible. Au plan biologique, une hyperleucocytose à 12 000 dont 85 % de polynucléaires neutrophiles, VS à 35 mm, CRP à 235 mg/L, ferritine à 1 445 ng/mL. Les transaminases étaient à N x 2, de même que les phosphatases alcalines. L’IRM du rachis lombaire ne montrait pas d’anomalie significative, le scanner du bassin un abcès du psoas droit sans anomalie osseuse ni au niveau de l’articulation sacro-iliaque. La scintigraphie osseuse mettait en évidence une hyperfixation au pole inférieur de l’articulation sacro-iliaque droite sans autre anomalie par ailleurs. Il a été isolé un staphylocoque doré méthicilline-sensible. En interrogeant à nouveau la patiente, on retrouvait la notion d’une plaie du bord externe du pied droit qui s’était surinfectée et avait évoluée sur plus de trois semaines. Pas de facteurs favorisants, en particulier pas de corticothérapie ni diabète. L’amélioration a été favorable sous biantibiothérapie (Orbénine® et gentamycine ensuite relayée du fait de la persistance d’hémoculture positive par rifampicine et péflacine sur 6 semaines avec relai ultérieur par Pyostacine®). Une localisation infectieuse peut également être observée au niveau de la symphyse pubienne et peut faire errer le diagnostic étiologique d’une pubalgie (fig. 17).
Fig. 17 – IRM de contrôle : coupes coronales en séquences T1 et T1 fat. sat. (saturation de graisse) avec gadolinium.
Éliminer une atteinte ostéo-articulaire inflammatoire Ce sont notamment les sacro-iliites dans le cadre des spondylarthropathies qui regroupent plusieurs entités : spondylarthrite ankylosante, arthrites réactionnelles,
110 Réflexions autour du bassin rhumatisme psoriasique, rhumatisme axial des entérocolopathies, les manifestations articulaires associées au SAPHO. L’enthèse est la cible privilégiée des spondylarthropathies. L’articulation sacro-iliaque comprend très peu de synoviale alors que sa composition fibreuse et ligamentaire est très importante. La sacro-iliite évolue ainsi comme une enthésopathie avec une phase d’érosion des berges articulaire puis une phase ossifiante avec une condensation osseuse pouvant aller jusqu’à la fusion articulaire complète. On sera particulièrement vigilant devant un patient qui présente des douleurs fessières suivant un horaire inflammatoire avec irradiation possible à la face postérieure des cuisses, souvent bilatérales. Et ceci d’autant plus si y sont associées des rachialgies, le plus souvent dorso-lombaires, avec raideur vertébrale. Devant un tel tableau, les clichés des articulations sacro-iliaques devront être demandés. En effet, l’atteinte des sacro-iliaques est quasi constante, le plus souvent bilatérale, plus ou moins symétrique (fig. 18 et 19).
Fig. 18 et 19 – Radiographies : sacro-iliite bilatérale en haut et image de quasi-fusion en bas.
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Éliminer une atteinte fracturaire, post-traumatique ou spontanée Dans le cas de traumatisme important, le problème ne se pose pas. En revanche, il faudra être attentif chez les personnes âgées, à forte potentialité d’ostéomalacie, voire ostéoporose, qui se présentent à la consultation avec une douleur inguinale, le plus souvent unilatérale, à début rapide voire brutal, sans élément déclencheur net, majorée à la mise en charge, entraînant une boiterie, soulagée au repos. À l’examen clinique, la hanche n’est ni limitée, ni douloureuse. Il faut alors rechercher une fracture ostéoporotique au niveau du cadre obturateur. Parfois, la radiographie initiale n’est pas toujours démonstratrice. Une scintigraphie osseuse, voire une IRM permet alors de préciser le bilan lésionnel. Nous reproduisons un cliché IRM (fig. 20) d’un homme né en septembre 1927, consultant pour une douleur inguinale bilatérale rendant extrêmement difficile la verticalisation et donc la marche. Comme facteur de risque existait un traitement par hormonothérapie pour un antécédent néoplasique prostatique considéré comme guéri. Les radiographies standard n’étaient que peu contributives. L’IRM objective une fracture des deux branches ischio-pubiennes.
Fig. 20 – IRM : fracture des branches ischio-pubiennes avec hypersignal diffusant au niveau des adducteurs.
112 Réflexions autour du bassin Dans le même cadre nosologique, il faut être attentif chez les personnes âgées qui souffrent de la région lombo-sacrée à début brutal. La douleur est majorée en position assise, parfois présente en position couchée suivant la position adoptée. Le rachis lombaire n’est que peu douloureux à l’examen segmentaire, en revanche le sacrum l’est. Les radiographies sont souvent peu contributives. La scintigraphie osseuse peut être un examen utile mais le scanner (fig. 21) permettra un bilan lésionnel précis. Le plus souvent, est mise en évidence une fracture d’un aileron sacré, voire une fracture bilatérale en H.
Fig. 21 – Scanner : fracture bilatérale du sacrum.
Éliminer une ostéopathie comme la maladie de Paget La maladie de Paget, ou ostéite déformante, est une ostéodystrophie bénigne, exceptionnelle avant 40 ans qui a une prévalence d’environ 10 % à 80 ans. L’homme est plus fréquemment atteint que la femme. Elle est caractérisée par un remodelage anormal et excessif d’un ou plusieurs os. Tous les os peuvent être atteints, les plus souvent touchés sont : le rachis (30 à 75 %), l’os coxal (30 à 70 %), le sacrum (30 à 60 %), le fémur (25 à 55 %), le crâne (28 à 42 %). Cliniquement, elle reste souvent silencieuse ainsi, elle est souvent diagnostiquée lors de radiographies effectuées pour un autre motif. Les formes symptomatiques s’expriment par une douleur osseuse, souvent mécanique, parfois permanente, lancinante, parfois pulsatile. Les signes radiographiques sont en général caractéristiques, permettant d’affirmer le diagnostic : hypertrophie ou déformation de l’os, condensation osseuse trabéculaire avec des travées osseuses grossières, épaissies à l’orientation anarchique, dédifférenciation
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cortico-médullaire estompant les limites entre la corticale et la médullaire. Au plan biologique, il existe une augmentation du taux des phosphatases alcalines qui est un bon reflet de la maladie et permet de suivre la réponse au traitement (7). L’apparition de douleurs inhabituelles doit faire redouter la survenue d’une dégénérescence sarcomateuse, heureusement très rare mais au pronostic redoutable.
Conclusion Les douleurs du bassin, pelviennes, doivent dans un premier temps être rattachées à une origine ostéo-articulaire. Même si nous n’avons que peu de chance de rencontrer ces cas dans nos consultations, il faudra, devant une douleur pelvienne aiguë, éliminer une pathologie viscérale, gynécologique le plus souvent, qui nécessiterait une prise en charge spécialisée rapide, voire urgente. Ce n’est, en principe, pas dans ces cas-là que l’on aura le plus de difficultés de diagnostic. Ce peut être plus difficile lorsqu’il faudra éliminer une lésion osseuse tumorale, primitive ou secondaire (les plus fréquentes), une origine infectieuse voire inflammatoire rhumatismale. Il ne faudra pas oublier la possibilité de douleurs projetées, de maladie de Paget, mais aussi penser, dans un contexte d’ostéomalacie ou ostéoporose, aux lésions fracturaires d’apparition spontanées. Comme toujours, la clinique est importante avec un interrogatoire attentif suivi d’un examen clinique précis et complet. Il sera étayé par les examens complémentaires, biologie et imagerie. Rappelons une fois de plus que c’est la clinique qui prime et qui doit orienter la mise en œuvre de ceux-ci. Ainsi de nombreux pièges seront évités.
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Manipulations sacro-iliaques J. Lecacheux
Il existe de nombreuses techniques pour manipuler les articulations sacro-iliaques et celle qui est proposée ici est le résultat d’un choix. Mais, quelle que soit la technique utilisée, la manipulation est une thérapie manuelle qui se déroule toujours en trois temps : – la mise en position du patient et du thérapeute ; – la mise en tension du segment vertébral ou de l’articulation à traiter ; – l’impulsion proprement dite qui est un mouvement extrêmement rapide et de très faible amplitude, pratiqué à partir d’un seul point d’appui.
Introduction Il a été décrit une multitude de déplacements possibles des os iliaques et du sacrum avec, pour chacun, un axe de rotation. En fait, mis à part la situation très particulière de l’accouchement où il y a, à l’évidence, une rotation du sacrum autour d’un axe situé près des ligaments axiles, à l’origine d’une dysfonction sacro-iliaque on trouve plutôt un choc vertical, une chute sur un talon, un trottoir raté, un pied mis dans un trou, etc. Il s’agit donc d’un déplacement de haut en bas, qui s’apparente plus à un mouvement de translation et de glissement. Pour Farabeuf, l’articulation sacro-iliaque est « une diarthrose par emboîtement réciproque avec un rail creux sacré et un rail plein iliaque ». Elle possède une capsule articulaire riche en neuro-récepteurs dont la stimulation peut engendrer d’importants réflexes. Cette capsule se confond avec les ligaments sacro-iliaques antérieurs et postérieurs (fig. 1A). Il y a tout lieu de penser que l’efficacité des manipulations sacro-iliaques soit due à la stimulation des récepteurs capsulaires et ligamentaires, comme dans toute manipulation articulaire où ce n’est jamais l’amplitude du déplacement qui constitue le critère essentiel de réussite (fig. 1B et C).
S. Bendaya et al., Réflexions autour du bassin © Springer-Verlag France, Paris 2011
116 Réflexions autour du bassin
Fig. 1 – A. Ligaments sacro-iliaques et ilio-lombaires. SS : sacro-sciatique. SIA : sacro-iliaque antérieur. SIP : sacroiliaque postérieur. IL : ilio-lombaire.
Quelques définitions Lorsque la base sacrée bascule en avant on parle d’une nutation :
– sacrum antérieur des Anglo-Saxons ; – ilium postérieur.
Fig. 1 – B. Nutation.
Lorsque la base sacrée bascule en arrière, on parle de contre-nutation : – sacrum postérieur des Anglo-Saxons ; – ilium antérieur.
Fig. 1 – C. Contre-nutation.
Manipulations sacro-iliaques
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Exemple de manipulation d’une sacro-iliaque en nutation
Fig. 2 – A. SI droite en nutation. B. Piedallu assis.
Dans ce type de dysfonction, au cours de la recherche du signe de Piedallu, en position assise, l’EIPS ascensionne nettement plus à droite (fig. 2A et B). Le traitement se décompose en trois phases : – manipulation de l’articulation sacro-iliaque droite ; – manipulation de l’articulation sacro-iliaque gauche ; – manipulation de la symphyse pubienne.
Pour manipuler une sacro-iliaque droite La patiente est invitée à se positionner en décubitus latéral gauche (fig. 3). Le bras gauche est étendu et tracté vers le haut, afin d’obtenir une extension globale du rachis, la joue gauche repose sur le bras, la ligne d’épaules est à 90° par rapport au plan de la table (fig. 4).
Fig. 3 – Position de départ.
118 Réflexions autour du bassin
Fig. 4 – Traction sur le bras gauche.
Le membre inférieur gauche de la patiente est repoussé vers l’arrière pour compléter la mise en lordose du rachis lombaire (fig. 5).
Fig. 5 – Mise en lordose.
Manipulations sacro-iliaques
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Le médecin obtient la mise en tension de la sacro-iliaque en basculant le bassin vers lui, à l’aide d’une poussée latérale sur la crête iliaque, la ligne d’épaules de la patiente maintenue, fixe. La manipulation se fait par une pulsion de très haute vélocité et de très faible amplitude, suivant l’axe de l’avant-bras du médecin (fig. 6), en rotation-translation antérieure de l’ilium.
Fig. 6 – Direction de l’impulsion.
Pour manipuler la sacro-iliaque gauche (2e temps) La patiente est invitée à se coucher en décubitus latéral droit. Le rachis lombaire est toujours verrouillé en lordose mais la cuisse gauche est fléchie sur le bassin. Le médecin place la face antérieure de son avant-bras sur l’ischion gauche de la patiente (fig. 7). La manipulation produit une rotation-translation postérieure de l’ilium gauche.
Pour manipuler la symphyse pubienne (3e temps) La patiente est en décubitus dorsal. La manipulation de la troisième articulation de l’anneau pelvien est l’étape finale de la manipulation sacro-iliaque.
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Fig. 7 – Direction de l’impulsion.
La mise en tension s’obtient en demandant à la patiente de s’opposer à l’écartement de ses genoux. La manipulation s’obtient par un mouvement d’écartement des mains du médecin, de très haute vélocité et de très faible amplitude (fig. 8). La règle du « pas à pas » manipulatif impose de toujours vérifier ce qui vient d’être fait par une nouvelle manœuvre de Piedallu (fig. 9).
Fig. 8 – Manipulation de la symphyse pubienne.
Fig. 9 – Piedallu assis.
Pelvis et neuro-acupuncture P. Sautreuil, P. Thoumie, V. Salvator Witvoet, S. Bendaya et B. Missaoui
Introduction Les douleurs pelviennes peuvent efficacement être traitées par acupuncture, surtout quand elles ont pour origine des triggers points (TP). Nous les abordons comme les douleurs lombaires (1) et les douleurs cervicales (2), dans deux précédents congrès de l’ANMSR. Ces triggers points, le plus souvent musculaires, se développent dans différents contextes : traumatiques ou micro-traumatiques, radiculalgiques, neurologiques… Dans certaines circonstances, laissées sans réponse efficace, ils perturbent et désharmonisent un groupe musculaire, un membre voire le corps entier. Des aiguilles d’acupuncture, utilisées de façon pragmatique, comme des outils de médecine physique, peuvent durablement améliorer ces tableaux douloureux.
Qu’est-ce qu’un trigger point ? Décrits initialement par Janet Travell et David Simons dans deux ouvrages richement illustrés (3), ils sont présents également dans l’acupuncture chinoise contemporaine. On les appelle points a shi (a shi xue, ➂㬨䁉) que l’on peut traduire par « c’est là que j’ai mal ». Le triggers point est un groupe de fibres musculaires, un faisceau, dont les différentes phases de repos-contraction-décontraction sont altérées, désynchronisées. Il persiste une contraction résiduelle. Les triggers points se constituent soit à la suite d’un excès d’utilisation (geste professionnel ou sportif, trouble musculo-squelettique), d’un traumatisme direct (séquelle de contracture ou de déchirure) ou indirect (contracture réflexe) ou encore d’un trouble de la commande (tronculaire, radiculaire, centrale). Le recours à la puncture de ces points donne lieu à un certain concensus international (4, 5). S. Bendaya et al., Réflexions autour du bassin © Springer-Verlag France, Paris 2011
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Localisation des douleurs, palpation spécifique Pour le patient, il peut s’agir d’un point ou d’une zone. Le plus souvent, il n’a pas gardé en mémoire l’événement à l’origine de ses douleurs. Elles ont parfois plusieurs mois ou années d’existence et de résistance aux diagnostics et aux traitements. Les irradiations sont fixes ou changeantes, permanentes ou inconstantes, aggravées par l’activité motrice… Tout peut se voir. Pour bien palper un muscle et ses tendons, il faut qu’il soit au repos. La recherche des TP se fait donc dans une position adaptée au territoire exploré. Parfois, et en particulier pour le massif fessier, il est nécessaire de mettre les muscles en étirement : patient installé en décubitus controlatéral, hanche fléchie, pied placé hors du lit d’examen, on repère plus facilement les TP du grand et du moyen. Dans certain cas plus difficiles, une contraction contre résistance permet de « débusquer » le TP. La palpation concerne l’ensemble du corps musculaire et ses insertions. Les TP peuvent se situer à n’importe quel niveau du muscle, isolés ou en groupes. Toute induration musculaire n’est pas un TP, par exemple au niveau des paravertébraux. Il faut que cette induration soit responsable de douleurs spontanées et provoquées. Ce qui est indispensable, et c’est en quoi une acupuncture de médecine physique se veut différente de l’acupuncture traditionnelle, c’est que la palpation minutieuse du patient permette une localisation des TP responsables de son tableau algique. C’est un préalable à la réussite du traitement par acupuncture.
Physiopathologie des triggers points On identifie plusieurs étapes dans l’évolution des TP. Le tableau I reprend une classification établie par Hong Chang-Zern. On y voit distinguer des points latents, non connus du patient, et qui ne sont perçus qu’à la palpation. À un stade de plus, ils vont se manifester spontanément, et progressivement, de plus en plus bruyamment. Les TP vont se différencier en fonction de l’importance des douleurs spontanées, de l’intensité des irradiations, d’une moindre force musculaire (conséquence de la douleur à la contraction). Les phénomènes vasculaires associés sont controversés : associés pour certains et justifiant des techniques appropriées (shiatsu japonais [6]), ils ne sont attachés qu’aux TP sévères pour d’autres. Ces anomalies circulatoires pourraient expliquer la sclérose vers laquelle évolueraient, à long terme, les myofibrilles. Le bruit de plaque motrice (end plate noise) semble être une caractéristique (non exclusive) des TP (7, 8). Si on accepte un versant sensitif et un autre moteur aux triggers points myofasciaux (9), on ouvre le champ thérapeutique aux techniques de stretching, massage, thermothérapie, électrothérapie, thérapies laser, injection des TP, mais surtout aux aiguilles sèches et à l’acupuncture. La désactivation des TP, reposant sur le bon usage des techniques, permet d’éviter l’extension des irradiations secondaires (10).
Trigger point myofasciaux et « sensitization » Le traitement par acupuncture des TP, en particulier pelviens, est une solution efficace selon Marta Imamura (11, 12). Par exemple, l’apparition d’un trigger point dans le petit
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Tableau I – Différents stades évolutifs des triggers points et niveaux de douleur, impact sur l’élasticité musculaire, sur les douleurs référées, la force musculaire et la participation végétative vasculaire (selon Hong Chang-Zern). Caractéristiques du trigger point Induration Réponse locale Réduction d’élasticité Douleur à la pression Douleur référée/pression Douleur spontanée Douleur référée spontanée Faiblesse musculaire Phénomènes vasculaires
Latent + + +/– + +/– – – – –
Faible ++ ++ + ++ + + + +/– –
Actif Modéré +++ +++ ++ +++ ++ ++ ++ + –
Sévère ++++ ++++ +++ ++++ +++ +++ +++ ++ +/–
fessier droit peut désynchroniser le fonctionnement du muscle et, s’il n’est pas traité, altérer le fonctionnement musculaire périphérique. La permanence du bombardement nociceptif du 2e neurone de la corne dorsale de la moelle épinière va entraîner une « sensitization » segmentaire puis centrale (défaut d’inhibition centrale). Une sensation spontanée douloureuse de niveau spinal S1 concernant le dermatome, le myotome et le sclérotome se développe. À un stade de plus, cela peut prendre l’allure d’une douleur thalamique. Dans notre expérience, certaines formes de fibromyalgies s’apparentent à une désynchronisation simultanée de multiples triggers points (fig. 1).
Fig. 1 – Mise en résonance douloureuse des deux membres inférieurs, voire du corps entier à partir d’un dysfonctionnement du gluteus minimus droit : un trigger point (1) dans ce muscle provoque une « peripheral sensitization », laquelle se prolonge par un bombardement du 2e neurone de la corne postérieure qui, à son tour, enclenche une « centrale sensitization » (Marta Imamura). Cliniquement, le patient perçoit une douleur de niveau S1 au niveau du dermatome, du myotome et du sclérotome (2), qui peut envahir le membre controlatéral (3).
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Acupuncture, aiguilles sèches et triggers points La façon de réaliser la puncture du TP intervient dans l’efficacité du geste. Il peut être suffisant de réaliser une puncture simple accompagnée de la manœuvre de deqi. On peut également faire une puncture en étoile : une fois la barrière cutanée passée et le TP atteint, on remonte jusqu’à la surface et on redescend en modifiant l’angle. Et ceci plusieurs fois de façon à puncturer un volume qui sera fonction du trigger point palpé. À noter que l’on retrouve une similitude de geste avec l’injection de médicaments dans les trigger points. La puncture s’accompagne d’une manipulation spécifique des aiguilles appelée par les Chinois de qi, ⭤㡙, « saisir l’énergie ». Cette manœuvre peut être considérée comme une des principales passerelles entre les deux médecines, occidentale et chinoise, car elle active les réseaux sensoriels. Au tout début de la manoeuvre, pendant quelques secondes, le patient ne ressent que la piqure de la peau. Puis, après un bref instant, une sensation douloureuse spécifique apparaît, elle devient très rapidement intolérable. Il faut savoir maîtriser ce geste dont dépend l’efficacité du soin et s’arrêter au début de la « saisie » de l’énergie pour ne pas rendre la séance d’acupuncture insupportable. Quand l’aiguille atteint le trigger point en son centre, il est l’objet d’une contraction éclair, visible ou ressentie par la main posée sur la peau (par exemple ceux du moyen fessier). C’est un premier signe d’efficacité et de justesse du geste.
Applications et particularités des triggers points pelviens Les applications sont nombreuses et couvrent tout le champ des douleurs pelviennes musculaires. Elles vont des triggers points isolés (moyen et grand fessiers, pyramidal) à ceux appartenant aux tableaux de névralgies radiculaires L3-L4, L5, S1, en passant par des pathologies neurologiques comme la sclérose en plaque. Dans ce contexte, le trigger point spastique est amélioré par l’acupuncture, tant au niveau de la douleur que de la spasticité (13). Ce sont souvent les mêmes localisations, les mêmes zones de souffrance des fibres musculaires. Le geste de puncture est identique, indépendant de l’origine des TP. Une puncture lente (obtention d’une contracture flash) et la recherche de deqi permettent de localiser le trigger point grâce à la réaction du muscle et à la perception du patient. La puncture directe des triggers points peut être complétée par celle de points du méridien correspondant. Par exemple, 40 et 60 V (wei zhong, 㸐䐱 et kun lun, ㎆㔹, pour une névralgie sciatique S1), 34 et 41 VB (䂕㒋㦋, yang ling quan et 䔄㑺㡝, zu lin qi, sciatique L5). Le massif fessier est le groupe musculaire le plus important du corps. Certains TP sont très profonds et nécessitent l’utilisation d’aiguilles longues (8 cm de longueur utile) dont la manipulation est plus difficile (fig. 2).
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Fig. 2 – Ex-marathonien de 70 ans, présentant des douleurs chroniques des deux massifs fessiers. Interventions chirurgicales sur le pyramidal gauche (cicatrice 1, 1998) et d’Alcock bilatérale (cicatrices 2, 2000), sans franc succès. Triggers points puncturés avec des aiguilles de 80 mm (3) et courte (40 mm, 4) en fonction de la profondeur. À noter que le psoriasis (5) ne serait pas impliqué dans les douleurs anciennes de ce patient.
Nombre de séances Une à deux séances peuvent suffire pour un TP récent isolé. Des TP plus anciens nécessitent plusieurs séances et une prise en charge plus globale comprenant kinésithérapie, nouvelles règles d’hygiène de vie, auto-entretien axés sur les étirements.
Conclusion Les aiguilles d’acupuncture ou aiguilles « sèches » sont un excellent moyen de traiter les douleurs musculaires pelviennes, qu’elles soient isolées sous forme de triggers points, intégrées à des tableaux de névralgies radiculaires ou à des tableaux neurologiques comme la sclérose en plaque. Leur utilisation demande un repérage palpatoire préalable méticuleux, un travail spécifique des aiguilles appelé recherche du deqi. C’est également une excellente réponse aux algies chroniques. Ce soin s’intègre à d’autres formes de prise en charge en médecine physique, en particulier la kinésithérapie.
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