Proportions: Science - Musique - Peinture & Architecture. Actes du LIe Colloque International d’Études Humanistes
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Zitiervorschau

Textes réunis et édités par

CEN TRE D 'ÉTUD ES SUPÉRIEURES DE LA RENAISSANCE Université François-Rabelais de Tours - Centre N ation al de la Recherche Scientifique

Sabine

R o m m evaux,

Philippe

V

e n d r ix

&Vasco

Z

ara

Collection « Études Renaissantes » D irigée par Philippe Vendrix

Dans la même collection : Frédérique Lemerle La Renaissance et les antiquités de la G aule, 2005

Jean-Pierre Bordier & André Lascombes (éds) D ieu et les dieu x dans le théâtre de la Renaissance, 2006

P roportions Science - M usique - P einture & A rchitecture

Pierre Aquilon ÔC Thierry Claerr (éds) Le berceau du livre im prim é: autour des incunables, 2010

Maurice Brock, Francesco Furlan & Frank La Brasca (éds) La B ibliothèque de Pétrarque. Livres et auteurs autour d'un hum aniste, 2011 Actes du LM Colloque International d’Études Humanistes

Maurice Brock, Marion Boudon-Machuel & Pascale Charron (éds)

30 juin - 4 juillet 2008

A u x lim ites de la couleur. M onochrom ie & polychrom ie dans les arts (1^00-1600), 2011

c i»

IV I R s I I I

hisoM re

naàbà

^

Région Centre

msh “ * * » *^ * »

BREPOLS 2011

T able des matières

Illustration en couverture : H olbein H ans le Jeune, Nicolas Kratzer (i48j-i$$o), astronome, (détail), Paris, M usée du Louvre, INV1343 © R M N G érard B lot / C h ristian Jean

V asco Z ara

Avant-Propos

II

S cience Sabine R ommevaux

De la proportion au rapport J.V. Field Ratio and Proportion in the Renaissance

17 29

A nn E. M oyer

Reading Boethius on Proportion : Renaissance Editions, Epitomes, and Versions o f the Arithmetic and Music Pierre C aye

La question de la proportion. Réflexions pour un humanisme du quadrivium

69

Jens H oyrup

« Proportions » in the Liber Abbaci

83

M aryvonne Spiesser C o n cep tio n graphique

mise en page

A lice N u i © 2011, Brepols Publishers, Turnhout, Belgium . IS B N 978-2-503-54221-8 D/2011/0095/128 A ll rights reserved. N o part o f this publication m ay be reproduced stored in a retrieval system, or transm itted, in m ay form or by any means, electronic, m echanical, photocopyin g, recording, or otherwise, w h ith o u t the prior perm ission o f the publisher. Printed in the E .U . on acid-free paper

Règle de trois, rapports et proportions ; les calculs des marchands (xiV-xvL siècles)

lOI

Bernard Joly

« Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas », proportions chimiques et relations cosmologiques dans l’alchimie de la Renaissance

123

G abriela Ilnitchi C urie

Poetics of proportions : late scholastic views on cosmos, sound, and color

135

M atthew L andrus

M usique

The proportional geometry o f form, balance, force, and motion in Leonardo da Vinci s work, with particular attention to his Giant Crossbow

D orit Tanay

Times and Money : a new look at mathematical foundation o f the Ars nova

341

Filippo C amerota

Number, Measure, and Weight. Proportions and « New Sciences » in Architecture

153

357

A n n a M aria Busse B erger

The Role of Proportions in the Composition and Memorization o f Isorhythmic Motets

V\.LERIE A

171

G rantley M c D onald

Proportions o f the Divine : Nicola Vicentino and Augustine’s Theology o f the Trinity

Des hommes et des dieux : les origines des proportions des ordres

187

Ordres et proportions dans la tradition vitruvienne (xY-xviT' siècles)

409

Laura M oretti

Il concetto di proporzione ne\XIdea dell Architettura Universale

199

di Vincenzo Scamozzi (1615)

42-5

Frank Z öllner

217

Anthropomorphism. Towards a Social History of Proportion in Architecture

R udolf Rasch

Proportion, intervalle et tempérament musicaux

395

Frédérique L emerle

K atelijne Schiltz

A Space Odyssey: The Mensuration Signs and the Lunar Cycle

373

Y ves Pauwels

Stefano L orenzetti

« Cum tanta armonia, cum tanta incredibile sonoritate, cum tanta insueta proportione». La dialettica tra sensibile e sovrasensibile nella percezione della musica rinascimentale

u CLAIR

Usages et fonctions de la théorie des proportions dans le Livre de Portraiture de Jean Cousin fils

231

443

T homas C hristensen

Mersenne and the Mechanics of Musical Proportion

247 Index

B rigitte Van W ymeersch

Proportion, harmonie et beauté chez Mersenne. Entre lecture analogique et lecture physico-mathématique de la musique

261

P einture & architecture Pietro R occasecca

La prospettiva lineare nel Quattrocento : dalle proporzioni continuata e ordinata alla proporzione degradata

277

D anilo Samsa

Leonis Baptistae Alberti de lineamentis aedificiorum : « vis et ratio », « via », « munus », « lineamentum in se ». Con alcune note sulla bellezza

299

L ucien V inciguerra

Peinture, vision et disproportion chez Alberti et Léonard de Vinci

327

457

Avant-propos Vasco Zara Université de Bourgogne, A R TeH IS / C E S R

Proportions, décliné au pluriel, parce que, comme le rappelle Sabine Rommevaux dans la première des contributions qui composent ce recueil, ce terme donne naissance à de multiples relations. La construction du sens ne se fait pas dans l’intimité d’un binôme, mais en suivant le parcours, généré par ressemblance ou dissemblance, qui de A mène à B et de C à D. C ’est alors que la voie trouve d’autres raisons d’être. Ainsi s’intitule donc ce volume, qui accueille les textes - revisités et repensés - des communications du LP Colloque d’Études Humanistes du Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance de Tours. Du 30 juin au 4 juillet 2008, historiens de l’art, de l’ar­ chitecture, des sciences, des mathématiques et de la musique, de formations et de compétences différentes, ont dialogué ensemble autour de ce mot. Le résultat, devançant la lecture, peut déjà s’apprécier par les premiers changements qui émergent à la surface. Les spécialités disciplinaires qui accompagnent la qualification des auteurs sous nommés - arts, architecture, musique, ma­ thématiques, sciences - figuraient en tête du programme : de cinq, trois seulement sont restés en couverture, et une nouvelle est apparue. Les journées s’articulaient par domaine (algèbre, archi­ tecture, musique), et par thèmes : « art et proportions », « proportion en théorie et en pratique », « harmonie et sciences », « mystère et proportion ». Aucun n’a survécu au passage à l’écrit, et les conclusions du Colloque sont aujourd’hui devenues sa porte d’entrée. Mue surprenante, mais qui signe avec éloquence l’efficacité de la rencontre : loin d’être éphémère, celle-ci n’a laissé personne indifférent. Et si la table des matières révèle une organisation disciplinaire et chronologique qui peut paraître excessivement linéaire, elle donne en même temps au lecteur la possibilité de créer son propre parcours, selon les échos qui encore subsistent et résonnent d’un texte à l’autre. Ce sont ces intervalles, la matière des proportions. Pourquoi ce thème ? Parce que le savoir et les savants, des mains et de l’esprit, s’en sont nour­ ris, depuis l’Antiquité jusqu’au xvii^ siècle, jusqu’à ce que les Lumières éclairent une Modernité sous le signe du relativisme : du langage des proportions au langage des fonctions, dirait un ma-

11

Vasco Z ara

A vant- propos

thématicien ; du monde clos à l’univers infini, selon la formule célèbre d’Alexander Koyré'. Mais

aucune signification ésotérique masquée derrière le chant. Au contraire, on croirait presque en­

l’impression reste la même : si en tant que principe philosophique l’outil perdure et cherche, tant

tendre l’ironie caustique de Claude Perrault et ses propos sur les « mystères des proportions

bien que mal, à dicter son rythme, la théorie mathématique découvrira d’autres horizons qui

si cette dimension n’avait en réalité un poids considérable, tant dans l’histoire que dans son

finiront par changer peu à peu le profil, et la nature, de la mesure qui fixe le temps. Est-ce à la

interprétation (l’expression marque un des thèmes fondateurs du colloque). Et pourtant il n’y a

Renaissance que les deux s’assimilent ? C ’est en tout cas à ce moment-là que les deux répondent

aucun calcul, ni aucune volonté d’exclusion derrière ce résultat, seulement l’évidence imprévisible

à l’unisson ; poser une limite, la comprendre en évaluant toutes les possibilités qui s’en dégagent.

d’un sujet qui n’a pas su s’imposer dans les discours en construction. D ’autres, inattendus, y sont

Comme le langage structure la pensée, la proportion définit un espace de création, intellectuel

parvenus : la poésie, la sensibilité ; le commerce, la réalité peu fréquentable, et peu fréquentée,

ou artistique quel qu’il soit, une ontologie qui se construit par comparaison. Divina Proportione

de l’argent. Des juxtapositions qui enrichissent la vision, et gagnent en perspective, en profon­

est l’heureuse intuition de Luca Pacioli. Paolo Zellini en a recherché les origines dans le besoin

deur, en ouvrant sur les détails et en œuvrant sur les relations qui s’instaurent. La proportion

d’exactitude intrinsèque à l’exécution du rituel, et dans l’exigence d’invariabilité qui accompagne

n’opère aucune révolution, d’ailleurs impossible : il ne s’agit pas de définir l’espace d’une nouvelle

la duplication des autels, c’est-à-dire la transformation qui doit rester identique à elle-même. C ’est

Renaissance, mais de mieux comprendre celle qui a été. Le regard se tourne alors en arrière et

le principe constitutif du Àôyoç grec, « invariabilité et permanence (le un), en tant que dépasse­

jette des ponts vers le futur, parce qu’un autre facteur entre en jeu : le temps. Et le croisement

ment de la dualité et de la diversité (le grand et le petit)

commence à faire basculer les certitudes.

: un principe conjugué historiquement

et culturellement, immanent dans son perpétuel renouvellement, et dont la Renaissance, vue de

Mais quand la cohérence devient-elle chanson, peinture, œuvre ? Il est redondant d’avouer

notre temps, se veut l’accomplissement systématique. Une suprématie témoignée entre autre par

l’incapacité de répondre à cette interrogation, et on ne trouvera ici aucune tentative à cet égard.

l’extraordinaire florilège du lexique de l’architecture, qui fera de cette discipline, ars mechanica

Comme toute bonne opération scientifique, sur cette question ce recueil se déclare vaincu, d’em­

anonyme, la pierre angulaire des savoirs artistiques, la summa capable d’englober tous les autres,

blée. Si la ligne droite prône la course, la comparaison invite à la contemplation. Une sensation,

et pas seulement de façon métaphorique^ Si les tombeaux des architectes médiévaux ne renon­

nous espérons, en ressortira. À l’aube du nouveau millénaire, une nouvelle théorie physique a es­

cent pas à l’effigie du compas, c’est en devenant un outil mental que ce symbole rend compte du

sayé de trouver ce qu’Einstein avait cherché en vain pendant les trente dernières années de sa vie :

nouveau statut sciemment acquis (et de toute la différence qui existe entre la représentation du

la théorie dite unifiée, où réunir sans contradiction les fondements de la théorie de la relativité

Deus mundi elegans architectus et de l’homme vitruvien dessiné par Leonardo).

générale et de la mécanique quantique. La théorie des supercordes est capable de décrire « toutes

Avant cet homme universel, un autre Florentin, voué aux universaux, nous vient à l’es­

les forces de la nature dans un cadre unique, cohérent et tout-puissant », d’arriver à une « com­

prit : AJberti. Présence légitime, envahissante même, tant un discours sur la Renaissance semble

préhension profonde de la nature, [de] la simplicité et la force de ses principes fondateurs », et de

ne pouvoir disposer de sa pensée, à l'image de ce volume. Si on souligne cet aspect, c’est parce

dévoiler son fonctionnement avec une clarté jusqu’à là inconnue ; capable aussi de repenser et de

qu’il est peut-être le seul à répondre aux attentes. En parcourant l’index, ce sont les absents qu’on

restituer, au moins jusqu’au prochain tournant, un univers éléganU. J’emprunte au physicien son

remarque en premier : Dürer n’est cité en filigrane que par rapport latéral, de même Palladio est

vocabulaire, et j’y retrouve ce qui a fait la force des proportions pendant des siècles : cohérence,

nommé par la lumière indirecte qui provient de Scamozzi, disciple malchanceux sorti pour une

unité, simplicité. La théorie renaissante du tout. Un outil, une notion : une pensée élégante.

fois de l’ombre. Et que dire des musici et cantores'i O n entend les dicta de Boèce, non pas ceux de Tinctoris. Josquin disparaît littéralement. Mersenne ? Comment se voit-il invité ici à trois reprises, à la Renaissance ? Encore plus étrange (mais c’est peut-être un signe du temps, dont l’historiogra­ phie devrait tenir compte), aucune analyse numérologique, symbolique et similia ne vient nous étaler sa fascination permanente et ses doutes récurrents. Les humeurs de la terre et les sphères célestes sont présentes, mais les nombres ne révèlent aucun paysage caché dans les couleurs, ni

Alexander Koyré, From the Closed World to the Infinite Universe, Baltimore, T he John Hopkins University Press, 1957 (trad. : D u monde clos à I’univers infini, Paris, Gallimard, 1973). Paolo Zellini, Gnomon. Una indagine sul numero, Milano, Adelphi, 1999, p. 21 : « invarianza e permanenza

4

1683, p. xxviii.

(l’uno), come superamento della dualità e della diversità (il grande e piccolo) » (TdA). Voir par exemple : Annarita Angelini, Sapienza Prudenza Eroica Virtù. Il mediomondo di Daniele Barbaro, Firenze, Olschki, 1999.

12

Claude Perrault, Ordonnance des Cinq Espèces des Colonnes selon la Méthode des Anciens, Paris, J. B. Coignard,

5

Brian Greene, The Elegant Universe. Superstrings, Hidden Dimensions, and the Quest for the Ultimate Theory, N ew York, Norton, 1999 (trad. : L ’univers élégant, Paris, Robert Laffont, 2000, p. 15).

Science

D e la proportion au rapport Sabine Romnnevaux C ESR, C N R S - Université François-Rabelais,Tours

Préambule

En français, on appelle généralement « proportion » la relation à quatre termes que l’on peut exprimer ainsi : comme A est à B, ainsi C à D. Par exemple, 6 est à 3 comme 2 est à 1. Dans les textes médiévaux, le terme « proportio » désigne en fait ce qu’en français on nomme le rapport ou la raison, c’est-à-dire une certaine relation qui lie deux quantités (on parle ainsi du rapport entre 3 et 2) ; quant à la proportion, elle est désignée par le terme « proportionalitas »S Dans les textes de la Renaissance, le rapport est généralement nommé « ratio » et la proportion, « proportio »\ On doit donc faire attention que selon les textes et les époques, le terme « proportio » a deux sens : il peut s’agir soit du rapport, soit de la proportion. Christoph Clavius, célèbre mathématicien jésuite de la seconde moitié du xvi^ siècle, l’avait remarqué dans son commentaire aux définitions du livre V des Eléments d’Euclide^ Dans son édition, il utilise même deux séries de termes : dans les énoncés et les démonstrations il utilise « ratio » et « proportio » et dans ses commentaires il parle de « proportio » et de « proportionalitas ». Dans ce qui suit, la proportion désignera la relation à quatre termes au moins et j’appellerai rapport la relation à deux termes.

O n trouve les termes « proportio » et « proportionnalitas » dans toutes les traductions arabo-latines des Éléments d’Euclide réalisées au xii^ siècle, et dans l ’édition de Cam panus (1260) qui fut la plus utilisée dès la fin du x i i f siècle et est connue des mathématiciens de la Renaissance. Pour Campanus, voir Hubert L. L. Busard, Campanus o f Novara and Euclid’s Elements, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2005, p. 160-161. Toutefois, Commandino, qui publie une édition des Éléments en 1572, utilise respectivement les termes « propor­ tio » et « analogia » (voir le tableau comparatif des énoncés des définitions du livre V dans Sabine Rommevaux, Clavius : une clé pour Euclide au xW siècle, Paris, Vrin, 2005, p. 281). Ainsi, Clavius écrit au début de son commentaire à la définition 3 : « Lorsque deux quantités de même genre [...] sont comparées selon la quantité [...], ce mode de comparaison ou cette relation mutuelle est appelé rapport {ratio) ou - comme il plaît à d’autres - proportio » (S. Rommevaux, Clavius : une clé pour E u c li d e .o p . cit., p. 119) ; et dans son commentaire à la définition 4 : « C e que le traducteur appelle ici proportion {proportio) est dite analogia par les Grecs et proportionalitas par la plupart des Latins » {Ibid., p. 120).

Science | 17

Sabine Rommevaux

Introduction

De

la proportion au rapport

arithmétique, Boèce s’intéresse à la quantité relative, sous entendue à une autre quantité^. Il divise ces quantités relatives selon qu’elles sont égales ou inégales. Puis il divise les quantités inégales en

Il est bien connu que la théorie mathématique des proportions est mise en place par Euclide, dans ses

quantités plus grandes et plus petites. Les quantités plus grandes sont divisées ensuite en quantités

Éléments, au livre V pour les grandeurs continues et au livre VII pour les nombres entiers“^. Certains

multiples, superpartielles, superpartientes, multiples superpartielles et multiples superpartientes.

spécialistes d’Euclide, en particulier Jean-Louis Gardies, soulignent que la notion de rapport est

Enfin, les multiples se divisent en doubles, triples etc., les superpartielles en sesquialtères, sesquitièr-

peu présente dans le livre V des Éléments\ Elle n’apparaît que dans les définitions et dans une seule

ces, etc., les superpartientes en superbipartientes, supertripartientes, etc. Ces divisions sont obtenues

proposition. Les objets sur lesquels portent ce livre sont les grandeurs auxquelles sont appliquées des

en considérant la manière dont la quantité relative contient la quantité à laquelle elle est comparée.

relations à quatre termes“^. Par ailleurs, le rapport n’est pas défini pour les nombres au livre VIL

Appliquant cette nomenclature aux rapports numériques, les médiévaux et à leur suite les

Quoi qu’il en soit de la théorie euclidienne, je voudrais montrer qu’à partir du xiiL siècle se

mathématiciens de la Renaissance parlent de rapports d’égalité et d’inégalité, de rapports mul­

développent des théories dont les objets sont les rapports; et ces théories sont encore très présen­

tiples, superparticuliers, superpartients, etc'°. Ainsi, on peut nommer les rapports entre des nom­

tes à la Renaissance. Précisons immédiatement qu’« objet » doit être entendu ici en un sens vague

bres entiers, et par conséquent les rapports rationnels, c’est-à-dire les rapports entre grandeurs

de sujet d’étude sans préjuger de son mode d’existence^.

commensurables.

Au Moyen Age, le rapport accède à ce statut d’objet de différentes manières. Tout d’abord, nous allons voir comment un nom est associé aux différents rapports ; c’est relativement simple

En liaison avec cette nomenclature, les médiévaux introduisent alors ce qu’il nomme la dé­ nomination d’un rapport.

pour les rapports rationnels, ça l’est beaucoup moins pour les rapports irrationnels. Nous mon­ trerons ensuite comment les rapports peuvent être considérés comme des grandeurs continues

Dénom ination d'un rapport

susceptibles d’avoir entre elles un rapport. O n sera alors autorisé à parler de rapport entre des rap­

La notion de dénomination d’un rapport apparaît dans deux petits traités sur les rapports du

ports, les rapports devenant les objets sur lesquels porte leur propre théorie. Nous expliquerons

xiii^ siècle, attribués sans doute à tort à Jordanus et à Campanus par leur éditeur Hubert H. L.

enfin comment le rapport devient objet de calcul.

Busard“ . O n trouve aussi cette notion dans VArithmétique de Jordanus'^ et dans la version des Éléments d’Euclide produite par Campanus^L Les définitions de la dénomination que l’on peut

Nommer les rapports

trouver dans ces différents textes sont différentes : en fait il y en a deux'**. Dans les petits trai­ tés, la dénomination est définie comme le résultat de la division du premier terme du rapport

Commençons par la désignation des rapports entre nombres entiers. Il nous faut pour cela nous

par le second, sans plus de précision'^ Dans VArithmétique de Jordanus et dans les Éléments de

reporter à l’arithmétique de Nicomaque, transmise au monde latin par Boèce^ Dans son Institution

Campanus, la dénomination d’un rapport numérique de plus grande inégalité (entre a t t b avec

4

Pour une analyse de cette distinction entre les livres V et VII selon les objets sur lesquels ils portent, voir le com­

9

mentaire de Bernard Vitrac, dans Euclide, Les Eléments, II, Livres V à LX, Paris, Presses Universitaires de France,

10

1994, p. 507, en particulier le point 1. 5 6

op. cit., p. 121-142). 11

Jean-Louis Gardies conclut ainsi son chapitre IV : « Ainsi, à la seule exception, au demeurant strictement gram­ 12

\à., Jordanus de Nemore, D e Elementis Arithmetice Artis. A Medieval Treatise on Number Theory, Stuttgart, Franz

n’ont que l’existence subreptice appelée par la nécessité de la définition 4. [...] » {Ibid, p. 87).

13

Voir les définitions 20 et 21 du livre V II (H. L. L. Busard, Campanus o f Novara..., op. cit., p. 230).

Pour certains médiévaux, sous l’influence du nominalisme d’Ockham en particulier, la relation n’a pas d’existence

14

maticale, de l’énoncé de la proposition 11, il ne semble pas qu’il y ait au livre V d’autres entités mathématiques

Steiner Verlag, 1991 ; voir les définitions 8 et 9 du livre II, p. 75.

en dehors des termes qui la composent (voir Joël Biard, « Mathématiques et philosophie dans les Questions de Biaise de Parme sur le Traité des rapports de Thom as Bradwardine », Revue d ’histoire des sciences, LVI/2, 2003, p. 383-400; en particulier p. 391). 8

18

I

H . L. L. Busard, « D ie Traktate Deproportionibus von Jordanus Nemorarius and Campanus », Centaurus, XV, 1971, p. 193-227.

que les grandeurs, grandeurs auxquelles s’appliquent les relations tétradiques que nous avions vues. Les raisons 7

L’exposé le plus com plet sur cette division des rapports se trouve dans le commentaire de Clavius à la défi­ nition 4 du livre V des Éléments (traduction française dans S. Rommevaux, Clavius : une clé pour Euclide...,

Jean-Louis Gardies, L ’Héritage épistémologique d ’Eudoxe de Cnide, Paris, Vrin, 1988, chap. IV, p. 69-87. Voir le commentaire de Bernard Vitrac à ce sujet, dans Euclide, Les É lé m e n ts .o p . cit., II, p. 552-554.

Voir Boèce, Institution arithmétique..., op. cit., p. 45-66 (livre I, chapitres 21 à 31).

Pour une étude de la notion de dénomination d’un rapport, voir S. Rommevaux, Les nouvelles théories des rap­ ports mathématiques du xiv'au xvE siècles, à paraître, chap. I.

15

Dans le traité attribué à Jordanus, on peut lire (H. L. L. Busard, « Die Traktate D e proportionibus... », art. cit., p. 205) : « Denominacio veto proporcionis huius ad illud est quod exit ex divisione huius per illud » {Et la déno­

Voir Boèce, Institution arithmétique, texte établi et traduit par Jean-Yves Guillaum in, Paris, Les Belles Lettres,

mination du rapport de l ’une à l ’autre est ce qui est obtenu à partir de la division de Tune par l ’autre) ; dans celui de

1995. Boèce, toujours à la suite de Nicom aque, reprend aussi cette nomenclature dans son Traité de la musique

Campanus, on a {ibid., p. 213) : « Cum duarum quantitatum eiusdem generis una dividit aliam quod exit dicitur

(voir Boèce, Traité sur la musique, introduction, traduction et notes par Christian Meyer, Turnhout, Brepols,

denominatio proportionis divise ad dividentem » {Lorsque, pour deux quantités de même genre. Tune divise l ’autre,

2004, livre I, chap. 4).

ce qui est obtenu est dit dénomination du rapport de celle qui est divisée à celle qui divise).

S cience

S cience 1 19

S abine Rommevaux

De

la proportion au rapport

a> b) est définie comme un nombre, mis sous la forme particulière n-^kH {n, k, l étant des entiers

médiévaux, notamment par Nicole Oresme dans son traité Sur les rapports de rapports, au milieu

t t k Q unknown. Since {R-Q)+{Q^P) = R-P, this is as simple first-degree

— M odus alius proportionis in tribus num eris—

problem. (14) Same proportion, R unknown.

(27) ^

. From the product rule follows that the prod­

Q unknown^^. Instead o f transforming ex aequa ^

p ’

uct o f R-P and i?-Q as well as their difference are known, which allows the application o f Elements

Fibonacci prefers to combine transformations permutatim (^ ^ ;

II. 6.

is, producing the same outcome). From the product rule, Q is found as that

u n k n o w n . F ib o n a c c i u se s t h e t r a n s fo r m e d p r o p o r t io n f r o m

(27)

to

f in d P as ^ .

— M odus alius proportionis—

f =

, Q unknown, y : ^

, a linear problem.

(17) Same proportion, R unknown^*. L,

either o f the others can be chosen freely, the third number following (via p =^ ) from division.

^whence permutatim P

ear problem.

(29) Same proportion. It is pointed out that if Q is known (the example being Q = 12), then ^ , a lin-

Q -P

— M odus alius proportionis in tribus num eris—

R -Q Q rP (30) (394)

(18) Same proportion, P unknown. Eversim (although Fibonacci writes « you permutate »)

(32) — Incipit diferentia tercia in proportione trium num erorum —

portion - namely because Q must be the same part o f (392) A :

(2 0 )

^Q unknown. ^

, whence

:

^ Q u n k n o w n . T h e p r o d u c t r u le a llo w s a p p lic a t io n o f

Elements II.

6.

(31) Same proportion, P unknown. P-P = [Q (Q-P)]/P.

product rule gives R~P, whence P.

(19) No question but the observation that if

5

of

, then P, Q and R are in continued pro­ as P o f Q.

S a m e p r o p o r t io n ,

Elements II.

P

unknow n.

Eversim

.The

p r o d u c t r u le a llo w s a p p lic a t io n

6.

(33) It is then asserted that if one o f the numbers is known in this proportion, the others can be found. W hat is actually shown (and obviously meant) is that if one is known, another one can

. The product rule and an addi­

be chosen ad libitum, and a third determined so as to fit.

tion allows the use oiElements II. 6 (direct use o f II. 5 seems easier).

— M odus alius proportionis in tribus num eris—

(21) Same proportion, R unknown. The product rule and Elements II.6 give R. (34) ^

(22) Same proportion, P unknown. The product rule gives Q-P.

, Q unknown. Conjunctim

, which (via a trick necessitated by the line

representation) allows application o f Elements II. 5. — M odus proportionis in tribus num eris— R

(23) Q

{R-Q)^{Q-P) • — ^::q —

, Q unknown. Permutatim and conjunctim

(35) Same proportion, P unknown. P -Q = [P- (Q-P)]/Q. (36)

. From the prod­

uct rule follows R-Q.

^” ^^Same proportion, P unknown. The product rule allows application P '^ '

(24) Same proportion, R unknown. The argument is corrupt, claiming that the proportion can be transformed into ^

. The product rule and Elements II. 5 would have led directly to

^ P = P-Q.

o r, as F ib o n a c c i p r e fe r s ,

^

Elements II. 5.

p o s s ib le i f

Q = P -P -

F r o m th is , a n y o n e o f t h e n u m b e r s c a n b e fo u n d i f t h e o t h e r

t w o are k n o w n .

a correct solution.

— M odus ultim us proportionis in tribus num eris—

(25) ^^^^^Same proportion, P unknown. P-P follows from the product rule. (38) — M odus alius proportionibus in tribus num eris—

(26) ^

38

, Q unknown. Disjunctim

. Since P is a number (i.e., not o), R must

By error, the text has minor numerus .a.d., but the calculation proceeds from the premise major numerus .a.b., corresponding to R.

98 I S cience

Same proportion, P+Q+P given. For three numbers p, q and r fulfilling the condition,

multiply each o f them by

¡{p+q-Er) (a scaling trick we have already encountered in Chapter

12, Part 2).

39

T h e text says ingnotusprimus numerus .a.g, but ag is actually the second, that is, Q.

S cience | 99

Jens H0 yrup

(39)"(5o) consider four numbers in proportion, ^

^ • T h e underlying alphabetic order is still a, b,g, d ,....

— Incipit de proportione quattuor num erorum —

(39) From ^ n u m b ers

^ follows ^

^ and ^

^ • From the product rule PS = QR, any one o f the

Règle de trois, rapports et proportions :

can be found from the others.

(40) P+Q, R and S known.

les calculs des marchands (xiv®-xvi® siècles)

, whence Q.

(41) R^Sy P an d Qare known. Similarly. (42) P+R, Q and S known.

, whence R.

M aryvonne Spiesser

(43) Q+'S, P and R are known. Similarly.

(44) (396)

Université Paul SabatierToulouse

p and S known. The product rule allows application o f Elements II. 5.

(45) Similarly if P^-S, Q and R are known. Illustrated by an example involving rotuli (a weight unit) and bizantii and their sum. Introduction (46) P-Q , R and S known.

, whence Q.

(47) R-S, P and Q known. Similarly (48) P-R, Q and S known, p '■

, whence R. >whence R.

L’auteur d’un ouvrage élémentaire de calcul par les « chiffres » et par les « jetons », le Livre de chiffres et degetz imprimé en 1509, introduit ainsi la règle de trois :

(49) P-S, Q and R known. The product rule allows application o f Elements II. 6.

p

(50)^^^7)

non

(p

'

^ know n.

S’ensuit la réglé de troys tant en poids comme mesures Geste réglé de troys entre les philosophes se appelle réglé des proportions, et entre les ytaliens réglé de 3 et entre les francoys réglé doree. Et la raison pourquoi elle se nomme et appelle réglé de troys est car avec troys nombres certains tu peux scavoir et trouver le quart nombre incertain. Et est une réglé bien necessaire en fait de marchandise'.

J u m p s d ir e c t ly (in a n u m e r ic a l e x a m p le ) to t h e p r o p o r -

' Les différents noms qui accompagnent la règle, décrits dans ces lignes, mettent en évidence ses aspects essentiels, et serviront de fil directeur à notre propos. D ’abord, le mot proportion qui lui est attaché dans le langage savant ; ce sont en effet, comme nous le verrons, la définition et les propriétés des proportions qui fondent la règle. Pour le dire rapidement et dans notre sens actuel, une proportion est l’égalité de deux rapports ; définir un rapport (également nommé proportion à cette époque) est en revanche plus difficile et nous y reviendrons. L’expression « règle de trois » met en valeur le fait que, à partir de trois nombres donnés, une procédure va permettre de trouver le quatrième nombre, celui qui est recherché. Enfin, la règle est très utile aux marchands, pour leurs calculs de poids et mesures, ce qui lui vaut la belle expression de « règle dorée », voire aussi de « règle d’or du marchand ». C ’est donc dans les traités qui ont pour objet premier les mathématiques des transactions commerciales que nous avons enquêté sur la règle de trois, afin de mettre en regard les énoncés

I

100 I S cience

Anonyme, Le livre de chijfres et de getz, Lyon, Pierre Maréchal & Bernabe Chaussard, 1509, f. 32V.

S cience 1 101

Maryvonne S piesser

Règle

de trois , rapports et proportions

: les

calculs des marchands

et la pratique de la règle d’une part, les commentaires sur son fondement théorique en termes de

l’Europe ; les opérations se font sur une « table », avec des jetons pour support, mais la théorie qui

rapport et de proportion d’autre part. Par cette mise en perspective, nous voulons mesurer l’impact

sous-tend les règles est bien entendu indépendante des techniques de calcul.

d’une confrontation entre théorie (des rapports et des proportions) et pratique (celle du com­

De tous les ouvrages que nous avons consultés, produits dans des régions différentes, mais

merce) : cela a-t-il contribué à une mutation des notions savantes de rapport et de proportion

surtout en Europe méridionale (là où dominent les « algorismes »), nous ne ferons référence qu’à

lorsque celles-ci sont convoquées à des fins calculatoires ?

une minorité, en tant qu’illustrations de la diversité d’approche de la règle de trois en relation

Après avoir situé les sources parmi lesquelles nous avons sélectionné quelques textes, dans l’optique de cette étude, nous ferons un point sur les relations mathématiques entre règle de trois,

avec la notion de proportionnalité. Ils sont écrits dans cette période des xiv-xvi^ siècles où vont foisonner les traités d’arithmétique pratique commerciale.

rapport et proportionnalité, en proposant quelques illustrations de la règle. Celles-ci tiennent une

Puisque c’est la notion de proportionnalité qui est à la source de la règle de trois, nous avons

place très importante dans les traités, d’autant plus importante que les ouvrages sont proches de

regardé comment les auteurs se positionnaient par rapport aux références théoriques, où et dans

la réalité commerciale. Nous n’en donnerons que les aspects les plus simples. Enfin, nous revien­

quelle intention ils convoquaient rapports et proportions. Deux sortes de références savantes sont

drons sur la nature de l’objet « rapport », en essayant de comprendre comment des auteurs en­

en jeu. D ’une part, la classification néo-pythagoricienne des rapports, telle que Boèce l’a trans­

visagent cette notion issue de la pensée grecque ancienne et la rapprochent des idées connexes de

mise à la latinité au vi^ siècle - reprenant XIntroduction arithmétique de Nicomaque - dans les

quotient et de nombre rompu, en quels termes certains d’entre eux justifient le fonctionnement

chapitres 19 à 32 de XInstitution arithmétique. Ce sont les rapports multiples, sous-multiples, su­

de la règle par son fondement théorique, la proportionnalité.

perparticuliers, superpartients^ et tous ceux qu’on peut bâtir en combinant les précédents. D ’autre part, la théorie euclidienne des proportions, le plus souvent via la version médiévale des Eléments

Arithmétiques commerciales : les sources envisagées

de Campanus de Novare. Les situations sont très diverses, cela n’étonnera pas. Dans certains ouvrages, la place importante occupée par ces apports théoriques, parfois plusieurs chapitres, ne

Par « arithmétiques commerciales » nous entendons des traités qui exposent les techniques de

se justifie pas en termes d’utilité, dans un traité qualifié de « pratique ». Elle est alors la revendica­

calcul et les appliquent aux questions incontournables du commerce, moyennant l’exposition

tion d’un savoir plus « noble ». D ’autres auteurs font uniquement intervenir ces notions comme

de règles dont la principale est la règle de trois. D u point de vue du contenu, cette définition re­

préalable à l’explication de la règle de trois. Enfin, beaucoup les ignorent totalement. Nous don­

groupe un ensemble très hétérogène de textes. Certains sont élémentaires et limités aux mathé­

nerons trois exemples de la première situation. Et d’abord, le Trattato di praticha d'arismetrica

matiques touchant les transactions commerciales ; d’autres débutent directement par l’exposé

compilé au milieu du xv^ siècle et découpé en seize livres. Son auteur, Benedetto, est l’un des plus

des règles de résolution de problèmes, l’auteur estimant que la pratique des opérations a été

fameux maîtres d’abbaque florentins^ ; en introduction, il dit l’usage pratique auquel est destiné

acquise auparavant (il existe aussi de simples recueils de problèmes). Enfin, beaucoup d’auteurs

son traité“*. Et pourtant, l’ouvrage est de portée beaucoup plus large et est en outre, comme le

ajoutent des problèmes abstraits et des règles inutiles au négoce et insèrent parfois des éléments

souligne G. Arrighi, un précieux fonds historique en ce qui concerne le milieu de l’abbaque*.

d’arithmétique théorique. D ’un autre point de vue, celui de l’exposition, c’est un ensemble rela­

Benedetto est un homme instruit ; il cite Euclide, en général dans la version de Campanus, Boèce

tivement homogène. Destinés à diffuser des savoir-faire auprès d’un public parfois sommaire­

pour son Institution arithmétique^ et via ce dernier, connaît donc la théorie néo-pythagoricienne

ment instruit, ces ouvrages favorisent la règle au détriment de la proposition, l’énoncé d’une procédure au détriment des justifications mathématiques. En revanche, l’exemplification et la classification des problèmes par genres orchestrés par des règles sont primordiales. Le corpus d’arithmétiques commerciales le plus important et le premier à voir le jour est ce­ lui des Trattati d ’abbaco italiens ; ce sont des algorismes, à savoir des traités présentant la numéra­

Le rapport à t a \ b {a> b) est superparticulier lorsque a contient une fois b et la w-ième partie de b (le quotient de a par b est de la forme 1 + 1/«) et il est superpartient lorsque a contient une fois b tt k fois la «-ième partie de b (quotient de la forme \ + k!n, \ < k < n). La copie à laquelle il est fait référence est celle du manuscrit de la Biblioteca Degli Intronati de Sienne (cod. L.

tion indo-arabe et les opérations fondées sur ce système de numération. Les premiers apparaissent

IV.21), datée de 1463 (506 folios). Mes sources sur ce traité proviennent des deux études suivantes de G ino

au xiv^ siècle ; le Liber abbaci, écrit en latin en 1202 - puis remanié en 1228 - par l’un des plus

Arrighi, dans lesquelles les titres et introductions de chacun des 16 livres sont transcrits ; « Il codice L.IV.21 della

éminents mathématiciens du xiii' siècle, Léonard de Pise, sans être une source exclusive, a joué un rôle dans la composition de ces traités. Sur le modèle dominant du « traité d’abbaque », tout en

Biblioteca degli Intronati di Siena e la Bottega dell'abaco a Santa Trinità in Firenze », Physis, IV, 1965, p. 369400 et Id., « L’Aritmetica speculativa nel Trattato di M ° Benedetto », Physis, IX, 1967, p. 311-336. Voir aussi Elisabetta Ulivi, « Benedetto da Firenze (1429-1479), un maestro d’abaco del X V secolo », Bollettino di storia

affirmant parfois des spécificités fortes, seront ensuite bâtis les traités français, occitans, catalans,

delle scienze matematiche, XXJI/i, 2002, p. 7-243, eh. 6.

castillans, allemands qui ont émergé à partir de la seconde moitié du xv^ siècle en débordant sur

G . Arrighi, « Il codice L.IV.21... », art. cit., p. 380 : « [...] el trattato è piutosto in pratichale uso che ad otto

le xvP siècle. Des traités « par les getz » sont également conservés, plus nombreux au nord de

fine usato ». Ibid., p. 373.

102 I S cience

S cience 1 103

Règle

Maryvonne S piesser

de trois, rapports et proportions

: les

calculs des marchands

des rapports qu’il expose dans le livre IL Deux autres livres, le cinquième et le onzième, abordent

Euclide et Campanus. En revanche, il réserve une place importante (f. I9r-27v) à un dévelop­

la théorie euclidienne des proportions. Le dernier, dans lequel Benedetto traite de « quelques

pement « boétien » sur le nombre : classification des entiers selon des critères comme la parité ou

rapports dont on a besoin dans les quantités continues

n’a pas de lien avec la pratique. Nous

la primalité ; définition et tableau des differents genres de rapport, pour finir par des résultats sur

reviendrons en revanche sur le cinquième livre, dont le titre annonce qu’il « contient la nature des

les sommes de nombres en proportion continue (double, triple, ...) et autres propriétés de ces

nombres et des quantités proportionnels ». Ce livre est divisé en deux chapitres : le premier réunit

proportions. Ceci juste avant d’aborder la règle de trois. Même s’il s’aventure peu dans la théorie

des propositions sur la théorie des proportions issues des livres V à IX des Éléments dans la ver­

euclidienne des proportions, l’ouvrage de Chuquet, à l’instar des deux précédents, va bien au-delà

sion de Campanus et se termine par un exposé sur la composition des rapports. Sont rapportées

des seuls calculs des marchands qui ne sont qu’une des applications de la « science des nombres »'°.

au début les définitions des rapports d’Euclide, de Boèce et de Jordanus de Nemore. Le second

Dans d’autres séries de traités, les références aux rapports et proportions apparaissent de

chapitre contient des exercices élémentaires de calcul sur des unités de mesure, à propos desquels

manière plus ponctuelle, par exemple en introduction à un chapitre ou comme commentaire à la

Benedetto justifie la présence du chapitre précédent, tout en avouant s’être étendu plus que néces­

résolution d’un problème. C ’est le cas du Compendy de la praticque des nombres du frère prêcheur

saire sur la théorie^. Notons que le livre suivant, le sixième, est dédié au « savoir mercantile »1

Barthélemy de Romans, achevé à Lyon en 1476, dans lequel un problème est prétexte à une di­

Le second auteur, le frère mineur Luca Pacioli, fait imprimer la Summa de arithmetica, geome-

gression sur les rapports néo-pythagoriciens; ou encore d’un Tractato d'abbacho qui a connu une

tria,proportionietproportionalita^iVtmsç. en 1494. En partie parce qu’il est imprimé, cet ouvrage en­

large diffusion, dont une copie est conservée à la Bibliothèque Medicea Laurenziana de Florence.

cyclopédique, rattaché à la tradition italienne de l’abbaque, connaîtra une renommée et un impact

Son auteur est encore le maître florentin Benedetto". Il est divisé en vingt-trois chapitres très

importants. Dans l’introduction à la sixième distinction de la Summa, intitulée De proportionibus

pédagogiques ; c’est en introduction au cinquième, sur la règle de trois, que l’auteur dégage la no­

etproportionalitatibus (c. 67V-68), Pacioli, qui connaît bien les Éléments pour les avoir enseignés,

tion de proportionnalité. Nous reviendrons plus amplement sur ces ouvrages.

mentionne Euclide ainsi qu’Aristote et Archimède. Pour la lignée de Nicomaque, il cite Boèce. Il

Une autre arithmétique commerciale sera souvent sollicitée qui, tout en étant d’un bon

fait aussi référence à « Ameto fils de Joseph », à savoir Ahmad ibn YùsuP, pour son traité des pro­

niveau, ne s’aventure pas dans le domaine de la mathématique « savante », notamment lors de

portions, « dont parle Campanus {el Campand) quand il expose le livre cinq d’Euclide », et que

l’introduction à la règle de trois : c’est le Traicté de la praticque d ’algorisme, conservé dans le même

mentionne aussi Benedetto pour la composition des rapports. Enfin pour les « modernes », Pacioli

manuscrit que le Compendy de Barthélemy de Romans, et lié à l’œuvre de celui-ci*^.

nomme Jordanus à propos de son arithmétique, ainsi que Thomas Bradwardine, Biaise de Parme,

Enfin, encore dans le même manuscrit, un texte nous intéresse particulièrement, car il est le

Albert de Saxe pour le xrv' siècle, des hommes dont on sait l’intérêt pour la théorie des rapports.

seul à notre connaissance dont l’écriture a été uniquement motivée pour faire le lien entre « traité

Nous ne nous attarderons pas sur cette sixième distinction, qui est très dense (f. 67V-98V), et dont le

de la pratique » et « arithmétique théorique » : l’essence et le mécanisme de la règle de trois y sont

titre est explicite des deux thèmes traités, le rapport iproportio) et la proportionnalité. Mentionnons

donc justifiés par les proportions. Il s’i^it d’une speculative des nombres, traité anonyme dont l’auteur

simplement que Pacioli, dans un long développement de deux pages (f. 68r-69r) montre que rap­

pourrait être encore Barthélemy de Romans, écrit avant 1476. Voici la préface de ce traité :

ports et proportions sont présents dans tous les arts. Il mentionne rapidement le marchand dans la

S’ensuyt la speculative des nombres qui est necessaire a avoir clere cognoissance du livre précédant de la pratique et mesmement des raisons. Car le maistre Reverend conditeur du livre estant au lieu de Carcassonne enseignant la science d’algorisme ou arismetique fut par aulcuns des escoliers pryé de leur faire aulcun brief traicté qui leur donnast clere congnoissance des nombres proporcionalz, esquelz gisent et sont toutes raisons. Pour ce, pour leur faire plaisir, fist ce petit traicté lequel donne competant cognoissance de leurs proporcions, tant comme sont necessaires a avoir clere cognois-

tenue de ses affaires. Il fait alors référence à la règle de trois à laquelle a été dédiée la distinction cinq qui, curieusement, précède l’exposé général sur les rapports et proportions. Citons enfin l’exemple de Nicolas Chuquet, « bachelier en médecine », dont la copie du Triparty en la science des nombres est achevée à Lyon en 1484. Contrairement aux deux cas précédents, Chuquet ne fait aucune théorie générale sur les proportions, même s’il cite en de rares occasions

10 6

Ibid., Introduction au traité, p. 380 : « [...] dimosterrò alchuna proportione che sono abisognevolj aile quantità chontinue ».

7 8 9

11

« Gom m ant la science des nombres se peult appliquer au fait de marchandise » (f. 264r-324r). Firenze, Biblioteca Medicea laurenziana, cod. Acq. e doni 154 (voir E. Ulivi, « Benedetto da Firenze... », art. cit., p. 48). G . Arrighi, qui a édité le texte, l’attribue au Maître d’abbaque Pier Maria Calandri, voir : Pier Maria

Voir Margherita Bartolozzi & RafFaella Franci, « La teoria delle proporzioni nella matematica dell’abaco da Leonardo

Calandri, ‘ Tractato d ’abbacho\ dal cod. Acq e doni i$4 (sec. XV) della Biblioteca Medicea Laurenziana di Firenze,

Pisano a Luca Pacioli », BoUettìno di Storia delle Scienze Matematiche, XJi, 1990, p. 3-28 ; spécialement p. 13-14.

a cura e con introduzione di G ino Arrighi, Pisa, Dom us Galileana, 1974. D ’après Ulivi, le traité a sans doute

G . Arrighi, « Il codice L.IV.21... », art. cit., p. 385 : « Mosterassi in questa parte, adunque, tutto quello che

été beaucoup utilisé dans les écoles d’abbaque à partir de la seconde moitié du x V siècle.

abisogna a chi merchatantia vuole fare ».

Voir Maryvonne Spiesser & Françoise Féry-Hue, « Le recueil mathématique de Cesena, Biblioteca Malatestiana,

Ahmad ibn Y ùsuf a vécu aux viii'^-ix' siècles. Il a écrit un ouvrage sur les rapports et proportions qui est un

s.xxvi.6, au cœur du réseau franco-occitan des mathématiques pratiques du xv* siècle », Archives internationales

commentaire des Éléments d’Euclide, et qui fut traduit en latin par Gérard de Crémone.

d ’histoire des sciences, LVII/1-158, 2007, p. 47-88.

104 I Science

S cience 1 105

M aryvonne S piesser

sance des raisons qui est la tierce partie generale du compendy qu’il avoir fait aultres foiz de la pratique des nombres’f

R ègle

de trois , rapports et proportions

: les

calculs des marchands

Khwârizmï et de Fibonacci, deux auteurs dont on sait l’impact dans le domaine de la mathématique pratique. Dans son traité d’algèbre, Al-Khwârizmï écrit dans le chapitre sur les transactions :

C ’est donc à la demande d’élèves et pour éclaircir des questions liées à la proportionnalité, qui

Sache que toutes les transactions entre les gens, de vente, d’achat, de change < de monnaies >, de salaire, et toutes les autres, ont lieu selon deux modes, et d’après quatre nombres prononcés par le demandeur, [...] et parmi ces quatre nombres, trois sont toujours évidents et connus, et l’un d’eux est inconnu, [...]".

ont été exposées auparavant dans une arithmétique pratique, que le présent texte est établi. La théorie des nombres sert ici un but bien précis et c’est pour cette raison que le texte est précieux dans l’optique qui est la nôtre.

Il pointe donc la présence des trois termes connus, de deux genres différents, mais n’utilise pas La règle de trois et les calculs des marchands

l’expression, consacrée par la suite, de règle de trois ou de trois choses. Léonard de Pise n’emploie pas non plus ces termes dans le Liber abbacu un ouvrage qui, comme nous l’avons souligné, a

La règle de trois est la première des « règles des raisons », c’est-à-dire des différentes règles de résolu­

été l’une des références des futurs « traités d’abbaque » conçus dans les cités italiennes. Fibonacci

tion de problèmes. La quasi totalité des échanges commerciaux est fondée sur la proportionnalité. La

introduit ainsi le chapitre sur la recherche des prix des marchandises'^ :

règle de trois, issue de cette notion mathématique, est indispensable et constitue aussi le fondement

Dans toutes les opérations de négoce on trouve toujours quatre nombres proportionnels, dont trois sont connus et celui qui reste est inconnu. Le premier de ces trois nombres connus est le nombre de la vente d’une quelconque marchandise, que ce soit un nombre, un poids, une mesure. [...] Le second est le prix de cette vente, c’est-à-dire de celle du premier nombre, [...]. Le troisième sera parfois une quantité de la vente de la même marchandise, dont le prix, à savoir le quatrième nombre inconnu, sera inconnu. Et parfois ce sera une quantité similaire d’un second prix, dont on ignore < la quantité > de marchandise, c’est-à-dire le quatrième nombre inconnu'^.

d’autres règles usuelles, comme celles de « fausses positions », qui sont bien connues des maîtres de calcul. Les problèmes non commerciaux qui accompagnent les exercices concrets utiles aux mar­ chands sont aussi dans leur grande majorité résolubles avec le même bagage mathématique. La règle de trois a eu un tel impact sur les esprits que bien des algébristes des xv^et xvi^ siècles n’hésiteront pas à l’utiliser, comme raisonnement pour un calcul intermédiaire ou comme alternative à la méthode algébrique elle-même, parce quelle sera alors préférée pour sa simplicité.

En 1288, donc soixante années seulement après la seconde version du Liber abbaci, un traité

L’expression « règle de trois » provient, comme chacun le sait et comme le relatent les lignes

anonyme composé « selon l’opinion du maître Leonardo... » s’ouvre sur la « regola de tre cose »'*.

rapportées dans l’introduction, du fait que la procédure engage trois nombres connus ; le nombre

Plus tard, certains maîtres d’abbaque parleront de la règle vulgairement dite « de trois » ou « de trois

cherché s’en déduit comme quatrième proportionnelle. Prenons un exemple issu du Kadran attx

choses » (par exemple Pacioli, à la page 57 de la Summd). Les auteurs français optent en majorité - et

marchans écrit par Jehan Certain en 1485 (f. 32r) : « Si 3 florins d’Avignon vallent 2 frans de roy,

contrairement à l’affirmation citée en introduction - pour l’expression « règle de trois ». Comment est énoncée la règle ? Revenons à l’introduction de Fibonacci : trois nombres sont

combien vauldront 20 florins d’Avignon? ». Il y a proportionnalité entre les florins et les francs, donc le rapport entre 20 est 3 est le même que le rapport entre ce que l’on cherche et 2 : ^ La règle de trois nous donne la solution ainsi : multiplie 20 par 2 et divise par 3, ce qui équivaut bien, au regard de la proportion précédente, au calcul de la quantité inconnue. L’origine de l’expression « règle de trois » et de ses formulations reste incertaine et notre in­

connus dont deux sont de même nature et un de nature différente. Comme le dit le mathémati­ cien pisan, les genres sont souvent, d’une part une quantité de marchandise, d’autre part un prix. L’extrait anonyme qui suit résume bien les manières de formuler la règle, en montrant d’abord quelle question poser puis comment, par quels calculs, trouver la solution ; Les raisons et questions de ceste réglé se forment en ceste maniéré. Si tant vault tant, que vauldront tant? Comme par exemple : si 6 valent i8 que vauldront 9? Pour faire telles raisons il en est une telle réglé : multiplie ce que veulz savoir par son contraire et puis partiz par son semblant, ou mul­ tiplie le tiers nombre par le second et puis partiz par le premier'^.

tention n’est pas d’en faire l’historique'^^. Nous ferons seulement deux remarques à propos d’Al-

13

Cesena, Biblioteca Malatestiana, M S S-X XVI-6, f 269. Pour les liens avec Barthélemy de Romans, voir M . Spiesser & F. Féry-Hue, « Le recueil mathématique de C esen a... », art. cit. {S’ensuit la spéculative des nom­ bres, qui est nécessaire pour avoir une connaissance claire du livre de la pratique qui précède et aussi des raisons.

15

Al-Khw àrizm i, Le commencement de l ’algèbre, Texte établi, traduit et com m enté par Roshdi Rashed, Paris,

16

Baldassarre Boncompagni, Scritti di Leonardo Pisano, matematico del secolo decimoterzo, voi. i : Il Liber Abbaci

Car le maître révérend, auteur du livre, étant à Carcassonne et enseignant la science d ’algorisme ou arithméti­ que, fu t prié par certains élèves de leur faire un bref traité qui leur donnât une connaissance claire des nombres

Blanchard, 2007, p. 196.

proportionnels, en lesquels gisent et sont toutes les raisons. Pour cela, pour leur faire plaisir, il f i t ce petit traité,

di Leonardo Pisano, pubblicato secondo la lezione del codice Magliabechiano C. I, 2616, Badia Fiorentina, n ° 75,

lequel donne une connaissance convenable des proportions, aussi longtemps quelles sont nécessaires pour avoir

Rome, Tipografia delle scienze matematiche e fisiche, 1857, chapitre 8, p. 83-84. Sauf mention particulière,

une connaissance claire des raisons, qui form ent la troisième partie générale du com pendium de la pratique des 14

toutes les traductions en français sont les miennes.

nombres q u ’il avait fa it autrefois).

17

Voir le texte i, en annexe à cet article, d’où sont extraites ces lignes.

Jens Hoyrup aborde brièvement cette question dans Jacopo da Firenze’s Tractatus Algorismi and Early Italian

18

Livero delabbecho, Firenze, Biblioteca Riccardiana, cod. 2404,1288.

Abbacus Culture, Basel, Birkhaüser, 2007, p. 58-63.

19

Traicté de lapraticque d ’algorisme, Cesena, Biblioteca Malatestiana, M S S-XXVI-6, f. 33t.

106 I S cience

S cience | 107

Maryvonne S piesser

Règle

de trois, rapports et proportions

: les

calculs des marchands

Il y a donc deux façons de s’exprimer : la première met en évidence le genre des quantités (sembla­ ble ou différent), la seconde l’ordre dans lequel elles apparaissent. L’exemple, dont la formulation semble dépourvue de sens, montre clairement comment fonctionne la règle. O n a dépouillé à cette fin les nombres de leurs unités, qu’il faut rétablir pour retrouver une cohérence ; par exem­ ple, 6 unités d’une marchandise valant i8 unités monétaires, combien valent i8 unités de la même marchandise ? La solution découle de la règle générale énoncée ci-dessus : Exemple de la question devant dicte : Se 6 valent i8 que vauldront 9 ? Response : multiplie 9 que veulz savoir par 18 qui est son contraire et monte la multiplication 163. Partiz par 6 qui est son semblant et trouveras 27. Et tant vauldront les 9, dont la maniere de poser les troys nombres si est telle : Se 6/18/9

Dans cet exemple, 6 et 9 sont « semblables », car de même nature s’ils mesurent des quantités concrè­

’it*,’

tes, 18 est « contraire » aux deux premiers, il est de nature différente. L’auteur de cette arithmétique dispose toujours les trois nombres comme précédemment. Cette notation n’est pas systématique dans les traités franco-occitans, même proches de celui-ci. Souvent l’auteur ne met pas en exergue les trois nombres connus ; ou choisit un schéma différent. Les exemples vont du plus élémentaire au plus complexe. D ’abord, la règle simple, dont les ap­ plications sont ordonnées en « faits » de monnaies, de marchandises qui se vendent au poids, à la mesure, de troc, etc. Voici un cas de marchandise qui se vend « à la mesure » ;

Fi g . 1

Une piece de toyle tyrant 12 aulnes 1/2 couste 3 escuz et 3/4. L’on demande a combien viend l’aulne. Response ; se 12 1/2 valent 3 3/4, que vauldra 1 ? Multiplie et partiz ainsi que tu sceiz, trouveras 3/10 d’escu. Et tant vault l’aulne^“.

O n retrouve, dans la question, la même formulation abrégée que dans la présentation initiale de

Îii '

liti

Francès Pellos, Compendion de l ’abaco, Turin, 1492, f. 42V. BM V R de Nice-Bibliothèque d'étude et du patrimoine Romain Gary [XV-254]

la règle : si 12 1/2 valent 3 3/4, que vaudra 1 ? La règle de trois peut être utilisée de manière répétée dans le même problème. Le méca­ nisme est plus compliqué et une disposition en tableau permet de faciliter, voire d’automatiser les

Pour répondre à la question, on multiple les termes de rangs impairs entre eux, et de même les

calculs. L’exemple que donne Francès Pellos dans le Compendion de l ’abaco pousse à l’extrême ce

termes de rang pair. Le premier produit - ici 17280 - est « la somme à diviser », le second - ici

modèle d’itération ; on doute d’ailleurs qu’il puisse refléter des situations réelles :

2268, écrit en haut - est le diviseur. L’application réitérée de la règle de trois permettrait de valider

12 11. de la monnaie de Savoie valent 7 11. de la monnaie de Paris, et 3 11. de la monnaie de Paris valent 4 11. de la monnaie de Flandres, et 2II. de Flandres valent 3 11. de la monnaie de Milan, et 5 11. de Milan valent 9 11. de la monnaie de Nice, et 4 11. de Nice valent 3 11. de la monnaie du Piémont. Je demande combien de 11. de la monnaie de Savoie valent 12 11. du Piémont^'.

la procédure décrite, dont la mise en œuvre est facilitée par la disposition visuelle. Dans les traités usuels d’apprentissage, on apprend à reconnaître des situations concrètes d’applications de la règle de trois. Mais celle-ci est, la plupart du temps, coupée de ses origines, donc de la notion de proportionnalité. Autrement dit, le fondement mathématique de la règle a

Voici le schéma de calcul qui accompagne les explications :

disparu derrière la maîtrise de la technique. L’exemple précédent le montre bien et illustre ce que nous notions sur la finalité dominante de ces textes ; enseigner des techniques adaptées à des clas­ ses de problèmes dont on apprend à reconnaître le genre. Il faut aller chercher les traités plus am­ bitieux, dont les auteurs montrent une réelle culture savante, que les mathématiques intéressent aussi davantage, pour voir se (re)nouer le lien entre la technique et ses fondements. Benedetto

20

Ibid., f. 37r.

21

Francès Pellos, Compendion de l ’abaco, imprimé à Turin en 1492, f. 42V. La traduction de l'occitan est la mienne.

108 I S cience

de Florence, Luca Pacioli ou Nicolas Chuquet font partie de ces gens là. Ils accompagnent donc - ou font précéder - la présentation de la règle de trois par des rappels sur les rapports et la pro-

S cience 1 109

M aryvonne S piesser

R ègle

de trois , rapports et proportions

: les

calculs des marchands

portionnalité, à savoir l’égalité de rapports. Mais réservent aussi d’autres chapitres à des exposés

mêmes sources pour conclure qu’un rapport est « une relation d’un nombre à un autre ou d’une

plus complets sur la théorie des proportions ou la classification des rapports néo-pythagoriciens,

quantité à une autre de même genre »^^.

indépendamment des applications pratiques. Pacioli, comme nous l’avons dit, examine ces ques­ tions dans la longue « distinction 6 » qui suit la règle de trois.

Revenons à Benedetto. Il précise, comme il est d’usage, que seules deux quantités d’un même genre peuvent avoir un rapport entre elles : on ne peut pas comparer la ligne à la superficie ni la superficie au corps. Encore faut-il être vigilant sur ce qu’on entend par genre ; car il semble parfois

Les rapports : définition, dénomination, quantification

que des quantités soient d’un même genre et ne le sont pas en vérité : « comme nous disons : c’est un doux rêve; ou encore : le miel est doux. L’une des douceurs n’est pas comparable à l’autre »^L Pacioli

Q u est-ce q u un rapport?

note aussi ces abus de langage (« abusione de vulgar parlar ») dans la Summa (p. 69V).

La notion de rapport est à la source de la proportionnalité, puisque quatre quantités a, b, c, d sont proportionnelles si les rapports al b et d d s o m égaux. Une proportion, au sens mathémati­

Dans la Spéculative des nombres, en relation avec l’objet du livre, la définition du rapport entre deux quantités est doublée de celle du rapport de deux nombres (f 275r) :

que du terme, est une égalité de rapports. Mais il faut noter que, dans les textes anciens et mé­

Proportion est un regart et une conveniance[^*] qui est entre deux quantitez semblans comparées l’une a l’autre. Proportion selon que fait a notre propos de présent se peut diffinir en telle maniere : proportion esgalement est la conveniance de deux ou plusieurs nombres comparez l’un a l’aultre.

diévaux, le « rapport » au sens actuel est nommé « proportion ». Pour ajouter à la confusion, le mot qualifie aussi parfois l’égalité de deux rapports, dans l’acception actuelle du terme. Quand deux rapports sont identiques, il est toutefois plus courant de parler de proportionnalité ou de

Quant à Chuquet, il se place d’emblée dans le champ numérique :

quantités proportionnelles.

Des proportions de nombres. Proportion c’est l’abitude qui est entre deux nombres quant est com­ paré a l’aultre. Et est double, c’est assavoir proporción égalé et proporción inegale^^.

Pour Euclide {Eléments, livre V, déf 3), « un rapport est la relation, telle ou telle, selon la taille, [qu’il y a] entre deux grandeurs de même genre »“ et pour Boèce, « un rapport est une rela­ tion réciproque, une sorte de suite de deux termes [...] »^^

Rapporty dénominateur, dénom ination et quotient

Comment des auteurs comme Benedetto, Pacioli, Chuquet ou autres présentent-ils la no­

Le plus difficile à décrypter est la nature du lien entre les définitions théoriques initiales du rap­

tion de rapport ? Leurs exposés mêlent le double héritage de la théorie des rapports d’Euclide et

port et le maniement de ceux-ci dans des situations concrètes de calcul, donc aussi le sens que les

de la classification des rapports de Nicomaque.

auteurs d’arithmétiques commerciales accordent à cette notion. Car en général, le glissement d’un

Benedetto considère des rapports entre quantités, commensurables ou non. Il présente cette

contexte à l’autre n’est pas commenté. C ’est pourquoi un traité comme la Spéculative des nombres est

notion en citant les définitions d’Euclide dans la version latine des Éléments due à Campanus, puis

intéressant, dont l’écriture est motivée pour jeter ces ponts et qui donne donc à voir explicitement

de Boèce dans LÜnstitution arithmétique, et enfin de Jordanus dans son Arithmétique'^. L’auteur

le passiqge d’une théorie à une pratique. Par la considération des rapports entre les nombres, on a,

anonyme d’une Praticha d ’arismetrica, un texte très riche écrit un peu avant 1460^^ cite les trois

écrit l’auteur de la Spéculative des nombres, « une connaissance claire des nombres proportionnels, sur lesquels est fondée la troisième partie du livre de la pratique qui enseigne comment résoudre les problèmes » (en maniant la règle de trois et celles qui en découlent). Pour ceci, il est « nécessaire de

22

Euclide, Éléments, II, Livres V à IX, traduction et commentaire par Bernard Vitrac, Paris, Presses Universitaires

connaître et de comprendre les rapports »’°. L’auteur veut donc éclairer, pour ses élèves, le chemin

de France, 1994, p. 36. Boèce, Institution arithmétique, texte établi et traduit par Jean-Ives G uillaum in, Paris, Les Belles Lettres, 1995, p. 140 : « Proportio est duorum term inorum ad se inuicem quaedam habitudo et quasi quodam -

26

m odo continentia [...] ». 24

^5

G . Arrighi, « N uovi contributi per la storia... », art. cit., p. 176 : « Una habitudine che à uno numero a un altro, o, [...] una quantità a un’altra di simile genere ».

G. Arrighi, « Il codice L.IV.21... », art. cit., p. 383 : « Proportio est 2^""" quantitatum eiusdem generis ad alteram certa

27

Trattato di praticha d ’arismetrica, Livre V, édité par G . Arrighi dans « Il codice L.IV.21... », art. cit., p. 383.

relatio in quantitate » {Un rapport est une certaine relation selon la quantité entre deux quantités de même genre).

28

Dans la langue du xv* siècle, regart peut signifier considération, point de vue ; tandis que l’un des sens de conve­

Praticha d ’arismetrica, Florence, Biblioteca nazionale. Pal. 573. Mes sources pour ce traité proviennent de deux études : un article de G. Arrighi consacré à ce traité, « Nuovi contributi per la storia della matematica in Firenze

niance est affinité, harmonie. 29

Triparty en la science des nombres, Paris, Bibliothèque nationale de France, M S fr. 1346, f. 2ir. Voir aussi l’édition

nell’Età di Mezzo, Il codice Palatino 573 della Biblioteca Nazionale de Firenze », in Id., La matematica dell’Età

d’Aristide Marre, « Le Triparty en la science des nombres par Maistre Nicolas Chuquet parisien, d’après le ma­

di Mezzo, Scritti scelti, a cura di Francesco Barbieri, Raffaella Franci & Laura Toti Rigatelli, Pisa, ed. ETS, 2004,

nuscrit fonds français n° 1346 de la Bibliothèque Nationale », Bollettino d i bibliografia e di storia delle scienze

p. 159-194 (i"' pubi, dans Istituto Lombardo. Accademia di scienze e lettere. Rendiconti, Classe di scienze (A), CI, 1967, p. 395-437) où sont reproduits le titre et l’introduction de tous les chapitres, et celui de M . Bartolozzi &

matematiche e fisiche, XIII, 1880, p. 593-659 (1' partie) et p. 693-814 (2^ et 3' parties). 30

Speculative des nombres. Cesena, Biblioteca Malatestiana, ms S-XXVl-6, f. 269t-290v : f. xj^ v-vj’^x ; « O n a clere

R. Franci, « La teoria delle proporzioni... », art. cit., p. 14-16. Ulivi n’exclut pas que l’auteur de ce traité puisse

cognoissance des nombres proportionalz esquelz est fondée la tierce partie du livre de la pratique qui enseigne de

à nouveau être Benedetto de Florence (voir E. Ulivi, « Benedetto da Firenze... », art. cit., p. 57).

faire les raisons. Pour avoir donc clere congnoissance des raisons est neccessaire congnoistre et entendre les pro-

110 I S cience

S c IENCE I 111

Maryvonne S piesser

R ègle

de trois, rapports et proportions

: les

calculs des marchands

qui mène des rapports pythagoriciens et de la théorie des proportions aux manipulations numéri­

proposé quelques problèmes fondés sur la donnée de rapports, l’auteur rapproche maintenant

ques de la règle de trois propres aux traités de la pratique. Toutefois, dans ses commentaires, il ne

davantage le rapport du nombre obtenu par division du premier terme par le second. Ainsi, « 4

verse pas dans une interprétation numérique du rapport. Il commente la logique des noms associés

à 8 sont 1/2 parce que 4 étant divisé par 8 il vient 1/2 » et « 16 à 5 sont dans le rapport de 3 et 1/5

aux différents genres. Prenons comme exemple les « superpartients » (de la forme i + k/ri). Ils sont

parce que, en divisant 16 par 5, il vient 3 1/5 »5^^.

« dénominés » par n, aussi appelé « dénominateur de la proporción ». Ainsi, le rapport de 5 à 3 a

Dans le Compendy de la praticque des nombres (1476), Barthélemy de Romans explique com­

pour « dénominateur » 3. Car le nombre 3 est l’élément fondamental pour nommer le rapport. Pour

ment représenter un rapport par deux nombres, les plus petits (par exemple le rapport sesquitierce^^

définir complètement le rapport de 5 à 3, il faut savoir que 5 contient 3 une fois et en plus 2 parties

sera représenté par 4 et 3, où 3 est le « dénominateur des parties »). Cette digression vers la définition

de 3. O n l’appellera alors rapport « superbipartient tierce », le « bi » provenant du nombre de parties.

et la classification des rapports s’est faite à partir d’un énoncé de problème d’argent dans lequel les

Mais comment trouver pratiquement le rapport d’un nombre à un autre ? L’auteur de la Speculative

données sont fractionnaires (des hommes trouvent une bourse et, avec l’argent quelle contient, le

l’explique en termes de recherche de parties, sans glisser jamais vers la division (f lyyr) :

premier aura « le double et la 1/2 en plus que le second »^^, etc.). Ce « double et la demi » correspond

Exemple : entre 5 et 2 est proporción double sexquialtera car 5 contient 2 par deux foiz et la 1/2. Entre 13 et 4 est proporción triple sexquiquarta car 13 contient 4 par troys foiz et le 1/4 plus [...].

au rapport double sesquialtère. Barthélemy poursuit (£ 241V) : Et est plus de noter que [...] avec ces deux [nombres] l’on peut donner a tout autre nombre ses deux nombres proportionalz, le ung dessoubz son meindre et l’autre dessus. Et car au multiplier du nombre roupt se partouche de donner ces deux nombres proportionalz, ces deux premiers devons mettre es maniere de nombre roupd^.

C ’est la même vision des rapports que celle de Campanus de Novare, exposée dans le Livre VII de ses Eléments : la dénomination du rapport àcadib (dans le cas o h a > b) est « le multiple ou le multiple et la partie ou les parties selon lesquelles le plus grand est en plus »^'. Contrairement à l’auteur de la Speculative, Chuquet exprime en termes de division, donc d’opération sur des nombres, la recherche du genre de rapport (f z6v, p. 630) : Divise le majeur par le mineur car le quociens sera le dénominateur de la proporción ; pourtant que si le quociens est 1 precizement, ilz sont en proporción égalé, [...] s’il vient 1 1/2 ilz sont en proporción sesquiáltero, [...].

Prenons encore pour exemple le rapport « superbipartiens tierce ». A partir de 3 et 5 on forme le nombre rompu 5/3. Si le nombre cherché est à 6 comme 5 est à 3, on multiplie 6 par 5/3. S’il est à 6 comme 3 est à 5, on multiplie 6 par 3/5. Nous sommes donc dans le même schéma de passage du rapport au nombre rompu grâce auquel on établira une égalité de rapports, ou proportion : 6 est à 18/5 (ou 3 + 3/5) comme 3 est à 5. C ’est une proportion dont les termes ne sont pas tous de « vrais » nombres, c’est-à-dire des entiers.

Les deux aspects précédents coexistent dans la Praticha d ’arismetrica mentionnée plus hauL^.

L’auteur de la Speculative des nombres donne, pour la même recherche, des explications énon­

Sans traiter systématiquement des proportions, le maître florentin introduit les concepts quand

cées différemment : au rapport donné ne correspond pas une fraction (comme le nombre rompu

ils s’avèrent nécessaires. Dans la deuxième partie, après la description et la nomenclature des

5/3 précédemment) mais un opérateur qui mène au résultat. C ’est dans une « note pour avoir clere

différents genres de rapports, cet auteur informe que, dans les écoles, ils n’utilisent pas le vo­

notion des raisons de la rigle de troys » (f 286v-28yr, passage extrait du texte 1 en fin d’article) :

cabulaire boétien des rapports : au lieu de dire « le rapport de 12 à 8 est sesquitierce » ou bien,

Comme quant l’on dit, si 4 valent 7, que valent 12, l’on doit regarder quelle proporcion est entre 4 et 7, elle est superpartiens quartas. Pour quoy prans le nombre qui contient 12 et les 3/4 de 12, reste 21. Pour quoy 21 est le nombre proporcional de 12, et la proporcion qui est entre 4 et 7 est semblable a celle qui est entre 12 et 21.

dans le langage des proportions, « 12 est à 8 comme 3 est à 2 », dans le langage commun de la pratique on dit ; « 12 est les 3/2 de 8, ou 20 sont les 2/5 de 50 »” . Au rapport de 3 à 2 se trouve donc associé la « fraction » 3/2 qui permet de faire correspondre 12 à 8, tout comme 2/5 provient du rapport de 2 à 5 qui est égal au rapport de 20 à 50. Mais il n’y a pas assimilation explicite

La proportion superparciens quartas correspond à 1 + 3/4. L’auteur prend 12 et 3/4 de 12, il ne dit

entre les deux notions. Plus loin, dans le troisième chapitre de la cinquième partie, où il est

pas de multiplier 12 par 7/4.

porcions, pour lesquelles entendre se dira que est proporcion generalement. Et puis que est proporcion esgaJement

31

selon que fait a nostre propos ».

34

Pour une analyse de la notion de rapport chez cet auteur, voir l’article de Sabine Rommevaux, « La proportion­

35

Le plus grand terme contient une fois et un tiers de fois le plus petit.

nalité numérique dans le Livre V II des Eléments de Campanus », Revue d ’histoire des mathématiques, V, 1999,

36

Barthélemy de Romans, Compendy de la praticque des nombres. Cesena, Biblioteca Malatestiana, Ms. S-XXVI-6,

37

«. Il faut noter de plus que [...] avec ces deux [nombres] on peut faire correspondre à tout autre nombre ses

p. 83-126 ; pour l’énoncé de la proposition 20, voir p. 97. Firenze, Biblioteca nazionale. Pal. 573.

33

G . Arrighi, « N uovi contributi per la storia... », art. cit., p. 181.

f. I49r-268v : f. 240V.

M . Bartolozzi & R. Franci, « La teoria delle proporzioni... », art. cit., p. 15 : « M a perché noi alle schuole non

deux nombres proportionnels, l’un au-dessous du plus petit et l’autre au-dessus. Et comme c’est en multipliant

usiamo tali vocaboli, ma diciam ogli chon dimostrationi di tutti, chôm e dicendo 8 é a 12 gli 2/3, e 12 é a 8,

par un nombre rompu qu’on fait correspondre ces deux nombres proportionnels, nous devons mettre les deux

3/2, e 20 sono a 50 gli 2/5, e chonsimili parti ».

premiers sous forme de nombre rompu ».

112 I S cience

S cience | 113

Maryvonne S piesser

Règle

de trois , rapports et proportions

: les

calculs des marchands

Et combien que les nombres entiers n’ayent point de dénominateur, toutefois convenablement et pour bailler rigles plus generales en ce traicté des routz l’on peut donner a tous nombres entiers 1 pour dénominateur et par ainsi les nombres entiers seront denominez par i’”.

O n voit se superposer id les deux langages que nous connaissons encore aujourd’hui et qui, en s’appuyant sur ce dernier exemple, seraient, d’une part, « multiplier 12 par 7/4 », d’autre part, prendre les 7/4 (ou 1 et 3/4) de 12. Toute la difficulté, voire la confusion, réside dans le fait que, si a l b est affiché comme un nombre (rompu) - mais qu’est-ce réellement qu’un nombre pour ces

Toutefois, il est clair qu’ils sont d’une catégorie inférieure à celle des entiers. En témoignent ces

auteurs ? - il exprime surtout le fait que l’on prend a fois la

deux affirmations, qui sont le reflet d’une opinion répandue :

partie du nombre connu.

Dans un contexte différent de remarques d’ordre pédagogique, toujours dans le Compendy

L a n d'arismeticque, Paris, BnF, ms fr. 2050, vers 1460, f 39r :

de la praticque des nombres, Barthélemy de Romans attire l’attention sur les multiples manières

Nombre rout est un nombre qui n’est ne parfait ne entier de lui mesmes mais prent sa denominassion d’un aultre nombre.

de formuler un même problème mathématique. Il donne en illustration plusieurs exercices pour lesquels il use de toutes les énonciations qu’il juge équivalentes, faisant un parallèle entre langage des proportions et langage opératoire sur les nombres (f 172V-175V) : Item partiz 10 en troys parties que la premiere soit a la seconde en la proportion qui est de 1 a 2 et la seconde soit a la tierce en la proportion qui est de 2 a 3. Item, partiz 10 en troys parties, que la premiere soit a la seconde comme 1 a 2 et iterum la premiere soit a la tierce comme 133. Item, partiz 10 en troys parties, que la premiere soit 2/3 de la seconde et iterum la premiere soit 2/5 de la tierce.

Arithmeticque, Médiathèque de Nantes, ms 456,1488, f 29r : Et est diet et nommé ce numbre rout pour ce qu’il n’a perfection ne raison de nombre entier.

Vers une numérisation des rapports Ì

L’idée de partie est à la racine de la détermination d’un rapport et de la définition d’un nombre rompu. Un rapport est tributaire d’un quotient - d’un terme du rapport par l’autre - au sens où

Dans le premier énoncé, 10 est partagé en trois parties x, y, et z et « x est à y » dans le rapport de 1

le second permet de définir le genre du premier. Il est donc naturel que tous les exemples qui ont

à 2, «y est k z» dans le rapport de 2 à 3. Le deuxième énoncé est exprimé en termes de proportion,

été pris ici et là montrent la fluctuation de la notion de rapport entre la définition grecque, qui

dans un langage euclidien : x est à y comme 1 est à 2 et x est à z comme 1 est à 3. Enfin le troisième

n’est pas « utilisable », et la quantification en termes de nombres, rompus le plus souvent et obte­

exemple introduit les nombres rompus : x est 2/3 d ey et x est 2/5 de z. Il est intéressant de noter

nus par division. Mais jusqu’à quel point ces relations étroites rapprochent-elles les deux notions ?

que Barthélemy de Romans, dans le même passage, parlera, non des nombres rompus, mais des

Va-t-on vers une assimilation du rapport à la valeur numérique qui l’accompagne, dans un milieu

« rapports {proporcions) par lesquels il faut multiplier ».

mathématique où le calcul est premier? Il semble bien que oui; mais les traités d’arithmétique commerciale n’étant pas le lieu où définir et analyser des concepts, tout reste dans le non-dit. Les deux exemples qui suivent montrent la difficulté à cerner univoquement le sens de

Digression sur le « nombre rompu »

Comme le montrent les exemples précédents, la dénomination d’un rapport engage le plus souvent

l’écriture - et de l’objet - alb.

un nombre rompu. L’idée de rompu est intimement liée à un partage en parties, signifié par le

Quelles parties 6 deniers sont-ils d’un sou ? Tu sais qu’un sou c’est 12 deniers, donc tu te demandes : quelles parties de 12 deniers sont 6 deniers? C ’est 6/12, qui sont 1/2. Et je dirai que 6 deniers sont 1/2 sou"^°.

dénominateur, qui dit en combien de parties est divisé(e) le nombre (ou la grandeur) ou l’unité, le numérateur indiquant combien on prend de ces parties. C ’est le sens de la définition qui suit : Nombre roupt est une partie ou plusieurs de 1 entier et doit l’on savoir que en tout nombre roupt a deux nombres le ung dessus et l’autre dessoubz et une ligne entre deux’*.

6/12, c’est 6 parties de 12, c’est aussi 1/2 ; mais dans 1/2 sou, on voit également une sous-unité du sou. Le second exemple, de la même veine, se trouve dans le troisième chapitre du Tractato d ’abbacho de Benedetto da Firenze « où l’on montre comment trouver le rapport entre deux quantités connues ».

Pour Chuquet, ils forment une véritable catégorie de nombres englobant les entiers car ces der­

Le terme « rapport » n’est pas défini, il faut attendre le chapitre 5 sur la règle de trois pour rencontrer

niers - les seuls qui aient le statut de nombre dans la mathématique grecque - sont des nombres

la définition usuelle, en même temps que celle de proportionnalité. Le chapitre 3 est une succession

rompus particuliers :

d’exemples comme celui-ci'*' :

38

39

Triparty en la science des nombres. ... op. cit., f lor.

40

Firenze, Biblioteca nazionale. Pal. 573, f. lyv, cité dans M . Bartolozzi & R. Franci, « La teoria delle proporzio­ n i... », art. cit., p. 15 : « [...] diamo exenplo al numero ; di 6 denari che parte sono di soldi ? Tu sai che un soldo

« Un nombre rompu est une ou plusieurs parties d’un entier et on doit savoir que, en tout nombre rompu, il y

sono 12 denari, adunque t’é dimandato 6 denari che parte sono di 12 denari, che sono 6/12, che sono 1/2. E

a deux nombres, l’un au-dessus et l’autre au-dessous et une ligne entre les deux ». En tant que résultat, on peut assimiler un nombre rompu à nos fractions inférieures à un, sachant qu’un résultat fractionnaire plus grand que 1 est en général transformé : par exemple, 16/5 sera écrit 3 + 1/5.

114 I Science

dirai 6 denari sono 1/2 soldi ».

41

P. M . Calandri, ‘Tractato d ’abbacho’. .., op. cit., p. 49 : « 7 d. 1/2 che parte é di s.? Dovemo anchora in questa sapere 7 d. 1/2 che parte sono di 12 d., dove partirai 7 1/2 in iz, viene 5/8. Et cosi diremo che 7 d. 1/2 siano 5/8 di s. ».

Science 1 115

Règle

Maryvonne S piesser

yd. i/i, quelle partie est-ce d’un sou? Nous devons encore savoir dans cette [question] quelle partie yd. 1/2 sont de 12d. ; je diviserai donc y 1/2 par i2, il vient 5/8. Et ainsi dirons-nous que yd. 1/2 sont 5/8 de sou.

de trois , rapports et proportions

: les

calculs des marchands

différentes manières de « dire » la règle, donne quelques exemples et explique ensuite (f. 57V) que « la puissance de la dite règle de 3 provient de la proportionnalité des quantités entre elles, quelles soient continues ou discrètes, c’est-à-dire, qu’elles soient nombre ou mesure », Il s’étend alors sur

Partant de la question unique : connaissant trois nombres a, b, c, trouver d tel que le rapport d t c ï d

les proportions, avec force renvois à Euclide, et fait remarquer^"^ :

est celui deasib, la réponse peut prendre plusieurs formes : deux impliquent le nombre rompu, soit

Ces choses notées et comprises, le fondement de la règle de 3 s’appréhendera facilement dans les pro­ blèmes du commerce, dans lesquels nous avons dit qu’étaient toujours en cause quatre nombres proportionnels, [.,.], dont 3 sont toujours connus du calculateur et par l’intermédiaire desquels on

sous la forme opératoire de multiplication par une fraction, soit sous la forme « prendre les de c »; les autres engagent soit la règle de trois, soit les proportions. Dans les arithmétiques pratiques,

trouve le quatrième qui est ignoré. [...].

c’est la règle de trois qui est la formulation privilégiée, dont le fonctionnement est, ou non, justifié par la notion savante sous-jacente de proportion. C ’est ce que nous allons développer maintenant.

Benedetto procède en sens inverse dans le cinquième chapitre du Tractato ddbbacho, dédié à la « règle de 3 choses »'^L II définit rapport et proportionnalité, qu’il illustre par quelques exemples

Proportionnalité et règle de trois : les explications sur le fondement de la règle de trois

en nombres entiers. Puis il ajoute des unités aux nombres et pose enfin le cas où l’une des quantités est inconnue. Il arrive ainsi à la règle de trois choses qu’il énonce (« comme le disent certains ») en distinguant les termes semblables et non semblables. Plusieurs exemples concrets suivent et ce n’est qu’à la fin que les énoncés du type « si tant vaut tant, que vaut tant » apparaissent.

Revenons à la Speculative des nombres, écrite, rappelons-le, dans le but d’expliquer le fonctionne­ ment de la règle de trois par l’égalité de deux rapports : Et ainsi que pour avoir celles deux proporcions semblables fait mestier avoir 4 nombres desquelz tant seulement le quart est esconduyt, lequel nombre esconduyt se peust et se treuve par la rigle de troys'^^

Chuquet relie proportion et règle de trois dès l’énoncé de cette dernière dans le chapitre intitulé « De la rigle de troys et de sa nature et condicions »^^. Ses explications regroupent quasi exhaustivement toutes les nuances que nous avons pu rencontrer sur les nombres rompus et les liens avec les rapports et les proportions. Lorsqu’il énonce la règle de trois, Chuquet a défini les rapports de nombres, traité des suites de nombres proportionnels (f. 25V). Il énonce d’abord la

Dans ce cadre, l’auteur écrit une « note pour avoir clere notion des raisons de la rigle de troys ».

règle de trois en renvoyant aux nombres proportionnels ;

Bien entendu, cette « claire notion » est fondée sur la proportionnalité. Trois nombres étant don­

b} L’un ou l’autre de ces problèmes relève, dans la pratique, de la règle de trois. La justification

La rigle de troys est ainsi appellee pource quelle requiert tousjours troys nombres desquels les deux premiers sont tousjours constituez en certaine proporción et en telle proporción que sont establiz ceste rigle sert pour trouver au tiers nombre son quart a luy proporcioné ainsi que est le second au premier.. [...] Et sont tousjours le premier et le tiers semblans et d’une condición et le second et le quart entre eux deux sont semblans et d’une nature et dissemblans et contraires

mathématique savante est que « l’on doit regarder quelle proporción est entre les deux premiers

aux aultres deux.

nés, notons-les a, b, c, nous trouverons « le quart nombre » « par deux proportions » : si nous supposons que a donne b, que donne alors c? Et si nous supposons que a donne c, que donnera

nombres, et selon celle proporción, que l’on donne au tiers son nombre proporcional ». Ce sont

Puisqu’il y a quatre nombres proportionnels, les propriétés euclidiennes des proportions font

ces calculs qui sont cachés sous la règle de trois :

office de preuve, au même titre que les vérifications opératoires par division :

Note que est la rigle de troys. Et par ce que dy apparoist que la rigle de troys n’est aultre chose sinon que par deux nombres posez donner a tout aultre nombre tiers son nombre proporcional pour le mettre en semblable proporción de celle en quoy ilz sont. Et que faisant icelle en constitue deux aultres semblables et dissemblables aux premiers. Et ces deux aultres sont entre le premier et le tiers, et le second et le quart, comme est dy dessus.

Et qui multiplie le premier par le quart et le second par le tiers les deux multiplicacions sont égalés. Aussi qui partyt l’ung semblant par l’autre et l’ung dissemblant par l’aultre, les deux quociens sont egaulx.

Parler le langage des proportions (le produit des termes extrêmes est égal à celui des moyens) ou dire l’égalité de deux quotients : voilà encore relié le domaine des rapports à celui du nombre

Le chapitre sur la règle de trois, dans la Summa de Luca Pacioli, porte le titre : « De la règle des

rompu via l’égalité des quotients ; la suite le confirme.

trois choses au moyen de laquelle on résout toutes les questions mercantiles »'‘^ Pacioli énonce

4^

« Et ainsi, pour avoir ces deux rapports semblables, il faut avoir 4 nombres dont le quatrième seulement est

44

caché, lequel nombre caché peut se trouver par la règle de trois » (f. 286r-28yr). Le passage et celui qui suit sont

le ragioni traficanti. In le quali dicemo sempre concorarci quatro numeri proportionali [...] . D e li quali le 3

extraits du texte i reproduit en annexe.

43

Luca Pacioli, Summa de arithmetica geometria proportioni etproportionalita, Venise, Paganino de Paganini, 1494, f. 5yr ; « D e régula trium rerum qua median te omnes mercatorie questiones soluuntur ».

116 I S cience

Ibid., f. 58r : « Le quali cose notate e intese facilmente se aprehenderá lo fondamento de la ditta regola del 3 ne sempre al ragionieri sonno noti e mediante quelli retrova el quarto ignoto ».

45

P. M . Calandri, MK pcrfc(fm t 4

5iM> M K m ^ c ÿ im ê

Virgin in Early Seicento Rome », The A rt Bulletin, LXX VII, 1996, p. 218-235 î ^nd Sara Elizabeth Booth & Albert van der Helden, « T h e Virgin and the Telescope ; T he M oons o f C igoli and Galileo », Science in Context, XIII, 2000, p. 463-486.

10 ^MK|yrfc\iszxà, Johannes de Tinemue’s redaction..., op. cit., p. 13. 12

Devo un ringraziamento a Vasco Zara per i chiarimenti terminologici di teoria della musica e per i riferimenti bibliografici : Claude V. Palisca, « Theory, theorists », §3-5, Stanley Sadie (ed.), The New Grove Dictionary o f Music

13

Devo un ringraziamento particolare a Sabine Rommevaux, le cui osservazioni mi hanno consentito di esporre meglio i concetti di matematica medievale in questa parte del saggio. Il lettore veda a questo proposito S. Rom ­

and Musicians, 21 vols, London, Macmillan, 2001, XXV, p. 359-385 : 360-367 ; Brenno Boccadoro, Ethos e varietas.

mevaux, « Aperçu sur la notion de dénomination d’un rapport numérique au M oyen Âge et à la Renaissance »,

Trasformazione qualitativa e metaboU nella teoria armonica dell’antichità greca, Firenze, Olschki, 2002.

Methodos, I, 2001, p. 223-243 ; e Id., Clavius : une clé pour Euclide au x v f siècle, Paris, Vrin, 2005.

284 I P einture & architecture

P einture & architecture ] 285

La

Pietro Roccase cca

Pìsanello : la prospettiva continuata e ordinata

prospettiva lineare nel

Q uattrocento

Il pavimento presenta cinque file orizzontali di dieci mattonelle quadrangolari, una fila per ognu­ na delle figure. L’autore ha fissato il rapporto di 3 a 10 tra figura e fila di mattonelle : ogni fila è

Del disegno attribuito a Pisanello (fig. 4), databile agli anni trenta del X V secolo, che raffigura

formata sempre da dieci mattonelle e l’altezza della figura equivale sempre a tre delle mattonelle

cinque personaggi in una galleria in scorcio, ho potuto eseguire direttamente sull’originale le

della fila relativa. Egli sembra voler evidenziare tale misura posizionando le figure sempre a tre

misurazioni delle parti del disegno e in particolare degli intervalli tra le linee orizzontali che de­

mattonelle di distanza dal centro del pavimento. I termini di ciascuna serie - altezze dei perso­

limitano le mattonelle''^.

naggi e ampiezza del pavimento - sono in proporzione secondo un rapporto identico. L’altezza del primo personaggio sta a quella del secondo come l’ampiezza della prima fila di mattonelle sta alla seconda. Si dunque tratta di una ordinata proportio. Gli intervalli tra le linee orizzontali che delimitano le file di mattonelle suddividono lo spa­ zio del pavimento secondo un ritmo preciso. Espressa in millimetri, la sequenza delle quantità risponde all’ordine : 9, 6, 6, 4, 4. Si può agevolmente constatare che le grandezze diminuiscono di una loro terza parte, secondo il rapporto denominato « sesquiáltero » da Boezio. Ovviamente, che le misure 9, 6, 4, da me individuate, siano identiche a quelle citate da Johannes de Tinemue come esempio del rapporto sesquiáltero, è puramente casuale. Pisanello non usò il millimetro come unità di misura, ma stabilì comunque rapporti precisi tra le grandezze, che rimangono intatti anche dopo misurazioni effettuate con strumenti moderni. Resta da capire perché le quantità della seconda e della quarta interlinea si ripetano. La pri­ ma ipotesi è che il pittore cerchi di ampliare la profondità del pavimento ripetendo le quantità diminuite. La seconda ipotesi, che non esclude la prima, è che, essendo il disegno dimostrativo del metodo, l’autore abbia ribadito le quantità per sottolineare la proporzionalità continua. La sequenza potrebbe infatti leggersi 9 : 6 = 6 : 4, e in tal modo essa corrisponderebbe esattamente alla proporzione proposta nel commento di Campano da Novara alla Definizione V del Libro V degli Elementa : A : B = B : C. Osserviamo il disegno : le linee convergenti del pavimento si arrestano circa 9 millimetri oltre F ig . 4

l’ultima fila di mattonelle, senza arrivare fino al punto. Questo modo di trattare le linee conver­ genti, da una parte è possibile perché il metodo di riduzione di Pisanello ricerca la proporzione

Pisanello, Cinq hommes debout dans une

delle sole grandezze necessarie a disegnare il pavimento (una volta scelto il rapporto non è ne­

architecture voûtée en perspective.

cessario congiungere le linee con quel punto, ma basta trovare le sole diminuzioni che servono) ;

Musée du Louvre, Département des arts graphiques IN V 2520, R°. Foto dell’autore.

dall’altra tale modo di operare è coerente con il concetto della teoria della visione discusso sopra, secondo cui la visione certifica solo le distanze che non eccedono la mediocrità, mentre le altre sono riconosciute ma non misurate. Pisanello per quantificare la diminuzione delle grandezze apparenti scelse il metodo della pro­ porzionalità continua in modo consapevole, preferendolo, di fatto, ad un altro metodo, che nel disegno viene dimostrato ma non usato per descrivere io scorcio del pavimento.

14

II disegno è conservato presso il Département des Arts Graphiques del Louvre con la collocazione IN V 2520.

Torniamo ancora una volta al disegno. Il pittore ha segnato tre punti alla stessa altezza : uno

Vedi Samuel Y. Edgerton, che tratta del disegno di Pisanello due volte : « Alberti’s Perspective : A N ew D isco­

su ciascuno dei due montanti e uno sulla linea perpendicolare mediana che attraversa il disegno

very and a N ew Evaluation », The A rt Bullettin, XLVIII, 1966, p. 367-378 e poi in The Renaissance Rediscovery o f Linear Perspective, New York, Basic Books, 1975 ; cf. anche Bernhard Degenhart che lo analizza nel Corpus der Italienischen Zeichnungen, 1^00-14^0, II, 5, Berlin, Gebr. M ann Verlag 1990; e Pietro Roccasecca, « Pisanello,

(le linee del pavimento convergono verso quest’ultimo punto, senza però raggiungerlo). I tre punti sono alti quasi quanto i personaggi ralìfìgurati e la linea che li congiungesse passerebbe tra la fron­

Alberti and “Costruzione Legittima” », Actes du congrès international Perspective on perspective. Scientific Sym po­

te e gli occhi dei personaggi. Lungo la linea perpendicolare mediana sono evidenti dei trattini

sium, Mucsarnok Kunsthalle Budapest, 1-3 juillet 1999, Budapest, Mucsarnok, 2000, p. 67-83.

obliqui. Da una verifica con riga e squadra direttamente sull’originale, è chiaro che essi sono stati

286 I P einture & architecture

P einture & architecture 1287

La

P ietro R occasecca

prospettiva lineare nel

Q uattrocento

segnati congiungendo il punto alto quanto la figura umana, preso sul montante di sinistra e le

angoli sulle estremità delle quantità e il terzo opposto alla base dentro l’occhio. I raggi « estrinse­

partizioni della linea di terra poste a destra della linea mediana. Si tratta di un modo geometrico

ci », serrandosi l’un l’altro, formano una piramide la cui base è la superficie che si vede, e la cui

per individuare la diminuzione delle distanze tra le parallele del pavimento, di cui di seguito si

cuspide sta dentro l’occhio.

darà conto dettagliatamente. Per ora basti osservare che Pisanello dimostra di conoscerlo bene,

In seguito, al fine di spiegare al lettore cosa sia « l’intersegazione della pirramide visiva »,

perché segue una procedura chiara e funzionale, ma che lo tralascia manifestando la sua preferen­

Alberti fa riferimento al teorema sulla proporzionalità dei triangoli illustrato nella seconda propo­

za per il metodo che riduce le grandezze per mezzo della proporzionalità continua.

sizione del VI libro degli ElementP^. Il piano che interseca il triangolo visivo, essendo parallelo alla cosa veduta, che ne è la base, lo divide in due triangoli proporzionali. Alberti spiega cosa intenda

Leon Battista Alberti ; il vedere si fa triangolo

per proporzionale istituendo una similitudine tra gli uomini in generale, le cui parti hanno un rapporto interno che rende simile ogni uomo a ciascun altro. Così, per gli uomini come per i

Un metodo simile a quello tralasciato da Pisanello si trova illustrato nel De pictura di Leon Bat­

triangoli, si trova una misura « per la quale il minore al maggiore sia, eccetto che nella grandezza,

tista Alberti che, scritto nel 1435, è il primo testo a trattare delle procedure grafiche per la rappre­

equale »'^. L’obiettivo è dimostrare che se l’intersecazione è « equidistante », cioè parallela, al pia­

sentazione visiva dello spazio e a proporre una teoria moderna della rappresentazione visiva'^

no alla base della piramide radiosa, le forme nell’intersecazione e nella base della piramide sono

Per Alberti la pittura è « intersegazione della pirramide visiva, sicondo data distanza, posto

proporzionali e quindi corrispondono. Stabilita la forma geometrica del piano pittorico (un quadrangolo regolare) Alberti determi­

il centro e constituid i lumi, in una certa superficie con linee e colori artificiose representata » (Libro 1, 12).

na quale sia l’altezza dell’uomo che vuole dipingere. La prende come termine noto e poi la divide

La « piramide visiva » è il modello teorico del funzionamento della vista descritto da Euclide

in tre parti e con una di queste segna la linea di base del quadrangolo. L’operazione grafica ha delle

nelle Premesse sXXOttica : « la figura dei raggi visuali sia un cono avente il vertice nell’occhio e la

implicazioni matematiche interessanti, poiché essendo la base del quadrangolo e l’altezza dell’uomo

base sui contorni della cosa veduta » (Premesse II).

da dipingere misurate dalla stessa « parte », sono messe in rapporto da essa. Il termine « parte »

L’umanista della curia papale adotta la definizione euclidea, aggiornandola però alle più mo­ derne teorie ottiche di Alhacen : La pirramide sarà figura d’uno corpo dalla cui base tutte le linee diritte tirate su terminano ad uno solo punto. La basa di questa pirramide sarà una superficie che si vede. I lati della pirramide sono quelli razzi i quali io chiamai estrinsici. La cuspide, cioè la punta della pirramide, sta drento all’occhio quivi dov’è l’angulo delle quantità (Lib. I, 7).

che Alberti usa - « divido la lunghezza di questo uomo in tre parti [...] segno la linea di sotto qual giace nel quadrangolo in tante parti quanto ne riceva » (corsivi miei) - è un termine fondamentale della teoria della proporzionalità degli Elementi di Euclide. Si confrontino le prime due Definizioni del libro V dalla redazione di Campano da Novara di cui Alberti, come è noto, possedeva una copia : I. Pars est quantitas quantitatis minor maioris, cum minor maiorem numerar IL Multiplex est maior minoris, quando eam minor metituE°.

Se infatti, nella piramide visiva euclidea, i raggi visivi vanno alla cosa veduta e la “conoscono” mediante un’attività simile al tatto, per Alberti invece, le linee sono tirate “dalla base” e terminano « in un solo punto », dimostrando così di aderire alla teoria di Alhacen, per la quale la visione avviene attraverso dei raggi che escono da ogni punto della forma delle cose vedute e, come scrive

18

lo stesso umanista, portano « la forma delle cose vedute al senso

si pruova che, se una dritta linea taglia due lati d’uno triangolo, e sia questa linea, qualora fa triangolo, equi­

Alberti applica alla rappresentazione visiva il modello geometrico della visione della fisica

distante alla linea del primo e maggiore triangolo, certo sarà questo minore triangolo a quel maggiore propor­ zionale. Tanto dicono i matematici ».

ottica. Cita quasi alla lettera John Peckham'^, quando scrive « al vedere si fa triangolo » (Lib. I, 6), precisando che i raggi che portano la forma delle cose al senso che vede funzionano come un

L. B. Alberti, Opere volgari..., op. cit.. Ili, D e Pictura, Lib. I, 13 : « E a quelle cose quali dicemmo de’ razzi intrinsici, estrinsici e centrici, e a quelle dicemmo della pirammide, aggiugni la sentenza de’ matematici, onde

19

Ibid., Lib. 1, 14 : « Diconsi proporzionali quelli triangoli quali con suo lati e angoli abbiano fra sé una ragione [...]. E per meglio intendere questo, useremo una similitudine. Vedi uno picciolo uomo certo proporzionale ad

compasso, che misura le quantità delle superfici vedute formando dei triangoli, composti da due

uno grande ; imperò che medesima proporzione, dal palmo al passo e dal piè all’altre sue parti del corpo [...]. Simile truovi ne’ triangoli misura, per la quale il minore al maggiore sia, eccetto che nella grandezza, equale. E se qui bene sono inteso, istatuirò coi matematici quanto a noi s’apertenga, che ogni intercesione di qual sia

15 16

Le citazioni dal D e pictura saranno sempre tratte da Cecil Grayson : D e Pictura, in Leon Battista Alberti, Opere

triangolo, pure che sia equidistante dalla base, fa nuovo triangolo proporzionale a quello maggiore. E quelle

volgari, Bari, Laterza, 1973, III, p. 7-107.

cose quali fra sé sieno proporzionali, in queste ciascune parti corrispondono ; ma dove siene diverse e poco

17

corrispondano le parti, questi sono certo non proporzionali ».

Questa breve frase nel paragrafo 5 del libro I, dimostra che Alberti era al corrente della teoria della visione di Alhacen, poiché la piramide visiva di Euclide è fatta di ra^ i che dall’occhio vanno alla cosa veduta. Non è questa la sede per

2.0

Le prime due D efinizioni del V libro nell’edizione moderna degli Elementi in lingua italiana [Gli Elementi

chiarire se fosse una conoscenza diretta del testo del filosofo arabo, o mediata da uno dei suoi commentatori.

di Euclide, a cura di Attilio Frajese, Lamberto M accioni, Torino, Unione tipografico-editrice torinese, 1970)

J. Peckham, Perspectiva Communis..., op. cit., part I, prop. 38 (41), p. 120.

recitano : « I. Una grandezza è parte di una grandezza, la minore di quella maggiore, quando essa misuri la

2 8 8 I P e INTURE & ARCHITECTURE

P e INTURE & ARCHITECTURE | 2 8 9

Pietro Roccase cca

La

prospettiva lineare nel

Q

uattrocento

La prima fase della procedura albertiana consiste dunque in un’operazione matematica che appli­

Alberti continua la descrizione della procedura segnando il centro, che non corrisponde ne­

ca le prime due Definizioni del V libro degli Elementa, al fine di accordare due grandezze dello

cessariamente al luogo geometrico del quadrangolo da dipingere, quanto al centro della base della

stesso genere : la « larghezza » della base del quadrangolo e « l’altezza » dell’uomo da dipingere,

piramide, ovvero al punto da cui parte il raggio che entra nel centro dell’occhio. L’altezza di tale

ad una stessa « parte » o unità di misura, rendendole multiple della stessa « parte », « quantità » o

punto è equivalente all’altezza dell’occhio dell’uomo da dipingere e dell’occhio dell’osservatore.

« grandezza », che dir si voglia.

Si stabilisce così una relazione tra le altezze dell’osservatore e delle figure umane dipinte, come se

Questa fase del metodo albertiano definisce un rapporto tra la base del quadrangolo e l’altez­

poggiassero i piedi sullo stesso piano^'*. Come un operatore che guardasse con lo strumento per la

za dell’uomo, che si mantiene costante in tutto il piano del pavimento, l’altezza dell’uomo dipinto

misurazione con la sola vista descritto da Grazia de’ Castellani, l’osservatore del quadro guarda la

è sempre pari alla larghezza di tre delle mattonelle sui cui poggia i suoi piedi^’. Come nel disegno

scena dipinta poggiando i piedi sullo stesso piano di terra dell’oggetto osservato.

di Pisanello, viene adottata una proporzione ordinata : le altezze degli uomini dipinti stanno tra loro come le relative ampiezze del piano del pavimento.

Alberti prosegue l’intersezione della piramide visiva tracciando, dal punto centrico, le linee congiungenti le suddivisioni della linea di base al « centro ». In questo il suo metodo si distingue

La terza « parte » dell’uomo dipinto diviene così unità di misura di tutta la composizione

in modo decisivo da quello di Pisanello^L Forse, non a caso, prima di illustrare il proprio metodo

e poiché l’altezza media dell’uomo secondo Alberti corrisponderebbe a tre braccia"^^, la costruzione

per trovare la diminuzione delle grandezze apparenti, che egli chiama « modo ottimo », Alberti

spaziale albertiana è quantificabile in unità di misura reali, come avviene nelle misurazioni con

ne discute un altro ;

la sola vista di distanze e corpi inaccessibili. È utile indicare, sia pure di passaggio, la corrispon­

Qui sarebbono alcuni i quali segnerebbono una linea a traverso equedistante dalla linea che giace nel quadrangolo, e quella distanza, quale ora fusse tra queste due linee, dividerebbono in tre parti; e presone le due, a tanta distanza sopracignerebbono un’altra linea, e così a questa agiugnerebbono un’altra e poi un’altra, sempre così misurando che quello spazio diviso in tre, qual fusse tra la prima e la seconda, sempre una parte avanzi lo spazio che sia fra la seconda e la terza ; e così seguendo fa­ rebbe che sempre sarebbono li spazi superbipartienti, come dicono i matematici, ad i suoi seguenti. Questi forse così farebbono, quali bene che seguissero a loro ditto buona via da dipignere, pure dico errerebbono ; però che ponendo la prima linea a caso, benché l’altre seguano a ragione, non però sanno ove sia certo luogo alla cuspide della pirramide visiva, onde loro succedono errori alla pittura non piccioli. Aggiugni a questo quanto la loro ragione sia viziosa, ove il punto centrico sia più alto o più basso che la lunghezza del dipinto uomo. E sappi che cosa niuna dipinta mai parrà pari alle vere, dove non sia certa distanza a vederle. {Depictura, lib. 1, 19)

denza che si può istituire tra questa parte del metodo albertiano e la tecnica di misurazione a distanza, mediante la sola vista, illustrata da Grazia de’ Castellani, teologo e matematico attivo a Firenze nei primi decenni del X V secolo. Il matematico descrive uno strumento per misurare le distanze, consistente in tre pertiche, una di base e due perpendicolari. Quest’ultime « di lunghezza di tre braccia, cioè alla statura di un uomo », servono da traguardi e a tal scopo reca­ no un foro per l’occhio. La pertica di base, di dimensioni variabili, è divisa mediante le stesse « parti » che misurano le due perpendicolari^^

maggiore. IL La grandezza m ^ gio re è multipla di quella minore, quando sia misurata dalla minore ». Per non perdere l’enfasi sul concetto di « parte » come « quantità che misura delle quantità » che si rileva nella tradizione

Il metodo di riduzione delle grandezze apparenti, appena biasimato da Alberti, corrisponde in modo

latina - dove nella versione italiana è evidenziato invece il concetto di grandezza - mi permetto qui di seguito

flagrante con quello scelto da Pisanello : le grandezze diminuiscono in modo costante di una terza

di proporre una traduzione più letterale delle due definizioni a partire dalla redazione di Cam pano : « I. La

parte della grandezza da diminuire. Il termine « superbipartiente » (appartenente alla nomenclatura

parte è una quantità, la minore della maggiore quando essa misuri la maggiore. IL II maggiore è multiplo del

dei rapporti numerici di Boezio ricordata in precedenza), è usato dall’umanista in modo improprio :

minore, quando il minore lo misuri ». Si confronti : « Pars est quantitas » con « una grandezza è parte di una grandezza ». Forse anche per questo il senso delle operazioni di Alberti di dividere in parti la figura da dipingere e con esse misurare figure e composizione ha perso, ai nostri occhi, il suo significato matematico. A questo

la denominazione corretta del rapporto 3 : 2 è sesquiáltero, ovvero lo stesso rapporto adoperato da Pisanello per qualificare la riduzione delle grandezze del pavimento disegnato. Si osservi anche come Alberti ritenga il metodo delle « superbipartienti » errato solo perché

proposito si veda più avanti la nota 29. L. B. Alberti, Opere volgari..., op. cit.. Ili, D e Pictura, Lib. I, 18 : « Principio, dove io debbo dipingere scrivo uno quadrangolo di retti angoli quanto grande io voglio, el quale reputo essere una finestra aperta per donde io miri quello che quivi sarà dipinto ; e quivi ditermino quanto mi piaccino nella mia pittura uomini grandi ; e

esso prevede che la prima quantità sia scelta a caso e non in relazione alla distanza di osservazione : le quantità diminuite, infatti, ammette l’umanista, « seguono » a ragione.

divido la lunghezza di questo uomo in tre parti, quali a me ciascuna sia proporzionale a quella misura si chiama braccio, però che commisurando uno comune uomo si vede essere quasi braccia tre ; e con queste braccia segno la linea di sotto qual giace nel quadrangolo in tante parti quanto ne riceva ; ed èmmi questa linea medesima

i4

occupi quello luogo dove il razzo centrico ferisce, e per questo il chiamo punto centrico. Sarà bene posto questo

Si tratta di un’antica unità di misura, che sotto lo stesso nome aveva dimensioni leggermente diverse da luogo

punto alto dalla linea che sotto giace nel quadrangolo non più che sia l’altezza dell’uomo quale ivi io abbia a dipignere, però che così e chi vede e le dipinte cose vedute paiono medesimo in suo uno piano ».

a luogo, il braccio fiorentino, ad esempio, misurava circa 58 centimetri. 23

L. B. Alberti, Opere volgari..., op. cit.. Ili, D e Pictura, Lib. I, 19 « dove a me paia fermo uno punto il quale

proporzionale a quella ultima quantità quale prima mi si traversò inanzi ».

Cfr. G ino Arrighi, « Un estratto del D e visu di M ° Grazia de’ Castellani (dal codice O ttoboniano Latino 3307

^5

Id. : « Adunque posto il punto centrico, come dissi, segno diritte linee da esso a ciascuna divisione posta nella

della Biblioteca Apostolica Vaticana) », in A tti della Fondazione Giorgio Ronchi e Contributi dell’Istituto Nazio­

linea del quadrangolo che giace, quali segnate linee a me dimostrino in che modo, quasi persino in infinito,

nale di Ottica, XXII, 1967, p. 44-58, in part. p. 47.

ciascuna traversa quantità segua alterandosi ».

290 I P eINTURE & ARCHITECTURE

PeINTURE & ARCHITECTURE | 29I

La

P ietro R occasecca

prospettiva lineare nel

Q uattrocento

Egli quindi non nega una validità matematica al metodo della proporzionalità continua,

Alla luce di quanto detto, dividere la linea della costruzione piccola « in simile parte in quale

lo contesta piuttosto perché esso non si fonda sul modello geometrico della teoria della visione.

divisi la linea che giace nel quadrangolo », significa dividerla nello stesso numero di parti della

Alberti afferma infatti che il metodo della riduzione aritmetica non corrisponde alla realtà della

linea della costruzione grande. Così facendo Alberti applica la teoria delle proporzioni numeriche

visione poiché non tiene conto né della posizione dell’occhio (« certo luogo della cuspide della

e stabilisce la similitudine dei rapporti tra le due linee di base e le rispettive parti ; per la Defini­

pirramide visiva »), nel quale convergono le linee dalle partizioni della linea di terra, né della

zione XXI del VII libro, infatti :

« certa » distanza d’osservazione (si noti en passant come il concetto di « certa distanza a vedere »

Similes sive una alii eadem dicuntur proportiones, quae eandem denominationem recipiunt. Maiore, vero qua maiorem. Minor autem, quam minorem (VII, XXI).

origini nel De aspectibus di Alhacen). Dopo aver ammonito il lettore che nessuna cosa dipinta sembrerà uguale alle vere se non si stabilisce la distanza d’osservazione, l’umanista introduce il suo « modo ottimo » premettendo

Se chiamiamo la linea di base della costruzione grande A e le parti che la dividono B, la base della

che esso e il « metodo delle superbipartienti » seguono lo stesso tipo di procedura preliminare. Si

costruzione piccola C e le parti che la dividono D (fig. 5), poiché B è contenuto in A altrettante

tratta di un passo tanto famoso quanto di controversa interpretazione :

volte che C in D il rapporto tra le linee intere e le loro parti si può descrivere con la proporzione

nelle quantità trasverse, come l’una seguiti l’altra cosi conosco. Prendo un picciolo spazio nel quale scrivo una diritta linea, e questa divido in simile parte in quale divisi la linea che giace nel quadran­ golo {De pictura, lib. I, 20).

A : B = C : D^L

Queste due frasi hanno reso controversa l’interpretazione della procedura albertiana, al punto che non vi è unanimità rispetto al significato della locuzione « simile parte » in cui si deve dividere la retta di base della costruzione da realizzare nel « piccolo spazio ». La più autorevole e accreditata

B

ipotesi del metodo albertiano prospettico descritto nel paragrafo 20 del De pictura è quella for­

B

B

B

B

B

D

D D D D D

mulata da Panofsky, e poi ripresa da Grayson, che interpreta « divido in simile parte » nel senso di « divido in parti della stessa grandezza F ig . 5

Tuttavia poiché lo spazio in cui si deve eseguire lo schema grafico è « un piccolo spazio » appare evidente che non vi possono entrare molte parti della stessa grandezza della costruzione da dipin­ gere, che è eseguita in uno spazio più grande; sicuramente non quante ne presentano i diagrammi approntati da Panofsky e da Grayson. Da parte mia, come già Janitschek alla sua epoca, da tempo

Terminata questa lunga digressione necessaria per chiarire il significato di un passo controverso,

sostengo che « simile parte » vada interpretato nel senso di « stesso numero di parti

proseguiamo la lettura del trattato.

Il concetto di « simile parte » è espresso nel Libro VII degli Elementa, nella versione del Cam ­

Scrive l’umanista :

pano. La Definizione XIV del VII libro recita : « Similes dicuntur partes, quae ab eodem numero

Poi pongo di sopra uno punto alto da questa linea quanto nel quadrangolo posi el punto centrico alto dalla linea che giace nel quadrangolo, e da questo punto tiro linee a ciascuna divisione segna­ ta in quella prima linea. Poi constituisco quanto io voglia distanza dall’occhio, e ivi segno, quanto dicono i matematici, una perpendiculare linea tagliando qualunque truovi linea. [...] Questa così perpendicolare linea dove dall’altra sarà tagliata, così mi darà la successione di tutte le trasverse quantità {Depictura, lib. I, par. 20)

denominantur » (VII, D e f XIV). Sono dette simili le parti che sono denominate dallo stesso numero. Cos’è la denominazione di una parte ? La definizione XIII dello stesso libro afferma : « Denominans est numerus secundum quem pars sumitur in suo toro » (VII, D e f XIII). Deno­ minante è il numero per il quale una parte entra nel suo tutto. Ne consegue che due grandezze qualunque, se divise nello stesso numero di parti, sono « divise in simile parte ».

Si noti, a conferma della validità dell’interpretazione di « simile parte » che, se le linee di base sono divise nello stesso numero di parti, le intersezioni sulla verticale di una costruzione « piccola » coincidono con quelle sulla verticale della costruzione « grande » (fig. 6).

26

Erwin Panofsky, La prospettiva come « forma simbolica », M ilano, Feltrinelli, 1961 ; C e d i Grayson, « Leon Battista Alberti, “costruzione legittima” », Italian Studies, XIX, 1964, p. 14-27. Hubert Janitschek, Leon Battista Alberti, Kleinere Kunsttheoretische Schrifien, W ien, Braumitller, 1877; ed infine il mio « Il modo optimo di Leon Battista Alberti », Studi di Storia dellArte, IV, 1993, p. 245-262, nel quale intuii graficamente il significato matematico della proposizione di Leon Battista Alberti. Ora, finalmente, grazie ai

28

S. Rommevaux, « La proportionnalité numérique dans le livre VII des Éléments de Campanus », Revue d ’histoire

contatti e agli scambi intercorsi in questo convegno posso dare il sostegno delle fonti matematiche a quella che

des mathématiques, V, 1999, p. 83-126 ; per il concetto di denominazione delle parti, vedi supra e note ii, 13 e

era un’interpretazione puramente logica.

20.

292 I Peinture & architecture

Peinture & architecture | 293

La

Pietro Roc ca se c ca

prospettiva lineare nel

Q

uattrocento

proporzioni numeriche, introducendo il concetto che la riduzione delle grandezze apparenti si trova mediante una proporzione che ha per termini la distanza tra l’occhio e il piano d’intersezio­ ne della piramide visiva e la distanza tra il detto piano e la cosa veduta^^. Dunque, ancora negli anni Settanta, quaranta anni dopo il De pictura, l’autorità del metodo della proporzionalità continua era forte al punto che Piero ritenne necessario avvertire « in premessa » che la proporzione appropriata per descrivere la riduzione delle grandezze apparenti non è una pro­ porzione contemplata nella tradizione medievale degli Elementi di Euclide, ma è una proporzione basata sulla geometria della piramide visiva, che Piero denomina « proporzione degradata »^°. Per insine a qui o decto de la proportione de le linee et de le superficie non degradate, et cornino le diagonali devidano le superficie quadrilatere in do parti equali, et mete le divisioni facte in esse super­ ficie da linee equidistanti sono in proportione. Et fiora, perefiè voglio dire de le linee et superficie degradate, è necesario essa proportione dimostrare, perefiè quando dico « proportionalmente » efie è proportione intendo, perefiè le proportioni sono inumerabili ; et questa non è dupla commo è .2. et .4. et .8., et non è sexquialtera commo .4. .6. .9., nè sexquitertia, commo .9. .12. .16., nè tripla, nè quadrupla, ma dico essere « proportione degradata », non commo .4. .8. .12. .15., nè commo .6. .9. .11. .12., ma è secondo la distantia da l’ocfiio al termine dove se mecte le cose degradate et la distantia dal termine a la cosa veduta {Deprospectìvapingendi, Lib. I, XI)^‘.

F ig . 6

Il Depictura non ci dice come trasferire nel quadrangolo da dipingere le intersezioni sulla perpen­ dicolare. Tuttavia possiamo ipotizzare che con l’ausilio di una riga, magari la stessa usata per trac­ ciare la perpendicolare, si possano riportare le intersezioni e individuare nel piano del pavimento

La digressione prosegue per dimostrare che le proporzioni numeriche hanno validità matematica

quello che Alberti chiama « trasverse quantità », « paraleli » e « braccia quadrate ».

solo per casi determinati :

I metodi di Pisanello e di Alberti sono in parte simili e in parte diversi. Si può ben dire, per

Cioè COSI : sono quattro linee equidistante, et l’una da l’altra è uno braccio, et sono lunghe uno braccio et sono infra do linee paralelle, et da la prima linea che è termine all’ochio è quatro braccia; dico la seconda alla prima essere sexquiquarta, et la terza a la seconde nel termine è sexquiquinta, et la quarta a la terza nel termine è sexquisesta. Perché meglio me intenda, egli è proportione in que­ ste quattro linee commo è da questi quattro numeri, cioè .105. .84. .70. .60. ; ma se mutaremo la distanzia dall’occhio al termine, se mutarà la proportione [...] et siranno siccommo questi quatro numeri .84. .72. .63. .56. che non sono in quella proportione de’ primi, perché non è la distantia con l’ochio del primo termine in quella proportione che è la distantia co’ la cosa del secondo termine. Dunqua mutando termine se muta proportione {De prospectiva pingendi, Lib. I, XI).

quanto riguarda la proporzione ordinata, che essi siano identici. I due metodi differiscono quanto al modo di stabilire la proporzionalità continua che regola la diminuzione delle grandezze intergiacenti, ne è indice il fatto che Pisanello interrompe le linee di profondità del pavimento mentre Alberti, invece, le tira fino al punto dell’occhio, che sarebbe il vertice della piramide visiva. È senza dubbio notevole il fatto che Pisanello dimostri di conoscere il metodo dell’intersezione su una perpendicolare, e segua invece una riduzione delle grandezze apparenti secondo una diminu­ zione per proporzionalità continua, e che Alberti citi quest’ultimo modo per seguire invece l’altro metodo che trova la diminuzione delle grandezze apparenti mediante l’intersezione di linee. La

Il « termine » è la perpendicolare che rappresenta il quadro che interseca la piramide visiva. Se

specularità dei comportamenti dei due suggerisce la possibilità che negli ambienti intellettuali

cambia la posizione del quadro d’intersezione, e dunque le distanze tra l’occhio e il quadro e il

condivisi tra artisti e umanisti vi fosse una discussione sui metodi per rappresentare lo spazio, di

quadro e la cosa veduta, pur rimanendo la distanza tra l’occhio e la cosa veduta immutata, la pro­

cui troviamo un’eco nel disegno e nel trattato.

porzione con cui diminuiscono le grandezze apparenti cambia.

II metodo della riduzione delle grandezze apparenti mediante proporzioni numeriche, ebbe un notevole seguito anche dopo la diffusione del De pictura. P ie r o d e lla F ra n c e s c a : la p r o p o r z io n e d e g r a d a ta

29

Rimando ogni approfondimento a J.V. Field, Piero della Francesca. A Mathematicians Art, New Haven, Yale

30

Su questo argomento si vedano il mio « punti di vista non punto di fuga », Invarianti, XXXIII, i999> p- 4^'49 5

Univeristy Press, 2005.

Piero della Francesca finì di scrivere il De prospectiva pingendi negli anni Settanta del Quattrocen­

e Alessandra Sorci, P^.

da connotati più o meno evidenti in esso impressi), implica riconoscergli un’immagine concreta

« L’architettura nel suo complesso si compone di disegno e costruzione. Quanto al disegno

che configuri globalmente il suo essere attraverso una varietà di aspetti parziali, esterni e interni,

[lineamenta] tutto il suo oggetto e il suo metodo consistono nel trovare un modo esatto e sod­

che le condizioni del sito, le esigenze di uso e di capienza e le possibilità di esecuzione determina­

disfacente per adattare insieme e collegare linee e angoli, per mezzo dei quali risulti interamente

no in modo del tutto contingente.

definito l’aspetto dell’edificio

Per il riconoscimento individuale, la natura corporea dell’edificio {forma, figura, facies, spe-

L’avvalersi di segni che permettano di pensare le dimensioni si fonda sul modo non equivoco

cies) implica che questo possegga una qualità di pulchritudo per procurargli la quale è richiesto

ed efficace posseduto dagli enti geometrici di poter essere combinati insieme e di corrispondere, in

l’intervento di una mens più che educata, operante con metodo e regole di comprovata efficacia.

questa loro combinazione, alla natura e all’essenza {vis et ratio) delle forme elaborate in mente, in

Tale produttività si raggiunge, sul piano intellettuale, mediante l’applicazione dei criteri di bellez­

modo tale che la configurazione esteriore dell’edificio o delle sue membra sia da essi, in ogni passag­

za sperimentati e sempre sperimentabili ad concinnitatem, perseguiti sforzandosi di assecondare la

gio e fino al termine del processo, esaurientemente compresa e completamente controllata.

forma specifica {ratio) della bellezza^^ quale esiste in natura^^

In questa fase, il disegno della forma finge una propria sintesi grafica, che funziona soltanto come restituzione della propria origine necessaria. Così, entro l’insuperata cerchia del pensiero, ove la forma permane ancora indefinita e lontana dall’avere una figura conclusa e proporzionata,

Z3

Ibid., V I, 2, p. 447 (corsivo nostro) : « Q uid enim est, ut moveamur lapidum strue informi et inconcinna, nisi ut [...] vituperemus, et inconsiderata coacervandorum lapidum libidinem detestemur » (« Difatti ciò che pro­

24

affiora il problema di un « grafo », di qualcosa d’immateriale - preannuncio di prascriptio o pro­

viamo alla vista di un ammasso informe e disgregato di pietre è un moto di disapprovazione, di disprezzo per

getto dell’edificio — che pur la designi. Lo si elabora in un tempo di riflessione anch’esso d’inde­

l’ammucchiare pietre senza costrutto ») ; ciò accade per mancanza di pulchritudo, di dignità ed eleganza della

finita durata, ove i lineamenta sussistono entro un’immagine lineare-angolare-superficiale mu­

forma apparente (« formæ dignitas ac venustas », id.).

tevole e conformante, prescrivibile e ordinabile immediatamente dalla mente tramite instabili e

Sulla concinnitas albertiana, tra i molti studi, dopo Luigi Vagnetti, « Concinnitas, riflessioni sul significato di un termine albertiano », Studi e documenti di architettura, II, 1973, p. 139-151, si veda : Paul von Naredi-Rainer, « La

tenui « tracce ». Alla sua prima manifestazione l’Alberti si riferisce di sfuggita^^ (all’inizio del Libro

bellezza numerabile : l’estetica architettonica di Leon Battista Alberti », in Joseph Rykwert & Anne Engel (eds), Leon Battista Alberti, Ivrea, Olivetti & Milano, Electa, 1994, p. 292-299 ; Robert Tavernor, « Concinnitas, o la

s’objectiver, de l’idée selon laquelle elle existe objectivement » ; e aggiungiamo che per l’Alberti una modalità

formulazione della bellezza », ibid., p. 300-315; Id., On Alberti and A rt o f Building, N ew Haven & London, Yale

di concepirne l’esistenza è l’attribuirle una legge suprema, alla luce della quale sia afferrabile la congruenza tra

University Press, 1998 ; una sintetica messa a punto della problematica in Françoise Choay, « Introduction » a Leon Battista Alberti, L’art d'édifier, texte traduit du latin, présenté et annoté par Pierre Caye et Françoise Choay, Paris, Seuil, 2004, p. 9-39. 25

L.B. Alberti, De re adificatoria..., op. cit., IX, 5, p. 815 : « Est quidem concinnitatis munus et paratio partes, quæ alioquin inter se natura distinctæ sunt, perfecta quadam ratione constituere, ita ut mutuo ad speciem correspondeant » (« La concinnitas ha per compito e obiettivo il costituire in unità, secondo una regola perfetta,

essere e divenire, costanza e instabilità della natura stessa. 26

Cfr. L. B. Alberti, D e re adificatoria..., op. cit.. Prologo, p. 7-9.

27

Termini corrispondenti alla suddivisione vitruviana di ratiocinatio e fabrica ; cfr. Vitruvius Pollio, D e architectura, I, L i.

28

le parti in modo che, benché distinte per loro natura l’una dall’altra, si corrispondano nel loro rispettivo appa­ rire » - trad, nostra, nella quale constituere è inteso nel significato di « dare una salda complessione » e alioquin è in senso concessivo, non eccettivo o condizionale). A questa prima definizione tecnica è da accostare la form u­ lazione della pulchritudo, che segue appresso : « pulchritudinem esse quendam consensum et conspirationem partium in eo, cuius sunt, ad certum numerum finitionem collocationemque habitam, ita uti concinnitas, hoc est absoluta primariaque ratio naturæ, postularit », ibid., p. 817 (« La bellezza è accordo e armonia delle parti in relazione a un tutto al quale esse sono legate, secondo un dato numero, delimitazione e collocazione, così come esige la concinnitas, cioè la legge fondamentale e più esatta della natura »). Tali definizioni sono inoltre da mettere in relazione con le precedenti, di carattere empirico e funzionali al giudizio immediato, quali : « ut sit pulchritudo quidem certa cum ratione concinnitas universarum partium in eo, cuius sint, ita ut addi aut diminui aut immutati possit nihil, quin improbabilius reddatur », ibid., V I, 2, p. 447; ed « erit quidem ornamentum quasi subsidiaria quædam lux pulchritudinis atque veluti complementum », ibid., p. 449. Sull’idea di natura nell’Alberti si veda Michel Paoli, L'idée de nature chez Leon Battista Alberti (i404-i4y2), Paris, C h am ­

L. B. Alberti, D e re adificatoria..., op. cit., I, i, p. 18 : (« Tota res asdificatoria lineamentis et structura constituta est. Lineamentorum omnis vis et ratio consumitur, ut recta absolutaque habeatur via coaptandi iungendique lineas et ángulos, quibus aedificii facies comprehendatur atque concludatur »).

29

Ibid., II,

I,

p. 97 : « Perscriptione [...] et pictura [...] universum opus et singulae cunctarum partium dimensiones

[...] pensitemus atque examinentur ». I tipi grafici del disegno architettonico in uso nel Quattrocento hanno m i^ io re considerazione in Antonio Averiino detto il Filarete, Trattato di architettura, a cura di Anna Maria Finoli & Liliana Grassi, Milano, Il Polifilo, 1972, vedi Libri II, p. 61-62; XI, p. 302; X VI, p. 461; XVIII, p. 538; cfr. Danilo Samsa, « Il principe e l’architetto : il laboratorio e gli strumenti del progetto. Nuovi riscontri dalle fonti sul progetto dell’Ospedale M t^ io re di Milano », in Aurora Scotti & Augusto Rossari (eds). Aspetti dell’abitare e del costruire a Roma e in Lombardia tra X V e X IX secolo, Milano, Unicopli, 2005, p. 245-261 ; Danilo Samsa, « Verba e pictura di lineamenta e di res gesta nel Filarete », in Texte & Image, Actes du Congrès International (Paris, 4-7 mai 2010), di prossima pubblicazione a cura di Humanistica (www.libraweb.net). Un campionario si trova nei fogli di studio e di lavoro di Francesco di Giorgio Martini, Simone del Pollaiolo detto il Cronaca, Giuliano Giamberti detto da Sangallo ; Vedi Arnold Nesselrath, « I libri di disegni di antichità. Tentativo di una tipologia »,

pion, 1999, del quale richiamiamo la puntualizzazione introduttiva, p. 16 : « en effet, la nature a besoin, pour

308 I P einture & architecture

P einture & architecture

309

Leonis Baptist/e A lberti

D anilo Sansa

de lineamentis /edificiorum

II, Materia) con rassodarlo al complesso delle operazioni grafiche {perscriptiones), preliminari o

gombri o gli spessori murari saranno immaginati e stabiliti nel corso di fasi successive di deli­

definitive, complementari alla realizzazione del modello {modulus, exemplarium). Su di esse egli si

neazione, nel rispetto dei lineamenta dell’edificio. In questo procedimento, l’intera opera, in quanto unità corporea di più membra - “quasi”

sofferma trovando poi, nel discutere di questo ultimo, l’occasione per specificare il disegno « da architetto » in opposizione a quello « da pittore

come animai o animans - , sarà suscettibile di essere messa a disposizione (dispiegata intellettual­

Quanto alla structura, che richiede per statuto corporeo attribuito all’oggetto una « solida in­

mente) secondo precisi piani di rappresentazione o per entro artefatti costruttivi particolari - dai

tegra unitaque constructio » e che esige che quanto sarà costruito « non contenga parti scisse o

lineamentis pictura ai modulD^ — elaborati durante lo svolgersi di un’attività concettuale {mente

separate dalle altre o fuori dal loro posto, bensì in tutta l’estensione delle sue linee dimostri coerenza

animoque diffìnire) che, per l’unità dell’insieme e per l’identitificazione del risultato, persegue

e necessità

precisi criteri di collocazione, delimitazione e quantificazione, l’efficacia dei quali sarà possibile

l’indagine condotta sui principi, sulle componenti e sul campo d’azione dell’arte di

edificare ha dimostrato - afferma Alberti - che essa è riducibile a sei parti o atti elementari^^ che

constatare in qualsiasi momento con uno sguardo attento. Nella visione delle sei parti essenziali, la conformazione della partitio (suddivisione) costitui­

coincidono con la realtà ontologica (formale) e necessaria (strutturale) dell’« edificio in se stesso e dell’intera struttura per sé »” .

sce il terreno primario per la messa a frutto della natura virtuosa (scientifica e produttiva) del « di­

Per merito di quelle componenti, la realtà di ogni conformazione di spazio praticabile, che

segno in sé », quale strumento dell’intelletto atto a misurare^^ e al quale compete il puntamento,

abbia inteso corrispondere a una domanda d’uso qualsiasi e sia stata sottoposta a un ordine voluto

l’indirizzo, il discrimine e la ratifica delle dimensioni parziali e complessive degli spazi destinati

di convenienze, si è prodotta sino da quando si ebbe una qualche costruzione^"^.

all’uso, che la ripartizione degli elementi individua e assegna.

Pertanto, anch’esse (muri, coperture, aperture, etc.), compresi gli elementi interni che ne

In particolare, il disegno della forma della partitio si dimostra la principale palestra per l’eser­

assicurano la solidità, avranno una forma e una figura e, dunque, saranno pensate mediante

cizio dell’ingegno e del^inventiva^^ nella quale un architectus doctus eprudens dimostra capacità di

lineamenta^K E per quanto riguarda la configurazione delle parti stesse della struttura, gli in-

giudizio, cognitio dell’arte, finezza culturale e ampiezza di vedute sulle cose del mondo. Ma prima di esprimersi in tale specifica operazione, le qualità del disegno sono evocate già dai primi pensieri

in Salvatore Settis (ed.), Memoria dell’antico nell'arte italiana, III. Dalla tradizione all’archeologia, Torino, Einaudi,

che vengono alla mente nelle diverse occasioni concrete di delineazione edi osservazione. In guisa di consuntivo, Alberti vi ha accennato : « Ed essendo variabili le finalità pratiche degli

1986, p. 87-147 ; Hubertus Günther, Dos Suidium der antiken Architektur in den Zeichnungen der Hochrenaissance, Tübingen, Wasmuth, 1988. 30

L. B. Alberti, D e re adificatoria..., op. cit., II, i, p. 99 : « Inter pictoris atque architect! perscriptionem hoc in­ terest, quod ille prominentias ex tabula monstrare umbris et lineis et angulis comminutis elaborat, architectus

edifici, abbiamo dovuto indagare se una medesima forma del disegno \eadem lineamentorumfinitio] si adattasse a qualunque opera. Pertanto abbiamo diviso gli edifici in generi »^^. Si noti che qui finitio

spretis umbris prominentias istic ex fundamenti descriptione ponit, spatia vero et figuras frontis cuiusque et

caratterizza i lineamenta come la raggiunta conformazione di parti proporzionate, la forma di una

laterum alibi constantibus lineis atque veris angulis docet, uti qui sua velit non apparentibus putari visis, sed

bella unità o un perfetto accordo tra plurime forme"^° : tutte espressioni di diligenza, sa^ezza, perspi­

certis ratisque dimensionibus annotar! » (« Tra la l’opera grafica del pittore e quella dell’architetto c’è questa

cacia di un competente artista confluite in una mirabile « partitio et lineamentorum conventio

differenza : quello si sforza di far risaltare sulla tavola oggetti in rilievo mediante le ombreggiature e il raccorciamento di linee ed angoli ; l’architetto invece, evitando le ombreggiature, raffigura i rilievi mediante il disegno della pianta e rappresenta in altri disegni la forma e l’estensione di ciascuna facciata e di ciascun lato servendosi

piombo [...]. Infatti, innalzare una costruzione non significa mettere pietra su pietra e gettare malta su malta,

di angoli reali e di linee non variabili : come chi vuole che l’opera sua non sia giudicata in base a illusorie par­

come credono gli incompetenti ; ma poiché vi sono parti diverse, diversi dovranno essere i materiali e il sistema

venze, bensì valutata esattamente in base a misure controllabili »). 31

Ibid., Ili,

I,

p. 173 : « Integra counitaque ea dicentur, quorum partes a partibus ñeque resectæ ñeque disiunctæ

ñeque non suis insitæ locis sint, sed toto linearum tractu cohereant atque consequantur ». 32

di impiegarli »). 36

Cfr. ibid., V I,

37

Sulla geometria vedi il contributo di Eberhard Knobloch, « Géométrie pratique, géométrie savante », Albertia-

Ibid., Prologo, p. 15 : « Coepimus animi gratia de eius arte et rebus accuratius perscrutar!, quibusnam principiis diducerentur quibusve partibus haberentur atque finirentur » (« Abbiamo cominciato per nostro diletto a indagare

na. V ili, 2005, p. 27-56 ; e anche infra n. 47. L. B. Alberti, D e re edificatoria, I, 9, p. 65 e s. : « Tota vis ingenii omnisque rerum asdificandarum ars et peritia

39

Ibid., Prologo, p. 15 : « Cum que sedificiorum varii essent usus, pervestigandum fuit an eadem lineamentorum

40

Cfr. ibid., I, 2, p. 23 : « Partitio est, quae totius aedificationis aream in minoris areas partitur; unde fit, ut quasi

una in partitione consumitur [...] ».

eiusmodi : regio, area, partitio, paries, tectum, apertio » (« D a ciò risulta che tutto l’oggetto dell’arte di costruire consiste nel suo complesso in sei parti : l’ambiente, l’area, la suddivisione, il muro, la copertura, l’apertura »).

finitio quibusque operibus conveniret. Distinximus ea de re aedificiorum genera ».

33

Ibid, I,

34

Vedi l’immagine e la circostanza d’origine del primo edificio descritte ibid.. Prologo, p. 9 ; e I 2, p. 21-23.

è il criterio con cui si spartisce in aree minori l’area totale della costruzione : sicché l’intero corpo dell’edificio

Ibid., Ili,

p. 173 : « In structura igitur considerasse oportet, quænam in ea primarias sint partes et quæ partium

risulta composto di edifici minori, quasi membra riunite a formare un unico complesso ») ; inoltre, così come si

lineæ atque ordines [...]. Ñeque enim est opus tollere, ut putant imperiti, lapidem lapidi et cementa cementis

può ritenere la città una grande casa e, reciprocamente, la casa una piccola città, si può sostenere che le membra

35

I,

p. 21 : « Ipsum ædificium totaque structura per se ». I,

membris in unum adactis et coaptatis totum aedificii corpus minoribus xdificiis refertum sit » (« Suddivisione

superastruere ; sed diversæ cum sint partes, longe diversis indigent rebus et industria » (« Bisogna dunque ricercare nella struttura quali siano le parti primarie, quale il loro ordinamento, quali le loro giaciture e gli a

310

p. 443 ; e IX, io, p. 855-857.

38

in modo approfondito su quest’arte e sul suo oggetto : da quali principi si tragga, in quali parti consista e si deli­ miti »). Ibid., I, 2, p. 23 : « Q uæ si ita sunt, in promptu est totam ædificandi rem constare partibus sex. Hae sunt

I,

Peinture & architecture

di una casa sono esse stesse piccole abitazioni (cfr. ibid., I, 9, p. 65). 41

Ibid., IX,

I,

p. 783 (« suddivisione generale e accordo di forme »).

P einture & architecture j 311

D anilo S ansa

L eonis B aptist /e A lberti

de lineamentis ^edificiorum

Gli « schemi predeterminati », utilizzati per attuare la verifica e la diversificazione per generi,

nell’owiare alla propria impalpabile tridimensionalità grazie a un supporto grafico (che non ri­

non sono allora « disegni di rilievo », che li ritraggano nella loro fisionomia evidente e li acco­

specchia necessariamente l’immagine che se ne abbia), trova, in un disegno caratterizzato da totale

munino sotto un aspetto noto - presupposti modelli d’imitazione o archetipi di genere - ; ma gli

inespressività del segno e da assoluta immaterialità - esso infatti « nulla contiene in sé che dipenda

indicatori di una pertinenza del corpo intero (formato e strutturato) al compito assegnato e alle

dalla materia », potendo così essere espressione di una libertà assoluta - , il luogo certo per con­

convenienze date o talora anche solo ipotizzate.

sentire di verificare la presenza e l’efficacia del proprio ruolo di sostegno progettuale adeguato,

Il « disegno » di riconoscimento proprio a ogni genere, o tipico, è dunque quello tutto men­ tale {lineamenta) che rappresenta l’insieme degli scompartimenti di area e di volume costruiti per

rendendo possibile la ricognizione dei molti edifici nei quali sia stato notato, in modo impressio­ nistico o superficiale, il ricorrere di una medesima figura (della sua forma)'^.

usi determinati, ciascuno considerato secondo la sua necessità e nella sua relazione con gli altri

Una volta pervenuti alla materialità di una descrizione delle dimensioni (modus, modulus, quan-

all’interno della composizione delle parti, entro l’unità strutturale complessiva. Giova sin d’ora

titates), posta oltre i territor^^ nei quali si offre la pura rappresentazione mentale di queste ul­

rimarcare che quanto più i lineamenta della partitio rispetteranno la causa dell’edificio e, quin­

time, la forma dell’edificio, intesa come unità fisico-corporea e la disposizione di esso, indicata

di, la sua partitio sarà òiecens, tanto più la suddivisione stessa risulterà ornamentum alla bellezza

per mezzo di « inquadramenti » parziali o figure separate - attraverso le quali essa può essere

dell’intero, sotto il profilo specifico del quantum d’intelligenza prodigato ; e tanto più l’opera sarà

analiticamente saggiata, esplorata e scomposta (in una sorta di mimesi di quanto facevano l’Al-

da reputarsi nuova.

berti e altri cultori dell’antico, rovistando nei campi di rovine, scrutando i monumenti rimasti e traendone lineamentapictura, annotationes ed exemplaria^^) —, possono essere congiunte e poste D isegn o della form a com p leta

sotto controllo nella medesima composizione grafica : in lineamentis. Pertanto, nel riferire della funzione del lineamentum - « munus et officium », virtù-dovere

Alla fase di concezione appartiene bensì un disegno {lineamentum), ma non un disegno osserva­

operativo del quale è l’ottenere che « tutta la configurazione [forma et figura] dell’edificio riposi

bile. Per quanto affermato in via di principio « la funzione del disegno [lineamenti munus et offi­

sulla forma concepita [ipsis in lineamentis conquiescat] » - , Alberti deve già attribuire ai concetti

cium] è [...] di assegnare agli edifici e alle parti che li compongono una posizione [...], una [...]

compositivi che utilizza, che coerentemente dovrebbero essere i soli a comparire in una sede che si

proporzione, una grandezza [...] e un [...] ordinamento, di modo che tutta la configurazione

vorrebbe totalmente gestita dell’intelletto - qual è un disegno di costruzione geometrica"^^ - , una

dell’edificio riposi interamente nella forma concepita »'^^

determinazione umana d’altra natura : « di bellezza ».

Con questa precisazione il disegno è una rappresentazione ideogrammatica : la forma (lineamenta) dell’edificio in prescrizione si “materializza” al margine dalla mente e si dispiega attraverso

44

linee e contorni precisi i quali, connettendo e frazionando, estendendo e intervallando, pre-figurano

I,

p. 19-21 (corsivo nostro) : « Ncque habet lineamentum in se, ut materiam sequatur, sed est huiusmodi, ut

eadem plurimis in aedificiis esse lineamenta sentiamus, ubi una atque eadem in illis spectetur forma » (« Il disegno in sé in nulla attiene alla materia; ma è tale da permetterci di riconoscere i medesimi lineamenta in più edifici, nei

le forme concrete e apparenti dell’edificio e delle sue componenti. Nel disegno d’insieme una volta delineato (perscriptio), la forma presente alla mente (prascriptio) risulta già completamente assimila­

Ibid., I,

quali sia dato di riscontrare un’unica e medesima forma », una conformità in una stessa complessa figura). 45

Territori mentali e psicologici, per i quali il Pandolfini ha ipotizzato funzioni lenitive e terapeutiche ; cfr. supra,

La forma architettonica - della quale il plurale lineamenta rende il potenziale di sintesi fi­

46

L. B. Alberti, D e re e d i f i c a t o r i a .op. cit., V I, i, p. 443 ; VII, 5, p. 561 ; IX, io , p. 857 : 863.

gurativa insito in un ragionamento sull’edificio conducibile per mezzo di tipi ideografici o per

47

ta. Tuttavia, sul piano teorico la distinzione tra lineamenta e lineamentum permane.

esemplari formalizzati o riconducibili a una classificazione"^^ - è una « immagine mentale » che.

n. 14. Del disegno geometrico Alberti si occupa nel trattato espressamente in sede di tracciamento delle aree e in rela­ zione alla preparazione culturale dell’architetto (cfr. Ibid., I 7, p. 53-55 ; III, i, p. i j y i j j ; III, 2, p. 4, p. 551 ; IX,

IO ,

; VII,

p. 861-863) ; e con la matematica nei testi artistici e tecnico-scientifici, antecedenti e coevi :

D e pictura {143^14^6), Elementi di pittura. Ex ludis rerum mathematicarum, Descriptio urbis Rome {ante 1450). 42

Ibid., I,

I,

p. 19 (corsivo nostro) ; « Atqui est quidem lineamenti munus et officiumpræscribere ædificiis et partibus

ædificiorum aptum locum, certum numerum, dignumque modum et gratum ordinem, ut iam tota ædificii forma etfigura ipsis in lineamentis conquiescat ». Sottolineano, qui e poco oltre, l’importanza dell’uso di linea­ mentum al singolare Pierre Caye e Françoise Choay, curatori e traduttori di L. B. Alberti, L ’a rt d ’é d ifie r ., op. cit., p. 56, n. 2. 43

Ib id, I,

I,

p. 19 : « De lineamentis ædificiorum conscripturi, optima et elegantissima quæque a peritissimis maiori-

bus fuisse litteris tradita et quæ in ipsis operibus faciundis esse observata animadverterimus, colligemus nostrumque hoc in opus transferemus » (« Dovendo trattare il disegno degli edifici, sarà nostra cura raccogliere e includere nell’opera nostra quanto di più valido e prezioso ci risulti essere stato scritto in argomento dai m a^iori esperti del passato, e quelle norme la cui osservanza abbiamo potuto notare nell’esecuzione delle loro opere stesse »).

312 I Peinture & architecture

Il Filarete se ne occupa, seguendo l’Alberti, nei Libri X IX e X X II-X X IV del suo Trattato di architettura {14601464) ; cit. supra n. 29. Per le artes e le fonti scientifiche cfr. G ino Arrighi, « Leon Battista Alberti e le scienze esatte », in Convegno internazionale indetto nel V Centenario di Leon Battista Alberti, (Roma-Mantova-Firenze, 25-29 aprile 1972), Roma, Accademia Nazionale dei Lincei, [Quaderno N . 209], 1974, p. 155-212; Maria Karvouni, « Il ruolo della matematica nel D e re edificatoria dell’Alberti », in Joseph Rykwert & Anne Engel (eds) Leon Battista Alberti..., op. c it, p. 282-287 ; Jean-Marc Mandosio, « La classification des Sciences... », art. cit. ; E. Knobloch, « Geometrie pratique... », art. cit.; Ida Mastrorosa, « Alberti e il sapere scientifico antico : fra i meandri di una biblioteca interdisciplinare », in R. Cardini, L. Bertolini et alii (eds), Leon Battista Alberti. La biblioteca di un umanista..., op. c it, p. 133-150; Filippo Camerota, « Alberti e le scienze », in Cristina Acidini & Gabriele Morolli (ed.). L ’uomo del Rinascimento. Leon Battista Alberti e le arti a Firenze tra ragione e bellezza. Catalogo della mostra (Firenze ii marzo-23 luglio 2006), Firenze, Mandragora, 2006, p. 359-389.

Peinture & architecture | 313

D anilo S ansa

L eonis B aptist /e A lberti

de lineamentis /edificiorum

Alberti ha convocato, infatti, un tipo di disegno avente il compito e il potere di fissare -

proprio per indicare il modo con il quale si esegue il tracciato, la cui coerente immagine grafica

inseriamo ora le parole tralasciate nel brano riportato in traduzione'^® all’inizio - una « posizione

possa immancabilmente permettere di sottoporre i pmscripta (le proposte di progetto) alla mes­

appropriata \apturri\ », una « proporzione precisa \certuni\ », una « grandezza conveniente \di-

sa a punto da parte di un « animo » sensibile e alla razionalizzazione da parte di un « ingegno

gnum\ », un « ordinamento armonioso [gratum] » agli edifici e alle loro parti, come è inscritto nei

erudito » (tramite collocatio,finitio, numerus).

lineamenta concepiti.

V ’è forse da chiedersi se quel « lineamentum » sia già il tracciato del progetto nella ver­

Appropriatezza, precisione, convenienza, armonia sono qualità che caratterizzano la pul-

sione definitiva, alla quale un vero architetto perviene attraverso successive stesure (« perscriptio-

chritudo sul piano dell’effetto visivo ed emotivo, e anche del discorso etico e di una formazio­

nes », « picturae »), ogni volta verificate in base a confronti più o meno convalidanti e contando

ne culturale. Quali fatti specifici e attributi concernenti la costituzione corporea, figurativa e

sull’ausilio di altre riproduzioni materiali (« opera », « moduli », « exemplaria ») ; e dunque se sia

materiale dell’edificio, esse sono stabilite in forza del disegno {lineamentum). Ma alla realtà di

il progetto tout court. Oppure se, essendo sua prerogativa il mettere a disposizione del processo di

questo disegno è estraneo qualsiasi aspetto ornamentale o di bellezza, assente ogni materialità.

concezione delle forme la sua natura non equivoca e precisa di realizzatore del perfetto accordo

Consistendo in un lavoro di tiratura continua e intermissione di linee sottilissime, esso permet­

tra segno e forma concepita, il suo compito sia quello, sempre operativo per sua « vis et ratio »,

te di progettare le forme così come sono presenti in lineamentis nel pensiero, ove sono libera­

di definire e verificare l’accordo tra le misure geometriche e la forma stessa. O , ancora più sem­

mente prodotte in forza dell’intuizione e in base all’azione moderatrice imposta dalla riflessione :

plicemente e all’opposto, se esso non sia sempre una rappresentazione di forme concrete eseguita

« si potranno progettare mentalmente le forme [integrasformasprascribere animo et menté\ nella

per fornire alla mano dell’artefice un documento di certificazione del progetto stesso, ove si trovi

loro interezza prescindendo affatto dalla materia ; ciò che si otterrà disegnando angoli e linee

configurato Xadfaciundum.

con esattezza di orientamenti e di connessioni

C i sembra che mantenere al lineamentum il carattere di perscriptio, ma di traccia al massi­

Ne discende che, « stando così le cose, il disegno [lineamentum] sarà dunque un tracciato

mo grado aliena da contaminazione materiale (dunque, intenderlo non solo « tracciato concre­

preciso e uniforme [certa constansqueperscriptio] concepito dalla e nella mente, realizzato per mez­

to »), consenta di riservargli il massimo raggio d’applicazione nelle molteplici direzioni che il

zo di linee e angoli e condotto a perfezione da persona dotata d’ingegno e di cultura »^°.

suo singolare statuto gli conferisce.

Questi enunciati posti in successione mettono in risalto - con la consequenzialità logica dei

Va allora aggiunto che una « certa constansque perscriptio [...] perfecta » potrà dare luogo

due periodi di cui si compone l’intero passo, incentrata su un significativo « haec cum ita sint,

a un genere grafico essenziale, in grado di descrivere l’ipotizzata realtà corporea (formale e strut­

[...] ergo » - il problema del rapporto tra il progettare {prascribere animo et menté) le forme con­

turale) dell’edificio sotto almeno una delle due principali viste proiettive richiedenti l’intervento

crete ad lineamenta (secondo quanto dettato da intuizione immaginativa e da ragionamento) e i

esatto del lineamentum in descriptione — Vichnographia se non anche Xorthographia, in termini

risultati grafici concreti iperscriptiones) che culminano in lineamentis rappresentativi delle forme ;

vitruviani —; e di far intendere in modo soddisfacente « il necessario » dei lineamenta delle nuove

i compiuti disegni di progetto (« descriptiones » o « picturae in lineamentis ») che attestano che

forme architettoniche alla consultazione degli esperti, alla portata degli esecutori e dei fiduciari

tutte le parti dell’opera corrispondono, nelle loro linee e angoli o superfici, ai lineamenta di un

del cantiere e anche, ma forse con minore riuscita ai fini della comprensione, dei committenti^^.

corpo completo {integra forma). Va rimarcato che in questa pagina Alberti usa « praescribere », e anche adnotare e prdifinire, tare {prascribere, pracofitare, prafinire, diffiniré) i lineamenta dai quali gli elementi concreti e il corpo dell’edificio

nel senso del « ricercare » una forma, cui si accompagna l’assegnazione di posizione e misura {certa directione et connexioné) alle parti dell’edificio in concepimento ; e che usa poi « perscriptio »^'

saranno conformati. 52

A i quali spettano « fidum consilium [...] castigataque lineamenta », L. B. Alberti, D e re ¡edificatoria..., op. cit., IX,

II,

p. 863. A un genere « funzionale » appartiene, entro un’evidente progettazione in corso, il disegno

della pianta dell’« edificium thermarum » albertiano (Firenze, Biblioteca Medicea Laurenziana, Ashburnham 48

Cfr. supra, n. 42.

1828, App. cc. 56v'57r), la qualità grafica del quale ha riscontro intuitivo con l’espressione : « modo de notarlo

49

L. B. Alberti, D e re ¡ed ifica to ria .o p . cit., I, i, p. 21 : « Et licebit integras formas prasscribere animo et mente

in proportione », contenuta nella lettera inviata dall’A lberti a Ludovico G onzaga nel 1470 {ante 23 ottobre),

seclusa om ni materia ; quam rem assequamur adnotando et prasfiniendo ángulos et lineas certa directione et

scritta a proposito del nuovo S. Andrea, a Mantova (Mantova, Archivio di Stato, Autografi, busta 7, Inserto I, c.

connexione ».

3bis recto, s.l., s.d.) ; cfr. Lorenzo Tanzini, scheda ii, in R. Cardini, L. Bertolini etalii (eds), Leon Battista Alberti.

Id. (corsivo nostro) : « Haec cum ita sint, erit ergo lineamentum certa constansque perscriptio concepta animo,

La biblioteca di un umanista..., op. cit., p. 270. La pianta è stata qualificata « un’esercitazione nell’impegnativa

facta lineis et angulis perfectaque animo et ingenio erudito ».

arte dellapartitio » - cfr. Howard Burns, « Leon Battista Alberti », in Francesco Paolo Fiore (ed.). Storia dell'ar­

50 51

La quale sarebbe, a rigore, una perscriptio di prascriptio. La sostituzione dei termini, filologicamente giustificata

chitettura italiana. Il Quattrocento, Milano, Electa, 1998, p. 114-165 : 127 - basata su « angoli e linee adnotati e

áaiíieditio princeps (Florentiae, Nicolò di Lorenzo Alamanno, 1485) e dal codice Laurenziano (Firenze, Biblioteca

pnefiniti » (anche se carente graficamente quanto a « certa directione et connexione »). Essa rappresenta uno

Medicea Laurenziana, Pluteo 89 sup. 113) - come compiuto in L. B. Alberti, L’art d ’é difier..., op. cit., p. 56, n.

stadio prossimo alla perfecta perscriptio (o disegno di un’esatta prascriptio) della suddivisione. Cfr. H . Burns,

5 - disconosce al lineamentum la dimensione pure mentale di esistenza che lo rende strumento congruo al proget-

« A drawing by LB A lb erti... », art. cit. ; Id., « Un disegno architettonico di A lb erti... », art. cit. ; e da ultimo

314 I Peinture & architecture

P einture & architecture | 315

D anilo S ansa

Leonis Baptist/e A lberti

de lineamentis /edificiorum

Certamente sarà un disegno proporzionato, risultato di un’attività di pmscriptio che avrà

di matrice pitagorica e neoplatonica (e che ancora avranno nel fondare la soggettività umanistica,

visto animus et mens, impegnati nella gestione di forme e di parti strutturali, agire anche sul piano

qual è espressa per esempio da Niccolò Cusano) - ; e quello, artificiale, dell’organizzazione esatta

preliminare di pictura e di simili descriptiones^ in un processo di definizione nel corso del quale

dei diversi suoni, razionalmente esprimibile in rapporti numerici, che si fa percepire (in base a

siano state effettuate prove e compiute costruzioni in scala (tra le quali un ruolo importante spetta

misura, accostamento, successione temporale) come una consonanza « gradevole all’orecchio »

ai modelli tridimensionali, raccomandati quali fonti correttive dei disegni prescritti)^^

(« armonia ») ; e che per questo potrebbe riempire di « mirabile gioia gli occhi e l’animo »” qualora

Possiamo qui stabilire una prima considerazione generale. D i fronte alla comparsa di un

analoghi rapporti intervenissero a definire, nell’organizzazione fisico-spaziale dei luoghi di co­

disegno (di tipo geometrico) la forma dell’edificio si “vede” nelle fattezze e nelle grandezze intel­

struzione, il legame proporzionale astratto fra le tre dimensioni cui debbono sottostare le forme

lettualmente stabilite ; e la logica che la definisce si “percepisce” giacere intercalata fra i tratti del

intere e parziali degli edifici : la « finitio » o delimitazione^^.

disegno stesso, ma solo alla sensibilità di un occhio esperto.

Mentre sulla prima analogia Alberti è stato perlomeno reticente^^, alla seconda è stato noto­

Al cospetto del disegno prodotto, chiunque può essere in grado di giudicare la forma così

riamente sensibile, ma lasciando intendere di basarsi su quanto verificabile di persona in deter­

descritta e di parlarne, ma senza poter entrare in spiegazioni nel suo merito (per esempio, perché

minate situazioni e appreso per intuizione immaginativa ; anche se, in sede di esposizione teorica,

piaccia o non, perché abbia proprio quelle misure, sia riuscita). Esso lascia tuttavia certi di po­

è ricorso a elementi di musicologia nell’intento di dare dimostrazione ed espressione razionale a

terla comunque ulteriormente valutare nella visione dell’edificio in opere. Agli esperti e nell’ambito tecnico della professione, in base alle diverse successive immagini

fenomeni passibili di un riscontro percettivo comune (qui l’ascolto), che il tempo della cultura e dell’ideologia, per reiterazione, aveva consolidato^*.

disegnate, visionate, svolte e trattenute nella mente, una volta misurate le dimensioni e ripartite le grandezze {lineamentorum finitio), è invece possibile riconoscere — e così ammettere o anche escludere, forzando l’opacità propria di ogni apparenza - la presenza o meno di un’identica forma

55

Ibid., IX, 5, p. 823 : « H i quidem numeri, per quos fiat ut vocum illa concinnitas auribus gratissima reddatur, hidem ipsi numeri perficiunt, ut oculi animusque voluptate mirifica compleantur. Ex musicis igitur, quibus hi

architettonica, nota o ripetuta in edifici diversi, e di forme troppo diverse o non correlate insie­

tales numeri exploratissimi sunt, atque ex his praeterea, quibus natura aliquid de se conspicuum dignumque prae-

me {dissipata o dissoluta) nell’ambito di una stessa opera ; ed effettuare proficue previsioni sulla

stet, tota finitionis ratio perducetur » (« O ra quei numeri, che hanno il potere di rendere la concinnitas dei suoni {armonid\ tanto gradevole all’orecchio, sono gli stessi che riempiono di mirabile gioia i nostri occhi e il nostro

forma-struttura dell’intero edificio, avendo compreso le congruenze esistenti tra le forme parziali

animo. Pertanto proprio dai musici, che hanno fatto tali numeri oggetto di approfondita incidine, e inoltre da^i

o di dettaglio entro la composizione geometrica del disegno tracciato e suggerito. La forma architettonica, quale lineamenta, permane negazione di tutti i fatti materiali o di

om etti nei quali la natura ha dato di sé cospicue e alte prove, ricaveremo mtta la legge della delimitazione »). 56

Ib id, p. 821 : « Finitio quidem apud nos est correspondentia quxdam linearum inter se, quibus quantitates dime-

costruzione e delle parti funzionali o di utilità, singolarmente considerati ; ed è combinazione

tiantur. Earum una est longitudinis, altera latitudinis, tertia altitudinis » (« Chiameremo delimitazione la recipro­

in unità delle relazioni fra le membra, che in quanto è stato disegnato si pensano pronunciate

ca corrispondenza tra le linee che definiscono le dimensioni. Tali linee sono : lunghezza, larghezza, altezza »).

e, nel loro intreccio, presumibilmente composte ; ma che solo l’occhio cólto e sviluppato — inte­

57

D i « naturalismo laico e aristocratico » e di un « sarcasmo facilmente riconoscibile » circa questi argomenti ha parlato, a suo tempo, Manfredo Tafixri, « “Gives esse non licere”. N icolò V e Leon Battista Alberti » (già « Intro­

gralmente umano e « giudice » - sa cogliere e apprezzare per tali, nella sua qualità di controllore

duzione » a Carroll W. Westfall, L'invenzione della città. La strategia urbana di Nicolò V e Alberti nella Roma del

iniziale e finale (dalla gestione nello schizzo al modello al vero) dell’ordine e dell’effetto che si

'400 [ed. orig. : Id., In This Most Perfect Paradise, University Park-London, T h e Pennsylvania State University

produrrà al cospetto delle grandezze reali.

Press, 1974], Firenze, la Nuova Italia, 1984, p. 13-39), ried. riveduta e ampliata in Id., Ricerca del Rinascimento. Principi, città, architetti, Torino, Einaudi, 1992, p. 33-88 : 56-57. Sulla riverenza/irriverenza dell’Alberti nei

Possiamo osservare altresì, sul piano di un’ermeneutica albertiana e per accennare a un le­

confronti dei valori tradizionali, compreso quello religioso - affrontato mai facendone una questione di credo

game con le fonti culturali, che tra i rapporti di analogia accreditati e di forte richiamo - nella

personale ; cfr. Pierre Jadogne, « La pensée religieuse de Leon Battista Alberti (1404-1472) », Problèmes d ’histoire

doxa del tempo e nella critica - portatori di un principio di unità e di coerenza delle opere d’arte,

du Christianisme, V I, 1975-1976, p. 32-50 - vedi Alberto Tenenti, « Leon Battista Alberti umanista », in Joseph

si collocano quello, naturalistico, degli esseri della creazione, contemplati come simboli di perfe­

Rykwert & Anne Engel (ed.), Leon Battista A lberti..., op. cit., p. 38-45; Id., « Leon Battista Alberti e le statue degli dèi », Intersezioni, X V II, 1997, p. 117-122; Id., « Riflessioni sul pensiero religioso di Leon Battista Alberti »,

zione in quanto specula dell’immagine e del piano divini - e di simbologie religiose, nelle quali i numeri e le figure geometriche^'* hanno avuto tanta parte nella tradizione tardo antica e medievale

in Francesco Furlan (ed.), Leon Battista Alberti..., op. cit., p. 305-315. 58

Cfr. R udolf Wittkower, Architectural Principles in the Age o f Humanism, London, Warburg Institute, 1949 ; poi London, Tiranti, 1952 e Academy Editions, 1962 (1988) ; trad. it. Id., Principi architettonici nell’età dell'Umanesimo, Torino, Einaudi, 1964, p. 5-33 (Parte I. « La chiesa a pianta centrale nel Rinascimento ») e p. 99-146 (Parte

53 54

Id., « Leon Battista v\lberti. Progetto per un complesso termale », in F. P. Fiore (ed.), La Roma di Leon Battista

IV. « II problema della proporzione armonica in architettura ») ; Luisa Zanoncelli, « Reciproche influenze

A lberti..., op. cit., p. 299-300, scheda III.i.ii.

dell’idea di “divina” proporzione », in Leon Battista Alberti : Architettura e cultura. Atti del Convegno inter­

D eir argomento trattiamo in Danilo Samsa, « O ntologia e deontologia del “disegno” nell’Alberti », Albertiana,

nazionale (Mantova, 16-19 novembre 1994), Firenze, Olschki 1999, p. 199-212; Id., « La musica e le sue fonti

XIV, 2011 (in preparazione).

nel pensiero di Leon Battista Alberti », in Leon Battista Alberti teorico delle arti..., op. cit., p. 85-116 ; Paul von

Sulla cultura dei numeri cfr. L. B. Alberti, D e re adficatoria..., op. cit., IX, 5, p. 819-821 ; sulle figure circolari,

Naredi-Rainer, « La bellezza num erabile... », art. cit. ; Tim Anstey, « Fictive harmonies. Music and the Tempio

cfr. ibid., VII, 4, p. 549-551.

Malatestiano », Res : Anthropology and Aesthetics, X X X VI, 1999, p. 186-204.

316 I Peinture & architecture

Peinture & architecture | 317

Leonis Baptist/e A lberti de lineamentis /edificiorum

D anilo S ansa

Lo attestano ancora alcuni passi dei Profugiorum ab arumna librP^ attraverso i quali è rilevata,

D isegn o d ella form a corporea e b ellezza

sulla base d’esperienza personale, la « sintonia » tra le sensazioni provate aH’interno del duomo di S. Maria del Fiore, una visiva e l’altra uditiva. E colto l’accordo mirabile tra gracilità e robustez­

Nel definire natura e metodo del disegno, quale « pensiero di architetto » - e non disegno di bravi

za, leggiadra amenità e durevole maestà, quale appare evidente nella fisionomia della costruzione

disegnatori e di provetti geometri - Alberti ha potuto vedere nella « aedificii facies »^^ il risultato di

dell’interno delia chiesa ; ed è intuito, all’ascolto del canto religioso che nel silenzio avvolge il rito

un lavorìo di adattamento e di compimento delle corrispondenze lineari e angolari - relative a : re-

sacrificale, il potere che hanno, da un lato, 1’« ascendere e discendere quelle intere e vere voci con

gione/intorno edificato, area/compartimenti, muri-aperture/estensioni, muri-coperture/dimensioni

tanta tenerezza e flessitudine »^° e, dall’altro, la sensazione di sereno raccoglimento, provata nella

- che hanno condotto al precisarsi e al finirsi (tramite ri-disegno) dei lineamenta stessi.

—, di « levare gli animi e imporre

Per effettuare il disegno concreto di un’opera in forma completa, Alberti ha poi voluto espor­

: il potere di indurre le persone ad assumere posizioni e

re cosa sia « edificio in sé » e chiarire da quali parti sia composta la « struttura » generale di tutti

visione del tempio — ciò che lo trasfigura in « nido delle delizie in loro varii eccitamenti e commozioni

atteggiamenti e a sviluppare pensieri corrispondenti o « consoni » a luogo e circostanza.

gli edifici^^, a prescindere dal genere d’appartenenza^*.

Questo potere comune di émouvoir vale qui rimarcare più dell’analogia fra le tecniche inter­

Successivamente, ha voluto dimostrare l’efficacia del lineamentum nel costruire una compo­

pretative dell’armonia ideale nei due rispettivi campi, benché esso si possa opinare essere l’effetto

sizione geometrica sulla quale possano con sicurezza trovare sede i lineamenta delle forme delle sei

dovuto a una riconoscibile partecipazione di queste stesse in ciascuno'^^

componenti essenziali, già nominate^^. La composizione geometrica articolata (un lineamentum

Nondimeno le percezioni e gli stati d’animo registrati sono in relazione con opere concrete che sono frutto della mente e della sensibilità umane, nonché di perizia esecutiva^'^.

complesso) in cui ciò avviene è la risultante dalla convergenza simultanea dei lineamenta delle forme parziali stesse. Queste, così pro-gettate, nel divenire elementi riconoscibili della struttura

La bellezza ipulchritudó) non sta nelle materie, né riposa in una verifica puramente intellettuale

dell’edificio ne istituiscono la membratura - « quasi edifici minori », come sono le stanze rispetto

o frutto di calcolo ; ma, afferma Alberti, in un effetto di riuscita compiutezza {concinnitas) che una

alla casa e le abitazioni rispetto alla città —; e così dotandolo di conformazione concreta, ne deci­

« facoltà spontanea

dono i caratteri e i gradi di bellezza, ogni membro composto candidandosi a essere portatore di

permette di conoscere. Il proporzionamento, in paragone strumento neutrale

della forza dell’intelletto, cerca di emulare questa innata capacità umana di comprensione e coglie

omamentum aH’edificio.

nella propria rete di controllo tridimensionale solo le misure delle grandezze, considerando le parti

A proposito di un membro particolare di una struttura {in structurd) — l’atrio dell’abitazione

come « pure figure », che nomina con numeri ed espande a « semplici volumi », tendenzialmente

privata - è fatto di constatare il rapporto « giudizioso » che, ai fini della pulchritudo {ad ornamen-

sempre identici e indistinti. Ma la proporzione può contendere alla sensibilità lo scettro del coman­

tum\ ad honestandam partitionem), l’Alberti pensa d’instaurare tra il disegno di una forma conce­

do nel giudicare la presenza di una aquitas reale solo nei piani artificiali — sede materiale altra da

pita e l’evento del suo concreto installarsi in un corpo, esponendo così il proprio intero aspetto e

quella in cui la forma architettonica effettivamente si trova e agisce — delle proiezioni geometrico

modo di presentarsi alla valutazione, « ad gratiam »^° d’uno sguardo. Si è visto che nell’intera edificazione i lineamenta presiedono alla diversificazione formale tra

ortogonali delle parti della struttura, ove una « exacta ratio » detta lo iustum. È questa contesa tra intelletto e sensibilità che, nell’occuparsi di come un’edificazione appare - qui gioca la coppia

i generi di edifici e alla fisionomia rispettiva, distinguendoli non solo secondo gli usi ma anche

pulchritudo-omamentum in relazione alla concinnitas riscontrabile in natura - , l’Alberti pone sulla

secondo la loro condizione d’esistenza, compresa la vetustà. Essi, dunque, sono decisamente re­

scena. Nel punto seguente si vuole affrontare questo aspetto.

sponsabili della qualità delle loro immagini apparenti, della bellezza propria a ogni genere. D ’altra parte, l’esigenza di una considerazione specifica per la bellezza del mondo edificato già scaturisce al solo constatare la varietà delle configurazioni e delle dimensioni degli edifici^'.

59

L. B. Alberti, Profugiorum ab erumna.... op. cit., p. 3-8.

60

Ibid.y p. 5.

61

Ibid., p. 4.

66

Ib id , I,

62

Ibid., p. 7.

67

Cfr. Ibid., I, 2.

63

Sull’analogia tra architettura e musica basata suH’efFetto sensibile prodotto, anziché su un fondamento filosofico e

68

Cfr. Ibid., Libri IV-V.

razionale comune, cfr. Christine Smith, Architecture in the Culture o f Early Humanism..., op. cit., p. 80-97 : 92-94.

69

Cfr. Ibid., I, 3-13, ove per ciascuna componente è illustrato il modo dell’« intégras formas præscribere animo et

operoso della mano, la « periti artifici manus, quae lineamentis materiam conformaret » (L. B. Alberti, D e re

70

Ibid., IX, 2, p. 793 : « Tota [...] facies atque congressio, quod in omni ædificatione [...] conciliât ad gratiam ».

adificatoria..., op. cit.. Prologo, p. 15); ciò che richiede, « pro instrumento », che le siano forniti disegni di

71

64

65

I,

p. 19.

mente seclusa omni materia ».

Alberti ha voluto preliminarmente anche ricordare, accanto a quello dell’ingegno e della natura, l’intervento

La questione è presentata dall’ Alberti ntW'incipit nei seguenti termini : « Distinxim us ea de re aedificiorum

tracciati aventi un valore tassativo.

genera ; in quibus quidem cum habere plurimum momenti videremus cohesionem modumque linearum inter

Ibid., Prologo, p. 11-13; Ih

se, ex quo præcipua pulchritudinis effectio emanarit, de pulchritudine idcirco coepimus disquirere, quidnam

p. 843-845; IX, 9, p. 851-853.

318 I P einture & architecture

P- 95; IX, i, p. 787; IX, 4, p. 805; IX, 5, p. 813 e 817; IX, 7, p. 835-837; IX, 8,

esser et qualis cuique deberetur », ibid.. Prologo, p. 15 (« Abbiamo distinto gli edifici in diversi generi ; e poiché

P einture & architecture | 319

D anilo S ansa

L eonis B aptist /e A lberti

de lineamentis /edificiorum

La stessa nota definizione di bellezza e di ornamento {puichritudo atque ornamentuni) quali

tenere salda, se non di acuire - « monente natura », « natura moniti »^^ - la differenza reale che

correlati fenomeni di concinnitas - « ut sit puichritudo quidem certa cum ratione concinnitas

esiste nei confronti del metodo di giudizio intellettuale dell’apprensione neutrale o speculativa.

universarum partium in eo, cuius sint, ita ut addi aut diminui aut immutati possit nihil, quin

In tale modo implicitamente afferma che l’edificazione non è appannaggio dei matematici e dei

improbabilius reddatur

pratici delle costruzioni, ma di artisti che sanno la « proficuità architettonica » del sussistere di

- è collocata dall’Alberti nel quadro di una « intelligenza dell’animo »

che supera, per efficacia, la stessa esplicazione razionale esprimibile a parole^^ Questa prima definizione della bellezza ha un carattere empirico (che predispone alla tra­ ducibilità matematica, numerico modulare)^“* e appare funzionale a esprimere un giudizio imme­

una dialettica costante tra i due tipi di appropriazione-comprensione della corporeità dell’edificio prodotto d’arte, il sensibile e l’intellettuale. Il primo appartiene a tutti, architetto compreso ; il secondo è esclusivo di quest’ultimo, per il quale ha un valore tecnico irrinunciabile*“.

diato, fondato non sul « gusto » individuale o momentaneo, ma su una « animis innata quaedam ratio

Così, nel discutere delle case private ai fini della loro bellezza {ad ornamentuni), è afferma­

Essa ha un carattere orientativo alla prassi e un retroterra storico ; tanto che proprio

to : « tu puoi fare membrature circolari o quadrilatere, indifferentemente, purché rispondano

attenendosi al suo solo criterio tecnico, prosegue l’Alberti, per lungo tempo i maiores nostri edifi­

all’uso destinato. È però della massima importanza determinare la loro grandezza e la loro

carono e appresero che i corpi naturali, che imitavano, non erano sempre costituiti da dimensioni in proporzioni identiche^^ e che i corpi interi risultanti avevano « grandezze » variabili alla per­

(R udolf W ittkower, « A lberti’s approach to antiquity in architecture », Journal o f the Warburg and Courtauld

cezione {intuitus). Alla fine essi vollero rendersi precisamente conto di ciò; e al metodo fondato

Institutes, IV, 1940-1941, p. 1-18 ; poi in Id., Principi architettonici..., op. cit., p. 35-57 :55-57) ; su cui vedi D a­

sull’intuizione immaginativa animus delle grandezze spaziali apparenti, al quale si erano fino

nilo Samsa, « L’Alberti di W ittkow er », Albertiana, V I, 2003, p. 51-94. A l ’interrogativo che la sua eterodossa

ad allora attenuti, affiancarono il metodo intellettuale di controllo fondato sulla misura (numeri

opera pone, tra riconoscim ento del prevalere di alcuni temi (la facciata, gli ordini classici, la navata con tri-

significativi, moduli naturali, rapporti

bunalia, la pianta centrale, la crociera con cupola) e individuazione della sola unità “stilistica” possibile nella

m a t e m a t ic i) ^ ^

volontà di realizzare una sintassi com piuta, o im m agini di razionalità o suoi « frammenti paghi della propria

Essendo ineliminabile il primo metodo del giudizio sensibile, il solo a essere portatore di va­

finitio » (Tafuri) ; il ritratto di un Alberti architetto outsider si è profilata risposta soddisfacente, considerate

lori di prova immediata, di sollecitazioni corporee, di emotività e anche di pensieri (svariati) che

analiticamente le sintesi figurative realizzate (immagini di un’antichità rielaborata) e individuate le citazioni

orientano i comportamenti e incidono sul^animo^^ l’A b erti cerca - a nostro parere - di man-

via via impiegate, anche portatrici di significati e valori simbolici e quindi, così accostate o surrettiziamente interpolate daH’Alberti, tratte dal “gran libro” del passato, nonché dalle stesse proprie opere via via progetta­ te (cfr. M . Tafuri, « “Gives esse non licere” ... », art. cit., p. 63; H . Burns, « Leon Battista Alberti », art. cit., p. 158 ; Massimo Bulgarelli, « Alberti a M antova. Divagazioni intorno a Sant’A ndrea », Annali di architettura,

in essi si è constata avere grande importanza la connessione delle linee e la proporzione delle loro dimensioni

XV, 2003, p. 9-35 ; Id., « Architettura, retorica e storia. Alberti e il tem pio etrusco », in Arturo Calzona, Jo­

reciproche \cohesionem modumque linearum inter se], che è il principale fattore della bellezza [...] abbiamo

seph C onnors et alii (eds), Leon Battista Alberti. Architetture e committenti. A tti dei Convegni internazionali

cercato in cosa consiste e come si deve presentare la bellezza nei vari generi »). 72

del Com itato Nazionale V I Centenario della nascita di Leon Battista A lberti (Firenze, Rim ini, M antova,

Ibid., V I, 2, p. 447 (« definiremo la bellezza [pulchrittido] l’armonia [concinnitas] tra tutte le membra, nell’unità

12-16 ottobre 2004), Firenze, O lschki, 2009, p. 663-684; F. R Fiore, « Leon Battista A lberti architetto... »

di cui fanno parte, fondata sopra una legge precisa, per modo che non si possa aggiungere o togliere o cambiare

art. cit., p. 54 e 61-62). M a, una volta riconosciutone 1’« impuro classicismo », si dovrà per questo continuare

nulla se non in peggio ») ; cfr. supra, n. 25. 73

a considerare l’architettura albertiana un’anticipazione « manierista » da parte di un artista cortigiano in pec­

L’affermazione è attenuata appena, nel passo, da un significativo « probabilmente » : «fortassis animo apertius

tore e di un intellettuale iper-aristocratico e déracinéì Un più elevato e articolato contesto semantico collega

intelligemus, quam verbis explicari a me possit » {id.). 74

l’originalità sperimentata dell’opera architettonica al libro D e re adificatoria ; esso si trova al livello di una

Ibid., V II, 5, p. 559 : « Sed, quemadmodum in animante caput pes et qualecunque velis membrum ad caztera

filosofia dell’esistenza - che assume si dia causalità senza finalismo - e di un’etica architettonica - che non

membra atque ad totum reliquum corpus referndum est, ita et in aedificio maximeque in tempio conformandae universas partes corporis sunt, ut inter se omnes correspondeant, ut, quavis una illarum sumpta, eadem ipsa casterae omnes partes apte dim etiantur » (« M a a quel m odo stesso in cui nell’organismo animale la testa, i piedi e ogni altro membro sono strettamente connessi alle membra tutte e all’intero corpo nel suo complesso, del pari in ogni edificio, e soprattutto nel tempio, occorre conformare tutte le parti del suo corpo in modo che corrispondano interamente le une alle altre, al punto di poter agevolmente ricavare le dimensioni di tutte quante dalla misura di una non importa quale di esse »). 75

Ibid., IX, 5, p. 813 (« una facoltà innata nell’animo ») ; e cfr. supra, n. 65.

76

Ibid., IX, 5, p. 817: « Portionibus non semper azquatis constare ».

77

D i ciò è dato anche conto in significativa traccia storiografica; cfr. ibid., V I, 3, p. 451-457.

78

D i qui la varietas dell’opera architettonica dell’Alberti ; già definita « interpretazione non ortodossa dell’archi­ tettura classica » dal W ittkower, il quale la considera « l’ultima fase dell’arte albertiana » e la vede, nella serie delle opere, « evolv[ere] da una visione emotiva a una concezione archeologica », « subordina[re] l’autorità classica alla logica della struttura muraria », quindi « rifiutare l’archeologia e l’obiettività, e considera[re] l’ar­ chitettura classica come un tesoro cui attingere il materiale per un’architettura muraria libera e personale »

320

P einture & architecture

fondando su auctoritates si cimenta sul merito della questione : quid in re sit. 79

L. B. Alberti, D e readificatoria.... op. cit., II, i, p. 95 ; IX, 5, p. 817.

80

Ibid., II,

I,

p. 95 : « Q u o fit ut, siquid se obtulerit, in quo aliquid curtum claudicans redundans inane aut

inconditum sit, illico commoveamur et lepidiora esse desideremus. C u r id accidat, non omnes intelligimus ; tamen, si rogemur, emendari corrigique posse negabit nemo. A t, qualis ea sit ratio exequendi, non erit om nium explicasse, sed solum in ea re bene consultorum » (« onde avviene che, presentandosi alla vista un edificio in cui vi sia un particolare monco, o zoppicante, o superfluo, o inutile, o imperfetto, immediatamente ci colpisce in esso la mancanza di eleganza. Le ragioni di questa impressione non potranno essere comprese da tutti ; tuttavia, alla domanda se vi sia qualcosa da aggiustare o rettificare, tutti risponderebbero affermativamente ; ma in che modo ciò si possa fare, sarà ben più difficile dire, e sarà com pito esclusivo degli esperti in questa questione »). D ’altra parte, l’insistere sugli « artium praecepta » e il ravvisare « aliqua certa et constans ratio atque ars » {ibid., V I, 2, p. 449) per la determinazione e il giudizio sulla bellezza e sull’ornamento costituiscono anche il modo per oggettivare l’arte stessa e la sua fenomenologia, senza che la « certezza » di tali regole si converta nella pretesa di una loro applicazione acritica o meccanica.

P einture & architecture | 321

D anilo Sansa

Leonis Baptist/e A lberti

dislocazione. Alcune di esse devono essere fatte più ampie, come il cortile o atrio, cuore della casa; altre necessitano di area minore [...], altre sono intermedie

de lineamentis /edificiorum

Alla nozione di bellezza-ornamento già riportata*^ si deve affiancare la successiva, che pre­

Secondo una diffusa e

senta la pulchritudo sul piano filosofico e tecnico come : « l’accordo e l’unione delle parti nel tutto

tradizionale consuetudine dell’antichità la larghezza dell’atrio doveva corrispondere ai due terzi

in cui si trovano, secondo un determinato numero, delimitazione e collocazione, secondo quanto

della lunghezza, o questa ai cinque terzi di quella, o ancora la lunghezza ai sette quinti della

esige la concinnitas, la legge primaria e assoluta della natura. La quale concinnitas è perseguita

larghezza [ossia 2 : 3, 3 : 5, 5 : 7 (= i : Vz circa)]. Pare che gli antichi avessero deciso, in queste

quanto più possibile dall’arte di edificare »*^. N ell’eventualità che possano presentarsi condizio­

membrature, di fare l’altezza delle pareti pari ai quattro terzi della lunghezza dell’area [3:4]. Da

namenti durante l’azione di progetto, i lineamenta di una struttura « concinna » potranno essere

parte nostra, misurando gli edifici abbiamo accertato quanto segue.

comunque attinti per altra via, ricorrendo a « ratio atque ars

Le aree quadrilatere esigono

avvalendosi di un sapere pratico

una diversa altezza delle pareti, secondochésiano coperte a volta ovvero a travature', inoltre negli

o artistico** che indichi a mens et animus l’itinerario per stabilire soluzioni atte a un’applicazione

edifici più grandi occorre regolarsi diversamente che in quelli di piccola grandezza, poiché non è

concreta dei suoi elementi in posizioni e circostanze date.

identica in questi e in quelli il rapporto di distanza tra il centro dei raggi visivi e il limite mas­ simo dell’altezza visibile. Ma di ciò si dirà in altro momento

La coscienza di ciò implica, pertanto, ammettere correzioni nelle soluzioni dettate dalle norme generali. Per un gradito dimensionamento delle parti entro il tutto, sono possibili in­

L’istituzione proporzionale ha subito, può e deve subire deroghe non per deduzione da cause

terventi di « rifinitura » delle forme corrispondenti alla finitio prestabilita secondo le regole

ottiche, per accidenti naturali ; ma in nome della riuscita qualitativa e della piena valorizzazione

universali della bellezza propria degli organismi naturali. Ma tali interventi ricevono una con­

della facoltà immaginativa atta a introdurre nel volume costruito quegli « elementi di correttezza »

valida solo in rapporto al giudizio positivo emesso sulla forma della membratura particolare cui

che solo l’efficacia della visione*^ ha il potere di giudicare a partire dalla soluzione dimensionale

si applicano nell’organismo in questione.

raggiunta (eccedente l’applicazione di una proporzionalità universale)

Tale prassi trova corrispondenza teorica nella definizione degli ornamenta. Infatti, accanto alla precedente di pulchritudo si colloca, per la sua inerenza al piano pratico e artistico specifico, quella di ornamentum ; il quale « può definirsi come una sorta di bellezza ausiliaria \luxpulchritu­

81

II richiamo all’esperienza personale rimanda a un famoso brano di autobiografia progettuale (cfr. ibid., IX, io, p. 861-863). N on è da escludere che qui si alluda a una verifica della prescritta forma proporzionata (in base

82

dinis] o di completamento [...] »*^ che esula dalle leggi di formazione dell’intera struttura.

alla fissazione di primi lineamenta) compiuta incrociando, da un lato, le sensazioni di reale grandezza e di unità

Nell’abbellire un edificio non è ammesso « nulla che abbia d’informe e di distorto » ; tuttavia,

spaziale fornite dalla visione di un modello e, dall’altro, i dati ottenuti da un riscontro degli allineamenti e delle

negli edifici privati - e presumibilmente nei pubblici meno istituzionalizzati o appartenenti a un

superfici delle parti strutturali, compiuto con un reticolo geometrico redatto in exemplaribus.

nuovo genere - « l’allontanarsi un poco dall’oppressione e dalla studiatissima legge degli schemi

Ibid., IX, 3, pp. 79S'797 (corsivo nostro) : « Nam sunt quidem [partes], qui tu seu rotunda facias seu quadrangula, m odo recte ad usum conférant, m inim i interest ; quanta vero eadem sint et quibus locis disponantur,

approvati [a gravitate et consultissima lineamentorum lege], cosa non ammessa negli edifici pubbli­

plurimum interest. Et earum aliæ maiores fiant necesse est, uti sunt ædium sinus ; aliæ minore indigeat area

ci, [...] contribuisce talvolta al gradimento »^°. Nel variare la soluzione d’ornamento « con linee e

[...]; aliae sunt mediæ [...]. Ex vulgato vetere maiorum more atrium aut latum erit ex tertia longitudinis bis,

angoli comunque rispondendo alla regola dell’arte, l’architetto tuttavia cercherà, per quanto più

aut longitudo quidem ipsa latitudinis tertiam habebit quinquies, aut dabitur longitudini quinta latitudinis sep-

possibile, di mantenere le forme proprie delle parti, nell’intento di non privare l’opera di una cor-

ties. Cuivis istarum sic instituisse veteres videbantur, ut parietem in altum attollerent, quoad pars longitudinis areae tertia altitudini daretur quater. Nos ex operum dimensionibuis sic compertum habemus, altitudinem poscere quadrangulas areas in pariete, aliam ubi testudinetur, aliam ubi contignetur. Item in maximis ædificiis aliud

83

providendum, aliud in minusculis. N on enim par in utrisque proportio intervallorum est a centrico spectantis

85

radii puncto ad extremas conspectas altitudines. Sed de his alibi ». L’osservazione è stata ritenuta da Paolo

86

L. B. Alberti, D e re ¿edificatoria..., op. cit., IX, 5, p. 816 (corsivo nostro) : « pulchritudinem esse quendam

Portoghesi « di capitale importanza per la teoria albertiana delle proporzioni. I rapporti non possono essere

consensum et conspirationem partium in eo, cuius sunt, ad certum num erum finitionem collocationem que

determinati in astratto ma in relazione all’ampiezza dell’ambiente » {ibid., p. 79 6-797, n.

habitam, ita ut concinnitas, hoc est absoluta primariaque ratio naturae, postularit. H anc ipsam maiorem in

2).

modum res aedificatoria sectatur ».

Ibid., IX, 8, p. 843-845 : « Est enim in formis profecto et figuris aedificiorum aliquid excellens perfectumque 87

Ibid., V I, 2, p. 449 : « Equidem certe ipsa haec pars, quae circa pulchritudinem ornamentumque versatur, pri­

nella configurazione degli edifici un naturale attributo di eccellenza e perfezione, tale da stimolare la sensibilità

88

Ibid., V I, 3, p. 457 s.

e tale da essere subito avvertito, se è presente, o da sentirsene in alto grado la mancanza, se non c’è. Soprattutto

89

Ibid., V I, 2, p. 448 : N e risulta che « [...] mentre la bellezza vera e propria è una qualità propria

natura, quod animum excitât e vestigioque sentitur, si adsit, si vero desit, maiorem in modum desideretur. Et

maria om nium quom sit, huius nimirum ipsius partis aliqua certa et constans erit ratio atque ars ».

sunt praesertim oculi natura percupidi pulchritudinis atque concinnitatis » (« Si riscontra infatti nell’aspetto e

I,

p. 95; e X, 17, p.

dalla natura del corpo stesso » (« Erit quidem ornamentum quasi subsidiaria quaedam lux pulchritudinis atque

IODI.

veluti complementum. Ex his patere arbitror, pulchritudinem quasi suum atque innatum toto esse perfusum

Ai fini della bellezza {ad elegantiarri) anche i lineamenta delle colonne, che sono il principale ornamento in una

corpore, quod pulchrum sit; ornamentum autem afficti et compacti naturam sapere magis quam innati »).

struttura, ammettono correzioni e aggiustamenti nelle proporzioni; cfr. ibid., I, io, p. 71 s .; V I, 13, p. 521; e VII, 6, p. 567. C iò vale in specie nelle case private, ove « nell’ornare [...] bisognerà avere un severissimo senso del limite [...] sebbene nella maggior parte dei casi si possa imboccare una via più libera » di quella cui obbli­

e innata che

investe l’intero corpo, che diciamo bello ; l’ornamento è piuttosto un che di accessorio e aggiunto, che esula

gli occhi sono per propria natura smaniosi di bellezza e di armonia ») ; sul senso della vista cfr. anche ibid., II, 84

Cfr. supra, n. 25 e 72.

90

Ibid., DC I, p 787 : « Nihil habeat informe aut depravatum. Q uin, quod publicis operibus non conceditur, ut a gravi­ tate et consultissima lineamentorum lege paulo aberretur, id in istis etiam ad iocunditatem interdum facit ».

gherebbe « l’esatta regola {exacta ratio] prevista per gli edifici pubblici » {ibid., IX, i, p. 784-785).

322 I Peinture & architecture

Peinture & architecture | 323

D anilo Sansa

Leonis Baptist/e A lberti

retta armonia dei membri [membrorum concinnitate], ma di divertire gli spettatori con un gioco leggiadro, o meglio intrattenerli con la piacevolezza del ritrovato

de lineamentis /edificiorum

Quanto al secondo stato della mente, ove questa è colta nel momento attivo, gli enti geo­ metrici - con la loro virtù di facile e precisa impressione e di relativa visualizzazione e diffusione quali concetti e segni della mano (« disegni umani » per eccellenza) - operano al servizio di una

Al termine di questa rassegna di proposizioni albertiane commentate, ritornando sui nostri passi

intenzionalità conoscitiva ed esplorativa (retta da ragione, volontà e intuizione : mens et animus)

e ricollegandoci alle righe iniziali, concludiamo con una notazione generale di sintesi.

che ne sfrutta la vis potenziale - infatti potrebbero propriamente dirsi simbolo di « forza e di

Sotto il primo prospettato livello di esistenza in mente, linee e angoli e quanto da essi deriva

metodo », per la precisione d’indirizzo e il potere di centrare punti obiettivi - e che li predispone

avente il medesimo compito di separare e unire, sono appresi e considerati come enti geometrici

ad assumere una configurazione concreta, a partire dal campo di visibilità offerto da una rappre­

di ogni visualizzazione (a partire dal punto) e misurazione (iniziando con la linea) di forme base

sentazione in piano (j,n perscriptione et pittura \ descriptió), svolta assecondando la forma pensata

elaborate per la conoscenza del mondo fisico - studiate, appunto, dalla geometria e da questa

originariamente nell’occasione (coniectatio).

definiti quanto alle loro proprietà formali, ai rapporti tra le loro quantità, alle specifiche regole

Nell’assolvere a tale traduzione, gli elementi lineari e angolari permettono, per l’energia e l’in­

della loro costruzione - e, quindi, riproducibili e visualizzabili a loro volta (il cerchio, il triangolo,

carico ricevuti, di far comprendere, da un lato e di manifestare simultaneamente, dall’altro, una

i poligoni regolari).

realtà a essi del tutto omogenea, ma nuova : e in libera costituzione nel corso del pensiero e, benché

Queste forme base di lettura e interpretazione, messe a punto per quel fine e in quell’alveo,

cosa in fieri e pertanto provvisoria, ivi presente come se fosse una realtà ultimata (prascriptió).

si sono rese anche immediatamente riconoscibili in determinati casi nella natura. Per l’essere codi­

Di tale realtà in formazione nel circuito mentale, essi proiettano all’esterno forma et figura

ficate in una cultura e, in una certa misura, inscritte nell’osservazione dei fenomeni naturali, esse

della struttura (l’intera membratura di un essere nascente) materializzandone l’anatomia di vuo­

sono potute risultare come perennemente apprese e poste davanti agli occhi, quasi come fossero

ti / pieni e consentendone la completa identificazione nella grafica di un disegno, nel quale saran­

una pracognitio integralmente umana.

no rappresentati anche gli invisibili lineamenta che procurano all’edificio la sua forma pulchra. È

Tuttavia, esse sono anche le forme che, prescritte e impresse nel pensiero e reiterate nell’uso,

per la loro costitutiva presenza che questa ultima potrà essere apprezzata nel disegno apparente

permettono di identificare (e visualizzare) agevolmente le forme appartenenti a una realtà più

stesso (ma per occhi esperti) ; così come è per la loro presenza che, nella realtà di un costrutto

ampia : il mondo reale ancora sconosciuto e, in particolare, quella sua sezione « innaturale » costi­

praticamente agibile e visibile (per occhi comuni), tota res adificatoria potrà aspirare a brillare o

tuita dal mondo umano artefatto che dalla natura e da altri tempi è potuto affiorare come da un

rifulgere^^ - in quel determinato oggetto corporeo e per le dimensioni inderogabilmente regolate

giacimento prima ignoto. Un universo artistico che di quelle forme già s’è avvalso e che, nel giungere

sulle grandezze percepite — di una bellezza piena e sonante : riconoscibile vera per istinto {concin­

alla portata dello scavo dovuto all’indagine archeologico-storica, si fa subito riconoscere e notare per

na) e attraente per ingegnosità profusa {ornataY^.

le differenze nelle e tra le sue produzioni d’arte. Si tratta di una realtà non geometrica o matematica, il cui campo s’estende nella diacronia del tempo ; e per la conoscenza della quale, nelle forme specifi­ che e nell’aspetto dei suoi prodotti artistici, i.e. umani, le figure geometriche primarie costituiscono una strumentazione e una guida apriori (ricavandone conferme per il loro studio e insegnamento autonomo o anche motivi per una loro idealizzazione).

91

Id. ; « Q uoad poterit, artifex dignissimus partium formas productis arte linearum et angulorum finibus tuebitur, ut voluisse non fraudare opus decenti membrorum concinnitate, sed visentes ioco ludere venusto vel potius oblectare inventi lepiditate videatur ». L’esempio architettonico riportato dà conto di una circolarità di esiti possibili

92

nella quale, al cedimento delle risultanze accreditate dalla parte scientifica del discorso, consegue, strappato alla

93

« Elucescere » (Ibid., V I, i, p. 443 e V I, 5, p. 469) ; « collucescere », (Ibid., IX, 5, p. 815). Precisa è la definizione di ornamentum data discutendo delle case private ; a chi volesse « sapere con esattezza

prigione delle regole convenzionali di una lingua architettonica, l’avvio di un’esperienza di ricerca e di accerta­

in che consista realmente l’ornamento degli edifici » l’A lberti risponde in m odo perentorio : « sic statuo :

menti coinvolgente la condotta individuale. Questa, assunto « quoad poterit » il carattere di un preciso « conte­

verum certumque aedificiorum ornamentum qui recte volet advertere, intelliget [...] maxime ingenii ope

gno », concede {oblectaré) un momento ricreativo a sollievo dell’animo o a distensione della mente, predisponendo

comparati atque consistere [...] volet [...] qui bene consultus sit, in artificis diligentia et consilii iudiciique

il primo a riattingere il suo nutrimento autentico neH’apprendimento di cose degne e rare e la seconda a ritornare

laudibus a nemine uspiam superati ; ex quo omnis partitio et lineamentorum conventio mirifice comprobetur,

rinfrancata al proprio compito ordinatore ; traiamo in proposito spunto da A.Tenenti, « Considerazioni sull’etica

quod ipsum ornandi genus pracipuum primariumque est » (Ibid., IX, i, p. 783 - corsivo nostro) : esso è

di Leon Battista Alberti », in Id., Etica e politica. Due scritti sul Rinascimento, Firenze, Cartei & Becagli, 2002,

« massimamente opera dell’ingegno », accuratezza (diligentia), saggezza (consilio), sagacia (iudició) del quale,

p. 7-35. L’opera dell’architetto (artifex dignissimus) è presentata in potere di allestire un w A fenomenico di razio­

espresso da parte di un autore, di un com m ittente, di un artefice trovano nell’opera « mirabile riscontro

nalità, eticità, sanità (fisica e mentale), potenzialità, che acquista rilevanza etico-politica se la si considera sullo

nell’intera suddivisione e nella totale coerenza delle forme delineate e costruite, la qual cosa costituisce il

sfondo della diagnosi albertiana di un vivere lacerato da un conflitto insanabile.

principale e primario genere \genus] dell’ornare » (id ).

324 I P eINTURE & ARCHITECTURE

Peinture & architecture I 325

Peinture, vision et disproportion chez A lberti et Léonard de Vinci Lucien Vinciguerra U M R « Savoirs, textes, langage », Université Lille 3

La perspective est hantée par la disproportion, À sa naissance au Quattrocento, la perspectiva artificialis s’est donnée comme une pratique introduisant la rationalité mathématique dans la peinture. Mais dans un savoir qui fait à ce moment-là de la raison l’instrument de la recherche des analogies et des ressemblances, plusieurs éléments de la nouvelle technique ne pouvaient manquer de poser problème, La perspective rompt en effet avec l’analogie de proportion entre la chose et son image : elle conduit à la construction d’une image qui ne respecte pas les proportions de son modèle, au sens le plus élémentaire du terme : des choses égales sont représentées par des choses inégales. Comme Descartes en fera la remarque au Quatrième Discours de sa Dioptrique, les images en perspective « représentent mieux des cercles par des ovales que par d’autres cercles »'. Par là, elle semble alors produire des effets qui vont à l’encontre de ses propres principes. Elle se présente comme réduction, selon l’expression même des peintres du Quattrocento. Mais il arrive selon les règles que l’image « réduite en perspective » s’avère dans certaines de ses parties plus grande que l’original. C ’est à cette objection que Piero della Francesca cherche à répondre dans la dernière proposition du livre i du De prospectivapingendi, « pour détruire l’erreur de certains, qui ne sont pas très experts dans cette scien­ ce, et qui disent que maintes fois, lorsqu’ils partagent leur plan dégradé en brasses, il arrive qu’une brasse, une fois dégradée, soit plus grande que lorsqu’elle n’était pas dégradée »L Les peintres et les penseurs de la perspective de la Renaissance italienne se sont d’emblée heur­ tés à ce problème. O r chacun d’eux lui donne en même temps des réponses profondément dif­ férentes. Plus encore, jusqu’au xvi' siècle où la question sera posée en nouveaux termes autour des paradoxes de l’anamorphose, le problème est énoncé pour chacun en des termes et des idées profondément différents. Il ne définit donc pas vraiment un champ délimité de controverses ou

René Descartes, Dioptrique, Quatrième Discours, dans Œuvres, publiées par Charles Adam Si Paul Tannery, Paris, Léopold Cerf, ii vols., 1897-1909, V I, p. 113. Piero della Francesca, De prospectiva pingendi, édition et traduction par Jean-Pierre Le G off, avec une préface d’Hubert Damisch et une postface de Daniel Arasse, Paris, In Media Res, 1998, proposition I-30, f i6v.

P einture & architecture | 327

Lucien V inciguerra

Peinture, vision

et disproportion chez

A lberti

et léonard de

V inci

d’oppositions comme l’est par exemple la question de la prééminence entre la poésie et la pein­

La section de la pyramide au chapitre 12 introduit donc Alberti à une dimension nouvelle.

ture. Les peintres le rencontrent en quelque sorte chacun au détour de leur propre conception de

Elle ouvre naturellement à ce moment-là sur le premier acte du peintre, le tracé de la fenêtre,

la vision, de la peinture et de la composition picturale, de telle sorte qu’il fonctionne en même

que la tradition a retenu comme la métaphore albertienne disant l’essence de la peinture : « une

temps comme un indice de la singularité de leur démarche théorique et pratique.

fenêtre ouverte à travers laquelle on puisse regarder l’histoire »^. Et pourtant, la question de la

Dans le De pictura de Leon Battista Alberti, cette question est au coeur d’une singularité

peinture à peine introduite est aussitôt abandonnée, pour n’être véritablement abordée que plus

dans l’organisation du traité. L’ouvrage, bien qu’il se présente comme « brefs commentaires sur la

tard, sept chapitres plus loin, au chapitre 19 qui rentre alors pleinement dans une explication de la

peinture »\ n’aborde la question de la peinture qu’au chapitre 12 de la première partie, après avoir

construction picturale. Entre les deux, Alberti a glissé dans son traité une série de considérations

longuement développé dans les premiers chapitres une conception de la vision et une analytique

géométriques sur les relations de proportion dans les triangles et les surfaces, qui occupent les cha­

du visible conforme à son projet initial : traiter « de la peinture en partant des principes mêmes

pitres 13 à 17. Dans cette partie du traité, Alberti revient sur les surfaces auxquelles s’attachent les

La nature nous enseigne pour Alberti que nous voyons par l’entremise de rayons

rayons visuels. Les unes, remarque-t-il, sont gisantes, d’autres se tiennent sur les côtés, comme les

visuels joignant les surfaces des choses à l’œil, et formant entre eux une pyramide de rayons. L’ou­

murs. Certaines encore sont parallèles entre elles. Or, ces différences de situation produisent des

vrage décrit donc longuement durant près d’une quinzaine de pages ce mécanisme de la vision,

différences de nature géométrique. Alberti prend pour point de départ mathématique les relations

proposant une classification des rayons selon leur place dans la pyramide et la manière dont les

dans les triangles proportionnels (théorème de Thalès), qu’il présente au chapitre 14 :

de la nature

choses nous apparaissent en vertu des propriétés relatives de leurs surface et des rayons. La pein­

Nous appelons proportionnels {proportionales) les triangles dont les côtés et les angles conservent entre eux le même rapport {ratio) [...]. Car le rapport d’une partie à une autre partie qui est présent dans le plus grand triangle l’est aussi dans le plus petit*.

ture est ensuite introduite, au chapitre 12, comme l’intersection de cette pyramide : Comme c’est sur la seule surface d’un panneau d’un mur que le peintre s’applique à feindre plu­ sieurs surfaces comprises dans une seule pyramide, il faudra nécessairement qu’il coupe en un lieu quelconque cette pyramide visuelle afin de représenter par des lignes et de la peinture les contours et les couleurs tels que les donnera cette coupe. S’il en est ainsi, ceux qui regardent une surface peinte croient voir une certaine section de la pyramide. La peinture sera donc une section de la pyramide visuelle [...]’.

La peinture, et avec elle l’image en perspective en général, est mise en scène dans le traité non

Cette proportionalité est analogue à celle qui fait l’harmonie des corps humains grands et petits, montrant en eux une même mesure (commensuratio), et découvrant entre le corps d’Hercule et celui du géant Antée l’ordre égal et la symétrie {symmetrid) maintenue. Les triangles semblables répondent ainsi dans la géométrie aux convenances et aux accords du corps humain sur lesquels s’appuieront plus loin, au second livre du traité, les règles de la composition picturale^.

pas comme un élément du dispositif visuel naturel, mais comme une intervention artificielle sur

Or, de ces remarques géométriques se déduisent pour Alberti des conséquences mettant en

celui-ci, intervention qui n’est pleinement intelligible qu’à celui qui sait comment on voit, mais

jeu la pyramide visuelle et les rayons. La pyramide visuelle est en effet pour Alberti composée

qui n’a elle-même pas de place dans le processus naturel de la vision. Pour Alberti, il ne se forme

de triangles qui réunissent à la pointe de l’oeil deux rayons et ont pour base les points extrêmes

nulle part dans la vision une image ou une peinture. Si nous voyons, ce n’est pas qu’une image

des choses vues. Les lignes joignant ces points qui seront parallèles à une section de la pyramide

s’arrache aux choses et vienne jusqu’à l’oeil. Ce n’est pas non plus qu’il se forme semblable image

donneront avec la section des triangles semblables, et la proportion sera maintenue. La peinture

dans l’oeil ou le cerveau. Nous ne voyons pas parce que nous avons une image ou une peinture

offrira l’image proportionnée de la chose. Mais d’autres rompront cette proportion, et conduiront

des choses, mais parce que les rayons qui composent les pyramides visuelles « sont pénétrés de la

à des rapports non maintenus entre les surfaces des choses et leur image sur la section. Telles sont

variété des couleurs et des lumières qu’ils rencontrent [...] comme le font, dit-on, le caméléon

les surfaces gisantes ou obliques, et les lignes fuyant au loin, brisant le parallélisme.

et les animaux de cette espèce qui lorsqu’ils ont peur, prennent la couleur des choses qui les en­

Toutes ces lignes et surfaces viennent alors pour Alberti mettre en question l’image d’une

tourent »L Là se tient ainsi pour Alberti tout le savoir de la vision. L’intervention de la peinture

peinture gardant en elle les raisons des choses et contribuant, par là, à leur intelligence. Car son

constitue donc dans l’exposition albertienne une rupture, qui marque le passage de la nature à

pouvoir de faire connaître, la peinture le tient pour lui du fait quelle donne à voir les choses en

l’intervention artificielle du peintre, auteur d’une fiction ou d’une feinte : feindre {effingeré) plu­

en figurant les rapports, dans ses formes, mais aussi ses couleurs et lumières, selon le modèle d’une

sieurs surfaces dans une seule.

connaissance qui est de part en part comparaison et découverte des rapports maintenus de l’image à la chose. Alberti propose ainsi dans le chapitre 18 de l’ouvrage une analyse de la connaissance

3

Leon Battista Alberti, De pictura, (1435), traduction de Jean-Louis Schefer, Paris, Macula, 19 9 2 , 1,

4

Ibid.

7

Ib id , I, 12.

5

Ibid., 1, 12.

8

Ib id , 1, 14, p. 105.

6

Ib id , I, 7.

9

Par exemple en II, 38.

328 I P einture & architecture

Peinture & architecture | 329

Lucien V inciguerra

Peinture, vision

et disproportion chez

A lberti

et léonard de

V inci

comme comparaison et respect des rapports véritables des choses, dans laquelle il arrive même

problème que rencontrera plus tard Descartes dans la Dioptrique : comment se fait-il que les choses

parfois que l’identité des rapports se passe d’une identité de nature des termes :

n’apparaissent pas au spectateur telles quelles sont? Pourquoi un cercle vu de biais m’apparaît-il

Dans la peinture, les surfaces apparaissenr très pures et très brillantes si en elles la proportion du blanc au noir est identique à celle qui existe dans les choses mêmes entre la lumière et l’ombre. Tout cela s’apprend au moyen des comparaisons {comparationes). Il y a dans le fait de comparer les choses une force qui nous aide à comprendre {intelligere) le plus et le moins, ou l’égalité qui est en elle'°.

comme un ovale, un carré comme un losange ? Descartes en fera usage pour dénouer le lien de la ressemblance et de la représentation : Et que même suivant les règles de la perspective, souvent elles représentent mieux des cercles par des ovales que par d’autres cercles ; et des carrés par des losanges que par d’autres carrés ; et ainsi de toutes les autres figures : en sorte que souvent pour être plus parfaites en qualité d’image et représen­ ter mieux un objet, elles doivent ne pas lui ressembler"*.

Les surfaces non parallèles semblent alors inquiéter la raison en peinture. L’entrée du traité dans une théorie picturale, une théorie qui apprenne au peintre son geste, sa pratique, et les règles de la construction des images, théorie qui commence en vérité au chapitre 19 seulement et se pour­

Les grandeurs apparentes des choses n’existent plus alors sinon comme grandeurs représentées,

suit ensuite dans tout l’ouvrage, est ainsi retardée par la rencontre, dans les principes mêmes de la

tenant toute leur réalité du sujet qui les voit, représentations subjectives. Chez Alberti bien au

peinture, d’une sorte de discordance.

contraire, elles ont exactement le mode d’existence d’une mesure, présente dans la chose mesurée,

Or à bien y regarder, Alberti ne s’engage en vérité dans une théorie de la peinture qu’après

mais effet en cette chose d’une autre, la position du regard, unité en quoi toutes les autres choses

avoir d’une certaine manière surmonté cette aporie. C ’est sans doute le sens de la fin du chapitre 17,

autour se mesurent. Et pour penser cela chez Alberti, nulle représentation, et nul partage entre le

qui s’efforce de retrouver dans les surfaces non parallèles une forme de maintien des rapports. Mais

sujet voyant et le monde des choses, entre représentation et matière.

il n’y parvient qu’en déplaçant en quelque sorte le terrain de l’analyse. Celle-ci ne peut plus être

L’oeil humain est ainsi l’instrument qui dans la vision mesure toute chose. Or, ce qui au

strictement mathématique. Elle doit s’appuyer sur une conception de la mesure qui échappe aux

niveau de la mesure mathématique des triangles proportionnels apparaît comme disproportion,

mathématiques, et donne tout leur sens aux analyses des premiers chapitres du livre sur la vision et

les surfaces non parallèles au tableau qui tout à l’heure, dans la peinture, rompaient l’identité des

le visible, mettant en jeu l’acte même de la vision en tant qu’il est, d’une autre manière que dans les

rapports entre les grandeurs reportées sur la surface de la section et celles de la chose, retrouve une

mathématiques, mesure. Dans les premières lignes du traité, Alberti propose on le sait d’emprunter

sorte de proportion dans la mesure du regard. En effet, une grandeur demeure identique entre

aux mathématiciens leurs principes. Mais il ajoute alors qu’il parlera néanmoins en peintre, usant en

la chose et son image sur la section de la pyramide quelle que soit son obliquité, la quantité de

cela, selon une formule fameuse, « d’une plus grasse minerve »". Aux mathématiciens qui « mesurent

rayons coupés. Mesurées par le nombre de rayons rencontrés, c’est-à-dire par le compas de l’oeil,

les formes et les espèces des choses par leur intelligence », il oppose les peintres qui veulent « que

les deux grandeurs auront pour l’oeil la même mesure. Une surface oblique ou fuyante sera re­

les choses soient placées sous le regard »'L Mais dans cette opposition il n’y a pas, ou pas seulement,

présentée en raccourci dans la peinture, mais c’est quelle interceptait moins de rayons, d’autant

l’affranchissement par le peintre de la rigueur abstraite des mathématiques. Il y a l’invocation, face

moins que l’angle quelle formait avec la section de la pyramide était grand, de telle sorte qu’au

à la mesure intellectuelle du mathématicien, d’une mesure propre au regard. Toute la théorie alber-

niveau de la mesure du regard, la proportion est maintenue :

tienne de la vision développée dans le premier livre conçoit en effet la vision comme la mesure par

Plus l’angle quelles déterminent à la base du triangle sera ouvert, moins ces quantités recevront de rayons et moins elles occuperont par conséquent d’espace dans la section'^

les rayons visuels des grandeurs apparentes des choses. Alberti y décrit les rayons visuels comme des compas centrés en l’oeil dont les deux pointes sont posées sur les choses'L Voir alors, c’est mesurer. L’oeil mesure avec les rayons l’espacement apparent des choses. Les rayons mesurent les grandeurs

Est retrouvée entre l’image et la chose une nouvelle proportion. Mais celle-ci n’est plus à propre­

apparentes depuis un point de vue, qui représente ainsi pour ces grandeurs comme une unité de

ment parler mathématique. Elle n’est plus une mesure des formes par l’intelligence, mais par le

mesure. D ’un point de vue donné, toute chose acquiert une mesure. Mais celle-ci bien sûr varie

regard d’un homme qui appartient à ce monde même qu’il mesure et qu’il connaît par ses mesu­

avec le point de vue, de même que varie pour toute grandeur sa mesure quand on change l’unité de

res. D ’où le passage au chapitre 18, sitôt après l’analyse des surfaces non parallèles, à une réflexion

mesure. Les grandeurs apprentes et les formes apparentes des choses ont donc pour Alberti le mode

plus générale et philosophique'^ sur la connaissance comme comparatio. C ’est la saisie des bonnes

d’existence d’une mesure, présente dans la chose mesurée tout en n’étant déterminée que par rap­

proportions qui fait la bonne intelligence des choses, dans les grandeurs et les couleurs, dans les

port à une autre, l’unité de mesure, le lieu exact de l’oeil qui regarde. Ainsi est résolu dans le traité le

éclats de lumière et d’ombre. Et la meilleure unité de mesure à laquelle comparer toutes choses, la

10

Ibid., II, 18, p. 113.

II

Ib id , I, I.

14

R. Descartes, D io p tr iq u e ., op. cit., V I. Discours quatrième, p. 113.

12

Ibid., I, I.

15

L. B. Alberti, D epictura... op. cit., I, 17.

13

« L’œil mesure au 1

16

« Il faut ajouter à tout cela l’opinion des philosophes... », Ibid., 1, 18.

330 I Peinture & architecture

Peinture & architecture | 331

Lucien V inciguerra

Peinture, vision

et disproportion chez

A lberti

et léonard de

V inci

Et là je détermine la taille que je veux donner aux homme dans ma peinture. Je divise la hauteur de cet homme en trois parties et ces parties sont pour moi proportionnelles à cette mesure qu’on nomme vulgairement bras’’ .

plus proche et la plus claire à la fois, n’est-ce pas l’homme lui-même ? De là l’invocation fameuse de la formule de Protagoras, l’homme est la mesure de toute chose’^. L’homme, c’est-à-dire ici l’oeil humain, dans l’écartement des rayons visuels. Le détour albertien des chapitres 13 à 18, autour de la question des lignes non proportionnel­

L’homme mesure dans le tableau, dans un tableau lui-même tout entier mesuré par cet autre hom­

les, lui a permis en vérité de s’arracher à une intelligibilité purement mathématique du monde.

me au dehors qui le regarde et y plante ici et là le compas de son regard. L’homme unité de mesure

Les descriptions de la première partie du livre I constituaient comme une analytique descriptive

de la peinture, à la fois marquée en elle et hors d’elle, faisant de la surface du tableau le lieu de

du visible et de la vision. Les points et les lignes, les surfaces des choses, les rayons visuels, tout

composition de toutes les mesures des choses. À la correspondance du point de fuite, point cen­

cela composait jusqu’alors un univers fait de grandeurs qui pouvaient entrer librement dans des

tral d’Alberti, et de l’unique point de vue depuis lequel le tableau doit être regardé, répond cette

rapports mathématiques. Aux surfaces diverses des corps répondait l’unique surface de la section

autre correspondance : de l’homme marqué dans la peinture comme une unité de mesure à cet

de la pyramide, en laquelle le peintre déposait les mesures des autres. La non-proportionnalité

autre homme, hors de l’image, dont les rayons de la vision mesurent d’un même pan le tableau et

mathématique montre à Alberti que la section de la pyramide ne tire pas sa raison de sa seule in­

le monde, et convertissent une surface singulière en ce miracle qu’est \historia.

sertion dans le monde commun des surfaces des choses. Chose parmi les choses, surface au milieu H«

des autres, elle est porteuse d’une disproportion qui ne lui permet pas de s’accorder tout à fait avec elles. Ce qui lui donne sa raison et lui permet de se retrouver en proportion avec toutes les autres choses du monde, c’est l’homme, l’oeil humain autour duquel tout se mesure dans la vision.

La conception de la perspective de Léonard de Vinci est l’héritière d’Alberti, dans la mesure où elle

Mais cette surface particulière qu’est la section de la pyramide change alors de nature. Elle

s’appuie encore sur la même idée d’une communauté fondamentale de la vision de la peinture et

n’est plus désormais tout à fait une surface comme les autres. Ramenée à l’oeil humain, émana­

du visible. Pour lui, comme pour l’auteur du De pictura, la peinture fait voir dans la mesure où

tion en quelque sorte de ce dernier, elle devient alors composition, invention, historia. De là sans

elle est de même nature que le monde visible. C ’est par son appartenance au monde des choses

doute que le thème de Vhistoria soit introduit à ce moment-là, au chapitre 19, en même temps que

quelle peut représenter des choses. Mais chez Alberti, c’est parce qu’il est possible de déposer

l’image de la fenêtre, alors même que le concept

sur la section les grandeurs apparentes des surfaces du monde, reportant des mesures qui appar­

historia ne sera développé qu’au second livre au

moment où sera étudiée la composition picturale : Je trace d’abord sur la surface à peindre un quadrilatère de la grandeur que je veux, fait d’angles droits, et qui est pour moi une fenêtre à travers laquelle on puisse regarder l’histoire'L

tiennent pourtant à ces surfaces, que la section se fait la peinture des choses. Léonard pense cette communauté autrement, parce qu’il donne à la peinture une place beaucoup plus grande dans la vision. Mais chez aucun des deux, contrairement à ce que pensait Panofsky dans La perspecti­ ve comme forme symbolique^°, la perspective n’ouvre sur l’idée d’un partage du subjectif et de

historia contemplée à travers la fenêtre, ce n’est pas en vérité un autre monde vers lequel la peinture

l’objectif, de la représentation d’un sujet voyant et de l’espace physique des choses. Elle s’inscrit

ouvrirait ou, comme on le pensera plus tard, l’espace tridimensionnel offert par une simple surface

au contraire dans un monde où l’homme qui voit, l’image qui fait voir et et les choses visibles se

à deux dimensions. Pas plus quelle n’est sans doute la « fable » des Classiques, une peinture annexée

partagent ensemble un univers commensurable.

au discours. Elle n’est rien d’autre que la surface elle-même du tableau, mais une surface transfor­

Mais dans la pensée léonardienne, la non-proportionnalité de l’image et de la chose induite

mée, convertie par l’oeil humain, de part en part mesurée par l’homme, tout entière ordonnée par

par la perspective constitue sans doute une menace plus considérable et plus délicate à circons­

lui. Aussitôt tracée la fenêtre, dans la phrase suivante, Alberti y introduit d’ailleurs la grandeur d’un

crire. Elle engage pour lui la nature même de la perspective et conduit en réalité à une limitation

l’homme qui servira concrètement, littéralement, d’unité de mesure pour tout ce qui sera représenté

de sa portée. Alberti faisait disparaître le paradoxe, et il se trouvait alors libre de mettre en jeu dans

ensuite dans l’image et pour les lignes mêmes de la construction du dallage et du plan de base :

sa peinture la représentation d’une forme quelconque. Dans les nombreux textes où il aborde la question de la perspective^', Léonard va être conduit à interroger les limites mêmes de la perspec­ tive et par là à donner sur le sujet des prescriptions limitatives au peintre.

17

Sur le sens de cette formule à la Renaissance, je renvoie à l’article de Thom as Golsenne : « “L’homme est la

19

Ib id , 1, 19, p. 115.

mesure de toutes choses” (ou comment l’humanisme de la Renaissance est fondé sur deux malentendus) », dans

20

Erwin Panofsky, La perspective commeforme symbolique, traduction française sous la direction de G u y Ballangé,

21

Ces textes sont dispersés dans l’ensemble des manuscrits à notre disposition. La plupart se trouvent dans les manu­

G il Bartholeyns et alii (éds), Adam et l ’astragale. Essais d ’anthropologie et d ’histoire sur les limites de l ’humain, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2009, p. 223-261. 18

L. B. Alberti, D epictura... op. cit., 1, 19.

332 I Peinture & architecture

Paris, M inuit, 1975. scrits A , D , E de l’Institut de France, le Codex Atlanticus ou le Codex Urbinas. Le texte des manuscrits de l’Institut

Peinture & architecture | 333

Lucien V inciguerra

Peinture, vision

et disproportion chez

A lberti

et léonard de

V inci

Car la question des surfaces obliques est liée à ce qui constitue à ce moment là le grief es­

isolément. Saisie dans le procès de la vision, elle n’est qu’une image parmi les autres, appartenant

sentiel des peintres à l’égard de la perspective, le fait quelle suppose que le tableau soit regardé

à un cheminement qui est tout entier fait d’images, et « toutes les images qui sont en face de l’œil

depuis un point de vue fixe et monoculaire, grief qui sera par la suite inlassablement repris par les

convergent en lignes lumineuses vers sa surface et s’y entrecroisent sous des angles égaux »^L De

critiques du système de représentation perspectif II arrive à Léonard de formuler cette critique.

ces images, Léonard va parfois jusqu’à imaginer qu’elles sont toutes elles-mêmes construites en

Ainsi, dans le manuscrit E f i6r-v, Léonard reproche à la perspective d’obliger celui qui regarde

perspectives, comme en glissant le long des lignes de la pyramide visuelle :

à se tenir l’oeil fixé contre un trou, faisant obstacle tout à la fois au mouvement du spectateur

La perspective est la démonstration rationnelle par laquelle l’expérience confirme que toute chose transmet à l’œil son image suivant des lignes en pyramides. J’entends celles qui parties des extrémi­ tés superficielles des corps convergent graduellement vers un point unique placé dans l’œiP''.

devant l’image et à la possibilité quelle soit vue par plusieurs. Mais la singularité de la position de Léonard vient de l’explication qu’il donne à ces phénomènes. De ces problèmes, les peintres voyaient l’origine dans la méthode même de la construction perspective, mettant en jeu à la fois

Alors qu’Alberti ne fait pas lui-même intervenir d’image dans la vision, elle est ainsi partout chez

les places du peintre, du spectateur et du tableau. Ils remarquaient que la fixation du regard était

Léonard. La construction perspective du peintre, ou perspective artificielle, doit donc pour deve­

d’autant plus impérieuse que le point de vue était excentré. La représentation d’objets vus de

nir intelligible être ramenée à sa place dans un procès qui met en jeu une perspective qui est celle

biais impose au regard une place déterminée et conduit à des déformations insupportables sitôt

même de la vision : la perspective naturelle, qui n’est pas chez Léonard celle d’Euclide, mais celle

que l’oeil s’éloigne de ce point de vue, alors qu’un objet figuré en face du spectateur tolère une

qui se fait dans les images voyageuses lorsqu’il n’y a pas de peinture, au fur et à mesure qu elles

certaine mobilité. Dans le De prospectiva pingendi, Piero della Francesca fixait ainsi au point de

approchent de l’œifL

vue un angle à ne pas dépasser“ . Pour Léonard en revanche, l’immobilisation de l’oeil n’est pas

Or, lorsque le peintre représente des surfaces parallèles au plan du tableau, l’image qui va

seulement l’effet du dispositif perspectif : de la pyramide visuelle, de son intersection par le plan

de la peinture à l’oeil se voit réglée par la place du spectateur comme il arrive quand ce dernier

du tableau et de la place de l’oeil par rapport à elle. Il y a à la captation du regard une raison qui

voit les choses du monde. Q u’il se déplace devant la toile, il se rapprochera de l’une de ses partie,

tient à la composition picturale elle-même, à l’organisation interne des lignes et des éléments du

s’éloignera d’une autre : les parties les plus éloignées sur les bords diminueront d’elles-mêmes pour

tableau telles quelles sont choisies par le peintre.

lui, et les plus proches s’accroîtront. Il verra les choses grandes ou petites selon la distance de son

Ainsi, dans le folio

41V

du manuscrit A, l’immobilisation de l’œil apparaît comme l’effet du

choix du motif à peindre et non seulement de l’emplacement du regard : si l’image immobilise le

œil à la toile. Nul obstacle, alors, à son errance devant la peinture. Il est devant l’image comme devant les choses-mêmes.

spectateur, c’est parce que le peintre y a voulu représenter un étagement de plans empiétant l’un

Mais les surfaces non parallèles à celle du tableau amènent la disproportion au sein de la pein­

sur l’autre et ouvrant en quelque sorte l’un sur l’autre, et non à cause de l’emplacement du point

ture. Comme le remarque Léonard, à la suite d’Alberti mais d’une tout autre manière, c’est par

de fuite. Dans ce fragment, Léonard oppose dans la peinture non pas comme Piero deux points

elles que s’immobilise le regard, puisqu’elles construisent une déformation qui n est pas l’efifet de

de vue, légitime et illégitime mais deux types de surfaces, en reprenant en quelque sorte dans

la place de l’œil devant l’image et qui, parce quelle est fixée une fois pour toutes, lui imposent au

un cadre différent la division d’Alberti dans les chapitres

contraire une place. C ’est en effet à partir des lignes fuyantes d’un corps peint qu’on peut déter­

13

à

18

du premier livre du De pictura :

il y a les surfaces parallèles au plan du tableau, et il y a les surfaces transversales, que le peintre

miner un lieu pour le regard^^, les lignes parallèles laissant ce lieu indécis.

doit peindre inégales. Or ces deux types de surfaces sont prises différemment dans le procès de la

Or, la singularité de Léonard est qu’il ne s’arrête pas à une analyse qui verrait dans ce phé­

vision. Pour Léonard, l’image en perspective construite par le peintre ne rend visibles les choses

nomène l’effet de la construction perspective et des principes de son tracé, comme Alberti ou Piero

quelle représente qu’à la condition d’être insérée dans la série continue des images qui amène la cho­

della Francesca. Pourquoi, demande-t-il, ces surfaces obliques fixent-elles le spectateur ? C ’est

se visible jusqu’à l’oeil. Nous voyons parce que les choses nous envoient leurs images qui parvien­

qu’elles montrent dans la peinture des vides en lesquels le regard peut s’insinuer. Les rayons vi­

nent jusqu’à notre œil. L’image en perspective du peintre ne peut donc être pensée dans la vision

suels s’enfoncent dans le tableau en suivant les lignes fuyantes, parce que le peintre a ménagé en la scène peinte des lieux vides en lesquels ils peuvent se glisser.

a été consulté dans l’édition en fac-similé par Félix Ravaisson-Mollien, Paris, Quentin, 1888 à 1899. Les textes des Codex Adanticus et Urbinas ont été consultés dans l’édition des Carnets de Léonard de Vinci par Louis Servicen, Paris, Gallimard, 1942, et du Traité de la peinture éàix.é parv\ndré Chastel, Paris, Berger-Levrault, 1987. 22

Piero explique ainsi le discours des détracteurs de la perspective : « Cela vient du fait qu’ils n’ont pas compris la distance qu’il faut mettre entre l’oeil et la section où l’on place les choses, ni de combien l’œil peut étendre l’angle de vue avec ses rayons visuels ; si bien qu’ils doutent que la perspective soit une véritable science, jugeant de manière fausse par ignorance » (Piero della Francesca, Deprospectivapingendi. ... op. cit., I-30).

334 I Peinture & architecture

23

Codex Adanticus, f. 119 av {Les Carnets..., op. cit.).

24

Manuscrit A de l’Institut de France, f lor.

25

Pour une analyse plus développée de ces questions, voir Lucien Vinciguerra, Archéologie de la perspective : Piero della Francesca, L. de Vinci, Dürer, Paris, Presses Universitaires de France, 2007.

26

C ’est-à-dire à la fois la place du point de fuite et la distance du spectateur au tableau, indiqué par la réduction des transversales.

P einture & architecture | 335

Peinture, vision

Lucien V inciguerra

Dans le folio

41V

et disproportion chez

A lberti

et léonard de

V inci

par de la dignité et de la retenue. Je réprouve ces peintres qui pour avoir l’air abondant et pour ne rien laisser de vide, ne suivent aucune espèce de composition, mais sèment des objets confu­ sément et sans lien, si bien que leur histoire n’a pas l’air d’accomplir une action, mais de s’agiter en désordre. Peut-être que celui qui cherche avant tout de la dignité dans l’histoire devra absolument y maintenir une certaine solitude. [...] Et dans toute histoire j’approuve vivement le précepte que je vois observé par les poètes tragiques et comiques qui enjoint d’écrire une fable avec le moins de personnages possibles^*.

du manuscrit A, Léonard prend ainsi l’exemple d’une colonnade à section

carrée parallèle au plan du tableau. Devant l’image qui la représente, si je ne prends garde qu’à la seule largeur des colonnes, rien ne s’oppose à mon déplacement devant la toile. Peintes égales par le peintre, elles diminuent pour moi suivant ma distance au tableau, tandis que d’autres se rap­ prochent. Mais l’existence d’un espace vide entre chaque colonne engage mon regard à se glisser entre elles. Et ainsi, au fur et à mesure que ma vision se fait plus oblique, l’espace vide entre elles doit se réduire jusqu’à finalement disparaître, les colonnes se superposant sur les bord latéraux

Cette solitude est en revanche pour Léonard le lieu du vide et de l’immobilisation du regard. Par là

du tableau. Dans l’espace vide et dans les interstices s’évanouissent alors les illusions d’une pro­

elle empêche de lire l’histoire. Loin de l’offrir au spectateur, elle en barre l’accès. D ’où l’espace rempli

portion maintenue. Et en eux se trouve en fin de compte arrêté le regard. Son déplacement, qui

et saturé dans lequel, en sa peinture même, a lieu l’événement peint. D ’où la manière très singulière

pourrait le conduire en face de ces colonnes superposées qu’il ne doit pouvoir voir que de biais,

qu’a le peintre de séparer dans ses tableaux la construction perspective, dans un espace ouvert et

rend la représentation monstrueuse, sitôt qu’il quitte le point unique de la vision.

vide, et le lieu véritable où se déploie l’histoire, histoire du plein et de la confusion en lequel le regard

Il y a donc bien chez Léonard une menace de la disproportion. Celle-ci est bien comme

ne peut s’enfoncer, mais qu’il lui est par là loisible de parcourir. Alors qu’il demeure sur ce point

chez Alberti portée par la perspectiva artificialis en son essence. Mais elle ne débouche pas sur

albertien dans ses premières compositions historiques, comme l'Annonciation de 1473-74

des limites fixée à l’extension de ses règles, quant à l’emplacement du point de fuite ou la place

des Offices, le peintre s’en écarte toujours davantage dans les peintures d’histoire ultérieures.

Musée

du regardant. Elle ne conduit pas non plus à rechercher une meilleure mesure des choses par le

Ainsi en va-t-il dans la Cène de Milan. La surface de la fresque est divisée en deux : dans la moi­

regard, car c’est le regard même qui se trouve inquiété dans sa place. D ’une certaine manière,

tié supérieure de l’image, la construction donne au regard du spectateur une leçon de perspective.

la contestation de la perspective est à la fois plus radicale et plus limitée. Elle ne débouche pas

Le plafond en caisson montre les lignes qui convergent, vers le point de fuite au visage du Christ.

essentiellement sur une limitation de sa validité (qui fixerait par exemple des bornes à l’obliquité

Derrière lui s’ouvrent les trois fenêtres sur un paysage indécis. Mais la perspective fonctionne à vide.

du regard)^^^ n^^is sur une prescription de composition, dans l’articulation des différente parties

Sur les parois latérales il n’y a ni colonnades ni alcôves en lesquelles le regard pourrait s’insinuer,

de la peinture : il faut éviter les vides sur la toile. Il faut donc composer le spectacle de l’histoire

mais une suite de panneaux de tapisserie, faisant de chaque pan de mur un plan sans cavité. La boîte

à peindre comme une masse dense qui ne ménage pas d’interstice. La perspective n’est alors pas

de l’espace perspectif y est réduite à son strict minimum. En-dessous, l’histoire se déploie dans la

à proprement parler limitée dans sa portée et son extension, mais neutralisée dans ses effets là

continuité d’une frise sans interstice. Le peintre n’a pas distribué les personnages dans l’espace ; tous

où se trouvent les corps à regarder. Il faut que les personnages s’assemblent selon des enchaîne­

s’enchaînent en une ligne continue parallèle au plan de l’image juste derrière la table du repas, qui

ments continus qui ne laissent pas entre eux d’espace pour le regard. Et les bloc architecturaux ne

annule l’accès à toute profondeur. Le long de cette ligne se déploie le rythme continu des personna­

doivent jamais apparaître comme les lieux où se déploie un étagement de plans entre lesquels se

ges, alternativement en avant en arrière, à droite à gauche. Mais cette structure n’est pas propre à la Cène. O n la retrouve par exemple dans XAdoration

nouerait l’histoire, arrêtant le regard. Pour que l’œil puisse lire l’histoire dans le tableau, il faut lui rendre sa mobilité sur la toile, et en boucher les trous.

des Mages inachevée de 1481 (fig. i). Dans le quart supérieur gauche du tableau, une composition

Alberti faisait de l’aération de la composition picturale une condition de lisibilité de Xhisto-

architecturale indécise mêle colonnes en ruines et escaliers menant nulle part. Dans cet espace

ria. L’« abondance et la variété des choses » contribuant à l’agrément visuel du tableau devaient

neutre se distribuent quelques figures. Les unes semblent absorbées dans une conversation dont

pour lui se trouver tempérées par « une certaine solitude ». La multiplication des choses et des

nous ignorons la teneur. D ’autres se battent on ne sait pour quelle cause. Toutes se tiennent en

êtres lui semblait menacer la rationalité narrative de Xhistoria, dans une sorte de compromis entre

leur lieu dans la construction perspective, marqué par leur assiette bien visible. Mais tous en

la voluptas de l’abondance pour l’oeil du spectateur et la dignitas de l’action pour Xhistoria :

même temps semblent ne pas appartenir à l’histoire qui a lieu. Leur fonction narrative est in­

Plus les spectateurs sont arrêtés par ce qu’ils regardent, plus ils rendent grâce au peintre de son abon­ dance. Mais j’aimerais que cette abondance soit ornée d’une certaine variété, pondérée et modérée

déterminée. La partie supérieure de la détrempe paraît soigneusement maintenue hors histoire, flottant dans un espace incertain tandis qu’en dessous est jouée la scène de l’adoration : la Vierge au centre présente l’Enfant, et les Roi-Mages autour s’agenouillent. Les personnages du bas sont

27

En réalité, on trouve bien de tels préceptes chez Léonard. En particulier, dans le feuillet précédent (A, qov),

bien dans Xhistoria, contribuant comme il convient à l’action. Mais ils n’ont pas à ce moment-

Léonard propose la règle du vingtième : « Ne te mêle pas de figurer quoi que ce soit à moins de prendre ton

là de lieu dans la construction spatiale du tableau. La multiplicité confuse des personnages qui

point de vue à une distance d’au moins vingt fois la plus grande largeur et hauteur de la chose que tu repro­ duis; ainsi tu satisferas le spectateur, quel que soit l’angle sous lequel il abordera l’œuvre ». Mais l’analyse de la composition et du m otif de l’œuvre donne au problème une raison plus profonde, en accord avec toute la conception léonardienne de l’identification entre la question de la vision et celle de la peinture.

336 I P einture & architecture

28

L. B. Alberti, D e p ic t u r a .o p . cit., II, 40.

P einture & architecture | 337

L ucien V inciguerra

P einture, vision

et disproportion chez

A lberti

et léonard de

V inci

entourent la vierge forme autour d’elle un demi-cercle où les visages et les membres se mêlent dans une masse confuse et continue. Il n’y a ni interstice pour le regard ni ouverture vers le sol qui

F ig . 1

donnerait l’assiette des personnages. Comme dans la Cene, le lieu de l’action est en même temps celui de l’enchaînement continu de l’histoire, et du vide oblitéré.

L’Adoration des Mages, 1481, détrempe et huile sur bois,

Dans une esquisse préparatoire conservée au Musée des Offices (fig. 2), le peintre avait aupa­

Florence, Musée des Offices.

ravant tracé la construction perspective de l’espace unifié du tableau. Les lignes d’un dallage om­ niprésent marquées à la pointe de métal convergeaient vers un point de fuite central, et tous les corps visibles s’échelonnaient dans cet espace souverain. À gauche, les escaliers et les colonnes par­ ticipaient à la construction en faisant voir de nouvelles lignes, qui convergeaient encore au point de fuite. Entre les colonnes, les interstices étaient réduits comme il convient, dans une leçon de perspective qui occupait alors la totalité de l’image. Mais l’exercice ne construisait qu’un trompe l’œil ou qu’un piège à regard, en lequel Léonard avait pris soin de ménager plusieurs incohérences de construction, que les commentateurs ont souvent remarquées. Ainsi, la deuxième colonne en partant de la gauche paraît traverser le plan du tableau, depuis la profondeur de l’arrière-plan du chapiteau quelle soutient jusqu’à la limite de l’esplanade vers le bord antérieur de l’image, mar­ qué et redoublé par les trois marches horizontales''^, et sur laquelle semble s’appuyer son socle. Léonard a fait en sorte que la colonne ait l’air de se tenir dans deux plans différents, en figurant sur cette esplanade une base indécise dont on ne sait si elle est celle de la colonne même ou le vestige d’un autre pilier. Élément constitutif traditionnel de la profondeur de l’image, la colonne paradoxale sort de son lieu, bascule vers l’œil du spectateur, dans une construction impossible qui répond à la capture du regard dans la représentation perspective, invitant à ne pas se fier à la distribution des corps dans l’espace et à ne jamais suivre l’étagement des plans. L’espace unifié de la perspective, à laquelle l’étude est tout entière consacrée, paraît alors en route vers l’œil du spectateur. Plus qu’une représentation, il est le chemin même des images. Dans la peinture en revanche, l’unité spatiale est défaite, et les belles constructions archi­ tecturales de l’esquisse ne subsistent qu’à l’état de ruine. Se séparent alors l’espace vide de la con­ struction, espace de la fenêtre albertienne, espace qui se prolonge jusqu’à l’œil du spectateur en suivant les lignes de la pyramide visuelle, depuis la section du tableau ; et d’autre part en bas le lieu continu de l’histoire devant lequel son œil est libre de se mouvoir. En haut de l’image, il y a donc le monde obscur du spectateur. C ’est le domaine de son regard par où transitent les images. En ce lieu il se tient, il appartient au monde que sillonnent partout les images, mais son regard ne sait plus les lire ni les parcourir. Il est le lieu des ruines et des combats, et de la confusion du présent où il vit. En bas il y a la frise lumineuse de l’adoration, qui est l’histoire du regard des hommes sur l’enfant-Dieu : regards abasourdis, implorants, qui racontent une histoire. Et dans l’histoire ont disparu les disproportions et les pièges.

F ig , Esquisse pour l ’Adoration des Mages, plum e, encre et poin te de m étal,

29

Ces trois marches relèvent aussi d’une construction paradoxale, puisque leur présence est en même temps niée

Florence, M usée des O ffices.

par les transversales du dallage qui devraient se briser à leur niveau, et se poursuivent pourtant comme si les marches n’étaient pas là.

338 I Peinture & architecture

Peinture & architecture

339

The proportional geom etry o f form, balance, force, and motion in Leonardo da Vinci’s work, with particular attention to his Giant Crossbow M atthew Lan drus Wolfson College, Oxford University

References to Leonardo’s discussions of scienza (or science) rarely differentiate clearly between pre­ modern concepts o f this term and its modern associations. Modern familiarity with scienza in his work derives considerably from Francesco Melzi’s compilation o f the paragone of Leonardo’s Treatise on Painting, wherein a decidedly mid-sixteenth century preoccupation with the term supports arguments about painting as a science. As an example, the Last Supper exhibits a kind o f science o f visual and harmonic proportions by virtue o f the arrangement o f its tapestries, its com­ position, and its figures in sections o f an octave, a fifth, and a fourth (fig. i)f

F ig . 1

M atthew Landrus, « T he Proportions o f Leonardo da V inci’s Last Supper », Raccolta Vinciana, XXXII, 2007, p. 43-100.

P einture & architecture | 341



T he

M atthew Landrus

proportional geometry of form , balance , force and motion

The perspective diagram is also in the form of Leonardo’s « py­

Since the 1950s, approaches to Leonardo have often addressed his « art as science » or his « science "Proof that the proportion of time and motion, together with the velocity, made in the descending of heavy bodies, is pyramidal in shape.”

as art », to use titles o f each part (I & II) o f Ludwig Heydenreichs 1954 monograph, Leonardo da Vinci. Moreover, to refer to Leonardos work as « art », or Kunst is also a misleading sixteenth cen­ tury approach, particularly with respect to the German origin o f the term (from können : craft and knowledge). It is nonetheless generally understood among academics today that Leonardo did not refer to his work as simply « art » or « science », though these terms are still used loosely to explain the artists works. We know that he referred not to « art », but to specific kinds o f the arts, and that his work was not scientific because he did not employ a modern, rigorous scientific method. How therefore can we clearly or definitively associate his work with the general fields o f art and science ? Where in his studies and practices does he approach these disciplines ? One specific link

his pyramidal law developed in the late 1490s and early 1500s, his earliest writings and drawings signal a fundamental interest in this pyramidal law that would continue throughout his ca­ reer as an artist/engineer. As an example o f his later interests in pyramidal law, around 1498-1499, he illustrated on Manuscript M folio 44r the equally proportional diminishment o f sight and sound down to a single vanishing point (fig. 3). This was written toward the end o f the 1496-98 period o f

between medieval intuitions and proto-scientific approaches to so-called « art » and « science » is proportion theory, or specifically, proportional geometry. Leonardo used this method o f proportion

Diagram

to improve upon traditional technical and pictorial standards and practices. What follows will be a

based on M S M 44r

discussion o f the uses o f proportional geometry as a way o f determining form, balance, force and motion in preparation for treatises. Primary attention will be given to solutions associated with the

ramidal law ». Although much o f what he had to write about

his work with Luca Pacioli on De divina proportione, a time Leonardo devoted especially to non-mechanical geometry, mathematics, dynamics, and statics. Before 1496, he was more concerned with arguments demonstrating the mechanical and

F ig . 3

Giant Crossbow, a project for a treatise on military engineering that involved several distinct propor­

rational skills o f the perspective painter. His reference in

tional methods. These recently discovered proportional innovations were the result o f Leonardos

Manuscript M (44t) is as follows :

inventive approaches to technical and pictorial problems.

On motion. Proof that the proportion o f time and motion, together with the speed [vebcit^, made in the de­ scending o f heavy bodies, is pyramidal in shape : Because the aforesaid powers are all pyramidal, since they begin at nothing and proceed increasing by degrees, in arithmetical proportionT

Pyramidal law

One o f the earliest unifying principles in Leonardos work is the perspective pyramid, which be­

Leonardo began in his earliest studies for treatises to copy material about pyramidal laws from

came for him a pyramidal law, a kind o f unified field theory, or a law o f universality. This geomet­

early natural philosophers and perspectivists. Around 1489-90, for example, copying the preface o f

rical tool appears many times in his manuscripts. The pyramidal form o f single point perspective

Peckham’s Perspectiva communis (f a-3, c. 1270) entitled the « eulogy on light », Leonardo states :

would have been among the first compositional lessons in the Verrocchio studio (c. 1469-1476). For Leonardo, proportional solutions relative to this perspective pyramid included the following : the mechanical task o f producing a perspective diagram, the geometric principles associated with the perspective diagram, the natural philosophy about the pyramidal or conical viewing angle o f the eye, and the physical model o f pyramidal cones within the eye. The widest portion o f these

Among all the studies o f natural causes and reasons, light chiefly delights the beholder ; and among the great features o f mathematics the certainty o f its demonstrations is what pre-eminently (tends to) elevate the mind o f the investigator. Perspective, therefore, must be preferred to all discourses and systems o f human learning. In this branch [of science] the [complex] beam o f light is explained on those methods o f demonstration which form the glory not so much o f mathematics as o f phys­ ics [quanto della fisica] and are graced with the flowers o f both’.

pyramids was normally the largest object o f study or the picture plane. This wide portion is the back end o f two pyramids, pointed in opposite directions, as illustrated in the vanishing point perspective diagram on folio 3yr o f Manuscript A (fig. 2).

The Manuscripts o f Leonardo da Vinci in the Institut de France, Manuscript M , translated and annotated by John Venerella, « Ente Raccolta Vinciana », M ilano, Castello Sforzesco, 2001, p. 57. Venerella refers to Leo­ nardos velocità as « velocity », though this can be confused with modern « velocity ». Hence my translation o f velocità as « speed ». C A 543r (203ra). Leonardo da Vinci, The Notebooks o f Leonardo da Vinci, translated by Jean Paul Richter, 2 vols (with m y comments in brackets). N ew York, Dover, 1970 [1883], I, 13, p. 15-16. Mario Baratta first mentioned

F ig . 2

the perspective screen r = pyramids' terminations in the eye

a h = is

n = point of diminution Based on M S A 37r

this paraphrase o f Peckham in Leonardo da Vinci e I problemi della terra, Torino, Bocca, 1903, p. 272-273. T he comparison with Peckham’s statement is reprinted in Edmondo Solmi, Le Fonti dei Manoscritti di Leonardo da Vinci e altri studi, Torino, Loescher, 1908 (reprint Firenze, La Nuova Italia, 1976), p. 226-227. See also Carlo Pedretti, The Literary Works o f Leonardo da Vinci, Compiled and Edited fiom the Originai Manuscripts by Jean Paul Richter, Commentary by Carlo Pedretti, 2 vols, Berkeley, University o f California, 19 7 7 , 1, p. iio -iii. Pedretti

342 I P einture & architecture

P einture & architecture 1 343

T he

Matthew Landrus

proportional geometry of form, balance , force and motion

This medieval link between optics {perspectivd), light {quanto della fisicd), and arithmetic served

the flight o f birds around 1505, and particularly the plan for a glider in 1493^. O n this last example,

to associate the non-mechanical natural philosophy o f Leonardo’s pyramidal law with its me­

Leonardo notes that one has to be perfectly balanced in a glider because the wind hits the rider from

chanical origin as perspective construction in the Verrocchio studio.

all sides. Basic principles for these studies o f balance extended from his early skull studies, the initial plans for a treatise on anatomy.

Formand balance

Formand force His first notes on « the order o f the book », around 1489, contain various proportional approaches to the first known plan for a treatise, a treatise on anatomy. Although much o f the work for this

His studies of the central nervous system and the cranial nerves between 1490 and 1508 addressed the

treatise dates to around 1508-1512, initial studies were developed before 1496. One directive for this

proportional distribution of information between the body and the sensus communis. In the earliest

« order o f the book » is to, « describe the nature o f the senses

Between 1487 and 1492, Leonardo

studies, he applied a pyramidal law to this distribution system, arranging, for example, the bronchial

considered the ways in which « the five senses are the ministers o f the soul » and made proportion

plexus as a schematic in pyramidal form instead of the complex, intertwined arrangement of nerve

studies o f a skull partially in order to note for this new treatise the central placement and function

fibers that run from the spine through the neck, the armpit and to the arm. This after all would

o f the central cerebral sense organ, the sensus communis. This common sense - the first vesicle

seem to fit the form o f the lower cervical and upper thoracic region while also proportionally dis­

illustrated on Windsor folio 12603 - was the seat o f the soul, located at the central gravitational

tributing the nerves. The continuously bifurcating « tree of all the nerves » Leonardo illustrated

axis o f the body and was responsible for understanding the activities o f the five senses. Eyes, the

in 1492 is in the bronchial plexus illustration of 1490 partially interpreted as a pyramidal network

sense organs closest to this sensus communis, were for Leonardo and medieval natural philosophers

attached to the spine, muscles and skin o f the lower cervical and upper thoracic region. At the

like Peckham (1230/1238-1292), al-Ghazali (1053-1111) and Albertus Magnus (1206-1280), the most

bottom of that page he notes that the « medulla is the source o f the nerves which give voluntary

noble sense organs because only they could receive light, which is governed by mathematics, and

motion to the members yP. Assuming that this is the medulla oblongata at the brain stem, it leads

thus « the certainty o f its demonstrations » (as noted above). Locating the position o f the common

to the sensus communis, which Leonardo understood no later than 1508 as the true source « giving

sense organ and soul was the first subject o f Leonardo’s treatise on anatomy, thereby demonstrating

voluntary motion to the members ». Nonetheless Leonardo seems to follow Galen (129-200) in his

how the form o f the skull and the central position of its central sense organ was balanced on top of

illustration of only four of the five roots, connecting them directly to the three cords and thereby

the central axis o f gravity and in front o f the chief receptor o f information. Although by 1500 and

bypassing the three trunks and six divisions (fig. 4).

1508 he was the first natural philosopher to consider a relocation o f the sensus communis to a middle ventricle he found connected to more nerves than the other ventricles, he continued to position this organ proportionally at vertical and horizontal axes o f gravity and vision, equally positioned with respect to its form and function^ He was also the first to combine the usual roles o f the fantisia and imaginatio o f the sensus communis with the previously unrelated roles o f cogitatio and estimatio (judgement), thereby combining the roles o f sense and judgement in a ventricle governed by the soul. This was an Aristotelian move, wherein mind, body and spirit were physiologically and epis­ temologically in equal proportion to one another. « Sense is a ratio », Aristotle states in De Anima (426b). Central axes o f sensory information distribution, o f gravitational balance, and o f cognitive control, continued to be primary issues for the studies o f the flying machines in the 1480s and 1490s,

notes that this statement refers to « Leonardos attitude in planning large-scope treatises about 1490. T h ey show in fact a programme o f study o f movement encompassing even astrology and theology. It is a most revealing example o f Leonardos early approach to a variety o f related subjects which appear to cluster around the theme o f perspective » (p. iii). 4

« D i poi discrivi la natura de’ sensi ». W indsor f. 19037V, 19th line, T’A f Notebooks o f Leonardo..., op. cit., I,

797. P - 1095

See M atthew Landrus, « Creative Inwardness in Early Modern Italian T h o u g h t», Analecta Husserliana, LXXXIII, 2004, p. 394-401; and Charles O ’Malley & John Bertrand de Cusance Morant Saunders, Leonardo on the

See skull studies on W indsor f. i9057r (c. 1487-1489), the Treatise on Flight f 5t, I2v, and i6v (c. 1505), and the

LLuman Body, New York, Crown, 1982 [1952], p. 330-342.

proposal for a glider in Ms. Madrid I f. 64r (c. 1493). Translation by C . O ’Malley & J. B. C . M . Saunders, Leonardo on the Human Body..., op. cit., p. 356.

3 4 4 I P e INTURE & ARCHITECTURE

P e in t u r e & a r c h i t e c t u r e I 3 4 5

Matthew Landrus

T he

proportional geometry of form, balance , force and motion

Though he would later correct this when making a direct observation for an illustration o f the

the Codex Madrid, he compared the motion o f a bouncing ball with the undulating movement

bronchial plexus around 1505, his earlier intention is not necessarily to document all o f the de­

o f waves o f water, addressing fluid mechanics and impetus dynamics as if similar pyramidal laws

tails o f the bronchial plexus, but to consider how the nerves manage to move muscles. He states

o f the appearance o f proportional oscillation governed them. He used this comparison to note

on another 1490 illustration o f the bronchial plexus that : « This demonstration is as necessary

that the bounce o f a wave continues at a constant level much more than the bounce o f a ball.

for good draughtsmanship as the derivation o f Latin words is for good grammarians, for he will

The proportional model, or the constant in that case, was the form o f the bounce, which helped

draw badly the muscles o f figures if he does not know what are the muscles which are the cause

isolate the differences in velocity, and thus the deduction that the property o f water is more o f a

o f their movements »*. Hence bronchial plexus schematics o f 1490 are primarily proportion stud­

continuous quantity than the relatively discontinuous (or finite) impetus o f the ball. Rather than

ies o f the causes o f muscle movement. As with Leonardos early associations o f the balance o f

quantify speed or friction in this case, Leonardo was primarily interested in the qualities o f move­

sensory organs in the body with studies o f flight, proportion studies o f nerve cords that direct

ment in air and water, using a proportional model as an analytical tool. Addressing the erosion o f

muscle movement may have been associated with the proportions o f cords applying equal tension

river banks, for example, he produced an illustration on Manuscript C o f the flow of water past

throughout the flexible surface o f a glider wing on Codex Atlanticus folio i03or, drawn around

obstacles in the river, such that water flow is redirected by protrusions in the river bank toward

1505. The glider wing design is in this case supported by a rigid beam o f wood at the centre, short

the other side o f the river downstream, eroding that point in the bank, and then reflected from

crossbeams, and cords that extend to the edges o f the crossbeams, extending around pulleys at the

there toward the other side further downstream (fig. 5).

base o f the wing. The structure would weigh very little because the taught cord provides much o f its structural support. Linen would have been stretched over the wing. O n Manuscript B folio 88v, around 1489, Leonardo illustrated a test o f the reliability o f linen as a wing surface, possibly as means o f making a large-scale fan. The giant « wing », partially designed like a batwing, is « made o f linen ». He notes that, if it « does not hold up to the test, then have nothing more to do with it ». W ith the linen attached to an apparatus proportioned to look like a batwing, as well as cords that form a glider wing, and the nerves that operate muscles, Leonardo examined the proportional economy of form necessary for the force o f the linen wing, the rigidity o f a wing made o f cords, and movement o f muscles.

Motion

The neat crisscross o f currents illustrate the proportional form, force, and movement o f water for one very specific case study about a possible form o f river bank erosion. Various other factors, such

Proportional geometry used to understand natural form, balance, and force also aided the visuali­

as alterations in channel depth and turbulence, are not considered in the study. Around

1505-1508,

sation o f problems o f motion. Since Leonardo had no means to accurately calculate air or water

Leonardo developed a greater interest in studying the properties o f air and water turbulence, fasci­

friction, he often addressed the velocity o f objects in air or water in a similar manner, producing

nated as ever by the visual appearances o f these effects. Similar turbulent forms appear in both the

proportional analogies for dynamic problems. He usually explained dynamics - the study o f objects

Treatise on the Flight o f Birds and on Windsor f

in motion - with medieval impetus theory, which did not account for air drag or viscous resist­

as air rises from the outer edges o f the downdraft o f a bird s wing, and as water rises around a pool

ance. While making notes for treatises on painting and the nature o f water in Manuscript A, he

in which water is pored. In both o f these cases, he also illustrated these tight curls o f turbulence at

includes a note on impetus theory, along with a diagram, stating: « how admirable is your justice.

the inside o f the birds wings and the bubbling pool. There is a flow or an even stream o f motion

Prime M over! You have willed that no power lack the order and qualities o f its necessary effects »

between inner and outer curls o f turbulent air and water, a proportional similarity. Diagonal lines

(folio 24r)^. His illustration o f the paths o f a freely thrown ball and a bouncing ball has the balls

through air currents under the bird wing seem to be the start o f a diagram, possibly to map equal

stopping in different locations, though according to the impetus theory he quotes they are to

proportions o f the strengths o f currents around the curve o f the lateral down draft.

12660V.

He noticed that curls o f turbulence develop

reach the same distance, to the limit o f the qualities o f their necessary effects. Three years later, in

8

Ibid, p. 354.

9

The Manuscripts o f L e o n a r d o .o p . cit., p. 72.

346 I Peinture & architecture

Peinture & architecture | 347

M atthew Landrus

The Giant Crossbow

T he

proportional geometry of form, balance , force and motion

crossbow. The lower carriage would extend an additional 2 2/3'"'*' braccia, and this point will be discussed below. The total length o f the carriage would be « 40 \braccid\ long » at full scale,

Leonardo used theories of proportional form, balance, force and movement in technical projects

and therefore its length in the drawing is at a scale o f 108 : 1. The carriage would be « thickest,

and treatises, including especially his development o f the Giant Crossbow. As part o f his extensive

without its armature 1 and 2 thirds braccia, and at its thinnest, 2/3'*^' o f a braccio », which is an

treatise programme, he illustrated the Giant Crossbow and other giant siege engines in prepara­

estimation o f the carriage’s side measurements at full scale. O n the drawing, the upper carriage

tion for an updated version o f Roberto Valturio’s De re militari, a popular treatise on military

is the « thickest » portion, measuring 1.17 cm, whereas the lower carriage is the « thinnest » por­

engineering best known around 1490 in the Italian and Latin editions published in Verona in

tion, measuring .49 cm. These measurements are at a scale o f 80 : 1. In fact the upper carriage

February 1483. Manuscript versions had been available from as early as 1455, and the editio prin­

is in two portions o f 2/3*^^*^ o f a braccio (.49 cm) each, separated by a space o f nearly a third o f a

ceps was printed in Verona in 1472. C hief among Leonardo’s contributions to the centuries old De

braccio, illustrated as .19 cm. Through this open space would slide the beams that hold the trigger

re militari treatise tradition may at first appear to be the massive scale o f his machines, whereas

mechanism in place, as illustrated at the left o f the drawing. This would reduce upward tension

one could argue that the precision o f the designs is most remarkable. Instead o f using perspective

applied to the winding screw when the trigger nut is engaged. Conveniently, a third o f a braccio

constructions for the overhead views, he drew dimetric axonometric projections that have rela­

is also the illustrated thickness o f the wheel, felloe, hub, spoke, trigger braces, central side poles,

tively equal measurements in the foreground and background. For the first time in the history of

side pole brace, u-bolt (at the bask end), worm screw pole, and some other items illustrated with

engineering, the proportions for these projections are accurate on at least two o f the three dimen­

parallel lines. Measurements o f nearly all crossbow components on the drawing confirm that they

sions, and thus an engineer should have enough information to build one o f these projects ac­

proportionally fit one another, partially because they fit proportions that are measured in thirds.

cording to the proportions represented on paper. In most cases, these designs are at a 30° 60° 90°

A measurement o f the crossbow width at the back end o f the carriage reveals an anomaly, such

angle and they are dimetric because two o f the directions o f view are at the same scale. The Giant

that the 1.62 cm width that Leonardo refers to as 2 braccia equals a slightly larger scale o f 72 : 1.

Crossbow is a good example o f the use o f proportional design because its dimensions are discussed

But this is the only example on the crossbow that is out o f scale (fig. 6).

in the text at the right side o f the sheet. A comparison o f written dimensions with measurements on the drawing show that the crossbow width and length are at the same scale o f 108 : 1, whereas the components at the side are somewhat larger, at a scale o f 80 : 1. In the statement at the right, Leonardo states that, This crossbow opens at its arms, that is where the rope is attached, 42 braccia, and is at its thickest, without its armature, 1 and 2 thirds braccia, and at its thinnest, 2/3''** o f a braccio It has an elevation o f 14 braccia. Its carriage is 2 braccia wide and 40 long and it carries 100 pounds o f stone; and when it is moving, the carriage lowers itself and the crossbow directs itself along the length o f the carriage“ .

An arm length, such as braccio a panno florentino, or braccio mercantile milanesi in 1490 was ap­ proximately 58.4 or 59 centimetres. The width, where « the rope is attached », measures 22.67 cm, and would measure « 42 braccia » at full scale, and thus the width is at a scale o f 108 : 1. The length at the upper carriage measures 20 cm, representing approximately 37 1/3"'** braccia o f the

Leonardo da Vinci, II Codice Atlantico, 3 vols, Firenze, G iunti, 20 0 0 , 1, p. 201 : « Questa belestra • apre • nelle sue braccia / cioè dove s’ap[p]icca • la corda • b * 4 2 * * / e d è nel più • grosso sanza l’armadura sua / • b* uno e 2 terzi, e nel più sottile 2/3 di b / ha di mo[n]tata b • 14 • il suo linieri / è largo • b 2 • è lunghe 40 e por[-] / ta lib[bre] • 100 di pietra e quando è / in cam[m]ino il tenieri s’abbassa e la / balestra si diriz[z]a per lo lungo del tenieri » (Italian transcription on m y own, considerably different from the editor Augusto Marinoni).

3 4 8 I P ei NTURE & ARCHITECTURE

Peinture & architecture I 349

T he

Matthew Landrus

proportional geometry of form, balance , force an d motion

Another mistake is the crossbowman who, at a scale o f 108 : 1, would be approximately twelve feet

cant components o f the crossbow appear on Codex Atlanticus (CA) folios

tall (3.65 m). Nonetheless, compared with leading engineering drawings o f the time, including

and I048br. These orthographic projections show stages o f design dominated by a concern the

Francesco di Giorgio’s illustrations for De ingenis, the proportional precision o f Leonardo’s De re

proportions and structure o f the massive armature on folios

militari series requires fewer estimates by an engineer.

57V

and

57V, I47av, i4 7 b v , I48ar,

147V,

whereas folio i048br

has sketches o f trigger, and ratchet and pawl mechanisms, and folio I48ar is a precision demon­

His interest third-part modular proportions was likely encouraged by the popularity o f the me­

stration o f the characteristics and capabilities o f the ratchet and pawl mechanism that would be

dieval mercantile rule o f three, wherein one would find the value o f something by cross-multiplying

a necessary feature o f the winding screw o f a giant crossbow. At the left o f C A

unknown values with known values. For example : if seven pounds o f barley cost nine soldi, how

isolates sketches o f the winding screw mechanism and the lower carriage, illustrating ways in

much would five pounds o f barley cost ?The unknown cost, divided by the proposed amount o f five

which the winding screw extends across the length o f the upper carriage, to allow one to move the

pounds would equal the known cost o f nine soldi, divided by amount o f seven pounds. Five pounds

trigger mechanism almost the entire 40 braccia length o f the upper carriage, and illustrating that

multiplied by nine soldi, divided by seven pounds, would equal six and 3/7'*’*soldi:

the lower carriage would extend at least two or three braccia ahead o f the o f the armature, so that

y = -^ cross-multiplying yields : y = 6

soldi

147V,

Leonardo

the entire machine would not tip forward. Since the crossbow’s length and width are at a scale o f 108 : 1, the proportion o f the 40 braccia carriage that is visible in the drawing is

37

1/3''* braccia,

This is a proportional solution wherein three terms are given and one has to find a fourth term that

which means that the lower carriage would extend in front o f the armature by 2 2/3"^ braccia. In

has the same ratio to the third term as the second term has to the first. For a water clock mechanism

the drawing, one can see side poles under the armature that extend forward at an angle to meet

around 1510, Leonardo used the rule o f three to determine the proportional differences between

this lower carriage extension.

cylinder diameters that increased in size from one unit wide to twenty-four units, as these would

To get precision representations o f the appropriate proportional modules, Leonardo incised

fill with water and drop on each successive hour, triggering a flow o f water that would activate a

many features o f the drawing with what appears to have been a metal stylus. Although metal sty­

mechanical bell ringer“. Rather than follow the rule o f thee with mathematical precision, however,

lus incisions also appear on other giant siege engines for his De re military treatise - such as those

he added one-third to the diameter o f each vessel, as his first calculation indicated that this would

on C A folios I4ir, I45r, i8ir and i82rb - the Giant Crossbow has the most extensive metal stylus

be relatively reliable. In practice he preferred geometrical and mechanical solutions to arithmetical

preparatory marks in this group (fig. 7).

problems. As a geometrical problem, the rule o f three, or golden rule, adds a term to the method for finding the extreme and mean ratio, otherwise known as the golden section. In Elements book VI, Euclid defined the latter ratio, stating that « a straight line is said to have been cut in extreme and mean ratio when, as the whole line is to the greater segment, so is the greater to the less ». Euclid also noted that, « a proportion in three terms is the least possible » {ElementsV, definition 8)'\ Likely benefiting from geometry lessons provided by Fazio Cardano in Milan and Pavia during the 1480s, Leonardo used sensible mercantile and Euclidian proportional methods when considering the prob­ lems o f scale and mechanical precision necessary for giant siege engines o f his De re militari. Siege engine components that are in third-part proportions can be consistently measured, or the scale changed, if only one or two general measurements are known for the entire structure. Preparatory drawings, along with dozens o f related studies attest to the likelihood that Leonardo’s treatise program was more than just paper engineering'^ Detailed studies o f signifi-

11 12 13

See the designs on W indsor Royal Library f. i2688r, and Codex Atlanticus f. 65V and 975V. Euclid's Elements, translated by Thom as L. Heath, Santa Fe, N M , Green Lion, 2002, p. 99,123. Preparatory drawings include C odex Atlanticus f 57V, I47av, I47bv, I48ar/53ar, and i048br, whereas related drawings include Ms. B f. 5V-11V, 2or-2ir, 23v-25r, 27r-v, 30V-33V, 35r-37r, 39V, 40v-56r, 57v-70r, 73v-93r, 94V-

95A 9or"ioc)v, A .i, A .2, B .i, B.2, D , C odex Atlanticus f.

27V, 50V, 62v, 72V, 90t, ii2ar, 113t, 143t, i49ar,

i49br, i53r, I54br, 155t, 175t, 175V, 754t, 1054t, 1054V, 1058t, 1063V, 1070t, 1071V, i094r, Christ C hurch f. 2or &L V,

Louvre Inv. 2260, Codex Trivulzio p. 99 (64r), Uffizi n° 446 e v, W indsor f. 12647t, i2649r, 12469% 12650t,

F ig . 7

12650V, 12651t, 12652t, 12652% I2653r.

350 I P e INTURE & ARCHITECTURE

P einture & architecture I 351

T he

M atthew Landrus

proportional geometry of form, balance , force and motion

Parallel incisions in the paper define most o f the straight edges on the drawing. Curved incisions

mechanical components designed in third-part proportions may be increased in scale without

are apparent across the armature, likely applied by one end o f a divider (a compass with two sharp

complex arithmetic. Assigning a width o f 42 and a length o f 40 is perhaps less obvious, unless

tips) rotated around each arm, with the bottom end o f the divider positioned at the right edge o f

one considers geometric methods for calculating the armature dimensions. As illustrated, the ar­

the upper trigger mechanism and at the spokes o f the rear left wheel. To see these stylus incisions

mature is spanned (drawn back) by ropes that are attached to a trigger mechanism three-quarters

one has to be in a relatively dark room and position the drawing at a horizontal angle to a strong

o f the way back along the upper carriage. If one envisions the outer edge o f this armature to be a

source o f light, so that this « raking light » reveals the shadows o f the incisions. Guides for the

portion o f a large circle, one need only apply Euclidian and Archimedean principles to estimate

metal stylus originally included a straight edge and possibly a metal or wooden template in the

lengths o f the carriage and armature. The first clue is the 60° at which the carriage is placed on the

form o f a 30° 60° 90° triangle. Parallel stylus incisions that extend horizontally across the upper

folio. This is the angle one finds when inscribing within a circle an equilateral and equiangular

sheet, between tips o f the armature, were likely produced with the « crossed arc » method that is

hexagon, as noted in Euclid’s Elements IV. 15 (fig. 8).

discussed by Cennino Cennini in his treatise, II libro dell’arte, a process that makes compositional lines that are at 90° angles to one another*^. The Giant Crossbow drawing is the bottom half o f folio 149t, the upper half o f which contains studies o f other crossbows and weapons. To cross arcs o f a divider, Leonardo would have placed the bottom o f the divider at the bottom centre o f the lower folio, drawing the first arc with the upper portion o f the divider across the upper portion o f the sheet, and then he would have positioned the upper portion o f the divider at the centre o f the upper sheet, rotating the bottom portion o f it in an arc across the upper portion o f the lower sheet, thus creating an upward arc and an downward arc that cross each other at each side o f the upper portion o f the drawing. Between these crossed arcs, he drew a horizontal line with a metal stylus and straight edge, which is the upper parallel line on the paper. The two arcs, which are not visible on the sheet, sweep across the positions the present locations o f the armature and the ropes. Preparing to make the lower parallel horizontal line between armature ends, he could have repositioning a divider at the base o f the page, rotating its upper portion across the second arc mentioned in the description above. The horizontal line between second set o f crossed arcs extends between the current locations o f the tips o f the crossbow, « where the rope is attached », as Leonardo notes at the right side o f the sheet. After arranging the armature’s location, it would appear that he drew the 60° parallel metal stylus incisions for the carriage, incised the carriage’s horizontal features, incised portions o f the armature, then the trigger mechanism, the worm screw mechanism at the right, and finally the crossbowman. After making the preparatory inci­

Fig . 8

sions, Leonardo applied ink lines and wash to the page, finishing the drawing. If there is very little that one can say is random about the Giant Crossbows design - from its proportional components to its precision metal stylus incisions, when then can be said o f its overall dimensions o f 42 by 40 braccia ? W hy did he choose these numbers and did he calculate

Any angle o f the equiangular triangles that compose that hexagon will be one third o f two right

the relationship between the drawing’s measurements to this large scale ? To answer the second

angles, or

question first, it seems unlikely that Leonardo would have chosen an odd scale o f 108 : 1 for

side of the inscribed hexagon. Leonardo restates and illustrates Euclid’s lessons regarding the in­

the width and length, given his consistent approaches to using relatively simple calculations.

scription o f a circle with a hexagon on Ms. A, f

His choice o f 108 is nonetheless a multiple o f three and thirty-six, a convenient guarantee that

Crossbow and several treatise projects. In order to determine the outer measurement o f the armature,

60 °

Euclid deduced in proposition fifteen that the radius o f the circle is equal to the 13V

around

1490,

close to the time of the Giant

Leonardo had to calculate the circumference o f the circle in which it is inscribed. He appears to have 14

Cennino d ’Andrea Cennini, II libro dell’arte, Ch. 67, in The Craftsman’s Handbook, translated by Daniel V. Thom pson, Jr., New York, Dover, i960 [New Haven, Yale University Press, 1933], p. 42-43.

352 I Peinture & architecture

15

I would like to thank Dr. J.V. Field for drawing my attention to this proposition in Euclid’s Elements.

Peinture & architecture | 353

Matthew Landrus

T he

understood he would have had to multiply the circles diameter with

proportional geometry of form, balance , force and motion

which is Archimedes’

on folio 5ir this inverse pyramidal proportion between the string angle and its power, noting that

approximation o f the number used to calculate the circumference o f a circle. To get the diameter,

as the string angle decreases along the stock, its power increases : « should angle a shoot as far as

Leonardo seems to have assigned a number for the radius, selecting 2/3'^'*®of 60, which is 40. Another

one span, e would shoot the distance o f 2 spans »“ .

motivation for using this multiple o f four may have been his memory o f the geometry necessary for

This theory o f inverse pyramidal proportion significantly updates Leonardo’s general assess­

the Verrocchio studio to design the four braccia diameter copper ball for the lantern o f the Florence

ment o f the basic principles o f impetus on Ms. A f jor and 35t around 1490. He applied a visual,

Cathedral around 1468-1471'^. As for the circle around the armature, twice the radius o f 40, multi­

geometrical solution to impetus theory, thereby providing a more reliable systematic approach

plied by 22/7'^’* equals a 251 9/25'^® braccia circumference. If the armatures outer edge is a quarter of

with which to calculate impetus. Although he offered a proportional model, as opposed to a

this circumference - which seems to have been a visualisation o f the geometrical problem, rather

mere intuitive theory, this approach nonetheless lacked numerical estimates or quantifiable test

than a calculated approach - then a quarter o f 251 9/25*" is an armature length o f 62

or ap­

results. In any event, had he published his treatise on mechanics - part o f which is now in the

proximately 63 braccia. An engineer making this calculation would have been able to determine the

Codex Madrid - perhaps his most influential contribution to the fifteenth century treatise tradi­

lengths o f wooden beams necessary for the project. To determine the space where the « crossbow

tion would have been the illustrated proportional solutions to problems o f form, balance, force,

opens at its arms, that is where the rope is attached », Leonardo seems to have estimated that the

and motion. Diagrammatic and systematic proportional solutions such as these were fundamen­

same calculation used to determine the carriage length would apply. Since the carriage length is

tal contributions to mid-sixteenth century scientific studies. As discussed in the present study,

2/3'^^ o f its angle o f 60, the illustrated width between armature ends could be 2/3"“^* o f the armature

Leonardo developed these solutions with regard to fundamental governing principles such as

length o f 62 2l/25*^ which is 41

pyramidal law, the centre o f gravity, natural designs such as wings o f nerve cord structures, models

Put simply, Leonardo likely calculated this width as 42,

which is 2/3''*' o f the 63 braccia armature length.

o f motion and turbulence, dimetric orthographic projections, scale models, third-part proportions,

He also favoured proportional geometry as a way to calculate the impetus stored in a pro­

the rule o f three, and Euclidian and Archimedean geometry. Aiding him in this endeavour had

jectile before the Giant Crossbow launches iP^. In the early 1490s - another possible period for

been perspective theory, his anatomy treatise illustrations, studies o f flight and flying machines,

the Giant Crossbow project - Leonardo illustrated in the volume now known as Codex Madrid

and engineering treatises. The unifying principles in all o f this work are proportion theories, used

I, on folio 5ir, that equal amounts o f draw tension applied to a crossbow string will not force the

by Leonardo to improve on traditional methods that favoured intuition over systematic evidence o f

string to descend along the crossbow stock in equal proportions. He states that the « nature o f

best practice. Although it is not possible to identify his knowledge o f best practice or tested results

this power shall be pyramidal [...] if I add 10 more pounds [to the string], the descent will not

in many cases, he arranged proportional methods with which his audience could often test the

be equal to another ounce » o f a braccio in descent along the stock'l An ounce is a twelfth o f a

accuracy o f his assumptions. Some o f the accuracy in the Giant Crossbow project is an example

braccio, or around five centimetres. Leonardo observed that with each addition o f ten pounds to

o f this. For Leonardo, the art and scienza o f technical illustration and natural philosophy were

a crossbow string, its descent down the stock is somewhat less than in the previous descent, and

governed not by intuition, but by proportional rules o f form, balance, force, and motion.

that an illustration o f the decreasing positions o f descent o f the strings will « almost appear to look like the foreshortenings o f those who practice perspective

To address the pyramidal na­

ture o f the problem, as he devised a solution wherein the projectile’s impetus would be relative to the angle o f the crossbow string at the position o f the nut o f the trigger mechanism. He illustrates

16

Leonardo referred to this project when designing burning mirrors around 1515, stating : « remember the solde­

17

Franciscus de Marchia (fl. 1320) and John Buridan (c. 1295-c. 1358) formulated impetus theories as a w ay o f

ring {saldatura) used to solder the ball for Santa Maria del Fiore », as noted in Manuscript G , 84V. explaining how an object keeps m oving after it leaves the thing that throws it. T his was first explained by the sixth century Alexandrian, John Philoponus, who corrected Aristotle’s poor definition o f impetus. O ne o f Buridan’s definitions o f impetus theory that Leonardo appeared to know is that a falling body was believed to generate additional impetus embedded in that body : as impetus increases with the fall o f the body, the body’s velocity increases. A standard source for Marchia and Buridan is D avid Lindberg, The Beginnings o f Western Science, Chicago, T h e University o f Chicago Press, 1992, p. 302-303. 18

Leonardo da Vinci, The Madrid Codices, translated by Ladislao Reti, 5 vols. New York, McGraw-Hill, 1974, IV, p. 102.

19

Id.

354 1 P einture & architecture

Id.

Peinture & architecture | 355

N um ber Measure and W eight. Proportions and « N e w Sciences » in Architecture Filippo Cannerota Museo Galileo - Istituto e Museo di Storia della Scienza di Firenze

Characteristic o f the modern development o f the theory o f proportions was a methodical search for instruments allowing practical applications o f the numerical ratios that had governed cosmic order and the canons o f beauty since Antiquity. Keen attention was focused on the invention o f new proportional instruments starting from the late 15th century, when Leonardo designed some sophisticated compasses for proportional calculation'. Antonio da Sangallo the Younger invented a compass for calculating cube roots, while Albrecht Dürer described various proportional instruments used by artists in his famous treatise on the proportions o f the human body\ In the mid-sixteenth century excellent instruments o f new invention began to circulate in the Euro­ pean courts, such as Fabrizio Mordentes « compasso magistrale », designed for astronomical, geometrical and mechanical applications, Jacques Besson’s « Euclidean compasses » for topo­ graphical and surveying applications, Bartolomeo Romano’s « proteo militate », which, among its many applications, was used « to form [...] the five orders o f columns, which in the Tuscan, Doric, Ionic, Corinthian and Composite buildings, are used by expert Architects »; and lastly, Galileo’s geometric and military compasses, which enclosed the entire mathematical culture o f the Renaissance within a series o f seven proportional lines^

Leonardo da Vinci, II Codice Atlantico della Biblioteca Ambrosiana di Milano, diplomatic and critical transcrip­ tion by Augusto Marinoni, 12 vols, Firenze, Giunti-Barbèra, 1973-1980 : f isyrb = 425V o f the new edition; f. 248ra = 672t : « Proportional compass [...] This holds true for irrational proportionalities » ; f. 369va = 1032t :

« [...] but it must be done with proportional compasses which are double, as shown in the margin » ; f 375ra = 1046t : « Proportional compasses made o f rods and joints in the manner o f pincers ».

Antonio da Sangallo the Younger, Gabinetto dei Disegni e delle Stampe degli Uffizi, 1491 Ar-v ; see Christoph L. Frommel

Nicholas Adams, The Architectural Drawing o f Antonio da Sangallo the Younger and His Circle, voi. I, Fortifica­

tions, Machines, and Festival Architecture, Cambridge (Mass.) and London, The M IT Press, 1994, p. 246-247, 449. Albrecht Dürer, Vier Bücher von menschlicher Proportion, Nuremberg, Jeronymum Formschneyder, 1528 ; It. transl. by Giovanni Paolo Gallucci, Deila simmetria dei corpi humani, Venezia, Domenico Nicolini, 1591 : book I, p. 2-3 {equatore) ; book III, p. 70-71 {variante), p. 73 {diligente), p. 85-86 {gemelle), p. 90-91 {indice), p. 92 {pervertente). Fabrizio & Gasparo Mordente, Il Compasso del S. Fabritio Mordente con altri Istromenti Mathematici ritrovati da Gasparo suo fratello, Antwerp, Christoforo Plantini, 1584; Jeaques Besson, Theatrum instrumentorum et ma-

P e INTURE & A RC H IT EC TU RE | 3 5 7

Filippo C amerota

N umber, M easure

and

W

eight

Galileo never dealt specifically with architecture, but his application-based approach to

The proportions o f the architectural orders, in particular, were deemed a masterpiece of stability

the mathematical sciences significantly affected the proportional system that had for centuries

and beauty. Entasis, for example, the swelling o f a column’s shaft just at the weakest point o f the

been the cornerstone o f the building art. One o f the consequences o f the conclusions stated

structural element, conferred on it both grace and sturdiness (fig. 2).

in the Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze'^ was the discovery o f a « painful point » which, at least in architecture, was to lead to critical revision o f the ancient con­ cept o f beauty as the « accord and harmony o f the parts in relation to the whole

The painful

point lay in the nature o f materials, that is, in the different degree o f tensile strength shown by

Taa.^% X.

each material when subjected to a determined force (fig. i). Although Galileos observations concerned an application in the field o f mechanics, for the architects his conclusions inexorably undermined the crystalline perfection o f the proportional sys­ tem. It became clear, in fact, that the strength o f materials did not comply with the same laws that governed the definition o f form, and that the proportional system could not fully satisfy the requisites o f architecture. Unlike the figurative arts and music, where « number and measure » sufficed to express the canons o f beauty, architecture depended on a third component that signifi­ cantly influenced the definition o f form, namely « weight ». This can be seen without a shadow o f doubt in a passage from Daniele Barbaro’s commentary to Vitruvius’ De architectura : The beautiful inventions o f men are so much the better, the more ingeniously are they propor­ tioned [...]. Divine is the force o f numbers related to one another by reason. Nor can it be said that in the building o f this university which we call world, and in the little world as well, is there anything more ample, more deservedly appropriate than weight, number, and measure [...]*. Fig . 1

^V Jr .V ■

Clearly apparent is the reference to a famous verse from the Book o f Wisdom, sometimes quoted by Luca Pacioli as well, according to which the Demiurge had ordered every thing by « number, measure and weight »^. The question o f the weight and breaking strength o f materials had been skilfully evaded by both Vitruvius and the Renaissance theorists, who generally attributed collapse or damage

Galileo Galilei, Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze attenenti a lb meccanica

'I

et i movimenti beali, Leida, 1638, p. 86 :

1

cantilever.

:

to flawed materials rather than to the incorrect sizing o f structures. Until the time o f Galileo it was believed in fact that the theory o f proportions could also be applied to problems oifirm itas.



Í i § M

: J L - *1

chinarum..., Paris, A p u d Barth. V in cen tiu m , 1578 ; B artolom eo R om an o, Proteo Militare, N apo li, G io . Jacom o C a rlin o and A n to n io Pace, 1595 ; G alileo G alilei, Le operazioni del compasso geometrico e militare, Padova, Pietro M arin elli, 1606.

4

Galileo Galilei, Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienza attenenti alla meccanica et i

5

For this famous definition, see Leon Battista Alberti, L ’architettura [De re aedificatoria], edited by Giovanni

movimenti beali, Leiden, Appresso gli Elzeviri, 1638, edited by Enrico Giusti, Torino, Einaudi, 1990. Fig , 2

Orlandi & Paolo Portoghesi, M ilano, Il Polifilo, 1966, IX, 5, p. 816 (for an English translation see The Architec­ ture o f Leon Battista Alberti [ ...] transbted into Italian by Cosimo Bartoli and now first into English [ ...] by James Leoni, London, T. Edlin, 1726). 6

Vitruvius, / died libri di architettura tradotti e commentati da Danieb Barbaro, Venezia, Francesco de Franceschi se­ nese e Giovanni Chieregher Alemanno Compagni, 1567, facsimile edition, Milano, Il Polifilo, 1987, book III, p. 97.

7

T h e entasis con struction in L’architettura di

Jacopo Barozzi da Vignob [ ...] aggiuntovi un trattato di meccanica, Passano 1787,

B 7,

pi. XXX.

Book o f Wisdom, n , 20; Luca Pacioli, D e divina proporzione, Venetiis impressum... per Paganinum de Paga­ ninis de Briscia, 1509, in Scritti rinascimentali di architettura, a cura di Arnaldo Bruschi, Corrado Maltese, Manfredo Tafuri & Renato Bonelli, Il Polifilo, Milano, 1978, p. 77.

3581 Peinture & architecture

Peinture & architecture \ 359

Filippo C amerota

N umber, M easure

In like manner, the relationship between architrave, intercolumnation and diameter o f a co­ lumn satisfied both static and aesthetic requisites. When the width o f the intercolumnation increa­

an d

W

eight

Alberti had evaded the problem more methodically, by sharply distinguishing between de­ sign and construction. For Alberti the function o f design was that o f assigning

sed the risk o f failure in the architrave (fig. 3), as in the aerostyle temple, the architect unhesitatingly

to the edifice and all its parts their proper places, determinate number, just proportion and beauti­ ful order; so that the whole form o f the structure be proportionable. Nor has this design any thing that makes it in its nature inseparable from matter [...] and we can in our thought and imagina­ tion contrive perfect forms o f buildings entirely separate from matter'“.

recurred to solutions that, in post-Galilean times, would have been considered incongruous at the least, building composite architraves in which the stone served only as facing for a wooden bearing element^ Against this usage Carlo Lodoli vehemently protested, declaring, in regard to the strength o f solid bodies : I have never been able to conceive o f how something that appears broken sixty or seventy times out o f a hundred can be considered beautiful in architecture ; as is the case with most o f the architraves built all o f one piece, weighing on two columns or piers, when the intercolumnation is a little wider than necessary’ .

To guide the hand o f the architect was « the absolute and fundamental rule o f nature », that is, concinnitas, which encompassed three basic characteristics o f architectural design : numerus ( n u m b e r ) , ( m e a s u r e d outline) and collocatio (composition)". O n numbers, odd and even, and the symbolic values assigned them since antiquity, depended not only general decisions such as the distribution o f fullness and voids but, even more important, the laws offinitio, the category

The point in question was the proportional sizing o f the architrave, which did not appropriately

that contemplated the proportional system by deriving from music « those numbers that have

fulfil the function to which it was destined.

the power to confer on sounds concinnitas

Finitio imposed order on the « mutual correlation

between the lines that establish the dimensions »’^ that is, length, width and height, and such correlation was governed by the consonances o f the ancient Pythagorean system. Numbers used in pairs served to establish the areas o f buildings. Taken in groups o f three instead, they were used to define volumes, by calculating the so-called mean proportionals, that is, « given two extreme numbers, we find a mean term that has a certain relationship with the other two, or - it might be said - is linked to them by a bond o f kinship

Using mean proportionals,

« the architects have devised a great number o f excellent solutions, as regards both the entire build­ ing and its individual parts

; for instance, given the dimensions o f the surface area, the mean pro­

portional quantity established the height o f a building. O n these ratios was based the sizing o f the architectural orders, viewed as a time-tested system o f beauty where each element was related to the others in such a way « that nothing can be added, or taken away or altered, but for the worse »'^. Collocatio is the least mathematical o f the three laws o f concinnitas, depending more on the ar­ chitect’s good judgement in arranging all o f the parts in full respect for alignments and symmetries. « And what a shrewd judgment », wrote Alberti, « the eye has in works o f this nature above all the other senses »'^. It is the eye, then, that must establish the last measurements, modifying them when necessary, to ensure that numerical harmony can be perceived even in the worst conditions of visibility. Vitruvius had already dealt with this problem by recommending optical refinements, Fig .

Vitruvius, D e architectura, Rome, i486, codex with drawings by G io ­ vanni Battista da Sangallo, Rome, Biblioteca Corsiniana, ms. 50.Ri, c. 137 : failure in the architrave o f an aerostyle temple.

8

Vitruvius, I died libri di architettura traebme commentati da Daniele Barbaro..., op. cit., Ill, 3.5.

9

Andrea M em m o, Elementi di architettura Lodoliana, ossia l ’arte di fabbricare con solidità scientifica e con eleganza non capricciosa, Roma, Pagliarini, 1786, Zara, Battara, Milano, Società Editrice dei Classici Italiani d’Architettura Civile, 1833, p. 325-326.

360 I PeINTURE & ARCHITECTURE

especially in the temples, ranging from the thickening of corner columns (III, 2) to the tilting for-

10

L. B. Alberti, L ’a rchitettura..., op. cit., I,i, p. 20.

11

Ibid., IX, 5, p. 816.

12

Ibid., p. 822.

13

Ib id , p. 820.

14

Ib id , IX, 6, p. 832.

15

Ib id, p. 834. O n the theory o f proportions in architecture with special reference to Leon Battista Alberti, see Ru­ dolf Wittkover, Architectural Principles in the Age o f Humanism, New York, W.W. Northon & Company, 1971.

16

L. B. Alberti, L ’architettura..., op. cit., book V I, chap. II, p. 446.

17

Ib id , II,

I,

p. 94.

Peinture & architecture I 361

Filippo C amerota

N umber, M easure

and

W

eight

ward o f pediments (III, 3) to properly selecting the number o f flutes on column shafts (IV, 4). Since

For Alberti, control o f the design was entrusted mainly to models that replicated on a small

« vision does not seem to have in itself truthful representations », explained Vitruvius, « but very

scale, but in minute detail, everything that would then be built (fig. 4). « By making a model », he

often the mind is misled in its evaluation », it was advisable « to add to the theoretical calculation

wrote, « you will have an opportunity, thoroughly to weigh and consider the form and situation o f

an extra quantity in structures designed by the proportional system, in order to retain the ratios

your platform with respect to the region [...] »^'. O n these models the architect could « easily and

between sizes, when the works are to reach great heights or the dimensions are to be colossal »‘*. At

freely add, retrench, alter, renew, and in short change every thing », to find the most satisfactory

the basis o f Vitruvius’ conclusions was not only an age-old building tradition but also a precise

solution. Alberti’s faith in the model as preview o f the future building was grounded in the theory o f

scientific foundation, whose rules lay in a discipline that had been divulged in the

century B.C.

proportions. The proportionality o f similar triangles, the bases for all o f the measuring methods

by the mathematician Geminus under the name o f skenographia^ the optical science used to verify

o f Abachist tradition, including the principles o f perspective stated by Alberti in the De pictura,

the architectonic and figurative proportions in buildings and colossal sculptures'^.

made it entirely feasible that, as long as proportional ratios were respected, anything that was beau­

Although Alberti does not discuss the optical verification o f proportions in detail, he implic­

tiful small was also beautiful large. And the same reasoning was extended to the static problems that

itly acknowledges it by assigning to the eye a crucial role in verifying forms. Moreover, he declares

were studied on models « without considering the material at all ». Moreover, such a convincing

knowledge o f painting and mathematics indispensable to the architect, intending « painting » to

example as the model for Brunelleschi’s dome, no less than five meters in diameter, which remained

mean « those elements we have dealt with in our work » - that is, linear perspective - and mathe­

at the disposal o f the Operai until 1430, seemed to fully validate this mode o f operation.

matics, « the part that has been conceived for practical ends », that is, the geometry handed down by the Abachist tradition that included « methods for measuring weights, surfaces, and volumes »“ .

For Alberti the drawing and the model, that is, « number » and « measure » were conceptual and practical tools with which the architect could also master the problem o f « weight », pre­ sented in the introduction to De re aedificatoria as the principal scope o f the art o f building : Architect I will call he who, by admirable and intelligent theory and method, is able to devise with thought and invention and to complete through execution by means o f the movement o f great weights, and the conjunction and amassment o f bodies, all those works that can, with the greatest beauty, be adapted to the uses o f mankind. And to do this he must have a thorough insight into the noblest and highest disciplines“ .

F ig . 4

Marco da Faenza

To back up this premise Alberti intended to conclude the ten books o f his treatise with some short studies o f geometric and mechanical nature, such as the lost Commentariis rerum mathemati­

(designed by G iorgio Vasari), Brunelleschi and

carum, which may have dealt with the themes appearing later in the form o f games in the Ludi

Ghiberti show to Cosimo de’ Medici the model o f

rerum mathematicarum, and in the De navis^^, which would have contained an in-depth techno­

the church o f San Lorenzo, 1556, fresco, Florence,

logical and typological discussion o f ships, ports, and, obviously, Archimedean mechanics.

Palazzo Vecchio, Room o f Cosim o the Elder.

Mechanical problems are discussed by Alberti in relation to the basic topic o f « displace­ ment o f weights yP-"' (fig. 5). The five simple machines o f Hero’s Mechanica^^, namely the winch, lever, pulley, wedge and screw, were put to work daily in the real world o f the construction sites, exploiting the « power o f mathematics » that had guided the hand o f Archimedes in dragging a

21

L.B. Alberti, L ’a rchitettura..., op. cit., II, i, p. 96.

22

Ibid., preface. As regards the Commentariis, G ino Arrighi proposes to identify this text with the Algorismus proportionum brevis, kept at the Biblioteca Riccardiana di Firenze, Rice. 927 ; see G ino Arrighi, « Leon Battista Alberti e le

18

Vitruvius, D e architectura libri decern, edited by Pierre Gros, translation and commentary by A ntonio Corso &

19

Auszüge aus Geminos, in Richard Schoene (ed.), Damianos Schrifi über Optik, Berlin, Reichsdruckerei, 1897.

20

L.B. Alberti, L ’a rchitettura..., op. cit., IX, 10, p. 862. For Alberti’s work on linear perspective {D epicturd) an

L. B. Alberti, Profugiorum ab aerumna libri, edited by Giovanni Ponte, Genova, Tilgher, 1988. For the work

practical geometry {Ex Ludi rerum mathematicarum), see Cecil Grayson, Leon Battista Alberti. Opere volgari,

o f Hero, see Heronis Alexandrini. Opere, quae supersunt omnia, edited by W ilhelm Schmidt & Johan Ludwig

Bari, Laterza, 1973, III, p. 7 -1 0 7 ,134-173.

Heiberg, Leipzig, Teubner, 1899.

scienze esatte », in International Conference convened on the Vcentennial ofL. B. Alberti, Rome-Mantua-Florence, 25-29 April 1972, Roma, Accademia Nazionale dei Lincei, 1974, p. 155-212.

Elisa Romano, 2 vols., Torino, Einaudi, I997> HI. 5'9-

3621 Peinture & architecture

24

L. B. Alberti, L’architettura..., op. cit., V I, 6-8.

Peinture & architecture | 363

Filippo C amerota

N umber, M easure

and

W

eight

fully loaded ship to the centre o f the main square in Syracuse^^. Governing the movements and

advocate of the theory o f proportions, saw « w eight» as the destabilizing element in that theoretical

displacements o f heavy weights was above all the principle o f balance - which Alberti also de­

framework. Recalling that « everything consists o f number, weight and measure », Pacioli asks :

scribes in the

- « where the sum total o f the numerical values o f the radius and the weight But what shall we say o f modern buildings, in their own kind ordered and arranged with diverse models that, although pleasing to the eye for their small size, are then in buildings unable to bear

on the right-hand side is equal to that o f the matching values reversed on the left-hand side This definition calls to mind the great revolving

the weight ’’ ?

crane o f Brunelleschi that soared at least twenty meters above the top o f the dome on the Cathe­

Pacioli may have closely observed Leonardo’s ex­

dral o f Santa Maria del Fiore, lifting extremely

periments on the deformation o f beams, demon­

heavy weights thanks to an ingenious equalizer

strating that a large beam was subject to greater

system in which the load and the counterweight

deformation than could have been foreseen con­

moved simultaneously to keep the machine bal­

sidering its proportional ratio to a smaller one

anced on its vertical axis^^. The construction site

(fig.

for the dome was to be, throughout the century,

trials and daily experience o f the construction

an exceptional workshop for testing the most var­

sites that progressively undermined faith in ab­

ied combinations o f screws, worm screws, spools,

stract mathematical concepts. Undoubtedly, one

toothed wheels, spur gears and multi-speed

o f the sites that contributed most significantly

shafts; simple and complex machines that were

to the new science o f mechanics was the Arsenal

the subject o f study by such artists and engineers

o f Venice, a training workshop not only for gen­

as Buonaccorso Ghiberti, Mariano di Jacopo,

erations o f foremen, architects and engineers but

known as Taccola, Francesco di Giorgio Martini,

also for experts in mechanics such as Giacomo

and Leonardo da Vinci.

Contarini, and illustrious mathematicians such

The success o f Brunelleschi’s undertaking un­

F ig . 5

______

And it was, in fact, the experimental

as Guidobaldo del Monte and Galileo.

doubtedly reinforced the belief, already established

It was probably from the daily practice ex­

by the Gothic architects, that models could also

perienced on the Arsenal worksite that the en­

serve to size the structures o f buildings. Alberti did

gineer Bonaiuti Lorini formulated the concepts

not hesitate to declare that « great edifices require

which, at almost the same time and in almost

great members »^°, including the bricks, without

the same place, Galileo was evolving in regard

considering the fact that larger structures mean

to mechanical questions : ■•'«if

heavier weights, not proportional to the dimen-

Cosim o Barton, Opuscoli morali d i Leon Battista

problem had instead been raised already by Luca Pacioli who, although the most convinced

28

L. B. Alberti, L’architettura..., op. cit., VI, 7.

29

See Paolo Galluzzi, G li ingegneri del Rinascimento. Da Brunelleschi a Leonardo da Vinci, catalogue o f the exhibi­

Since the demonstrations and proportions that are found among the lines imaginary surfaces and bodies that are unconnected to the mate­ rial, do not coincide so explicitly when applied to material things [...] although mathematical demonstration necessarily persuades us o f this [...] nonetheless, in actual experience with the material, as in using a beam as lever, we must also take into consideration the weight o f that

tion, Firenze, Palazzo Strozzi, 22 June 1996 - 6 January 1997, Firenze, Istituto e Museo di Storia della Scienza,

beam [...]” .

Alberti.. ., Venice, 1568 : lifting hoist.

26

L. B. Alberti, L’architettura..., op. cit., V I, 6.

27

L. B. Alberti, Ex L udi..., op. cit.. Ill, p. 157.

Fig . 6

Leonardo da Vinci, studies on the deformation o f beams, Madrid Codex I, f. 137.

1996, reprint 2001, p. 99-116. 30

L. B. Alberti, L ’architettura. ... op. cit., I, 9 : « A nd as the Members o f the Body are corresponded to each other, so it is fit that one Part should answer to another in a Building : whence we say, that great Edifices require great

31

L. Pacioli, De divina proporzione..., op. cit., p. 77.

Members. W hich indeed was so well observed by the Ancients, that they used much larger Bricks, as well as

32

See Salvatore D i Pasquale, Larte del costruire. Tra conoscenza e scienza, Venezia, Marsilio, 1996, p. 84.

other Materials, about public and large Buildings, than in private ones ».

33

Bonaiuti Lorini, Delle fortificationi, Venezia, G . A. Rampazzetto, 1597, V i-

364 I P e INTURE

& ARCHITECTURE

Peinture & architecture I 365

Filippo C amerota

N umber, M easure

and

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eight

The two proportional problems are discussed in the Discorsi specifically in relation to the weight o f bodies and the strength o f materials. For architects, this work called for new attention to the problems o f firmitas. The static strength o f buildings and the construction o f worksite machines became topics for the « speculative intellects » who, while finding nourishment in the technical culture o f artisans, sought the reasons for things in the truth o f mathematics. A machine o f great size, for instance, could not be merely composed o f elements proportionally larger than those o f a small machine, but had to be built o f stronger materials. Galileo explained th a t: A larger machine, built o f the same material and having the same proportions as a smaller one, will symmetrically match the latter in all conditions, except in sturdiness and resistance to violent impact; but the larger it is, the weaker it will be proportionally” .

And this alone sufficed to demolish the ancient belief that a model could fully express the qualities o f a building in every respect. The « resistance o f solid bodies to being broken » was thus the specific field o f investigation o f one o f the « two new sciences », so that, « given the resistance o f a small nail », explained Galileo in a let­ ter to Antonio de Ville, « or o f a small dowel made o f wood or any F ig . 7

other material, I can demonstrate the resistance o f all o f the nails, all o f the poles, all o f the iron chains, all o f the beams, joists, spars,

Galileo’s compass, Firenze, Museo Galileo - Istituto e

shafts, and in a word all o f the solid bodies made o f any material

Museo di Storia della Scienza, inv. 2430.

whatsoever » (fig. 8)^^. The theory o f proportions that governed every aspect o f the architectural project, above all that o f venustas, was not

Lorini S treatise on fortifications, from which this passage is taken, was published in Venice in 1597,

applicable to the static strength o f buildings, because each material

when Galileo was designing the first version of his famous proportional compass, at the time the

had its own degree o f resistance. Consequently, the shapes and sizes

most sophisticated calculating instrument ever invented (fig. 7). Exploiting the properties o f similar

o f structural elements had to be determined on the basis o f the ma­

triangles, Galileo had conceived o f seven proportional lines that could be used to carry out, with

terial’s mechanical properties. The need to decrease the weight o f a

only a few compass settings, any arithmetical, geometric or stereometric operation, including cal­

beam without impairing its strength led Galileo to hypothesize an

culating the weight o f different materials. Among the various operations Galileo proposed two Eu­

optimal section o f parabolic shape, introducing that « problem o f

clidean problems that he was to examine later in the Discorsi e dimostrazioni matematiche. The first

Galileo » {Galileuspromotus de resistentia solidoruni) which François

concerned the fifth definition in the sixth book o f the Elements, introducing the problem o f mean

Blondel was to place at the centre o f the architectural debate con­

proportionals, which Galileo solved with the « geometric lines »; the « mean proportional » served

ducted in the Académie Royale dArchitecture o f Paris^^.

in fact to solve problems o f plane geometry. The second dealt with a question barely mentioned

The « new science » o f resistentia solidorum thus called for a true

in Euclid’s text, that is, the determination o f the fourth proportional, which Galileo solved with

science o f building that would ensure control over every aspect o f ar­

the « stereometric lines ». The « two mean proportionals » served in fact to solve problems o f solid

chitecture. This science had produced important theoretical results.

geometry, including that o f weight, for which specific proportional scales, called « metallic lines »,

F ig . 8

Galileo Galilei, Discorsi e dimostrazioni matematiche... : traction applied to a column.

were marked on the compass. According to Galileo, « by combining the uses of the Metallic lines

35

and the Stereometric lines, given two sides o f two similar solid bodies, made o f different materials »

36

G . Galilei, Discorsi e dimostrazioni..., op. cit., p. 13. See the letter from Galileo to Antonio de Ville dated March 1635, in Le opere di Galileo Galilei, Edizione N a­ zionale edited by Antonio Favaro, 20 vols., Firenze, G . Barbèra, 1890-1909, repr. 1929-1939, X VI, p. 242-244.

one could « find the proportion existing between said solid bodies in weight 37

See François Blondel, Résolution de quatre principaux problèmes dArchitecture, Mémoires de l’Académie Royale des Sciences, 1666-1699, V Paris, Imprimerie Royale, 1729. See also S. D i Pasquale, L ’arte del costruire..., op. cit., p. 297-299. O n relations between mechanics and architecture, see also A ntonio Becchi, Q.XVI. Leonar­

34

G . Galilei, Le operazioni del c o m p a s s o .op. cit., open XXIII.

366 I Peinture & architecture

do, Galileo e il caso Baldi : Magonza, 26 marzo 1621, Venice, Marsilio, 2004.

Peinture & architecture | 367

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N umber , M easure

and

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eight

such as Bernardino Baldi’s Exercitationes on the « mechanical problems » of Aristotle, as well as valu­ able technological results divulged mainly by the French academics, most notably François Blondel and Philippe De la Hire ; the latter dedicated expressly to architecture his Traité de Méchanique published in Paris in 1695. And the concepts o f De la Hire were assimilated by one o f the most influential Italian architectural theorists, Francesco Milizia, who in recalling « the famous theory of Galileo » and Bernouilli s observations on elastic bodies, credited De la Hire with having been the first to determine « the thickness that piers must have in order to withstand the thrust o f the vaults » (fig. 9)^^. For Milizia,

was the fundamental category o f architecture; without it, utilitas and

venustas were nothing, so that any ornamentation as an end in itself must be rejected : « whatever exists as representation », he maintained, « must always serve a functional purpose

F ig . 9

The latter pronouncement clearly derives from the teaching o f Carlo Lodoli, who in Venice embodied the figure o f the philosopher architect derived from Galileo s reflections. The « Socrates

François Blondel, Cours d ’architecture enseigné dans l ’Académie royale d ’architecture,

o f architecture », as his disciples called him, taught his doctrine only a few steps away from the

Paris, 1698, quatrième partie, liv. V I, chap. V II, p. 419 : thikness o f piers in relation to the thrust o f the vaults.

Arsenal construction site that had inspired Galileo s Discorsi. Lodoli professed a concept o f archi­ tecture « founded on the true reason o f things », that is on knowledge o f the properties o f materi­ als that determined the function, and consequently the form, o f any architectural element. His ideas, as we know, were handed down in the writings o f Francesco Aigarotti and Andrea Memmo, but in a form often emphasising moralistic rather than technological aspects (fig. io)^°. Nonetheless, the aesthetic principles o f Lodoli s rationalism are clear and unequivocal. Beauty does not lie exclusively in proportions, for which every architect suggests a different order o f rela­ tionships, but in balanced accord between proportions and the nature o f materials. If a material was liable to fail under load, the architectural element must be built in several pieces, providing jointing at the points where fractures would have occurred had it been constructed all in one piece. The need to contrast forces and weights thus had to become a qualifying element. « Func­ tion » had to be « representation » as well, so that the forms o f architectural elements had to be de­ termined by forces, and not numbers. Francesco Aigarotti states this very clearly in expressing the hope « that function and representation in buildings will be a single thing [...] », because « the nature o f wood being different in form from the nature o f stone, different must be the forms that, in constructing the building, you will give to wood from those you will give to stone [...] », thus taking from the « nature o f the material [...] the forms, the construction, the ornamentation », and this can be done only « by varying proportions and measurements as the case may require »'^F To the optical refinements handed down by Vitruvius to safeguard proportional order from the

F ig . 10

trickery o f vision were now added « static refinements » to safeguard the stability o f a building.

Andrea Memmo,

38

Elementi dell’architettura lodoliana...,

Francesco M ilizia, Le Vite dei più celebri architetti di ogni tempo precedute da un saggio sopra l ’A rchitettura,

Roma, 1786, title page : portrait o f

Roma, Paolo G iuntchi Komarek, 1768, p. 503, 533.

39

Francesco Milizia, Memorie degli architetti antichi e moderni, Parma, Stamperia Reale, 1781, p. 15.

40

Andrea M em m o, Elementi di architettura..., op. cit.\ Francesco Algarotti, Saggio sopra l ’architettura, Venezia,

41

Francesco Algarotti, Saggio sopra l ’architettura, in Ettore Bonora, Opere di Francesco Algarotti e di Saverio Betti­

Carlo Lodoli.

Graziosi, 1784. nelli, M ilano-Napoli, Riccardo Ricciardi Editore, 1969, p. 307-332, in part. p. 315-317.

368 I P einture & architecture

P einture & architecture | 369 ■Éik

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and

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eight

Beauty no longer lay in perfect proportions, but in construction logic, so that even the traditional Vitruvian derivation o f the column from the tree trunk o f the original hut was firmly rejected on the grounds o f the different nature o f the materials. According to Lodoli, « everyone talks about the concept o f taste without realizing that the scientific laws o f lithology are being violated »^^ By now the concept o f beauty had changed radically, just as the cosmic order that had in­ spired the ancient proportional system had changed with the advent o f the telescope. To guide the hand o f the architect were no longer the abstract laws o f concinnitas, but the concrete results o f calculation and experimental trials. Neoclassicism revived forms and ornamentation derived from Antiquity, but subjected to the scrutiny o f modern scientific achievements. In Eighteenthcentury England, for example, at the height o f the Neo-Palladian vogue, there emerged a current o f thought that rejected the ancient parallel between mathematics and beauty, acknowledging to proportions only « the measurement o f the relative quantity

And it is within this context

that Galileo’s compass encountered success in the architectural field as well. The so-called « ar­ chitectonic sector » was a variant o f the geometric and military compass specifically developed for designing the five architectural orders according to the proportions o f Andrea Palladio. It had been developed by Ottavio Revesi Bruti, an architect from Vicenza, who had divulged it in 1627 under the name of archisesto (fig. ii). But to decree its success among the proportional instruments used by architects were various

F i g . 11

British authors who, between 1723 and 1761, published translations and revisions o f Bruti’s text, undoubtedly in honour o f the special interest o f King George III in architecture and mathemati­

O ttavio Revesi Bruti, Archisesto.

cal instruments (fig. 12)"^.

Vicenza 1627, title page.

The fascination o f this compass lay not so much in the Palladian proportional system as in the mechanism o f the instrument itself, in that ingenious distribution o f marks from whose combi­ nations, as in a pentagram, emerged the design o f the orders. The covert protagonist was not Palladio but Galileo, or rather his instrument, now become the symbol o f the scientific culture that had favoured the mathematicization o f the arts and o f nature, and had eliminated the symbolic component o f the proportional system. As Algarotti wrote at the beginning o f his Sag^o sopra I’architettura : « The philosophical spirit, which in this age o f ours has made such great progress and has penetrated into every sector o f knowledge, has become in a certain manner the censor o f the fine arts, and most notably o f architecture

F i g . 12

Thom as Heath, architectonic sector, ca 1740, Oxford, Museum o f the History o f Science, inv. 55213.

42

A . M em m o, Elementi di a r c h ite ttu r a .op. cit., p. 207-210.

43

Edm und Burke, A Philosophical Enquiry into the Origin o f our Ideas o f the Sublime and Beautiful, London,

44

The treatise by Ottavio Revesi Bruti, Archisesto per formar con facilità li cinque ordini d ’architettura..., Vicenza,

R. and J. Dodsley, 1757. See R. W ittkover, Architectural P r in cip le s., op. cit., p. 143. Amadio, 1627, was translated into English by Thomas Malie under the title A New and Accurate Method o f De­ lineating all the Parts o f the Dijferent Orders in Architecture, London, Gent for Fletcher Gyles, 1737. See Rudolf Wittkover, Palladio and English Palladianism, London, Thames and Hudson, 1974. T he subject has recently been examined by Stephen Johnston, « Science, satire and the architectonic sector », speech at the X X V Symposium o f the Scientific Instrument Commission, Krakow, 2006. 45

E Algarotti, Saggio sopra I’architettura..., op. cit., dedication, p. 307.

3 7 0 I P e INTURE & A R C H IT EC TU RE

P e INTURE & A R CH IT EC TU RE | 3 7 I

Usages et fonctions de la théorie des proportions dans Le Livre de Pourtraiture de Jean Cousin fils Valérie Auclair Université de Marne-la-Vallée

À la Renaissance, les mathématiques et les proportions occupent une place de plus en plus impor­ tante dans l’apprentissage du dessin et dans la pratique quotidienne des artistes. La représentation des lieux requiert des connaissances en perspective, tandis que celle des personnages, fait l’objet d’une approche mathématique fondée sur les proportions, c’est-à-dire sur l’idée que les mesures des différentes parties du corps humain entretiennent des rapports stables avec celles de la totalité du corps'. Les écrits de Piero della Francesca et d’Albrecht Dürer ont jeté les bases théoriques des proportions du corps. Dürer, dont les oeuvres ont été publiées et traduites en latin et en français a été un modèle pour les artistes français, notamment ses traités sur la perspective, Underweysung der Messung (1525)^, et sur les proportions du corps, Vier Bûcher von menschlichen Proportion (1528)^

Pour une présentation générale de cette question voir Erwin Panofsky, « L’évolution d’un schème structural. L’Histoire de la théorie des proportions humaines conçue comme un miroir de l’histoire des styles », dans L ’œuvre d ’art et ses significations. Essais sur les « arts visuels » (1955), trad, de Marthe Teyssèdre & Bernard Teyssèdre, Paris, Gallimard, 1969, p. 55-99 (éd. or. ; Meaning in the Visual Arts, N ew York, Doubleday, 1957). Consulter également la présentation critique qu’en a faite Pierre Francastel dans « Aspects sociaux de la symétrie du x V au x x ' siècle » (1963), dans La Réalité figurative. Éléments structurels de sociologie de l ’art, Paris, Gonthier, 1965, p. 177-198. Sur les théories des proportions à des époques plus récentes que celles étudiées par Panofsky, voir Claire Barbillon, Les Canons du corps humain. L ’art et la règle, Paris, O dile Jacob, 2004. Voir Albrecht Dürer, Instruction sur la manière de mesurer, traduit et présenté par Jeannine Bardy et Michel van Peene, Paris, Flammarion, 1995. Pour une présentation de ces deux ouvrages, voir Albert Dürer, Lettres et écrits théoriques. Traité des proportions, textes traduits et présentés par Pierre Vaisse, Paris, Hermann, 1964. L’introduction de P. Vaisse est très éclai­ rante sur les objectifs de Dürer et les contextes artistique et scientifique de ces publications. Les Vier Bûcher von menschlichen Proportion ont été réédités plusieurs fois et traduits dans plusieurs langues, jusqu’à la fin du xviP siècle : ils sont traduits en latin en 1532 et en français en 1557. C ’est à cette traduction, rééditée en 1613, que nous nous référerons par la suite : Les quatre Livres d ’A lbert Dürer, traduict par Loys Meigret, Arnhem, Jean Jeansz, 1613, reproduit en fac-similé par les éditions Roger Dacosta, Paris, 1975.

Peinture & architecture | 373

U sages

Valérie A uclair

et fonctions de la théorie des proportions

Jean Cousin père, peintre à Paris, a écrit sur les mêmes sujets que Dürer : en 1560, il publie le

trois nez (si on ne compte pas les cheveux), etcì Des indices de lecture vitruvienne apparaissent

Livre de perspective, dans l’avant propos duquel il annonce un ouvrage sur les proportions du

dès le début du xiiL siècle dans le manuscrit de Villard de Honnecourt, où figurent des visages

corps'*, mais il meurt vers 1560 et c’est son fils, nommé également Jean Cousin et peintre à Paris,

divisés en 4 sections identiques, ainsi que des personnages entiers construits à partir de formes

qui a repris ce projet et publié posthume en 1595 Le Livre de PourtraitureK Cet ouvrage est une

géométriques simples^.

référence dans les études sur l’art en France à la Renaissance, mais il n’a jamais été étudié en dépit

Ce type de dessins devient fréquent à la Renaissance, notamment dans les manuscrits et

de son succès éditorial constant jusqu’au xix' siècle. Il renferme une présentation originale des

dans les traités des imprimés sur les proportions du corps humain, comme ceux de Piero della

proportions du corps, qui se distingue des ouvrages de ses prédécesseurs. Pour Jean Cousin, les

Francesca'®, ou de Dürer" qui nous serviront de points de comparaison pour analyser le Livre de

proportions et les mathématiques ne remplacent, ni ne périment les anciennes méthodes empiri­

Pourtraiture de Cousin'^.

ques de dessin, au contraire, elles en intègrent de nombreux procédés. Le Livre de Pourtraiture en propose un usage pragmatique, qui s’articule avec la copie, l’anatomie ou la question du point de

Le traité de Jean Cousin est la première publication française qui porte à la fois sur les mesures

vue, clef des préoccupations artistiques liées à la perspective. Nous verrons comment Jean Cousin

ou proportions du corps humain et sur le dessin de raccourci qui en découle. Le titre complet de

construit un nouveau discours sur les arts et leur public, discours où les proportions ne sont pas

l’ouvrage annonce clairement ce projet :

encore la norme quelles deviendront au xvii^ siècle. 8

Vitruve, D e l ’architecture. Livre III, texte établi, traduit et commenté par Pierre Gros, Paris, Les Belles Lettres, 2003. L’auteur explique (p. 6-7) : « La nature a en effet ordonné le corps humain selon les normes suivantes :

Le terme de proportion est fréquent dans les écrits sur l’art où, depuis l’Antiquité, il a deux con­

le visage, depuis le menton jusqu’au sommet du front et à la racine des cheveux, vaut le dixième de sa hauteur,

notations, parfois difficiles à distinguer : soit le terme signifie implicitement belles proportions et

de même que la main ouverte, depuis l’articulation du poignet jusqu’à l’extrémité du majeur ; la tête, depuis

renvoie à l’harmonie, à la beauté du corps^, soit il a un sens mathématique, car les mesures

le menton jusqu’au sommet du crâne, vaut un huitièm e; du sommet de la poitrine mesuré à la base du cou

des différentes parties du corps sont proportionnelles aux dimensions du corps entier, propor­

jusqu’à la racine des cheveux on compte un sixième ; du milieu de la poitrine au sommet du crâne, un quart.

tionnalité qui est exprimée soit géométriquement, soit algébriquement^. O n trouve cette dou­

Q uant au visage, le tiers de sa hauteur se mesure de la base du menton à la base du nez ; le nez de la base des narines jusqu’au milieu de la ligne des sourcils, en vaut autant ; de cette limite jusqu’à la racine des cheveux on

ble signification dès l’Antiquité, dans le De l ’architecture de Vitruve qui préconise l’emploi des

définit le front, qui constitue ainsi le troisième tiers. Le pied correspond à un sixième de la hauteur du corps,

proportions pour construire un édifice, sur le modèle du corps humain, dont il énumère les

l’avant-bras à un quart, ainsi de la poitrine. Les autres membres ont également des proportions spécifiques qui

rapports qui seront repris par les artistes, au moins jusqu’à la Renaissance : l’homme a une hau­

les rendent commensurables entre eux. C ’est en y recourant que les peintres et sculpteurs illustres d’autrefois

teur de huit ou dix têtes (selon que l’on prend en compte ou non les cheveux), sa tête mesure

ont eux aussi acquis à jamais une immense renommée ». Par la suite, Vitruve préconise de construire les édifi­ ces sacrés en suivant les proportions (p. 7) : « Si donc la nature a ordonné le corps humain de telle sorte que, par le jeu des proportions, ses membres fussent en accord avec sa forme envisagée dans sa totalité [...] dans les ouvrages, il faut également qu’existe une parfaite correspondance modulaire entre les composantes prises individuellement et la configuration de l’ensemble ».

Sur la biographie de Jean Cousin, père et fils, voir Maurice Roy, Artistes et Monuments de la Renaissance en

9

France, Paris, Cham pion, 1929, p. 30, ainsi que le chapitre « Les deux Jehan Cousin ». Henri Zerner a repris

Carnet de Villard de Honnecourt, xiif siècle, édition de Alain Erlande-Brandeburg, Régine Pernoud, Jean Gimpel & Roland Bechman, Paris, Stock, 1986. Pour une analyse de l’emploi de la géométrie par Honnecourt, voir Victor

la question de la distinction du père et du fils dans LArt de la Renaissance en France. L ’invention du classicisme,

Mortet, « La mesure de la figure humaine et le canon des proportions, d’après les dessins de Villard de Honne­

Paris, Flammarion, 1996 ; voir notamment les chapitres VII « Jean Cousin et la peinture » et VIII « Jean Cousin

court, d’Albert Dürer et de Léonard de Vinci », dans Mélanges Emile Châtelain, Paris, Champion, 1910, p. 367-382.

et les métiers d’art », p. 209-285. Sur Cousin père, voir Guy-M ichel Leproux, La peinture à Paris sous le règne de

L’auteur présente de manière succinte les connaissances géométriques et les sources scientifiques que Villard a pu

François I", Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2001.

utiliser pour réaliser ces figures géométriques. Il souligne le rôle important de Vitruve et s’interroge sur les réper­

Voir l’introduction. Au lecteur amateur de pourtraiture. L’auteur de ce texte explique les raisons qui l’ont poussé

cussions esthétiques de ces tentatives de géométrisation des figures qui adoptent un canon à l’antique.

à mettre « en lumière les oeuvres de feu monsieur C o u sin ... ». O n a peu d’informations sur la biographie de

10

Jean Cousin fils : il serait né vers 1520 et mort vers 1594, il a pris la succession de l’atelier de son père, comme

Piero della Francesca, D e la Perspective en peinture. Ms Parmensis isy6, traduit et annoté par Jean-Pierre Le G off, préface de Hubert Damish et postface de Daniel Axasse, Paris, In Médias Res, 1998.

en témoigne un recueil de dessins réalisé par ses apprentis conservé à la Bibliothèque nationale de France, Dépar­

11

tement des Estampes et de la photographie, Na 27, Res.

Albrecht Dürer, Hierinn sind begriffen vier Bûcher von menschlicher Proportion, durch Albrechten Dürer von Nürenbergerfunden undbeschriben..., Nuremberg, Hieronimus Andreæ Formschneider, 1528. Je citerai la traduction

D e nombreux artistes qui ont écrit sur les proportions du corps humain ne dissociaient pas cette question de

de Louis Meigret que Jean Cousin a vraisemblablement consultée. Les Quatre Livres d ’A lbert Dürer, Peinctre &

celle de la Beauté. Mais ce n’est pas le cas de Jean Cousin, qui n’en parle pas. C e sont essentiellement les auteurs

Geometricien très excellent. De la proportion des parties & pourtraitcts des corps humains, Arnhem, chez Jean Jeansz,

humanistes, ayant une ambition encyclopédique, et qui n’exercent pas nécessairement les arts, qui développent ce

1613; reproduction en fac-similé, Paris, Roger Dacosta, 1975.

genre d’arguments. Voir à ce sujet les notes de Robert Klein et d’André Chastel au texte de Pomponius Gauricus,

12

D e Sculptura (1504), Genève, Droz, 1969, et l’introduction au chap. II « Les systèmes des proportions », p. 75-91.

Jean Cousin, Livre de Pourtraiture, Paris, D avid Le Clerc, 1595. J’ai étudié certains aspects de ce traité liés à la perspective dans ma thèse, Z,æ Compétence de l ’artiste en France au x v f siècle. La perspective et la copie comme ins­

À la Renaissance, des éditions commentées d’Euclide ont donné à la question des proportions une nouvelle

truments de l ’invention. Université Paris IV, 2003. Parue dans une version plus courte. Dessiner à la Renaissance.

actualité scientifique. Voir Sabine Rommevaux, Clavius : une clé pour Euclide au x v f siècle, Paris, Vrin, 2005.

La copie et la perspective comme instruments de l ’invention. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010.

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374 I Peinture & architecture jM

Valérie A uclair

U sages

et fonctions de la théorie des proportions

Livre de pourtraiture de maistre Jean Cousin peintre et géométricien très excellent. Contenant par une facile introduction plusieurs plans et figures de toutes les parties séparées du corps humain : ensemble les figures entières tant d’hommes, que de femmes, et de petits enfans, veües de front, de profil, et de dos, avec les proportions, mesures, et dimensions d ’icelles, et certaines regies pour racourcir par art toutes lesdites figures fort utile et necessaire aux Peintres, Statuaires, Architectes, Orfèvres, Brodeurs, Menuisiers, et generalement à tous ceux qui ayment l’art de Peinture et de Sculpture".

Le contenu du traité confirme ce projet : il expose d’abord « toutes les parties séparées du corps », c’est-à-dire la tête, les mains, les pieds, le tronc, les bras, les jambes, puis les corps de l’homme, de

Fig . 1

la femme et de l’enfant en entier (fig. i et 2). Les membres et les personnes entières sont systéma­ tiquement présentés de la même manière : une division en modules proportionnels de la figure de profil et de face; suivie de « certaines regies pour racourcir par art toutes lesdites figures » (fig. 2). Ici, « art » a le sens étymologique de technique, sciences : raccourcir les figures correspond à une technique artificielle, et se distingue de l’imitation d’un modèle vivant''^. Q u’il commente des

Jean Cousin, Livre de Pourtraiture, Paris, Jean le Clerc, 1595, « Proportions & mesures de la teste veüe de front, & de costé ou prfil & particularitez d’icelle » (non paginé).

membres divisés en sections, des corps entiers ou des raccourcis. Cousin utilise communément le terme de « proportions » au pluriel, comme synonyme de « mesures », dans des expressions redondantes, que l’on trouve notamment dans les titres des leçons et des schémas comme par exemple : « Proportions et mesures de la teste », ou « Particularitez des mains racourcies avec leurs proportions et mesures ». L’auteur ne donne pas un sens mathématique précis au terme de « pro­ portion », qu’il utilise très fréquemment avec l’idée de rapports stables entre les parties et le tout. C ’est cette acception courante du mot qui forme le cadre pédagogique qui sous-tend l’ouvrage. Le plan de l’ouvrage suit une progression didactique simple, et suppose un lecteur qui souhaite apprendre à dessiner, ainsi que l’annonce le sonnet anonyme qui clôt l’introduction : Le vaisseau sans Nocher, sans rame et sans boussole A beau voguer sur mer s’il arrive à bon port Lors qu’il pense toucher à l’arene du bord, La tempeste, & le vent luy monstre un autre Pole L’enfant sans précepteur, sans livres, sans escole, En l’ignorance trouve l’oubly & la mort : Le Pelerin se perd, qui sans conduite sort. Et sans aisles l’oiseau qui dedans l’air ne vole. Ainsi quiconque veut en son art estre expert. Sans l’art de Pourtraiture en son oeuvre se perd : Car la Pourtraiture est son Nocher & son livre. Sa conduite, son aisle, & avecq’elle il peut Voguer, sçavoir, courir, voler où son cœur veut. Et faire son esprit en son ouvrage vivre.

Fig . 2

J. Cousin, Livre de Pourtraiture, op. cit., « Testes de trois quartiers

13

Je souligne. L’expression « peintre et géométricien très îexcellent » ne renvoie pas à une formation particulière

racourcies ».

qu’aurait suivie Cousin, mais plutôt à une compétence acquise dans le milieu artistique très performant dans lequel il a été éduqué, puisque son père, Jean Cousin, a écrit un traité de perspective à destination des artistes qui témoigne d’une grande maîtrise des objets géométriques. L’éditeur, sensible aux ressemblances entre son auteur et Albrecht Dürer a repris le qualificatif de « géométricien très excellent » du titre traduit par Louis Meigret (voir supra n. ii). 14

Sur le modèle scientifique à la Renaissance, voir Pascal Dubourg G latigny

Hélène Vérin (éds). Réduire en art.

La technologie de la Renaissance aux Lumières, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Hom m e, 2008.

376 I Peinture & architecture

Peinture & architecture | 377

Valérie A uclair

U sages

et fonctions de la théorie des proportions

Au vers ii « la Pourtraiture » renvoie aussi bien à une discipline qu’au Livre de Pourtraiture. Celui-

Le tour de force de Fréminet est spectaculaire : il repose sur les exercices quotidiens des apprentis,

ci est désigné comme la « conduite » ou 1’« aisle », et sa fonction est donc de guider l’apprenti

mais il dépasse ces rudiments en inventant un corps qui intègre les fragments anatomiques. Or,

dessinateur, qui deviendra ainsi « en son art [...] expert », grâce à « l’art de pourtraiture ». Dans

les proportions sont précisément fondées sur le rapport mécanique des sections du corps avec

ces deux occurrences, le mot « art » n’a pas la même signification : dans le second cas (« art de

le corps dans son entier. Un peintre capable de rassembler harmonieusement des fragments fait

pourtraiture »), il signifie « technique, savoir faire », alors que dans le premier il renvoie aux disci­

donc preuve de sa connaissance des proportions. De plus, une telle technique de dessin repose sur

plines dans lesquelles savoir bien représenter le corps humain est nécessaire*^ Le sonnet présente

une pratique courante au xvi'' siècle, la copie, que van Mander associe explicitement aux propor­

donc un programme simple et ambitieux : établir des fondements scientifiques de l’apprentissage

tions dans un autre texte.

et de la pratique du dessin grâce aux proportions. Pour expliquer comment dessiner à partir des proportions, Jean Cousin a ordonné son pro­ pos à partir d’exercices familiers aux artistes, comme par exemple le fait de commencer l’appren­ tissage par le dessin des membres séparés avant de réaliser des corps entiers. En France comme en Italie, pour s’entraîner, les apprentis dessinaient des pages de bouches, d’oreilles, d’yeux et d’os, avant de passer au dessin d’un corps entier'^. Des représentations d’atelier montrent assez souvent des apprentis noircir des pages de bouches, oreilles, yeux, etc. Vers 1600, Pietro Francesco Alberti a gravé l’intérieur d’un vaste atelier portant le nom

Academia dPitori, où un enfant tend une

feuille remplie d’yeux, au maître qui l’examine attentivement (fig. 3)*^. Ailleurs des apprentis plus âgés s’entraînent à dessiner une jambe, des figures géométriques, un squelette, ou un édifice... Des plâtres représentant des fragments de corps sont disposés sur une planche le long du mur et rap­ pellent que l’entraînement des apprentis consiste à dessiner des membres séparés du corps'*. Karel van Mander rapporte dans Le Livre des Peintres un exemple frappant de la dextérité acquise par cet apprentissage à travers une anecdote qui met en scène le peintre Martin Fréminet à la Cour du roi à la fin du xvL siècle : En France, à Paris, il y a quelques maîtres tels que Martin Fréminet, un Français, originaire de Paris, récemment entré au service du roi et qui, en présence de son souverain, aurait exécuté, sans dessin préalable, un pied, une main, une tête, jetés comme au hasard sur une toile, le tout devenant, à la fin, une figure entière, au grand ébahissement du roi'^.

15 16

Notons d’ailleurs cet usage précoce du mot « art » pour désigner les disciplines fondées sur le dessin. Sur les témoignages graphiques concernant les exercices pratiqués dans les ateliers, voir Hein-Thom as Schulze Altcappenberg, Michael Thim m an, Heiko Dam m

U lfSolter (hrs), Disegno. Der Zeichner im Bild der Frühen

Neuzeit, Berlin, Kupferstichkabinett staatliche Museen, 2007.

17 18

Ibid, p. 120-123. Dans une gravure d’Odoardo Fialetti, vers 1608, Académie de dessins, les jeunes apprentis sont assis devant des plâtres (une tête et un buste) et les reproduisent sur des cartons {ibid, p. 118-119). Les sculpteurs avaient coutume de travailler sur des fragments du corps. Cennino Cennini explique comment mouler des parties du

Fig . 3

corps, qu’il utilisera ensuite pour réaliser une statue éventuellement composée de morceaux d’origines épar­ ses (voir II Libro dell’arte, trad, de Colette Déroche, Paris, Berger-Levrault, 1991, p. 323 et sc^. Cette pratique perdurera jusqu’au x ix ' siècle ; voir A nne Pingeot (éd.), La Sculpture française au xné siècle, Paris, Réunion des

Pietro Francesco Alberti, Academia d ’Pitori, v. 1600-1610, burin, 40,8 X 52,3 cm.

musées nationaux, 1986, not. « III, 5 Le marcottage », p. 95 et sq.

19

Karel Van Mander, Le Livre des peintres. Vies des plus illustres peintres des Pays-Bas et dAllemagne (1604), intro­ duction et notes de Véronique Gérard-Powell, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 210.

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et fonctions de la théorie des proportions

Dans le Principe et Fondement de l'art noble et libre de la peinture, van Mander reprend l’esprit

l’œil sur ce qui ne se reproduit pas « à l’identique ». Les frontispices du Livre de Perspective de Jean

de cette anecdote pour expliquer à des apprentis un des principes fondamentaux de l’invention

Cousin père et celui du Livre de Pourtraiture sont exemplaires de ce point de vue. Il est fréquent de

d’une oeuvre ; la copie. L’extrait de poème repose sur un jeu de mots entre la rave, le légume, et

retrouver les mêmes prototypes dans différentes réalisations d’un même artiste, ou de son atelier.

ravir, voler.

Cette méthode artisanale va à l’encontre àéa priori largement partagés aujourd’hui sur la création

Après ces conseils ô Jeunes, prenez au plus vite le chemin du travail car une douce récompense vous attend à l’arrivée. Peignez, dessinez, croquez et noircissez A volonté le papier qui n’attend que cela. Ravissez bras, jambes, corps, mains et pieds ceci n’est pas interdit ici ; et que ceux qui le veulent jouent bien leur rôle de Rapin le ravisseur. De raves cuites à point donnent un bon potage“ .

Les « Jeunes » doivent donc s’entrainer à dessiner des fragments de corps pour parvenir à faire un corps entier, comme le cuisinier rassemble et mélange différentes raves pour réussir « un bon potage ». Le jeu de mot sur « rave »/« ravir » est important car il souligne que les artistes doivent prendre de ci, de là, dans les œuvres des autres artistes des éléments épars avec lesquels ils inventent

artistique, selon lesquels le peintre imagine de nouvelles formes pour chaque œuvre.

F ig . 4

J. Cousin, Livre de Pourtraiture, op. cit., « Démonstration de deux autres figures assises l’une veüe par devant et l’autre par derrière, toutes deux d’un mesme traict ».

une nouvelle œuvre. O r les proportions constituent un des moyens pour assembler ces fragments copiés en un tout harmonieux. Ces deux anecdotes suggèrent que la copie est plus qu’un simple exercice d’apprentis, c’est aussi une pratique artistique courante pour réaliser de nouvelles compositions^h Le Livre de Pourtraiture montre par exemple comment les proportions peuvent servir à reproduire une figure en l’inversant (fig. 4). À la Renaisance, les artistes puisaient leurs modèles dans les œuvres des autres ou dans des recueils de modèles (dessinés ou gravés). L’invention d’une œuvre consistait souvent à choisir les formes les plus aptes, parmi celles qui existaient déjà, un peu comme en rhétorique où elle consiste à sélectionner parmi les lieux communs ou les images existants ceux susceptibles de traduire au mieux le projet de récrivain^\ Les proportions sont utiles pour ce type d’opérations car elles fournissent des grilles pour transposer telles quelles, agrandir, réduire, ou inverser les formes retenues. On observe ce travail par exemple dans le panneau d’Antonio et Piero Pollaiolo, Martyre de saint Sébastien (v. 1475) : les corps des quatre bourreaux au premier plan sont systématiquement inversés par rapport à leur pendant de part et d’autre du saint (fig. 5). Les deux archers à l’arrière du martyr ont, de manière moins évidente, pour modèle la même silhouette, mais leur jambe gauche ont beaucoup de points

F ig . 5

Antonio et Piero Pollaiolo, Le Martyr de Saint Sébastien, V . 1475, panneau, 292x2023 cm, Londres, National Gallery.

communs, celui de droite reprend la position de l’homme de gauche qui aurait fait un quart de tour sur lui-même. Ce type d’inversion est particulièrement fréquent dans les frontispices qui jouent sur une disposition des éléments en symétrie et sur de légers décalages facteurs de surprise, qui attirent

20

Karel van Mander, Principe et Fondement de l ’art noble et libre de la peinture, traduction et présentation par Jan Willem Noldus, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 23, § 46. Le traducteur explique le jeu de mots en néerlandais. O n étudie souvent les copies en tant qu’emprunt à un auteur, afin de cerner des filiations stylistiques. Mais la copie est aussi une technique de composition où la référence à l’auteur copié n’est pas nécessairement déterminante.

22

Voir V. Auclair, Dessiner à la Renaissance... , op. cit.

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et fonctions de

la

théorie des proportions

L’usage des proportions du corps répond à un besoin technique et il détermine une prati­ que et une esthétique particulière des oeuvres : les artistes ne travaillaient pas nécessairement à partir du modèle vivant, mais à partir de modèles graphiques qui donnent parfois aux produc­ tions de cette époque un caractère répétitif et parfois monotone. À la même époque certains artistes se sont tournés vers l’anatomie pour connaître le corps humain, sans nécessairement abandonner la théorie des proportions. Or, l’observation anatomique constitue une alternative possible au travail sur les proportions : elle part du réel, tandis que les proportions présuppo­ sent un « prototype idéal », dont on peut décliner la taille. Le De Humani corporis fabrica d’A n­ dré Vésale, publié en 1543, montre comment effectuer des dissections en partant d’un corps intègre systématiquement découpé en parties, pour découvrir son fonctionnement intérieur. Fig. 6

Une leçon d’anatomie figure d’ailleurs sur la gravure de Pietro Francesco Alberti : un homme expérimenté, entouré par des apprentis attentifs, découpe le buste d’un cadavre (fig. 3). Cette

J . Cousin,

image témoigne de la place de plus en plus grande de l’anatomie dans le domaine artistique,

Livre de Pourtraiture, op. cit.,

depuis la fin du xv® siècle et les dissections de Léonard de Vinci^^ Les écrits d’artistes insistent

« Les trois figures entières

d’ailleurs fréquemment au cours du xvi® siècle sur la nécessité de dessiner des squelettes, des

anatomiques, sçavoir le devant,

anatomies, etc. Le Livre de Pourtraiture témoigne de ce syncrétisme et inclut des planches d’ana­

le dessiere Ô£ le costé ».

tomie qui complètent la méthode fondée sur les proportions : sur les muscles du buste (face, dos, profil), du bras (baissé ou levé), de la jambe (face, dos, profil) et du corps entier d’un homme. Un texte identifie les différents muscles des illustrations, tandis que sur les gravures, une série de modules découpent le corps ou ses parties en sections égales. Une de ces planches renferme trois écorchés tirés du traité de Vésale, dont les bras gauches ont été ramenés sur la hanche de manière à ce que tous trois aient la même position (fig. 6-7). Les traits horizontaux des proportions facilitent ces adaptations. Le résultat est une planche où figure le même per­ sonnage vu sous trois angles différents. Jean Cousin ne s’est pas intéressé au système musculaire plus profond, ni au squelette. Son intérêt se porte exclusivement sur la surface du corps, sur son apparence. De l’anatomie il ne retient que des informations sur le modelé des chairs, leur surface, alors qu’elle pourrait, à l’instar des proportions, déterminer la structure, la stature du corps. Cousin fait un autre choix : il concilie l’anatomie (surface) avec les proportions (struc­ ture) et donne du relief aux dessins réalisés à partir du système des modules. Cousin ramène le dessin du corps humain à son apparence, à ce que la vue en perçoit. Or, la primauté du regard caractérise la suite de sa méthode qui consiste à raccourcir les corps, et confère une logique profonde à sa démarche : si les proportions font l’économie (dans une certaine mesure) des modèles vivants, au profit de modèles graphiques, elles s’inscrivent dans une pratique du dessin où le regard joue toutefois un rôle essentiel, puisqu’il définit les axes des représentations en raccourci.

Fig. 7

23

Martin C lay

Ron Philo, Léonard de Vinci. Anatomie de l ’homme, Paris, Seuil, 1992. Pour une présentation

chronologique des théories et des dessins anatomiques au x v i' siècle, voir Domenico Laurenza, Im ricerca dell’ar­ monia. Rappresentazioni anatomiche nel Rinascimento, Firenze, Olschki, 2003.

3821 P einture & architecture

André Vésale, De humani corporisfabrica, Bâle, J. Oporinus, 1543, Montage de trois illustrations.

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et fonctions de la théorie des proportions

À partir des mesures ou proportions du corps, le Livre de Pourtraiture expose une méthode pour dessiner des raccourcis, partie particulièrement ardue du dessin, car les membres subissent des

3Dte$c^tmt

déformations graphiques importantes lorsqu ils ne sont pas exactement parallèles à la surface de la

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Fig. 8

$u rid>temt.

Erhard Schön, Unterweisung der Proportion und Stellung der Possen, Nürnberg, 1542, fac-similé avec une introduction de Leo Baer, Joseph Baer & Co, Frankfurt am Main, 1920, “Die zehennd vigur” non paginé.

feuille, mais qu’ils se déploient dans la profondeur de l’espace fictif de la représentation. De plus, l’impression visuelle subjective joue un rôle déterminant dans notre perception des raccourcis, à tel point que parfois les peintres les atténuent. Le dessin de raccourcis est donc difficilement réductible à des principes mathématiques simples. Quelle place peuvent alors y occuper les proportions ? La peau, la chair, les muscles forment des surfaces irrégulières, sans contour net, et chan­ geantes selon la position du corps, la lumière, les dimensions, etc. : autant de paramètres qui rendent les corps irréductibles à des figures géométriques, que l’on pourrait aisément raccourcir en utilisant les règles de perspective. Pourtant, des auteurs ont tenté cette gageure. Dans son traité sur les proportions du corps, Ehrard Schön a expliqué comment tracer des hommes en perspec­ tive, en les inscrivant dans des formes géométriques en trois dimensions (fig. 8)^. Il a placé ses silhouettes dans des édifices en perspective. Les personnages, délimités par des arêtes bien droites, se tiennent dans un espace fortement marqué par la diminution due à la perspective, et leur corps diminue proportionnellement, ce qui est particulièrement visible sur les silhouettes allongées sur un pavé. Après cette géométrisation des corps, Erhard Schön dessine des hommes, dont les angles sont progressivement estompés : le passage par les formes géométriques rend sensibles certains effets de perspective sur le corps humain et aboutit à des raccourcis convaincants, mais Jean Cousin n’a pas retenu cette méthode pour donner du relief à ses personnages. Dans le Livre de Pourtraiture, les figures ne prennent pas position dans un contexte architectural fictif : elles apparaissent seules sur la feuille de papier, sans suggestion extérieure de perspective. Toutefois, deux éléments fréquents dans les traités de perspective les encadrent : un soleil et un œil, néces­ saires à la construction du raccourci. Pour raccourcir un membre ou un corps. Cousin se sert d’un système de projection ortho­ gonale simple ; les explications écrites sont dans un texte sur la page de gauche, tandis que les schémas sont sur la page de droite. Prenons l’exemple de la main (fig. 9) : Particularitez des mains avec leur proportions et mesures Pour racourcir les mains, faut tirer lignes perpendiculaires punctées des mains veües de costé ou profil, marquees de leur proportions et mesures 1.2.34. sur lesquelles le soleil donne jusques à la ligne diagonale, marquee aux extremitez O & renvoyer la reflexion d’icelles de lignes à niveau, punctees, soubs les mains racourcies, pour en avoir les ombres, desquelles faut tirer lignes montan­ tes punctees perpendiculairement, jusques aux lignes à niveau punctees procédantes des premieres mains veües de costé ou profil, & les intersections desdites lignes punctees, montantes perpendi­ culairement & à niveau, nous donnent les mains racourcies, marquees A, B, C, D. Et tout ainsi que l’œil qui regarde les mains veües de costé ou profil, ainsi l’operateur voit les mains racourcies par le moyen de leur ombre.

Fig . 9

24

Erhard Schön, Unterweisung der Proportion und Stellung der Possen, Nürnberg, 1542, fac-similé, avec une intro­ duction de Leo Baer, Frankfurt am Main, Joseph Baer & C o , 1920.

J. Cousin, Livre de Pourtraiture, op. cit., « Particularitez des mains racourcies avec leurs proportions & mesures ».

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et fonctions de la théorie des proportions

Trois étapes sont donc nécessaires pour réaliser le raccourci d’une main. Tout d’abord tracer le profil de cette main en s’aidant des « proportions et mesures 1.2.3.4. » explicitées sur la page précédente. Ensuite, dessiner l’ombre de cette main sur le sol : le soleil « donne » juste au-dessus. O n obtient ainsi les coordonnées de la longueur (profil) et de la largeur (ombre) de la main. La troisième étape consiste à tirer des lignes à partir de ces deux dessins ; au croisement apparaissent les points qui serviront à dessiner la main en raccourci. L’œil représente le point de vue sous lequel est vu le raccourci par rapport à la première main dessinée de profil, qui est vue par le lecteur. Le principe est le même pour dessiner en raccourci un corps dans son entier (fig. 10). Cette méthode ne paraît pas très fonctionnelle, il est peu probable quelle ait été employée par des peintres aguer­ ris, mais pour un artiste du xvL siècle, elle est familière car elle reprend des procédés traditionnels, techniques en vigueur dans les ateliers. Les axes du système de projection orthogonale sont définis Fig. 10

par le soleil/ombre et le regard/point de vue, qui sont des éléments familiers aux artistes, dont on retrouve la trace dans les ateliers de cette époque.

Jean Cousin,

Les artistes travaillaient souvent à la lumière artificielle d’une bougie, par nécessité et aussi

Livre de Pourtraiture, op. cit.,

par choix. Agostino Musi, dit Veneziano, a figuré ce travail d’atelier sur une gravure. Académie

« Figure entière du corps

de dessin à la bougie, où des apprentis et des artistes plus âgés analysent et dessinent des statues à

humain racourcie de front,

l’antique à la lueur d’une bougie^^ L’obscurité et la lumière artificielle accentuent les contours des

veue par la plante des pieds, le ventre dessus ».

statues et les ombres rendent particulièrement visibles les parties saillantes ou en creux des corps. Veneziano a également tracé les ombres des protagonistes, des statues et des vases projetées sur les murs alentours, tapissant la pièce de dessins éphémères qui reflètent la scène centrale. Dans une autre estampe sur le même sujet YAcadémie de Baccio Bandinelli d’Enea Vico, une ombre de main très proche de celles qu’utilise Jean Cousin est projetée sur la table centrale par un homme plus âgé qui a un geste éloquent (fig. ii)"^^. L’obscurité renforce l’atmosphère studieuse de ces deux ateliers, mais les ombres qui découlent de l’obscurité illustrent aussi un aspect important du tra­ vail du dessinateur. L’ombre de la main du maître, au-delà de sa valeur métaphorique de guide, suggère une technique simple pour tracer le contour d’un objet irrégulier. Dans la méthode de Cousin, l’ombre donne des coordonnées qui complètent celles du des­ sin de profil. Par ailleurs, les coordonnées du raccourci sont fournies par des images plates : la vue de profil et l’ombre (l’empreinte obscure). Ce constat n’est pas anodin, car dans leur pratique courante les artistes, nous l’avons vu, réalisent souvent de nouvelles œuvres à partir d’anciennes images qu’ils transposent dans de nouvelles situations, dans de nouvelles positions, qui nécessitent des raccourcis inédits. Nous constatons donc de nouveau que le langage théorique que construit Cousin se fonde sur des habitudes d’atelier, et que les techniques artisanales fournissent des outils à l’expression mathématique des nouveaux savoirs graphiques.

25

Voir dans Disegno. Der Zeichner im Bild der Frühen Neuzeit, Agostino Musi, dit Veneziano, Académie de dessin

Fig. 11

à la bougie, 1531, gravure, 27,8x30,4 cm, p. 106-113. L’ombre est aussi un mythe fondateur des origines du des­ sin, rapporté par Pline dans Histoire naturelle. Livre XXXV, traduit par Jean-Michel Croisille, Paris, Les Belles Lettres, 1985, p. lo i. L’auteur raconte qu’une jeune fille nommée Dibutade a tracé sur un mur le contour de l’ombre qu’y projetait son amant et a de la sorte inventé le dessin. 26

Enea Vico, Académie de Baccio Bandinelli, V. 1561, burin, 30,2x47,7 cm.

Enea Vico, Académie de Baccio Bandinelli, v. 1561, gravure, 30,2x47,7 cm. Voir Disegno.... op. cit., p. 106-113 :109.

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une méthode basée sur un système de mesures extrêmement précises, et quadrille les visages au qjoyen d’un réseau de coordonnées, que l’auteur modifie en fonction de l’inclinaison de la tête (fig. 12). Aucun point de vue n’est figuré, c’est l’objet observé qui effectue un mouvement qu’un spectateur immobile enregistre à travers la feuille qui reçoit le schéma. Le point de vue est tou­ jours frontal, confondu avec celui du lecteur du traité. Albrecht Dürer s’inspire de la procédure de Piero, mais il n’emploie pas un réseau aussi serré, et surtout, il explicite le passage d’une position à une autre grâce à un outil géométrique, une étape intermédiaire qui sous la forme d’un trian­ gle appelé le « transférant » ou le « transmuant » permet de faire passer les coordonnées de deux F ig . 12

Piero della Francesca, De la perspective en peinture, ms. Parmensis 1576, Bibliothèque palatine de Parme, édition moderne par Jean-Pierre Le GofF, Paris, In Médias Res, 1998, Figure 8b, p. 221.

plans dans un troisième, où il trace une troisième figure (fig. 13). Ce dispositif est repris par Jean Cousin, comme le montre bien la comparaison avec ses schémas qui représentent la tête inclinée (fig. 2). Cousin a retenu de sa lecture de Dürer un mode de présentation ainsi que l’idée de réaliser des raccourcis à partir de projections orthogonales. Toutefois, il s’écarte des traités de Dürer et de Piero dans la mesure où ces deux derniers ne se réfèrent pas à un point de vue ; pour eux l’objet varie en raison de son propre déplacement.

Les proportions prennent en compte la situation physique du spectateur par rapport au corps à reproduire, elles sont donc en partie fondées sur l’optique, même si elles ne recourent

ITr^

pas à la perspective : l’œil et le soleil qui figurent sur les schémas mettent tous deux l’accent sur un espace construit par le regard et la lumière, sur la place du spectateur. Ces deux paramètres vont de pair avec le réemploi de matériel graphique. Par exemple, lorsque Cousin modifie une silhouette, il envisage trois points de vue différents : la vue de profil, celle en raccourci et la vue par-dessus (confondue avec la place du soleil). L’objet lui-même n’a pas bougé, il est resté au cours des trois étapes et des trois vues dans la même position, tandis que le point de vue porté dessus a changé. Dessiner un raccourci résulte donc de la place du regard sur l’objet à dessiner. O n a noté précédemment que les trois figures anatomiques du système superficiel des muscles témoigna­ ient d’une attention portée à l’apparence des choses (fig. 6-7). Ceci résulte d’un choix qui ne doit rien au hasard : Jean Cousin fils inscrit le Livre de Pourtraiture dans la suite logique du Livre de Perspective de son père, où le point de vue occupe une place prépondérante^^. Les traités de Piero della Francesca et d’Albrecht Dürer sur les proportions n’accordent pas une place importante au point de vue. Pour réaliser des raccourcis, Piero della Francesca adopte

27

La question de la place du point de vue est également au cœur du traité de perspective de Jacques Androuet du Cerceau et de ses livres sur l’architecture, tous écrits dans les vingt années qui précèdent le traité de Cousin. Sur la place du point de vue dans les ouvrages imprimés de du Cerceau et sur la perception et l’esthétique de l’ar­

Paris, Roger Dacosta, 1975.

chitecture qui en résulte, voir V. Auclair, « Les Usages de la perspective dans les représentations d’architecture de Jacques Androuet du Cerceau », dans Jean Guillaume {éà..), Jacques Androuet du Cerceau, un des plus grand architectes qui se soient jamais trouvé en France, Paris, Picard, 2010, p. 275-288.

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Valérie A uclair

et fonctions de la théorie des proportions

Il en est qui sur l’art de la Proportion ont rassemblé dans des livres beaucoup d’informations : ainsi Albert Dürer, d’insurpassable réputation. Mais avec des minutes, parties de pouces et autres casse-têtes, je n’ai pas l’intention de déranger autant nos jeunes Peintres. Les coutumes de grands Maîtres ou Sculpteurs sont pour la Jeunesse trop inadaptées. J’ai bien entendu dire des Peintres de métier que ceux qui mesurent trop mesurent sans arrêt et ne font finalement pas grand-chose” .

Dans le même esprit, Dürer a mis au point d’autres outils géométriques afin de varier d’au­ tres paramètres de la figure représentée : ces variations [...] desquelles il est licite estans faites par le Variant, ou Choisissant, ou Gemelles, ou l’Indice, ou Corrompeur en outre encor les muer, à celuy qui les accomodera aux entières ima­ ges, ou bien à certaines parties d’icelles

Les recherches de Dürer aboutissent à un jeu sur les proportions, à une variation quasi à l’infini sur les formes que peuvent prendre les corps : le viril se transforme en féminin, le mince en gros, etc^^. En témoignent également ses schémas de têtes caricaturales : il a divisé chaque tête en 4 bandes horizontales qui n’ont pas la même largeur ; puis il varie ces largeurs et obtient ainsi une grande variété de visages déformés, qui ne conservent qu’une très lointaine idée des proportions^“.

Van Mander condamne les peintres qui réduisent le travail artistique à une question de mesures et

O n trouve donc chez Dürer une grande variété de types humains, tandis que Jean Cousin repro­

de proportions. Il considère que le traité de Dürer risque de perdre les apprentis dans des subdivi­

duit presque toujours le même prototype de huit têtes de haut^'.

sions en modules, en « minutes, parties de pouces », etc. Toutefois, la démarche de l’artiste allemand

Ces deux façons d’aborder les proportions découlent de conceptions différentes des rapports

ne se résume pas à une approche exclusivement chiffrée du corps, il conseillait « à tous ceux cy,

entre la figure à dessiner et l’observateur. Dürer rend compte de l’étendue des variations potentiel­

d’avoir devant les yeux un corps vif, & le mieux convenant à la proportion de l’image entreprise »^'^,

les et infinies d’un corps qu’un artiste peut dessiner tout en respectant les proportions, dans une

car, dans la mesure où la nature a fourni les proportions, il est normal de se référer à elle.

approche très mécanique et théorique « Finalement faut entendre que les images démontrées peu­

L’art de vray est abismé en la nature, de laquelle si tu le peux retirer, tu pourras l’ayant en main éviter beaucoup de fautes en ton œuvre : l’adresse ainsi duquel tu pourras démontrer par raisons

vent estre variées d’avantage & en plusieurs sortes, à la charge toutesfois que la mesure demeure entière & incorrompue

geometrales” .

Pour Dürer, les proportions constituent un outil théorique qui permet

de modifier à l’infini les objets en eux-mêmes. En revanche. Cousin part toujours d’un point de

Pourtant, Dürer soutient que l’on ne peut pas faire l’économie des proportions car, au moment de

vue fictif qui définit les paramètres des nouvelles figures et motive les variations de proportions.

juger de la réussite d’un tableau, elles seules peuvent apporter la preuve objective que l’artiste ne

Dans le Livre de Pourtraiture, l’observateur tourne autour du corps immobile pour en révéler les

s’est pas trompé, et permettent de répondre aux reproches que l’on pourrait lui adresser :

différents aspects : c’est le regard de l’observateur qui provoque les changements apparents, com­

Tout ce toutesfoys d’ouvrage qui sera expliqué, & confermé par raison geométrale, a tant seule­ ment ce de certitude qu’il ne laisse aucune occasion de blâme : car on ne luy peut contredirez^.

me on a pu le constater avec la planche qui renferme l’homme écorché copié du traité de Vésale, vu sous trois angles différents. La variété des figures tient au dynamisme de la vision.

Les critères de jugement d’une œuvre d’art relèvent souvent de choix, de préférences difficiles à ju­ Le recours aux proportions dans le Livre de Pourtraiture n’enferme pas le traité dans un discours

stifier. Que peut répondre l’artiste à un commanditaire qui finalement n’aime pas l’œuvre livrée ?

spécialisé réservé aux initiés ; au contraire, les proportions donnent une base théorique simple à

Les proportions apportent une solution partielle ; si l’artiste les a respectées et que le comman­

un discours artistique qui n’est plus confiné à l’atelier et devient accessible à tout lecteur un peu

ditaire est convaincu de leur pertinence pour apprécier une œuvre, alors l’artiste ne peut pas être

familier avec les mathématiques. Les proportions témoignent de changements importants dans la

blâmé. Les traités sur les proportions constituent une batterie de règles qui définissent des critères

constitution d’un public artistique, mais leur efficacité pour réaliser un dessin demeure peut-être

de jugements esthétiques. Leur lectorat englobe donc non seulement des artistes, mais aussi les

incertaine. En effet, dès la fin du xvi^" siècle, des critiques se sont élevées contre cette technique

commanditaires des œuvres et les amateurs. Le langage des proportions a pour conséquence (ou

jugée peu pratique et lourde à mettre en œuvre. Karel van Mander, après avoir exposé les mesures

pour fonction ?) de diffuser hors de l’atelier des procédés artistiques, accessibles de la sorte à un

du corps à partir des proportions telles que les expose Vitruve, prévient :

lectorat de non-professionnels, mais familiers avec les mathématiques. Le Livre de Pourtraiture participe donc à la construction de ce public

28

Les quatres livres d ’A lbert Dürer..., op. cit., f. loiv.

29

Voir ses explications f. 92V et les limites qu’il met à ces transformations; le « corrompteur » n’a pas vocation à créer des êtres difformes (« Tu te donneras donc garde de n’elongner par trop de l’angle b [...] afin que telle perversion ne forge des monstres »).

30

Ibid., f. 79r-86v.

31

Seule variation ornementale par rapport au modèle d’homme jeune, mince et imberbe auquel Cousin recourt habituellement ; un personnage barbu et moustachu au schéma Proportions des Bras racourcis.

32

Ibid., f. 104V.

390 I Peinture & architecture

d ’ a m a te u r s ^ ^

33

K. van Mander, Principe et Fondement de Part..., op. cit., p. 45-46, § 10.

34

Les quatre Livres d ’A lbert Dürer..., op. cit., f. loiv.

35

Ibid,

36

Id.

37

Sur la constitution d’un nouveau public d’amateurs à travers les traités de perspective et sur les proportions

f. I0 2V .

publiés en France au x v i' siècle, voir V. Auclair, Dessiner à la Renaissance..., op. cit.

Peinture & architecture | 391

Valérie A uclair

U sages

et fonctions de la théorie des proportions

Lorsque ce public s’est constitué, les traités sur les proportions n’ont plus eu de justification et ont paru des « casse-têtes » inutiles, voire néfastes, comme le dit van Mander à propos de Dürer^**. Pourtant l’ouvrage de Cousin a conservé et même augmenté son lectorat au cours des siècles, puisqu’il a été réédité jusqu’à la fin du xix^ Les raisons de son succès tiennent au fait qu’il est court et simple, et que les éditions du xviL siècle l’ont adapté au goût du jour par l’ajout de planches sur les mesures des statues antiques, et sur le squelette humain. En effet, au xviL siècle, les proportions sont de plus en plus souvent ramenées à un canon dont le modèle n’est plus vrai­ ment Vitruve, mais les statues antiques. Deux célèbres statues antiques. Hercule Farnèse et Apollon du Belvédère, ont été ajoutées, et dessinées à partir des proportions pour répondre à une mode éditoriale (fig. 14). Mesurer les antiques était un exercice couramment pratiqué dès le xvP siècle par les artistes qui visitaient Rome, mais c’est seulement au siècle suivant que les résultats de telles mesures ont été systé­ matiquement publiés, dans des traités comme celui de Gérard Audran. C e dernier explique le système de mesure auquel il se réfère : J’ay réglé les mesures de la Figure entière par rapport à la teste, suivant la méthode la plus ordinaire. La teste se divise en quatre parties ; savoir une depuis le dessous du menton jusqu’au dessous du nez; la seconde, depuis le dessous du nez jusqu’au dessus, entre les deux sourcils; La troisième, depuis le milieu des sourcils jusqu’à la naissance des cheveux sur le front; Et la quatrième, depuis la naissance des cheveux jusqu’au sommet de la teste. Chaque partie se divise en douze minutes, & les minutes se divisent en demie, en tiers, & en quarts.”

Par la suite, l’apprentissage du dessin a progressivement abandonné les proportions car les valeurs sociales et esthétiques qui leur étaient attachées n’étaient plus déterminantes dans le juge­

À la fin du xviE siècle, l’auteur reprend les proportions traditionnellement définies pour le visage (4

ment sur les œuvres et sur les artistes : après la Révolution, la valorisation des arts n’est plus liée

modules), à travers un système de notation beaucoup plus précis que celui de Jean Cousin. Son but est

à la problématique des mathématiques et des arts libéraux"^’ ; les statues antiques ne sont plus les

d’établir les proportions de la beauté idéale à partir de ces statues. Les proportions permettent d’extraire

seules normes de la beauté ; les institutions comme l’Académie ou le Salon, garantes de l’esthé­

des sculptures un modèle qui participera à la construction de l’esthétique classique de l’Académie.

tique classique, voient se multiplier les salons parallèles et les courants de peinture en réaction.

Plus radical que van Mander, au milieu du xviii^ siècle, William Hogarth témoigne du peu d’in­

Pourtant, le livre de Cousin est resté une référence jusqu’au xix^ siècle, où il est réédité à plusieurs

térêt qu’il porte aux proportions, auxquelles il oppose sa théorie de la ligne serpentine. Sur une des

reprises^'L À cette époque, une série de brochures destinées aux écoles élémentaires et présentées

deux gravures qui accompagnent XAnalyse de la Beauté, l’auteur a rassemblé, dans une cour toute en­

sous forme de cahiers d’exercices sur différents sujets comme le dessin linéaire, le dessin de feuilles,

combrée, des statues antiques et des livres sur la théorie des proportions. Par exemple les personnages

fleurs, fruits, d’ornements, de figures, profils, de paysages, etc., portent chacun le nom générique

sur la page de droite du livre que tient l’homme de dos au premier plan rappellent par leur forme lon­

de Jean Cousin, petite méthode élémentaire de dessin'^^. Jean Cousin était alors considéré comme le

giligne les prototypes de Dürer^°. Pour cet auteur, l’esthétique classique est périmée et pour le signifier,

« fondateur de l’école française », ainsi que le qualifie une inscription sur le rebord du médaillon

il rejette les proportions qui sont devenues synonyme d’esthétiques classiques et figées.

du frontispice qui encadre son portrait imaginaire. Pourtant, peu de peintures lui étaient alors attribuées. Sa notoriété repose en grande partie sur sa méthode de dessin qui a maintenu son nom

38

Michel Ange a également eu des critiques sévères envers le traité de Dürer; voir ce que dit à ce sujet Asca-

dans la mémoire collective, et a imposé l’idée d’un art français fondé sur la raison. Ce qui est loin

nio Condivi ; « Albert ne traite que des mesures des corps et de leurs variations, pour lesquelles on ne peut donner de règle certaine, en dessinant des figures raides comme des pieux ; et de l’essentiel, des gestes et des mouvements, il ne dit pas un mot » {Vita de Michelagnolo Buonarroti, Firenze, G . Albizzini, 1746, p. 50; voir

41

39

40

Au XVI' siècle, de nombreux artistes considéraient les arts libéraux comme un idéal, qui aurait distingué leur statut professionnel de celui des artisans qui pratiquent les arts mécaniques. Sur les arts libéraux dans le domaine

la traduction récente, Vie de M ichel Ange, introduction et traduction de Bénard Faguet, Paris, Climats, 2006; passage cité par Pierre Vaisse dans A. Dürer, Lettres et écrits th é o r iq u e s .o p . cit., p. 25).

artistique, voir Paul Oskar Kristeller, Le Système moderne des arts. Étude d ’histoire de l ’esthétique (1951-1952), Paris,

Girard Audran, Les Proportions du corps humain. Mesurées sur les plus belles Figures de l ’A ntiquité, Paris, Chez

Jacqueline Cham bón, 1999 (éd. or. : Journal ofithe History o f Ideas, XII (1951), p. 496-527; XIII (1952), p. 17-46).

Girard Audran, Graveur du Roy, rue S. Jacques aux deux Piliers d’Or, 1683, dernier paragraphe de l’Advertisse-

42

Par exemple, L’A rt de dessiner par Jean Cousin, Paris, chez Jean, marchand d’estampes, 1826.

ment, non numéroté.

43

Jean Cousin, Petite méthode élémentaire de dessin, Paris, imprimerie M onrocq, sd (fin xix^ siècle). La couverture

W illim a Hogarth, Analyse de la Beauté destinée à fixer les idées vagues qu’on a du goût (1753), trad, révisée par

renferme un portrait imaginé de Jean Cousin dans un médaillon autour duquel il y a l’inscription suivante

Serge Chauvin, sous la direction de Bernard Cottret, Paris, EN SBA , 1991.

« L’élève repassera à la plume ou au crayon les modèles [...] l’élève copiera ces dessins en même temps qu’il commencera à lire et à écrire ».

392 I P einture & architecture

Peinture & architecture | 393

Valérie A uclair

d’être évident, car les proportions dans le Livre de Pourtraiture répondent à des préoccupations du xvi*' siècle, que l’on trouve explicitées dans le traité de Dürer. Elles n’ont pas pris la place des pratiques traditionnelles, mais ce sont greffées dessus : les techniques d’atelier n’ont pas radica­ lement changé avec les proportions. De plus, les proportions se sont également greffées sur les connaissances nouvelles comme l’anatomie et la perspective. Il ne s’agit donc pas d’un boulever­ sement radical des pratiques ou des théories de l’art à la Renaissance, mais de l’apparition d’un nouvel idéal artistique, grâce à un nouveau jeu d’arguments et à de nouvelles normes, nécessaires

Des hommes et des dieux: les origines des proportions des ordres

aux amateurs pour juger les oeuvres et aux artistes pour se défendre face aux critiques. Yves Pauwels

La mathématisation de l’art ne provoque pas une rupture avec les pratiques traditionnelles, puisqu’elle a pour but de fonder les anciennes pratiques sur des connaissances théoriques. Grâce

Université de Tours - CESR

aux proportions en art, les mathématiques trouvent une expression familière, des images accessi­ bles au grand public, bref une certaine vulgarisation.

« In tota re aedificatoria primarium certe ornamentum in columnis est »'. Alberti ne se trompe pas : l’on ne comprendra rien à l’architecture « classique » si l’on ignore l’importance accordée, en théorie comme en pratique, au dessin et au sens des « colonnes » - c’est-à-dire ce que le xvi^ siècle nommera les « ordres » de l’architecture. Historiquement et esthétiquement parlant, c’est la redé­ couverte de ce répertoire et sa constitution en langage qui font la caractéristique profonde de l’art de bâtir de la Renaissance à partir des années 1500, lorsque dans la Rome de Jules II, les enquêtes archéologiques combinées à la réflexion sur le texte de Vitruve aboutissent à la codification d’un « vitruvianisme » moderne; cette doctrine allait régir l’ornement au moins jusqu’au xviii^ siècle. La première planche des Regole générait di architetura de Sebastiano Serlio en donne en 1537 la première et parfaite illustration (fig. i)^. De ce point de vue, la problématique des proportions à la Renaissance ne peut faire l’économie de la théorie des ordres. Je n’aborderai pas ici le détail mathématique des rapports modulaires qui fondent le système, renvoyant à la contribution de Frédérique Lemerle, mais le discours qui décrit les origines de ces rapports et tend à les légitimer en diverses manières. En effet, les styles dorique, ionique et corinthien ne caractérisent pas seulement des formes géométriques, mais aussi et surtout des formes symboliques, dont le sens est lié autant à la géométrie qu’à l’histoire et au mythe.

Leon Battista Alberti, De re aedificatoria, VI, 13 ; « En tout l’art de massonnerie, le premier ôt principal orne­ ment consiste en planter les colonnes » (traduction de Jean Martin, Paris, J. Kerver, 1553, f. 119V). C e point et plusieurs autres abordés dans cette contribution sont développés dans mon livre Aux marges de la règle. Essai sur les ordres d ’architecture à la Renaissance, Liège, Mardaga, 2008.

394 I P einture & architecture

Peinture & architecture | 395

D es

Y ves Pauwels

hommes et des dieux ; les origines des proportions des ordres

Genèses À la Renaissance, le discours sur les ordres reprend le texte fondateur, le De architectura de

F ig . 1

Vitruve, que Sulpizio et surtout Fra Giocondo ont mis à la disposition des architectes et des hu­ Sebastiano Serbo, les cinq ordres {Regole generali..., Venise, 1537, £ VI)

manistes. Vitruve est assez précis quant à l’origine des ordres et de leurs proportions dans le texte qui, au début du livre IV, narre la « Genèse » des ordres. Dans un premier temps, explique-t-iP, Dorus, héros achéen, bâtit à Argos un temple à Junon, qui, par le fait du hasard {fortuito), se trou­ va être de la forme plus tard nommée dorique. Néanmoins, cet édifice ne respectait pas encore les relations modulaires du genus dorique, car les Doriens, apparemment peu évolués, demeuraient dans une pratique d’un tel empirisme qu’ils furent incapables de trouver la symmetriarum ratio. C ’est aux habitants des colonies athéniennes d’Asie mineure conduits par Ion, donc, non sans paradoxe, à des Ioniens, que l’on dut plus tard l’établissement du système proportionnel dorique, fondé sur les proportions viriles : O r est il que quand ils y voulurent dresser des colonnes, ces bonnes gens ne sachant quelles sy­ métries ils leur devaient donner, mais cherchant les pratiques pour en venir à bout, mêmement par ce qu’ils désiraient les faire fortes, et commodes à supporter grand fardeau, avec ce qu’elles eussent bonne grâce, et se rendissent agréables a la vue, ils se prirent à mesurer l’impression de la plante du pied d’un homme ; et trouvant que cette mesure faisait une sixième partie de sa hauteur, ils donnèrent cette proportion à leurs colonnes ; et de telle largeur qu’était l’étendue du diamètre par en bas, autant de fois voulurent les ouvriers y appliquer cette hauteur, multipliant jusques à six; toutefois ils comprenaient en ce tant le chapiteau que la base. Voilà comment la colonne Dorique fut pre­ mièrement formée sur la proportion du corps de l’homme, mais depuis elle commença d’être pour belle et ferme usitée en bâtiments“*.

Mais les Ioniens, on l’aura deviné, ne se sont pas contentés de ce dorique, même réduit à de bon­ nes proportions : Quelque temps après le plaisir de ces Ioniens fut d’édifier encore un temple à Diane ; par quoi cher­ chant une façon nouvelle, ils par semblable invention transportèrent la gaieté féminine à l’usage des colonnes, et tinrent la grosseur de leurs tiges d’une huitième partie de la hauteur, afin qu’elles eussent une espèce plus relevée. En la base ils supposèrent la spire ou bozel en lieu de soulier ; et au chapiteau colloquèrent des volutes comme perruques ou chevelures crêpées entortillées et pendantes tant d’un côté que d’autre, puis enrichirent leurs fronts de cimaises ou doucines, les ornant de beaux festons de feuillages pour représenter une tête de femme bien ornée. En outre, tout à l’entour du corps de la colonne depuis le haut jusques au bas, firent des cannelures creuses, afin d’exprimer les plis des vête­ ments des dames. Et ainsi avec deux inventions différentes parvinrent à l’effet de leur désir, considéré qu’ils en formèrent (comme dit est) une sur la façon du corps mâle (et celle-là nue de tous ornements) puis l’autre sur la délicature de la femme, qu’ils parèrent de beaux ouvrages*.

A ce niveau de la démonstration, ou plutôt de l’histoire des ordres, dorique et ionique ne se diffé­

ftcfvtHmt /ifwWjwftew.

Uttitff,

rencient que par leur ornement. Ce n’est que dans une étape ultérieure, dit Vitruve, que les deux généra reçurent chacun leur proportion définitive :

3

396 I P einture & architecture

Vitruve, De architectura libri decern, IV, i, 3-4.

4

Vitruve, Architecture, ou Art de bien bastir.t r a d u c t i o n de Jean Martin, Paris, J. Gazeau, 1547, f 46v-47r.

5

Ibid., f 47V.

Peinture & architecture j 397

Y ves Pauwels

Posteri vero elegantia subtilitateque judiciorum progressi et gracilioribus modulis delectati septem crassitudinis diámetros in altitudinem columnae doricae, ionicae novem constituerunt. Id autem quod Iones fecerunt primo, ionicum est nominatum^.

D es

hommes et des dieux : les origines des proportions des ordres

gardent cette optique, de Filarete et Francesco di Giorgio jusqu’à Serlio. L’anthropomorphisme des supports et de la symmetria est volontiers mis en évidence, soit dans des dessins (chez Francesco di Giorgio en particulier), soit dans le décor des colonnes, lorsque Cesariano imagine de remplacer le

Notons que dans sa traduction Jean Martin, comme avant lui Fra Giocondo (« ionicae octosemis

chapiteau par une véritable tête dans une figura etymologica que reprendra à la cathédrale de Murcie

constituerunt »^) et Philandrier^ remplace la proportion ionique de 9 diamètres par un rapport

l’architecte de la sacristie (fig. 3).

plus court de 8 1/2 : Les maîtres donc qui vinrent après eux, procédant à leurs édifices par subtiliation de pensées, et toujours cherchant leur donner plus grande grâce, se délectant des formes délicates, donnèrent a la hauteur de la colonne Dorique sept fois la largeur de son diamètre, et à l’ionique huit et demie : réservant néanmoins le nom à ce que les Ioniens inventèrent, qui a toujours depuis continué d’être appelé ouvrage Ionique^.

Fig . 2

Cesare Cesariano, les cinq ordres {Di Lucio Vitruvio Pollione de architectura libri dece.... Còme, 1521, f. LX3II).

Cette double définition de l’origine des ordres a du reste amené certains lecteurs attentifs comme Cesare Cesariano à imaginer deux variantes du dorique : un dorique « nu », masculin, et un dori­ que « orné », féminin, correspondant à la première manière de l’ionique vitruvien : Primamente la columna dórica masculina... sia facta con le simmetrie indícate per Vitruvio ; [...] Ma la dórica femínea..., siano facte con li loro capitelli e base spirate (si como dice Vitruvio), ché in questo modo furno facte nel templo de Diana'®.

Ce second dorique est représenté avec un fût cannelé et deux variantes de chapiteaux, dont l’un présente les fameuses volutes, images de la chevelure féminine, et un fût strié, à l’instar des plis coquets de la robe des femmes (fig. 2). Mais cette lecture n’a pas eu de suite dans la théorie renaissante, qui ne retient que deux caté­ gories, deux genera vitruviens qui sont donc aussi des « genders » : le dorique est masculin, l’ionique est féminin, ou plus précisément « matronal ». Deux ordres, deux proportions, une première forte et trapue, une seconde plus fine et élancée : le dorique et l’ionique sont respectivement calqués sur les mesures de l’homme et celles de la femme. De ces deux registres formels découlent deux registres décoratifs : la colonne dorique est « nue de tous ornements », ainsi qu’il convient à la so­ briété masculine, l’ionique est « paré de beaux ouvrages », volutes et festons imitant les cheveux de la femme et les cannelures copiant les plis de ses vêtements. Quoi qu’il en soit, la genèse vitruvienne est païenne - l’action des Ioniens est délibérément placée sous le signe d’Apollon, puis de Diane, et fondamentalement humaine : le corps de l’homme et celui de la femme procurent le canon. Tous les théoriciens du Quattrocento, voire du Cinquecento,

6 7

Vitruve, Dearchitectura..., op. ch., IV, i, 8. Fra Giocondo, M. Vitruvius per locundum solito castigatior foetus..., Venise, Tridentino, 1511, f. 33r. G iocondo corrige ici le texte de Sulpizio (« septem crassitudinem diámetros in altitudine columnae doricae : ionicae no­ vem constituerunt ») que suit par contre Gesariano en 1521.

8

Guillaume Philandrier, M. Vitruvii Pollionis de Architectura Libri decem.. . , Lyon, de Tournes, 1552, p. 127 (le texte est

F ig . 3

le même dans la première édition de 1544 : cf. Frédérique Lemerle, Les Annotations de Guillaume Philarulrier sur le De Architectura de Vitruve, Livres I à IV, Introduction, traduction et commentaire, Paris, Picard, 2000, p. 177). 9

Vitruve, Architecture, ou A rt de bien bastir..., op. cit., f. 33r.

10

Cesare Cesariano, D i Lucio Vitruvio Pollione de architectura libri decem..., Corne, da Ponte, 1521, f. 6iv.

398 I Peinture & architecture

Murcie, cathédrale, porte de la sacristie.

Peinture & architecture | 399

Y ves Pauwels

D es

hommes et des d ie u x ; les origines des proportions des ordres

Ce rapport au corps humain, que fonde l’analogie proportionnelle, est du reste fondamental

de l’Antiquité. Aussi Alberti passe-t-il rapidement : ses constructeurs, mus par ce bon sens naturel

pour tous les aspects de la théorie des ordres qui font sens : l’analogie du dorique au corps ma­

qui leur fait juger de la beauté des choses, abandonnèrent l’idée de les conserver tels quels. Mais ils

sculin ou de l’ionique au corps féminin leur confère non seulement une structure formelle, mais

servent de base à une série de calculs de moyennes, dont le principe est cher à Alberti : la moyenne

aussi un caractère stylistique particulier, d’où dérive toute une rhétorique de la signification, de

entre 6 et 10 est de 8, chiffre plus convenable pour une colonne qu’Alberti, suivant Vitruve, nomme

la convenance et de l’apparat. Serlio, en 1537, est le premier à formuler avec cohérence et clarté

ionique. Ce 8 lui-même combiné aux deux chiffres initiaux donnera les proportions du dorique (7,

l’ensemble de ce système formel et symbolique hérité de l’anthropocentrisme païen de Vitruve.

soit la moyenne de 6 et 8) et du corinthien (9, soit la moyenne entre 8 et 10).

Une telle vision devait plaire aux humanistes de la Renaissance - à ceci près que la Renaissance

Quoique débarrassé du mythe païen, le discours albertien demeure néanmoins profondément

est aussi chrétienne. Aussi lit-on sous la plume d’Alberti une version démythifiée, et en conséquence

humaniste : la référence directe au texte sacré est gommée par une série de calculs qui aboutissent

dépaganisée, de la genèse des ordres. Le Florentin oublie en effet Junon, Apollon et Diane et ne

à des résultats conformes sinon à la lettre vitruvienne, du moins au canon pratiqué dans l’anti­

tient aucun compte de Dorus ni de Ion, pour ne prendre en considération que des « antiques » à la

quité. Les proportions des ordres restent profondément humaines. Trop humaines ?

recherche des proportions de leurs colonnes". En revanche, il se préoccupe beaucoup de la nature

Humaiii) trop humain

et de ses lois : Et qu’il soit vrai, tout ce que fait nature est modéré avec correspondance, & n’a point plus grand soin en elle, que de rendre toutes ses oeuvres entièrement parfaites ; ou si elle en ôtait ce point, jamais ne parviendrait a son entend, considéré que l’accord qui fait tout périrait aussitôt [...] beauté est un accord, ou une certaine conspiration (s’il faut ainsi parler) des parties en la totalité, ayant son nombre, sa finition, & sa place, selon que requiert la susdite correspondance, absolu certes & principal fondement de nature ; qui doit être suivi au mieux qu’il est possible en matière de bâti­ ments [...] Chose que nos antiques ayant très bien connu par les effets de la nature, & ne doutant que s’ils la négligeaient, jamais ne feraient rien qui pût avoir louange & majesté d’ouvrage, ils a bon droit se proposèrent de l’ensuivre, comme la souveraine ouvrière en toutes formes ; & pour ce faire colligèrent (autant qu’il fût permis à l’industrie humaine) les manières de faire dont elle use en la [f 192] création des choses, & s’en servirent a l’endroit des logis. Contemplant donc ce qu’icelle nature fait ordinairement tant en un corps tout entier qu’en ses parties, ils entendirent que dès le commencement des choses, les corps n’ont par toujours été de portions égales, ains les uns gran­ ds, d’autres petits, & des moyens entre ces deux : raison qui leur fit faire différences entre édifice & édifice, comme, nous avons jà déduit aux livres précédents, si que par l’admonition de ladite nature, ils inventèrent trois manières de bâtiments, & leur donnèrent les noms des inventeurs qui premièrement se délectèrent à les faire. Le premier qui est le plus fort, plus durable a la peine & plus résistant à vieillesse fut appelé Dorique. Le second beau & délicat, eut nom Corinthien ; &C le moyen entre ces deux, comme participant de l’un & l’autre, en fut dit Ionique.

O n s’aperçoit qu’Alberti, bien qu’épurant la mythologie vitruvienne, élimine assez vite la lettre des Écritures Saintes, pour exposer une démarche qui effectivement part des proportions proposées par la Bible mais qui est immédiatement tempérée par un processus mathématique propre à la rationalité humaine. Au moment de la Contre-Réforme se développe tout un mouvement anti-rationnel, qui, dans le domaine de l’architecture, s’en prend volontiers au vitruvianisme triomphant des premières années du Cinquecento. Le rationalisme des proportions subit alors une véritable crise. Autour des Farnèse et plus particulièrement de Marcello Cervini (l’éphémère pape Marcel II, dédicataire de la célèbre messe de Palestrina), plusieurs intellectuels, comme Benedetto Egio ou Onofrio Panvinio, et un architecte antiquaire comme Pirro Ligorio, critiquent volontiers le système bramantesque pour se retourner avec intérêt, voire avec émotion, vers l’architecture de 1’« antiquité chrétienne »'L À pro­ pos des gloses faites par Egio sur le De aedificiis de Procope de Césarée, et de l’éloge (implicitement anti-bramantesque) de Sainte Sophie, Carmelo Occhipinti écrit : in essa, infatti, non contavano più nulla la grammatica degli ordini e il sistema antico delle propor­ zioni, inesorablimente decaduti insieme col mondo p^ano, dal momento che ormai s’erano imposti quei valori nuovi legati al sensi di spazialità dilatata e icommensurabile, all’irrazionalità degli effetti luminosi all’interno del luogo sacro, all’ « orrore » per tanta altezza e grandessa della cupola'“*.

Et ces bâtisseurs, négligeant la différence morphologique entre hommes et femmes, s’en tien­ nent d’abord aux proportions de 1’« homme » en général, qui, selon Alberti, à une hauteurégale à six fois

la largeur de son corps, de hanche à hanche, et dix fois son épaisseur, du nombrilaux

Cette crise des proportions touche aussi les ordres - dont la perfection formelle, dans sa version

reins. Proportions précieuses, car ce sont aussi celles que l’Écriture attribue à l’arche de Noé'^

païenne et humaine, ne pouvait plus convenir aux âmes inquiètes. Aussi voit-on alors réhabilités

- ce que représentera par exemple Arias Montano dans ses Antiquitatum ludaicarum libri IX

non seulement des formes marginales qui échappent au canon vitruvien, mais aussi, dans l’architec­

publiées à Leyde en 1593 - et qui permettent de réintégrer le canon architectural antique dans

ture paléochrétienne, des structures a priori contraires à la ratio symmetriarurd\ L’un des plus beaux

l’excellence des textes chrétiens.

exemple est le baptistère du Latran, attribué à Constantin et où l’empereur aurait été baptisé. L’ordre

Malheureusement, ces deux rapports conviennent peut-être à une embarcation contempo­

du portique est visiblement un bricolage d’éléments hétérogènes : le chapiteau est évidemment trop

raine du Déluge, mais pas à ces colonnes dont les proportions sont déterminées par un goût hérité 13

Carmelo O cchipinti, Pirro Ligorio e la storia cristiana di Roma da Constantino a ll’Umanesimo, Pisa, Edizioni della Normale, 2007.

11

L. B. Albert!, De re adificatoria..., op. cit., IX, 6 (Martin 1553, f. I95r-i95v).

14

Ibid., p. 185-156.

12

Genèse, 6, 15-16 : « la longueur de l’arche sera de trois cents coudées, sa largeur de cinquante coudées et sa

15

Voir Y. Pauwels, A ux marges de la r è g ie .o p . cit., p. 142 sq.

hauteur de trente ».

400 I Peinture & architecture

Peinture & architecture | 401

Y ves Pauwels

D es

hommes et des dieux : les origines des proportions des ordres

gros, l’entablement trop bas, et comme la colonne était

Dans un tel contexte, il faut à nouveau poser la question de la légitimité des proportions

trop courte, l’architecte a dû ajouter entre la base et le fut

des ordres vitruviens. O n observe dans plusieurs cas, particulièrement en Espagne, une nette

un élément supplémentaire (fig. 4).

tendance à l’allongement des rapports. Dans la nef de la cathédrale de Grenade, Diego de Siloé donne à ses colonnes corinthiennes une hauteur qui dépasse visiblement le rapport habituel.

Mais ce « soglio » fait l’admiration d’Onofrio Panvinio,

Dans certains cas, à la chapelle Benavides à Baeza d’Andres Vandelvira par exemple, la dispropor­

qui y voit un chapiteau renversé : « pro columnarum

tion devient presque monstrueuse (fig. 5).

basibus sunt duo capitula corinthia elegantissima in­ versa

Un grand architecte, Palladio en l’occurrence,

n’est pas non plus insensible à ces soglie ; il che è degno di avertenza, & è da lodare il guidicio di quell’Architetto, il quale si seppe cosi bene alcuna parte della sua bellezza, & maestà'^.

Tous les ordres sont concernés : l’ionique (chapelle de la cathédrale de Jaén, chœur de Santiago à Orihuela) et le dorique (l’ordre intérieur de Saint-Laurent de l’Escorial est très élancé ; la dispro­ portion atteint des sommets à la Seu de Xàtiva, à l’extrême fin du xvi® siècle). O r les architectes qui dessinent ces ordres disproportionnés ne peuvent en aucun cas être soupçonnés d’ignorance. En France, la tendance est moins spectaculaire, mais une étude des ordres de Philibert De l’Orme montre que les

Le baptistère apparaît comme un mélange de beautés

rapports utilisés par l’architecte sont systématiquement

singulières, architecturales surtout, qui contrastent se­

plus fins que ceux préconisés par Serlio. Pour les colon­

lon Vasari avec la grossièreté du décor peint et sculpté.

nes du tombeau de François 1“ à Saint-Denis, le rapport

L’ensemble, dit l’auteur des Vite, apparaît comme un

atteint pratiquement 10 diamètres, ce qui est exception­

« composto benissimo inteso » :

nel pour un ordre ionique^“ ; quant à l’ordre de la cha­

Fig . 4

Rome, baptistère du Latrati, ordre du portique.

nel bagno che fece esso Costantino fabbricare a Laterano, nell’entrata del portico principale si vede, oltre alle colonne di porfido, i capitelli lavorati di marmo et le base doppie, tolte d’altrove, benissimo intagliate, che tutto il composto della fabrica è benissimo inteso, dove per contratrio il stucco, il musaico et alcune in­ crostature delle facce, fatte da maestri di quel tempo, non solo a quelle simili che fece portre nel medesimo bagno levate per la maggior parte dai tempii degli Dii de’ Gentili'*.

pelle d’Anet, il présente une proportion de plus de il - anomalie cohérente avec l’ensemble des originalités de cet ordre « composé », en tous points atypique. Avec De l’Orme, nous pouvons penser à une dé­ marche cohérente. Les « divines proportions » sont de fait explicitement mentionnées, et à plusieurs reprises, dans les textes de l’architecte. Le Premier tome de 1567 devait être suivi par un second, qui leur aurait été entiè­ rement dédié. Malheureusement, De l’Orme n’eut pas le

Plus généralement, Panvinio montre que le bouleversement des règles, la désintégration de la

temps de mettre au point cette partie de son œuvre, et

ratio des ordres, pour parler comme Guillaume Philandrier, et le réemploi arbitraire de fragments

nous devons nous contenter de bribes éparses dans son

dans des compositions irrationnelles caractérise parfaitement une architecture chrétienne qu’il

discours pour tenter de savoir en quoi elles consistaient.

oppose à Part classique du paganisme - comme il oppose la conception vitruvienne du Saint-

En tout cas, l’architecte est enthousiaste. Il est vrai

Pierre de Bramante à la simplicité dévotionnelle des grandes basiliques constantiniennes'^.

qu’il rédige son traité à une époque où, passés les dé­ sagréments les plus pénibles de la disgrâce, désormais chanoine assidu au chapitre de Notre-Dame, il est re­

16

O nofrio Panvino, Onophrii Panvinii Veronensisfratris eremita Augustiniani depracipuis urbis Roma sanctioribus

venu à une piété plus profonde, en tout cas plus exté­

basilicis. .., Roma, Bladius, 1570, p. 157, cité par C . O cchipinti, Pirro Ligorio e la storia c r i s t i a n a .op. cit., p. 55.

riorisée. Ce retour à la religion a pu être favorisé par un

Il n’est pas rare de trouver dans les réemplois des chapiteaux renversés utilisés comme bases. En l’occurrence, la position des feuilles qui ornent ces socles semble bien prouver qu’il sont disposés dans le bon sens. 17 18

Id.

second voyage à Rome, où il aurait retrouvé le milieu de

Fig . 5

Baeza, chapelle Benavides.

Cervini qu’il avait fréquenté lors de son premier séjour

Giorgio Vasari, Vite de’ più eccelentipittori..., Florence, G iunti, 1568, I, p. 224-225. Voir C . O cchipinti, Pirro Ligorio e la storia cristiana..., op. cit., p. 54 sq.

19

C . O cchipinti, Pirro Ligorio e la storia cristiana..., op. cit., p. Ix sq.

402 I P einture & architecture

20

Serlio ne donne que 9 diamètres à son corinthien.

Peinture & architecture | 403

Y ves Pauwels

D es

hommes et des dieux : les origines des proportions des ordres

en 1533-1536^’. Du point de vue de l’architecture, on retrouve les arguments du milieu romain, en

Une première constatation s’impose : contrairement

particulier la critique des proportions vitruviennes, réduites à un « art de la vraie architecture des

à Bullant (ou à Hans Blum), De l’Orme ne représente ja­

hommes » :

mais dans son traité d’ordre complet en pied, avec piédestal

O magnifique et supernaturel Architecte, qui as tant voulu honorer l’Architecture et favoriser à l’Ar­ chitecte, que lui envoyer des hauts cieux, et prononcer de ta très sacrée bouche les vraies mesures et proportions desquelles il se doit aider, non pour faire œuvres qui approchent à celles des Saints Pères du Vieil Testament, mais beaucoup plus excellentes que celles que les Architectes des Empe­ reurs, Rois et Princes ont jusque aujourd’hui construit. [...] Quant à moi, je confesse librement et franchement que les palais, châteaux, églises et maisons que j’ai par mon ordonnance fait constru­ ire jusques à présent, et sont par la grâce de Dieu prisées et louées des hommes, ne me semblent rien (jaçoit que les proportions y soient gardées, selon l’art de la vraie Architecture des hommes) quand je les confère et compassé avec les Divines Proportions venues du Ciel (ainsi que nous avons dit) et celles qui sont au corps de l’homme^\

et entablement. Jamais par conséquent ne sont mis en évi­ dence les rapports internes entre les éléments constitutifs de l’ordre qui régissent la symmetria vitruvienne, comme si cette notion fondamentale devenait secondaire. De sorte que les quelques exemples explicitement construits selon les divines proportions ne sont exposés qu’à propos d’élé­ ments ponctuels, et non relativement à un ordre complet. Ainsi pour les profils toscans et ioniques des folios 139-

Plus loin, De l’Orme renie explicitement l’antique tout comme la tradition théorique au profit

141 et 167-168, qui demeurent assez classiques: la succession

de l’Ecriture :

des moulures qui les composent est fondée sur l’associa­

Je vous décrirai encore les susdites parties de la colonne ionique le plus succinctement que je pourrai, mais d’une façon nouvelle, comme aussi leurs proportions et mesures, lesquelles je ne poursuivrai en m’aidant des modes antiques, ni aussi de ce que nos livres d’architecture écrivent pour la sy­ métrie et dimension d’une chacune des susdites parties, mais bien en ensuivant l’ordre des propor­ tions que j’ai trouvées en l’Ecriture Sainte, et les dimensions et mesures du corps humain, lesquelles j’ai accommodées à la division et mesure des ornements de la colonne ionique^’.

Les textes anciens auxquels il faut se référer sont clairement désignés : [...] nous parlerons des Saintes et Divines mesures et proportions données de Dieu aux saints Pè­ res du Vieil Testament, comme à son patriarche Noé, pour fabriquer l’Arche contre le cataclysme et déluge, à Moïse, pour le Tabernacle de l’Autel, des Tables, des courtines, du parvis et autres, à Salomon, pour le Temple qu’il édifia en Jérusalem, et deux maisons qu’il fit, une pour lui, et l’autre pour sa femme, fille de Pharaon. Il se voit cas semblable en Ezéchias de l’homme qui s’apparut à lui, ressemblant être d’airain, et tenant en une main une ficelle, et en l’autre un roseau ou canne, portant les mesures et proportions lesquelles Dieu seul lui montra pour restaurer et réédifier le Temple de Jérusalem. J’en pourrais alléguer assez d’autres qui se trouvent dans l’Écriture Sainte, n’était que je serais trop prolixe. Véritablement telles proportions sont si divines et admirables, que je ne puis contenter mon esprit de les lire, relire, contempler, et, si ainsi je dois dire, adorer, pour la grande majesté et divinité de celui qui les a données et prononcées^“*.

tion de nombres simples et de leurs multiples. De même la base toscane avec son piédestal, où se succèdent les valeurs croissantes 2-4-6-12. Pour l’entablement ou pour les modénatures ioniques, la succession des chiffres apparaît plu­ tôt aléatoire. Le seul élément nouveau réside en fait dans la méthode de présentation de ces modèles. De l’Orme innove en effet en renonçant au système modulaire vitruvien (repris par Serlio), qui calcule les hauteurs et les saillies des profils par des fractions successives calculée à partir du rayon de la colonne. Ici, la présentation part d’une unité plus petite, fraction du module initial. Par exemple, pour l’entablement ionique (f. 167) (fig. 6), Philibert préconise de donner à l’architrave une hauteur égale au rayon de la colonne, qu’il faut ensuite diviser en 36 parties :

Mais en quoi consistent ces « divines » proportions ? De l’Orme dit simplement qu’elles sont

Je donne donc en premier lieu à son épistyle ou architrave pour sa hauteur la moitié de la grosseur de sa colonne par le bas, qui est un pied : puis je divise ladite hauteur en trente six parties, desquelles le cimaise en a six pour sa hauteur (qui est la sixième partie de toute la hauteur dudit épistyle ou architrave) et son filet carré par dessus, deux : qui sont huit parties pour tout le cimaise ou cymat. D u reste des susdites 36 parties, qui sont 28, j’en fais les trois fasces du susdit épistyle avec l’astragale B, et petit cimaise C . Donc la première fasce au dessus du chapiteau aura cinq parties de hauteur, et le cimaise trois : la seconde fasce, huit : le petit membre rond ou astragale, deux : et la hauteur de la troisième fasce, dix^L

« venues du Ciel » et par ailleurs, comme on l’a lu, qu’elles reproduisent celles du corps de l’hom­ me. Le Second tome n’ayant jamais été écrit, nous n’avons pas de précisions sur les détails de leur application concrète.

Voir Yves Pauwels, « Philibert de L’O rm e et ses cardinaux », in Frédérique Lemerle, Yves Pauwels & Gennaro Toscano (éds). Les cardinaux de la Renaissance et la modernité artistique, Villeneuve d’Ascq, IRH IS-SED ES, 2009, p. 149-156; Id., « Les racines de Philibert D e l’O rm e : art gothique et architecture paléochrétienne », Actes du colloque Pirro Ligorio e la storia, Pisa, Scuola Normale Superiore, à paraître et Id., « Philibert De l’O rm e et les ruines antiques : l’architecte du Roi et le chanoine de Notre-Dam e », Revue de l ’A rt, 170, 2010,

Ph. De l’Orme, entablement ionique.

p. 17-22.

Z2

Philibert D e l’Orm e, Premier Tome de l ’A rchitecture..., Paris, F. Morel, 1567, f. qr-qv. Ibid., f i66v-i67r.

24

Ibid., f 3v-qr (il s’agit de Genèse, 6,15-16; Exode, 36-38; I" livre des Rois, 6-7; Ézéchiel, 40-41). 25

404 I P einture & architecture

Ibid., f. i68r.

Peinture & architecture | 405

D es

Y ves Pauwels

quod alia ratione faciliore potuerant exornare. Eos autem recentiores voco, quos antiquissimos appellasset Romana Respublica; quippe qui aerate, ac multis etiam saeculis Salomonicis illis prio-

Cette unité permet aussi le calcul de la hauteur et des modénatures de la corniche, comme du reste de l’ensemble des membres de l’ordre : Quant à la hauteur de la couronne et corniche, tout ainsi que vous avez mis l’épistyle en sa hauteur par six fois six, qui sont trente six, vous mettrez aussi la hauteur de la corniche par quarante deux de ses mêmes parties, qui sont six fois sept^'’.

ribus architectis fuerint posteriores""'.

Il en va de même pour le chapiteau corinthien, par exemple, dont les Grecs se sont attribués à tort la paternité :

Conclusion : La hauteur de l’épistyle ou architrave, est aussi divisée en trente six parties, et sa corniche en quarante deux. Je propose toutes ces mesures à fin que vous considériez les nombres desquels vous devez aider, qui sont trois, six, sept, doublés, triplés ou multipliés en eux carrément, comme deux fois trois font six, et trois fois trois, neuf Et ainsi des nombres de six, comme deux fois six, trois fois six, six fois six : et des nombres de sept, comme six fois sept font 42, qui est la hauteur de notre corniche. Mais que vous sachez bien accommoder tels nombres pour vous en aider, vous saurez trouver des mesures et proportions plus que admirables. Par ainsi vous voyez comme à ladite corniche les quarante deux parties sont distribuées : et comme en prenant le compas vous trouvez les saillies d’une chacune chose, sans y pouvoir faillir. Je n’use point ici du pied de roi, ni du pied antique, ni moins des palmes romains, ni autres mesures sinon des proportions lesquelles j’ai tirées de l’écriture sainte du vieil testa­ ment, et (ce que je dirai sans aucune jactance) les mets en usage le premier, ainsi que je ferai apparoir de bref, Dieu aidant, par le discours de notre seconde partie d’architecture, qui portera le titre et nom Des divines proportions"'^.

hommes et des dieux : les origines des proportions des ordres

[...] ut existimemus Corinthios idem ipsum capitellum Salomonis fuisse imitatos, sed tamen gloriae cupidos, primos haberi eius inventores cupientes, palmae folia in acanthi folio permutasse, eiusque ratio nem fabulam quandam affinxisse^“.

Donc, a fortiori, il n’est pas illégitime d’user de proportions prétendues vitruviennes, mais qui ne sont considérées comme telles que par un accident de l’histoire, car elles sont d’origine beaucoup plus anciennes : ce sont les véritables proportions divines, usurpées par la civilisation païenne, et que Villalpando tente de rendre à leur véritable et juste créateur, le créateur de toutes choses.

Les textes invoqués par De l’Orme sont évidemment à la base de toutes les recherches sur des proportions « divines », qui dans une Europe chrétienne devraient se substituer aux normes païennes du vitruvianisme. L’inconvénient est que ces dernières demeurent satisfaisantes dans leur aspect formel - les quelques dérives que nous avons signalées demeurant exceptionnelles. Aussi, lorsque le savant Jésuite Villalpando, dans son monumental commentaire d’ÉzéchieL^ restitue pour le Temple des ordres aux proportions “antiques”, il reste dans un système de rapports très classique. La table récapitulative qu’il procure à la fin de son exposé permet de constater que les ordres de la Domus Domini présentent pour leurs colonnes des rapports proches des normes vitruviennes (9, 6, soit le rapport de la colonne corinthienne). Mieux, la diminution de hauteur des trois ordres superposés correspond elle aussi (plus ou moins exactement) à la règle vitruvienne, reprise par Serlio, de la diminution du quart (40/30/24 pour 22,5). Il est donc difficile d’échapper à ce qu’Alberti nomme le naturae sensus animis innatus, et donc aux normes héritées du De architectura. .. Mais Villalpando résout le problème en le contournant. En effet, le Temple est bien plus ancien, et donc plus vénérable que les architectures auxquelles se réfèrent Vitruve et ses successeurs. À propos du problème posé par la présence de triglyphes associés à des chapiteaux de type corinthien, l’auteur fait remarquer :

29

Ibid., II, p. 456 : « À cette critique, j’ai décidé de répondre en opposant cette seule raison : c’est qu’assurément effrayés par la difficulté de la chose, les architectes les plus récents n’ont pas osé affronter le problème de la

Cui dubitationi hac una apposita ratione responderé statui : quia nimirum rei difficultate deterriti recentiores Architecti minime sunt ausi triglyphorum aggredi distributionem, in eo saltern genere.

distribution des triglyphes, au moins dans les édifices de ce style, qu’ils pouvaient orner plus facilement avec d’autres solutions. Et ceux que j’appelle “les plus récents” sont ceux que la République romaine aurait appelé les plus anciens : le fait est qu’ils sont venus bien longtemps, plusieurs siècles même, après leurs prédécesseurs

26

Id.

'L'j

Id.

28

Juan Bauttista Villalpando et Jerónimo de Prado, In Ezechielem explanationes et Apparatus Urbis, ac Templi Hierosolymitani Commentariis et imaginibus illustratus..., Roma, Zanetti, 1596-1604.

406 I Peinture & architecture

du temps de Salomon ». 30

Ibid., II, p. 455 : « de sorte que nous pensons que les Corinthiens ont imité le chapiteau de Salomon lui-même, mais que, avides de gloire et désireux de passer pour les premiers inventeurs, ils ont remplacé les feuilles de palme par des feuilles d’acanthe, et justifié la raison de ceci par quelque fable ».

P einture & architecture | 407

O rdres et proportions dans la tradition vitruvienne (xv®-xvii® siècles) Frédérique Lemerle CNRS, CESR

Les trattatistes de la Renaissance ont repris et développé la théorie des colonnes abordée par Vitruve dans les livres III et IV du De architectura, seul traité de l’antiquité conservé dans son intégralité, quoique privé de ses illustrationsS Les études typologiques et modulaires que contiennent ces deux livres dépassent de fait le cas des temples au cœur de la réflexion de l’architecte romain, et de leur décor, colonnes et pilastres dont Vitruve distingue quatre généra (toscan, dorique, ionique et corin­ thien) ; elles s’appliquent aussi bien aux édifices cultuels qu’aux édifices profanes, publics et privés. Mais Vitruve détaille de façon éparpillée les différentes parties qui constituent les colonnes (bases et chapiteaux) ou qui les surmontent (entablements) ^ Les architectes de la Renaissance ont donc été amenés à repenser les préceptes vitruviens qu’ils ont confrontés avec les vestiges archéologiques. Cette étude approfondie du texte antique jointe à l’observation des ruines au Cinquecento a donné naissance à la théorie des ordres. Pour Vitruve le module de référence est le diamètre de la colonne qui détermine sa hau­ teur. C ’est à partir de ce diamètre, ou de son rayon, que sont également calculées les différentes parties qui la constituent. Sans revenir sur l’origine mythique des colonnes, je rappellerai que le module vitruvien a pour origine le corps humain et ses proportions et que pour Vitruve la beauté d’un édifice consiste dans la symmetria ou son équivalent latin la commodulatio, c’est-à-

Sur la perte des illustrations, voir Pierre Gros, « Vitruve et les ordres », dans Les traités d ’architecture de la Renaissance, Jean Guillaume (éd.), Paris, Picard, 1988, p. 49-59. Dans le livre III Vitruve s’intéresse essentiellement au temple ionique. Après un premier chapitre sur les rapports modulaires et les nombres parfaits, un second sur les différents types de temples, un troisième sur les colonnades et un quatrième consacré aux fondations, il aborde enfin au chapitre 5 la colonne ionique : il commence par dé­ crire deux types de bases (attique et ionique) (5, 2-3), avant de traiter le chapiteau particulièrement complexe (5, 5-7) qu’est le chapiteau ionique à volutes. Au livre IV il traite des entablements des trois ordres grecs (ch. 1-2), des chapiteaux dorique et corinthien (ch. i et 3) et de la colonne toscane (ch. 7).

P einture & architecture | 409

Frédérique Lemerle

O

rdres et proportions dans la tradition vitruvienne

dire la commensurabilité de toutes les parties entre elles et des parties avec le tout. O r la colon­

du De re aedificatoria (VII, 7, 8, 9) qu’il traite les trois parties constitutives de ce que l’on appellera

ne qui est l’ornement principal de l’édifice n’échappe pas à cette règle et reflète la transparence

au siècle suivant un « ordre », c’est-à-dire un système organisé de la base, voire du piédestal, à la

arithmétique de relations modulaires^

corniche tel qu’il est décrit pour la première fois par Serlio en 1537 et théorisé par Philandrier en

Le module essentiel, soit le diamètre, donne en eflFet lieu à des opérations simples : multi­

1544^. Pour Alberti comme pour Vitruve, il n’existe pas d’ordre stricto sensu. Du reste le Florentin

plications et fractions. La colonne dorique a pour hauteur sept fois (six à l’origine) son diamètre,

décrit seulement trois types de chapiteaux, les chapiteaux grecs (dorique, ionique, corinthien)

la ionique 8 1/2 (8 à l’origine), la corinthienne 9, la toscane 7. L’architrave et la corniche doriques

- ainsi qu’une variante du corinthien dite italique (qui sera plus tard appelée composite)^ — et

équivalent à un demi-module, la frise à un module et demi : l’entablement qu’ils forment est donc

les trois entablements qui leur correspondent. Mais il rien va pas de même des bases : des trois

de 2 1/2 modules. Les chapiteaux toscan et dorique ont un demi-module de hauteur, etc. Pour les

bases décrites par Vitruve (toscane, attique et ionique) Alberti ne parle que de l’attique (VII, 7),

éléments plus petits, les moulures qui composent les principaux membres, Vitruve utilise le système

sans la nommer, et l’attribue au dorique et il ajoute une base « ionique », qui est en réalité la base

fractionnaire. Un exemple simple tel que celui de la base attique illustre le mode opératoire“*. Cette

corinthienne — non décrite par Vitruve — dont il donne deux versions^. Il propose en outre deux

base qui a de côté un diamètre et demi, a pour hauteur un demi-diamètre. « Sa partition verticale

modèles de chapiteau dorique, tous deux d’inspiration antique^. Les proportions des différents

doit dégager une tranche supérieure égale à un tiers du diamètre de la colonne, le reliquat étant

membres sont calculées selon le système modulaire et fractionnaire vitruvien.

réservé à la plinthe. Déduction faite de la plinthe, le reste doit être divisé en quatre parties, le tore supérieur constituant l’un de ces quarts, les trois autres étant répartis en deux moitiés, dont l’une

Serlio et les cinq ordres d*architecture

sera le tore inférieur et la seconde la scorie avec ses listels d’encadrement » (III, 5, 2)^

Une étape décisive est franchie avec Sebastiano Serlio, peintre et architecte bolonais, héritier du

Vitruve maintient toujours un numérateur égal à l’unité : la plinthe = 1/3 de rayon (R) ou

courant de pensée né au début du xvi^ siècle à Rome dans le cercle de Raphaël. Dans les Regole

1/6 de diamètre, le tore supérieur équivaut au quart des deux-tiers de R, soit il 6 de R, la scorie

generali di architetura (ou Quarto libro) qu’il publie à Venise en 1537 il définit cinq manières (« ma­

et le tore inférieur équivalent chacun à la moitié des trois quarts des deux-tiers de R, soit 1/4 de

niéré »), de bâtir auxquelles correspondent cinq types d’ornements: toscan, dorique, ionique, co­

R, chaque réglet de la scorie équivaut au septième d’un quart de R, soit 1/28 de R. Par ce mode

rinthien et composite*“. Pour la première fois est proposée une vision cohérente de l’ornement,

de présentation paratactique Vitruve gomme les rapports harmoniques entre les éléments : de

synthèse opérée entre le texte de Vitruve et la réalité archéologique, dont le système colonne-

fait le rapport du tore inférieur et de la scotie au tore supérieur est de 3 : 2, soit une quinte dans

entablement, l’ordre (« ordine »), avec ou sans piédestal, dont Alberti avait eu l’intuition, est le

la gamme pythagoricienne. Mais l’architecte antique ria pas d’autre but que de transmettre en

protagoniste. Aux quatre premières colonnes décrites par Vitruve, Serlio ajoute une cinquième, la

termes arithmétiques simples des principes tirés de divers manuels hellénistiques, qui sont faciles

colonne composite dont les arcs de triomphe romains offraient de magnifiques exemples" (fig. i).

à mettre en oeuvre par les ouvriers. Comment les théoriciens de la Renaissance ont-ils appréhendé l’héritage vitruvien sur les proportions des colonnes ? Sur la théorie des ordres, voir Frédérique Lemerle, « Genèse de la théorie des ordres : Philandrier et Serlio »,

Ordres et système modulaire

Revue de l ’A rt, 103, 1994, p. 33-41. Sur la genèse de l’ordre composite, voir Yves Pauwels, « Les origines de l’ordre composite », Annali di architet­ tura, 1 , 1989, p. 29-46 ; Paola Zampa, « L’ordine composito: alcune considerazioni », Quaderni del Dipartimento

La notion d’ordre, il faut le souligner, est une invention du Cinquecento et les proportions désor­ mais ne peuvent prendre tout leur sens que dans cet ensemble unique cohérent qu’est l’ordre. Elle ne s’impose pas d’emblée. Au milieu du Quattrocento Alberti, esprit pénétrant et plus « ordonné »

Patrimonio Architettonico e Urbanistico, III/5-6,1993, p. 37-50. Elles ont des moulurations identiques mais ont des proportions différentes (Leon Battista Alberti, De re /edificato­ ria, VII, 7, testo latino e traduzione a cura di Giovanni Orlandi, introduzione e note di Paolo Portoghesi, Milano, Il Polifilo, 1966, p. 571-573). Sur la base ionique, voir Frédérique Lemerle & Yves Pauwels, « L’ionique : un ordre

que Vitruve, a l’intuition d’un lien entre les diverses parties qui constituent une colonne, la base,

en quête de base », Annali di Architettura, 3,1992, p. 7-13. Quant à la base toscane, Alberti se contente de préciser

le fût, le chapiteau, l’architrave, la frise et la corniche. Toutefois c’est dans trois chapitres distincts

qu’il n’a vu dans les ruines aucun exemple signalé par Vitruve avec plinthe circulaire (VII, 7, p. 573). L. B. Alberti, D e re /edificatoria., op. cit., V II, 8, p. 577. L’absence d’illustrations (Alberti n’avait pas prévu d’illustrer son texte, publié en 1485 bien après sa mort) ne permet pas de visualiser les proportions albertiennes. C ’est seulement au siècle suivant, en 1550, que le traducteur italien C osim o Battoli ajoute au texte des

3

P. Gros, « Nombres irrationnels et nombres parfaits chez Vitruve », dans Id., Vitruve et la tradition des traités

gravures des bases, chapiteaux et entablements, mais pour com pliquer les choses il n’hésite pas à prendre

d ’architecture. Fabrica et Ratiocinatio, Rome, École Française de Rome, 2006, p. 75-111 : 78.

quelques initiatives.

4

La base attique ou atticurge, décrite par Vitruve (III, 5, 2), est attribuée à la colonne dorique par Alberti, suivi

Sebastiano Serlio, Regole generali di architetura sopra le cinque maniere degli edifici..., Venise, F. Marcolini Da

par les théoriciens ultérieurs.

Forlì, 1537, eh. 5-9; édition fac-similé : Milan, Il Polifilo, 2001, 1.

5

Vitruve, D e l ’architecture (Livre III), texte établi, traduit et commenté par P. Gros, Paris, Les Belles Lettres,

S. Serlio, Regole generali di architetura..., op. cit., ch. 9. La première description du chapiteau composite est due

1990, p. 25.

à Alberti, qui ne l’identifie pas comme tel (VI, 8). Sur l’ordre composite, voir supra, n. 7.

410 I Peinture & architecture

P einture & architecture | 411

O rdres

Frédérique Lemerle

et proportions dans la tradition vitruvienne

Il confère à ces cinq manières une entité organique, définie

quialtère, autrement dit il est constitué d’un carré et de sa moitié'^, le corinthien est de proportion

par des proportions spécifiques simples : la hauteur des colon­

superbipartiens, cela signifie qu’il est formé d’un carré parfait et de ses deux-tiers'*, le composite est

nes, de la plus trapue à la plus gracile, est fixée à 6, 7, 8, 9 et 10

double (2 : 1) équivalant à l’octave'^ Et leurs bases et corniches respectifs sont le quart, le sixième,

diamètres, base et chapiteau compris (ce qui n’est pas explicite

le septième, le huitième du dé. Seul le piédestal dorique est une construction irrationnelle, puis­

chez Vitruve). Il précise en outre la morphologie des éléments

que la hauteur du dé dite de proportion diagonale équivaut au rabattement de la diagonale du

qui les constituent ou les prolongent comme les entablements ou

carré, dont le côté est égal au diamètre^® (fig. 2).

facultativement les piédestaux. Les trois bases vitruviennes (tosca­

Fig . 1

s. Serlio, ordre composite {Regolegenerali. Venise, 1537, IV, i LXII).

ne, ionique, attique) sont intégrées dans le système cohérent des

L a Digression de Philandrier ou la théorie des ordres

cinq types de colonnes : après Alberti, il attribue la base attique à

Philandrier qui a suivi les leçons de Serlio à

la colonne dorique'^ La base corinthienne, présente dans les édi­

Venise avant de rédiger ses Annotationes sur le

fices antiques, au Panthéon par exemple, décrite par Alberti (VII,

De architectura de Vitruve revisite la doctrine

7) comme « ionique

est intégrée au système. Si la propor­

serlienne des cinq ordres en lui appliquant le

tion des colonnes varie par rapport aux préceptes vitruviens ou

modèle linguistique. Ce philologue, spécialiste

albertiens, le système modulaire reste le même; Serlio conserve

de Quintilien, qui a suivi en Italie son patron

les rapports fractionnaires pour les petits éléments. En outre les

Georges d’Armagnac, ambassadeur à Venise puis

proportions des différents membres peuvent changer. Il ne faut

à Rome, insère dans son commentaire du livre

point se fier à la célèbre planche inaugurale des cinq ordres : non

III une Digression sur les ordres, qui est un texte

seulement pour chacun d’entre eux existe une alternative décorati­

fondamental pour la genèse de la théorie architec­

ve (colonne lisse et piédestal, variante cannelée sans piédestal) mais

turale au xvi^ siècle. S’il reprend à Serlio la doctri­

pour chaque partie constitutive de l’ordre Serlio multiplie les for­

ne des cinq ordres dont il modifie les proportions

mes, donnant deux exemples d’entablement toscan, deux types de

(appliquant 6, 7, 8, 9, 10 diamètres non plus aux

chapiteaux doriques, deux bases ioniques de proportions différen­

colonnes mais aux fûts) pour obtenir des ordres

tes (la vitruvienne et la serlienne), deux entablements corinthiens,

plus élancés davantage proches de la réalité ar­

sans compter qu’aux modèles théoriques s’ajoutent les nombreux

chéologique, suivant la voie tracée par Alberti, s’il

antiques reproduits en fin de chapitre pour leur beauté ornemen­

précise certains points de la morphologie serlienne

tale, si peu orthodoxe soit-elle, qui viennent contrebalancer et rela­

(proportions des différentes moulures de la base et

tiviser les modèles présentés en début de chapitre. Il n’y a pas chez

la corniche des piédestaux qu’il tire des planches

Serlio de modèle absolu'“^.

suffisamment explicites de Serlio), Philandrier se

Il n’en demeure pas moins que les colonnes sont régies par

démarque de son mentor en définissant le concept

les rapports entiers évoqués plus haut (6, 7, 8, 9, 10). Les piédes­

même d’ordre, système formel caractérisé par la

taux, qui ne sont pas décrits par Vitruve, obéissent eux aussi à

combinaison d’éléments verticaux {columnatio) et

des proportions « simples » selon le terme d’Alberti’^ qui peuvent

horizontaux {traheatio). Chacun des cinq ordres

être harmoniques. Le dé toscan est carré (1 : 1)'^, l’ionique est ses-

est une représentation de ce modèle unique, qua­ si platonicien. Comme chaque déclinaison latine, chacun des cinq ordres est doté de formes précises.

12

Ibid., f. I9r.

13

Sur la base ionique, voir F. Lemerle & Y. Pauwels, « L’ionique : un ordre... », art. cit.

14 15 16

Sur les ordres serliens, voir supra, n. 5 et Frédérique Lemerle, Les Annotations de Guillaume Philandrier sur le De

17

Ibid., f 39V.

architectura de Vitruve, Livres I à IV, Introduction, traduction et commentaire, Paris, Picard, 2000, p. 38-38.

18

Ibid, f 49 r.

Fig . 2

s. Serlio, planche des cinq ordres {Regolegenerali..., Venise, 1537, IV, f. VI).

L. B. Alberti, De re æ d ifica to ria .o p . cit., IX, 6. Alberti y traite des proportions des aires.

19

Ibid, f 6zr.

S. Serlio, Regolegeneralidiarchitetura..., op. cit., f. yr.

20

Ibid, f. 2ir. Sa base et sa corniche équivalent au cinquième du dé.

412 I Peinture & architecture

Peinture & architecture | 413

O

Frédérique Lemerle

rdres et proportions dans la tradition vitruvienne

en l’occurrence une succession d’éléments spécifiques, dont les proportions et les moulurations sont

l’autre, c’est le diamètre de la colonne. Pour la première fois l’ordre est envisagé comme une entité

déterminées de façon définitive et dont l’utilisation est strictement réglementée. Ainsi la colonne

abstraite, le diamètre et partant le module (le rayon : R) n’étant qu’un paramètre relatif Ce module

dorique ne peut-elle recevoir qu’une base attique, un chapiteau dorique, une frise à triglyphes et

est divisé en trente parties qui permettent de calculer tous les membres et éléments constitutifs d’un

métopes. O n ne peut employer une base toscane ou ionique avec une colonne qui ne relèverait

ordre quel qu’il soit. Vignole raisonne en architecte : partant d’une hauteur déterminée il établit un

pas du même type. Et si, pour l’ordre composite, il faut emprunter la corniche et la base du piéde­

algorithme qui permet de calculer le module de l’ordre choisi (avec ou sans piédestal). À la différence

stal à l’ordre ionique ou corinthien ou aux deux, la

de ses devanciers, Serlio et Philandrier, Vignole ne définit plus l’ordre par une hauteur spécifique,

proportion différente du piédestal suffit à assurer

mais par des relations proportionnelles entre les trois éléments principaux qui le constituent dans un

à cet ordre sa particularité. La hauteur des colonnes

cadre mathématique unitaire^L Le laconisme de la présentation (32 planches avec la page de titre), la

est déterminée une fois pour toutes. À chaque ordre

perfection des illustrations gravées sur cuivre expliquent le succès immédiat du traité comme sa du­

ne correspond désormais qu’un seul modèle, soit un

rable influence. Pourtant son originalité foncière n’a pas toujours été perçue, du moins par ses édi­

seul piédestal, une seule colonne, un seul entable­

teurs, comme le prouve la planche d’inspiration serlienne ajoutée dans les rééditions posthumes. L’ouvrier ne peut plus se contenter de rapports géométriques simples, il doit calculer la hau­

ment et partant des proportions spécifiques^'. Mais le système modulaire qui régit les proportions des

teur des différentes parties de l’ordre, à partir des mesures données par Vignole (fig. 3).

differents membres, parties ou moulures d’un ordre est le même que chez Serlio, Albert! ou Vitruve.

Vignole et sesépigones

L’historien de l’art pour sa part doit également calculer pour percevoir la progression régu­ lière des membres de la colonne, avec toutefois des proportions identiques pour le corinthien et le composite.

Les choses changent avec Vignole. Dans la Regola

Toscan

Dorique

Ionique

Corinthien

Composite

Hauteur

22 1/6

25 1/3

28 2/3

32

32 m. (m=R)

Piédestal

42/3

5 1/3

6

7

7

Colonne

14

16

18

20

20

Entablement

3 1/2

4

42/3

5

5

delli cinque ordini, qu’il publie à Rome en 1562, il intègre l’avancée théorique de Philandrier qu’il a côtoyé dans sa jeunesse à XAccademia délia Virtù à Rome''% changeant au passage les hauteurs des îo ü nudi ¿ J i r t i h ^ à ^ tim ei-m ieh liit, I n tl U f m m tH Ê l à à t

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J l r y h

I ’ ji A i A i i i i I m é i M

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éA

colonnes : huit diamètres pour la colonne toscane et pour la colonne dorique, neuf pour l’ionique et dix pour les colonnes corinthienne et composite ; il ne se contente pas de prendre pour module le ra­ yon et non plus le diamètre de la colonne, surtout il détermine ce module à partir de la hauteur totale

Il faut reconnaître que le petit module choisi par Vignole, le rayon et non plus le diamètre,

de la colonne. Il procède donc à l’inverse de Vitruve

ainsi que sa subdivision en trente parties permet un calcul aisé de toutes les moulures^“*. Et ses

qui calcule cette hauteur à partir du module. La

épigoness vont bien en saisir tout l’intérêt.

doctrine vignolesque, qui n’est pas explicitée dans le traité, est fondée sur un rapport constant entre

Fig . 3

les trois parties fondamentales de l’ordre quel qu’il Vignole, chapiteau et entablement ioniques {Regola..., [Rome], 1562, pl. XIX).

soit, 3 : 12 : 4. À hauteur égale, l’entablement de

23

Sur la Regola de V ignole, voir C risto f Thoenes, « Vignola’s Regola delli cinque ordini », Römisches Jahrbuch

chaque ordre équivaut toujours au 1/4 de la colon­

Jur Kunstgeschichte, XX, 1983, p. 345-376 (traduction italienne : Sostegno e adornamento. Saggi sull'architettura

ne, le piédestal au 1/3. Ce qui change d’un ordre à

del Rinascimento : disegni, ordini, magnificenza, M ilan, Electa, 1998, p. 77-107) ; Id., « La Regola delli cinque ordini del V ignola », dans Les traités d ’a rchitecture..., op. cit., p. 269-279 ; Id., « La dottrina della “ Regola” », dans Jacopo BaroTszi da Vignola, M ilan, Electa, 2002, p. 341-343 ; Gabriele M orolli, « 11 “ fiore della regola” . Le com ponenti modanari e il proporzionam ento dei Cinque Ordini di V ignola », dans Vignola e i Farnese,

21

Sur la Digression, wo\v supra, n. 5 et F. Lemerle, Z « A nnotations..., op. cit., p. 38-40.

22

Sur Vignole et Philandrier, voir F. Lemerle, Zi’i A nn otations..., op. cit., p. 41-42.

414 I Peinture & architecture

Christoph Luitpold Frommel, M aurizio Ricci & R ich ard ). Tuttle (eds), M ilan, Electa, 2003, p. 174-205. 24

Sur la fortune de la Regola, voir Frédérique Lemerle, « Les versions françaises de la Regola de Vignole au XVII' siècle », In Monte Artium, i, 2008, p. 101-120.

Peinture & architecture | 415

Fr é d é r iq u e L emerle

O r d r e s et p r o p o r t i o n s d a n s l a t r a d i t i o n v i t r u v i e n n e

Palladio et Scam ozzi

entablements ionique, composite et corinthien le cinquième. Les piédestaux sont compris entre le

Palladio et Scamozzi, peut-être par révérence pour Vitruve, vont adopter une solution que je qua­

tiers et le quart des colonnes.

lifierais de « composite ». Si Palladio garde le diamètre comme module (à l’exception du dorique

Je n’entre pas dans les détails. Mais comme François Blondel, directeur de l’Académie Royale

pour lequel il prend le rayon, comme Vitruve) et le principe des rapports fractionnaires, il signale

d’Architecture et mathématicien distingué, le signale dans la préface de son Cours d ’architecture

parallèlement dans le texte qu’il divise le diamètre en soixante minutes (soit en trente pour le ra­

(Paris, 1675-1679) : « la difficulté est dans les mesures des moulures particulières de chacun de ces

yon, ce qui revient au même)^^ Pourquoi la mention de cette partition d’esprit vignolesque, si

membres, dont il ne parle point dans le discours ôc qui dans les figures sont marquées de chiffres

laconique quelle pourrait presque paraître anecdotique ?

qui ont quelque chose d’extraordinaire » et qui, je l’ajoute, ne sont pas comme chez Palladio la

C ’est quelle donne de fait la clé des planches. Modules

transposition des fractions vitruviennes (fig. 5).

et demi-modules côtoient des mesures exprimées en mi­

UwCilt

Fig . 4

A. Palladio, piédestal corinthien (/ quattro libri dell'architettura, Venise, 1570, 1, p. 41).

nutes, en particulier pour les petits membres et les diverses

L e P arallèle de R oland Fréart de Cham bray (i6$o)

moulures (fig. 4).

et les traités des ordres d'Abraham Bosse (1664)

De façon anachronique, il présente donc deux sys­

Au xviP siècle, Roland Fréart de Chambray, porte-parole du

tèmes radicalement différents, le système vitruvien dans

cercle des « Intelligents », qui gravite autour de son cousin le

le texte et dans l’illustration sa transposition dans un sys­

puissant Surintendant des Bâtiments du roi, François Sublet

tème commode inspiré de Vignole, au prix d’approxi­

de Noyers, a vu tout le parti qu’il pouvait tirer pour son fameux

mations. Cela conforte l’idée que le livre d’architecture

Parallèle (Paris, 1650) de la sous-division en trente parties. Il y

illustré s’adresse à plusieurs publics ; il est lu quasiment

présente en effet une sélection des cinq ordres antiques tirés

comme une bande dessinée, l’image l’emportant sur le

des plus beaux édifices de l’Antiquité et les modèles de dix

texte pour les praticiens.

théoriciens de la Renaissance, italiens et français regroupés par

Scamozzi est plus complexe^^. Comme Palladio il di­

paires (dans l’ordre de présentation, c’est-à-dire d’excellence,

vise en 60 parties égales dites « minutes » le module (« por-

Palladio et Scamozzi, Serlio et Vignole, Barbaro et Cataneo,

tione rationale »), soit le diamètre de la colonne^^. Puis il

Albert! et Viola, Bullant et De l’Orme). L’unification des illu­

détermine la hauteur de la colonne (de sa base et de son

strations par le choix d’un module commun, le demi-diamètre

chapiteau) et indique les proportions de l’entablement et

de la colonne, divisé entre trente parties, facilite la comparai­

du piédestal par rapport à cette hauteur^®. La hauteur de

son entre les divers modèles proposés. Comme je l’ai montré

la colonne toscane est fixé à 7,5 modules, la dorique à 8,5,

ailleurs, cette présentation, qui a fait en partie le grand succès

l’ionique à 8 3/4, la composite à 9 3/4 et la corinthienne

du Parallèle, est très souvent arbitraire (fig. 6).

à 10 : l’originalité du théoricien consiste à placer la co­

Chambray n’a pu réduire les ordres antiques et mo­

lonne composite entre l’ionique et la corinthienne, selon

dernes qu’au prix d’approximations et d’ajustements pour

l’idée assez pertinente qu elle tient des deux autres et que

la plupart des théoriciens, sans parler des choix esthétiques

sa proportion par conséquent doit être la moyenne des

qu’il a dû opérer en présence de variantes pour un même ordre

deux autres. Les entablements toscan et dorique quant à

(Serlio, BullanP^) ou des amalgames nécessaires mais contes­

eux sont ainsi le quart des colonnes correspondantes, les

tables auxquels il s’est résolu pour créer des ordres albertiens ou delormiens^®.

25

Fig . 5

V. Scamozzi, chapiteau corinthien {Dell’idea dell’architettura universale, Venise, 1615, VI, p. 138).

Palladio, I quattro libri dell’architettura, Venise, Domenico de’ Franceschi, 1570, I. Le théoricien se distingue de ses prédécesseurs sur des points de détail (tracé du tailloir corinthien, nouvelle proportion de l’ordre corinthien,

29

recours au texte, mais au prix de quelques nécessaires ajustements.

Günther, « Palladio e gli ordini », dans Andrea Palladio. Nuovi contributi, André Chastel & Renato Cevese (éds), Milan, Electa, 1990, p. 182-197).

Bullant en outre tire parti d’un système de représentation géométrique dû à Hans Blum, fondé sur des cercles, demi-cercles ou règles graduées, qui matérialise les proportions et les rapports des parties entre elles sans avoir

personnalisation des ordres par l’apposition de sa signature sur les bases. Sur les ordres de Palladio, voir Hubertus

30

Sur Fréart et Alberti, voir Frédérique Lemerle, « Fréart de Cham bray et Alberti », Albertiana, 3, 2000, p. 261-

Vincenzo Scamozzi, D ell’idea dell’architettura universale, 2 vols, Venise, Valentini, 1615, V I.

273. Sur le Parallèle de Fréart de Chambray, voir Frédérique Lemerle, « Fréart de Cham bray : les enjeux du

27

Ibid., V I, p. 4 , 1. 30.

Parallèle », xvtf siècle, 196, Juillet-Septembre 1997, p. 419-453 et Roland Fréart de Chambray, Parallèle de l ’ar­

28

Ibid.,y\, 10 et 12.

chitecture avec la moderne, Paris, E. Martin, 1650, édition critique établie par Frédérique Lemerle, couplée avec

26

416 I P e i n t u r e

& ar ch itectu r e

P ein tur e & a r c h it e c t u r e |

417

Fr é d é r iq u e L emerle

O r d r e s et p r o p o r t i o n s d a n s la t r a d i t i o n v i t r u v i e n n e

Un proche de ce milieu, Abraham Bosse - il dédicace à Sublet en 1643 son traité de gnomonique - s’inspire lui aussi de Vignole dans son traité d’architecture^'. Celui qui fut l’un des meilleurs graveurs de son temps et l’ami du mathématicien Girard Desargues, le père de la géométrie pro­ jective, dont il vulgarise les travaux^S est en effet l’auteur d’un diptyque sur les ordres : Traité des ANTIQVE AVEC LA MODERNE.

JS

Fig . 6

manières de dessiner les ordres et Des ordres de colonnes en l'architecture... (Paris, 1664-1665). Dans le Traité des manières de dessiner les ordres il reprend la conception vignolesque de l’ordre comme

R. Fréart de Chambray, ordre corinthien de Serlio et Vignole {Parallèle..., Paris, 1650, p. 75).

entité architecturale déterminée par un rapport constant entre les trois parties fondamentales qui le constituent (piédestal, colonne, entablement), mais il en change les rapports, 5 : 15 : 3, contre 4 : 12:3 pour Vignole. Comme dans la Regola, les ordres composites et corinthien ont les mêmes proportions. Mais il va plus loin encore : la hauteur de la colonne une fois déterminée, est divisée en 14 parties pour le toscan, 16 pour le dorique, 18 pour l’ionique et 20 pour le composé et le corinthien, chacune de ces parties étant subdivisée elle-même en 30. C ’est elle qui sert de module ou « de pied fondamental

(fig. 7). Une fois de plus le module, rayon chez Vignole ou pied

fondamental pour Bosse, est un paramètre relatif déterminé après coup. Bosse, comme Vignole, s’adresse aux ouvriers dont il veut faciliter la tâche. À ce titre il présente deux échelles, l’une avec le module divisé en trente et l’autre avec son équivalent, le pied fondamental divisé pour sa part en 12 pouces, le pouce en 12 lignes et la ligne en 10 points, selon la subdivision traditionnelle du pied facile à mettre par tout ouvrier du royaume : peu importe la valeur du pied. Il n’est pas le premier. Un siècle avant. De l’Orme proposait dans son Premier tome quelques planches (base, chapiteau et entablement toscans ; base et corniche du piédestal et architrave ioni­ que) qu’il destinait sans doute au second tome (jamais publié) sur les Divines proportions avec un mode de calcul spécifiques^. Il utilise pour module le rayon équivalant à un pied. Ce dernier pied sert de pied fondamental, qu’il subdivise en 36 parties pour l’ionique, en 12 pouces pour le toscan (une partie = un pouce) (fig. 8). Mais ce système resta à l’état d’ébauche.

Fig . 7

celle de l ’Idée de la Perfection de la peinture-, établie par Milovan Stanic, Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2005.

A. Bosse, proportions des ordres ionique, corinthien et composé ( Traité des manières de dessiner les ordres-, 1664-65, pl. XIV).

31

En 1659, où plutôt en 1660, date indiquée sur la première planche de texte. Bosse publia à Paris en avantpremière un recueil de portes, les Representations geometrales de plmieurs parties de bastiments faites par les reigles de l ’architecture antique. Sur les traités de Bosse, voir Fédérique Lemerle, « Le livre d’architecture du graveur Abraham Bosse », in Le livre et l ’architecte-, colloque international organisé par l’École nationale d’architecture de Paris- Belleville et l’IN H A , Paris, IN H A , 31 janvier-2 février 2008, actes sous presse. Im-pratique du trait a preuves de M ' Desargues Lyonnais... par A. Bosse..., Paris, P. Deshayes, 1643 ; La maniere universelle de AT Desargues Lyonnais, pour poser l ’essieu... par A. Bosse, Paris, P. Deshayes, 1643 ; Maniere universelle de M Desargues pour pratiquer la perspective par petit-pied, comme le geometral..., Paris, P. Deshayes, 1647-1648.

33 34

Abraham Bosse, Traité des manières de dessiner les ordres, Paris, Chez l’auteur, 1664, pl. II (texte). Philibert D e l’Orm e, Le premier tome de l ’architecture, Paris, F. Morel, 1567, f. i38r : « le vous aduise que mainte­ nant ie m’ayde de telles dimensions & nombres, ainsi que plus à plein ie le vous feray cognoistre quelque jour. Dieu aydant ».

418 j

P ein tur e & a r c h it e c t u r e

P ein ture & a r c h it e c t u r e

| 419

Fr é d é r iq u e L emerle

O r d r es et p r o p o r t i o n s d a n s la t r a d i t i o n v it r u v ie n n e

Si, à la suite de Chambray, Perrault reconnaît que les caractères de l’ordre tiennent plus à ses Fig . 8

P. De rOrme, corniche ionique {Le premier tome..., Paris, 1567, V, 30, f. i68v).

ornements qu’à ses proportions, comme le pensait Vitruve, il propose néanmoins pour caractéri­ ser les cinq ordres une augmentation de leurs hauteurs à mesure qu’ils deviennent plus délicats. Ce système rigide, formellement impeccable, est fondé sur des proportions géométriques crois­ santes simples, facilement réalisables grâce au choix d’un nouveau module, dit le petit module (p. m.), qui correspond au tiers du diamètre de la colonne et équivaut à 20 minutes ou parties, pour le distinguer des deux traditionnellement utilisés, le grand module ou diamètre, divisé en 60 minutes, et le module moyen, demi-diamètre ou rayon, équivalant à 30 minutes. O n retrouve de fait la partition vignolesque du module en 30 parties (fig. 9). La hauteur des cinq ordres exprimée en petits modules est la suivante :

Toscan

Dorique

Ionique

corinthien

composite

Hauteur

34

37

40

43

47

Piédestal

6

7

8

9

10

Colonne

22

24

26

28

30

Entablement

6

6

6

6

6

^ ’ O rd o n n a n c e des c in q espèces de c o lo n n e s de Claude Perrault

Il semble qu après Vignole tout ait été dit sur les ordres. De fait la Regola s’impose comme un

Les ordres ont ainsi une progression régulière de 3 p. m., les piédestaux augmentent d’i p. m.,

best-seller de la littérature architecturale en France et à l’étranger et ce pendant près de quatre

la colonne de 2 p. m. Seule la hauteur de l’entablement est la même pour tous les ordres et équivaut

siècles. C ’est sans compter sur l’ambitieux Claude Perrault qui en imposant une vision m o­

à 6 p. m. Grâce au choix du petit module elles peuvent être exprimées en nombres entiers^^.

derne et définitive des ordres clôt la problématique vitruvienne dans son Ordonnance des cinq

En résumé dans un souci de rationalisation et de normalisation des ordres Perrault appli­

espèces de colonnes publiée en 1683” . La disparité des proportions des édifices antiques comme

que des principes simples pour déterminer les différentes parties qui composent les piédestaux, les

l’absence de consensus chez les théoriciens modernes l’amènent à établir les « règles probables

colonnes et les entablements. Les piédestaux se caractérisent ainsi par des moulures de plus en plus

et certaines de l’Architecture », synthèse des Anciens et des Modernes. L’ouvrage, placé sous le

nombreuses selon que l’ordre est plus riche et élevé : la base du piédestal toscan par exemple a deux

haut patronage de Colbert, s’inscrit dans la politique globale d’une monarchie administrative

moulures, celle du dorique, 3, etc. ; sa corniche en a 3, celle du dorique 4, etc. Les bases ont pour

dont son frère Charles (l’auteur des Contes) fut longtemps l’un des proches collaborateurs.

hauteur un demi-diamètre, comme chez Vitruve. Quant aux chapiteaux Perrault n’en distingue que

Dans une réflexion préliminaire sur les beautés positives et les beautés arbitraires Claude justifie

trois : le toscan/dorique de même hauteur (1/2 D), le corinthien/composite (1 D 1/6) et l’ionique

une méthode géométrique et mathématique, « la médiocrité moyenne », qui permet de déga­

dont il ne donne pas expressément la hauteur car sa proportion n’est pas facilement convertible^^.

ger des proportions « probables et vraisemblables » (ce sont ses propres mots) fondées sur des raison positives, sans s’éloigner pour autant de celles en usage. En d’autres termes il propose une moyenne entre les extrêmes observés dans le traité de Vitruve, les antiquités romaines et

36

Sur les ordres de Perrault, voir Frédérique Lemerle, « Claude Perrault théoricien : ï Ordonnance des cinq especes de colonnes (1683) », dans Daniel Rabreau & Dom inique Massouine (éds), Claude-Nicolas Ledoux et le livre d ’ar­

les théoriciens de la Renaissance.

chitecture en français. Étienne Louis Boullée, L ’Utopie et la poésie de l ’art, Paris, M onum-Editions du patrimoine, 2006, p. 18-29.

37 35

Claude Perrault, Ordonnance des cinq especes de colonnes selon la méthode des Anciens, Paris, J.-B. Coignard, 1683.

4 2 0 I P e in tu r e & a r c h it e c t u r e

Selon Vitruve (III, 5, 5) en effet, le chapiteau à balustres, volutes comprises, équivaut à la moitié de la largeur de l’abaque, c’est-à-dire à la moitié du diamètre augmenté d’une dix-huitième partie, soit 9,5 parties.

P ein ture & a r c h it e c t u r e | 421

Fr é d é r iq u e L emerle

O r d r e s et p r o p o r t i o n s d a n s l a t r a d i t i o n v i t r u v i e n n e

Pour réaliser ses moyennes, Perrault a utilisé Fréart de Chambray (les proportions des moulures exprimées en minutes proviennent du Paraltèlé) qu’il complète pour les piédestaux. L’hétérogénéité des mesures de référence exprimées avec des modules différents (diamètres, demi-diamètres, mi­ nutes ou parties, pieds parisiens ou « pieds de Roy »), la conversion difficile en petits modules (c’està-dire le tiers de diamètre) et la prise en compte de l’ouvrage d’Antoine Desgodets sur les édifices antiques de Rome qui venait juste d’être publié (Paris, 1682), lequel est lui-même embarrassé dans l’utilisation de plusieurs mesures^^ expliquent les erreurs dans les mesures et les calculs de ['Ordon­ nance, qui sont sans grande conséquence puisque Perrault pratique la moyenne entre deux extrêmes. Mais comme Chambray avant lui, il triche ; il a commencé par inventer son système de proportions fondée sur la médiocrité moyenne avant de choisir les nombres comparatifs des ordres antiques et modernes qui lui permettent de l’établir^^. Le cas de Perrault est en fait très représentatif de la démarche des architectes et des théoriciens du xvL comme du xviL siècle. Pour eux la perfection des nombres est finalement accessoire car la beauté est rationnelle et non pas harmonique. Le système modulaire vitruvien, théorisation d’une pratique empirique qui a fait ses preuves depuis longtemps, est perfectionné mais non remis en cause. Les proportions ne sont jamais revendiquées pour leurs valeurs numériquement parfaites fondées sur des rapports harmoniques volontairement recherchés. Avec XOrdonnance des cinq espèces de colonnes Perrault résout définitivement la théorie des or­ dres, de la même façon que son commentaire du De architectura clôt la problématique vitruvienne (il n’y aura d’ailleurs plus de nouvelle édition en France jusqu’au xix^ siècle) en consacrant la supé­ riorité des Modernes sur les Anciens. La synthèse proposée en 1683 est nécessairement la meilleure puisque c’est la dernière en date et quelle prend en compte tout le passé. Mais la « médiocrité moyenne » débouche sur une théorie des ordres totalement figée. D ’autres thématiques apparaîtront au x v iif siècle, d’autres modèles surgiront. Mais jamais plus on ne retrouvera l’extraordinaire effer­ vescence suscitée par la réflexion sur les ordres et leurs proportions à la Renaissance.

F ig . 9

38

Antoine Desgodets, Les edifices antiques de Rom e..., Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1682, « Nota » (après la

39

Voir W olfgang Herrmann, The Theory ofiClaude Perrault, London, Zwemmer, 1973 (trad. fr. : La Théorie de

dédicace). C. Perrault, les cinq ordres {Ordonnance..., Paris, 1683, pl. I).

4 2 2 I P ein ture & a r c h it e c t u r e

Claude Perrault, Bruxelles-Liège, Mardaga, 1980, p. 90-91).

P einture & architecture

| 423

Il concetto di proporzione

neW’ldea dell'Architettura Universale di Vincenzo Scamozzi (1615)* Laura Moretti University of St Andrews

A partire dalla pubblicazione nel 1949 del testo di Rudolf Wittkower, Architectural Principles in the Age ofHumanism\ il dibattito sull’uso delle proporzioni in architettura in epoca rinascimen­ tale, come è ampiamente noto, ha potuto vantare numerosi e illustri contributi. Tra gli aspetti più rilevanti della discussione vi è senza dubbio quello che riguarda l’uso delle proporzioni nell’opera di Andrea Palladio\ Alcuni studi relativamente recenti hanno posto in evidenza limiti strutturali e difetti interpretativi emersi nel corso del dibattito, e in modo particolare hanno sollevato il problema della distanza, che in Palladio si fa particolarmente evidente, fra opera teorica ed edifici realizzati^ Non si intende qui ripercorrere storia già ampiamente battuta, ma proporre alcune analisi di un testo. Videa dellArchitettura Universale di Vincenzo Scamozzi (1615), che per molti versi entra in diretto rapporto (non fosse altro per l’epoca di pubblicazione e per il contesto in cui viene scritto) con i Quattro libri dell’architettura di Andrea Palladio (1570), e può offrire un diverso punto di osservazione del tema.

Ringrazio Deborah Howard e Vasco Zara per i preziosi suggerimenti e consigli. R udolf W ittkower, Architectural Principles o f the Age o f Humanism, London, Warburg Institute, 1949. Eugenio Battisti, « Un tentativo di analisi strutturale del Palladio tramite le teorie musicali del Cinquecento e l’impiego di figure rettoriche », Bollettino del Centro Intemazionale di Studi di Architettura Andrea Palladio, XV, 1973, p. 211-232 ; Eric Forssmann, Visible Harmony : Palladio’s Villa Foscari la Malcontenta, Stockholm, Sveriges Arkitekturmuseum & Konsthògskolans Arkitekturskola, 1973 ; Colin Rowe, The Mathematics o f the Ideal Villa, Cambridge, M A , and London, M IT Press, 1976 ; Deborah Howard & Malcolm Longair, « Harmonic Proportion and Palladio’s Quattro Libri », Journal o f the Society o f Architectural Historians, XLI/2, 1982, p. 116-143; Diego Horacio Feinstein, « Palladio und das problem der musikaJischen Proportionen in der Architektur », Freiburger Universitatsblatter, X CIX , 1988, p. 39-52. Branko Mitrovic, « Palladio’s Theory o f Proportions and the Second Book o f the Quattro Libri dell’Architettura », Journal o f the Society o f Architectural Historians, XLIX/3, 1990, p. 279-292; Elwin C . Robison, « Structural Implications o f Palladio’s Use o f Harmonic Proportions », Annali di architettura, X-XI, 1998-1999, p. 175-182.

P e INTURE & ARCHITECTURE | 425

Il CONCETTO DI PROPORZIONE NELL’ /DLA

La u r a M o r e t t i

Gli anni della formazione e la genesi à^M^Idea

D U LL A R C H IT E T T U R A U N IV E R S A L E

rato l’ultimo trattato di architettura del Rinascimento, nel tentativo di raccogliere tutte le fonti storiche e tecniche riguardanti la disciplina. Veniamo a conoscenza dei propositi dell’autore per

Nato a Vicenza nel 1548, Vincenzo Scamozzi venne educato aH’architettura dal padre, e fin dagli

sua stessa mano : nel frontespizio infatti Scamozzi scrive, in lingua latina, sotto il proprio ritratto,

anni giovanili rivelò un forte interesse anche per la matematica e la “meccanica”, rafforzando una

« Candido lettore, vedi quest’opera ? È piena, credimi, di fatica, di sudore e di polvere accumulata

formazione culturale che divenne vastissima, che superò i limiti delle discipline tradizionalmente

in lunghi viaggi, sopralluoghi accurati e consultazione di libri. Tu, se ne hai voglia, potrai goderne

inerenti l’architettura, e che lo avvicinò ai fermenti culturali promossi dalla presenza nella vicina

stando comodamente seduto ».

Padova dello stesso Galileo Galilei. Tra il 1578 e il 1580, compiuti i trentanni, Vincenzo compì un viaggio a Roma e nel napoletano, tappe obbligate per chi intendesse avvicinarsi all’architettura

Gli obiettivi e i contenuti del trattato vengono espressi in maniera esplicita dallo stesso au­ tore al termine dell’introduzione della prima parte :

e perfezionare la propria preparazione. Non fu necessario per lui il ricorso a un mecenate, come

Nello spacio di X X V anni habbiamo posto insieme X libri [...]. Nel Primo de’ quali trattamo deU’eccelienza, e parti di essa, e quello che appartiene agli eccellenti Architetti : Nel Secondo delle Regioni, e paesi, e qualità de’ Siti, e forme delle Città, e Fortezze : Nel Terzo de gli edifici privati per comodo, e per delitie ; Nel Quarto di tutti i generi de gli edifici publici : E nel Quinto de gl’edifici Sacri, e simiglianti. Poi nel Sesto di tutti gli ordini, & ornamenti : Nel Settimo delle materie per edificare : Nell’Ottavo del fondare, & elevare in coperto essi edifici] : Nel Nono de’ loro finimenti : E nel Decimo, & ultimo delle riforme, e restaurationi de gli edifici, e di bonificar i Paesi®.

invece era avvenuto per Andrea Palladio, in quanto i beni paterni furono ampiamente sufficienti a coprire le spese del viaggio^ Fu un architetto che costruì molto, in particolare a Venezia, ma per molti anni la sua opera godette di una notevole sfortuna critica, che lo mise sempre in ombra rispetto alla figura del suo predecessore Andrea Palladio^. La sua più grande aspirazione fu però quella di scrivere un trattato sull’arte del costruire che riassumesse e superasse tutti i precedenti, da Vitruvio a Palladio^. Nel 1615 Scamozzi fece pubbli­

Questo elenco ci informa anche dei contenuti dei libri non dati alle stampe nel 1615, e cioè

care a proprie spese dalla bottega veneziana di Giorgio Valentino, una lussuosa edizione in folio

quarto, quinto, nono e decimo, che in parte verranno pubblicati in edizioni successive utiliz­

Idea dell’Architettura Universale. Sebbene incompleta rispetto alle intenzioni dell’autore, si

zando materiale inedito'“. L’opera è considerata l’ultimo tentativo, rimasto però incompiuto, di rappresentare in modo

trattava di un’opera elaborata in almeno 25 anni di lavoro, composta da 824 pagine complessive con 84 illustrazioni, tra le quali 45 incisioni in ramel

organico ed esauriente la scienza dell’architettura secondo il modello vitruviano". Vitruvio aveva

Come annunciato dal titolo, l’opera intende proporre una riflessione sistematica sulla disci­

lanciato una sfida all’architetto come uomo di cultura, sfida che Scamozzi raccoglie, intrapren­

plina dell’architettura. Scamozzi nel corso della propria vita aveva mirato al raggiungimento di

dendo un cammino che si addentra tanto nella speculazione teorica quanto nella pratica della disci­

una conoscenza della materia quanto più vasta possibile, attraverso approfonditi studi e lunghi

plina. Il dualismo teoria/prassi - che sottende le pagine di tutta l’opera - viene proposto anche

viaggi in molti paesi europei, e il suo immane sforzo si concretizza in quello che viene conside-

sul frontespizio, dove vengono rappresentate il primo piano, ai lati del ritratto dell’autore, le due figure allegoriche della « theorica » e della « experientia »'^. Sul piano dell’esposizione della materia, diversamente dai Quattro Libri dell’Architettura di

Per notizie biografiche su V incenzo Scam ozzi si rimanda a Franco Barbieri & G uido Beltram ini (eds),

Ajidrea Palladio, per il quale la teoria doveva emergere dagli esempi pratici (per la maggior parte

Vincenzo Scamozzi i$48-i6i6, Venezia, Marsilio, 2003. Si veda inoltre Lionello Puppi, « “ Questa eccellente

suoi stessi progetti), l’opera non è un compendio delle realizzazioni dell’autore, ma piuttosto una

professione delle mathematiche e dell’architettura” . Idea di cultura e ruoli sociali nel pensiero di Vincenzo Scamozzi », in F. Barbieri & G . Beltramini (eds), Vincenzo Scam ozzi..., op. cit., p. 11-21, in part. p. 14-15.

vera e propria narrazione, fluida e ricchissima di contenuti, per la maggior parte di tipo teorico e

Sulla figura del padre e sugli anni della formazione si veda Franco Barbieri, « Vincenzo Scamozzi. Lo studio­

speculativo, con la presentazione di alcuni esempi di proprie architetture e molte riproposizioni

so e l’artista », in F. Barbieri & G . Beltramini (eds), Vincenzo Scam ozzi..., op. cit., p. 3-9, in part. p. 4-6.

di opere contemporanee e del passato.

Forse Scamozzi si era già recato a Roma in precedenza, ma non esistono riscontri effettivi di questi viaggi. Si veda in particolare F. Barbieri, « Vincenzo Scamozzi. Lo studioso e l’artista », art. cit., p. 5. Al rientro pubblicherà / discorsi sopra l'antichità di Roma, Venezia, Girolamo Porro, 1582. Su quest’opera si veda in particolare il saggio di

Bisogna rilevare che, fino ad anni relativamente recenti, l’importanza di Scamozzi come teorico è stata spesso sminuita e travisata'^ Questa deformazione interpretativa è stata causata principal-

Margaret Daly Davis in F. Barbieri & G . Beltramini (eds), Vincenzo Scamozzi..., op. cit, p. 234-236. Sui rapporti di Scamozzi con l’ambiente veneziano si veda in particolare Giandomanico Romanelli, « Scamozzi versm Venezia? Venezia versus Scamozzi? », in F. Barbieri & G . Beltramini (eds), Vincenzo Scamozzi..., op. cit, p. 47-57.

9

V. Scamozzi, L’idea della architettura universale..., op. c it, I, p. 4.

Si veda Werner Oechslin, « Premesse a una nuova lettura àtW'Idea dell’Architettura Universale di Scamozzi », in

10

G . M . Fara, « Genesi com positiva... » art. cit., p. 458-459.

Vincenzo Scamozzi, L'idea della architettura universale, 2 vols, Venezia, Valentini, 1615 (riproduzione facsimile

11

Si veda in particolare W. Oechslin, « Premesse a una nuova lettura... », art. cit.

Verona/Vicenza, Centro Internazionale di Studi di Architettura Andrea Palladio, 1997), I, p. xi-xxxvii.

12

Si veda L. Puppi, « “Questa eccellente professione” ... », art. cit., p. 13.

Sulla genesi compositiva del trattato si veda in particolare il saggio di Giovanni Maria Fara, « Genesi composi­

13

Sulla sfortuna critica di Scamozzi e sulla sua rivalutazione si veda in particolare F. Barbieri, «Vincenzo Scamozzi. Lo

tiva e fortuna editoriale óitW'Idea della architettura universale », in F. Barbieri Si G . Beltramini (eds), Vincenzo

studioso e l’artista... », art. cit., p. 3 ; Werner Oechslin, « L’architettura come scienza speculativa », in F. Barbieri

Scam ozzi..., op. c it, p. 457-461.

& G . Beltramini (eds), Vincenzo Scam ozzi..., op. cit., p. 23-31, con ulteriori riferimenti bibliografici.

4 2 6 I P e INTURE & ARCHITECTURE

P ei NTURE & ARCHITECTURE | 4 2 7

Laura M oretti

Il concetto

di pro po rzio ne nell '

Id

ea

d e l l ’a r c h i t e t t u r a

u n iv e r s a l e

mente da due fattori : in primo luogo da una serie di pregiudizi negativi diffusi già nel corso del

che vede in Platone, Aristotele e Vitruvio i suoi maggiori punti di riferimento, Scamozzi definisce

Settecento, e in secondo luogo dalle difficoltà poste da un’opera così vasta, per nulla adatta a una

l’architettura una scienza speculativa, che « ha le sue dimostrationi ; certi & indubitabili ; perciò

lettura veloce e poco approfondita. Ad esempio, Wittkower lo critica aspramente e gli dedica

si possono insegnare, e dimostrare come è costume delle Matematiche »‘^. L’accostamento dell’ar­

solamente una nota nel suo celebre capitolo riguardante il problema della proporzione armonica.

chitettura alla matematica si ripete con insistenza lungo tutta l’opera, e in modo particolare nelle

Le critiche riguardano nel merito l’eccessiva semplicità di ragionamento per quanto concerne il

pagine iniziali, dove viene anche riportato il celeberrimo passo di Vitruvio :

dimensionamento delle sale : Scamozzi [...] semplificò ancor più di Palladio ; nei cinque tipi di ambienti di forma perfetta da lui raccomandati, l’altezza è sempre il medio aritmetico tra la larghezza e la lunghezza, il che è tipico della manipolazione accademica operata da Scamozzi sui precetti palladiani"*.

Altrove Wittkower si riferisce a Scamozzi come a un autore tardo manierista di un trattato « greve, dog­

Architectura est scienria pluribus disciplinis, et varijs eruditionibus ornata, cuius iudicio probantur omnia, quae à caeteris artibus perficiuntur opera“ .

Il confluire nell’architettura di molte discipline e la necessità per chi si accosta ad essa di possedere un alto grado di erudizione sono temi cari a Scamozzi, ai quali aderì pienamente in prima persona.

matico e scolastico, che rispetto ai Quattro Libri palladiani somiglia ad un’esposizione medievale »'L

Il principale oggetto dell’architettura è « il fine di ritrovare l’inventioni, e dar ordine à tutte

Molti aspetti fin qui richiamati - la particolare figura dell’ autore, studioso erudito molto in­

le cose ; e poi gli artefici di condur l’opera al fine desiderato »^L Ritroviamo qui la distinzione

teressato a disquisizioni di natura teorica ma anche molto attento alla pratica del costruire ; i vasti

fra riflessione teorica e realizzazione pratica così caratteristica di quello che Scamozzi definisce il

obiettivi di quello che si pone come l’ultimo trattato di architettura del Rinascimento ; il grande

« methodo » dell’architettura. Le fasi in cui si compie l’opera di architettura sono quattro, e speci­

spazio dedicato alla speculazione e i difetti di valutazione di cui in passato è stato oggetto - fanno

ficatamente « precognitione », « edificatione », « finimento » e « ristauratione ». Le ultime tre fasi,

risultare quest’opera particolarmente adatta a essere analizzata nell’ottica delle tematiche di que­

cioè « edificatione », « finimento » o « espolizione » e « ristauratione », riguardano la pratica del

sto convegno.

costruire, mentre per « precognitione » si intendono tutte le conoscenze necessarie all’architetto

«Architettura è scienza »

per portare a compimento nel migliore dei modi la propria opera progettuale^^. Le figure allego­ riche che rappresentano le fasi del processo costruttivo si trovano anch’esse rappresentate nella parte sommitale del frontespizio dell’opera.

\lldea deirArchitettura Universale si apre con una dettagliata esposizione del concetto di architet­

Ancora in accordo con Vitruvio, Scamozzi attribuisce all’opera di architettura sei qualità

tura come scienza'^. Per Scamozzi si tratta infatti di una disciplina che si distingue fra le scienze

fondamentali : « dispositione », « distributione », « corrispondenza » - la « symmetria » per

poiché « è sublime [...] nella speculatione; indubitata nelle dimostrationi, nobilissima per il

Vitruvio - , « ordine », « venustà » - per Vitruvio « eurithmia » - e « decoro ». La proporzione

soggetto, che tratta; eccellentissima per il methodo, ch’ella tiene nel dimostrare; necessarissima

tra le parti - ciò che più qui ci interessa - attiene alla « venustà », la quale « riguarda il fine : &

al viver Politico, e civile, per la comodità, che apporta al genere umano, e riguardevole ; perchè

è un’aspetto gratioso, e senza menda di tutto ‘1 corpo : Se una annessione, e proportione delle

lei sola abbellisce il Mondo tutto

parti convenevoli à tutto l’edificio ; in tanto, che lo rende, non solo comodo all’uso ; mà ancora

Grande importanza viene dunque attribuita a una materia

che - ponendosi come scienza - dispone di un proprio metodo e apporta vantaggi tangibili alla

riguardevole, e bello da vedere >PL

società umana nel suo complesso. In particolare questo ultimo aspetto viene ulteriorimente riba­

Scamozzi pone l’accento in modo particolare sulla « venustà » tanto degli edifici dell’antica

dito : « Le scientie - scrive Scamozzi in un altro passo del Proemio — sono indagatrici delle cause

Grecia e di Roma, quanto soprattutto di quelli dell’Italia in generale, che « sola osserva molto

di tutte le cose divine, & humane, e dimostrano il viver bene, & operare virtuosamente, & esse

più che qual altra parte del Mondo i veri termini dell’Architettura e le belle maniere dell’ornare

sole possono apportare in questo mondo qualche stato di felicità all’huomo »‘® .

gli edifici

Altrove - vengono riportati gli esempi di Spagna, Francia, Germania e altri - non

Il concetto viene rafforzato tramite il ricorso a illustri esempi del passato, ai quali Scamozzi

si arriva a un alto livello qualitativo poiché « non vi sono Architetti eccellenti che habbino

si affida per dare ulteriore spessore alle proprie argomentazioni. In accordo con la tradizione

studiato di sapere le cause, & intendine le proportioni de’ compartimenti e le corrisponden-

14

R. Wittkower, Architectural Principles..

op. cit. (trad. it. : Principi architettonici dell’età dell’Umanesimo, Torino,

Einaudi, 1964, p. 108, n. i). 15

Ibid., p. 120.

16

Su questo concetto si veda in particolare W. Oechslin, « Premesse a una nuova lettura... », art. cit.; Id., « L’architettura come scienza speculativa... », art. cit.

17

V. Scamozzi, L ’idea della architettura universale. .., op. cit., I, p. 5.

18

Ibid., I,

19

Ibid, I, p. 6.

20

Ibid., I, p. 5.

ZI

Ibid., I, p. 6.

22

Ibid., I, p. 7-8.

23 24

Ibid., I, p. 8. Ibid., I,

p. IO.

p. I.

428 I Peinture & architecture

Peinture & architecture I 429

Il

Laura M oretti

concetto di pro po rzio ne nell '

Id

la

d e l l 'a r o

m m iR A

u n iv e r s a l f

ze de gl’ordini »^L Questo avvicinamento al concetto di proporzione mette in luce come per

Solo dopo lunghe premesse appare la prima tavola (fig. i), che illustra come costruire le for­

Scamozzi la proporzione tra le parti costituisca di per se stessa una proprietà fondamentale per

me geometriche, come ottenere le aree di figure complesse e la quadratura dei cerchi. Tracciando

la buona architettura, che si può ottenere solamente attraverso la conoscenza da parte dell’ar­

un parallelo con le prime pagine dei Quattro Libri di Andrea Palladio, è già possibile notare

chitetto di alcuni principi fondamentali.

le sostanziali differenze che allontanano i due

L’architettura infatti « si serve in astratto del numero, delle grandezze, delle forme, delle

trattati : Palladio inizia con l’esame dei materiali

materie, de’ motti naturali, degli artificiali, e delle altre parti per via della speculatione : e si

costruttivi, con testi scarni e l’utilizzo di sempli­

serve ancora della quantità discreta, della continoua, e delle proportioni, e corrispondenze ; in

ci schemi grafici; quanto di più lontano dalle

que’ modi à punto, che fa il Mathematico, &C il Fisico, e Metafisico : anzi appropinquasi tanto

pagine dello Scamozzi, che si dilunga invece in

alle prime, che dove quelle finiscono, essa Architettura prende i suoi principi], & indirizza i

dotte disquisizioni di matrice storico-teorica. All’esposizione teorica dei fondamenti del­

suoi felici progressi ; onde perciò gli Antichi [...] la chiamarono Scienza, e la posero nel genere delle Matematiche

la geometria segue, nel trattato scamozziano,

Il ruolo dell’architetto diventa così essenziale nella prima fase - speculativa - del processo

un capitolo di grande importanza, intitolato

costruttivo : è lui che deve « inventare e disegnare » l’edificio e disporre e distribuire ogni cosa

« D ell’eccellenza delle forme naturali, e pro­

con « corrispondenza e ordine » al fine di ottenere le caratteristiche tanto desiderate di venustà

portioni del corpo umano [...] »^°. Proponendo

e decoro. E dunque in quella che Scamozzi definisce 1’« idea » dell’architetto che si concentra la

ancora una volta il binomio teoria-esperienza

buona riuscita dell’opera'^^.

sensibile, Scamozzi passa alla trattazione della

L’architetto deve possedere molte virtù, nobiltà d’animo e sfuggire i vizi, applicarsi con im­

manifestazione in natura delle forme. L’apice

pegno nello studio e apprendere i fondamenti delle scienze e di tutte le belle arti. Dev’essere do­

della perfezione è toccato dal corpo umano,

tato di un bell’aspetto e conoscere molte discipline - come del resto ritiene lo stesso Vitruvio - ed

considerato per vari aspetti suprema meraviglia,

essere perito nel disegno. Deve però conoscere i materiali da costruzione e le pratiche del mestiere.

in particolare « per la proportione, e corrispon­

Deve infine poter disporre di beni propri, che gli permettano di affrontare le spese per gli studi e

denza di tutte le sue parti, e membra interne

i viaggi, questi ultimi ritenuti necessari alla sua formazione^*.

& esterne »^L II tema di matrice platonica della

I primi concetti che l’architetto deve apprendere, che costituiranno la base sulla quale impo­ stare il proprio sapere, attengono alla geometria e alla matematica. Si come il puro Mathematico [...] specula i termini delle linee, de gli angoli, delle forme, delle superficie, e de’ corpi; così semplicemente del tutto estratti dalla materia [...] : così è proprio dell’Architetto, e non d’alcun altro, dapoi che’egli bavera considerato queste cose nella sua Idea l’andarà disponendo, ordinando, e disegnando in atto ovunque conoscerà, che si convenghino meglio nelle parti de gli edifici publici, e privati^^.

Dell Archircrr. eli \'inc. Scamozzi,

perfezione delle proporzioni del corpo uma­ no e la necessità di utilizzare tali proporzioni come riferimento cardine nella progettazione architettonica trae ancora una volta origine dal trattato di Vitruvio, e venne a costituire - come ampiamente noto - un riferimento essenziale per tutti i più grandi architetti e trattatisti ri­

Ed è proprio sui fondamenti della costruzione geometrica che Scamozzi si addentra nel primo

nascimentali, da Leonardo da Vinci a Cesare

libro, con dovizia di spiegazioni.

Cesariano, Francesco di Giorgio Martini e allo stesso Palladio^ . A questi concetti si ispira la seconda tavoj i i ’ rj (C. \T> J 1 k acììldea (ne. 2). Larchitetto deve creare le °

Fig . 1

Tavola sulla costruzione delle figure geometriche, da Vincenzo Scamozzi, L’idea della architettura universale, 2 vols, Venezia, Valentini, 1615 (riproduzione facsimile VeronaA'^icenza, Centro Internazionale di Studi di , . r, n jxt Architettura Andrea Palladio, 1997), I, p. 32.

25

Ihid., I,

p. IO.

30

Ib id , I, p. 37-43.

26

Ihid., I,

p. II.

31

Ib id , I, p. 38.

27

Ibid., I, p. 11-12.

28

L. Puppi, « “Questa eccellente professione” ... », art. cit., p. 11-13,17-18.

vienne sur l’homme parfait {De architectura. III, i, 2-3) », Annali di architettura, XIII, 2001, p. 15-24; Oswald

29

V. Scamozzi, L ’tiiea della architettura universale. ... op. cit., I, p. 29.

M . Ungers, « “O rdo, pondo et mensura” : criteri architettonici del Rinascimento », in Henry M illon & Vittorio

32

Per un’introduzione di carattere generale si veda Pierre Gros, « La géométrie platonicienne de la notice vitru-

M agnago Lampugnani (eds). Rinascimento da Brunelleschi a Michelangelo. La rappresentazione dell’architettura, M ilano, Bompiani, 1994, p. 306-317, cui si rimanda per ogni ulteriore riferimento.

430 P einture & architecture

P einture & architecture | 431

Laura M oretti

Il

proprie « inventioni » e tracciare i propri disegni in modo da imitare la natura, e in particolare

Id

ea

d e l l 'a r c h i t e t t u m

u n iv e r s a l e

per la lunga esperienza teniamo quest’ordine di far le stanze d’una di queste cinque proportioni, e massime ne’ piani principali delle fabriche reali, e di qualche importanza; cioè d’un quadro perfetto della loro lar­ ghezza, ne siano meno di XVI piedi, per raccomodarvi i letti, ne al più XX le quali si possono ridurre in otto faccie, & anco rotonde, pure, overo con Nicchi] ne gli anguli ; mà e queste, e quelle sono poco acconcie per accomodarvi letti da dormire. Poi d’un quadro, & un quarto : e d’un quadro, e mezo, & anco d’un quadro, e tre quarti, e le maggiori fino à due quadri ; mà che non cedino questa lunghezza ; perchè allhora haverebbono più tosto delle Sale, delle Gallerie, e luoghi da passeggio, che delle stanze per habitare’L

il corpo umano, meraviglia della proporzione. L’edificio infatti deve presentare parti ben pro­ porzionate « convenevoli, e corrispondenti al tutto, e che possano servire al bisogno [...];

concetto di proporzione nell ’

in

modo che facciano bella armonia »^L V i è dunque nella costruzione un aspetto pratico, quello di « servire al bisogno », ma anche — e non di minor importanza - un aspetto teorico cui attiene il concetto di proporzione.

40

Dell’Architett. di Vine. Scamozzi,

Se nel primo libro giungiamo fino a questo li­

Risulta importante notare che questo testo è inserito

vello di definizione del concetto che qui ci interessa

in un lungo capitolo riguardante i vari ambienti delle

approfondire, all’inizio del terzo libro - che tratta

abitazioni, dove, oltre a quelli poc’anzi citati, Scamozzi

degli edifici privati — si procede poco a poco verso il

fornisce una grande quantità di suggerimenti — sicura­

nocciolo della questione :

mente preponderanti nell’economia del testo rispetto

L’edificio non è altro, che la costruzione di un corpo artifi­ ciato ; mà di forma eccellente, e non manchevole d’alcuna parte convenevole à corpo perfetto, e che nel suo genere contenga tutto quello, che se le ricerca, e c’habbia maestà, e rappresenti la specie sua grata alla vita nostra : onde nè risulta la bellezza, che viene ad esser quella leggiadria, e venustà, che noi sovente scorgiamo, con ammiratione : il che non è altro, che una eccellente dispositione delle parti convenevoli à tutta la forma, la quale specialmente nelle superficie, e corpi d’Architettura è prodotta dalla proportione de’ Moduli, e dalla corrispondenza delle misure^“*.

Fig , 2

Tavola sulla costruzione delle figure geometriche e sulle proporzioni del corpo umano, da V. Scamozzi, L’idea della architettura universale..., op. cit., I, p. 40.

la migliore esposizione rispetto al sole e ai venti, il

432 I P einture & architecture



V tfu iC a u iiè L u iiiiu J tli.ty '

LD'uitjufli/r?.

ìl.Dun(JUadn.equarte. ìllDun^uaJreemno.

tutto al fine di conferire alla casa le migliori caratteri­ sottolineare, qui in particolare ma che riassume in sè tutto il percorso progettuale dello Scamozzi, è l’acco­

quotidiano. Questi diversi aspetti fanno dell’opera di

stanze nelle abitazioni (procedimento che, ricordo,

architettura un organismo complesso, che va valutato

Wittkower definisce come troppo semplicistico e

sia in rapporto a se stesso, sia rispetto a tutto ciò con

manipolatore di precetti palladiani) (fig. 3) :

cui entra il relazione, come ad esempio : il sito dove

Ibid., 1, p. 220.

1

stiche di vivibilità. Quello che mi sembra importante

più chiaro quando descrive come dimensionare le

V. Scamozzi, L ’idea della architettura universale..., op. cit., 1, p. 78.

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a ogni tipo di ambiente nel complesso dell’edificio,

ni con ampie trattazioni di temi riguardanti il vivere

33

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danti il buon uso delle stanze, la posizione da riservare

Cosa intenda Scamozzi con tali definizioni diventa

34

■ nm: attftttf proportioni dille st.^nze PRlNC.

a questi precetti di carattere dimensionale - riguar­

stamento di precetti riguardanti forme e proporzio­

Hora passaremo alle proportioni delle stanze : la lun­ ghezza (come dice Vitruvio) fu cavata dalla loro larghezza, e parimente da questa, è da quella ritrovarono le altezze. Perchè essi usavano le stanze quadre, perfette per ogni verso, e face­ vano la loro altezza il terzo più : overo di due quadri, à quelle facevano le Volte à Velia, ò sia à Catino, ò à Cupola depres­ sa, & à queste più lunghe, una crocciata nel mezo, & anco due crocciare di volte; ò finalmente lefacevano lunghe per la diagonale del quadrato, che divengono come d’un quadro, e mezo : alle quali assegnavano poi le volte à selce, ò vero a botte, & anco à conca : e le loro altezze per lo meno, le fe­ cero della larghezza delle stanze fino alla curvatura delle vol­ te nane, e de’ soffitti, & al più posto insieme, la metà della larghezza, e della lunghezza, e di questa facevano le loro altezze. Noi da quello, che ne dice così ristrettamente Vitruvio, e per quanto habbiamo potuto osservare nelle fabbriche antiche, e

Deir Architett. di Vine. Scamozzi,

310

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deve sorgere, le necessità d’uso, le esigenze del com­ mittente, e così via. M i sembra a questo punto interessante sottoli­ neare lo scarso rilievo dato nelle pagine àt\^Idea al

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tema delle proporzioni armonico-musicali e del ri­

99 ìt

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corso al loro utilizzo nel processo di progettazione ar­ chitettonica al fine di stabilire rapporti dimensionali fra misure lineari. Altro fondamentale topos dell’arte e dell’architettura rinascimentale derivato da precetti vitruviani di matrice aristotelico-platonica, a questo

F ig . 3

Tavola sul proporzionamento delle stanze principali nelle abitazioni, da V Scamozzi, L’idea della architettura universale..., op. cit., I, p. 310.

specifico soggetto - verso il quale pure Palladio aveva dimostrato un certo interesse - non viene esplicita-

35

Ibid., I, p. 308.

P einture & architecture | 433

Il

Laura M oretti

concetto di pro po rzio ne nell ’

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u n iv e r s a l e

mente assegnata particolare enfasi nel testo di Scamozzi^^. Tale mancanza di attenzione aH’interno di un corposo trattato originato da intenti dichiaratamente antologici, prodotto nell’ambito dello stesso contesto culturale e geografico, e pubblicato appena 45 anni dopo i Quattro Libri quale frutto di una riflessione durata oltre un quarto di secolo, mi sembra che possa contribuire a dare un minor peso specifico all’interesse verso questo tema - rispetto a quanto rilevato dalla mag­ gior parte della critica da Wittkower a oggi - anche nell’opera palladiana, come del resto emerge anche dai più recenti contributi storiografici volti all’analisi delle architetture costruite dal grande maestro viste in rapporto con la sua opera teorica^^. È poi nel sesto libro - riguardante gli ordini - che il concetto di proporzione viene trattato da Scamozzi in maniera più approfondita : La proportione è [...] una Analogia, e comparatione di due cose, ò simili, ò dissimili; e de qui è, che le proportion! non sono così facili da essere intese da tutti : perchè stanno propriamente nella corrispondenza delle parti, e nella proprietà, e forma delle membra, che si convengono ad esse. Laonde à quelli che desiderano di effettuar questo ; fa bisogno l’intelligenza delle Matematiche : perchè dà esse si perviene alla cognitione delle proportion!, e proportionalità de’ Numeri, e pari­ mente delle linee’*.

La costruzione deve seguire precise regole di proporzionalità rispetto al modulo, « perchè nell’Ar­ chitettura il Modulo, ò grossezza della colonna, e misura con la quale si viene in cognitione delle proportion!, e corrispondenza delle parti di tutto il corpo dell’edificio Scamozzi dedica alla trattazione degli ordini architettonici ben 172 pagine, tra le quali inse­ risce molti disegni estremamente dettagliati, nelle quali descrive gli elementi di cui si compongo­ no - come del resto avevano fatto i suoi predecessori - , e mette in relazione tra loro i vari ordini

Fig . 4

(fig. 4). Non considera l’opera rustica come un vero e proprio ordine, e quindi non la aggiunge alla serie, e chiama « romano » quello che usualmente viene chiamato ordine « composito

Tavola sul proporzionamento degli ordini architettonici, da V Scamozzi, L ’idea della architettura universale..., op. cit., II, p. 34-35.

Analizza innanzitutto ogni elemento costitutivo, dal piedistallo alla trabeazione, poi passa a illu­ strare intercolumni, pilastri, porte e finestre, compiendo dotte disquisizioni etimologiche e con­ siderazioni su forme e proporzioni.

Tratta poi nello specifico ogni ordine, proponendo per ognuno quattro serie di tavole raffi­ guranti le versioni con e senza piedestalli, con colonne isolate e addossate a pilastri, per le quali dimensiona anche intercolumni e vani tra pilastri. La materia, che in Serlio era esposta in modo 36

Sul tema dell’utilizzo delle proporzioni armoniche in arte e architettura si veda, come introduzione di carattere

discontinuo, viene qui sviluppata con metodica sistematicità. Palladio tratta solamente due grup­

generale, Peter Vergo, That Divine Order. Music and the Visual Arts from Antiquity to the Eighteenth Century,

pi di soluzioni, uno con colonne isolate senza piedistallo e l’altro con colonne addossate a pilastri

London, Phaidon Press, 2005, con ulteriori riferimenti bibliografici. Si veda, ad esempio, V. Scamozzi, L ’idea della architettura universale..., op. cit., I, p. 308-309, la parte in cui vengono stabilite le proporzioni da tenersi

37

con piedistallo. Per quanto riguarda Vitruvio, Scamozzi afferma senza mezzi termini che gli or­

nella progettazione delle stanze delle abitazioni. N on vi è alcun riferimento a questo tema, nemmeno rivolto ad

dini descritti nel De architectura spesso difettano in proporzione e bellezza, mancando a Vitruvio

architetti del passato. Questo atteggiamento risulta piuttosto singolare visto nell’ottica delle frequenti citazioni

la conoscenza diretta delle architetture greche ed essendo vissuto prima che venissero realizzati

e riferimenti di Scamozzi alle architetture, agli artisti e ai teorici che lo hanno preceduto.

i migliori esempi di architettura romana“^*. Scamozzi esplicitamente giudica un errore dei propri

Si veda supra, nota 3. A questi testi si rimanda per ogni ulteriore riferimento. Ancora alla fine del Cinquecento Giovan Paolo Lomazzo riprende queste teorie nei suoi due trattati sulla pittura, pubblicati nel 1584 e nel 1590.

predecessori - tra i quali cita Palladio - quello di essersi riferiti al modello vitruviano^^.

Si veda Peter Vergo, That Divine Order..., op. cit., p. 194-198.

38

V. Scamozzi, L ’idea della architettura universale..., op. cit., II, p. 140.

39

Ibid., I, p. 47.

41

Ibid., II, p. 14.

Ibid., II, p. 3.

42

Ib id , II, p. 16-19.

40

434 I P einture & architecture

P einture & architecture | 435

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A varie norme vitruviane, quali per esem­ pio quelle sulle proporzioni delle trabeazioni io­ A>PLirn U t L

COLONNATO KJMCO

niche o sulla riduzione degli ordini sovrapposti,

Fi g . 6

Scamozzi preferisce riferirsi a esempi dell’antichità, citati con dovizia di particolari. Il crite­

Tavola sull’ordine ionico, da V. Scamozzi, L’idea della architettura universale..., op. cit., voi. II, p. 98.

rio più sicuro cui riferirsi è l’imitazione della natura : il dorico, per esempio, deve possedere una base, sia per coerenza con gli altri ordini ma anche per il fatto che non esistono uomini senza piedhL Quest’ultima osservazione, che può farci sorridere, viene suffragata da dotti esempi anti­ chi di dorico con base, e dal consiglio di segui­ re l’esempio di Bramante, come già aveva fatto Serlio'^. I principali obiettivi di Scamozzi sono la convenienza, l’omogeneità, la coerenza di forme e proporzioni di ogni dettaglio nei riguardi del tutto, e di ogni ordine rispetto alla serie. Nessun elemento, nemmeno il più minuto, può avere una proporzione arbitraria. Si riportano come esempio le tavole re­ lative all’ordine ionico (fig. 5-8). Esula dagli obiettivi del presente contributo l’analisi pun­ tuale dei rapporti dimensionali adottati dallo Scamozzi, che pure meriterebbero uno studio accurato. M i sembra però interessante notare

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