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French Pages 234
Quand La Réunion s'appelait Bourbon (XVIIe-XVIIIe siècle)
site: www.Jibrairieharmattan.com [email protected] e.mail: [email protected] @L'Harmattan,2005 ISBN: 2-7475-9800-4 E~:9782747598002
Michèle Dion
Quand La Réunion s'appelait Bourbon (XVIIe-XVIIIe siècle)
L'Harm.attan
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Collection
"Populations"
Dirigée par Yves Charbit, Maria Eugenia Cosio-Zavala,
Hervé Domenach
La démographie est au cœur des enjeux contemporains, qu'ils soient économiques, sociaux, environnementaux, culturels ou politiques. En témoigne le renouvellement récent des thématiques: développement durable, urbanisation et mobilités, statut de la femme et de l'enfant, dynamiques familiales, santé de la reproduction, poIitiques de population, etc. Cette démographie contextuelle implique un renouvellement méthodologique et doit donc prendre en compte des variables en interaction, dans des espaces de nature diverse (physiques, institutionnels, sociaux). La collection Populations privilégie les pays et les régions en développement sans pour autant oublier leurs liens avec les pays industrialisés et contribue à l'ouverture de la démographie aux autres disciplines. Elle est issue d'une collaboration entre les chercheurs de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), de Populations et Interdisciplinarité (Université Paris V-René Descartes) et du Centre de Recherches Populations et Sociétés (Université Paris X-Nanterre).
DEJAPARUS V éronique Petit: Migrations
et société dogon
Frédéric Sandron : Curiosités démographiques Patrice Vimard et Benjamin Zanou, ed. : Politiques démographiques et transition de la fécondité en Afrique Jesus A. Alejandre Etats-Unis
et Jean Papail : L'émigration
Stéphanie Toutain : L'interminable en Italie
mexicaine
vers les
réforme des systèmes de retraite
Patrick Livenais : Peuplement et évolution agraire au Morelos (Mexique) Bénédicte Gastineau et Frédéric Sandron : Dynamiques familiales et innovations socio-démographiques Sarah Hillcoat-Nalletamby : La pratique de la contraception à l'lIe Maurice Myriam de Loenzien : Le Sida en milieu rural africain Bénédicte Gastineau fécondité en Tunisie
et Frédéric
Sandron:
La transition
Yves Charbit, et Catherine population au Viêt-Nam
Scornet
Lelia Marmora:
de migrations internationales
Les politiques
Hervé Domenach et Michel Picouet population: défis et perspectives
: Société
(dir.):
de la
et politiques
Environnement
de
et
Véronique Petit et Marie-Laetitia des Robert: Entre résistance et changements: la planification familiale en milieu rural sénégalais Jean-François
Léger:
Les jeunes et l'armée
Ralph Schor: Français et immigrés en temps de crise (1930-1980)
REMERCIEMENTS
Au terme de cette étude, je mesure redevable à l'égard de :
la gratitude
dont je SUIS
Yves Charbit, professeur à l'université Paris V, qui a accepté d'encadrer ce travail malgré ses nombreuses activités et responsabilités. Son dynamisme a largement dopé mon calme. Jean-Pierre Sylvestre, professeur à l'université de Bourgogne, lequel soucieux de me libérer de certaines tâches administratives, inhérentes à la direction d'un département de sociologie, est allé contre sa nature! Sa sollicitude a toujours été empreinte du plus grand tact: pas trop pour que la « pression» soit supportable, assez pour me permettre de penser que ce travail aboutirait. Jane Dion, ma mère, qui a eu sans doute, plus d'une fois sans le dire, le sentiment que l'esclavage n'avait pas été aboli. Elle a été, dans tous les domaines, à mes côtés. En poste à Dijon depuis 1991, je remercie l'université de Bourgogne, pour laquelle j'aime travailler, qui m'a permis de développer la démographie sur son site et m'a procuré un état d'esprit favorable à la recherche. J'aimerais évoquer ici les professeurs Alain Girard et Alain Norvez, membres en 1989 de mon jury de thèse consacrée à La Réunion, et le professeur Michel Jaffrezo auxquels j'aurais tellement aimé faire découvrir Bourbon.
A mon père
PRÉSENTATION Bourbon est déserte quand y arrivent, en novembre 1663, Louis PAYEN et Pierre PAU. Ils ont obtenu du gouverneur français de Madagascar l'autorisation de s'installer dans l'île. Ils sont accompagnés de dix domestiques malgaches: sept hommes et trois femmes. Le 7 mars 1665 des navires chargés de colons quittent Brest. Ils font une escale quatre mois plus tard à Bourbon où débarquent vingt personnes. Le 14 mars 1666 une flotte de dix bateaux1 quitte La Rochelle. Elle arrivera dix mois plus tard dans l'océan Indien. Mille six cent quatre-vingt-huit volontaires ont ainsi fait route dont trente-deux femmes. Un tiers d'entre eux n'arrivera jamais à destination. Cinq jeunes filles resteront à Bourbon.
*** C'est le début du peuplement de ce territoire, département français depuis 1946, que nous nous proposons d'analyser, avant qu'il ne s'appelle La Réunion2.
1. La Marie, le Terron, le Saint-Charles, la Mazarine, la Duchesse, Saint-Luc, le Saint-Jean, le Saint-Robert et le navire amiral de Jean-Baptiste commandé par le marquis de Montdevergues. 2 La Convention donne ce nom à l'île Bourbon par décret du 23 mars 1793) en souvenir des Marseillais et des gardes nationaux Tuileries le 10 août 1792.
le Saint-Denis, le la flotte le SaintVentôse an I (13 pour l'assaut des
INTRODUCTION Les sources
Les anciens recensements1 (1690, 1704-1705, 1708-1709, 1710, 1711,1713,1719,1733-1734,1744,1752 et 1779) de l'île Bourbon sont accessibles sous forme de microfilms, au Centre d'Accueil et de Recherche des Archives Nationales (C.A.R.A.N.) sous les codes 5Mi 1247, 5Mi 1248 et 319 Mi 1,2,3, et 8. Les «données» de 1678 ne constituent pas à proprement parler un dénombrement. Il s'agit en fait de la « marque », signature ou croix quand ils ne savent pas signer, de certains chefs de famille de l'île. Le tout premier recensement, réalisé en septembre 1690, donne le nom et le prénom du chef de famille, éventuellement sa profession, l'origine géographique de son épouse, sans la nommer, le nombre d'enfants répartis en garçons et filles et le nombre de domestiques divisé en nègres et négresses. La récapitulation en fin de recensement distribue la population en Blancs et Noirs et dans chaque groupe en hommes, femmes et enfants. Le recensement effectué entre 1704 et avril 1705, intitulé « Recensement général de tous les habitants chefs de famille, femmes, enfants et esclaves qui sont dans l 'fie de Bourbon, leur âge, le lieu de leur naissance, les terres qu'ils occupent et auxquelles cultures elles sont propres », fait une double récapitulation: d'une part, on dispose d'un état chiffré, par lieu de résidence, décomposé en chefs de famille, femmes, veufs, garçons, filles, noirs et négresses et, d'autre part, d'un état pour l'ensemble de l'île en hommes, femmes, veufs, garçons, filles, noirs et négresses. Le recensement de 1708 et mars 1709 présente, dès sa première page, les données globales réparties en hommes ayant femme, femmes
1. Il ne s'agit pas de recensement au sens actuel du terme, lequel a pour but de comptabiliser les habitants d'un territoire à une date exacte. Il convient plutôt de comprendre « population dénombrée ». Nous avons malgré tout gardé le mot qui figure en en-tête de chacune des différentes comptabilités de populations.
INTRODUCTION
ayant mari, veufs, veuves, garçons, filles, nègres et négresses. En face de l'addition qui donne la population totale on peut lire cette petite phrase: «il y a beaucoup d'apparence que cet état n'est point juste »... La récapitulation introduit une distinction entre les âges des garçons et des nègres au-dessus et au-dessous de 14 ans, des filles et des négresses au-dessus et au-dessous de 12 ans. Suit un état des bestiaux, les résultats de la récolte de 1708, un projet de dîmes et la liste alphabétique, par prénoms, des chefs de famille qui indique très précisément leur pays d'origine, leur quartier de résidence et leur profession. Le dénombrement de 1710 est limité à la présentation des chefs de famille (nom, prénom et âge) et de leurs enfants mâles. Il semble que ce dénombrement ait eu un but plutôt «militaire », car la récapitulation par quartier permet de conclure sur le nombre « d'hommes capables de porter les armes ». Le recensement de 1711 présente tout d'abord une liste par quartier des chefs de famille mentionnant leur origine, leur date d'arrivée dans l'île et leur profession. Puis chaque famille est décrite avec la femme, les enfants et les esclaves pour lesquels sont mentionnés les nom (femme), prénom et âge. Le recensement de 1713 se contente de lister le nom et le prénom du chef de famille et de sa femme, le prénom des enfants et des esclaves et, pour tous, l'âge. Le recensement de 1719 ne fait état que du quartier de Saint-Paul. Les recensements de 17331734 citent les noms des conjoints et leur âge, les prénoms et âges de leurs enfants. Les esclaves sont mentionnés: prénom, situation matrimoniale et âge. Les recensements de 1744 et de 1752 fournissent moins de renseignements: les femmes ne sont plus citées sauf si elles sont célibataires ou veuves. Le nombre d'enfants est indiqué en séparant les garçons et les filles. L'origine, né hors ou à Bourbon, du chef de famille est précisée ainsi que, quelquefois, la date d'arrivée dans l'île. Le recensement de 1779 est fait sensiblement de la même façon que les précédents, mais l'âge du chef de famille est indiqué. Ces trois derniers recensements ont été plus difficiles à exploiter du fait de l'absence de l'identité de la femme. En effet, les prénoms masculins dans une même famille étant très répétitifs, il est souvent impossible de décider quelle famille est concernée par le recensement. Dans l'ensemble, les documents sont en bon état et la lecture sur microfilm est de ce fait relativement aisée. 2
INTRODUCTION Un peu d'histoire
«L'ère pré-gamienne»1 avait vu la domination musulmane2 sur l'océan Indien. Au Xe siècle l'islam est implanté sur la côte orientale d'Afrique: il crée la civilisation swahilie, civilisation des côtes, de souche bantoue et de religion islamique. Les Bantous échangeaient l'or de l'actuel Mozambique contre des cotonnades et de la verroterie. « Les Swahilis islamisés explorèrent les îles situées à l'est de la côte africaine. Ils s'établirent aux Comores et sur divers points de la côte de Madagascar. Encore plus à l'est, ils découvrirent l'archipel des Seychelles et celui des Mascareignes. Ces petites îles, alors inhabitées et pauvres en ressources naturelles, ne les retinrent pas. »3 Pendant huit siècles, les Arabes rendront l'océan Indien inaccessible à la chrétienté occidentale et ce d'autant plus facilement que la papauté interdisait aux chrétiens de commercer avec les islamistes. Cependant, des échanges commerciaux avec la Méditerranée s'effectuèrent par l'intermédiaire de Byzance, puis de quelques cités marchandes italiennes, en particulier Venise. Deux Vénitiens, Mafféo et Nicolo Polo, parcourent l'Asie de 1254 à 1259. En 1271, ils repartent emmenant avec eux Marco4, le fils de Nicolo. Gênes, rivale de Venise, cherchait à atteindre l'Inde par deux voies différentes, celle du levant qui échoua et celle du ponant: les premières expéditions par l'Atlantique s'arrêtèrent aux Canaries... Les essais génois furent suivis par ceux des Catalans puis des Portugais. Ils explorèrent la côte occidentale de l'Afrique dès 1433 et il leur fallut encore une quarantaine d'années pour atteindre
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1. L'expression est d'Arnold Toynbee (Londres, 1889 York, 1975). Elle désigne la période qui précède le voyage de Vasco de Gama. 2. Apparition de l'islam en Arabie en 622. 3. Auguste Toussaint, pp. 17, 18. 4. Marco Polo (Venise, vers 1254 - Id., 1324). Il restera au service de l'empereur Koubilaï pendant dix-sept ans. Il sera chargé de nombreuses missions et de plusieurs voyages. Il aura l'occasion de quitter le pays quand Koubilaï fiance sa fille au prince mongol Argoum qui règne en Perse: c'est Marco Polo qui est chargé d'accompagner la promise; il quitte Zayton vers 1291. Il passera par Sumatra, Ceylan d'où il remonte vers le nord en longeant l'Inde et le Béloutchistan. Il rencontre alors des Arabes. Il est le premier Européen à mentionner Madagascar qu'il a peut-être confondu avec Mogadischio car il la peuple de chameaux et d'éléphants. 3
INTRODUCTION
l'extrémité de l'Afrique. Enfin, en 1488, Bartolomeu Diasl doubla le cap de Bonne-Espérance, ainsi baptisé parce qu'il donnait l'espoir d'atteindre bientôt l'Inde. Déjà les Croisades, dès le XIe siècle, avaient entraîné les Européens dans de longs déplacements. Le développement des techniques allait leur permettre de parcourir les mers. La fin du XVe siècle et le XVIe siècle verraient Hollandais, Anglais, Portugais et Français, dans une moindre mesure, sillonner les océans à la recherche d'échanges commerciaux. Dans ce but s'organisent, au XVIIe siècle, les «Compagnies» qui aident au financement de ces courses maritimes autour du monde: la Compagnie d'Angleterre, fondée en 1600, la Compagnie des Pays-Bas, établie en 1602, et la Compagnie de France, créée en 1664. Cette dernière avait été précédée en 1616 par deux tentatives qui avaient tourné court: l'une à partir de Dieppe et l'autre de Saint-Malo. Les Compagnies hollandaise et anglaise avaient surtout comme vocation de s'imposer face aux Portugais dont l'hégémonie était forte dans l'océan Indien: ils possédaient le monopole du commerce dans la région depuis l'arrivée, en 1498, de Vasco de Gama2 à Calicut en Inde. Il convient de noter «monopole du commerce»: en effet, il ne s'agissait pas, pour les Portugais, de prendre possession de terres, car aucun pays ne fut réellement conquis, contrairement à ce que pourrait laisser croire le terme Conquista. Ils avaient comme ambition de répandre le christianisme en Orient, pour faire échec à l'islam et, surtout, ils se consacraient aux échanges commerciaux axés principalement vers le poivre, les épices fines (cannelle, girofle, muscade), la soie, 1' or, l'ivoire et le «bois d'ébène » (esclaves). De 1500 à 1528, deux cent quatre-vingt-dix-neuf navires firent le voyage de l'Inde, soit une moyenne de dix par an. De 1529 à 1612 on en dénombrera cinq cent cinq, soit une moyenne de six par an. De Lisbonne, les navires faisaient voile vers Madère et l'île de La Palma3. Ils longeaient ensuite la côte africaine jusqu'à la Sierra Leone, l'équateur franchi, ils allaient prendre les vents favorables au 1. Bartolomeu Dias de Novaes, ou Barthélémy Diaz (en Algarve, vers 1450 - au large de Bonne-Espérance, 1500). Navigateur portugais. 2. Vasco de Gama (Sines, Alentejo, vers 1469 Cochin, Inde, 1524). Navigateur portugais, il découvrit la route des Indes par le cap de Bonne-Espérance (1497) et atteignit Calicut (aujourd'hui Kozhicode) en 1498. 3. Ile volcanique de l'archipel des Canaries.
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INTRODUCTION
large du Brésil. A la latitude de Rio de Janeiro, ils piquaient vers le sud-est en direction du cap de Bonne-Espérance. S'ils passaient le cap avant la fin de juillet, ils prenaient la « route intérieure» par le canal de Mozambique. Après juillet, ils prenaient la « route extérieure» au large des Mascareignes 1. Après 1612, le trafic diminuera: la colonisation du Brésil, commencée dès 1540, occupera de plus en plus les Portugais au détriment de leurs actions aux Indes. La première expédition néerlandaise vers l'océan Indien date de 1595. Elle visait l'archipel indonésien, centre de production des épices. Un essai d'établissement dans l'océan Indien, à l'île Maurice2, tourna court. Les Hollandais fréquentent Madagascar pour se procurer des esclaves mais ne s'y installent pas: l'occupation du cap de Bonne-Espérance, en 1652, les en détourne. Le Cap est en fait la première tentative de colonisation des Européens dans l'océan Indien, mais le gros du peuplement est composé de Boers (fermiers) qui n'ont aucun goût pour la mer et préfèrent s'enfoncer à l'intérieur des terres. Il faut noter l'insuffisance de l'immigration, malgré l'apport en 1688, des huguenots chassés de France par la révocation de l'édit de Nantes. Après avoir cherché à atteindre l'Inde par la voie du levant, les Anglais empruntent la voie circumafricaine, presque en même temps que les Hollandais. Concentrant ses efforts sur l'Inde, l'Angleterre parvient à mettre la main sur tout l'océan Indien. Si la France s'est lancée tardivement et faiblement dans l'aventure3, il faut sans doute y voir la conséquence des nombreuses guerres dans lesquelles elle était engagée: les hostilités contre Charles-Quint4, puis les guerres de Religion mettent à malle trésor et laissent peu de temps à l'organisation de structures commerciales. Par ailleurs, il semble que les Français n'étaient pas convaincus de l'intérêt de lier marine et colonie. Ainsi, « le comptoir fondé en 1525 à l'île Saint-Alexis, près de Pernambouc, par des Lyonnais, ne
1. L'annexe 1 reproduit la route suivie par ces navires. ln Auguste Toussaint p. 38. 2. Ainsi nommée en hommage à Maurice De Naussau, Prince d'Orange (Dillenburg, 1567 La Haye, 1625). 3. L'annexe 2 témoigne de la présence française dans l'océan Indien sous le règne de François 1er. 4. Charles V ou Charles Quint (Gand, 1500 - Yuste, Estrémadure, 1558). Empereur d'Allemagne (1519-1556), prince des Pays-Bas (1516-1555), roi d'Espagne sous le nom de Charles 1er, roi de Sicile sous le nom de Charles IV (1516-1556).
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INTRODUCTION
subsista pas plus d'un an. La France antarctique de Rio de Janeiro dura de 1555 à 1560. La Floride française, peuplée de protestants, vécut moins encore, de 1562 à 1565. La France équinoxiale de SaintLouis du Marambâo, au nord du Brésil, eut la même durée, de 1612 à 1616. Du Brésil, ce furent les Portugais qui nous chassèrent; en Floride, ce furent les Espagnols qui massacrèrent nos huguenots. La Nouvelle-France, découverte et explorée en 1534-1536 par Jacques Cartier!, fut aussi éphémère »2.Le seul point ferme acquis avait été un établissement à Madagascar, en 1638, conçu à la fois comme un centre de rayonnement dans l'océan Indien et un noyau de peuplement. A partir de 1601, Henri IV3 et Sully4 vont se consacrer à la pacification du royaume et à sa prospérité. Louis XII15 et Richelieu6 continueront l'œuvre de leurs prédécesseurs en développant principalement la marine et en favorisant la création de plusieurs colonies, mais l'entrée de la France (16357) dans la Guerre de Trente ans (1618-1648) pénalise les ambitions. Toutefois, l'époque voit naître la Compagnie de la Nouvelle-France (1628-1632) et la Compagnie des lIes d'Amérique (1635-1651). Quand Richelieu meurt le 4 décembre 1642, le protestant Jacques Pronis8 devient gouverneur
1. Jacques Cartier (Saint-Malo, 1494 - Id., vers 1554). Parti à la recherche d'une route vers l'Asie par le nord du Nouveau Monde, il atteignit Terre-Neuve (1534) et prit possession du Canada au nom de François 1er. 2. ln Charles de La Roncière, Quatre siècles de colonisation française. 3. Henri IV (Pau, 1553 - Paris, 1610). Roi de France (1589-1610) et de Navarre (1572-1610). 4. Maximilien de Béthune, baron de Rosny, duc de Sully (Rosny, 1560 - Villebon, 1641). Conseiller de Henri IV. 5. Louis XIII (Fontainebleau, 1601 - Saint-Germain-en-Laye, 1643). Roi de France (1610-1643). 6. Armand Jean du Plessis cardinal, duc de Richelieu (Paris, 1585 - Id., 1642). Ministre de Louis XIII. 7. 19 mai 1635, Bruxelles: par la voix du héraut d'armes Jehan Grassiollet de Daubis, la France déclare la guerre au roi Philippe IV d'Espagne et au cardinalinfant Ferdinand (frère d'Anne d'Autriche et de Philippe IV) son représentant aux Pays-Bas. 8. Jacques Pronis (La Rochelle, ? Madagascar, 1665). Gouverneur de Madagascar de 1642 à 1648 : il fonda Fort Dauphin (1643).
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INTRODUCTION
de Madagascarl. Ce dernier avait confirmé, en septembre de la même année, l'actuelle île de La Réunion comme possession française. Avec l'arrivée de Jean-Baptiste Colberf, que Louis XIV3 nomme contrôleur général des finances en 1662, un nouvel élan est donné aux échanges commerciaux. Il partage les océans entre des Compagnies qui y trouveront des points propices à la colonisation: Pondichéry et les îles de France et de Bourbon pour la Compagnie des Indes Orientales (créée en août 1664) ; le Sénégal, la Guyane, La NouvelleFrance, les Antilles pour la Compagnie des Indes Occidentales (créée en mai 1664). C'est en cette fin du XVIIe siècle que le peuplement de La Réunion commence4. Mais, là encore, le poids des nombreuses guerres entrave le développement des colonies, quand elles ne sont pas cédées à l'occasion de traités de paix: morceau par morceau, au traité d'Utrecht, en 17135, puis au traité de Paris, en 17636, la
1. L'île de Saint-Laurent avait été découverte par les Portugais vers 1500. Le premier débarquement français semble avoir été celui des frères Parmentier en 1529. Richelieu ne considérait pas Madagascar comme colonisable ; toutefois, il accorde à Rigault et à Régimont le monopole du commerce de Madagascar. Entre 1642 et 1674, quatre mille colons avaient été envoyés dans l'île: il n'en restait, en 1674, que soixante... 2. Jean-Baptiste Colbert (Reims, 1619 - Paris, 1683). Ministre de Louis XIV. 3. Louis XIV (Saint-Germain-en-Laye, 1638 - Versailles, 1715), roi de France (1643-1715). 4. Les colons qui avaient fui Fort-Dauphin (Madagascar) y débarquent en 1676. L'île compte, en 1678, cent cinquante habitants. 5. Il avril 1713, Utrecht: signature du traité entre la France et l'Angleterre, premier des cinq traités séparés de paix avec la Hollande, le Portugal, la Savoie et le Brandebourg qui mettent fin à la guerre de succession d'Espagne. L'ensemble des dispositions de ce traité est donné en annexe, nous ne mentionnons ici que la partie concernant l'île de Bourbon: la France cède à l'Angleterre sa part de Saint-Christophe, l'Acadie qui devient la Nouvelle-Ecosse, Terre-Neuve et la baie d'Hudson, mais conserve le Canada, l'île de Cap-Breton et l'île Saint-Jean, la Louisiane, les petites Antilles, la moitié de Saint-Domingue, la Guyane, des établissements au Sénégal, l'île de Bourbon et des comptoirs en Inde. 6. 10 février 1763, Paris: le traité de paix définitif entre l'Angleterre, l'Espagne et la France entérine les préliminaires de Fontainebleau et met fin à la guerre de Sept ans au bénéfice de l'Angleterre; la France perd toutes ses possessions en Amérique: le Canada, l'île du CapBreton, les îles du Saint-Laurent, la vallée de l'Ohio et les territoires de la rive gauche du Mississippi qui vont à l'Angleterre; le Mississippi devient frontière entre les possessions anglaises et françaises; 7
INTRODUCTION
Nouvelle-France de Louis XIV va échapper à la domination française. Il faut ajouter à cet argument « l'impression» que connaissait la France de l'époque: elle avait le sentiment de se dépeupler... Cette erreur d'appréciation allait contre une incitation à l'émigration. Plus tard, sous le Consulat, la Louisiane l, puis, après la première abdication de Napoléon 1er,la partie française de Saint-Domingue et l'île de France2, cessent de faire partie de notre domaine colonial3.
dans les Antilles la France perd la Désirade, Marie-Galante et Tobago, la Dominique, Grenade et les Grenadines; elle perd en Inde toutes ses acquisitions postérieures au 1er janvier 1749 et ne garde que les cinq comptoirs (Chandernagor, Karikal, Mahé, Pondichéry et Yanaon) non fortifiés, qu'elle possédait lors de la paix d'Aix-la-Chapelle (1748) ; pour récupérer La Havane et Cuba, perdues le 13 août 1762, l'Espagne cède la Floride à l'Angleterre; comme compensation de la perte de la Floride, Louis XV cède la Louisiane à l'Espagne, laquelle sera rendue à la France en 1800 (traité de San Ildefonso) ; la France conserve les îles de Bourbon et de France, le droit de pêche dans l'estuaire du Saint-Laurent et sur la côte de Terre-Neuve avec la possession de Saint-Pierre et Miquelon; elle conserve aussi la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Saint-Lucie et la partie occupée de Saint-Domingue; tous les établissements français du Sénégal, sauf l'île de Gorée, sont cédés à l'Angleterre; le traité interdit à la France de fortifier Dunkerque et y exige un contrôleur anglais; la France rétrocède Minorque à l'Angleterre pour recouvrer Belle-He détenue depuis le 7 juin 1761. Ratifié par Louis XV le 23 février et par Charles III le 25. 1. 28 avril 1803, Paris: incapable de la défendre et ne voulant pas qu'elle tombe aux mains des Anglais, le premier consul Bonaparte, qui a en outre besoin de fonds pour reprendre la guerre contre l'Angleterre, vend la Louisiane aux Etats-Unis pour 16 millions de dollars. Le traité est négocié par le marquis François de Barbé-Marbois, ministre du Trésor depuis 1802 et signé par le Président Thomas Jefferson et son secrétaire d'Etat James Madison. 2. 30 mai 1814, premier traité de Paris: l'Angleterre nous prend l'île de France, Tobago et Sainte-Lucie, elle nous interdit de rentrer à Saint-Domingue dont la partie française va à l'Espagne. La France s'engage en outre à abolir la traite des Noirs dans un délai de cinq ans. 3 Les notes 27, 28, 29 et 30 sont extraites de Jean-Jacques Teycheney, Abrégé d 'histoire diplomatique. Manuscrit. 8
INTRODUCTION
Le commerce Tout ce mouvement sur les mers et les océans, toutes ces vies transplantées vers des lieux inconnus, pourquoi? Le commerce? Certes; l'enrichissement? Bien sûr. Mais quel commerce, quels produits méritaient de tels investissements à risque en hommes et en finances? L'or et les épices. Pour se les procurer, il fallait braver l'espace à la réputation périlleuse: passé une certaine ligne, l'eau des océans était censée bouillir sous l'effet d'une chaleur infernale et engloutir les embarcations. Les hommes, sous le même effet, brûlaient et devenaient noirs. Les limites des terres et des mers étaient incertaines: la géographie de Ptolémée1 servait de référence et renseignait faussement le voyageur. La terre était plate et parvenu à l'extrémité on était victime de la chute suprême et définitive! Malgré cela, il a fallu l'audace, l'utopie, le rêve de quelques-uns pour entreprendre l'impossible et l'effrayant. Une fois la « reconnaissance» du globe accomplie, les mers et les océans vont voir fleurir une noria d'embarcations à la recherche d'échanges commerciaux lucratifs. Le 28 mai 1664, Colbert avait créé la Compagnie des Indes Occidentales; il lui était accordé « le droit exclusif du commerce, de la traite des Noirs et de la navigation dans toute l'étendue des îles et terres fermes de l'Amérique ». En août 1664 est créée la Compagnie des Indes Orientales; elle est ouverte à « toutes personnes de quelque qualité ou condition qu'elles soient». Ce point mérite d'être souligné car les nobles, même si certains répugnent au début à ces investissements, ne se trouvent pas exclus. La Compagnie est formée grâce à des capitaux privés et à la participation de l'Etat. Elle reçoit pour cinquante ans le privilège du commerce à l'est du cap de Bonne-Espérance, c'est-à-dire dans l'océan Indien, en Extrême-Orient et dans les mers du Sud, ainsi que la propriété de Madagascar et de « toutes les terres conquises sur les ennemis du roi». C'est l'année suivante (1665) que Bourbon verra . .. arrIver ses pIonnIers.
1. Claude Ptolémée (probablement à Ptolémaïs Hermiu (Haute-Egypte) vers 90 Canope vers 168). Astronome, mathématicien et géographe grec. 9
INTRODUCTION
Dans les premiers temps, le commerce ne sera pas le souci majeur des Bourbonnais. L'île aura vocation de « jardin»: elle fournira en denrées alimentaires les navires qui y feront escale. Bourbon vivra à l'écart de la fièvre commerciale du fait de l'impossibilité de la doter d'un port réellement facile d'accès. Il faudra attendre l'élan insufflé, à partir de 1730, par deux gouverneurs pour parler de commerce avec la culture du caféier. L'île La Réunion est une île volcanique de l'océan Indien, située à huit cents kilomètres à l'est de Madagascar et à trois cents kilomètres au nord du tropique du Capricorne. La route qui fait le tour de l'île lui donne une circonférence de deux cent huit kilomètres, sa superficie est de deux mille cinq cent dix km2. C'est sur une carte de 1502, due aux Portugais, que La Réunion apparaît pour la première fois sous le nom de Diva Morgabin (l'île de l'Ouest). Le 9 février 1507, Diego Fernandez Pereira aperçoit une île, il ne s'y arrête pas mais la baptise Santa Apollonia (le 9 février est le jour de la Saint Apolline). En 1513, Pedro de Mascarenhas, à l'occasion d'un voyage aux Indes, « découvre» La Réunion, Maurice et Rodrigues: les Mascareignes. Ainsi se trouvent résumées les origines possibles de la découverte de La Réunion. « Repérée» à plusieurs reprises par les Portugais, La Réunion ne fut, toutefois, jamais possession portugaise. lIe déserte, elle servait d'étape aux navires hollandais, anglais et portugais en route pour les Indes et c'est un Français, Salomon Goubert, originaire de Dieppe, qui va en prendre possession au nom du roi de France en 1640. En agissant de la sorte, il appliquait à la lettre les ordres de la Société de l'Orient à laquelle Richelieu reconnaissait le droit d'ériger en colonie, au nom du roi, Madagascar « et autres îles adjacentes ». En septembre 1642, Jacques Pronis, gouverneur de Madagascar, confirme la prise de possession de l'île par les Français. En 1646, appareille de Madagascar le Saint-Louis sur lequel sont embarqués douze mutins: ils sont exilés à Bourbon par le gouverneur dont ils ont comploté le meurtre. A son arrivée à Madagascar, Etienne de
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INTRODUCTION
Flacourt1, nouveau gouverneur, épouvanté par la mesure de son prédécesseur décide de rapatrier les mutins: il se rend sur l'île, qu'il baptise Bourbon, et dont il réaffirme le titre de possession française. Après le départ des mutins, l'île sera à nouveau déserte pendant cinq ans. Etienne de Flacourt n'aura pas qu'à se louer des Français de Madagascar. Il devra lui aussi sévir, cette fois contre des voleurs: le 10 septembre 1654, huit Français et six Malgaches embarquent, sur l'ordre de Flacourt comme « volontaires », à bord de l'Ours à destination de Bourbon. Ils y séjourneront quatre ans, jusqu'à ce que le 28 mai 1658 arrive le Thomas-Guillaume. Son propriétaire, le trafiquanf Gosselin, propose aux habitants de l'île de les monter à son bord pour les emmener aux Indes. L'île est une fois de plus désertée. En 1663, Louis Payen3 et Pierre Pau obtiennent du gouverneur de Madagascar, où ils résident, l'autorisation d'aller s'installer à Bourbon: Monsieur de Kergadiou, commandant du Saint-Charles, les y débarque en novembre. Les deux Français sont accompagnés de dix Malgaches: sept hommes et trois femmes. Ils s'installent à l'emplacement de l'actuelle Saint-Paul, où les mutins de 1642 et de 1654 s'étaient eux-mêmes installés. A partir de cette date l'île ne sera plus jamais déserte. Le 7 mars 1665, quatre navires4 armés par quatre cent quatre-vingtonze hommes, sous le commandement de Monsieur de Beausse, quittent Brest à destination de Madagascar5. Cette expédition, outre les équipages, emmenait « un certain nombre de colons, dont cent
1. Etienne de Flacourt (Orléans, 1607 - Dans l'Atlantique, 1660). Naturaliste, gouverneur de Madagascar de 1648 à 1655. 2. Trafiquant: nom donné à celui qui faisait le commerce avec les Indes. 3. Louis Payen est originaire de Vitry-le-François, il vient de passer sept ans à Madagascar. 4. La Vierge du Bon Port avait été équipé à Saint Malo, le Taureau et l'Aigle Blanc à La Rochelle et le Saint Paul (l'ancienne frégate de Fouquet, l'Aigle Noir) au Havre de Grâce. 5. On trouvera en annexe 3 le récit du naufrage que vivra la chaloupe d'un des bâtiments de cette expédition. Il permet de mesurer les risques que comportait un tel voyage. Il
INTRODUCTION
soixante-cinq ouvriers spécialisésl, huit chirurgiens,trois apothicaires, un grand nombre de prêtres et missionnaires, quelques femmes de bonne volonté ». Quatre mois plus tard, le 9 juillet 1665, treize colons, sous le commandement d'Etienne Regnault, débarquent à Bourbon. C'est à proprement parler le début du peuplement de l'île. La perspective de s'installer à Bourbon ne crée pas d'engouement en France. Les départs volontaires à destination de l'île sont peu nombreux: la population des colons est majoritairement constituée d'éléments ayant eu des démêlés avec la maréchaussée et d'orphelins abandonnés à des couvents. Ainsi, l'accroissement de la population n'est pas considérable: cent cinquante habitants en 1678, trois cent seize en 1690 et mille cent soixante et onze en 1713. C'est sans doute cette lenteur dans le peuplement qui permet aux «défricheurs » de conserver longtemps un style de vie proche d'une société primitive, dominée par la chasse et la cueillette, plutôt que de se lancer dans une économie agricole. S'investir plus avant est peut-être difficile pour des hommes et des femmes démunis. La première pièce des archives est une lettre de 1678 adressée à Colbert: elle rend bien compte de l'état de dénuement de la population. En voici la copie: « 16 br 1678 Tous les habitants de l'isle Bourbon supplions très humblement Monseigneur de Colbert protecteur spécial de la dite isle de Bourbon d'avoir esgard à la nécessité où elle se trouve présentement étant dégarnie de toute commodités nécessaires tant pour l'entretien des familles que pour le cultivement de la terre et sur tout ce qui descourage entièrement du service et le mauvais traitement des commandants qui se saisissent de la plus grande part du meilleur et du plus beau des petits secours qu'on y envoit soit pour eux soit pour leurs valets comme aussi de considérer qu'ils nous empeschent entièrement le commerce que nous pouvons faire avec les navires qui passent dans ces quartiers qui n'arrive que rarement: néanmoins nous aurons quelques consolation si l'on nous permettait d' eschanger les fruits que nous cultivons en petite
1. Ces 165 ouvriers se répartissent en : 28 maçons, 12 charpentiers, 16 menuisiers, 17 maréchaux, 18 laboureurs-jardiniers-vignerons, 12 soyeux, 8 charrons, 9 tonneliers, 15 boulangers, 8 bouchers, 3 taillandiers, 4 tailleurs d'habits, 8 cordonniers, 3 tanneurs, 4 chandeliers. ln Georges Martin. 12
INTRODUCTION commodité qui nous sont de la dernière nécessité. Monseigneur espérant que vous aurez quelque charité pour le pauvre peuple de Mascareignes nous vous pouvons assurer que de notre costé nous contribuerons aussy de nostre meilleur a donner toute la satisfaction que peut souhaiter nostre bon Roy que Dieu conserve en nostre excellence; les matériaux qui nous seroient plus de besoins ce sont fer acier meulle avec un bon taillandier quelques toilles bien fortes pour le travail avec des marmites et poisles la terre de ce pais n'estant pas propre a cette effect ce qui met dans la dernière misère pour vivre honnestement plustost qu'en sauvage. Monseigneur en passant nous prendrons la liberté de vous dire qu'il y a icy grand ( ) que les navires ont laissé comme malades et qui sont plustost tous soldats que dans le dessin de s'arrester dans ces quartiers qui maudissent tous les iours le moment qu'ils ont mis pieds à terre se serait une grande charité que de les en retirer comme aussy de nous donner la liberté de nous deffaire des Madascarins qui sont icy qui sont gens traitres et turbulant car pendant qu'il y en aura au lieu de cultiver nos terres il faut que nous leurs allions faire la guerre pour les esloigner de nos habitations Monseigneur
C'est de rechef la supplique que vous font vos très humbles et obéissants serviteurs. De Saint-Paul en l'isle de Bourbon ce 16° iour de novembre 1678. Pierre HIBON; F.MUSSARD; Jacques FONTAINE; Sanso du CHAUSSOUR; Pierre COLLIN; F.RICQUEBOURCQ; marque du dit Regnault HOUARAULT ; Marque du dit Gilles LAUNAY; Nicolas PROU; Hervé DANEMONT ; marque du dit Jean BELLON; marque du dit Guillaume GlRAR ; Jacques GOURGEON (?); marque du dit Pierre NA TIVELLE ; George PIOLAN ; marque du dit François PENAOÜET ; Jean FUS 1ER ; marque du dit François VALLEE; marque du dit Robert VIGOUREUX ».
Nous retrouverons, en partie, ces dix-neuf signataires au fil des différents recensements et dénombrements. 13
INTRODUCTION Les populations
Le peuplement de La Réunion a eu plusieurs origines. En dehors des mutins et des habitants, chassés lors des émeutes de 1674, venus de Madagascar, sont arrivés des colons, de France principalement mais aussi d'Angleterre, d'Allemagne et du Portugal. Parmi ces colons, certains avaient une origine peu banale: la flibuste. A côté de cette population libre, il y avait des esclaves de provenance diverses. Afin de cerner l'originalité de ce peuplement, nous nous attarderons sur ces différentes couches de populations. Laflibuste Avant d'aller plus loin, une précision de vocabulaire s'impose: à tort, on a pris l'habitude d'utiliser comme des synonymes, pirates, corsaires, flibustiers, forbans et boucaniers. Globalement, il s'agit d'aventuriers, mais chaque terme renvoie à des situations assez précises. Nous pouvons mettre à part le corsaire: à l'origine, il s'agit d'un navire armé en course par des particuliers qui ont obtenu une autorisation du gouvernement. Le capitaine qui commandait ce navire était, par extension, appelé corsaire: Surcouf qui pratique la traite de Noirs pour les planteurs de Bourbon est un corsaire. Le forban est un peu la version illégale du corsaire puisqu'il entreprenait à son profit une expédition armée, sur mer, sans autorisation du gouvernement. Le flibustier (altération du néerlandais vrïjbuiter: « qui fait du butin librement ») a sévi aux XVIe et XVIIe siècles. Il écumait les côtes et dévastait les possessions espagnoles en Amérique. Ce sont essentiellement des flibustiers que nous aurons à Bourbon: cette mention sera d'ailleurs inscrite dans le registre du recensement pour Eugène Le Roy venu de l'île Saint-Christophe, installé définitivement à Bourbon où il se mariera. Le boucanier, quant à lui, était un coureur des bois de Saint-Domingue qui chassait les bœufs sauvages pour en boucaner la viande. Nous pouvons maintenant dire que forbans et flibustiers étaient des pirates: aventuriers qui couraient les mers pour piller les navires de commerce. Le pillage sur les mers a une origine qui se perd dans la nuit des temps. Mais la découverte de l'Amérique et le trafic maritime qui en
1. Robert Surcouf (Saint-Malo 1773-1827). Navigateur et corsaire français. On pourra lire en annexe 4 un résumé de la vie de Robert Surcouf dû à Roger Vercel. 14
INTRODUCTION
découle, avec des bateaux chargés de richesses, vont en quelque sorte faire naître, à la fin du Xye siècle, de sérieuses vocations de pirates, corsaires, boucaniers, flibustiers et forbans. Ce, d'autant que le pape a accordé le monopole des terres nouvelles à l'Espagne et au Portugal: ces deux pays refusent donc aux autres nations d'Europe le droit d'y venir commercer. L'injustice est trop grande, les représailles ne tardent
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pas .
Les « Frères de la Côte »2 ne craignent ni Dieu ni Diable. Ils exercent donc tout d'abord leur talent à l'Ouest d'où reviennent les navires transportant les biens du Nouveau Monde. Dans les années 1690, New-York est un refuge pour les pirates: le gouverneur de la colonie, comblé de cadeaux par les flibustiers, n'hésite pas à leur remettre des lettres de marque3 qui les transforment aussitôt en corsaires. Mais la pression des Anglais, des Espagnols et des Français, qui sont bien décidés à lutter contre la piraterie dans la zone américaine, les contraint à un changement de cap. Par ailleurs, en 1700, le roi d'Espagne, Charles II de Hasbourg4, meurt sans laisser d'héritier et c'est un Bourbon, Philippe Y, petit-fils de Louis XIV, qui accède au trône: les Espagnols et les Français sont alors alliés, ce qui chasse les forbans français de l'île de Saint-Domingue. Certains d'entre eux en profiteront pour regagner la vie « civile », d'autres feront route vers les côtes d'Afrique et l'océan Indien. Avec le développement des Compagnies maritimes hollandaises, anglaises et françaises, ils vont exploiter l'Est, où une multitude d'îles désertes, ou
1. François 1er prêtera son concours aux aventuriers en tout genre, car il ne reconnaît pas les bulles papales: « Je voudrais bien voir la clause du testament d'Adam qui m'exclut du partage du monde ». Les premières incursions françaises dans la mer des Caraïbes datent vraisemblablement de 1506. Quand François 1er déclare ouvertement la guerre à l'Espagne (1521), elles s'intensifient. ln Auguste Toussaint. 2. Expression couramment donnée aux pirates. 3. Une lettre de marque est une autorisation du roi de franchir la « marque», ou « marche », (frontière) afin de poursuivre les agresseurs et de se payer sur eux du dommage causé. Cette licence, ou patente, vaut pour les récupérations effectuées sur mer comme sur terre, mais c'est finalement pour les opérations maritimes uniquement qu'elle est sollicitée. En France, la plus ancienne aurait été accordée le 25 mai 1206 par Philippe Auguste à Wistace le Moyne (Eustache le Moine) de Boulogne pour courir sus à des navires anglais dans la Manche. Prérogative des souverains, l'octroi des lettres de marque fut étendu aux grandes compagnies de commerce au début du XVIIe siècle. ln Auguste Toussaint. 4. Charles II (Madrid, 1661 - id., 1700).Roi d'Espagne (1665-1700).
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INTRODUCTION
semi-désertes, serviront à ces « gentilshommes des mers» de bases de repli. Pour la zone géographique qui nous occupe, Madagascar devient tout à la fois une base stratégique et un lieu de retraite, telle la « république» de Libertalia que fonde le pirate Misson dans la baie de San Diego.
Le voisinage de Bourbonl est utile à ces marins, pour certains semi-sédentarisés : ils s'y approvisionnent régulièrement et d'aucuns, sans doute lassés de leur communauté essentiellement masculine, s'y fixeront. Il faut signaler par ailleurs que leurs comportements, souvent tyranniques, à l'égard des Malgaches, les contraindront à s'exiler vers d'autres rivages. Gilles Lapouge dans son ouvrage Les Pirates met très bien en évidence l'aspect de ces hommes révoltés contre la société, en rupture de ban, lassés d'une vie de terrien submergé par la misère, en prise directe avec la mort - la leur et celle des autres préférant le mouvement à toute stabilité, ne reconnaissant qu'une autorité, la leur. Cette indiscipline, ce peu de vocation pour la terre et le travail qu'elle nécessite auront sur le peuplement de Bourbon leur importance: ces hommes qui ont forcément méprisé d'être à la tâche, d'accomplir
une routine parce qu'ils sont épris de liberté
- la leur
- ne
sont pas disposés à valoriser ce territoire. Ils aiment le côté sauvage des lieux qu'ils occupent, n'ont pas le souci de leur salut. Ils ont tué: l'Enfer est leur prochain point de ralliement. Voici les portraits que dresse Antoine Boucher, le décideur du recensement de 1690, de flibustiers vivant à Bourbon: «Eustache Le Roy est un créole de Sainte-Croix, à la Martinique, qui n'a point d'autre profession que celle de mauvais matelot: homme fort simple et sans éducation, et, à l'ivrognerie près, qui serait assez bon homme, car il est fort serviable aux habitants qui veulent l'employer, et bien obéissant aux ordres, mais peu soigneux de la culture de ses terres et des affaires de son ménage, et du désordre épouvantable de sa maison; il a pour épouse Jeanne Fontaine, créole fort basanée, femme sans éducation ni savoirfaire, débauchée tout ce qu'on peut; elle avait même fait deux enfants
1. Le premier passage de flibustiers à Bourbon remonte à janvier 1687. Il s'agit d'un corsaire anglais ayant à son bord vingt-deux flibustiers hollandais. Quelques-uns resteront sur l'île, dont Gilbert Wilman qui épousera une mulâtresse, Jeanne Royer, et fondera une nombreuse famille. En novembre 1695, un autre navire pirate, le Avery, arrive à Saint-Denis et y laisse soixante-dix flibustiers cousus d'or et d'argent. Parmi les marins qui s'installeront définitivement à Bourbon, citons Victor Riverain, Jacques Huet et François Boucher. ln Il était une fois La Réunion.
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INTRODUCTION
filles avant que de se marier, lesquelles son mari a adoptées; il n'est même pas permis de dire qui l'on soupçonne d'avoir fait un de ces enfants, cela serait odieux à entendre; et cette femme continue cette même vie, sans que son mari se mette en peine d'y mettre ordre; ils ont eu deux garçons de leur mariage, et Dieu sait quelle éducation ils peuvent avoir, aussi bien que les deux filles qui sont déjà grandes, conduits et instruits par de tels père et mère. Tous tant qu'ils sont, ils n'ont pas une chemise à se mettre sur le corps, quoique cet homme eût plus de deux mille écus lorsqu'il débarqua à l'île Bourbon d'un vaisseau forban en 1701, qu'il a dissipés en ivrognerie et au jeu. .. Il cultive un peu de riz qui lui aide un peu à subsister; le reste vient des grâces de Dieu et du seul fruit de la débauche de sa femme... » Et encore: «Jacques Picquart est un poitevin âgé de 50 ans; il resta à Bourbon d'un vaisseau forban, il y a environ quinze ans; cet homme a toujours été un grand paresseux, ivrogne et adonné à toutes sortes de vices: il est même à présent à Pondichéry, pour avoir été convaincu d'avoir violé une petite fille âgée de 9 à 10ans, nommée Hélène Le Beau, fille de Samson Le Beau; il n'a aucune éducation et ne sait point d'autre profession que celle de matelot. Il a pour épouse Louise Colin, créole mulâtresse, femme qui mène une vie aussi déréglée que son mari; elle a même fait un enfant pendant qu'il était arrêté prisonnier et l'on dit que ce fut elle qui découvrit à un de ses amants où s'était réfugié son mari après s'être sauvé des cachots, ce qui fit qu'il fut repris, et ce que l'on n'avait pu faire après bien des recherches; ils ont trois enfants, qui sont aussi mal élevés qu'il est possible de se l'imaginer; ils sont dans la dernière indigence pour les choses nécessaires au ménage... » Notre informateur est moins sévère avec Claude Ruelle: «Claude Ruelle est un Bourguignon âgé de 47 ans, resté à Bourbon d'un navire forban, il y a environ quinze ans; il est maquignon de son métier, honnête homme, très laborieux, et, quoique sans éducation, il vit très bien et très chrétiennement; il est fort obéissant et assidu à son devoir, et avec tout cela il a le malheur d'être ivrogne; mais son ivrognerie ne le détourne point de son travail, car il a la prudence de ne se saouler que les fêtes et dimanches, mais ces jours-là, il n'y manque point... »1. Un tel état d'esprit permet de comprendre le « relâchement », si souvent décrit, de la population de Bourbon. Qu'on imagine l'île peuplée exclusivement de protestants chassés de France par la révocation de l'édit de Nantes. .. Le résultat eût été bien différent!
1. In Jacques Rosset, pp.213 et 216.
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INTRODUCTION L'esclavage
L'histoire du peuplement de Bourbon est indissociable de celle de Madagascar. A l'origine, c'est la Grande lIe qui est visée par les Français pour établir une base sur le chemin des Indes: dès le début du XVIIe siècle, Henri IV y est favorable. Sous le règne de Louis XIII, Richelieu facilitera les ambitions de la marine royale et en 1642 et 1643, des colons s'installent respectivement à Sainte-Lucie puis au Fort-Dauphin. Dès le départ, la population autochtone verra d'un mauvais œil l'implantation des nouveaux venus et ce, d'autant plus qu'ils font preuve d'une mauvaise autorité. Par ailleurs, les résultats commerciaux sont loin d'être excellents. Nous avons évoqué précédemment le départ de Madagascar des mutins à destination de Bourbon en 1646 et en 1654. En 1655, Etienne de Flacourt quitte la Grande lIe et regagne la France: livrés à eux-mêmes les colons vont entretenir et aggraver une ambiance délétère telle que Louis Payen et Pierre Pau vont préférer, en 1663, s'exiler à Bourbon1. La Compagnie Particulière de Navigation, qui avait entrepris de s'installer à Madagascar, abandonne l'île. En décembre 1670, Jacob Blanquet de la Haye2, qui avait quitté Rochefort le 29 mars 1670, en prend possession au nom du roi. A son retour d'un voyage aux Indes, en décembre 1674, il ne peut que constater l'abandon de FortDauphin dont les occupants ont été massacrés. Les survivants, au nombre de soixante-trois dont douze femmes, avaient fui vers le Mozambique; après une étape par Surat, en Inde, ils allaient rejoindre Bourbon en mai 1676. Il ne restait alors qu'une poignée de témoins « du débris de Madagascar »3.
1. Fin septembre 1663, le Saint-Charles approche des côtes malgaches. Commandé par le capitaine Kergadiou, affrété par le duc de Meilleraye, le Saint-Charles assure la relève. L'opportunité de cette visite donne l'idée à Louis Payen de demander au capitaine de le déposer, ainsi que son compagnon, à Bourbon sur le chemin du retour. Cette demande surprend Kergadiou qui prend l'avis du gouverneur de la place, Monsieur Champmargou. En novembre 1663 le SaintCharles jette l'ancre dans la baie de Saint-Paul: Louis Payen et Pierre Pau, accompagnés de dix domestiques, débarquent à Bourbon. 2. Jacob Blanquet de la Haye, colonel nommé par Colbert pour commander l'expédition à destination de Madagascar. Le roi lui avait accordé le titre de lieutenant général dans l'île Dauphine (Madagascar) et dans toutes les Indes. 3. Cette expression renvoie à l'épisode dramatique qui avait entraîné la fuite des Français de Madagascar. 18
INTRODUCTION
Durant leur séjour à Madagascar, nombre de soldats et de colons s'étaient unis à des femmes malgaches. D'autres, lors de leur migration à destination de Bourbon, avaient, nous l'avons vu, entraîné des serviteurs malgaches. Ainsi à Bourbon vivait une population déjà composite. Il est vraisemblable que l'état de domesticité, imposé à la fierté malgache, ait été à l'origine de certaines «fuites» loin des Blancs de la part des Malgaches. Par ailleurs, le problème crucial du manque de femmes, que l'arrivée en 1676 de quatorze Indiennes n'avait pas résolu, créait de fortes oppositions entre les hommes: les colons s'attribuaient en priorité les femmes malgaches puisque les arrivées de Françaises étaient quasiment nulles. En outre, les récits qu'ont pu faire les rescapés de l'île Dauphine n'ont pas manqué de détériorer les rapports entre Blancs et Noirs en insinuant la peur chez les premiers à l'égard des seconds: si les Noirs abrités dans les forêts de Bourbon allaient se comporter comme ceux qui avaient attaqué Fort-Dauphin et massacré ses occupants, qu'adviendrait-il de l'île d'Eden? De paternaliste, l'attitude envers les Noirs va devenir méfiante. Pendant le dernier quart du XVIIe siècle, les deux populations connaissent un faible accroissement: en 1674, Bourbon compte soixante-dix « libres» et cinquante-huit domestiques; en 1690 on en dénombre respectivement cent quatre-vingt-seize et soixante-quinze. Jusqu'au début du xvme siècle, peu de bateaux font escale à Bourbon: moins de dix en provenance de France et à peine une vingtaine de retour des Indes. Les occasions d'acheter des esclaves seront donc peu nombreuses. C'est le gouverneur de Bourbon, La Cour de la Saulaie1, qui va se faire négrier: en affaire avec les flibustiers installés à Madagascar, nous en avons parlé précédemment, il organise la traite. Son successeur, Villers, se fera aussi acquéreur de cette main-d'œuvre servile. Du côté des colons, la « marchandise» créera l'acheteur et certains vont se pourvoir d'esclaves au-delà de leurs besoins. Ainsi, alors que les esclaves vivaient avec la famille et avaient plutôt un statut de domestique, ils vont être maintenant en marge. Seul le recensement de 1704-1705 mentionne systématiquement (sauf huit cas) l'origine géographique des esclaves. Nous l'étudierons
1. La Cour de la Saulaie, gouverneur de Bourbon de 1698 à 1701. 19
INTRODUCTION
dans le détail ultérieurement et ne présentons ici que les chiffres des trois grands lieux de provenance: Indes, Madagascar, Afrique et mentionnons ceux nés à Bourbon. A cette date, deux cent quatrevingt-douze esclaves appartiennent à des familles et vingt et un à la Compagnie. TABLEAU1 - RÉPARTITIONDES ESCLAVES,ADULTESET ENFANTS, SELON LE SEXE ET LEUR ORIGINE GÉOGRAPHIQUE
Origine
Adultes S.M. S.F. Indes 1 36 Mada. 31 55 Afrique 44 4 Bourbon 13 10 Total 148 46 Sources: nos dépouillements.
Total 37 86 48 23 194
S.M. 8 17 1 35 61
Enfants S.F. 07 43 50
Total Total 8 24 1 78 111
45 110 49 101 305
Avec l'introduction du café et la culture intensive qui va s'imposer, l'esclavage à Bourbon va s'amplifier. Sans doute avec moins de force que dans les îles américaines, car depuis la France on compte moins sur cette petite île difficilement accessible et aussi parce que la Compagnie des Indes a normalement interdiction de procéder à l'achat d'êtres humains. Les choses ont quand même grandement changé en l'espace de moins de trente ans: le 17 septembre 1724 est enregistré à Bourbon le Code Noir1, adaptation à l'île du Code Noir de 1685. Il faut une réglementation aux rapports de force qui se sont instaurés au sein d'une population dans laquelle, pourtant, nombre de libres ont des origines malgaches et indiennes. Les origines mêlées, les préceptes religieux et l'ambiance de paradis terrestre qui avaient prévalu à Bourbon, mettent un obstacle à la compréhension du développement de l'esclavage. Comment, des hommes et des femmes qui avaient, pour une part, le même sang que ceux qu'ils asservissaient, qui respectaient les baptisés, - et les esclaves l'étaient systématiquement -, qui vivaient dans un endroit idyllique, en sont-ils venus à contraindre, à réduire, d'autres hommes, femmes et enfants à l'état de biens? Tout cela pour du café, expédié dans une métropole qui n'avait que peu d'attentions pour ses lointains 1. On trouvera en annexe 4 les articles de ce Code Noir appliqué à Bourbon. 20
INTRODUCTION
colons! Même si la vie quotidienne des esclaves de Bourbon semble avoir été moins dramatique que celle imposée en Amérique, il n'en demeure pas moins vrai que cette privation totale de liberté, imposée par ceux-là même qui avaient souvent fui leur pays par désir d'échapper à la domination que leur imposait leur misère, cette exploitation inhumaine de la force de travail paraissent irréelles. Le dépouillement d'archives sensibilise, celui qui le pratique, aux vicissitudes des populations anciennes; aussi avons-nous quelques difficultés à comprendre comment certains signataires de la lettre à Colbert (reproduite précédemment) ont pu être, quelques années plus tard, pourvus d'une armée d'esclaves. Nos lectures annexes, concernant les besoins de la cour de France, engagée dans des guerres sans fin, avide de biens, qui envoyait dans ses colonies des représentants y imposant leurs volontés, nous ont soufflé l'idée que les colons de Bourbon avaient été eux-mêmes sacrifiés aux nécessités économiquesl. Ils sont devenus la courroie de transmission d'une organisation qui avait toujours fait fi, pour elle-même, du travail. Les colons ont trouvé plus exploitables qu'eux dans cette population d'Africains, de Malgaches et d'Indiens qui bien souvent avaient été enlevés par les leurs, faits prisonniers et vendus aux négriers. Les recherches de J.M. Filliot permettent de chiffrer, par période, le nombre d'esclaves arrivés aux Mascareignes au XVIIIe siècle: - des origines à 1714 : 1 000, - de 1715 à 1726 : 10 000, -de 1727 à 1751 : 25 000, -de 1752 à 1766: 14000 et - de 1767 à 1810 : Il 0 000. Soit un total de cent soixante mille esclaves. De modérées, les arrivées vont s'accélérer du fait du gouverneur Pierre-Benoist Dumas2 et s'amplifier avec son successeur La Bourdonnais3. On compte environ sept mille esclaves à Bourbon en
1. John Law (Edimbourg, 1671-Venise, 1729). Il avait intégré Bourbon dans ses plans de restructuration de la Compagnie des Indes. 2. Pierre-Benoist Dumas, gouverneur de Bourbon de 1727 à 1735. 3. Bertrand François Mahé de La Bourdonnais (Saint-Malo, 1699 - Paris, 1753). Gouverneur de Bourbon de 1735 à 1746. Il considérait les habitants de Bourbon « trop fainéants» et comptait sur les esclaves pour réaliser le travail nécessaire au développement de l'île. 21
INTRODUCTION
1735 et à peu près dix mille en 1750. Madagascar, Mozambique et les Indes fournissaient l'essentiel de la population esclave. Après le départ de La Bourdonnais et pendant quatre ans, le rythme d'arrivées des esclaves va fléchir. En effet, la principale activité agricole de Bourbon, qui nécessitait une main-d'œuvre nombreuse, subit une grave crise: la «maladie}) se met dans les caféiers et réduit les récoltes à néant. Appréciant, sans doute, le danger qu'il y avait, dans une si petite île, à privilégier la monoculture, les gouverneurs qui vont succéder à La Bourdonnais favorisèrent des cultures plus diversifiées dans le domaine très lucratif des épices et développèrent les cultures dont les produits été très demandés par les navires faisant escale à Bourbon. Avec la rétrocession des Mascareignes au roi, en 1764, et la liberté de commerce accordée à tout un chacun dès 1766, renforcée par l'ordonnance du 13 août 1769, la traite des Noirs va connaître «un essor sans précédent; en vingt-cinq ans, malgré le contrecoup de la Révolution, les entrées serviles furent multipliées par trois. En 1767 il Y avait cinq esclaves pour un habitant, en 1793, le rapport fut de neuf au moins pour un}) (J.M. Filliot). Cet afflux s'explique par une reprise économique qui vit revenir la culture du caféier et s'amplifier, par l'entêtement de l'intendant Poivre1, la culture des épices (muscade, girofle, poivre et cannelle). Avant que les idées révolutionnaires ne s'intéressent à l'esclavage et que Danton2 décrète le 16 Pluviôse an II (4 février 1794) son abolition, faisons un point sur les chiffres des différents recensements et décomptes du XVIIIe siècle provenant des archives et les données fournies par J.M. Filliot :
-
1. Poivre (Lyon, 13, 19 ou 23 août 1719 Lyon 6 janvier 1786). «chasseur» d'épices.. . 2. Georges Jacques Danton (Arcis-sur-Aube, 1759 - Paris, 1794). Homme politique français.
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INTRODUCTION
TABLEAU 2
- POPULATIONS
Date
Nègres 116
SERVILE ET TOTALE À BOURBON
Servile Esclaves
Total
316 1690 1704-05 316 734 1709 378 894 1711 457 1714 520 1 171 1715 736 1 435 1 216 1719 (1) 773 1733 6 441 8071 1735 7 000 1744 10296 12 538 1750 10 000 1752 13 390 16 524 1776 26 175 32 515 1779 (2) 23 182 28 531 46 017 1787 37 265 (1) ce recensementne compteque Saint-Paul. (2) ce recensementne compteni Saint-Denisni Saint-Pierre. En italiques: nos résultatsde dépouillement.
Cette présentation est éloquente: en un siècle, la population totale est multipliée par cent quarante-six, celle des esclaves par trois cent vingt... C'est surtout à partir des années 30 du XVIIIe siècle que l'accroissement s'accélère du fait, nous l'avons vu, des gouverneurs Dumas et La Bourdonnais. Entre 1735 et 1750, le taux d'accroissement annuel moyen de la population servile peut être estimé à 2,4 %. Entre 1750 et 1776, il atteint 3,8 % et entre 1776 et 1787, il tourne autour de 3,3 %. L'accroissement d'une population peut être le fait du solde naturel (naissances moins décès) et/ou du solde migratoire (immigrations moins émigrations). L'enregistrement des naissances et des décès d'esclaves durant le XVIIIe siècle donne des résultats par trop incomplets pour que nous puissions en tirer une quelconque conclusion 1. En outre, le développement de
1. On pourra se reporter aux dépouillements de Prospère Eve que nous récapitulons en annexe 6. 23
INTRODUCTION
l'affranchissement1 provoque des modifications, par sorties d'observation, de la population esclave, qui ne peuvent être imputées à la mortalité. Signalons également que le «marronnage »2, difficilement chiffrable, modifie le nombre d'esclaves. Admettons plutôt qu'à partir de 1730, et jusqu'en 1794, l'accroissement de la population servile est dû, en grande partie, à la traite. Après cette date, elle n'a pas cessé mais son intensité a été moindre du fait de l'abolition officielle qui a en fait généré le trafic frauduleux. Nous allons tenter maintenant de cerner la répartition des esclaves en fonction de leur lieu de provenance. Majoritairement, ils venaient de Madagascar, dans une plus faible proportion d'Afrique et, pour environ un sur dix, des Indes. Madagascar
Dans l'île Dauphine vivaient plusieurs populations fréquemment en guerre. Ces guerres multiples procuraient nombre de prisonniers aux « roitelets» des différentes ethnies qui avaient pris I'habitude de les échanger contre des armes à feu qui leur permettaient d'assurer leur suprématie. Les Portugais, au XVIe siècle, les Hollandais, aux XVIIe et XVIIIe siècles, les Anglais, pendant la première moitié du XVIIe siècle, puis plus tard les Français, après leur épisode malheureux dans la Grande lIe, pratiquèrent ce troc armes / prisonniers. Bien qu'arrivés les derniers, ce sont les Français qui vont institutionnaliser la traite et surtout la réglementer. Avec la mise en valeur de Bourbon, ce qui avait été un commerce quelque peu anarchique va devenir une organisation stricte dans le but de procurer la main-d'œuvre nécessaire au développement économique de Bourbon. A partir de 1717, la Compagnie va réellement diriger le traite et, pour des raisons de proximité, orienter cette dernière vers Madagascar. «De août à décembre 1718 le Courrier de Bourbon longera la côte est de la Grande lIe pour amasser son butin. L'expédition sera un échec complet: six navires anglais ayant raflé
1. A Bourbon, les affranchissements ont précédé la Révolution: au recensement de 1787, que nous avons consulté, est introduite la nouvelle catégorie des Libres à côté des Blancs. 2. Marronnage: fuite des esclaves dans les forêts de Bourbon et en particulier dans les hauts de l'île qui, à cette époque, n'étaient pas habités. Le marronnage a donc constitué le premier peuplement des hauts. 24
INTRODUCTION
toutes les têtes disponibles» (J.M. Filliot). C'est essentiellement cette côte qui sera exploitée tout au long de la traite. Fort-Dauphin fut quelque peu sollicité mais la rancœur à l'égard des Français était grande. Par ailleurs, bien que le lieu soit très tentant, car proche des Mascareignes, son mouillage était dangereux et dissuadait les navires. Antongil, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, puis Foulpointe, où un chef de traite fut à demeure à partir de 1756 et jusqu'en 1800 et enfin Tamatave qui pendant une dizaine d'années assura l'essentiel de la fourniture d'esclaves constitueront les trois principaux centres de traite. La côte ouest avait un accès plus périlleux car les Français redoutaient le canal de Mozambique. L'exclusivité de la traite à Madagascar, que s'était attribuée la Compagnie, eut pour conséquence de limiter l'arrivée de maind'œuvre servile et de développer la fraude. Nous verrons que les pirates, corsaires et flibustiers, nombreux dans l'océan Indien, vont bien sûr largement participer à cette fraude. Avec la fin de la Compagnie, la liberté d'acquérir des esclaves est accordée à tous (1767). Malgré tout, l'intensité du trafic, au fil du temps, se réduit car les Malgaches ont augmenté le prix des esclaves. Chiffrer avec exactitude le nombre de Malgaches introduits à Bourbon est impossible. En prenant le problème à l'envers, c'est-àdire en se basant sur la proportion d'esclaves issus de la Grande lIe et recensés à Bourbon, globalement la moitié de la population asservie, nous pouvons avancer que c'est aux alentours de cent mille esclaves que les négriers ont déplacés d'une île à l'autre. Ainsi, Madagascar est doublement à l'origine du peuplement de Bourbon: d'une part, du fait que les conjointes des premiers colons en étaient originaires et qu'elles ont largement contribué à assurer la descendance des premiers Français; d'autre part, à cause des arrivées massives de la traite organisée et frauduleuse. L'Afrique Les Portugais avaient établi des comptoirs sur la côte est de l'Afrique dès le XVIe siècle et les Français avaient passé avec eux des « accords ». Qu'on se rappelle que les rescapés «du débris de Madagascar» trouvèrent refuge au Mozambique auprès des Portugais. Mais c'est avec l'arrivée du gouverneur La Bourdonnais que le trafic fut réellement organisé. L'entente franco-portugaise était quasi totale. Le commerce des esclaves s'amplifia quand Bourbon fut rétrocédée 25
INTRODUCTION
au roi: à la fraude, largement pratiquée pendant le règne de la Compagnie qui ne permettait qu'un nombre limité d'entrées de Cafres 1, succéda un-va-et-vient légal entre Bourbon et l'Afrique. A partir de 1770, plus de Cafres que de Malgaches arrivent aux Mascareignes. Ces Cafres étaient fort appréciés des Bourbonnais: ils étaient forts et leur tendance au marronnage était faible2. Par contre, le voyage plus long pour les amener à Bourbon entraînait un manque à gagner pour les négriers: la mortalité à bord était élevée. En dehors du Mozambique, qui était le lieu le plus fréquenté, les autres comptoirs visités par les Français étaient Iba, dans les îles de Quérimbes, Imbano, Sofala et Quilimane. Parallèlement à celui instauré en « relation» avec les Portugais, un autre trafic mit en rapport Arabes et Français. La domination arabe s'étendait au-delà du Cap Delgado et c'est surtout après 1770 que les échanges s'intensifièrent. Tout le long de la côte des achats d'esclaves étaient pratiqués. Toutefois, les Français fréquentaient plus particulièrement l'île de Quiloa qui céda, à destination des îles de France et de Bourbon, jusqu'à mille cinq cents esclaves par an pour la période 1785-1790 et l'île de Zanzibar qui devint grande pourvoyeuse de main-d'œuvre servile dès le début du XIXe siècle. J.M. Filliot avoue la faiblesse des sources pour saisir la provenance des esclaves fournis par les Arabes: c'est à l'intérieur de l'Afrique qu'ils allaient les chercher contre des marchandises. La côte ouest de l'Afrique fut, elle aussi, en certains points, un lieu de prises. Son exploitation coïncide avec la présence de la Compagnie des Indes. Le recensement de 1690 ne précise pas la provenance des Noirs à l'exception de «vieux Noir de Saint-Orner» que nous trouvons par trois fois. Celui de 1704-1705, nous l'avons vu, 1. Cafrerie ou pays des Cafres: dénomination d'origine arabe donnée par les géographes des XVIIe et XVIIIe siècles à la partie de l'Afrique située au sud de l'équateur et peuplé de Bantous. Les Bantous (ou Bantu) sont des peuples d'Afrique centrale et méridionale parlant les langues bantoues. Ils sont issus de populations vivant vraisemblablement dans l'actuel Nigeria et qui ont commencé de coloniser, il y a environ trois mille ans, les territoires occupés alors par des groupes de chasseurs-cueilleurs pygmées et bochimans. 2. Si le marronnage a été plutôt le fait des Malgaches c'est que, pour eux, la terre d'origine était proche et que la tentation d'y retourner était forte: huit cents kilomètres « seulement» les séparaient de leurs côtes. Il n'en allait pas de même pour les esclaves originaires d'Afrique dont le pays, une fois arrivés à Bourbon devenait inaccessible. 26
INTRODUCTION
mentionne l'origine des esclaves. Ainsi nous décomptons, venant de Guinée, deux hommes: Antoine, dit Petit Zinc, âgé de 22 ans, esclave de Pierre Boisson, major matelot, résidant à Saint-Denis et René, âgé de 20 ans, esclave de Jacques Huet, résidant également à Saint-Denis. Ils sont recensés, toujours célibataires, en 1709,1711 et 1713. Sur un total de deux cent quatre-vingt-douze esclaves appartenant à des chefs de famille, la représentation des Guinéens est dérisoire. En raison du développement de la culture du café, Bourbon réclame toujours plus d'esclaves à la Compagnie. Elle répondra favorablement à la demande et ses navires y débarqueront: - en juillet 1729, deux cents esclaves venus de Juda (Dahomey), - en juillet (Sénégal), en juillet Gorée.
1730, soixante-seize
esclaves venus de Gorée
1731 cent quatre-vingt-huit esclaves également de
Cette «livraison» de juillet 1731 fut la dernière assurée par la Compagnie. En effet, le trajet entre la côte ouest de l'Afrique et Bourbon était long, nombre d'esclaves décédaient durant le voyage et de plus ces transferts étaient à la charge de la Compagnie. Elle décida donc d'y renoncer et d'inciter Bourbon à se servir à Madagascar. La Bourdonnais, dans sa recherche active de main-d'œuvre pour le développement économique des Mascareignes, va relancer la Compagnie afin qu'elle reprenne le commerce des esclaves avec Gorée. Ainsi, le trafic repart entre 1737 et 1750 ; après cette date, les arrivées furent peu nombreuses et sporadiques. Pourtant la demande était forte car ces Africains étaient très appréciés pour leur force par les colons. L'Inde Nous venons d'évoquer la force des Africains; les Indiens, eux, se distinguaient par leur intelligence et leur docilité. De ce fait, ils étaient plus utilisés pour les travaux domestiques que pour les rudes tâches de défrichage, d'ouverture des routes et d'agriculture. Il faut également avoir présent à l'esprit que de nombreuses femmes de nos pionniers étaient décrites comme indiennes ou métisses des Indes. Au recensement de 1690, dix chefs de famille ont une épouse d'origine indienne. Il est vraisemblable que les premiers ressortissants indiens aient été déposés à Bourbon alors que les navires revenant des Indes y 27
INTRODUCTION
faisaient escale. Au recensement de 1704-1705, on décompte quarante-cinq esclaves indiens, dont une femme. Il faut sans doute faire remarquer que tout un chacun s'accordait à reconnaître la beauté des natifs de la péninsule indienne: il est donc probable que les femmes aient été acquises plus en vue d'unions qu'à usage d'esclaves. Il ne faut jamais oublier que le manque de femmes sur l'île est une constante. Nous relevons, au recensement de 1690, un certain nombre de colons unis à une Indienne: - Jacques Barrière, marié à une métisse des Indes; - Guillaume Bayer, marié à Geneviève Niela, métisse des Indes née en 1660, elle épousera en secondes noces François Duhamel -, première naissance en 1681, au total trois enfants; - Louis Caron, marié à Monique Perera, métisse des Indes - née en 1669 -, première naissance en 1680, au total douze enfants; - Julien Dalleau, veuf d'une métisse des Indes puis remarié à la veuve Vincendo, Louise Fondes - née en 1670 -, première naissance en 1680, au total huit enfants; - Ursule Guichard, marié à Catherine Hero, métisse des Indes née en 1675 -, première naissance en 1693, au total neuf enfants; - Gaspard Lautrel, marié à Sabine Rabel, métisse des Indes - née vers 1657 ou 1659 -, première naissance en 1681, au total neuf enfants; - Samson Le Beau, marié à Dominique De Rozaire, métisse des Indes - née en 1665 -, première naissance en 1681, au total onze enfants; - Jacques Maillot, marié à une métisse des Indes, trois enfants; - François Rivière, marié à Thérèse Héron, métisse des Indes - née en 1672, elle épousera en secondes noces son beau-frère Henri Rivière -, première naissance en 1691, au total sept enfants; - Le Sieur Rayer, marié à Marguerite Texier, métisse des Indes née en 1663 -, première naissance en 1673, au total six enfants; - Athanase Touchard, marié à Elisabeth Hane (nom incertain), métisse des Indes - née entre 1650 et 1655 -, première naissance en 1678, au total neuf enfants.
28
INTRODUCTION
Ces femmes indiennes ont largement contribué au peuplement de Bourbon. Leurs dates de naissance, estimées à partir de l'âge qu'on leur octroie au recensement de 1704-1705, sont réparties entre 1650 (1655) et 1672. Pour obtenir approximativement la date de leur arrivée dans l'île, nous avons considéré l'année de naissance de leur premier enfant; en estimant que leur union s'est conclue peu de temps après leur arrivée. Trois âges à la naissance du premier enfant sont extrêmement jeunes, mais ne négligeons pas que les accouchements à 12 ans sont relativement nombreux dans notre population et convenons que deux années de mieux rendent les choses plus crédibles... Quoi qu'il en soit, nous remarquons que pour six d'entre elles, 1679 paraît une date probable d'arrivée à Bourbon. En recherchant dans nos dépouillements et en reprenant la liste des pionniers issus du «débris de Madagascar» nous avons retrouvé Samson Le Beau et Jacques Maillot. N'oublions pas que ces rescapés ont fait une étape aux Indes avant de gagner Bourbon, ce qui nous autorise à penser qu'ils ont, à Surat (lieu de 1' escale), acquis une femme. Nous pensons également que l'expression «métisse des Indes» est à prendre en considération: elle fait référence à un précédent croisement et cela est d'autant plus intéressant quand nous considérons la forte consonance ibérique du patronyme de ces femmes. Nous pouvons dès lors légitimement nous demander s'il s'agissait réellement d'Indiennes baptisées par des Portugais ou de descendantes de ces derniers. Si nous nous sommes attardée un peu longuement sur ce point c'est parce que la population servile indienne est différente de celle des Malgaches et des Cafres. Le fait que dès 1730 il y ait eu des « engagés »1 a sans doute modifié la donne. Il faut aussi ajouter que les Français possédaient des comptoirs aux Indes et que la venue d'esclaves de la péninsule se jouait au travers d'accords passés avec la Compagnie et les différents gouverneurs, directeurs et armateurs2. La guerre franco-anglaise mit à mal ces échanges et les clauses du traité de Paris (1763) annonçaient la déconfiture française.
1. Engagé: travailleur indien, salarié, avec un contrat généralement de trois ans à l'échéance duquel il pouvait regagner son pays. 2. Tant que nous pouvons suivre la présence par nationalité des esclaves à Bourbon, nous obtenons (cf. tableau 1) quarante-sept Indiens en 1704-1705 et l'arrivée de cinquante-sept esclaves entre 1705 et 1709, ce qui permet d'estimer leur nombre à une centaine. Par la suite, l'origine des esclaves n'est plus mentionnée. 29
INTRODUCTION
Nous venons de voir les origines de ce qui va constituer la base de la population de Bourbon, mais on peut aussi avoir une autre façon de considérer la population de l'île. En effet, et nous le verrons quand nous détaillerons les recensements, trois « populations» résidaient sur l'île: les habitants, c'est-à-dire ceux qui étaient installés définitivement, les esclaves, qui eux aussi par la force des choses peuplaient Bourbon, et enfin ceux dont le séjour était limité dans le temps, c'est-à-dire le personnel de la Compagnie, les envoyés de France: police, soldats, agents administratifs et les voyageurs. Les premiers recensements de Bourbon ne prendront en compte que les habitants alors qu'à la fin du XVIIIe siècle les décomptes de populations mentionneront l'ensemble des présents, voire même des absents qui n'ont que des terres confiées à des administrateurs. Les variations chiffrées que nous pourrons enregistrer seront très souvent dues à ces différentes façons de compter. Notre recherche concernera essentiellement les habitants: ceux qui ont fait souche à Bourbon et les esclaves. La population de passage sera mentionnée sans être appréhendée de façon exhaustive.
30
CHAPITRE 1
LE PEUPLEMENT
JUSQU'EN 1719
Ce qui va suivre n'a aucune prétention statistique car les résultats que nous produisons reposent sur des observations peu nombreuses, la population étant elle-même peu nombreuse. Cette partie se justifie pour deux raisons. La première, chercher à approfondir un travail effectué il y a plusieurs années1 sur un isolat de l'île de La Réunion dans lequel apparaissaient les Bellon, Boyer, Dalleau, Damour, Grondin, Hoareau, Maillot, Nativel, Payet, Robert, Tescher, Vidot et quelques autres que nous avions pris « en cours de route» (à partir du milieu du XIXe siècle) et dont les débuts dans l'île constituaient un mystère, ou tout au moins une interrogation, pour comprendre leurs us et coutumes. L'opportunité d'être à la source était trop belle et il nous était impossible d'échapper à cette «ethnographie» par registres interposés. Le côtoiement, pendant une année, des descendants nous a en quelque sorte encouragée à fréquenter les pionniers. La seconde relève sans doute du rêve que peut entretenir la recherche en démographie: partir de zéro et comprendre un peuplement. Les territoires restés inoccupés jusqu'au milieu du XVIIe siècle sur lesquels on peut exercer un tel travail ne sont pas légion et, de plus, quel département français peut offrir une telle aubaine?
1. Thèse de Troisième cycle « Un isolat blanc des Hauts de l'île de La Réunion ». Décembre 1989.
CHAPITRE
1
1.1. LES PIONNIERS Nous avons recensé treize hommes, sous le commandement d'Etienne Regnault, qui débarquent à Bourbon le 9 juillet 1665 : - Jean BELLON - Pierre COLLIN - Hervé DENNEMONT - Jacques FONTAINE - Pierre HffiON - René HOAREAU - Gilles LAUNAY - Claude MOLLET - François MUSSARD - François RICQUEBOURG - Antoine ROYER - Athanase TOUCHARD - François VALLEE
Le 22 février 1667 débarquent du Saint-Jean-Baptiste (flotte du marquis de Montdevergues partie de La Rochelle le 14 mars 1666) cinq femmes françaises qui épouseront six (un remariage) des treize hommes précédents: - Marie BAUDRY (René HOAREAU) - Marguerite
COMPIENNE
(François MUSSARD) (Pierre HffiON)
- Jeanne LACROIX (Claude MOLLET) - Léonarde PILLE (Hervé DENNEMONT)
32
LE PEUPLEMENT - Antoinette
JUSQU'EN
1719
ARNAUD, ou RENAUD, (Jean BELLON)
Pour deux d'entre elles, l'âge est précisé: Marguerite Compienne a 15 ans et Antoinette Renaud a 24 ans. Le 27 avril 1671, avec l'arrivée de l'amiral de la Haye s'installent neuf hommes: - Denis ARNaUD - Antoine CADET - Louis CARON - Paul CA UZAN - Julien DALLEAU - Jacques LA URET - Pierre NA TIVEL - Antoine PITOU - Guy ROYER et un nombre de femmes malgaches, non précisé. Est réputé être arrivé en 1674 : - Jean PERROT
Les troubles de Madagascar vont amener à Bourbon, en 1676, cinq hommes et deux femmes: - Georges DAMOUR - Samson LE BEAU - Jacques MAILLOT - Pierre MARTIN
- Noël TESSIER - Françoise CRA TELAIN - Marguerite COULLON 33
CHAPITRE
1
Arrive en 1677 : - François DUHAMEL Arrive en 1679 : - Jean JULLIEN Pour certains, la date d'arrivée ne nous est pas connue avec précision, mais la naissance d'enfants à Bourbon atteste de leur présence avant 1680. Ils sont neuf: - Guillaume BOYER - Jean BRUN - Pean-Pitre CLAIN - Jean-Macaste
CLAIN
- Michel FREMOND - Etienne GRONDIN - Gaspard LAUTRET - Julien ROBERT - Vincent VINCENDEAU
Nous allons nous attarder sur les débuts dans l'île de ces hommes et femmes à l'origine du peuplement: la constitution de leur famille, leur lieu de résidence, les mariages de leurs enfants, leur mortalité, la présence ou non d'esclaves. Il importait effectivement de saisir ce qu'il en était au commencement du peuplement: les premières attitudes pouvant être déterminantes pour la suite. Afin de mener cette étude, nous avons constitué des fiches de famille, résultat du dépouillement exhaustif des recensements de population entre 1690 et 1779, telles qu'elles sont utilisées en démographie historique (voir modèle, annexe 7). Elles synthétisent parfaitement les événements (naissances, mariages et décès) que nous nous proposons d'étudier. Une rubrique du recensement de 1711 fait à Saint-Paul renseigne sur la date d'arrivée sur l'île des chefs de famille. Ce recensement et nos différentes lectures nous permettent de compléter et d'affiner mutuellement ces deux sources. C'est leur synthèse que produit le 34
LE PEUPLEMENT
JUSQU'EN
1719
tableau suivant. Les rapprochements réalisés mettent en évidence les à-peu-près du recensement quant aux dates d'arrivée à Bourbon.
TABLEAU 3 - DATE D'ARRIVÉE SURL'ÎLE DE BOURBON
.....
1
et
-
Bellon Jean Collin Pierre Dennemont Hervé Fontaine Jacques Hibon Pierre Hoareau René Launay Gilles Mollet Claude
-
-
1680 1689
1690
Aubert Jacques 1689 Barrière Jacques
Baillif Etienne 1695 Boucher François 1695
Bachelier Pierre
Duhal Robert
Boucher Pierre
Folio Pierre 1699 Garnier?
Boyer Jacques 1704 Chaman
Julien
Beda Isaac (Jacques) 1687 Dugain Gilles 1685 Gonneau Pierre 1689 Gruchet
Jean
Jean
1674
9.7.1665 dddM2 1679 Brocus Henri Damour Georges 1676 dddM Dangaud Joseph 1676 Duhamel François 1677 Grondin Etienne
-
1679 Maillot Jacques 1676 dddM Perrot Jean 1674
-
1699
-
1689 Panoo Augustin 1689 Pierre Jean
1687
-
-
1700
1709
Boisson Pierre 1702
André
Gavenier Mathurin
-
1702 Dalle François
Grimault Henri
Deguigne Joseph 1704
Guichard Ursule
Delattre Jacques 1704
-
1. Pour certains, la présence à Bourbon semble être lointaine: la date d'arrivée a été oubliée et figure en pointillés. Il s'agit en réalité de ceux arrivés le 9.7.1665. 2. dddM: « du débris de Madagascar» 1674. Il s'agit des colons ayant quitté Madagascar lors de la révolte des Malgaches et arrivés à Bourbon en 1676. 35
CHAPITRE 1 Suite du tableau 3 - Date d'arrivée sur l'île Bourbon
.....
1
et
9.7.1665 Mussard François
1674
-
1680
dddM2 1679 Le Beau Samson
1676 dddM
1689
-
Ricquebo urcq François Royer Antoine
Lelièvre ?
Touchard Athanase
Martin
Vallée François 167.3 et 27.4.1671
Mangrolles
Henri Pierre
François
Rivière François
-
1676 dddM Payet Antoine
1690
1699
-
1700
1709
Huet Jacques
1695 Rivière Henri Rouillard Lezin Tescher Manuel1681
-
1676 dddM Mussard
-
Dromand
Léger
1704 Dumesnil
Jacques 1699 Malle Manuel
1681 Villeman
Picard
Marc
-
Devaux Simon1702
Le Breton Elie
Parny Pierre 1698
Vidot
-
-
-
-
Patrick Guy
-
- 1704
Elgar Thomas 1704 Le Bègue Yves
-
1708 Le Bon
Gilbert -
Jacques-
Pierre-
1687 Arnaud Denis
Tessier
1695 Riverain
1706 Le Roy
Noël
Victor
Eustache
Cadet Antoine
1676 dddM Avant 1680
-
Ruel Jean Claude -
1695 Caron Louis
-
1695
Boyer Guillaume
-
1701
- Naze Jacques
1702 Noël Georges
-
1704
1. Pour certains, la présence à Bourbon semble être lointaine: la date d'arrivée a été oubliée et figure en pointillés. Il s'agit en réalité de ceux arrivés le 9.7.1665. 2. dddM: « du débris de Madagascar» 1674. Il s'agit des colons ayant quitté Madagascar lors de la révolte des Malgaches et arrivés à Bourbon en 1676. 3. 167.: cette date figure ainsi dans le recensement. Il s'agit de 1671. 36
LE PEUPLEMENT
JUSQU'EN
1719
Suite du tableau 3 - Date d'arrivée sur l'île Bourbon Carré Jean
Brun Jean
Noël
-
Pierre Cauzan Paul Dalleau Julien 1671 Lauret Jacques, père N ativel Pierre
1702 Richard?
Clain Jean - Pitre Clain Jean Macaste
Robert Edouard 1704 Rousseau Louis 1709 Roux André 1704 Senson Jean 1704 Tarby Robert 1704 Turpin
Esparron ? Fremond Michel
Pitou Antoine
Lautrel Gaspard
Royer Guy1671
Robert Julien Vincendeau Vincent
Denis
1702
-
Sources: Recensement de 1711 (en caractères gras), nos dépouillements, nos lectures et nos déductions.
Afin de constituer une liste la plus complète possible des pionniers, nous avons ajouté aux survivants en 1711, arrivés avant 1675, ceux dont la présence est attestée sur l'île par une naissance dans leur famille avant cette date. Nous obtenons ainsi vingt-cinq pionniers à avoir fait souche. Leur venue dans l'île peut avoir quatre origines possibles: - le débarquement en 1665 des navires qui avaient quitté Brest le 7 mars à destination de Madagascar (rappelons que treize colons ont ainsi débarqué à Bourbon), suivi de celui de 1667 qui procure cinq femmes; - l'installation à Bourbon après un passage à Madagascar; - l'arrivée, avec l'amiral de La Haye le 28 avril 1671 ;
37
CHAPITRE
1
- la fuite de Madagascar par la désignation «du débris de Madagascar» et l'arrivée à Bourbon (1676). L'annexe 9 « Arrivés à l'île de Bourbon avant 1690 » présente les principales caractéristiques de ces pionniers. L'origine géographique de nos pionniers, en y joignant les femmes, fait apparaître une meilleure représentation du quart nordouest de la France et presque la moitié des hommes ont été engagés au service de la Compagnie pour Madagascar. Ils ont entre 20 et 40 ans. Aucun de ces hommes n'est resté célibataire et à part cinq, toutes les épouses sont créoles ou ont pour origine les Indes ou Madagascar. Il est important de noter, dès à présent, ce type d'unions avec des femmes locales (métisses ou négresses comme les rubriques des recensements le mentionnent): cette aptitude au métissage, dès le début du peuplement, aura une influence sur les conditions de vie des esclaves. Par ailleurs, les couples blancs, très minoritaires, ne voient que très peu souvent leurs filles s'engager, au moment de leur mariage, dans la voie du métissage et ce du fait que les nouveaux arrivants à Bourbon se marient rapidement avec les filles des pionniers, ce qui rend les unions métissées plus fréquentes du côté des garçons nés dans l'île. Il ressort de l'ensemble que les filles des couples pionniers blancs paraissent réservées aux nouveaux venus de France. Il est certain que le petit nombre de nouvelles venues participe à cette dissymétrie. Nous avons voulu estimer le nombre d'enfants mis au monde par nos vingt-cinq pionniers arrivés dans l'île avant 1675. Il s'agit bien sûr d'enfants qui ont survécu, dont la présence est attestée par les différents recensements. En considérant l'installation à Bourbon avant 1675 et la date du dernier recensement (1719), nous obtenons une durée d'observation satisfaisante de 44 ans. Ainsi, nous dénombrons cent quarante enfants, soit une moyenne de 5,6 enfants par pionnier. Pour avoir pratiqué de nombreux dépouillements exhaustifs de registres paroissiaux métropolitains de la même période, nous avons été étonnée par la faible mortalité, en particulier celle des enfants et des mères et tout spécialement lors de naissances gémellaires. Cette faible mortalité est d'autant plus surprenante que l'âge au premier accouchement est jeune. En effet, nos pionniers ont pris pour épouses des femmes dans l'ensemble beaucoup moins âgées qu'eux: les écarts d'âge varient de huit à quarante ans... Quant à l'âge au premier accouchement, il est en moyenne de 19 ans (18,9 ans). Il convient 38
LE PEUPLEMENT
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toutefois de remarquer que nous ne disposons pas de données chiffrées avant 1690 : nous ignorons donc le nombre de naissances suivies d'un décès avant cette date. Par ailleurs, les dates de naissance des femmes ayant été obtenues à partir des âges déclarés au recensement, les quelques accouchements enregistrés à l'âge de 10 et Il ans ont été ramenés à 13 ans. Pour estimer l'âge de fin de vie de nos pionniers nous avons lié, quand cela était possible (quinze observations), leur présence soit à la signature de la lettre à Colbert, soit à un recensement, soit à la dernière naissance d'un enfant rapprochée de l'absence au recensement suivant, à leur date de naissance. Les durées de vie varient ainsi de 58 à 78 ans avec quand même huit cas de septuagénaires! Les premiers comptes rendus faits au Roi de France insistaient sur la pureté de l'air de Bourbon et les richesses naturelles favorables à une bonne alimentation. Cette tentative de reconstitution de vie dans cette île déserte de la fin du XVIIe siècle paraît les confirmer. Pourtant, nos hommes ne pratiquaient pas le farniente auquel on a souvent attribué la longévité: ils avaient, pour la plupart, été engagés par la Compagnie pour le service de Madagascar et étaient armurier, tailleur, chirurgien, menuisier, cordier ou maçon. Certains auteurs nient le métissage dès le début du peuplement de Bourbon. D'autres insistent sur un métissage exclusif. Notre dépouillement, nos lectures et nos recherches montrent que le métissage est une réalité et qu'à ses côtés existent des couples constitués d'Européens. Il nous a donc paru intéressant d'étudier cet aspect du peuplement. Pour mesurer si des stratégies matrimoniales s'étaient imposées, nous avons étudié le mariage des enfants de nos pionniers. Le postulat de départ étant que les mariages des pionniers répondaient plus à une nécessité qu'à un choix réel, la vérification d'une détermination à élire un conjoint plutôt qu'un autre ne pouvait se vérifier que sur les unions de la deuxième génération. Nous reprendrons donc tous les mariages des premiers arrivants en observant l'origine de la conjointe. Ainsi nous pourrons isoler ceux dont les deux parties sont d'origine européenne et voir comment se sont mariés leurs enfants. Les treize hommes qui arrivent à Bourbon le 9 juillet 1665 s'installent à Saint-Paul. C'est là qu'ils resteront avec leur famille quand elle se constituera: au minimum deux ans plus tard pour ceux qui épouseront une femme française, puisque c'est en 1667 que 39
CHAPITRE
1
débarquent du Saint-Jean-Baptiste cinq compatriotes. Au recensement de 1690, Antoine Royer, François Vallée et leurs épouses respectives seront domiciliés à Sainte-Suzanne. Est-ce l'absence de femmes ou une autre raison qui motivera le départ de Bourbon de deux colons? Pierre Collin et François Vallée seront de retour à Bourbon en 1676 après un séjour aux Indes; ce retour des Indes en 1676 coïncide avec l'arrivée de colons chassés de Madagascar par les événements. Peut-être Pierre Collin et François Vallée ont-ils fait un séjour à Bourbon avant de joindre la Grande lIe!, destination finale de la flotte qui avait quitté Brest le 7 mars 1665, et ont-ils été contraints au retour à Bourbon. Nous ne savons rien de l'épouse de Pierre Collin mais la description faite, par Antoine Boucher, de son gendre2 nous renseigne sur une de ses filles3, Louise, «créole mullatresse» et permet de conclure à son union avec une femme non blanche. François Vallée, quant à lui, épousera Marie Mahou, négresse de Madagascar, veuve de Denis Arnaud, lequel est arrivé à Bourbon le 27 avril 1671. Le couple Vallée-Mahou n'aura pas d'enfant. Neuf hommes arrivent à Bourbon le 27 avril 1671. Hormis Guy Royer qui épousera une «'blanche créole de cette île» (Catherine Bellon), les huit autres auront une conjointe d'origine malgache ou indienne ou créole métisse de Bourbon. Nous avons retrouvé la trace de huit enfants pour le couple Royer-Bellon: sept filles et un garçon. Les nouveaux venus résident à Saint-Paul. En 1674 arrive Jean Perrot. Il épousera, en 1701 ou peu après, Anne Brun « créole fort basanée »4. Nous ignorons quand arrivent le Sieur Jean Carré, dit Talhoët, originaire d'Hennebont, commis de la Compagnie et Michel Frémond. Le premier épousera une « femme de France» qui arrivera en 1676,
1. Autre nom donné à Madagascar. 2. « Jacques Picquart est un Poitevin âgé de 50 ans (...). Il a pour épouse Louise Colin, créole mullatresse, femme qui mène une vie aussi déréglée que son Mari... » ln Alfred Rosset, pp. 216-217 (déjà cité). 3. Il en aura deux: Marguerite et Louise. 4. Jean Perrot est natif de Brest. L'âge qui lui est attribué aux différents recensements permet de penser qu'il est né en 1645. Anne Brun quant à elle, est née en 1685... Le couple aura quatre enfants: deux garçons et deux filles. 40
LE PEUPLEMENT
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du débris de Madagascar, et le second une «négresse de Madagascar ». Leur présence à tous les deux est antérieure à 1675 : attestée soit par la naissance d'enfants,
soit par recoupement
de faits 1 .
Nous avons sept couples formés de deux Européens dont nous allons étudier le mariage des enfants2. 1) Jean Bellon et Antoinette Arnaud - Antoine = Suzanne Dennemont
- Anne = Isaac Beda - Madeleine = Elie Lebreton - Gabrielle = François Boucher - Anne l'Aînée = François Ricquebourg - Jeanne = Jean Gruchet - Catherine
= Guy Royer
2) Hervé Dennemont et Léonarde Pille - Gilles = Marguerite Launay - Suzanne = Antoine Bellon 3) Pierre Hibon et Jeanne Lacroix - Henri = Marianne Ricquebourg - Elisabeth
= Hiacynthe Ricquebourg
- Geneviève = Jacques Collet - Marie = Etienne Baillif 4) René Hoareau et Marie Baudry - Etienne
= ??? = Ursule Payet
- Jean = Marianne Royer
1. Quand Françoise Chatelain arrive en 1676, elle est veuve de Michel Esparron et elle épouse Jean Carre « employé de la Compagnie », résidant à Bourbon. 2. Les noms écrits en caractères gras désignent des conjoints métissés. 41
CHAPITRE
1
- Bernardin = Marguerite Touchard 5) Claude Mollet et Jeanne Lacroix - Pierre, restera célibataire
- Henri = Geneviève Dalleau - Thérèse = Robert Duhal - Marguerite = Henri Mussard - Claude = Michèle Desvaux - Antoine = Geneviève Hoareau 6) François Mussard et Marguerite - Henri - Barbe
Compienne
= Marguerite Mollet = Pierre Parny
7) François Ricquebourg et Anne l'Aînée Bellon - Hyacinthe = Isabelle Hibon - Henri = Barbe Mussard - Jean-Baptiste
= Elisabeth Baillif
- Michèle, décédée - Marie-Anne = Henri Hibon -
Geneviève?
- Françoise? - Anne?
Ainsi, six de nos pionniers, arrivés en 1665, ont épousé une « blanche de France »1arrivée en 1667 et un la fille d'un pionnier. Les six autres avaient conclu des unions avec des femmes originaires de Madagascar ou des Indes. Ces sept couples d'Européens ont donné naissance à au moins trente-deux enfants: un est resté célibataire (Pierre Mollet), une est
1. Désignation utilisée très souvent dans les recensements. 42
LE PEUPLEMENT
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décédée (Michèle Ricquebourg) et nous ignorons le destin de trois filles (Geneviève, Françoise et Anne Ricquebourg). Ainsi avons-nous l'issue nuptiale de vingt-sept enfants. Seuls, cinq choisiront un enfant de pionnier marié à une non blanche. Est-ce là, la marque d'une détermination à rester entre soi? Il est certain que la fréquence des mariages entre ces familles, ou pour les filles avec de nouveaux venus, ne peut être évacuée. Toutefois, peut-on en déduire qu'une volonté était à l'origine de ces unions? Existait-il dès le début du peuplement une scission entre les couples selon leur métissage ou non? Ajoutons à nos pionniers Guy Royer (arrivé en 1671) et Jean Carré. Guy Royer et Catherine Bellon - Romain
= Anne Rivière
= Simon Desvaux Marianne = Jean Hoareau Catherine = Georges Noël Raphaëlla = Thomas Elgar Parie-Anne = Jean Martin Geneviève = Nicolas Paulet Elisabeth = Antoine Avril
- Anne -
Jean Carré et Françoise Chatelain - Françoise = Joseph De Guigne - Hyacinthe = Pierre Pradeau Sur ces dix nouvelles observations, seule une fait apparaître une union mixte. Au total, neuf couples dont le chef de famille est arrivé avant 1675 ont donné naissance à quarante-deux enfants recensés dont trente-sept mariés: six s'engageant dans une union mixte. Il est intéressant de noter que ce sont exclusivement des garçons: cela nous autorise-t-il à conclure qu'il n'existe pas de volonté délibérée de lignée blanche? Il semble que oui car le fait que le nom de famille se transmette par les 43
CHAPITRE
1
hommes aurait dû exclure en priorité les garçons de ce type d'union. Or, il n'en est rien, au contraire. Par contre, le mariage des filles avec des créoles blancs ou de nouveaux arrivants nous incite à penser que les couples de parents pouvaient se fréquenter selon l'origine géographique: cela expliquerait les mariages entre créoles1. Quant aux mariages avec les nouveaux débarqués, ils pouvaient être intéressants financièrement grâce au pécule dont ils pouvaient disposer, en particulier pour ceux issus de la flibuste! Afin de voir si cet état de fait a perduré, nous avons regardé comment s'était mariée la troisième génération. Le nombre d'inconnus est relativement élevé car les recensements de 1744, 1752 et 1779 ne mentionnent pas le nom des épouses. Afin de ne pas surcharger le texte d'un listing fastidieux de noms, le détail des mariages des petits-enfants de nos pionniers se trouve en annexe 8. Nous nous contenterons de dénombrer ici la descendance retrouvée: TABLEAU 4 - PETITS ENFANTS MÉTISSES OU NON DES PIONNIERS Couples d'origine Métisses Bellon - Arnaud Dennemont - Pille Hibon - Lacroix Hoareau - Baudry Mollet - Lacroix Mussard Compienne Ricquebourg Bellon Carre - Chatelain Royer - Bellon Total %
Petits-enfants Non métisses 30 17 3 5 21
Total 30 8 17 20 12 21
9
9
10 19 114 75,0
10 25 152 100,0
8 17 7
6 38 25,0
1. On peut facilement imaginer que les femmes d'origine française avaient en commun un certain nombre d'usages, comme ce devait être le cas pour celles originaires des Indes ou de Madagascar, qui pouvaient amener à un rapprochement des couples par affinités culturelles. 44
LE PEUPLEMENT
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Remarquons tout d'abord que nos neuf couples sont à l'origine de cent cinquante-deux petits-enfants. .. Soit en moyenne dix-sept petitsenfants par couple fondateur. Cette donnée suffit pour témoigner de la forte fécondité de l'île. Un quart de ces enfants sont métisses. Pour l'ensemble nous avons identifié cinquante-six mariés dont le conjoint était connu et permettait de déceler un mariage mixte ou non:
TABLEAU 5 - NOMBRE DE MARIAGES MIXTES OU NON DES PETITSENFANTS DES PIONNIERS
Non métisses Métisses Total
Métisses 8 Il 19
Non métisses 33 4 37
Total 41 15 56
Les trois quarts des mariages concernent des non métisses. Un mariage sur cinq pour un non métisse se conclut avec un métisse et à peine un sur quatre est un mariage de métisse avec un non métisse. Rappelons, pour que ce dernier tableau prenne tout son sens, que ces petits-enfants ont des grands-parents uniquement d'origine européenne et que seulement six couples de parents ont connu la mixité. Par rapport à l'ensemble des petits-enfants (cent cinquante-deux), nous avons observé un mariage sur trois pour les non métissés (114/41=2,87) et sensiblement la même chose, mais sur un nombre plus faible d'observations, pour les métisses (38/15=2,53). Sans qu'il soit possible d'en déduire une règle quant à une éventuelle stratégie matrimoniale (les effectifs hommes - femmes sont faibles et la sur-représentation masculine importante: ces deux éléments peuvent contraindre à l'abandon d'une stratégie face à la nécessité de se marier), les résultats révèlent que les mariages entre non métisses sont majoritaires. Nous avons évoqué précédemment le lien culturel qui pouvait unir certaines familles. Pour vérifier si ce lien n'était pas plus fort que le critère du métissage, pour contracter mariage, nous avons observé les unions des pionniers non mariés à une Européenne: soit, seize hommes qui ont épousé dix-huit femmes (remariages) d'origine 45
CHAPITRE
1
malgache (en caractères gras) ou indienne (en caractères soulignés ).
gras
1) Pierre Collin et négresse de Madagascar
- Marguerite = Pierre Robert = Christian-MartinAIt - Louise = Jacques 2) Jacques Fontaine et Marianne Sanne
- Antoine = Marie Clain - Jacques = Hélène Prout
- Jean = Antoinette Nativel - Gilles = Françoise Lauret - Hervé = Thérèse Damour
- Marianne
= Jacques
Lauref
- Pierre = Ignace Vidot - Jeanne = Eustache Le Roy 3) Gilles Launay et Anne Caze
= Jacques Aubert Marguerite = Gilles Dennemont
- Anne -
4) Antoine Royer et Mar1!uerite Texier
= Marc Vidot - Jeanne = Gilbert Villeman - Marie
- Louise = Manuel Malle 5) Athanase
Touchard et Elisabeth Houve
- Elisabeth
= Julien Lautrel
1. C'est la mère de Marie Clain: la mère et la fille ont épousé les deux frères. 2. C'est le père de Françoise Lauret : le père et la fille ont épousé la sœur et le frère. 46
LE PEUPLEMENT
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- Antoine = ? - Athanase? - Marie-Thérèse? - Etiennette
= Daniel Pavet
- Louise = Guillaume Lemercier - Mar!!uerite = Bernardin Hoareau
= Etienne Grimault = Francois Lautrel Etienne = Mar!!uerite Lautrel
- Marie -
6) François
Vallée et Marie Mahou
7) Denis Arnould et Marie Mahou - Jean
= Mar!!uerite
- Jeanne
Caron
= Henri Brocus = François Grondin
8) Antoine Cadet et Louise Nativel - Louis = Radé!!onde
Rivière
Pierre = Francoise Lautrel
-
= Marie Payet = MarieBellon Françoise = Pierre Folio
- Etienne -
9) Louis Caron et MoniQue Perera
- Francois = Anne Dangot
= Marianne Fontaine Jacques = Marie Clain
- Pierre -
- Marianne
= René Nativel
- Jeanne = Louis Payet - Mar!!uerite = Jean Arnould - Monique = Claude Ruel - An!!éliQue = André Chaman 10) Paul Cauzan et Anne Caze
47
CHAPITRE - François
1
= Louise Payet
11) Julien Dal!eau et métisse des Indes - Marie-Madeleine
= Jacques Maillot
Marf!uerite = Victor Riverain
-
- Geneviève = François Nativel = Henri Mollet 12) Julien Dal!eau et Louise Fondes
= Louise Grondin
- Julien
- Jean-Baptiste
= Marguerite Grondin
- Antoine = Louise Dangot 13) Michel Frémond et Marie Caze -
Cécile Mousse-Caze = Gilles Dugain
- Anne
Mousse-Caze
= Noël Tessier
14) Jacques Lauret et Félicie Vincente
= Ignace Vidot
- Jacques
- Henri devient pirate à partir de 1706,est resté célibataire. - Jean-Baptiste? - Joseph = Marie Bloqueman
- Alexis = Brigitte Bellon - Pierre = Marie Minier - Françoise = Gilles Fontaine - Marie
= ? L'Epiney = Pierre Noël
15) Jacques Lauret et Marianne
Fontaine
- Honoré? - Jacques? - Lazare? 16) Pierre Native! et Marie Varach, plus connue sous le nom de Thérèse Solo
48
LE PEUPLEMENT
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- Louise = Antoine Cadet - Jacques? - François
= Geneviève Dalleau
= Jean Bloqueman - Anne = Manuel Tescher - Antoinette
- François
= Radégonde Lauret
- René = Marianne - Pierre
Caron
= Henriette Rivière
17) Jean Perrot et Anne Brun
= Eliabeth Duhamel Jeanne = Adrien Valentin Jacques = Marguerite Colme Anne = Simon-Charles Le Noir
- René -
18) Antoine Pitou et Marie Toutte - Jacques
= Agathe Nativel
Les familles étudiées, issues des seize arrivants entre 1665 et 1675, ont eu soixante-seize enfants, soit une moyenne d'un peu plus de quatre (4,4) enfants par famille. Seul un couple n'a pas eu de descendance. Ces enfants étaient tous issus de mariages mixtes composés d'un père européen et d'une mère soit d'origine malgache, soit d'origine indienne. Soixante-trois se sont mariés: nous connaissons le conjoint pour soixante-deux d'entre eux; trente-trois sont des filles et vingt-neuf des garçons. Pour ces soixante deux mariages (certains se sont mariés deux fois, c'est uniquement la première union qui retiendra notre attention) nous relevons vingt-neuf conjoints non métisses, soit un mariage sur deux (63/29=2,1). Les filles sont mieux représentées puisque vingt-six sont concernées par ce type d'union. Parmi les dix-huit femmes épousées par nos seize chefs de famille, cinq sont d'origine indienne et treize d'origine malgache. Nous pouvons observer comment se font les unions en fonction de cette 49
CHAPITRE
1
origine de la mère afin de voir si cette dernière influence le choix du conjoint de l'enfant:
TABLEAU 6 - ORIGINE DU CONJOINT SELON L'ORIGINE DE LA MÈRE
Origine
Enfants mariés
13 Malgaches
39
5 Indiennes
23
Conjoint Européen 19 Malgache 14 Indien 6 Européen 10 Malgache 10 Indien 3
Rapport 1/2,1 1/2,8 1/6,5 1/2,3 1/2,3 1/7,7
L'arrivée plus tardive à Bourbon des femmes venues des Indes génère leur sous-représentation (elles sont presque trois fois moins nombreuses que celles d' origine malgache), laquelle biaisera notre démonstration: il y a beaucoup plus d'enfants «disponibles» (en nombre et en âge) côté malgache que côté indien. Nous remarquons que les nouveaux arrivants à Bourbon, essentiellement des hommes, épousent sensiblement la même proportion de conjointes issues de Madagascar que des Indes. La présentation suivante résumera les unions des enfants des vingtcinq pionniers arrivés avant 1675 : TABLEAU 7 - UNIONS DES ENFANTS DES VINGT-CINQ PIONNIERS ARRIVÉS AVANT 1675
Couples Non métissés Métissés Total
Nombre
Enfants
Enfants mariés Conjoint connu
9
42
37
31
6
16 25
76 118
62 99
29 60
33 39
50
Mariés à un conjoint d'origine Non Européenne europ.
LE PEUPLEMENT
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Là encore, il convient de noter la sous-représentation des couples non métissés à l'origine qui est due au peu d'arrivées de femmes françaises à Bourbon: les enfants de ces femmes représentent un peu moins d'un tiers de l'ensemble. Cette proportion restera sensiblement identique parmi les enfants mariés. Nous remarquons que trois mariés sur cinq ont épousé un conjoint d'origine européenne, mais notons que cette forte proportion est le résultat d'arrivées permanentes dans l'île d'hommes qui viennent d'Europe alors que les arrivées féminines sont toujours aussi rares. Plutôt que de conclure à une stricte endogamie entre blancs, il est préférable de mettre un terme à cette partie en remarquant que les filles épousent, quelle que soit leur origine, par la force des choses, plus souvent un Européen et que les garçons élisent, eux, leur future conjointe parmi la population locale. Nous remarquons d'ailleurs que les soixante conjoints d'origine européenne sont également répartis entre métisses et non métisses. Au fil des pages nous verrons que le métissage s'intensifiera et que les nouveaux venus continueront d'épouser des filles aux origines mêlées. Ce qui s'impose comme conclusion, c'est le peu de célibataires dénombrés dans notre population. Cette constatation plaide en faveur d'une absence de stratégie matrimoniale bien définie: si des obligations strictes avaient présidé au mariage, le nombre d'unions empêchées aurait été très important; la faiblesse du nombre d'enfants restés célibataires ou contraints à un départ de l'île atteste que la priorité était donnée à l'union sans que soit primordial le choix du conjoint.
1.2. LES NOUVEAUX VENUS DE 1675 À 1690. Pour établir la liste des nouveaux arrivants entre 1675 et 1690 nous avons procédé comme précédemment: utilisation de la rubrique du recensement de 1711 donnant la date d'arrivée à Bourbon et première naissance ayant lieu dans l'île entre les deux dates. L'annexe 9 «Arrivés à l'île de Bourbon avant 1690 », renseigne sur les caractéristiques de cette population. Nous avons retrouvé ainsi vingt-neuf nouveaux Bourbonnais. Leurs origines sont plus variées: de nouvelles régions françaises sont 51
CHAPITRE
1
représentées (Dauphiné, Bourgogne, Provence) et des ressortissants étrangers s'installent (Hollandais, Brabançons, Portugais natifs des Indes). Parmi ces nouveaux venus, certains proviennent, après un long périple, de ce qu'il est convenu de nommer, comme le font les recensements, le « d.d.d.M », soit « du débris de Madagascar» : - Georges Damour est originaire de Paris (né vers 1641). Il épousera en 1679 une « négresse de Madagascar », Marie Toutte (née vers 1657), arrivée à Bourbon en 1671 par la flotte de Blanquet de La Haye. Elle est veuve d'Antoine Pitou. Le couple d'abord installé à Saint-Paul migrera à Sainte-Suzanne (recensement de 1704-1705) et aura dix enfants. - Samson Lebeau est né à Tours vers 1655. Il est cordier. Il épousera vers 1680 Dominique De Rozaire, métisse des Indes, née vers 1665. Dès le recensement de 1690, le couple est installé à SainteSuzanne où il restera. Onze enfants naîtront de cette union. - Jacques Maillot est normand. Il est né vers 1651. Il a tout d'abord épousé une métisse des Indes dont il a eu trois enfants. Vers 1700, veuf, il épouse en secondes noces Marie-Madeleine Dalleau (fille de Julien et d'une métisse des Indes), métisse créole née en 1685. De cette seconde union naîtront huit enfants. Le lieu de résidence sera pour les deux unions Saint-Denis. Au recensement de 1733, Marie-Madeleine Dalleau, veuve de Jacques Maillot, est remariée à Jean Damour (fils de Georges). - Pierre Martin est originaire de Bordeaux (né vers 1635), il maître tailleur. Nous ne savons dire s'il est victime des événements Madagascar ou si son mariage avec Nicole Coullon (née à Paris 1663), qui est elle issue du « d.d.d.M », l'a assimilé à la tragédie. couple vit à Saint-Denis et aura cinq enfants.
est de en Le
- Noël Tessier est né à Vannes (Morbihan) vers 1635. Il épousera Anne Mousse-Caze, négresse créole née vers 1675. Le couple, d'abord fixé à Saint-Denis, migrera vers Sainte-Suzanne (recensement de 1703) et aura sept enfants. - Fait partie des rescapés du «d.d.d.M» Françoise Chatelain, surnommée « la grand-mère des Réunionnais» du fait du nombre de ses mariages et de la descendance qui en découle. Elle est originaire du Maine-et-Loire, née vers 1660. On notera à quel point elle était 52
LE PEUPLEMENT
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jeune à son départ de France: à Madagascar elle était déjà mariée et souvenons-nous que les événements malgaches se sont déroulés en 1674. D'une première union avec Jacques Lelièvre, originaire de Rouen, elle n'aura pas d'enfant. Ce premier conjoint décède en 1678. Elle se remarie sans doute peu de temps après, puisqu'en 1680 naît la première fille qu'elle a de Michel Esparron (originaire de Provence). C'est la seconde fille, Suzanne, qui permettra au patronyme « Esparron » de s'étendre à Bourbon car elle aura un enfant naturel (Jean, né vers 1701) qu'elle abandonnera pour suivre celui qu'elle a décidé d'épouser (Pierre Bachelier) et qui l'entraîne à Pondichéry. Michel Esparron décède en 1684. Françoise Chatelain se remarie quelques temps plus tard avec le Sieur Jean Carré (dit Talhoët), Breton d'Hennebont, commis de la Compagnie. Le couple est installé à Saint-Denis où naissent deux filles vers 1690. Jean Carré décède en 1693. Françoise Chatelain se remarie à Augustin Panon, né vers 1665 à Toulon, charpentier, arrivé à Bourbon en 1689. Le couple est installé à Saint-Denis où il aura cinq enfants. Françoise Chatelain décédera en 1730. Elle aura eu neuf enfants. Alors que les pionniers résidaient principalement à Saint-Paul, la deuxième vague de migrants se répartit entre Sainte-Suzanne, SaintPaul et Saint-Denis. Ils ont sensiblement le même âge à leur arrivée dans l'île que les pionniers: la venue d'un enfant de huit ans, natif des Indes, en 1676 contribue à la chute de l'âge moyen - 25 ans contre 28 ans - qui ne constitue qu'un artifice compte tenu du petit nombre d'observations. Seules deux épouses sont originaires de France (Paris), encore, pour l'une d'entre elles, s'agit-il d'une veuve déjà présente à Bourbon. Les autres épouses sont soit créoles, soit métisses originaires des Indes ou de Madagascar. A nouveau nous constatons leur jeunesse et l'écart d'âge important entre les époux: elles ont en moyenne vingt ans à la naissance du premier enfant (avec les mêmes réserves sur ce résultat que sur le précédent) et onze ans de moins que leur conjoint. La durée d'observation pour la naissance des enfants variant de trente à quarante-cinq ans, pour ce nouveau flux d'entrants, le nombre moyen d'enfants par famille peut être légèrement sous-estimé: nous obtenons 4,3 enfants. Là encore, il convient de rappeler la faiblesse des effectifs qui s'ajoute à des situations extrêmes: un immigré de huit ans, un autre veuf, un dont la mort est enregistrée le 29 avril1704 aux galères de Marseille, un autre signalé aux galères dès 1705 et qui décède aux sablières de Paris le 20 mai 1714. 53
CHAPITRE
1
Le nombre de domestiques attachés aux nouveaux venus n'est que de vingt-deux: seuls quinze couples possèdent des nègres. Nous verrons par la suite que les résidents de Sainte-Suzanne connaîtront toujours un déficit d'esclaves par rapport à ceux de Saint-Paul. Par ailleurs, il est probable que les pionniers aient pu emmener avec eux des Malgaches en quittant la Grande lIe, alors que les migrants arrivés entre 1675 et 1690, qui n'y ont pas séjourné, n'ont pas eu cette opportunité.
1.3. AU RECENSEMENT
DE 1690.
Le sieur Antoine Boucher qui entreprend de compter tous les habitants de l'île de Bourbon en 1690 parvient à un total de trois cent seize. La récapitulation de nos deux groupes précédents nous donne: Chefs de famille
48
Epouses 43-17=26 (17 comptées avec les enfants nés avant 1690) Enfants
122
Domestiques
75
Total
271
épouses
créoles
A notre population décomptée, il faut ajouter les nègres du Roy au nombre de quarante et un, soit trois cent douze âmes. Cette valeur, rapprochée du dénombrement de 1690, nous permet donc de considérer notre reconstitution des familles comme fiable. On peut estimer que cent vingt deux enfants sont nés et ont survécu entre 1668 et 1690, soit en vingt-deux ans. L'évaluation de la natalité est tentante: en partant de la population de 1678, cent cinquante habitants, nous obtenons une population moyenne de référence de deux cent trente-trois ((150+316)/2=233). En estimant la mortalité infantile à 200 %0, la période 1668-1690 aurait enregistré cent cinquante trois naissances, soit en moyenne sept naissances annuelles ce qui amène un taux brut de natalité de 29,85 %0.Compte tenu d'un rapport de masculinité très favorable aux hommes, ce 54
LE PEUPLEMENT
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résultat ne semble pas inepte et nous permet de penser que le décompte
du recensement
est fiable mutatis
mutandis.
Au recensement de 1690 sont mentionnés, sans être nommés, les domestiques, le terme d'esclave n'apparaissant pas. Il s'agit d'une population de «nègres et de négresses ». Comment nos pionniers sont-ils pourvus de cette population laborieuse?
TABLEAU 8
- NÈGRES
ET NÉGRESSES
PAR CHEF DE FAMILLE AU
RECENSEMENT DE 1690
Beda Isaac
Nègres 1
Négresses
Négrillons
Négrillonnes
Autres
(!..~~.9.~~.~2.................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Bloqueman Jean Cadet Antoine Caron 2 Louis .........................................................................................................................................................................................................................................................................................................
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
~~~.~~...!..~~~
! ~.~~.~.~
1 1
(..!.2...........................................................................................................................................................................................
1
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Clain Jean MacasteI Dalleau Julien Duhal Robert Guichard
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
1 Portu-
!:!..~..~.~!.~
Hibon Pierre
~..~}..~..............
1 marié
(1)
2
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
1 1 marié
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Hoareau René
(1)
2
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
1 1
...............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Julien Jean
1. Le nom d'origine est Selin, mais après quelques déformations il se fixera en Clain. Patronyme que nous avons adopté tout au long de notre travail.
55
CHAPITRE
1
Suite du tableau 8 - Nègres et négresses par chef de famille au recensement de 1690
Launay Gilles Lauret Jacques Lautrel Gaspard Le Beau Samson Maillot Jacques Martin Pierre Mussard François Payet Antoine Ricquebourcq François Rivière François Robert Julien Rouillard Lezin Royer Guy Royer (le Sieur)
Nègres
Négresses
2 mariés 2 1 1 1 2 1 4
(2)
1 1 1 1 1 marié 1 1 1 2
Tessier Noël Vidot Marc Vincendeau Vincent Total 41 Sources: nos dépouillements.
NégrilIons 7
Négrillonnes 8
Autres
1 Portugaise 2 orphelines
(1) 1
9
12
9
4
Nous avons supposé que les nègres mariés avaient des épouses présentes (valeurs entre parenthèses). Cela nous est, dans la plupart des cas, confirmé au recensement suivant quand nous disposons de plus de détails sur les couples d'esclaves. Pour avoir vu souvent «nègres ou négresses de Madagascar », nous pensons que cette population de domestiques est constituée principalement d'hommes et de femmes de la Grande lie: aux recensements suivants, quand l'origine géographique des esclaves sera fournie, nous verrons que la majorité vient de Madagascar et des 56
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Indes. Une évidence s'impose avec le décompte précédent, population des domestiques est peu nombreuse (cinquante-trois compris les enfants). Elle annonce déjà ce qui fera sa particularité, sur-représentation masculine. De toute façon, à cette date (1690), trafic des esclaves est loin d'avoir commencé à destination de l'île Bourbon.
la y la le de
1.4. ENTRE 1691 ET 1699 Pendant cette dernière décennie du XVIIe siècle, nous retrouvons la trace de l'arrivée de dix-sept migrants nés entre 1659 et 1678, provenant majoritairement de France et qui épouseront tous (sauf deux) des femmes créoles, là encore beaucoup plus jeunes qu'eux, puisque l'écart d'âge entre les conjoints est de 16,6 ans en moyenne. De ce fait, nous enregistrons à nouveau pour cette période un âge moyen à la première maternité très bas: 17,61 ans. Les unions étant observées sur une moindre durée, la descendance complète de ces couples ne peut être appréciée; en une vingtaine d'années, nos dixsept nouveaux venus ont été pères quatre-vingt-dix fois, ce qui nous donne un nombre moyen d'enfants par couple égal à 5,3. La localisation à Saint-Paul redevient plus forte qu'à la période précédente: il faut y voir sans doute le résultat du mariage des nouveaux migrants avec des créoles dont les familles sont largement implantées dans ce lieu. Les professions, malheureusement peu de fois mentionnées, peuvent aussi être déterminantes pour fixer le lieu de résidence: Mathurin Gavenier est capitaine du quartier SaintDenis, Victor Riverain est enseigne du quartier Sainte-Suzanne. Les autres, tailleurs, matelots, boulanger et maquignon demeurent à SaintPaul. Nous tenterons à la fin de cette première partie une étude des professions. L'annexe 10 «Arrivés à l'île de Bourbon entre 1691 et 1699» présente les caractéristiques de ces nouveaux venus. C'est à cette période qu'arrive à Bourbon (1698) l'ancêtre du poète et futur académicien Evariste Parny (Bourbon, 1753 - Paris, 1814): né en 1678, venu de Brion en Bourgogne, ce boulanger s'installe à Saint-Paul, épouse Barbe Mussard (créole) dont il aura sept enfants. 57
CHAPITRE
1
Pour ces nouveaux arrivants, le premier recensement sera celui de 1704-1705. Par ailleurs, à cette date nous avons le décompte de ceux qui sont pour la première fois désignés par le terme d'esclaves. Nous n'en présenterons pas pour l'instant les résultats qui n'auraient aucune valeur comparative avec ceux obtenus précédemment: les premiers colons établis à Bourbon ont vu, eux aussi, entre 1690 et 1705, le nombre de leurs esclaves s'accroître.
1.5. ENTRE 1700 ET 1710. De nombreux migrants vont s'installer de façon durable à Bourbon entre ces deux dates: nous en recensons vingt-sept. Un tiers d'entre eux vient des côtes françaises entre Bordeaux et Nantes, un autre tiers de différentes régions françaises, deux viennent des îles d'Amérique, sept ont des origines anglaise ou hollandaise. Presque tous sont arrivés en 1702 ou en 1704 et ils ont en moyenne 27,5 ans (le plus jeune a 19 ans, le plus âgé en a 52). A l'exception d'un seul, ils vont s'unir à des filles nées à Bourbon et nous retrouvons à nouveau la même jeunesse des épouses1 : elles ont en moyenne 16,5 ans à la naissance de leur premier enfant et leurs époux affichent en moyenne quatorze ans de plus qu'elles. Pour ces couples formés après 1700, et souvent même après 1705, la durée d'observation pour estimer leur descendance est d'à peine vingt ans, elle est donc loin d'être complète: soixante-quinze enfants sont recensés pour ces couples, soit 2,8 enfants par famille, ce qui laisse augurer d'une bonne descendance compte tenu de l'extrême jeunesse des femmes. Près de la moitié de nos migrants sont matelots: il faut certainement faire un lien entre leur provenance et leur profession. Ces nouveaux venus vont largement contribuer à peupler Saint-Denis, où onze couples s'installent, et Saint-Paul avec également onze couples. L'annexe Il « Arrivés à l'île de Bourbon entre 1700 et 1710» rassemble les caractéristiques de cette population.
-
1. Il convient de situer le mariage, exclusivement religieux, de ces « filles enfants» dans son contexte: l'Eglise ne s'oppose pas à cette précocité et le pape, Clément XI, le 24 novembre 1701, autorise les desservants de Bourbon (les Frères mineurs récollets de Saint François) à accorder des dispenses pour les empêchements de parenté au troisième degré (mariage entre l'oncle et la nièce) et au quatrième degré (entre les cousins issus de germains). 58
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Pendant la période 1700-1710 deux recensements ont été entrepris, l'un en 1705, l'autre en 1709, et nous disposons également d'un « état des hommes aptes à porter les armes pour défendre l'île de Bourbon» réalisé en 1710. Nous allons tenter d'établir, à partir de ces bases et de nos fiches de familles, une étude un peu plus chiffrée de notre population en estimant les principaux indicateurs démographiques. Aux différents recensements, les parents et leurs enfants sont mentionnés avec leur âge: par soustraction à la date du recensement nous avons estimé la date de naissance. Le dépouillement exhaustif de plusieurs recensements nous a permis de constater qu'au fil du temps l'âge des différents individus était cohérent. - et dès lors la date de naissance calculée - et d'établir la survie des habitants. Entre 1705 et 1710 sont nés cent soixante-neuf enfants (soit cent soixante-six naissances dont trois gémellaires) répartis en quatrevingt-quatre garçons et quatre-vingt-cinq filles. Sur cet ensemble, nous avons relevé la disparition de neuf enfants sans que nous soyons capable de déterminer leur âge au décès. Il convient de faire remarquer ici que le rythme des naissances relevées pour les différents couples laisse peu de place à des naissances qui nous auraient échappé du fait d'un décès entre deux recensements. Nous avons vu précédemment le très jeune âge des mères à la première maternité qui exclut quasi totalement la sous-estimation des accouchements avant cet âge. Ensuite, les naissances arrivent avec la régularité produite par la fécondité « naturelle» : environ une tous les deux ans aux âges de forte fécondabilité (de 20 à 35 ans). L'impression que nous avions eue en dépouillant les registres de recensement, à savoir une mortalité faible pour l'époque, comparée à celle enregistrée en France, semble bien se confirmer. S'ajoute à la constatation de la basse mortalité des enfants, celle des mères, en particulier au moment de naissances gémellaires: rares étaient effectivement au début du XVIIIe siècle les femmes qui en réchappaient. Dans notre population la mortalité des femmes en couches paraît très peu marquée. Il en va peut-être de la responsabilité de la sage-femme de l'île, Thérèse Damour1 qui aura elle-même quinze enfants entre 1697 et 1726.
1. Thérèse Damour: née le 10 mars 1680 à Saint-Denis, fille de Georges Damour arrivé à Bourbon en 1676 .. et de Marie Toute - négresse de Madagascar - . Elle
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CHAPITRE
1
Nous pouvons obtenir une estimation du nombre de femmes susceptibles d'enfanter: en 1705, environ quatre-vingt-quatorze et en 1709, environ cent dix; soit une population féminine de référence de l'ordre de cent deux. En rapportant la moyenne annuelle des accouchements, vingt-sept (133/5), à cette population nous obtenons un taux de fécondité générale de l'ordre de 265 %0 (264,71 %0). Ce taux élevé est à rapprocher du fait que la population féminine âgée de plus de 35 ans est extrêmement peu représentée en ce début de peuplement et que, très jeunes (à partir de 12 ans), les filles peuvent être engagées dans le phénomène de reproduction. L'ensemble de ces résultats nous autorise à mettre quelques faits en évidence. - Un âge au mariage des filles extrêmement bas: on peut s'en étonner eu égard à ce qui se pratique en France à la même période. Le fait que les premiers arrivants se soient unis en majorité à des femmes malgaches et indiennes n'est pas resté sans influence sur l'attitude envers les enfants et en particulier envers les filles, en ce qui concerne l'âge possible de leur union. Par ailleurs, la nécessité pour les nouveaux migrants, essentiellement des hommes, de prendre femme, a pu changer les coutumes nuptiales en vigueur au royaume de France. Ce jeune âge au mariage des fillesl, dès le début du peuplement de Bourbon, a sans doute pesé lourd dans l'évolution de l'île: les unions précoces y resteront un fait marquant et, bien entendu, la forte fécondité qu'elles engendrent. Ne négligeons pas, en outre, le fait que cette population de départ vit dans un « paradis terrestre» dont les subsistances paraissent, au regard de ce que nos pionniers ont pu vivre en France, inépuisables et de qualité. - Une fécondité élevée: l'accroissement de la population de l'île de Bourbon est faible si on avance l'argument que c'est une colonie de peuplement. En effet nous avons vu que le nombre des nouveaux arrivants est peu élevé, une petite centaine entre 1690 et 1710. En revanche, quand on considère le taux d'accroissement naturel de cette petite population, force est de constater qu'il est d'un très bon niveau car la jeunesse de la population explique le peu de décès. En s'en tenant à la période 1705-1710 pour laquelle nous avons enregistré
épousera le 3 octobre 1696, à Saint-Paul, Hervé Fontaine né en 1677 à SaintPaul, charpentier. In Proper Eve. 1. L'écart d'âge entre hommes et femmes crée un sur-veuvage féminin qui entraîne de nombreux remariages. Voir plus loin le paragraphe consacré au phénomène. 60
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quelque cent soixante-neuf nouveau-nés, une vingtaine de décès et environ dix arrivées, nous voyons immédiatement le peu d'importance que représente le solde migratoire dans l'accroissement total. - Une faible mortalité: nous avons estimé à une dizaine les décès d'enfants, nés entre 1705 et 1710, avant l'âge de dix ans. Comme nous nous sommes attachée à relever la faible mortalité des mères lors de naissances multiples, faisons remarquer que seule une jumelle décède sur les six nées entre 1705 et 1710. Nous ne pouvons nous empêcher de faire cette constatation, même si le nombre d'observations est faible, quand nous avons présente à l'esprit l'issue fatale, pour la mère et les enfants, des délivrances de jumeaux en France à la même période. Aux âges adultes la mortalité touche peu notre population; en raison de sa jeunesse tout d'abord et aussi certainement en raison de sa robustesse! N'oublions pas en effet que les hommes qui atteignent l'île ont, dans le meilleur des cas, pu supporter un voyage d'environ quatre mois, dont on peut imaginer sans peine les conditions... Par ailleurs, nous l'avons déjà mentionné, l'île de Bourbon bénéficie d'un environnement très sain: pas de marécages, comme à Madagascar, pas de faune ou de flore vénéneuse, un climat agréable. Il est certain qu'en ce début du XVIIIe siècle, il vaut mieux vivre à Bourbon qu'au royaume du Roi-Soleil où épidémies, disettes - voire famines s'abattent sur la population et la déciment. Autant les dépouillements des registres paroissiaux français des XVIIe et XVIIIe siècles témoignent de situations qui laissaient largement place à la misère, autant ce même travail sur l'île de Bourbon laisse une impression de vitalité. - La migration: nous avons évoqué pour chaque sous-période la provenance des colons venus s'installer à Bourbon. Au total, nous disposons de l'origine de quatre vingt-sept hommes et de vingt-six femmes. Nous présentons ici l'ensemble des provenances. Les femmes. Douze femmes ont leur origine à Madagascar, neuf aux Indes et cinq en France (Boulogne, Paris (2), Picardie et Lyon). Nous avons déjà évoqué le faible flux de Françaises arrivées à Bourbon. Cette récapitulation met bien en évidence la surreprésentation des Malgaches et des Indiennes (vingt et une sur vingtsix). Nos lectures sur les premiers voyages à destination de Madagascar, et donc éventuellement de Bourbon, nous ont apporté la 61
CHAPITRE
1
preuve de la venue de femmes de France par deux fois. Tout d'abord, les quatre navires qui quittent Brest le 7 mars 1665 et qui ont à leur bord «quelques femmes de bonne volonté », ensuite l'arrivée en 1671, à Bourbon, de dix-huit femmes qui proviennent de I'Hôpital général de Paris. Le déficit en éléments féminins marque les débuts du peuplement et nous avons d'ailleurs constaté que les quelques veuves retrouvaient très rapidement un nouveau conjoint: le délai entre la dernière naissance, fruit du conjoint décédé, et la suivante, enfant du nouveau conjoint, est bref: entre un et deux ans. Les hommes. A l'inverse des femmes, les ressortissants de Madagascar et des Indes sont peu représentés: un Malgache et deux Indiens, dont un qui est en réalité Portugais né aux Indes. Seize hommes sont originaires du nord de l'Europe: Angleterre, Hollande et actuelle Belgique (Brabant et Flandres). Le reste se répartit entre le Portugal (1), l'île Saint-Croix (1), l'île Saint-Christophe (1) et l'île de France (1), aujourd'hui île Maurice. Pour nos soixante-quatre hommes dont l'origine est affirmée, dont une est illisible, ce sont les Bretons qui arrivent en tête (15), puis les représentants de la côte française de Bordeaux à Nantes (11), suivis de ceux de la région Centre (9), de la Normandie (8), de la Picardie et du Nord (5), de la région Méditerranée (4) et enfin les derniers se répartissent entre la Bourgogne (4), la région parisienne (3), Lyon (2), la Brie (1) et le Dauphiné (1). Parmi ces hommes qui ont séjourné à Bourbon, certains ont quitté l'île, soit au terme de leur engagement au service de la Compagnie en retournant en France, c'est le cas par exemple de Louis Payen (arrivé en 1663 après un séjour à Madagascar), soit pour aller servir dans d'autres zones françaises de l'océan Indien. Ainsi, plusieurs colons sont présents à un recensement et disparaissent au suivant sans qu'on puisse accuser la mortalité puisque leurs épouses ne laissent, elles non plus, aucune trace. Quatre couples sans enfant disparaissent après le recensement de 1690, dont deux chefs de famille qui étaient frères et Hollandais d'origine. Après le recensement de 1705, deux couples (dont un a deux enfants), un célibataire d'origine anglaise et un veuf quittent Bourbon. Au total, on peut estimer à seize le nombre de départs entre 1690 et 171O. L'empressement que les colons semblent avoir de se marier et la progéniture qu'ils ont rapidement et en grand nombre expliquent sans doute, en partie, la sédentarité de notre population. Le veuvage: nous avons évoqué précédemment le phénomène qui touche principalement les femmes. La cause en est l'important écart 62
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d'âge qui sépare les conjoints. Nous recensons soixante-treize couples formés par ceux qui sont arrivés avant 1690 (annexe 9), seize pour ceux arrivés entre 1690 et 1699 (annexe 10) et vingt-six pour ceux arrivés entre 1700 et 1710 (annexe Il). Soit cent quinze observations. L'écart d'âge entre les époux est connu pour soixante dix-sept couples1 (respectivement trente-sept, quatorze et vingt-six). L'écart moyen est de dix-sept ans pour les deux premières périodes (respectivement 16,65 ans et 16,64 ans) et de quinze ans (14,54 ans) pour la troisième. Pour douze couples, nous disposons des âges de chacun des conjoints et du remariage: l'écart moyen était de vingt et un ans... Les unions dans lesquelles le mari a quarante ans de plus que sa femme peuvent s'attendre à être rompues par décès du conjoint. Nous présentons ici le récapitulatif de nos soixante dix-sept observations des écarts d'âges entre époux: TABLEAU 9 - ÉCART D'ÂGES ENTRE ÉPOUX DE 77 OBSERVATIONS Ecart
Nombre
- de 5
5-9
10-14
15-19
20-24
25-29
30-34
40
ans
ans
ans
ans
ans
ans
ans
ans
4
14
21
14
12
6
2
4
Plus de la moitié des couples ont un écart d'âges entre conjoint supérieur à quinze ans. La pénurie de femmes qui a régné au tout début du peuplement de Bourbon et qui s'est renforcée au fil des années est à l'origine de certains de ces mariages où les filles, nous l'avons vu précédemment, sont très jeunes. Le mariage précoce des filles s'installera pour longtemps dans l'île: au moment de notre séjour à La Réunion (dans les Hauts en 1981-82), les jeunes filles, passé vingt ans, et toujours pas mariées, se morfondaient! Un dimanche par mois, après la grand-messe, elles défilaient, tout de blanc vêtues, en cortège, sur le terre-plein devant l'église. Elles signalaient ainsi, à la communauté, leur célibat et le désir d'y mettre fin.
1. Seul un couple est composé d'une femme plus âgée que son mari. 63
CHAPITRE
TABLEAU 10 Conjoint
MOLLET Claude ROYER Antoine (MANGROLLES Henri) ARNOULD Denis CARRE Jean
CAUZAN Paul LAURET Jacques Veuf Félicie VINCENTE PERROT Jean PITOU Antoine
- VEUFS
1
ET REMARIÉS
Conjointe Arrivés en 1665 Jeanne LACROIX Marguerite TEXIER Elisabeth HOUVE Arrivés en 1671 Marie MAHOU Françoise CRA TELAIN Veuve LELIVRE Veuve ESPARRON Anne CAZE Marianne FONTAINE
Nouveau conjoint
Pierre HIBON Matthieu GAVENIER Athanase TOUCRARD François VALLEE Augustin PANON
Gilles LAUNAY Pierre POL
Anne BRUN Jean ARNOULD Marie TOUTTE Georges DAMOUR Arrivés en 1674 et de 1676 à 1679 CLAIN JeanHélène PROU Jacques FONTAINE Macaste (fiIs) MAILLOT Jacques M-Madeleine DALLEAU Jean DAMOUR Veuf ??? Arrivés avant 1680 François BOYER Guillaume Geneviève NIELA DUHAMEL François GRONDIN BROCUS Henri Jeanne ARNOULD Antoine PAYET GRONDIN Etienne Louise SIARANE Antoinette GRONDIN François Jeanne ARNOULD NA TIVEL Julien DALLEAU VINCENDEAU Louise FONDES Vincent
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Suite du tableau 10 Conjoint GRUCHET Jean RIVIERE François VIDOT Marc FORTIN ? FOLIO Pierre GARNIER? GRIMAULT Henri L'EPINEY ? MALLE Manuel
- Veufs
Conjointe
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et remariés Nouveau conjoint
Arrivés entre 1680 et 1689 Jeanne BELLON Jacquette LEVEQUE Thérèse HERON Henri RIVIERE Marie ROYER Pierre ROYER Arrivés entre 1690 et 1699 Brigitte BELLON Pierre FOLIO Veuve de Françoise CADET Brigitte BELLON Alexis LAURET Monique Etienne ROBERT VINCENDEAU François LAUTREL Marie TOUCHARD Marie LAURET Pierre NOEL Louise (Marie) Pierre BOISSON
ROYER PICARD Jacques BOUCHER Pierre CHAMAN André ELGAR Thomas JANSON Jean RICHARD ?
Louise COLLIN Guillaume PLAUTRE Arrivés entre 1700 et 1709 Luce PAYET Henri JUST AMOND Angélique CARON Athanase TOUCHARD Raphaella ROYER Madeleine LARlVE Marie DUGAIN Jean YANSE Marie MARTIN Louis ROUSSEAU
Sources: nos dépouillements.
Le recensement de 1709 renseigne, pour certains hommes, une rubrique profession. Aucune femme, et c'est une constante pour l'ensemble des recensements, n'a de profession définie; il peut paraître étonnant qu'aucune mention de «couturière» ou de «sage femme» ne soit signalée. Nous citons ces deux professions car elles figurent dans les registres paroissiaux métropolitains de l'époque. Pour la population masculine, la profession est loin d'être donnée systématiquement puisque pour quatre-vingt-neuf hommes recensés, cinquante-six (un peu moins des deux tiers) sont notées. Il n'est pas mentionné si cette profession est celle qui est exercée à Bourbon ou celle qui était exercée avant la venue sur l'île: dans certains cas, il semble que la référence s'applique plus à l'état avant l'arrivée. 65
CHAPITRE
1
Toutefois, on peut penser que ces dispositions anCIennes étaient exploitées à Bourbon. « Pilote» et « matelot» désignent en fait d'anciens flibustiers: ils sont au nombre de quinze. Leur activité à Bourbon ne peut être en rapport avec leur passé compte tenu du danger que représente l'océan Indien autour de l'île. Vingt-trois (soit un quart) sont déclarés « charpentier» ou « menuisier ». Trois sont maçons. Le reste se partage entre « serrurier» (un), « cordier» (un), « tournier» (un), « arquebusier» (un), « armurier» (un), « forgeron» (un), « graveur» (un), « tailleur» (deux), «chirurgien» (deux), « pêcheur» (un), « boulanger» (un), « maquignon» (un), et un « horloger» : l'Anglais Georges Noël. Sauf à imaginer que l'agent recenseur n'a pas noté de profession quand celle-ci était directement liée avec le travail de la terre, parce que cela va de soi, il est assez étrange de ne voir mentionner aucun « cultivateur» ou « fermier ». Sauf si, bien sûr, cette désignation, à l'époque, avait un lien avec la propriété: en ce début du XVIIIe siècle aucune attribution réelle et définitive de terre n'avait été effectuée à Bourbon. Le peu d'intérêt porté à la qualification des hommes de l'île, prouvé par les recensements qui restent très discrets sur le sujet, tendrait à prouver que les activités déployées étaient peu repérables. Ce qui accréditerait le côté dilettante de la population et le besoin en main-d'œuvre servile quand il s'agira de mettre Bourbon au travail. L'annexe 12 présente la liste des pionniers pour lesquels la profession est mentionnée.
1.6. LES ESCLAVES « L'amiral Jacob de la Haye, vice-roi des Indes, revenant d'une expédition malheureuse dans le golfe d'Oman, fit escale à Bourbon et,
par ordonnance du 1er décembre 1674, lui donna un embryon de constitution. En ses articles 17 et 20, l'ordonnance établit nettement la différence entre blancs et noirs, maîtres et serviteurs.
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- Article 17. - Que chacun fera des efforts de bonne volonté pour prendre et châtier les déserteurs de la montagne, étant l'intérêt public, et même qu'il sera donné récompense à ceux qui pourront les prendre vifs ou morts. - Article 20. - Défense aux Français d'épouser des négresses, cela dégoûterait les noirs du service, et défense aux noirs d'épouser des blanches, c'est une confusion à éviter. Les déserteurs de la montagne susceptibles de châtiments étaient des noirs en fuite. ». (ln J. V. Payet). Les unions de nos pionniers montrent que cette ordonnance fut bien peu respectée! Au premier recensement de 1690, le terme d'esclave n'est pas utilisé. Quant au personnel attaché aux services administratifs, résidant à Saint-Denis et à Sainte-Suzanne, il est recensé en « Nègres et Négresses du Roy». A partir de 1704-1705, les recensements vont faire état d'esclaves. Différentes ordonnances locales vont tenter de former une législation spéciale les concernant. Le Conseil provincial, créé par un Edit du 15 mars 1711, demandait, dès 1718, l'équivalent du Code Noir (Edit de 1685 applicable aux esclaves des colonies d'Amérique, et accessoirement à Bourbon) spécifique à la colonie. Ce n'est qu'en décembre 1723 que Louis XVI signera l'édit concernant les esclaves des îles de France et de Bourbon. Nous allons consacrer cette partie de notre travail à cette population entre 1705 et 1709, c'est-à-dire à ses débuts. A ces deux dates, les habitants sont répertoriés par leur prénom, leur origine, leur état matrimonial, leur âge et leur famille de rattachement. Comme pour l'ensemble de la population de Bourbon, la distinction est faite, dans la récapitulation des données de recensement, entre les hommes de plus ou moins de 15 ans et les femmes de plus ou moins de 12 ans; ces deux âges signifiant plus une différence entre mariables et non mariables qu'une différence entre enfants et adultes. Le grand nombre d'accouchements à 13 ans le confirme.
I
Louis XV (Versailles
1710
- Id. 1774).Roi de France (1715-1774). 67
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1
Le décompte des esclaves rattachés aux familles, aux recensements de 1705 et 1709, peut se résumer ainsi:
- ESCLAVES SELON L'ÂGE ET LE SEXE DANS LES DIFFÉRENTS QUARTIERS EN 1705 ET 1709
TABLEAU Il
Négrillons Négrillonnes Négresses Total +de12ans Saint-Denis 1705 34 10 Il Il 66 Il Il 1709 40 13 75 Sainte-Suzanne 1705 2 29 17 5 5 2 25 1709 12 6 5 Saint-Paul 1705 42 27 197 90 38 265 1709 121 59 45 40 Total 292 141 58 40 1705 53 61 365 1709 173 78 53 Sources: nos dépouillements. Note: données corrigées des déplacementsentre 1705 et 1709, de la famille Folio oubliée à Saint-Paulau recensementde 1709(à laquellenous avons attribué le même nombred'esclaves à cette date qu'en 1705),et du changementde groupes d'âges entre les deux dates. Nègres + de 15 ans
Au total, le nombre d'esclaves attachés aux familles passe de deux cent quatre-vingt-douze à trois cent soixante-cinq, soit une hausse de 25,0 % (neuf enfants passent d'enfants à adultes entre 1705 et 1709) dont une augmentation de 22,7 % pour les hommes de plus de quinze ans. Les rapports de masculinité restent largement favorables aux hommes pour les adultes:
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TABLEAU 12 - RApPORT DE MASCULINITÉ DES ADULTES ET DES ENFANTS EN 1705 ET 1709
H/F% Adultes 266,04 221,79
1705 1709
H/F% Enfants 145,00 115,09
On remarque la forte concentration des esclaves à Saint-Paul, où ils sont deux fois plus nombreux qu'à Saint-Denis et Sainte-Suzanne réunis en 1705, et deux fois et demi (2,7) plus nombreux en 1709. Rappelons que la grande majorité des colons est installée à SaintPaul, ceci explique cela. En outre, les bateaux qui font halte à Bourbon mouillent à Saint-Paul ce qui facilite les échanges esclavesdenrées entre les marins ou flibustiers, et la population. A Saint-Denis sont regroupés les esclaves qui appartiennent à la Compagnie: TABLEAU 13 - ESCLAVES DE LA COMPAGNIE SELON L'ÂGE ET LE SEXE DANS LE QUARTIER DE SAINT-DENIS EN 1705 ET 1709
1705 1709
Nègres Il 12
Négresses 2 3
Négrillons 6 6
Négrillonnes 2 3
Total 21 24
Ainsi, nous obtenons un total de la population des esclaves à Bourbon aux deux dates qui se présente comme suit: TABLEAU 14 - ESCLAVES À BOURBON SELON LE SEXE EN 1705 ET 1709
Nègres 1705 1709
45 52
Négresses Négrillons Saint-Denis 12 17 16 17
69
Négrillonnes
Total
13 14
87 99
CHAPITRE
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Suite du tableau 14 - Esclaves à Bourbon selon le sexe en 1705 et 1709 Nègres
Négresses Négrillons Négrillonnes Total Sainte-Suzanne 1705 17 5 5 2 29 1709 12 6 5 2 25 Saint-Paul 38 42 1705 90 27 197 1709 121 59 45 40 265 Total 1705 152 55 64 42 313 1709 185 81 67 56 389 Sources: nos dépouillements. Note: Les augmentationscalculéesprécédemmentrestent quasiment inchangéesavec l'apport des esclavesattachés à la Compagnie.
Nous avons compté dix esclaves qui ont changé de statut: d'enfants en 1705, ils sont passés adultes en 1709. Ils se répartissent en six garçons et quatre filles. Ainsi, nous pouvons déduire grossièrement le nombre de nouveaux arrivés. Pour les hommes, vingt-sept nouveaux venus, pour les femmes, vingt-deux. La grossièreté de cette estimation tient au fait que nous ne disposons d'aucune donnée concernant la mortalité: il s'agit dès lors d'un solde qui néglige également les éventuels départs d'esclaves avec leur maître. Au cours du dépouillement, trois esclaves, des femmes, étaient mentionnées non encore baptisées, ce qui laisse donc supposer que tous les autres l'avaient été: on en a pour preuve les prénoms qui, pour la très grande majorité, n'ont rien à voir avec des origines malgache, indienne et africaine. Au recensement de 1709, dans lequel apparaissent les « officiels» de Bourbon, deux curés sont mentionnés: l'un desservant Saint-Denis et Sainte-Suzanne, Messire Vincent Robin, originaire de Hennebont et âgé de 46 ans, l'autre desservant Saint-Paul, Messire Pierre Marque, originaire de Quimper et âgé de 50 ans. Le calcul des âges moyens donne les résultats suivants:
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TABLEAU 15 - AGES MOYENS DES ESCLAVES SELON L'ÂGE ET LE SEXE EN 1705 ET 1709
1705 1709
Nègres 28,56 29,35
Négresses 25,13 24,70
Négrillons 8,20 7,87
Négrillonnes 4,54 4,81
Il convient de rappeler que la catégorie « nègres» prend en compte les hommes de plus de 15 ans, alors que la catégorie «négresses» démarre à partir de 12 ans: nous avons donc, par définition, dans cette population des individus plus jeunes. Cet écart joue bien évidemment quand on considère les «négrillons» qui peuvent être âgés de 0 à 15 ans alors que les «négrillonnes» ne peuvent avoir qu'entre 0 et 12 ans. Cette jeunesse de l'âge adulte des filles a également une répercussion sur le sensible rajeunissement de la population féminine entre 1705 et 1709. L'âge relativement élevé de nos adultes nous confirme dans l'idée que de nombreux colons ayant séjourné à Madagascar, avant leur arrivée à Bourbon, ont fait le voyage avec des Malgaches. A signaler qu'un nègre âgé de 103 ans n'a pas été retenu dans nos calculs. .. Les distributions suivants:
des âges font apparaître les âges médians
TABLEAU 16 - AGES MÉDIANS DES ESCLAVES SELON L'ÂGE ET LE SEXE EN 1705 ET 1709
1705 1709
Nègres 25,67 26,13
Négresses 24,63 22,25
Négrillons 9,40 8,38
Négrillonnes 3,88 5,00
Pour les adultes, ces âges ont l'avantage de ne pas être pénalisés par les quelques individus âgés. La répartition par grands groupes d'âges va nous permettre d'apprécier la structure par âge de notre population:
71
CHAPITRE
1
TABLEAU 17 - STRUCTURE PAR SEXE ET ÂGE DE LA POPULATION ESCLAVE EN 1705 ET 1709 Age 00-04 05-09 10-14 15-19 20-29 30-39 40-59 60et + Total
Sexe masculin 1705 1709 18 19 17 20 29 28 37 39 48 77 38 36 26 22 6 7 216 251
Sexe féminin 1705 1709 24 28 12 26 2 6 20 30 31 18 12 8 8 7 1 1 97 137
Total 1705 42 29 35 59 66 44 30 8 313
1709 47 46 30 67 108 50 33 7 388
Alors que la population totale des esclaves est bien mieux représentée du côté masculin, les moins de 10ans sont mieux représentés côté féminin et ce en valeur absolue et en valeur relative. Nos effectifs étant faibles, il peut s'agir d'un « hasard» de fécondité où les naissances féminines seraient mieux représentées: nous affirmerons ou infirmerons ce point lors de l'étude de la provenance des esclaves. Il se peut également que les jeunes garçons soient plus susceptibles d'être vendus aux « trafiquants» de passage à Bourbon et à destination d'autres possessions françaises aux Indes. En effet, en étudiant la population des esclaves de moins de 10 ans dont nous perdons la trace entre 1705 et 1709, les garçons sont sur-représentés. Ainsi, nous perdons la trace de trente éléments masculins sur les soixante-quatre recensés en 1705, soit presque la moitié, contre dixhuit éléments féminins, soit environ deux sur cinq. C'est entre 20 et 40 ans que cette population est le mieux représentée. Et comme on pouvait s'y attendre, la population âgée de plus de 60 ans représente une minorité. N'oublions pas que c'est le propre de la population entière de l'île dont les pionniers sont arrivés quelque cinquante ans auparavant. Voyons maintenant ce qu'il en est de la situation matrimoniale des esclaves. Rappelons qu'ils ont été baptisés et qu'ils doivent donc suivre, de ce fait, les préceptes de la religion catholique, laquelle n'autorise la procréation qu'à l'intérieur des liens du mariage. Il ne 72
LE PEUPLEMENT
JUSQU'EN
1719
nous a pas été possible d'établir des liens entre esclaves déclarés mariés attachés à une même famille de maîtres. Toutefois, le travail que nous exposons ici, entre 1705 et 1709, a été poursuivi jusqu'en 1719 et nous avons ainsi pu établir une stabilité résidentielle des esclaves avec une régularité dans les « couples» et une descendance régulière. Par ailleurs, certains noms d'esclaves sont reportés sur leurs enfants; et encore, à certains recensements, l'agent recenseur a traité les esclaves par famille, faisant ainsi apparaître le père, la mère et les enfants. Il convient toutefois de noter qu'au décès du maître, bien souvent, les esclaves sont répartis entre ses descendants et que, dans certains cas, cet héritage a pour conséquence de séparer les fratries et les couples d'esclaves. Il faut cependant relativiser cette coupure car l'installation des enfants des maîtres se fait presque toujours dans un environnement très proche de celui des parents. L'état matrimonial relevé donne les résultats suivants: TABLEAU 18 - ETAT MATRIMONIAL DES ESCLAVES SELON L'ÂGE ET LE SEXE EN 1705 ET 1709
1705 Hommes de 15 ans et + Femmes de 12 ans et + Cél. Mariée Veuve Cél. Marié Veuf 10 44 1 100 47 5 18,2% 80,0% 1,8% 65,8 % 30,9% 3,30/0 Total: 152 Total: 55 1709 Hommes de 15 ans et + Femmes de 12 ans et + Cél. Marié Veuf Cél. Mariée Veuve 129 55 1 34 46 1 69,7 % 29,7 % 0,6 % 41,9 % 56,9 % 1,2 % Total: 185 Total: 81
Le déficit en femmes est patent: les deux tiers des hommes sont célibataires alors que quatre femmes sur cinq sont mariées en 1705 contre trois sur cinq en 1709.
73
CHAPITRE
1
Ainsi, pouvons-nous dire que la population des esclaves se compose d'environ une cinquantaine de couples. En évaluant, entre 1705 et 1709, le nombre de naissances à cinquante (enfants âgés de 0 an en 1705 et âgés de 0 à 5 ans en 1709) nous obtenons un taux de fécondité légitime de l'ordre de 200 %0. Cette estimation est hors mortalité: rappelons que nous travaillons sur des recensements et non sur des registres de baptêmes (naissances) et de sépultures (décès). Au total nous obtenons l'origine de quatre cent quatre-vingt-dixhuit esclaves: trois cent neuf sont recensés en 1705 et cent quatrevingt-neuf « arrivent» entre 1705 et 1709. En 1705, deux cent quinze sont des hommes et quatre-vingt-quatorze, des femmes; en 1709 nous en décomptons respectivement cent vingt-cinq et soixante-quatre. Leurs origines se répartissent ainsi: En 1705, les esclaves d'origine malgache sont largement représentés: plus du tiers. Les suivent de très près ceux qui sont nés à Bourbon (101 contre 110), soit un autre tiers. Les esclaves originaires des Indes et d'Afrique constituent le dernier tiers. Pour les « arrivées» entre 1705 et 1709, la représentation est différente: les Malgaches comptent pour 19 %, les Indiens pour 30 %, les Africains pour 6 % et les Créoles pour 44 %. Afin d'étudier la provenance, nous allons exclure les originaires de Bourbon. Il convient de noter que la présence en 1705 résulte d'arrivées entre 1663 et 1705, soit une quarantaine d'années d'observation, alors que la répartition des nouveaux, en 1709, repose sur une observation de cinq ans. La forte représentation des Malgaches en 1705, plus de la moitié (53 %), confirme leur venue avec les pionniers. A égalité nous trouvons les originaires des Indes et d'Afrique, respectivement 21,6 % et 23,6 %. Les Guinéens appartiennent à la Compagnie. Retenons que dans cette population de « déplacés », les hommes sont quatre fois plus nombreux que les femmes, lesquelles, dans neuf cas sur dix, viennent de Madagascar.
74
LE PEUPLEMENT
JUSQU'EN
1719
TABLEAU 19 - ORIGINES GÉOGRAPHIQUES DES ESCLAVES SELON LE SEXE EN 1705 ET 1709
Présents en 1705 Hommes Femmes Indes 44 1 Indes 12 Malabar1 27 Bengale2 5 Madagascar 72 38 Afrique 46 3 Guinée3 9 Cafre 31 3 Mozambique4 6 Autres 4 42 Total 166 Ensemble 208 Bourbon 49 52 Total 215 94 Ensemble 309 Sources: nos dépouillements,nos calculs.
Arrivés entre 1705 et 1709 Hommes Femmes 41 16 24 15 1 15 2 28 7 1 Il Il 2 82
24 106 40 64
43 125 189
Entre les deux recensements, cent six nouveaux esclaves sont entrés à Bourbon et ce sont ceux originaires des Indes qui ont été les plus nombreux: plus de la moitié. Seulement un tiers provenait de Madagascar et 10 % d'Afrique. La sur-représentation masculine est réaffirmée: trois fois et demie plus d'hommes que de femmes. Notons également que l'Afrique ne connaît plus qu'une seule origine: « Cafre». Il peut s'agir tout simplement d'une simplification de dénomination par l'agent recenseur qui assimile tout esclave originaire d'Afrique par ce terme qui est d'ailleurs encore utilisé de nos jours à La Réunion pour désigner les Noirs. Au regard de la
1. 2. 3. 4.
Malabar: partie de la côte sud-ouest du Deccan (Indes). Bengale: golfe de l'océan Indien entre l'Inde, le Bangladesh et la Birmanie. Guinée: l'arrivée des Portugais (1461-1462) y inaugure la traite des Noirs. Mozambique: du Xe au XVe siècle le pays est peuplé de Bantous. En 1490, les Portugais s'installent le long des côtes. Aux XVIIe et XVIIIe siècles l'influence portugaise s'affirme. 75
CHAPITRE
1
population esclave née dans l'île, 44 % en 1709, nous pouvons avancer que Bourbon, à l'époque peu peuplée et peu engagée dans le commerce et la production, n'avait sans doute pas un besoin considérable de main-d'œuvre esclave et pouvait donc se contenter de la descendance de ses esclaves sans avoir recours à l'acquisition de nouveaux contingents. Entre 1705 et 1709 les nouveaux ne participent que pour moitié à la population esclave. Nous avons été troublée par le décompte estimé des cinquante naissances d'esclaves à Bourbon vu précédemment (les enfants âgés de 0 an en 1705, ajoutés aux moins de 5 ans en 1709) et le nombre d'esclaves déclarés créoles donné par le recensement de 1709: quatre-vingt-trois. Nous pouvons penser que le recensement de 1705 a sous-estimé le nombre d'enfants et que le meilleur recensement en 1709 est responsable de cet écart; il se peut également que l'âge ait été quelque peu exagéré en 17091. Ce point et l'attraction aux âges ronds (âges se terminant par 0 et 5), peuvent expliquer la discordance.
1.7. DE 1710 À 1719
Le recensement de 1709 avait fait apparaître vingt nouveaux couples. Ceux de 1711 et 1713-14 en voient respectivement huit et cinq. Nous observons donc pour cette deuxième décennie du XVIIIe siècle un tassement des unions que nous pouvons expliquer par le peu d'individus en âge de se marier et le déficit en éléments féminins. Seuls deux époux sont des nouveaux venus dans l'île; un n'a pas d'ancêtres à Bourbon mais il est veuf et est arrivé en 1702. Voyons comment les unions se sont faites. Tout d'abord, l'origine géographique des conjoints est dans une large majorité identique: les deux familles résident dans le même quartier et le couple se fixe dans ce lieu. Compte tenu de la faiblesse numérique de nos observations, nous resterons prudente dans nos constatations, mais il convient tout de même de noter que l'écart d'âges entre les époux se réduit: un écart moyen de neuf ans qui tombe à cinq ans si nous excluons deux mariages d'« anciens », un né
1. Un esclave de moins de douze ans ne devait pas travailler. 76
LE PEUPLEMENT
JUSQU'EN
1719
en 1670, l'autre en 1671, qui appartiennent plus à la génération de nos «nouveaux venus» (1675-1690). Pour ceux dont le mariage a pu être conclu en 1710 ou en 1711, l'âge moyen au mariage des hommes peut être estimé à 19 ans (seulement cinq observations) et celui des femmes à un peu plus de 14 ans (huit observations). La même jeunesse est observée pour ceux qui ont convolé entre 1710 et 1713-14. Pour l'ensemble de ces couples, une première naissance intervient tout de suite après le mariage puisque de nos treize unions naîtront, entre 1710 et 1714, dix-huit enfants. Remarquons au passage que pour certaines familles (Hoareau, Nativel, Bellon et Dennemont) les époux sont les petits-enfants de nos pionniers arrivés entre 1665 et 1690, soit une durée maximum d'observation d'une cinquantaine d'années qui traduit bien l'âge précoce au mariage et à la première naissance. Nos couples de pionniers marient leurs derniers enfants, ce qui traduit cette fois l'utilisation de toute la période féconde des femmes: la majorité des conjoints mariés entre 1710 et 1713-14 est née dans la dernière décennie du XVIIe siècle. Même si nos effectifs sont faibles, nous pouvons considérer que nous avons la chance de les saisir au moment de leur installation. Qu'en est-il des esclaves au moment de la formation d'une nouvelle famille? Un couple sera écarté car il est constitué de deux veufs que l'ancienneté à Bourbon évince de ce que nous voulons apprécier. Seuls deux couples, installés à Saint-Denis, n'ont pas d'esclaves. Les autres en possèdent entre un et trois en 1714 et ils en augmentent le nombre entre cette date et 1719. Nous verrons que le lancement économique de l'île, en particulier par l'introduction du café, va considérablement changer la donne. C'est pourquoi nous avons choisi cette courte étude de 1710 à 1714 qui s'apparente au début du peuplement de Bourbon alors que les années qui vont suivre rompent avec ce que nous avons pu voir jusqu'à maintenant. Le recensement de 1719 ne porte que sur les habitants de SaintPaul. Nous avons vu que c'était le quartier où se trouvait la grande majorité de la population de Bourbon. Ce qui suit peut donc être qualifié de significatif.
77
CHAPITRE 1
A cette date, nous dénombrons vingt-six nouveaux couples. Toutes les épouses, sauf une, sont créoles; il ne semble pas que des femmes de France soient arrivées à Bourbon fin XVne et début XVIIIe siècle. Par contre, des Français ont rejoint Bourbon dans cette période de « décollage» économique. En voici la liste: TABLEAU 20
-
FRANÇAIS AYANT REJOINT BOURBON AU DÉBUT DU
XVIIIE SIÈCLE Nom des époux
Origine
Date de Naissance
1ère naissance
1689 1694 1692 1698
1718
Age approximatif à l'arrivée 28
1717
24
1687 1696
1716
28
1692 1698
1717
24
1684 1694 1693 1697 1692 1695 1689 1700 1679 1699 1677 1697
1716
31
1716
22
1715
22
1715 (ou 1718) 1714
25 (ou 28)
1717
39
COLLET Jacques Saint-Malo HIBON Geneviève Créole Erquy COUSIN René Créole LE BRETON MMadeleine DELAVALJChambord Baptiste Créole AUBERT Louise DONNARD Gervais Brest CAMPEON Indes Geneviève GROSSET Sylvestre Saint-Malo TESCHER Créole Françoise LEBON Pierre Bretagne Créole L'EPINET Jeanne MARTIN Jean Saint-Malo ROYER Marianne Créole MAUNIER Antoine Marseille GRUCHET Marie Créo le MERCIER François Bretagne GRUCHET Anne Créole MICHEL Antoine Marseille LAUTREL Barbe Créole Normandie MOREL André GONNEAU Créole Marianne PAULET Nicolas Marseille Créole ROYER Geneviève Sources: nos dépouillements.
1673 1673
1689 1700
78
34
LE PEUPLEMENT
JUSQU'EN
1719
Ainsi, la moitié de nos nouveaux époux sont des migrants qui viennent de Bretagne. Leur profession n'est pas mentionnée. Le plus jeune a environ 22 ans, le plus âgé environ 39 ans. Quelles sont les caractéristiques de ces unions? quand il y a une naissance, que le mariage a eu précédente et, quand il n'y a pas de naissance, que le lieu en 1718, nous obtenons les données suivantes mariage des époux: TABLEAU 21
F
H ~17 18 20 21 22 24 27 28 30 31 34 36 39 46 Total
- AGE
AU MARIAGE DES VINGT -SIX COUPLES FORMÉS AVANT 1719
---N
M
En estimant, lieu l'année mariage a eu sur l'âge au
~I.r)
2
6 Sources: nos dépouillements.
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1 2
5
4
2
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N
M
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2 2 1 1 3 6 1 3 2 1 1 1 1 1 26
Nous obtenons un âge moyen au mariage égal à 26 ans (26,1 ans) pour les hommes et à 19 ans ( 18,8 ans) pour les femmes. Pour avoir une meilleure idée de l'âge moyen à l'union il convient de négliger les mariés à 46 ans: nous obtenons alors 25 ans (25,3 ans) pour les hommes et 18 ans (17, 7 ans) pour les femmes. Les observations sont concentrées entre 22 et 28 ans pour les époux et entre 15 et 18 ans pour les épouses. En moyenne, les conjoints ont huit ans de plus (8,3). 79
CHAPITRE
1
A signaler deux mariages où la conjointe est plus âgée: ces couples sont constitués de créoles. Pour l'un, la femme est veuve; pour l'autre, une première naissance hors mariage, alors que le père a 14 ans, semble être à l'origine du mariage quand l'homme atteint l'âge de 17 ans! Nous remarquons que les conjoints créoles sont nés dans la dernière décennie du XVIIe siècle ou tout à fait au début du XVIIIe siècle. Pour la plupart, ce sont les petits-enfants de nos fondateurs. Observons-nous déjà des unions préférentielles entre membres de certaines familles? L'annexe 13 présente les noms des conjoints des descendants des pionniers qui ont fait souche. Dès la génération 1 (enfants des pionniers) on enregistre, à l'intérieur de certaines familles, des mariages réunissant des frères et des sœurs. De tels échanges s'observent pour les Hibon-Ricquebourg, Touchard-Lautrel, Dalleau-Grondin, Damour-Maillot, MartinHoareau, Tessier-Maillot, Clain-Fontaine, Robert-Damour et RivièreNative!. A la génération suivante, on enregistre quelques mariages comportant les patronymes vus précédemment. Toutefois, le mariage entre cousins issus de germains est loin d'être la règle; rappelons que ces unions n'étaient possibles, pour la religion catholique, qu'une fois obtenue une dispense de l'évêque. On peut légitimement se demander de quel évêché dépendait Bourbon. En outre, deux patronymes identiques à deux générations successives impliquent obligatoirement deux familles alliées mais pas nécessairement deux cousins issus de germains. Notons que cette partie de notre étude ne concerne que des habitants de Saint-Paul, seul quartier recensé en 1719.
1.8. L'ÉVOLUTION
DE 1690 À 1719
A ce point de notre travail, il serait bon d'évoquer l'évolution du peuplement de Bourbon depuis 1690 telle qu'elle apparaît au fil des recensements. 80
LE PEUPLEMENT
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1719
Nous considérerons tout d'abord l'évolution du seul quartier SaintPaul entre 1690 et 1719 puis l'évolution globale de 1690 à 17131. Nous rappelons à nouveau que les chiffres que nous présentons peuvent avoir, selon les recensements, des critères différents: distinguer ou non les adultes et les enfants de la population esclave, inclure ou non le personnel de la Compagnie ou au service du roi, retenir ou non les esclaves de la Compagnie ou au service du roi, compter ou non les célibataires. Ainsi, les données à l'unité près de ces décomptes n'induisent nullement une quelconque précision. Il s'agira bien plutôt de dégager des tendances. Au début du peuplement, les pionniers, leur famille et leur domesticité sont fixés à Saint-Paul, seul quartier mentionné en 1690. Aux recensements de 1704-1705, 1708 et 1711, deux autres quartiers apparaissent: Saint-Denis et Sainte-Suzanne2. TABLEAU22 - EVOLUTIONDE LA POPULATIONDE SAINT-PAUL DE 1690 À 1719 Année
Libres Enfants Adultes 1690 90 110 151 1704-05 93 1708 106 178 1711 111 199 1719 148 295 Sources: nos dépouillements.
Total 200 244 284 310 443
Adultes 84
Esclaves Enfants 24
178
77
446
327
Total Total 108 195 255 360 773
308 439 539 670 1 216
En trente ans, nous pouvons apprécier l'évolution différente des populations libre et esclave: alors que la première a été multipliée par deux, la seconde l'a été par sept. La population totale est, quant à elle, multipliée par quatre. Nous avons vu que les arrivées de nouveaux colons n'avaient pas été nombreuses au début du peuplement de Bourbon: l'augmentation du nombre d'adultes libres est donc
1. Le recensement de 1713 se résume à une simple récapitulation de la population totale de l'île. 2. Le détail du récapitulatif que nous présentons dans les tableaux 10 et Il figure en annexe 14.
81
CHAPITRE
1
fortement liée au vieillissement des enfants qui changent de rubriques en prenant de l'âge. Si ce même argument peut aussi valoir pour la population esclave, il n'est que minime dans l'accroissement de cette catégorie. Les taux d'accroissement moyen annuel sont les suivants (%) :
- TAUX D'ACCROISSEMENT MOYEN ANNUEL DES ESCLAVES ET DES LIBRES (%) DE SAINT-PAUL DE 1690 À 1719 TABLEAU 23
1704-05 / 1690 1708 / 1704-05 1711 / 1708 1719/1711
Esclaves 4,02 9,35 12,18 10,02
Libres 1,33 5,19 2,96 4,56
Total 2,39 7,08 7,52 7,74
Les chiffres du tableau 22 étaient éloquents, d'accroissement du tableau 23 ne le sont pas moins!
les
taux
Les premiers recensements étant principalement axés vers le dénombrement des couples, leurs enfants et leurs esclaves, on peut assimiler la moitié du nombre d'adultes au nombre de chefs de famille. Ainsi: - en 1690, environ cinquante familles disposent de cent huit « esclaves », soit en moyenne de deux (2,16) «esclaves» par famille, - en 1705, une cinquantaine de familles dispose de cent quatrevingt-quinze esclaves, soit une moyenne de quatre (3,90), - en 1708, une cinquantaine de familles dispose de deux cent cinquante-cinq esclaves, soit une moyenne de cinq (5,10), - en 1711, une cinquantaine de familles dispose de trois cent soixante esclaves, soit une moyenne de sept (7,20), - en 1719, environ soixante-cinq familles disposent de sept cent soixante-treize esclaves, soit une moyenne de douze (11,89) esclaves par famille. La progression de la main-d'œuvre servile est d'autant plus étonnante que l'essor économique de Bourbon est loin d'être lancé. Il 82
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1719
faut toutefois nuancer notre propos: en effet, l'accroissement du nombre total d'esclaves à Saint-Paul est fortement lié à celui de son nombre d'enfants. En comparant 1708 et 1719, on observe que les multiplicateurs sont très différents: TABLEAU 24 - ACCROISSEMENT DES POPULATIONS LIBRES ET ESCLAVES SELON L'AGE ENTRE 1708 ET 1719
Libres Adultes Enfants Total 1719 / 1708 1,4 1,7 1,Sources: nos dépouillements,nos calculs.
Adultes 2,5
Esclaves Enfants 4,2
Total 3,0
On peut toujours remettre en cause la comptabilité des enfants d'esclaves mais il apparaît quand même que la forte progression des esclaves soit à mettre en rapport direct avec celle des garçons de moins de 14 ans et des filles de moins de 12 ans. Cela tendrait à montrer, les apports d'enfants esclaves par la traite étant peu nombreux, que l'esclavage à Bourbon était organisé autour des familles d'esclaves. Le développement de Saint-Denis est dû au fait que s'y soient fixés les premiers rudiments organisationnels de l'île. Le choix de Sainte-Suzanne reste un peu énigmatique: pourquoi cette partie de l'île? Mais aussi, pourquoi pas? Nous présentons ici l'évolution des populations libre et esclave des deux quartiers entre 1704-1705 et 1711 : TABLEAU - 25 EVOLUTIONDES POPULATIONSLIBRESET ESCLAVES DE 1704-1705 À 1771 A SAINT-DENIS ET SAINTE-SUZANNE Année
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ANNEXE ANNEXE 20 B NOMBRE TOT AL ET MOYENNE D'ESCLAVES DES DESCENDANTS DES
PIONNIERSAUX RECENSEMENTSDE 1744 ET 1752 DANSLES4 COMMUNES
Nom
Arnaud Bellon Boyer Brocus Brun Cadet Caron Cauzan Clain Collin Dalleau Damour Dangaud Dennemont Duhamel Fontaine Frémond Grondin Hibon Hoareau Julien Launay Lauret Lautrel Le Beau Le lièvre Maillot Martin Mollet Mussard Nativel Noël Payet Pitou Ricquebourg Robert Royer
Total Moyenne Chefs de Esclaves Ménage 1744 1752 1744 1752 1744 1752 1 58 58 2 1 30 Il 15 Il 16 13 19 206 170 9 1 3 0 21 0 7 10 10
102 89
159 70
15 22
16 7
4
19
32
19
8
4 4 2 2
Il 6 2 3
31 42 17 27
103 51 23 35
8 Il 9 14
9 9 12 12
12
18
85
131
7
7
8 2 14
12 5 20
90 88 170
93 145 239
Il 44 12
8 29 12
6 1 5
Il 5 9
72 28 31
88 37 64
12 28 10
8 7 7
13 2 4 5 6 5 14 6 7 18 4
18 4 4 5 5 5 20 7 7 30 4
163 33 49 67 139 50 163 115 209 113 42
264 65 66 84 153 72 202 80 282 177 75
13 17 12 13 23 10 41 19 30 6 Il
15 16 17 17 31 14 10 Il 40 6 19
7 4
210
ANNEXE
Nom
Total Chefs de Esclaves Ménage 1744 1752 1744 1752 3 70 3 33 Il
Tessier Touchard Vallée Vincendeau Ensemble 182 259 2451 3003 Sources: nos dépouillements. Nos calculs.
211
Moyenne 1744 23 Il
1752
13,5
Il,6
Il
ANNEXE ANNEXE 21 Année
- DA TE
D'ARRIVÉE À BOURBON SELON LE LIEU DE
RÉSIDENCEAU RECENSEMENTDE 1752 SaintSaintSainteSaint- Ensemble Suzanne Paul Denis Pierre
1710 1711 1712 1713 1714 2 1715 2 1716 1 1717 1 1718 4 1719 1720 1 1721 3 1722 2 1723 1 1724 4 1725 1726 1727 2 1728 1729 4 1730 1 1731 1 2 1732 2 5 2 1733 2 1734 2 1735 1736 1737 1738 1739 1 1740 3 1741 3 1742 3 3 1743 1 1744 3 1745 1 1746 2 2 1747 1 1748 1749 2 1750 2 1751 3 Total 47 36 Sources: nos dépouillements.
2 1 2 2 1 1 5 1 1 5 3 5 3 1 6 1 4 9 6 2 4 4 2 1 1 3 4 2 5 2 1 1 4 2 2 1 1 1 89 Nos calculs. 212
3 2 1 2 2 3 3 2 6 3 1 2 2 2 4 3
2
46
3 4 10 6 10 5 1 10 4 Il 10 Il 15 8 9 4 3 4 1 6 12 5 14 3 5 2 10 3 2 5 4 4 218
Cumul
2 3 3 5 7 8 9 14 14 17 21 31 37 47 52 53 63 67 78 88 99 114 122 131 135 138 142 143 149 161 166 180 183 188 190 200 203 205 210 214 218
ANNEXE ANNEXE 22 NOMBRE D'ESCLAVES SELON L'ORIGINE DU CHEF DE MÉNAGE AU RECENSEMENT 1752 Nombre
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Il 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46
Nés hors Bourbon Chefs de Esclaves Cumul ménage 39 22 22 22 16 32 54 60 114 20 7 28 142 10 50 192 6 36 228 63 291 9 48 6 339 Il 99 438 3 30 468 Il 121 589 60 649 5 3 39 688 112 8 800 75 5 875 4 64 939 119 7 1 058 144 1 202 8 4 76 1 278 100 1 378 5 1 378 66 1444 3 46 2 1 490 2 28 1 518 25 1 543 1 52 1 595 2 2 54 1 649 1 705 2 56 87 1 792 3 1 30 1 822 2 62 1 884 2 64 1 948 2014 2 66 2 68 2082 4 140 2222 2222 74 2296 2 2448 4 152 2526 2 78 40 2566 1 205 2771 5 2 84 2855 2984 3 129 1 44 3028 45 1 3073 3073 213
Chefs de ménage 49 40 35 28 24 22 19 22 24 17 17 15 14 Il Il 14 10 6 13 7 Il 7 9 3 6 6 3 5 3 5 2 2 3 1 1 2 1
Créoles Esclaves
40 70 84 96 110 114 154 192 153 170 165 168 143 154 210 160 102 234 133 220 147 198 69 144 150 78 135 84 145 60 62 96 33 34 70 36
1 1 3
39 40 123
2 1
88 45
Cumul
40 110 194 290 400 514 668 860 1 013 1 183 1 348 1 516 1 659 1 813 2023 2 183 2285 2519 2652 2872 3019 3217 3286 3430 3580 3658 3793 3877 4022 4082 4 4144 4240 4273 4307 4377 4413 4413 4413 4452 4492 4615 4615 4615 4703 4748 4748
ANNEXE Nombre
47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 65 66 67 74 76 77 79 81 82 83 86 87 94 96 98 99 100 102 107 109 112 113 125 130 148 190 262 Total Sources:
Nés hors Bourbon Cumul Chefs de Chefs de Esclaves ménage ménage 47 2 1 3 120 2 96 3216 2 147 3363 1 3 50 3413 1 102 2 2 3 515 1 52 3567 3620 1 53 2 3 162 3782 110 3892 2 1 56 3948 2 1 57 4005 2 1 58 4063 4063 4063 2 122 4 185 4247 1 62 4247 1 4247 2 1 2 132 4379 4513 2 134 74 4587 1 4587 1 77 4664 158 4822 2 162 4984 2 2 4984 1 1 83 5067 172 2 5239 87 5326 1 2 5326 5422 96 5422 2 198 5620 5620 5722 102 5722 109 1 5 831 112 5943 1 113 6056 1 125 1 6 181 130 6311 1 6459 1 148 6649 1 190 262 6 911 1 502 6911 308 nos dépouillements. Nos calculs.
214
Créoles Esclaves 94 96 49 102 106
112 114
63 130 66
76
162 82 86 188 98
107
6479
Cumul 4842 4938 4987 4987 5089 5089 5 195 5 195 5 195 5307 5421 5421 5421 5421 5421 5421 5484 5614 5680 5680 5680 5756 5756 5756 5918 6000 6000 6086 6086 6274 6274 6372 6372 6372 6372 6479 6479 6479 6479 6479 6479 6479 6479 6479
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222
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION Les sources Un peu d' histoire Le commerce L'île Les populations
1 3 9 10 14
CHAPITRE 1 : LE PEUPLEMENT JUSQU'EN 1719 . 31 1.1. Les pionniers 1.2. Les nouveaux venus de 1675 à 1690 1.3. Au recensement de 1690 1.4. Entre 1691 et 1699 1.5. Entre 1700 et 1710 1.6. Les esclaves 1.7. Entre 1710 et 1719 1.8. L'évolution de 1690 à 1719
CHAPITRE 2 : AU RECENSEMENT
32 51 54 57 58 66 76 80
DE 1733
2.1. Libres et esclaves 2.2. Les nouveaux couples 2.3.
Les
cé
Ii bataires
2.1. Libres et esclaves 2.2. Les nouveaux couples Les
cé I i bataires
86 89
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 95
CHAPITRE 2 : AU RECENSEMENT
2.3.
85
DE 1733
85 86 89
. . .. .. . . . . . .. . . . . . . .. . . .. . . .. . . .. . .. . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 95
CHAPITRE 3 : LES RECENSEMENTS ET 1779
DE 1744, 1752 99
3.1. Le recensement de 1744 3.2. Le recensement de 1752 3.3. Le recensement de 1779
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