Mort Du Colonel Amirouche [PDF]

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Zitiervorschau

MORT DU COLONEL AMIROUCHE Enfin la vérité éclore “Cfut d anza-s i d-yaswlen “

MORT DU COLONEL AMIROUCHE Les contradictions remontent à la surface Le livre de Saïd Sadi Amirouche : une vie, deux morts, un testament force, pour pertinent qu’il soit dans l’interrogation qu’il assène à l’histoire, au déchaînement des réactions. Après Mourad Benachenhou, Ali Mebroukine, c’était au tour de Ali Kafi, colonel de la Wilaya II historique, d’attester d’une réaction-témoignage. Sa vérité et celle de Benachenhou, loin de se confondre, s’entrechoquent en se contredisant. Sofiane Aït-Iflis - Alger (Le Soir)- Ainsi en est-il des liaisons radio entre Tunis et la Wilaya III. Ali Kafi affirme ( El Watan du samedi 8 mai 2010) que Krim Belkacem ne pouvait pas avoir alerté le colonel Amirouche, qui devait partir à Tunis, sur l’impératif de changer d’itinéraire pour la simple raison que les contacts radio avec la Wilaya III passaient par lui. «Impossible. Il (Krim Belkacem, ndlr) n’avait aucun contact radio avec Amirouche. Les contacts radio avec la Wilaya III passaient par moi. Krim, maquisard depuis 1947 et connaissant parfaitement les techniques de l’ennemi, ne pouvait pas envoyer un message écrit, de peur qu’il ne tombe entre les mains des Français. Et comme on était pressés par le temps, il ne pouvait pas aussi transmettre le message par le biais d’une personne.» Dans son opinion livrée dans Le Quotidien d’Oran le 17 avril 2010, Mourad Benachenhou évoquait, lui, une tentative vaine de joindre le colonel Amirouche. «Quelques jours avant la bataille qui a coûté la vie au colonel Amirouche comme à Haouès, l'échange de messages entre différentes unités ennemies, messages interceptés et déchiffrés par les services d'écoute de l'ALN, faisait état de rumeurs, parmi les populations locales, du déplacement de Amirouche en compagnie de Haouès ; les bulletins de renseignements généraux de la gendarmerie nationale ennemie, diffusés en clair tous les jours à 17h, ont, à la même époque, mentionné ce déplacement», écrit-il, poursuivant : «Krim Belkacem, Boussouf, Bentobbal et Nacer ont été informés de cela ; en même temps, les services de transmissions de l'ALN ont tenté de contacter en vain Amirouche pour l'informer qu'il avait été repéré et qu'il devait changer d'itinéraire ; comme il avait de son propre chef décidé de ne plus recevoir de messages de Tunis, les Wilayas IV et II ont été contactées pour lui transmettre l'information ; mais elles aussi n'avaient pas le moyen d'informer à temps Amirouche.» Mourad Benachenhou, qui fut au moment des faits de l’autre côté des frontières, parle bien de tentatives de joindre le colonel de la Wilaya III et ce n’est qu’après l’échec de ces tentatives que les Wilayas IV et II avaient été sollicitées pour transmettre le message. À en croire Benachenhou, le contact avec la Wilaya III était, du moins d’un point de vue logistique et au plan opérationnel, possible. Que le colonel Amirouche ne daignait pas recevoir les messages en provenance de Tunis est une autre histoire. Ali Kafi, pour sa part, souligne que «les contacts radio avec la Wilaya III passaient par moi». Si, comme l’atteste Benachenhou, Krim, Boussouf, Bentobbal et Nacer avaient essayé de joindre le colonel Amirouche, Krim aurait bien pu, comme Saïd Sadi le rapporte dans son livre, joindre, dans une initiative propre, le PC de la Wilaya III et recommandé au

récepteur du message d’alerter Amirouche sur la nécessité de changer d’itinéraire. Dans son livre, Saïd Sadi, rapportant des témoignages qui étaient au PC d’Amirouche dans l’Akfadou, affirme que le message de Krim Belkacem alertant Amirouche sur l’impératif de changer d’itinéraire pour se rendre à Tunis avait bel et bien été reçu et que le commandement de la Wilaya III avait chargé quelqu’un de rattraper le colonel déjà en chemin vers Tunis et de le lui transmettre. Le messager, rapporte Saïd Sadi, a été pris dans une embuscade et ne l’avait donc pas transmis. S. A. I.

Saïd Sadi : «Comme le cholestérol, il y a le bon et le mauvais MALG» Par Saïd Sadi

La dernière sortie du segment noir du MALG et l’intervention d’un universitaire que je ne connais pas dans Le Soir d’Algérieconfirment la prémice annoncée par les premières réactions qui ont suivi la publication du livre sur Amirouche : le débat n’aura pas lieu. Comme le parcours du colonel de la Wilaya III a croisé celui de nombreux acteurs de la guerre, on peut supposer que d’autres accès plus ou moins éruptifs vont apparaître prochainement non pas pour commenter le livre, ce qui serait normal et bienvenu, mais pour protéger des positions par la censure ou la désinformation. Pour l’instant contentons-nous de relever qu’il y a un grand émoi dans la basse-cour : l’ouvrage aura déjà eu le mérite de faire sortir du bois les rentiers de la mémoire confisquée. Commençons par l’universitaire. La tentative de contenir certains excès n’échappe pas à la marque de fabrique propre au boumedienisme compulsif. L’homme du 19 Juin a laissé son empreinte chez ses ouailles : en politique on ne discute pas, on n’écoute pas, on affirme. Qararna. Pour Monsieur Mebroukine, le doute sur le livre est instillé dès le départ, dès lors que j’ai publié mon livre en avril 2010 ! Lorsque nous ferraillions avec nos amis du PAGS «soutiens critiques» de Boumediene à l’université à la fin des années 1960 et au début des années 1970, il y avait une réaction invariable à chaque fois que nous, les contre-révolutionnaires «redjâiyin » soulevions ou dénoncions un abus, y compris sur des sujets aussi consensuels que la violation des franchises universitaires : c’était toujours au moment où quelque chose «de vital pour la révolution» allait se produire que nous, les alliés de l’impérialisme, avions le malin plaisir à nous exprimer pour gêner la réalisation «des tâches d’édification nationale». Un jour notre intervention se faisait comme par hasard le lendemain de la visite du

chef de l’État dans une ferme pilote de la Révolution agraire ; une autre fois les mauvais génies que nous étions n’avaient rien trouvé de mieux que de critiquer une réforme de la Faculté de médecine, dont on paie aujourd’hui les frais, à la veille de l’offensive vietnamienne du Têt… Depuis, heureusement ce folklore a été dissous dans le fleuve de l’histoire. Mais voilà donc que Monsieur Mebroukine, inconsolable boumedieniste, découvre avec une rare pertinence que j’ai publié mon livre un mois d’avril 2010, ce qui ne saurait masquer une intention maléfique qui, heureusement, n’a pas échappé aux cartomanciennes du boumedienisme posthume. Comme je n’ai pas pour habitude de faire dans l’approximation ou le sousentendu en politique, je mets à l’aise notre inquisiteur. S’il fait allusion à la concomitance du trentième anniversaire du Printemps amazigh, le mieux eût été de le dire clairement. J’estime aujourd’hui plus que jamais qu’Avril 1980 est un évènement majeur de l’Algérie indépendante et qu’il reste l’une des plus belles traductions de Novembre et de la Soummam dont, par ailleurs, il faut reconnaître à Monsieur Mebroukine la lucidité d’avoir évalué la portée de l’évènement à sa juste mesure, même si Boumediène s’est employé à en réduire la portée. De la culture de l’homme de l’État Sur le fond, on se perd en conjectures sur les motivations et les intentions de Mebroukine. Pour lui, et cela ne souffre aucune discussion, Amirouche est un chef de guerre qui n’a jamais dépassé les limites de sa wilaya. Exit les missions des Aurès, de Tunis ou la réunion des colonels dans le Nord-Constantinois. Oubliés les financements accordés aux wilayas en difficulté, évacuées les notes et propositions sur les prises de position politique, sur la communication, la diplomatie, la formation des cadres ainsi que les menaces de l’armée des frontières et du MALG sur l’Algérie d’après guerre… Tout cela a beau être rappeler dans le livre avec documents à l’appui ne saurait faire dévier la culture du boumedieniste qui veut que le but d’une intervention n’est pas de démontrer mais de vérifier un présupposé indépendamment des faits. À l’inverse d’Amirouche, Boumediène est un homme d’État auquel on aurait attribué injustement «deux prétendus coups d’État en 1962 et en 1965» ! Il se trouve que d’autres pensent qu’un chef d’État qui déclare devant la télévision que les habitants «de Kabylie sont des racistes (âunsuriyin) et des séparatistes (infisaliyin) » ne peut prétendre à la qualité de responsable ; car, quand bien même serait-il sincèrement convaincu d’une telle assertion, ce qui serait tout de même assez désastreux, le moindre des reflexes d’un dirigeant, à peu près averti de la chose politique, c’est de se retenir, s’agissant de propos ayant un tel potentiel de déflagration dans un pays nouvellement indépendant. Il se trouve également que des Algériens, sans doute un peu naïfs, pensent qu’un homme qui séquestre les restes de deux héros de la guerre de libération est moralement et politiquement disqualifié pour prétendre à la responsabilité suprême. Quant aux choix économiques, sociaux et culturels retenus depuis 1965, nous en mesurons les conséquences au quotidien tant dans la performance de notre système éducatif que dans notre indépendance alimentaire.

Reste l’aspect polémique de l’écrit. Toujours aussi sûr de lui, Monsieur Mebroukine décrète qu’il est interdit de critiquer Boumediène dans la mesure où mort depuis 32 ans, il n’est plus de ce monde pour se défendre. Il se trouve que j’ai combattu Boumediène de son vivant et qu’au cas où cela ne saurait pas Amirouche, sur lequel se déverse tant de fiel, est mort depuis plus longtemps… et plutôt deux fois qu’une. En disant cela, je sais que je ne risque pas d’ébranler Monsieur Mebroukine : le boumedieniste n’ayant que des émetteurs et jamais de récepteurs. De l’instrumentalisation de l’Histoire Reste l’inévitable couplet sur la Bleuite où l’obscénité le dispute au sadisme. Là encore, M. Mebroukine s’amuse. Son approche aussi spécieuse que morbide. Il nous explique que les 6000 victimes données par le MALG et le duo Godard-Léger sont excessives mais le chiffre de 350 retrouvé dans les archives algériennes et notamment celles de la Wilaya III est insuffisant. En comptable agréé, M. Mebroukine tâte, sous-pèse et délivre sa vérité : il coupe la poire en deux et décide qu’il y a eu 3 000 victimes, coupables et innocents confondus. Que dire devant tant de légèreté ? La Wilaya III comptait environ 9 000 hommes à la mi 1958. Cela voudrait dire qu’un homme sur trois a péri en quatre mois ! Mais quand on a dit et écrit qu’Amirouche a été à l’origine de l’affaire Melouza alors qu’il se trouvait en Tunisie, pourquoi s’embarrasser de scrupules. Cependant, le plus navrant dans les interventions qui ont suivi la parution du livre sont les attaques politiciennes et l’immoralité à laquelle elles renvoient. Monsieur Mebroukine déplore une évidence : pourquoi ai-je confirmé le fait que Chadli a mis un terme à l’ignominie de Boumediène en donnant une sépulture décente aux colonels Amirouche et Haoues alors qu’il m’a emprisonné. Plus loin, Monsieur Mebroukine me propose un deal. On ne parle pas de la séquestration mais je te confirme que les colonels Amirouche et Haoues ont été donnés à l’armée française par le MALG. On s’arrange. Tu oublies Boumediène et je t’aide à enfoncer Boussouf. À part ça, c’est moi qui instrumentalise l’histoire. Que peuton opposer à un universitaire qui intervient dans un débat avec des intentions aussi obliques ? Passons sur les falsifications factuelles. Nous avons soutenu «la candidature de Bouteflika en 1999» — dont Monsieur Mebroukine a animé la campagne électorale — alors que nous avions appelé au boycott de cette élection au motif qu’à l’époque il n’y avait même pas possibilité d’obtenir le P-V de dépouillement au niveau des bureaux de vote. Notre intégration au gouvernement fut conditionnée par l’engagement public du chef de l’État d’engager toutes les réformes qui fondent notre programme. Mais l’horreur tombe quand Monsieur Mebroukine déclare que nous en sommes sortis en invoquant «le prétexte » des évènements de Kabylie. Des dizaines de morts exécutés de sang froid par un corps d’élite de l’armée sans que le moindre jugement ne soit rendu à ce jour serait «un prétexte». Il y a des lapsus lourds de sens. Quel crédit peut-on avoir en versant des larmes de crocodile sur les victimes de la Bleuite et réduire à un prétexte un acte politique dont je m’honore et qui aura marqué la vie politique algérienne autant sur le plan éthique que pédagogique.

Mais sans doute n’était-ce là que des victimes issues d’un cheptel qui n’a que le droit de mourir. Elles ont en quelque sorte rempli leur mission. J’ai pourtant essayé de traiter dans mon livre de ce conditionnement avec les terribles travers qui le soustendent assignant à la Kabylie la vocation de martyre. Il faut croire qu’il y a des fantasmes tellement intériorisés qu’ils en deviennent consubstantiels de l’âme d’une bonne partie de l’encadrement algérien, quelle qu’en soit l’origine régionale. Je me suis laissé dire qu’indépendamment de son adoration pour Boumediène, il était arrivé dans le passé à Monsieur Mebroukine d’être mieux inspiré. Aura-t-il été libre de son propos ou comme cela se dit ici et là, a-t-il été, pour des passifs mal soldés, sommé de descendre dans l’arène ? Je ne saurais le dire. Venons-en à la deuxième sortie signée par Monsieur Benachenhou. Soyons clairs. Il ne s’agit pas d’une rechute. Le texte est rédigé par le segment noir du MALG qui n’a pas du tout apprécié sa laborieuse mise au point faite l’avant-veille dans Le Soir d’Algérie. Il a donc dû endosser une mixture archéo-KGB de ses collègues. Causa nostra en Algérie D’entrée et pour qu’il n’y ait pas de malentendu sur l’école, l’agression est signée il y a trois jours. 1) Ceux qui n’appartiennent pas ou ne se soumettent pas au diktat de la causa nostra sont des régionalistes. 2) Il faut réhabiliter Messali. 3) Amirouche le sanguinaire a prolongé la guerre. 4) Il est interdit de parler de la séquestration des ossements des colonels Amirouche et Haoues et des milliers de victimes de l’été 1962 et d’après. J’adresse cette réponse à ces agents mais surtout aux centaines de citoyens et d’anciens maquisards qui m’ont appelé pour me témoigner leur solidarité et exprimer leur répulsion après la prose qui leur a été infligée. Il en est du MALG comme du cholestérol. Il y a le bon MALG et le mauvais MALG, comme il existe le bon et le mauvais cholestérol. L’Histoire a souvent vérifié le phénomène : dans les révolutions mitées par le populisme, le pire prend toujours le pas sur le meilleur. Des centaines de jeunes cadres algériens se sont engagés pour la libération de leur pays. Ils se sont retrouvés à leur corps défendant impliqués dans une machinerie qui les a épuisés dans un fonctionnement quasi carcéral dont l’essentiel des objectifs était, non pas de former les cadres pour l’Algérie indépendante, mais de structurer une pieuvre qui a détourné, à partir de 1958, l’essentiel des énergies et des compétences pour paralyser l’activité militaire et politique du pays au bénéfice d’un régime dont on subit aujourd’hui encore l’abus et les dégâts. On imagine l’apport de ces jeunes au pays s’ils avaient été organisés et orientés pour des tâches de développement national. Voici ce qu’écrivait Amirouche à propos du MALG quelques semaines avant de se diriger vers Tunis : «Désirons que jeunes envoyés par les wilayas soient orientés sur plusieurs branches : Nous envoyons des jeunes à l’Extérieur pour les faire profiter et les préparer à des tâches qui serviront mieux l’Algérie de demain. Or, nous apprenons que la plupart sont

dirigés vers les Transmissions. C’est là une façon de ne pas porter de considération à des choses que nous jugeons en toute sincérité dans l’intérêt de l’Algérie. Nous aimerions qu’à l’avenir ces jeunes soient orientés sur d’autres branches, sans évidemment négliger les transmissions.» À chacun ses priorités. Quand l’hôpital se moque de la charité Reprenons les arguments de ce segment du MALG. La secte qui dénonce le régionalisme a littéralement colonisé les institutions du pays, à commencer par la plus importante : le gouvernement où treize membres d’une tribu confisquent la quasitotalité des ministères de souveraineté. Un de ses plus éminents membres vient de révolter ONG et partenaires canadiens en bloquant un financement destiné à promouvoir la protection de l’environnement au motif qu’il concerne la wilaya de TiziOuzou. Ce financement ne coûte pas un centime à l’État, il a été initié par l’APW de Tizi-Ouzou, relayée par le PNUD qui a aidé à contacter les autorités canadiennes. Pour éviter les rétorsions insidieuses, l’APW de Tizi-Ouzou a accepté de partager en deux le financement en associant la région de Boughezoul au projet sans que celle-ci ait entamé la moindre démarche. La réaction des affaires étrangères est claire : ou le financement est affecté dans son intégralité à Boughezoul, ou il sera bloqué. Comme on le voit, le MALG et ses tentacules institutionnelles ou occultes sont des patriotes raffinés peu suspects de régionalisme. S’agissant du cas de Messali, je suis, pour ce qui me concerne, favorable à tout débat. À condition qu’il y ait débat. Mais vous ne pouvez pas vous émouvoir des victimes de la Bleuite en Wilaya III dont vous feignez d’ignorer qu’elle a concerné toutes les wilayas et occulter les milliers de morts engendrés par le MNA. Ces victimes ne sont ni le fait d’une infiltration de l’ennemi ni une réaction à chaud. Elles sont tombées sous les balles d’agents consciemment engagés dans un combat contre les organisations nationalistes. Du point de vue moral, une donnée fondamentale vous échappe messieurs : il y a une différence essentielle entre l’erreur et la faute. Pour autant, je ne serai jamais de ceux qui nieront le fait que Messali fut un des premiers artisans de la lutte pour l’indépendance. Je ne cherche pas à taire Melouza mais vous conviendrez, vous qui avez toujours contrôlé l’information et voulu façonné l’opinion, que le fait de sous-traire à l’histoire le massacre de Wagram dans l’Oranie au cours duquel il y eut hélas autant de victimes qu’à Beni- Ilmane (Melouza) pose problème. Le déchaînement contre Amirouche et l’abus des manipulations des informations que vous triturez ont un avantage. Ils dévoilent votre responsabilité dans sa première et sa deuxième mort. En reprenant à votre compte les informations de l’armée française, vous confirmez la connivence qui liait l’ancienne puissance coloniale à ceux qui refusaient l’État démocratique et social de la Soummam. La souveraineté économique, bradée aujourd’hui dans des scandales dont les dossiers offerts au public sont loin d‘être les plus préjudiciables, a des origines de plus en plus claires. Je ne suis pas un partisan de l’histoire complot ni un amateur de la paranoïa qui renvoie sur l’étranger les méfaits de nos erreurs. Mais force est de constater qu’au regard de la configuration tribale du pouvoir et de ses

conséquences sur le potentiel national que ceux qui, résignés à l’indépendance, vous ont aidés à prendre le pouvoir en 1962 soit directement, soit en facilitant l’élimination de vos adversaires, n’ont pas perdu au change. Pour couper court à vos spéculations, il est bon de livrer au lecteur la position d’Amirouche sur la Bleuite : «Réclamons entrée urgente commission d’enquête : la Wilaya III a reçu lors de la découverte du complot “bleu” un télégramme de félicitations. Nous protestons contre cette méthode. Nous aurions été flattés d’avoir reçu des félicitations après enquête et rapport établi par une commission d’enquête envoyée de l’Extérieur, ou formée de cadres étrangers à notre wilaya… Nous nous élevons contre cette confiance exagérée qui peut nous causer beaucoup de préjudices. En effet, qu’un règlement de compte vienne à ensanglanter la Wilaya III ou toute autre sous couvert de “complot” et il serait pour le moins choquant qu’un télégramme de félicitations vienne sanctionner une telle purge. L’interprétation d’une telle réaction ne pourrait s’expliquer que par une manœuvre malhabile en vue de “tenir” un homme ou un comité et d’essayer d’en faire un objet docile. Nous voulons pour respecter l’organisation et l’esprit de la révolution que de telles manœuvres destinées à introduire des méthodes de corruption et de chantage soient vigoureusement bannies.» Le fantôme d’Amirouche Pourquoi Amirouche vous empêche-t-il de dormir plus d’un demi-siècle après sa mort ? Parce qu’il représentait et représente toujours votre image inversée. Tant que l’on parlera d’Amirouche, on invoquera patriotisme, rigueur et transparence dans la gestion, solidarité nationale qui a pour souci la protection du plus grand nombre…Vous êtes de mauvais élèves sur ce dossier. À chaque fois que vous avez commis une agression contre le colonel de la Wilaya III, la manœuvre a été contre-productive. Cela ne vous empêche pas de continuer dans la forfaiture. Vous amputez les propos de l’historien Ageron qui traitait de toutes les erreurs de la guerre et pas uniquement de la Wilaya III et vous manipulez les déclarations d’Ali Yahia pour lequel vous trouvez brusquement toutes les vertus alors qu’à ce jour, il n’a pas pu récupérer son cabinet à cause de vos sbires. Le nombre de victimes dont il parlait portait sur toutes les erreurs commises par le FLN. Sans le renier explicitement, vous présentez l’information comme si elle ne devait concerner que la Wilaya III. Enfin vous déclarez sans vergogne que le colonel Amirouche a prolongé la guerre en affaiblissant la Kabylie. De deux choses l’une ; ou la guerre de libération a été menée par le MALG et le front du Mali, et à ce moment on voit mal en quoi le poids de la Wilaya III aurait été d’un quelconque poids sur le cours de la guerre. Ou Amirouche a construit une wilaya exemplaire et alors votre férocité à en réduire l’envergure est une escroquerie intellectuelle et une hérésie politique. Votre aveuglement vous joue de mauvais tours. En déclarant qu’Amirouche n’avait pas le droit de réunir les colonels de l’intérieur, vous dévoilez les véritables raisons qui vous ont amenés à commettre la trahison qui lui a coûté la vie. On peut lire dans un rapport d’Amirouche daté de janvier 1959 ceci : «Aimerions que relations radio soient directes entre wilayas afin de régler des

questions urgentes. Aujourd’hui, les relations radio entre les wilayas doivent passer par la voie hiérarchique. Bien que ce système soit rapide, il est préférable que les relations directes entre les wilayas s’établissent. Ainsi, une affaire urgente et nécessitant des explications ne doit souffrir aucun retard.» Boussouf s’est bien gardé de libérer les liaisons entre les wilayas. En se rendant à Tunis, Amirouche voulait avec les colonels de l’intérieur peser sur les orientations politiques d’un GPRA miné par les dissensions en l’invitant à se consacrer à la lutte armée. Pour ce faire, il fallait mettre un terme à toutes les structures qui dévoyaient énergies et intelligences dans les intrigues d’après guerre. L’armée des frontières et le MALG, quelles que soient leurs opposions ultérieures étaient les deux freins du FLN/ALN en 1959. C’est bien ces deux structures que le colonel Amirouche et ses amis devaient contenir en faisant rentrer les troupes des frontières et en ramenant à un service de renseignement contrôlé par le pouvoir politique le MALG. Il y a une dimension surréaliste dans votre logorrhée. Vous qui avez fait de la torture, des enlèvements, des assassinats et de la corruption une culture d’État avant et après l’indépendance, vous trouvez assez d’audace en 2010 pour charger Amirouche de toutes vos perversions. Tant d’impudeur démontre une chose : tant que le pouvoir reste ce qu’il est, l’Algérie ne connaîtra ni paix, ni justice, ni progrès. Autres choses : ne vous fatiguez pas à envoyer vos messages et autres menaces de mort. Pour deux raisons. Je vous en sais capables. Elles ne servent à rien. Je ne parle pas la langue de la maffia. Dernière information : que les citoyens sachent que l’indisponibilité du livre est due au fait que les imprimeurs disposant de rotatives réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires avec le ministère de l’Education nationale. Il leur a été signifié que s’ils produisaient l’ouvrage consacré au colonel Amirouche, ils risquaient de perdre les marchés de l’État. Nous sommes tenus de travailler avec des artisans garantissant un travail de qualité. La deuxième édition sera dans les kiosques à partir du 20 mai. Merci pour la compréhension de tous. S. S.

: AMIROUCHE : DAHOU OULD KABLIA, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION,

S’EXPRIME Le MALG sort de l’ombre

Le livre du Dr Saïd Sadi intitulé Amirouche : une vie, deux morts, un testament, paru dernièrement, a suscité, plus peut-être que beaucoup d’autres livres traitant de la lutte de Libération nationale, débats et polémiques auxquels ont participé jusqu’à présent, acteurs, témoins, analystes politiques ou historiens. Les débats ont moins porté sur la personne ou le parcours du colonel Amirouche, difficilement contestable, que sur le sens que l’auteur donne à certains de ses actes ou de ses paroles ainsi que les supputations sur ses relations avec ses pairs de l’intérieur et ses responsables de l’extérieur pour arriver à des accusations graves, impossibles à étayer, contre ceux qu’il désigne comme étant les responsables indirects ou directs de sa mort, qu’il nomme Boussouf et Boumediène. Ce livre a donc interpellé les membres du Bureau de l’Association des anciens du MALG, acteurs historiques accusés outrageusement, tant en la personne de leur exresponsable, le colonel Abdelhafidh Boussouf, que de la structure qu’il dirigeait et à laquelle ils appartenait, dans une affaire qui ne les concernait nullement. En l’étudiant, ils ont relevé de nombreuses entorses à la vérité. Ils ne cherchent pas la polémique avec l’auteur et encore moins à l’amener à se déjuger, car ils pensent bien que son opinion est définitivement arrêtée et de longue date. Le portrait du colonel Amirouche qu’il présente, lui servant, à leurs yeux, de ligne directrice pour un procès politique bien ciblé bien que totalement décalé. Le Bureau du MALG, qui a préparé cette intervention, en attend une contribution forte à l’endroit des lecteurs et des historiens, qui à la faveur de sa lecture, pourront se faire leur propre opinion sur des faits et des événements qui n’ont pas encore livré tous leurs secrets. C’est à ce titre qu’ils se proposent d’apporter des clarifications, des critiques ou des démentis, selon le cas, à des arguments, analyses, jugements, écrits rapportés et autres témoignages largement énoncés tout au long de l’ouvrage. Parmi ceux-ci : l’environnement politique général prévalant en Wilaya III ; la réunion projetée à Tunis et les raisons qui la fondaient ; l’épineux problème des communications radio ; la préparation du déplacement du colonel Amirouche ; le registre des doléances du Conseil de wilaya ; le déplacement qui lui coûtera la vie : la réalité historique et les supputations de l’auteur quant aux interférences qui auraient influé sur cet épisode ; enfin une conclusion pour présenter une image du MALG plus conforme à la réalité. I/ L’environnement politique : En cette deuxième moitié de l’année 58, plusieurs événements majeurs ont marqué l’histoire de la lutte de libération en général avec leurs incidences sur la Wilaya III.

En premier lieu : la formation du GPRA, le 19 septembre 1958, avec la désignation du colonel Krim Belkacem, premier chef de la Wilaya III en qualité de ministre des Forces armées et du colonel Mohammedi Saïd deuxième colonel de la même wilaya, en qualité de chef de l’état-major Est, qui assurait, il faut le rappeler, la tutelle sur les trois Wilayas de l’Est I, II, et III, autant dire que la Wilaya III bénéficiait, de ce fait, d’un soutien politique et moral de poids. En second lieu : le «Complot» Lamouri où ce colonel de la Wilaya I ainsi que les colonels Nouaoura et Aouacheria et quelques-uns des officiers de leur entourage a tenté de destituer le GPRA naissant à la mi-novembre 1958 pour des raisons subjectives et partisanes sur lesquelles il est superflu de revenir, l’essentiel ayant été dit de longue date. En troisième lieu : la situation matérielle de la Wilaya III, au regard du manque d’équipement matériel, armement, munitions et ce, suite à l’achèvement, à cette période, d’une ligne défensive électrifiée, minée et supérieurement protégée, la ligne Morice qui empêchait pratiquement tout acheminement d’hommes et de matériel vers l’intérieur. En quatrième lieu : il s’agit évidemment de l’engagement militaire de l’armée ennemie qui menait une action brutale et soutenue contre la Wilaya III qu’elle considérait comme un bastion stratégique important, qu’il fallait réduire par tous les moyens. Toutes les actions multiformes menées par les responsables de cette armée visaient principalement le colonel Amirouche, moteur de la résistance. L’échec militaire devenant patent, il a été fait recours, pour la première fois depuis le déclenchement de Novembre 1954, à un plan diabolique de déstabilisation par l’intoxication et la désinformation semant le doute dans les rangs de la Wilaya III. Ce plan était ce qui a été baptisé la «Bleuite». Celle-ci a réussi au-delà de toute espérance. Le colonel Amirouche tout comme n’importe quel autre responsable conscient du poids de ses responsabilités pour la protection et le sauvetage de son œuvre, n’a pas échappé à la manœuvre. Dès qu’il en prit connaissance à l’été 1958, sa réponse a été rapide, vigoureuse, totale et brutale. Il en assume la responsabilité dans sa lettre du 3 août 1958 adressée à tous les chefs des wilayas de l’intérieur et au C.C.E. Le malheur est que ceux qui ont pris en charge la mission d’y faire face, forts des instructions du chef, ont traqué avec le plus grand zèle et la plus grande barbarie les cibles qui leur ont été indiquées dans cette même lettre-circulaire, à savoir les «intellectuels, les lycéens issus de la grève des étudiants, les déserteurs de l’armée française, les personnes venant de Tunisie, du Maroc ou d’autres régions». Cette traque a duré des mois et s’est traduite par une hécatombe au sujet de laquelle il serait malséant de dresser des statistiques. Pour illustrer le zèle des exécutants de cette sinistre besogne, nous nous permettons de rapporter le témoignage d’un ex-officier de la Wilaya III M. A. M. qui, au lendemain de l’indépendance, a posé la question suivante à l’un des bourreaux de la wilaya, A. M. «Comment as-tu été capable de torturer et tuer autant de moudjahidine» ? «Si je ne l’avais pas fait, Si Amirouche m’aurait tué» ! me

répondit-il : (sans commentaire). Toujours dans le chapitre de l’environnement politique, la réunion interwilayas initiée par le colonel Amirouche, du 6 au 12 décembre 1958 et groupant autour de lui les chefs des Wilayas IV, VI et I respectivement Si M’hamed, Si El Haouès et Hadj Lakhdar qui partageaient des préoccupations identiques aux siennes en ce qui concerne le tarissement du soutien extérieur, considéré, à tort ou à raison, comme un lâchage, avait pour but avoué d’unifier les rangs des chefs de l’intérieur, coordonner les actions à mener contre l’ennemi – continuer la chasse aux traîtres, tout en se présentant aux yeux du GPRA et de l’état-major comme un front uni et solidaire dont les avis et suggestions devraient être entendus. La défection de dernière minute du colonel Ali Kafi à cette réunion, qui se tenait sur son territoire, sur ordre supérieur certainement, a rompu l’unanimité souhaitée et infléchi la position des chefs de wilaya vers une attitude plus modérée en les amenant à se limiter aux seules questions militaires et organisationnelles internes, comme en témoigneront les différents P.V. de cette réunion adressés au GPRA dès le 1er janvier de l’année 1959. Bien plus à l’issue de cette réunion et en lieu et place d’une motion de défiance, c’est une motion de confiance et de soutien qui a été adressée le 1er janvier 1959 «au gouvernement de la jeune république», (cf. copie annexée au livre). La réunion projetée à Tunis et les raisons qui la fondaient L’ordre du jour relatif à cette réunion a été inscrit dans le message de convocation adressé aux colonels concernés. Il est signé du chef du COM Est Mohamed Saïd et vise les trois Wilayas la I, la II et la III, placées sous sa tutelle. Nous n’avons pas connaissance qu’un télégramme de même nature ait été transmis aux Wilayas IV, V, VI et si cela a été fait, il ne pouvait émaner que du COM Ouest. Le fait que le chef de la Wilaya VI, Si El Haouès, a décidé de s’y rendre malgré le désistement du chef de la Wilaya IV, Si M’hamed qui a reporté son départ, en raison des opérations du Plan Challe «Couronne et Etincelles» qui se déroulaient sur son territoire, depuis décembre 1958, confirme bien la réalité et l’importance de ce rendez-vous. Cependant, le projet d’ordre du jour qui ne mentionnait que des sujets traditionnels et habituels : situation militaire, politique, économique, financière, etc. sans perspective d’un examen de vision future important quant à l’organisation et la stratégie à mettre en œuvre dans la nouvelle phase de la lutte, laisse penser que les vraies questions à débattre étaient volontairement occultées. Nous pouvons avancer sans risque de nous tromper que les liens qui commençaient à se distendre entre l’intérieur et l’extérieur, les critiques non dissimulées, allant dans le sens d’une rupture de confiance, illustrée par la réunion interwilayas sus-évoquée, ainsi que la dramatique question de la Bleuite qui continuait à s’étendre et à décimer des cadres de niveau de plus en plus élevé, en Wilaya IV. Enfin la dissidence interne qui s’éternisait en W.I si bien qu’elle menaçait cette wilaya d’implosion. Tout cela indiquait qu’il ne pouvait s’agir que d’une réunion de mise au point d’une autre dimension où la confrontation n’était pas à exclure.

L’épineux problème des communications radio Les débats ont également porté sur cette fameuse convocation à la réunion «de Tunis». Le Dr Sadi en présente une copie annexée à son livre. Le colonel Kafi parle d’un autre message qui lui est parvenu pour sa transmission au colonel Amirouche, ce que lui conteste le premier cité. Au MALG nous vous apportons la preuve qu’il y en avait trois, comme en témoigne le message signé de la main de Amirouche et ainsi libellé : Exp. Sagh Thani Si Amirouch Aux armées le 1er mars 1959 Destinataire : C.O.M. Tunis Reçu 1er message date du 25 janvier en Nord Constantinois - remis 16 février Reçu 2e message 39-70 le 18-2 par Wilaya I. Reçu 3e message n° 47-77 - le 27-2 par Wilaya I. Vers 20 avril, serons parmi vous. Ce message, dont la copie est jointe en annexe, signé le 1er mars, a été envoyé par porteur au P.C. de la Wilaya I pour sa transmission à partir de la station locale, à COM. Tunis. Il n’est arrivé à ce P.C. que le 30 mars soit le lendemain du décès des deux colonels Si Amirouche et Si El Haouès. Le chef de station de la Wilaya I, Saïd Ben Abdellah, n’a pas jugé utile de lui donner suite comme il l’affirme dans ses mémoires. Une pause s’avère maintenant nécessaire pour expliciter la situation des équipements radio à travers les différentes wilayas à cette époque. Dès la mi-57 après la réception par le colonel Boussouf d’un quota de postes radio, de grande qualité ANGRC/9, toutes les wilayas ont été dotées de deux appareils servis par deux opérateurs chacun. C’est ainsi que la Wilaya III disposait de deux appareils et de quatre opérateurs dont les noms suivent : Belkhodja Nourredine, Aït Hami Tayeb, Laâredj Abdelmadjid et Amar «Dépanneur». Un des deux postes est tombé rapidement en panne et les quatre opérateurs ont été affectés à la station en fonction. Les choses ont marché normalement jusqu’à cette date fatidique du 9 décembre 1958 où l’explosion de la batterie nouvellement installée, après sa récupération opérée quelque temps auparavant sur le théâtre des opérations, a provoqué outre la destruction du poste radio, la mort des trois opérateurs cités en premier et des blessures plus ou moins graves au commandant Mohand Ou L’hadj et Abdelhafidh Amokrane, présents sur les lieux. Cet attentat criminel visait sûrement le colonel Amirouche qui, par chance, se trouvait ce jour-là hors de sa wilaya (réunion du Nord-constantinois). Après la destruction de cet appareil, le Commandement de la Wilaya III s’est trouvé privé de tout moyen radio et avait recours aux services des Wilayas I et II. Sur le plan régional à l’exception de la Wilaya III démunie, la Wilaya VI disposait d’une station dans sa région sud et la Wilaya IV, sous la pression des opérations Challe, avait réduit, sur ordre du colonel Si M’hamed, sa radio au silence total. Dans un paragraphe suivant, nous parlerons des mesures prises par les services du MALG pour remédier en faveur de la Wilaya III à cet important déficit.

Les préparatifs du déplacement Avant que le colonel Amirouche ne prenne son départ vers la frontière, le Dr Sadi nous retrace les décisions organisationnelles prises par lui pour la direction de la wilaya durant son absence ainsi que ses dernières recommandations. Amirouche avait notamment chargé une commission spéciale afin de préparer un mémorandum de doléances à exposer à la réunion projetée en avril à Tunis. Ce mémorandum daté du 2 mars 1959, annexé à l’ouvrage du Dr Sadi, comprenait trente et un points. Sa lecture laisse à penser que le colonel Amirouche n’a pas participé à sa rédaction, parce que le document reprenait un certain nombre de considérations générales et que les points les plus importants de son contenu ne cadraient pas avec la réalité vécue en dehors de la Wilaya III ou bien que la solution avait été apportée auparavant. Nous analysons quelques-uns de ces points Point n° 3 : «Demandons offensive coordonnée et efficace de la ligne Morice pour attirer des forces ennemies en masse et soulager la pression sur l’intérieur, l’offensive doit surtout permettre le passage de matériel et de munitions. » Cette pétition de principe laisse croire que la Wilaya III ignorait ce qui se passait au niveau des frontières. En effet, après la réunion du 2e CNRA au Caire en août 1957, l’accent avait été mis sur l’effort de guerre et sur instruction du responsable des forces armées, au sein du CCE, une action d’envergure avait été projetée et mise en œuvre tout au long du premier semestre 1958. Sous la conduite du colonel Mohammedi Saïd, dix-sept grandes opérations de franchissement en masse du barrage ont été opérées. Ces actions étaient si violentes qu’elles ont provoqué les mesures de représailles que l’on connaît, avec l’agression de l’aviation française contre la ville tunisienne de Sakiet Sidi Youcef le 8 février. Ces actions ont provoqué des dégâts importants au niveau du barrage et des accrochages dantesques ont eu lieu, dont la bataille de Souk Ahras du 29 avril au 3 mai 1958 qui a opposé un millier de combattants de l’ALN, dont deux compagnies destinées à la Wilaya III à côté du bataillon de Mohamed Lakhdar Sirine. Les renforts pré-installés sur le barrage dès le début de l’année ont mobilisé trois divisions la 2e à Annaba, la 11e à Souk Ahras et la 7e à Tébessa, soit plus de 40 000 hommes auxquels il y a lieu d’ajouter les moyens blindés, aériens et l’artillerie lourde. Ces accrochages ont causé des pertes considérables à l’ennemi compte tenu de l’armement moderne des combattants de l’ALN, mais aussi des pertes tout aussi considérables du côté ami, soit plus d’un millier de chouhada en six mois. Malgré ces demi-succès, les actions de harcèlement et les tentatives de franchissement n’ont jamais cessé. Point n° 5 : «Réclamons rentrée des cadres et djounoud vivant à l’extérieur.» Cette question sera reprise lors de la réunion des dix colonels et du CNRA des mois de septembre et décembre de l’année suivante. Elle se concrétisera par le retour en Algérie du colonel Lotfi : W.V et pas moins de sept commandants : Abderrahmane Oumira : W. III ; Ali Souai : W. I ; Ahmed Bencherif : W. IV ; Ali Redjai : W. I ; tombé au champ d’honneur sur le barrage ; Faradj : W. V ; tombé au champ d’honneur

en même temps que Lotfi ; le commandant Benyzar, tombé également au champ d’honneur sur le barrage et enfin le commandant Tahar Z’biri : W. I. Point n° 6 : «Voulons répartition des postes, matériel et personnel des transmissions équitable.» Les services du MALG n’ont pas attendu cette requête, qui ne leur est jamais parvenue d’ailleurs, pour décider et organiser des envois de postes-radio et des opérateurs aux wilayas qui en étaient dépourvues. C’est ainsi que dès que la station-radio de la Wilaya III a été mise hors d’état de fonctionner, dans les conditions que l’on sait, deux envois ont été programmés quelques semaines après : trois postes-radio et six opérateurs, Khentache Abdelouahab, Aïssaoui Rachid, Chebira Amor, Drici Abdelaziz, Maâzouz Mohamed-Salah et Rezzoug Abdelouahab ont été adjoints au lieutenant Hidouche en partance pour la Wilaya III à la tête d’une compagnie. Après mille et une péripéties, le barrage a été traversé et à leur arrivée aux portes de Bône, précisément à Sidi Salem, la Seybouse en crue n’a pas permis leur avancée. Repérés dans la matinée, dans une orangeraie peu couverte, ils ont été pris à partie par l’aviation ennemie ce qui se traduira par la mort, le 24 juin 1959, de 47 djounoud dont les six opérateurs et la capture du reste des combattants blessés. Avant leur mort, les opérateurs avaient jeté leurs postes dans la rivière d’où ils seront retirés, quelques jours plus tard, par les hommes grenouilles de l’armée française. La deuxième opération destinée à la Wilaya III a été engagée à partir de la frontière ouest, au nord de Béchar. Deux opérateurs, Harouni Bouziane et Ladjali Mohamed, munis d’un poste-radio, ont pris la route vers la mi-avril en direction de la Wilaya III. Plus d’un mois plus tard, ils arriveront au PC de la Wilaya IV d’où ils attendront leur acheminement vers le lieu de leur affectation. Ils arriveront finalement à bon port juste avant le déclenchement de l’opération «Jumelles» et resteront silencieux, pendant toute la période de l’opération, pour éviter toute interception. Point n° 16 : «Manquons cruellement matériel et munitions.» La réponse à ce point à été évoquée au point n° 3. Les membres du Conseil de Wilaya font abstraction des barrages électrifiés dont ils sous-estimaient l’efficacité. Les choses allaient beaucoup mieux avant la réalisation de cette ligne fortifiée. Les compagnies d’acheminement se dirigeaient régulièrement de la base de l’est vers la Wilaya III, notamment la célèbre compagnie de «Slimane l’assaut». Un bataillon a également quitté la Wilaya I à la mi-57 transportant plus de trois cents armes à la Wilaya III, ce qui réfute toute idée de discrimination ou d’ostracisme. Point n° 17 : «Proposition d’installation d’une radio nationale à l’intérieur. » Proposition insensée compte tenu de l’équipement complexe, lourd et non maniable exigé, ce qui le rend vulnérable dès sa mise en route. Point n° 23 : «Il est nécessaire de dépasser le stade de la guerilla et de passer le plus vite possible au stade de la guerre par la formation de grosses unités de type régiment ou division pour affronter avec de meilleurs résultats l’ennemi.» Proposition tout aussi insensée. La mise en œuvre du Plan Challe avec de très gros moyens, au

contraire, a poussé l’ALN au pragmatisme par l’éclatement des katibas et des sections en unités de plus en plus petites. Point n° 26 : «Aimerions que relations radio soient directes entre wilayas afin de régler problèmes urgents.» Rien n’interdisait les relations interwilayas si ce n’est l’intérêt sécuritaire. En effet, un code de chiffrement ne pouvait concerner que deux intervenants, la Wilaya et le Centre des transmissions national. Un code commun à plusieurs wilayas peut constituer un danger potentiel important en cas de sa récupération par l’ennemi à l’insu des autres parties utilisantes. En conclusion, ces quelques points du mémorandum, considérés sensibles et analysés objectivement, soulignent le caractère imparfait de la connaissance de la situation nouvelle créée par l’évolution de la guerre avec la nouvelle stratégie des grandes opérations «Challe», adossée à un système défensif aux frontières quasiment hermétiques. C’est cette méconnaissance et le manque de communication qui ont alimenté les rancœurs et accru les malentendus entre intérieur et extérieur. Les dirigeants extérieurs ne sont pas, non plus, exempts de tout reproche. Des solutions techniques appropriées pouvaient être envisagées par les commandants des frontières, dont le ravitaillement en armes, la formation et l’envoi de troupes vers l’intérieur constituaient la mission exclusive. Le déplacement fatal Pour son déplacement vers la frontière, le colonel Amirouche n’avait, comme à son habitude, soufflé mot sur le choix de son itinéraire. Sa légendaire prudence et son extrême vigilance faisaient qu’il était impossible pour l’ennemi de le localiser par les voies classiques y compris celles du maillage de plus en plus serré des réseaux d’informateurs locaux dont il avait perfectionné, en liaison avec les S. A. S., le modus operandi. La question de l’indiscrétion des messages radio est à exclure totalement puisque ni lui ni son compagnon ne disposaient de ce moyen et les stations principales en disposant étaient à l’arrêt volontaire ou forcé. L’allusion ici au rôle de Boussouf et de Boumediène, que l’auteur cherche à impliquer avec une énergie décuplée, ne peut résister à la critique. La vérité est que l’ennemi savait que des responsables de haut niveau, c'est-à-dire des chefs de wilaya, devaient se rendre à Tunis pour une réunion dans une période de temps qui se comptait en semaines ou en mois, mais la question des itinéraires restait toujours une inconnue. Il est utile de rappeler qu’en ce début d’année 1959, l’état-major de la 10e Région militaire avait mis en œuvre depuis la fin de l’année 1958 un vaste plan «d’éradication de la rébellion» selon les propos du général de Gaulle, que le général Challe lui-même devait encadrer et piloter. Partant de l’Oranie à l’ouest, de vastes opérations de ratissage avaient été menées et se concentraient en ce premier trimestre 1959 sur l’Ouarsenis et le Titteri. Des troupes nombreuses et suréquipées étaient à l’affût de la moindre information pour intervenir en n’importe quel point du territoire ciblé. Les opérations de recherche étaient donc nombreuses et les accrochages fréquents. C’est ce qui s’est passé dans la région de Bou Saâda où, d’approche en approche, ces troupes sont tombées tout à fait par

hasard sur l’équipée des deux colonels sur le djebel Thamer, ce qui est confirmé par de nombreux cadres de l’ALN ayant vécu l’événement et consigné leur témoignage y compris dans le débat en cours. Beaucoup de rumeurs ont été propagées pour affirmer que l’encerclement en question fait suite à des aveux de djounoud arrêtés aux abords du djebel Thameur ou celui du djebel Zemra et ce suite à des opérations de routine d’unités du secteur. Cette éventualité est à écarter puisque le commandant de la 20e Division d’Infanterie, le général Roy, souligne dans son «rapport détaillé sur l’opération Amirouche», que la sous-zone Sud dont il avait le commandement s’étalait sur 30 000 km2 et qu’une série d’opérations y a été envisagée en «fonction de synthèses de renseignements établies par les 2e Bureau des secteurs de Djelfa et de Bou Saâda». Ce rapport du général Roy a été annexé par le Dr Sadi à son livre, pour bien montrer que le renforcement et la concentration de troupes dans cette souszone avaient été décidés par le général Massu suite à des renseignements parvenus à celui-ci (comment ?) indiquant le passage par le Hodna du colonel Amirouche. Malheureusement pour le Dr Sadi, ce rapport ne peut lui être d’aucun secours, parce que profane sur les questions militaires. Il en fait donc une très mauvaise lecture. Premièrement, la liste des unités composant la 20e DI citée dans le rapport n’indique en rien le renforcement. Bien au contraire, par rapport à la composition classique de la 20e DI telle qu’elle figure dans les organigrammes des 16 divisions existant en Algérie et présentée dans le livre de François Porteu de la Morandière Histoire de la Guerre d’Algérie page 364, la 20e DI installée à Médéa le 5 février 1957 comptait un nombre d’unités plus important à cette date, puisqu’il lui manque trois régiments importants qui ont été déplacés : le 2e RI, le 6e RI et le 19e Régiment de chasseurs. Le régiment parachutiste dont il est fait mention, comme unité de renfort, n’est que le 6e RPIMA qui préexistait dans l’organigramme. La seule unité nouvelle engagée dans l’action est le 2e Régiment étranger de cavalerie (Légionnaires) qui a été affecté aux réserves générales et opérait avec celles-ci dans le nord-ouest de la zone Sud, c'est-à-dire sur le territoire de la Wilaya IV. De plus le rapport, pourtant demandé par le Premier ministre français, n’indique nullement que l’objectif visé dans ces opérations, celle du djebel Zemra comme celle du djebel Thameur éloignées quand même de 80 km l’une de l’autre, concernait personnellement le colonel Amirouche. D’autres versions officielles existent, dont celle contenue dans le livre La Guerre en Algérie de l’historien militaire Georges Fleury que le Dr Sadi a dû lire puisqu’il le cite dans la bibliographie de son ouvrage. Georges Fleury rapporte que l’identité des hauts responsables n’a été déterminée qu’à l’issue de la bataille, ce qui a fait arriver en grande vitesse, ajoute-t-il, tout le gratin des «généraux étoilés». Il est facile d’en conclure que si les deux colonels avaient été localisés avant l’assaut, les mêmes «généraux étoilés », dont Massu, se seraient trouvés sur place à portée de fusil du théâtre des combats. Alors pourquoi ces accusations récurrentes contre Boumediène et Boussouf ? Nous pouvons comprendre que le démocrate Saïd Sadi n’a pas, d’atomes crochus avec Boumediène parce qu’il ne partage absolument pas, et c’est son droit, les

idées et la conception de l’exercice du pouvoir tel que pratiqué par celui-ci durant de très longues années. Ce n’est pas le cas de Boussouf qui a volontairement quitté l’arène politique à la veille de l’Indépendance quand il a vu l’inclination des nouvelles alliances à s’orienter vers un pouvoir autoritaire d’exclusion et de déni des principes, dont il s’est nourri avec des militants de la trempe de Ben M’hidi durant leurs dures années de militantisme clandestin. Ces principes d’intégrité morale, de don de soi, de patriotisme sans concession, il les a appliqués à la lettre durant l’exercice de ses responsabilités durant la Révolution. Oui il a été dur et rigoureux avec ses pairs lorsque les circonstances l’exigeaient, mais il a agi, il a construit, il a laissé un bilan. De tout ce bilan : liaisons, transmissions, radio, logistique de meneur d’hommes, pourvoyeur d’armes, formateur dans les disciplines militaires basiques et dans les disciplines spécialisées, ambitieux pour la Révolution autant que pour ses cadres qu’il voulait élever au plus haut niveau de leurs possibilités et il y est arrivé puisqu’il a laissé à l’Algérie indépendante des centaines de cadres intégrés, engagés, immédiatement utilisables. On oublie donc tout ce bilan pour s’accrocher au Boussouf responsable des services de renseignement de la Révolution. Il faut pénétrer dans le secret de ces services pour constater que ce n’est pas du tout l’image qu’en donnent leurs détracteurs. Les services de renseignement de Boussouf étaient orientés exclusivement vers l’ennemi dont il fallait connaître les intentions et les moyens d’action que ce soit dans le domaine militaire prioritaire, politique, économique, ou diplomatique. Ces informations, Boussouf les mettait au service de la Révolution et au service de la lutte. Si les cadres qui ont travaillé avec lui, et ils sont plus de deux mille comparativement aux quelques dizaines de cadres qui faisaient tourner les autres secteurs ministériels, lui témoignent aujourd’hui respect et reconnaissance c’est encore et à cause de son bilan qui est aussi le leur. Boussouf n’avait aucun problème avec Abane, Krim ou Amirouche. Leurs chemins se sont très peu croisés. Arrivera un moment où toutes ces questions seront éclaircies. Par ailleurs, Boussouf n’a joué aucun rôle dans ce qui s’est passé après l’indépendance, et les tenants du pouvoir en place lui vouaient une inimitié incompréhensible. Ses «hommes», si souvent montrés du doigt, ont, grâce à la compétence acquise, occupé effectivement des postes importants dans les rouages de l’Etat naissant, dans le secteur minoritaire de l’armée, dans ceux de l’administration et de la diplomatie, mais les analystes éclairés, et le Dr Sadi doit en faire partie, savent que ni eux ni les autres cadres à la tête de rouages stratégiques de l’État ne constituaient le pouvoir, propriété exclusive de la tête de la pyramide. Aujourd’hui les membres de l’Association du MALG, membres à part entière de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM), ne sont pas un parti ou un lobby politique et encore moins une secte. Il s’agit tout simplement d’une Amicale d’anciens compagnons issus de toutes les parties du territoire national dont une grande partie de la région que certains veulent singulariser à tout prix et leur ambition a été et demeure d’apporter les témoignages de ce qu’ils savent sur la lutte de libération tout en renforçant les liens de fraternité qui devraient prévaloir

partout et toujours pour la préservation de l’image sacrée de la grande Révolution. P./le bureau du MALG D. O. K.

SAID SADI RÉPOND À OULD KABLIA «EN FINIR AVEC LE MAL(G)»

La montagne a accouché d’une souris. Une commission ad hoc mise en place, la consultation des archives du MALG, autant dire la mémoire de l’Etat, pour arriver à la conclusion que Boussouf n’avait aucun problème avec Amirouche, Krim Belkacem et Abane Ramdane et que ce dernier est monté au ciel par les voies du Seigneur. Beaucoup s’en doutaient, ce n’est pas en 2010 que les artisans du pouvoir des ténèbres allaient en arriver à changer de pratique et de culture. Les salves du premier spadassin envoyé au front avaient donné le ton : on ne discute pas d’histoire : chasse gardée. Le procédé a été testé mille fois dans tous les systèmes totalitaires. Sur le fond, on ne répond pas à l’adversaire. On qualifie à sa convenance, c'est-à-dire que l’on diabolise ses propos et positions, une fois le postulat faussé, le raisonnement peut suivre. Le président de l’association du MALG engageant son bureau dit ne pas chercher «la polémique avec l’auteur et encore moins à l’amener à se déjuger, car ils pensent bien que son opinion est définitivement arrêtée et de longues date». Voilà l’estampille MALG. Je me revois 25 ans en arrière face au juge d’instruction de la Cour de Sûreté de l’Etat qui me disait : «Vous avez signé un tract dans lequel vous revendiquez un Etat démocratique et social. Cela suppose le renversement du régime. Par quels moyens comptez-vous y parvenir ?» On le voit, les mœurs sont toujours les mêmes. A en croire le bureau du MALG, cela fait quarante ans que je récolte témoignages après témoignages, documents après documents pour sortir un livre en 2010 en sachant, dès le départ, ce qui allait advenir de notre pays. On découvrira dans d’autres évènements comment le MALG traite comme complot toute initiative échappant à son contrôle. Les violences des attaques et les incohérences des interventions de M. Benachenhou ayant provoqué une indignation à peu près générale, il fallait engager le reste des divisions : le bureau du MALG étant la vitrine light du service opérationnel.

En finir avec le MAL(G) Auparavant, le bureau du MALG avait envoyé en éclaireurs quelques associés dont il suffit de rappeler les dires pour en apprécier le sérieux. L’un explique que l’une des raisons qui ont pu amener le général Massu à masser ses troupes trois jours avant le passage des colonels Amirouche et Haouès dans le Hodna pouvait être l’attentat commis par deux maquisards qui avaient éliminé un harki les ayant repérés. Le second nous informe que Boumediène n’était pas au courant de la séquestration des restes des deux martyrs… mais qu’il avait entendu dire qu’il s’apprêtait à leur organiser des «funérailles nationales grandioses» ! Sur les faits, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Pour nos tuteurs, le régime qui sévit depuis 1957 est l’expression démocratique du peuple algérien et tout ce qui contesterait ce dogme relèverait d’esprits malfaisants, régionalistes qui veulent saper le moral d’une nation harmonieuse, prospère et apaisée. Pourtant la sortie de M. Ould Kablia ne manque pas d’intérêt, non pas dans ce qu’il apporte d’un point de vue événementiel, mais dans ce que son approche permet de découvrir. M. Ould Kablia nous avertit : le bureau du MALG n’est pas un parti, un lobby et encore moins une secte avant d’ajouter que pendant la guerre, son service avait orienté son potentiel exclusivement vers la nuisance de l’ennemi. Fort bien. Il n’en demeure pas moins qu’il nous apprend que cet organe, présenté comme une instance technique du renseignement mis au service du pouvoir politique, disposait «de plus de 2 000 cadres» alors que «ceux qui faisaient tourner les autres secteurs ministériels » comptaient à peine «quelques dizaines» ! A la chute de Salazar, les Portugais découvrent qu’un citoyen sur cinq était, d’une façon ou d’une autre, instrumentalisé par la police politique, la PIDE. C’est précisément ce détournement et ce gâchis que dénonçait Amirouche dans son rapport quand il rappelle : «Désirons que jeunes envoyés par les wilayas soient orientés sur plusieurs branches… Nous envoyons des jeunes à l’Extérieur pour les faire profiter et les préparer à des tâches qui serviront mieux l’Algérie de demain. Or, nous apprenons que la plupart sont dirigés vers les transmissions. Nous aimerions qu’à l’avenir ces jeunes soient orientés vers d’autres branches…» Plus près de nous, il est pour le moins surprenant qu’une association d’anciens combattants désireux de finir leurs jours dans la sérénité fasse financer ses membres sur le fonds spécial en les faisant bénéficier du salaire de cadres de la nation. Enfin, et ce n’est pas le moindre des abus, une association qui dispose de documents confidentiels alors qu’ils devraient relever de la discrétion de l’Etat pose à la fois un problème de souveraineté et d’éthique. En principe, une association demande à l’Etat de pouvoir consulter des archives ; chez nous, il y a comme une inversion d’autorité, y compris quand il s’agit d’une «contribution forte à l’endroit des lecteurs et des historiens qui, à la faveur de sa lecture, pourront se faire leur propre opinion sur des faits et des évènements qui n’ont pas encore livré tous leurs secrets». Depuis quand une association occupée par d’inoffensifs patriarches, a-t-elle le droit de détenir des secrets d’Etat et en vertu de quel statut est-elle fondée à choisir le moment de leur divulgation ? Nous le

verrons tout au long de cette intervention, le statut, les prérogatives et la culture d’origine du MALG ont pesé et continuent de peser sur la mémoire et le destin de la nation. Considérons donc que c’est par le fait d’un simple hasard que MM. Benachenhou et Ould Kablia ont fait le tour du gouvernement depuis l’indépendance et que c’est du fait du même hasard que Nordine Aït Hamouda et moi-même, pour ne parler que des deux dernières cibles du MALG, avons passé notre temps à faire le tour d’Algérie des prisons. Les historiens, les acteurs nationaux non connectés à la secte, les observateurs étrangers qui ont unanimement noté, et pour ce qui est des Algériens, déploré quand ils ne l’ont pas carrément condamné, la pieuvre tchékiste du MALG, sont des plaisantins ou des ennemis de la patrie. Le MALG et l’arrivée d’Amirouche à Tunis Reprenons maintenant les remarques de l’article du bureau du MALG. Je fais l’économie de la réponse qui consiste à défaire la grosse ficelle m’accusant de confondre les jeunes enrôlés dans cette structure et qui furent souvent les premières victimes d’un appareil qui en a détruit plus d’un quand il ne les a pas carrément éliminés. La formule est restée célèbre au Maroc. «On lui a offert un voyage au Caire», disait-on des jeunes cadres qui avaient le malheur de poser une question ou de donner l’impression de ne pas être suffisamment dociles. En ce qui concerne la tragédie algérienne, nous parlons bien du segment noir qui a détourné Novembre et la Soummam et qui, dans une large mesure, continue de bloquer toute évolution citoyenne du pays. M. Ould Kablia nous avoue, et cela est une information capitale, que pour lui et ses responsables, la réunion interwilayas de décembre 1958, convoquée par le colonel Amirouche était (et reste toujours) perçue comme une menace majeure. Pour qui ? Le GPRA qui venait d’être installé trois mois auparavant ? Le COM ? Une partie du gouvernement ? Relisons M. Ould Kablia. «Cependant l’ordre du jour qui ne mentionnait que des sujets traditionnels et habituels… laisse penser que les vraies questions à débattre étaient vraiment occultées. Nous pouvons avancer sans risque de nous tromper que les liens qui commençaient à se distendre entre l’intérieur et l’extérieur, les critiques non dissimulées allant dans le sens d’une rupture de confiance, illustrée par la réunion interwilayas… tout cela indiquait qu’il ne pouvait s’agir que d’une réunion de mise au point d’une autre dimension où la confrontation n’était pas à exclure. » Au cas où il y aurait un doute, M. Ould Kablia nous rappelle que «la défection de dernière minute d’Ali Kafi à cette réunion qui se tenait sur son territoire, sur ordre supérieur certainement, a rompu l’unanimité souhaitée». De son point de vue, c’est ce qui aurait amené les factieux à modérer leurs récriminations et à transformer leur «motion de défiance en motion de soutien». En clair, Amirouche avait mobilisé ses compagnons de l’intérieur, non pas pour proposer des accommodements, des réorganisations et une orientation qui devait recanaliser les énergies du gouvernement sur la guerre que les maquis supportaient de plus en plus difficilement, mais reproduire une réplique d’un complot dont le gouvernement venait juste d’échapper après la fronde des officiers chaouis, fronde

sur laquelle il reste d’ailleurs beaucoup à dire quant au rôle joué par Boussouf, autant dans sa genèse que dans son traitement. L’accès aux archives tunisiennes et égyptiennes serait, de ce point de vue, particulièrement édifiant. J’ai pu établir, auprès de nombreux témoins, que le colonel Amirouche avait en commun avec Abane cette propension à ne jamais étouffer une opinion ou réprimer une remarque ou une contestation y compris en présence de celui qu’elle pouvait impliquer. J’ai rapporté comment l’altercation qu’il avait eue avec Kafi au Congrès de la Soummam ne l’avait pas empêché de lui rendre visite par la suite pour étudier ensemble les voies et moyens pour une meilleure coordination de leurs actions. L’interprétation de l’initiative d’Amirouche faite par M. Ould Kablia, partagée par d’autres (dans son style M. Benachenhou dit la même chose) nous aide à comprendre comment et pourquoi ce «travers» a coûté la vie au père de la Soummam et au colonel de la Wilaya III. La transparence et le débat ouvert sont les manifestations d’une culture incompatible avec l’opacité et la violence qui ont présidé à la naissance et au fonctionnement du MALG et de ses déclinaisons d’après-guerre. Or, cette interprétation quelque peu paranoïaque – qui deviendra la constante du pouvoir sous-terrain algérien – prêtant, sans le moindre doute, au colonel de la Wilaya III des intentions aussi belliqueuses ne se retrouve nulle part ailleurs. Ni Ferhat Abbas, pourtant très peu enclin à faire des concessions aux colonels, ni les acteurs ayant rencontré plus tard Krim Belkacem, ni Ben Khedda, ni Saâd Dahlab qui a écrit tout ce qu’il avait vu à Tunis, et il était souvent aux premières loges, n’ont fait état du risque imminent que représenterait l’arrivée d’Amirouche à Tunis en 1959. J’ai commencé par dire que si l’intervention de M. Ould Kablia n’apportait rien de nouveau en termes factuels, elle dévoile un esprit avec ses attitudes et ses décisions qui sont d’authentiques révélations. Comment avoir l’outrecuidance de dire que Boussouf n’avait aucun problème avec Abane, Krim ou Amirouche (la citation des trois dirigeants tous originaires de Kabylie est en soi une indication) et affirmer en tant que légataire du MALG que la réunion convoquée par le chef de la Wilaya III était un complot menant inévitablement à la confrontation entre l’intérieur et l’extérieur. Je pense avoir démontré, grâce aux témoignages et aux documents retrouvés, que les chefs de l’intérieur (excepté Kafi) avaient comme intention de demander au GPRA de mieux rationaliser son action diplomatique, sa communication, ses services sociaux mais aussi de s’émanciper d’un MALG tentaculaire et inefficace et, surtout, d’exiger que les troupes stationnées aux frontières fassent plus d’efforts pour rentrer se battre sur le terrain. La question de la nature et de l’importance de l’armée de l’Algérie indépendante devant être reportée à plus tard. Jusqu’à plus ample informé, il n’y a que le département de Boussouf qui a vécu cette demande d’adaptation comme une menace. Le mystère des transmissions Pour ce qui est des transmissions, les savantes envolées du bureau du MALG n’empêchent pas l’apparition de lourdes distorsions qui confirment l’hypothèse de la trahison. M. Ould Kablia nous donne une cinquième version, venant contredire celle du

ministre des Anciens moudjahidine, les deux de M. Benachenhou et enfin celle de M. Kafi. Pour le bureau du MALG, la Wilaya III disposait du même nombre de radios que toutes les autres wilayas. Ce n’est pas ce que dit le rapport de doléances de cette wilaya que portait sur lui Amirouche quand il se rendait à Tunis. Il y dénonce en termes très virulents la livraison de deux postes en août 1958. «Pourquoi la Wilaya 3 n’a reçu que deux postes et si tardivement… cette carence tend à faire croire à une volonté de négliger la Wilaya 3 ou à du régionalisme de la part tout au moins des responsables des transmissions.» Notons au passage la légèreté, voire un certain mépris, avec lesquels est traité un document adopté après un conseil de wilaya extraordinaire, 48 ans après l’indépendance. «Sa lecture laisse à penser que le colonel Amirouche n’a pas participé à sa rédaction parce que le document reprenait un certain nombre de considérations générales et que les points les plus importants de son contenu ne cadraient pas avec la réalité vécue en dehors de la Wilaya III…», nous assure M. Ould Kablia. On vient de voir que la Wilaya III était plutôt bien informée sur le détournement réservé par le MALG aux étudiants envoyés pour formation à l’étranger. On découvrira plus loin dans d’autres situations que l’information détenue par Amirouche sur l’intérieur et les frontières était souvent de première main. Suivons M. Ould Kablia dans son récit. Lui affirme que la Wilaya III n’avait pas de radio en 1959, ce qu’infirment les témoins encore vivants activant au PC de wilaya. Mais convenons avec lui que le poste pouvait avoir été éteint et que donc pour l’extérieur Amirouche ne pouvait être contacté. Devant le déficit des transmissions, le colonel de la Wilaya III avait multiplié les boîtes aux lettres à Alger, Bougie, Sétif, Tizi-Ouzou, Akbou, El-Kseur et même en France pour recevoir et émettre des messages par télégrammes ou voie postale. Les agents de liaison de la Wilaya III encore en vie estiment que c’est par une de ces voies que le message de Krim demandant à Amirouche de changer de route a été acheminé. Le bureau du MALG, qui a fait une profusion de citations plus ou moins ésotériques de nombreux auteurs français, «oublie» de rapporter la seule information qui vaille : la goniométrie française a capté les messages du FLN annonçant les évolutions du déplacement du colonel Amirouche. Pourquoi ou plus exactement pour qui émettre lorsque l’on considère que le destinataire ne peut pas recevoir ? Ce que disent les auteurs français est confirmé par les agents du centre d’écoute du MALG basé à Oujda. Non seulement ils ont reçu l’ordre d’émettre mais lorsqu’ils ont alerté sur les risques de voir leurs messages interceptés, ils ont été sommés de continuer. S’agissant de la concentration des troupes déployées par le général Massu, M. Ould Kablia nous apprend que tantôt il s’agit d’une opération de routine tantôt elle «avait été décidée par le général Massu suite à des renseignements parvenus à celui-ci (comment ?) indiquant le passage par le Hodna du colonel Amirouche». M. Ould Kablia pose une vraie question, c’est même la seule question qui s’impose mais le fait de la reformuler par le bureau du MALG ne lui enlève en rien sa pertinence. La libération des liaisons radio entre les wilayas demandée par Amirouche dépendrait de la seule volonté des

PC de wilaya, selon le bureau du MALG. Tous les spécialistes disent que sans un minimum de formation et d’assistance de la part de ceux qui détiennent la confection des codes et l’initiation à l’établissement de nouvelles liaisons, il est impossible d’improviser dans un domaine aussi sensible. Le fait est qu’aucune station de l’intérieur n’a été en mesure de disposer d’un opérateur capable de mettre en liaison deux wilayas. La volonté de centraliser toutes les communications des chefs de l’intérieur apparaît très clairement à travers l’interprétation que fait aujourd’hui encore le bureau du MALG de la réunion interwilayas de décembre 1958. Quant à dire que si le général Massu avait su de manière certaine qu’Amirouche se trouvait dans les parages, il se serait déplacé lui-même, cela reste un argument spécieux. En octobre 1958, l’opération Brumaire, ciblant particulièrement le colonel Amirouche et son PC, avait mobilisé une dizaine de généraux, une cinquantaine de colonels et près de 10 000 hommes dans l’Akfadou. J’ai longuement consulté les archives de l’époque et ni mes recherches ni les témoins que j’ai consultés ne m’ont permis d’établir que le général Massu avait personnellement participé à cette intervention. Une relative évolution apparaît cependant dans l’analyse de la Bleuite. C’est la première fois depuis l’indépendance que des éléments du MALG se démarquent des thèses de l’armée française qui présentait cette opération comme la conséquence d’un homme sanguinaire décidé à éradiquer les intellectuels. On admet enfin que c’est une des actions de l’occupant parmi d’autres et on convient qu’elle avait concerné l’ensemble des wilayas. On peut au passage se demander quel fut l’apport d’un service de renseignement comptant 2000 cadres dans une intervention de l’ennemi éventée par l’intérieur qui avait demandé, en vain, de l’aide à l’extérieur dès le premier jour. Cet effort de lucidité mérite d’être signalé. On ne le retrouve pas dans les autres approches. Défaillances stratégiques Au-delà de la volonté d’imprimer à l’Histoire une trajectoire qui occulte les vues et positions des autres parties, la lecture faite du rapport sur lequel devait s’appuyer Amirouche à Tunis au nom de ses collègues de l’intérieur dévoile une volonté de renforcer et de protéger des positions en référence avec des situations actuelles. Commentant le point qui demande «une offensive contre la ligne Morice pour attirer les forces ennemies et soulager la pression sur l’intérieur, l’offensive doit surtout permettre le passage de matériel et de munitions», le bureau du MALG écrit : «Cette pétition de principe laisse croire que la Wilaya III ignorait ce qui se passait au niveau des frontières.» Avant de citer des actions menées pour franchir le barrage. Les responsables de l’intérieur reprochaient aux dirigeants extérieurs la mauvaise évaluation des effets de l’édification de ces lignes qui ont été renforcées à plusieurs reprises. En l’occurrence le renseignement, si renseignement il y avait, fut pour le moins défaillant. Mais là où le bureau du MALG manipule les faits, c’est quand il cite des officiers qui ont effectivement pu traverser les lignes ennemies en donnant ces initiatives comme étant toutes des décisions programmées par le COM. La plupart des

traversées, à commencer par celles de Lotfi et de Bencherif, furent plus le fait de la volonté des concernés que l’exécution d’une instruction supérieure. Je me suis rendu à l’endroit où est tombé le colonel Lotfi. Surpris avec ses hommes, il se trouvait en plein jour dans un secteur sans abri ni liaison. Le bureau du MALG sait mieux que quiconque que le colonel de la Wilaya V en rupture avec l’état-major ouest est surtout rentré parce qu’il était outré par la violence et les dérives du binôme BoussoufBoumediène, notamment depuis l’exécution du capitaine Zoubir qui dépendait de lui. La narration faite de la tragique fin de la compagnie Hidouche qui devait rejoindre la Wilaya III est à la fois indécente et mensongère. Le bureau du MALG nous explique que cette compagnie a été exterminée par une attaque combinant des forces aériennes et terrestres françaises parce qu’elle n’avait pas pu traverser la Seybousse en crue ! Nous sommes au mois de juin 1959. Nous connaissons tous la furie de nos oueds en plein été. Une crue dépasse rarement une journée. La réalité est affreusement simple. Cet officier comme ses hommes, lassés de macérer dans les casernements des frontières, décida de rentrer. Une fois la frontière passée, ils ne trouvèrent pas d’agents de liaison pour les orienter. Ne connaissant pas la région, ils tournèrent en rond jusqu’à se retrouver au bord de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Bône (Annaba) où ils furent exterminés. Un des miraculés de cette boucherie habite la vallée de la Soummam. Il peut raconter le calvaire de la compagnie Hidouche. Voici ce qu’écrivait Amirouche sur les improvisations qui caractérisaient les rares groupes qu’on laissait revenir : «Demandons que les katibas soient bien entraînées pour éviter pertes en hommes et matériel en cours de route : nous ne comprenons pas pourquoi les compagnies qui viennent de l’Extérieur pour acheminer des armes sont retenues deux, trois et même quatre mois. Le fait serait acceptable si pendant ce délai, les compagnies recevaient instruction militaire… Cette négligence se traduit dans le fait que des armes sont remises à des djounoud qui ne savent même pas les démonter. Ainsi, beaucoup de ces djounoud sont morts et leurs armes sont récupérées par l’ennemi…» Comme on peut le constater, les conditions dans lesquelles sont prévus les franchissements de la frontière algéro-tunisienne sont on ne peut plus connues en Wilaya III. Mais le plus notable est ce qu’ont rapporté les djounoud qui ont eu la chance de parvenir à destination ou qui ont rejoint la Kabylie après avoir repris le chemin vers la France d’où ils étaient venus. La volonté de garder le maximum de soldats aux frontières ne fait aucun doute. Ce qui a amené Amirouche à contacter directement les cadres qu’il connaissait en Tunisie pour leur demander de rentrer «même si on les en empêchait.» Djoudi Attoumi écrit : « Pour la Wilaya III seulement, il y eut une vingtaine de compagnies qui avaient pris le chemin de la Tunisie. Seules cinq ou six d’entre elles étaient revenues, après avoir affronté la ligne Morice… d’autres wilayas avaient envoyé autant de compagnies, sinon plus ; ce qui fait qu’il y eut une concentration des troupes le long des frontières qui, au lieu de rentrer dans les maquis, étaient restées sur place pour une raison ou pour une autre… La

Wilaya II comptait à elle seule 4200 combattants bloqués le long de la frontière tunisienne. Ce fut la naissance de l’armée des frontières. » En quoi la proposition d’une offensive généralisée contre un barrage électrifié serait-elle a priori disqualifiée ? Pourquoi la constitution de grosses unités serait-elle par principe évacuée du débat ? Dien Bien Phu fut un désastre français. L’attaque fut menée par une concentration de troupes qui sont venues à bout de l’armée française. En 1959, l’adhésion des masses algériennes n’avait rien à envier au soutien que la paysannerie indochinoise apportait au Parti communiste vietnamien. Il ne s’agit pas de spéculer aujourd’hui sur les actions qui auraient pu et dû être engagées en 1958-59 mais de comprendre que les oppositions entre les dirigeants de l’extérieur ont grevé le potentiel de la direction du FLN, dont une partie était déjà obnubilée par l’aprèsguerre. La patrie otage de la tribu Ces oppositions avaient pris plusieurs formes. Il n’est pas besoin d’insister sur la candeur feinte de M. Ould Kablia quand relance la rengaine du duo Krim- Mohamedi Saïd qui aurait disposé de toute latitude pour gérer la situation politico-militaire de l’intérieur alors que : - Premièrement, toutes les transmissions étaient maîtrisées par le MALG ; - Deuxièmement, Mohamedi Saïd était déjà pris en charge depuis longtemps par «les envoyés spéciaux» du MALG, pour reprendre l’expression d’un ancien de l’armée des frontières, afin de le soustraire à Krim avant de le lui opposer ; manipulation qui, naturellement, n’évacue en rien la responsabilité des concernés. Laisser entendre que si quelque indélicatesse a été commise dans l’élimination d’Amirouche ne peut relever que des deux anciens responsables de la Wilaya III est du réchauffé ; M. Benachenhou étant déjà passé par là. Mais ces insinuations faisant des assassinats de certains responsables pendant ou après la guerre une conséquence d’un atavisme kabyle, pour commodes et répandues qu’elles soient ne sont pas le plus important dans nos préoccupations actuelles. Aujourd’hui, il s’agit de nous interroger sur le fait de savoir si ces manœuvres récurrentes et qui existent toujours ont servi la guerre de Libération et, plus tard, le développement de notre pays. La question mérite d’être posée car, outre qu’elle permettrait de remettre un certain nombre de choses en ordre dans notre histoire, elle aurait l’avantage appréciable d’éclairer la scène politique aujourd‘hui. Au printemps 2008, les citoyens de Chlef, excédés par des promesses différées depuis le seisme de 1980, manifestent leur désespoir par des émeutes au cours desquelles des milliers de jeunes s’en prennent, comme c’est souvent le cas en pareilles circonstances, à tout ce qui représente l’Etat. Des centaines d’entre eux sont interpellés et incarcérés dans des conditions inhumaines. La structure du RCD local dénonce la violence de la répression et les violations de loi qui ont marqué toutes les procédures. Le wali, dont il faut rappeler qu’il appartient à ce que Nordine Aït Hamouda appelle la «tribu élue» n’a rien trouvé de mieux que d’avertir les familles et les citoyens qu’ils devaient se méfier d’un parti régionaliste,

ennemi de la nation. Continuant leur travail, les militants de notre parti organisent la solidarité avec les parents des jeunes détenus, constituent un collectif d’avocats et en appellent à nos parlementaires pour suivre l’évolution des poursuites engagées contre une centaine de jeunes. Le soutien des députés du RCD donne de l’espoir et une dynamique citoyenne se développe à Chlef. Les jeunes emprisonnés étaient revendiqués par la cité comme les porte-parole de tous. Dépassé, le wali, disqualifié par une gestion des plus contestables, en appela au gouvernement qui dépêcha à Chlef un de ses membres. Nous sommes le 2 mai 2008. Le ministre, trouvant un climat particulièrement tendu, déclara devant tous les cadres de la Wilaya qu’ils ne devaient pas laisser revenir à Chlef des gens qui n’ont rien à y faire. Ces «gens» étaient des députés de la nation qui avaient le malheur d’être élus démocratiquement. Le ministre en question s’appelle Daho Ould Kablia. La radio locale, encouragée par ce sectarisme, embraie sur l’aubaine et déversa son fiel sur les Kabyles. Pour bien montrer que le MALG imprègne et soumet toujours la vie institutionnelle, il faut rappeler la destitution illégale du maire de Bériane qui avait refusé de déserter le RCD pour rejoindre un parti de la coalition gouvernementale. Le blocage du projet du PNUD — institution représentée à Alger et qui active normalement dans notre pays — destiné à assainir l’environnement à Tizi- Ouzou, représente l‘une des discriminations administratives les plus insupportables de l’Algérie indépendante. Pour l’instant, le ministère des Affaires étrangères se contente d’ignorer son méfait. On remarquera que les trois abus commis à Chlef, Bériane et Tizi- Ouzou relèvent de responsables appartenant tous au même clan. C’est dire que la culture du MALG est ancienne, dévastatrice et qu’elle continue de l’être. Il n’est pas interdit d’aimer sa région. Cela peut même être un premier éveil à l’intérêt de la collectivité. Il y a problème quand cette attention est conditionnée par la haine des autres. Ces archaïsmes sont le principal handicap du développement du pays. La gestion des affaires de l’Etat par l’opacité et la relation clanique témoigne de la fragilité de la conscience nationale. L’affaire remonte à loin. J’ai essayé d’apporter dans mon livre des éléments de réflexion sur les ressorts et les motifs qui ont amené la direction extérieure du FLN à tant de déchirements en pleine guerre. Pourquoi la responsabilité politique n’a pas prévalu au moment où la patrie devait être préservée des affrontements qui ont psychologiquement et politiquement mené l’Algérie à une implosion qui veut qu’aujourd’hui encore un responsable ne se sente en sécurité que s’il s’entoure de ses proches, indépendamment de toute considération idéologique. Ce manque d’adhésion à un dénominateur commun a permis à l’axe franco-égyptien de peser sur des esprits peu convaincus par la valeur de leur algérianité, pressés de s’exiler dans une identité plus valorisante. En s’ouvrant aux services spéciaux égyptiens sur les dangers que représentaient les Kabyles pour la nation arabe, Ben Bella ne faisait pas que jouer pour éliminer des adversaires politiques. Il était sincère. En disant que la Révolution algérienne ne dépendait ni du Caire ni de Moscou ni de Londres, Abane projetait un destin algérien qui dérangeait autant les Français que les Egyptiens. L’aide de

Bourguiba, acquis à l’émancipation du sous-continent nord-africain, ne pouvait suffire devant la convergence objective des intérêts géostratégiques du Caire et de Paris. Proche de Nacer et bien connu des Français qui l’avaient testé comme soldat et détenu, Ben Bella représentait un bon compromis pour les deux puissances contre une entité algérienne forte et autonome. L’antikabylisme est moins préoccupant dans ce qu’il occasionne comme dommage à une région que dans ce qu’il révèle comme refus ou perte de confiance dans la construction d’un destin national solidaire et démocratique. La question de la femme et celle de l’antikabylisme sont les deux voyants dont il faut surveiller les évolutions sur le tableau de bord politique de la nation. Tant que l’on esquive ces deux tabous, l’Algérie vivra dans la mutilation civique et l’incertitude nationale. La perte de la citoyenneté sera compensée par la misogynie et le régionalisme étouffant la régionalisation ouvrira la porte à d’autres tutelles qui déposséderont notre peuple de sa souveraineté. L’Histoire et la morale M. Ould Kablia me reconnaît le droit de ne pas avoir d’atomes crochus avec Boumediène mais il m’invite à ne pas mêler Boussouf aux turpitudes algériennes, ce dernier ayant quitté volontairement le pouvoir à la veille de l’indépendance dès lors «qu’il a vu les inclinations des nouvelles alliances à s’orienter vers un pouvoir autoritaire d’exclusion et de déni des principes ». Un autre intervenant du sérail me proposait un deal rigoureusement inverse : pour lui, il fallait doper Boumediène et enfoncer Boussouf. A titre personnel, je n’ai jamais confondu les genres. Je n’ai aucun problème ni avec Boussouf ni avec Boumediène ni, d’ailleurs, avec M. Ould Kablia. Mais je ne suis pas partie prenante de ce bazar historique où chacun fait son marché selon ses appétits et ses humeurs. La chose est historiquement établie: Boumediène est une création du patron du MALG. Le fait que le colonel de l’armée des frontières se soit fait les dents sur son tuteur est un classique dans les pouvoirs nés dans l’opacité et la violence. Boussouf avait une conception policière du pouvoir, Boumediène était partisan de l’arbitraire militaire. Au final, nous avons eu les deux. Le grand perdant est le citoyen, c'est-à-dire l’Algérie. On l’observe aujourd’hui même. Une certaine tendance se dessine en faveur de la conception policière dans la gestion de la cité algérienne. Y a-t-il pour autant plus de liberté, de progrès ou de justice dans notre pays ? Au fond, le maquillage importe peu. Par définition, l’abus ignore la loi. Les amateurs et bénéficiaires de l’autoritarisme qui peuvent se disputer les avantages du pouvoir ne voudront jamais faire de la citoyenneté l’arbitre de la vie publique. M. Ould Kablia, qui donne l’impression de vouloir valoriser une certaine aristocratie policière au détriment de la plèbe militaire, partage avec ses frères ennemis la même conception du pouvoir. Il intervient sur un livre qui commence par interpeller la nation sur une indignité politique et une faute morale commises en son nom. Il n’a pas soufflé mot sur la séquestration des ossements de deux héros de la guerre, crime symbolique qui hantera longtemps nos consciences. L’histoire de l’Algérie fut, comme celle de tant de révolutions, dure, violente et quelquefois injuste. Je ne serai pas avec les

analystes plus ou moins «parfumés » qui jugent, décrètent et condamnent avec d’autant plus d’arrogance qu’ils sont loin du pays et qu’ils s’occupent à élaborer des mises en scène pour complaire à leur galerie d’accueil ; je serai toujours avec celles et ceux qui ne veulent pas que des erreurs ou des fautes commises pendant la guerre où rien ne se déroula comme prévu et rien ne se termina comme souhaité, se reproduisent en temps de paix. Pour cela, la vérité est un impératif. Saïd Sadi

Sadi répond à Benachenhou Par Saïd Sadi*

En écrivant un livre sur le colonel Amirouche, je prolonge une conduite que je m’étais fixée de longue date : soumettre au débat les sujets qui, d’une façon ou d’une autre,

impactent la vie nationale pour éviter que la rumeur, la manipulation ou les deux ne confisquent de dossiers majeurs dans la construction de l’État démocratique et social annoncé par Novembre et configuré à la Soummam. C’est ainsi qu’il a fallu introduire la question identitaire et celle des droits de l’homme dans la scène algérienne à l’époque du parti unique avant d’intégrer la condition féminine et la régionalisation dans le programme du RCD. Un peu plus tard, on s’en souvient, j’ai invité à réfléchir sur l’avenir de la presse privée. Aujourd’hui, le temps est venu d’aborder lucidement la place et le rôle de l’histoire dans la vie publique et cela pour deux raisons. D’une façon générale, aucun pays ne peut indéfiniment esquiver ou escamoter son passé sans être rattrapé par la vérité ou pire, voir d’autres acteurs, plus ou moins bien intentionnés, structurer en lieu et place de la collectivité concernée les référents nationaux. Plus immédiatement, la nécessité de débattre de notre passé dans la transparence se justifie par le fait que, si l’on excepte le président Boudiaf qui assumait un début d’alternative, aucun chef d’État n’a proposé un projet soumis à des évaluations et assumé un bilan. Tous les dirigeants qui ont pris le pouvoir, qui par un putsch qui par des fraudes électorales, se sont construit un parcours de sauveur de la nation en assaisonnant notre histoire selon les appétits de leurs clans. Les élites en question J’ai choisi l’histoire d’Amirouche parce que le sort qui lui a été réservé est exemplaire des turpitudes algériennes. J’ai pu voir très tôt comment des hommes préparaient en pleine guerre le pouvoir de l’arbitraire et par quels procédés ils avaient volé et violé la conscience nationale en abusant de notre patrimoine mémoriel après l’indépendance. Le cas Amirouche offre l’avantage, si l’on peut dire, de mieux éclairer nos mœurs politiques d’avant et d’après guerre. Quinze jours après la sortie du livre, le succès en librairie ne s’est malheureusement pas accompagné de commentaires à la mesure de ce que nous sommes en droit d’attendre sur une guerre de libération aseptisée et qui, comme toutes les révolutions, eut ses épisodes de grandeur et ses parts d’ombre. Ceux qui se sont manifestés publiquement se répartissent en trois groupes : il y a des anciens maquisards, des intellectuels et des politiques. Passons rapidement sur les premiers dont la crédibilité et la légitimité ne sont pas les plus affirmées dans leur catégorie. Que répondre à quelqu’un qui déclare : «Saïd Sadi étant trop jeune pendant la guerre, il n’avait pas à s’immiscer dans le domaine historique.» ou : «Au lieu d’écrire sur Amirouche, Saïd Sadi aurait dû parler de Krim Belkacem.» On imagine bien que si le livre avait concerné le signataire des accords d’Evian, j’aurais eu droit à une interpellation tout aussi sèche pour avoir commis un écrit sur des hommes «se prélassant dans les palaces de Tunis ou du Caire au lieu de traiter de patriotes qui ont lié leur destin à celui de leur peuple». Ces polémiques n’ont d’intérêt que dans la mesure où elles soulignent la misère politique du régime qui emmagasine certains anciens combattants pour les actionner en cas de nécessité ; cette allégeance étant rétribuée par quelques prêts bancaires «non remboursables» ou d’autres avantages

plus ou moins avouables. En disant cela, je souhaiterais convaincre que je ne cherche à accabler personne et que je ne saisis cette opportunité que pour mieux décoder les mécanismes du système algérien. Souvent inaudibles, les voix intellectuelles sont hélas réduites, pour une bonne partie, à la fonction d’indicateurs du sens du vent. Si l’on exclut l’exception notable de Yasmina Khadra, lui aussi sollicité, mais qui eut le mérite de s’interdire de commenter un livre qu’il n’a pas lu, on ne peut que déplorer la sortie de Rachid Boudjedra, pour lequel j’ai une estime sincère, quand il dit : «Saïd Sadi est un politique. Il assène ses vérités.» Outre mes analyses personnelles, j’ai construit mon livre sur des évènements, des témoignages et des documents. Ces éléments peuvent être vrais ou faux mais il n’y a pas beaucoup de place pour l’interprétation dans ce genre de situations. Mais ce qui pose problème dans les affirmations de Boudjedra, c’est cette tendance à soutenir des préjugés politiquement lourds de sens. Quand il avance qu’Abane a été tué par Krim et non Boussouf, il sait que cela est faux ; ce qui ne veut pas dire, par ailleurs, que le passage à l’acte de Boussouf n’a pas été facilité, voire encouragé par l’animosité que nourrissaient Krim et d’autres responsables envers Abane. Je peux croire pourtant que cette propension à suivre et relayer les modes ne participe pas d’une intention politicienne chez Boudjedra. Il n’en demeure pas moins, et nous le verrons plus loin, que ces complaisances sont récupérées et instrumentalisées. Restent les politiques qui se sont exprimés. J’en retiens deux : un membre de la direction d’un parti de la coalition gouvernementale proclamant sa proximité avec le clan d’Oujda et un ancien ministre qui a appartenu au segment noir du MALG. Le premier affirmant qu’il ne peut y avoir matière à débat puisque «l’histoire a tranché» est dans son rôle. Produit de la cooptation populiste qui propulse un parti créé trois mois auparavant au sommet de toutes les institutions par des méthodes que ne renierait pas le funeste Naegelin, il ne peut qu’espérer voir perdurer une histoire faite de fraudes, d’injustice et de prédation pour surnager politiquement. Si désordonnée et brutale qu’elle soit, la diatribe de l’ancien ministre publiée par le Quotidien d’Oran est paradoxalement plus utile pour l’analyse de l’impasse algérienne. Le titre «Basta » qui coiffait la page était à la fois une signature et un programme. Il ne s’agit surtout pas de tolérer une discussion ou un avis du bas peuple. Non, il faut que l’autre, extérieur à la secte, en l’occurrence Nordine Aït Hamouda, le fils du colonel Amirouche, se taise et se terre. Il n’a pas le droit d’exister et si on lui accorde une visibilité, c’est pour décréter qu’il est dément et, pourquoi pas, en appeler à l’ouverture des cliniques psychiatriques comme aux temps bénis du Goulag, On se surprend, devant tant d’impulsivité, à se demander si c’est le profil de l’individu, à l’évidence caractériel, qui a inspiré l’éructation ou les reliquats d’une formation dans une instance qui a cloîtré l’intelligence avant de la pervertir pour humilier et stériliser le pays. Mais ne faut-il pas être l’un pour servir l’autre avec autant de zèle et de cynisme ? Je ne sais pas, pour ma part, ce que j’aurais fait, une fois devenu adulte, si j’avais été à la place de celui dont on a voulu avilir le père avant de le priver de sépulture.

Le cynisme des oligarques L’auteur de la fetwa du Quotidien d’Oran ordonne et exige de ne plus jamais émettre la moindre critique sur Boumediène et Boussouf avant de remettre sans vergogne sur la table la tambouille du duo Godard-Léger, agrémentée de quelques tonitruants mensonges sur lesquels je reviendrai. Que nous dit Monsieur Mourad Benachenhou ? 1) Basta ; 2) Que celui qui ose s’exprimer après son oukase ne peut être qu’un individu frappé de folie ; 3) Qu’il interdit de parler de Boussouf et de Boumediène ; 4) Que c’est Boussouf qui a sermonné et obligé Amirouche à laisser sortir les étudiants à partir de 1958 ; 5) Que si le colonel de la Wilaya III a été tué c’est parce qu’il a éteint son poste radio sur lequel Boussouf essayait en vain de le contacter ; 6) Que s’il y a eu fuite dans le code ou la transmission, elle ne doit être imputée qu’à deux Kabyles, Krim Belkacem ou Mohamedi Saïd. Qu’importe que le second soit en 1959 opposé au premier puisqu’il était déjà l’obligé du clan d’Oujda qu’il suivra d’ailleurs dans le clan de Tlemcen en 1962. On est consterné par tant d’aveuglement de la part d’une personne qui a occupé les plus hautes charges dans l’Algérie indépendante et qui fut dans l’antre du pouvoir occulte avant l’indépendance. Si un homme s’autorise autant d’excès à un demi-siècle de distance et, qui plus est, dans une période où les Algériens ont malgré tout réussi à arracher un droit minimum à la parole en dépit de la censure institutionnelle, on ne peut qu’être saisi d’effroi à l’idée d’imaginer ce que des agents comme lui ont pu commettre à l’époque où ils officiaient dans l’impunité et loin de tout regard. En tout cas, il faut avoir de solides raisons pour étaler tant de haine et prendre le risque de s’exposer dans une démonstration aussi aléatoire qu’intempestive. Qu’en est-il des affirmations de Monsieur Benachenhou ? Pendant la guerre, le seul centre d’accueil des étudiants algériens était basé à Tunis. Je raconte dans mon livre comment et pourquoi Amirouche, qui n’était que commandant en 1957, c'est-à-dire une année avant les prétendues injonctions de Boussouf, l’a ouvert sur les fonds propres de la Wilaya III. Cela est un fait. S’agissant des messages interceptés, voici ce qui est écrit dans le point numéro 6 du rapport que portait avec lui d’Amirouche en allant à Tunis : «La Wilaya III n’a reçu que deux postes au mois d’août 1958, sans dépanneurs, alors qu’en d’autres wilayas, il existe des régions (la région est une subdivision de la wilaya) qui possèdent des postes émetteurs... cette carence tend à faire croire à une volonté de négliger la Wilaya III, ou à du régionalisme de la part tout au moins des responsables des transmissions.» Retenons donc, pour l’instant, que la Wilaya III ne disposait que de deux postes émetteurs lors du déplacement d’Amirouche. Or, au mois de décembre 1958, un des deux postes a explosé, déchiquetant les techniciens et blessant grièvement le commandant Mohand ou Lhadj et le lieutenant Abdelhafidh Amokrane

(toujours vivant) à la suite de la mise en marche d’une batterie piégée par l’ennemi, destinée à éliminer Amirouche qui était à l’époque dans le Nord-Constantinois avec les colonels qu’il y avait convoqués. Nous savons aussi que le deuxième poste était resté à Akfadou puisque c’est sur cet appareil que Krim Belkacem, déjà en désaccord avec Boussouf, avait essayé de contacter Amirouche, parti depuis 3 jours, pour lui demander de changer de route au dernier moment. Monsieur Benachenhou sait pertinemment que le colonel Amirouche n’avait pas de poste émetteur quand il se dirigeait vers Tunis. Les messages captés par l’armée française émanaient des services de Boussouf qui a obligé ses agents à les diffuser à plusieurs reprises malgré leurs réticences. En bon agent du noyau dur du MALG, il doit aussi savoir que le 29 mars, à l’annonce de la mort d’Amirouche et de Haoues, Krim a déclaré à Tunis devant des témoins encore en vie : «C’est un coup de Boussouf et de Boumediene».Prétendre qu’Amirouche a été sermonné après l’opération des services spéciaux français est une contrevérité. Le colonel de la Wilaya III a demandé, dès les premières informations, de l’aide et une commission d’enquête au GPRA qui l’a félicité ; félicitations qu’il a récusées tant que des observateurs extérieurs à sa wilaya ne sont pas venus évaluer la situation. Les documents qui attestent de ces données existent. Nous pouvons reprendre une à une les allégations de Monsieur Benachenhou et les démonter. Mais le plus grave dans ses affirmations tient à cette allusion renvoyant à un postulat inlassablement distillé qui suggère qu’au cas où il ne serait plus possible de nier que le colonel de la Wilaya III a été «donné» à l’armée française, il faut imputer la faute à Krim Belkacem ou Mohamedi Saïd qui avaient été responsables de la Kabylie. Comme si, en la matière, la faille renvoyait à une question organique et non de transmission. La thèse est construite, rodée et appliquée. Dans un hebdomadaire arabophone, un autre ancien maquisard affirme, dans la même semaine, que ce sont deux moudjahidine kabyles, faits prisonniers le 28 mars 1959, qui ont donné leur chef et Haoues, oubliant que l’armada déployée par le général Massu était sur place le 25 mars, soit trois jours avant l’accrochage qui a coûté la vie à Amirouche et au chef de la Wilaya VI. Après «ce scoop», l’ancien patron de la gendarmerie, Ahmed Bencherif, argue que la séquestration des restes des deux colonels avait été décidée par Merbah (un autre Kabyle) et à son insu. La fable a ses cohérences, ses acteurs et ses objectifs. Krim a tué Abane, Mohamedi Saïd ou Krim ont donné Amirouche et Merbah a séquestré Amirouche avant de tuer Krim. Le tout sans que Boussouf ou Boumediène n’aient vu ou entendu quoi que ce soit. Les Kabyles s’entretuent. Il n’y a qu’à le faire savoir et… espérer ou, mieux, faire en sorte que cela continue. Voyez-vous Monsieur Benachenhou, si l’antikabylisme devait faire le bonheur de l’Algérie, notre pays, compte tenu de l’énergie que votre clan a mis à cultiver ce travers, serait au firmament des nations. Faut-il, dès lors, s’étonner, devant tant de perfidie, de voir des désespérés se réfugier dans des aventures sécessionnistes ? En ce sens, l’intervention de Monsieur Benachenhou ne peut être prise pour un témoignage visant à masquer un passé trouble. C’est d’abord et avant tout une manœuvre qui prend

l’histoire comme levier pour maintenir l’asservissement de la nation par une oligarchie qui a détourné mémoire et destin algériens. Monsieur Benachenhou, Puisque vous assumez aujourd’hui encore les drames qui ont empêché notre peuple de s’accomplir, il est légitime de vous poser les questions qui s’adressent à un inculpé qui plaide coupable. 1er) Vous vous impliquez sans nuance en 2010 dans l’action de Boussouf, qui pouvait avoir l’excuse, si l’on ose dire, de la bonne foi stalinienne au moment où il planifiait et commettait ses exactions. Savez- vous ce que l’assassinat d’Abane a coûté à l’Algérie en termes politique et moral ? 2e) En tant qu’acteur fier du coup de force engagé par l’armée des frontières contre les maquis de l’intérieur et de son coup d’État contre le GPRA, première instance légale de l’Algérie contemporaine, pouvez-vous être sensible au prix humain de cette irruption et à son effet dévastateur pour le futur algérien : plusieurs milliers de morts au lendemain d’une guerre qui a saigné le pays et des affrontements fratricides qui continuent de déchirer la nation à cause de votre «pédagogie» de la conquête du pouvoir par le kalachnikov ? 3e) Votre basta peut-il valoir justification à l’exécution du colonel Chabani qui a laissé des séquelles qui ne veulent pas cicatriser, notamment chez les populations du Sud ? 4e) Qu’avez-vous tiré comme dividendes des assassinats de Krim et de Khider qui avaient le droit de vivre dans un pays qu’ils ont fait renaître et le devoir de contester un pouvoir dont les usurpateurs n’auraient jamais connu d’existence politique sans leur engagement et sacrifice ? 5e) Pouvez-vous nier que vous avez volé et caché pendant 20 ans les restes des colonels Amirouche et Haoues ? Savez-vous ce que de tels crimes symboliques impriment dans l’âme du citoyen ? Les questions sont celles-là, Monsieur Benachenhou. Toute autre élucubration est vaine. Je pourrais continuer à l’envi la liste des conséquences de vos crimes, je dis bien crimes puisqu’en vous réclamant de ces abus un demi-siècle après leur commission, vous ne pouvez ni invoquer l’ignorance de leurs implications, ni la pression des conjonctures. Monsieur Benachenhou, Je n’ai pas écrit un pamphlet, je n’ai pas cherché à polémiquer. Je continuerai à inviter à débattre de tout ce qui peut faire avancer la réflexion et aider à construire la citoyenneté qui est le contraire de votre morgue.Mais sachons positiver : s’il fallait une raison de plus pour écrire ce livre, vous venez de nous la donner. Voyez-vous, Monsieur Benachenhou, la différence entre vous et moi, c’est que je ne fais pas de la politique pour préserver une carrière ; je me suis engagé pour apporter ma pierre à la construction collective d’un destin. Vous l’aurez compris, nous n’avons ni les mêmes valeurs ni les mêmes échelles. Vous investissez l’instant, je parle à l’histoire. Vous avez tué Amirouche et vous m’avez emprisonné et torturé. Vous avez gagné la bataille

du pouvoir, nous avons gagné la bataille de la mémoire. Vous ne le savez pas : il n’y a pas d’autorité sans morale. S. S. * Président du RCD, député.

: NORDINE AÏT HAMOUDA PARLE DE LA POLÉMIQUE SUSCITÉE PAR LE LIVRE DE SAÏD SADI La colère du fils d’Amirouche Par Nordine Aït Hamouda (*)

Je me suis interdit d’intervenir jusque-là dans le flot ininterrompu d’invectives auquel s’est abonné notamment M. Benachenhou depuis la sortie du livre de Saïd Sadi : Amirouche : une vie, deux morts, un testament. Trois évènements mûrement réfléchis m’ont amené à reconsidérer ma position dans cette tornade : - le recadrage puis la similitude des attaques de M. Benachenhou et de A. Mebroukine ; - la réaction réservée à ma dénonciation de l’inflation des martyrs et moudjahidine ; - le traitement fait par un quotidien national du blocage de la première tranche d’un projet du PNUD destiné à la wilaya de Tizi-Ouzou par le ministère des AE. On peut s’en étonner mais la sortie de M. Kafi n’a joué que marginalement dans ma décision. La brutalité, la mauvaise foi des premières interventions étaient telles que je m’étais résigné à suivre la proposition de certains membres de ma famille s’apprêtant à déposer plainte pour diffamation contre deux aboyeurs qui croyaient avoir trouvé l’arme fatale en s’abritant derrière les valeurs démocratiques que nous avions défendues de tout temps pour essayer de nous les retourner. En découvrant M. Benachenhou et A. Mabroukine détourner les termes de tolérance, de liberté dans les débats et même d’alternance au pouvoir s’il vous plaît, je me revoyais devant le juge de la cour de sûreté de l’État qui nous condamnait pour avoir «attenté à l’État de droit et à la démocratie». Ayant pratiqué la justice algérienne de près, je ne me faisais pas de grandes illusions sur l’issue de la démarche, sans compter les prescriptions qui protégeaient certains individus. Mais face à la grossièreté des attaques, je me suis dit que d’amener un Benachenhou dans un palais de justice serait le plus beau cadeau que l’on pouvait rendre aux dizaines de milliers de citoyens qui suivaient, indignés, cette explosion de haine de la part d’individus convaincus d’être intouchables. Le slogan comme argument Au départ, nous avions un Mebroukine, dont on vient d’apprendre qu’il fut condamné il n’y a pas si longtemps par le tribunal militaire d’Oran pour intelligence avec l’ennemi

et un bavard coléreux, aigri après son éviction du pouvoir, qui sont montés au créneau mais en rangs dispersés. Le premier, actionné pour faire diversion sur la séquestration des restes d’Amirouche et Haouès afin de relifter Boumediène, prenait même soin de se démarquer de l’autre agent, «malgache», patriote multinational. Il alla même jusqu’à confirmer le fait que les deux colonels avaient été donnés à l’armée française. Les deux intervenants étaient prêts à s’étriper pour sauver le fonds de commerce de leur niche respective. L’auteur leur a répondu, les invitant à débattre du livre, quitte à trouver d’autres occasions pour traiter du bilan de Boumediène, de la tolérance, de l’alternance du pouvoir et de toutes autres vertus démocratiques bafouées et que seules les deux pupilles du parti unique avaient défendues contre une opposition responsable de tous les maux. Les choses en seraient restées là que je me serais toujours tenu en retrait. Puis comme beaucoup de lecteurs du Soir d’Algérie, j’ai été frappé par l’évolution des arguments des deux mercenaires dans leurs dernières sorties. De coqs que tout opposait, ils étaient brusquement devenus des siamois soudés par un combat contre un homme qui avait écrit un livre pour le sortir dans un moment de «grande fragilité nationale» et pour assouvir une ambition visant à imposer une hégémonie politique dont ils allaient nous libérer, comme devait le faire Boumediène juste avant sa mort ! Ce n’est plus ce qu’a écrit Saïd Sadi sur Amirouche qui fait débat mais ce qu’il a derrière la tête et le moment choisi pour sortir son livre… La question n’est pas de débattre avec ces deux automates mais de savoir pourquoi ils ont tant changé d’angles d’attaques et ce qui les a rapprochés au point de se confondre. J’apprends que les deux plumitifs ont été récupérés par un ancien colonel des services, Bouda, habitué d’«analyses» récurrentes, expliquant que l’hégémonie sécuritaire est une donnée intangible et qu’il suffit de diaboliser une opposition «génétiquement incapable de participer à des compétions loyales et régulières» pour garantir le marketing du statu quo. D’où le copié-collé des deux dernières salves. Faisons plaisir à M. Mabroukine : non, Boumediène n’a pas fait de coups d’Etat, non, ce n’est pas lui qui a fait couler le sang des Algériens en 1962 mais les wilayas de l’intérieur prises de folie qui se battaient entre elles ; non son idole n’a pas fait exécuter le colonel Chabani alors que, frappé de dysenterie, il ne pouvait même pas se tenir debout quand il fut traîné au poteau ; non, Krim Belkacem n’a pas été assassiné à Francfort, il s’est étranglé avec sa cravate en faisant sa toilette ; non, Boumediène n’a pas tué Khider à Madrid ; non, il n’a pas donné l’ordre à des aviateurs soviétiques de bombarder des populations civiles à El Afroun en 1967 ; non il n’avait pas des millions de dollars à son nom à la Chaise Manhattan Bank et non il n’avait pas, non plus, fait déposer, par Messaoud Zegagh, des milliards de dollars prélevés sur le Trésor public. Oui la gestion socialiste des entreprises et la mise en œuvre bureaucratique de la Révolution agraire sont des réussites politiques, économiques et sociales ; oui notre école est un modèle de performance. Oui, c’est l’opposition démocratique qui a ruiné le pays ; non il n’y a pas de fraudes électorales, non ses parrains ne détournent pas les moyens de l’État pour les campagnes

électorales, non il n’y a pas de censure, non il n’y pas de corruption systémique, non il n’y a pas eu d’assassinats de dizaines de jeunes en Kabylie en 2001 par la gendarmerie… Une fois ceci posé, il peut toujours pousser plus loin le cynisme et dire, comme son complice, que ce sont les autres qui délimitent le débat. Qu’a-t-il bien pu commettre comme acte d’espionnage pour accepter d’être aussi ridicule ? Je ne m’aventurerai pas à suivre M. Benachenhou dans son vomi sur le livre de Saïd Sadi : il a dit toutes les choses et leurs contraires : «Amirouche est un homme d’exception, c’est un criminel de guerre». Après nous avoir ordonné de nous taire, il saluait l’initiative qui a permis d’écrive un livre qui a «dû demander beaucoup de temps ». Mais voilà que notre vigile quotidien avertit dans sa dernière (?) livraison que le moment de la publication est choisi pour porter un coup fatal au pays dans une période de grande fragilité, sans nous dire d’ailleurs d’où vient et qui est à l’origine de cette situation. Faute de critiquer l’ouvrage dans sa substance, Monsieur Benachenhou, qui répond à des questions que personne n’a posées, se rabat sur les desseins antipatriotiques que vise un opposant, a priori suspect, qui a choisi de raconter la vie d’Amirouche «un héros local» pour en tirer des bénéfices régionalistes. Et là on retrouve le fiel qui affleure toujours quels que soient les efforts faits pour voiler sa haine ; pour Monsieur Benachenhou le Kabyle, Amirouche ou un autre, ne saurait être qu’un individu qui, dans le meilleur des cas, doit être toléré à la marge de la nation. Deux régiments, sept bataillons, deux escadrons et trois batteries déployés par le général Massu sur la route des colonels trois jours avant leur arrivée à Djebel Thameur seraient une «opération de routine », les témoins vivants encore qui attestent avoir averti Boussouf que ses messages adressés à Amirouche étaient captés par l’armée française sont des affabulateurs et le P-V faisant état des objectifs que devait défendre Amirouche à Tunis (armée des frontières et MALG) sont des faux et la séquestration des restes des deux colonels, véritable aveu posthume, ne doit pas être abordée. La haine comme raison d’être Mon propos n’est donc pas de défendre un livre qui, malgré toutes sortes d’obstructions, est déjà un best seller et répond à une grande soif des Algériens de découvrir leur passé. Ce qui m’a décidé à intervenir c’est ce que Monsieur Benachenhou a clairement déversé autour de l’ouvrage et que d’autres ont prolongé ou insinué. Il voudra bien, en conséquence, m’excuser de déroger à son «basta» qui me sommait de me taire car son aveuglement a eu le mérite de montrer que la haine à laquelle se nourrissent lui et ses semblables est beaucoup plus dangereuse que tout ce que nous avions pu imaginer. Je prends donc le risque d’être égorgé par un agent de M. Kafi ou d’être étranglé par M. Benachenhou lui-même. J’espère qu’en ce qui concerne ce dernier, il fera preuve de la même lucidité que celle qui l’a visité au dernier moment quand il prit à la gorge sa secrétaire au temps de sa toute-puissance. Peut-être aurai-je alors plus de chance que Krim et Abane qui n’ont pas survécu à leurs étrangleurs, dont M. Benachenhou, devenu démocrate et même, confesse-t-il,

partisan du changement de régime, nous interdit de parler. Il voudra bien m’excuser aussi d’aborder des questions que lui et ses acolytes ont décidé de rayer de l’ordre du jour du débat national. Pourquoi M. Benachenhou n’a-t-il pas interpellé M. Ould Kablia, ministre en poste, qui est en train d’écrire dans un quotidien une série d’articles sur le colonel Lotfi dont, d’ailleurs, il trahit la mémoire, car le valeureux responsable de la Wilaya V était un adversaire résolu de ses maîtres qui attendaient la fin de la guerre pour se battre ? Mais quand on assume une félonie comme l’emprisonnement des restes de deux martyrs, pourquoi épargner l’honneur de Lotfi ? Cela c’est du régionalisme, Monsieur Benachenhou. Lotfi, qui fut victime de vos tuteurs, ceux qui ont détourné le combat libérateur pour recoloniser l’Algérie indépendante, n’était pas des vôtres. Il est venu se battre au pays, sans avoir pris le temps de préparer sa rentrée, ce qui lui fut fatal. Il fallait que le climat soit particulièrement irrespirable et sa révolte bien grande pour préférer se jeter dans la gueule du loup plutôt que de rester auprès de Boumediène et de Boussouf. Non, Monsieur Benachenhou, le colonel Lotfi ne vous ressemblait pas et c’est tout à son honneur. Vous et vos complices n’avez pas le droit de le condamner à mort une deuxième fois en souillant sa mémoire par la confiscation, le détournement et la pollution de son combat. Malgré tous vos moyens, les Algériens cherchent et trouvent la vérité. Il a suffi que M. Ould Kablia cite Lotfi à Tlemcen, dans une conférence, pour que la majorité de l’assistance quitte la salle, écœurée par tant de manipulations. Ces citoyens qui ne sont pas issus de la même région que moi sont mes frères et pas les vôtres. Vous ne l’avez pas encore compris, le patriotisme n’est pas une question d’acte de naissance. C’est d’abord une affaire de conviction, de dignité et de cœur. Non, Monsieur Benachenhou, ce n’est pas en souillant le sacrifice de Lotfi pour l’opposer à Amirouche que vous allez racheter votre trahison. Vous ne rendez service ni au chahid Lotfi, ni à votre région d’origine, ni à l’Algérie. Mais est-ce là votre souci ? Ne cherchez-vous pas à focaliser, une fois de plus, les frustrations et la colère nées de l’échec de votre secte sur la Kabylie pour y susciter des réactions épidermiques et retarder l’examen de votre bilan et l’avènement d’une alternative démocratique nationale ? Quant à vous lamenter sur le sort des jeunes victimes de la Bleuite, vous manquez d’honneur et de dignité. Qui vous a entendu vous indigner sur les crimes commis au Maroc, ciblant notamment les cadres envoyés par la Fédération de France du FLN ? L’exécution du capitaine Zoubir était-elle une urgence nationale ? Là-bas, il y avait pourtant le temps et les prisons pour instruire les dossiers des suspects. Qui vous a entendu parler des crimes de masse en 1962 ? Qui vous a entendu élever la voix pendant un demisiècle de torture et d’assassinats commis en TEMPS DE PAIX ? À ce jour, vous le sensible, vous niez la séquestration des restes d’Amirouche et Haouès, c'est-àdire que vous les assumez. Monsieur Benachenhou, des amis qui connaissent votre caractère, vos tourments et votre passif avec le dossier Chadwick m’ont conseillé de ne pas vous répondre. Ils m’expliquaient, à juste titre, que la polémique que vous entretenez autour de ce livre vise à créer une confusion et

des diversions pour lasser les citoyens et les éloigner de tout ce qui peut établir un climat propice à la libération d’une histoire transformée en fonds de commerce. Ces amis ont probablement raison sur vos intentions. Ils ont tort quand ils pensent que dans un pays comme le nôtre, le silence ou le mépris sont une bonne réponse à des escrocs de votre acabit. Nous avons une devise au RCD : à chaque mensonge, il faut répondre par dix vérités. Je ne cherche pas à vous convaincre mais à vous combattre. Je sais que vous allez, une fois de plus, vous fendre d’une déjection de dix points qui reprendront les thématiques qui vous hantent pour imposer un bavardage qui n’a rien à voir avec un livre que vous prenez comme prétexte pour vos gémonies. J’ai découvert la table des matières de votre opuscule : elle vaut tous les discours. Vous invitez à récupérer notre histoire et redonner sa place à Messali Hadj. Eh bien ! Je vais vous aider : Le régionaliste qui vous écrit est votre ennemi, je dis bien ennemi et non adversaire. Lui et sa famille ont une et une seule nationalité et ses enfants ont été scolarisés en Algérie. Comme de nombreux fils de martyrs perdus à l’indépendance, le régionaliste qui vous parle a cherché les restes de son père pendant 24 ans avant de découvrir que vous les aviez séquestrés. Il ne vous a pas entendu demander pardon ni même admettre la réalité de ce crime. Mais c’est vrai que lorsque l’on appartient à la «tribu élue», on n’a pas à se justifier devant des «régionalistes» qui menacent l’unité nationale que seule la secte d’Oujda a préservée. Ces «régionalistes» n’ont que le droit de mourir pour vous libérer du colonialisme avant de disparaître, dans tous les sens du terme, après l’indépendance. Où étiez-vous, vous le chevalier du changement et que faisiez- vous pendant ces si longues et terribles années où il était interdit de prononcer le nom de certains martyrs ou d’opposants, quand bien même fussent-ils des patriotes de la première heure ? Vous ne voulez pas le comprendre, nous avons inscrit à l’ordre du jour tous les dossiers que vous avez, cachés ou maquillés. Vous avez raison de vous inquiéter. Magie algérienne En ce qui concerne Ali Kafi, je serai bref. Miracle, c’est celui qui avoue n’avoir pas lu le livre qui en a abordé le contenu. En niant que le colonel Haouès a participé à la réunion interwilayas, il s’est trompé mais le sujet figure bien dans l’ouvrage. Pareil pour le Congrès de la Soummam : quand il dit qu’il n’a jamais prétendu être congressiste, il ment, mais cela aussi a été traité par Saïd Sadi. Il faut aussi lui reconnaître deux choses contradictoires : la première, c’est d’être le premier colonel d’une wilaya historique à avoir appelé à égorger le fils d’un de ses collègues, la seconde c’est d’être le seul à avoir clairement condamné les séquestrations d’Amirouche et de Haouès. Constante nationale Mais à la décharge, de ces trois activistes, ils ne sont pas les seuls à être abonnés à l’antikabylisme, une des constantes nationales du régime algérien. Jusqu’à présent, personne n’a seulement pensé à relever le fait que si un ministre en poste écrit sur un colonel de la guerre de libération, un responsable de l’opposition racontant un «héros

local» du même grade devrait bénéficier d’un traitement équivalent. Mais voilà, dans un cas, il s’agit d’un membre de la tribu élue, dans un autre, il s’agit d’un Kabyle. Cette différence de perception venant de la part de nos intellectuels, historiens ou autres, m’inquiète plus que tous les vomis de M. Benachenhou. Ce n’est pas la première fois que cette ségrégation apparaît. Il y a quelques mois de cela, j’avais dénoncé à l’Assemblée nationale les manipulations éhontées multipliant chaque jour le nombre des martyrs et des moudjahidine qui déshonorent la nation et vident les caisses de l’État. La levée de boucliers des rentiers fut instantanée. Une semaine plus tard, M. Mohamed Harbi, intervenant à Constantine, confirma et déplora la même supercherie. Il n’y eut aucun observateur pour contester ou commenter son propos. Il est vrai que, là aussi, le premier à ouvrir la boîte de Pandore était un Kabyle. Je conclus par ce qui me semble le plus grave car ne participant pas d’un conflit où il y aurait des enjeux politiques directs. Les élus de l’APW de Tizi-Ouzou dénoncent un blocage criminel d’un projet de plusieurs millions de dollars concernant le traitement des ordures ménagères, financé par le gouvernement québécois après des années de démarches et d’études en collaboration avec la Wilaya, le ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et du Tourisme et le PNUD. Ce blocage est d’autant plus scandaleux que le PNUD est intervenu en Algérie dans plusieurs initiatives, y compris quand il s’agit d’institutions comme celles de la sécurité nationale. Un journal s’emparant du dossier écrit que les protestations des élus de Tizi-Ouzou, venant après le livre de Saïd Sadi, parlant de sectarisme et d’ostracisme, risquent «de réveiller les vieux démons de la division». Le chapeau, particulièrement tendancieux, présente les élus locaux comme des excités cherchant de mauvaises querelles à l’Etat pour 500 000 dollars alors qu’il a débloqué d’immenses financements pour l’environnement dans la wilaya. Il n’y a pas eu de financements et le projet porte sur plusieurs millions de dollars mais le pire, dans cette désinformation, vient de ce que le journaliste «oublie» de dire que Saïd Sadi a répondu aux accusations de régionalisme venant d’un pouvoir tribal et fait porter les risques «des vieux démons» aux victimes d’un apartheid qui ne se contente plus de faire fuir l’investissement de Kabylie mais d’empêcher ses élus de mettre leur dévouement au service des citoyens qui les ont élus. La demande de mise au point faite par le président d’APW a été refusée. Il y a des titres où la mentalité d’ El Moudjahid mettra encore beaucoup de temps avant de disparaître. Cet article, assumé par la rédaction, d’apparence anodine, est plus pernicieux que les vulgarités de Benachenhou. Il ne sort pas du cœur du pouvoir mais il en reproduit la culture : il y aurait des régionalistes génétiques en Kabylie et des patriotes définitifs, dont l’étalon serait Benachenhou, chargé de les débusquer. L’agression est occultée, la réaction est stigmatisée. Espoir ténu La situation est grave. De petites lâchetés ont construit des modèles et des habitudes politiques qui mènent directement l’Algérie dans l’abîme. La furie qui a entouré le livre de Saïd Sadi est un mauvais signe sur l’état de la nation. Pourtant, je

ne veux pas terminer sur une vision trop noire. J’ai vu sur le bureau de Saïd Sadi des messages venant de citoyens de toutes les wilayas, y compris de Tlemcen, lui affirmant leur solidarité fraternelle. Et pour dire que nous devons croire à l’impossible, je ne veux pas terminer sans signaler que dans cette tempête qui soulève le tabou des tabous : l’antikabylisme, c’est un journal dont aucun actionnaire n’est originaire de Kabylie, qui assume loyalement le débat. N. A. H., (*) secrétaire national du RCD, député

TOUT CE QUI EST EXCESSIF EST INSIGNIFIANT Réponses à Nordine Aït Hamouda Par Ali Mebroukine

«Ceux qui écrivent clairement ont des lecteurs ; ceux qui écrivent obscurément ont des commentateurs. » (Albert Camus)

Je ne vais pas répondre ici à toutes les outrances de Nordine Aït Hamouda (ci-après N. A. H.), d’autant plus que l’intéressé est connu pour ses dérapages verbaux et orfèvre en matière de fariboles et autres sornettes. Je lui dirais seulement ceci qui concerne mon itinéraire personnel. Si j’avais été réellement condamné pour intelligence avec l’ennemi (quel ennemi ?) et si cette condamnation eût reposé sur un fondement sérieux, je me serais interdit d’intervenir jusqu’à la fin de mes jours dans le débat public national et j’aurais quitté depuis longtemps l’Algérie pour me faire oublier. A fortiori, je n’aurais pas pu, comme je le fais régulièrement depuis 2006, disserter sur l’histoire récente et passée de notre pays avec la liberté de ton qui a toujours été la mienne. Tout le monde sait bien, à commencer par les gens très initiés du RCD, que les déboires que j’ai pu avoir, à un moment donné, résultent d’une odieuse cabale menée contre moi par des personnes aujourd’hui disparues et qui ont cru bon circonvenir la religion du premier magistrat du pays. Ils sont aujourd’hui soumis au jugement de Dieu ; qu’il leur accorde toute sa clémence et sa miséricorde. À cet égard, je ne peux que m’affliger des procédés vils et ignobles utilisés par S. Sadi et N. A. H. pour diaboliser un contradicteur qui a toujours été, ne leur en déplaise, un électron libre, très loin de toute attache clanique ou partisane ; ce sont ces procédés que l’un et l’autre reprochent aux gouvernements successifs de l’Algérie d’avoir usé pour conquérir et conserver le pouvoir. Je frémis même à l’idée que S. Sadi et N. A. H. puissent un jour présider aux destinées de ce pays car ils pourraient nous faire regretter les pages sombres, selon eux, que l’Algérie aurait connues sous H. Boumediène. Sur le prétendu souci d’écrire objectivement l’histoire Le récit hagiographique du colonel Amirouche par S. Sadi ne me semble pas avoir été motivé par le souci de restituer les évènements douloureux de l’histoire de notre pays dans une trame intelligible pour les jeunes générations. Cela fait 48 ans que l’histoire n’est pas enseignée ni aux écoliers ni aux lycéens. Et il est douteux que l’exhumation de l’itinéraire du colonel Amirouche, tout d’un coup, en 2010, avec le souci qui court tout au long des 442 pages qui lui sont consacrées, de jeter dans un même opprobre, l’armée coloniale et les combattants algériens (qu’ils fussent de l’intérieur ou de frontières), permette en quoi que ce soit aux Algériens de porter un regard lucide et adulte sur l’histoire de leur pays. Il nous faut bien admettre que le récit du président du RCD est encombré d’arrière-pensées et que celui-ci cherche délibérément à instrumentaliser l’Histoire à des fins qui n’ont strictement rien à voir avec le souci d’écrire objectivement et scrupuleusement certaines des pages les plus tumultueuses de notre passé. Si réellement l’objectif de S. Sadi était de contribuer à une relecture critique et roborative de l’histoire, que le RCD n’a-t-il mis à profit ses 20 ans d’existence pour entreprendre des actions de sensibilisation en direction des jeunes, comme le font avec une persévérance exemplaire (état d’urgence ou pas) les octogénaires qui animent l’Association historique et culturelle du 11 Décembre 1960 qui a déjà rendu l’hommage qu’ils méritent à Mohamed Belouizdad, Hocine Lahoual,

Hocine Asselah ou Rachid Amara et d’autres qui ont pensé la Révolution algérienne bien avant le 1er Novembre 1954. Houari Boumediène et le colonel Amirouche Le colonel H. Boumediène ne connaissait pas le colonel Amirouche et il n’existait aucune relation entre eux. La Révolution algérienne a démarré dans l’émiettement des forces qui étaient censées lui donner sa vigueur et elle a pris fin dans la division de tous ses segments et sous-segments. Comme le dit, à juste titre, Mourad Benachenhou (et aucun historien ne peut le contester), toutes les structures de la révolution étaient compartimentées. À cet égard, il est inexact de laisser entendre que le MALG aurait été une machine de guerre contre les wilayas de l’intérieur. C’est une injustice commise à l’égard de toutes les recrues du MALG qui ont trouvé la mort en essayant de franchir la ligne Morice et qui ignoraient tout des révolutions de palais qui se concoctaient dans certains cercles de décision du FLN/ALN. Mohamed Lemkami, moudjahid authentique, s’il en est, a bien décrit dans son ouvrage tous les sacrifices consentis par les jeunes du MALG et leur complète adhésion au combat libérateur contre l’armée coloniale (V. Les hommes de l’ombre, Mémoires d’un officier du Malg, Anep, Alger, 2004). Et on ne peut, sans ignominie, accréditer la thèse que Mourad Benachenhou n’est pas un vrai moudjahid ou qu’il aurait cautionné le déviationnisme de ses chefs, d’autant moins d’ailleurs qu’il n’a guère été associé à l’élaboration de décisions prises dans les sommets de l’appareil. S’agissant de la séquestration des restes du colonel Amirouche, il est évident que le président Boumediène n’en a jamais été informé et qu’il ignorait tout de leur emplacement. Le seul témoignage digne de foi est celui du général-major Mustapha Cheloufi, ancien commandant de la Gendarmerie nationale et ancien SG du MDN, grand commis de l’État, honnête et scrupuleux qui disculpe complètement le président Boumediène. L’ancien chef de l’État algérien était beaucoup trop accaparé par les questions du développement et du remembrement d’une société dont les cadres traditionnels avaient volé en éclats pendant la période coloniale, pour se permettre d’ordonner la séquestration des ossements des colonels Amirouche et Si Haouès. Il est invraisemblable que H. Boumediène ait requis du colonel Bencherif, alors patron de la Gendarmerie nationale, l’enfouissement des restes des deux anciens maquisards dans les caves de la Gendarmerie nationale. Quel intérêt aurait-il eu à le faire ? En quoi la célébration d’un valeureux combattant par ses partisans et coreligionnaires kabyles pouvait le gêner ? H. Boumediène ne pouvait ignorer qu’une telle infamie le discréditerait à jamais devant l’Histoire et c’est pourquoi il n’a pas pu y recourir. Il n’y a aucune raison de douter de la véracité du témoignage du G-M Cheloufi dont la sagesse et la pondération, encore une fois, sont de notoriété publique. Le colonel Amirouche, le GPRA et les conflits de légitimité GPRA/EMG Comment comprendre que S. Sadi et N. A. H. n’aient pas pris conscience de la contradiction dirimante dans laquelle ils s’enferrent en soutenant à la fois que le colonel Amirouche avait entrepris de décapiter le GPRA, coupable à ses yeux d’avoir

complètement abandonné les wilayas de l’intérieur, et présenter la prise du pouvoir par l’EMG, en 1962, comme un coup d’État contre le GPRA ? Le GPRA serait illégitime lorsqu’il est mis en cause par le colonel Amirouche mais légitime lorsqu’il affronte l’EMG. Curieuse conception de la légitimité. Celle-ci se mesurerait à l’aune de l’identité des protagonistes. Un simple rappel pour l’histoire : l’EMG n’existe pas encore lorsque les colonels Amirouche, Si Haouès, Si M’hamed et Hadj Lakhdar contestent ouvertement la vocation du GPRA à diriger la Révolution algérienne et envisagent son élimination. Il y avait un commandement Ouest, sous le patronage du colonel Boumediène et un commandement Est dirigé par le fantasque et primitif colonel Nasser (Mohammedi Saïd). Si le GPRA était devenu, aux yeux des chefs de wilayas de l’intérieur, illégitime, quelques mois seulement après sa création, quel titre pouvait-il avoir à diriger l’Algérie indépendante ? Et au nom de quel principe contester à l’EMG le droit de prendre la relève de l’État colonial, étant entendu qu’il n’existe plus, au lendemain du cessez-le-feu, quelque institution que ce soit pouvant se prévaloir d’une légitimité supérieure à celle des autres (qu’on ne prétende pas, en tout cas, que l’exécutif provisoire avait les moyens de coopter les futures élites dirigeantes de l’Algérie). Houari Boumediène n’était pas un putshiste mais un homme d’État Nous venons de voir qu’il est intellectuellement incohérent d’approuver le combat du colonel Amirouche contre le GPRA et de voler au secours de ce même GPRA (lequel était, soit dit au passage, loin de constituer une entité soudée et homogène), lorsque l’EMG refuse de s’incliner devant lui. C’est le GPRA qui avait décidé unilatéralement la dissolution de l’EMG, prérogative qui appartenait au seul CNRA et non pas à l’EMG qui avait cherché à délégitimer le GPRA. Prière de ne pas confondre. En 1962, c’est l’institution la plus puissante, la mieux organisée, la mieux soudée, la plus dégagée des relents du wilayisme, du népotisme, du clientélisme qui prend la direction des affaires de l’État, non sans chercher à associer tous les protagonistes du conflit contre le colonialisme, y compris le premier président du GPRA, Ferhat Abbès. Le colonel Boumediène, dont l’obsession a toujours été l’unité du pays, comme me le rappelait encore, il y quelques jours, l’ancien ministre de l’Enseignement, Abdelkrim Benmahmoud (auquel le président Boumediène allait confier de très importantes responsabilités en 1978), avait tendu la main à Krim, Boudiaf, Aït Ahmed, Ben Khedda qui ne voulaient pas la saisir, dès lors qu’ils étaient assurés de ne plus pouvoir jouer les premiers rôles dans l’Algérie indépendante. Mais H. Boumediène n’avait, a priori, exclu personne. Quant à l’héritage de Boumediène, je prendrais un seul exemple. L’école et l’université algériennes de H. Boumediène n’étaient pas sinistrées mais rayonnantes. Le baccalauréat algérien valait largement le baccalauréat français et les diplômes délivrés par les universités et instituts algériens étaient tous reconnus à l’étranger, ce qui a permis à des milliers d’Algériens de se former et de se perfectionner dans les plus prestigieuses universités et centres de recherche du monde. Aujourd’hui, la migration hautement qualifiée algérienne qui exerce à

l’étranger et dont on bat le rappel avec force insistance, mais hélas en vain, est issue de l’école et de l’université qui ont été voulues par H. Boumediène. S. Sadi a pu connaître le cursus universitaire prestigieux qui est le sien, grâce à la démocratisation de l’enseignement décrétée par le même H. Boumediène, au milieu de la circonspection générale. Sur l’éviction d’Ahmed Ben Bella L’auteur de ces lignes persiste à affirmer que l’éviction d’A. Ben Bella, le 19 juin 1965, n’est pas un coup d’État. C’est, au contraire, une tentative largement aboutie de rétablissement de l’autorité de l’État, systématiquement bafouée par le premier président de la République algérienne. Là aussi, il faut rétablir la vérité historique. L’éviction d’Ahmed Ben Bella a-t-elle été le seul fait de H. Boumediène ? Etait-ce la manœuvre du seul groupe d’Oujda ? Comment expliquer qu’officiaient au sein du Conseil de la Révolution, les colonels Saïd Mohammedi, Mohand Oulhadj, Salah Boubnider, Tahar Zbiri, Saïd Abid, Salah Soufi (ancien patron de la Zone Sud), Youcef Khatib, tous anciens responsables des wilayas de l’intérieur. S. Sadi va même jusqu’à louer certains d’entre eux et accréditer leur témoignage (notamment celui de Salah Boubnider). Voilà des anciens chefs de wilayas qui non seulement adoubent le «coup d’État», mais y participent, en parfaite connaissance de ses tenants et aboutissants. De deux choses l’une, ou l’éviction de A. Ben Bella constitue un véritable putsch, et dans ce cas, il faudrait condamner tous les auteurs et complices sans discrimination et pas le seul H. Boumediène ou bien il faut admettre que c’est A. Ben Bella qui violait la Constitution de 1963 (mise entre parenthèses dès le 3 octobre de la même année, le président légiférant par ordonnances et exerçant les pleins pouvoirs en vertu de l’article 59) et dans ce cas, le sursaut du 19 Juin 1965 a constitué un acte salvateur qui est à mettre au crédit du président Boumediène et de ses compagnons de route ; il ne peut dès lors ressortir à la catégorie (au demeurant non scientifique, au sens de la science politique) des coups d’État. Pour le surplus, la déposition d’A. Ben Bella a été accueillie par un véritable soulagement populaire, tandis que les premières réformes institutionnelles et politiques obtenaient un large appui de la part des couches moyennes de la population. Il est absurde de nier l’existence des purges Plutôt que de s’obstiner à nier l’existence de purges dans la Wilaya III, il serait de meilleure méthode et de plus parfaite rigueur d’expliquer en quoi les Wilayas III et IV ont été le siège d’épurations dans les rangs des moudjahidine et pour quelle raison la Wilaya II a été épargnée. Il ne s’agit pas de décerner un brevet d’honorabilité aux responsables qui se sont montrés capables de séparer le bon grain de l’ivraie et d’accabler, sans ménagement, ceux qui, sur la foi d’indications sommaires ou de témoignages controuvés, ont ordonné la liquidation de milliers de jeunes Algériens. Le colonel Amirouche a été un grand chef de guerre et un des plus valeureux combattants de la Révolution algérienne. Son courage, son abnégation, son opiniâtreté resteront légendaires. Sa perspicacité et ses scrupules dans la recherche de la vérité

sur la Bleuite sont, à l’inverse, sujets à caution. Laissons les historiens professionnels (dont je ne suis pas) nous éclairer davantage sur des épisodes sanglants dont notre révolution, il s’en faut de beaucoup, n’a pas l’exclusivité. Du reste avant que le colonel Amirouche ne prenne les rênes de la Wilaya III, des épurations sanglantes et non justifiées truffaient déjà la trajectoire de la Wilaya III : le 13 avril 1956, à proximité d’Oued Amizour, des centaines d’habitants de la dechra Trifraten sont égorgés pour prix de leur soutien au MNA, le 29 mai 1957, dans le Hodna, quelque 300 habitants de sexe masculin de la mechta Casbah, dans le douar Béni Illmane, sont massacrés, parce qu’eux également soutenaient le MNA, mais sans hostilité déclarée au FLN. On ne peut passer par pertes et profits de telles tragédies qui ont porté un sérieux coup à la crédibilité du FLN/ALN et entretenu de nombreux Algériens dans une attitude de défiance à l’égard des proclamations de la Révolution algérienne. Bien sûr que des purges ont également été commises en W I, W IV, W V et W VI. Mais il s’agit ici de répondre au récit du Dr Sadi qui cherche à occulter l’ampleur du phénomène en Wilaya III, alors que ses contradicteurs ne prétendent nullement que les autres wilayas en auraient été indemnes. Mais c’est lui qui a ouvert le débat, c’est lui qui a déterré la hache de guerre, en remettant au goût du jour les griefs jadis invoqués contre Amirouche à propos de la disproportion entre le phénomène de la Bleuite et l’ampleur de la répression qu’il avait ordonnée. En revanche, les W III et IV peuvent se prévaloir de circonstances atténuantes (mais non évidemment exonératoires) qui tiennent à leur harcèlement par les services français, pour lesquels la forteresse armée la plus inexpugnable était tout entière dans l’Algérois et la Kabylie. Sur l’ostracisme à l’égard des Kabyles C’est un thème récurrent sur lequel brode sans cesse N. A. H. Il faut d’abord rappeler pour l’histoire que ni le colonel Amirouche, ni Belkacem Krim, ni Hocine Aït Ahmed ni a fortiori Ramdane Abane n’ont, à aucun moment, donné une coloration régionaliste à leur combat contre le colonialisme. Pour eux, seule comptait l’Algérie. En revanche, A. Ben Bella n’a eu de cesse de vouloir discréditer le Congrès de la Soummam, redoutant qu’un jour le pouvoir suprême vienne à échoir à un Kabyle et avait mis en garde les Égyptiens contre un tel danger. Honte à lui, à ses méthodes et à son anti-berbérisme primaire. Ceci dit, N. A. H. serait mieux avisé de réfléchir aux divisions entre Kabyles qui constituent quasiment, comme l’a rappelé dans son ouvrage Ali Yahia Abdenour ( La dignité humaine, Inas Editions, Alger, 2007), une loi d’airain, et il n’est nul besoin d’un complot arabe pour semer la discorde entre les Kabyles. L’autoflagellation et l’autodestruction constituent la marque de fabrique de cette région, pourtant la première pourvoyeuse de l’élite intellectuelle du pays. Ceci posé, l’émiettement du mouvement national a eu peu à voir avec les divisions régionales. Lorsqu’Abane Ramdane proclame la supériorité du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur, il s’aliène tous les chefs militaires sans exception (y compris les chefs kabyles, à commencer par Krim) et tous les membres de la

délégation extérieure (dont H. Aït Ahmed). Les plus fidèles collaborateurs de Abane ne sont pas kabyles (Larbi Ben M’hidi, Benyoucef Benkheda et Saâd Dahlab), cependant qu’un des plus proches alliés de Boussouf contre Abane est issu de la Kabylie profonde, à savoir Krim. Il faut donc cesser d’opposer Kabyles et Arabes, tant il est vrai que cette opposition avait été très largement transcendée pendant le combat libérateur par les enjeux de pouvoir ainsi que par les préoccupations claniques et clientélistes qui sont venues se superposer aux affinités strictement locales ou tribales. Abane a échoué dans son projet de constitution d’un État puissant, multiethnique, multilingue, multiconfessionnel (nous ne disposons pas malheureusement de la place pour en parler), non parce qu’il était kabyle mais parce que sa vision de l’organisation des pouvoirs publics, dans la perspective de l’indépendance, prenait à revers non seulement les ambitions de tous les chefs militaires et ceux de la délégation extérieure mais ambitionnait de tuer dans l’œuf la dérive prétorienne qui se dessinait, bien avant que le colonel Boumediène ne fit son entrée dans la scène politique. Il faut revisiter l’Histoire d’une main tremblante Contrairement à ce qu’a pu écrire G. Meynier dans l’avant-propos à son ouvrage : L’Algérie des origines. De la préhistoire à l’avènement de l’Islam (Barzakh, Alger, 2007), «l’histoire officielle de l’Algérie n’a pas été plombée par les préoccupations dirigeantes de la bureaucratie». C’est infiniment plus compliqué que cela. H. Boumediène avait pour unique objectif l’unification des Algériens et le souci de les réconcilier avec eux-mêmes. Il pensait, de bonne foi, que le rappel d’une histoire convulsive et sanglante à laquelle le chercheur algérien disposait de peu de ressources pour accéder et plus encore pour enseigner était encore prématuré. Il était suffisant de dire aux Algériens, tout au moins durant la période posttraumatique de l’indépendance, que leurs ancêtres avaient souffert de la colonisation qui fut une nuit pour la majorité des Algériens et que leurs parents avaient pris les armes pour libérer le pays. Si l’on prend l’exemple de la France, à travers Vichy, on sera édifié sur les turbulences que le dévoilement de certaines vérités mettant en cause l’État français lui-même dans la déportation des Juifs a provoquées çà et là. Plus près de nous, le film de Rachid Bouchareb : Hors-la-loi, témoigne cruellement que les blessures nées des évènements de Mai 1945 ne sont pas encore cicatrisées, et qu’en les exhumant à travers la fiction cinématographique, on ouvre une boîte de Pandore dont le pire vient déjà de sortir. A. M. [email protected]

Contribution À Propos de l’ouvrage de Saïd Sadi, Amirouche, une vie, 2 morts, un testament Par M. Hassani Abdelkrim*

À la lecture de certains passages du livre de M. Saïd Sadi et des commentaires qu’il a suscités auprès de quelques lecteurs dont des compagnons d’armes, je me suis surpris par la tentation combien forte de porter à mon tour, permettez l’expression, mon grain de sel. Non que je sois propulsé par quelque plaisir de me joindre au débat autour d’un sujet qui a soulevé autant de polémiques, d’invectives, d’opinions contradictoires, notamment sur le parcours du chahid Amirouche, mais principalement pour d’autres raisons que j’estime plus objectives. La première est motivée par le respect que l’on doit à l’auteur de l’ouvrage pour avoir effectué des recherches, prospecté, et livré au lecteur des témoignages, souvent de première main et cela quelles que soient ses convictions personnelles, que tout le monde, bien sûr, y compris moi ne partage pas en totalité. L’essentiel est que Sadi ait écrit et exprimé son avis. À notre tour d’intervenir pour éventuellement rectifier, démentir, ou confirmer les faits livrés par le récit. À ce titre, que M. Sadi me permette d’apporter quelques témoignages personnels, en ma qualité d’ex-responsable au sein du Commandement des Transmissions, donc d’acteurs autour de certains faits se rapportant au sujet. En premier lieu, je tiens à exprimer ma plus vive réprobation sur les conditions dans lesquelles les dépouilles du colonel Amirouche et de son compagnon Si El Haouès ont été traitées avec autant de désinvolture. Ma perplexité est d’autant plus vive que je ne trouve aucune motivation rationnelle justifiant cette décision de séquestration qui découlerait plutôt d’un geste morbide, que d’une attitude que la raison pourrait saisir, je dirais même déchiffrer et cela quel que soit le motif politique ou autre qui le justifierait. Ceci étant, il reste qu’en revanche, il faille démontrer, comme on le prétend, que Boussouf ou Boumediène soient directement impliqués dans cette relégation de mauvais aloi. Oh ! que M. Sadi ne m’en veuille pas outre mesure, je ne fais partie d'aucun noyau dur du MALG, ni suis membre d’un quelconque cabinet noir. Je suis membre d’une association civile où je siège avec mes compagnons d’armes, au gré du hasard de l’Histoire, sans tirer aucun profit, encore moins une quelconque prébende autre que le rappel de certains souvenirs communs. Ces compagnons me connaissent parfaitement bien pour quelqu’un qui s’exprime au grand jour au prix bien souvent de risques que j'assume et que j’assumerai toujours. Pour les besoins de la manifestation de la vérité, ou pour la défense des droits légitimes. Je n’en attends rien d’autre. En revanche, je me garde

autant que faire se peut de verser dans l’amalgame ; à Dieu ce qui appartient à Dieu et à César... Pour revenir aux deux responsables précédemment cités, j’informerais de la façon la plus fraternelle M. Sadi que d'une part, Boussouf, a cette époque, c'est-à-dire depuis 1962, n’était ni de près, ni de loin mêlé aux affaires politiques du pays. Et je l’affirme avec conviction qu’il n’avait rien à voir avec le transfert des cendres des deux martyrs ni encore moins de leur tribulation d’un caveau à un autre. À partir du dernier congrès de Tripoli, Si Boussouf avait compris que l’heure de son départ a sonné. Il s’est retiré, sans crier gare, je dirais aussi sans tambour ni trompette. J’ajouterais que son tempérament aigre-doux et son penchant instinctif pour la raillerie à l’égard des choses de la vie ont dû le conduire à observer avec une bonne dose de philosophie le grand spectacle qui se déroulait en Algérie depuis l’indépendance, teinté d’agitations burlesques où le vaudeville se le disputait aux quelques pincées de folklore. Il devait, désarçonné devant le chamboulement qui déployait à ciel ouvert, clamer avec le poète français du Moyen-Âge : Mais où sont les neiges d’antan ? Quant à Si Boumediène, j’ai cru ouïdire à cette époque qu’il projetait de donner un éclat particulier au transfert des cendres des deux héros devant reposer au cimetière El-Alia, accompagné d’une cérémonie officielle digne du rang, du courage et de l'exemple que les deux martyrs ont administrés sur le champ de bataille. Cette hypothèse que j’avance, encore une fois par ouï-dire, reste à confirmer. Cependant, il me semble qu’il existe à présent quelques témoins vivants de cette péripétie bien plus triste que nécrologique, lesquels témoins pourraient apporter quelque éclairage nécessaire à la manifestation de la vérité. Les autres raisons que j’invoquerais pour justifier ma contribution sont les suivantes : 1. Les services spéciaux ainsi que ceux des Transmissions ont été créés à partir de juin 1956 par la Wilaya 5 et sur ses fonds propres pour les besoins de la Wilaya. Ils n’étaient pas à l'origine destinés à l’ensemble du territoire. Du reste, Si Boussouf, qui était responsable de la Wilaya de l’Ouest, n'avait ni les prérogatives ni l'autorité hiérarchique le qualifiant pour ce faire. Ce n’est qu’une fois cette arme éprouvée sur le terrain et s'imposant en tant qu'instrument de guerre nécessaire, voire vitale pour les besoins de la coordination qu’il fut décidé, en accord avec Si Boudiaf chargé de la coordination, que les autres wilayas en soient dotées. Le témoignage du colonel Amirouche qui insistait sur la nécessité de disposer d'un équipement complet avec une structure de dépannage est suffisamment éloquent quant à la contribution du service des Transmissions en tant que moyen de la plus haute importance. Il reste que pour ce qui est attribué au colonel Amirouche quant à ses appréciations sur la dotation de la Wilaya III qu'il estime insuffisantes, des questions se posent. Le chef de la Wilaya III aurait déclaré : «C'est une question qui nous tient à cœur car cette carence tend à faire croire à une volonté de négliger la Wilaya III ou à du régionalisme de la part tout au moins des responsables des Transmissions...» (Amirouche, page 126, paragraphe 4). Il m'est difficile de croire que le colonel Amirouche ait pu avancer une telle déclaration tant tout le monde sait que la

formation de dépanneurs exige du temps et de l'expérience. Cependant, j’affirme en tant que responsable du service et j’atteste que hormis la Wilaya V, génitrice des services spéciaux et des Transmissions et qui disposait de quelques embryons aux frontières pour les besoins de la formation et de relais pour les autres régions du pays, seule la Wilaya III, à l'exclusion de toutes les autres, était dotée d'une structure de dépannage conduite par le jeune Omar, au niveau de la station affectée à cette dernière (la Wilaya III) et dirigée par les deux chefs de station, les jeunes Ladjali Mohammed Lahbib et Aït Hammi Tayeb. Cette affectation préférentielle est du reste largement méritée en ce sens que la Wilaya, outre qu’elle avait souffert péniblement des opérations militaires ennemies, devait être en contact avec Krim Belkacem, son ex-responsable, et donc devait bénéficier d’un statut préférentiel largement mérité. L’aura et la considération dont bénéficiait le chahid Amirouche étaient tellement partagées, que son nom fut donné à la 7e promotion de l’Est, hommage que le chef de la Wilaya III avait largement mérité. J’ai eu l'honneur de présider à la formation de ces jeunes opérateurs qui, au moment de leur affectation, avaient à peine l’âge de I'adolescence. J’ai aujourd'hui les larmes aux yeux quand je vois ces gamins ouvrant les yeux sur le monde qui les entoure, ne percevant que le sacrifice qui les attend en tant que prix pour la liberté et la dignité et quelquefois l’incompréhension de la part de certains responsables de Wilaya qui ne voyait comme moyens de combat que le fusil. Quant aux autres armes modernes telles que les télécommunications ou le renseignement, elles n’avaient pas à leurs yeux la même priorité. Aussi, j’aurais souhaité que Si Sadi manifestât quelque sensibilité à l’endroit de ces héros sans visage, qui, à peine sortis de l’école et du foyer natal, se sont lancés dans un combat tout à la fois cruel et inégal comme je m’attendais à ce qu’il (Sadi) évite par une sorte d'amalgame fait de clins d’œil, pouvant susciter dans l’esprit de certains revanchards l'achèvement dans une deuxième mort non seulement d’Amirouche, mais des centaines d'autres, dont I’héroïsme sur le champ de bataille n’a d’égal que la pureté de leur âme. 2. Vous voyez M. Sadi que les combattants de l’ombre n’ont fait qu’obéir aux ordres de la Révolution. Ils ont rejoint la Révolution pour prendre le fusil. On leur a demandé, compte tenu des circonstances de la guerre et peut-être de leur niveau relativement élevé, de mettre leur intelligence au service de la Révolution. Ils I’ont fait sans discussion, ni murmure, obéissant à leur conscience, emportant avec eux et le fusil et l’émetteur. Que peut-on leur reprocher, si Boussouf et Boumediène se trouvaient là au moment du rendez-vous pour le sacrifice. Et en supposant même que pour des raisons qui vous importent et que je m’interdis de discuter, ces deux responsables soient condamnables, Aït Hammi qui est mort au moment où il allait transmettre son message, fait-il partie du noyau dur ou du cabinet noir ? 3. Enfin, j’aurais beaucoup de choses à dire au sujet de ce que j’ai observé avec ces hommes, j’allais dire des imberbes qui se sont lancés à l’assaut de Goliath. Eux, des David, souvent pieds nus et ventre vide et bien souvent malaimés par un entourage

porté hélas souvent sur ce qui est perceptible dans l'immédiat et qui voyait l’émetteur comme une charge supplémentaire dont l’efficacité n’apparaissait pas à l’évidence. À mon sens, ils constituent la quintessence de notre composante humaine parce qu’ils étaient tout simplement animés d’un rêve. Un rêve, et là je suis d’accord avec vous, réalisé à moitié. Lire le témoignage d’un des officiers de l’ALN, en l’occurrence le frère Debah, paru dans El Watan le 18/8/2008 * Officier de l’ALN, responsable national de la formation des opérateurs radio, durant la guerre de Libération, commandant de la base nationale Didouche- Mourad.

: Cessez de mentir ! Par Makhlouf Touabi*

Je suis outré. Nous avons assisté ces derniers jours à un déferlement d’histoire(s) de la part de certains personnages, plus ou moins intéressés par le maintien d’une situation de monopole de la parole sur notre guerre de libération qui m’a révolté en tant qu’ancien de l’ALN et citoyen. Nous sommes nombreux à avoir constaté que ce monopole dont ils se sont, jusque-là, autoproclamés seule autorité qualifiée pour distiller leurs messages sous couvert de légitimité historique, n’a d’autres fins que d’asseoir leur hégémonie politique par la falsification, l’usurpation, les reniements dont ils ont usé et abusé depuis 1957 à nos jours. Les réactions injustes et injustifiées au livre du docteur Saïd Sadi sur Amirouche m’incitent à assumer ma part de responsabilité morale afin de dire ma colère envers et contre ceux qui ont déversé leur haine dans le but de discréditer l’ouvrage dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est bienvenu. La première réaction est venue, sans surprise d’ailleurs, du cercle «malgache» (d’obscurs éléments sans envergure aucune dans les rouages du MALG ) convertis en gardiens du temple d’où se redistribue la rente. Ils ont tenté de gommer la responsabilité des crimes commis par leurs maîtres, et pourquoi pas, les imputer à leurs adversaires d’hier et d’aujourd’hui, pour ceux qui ont eu la chance de survivre. J’utiliserai le même ton que lui. Mourad Benachenhou est un être sans la moindre décence. Il était connu en tant que tel au Maroc. Qui donc, à

part lui et ses semblables, pouvait insulter et oser défendre la séquestration des corps de deux héros ? Quant à cette «organisation » des anciens du MALG, elle a été créée précisément pour peser contre toute velléité de manifestation de la vérité, susceptible de mettre à nu les falsifications répétitives de l’Histoire par et au profit du même clan. Dans un passé récent, j’ai été témoin d’une série d’apostrophes de son président par des intellectuels moudjahidine sur ce sujet après qu’il eut travesti la réalité. Pourquoi créer spécialement cette association puisque tous les moudjahidine sont égaux, du moins ils devraient l’être ? Mais puisque le fond du problème dans les attaques de M. Benachenhou et des autres c’est de cibler la Kabylie, autant aller au fond d’un débat qui traîne depuis si longtemps. faut peut-être rappeler que si cette région a donné 15 colonels à la Révolution pour libérer le pays, c’est grâce à un esprit de sacrifice où aurait pu et dû puiser l’actuel clan qui gère l’Algérie et qui a squatté tous les postes de pouvoir pour s’adonner à la prédation tout en accusant les autres Algériens d’être d’épouvantables régionalistes. Je disais, donc, que leur cauchemar était et est toujours d’être dévoilés pour les crimes commis par leurs chefs et peutêtre avec leur complicité individuelle et ou collective dans les assassinats d’Abane, de Khider et de Krim Belkacem. Parlons aux nouvelles générations de ce qui peut être encore prouvé pendant que des acteurs vivants peuvent encore témoigner. Abane Ramdane, dont on veut coller la mort à Krim, vouait à ce dernier, en dépit des frictions qui les ont opposés, un respect sans limites et il a mis naturellement son intelligence au service de celui qui l’avait contacté à sa sortie de prison. Des militants savent que Krim a failli subir, avec le colonel Si Mahmoud Chérif, le sort de Abane alors qu’il insistait pour s’assurer que Abane, censé être retenu dans cette ferme isolée au Maroc, disposait d’un minimum de confort dans son lieu de détention. Car c’était bien de cela dont il était question. Mais Boussouf en avait décidé autrement en doublant tous les autres responsables au fait du problème Abane. Lorsque Boussouf répondit à Krim qui insistait : «Je ne suis pas un geôlier !» Krim Belkacem et Mahmoud Chérif devinrent blêmes. Ils venaient de comprendre que Abane avait été liquidé. N’eût été le sang froid du colonel si Mahmoud Chérif qui a compris ce que recherchait Boussouf : les pousser à réagir alors qu’ils étaient totalement à sa merci ; il y aurait eu ce jour-là trois têtes à liquider par Boussouf et ses acolytes, tous de la Wilaya V, basée au Maroc. Des hommes qui nous parlent en aparté sont encore en vie. Les historiens devraient se dépêcher de les approcher au lieu de contester, de façon très séléctive d’ailleurs, le droit à des acteurs politiques d’écrire. Une partie de la paix civile du pays dépend de cette affaire et il faudra bien reparler de ce qui s’est passé à Tétouan en décembre 1957. Boussouf, rongé par son ambition, voulait affaiblir Krim pour se hisser à son niveau. D’ailleurs, il s’attache aussitôt à semer le doute auprès du colonel Si Nacer (Mohamedi Saïd), chef de l’armée, auprès duquel le (les) «chargé(s) de mission» ne cessait (ent) de donner des «preuves», comme par exemple le fait que Krim l’avait retiré de la liste des ministrables du GPRA. Le travail de division continua jusqu'à l’aboutissement du plan d’isolement de Krim qui passait par la démobilisation

de Si Nacer, qui devait renoncer à son poste de chef de l’armée. Boussouf, obtenant ce qu’il a voulu, n’avait plus d’obstacles devant lui. La place est libre et il suffit de proposer son protégé Boumediène, un colonel sans faits d’armes. Krim a fini, après maintes réticences, par céder et accepta de le nommer chef d’état-major. Ainsi Krim, après avoir perdu la (sa) tête pensante (Abane), venait de perdre son bras armé (Si Nacer). Voilà pourquoi sont tirés tant de couteaux après le livre de Saïd Sadi : la peur de devoir regarder le passé en face avec les ambitions criminelles qui animaient des hommes en pleine guerre pendant que leurs frères se saignaient à l’intérieur. À ce propos, il faut se souvenir que le colonel Lotfi (Chaoui Boudghiar) a quitté le Maroc quand Boumediène fut nommé chef de la base ouest, en signe de protestation, lui l’intellectuel qui refusait d’être sous le commandement de celui qui était considéré comme un colonel «maison». Il est mort dans le sud-ouest, avec une vingtaine de cadres qui l’ont suivi dans la précipitation, dans des conditions qui ne sont pas sans rappeler celles qui ont coûté la vie à Amirouche et El Haouès. Ayant réussi une autre étape dans son travail d’élimination par affaiblissement de Krim, Boussouf jubilait. Pas pour longtemps, car le petit Boumediène, son protégé, avait de l’ambition, et comme dans la plupart des cercles formés autour de crimes et de complots, Boussouf finit par être victime de sa créature. Mais comme Krim était craint, respecté et même adulé par les anciens, il ne pouvait scier la branche qui l’avait porté au départ. Plus tard, arrivé à ses fins, Boumediène sut être reconnaissant envers son ancien maître. Eliminé politiquement, Boussouf put s’accaparer d’innombrables marchés : pétrole, trafics d’armes, affaires louches, etc. en toute impunité puisqu’il avait la bénédiction et la protection de Boumediène qui l’avait supplanté. Si je rends aujourd’hui hommage à tous mes frères et amis qui ont servi dignement la Révolution dans les transmissions comme dans les autres domaines, tandis que d’autres tirent une gloriole d’être «malgaches » à des fins indignes de notre combat, il faudra que nous les faisions payer par notre devoir de parler car nous aurons doublement failli si nous laissons le nombre et les grades de ces racketteurs continuer à augmenter tous les jours. Nous avons l’obligation de dire les choses pour la vérité due aux nouvelles générations, l’honneur de notre peuple et la cohésion de notre nation. S’agissant de la sortie d’Ali Kafi, il nous est extrêmement pénible de le suivre tant ses assertions sont dépourvues de sens commun. Peut-il affirmer une chose et son contraire sans se discréditer ? De plus, de quel droit peut-il se revendiquer pour affirmer que l’Histoire est une zone interdite aux Algériens et qu’elle relève du domaine réservé. Réservé à qui et pourquoi ? Je ne comprends pas pourquoi Ali Kafi ne dit pas simplement la vérité sur sa non admission aux travaux du Congrès de la Soummam, premier acte régulateur de la vie politique et organique du FLN après le déclenchement de la Révolution. Il n’a été écarté ni par Abane ni par Amirouche dont le rôle, pour ce dernier, était la sécurité des lieux et la protection des participants aux travaux. Pourquoi cette haine aveugle et injustifiée envers ces deux responsables ? Pourquoi ne veut-il pas dire qu’il a été simplement renvoyé par son chef, le colonel

Zighout Youcef, qui lui a préféré des commandants plus aptes à contribuer au succès du congrès dans lequel il s’est beaucoup investi, comme Si Abdellah Bentobal et Si Amar Benaouda qui sont toujours vivants ? Ce fut d’ailleurs la seule fois que Kafi a croisé Abane ! L’histoire de sa prétendue rencontre avec lui à Michelet est une pure invention. Une autre vérité selon Kafi, une demi-vérité selon les témoignages recoupés. Il était contre la décision des colonels d’aller, sinon de demander des comptes, du moins de faire bouger les choses à Tunis. Pourquoi et qui a eu l’idée d’utiliser un code grillé (hors séance) pour communiquer ? Ce qui est sûr, c’est que cela ressemble étrangement à de la dénonciation déguisée et cela a facilité la tâche de l’armée française qui a capté les messages et déployé, par la suite, d’immenses moyens pour éliminer Amirouche, Haouès et leus compagnons. Allah yarhamhoum. Il suffit de voir les documents inédits produits par Saïd Sadi pour comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une banale embuscade mais d’un véritable traquenard. En plus, si comme l’affirme Kafi, la radio de la Wilaya III ne marchait pas, comment a-t-il pu contacter Amirouche et recevoir sa réponse ! L’heure est grave. L’Algérie est à la croisée des chemins. Certains, dont des faux moudjahidine présents au sommet de l’État, n’en finissent pas de jubiler. Pendant que d’autres affrontaient la mort avant de suer pour la construction du pays, eux redoublaient d’ardeur pour prendre le pouvoir puis, dans leur sinistre besogne, ils mirent à sac les richesses du pays en éliminant tous ceux qui en savaient trop. Je m’adresse à mes frères de combat. Parlez, dites la vérité. Sinon notre combat n’aura servi à rien. Si les attentes des nouvelles générations vous indiffèrent, pensez, mes frères, à ceux qui, hier comme Amirouche et Lotfi, n’ont pas voulu se planquer et qui ne sont plus là. Oui pensons à eux. Alger, le 11 mai 2010 M. T. (*) Officier retraité de l’ALN

SAÏD SADI RÉPOND AU COLONEL DE LA WILAYA II : «Ali Kafi ment»

Jebdegh-damrar idda-d wedrar (j’ai tiré sur la corde et c’est toute la montagne qui est ébranlée.) Les semaines passent et se ressemblent : les diversions et les déchaînements de haine alternent avec des mises en scène historiques de plus en plus grotesques qui meublent la périphérie du livre. L’histoire de la guerre d’Algérie est décidément un butin trop précieux pour être restitué au peuple. Les pesanteurs du milieu Diluant ses ardeurs, M. Mebroukine continue à passer par pertes et profits le coup humain, politique et historique des coups d’État de Boumediène qui a engagé l’Algérie dans le règne des putschs, de la censure et des fraudes électorales. Le propre de la pensée totalitaire c’est de nier toute donnée, tout évènement, tout acte qui ne participe pas à la célébration du maître. Lorsque l’on a évacué du débat les milliards de dollars déposés à la Chase Manhattan Bank via Messaoud Zeggar, lorsque l’on s’interdit de parler des milliers de morts des Wilayas III et IV en 1962 qui essayaient de se mettre sur la route de l’armée des frontières de Boumediène pour prémunir l’Algérie des conséquences, toujours terribles, de l’inauguration de la conquête du pouvoir par la force dans une jeune nation, lorsque l’on occulte les exécutions de Chabani, les assassinats de Krim, de Khider et de tant d’autres, lorsque l’on oublie de dire que le système éducatif a été livré à l’obscurantisme parce que l’école ne fait pas de putsch mais provoque les bombes à retardement, on peut poser le postulat que la période de 1965-1977, soit 12 longues années pendant lesquelles tous les rêves étaient encore possibles, «n’étant qu’une période d’expérimentation», elle doit être analysée sur les plans politique, social et économique avec condescendance sinon complaisance. D’un point de vue doctrinal, Boumediène, qui a concentré tous les pouvoirs, ne saurait être tenu pour responsable d’un bilan objectivement négatif car il n’a fait que prolonger «le nationalisme populiste dont il n’a été que le continuateur », nous explique M. Mebroukine. Et nous qui pensions que les grands hommes d’État sont ceux qui savent arrêter les dérives pour imprimer à l’Histoire les rythmes et les objectifs politiques qui la sortent des marécages où l’ont fourvoyée d’autres. Autant être clair, je ne connais pas M. Mebroukine et je ne sais pas ce qui lui a valu d’être emprisonné. Du reste, son nom importe peu. «L’intérêt» de son intervention c’est de révéler cette réflexion hémiplégique propre aux intellectuels organiques du parti unique qui néantise tout ce qui peut apporter un éclairage autonome non conforme aux dogmes officiels. M. Mebroukine, qui fut, entre autres, conseiller de la présidence, impute à l’opposition démocratique la régression civique et politique du pays. Il ne sait pas qu’un état d’urgence paralyse toute manifestation publique, il ignore superbement les fraudes électorales qui sont le premier et le plus grave des détournements et feint de ne pas connaître les ravages

de la censure des médias lourds. Rien que pour les six derniers mois, le RCD a organisé au mois d’octobre 2009, une université d’été pendant deux jours rassemblant 617 participants avec les animateurs venant de 6 pays. Au mois de novembre suivant, nous avons rassemblé 700 jeunes issus des quatre coins d’Algérie pour débattre de la situation de la jeunesse. Le 6 mars dernier, le Rassemblement a initié une journée d’étude qui a regroupé 850 femmes autour du statut personnel dans les pays de l’Afrique du Nord avec des personnalités algériennes, tunisiennes et marocaines. (Il faut espérer au passage que ce volume d’activité rassure Monsieur Kafi qui semblait s’inquiéter de la situation du RCD.) Au même moment et dans le même site, se tenait une réunion du comité central d’un parti satellite du pouvoir composé d’une quarantaine de membres. Radios et télévision ont consacré leur journal de 20 heures à ce groupuscule et passé sous silence toutes les activités du RCD. On ne croit pas savoir que M. Mebroukine, revendiquant apparemment une certaine présence intellectuelle, se soit ému de ce que les ambassades algériennes aient refusé de délivrer des visas aux invités du RCD. Nous ne l’avons pas, non plus, entendu exprimer une opinion, un commentaire et encore moins une condamnation lorsque le maire de la capitale, menant une bande de délinquants, attaqua le siège national du RCD lors de l’élection présidentielle, etc. Les abus, les agressions, les fraudes dont est victime l’opposition seraient pour M. Mebroukine des vues de l’esprit. Oui je le redis comme je l’ai écrit dans mon livre, ce qui pose problème avec certains intellectuels algériens c’est moins leur démission que leur vassalisation. La symbolique de l’État dévoyée Pour M. Ali Kafi, l’analyse de l’impasse algérienne renvoie à une interprétation politique rigoureusement inverse de celle de M. Mebroukine. Le drame de l’Algérie serait dû à un Boumediène, à l’engagement patriotique tardif et quelque peu suspect, qui a trahi Boussouf son tuteur, dont M. Kafi nous dit qu’il était son relais attitré à l’intérieur. L’ancien patron du MALG serait en quelque sorte un géant de l’histoire auquel Boumediène n’a pas laissé le temps de finir le travail. Je ne m’attarde pas sur les égarements de M. Kafi qui ergote sur un «Amirouche tremblant de peur dans sa djellaba» et qui n’hésite même pas à convoquer Abane qu’il qualifia naguère de «traître à la nation» pour les besoins de son attaque. Tout en dévoilant les mœurs politiques du milieu, M. Kafi nous délivre sa pensée profonde quand il déclare que «si “Amirouche était vivant, il égorgerait son fils et Saïd Sadi”». Cette sous-traitance posthume n’est rien d’autre qu’un appel au meurtre. Le vernis du responsable qui clame n’avoir jamais attenté à la vie d’un homme pendant la guerre est mis à mal par ses pulsions intimes. M. Kafi, implicitement soutenu par des historiens, me somme d’arrêter de m’occuper de l’histoire politique de mon pays au motif que je suis psychiatre et non historien. S’il pouvait prendre un peu de distance par rapport à ses propos et aux torrents d’indignité inspirés ou directement déversés par le segment noir du MALG depuis la sortie de mon livre, il comprendrait que pour approcher l’histoire de notre pays il vaut mieux être un peu psychiatre, tant sont complexes et

dangereux l’affolement et la fureur qui se sont emparés du sérail depuis deux semaines. Je n’insiste pas, non plus, sur les procès en sorcellerie instruits par tous ceux qui se croient obligés d’hypertrophier leur patriotisme en temps de paix pour faire oublier leur retrait ou leur fuite à un moment ou un autre des périodes décisives de la vie nationale. Les patriotes sonores ont en général plusieurs nationalités, autant de comptes en banque et de choses à cacher ou à se faire pardonner. Les citoyens qui daignent commenter ou émettre un avis dans leur pays sur une guerre de libération confisquée, falsifiée, et honteusement exploitée à des fins bassement matérielles sont effectivement leurs ennemis. Ce qui est vraiment inquiétant dans les ruades de M. Ali Kafi, c’est cette effronterie à contester des faits indubitables. Reprenons point par point ses allégations : La réunion interwilayas de décembre 1958 en Wilaya II M. Kafi assure qu’il n’y avait que trois chefs de wilaya (Amirouche, Bougara et Hadj Lakhdar) à cette rencontre. Il soutient que le colonel Haouès n’a pas participé et alla même jusqu’à insinuer, dans des passages de son livre, que Lotfi a boycotté le rendezvous, suggérant que le colonel de la Wilaya V se serait associé avec lui pour refuser de répondre à l’invitation d’Amirouche. Je publie dans mon livre en page 432 un document signé par les quatre responsables, dont le colonel Haouès, adressé au GPRA à la fin de la rencontre pour dénoncer l’escapade de M. Kafi. Ou Ali Kafi est trahi par sa mémoire, où il remet volontairement en cause un document détenu par le GPRA pour les besoins de sa propagande. Par ailleurs, le colonel Lotfi, qu’Ali Kafi n’avait jamais rencontré jusque-là, avait envoyé un message d’excuses dans lequel il dit ne pouvoir rejoindre ses pairs, étant en mission à l’étranger. Ce qui, du reste, s’avéra être vrai par la suite. Le colonel Lotfi, officier à la rigueur morale exemplaire, était déjà en difficulté avec les états-majors est et ouest dont il sera une victime indirecte quelques mois plus tard après l’exécution d’un de ses officiers au Maroc, le capitaine Zoubir. Quand un homme nie des faits aussi clairement établis, on devine toutes les libertés qu’il s’autorise avec la vérité historique, surtout lorsqu’il s’agit d’évènements non consignés par écrit. Toujours à propos de la réunion interwilayas, M. Kafi, se posant en chevalier du pacifisme, invoque la Bleuite pour expliquer son refus de participer à la réunion de ses «collègues égorgeurs». L’argument ne saurait être recevable. Un mois auparavant, en novembre 1958, le colonel Amirouche s’était rendu en Wilaya II pour une réunion avec Ali Kafi au cours de laquelle ils ont discuté des modalités de la réorganisation de la lutte, d’entraide et de communication entre les wilayas. Par ailleurs et comme d’autres régions, la Wilaya II a exécuté des hommes, qu’à tort ou à raison, elle suspectait de compromission. Les procès-verbaux de cette rencontre existent, à moins qu’il s’agisse, là encore, de faux documents, dont certains sont publiés par Ali Kafi lui-même. En vérité, et il suffit de lire les comptes rendus de séance et le rapport du colonel Amirouche, pour découvrir que la réunion de décembre 1958 avait des objectifs bien précis. Il s’agissait de faire une évaluation générale des

combats sur le terrain, d’interpeller un gouvernement qui, abandonnant les maquis, se laissait dangereusement déborder par le MALG et les responsables des troupes des frontières, à l’époque solidaires, et déjà engagés dans les spéculations d’aprèsguerre. Il fallait aussi demander à ce que les liaisons radio entre les wilayas ne soient plus sous tutelle exclusive de Tunis. Toutes choses dont ne voulait pas entendre parler Boussouf. Mais, aujourd’hui que M. Kafi avoue être son représentant privilégié, on comprend mieux son absence et son scoop peut aider à mieux décoder un certain nombre d’évènements. De la gestion des transmissions : M. Kafi déclare que Boussouf l’avait désigné comme responsable exclusif des transmissions vers l’intérieur. Au passage, on peut se poser la question de savoir pourquoi un colonel d’une wilaya devrait centraliser à son niveau les communications radio. Si cela devait être établi, nous tiendrions là, d’un point de vue historique, une vraie information, quand bien même aucun dirigeant algérien n’a fait état, à ce jour, de cette délégation. Mais le propre du système Boussouf n’est-il pas de faire et de défaire les organigrammes de façon souterraine ? Cependant, ici encore, la révélation de M. Ali Kafi est prise en défaut par la réalité. Quand il dit qu’il a été chargé de contacter Amirouche pour l’informer de la réunion des colonels qui devait se tenir en avril 1959, il affabule. Faute de le renvoyer à mon livre qu’il avoue n’avoir pas lu et qu’il conseille de ne pas lire, je l’avise, malgré tout, que j’y ai publié le message du COM (Commandement opérationnel militaire) envoyé le 19 janvier 1959 à 9h30 à la Wilaya I (Aurès Namemchas) titré : «Message ultra secret» et se terminant par cette recommandation : «prière envoyer même message au colonel Amirouche. Ne sommes pas en liaison radio avec lui.» Contrairement à ce qu’avance Kafi, ce n’est pas lui qui a été chargé de contacter Amirouche mais bien Hadj Lakhdar, responsable de la Wilaya I. Je pose dans mon livre deux questions : - Pourquoi passer par la Wilaya I pour contacter Amirouche alors que la Wilaya III disposait encore d’un poste radio sur les deux qui lui avaient été octroyés en août 1958 ? - Pourquoi les services de Boussouf pouvaient-ils toucher les Wilayas I et II mais pas les Wilayas III et IV ? Compte tenu de la redoutable performance des services d’écoute de l’armée française, il est évident qu’à chaque fois que l’on augmente le temps d’émission ou que l’on multiplie les relais, il y a plus de risque que l’ennemi capte un message. Le seul envoi ayant transité par la Wilaya II concerne celui qui a été adressé au groupe des dissidents de Kabylie en octobre 1959 quand ils ont été sommés de se mettre sous les ordres de Mohand ou Lhadj, promu colonel de la Wilaya III après la mort d’Amirouche. Or, à l’époque Ali Kafi se trouvait à l’extérieur où il restera jusqu’à l’indépendance. Emission et acheminement de documents : M. Kafi nie le fait que Krim Belkacem ait envoyé un message radio sur l’Akfadou à Tahar Amirouchene — dont il dit qu’il était menacé par Amirouche — pour avertir le colonel de la Wilaya III des fuites qui suintaient des services du MALG quant à la

fiabilité des codes utilisés et à la multiplication du nombre d’émissions. Il explique que «Krim Belkacem, qui était dans le maquis depuis 1947, savait très bien qu’un tel message pouvait tomber entre les mains de l’ennemi». A croire M. Kafi, le FLN/ALN ne transmettait aucun message et aucun document à l’intérieur du pays. Même lorsqu’il s’agit d’une information vitale comme celle de demander à un colonel de changer de chemin. Les acteurs qui ont reçu et essayé de faire parvenir le message de Krim Belkacem à Amirouche sont vivants. Enfin, il faudrait que M. Kafi nous explique comment a-t-il transmis, lui, la foultitude de correspondances qu’il a publiées dans son livre ? Non seulement les documents circulaient mais Amirouche avait fait de l’écrit, en dépit de tous les risques, une exigence. Et c’est bien ce qui gêne ses détracteurs aujourd’hui. Dans la plupart des cas, on peut trouver des traces écrites des analyses et des décisions du colonel de la Wilaya III. Sur ces fameux messages utilisés pour guider Amirouche, nous en sommes, depuis la sortie du livre, à quatre versions. Le ministre des Moudjahidine, faisant parler un ancien maquisard à Bou Saâda, nous informe que l’ennemi a capté les messages émis par Amirouche. M. Benachenhou nous donne deux lectures ; l’une contredisant l’autre. Enfin, il y a la dernière annonce de M. Kafi qui, confond sa wilaya et la wilaya des Aurès qui a reçu la convocation adressée à Amirouche. La libération de la parole finira bien par imposer la vérité. Quant à dire que Tahar Amirouchène, qui était en parfaite symbiose avec son colonel, était menacé, cela relève autant du ragot que de l’intrigue. J’ai consacré un développement à la densité de cette relation qui liait les deux hommes et à la confiance qui l’a soudée. Il appartient aux maquisards encore en vie de témoigner sur ce que tous ont vu et vécu comme une relation exceptionnelle. Même si M. Kafi n’aime pas lire, je lui conseille de prendre connaissance de l’hommage publié par la Wilaya III après la mort d’Amirouche. Il fut rédigé par Tahar Amirouchène et arrache aujourd’hui encore des larmes à ceux qui se souviennent de lui. Documents produits dans le livre : M. Kafi a décidé que je n’ai pas pris la précaution d’en vérifier l’authenticité. Parmi ces documents, certains sont inédits et d’autres ont été déjà publiés par des historiens que M. Kafi connaît très bien. Pourquoi une pièce seraitelle suspecte dès lors que c’est moi qui la porte à la connaissance du public ? Bernard Kouchner serait-il incapable de manipuler ses amis ou ses proches ? Ces documents sont toujours disponibles, il est facile à M. Kafi et à tous les Algériens, soucieux de soustraire notre histoire aux manipulations, d’en vérifier la véracité. Congrès de la Soummam : M. Kafi conteste la nature et la portée de cet évènement historique. Il en déduit même que c’est à partir de là que la Révolution algérienne a entamé sa régression ! C’est une opinion. Mais quand M. Kafi dit n’avoir jamais déclaré qu’il était congressiste, il devrait se relire un peu plus souvent. Dans son livre autobiographique, il écrit le contraire. Pour expliquer son renvoi du congrès au troisième jour par Zighout Youcef, il affirme avoir été missionné pour réceptionner un largage d’armes

par un avion venant de Tunisie. Aucun membre du congrès, et plus tard aucun membre du GPRA, aucun membre du CNRA ou de l’état-major n’a entendu parler de cette mystérieuse mission. Je donne dans mon livre l’avis d’experts sur les parachutages d’armes dans les guerres révolutionnaires. Tous sont d’accord pour dire que l’on ne recourt pas au parachutage dans les régions limitrophes des pays pourvoyeurs en armement. Or, nous sommes en août 1956 et la ligne Morice ne sera édifiée que bien après. Si la délégation extérieure du FLN avait des armes à faire parvenir au Nordconstantinois à cette époque, la meilleure manière eût été de les acheminer par voie terrestre. La question reste entière. Il faudra que M. Kafi trouve un autre argument pour justifier la décision de Zighout. Autant de contrevérités assumées de manière aussi effrontée donnent la mesure de la violence, des complots et autres crimes qui ont marqué la vie souterraine de la guerre et de l’urgente nécessité de se pencher sur notre histoire et dont nous devons parler, non pas pour juger X ou Y, mais pour doter notre pays d’instances où le débat transparent et le consensus permettent d’organiser loyalement la représentation populaire pour traiter les problèmes de nos concitoyens. L’entêtement à assumer avec une invraisemblable outrecuidance la désinformation un demi-siècle après la guerre montre bien que c’est la confiscation de l’histoire qui est la mamelle de la rente. Comme beaucoup d’acteurs avant lui, M. Kafi a omis ou trituré des vérités dérangeantes et il est même allé jusqu’à diffamer des martyrs. Depuis, il a occupé les fonctions de chef d’État, cette charge lui interdit de recourir au mensonge, surtout quand il s’agit de la mémoire de la nation. Il n’en demeure pas moins qu’il faut reconnaître à M. Kafi une chose : il est, pour l’instant, le seul responsable algérien à avoir admis et condamné la séquestration des restes d’Amirouche et de Haouès, même si l’on est en droit d’émettre quelques doutes quand il affirme n’avoir découvert ce crime que ces derniers temps. Le fils du colonel Amirouche n’a pas cessé de dénoncer cette séquestration et de demander des explications. Il a envoyé des correspondances à toutes les institutions avec copie à l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM) dont M. Kafi fut secrétaire général. Nordine Aït Hamouda a même été arrêté en 1983 pour cela aussi. Pour l’essentiel, ce qui a motivé l’écriture de ce livre c’est cette séquestration, sacrilège national ; dont ne veut toujours pas entendre parler le segment noir du MALG qui, en bon élève du KGB, s’évertue, jusqu’à en être ridicule, à éviter de répondre à la seule question posée. Qui a séquestré les ossements des deux héros ? Pourquoi cette forfaiture a-telle été commise ? Qu’en pensent les dirigeants actuels ? Pour l’instant, les camarades» n’ont toujours pas entendu parler du dossier. Ils ne peuvent donc pas répondre. Même tardive, la sortie d’Ali Kafi est, de mon point de vue, symboliquement importante. Il me tenait à cœur de le dire. L’irruption des historiens Viennent de paraître les commentaires de 3 historiens sur le livre. Je note qu’aucun d’entre eux n’a émis une remarque sur son contenu. Deux d’entre eux ont cependant relayé la litanie des jugements qui disqualifie l’homme politique dans le traitement de

faits historiques en invoquant à leur tour les risques de manipulations. La proximité de la sortie de M. Kafi et ces interventions interpellent. La colère feinte de l’ancien président du HCE contre les historiens cache mal la similitude de l’argumentation. Il s’en est même trouvé un qui a repris mot pour mot l’invective de l’ancien responsable de la Wilaya II quand il dit que les manipulations de la France risquent d’avoir pesé sur la construction du livre comme elles ont induit en erreur Amirouche. Je pose une question innocente : qui du politique ou de l’historien a inspiré l’argument de l’autre ? Ces historiens ont cependant raison sur une chose : il est temps que les universitaires s’émancipent de leurs coteries politiques. Il est aussi temps que l’écriture de l’Histoire algérienne soit libérée des hégémonies idéologiques ou intellectuelles qui la mutilent aujourd’hui encore. J’ai rapporté dans mon livre quelques dérapages éthiques qui attestent que les tentatives de manipulations ne sont pas toujours là où on le croit. Est-il inutile de rappeler que pas un universitaire, historien ou autre, n’a abordé, ni sur le plan éthique ni d’un point de vue scientifique, la question de la séquestration. Cela aussi, c’est de l’Histoire. Des politiques marocains ont parlé de Hassan II, des Tunisiens ont abordé le cas de Bourguiba, Alain Peyrefitte, qui fut ministre de De Gaulle, a produit une remarquable biographie de son président. Pour une raison qui m’échappe et qui vient d’être appuyée par des historiens, opportunément interpellés par M. Kafi, je serais en situation de contravention morale en écrivant sur Amirouche. Est-ce le martyr, l’auteur ou la thématique qui dérange ? Est-il déraisonnable de penser que cela peut être les trois ? Le MALG sort de l’ombre On annonce enfin la réaction du MALG. Une commission est même mise en place ! Le montage risque d’être délicat. Les interventions chaotiques de M. Benachenhou seraient donc une production poétique indépendante de son cercle originel. Ceux qui croyaient que le segment noir du MALG pouvait lâcher sa proie, après la dernière «contribution» où M. Benachenhou essaya de relativiser la brutalité de ses premières déclarations, ont seront pour leurs frais. Les incohérences dans lesquelles il se débat et la violence inouïe avec laquelle il répond à M. Rachid Adjaoud, que j’ai vu pleurer à l’évocation des turbulences de la Bleuite, montrent comment une secte peut pousser à l’outrance sinon l’outrage un des siens quand elle est acculée à subir la lumière. Ecrire qu’«Amirouche est un être hors du commun» et déclarer le lendemain que c’est «un criminel de guerre» illustre à quel point les barbouzes veillent à ce que le débat soit étouffé et comment les parrains rattrapent un des leurs quand il se laisse gagner par le remords. Il faut que les inspirateurs de cette diatribe soient bien affolés et qu’ils se sentent menacés dans leurs intérêts vitaux pour perdre le minimum de retenu qui sied à toute expression publique. L’explosion de fureur publiée dans le Soir d’Algérie le 10 mai a le mérite de démontrer, au cas où il y aurait encore un doute, qui a donné et séquestré Amirouche et Haouès. Les médecins appellent cela un diagnostic post mortem. Pourquoi et comment le pays est étranglé par une minorité de prédateurs depuis l’indépendance ? Même éloignés du pouvoir formel, ils gardent les liens et

surtout imbibent l’État de leurs mœurs, véritables toxines qui conditionnent le fonctionnement des grands rouages institutionnels. Boussouf seul ne pouvait pas détourner les dynamiques de Novembre et de la Soummam. Boumediène seul n’avait ni la légitimité ni le crédit pour s’opposer au GPRA. C’est la synergie des deux qui a fait que le pire s’est imposé au destin d’un pays qui aurait pu être la Californie de la Méditerranée occidentale. On a déjà dit, à juste titre, qu’en politique, pour le meilleur comme pour le pire d’ailleurs, un plus un font plus de deux. Le responsable de l’armée des frontières a fini par avoir raison de son protecteur, le patron du MALG. Les deux sont aujourd’hui morts. La nécessité de poursuivre coûte que coûte la lecture de notre histoire s’impose, non pas pour accabler les deux hommes, mais pour empêcher leurs clones de perpétuer une pratique politique qui risque de désintégrer la nation. Et maintenant… Il se dit que ces activistes des ténèbres, noyautant les institutions, veulent entretenir l’invective pour enrayer le débat et permettre à leur tuteur officiel d’intervenir encore une fois pour décréter que la discussion, «otage des extrémismes », doit s’arrêter. La manœuvre a été déjà testée sur le dossier du terrorisme. On sait ce qu’il en a coûté au pays. À toujours occulter la vérité, à refuser à la justice de suivre son cours, on a fait de l’Algérie un volcan. J’ai veillé à ce que mon livre traite des évènements qui ont entouré la mort et la séquestration des colonels Amirouche et Haouès sans complaisance ni colère parce que le silence qui entoure ces deux événements est politiquement et symboliquement symptomatique du naufrage de la nation. Il est vital que les enfants d’Algérie se saisissent de cette opportunité pour ne plus laisser les détrousseurs de mémoire, qui sont aussi les semeurs de haine, ruiner leur passé et miner leur avenir. Dans ce déchaînement de panique, de violence et de mensonges, un homme m’a adressé un message public m’invitant à continuer d’écrire ce que je crois être utile pour mon pays. C’est suffisamment rare pour être relevé et salué. Qu’il sache que pour moi une voix exprimant une conscience libre est plus audible que les vacarmes de la meute. Pour l’instant, on observe qu’un livre a suffi à ébranler la citadelle. On découvre que le système politique, avec ses prébendes, ses normes et ses méthodes, n’est pas réductible à la sphère du régime. Les réactions enregistrées jusque-là me rappellent étrangement l’hystérie qui a suivi avril 1980 quand certains demandaient nos têtes au motif que nous avions attenté à la Charte nationale pendant que d’autres, idéologiquement aux antipodes des premiers, en appelaient au châtiment suprême car nous avions «brûlé le drapeau et le Coran». Notre histoire bégaie. Essayons de la faire parler. Librement. Saïd Sadi Président du RCD et député

RACHID ADJAOUD, OFFICIER DE L’ALN ET SECRÉTAIRE DU COLONEL AMIROUCHE : «Il voulait secouer ceux qui vivaient dans le confort de Ghardimaou et Nador»

Dans votre édition du lundi 3 mai 2010, un large espace a été accordé à M. Benachenhou pour traiter des problèmes de Wilaya III et de son chef, le colonel Amirouche. M. Benachenhou m’a cité dans son écrit à deux reprises. Il a fait référence à des déclarations faites à un journaliste, M. Aït Ouakli Wahib, publié dans le quotidien L’Expression il y a déjà quelques années. Evidemment, M. Benachenhou a choisi les morceaux de ma déclaration qui lui conviennent le mieux pour étayer ses écrits pour ternir l’image de la Wilaya III. Il se porte même juge et partie pour faire endosser au colonel Amirouche de graves erreurs dans l’affaire de la «Bleuite». Je n’ai pas eu le privilège de connaître ce Monsieur dans les maquis de la Wilaya III, je ne l’ai jamais vu au cours d’une cérémonie au musée d’Ifri, ni à une quelconque cérémonie commémorant l’anniversaire de la mort de Si Amirouche et Si Haouès à djebel Thameur. Je n’ai pas encore compris, un demi-siècle après leur décès, ce que visent M. Benachenhou et ses amis ? Les héros de la Révolution n’ont pas besoin d’éloges, encore moins d’avocats pour les défendre, mais de lucidité et d’honnêteté de la part des vivants. Dans le fond, vous insinuez que dans l’affaire de la «Bleuite», les services français n’avaient eu aucun rôle. Ce serait une pure invention du colonel Amirouche pour se débarrasser de mille huit cent cadres de l’ALN comme l’ont dit avant vous des officiers coloniaux. Pourquoi accordez-vous plus d’importance aux déclarations du capitaine Leger et pas aux archives de la Wilaya III que chacun peut consulter ? Mais il paraît qu’elles ne sont plus disponibles. Qui voulez-vous convaincre que le combat d’Amirouche qui a fédéré les maquis se réduit à la «Bleuite» ? En fait, toute votre démarche vise cet objectif, pourquoi ? Des écrivains et journalistes d’outre-Méditerranée que nous n’avons jamais vus et qui ne nous ont jamais entendus pour écrire l’histoire de la guerre de Libération malgré toute notre disponibilité, continuent d’écrire «debout» et en sens unique, à leur seul avantage et celui de leurs proches. M. Benachenhou, le colonel Amirouche, en se rendant en Tunisie en ce mois de mars 1959 avec son frère Haouès, avait le cœur bien gros. Ce n’est certainement pas pour aller se reposer à «Carthage ou Hammamet» mais pour remuer ceux qui se prélassaient dans le confort à Ghardimaou et Nador. En partant, il a rassemblé ses cadres à Akfadou, il a donné ses conseils et consignes, il a laissé 12 000 hommes entre moudjahidine et moussebline et il nous quitte en pleurant. Le destin a voulu que son itinéraire s’arrêtât à Boussaâda avec Si Haouès, pourquoi donc vous défendez l’indéfendable sur son décès et sur son itinéraire ? Si Amirouche aurait-il survécu en arrivant à Tunis ? M. Benachenhou, pendant que les maquisards de l’intérieur affrontaient les opérations «Jumelles», «Pierres précieuses» et autre «Bleuite», l’armée française montait ses lignes

électrifiées de barbelés et de mines, alors qu’une armada de l’ALN se reposait tranquillement derrière les frontières pour préparer «l’avenir». Ce n’est qu’une fois ces barrages achevés que quelques compagnies de djounoud sont envoyées et sacrifiées, car rares sont ceux qui arrivent en Algérie. La ligne «Morice» était pratiquement infranchissable. C’est dur, très dur de parler maintenant de cette partie de notre histoire, mais parlons-en sereinement entre nous comme des grands, sans haine ni passion d’où tout esprit régionaliste sera exclus. Ce débat alors ne profitera qu’à notre peuple. Jeune officier à l’époque du départ de Si Amirouche, j’ai ressenti toute la douleur de cette absence et l’affliction de son décès avec Si Haouès à Boussaâda, nos appels de détresse deviendront encore plus inaudibles après la disparition de ces deux chefs de la Révolution. Je me suis permis à l’époque de l’opération «Jumelles» d’adresser au GPRA une lettre par laquelle je retraçais le désarroi dans lequel se trouvaient les maquis de l’intérieur, cette lettre n’aura pas plus d’échos que nos nombreux appels de détresse précédents (voir livre de Mohamed Harbi Le FLN de 1954-1962pages 108 et 109). En 1962, il ne resta que 4 000 moudjahidine sur les 12 000 laissés par Si Amirouche avant son départ en Tunisie. Les différentes opérations ont consumé 8 000 hommes devant l’indifférence de ceux qui, en 1962, ont pris l’Algérie indépendante dans le sang. Et puisque beaucoup accordent plus d’intérêt à l’affaire de la «Bleuite», l’affaire «Oiseau bleu» montée par Krim Belkacem au début de la Révolution mérite qu’on s’y arrête pour la mémoire. Je voudrais conclure en disant qu’il y a un problème dans le cas de Amirouche : ceux qui l’ont côtoyé l’ont admiré, respecté et pleuré comme le peuple. Ceux qui ont fait le maquis au Maroc ou à Tunis et qui parlent de lui aujourd’hui sont submergés par la haine. Il doit y avoir deux Amirouche. R. A. ALI KAFI, ANCIEN PRÉSIDENT ET COLONEL DE LA WILAYA II : «Je n’ai pas lu le livre mais voici ma version»

Ali Kafi a réagi — sans même l’avoir lu — au contenu du livre écrit par Saïd Sadi. Le président du Haut Conseil d’Etat a profité d’une rencontre avec la presse pour s’en prendre aux colonels Amirouche et Boumediène et pour dresser un tableau noir de la gouvernance de Abdelaziz Bouteflika. Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - Lors d’une rencontre avec des journalistes des quotidiens Liberté, El Watan, El Fedjr et El Khabar, organisée jeudi en son domicile, Ali Kafi a réagi au livre Amirouche : une vie, deux morts, un testament. Le président du HCE, qui avoue ne pas avoir lu l’ouvrage de Saïd Sadi, conteste à l’auteur le droit d’écrire sur la Révolution algérienne. «Saïd Sadi n’a pas le droit d’écrire sur l’Histoire. Il est psychiatre et non pas historien. De plus, n’étant pas un acteur de la Révolution, il est très loin du processus historique de notre Révolution. Il ne l’a pas vécue, donc il

ne peut pas s’en imprégner (…) Au vu de la faillite qui a gagné son parti (le RCD), veutil peut-être rebondir sur la scène en enfourchant le cheval de la grandiose Révolution qui a libéré le pays ? Si Amirouche était encore en vie, il aurait exécuté son propre fils ainsi que Saïd Sadi.» Si l’on s’en tient aux propos de Ali Kafi, aucun Algérien n’est disposé à écrire l’histoire de l’Algérie. «Nos historiens sont des lâches et des entremetteurs. Ils n’écrivent pas. Pourquoi on n’écrit pas notre histoire ? La France a-t-elle peur que l’histoire de l’Algérie soit écrite ? Y aurait-il des Algériens qui seront dérangés par l’écriture de l’histoire?», s’est-il interrogé. Revenant sur le contexte historique de l’époque, Kafi — alors colonel de la Wilaya II — a reconnu avoir été écarté des travaux du Congrès de la Soummam. «Nous étions une délégation officielle, Zighout, Ben Tobbal, Mezhoudi, Rouabhi, Benaouda et moi-même. (…) J’ai assisté à deux séances avant que Zighout ne me contacte et me confie la mission d’aller attendre un avion qui allait larguer des armes. Mais il n’y avait pas d’avion. Je n’ai pas été écarté et je ne prétends pas que j’ai participé au Congrès, mais je m’interroge sur la mission qu’on m’a confiée». Ne manquant pas de traiter Saïd Sadi «d’affabulateur », Ali Kafi confirme, néanmoins, les informations publiées par le président du RCD. Assénant ses vérités, Kafi s’en prendra de face aux colonels Boumediène et Amirouche. Du président de la République il dira : «Moi, Boumediène je l’ignore. Il est entré à la Révolution en 1956 grâce à une lettre de recommandation d’Ahmed Ben Bella. Il ne connaît pas les tenants et les aboutissants de la guerre de Libération (…) Celui qui a rendu l’Algérie malade c’est Boumediène, il nous a laissé un héritage désastreux qui nous gouverne actuellement (…) Il a ruiné le pays. Les deux seules bonnes décisions qu’il avait prises, ce sont la nationalisation des hydrocarbures et la révolution agraire». Pour ce qui est du colonel Amirouche, Ali Kafi tiendra des discours diamétralement opposés. Dans un premier temps, il prendra le ton de l’offense en évoquant le colonel de la Wilaya III historique : «On appelait Amirouche “Taxi Ami Salah”» rapporte- t-il en prenant soin d’évoquer dans le détail sa «fuite» face à l’ennemi. «On s’est retrouvés tous dans une maison à Michelet. Repérant Amirouche, isolé dans un coin tout empêtré dans sa kechabia, Abane l’avait sermonné devant tout le monde en le traitant de tous les noms d’oiseaux. Il lui cria à la figure : ‘’J’emmerde celui qui t’a nommé officier” (inal bouh lisemak dhabet)», raconte Kafi. Mais ce dernier semble finalement se reprendre : «Amirouche était plus qu’un grand frère pour moi. On avait d’excellentes relations, on se voyait régulièrement ». Et il qualifiera «d’impardonnable » la séquestration des corps de Amirouche et Si Haouès après la Révolution. «Cela ne fait pas très longtemps que je suis au courant de cette affaire. Mais je la considère comme un crime impardonnable contre les chouhada. » Au-delà de l’aspect historique, la sortie médiatique de Ali Kafi se caractérise aussi par des critiques à l’égard de la gouvernance de Abdelaziz Bouteflika. Un constat d’échec sans appel. «L’Algérie vit une faillite totale et elle se dirige vers l’inconnu. Nous avons consacré toute notre vie pour le militantisme depuis le mouvement national, avec de grands espoirs, actuellement tout sombre subitement dans

l’obscurité.» T. H. : Benachenhou revient sur la mort de Amirouche Boussouf et Boumediène, victimes de la Bleuite… à titre posthume

Des années après l’indépendance, en évoquant la mort des deux chefs de wilaya, certains combattants laissèrent insinuer qu’un message radio envoyé aux intéressés par le GPRA et intercepté par l’ennemi aurait permis de situer l’itinéraire du groupe Amirouche-Haouès en partance pour la Tunisie. Pour ceux qui ont le privilège de connaître Si Amirouche, ils sauront qu’un chef de sa trempe ne révélait jamais à l’avance ses intentions et encore moins le ou les itinéraires qu’il voulait emprunter, si bien qu’il est impensable qu’il ait été donné par quelqu’un de son entourage et encore moins par l’extérieur. En fait, la disparition de Amirouche-Haouès est due à une opération anodine et de routine de l’armée française, comme l’ennemi avait l’habitude de déclencher par les troupes du secteur quasi quotidiennement.

(Mustapha Tounsi, Il était une fois la Wilaya IV,Éditions Casbah, Alger, 2008).

Par Mourad Benachenhou Le colonel Amirouche n’a voulu être ni le successeur de Fatma Nsoumer, ni l’émule du Bachagha Mokrani. Il a consacré sa vie à la lutte pour la libération de la nation algérienne. La mort héroïque de Amirouche peut-elle être instrumentée pour des causes régionalistes ? On ne peut trouver dans son parcours politique ou dans ses déclarations rien qui prouve qu’un jour il ait dévié du choix politique qu’il a embrassé dès sa prime jeunesse, celui de contribuer à la renaissance d’une Algérie libre, indépendante et unie au-delà des différences régionales et de la diversité culturelle propres à notre pays. Il a milité dans un parti nationaliste, fondé et dirigé par Messali Hadj, et dont l’objectif, clairement énoncé dès 1926, par ce leader encore jusqu’à présent objet de censure, était l’Indépendance nationale. Arrêté en 1950 par les services de sécurité coloniaux, et alors qu’il exerçait le métier d’horloger à Relizane, Amirouche est condamné à la prison, en même temps que des militants nationalistes, tels que Rabah Bitat, forgeron à Aïn-Témouchent, Bensaïd Abderrahmane, commerçant à El-Amria, Benali Benachenhou, tisserand à Tlemcen et bien d’autres. Amirouche a laissé parmi ses

compagnons de la prison militaire d’Oran, le souvenir d’un nationaliste convaincu, ayant en horreur le régionalisme, même sous ses formes les plus bénignes. Il projetait alors l’image d’un homme courageux, équilibré, calme, plutôt tacite, d’une très grande courtoisie, n’élevant jamais la voix, même lorsqu’il ne partageait pas l’avis de ses camarades de cellule, et également d’un fervent musulman, très attaché à l’Islam, et ne manquant jamais ses cinq prières. Déjà, à l’époque apparaissaient les qualités de leadership qui devaient lui permettre d’accéder au poste de colonel commandant la Wilaya III, à l’âge de 32 ans. La Bleuite, une erreur de jugement dévastatrice Il est évident que le lourd fardeau des responsabilités et l’ampleur des risques acceptés, jointes à la situation de tension permanente qui est propre à la guerre de guérilla, peuvent avoir été les facteurs ayant provoqué le changement profond dans la personnalité de Amirouche, changement qui explique, sans les justifier, certaines de ses actions et de ses décisions, qu’il a prises de son propre chef et sur la base de ses propres analyses. Parmi les décisions les plus contestées qui lui sont reprochées, la plus grave a été le crédit, malgré les mises en garde qu’il a reçues de ses camarades de combat comme de ses supérieurs hiérarchiques qu’il a accordé aux fausses informations diffusées par l’ennemi, informations jetant le doute sur la loyauté et le patriotisme de membres de l’ALN. La «Bleuite», opération de manipulation diabolique, conçue et mise en œuvre par le capitaine Paul-Alain Léger, capitaine du 1er Régiment de parachutistes étrangers, vétéran de la guerre d’Indochine, avec l’accord de son supérieur hiérarchique de l’époque, le colonel Godard, dans le cadre du «Groupe de renseignement et d’exploitation», créé fin 1957, à la suite de la bataille d’Alger, a commencé à donner ses effets négatifs sur la Wilaya III le 21 janvier 1958, date de l’exécution de la première victime de cette manipulation. Des preuves incontestables de la responsabilité personnelle et directe de Amirouche La responsabilité personnelle de Amirouche dans le lancement de cette campagne comme dans sa mise en œuvre ne fait aucun doute. Une déclaration du lieutenant Rachid Adjaout révèle, suivant un article rédigé par Aït Ouakli Wahib, article publié dans le quotidien l’Expression, l’incident qui a fait démarrer cette phase particulièrement sanglante de la lutte de Libération nationale. Voici ce que révèle, entre autres, cet article, dont on passe les détails, car tout un chacun peut le consulter sur internet.(http://www.eepad.dz/in formation/melh_elbled/lire.php? ref=5764). «Se rendant à Aït-Moussa pour enquête, le colonel Amirouche tombe nez à nez avec Rosa Tadjer ; recrutée à Alger et qui était la pièce maîtresse du réseau. Ayant à peine échangé quelques phrases avec cette femme, notamment sur les circonstances de son recrutement, le colonel de la Wilaya III s’est rendu à l’évidence qu’un complot le visait lui et la wilaya qu’il commandait.» Cette affirmation prouve, s’il le fallait encore, qu’au lieu de se borner à considérer que cette jeune fille était un agent avéré des services secrets ennemis pour une opération isolée, Amirouche a

immédiatement mis cette espionne au centre d’un complot qui le visait comme il visait la Wilaya III. Adjout ne fait référence à aucun échange de vue entre le Colonel et quelque membre que ce soit du commandement de sa wilaya pour discuter de son hypothèse. Immédiatement après la capture de cet agent double, rapporte le même article, est mis en place au niveau de la Wilaya III un «comité d’épuration», coprésidé par Rachid Adjaout et Hacène Mahiouz, assistés de Hmimi Oufadhel et Mohand Oulhadj. Il est évident que ce «comité » ne pouvait avoir été constitué sans l’ordre expresse de Amirouche, dont c’était certainement l’idée, car il aurait été inimaginable, dans les circonstances que connaissait alors cette wilaya, au vu du style de commandement de Amirouche, comme au vu du fait que c’était lui qui avait qualifié la mission de Rosa de complot visant sa personne et sa wilaya, que quelqu’un d’autre que lui ait avancé cette idée, qui laissait planer le doute sur la fidélité de tous les combattants et auxiliaires de la Wilaya III. Il est certain que tout autre responsable que lui qui se serait hasardé à émettre l’idée de la mise en place d’un «comité d’épuration» wilayal aurait été le premier à y être déféré et en subir les décisions mortelles. Quant aux tortures et aux exécutions subies par les victimes, l’affirmation, répétée par certains partisans durs et purs de Amirouche, qui ne peuvent qu’être loués pour leur loyauté envers lui, suivant laquelle elles ont été pratiquées sans le consentement et l’ordre direct de Amirouche, est simplement invraisemblable. La notion de séparation des pouvoirs n’a pas été clamée comme une caractéristique du système intentionnel de l’ALN et du FLN ! La lettre-circulaire aux colonels et la réunion inter-wilayas de Oued-Asker Un second élément qui renforce le point de vue selon lequel la responsabilité de Amirouche dans le déclenchement et la mise en œuvre de cette vaste tuerie, dont la justification a un rapport ténu avec les manipulations des services secrets ennemis, est la correspondance qu’il a adressée à ses collègues des autres wilayas, correspondance datée du 3 août 1958, où il écrit, selon diverses sources, aux commandants des autres willayas, entre autres, ceci : «Cher frère, j’ai le devoir de vous informer, en priant Dieu pour que ce message vous parvienne à temps, de la découverte en notre willaya d’un vaste complot ourdi depuis de longs mois par les services français contre la révolution algérienne. Grâce à Dieu, tout danger est maintenant écarté, car nous avons agi très rapidement et énergiquement. Dès les premiers indices, des mesures draconiennes étaient prises en même temps : arrêt du recrutement et contrôle des personnes déjà recrutées, arrestation des goumiers et soldats «ayant déserté», arrestation de toute personne en provenance d’autres willayas, arrestation de tous les djounoud [soldats] originaires d’Alger, arrestation de tous les suspects, de toutes les personnes dénoncées de quelque grade qu’elles soient et interrogatoire énergique de ceux dont la situation ne paraissait pas très régulière… Les traîtres sont surtout des personnes instruites, intellectuels, étudiants, collégiens, médecins et enseignants. » Amirouche prend même l’initiative d’inviter ces commandants de wilaya à une réunion qui se tient à Oued-Asker (sur les

hauteurs de Taher) du 6 au 12 décembre 1958, et à laquelle prennent part, outre Amirouche, respectivement les colonels suivants : Wilaya I : Hadj Lakhdar (AurèsNémemchas), Wilaya IV : Si M’hamed (Centre), Wilaya VI : Si El Haouès (Sud). Etaient absents le colonel commandant la Wilaya II Ali Kafi (Nord-Constantinois), représenté, cependant, par le capitaine Lamine Khene, et le colonel commandant la Wilaya V Lotfi (Oranie et Sud-ouest). Il est à souligner que certains des responsables présents à cette réunion avaient émis des réserves quant à sa légalité du fait qu’elle contrevenait à un ordre du Comité de coordination et d’exécution, alors organe suprême du FLN/ALN, qui interdisait les réunions interwilayas sans autorisation préalable de ce comité. Mustapha Tounsi, dans son ouvrage cité en exergue du présent article, rapporte les détails de cette réunion, à laquelle il avait pris part, en tant que membre de la délégation de la Wilaya IV (voir : Purges, liquidations, «tasfiyate» Les non-dits des années terribles, El Watan du 27 octobre 2005, article signé par Boukhalfa Amazit, ainsi que les différents interviews de Lamine Khene portant sur le même sujet). Des témoignages objectifs concordants À ces informations, données par les acteurs de cette tragédie, il faut ajouter les témoignages et les écrits sur cette phase terrible de la guerre de Libération nationale, qui ne manquent pas ; on se limitera à mentionner ici l’autobiographie du regretté Ferhat Abbas (24 octobre 1899 -23 décembre 1985) racontée dans son ouvrage intitulé : Autopsie d’une guerre( Éditions Garnier , Paris,1980 ), qui donne des détails - y compris la réaction de Krim Belkacem et la décision du CCE d’ordonner l’arrêt des poursuites et des exécutions — sur le déclenchement et les victimes de cette épuration massive, et l’ouvrage de Mohammed Harbi, Le FLN, mythes et réalités, (Éditions Jeune Afrique, 1988) ainsi que l’étude de Gilbert Meynier : Histoire intérieure du FLN(Fayard, 2002). Ageron et les épurations massives Un article exhaustif et particulièrement accablant sur les épurations a été rédigé par le regretté professeur Charles Robert Ageron (6 novembre 1923 - 3 septembre 2008). La préparation de cet article sérieux, fondé sur des critères scientifiques rigoureux, au-dessus de toute critique subjective, a dû exiger une recherche documentaire approfondie ne négligeant aucune source écrite ou orale d’information sur les péripéties en cause. Son auteur a choisi de lui donner le titre suivant, suffisamment parlant pour refléter le contenu de ce travail de fonds : Complots et purges dans l’Armée de libération nationale (1958-1961), (Revue d’histoire du XXIe siècle, volume 59, 1998, pp. 15-27 http://www.persee.fr/web/revue s/home/prescript/article/xxs_02 94- 1759_1998_num_59_1_3775). Cet historien de métier donne des précisions incontestables et extrêmement détaillées sur ces purges et avance des chiffres terribles sur le nombre des victimes de ces épurations, chiffres basés non seulement sur les rapports de la gendarmerie et de l’armée ennemies, mais également sur des documents trouvés dans la sacoche de Amirouche

par les soldats coloniaux, et sur des témoignages et des documents officiels algériens. Il mentionne également que des listes de noms de nombre de ces victimes existent dans les archives militaires de Vincennes. Il est loisible pour tout un chacun de consulter sur la toile web cet article écrit par un historien dont on connaît la sympathie pour le mouvement de Libération nationale, et dont la mort a donné lieu à des articles élogieux sur la presse nationale tant publique que privée. 2 812 suppliciés, selon Ali Yahya Abdenour ! Il faut également mentionner Ali Yahya Abdenour, que l’on ne peut dénoncer comme partisan du présent régime ou en provenance de la même zone géographique que celui actuellement au pouvoir ; Ali Yahya prononce cette phrase terrible dans une interview accordée au quotidien national La Nouvelle République, daté du 4 novembre 2004 (propos recueillis par Nadjia Bouaricha, voir : http://www.algeriawatch. org/fr/article/hist/1954- 1962/novembre_04/ali_yahia_in dependance.htm). «Nousmêmes on a torturé et on a tué 2 812 jeunes étudiants, surtout des lycéens. La plupart de ces jeunes étaient des fils de paysans, même s’il y avait quelques fils de notables et de commerçants, de kaïds, mais la plupart étaient des enfants de paysans qui étaient instruits, représentant donc une menace pour les gens qui avaient pris le maquis et n’étaient pas instruits. » Cette affirmation ne demande aucun commentaire tellement elle est claire. Ali Yahya Abdenour est trop connu pour son combat en faveur des droits de l’homme et la démocratie, et sa personnalité est trop respectable pour qu’on s’avise, sans perdre sa propre crédibilité, à mettre en cause le chiffre terrible et les observations profondes qu’il fait sur les ressorts psychologiques et les motivations de revanche sociale qui ont animé tous les acteurs de cette tragédie digne de la mythologie grecque antique, où les meilleurs des fils de la Révolution ont été dévorés par les Gorgones à la violence gratuite et destructive et à l’abjecte laideur ! La mort de Amirouche, un simple hasard tragique de la guerre Pour ce qui est des circonstances de la mort de Amirouche et de Haoues, même des chercheurs avisés comme Hamou Amirouche, un des secrétaires personnels de ce colonel, commettent l’imprudence, de manière plus ou moins directe ou plus ou moins voilée, de la mettre sur le compte d’un acte de trahison. Voici ce qu’écrit Hamou Amirouche, entre autres : «La mort de Si Amirouche en route vers Tunis pour “régler des comptes” avait-elle été voulue par certains des nôtres ? Y avait-il des taupes au sein de l’état-major général ? Je me mis à songer à ce que m’avait révélé d’un air de conspirateur, le Commandant… » (Akfadou, Un an avec le Colonel Amirouche, Casbah Éditions, 2009, p. 270). Le nom que Hamou Amirouche a cité a été volontairement passé sous silence. Rien, cependant, dans les conditions qui ont abouti à la mort tragique des colonels Amirouche et Haoues, aucun indice, aucune «fumée» qui corroboreraient les soupçons, maintes fois repris, d’une trahison en provenance des chefs hiérarchiques de Amirouche ! On peut affirmer, sans la moindre réserve mentale, et sans courir le risque d’être démenti par des informations que

découvriraient plus tard des historiens, que cette «histoire à dormir debout», comme l’a si bien qualifiée Rachid Adajout, officier de l’ALN, membre du secrétariat particulier du colonel Amirouche, interviewé par Abdenour Si Hadj Mohand, est le pur fruit de l’imagination maladive et fertile de ceux mêmes qui ont inventé la «Bleuite» et voudraient prouver qu’en fait Amirouche aurait eu raison de mener son opération d’épuration, puisque des «traitres» se seraient même glissés au sommet de la hiérarchie du système FLN/ALN. Le capitaine Léger, décédé en 1999, doit se réjouir dans sa tombe du succès de son action d’intoxication qui a réussi à jeter une ombre de doute même sur les hauts responsables de la guerre de Libération nationale. Une information diffamatoire sans fondements Cette information diffamatoire n’a, pourtant, reçu aucune confirmation, après tant d’années qui séparent les évènements en cause de ce jour, de la part des ennemis de l’indépendance de l’Algérie, qui ont pris part à l’action militaire en cause. S’il y avait un brin de vérité dans cette diffamation, tous les généraux de France et Navarre, tous les historiens militaires qui ont gardé la nostalgie de la colonisation et n’ont, jusqu’à présent, pas digéré leur défaite politique, n’auraient pas hésité non seulement à raconter les circonstances les plus secrètes de cette «histoire à dormir debout», mais également à donner le nom réel, ou, s’ils l’ignoraient, le nom de code de l’opérateur radio algérien qui aurait passé l’information, et le nom de l’opérateur ennemi qui l’aurait reçu, avec, évidemment, mention de son grade, de même que la longueur d’onde et la fréquence utilisées pour la communication ! Les écrits sur l’opération d’intoxication et de noyautage par le capitaine Léger ne manquent pas. Cet acte de barbarie et de fourberie est considéré comme l’un des grands faits de guerre de l’armée ennemie. Et il est certain que les écoles militaires tant de l’ancienne colonie que d’autres pays étudient avec intérêt cette action de déstabilisation «réussie ». Mais, jusqu’à présent, ce que répètent les historiens qui font état de cette version de la mort de Amirouche et de Haoues, c’est seulement ce que certains Algériens continuent à ressasser, alors que cette version n’a rien, même pas le moindre indice, le moindre brin de preuve, si microscopique soit-elle, pour la soutenir ! Quelques détails sur la bataille de Djebel Thameur fournis par l’ennemi et confirmés par les témoins algériens «La rencontre des escortes des deux colonels avec les forces coloniales était fortuite», comme le signale Farouk Zahi, dans un article rédigé à l’occasion du 50e anniversaire de la bataille du Djebel Thameur. (http://www.vitaminedz.com/arti cles15892-28-15380). En luimême, le combat qui a abouti à la mort de Amirouche et de Haoues n’a rien d’extraordinaire, en temps de guerre, dans son démarrage comme dans son déroulement et son issue. Un accrochage entre trois moudjahidine en arrière-garde, repérés par un avion d’observation ennemi, et une section ennemie les pourchassant, fait découvrir par l’ennemi la présence d’une importante unité de l’ALN. D’ailleurs, un petit commando isolé de l’ALN, en provenance de la Wilaya III et en mission en Wilaya VI, mieux camouflé, et dirigé par Omar Ramdane, l’ancien

responsable du Forum des chefs d’entreprises, était dans les parages et avait échappé à la vigilance de l’ennemi. Laissons des acteurs, ennemis, de cette tragédie, donner la suite des évènements. Voici ce qu’écrit sur un aspect de la bataille un officier ennemi du 6e Régiment de Parachutistes d’infanterie marine, commandé par le colonel Ducasse, et dont l’unité a participé au combat en même temps que 3 escadrons blindés, le 584e Régiment du commandant Waisse et le 126e Régiment d’infanterie composé de tirailleurs sénégalais, au total, environ 2 500 hommes du côté ennemi contre un maximum de 121 hommes du côté de l’ALN : «Le 28 mars, une nouvelle fait rapidement le tour du régiment : Amirouche serait dans la région ! Les paras l'ont manqué de peu le 22 mars, mais ils ont capturé son secrétaire. Grâce aux renseignements obtenus auprès de la population, le colonel Ducasse a monté une opération malgré les réticences des autorités de secteur. Dans l'aube naissante, les unités se mettent en place discrètement. Les paras sont à pied d'œuvre sur les pentes du Djebel Thameur. En silence, les paras gravissent les flancs de la montagne. Chaque compagnie s'infiltre dans le djebel et le fouille méticuleusement. À midi, l'ennemi, fixé, ne peut plus s'échapper. Le 6e RPIMa entre alors en action. Trois compagnies sont déployées : la 4e Cie à l'ouest, la "1" au centre et la "2" à l'est. En réserve, la "3". Les fells ajustent leurs coups comme à l'exercice. On grimpe en rampant, des hommes tombent... Le combat est très dur. Il faut réduire séparément chaque nid de résistance. Une multitude de duels se livre de trou à trou. Les grenades détonent sèchement, les rafales crépitent... Les fells tentent un ultime baroud : 7 HLL sont tués et 3 prisonniers. L'un d'eux, terrorisé, déclare : «Je suis l'agent de liaison d'Amirouche». L'information circule : «Attention ! Amirouche porte une tenue camouflée et une casquette de parachutiste. Rien qui lui ressemble dans les morts et les prisonniers. Une compagnie reçoit la mission de fouiller la zone. Un rebelle est repéré dans un éboulis, au bord d'une falaise. Quatre paras l'ajustent et le criblent de balles. Le rebelle est habillé de la fameuse tenue camouflée, mais il n'a pas de casquette. Les paras sont pratiquement sûrs d'avoir tué Amirouche. Les traits ne sont pas altérés et le visage correspond bien aux photos de presse publiées à l'occasion des sinistres exploits du tueur. Plusieurs musettes contenant l'organigramme et des documents de la Willaya III semblent l'attester. Le colonel Ducasse en est persuadé quand des prisonniers confirment l'identité du mort. Dès lors, c'est le défilé des autorités et des généraux (seul le général Massu passera un long moment avec les 7 blessés du régiment). Plus tard, 16 Kabyles identifieront formellement le corps.» Il s’agit là d’un récit sec, mais avec suffisamment de détails pour ne laisser aucun doute sur les circonstances de la mort, héroïque, faut-il le souligner ? du colonel Amirouche ! Dans un combat, ô combien inégal ? où à chaque moudjahid étaient opposés 20 soldats ennemis appuyés par un armement divers, puissant et sophistiqué, les djounoud et officiers algériens ont fait montre d’un courage sans borne. De quel courage doit faire preuve un adversaire appuyé par l’artillerie, les blindés, les hélicoptères lourds

Sikorski, et une logistique abondante ? Dans cette bataille inégale, ce sont les moujahidine qui ont eu le dernier mot, même s’ils ont été décimés pratiquement jusqu’au dernier ! Cette bataille est un exemple de la disproportion des forces en présence pendant toute la guerre de Libération nationale et une réponse à tous les dénigreurs professionnels qui continuent à clamer haut et fort que l’Indépendance a été donnée aux Algériens ! Il n’est nullement question, donc, de diminuer le mérite de ceux qui sont allés jusqu’au sacrifice suprême devant des forces nettement supérieures ; mais seulement de rappeler que l’héroïsme ne peut contrebalancer les erreurs qui ont failli amener la lutte de Libération nationale à une issue fatale. À préciser que le nombre des victimes de la bataille, qui a duré deux jours, les 28 et 29 mars 1959, du côté de l’ALN, a été de 108 morts et 13 prisonniers, dont le commandant Amar Driss, adjoint du colonel Haoues et responsable du groupe de 40 hommes chargés de la protection rapprochée de Amirouche et de Haoues, qui fut exécuté sommairement après avoir été torturé par l’ennemi. Dans le déroulement de la tragédie et la mort du colonel Amirouche, rien qui mérite d’être caché ou déformé ! Le nom des deux soldats qui ont retrouvé les sacoches du colonel Amirouche, un Sénégalais et un Français de la Métropole, est également mentionné par les acteurs directs de ce drame du côté ennemi, de même qu’est décrit , dans les récits, le contenu de ces sacoches, dont une liasse de documents, où se trouvait une liste donnant un décompte partiel qui faisait état, sur 542 personnes jugées, de 54 libérés, 152 condamnés à mort et 336 décédés au cours des interrogations, dont 30 officiers, soit 488 décès. Le dernier chiffre est contesté par toutes les sources crédibles, que ce soit Ferhat Abbas, Ali Yahya Abdenour ou les procès-verbaux de la gendarmerie et de l’armée ennemies. Le document était vraisemblablement destiné à minimiser l'ampleur des purges auprès du GPRA. Cependant, il faut souligner que chaque vie est précieuse, et que même ce chiffre de 488 exécutions représente la fin des espoirs, des ambitions et des accomplissements de jeunes encore à la fleur de la jeunesse, et dont la vie a été arrachée par des décisions arbitraires cruelles et pour des motivations et des objectifs qui demeurent une énigme jusqu’à présent et que tout un chacun voudrait connaître, qu’il ait été ou non témoin direct ou indirect de cette tragédie ! On peut être convaincu que le GPRA aurait souhaité que Amirouche arrive vivant à Tunis, pour qu’ils puissent comprendre pourquoi il s’est lancé dans cette tuerie massive, dont les causes «connues» ne sont pas crédibles. Les Algériennes et les Algériens de maintenant auraient également voulu connaître la vérité derrière ces massacres qui, loin de renforcer les actions de la lutte armée, ont été probablement la cause de la prolongation de la guerre pour plusieurs années, et dont la conséquence funeste à été de centaines de milliers d’autres morts Algériennes et Algériens ! Il est à souligner — et la liste du matériel militaire récupéré par l’ennemi n’en fait pas mention, — Amirouche n’avait pas de poste émetteur-récepteur pour la bonne raison que non seulement il avait décidé de couper

les communications avec Tunis, mais encore plus, parce que les deux officiers des transmissions, dont l’officier Harouni Bougra, qui avaient été mis à sa disposition par le Commandement général de l’ALN étaient morts en martyrs peu après la dernière communication de Amirouche avec le GPRA, et que leurs remplaçants, dont un certain Ferroukhi, martyrs tous les deux, attendaient en Wilaya IV d’être accompagnés à leur wilaya d’affectation. À mentionner également que les services de renseignement algériens n’avaient pas pu informer le colonel Amirouche qu’il avait été repéré sept jours avant sa mort, parce qu’à l’époque, pour des motifs de sécurité, le colonel Bouguerra de la Wilaya IV, avait demandé à son officier des transmissions, Mustapha Tounsi, de la Seconde promotion, d’enterrer son émetteur- récepteur, et qu’en Wilaya II, une opération militaire de grande envergure était en cours, empêchant l’officier radio, le regretté Rahal Zoheir, de la même promotion — mort en martyr, — d’effectuer ses vacations. Quant à l’hypothèse d’un opérateur radio algérien communiquant l’information sur la position de Amirouche, elle est doublement invraisemblable, d’abord parce que Amirouche n’était pas homme à révéler ses intentions lorsqu’il était en déplacement et utilisait jusqu’à 12 guides qu’il envoyait vers des directions différentes, et ne donnait sa véritable destination qu’à la toute dernière minute, ensuite parce que le cloisonnement extrême entre les différents services du MALG, aussi bien que les caractéristiques techniques des appareils radios utilisés par les agents des services d’écoute et les agents des services de transmission, rendaient absolument impossibles pour des personnes travaillant dans différents services d’accéder simultanément et rapidement aux informations et aux moyens techniques qu’impliquerait un tel acte de trahison. D’ailleurs, le dépouillement des archives militaires de Vincennes par Gilbert Meynier, déjà cité plus haut, et d’où cet historien a tiré ses informations pour écrire son livre sur le FLN, prouve que ce cloisonnement n’a jamais été mis à défaut par les services ennemis. En conclusion : 1) Ceux qui tentent d’exploiter le nom et le renom de Amirouche pour faire avancer une cause qu’il abhorrait parce qu’il était d’abord et avant tout un nationaliste qui voulait une Algérie indépendante et unie, commettent un acte de récupération qui constitue une insulte à son âme et sont ceux qui veulent transformer sa première mort en une seconde mort pour une cause à laquelle il n’a jamais été question pour lui d’adhérer. 2) Les différents témoignages, provenant de ceux mêmes qui veulent l’innocenter, confirment que Amirouche porte seul la responsabilité du déclenchement et de l’exécution de l’opération sanguinaire d’épuration de la Wilaya III. 3) Ceux qui ont pris part à cette opération l’ont fait à titre de simples exécutants et leur responsabilité dans les massacres ne peut servir de paravent à la responsabilité claire et directe de Amirouche, en tant que colonel comandant une wilaya dans un système hiérarchique qui ne laissait aucune place à la consultation collective ou à la séparation des pouvoirs.

4) On peut discuter du nombre des victimes ; mais les chiffres en provenance de sources aussi crédibles les unes que les autres prouvent que ce nombre a été extrêmement élevé ; le dénombrement macabre, l’exigence de donner des noms ne réduisent en rien la cruauté de ces exécutions. 5) Chacun de ceux et celles qui ont été exécutés à la fleur de l’âge se sont vu privés du droit à la vie, à l’espoir, aux ambitions et aux accomplissements ; une victime de plus est une de trop ! Il faut donc cesser de chipoter sur les chiffres, ce qui prouve une absence totale de sensibilité et de respect pour la personne, car derrière chacune des unités dont ils étaient la somme, il y avait un être humain. 6) Cette opération a sans aucun doute contribué fortement à la prolongation de la guerre, et à l’augmentation des victimes comme à l’exacerbation des souffrances du peuple algérien ; c’est pour cela qu’elle doit être condamnée, quels qu’aient été les exploits de Amirouche et la gloire que veut en tirer une région ou certains hommes politiques d’une région de l’Algérie une et indivisible. 7) Quant aux circonstances de la mort de Amirouche, elles n’ont rien d’extraordinaire en période de guerre ; et tous ceux qui ont vu de près la guerre savent que souvent le hasard est le pire ennemi ou le meilleur ami du soldat. 8) Les tenants de la thèse de la trahison n’ont aucune preuve à présenter, aucun indice à avancer ; ce n’est pas en répétant cette thèse jusqu’au dégoût, ou ad libitum et à l’infini ou ad infinitum qu’on accroît sa crédibilité. 9) Tous les éléments d’information permettant de reconstituer les événements ayant mené à la mort de Amirouche et de Haoues sont disponibles et ne souffrent aucune ambiguïté et n’exigent pas d’être cachés ou déformés. 10) Ceux qui ont concocté cette version diffamatoire d’une page d’histoire glorieuse de l’Algérie continuent à justifier a posteriori la version donnée par l’ennemi suivant laquelle l’opération de la «Bleuite a non seulement réussi, mais qu’elle aurait été basée sur des faits avérés de trahison au plus haut niveau de la hiérarchie politico-militaire de l’ALN/FLN. 11) La vie de Amirouche, même pour ceux dont on prétend qu’il les menaçait par sa personnalité, était préférable à sa mort, car, ces chefs, comme nous-mêmes, aurions pu avoir, de sa propre bouche, une explication de ses actes de destruction d’une partie des jeunes intellectuels de la wilaya, et, par delà ces victimes, de la compromission de l’avenir de l’Algérie ; il est mort en emportant avec lui le secret de ses motivations profondes et c’est une perte encore plus grande que sa propre mort. 12) Il est probable que les mémoires du capitaine Aït Mehdi Arezki sur la Wilaya III apporteront, au cas où ils trouvent éditeur, quelques lumières sur cette période sombre de la lutte armée. 13) Boussouf et Boumediène sont-ils les ultimes victimes, de manière posthume, de la «Bleuite» ? Et le capitaine Léger poursuit-il, par delà sa tombe, sa guerre infâme et criminelle contre l’Algérie, avec la complicité ouverte de certains de nos citoyens les plus éclairés ? Continue-t-il à dicter aux Algériennes et Algériens leur image des

dirigeants de la glorieuse lutte de Libérations nationale, et donc l’histoire de notre pays ? Contrôle-t-il maintenant tout l’avenir de l’Algérie indépendante après s’être vanté de contrôler une wilaya pendant la guerre de Libération nationale ? M. B.