Pollutions chimiques accidentelles du transport maritime
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Pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Pollutions chimiques accidentelles du transport maritime Michel Girin et Emina Mamaca

Éditions Quæ

Collection Matière à décider Risques et impacts des retenues d’altitude André Evette, Laurent Peyras, Dominique Laigle 2009, 32 pages Données économiques maritimes françaises 2009 Sous la responsabilité scientifique de Régis Kalaydjian 2010, 144 pages

Éditions Quæ RD 10 78026 Versailles Cedex, France

© Éditions Quæ, 2010 ISBN : 978-2-7592-0604- 9 ISSN : 2105-8830

Le Code de la propriété intellectuelle interdit la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Le non-respect de cette disposition met en danger l’édition, notamment scientifique, et est sanctionné pénalement. Toute reproduction, même partielle, du présent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC), 20 rue des Grands-Augustins, Paris 6e.

Préface Il en est des livres comme des visiteurs. Certains viennent trop tôt, quand on n’est pas encore prêt à les recevoir, et ils dérangent. Certains viennent trop tard, quand on n’en a plus grand usage. Certains enfin viennent à leur heure, au moment précis où on en a besoin. C’est le cas de cet ouvrage. Nous sommes aujourd’hui à l’aube de l’adoption d’un nouvel instrument international majeur, porté une fois de plus à bout de bras par l’Organisation maritime internationale, le Protocole 2010 à la convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses. Cet instrument va générer des changements aussi importants que ceux introduits il y a deux décennies, dans le domaine de l’indemnisation des pollutions par hydrocarbures, par la convention portant création du Fipol. Les pays signataires vont devoir réfléchir, non plus de manière globale, mais au cas par cas, avec la structure de gestion de ce nouveau fonds, à la question fondamentale des limites du raisonnable, en matière de lutte contre les pollutions par les substances chimiques, d’indemnisation des dommages et de restauration des sites et peuplements a=ectés. Cette réflexion ne pourra pas se limiter aux impacts sur l’économie et l’environnement marins, comme c’est pratiquement le cas pour les pollutions par hydrocarbures : il va falloir ici prendre en compte la vie et la santé des intervenants et des populations riveraines, avec des produits susceptibles d’explosion et/ou de production de nuage toxique. Comme il arrive souvent lors de la mise en place d’un nouvel instrument, certains vont a;rmer que toute l’expérience est à construire, que l’on n’a rien acquis sur le sujet jusqu’à maintenant, et mettre tout le savoir qui va s’établir au crédit des nouveaux entrants. Ce serait faire injure à la vérité. Il y a aujourd’hui toute une base de connaissances qui va pouvoir être exploitée. J’y ai moi-même contribué pendant près de deux décennies au rempec, puis dans mes fonctions actuelles. Mais cette base de connaissances n’avait jamais été rassemblée dans un ouvrage de référence. C’est ce manque que vient combler ce livre, et c’est en cela qu’il arrive à son heure, avec un éclairage attentif du retour d’expérience des accidents passés. Le retour d’expérience des accidents passés est un exercice di;cile. Trop prudent, il se cantonne facilement dans le plaidoyer pro domo. Trop incisif, il devient vite instruction à charge. L’approche retenue par les auteurs privilégie la mise en évidence des enseignements que l’on peut tirer de ces accidents, sans porter de jugement, laissant chacun établir ses propres conclusions. Cela fait de cet ouvrage une source d’enseignements précieux pour les gestionnaires, qui pourront y chercher, lors des accidents à venir, des bases solides pour construire leur propre réponse. Stefan Micallef Sous-directeur de l’environnement marin Organisation maritime internationale (omi)

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Remerciements Les auteurs remercient chaleureusement : • Stefan Micallef de l’Organisation maritime internationale pour son aimable préface ; • Jean Croquette pour le soutien financier de l’Ifremer ; • Jean Arbeille des éditions Quæ pour sa confiance ; • Nelly Courtay des éditions Quæ Ifremer Brest pour avoir porté ce projet à bout de bras ; • la Marine nationale, le Cedre, Salvamento Marítimo (Sasemar), le professeur Meinesz (Nice), la noaa et le Grand port maritime de La Rochelle pour la mise à disposition gracieuse de photos originales ; • Natalie Padey, Corinne Caro=, Annie Tygréat et Stéphane Le Floch pour leur contribution à la recherche d’informations et d’illustrations et la relecture de l’ouvrage.

Sommaire Préface Avant-propos

La lutte contre les pollutions La connaissance des produits Les minerais, métaux et sels métalliques Les produits alimentaires et de la filière du bois Les matières premières de fertilisants Les liquides corrosifs Les produits de la pétrochimie Les gaz liquéfiés Les produits conditionnés Le tout conteneurisé Quelques déversements continentaux Les risques et les impacts Les clés de la réponse Pour en savoir plus… Index des navires accidentés Index des produits déversés Index des évènements Crédits des illustrations

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Avant-propos Dans un contexte de croissance quasi continue du transport maritime de produits chimiques de plus en plus nombreux, la question des risques liés a pris ces dernières années une acuité évidente. On ne sera donc pas surpris que le dernier forum de recherche et développement de l’Organisation maritime internationale (omi), tenu au printemps 2009, à Marseille, en association avec la conférence-exposition internationale Interspill, ait eu pour sujet les pollutions chimiques. Ce livre a été construit à partir d’une étude de commande pour l’ouverture d’Interspill, à laquelle nous avons contribué : « Les déversements accidentels en mer de produits chimiques sont-ils plus dangereux que les déversements de pétrole ? » Il a été conçu en premier lieu comme un ouvrage de référence pour les bibliothèques des autorités chargées de la lutte contre ces pollutions, préfectures maritimes pour la métropole, commandements de la Marine pour les départements d’outre-mer, préfectures terrestres de département et de région. Mais, nous l’avons voulu en même temps accessible à tous les publics. Il vise à informer aussi objectivement et aussi précisément que possible sur ce qui est connu à ce jour des pollutions chimiques accidentelles du transport maritime, sur leurs conséquences et sur les moyens de lutter contre elles. Il décrit l’expérience qu’il est possible de tirer des accidents passés, du moins ceux sur lesquels existe une documentation utilisable. Il s’appuie largement sur les travaux et publications de l’Institut français pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et du Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre). L’Ifremer est un interlocuteur incontournable pour tout ce qui touche à la connaissance, à l’usage et à la protection du monde marin. Depuis 1968, son centre de Brest (Centre océanologique de Bretagne du Cnexo avant la fusion Cnexo/istpm en Ifremer) est le fer de lance de la recherche océanologique française. Le Cedre est incontournable pour tout ce qui touche aux pollutions marines accidentelles. En trente ans d’implication permanente dans la recherche, l’expérimentation et le conseil en matière de lutte contre ces pollutions, il a accumulé une expérience sans équivalent ailleurs. Nous avons fait de larges emprunts aux produits de ces deux organismes, d’autant plus naturellement que l’un de nous a été un des pionniers du Cnexo et a dirigé le Cedre pendant treize ans, tandis que l’autre a réalisé sa thèse de doctorat au Cedre et travaille actuellement au centre de l’Ifremer Brest. Les opinions exprimées dans cet ouvrage n’engagent cependant aucun des deux organismes, mais les seuls auteurs. Elles résultent de nos expériences respectives en matière de gestion des pollutions et de leurs conséquences pour l’un, de chimie des polluants pour l’autre.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Il existe aujourd’hui sept ouvrages de référence touchant à la pollution chimique accidentelle des eaux. Deux traitent de pollutions chimiques accidentelles, dans les milieux terrestre, aérien et aquatique, un traité et un guide pratique. Trois gros guides à dominante terrestre sont écrits par et pour les services de sécurité civile. Enfin, deux ouvrages du domaine marin traitent conjointement des pollutions chimiques chroniques et accidentelles, le premier tiré d’un colloque scientifique, le second écrit par des chercheurs, pour des scientifiques. Ces documents sont référencés en fin d’ouvrage dans la section « Pour en savoir plus… ». Dans cet inventaire, on ne trouvera pas d’ouvrage dédié aux pollutions marines accidentelles par produits chimiques, compact et d’un prix accessible à tous, rassemblant les vues de l’opérationnel et du scientifique, s’appuyant sur un retour d’expérience approfondi et écrit dans un langage simple. C’est ce que nous avons voulu produire ici pour ce qui concerne les accidents hors déversements opérationnels.

Les déversements accidentels et opérationnels des navires Le lecteur trouvera dans cet ouvrage essentiellement des relations de déversements accidentels de navires. Ne sont pas pris en compte, sauf pour une comparaison occasionnelle, les déversements opérationnels des navires, comme un lavage de cuves de chimiquier au large, respectant les règles en vigueur, ainsi que les déversements de camions, plates-formes ou tous autres mobiles terrestres et établissements fixes à terre et en mer. Mais la frontière entre accidentel et opérationnel n’est pas toujours facile à tracer. On entendra facilement, dans une audience de pollution marine, le qualificatif « accidentel » appliqué à un déversement ni programmé ni autorisé, y compris si une main humaine a ouvert une vanne par erreur, par volonté de nuire ou pour évacuer en mer, sous le prétexte d’un malencontreux incident, un produit qu’il aurait été coûteux de faire enlever au port par un prestataire de services. La frontière est tout aussi ténue pour les installations fixes en mer, surtout lorsqu’il s’agit de déversement en provenance de navires sur bouée, utilisés comme stockage. Elle est plus claire pour les installations à terre. Sont ainsi exclus de cet ouvrage les épandages à terre et les rejets permanents et autorisés de produits chimiques dans l’eau, sous forme continue ou discontinue (eaux sales de l’industrie, pesticides, etc.).

Ce livre recense, sur les quarante dernières années, moins de quatre accidents chimiques de navires par an à travers le monde, en majorité mineurs, avec des e=ets aussi temporaires que localisés. À peine un accident par an pose des problèmes de pollution graves. Suivant sa sensibilité, le lecteur pourra en conclure que c’est trop, parce que tout accident est de trop, ou que le transport maritime des produits chimiques est somme toute très sûr.

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Avant-propos

En même temps, certains accidents décrits ici interpellent. La cohabitation de produits explosifs, de produits inflammables et de produits comburants dans une même cale, dans des colis mal protégés, est choquante. Qu’un navire chargé de produits chimiques dangereux s’échoue à pleine vitesse sur une plage ou un récif, parce que tout le monde dormait à bord est encore plus choquant. Nous avons choisi de présenter ici les seuls faits, sans points d’exclamation ni jugements de valeur, laissant au lecteur toute liberté de se sentir rassuré, irrité, choqué, voire scandalisé par ce qu’il va découvrir. Mais le fait que notre ton soit neutre n’implique pas que nous adhérions aux insu;sances de la réglementation, voire aux dérives de l’exploitation des navires transportant des produits dangereux. Le ton est neutre, les auteurs ne le sont pas.

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La lutte contre les pollutions Si les pollutions marines accidentelles par produits chimiques ne sont devenues que récemment une préoccupation médiatisée, les pays riverains des grandes voies du transport maritime mondial ont, depuis nombre d’années, entrepris de s’organiser afin de les prévenir dans toute la mesure du possible et de gérer au mieux les conséquences de celles qui n’auront pas pu être évitées. En Europe, cette organisation de la lutte s’est construite sur un système à cinq niveaux complémentaires : • le niveau international, en pratique les textes élaborés et entérinés dans le cadre de l’Organisation maritime internationale ; • le niveau européen, avec les textes élaborés par les directions générales chargées des transports et de l’environnement ; • le niveau des accords pour la protection contre les pollutions des pays riverains de mers régionales ; • le niveau national, avec les textes proprement nationaux et les textes internationaux et européens entrés dans le droit national ; • le niveau local, avec des textes concernant des zones bénéficiant de protections particulières.

Le niveau international Le comité de protection de l’environnement marin de l’Organisation maritime internationale (omi) s’est préoccupé dès les années 1980, suite à plusieurs incidents et accidents de navires, de mettre à la disposition des pays riverains des grandes voies maritimes mondiales des guides pratiques sur la conduite à tenir face à des déversements chimiques. Il en est résulté trois manuels complémentaires : le manuel de premier secours, le manuel d’évaluation et d’intervention, le manuel de recherche et récupération. Le manuel conjoint who/omi/ilo, Medical First Aid Guide for Use in Accidents Involving Dangerous Goods, a été publié en 1982 et réédité en 1985, 1991 et 1994. Il fournit en 164 pages l’essentiel de ce que les équipes d’intervention doivent savoir avant d’approcher un chimiquier en di;culté. Le manuel de l’omi sur la pollution chimique, section 1 « Évaluation et intervention », publié en 1986 puis remanié et réédité en 1999, a quant à lui été conçu pour aider les

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gouvernements à évaluer les risques liés aux déversements de snpd et leur proposer des méthodes d’intervention sûres. Il est illustré par huit études de cas sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Le même manuel, section 2 « Recherche et récupération des marchandises en colis perdues en mer », publié en 1992, propose des critères de choix pour déterminer s’il y a lieu de rechercher de tels objets et des options de récupération ou neutralisation pour les cas où une recherche décidée aboutit. Au plan de la responsabilité et de l’indemnisation, la France a participé, en mai 1996, à l’adoption par l’omi de la convention portant création d’un régime d’indemnisation « International Convention on Liability and Compensation for Damage in Connection with the Carriage of Hazardous and Noxious Substances by Sea (hns) », en français substances nocives et potentiellement dangereuses (snpd). Nous verrons au chapitre suivant ce que sont précisément les snpd. L’important ici est que la convention entrera en vigueur 18 mois après sa ratification par douze États (dont quatre au moins ayant sous pavillon une flotte de deux millions ou plus de tonnes de port en lourd) et sous condition que les opérateurs des États signataires ayant à payer des contributions aient transporté au moins 40 millions de tonnes de cargaisons l’année calendaire précédente. La France est un des quatorze pays signataires de cette convention à la date de rédaction de ce texte. Mais les opérateurs de ces quatorze pays ne remplissent pas la condition de tonnage transporté nécessaire pour l’entrée en vigueur de la convention. De ce fait, à la di=érence des victimes d’une pollution par hydrocarbures, les victimes d’une pollution par produits chimiques n’ont pas encore accès à un système international d’indemnisation et doivent engager une négociation avec le propriétaire du navire, ou une procédure contre lui, pour faire valoir leurs droits. Au plan opérationnel, la France a participé, en mars 2000, à la conférence internationale en matière de préparation et de lutte contre les évènements de pollution par les substances nocives et potentiellement dangereuses, conférence qui a confié à un groupe de travail la charge de préparer le texte d’un projet de protocole sur la préparation, la lutte et la coopération contre les évènements de pollution par ces substances, puis examiné et adopté le texte de ce protocole. La 15e adhésion à ce protocole déclenchait son entrée en vigueur un an après. Elle a été obtenue le 14 juin 2006, déclenchant une entrée en vigueur le 14 juin 2007. La France a été le 18e signataire, le 24 avril 2007. Elle a dûment intégré dans son organisation nationale les obligations de ce protocole, à savoir, en particulier : • la mise en place d’un système national de lutte contre ce type de pollution ; • une information régulière de l’omi sur les accidents de pollution par HNS a=ectant ses eaux (pour la France, cette information est en permanence à disposition sur le site Internet du Cedre) ; • des sessions de formation spécifiques à l’intervention sur pollutions par hns.

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La lutte contre les pollutions

Le niveau européen La Direction générale Environnement de la Commission européenne a créé en juillet 1978 un programme d’action communautaire en matière de contrôle et de réduction de la pollution causée par le déversement d’hydrocarbures en mer, animé par un comité de gestion avec représentation de tous les pays de l’Union. Ce programme avait vocation à soutenir les progrès des pays dans la lutte contre ces pollutions et de contribuer à l’harmonisation des outils et techniques utilisés. Il s’est soucié dès le début des pollutions par produits chimiques et a financé au moins une fois par an, à partir des années quatre-vingt, un atelier, un exercice, une formation ou un projet pilote les concernant. Quand il a créé une task force européenne d’intervention en cas de pollution marine majeure, il l’a conçue couvrant à la fois les pollutions par hydrocarbures et les pollutions par produits chimiques. Un produit des plus utiles et des plus remarquables de ce programme a été la création en 1981 et la mise sur Internet en 1986 d’un site communautaire d’information sur les pollutions marines accidentelles et intentionnelles, présentant les organisations nationales de lutte contre les pollutions marines accidentelles de tous les pays européens, avec accès jusqu’au contact des responsables et aux inventaires des matériels et produits de lutte en stock. Dès le début, ce site a intégré la lutte contre les pollutions chimiques. En janvier 2000, ce programme a laissé la place à un cadre de coopération doté d’un comité de gestion, d’un budget triennal et d’un plan d’action glissant, destiné à compléter les e=orts des États membres, renforcer la coopération et l’assistance mutuelle, améliorer les capacités d’intervention des États. Ce cadre a intégré dans son titre l’expression « déversement accidentel de substances nocives en mer », couvrant à la fois les hydrocarbures et les produits chimiques. La France a été, à travers le Secrétariat général de la mer, le ministère chargé de l’Écologie et le Cedre, un partenaire actif du programme d’action communautaire puis du cadre de coopération. Le Cedre a réalisé dans ce contexte plusieurs études, projets pilotes et formations portant sur la lutte contre les pollutions par produits chimiques. En 2006, l’essentiel des activités du cadre de coopération a été transféré à l’Agence européenne de la sécurité maritime, nouvellement créée (aesm, plus connue sous son sigle anglais emsa), ne laissant qu’un secrétariat chargé de suivre les derniers travaux en cours. La task force européenne a disparu en tant qu’outil du cadre de coopération pour s’intégrer dans le Monitoring and Information Centre (mic) du mécanisme communautaire de protection civile. Ce mécanisme a été renforcé en 2009 par la création de deux unités spécialisées, l’unité « Réponse aux désastres » et l’unité « Prévention et préparation ». En reprenant les formations, ateliers, projets pilotes et exercices, l’emsa a maintenu la préoccupation concernant les produits chimiques. En 2007, lors d’un atelier sur ce

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sujet, l’Agence a exprimé l’intention d’établir une liste des cent produits les plus transportés et de faire rédiger des guides de lutte contre les déversements de ces produits. La même année, elle a publié un plan d’action pour la préparation à la lutte et la lutte contre les pollutions par snpd (cf. table des matières, ci-contre), qui a;rme une intention nette de soutenir, compléter et fédérer les initiatives nationales, sans dupliquer ce que les pays font déjà. En 2008, dans le cadre de ce plan d’action, l’emsa a signé avec le Cedre et le Conseil européen de l’industrie chimique (Cefic) une convention dénommée mar-ice, qui étend au monde maritime les services du réseau européen ice (European Transport Emergency Response Scheme) d’information sur les produits chimiques impliqués dans un accident de transport terrestre. Le service mar-ice est assuré à travers un point d’accès unique pour l’ensemble des pays européens, la Permanence Intervention du Cedre.

Le niveau des mers régionales Les pays riverains de la plupart des mers régionales ont signé depuis plus ou moins longtemps, souvent sous l’égide de l’omi, des accords ou conventions pour la protection de ces mers contre les pollutions marines accidentelles et intentionnelles. La France est ainsi partie prenante : • pour sa façade Manche-mer du Nord, de l’accord dit « de Bonn », couvrant l’ensemble de la Manche et de la mer du Nord ; • pour sa façade Atlantique, de l’accord dit « de Lisbonne », couvrant l’ensemble Atlantique Est, de la frontière franco-belge à la frontière mauritano-marocaine, accord qui tarde à entrer pleinement en vigueur pour des problèmes d’entente sur sa limite sud ; • pour sa façade méditerranéenne, de la convention dite « de Barcelone », couvrant l’ensemble de la Méditerranée, dans le cadre de laquelle l’omi a mis en place un Centre régional méditerranéen pour l’intervention d’urgence contre la pollution marine accidentelle (rempec). • pour les Antilles françaises et la Guyane française, de la convention dite « de Carthagène », couvrant l’ensemble de la Caraïbe, dans le cadre de laquelle l’omi a mis en place un Regional Marine Pollution Emergency Information and Training Center for the Wider Caribbean (rempeitc/carib). Deux de ces initiatives, l’accord de Bonn et le rempec, ont pris très sérieusement en compte le problème des pollutions par produits chimiques. L’accord de Bonn a intégré les produits chimiques dans son manuel de lutte contre les déversements accidentels en mer et il traite tout autant des déversements de produits chimiques que des déversements d’hydrocarbures lors des réunions annuelles de son groupe de travail chargé des questions opérationnelles, techniques et scientifiques concernant les activités de lutte contre la pollution (otsopa).

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La lutte contre les pollutions

Table des matières du plan d’action de l’EMSA sur les pollutions chimiques du transport maritime

© Agence européenne de la sécurité maritime

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Le rempec est allé plus loin. Non content de traiter des déversements de produits chimiques tout autant que des déversements d’hydrocarbures, il a mis en ligne sur son site Web un Système intégré d’information méditerranéen et d’aide à la décision (midsistrocs), développé dans le cadre du Plan d’action pour la Méditerranée (pam), en vue de fournir aux États côtiers un outil d’aide à la décision en cas de pollution marine impliquant des substances nocives et potentiellement dangereuses (snpd), ainsi que certains types de pétrole brut et produits ra;nés.

Le niveau national Le texte fondateur de l’organisation française de prévention, de préparation à la lutte et de lutte contre les pollutions accidentelles du milieu marin est la circulaire du même nom, en bref circulaire Polmar. Les dispositions de cette circulaire, qui s’appliquaient dans ses premières versions aux seules pollutions par hydrocarbures en provenance de la mer, ont évolué au fil du temps, pour intégrer les pollutions de toutes origines et de toutes natures. Sa dernière version, en date du 17 décembre 1997, s’applique ainsi aux « hydrocarbures ou produits toxiques », que l’origine de la pollution soit marine ou terrestre. Spécifiques à l’origine (on parlait alors d’activation du « plan Polmar »), les dispositions de la circulaire font, depuis 2008, partie intégrante de l’organisation générale des secours (Orsec). Ce sont des dispositions opérationnelles : elles traitent de la préparation à l’intervention et de l’intervention, laissant aux ministères concernés la charge d’organiser l’indemnisation des victimes et la sanction des fautes éventuellement commises. La circulaire confie aux préfets maritimes la responsabilité de la préparation à la lutte en mer et aux préfets de département celle de la préparation à la lutte à terre. À ce titre, chaque préfet maritime doit tenir à jour un plan Polmar-Mer, chaque préfet de département un plan Polmar-Terre, maintenant volet Polmar du plan Orsec départemental. Les uns et les autres doivent organiser des exercices périodiques, impliquant tous les services concernés. En situation de pollution, les uns et les autres assurent de même la direction des opérations de lutte, à cela près que le préfet de région peut prendre la coordination interdépartementale, voire la coordination terre-mer, lorsque plusieurs départements sont touchés. Les interdictions de pêche ou de commercialisation de produits de la mer, en situation de pollution, sont du ressort des services départementaux des A=aires maritimes, services déconcentrés de l’État, sous l’autorité des préfets de département. Les préfets maritimes et terrestres disposent d’un droit de tirage permanent auprès d’un même conseiller technique, le Cedre. Comme on le verra à travers ses guides d’intervention face à divers polluants chimiques et comme on pourra le préciser en visitant son site Internet (www.cedre.fr), le Cedre mène une activité permanente de recherche,

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La lutte contre les pollutions

documentation et d’expérimentation sur les polluants chimiques, moins importante certes que son activité sur les hydrocarbures, mais néanmoins notable. Tous les plans Polmar métropolitains et d’outre-mer incluent donc des dispositions spécifiques aux pollutions par produits chimiques. Les stocks de matériel de lutte sont gérés pour la mer par le Centre d’études pratiques de lutte antipollution (Ceppol), organisme de la Marine nationale, et pour la terre par les services départementaux de l’Équipement. Ils comprennent des équipements adaptés à la lutte contre les déversements chimiques : combinaisons de protection, sur-fûts, drone de mesures, etc. Des formations spécialisées sont dispensées par le Cedre.

Le niveau local Les textes Polmar ne fixent pas de domaine de responsabilité des autorités régionales ou départementales dans la lutte contre les pollutions accidentelles par produits chimiques. Mais la dernière mouture de l’instruction Polmar recommande aux préfets, lors de la mise à jour des plans départementaux, de se rapprocher du département ou de la région pour déterminer ensemble leur meilleure contribution possible à la lutte. Ces dispositions sont propres à la France, chaque pays européen s’étant choisi une organisation adaptée à ses besoins et capacités. Ainsi, en Espagne, la lutte en mer est gérée par Salvamento marítimo, société d’État sous tutelle du ministère de l’Équipement et des Transports, alors que la lutte sur le littoral est une responsabilité des régions (Autonomías). Par ailleurs, quelle que soit l’importance de la pollution, le maire reste en France le premier responsable de la lutte sur le territoire de sa commune. Enfin, des dispositions spécifiques aux polluants et aux pollutions de toutes natures se rencontrent dans les textes fondateurs de réserves marines locales et régionales (disposition sur les déchets dans les statuts de la réserve marine des Lavezzi, par exemple), des ports et des terminaux.

Les leçons des études de cas Comme signalé plus haut, le manuel de l’OMI sur la pollution chimique, section 1 « Évaluation et intervention » est illustré par huit études de cas. Ces cas sont présentés comme des situations typiques, imaginées à partir de cas réels, qui ne sont pas identifiés dans le manuel. On y trouve : • un gazier, coulé par 82 mètres de fond avec 1 300 tonnes de chlorure de vinyle monomère, à 15 milles d’un port, ce qui entraîne la décision de remonter l’épave à 30 mètres de profondeur, transférer la cargaison sur un autre navire, puis renflouer l’épave lège ;

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• un chimiquier, coulé avec 547 tonnes d’acrylonitrile et 500 tonnes de dodécylbenzène, à 52 milles de la côte, près d’une zone de fort passage, situation qui conduit à la décision de remonter le navire sur une barge et à pomper l’acrylonitrile, puis, après échec de l’opération et cassure du navire, à pomper au fond l’acrylonitrile restant avant de couper le navire en deux et de relever les morceaux ; • un chimiquier dont une citerne perd 230 tonnes de son chargement de 310 tonnes de styrène monomère, situation qui conduit à transférer le reste de cargaison dans une autre cuve, à tenter sans succès de récupérer du styrène polymérisé en entourant le navire de barrages et à mettre en place un suivi de l’évolution du goût des coquillages de la zone ; • un chimiquier coulé avec 549 tonnes d’acrylonitrile et 3 013 tonnes de chlorure d’éthylène, par 110 mètres de fond, à 16 milles de la côte, déformé par le choc et laissant fuir de l’acrylonitrile, situation qui conduit à colmater la fuite, puis à pomper en place ce qui peut l’être des deux produits ; • un porte-conteneurs ayant perdu plusieurs conteneurs dans un abordage en estuaire, dont un conteneur chargé de 16 tonnes de pentachlorophénol (pcp), en sacs papier de 23 kilogrammes et trois réceptacles d’acide bromhydrique, situation qui conduit à évacuer 73 résidents d’un village voisin, mettre en place une zone d’exclusion, rechercher les conteneurs perdus, retrouver et récupérer les réceptacles d’acide bromhydrique, constater que les sacs en papier, éparpillés au fond, sont dégradés, mettre en place un chantier de récupération par suceuse de boues chargées en pcp, puis un chantier de traitement de ces boues ; • une barge ayant heurté une pile de barrage et perdu une partie des 450 tonnes de chlore liquéfié contenues dans quatre citernes, situation qui conduit à un arrosage par jet d’eau à haute pression pour maîtriser la direction prise par le nuage toxique se déplaçant à ras de terre et à transférer le reste de la cargaison dans une autre barge ; • une fuite de 180 tonnes d’ammoniac anhydre suite à une rupture de conduite au cours du déchargement, avec enveloppement du navire et du quai par un nuage toxique, situation qui conduit à pulvériser de l’eau pour accéder à la vanne d’arrêt sur le navire, puis à découvrir deux morts après dispersion du nuage toxique ; • un navire chargé de marchandises multiples, dont un millier de tonnes de 23 substances dangereuses, échoué en flammes dans une baie, avec perte de 23 membres d’équipage, situation qui conduit à décharger ce qui subsiste des marchandises dangereuses, dans des conditions techniques extrêmement di;ciles et psychologiquement tendues. Naturellement, toutes ces opérations s’accompagnent de suivis de l’évolution des pollutions aérienne et aquatique. On reconnaîtra facilement certains de ces cas anonymes dans des exemples que nous donnons plus loin. Tels que sont les scénarios, ils mettent en évidence, d’une part, que la préoccupation immédiate et prioritaire de l’autorité responsable doit être le risque de nuage toxique, et, d’autre part, qu’une fois le produit déversé en mer, il n’est plus récupérable dans l’état actuel de la technique, ce qui rend d’autant plus nécessaire, en cas de naufrage, le pompage dans l’épave.

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La connaissance des produits À chaque accident de chimiquier ou de porte-conteneurs, les autorités responsables de la lutte contre les pollutions du transport maritime se préoccupent immédiatement du risque d’explosion ou de nuage toxique susceptible d’affecter les sauveteurs et, en cas d’acceptation dans un port-refuge, les populations riveraines. Puis, très vite, s’ajoutent les questions du risque d’empoisonnement des consommateurs de produits de la mer et du risque de catastrophe écologique à plus ou moins court terme. Les médias font monter la pression. N’est-ce pas potentiellement pire qu’une marée noire ? N’est-ce pas d’autant plus grave que, à la différence du pétrole, c’est souvent invisible ? Certes, il n’y a pas de nappes noires et gluantes d’hydrocarbures à la dérive en surface. Mais pour être moins évidente, la pollution n’est peut-être pas moins grave. Alors, comme beaucoup de produits chimiques sont plus ou moins cancérigènes, on en arrive vite à parler de « cancer sous la mer ». Pourtant, à ce jour, aucun déversement en mer de produits chimiques n’a demandé d’opérations de lutte ni provoqué de dommages d’une dimension comparable à ce qui s’est rencontré dans de grandes marées noires, comme celles de l’Amoco Cadiz (Bretagne, 1978), de l’Exxon Valdez (Alaska, 1989), de l’Aegean Sea (Galice, 1992), du Braer (Shetland, 1993), du Sea Empress (pays de Galles, 1996), de l’Erika (Bretagne, Pays de la Loire, Vendée, 1999) ou du Prestige (Galice, côtes cantabriques, Aquitaine, 2001). Seuls quelques déversements en rivière de grands volumes de boues minières, suite à des ruptures de digues de bassins de stockage contenant les déchets de dizaines d’années d’exploitation, comme à Aznalcollar (Espagne, 1998) ou à Baia Mare (Roumanie, 2000), ont entraîné des opérations de lutte comparables.

Produits chimiques et SNPD À côté des déversements d’hydrocarbures, les « marées noires » dans leur forme la plus grave, il y a eu au cours des dernières décennies de multiples déversements accidentels de produits reflétant toute la diversité de ce qui est transporté. L’Organisation

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maritime internationale rassemble nombre d’entre eux sous l’appellation de substances nocives et potentiellement dangereuses (snpd), en anglais Hazardous and Noxious Substances (hns). Cette appellation exclut, d’une part, les hydrocarbures bruts et les coupes pétrolières, et, d’autre part, les macrodéchets naturels (bois flottés) et industriels (flacons, sacs plastique, etc.), pour réunir tout ce qui est produits chimiques nocifs ou produits susceptibles de se dégrader en libérant des composés chimiques nocifs. Cela intègre des produits aussi divers que des acides minéraux, comme l’acide sulfurique, des composés issus de la pétrochimie, comme le toluène, des sels métalliques, comme le sulfure de zinc et des produits alimentaires susceptibles de dégager des produits nocifs en se dégradant dans l’eau, comme le blé. C’est cet ensemble de produits qui est pris en compte ici, en contrepoint du pétrole et des coupes pétrolières.

Risques et dangers de pollution Tout déversement accidentel en mer ou au port de produits dangereux (ou potentiellement générateurs de produits dangereux) est susceptible de causer une pollution. Nous retiendrons ici, comme définition de la pollution, celle proposée par le Conseil sur la qualité de l’environnement de la Maison Blanche en 1965, telle qu’elle est citée par Ramade en 1998 : « La pollution est une modification défavorable du milieu naturel, qui apparaît en totalité ou en partie comme un sous-produit de l’action humaine, au travers des e=ets directs ou indirects altérant les critères de répartition des flux de l’énergie, des niveaux de radiation, de la constitution physicochimique du milieu naturel et de l’abondance des espèces vivantes. Ces modifications peuvent a=ecter l’homme directement ou au travers des ressources agricoles, en eau et en produits biologiques. Elles peuvent aussi l’a=ecter en altérant les objets physiques qu’il possède ou les possibilités récréatives du milieu. » Toute personne à la recherche d’informations sur ces sujets pourra se tourner vers une source essentielle, le Cedre, déjà cité plus haut. Son service d’intervention répond 24 heures sur 24 aux interrogations des responsables opérationnels de la sécurité civile et des préfectures terrestres et maritimes, chargés de coordonner la lutte contre les pollutions accidentelles des eaux. Le Cedre est aussi la mémoire des accidents passés, le formateur et le conseiller des services opérationnels sur les risques, les dangers et les options de lutte. Nous avons fait ici, avec son autorisation, de larges emprunts à son site Web et à sa collection de guides opérationnels, disponibles en version papier et téléchargeables gratuitement en version électronique.

22

La connaissance des produits

Profil de risque et profil de danger Toute substance potentiellement polluante présente un profil de risque et un profil de danger. Le profil de risque est fonction de l’évolution du produit dans l’eau : il peut se dissoudre, flotter ou couler, s’étaler en nappes, s’émulsionner, s’agglomérer en boulettes. Le profil de danger est une fonction directe des propriétés physico-chimiques du produit. Celui-ci peut par exemple être explosif, cancérigène en cas de contact avec la peau ou les muqueuses, mutagène, toxique par inhalation, etc. Le profil de risque d’un produit alimentaire comme le blé est lié au fait que sa décomposition est génératrice d’un gaz nocif, l’hydrogène sulfuré, producteur d’acide sulfurique au contact de l’eau. Son profil de danger se limite à l’effet purement mécanique d’un ensevelissement de la faune et de la flore du fond sous une couche épaisse de la céréale.

À la date de rédaction de cet ouvrage, le Cedre dispose d’une collection de 61 miniguides d’intervention chimique publiés en 1990. Il a lancé en 2004 une collection de guides plus détaillés qui compte 13 titres. Chacun des guides comporte, pour la sécurité des intervenants et pour les premiers soins à d’éventuels blessés trouvés sur site : • en première information, sur la couverture, le numéro onu du produit (identification) et ses classifications Union européenne (danger pour l’homme), Marpol (risques en cas de déversement en mer) et sebc (Standard European Behaviour Classification, comportement dans le milieu naturel) ; • en récapitulatif d’entrée, une page « Ce qu’il faut savoir sur le produit » ; • en premier chapitre, les données de première urgence, depuis le premier secours jusqu’aux précautions de manipulation, transport et stockage ; • au troisième chapitre, après des exemples de déversement, une page de recommandations relatives à l’intervention, une page de choix des équipements de protection individuelle et une demi-page sur les techniques et appareillages de mesure. Il y a donc dans ces guides toute la matière nécessaire à l’évaluation des risques avant l’intervention, à la prise de toutes les mesures de précaution et de protection possibles, à la surveillance et à l’échantillonnage du risque accepté. À la demande de plusieurs de ses partenaires, le Cedre a lancé en 2009 un nouveau produit, des fiches de 4 pages résumant l’essentiel de l’information disponible dans les guides. Il est envisagé de produire sur quelques années des fiches pour toutes les substances faisant l’objet d’un guide ou d’un mini-guide. Les treize guides d’intervention face au risque chimique publiés par le Cedre constituent une aide en cas d’accident ou d’incident mettant en cause des substances capables d’entraîner une pollution aquatique. Ils fournissent un accès rapide aux informations de première nécessité et proposent des sources bibliographiques pertinentes pour la

23

pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

recherche de données complémentaires. Ils contiennent aussi des retours d’expérience d’accidents réels et des scénarios possibles. Ils actualisent et augmentent la collection initiale de 61 mini-guides d’intervention édités au début des années 1990.

Les guides et mini-guides d’intervention chimique du Cedre Les guides d’intervention chimique Acide phosphorique Acide sulfurique Acrylate d’éthyle Ammoniac Benzène Chlorure de vinyle 1,2 dichloroéthane Diméthyldisulfure Essence sans plomb Hydroxyde de sodium en solution à 50 % Méthacrylate de méthyle stabilisé Méthylétylcétone Styrène Xylènes

Les mini-guides d’intervention chimique Acétate d’éthylglycol Acétone cyanhydrine (épuisé) Acide chlorosulfonique Acide formique Acrylonitrile Aldrine Anhydride arsénieux (épuisé) Aniline Baryum (composés du) Butane Carbure de calcium Chlorate de sodium (épuisé) Chlore Chloroformiate d’éthyle (épuisé) Créosotes Cyanure de sodium Dibutylphtalate Dichlorodifluorométhane Diisocyanate de toluène (épuisé) Dodécylbenzène Explosifs de mine (type A) Ferrosilicium Formol (épuisé) Hexaméthylène tétramine (épuisé) Hexanol (épuisé) Isoprène Manèbe

24

Mercure (composés du) (épuisé) Méthane Méthanol Méthylisobutyl cétone (épuisé) Méthylmer captan (épuisé) Méthylméthacrylate Méthylparathion Naphta (épuisé) Naphtalène Nitrate d’ammonium (épuisé) Nitrocellulose Oleum (épuisé) Oxyde de propylène Peintures et apparentés (ONU 1263) (épuisé) Perchloréthylène Peroxyde d’éthylméthylcétone Peroxyde d’hydrogène Phénol (épuisé) Phosgène Plombs alkyles Polychlorures de biphényle (épuisé) Sodium Soufre Suif (épuisé) Sulfure de carbone (épuisé) Triméthylchlorosilane Urée

La connaissance des produits

Les classifications/codification des SNPD par famille De multiples classifications des SNPD sont possibles suivant l’angle de vues qu’on voudra privilégier, comme le danger pour l’homme ou le comportement dans l’eau. Le mode d’obtention est aussi un critère intéressant. On citera en particulier : • l’extraction du sol (exemples : exploitation de charbon, de pétrole, de gaz naturel, de sel gemme) ; • l’isolement depuis un mélange plus ou moins complexe (exemples : benzène par distillation du pétrole, sel par évaporation de l’eau de mer) ; • le mélange de produits purs (exemples : fabrication de peinture, de vernis) avec ou sans réaction chimique entre eux ; • la synthèse à partir d’un autre produit (exemple : acide sulfurique à partir d’hydrogène sulfuré). La destination est un autre critère intéressant. On pourra rencontrer ainsi : • la séparation d’un mélange complexe en mélanges plus restreints ou en produits purs, par réaction chimique ou distillation (exemple : distillat de pétrole) ; • la transformation en énergie, par explosion ou combustion (exemples : trinitrotoluène, fuel) ; • l’intégration dans la matière vivante (exemples : fertilisants, aliments pour l’homme ou l’animal) ; • la destruction de la vie (exemples : herbicides, pesticides, gaz toxiques) ; • la fabrication d’objets, directement, en mélange ou après polymérisation (exemple : polychlorure de vinyle). Parmi les multiples choix possibles, deux classifications et une codification sont particulièrement importantes en matière de pollution marine : la classification Marpol de l’Organisation maritime internationale, le système standard européen de classification du comportement des produits chimiques déversés en mer (Standard European Behaviour Classification, sebc), et la codification établie par le groupe d’experts de l’Organisation maritime internationale sur les aspects scientifiques de la protection de l’environnement ( Joint Group of Experts on the Scientific Aspects of Marine Environmental Protection, Gesamp). Les classifications Marpol et sebc apparaissent en couverture des guides du Cedre, la codification Gesamp est indiquée à l’intérieur.

La classification Marpol L’OMI a élaboré une « Convention pour la prévention de la pollution par les navires » (dite Convention Marpol 73/78), qui couvre l’ensemble des pollutions susceptibles d’être engendrées depuis les navires et leur cargaison. La convention Marpol 73/78 est divisée

25

pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

en six annexes, chacune consacrée à un type bien précis de pollution. L’annexe II s’applique aux bateaux de toutes dimensions, indépendamment de leur date de construction, qui transportent des produits chimiques liquides dangereux en vrac, des substances liquides ou nocives autres que les hydrocarbures ainsi que des produits inflammables de nature comparable. L’annexe III concerne la pollution par les substances nuisibles transportées par mer en colis. L’annexe II révisée est entrée en vigueur le 1er janvier 2007, ainsi que le code d’ibc/édition 2007, mettant en application les nouveaux critères de cette annexe. Les substances liquides nocives sont divisées en quatre catégories : • catégorie X : risques graves pour les ressources marines, la santé humaine et/ou les autres utilisations de la mer justifiant une interdiction de déversement dans l’environnement marin ; • catégorie Y : risques pour les ressources marines, la santé humaine et/ou les autres utilisations de la mer justifiant une limitation sur la qualité et la quantité du déversement dans l’environnement marin ; • catégorie Z : risques mineurs pour les ressources marines, la santé humaine et/ou les autres utilisations de la mer justifiant des restrictions moins rigoureuses à la qualité et à la quantité du déversement dans l’environnement marin ; • OS (Other Substance) : produits chimiques liquides n’entrant pas dans les catégories X, Y ou Z, considérés comme ne présentant aucun risque pour les ressources marines, la santé humaine et/ou les autres utilisations de la mer. L’annexe III établit pour sa part qu’un colis contenant une substance nuisible pour le milieu marin doit être « de nature à réduire au minimum les risques encourus par le milieu marin », eu égard à son contenu spécifique et porter une marque « définissant cette substance par son appellation technique exacte », d’une durabilité telle qu’on puisse encore identifier les renseignements donnés lorsque le colis a survécu à un séjour d’au moins trois mois dans l’eau de mer.

La classification comportementale SEBC La Standard European Behaviour Classification (sebc) est une classification en 12 points, 5 de premier niveau (produit gazeux, produit évaporable, produit flottant, produit soluble et produit coulant) et 7 de second niveau (produits réunissant deux des caractères précédents). Cette classification permet de rassembler des produits de nature, d’origine et de destination très diverses dans des groupes relevant d’une même stratégie de réponse. Ainsi, la récupération ne pourra s’appliquer qu’à des produits codés F et S ou, en intervenant très vite, sur des produits codés FE, FD, FED ou SD, dont l’évaporation et/ou la dissolution sont lentes.

26

La connaissance des produits

Classification SEBC des produits chimiques sur la base de leur comportement dans l’eau Pour information, en troisième colonne, l’état nécessairement impliqué par le comportement indiqué a été ajouté

Code

Signification

G GD

Gaz Gaz qui se dissout dans l’eau

Gazeux Gazeux

E ED

Évaporable Évaporable qui se dissout dans l’eau

Liquide Liquide

Flottant Flottant évaporable Flottant qui se dissout dans l’eau Flottant évaporable qui se dissout dans l’eau

Liquide ou solide Liquide Liquide ou solide Liquide

D DE

Se dissout dans l’eau Se dissout dans l’eau et s’évapore

Liquide ou solide Liquide

S SD

Coule (Sinker) Coule et se dissout dans l’eau

Liquide ou solide Liquide ou solide

F FE FD FED

État résultant

La codification Gesamp des risques dans le milieu marin La première codification du Gesamp était d’un niveau d’élaboration comparable à la classification sebc, avec cinq groupes codés de A à E et la possibilité d’ajouter des remarques. Une nouvelle codification l’a remplacée en 1999 pour les produits pris en compte à partir de cette date. Elle utilise les mêmes cinq critères, mais en les subdivisant chacun en deux ou trois sous-critères, notés sur des échelles quantitatives de 4 à 6 et, pour l’un d’eux, en deux options non quantitatives. Le travail de recodification des substances déjà classées étant trop lourd, les deux codifications coexistent aujourd’hui. Cela peut créer pour l’utilisateur occasionnel des difficultés d’interprétation, aggravées par le risque de confusion entre le E (interférences avec les usages de la mer) des cofications du Gesamp et celui de la classification sebc (évaporable). L’utilisateur occasionnel aura de ce fait fortement intérêt à confronter ses conclusions à un avis de spécialiste aguerri.

27

pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Codification par type de risques utilisée par le Gesamp avant 1999 Code

Risques

A

Bioaccumulation dans les espèces marines et altération du goût des produits de la mer

B

Dommages aux peuplements et ressources de la mer par toxicité du milieu

C

Toxicité orale aiguë pour l’homme en cas d’ingestion d’eau contaminée

D

Irritation ou lésion en cas de contact avec la peau, les muqueuses, les yeux ou les voies respiratoires

E

Atteinte aux sites : souillure, présence de produits toxiques ou irritants, d’odeurs désagréables, d’objets étrangers, désagréments esthétiques

Remarques

E=ets exceptionnels, gêne pour la pêche ou la navigation, cancérogénicité, autres risques pour la santé

Codification par type de risques utilisée par le Gesamp depuis 1999 Code

Risques

Échelles

A : bioaccumulation et biodégradation A1

Bioaccumulation

De 0 = non bioaccumulable à 5 = très fortement bioaccumulable

A2

Biodégradabilité

R = totalement biodégradable ou NR = non biodégradable B : toxicité aquatique

B1

Aiguë

De 0 = non toxique à 6 = très toxique

B2

Chronique

De 0 = non toxique à 4 = fortement toxique

C : toxicité aiguë pour les mammifères

28

C1

Orale

De 0 = non toxique à 4 = fortement toxique

C2

Dermique

De 0 = non toxique à 4 = fortement toxique

C3

Pulmonaire

De 0 = non toxique à 4 = fortement toxique

La connaissance des produits

Code

Risques

Échelles

D : irritation, corrosion, e=ets à long terme sur les mammifères D1

Peau

De 0 = non irritant ou corrosif à 4 = fortement irritant ou corrosif

D2

Yeux

De 0 = non irritant ou corrosif à 4 = fortement irritant ou corrosif

D3

Santé (long terme)

C = cancérigène M = mutagène R = reprotoxique S = sensibilisant A = risques respiratoires T = toxicité systémique L = atteinte pulmonaire N = neurotoxique I = immunotoxique

E : interférences avec les autres usages de la mer E1

Altération du goût des produits marins

NT = non altérant T = altérant

E2

Comportement dans l’eau, e=ets physiques

F = flottant Fp = flottant et persistant S = coulant D = se dissolvant E = s’évaporant

E3

Interférences avec les agréments côtiers

0 = non flottant, sans danger pour la santé 1 = flottant et/ou léger danger pour la santé 2 = flottant persistant et/ou certains dangers 3 = flottant persistant et/ou forts dangers

Le devenir des produits dans l’eau Les classifications et la codification qui précèdent sont précieuses pour guider les réponses-réflexes de première urgence. Les classifications Marpol annexe II, sebc et la codification Gesamp de 12 produits faisant l’objet d’un guide du Cedre donnent un aperçu de la diversité des comportements et des e=ets qui peuvent se rencontrer.

29

30

T

DE

2

0

3

3

4

3

3

C



D

3

B1

B2

C1

C2

C3

D1

D2

D3

E1

E2

E3

3

ED



0

3

3

3

2

1

2

3

R

0

DE

np

3

E

NT

CMT

2

2

0

0

1

0

2

R

1

E

Y

np

np

np

np

np

np

np

np

np

np

np

np

np

G

np

Chlorure de vinyle

3

DS



C

2

1

2

0

1

0

2

NR

1

Diméthyle disulfure

Gesamp

sebc

2

S



0

1

1

2

0

2

2

3

NR

1

S

Y

Marpol annexe II

SD

Y

1,2 dichloroéthane

np

np

np

np

np

np

np

np

np

np

np

np

np

np

np

Essence sans plomb

3

D

0

0

3

3

4

1

1



2

0

0

D

D

Hydroxyde de sodium sol. 50 %

* Les données Marpol et sebc s’appliquent au gaz (ammoniac anhydre) et celles du Gesamp au liquide (ammoniac aqueux). La ligne E2 du Gesamp répète l’information comportementale de la classification sebc. np = critère non pertinent.

3

SC

2

2

2

2

1

1

3

R

R

1

0

A2

ED

D

A1

Y

Acrylate Ammoniac * Benzène d’éthyle

Y

Acide sulfurique

2

ED



S

2

2

0

0

0



2

R

1

ED

Y

Méthacrylate de méthyle stabilisé

2

ED



0

2

2

1

0

0

0

1

R

0

ED

Z

Méthyléthylcétone

3

FE



CM

2

2

2

0

1



3

R

3

FE

Y

Styrène

2

FE

T

0

2

2

0

0

0

0

3

NR

3

FE

Y

Xylène

Classification SEBC et codification Gesamp des douze produits des guides du Cedre

pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

La connaissance des produits

Mais un séjour en eau de mer, voire au fond de la mer, ne fait pas partie du cycle normal de fabrication et d’usage de la quasi-totalité des snpd et aucune législation n’impose à l’expéditeur d’un produit ou à son transporteur : • de connaître quoi que ce soit au comportement du produit dans l’eau ; • de préciser la présence éventuelle d’un adjuvant avec ou sans capacité polluante ; • de tenir à la disposition des autorités une information précise sur le colisage utilisé. Le spécialiste de l’entreprise productrice ne peut très souvent que proposer des hypothèses sur le devenir du produit en mer, en particulier quand il est piégé dans une épave. Que va-t-il se passer dans une cuve de styrène, de propylène ou de tout autre produit susceptible de polymériser, par 200 mètres de fond, s’il y a une entrée d’eau lente dans la cuve ? Une polymérisation brutale, avec dégagement de chaleur et risque de sortie massive de produit ? Une polymérisation lente, sans chaleur, conduisant à un bloc inerte ? Une absence de polymérisation, laissant le produit sous forme liquide, susceptible de s’échapper plusieurs dizaines d’années plus tard, quand la corrosion aura fait son e=et ? L’analyse des accidents passés apprend souvent plus sur ces sujets que le savoir du spécialiste industriel du produit. La connaissance précise du conditionnement d’un produit transporté hors vrac et celle du colisage choisi, peuvent être plus importantes que la connaissance du comportement du produit dans l’eau. Un déversement de biscuits au chocolat en simple emballage cartonné va produire très vite une pâte de carton et de biscuit, plus ou moins flottante, dont le ramassage sera très di;cile. Les mêmes biscuits sous poche plastique, emprisonnés dans la poche, vont flotter sans s’altérer et dériver en surface, éventuellement pendant des semaines avant de s’échouer sur un littoral où ils pourront être ramassés à la main. À moins qu’une attaque par des oiseaux de mer ne provoque une perforation des enveloppes. Les mêmes biscuits, dans un conteneur chargé à plein, qui bascule à la mer sans s’ouvrir, resteront piégés dans le conteneur, sur le fond, pendant des années. Il ne faudra donc pas se contenter des données Marpol, sebc, Gesamp ou autres et de l’information fournie par le bord, l’armateur, le chargeur ou le port de départ, mais poser à tous les acteurs impliqués des questions précises, demandant des réponses non moins précises. Enfin, à une époque où tous les navires ou presque ont des ordinateurs de bord, il ne serait pas déraisonnable d’exiger, quand un navire a demandé l’hélitreuillage de son équipage, que le second capitaine, responsable du chargement, glisse dans sa poche, avant de gagner le point de sauvetage, un cédérom ou une clé usb contenant le fichier électronique du manifeste de chargement du navire.

31

Les minerais, métaux et sels métalliques Les minerais sont des roches contenant des minéraux utiles, en proportion suffisamment intéressante pour justifier leur exploitation, et nécessitant une transformation pour être utilisés par l’industrie. La plupart des minerais métallifères sont des oxydes (bauxite), des sulfures (galène, sphalérite), des carbonates (malachite, sidérite) ou des silicates (garniérite). Plus qu’une nature de produit, le mot « minerai » implique une origine, la mine. Sur cette base, le charbon est un minerai de carbone, à haute teneur en produit exploitable. Les sables bitumineux sont aussi du minerai. Le pétrole brut est un extrait liquide de minerai. Les minerais sont des produits de valeur à la tonne modérée, voire faible. Ils sont transportés à travers les mers dans des minéraliers et des pétroliersminéraliers, navires rustiques, dont la qualité de construction et l’entretien ne sont pas toujours irréprochables. Les concentrés ou le minerai de fer désoxydé sont des intermédiaires du procédé de traitement du minerai pour en extraire le métal recherché. Les métaux peuvent être purs (fer) ou intégrer des adjuvants qui améliorent certaines de leurs propriétés (acier). Les sels métalliques sont produits à partir des métaux, par une réaction chimique, souvent une attaque oxydante avec l’intervention d’un catalyseur. Ils combinent des ions négatifs non métalliques (anions) avec des ions métalliques positifs (cations). Concentrés, métaux et sels sont des pondéreux, généralement transportés dans les mêmes types de navires que les minerais.

Accidents recensés Nous avons trouvé dans les bases de données trente cas d’accidents depuis 1970, portant sur le transport en vrac de charbon, de phosphate de roche, de plomb, fer, zinc, cuivre et chrome sous forme de minerai, de concentré ou de métal, de sels de sodium, calcium, zinc, fer. L’ensemble est présenté dans le tableau page suivante.

33

pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Cela ne représente vraisemblablement que la partie émergée de l’iceberg. D’une part, nous n’avons pas pris en compte une dizaine d’accidents impliquant une cargaison identifiée seulement par les mots « minerai » ou « métal ». D’autre part, ces accidents impliquent le plus souvent des navires et des équipages du tiers-monde et n’induisent que peu de préoccupations en matière de risques de pollution. Ils sont peu médiatisés, souvent brutaux et définitifs : au moins huit des accidents du tableau sont commentés par la phrase lapidaire « disparu corps et biens, sans demande de secours ».

Déversements de minerais et de sels en mer après 1970 Nom du navire

Année

Produit(s)

Zone

Odyssey

1970

Concentré de zinc

Manche

Ocean Spirit

1972

Concentré de zinc

Mer du Nord

Ekatirini P

1973

Minerai de fer

Mer Baltique

Cantonad

1975

Coke

Mer Baltique

Yarrox

1975

Acier

Pacifique Nord

Oriental Ace

1976

Zinc, fer

Mer de Chine

Capo Falcone

1979

Cuivre, zinc

Atlantique Est

Captain Niko

1980

Cuivre, zinc, plomb concentrés

Pacifique

Eastern Clipper

1980

Minerai de fer

Pacifique

Rafaela

1981

Sulfure de sodium

Océan Indien Ouest

Cap de La Hague

1981

Concentré de cuivre

Atlantique Est

Chem 112

1981

Ferromanganèse

Atlantique Est

Don Aurelio

1981

Minerai de fer

Mer du Nord

Dina

1982

Minerai de fer

Méditerranée Ouest

Elarish

1982

Concentré de plomb

Méditerranée Ouest

Dimbovita

1985

Minerai de fer

Atlantique Sud

Leslie

1985

Acier

Atlantique Est

Castillo de Salas

1986

Charbon

Atlantique Est

Ocean Spirit

1988

Concentré de plomb

Méditerranée

Elma Tres

1988

Concentré de plomb

Méditerranée

Continental Lotus

1991

Minerai de fer

Méditerranée

Anis Rose

1996

Minerai de chrome

Méditerranée

Eurobulker IV

2000

Charbon

Méditerranée

Bunga Teratai Satu

2000

Tributylétain

Pacifique Ouest

Adamandas

2003

Billes de fer désoxydé

Océan Indien Ouest

Jambo

2003

Sulfure de zinc et cadmium

Mer du Nord

Tiger

2007

Fer directement réduit

Méditerranée

Black Rose

2009

Fines de minerai de fer

Océan Indien Est

Asian Forest

2009

Fines de minerai de fer

Océan Indien Ouest

Newcastle

2009

Sulfate de fer

Manche

34

Les minerais, métaux et sels métalliques

Parmi les accidents impliquant des minerais, quatre au moins ont donné lieu à des interventions visant à minimiser la pollution ou le risque de pollution : • le Castillo de Salas, coulant le 11 janvier 1986 devant le port de Gijón (Espagne), et déversant sur place 45 000 tonnes de sa cargaison de charbon ; • l’Eurobulker IV, coulant le 8 septembre 2000 dans le chenal de San Pietro, à la pointe sud de la Sardaigne, et déversant 14 000 tonnes de sa cargaison de charbon ; • l’Adamandas, océanisé par les autorités françaises le 22 septembre 2003 au large de l’île de la Réunion, avec sa cargaison de minerai de fer désoxydé en train de chau=er ; • le Tiger, au mouillage devant les ports de Nador et Melilla, le 17 juillet 2007, avec un chargement de minerai de fer désoxydé en train de chau=er. Deux autres cas sont de bonnes illustrations des naufrages au large avec abandon de l’épave, considérée comme n’induisant pas de risque de pollution à traiter : • le Continental Lotus, coulant dans une tempête, au large de Malte, le 21 janvier 1991, avec 51 600 tonnes de minerai de fer désoxydé à bord ; • L’Anis Rose, coulant dans une tempête, le 30 janvier 1996, au large de la Sardaigne, suite à un déplacement de sa cargaison de minerai de chrome. Trois accidents impliquant des sels métalliques constituent des études de cas intéressantes : • l’attaque du Rafaela par des pirates, devant le port de Mombasa (Kenya), provoquant la mise à feu de sa cargaison de sulfure de sodium et sa destruction ; • l’échouement du porte-conteneurs Bunga Teratai Satu sur la Grande barrière de corail (Australie) le 1er novembre 2000, générant une pollution par abrasion de sa peinture de coque antisalissures ; • l’échouement du Jambo, le 6 juin 2003, à Ullapool (Écosse), avec une cargaison de sulfure de zinc.

Produits en cause Les produits en cause dans les cas documentés sont le charbon, le minerai de chrome, le minerai de fer sous forme désoxydée, le sulfure de sodium (NacS), le sulfure de zinc (ZnS) et le tributylétain (tbt).

❚❚Charbon Comme le pétrole, le charbon est le résultat d’une restructuration moléculaire de matière organique sédimentée en ambiance anaérobie et portée à température et pression élevées par les mouvements géologiques. Mais quand le pétrole provient de matière organique sédimentée en eau salée, le charbon provient de matière organique sédimentée en eau douce. Quand le pétrole est liquide, le charbon est solide. Le charbon est donc

35

pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

une roche sédimentaire contenant plus de matière organique carbonée que de matière inorganique. Sa composition chimique est complexe et très variée selon l’origine géographique du produit. La part organique comprend des hydrocarbures aromatiques, dont du benzène, des dérivés alkylés du benzène, de nombreux hydrocarbures aromatiques polycycliques et des composés organiques soufrés, notamment des thiofènes. On peut donc craindre comme risques d’un déversement de charbon en mer : • un e=et d’étou=ement des végétaux et de la faune sessile du fond, sous une couche épaisse de charbon ; • s’il y a une part de fines particules importante, un e=et d’encrassement des branchies et autres organes respiratoires de la faune locale, susceptible de générer à terme des cancers respiratoires ; • un e=et de salissure de l’estran par les fines particules flottantes ; • des e=ets toxiques des hydrocarbures aromatiques polycycliques présents dans la composition du charbon et susceptibles d’être libérés au cours de son séjour dans l’eau.

❚❚Minerai de chrome Le minerai de chrome se présente typiquement sous forme de chromite FeCrcOe en Afrique du Sud, au Kazakhstan, en Inde, en Turquie. À Madagascar, il se présente sous forme de petits grains noirs d’oxyde de chrome CrcOd qui peuvent représenter 40 % de la masse totale de la roche exploitée. La chromite et l’oxyde de chrome sont des produits stables, sans toxicité particulière pour la vie marine.

❚❚Minerai de fer désoxydé Le minerai de fer désoxydé correspond à la première étape de la sidérurgie traditionnelle qui voit l’oxyde de carbone généré par la combustion partielle du charbon réduire progressivement le minerai. La particularité du minerai désoxydé est une tendance à se réoxyder en dégageant de la chaleur et de l’hydrogène au contact d’air humide. Il doit être chargé avec précaution, en atmosphère sèche, dans des cales propres et étanches, inertées par saturation en azote. Le principal risque, en cas de réoxydation, est l’explosion si l’hydrogène produit n’est pas évacué. Ce minerai ne présente pas de risque particulier pour la vie marine.

❚❚Sulfure de sodium Le sulfure de sodium est un composé de formule NacS, qui se présente sous la forme d’un solide blanc, soluble dans l’eau. On le trouve couramment sous sa forme nonahydratée NacS 9HcO. Fortement corrosif, il peut brûler la peau (sa réaction de dissolution est fortement basique) et ne doit être manipulé que par des spécialistes. Exposé à l’air humide, il dégage du sulfure d’hydrogène (HcS), gaz toxique à odeur d’œuf pourri. C’est un agent réducteur fort, principalement employé dans l’industrie du papier de pulpe, dans le traitement de l’eau comme agent d’extracteur d’oxygène, dans l’industrie photographique pour protéger des solutions révélatrices contre l’oxydation, dans l’industrie

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Les minerais, métaux et sels métalliques

textile comme blanchissant, dans la production de produits en caoutchouc, de colorants et d’autres composés chimiques.

❚❚Sulfure de zinc Le sulfure de zinc (ZnS) est un minerai disponible dans la nature sous diverses formes cristallisées, plus particulièrement la wurtzite, légèrement déficiente en soufre (ZnSb−x ), et la sphalérite, légèrement déficiente en zinc (Znb−xS). La couleur des cristaux varie d’incolore (sphalérite très pure) à jaune-brun, et jusqu’au noir du fer. Le minerai peut être faiblement argentifère et/ou incorporer du manganèse et du cadmium en remplacement du zinc.

❚❚Tributylétain Le tributylétain (ou TBT) a pour formule (n-CeHj )dSn-X, dans laquelle X est un anion ou un groupement anionique de charge unitaire. C’est un puissant biocide, de la famille des produits organostanniques, toxique pour les végétaux et d’autres organismes, utilisé pour cette raison à partir des années 1960 comme pesticide et dans les peintures antisalissures pour navires. Reconnu pour être un leurre hormonal, capable de masculiniser les femelles, il est interdit en Europe dans les peintures pour navires depuis la fin des années 1980.

Cas documentés ❚❚Rafaela, sulfure de sodium, 1981 Au mouillage devant le port de Mombasa, avec une cargaison comprenant divers produits chimiques, dont des bidons de sulfure de sodium, le Rafaela est attaqué par des pirates. Une roquette touche le sulfure de sodium, provoquant une explosion et un incendie qui s’étend. Les pompiers du port et de la ville ne parviennent pas à maîtriser le feu. Le navire est remorqué au large, où il coule. Nous n’avons pas trouvé trace de quelque forme d’action ultérieure.

❚❚Castillo de Salas, charbon, 1986 En attente devant le port de Gijón, avec 100 000 tonnes de charbon à bord, ce vraquier ripe sur son ancrage dans une tempête, le 11 janvier 1986, et s’échoue sur un haut-fond rocheux, devant le port de plaisance et la plage de San Lorenzo, grande plage de la ville. Il se casse en deux, laissant échapper 45 000 tonnes de charbon. L’avant est remorqué vers le large et coulé par 4 000 mètres de profondeur, emportant avec lui 35 000 tonnes de charbon. L’arrière doit être démantelé sur place.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Ce charbon est transporté sous une forme très émiettée, proche d’un fin gravier : les morceaux ne dépassent pas un centimètre de diamètre. Il se répand autour de l’épave. La plage de San Lorenzo se trouve couverte de morceaux et de poussières de charbon, mélangés à du fuel de soute. Un nettoyage manuel est réalisé. La pollution de la plage se répète plusieurs fois dans les mois qui suivent, lors de coups de vents, imposant de nouvelles opérations de nettoyage. Une étude d’impact sur le milieu marin est commandée à l’Institut espagnol d’océanographie. L’institut conclut à une pollution essentiellement visuelle : le charbon en cause ne contient pas de composants toxiques pour la vie marine. L’épave arrière est démantelée et enlevée par morceaux. Le fuel de soute stocké dans le double-fond du navire est pompé dans la mesure des capacités techniques. À la demande des autorités régionales, ce double-fond, constitué d’alvéoles parallélépipédiques de 6 × 2 × 2 mètres en moyenne, reliées par des trous d’homme, est laissé en place pour constituer un récif artificiel. En 2000, des arrivages de fuel à la côte font découvrir que le pompage des soutes n’a pas été complet, ce qui déclenche une polémique. Un nouveau chantier de pompage, avec des plongeurs travaillant à l’intérieur des cuves, est ouvert en 2001-2002. Une étude

Naufrage du Castillo de Salas devant GijÓn : découpe et enlèvement du double fond

© Salvamento marítimo (Sasemar)

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Les minerais, métaux et sels métalliques

de risque confiée à trois experts étrangers, dont le directeur du Cedre, montre qu’il n’y a pas de risque écologique mais un contexte politico-médiatique très soupçonneux et très remonté. Ce contexte impose, pour éviter toute nouvelle polémique, de découper le double-fond et de ramener les morceaux à terre, ce qui est fait en 2003. Dans ce naufrage, la pollution due au charbon est donc restée surtout visuelle, introduisant une perte d’aménité pour les usagers de la plage et générant des dépenses lourdes de nettoyage. Le phénomène a été répétitif, s’atténuant au fil des mois. Il n’a pas eu de conséquences mesurées sur la faune et la flore locales. À terme, le fuel laissé malencontreusement dans le double-fond après l’intervention de 1986-1987 a constitué, en 2000, une source d’insatisfaction des riverains plus importante que le charbon.

❚❚Continental Lotus, minerai de fer désoxydé, 1991 Le 21 janvier 1991, pris dans une tempête en route de Mormugao (Inde) à Gènes (Italie), le vraquier indien Continental Lotus, chargé de 51 600 tonnes de minerai de fer, est victime d’une fissure de coque, 300 kilomètres à l’est de Malte, et coule au large. Seuls deux des quarante-deux membres de l’équipage sont sauvés. Ni les autorités maltaises ni les autorités italiennes ne jugent nécessaire d’intervenir ou d’imposer à l’armateur de le faire : la cargaison ne présente pas de danger pour les espèces marines. Le risque lié aux hydrocarbures de soute est minime compte tenu de la distance par rapport à la côte.

❚❚Anis Rose, minerai de chrome, 1996 Le 30 janvier 1996, la cargaison de 2 700 tonnes de minerai du chrome du cargo syrien Anis Rose, en route de Durres (Albanie) à Sète (France), est déstabilisée par le mauvais temps à 50 nautiques au nord-est des côtes de Sardaigne. Le navire chavire brusquement et coule. Huit membres d’équipage sont sauvés mais deux sont morts et un est porté disparu. L’épave gît par 2 000 mètres de fond. Les autorités maritimes considèrent qu’elle ne présente pas de danger de pollution et n’engagent aucune action.

❚❚Eurobulker IV, charbon, 2000 Ce vraquier, transportant 17 000 tonnes de charbon ukrainien à destination d’une centrale thermique sarde, heurte des roches dans le chenal de San Pietro, en sud Sardaigne, le 8 septembre 2000. Une brèche importante apparaît au niveau de la quille. Des conditions météorologiques défavorables entraînent la rupture de la coque en trois parties, avec déversement de fuel de soute et de charbon par des fonds de 15 à 20 mètres. Le lieu du naufrage est une réserve écologique avec présence d’herbiers de posidonies (Posidonia oceanica), espèce protégée. Les fonds sont composés de rochers, de bancs de sable et d’herbiers.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Le 12 septembre, un plan d’action en trois phases est formalisé : achèvement des opérations en cours de nettoyage du littoral pollué par le fuel, transbordement du charbon encore dans l’épave, puis démolition sur place et enlèvement de l’épave. Mais, les 3 et 28 novembre, de forts coups de vent achèvent de disloquer le navire et de répandre sa cargaison. Une exploration sous-marine par sonar montre que le charbon, dont la granulométrie est comprise essentiellement entre 1 et 10 millimètres, est étalé sur une surface de 100 mètres carrés, pour une épaisseur allant jusqu’au mètre. Ce travail achevé, un programme de suivi environnemental sur 10 ans est mis en place avec le Centre de recherche coopérative pour la zone d’héritage mondial de la Grande barrière. Les morceaux de l’épave sont enlevés de décembre 2000 à mai 2001 : près de 2 500 ton­ nes de matériaux sont d’abord stockées sur le port de Portovesme, puis recyclées en aciérie. Le 23 octobre, des opérations de ramassage du charbon à l’aide d’une drague aspiratrice dirigée par plongeur sont engagées. Les zones de nettoyage sont choisies selon leur intérêt écologique. Le ramassage est réalisé en quatre phases s’étalant sur une vingtaine de mois, la dernière s’achevant le 15 août 2002. À cette date, il a été récupéré 4 800 tonnes de matériau, comprenant un peu plus de 4 000 tonnes de charbon, un petit quart de la quantité déversée. La zone environnante est fortement industrialisée, avec des usines d’alumine, d’hydrate d’aluminium, de plomb, de zinc, de cadmium, de magnésium. Une étude d’impact, confiée à l’Institut central de recherches appliquées à la mer (Icram), met en évidence sur les herbiers des e=ets de destruction (environ 500 mètres carrés sont étou=és) et de dégradation par augmentation de la turbidité liée à la remise en suspension de fines particules sous l’e=et de courants, induisant une diminution de la photosynthèse et un blanchiment des feuilles. La nature solide du charbon entraîne en outre, sous l’e=et des courants, une abrasion des feuilles. En revanche, des tests de toxicologie en laboratoire, sur des bactéries, des algues planctoniques et des oursins de la zone, ne font apparaître aucune toxicité notable du charbon en poudre dispersé dans l’eau. Au total, la faune et la flore benthiques du site se trouvent localement perturbées par ce changement soudain de leur habitat. L’atteinte n’est pas quantifiée en termes de perte écologique, mais il est proposé un programme de suivi périodique et, si nécessaire, des mesures de restauration.

❚❚Bunga Teratai Satu, tributylétain, 2000 Le 2 novembre 2000, le porte-conteneurs Bunga Teratai Satu s’échoue sur le récif australien de Sudbury, dans la Grande barrière de corail, avec un plein chargement de conteneurs et 1 200 tonnes de fuel dans ses soutes. Il faut 13 jours d’e=orts et trois tentatives pour parvenir à le déséchouer, sans perte de fuel, ni de cargaison. La coque du navire a largement frotté sur le récif, le détruisant une surface de 1 500 mètres carrés. De multiples petits éclats de peinture antisalissure, au tbt, se sont répandus

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Les minerais, métaux et sels métalliques

sur la zone. Une négociation entre les autorités australiennes et l’armateur du navire conduit à un accord de nettoyage et de stabilisation du récif, avec recrutement d’un prestataire de services spécialisé. Le prestataire est contracté le 15 décembre, sur un programme de travail de trois mois, intégrant l’enlèvement de tous les résidus et de toutes les traces visibles de peinture antisalissure, ainsi que l’enlèvement du sédiment et des débris accumulés autour de la zone détruite, la réinstallation des gros blocs déplacés et leur bouturage avec des pousses cassées de corail vivant. Ce travail achevé, un programme de suivi environnemental sur 10 ans est mis en place avec le Centre de recherche coopérative pour la zone d’héritage mondial de la Grande barrière.

❚❚Jambo, sulfure de zinc, 2003 Le vraquier chypriote Jambo, en route de Dublin à Odda (Norvège), avec une cargaison de 3 300 tonnes de sulfure de zinc en poudre (broyat de sphalérite ou blende) et des soutes de 84 tonnes de diesel marin, s’échoue au nord de l’Écosse à l’entrée du Loch Broom, le 29 juin 2003. Un bateau de sauvetage prend l’équipage à son bord. Des experts évaluent les risques associés à l’épave, à sa cargaison et à ses soutes. Le diesel marin est reconnu comme la première menace. Il est pompé en premier, sans souci majeur. Le sulfure de zinc est peu soluble, peu bioaccumulable et peu toxique. Son pompage est néanmoins décidé. Les travaux se révèlent di;ciles. Au mois de septembre, 1 000 tonnes ont été déversées en mer et 1 900 tonnes ont été récupérées et envoyées à Immigham (Angleterre). L’épave glisse alors sur un fond de 14 mètres et se retourne. Elle ne représente plus de danger pour la circulation maritime. Les 400 tonnes de sulfure de zinc restantes sont considérées comme peu nocives pour l’environnement. L’épave peut rester sur place, sous réserve d’un suivi environnemental et de prélèvements pour analyse de poissons et crustacés. Le programme de suivi met en évidence des niveaux de zinc dans la colonne d’eau très bas, rendant tout risque d’e=et toxique très faible, et des niveaux bas dans le sédiment, sauf dans un rayon d’une centaine de mètres autour de l’épave. Il en est conclu à une absence de risques pour l’environnement et les consommateurs de produits de la mer.

❚❚Adamandas, minerai de fer désoxydé, 2005 Le 12 septembre 2005, le minéralier Adamandas entre dans les eaux territoriales françaises de l’île de la Réunion et demande à accoster au Port des Galets afin de réaliser un « inertage » de ses cales à l’azote. Il transporte 21 000 tonnes de billes de fer désoxydé, chargées à Trinidad, à destination de Surabaya (Indonésie). En route, une augmentation de la température de son chargement l’a déjà obligé à faire une escale technique à Durban (Afrique du Sud), pour un premier inertage de ses cales à l’azote, qui n’a pas résolu définitivement son problème d’échau=ement de cargaison. Lors de l’inspection préalable en rade, l’équipe d’évaluation constate une forte élévation de température. Le bord ne dispose pas de l’évaporateur nécessaire à l’inertage de

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

ses cales et il n’en existe pas sur l’île. Ordre est donné au navire de rester au mouillage devant le port de la Possession et d’aérer ses cales pour abaisser la teneur en hydrogène. La technique ne su;t pas à refroidir la cargaison. En cas d’accélération de l’oxydation, une explosion peut se produire si le navire ne parvient pas à évacuer l’hydrogène produit, avec des risques considérables pour les hommes à bord et à terre. À défaut d’explosion, la chaleur peut déformer la structure du navire et le fragiliser jusqu’à la cassure. Dans

Océanisation de l’Adamandas, en danger d’explosion dans les eaux de la Réunion : en haut, le navire en feu ; en bas, le risque vu par Le Journal de l’île de la Réunion du 20 septembre 2003

© Marine nationale / Christian Collin

© Le Journal de l’île de la Réunion

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Les minerais, métaux et sels métalliques

un cas comme dans l’autre, le navire peut couler devant le port, avec déversement de ses hydrocarbures de propulsion. Le 16 septembre, le préfet de la Réunion met en demeure le propriétaire du navire de ramener la température à un niveau compatible avec l’accostage au port. Au cours des jours suivants, la ventilation des cales se poursuit, sans résoudre le problème. Le 18 septembre, le préfet met en demeure le propriétaire de procéder sous 24 heures à l’évacuation du combustible, à l’exception du carburant nécessaire à la manœuvre, soit environ 470 tonnes de fuel lourd et 50 tonnes de gasoil. Le débit de la pompe du bord est trop faible pour le délai imparti et il n’existe pas sur l’île de pompe adaptée. Le 19 septembre, les structures de l’Adamandas s’a=aiblissent sous l’e=et de la chaleur. Devant « un risque d’incendie, voire d’explosion, dont l’échéance est inconnue », le préfet arrête une zone d’exclusion maritime et aérienne de 400 mètres autour du navire. Le 20 septembre, il enjoint au navire de quitter immédiatement le mouillage dans les eaux territoriales. Le 21, le capitaine n’ayant pas obéi à son injonction, il donne l’ordre à la Marine nationale de procéder à l’éloignement du navire et provoque une dernière réunion des parties, qui n’apporte pas d’élément nouveau. Il ordonne alors l’immersion du vraquier le plus loin et le plus profond possible. Le 22 septembre, les plongeurs démineurs de la Marine nationale mènent l’opération de pétardage. Le navire sombre à 14 heures, par 1 700 mètres de fond, à 20 kilomètres au nord-ouest de la Réunion. Les remontées d’hydrocarbures en surface sont traitées au dispersant par deux patrouilleurs. Une bouée dérivante équipée d’une balise Argos est larguée sur site pour suivre par satellite la dérive potentielle de polluant qui ferait surface dans les heures suivantes. La précaution se révèle superflue : aucune pollution n’approche le littoral.

❚❚Tiger, minerai de fer désoxydé, 2007 Le 7 juillet 2007, le vraquier égyptien Tiger, sous pavillon du Honduras, est remorqué à un mille et demi hors du port de Beni Anzar (Nador, Maroc), sa cargaison de 3 700 ton­ nes de minerai de fer désoxydé ayant commencé à chau=er. Le navire, surmonté d’un important panache de fumée, demande assistance aux autorités portuaires de l’enclave espagnole voisine de Melilla, qui acceptent de l’accueillir et de décharger sa cargaison, pour éviter le risque d’un incendie et d’une explosion devant le port, avec déversement de 70 tonnes de fuel de soute. L’allégement du fuel non indispensable est achevé le 11 juillet, celui de la cargaison le 14 juillet. Le navire, autorisé à quitter Melilla, prend la route d’Alexandrie, son port d’attache.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Retour d’expérience Le Continental Lotus et l’Anis Rose mettent en évidence une attitude bien établie des pays côtiers vis-à-vis des naufrages au large de navires porteurs d’une cargaison banale : les autorités envoient leurs moyens de sauvetage au secours des marins et font une rapide étude de risque. Cette étude établit que la cargaison ne causera pas de dommages graves ni aux ressources exploitées ni à l’environnement. Le seul risque réel de pollution sera la perspective d’une fuite lente du fuel de propulsion quand la rouille traversera la tôle, dans 20 à 50 ans. De son côté, l’armateur ne manifeste aucune intention de prendre quelque mesure que ce soit. Les autorités classent l’a=aire et laissent aux générations futures le problème du risque de fuite. On ne faisait pas autrement il y a quelques dizaines d’années pour les naufrages à proximité des côtes de navires lèges ou transportant des cargaisons similaires. D’où l’existence aujourd’hui d’épaves anciennes, perdant leur fuel de soute à travers des tôles rouillées, sur lesquelles il faut intervenir, comme le Peter Sif en baie de Lampaul (île d’Ouessant). Les deux accidents du Castillo de Salas et de l’Eurobulker IV concordent pour faire apparaître le charbon comme un produit dont le premier danger pour le milieu marin est l’étou=ement de peuplements sessiles du fond en cas d’épandage sur plusieurs dizaines de centimètres d’épaisseur. Sa principale nuisance pour les activités humaines est la souillure des plages. Le risque toxique est négligeable, sauf à se trouver en face d’un charbon exceptionnellement riche en hap très toxiques. En règle générale, la capacité de nuisance du charbon sera donc sensiblement inférieure à celle du fuel de soute du navire en cause. Mais elle ne sera pas pour autant négligeable. Il faudra nettoyer les plages après chaque arrivage et ramasser ce qui se sera déposé en couche épaisse sur des fonds écologiquement sensibles. Ces travaux ne demandent pas de protection particulière ni pour les opérateurs, ni pour les riverains. Une étude d’impact sur le milieu marin et les activités humaines liées est fortement recommandable, pour la bonne information du public. Les accidents du Castillo de Salas et de l’Eurobulker IV montrent ensemble qu’en face de déversements ou de risques de déversement de minerai, les hydrocarbures de soute sont la préoccupation immédiate des autorités : ils sont potentiellement plus polluants que le minerai. Le cas du Castillo de Salas montre en plus le danger d’une décision potentiellement porteuse, mais mal suivie, conduisant à laisser au fond un morceau d’épave nettoyé de son contenu en fuel, sans savoir que ce nettoyage a été mal fait. Des années plus tard, la corrosion ayant fait son œuvre, le produit s’échappe, venant générer la colère des riverains et faire la une des médias. Les cas de l’Adamandas et du Tiger soulèvent le problème grave de l’accueil en portrefuge d’un navire susceptible d’exploser, problème que nous retrouverons plus loin

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Les minerais, métaux et sels métalliques

avec des cargaisons de nitrate d’ammonium. Dans le cas de l’Adamandas, renvoyé antérieurement du port de Durban et dans une situation di;cilement réversible, les autorités françaises ont arrêté leur choix sur la solution brutale et définitive de l’océanisation, avec l’acceptation d’une présence d’épave chargée de minerai inerte par grand fond, contre la suppression de tout risque pour l’homme. Dans le cas du Tiger, face à une situation moins critique, les autorités espagnoles ont accepté de gérer le risque du déchargement du navire à quai. Les cas du Rafaela et du Jambo illustrent tous les deux la question du traitement éventuel d’une épave qui peut présenter un danger en cas de suintement. Pour le Rafaela, la réponse est simple : les autorités maritimes kenyanes avaient d’autres préoccupations que ce risque. Pour le Jambo, la décision concernant le carburant est rapide et vite mise en œuvre : il doit être pompé et il est e=ectivement pompé. La réflexion est plus longue pour la cargaison. Les autorités admettent que des portions importantes soient l’une perdue, l’autre laissée dans l’épave : l’e=ort est dimensionné au risque et il est admis que pomper à tout prix les dernières centaines de tonnes n’est pas justifié. Le cas du Bunga Teratai Satu est très particulier, le produit en cause n’étant pas un composant de sa cargaison, mais sa peinture de coque. Le tributylétain incorporé dans cette peinture est un puissant antisalissure (antifouling, en anglais) connu pour des e=ets nocifs sur les coquillages en pollution chronique : il masculinise les bigorneaux et rend les huîtres boudeuses. La prise de mesures de protection des espèces dans un cas de pollution accidentelle, retenue ici, constitue à notre connaissance une initiative sans précédent.

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Les produits alimentaires et de la filière du bois Si les produits alimentaires et les composants de la filière du bois (gru­ mes, madriers, planches, copeaux, pulpe, pâte à papier, etc.) ne sont pas en eux-mêmes des substances nocives et potentiellement dangereuses, leur dégradation dans le milieu marin peut en générer.

Accidents recensés Nous avons trouvé vingt cas de déversements depuis 1970 (cf. tableau page suivante). Sur ces vingt accidents, neuf concernent des produits en grains ou en farines (céréales), sept des huiles végétales, quatre de la pulpe de papier et du bois. Ce n’est qu’un échantillon de la réalité : il est ainsi di;cilement imaginable qu’il n’y ait eu que deux accidents avec perte de bois depuis 1970 à travers le monde, quand la presse régionale signale chaque hiver plusieurs arrivées de madriers ou de planches sur le littoral breton. Huit accidents sont assez documentés pour en faire des études de cas : • le Lindenbank, échoué le 17 août 1975 sur un atoll des Kiribati, où il est allégé d’une cargaison de 18 000 tonnes d’huiles et autres produits alimentaires végétaux ; • le Kimya, perdant 1 500 tonnes d’huile de tournesol dans un échouement au pays de Galles, le 6 janvier 1991 ; • le Weisshorn, échoué le 27 février 1994 sur un récif en bordure du chenal d’accès au Guadalquivir et déversant au fil des mois sa cargaison de 6 200 tonnes de riz ; • le Fénès, s’échouant le 25 septembre 1996, devant une des îles Lavezzi (Corse, France) avec 2 600 tonnes de blé à bord ; • L’Allegra, perdant le 1er octobre 1997, en Manche Ouest, 900 tonnes d’huile de palmiste suite à un abordage ; • Le Champion Trader, déversant 460 tonnes d’huile de palmiste le 28 octobre 1998, dans le delta du Mississipi ; • le Coop Venture, cargo chargé de maïs, échoué et cassé en deux par un typhon, le 24 juillet 2002, en baie de Shibushi (Japon). L’information sur les autres accidents ne dépasse pas la nature de l’accident, le lieu, l’année et la quantité déversée (exemple : Infiniti, cargo chargé de riz, échoué en 1995 dans un parc marin de Curaçao, déversant 400 tonnes de sa cargaison). Bien souvent, elle n’atteint même pas ces quatre éléments.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Déversements de produits alimentaires et de la filière du bois depuis 1970 Année

Produit(s)

Lindenbank

Nom du navire

1975

Coprah, huiles végétales, fèves de cacao

Océan Pacifique

Zone

Ali Reis V

1978

Bois

Méditerranée Ouest

Sea Pine

1978

Bois

Mer de Chine

Rugwardersand

1981

Farine

Méditerranée Ouest

Radian Med

1984

Blé, maïs

Manche

Dina

1989

Pulpe de papier

Golfe de Gascogne

Hystein

1989

Blé

Golfe de Gascogne

Breithorn

1990

Blé

Atlantique Est

Charlie

1990

Blé

Atlantique

Jarita

1990

Pulpe de papier

Manche

Kimya

1991

Huile de tournesol

Mer du Nord

Manokwari

1991

Huiles végétales

Mer de Sulu

Weisshorn

1994

Riz

Atlantique Est

Infiniti

1995

Riz

Mer des Antilles

Delta Daroy

1995

Huile de palme

Pacifique Ouest

Fénès

1996

Blé

Méditerranée Ouest

Allegra

1997

Huile de palmiste

Manche

Champion Trader

1998

Huile de palme

Golfe du Mexique

Coop Venture

2002

Maïs

Mer du Japon

Irina 2

2002

Huile de palme

Pacifique Ouest

Produits en cause Dans le cadre de la convention Marpol, les produits alimentaires tels que le blé ou le riz ne sont pas considérés comme des polluants. Il n’est donc pas possible, en cas de déversement, d’en imposer l’enlèvement à un armateur, sauf situation exceptionnelle. On se gardera cependant de prendre à la légère un déversement de ces produits. Liquides et flottants, ils vont s’émulsionner et générer des boulettes grasses qui finiront par s’échouer sur le littoral. Coulants et granuleux, ils vont pourrir sur le fond, générant un gaz toxique, l’hydrogène sulfuré (HcS). Le blé, le riz et le maïs ne nécessitent pas de présentation. On rappellera seulement que ces produits en vrac sont souvent aspergés pour le transport d’une huile végétale légère, additionnée de pesticides à durée de vie courte, dans le but conjoint de réduire la production de poussières au chargement-déchargement et de limiter les attaques de nuisibles. Ces pesticides seront libérés dans le milieu aquatique.

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Les produits alimentaires et de la filière du bois

Les huiles végétales sont classées Fp (flottant persistant) selon la classification sebc. Jusqu’en 2007, elles étaient classées Marpol D (présentant un risque discernable pour les ressources marines, la santé humaine et/ou les autres utilisations de la mer). À cette date, dans le cadre du nouveau code ibc, elles ont été déplacées en catégorie Y, c’est-àdire « substances liquides nocives qui, si elles sont rejetées à la mer lors d’opérations de nettoyage des citernes ou de déballastage, sont réputées présenter un risque faible pour les ressources marines ou pour la santé humaine ou causer un préjudice aux valeurs d’agrément ou à d’autres utilisations légitimes de la mer et justifient donc une limitation de la qualité et de la quantité des rejets dans le milieu marin ». Certaines huiles vont s’émulsionner dans l’eau, se solidifier en hiver, et produire des boulettes flottantes, comparables aux boulettes d’hydrocarbure émulsionné, à la couleur et à l’odeur près. Ces boulettes vont dériver sous l’e=et combiné du vent et des courants et s’échouer sur un littoral où les usagers n’apprécieront pas leur présence. L’huile de palme et l’huile de palmiste sont issues de la pression des fruits du palmier à huile. La première, extraite de la pulpe, est utilisée dans l’alimentation et dans l’industrie. La seconde, plus acide, provenant du fruit décortiqué, est surtout utilisée dans l’industrie (savons, lubrifiants, etc.). Sa température de fusion étant comprise entre 23 °C et 30 °C, elle est transportée liquide à 40 °C. Déversée en Manche, où la température varie dans une fourchette de 6 à 20 °C, elle se solidifie rapidement. L’huile de tournesol est une des huiles naturelles les plus riches en acides gras essentiels oméga-6, mais aussi une des plus pauvres en acides gras essentiels oméga-3. C’est une huile alimentaire, largement utilisée dans la fabrication de margarines. C’est aussi une excellente base d’huile de massage, si elle est extraite en première pression à froid. Elle pénètre rapidement l’épiderme et ne laisse pas de sensation de gras après application. Elle est liquide aux températures de nos eaux.

Cas documentés ❚❚Lindenbank, coprah, huiles végétales, fèves de cacao, 1975 Dans la nuit du 17 août 1975, le cargo Lindenbank s’échoue sur le récif corallien de l’île Fanning (Kiribati). Après plusieurs tentatives infructueuses de déséchouement, il est décidé d’alléger le navire en jetant par-dessus bord l’essentiel de sa cargaison, 18 000 tonnes de produits essentiellement alimentaires. Au fil des jours, 5 500 tonnes de coprah, 2 500 tonnes d’huile de palmiste, 1 000 tonnes d’huile de coco, 500 tonnes de fèves de cacao et des quantités moindres d’autres produits sont ainsi jetés à la mer. Les soutes sont pompées et le carburant acheminé à Honolulu. Un mois après l’accident, avant qu’une nouvelle tentative de déséchouement puisse être engagée, une tempête pousse le navire plus avant dans le récif. Son sauvetage est définitivement impossible. Il est abandonné.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Une étude d’impact est réalisée par l’université d’Hawaï. Bien que les substances rejetées en mer ne soient pas toxiques, leurs e=ets se révèlent proches de ceux observés lors de pollutions par des produits pétroliers. Le coprah, les fèves de cacao et l’huile végétale émulsionnée s’accumulent dans les laisses de haute mer et s’y dégradent progressivement. Des poissons, des crustacés et des mollusques de la faune récifale meurent, probablement d’asphyxie et d’encombrement du tractus digestif. Une prolifération d’algues vertes est observée. Elle pourrait être due à la libération de phosphore et d’azote du coprah et des fèves de cacao ainsi qu’à des traces de métaux issus de la dégradation de l’épave. Onze mois après l’accident, la population du récif a cependant retrouvé son équilibre initial.

❚❚Kimya, huile de tournesol, 1991 Ce cargo transportant 1 500 tonnes d’huile de tournesol non ra;née s’échoue au sud-ouest de la côte d’Anglesey (pays de Galles), le 6 janvier 1991, dans un fort orage. L’épave se retourne. Dix des douze membres de l’équipage périssent. Au fil des jours, puis des semaines, une fuite d’huile de tournesol est remarquée à bord du navire. Par temps calme, une nappe d’huile est bien visible, sur plusieurs kilomètres, à la surface de l’eau. L’ensemble de la cargaison se déverse en l’espace de huit à neuf mois. Pendant leur séjour en mer, les molécules d’huile subissent une hydrolyse et se polymérisent sous l’action des vagues, formant des agglomérats qui a=ectent un linéaire de côte important, sous forme de boulettes de « chewing-gum ». Certaines de ces boulettes, constituées de sable et d’huile de tournesol, ont une densité plus importante que celle de l’eau de mer et coulent. L’huile vieillie ainsi entre en contact avec une variété importante d’organismes marins, benthiques comme intertidaux, à proximité de l’épave. Des études permettent d’établir que les molécules d’huile de tournesol se sont polymérisées sous l’action des vagues. Une fois sur les plages, l’huile et le sable forment un agrégat imperméable qui emprisonne les espèces du littoral. La biodiversité s’en trouve a=ectée sur les sites touchés. À proximité de l’épave, dans la zone intertidale, les moules meurent par su=ocation. Au-delà de trois kilomètres autour de l’épave, elles survivent mais les profils lipidiques révèlent une altération de leur composition en acides gras : certaines molécules d’acides gras de l’huile de tournesol (acides linoléique, oléique, palmitique) se sont accumulées dans leur chair. Des tests en laboratoire démontrent en outre que, au contact de l’huile, l’intérieur des coquilles perd sa nacre et l’extérieur devient crayeux. Des agrégats à l’apparence de béton, issues de la pollution du Kimya, arrivent toujours à la côte six ans plus tard.

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Les produits alimentaires et de la filière du bois

❚❚Weisshorn, riz, 1994 Le 27 février 1994, alors qu’il attend, au large de l’estuaire du Guadalquivir (Anda­ lousie), dans de mauvaises conditions météorologiques, une place à quai pour décharger sa cargaison de 6 200 tonnes de riz en provenance de Thaïlande, le Weisshorn ripe sur son ancre et heurte un bloc rocheux submergé. Une tentative de remise à flot échoue. Le navire s’enfonce avec sa cargaison, qui va se déverser et pourrir sur place au fil des mois. Nous n’avons trouvé aucune trace d’une quelconque intervention ou étude portant sur le carburant, la cargaison ou l’épave.

❚❚Fénès, blé, 1996 Ce cargo transportant 2 650 tonnes de blé de meunerie française s’échoue par beau temps, le 25 septembre 1996, sur des rochers bordant une des îles Lavezzi, dans les bouches de Bonifacio. Il s’agit d’un blé alimentaire, qui a été aspergé, pour réduire les poussières et le protéger des insectes, avec 250 litres d’huile de colza stabilisée additivée de deux insecticides organophosphorés (dichlorvos et malathion) et de xylène (CiHba ). Les Lavezzi sont une réserve marine. La présence des insecticides génère des interrogations de scientifiques, relayées par la presse régionale, sur leur possible bioaccumulation. L’étude du problème montre que les deux produits sont relativement solubles, peu bioaccumulables, avec une demi-vie dans l’eau ne dépassant pas quelques jours. Leurs e=ets ne devraient pas se manifester au-delà du voisinage immédiat du déversement. Le souci des mêmes personnes se tourne alors vers le risque d’étou=ement des posidonies, plantes marines protégées, sous une épaisse couche de blé. Des élus interpellent par voie de presse la ministre chargée de l’Environnement et le préfet maritime. Ce dernier se soucie avant tout des 35 tonnes de fuel de propulsion du navire, un fuel léger, dispersible rapidement dans l’eau et l’air. En cas de libération massive, il pourrait occasionner des nuisances pour la faune et la flore marines. L’armateur, mis en demeure de faire cesser ce risque, mobilise une entreprise de sauvetage pour pomper ce fuel. Un mois après l’accident, l’ensemble de la cargaison s’est échappé des cales du navire et couvre une surface estimée à un peu plus d’un hectare autour de l’épave. L’épaisseur de la couche de blé déposée sur les fonds atteint jusqu’à deux mètres. Or le texte fondateur de la réserve marine oblige toute personne y ayant abandonné quelque objet ou substance à prendre en charge son enlèvement. Grâce à cette disposition et en s’appuyant sur un comité scientifique animé par le directeur du Cedre, le préfet maritime parvient à obtenir de l’armateur qu’il ouvre un chantier d’enlèvement du blé et de l’épave. L’absence d’agglomération des grains de blé entre eux permet une récupération par des suceuses guidées sur le fond par des plongeurs. Pour éviter des dommages additionnels,

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Naufrage du Fénès aux îles Lavezzi, Corse : en haut, le blé sur le fond ; en bas, réimmersion du blé au large

© A. Meinesz, Nice

© Cedre

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Les produits alimentaires et de la filière du bois

l’exigence de nettoyage se limite à ce que le sol rocheux, le sable et l’herbier soient de nouveau visibles. Les plongeurs de la réserve contrôlent le travail. Le blé pompé est égoutté à l’extérieur de la baie, stocké sur une barge, puis immergé au large, par des fonds supérieurs à 300 mètres, dans des conditions calculées pour éviter plus d’un kilogramme de blé par mètre carré de surface afin de favoriser sa dispersion et sa biodégradation. L’hypothèse envisagée un instant d’une destruction à terre par incinération a été rejetée devant les nuisances qu’une noria de camions transportant du blé mouillé, en phase de pourrissement, jusqu’à Corte, aurait générées. Deux mois après le déversement, les plongeurs signalent une corrosion des plombs de leurs ceintures de lest. Le personnel de la barge sou=re de nausées, de vomissements et d’irritations cutanées. Des analyses montrent que ces diverses manifestations résultent d’importantes émanations d’hydrogène sulfuré provenant de la fermentation du blé : la teneur mesurée dans l’air ambiant atteint 20 ppm. Le 20 décembre, les autorités suspendent provisoirement les travaux de récupération du blé. Elles les autorisent de nouveau le 27 décembre, après équipement adéquat des intervenants. Ce qui avait commencé comme un simple chantier d’enlèvement d’un produit alimentaire est devenu un chantier d’intervention chimique. Un an après le naufrage, le chantier est clos. Tous les débris d’épave ont été enlevés et il ne reste plus au fond que de faibles quantités de blé pourri, que les tempêtes d’hiver vont disperser. Le suivi assuré par le comité scientifique de la réserve montre que le blé déversé a détruit ou altéré les peuplements d’algues (Cystoseira balearica) et de phanérogames (Posidonia oceanica) sur 3,7 hectares. Il a en revanche généré une prolifération de poissons venus se nourrir de grains en putréfaction.

❚❚Allegra, huile de palmiste, 1997 Ce navire-citerne transportant 15 000 tonnes d’huile de palmiste (densité 0,89-0,91), est abordé le 1er octobre 1977 par un céréalier. Une cuve déchirée déverse 900 tonnes d’huile, 700 en mer et 200 sur le pont de l’abordeur. Une nappe huileuse de 800 mètres sur 400 se forme à la surface de l’eau. Après 24 heures de dérive, la nappe s’étire pour atteindre 20 kilomètres de long sur quatre de large. Elle est constituée d’un agglomérat de boules blanches solides. Sa dérive est suivie grâce aux moyens de télédétection aériens pour hydrocarbures embarqués à bord des avions « Polmar » des douanes françaises et de leur homologue du mpcu (Marine Pollution Control Unit) britannique. Après deux semaines de dérive en mer, des agglomérats se déposent sur des plages des îles Anglo-Normandes, en laisse de haute mer, sous forme de blocs blanchâtres de 5 à 50 centimètres de diamètre. Un ramassage manuel sur les plages est organisé. Des agglomérats échoués dans de zones de falaises, dangereuses pour les intervenants, sont laissés en place. Ils sont remobilisés en quelques jours par la houle.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Il n’y a pas eu d’engluement de la faune et de la flore marines, comme avec un hydrocarbure : l’huile de palmiste s’est très vite solidifiée au contact de l’eau de mer. Le ramassage manuel et rapide sur les plages a permis de récupérer 26 tonnes d’agglomérats. Plus de 870 tonnes d’huile ont donc disparu, constituant d’un côté une source de lipides consommables pour la faune marine et d’un autre côté une menace potentielle : sa dégradation est susceptible de donner des composés tels que des alcanes, esters, aldéhydes ou alcools dont certains sont nocifs pour la faune marine, comme le pentane et l’hexanal.

Abordage de l’Allegra en Manche : en haut, la brèche dans la coque du navire ; en bas, nappe dérivante d’huile de palme

© Cedre

© Cedre

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Les produits alimentaires et de la filière du bois

❚❚Champion Trader, huile de palme, 1998 Le 29 octobre 1998, une explosion se produit à bord du Champion Trader, chargé d’huile de palme, au niveau de Southwest Pass, dans le delta du Mississippi (Louisiane). Elle entraîne le déversement à l’eau de 14 mètres cubes de fuel lourd et de 460 tonnes d’huile de palme. Une nappe d’huile se forme et s’étend sur 3 kilomètres de rivière. Seules 20 tonnes d’huile de palme seront récupérées.

❚❚Coop Venture, maïs, 2002 Le 25 juillet 2002, le cargo Coop Venture, chargé de maïs, est jeté par un typhon sur un haut-fond dans la baie de Shibushi (Japon). Fortement endommagé, il se casse en deux. Aussitôt après le naufrage, du fuel de soute s’écoule du navire, conduisant les autorités japonaises à des travaux de confinement-récupération devant la côte et de dépollution littorale. Ces opérations durent jusqu’au 1er août et 550 personnes y prennent part. Le carburant restant en soute est pompé du 4 au 15 août. Les préoccupations se tournent alors vers l’enlèvement de l’épave. Faute d’une prise en compte su;sante des émanations d’hydrogène sulfuré en provenance du maïs, qui commence à pourrir, quatre opérateurs engagés dans la préparation de l’épave pour son enlèvement par bateau-grue sont intoxiqués et meurent. L’enlèvement des morceaux de l’épave s’achève le 27 décembre.

Retour d’expérience Les accidents du Weisshorn et du Kimya présentent deux caractères communs : d’une part, ce sont des échouements à la côte ou près d’elle et, d’autre part, rien n’est tenté ni pour limiter le déversement de produits alimentaires ni pour réduire le risque à terme de fuite de carburant. Tout se passe comme si les autorités, rassurées par la nature alimentaire de la cargaison, considéraient l’épave comme ino=ensive. Le cas du Lindenbank est di=érent : l’équipage jette à la mer des composants de la cargaison pour alléger le navire et tenter de le déséchouer, augmentant d’autant la pollution. Mais le carburant des soutes est pompé. Les accidents de l’Allegra et du Champion Trader n’ont aucun point commun en matière de lieu (au large pour l’un, en estuaire pour l’autre) comme de circonstances (un abordage pour l’un, une explosion pour l’autre). Mais tous les deux amènent à suivre la dérive de nappe et à expérimenter la récupération d’huile émulsionnée avec les techniques utilisées pour le pétrole. S’il y avait eu des arrivages de boulettes sur des plages touristiques, en saison, le public aurait très certainement demandé un nettoyage, comme pour des boulettes de pétrole.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Par le fait qu’il a coulé dans une réserve marine, le Fénès ouvre sur un traitement déterminé de plusieurs problèmes l’un après l’autre : le risque de toxicité des adjuvants de transport, le danger du fuel de soute de l’épave, le déversement du blé en masse sur des espèces protégées, la pourriture qui transforme le chantier de pompage en chantier snpd, le choix de la solution d’élimination du déchet récupéré. Il n’y manque que l’étude d’impact en bonne et due forme et l’indemnisation du dommage environnemental pour retrouver toutes les composantes d’une crise de marée noire. Les médias locaux n’ont pas hésité à franchir le pas, expliquant que cette pollution sous l’eau était « pire qu’une marée noire » parce qu’invisible et « un cancer sous la mer ». En contrepoint, les quatre morts du Coop Venture montrent bien qu’il ne faut surtout pas négliger le risque d’intoxication par l’hydrogène sulfuré provenant de la décomposition d’un produit végétal. Globalement, on observera que ces déversements de produits alimentaires ne sont pas aujourd’hui un souci majeur pour les responsables de la lutte, ni une cible prioritaire des feux des associations de défense de l’environnement. Mais il su;ra de peu de chose pour que l’autorité responsable qui ne gérerait pas un accident de ce type avec la plus grande rigueur se voie sévèrement mise en cause, surtout s’il y a mort d’hommes.

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Les matières premières de fertilisants Les matières premières de fertilisants sont des composés intégrant l’un des éléments des engrais ternaires NPK : azote, phosphore ou potassium. Les engrais sont des mélanges d’éléments minéraux destinés à apporter aux plantes des compléments nutritifs, en vue d’améliorer leur croissance et d’augmenter le rendement et la qualité des cultures.

Accidents recensés Nous avons trouvé seize exemples plus ou moins documentés de déversements de tels composés transportés en vrac, dont quatorze intervenus depuis 1970, auxquels nous avons ajouté deux accidents de 1947, trop dramatiques pour être négligés. L’ensemble est présenté dans le tableau qui suit.

Déversements de matières premières de fertilisants depuis 1947 Nom du navire

Année

Produit(s)

Zone

Grandcamp

1947

Nitrate d’ammonium

Golfe du Mexique

Ocean Liberty

1947

Nitrate d’ammonium

Manche

Captain Niko

1973

Sulfate d’ammonium

Manche

Black Sea

1979

Fertilisants

Mer Noire

Maria Costa

1979

Organophosphates

Atlantique Est

Pool Fisher

1979

Potasse

Manche

Angela Smits

1986

Nitrate d’ammonium

Atlantique Est

Anja

1991

Phosphates

Atlantique Est

Scaieni

1991

Nitrate d’ammonium

Méditerranée

Captain Manolis I

1996

Phosphates

Méditerranée

Kira

1996

Acide phosphorique

Méditerranée Est

Million Hope

1996

Phosphates, potasse

Méditerranée Est

Junior M

1999

Nitrate d’ammonium

Atlantique Nord-Est

Fu Shan Hai

2003

Potasse

Mer Baltique

Golden Sky

2007

Chlorure de potassium

Mer Baltique Est

Gulser Ana

2009

Phosphate de roche

Océan Indien

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Cinq accidents, trois concernant du nitrate d’ammonium, un du phosphate de roche et un de la potasse, sont assez documentés pour en faire des études de cas : • l’explosion du liberty-ship Grandcamp dans le port de Texas City (États-Unis), le 16 avril 1947 ; • l’explosion du liberty-ship Ocean Liberty en rade de Brest, le 28 juillet 1947 ; • la gestion du problème posé par une voie d’eau du cargo Junior M, chargé de nitrate d’ammonium, après son remorquage au port de Brest le 4 octobre 1999 ; • le naufrage du Fu Shan Hai, chargé de 66 000 tonnes de potasse, le 31 mai 2003, devant Bornholm (Danemark) ; • le naufrage du vraquier Gulser Ana, le 25 août 2009, sur la côte sud de Madagascar, avec un chargement de phosphate de roche. L’information sur les autres accidents se limite à quelques éléments de base (exemple : Captain Manolis I, naufrage au large de la Tunisie avec 5 000 tonnes de phosphates à bord), voire à de brefs signalements dans des bases de données.

Produits en cause ❚❚Nitrate d’ammonium Le nitrate d’ammonium (NHeNOd ) est un solide cristallisé blanc, très soluble dans l’eau, très hygroscopique. C’est un oxydant puissant, appartenant à la catégorie des comburants. Il est parfois appelé improprement nitrate d’ammoniac, étant fabriqué par réaction d’acide nitrique (HNOd ) sur de l’ammoniac (NHd ). Il est utilisé en chimie comme oxydant et surtout pour la fabrication d’un engrais azoté minéral, l’ammonitrate (principal engrais azoté utilisé en France). L’ammonitrate est fabriqué à partir d’une solution de nitrate d’ammonium additionnée d’un produit neutre (craie, dolomie, etc.). Il se présente sous forme de granulés solides, en vrac, en big bags de 500 kilogrammes ou en sacs de 50 kilogrammes de nitrates à moyen dosage contenant 26 à 27,5 % d’azote (ammonitrate 27). Du fait de son fort pouvoir oxydant, il peut être utilisé pour faire des explosifs souvent mélangés avec des hydrocarbures comme le gasoil. On comprendra donc qu’il faut absolument éviter dans son transport un contact avec des hydrocarbures à proximité d’une source de chaleur, deux éléments souvent présents dans le compartiment machines d’un navire mal entretenu.

❚❚Phosphate de roche Le phosphate de roche est un minerai exploité dans des gisements d’origine volcanique ou constitués de squelettes d’animaux marins, mélanges de phosphates et de carbonates de calcium, dont les carbonates ont été remplacés avec le temps par du fluor, qui a rendu le minerai plus stable. Nous avons choisi de le prendre en compte au

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Les matières premières de fertilisants

chapitre des matières premières de fertilisants parce que sa principale utilisation est la production d’engrais par acidification qui rend le phosphore plus soluble. Mais il pourrait tout aussi bien être pris en compte au chapitre des minerais. Le meilleur phosphate de roche provient de Gafsa (Tunisie), suivi de celui de Caroline du Sud (États-Unis).

❚❚Potasse − Le mot « potasse » désignait à l’origine un minerai, mélange de carbonate (COCd ) et de chlorure de potassium (KCl). Il désigne aujourd’hui, par extension, les di=érentes solutions de sels de potassium, en particulier la solution aqueuse d’hydroxyde de potassium (KOH) employée dans la fabrication de produits chimiques (pile alcaline), de savon et d’engrais. La potasse sous forme de minerai est un solide blanchâtre, très soluble dans l’eau, très caustique. Elle est utilisée dans la fabrication de fertilisants, de savons, de détergents, de peintures, en particulier.

Cas documentés ❚❚Grandcamp, nitrate d’ammonium, 1947 Le 16 avril 1947, le liberty-ship Grandcamp charge une cargaison de fertilisant contenant du nitrate d’ammonium (NHeNOd ) au port de Texas City (États-Unis), quand un incendie se déclenche dans une cale. Pris en remorque, il explose avant d’avoir pu être éloigné. L’onde de choc déclenche plusieurs incendies et explosions dans les entrepôts du port. De nombreux bâtiments et deux autres navires sont détruits. Le port est complètement dévasté, six cents personnes meurent et trois mille sont blessées. Il faudra 6 jours pour maîtriser tous les incendies. On retrouvera une ancre du Grandcamp, à 3 kilomètres de distance, dans un jardin.

❚❚Ocean Liberty, nitrate d’ammonium, 1947 Chargé de 3 158 tonnes de nitrate d’ammonium, ce vraquier entre le 28 juillet 1947 dans le port de Brest. La ville, presque entièrement détruite par les combats de l’été 1945, est en pleine reconstruction. À l’accostage du navire, il apparaît que de la fumée sort d’une des cales, qui n’a pas été ouverte. L’incendie s’étend rapidement. Après une série de petites explosions, le navire est remorqué hors du port. Il s’échoue à 600 mètres du quai et le remorqueur ne parvient pas à le dégager. Un remorqueur plus puissant est envoyé à la rescousse. Des obus sont tirés afin de noyer les cales. Mais l’épave explose. La déflagration fait 26 morts et des centaines de blessés. Entre 4 000 et 5 000 constructions sont détruites : des hôpitaux, des commerces, des hôtels et surtout des maisons individuelles. Au port, les grues sont à terre. Les hangars, l’usine à gaz et les dépôts de pétrole sont en flammes.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

❚❚Junior M, nitrate d’ammonium, 1999 Le 4 octobre 1999, le Junior M, cargo égyptien transportant 6 900 tonnes de nitrate d’ammonium en vrac, signale au Cross Corsen une entrée d’eau dans une de ses trois cales. Une expertise à bord fait constater que les pompes du navire ne sont pas en mesure d’évacuer l’eau qui a envahi une cale et plusieurs ballasts. Le Junior M est dérouté par la préfecture maritime vers le port de Brest, qui conserve le douloureux souvenir de la catastrophe de l’Ocean Liberty. Un dispositif d’accueil est mis en place, avec un périmètre de sécurité autour du navire et la prévision de noyer les cales en cas de début d’incendie. L’armateur se montre incapable de donner suite aux di=érentes mises en demeure de la direction départementale de l’Équipement, gestionnaire du port. Le cargo reste à quai, sous le contrôle permanent des pompiers. La brèche dans sa cale avant ne peut pas être + colmatée, L’eau dissout de plus en plus de nitrate d’ammonium : NHeNOd (s) → NHe (aq) − + NOd (aq). Il faut pomper quotidiennement et stocker dans une barge une cinquantaine de mètres cubes de solution. Après analyse du risque environnemental et en l’absence de solution de traitement à terre, il est décidé de déverser la solution au large, par lots de 400 mètres cubes (120 tonnes de matière). Sept cents tonnes de nitrate d’ammonium en solution sont ainsi déversées en six opérations, au cours du mois de novembre, après consultation du ministère chargé de l’Environnement.

Entrée d’eau dans le Junior M en Manche : remorquage en rade de Brest, nitrate d’ammonium en cale

© Cedre

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Les matières premières de fertilisants

Après diverses recherches de solutions, le reste de la cargaison finit par être vendu et évacué début 2000 par voie ferrée, le déchargement se faisant aux frais de l’État. Le navire, abandonné par son propriétaire, est saisi. Il restera plusieurs années à quai, avant d’être vendu aux enchères pour être ferraillé.

❚❚Fu Shan Hai, potasse, 2003 Le 31 mai 2003, le vraquier Fu Shan Hai entre en collision avec un porte-conteneurs au large de l’île de Bornholm (Danemark). Sérieusement endommagé, il est évacué par son équipage et coule par 68 mètres de fond en cours de remorquage. Il transporte 66 000 tonnes de potasse et a 1 800 tonnes de fuel lourd et 110 tonnes de gasoil et de lubrifiants en soute. L’épave perd des hydrocarbures : deux jours après le naufrage, une nappe huileuse de 12 kilomètres de long et de 3 kilomètres de large est observée au large des côtes suédoises. Onze navires antipollution suédois et danois sont dépêchés sur place. Malgré cela, le littoral de l’île danoise de Christianø est souillé et des chantiers de nettoyage du littoral doivent être mis en place. Au total, en 11 jours de lutte, 1 200 tonnes d’hydrocarbures sont récupérées, pour une dépense de 8,8 millions d’euros. La potasse ne fait pas l’objet d’une intervention.

❚❚Gulser Ana, phosphate de roche, 2009 Le vraquier Gulser Ana, chargé de 39 000 tonnes de phosphate de roche (phosphorite), avec 570 tonnes de fuel lourd en soutes, s’échoue dans la nuit du 25 août 2009 devant la côte sud de Madagascar, dans une zone sans autre accès terrestre qu’une piste en mauvais état. Il se fissure, puis se casse en deux le 30 août, après évacuation de son équipage. Les autorités s’inquiètent d’une pollution de l’eau de mer et des puits en arrière de plage par les métaux lourds présents dans le phosphate de roche et les hydrocarbures. Elles ferment la pêche, interdisent l’usage des puits proches et mobilisent chaque jour 100 à 150 locaux, encadrés par des experts étrangers mobilisés par l’armateur, pour des opérations de nettoyage sur les 50 kilomètres de plages souillées. Un rapport du World Wildlife Fund présente la situation comme un désastre écologique, estimant que 20 000 personnes ont été a=ectées : certains ont sou=ert de diarrhées dues à une pollution de l’eau potable, d’autres ont eu des problèmes respiratoires, d’autres enfin, ont perdu leur moyen d’existence, les poissons étant devenus impropres à la consommation sur 30 kilomètres de littoral. Le Cedre est mobilisé par les autorités malgaches. Des échantillonnages ne montrent pas de di=érences ni dans l’eau des puits ni dans l’eau de mer entre la zone proche de l’épave et les zones environnantes. Des analyses de chair ne mettent pas en évidence de pollution des poissons. La pêche et l’usage des puits sont de nouveau autorisés.

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Naufrage du Gulser Ana à Madagascar : en haut, l’épave presque immergée ; en bas, échantillonnage pour recherche de polluant dans un puits en haut de plage

© Cedre

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Les matières premières de fertilisants

Retour d’expérience Après les catastrophes du Grandcamp et de l’Ocean Liberty, nul n’envisagerait de mettre en doute le risque d’explosion d’une cargaison de nitrate d’ammonium et ses conséquences possibles pour les hommes et les biens. On comprendra donc facilement la responsabilité prise par le préfet maritime de l’Atlantique, en faisant entrer le Junior M, vieux navire avec une cargaison souillée, dans un port qui avait vécu une explosion de nitrate d’ammonium. On imaginera tout aussi facilement le peu d’enthousiasme des autorités portuaires pour faire une place à quai à une telle « bombe flottante ». On comprendra enfin les précautions drastiques prises pour empêcher tout incendie sur ce navire. Au-delà du risque d’explosion, le Junior M soulève la question délicate du déversement volontaire de quantités importantes de fertilisant dans le milieu marin, question que l’on retrouvera plus loin avec l’acide phosphorique de l’Ece. En comparaison, le cas du Gulser Ana paraît tout à fait bénin, malgré les a;rmations du World Wildlife Fund. Il se rapproche en fait des déversements de charbon du Castillo de Salas et de l’Eurobulker IV : un déversement de minerai sans toxicité particulière, sous forme pulvérulente, dans lequel la préoccupation majeure se tourne vite vers le fuel de soute du navire. Le Fu Shan Hai, de son côté, est la parfaite illustration d’un naufrage de transport de snpd dans lequel la seule préoccupation réelle des autorités est le fuel de soute. On ne trouve donc pas, dans ce groupe des matières premières de fertilisants, de problème réel de pollution mais, avec un produit au moins, un risque grave d’explosion.

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Les liquides corrosifs Les liquides corrosifs sont de deux natures : les acides, composés chi­ miques pouvant libérer des protons (ions hydrogène H+), en solution aqueuse ; les bases, composés chimiques pouvant capter un ou plusieurs protons dans les mêmes conditions. Dans l’eau, l’acidité est mesurée à l’aide de l’échelle du potentiel hydrogène (ou pH), qui mesure l’activité chimique des ions hydrogène. Ainsi, dans un milieu aqueux à 25 °C, une solution de pH  7 est basique, = 7 est neutre. L’eau de mer a un pH normalement voisin de 8. Elle est une solution « très tamponnée », ce qui veut dire que son pH résiste bien aux influences tendant à le faire augmenter ou diminuer.

Accidents recensés Nous avons trouvé vingt-deux exemples de déversements concernant ces produits. Ils sont présentés dans le tableau page suivante. Dans cet ensemble, six déversements étaient assez documentés pour en faire des études de cas, dont un portant sur de la soude caustique, un sur de l’acide phosphorique et quatre sur de l’acide sulfurique : • la Cynthia M, barge déversant 490 tonnes de soude caustique le 5 mars 1994, dans le port de Newark (États-Unis) ; • le Bahamas, victime d’une fausse manœuvre au déchargement de sa cargaison d’acide sulfurique le 24 août 1998 au port de Trevo (Rio Grande, Brésil) ; • le Panam perla, victime d’une fuite d’acide sulfurique dans sa double coque, le 10 novembre 1998 ; • la NMS 1477, barge se retournant dans le port de Texas City (États-Unis) le 3 novembre 2003, avec 1 300 mètres cubes d’acide sulfurique à bord ; • l’Ena 2, déversant 6 tonnes d’acide sulfurique le 28 juin 2004, dans le port de Hambourg (Allemagne), après un abordage ; • l’Ece, abordé en Manche le 30 juin 2006 et coulant avec sa cargaison de 10 000 tonnes d’acide phosphorique. Sur les autres déversements, les données disponibles sont extrêmement limitées.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Déversements en mer de produits corrosifs après 1970 Nom du navire

Année

Produit(s)

Zone

Daniel Pierce

1963

Acide sulfurique

Golfe du Mexique

Leliegracht

1973

Carbonate de soude

Mer du Nord

Stolt Hera

1977

Soude caustique

Mer des Caraïbes

Taiheizan Maru

1978

Acide sulfurique

Mer du Japon

MultitankWestfalia

1980

Acide sulfurique

Méditerranée Est

Puerto Rican

1984

Soude caustique

Pacifique Nord-Est

Erato

1991

Acides phosphorique et sulfurique

Méditerranée Ouest

ACO-501

1988

Acide sulfurique

Golfe du Mexique

Betula

1993

Acide sulfurique

Golfe du Mexique

Cynthia M

1994

Soude caustique

Atlantique Ouest

Kira

1996

Acide phosphorique

Mer Égée

TMI 11

1996

Soude caustique

Golfe du Mexique

Panam Perla

1998

Acide sulfurique

Atlantique

Bahamas

1998

Acide sulfurique

Atlantique Sud-Ouest

Martina

2000

Acide chlorhydrique

Mer Baltique

Dahlia S

2000

Acide nitrique

Méditerranée Est

Balu

2001

Acide sulfurique

Golfe de Gascogne

NMS 1477

2003

Acide sulfurique

Golfe du Mexique

Ena 2

2004

Acide sulfurique

Mer du Nord

GoldenGlory

2004

Acide sulfurique

Méditerranée Est

MGM 3030

2005

Acide sulfurique

Atlantique Nord-Ouest

Ece

2006

Acide phosphorique

Manche

Produits en cause Les produits en cause dans les six cas relativement documentés sont donc une base (soude caustique) et deux acides (sulfurique et phosphorique).

❚❚Soude caustique La soude caustique (NaOH), ou hydroxyde de sodium, se présente sous la forme d’un solide blanc translucide, très hygroscopique. En solution, c’est un liquide incolore et transparent, d’aspect visqueux ( 78 mPa·s à 20 °C). Déversée en grande quantité, elle va couler (densité 1,52) en se diluant dans l’eau (elle est complètement soluble à 20 °C).

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Les liquides corrosifs

La soude est stable et non combustible. Cependant, des risques d’incendie et même d’explosion existent lorsque la soude entre en contact avec de nombreux produits. Le contact non contrôlé de soude anhydre avec l’eau génère un dégagement de chaleur su;sant pour enflammer des matières inflammables.

❚❚Acide sulfurique L’acide sulfurique (HcSOe ) est un liquide réactif et corrosif, de densité élevée (1,84) et de faible tension de vapeur (0,13 kPa à 146 °C). C’est un acide fort miscible à l’eau en toutes proportions. Mélangé avec l’eau, l’acide concentré dégage de grandes quantités de chaleur. Par faible profondeur, l’eau peut être portée à ébullition. Déversé en grande quantité, l’acide va couler puis se diluer totalement dans l’eau. Il est toxique pour la faune marine dans une fourchette de 10 à 100 mg/l, soit un abaissement du pH de l’eau se situant entre 3 et 4.

❚❚Acide phosphorique L’acide phosphorique (HdPOe ), ou acide orthophosphorique (o-phosphorique), est un acide minéral obtenu par traitement du minerai de phosphate ou par combustion du phosphore. À température ambiante, c’est un solide cristallin de densité 1,83, qui fond à 42 °C. Il est ordinairement stocké et vendu sous forme de solution. Il constitue la matière première de base pour la production de sels phosphatés.

Cas documentés ❚❚Cynthia M, soude caustique, 1994 Chargée de 1 200 mètres cubes de soude caustique à 30 %, la barge Cynthia M prend une forte gîte alors qu’elle est amarrée à un embarcadère et déverse 490 tonnes de son chargement dans la rivière Hackensack, qui se jette dans la baie de Newark (New Jersey, États-Unis). Le pH à côté de la barge atteint 12 très rapidement, pour redescendre à 9 trois heures plus tard. Seule la zone au voisinage immédiat de la barge est a=ectée. Ni le confinement ni la récupération ne sont envisageables, du fait d’une dissolution immédiate du produit dans l’eau. L’addition d’acide faible pour neutraliser la base est envisagée, puis abandonnée sur recommandation de la National Oceanic and Atmospheric Agency (noaa) au profit de l’usage de lances à incendie pour augmenter la dilution du panache aquatique et favoriser la dissolution du produit dans la colonne d’eau. Le déversement provoque des mortalités de poissons dans la rivière et les marais alentour. Des oiseaux sont aussi a=ectés.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

❚❚Bahamas, acide sulfurique, 1998 Une erreur de manipulation pendant le déchargement d’une cargaison de 1 700 tonnes d’acide sulfurique au port de Trevo (Rio Grande, Brésil) provoque une pénétration d’acide dans les doubles fonds du chimiquier Bahamas, âgé de 28 ans et en mauvais état. Dans les doubles fonds, l’acide est dilué par de l’eau résiduelle. L’acide dilué, très corrosif, ne peut pas être neutralisé, faute d’un agent adéquat, ni pompé pour être stocké à terre ou dans un autre navire. L’équipage, incapable de gérer la crise, abandonne le navire. Les autorités portuaires envisagent un pompage à faible débit avec déversement dans le port à marée descendante. Un suivi de l’acidité autour du navire est mis en place. Le temps passe. Une décision de justice ordonne le déversement de la cargaison au large. Dix mois après l’accident, le navire est remorqué hors du port et 12 000 tonnes d’acide sont déversées au large.

❚❚Panam Perla, acide sulfurique, 1998 Le 10 novembre 1998, le second capitaine du chimiquier Panam Perla découvre qu’une centaine de tonnes d’acide sulfurique pur (99 %) se sont infiltrées d’une cuve à cargaison vers la double coque du navire. L’acide pur est susceptible d’y rencontrer de l’eau résiduelle, comme dans le cas du Bahamas, et de corroder les fonds du navire, avec production d’hydrogène, inflammable et explosif. Le navire est à un jour de route d’un terminal chimiquier. Il est autorisé à aller y décharger sa cargaison et à y vider ses doubles fonds. Cela fait, il reste à neutraliser les quelques mètres cubes restant dans les doubles fonds par des apports de bicarbonate, ce qui implique une intervention humaine, avec des combinaisons résistantes à l’acide et une alimentation en air comprimé. Les trous d’hommes des doubles fonds ne permettant pas de passer avec des équipements de protection lourds, les intervenants sont équipés de combinaisons légères et d’une alimentation en air par narguilé. Ils positionnent en outre des petites bouteilles d’air comprimé en relais le long du parcours. La délicate opération est réalisée en une semaine, sans incident.

❚❚NMS 1477, acide sulfurique, 2003 Le 3 novembre 2003, la barge citerne NMS 1477, chargée de 1 300 mètres cubes d’acide sulfurique à 99 % prend de la gîte en manœuvre d’accostage et se renverse dans le port de Texas City (États-Unis). Ni l’équipage de la barge ni celui du remorqueur ne connaissent précisément la nature, le volume et le plan de charge de la cargaison. De l’eau commence à entrer dans la barge, diluant l’acide, ce qui génère une corrosion de la coque, de la chaleur et la production de grandes quantités d’hydrogène, hautement inflammable. Un PC Intervention, aussitôt mis en place, établit une zone de sécurité de 400 mètres autour de l’épave et mobilise des moyens d’allégement.

68

Les liquides corrosifs

À l’aube du 5 novembre, la barge bascule sur bâbord. Le bouillonnement de l’eau au niveau des écoutilles met en évidence la corrosion en cours. L’acidité de l’eau empêche des observations plus fines par plongeurs. Des barrages antipollution sont déployés pour confiner une éventuelle fuite de fuel. Le PC Intervention prépare l’opération d’allégement, qui doit débuter le 6 novembre. Des experts en découpe du métal en atmosphère explosive sont consultés. Une machine de perçage à froid sous haute pression est acheminée de Houston et adaptée aux particularités de l’opération, qui est engagée le 7 novembre. Deux techniciens télécommandent la machine à 60 mètres de distance. Tout se passe bien et l’hydrogène sous pression est transféré dans une barge citerne. Le risque d’explosion éliminé, des plongeurs passent des élingues sous l’épave et une première tentative de levage de la barge pour accéder aux écoutilles est faite le 9 novembre. L’hypothèse d’une récupération de la cargaison, trop dangereuse, est abandonnée au profit d’un déversement contrôlé par pompage sous rideau d’eau. Une réaction violente lors d’un arrêt de la pompe provoque une évacuation temporaire de la zone. La pompe est remise en route et la barge, allégée, se redresse. Un suivi au cours des mois qui suivent ne montre qu’un impact environnemental minime.

❚❚Ena 2, acide sulfurique, 2004 Le 28 juin 2004, le chimiquier allemand Ena 2, chargé de 960 tonnes d’acide sulfurique, est abordé par un porte-conteneurs pendant sa procédure d’accostage au port de Hambourg. La collision endommage la coque extérieure du chimiquier, qui coule à son poste d’accostage. La structure interne du navire n’est pas touchée. L’accident cause une légère pollution suite à la fuite d’acide dans le système d’aération du navire, rapidement maîtrisée. Onze personnes sont a=ectées par des émanations gazeuses corrosives. Des milliers de poissons sont tués. Après expertise pour vérifier qu’il ne se brisera pas durant les opérations, l’Ena 2 est renfloué le 5 juillet, sans autres fuites.

❚❚Ece, acide phosphorique, 2006 Dans la nuit du 30 janvier 2006, le chimiquier Ece, en provenance de Casablanca (Maroc) et faisant route vers Gand (Belgique), est abordé en Manche par un vraquier à l’approche du dispositif de séparation du trafic des Casquets. Ironie du sort, le navire abordeur vient lui aussi du Maroc, avec un chargement de phosphates. Le bulbe d’étrave légèrement endommagé, il est en mesure de reprendre sa route. L’Ece, qui transporte 10 000 tonnes d’acide phosphorique, présente une voie d’eau et gîte sévèrement. Le Cross Jobourg coordonne les opérations de sauvetage des 22 membres de l’équipage, qui sont assurées par un hélicoptère de la Maritime and Coastguard Agency britannique. Le remorqueur Abeille Liberté est dirigé vers le lieu de la collision.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

La question des impuretés d’un produit chimique Au-delà du risque immédiat d’une acidification temporaire de l’eau au voisinage de l’épave, entraînant une irritation de la peau ou des muqueuses, et de l’effet fertilisant d’un apport massif d’ions phosphate, la présence de près de vingt tonnes de divers métaux dans l’acide phosphorique de l’Ece, en particulier du fer, du zinc, du chrome et de l’uranium, a conduit les experts à examiner le risque à terme de bioaccumula­ tion de ces métaux par la faune marine. La question était, bien sûr, particulièrement sensible pour la radioactivité de l’uranium. Les quantités en jeu ont été confrontées à travers plusieurs modélisations aux flux annuels en Manche et à l’apport annuel de la Seine. Il est apparu qu’elles ne pouvaient modifier les teneurs habituelles dans l’eau que de 20 % au plus et très temporairement.

Naufrage de l’Ece en Manche : en haut, le navire en difficulté ; en bas, expérimentation sur de l’acide phosphorique (coloré), qui, plus lourd que l’eau, suinte lentement d’un flacon ouvert et s’étale sur le fond

© Marine nationale

© Cedre

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Les liquides corrosifs

La préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord (Prémar-Manche) engage alors une évaluation du risque de pollution, avec l’appui du Centre d’expertises pratiques de lutte antipollution de la Marine nationale (Ceppol) et du Cedre, mis à sa disposition au titre du plan Polmar-Mer. Outre sa cargaison, le chimiquier transporte 70 tonnes de fuel de propulsion (Intermediate Fuel Oil, ifo 180) et 20 tonnes de diesel marin (Marine Diesel Oil, mdo). Le remorqueur Abeille Liberté arrive sur zone le 31 janvier vers 7 heures du matin. Il ne constate aucune pollution et des équipes d’évaluation montent à bord de l’Ece, qui accuse une gîte stabilisée à 25° sur bâbord et n’est plus manœuvrant. Le navire est pris en remorque par l’Abeille Liberté à destination du port du Havre. Le 1er février, un peu avant 4 heures du matin, il coule par 70 mètres de fond à 50 nautiques à l’ouest de la pointe de La Hague. L’épave repose dans les eaux internationales, dans la zone française de coordination de la lutte antipollution. Le Manche-Plan, plan bilatéral franco-britannique d’entraide mutuelle pour le sauvetage et la lutte antipollution, est déclenché. La pêche est provisoirement interdite autour de l’Ece. La nécessité de pomper dans toute la mesure du possible les hydrocarbures présents dans l’épave est vite reconnue. L’acide phosphorique fait débat. C’est un acide faible, qui ne présente pas grand danger pour la faune marine. Mais la question se pose de sa capacité à provoquer une multiplication brutale du phytoplancton : son déversement à la mer y apporterait une quantité de phosphore comparable à l’apport annuel par la Seine. Une négociation entre les autorités britanniques et françaises d’un côté, l’armateur et ses assureurs de l’autre, aboutit le 16 juin à un accord pour l’enlèvement des hydrocarbures qui restent dans l’épave (une quarantaine de tonnes) et pour la libération contrôlée de l’acide phosphorique en ouvrant avec un robot télécommandé les panneaux d’accès à chacune des six citernes. L’opération sera conduite par l’armateur pendant la période d’été sous le contrôle des autorités. Jusqu’à leur achèvement, prévu pour le 15 septembre, l’interdiction de pêche autour de l’épave sera maintenue. Les travaux se déroulent comme prévu et quitus est donné à l’armateur par le préfet maritime le 18 septembre.

Retour d’expérience Tous ces accidents concourent à montrer qu’une fois le déversement intervenu, la seule intervention possible sur un acide ou une base est une opération de brassage visant à accélérer la dilution du produit. Derrière cet aspect commun à toutes les bases et à tous les acides, qu’ils soient forts ou faibles, des di=érences apparaissent d’un cas à l’autre. Les accidents du Bahamas, du Panam Perla, de la NMS 1477 et de l’Ena 2 mettent en évidence l’extrême dangerosité de l’acide sulfurique dilué pour l’intégrité du navire

71

pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

transporteur : il est capable de corroder les aciers les plus résistants. Les accidents du Bahamas et du Panam Perla montrent par ailleurs, le premier en négatif, le second en positif, le poids d’une bonne formation et d’un bon équipement du bord dans la gestion e;cace de la crise. Le cas de la barge NMS 1477 illustre par ailleurs les facteurs temps et choix dans une intervention qui comprend des risques graves pour les intervenants et les riverains. La corrosion est un phénomène relativement lent, qui permet de réfléchir aux choix stratégiques et à leurs solutions de mise en œuvre. Mais en même temps, l’atteinte non prévisible de certains seuils dans la corrosion peut provoquer des changements de situation brutaux, impliquant une évacuation temporaire des lieux suivie de nouveaux choix. Dans ces changements de situation et ces nouveaux choix, la protection des vies humaines a priorité sur le risque de pollution temporaire des eaux. Ces quatre accidents portant sur de l’acide sulfurique et celui de la barge Cynthia M, portant sur de la soude caustique, montrent bien que la seule action possible une fois le produit déversé, qu’il soit acide ou base, est de favoriser la dilution la plus rapide possible. L’accident de l’Ece met en évidence le problème particulier du traitement d’une épave contenant un acide faible, ayant vocation à entrer dans la fabrication de fertilisants, face à l’interrogation sur l’impact que ce produit pourrait avoir sur la prolifération planctonique printanière, en cas de déversement incontrôlé. La première préoccupation en cas de déversement d’acides ou bases n’est pas la pollution du milieu marin, mais le risque d’intoxication pour les marins ou les sauveteurs. Puis, comme au chapitre précédent pour les sels, la seconde préoccupation est le carburant déversé ou piégé dans l’épave. La pollution marine vient en troisième ordre, sauf quand, comme le montre le cas de l’Ece, une libération incontrôlée du produit à une époque particulière de l’année peut avoir des e=ets sur la production primaire de la zone. Dans tous les cas, on ouvrira, face à un déversement d’acide ou de base, trois chantiers de prise de décision : le chantier « carburant du navire », le chantier « dilution de l’acide ou de la base » et le chantier « acide ou base dans l’épave ».

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Les produits de la pétrochimie Les produits de la pétrochimie sont des composés à base de carbone et d’hydrogène qui se partagent entre trois familles principales : • les solvants, pour la plupart des hydrocarbures aromatiques polycycliques : benzène (C6H6), toluène ou méthylbenzène (C7H8), xylène (C8H10 ), etc. ; • les monomères, dont la polymérisation produit des matières plastiques : styrène (C8H8), éthylène (C2H4), propylène (C3H6), etc. ; • les alcools, composés organiques dont un des carbones est lié à un groupement hydroxyle (−OH). À la température et à la pression ambiante, la plupart des produits de la chimie du pétrole sont liquides. Leur transport en vrac se fait dans des chimiquiers, navires citernes très spécialisés, dont la capacité ne dépasse pas quelques dizaines de milliers de mètres cubes. Ces navires sont généralement bien entretenus, car exploités par des armateurs spécialisés dans ce type de transport, considéré à haut risque, pour l’équipage en premier lieu. Alors qu’un pétrolier charge souvent l’ensemble de ses cuves avec un même brut, à un unique terminal, un chimiquier spécialisé dans le marché de la pétrochimie transporte généralement plusieurs produits, souvent chargés dans des ports différents. Les chimiquiers équipés de trente cuves ne sont pas rares. La présence fréquente de produits dangereux dans les cargaisons et le voisinage de cuves contenant des produits susceptibles de réagir entre eux font que ces navires sont très surveillés et restent longtemps entre les mêmes mains, en général des armements dédiés. Ils sont, de ce fait, réputés pour avoir un taux d’accidents très faible mais pas inexistant, comme le montrent les exemples cités ici.

Accidents recensés Nous avons trouvé vingt-trois cas de déversements accidentels de ces produits ou d’accidents entraînant des risques de déversement depuis 1970. L’ensemble est présenté dans le tableau page suivante.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Déversements en mer ou risques de déversement de produits de la pétrochimie après 1970 Nom du navire

Année

Amalie Essberger

1973

Phénol

Produit(s)

Mer Baltique Nord

Zone

Chem 112

1982

Acrylonitrile

Atlantique Nord-Ouest

Brigitta Montanari

1984

Chlorure de vinyle monomère chloride

Adriatique

Anna Broere

1988

Acrylonitrile, dodécylbenzène

Mer du Nord

Capo Falcone

1988

Propylène

Méditerranée Ouest

Alessandro Primo

1991

Acrylonitrile, dichloroéthane

Méditerranée Ouest

Grape One

1993

Xylène

Manche

Cape Charles

1993

Triméthylchlorosilane

Canal de Panama

N° 1 Chung Mu

1995

Styrène

Mer de Chine du Sud

Albion II

1997

Phénol

Golfe de Gascogne

Ievoli Sun

2000

Styrène, isopropanol, méthyléthylcétone

Manche Ouest

Norma

2001

Naphta

Atlantique Sud-Ouest

Da Yon

2001

Styrène

Mer de Chine

Bow Eagle

2002

Acétate d’éthyle, cyclohexane

Manche Ouest

Bow Mariner

2004

Éthanol

Atlantique Nord-Ouest

Metin Ka

2004

Éthanol

Golfe Arabo-Persique

Panam Serena

2004

Benzène

Méditerranée Ouest

Vicuna

2004

Méthanol

Atlantique Sud-Ouest

Samho Brother

2005

Benzène

Pacifique Ouest

CG Chemist

2005

Toluène

Mer de Chine

OOCL Keelung

2007

Méthacrylate de méthyle

Mer de Chine

Sichem Defiance

2010

Éthanol

Atlantique Ouest

Sichem Osprey

2010

Xylène, graisse animale, huiles végétales

Pacifique Est

Parmi ces vingt-trois cas, huit accidents, portant sur neuf produits di=érents, sont assez documentés pour en faire des études de cas : • le Brigitta Montanari, coulant dans une tempête, le 16 novembre 1984, en mer Adriatique, avec une cargaison de chlorure de vinyle monomère, dont 1 300 tonnes se déversent dans l’eau ; • l’Anna Broere, coulant le 27 mai 1988 en mer du Nord avec un chargement d’acrylonitrile, dont 750 tonnes se déversent dans l’eau ; • l’Alessandro Primo, coulant le 1er février 1991, en mer Adriatique, avec une cargaison de dichloroéthane et d’acrylonitrile, dont 3 600 tonnes se déversent dans l’eau ;

74

Les produits de la pétrochimie

• le Grape One, avec 3 000 tonnes de xylène à bord, en danger de couler en Manche, évacué par son équipage, échoué le 9 décembre 1993 et démantelé par les déferlantes ; • le N° 1 Chung Mu, abordé le 9 mars 1995 dans le tiers avant, devant le port de Zhanjiang (Chine), avec fuite à la mer d’environ 230 tonnes de styrène ; • le Ievoli Sun, victime d’une entrée d’eau à l’avant en Manche, le 31 octobre 2000, évacué par son équipage et coulant en remorque, par 70 mètres de fond, avec son chargement de 4 000 tonnes de styrène, 1 000 tonnes de méthyléthylcétone et 1 000 tonnes d’isopropanol ; • le Bow Eagle, échoué le 26 août 2002 sur l’île de Sein, déversant 200 tonnes d’acétate d’éthyle et de cyclohexane ; • le Bow Mariner, déversant 11 000 tonnes d’éthanol le 28 février 2004, à 50 milles des côtes de Virginie (États-Unis).

Produits en cause Les huit déversements relativement documentés impliquent les produits suivants : • cinq solvants : acétate d’éthyle (CeHiOc ), acrylonitrile (CdHdN), cyclohexane (CgHbc ), 1,2 dichloroéthane (CcHeClc ), méthyléthylcétone (CeHiO), xylène (CiHba ) ; • deux monomères : chlorure de vinyle (CcHdCl), styrène (CiHi ) ; • deux alcools : isopropanol (CdHiO), éthanol (CcHgO).

❚❚Acétate d’éthyle L’acétate d’éthyle (CeHiOc ) est un solvant incolore et volatil, d’odeur perceptible, très évaporable dans l’air et modérément soluble dans l’eau, Il est utilisé dans de nombreuses applications, en particulier la préparation de vernis, laques, encres et diluants, souvent en substitut de la méthyléthylcétone. C’est un liquide très inflammable, dont les vapeurs peuvent, dans certaines conditions, former des mélanges explosifs avec l’air, l’eau étant susceptible de favoriser la propagation d’un incendie déclaré.

❚❚Acrylonitrile L’acrylonitrile (CdHdN) est un liquide incolore à jaune pâle, d’odeur douceâtre, ressemblant à une odeur de noyau de pêche. C’est un produit flottant (densité 0,80), soluble dans l’eau (73 g/l) et volatil (tension de vapeur 11 kPa à 20 °C). Ses vapeurs sont plus lourdes que l’air. Il est toxique, inflammable (point éclair 0 °C) et explosif. En cas d’incendie, il produit du phosgène, gaz hautement toxique. Il est classé FED (flottant évaporable qui se dissout dans l’eau) selon la classification sebc et Y par Marpol 73/78. Il est utilisé dans l’industrie textile, dans la fabrication de certaines matières plastiques et de caoutchouc.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

❚❚Cyclohexane Le cyclohexane (CgHbc ) est un hydrocarbure cyclique saturé de la famille des (mono) cycloalcanes. Il est utilisé comme solvant apolaire dans l’industrie chimique et comme réactif pour la production industrielle de l’acide adipique et du caprolactame, intermédiaires utilisés dans la production du nylon. Il est classé E (évaporable) selon la classification sebc et Y par Marpol 73/78.

❚❚1,2 dichloroéthane Le 1,2 dichloroéthane (CcHeClc ), ou dichloro 1,2 éthane, est un liquide incolore présentant une odeur de solvant. C’est un produit coulant (densité 1,25), facilement inflammable (point éclair 13 °C), toxique pour l’homme et nocif pour l’environnement. Il est classé SD (coule et se dissout dans l’eau) selon la classification sebc et Y par Marpol 73/78. Il est principalement utilisé comme intermédiaire dans la synthèse du chlorure de vinyle et dans la production de solvants chlorés.

❚❚Méthyléthylcétone La méthyléthylcétone (CeHiO) est un liquide incolore, à odeur d’acétone, très soluble dans l’eau (353 g/l à 10 °C), faiblement toxique pour les espèces marines, non bioaccumulable et rapidement biodégradable. Comme l’alcool isopropylique, elle est très volatile, produisant des vapeurs lourdes, auto-inflammables à 505-515 °C, violemment réactives au contact d’oxydants, d’acides (chlorosulfonique, sulfurique, nitrique) et d’amines. Elle est classée DE (se dissout dans l’eau et s’évapore) selon la classification sebc et Z par Marpol 73/78.

❚❚Xylène Le xylène (CiHba ), ou diméthylbenzène, est un liquide aromatique incolore dégageant une odeur douce, de type benzénique. Il flotte (densité 0,86), s’évapore (tension de vapeur 0,8 kPa à 20 °C), est inflammable (point éclair 2 °C), nocif pour l’homme et l’environnement. Il existe sous forme d’isomères : orthoxylène, méthaxylène et paraxylène. Il est classé FE (flottant évaporable) selon la classification sebc et Y par Marpol 73/78. Il entre dans la fabrication de peintures, vernis, colles, encres d’imprimerie, insecticides, matières colorantes, dans l’industrie du caoutchouc et des produits pharmaceutiques.

❚❚Chlorure de vinyle Le chlorure de vinyle (CcHdCl) est un gaz incolore, d’odeur éthérée peu prononcée, transporté sous forme liquéfiée. Son point d’ébullition est de − 13,8 °C et sa densité de 0,93. Il est classé E (évaporable) par la classification sebc et Y par Marpol. Il est principalement utilisé dans la fabrication de polychlorure de vinyle (pvc) et de copolymères de chlorure de vinyle. C’est une substance cancérigène. Sous forme gazeuse, il est extrêmement inflammable, formant un mélange explosif avec l’air.

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Les produits de la pétrochimie

❚❚Styrène monomère Le styrène monomère (CiHi ), ou vinylbenzène, est un liquide huileux, flottant (densité 0,90), évaporant (tension de vapeur 0,7 kPa à 20 °C), inflammable (point éclair 32 °C) et nocif pour l’homme et l’environnement. Ses vapeurs sont neurotoxiques. Il est transporté en mélange avec un inhibiteur de polymérisation. Il est classé FE (flottant évaporable) selon la classification sebc et Y par Marpol 73/78. Il sert à la fabrication du polystyrène et aux industries du latex et du caoutchouc.

❚❚Isopropanol L’isopropanol (CdHiO), ou alcool isopropylique, est le propan-2-ol. Il est connu comme ipa, abrégé de son nom anglais IsoPropylic Alcohol. Il est obtenu à partir de l’acétone ou du propylène, dans ce dernier cas par hydratation par l’acide sulfurique puis hydrolyse. Il est utilisé comme dégraissant, décapant et dissolvant industriel, comme additif de l’essence, comme désinfectant et antiseptique. Liquide incolore, il est évaporable dans l’air sous forme de vapeurs lourdes, circulant près du sol, susceptibles de provoquer des nausées, voire un e=et narcotique. Elles ne sont pas corrosives, mais très inflammables et susceptibles de réaction violente au contact d’oxydants puissants, d’aluminium chaud, d’acides (sulfurique, nitrique), d’amines et de bases fortes. L’isopropanol est soluble dans l’eau en toutes proportions. Il est moyennement toxique pour les espèces marines, non bioaccumulable et se biodégrade assez vite (demi-vie de quelques jours). Il est classé D (se dissout dans l’eau) selon la classification sebc et Z par Marpol 73/78.

❚❚Éthanol L’éthanol (CcHgO), ou alcool éthylique, est utilisé dans la fabrication de vernis, encres, matières plastiques, adhésifs, explosifs, parfums, cosmétiques, dans l’industrie pharmaceutique et sert de matière première pour la production de nombreux composés. C’est un liquide très inflammable (point éclair 13 °C), incolore, volatil (tension de vapeur 5,8 kPa à 20 °C), d’odeur plutôt agréable et décelable dès 84 ppm. Il est complètement miscible à l’eau et de densité 0,789. Il est classé D (se dissout dans l’eau) selon la classification sebc et Z par Marpol 73/78.

Le Cedre a réalisé des guides pratiques de réponse aux pollutions par sept produits de la chimie du pétrole : le benzène, le chlorure de vinyle, le 1,2 dichloroéthane, le diméthylsulfure, le méthacrylate de méthyle stabilisé, le styrène, les xylènes. Vingt et un autres produits sont traités brièvement dans la série des mini-guides, datant du début des années 1990 : l’acétate d’éthylglycol, l’acétone cyanhydrine, l’acrylonitrile, l’aldrine, le chloroformiate d’éthyle, le dibutylphtalate, le dichlorofluorométhane, le diisocyanate de toluène, le méthanol, le méthylisobutylcétone, le méthylmercaptan, le méthylméthacrylate, le méthylparathion, le naphtalène, la nitrocellulose, l’oxyde de propylène, le perchloréthylène, le peroxyde d’éthylméthylcétone, le peroxyde d’hydrogène, le phénol et le phosgène.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Cas documentés ❚❚Brigitta Montanari, chlorure de vinyle, 1984 Le chimiquier Brigitta Montanari, transportant 1 300 tonnes de chlorure de vinyle monomère, coule dans une tempête, en mer Adriatique, par 82 mètres de profondeur, le 16 novembre 1984, devant la côte yougoslave. Ce cas aurait pu être traité au chapitre consacré aux gaziers : à pression et température ambiantes, le chlorure de vinyle monomère est un gaz. Mais le Brigitta Montanari, équipé pour transporter du chlorure de vinyle sous forme liquéfiée, est classé comme chimiquier. Une exploration montre que les cuves de cargaison ne sont pas endommagées et qu’il n’y a pas de fuite évidente. Pendant près de trois ans, aucune intervention n’est entreprise pour traiter le danger que représente cette épave. En août 1987, il est décidé de renflouer le navire et de pomper le chlorure de vinyle. Une fuite de produit est détectée au début des opérations. Des bulles de 5 à 10 centimètres de diamètre font surface à raison de deux à trois par minute, ce qui fait estimer la fuite autour d’un kilogramme par jour. La première étape des procédures de relevage est de positionner le navire sur sa quille, opération qui peut se révéler dangereuse en cas de largage massif de chlorure de vinyle. Afin d’éviter ce risque, des orifices sont percés dans le pont, calculés pour générer une fuite de l’ordre de 3 tonnes par jour. Une concentration de plus de 5 µg/l est mesurée dans la colonne d’eau à 300 mètres de l’épave. Une grande partie du produit se solubilise rapidement dans l’eau de mer. Après plusieurs jours de fuite, les plongeurs connectent des tubes en pvc aux trous précédemment réalisés et amènent ainsi le chlorure de vinyle à la surface de l’eau où il est dispersé dans l’atmosphère ou brûlé. Après une pause durant l’hiver 1987, les opérations reprennent au printemps 1988. Le navire est remonté à une profondeur de 30 mètres, dans une baie abritée, et 700 tonnes de produit sont pompées et transférées dans un autre chimiquier. Un programme de surveillance de la contamination de la colonne d’eau et de l’atmosphère par le chlorure de vinyle est mis en place dès l’accident et se termine à la fin des opérations de récupération. La plus forte concentration de produit mesurée dans la colonne d’eau est de 5 µg/l à 300 mètres de l’épave, déjà signalée lors de l’opération de perçage du pont. Une surveillance biologique des communautés benthiques de la zone démarre fin 1987, avec des examens histopathologiques et des tests biochimiques. Les résultats montrent qu’il n’y a pas d’e=et de toxicité aiguë sur les organismes prélevés à proximité de l’épave. En 1989, un recensement de plus de 30 espèces de la macrofaune, dont 7 bivalves, est réalisé sur l’épave. Le bivalve le plus abondant est le néopycnodonte, Neopycnodonte

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Les produits de la pétrochimie

cochlear, avec plus de 1 000 individus par mètre carré, suivi par la nacre, Atrina pectinata, avec 100 individus sur l’intégralité de l’épave et accompagné de peuplements de moules, Mytilus galloprovincialis, sur les cordages.

❚❚Anna Broere, acrylonitrile, 1988 Ce navire, chargé de 750 tonnes d’acrylonitrile, coule en mer du Nord, par 30 mètres de profondeur à 50 nautiques d’Yjmuiden (Pays-Bas), après un abordage avec un porteconteneurs. Deux des douze membres de l’équipage décèdent lors de l’accident. Une première tentative de renflouement du navire est engagée. Une fuite d’acrylonitrile contraint à suspendre les travaux : ils ont dû provoquer une fissure dans l’un des réservoirs et la teneur en acrylonitrile dans l’air environnant atteint 4 ppm. Le mauvais temps et la di;culté de l’intervention font que les opérations sont reprises puis suspendues plusieurs fois. Elles s’étendent sur 73 jours dont seulement 25 de travail e=ectif.

❚❚Alessandro Primo, dichloroéthane et acrylonitrile, 1991 Ce chimiquier coule en mer Adriatique à 30 kilomètres de Molfetta (Italie) avec à bord 3 013 tonnes de 1,2 dichloroéthane et 549 tonnes d’acrylonitrile. Les quatorze membres d’équipage sont évacués par un bateau de sauvetage. L’épave gît par 108 mètres de fond. Un aperçu général de la situation par un engin télécommandé équipé d’une caméra conduit à exclure le renflouement du navire. Cinq jours après le naufrage, des concentrations d’acrylonitrile (2,7 ppm) sont mesurées à 500 mètres de la verticale de l’épave. Une intervention rapide est nécessaire pour stopper, ou du moins réduire, la di=usion de la substance. Cette opération est réalisée par une équipe de plongeurs. La fuite est arrêtée avec la pose de joints spéciaux pour boucher les orifices des vannes de la citerne concernée et un revêtement des brides avec une résine époxy spéciale. La profondeur, le caractère toxique du produit et son e=et solvant sur les vêtements et le matériel des plongeurs imposent des procédures spécifiques. Une fois la situation d’urgence traitée, un projet de récupération de la cargaison est mis en place et réalisé par un consortium de trois sociétés de sauvetage. Environ 900 mètres cubes d’acrylonitrile, légèrement dilué d’eau de mer, sont récupérés ainsi que 2 750 tonnes de dichloroéthane. Cette opération constitue un cas unique en raison des procédés techniques et opérationnels employés, de l’état précaire de la coque, de la profondeur de réalisation et des résultats. Son coût s’établit à 4,54 millions d’usd.

❚❚Grape One, xylène, 1993 Ce chimiquier navigue au large des côtes du Devon (Grande-Bretagne), dans de mauvaises conditions météorologiques, quand il est victime d’une défaillance structurelle.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

L’équipage est hélitreuillé et le navire coule au large avec sa cargaison de 3 000 tonnes de xylène. Nous n’avons trouvé aucune trace d’une intervention pour limiter une pollution éventuelle, ni d’un quelconque suivi écologique.

❚❚N° 1 Chung Mu, styrène, 1995 Suite à une collision, le N° 1 Chung Mu perd 230 tonnes de sa cargaison de styrène monomère dans le chenal d’accès du port de Zhanjiang (Chine du Sud). La brèche dans le flanc du navire est colmatée avec l’aide de plongeurs. Le styrène déversé ne polymérise pas. Il forme une nappe qui s’évapore en trois ou quatre jours, tout en dérivant vers une île à forte activité aquacole (palourdes, coques et crevettes). L’évaporation produit un nuage qui se disperse dans l’atmosphère. La modélisation indique que le seuil de dangerosité du produit dans l’atmosphère (5 000 ppm) n’est pas atteint et que le nuage toxique est dégradé en l’espace de quelques heures. Moins de 0,1 % du styrène se serait dissous dans l’eau de mer, représentant environ 200 kilogrammes de produit. La concentration létale pour les poissons n’a pas été atteinte, si ce n’est sous les quelques centimètres de la nappe de polluant. La dégradation du styrène dans l’eau de mer est rapide. Malgré cela, une entreprise de travaux publics allègue avoir dû évacuer son personnel d’un site de construction, par précaution, et avoir des pénalités de retard à payer. En outre, de fortes mortalités de coquillages sont enregistrées dans plusieurs zones de culture et les producteurs s’interrogent sur la consommabilité des produits d’autres zones, moins exposées. Des tests organoleptiques sont réalisés pour rechercher un éventuel goût de « plastique », sans en trouver. Le navire est rendu par les autorités à son armateur contre paiement d’un forfait compensatoire non divulgué.

❚❚Ievoli Sun, styrène, isopropanol, méthyléthylcétone, 2000 Un peu avant l’aube du 30 octobre 2000, à 45 nautiques au nord de l’île de Batz (Finistère), le chimiquier Ievoli Sun lance un appel de détresse pour une voie d’eau dans son double-fond, sur l’avant. Il transporte 6 000 tonnes de plusieurs produits chimiques. Le préfet maritime de l’Atlantique envoie le remorqueur de haute mer Abeille Flandre lui porter assistance et fait procéder à l’hélitreuillage de l’équipage. En arrivant sur site, l’Abeille Flandre découvre une pollution sur l’avant du navire. Le risque d’un échouement et d’une pollution majeure sur le littoral des Côtes-d’Armor apparaît rapidement comme une évidence. Une équipe d’intervention est hélitreuillée à bord du Ievoli Sun, contre l’avis de l’équipage, qui juge les risques excessifs. Les sauveteurs passent une remorque à l’Abeille Flandre et le remorquage commence, à 4 nœuds au nord-est, seule option possible compte tenu des conditions météorologiques et de la situation du navire. Le 31 octobre, à 9 heures, aux deux tiers du chemin vers l’abri du Cotentin, le Ievoli Sun sombre à 12 nautiques d’Aurigny et 20 du cap de La Hague, par

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Les produits de la pétrochimie

Naufrage du Ievoli Sun en Manche : au centre, la fin du navire ; à droite, essais de contamination/ décontamination de crabes par du styrène ; en bas, à gauche, test de remontée de méthyléthylcétone en colonne ; en bas, à droite, test de cinétique de polymérisation du styrène

© Cedre

© Marine nationale

© Cedre © Cedre

70 mètres de fond, avec 160 tonnes de fuel lourd, 40 tonnes de diesel et une cargaison de 3 998 tonnes de styrène, 1 027 tonnes de méthyléthylcétone (mec) et 996 tonnes d’isopropanol (ipa). On a vu plus haut les caractéristiques des trois produits. Le styrène est clairement le problème majeur. En cas de polymérisation brutale, il y a un risque d’échau=ement, conduisant à une rupture du navire et à la production d’un nuage toxique. En cas de suintement, il y a un risque de contamination des produits de la pêche de fond, des crabes en particulier, ressource importante dans la zone. Les deux autres produits, solubles dans l’eau, ne présentent que des risques limités, sauf remontée massive en surface,

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

qui pourrait être explosive et s’accompagner de vapeurs d’isopropanol, susceptibles de provoquer des nausées, voire un e=et narcotique et de vapeurs de méthyléthylcétone violemment réactives au contact d’oxydants, d’acides et d’amines. La circulation maritime est modifiée pour créer une zone d’exclusion autour du site de l’épave. Des missions de surveillance aérienne et nautique sont lancées. Les premières observations ne laissent apparaître que quelques nappes mais l’équipage d’un avion de surveillance se plaint de nausées après un vol à basse altitude. Des comités d’experts sont mobilisés au niveau régional et au niveau central pour évaluer les risques humains et environnementaux. Ils ne parviennent pas à accorder leurs prévisions. Le risque fort de polymérisation exothermique du styrène, susceptible de générer un nuage toxique, voire explosif, est évident pour certains. La présence d’un antipolymérisant le rend inexistant pour d’autres. Un plan de surveillance est mis en place sur le terrain et le Cedre est chargé par la préfecture maritime de réaliser une série d’expériences pour appréhender le comportement du styrène après déversement à la surface de l’eau de mer, de mesurer les cinétiques d’évaporation, de dissolution, de polymérisation et de contamination-décontamination de crabes. Ces travaux mettent en évidence une solubilité faible (6 mg/l), bien inférieure aux valeurs de référence disponibles dans la littérature (de l’ordre de 200 mg/l). Aucun risque d’explosion n’est mesuré. Aucun phénomène de polymérisation n’est observé. Mais il y a formation de micro-émulsions sous l’action des vagues, ce qui pourrait expliquer des colorations observées par les équipes de surveillance. De l’autre côté de la Manche, le cefas (Centre for Environment, Fisheries and Aquaculture Science), mobilisé sur la même question, conclut que le styrène ne devrait pas polymériser en moins de 6 mois à 15-16 °C et moins d’un an à 4-5 °C. Sur ces bases, le préfet maritime met l’armateur en demeure de pomper le carburant et les produits chimiques encore dans l’épave. Après négociation, il est entendu que le pompage se limitera au carburant et au styrène, l’alcool et la cétone étant libérés de manière contrôlée. L’opération est contractée par l’armateur et réalisée sous le contrôle du préfet maritime. Les travaux débutent le 12 avril 2001, à l’arrivée d’un navire spécialisé. Ils commencent par le largage contrôlé de la méthyléthylcétone et de l’isopropanol. Le pompage de 3 000 mètres cubes de styrène et du fuel lourd restant dans le navire suit. Les travaux s’achèvent le 31 mai, après 51 jours d’intervention entièrement réalisée par robots, dans des conditions de mer et de courants di;ciles.

❚❚Bow Eagle, acétate d’éthyle et autres, 2002 Dans l’après-midi du 26 août 2002, le chimiquier norvégien Bow Eagle, en provenance du Brésil et faisant route vers Rotterdam (Pays-Bas), signale au Cross de Jobourg une brèche sur son avant bâbord et une perte de 200 tonnes d’acétate d’éthyle. Il transporte : 510 tonnes de lécithine de soja ; 1 652 tonnes d’huile de tournesol ; 1 050 tonnes de

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Les produits de la pétrochimie

méthyléthylcétone ; 4 750 tonnes de cyclohexane ; 3 108 tonnes de toluène ; 500 tonnes d’huile végétale FA201 ; 2 100 tonnes d’acétate d’éthyle ; 4 725 tonnes de benzène ; 5 250 tonnes d’éthanol. La fuite sur la cuve d’acétate d’éthyle est maîtrisée : le produit a été transféré vers une autre cuve et des travaux de colmatage provisoire ont permis de contenir la voie d’eau. Le navire poursuit sa route. Le préfet maritime de la Manche-mer du Nord fait évaluer par le Laboratoire d’analyses, de surveillance et d’expertise de la Marine (Lasem) de Cherbourg et le Cedre les risques de pollution que représentent ce déversement et une éventuelle aggravation de l’état du navire. Mais surtout, il soupçonne le Bow Eagle d’être l’abordeur du chalutier Cistude la nuit précédente, au large de l’île de Sein. Le chalutier a coulé rapidement. Son abordeur ne s’est pas arrêté et seuls cinq de ses neufs hommes d’équipage ont pu être sauvés. Le Bow Eagle est dérouté sur Dunkerque et une commission d’enquête monte à bord. Elle ne mettra pas longtemps à établir les faits : il y a eu défaut d’assistance à l’équipage du Cistude. Du côté pollution, les simulations font apparaître que l’essentiel de l’acétate d’éthyle s’est évaporé et qu’il n’y a pas de risques notables pour l’environnement marin. Un naufrage du Bow Eagle en Manche avec sa cargaison aurait été un tout autre problème.

❚❚Bow Mariner, éthanol, 2004 Ce chimiquier, chargé de 11 000 tonnes d’éthanol, sombre rapidement, le 28 février 2004, à 50 nautiques au large de la Virginie (États-Unis), par 80 mètres de fond, après un incendie sur le pont et plusieurs très fortes explosions. Seuls six des vingt-sept membres d’équipage peuvent être sauvés. L’éthanol étant complètement miscible à l’eau, aucune intervention n’est possible pour le récupérer. L’épave reste cependant source potentielle de pollution par ses hydrocarbures de soute ; 720 tonnes de fuel intermédiaire (ifo 380) et 166 tonnes de diesel marin (mdo). Des images sonar sont prises pour établir la position et l’état de l’épave afin de récupérer les hydrocarbures

Retour d’expérience Les huit cas analysés ici montrent clairement que d’une famille à l’autre, le risque de pollution en cas de déversement accidentel en mer d’un produit de la pétrochimie, varie du négligeable au majeur. Les déversements d’alcools, que ce soit l’alcool isopropylique du Ievoli Sun ou l’alcool éthylique du Bow Mariner, exposent les équipages et les sauveteurs à des risques sérieux d’incendie, voire de nuage toxique ou d’explosion. Mais ils ne posent pas de

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

problème de pollution majeur. Non seulement les produits sont totalement et immédiatement solubles dans l’eau, mais leur déversement au large assure une très grande dilution qui évite tout impact. Les choses pourraient être di=érentes en cas de déversement en milieu portuaire ou dans une baie fermée. Les déversements de solvants et de monomères posent pour leur part deux problèmes graves. D’un côté, il faut prendre en compte la sécurité des intervenants et des riverains face au risque toxique, voire explosif, lié à la perspective d’un flot important de produit sortant du navire. Parvenant en surface, ce flot risque de produire par évaporation rapide un nuage toxique qui pourra être emporté par le vent vers un autre navire ou vers une côte habitée (N° 1 Chung Mu, Ievoli Sun). D’un autre côté, il faut assurer la sécurité des consommateurs face au risque d’ingestion de produits de la mer contaminés par un composé chimique toxique et insoluble (ou peu soluble), en cours de dilution dans l’eau (Brigitta Montanari, N° 1 Chung Mu, Ievoli Sun). Il s’y ajoute dans le cas de navires coulés avec leur cargaison : • une interrogation immédiate sur l’évolution d’un monomère piégé dans l’épave : stabilité, polymérisation lente sans dégagement de chaleur ou polymérisation rapide avec dégagement de chaleur et risque de déchirure de l’épave (Ievoli Sun) ; • la question, en l’absence de risque de polymérisation rapide, du risque à terme généré par les produits piégés dans l’épave, ce qui peut conduire au choix de ne rien faire (Grape One), à une intervention limitée au pompage du carburant (Bow Mariner) ou à une intervention sur tous les produits, avec pompage des insolubles et libération contrôlée des solubles (Ievoli Sun). Dans tous ces cas, force est de prendre les décisions sur la base d’une connaissance encore très limitée du comportement réel des produits dans le milieu marin, libre ou dans une épave. La possibilité de mobiliser des installations d’expérimentation comme celles du Cedre, pour obtenir des réponses claires, en temps réel, est un atout fondamental pour les décideurs. Malgré la triste exception du Bow Eagle, l’expérience des accidents récents montre enfin que les équipages et les armements chimiquiers sont souvent aujourd’hui des interlocuteurs responsables. Certains de ces armateurs se sont dotés d’une cellule de gestion de crise et sont disposés à mobiliser à leurs frais des moyens lourds pour traiter le risque à terme des produits dangereux piégés dans une épave. Cette disposition peut être rapprochée du fait que les cargaisons sont souvent propriété de majors de l’industrie pétrolière, qui apprécient de voir le problème traité à l’amiable, sans devoir apparaître en première ligne, et incitent leurs transporteurs à une attitude coopérative.

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Les gaz liquéfiés Les gaz transportés en vrac sous forme liquide, sous pression ou à basse température, sont des gaz naturels de pétrole, des produits de la distillation du pétrole (cracking) et des produits de la pétrochimie. Ces gaz liquéfiés ne se démarquent des liquides du chapitre précédent que par le fait qu’ils atteignent leur point d’ébullition au-dessous de la température et de la pression qui règnent à la surface de la terre.

Accidents recensés Vingt-deux cas d’accidents impliquant l’un ou l’autre de ces gaz sont rassemblés dans le tableau page suivante. Huit de ces accidents sont su;samment documentés pour en faire des études de cas : • la fuite et l’incendie de la cargaison de naphta, de butane et de propane du Yuyo Maru n° 10 en baie de Tokyo (Japon), après un abordage, le 9 novembre 1974 ; • la fuite d’ammoniac anhydre du René 16 pendant son déchargement au port de Landskrona (Suède), le 26 janvier 1976 ; • l’échouement du méthanier Paul Kayser, chargé de gaz naturel liquéfié, devant Algésiras (Espagne), le 30 juin 1979 ; • l’incendie du propylène du Val Rosandra pendant son déchargement au port de Brindisi (Italie), le 28 avril 1990 ; • le traitement de l’Igloo Moon, échoué le 6 novembre 1996 près de Key Biscayne (ÉtatsUnis) avec 6 600 tonnes de butadiène liquéfié à bord ; • la rencontre du méthanier Norman Lady avec le périscope d’un sous-marin nucléaire américain, le 13 novembre 2002 ; • l’abordage d’un cargo de bois par le transport de gaz de pétrole liquéfié Gas Roman, dans le détroit de Malacca (Asie du Sud-Est), le 27 février 2003 ; • une explosion à bord du méthanier Frienshipgas, en réparation au chantier naval de Perama (Grèce), le 24 juillet 2008.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Déversements ou risques de déversements en mer de gaz liquéfiés après 1970 Nom du navire

Année

Methane Princess

1965

Méthane

Produit(s)

Zone maritime

Jules Verne

1965

Gaz naturel liquéfié

Arzew (Algérie)

Yarrrow

1972

Butane, propane

Devant Mohammedia (Maroc)

Yuyo Maru n° 10

1974

Butane, propane, naphta

Tokyo (Japon)

René 16

1976

Ammoniac anhydre

Landskrona (Suède)

Aquarius

1977

Gaz naturel liquéfié

Bontang, Indonésie

Mostafa Ben Bouliad

1979

Gaz naturel liquéfié

Cove Point (Maryland, États-Unis)

Sindbad

1979

Chlore liquéfié

Mer du Nord

Pollenger

1979

Gaz naturel liquéfié

Everett (Massachussetts, États-Unis)

Paul Kayser

1979

Gaz naturel liquéfié

Algésiras (Espagne)

Milli

1979

Butane, propane

Sables-d’Olonne (France)

Gas East

1980

Butane, propane

Cap des Mèdes (France)

Val Rosandra

1990

Propylène

Brindisi (Italie)

Inconnue

Bachir Chihani

1990

Gaz naturel liquéfié

Inconnue

Red Star

1994

Butane, propane

Devant Faro (Portugal)

Igloo Moon

1996

Butadiène

Key Biscayne (Floride, États-Unis)

Ascania

1999

Acétate de vinyle

Mer du Nord

Norman Lady

2002

Gaz naturel liquéfié

Au large de Gibraltar

Gas Roman

2003

Gaz de pétrole liquéfié

Détroit de Malacca (Asie du Sud-Est)

Disha

2005

Gaz naturel liquéfié

Terminal de Dahej (Gujarat, Inde)

Golar Freeze

2006

Gaz naturel liquéfié

Elba Island (Georgie, États-Unis)

Friendshipgas

2008

Gaz de pétrole liquéfié

Chantier naval de Perama (Grèce)

Produits en cause Les sept accidents quelque peu documentés concernent huit produits : naphta, butane (CeHba ), propane (CdHi ), ammoniac anhydre (NHd ), propylène (CdHg ), butadiène (CeHg ), gaz naturel liquéfié (gnl) et gaz de pétrole liquéfié (gpl).

❚❚Naphta Le naphta n’est pas un produit chimique, mais une coupe pétrolière extraite par distillation directe de brut, entre 80 °C et 100 °C pour le naphta léger, 100 °C et 150 °C pour le naphta lourd. C’est un liquide transparent à température ambiante, qui entre dans la composition des essences. Il n’est pris en compte ici que parce qu’il était transporté dans le même bateau que du butane et du propane.

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Les gaz liquéfiés

❚❚Butane Le butane (CeHba ) est un hydrocarbure saturé de la famille des alcanes. Il est obtenu par distillation sous pression de gaz de pétrole liquéfié ou par purification de gaz naturel. Il existe sous deux formes isomères, le n-butane et l’isobutane. Il est peu soluble dans l’eau et peu réactif. Il est principalement utilisé comme combustible d’appoint à l’intérieur d’une construction. Au niveau industriel, c’est un réactif pour la synthèse de l’éthylène, du propylène, du butadiène et de l’anhydride maléique.

❚❚Propane Le propane (CdHi ) est un alcane linéaire, principalement issu de la purification du gaz naturel ou extrait du gaz de pétrole liquéfié. Il est essentiellement utilisé comme combustible dans les moteurs à explosion, les barbecues et les chaudières. Généralement vendu à l’état liquide, il est le principal composant du gpl. Dans l’industrie, il est utilisé comme réactif pour la production d’éthylène, de propène, de tétrachloroéthène et de tétrachlorométhane. Il est plus dense que l’air (1,5 fois) dans les conditions normales de température et de pression. De ce fait, il forme en cas de fuite des poches au sol et dans les caves.

❚❚Ammoniac anhydre L’ammoniac anhydre (NHd ) est un gaz corrosif, d’odeur désagréable, susceptible de provoquer la mort par œdème pulmonaire. En industrie, il est produit généralement par synthèse directe, à partir de dihydrogène fourni par vaporéformage du méthane et de diazote fourni par l’air. Sous forte pression, il peut former un mélange explosif avec les huiles de lubrification. Il attaque le cuivre et tous ses alliages. Il est utilisé en industrie pour la fabrication d’engrais, d’explosifs, de polymères et comme fluide frigorigène.

❚❚Propylène Le propylène (CdHg ), ou propène, est insaturé et apte à être transformé en une multitude d’autres produits. C’est le deuxième hydrocarbure le plus simple de la classe des alcènes. Il est généralement obtenu par craquage à la vapeur à partir du naphta, mais peut également être obtenu par craquage catalytique et hydrocraquage. À température et pression ambiantes, c’est un gaz incolore et inodore, hautement inflammable. Il est présent dans le gaz de ville. En industrie, il est principalement utilisé pour la production de polypropylène et comme matière première dans la fabrication de propan-2-ol, d’oxyde de propylène, d’acrylonitrile, de cumène.

❚❚Butadiène Le butadiène (CeHg ), ou buta-1,3-diène, est un hydrocarbure gazeux, incolore et inflammable. Il se liquéfie par refroidissement à − 4,4 °C ou par compression à 285 kPa à 25 °C. C’est un important réactif utilisé dans la synthèse de nombreux polymères, de

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

caoutchouc synthétique, de vernis, de nylon et de peintures. En raison de sa grande réactivité, il est aussi utilisé en synthèse, en particulier dans les réactions de polymérisation. Le butadiène n’existe pas à l’état naturel, car sa réactivité est trop grande. Il est produit lors du craquage des essences légères et séparation par extraction liquideliquide ou par distillation.

❚❚Gaz naturel liquéfié et gaz de pétrole liquéfié Le gaz naturel liquéfié (GNL) est du gaz de source naturelle, composé essentiellement de méthane (CHe ), condensé à l’état liquide par refroidissement à − 163 °C après extraction du dioxyde de carbone, qui endommagerait les unités de liquéfaction en s’y solidifiant. Les hydrocarbures plus lourds que le méthane sont récupérés et vendus comme matière première pétrochimique ou comme gaz de pétrole liquéfié (gpl). Le transport de gnl est assuré par des navires spécifiques, les méthaniers. Le gpl, on vient de le voir, rassemble des hydrocarbures plus lourds que le méthane, extraits du gnl.

Les installations de chargement et de déchargement de gaz sont des points particulièrement sensibles de la chaîne de transport : une petite fuite peut y conduire à une catastrophe. La fuite sur une canalisation du terminal de chargement des petits navires LNG courte distance du port de Skikda (Algérie), le 19 janvier 2004 en est un exemple dramatique. L’explosion, ressentie jusqu’à plusieurs kilomètres de distance, a tué vingtsept personnes, en a blessé soixante-quatorze et a provoqué autour d’un milliard d’USD de dommages matériels.

Cas documentés ❚❚Yuyo Maru n° 10, naphta, butane, propane, 1974 Le 9 novembre 1974, le gazier Yuyo Maru n° 10, transportant 20 600 tonnes de naphta, 200 tonnes de butane et 440 tonnes de propane, entre en collision avec le Pacific Ares dans la baie de Tokyo. Une brèche importante dans la coque du Yuyo Maru n° 10 laisse échapper du naphta qui prend aussitôt feu, enveloppant le Pacific Ares d’une mer de flammes. Trente-deux de ses trente-trois membres d’équipage meurent dans l’incendie. Des explosions secouent le Yuyo Maru n° 10. Cinq de ses marins meurent. Faute de pouvoir sauver le navire, les autorités le remorquent hors de la baie et le coulent au large avec des bombes et des torpilles.

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Les gaz liquéfiés

❚❚René 16, ammoniac, 1976 Le 16 janvier 1976, le citernier René 16 décharge sa cargaison de 550 tonnes d’ammoniac anhydre au port de Landskrona (Suède) à travers une conduite en caoutchouc, vers une cuve sur le quai, quand le tuyau se perce subitement, laissant fuir du produit sur le quai. Un nuage d’ammoniac enveloppe le navire puis, poussé par le vent, atteint un chantier naval proche. Les pompiers, arrivés dans les dix minutes, arrosent le nuage à la lance et parviennent à fermer la vanne qui alimente la conduite. Quand le nuage est dispersé, deux membres de l’équipage sont trouvés morts sur le quai, victimes d’œdèmes pulmonaires. Il sera établi plus tard que 180 tonnes d’ammoniac ont été déversées et que le tuyau utilisé était prévu pour du propane ou du butane, pas pour de l’ammoniac qui est corrosif pour le caoutchouc.

❚❚Paul Kayser, gaz naturel liquéfié, 1979 Le 30 juin 1979, le gazier Paul Kayser s’échoue sur un massif rocheux, à 14 nœuds, devant Algésiras. La coque externe est gravement endommagée et la double coque est touchée, mais la membrane des cuves à lng tient. Le gazier Sonatrach, qui faisait route vers la France pour des réparations, est détourné vers Alger pour réfrigérer ses cuves puis envoyé alléger le Paul Kayser. L’allégement est réalisé avec succès en trois jours et le Sonatrach va décharger sa cargaison d’emprunt à Cove Point (Maryland, États-Unis). C’est la plus importante opération d’allégement d’un gazier en mer réalisée à ce jour. C’est aussi un incident qui aurait pu dégénérer en accident grave. La chance a voulu qu’il n’y ait ni rupture de coque, ni fuite de gaz, ni mise à feu.

❚❚Val Rosandra, propylène, 1990 Dans la nuit du 28 avril 1990, le gazier Val Rosandra décharge une cargaison de propylène au port de Brindisi (Italie) quand un feu se déclare entre la salle des compresseurs et une cuve de cargaison. L’équipage ne parvient pas à maîtriser l’incendie et le navire est remorqué à 10 kilomètres du port. Là, l’incendie est noyé à la lance depuis une distance de sécurité de 300 mètres. Après trois semaines de tentatives de sauvetage infructueuses, le navire est remorqué à 50 kilomètres de la côte et une zone de sécurité de 12 milles de rayon est établie autour de lui. Des explosifs sont utilisés pour brûler les 1 800 tonnes de propylène restantes et le fuel de soute. Puis le navire est océanisé. Des échantillonnages après l’océanisation ne montrent pas de pollution de la zone.

❚❚Igloo Moon, butadiène, 1996 Le 6 novembre 1996, le gazier Igloo Moon s’échoue pour une raison inconnue devant Key Biscayne (Floride, États-Unis) avec une cargaison de 6 600 tonnes de butadiène liquide sous pression, qu’un inhibiteur empêche de polymériser. Le navire est d’abord

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

allégé de son fuel. Un largage contrôlé du butadiène est jugé dangereux et un allégement de la cargaison vers un autre navire est décidé. L’eau de ballast est considérée comme un danger potentiel pour l’environnement, la zone faisant partie d’un parc national. Il est décidé de la traiter avant de la pomper des ballasts vers l’extérieur. Un petit gazier est amené à couple de l’Igloo Moon, qui est ainsi allégé d’un millier de tonnes de butadiène. Les ballasts sont traités à l’hypochlorite de calcium, pour éliminer toute espèce invasive, et vidés. Le navire est alors renfloué à marée haute.

❚❚Norman Lady, gaz naturel liquéfié, 2002 En provenance de Barcelone, où il avait déchargé sa cargaison de GNL, le gazier Norman Lady est heurté le 13 novembre 2002, en Méditerranée occidentale, par le sous-marin nucléaire d’attaque américain Oklahoma City, faisant surface. Le périscope du sous-marin provoque une déchirure du fond du gazier, sans atteindre la peau intérieure de la double coque. Là aussi, la chance a voulu qu’il n’y ait ni rupture de coque, ni fuite de gaz, ni incendie.

❚❚Gas Roman, gaz de pétrole liquéfié, 2003 Le 27 février 2003, en route du Koweït à la Corée du Sud, le transport de gpl Gas Roman, chargé de 44 000 tonnes de gpl, aborde violemment le cargo Springbok par son plein travers. Son bulbe s’écrase sur la coque du Springbok qui transporte 3 165 tonnes de bois et suinte du fuel de soute. Il ne semble pas y avoir de fuite de gaz en provenance du Gas Roman, bien qu’une tôle de fond du Springbok ait transpercé son bulbe. Le Springbok est stabilisé par transfert d’une partie de sa cargaison dans une barge et les deux navires sont séparés le 3 mars. Le 11 mars, les deux navires et les bateaux d’intervention sont autorisés à quitter la zone après vérification qu’il ne subsiste pas de nappes d’hydrocarbures en mer. On pourra imaginer ce qui aurait pu se passer si l’abordeur avait été le Springbok.

❚❚Friendshipgas, gaz de pétrole liquéfié, 2008 La chance n’est pas toujours au rendez-vous. Le 24 juillet 2008, une explosion se­ coue le méthanier Friendshipgas, en réparation au chantier naval de Perama (Grèce). Un incendie se déclenche. Il faut quatre heures aux pompiers pour éteindre le feu. Huit membres de l’équipage et ouvriers sont trouvés morts et quatre autres sont portés disparus. L’explosion aurait eu lieu dans une soute lors d’une opération de soudure à la flamme. Deux agents de maintenance sont arrêtés.

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Les gaz liquéfiés

Échouement de l’Igloo Moon devant les côtes de Floride : allègement vers un gazier plus petit

© NOAA

Retour d’expérience Les accidents du René 16, du Val Rosandra et de l’Igloo Moon ne font pas apparaître de risques majeurs provenant de déversements gazeux pour l’environnement marin et les ressources marines exploitables. Les deux premiers mettent en revanche en évidence des risques majeurs pour l’équipage et les intervenants, voire pour la vie terrestre à proximité, par nuage toxique dans un cas (René 16), par explosion dans l’autre (Val Rosandra). L’Igloo Moon illustre le problème de l’intervention face à un gazier échoué : l’allégement d’une partie de la cargaison n’avait pas pour objet de prévenir une pollution de l’eau, mais de réduire l’importance du nuage de gaz libéré dans l’air en cas de rupture de l’épave. Le souci d’éviter une pollution par la faune et la flore planctoniques et nectoniques présentes dans les ballasts du navire est en revanche une mesure qui pourra faire précédent dans d’autres cas d’échouement dans des parcs marins. Le Yuyo Maru n° 10 symbolise la crainte majeure des autorités responsables en cas d’abordage impliquant un navire gazier : l’incendie immédiat et la mer de flammes autour des navires, en substance la reproduction de l’incendie du pétrolier Agip Abruzzo, abordé par le ferry-boat Moby Prince dans la nuit du 10 avril 1991, devant le port de Livourne (Italie).

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Le projet Galerne Neuf gaz liquéfiés et substances liquides flottantes évaporantes ont été considérés dans ce projet : gaz naturel liquéfié (GNL), ammoniac, chlorure de vinyle, butane (ou propane ou propylène), éthylène réfrigéré, xylènes et benzène, dans le cadre de quinze scénarios, avec quatre niveaux d’évènements (facteur initiateur, conséquences immédiates, facteurs aggravants, risques à moyen terme). La modélisation dans le champ proche (moins d’un kilomètre de la source) a montré que les gaz réfrigérés se comportent au départ comme des gaz denses et restent visibles par condensation de l’humidité de l’air tant qu’ils sont froids. Les distances dangereuses peuvent varier d’un facteur allant jusqu’à trente entre des conditions météorologiques stables (vents faibles) et instables (vent fort) et se chiffrer en kilomètres, voire au-delà de 10 kilomètres pour un déversement d’ammoniac, le plus toxique des gaz étudiés. L’impact de ce dernier est cependant tempéré par sa solubilité importante dans l’eau, en cas de fuite sous la ligne de flottaison, de pluie ou d’embruns. L’impact réel de substances cryogénées (GNL, éthylène, ammoniac dans certaines formes de transport) sur la structure du navire, n’a pas pu être défini avec certitude, surtout en cas de fuite de substance dans les ballasts ou d’irruption d’eau de mer dans une cuve « vide » (qui peut contenir encore plus de 1 000 mètres cubes de produit dans le cas du GNL). Une telle situation est susceptible de provoquer une transition rapide de phase, c’est-à-dire le passage de manière quasi instantanée d’une phase liquide à une phase gazeuse, avec une expansion du volume de l’ordre de 600 fois dans le cas du GNL. Les types d’aéronefs amenés à survoler une épave de chimiquier, de gazier, ou une nappe en évaporation, qu’il s’agisse d’hélicoptères ou d’avions de surveillance ne sont pas pressurisés. La pénétration d’un gaz dans l’habitacle est quasi instantanée. Un hélitreuillage étant très délicat à opérer au-delà d’une hauteur de 30 mètres, une intervention sur un navire transportant par exemple de l’ammoniac et présentant des fuites, sera à envisager avec une très grande prudence si l’équipage n’est plus à bord ou n’est plus en état de renseigner les sauveteurs sur les concentrations de gaz toxique à bord. Beaucoup de points restent à clarifier dans ce domaine, en particulier la perturbation d’un nuage gazeux par les hélices ou les rotors d’un aéronef et la fiabilité des modèles utilisés. Des fiches d’intervention ont néanmoins été produites pour le propane, l’éthylène, l’ammoniac, le chlorure de vinyle monomère, le benzène et les xylènes. Chaque fiche fournit une identification rapide des risques, les symboles de danger, les risques spécifiques liés au transport maritime, les premiers secours, la détection possible, les équipements spécifiques de protection, les mesures de lutte contre l’incendie, le descriptif des scénarios étudiés.

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Les gaz liquéfiés

Malgré les cas du Gas Roman, sans déversement e=ectif de gaz et du Friendshipgas, en chantier de réparation, nous n’avons pas trouvé d’accident en mer avec déversement e=ectif de gaz naturel liquéfié (gnl) ou de gaz de pétrole liquéfié (gpl), c’està-dire des déversements impliquant des gaziers de grande taille, qui cristallisent les craintes du public. Il y a eu en revanche plusieurs accidents graves, avec explosion et mort d’hommes, à di=érents terminaux. L’accident de Skikda, le 19 janvier 2004, cité plus haut, en est un exemple. Cela tend à indiquer qu’un jour ou l’autre, il faudra réaliser une intervention à hauts risques sur un gazier sinistré et qu’il est nécessaire de s’y préparer. Un groupement d’opérationnels et de scientifiques, dont faisaient partie le service intervention du Cedre, la Cellule d’action en situation d’urgence (Casu) de l’Ineris et le Centre d’expertises pratiques de lutte antipollution de la Marine nationale (Ceppol), a étudié ce problème en 2007-2009, dans le cadre d’un projet de recherche (Galerne ; cf. encadré ci-contre) visant à produire des fiches d’intervention pour les équipes d’évaluation et d’intervention.

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Les produits conditionnés À côté du transport en vrac de produits liquides ou pulvérulents, le marché offre aux chargeurs une multitude de conditionnements adaptés à une extrême diversité de produits, de quantités et de stratégies : cartons, caisses, bidons, citernes, poches et films plastiques, filets, sacs de petite à grande taille (big bags), à empiler en cale ou à réunir dans des conteneurs qui iront en cale ou en pontée. Les conditionnements peuvent être étanches à l’eau et rester capables de contenir leur chargement dans une épave ou après une chute à la mer. Mais ils peuvent aussi s’imbiber et se déchirer. Des conditionnements étanches à l’eau et chargés d’un produit pas trop dense, ou avec des poches d’air, flotteront. Étanches mais chargés d’un produit dense, ou imbibés mais résistants, ils couleront sans laisser leur chargement se diluer ou se disperser au fond. Imbibés et déchirés, ils laisseront échapper leur contenu. C’est seulement dans ce dernier cas que les caractéristiques polluantes de leur contenu seront à prendre en compte. L’information sur le conditionnement des produits transportés est donc fondamentale pour évaluer les risques affectant une cargaison conditionnée, en cas de fortune de mer. Cela d’autant plus que l’on verra souvent aujourd’hui cohabiter dans un même cargo un produit en vrac dans une cale, des produits conditionnés dans une autre et, sur le pont, des conteneurs, voire des remorques routières constituant un deuxième conditionnement pour la plupart des produits qui y ont été chargés. On verra plus en détail le cas des navires purement porte-conteneurs au chapitre suivant, pour se concentrer ici sur les cargos polyvalents, chargés de produits divers, avec des conditionnements multiples.

Accidents recensés et cas documentés Vingt-cinq cas d’accidents impliquant des déversements ou risques de déversement de produits variés sont présentés dans le tableau page suivante, avec indication des produits déversés qui ont posé ou auraient pu poser un problème de pollution des eaux.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Déversements de chargements divers depuis 1970 Seuls sont indiqués dans les cargaisons les produits susceptibles de polluer

Nom du navire

Année

Produit(s) susceptible(s) de polluer

Zone

Poona

1971

Chlorate de sodium, huile de colza

Viggo Hinrichsen

1973

Dioxyde de chrome, dichromate de sodium

Mer Baltique

Cavtat

1974

Plomb tétraméthyle et tétraéthyle

Mer Adriatique

Burgenstein

1977

Peroxyde de sodium, cyanure de potassium

Mer du Nord

Maria Costa

1979

Organophosphate

Atlantique Est

Sindbad

1979

Chlore

Mer du Nord

Finneagle

1980

Triméthylphosphate

Mer du Nord

Testbank

1980

Pentachlorophénol, bromure d’hydrogène

Golfe du Mexique

Iran Shaheed

1981

Chlorure de fer anhydre

Océan Indien

Sam Houston

1982

Amines et autres produits chimiques

Golfe du Mexique

Dana Optima

1984

Dinitrobutylphénol

Mer du Nord

Casón

1987

Sodium, aniline, créosol, diphénylméthane, etc.

Atlantique Est

Herald of free Enterprise

1987

Di-isocyanate, bromure d’hydrogène

Mer du Nord

Oostzee

1989

Épichlorhydrine

Mer du Nord

Julie A

1989

Acide chlorhydrique

Mer Baltique

Stora Korsnas

1991

Chlorate de soude

Mer du Nord

Ariel

1992

White-spirit

Mer du Nord

Frank Michael

1993

Phosphate d’ammonium

Mer Baltique

Albion II

1997

Soude caustique et autres

Golfe de Gascogne

Apus

1998

Solides inflammables

Mer du Nord

Ban-Ann

1998

Sulfure de phosphine

Mer du Nord

Jambo

2003

Sulfate de zinc

Mer du Nord

Omer N

2007

Nitrate d’ammonium

Mer Baltique

Ostedijk

2007

Fertilisants

Atlantique Est

Princess of the Stars

2009

Pesticides

Mer de Chine

Mer Baltique

Cinq de ces accidents sont su;samment documentés pour constituer des études de cas intéressantes : • le Cavtat, sombrant après un abordage, le 12 juillet 1974, avec 270 tonnes de plomb tétraéthyle et tétraméthyle à bord ; • le Burgenstein, avec déversement de peroxyde de sodium au déchargement, le 10 janvier 1977 ; • le Casón, échoué devant les côtes galiciennes, en feu, avec un millier de tonnes de produits chimiques divers à bord, le 5 décembre 1987 ; • l’Albion II, se cassant en deux et coulant en mer d’Iroise avec un chargement de barres de fer et des colis d’une dizaine de produits chimiques dangereux, le 18 février 1997 ; • le ferry Princess of the Stars, retourné par un typhon dans les eaux des Philippines, le 21 juin 2008.

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Les produits conditionnés

❚❚Cavtat, plomb tétraméthyle et tétraéthyle, 1974 Le 12 juillet 1974, le cargo Cavtat coule dans le détroit d’Otrante après un abordage. Il transporte 150 tonnes de plomb tétraméthyle dans 500 fûts en pontée et 120 tonnes de plomb tétraéthyle dans 400 fûts en cale. La coque déchirée, l’épave gît par 94 mètres de fond, avec des fûts répandus tout autour d’elle. Elle est trop endommagée pour être renflouable. Après deux ans de discussions, sous une forte pression publique, le parlement italien vote les crédits nécessaires pour une dépollution de l’épave. Deux équipes de plongeurs, travaillant à saturation, par périodes de vingt jours, entament le ramassage des fûts en avril 1977. Deux cent cinquante tonnes de plomb tétraéthyle et tétraméthyle sont ainsi récupérées en un an, ne laissant que vingt tonnes de produit perdu.

❚❚Burgenstein, peroxyde de sodium, 1977 Le 10 janvier 1977, lors du chargement du cargo allemand Burgenstein, un fût de peroxyde de sodium (NacOc ) est endommagé par un chariot élévateur. Une partie du contenu se répand sur des bâches en plastique présentes sur le pont alors que la pluie commence à tomber. Le peroxyde de sodium réagit alors violemment avec les matières plastiques humides. Un incendie se propage rapidement sur le pont puis s’étend à la cargaison. Trois hommes d’équipage meurent dans les flammes. Les pompiers tentent de combattre l’incendie avec de l’eau et de la mousse, mais cette réponse est inappropriée et elle entraîne plusieurs explosions qui obligent à battre en retraite. La situation est délicate, car les cyanures de la cargaison émettent un gaz très toxique, le cyanure d’hydrogène. Une large zone de sécurité est délimitée autour du port et les habitants de certains quartiers reçoivent l’ordre de rester confinés. Au total, il faut 9 heures aux pompiers pour éteindre complètement l’incendie

❚❚Casón, sodium et autres, 1987 De passage au large du Finistère espagnol le 5 décembre 1987, ce cargo signale un incendie à bord dans un conteneur de sodium (Na) et demande assistance. En quelques heures, malgré un déploiement rapide des sauveteurs, l’incendie se généralise. Vingttrois des trente et un membres de l’équipage périssent et le cargo devient incontrôlable. La nature de sa cargaison est alors inconnue. Les tentatives de remorquage échouent à cause du mauvais temps et de l’incendie qui se propage. Le cargo dérive et vient s’échouer sur un haut-fond rocheux, à une centaine de mètres de la côte, près de la ville de Corcubión. La coque est endommagée. De l’eau pénètre dans les cales. Une partie de la cargaison, en pontée, peut être déchargée. C’est essentiellement de l’orthocrésol (CHdCgHeOH) et du formaldéhyde (CHcO). Mais des séries d’explosions secouent l’épave. Le manifeste complet du chargement fait état de 1 000 tonnes de produits chimiques dont 1 400 fûts de sodium et une dizaine de conteneurs de produits inflammables, toxiques et corrosifs chargés en pontée. Dans les cales, il y a 300 fûts de butanol, de crésol, de

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

cyclohexane, d’aniline, de butacrylate et des sacs d’anhydride phtalique. Le manifeste fait état au titre des classes de marchandises dangereuses de : • 2 boîtes et cylindres de classe 2 (gaz) ; • 37 jerricans, 31 boîtes et 3 105 fûts de classe 3 (matières liquides inflammables) ; • 11 conteneurs (1 430 fûts) de classe 4 (matières solides inflammables) ; • 937 fûts de classe 6 (matières toxiques) ; • 24 jerricans, 2 000 sacs et 6 unités de classe 8 (matières corrosives) ; • 46 fûts et une boîte de classe 9 (divers). La partie supérieure du navire se disloque et des fûts partent à la dérive. Une panique s’ensuit parmi les populations avoisinantes, et 15 000 personnes habitant dans un rayon de 5 kilomètres sont évacuées par une flotte de 300 cars. Une fois le danger d’explosion écarté, la cargaison restant dans les cales du navire, sous le niveau de la mer, est récupérée. Un contrôle de la qualité de l’air, de l’eau et

Incendie du Casón en Galice : en haut, le navire en feu ; en bas, la passerelle après l’incendie

© Cedre

© Cedre

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Les produits conditionnés

des organismes aquatiques est mené afin d’évaluer les menaces pour l’homme et l’environnement de la zone. Les résultats montrent des niveaux de pollution peu élevés, donc une persistance faible des substances déversées. Un mois après l’accident, des teneurs de 11 à 35 mg/l de crésol, 0,01 à 1 mg/l de xylène et 0,01 à 0,7 mg/l d’aniline sont observées dans l’eau. Les teneurs sont inférieures aux seuils de détection des analyseurs une semaine plus tard, de mauvaises conditions météorologiques ayant favorisé la dispersion et la neutralisation de certains produits, comme les acides. Les recherches d’aniline et d’orthocrésol dans les organismes aquatiques (moules, balanes, poulpes) ne montrent aucune bioaccumulation. L’armateur laisse les autorités espagnoles gérer la situation et en assumer le coût.

❚❚Albion II, soude caustique et autres, 1997 Ce cargo se brise en deux et coule en mer d’Iroise, par 120 mètres de fond, le 18 février 1997, avec ses 25 membres d’équipage. Il transporte 24 000 tonnes de barres d’acier et, dans des colis non détaillés, près de 200 tonnes de substances diverses, dont une dizaine de substances dangereuses, selon le code omi. Il a 1 100 tonnes de fuel de propulsion (ifo 180) en soutes. La cargaison de substances dangereuses comprend en particulier : • 3 liquides inflammables : peintures et matières apparentées (163 kilogrammes), duroxyn, résine en solution (4,3 tonnes) et phénodur, résine phénolique (2,6 tonnes) ; • 2 solides inflammables : naphtalène (1 tonne) et camphre (4 tonnes) ; • des produits incompatibles entre eux en cas de contact : iode resublimé (104 kilogrammes) et ammoniac (2,9 tonnes) ; • de la soude caustique (41,3 tonnes) et des produits à base de plomb (1 tonne) ; • 114 tonnes de carbure de calcium, en fûts métalliques de 50 ou 100 kilogrammes, produit qui réagit spontanément avec l’eau en dégageant de l’acétylène (30 mètres cubes pour un fût de 100 kilogrammes, soit 34 200 mètres cubes pour l’ensemble des fûts). L’épave représente un risque de pollution latent pour les côtes bretonnes par remontée du fuel de propulsion lorsque la rouille aura fait son œuvre. Pour les produits chimiques, le risque majeur est lié à la résistance des fûts contenant du carbure de calcium : la formation d’acétylène par infiltration d’eau (corrosion ou déchirure) peut induire, lors de la remontée du gaz en surface, une inflammation au contact d’une source d’ignition (passage d’un bateau). Pour le phénol, les oxydes de plomb, le naphtalène, la soude caustique, le camphre, l’iode, les résines, les solides corrosifs et la peinture, le risque de pollution est limité. Cependant, d’après le Gesamp, le camphre et le naphtalène ont la capacité, en cas de déversement, de modifier les propriétés organoleptiques des organismes marins (tainting). L’épave de l’Albion II fait aujourd’hui partie de la liste des quelques centaines d’épaves potentiellement polluantes qui sont répertoriées au large des côtes françaises.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

❚❚Princess of the Stars, pesticides, 2008 Le 21 juin 2008, le ferry Princess of the Stars, avec 850 personnes à bord, se retourne au passage du typhon Fengshen, au large de l’île de Sibuyan (Philippines). De nombreuses personnes périssent et plusieurs centaines de corps restent prisonniers de l’épave. Le 28 juin, les opérations de récupération des corps sont interrompues, les autorités ayant appris la présence de conteneurs de pesticides à bord. Il est jugé nécessaire de les enlever avant de poursuivre la récupération des corps ou de tenter de renflouer le navire. Une zone d’exclusion de 5 kilomètres autour de l’épave, interdisant la pêche et les activités aquacoles, est mise en place. La Commission européenne propose son aide aux Philippines via son centre opérationnel (Monitoring and Information Centre, mic), en collaboration avec les Nations unies (Joint unep/ocha Environment Unit). Le 4 juillet, les autorités en charge de la lutte acceptent cette proposition. Trois experts sont envoyés évaluer les risques humains et environnementaux liés à la présence des pesticides et du combustible en soutes. Un conteneur de 40 pieds contient 10 tonnes d’Endosulfan, pesticide organochloré (CjHgClgOdS), utilisé dans la culture de l’ananas. Un conteneur de 10 pieds contient quatre autres pesticides dans des quantités moindres (Antracol wp 70, Tamaron 600 sl, Trap 70 wp, Fuerza gr 3). Le navire transporte aussi des peintures, des solvants, des équipements électriques. Il a 100 mètres cubes de diesel marin en soutes.

Retournement du Princess of the Stars dans un typhon, aux Philippines : barrage antipollution autour de l’épave

© Cedre

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Les produits conditionnés

Des reconnaissances aériennes, maritimes et pédestres permettent d’évaluer la situation et de faire des recommandations sur les protocoles d’analyse, la pose de barrages, la lutte en mer en cas de déversement. Des échantillons d’eau de mer, de poissons, de plancton et de sédiment, ne montrent à l’analyse pas de surcharge ni en pesticides ni en hydrocarbures.

Retour d’expérience L’accident du Burgenstein est un exemple parmi beaucoup du problème de la manutention des substances dangereuses et de son adaptation aux circonstances aggravantes : dans ce cas particulier, la pluie rendait nécessaire que les équipes de manutentionnaires redoublent de précautions. Encore aurait-il fallu pour cela que ces opérateurs soient informés du risque de réaction violente du peroxyde de sodium au contact de bâches en plastique mouillées. Mais aucun responsable sécurité n’était là pour les en avertir. Le cas du Cavtat présente de grandes similitudes avec ceux de l’Alessandro Primo et du Brigitta Montanari, par les aspects financiers et techniques de l’intervention : plusieurs années de délai dans la prise de décision, sous une pression de l’opinion publique croissante et utilisation de plongeurs travaillant à saturation. Le cas du Casón est à ce jour le plus grave accident chimique de transport maritime jamais intervenu. Il montre l’extrême di;culté d’intervention sur les navires transportant des produits toxiques multiples. L’accès à une liste précise et complète est la clé d’une réponse e;cace. Cet accès est facile en exercice, où les choses sont souvent sues à l’avance et les sources préparées à répondre. En situation réelle, il est entièrement dépendant de la bonne volonté de quelques personnes, situées souvent très loin du lieu de l’accident et rarement joignables 24 heures sur 24. Il faut en outre impérativement disposer d’un recensement des moyens publics et privés capables d’intervenir sur des navires contenant des cargaisons dangereuses. Enfin, il n’est pas facile d’évaluer l’étendue des dommages à l’économie et à l’environnement (dont ceux avec e=et sur la pêche et l’aquaculture) susceptibles d’être provoqués par des déversements de mélanges de produits chimiques dont on connaît déjà mal l’e=et propre sur la faune et la flore marines. Outre leurs conséquences dramatiques pour les équipages (et, dans le second cas, pour les passagers), les accidents de l’Albion II et du Princess of the Stars mettent en évidence le problème des épaves contenant des produits chimiques dont on ne connaît pas ou connaît mal le conditionnement. Cela peut tout aussi bien conduire à sous-estimer un risque réel qu’à fantasmer sur un risque inexistant ou mineur.

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Le tout conteneurisé Les cargos polyvalents disparaissent les uns après les autres du marché des transports de marchandises d’une certaine valeur, pour laisser la place à des porte-conteneurs de plus en plus grands et de plus en plus rapides. Tout cohabite sur ces navires, dans des « boîtes » plus ou moins voisines : aliments pour l’homme ou le bétail, fertilisants, pesticides, herbicides, matériel électronique, jouets, vêtements, artisanat, produits banaux, inflammables, toxiques, corrosifs, explosifs, voire radioactifs. La réglementation impose de charger les conteneurs de produits dangereux en pontée, vers l’avant, dans l’intérêt de la sécurité des équipages. C’est aussi là qu’ils risquent le plus d’être désarrimés par une vague scélérate et jetés à la mer. Ces navires circulent sur les routes maritimes à peu de chose près comme des trains sur leurs voies, passant d’un voyage à l’autre au même point, au même moment, avec des temps de route fixés à l’avance et des escales très brèves le long de quais équipés pour débarquer et rempiler un maximum de conteneurs dans un minimum de temps, sur un plan de travail optimisé par ordinateur. Qu’il fasse en mer un temps « de curé » ou un temps « de chien », la cargaison est attendue au port de destination à l’heure et au jour fixés. Il faut donc faire route à la même vitesse, quel que soit le temps, sauf à avoir, par chance, pris un peu d’avance. On repartira du port auquel on va arriver après un nouveau et bref ballet de grues, quitte à devoir finir le ballastage du navire et l’arrimage des conteneurs en mer, pendant les premières heures de route. Et si quelques conteneurs tombent à la mer dans un coup de vent, on ne changera ni de cap ni de vitesse, mais on préviendra son assureur pour qu’il traite l’affaire. Ces pratiques conduisent à deux types d’accidents qui impliquent des gestions différentes. Il y a, d’un côté, la chute de conteneurs à la mer, perdus par un navire qui continue sa route. Il y a, de l’autre côté, un abordage, un échouement, un incendie, une explosion, une défaillance structurelle ou mécanique affectant un navire et conduisant au problème d’une épave plus ou moins immergée, porteuse d’un chargement plus ou moins désarrimé ou fuyard.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Accidents recensés et cas documentés Vingt-cinq accidents, les uns des chutes de conteneurs à la mer dans une tempête ou suite à une collision, les autres des échouements ou des naufrages, sont répertoriés dans le tableau qui suit. Accidents de porte-conteneurs depuis 1970 Seuls sont mentionnés dans les cargaisons les produits ayant posé des problèmes de pollution ou de risque de pollution

Nom du navire

Année

Produit(s) en conteneurs perdus ou dans l’épave

Zone maritime

Erkowit

1970

Insecticides

Atlantique Est

Oriental Ace

1976

Substances dangereuses

Océan Pacifique

Testbank

1980

Pentachlorophénol, bromure d’hydrogène

Golfe du Mexique

Elma Tres

1981

Substances dangereuses

Atlantique Ouest

Río Neuquen

1984

Phosphure d’aluminium

Golfe du Mexique

Mont-Louis

1984

Hexafluorure

Mer du Nord

Ariadne

1985

Acétone, toluène, plomb tétraéthyle, acétate de butyle, trichloréthylène, etc.

Océan Indien Ouest

Ardlough

1988

Substances dangereuses

Mer d’Irlande

Perintis

1989

Lindane

Manche

Santa Clara

1992

Trioxide d’arsenic, phosphine, phosphure de magnésium

Atlantique Nord-Ouest

Sherbro

1993

Pesticides

Manche

Coraline

1995

Substances dangereuses

Mer Tyrrhénienne

MSC Carla

1997

Produits inflammables, combustibles, radioactifs, etc.

Atlantique Ouest

MSC Rosa M

1997

Substances dangereuses

Manche

Kairo

1997

Plomb tétraéthyle

Manche

CMA Djarkarta

1999

Hypochlorite de calcium

Méditerranée Est

Ever Decent

1999

Substances chimiques diverses

Mer du Nord

Martina

2000

Acide chlorhydrique

Mer Baltique

Heidelberg Express

2000

Acide acrylique

Méditerranée Ouest

Melbridge Bilbao

2001

Mélange chimique

Atlantique Est

Lykes Liberator

2002

Iodure de diéthyle aluminium et diéthyle zinc

Atlantique Est

Rokia Delmas

2006

Fèves de cacao

Golfe de Gascogne

MSC Napoli

2007

Divers produits explosifs, inflammables, polluants

Manche

Pacific Adventurer

2009

Nitrate d’ammonium

Moreton Bay (Australie)

Linda

2010

Polluants marins

Mer Baltique

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Le tout conteneurisé

Sept de ces accidents sont su;samment documentés et assez exemplaires pour servir d’études de cas : • l’Ariadne, s’échouant le 24 août 1985 à une centaine de mètres du port de Mogadiscio (Somalie), avec 600 conteneurs à bord, dont une centaine de produits chimiques divers ; • le Sherbro, perdant 88 conteneurs en Manche dans la nuit du 8 décembre 1993, dont 5 conteneurs de pesticides ; • le MSC Carla, se cassant en deux, le 24 novembre 1997, au large des Açores, et libérant 74 conteneurs à risque, dont un chargé d’irradiateurs de laboratoire ; • le MSC Rosa M, accusant une forte gîte, le 30 novembre 1997, en Manche, avec en cargaison des conteneurs de produits inflammables, corrosifs ou oxydants ; • le Lykes Liberator, perdant 60 conteneurs le 2 février 2002, au large du Finistère, avec de l’iodure de diéthyle aluminium et diéthyle zinc , ainsi que divers autres produits classés comme polluants marins ; • le Rokia Delmas, s’échouant le 24 octobre 2006 au sud de l’île de Ré avec dans sa cargaison des conteneurs de fèves de cacao ; • le MSC Napoli, perdant en Manche le 18 janvier 2007 et les jours suivants 103 de ses 2 394 conteneurs, avec, entre autres, des produits explosifs, toxiques, inflammables, oxydants et corrosifs.

❚❚Ariadne, produits dangereux divers, 1985 Le 24 août 1985, suite à une rupture de remorque, ce porte-conteneurs s’échoue à une centaine de mètres du port de Mogadiscio (Somalie) avec 600 conteneurs à bord, dont une centaine chargés de produits chimiques divers. La liste comprend les produits dangereux suivants : • classe de risque 3 (inflammables) : acétone, acétate de butyle, dipentène, acétate d’éthyle, hexane, hydrazine, alcools isobutylique et isopropylique, méthylisobutylcétone, méthyléthylcétone, toluène, xylène ; • classe de risque 5 (comburants) : peroxyde d’hydrogène ; • classe de risque 6 (poisons) : pesticides organochlorés, pentachlorophénate de sodium, plomb tétraéthyle, trichloréthylène ; • classe de risque 8 (corrosifs) : acide nitrique. Devant le risque d’explosion et d’incendie, le gouvernement somalien fait appel à l’aide internationale. Un feu à bord conduit à l’évacuation temporaire de la zone du port. Les tentatives de remise à flot du navire échouent. Il se casse en deux. Des éléments de cargaison, en particulier des fûts de produits chimiques et du fuel de soute s’échouent à la côte. Une partie des fûts est volée. Le fuel resté en soute est pompé et la cargaison subsistante est enlevée. Au bout de 4 mois, la partie avant est dégagée et coulée au large. Le reste suit au bout de 9 mois. Ce qu’il est advenu des produits chimiques les plus dangereux n’est pas précisément connu, mais semble bien que le plomb tétraéthyle, le pentachlorophénate de sodium et le trichloroéthylène n’ont pas été intégralement récupérés.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

❚❚Sherbro, pesticides, 1993 Dans la nuit du 8 décembre 1993, le porte-conteneurs Sherbro perd 88 conteneurs au large de Cherbourg. Le préfet maritime lui ordonne de faire escale à Brest pour arrimer à nouveau son chargement et débarquer des conteneurs endommagés. Dix des quatrevingt-huit conteneurs perdus contiennent des marchandises dangereuses. L’analyse de risque fait apparaître que le pesticide est la principale source de risque de pollution des eaux : lent à se biodégrader, il peut être bioaccumulé par la faune marine. Un conteneur est retrouvé intact et remorqué jusqu’au port de Cherbourg par l’Abeille Languedoc. Les sachets de pesticides, scellés, avec un peu d’air à l’intérieur, lui ont servi de flotteurs. Un autre conteneur s’échoue et libère sa cargaison sur la plage de Siouville-La Hague, quatre jours après l’accident. Ils sont ramassés manuellement. L’essentiel du contenu d’un troisième est récupéré sur les plages du Touquet, de Boulogne et de la Somme en janvier. Le dernier conteneur est vu au large de Boulogne fin décembre, puis il est perdu, et l’essentiel de son contenu (145 000 sachets) s’échoue en janvierfévrier sur le littoral hollandais puis allemand. À l’escale du navire à Brest, un cinquième conteneur de pesticide (du Ridomil) se révèle lui aussi tombé à la mer. La quasi-totalité de son contenu (5 tonnes) est récupérée sur les plages du Touquet, de Boulogne et de Berck. Le fabricant des pesticides participe activement aux opérations de récupération. Aucune pollution marine n’est observée, autre que l’ajout des sachets de pesticides au flot malheureusement permanent des macrodéchets inertes venant s’échouer sur les plages. Matières dangereuses perdues par le Sherbro Produit

Nombre de conteneurs

Quantité nette totale (kg)

Soufre

1

1 000

Liquide inflammable odorant

1

3 600

Pesticide (Apron plus)

4

1 799

Nitrocellulose

2

21 600

Méthylcétone, dichloréthane

1

35

Phénol

1

200

❚❚MSC Carla, cellules radioactives et vins fins, 1997 En route vers Boston, au large des Açores, dans une violente tempête, le 24 novembre 1997, le porte-conteneurs MSC Carla se brise en deux par le milieu. La moitié avant coule aussitôt, par plus de 3 000 mètres de fond. Les 34 membres de l’équipage sont hélitreuillés par la société de sauvetage espagnole Sasemar (actuelle Salvamento marítimo), qui prend en charge, après les hommes, le sauvetage des biens (navire et cargaison) et la lutte contre le risque de pollution.

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Le tout conteneurisé

Soixante-quatorze des conteneurs transportés par le navire sont chargés de vins et d’alcools fins, de produits inflammables, comburants, corrosifs, radioactifs, polluants marins. Les déclarations de marchandises dangereuses transportées par le MSC Carla, qui sont communiquées au Cedre à la demande du préfet maritime de l’Atlantique, comprennent : • 6 conteneurs de produits de classe 2 (gaz comprimé) ; • 36 conteneurs de produits de classe 3 (inflammables) ; • 6 conteneurs de produits de classe 5 (comburants) ; • 17 conteneurs de produits de classe 6 (poisons) ; • 1 conteneur de produits de classe 7 (radioactifs) ; • 6 conteneurs de produits de classe 8 (corrosifs) ; • 2 conteneurs de produits de classe 9 (dangereux divers). Une cinquantaine de conteneurs sont tombés à la mer au moment de la cassure. Suivant leur localisation dans le plan de chargement, les conteneurs chargés de substances dangereuses ou potentiellement polluantes peuvent être partis à la mer par la brèche, avoir coulé avec la moitié avant du navire ou être restés dans la moitié arrière, qui flotte. Un des conteneurs suspectés d’être tombés à la mer est celui qui contient des produits de classe 7 : il transporte 3 irradiateurs biologiques avec leurs sources radioactives, à base de césium 137, dans des cellules conçues pour résister à la pression jusqu’à 20 atmosphères (200 mètres de profondeur). Ces irradiateurs sont de fabrication française et leur conteneur a été chargé au Havre. La partie arrière du navire est prise en remorque. Le Cedre est interrogé sur la position du conteneur des irradiateurs de laboratoire dans le navire : peut-il se trouver dans la moitié d’épave qu’un remorqueur espagnol tente de tracter jusqu’à Las Palmas (îles Canaries) ? Les recherches font apparaître que le conteneur en cause était positionné dans la partie avant du navire. Les cellules sont donc au fond, dans l’épave, et elles ont nécessairement implosé dans la descente. On apprendra à cette occasion que 500 irradiateurs de laboratoire transitent chaque année sur les routes maritimes du monde, dans des conteneurs sans marquage externe spécifique, ni suivi particulier. L’Institut français de protection et de sécurité nucléaire (ipsn) procède à plusieurs évaluations pour apprécier l’impact possible des cellules radioactives implosées sur l’homme. Du fait de la grande profondeur d’immersion (3 000 mètres), l’e=et de dilution limite les risques d’exposition d’une faune locale très réduite. Les risques pour les consommateurs qui mangeraient des poissons pêchés au voisinage de l’épave sont jugés très faibles. Le calcul est purement théorique : les pêches pratiquées dans la région n’exploitent pas de ressources au-delà de 2 000 mètres de profondeur. Le consommateur ne peut donc pas avoir accès à des produits irradiés, sauf à ce que les animaux en cause soient remontés de − 3 000 mètres à − 2 000 mètres après avoir été irradiés. Compte tenu des risques très faibles d’un tel phénomène, il n’est pas prévu de tentative de récupération du conteneur. Des prévisions de dérive des conteneurs partis en mer sont réalisées avec le modèle Mothy de Météo-France, au cas où certains flotteraient.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

❚❚MSC Rosa M, substances corrosives, inflammables, etc., 1997 L’année 1997 est un mauvais millésime pour les porte-conteneurs de la société MSC. Parti du Havre avec un chargement pas encore bien arrimé, le porte-conteneurs MSC Rosa M se retrouve le 30 novembre avec près de 30° de gîte aux approches du Cotentin et demande assistance. Son remorquage sur une longue distance risque de se terminer en chavirement. Il est échoué à marée haute sur une plage du Cotentin, pour un allégement d’une partie de sa cargaison et des réparations provisoires. Le manifeste de chargement indique la présence dans des conteneurs d’environ 70 tonnes de substances corrosives, inflammables et dangereuses (notamment des gaz et liquides inflammables). Le navire contient également 2 900 tonnes de fuel de propulsion. Les 32 membres de l’équipage sont évacués et hospitalisés par précaution. Une équipe d’évaluation des risques monte à bord. Elle fait l’inventaire des conteneurs abîmés ou inondés, à la recherche d’un risque de réaction avec l’eau de mer ou entre deux contenus. L’étude de risque dure plusieurs jours, dans des conditions extrêmement di;ciles (cales noyées, électricité défaillante, conteneurs déplacés et abîmés). Deux types de dangers sont examinés : les dangers pour les intervenants (produits explosifs ou inflammables et gaz toxiques) et les dangers pour l’environnement marin (polluants aquatiques, produits toxiques pour la faune et la flore). Finalement, le maître sauveteur (Salvage Master), commandant du remorqueur de haute mer Abeille Flandre, juge possible d’alléger le navire d’une partie de ses conteneurs, de pomper les cales, de redresser le navire, de le déséchouer, de le remorquer en grande rade de Cherbourg pour l’y sécuriser, puis de le remorquer au Havre pour y être déchargé. Cette séquence d’opérations est réalisée avec succès, mais non sans di;cultés, pendant le mois de décembre.

❚❚Lykes Liberator, iodure de diéthyle aluminium et diéthyle zinc, 2002 Le porte-conteneurs Lykes Liberator, en route de Bremerhaven (Allemagne) à Charleston (États-Unis) avec 3 000 conteneurs à bord, signale le 2 février 2002 avoir perdu 60 conteneurs dans le mauvais temps, à 120 nautiques dans l’ouest de l’île de Sein. Un des conteneurs perdus transporte des produits classés dangereux. Il s’agit d’un conteneur ouvert (c’est-à-dire une simple structure métallique, sans toit ni côtés) de 40 pieds, dans lequel se trouvent 3 citernes de produits chimiques. Le risque pour la navigation, si les citernes flottent, ainsi que les risques environnementaux et humains éventuels sont conséquents. Un avion de surveillance de la Marine nationale repère le jour même une citerne jaune dans la zone indiquée par le Lykes Liberator. L’observation est confirmée le lendemain. Mais les citernes ne sont ensuite plus retrouvées. Une modélisation de la dérive estimée des citernes, à partir des éléments disponibles, est e=ectuée par Météo-France avec son modèle Mothy. La modélisation sur 5 jours donne une prévision d’arrivée au niveau du rail d’Ouessant autour du 5 février, puis d’entrée en Manche autour des 6-7 février.

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Le tout conteneurisé

Perte de citernes conteneurisées en Manche par le Lykes Liberator : en haut, à la recherche des citernes ; en bas, dégazage d’une citerne à quai

© Cedre

© Cedre

L’évaluation des risques pour l’homme et l’environnement en cas d’échouage est di;cile à réaliser : les informations disponibles sur le contenu des citernes sont imprécises. La référence fournie correspond à une famille de catalyseurs chimiques, des alkydes d’aluminium, pas à un produit particulier. Le risque humain est globalement établi (risque d’explosion), mais pas le risque environnemental. Afin de parvenir à une information précise sur le produit, il faut la page du manifeste du navire (= relevé de cargaison) portant sur le conteneur dans lequel se trouvaient les trois citernes. Elle finit par être communiquée par le fournisseur.

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Les citernes servent à transporter des catalyseurs chimiques utilisés en particulier dans l’industrie du caoutchouc synthétique, des cosmétiques et de la pharmacie : de l’iodure de diéthyle aluminium dans deux cuves et du diéthyle zinc dans la troisième. Ce sont des produits hydro-réactifs (fort dégagement de chaleur en présence d’eau), qui s’enflamment spontanément au contact de l’air et peuvent provoquer de graves brûlures. La flottabilité des citernes s’explique par le fait qu’elles sont vides, mais non dégazées et fermées, pratique courante dans les retours de clients. Elles peuvent donc contenir encore quelques litres à quelques dizaines de litres de produit, avec des vapeurs. Le fournisseur, la société Albemarle, basée à Louvain (Belgique), réagit vite et de manière très responsable. Il fournit en un jour une information complète sur les citernes, les risques et les précautions à prendre. Il dispose d’une cellule d’intervention d’urgence, qu’il met à la disposition des autorités françaises. Grâce à la modélisation de dérive, les citernes sont repérées près du rail d’Ouessant, prises en remorque et amenées au port de Brest. Là, elles sont grutées sur le quai aux conteneurs et remises au responsable sécurité d’Albemarle, qui assure leur inertage et leur enlèvement par voie ferrée.

❚❚Rokia Delmas, fèves de cacao et autres, 2006 Dans la nuit du 24 octobre 2006, le porte-conteneurs Rokia Delmas, en avarie totale de machine, s’échoue sur la côte sud de l’île de Ré. Il transporte des fèves de cacao, du bois et d’autres produits. Ses soutes contiennent 500 tonnes de fuel ifo 380 et 50 tonnes de diesel marin. L’équipage est hélitreuillé, le commandant et cinq membres d’équipage restent à bord pour aider les équipes d’intervention. La préfecture maritime de l’Atlantique envoie sur place ses moyens Polmar-Mer et la préfecture terrestre active son plan Polmar-Terre. Le navire présente une gîte de 20° et une voie d’eau, mais aucune pollution n’est observée. Les premières investigations à bord montrent qu’un déséchouement à la marée haute du soir est impossible. Une inspection de la coque par des plongeurs le confirme : une brèche d’au moins 20 mètres de long sur 50 centimètres de large est observée. Par précaution, les parcs ostréicoles proches sont protégés par des barrages antipollution. Les hydrocarbures surnageant dans les cales du navire et les soutes sont pompés et stockés dans une barge. Les autorités maritimes s’interrogent sur le devenir des fèves de cacao si elles venaient à tremper dans l’eau : une pollution organique pourrait être très dommageable pour la conchyliculture locale. Des expérimentations sont lancées au Cedre sur des fèves de cacao mises dans l’eau de mer. Elles restent en surface et deviennent gluantes en quelques jours tout en restant fermes. Leur forte teneur en matière grasse (beurre de cacao) peut expliquer ce comportement. Mais au fil des jours, un dépôt de matière organique se forme au fond des récipients, une proportion de plus importante des fèves coule et un film gras blanchâtre en surface indique la libération de graisses. Au bout de 14 jours, des

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Le tout conteneurisé

fèves sont prélevées, rincées et examinées. Seule la cuticule a commencé à se décomposer. La fève elle-même apparaît encore intacte. Dans une deuxième expérience, des fèves sont placées dans l’eau de mer en milieu fermé, avec un dispositif permettant de récupérer tout dégagement gazeux. Un début de dégagement d’hydrogène sulfuré apparaît après 14 jours. L’armateur, cma cgm, et son assureur, répondent positivement à la mise en demeure du préfet maritime de faire cesser le risque de pollution. Ils prennent les travaux en charge. L’épave est allégée de ses conteneurs en pontée et de sa cargaison de bois. Plusieurs ouvertures sont pratiquées pour accéder aux divers ponts et procéder à l’enlèvement complet de la cargaison s’y trouvant. L’épave est entièrement vidée de son contenu fin janvier 2007. Commencent alors, après dépôt d’un plan d’intervention en cas de pollution, le découpage et l’enlèvement de la coque. Malgré un feu, provoqué par des travaux d’oxycoupage, qui vient temporairement perturber les opérations, le dernier tronçon de coque est emporté le 17 décembre. Les débris résiduels sont ramassés le lendemain et le préfet maritime acte la fin des travaux le 19 décembre, quatorze mois après l’échouement.

❚❚MSC Napoli, produits dangereux divers, 2007 Le 18 janvier 2007, en route d’Anvers à Lisbonne, dans une tempête, à l’entrée de la Manche, le porte-conteneurs anglais MSC Napoli est victime d’une voie d’eau, puis d’une panne de gouvernail. Il transporte 42 000 tonnes de marchandises, dans 2 394 conteneurs. Plusieurs sont tombés à la mer. Le manifeste de chargement, communiqué à la préfecture maritime de l’Atlantique et à la garde-côte britannique, répertorie près de 1 700 tonnes de produits dangereux (explosifs, gaz, liquides et solides inflammables, oxydants, matériaux toxiques, matière corrosive, etc.) dans 33 conteneurs. Le MSC Napoli a également en soute plus de 3 000 tonnes de fuel lourd. Ses 26 membres d’équipage sont rapidement évacués, et les autorités maritimes françaises et britanniques procèdent à une évaluation des risques. Conteneurs à risques du MSC Napoli Nombres de conteneurs

Substances

Classe IMDG

Exemples Pesticides organophosphorés

9

Substances toxiques

6.1

1

Substances réactives à l’air

4.2

Phosphore

1

Substances réactives à l’eau

4.3

Triéthylaluminium Méthacrylate de méthyle stabilisé

1

Substances inflammables et toxiques

3

10

Substances corrosives

8

Acide acétique

8

Substances diverses

8

Substance contenant du glyphosate

Polluants marins



Diphénylamine

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pollutions chimiques accidentelles du transport maritime

Comme dans le cas du Rosa M, deux types de dangers sont examinés : les dangers pour les intervenants (produits explosifs ou inflammables et gaz toxiques) et les dangers pour l’environnement marin (polluants aquatiques, produits toxiques pour la faune et la flore). Le problème dans ce genre de situation n’est pas tant la dangerosité d’un produit isolé, disponible dans la littérature spécialisée, mais celui des interférences entre produits, comme le voisinage d’un produit inflammable en cas de contact avec l’eau avec un produit réactif à la chaleur. Il faut en outre faire vite sans rien négliger, ce qui est extrêmement di;cile, faute d’information sur les conditionnements des produits dans les conteneurs. En quelques heures, les experts français et britanniques examinent plusieurs centaines de pages de listings informatiques, repèrent les risques majeurs, confrontent leurs résultats entre eux et avec les experts de l’armateur. Le MSC Napoli est pris en remorque à destination du port britannique de Portland, sur la côte du Dorset. Le risque de le voir se casser en deux s’aggravant et son tirant d’eau devenant excessif, il est dérouté vers la plage de Lyme Bay, où il est échoué. Au total, 103 conteneurs tombent à l’eau pendant le remorquage et après l’échouement. Trente-sept d’entre eux atterrissent sur la plage de Branscombe, où les autorités

Perte de conteneurs en Manche par le MSC Napoli : laisse de sachets de biscuits souillés sur une plage bretonne

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ont bien du mal à prévenir le pillage de leur contenu (motos, tonneaux, couches pour bébés, pièces automobiles, etc.). Le calme rétabli, il faut nettoyer la plage, opération qui amène la récupération de 160 tonnes de ferraille. L’armateur procède à l’enlèvement de la cargaison du MSC Napoli en pontée et au pompage de son fuel de soute. L’épave ne peut toujours pas être déséchouée et il faut l’alléger de tout son chargement. L’enlèvement de la coque en un seul morceau se révèle impossible. Elle est coupée en deux. La proue est enlevée en août 2007. La poupe suit un an plus tard. Un programme de suivi de l’impact sur les eaux côtières et les peuplements littoraux est mis en place côté britannique, dès le début des travaux. L’eau de fond de cale est considérée comme représentative du mélange de produits chimiques perdu par les conteneurs. Des bioessais sont réalisés sur un copépode (Tisbe battagliai) et une diatomée (Skeletonema costatum). Des composés chimiques toxiques sont recherchés par chromatographie en phase gazeuse et spectrométrie de masse. Les bioessais montrent que 55 jours après l’échouage l’eau des fonds du navire n’a=ecte pas le copépode. Mais cette même eau inhibe la croissance de la diatomée jusqu’au 93e jour. Les analyses indiquent la présence de nombreux composés chimiques : phthalates, dibutylétain, xylène, sulfures, tétrachloroéthylène et sulfure de diméthyle, en particulier. Côté français, l’impact sur le littoral se matérialise par des arrivages de sachets de biscuits au chocolat souillés de fuel. Des simulations de dérive à rebours, une prise de contact avec le fabricant turc et une confrontation de la signature du fuel du navire avec les échantillons prélevés sur le littoral confirment la source : deux conteneurs perdus par le navire au tout début de ses déboires. La ministre chargée de l’Environnement vient assurer de son soutien les communes polluées, qui mettent en place une opération de nettoyage des plages et des enrochements victimes d’arrivages de sachets de biscuits souillés et de galettes de pétrole.

Retour d’expérience Les pertes de conteneurs du Sherbro et du Lykes Liberator sont des exemples typiques d’incidents de transport sans dommage humain ni pollution. Ils sont insignifiants pour l’armateur, qui se reposera pour la gestion du dossier sur les services de son assureur et, éventuellement, sur la capacité de mobilisation du fournisseur du produit en cause. Mais ce sont aussi des incidents qui demandent aux autorités maritimes du pays côtier un travail lourd et di;cile de réponse à l’urgence, pour assurer une bonne protection des hommes et de l’environnement. Comment s’assurer du risque réel de sachets de pesticides à la dérive ou de la bonne étanchéité des citernes de diéthyle ? Comment intervenir pour les récupérer ? Comment parer au risque pour les intervenants, pour les usagers du littoral ? Une réflexion s’impose sur les notions de risque lié au produit dans

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son conditionnement et en dehors. Des solutions restent à trouver pour mieux repérer, chaluter et récupérer des sachets flottants ou des citernes à la dérive. Les cas des MSC Carla et Rosa M illustrent les di;cultés de l’évaluation du risque de pollution dans une cargaison de conteneurs désarrimés et, pour certains, plus ou moins écrasés. Cela nécessite bien plus que de simples documents administratifs (manifeste) et techniques (plan de chargement). Une vérification sur place est nécessaire, conteneur par conteneur, dans une étroite concertation entre les autorités décisionnelles, les unités opérationnelles, les autorités des ports où le navire a été chargé et les représentants qualifiés de l’armateur. Quand la vérification sur place est matériellement impossible, on ne peut émettre que des hypothèses. La dangerosité d’un produit isolé est en général disponible dans la littérature spécialisée. Encore faut-il savoir l’exprimer d’une manière réaliste, adaptée au contexte. Mais le problème devient beaucoup plus délicat quand il faut tenir compte d’interactions possibles entre divers produits, comme dans le voisinage d’un produit inflammable en cas de contact avec l’eau avec un produit réactif à la chaleur. Il faut faire vite sans rien négliger. La dangerosité d’un produit ou d’un voisinage entre produits n’est pas seulement une question de composition mais aussi une question d’emballage. Le même produit ne sera pas considéré de la même manière selon qu’il est en fûts métalliques qui résistent plusieurs semaines dans l’eau de mer, en poches de plastique scellées qui dérivent en surface ou en cartons qui se délitent dans l’eau. Un produit plus dense que l’eau dans un conditionnement qui favorisera la flottabilité de son conteneur n’est pas à regarder de la même manière qu’en vrac dans un conteneur qui coulera très vite. Malheureusement, les listings de colisage portent souvent des mentions lapidaires, comme « boîte » ou « paquet », ne permettant pas de déterminer leur résistance au contact avec l’eau. Le cas du Rokia Delmas est un exemple type de traitement intelligent d’un échouement sans pertes humaines ni pollution. Lorsqu’il apparaît que le navire ne pourra pas être déséchoué, il est décidé de le purger de ses hydrocarbures, de l’alléger de sa cargaison, de le découper, d’enlever les morceaux et de rendre le site d’échouement à son état initial. Un élément de la cargaison, les fèves de cacao, pourrait être potentiellement générateur de pollution mais les données manquent pour établir comment et à quelle échéance, d’où la commande à un spécialiste d’une série d’expérimentations. Comme dans le cas du Fénès, coulé en 1996 avec 2 650 tonnes de blé en vrac, un aliment peut devenir un polluant. La décomposition de la cargaison de blé du Fénès avait provoqué des dégagements d’hydrogène sulfuré, conduisant à arrêter momentanément le chantier de récupération et prendre des mesures de protection particulières pour les plongeurs. Un démantèlement du Rokia Delmas par la houle, avec chute à la mer de conteneurs de fèves de cacao aurait pu générer une pollution organique dommageable pour les parcs ostréicoles de la zone.

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Ce cas et celui du MSC Napoli montrent par ailleurs que s’il n’est pas possible de déséchouer un navire très vite, l’enlèvement passe par un allégement et un découpage, longs et coûteux. Pour ne prendre que quelques exemples, on pourra visiter trois dossiers sur le site Web du Cedre. Celui du porte-conteneurs Melbridge Bilbao, échoué en 2001 sur un banc de sable à marée basse, sur l’île de Molène, qui a pu être déséchoué entier à marée haute. Celui du porte-conteneurs Kini Kersten échoué sur une plage de Normandie en 1987, qui n’a pu être déséchoué entier que deux semaines plus tard, après d’importants travaux sur la plage. Celui du vraquier Coral Bulker, qui a dû être découpé pour être dégagé du môle du port portugais de Viana do Castelo, à l’issue d’opérations longues et délicates. L’Ariadne et le MSC Napoli posent le problème du pillage des conteneurs et colis qui s’échouent sur le rivage, particulièrement grave pour l’Ariadne, où il s’agit de produits dangereux. Le cas du MSC Napoli rassemble à lui seul pratiquement tous les aspects du problème des porte-conteneurs, gigantisme exclus : connaissance de la cargaison, conteneurs tombés à l’eau et libérant leur contenu comme une bombe à fragmentation, conteneurs atterrissant sur une plage et pillés par les riverains, épave qu’il faut vider de son contenu et découper pour l’enlever en morceaux, eaux de fond de cale chargées d’un inquiétant cocktail de produits divers.

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Quelques déversements continentaux Les déversements accidentels de produits chimiques en rivière ou en lac sortent du cadre de cet ouvrage. Mais il nous a paru utile de mentionner ici quelques cas majeurs, à titre de référence comparative. Ces cas illustrent des situations représentatives : • une erreur humaine ou une défaillance matérielle dans une exploitation agricole conduisant à la rupture d’une cuve de stockage de lisier, au déversement de quelques sacs ou fûts de pesticides dans un ruisseau, sources de petites pollutions localisées, généralement marquées de mortalités ponctuelles de poissons au passage du front de la pollution ; • des accidents de transport routier ou ferroviaire, au voisinage d’un plan d’eau, avec déversement dans ce plan d’eau, ou dans un réseau d’évacuation y conduisant, de tout ou partie du produit transporté, sources de pollutions en général à peine plus importantes que les précédentes, mais qui peuvent prendre une autre ampleur dans quelques cas, comme un déraillement de train ; • des accidents de transport fluvial, très comparables aux accidents du transport maritime à cela près que les quantités en cause sont généralement bien moindres mais les impacts sur les berges et les prises d’eau plus immédiats, du fait de distances souvent plus courtes ; • des incendies de dépôts de produits chimiques, combinant une pollution aérienne par les fumées venant de la combustion de divers produits et une pollution aquatique par le ruissellement des eaux d’extinction de l’incendie ; • des erreurs humaines ou des actes de malveillance dans l’exploitation d’usines et de dépôts, entraînant des rejets de produits toxiques dans le réseau d’évacuation des eaux de ruissellement ; • enfin, des ruptures de digues, de bassins de rétention de déchets liquides d’exploitations minières, boues et eaux boueuses lourdement chargées en métaux et sels métalliques, stockés souvent depuis plusieurs dizaines d’années, faute de solution pour les traiter à un coût compatible avec les moyens ou la volonté de l’entreprise.

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Cas documentés Nous n’avons pas construit pour ces déversements de tableau de cas à travers le monde, mais une rapide visite du site Web du Cedre (dossier accidents, lettre d’information, lettre technique eaux intérieures) montrera au lecteur intéressé qu’il n’en manque pas. Nous en avons retenu quatre pour des études de cas : • l’incendie de l’usine chimique et du dépôt Protex, le 9 juin 1988, à Tours, avec combustion plus ou moins partielle de 500 tonnes de naphtalène, stéarine, polyméthacrylate de méthyle, isopropanol, isobutanol, glycol, amines et descente au fil de la Loire, avec les eaux d’extinction du feu, de cendre et de produits non brûlés ; • la rupture de digue de stockage de déchets liquides de la mine de pyrite d’Aznalcollar, le 25 mai 1998, avec pollution du fleuve Guadiamar (Andalousie) par 5 millions de mètres cubes d’eaux acides chargées en ions cuivre, zinc, arsenic, cadmium et plomb ; • le déversement accidentel de 100 tonnes de benzène, le 13 novembre 2005, dans le réseau d’évacuation des eaux d’une usine chimique à Songhua (Chine du Nord-Ouest) ; • La pollution de la rivière galicienne Umia, le 1er septembre 2006, suite à l’incendie d’un dépôt de produits chimiques, avec déversement d’imbrûlés divers, toluène, xylène, tétrachloroéthylène et benzène, en particulier.

❚❚Usine chimique Protex, Loire, 1988 Dans la nuit du 9 juin 1988, un incendie ravage l’usine chimique Protex de Tours, qui fabrique des produits de traitement du papier et des eaux ainsi que des produits chimiques intermédiaires pour l’agriculture et la parfumerie. Cinq cents tonnes de produits chimiques nocifs et toxiques y sont stockées, dont 20 tonnes de naphtalène, 50 tonnes de stéarine, 30 tonnes de polyméthacrylate de méthyle, 200 tonnes d’alcools (isopropanol, isobutanol, glycol), 20 tonnes d’amines. Des explosions secouent les bâtiments en feu. Des nuages de fumée noire s’élèvent jusqu’à une centaine de mètres dans le ciel. Des pollutions secondaires liées à la combustion des canalisations en plastique de l’usine s’ajoutent à celles des produits chimiques en stock. La population avoisinante est rapidement évacuée. Les pompiers ne viennent que di;cilement à bout de l’incendie, grâce à l’intervention, malgré un accès di;cile, de camions de gros tonnage épandeurs de mousse. L’usine avait été plusieurs fois menacée de fermeture par le préfet, pour manquement aux règles de sécurité. L’absence de moyens d’intervention interne, une connaissance imparfaite de l’entreprise, des désordres dans les installations et les stockages, des ruptures de canalisations d’eau, ne facilitent pas les opérations. L’eau, mélangée aux produits chimiques à demi-brûlés et aux déchets entreposés dans l’usine, se déverse dans un a