Magmatisme Et Roches Magmatiques - 3e Édition - Cours Et Exercic PDF [PDF]

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Zitiervorschau

https://www.facebook.com/CoursRapides Bernard Bonin Jean-François Moyen

Magmatisme et roches magmatiques 3e édition

https://www.facebook.com/CoursRapides

© Dunod, Paris, 2004, 2011 © Dunod, 1995, pour la 1re édition

ISBN 978-2-10-056236-7

TABLE

DES MATIÈRES

Avant-propos

1

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

5

1.1 Agencement et distribution des couches terrestres

5

1.1.1 Abondance des éléments dans l’Univers 1.1.2. Origine des planètes 1.1.3 Compositions du Soleil et de la Terre 1.1.4 Différenciation de la Terre

1.2 Composition des différentes couches 1.2.1 Météorites 1.2.2 Roches terrestres 1.2.3 Modèle général et évolution précoce

1.3 Croûte et manteau 1.3.1 Compositions chimiques 1.3.2 Compositions minéralogiques 1.3.3 Comportement rhéologique

14 14 21 24

28 29 31 32

1.4 Conclusion

36

Chapitre 2 • Les sources des magmas

39

2.1 Hétérogénéités du manteau supérieur

42

2.1.1 Péridotites et roches associées 2.1.2 Péridotites métasomatiques

2.2 Le rôle des fluides dans le manteau 2.2.1 Compositions des fluides 2.2.2 Métasomatose par lessivage-précipitation 2.2.3 Kimberlites et roches associées

2.3 Anatexie et fusion partielle © Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

5 8 9 11

2.3.1 Fusion partielle induite 2.3.2 Fusion partielle dans le manteau 2.3.3 Anatexie de la croûte

2.4 Sources, ou réservoirs des magmas 2.4.1 Réservoirs géochimiques 2.4.2 Évolution pression-température-temps

42 52

58 58 61 63

65 66 71 85

100 100 102

2.5 Conclusions

106

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

109

3.1 Un magma primaire : le basalte

110

3.1.1 Caractères physiques des magmas 3.1.2 Ascension et écoulement : dynamique des magmas

111 116

V

Table des matières 3.1.3 Refroidissement et cristallisation : cinétique des magmas 3.1.4 Minéralogie et chimie des basaltes

3.2 Un magma différencié : le granite 3.2.1 3.2.2 3.2.3 3.2.4 3.2.5

Compositions et nomenclature Origine et mobilité Nucléation et croissance cristallines Comportement de l’eau Associations magmatiques

3.3 Volcanisme et produits associés

140 141 144 148 151 154

154

3.3.1 Dynamismes éruptifs 3.3.2 Séries volcaniques

154 160

3.4 Mise en place des plutons

172

3.4.1 3.4.2 3.4.3 3.4.4

Les intrusions en feuillets Les intrusions basiques litées Les intrusions intermédiaires et acides La « plomberie » magmatique

3.5 Différenciation des magmas 3.5.1 3.5.2 3.5.3 3.5.4 3.5.5

Relations liquide-solide Relations liquide-liquide Mélanges et systèmes ouverts Relations liquide-solide-vapeur Mécanismes de genèse de magmas zonés

3.6 Durées des phénomènes magmatiques 3.6.1 Durées d’évolution et de cristallisation des magmas 3.6.2 Durées des provinces magmatiques

173 181 189 196

198 198 207 211 218 224

225 225 229

3.7 Conclusions

231

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

235

4.1 Effets de la mise en place des corps magmatiques

235

4.1.1 Hydrothermalisme associé 4.1.2 Métasomatose dans la croûte 4.1.3 Gîtes minéraux hydrothermaux

4.2 Magmatisme et géodynamique 4.2.1 4.2.2 4.2.3 4.2.4

Zones océaniques Aires continentales Subduction et collision continentales Évolution dans le temps

4.3 Conclusion : croissance et recyclage de la croûte 4.3.1 Taux d’éruption volcanique et de production des magmas 4.3.2 Croissance et recyclage des continents

VI

122 137

236 239 243

246 248 257 264 279

291 291 293

Épilogue

297

Conclusion

300

Références bibliographiques

301

Index

305

AVANT-PROPOS

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

À la mémoire de Jean Lameyre. La pétrologie est la science des roches, ainsi que l’indique sa racine étymologique grecque de πετρος = pierre, λογος = parole, raison. Elle ne se réduit pas à la pétrographie, la description des roches (de γραφειν = écrire, décrire), qui en constitue seulement le prodrome. Originellement science de la terre, mais actuellement science appliquée aux planètes, aux astéroïdes et aux comètes, la pétrologie se divise classiquement en deux disciplines, suivant l’origine des roches étudiées : • la pétrologie exogène étudie les roches formées dans des conditions proches de la surface ; • la pétrologie endogène étudie les roches formées dans des conditions différentes de celles de la surface. Cet ouvrage est consacré au magmatisme. Il concerne les roches qui, au cours de leur histoire, sont passées au moins partiellement à l’état liquide. Les lois physicochimiques et les méthodes d’étude des roches magmatiques sont les mêmes que celles utilisées pour le métamorphisme (autre discipline de la pétrologie endogène) et la sédimentologie (pétrologie exogène) (voir dans la même série les ouvrages consacrés à ces deux disciplines). Comme l’ensemble des sciences de la terre, la pétrologie du magmatisme a beaucoup évolué au cours des quarante dernières années. Au début des années 1960, malgré les avancées obtenues depuis plus d’un siècle dans le domaine expérimental, une image descriptive et statique des roches et de leurs associations minérales prévalait. La théorie dominante en France était alors fondée sur la dualité basalte–granite et les deux équations qui en découlaient : basalte = magma issu du manteau et granite = roche (magmatique ?) issue de la croûte (continentale). Or, à la fin des années 1960, la révolution des idées provoquée par l’avènement de la tectonique des plaques s’est accompagnée de nouvelles observations sur le terrain, en particulier dans les océans, et de la prise en compte des expériences de laboratoire. Les méthodes d’étude ont, elles aussi, évolué. À l’observation classique des roches et des phases minérales qui les constituent, se sont ajoutées de nouvelles techniques d’analyse des éléments chimiques (majeurs et en traces) et des isotopes. De techniques de pointe il y a seulement 30 ans, elles sont entrées maintenant dans la routine des laboratoires. Les résultats de plus en plus nombreux, rendus possibles par l’amélioration des techniques et l’apparition de nouvelles méthodes, ont conduit à la remise en question des idées alors communément admises. Le volume important des données quantitatives et leur gestion par des appareils de calcul de plus en plus rapides ont permis 1

Avant-propos

l’établissement sur des bases mathématiques des lois régissant la distribution des éléments chimiques dans la Terre et la répartition des masses à l’intérieur du globe. Des théories mieux étayées, qui avaient souvent été proposées dans le passé mais sans preuves suffisamment fondées, ont pu être reformulées. Le résultat des travaux aboutit à une image de la Terre encore en pleine évolution. Cette image se fonde sur des modèles, conçus d’après des systèmes analogues aux systèmes réels et établis sur un nombre limité de paramètres bien contrôlés. Dans les trente dernières années, les modèles de plus en plus élaborés intègrent un nombre toujours croissant de paramètres, afin de mieux coller à la réalité des phénomènes naturels complexes. À l’heure actuelle, l’état d’équilibre n’est pas encore atteint et l’émergence de nouveaux modèles se poursuit toujours à un rythme soutenu. Dans cet ouvrage, les modèles les plus récents ont été retenus dans la mesure où ils constituent un réel progrès par rapport aux idées antérieures. Les différents objets magmatiques seront présentés à toutes les échelles : mégascopique (observations globales et sur le terrain), mésoscopique (associations minérales et textures), microscopique et nannoscopique (répartition et comportement des éléments chimiques dans les roches et les minéraux). Dans ce parcours, les degrés de certitude sont très variables et il faut en tenir compte dans l’appréciation des théories, car elles sont construites à partir d’un corpus de données inégalement fiables et reproductibles. Un choix personnel inévitable a donc présidé au tri des idées, qui nécessairement évoluent, et des faits analytiques et expérimentaux, moins sujets à révision. Pour paraphraser Jean Rostand : « Le géologue passe, la roche reste. » Cet ouvrage s’adresse aux étudiants des universités, des classes préparatoires aux grandes écoles et des préparations aux concours de recrutement des enseignants, ainsi qu’aux enseignants du secondaire. Provenant de la révision d’une grande partie de l’ouvrage Pétrologie endogène, paru en 1995 dans la Série Géosciences, il a été conçu pour ouvrir des perspectives sur la pétrologie du magmatisme et non pour constituer un précis complet. Il forme un nouveau volume de la série et s’appuie largement sur des notions définies et présentées dans d’autres volumes, parmi lesquels : Géochimie, Géodynamique, Métamorphisme et roches métamorphiques, Minéralogie, Tectonique, Volcanologie. En cas de besoin, le lecteur s’y référera. Un livre destiné à l’enseignement ne se conçoit pas, ne s’élabore pas, ne s’écrit pas dans la solitude, même à deux. Par leur aide matérielle, leurs conseils, leurs encouragements, les discussions animées que nous avons pu avoir ensemble, beaucoup d’amis nous ont soutenu dans cette entreprise. Il faut insister également sur le rôle important joué par l’ensemble des personnes que nous avons eu le privilège d’avoir comme auditoire dans les modules d’enseignement et de formation initiale ainsi que lors des séances de formation continue. La recherche vivifie et nourrit l’enseignement à l’université. La proposition réciproque est également vraie : le travail de préparation et d’élaboration que nécessite un cours, les réactions à chaud qu’il provoque et les questions qu’il suscite a posteriori constituent autant de stimulation et d’incitation à aborder les travaux de recherche de 2

Avant-propos

façon différente et plus originale et à exercer une réflexion plus large et ouverte vers le public. Quelques ordres de grandeur concernant la Terre et ses constituants 1. Les dimensions de la Terre Distance Terre-Soleil = 1,47 à 1,53.108 km soit 8 min 10 s à 8 min 30 s à la vitesse de la lumière Distance Terre-Lune = 330 000 km = 1,1 s à la vitesse de la lumière Circonférence de la Terre à l’équateur = 40 074 km Rayon de la Terre à l’équateur = 6 378 km Rayon de la Terre aux pôles = 6 357 km Surface de la Terre = 510.106 km2 Volume de la Terre = 1 083.109 km3 Masse de la Terre = 5,976.1024 kg Densité moyenne de la Terre = 5,517 (masse volumique 5 517 kg.m– 3) 2. Les matériaux terrestres 10–10 m (10–10 m = 10–4 mm = 1 Å) 0,35 Å (Be) – 2,2 Å (Te) 1 µm = 10–6 m (volcaniques, sédimentaires) 1 mm à 1 cm (plutoniques, métamorphiques, sédimentaires) 1 cm à plusieurs m (pegmatites) Volume d’une formation géologique = 1 km3 à > 106 km3 (ex. Bassin de Paris)

Diamètre moyen d’un atome = Valeurs extrêmes = Dimensions d’un cristal =

3. L’échelle des durées 4,568 Ga = 4,568.109 a 4,404 Ga 4,04 Ga 4,568 à 2,5 Ga 2,5 à 0,542 Ga 0,542 à 0 Ga 3 à 4 Ma = 3 à 4.106 a

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Âge du système solaire = Plus vieux minéral daté (zircon) = Plus vieilles roches datées (métatonalite) = Archéen = Protérozoïque = Phanérozoïque = Apparition des premiers humanoïdes (?) =

3

PLAN

LES

CONSTITUANTS DE LA TERRE

1

1.1 Agencement et distribution des couches terrestres 1.2 Composition des différentes couches 1.3 Croûte et manteau

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

La Terre appartient au système solaire et s’est formée en même temps que les autres planètes qui gravitent autour du Soleil. Le système solaire comprend un certain nombre d’objets : • les comètes et les objets vagabonds, comme les météorites ; • les planètes intérieures ou telluriques : Mercure, Vénus, Terre (et son satellite, la Lune), Mars (et ses deux satellites, Phobos et Deimos) ; • la ceinture d’astéroïdes ; • les planètes géantes : Jupiter, Saturne, Neptune et Uranus, et leurs nombreux satellites, certains possédant une atmosphère (Titan et Triton) ; • Pluton (et son satellite, Charon). La « pétrologie comparée » des objets du système solaire (étude de leur nature, leur composition et leur origine) permet de se faire une idée des premiers âges de notre globe. L’agencement et la distribution des roches ne sont pas aléatoires et témoignent de processus de différenciation à partir de la matière interstellaire, processus encore actif aujourd’hui dans le cas de la Terre mais achevé à un stade plus ou moins précoce dans les autres cas.

1.1 AGENCEMENT

ET DISTRIBUTION

DES COUCHES TERRESTRES 1.1.1 Abondance des éléments dans l’Univers L’abondance d’un élément dans l’Univers est surtout fonction de sa masse atomique (Fig. 1.1). Si elle est nettement décroissante, la variation n’est pas absolument régulière. À partir de l’hydrogène, elle commence par décroître très rapidement jusqu’à la masse 45 (Sc), puis augmente jusqu’à un maximum constituant le « pic du fer » 5

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

(masse 56). Au-delà, l’abondance des éléments plus lourds diminue moins rapidement, marquée par quelques irrégularités. Dans le détail, on constate : • une irrégularité au début de la courbe, les éléments légers, Li, Be et B, étant moins abondants que leurs suivants immédiats, C, N, O ; • l’abondance systématiquement supérieure des éléments de masse atomique paire par rapport à ceux de masse atomique impaire voisine : par exemple, le fer (masse 56) est plus abondant que le manganèse (masse 55) et le cobalt (masse 59). Logarithme abondance relative par rapport à 106 atomes de Si

12

H 10

He 8

C O Si

6

Fe 4

2

Li B Be 0

-2

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

numéro atomique

Figure 1.1 – Abondance des éléments chimiques dans l’univers, exprimée en atomes pour 106 atomes de Si, en fonction du nombre atomique Z depuis H jusqu’à Bi (Goles, 1969).

Noter la décroissance générale, la rareté des éléments Li, Be et B, la prédominance des atomes de nombre atomique pair et le « pic du fer ».

Ces faits indiquent que l’abondance des éléments dépend de la constitution de leur noyau et non de leurs propriétés chimiques, liées à leur configuration électronique. Elle résulte de séries de réactions de fusion nucléaire, désignées sous l’appellation générale de nucléosynthèse, ayant pour conséquence la fusion de noyaux légers (H, He) donnant naissance à des noyaux plus lourds. L’histoire primitive de l’Univers, avec la formation des noyaux atomiques, est hors de portée de la pétrologie mais elle doit être connue pour comprendre la composition et l’origine des différences dans les couches du globe terrestre et des planètes du système solaire, objets de la pétrologie terrestre et extra-terrestre.

6

1.1 • Agencement et distribution des couches terrestres

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

EN CART Les réactions de nucléosynthèse Il est généralement admis que la matière était formée au départ de noyaux d’hydrogène (protons) et d’électrons avec également des noyaux de deutérium et d’hélium. La nucléosynthèse se produit dans les étoiles qui naissent par isolement gravitaire d’une certaine masse de gaz interstellaire. Par divers processus, vents solaires, explosions (nova et supernova), les étoiles fournissent les produits de la nucléosynthèse au milieu galactique qui s’enrichit progressivement en éléments lourds. Au cœur d’une étoile, la matière se contracte sous l’effet de la gravité et atteint la température nécessaire pour favoriser la fusion des noyaux d’hydrogène. Les réactions fortement exothermiques maintiennent le niveau nécessaire de forte énergie. Les protons se repoussent à cause de leur charge positive et il faut pour vaincre les forces de répulsion des particules des vitesses relatives très grandes, donc des températures élevées. Les réactions se produisent selon une séquence à température croissante, ce qui se traduit par le fait que, dès le stade primitif de la fusion de l’hydrogène, l’étoile brille. Au départ, la masse d’hydrogène de masse atomique 1 se contracte et s’échauffe. Dès que la température en son centre dépasse 107 K et la masse volumique 105 kg.m–3, les noyaux d’hydrogène fusionnent pour former l’hélium de masse 4. La production d’hélium conduit à l’augmentation de la masse volumique jusqu’à 108 kg.m–3. La fusion de l’hélium qui s’ensuit aboutit généralement à la formation de carbone (masse 12), les éléments intermédiaires (Li, Be, B) apparaissent fugitivement au cours des réactions sous forme d’isotopes instables. Par fusion de noyaux de carbone avec des noyaux d’hélium, l’oxygène (masse 16) est formé, plus rarement le néon (masse 20), le magnésium (masse 24) et le silicium (masse 28). Notons que tous les éléments stables formés à ce stade ont une masse paire. Les réactions de nucléosynthèse se déroulent sur des périodes variant selon la masse des étoiles. La fusion de l’hydrogène dans une étoile de la taille du soleil peut durer 1010 années, celle de l’hélium dans une étoile géante rouge 108 années. Dans les étoiles super-géantes, après formation du carbone et de l’oxygène, les réserves d’hélium s’épuisent et la fusion du carbone se produit à une température supérieure à 8.107 K. L’oxygène prend le relais à une température dépassant 1,5.109 K. Les processus de nucléosynthèse, de plus en plus rapides (106 à 104 ans), deviennent de plus en plus complexes, chaque réaction produisant des noyaux d’hydrogène et d’hélium recyclés dans les réactions suivantes. La séquence de nucléosynthèse s’effectue donc par nombre atomique croissant. Les éléments ainsi formés sont de moins en moins abondants parce qu’il faut une énergie de plus en plus forte pour vaincre la répulsion de noyaux de plus en plus lourds. Le pic du fer s’explique parce que les noyaux de masse voisine de 50 sont plus stables que les noyaux de masse plus faible. Les éléments lourds de masse supérieure à 64 (cuivre) sont produits par l’absorption de neutrons produits par les réactions. À la suite de l’expulsion dans le vide interstellaire des produits de nucléosynthèse issus des étoiles existantes, se forment des nuages moléculaires avec une forte instabilité gravitaire, les nébuleuses. Par contraction, elles vont former des étoiles nouvelles.

7

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

1.1.2. Origine des planètes Le système solaire se serait formé à partir d’une nébuleuse de faible masse, d’un rayon égal à 104 fois le rayon du Soleil, correspondant à l’orbite de Pluton, et de densité moyenne égale à 10–12 fois la densité actuelle du Soleil. Sa composition devait être essentiellement de l’hydrogène moléculaire et de l’hélium avec des poussières. Dans la nébuleuse primitive, la rotation et la contraction de la sphère de gaz conduit, sous l’effet de l’élévation de température, à la dissociation de H2 et à l’effondrement de l’ensemble jusqu’à ce que le rayon ne soit plus que de 100 fois le rayon du Soleil, correspondant à une orbite située entre Mercure et Vénus. Ce premier stade durerait environ 100 ans. Un peu moins de 10 % de la masse totale n’entrerait pas dans la masse du Soleil et fournirait ainsi une partie de la matière nécessaire à la formation des planètes. Les matériaux constitutifs du système solaire proviendraient en majeure partie d’une étoile voisine qui aurait explosé sous forme de supernova et auraient été capturés par l’attraction du Soleil en voie de formation. Les rapports de certains isotopes stables différents dans le Soleil, les matériaux cométaires et les planètes suggèrent qu’ils n’ont pas la même origine et que les planètes ont évolué à partir de matériaux primitifs de type cométaire. Ainsi, la Terre et les météorites présentent une anomalie significative des teneurs en deutérium, isotope lourd non radiogénique de l’hydrogène. Parce qu’il entre dans les réactions produisant l’hélium, le deutérium est très peu abondant dans la matière solaire actuelle. Les sondes spatiales actuellement en cours d’envoi vers les différents corps planétaires et les comètes devraient permettre de lever définitivement les incertitudes. Quoi qu’il en soit, la nébuleuse s’est refroidie dans l’espace, dont la température moyenne est de l’ordre de 4 K, entraînant la condensation progressive de différents composés chimiques depuis les plus réfractaires jusqu’aux plus volatils. En comparant les résultats des expériences thermochimiques à très faible pression avec la composition du Soleil, l’ordre de condensation des éléments est le suivant (Fig. 1.2) : Al → Ti → Ca → Mg → Si → Fe → Na → S. Les éléments essentiels à l’apparition de la vie, H, O, C et N, se condensent pour des températures inférieures à 200-300 K. La composition des inclusions réfractaires des météorites les plus primitives, comme la chondrite carbonée de type III d’Allende, est exactement celle postulée par les résultats obtenus sur la stabilité des phases à 1 400 K. Les grains formés par condensation vont croître par collision des molécules qui restent collées sur leurs surfaces : c’est le phénomène d’accrétion. La vitesse de croissance étant de l’ordre du cm.a–1, ce mécanisme permet de former des grains de l’ordre du µm en un temps de l’ordre de l’heure. En 100 ans environ, les particules solides, plus denses que le gaz qui les enveloppe, tombent dans le plan équatorial du système et, par collision, vont accélérer la croissance des planétoïdes. À partir de corps de taille centimétrique, il est possible de former par attraction gravitaire les planètes actuelles en une période d’environ 100 millions d’années. Le vent solaire, 8

1.1 • Agencement et distribution des couches terrestres

température (K) 2100

) aires (W réfract x ) u a t O é l m ,A 2 3 Ca TiO 3 ( s e ir cta fer s réfra oxyde upe du du gro x u a t t mé siens e ) magné s e t a spaths silic s (feld r e g lé s silicate

1800

1500

1200

900

troïlite (FeS) 600

Hydratation des silicates oxydation du fer

H2O CH4-H2O

300

0

-7

-6

-5

-4

-3

-2

Glace

-1

0

1

log P (bar)

Figure 1.2 – Séquence des matériaux solides apparaissant par condensation

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

d’une nébuleuse de 2 100 à 0 K (100 °C = 273,15 K) en fonction de la pression (P, 1 bar = 0,1 MPa) (Hartmann, 1983 ; Encrenaz et Bibring, 1987).

qui a dû être très intense à cette époque, a eu pour effet de chasser vers l’extérieur les particules qui n’étaient pas agglomérées en corps pluricentimétriques. Par mesures des isotopes radioactifs de longues périodes et radiogéniques du système U-Pb dans les inclusions réfractaires de chondrites carbonées, dont la météorite d’Allende, l’âge de formation du système solaire est évalué à 4568,22 ± 0,17 Ma. Les mesures des isotopes radiogéniques fils des isotopes 244Pu et 129I, éléments radioactifs de courtes périodes maintenant disparus, montrent qu’il s’est écoulé 100 Ma au plus entre la séparation des matériaux proto-solaires à partir du milieu interstellaire et la formation des planètes. Les planètes seraient donc contemporaines du Soleil mais ne seraient pas directement issues de lui.

1.1.3 Compositions du Soleil et de la Terre Les éléments les plus abondants dans l’Univers se présentent dans l’ordre décroissant : H → He → O → Ne → N → C. Pour la plupart, ils sont favorables à l’apparition de la vie. Sur Terre, l’ordre des teneurs est très différent : O → Fe → Si → Mg → S → Ni → Al. Si l’on compare l’abondance des éléments mesurée par rapport à 106 atomes de silicium pris comme référence dans l’Univers, le Soleil et la Terre (Tab. 1.1), deux groupes d’éléments se distinguent nettement : • les éléments « volatils » et les gaz rares, dont la Terre est très déficitaire par rapport à l’Univers, à l’exception de l’oxygène qui y est aussi abondant (près du 9

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

tiers de la masse de la Terre, Tab. 1.2). Sur Terre, les gaz rares ont à peu près totalement disparu, sauf l’argon dont l’isotope majeur (40A) est produit par la désintégration de 40K. Deux éléments volatils, l’hydrogène et le carbone, gardent une présence significative car ils se combinent facilement avec l’oxygène. Les composés du système C-H-O, dont H2O et CO2, jouent un rôle important dans les processus internes et externes du globe ; • les éléments « minéraux », constitués par Si, Al, Fe, Mg, Ca, Na, Ni, (Ti, Mn, K, P), se rencontrent en quantités presque égales dans l’Univers et sur Terre. Ces éléments sont également appelés « majeurs » car, avec l’oxygène, ils prédominent sur Terre. Les deux éléments les plus abondants, l’oxygène et le silicium, se combinent avec les autres éléments minéraux pour former la grande famille des minéraux silicatés, qui constituent avec les alliages métalliques de fer-nickel l’essentiel de la matière terrestre. Tableau 1.1 – Teneurs relatives des éléments dans l’Univers, le Soleil et la Terre (par rapport à 106 atomes de Si) (d’après Mason, 1958 ; Goles, 1969 ; Brahic, 1982). Élément

Univers

H He C N O Ne Na Mg Al Si S Ca Fe Ni

074,00.1010

3,10.109 3,50.107 6,60.106 2,15.107 8,60.106 4,40.104 0,91.106 9,50.104 .106 3,75.105 4,90.104 9,10.105 2,70.104

Soleil 3,18.1010 2,21.109 1,18.107 3,64.106 2,21.107 3,44.106 600,.104 1,06.106 8,50.104 .106 500,.105 7,20.104 8,30.105 4,80.104

Fraction de la masse totale 78,00 % 20,00 % 01,33 % 00,17 %

00,365 %

Terre 8 40000,. 3,50.10–5 7 00000,. 2000,. 0,35.107 1200,.10–5 4,60.104 0,89.106 9,40.104 .106 .105 3,30.104 13,50.105 .105

99,865 %

Les différences de composition entre l’univers et le globe terrestre proviennent du processus de différenciation qui commence tôt, dès le début de l’histoire primitive de la nébuleuse solaire. Les éléments volatils non encore condensés sont expulsés sous l’effet des vents solaires, alors que les éléments minéraux combinés à l’oxygène forment très tôt des minéraux denses surtout silicatés. L’ensemble des différentes planètes s’est formé par condensation et accrétion de grains formant moins de 10 % de la matière de la nébuleuse. Dès cette période qui a débuté il y a 4 566 Ma, prennent place les processus géodynamiques conduisant à accentuer progressivement la différenciation de la Terre.

10

1.1 • Agencement et distribution des couches terrestres

1.1.4 Différenciation de la Terre La Terre, planète intérieure du système solaire, fait partie du groupe des planètes « telluriques », avec un rayon équatorial de 6 371,23 ± 0,01 km, une masse totale évaluée à 5,9733 ± 0,09.1024 kg et une densité moyenne de 5,514, valeur typique de matériaux riches en fer. Les paramètres d’état, pression, température et densité, sont liés par l’équation qui détermine l’état solide, liquide ou gazeux du matériau. Dans le cas de la Terre, les roches que l’on peut observer à la surface ont une densité variable, en général inférieure à 3,3 à l’exception des minerais métalliques. Même en tenant compte du fait que la densité varie avec la profondeur à cause de la compression de la matière, il y a une différence majeure de l’ordre de 40 % entre la densité des roches connues à l’affleurement et celle obtenue par les calculs astronomiques. Cela implique que des matériaux différents plus denses existent à l’intérieur du globe. On peut prévoir la composition moyenne d’une planète selon la densité moyenne de ses matériaux et la masse totale du globe (Fig. 1.3). Les différents corps du système solaire, planètes, satellites et astéroïdes, ne se situent pas sur une courbe simple issue des lois de la compression dans un diagramme (densité, masse), ce qui montre qu’ils sont composés de matériaux différents. Les planètes les plus proches de la composition de la Terre sont Vénus et Mercure. Mars, la Lune et certains astéroïdes, moins denses, ont à peu près la même composition. densité (Kg-m-3) 8000

planètes métalliques 7000

planètes silicatées riches en fer

6000

Terre Vénus

Mercure

5000

planètes silicatées moyennes 4000

planètes silicatées pauvres en fer

Lune

3000

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Mars

é t o i l e s

astéroïdes 2000

Soleil

planètes silicatées riches en volatils 1000

planètes de glace ou riches en H 0

15

20

25

30

35 log masse (Kg)

Figure 1.3 – Densités (kg.m–3) des matériaux du système solaire en fonction de leur masse (kg).

Les lignes correspondent à des compositions constantes (Hartmann, 1983).

11

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

Il existe des arguments géophysiques pour subdiviser la Terre en couches concentriques. En plus des sondages profonds qui ne dépassent pas la dizaine de kilomètres, les enregistrements des ondes sismiques apportent des informations sur les zones profondes du globe. Leur interprétation se fonde sur les propriétés des ondes longitudinales P et transversales S. L’analyse des enregistrements sismiques conduit à définir des discontinuités. Trois unités principales ont été déterminées : • le noyau central, de 3 471 km de rayon, fait environ 16 % du volume terrestre ; • le manteau, de 2 900 km d’épaisseur, correspond à 82,5 % du volume terrestre ; • la croûte, d’épaisseur variable (6 à 60 km), ne représente au plus que 1,5 % du volume terrestre. Les discontinuités majeures séparent le noyau du manteau (Gutenberg à 2 900 km de profondeur) et le manteau de la croûte (Moho à des profondeurs variant de 5 à 70 km). Des discontinuités supplémentaires sont définies à l’intérieur des trois couches. Elles traduisent des variations de composition et/ou de température, ainsi que des changements d’état (Tab. 1.2). À la première différenciation, responsable des différences notables de compositions entre l’univers et la Terre, vient donc s’ajouter une deuxième différenciation à l’intérieur même du globe. Tableau 1.2 – Principales couches du globe terrestre sous les océans (modèle préliminaire de référence de la Terre PREM, Dziewonski et Anderson, 1981). Région Noyau interne

Altitude (km) 0-1 221,5

Densité (g.cm–3) 13,0885 – 8,8381 x2

1 221,5-3 480

12,5815 – 1,2638 x – 3,6426 x2 – 5,5281 x3

Manteau inférieur

3 480-5 701

7,9565 – 6,4761 x + 5,5283 x2 – 3,0807 x3

Zone de transition

5 701-5 771 5 771-5 971 5 971-6 151

5,3197 – 1,4836 x 11,2494 – 8,0298 x 7,1089 – 3,8045 x

Zone à faible vitesse (ZFV)

6 151-6 291

2,6910 + 0,6924 x

Manteau supérieur au-dessus de ZFV

6 291-6 346,6

2,6910 + 0,6924 x

Noyau externe

Croûte

6 346,6-6 356 6 356-6 368

2,900 2,600

Océan

6 368-6 371

1,020

La variable x correspond au rapport h/R, h est l’altitude au-dessus du centre de la Terre et R, son rayon égal à 6 371 km. Les densités varient de 3,3 à 5,5 environ dans le manteau, de 10 à 13 environ dans le noyau.

Les noyaux des comètes et les plus petits des astéroïdes pourraient représenter l’état primitif du matériau planétaire. Le noyau des comètes correspond à une « boule de glace sale », agrégat de glace et de grains produits par la condensation du matériau initial jusqu’à très basses températures, inférieures à 300 K. Les micrométéorites, de 12

1.1 • Agencement et distribution des couches terrestres

taille inférieure à 0,5 mm, tombent à la surface de la Terre sous forme d’étoiles filantes et auraient une origine cométaire, ce que suggère le lien entre les périodes de chutes d’étoiles filantes et la présence des comètes. Les comètes libèrent les grains emprisonnés dans la glace par sublimation du noyau sous l’action du vent solaire. La spectroscopie infrarouge des comètes a montré la présence systématique de silicates et une composition proche des chondrites carbonées de type I. D’autres corps du système solaire ont suivi une évolution voisine de celle de la Terre, avec ses différentes couches. Les météorites représentent un échantillonnage naturel de la ceinture d’astéroïdes et d’autres planètes telluriques, comme Mars et la Lune. Les plus grands astéroïdes ont subi une différenciation rapide au moment de leur formation, car l’énergie thermique fournie par la radioactivité d’éléments de courte période (26Al par exemple) peut suffire à fondre des corps de plus de 10 km de diamètre. Le résultat le plus frappant issu des travaux de datation des matériaux primitifs et différenciés des météorites et des échantillons lunaires est la similitude de leur âge (Tab. 1.3). La météorite chondritique de Bjorböle sert de référence « année zéro ». Pour dater les météorites et les planètes par rapport à la météorite de Bjorböle, on utilise certains isotopes radiogéniques qui ne se forment dans l’Univers que par désintégration de l’isotope radioactif père. Par exemple, 129Xe, gaz rare inerte, est issu seulement de l’isotope 129I de courte période et ne subsiste que piégé dans la matière minérale. L’isotope 129I aurait été fourni au moment de la formation du système solaire par l’explosion d’une supernova peu éloignée, ainsi que l’isotope 26 Al, dont le fils 26Mg a également été trouvé en excès. Tableau 1.3 – Chronologie des météorites (d’après Hartmann, 1983, complété).

Événement

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Formation Durée de formation Solidification Rétention des gaz Irradiation cosmique Date de chute

Isotopes utilisés

Échantillons analysés

87

M. pierreuses

Rb/87Sr U-Pb 129 129 I/ Xe Rb/Sr, U/Pb et 40Ar/ 39Ar 40 K/40Ar 3He 14

C

26Al

M. métalliques M. métalliques et pierreuses M. pierreuses M. pierreuses M. métalliques M. pierreuses M. métalliques

Résultats 4,55 à 4,65 Ga 4,56 à 4,57 Ga environ 20 Ma 4,4 à 1,6 Ga 4,4 à 4,6 Ga 0,1 à 100 Ma 1 à 1 000 Ma 0 à 10 000 ans 0 à 50 000 ans

Les chondrites carbonées se seraient formées 5 Ma avant l’année zéro, les météorites silicatées se formeraient pendant 5 Ma à partir de l’année zéro, les météorites métalliques apparaîtraient 3 à 5 Ma après. Les météorites proviennent de corps qui n’ont jamais eu la taille de notre planète, la durée de leur formation suivie de leur différenciation a donc été très courte. La planète Terre, elle, n’aurait acquis une taille et une consistance suffisantes pour retenir 129Xe que 96 ± 12 Ma plus tard (Fig. 1. 4). Les périodes de formation et de différenciation y sont donc beaucoup plus longues. 13

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

Nature des matériaux

chondrites carbonées chondrules séparées chondrites achondrites sidérites TERRE

-20

0

20

40

60

80

100

Age relatif de formation (Ma) par rapport à la météorite de Bjorböle (4,6 Ga)

Figure 1.4 – Les premiers 110 millions d’années de l’histoire du système solaire, déterminées par le système

129

I–

129

Xe.

L’âge zéro, arbitrairement choisi, est celui de la chondrite de Bjorböle. Les météorites se sont refroidies pour la plupart en moins de 20 Ma, la Terre ne devient suffisamment solide pour retenir le xénon que 96 Ma plus tard (Hartmann, 1983).

1.2 COMPOSITION

DES DIFFÉRENTES COUCHES

Elle peut être estimée à partir des échantillons terrestres par comparaison avec des échantillons extra-terrestres. Les météorites fournissent la meilleure coupe schématique dans un corps planétaire.

1.2.1 Météorites En se déplaçant dans le système solaire, la Terre rencontre les constituants solides qui le composent. L’ensemble des météorites interceptées par la Terre (Fig. 1.5) fournit actuellement un apport de matière estimée à 15 000-50 000 tonnes par an. La matière extra-terrestre est constituée à près de 95 % de poussières de 10–8 à 10–2 g, correspondant à des particules d’une taille variant entre 40 et 1 500 µm. En raison du bouclier atmosphérique, les grains infracentimétriques se consument en général pour donner les étoiles filantes. Les grains inférieurs à 0,5 mm arrivent au sol où on les trouve en abondance (neiges polaires, sédiments marins). Ces micrométéorites ont pour source principale les noyaux de glace cométaires qui les éjectent lors de leur sublimation par échauffement solaire. 14

1.2 • Composition des différentes couches

0

Log nombre cumulatif d'impacts de masse > M( m-2 - s-1)

-5

-10

-15

-20

-25

-30 -15

-10

-5

0

5

10

15

Log masse M de la météorite (kg)

Figure 1.5 – Flux actuel de météorites (m–2.s–1) sur la terre en fonction de leur masse M (kg).

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Un impact par kilomètre carré et par an (1 km–2.a–1) correspond à 3,2.10–14 impacts par mètre carré et par seconde (Hartmann, 1983 ; Encrenaz et Bibring, 1987).

Les corps de plus grosse taille n’apportent sur terre que 10 tonnes par an environ. Les blocs de taille supérieure à 10 cm constituent les météorites proprement dites. Elles proviennent de blocs rocheux éjectés lors de collisions entre astéroïdes ou à la surface des planètes. Leur surface est érodée et enlevée en partie par échauffement et fusion en traversant l’atmosphère, mais une part importante arrive au sol. La probabilité qu’un corps de 1 km de diamètre, soit 15-50 tonnes, arrive sur Terre n’est que de 1 tous les 100 Ma. Malgré leur rareté, de tels impacts ont joué et jouent un rôle important, en particulier sur la région qui a subi le choc (métamorphisme et, parfois, magmatisme d’impact) et, plus globalement, le climat terrestre est durablement altéré par la projection dans l’atmosphère de centaines de km3 de matière pulvérisée sous le choc, volumes pouvant dépasser ceux des plus importantes éruptions volcaniques. Lorsqu’ils sont conservés sur les planètes telluriques (Lune, Mars, Mercure, Terre, Vénus, astéroïdes, etc.), les impacts se marquent par des cratères circulaires. L’observation astronomique de la superposition et du recouvrement des cratères dans une planète montre que le flux de météorites a varié dans le temps. L’intensité du flux de matière a dû atteindre une valeur plusieurs milliers de fois supérieure à la valeur actuelle durant les 100 premiers Ma (Fig. 1.6). Les planétésimaux sont des petits corps de taille kilométrique, dont l’agglomération conduit à la formation des 15

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

8

log taux d'impacts par rapport au temps présent

7 6 5 4 3 2 1 0 -1

5

4

3

2

1

0

âge (Ga)

Figure 1.6 – Taux d’impact de météorites relativement à celui du temps présent en fonction de l’âge depuis 4,6 Ga à nos jours (Hartmann, 1983).

planètes. Le phénomène de « queue d’accrétion » se traduit par un bombardement intense et la formation de cratères géants, nettement visibles sur la Lune et Mercure. Par décroissance exponentielle, le flux est à peu près stationnaire depuis 3 Ga. Chaque jour, plusieurs centaines de tonnes de matière extra-terrestre arrivent sur Terre, mais les météorites suffisamment grosses pour être étudiées forment moins de 1 % du total. L’étude minéralogique et chimique en montre l’extrême diversité. Certaines météorites, très friables, sont riches en carbone, d’autres sont à peu près entièrement métalliques (fer et nickel), d’autres encore ressemblent à certaines roches terrestres. Dans une première classification descriptive, on subdivise les météorites en trois familles, elles-mêmes subdivisées en classes, d’après leur teneur en métal : • les météorites métalliques, « fers », forment 4,5 % des météorites ; • les météorites métallo-pierreuses, lithosidérites, sont très rares (1,2 % seulement) ; • les météorites pierreuses, chondrites et achondrites, sont très abondantes (94,3 % du total). La classification actuelle, génétique, distingue les météorites indifférenciées et les météorites différenciées. Elle se superpose à la précédente : les météorites indifférenciées sont formées par les chondrites, tandis que les météorites différenciées regroupent les « fers », les lithosidérites et les achondrites (Tab. 1.4).

16

1.2 • Composition des différentes couches

Tableau 1.4 – Compositions moyennes des matériaux cosmiques (d’après Hartmann, 1983 ; Wedepohl, 1991 ; Allègre et al., 1995).

Élément (poids %) O (L) Fe (S) Si (L) Mg (L) S C Ca (L) Ni (S) Al (L) Na (L) Ti K Total

1

2

3

4

5

6

46 18 11 10 46 43 41 41 41 41 41 41

433 429 417 414 442 440 441 442 441 441 440 440

440 490 440 440 442 440 440 448 440 440 440 440

74,10 79,39 77,35 70,35 72,30 70,35 70,35 74,87 70,35 70,35 70,35 70,35

44,798 5,818 21,521 22,784 0,784 0,784 2,308 0,208 2,164 0,264 0,112 0,028

42 8 20 18 0 0 5 0 4 0 0 0

100

100

100

97

100

100

7

8

9

46,65 4,69 29,13 2,40 0,09 0,09 4,09 0,09 8,16 2,42 0,43 1,87

45 5 21 4 0 0 11 0 13 0 0 0

40 11 21 446 440 440 448 440 448 440 446 440

99,84

99

100

Matériaux primitifs 1. chondrites carbonées (Wasson, 1974). 2. chondrites ordinaires (Mason, 1962). Intérieurs des planètes 3. « fers » (modifié d’après Wyllie, 1971, en supposant 5 % de FeS). 4. noyau terrestre (Allègre et al., 1995, avec Mn 0,582, Cr 0,779, Co 0,253 et P 0,369). 5. manteau terrestre (Allègre et al., 1995, avec Mn 0,116, Cr 0,27). 6. composition moyenne de la lune (Taylor, 1975). Matériaux crustaux 7. croûte terrestre (Wedepohl, 1991, avec Mn 0,08 et P 0,08). 8. sols lunaires (Taylor, 1975). 9. basaltes lunaires (Lofgren et al., 1981).

EN CART Éléments de pétrologie extra-terrestre : la diversité des météorites

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

1. Chondrites Les météorites pierreuses les plus abondantes (85,4 %) sont les chondrites, ainsi appelées parce qu’elles contiennent des sphérules ou chondres. Les chondres, de taille voisine du millimètre, pourraient représenter des gouttes de liquide formées lors des premières collisions. Les chondrites sont considérées comme les météorites les plus primitives. Quatre classes, avec douze groupes, ont été définies selon la teneur en carbone et la nature des silicates présents.

• Les chondrites carbonées (4,7 %) sont formées d’un matériau issu d’une

condensation à basse température. Le cœur des météorites, généralement de grande taille, a subi un réchauffement assez faible pour que l’eau contenue dans les minéraux soit conservée, ainsi que le carbone et d’autres éléments et composés volatils. Sans équivalent dans les roches terrestres et lunaires, ce sont les météorites les moins transformées depuis leur formation. Elles sont les seules à contenir des phyllosilicates (argiles), la teneur totale en eau pouvant dépasser 20 %. Leur densité est faible, de l’ordre de 2,2, alors que les autres chondrites ont une densité de 3,6. La matrice fine est formée de magnétite (Fe3O4), de graphite (C) mal cristallisé, ces deux minéraux lui donnant sa couleur noire,

17

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

d’argiles, de polymères organiques et de troïlite (FeS). Elle contient des cristaux d’olivine, de pyroxènes, du verre et des inclusions métalliques. Sept groupes ont été définis par teneurs décroissantes en C, H2O et troïlite, parmi lesquels : – les chondrites carbonées CI ont 8 à 22 % d’eau et les plus fortes teneurs en éléments volatils. La météorite d’Orgueil contient 3 % de carbone et 15 % de troïlite. Contrairement à leur dénomination, elles n’ont pas de chondres. Leur composition minéralogique indique qu’elles n’ont jamais subi d’élévation significative ni de pression, ni de température. La présence de veines de calcite et de sulfates suppose l’action chimique d’eaux provenant d’un corps parent riche en glace. Les chondrites carbonées de type CI pourraient représenter le résidu pierreux de noyaux cométaires après sublimation. – les chondrites carbonées CM et CO diffèrent du type CI par la présence de chondres et contiennent 2 à 16 % d’eau dans les minéraux. Des composés organiques variés y ont été identifiés, dont près de 100 acides aminés, dont certains inconnus sur Terre. Leur présence a fait l'objet de discussions, car la surface des météorites aurait pu être contaminée par des organismes vivants au cours de la traversée de l'atmosphère et une fois sur le sol terrestre. La météorite de Murchison (Australie) a permis de clore la controverse, car sa chute le 28 septembre 1969 a été observée et plus de 100 kg de débris ont été récoltés aussitôt après. Les hydrocarbures poly-aromatiques et aliphatiques qu'elle contient pourraient provenir de l'irradiation de glace à composante de méthane. Les molécules dextrogyres et lévogyres sont en quantités égales, à la différence des molécules analogues produites par la vie sur Terre. – les chondrites carbonées CV et CK ont 1% d'eau et de nombreuses inclusions réfractaires claires. La météorite d'Allende (Mexique), dont on a récolté plus de 2 tonnes de débris, est la plus grosse des chondrites carbonées connues. On y a découvert les premières anomalies isotopiques de l'oxygène, ce que l'on interprète comme la preuve que la nébuleuse primitive était hétérogène. – les chondrites carbonées CR, CB et CH contiennent beaucoup de métal (alliage Fe-Ni), souvent plus que dans les chondrites ordinaires. Leur origine reste controversée. – enfin, la météorite de Tagish Lake, tombée au Canada le 18 janvier 2000, est très particulière. Proche par sa composition des chondrites carbonées CI et CM, elle en diffère par sa faible densité. Des portions riches en carbonates coexistent avec des portions qui en sont pauvres. Une bonne partie du carbone est représentée par de très nombreux nano-diamants. Bien que l'ensemble des chondrites carbonées forme une faible partie du total des météorites récoltées dans le sol terrestre, cela ne signifie pas qu'elles soient rares dans l'espace. Comme leur cohésion et résistance sont faibles, elles sont facilement détruites en traversant l'atmosphère. Elles sont donc sous-représentées dans les échantillons atteignant le sol terrestre. De fait, les chondrites carbonées CI prédominent dans les micrométéorites extraites de la calotte glaciaire de l'Antarctique et dans les météorites observées sur le sol lunaire.

• Les chondrites non carbonées constituent trois classes : les chondrites ordinaires, les plus abondantes (78,8 %), les chondrites à enstatite (1,7 %) et les chondrites de Rumuruti, découvertes en 1994 (0,2 %). Les chondrites ordinaires forment trois groupes selon leur teneur en fer (H = high, 32,3 % du total ; L = low, 39,3 % ; LL = low-low, 7,2 %) et les chondrites à enstatite deux groupes (EH, EL). Les chondrites de Rumuruti sont trop rares pour être subdivisées. Les chondrites 18

1.2 • Composition des différentes couches

non carbonées ont comme minéraux majeurs l’olivine, le pyroxène et le plagioclase et il existe souvent une phase métallique. Le fer, à l’état oxydé, entre dans les minéraux silicatés ou, à l’état réduit, subsiste sous forme métallique native. Les chondrites à enstatite contiennent tout le fer à l’état métallique ou dans les sulfures, avec un minéral silicaté (enstatite) très magnésien. Formées dans un milieu réducteur, elles ont une composition proche de celle des matériaux condensés à plus de 1 300 K. Elles pourraient représenter des produits de haute température de la nébuleuse. Les autres chondrites, dont celles de Rumuruti, sont en déséquilibre, car, à température élevée, le fer métallique ne peut pas coexister avec des minéraux silicatés contenant du fer ferreux. Elles se seraient formées à température plus basse que les chondrites à enstatite, probablement près de la surface des corps parents. 2. « Fers » Les météorites métalliques (4,5 %) sont surtout constituées d’un alliage de fer et de nickel sous deux formes principales : la kamacite (Ni < 8 %) cristallise dans le système cubique centré et la tænite (Ni > 20 %) dans le système cubique à faces centrées. Deux familles minéralogiques et chimiques ont d’abord été distinguées : – les hexaédrites, pauvres en Ni (< 6 %) et constituées de grands cristaux de kamacite, sont rares (0,5 %). Après section, polissage et attaque acide, un fin réseau de lignes parallèles apparaît, les lignes de Neumann, macles probablement induites par les chocs subis au moment de la séparation d’avec le corps parent ; – les octaédrites sont plus abondantes (4 %), plus riches en Ni (12 %) et constituées de lamelles de kamacite entourant des domaines hétérogènes (plessite) où kamacite et tænite forment des cristaux enchevêtrés selon les figures de Widmanstatten orientées parallèlement aux faces d’un octaèdre. Plus la teneur en Ni est élevée, plus les lamelles de kamacite sont étroites. Cette structure particulière peut être due à un refroidissement lent au cœur du corps parent. La classification actuelle des sidérites tient compte des teneurs en certains éléments spécifiques comme Ga, Ge et Ni et définit six groupes principaux (IA, IIA, IIB, IIIA, IIIB, IVA) et des groupes mineurs. Cette variabilité suggère que les sidérites actuellement connues proviendraient au moins d’une dizaine de corps parents. © Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

3. Lithosidérites Elles sont formées de phases métalliques et de phases silicatées étroitement imbriquées. Deux groupes ont été définis : – les mésosidérites (0,9 %) contiennent plagioclase et pyroxène prédominants. Le métal forme des inclusions dans les silicates et semble avoir été incorporé à l’état solide dans la matrice silicatée. – les pallasites (0,3 %) se caractérisent par une matrice métallique analogue à celle des octaédrites entourant des cristaux d’olivine. Elles proviendraient de l’interaction dans le corps parent entre le noyau métallique liquide et le manteau cristallisé riche en olivine. Elles pourraient constituer un échantillonnage naturel de la couche D’’, située à la discontinuité de Gutenberg.

19

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

4. Achondrites Plus rares (8,9 %), elles sont dépourvues de chondres, d’où leur nom, et ressemblent le plus aux roches lunaires et terrestres. La taille des cristaux, généralement plus grosse que dans les chondrites, serait due à un refroidissement lent à partir d’un matériel fondu. Selon leur composition minéralogique et leur provenance supposée, on distingue de nombreux groupes : – les achondrites primitives pourraient être classées dans les météorites indifférenciées ; – les météorites lunaires sont identiques aux échantillons ramenés sur Terre dans les années 1970 par les missions spatiales, habitées (Apollo) ou non (Luna) ; – les météorites SNC sont variées. Les shergottites (S) ont des compositions variant de celles de basaltes à celles de péridotite, les nakhlites (N) sont des clinopyroxénites et les chassignites (C) sont des dunites, formées d'olivine. La météorite ALH84001 est unique, car formée d'orthopyroxène, et doit sa célébrité aux filaments carbonatés observés dans les fissures, qui pourraient représenter des traces de vie extra-terrestre datant de 4,1 Ga. Les autres météorites SNC sont plus « jeunes », avec des âges compris entre 1,3 Ga et 150 Ma. Comme elles contiennent des gaz occlus de même composition que l’atmosphère de Mars, on considère que les météorites SNC ont une origine martienne ; – les achondrites proviennent de la ceinture des astéroïdes. Ils forment cinq groupes : les brachinites (0,5 %), les aubrites à enstatite (1,1 %), les ureilites à olivine et pigeonite (0,4 %), les angrites (0,5 %) et le groupe HED des achondrites basaltiques, constitué par les howardites (H) et eucrites (E) à pyroxène et plagioclase (5,3 %) et les diogénites (D) à orthopyroxène (1,1 %) qui proviendraient de l’astéroïde Vesta. Les eucrites sont très proches des basaltes terrestres, tandis que les howardites et les diogénites sont des brèches résultant de la fragmentation et de la cimentation des roches préexistantes. 5. Histoire des météorites Près de la moitié des météorites sont des brèches, composées de blocs anguleux cimentés par une matrice, soit de même composition (monomictes), soit de composition différente (polymictes). La nature des brèches et la présence occasionnelle de diamant, forme de haute pression du carbone, montrent que les corps parents ont subi une histoire complexe de collisions et de fragmentations. Parmi les brèches, certaines riches en gaz contiennent des concentrations notables de gaz rares implantés par le vent solaire, par exemple 3He. Les brèches monomictes se formeraient par cimentation de fragments brisés localement (dans un cratère d’impact ?), les brèches polymictes regrouperaient les éléments de plusieurs corps parents. Grâce aux mesures isotopiques (Tab. 1.3), l’histoire des météorites a pu être reconstituée en trois étapes majeures : – formation des corps parents et différenciation aux alentours de 4,6 Ga ; – collisions, éclatement et expulsion des météorites vers l’orbite de la Terre au cours des dernières centaines de millions d’années ; – chute sur Terre des météorites entre 0 et 1,5 Ma (âge maximal mesuré sur des météorites en Antarctique). Quelques météorites ont une origine restée longtemps obscure. Les tektites ou tectites, dont la plus grosse fait 200 à 300 g, sont riches en silice. Faiblement irradiées, elles ont séjourné peu de temps dans l'espace : moins de 300 ans et, pour

20

1.2 • Composition des différentes couches

certaines, à peine quelques minutes. Leur répartition limitée dans l'espace et le temps est liée aux cratères d'impact connus sur Terre. Ainsi les moldavites, tectites de Bohème, ont un âge de 14,8 Ma, identique à celui du cratère de 24 km de diamètre de Ries, situé plus à l'ouest, en Souabe (Allemagne). Leur teneur en silice, 73% SiO2 en moyenne, suggère qu'elles proviennent de la Terre. Les tectites sont paradoxalement des météorites terrestres, fondues sous l'impact de météores de grande taille! Elles sont devenues célèbres, quand elles ont été observées de façon constante dans les niveaux déposés à la limite Crétacé – Tertiaire. Un bolide géant, dont la trace de 180 km de diamètre a été reconnue à Chicxulub (Yucatan, Mexique), a donc pu jouer un rôle important dans l'extinction de masse caractérisant cette limite.

1.2.2 Roches terrestres La partie la plus superficielle du globe terrestre, la croûte, peut être atteinte et échantillonnée. Sa composition moyenne peut se calculer à partir de la moyenne pondérée des différentes roches qui la constituent. Selon des estimations convergentes, l’ensemble de la croûte, continentale et océanique, se compose de 7,9 % de roches sédimentaires, 27,4 % de roches métamorphiques et 64,7 % de roches magmatiques (Tab. 1.5). Comme les roches sédimentaires proviennent en majorité du démantèlement des roches métamorphiques et magmatiques et les roches métamorphiques de la transformation des roches sédimentaires et magmatiques, la composition moyenne de la croûte est essentiellement celle des roches magmatiques. Tableau 1.5 – Abondance des roches et des minéraux dans la croûte (d’après Ronov et Yaroshevsky, 1969).

Roches

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Sédimentaires

Volume % 7,9

Métamorphiques Gneiss Schistes Marbres

27,4

Magmatiques Granites (Grano)diorites Syénites Basaltes, gabbros Dunites, péridotites

64,7

21,4 5,1 0,9

10,4 11,2 0,4 42,5 0,2

Minéraux Quartz Feldspath alcalin Plagioclase Mica Amphibole Pyroxène Olivine Argile (+ chlorite) Calcite-aragonite Dolomite Oxydes de fer Autres (grenat, silicates d’Al, apatite,...)

Volume % 12,6 12,6 39,6 5,6 5,6 11,6 3,6 4,6 1,5 0,5 1,5 4,9

21

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

Clarke et Washington (1924), à partir de 5 919 analyses de roches, ont proposé la première estimation de la composition de la croûte. Les analyses regroupées par aires géographiques ont donné des moyennes comparables, montrant que la croûte a à peu près la même composition partout. À l’époque de leurs travaux, Clarke et Washington ne possédaient que des résultats concernant les continents émergés et de rares îles océaniques, de sorte que leur composition moyenne de la croûte est proche de celle de la croûte continentale. L’analyse présentée en poids d’oxydes est recalculée à 100 après élimination de H2O et des constituants mineurs (Tab. 1.6). Cette composition ne correspond pas à une roche magmatique connue mais se situe entre les compositions de granite et de basalte qui forment les roches magmatiques les plus communes. Tableau 1.6 – Composition moyenne de la croûte continentale (d’après Clarke et Washington, 1924).

SiO2

Al2O3

Fe2O3

FeO

MgO

CaO

Na2O

K2O

TiO2

P2O5

Total

60,18

15,61

3,14

3,88

3,56

5,17

3,91

3,19

1,06

0,30

100,0

La croûte continentale a une épaisseur moyenne de 40 km et une masse totale évaluée à 2,4.1019 t. La croûte supérieure fait 43 % de la masse, dans la proportion 1 4 4 de --- , --- , --- pour les matériaux sédimentaires, métamorphiques et magmatiques 9 9 9 (Wedepohl, 1991). En tenant compte de ces proportions, elle est granitique à 86 %. La croûte inférieure continentale et la croûte océanique contiennent moins de formations granitiques. La masse totale de roches granitiques dans la croûte terrestre est d’au moins 1019 t, ce qui correspond, en supposant une densité moyenne de 2,67, à un volume d’environ 3,74.109 km3. Les récentes compilations ont permis d’y ajouter les teneurs de tous les éléments, tant majeurs (présents en %) que mineurs (de l’ordre de 0,1 %) et à l’état de traces (présents en ppm ou en ppb). Huit éléments prédominent et font presque 99 % du total (Tab. 1.7) : O, Si, Al, Fe, Mg, Ca, Na, K. Parmi eux, l’oxygène est le plus important et cette domination se marque encore mieux si l’on considère les volumes : l’oxygène constitue 46,7 % de la masse, 62,2 % des atomes et 80,6 % du volume. Les anions oxygène forment un assemblage compact, lié par les cations métalliques interstitiels. Goldschmidt a proposé d’appeler « oxysphère » la croûte terrestre, car elle est à peu près entièrement formée de composés de l’oxygène. Le tétraèdre chargé négativement [SiO4]4– constitue l’agencement atomique le plus fréquent, d’où l’abondance des silicates. Les couches plus profondes auxquelles l’observation directe n’a pas accès sont connues par des échantillons naturels accidentels. Les roches magmatiques issues de magmas ayant pris naissance dans le manteau peuvent contenir des enclaves sous la forme de nodules de péridotite. Les péridotites sont des roches riches en olivine, contenant également deux pyroxènes et des minéraux alumineux en quantité 22

1.2 • Composition des différentes couches

Tableau 1.7 – Teneurs des éléments majeurs dans la croûte comparées à l’ensemble de la planète (d’après Allègre et al., 1995 ; Wedepohl, 1991).

Élément O Si Al Fe Mg Ca Na K Total cations

Terre Masse %

Croûte Masse %

46,65 32,436 29,13 17,221 8,16 1,507 4,69 28,176 2,40 15,866 4,09 1,607 2,42 0,249 1,87 0,0192 64,6452* 52,84**

Masse atomique

Atome %

16,001 28,091 26,981 55,851 24,321 40,081 22,991 39,100

62,02 22,05 6,42 1,79 2,11 2,17 2,23 1,02 37,79

Rayon ionique (Å) 1,40 0,42 0,51 0,74 0,66 0,99 0,97 1,33

Charge ionique

Volume %

124,04 88,20 19,26 3,58 4,22 4,34 2,23 1,02 122,85

80,58 8,60 3,04 1,23 1,29 1,99 2,01 1,25 19,42

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

* Total auquel il faut ajouter pour les cations : Ni 1,6147 ; Cr 0,4290 ; Mn 0,2600 ; Co 0,0870 ; Ti 0,0710. pour les anions : S 0,7010 ; P 0,1240. ** Total auquel il faut ajouter Ti 0,43 ; P 0,08.

mineure. Leurs compositions sont radicalement différentes de celles de la croûte, leur densité de l’ordre de 3,3 est également supérieure à celle de la croûte (2,7 à 2,9 en moyenne) et la vitesse de propagation des ondes sismiques est compatible avec celle déterminée dans le manteau terrestre. Connaissant les densités moyennes de la croûte et du manteau et leurs épaisseurs respectives, il est possible de calculer la densité du noyau. Aucun échantillon du noyau terrestre n’a jamais pu être observé. Cependant, la forte densité calculée (10 à 13) et la présence du champ magnétique terrestre laissent supposer qu’il est constitué essentiellement d’un alliage de fer et de nickel, avec la présence en faibles quantités de soufre et d’autres éléments légers, comme O et Si. Dans les conditions de pression et de température régnant sous la discontinuité de Gutenberg, le noyau externe est liquide et la graine, ou noyau interne, est solide. La comparaison des teneurs en éléments des différents matériaux cosmiques (Tab. 1.4) illustre les phénomènes déjà décrits : • dégazage des matériaux terrestres sous l’effet du vent solaire, probablement au moment de leur accrétion ; • différenciation en matériaux essentiellement métalliques, constituant les « fers » et les noyaux planétaires, et en matériaux silicatés riches en oxygène, constituant les couches externes des grands astéroïdes et des planètes telluriques. Ainsi se distinguent trois classes d’éléments chimiques selon leur comportement au cours des processus d’accrétion du système solaire : • les éléments volatils, facilement perdus par élévation de température ; • les éléments sidérophiles, s’associant aux alliages métalliques de fer ; • les éléments lithophiles, entrant préférentiellement dans les silicates. Toutefois, les coupures ne sont pas tranchées, certains éléments présentent plusieurs comportements : l’oxygène est à la fois volatil et lithophile et, selon sa valence, le fer est sidérophile ou lithophile. 23

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

1.2.3 Modèle général et évolution précoce À partir de l’ensemble des résultats, un modèle statique général peut être construit pour rendre compte des variations de la propagation des ondes sismiques (Fig. 1.7, Tab. 1.2) : • le noyau, métallique, est constitué de 84 % de fer et de nickel. Le matériau essentiel est un alliage de fer-nickel avec adjonction de soufre et d’autres éléments. Les « fers » en sont l’illustration. Dans le noyau externe, la matière fluide circule à une vitesse estimée à 0,02 cm.s–1 et induit le champ magnétique terrestre. • le manteau est formé de silicates où le magnésium est prédominant. La structure interne est contrôlée par les différentes phases minérales en équilibre selon la pression et la température, ainsi que par les variations de compositions. • la croûte constitue la couche la plus superficielle avec des roches de faibles densités qui s’y sont accumulées par extraction de matériaux du manteau au cours des processus magmatiques. Elle est composée de silicates d’éléments lithophiles. La différenciation du globe terrestre en trois couches de compositions différentes est acquise très tôt, au cours des 100 premiers millions d’années. Par ailleurs, la Terre est la seule planète tellurique dont les conditions de pression et de température en surface favorisent la présence de l’eau à l’état liquide et l’existence de l’hydrosphère, ensemble des océans, des mers, des lacs et des cours d’eau. Les éléments volatils se sont concentrés dans l’hydrosphère et l’atmosphère, les couches les plus superficielles et les moins denses du globe. Deux théories permettent de rendre compte de la différenciation : 1. l’accrétion hétérogène à partir d’une nébuleuse chaude suppose que la poussière cosmique s’agglomère en corps macroscopiques (du centimètre au kilomètre) plus rapidement que la nébuleuse ne se refroidit. Dans cette théorie, les condensés précoces riches en fer se forment d’abord et forment un noyau primitif recouvert ensuite par les condensés silicatés plus tardifs. 2. l’accrétion homogène suppose un état d’équilibre constant entre les particules condensées et la nébuleuse. Chaque planète se forme d’abord comme une sphère homogène, sans noyau ni croûte. La différenciation noyau-manteau-croûte est plus tardive. Les résultats obtenus sur les achondrites basaltiques et la Lune montrent que ces corps étaient en partie fondus à la fin de leur formation il y a environ 4,5 Ga. Dans le cas de la Lune, les âges les plus anciens (4,5 Ga) ont été obtenus sur des roches magmatiques qui ont cristallisé à partir d’un « océan magmatique ». D’après les calculs thermiques, la couche fondue a pu atteindre une épaisseur de plusieurs centaines de kilomètres. Ceci ne signifie pas nécessairement que les planètes se sont formées à partir de matériel incandescent, comme on se le représentait naguère. On peut également considérer que, formées originellement à partir de poussières condensées et froides (quelques centaines de K au plus), elles se sont ensuite réchauffées et ont partiellement fondu. 24

1.2 • Composition des différentes couches

ar tz, feldspaths silicates fer

romagné qu siens TALE IN E N (gra ONT nite C O H E O ) T M U o r y x p è n , ) e s O % 0 ( 2 8 3 ( 0 % e 0 km n ), périd i s v r i l o CR a b R otites 1GP U 0k E g r I e 1 n a t a ER km SUP spinelle 30 AU 400 T E k b a rs k N m N O I 13G M A k m 130 R A N SIT Pa T perovskite iowustite s 400 E D E e n g a 7 m 0 N e s t i k 0 r s v o r a k e O b m2 +p Z 4G 40 k 700

km

2

Pa

MAN

INFERIEU

TEAU

) fer (90%

29

00

km

13

50

kb a

R

+ nickel+ soufre

liquide

rs

N O Y A U

GRAINE

km

32 90

00

329

CE NTRE

GPa

5100 km

solide 51

s ar kb

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

6371 km 363GPa

Figure 1.7 – Structure interne de la terre (échelle des longueurs respectée, sauf pour la croûte) : profondeurs des discontinuités majeures et pressions correspondantes, compositions et natures des différentes couches (Poirier, 1980).

D’où provient la chaleur nécessaire à la fusion ? Plusieurs sources sont possibles : • en profondeur, la transformation de l’énergie potentielle et la radioactivité. Lors de l’accrétion et de la compaction, les particules encore froides se sont rapprochées du centre de la Terre, la perte d’énergie potentielle a été compensée par la production de chaleur. Les éléments radioactifs de longue période (K, U, Th) 25

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

continuent encore de fournir de la chaleur mais la production était beaucoup plus importante il y a 4,57-4,47 Ga à cause de la chaleur supplémentaire dégagée par les éléments radioactifs de courte période apparus lors des réactions de nucléosynthèse et disparus depuis. La chaleur produite par la compaction du corps planétaire et la radioactivité s’est accumulée dans les zones internes. Elle a provoqué la fusion et permit la chute vers le centre des composés métalliques liquides denses qui forment le noyau. • en surface, les vents solaires et la transformation de l’énergie cinétique lors des impacts de météorites. Les vents solaires violents provoqueraient un réchauffement par électromagnétisme, mais ces conditions particulières disparaîtraient rapidement. La chaleur dégagée aux sites des impacts est fonction de la masse et du carré de la vitesse des bolides. La dissipation de chaleur étant relativement lente, la fusion devient possible en même temps que la planète s’accroît. Le bombardement des météorites a diminué de façon exponentielle, ce qui implique au début de l’histoire de la Terre que l’apport de matière a été beaucoup plus important qu’aujourd’hui. On estime que la Terre a atteint sa masse actuelle à la suite d’impacts géants qui se sont produits de façon continue entre 4,55 et 4,03 Ga. La combinaison des processus a conduit à la formation d’un océan magmatique superficiel qui a refroidi et cristallisé rapidement à cause du déclin des sources de chaleur et de la dissipation de l’énergie dans l’espace. Les cristaux apparus se sont déplacés selon le contraste de densité qu’ils présentaient avec le liquide. En moins de 100 millions d’années, la dissipation rapide de l’énergie thermique de l’océan magmatique a conduit à la formation de la croûte primitive, en même temps que s’effectuait le drainage des liquides métalliques denses vers le centre. La croûte primitive de la Lune est anorthositique, par accumulation de plagioclase en surface. Dans un magma ayant la composition du manteau, le plagioclase cristallise au liquidus à très faible pression (inférieure à une atmosphère). À plus forte pression, l’olivine, minéral dense, est le premier à cristalliser et d’autres minéraux alumineux, également denses (spinelle, grenat), prennent le relais du plagioclase. Y a-t-il eu une croûte anorthositique sur Terre ? La probabilité de retrouver des échantillons de la croûte primitive de la Terre est très mince à cause des phénomènes tectoniques qui se produisent de façon incessante depuis le début de l’histoire de la Terre. À l’heure actuelle, les roches datées les plus anciennes sont, au nord-ouest du Canada, les gneiss d’Acasta. Agées de 4 030 Ma, elles présentent un magnétisme rémanent, montrant que le noyau métallique était déjà constitué. Les plus vieux cristaux de zircon ZrSiO4 proviennent d’Australie. Datés par la méthode U-Pb, le centre des cristaux a donné un âge maximum de 4 404 Ma. Le zircon cristallise dans un magma intermédiaire à acide. Une croûte continentale (granitique) existait donc sur Terre 160 Ma après le début de la formation du système solaire (Fig. 1.8). Sous l’effet du bombardement, la surface planétaire s’est recouverte de poussières et forme le « régolithe ». Sur la Lune, une épaisseur de régolithe de 36 m a été mesurée in situ et des calculs fondés sur la répartition statistique des cratères ont 26

1.2 • Composition des différentes couches

Ga 4.57

Formation du Soleil et du disque d'accrétion

4.47

Accrétion de la Terre, formation du noyau et dégazage

4.4

Plus vieux fragment de cristal de zircon connu

4.3

Plus anciens cristaux de zircon connus

4.0

Plus ancienne crôute continentale terrestre

3.9

Fin du bombardement intense

Figure 1.8 – Histoire précoce de la croûte terrestre entre 4,6 et 3,9 Ga

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

(d’après Halliday, 2001).

permis d’estimer l’épaisseur totale de matériel pulvérisé à au moins 2 km, formant le « méga-régolithe ». Constamment bombardée par des météorites qui ne traversent aucune atmosphère, la surface de la Lune est constituée en surface par des formations meubles recouvrant des brèches cohérentes plus en profondeur (Fig. 1.9). À partir des données lunaires, un scénario en quatre phases suivant a été établi pour le premier milliard d’années : 1. « chaos prélithosphérique » : formation puis refroidissement de l’océan magmatique. 2. évolution lithosphérique : bombardement intense pulvérisant la surface solide au fur et à mesure qu’elle se formait et constitution de méga-régolithe en 200 Ma. Le déclin du bombardement a permis aux produits volcaniques de se frayer un chemin à travers les formations et de former des blocs pendant 300 Ma. Le mégarégolithe s’est soudé en profondeur en brèches vers 4,1 à 4,0 Ga. 3. « ère des Mers » : éruption et préservation en surface de formations volcaniques à partir de 4,0 Ga, recouverts seulement d’une mince couche de régolithe. 4. « ère post-Mer » tardive : dans les petites planètes, le refroidissement est tel que les éruptions volcaniques cessent. Dans le cas de la Terre, cette quatrième phase est reportée dans le futur (Fig. 1.10). 27

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

z (km)

régolithe

impacts

0 0.1

"mers" mégarégolithe

1

brèche

10

102

océan magmatique roches

103 4.5

4.4

cohérentes 4

t (Ga)

Figure 1.9 – Évolution précoce (de 4,5 à 3,5 Ga) des 1 000 km superficiels des planètes telluriques, à partir des données lunaires.

Les échelles des temps t et des profondeurs z entre 0,1 et 1 000 km sont logarithmiques. Les différents stades – océan magmatique, méga-régolithe pulvérisé par des impacts météoritiques, « mers » recouvertes de régolithe et reposant sur un méga-régolithe bréchique consolidé – se succèdent en 1 Ga environ (Hartmann, 1983).

Au cours des premières phases, les planètes ont grossi par apport de matière de l’extérieur. Les sols lunaires, par exemple, contiennent 1,5 à 2,0 % de matériel météoritique (surtout chondrites carbonées de type I). Mais depuis, le bombardement météoritique actuel est devenu négligeable : la masse des météorites arrivant sur Terre, soit 15 000 à 50 000 t.a–1, ne représente que 2,5 à 8,3.10–18 fois la masse totale du globe, estimée à 5,97.1024 kg ! Le processus actuel de différenciation entre croûte et manteau se développe surtout par transfert interne de matière et d’énergie dans un globe terrestre qui refroidit.

1.3 CROÛTE

ET MANTEAU

Ce sont les deux seules parties du globe terrestre qui ont pu jusqu’à présent être étudiées sur échantillons. Provenant de la différenciation du globe terrestre, elles fournissent des renseignements indirects sur les débuts du système solaire (Tab. 1.4). Les interactions entre croûte et manteau encore à l’œuvre aujourd’hui justifient pour la Terre son qualificatif de planète vivante. 28

1.3 • Croûte et manteau

Ma 0

100

Accrétion de la Terre, formation du noyau et dégazage Atmosphère dense et chaude (cf. Vénus) Océans magmatiques Peu de possibilités de vie Refroidissement de la surface Perte de l’atmosphère dense

200

300

400

Première croûte granitique et eau liquide Possibilités de continents et de vie primitive Bombardement météroritique détruisant les roches en surface, provoquant leur fusion et vaporisant l’hydrosphère Développement sporadique de la vie

500

600

Continents stables et océans Premiers fossiles de vie primitive 700

Figure 1.10 – Histoire de la Terre pendant les premiers 700 Ma (d’après Halliday, 2001).

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

1.3.1 Compositions chimiques Il est possible, selon la méthode de Clarke et Washington, de calculer des compositions moyennes à partir des analyses disponibles de roches. Les caractéristiques du manteau (Tab. 1.2) et de la croûte montrent une très grande hétérogénéité, de sorte qu’il est difficile d’obtenir des analyses reproductibles en utilisant des lots d’échantillons différents. Les résultats (Tab. 1.8) sont fondés sur des modèles dans lesquels des sous-unités avec leurs caractéristiques physiques et chimiques propres sont définies avec leurs volumes respectifs. Ainsi, la croûte est-elle subdivisée en couches d’épaisseur variable : sédimentaire, « granitique » (sous les continents) et « basaltique » (sous les océans). Les résultats dépendent des modèles choisis et se compliquent au fur et à mesure que la connaissance progresse. Ainsi que Wyllie (1971) l’a remarqué malicieusement, « il est plus facile d’extrapoler à partir d’un nombre limité de résultats préliminaires pour les ajuster à une théorie qu’à partir d’un grand nombre de résultats détaillés ». 29

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

Tableau 1.8 – Compositions moyennes des éléments du manteau et de la croûte terrestres (d’après Wyllie, 1971).

Oxydes

1

2

3

4

5

6

SiO2 TiO2 Al2O3 Cr2O3 FeO* MnO MgO NiO CaO Na2O K2O P2O5 H2O+

44,77 0,19 4,16 0,40 8,21 0,11 39,22 0,24 2,42 0,22 0,05 – –

41,10 0,08 0,56 0,35 10,55 0,15 46,33 0,44 0,17 2,60 0,03 – –

42,71 0,47 3,30 0,45 8,08 0,13 41,41 0,42 2,11 0,49 0,18 0,06 0,17

43,95 0,57 3,88 0,41 8,25 0,13 39,00 0,39 2,60 0,60 0,22 – –

63,9 0,6 15,2 – 4,9 0,1 2,2 – 4,0 3,1 3,3 0,2 1,5

58,2 0,9 15,5 – 7,7 0,2 3,9 – 6,1 3,1 2,6 0,3 1,0

Total

99,99

99,99

99,98

100,00

100,1*

100,1**

7 48,7 1,4 16,5 – 8,5 0,2 6,8 – 12,3 2,6 0,4 0,2 1,1 100,1***

1. péridotite du Lizard, représentative du manteau primitif (Green, 1964). 2. moyenne de nodules de dunite pauvre en Ca et Al, représentatives du manteau résiduel (Harris et al., 1967). 3. pyrolite I avec un rapport dunite / basalte de 4:1 (Green et Ringwood, 1963). 4. pyrolite II avec un rapport dunite / basalte de 3:1 (Green et Ringwood, 1967). 5. couche granitique de la croûte continentale (Ronov et Yaroshevsky, 1969), * CO2 = 1,0 et Cl = 0,1. 6. couche « basaltique » de la croûte continentale (Ronov et Yaroshevsky, 1969), ** CO2 = 0,6. 7. croûte océanique (Ronov et Yaroshevsky, 1969), *** CO2 = 1,4.

Le concept de manteau péridotitique, source des magmas basaltiques, est ancien. Ringwood a défini le manteau primitif par sa capacité de donner par fusion partielle un magma basaltique en laissant un résidu réfractaire enrichi en olivine. Les compositions du manteau primitif et du manteau résiduel (Tab. 1. 8) sont des moyennes d’échantillons terrestres : massif du Lizard (Cornouaille) pour le manteau primitif (analyse 1) et nodules de dunite pour le manteau résiduel (analyse 2). Le manteau primitif se distingue par de fortes teneurs en Al2O3 et CaO. Cependant, en toute rigueur, le manteau primitif n’existe plus, puisque la croûte terrestre, qui en est issue, existe. Ringwood a proposé le concept de « pyrolite », roche à pyroxène et olivine, comme modèle de manteau primitif. Plusieurs pyrolites (analyses 3 et 4) ont été envisagées à partir de mélanges de dunite (roche à olivine considérée comme résidu de fusion) et de basalte (liquide extrait du manteau) dans des rapports variant de 1:1 à 4:1. La composition la plus utilisée dans les études expérimentales est le mélange 3:1 où le basalte est une tholéiite à olivine d’Hawaï. La croûte est mieux connue et les estimations plus nombreuses, la plus complète étant celle de Ronov et Yaroshevsky (1969). À la différence de Clarke et Washington (Tab. 1.6), leurs estimations (Tab. 1.5) concernent les différentes couches. Sous la couche sédimentaire, pelliculaire, la croûte continentale est subdivisée en deux couches (analyses 5 et 6) présentant un contraste de compositions bien marqué. Remarquons que si le terme « granitique » peut s’appliquer à la croûte supérieure, le terme « basaltique » communément admis n’est pas exact pour définir la croûte inférieure qui est plutôt dioritique à granodioritique. La croûte océanique se distingue 30

1.3 • Croûte et manteau

par son chimisme basaltique prononcé, différent de celui de la croûte inférieure à laquelle on l’a parfois comparée.

1.3.2 Compositions minéralogiques

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Les analyses chimiques moyennes des unités constituant la croûte et le manteau se fondent sur celles des minéraux et sur les modèles de répartition des différentes roches qui les composent. a) Croûte Les volumes relatifs des roches ont été estimés à partir des affleurements représentés sur les cartes géologiques et des épaisseurs mesurées sur le terrain. Pour les roches situées en profondeur, les résultats géophysiques prennent le relais des observations et indiquent les formes et les volumes. Pour interpréter la composition intermédiaire de la croûte inférieure, il y a deux hypothèses extrêmes : • la croûte inférieure est constituée des résidus de fusion restés sur place, alors que les magmas granitiques sont montés et se sont installés dans la croûte supérieure actuelle ; • la croûte inférieure est formée par la coalescence de corps issus de magmas intermédiaires et basiques, venant du manteau et mis en place au niveau du Moho par le processus appelé « underplating » par les auteurs anglo-saxons. Les écailles de croûte inférieure, affleurant dans les zones orogéniques, sont mixtes, avec des formations métamorphiques résiduelles (paragneiss granulitiques ou kinzigites) formant des écrans entre des complexes magmatiques lités importants. La zone d’Ivrea-Verbano (Alpes du Sud, Italie) en est un bon exemple. Les types lithologiques essentiels de la croûte (Tab. 1.5) sont : • le groupe acide et intermédiaire, constitué de granite, granodiorite, diorite et équivalents métamorphiques (gneiss), forme environ 45 % de la croûte et constitue l’essentiel des continents ; • le groupe basique, constitué de basalte, gabbro et équivalents métamorphiques (amphibolite, éclogite), constitue 43 % de la croûte et forme le plancher océanique ; • les roches sédimentaires et leurs équivalents métamorphiques (schiste, marbre) constituent le reste, soit 12 %, et se répartissent aussi bien dans les océans que sur les continents. L’hétérogénéité de la croûte se marque aussi dans la composition minéralogique. Les silicates sont prépondérants (96 % du volume) et les tectosilicates constituent la grande majorité (63 % du volume). Les feldspaths, des aluminosilicates, forment 51 % du total, d’où vient le terme ancien de Sial pour définir la croûte. Les minéraux hydratés (amphiboles, micas, argiles) ne sont pas rares (15 % du total environ) et forment des réservoirs naturels stockant l’eau en profondeur. b) Manteau Sa composition est plus difficile à déterminer, car la composition minéralogique observée dans les échantillons est rarement originelle (serpentinisation de l’olivine, 31

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

par exemple). De plus, les associations actuelles sont souvent métastables et ont enregistré plus ou moins partiellement des transformations de phases depuis leur site primitif, au cours de leur transport jusqu’au site d’échantillonnage. Les péridotites naturelles ont un assemblage minéralogique constant à olivine prédominante (symétrie orthorhombique), deux pyroxènes (calcique à symétrie monoclinique et non calcique à symétrie orthorhombique) et un minéral alumineux accessoire variable : plagioclase, spinelle ou grenat. Les travaux expérimentaux sur matériaux naturels et synthétiques ont apporté de nombreuses informations sur la constitution du manteau en profondeur. Dès 1936, des discontinuités sismiques secondaires avaient été décrites (Tab. 1.2). En considérant le manteau comme essentiellement formé d’olivine, les discontinuités peuvent traduire la transition polymorphique du système orthorhombique, moins dense, à un système cubique, plus dense. Les progrès technologiques ont permis de simuler en laboratoire des conditions de pressions correspondant aux conditions dans le manteau inférieur et jusqu’à la limite avec le noyau. Si l’on suppose que le rapport atomique Fe/(Fe + Mg) est à peu près constant et égal à 0,11 dans le manteau, plusieurs transformations de phases ont été mises en évidence (Tab. 1.9) : • aux pressions régnant à 400-420 km de profondeur, dans la partie supérieure de la zone de transition du modèle de Dziewonski et Anderson (Tab. 1.2), la structure des minéraux cardinaux devient cubique : l’olivine se transforme en wadsleyite, à structure cristalline de spinelle, et les pyroxènes en majorite, à structure cristalline de grenat ; • aux pressions régnant à 450 km de profondeur, la wadsleyite formée à 420 km se déstabilise au profit d’une phase minérale encore plus dense, où l’atome Si devient hexa-coordonné, la ringwoodite ; • à des pressions encore plus fortes, régnant à 670-700 km de profondeur (limite avec le manteau inférieur), les densités calculées sont supérieures à celles mesurées sur un mélange compact d’oxydes avec Si, Fe et Mg hexa-coordonnés. Aucun minéral ayant la composition de l’olivine n’est alors stable. Les deux phase stables sont : la magnésiowüstite, ou ferropériclase, oxyde mixte de fer et de magnésium dont le pôle MgO est le périclase et le pôle FeO est la wüstite, et un minéral encore sans nom, à composition de pyroxène et à structure cristalline de « pérovskite » (la pérovskite naturelle a pour composition CaTiO3), suggérant la réaction : ringwoodite Mg2SiO4 → « pérovskite » MgSiO3 + périclase MgO. Les minéraux calciques prennent la structure cristalline de la « hollandite » (la hollandite naturelle est un oxyde de Ba et Mn). La valeur élevée de la densité pourrait être liée à celle du rapport atomique Fe/(Fe + Mg) qui augmenterait de 0,11 dans le manteau supérieur à 0,27 dans le manteau inférieur, ce qui suppose que le manteau s’enrichirait en fer en s’approchant du noyau.

1.3.3 Comportement rhéologique Les matériaux terrestres réagissent différemment aux contraintes selon leur composition et les conditions de pression et de température : le type de déformation et de 32

1.3 • Croûte et manteau

Tableau 1.9 – Compositions minéralogiques du manteau en fonction de la profondeur (modifié d’après Ringwood, 1969, 1970 et les travaux plus récents).

Profondeur km 0-80 80-400

péridotite à grenat : olivine orthopyroxène clinopyroxène grenat pyroxène → majorite (structure grenat) olivine → wadsleyite (structure spinelle)

420

wadsleyite → ringwoodite (structure spinelle)

670-700 700-2 900

Mode

Coordinance des éléments

Densité à p=0

péridotite à plagioclase (rapport Fe/(Fe + Mg) constant = 0,11) péridotite à spinelle

400

420-670

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Assemblages minéralogiques et transformations

ringwoodite majorite diopside

57 17 12 14

52 35 13

Si = 4 Mg, Fe, Ca = 6 et 8

3,38

Si = 4 et 6

3,66

apparition du ferropériclase et des structures « pérovskite » et « hollandite » structure « pérovskite » ferropériclase structure « hollandite »

65 20 15

Si, Mg, Fe = 6

3,99

flux de la matière caractérise l’état rhéologique (Fig. 1.11A). Si la contrainte n’est pas trop forte, les matériaux solides réagissent par élasticité : le taux de déformation est fonction linéaire du temps, la déformation est instantanément et totalement récupérable lorsque la contrainte cesse. Si la contrainte est trop forte, deux types de comportement sont possibles. Les roches fragiles subissent une déformation cassante et se fracturent à partir d’un taux de déformation de 3 à 5 %. Les roches plastiques subissent une déformation ductile et sont capables de supporter des taux de déformation de 5 à 10 % sans se fracturer. La déformation ductile se traduit par un changement de volume irréversible, passant d’un assemblage compact des grains à une structure plus lâche avec accroissement de la porosité et se marque par le glissement et/ou la rotation des grains et l’apparition de microfractures. Le rapport entre la déformation et la contrainte définit la viscosité. Si la viscosité est constante, le matériau est dit newtonien. Si elle varie avec la contrainte, le matériau est dit non-newtonien. Un corps de Bingham ne présente un comportement plastique qu’à partir d’une valeur minimale de la contrainte, appelée seuil de résistance. L’unité de viscosité dans le système international est le Pa.s mais la poise Po est encore utilisée (1 Pa.s = 10 Po). La viscosité des matériaux solides est de l’ordre de 1020 à 1026 Pa.s (Fig. 1.11B), celle des liquides magmatiques dépasse rarement 1010 Pa.s.

33

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

A Profondeur

comportement cassant comportement élastique rupture comportement plastique

Asthénosphère durée, contrainte ou flux de chaleur

B

contrainte de cisaillement

glissement par friction

quartz + feldspaths

profondeur (et température)

fluage du quartz

Figure 1.11 – mx colorés + feldspath

fluage de l’olivine

olivine

contrainte initiale

34

Évolution de la résistance et de la viscosité des matériaux solides au sein de la lithosphère et de l’asthénosphère. A. Les trois types de comportement : cassant, élastique et plastique, en fonction de la profondeur et des paramètres : durée, intensité de la contrainte et/ou flux de chaleur (Kusznir et Park, 1984). B. Évolution de la viscosité (en Pa.s) en fonction de la profondeur entre 0 et 400 km (Wever, 1989).

1.3 • Croûte et manteau

C

profondeur (km) 0

croûte

Moho

50

lithosphère 100

Zone à Faible Vitesse (ZFV)

150 200

asthénosphère

250

300

350 400 20

21

22

23

24

25

26

27

log viscosité η (Pa-s)

Fig. 1.11 – Évolution de la résistance et de la viscosité des matériaux solides au sein de la lithosphère et de l’asthénosphère (suite).

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C. Évolution de la résistance à la contrainte de cisaillement en fonction de la nature du matériau et des paramètres : profondeur et/ou température (Ranalli et Murphy, 1987 ; Rutter et Brodie, 1988).

La déformation des roches est déterminée par le comportement des minéraux constitutifs. Les solides silicatés polycristallins présentent des propriétés rhéologiques variables avec la température et la pression (donc, la profondeur). À basse pression et température, le comportement fragile domine et le seuil de résistance est déterminé par la densité du matériau, la profondeur et la porosité. À plus forte pression et température, le comportement devient plastique. La résistance des matériaux est alors fonction de la profondeur et de leur composition (Fig. 1.11C) : • les roches sédimentaires peu denses, poreuses et riches en eau sont les plus plastiques, même à faibles profondeurs et températures ; • les roches riches en quartz (granite), moyennement résistantes, se mettent à fluer dans la croûte à une profondeur de l’ordre de 15 km en moyenne alors que les roches riches en plagioclase (basalte, gabbro) demeurent rigides jusqu’à des températures plus élevées ; • les péridotites du manteau sont résistantes et les cristaux d’olivine se mettent à fluer à environ 3 GPa et 1 300 °C, conditions réunies dans la zone à faible vitesse (ZFV) qui définit la limite lithosphère-asthénosphère. La résistance de la croûte supérieure dépend essentiellement du quartz en présence d’eau ou à sec, celle de la croûte inférieure du plagioclase et celle du manteau supérieur de l’olivine. Si, à des conditions de pression et de température données, le seuil de résistance est inférieur à la contrainte nécessaire pour une déformation par fluage, le matériau réagit par fracturation. Dans le cas contraire, il se déforme de façon ductile (Fig. 1.11A). Chaque couche des zones supérieures du globe terrestre a un comportement qui varie de fragile au sommet à plastique à sa base, ce qui fait apparaître trois discontinuités majeures (Fig. 1.11B) : 35

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

• entre la croûte supérieure et la croûte inférieure, discontinuité rhéologique possible vers 15-20 km, marquée par le début du fluage du quartz, le plagioclase restant fragile ; • entre la croûte inférieure et le manteau, discontinuité assimilable au Moho vers 30-40 km, avec début de fluage pour le plagioclase, les minéraux mafiques anhydres (olivine, pyroxènes) restant fragiles ; • au sein du manteau supérieur, discontinuité plus floue vers 90-100 km au sommet de la zone à faible vitesse (ZFV), avec début de fluage pour l’olivine. L’ensemble située au-dessus de la ZFV constitue la lithosphère qui se déplace horizontalement de façon à peu près rigide sur l’asthénosphère plastique. Au sein même de la lithosphère, selon les cas, il existe zéro, un ou deux niveaux plastiques coincés entre des couches fragiles. La lithosphère réagit aux contraintes en fonction du flux de chaleur et du gradient de température : déformation ductile à la base, fracturation au sommet. Les discontinuités jouent un rôle essentiel dans le découplage des différentes couches. Selon le flux de chaleur et le type de contraintes, la présence et la localisation des zones de discontinuités varient fortement : • les régions à flux de chaleur faible (< 40 mW.m–2), comme les cratons continentaux, gardent un comportement cassant sur toute l’épaisseur de la lithosphère, elle-même épaisse ; • les régions à flux de chaleur élevé peuvent se déformer, plus facilement en régime extensif (rides océaniques, rifts continentaux) qu’en régime compressif (subduction, collision). Il suffit de 104 à 106 ans pour que les discontinuités à 15-20 km et à 30-40 km apparaissent et fonctionnent de façon durable ; • au niveau de la zone à faible vitesse, la viscosité diminue de façon importante de 1023 Pa.s dans la lithosphère au comportement non newtonien à 1019-1021 Pa.s dans l’asthénosphère dont le comportement devient newtonien. Remarquons enfin que les zones de discontinuité rhéologique sont définies par le comportement des minéraux et ne marquent pas nécessairement une discontinuité des vitesses sismiques. Le Moho des géophysiciens, marqué par une discontinuité sismique issue d’une variation de densité, n’est pas le strict équivalent de la limite pétrologique et géochimique entre la croûte et le manteau mais se situe dans son voisinage. Au sein de la croûte, la discontinuité sismique de Conrad ne correspond pas au changement de comportement rhéologique et manque dans bien des cas.

1.4 CONCLUSION L’agencement actuel des constituants de la Terre est le résultat d’une longue histoire dont les derniers épisodes se déroulent encore aujourd’hui. L’histoire commence par l’individualisation de la planète Terre au sein du système solaire en voie de formation il y a 4,566 Ga (Tab. 1.10). Le premier stade se caractérise par l’accrétion de particules solides, froides et condensées à partir d’une nébuleuse solaire, sans doute différente du Soleil et dont la composition vraisemblable est celle des chondrites carbonées. Dans un deuxième stade, deux épisodes majeurs contemporains se produisent, l’un en surface, l’autre en profondeur. En profondeur, se produit l’événement majeur 36

1.4 • Conclusion

Tableau 1.10 – Évolution des constituants terrestres (modifié d’après Hartmann, 1983). Stade évolutif

Succession des couches

Épaisseur en km

Équivalent météorites

1er stade : accrétion, début de différenciation 4,6 Ga planète homogène et froide

6 371 km

Chondrites carbonées

8500 km 5 871 km

Chondrites Chondrites carbonées

2e stade : chaos pré-lithosphérique 4,6-4,5 Ga océan magmatique cœur homogène et froid

3e stade : différenciation de la planète 4,5-4,0 Ga sous un bombardement intensif croûte primitive manteau en partie fondu discontinuité de Gutenberg noyau liquide noyau solide 4e

2 820 km 2 870 km 2 260 km 1 221 km

Achondrites Chondrites Lithosidérites Sidérites

stade : différenciation du manteau 4,0-0 Ga lithosphère constituée de : – croûte continentale – croûte océanique – manteau supérieur asthénosphère et zone de transition manteau inférieur

2 530 22 86 2 860 2 590 2 220

km km km km km

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Les épaisseurs approximatives correspondent à l’état défini dans le modèle PREM (Tab. 1.2).

de la différenciation de la Terre. La compaction du globe terrestre et l’énergie thermique fournie par la radioactivité des éléments de courtes et longues périodes induisent la fusion partielle de l’intérieur du globe. La température est suffisante pour porter à la fusion les particules métalliques qui peuvent s’agglomérer et constituer des masses liquides denses. Les éléments sidérophiles se fraient un chemin vers le centre de la terre et forment le noyau, liquide à sa périphérie et se solidifiant en son cœur. Les matériaux situés au-dessus du noyau constituent le manteau primitif qui a un comportement plastique à cause de la présence de liquides silicatés circulant dans une matrice plus réfractaire. Les épisodes de différenciation ont affecté l’ensemble des planètes intérieures et des astéroïdes : les « fers » donnent une image du noyau, les lithosidérites celle de la zone transitoire entre noyau et manteau (discontinuité de Gutenberg) et les chondrites avec leur variabilité celle du manteau. La croûte primitive, inconnue, pourrait avoir eu une composition d’achondrite basaltique. Une partie de l’énergie thermique concentrée à la surface par le bombardement intense des météorites et les phénomènes électromagnétiques liés aux vents solaires conduisent à la formation d’un océan magmatique superficiel sur une épaisseur pouvant atteindre 1 000 km, la partie inférieure de la planète restant homogène et froide. Au cours de la fusion, l’océan magmatique se dégaze à peu près totalement et sa composition pourrait approcher celle des chondrites ordinaires. Ce stade serait 37

Chapitre 1 • Les constituants de la Terre

bref, l’océan magmatique refroidissant et cristallisant en moins de 100 Ma pour donner les éléments d’une croûte primitive soumise au bombardement et transformée en méga-régolithe (Fig. 1.10). Le dernier stade est caractérisé par la différenciation du manteau et l’épaississement de la croûte, car la chaleur du centre de la Terre, produite par la cristallisation du noyau liquide, continue de s’évacuer vers l’atmosphère par conduction et convection. La lithosphère et le manteau inférieur, couches solides, prennent en sandwich l’asthénosphère, couche pouvant contenir des zones de faible taux de fusion partielle, et la zone de transition. Au cours du temps, l’épaisseur de l’asthénosphère diminue au profit des autres couches pour atteindre actuellement moins de 500 km, selon les calculs de Hsui et Toksöz (1977). L’histoire sur Terre n’est pas finie, le manteau supérieur est toujours capable de produire d’importants phénomènes magmatiques. La Terre deviendra une planète morte lorsque l’asthénosphère plastique aura disparu au profit d’un manteau totalement rigide.

EN CART Et les autres planètes telluriques ? Pour la plupart, elles présentent actuellement une lithosphère très épaisse, ce qui leur confère une grande rigidité. De taille analogue à la Terre, Vénus possède un noyau plus pauvre en soufre et une atmosphère moins riche en eau. À cause de sa pauvreté en eau, la lithosphère de Vénus serait épaisse et ne formerait qu’une seule plaque. De nombreux volcans et des signes d’activité récente ont été détectés par la sonde Magellan. À cause de leurs petites tailles, Mars, la Lune et Mercure ont subi un refroidissement rapide, provoquant une contraction notable de leur diamètre. Sur Mars, l’hémisphère Nord, de basse altitude, est occupé par des formations dont l’origine sédimentaire est possible et par des produits volcaniques issus de cratères dispersés et de volcans gigantesques (Olympus Mons, le plus grand volcan du système solaire, a 25 km de hauteur et 700 km de diamètre à sa base), associés à des phénomènes de rift et de soulèvement (le plateau de Tharsis avec trois volcans alignés est situé à 6 000 m d’altitude). D’après le taux d’impact des météorites, l’activité volcanique majeure pourrait avoir eu lieu il y a 3,0 à 2,5 Ga, après des épisodes tectoniques qui pourraient dater de 4,1 à 3,3 Ga. Les images récentes de Mars Observer montrent la très grande probabilité d’une activité volcanique récente, voire actuelle. Dans les autres planètes, il n’y a plus d’asthénosphère. Sur Mercure, un volcanisme limité a eu lieu dans les zones de distension créées au cours de l’impact géant du Bassin de Caloris qui aurait eu lieu il y a 3,8 Ga environ. Sur la Lune, les dernières activités datées ont formé les épanchements basaltiques des Mers il y a plus de 3,5 Ga. La Terre serait donc à un stade moins évolué que les planètes voisines. Sa composition et sa taille induisent un refroidissement plus lent, avec la conservation d’une asthénosphère d’épaisseur notable sous une lithosphère encore assez mince. Les transferts de matière et d’énergie depuis la profondeur vers la surface conditionnent l’ensemble des phénomènes géologiques et, en particulier, magmatiques.

38

LES SOURCES DES MAGMAS

2

PLAN

2.1 Hétérogénéités du manteau supérieur 2.2 Le rôle des fluides dans le manteau 2.3 Anatexie et fusion partielle 2.4 Sources, ou réservoirs des magmas

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2.5 Conclusions

Contenant principalement les éléments chimiques O, Si, Mg et Fe, le manteau est constitué de minéraux silicatés mafiques (pour MAgnésium et Fer), ou ferromagnésiens. Par leur composition relativement pauvre en silice, les roches du manteau sont ultramafiques et ultrabasiques (moins de 45 % SiO2). Bien que formées à grande profondeur, elles peuvent affleurer en surface. La croûte contient principalement les éléments chimiques O, Si et Al, qui cristallisent dans les minéraux silicatés alumineux, parmi lesquels les tectosilicates, surtout les feldspaths, prédominent. À la différence du manteau où les éléments O, Si, Mg et Fe forment à eux seuls 95 % de la masse, la croûte est plus variée puisque O, Si et Al ne constituent que 84 % du total de la masse (Tab. 1.4, analyses 5 et 7, respectivement). Les 16 % restants comprennent les éléments Fe, Ca, Na, K et Mg, par ordre décroissant d’abondance en masse. Amorcée il y a 4,5 Ga, la différenciation des zones externes du globe terrestre en manteau et croûte se poursuit encore actuellement. Elle se traduit par des transferts de masse et d’énergie sous l’effet de gradients entre la profondeur et la surface. Parmi ces gradients, les différences de pression et de température jouent des rôles importants (Fig. 2.1). Ces deux paramètres varient avec la profondeur et le temps. La pression de charge, ou pression lithostatique, est définie par la relation : P = h µ g, où h est la profondeur, µ la masse volumique moyenne des roches situées au-dessus et g l’accélération de la pesanteur à la profondeur h. Dans la croûte, elle augmente d’environ 0,1 GPa (= 1 kbar) pour 3,5 à 4 km sous les continents et pour 3,3 km sous les océans. Dans le manteau supérieur, le gradient ∆P/∆h passe à 0,1 GPa pour 3 km. Enfin, dans le manteau inférieur, il atteint et peut dépasser 0,1 GPa pour 2,5 km. La pression lithostatique exercée en un point donné de la Terre varie avec le temps au cours des phénomènes orogéniques et tectoniques. En plus de la pression lithostatique, la pression des fluides, qu’ils soient piégés dans les cavités entre les cristaux ou même inclus dans les minéraux, doit être considérée et comparée 39

Chapitre 2 • Les sources des magmas

profondeur (km) 0

0

2.5

5.0

7.5

pression (Mbar) 1000

température (10 3 K)

P 2000

3000

4000

5000

T g

6000

7000 0

10

20

30

gravité (m-s -2)

Figure 2.1 – Variations des propriétés physiques en fonction de la profondeur à l’intérieur du globe terrestre.

Gravité (m.s– 2), pression (1 Mbar = 100 GPa) et température (K) (modifié d’après Wyllie, 1971).

à la résistance des roches. Les fluides présents dans les pores des roches exercent une pression. Ayant un coefficient de dilatation très différent de leurs roches-hôtes, les fluides peuvent subir par élévation de température une très forte élévation de pression, qui peut dépasser la résistance des cristaux et des roches. Par rupture et fuite des fluides à travers les fractures ouvertes, des brèches hydrauliques se forment, constituées de fragments anguleux des roches éclatées et d’une matrice provenant de la précipitation des éléments dissous dans les fluides. Le profil thermique général de la Terre montre une forte augmentation de la température avec la profondeur. À la surface des continents, la température moyenne de 288 K est due au rayonnement solaire provoquant le réchauffement des basses couches de l’atmosphère et des premiers mètres du sol. Plus en profondeur, la température augmente progressivement pour atteindre plus de 3 000 K à l’interface manteau-noyau et sans doute plus de 5 000 K au centre de la Terre. La distribution actuelle de la température avec la profondeur, ou géotherme, dépend de plusieurs facteurs : • l’énergie gravitationnelle initiale, acquise au moment de la formation de la Terre il y a 4,6 Ga, a été emmagasinée dans le noyau de fer liquide. Elle est rendue au milieu extérieur sous forme de chaleur latente de cristallisation accompagnant la solidification de la graine ; • l’énergie cinétique des planétésimaux s’écrasant à la surface de la Terre s’est accumulée au cours du premier milliard d’années et a décru exponentiellement avec le temps ; 40

2.1 • Hétérogénéités du manteau supérieur

• l’énergie thermique fournie par la radioactivité décroît exponentiellement avec le temps. Elle est fournie aujourd’hui par les isotopes radioactifs de K, U et Th, éléments concentrés dans la croûte. La chaleur totale se transmet vers l’extérieur par les processus de conduction, convection et advection par les fluides. Il est possible de calculer pour les couches relativement superficielles de la Terre (lithosphère et asthénosphère) des géothermes selon la part prise par les différents modes de transmission du flux de chaleur (Fig. 2.2). Les calculs de géothermes supposent l’équilibre entre la lithosphère, l’asthénosphère et le manteau inférieur. La lithosphère rigide et solide conduit la chaleur. L’asthénosphère plastique subit des mouvements de convection se traduisant par un faible gradient de type adiabatique. Les mouvements de matière et de chaleur à profondeur (km) 0

4

100

Couche 1 (conductrice)

L IT H O S P H E R E

5

1

200

ASTHENOSPHERE

3

300

400

Couche 2 (convective)

1

500

ZONE DE TRANSITION

600

700

Couche 3 (convective)

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

800 0

500

1000

1 1500

2

MANTEAU INFERIEUR 2000

2500

3000

température (∞C)

Figure 2.2 – Évolution de la température dans les couches superficielles du globe (d’après Wyllie, 1988).

Couche 1 conductrice = lithosphère, couche 2 convective = asthénosphère + zone de transition, couche 3 convective = manteau inférieur. Selon le contexte, l’épaisseur de la lithosphère varie considérablement. 1 : gradient géothermique normal avec une lithosphère de 120 km d’épaisseur et une couche 3 très pauvre en éléments radioactifs. 2 : gradient géothermique avec une couche 3 convective non appauvrie. 3 : gradient géothermique sous les cratons avec une lithosphère épaisse de 190 km. 4 : gradient géothermique sous les rides médio-océaniques, ascension de « manteau anormal ». 5 : gradient géothermique à l’aplomb des panaches, ascension diapirique adiabatique du manteau.

41

Chapitre 2 • Les sources des magmas

l’intérieur du manteau conditionnent les épaisseurs de la lithosphère conductrice et de l’asthénosphère convective, la limite entre lithosphère et asthénosphère pouvant être assimilée à l’isotherme 1 300 °C. Les matériaux subissent donc en fonction du temps des variations notables de leurs paramètres thermodynamiques et réagissent par des modifications des textures et des paragenèses minérales. Lorsqu’elle se produit à l’état solide, une telle adaptation est appelée métamorphisme (voir dans la même collection Métamorphisme et roches métamorphiques). Lorsqu’une phase liquide, en général silicatée, est présente, il s’agit de magmatisme, débutant par l’anatexie, ou fusion partielle. Les processus de métamorphisme et d’anatexie se développent aussi bien dans la croûte que dans le manteau.

2.1 HÉTÉROGÉNÉITÉS

DU MANTEAU SUPÉRIEUR

Les roches ultramafiques ont deux origines possibles. Elles peuvent soit représenter un morceau de manteau supérieur, soit cristalliser à partir de magmas basiques. En ce qui concerne les roches du manteau supérieur observables à l’affleurement, on distingue : • les péridotites en nodules dans les formations volcaniques ; • les péridotites des zones de fractures océaniques ; • les péridotites de type alpin, situées à la semelle des complexes ophiolitiques. Les trois types de gisement, quoique distincts, ne sont pas fondamentalement différents. Dans ces associations, les péridotites présentent généralement une paragenèse totalement anhydre, mais peuvent aussi contenir des minéraux hydroxylés.

2.1.1 Péridotites et roches associées Les minéraux mafiques font partie du vaste groupe des minéraux colorés. Les roches du manteau supérieur sont dites holomélanocrates, car elles contiennent plus de 90 % de minéraux colorés en volume. La classification internationale actuelle considère les minéraux cardinaux suivants : olivine, orthopyroxène et clinopyroxène. Les minéraux accessoires les plus courants sont le spinelle, le grenat, le plagioclase, l’amphibole. Les péridotites contiennent plus de 40 % d’olivine, les pyroxénites en contiennent moins (Fig. 2.3). Les péridotites sont subdivisées en lherzolite (olivine + orthopyroxène + clinopyroxène), wehrlite (olivine + clinopyroxène), harzburgite (olivine + orthopyroxène) et dunite (plus de 90 % d’olivine). Les pyroxénites, contenant ou non de l’olivine, sont subdivisées en orthopyroxénite, clinopyroxénite et webstérite (orthopyroxène + clinopyroxène ± olivine). a) Péridotites en nodules dans les formations volcaniques De nombreuses formations volcaniques, continentales et océaniques, renferment des nodules de péridotites. De taille variable, de moins d’un centimètre à plus d’un mètre 42

2.1 • Hétérogénéités du manteau supérieur

Cpx clinopyroxénite clinopyroxénite à olivine

wehrlite

webstérite webstérite à olivine lherzolite

dunite orthopyroxénite

Ol

harzburgite

orthopyroxénite à olivine

Opx

Figure 2.3 – Classification et nomenclature des roches ultramafiques à olivine et pyroxènes, selon les recommandations de l’IUGS (Streckeisen, 1976 ; Le Maitre et al., 1989).

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

de diamètre, les nodules montrent fréquemment des figures de réaction avec la rochehôte. Leur texture est caractérisée par une granulométrie variable, depuis un grain fin aplitique (0,2 mm) jusqu’à un grain centimétrique, avec un maximum autour de 0,8 mm. Les compositions modales (Tab. 2.1, Fig. 2.4) sont celles de lherzolite, avec des quantités mineures de harzburgite, wehrlite et dunite. Il s’agit le plus souvent de péridotite à spinelle, comme par exemple dans l’appareil volcanique de Beaunit (Chaîne des Puys). Deux types de péridotite, à spinelle et à grenat, sont présents dans quelques appareils volcaniques, comme le maar de la Vestide du Pal (Ardèche) et la cheminée (pipe) d’Eglazines (Causses), exemples situés dans le Massif Central. Tableau 2.1 – Compositions modales de péridotites du manteau (estimations d’après Carter, 1970 ; Wyllie, 1971 ; Hamlyn et Bonatti, 1980 ; Wass et Rogers, 1980 ; Berger, 1981). Faciès minéralogique olivine orthopyroxène clinopyroxène plagioclase spinelle grenat amphibole phlogopite apatite

plagioclase + spinelle

spinelle

spinelle + grenat

grenat

amphibole + apatite

64,8 27,1 6,2 1,3 0,6 – – – –

61,0 à 65,3 22,0 à 21,8 23,0 à 11,3 – 4,0 à 1,6 – – – –

70,1 16,9 10,2 – 2,0 0,8 – – –

67,0 12,0 11,0 – – 10,0 – – –

57,0 14,0 13,0 – – 9,0 6,5 traces 0,5

43

Chapitre 2 • Les sources des magmas

Ol

Gr Ta Tr Gg Pb

B

Opx

Li Py Du

PM

A

Cpx

Figure 2.4 – Compositions modales des nodules ultramafiques de l’appareil volcanique de Beaunit, Massif Central. Pour comparaison, PM : manteau primitif (Féménias et al., 2001).

A. Roches métamorphiques (lherzolite, harzburgite et dunite) classées selon la texture : Gg : à gros grain, Gr : granuloblastique, Pb : porphyroblastique, Ta : tabulaire à gros grain, Tr : transitionnelle. B. Roches cumulatives (péridotite et pyroxénite) : Li : structure litée, Py : pyroxénite (dont webstérite et orthopyroxénite), Du : dunite.

Les textures observées dans les roches sont classées selon l’agencement des grains et la température d’équilibre (Tab. 2.2). La bimodalité des températures d’équilibre est remarquable. Une première population à 950-1 050 °C caractérise les péridotites lithosphériques arrachées par le magma en cours d’ascension, sans rapport génétique avec le magma-hôte. La deuxième population à 1 200-1 260 °C caractérise les péridotites réchauffées et rééquilibrées avec le magma-hôte : s’agit-il de morceaux du manteau parental ou de cumulats précoces ? Il n’y a pas toujours d’accord sur ce point (dans la figure 2.4, l’interprétation choisie est celle des cumulats précoces). Les minéraux cardinaux présentent des compositions assez constantes : • olivine à 89-91 % de forstérite Mg2SiO4 ; • orthopyroxène à 88-91 % d’enstatite MgSiO3 ; • clinopyroxène chromifère à 90-91 % de diopside CaMgSi2O6. Les minéraux accessoires sont plus variables : • le spinelle, pauvre en titane, présente un rapport Cr/(Cr + Al) variant de 0,08 à 0,44 ; • le grenat à 75 % de pyrope Mg3Al2Si3O12 est en association fréquente avec le spinelle le moins chromifère ; • le plagioclase n’a pas été décrit comme minéral primaire. 44

2.1 • Hétérogénéités du manteau supérieur

Tableau 2.2 – Types texturaux des péridotites du manteau (adapté d’après Mercier et Nicolas, 1975).

Texture

Granulométrie

Températures d’équilibres

Origine de la texture

équigranulaire

0,5 mm, recristallisation : – en mosaïque (angles de 120°) – en tablettes (0,5-1,5 mm)

950-1 050 °C

Recuit en milieu statique

protogranulaire

2-5 mm, limites courbes pas d’orientation préférentielle

1 000-1 050 °C

Zone inactive tectoniquement

porphyroclastique

– cristaux maclés mécaniquement 2-8 mm (porphyroclastes) – cristaux polygonaux 0,5 mm (néoblastes) – linéation : spinelle, pyroxènes – foliation : olivine

1 000-1 260 °C

Zone active tectoniquement

tabulaire à gros grain

– foliation : olivine 2 mm-1 cm – pyroxène non orienté 1-2 mm

1 250-1 260 °C

?*

poecilitique (= pegmatitique)

olivine → 6 cm inclusions de pyroxènes caractéristique des dunites et des harzburgites

1 250-1 260 °C

?*

* Il n’y a pas de consensus actuel sur l’origine mantellique ou magmatique cumulative de ces types de péridotite.

Les analyses chimiques des roches du manteau varient d’un pôle proche de la pyrolite II à une composition pauvre en Ca et Al, traduisant le passage de la lherzolite à la harzburgite, puis à la dunite. La disparition des minéraux alumineux (spinelle, grenat) et calciques (clinopyroxène) s’explique par l’extraction répétée des liquides basaltiques, pour lesquels les éléments incompatibles Ca et Al présentent une grande affinité. La harzburgite et la dunite correspondent ainsi aux résidus de fusion (manteau appauvri devenant de plus en plus réfractaire), alors que la lherzolite est plus proche du manteau primitif.

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

b) Péridotites des zones océaniques Dans les escarpements sous-marins des zones de fractures océaniques, affleurent des roches ultramafiques. Leur position actuelle est due à l’action d’une tectonique verticale. La majeure partie des échantillons récoltés a subi une transformation plus ou moins poussée des minéraux primaires. Cependant, l’étude des phases minérales reliques préservées permet de reconstituer la composition originelle. Les péridotites à spinelle varient selon leur contexte : rifts continentaux pré-océaniques, marges passives, bassins océaniques et marges actives (zones de subduction) (Tab. 2.3). Les compositions modales varient de façon continue (Fig. 2.5) de la lherzolite à la harzburgite et à la dunite, par diminution du volume occupé par le clinopyroxène, puis par l’orthopyroxène. En même temps, les minéraux enregistrent des variations 45

Chapitre 2 • Les sources des magmas

Tableau 2.3 – Variations au sein des péridotites océaniques depuis les zones de divergence jusqu’aux zones de convergence (d’après Bonatti et Michael, 1989). Roches totales Site géodynamique

Rift continental Marge passive Bassin océanique Marge active

Minéralogie

Al2O3

100 Mg / (Mg + Fe)

olivine Fo %

orthopyroxène Al2O3

spinelle 100 Cr / (Cr + Al)

3,5-6 2,5 0,8-3 0,5-0,8

87-89 89,5 90-91,5 92

87-89,5 89-90 89-91,5 91-92

3,5-6 3,5-5 2,5-5 0,5-2,5

8-10 10-30 15-60 50-80

Taux de fusion

0% 10-15 % 10-25 % 30 %

de compositions chimiques (Tab. 2.3) : l’olivine s’enrichit en forstérite, l’orthopyroxène s’appauvrit en aluminium et le spinelle s’enrichit en chrome. Dans les péridotites à texture protogranulaire, l’association [spinelle + orthopyroxène] forme des agrégats interprétés comme le résultat de la réaction de décompression : olivine + grenat → orthopyroxène + spinelle (1) réaction produite à grande profondeur, pouvant précéder les épisodes de fusion partielle. 50%Cpx

manteau fertile subcontinental rift préocéanique

marges passives

manteau sub-océanique

Ol

marges actives

50%Opx

Figure 2.5 – Compositions modales des péridotites des manteaux subcontinental et sub-océanique (Bonatti & Michael, 1989).

Les compositions chimiques originelles des péridotites (Tab. 2.3) ont été recalculées à partir des compositions modales et des analyses des minéraux reliques (Fig. 2.6). La composition du manteau supérieur varie de primitive, ou chondritique, à appauvri, à la suite d’extractions répétées de liquides basaltiques enrichis en éléments incompatibles Al, Fe, Ti, Na et K alors que le résidu s’enrichit en éléments compatibles Mg et Cr. À partir de la composition de la pyrolite II, représentant le manteau primitif (Tab. 1.8, analyse 4), il est possible de calculer la proportion de liquide extrait du manteau (Tab. 2.3) : les taux de fusion augmentent de zéro sous les continents à près de 30 % dans les marges actives (zones de subduction). 46

2.1 • Hétérogénéités du manteau supérieur

50% FeO total

manteau fertile subcontinental pyrolite manteau subocéanique

50% Al2 O3

100% MgO

Figure 2.6 – Compositions chimiques des péridotites du manteau

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

subcontinental, du manteau sub-océanique et de la pyrolite (Bonatti & Michael, 1989).

Les températures d’équilibre mesurées sur les minéraux reliques (pyroxènes, spinelle) des échantillons de péridotites indiquent des régimes thermiques différents : • sous les rifts continentaux et les marges continentales passives, les températures de 900 à 1 100 °C correspondent à des géothermes peu élevés ; • sous les bassins océaniques, la remontée des isothermes sous les rides médioocéaniques se traduit par des températures atteignant 1 300 °C ; • dans les marges actives, même si le taux de fusion y est élevé (Tab. 2.3), les températures varient de 800 à 1 000 °C seulement, ce qui implique que le processus de fusion s’effectue à basse température, à la différence de ce qui se produit sous les rides médio-océaniques. Les péridotites du manteau appauvri peuvent être recristallisées (texture porphyroclastique) avec apparition de plagioclase : • les pyroxènes s’appauvrissent en Al, de 5-6 % Al2O3 dans le cœur des porphyroclastes à 1,5 % Al2O3 dans les bords des porphyroclastes et les néoblastes ; • le spinelle devient chromifère, le rapport Cr/(Cr + Al) augmentant de 0,20 à 0,45 ; • le plagioclase calcique (91-96 % d’anorthite CaAl2Si2O8) s’associe avec le spinelle chromifère et les néoblastes d’olivine et de pyroxènes. Les relations entre minéraux suggèrent la réaction à l’état solide, en l’absence de liquide : pyroxènes + spinelle Al → olivine + plagioclase + spinelle Cr (2) Cette réaction serait postérieure aux épisodes de fusion partielle et liée aux mouvements verticaux et latéraux de la lithosphère océanique. c) Péridotites de type alpin À la base des complexes ophiolitiques répandus dans les chaînes alpines, une partie des roches ultramafiques représente des fragments de manteau supérieur, pouvant 47

Chapitre 2 • Les sources des magmas

être génétiquement associé aux gabbros et aux basaltes de la croûte océanique susjacente. Les péridotites foliées, également appelées « tectonites », ont des compositions de lherzolite et de harzburgite. En général, la composition originelle a été oblitérée par le métamorphisme des rides médio-océaniques, puis par les phénomènes tectono-métamorphiques tardifs. Il est cependant possible de reconnaître une péridotite à spinelle, parfois rééquilibrée en péridotite à plagioclase. Dans la chaîne alpine (Alpes, Apennins, Corse), deux groupes se définissent d’après la géologie, la composition chimique et la minéralogie : • un premier groupe, affleurant essentiellement sous forme d’olistolites associés à du matériel continental, est constitué de roches présentant une foliation intense et un litage fruste avec des horizons riches en olivine (dunite-harzburgite) et des horizons de pyroxénite. Les péridotites sont recoupées par des filons à composition de basalte transitionnel. La composition moyenne est celle d’une lherzolite et la minéralogie est très comparable à celle des péridotites de rifts continentaux et de marges continentales passives. Par rééquilibration à basse pression, le spinelle devient chromifère, le rapport Cr/(Cr + Al) augmentant de 0,10 à 0,40, et le plagioclase, tardif, relativement sodique (59-63 % d’anorthite), apparaît en exsolutions dans les pyroxènes ou en auréoles de réaction autour du spinelle, conformément à la réaction (2). Les paramètres thermodynamiques indiquent une ascension adiabatique à température assez faible, autour de 1 100 °C. La composition chimique correspond à un manteau peu ou pas appauvri qui aurait subi une fusion partielle très limitée à grande profondeur ; • un deuxième groupe, constitué des roches à la semelle des complexes ophiolitiques du Jurassique, est formé de lherzolite avec une texture évoluant de protogranulaire à porphyroclastique. Les pyroxènes sont enrichis en Mg et le spinelle en Cr, avec un rapport Cr/(Cr + Al) de 0,50. Le plagioclase calcique An93 forme des exsolutions dans le clinopyroxène. La composition est semblable aux péridotites des bassins océaniques. Les paramètres thermodynamiques suggèrent une remontée adiabatique à plus haute température (environ 1 200 °C), comme dans les géothermes actuellement mesurés au niveau des rides médio-océaniques. Ceci implique un taux de fusion élevé, de 10 à 20 %, donnant des liquides à composition de basalte tholéiitique à partir d’une source asthénosphérique déjà appauvrie. Les deux groupes illustrent une partie de l’histoire alpine (Fig. 2.7) : • au Trias, dans un rift continental, un magmatisme alcalin est produit par la fusion limitée d’une asthénosphère encore peu appauvrie ; • au début du Lias, la dérive continentale et la formation d’un nouveau bassin océanique s’accompagnent de l’émission de basalte transitionnel. Le premier groupe de péridotite, représentant un manteau peu appauvri, se met en place à faible profondeur par mouvements tectoniques dans les marges continentales passives ; • au cours du Jurassique, le bassin océanique est recouvert de basalte tholéiitique. Le deuxième groupe de péridotite, correspondant à un manteau très appauvri, se met en place à faible profondeur sous la ride médio-océanique. 48

2.1 • Hétérogénéités du manteau supérieur

Figure 2.7 – Évolution du bassin océanique liguro-piémontais

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(Beccaluva et al., 1984).

I. Trias supérieur : rift continental, avec volcanisme basaltique alcalin intra-plaque (WPB) ; II. Jurassique : rupture continentale, avec basaltes transitionnels (T-MORB) et mise en place à faibles profondeurs de lherzolites EL (Ligurides Externes) ; III. Jurassique : magmatisme océanique, avec basaltes de ride médio-océanique (NMORB) et résidu de lherzolites IL (Ligurides Internes) (en pointillés serrés). A = manteau lithosphérique presque non appauvri, B = manteau asthénosphérique peu appauvri, C = manteau asthénosphérique ascendant. En pointillés lâches, croûte continentale.

Bien qu’il concerne un bassin océanique mésozoïque disparu depuis, ce scénario est semblable aux résultats obtenus sur les péridotites des zones océaniques actuelles. Il n’y a pas de différence essentielle entre les péridotites de type alpin et celles des zones océaniques actuelles. 49

Chapitre 2 • Les sources des magmas

d) Faciès minéralogiques du manteau supérieur Avec une gamme relativement restreinte de compositions (lherzolite, harzburgite et dunite), les péridotites observées dans la nature présentent une grande variabilité minéralogique : • péridotite à grenat, relativement fréquente. Le plus souvent, le grenat est transformé suivant la réaction : olivine + grenat = pyroxènes + spinelle

(1)

aboutissant à la formation d’agrégats polycristallins de pyroxènes et de spinelle ; • péridotite à spinelle, très abondante. Parfois, le spinelle est transformé suivant la réaction : pyroxènes + spinelle Al = olivine + plagioclase + spinelle Cr

(2)

se traduisant par l’apparition de plagioclase en couronne autour du spinelle alumineux précoce, en association avec le spinelle chromifère tardif ou en exsolution dans les pyroxènes. • péridotite à plagioclase, assez rare, car la réaction (2) est souvent inachevée. Dans un diagramme modal (Fig. 2.8), la réaction (1) se traduit par le déplacement du point représentatif d’une péridotite dans le champ des lherzolites vers le côté des pyroxènes, alors que la réaction (2) conduit à déplacer ce point représentatif vers le pôle olivine et le champ de la dunite. Ainsi pour une même composition, s’observent des péridotites différentes par leur minéralogie, non pas à cause de variations chimiques mais à cause de variations des paramètres physiques. Ces variations définissent trois faciès minéralogiques, nommés d’après le minéral accessoire alumineux qui le caractérise : à plagioclase, à spinelle et à grenat. Chaque faciès constitue un système divariant correspondant à une gamme précise de conditions 50%Cpx

réaction (1)

réaction (2)

Ol

50%Opx

Figure 2.8 – Évolution des compositions modales d’une lherzolite à grenat, au cours des réactions (1)(passage au faciès à spinelle) et (2) (passage au faciès à plagioclase).

50

2.1 • Hétérogénéités du manteau supérieur

de pression et de température. La notion de faciès minéralogique repose sur deux postulats importants : 1. la roche constitue un système clos pour les éléments les plus importants. Les péridotites se différencient par leur caractère plus ou moins résiduel, mais les réactions (1) et (2) se produisent à l’état solide à composition chimique constante. 2. l’équilibre au cours des transformations est atteint et se marque par une relation constante entre la composition des phases minérales stables et celle des roches qui les contiennent. Les paragenèses, constantes à l’intérieur d’un faciès donné, changent brutalement au cours des réactions métamorphiques. Les températures mesurées sur les minéraux à l’équilibre se situent dans une gamme restreinte, de 800 à 1 300 °C. Il faut donc s’attendre à ce que les réactions (1) et (2) et les faciès qu’elles délimitent soient surtout contrôlées par la pression. Les résultats expérimentaux obtenus sur des péridotites naturelles ou synthétiques ont confirmé cette prédiction dans l’intervalle de températures comprises de 500 à 1 500 °C (Fig. 2.9) : pression (GPa) 3.5

solidus 2.5

péridotite à grenat

1.5

péridotite à spinelle liquide+cristaux 0.5

péridotite à plagioclase 0

500

1000

1500

2000

température (°C)

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Figure 2.9 – Faciès minéralogiques du manteau primitif anhydre (Wyllie, 1971).

• la réaction (1) se réalise à une pression voisine de 2 GPa, correspondant à des profondeurs de 60-70 km, c’est-à-dire à la partie inférieure de la lithosphère, ou couche-limite thermique (TBL, ou « thermal boundary layer ») ; • la réaction (2) se réalise à une pression voisine de 1 GPa, correspondant à des profondeurs de 30-40 km, c’est-à-dire à la zone la plus superficielle de la lithosphère, ou couche-limite mécanique (MBL, ou « mechanical boundary layer »). Le manteau supérieur se montre donc extrêmement hétérogène : 1. variations de la composition chimique selon le taux d’extraction des liquides magmatiques, définissant une évolution depuis le manteau primitif jusqu’au manteau appauvri ; 51

Chapitre 2 • Les sources des magmas

2. zonation minéralogique selon la profondeur, avec une lithosphère stratifiée composée d’une zone superficielle à plagioclase, pouvant manquer sous les continents, d’une zone moyenne à spinelle et d’une zone inférieure à grenat, et une asthénosphère toujours à grenat. Les deux facteurs, composition chimique et faciès minéralogique, jouent un rôle essentiel dans la production des liquides magmatiques. Ils en déterminent la nature chimique et le volume extrait.

2.1.2 Péridotites métasomatiques Au sein des formations volcaniques alcalines des zones continentales, de nombreux nodules de péridotites montrent, à côté de l’association anhydre [olivine + pyroxènes + spinelle et/ou grenat], des minéraux hydroxylés et carbonatés (Tab. 2.1). Les minéraux précoces sont remplacés par de nouveaux minéraux contenant de fortes teneurs en éléments lithophiles et volatils. Ce sont, par ordre décroissant d’abondance : le clinopyroxène, le mica, l’amphibole, les carbonates, les phosphates (apatite), les minéraux de titane (titanite CaTiSiO5, pérovskite CaTiO3), les oxydes et les sulfures. La cristallisation de ces minéraux traduisent l’enrichissement des péridotites en : • éléments volatils, comme H, C, F, Cl, P, S ; • éléments incompatibles, comme Na, Al, K, Ti, Ca, Fe, Rb, Y, Zr, Nb, Ba et terres rares. a) Nodules de péridotites métasomatiques Les péridotites métasomatiques sont souvent veinées, les minéraux néoformés cristallisant le long de fissures, en bordures de grains ou en poches, ce qui traduit, plutôt qu’un remplacement, une augmentation de volume et un apport de matière. La transformation de la roche avec apport chimique est appelée métasomatose. Comme les réactions topochimiques, sans modifications de composition chimique, elle se produit à l’état solide. La métasomatose est un trait caractéristique du manteau subcontinental à l’aplomb des provinces magmatiques alcalines (Massif Central, Eifel, Ouganda, Alaska, Australie, Arabie,...). Deux groupes de nodules se définissent par leur minéralogie : • groupe I, constitué de péridotite à spinelle (lherzolite, harzburgite, wehrlite et dunite) avec de faibles quantités d’amphibole et de mica et une texture protogranulaire évoluant vers la texture porphyroclastique ; • groupe II, constitué de clinopyroxénite riche en amphibole et en mica, pauvre en olivine, dépourvue ou presque d’orthopyroxène, avec de fortes teneurs en titanite, pérovskite, oxydes de fer et apatite. La texture est généralement porphyroclastique. La clinopyroxénite contient plus rarement des carbonates, avec des fragments anguleux de clinopyroxène et de mica dans une matrice constituée de calcite, feldspaths, apatite et titanite. La wehrlite à mica est intermédiaire entre les deux I et II. La composition des minéraux est assez variable : • le clinopyroxène est zoné, avec des taches de ferroaugite envahissant les cristaux originels de diopside chromifère et alumineux ; 52

2.1 • Hétérogénéités du manteau supérieur

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

• le mica brun rouge à orangé est un phlogopite titanifère, dont le rapport K/(K + Na) varie de 0,96 au cœur à 0,75 en bordure ; • l’amphibole calcique est soit une pargasite vert-pâle, soit une kaersutite brune. La kaersutite, minéral titanifère plus rare, forme des néoblastes, des lamelles d’exsolution dans les pyroxènes ou des cristaux en association avec le spinelle chromifère. Dans les nodules du groupe I, les réactions sont souvent incomplètes. Le clinopyroxène brun-vert à violacé, l’amphibole verte et le mica brun rouge remplissent des veines ou des poches, ce qui suppose la présence d’un fluide se propageant à travers les fissures. La composition chimique des minéraux néoformés à l’intérieur des veines varie fortement : le mica précoce potassique devient plus sodique, l’amphibole cristallise lorsque les fluides sont suffisamment riches en Na. Des textures de remplacement, avec des reliques de minéraux anhydres à l’intérieur du mica et de l’amphibole, montrent que la métasomatose peut être diffuse. Les températures d’équilibre varient de 1 150 ± 10 °C pour la péridotite à amphibole de texture protogranulaire à 950 ± 10 °C pour celle de texture porphyroclastique. Les minéraux hydroxylés cristallisent en régime de déformation cisaillante du manteau en cours d’ascension adiabatique. En cours d’ascension, un diapir mantélique se fracture en bordure et les fluides peuvent alors migrer. Vers 70 km de profondeur, l’amphibole cristallise à la suite de réactions entre la matrice solide péridotitique et les fluides inter-cristallins. À partir des teneurs en éléments en traces, on a pu calculer qu’une faible quantité (0,2 %) de fluide mixte [H2O + CO2] suffit pour former 3 % d’amphibole dans la péridotite à amphibole de l’Eifel. Le fluide métasomatique, étranger au matériel du diapir mantélique, influe sur la minéralogie de la péridotite et sa composition isotopique (Sr, Nd, Pb). Les transformations minéralogiques de la péridotite peuvent se produire quelques Ma à près de 3 Ga avant les éruptions volcaniques qui apportent les nodules en surface. Dans le cas des nodules du groupe II à kaersutite + pargasite + mica + apatite, la genèse des clinopyroxénites s’explique autrement. L’agent responsable de la métasomatose n’est pas un fluide [H2O + CO2], mais un liquide silicaté, ou silicatécarbonaté, contenant des fluides dissous et transportant Ti, V, K, P et les terres rares légères. Bloqué dans la lithosphère, le liquide cristallise en association à amphiboles + mica + apatite, sous la forme de ségrégations et de veines. Le manteau métasomatisé par un liquide silicaté contient 6,5 % d’amphibole, des traces de mica et 0,5 % d’apatite (Tab. 2.1). b) Faciès minéralogiques du manteau supérieur métasomatique La présence de minéraux hydroxylés et de carbonates indique que les fluides responsables de la métasomatose sont constitués essentiellement du mélange [H2O + CO2]. Les études expérimentales sur péridotite naturelle ou sur pyrolite synthétique en présence de fluides (Fig. 2.10) ont montré que l’association minérale anhydre primitive se complète par l’adjonction d’amphibole, de phlogopite et de carbonates. Deux limites majeures conditionnent l’apparition de nouveaux minéraux dans la gamme des températures comprises entre 900 et 1 200 °C : • l’amphibole est stable seulement à pression inférieure à 2,2 GPa, correspondant à 70 km de profondeur à l’intérieur de la lithosphère. Le phlogopite est stable à 53

Chapitre 2 • Les sources des magmas

toute pression mais, à cause de faibles teneurs en K dans le manteau, il se rencontre toujours en faible quantité. • les carbonates, instables à basse pression, apparaissent au-dessus de 1,0 à 1,7 GPa, soit 30-50 km de profondeurs. Entre 1,0 à 1,7 et 2,8 GPa, soit des profondeurs comprises entre 30-50 et 90 km, la dolomite CaMg(CO3)2 est la forme stable. À plus forte pression, la dolomite est remplacée par la magnésite MgCO3, selon la réaction : dolomite + orthopyroxène = magnésite + clinopyroxène (3) FACIES MINERALOGIQUES DU MANTEAU EN PRESENCE DE FLUIDES C-H-O pression (GPa) 4

carbonates

3

péridotite à grenat +phlogopite + carbonates

liquide+cristaux

péridotite à amphibole + grenat +carbonates + spinelle

2

péridotite à amphibole +carbonates + spinelle 1

0 800

péridotite à spinelle +amphibole

900

1000

1100

1200

1300

température (˚C)

Figure 2.10 – Faciès minéralogiques du manteau en présence de fluides du système C-H-O (H2O < 0,3 %, CO2 < 7 % en masse).

En pointillé, limite de stabilité des carbonates (Olafsson & Eggler, 1983).

La magnésite présente un vaste champ de stabilité dans le diagramme (pression, température). Dans les conditions actuelles de variations de la température (Fig. 2.1), c’est la phase carbonatée stable du manteau depuis 90 km jusqu’à 2 900 km de profondeur, à la limite manteau-noyau (discontinuité de Gutenberg). Les expériences ont été effectuées avec 0,3 % H2O et 0,7 % CO2, car les quantités de fluides nécessaires pour saturer le système sont faibles. Les faciès métasomatiques du manteau présentent ainsi une zonation en fonction de la profondeur : • à moins de 50 km de profondeur, la lithosphère superficielle est caractérisée par l’amphibole et le phlogopite en faible quantité ; • entre 50 et 70 km (lithosphère moyenne), l’assemblage amphibole + (phlogopite) + dolomite est stable ; • entre 70 et 90 km, l’assemblage phlogopite + dolomite caractérise la lithosphère profonde ; • l’asthénosphère présente l’assemblage phlogopite + magnésite. Ces variations minéralogiques conditionnent la nature et la quantité des liquides produits à partir du manteau métasomatique. 54

2.1 • Hétérogénéités du manteau supérieur

EN CART Le diamant : une fenêtre sur le manteau inférieur Dans le système C-H-O, le pôle pur C est le seul à présenter dans les conditions du manteau deux phases solides : le graphite et le diamant. L’agencement des atomes de C aboutit à un paradoxe cristallographique. Le graphite, l’un des minéraux les moins durs qui soient (il n’y a que le talc pour être plus tendre), est la forme stable à moins de 100 km de profondeur. En revanche, le diamant, le plus dur des minéraux dans l’échelle de Mohs (degré 10), cristallise à plus de 100 km de profondeur et moins de 5 000 K. 1. Occurrences et « crapauds »

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Le diamant existe dans différents contextes naturels, le plus important sur le plan économique étant les kimberlites. Il se rencontre dans d’autres roches magmatiques (lamproïte) et métamorphiques (éclogite et lherzolite à grenat). Plusieurs processus à haute pression et faible fugacité d’oxygène permettent la stabilisation d’une phase carbone pur de structure diamant : • transition polymorphique à partir du graphite par augmentation de pression ; • précipitation par oxydoréduction à partir de fluides supercritiques du système C-H-O ; • voire cristallisation à partir d’un liquide. Les cristaux gemmes sont très recherchés pour leur aspect et leur valeur marchande. Mais de nombreux cristaux contiennent des inclusions, appelés « crapauds » par les joailliers, ce qui les rend de faible valeur. Les inclusions dans les cristaux de diamant sont semblables aux minéraux des roches métamorphiques associées, éclogite et lherzolite à grenat. Leur âge est en général plus élevé que celui de la kimberlite-hôte. La nature des inclusions permet donc de se faire une idée de la constitution minéralogique du matériau dans lequel est né le cristal de diamant. En effet, comme le diamant est chimiquement à peu près inerte, il constitue un conteneur parfait qui protège les inclusions contre l’altération chimique. Comme les inclusions sont en général mono-minérales, elles sont indemnes de tout réajustement provoqué par les changements de pression et de température. Les sources des diamants qui ont été identifiées jusqu’à présent sont : (1) la partie inférieure du manteau supérieur lithosphérique (≥ 140-150 km), qui peut s’étendre jusqu’à 250 km de profondeur sous les cratons ; (2) l’asthénosphère et la zone de transition ; (3) le manteau inférieur. 2. Faciès minéralogiques dans la zone de transition et le manteau inférieur Une très faible proportion (moins de 1 %) de la production mondiale de diamant provient de sources situées sous la base de la lithosphère des cratons. La présence de diamants d’origine très profonde a été supposée en 1984, mais la preuve n’en a été apportée que très récemment. Le grenat majorite caractéristique de la zone de transition a été découvert en 1985 dans la mine de Monastery, en Afrique du Sud. Des minéraux provenant du manteau inférieur ont été décrits en 1994 dans la mine de São Luiz au Brésil, et en 2000 dans la mine de Kankan en Guinée.

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Chapitre 2 • Les sources des magmas

• Le manteau anhydre Les phases solides constituant la zone de transition et le manteau inférieur ont été synthétisées en laboratoire, bien avant d’être observées dans les échantillons naturels. Deux discontinuités à 400-420 km et 670 km de profondeur définissent la zone de transition entre manteau supérieur et manteau inférieur (Tab. 1.9). L’olivine de composition Fo90 environ (90 % Mg2SiO4 – 10 % Fe2SiO4) est le minéral le plus abondant du manteau supérieur. Elle subit à 1 000 °C deux transitions polymorphiques (composition chimique inchangée), l’une à 11,8 et l’autre à 12,5 GPa, pouvant expliquer la première discontinuité à 400-420 km : – α-olivine (orthorhombique) → wadsleyite = β-olivine (cubique, proche du type spinelle) ; – β-olivine → ringwoodite = γ-olivine (cubique de type spinelle). Les pyroxènes subissent également une transition polymorphique à la même profondeur : – enstatite Mg2Si2O6 (orthorhombique) + diopside CaMgSi2O6 (monoclinique) → majorite (cubique de type grenat). La structure est caractérisée par le fait qu’un atome de Si sur 4, au lieu d’une coordinance 4, a une coordinance 6, comme Mg et Ca. Les diamants qui contiennent la majorite en inclusions renferment la coésite ou la stishovite, polymorphes de haute pression de SiO2, et le rutile TiO2. La deuxième discontinuité à 670 km correspond à de nouvelles transitions de phases (Tab. 1.9). La composition chimique correspondant à l’olivine devient instable et donne deux nouvelles phases, un silicate de type « pérovskite » (la pérovskite naturelle est un minéral orthorhombique de composition CaTiO3) et un oxyde de fer-magnésium. La majorite se déstabilise pour donner des minéraux de structures cristallines variées : « pérovskite » et « hollandite » (la hollandite naturelle est un minéral monoclinique de composition BaMn8O16), plus rarement « walstromite » (la walstromite naturelle a pour composition BaCa2Si3O9) et « titanite » (la titanite naturelle a pour composition CaTiSiO5). Le sommet du manteau inférieur est donc caractérisé par les réactions suivantes : – ringwoodite Mg2SiO4 → « pérovskite » MgSiO3 + périclase MgO (cubique). Comme le périclase du manteau inférieur contient en général du fer (de 6 à 25 % dans les inclusions des diamants de la mine de Kankan, en Guinée), on l’appelle magnésiowüstite, ou ferropériclase ; – molécule enstatite dans la majorite Mg4Si(SiO4)3 → 4 « pérovskite » MgSiO3 ; – molécules alumineuses dans la majorite + stishovite → « hollandite » ; – molécule « wollastonite » dans la majorite Ca4Si(SiO4)3 → 4 « walstromite » CaSiO3 ; – molécule « wollastonite » + 4 stishovite → 4 « titanite » CaSi2O5. Bien que non encore observée dans les échantillons naturels, la phase « pérovskite », évaluée à 65 % du manteau inférieur (Tab. 1.9), est certainement le minéral le plus abondant à l’intérieur de la Terre. • L’effet des fluides C-H-O Les fluides du système C-H-O peuvent exister soit sous forme d’une phase fluide séparée de composition mixte, soit dissous dans les magmas, soit dans les minéraux, carbonates, minéraux hydratés et silicates théoriquement anhydres. Dans certaines zones, la fugacité d’oxygène peut induire la présence d’hydrogène non oxydé sous la forme des molécules H2 ou CH4. En dehors du diamant, le carbone présent dans la zone de transition et le manteau inférieur forme des carbonates,

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2.1 • Hétérogénéités du manteau supérieur

surtout la magnésite MgCO3 et, plus rarement, la sidérite (ou sidérose) FeCO3. La magnésite est stable dans les conditions actuelles du manteau inférieur jusqu’à la discontinuité de Gutenberg à 2 900 km de profondeur. La molécule H2O est présente dans de nombreux minéraux. Dans les conditions du manteau supérieur et de la zone de transition, des minéraux théoriquement anhydres d’après leur stœchiométrie peuvent contenir des quantités non négligeables de H2O : 100-1 300 ppm dans le clinopyroxène, 60-650 ppm dans l’orthopyroxène, 0-140 ppm dans l’olivine et 1-200 ppm dans le grenat. À part le grenat, ces minéraux peuvent donc contenir des quantités dépassant 1 000 ppm (0,1 % H2O). Si 100 ppm H2O sont répartis de façon homogène dans le manteau supérieur, c’est-à-dire au-dessus de la première discontinuité à 410 km de profondeur, ils sont équivalents à une couche d’eau liquide de 100 m d’épaisseur en surface. Les formes de haute pression de l’olivine peuvent dissoudre H2O en plus grandes quantités que dans le manteau supérieur : 1,5-3,0 % dans la wadsleyite et 0,7 % dans la ringwoodite, ce qui fait de la zone de transition une zone potentielle de stockage d’eau en profondeur. D’autres phases silicatées contenant de l’eau jusqu’à 30 % dans leur structure cristalline ont été synthétisées dans les conditions de pression de la zone de transition et du manteau inférieur. Comme ces phases n’ont pas encore été observées dans les échantillons naturels, elles n’ont pas de nom, on les appelle avec des lettres. Dans le système MgO-SiO2-H2O, les phases A, B, C, D, E, F et G, plus une superphase B, sont connues. Dans des systèmes plus complexes, d’autres phases sont décrites. De plus, en présence d’eau, le périclase MgO du manteau inférieur se transforme en brucite Mg(OH) 2. Les études expérimentales ont établi les domaines de stabilité des phases appelées « silicates magnésiens hydratés denses » (DHMS) : – à la base du manteau supérieur, la réaction de déshydratation de l’antigorite produit la phase A coexistant avec l’olivine ; – au sommet de la zone de transition, la forte capacité de rétention d’eau de la wadsleyite suggère que, pour des teneurs en eau de l’ordre de 3 %, les phases D et E, théoriquement stables, ne sont pas présentes ; – dans la zone de transition, la superphase B coexiste avec la ringwoodite ; – au sommet du manteau inférieur, la phase D est stable à une température inférieure à 1 300 °C ; – les autres phases ne sont stables qu’à basse température (< 1 100-1 200 °C) et ne participent pas aux réactions de fusion partielle ; – la brucite est stable dans le manteau inférieur à moins de 1 100 °C et ne peut exister que dans des zones particulièrement « froides ». La capacité de stockage de l’eau dans la ringwoodite et surtout la wadsleyite est importante. Si ces deux minéraux contiennent 0,5 % H2O, la quantité d’eau stockée dans la zone de transition peut atteindre 2,12.1021 kg, c’est-à-dire deux fois la masse des océans actuels. Les DHMS, stables pour une teneur en eau dans les roches dépassant 1 %, sont stables dans les zones les plus froides des zones de subduction non encore déshydratées. Elles sont absentes du reste de la zone de transition et du manteau inférieur. En se déshydratant, elles induisent la fusion partielle du manteau vers 1 100-1 500 °C dans la zone de transition et au sommet du manteau inférieur.

57

Chapitre 2 • Les sources des magmas

2.2 LE

RÔLE DES FLUIDES DANS LE MANTEAU

2.2.1 Compositions des fluides Les fluides dans le manteau paraissent peu abondants si l’on considère leur pourcentage, mais, à cause du volume total du manteau, leur masse totale dépasse largement les quantités d’eau réunies dans les sédiments, l’hydrosphère et l’atmosphère. La composition chimique des fluides est un mélange H2O + CO2, avec des quantités non négligeables de F et Cl. Les teneurs en composés volatils du manteau sont variables selon les estimations des auteurs : de 100-500 à 1 000-2 000 ppm de H2O, avec un rapport CO2/(CO2 + H2O) de 0,8 à 0,9. La présence de minéraux hydroxylés et d’inclusions fluides à CO2 dans les minéraux anhydres n’exclut cependant pas la possibilité d’observer d’autres phases carbonées plus réduites, comme le graphite, le diamant, et même le méthane CH4 ou d’autres hydrocarbures. Le carbone se répartit selon la profondeur dans les phases suivantes (Fig. 2.11) : • à moins de 50 km, graphite et phase fluide riche en CO2 ; • entre 50 et 100 km, dolomite et graphite, la phase fluide s’appauvrit en CO2 ; • entre 100 et 300 km, magnésite, diamant et phase fluide riche en H2O ; • à plus de 300 km, magnésite, diamant et phase fluide réductrice constituée de CH4 et H2, ces deux composants chimiques n’entrant dans aucun minéral de haute pression. L’eau peut se présenter sous trois formes (Fig. 2.11) : • en phase fluide séparée, mélangée avec CO2, dans des conditions supercritiques ; • en ions OH– entrant dans la texture des minéraux hydroxylés : amphibole et phlogopite dans le manteau supérieur, silicates denses hydratés magnésiens (DHMS) et brucite Mg(OH)2 dans la zone de transition et le manteau inférieur ; • en ions OH– remplaçant les anions O2– dans les tétraèdres SiO4 de minéraux réputés anhydres : olivine, surtout wadsleyite et ringwoodite, pyroxènes, plagioclase, spinelle et grenat. La substitution OH– = O2– a été observée par diffraction neutronique et rayonnement infrarouge des minéraux naturels. Les autres éléments volatils, F, Cl et P, sont dissous dans les fluides ou stockés sous forme d’anions dans les minéraux : • le mica peut contenir 0,5 % F et 0,08 % Cl et l’amphibole jusqu’à 1 % F, mais seulement 0,02 % Cl ; • la fluor-apatite concentre P, F et Cl, respectivement 40 % P2O5, 0,5 à 2 % F et 0,8 % Cl. Ces minéraux constituent la source principale de ces éléments dans les magmas. Pour transformer tout le manteau supérieur en péridotite à amphibole, il faut 0,3 % d’eau, correspondant à 15 % d’amphibole. De plus grandes quantités de CO2, de 7 à 20 %, sont nécessaires pour obtenir des péridotites carbonatées. Cependant, les teneurs en éléments volatils du manteau sont faibles et la composition des fluides est tamponnée, c’est-à-dire déterminée par l’assemblage minéral avec lequel ils sont en équilibre. 58

2.2 • Le rôle des fluides dans le manteau

profondeur (km) 0

50

100

graphite diamant

150

LITHOSPHERE 200

ASTHENOSPHERE

H2O

250

DHMS 300

brucite 350

400 500

700

900

péridotite anhydre péridotite CO 2 - H2O péridotite - H 2O

1100

1300

1500

température (∞C)

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Figure 2.11 – Solidus du manteau péridotitique à sec (modifié d’après Takahashi, 1986), en présence d’eau (Mysen & Boettcher, 1975-1976) et en présence de fluides du système C-H-O [CO2 / (CO2 + H2O) = 0,8] (Olafsson & Eggler, 1983, cf. Fig. 2.10). En outre, sont indiquées les limites supérieures de stabilité des DHMS (silicates magnésiens hydratés denses) et de la brucite (réaction : ringwoodite Mg2SiO4 + H2O → brucite Mg(OH)2 + « pérovskite » MgSiO3) et la limite lithosphère-asthénosphère sous les cratons. Selon les gradients géothermiques (cf. Fig. 2.2), la fusion du manteau péridotitique en présence de fluides commence à se produire vers 150 km et cesse en dessous de 280-350 km de profondeur (cf. Fig. 2.14).

La plupart des minéraux (silicates et oxydes complexes) a la propriété de se dissoudre de façon incongruente, en laissant un résidu solide. Par exemple, les pyroxènes du manteau (55 à 58 % SiO2) se dissolvent en laissant un peu d’olivine résiduelle (40 % SiO2). Par conséquent, les solutés ont des compositions chimiques différentes des produits solides avant leur dissolution. La composition des fluides en équilibre avec le manteau a été déterminée expérimentalement (Tab. 2.4) : les solutés sont particulièrement riches en Si, Al, Na et K, avec des compositions proches des granites alcalins, voire hyperalcalins. Le rapport (Na + K)/Al du soluté augmente avec le rapport CO2/(CO2 + H2O) du solvant, mais les quantités d’éléments dissous diminuent (Fig. 2.12).

59

Chapitre 2 • Les sources des magmas

Tableau 2.4 – Composition chimique des solutés des fluides en équilibre avec les péridotites (d’après Martin, 1974 ; Schneider et Eggler, 1986). 1

2

17 5 P (kbar) 800 700-415 T (°C) 48 336 durée (h) 1,0 1,0 H2O / (H2O + CO2) (molaire) dans le fluide SiO2 75,1 76,6 1,1 TiO2 0,9 10,1 9,1 Al2O3 2,6 7,6 FeO* 2,2 0,0 MgO 1,7 0,0 CaO 6,0 2,2 Na2O 1,3 0,9 K2O % soluté 0,7 2,0

3

4

5

6

7

8

17 850 24 1,0

17 900 24 0,79

15 1 080 24 1,0

20 1 100 24 0,91

22 600 42,5 1,0

22 600 42,5 0,95

72,2 0,0 14,1 0,0 5,3 0,0 0,0 8,4 10,4

64,8 0,0 17,0 0,0 3,5 0,0 0,0 14,7 1,0

74,5 0,6 12,8 1,3 2,3 2,7 3,6 2,2 2,2

66,1 0,9 5,9 3,0 6,4 2,2 8,2 7,2 0,5

78,8 0,0 12,0 0,0 0,3 0,0 9,0 0,0 4,0

69,8 0,0 6,7 0,0 1,1 0,0 22,5 0,0 1,0

FeO* : tout le fer est analysé sous forme de FeO. Matériaux utilisés dans les expériences : 1 (Martin, 1974), 2 à 8 (Schneider et Eggler, 1986) 1. péridotite appauvrie synthétique 2 à 4. péridotite métasomatique synthétique à 0,95 % Na2O, 0,4 % K2O et 0,12 % H2O = 23,5 kaersutite + 23,5 orthopyroxène + 23,4 diopside + 23,5 olivine + 6,2 spinelle 5 et 6. péridotite métasomatique synthétique à 4,7 % K2O = 46,2 phlogopite + 46,4 enstatite + 7,4 forstérite 7 et 8. péridotite métasomatique synthétique à 7,5 % Na2O = 47,0 jadéite + 48,0 enstatite + 5,0 forstérite Les matériaux utilisés, à l’exception de 1, ne correspondent pas à des compositions de péridotite naturelle (comparer avec le tableau 2.1), mais à des péridotites enrichies en phases métasomatiques, de façon à mieux apprécier la solubilité des alcalins dans les fluides du système H2O-CO2. pression (GPa) 2.5

0.5

0

hyperalcalin

hyperalumineux

1.5

1

2

3

4

5

6

NA2O+ K2O / Al2O3 (moles)

péridotite métasomatique + H2O péridotite métasomatique + H2O + CO2 péridotite + H2O péridotite + H2O + CO2

Figure 2.12 – Indice d’agpaïcité (Na2O + K2O) / Al2O3 (en moles) des solutés

des fluides qui percolent dans le manteau (manteau normal : cercle, métasomatique : triangle) en fonction de la pression (1 kbar = 0,1 GPa). Les symboles vides correspondent à des fluides aqueux, les symboles pleins à des fluides mixtes H2O + CO2. Les solutés aqueux sont hyperalumineux à un peu hyperalcalins, tandis que les solutés carboniques sont plus franchement hyperalcalins (Schneider & Eggler, 1986).

60

2.2 • Le rôle des fluides dans le manteau

2.2.2 Métasomatose par lessivage-précipitation Les mécanismes de la métasomatose du manteau peuvent être précisés (Fig. 2.13). Les fluides présents à plus de 70 km de profondeur sont essentiellement aqueux et leur pouvoir dissolvant est suffisant pour lessiver la lithosphère, essentiellement K du phlogopite selon la réaction : (4) phlogopite + orthopyroxène + H2O = olivine + fluide contenant K À cause de leur faible densité, les fluides peuvent percoler dans la lithosphère, soit dans les espaces compris entre les cristaux, soit dans des fissures et des veines ouvertes. En migrant vers le haut, les fluides peuvent reprécipiter le phlogopite avec les pyroxènes aux dépens de l’olivine et pourraient donner certaines pyroxénites à micaamphibole. Par départ de K dans le mica, les fluides deviennent alors plus riches en Na. À une profondeur inférieure à 70 km, les fluides précipitent l’assemblage amphibole + carbonates, selon la réaction : pyroxènes + spinelle + fluide = amphibole + carbonates + olivine (5) Comme les fluides profonds, issus de la réaction (4), sont surtout aqueux, les carbonates produits par la réaction (5) sont peu abondants par rapport à l’amphibole. À plus faible profondeur encore (moins de 50 km), les fluides de plus en plus riches en CO2 (Fig. 2.13) deviennent de très mauvais solvants et précipitent massivement l’amphibole. profondeur (km)

0

X1

1

D

120

G 110

100

CO2

lessivage par fluide aqueux, peu de dépôts péridotite à grenat +phlogopite +carbonates +vapeur

90

80

solidus

H2O

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70

dépôts abondants 60

péridotite à amphibole +carbonates

50

40

fluide

400

600

800

1000

1200

1400

température (˚C)

Figure 2.13 – Compositions chimiques des fluides du système C-H-O en équilibre avec les roches du manteau supérieur (à gauche).

Processus de lessivage, puis de précipitation au cours de l’ascension d’un volume de fluides (à droite). D = champ de stabilité du diamant, G = champ de stabilité du graphite (Schneider & Eggler, 1986).

61

Chapitre 2 • Les sources des magmas

Les quantités de fluides nécessaires pour que les réactions (4) et (5) soient complètes sont telles que la métasomatose du manteau par les fluides est un processus d’extension limitée. Mais, si les épisodes métasomatiques se répètent plusieurs fois dans le temps, la région du manteau affectée par la percolation de fluides peut s’enrichir en alcalins et se transformer en bandes concentrant K en profondeur et Na dans les zones plus superficielles. La percolation de liquides magmatiques est le processus métasomatique le plus efficace. Les liquides silicatés prendraient naissance vers 110-180 km de profondeur dans l’asthénosphère (Fig. 2.14). Par cristallisation en cours d’ascension dans le manteau, les éléments chimiques incompatibles qu’ils contiennent se déposent sur les parois des fissures et des veines qui servent de conduits. Les péridotites et pyroxénites enrichies en Fe et Ti seraient hybridées par des liquides basaltiques. Les péridotites carbonatées enrichies en terres rares légères, U, Th, Pb, P, Na, K, Ca et Sr seraient hybridées par des liquides carbonatitiques.

kimberlite

profondeur (km) 0

kimberlite

Moho

CROÛTE

LITHOSPHERE

100

kimberlite avortée

métasomatose

solidus en présence de fluides 200

traces de liquide avec fluides C-H-O

ASTHENOSPHERE

solidus en présence de fluides 300

fluides C-H-O minéraux denses hydratés magnésiens + brucite

400 Temps (sans échelle)

Figure 2.14 – Processus profonds dans le manteau subcontinental situé sous un craton.

Un volume ascendant de manteau, contenant des minéraux magnésiens hydratés denses et/ou de la brucite, subit un dégazage important vers 350 km de profondeur, commence à fondre vers 280 km et redevient solide vers 180 km. Les kimberlites prennent leur source vers 190 km et peuvent ou non atteindre la surface. Le long des mêmes conduits, les fluides du système C-H-O et les liquides de fusion partielle provoquent la métasomatose de la base de la lithosphère subcontinentale (Wyllie, 1988).

62

2.2 • Le rôle des fluides dans le manteau

2.2.3 Kimberlites et roches associées Les nodules de péridotites sont des enclaves de petite taille emballées dans des formations volcaniques qui les ont arrachées à leur site et les ont emportées à grande vitesse à la surface. À côté, existent des associations péridotitiques de taille kilométrique, célèbres pour leur intérêt économique : les kimberlites, souvent porteuses de diamant. Ces péridotites à mica sont répandues dans les cratons précambriens, caractérisés par une croûte et une lithosphère épaisses. Dans leur définition actuelle, les kimberlites forment un clan de roches ultramafiques potassiques riches en fluides (surtout CO2). Leur texture porphyrique est constituée de mégacristaux inclus dans une matrice fine. La complexité des kimberlites provient de ce que les minéraux présents ont plusieurs origines différentes : • des enclaves de lherzolite, harzburgite, péridotite à phlogopite et/ou amphibole, pyroxénites à grenat-disthène ou à mica-amphibole-rutile-ilménite proviennent de zones métasomatiques du manteau. Elles peuvent se fragmenter en xénocristaux ; • des mégacristaux (jusqu’à 20 cm) d’ilménite Mg, pyrope Ti, diopside, enstatite, phlogopite et zircon sont issus de la cristallisation d’un magma, dont la liaison génétique avec la kimberlite-hôte est discutée ; • des minéraux automorphes à subautomorphes ont cristallisé in situ dans la matrice de la kimberlite : olivine, phlogopite, chromite et spinelle Tï, pérovskite, ilménite, diopside, monticellite, apatite, calcite et serpentine. Tous ces minéraux ne sont pas également présents, mais déterminent une séquence de cristallisation complète par refroidissement de 1 400 à 400 °C (Fig. 2.15).

pyroxène ilménite olivine rutile

pyrope

mica

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pérovskite apatite sulfures pyrite calcite serpentine 1500

1300

1100

900

700

500

température décroissante (˚C)

Figure 2.15 – Séquence de cristallisation des principaux composants d’une kimberlite (Mitchell, 1986).

63

Chapitre 2 • Les sources des magmas

Les kimberlites sont donc des roches hybrides, surtout magmatiques. Elles affleurent dans des massifs complexes avec, de haut en bas (Fig. 2.16) : • un cratère ouvert à la surface du sol, mal préservé et renfermant des laves très rares, des formations pyroclastiques en anneau et des formations épiclastiques remplissant le cratère ; • un diatrème sub-cylindrique, rempli de brèches, et des racines en relations avec des filons et des sills d’alimentation. La texture des cheminées et leur remplissage par des brèches indiquent l’existence de magmas chauds, mobiles et riches en gaz.

épiclastites

anneau de tufs

pyroclastites

cratère

pyroclastites diatrème

sill

dykes précurseurs dykes racine

Figure 2.16 – Anatomie d’un complexe kimberlitique (Mitchell, 1986).

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2.3 • Anatexie et fusion partielle

En Afrique du Sud, deux groupes de kimberlites se définissent par l’âge, la minéralogie et la composition chimique : • les kimberlites non micacées, mises en place au Crétacé supérieur (80-90 Ma), sont dérivées d’un manteau normal enrichi en Ti et K et à rapport U/Pb élevé ; • les kimberlites micacées, mises en place au Jurassique (200-120 Ma), à calcite, apatite et diopside, sont dérivées d’un manteau très enrichi en K, Nb, Pb, à rapports Rb/Sr et Nd/Sm élevés et à rapport U/Pb bas. Le manteau enrichi dans le faciès des péridotites à grenat aurait subi un événement métasomatique majeur il y a plus de 1 Ga. Remarquons que la définition des kimberlites ignore la présence de diamant. En effet, toutes les kimberlites ne sont pas fertiles et il n’existe pas de relation simple entre la composition de la roche totale et la présence de diamant. Actuellement, on considère que le diamant forme des xénocristaux. Les teneurs variables en diamant des kimberlites pourraient être liées, soit à une répartition hétérogène du diamant dans le manteau, soit à des réactions de résorption par oxydation du diamant au cours du transport, conduisant à des kimberlites riches en calcite. L’origine des magmas kimberlitiques est nécessairement profonde (plus de 150 km), puisque le diamant y est présent occasionnellement. En présence de CO2 et H2O, le manteau peut fondre partiellement vers 200 km sous les cratons (Fig. 2.10), alors qu’il ne peut le faire à sec. Quelle que soit la nature des fluides dans le système C-H-O, il suffit de quantités assez faibles pour provoquer : • d’abord une métasomatose par les fluides, produits par la déshydratation de minéraux hydroxylés issus du manteau inférieur et montant par percolation dans l’asthénosphère ; • puis une fusion partielle en présence de fluides, donnant des liquides légers pouvant monter et se bloquer sous la lithosphère vers 200 km de profondeur. La répétition des événements métasomatiques peut conduire à la formation d’un niveau enrichi hétérogène à la base de la lithosphère (Fig. 2.14). Postérieurement, des perturbations thermiques nouvelles peuvent conduire à l’intérieur de la zone de manteau enrichi à l’individualisation de magmas qui par différenciation, mise en place explosive et cristallisation, donnent les massifs de kimberlites en surface (Fig. 2.14). Bien qu’ultramafiques, les kimberlites ne constituent pas des échantillons naturels du manteau, mais sont les produits d’un magmatisme prenant naissance dans le manteau sous l’action des fluides.

2.3 ANATEXIE

ET FUSION PARTIELLE

Les résultats géophysiques sur la transmission des ondes sismiques indiquent que la croûte et le manteau sont composés de matériaux solides. Cependant, l’observation d’éruptions volcaniques avec des coulées fluides de laves montre que, localement au moins, des processus de fusion sont à l’œuvre pour former des liquides magmatiques. Sederholm, en 1907, définit le concept d’anatexie comme la fusion de roches préexistantes. L’anatexie peut se produire de façon très locale ou plus généralisée 65

Chapitre 2 • Les sources des magmas

dans le manteau et la croûte. La fusion partielle est presque toujours incongruente : le liquide produit diffère du matériau de départ et il demeure un résidu solide, constitué de minéraux nouveaux, plus réfractaires. La composition des liquides et des résidus issus de la fusion partielle dépend de plusieurs facteurs : 1. la nature des matériaux-sources et les sites où se produit la fusion ; 2. le taux de fusion et les conditions thermodynamiques : pression, température, fluides ; 3. le collectage et le transport des liquides des zones de fusion au lieu de mise en place.

2.3.1 Fusion partielle induite À la surface de la Terre, les roches ne fondent pas, car la pression et la température sont en général trop faibles. Une augmentation locale de l’intensité de ces paramètres peut conduire à la formation de liquides. Deux types de causes sont possibles : • l’augmentation de la pression et de la température dans une zone d’impact de météorite ; • l’augmentation de la température au contact d’une coulée de lave. a) Fusion dans une zone d’impact de météorite La dissipation de l’énergie cinétique, fonction de la masse et du carré de la vitesse, des météorites provoque un métamorphisme par augmentation brutale de la pression et de la température. L’anatexie est rapidement atteinte, quelques secondes suffisent, comme le montrent la présence de particules vitreuses et la formation de suévite. • Le cratère de Ries

Formé au Miocène il y a 15 Ma, le cratère de Ries, en Souabe-Franconie (Allemagne), traverse une série sédimentaire de 500 à 650 mètres d’épaisseur et de faible pendage, reposant sur un socle hercynien. La profondeur actuelle du cratère est de 750 mètres et son diamètre approximatif de 25 km. Environ 185 km3 de roches ont été arrachées, éjectées et transportées, 90 à 95 % des éjecta sont constitués de roches sédimentaires bariolées formant des brèches par roulement et glissement : stries visibles, figures d’écoulement plastique des argiles, plissement des roches transportées. La pression régnant au moment du transport est estimée à 3 GPa. Le faible pourcentage restant d’éjecta est constitué par des roches cristallines hercyniennes et par une roche particulière, la suévite (Fig. 2.17). La suévite est une brèche contenant de grandes quantités de particules vitreuses et de fragments de roches fondues recouvertes de verre noir. Elle contient des minéraux de haute pression comme la coésite et la stishovite, polymorphes de la silice, la jadéïte et l’armalcolite, minéral ferro-titané indiquant un milieu très réducteur. De 66

2.3 • Anatexie et fusion partielle

?

??

?

?

?

?

?

?

1000m

?

1

0

5

10

15

20

25km

1000m

2

0

5

10

15

20

25km

Figure 2 17 – Formation du cratère d’impact de Ries (Chao, 1977).

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1. Stade précoce : impact atteignant, sous la discordance du Mésozoïque, le socle hercynien. Le trait tireté en dôme indique la localisation de l’impact. Le transport des éjecta sédimentaires est de type non-balistique (écoulement latéral) et peutêtre balistique (marqué avec ?). Le glissement des éjecta (zone hachurée à blocs) détermine la forme du cratère. 2. Stade terminal : fracturation en « shatter-cones » du socle sur plusieurs kilomètres de profondeur. Les éjecta, transportés de façon balistique, retombent principalement dans le cratère. Le fond de la dépression est comblé par une couche de blocs cristallins et de suévite de basse température (pointillés). Une couche de suévite de haute température (s) recouvre l’ensemble, à l’intérieur et à l’extérieur du cratère.

nombreux cristaux antérieurs à l’impact (quartz, feldspaths) se transforment en matériaux amorphes sans fusion, les verres diaplectiques, ou montrent des textures de déformation et de dislocation. Au moment du choc, le substratum hercynien s’est fracturé avec une intensité décroissante de la surface vers la profondeur sur environ 130 mètres d’épaisseur. Les textures produites, les « shatter cones » (cônes fracassés), indiquent un impact venant du haut. Le cratère s’est alors formé en deux étapes : • dans un premier stade, les éjecta de roches sédimentaires sont transportés par écoulement à haute pression, avec de rares projectiles balistiques ; • dans le stade terminal, le corps extra-terrestre a pénétré dans le substratum hercynien sur plus d’un kilomètre, avec formation de suévite et de brèches transportées de façon balistique. Au cœur du cratère, se succèdent des dépôts de suévite d’assez basse température et sans figure de chocs, puis de suévite de haute température 67

Chapitre 2 • Les sources des magmas

très riche en verre et en fragments vésiculés (bulles de gaz), montrant des figures de chocs (Fig. 2.17). Le corps ayant produit l’impact s’est volatilisé et demeure inconnu. De forme aplatie, de taille inférieure à 4 km, de densité élevée (3 à 7), il pourrait avoir eu la composition d’une météorite de fer ou d’une lithosidérite et serait arrivé au sol à la vitesse de 15 km.s– 1. • La structure de Manicouagan La fusion a été complète dans la structure circulaire de Manicouagan (Québec, Canada) de 65 km de diamètre. Elle s’est formée au Lias il y a 200 Ma lors de la chute d’un corps extra-terrestre, peut-être un fragment de comète. Le socle précambrien et paléozoïque a subi un métamorphisme d’impact avec la zonation suivante : • couronne externe (stade 0), le quartz et les feldspaths sont fracturés, la biotite est déformée avec des « kink-bands », attestant une pression de 0,9 à 10 GPa et une température résiduelle de 100 °C après le choc ; • couronne intermédiaire (stade 1), le quartz et les feldspaths sont déformés, comme la biotite, l’amphibole et le grenat présentant des « kink-bands », attestant une pression de 10 à 35 GPa et une température résiduelle de 300 °C ; • zone centrale (stade 2), le quartz et les feldspaths sont transformés à l’état solide en verre diaplectique (le plagioclase forme la maskélynite) ne montrant aucun signe d’écoulement. La pression est comprise entre 35 et 45 GPa et la température résiduelle atteint 900 °C. Au cœur du lac annulaire de Manicouagan, la zone centrale montre la séquence stratigraphique suivante du haut vers le bas : 1. monzonite épaisse de 20 à 150 m, passant graduellement à une latite épaisse de 100 à 170 m. Aucun contact n’a été observé avec l’unité 2 sous-jacente ; 2. basalte et brèche de 5 à 15 m d’épaisseur, reposant sur l’unité 3 ; 3. suévite de 14 m d’épaisseur, reposant sur l’unité 4 ; 4. socle métamorphique présentant l’ensemble des stades 0 à 2. Les compositions des roches magmatiques des unités supérieures 1 à 3 sont identiques à la moyenne des roches du socle précambrien et ne correspondent à aucun magma naturel connu (Tab. 2.5). Les différentes unités proviennent donc de la fusion partielle à totale du socle. Au moment de l’impact, un nuage de fragments pulvérisés et fondus s’est élevé et a déposé l’unité 3, composée de suévite, mélange de verres et de morceaux anguleux de socle. Le basalte de l’unité 2 correspond à la zone totalement vitreuse du nuage qui s’est déposé ensuite. Après le choc, la température a augmenté par décompression des roches du cratère et provoqua la fusion locale et totale du socle. Les liquides magmatiques provoqués par l’impact ont recoupé les unités 2 à 4 et se sont étalés pour constituer l’unité 1, provoquant à leur base un métamorphisme de contact par recristallisation du plagioclase, décomposition des minéraux colorés, voire début de fusion. La zone inférieure de l’unité 1 a refroidi plus rapidement pour donner une latite à texture finement grenue, alors que le sommet a refroidi plus lentement pour donner une monzonite à texture ophitique (Tab. 2.5). 68

2.3 • Anatexie et fusion partielle

Tableau 2.5 – Compositions chimiques des roches magmatiques dans la structure d’impact de Manicouagan (Québec, Canada) (d’après Murtaugh, 1976). 1

2

3

4

5

6

SiO2 TiO2 Al2O3 Fe2O3 FeO MgO CaO Na2O K2O H2O

58,03 0,60 20,36 2,18 2,73 2,53 5,91 4,38 2,77 0,87

57,47 0,74 18,33 3,42 2,63 3,61 5,71 4,08 3,02 1,01

56,91 0,65 14,90 3,72 2,74 5,72 5,44 3,64 2,92 2,68

49,50 0,97 18,20 5,00 3,40 4,90 7,10 4,00 1,39 4,30

57,92 0,66 15,82 2,94 3,77 3,66 6,78 4,00 3,34 0,82

58,05 0,49 17,04 4,29 1,72 3,26 5,47 4,04 3,92 1,03

Total

100,36

100,02

99,32

98,76

99,71

99,31

1. moyenne des roches du socle (38 analyses) 2. moyenne des roches magmatiques (37 analyses) 3. matrice de suévite 4. basalte aphyrique, localement vésiculé et vitreux, à microlites de plagioclase et de pyroxènes 5. latite à grain fin, à sanidine, andésine/labrador, pyroxènes, magnétite et hématite, quartz, apatite et biotite brune 6. monzonite ophitique, à sanidine, andésine/labrador, pyroxènes, magnétite et hématite, quartz et apatite

Manicouagan fournit un exemple relativement récent, liasique, et restreint, 65 km de diamètre, de ce qui a pu se produire aux débuts de l’histoire géologique des planètes. Des impacts beaucoup plus vastes jalonnent l’histoire géologique de la Terre et se concentrent à des périodes cruciales, comme les limites entre les ères, Permien-Trias et Crétacé-Tertiaire. Ils ont certainement joué un rôle important dans l’évolution de la surface terrestre et des êtres vivants.

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b) Enclaves de roches fondues dans les formations volcaniques À l’intérieur des formations volcaniques et plus spécialement des coulées basaltiques, les enclaves de roches ramonées de la profondeur montrent souvent des signes de fusion en présence d’une phase gazeuse séparée : • des verres de couleur variable, très souvent vésiculés, sont visibles entre les grains ; • les minéraux hydroxylés se déstabilisent et/ou les minéraux blancs, quartz et feldspaths, sont corrodés. Il ne s’agit pas de l’infiltration des enclaves par le liquide magmatique hôte, car on peut observer des ménisques entre le verre de la roche-hôte et celui de l’enclave. La fusion se développe en fonction de l’agencement cristallin : le verre est pratiquement absent entre les grains du même minéral, mais abondant entre les grains de minéraux différents, surtout entre le quartz et les feldspaths. Elle est incongruente : des minéraux réfractaires apparaissent dans le liquide. Comme le refroidissement est brutal, des minéraux cristallisent par effet de trempe (« quench »), de sorte que le verre résiduel observé ne correspond pas exactement au liquide de fusion. 69

Chapitre 2 • Les sources des magmas

Les enclaves de socle portées à la fusion présentent une paragenèse caractéristique du faciès des sanidinites : le quartz est remplacé par la tridymite et, parfois, la cristobalite, polymorphes de haute température de la silice, la sanidine remplace l’orthose, en présence du plagioclase calcique, de la cordiérite, de la sillimanite, de la wollastonite et des pyroxènes (ortho- et clino-). Parmi les minéraux réfractaires, les minéraux hyperalumineux, mullite, corindon, spinelle hercynite, sont issus de la décomposition des micas, biotite et muscovite. Tableau 2.6 – Composition modale des büchites du Devès (d’après Leyreloup, 1973).

1 Quartz Feldspath K Plagioclase

19,00 14,00 13,00

2 6,00 2,00 12,00

Verre

62,00

57,80

Minéraux de trempe

12,00

22,20 dont

tridymite cordiérite orthopyroxène minéraux opaques olivine + clinopyroxène

8,00 4,80 4,50 4,00 0,90

1. enclave granitique, Saint Arcons de Barges, Devès 2. enclave granodioritique, Mont Peylenc, Devès

Dans les provinces volcaniques du Devès et du Velay (Massif Central français), les enclaves représentent un échantillonnage complet de la croûte. Les formations catazonales sont en général indemnes de toute fusion, à cause de leurs paragenèses anhydres. Les roches granitiques, mises en place dans la mésozone, forment des blocs au contraire très friables, formés d’une mousse de verre vésiculé, renfermant des cristaux incomplètement fondus de quartz et de feldspaths (Tab. 2.6). La quantité de liquide dans ces roches, appelées büchites, dépasse 60 %. La présence de tridymite atteste une pression inférieure à 40 MPa et une température supérieure à 870 °C. Le liquide produit est hyperalumineux et potassique (Tab. 2.7). Par fusion séquentielle du mica blanc, des feldspaths et du quartz, les schistes mésozonaux produisent un liquide identique mais en faible quantité. La fusion est facilitée par la libération d’eau au moment de la décomposition des micas, comme le montre la répartition préférentielle du verre au contact entre les cristaux de micas, de quartz et de feldspaths. Les liquides produits sont semblables dans les provinces volcaniques (Tab. 2.7), quelle que soit la nature du matériau subissant la fusion : granites alumineux et schistes dans le Velay, granites alcalins en Californie, syénites dans l’Ile d’Ascension. Le processus de fusion est donc identique : • formation d’un liquide correspondant au minimum thermique, en quantités permises par la composition du matériau qui fond ; 70

2.3 • Anatexie et fusion partielle

• importance du rôle de l’eau issue de la déstabilisation des minéraux hydroxylés et saturant le liquide (bulles de vapeur) ; • rôle des interfaces entre cristaux appartenant à des minéraux différents, démontrant que la température de début de fusion d’un mélange est plus basse que pour chacun de ses composants, • composition hyperalumineuse (A/CNK = 1,05 à 1,36) et potassique (K2O/Na2O = 1,24 à 2,66) du liquide ; • présence de minéraux réfractaires alumineux : cordiérite, mullite, corindon, spinelle hercynite ; • trempe rapide permettant l’apparition de cristaux aciculaires de tridymite, sanidine, pyroxène, olivine... Tableau 2.7 – Composition chimique des verres naturels produits par la fusion de granites en enclaves dans les formations volcaniques. 1

2

3

4

SiO2 TiO2 Al2O3 Fe2O3 FeO MnO Mg0 CaO Na2O K2O P2O5 H2O

68,20 0,50 14,60 0,97 2,78 tr. 1,37 0,50 3,28 4,08 0,18 3,75

74,40 0,05 14,77

73,27 0,30 13,01

68,46 0,59 13,86

*1,10 0,08 0,02 0,37 4,40 5,74

*4,22 0,18 0,15 0,69 3,25 5,38

*8,05 0,44 0,50 1,51 1,90 5,05

Total

100,21

100,93

100,35

100,36

1,36 1,24

1,05 1,30

1,05 1,70

1,22 2,66

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A/CNK K2O/Na2O

A/CNK : rapport molaire Al2O3 / (CaO + Na2O + K2O). Si ce rapport est supérieur à 1, la roche est hyperalumineuse. * Tout le fer est analysé sous forme de FeO. 1. enclave granitique, Saint-Arcons de Barges, Devès, analyse par voie humide (Leyreloup, 1973) 2. enclave granitique, Salton Sea, Californie, analyse par microsonde (Robinson et al., 1976) 3. enclave syénitique, Île de l’Ascension, 9 % de verre dans la roche, analyse par microsonde (Harris et Bell, 1982) 4. enclave syénitique, Île de l’Ascension, 28,5 % de verre dans la roche, analyse par microsonde (Harris et Bell, 1982)

2.3.2 Fusion partielle dans le manteau Que le manteau puisse fondre est montré par la présence de nodules de péridotite plus ou moins réfractaire dans les laves volcaniques. Les nodules indiquent que du liquide est passé à travers le manteau et en a ramené des fragments. La composition résiduelle des péridotites appauvries indique également des épisodes antérieurs de fusion ayant extrait les alcalins, Ca et Al (Tab. 1.3, Fig. 2.4 à 2.6). Il existe aussi des exemples d’écailles de manteau remontées en surface à la faveur d’accidents tectoniques, comme le massif du Lizard (Cornouaille anglaise) (Tab. 1.8). 71

Chapitre 2 • Les sources des magmas

Le massif ultrabasique des Beni Bouchera (Rif, Maroc) est constitué de péridotite litée avec environ 3 % de lits de pyroxénites. La péridotite est de type harzburgite avec olivine, orthopyroxène, très peu de clinopyroxène, spinelle, plus rarement amphibole, phlogopite et minéraux opaques. Elle est rétromorphosée en trémolite, talc et serpentine. Les pyroxénites forment des niveaux minces de 15 cm à 1 m d’épaisseur pouvant dessiner des plis isoclinaux. Très variées, elles forment plusieurs types : enstatitite, webstérite à spinelle et/ou grenat (ariégite), clinopyroxénite à grenat. Les bancs sont tantôt simples (enstatitite, clinopyroxénite à grenat), tantôt composites avec une disposition symétrique : enstatitite → webstérite → clinopyroxénite à grenat, du bord au cœur (Fig. 2.18).

opx + εcpx (+sp)

enstatitite

opx + cpx (+sp)

webstérite

opx + cpx + gt (+sp) webstérite à grenat

opx + gt

clinopyroxénolite à grenat

opx + gt

clinopyroxénolite à grenat

Figure 2.18 – Constitution des bancs simples et complexes de pyroxénites dans la péridotite du massif de Beni Bouchera, Maroc (Kornprobst, 1969). En blanc, lherzolite à spinelle.

Chimiquement, la webstérite est saturée en silice alors que la clinopyroxénite à grenat est sous-saturée en silice. Le clinopyroxène renferme 15 à 20 % de molécule jadéïte NaAlSi2O6, les grenats 40 à 70 % de molécule pyrope. Les pyroxénites sont issues de la cristallisation de liquide de composition basaltique au sein du manteau. La succession des événements est la suivante : 1. mise en mouvement d’un fragment de manteau supérieur constitué de péridotite à grenat, 72

2.3 • Anatexie et fusion partielle

2. fusion partielle et production d’un liquide basaltique se rassemblant en poches et en lentilles vers 100 km de profondeur (2,5-3,0 GPa). Le résidu cristallise en péridotite à spinelle, 3. au cours de l’ascension qui se poursuit, début de cristallisation du liquide du bord vers le cœur, conduisant à l’individualisation de bancs composites par déformation des poches et des lentilles originelles, 4. rééquilibration des paragenèses minérales vers 1,5-2,0 GPa dans les conditions du faciès des péridotites à spinelle, correspondant au faciès des éclogites pour les roches basaltiques (webstérite et clinopyroxénite). La question de l’origine des pyroxénites reste posée : au lieu de correspondre à des liquides, ne sont-elles pas issues de l’accumulation de cristaux à partir de liquides ?

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a) Fusion des péridotites à sec À partir des différentes compositions de péridotite (Tab. 1.8) et avec un degré variable de fusion, il est possible d’obtenir un vaste ensemble de liquides silicatés basiques. Selon les valeurs des paramètres thermodynamiques : pression, température et teneurs en fluides, cet ensemble correspond à des taux de fusion variant de 0 à 35 %. Les expériences de laboratoire en autoclaves fournissent matière à comparaison avec les systèmes naturels : elles portent soit sur des systèmes chimiques simplifiés, soit sur les associations naturelles basalte-péridotite. Cependant, avant d’interpréter les résultats, il faut résoudre un grand nombre de problèmes techniques : diffusion des ions (Fe, Cr) dans les échantillons, modification du liquide au cours de la trempe, analyse de verres ayant tendance à se volatiliser. Pour minimiser les problèmes, deux approches ont été utilisées simultanément : • calcul indirect après analyses et comptages des phases minérales en équilibre avec le liquide : la composition du liquide est obtenue à partir de la composition du matériau originel par soustraction de la composition pondérée des phases solides ; • technique du « sandwich » où un basalte est placé en contact avec une péridotite : le long de l’interface, il y a équilibration constante des compositions en fonction des paramètres physiques. Les matériaux de départ (cf. Tab. 1.8) sont la pyrolite, représentant le manteau primitif, et la lherzolite de Tinaquillo (Venezuela), représentant le manteau appauvri. Les expériences ont été effectuées à sec pour tenir compte de la pauvreté du manteau en fluides. Les résultats des expériences montrent un taux de fusion progressive sur une large gamme de températures depuis le solidus, point où les premières gouttes de liquide apparaissent, jusqu’au liquidus, point où les derniers cristaux disparaissent. Le degré de fusion augmente d’abord rapidement : 10 % de fusion à seulement 25-30 °C au-dessus du solidus, puis de façon linéaire avec la température. La fusion montre quatre étapes successives : 1. liquide en équilibre avec un assemblage lherzolitique [olivine (ol) + orthopyroxène (opx) + clinopyroxène (cpx) + phase alumineuse (plagioclase, spinelle ou grenat, suivant la pression)]. Cette étape se situe au solidus, 73

Chapitre 2 • Les sources des magmas

2. liquide en équilibre avec les assemblages [ol + opx + cpx + spinelle riche en Cr (pression entre 0 et 2,5 GPa) ou grenat (pression supérieure)]. Cette étape se situe à moins de 100 °C au-dessus du solidus, 3. liquide en équilibre avec un assemblage harzburgitique [ol + opx ± spinelle riche en Cr]. Le clinopyroxène a totalement disparu. Cette étape se situe à environ 100 °C au-dessus du solidus, 4. liquide en équilibre avec un assemblage dunitique [ol ± spinelle riche en Cr], après disparition de l’orthopyroxène. Cette étape se situe à environ 200 à 300 °C au-dessus du solidus. La composition des minéraux résiduels se modifie également : • olivine : le rapport Mg/(Mg + Fe) passe de 0,88 à 0,95 ; • spinelle : le rapport Cr/(Cr + Al) augmente de 0,40 environ à 0,80 où il se stabilise. Le spinelle qui en résulte est extrêmement réfractaire et subsiste dans les étapes 3 et 4 ; • orthopyroxène : le rapport Mg/(Mg + Fe) passe de 0,89 à 0,94, les teneurs en Ca et Al diminuent fortement ; • clinopyroxène : à composition de diopside, il est pauvre en Na et Al (molécule jadéïte). Tableau 2.8 – Compositions chimiques des liquides produits à l’équilibre par la fusion partielle du manteau à sec (d’après Jaques et Green, 1980 ; Falloon et al., 1988). 1

2

3

4

5

6

7

SiO2 TiO2 Al2O3 FeO* MnO MgO CaO Na2O K2O

54,99 0,68 15,18 5,78 n.d. 8,94 12,67 1,04 tr.

52,57 3,29 15,07 8,47 n.d. 6,99 9,89 2,94 0,63

52,77 0,31 10,63 9,82 n.d. 15,78 9,99 0,63 tr.

49,80 2,70 12,50 8,90 0,10 12,00 10,90 2,40 0,60

46,67 5,00 14,66 9,50 n.d. 10,60 7,84 4,10 1,63

49,30 2,50 11,70 9,50 0,20 13,20 10,70 2,30 0,50

49,60 1,40 7,00 9,50 0,10 24,90 6,10 1,10 0,30

Total

99,28

99,85

99,93

99,90

100,00

99,90

100,00

0,73

0,60

0,74

0,73

0,66

0,71

0,82

0,2 1 200 TQ 17

0,5 1 180 HW 20

0,2 1 300 TQ 29

1,0 1 300 HW 23

2,0 1 400 HW 10

1,5 1 400 HW 25

1,5 1 550 HW 51

Mg/(Mg + Fe) P (GPa) T (°C) source % liquide

FeO* : tout le fer est analysé sous forme de FeO n.d. : non déterminé ; tr. : traces TQ : lherzolite de Tinaquillo (Venezuela), correspondant à un manteau appauvri HW : pyrolite d’Hawaï, correspondant à un manteau enrichi Les liquides obtenus ont des compositions proches de magmas naturels : 1, 2. tholéiites à quartz 3, 4, 6. tholéiites à olivine 5. basaltes alcalins 7. picrite tholéiitique et komatiite

74

2.3 • Anatexie et fusion partielle

Par conséquent, les liquides changent de composition en fonction du degré de fusion et de la pression (Tab. 2.8). Dans le diagramme (Jd + CaTs)-Ol-Qz, les liquides au solidus se répartissent depuis des compositions situées à faible pression dans le triangle plagioclase (Ab + An)-orthopyroxène (Hy)-quartz (Qz), c’est-à-dire sursaturées en silice, jusqu’à des compositions situées à pression supérieure à 1 GPa dans le triangle plagioclase (Ab + An)-pyroxène alumineux (Jd + CaTs)-olivine (Ol), c’est-à-dire sous-saturées en silice (Fig. 2.19). À noter également : les liquides issus de la lherzolite de Tinaquillo sont systématiquement plus siliceux que ceux issus de la pyrolite. Les liquides issus de la pyrolite varient selon le faciès minéralogique (Fig. 2.20) : • dans les faciès à spinelle et grenat, moins de 15 % de fusion produisent des basaltes alcalins à olivine, 20 à 30 % des tholéiites à olivine, 40 à 60 % des picrites et des komatiites ; • dans le faciès à plagioclase, la fusion produit des tholéiites à quartz, puis des tholéiites à olivine.

Qz

Ab + An 2 5

10 15 20 30

Hy Jd + CaTs Hw

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TQ

Ol : liquides issus de TQ en équilibre avec olivine + orthopyroxène ± clinopyroxène ± spinelle : liquides issus de HW en équilibre avec le même assemblage minéral : liquides en équilibre avec olivine seulement.

Figure 2.19 – Compositions des liquides primaires obtenus par fusion partielle de manteau supérieur primitif (pyrolite analogue aux nodules de lherzolite d’Hawaï HW) et de manteau appauvri (lherzolite de Tinaquillo TQ) dans le triangle Qz – Ol – Jd + CaTs (jadéïte + molécule de Tschermack) (Falloon et al., 1988). Pôles définis à partir de la norme CIPW : Jd + CaTs = Ab + An + Ne, Qz = Ab + An + Hy + Qz – Ne, Ol = Ol + Hy. Les nombres indiquent les pressions en kbar (1 kbar = 0,1 GPa). 75

Chapitre 2 • Les sources des magmas

Figure 2.20 – Fusion partielle de la pyrolite et nature des liquides primaires obtenus (Jaques & Green, 1980). Courbes : en traits pleins, solidus, disparition du clinopyroxène (cpx –), disparition de l’orthopyroxène (opx –) ; en tiretés : 50 % de fusion ; en pointillés : limite entre liquides alcalins et tholéiitiques.

Le regroupement des résultats expérimentaux de fusion à sec a permis de dresser une grille pétrogénétique dans laquelle les deux facteurs limitants sont la pression et le degré de fusion (Fig. 2.21). Le fait que l’on ait détecté dans les verres basaltiques naturels frais très peu d’eau (moins de 0,05 % H2O dans la tholéiite à olivine d’Hawaï) indique que les sources sont pratiquement anhydres et justifie l’utilisation des résultats expérimentaux obtenus à sec. Cependant, tous les magmas primaires ne sont pas si pauvres en eau et proviennent de sources où les fluides sont plus abondants. b) Formation de liquides en présence de fluides Les fluides H2O et CO2, situés dans l’amphibole, le phlogopite et les carbonates, phases stables du manteau supérieur, sont localement abondants dans les zones métasomatiques. Des expériences ont été effectuées sur des péridotites de manteau primitif ou appauvri, en présence de fluides séparés constitués par des mélanges de CO2 et H2O. Le solidus est alors considérablement abaissé par rapport au solidus à sec (Fig. 2.22) et peut descendre jusqu’à 850 °C seulement à 2,5 GPa. La forme 76

2.3 • Anatexie et fusion partielle

% H2 O dans le liquide (pyrolite à 0,1% H 2 O) profondeur (km)

0

10

2

1

0,5

0,3

tholéïte

cpx

opx

20

pl trachybasalte

40

amph

cpx

hawaïte

basalte alcalin basanite

60

sp

80

tholéïte tholéïtique

picrites

alcaline

néphélinite 100

mélilitite gt

phl 120

0

5

10

15

20

25

30

35 % fusion

Figure 2.21 – Grille pétrogénétique de Green (1970) établie à partir d’une pyrolite contenant 0,1 % H2O. Les liquides de fusion partielle varient selon la profondeur, le degré de fusion partielle et la teneur en H2O. Courbes limites supérieures de stabilité : amph = amphibole, cpx = clinopyroxène, gt = grenat, opx = orthopyroxène, phl = phlogopite, pl = plagioclase, sp = spinelle. pression kbar

60

X v H2O = 1,0 50

X v H2O = 0,25

40

30

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

péridotite à grenat 20

péridotite à amphibole

10

0 800

900

1000

1100

1200

1300

température˚C

Figure 2.22 – Faciès minéralogiques et solidus du manteau supérieur en présence de fluides mixtes (H2O + CO2) en fonction de leur composition exprimée en XvH2O (Mysen & Boettcher, 1975) (comparer avec figures 2.9 et 2.11).

77

Chapitre 2 • Les sources des magmas

du solidus est modifiée, avec une pente négative de 0 à 2 GPa environ, correspondant au domaine de stabilité de l’amphibole, et une pente positive au-dessus, correspondant au domaine du grenat hydraté. La position du solidus varie également en fonction : • de la composition des fluides : pour un mélange variant de 100 % H2O à 25 % H2O + 75 % CO2, la température du solidus s’élève de 200 °C à 2,5 GPa ; • de la composition du matériau originel : la température du solidus est plus basse pour une composition à rapports Fe/(Fe + Mg) élevé et Ca/Al bas (manteau primitif et/ou métasomatique). Une différence de 200 °C est également observée avec le manteau appauvri plus réfractaire. Les liquides produits ont une composition d’andésite lorsque les fluides contiennent plus de 60 % d’eau pour une pression atteignant 2,5 GPa et une température située à moins de 200 °C au-dessus du solidus. Pour des fluides moins aqueux (moins de 50 % d’eau), les liquides sont alcalins et sous-saturés en silice (Tab. 2.9). Le liquide des kimberlites, sans amphibole mais avec phlogopite, se formerait en présence de fluides contenant 50 à 75 % de CO2 vers 100 à 175 km de profondeur, dans le domaine de stabilité du diamant (Fig. 2.23). Tableau 2.9 – Compositions chimiques des liquides produits à l’équilibre par la fusion partielle du manteau en présence de fluides (H2O + CO2) (d’après Mysen et Boettcher, 1975, 1976).

SiO2 TiO2 Al2O3 FeO* MnO MgO CaO Na2O K2O Total Mg/(Mg + Fe) P (GPa) T (°C) X H2O source

1

2

3

4

5

6

7

63,10 0,50 22,10 0,60 tr. 0,80 9,60 2,90 0,20 99,80

58,00 0,40 16,10 5,20 0,10 4,70 12,00 3,80 0,50 100,00

57,90 0,70 17,90 5,40 0,20 4,50 9,80 3,50 0,10 100,00

45,60 1,00 18,90 6,00 0,20 5,90 18,50 3,80 0,10 100,00

43,50 0,50 10,50 13,00 0,30 10,70 13,80 7,60 0,40 100,30

58,90 0,40 24,00 0,70 0,30 0,30 11,80 3,70 0,10 100,20

46,40 1,00 14,70 5,70 0,20 18,50 12,80 1,30 0,10 100,20

0,70 1,50 1 050, 1,00

0,62 1,50 1 150 0,75

0,60 1,00 1 100 0,60

0,64 1,00 1 100 0,50

0,59 1,50 1 150 0,20

0,43 1,50 1 010 1,00

0,85 1,50 1 150 1,00

< webstérite à grenat >

Source : échantillons naturels d’Hawaï FeO* : tout le fer est analysé sous forme de FeO tr. : traces X H2O : rapport molaire H2O / (H2O + CO2) dans la phase vapeur séparée Les liquides produits ont des compositions proches de magmas naturels : 1, 2, 3, 6. andésites 4. néphélinite à olivine 5. néphélinite à mélilite 7. basanite Noter toutefois pour les compositions 1, 2, 3 et 6 des teneurs relativement faibles en K2O et pour les compositions 4, 5 et 7 des teneurs en TiO2 nettement plus basses que dans les équivalents naturels.

78

2.3 • Anatexie et fusion partielle

Cpx

H 2O

Ne

Pl

Qz

CO2

Opx

Ol

Figure 2.23 – Effet de la nature des fluides sur la composition des liquides

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

primaires exprimée dans le tétraèdre normatif Ne – Ol – Opx – Cpx – Qz (Mysen & Boettcher, 1975).

Cependant, si les teneurs en H2O et CO2 sont faibles, une phase vapeur ne peut se maintenir en présence du liquide dans lequel elle se dissout. Le solidus de la péridotite se situe alors à plus forte température, mais encore inférieure à celle obtenue à sec, avec des discontinuités reflétant les réactions de déstabilisation de l’amphibole et des carbonates (Fig. 2.10, 2.24). La teneur maximale de fluide dissous correspond en masse à 0,3 % H2O (contenue dans l’amphibole) et 7 % CO2 (contenu dans les carbonates). Au solidus, les liquides sont influencés par la déstabilisation de ces minéraux : leur composition varie de néphélinite vers 50 à 60 km de profondeur à un liquide de tendance carbonatitique vers 70-150 km de profondeur. Les quantités produites restent toujours faibles, moins de 5 % de fusion potentielle. Les roches du manteau sont traversées par des liquides avec lesquels elles réagissent. Dans les zones de subduction, les liquides acides produits par l’anatexie de la croûte océanique et de sa couverture sédimentaire peuvent monter à travers le manteau sus-jacent. Dans le système granite-péridotite-H2O, il est possible de déterminer dans quelle mesure le manteau est affecté par le processus d’hybridation.

79

Chapitre 2 • Les sources des magmas

H2O saturation pression kbar

1

40

2

3

35 30

amphibole –

25 20

CO2

15

4

10 5

dolomite +

5

H2O + CO2 sous-saturation

0 800

900

1000

1100

1200

1300

température ˚C

Figure 2.24 – Effets des fluides sur le solidus de péridotites différentes du manteau.

– en présence d’une phase fluide aqueuse séparée (1 à 3 : Mysen & Boettcher, 1975) ; – en présence de H2O + CO2, avec absence de phase fluide entre les courbes dolomite + et amphibole – (4 : Wallace & Green, 1984 ; 5 : Olafsson & Eggler, 1983, cf. Fig. 10 et 13) ; – en présence de CO2, avec absence de phase fluide au-dessus de la courbe d’apparition de la dolomite + (Falloon & Green, 1989).

À 3 GPa, la lherzolite hydratée montre la paragenèse suivante : • à moins de 900 °C, olivine (ol) + orthopyroxène (opx) + clinopyroxène (cpx) + grenat (gt) + amphibole (am) + phlogopite (ph) ; • de 900 à 1 050 °C, ol + opx + cpx + gt + ph (déstabilisation de l’amphibole) ; • au-dessus de 1 050 °C, début de fusion. L’adjonction de H2O et de liquide granitique modifie les assemblages minéralogiques : • pour un apport de plus de 20 % de liquide granitique et de moins de 10-15 % H2O, paragenèse [opx + cpx + gt + ph], sans olivine. La roche obtenue est une webstérite à grenat et phlogopite, qui peut commencer à fondre vers 1 000 °C ; • pour des mélanges contenant plus de 30 % de liquide granitique, début de fusion entre 700 et 800 °C d’un assemblage à [opx + cpx + gt + ph + quartz] et disparition du quartz vers 800 °C. La roche qui commence à fondre est une webstérite quartzifère à grenat. Lorsque le liquide granitique sous-saturé en eau est incorporé au manteau (Fig. 2.25), il évolue en dissolvant certains constituants de la péridotite. Les réactions d’hybridation se marquent par l’apparition d’une phase vapeur séparée et s’arrêtent lorsque le liquide granitique hybridé traverse son solidus. Il en résulte la constitution au sein de 80

2.3 • Anatexie et fusion partielle

H2O

V

Ol+Opx +Cpx+Ga +Ph+V

E Péridotite (P)

Opx+Cpx Opx+Cpx +Ga+Ph +L+V +Ga+Ph +V

D

Opx+L

B

L A

C Granite

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Figure 2.25 – Hybridation à 3 GPa et 900 °C d’une péridotite P (Ol = olivine, Opx = orthopyroxène, Cpx = clinopyroxène, Ga = grenat, Ph = phlogopite) par un liquide granitique L contenant 20 % H2O en solution (Sekine & Wyllie, 1982). Dans le triangle H2O-péridotite P-granite L, les produits d’hybridation se situent sur la ligne PL. Autour de L, le champ en pointillé présente une seule phase liquide contenant 15 à 25 % H2O en solution. Segment PE (0-18 % L) : la péridotite reste minéralogiquement inchangée en présence d’une phase vapeur V, dont la composition est celle du champ hachuré autour du pôle H2O. Segment ED (18-32 % L) : la péridotite se transforme en webstérite à grenat-phlogopite en présence de vapeur V, l’olivine a disparu. Segment DC (32-62 % L) : la webstérite à Ga-Ph de composition D est en équilibre avec une phase vapeur V et un liquide A de composition L95-P05 contenant 15 à 18 % H2O en solution. Au-delà, le liquide A est en équilibre avec un résidu constitué de Opx + Ga (segment CB), puis d’orthopyroxène seul (segment BA). La fusion des zones hybrides sans olivine donne des liquides différents de ceux produits de péridotites en présence de fluides (cf. Tab. 2.9).

81

Chapitre 2 • Les sources des magmas

la lherzolite à grenat et phlogopite de masses de webstérite à grenat et phlogopite localisées. Des nodules de webstérite à grenat (voir I.B) sont connus et ont été utilisés pour des expériences de fusion en présence d’eau. Le solidus est considérablement abaissé par rapport à la lherzolite en présence d’eau, de 100 à 200 °C à 2,5 GPa. Le champ de stabilité de l’amphibole en présence du liquide est très élargi, jusqu’à 450 °C au-dessus du solidus (Fig. 2.26). Les liquides produits sont intermédiaires (60 % SiO2) et alumineux (20 % Al2O3) en présence d’amphibole, ils deviennent basaltiques au-delà du champ de stabilité de l’amphibole (Tab. 2.9). pression kbar 40

Géotherme continental

35

30

Géotherme océanique 25

20

15

amph 10

5

0 600

solidus 700

800

900

1000

1100

1200

température (˚C)

Figure 2.26 – Effet de H2O sur le solidus d’une webstérite à grenat et la

stabilité de l’amphibole (courbe amph –) (Mysen & Boettcher, 1976). Les géothermes (océanique et continental) recoupent le solidus, respectivement, à la profondeur de 40 et 60 km.

c) Extraction et ascension des liquides Le manteau ne se comporte pas de façon statique : les mouvements de convection influent sur la répartition de la température avec la profondeur, donc sur les zones de fusion partielle. L’essentiel du magmatisme actuel est émis dans les zones d’extension où le transport par convection domine. Comme l’intérieur du manteau est plus chaud que son solidus à 0,1 MPa (Fig. 2.27), ses constituants sont destinés à fondre dès lors qu’ils remontent rapidement à moins de 40 km de profondeur. En cas de convection vigoureuse, la zone ascendante du manteau subit une décompression adiabatique, avec un gradient thermique moyen variant de 0,6 °C.km– 1, s’il est entièrement solide, à 1 °C.km– 1, s’il est fondu partiellement. Les zones de fusion se situent préférentiellement dans la couche-limite thermique (TBL), située sous la couche-limite mécanique (MBL) qui ne subit pas l’effet de la convection interne. Les quantités de liquide varient en fonction de l’étirement subi : pour une extension nulle, aucune fusion ne se produit, mais pour des facteurs 82

2.3 • Anatexie et fusion partielle

température ˚C

solidus

1600

Tp = 1280 ˚C 1200

LITHOSPHERE

ASTHENOSPHERE

800

zone interne adiabatique couche limite thermique (TBL)

400

couche limite mécanique (MBL) 0

0

100

200

300

profondeur km

Figure 2.27 – Gradient géothermique dans un manteau convectif (température potentielle Tp = 1 280 °C, viscosité cinématique ν = 2.1017 m2.s– 1) (McKenzie & Bickle, 1988).

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

La lithosphère est constituée d’une couche limite mécanique (MBL) de 100 km d’épaisseur et d’une couche limite thermique (TBL). L’asthénosphère convective a un gradient géothermique de 0,6 à 1 °C.km– 1. Le solidus n’est recoupé que si le manteau remonte de façon adiabatique à moins de 40 km de profondeur.

d’étirement supérieurs à 1,5, de 0 à 30 % de liquides apparaissent à une profondeur variant de 100 à 40 km. Selon la température interne du courant de convection, ou température potentielle, de 1 300 à 1 500 °C, la zone où se produit la fusion partielle a une épaisseur de 3 à 20 km. Les liquides se séparent du manteau résiduel grâce aux faibles valeurs de leur densité et de leur viscosité. Par compaction d’une couche de manteau renfermant un liquide de densité dL dans une matrice solide de densité dS telle que dS > dL et ayant une porosité définie par le pourcentage de liquide de 0,01 à 10 %, le liquide est expulsé vers le haut à une vitesse variant selon la valeur de la porosité : • de 1 à 106 mm.a– 1 pour des liquides carbonatitiques ; • de 10– 3 à 104 mm.a– 1 pour des liquides basaltiques ; • de 10– 10 à 1 mm.a– 1 pour des liquides granitiques. La compaction se développe pendant une unité de temps caractéristique variant de l’année pour un liquide carbonatitique au millier d’années pour les liquides basaltiques et au million d’années pour les liquides granitiques. Selon ce schéma, dans les zones d’ascension adiabatique, le manteau subit une forte fusion à faible profondeur et fournit des liquides qui appauvrissent leurs sources aussi bien en éléments majeurs qu’en éléments en traces. À plus grande profondeur, avec moins de 0,2 % de fusion, la source s’appauvrit surtout en éléments en traces incompatibles, c’est-à-dire entrant préférentiellement dans le liquide. 83

Chapitre 2 • Les sources des magmas

Cependant, la compétition entre extraction du liquide et réactions entre liquide et solide est un facteur important pour déterminer si l’équilibre est atteint ou non. Toutes les expériences de fusion ont été effectuées en laboratoire pendant un temps suffisamment long pour atteindre l’état d’équilibre. Est-ce le cas dans la nature ? Dans le manteau, le grenat et les pyroxènes ont besoin d’au moins 1 000 ans pour s’équilibrer avec les liquides alors que les vitesses de percolation de liquides dans un milieu poreux à 1-10 % sont de 104 à 1 mm.a– 1. Pour qu’il y ait équilibre, il faudrait alors qu’une couche de péridotite de plusieurs kilomètres d’épaisseur puisse agir sur le liquide. Dans le cas d’écoulement dans des fractures, il y a nécessairement déséquilibre. Lorsque l’on peut observer des fragments de manteau à l’affleurement (péridotites de type alpin), les traces laissées par l’extraction des liquides montrent l’effet de la percolation, puis de la fracturation. Les critères permettant l’identification des processus sont : • la présence de minéraux (pyroxènes, plagioclase) interstitiels, voire pœcilitiques, dans une matrice constituée de minéraux automorphes ; • la relation et la continuité des ségrégations minérales, des bancs et des filons avec l’appauvrissement en minéraux comme le plagioclase et les pyroxènes autour de ces formations. Dans les péridotites de type alpin (Fig. 2.28), l’ascension des liquides se déroule en 5 étapes : 1. formation de liquide et ségrégations locales dans les zones à forte porosité ; 2. création d’un réseau interconnecté dû à l’ascension adiabatique qui favorise la fusion. Le liquide produit « mouille » le manteau en occupant tous les pores ; 3. au-dessus du volume critique de liquide dans le réseau de fissures, fracturation hydraulique de la péridotite et propagation vers le haut d’une fissure dans laquelle le liquide s’engouffre ; 4. si la fracture atteint la surface, drainage de tout le réseau par la dépression provoquée par la différence de densité entre liquide et solide. Pratiquement tout le liquide est expulsé, à l’exception de quelques poches restées closes ; 5. un nouveau système de fractures peut se former après la fermeture du premier. Ce scénario permet d’expliquer comment le processus continu de la fusion se transforme en processus discontinu d’extraction des liquides. Il suppose que les conduits d’alimentation magmatique prennent leur origine dans le manteau. Ainsi, pour une fracture donnée, les éruptions volcaniques fissurales ne peuvent durer plus de quelques semaines, même dans les zones d’extension rapide, et sont séparées par des périodes de repos de plusieurs années à plusieurs dizaines d’années. La vitesse estimée pour l’ascension des liquides est alors comprise entre 1,7 et 45 km.jour – 1. Les liquides se déplacent donc dans le manteau à une vitesse variant selon le mode de progression, percolation, puis/ou fracturation hydraulique, et le degré d’ouverture des espaces libres. Par la seule percolation, les durées calculées pour traverser l’ensemble de la lithosphère sont de l’ordre de 104 à 108 ans. Par fracturation hydraulique au contraire, quelques jours à quelques semaines suffisent. 84

2.3 • Anatexie et fusion partielle

S u r f a c e Lithosphère

océanique mince

fracturation hydraulique

Manteau appauvri indiquant la zone de passage des magmas

Limite d’extraction (~50 km) Fissuration Réseau de fissures (~52-60 km) Perméabilité

Manteau appauvri après départ des magmas primaires

Porosité Début de fusion (~75 km)

1

2

3

Figure 2.28 – Extraction en trois stades (1 à 3) d’un liquide dans l’asthénosphère (Nicolas, 1986).

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Dans une zone diapirique, le magma primaire apparaît vers 75 km de profondeur, son volume augmente progressivement par ascension adiabatique (cf. Fig. 2.27), le liquide emprunte des conduits ouverts suivant la trajectoire de la contrainte maximale σ1. 1. Apparition vers 60 km de profondeur d’un réseau de fissures. 2. Ouverture vers 50 km de profondeur de conduits plus larges par fracturation hydraulique. 3. Drainage plus ou moins total, laissant un « sillage » résiduel constitué de péridotite appauvrie.

2.3.3 Anatexie de la croûte Les formations crustales continentales et océaniques peuvent atteindre des conditions extrêmes de pression et de température, dues soit à un enfouissement profond, soit à un flux de chaleur anormal, soit à la combinaison des deux processus. L’ultramétamorphisme, terme créé par Holmquist en 1909, correspond à ces conditions extrêmes. Certains types de roches peuvent alors subir une fusion partielle et permettre la naissance, l’ascension, puis la mise en place de massifs plutoniques et de formations volcaniques. Comme la croûte et le manteau sont normalement à l’état solide, la fusion partielle n’est jamais un processus long, même s’il n’est pas rare. Le géologue finlandais 85

Chapitre 2 • Les sources des magmas

Sederholm a créé le terme d’anatexie pour définir la fusion d’une roche pré-existante. On applique généralement le terme d’anatexie à la fusion des formations de la croûte, bien que ce sens restrictif ne soit pas postulé par le terme lui-même. Les paramètres thermodynamiques, la pression lithostatique, la température, la pression et l’activité des fluides, la fugacité d’oxygène et les compositions des roches subissant la fusion, etc. constituent des facteurs critiques qui fluctuent selon le contexte géodynamique. Leurs intensités et leurs variations favorisent ou empêchent le déclenchement des processus anatectiques.

EN CART Les faciès ultramétamorphiques : un bref résumé Les pressions extrêmes traduisent une profondeur supérieure à la normale pour la croûte, c’est-à-dire 40 km, et dépassent la valeur de 1,2 GPa. Le métamorphisme de très haute pression (UHPM = « ultrahigh pressure metamorphism ») se développe à plus de 2,8 GPa, pression minimale requise pour former la coésite à 700 °C aux dépens du quartz, et se caractérise par un gradient thermique faible de moins de ~ 15 °C.km– 1. Les pressions comprises entre 1,2 et 2,8 GPa définissent le métamorphisme de haute pression (HPM = « high-pressure metamorphism »). Les températures extrêmes, atteintes le long de gradients thermiques dépassant ~ 15 °C.km– 1 et pouvant atteindre plus de 100 °C.km– 1, caractérisent le métamorphisme de haute température (HTM = « high-temperature metamorphism »). Dans l’espace (pression, température), le métamorphisme HPM présente deux faciès : – schistes bleus, subdivisé en deux sous-faciès, l’un de basse température à lawsonite et l’autre de moyenne température à épidote. La température est toujours inférieure à 500 °C et la pression comprise entre 0,6 et 2,3 GPa. Les gradients thermiques correspondants sont inférieurs à 7 °C.km– 1. – éclogites, avec également deux sous-faciès : l’éclogite sensu stricto et l’éclogite à lawsonite, situés dans le champ de stabilité du quartz. Les températures sont comprises entre 500 et 1 000 °C, la pression varie de 1,2 à 2,8 GPa, correspondant à des gradients thermiques de ~ 7,5 à 12,5 °C.km– 1. Le métamorphisme UHPM se compose de deux autres sous-faciès éclogitiques : l’éclogite à coésite et l’éclogite à grossulaire, situés dans le champ de stabilité de la coésite. Les températures présentent un large éventail de températures jusqu’à 1 000 °C, la pression est toujours supérieure à celle de la transition quartzcoésite, c’est-à-dire 2,2-2,8 GPa. L’assemblage de l’éclogite à grossulaire enregistre une pression de l’ordre de 5 GPa. Les gradients thermiques varient de 7 à ~ 12 °C.km– 1. Le caractère le plus net des roches HPM et UHPM, correspondant à la croûte engagée dans un processus de subduction, est l’accroissement considérable de leur densité. La densité des roches de la croûte supérieure passe de 2,75 (granite) à 3,10 (11 % d’augmentation) et de 2,94 (gabbro-basalte) à 3,63 (17 % d’augmentation). Ainsi, à plus de 100 km de profondeur, la croûte océanique basaltique est plus dense que le manteau supérieur, tandis que la croûte continentale granitique reste plus légère. La différence des densités, liée à la composition chimique des roches, est responsable des différences dans la mobilité verticale des unités métamorphiques. 86

2.3 • Anatexie et fusion partielle

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

La quantité d’eau emprisonnée dans les pores des roches et contenue dans les minéraux peut être calculée. Dans le champ de stabilité du quartz, les teneurs en eau des roches sont élevées dans le faciès des schistes bleus, mais diminue rapidement dans celui des éclogites, à cause de la rareté des minéraux hydroxylés. Dans le champ de stabilité de la coésite, les minéraux hydroxylés stables sont rares et les roches sont très déficitaires en eau. La variation des teneurs en eau en fonction de la température joue un rôle important dans la capacité des roches à fondre. Les formations de la croûte inférieure continentale montrent des paragenèses anhydres de haute température. Le métamorphisme HTM se définit par une température supérieure à celle du solidus granitique « humide », c’est-à-dire dépassant 650 °C, et, par conséquent, des gradients thermiques élevés. L’espace HTM est occupé par le faciès des granulites et, le long de l’axe des températures, par le faciès des sanidinites. Le faciès des sanidinites se rencontre dans les enclaves emballées dans les coulées de laves, alors que le faciès des granulites est beaucoup plus répandu. Plusieurs sous-faciès ont été définis : – granulite à deux pyroxènes, caractérisée par la cristallisation simultanée de l’orthopyroxène et du clinopyroxène. Ce sous-faciès est stable sous les pressions les plus faibles, moins de 1,2 GPa à 1 000 °C. Les gradients thermiques dépassent typiquement la valeur de ~ 50 °C.km– 1. Les réactions de déshydratation favorisent la formation des roches anhydres. Comme la pression est assez faible, la compression a un effet moins important que la dilatation thermique de sorte que la densité des roches n’est pas significativement modifiée. – granulite à grenat-plagioclase, caractérisée par le remplacement du clinopyroxène par le plagioclase. Les pressions sont comprises entre 1,2 et 1,8 GPa à 1 000 °C. Les gradients thermiques s’établissent de ~ 20 à ~ 50 °C.km– 1. Les pressions plus fortes induisent une densité plus élevée, avec des roches passablement anhydres. – granulite à kyanite (disthène), caractérisée par le remplacement de la sillimanite par la kyanite. Ce sous-faciès correspond aux pressions les plus élevées enregistrées dans les granulites, jusqu’à 2,2 GPa à 1 000 °C. Les gradients thermiques sont les plus bas observés, quoique toujours supérieurs à ~ 15 °C.km– 1. La transition granulite-éclogite est marquée par le sous-faciès des granulites à grenat sans plagioclase. À cause des modifications minéralogiques (paragenèses de plus en plus anhydres) et de l’augmentation de la pression, la densité des roches augmente le long de cette transition, de sorte que les roches de la croûte inférieure sont toujours plus denses que la croûte supérieure.

a) Anatexie et migmatites : où et quand ? Le fait qu’en profondeur, certaines roches puissent devenir partiellement liquides dans la croûte n’est pas évident. La présence actuelle de liquides dans des orogènes actifs a été supposée, plus que démontrée, par l’interprétation des mesures de conductivité, en supposant que la cause des anomalies de conductivité est la présence d’une phase liquide silicatée. L’observation sur le terrain de roches ayant partiellement fondu n’est possible que longtemps après la fin de l’épisode de fusion. Le meilleur argument géologique de la fusion crustale est représenté par les migmatites, qui forment une grande partie de la croûte moyenne à inférieure des chaînes de montagnes. 87

Chapitre 2 • Les sources des magmas

• Les terrains migmatitiques En créant le terme en 1907, Sederholm définit la migmatite comme une roche composite silicatée, hétérogène aux échelles d’observation méso- à mégascopique et affleurant dans les terrains métamorphiques de degré moyen à élevé, caractéristiques de la croûte continentale moyenne à inférieure. On désigne les roches métamorphiques pré-existantes sous le nom de paléosome, alors que les nouvelles roches constituent le néosome. Il faut porter au crédit de Sederholm et de l’école géologique finlandaise que leur étude précise des migmatites près d’Helsinki les a conduits à interpréter de façon correcte ces formations comme issues d’un épisode de fusion, suivi de refroidissement et de cristallisation. Les migmatites sont composées de bancs sombres mafiques et de bancs clairs felsiques associés de façon complexe. Les bancs felsiques, ou leucosomes, ont une composition granitique et sont interprétés comme issus de la cristallisation locale de liquides de fusion partielle. Les bancs mafiques, ou mélanosomes, sont formés de phases minérales mafiques et alumineuses représentant des résidus, or restites, du processus de fusion. Les leucosomes et les mélanosomes peuvent se mélanger de façon intime pour donner les mésosomes intermédiaires. Il est possible qu’une partie des phases felsiques provient aussi de magmas intrusifs venus d’une source plus lointaine. Les structures des leucosomes par rapport aux mélanosomes constituent la base de la classification des migmatites : • les métatexites proviennent d’une anatexie de faible intensité (Fig. 2.29). En général, le paléosome est encore reconnaissable. Les leucosomes forment typiquement moins de ~ 20 % du volume total de la roche, ce qui implique que la quantité de liquide produit soit a été faible soit a été facilement extraite. Sur le terrain, les métatexites montrent une structure caractéristique en sandwich, avec des bancs parallèles de leucosomes clairs, de mélanosomes sombres et de mésosomes gris. • les diatexites se sont formées par anatexie de forte intensité, c’est-à-dire une fusion presque totale. Le paléosome n’est plus reconnaissable, mais peut former des panneaux appelés « skialithes ». Les diatexites montrent des structures très complexes, avec des plis ptygmatiques et la texture nébulitique, c’est-à-dire « nuageuse », marquée par des enclaves sombres mal définies de mélanosomes, ou des schlieren, dans les leucosomes. • les agmatites ont l’apparence d’une brèche. La matrice granitique correspond au leucosome, alors que les blocs anguleux sont surtout composés de paléosome. La texture bréchique des agmatites est due à la mobilité des liquides granitiques formés par anatexie. Si le taux de production de liquide dépasse le taux d’extraction à partir du système, la pression exercée par le liquide augmente. Des surpressions locales conduisent à la fragilisation des roches encaissantes, favorisant la bréchification des migmatites et la formation des agmatites. L’injection de liquides amollit la zone d’agmatites parce que la déformation tend à se localiser là où les liquides sont présents. Les métatexites, liées à une faible anatexie, et les diatexites, liées à une forte anatexie, renferment au moins une partie des liquides formés in situ, alors que les agmatites sont produites par injection de liquides nouvellement formés d’origine 88

2.3 • Anatexie et fusion partielle

Migmatite

Paragneiss

més

G

mél

F

leu1 mél re leu3 mél re

G+F

leu2 mél

G

més mél

F enclave sombre

leu1

anatexie

Figure 2.29 – Formation de migmatites à partir de paragneiss hétérogène (Johannes & Gupta, 1982).

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Les niveaux grossiers G sont peu affectés (més = mésosome). Un premier épisode de fusion apparaît d’abord dans les niveaux fins F, dont la composition est proche du liquide produit (leu 1 + mél = leucosome 1 + mélanosome). Un second épisode de fusion plus élevée affecte les niveaux composites G + F (leu 2 + mél, leu 3 + mél). Les résidus réfractaires forment les mélanosomes reliques (mél re) et les enclaves sombres dans les leucosomes.

exotique. Dans les affleurements favorables, les types de migmatites présentent du haut vers le bas la séquence : agmatite → métatexite → diatexite, passant progressivement vers le bas à un noyau granitique plus homogène. Les zones internes des chaînes de montagnes sont constituées de migmatites, où elles sont liées à de larges zones de cisaillement, soit horizontales (plans de charriage), soit verticales (failles de décrochement). Les plis nombreux, la fracturation et la bréchification des roches montrent que l’anatexie crustale et la génération des migmatites sont associées de façon intime avec les événements tectoniques au cours du climax de l’orogenèse, c’est-à-dire pendant les épisodes de collision et post-collision. • Relations géometriques avec les massifs granitiques Des roches granitiques ayant à peu près la même composition que les leucosomes sont connus dans les terrains migmatitiques et dans leur voisinage, où elles sont 89

Chapitre 2 • Les sources des magmas

clairement intrusives. Les relations géométriques et génétiques entre les migmatites et les granites d’origine crustale ont fait l’objet de débats passionnés durant le XXe siècle. Si l’on considère les migmatites et les granites comme un tout, il y a en effet un paradoxe. Les migmatites sont fondamentalement hétérogènes, avec un mélange entre roches métamorphiques et magmatiques (c’est la définition originale de Sederholm), le réseau de leucosomes granitiques a cristallisé in situ, à peu près à la place où les liquides ont été produits. Au contraire, les granites sont des roches magmatiques homogènes à quartz-feldspaths, qui peuvent ou non contenir des enclaves métamorphiques, et correspondent à la combinaison de liquides et de cristaux déplacés de leur site de formation, en général sur des distances de plusieurs kilomètres. Pour cette raison, le géologue de terrain Read a affirmé : « there are granites and granites », qui diffèrent selon qu’ils sont autochtones ou allochtones. On peut également considérer les migmatites comme des granites « ratés » (« failed granites »), de sorte que l’on peut se demander en quoi les migmatites autochtones ont quelque chose en commun avec les massifs granitiques allochtones. La controverse a été finalement résolue, lorsque des coupes verticales de croûte continentale ont pu être examinées sur plusieurs kilomètres. Les migmatites de la croûte inférieure constituent la source des liquides canalisés dans un réseau filonien dense pour remplir des feuillets granitiques épais plus superficiels (Fig. 2.30). Si les liquides dépassent le seuil de percolation, c’est-à-dire forment plus de 8 % du volume total des migmatites, ils peuvent se connecter. Si le seuil d’échappement

S-SW

N-NE Tibetan series

et Tib

MCT

Midl

an

slab

and

s Ky

*

H2O + CO2

Figure 2.30 – Coupe schématique à travers le Haut Himalaya du Népal (d’après Le Fort, 1981).

Des fluides de composition H2O ± CO2, issus de la formation des Midlands sous le Chevauchement Central Principal (MCT, « Main Central Thrust »), se sont formés en volume important au cours des réactions métamorphiques de déshydratationdécarbonatation sous l’isograde ky+ d’apparition du disthène (kyanite). Après avoir traversé le MCT, ils ont envahi la base de la Dalle Tibétaine (« Tibetan Slab »), dont ils ont provoqué et favorisé l’anatexie. Les liquides silicatés se sont échappés des zones migmatitiques à travers un réseau filonien dense et ont rempli des corps leucogranitiques, dont celui du Manaslu, mis en place par « magmatic stoping » dans les séries sédimentaires tibétaines situées au-dessus.

90

2.3 • Anatexie et fusion partielle

(20 à 25 %) est atteint, le liquide et une partie du résidu solide peuvent s’agréger et être transportés sur de grandes distances. Les liquides se déplacent à travers les roches cataclastiques dont la porosité augmente et, vers le haut, se canalisent dans des réseaux filoniens. Ainsi, le rapport actuellement observé entre leucosome et mélanosome dans les migmatites ne peut donner d’indication fiable sur les quantités de liquide réellement produits au cours des épisodes de fusion. b) Géométrie de la fusion partielle : mobilité et destin des liquides crustaux

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Il est rare que, dans la croûte terrestre, les roches puissent fondre complètement. La fusion partielle correspond à la formation d’un certain volume, jusqu’à ~ 45 %, de liquide silicaté à l’intérieur d’une matrice solide de matériaux résiduels, appelés restites. La viscosité du liquide, de l’ordre de 104,5 à 105,4 Pa.s, est nettement plus faible que celle des roches solides. Les liquides anatectiques, par ailleurs nommés « minimum melts » ou mobilisats, peuvent s’extraire de leur matrice solide, se déplacer latéralement ou vers le haut et abandonner leur zone de formation si des chenaux sont ouverts. Dès que la pression et la température sont suffisamment fortes pour provoquer la fusion partielle, les facteurs limitants deviennent la composition des roches et l’activité des fluides. Le processus est encadré par deux courbes critiques dans l’espace (pression, température), la première gouttelette de liquide est produite au solidus, le dernier cristal se dissout dans le liquide au liquidus. Si le système liquide refroidit le long du trajet inverse, le premier cristal nuclée et croît au liquidus, la cristallisation s’achève au solidus. Dans les cas de corps purs et de composés eutectiques, solidus et liquidus constituent une courbe unique. Dans les roches naturelles, qui se comportent rarement comme des corps purs et des eutectiques, les courbes de solidus et de liquidus sont distinctes. • Fusion saturée et sous-saturée en eau Les leucosomes, représentant des liquides naturels de fusion partielle, montrent une gamme limitée de compositions et sont caractérisés par l’abondance des minéraux felsiques, feldspaths (plagioclase et feldspath alcalin) et quartz. Les roches quartzofeldspathiques sont donc les meilleurs candidats à la fusion crustale. De fait, leurs compositions sont proches des liquides de minimum thermique obtenus à pression basse et intermédiaire dans le système SiO2-NaAlSi3O8-KAlSi3O8-H2O, qui donne les températures de solidus les plus basses connues dans les systèmes silicatés naturels. Le volume de liquides produits à partir de compositions favorables est une fonction des fluides disponibles dans le système. Si les fluides, H2O, et CO2 dans une moindre mesure, sont présents, ils constituent une phase séparée piégée dans les cavités entre les cristaux. Dans le cas de fluides absents et de roches métamorphiques non anhydres, H2O, OH–, et peut-être H3O+ sont liés dans la structure cristalline des minéraux hydratés, les plus importants étant les micas et les amphiboles. Quatre types d’assemblages peuvent exister dans les roches : • Type I, absence d’eau. L’assemblage minéral est anhydre sans phase vapeur associée. En général, les conditions de fusion à sec ne sont pas atteintes dans la nature. 91

Chapitre 2 • Les sources des magmas

Ce type de roches, les granulites HTM, peut échapper au processus de fusion et subsister à l’état de reliques dans les terrains migmatitiques. • Type II, pauvreté en eau et absence de vapeur. L’assemblage minéral inclut des minéraux hydratés, mais sans phase vapeur associée. Ce type de roches est caractéristique des formations HPM et de la transition amphibolite-granulite du métamorphisme HTM. L’anatexie est favorisée par la déstabilisation des minéraux hydratés en assemblage anhydre, par exemple la réaction : muscovite + quartz = sillimanite + liquide (contenant en solution orthose + H2O). Le volume de liquide est fonction de la quantité de minéraux hydratés soumis à la réaction de déshydratation. • Type III, pauvreté en eau et présence de vapeur. L’assemblage minéral, avec ou sans minéraux hydratés, est associé à une phase vapeur. Il n’y a pas assez d’eau pour saturer le liquide quand l’assemblage cristallin est totalement fondu. Ce type de roches caractérise les zones fracturées où l’eau circule, provenant de l’extérieur ou des réactions locales de déshydratation. Le volume de liquide est surtout fonction de la quantité d’eau qui percole dans la zone métamorphique. • Type IV, excès d’eau. L’assemblage de minéraux et de vapeur continent assez d’eau pour saturer le liquide quand l’assemblage cristallin est totalement fondu. Ce type, pratiquement absent des systèmes naturels, a été longtemps utilisé dans les expériences de laboratoire pour des raisons techniques. • Mobilité des liquides anatectiques Les relations de phases dans les systèmes pauvres en eau de types II et III ont d’abord été estimées par interpolation entre les résultats expérimentaux obtenus dans les systèmes de types I et IV. Grâce aux progrès récents sur la stabilité des minéraux hydratés majeurs dans les roches crustales les plus courantes, c’est-à-dire pélitiques, quartzofeldspathiques, intermediaires et mafiques, les quantités de liquide pouvant être formés par déshydratation du mica et de l’amphibole sont connues (Tab. 2.10). Comme la solubilité de l’eau dans les liquides silicatés dépend de la pression, toute roche produit plus de liquide à basse pression par réaction en l’absence de fluides, où le type III est plus fréquent, qu’à forte pression, où le type II est commun. D’après la compilation des compositions des types de roches les plus courantes, les quantités de liquide varient de < ~ 10 à ~ 46 % en volume (Tab. 2.10). Les roches crustales présentent ainsi une « fertilité » variable comme sources de magmas selon la nature et la quantité des phases hydratées qu’elles contiennent. La géométrie des courbes de solidus est une fonction de l’activité de l’eau et de la nature des assemblages minéraux, hydratés ou anhydres, qui subissent la fusion (Fig. 2.31). Elle donne une indication grossière sur la mobilité verticale des liquides anatectiques. Les courbes de solidus des types I (anhydre) et II (absence de vapeur) ont une pente dP/dT positive, les liquides peuvent se déplacer facilement vers le haut jusqu’à ce que, dans le cas du type II, ils atteignent la partie saturée en eau du solidus de pente négative. Les courbes de solidus des types III (présence de vapeur) et IV (excès d’eau) ont des pentes dP/dT négatives aux pressions inférieures à ~ 1,61,8 GPa, les liquides peuvent se déplacer latéralement mais ne peuvent monter dans la croûte. Tout liquide formé par fusion de n’importe quel type (I à IV) à une pression 92

2.3 • Anatexie et fusion partielle

Tableau 2.10 – Taux de fusion et teneurs en eau des liquides anatectiques sans phase vapeur séparée (d’après Clemens et Vielzeuf, 1987). Minéral impliqué dans la réaction

Source

Taux de fusion

Teneurs en eau

0,5 GPa

1,0 GPa

0,5 GPa

1,0 GPa

Pélite

Muscovite Biotite Total

6% 33 % 50 %

5% 20 % 30 %

11 % 03 %

12 % 03,7 %

Grauwacke

Biotite Amphibole Total

18 % 9% 46 %

10 % 5% 38 %

02,5 % 02 %

04,5 % 03 %

Dacite

Biotite Amphibole Total

31 % 14 % 46 %

23 % 11 % 38 %

03,5 % 03 %

05 % 03,7 %

Amphibolite

Amphibole

42 %

38 %

04,5 %

06,5 %

Réactions de fusion incongruente possibles à l’isograde d’anatexie : – muscovite + quartz + plagioclase → LIQUIDE + feldspath K + Al2SiO5 ± biotite, grenat ou cordiérite – biotite + Al2SiO5 + quartz + plagioclase → LIQUIDE + feldspath K + grenat ou cordiérite – biotite + quartz + plagioclase → LIQUIDE + orthopyroxène ou clinopyroxène + feldspath K ± grenat ou cordiérite – amphibole → LIQUIDE + plagioclase + quartz + orthopyroxène + clinopyroxène

pression

aH2O=1,0

H+H2O

aH2O=0,5

L

H

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

aH2O=0,5 1,0

H A+H2O

I

A+L

L A+H2O température

Figure 2.31 – Courbes de déstabilisation et de fusion par déshydratation d’un assemble minéral hydraté en fonction de l’activité de H2O (d’après Clemens & Vielzeuf, 1987).

A est un assemblage minéral anhydre (par exemple, orthose + silicate d’alumine), H est un assemblage minéral hydraté (par exemple, muscovite + quartz). H contient moins de H2O que le liquide L qui se forme au-dessus du point invariant I. Trait gras : solidus pour aH2O = 1,0 et 0,5, correspondant aux deux réactions H + H2O = L à haute pression, A + H2O = L à basse pression. Trait fin : réaction pour aH2O = 1,0 et 0,5 de fusion en l’absence de fluide H = A + L et réaction de déshydratation H = A + H2O.

93

Chapitre 2 • Les sources des magmas

supérieure à 1,8 GPa montre un solidus de pente dP/dT positive et peut monter facilement jusqu’à ce qu’il atteigne la partie du solidus à pente négative à basse pression. À cause de la pente de leur solidus, les liquides anatectiques UHPM sont capables de se mettre en place à assez faible profondeur dans la croûte. La mobilité verticale des liquides anatectiques HPM and HTM varie surtout en fonction de la quantité de fluides localement disponibles. • Compositions des liquides en fonction des protolithes Les réactions de fusion par déshydratation sont incongruentes, produisant des liquides sous-saturés en H2O et des résidus solides anhydres ou moins hydratés que la paléosome. La composition des liquides est contrôlée par la nature des phases minérales qui se dissolvent dans le liquide (Tab. 2.11). La fusion incongruente à température modérée des phases alumineuses, la muscovite (~ 650 °C) et la biotite (~ 850 °C), induit l’apparition de liquides hyperalumineux. L’indice de saturation en alumine (ASI), défini par le rapport molaire Al2O3/(CaO + Na2O + K2O), est toujours supérieur à 1 et dépasse typiquement la valeur de 1,1. La fusion incongruente à haute température (~ 1 000 °C) de l’amphibole pauvre en alumine contrebalance l’effet induit par les micas, de sorte que les liquides sont alors métalumineux, avec ASI inférieur à 1, mais de telles conditions de température sont rarement atteintes dans la croûte. Tableau 2.11 – Compositions chimiques des liquides produits par fusion à l’équilibre à basse pression en présence de fluides (H2O + CO2) (d’après Helz, 1976 ; Conrad et al., 1988).

1

2

3

4

5

6

7

8

SiO2 TiO2 Al2O3 FeO* MnO MgO CaO Na2O K2O P2O5

72,81 0,18 15,39 1,78 0,04 0,30 2,37 3,63 3,42 0,09

67,92 0,66 15,80 3,80 0,08 1,12 4,30 4,24 1,86 0,12

70,71 0,13 17,24 0,92 0,04 0,21 3,62 4,99 2,08 0,06

73,66 0,19 15,02 1,48 0,01 0,31 1,37 3,87 3,92 0,16

69,16 0,61 16,24 3,39 0,02 0,90 3,30 3,93 2,22 0,25

71,16 0,09 17,30 1,35 0,04 0,27 3,33 4,92 1,41 0,12

75,70 0,10 15,40 1,10 0,00 0,00 1,80 2,40 3,50 0,00

64,30 0,71 19,40 3,30 0,00 0,93 7,14 2,80 0,92 0,50

D.I. P (GPa) T (°C) % liquide X H2O

82,87 1,0 825 25 0,25

70,04 1,0 950 83 0,25

79,63 1,0 675 55 1,00

88,01 1,0 825 25 0,25

74,07 1,0 925 85 0,25

78,81 1,0 675 34 1,00

84,80 0,5 700 6 1,00

56,10 0,5 970 34 1,00

source

tholéiite à olivine

FeO* : tout le fer est analysé sous forme de FeO D.I. : indice de différenciation donné par la somme des minéraux normatifs : quartz + orthose + albite X H2O : rapport molaire H2O / (H2O + CO2) dans la phase vapeur Noter la relation entre température, taux de fusion et teneur en eau de la phase vapeur séparée. Sources : – dacite et grauwacke : compositions synthétiques correspondant aux moyennes mondiales (Conrad et al., 1988) – tholéiite à olivine : lave de 1921 du Kilauea (Hawaï) (Helz, 1976) Les sources utilisées correspondent aux constituants naturels (volcaniques et sédimentaires) de la croûte océanique et des arcs insulaires.

94

2.3 • Anatexie et fusion partielle

Bien que la température du solidus à saturation en H2O puisse atteindre de basses valeurs, proches de ~ 600 °C, la température de ~ 850 °C est une valeur critique, car les roches crustales les plus fréquentes contiennent la biotite. Si la température ne dépasse pas 850 °C, la fusion des roches crustales est difficile. À basse pression, c’est-à-dire < 0,8 GPa, la pente dP/dT de la déstabilisation de la muscovite est faible. Seuls les schistes métapélitiques à muscovite peuvent subir des réactions de fusion incongruente et produire des liquides leucogranitiques avec un résidu granulitique à plagioclase-grenat. La fusion se produit généralement aux profondeurs « normales » de la croûte inférieure (25-30 km). Dans des contextes plus profonds et encore assez « froids », la fusion d’une roche quartzofeldspathique demande l’apport de fluides contenant H2O. Les liquides ainsi formés ont une composition de trondhjémite métalumineuse et sodique, les résidus sont riches en micas. Les réactions de fusion incongruente de roches quartzofeldspathiques aux températures comprises entre 850 et 1 100 °C donnent des liquides de composition nettement granitique et hyperalumineuse, qui deviennent moins fémiques, plus alcalins et plus alumineux si la pression augmente (Tab. 2.10 et 2.11). À basse pression, < ~ 1,2 GPa, le liquide granitique HTM potassique laisse un résidu d’anorthosite. À pression légèrement supérieure, le résidu est une granulite à orthopyroxèneplagioclase. À pression moyenne, < ~ 2 GPa, le liquide granitique devient sodique et coexiste avec un résidu de granulite à clinopyroxène-grenat. À forte pression, > ~ 2 GPa, le liquide leucogranitique UHPM alcalin et alumineux est en équilibre avec un résidu solide d’éclogite.

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

c) Contextes géodynamiques : régimes de compression et d’extension Les deux types de croûte, continentale et océanique, peuvent subir la fusion partielle, si les conditions thermodynamiques favorables sont atteintes. En zone continentale, les granites proviennent pour une bonne part de l’anatexie des roches crustales communes et de la ségrégation, l’ascension, puis la mise en place du magma résultant. Magma correspond à un mélange complexe de phase liquide et de phases solides avec ou sans phase vapeur, la phase liquide occupant le volume le plus important. Bien que l’anatexie crustale ne puisse être exclue a priori en contexte intra-plaque, ce processus est de loin mieux représenté dans les chaînes orogéniques. Selon les conditions tectoniques particulières, la perturbation thermique à l’origine de la chaleur nécessaire à l’anatexie crustale peut être causée par la production d’énergie liée à la radioactivité interne de la croûte épaissie, par l’intrusion de magmas issus du manteau en base de croûte (« intraplating/underplating »), par l’augmentation du flux de chaleur provenant du manteau ou par la combinaison de ces mécanismes. • Les épisodes orogéniques : trajets pression-température de sens horaire Le long des trajets métamorphiques pression-température dans le sens horaire, deux types de réactions de fusion sont possibles si la température augmente (Fig. 2.32). Le premier type est à l’origine de liquides de fusion partielle saturés en H2O apparaissant au solidus saturé en H2O (« humide »), mais ne se produit que si le fluide supercritique H2O, piégé entre les cristaux, est présent en excès. La porosité des 95

Chapitre 2 • Les sources des magmas

P Solidus avec H 2O Mus Qtz Or Sil L

Mus Ksp L Alb Qtz V Mus Ksp Alb Sil Qtz L

je t Tra

(a)

Mus L OrSil V Qtz Mus KspSil

L Mus V Qtz Or Sil V

I1

I2 Mus Alb Ksp Qtz Sil V

c) et ( Traj Alb Ksp L Sil Qtz V

je t Tra

(b

)

T Figure 2.32 – Trois trajets métamorphiques-anatectiques de sens horaire (simplifié d’après Thompson, 2001).

Abréviations : Alb, albite ; Ksp, feldspath potassique (microcline) ; L, liquide ; Mus, muscovite ; Or, orthose ; Qtz, quartz ; Sil, sillimanite ; V, vapeur. Le trajet (a) comprend un segment prograde, qui croise le solidus saturé en eau (« wet ») en présence de la muscovite, correspondant à la réaction de fusion par déshydratation (DMR, « dehydration melting reaction ») de la muscovite, puis un segment rétrograde, qui recoupe le solidus à une pression supérieure à celle du point invariant I2. Le point I2 correspond à l’intersection du solidus « humide » (« wet ») avec les réactions de déstabilisation de la muscovite. Le trajet (b) atteint une température plus élevée que celle du point invariant I1, puis recoupe sans DMR rétrograde le solidus saturé en eau en présence de la sillimanite à une pression inférieure à celle du point invariant I2. Le trajet (c), intermédiaire entre les trajets (a) et (b), traverse la courbe de réaction supra-solidus de décompression-déshydratation (SDDR) : Mus + Qtz + L = Ksp + Sil + V, et recoupe le solidus saturé en eau en présence de la sillimanite sous le point invariant I2.

roches de la croûte inférieure dans les conditions du solidus est inférieure à 1 %, de sorte qu’il n’est possible de produire qu’un peu moins de 3 % de liquides saturés en H2O. Le second type permet l’apparition de liquides sous-saturés en H2O par fusion provoquée par la déshydratation (« dehydration melting reactions », ou DMR) et se produit à température plus élevée que le solidus saturé en H2O. Les réactions DMR, qui transportent H2O du minéral au liquide sans former de phase fluide séparée, présentent en général une pente dP/dT positive aux pressions correspondant à la 96

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2.3 • Anatexie et fusion partielle

croûte profonde. Toute chute de pression (décompression) et/ou toute augmentation de température (réchauffement) peuvent favoriser la décomposition des phases hydratées et la production de liquides sous-saturés en H2O, contenant souvent des minéraux restitiques non solubles dans le liquide granitique. Si les régions sources des magmas ne sont pas exhumées, les liquides sous-saturés en H2O restent in situ et les réactions de cristallisation se produisent le long du trajet P-T inverse, correspondant au trajet (a) de la figure 2.5, donnant la même minéralogie que la roche-source. Dans les zones d’exhumation, deux autres types de cristallisation peuvent se produire le long des segments de décompression des trajets P-T de sens horaire. Le premier type, le mieux connu, situé dans la partie froide du trajet (b) de la figure 2.5, se situe au croisement du solidus saturé en H2O des métapélites à faible pression, dans la croûte moyenne et même à plus faible profondeur, donnant des pegmatites granitiques. Dans le second type, qui se place au milieu du trajet (c) de la figure 2.5, le mica restant peut réagir avec le liquide hydraté pour donner un assemblage granulitique anhydre et une phase fluide H2O séparée. De telles réactions suprasolidus de décompression-déshydratation (SDDR) conduisent à la solidification dans la croûte moyenne des liquides dérivés des métapélites en gneiss à feldspath K + quartz + sillimanite et à la libération de H2O qui peut alors induire la fusion saturée en H2O des zones voisines, constituées de lithologies plus fertiles mais sans H2O (par exemple, des psammites ou des granites anciens). Le meilleur exemple de couplage entre la compression marquée par des chevauchements de grande ampleur et l’exhumation marquée par des failles normales et des détachements est illustré par le Haut Himalaya, ou Dalle du Tibet. Le mouvement miocène le long du plan du Chevauchement Central Principal (Main Central Thrust, ou MCT) a provoqué un métamorphisme inverse à la semelle de la Dalle du Tibet, la libération de H2O à partir de la dalle inférieure du Bas Himalaya et l’apport de H2O à travers le MCT dans les formations métamorphiques précambriennes sus-jacentes. La fusion à saturation de H2O des gneiss métapélitiques a produit des liquides leucogranitiques. L’exhumation et la décompression ont été favorisées par le Détachement superficiel du Sud Tibet (South Tibetan Detachment, ou STD), les liquides ont pu s’extraire des migmatites à travers un réseau filonien et remplir des massifs granitiques allongés, épais de 5 km et intrusifs par « magmatic stoping » dans les séries tibétaines (Fig. 2.33). Les massifs forment la plupart des sommets de plus de 8 000 m du Haut Himalaya et sont surtout constitués de leucogranite à deux micas, précédant un leucogranite à tourmaline, montrant que deux événements distincts de fusion ont eu lieu à température décroissante. • Contexte intra-plaque : rareté du processus anatectique Une décompression importante, accompagnant l’exhumation et l’érosion de la chaîne de montagnes toute entière, se produit durant les épisodes post-collision d’un événement orogénique. Dans ce cas, les liquides doivent rester suffisamment chauds, l’ascension ou l’exhumation être suffisamment rapides pour que les magmas soient mobiles. La fusion partielle est à l’origine de granites hyperalumineux à 97

98

5

6

7

8

9

A

Khumbu glacier

Nuptse

Lho-la

5

6

7

8

9

t

km

B

N

rus

u th mb

ment

detach

Khu

Lhoste

Nuptse

Imja Khola

Nuptse pluton

QD Khumbu glacier YB Yellow band LD

Ama Dablam

u t h r u st Khumb

EVEREST NUPTSE-LHOSTE RIDGE

Qomolangma D Everest series Lhotse D -Lingtren-Everest granite Pumori granite sill complex

Chukhung peak

KT

S

Figure 2.33 – Coupes du massif d’Everest-Lhotse, Haut Himalaya, montrant le rôle joué par les plans de chevauchement (T, « thrusting ») à la base des formations du Haut Himalaya et de détachement (D) dans la zone sommitale pour la mise en place et l’exhumation des massifs de leucogranite à deux micas (en blanc) d’âge miocène (d’après Searle, 1999).

Khumbutse km

N

S

Chapitre 2 • Les sources des magmas

2.3 • Anatexie et fusion partielle

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cordiérite ou grenat, souvent appelés de type S selon la terminologie australienne. La température élevée est fournie au moins en partie par des magmas mantéliques contemporains, représentés par les enclaves magmatiques mafiques sombres. Après érosion complète et consolidation des zones orogéniques, le contexte intraplaque se caractérise par des gradients géothermiques élevés et des trajets P-T de sens anti-horaire. Des températures métamorphiques très élevées à faible profondeur sont connues, par exemple 800 °C à 0,22 GPa en Australie centrale. Les trajets P-T anti-horaires demandent un apport de chaleur externe et de fluides pour qu’il y ait fusion partielle. Dans des zones marquées par l’amincissement de la croûte continentale, parfois avec rifting, les fluides externes sont soit d’origine magmatique, soit des eaux météoriques anciennes. La source de chaleur la plus importante est fournie par les magmas mantéliques se mettant en place par « underplating » à la limite croûte-manteau, ou par « intraplating » à l’intérieur de la croûte inférieure. Les rôles distincts du magmatisme mantélique, de la délamination lithosphérique et du détachement des zones plongeantes de subduction dans l’évolution des zones intraplaque demandent de nouvelles études. Les liquides anatectiques observés en contexte continental sont hyperalumineux de type S, donnant par cristallisation des roches à cordiérite ou à grenat. Dans quelques rares zones océaniques, par exemple le Banc des Féroé et le nord-ouest de l’Islande, dans l’océan Atlantique Nord, des rhyolites à cordiérite/grenat reposent sur la première croûte océanique formée durant la dislocation continentale et peuvent représenter les derniers liquides crustaux anatectiques produits au début de l’expansion océanique. • Et ailleurs ? La structure thermique et rhéologique de la croûte continentale terrestre détermine son comportement mécanique. Les orogènes de collision se caractérisent par une évolution P-T de sens horaire, ce qui signifie que, si la température dépasse le solidus « humide » des roches crustales communes, des liquides peuvent être présent durant l’orogenèse. Par conséquent, l’effondrement orogénique des chaînes évoluées peut être guidé par une couche partiellement fondue qui sépare la croûte fragile de la lithosphère en subduction, et une telle couche molle peut permettre l’exhumation de la croûte enfouie profondément. La ségrégation et l’extraction des liquides sont donc des processus syntectoniques et les chemins suivis par les liquides sont en général liés à la fabrique des roches. La consolidation post-orogénique de la croûte continentale impose le refroidissement important de la croûte inférieure, la température à la limite croûte-manteau ne dépassant pas 600 °C, alors que la racine mantélique de la lithosphère continentale s’épaissit au cours du temps. Par rapport aux chaînes de montagnes de collision, les zones intra-plaque se caractérisent par la rareté des épisodes d’anatexie, bien que le magmatisme de dérivation mantélique soit largement représenté. Une faible anatexie ne peut se développer dans les zones crustales en voie d’amincissement qu’en présence d’un apport volumineux de magma d’origine mantélique. Le processus de fusion partielle de la croûte terrestre existe depuis l’Archéen. L’anatexie de la croûte moyenne à inférieure sans phase vapeur provient de réactions 99

Chapitre 2 • Les sources des magmas

de fusion par déshydratation (sous-saturation en H2O) ou demande l’apport de fluides aqueux externes (saturation en H2O). Dans les autres planètes telluriques, comme la Lune, Mars et Venus, le magmatisme d’origine mantélique est connu par des échantillonnages directs et/ou par des preuves indirectes obtenues par télédétection. Cependant, aucun signe de fusion crustale n’y a été observé jusqu’à présent. On peut donc s’attendre à ce que l’anatexie induite par la présence de H2O n’existe pas, ou plus, dans les planètes telluriques autres que la Terre, soit à cause de trop faibles quantités d’eau, soit parce que les conditions de pression et de température ne sont pas favorables.

2.4 SOURCES,

OU RÉSERVOIRS DES MAGMAS

À l’image d’un manteau relativement homogène, constitué de péridotite plus ou moins résiduelle, il faut donc substituer celle d’une forte hétérogénéité, chimique et physique, acquise au cours d’une histoire vieille de 4,6 Ga. Il est possible de reconstituer le manteau primitif à partir d’un système à plusieurs composants, en supposant que le manteau primitif s’est différencié depuis en péridotite résiduelle + croûte continentale + différents types de basalte par fusion(s) partielle(s).

2.4.1 Réservoirs géochimiques Si l’on tient compte des compositions chimiques (éléments majeurs et en traces) et isotopiques, le manteau a été subdivisé en plusieurs réservoirs restés distincts depuis plus d’un milliard d’années. Ces réservoirs constituent les sources de magmas différents (Fig. 2.34) : 1. L’asthénosphère appauvrie et dégazée à 99 %, largement homogénéisée par convection, est la source des basaltes des rides médio-océaniques (MORB). 2. La lithosphère continentale métasomatisée est la source principale des basaltes continentaux fissuraux (CFB). 3. Un réservoir mixte, comprenant les réservoirs 1 et 2 métasomatisés et hybridés par les fluides et les magmas issus de la déshydratation et de la fusion de la croûte océanique subductée, constitue la source des basaltes alumineux et des andésites des arcs insulaires et des cordillères (IAB). 4. Un autre réservoir mixte, comprenant un mélange des réservoirs 1 et 2 avec des morceaux anciens de lithosphère (croûte et manteau) subductée, présente des compositions isotopiques très variées (nombreux pôles définis dans les systèmes Sr-Nd-Pb) et constitue la source des basaltes des îles océaniques et de certains basaltes continentaux (OIB). La géométrie des réservoirs est mal connue. Ils peuvent constituer, selon les conceptions, des couches concentriques et/ou des volumes finis en forme de « gouttes », les mégalithes. Ayant une densité intermédiaire, les mégalithes flotteraient entre le manteau supérieur péridotitique et le manteau inférieur à structure de « pérovskite » (Fig. 2.34). Par fluage, les mégalithes pourraient se rassembler et former un niveau continu en 1-2 Ga. Lorsque l’état d’équilibre 100

GR GMB

GR GMB

enrichi

appauvri

CFB

Noyau

primitif

appauvri

CFB

OIB

OIB

GR GMB

GR GMB

IAB

D

IAB

B CFB

Figure 2.34 – Convection dans le manteau.

MORB

MORB

CFB MORB

MORB

OIB

appauvri

OIB

Les zones de subduction déterminent la position des branches descendantes des cellules de convection. IAB : basalte d’arc insulaire (Island Arc Basalt), GR : granitoïde, CMB : basalte de marge continentale (Continental Margin Basalt), CFB : basalte continental (Continental Flood Basalt), MORB : basalte de ride médio-océanique (Mid-Oceanic Ridge Basalt), OIB : basalte d’île océanique (Oceanic Island Basalt). A. Modèle à deux couches indépendantes (DePaolo & Wasserburg, 1976). Le manteau supérieur est appauvri par extraction répétée de magmas basaltiques, le manteau inférieur est resté primitif. B. Modèle à une seule couche (Hofmann & White (1982). La lithosphère en subduction peut descendre jusqu’à la limite noyaumanteau (discontinuité de Gutenberg). L’ensemble du manteau est réhomogénéisé. C. Modèle « piclogitique » (Anderson, 1982). Le manteau supérieur est constitué d’éclogite à olivine (en blanc) surmontée par une péridotite (en grisé) enrichie par des fluides (cf. Fig. 2.16). Le manteau inférieur est appauvri. D. Modèle des « mégalithes » provenant de la lithosphère océanique (Ringwood, 1982). Les mégalithes de harzburgite (en noir) se stabilisent vers 650 km de profondeur. Plus denses, les mégalithes d’éclogite (en blanc) peuvent s’enfoncer dans le manteau inférieur.

IAB

C

IAB

A

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2.4 • Sources, ou réservoirs des magmas

101

Chapitre 2 • Les sources des magmas

thermique est atteint, les mégalithes, constitués de manteau appauvri (harzburgite), mais métasomatisé par les fluides et les liquides issus de matériaux subductés, pourraient alors se transformer en diapirs ascendants ou panaches. Les résidus de fusion, beaucoup plus denses, sombreraient dans le manteau inférieur. 5. Le manteau inférieur serait plus primitif et moins dégazé. Il est agité par d’importants mouvements convectifs. Les matériaux de la croûte basaltique océanique en subduction, même à l’état fondu, sont nettement plus denses que le manteau inférieur et peuvent descendre jusqu’à la couche D”, située à la limite entre manteau et noyau. Par la tomographie sismique, les relations entre le manteau inférieur et le manteau supérieur commencent à être connues. La convection se produit simultanément selon deux processus distincts : soit les deux types de manteau constituent deux systèmes indépendants (système à deux couches), soit ils forment un seul système convectif (système à une couche). Les rapports de volume et de masse entre les deux types de manteau sont plus mal connus : sont-elles constantes ou, au contraire, varient-elles au cours du temps ? 6. Au niveau de la discontinuité de Gutenberg, la couche D” est caractérisée par le contact direct entre le noyau, où le fer est à l’état métallique, et le manteau inférieur et/ou des matériaux issus de la croûte océanique, où le fer a la valence 2 (fer ferreux). Elle est souvent considérée comme le site de départ des plus grands panaches terrestres, qui subiraient une ascension de près de 2 700 km avant de se refroidir suffisamment pour apporter leur chaleur et leur matière au manteau supérieur. L’effet des réactions entre noyau métallique liquide et manteau silicaté solide sur les phénomènes situés moins en profondeur est encore à l’étude. Il faut ajouter un dernier réservoir, non mantélique, la croûte, océanique et continentale, enrichie en éléments incompatibles et radioactifs, c’est-à-dire en éléments entrant préférentiellement dans les phases liquides et fluides aux dépens des phases solides. L’hétérogénéité de la croûte est un fait d’observation anciennement reconnu.

2.4.2 Évolution pression-température-temps La croûte et le manteau sont constitués surtout de matériaux solides. Les phases liquides et fluides, en faibles quantités, sont transitoires. À cause de sa faible diffusivité thermique, de l’ordre de 10– 7 m2.s– 1, une roche enregistre plus rapidement les variations de pression que de température. Les mouvements à l’intérieur du globe conduisent les paramètres thermodynamiques à suivre des trajets définis dans l’espace P-T-t (pression, température, temps) et prenant la forme d’une courbe presque fermée (« loop » des auteurs anglo-saxons). Deux types fondamentaux d’évolution dans le diagramme (pression, température) ont été distingués (Fig. 2.35) : 1. L’évolution la plus fréquente suit le sens des aiguilles d’une montre (« clockwise ») avec la succession des phases (Fig. 2.35A) : ‘ augmentation de la pression par enfouissement par subduction ou sous un chevauchement, le géotherme diminue ; 102

2.4 • Sources, ou réservoirs des magmas

profondeur / pression

gradient géothermique

réchauffement enfouissement surrection

érosion température

A

profondeur / pression

gradient géothermique normal

extension relaxation relaxation

gradient géothermique anormal

extension-enfouissement température

B

Figure 2.35 – Évolution pression-température-temps, ou trajet P-T-t,

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selon le contexte géodynamique.

A. Contexte orogénique (Meissner, 1989). La croûte subit successivement l’enfouissement (faible gradient de haute pression-basse température, HP-BT), le réchauffement (métamorphisme moyen), la surrection et l’érosion (gradient élevé de basse pression-haute température, BP-HT). Le trajet horaire aboutit à l’origine. B. Contexte distensif (Robinson, 1989). Une zone proche de la surface subit un métamorphisme de basse pression-haute température BP-HT puis retrouve son gradient normal. Le trajet suivi est anti-horaire. Au contraire, une zone située à la base de la croûte évolue de façon horaire. Les trajets n’aboutissent pas à l’origine.

‘ ‘ ‘

augmentation de la température par réchauffement tardif à cause de l’inertie thermique, retour à un géotherme normal ; diminution isotherme de la pression liée à la surrection, géotherme devenant plus élevé ; diminution de la température, retour au géotherme normal et mise à l’affleurement. Ce trajet correspond à ce que l’on connaît dans les chaînes de collision. 103

Chapitre 2 • Les sources des magmas

Cette évolution est bien marquée et souvent complète dans les unités métamorphiques de la croûte continentale. Des surrections depuis 150 km de profondeur jusqu’à la surface ont été reconnues dans certaines chaînes de montagne récentes. Par contre, elle est souvent plus réduite dans les unités océaniques, car, à partir d’une certaine profondeur, vers 80 km environ, les composants basaltiques de la plaque océanique deviennent trop denses pour pouvoir remonter vers la surface et descendent au contraire vers la zone de transition et, peut-être, la couche D”. 2. L’évolution contraire dans le sens inverse des aiguilles d’une montre (« counterclockwise ») implique la succession (Fig. 2.35B) : ‘ augmentation de la température par réchauffement lié à la mise en place au Moho, ou limite croûte-manteau, de magmas de température élevée (« underplating » des auteurs anglo-saxons), le géotherme devient élevé ; ‘ augmentation de la pression par subsidence et enfouissement, la lithosphère restant mince, le géotherme diminue ; ‘ diminution de la température par refroidissement, le géotherme devient normal ; ‘ diminution finale de la pression et de la température, selon le gradient géothermique normal, surrection et mise à l’affleurement. Ce trajet se rencontre de préférence dans des zones subissant des mouvements distensifs et/ou soumises à l’intrusion massive de magmas. La croûte inférieure déshydratée et le remplissage sédimentaire trop froid ne constituent pas des sources favorables pour produire un liquide anatectique. L’apport thermique dû à l’intrusion de magmas issus du manteau peut déclencher l’anatexie en l’absence de fluides (Fig. 2.31 et 2.32). La croûte inférieure enregistre les deux types d’évolution lors des phénomènes orogéniques puis au cours du processus de cratonisation conduisant à la formation de continents stables. Dans les grands profils géophysiques (France, Allemagne, Manche, Mer d’Irlande), la croûte inférieure de l’Europe de l’Ouest a montré une lamination remarquable. Postérieures aux événements tectoniques varisques, les lamelles observées recoupent les surfaces de chevauchement paléozoïque et se mettent en place entre le Permo-Trias et le Crétacé inférieur, vraisemblablement au Jurassique. Leur nature est hypothétique : cisaillement extensif, chambres magmatiques étirées ou différenciation métamorphique ? La lamination se produit sous la profondeur critique de 15 km, en dessous de laquelle les réseaux de fractures ne sont plus interconnectés, c’est-à-dire à 400600 °C pour une viscosité de 1020 à 1023 Pa.s. Les fluides présents dans les pores et les fractures de la croûte varient d’une composition purement aqueuse (H2O) à 0,1 MPa à une composition carbonique (CO2) à 1,5 GPa, le rapport CO2 / (CO2 + H2O) croissant avec la profondeur de façon presque linéaire entre les valeurs 0 et 1. Dans le manteau, les fluides changent également de composition, avec CO2 prédominant à moins de 75 km de profondeur et H2O dans le reste du manteau supérieur (Fig. 2.36). La fusion partielle (anatexie) est étroitement contrôlée par l’abondance et la composition des fluides. Comme les roches contiennent pour la plupart les fluides dans les pores et dans les minéraux hydroxylés et carbonatés, il est possible de tracer le solidus des matériaux terrestres. Dans ce schéma, la croûte fournit des liquides granitiques et intermédiaires, le 104

2.4 • Sources, ou réservoirs des magmas

X CO2

profondeur (km)

1

0

1

3

2

CROÛTE

50

CO2

PYROLITE

2

gradient océanique

1

3

gradient cratonique

100

H2O 150

FLUIDES 200

600

1000

1400

1800

température (°C)

Figure 2.36 – Composition des fluides du système C-H-O présents dans les

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200 km superficiels du globe terrestre (Montel et al., 1986 ; Schneider & Eggler, 1986, Fig. 2.13), solidus naturel de la croûte continentale et du manteau supérieur : à saturation d’eau (1), en présence de fluides dissous (2) et à sec (3) (Falloon & Green, 1989 ; Montel et al., 1986 ; Mysen & Boettcher, 1975 ; Olafsson & Eggler, 1983 ; Takahashi, 1986 ; Wyllie, 1988), et gradients géothermiques sous les cratons et sous les océans (cf. Fig. 2.2).

manteau supérieur des liquides basaltiques et intermédiaires. Si l’on compare le solidus avec les gradients géothermiques calculés dans le manteau sous les cratons et sous les océans, la fusion n’est possible en milieu statique que dans des conditions étroites : • sous les cratons, le manteau en présence de CO2 et H2O commence à fondre vers 120 km de profondeur et constitue la zone à faible vitesse (ZFV). Le degré de fusion est faible (seulement 0,2 %), les liquides, mal connus, peuvent être carbonatitiques ou kimberlitiques et transportent K, U et Th, éléments radioactifs essentiels pour la production de chaleur. Très fluides, ces liquides se déplacent facilement mais, à cause de leur faible volume, refroidissent et se solidifient avant d’atteindre la surface. Ils apportent des éléments incompatibles au milieu dans lequel ils cristallisent et participent à la métasomatose du manteau. • sous les océans, même à sec, le manteau peut fondre entre 75 et 120 km de profondeur et constitue le « manteau anormal » sous les rides médio-océaniques. 105

Chapitre 2 • Les sources des magmas

Les liquides obtenus sont picritiques et peuvent constituer les parents des basaltes des rides médio-océaniques (MORB). Il n’est pas possible de fondre la croûte en conditions statiques. Pour déclencher le processus de fusion, les mouvements tectoniques jouent un rôle important, en induisant une augmentation de température (surchauffe), une chute de pression (décompression) ou au contraire une augmentation de pression (chevauchement), l’apport ou le départ de fluides, etc.

2.5 CONCLUSIONS Les couches superficielles du globe présentent ainsi une stratification, les paramètres physiques variant en fonction des compositions chimiques et minéralogiques. Un exemple naturel est fourni par les enclaves récoltées dans les basaltes carbonifères de la Midland Valley d’Écosse, entre le Firth of Clyde et Fife (Fig. 2.37). La coupe des zones profondes a été reconstituée sur plus de 50 km d’épaisseur : • la croûte supérieure est constituée par : ‘ de 0 à 10 km de profondeur, la couverture sédimentaire paléozoïque ; ‘ de 10 à 18 km, un ensemble métamorphique à grenat-sillimanite et des roches plutoniques non déformées. L’ensemble, de composition acide quartzo-feldspaKm O Couverture Paléozoïque granites intrusifs

1O gneiss quartzo-feldspathiques, granitoïdes (tonalites, granites ) kinzigites

v > 6,4 km/s qz + pl  fK  gt  sill

roches métabasiques ortho-granulites basiques anorthosites et pyroxénites

v > 7 km/s pl + px + mt  gt

lherzolites, wehrlites foliées marques de métasomatose

v > 8 km/s ol + px + sp

2O

3O M O H O

4O

Figure 2.37 – Coupe schématique de la lithosphère supérieure, établie à partir des données sismiques et des enclaves dans les volcans d’âge carbonifère de la Midland Valley d’Écosse : vitesses des ondes P. 106

2.5 • Conclusions

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thique, montre une forte résistivité électrique et la vitesse des ondes sismiques P est d’environ 6,4 km.s– 1 ; • la croûte inférieure de 18 à 35 km, est constituée par des roches basiques métamorphisées dans le faciès des granulites à 0,8 GPa et 850 °C. Les roches anhydres forment des corps stratiformes cumulatifs, ayant une résistivité électrique modérée et une vitesse d’ondes P de 7 km.s– 1. La croûte inférieure y est donc formée par des massifs magmatiques et non par des résidus de fusion anatectique (restites) ; • le manteau supérieur sous 35 km de profondeur, a une très forte résistivité électrique et une vitesse d’ondes P de 8 km.s– 1. Très hétérogène, il est composé de : ‘ lherzolite à spinelle, parfois métasomatisée à amphibole et carbonates ; ‘ association clinopyroxénite-wehrlite-webstérite à kaersutite + biotite + apatite, issue de la cristallisation dans le manteau de liquides basaltiques et de la métasomatose du manteau par les fluides. C’est à partir de cet ensemble varié que se produisent les différents liquides primaires. La mise en place et la cristallisation des liquides silicatés constituent la matière des études magmatologiques.

107

LES

PHÉNOMÈNES MAGMATIQUES

3

3.1 Un magma primaire : le basalte

PLAN

3.2 Un magma différencié : le granite 3.3 Volcanisme et produits associés 3.4 Mise en place des plutons 3.5 Différenciation des magmas 3.6 Durées des phénomènes magmatiques

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3.7 Conclusions

Le terme « magma », d’origine pharmacologique, a été employé pour la première fois dans son sens actuel par Fournet en 1838. En pétrologie, il définit un matériau hétérogène complètement ou partiellement fondu. Les magmas terrestres, en général silicatés, se déforment aisément sous une faible contrainte et renferment des matériaux solides en suspension et des fluides. En refroidissant, ils se solidifient pour donner des roches magmatiques cristallisées ou vitreuses. Un liquide se transforme en roche progressivement dans un intervalle de température pouvant dépasser 200 °C. Cet intervalle est borné par le liquidus, température où apparaît le premier cristal, et le solidus, température où disparaît la dernière goutte de liquide. Le magma, mélange [liquide ± solide ± vapeur], est un système thermodynamique évolutif dont le nombre de phases ϕ augmente au cours du refroidissement. Le liquide, phase unique au-dessus du liquidus, diminue de volume et disparaît. Les minéraux, phases solides, forment les cristaux qui apparaissent progressivement et grandissent aux dépens du liquide. Enfin, la phase fluide qui peut apparaître est expulsée, au moins en partie. Les roches magmatiques peuvent être classées de plusieurs manières : • Selon le lieu de mise en place. Les roches extrusives se solidifient en surface, alors que les roches intrusives sont solidifiées en profondeur. On peut également les subdiviser en trois groupes : 109

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

les roches plutoniques, refroidies lentement en profondeur dans la croûte ou le manteau ; ‘ les roches subvolcaniques, appelées « hypabyssales » par les auteurs anglosaxons, mises en place à faible profondeur ; ‘ les roches volcaniques, arrivées en surface au cours des éruptions. Tous les types de roche dans un groupe donné possèdent des équivalents dans les deux autres. • Selon la composition minéralogique. Les minéraux constitutifs des roches sont classés en minéraux blancs (essentiellement des tectosilicates), colorés et accessoires. Les roches où les minéraux blancs dominent sont dites leucocrates ou felsiques (feldspath + silice). Les roches riches en minéraux colorés sont dites mélanocrates ou mafiques (magnésium + fer). Les roches holomélanocrates, ou ultramafiques, sont dépourvues de minéraux blancs. • Selon la composition chimique. Comme les éléments cationiques sont surtout associés à l’oxygène, elle se présente en général sous la forme d’une liste d’oxydes classés par ordre de valence décroissante. Les roches riches en silice sont appelées acides (plus de 63 % SiO2), celles qui en contiennent moins sont intermédiaires (de 52 à 63 % SiO2), basiques (de 45 à 52 % SiO2) et ultrabasiques (moins de 45 % SiO2). Ces termes ne correspondent pas au comportement chimique en termes de pH des liquides : un basalte riche en magnésium et en fer, qui produisent des bases faibles, n’est pas plus basique qu’une phonolite, roche intermédiaire riche en alcalins qui produisent des bases fortes. Les trois classifications ne sont pas indépendantes, puisque le contenu minéralogique d’une roche dépend à la fois de sa composition chimique et de son mode de mise en place. L’activité magmatique terrestre provient du processus de fusion partielle dans le manteau et la croûte. S’il est plus léger que son encaissant, le magma peut monter vers la surface. Les propriétés physiques du magma conditionnent son ascension et sa cristallisation, tandis que sa composition chimique détermine la nature des minéraux. Comme, au cours de leur histoire, les magmas évoluent et changent de composition, on a coutume de distinguer entre : • le magma primaire, provenant directement du processus de fusion partielle ; • le magma différencié, issu de l’évolution d’un magma primaire. En première approximation, les basaltes sont assimilables à des magmas primaires, tandis que les granites correspondent en majeure partie à des magmas différenciés. Bien que leurs lieux de mise en place dans les volcans et dans les plutons soient différents, ils appartiennent au même domaine magmatique et subissent les mêmes phénomènes de différenciation. ‘

3.1 UN

MAGMA PRIMAIRE

:

LE BASALTE

Le basalte constitue les produits classiques d’une éruption volcanique sous forme de coulées de lave, bombes et projections. Sa composition chimique relativement mafique (environ 20 % en poids de MgO + FeO + Fe2O3) en fait un bon candidat pour un magma provenant du manteau (cf. Tab. 2.8). 110

3.1 • Un magma primaire : le basalte

Son origine profonde ne fait pas de doute, car il arrive en surface à 1 100-1 200 °C, température impossible à atteindre à des niveaux superficiels. Même à l’époque où l’ensemble des roches était supposé provenir de phénomènes de sédimentation dans un océan primitif (théorie « neptuniste »), les liquides observés lors des éruptions volcaniques étaient interprétés comme issus de la fusion des sédiments au contact d’un feu localisé, comme par exemple la combustion du charbon. En prenant un gradient géothermique constant de type continental de 30 °C.km– 1, la source des basaltes doit se situer à au moins 40 km de profondeur pour que le liquide produit arrive en surface à 1 200 °C. Si l’on tient compte de la variation en profondeur du gradient géothermique et de la perte de chaleur en cours d’ascension, il faut une profondeur encore supérieure. La source est donc située dans le manteau.

3.1.1 Caractères physiques des magmas Le magma se caractérise par ses paramètres thermodynamiques intensifs et sa composition chimique. En surface, à pression atmosphérique, son comportement est défini par la température, la viscosité et la densité.

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a) Température et propriétés thermiques Les températures mesurées au cours d’une éruption volcanique varient de 600 à 1 200 °C. Les valeurs les plus basses sont observées dans des magmas déjà fortement cristallisés et de composition évoluée (laves acides et carbonatites). Les valeurs les plus élevées correspondent à des laves fluides, très peu ou non cristallisées et de composition basique (basaltes et roches voisines). En général, le liquide basaltique ne montre aucun signe de surchauffe et il suffit d’un refroidissement assez faible pour faire apparaître des cristaux. Cela signifie qu’il arrive en surface à une température proche de son liquidus à pression atmophérique. Comme la température du liquidus basaltique à sec augmente avec la profondeur d’environ 3 °C.km– 1, un basalte est totalement liquide vers 80 km de profondeur à une température dépassant d’au moins 250 °C celle de l’éruption volcanique. Il y a donc eu perte de chaleur au cours de l’ascension. Dans les magmas, il existe une grande disparité entre la capacité calorifique Cp évaluée à environ 103 J.kg– 1, et la chaleur latente de cristallisation L, qui varie de 2,7 à 4,2 105 J.kg– 1 (Tab. 3.1). Il faut la même quantité de chaleur pour fondre totalement une roche et pour porter le liquide qui en résulte à 200-300 °C au-dessus de son liquidus. b) Structure des liquides silicatés Les liquides magmatiques ne se comportent pas comme des solutions ioniques. Les faibles différences de densité et d’indices de réfraction qui existent entre les roches cristallisées et les verres correspondants montrent que la structure des liquides est voisine de celle des minéraux. Les verres, produits par le refroidissement brutal d’un liquide, en conservent la structure dans laquelle les atomes ne forment pas un assemblage cristallin ordonné à grande échelle. 111

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

Tableau 3.1 – Ordres de grandeur des paramètres physiques des magmas et des roches (d’après Maaløe, 1985 ; McBirney, 1984 ; McBirney & Noyes, 1979).

Symboles Cp D

k L α β η κ ν ρ

Paramètres physiques capacité calorifique diffusivité chimique : – minéraux – liquides silicatés – fluides supercritiques – gaz perméabilité (roches) chaleur latente de fusion dilatation thermique compressibilité viscosité dynamique diffusivité thermique viscosité cinématique densité

Système C.G.S.

Système S.I.

0,25-0,30 cal.g– 1

103-1,25 103 J.kg– 1

10– 11-10– 12 cm2.s– 1 10– 6-10– 9 cm2.s– 1 10– 3-10– 4 cm2.s– 1 10– 1 cm2.s– 1 10– 7-10– 17 cm2 65-100 cal.g– 1 2-3 10– 5 K– 1 2-7 10– 6 bar– 1 102-105,6 Po 4 10– 3 cm– 2.s– 1 102-104 stokes 2,2-3,1 g.cm– 3

10– 15-10– 16 m2.s– 1 10– 10-10– 13 m2.s– 1 10– 7-10– 8 m2.s– 1 10– 5 m2.s– 1 10– 11-10– 21 m2 2,7 105-4,2 105 J.kg– 1 2-3 10– 5 K– 1 2-7 10– 11 Pa– 1 10-104,6 Pa.s 4 10– 7 m2.s– 1 10– 2-1 m2.s– 1 2 200-3 100 kg.m– 3

Nombre de Grashof : Gr = g α ∆T l3 / ν2 (l = longueur, ∆T = variation de température) Nombre de Lewis : Le = κ / D = 4.103-4.106 (magmas) Nombre de Péclet : Pe = v l / κ (v = vitesse) Nombre de Prandtl : Pr = ν / κ = 2,5.104-2,5.106 Nombre de Rayleigh : Ra = Re.Pe = Gr.Pr = g α ∆T l3 / ν κ (g = gravité) Ra critique = 1 700 (Maaløe, 1985) – 2 500 (McBirney & Noyes, 1979) Nombre de Reynolds : Re = v l ρ/η = v l / ν Re critique = 2 000 (McBirney, 1984) – 2 300 (Maaløe, 1985)

La structure particulière du groupement silicate conditionne les propriétés des magmas. À cause de la liaison atomique entre Si et O toujours covalente et des tailles respectives des atomes, le tétraèdre [SiO4]4– est une forme stable à relativement basse pression, c’est-à-dire dans la croûte et le manteau supérieur. Dans une moindre mesure et pour les mêmes raisons, Al et O peuvent former des tétraèdres [AlO4]5–. Les tétraèdres ont tendance à s’unir par polymérisation, avec un ion oxygène commun à deux tétraèdres, et forment un réseau tridimensionnel dans lequel on distingue (Fig. 3.1) : • les ions polymérisants, ou initiateurs de réseau (« network-forming »), qui se situent à l’intérieur des tétraèdres (Si et Al) ; • les ions oxygène qui relient (« bridging ») deux tétraèdres entre eux ; • les ions oxygène qui ne relient pas (« non-bridging ») deux tétraèdres et sont situés à l’extrémité d’un groupement de tétraèdres. Les autres atomes occupent les espaces libres situés dans le réseau et ont tendance à disloquer les groupements de tétraèdres. Ce sont les modificateurs de réseau (« network-modifying ») qui incluent Mg, Fe, Ti, Ca, Na, K et P. Lorsqu’il y a plus de 20 % de cations modificateurs de réseau, le réseau tridimensionnel se rompt au profit d’unités plus petites. À partir de plus de 2/3 de tels cations, chaque atome de Si forme avec 4 atomes de O un tétraèdre isolé, il n’y a plus d’ion oxygène reliant deux tétraèdres, c’est la configuration d’un orthosilicate. Le rapport Si/O dans les liquides naturels silicatés est borné par la valeur maximale de 0,5, correspondant à la composition SiO2 qui est celle du quartz obtenu par 112

3.1 • Un magma primaire : le basalte

polymérisation complète tridimensionnelle. La valeur de 0,25 correspond aux tétraèdres isolés qui forment la structure des orthosilicates, comme l’olivine et le grenat. Dans les liquides naturels, le rapport Si/O varie, puisque les ions oxygène peuvent être reliés à d’autres atomes que Si. Or, il influe largement sur la viscosité et la densité du liquide.

ion formateur de réseau ion modificateur de réseau ion oxygène reliant deux tédraèdes ion oxygène ne reliant pas deux tédraèdes

Figure 3.1 – Structure d’un liquide silicaté contenant des associations de tétraèdres et des ions modificateurs de réseau (Carmichael et al., 1974 ; McBirney, 1985).

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c) Viscosité La viscosité η mesure la résistance d’une substance au fluage selon la relation (Fig. 3.2A) : σ = ψ + η (dv/dz)n σ, contrainte de cisaillement ; ψ, contrainte minimale de fluage ; η, viscosité dynamique (Tab. 3.1) ; (dv/dz), gradient de vitesse de la déformation ; n, variable selon la nature du fluide considéré et le gradient de vitesse. On distingue plusieurs types de fluides (Fig. 3.2B) : • il est newtonien pour n = 1, ψ = 0. La viscosité η est constante, quelle que soit la valeur de la contrainte. Le fluide est « plastique » ou « viscoélastique » ; • il est non-newtonien pour n = 1, ψ = 0 ou les deux. Pour ψ ≠ 0 , on parle de « corps de Bingham », élastique et non déformable sous contraintes ≤ ψ , mais viscoélastique sous des contraintes > ψ. 113

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

contrainte σ

A

déformation dx

B

contrainte cisaillante

épaisseur z

sens de l'écoulement

v=dx / dt

COMPORTEMENTS RHEOLOGIQUES

Bingham pseudo-plastique

newtonien

dilatant

ψ

taux de cisaillement

Figure 3.2 – Viscosité et rhéologie des liquides silicatés (McBirney, 1984 ; Maaløe, 1985).

A. Définition de la viscosité η comme résistance à l’écoulement. B. Comportements rhéologiques des liquides silicatés.

Dans les autres cas, la viscosité η varie en fonction de l’intensité de la contrainte : • n > 1, le comportement « dilatant » s’observe dans les suspensions où la viscosité augmente avec la vitesse d’écoulement. Les coulées de laves porphyriques montrent ce comportement ; • n < 1, le comportement « pseudo-plastique » est intermédiaire entre celui du fluide newtonien et du corps de Bingham, la viscosité diminue avec la contrainte. Le comportement du manteau asthénosphérique est de ce type. La viscosité des liquides est essentiellement gouvernée par le nombre de liaisons Si-O, c’est-à-dire par la composition chimique. Elle varie dans de moindres proportions en fonction de la température, de la pression et de la teneur en composants 114

3.1 • Un magma primaire : le basalte

volatils qui agissent dans le même sens, diminuer la viscosité, parce qu’elles tendent à briser la continuité du réseau tridimensionnel. Par conséquent, au cours d’une éruption volcanique, la viscosité d’un liquide basaltique augmente par chute de pression (ascension), refroidissement et dégazage. Dans les magmas naturels, la présence de cristaux influe sur la viscosité effective selon les relations : ηeff = ηL (1 + 2,5 X), pour X ≤ 0,1 (équation d’Einstein) ; ηeff = ηL (1 – RX)–2,5 pour X > 0,1 (équation de Roscoe) ; ηeff, viscosité effective ; ηL, viscosité du liquide sans cristaux ; X, fraction volumique de cristaux. R varie selon la forme des cristaux : R = 1,35 pour la sphère ; R = 1,50 pour le cube, le parallélépipède et le cylindre ; R = 1,67-1,85 pour un assemblage de cristaux de formes et de tailles différentes. La viscosité effective d’un magma tend vers l’infini pour une porosité résiduelle (espace laissé libre entre les cristaux = 1 – X) de 0,46 (R = 1,85) à 0,26 (R = 1,35). En effet, quand X = 1/R, la porosité résiduelle est 1 – (1/R) et le facteur (1 – RX) est nul. Le magma se comporte alors comme un solide, le liquide résiduel reste bloqué entre les grains qui forment une armature tri-dimensionnelle. Dans un magma basaltique, pouvant charrier des cristaux d’olivine, de pyroxènes, de plagioclase et de magnétite, la valeur R est estimée à 1,67. Selon la valeur de X, les magmas présentent trois comportements : • un comportement newtonien pour X ≤ 0,3, le magma relativement pauvre en cristaux peut s’écouler librement quelle que soit la contrainte ; • un comportement de corps de Bingham pour 0,3 < X ≤ 0,7, le magma forme une suspension de solides dans un liquide, qui peut s’écouler dès lors que la contrainte est suffisante ; • un comportement « magmato-rigide » ou « submagmatique » pour X > 0,7, le magma réagit comme un solide et présente une forte viscosité qui varie selon la contrainte. © Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

d) Densité La densité ρ de la plupart des magmas varie entre 2,2 et 3,1 en fonction de la température, de la pression et de la composition chimique. L’effet de la température est mesuré par le coefficient de dilatation thermique, α, exprimant le changement de volume à pression constante, et l’effet de la pression se traduit par la compressibilité isotherme, β. Les valeurs de α et de β varient selon la nature du magma et sont plus élevées pour les liquides que pour les roches cristallisées, mais restent du même ordre de grandeur (Tab. 22). Dans un liquide avec α = 3 10– 5 K– 1 et β = 7 10– 6 bar– 1, une augmentation de température de 100 °C a pour effet de diminuer la densité de 0,3 %. Cet effet est identique à celui provoqué par une diminution de pression de 43 MPa, traduisant une ascension de 1,5 km environ. 115

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

densité g-cm-3 2.9

liquide intermédiaire

picrite

2.8

densité de la croûte basalte 2.7

"fenêtre d'éruption" liquide acide 2.6

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

Fe / (Fe + Mg) atomes

Figure 3.3 – Densité des liquides silicatés en fonction du rapport atomique Fe/(Fe + Mg).

Les liquides basaltiques et acides, moins denses que la croûte qu’ils traversent, peuvent arriver en surface et donner des éruptions volcaniques, alors que les compositions primaires picritiques et intermédiaires riches en Fe et Ti ont des densités trop élevées (Stolper & Walker, 1980).

La composition chimique joue un rôle beaucoup plus considérable (Fig. 3.3). La présence des éléments Fe et Ti induit un accroissement de la densité, alors que les autres éléments chimiques jouent un rôle inverse. L’effet de la composition sur la densité est supérieur de plusieurs ordres de grandeur à ceux de la température et de la pression : la densité diffère de 20 % entre une composition basaltique et une composition granitique, un changement de température de 100 °C induit une variation de 0,3 % seulement. On associe la densité et la viscosité dans un paramètre appelé viscosité cinématique : ν=η/ρ

3.1.2 Ascension et écoulement : dynamique des magmas La violence des éruptions volcaniques se manifeste par la projection en altitude des bombes et le jaillissement de fontaines de laves, certaines pouvant atteindre 1 000 m de hauteur. Les magmas possèdent donc une surpression importante quand ils atteignent la surface. La surpression, induite par la force d’Archimède, est liée à la différence de densité régnant entre le magma et son encaissant. 116

3.1 • Un magma primaire : le basalte

a) Profondeurs des sources magmatiques Les volcans peuvent former des reliefs grâce à la surpression magmatique. Il est possible de calculer la profondeur minimale de la source du magma (Tab. 3.2). Considérons l’île d’Hawaï : le Mauna Loa culmine à 4 169 m, c’est-à-dire à 7 669 m au-dessus du plancher océanique et à 14 169 m au-dessus du Moho. Pour pouvoir atteindre cette altitude importante, le magma basaltique devait avoir une surpression de 0,207 GPa au niveau du plancher océanique et de 0,383 GPa au niveau du Moho. Au sein du manteau, la surpression magmatique suit la loi d’Archimède avec : ∆P = z ∆ρ g. Ici, ∆ρ = 3,3 – 2,7 = 0,6 g.cm– 3, ce qui donne : z ≈ 65 km. Il faut donc une colonne de magma basaltique de 65 km de hauteur à l’intérieur du manteau pour produire au niveau du Moho la surpression de 0,383 GPa nécessaire pour édifier le Mauna Loa. Comme le Moho est situé à 10 km de profondeur sous Hawaï, la source du magma était située au minimum à 75 km de profondeur, ce qui correspond à environ 2,3 GPa de pression lithostatique. L’activité sismique enregistrée au cours des activités volcaniques à Hawaï indique des foyers situés entre 60 et 80 km de profondeur, résultat compatible avec le calcul effectué. Si l’on suppose une colonne magmatique continue de la base jusqu’au sommet du Mauna Loa, la pression subie à la base du système, égale à la pression lithostatique, serait (Tab. 3.2) :

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3,5 × 0,1 + 1,5 × 0,28 + 5 × 0,29 + 0,33 × Z = 0,27 × (Z + 14,17) et Z ≈ 26,7 km sous le Moho, ce qui correspond à 41 km de profondeur sous le volcan. Les résultats ne sont pas directement comparables. En effet, si la colonne magmatique qui prend naissance à 75 km de profondeur demeurait continue de la source à la surface, le volcan pourrait avoir 12 400 m d’altitude au-dessus du niveau de la mer. Le fait qu’il ne culmine qu’à 4 169 m implique que la colonne magmatique s’est désolidarisée de sa source au cours de son ascension. La source se transforme alors en manteau appauvri par expulsion du matériel basaltique. Le même type de calcul peut s’appliquer aux basaltes des rides médio-océaniques. Les valeurs utilisées pour les densités et les épaisseurs sont les mêmes (Tab. 3.2), à l’exception du fait que les basaltes sont émis à 2 km sous l’eau, soit à 1 500 m au-dessus du plancher océanique. La surpression à la base de la croûte océanique est de 0,216 GPa et la colonne magmatique dans le manteau a 36 km. La source est située à au moins 46 km de profondeur, correspondant à environ 1,2 GPa de pression lithostatique. De même, la colonne magmatique se déconnecte de sa source au cours de son transit : une colonne enracinée à 46 km de profondeur devrait produire un volcan culminant à 6 200 m au-dessus du niveau de la mer, ce qui n’est jamais le cas. 117

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

Tableau 3.2 – Épaisseur et densité des différentes couches terrestres sous Hawaï (d’après Maaløe, 1985).

couches terrestres océan île océanique couche basaltique couche gabbroïque manteau péridotitique magma basaltique

épaisseur (km)

densité (g.cm– 3)

3,5 4,6 + 3,5 1,5 5,0 z (1° calcul) Z (2° calcul) 14,6 + z (1° calcul) 14,6 + Z (2° calcul

1,0 2,8 2,8 2,9 3,3 2,7

La pression P exercée par le magma est donnée par : P = z.ρ.g, où z est la hauteur de la colonne magmatique, ρ, sa densité et g, la gravité. En pratique : P (kbar) = z (km).ρ (g.cm– 3) / 10.

Dans les ceintures volcaniques liées aux phénomènes de subduction, les volcans andésitiques ne dépassent pas 5 000 m au-dessus du sol (par exemple : Shasta, Cascades, Californie, 4 317 m ; Popocatépetl, Mexique, 5 452 m, mais situé sur un plateau à 2 200 m d’altitude). Les valeurs utilisées pour le calcul sont : 2,5 g.cm– 3 pour la densité du magma andésitique et 35 km pour l’épaisseur de la croûte continentale. L’émission de magma andésitique est possible pour une surpression à la base du Moho de 1 GPa et une source mantélique située à 125 km sous le Moho, soit une profondeur de 160 km, correspondant à environ 5 GPa de pression lithostatique. Les données géophysiques suggèrent également des profondeurs allant de 100 à 160 km. Notons qu’au moment de l’éruption volcanique, l’ensemble de la colonne magmatique est alors situé dans la croûte continentale et dans les 8 km supérieurs du manteau. Dans tous les cas présentés, la colonne magmatique est plus longue lorsqu’elle est entièrement située à l’intérieur du manteau que lorsqu’elle arrive au niveau de la zone d’émission : • Mauna Loa : 74 km de longueur dans le manteau et 41 km au niveau du volcan ; • rides médio-océaniques : respectivement 36 km et 10,33 km ; • volcans andésitiques : respectivement 125 km et 48 km. Il y a donc contraction de la colonne magmatique dans le sens vertical. Comme les calculs ne tiennent pas compte d’une éventuelle perte de masse par cristallisation dans le conduit, ceci suggère que le conduit dans lequel circule le magma s’élargit vers le haut. L’observation des affleurements confirme l’hypothèse, puisque l’épaisseur des filons basaltiques est de quelques centimètres à quelques décimètres dans les roches du manteau supérieur et atteint quelques mètres dans la croûte supérieure. b) Ascension des magmas Les magmas apparaissent d’abord comme des liquides interstitiels dans le manteau au cours de la fusion partielle. Puis, ils se déplacent dans ce milieu perméable et se rassemblent dans des fissures hydrauliques. Les vitesses de déplacement y sont très différentes. 118

3.1 • Un magma primaire : le basalte

• Ascension dans un milieu perméable. La vitesse moyenne d’ascension du liquide est donnée par la loi de Darcy : vm = – k/η (dP/dx) k, perméabilité du milieu ; η, viscosité dynamique du liquide ; dP/dx, gradient de pression dans le liquide. En utilisant les valeurs η = 102 Pa.s, dP/dx = 25 MPa.km– 1 et k = 10– 7 cm2, on obtient : vm = 0,25 10– 6 cm.s– 1 ≈ 8 cm.a– 1. Pour une perméabilité de 10– 10 cm2, vm ≈ 0,08 mm.a– 1. • Ascension dans un conduit. Les magmas en cours d’ascension peuvent s’écouler selon deux régimes : laminaire ou régulier, turbulent ou irrégulier (Fig. 3.4).

nt turbule uleme nt éco

ent lamina lem ir e ou éc

vitesse d'écoulement

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Figure 3.4 – Profil de vitesse selon le type d’écoulement dans un conduit cylindrique (Maaløe, 1985).

En cas d’écoulement laminaire, la vitesse moyenne est donnée par la loi de Poiseuille : vm = 2 ∆P.D2 / N l η, dans le système S.I. ; vm = 2 ∆P.D2.106 / N l η dans le système C.G.S. ; ∆P, gradient vertical de pression ; D, diamètre équivalent du conduit ; l, longueur verticale du conduit ; η, viscosité dynamique. 119

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

N varie selon la forme du conduit. L’équation comporte un terme D, relié aux dimensions du conduit. Dans le cas d’un cylindre (cheminée volcanique), D = 2 R (R, rayon de la cheminée) et N = 64. Dans le cas d’une forme allongée, si S est la surface de la section du conduit et P son périmètre, on a : D = 4 S / P. S’il s’agit d’une section elliptique, D = 2 √2 b / √(1 + (b/a)2, et N est déterminé graphiquement sur la figure 3.5. N 120 110

a

b a

b

100 90 80

ellipse

70 60

rectangle

50 40 30 0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

b/a

Figure 3.5 – Variations du facteur N en fonction du rapport b/a pour des conduits de sections rectangulaires et elliptiques (Maaløe, 1985).

La vitesse d’écoulement d’un liquide basaltique circulant dans un filon de 3 km de long et de 3 m de large, de rapport b/a = 10– 3, avec une viscosité de 100 Pa.s, une densité de 2,7 g.cm– 3 et un nombre N de 80, est vm = 121 m.s– 1 = 435 km.h– 1. Un conduit cylindrique de 3 m de diamètre permet une ascension à une vitesse supérieure de 152 m.s– 1 = 550 km.h– 1. Pour des raisons à la fois thermiques (un liquide refroidit plus rapidement dans une fissure étroite) et mécaniques (la vitesse d’écoulement dans un cylindre est plus élevée), une éruption basaltique se produit en évoluant avec le temps : la zone d’émission est fissurale au début, puis devient confinée à quelques conduits, voire une seule cheminée cylindrique, pouvant construire un cône volcanique unique. Le cas de l’éruption de 1783 du Laki, en Islande, avec sa centaine de cônes alignés le long d’une fissure, montre bien cette évolution, même si le nombre final de cheminées ouvertes en même temps demeure exceptionnel. En fait, il y a peu de chances qu’un écoulement dans un conduit reste longtemps laminaire. On peut le vérifier en calculant le nombre de Reynolds, nombre sans 120

3.1 • Un magma primaire : le basalte

dimension qui mesure l’effet relatif des forces d’inertie et des forces liées à la viscosité et à la friction : Re = (ρ/η) vm D = vm D / ν (Tab. 3.1) • si Re < 2 000 à 2 300, les effets de viscosité sont dominants, l’écoulement est laminaire ; • si Re > 2 000 à 2 300, les forces d’inertie dominent, l’écoulement est turbulent. Dans le cas étudié, Re = 12 879, l’écoulement est donc turbulent. La transition entre régime laminaire et régime turbulent (Re = 2 300) se produit pour une vitesse : vm = 2 103 cm.s– 1 = 72 km.h– 1. La vitesse d’ascension peut également être estimée par la hauteur, h, atteintes par les fontaines de laves. Le mouvement est décrit par l’équation : h = 1/2 g t2 et vm = g t, soit vm = √2 g h. Pour g = 9,81 m.s– 2 et h = 200 m, vm = 225 km.h– 1. Pour h = 600 m, vm = 390 km.h– 1. Au cours de l’éruption de l’Etna en décembre 2002, des fontaines de laves de 1 000 m de haut ont été observées, accompagnées d’un épais nuage de vapeur d’eau et de cendres, leur vitesse d’éjection a dû atteindre au moins 500 km.h– 1. c) Écoulement des laves Les coulées de laves descendent le long des pentes du volcan selon la loi :

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vm = ρ g sinα e2 / 2 η où α est l’angle de la pente et e la demi-épaisseur de la coulée. Pour une coulée épaisse de 1 m et large de 5 m, descendant une pente de 12°, vm = 7,3 m.s– 1 = 26 km.h– 1, Re = 197, l’écoulement est laminaire. En revanche, une coulée de 3 m d’épaisseur présente un comportement turbulent avec une vitesse réelle évaluée à vréelle = 2/3 vm = 44 m.s– 1 = 158 km.h– 1, ce qui se traduit par Re = 3 560. Dans un écoulement turbulent, les mélanges intimes sont possibles et les transferts d’énergie y sont plus efficaces. Dans toutes les équations, la viscosité effective est située en dénominateur, indiquant le rôle essentiel de ralentisseur d’écoulement jouée par celle-ci. Comme la viscosité effective d’un magma est fonction à la fois de la viscosité dynamique du liquide et de sa charge en cristaux, la probabilité d’éruption d’un magma tient à la composition du liquide et à la cristallinité du magma. Comme les magmas sont constitués dans les conduits de liquide et de cristaux, la température se situe entre liquidus et solidus. Les liquides basaltiques sont très fluides. Même chargés de 50 à 60 % de cristaux, ils sont encore capables de produire des coulées de lave. La viscosité critique d’éruption est un paramètre empirique correspondant à une viscosité effective ηreff évaluée à 104,6 Pa.s. Si la viscosité effective est supérieure, le magma ne peut former 121

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

de coulée de lave mais se solidifie en profondeur en roche plutonique ou émet en surface des nuées ardentes, suivies par l’installation de dômes.

3.1.3 Refroidissement et cristallisation : cinétique des magmas Les processus magmatiques se caractérisent par un transport de matière (écoulement) et un transfert d’énergie (refroidissement) de façon à atteindre un état d’équilibre à un niveau d’énergie plus faible, conformément au second principe de Carnot. a) Diffusion et convection La diffusion de la chaleur est donnée par la loi de Fourier : q = – K (dT/dz) q, transfert de chaleur à travers une couche de surface unitaire ; z, épaisseur de la couche ; K, coefficient de conductivité thermique ; dT/dz, gradient de température. Le signe – indique que le transfert de chaleur se fait dans le sens des températures décroissantes. En définissant la diffusivité thermique par κ = K/(ρ.Cp), on obtient : ∂T/∂t = κ.(∂2T/∂z2), qui mesure le taux de refroidissement dans un milieu à gradient de température variable. De même, la diffusivité chimique D est définie par ∂C/∂t = D.(∂2C/∂z2), qui mesure le taux d’échange chimique et la viscosité cinématique ν par ∂v/∂t = ν.(∂2v/∂t2), qui mesure la variation de la vitesse au cours du temps. Les trois types de diffusion jouent un rôle important. Des couches-limites (« boundary layers »), respectivement thermique, chimique et cinématique, constituent la zone de bordure d’un corps magmatique, située entre le contact et l’intérieur de la masse liquide qui évolue comme un fluide homogène. Comme les trois paramètres κ (10– 7 m2.s– 1), D (10– 10 à 10– 13 m2.s– 1) et ν (10– 2 à 1 m2.s– 1) ont des ordres de grandeur très différents (Tab. 3.1), les trois types de couche-limite qu’ils définissent ont des épaisseurs très différentes (Fig. 3.6). À cause des forces qui s’appliquent à la couche-limite, tout magma est conduit à subir une convection. L’importance de la force convective est donnée par le nombre sans dimension de Grashof, exprimant le rapport entre la mobilité induite par la chaleur et le frein dû à la viscosité : Gr = g α ∆T l3 / ν2 où l est l’épaisseur du corps magmatique et ν la viscosité cinématique. Un corps magmatique subira la convection si la force d’entraînement, exprimé par Gr, est suffisamment grande pour dépasser la résistance liée à la viscosité et la diffusivité thermique. Ces deux propriétés sont exprimées par le nombre sans dimension de Prandtl : Pr = ν / κ 122

3.1 • Un magma primaire : le basalte

∆c concentration

∆T température

∆v vitesse d’écoulement

Figure 3.6 – Couches-limites chimique (∆c), thermique (∆T) et cinématique (∆ν), se formant dans la zone de bordure d’un corps magmatique (McBirney, 1984).

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Les gaz, milieux très peu visqueux et transmettant bien la chaleur, sont caractérisés par Pr ≤ 1. Les liquides et les fluides comme l’eau (Pr = 7) ont des nombres plus élevés. Les magmas silicatés, milieux très visqueux et conduisant mal la chaleur, sont définis par Pr > 104. Le critère de convection est alors donné par le nombre sans dimension de Rayleigh : Ra = Gr.Pr = g α ∆T l3 / ν κ Il y a convection au-dessus d’une valeur critique estimée à 1 700-2 500 et simple conduction au-dessous. En pratique, tout corps magmatique de plus de 15 m d’épaisseur peut subir une convection plus ou moins vigoureuse. Ces nombres sont reliés au nombre de Reynolds par un autre nombre sans dimension, le nombre de Péclet, qui mesure l’importance relative des phénomènes de convection et de diffusion chimique : Pe = v l / κ où v est la vitesse et l l’épaisseur du corps magmatique. En effet, Ra = Gr.Pr = Re.Pe, tous ces nombres mesurant l’importance relative des phénomènes de convection (au numérateur des fractions) et de conduction (au dénominateur). C’est dans un tel milieu qu’apparaissent les cristaux aux dépens du liquide. 123

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

b) Nucléation et croissance cristallines Le passage d’un matériau silicaté de l’état de liquide amorphe à celui de solide cristallisé se fait en deux étapes : • la nucléation, au cours de laquelle de petits amas moléculaires s’agglomèrent et ébauchent le réseau cristallin futur. Ces amas s’appellent « noyaux », ou « germes » cristallins, ou encore « nuclei » (singulier : « nucleus ») ; • la croissance, au cours de laquelle les germes apparus au cours de la nucléation grandissent aux dépens du liquide qui diminue de volume. Ces processus nécessitent un état de déséquilibre, traduit par la surfusion (« undercooling ») ∆T définie par la différence entre la température du liquidus TL et la température réelle du magma Tm, telle que ∆T = TL – Tm. En effet, si l’on envisage un refroidissement infiniment lent, à TL où théoriquement apparaît le premier cristal, la réaction liquide → solide est exothermique. En naissant, le cristal produit la chaleur exactement nécessaire à sa dissolution. Si la température reste constante et égale à TL (∆T = 0), tout cristal à peine apparu se dissout et aucun cristal ne peut croître. Au contraire, si ∆T > 0, la chaleur latente de cristallisation L est dissipée dans le milieu et le cristal devient stable. • Nucléation Au cours de la nucléation, les « nuclei » présentent une structure cristalline et ont une taille de l’ordre de 100 Å environ. Puis, ils croissent pour donner des cristaux visibles. Si l’on considère en première approximation une particule sphérique de rayon R et présentant une énergie de surface σ, la variation d’énergie libre du système provoquée par l’apparition du « nucleus » est :

∆G = 4/3 π R3 ∆GV + 4 π R2 σ ∆GV mesurant la variation de volume est négatif. Comme R augmente, ∆G est d’abord positif, augmente puis atteint un maximum, puis décroît, s’annule et devient négatif. La valeur maximale de ∆G est appelée énergie libre critique et correspond à un rayon critique R* qui est donné, par dérivation de la formule précédente, par : R* = – 2 σ / ∆GV Par conséquent, les « nuclei » d’un minéral donné présentent tous une taille identique. Dans les magmas, de nombreuses impuretés servent de germes et le degré de surfusion nécessaire pour le début de la cristallisation est relativement faible, généralement inférieure à 50 °C. La nucléation dépend du taux de refroidissement et de la durée pendant laquelle une température donnée est maintenue (Fig. 3.7). Dans le cas de l’olivine dans un magma basaltique, il suffit de 2 h pour faire apparaître des cristaux avec une surfusion de 60 °C. La surfusion nécessaire à la nucléation est dépendante du temps pour des périodes inférieures à 2 h, mais devient à peu près constante (environ 20 °C) pour des périodes plus longues. Par conséquent, la nucléation est faible dans les intrusions qui refroidissent lentement, elle est beaucoup plus élevée dans les coulées de faible épaisseur. 124

3.1 • Un magma primaire : le basalte

−∆ T (°C)

pas de cristaux

20 40 60

cristaux d’olivine présents

80 100 120 140 160

0

4

8

12

16

20

24

temps après avoir atteint l’isotherme (h)

Figure 3.7 – Nucléation des cristaux d’olivine dans un liquide basaltique en fonction du temps et du degré de surfusion (– ∆T) (Donaldson, 1979).

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• Cristallinité des roches Ce résultat a une incidence sur la cristallinité C des roches, définie par : C = N / V N, nombre de cristaux ; V, volume de la roche. Dans une lame mince d’épaisseur constante, pour un nombre n de cristaux par surface S, la cristallinité est mesurée par C = (n / S)3/2. Comme n est fonction du taux de nucléation, C dépend du refroidissement. Par définition, la cristallinité d’une roche et la taille des cristaux qui la constituent sont inversement proportionnelles. Les magmas qui refroidissent rapidement subissent une forte nucléation et ont de très nombreux cristaux de petite taille. Ceux qui refroidissent lentement subissent une faible nucléation et ont moins de cristaux, mais de plus grande taille. • Croissance La croissance des cristaux est également fonction de la surfusion (Fig. 3.8). Trois types de croissance cristalline conduisant à des morphologies différentes ont été distingués, selon un taux de surfusion croissant (cf. Minéralogie) : 1. croissance contrôlée par les réactions à l’interface liquide-solide. Les cristaux présentent toutes leurs faces et sont automorphes, impliquant plusieurs réactions à l’interface : nucléation de surface conduisant à une surface plane, dislocations liées aux impuretés incluses et croissance continue ; 2. croissance contrôlée par la diffusion. Les cristaux ont une composition différente de celle du liquide, ce qui suppose un transfert de matière par diffusion. Les cristaux présentent leurs sommets et leurs arêtes, mais les faces sont souvent 125

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

incomplètes : on parle de cristaux squelettiques, présentant des lacunes de cristallisation, souvent confondues avec des « golfes de corrosion ». En réalité, ces « golfes » correspondent à des zones n’ayant jamais cristallisé et non à des portions dissoutes. Dans certains cas, des cristaux squelettiques différents peuvent s’imbriquer et donner un habitus graphique ; 3. croissance contrôlée par la dissipation de la chaleur. Les cristaux poussent dans la direction de la dissipation de la chaleur latente de cristallisation. Les sommets d’un cristal poussent plus vite que les arêtes, plus vite encore que les faces. Les cristaux obtenus peuvent être extrêmement squelettiques, ou encore dendritiques, formant des associations ressemblant à des cristaux de neige, des plumes d’oiseaux, des arbres de Noël ou encore des oursins. Sur les bordures des corps magmatiques, les premiers cristaux forment des aiguilles millimétriques orientées perpendiculairement à la surface de contact et constituent la bordure figée. formes cristallines d’équilibre : cristaux équants ou tabulaires

cristaux squelettiques, en général plus aciculaires que la forme d’équilibre

degré de surfusion ∆T croissant

dendrites

sphérolites

Figure 3.8 – Morphologie cristalline en fonction du degré de surfusion (Lofgren, 1974).

Les trois types de croissance s’observent pour des surfusions différentes selon la nature du minéral et sa place dans la séquence de cristallisation. Par exemple, dans un magma basaltique, l’olivine cristallise au liquidus et le plagioclase près du solidus. Pour une forte surfusion, l’olivine donne des cristaux squelettiques alors que le 126

3.1 • Un magma primaire : le basalte

plagioclase, se trouvant à peu près à sa température d’équilibre, est automorphe. C’est sans doute la différence d’habitus, couplée à la séquence de cristallisation olivine → plagioclase, qui a conduit à la notion erronée de « golfes de corrosion ». En effet, lorsqu’un cristal se dissout dans un liquide, le processus suit l’ordre inverse de celui de la cristallisation. Les sommets disparaissent d’abord, puis les arêtes, enfin les faces, conduisant à des cristaux globulaires, sans forme précise. En aucun cas n’apparaissent des trous opérés dans les faces. À l’interface cristal-liquide, la croissance d’un minéral de composition différente du liquide se traduit par l’apparition d’un gradient de composition, lui-même dépendant de la vitesse de croissance (Fig. 3.9A). Dans la couche-limite, la température du liquidus s’abaisse car elle correspond à un liquide plus évolué, la température réelle augmente par dissipation de la chaleur latente de cristallisation. À l’interface, si la température du liquidus est supérieure à la température réelle, la croissance se poursuit. Dans le cas contraire, il y a déséquilibre et dissolution du cristal (Fig. 3.9B). • Zonation minérale La compétition qui s’instaure entre diffusion tendant à rééquilibrer les paramètres et croissance cristalline produit le phénomène de zonation minérale. Si la croissance est lente, le cristal a une composition constante à l’équilibre, parce que le liquide environnant garde sa composition magmatique originelle, sauf sur une très petite frange. Au contraire, si la croissance est rapide, le liquide baignant le cristal a une composition très différente de celle du magma originel et les couches périphériques du cristal ont des compositions variables, reflétant les variations dans le liquide frangeant le cristal. Il est donc inexact de dire que les cristaux zonés témoignent de phénomènes d’équilibre : ils indiquent des équilibres partiels successifs sans phénomène tardif de rééquilibration et enregistrent ainsi la quasi-totalité des étapes du refroidissement et de la cristallisation du magma.

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c) Textures des roches magmatiques Les roches magmatiques proviennent de la consolidation du magma, ensemble [liquide ± solide ± gaz]. Les proportions entre les trois composants déterminent l’arrangement final des phases solides dans la roche, ce que l’on appelle la texture, c’est-à-dire le tissu de la roche. L’organisation des roches à l’intérieur d’une même unité magmatique définit la structure de l’unité. • Phases composant un magma Dans un magma qui refroidit, des particules solides et gazeuses se déplacent dans la phase liquide. Les forces qui s’appliquent à ces objets varient en fonction de la dimension, de la densité et de la viscosité des corps en présence. Lorsque la résultante des forces est nulle, le mouvement des particules est uniforme et la vitesse vp donnée par la loi générale de Navier-Stokes :

vp = g ∆ρ R2 [ηL + ηp / (ηL + 3/2 ηp)] / 3 ηL 127

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

T liquidus croissance

B

T magma solide

liquide

T liquidus dissolution T magma

Figure 3.9 – Gradients de composition et de température à l’interface liquidecristal.

A. Variations de la teneur d’un élément C, plus abondant dans le liquide que dans le solide, en fonction de la vitesse de croissance du cristal (Lofgren, 1974 ; Maaløe, 1985). B. Croissance-dissolution d’un cristal dans un liquide en fonction du degré de surfusion.

R, rayon moyen de la particule ; ∆ρ, différence de densité entre liquide et particule ; ηL, viscosité dynamique du liquide ; ηp, viscosité de la particule. 128

3.1 • Un magma primaire : le basalte

La phase gazeuse correspond au surplus des composants volatils qui ne peuvent être dissous dans la phase liquide silicatée. La solubilité des composants volatils dépend de la pression. Tout magma préalablement sous-saturé en fluides en profondeur traverse un seuil de solubilité au cours de son ascension. Les bulles de gaz sont produites par des phénomènes de nucléation et de croissance analogues à ceux des cristaux. Leur densité est très faible et les bulles ont tendance à se séparer du liquide avec une vitesse donnée par la loi de Stokes. Comme la densité et la viscosité du gaz sont négligeables devant celles du liquide silicaté, vg = 1/3 g ρL R2 / ηL ρL, densité du liquide. Cette vitesse s’ajoute à la vitesse d’ascension du magma et les bulles de gaz montent plus vite que le reste du magma. Par conséquent, le début d’une éruption est marquée par l’émission d’une lave riche en gaz, souvent de façon explosive par projections de bombes. La lave solidifiée, vésiculée, présente des vacuoles de toutes tailles emprisonnant le gaz. Plus tard, la lave dégazée coule de façon plus tranquille et ne présente pas de vacuoles : la lave est dite massive. À l’intérieur d’une même coulée, le cœur est en général dégazé et massif alors que les bordures et le toit sont très vésiculés, donnant un aspect caractéristique de « mousse au chocolat ». Là où il y a beaucoup de vacuoles, la vitesse de fuite des bulles est freinée selon la loi : veff = vg (1 – C) 4,65 veff, vitesse effective ; C, proportion volumique de bulles. Pour 10 % de bulles, veff = 0,61 vg et pour 50 % de bulles, veff = 0,04 vg, ce qui interdit pratiquement tout dégazage tranquille et peut provoquer une explosion. La phase liquide qui caractérise le magma disparaît totalement. Les cristaux qui apparaissent suivent également la loi de Stokes. Comme la viscosité du solide ηS tend vers ∞ :

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vs = 2/9 g ∆ρ R2 / ηL En général, ∆ρ = ρS – ρL > 0, les cristaux montent moins vite que le liquide. Par conséquent, la lave qui apparaît en début d’éruption est moins riche en cristaux, alors que celle qui émerge ensuite peut en contenir plus. Dans la réalité, ce principe souffre des exceptions, car deux facteurs peuvent l’annuler. Si l’ascension du magma est suffisamment rapide, c’est-à-dire de 10 à 100 fois supérieure à la vitesse de sédimentation des cristaux, les cristaux sont emportés avec le liquide. De même, les bulles de gaz peuvent soulever les cristaux, de sorte que les laves vésiculées, souvent précoces, sont fréquemment porphyriques, c’est-à-dire chargées de cristaux visibles à l’œil nu. Par contre, les laves dégazées sont fréquemment aphyriques, dépourvues de cristaux visibles. À l’intérieur d’une même coulée, la lave est généralement enrichie en cristaux alors que les bordures et le toit en sont appauvris (Fig. 3.10). 129

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

v

v g

g c

c

g c

c

Ve c

A

B

C

Figure 3.10 – Anatomie d’une coulée de lave à surface scoriacée de type aa reposant sur une brèche volcano-détritique.

A. Évolution des différents constituants d’un magma (g : bulles de gaz, c : cristaux) au sein d’une coulée en mouvement (vitesse Ve). Pointillés : bordure figée vitreuse, hachurés : zone rigide et soumise à un cisaillement (bulles de gaz à contour ellipsoïdal, cristaux aciculaires orientés selon la fluidalité), sans figuré : zone fluide (bulles de gaz sphériques, orientation aléatoire des cristaux). B. Structures liées à l’écoulement et au refroidissement : débit lamellaire au sommet et prismation double progressant vers le cœur de la base et du sommet. C. Front de la coulée et écroulement de blocs qui seront recouverts par la coulée.

Les phases solides dans le magma sont constituées par des matériaux de même origine que le magma, ils sont homéogènes, ainsi que par des matériaux étrangers au magma, ils sont exogènes. Les matériaux exogènes se présentent sous forme de fragments de roches – les enclaves – ou de cristaux isolés, souvent entourés d’une auréole de réaction – les xénocristaux. Ils apportent une information précieuse sur le trajet suivi par le magma depuis sa source jusqu’à la surface, car ils ont été ramonés à divers niveaux : nodules de péridotite du manteau et enclaves crustales, et sur les conditions thermodynamiques : fusion ou non des enclaves. Les matériaux homéogènes témoignent de processus précoces d’évolution du magma. Sous forme de fragments de roches ou de cristaux, ce sont des cumulats produits par l’accumulation de cristaux dans la chambre magmatique ou en cours d’ascension dans les conduits. Il existe des cas plus complexes où des enclaves cumulatives ne correspondent pas à l’accumulation de cristaux dans le magma qui les a remontées mais se sont formées à partir d’un autre magma cogénétique, c’està-dire de même filiation, mais produites à un autre moment. • Phases solides des roches Parmi les cristaux d’une roche magmatique, on distingue : • les phénocristaux, ou cristaux visibles à l’œil nu, voire à la loupe ; 130

3.1 • Un magma primaire : le basalte

• les microcristaux, ou cristaux visibles seulement au microscope. Il est tentant de relier la taille des cristaux et leur place dans la séquence de cristallisation, les phénocristaux pouvant être précoces et les microcristaux tardifs. Cette hypothèse, correcte en première approximation, souffre des exceptions : • les microcristaux précoces sont restés petits parce que leur vitesse de croissance est faible, • les phénocristaux tardifs, squelettiques ou pœcilitiques, ont une grande vitesse de croissance, par exemple, les feldspathoïdes. Enfin, lorsque le refroidissement est si rapide qu’il bloque tout phénomène de diffusion (nucléation à peu près nulle), une partie du liquide se transforme en verre, amorphe et généralement transparent. Les textures varient en fonction des proportions de verre, microcristaux, phénocristaux et bulles de gaz : • si le verre constitue l’essentiel de la roche, la roche est dite vitreuse (par exemple, l’obsidienne) ; s’il n’emplit que les interstices entre les cristaux, elle est dite intersertale ; • une roche à phénocristaux inclus dans une pâte microscopique est porphyrique ; une roche sans phénocristal est aphyrique. Dans la pâte, si les cristaux apparaissent à la même vitesse, les minéraux colorés tendent à occuper l’espace libre entre les minéraux blancs, la texture est intergranulaire. Si les minéraux colorés croissent à partir d’un faible nombre de « nuclei », ils peuvent inclure les minéraux blancs, la texture est ophitique, le cas extrême étant représenté par la texture pœcilitique, où de grands cristaux colorés contiennent de nombreux petits grains de minéraux blancs.

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d) Lacs de lave et coulées Les lacs de lave permanents sont rares, parce que l’ascension des magmas est un phénomène intermittent. Après une éruption, en général, la lave se consolide et le cratère s’obstrue. Dans quelques cas, l’apport de chaleur par le bas contrebalance la perte par le haut et un lac de lave s’instaure et demeure liquide tant que le flux de chaleur est suffisant. À l’heure actuelle, il existe trois lacs de lave permanents connus : ils se situent au sein de cratères, Erebus (Antarctique), Erta Ale (Éthiopie) et Nyiragongo (Congo). Les températures des magmas sont très élevées, 1 200 °C environ, et les liquides très pauvres en cristaux. Dans l’île d’Hawaï, le magma très fluide peut, après éruption, former des lacs de lave éphémères remplissant des cratères ou des dépressions. Les lacs de lave de Kilauea Iki (1959) et d’Alae (1963) ont été particulièrement étudiés. • Lac de lave d’Alae Apparu le 21 août 1963, un lac de lave a rempli le fond d’un cratère de 160 m de profondeur. Long de 305 m, large de 245 m de large et profond de 15 m, il a formé 131

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

un volume de 6,6.105 m3, constitué de basalte tholéiitique homogène (Tab. 3.3). Il a disparu en octobre 1968, enfoui sous d’épaisses coulées issues du Kilauea. Tableau 3.3 – Magmas et liquide résiduel dans les lacs de lave : Alae (Wright & Peck, 1978) et Kilauea Iki (Wright, 1971). 1 SiO2 TiO2 Al2O3 Fe2O3 FeO MnO MgO CaO Na2O K2O P2O5 H2O+

50,47 2,74 13,67 1,30 9,80 0,17 7,55 11,11 2,38 0,54 0,27 0,20

Total

100,20

2

3

75,80 0,67 12,20 0,43 1,21 traces 0,19 0,60 3,40 5,50 traces 0,80

47,90 2,16 10,96 – 11,51* 0,18 15,42 15,42 1,79 0,44 0,23 0,10

100,80

100,02

* Fer analysé sous forme de FeO total. 1. basalte tholéiitique, moyenne des échantillons partiellement fondus à plus de 1 000 °C, lac de lave d’Alae. 2. rhyolite, verre résiduel à 5-8 m de profondeur (19 novembre 1964), lac de lave d’Alae. 3. picrite, moyenne des produits de l’éruption de 1959 du Kilauea Iki.

Dès la fin août 1963, des forages ont pu être effectués à travers la croûte superficielle vers le cœur encore liquide. Au moment de l’éruption, la température du magma a été mesurée à 1 160 °C, puis, en fin d’éruption, à 1 140 °C. La limite entre la croûte supérieure solidifiée et le cœur encore fondu correspond à l’isotherme 1 065 °C, où la viscosité décroît brutalement de 1011 à 103 Pa.s, ce qui correspond à environ 50 % de cristaux et 50 % de liquide. Le magma est complètement cristallisé à 980 °C, à l’exception d’un liquide résiduel très siliceux. L’ensemble du lac de lave est complètement solidifié en septembre 1964. Le taux de cristallisation ne varie pas de façon linéaire avec la température et atteint un maximum vers 1 060-1 065 °C (Fig. 3.11). La concentration volumique des vacuoles atteint 40 % entre 30 cm et 1,20 m de profondeur (horizon caverneux), puis diminue pour rester constante à 11 % au-dessous de 4,5 m de profondeur. Les cavernes peuvent avoir quelques décimètres de hauteur et 1 à 2 m de diamètre. La séquence de début de cristallisation suivante a été observée : olivine Fo80 à 1 190 °C / augite à 1 185-1 180 °C / plagioclase à 1 170-1 165 °C / ilménite à 1 070 °C / pigeonite à 1 050 °C / magnétite à 1 030 °C / apatite à 1 010 °C. L’olivine varie de composition de Fo80 au liquidus à Fo65 à 1 100 °C où elle cesse de cristalliser. Le plagioclase évolue de An70 à 1 170 °C à An59 au solidus. 132

3.1 • Un magma primaire : le basalte

% volumique de cristaux

Lac de lave d’Alae, Hawaï

100

80

60

A 40

20

0 960

1000

1040

1080

1120

1160

température °C

profondeur (m) 0

août 63 novembre 63

5

mars 64

B

juillet 64 10

septembre 65

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

septembre 67 croûte température croûte solide visqueuse de l’éruption

fond du lac de lave 15 0

200

400

600

800

1000

1200

température °C

Figure 3.11 – Évolution du lac de lave d’Alae (Hawaï). A. Cristallinité du magma en fonction de la température. Le point d’inflexion de la courbe se situe vers 1 060-1 065 °C (Wright & Peck, 1978). B. Évolution de la température à l’intérieur du lac de lave en fonction de la profondeur et du temps écoulé depuis sa mise en place le 21 août 1963 (Peck et al., 1977). Après juillet 1964, l’ensemble est solidifié.

133

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

Le verre résiduel à 980 °C contient des traces de feldspath alcalin et de plagioclase plus sodique. Sa composition est celle d’une rhyolite (Tab. 3.3), avec 33,5 % quartz + 63,3 % feldspath alcalin sodi-potassique, et correspond à ce qui reste liquide après la cristallisation de 94 % du magma tholéiitique originel. • Lac de lave de Kilauea Iki Le lac est né à la suite d’une éruption le 14 novembre 1959. Long de 1,5 km, large de 700 m et profond de 122 m, il a mis beaucoup plus de temps à cristalliser. En 1981, une température supérieure à 1 135 °C a été enregistrée vers 70 m de profondeur, ce qui signifie que 22 ans après son apparition, tout le lac de lave n’a pas encore traversé son solidus. À partir du 23 décembre 1959, date à laquelle une croûte supérieure solide est apparue, le lac de lave a fonctionné comme une chambre magmatique autonome. Le magma originel est une picrite très magnésienne (Tab. 3.3) contenant de l’olivine Fo86-87 et de la chromite. Une fois solidifié, le lac de lave est composé essentiellement de basalte pouvant contenir de 1 à 40 % d’olivine. À l’intérieur du lac de lave, la composition chimique varie selon la distribution des cristaux d’olivine Fo86-87 (Fig. 3.12), la partie supérieure étant plus pauvre et la partie inférieure plus riche. On pourrait l’expliquer par la sédimentation gravitaire. Cependant, les cristaux d’olivine de 2 à 10 mm de diamètre baignent dans un liquide plus léger de 0,6 g.cm– 3 ayant une viscosité de 10 Pa.s. Selon la loi de Stokes, il leur faudrait seulement de 11 heures à 11 jours pour s’accumuler au fond du lac, contrairement à ce que montre la figure 3.12 construite à partir des sondages effectués en 1967, 1975, 1979 et 1981, soit plusieurs années après l’éruption. Dans la croûte supérieure, un ferrobasalte pauvre en olivine, présentant une texture ophitique à gros grain, constitue 6 à 10 % du volume, sous forme de poches, de filonnets et de sills qui se développent entre 18 et 56 m de profondeur. Il correspond à des ségrégations de liquides riches en Fe et Ti, pauvres en Ca et Al, extraits de zones profondes du lac. Enfin, des corps verticaux riches en olivine, situés entre 40 et 58 m de profondeur, sont constitués par l’assemblage : olivine Fo77-79 + liquide ferrobasaltique identique à celui des ophites. Au cours de l’histoire du lac de lave, six horizons ont été définis par leur température (Fig. 3.13) : 1. croûte passive et rigide à moins de 1 100 °C, la migration des liquides résiduels et des corps riches en olivine s’effectue sur une petite échelle. 2. croûte semi-rigide entre 1 100 et 1 140 °C, les liquides résiduels et les corps riches en olivine peuvent migrer facilement. 3. zone étroite passive entre 1 140 et 1 145 °C. 4. couche fondue entre 1 145 et 1 160 °C, constituée de liquide + olivine + augite + plagioclase, le liquide léger qui y prend naissance s’en échappe de façon diapirique. 5. région intermédiaire entre 1 160 et 1 175 °C, contenant liquide + olivine + augite, le liquide n’est pas assez léger pour se déplacer. 134

3.1 • Un magma primaire : le basalte

composition moyenne du lac de lave

profondeur (m) 0 10 20

horizon appauvri en olivine

30 40

50 60

horizon enrichi en olivine

70 80 90

croûte superficielle effondrée

100 0

5

10

15

20

25

30

MgO (% pondéral)

Figure 3.12 – Variations de la teneur en MgO des roches constituant le lac de lave de Kilauea Iki (Hawaï) (Helz et al., 1989).

La composition moyenne du magma (15,43 % MgO) est celle des laves émises au cours de l’éruption de 1959. profondeur (m) 10

30

base de la croûte

50

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

70

KILAUEA IKI octobre 1967

T max ~ 1180°C

90

110

base du lac de lave 130 400

600

800

1000

1200

température °C

Figure 3.13 – Variations de la température en fonction de la profondeur dans le lac de lave de Kilauea Iki (Hawaï) en octobre 1967, d’après les mesures effectuées dans la croûte solide de 30 m d’épaisseur et les modèles thermiques de Shaw et al. (1977) (Helz et al., 1989). 135

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

6. zone la plus chaude à plus de 1 175 °C, contenant liquide + olivine + chromite, les liquides diapiriques issus de l’horizon 4 et passant à travers cette zone sont réchauffés et transportent la chaleur vers le haut. Au cours de leur déplacement, les diapirs de diamètre de l’ordre du décimètre se détachent de l’horizon 4. D’après les résultats des sondages, le transport diapirique a commencé en 1960 et s’est achevé en 1971, la formation des veines ophitiques a commencé en 1964 et les corps riches en olivine se sont mis en place entre 1966 et 1979. Ainsi, pour un lac de lave relativement peu important en volume (moins de 125.106 m3), quatre processus de différenciation ont pu être mis en évidence : • sédimentation limitée d’olivine au-dessous de 1 190 °C ; • transport diapirique de liquides légers pauvres en Fe et Ca au-dessous de 1 160 °C ; • formation de veines ophitiques par ségrégations de liquide résiduel ferrobasaltique ; • formation de corps riches en olivine au-dessous de 1 140 °C. Il n’est donc pas facile de récupérer par sondage des échantillons représentatifs du magma originel. Si les différents liquides produits de 1 190 à 1 140 °C avaient pu être expulsés, ils auraient constitué une série de différenciation, comme en comporte tout volcan. Les lacs de lave constituent donc d’excellents laboratoires naturels pour étudier la différenciation magmatique à basse pression. • Coulées de lave Elles témoignent à leur échelle (moins de 40 m d’épaisseur) des mêmes phénomènes, mais en régime dynamique, car la lave s’écoule sous l’action de la gravité. Les bordures, en contact avec le sol et avec l’air, refroidissent rapidement et constituent des croûtes figées d’allures différentes selon la viscosité : lave pahoehoe lisse et cordée, lave aa chaotique et hérissée (noms provenant d’Hawaï). Cette croûte, plus ou moins élastique, se comporte de façon rigide et s’enroule autour du cœur fondu à la manière d’une chenillette. Des contraintes de cisaillement apparaissent à l’interface croûte-magma et se traduisent par l’apparition de plans de débit analogues aux plans C et S obtenus en tectonique ductile (cf. Tectonique). La partie supérieure d’une coulée montre alors un débit caractéristique en lamelles de 5 à 10 cm d’épaisseur (Fig. 3.10). Après arrêt de l’écoulement, le cœur resté fondu refroidit. Les phénomènes qui s’y produisent sont analogues à ceux décrits dans les lacs de lave, conduisant à une partie basale plutôt cumulative et une zone supérieure décantée en cristaux. En fin de refroidissement, une prismation perpendiculaire à la surface apparaît. La prismation est tardive, car elle n’est pas déformée par l’écoulement mais elle découpe les lamelles d’écoulement pour former des lauzes comme, par exemple, dans la phonolite de la Roche Tuilière, dans l’appareil volcanique du Mont-Dore, Auvergne. Au front de la coulée, la prismation forme des gerbes ; dans le filon d’alimentation, elle est horizontale ; partout ailleurs, elle est verticale (Fig. 3.10). Suivant les creux topographiques (vallées), les coulées peuvent emprisonner des masses d’eau qu’elles vaporisent. Sous l’action de la pression de la vapeur, elles sont 136

3.1 • Un magma primaire : le basalte

alors traversées par des brèches caverneuses, constituées de blocs de lave et de gaz, qui peuvent arriver à la surface de la coulée et former des cônes pseudo-volcaniques.

3.1.4 Minéralogie et chimie des basaltes

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Après refroidissement, le basalte est formé de phénocristaux, microcristaux et verre. La nature et la quantité des minéraux dépendent de la composition chimique totale. a) Minéraux constitutifs L’ensemble des minéraux d’une roche constitue une paragenèse et se traduit par le MODE, exprimé en pourcentages volumiques. Dans les roches volcaniques, le mode est souvent connu de façon approximative à cause de la taille submicroscopique des cristaux et du verre qui peut être présent. Ainsi, dans le lac de lave d’Alae, le mode déterminé au microscope montre une surestimation de 25 % des pyroxènes, de 50 % des oxydes et, corrélativement, une sous-estimation du plagioclase, à cause de la petite taille des cristaux (moins de 0,01 mm). On distingue plusieurs groupes de minéraux : • les minéraux blancs, en fait transparents au microscope et légers (les « coupholites » de Lacroix), comprennent le quartz et les polymorphes de la silice, les feldspaths alcalins, les plagioclases et les feldspathoïdes. Ce sont les minéraux felsiques F ; • les minéraux colorés, plus denses (les « barylites » de Lacroix), comprennent les minéraux mafiques M (olivine, pyroxènes, amphiboles, biotite ; • les minéraux accessoires, moins abondants, peuvent manquer : oxydes, sulfures. L’indice de coloration C est donné par le rapport entre F et M, C = 100 x M / (M + F) ‘ pour C > 90, les roches sont holomélanocrates ; ‘ pour 65 < C < 90, les roches sont mélanocrates ; ‘ pour 35 < C < 65, les roches sont mésocrates ; ‘ pour 5 < C < 35, les roches sont leucocrates ; ‘ pour C < 5, les roches sont hololeucocrates. Les basaltes sont mésocrates avec à peu près autant de plagioclase que de minéraux colorés. Plusieurs types de basaltes se distinguent par leur minéralogie (Tab. 3.4) : ‘ présence de polymorphes de la silice dans les tholéiites, de feldspathoïdes dans les basanites ; ‘ présence de minéraux hydroxylés dans les basaltes riches en alumine ; ‘ variété des pyroxènes. b) Compositions chimiques Dans les roches, les éléments majeurs et un certain nombre d’éléments en traces (voir dans la même collection Géochimie) sont couramment analysés. L’oxygène est l’anion majeur compensé par les autres éléments, cationiques. On a donc pris l’habitude de présenter les analyses chimiques sous forme de pourcentages pondéraux d’oxydes (Tab. 3.4). 137

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

Tableau 3.4 – Minéralogie et composition chimique des principaux types de basaltes.

SiO2 TiO2 Al2O3 FeO* MnO MgO CaO Na2O K2O P2O5 D.I.

1

2

3

4

5

49,61 1,43 16,01 11,49 – 7,84 11,32 2,76 0,22 0,14

49,36 2,50 13,94 11,22 0,16 8,44 10,30 2,13 0,38 0,26

46,53 2,28 14,31 12,32 0,18 9,54 10,32 2,85 0,84 0,28

43,52 2,45 15,76 10,27 0,16 9,57 12,28 3,02 1,43 0,41

48,61 1,07 19,01 8,49 0,15 8,53 10,53 2,96 0,25 0,20

25,90

22,61

27,52

24,35

27,72

Minéraux normatifs

Hy + Ol

Hy + Qz

Ol + Né Né < 5 %

Ol + Né Né > 5 %

Ol + Hy

Minéraux mafiques

Olivine + Cpx

Olivine + Cpx Opx ou pigeonite

Olivine + Cpx

Olivine + Cpx

Olivine + Cpx Opx ou pigeonite (Amph, Biot)

Polymorphes de la silice

F alc

F alc + foid

Minéraux felsiques

FeO* : fer total analysé sous forme de FeO Hy : hypersthène, Né : néphéline, Ol : olivine, Qz : quartz Cpx : clinopyroxène calcique, Opx : orthopyroxène, Amph : amphibole, Biot : biotite, F alc : feldspath alcalin, foid : feldspathoïde 1. basalte des rides médio-océaniques (MORB) (McBirney, 1984) 2. tholéïte à quartz d’Hawaï (moyenne, Macdonald, 1968) 3. basalte alcalin d’Hawaï (moyenne, Macdonald, 1968) 4. basanite du Kenya (McBirney, 1984) 5. basalte riche en alumine de l’Oregon (McBirney, 1984)

La présentation standard suit l’ordre décroissant des valences des cations, soit SiO2 – TiO2 – Al2O3 – Fe2O3 – FeO – MnO – MgO – CaO – Na2O – K2O – P2O5 – H2O+ – H2O– – Total. Actuellement, les méthodes analytiques ne discriminent plus les deux valences du fer et tout le fer est analysé sous forme de FeO* ou de Fe2O3*. Les huit premiers oxydes entrent dans la composition des minéraux colorés tandis que SiO2 – Al2O3 – CaO – Na2O – K2O entrent aussi dans celle des minéraux blancs. Il est malaisé de comparer des roches incomplètement cristallisées. Pour mieux illustrer les différences en termes de minéralogie, quatre géochimistes américains, Cross, Iddings, Pirsson et Washington, ont proposé de recalculer l’analyse d’une roche présentée en oxydes en une suite de minéraux fictifs appelés normatifs, par opposition aux minéraux réels modaux. L’assemblage de ces minéraux constitue la NORME. La norme peut être présentée en pourcentages pondéraux de minéraux, c’est la norme CIPW, ou en pourcentages molaires de minéraux, c’est la norme de Barth-Niggli. L’intérêt de la norme réside en ce que l’on peut directement la comparer au mode réel d’une roche. Son désavantage tient à son mode de calcul lié à une séquence théorique de cristallisation jamais observée dans la nature : 138

3.1 • Un magma primaire : le basalte

1. 2. 3. 4. 5. 6.

minéraux accessoires : calcite (Cc), apatite (Ap), pyrite (Py), ilménite (Ilm) FeTiO3 ; feldspaths alcalins : orthose (Or) KAlSi3O8, puis albite (Ab) NaAlSi3O8 ; anorthite (An) CaAl2Si2O8 ; magnétite (Mt) Fe3O4, parfois hématite Fe2O3 ; diopside (Di ou Cpx) Ca(Mg,Fe)Si2O6, puis orthopyroxène (Opx) (Mg,Fe)SiO3 ; à ce stade, on compte les molécules de silice SiO2 nécessaires pour former la séquence 1 à 5 et on les compare au stock réellement présent dans la roche. Trois cas se présentent : a. il reste de la silice que l’on convertit en quartz (Qz) SiO2. La roche est sursaturée en silice et contient l’assemblage normatif Qz + Hy (cf. Tab. 3.4) ; b. il ne reste plus de silice, mais il n’en manque pas non plus. La roche est saturée en silice et continent Hy, sans Qz, ni Ol ; c. il manque de la silice. La roche est sous-saturée en silice. Pour compenser le déficit de silice, on transforme des minéraux riches en silice, préalablement calculés, en d’autres, moins riches : ‘ orthopyroxène → olivine (Ol) (Mg,Fe)2SiO4 ; ‘ albite → néphéline (Né) NaAlSiO4 ; ‘ orthose → leucite (Lc) KAlSi2O6, etc.

Une roche sous-saturée en silice peut contenir les assemblages normatifs : Hy + Ol (roche faiblement sous-saturée en silice) ou Ol + Né ± Lc (roche fortement soussaturée en silice) (Tab. 3.4).

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Les basaltes peuvent être classés d’après leur assemblage normatif dans le tétraèdre normatif Di-Né-Qz-Ol, proposé par Yoder et Tilley en 1961 (Fig. 3.14) : • les basaltes situés dans l’espace Di-Ab-Hy-Qz sont les tholéiites à quartz ; • les basaltes situés dans l’espace Di-Ab-Hy-Ol sont les tholéiites à olivine ; • les basaltes situés dans l’espace Di-Ab-Ol-Né sont les basaltes alcalins, s’ils sont pauvres en Né normative, et les basanites, s’ils sont riches en Né normative. Cette classification ne tient pas compte des basaltes riches en alumine, souches des séries calco-alcalines et se situant près du pôle Ab. À basse pression et en milieu anhydre, il a été démontré expérimentalement que les minéraux qui cristallisent sont ceux de la norme CIPW. Les plans Di-Ab-Hy, plan de saturation en silice, et Di-AbOl, plan critique de sous-saturation en silice, représentent des barrières thermiques. Cependant, ce tétraèdre perd sa valeur de discrimination à haute pression et en présence d’eau, car d’autres minéraux que ceux de la norme CIPW peuvent cristalliser.

139

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

Di

Plancritique de sous-saturation en silice

Plan de saturation en silice

Basalte alcalin - basanite

Tholéiite à quartz

Ab

Ne

Q En

Tholéiite à olivine

Fo Figure 3.14 – Diagramme normatif Di-Né-Qz-Fo (diopside-néphéline-quartzolivine), ou tétraèdre de Yoder & Tilley (1962).

Deux plans critiques, de saturation et de sous-saturation en silice, délimitent trois ensembles distincts dans le tétraèdre. Ab. albite, Di. diopside, En. enstatite, Fo. forstérite, Né. néphéline, Qz. quartz.

3.2 UN

MAGMA DIFFÉRENCIÉ

:

LE GRANITE

En la comparant avec les autres planètes telluriques, la Terre peut être définie comme la planète du granite. Avec le basalte, le granite est la roche la plus répandue à la surface du globe (Tab. 1.6) : 42,5 % de basaltes et 22 % de granites. Les roches silicatées acides et intermédiaires (granites s.l. ou granitoïdes) forment la majeure partie des boucliers précambriens et des chaînes plus récentes. À partir de cette observation, les géophysiciens ont défini le concept de couche granitique pour la croûte supérieure continentale. Cependant, il existe aussi en milieu océanique des massifs intrusifs acides et intermédiaires. Selon la définition de Buffon, « de toutes les matières fournies par le feu primitif, le granite est la moins simple et la plus variée : il est ordinairement composé de quartz, de feldspath et de mica… Les granites recouvrent encore aujourd’hui la plus grande partie du globe » (du globe émergé). Que le granite soit issu du « feu primitif » n’a pas été toujours évident, car il n’est pas possible de voir se former actuellement du granite et il faut attendre que l’érosion l’ait dégagé pour l’observer complètement refroidi. Cet aspect ancien du granite se retrouve dans l’adjectif « primitif » utilisé par Buffon. La diversité d’aspect des massifs granitiques a donné lieu à de longues et âpres discussions, la controverse du granite, née de l’opposition de deux écoles. 140

3.2 • Un magma différencié : le granite

L’école « neptuniste », menée au XVIIIe siècle par Werner et Goethe, a supposé le granite issu de la sédimentation au sein d’un océan primitif, dans des conditions qui ne se retrouvent plus actuellement. Au contraire, l’école « plutoniste » de Hutton envisage le granite comme le produit de la cristallisation en profondeur d’un magma, en association avec les formations filoniennes et volcaniques. Ayant observé et interprété pour la première fois des contacts intrusifs en Écosse, en particulier dans l’île d’Arran au large de Glasgow, Hutton a insisté dans sa thèse soutenue en 1787 sur le caractère non primitif des granites postérieurs aux roches sédimentaires. Cette controverse, partant d’observations effectuées en des lieux différents, n’avait de chances d’aboutir que par l’expérimentation. Après les premiers essais de fusion de granite du Mont-Blanc par de Saussure au XVIIIe siècle, Hall, un élève de Hutton, prouvait en 1805 le bien-fondé des intuitions de son maître en réussissant à fondre puis à cristalliser des roches magmatiques et, selon la vitesse du refroidissement, reproduisait les textures vitreuse, microlitique et microgrenue.

3.2.1 Compositions et nomenclature Les granites sont des roches de couleur claire qui se distinguent nettement des basaltes noirs. Ils se caractérisent par la taille des minéraux, toujours visibles à l’œil nu et pouvant atteindre plusieurs centimètres, définissant la texture grenue. Le granite constitue une variété d’un ensemble plus vaste, les granitoïdes. Par « granitoïde », on entend toute roche semblable et associée aux granites. Cette définition large a le mérite d’inclure non seulement des roches grenues, entièrement cristallisées, mais aussi des roches moins parfaitement cristallisées (filoniennes et volcaniques) de composition voisine. L’analyse chimique des granites (Tab. 3.5) fait apparaître d’assez grandes variations. Un granite « moyen » se caractérise par l’abondance des éléments chimiques O, Si, Al, Na, K et, dans une moindre mesure, Ca. Cette composition se traduit par la prédominance des feldspaths et des polymorphes de la silice (quartz, tridymite), d’où le nom de roches felsiques. Tableau 3.5 – Compositions chimiques moyennes des granitoïdes

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

(d’après Nockolds, 1954).

1

2

3

4

5

SiO2 TiO2 Al2O3 FeO* MnO MgO CaO Na2O K2O P2O5

73,86 0,20 13,75 1,83 0,05 0,26 0,72 3,51 5,13 0,14

72,08 0,37 13,86 2,44 0,06 0,52 1,33 3,08 5,46 0,18

69,15 0,56 14,63 3,37 0,06 0,99 2,45 3,35 4,58 0,20

66,88 0,57 15,66 3,79 0,07 1,57 3,56 3,84 3,07 0,21

66,15 0,62 15,56 4,64 0,08 1,94 4,65 3,90 1,42 0,21

D.I.

91,50

87,60

80,30

72,70

65,40

Moyennes calculées à partir d’un grand nombre d’analyses : 1. granite à feldspaths alcalins 4. granodiorite 2. syénogranite 5. tonalite 3. monzogranite

141

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

Les minéraux constitutifs sont variés : • les minéraux blancs comprennent le quartz et les feldspaths. Il n’y a jamais de feldspathoïde à cause des réactions chimiques : ‘ néphéline NaAlSiO4 + 2 quartz SiO2 → albite NaAlSi3O8 ‘ leucite KAlSi2O6 + quartz SiO2 → feldspath potassique KAlSi3O8 • les minéraux colorés comprennent l’olivine, les pyroxènes, les amphiboles, la biotite. À l’exception de la fayalite Fe2SiO4, l’olivine ne coexiste pas avec le quartz à cause de la réaction chimique : ‘ forstérite Mg2SiO4 + quartz SiO2 → 2 enstatite MgSiO3 • les minéraux accessoires comprennent les oxydes de Fe-Ti et de nombreux autres minéraux porteurs d’éléments mineurs ou en traces, comme l’apatite (P), la fluorite (F), la titanite (Ti), la tourmaline (B), le zircon (Zr), le béryl (Be) et ses variétés précieuses, l’émeraude et l’aigue-marine. Ils peuvent concentrer des éléments d’intérêt économique : cassitérite (Sn), molybdénite (Mo), uraninite (U), wolframite (W), etc. Les analyses modales montrent que les granitoïdes sont leucocrates à hololeucocrates, avec plus de 10 % de quartz. Les variations à l’intérieur du groupe des minéraux blancs constituent la base de la nomenclature recommandée et adoptée en 1972 au 24e Congrès Géologique International de Montréal (Fig. 3.15). La classification se fonde sur les proportions volumiques des quatre groupes de minéraux blancs : • pôle Q : quartz et minéraux polymorphes de la silice ; • pôle A : feldspaths alcalins ; • pôle P : plagioclases, à l’exception de l’albite (An < 5) placée au pôle A ; • pôle F : feldspathoïdes. Les quatre pôles Q, A, P, F forment les sommets de deux triangles équilatéraux opposés, ayant le côté AP en commun. Des subdivisions ont été placées à l’intérieur de chaque triangle de façon à délimiter des groupes homogènes (Fig. 3.15). Pour être complète, la nomenclature doit ajouter aux principaux groupes définis : • l’indice de coloration, avec les préfixes leuco-, méso- et méla-, selon la proportion volumique des minéraux colorés ; • la mention des minéraux caractéristiques, même s’ils sont rares (un granite à fayalite contient rarement plus de 1 % de ce minéral), selon l’ordre croissant d’abondance : un granite à amphibole-biotite, avec plus de biotite que d’amphibole, est différent d’un granite à biotite-amphibole. • les particularités texturales : ‘ taille du grain : pegmatitique pour des cristaux dépassant le centimètre, grossier pour des cristaux dépassant 3 mm, moyen pour des cristaux compris entre 1 et 3 mm, fin pour des cristaux inférieurs à 1 mm, aplitique pour des cristaux invisibles à l’œil nu. ‘ homogénéité : la roche est équante lorsque les minéraux sont tous de même taille, porphyroïde lorsque des mégacristaux (pouvant atteindre plusieurs centimètres) baignent dans une pâte cristallisée plus fine. 142

3.2 • Un magma différencié : le granite

Q

60

1

2

3

4

20

A 10

5

7 35

10

8

9 65

10 90 P

50 10

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

60

F Figure 3.15 – Diagramme QAPF (quartz-feldspath alcalin-plagioclasefeldspathoïde) (Streckeisen, 1976). Les granitoïdes occupent les champs 1 à 4. 1. granite à feldspath alcalin, 2. granite (en grisé), 3. granodiorite, 4. tonalitetrondh-jémite, 5. syénite à feldspath alcalin, 6. syénite, 7. monzonite, 8. monzodiorite-monzo-gabbro, 9. diorite-gabbro, 10. syénite feldspathoïdique. Les autres champs du triangle APF représentent des roches alcalines sous-saturées en silice relativement rares.

143

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

3.2.2 Origine et mobilité Parce que les granites ne peuvent être observés à l’état de magma dans la nature, l’histoire de leur cristallisation n’a pu être élucidée qu’en laboratoire. Le nombre de constituants chimiques du système granitique est important (au moins 12, Tab. 3.5), ce qui rend difficile l’interprétation des résultats expérimentaux. Deux techniques ont été utilisées simultanément : expérimentation sur des échantillons naturels, réduction à des systèmes analogues plus simples. a) Résultats expérimentaux Les travaux de Tuttle et Bowen (1958) ont clarifié le débat. Ayant observé que la majorité des granites dans le monde contient plus de 80 % de quartz et de feldspaths alcalins, ils ont limité leurs expériences au système résiduel synthétique, appelé haplogranitique, NaAlSi3O8-KAlSi3O8-SiO2-H2O (Fig. 3.16). Ce système présente un point remarquable, le minimum thermique M, où cristallisent à l’équilibre minéraux polymorphes de la silice et feldspaths alcalins. En cristallisant, tout magma silicaté expulse un liquide résiduel convergeant vers le point M, qui correspond selon la nomenclature à une composition de granite à feldspaths alcalins (groupe 1 du diagramme Q A P, Fig. 3.15). Or, l’ensemble des compositions de granites et de rhyolites dans le monde coïncide avec l’ensemble des points M déterminés entre 0,1 et 500 MPa. Tuttle et Bowen, après avoir vérifié que les granites naturels se comportaient de la même façon que leur système simplifié haplogranitique, ont conclu que les granites constituent les produits Q

Q

1130˚C 1110˚C

80

80

1000˚C rhyolites et granites

60

900˚C 800˚C

770˚C

700˚C

745˚C

M

0b 0b 300 0b 400

500 b 200 0b

40

100

0˚C

80

60

40

20

20

˚C

Ab

990

845˚C 20

40

60

A

syénites alcalines

˚C

0 90

80

Or Ab

20

40

60

80

B

Figure 3.16 – Évolution des liquides résiduels dans le système SiO2KAlSi3O8-NaAlSi3O8-H2O (Qz-Or-Ab-H2O) (Tuttle & Bowen, 1958).

A. Tous les liquides convergent vers le minimum thermique M, qui correspond à une composition de granite à feldspath alcalin (champ 1 de la Fig. 3.15). B. L’ensemble des points M, déterminés pour des pressions comprises entre 50 et 400 MPa, coïncide avec celui de la majorité des rhyolites et granites naturels. Noter le sous-ensemble des syénites alcalines, placé sur la ligne Ab-Or au niveau d’un « col » thermique.

144

Or

3.2 • Un magma différencié : le granite

les plus évolués et les plus tardifs de la différenciation des magmas silicatés. L’observation postérieure, en 1963-1969, de liquide résiduel rhyolitique au sein du lac de lave d’Alae (Tab. 3.3) confirme que le magma granitique doit être considéré comme un magma différencié, alors que le magma basaltique est relativement primaire. Remarquant que les basaltes sont riches en minéraux colorés normatifs (caractère mésocrate) et les granites en minéraux blancs (caractère leucocrate), Thornton et Tuttle ont défini l’indice de différenciation D.I. (« Differentiation Index »), tel que : D.I. = Qz + Or + Ab + Né + Lc (minéraux de la norme CIPW). Un basalte a un D.I. inférieur à 30 et un granite un D.I. supérieur à 70 (Tab. 3.4 et 3.5). Cependant, des expériences de fusion partielle de roches crustales ont permis de fabriquer des magmas granitiques primaires par anatexie (Tab. 2.11), illustrant parfaitement le caractère ambigu des magmas granitiques, qui peuvent donc être soit différenciés à partir de magmas basaltiques et d’origine mantélique, soit primaires par anatexie de formations crustales.

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b) Viscosité et mobilité des magmas granitiques Quoi qu’il en soit du mode de production des liquides granitiques, ils sont caractérisés par de fortes teneurs en Si, Al, Na et K, ce qui se traduit par de faibles densités, pouvant descendre à 2,2-2,1 g.cm– 3, et une viscosité élevée, pouvant dépasser 104,6 Pa.s, valeur de la viscosité critique d’éruption. En d’autres termes, un liquide granitique est suffisamment léger mais, surtout s’il est pauvre en eau, il est trop visqueux pour monter. En revanche, si la teneur en eau est suffisante, le seuil critique de 104,6 Pa.s n’est pas atteint et le liquide granitique est alors capable de se déplacer le long des fractures. Plusieurs cas se présentent : 1. si le liquide granitique visqueux se déplace dans un milieu ductile (croûte inférieure par exemple), l’ascension commence de façon diapirique, en « perçant à travers », puis se développe par fracturation hydraulique, en débitant en blocs les formations encaissantes et provoquant une intrusion en force. 2. le liquide granitique fluide se déplace en milieu cassant (croûte supérieure) : l’ascension n’est possible que de façon passive dans un système de fractures s’ouvrant en régime extensif ou décrochant. L’abondance d’éléments volatils dans le magma joue un rôle essentiel dans la structure du liquide. La théorie la plus développée est celle du modèle quasi-cristallin de Burnham (1981) : un liquide silicaté est considéré comme un mélange de complexes ou espèces électriquement neutres. La plupart des espèces correspondent aux phases solides qui cristallisent avec la même stœchiométrie (Tab. 3.6). H2O constitue une espèce à part entière qui entre aussi bien dans la phase fluide séparée que dans la phase liquide silicatée. Elle disloque les charpentes silicatées et abaisse ainsi la viscosité des liquides. Les éléments Li et Be s’associent aux aluminosilicates pour donner plusieurs espèces, tandis que les éléments B et F forment des complexes avec seulement Na. Cl entre surtout dans la phase fluide en association avec les alcalins. 145

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

Tableau 3.6 – Spéciations dans les liquides granitiques

(Burnham & Nekvasil, 1986). 1. Espèces décrites dans les liquides granitiques Par convention, les espèces liquides sont représentées par leur abréviation en lettres minuscules, les phases solides correspondantes sont indiquées avec la lettre initiale en majuscule (exemple : ab et Ab pour la composition albite NaAlSi3O8). Pour comparer les volumes molaires avec celui de l’albite qui sert de référence, les formules structurales sont calculées sur 8 oxygènes. Espèce ab an ap be co cr dpy eu gr hy il jd kts lc mt nds ns ntb or pe py qz sil sp w zo

albite anorthite apatite béryl corindon cryolite pyrophyllite déshydroxylée eucryptite grossulaire orthopyroxène ilménite jadéite tétrasilicate de potassium leucite magnétite disilicate de sodium silicate de sodium tétraborate de sodium sanidine pétalite pyrophyllite quartz sillimanite spodumène eau zoïsite

Composition (sur 8 oxygènes) NaAlSi3O8 CaAl2Si2O8 Ca3,08P1,846O8 Be1,23Al0,89Si2,67O8 Al5,33O8 Na4Al1,33O8 Al1,455Si2,91O8 Li2Al2Si2O8 Ca2Al1,33Si2O8 (Mg,Fe)1,33Si2,67O8 Fe2,67Ti2,67O8 Na1,33Al1,33Si2,67O8 K1,78Si3,56O8 K1,33Al1,33Si2,67O8 Fe6O8 Na3,2Si3,2O8 Na2,53Si3,37O8 Na2,286B4,571O8 KAlSi3O8 Li0,8Al0,8Si3,2O8 Al1,455Si2,94O8, 0,727 H2O Si4O8 Al3,2Si1,6O8 Li1,33Al1,33Si2,67O8 H2O Ca1,28Al1,92Si1,92O8

2. Réactions de spéciations Certaines espèces correspondent aux phases solides qui cristallisent. Elles ont la même stœchiométrie et probablement la même structure. D’autres proviennent de la dissociation ou de la recombinaison d’autres espèces à la suite de réactions, dites de spéciation : – fusion incongruente d’une phase solide : par exemple, l’albite à 3,33 GPa et 1 370 °C : 1,03 Ab → 0,78 ab + 0,158 jd + 0,062 qz + 0,03 Jd – interaction entre espèces liquides : ainsi, dans le système KAlSi3O8 – SiO2 – H2O à 1,5 GPa et 1 170 °C : or + 0,249 qz → 0,687 dpy + 0,562 kts

c) Ascension des magmas granitiques L’incorporation d’éléments volatils modifie également la géométrie des courbes de liquidus et de solidus dans l’espace (pression, température) et influe sur la mobilité des magmas avant leur cristallisation (Fig. 3.17). Un liquide granitique anhydre étant moins dense que le solide cristallisé, la pente de la courbe du liquidus est positive, d’après l’équation de Clausius-Clapeyron : dP/dT = ∆S/∆V = 1/T × ∆H/∆V de sorte que la température augmente avec la pression. 146

3.2 • Un magma différencié : le granite

L’incorporation d’une phase vapeur produit l’effet contraire : le volume combiné du solide anhydre et de la phase vapeur est très supérieur à basse pression à celui du liquide contenant de l’eau en solution, de sorte que ∆V est négatif. La température diminue lorsque la pression d’eau augmente. Cet effet n’est perceptible qu’à pression inférieure à 1,5-2,0 GPa, c’est-à-dire dans les conditions régnant dans la croûte et le sommet du manteau supérieur. ∆V est positif à plus fortes pressions. La variation de pente du solidus granitique en présence d’eau (solidus humide) a des conséquences sur la mobilité verticale du magma granitique (Fig. 3.17). pression kb

40

solidus “humide” = liquidus

liquidus à 5% H2O liquidus à sec

30

2 20

4 10

3

1 0 500

600

700

800

900

1000

1100

1200

température °C

Fig. 3.17 – Mobilité verticale des liquides granitiques selon la profondeur et la teneur en H2O d’origine (modifié d’après Lameyre, 1986).

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1 et 2. liquides sursaturés en H2O, 3. liquide anhydre, 4. liquide sous-saturé en H2O.

Considérons d’abord un liquide granitique (au-delà du liquidus) : 1. un magma saturé en eau, présentant une phase vapeur séparée et produit au solidus, a une capacité ascensionnelle nulle pour des pressions inférieures à 1,5 GPa. 2. pour des pressions plus élevées, un tel magma peut s’élever jusqu’à ce qu’il recoupe son solidus à une profondeur déterminée par la vitesse de refroidissement en cours d’ascension. 3. un magma anhydre peut arriver surchauffé, à condition que son énergie thermique ne soit pas dissipée en route. 4. les cas intermédiaires des magmas sous-saturés en eau produisent des histoires plus complexes à cause des variations de la solubilité de l’eau dans le liquide 147

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

granitique en fonction de la pression (Fig. 3.18). Le liquidus n’est confondu avec le solidus humide qu’à des pressions inférieures à celle correspondant à la saturation en eau du magma. Il parviendra ou non surchauffé à la surface. pression kb 40 9

8

S (solubilité) = 0,65 moles H2O par mole de liquide silicaté

7 6

M (magma) = 81,25 % liquide silicaté

5

(à Xmole H2O = 0,65) + 18,75% vapeur

liquide silicaté (H2O dissoute)

4 3

liquide silicaté (H2O dissoute) + H2O vapeur

2

1 0

0

0.1

0.2

0.3

0.4

0.5

0.6

0.7

0.8

0.9

1

température °C

Xmole H2O

Figure 3.18 – Solubilité (en fraction molaire) de H2O dans les magmas silicatés à 1 000 °C, en fonction de la pression (Burnham, 1979).

Le raisonnement suppose que le liquide granitique a pu s’extraire complètement du réseau solide. Dans le cas contraire, le mélange solide + liquide peut se déplacer de façon diapirique ou par fracturation hydraulique entre liquidus et solidus (Fig. 3.19) : a. ascension faible d’une masse cristalline imbibée de liquide qui cristallise en cours d’ascension ; b. ascension facilitée parce que la proportion de liquide augmente jusqu’à atteindre 100 % du mélange, ébullition, puis cristallisation en profondeur ; c. même processus qu’en b, liquéfaction et ébullition en profondeur, puis cristallisation en surface.

3.2.3 Nucléation et croissance cristallines Les phénomènes de cristallisation dans les granites sont complexes : différents minéraux apparaissent successivement, certains disparaissent et les compositions des phases minérales varient. L’observation des relations entre les cristaux de familles minérales différentes – les minéraux précoces sont inclus dans les minéraux plus 148

3.2 • Un magma différencié : le granite

Figure 3.19 – Mobilité verticale d’un mélange liquide ± solide en fonction de la pression et de la température d’origine (modifié d’après McBirney, 1985).

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a. liquide + solide cristallisant en profondeur (plutonisme), b. liquide ± solide devenant totalement liquide puis, après ébullition, cristallisant en profondeur (plutonisme), c. liquide ± solide devenant totalement liquide puis, après ébullition, émis en surface (volcanisme).

tardifs – permet souvent d’établir à partir du liquidus une séquence de cristallisation. Il n’est pas toujours facile de mettre en évidence l’association minérale cristallisant au solidus car, fréquemment, les minéraux d’altération remplacent les minéraux magmatiques primaires. Ils sont produits directement à partir de fluides percolant dans la masse granitique consolidée ou proviennent de réactions de déstabilisation des minéraux magmatiques : développement de mica blanc, chlorite et épidote, transformations des feldspaths en phases de basse température, silicification des interstices et des fissures, La quantité et la taille des cristaux d’une famille minérale magmatique varient en fonction de la nucléation des germes cristallins et de leur croissance aux dépens de la phase liquide. Nucléation et croissance sont rarement simultanées et leurs taux dépendent de la surfusion. Le système granitique est l’un des plus difficiles à étudier, car l’ensemble des minéraux cristallise dans un faible intervalle de température, c’est-à-dire pour une faible surfusion, produisant un assemblage minéralogique avec des cristaux de taille semblable. Le système haplogranitique a été exploré en conditions de saturation et de soussaturation en eau (Fig. 3.20) à 0,8 GPa et entre 400 et 900 °C, de façon à examiner le comportement des minéraux blancs. Les courbes de nucléation et de croissance sont identiques pour les différents minéraux, les cristaux ont même taille et donnent la texture grenue équante. La vitesse de croissance varie de 3 10– 6 cm.s– 1 (à peu près 149

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

1 mètre par an) à 10– 10 cm.s– 1 (environ 0,03 mm.a– 1), le taux de nucléation varie de 0 au liquidus à 108 sites.cm– 3 au solidus. La vitesse de croissance est plus faible dans les systèmes contenant une phase vapeur séparée que dans les systèmes sous-saturés en eau. Lorsque la surfusion est faible (< 100 °C), la vitesse de croissance atteint sa valeur maximale alors que le taux de nucléation reste assez bas. Le magma peut cristalliser des minéraux de grande taille : même en admettant que les valeurs obtenues sur système synthétique sont surestimées par rapport aux systèmes naturels, la texture pegmatitique serait acquise en moins d’un an, la texture grossière en moins d’un mois et la texture aplitique en moins d’une heure. Pour une surfusion plus forte, dépassant 200 °C, la densité de nucléation devient très forte et prédomine sur la croissance : dans les conditions proches du solidus, la texture aplitique est toujours présente. densité de nucléation (sites par cm3)

vitesse de croissance (cm.s–1)

109

densité 107

10-6 10-7

105

vitess e

10-8

103 10-9 10

10-10 0 liquidus

200

400 solidus

∆ T°C

Figure 3.20 – Nucléation et croissance cristallines en fonction de la surfusion (différence entre la température du magma et son liquidus).

Les expériences ont été menées sur des granites à 0,8 GPa et 3,5 % H2O, les courbes représentent le comportement des cristaux de feldspath alcalin (Swanson, 1977).

Dans le système haplogranodioritique (23 % quartz, 20 % feldspath alcalin, 57 % plagioclase), le feldspath alcalin cristallise tardivement près du solidus, le plagioclase apparaît au liquidus et le quartz est en position intermédiaire. Au solidus, les taux de nucléation du plagioclase et du quartz sont très élevés (108 sites.cm– 3), celui du feldspath alcalin est très faible. Les cristaux de feldspath alcalin apparaissent en nombre assez faible et peuvent acquérir une grande taille, la roche cristallisée a une texture porphyroïde. La vitesse de croissance est 100 fois plus élevée dans un milieu sous-saturé en eau (10– 6 cm.s– 1, soit 30 cm.a– 1) que dans un milieu saturé en eau 150

3.2 • Un magma différencié : le granite

(10– 8 cm.s– 1, soit 3 mm.a– 1). Contrairement à ce que l’on pourrait penser a priori, les granodiorites porphyroïdes à « dents de cheval », avec des mégacristaux de feldspath potassique pouvant dépasser 5 cm de long, se forment en conditions de forte surfusion dans un milieu pauvre en eau. Il faut retenir de ces travaux essentiels que : • pour acquérir la texture grenue, les roches plutoniques restent en partie liquides pendant une durée ne dépassant pas l’ordre de grandeur de l’année ; • les cristaux les plus grands ne correspondent pas nécessairement à des minéraux précoces, la taille est seulement inversement proportionnelle à la nucléation ; • l’eau, en phase vapeur séparée, ralentit la croissance des minéraux.

3.2.4 Comportement de l’eau

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La molécule H2O peut être incorporée dans le liquide silicaté et la phase vapeur. On distingue les magmas saturés en eau présentant une phase liquide et une phase vapeur et les magmas sous-saturés en eau qui ont seulement une phase liquide. En fait, il n’est pas rigoureux de parler de phase vapeur puisque, dans les conditions magmatiques, l’eau se situe au-delà du point critique (374 °C et 22,1 MPa) à partir duquel toute distinction entre état liquide et état gazeux devient impossible. Par convention, on parle de phase vapeur pour la phase concentrant H2O et de phase liquide pour celle qui concentre les silicates. a) Processus physiques L’eau est soluble dans les magmas. La solubilité varie en fonction de la pression, de la température et de la composition du magma. Le système NaAlSi3O8-H2O a été étudié comme exemple (Fig. 3.18 et 3.21) et tous les autres liquides silicatés peuvent être assimilés à ce système. La valeur XmH2O mesure la proportion molaire d’eau contenue dans le liquide, sachant que la masse d’une mole d’eau est de 18,02 g et celle d’albite de 262,2 g. Pour une teneur en eau donnée, le diagramme (pression, température) délimite quatre zones distinctes (Fig. 3.21) : 1. une zone où coexistent solide + vapeur : c’est le domaine de l’altération hydrothermale et du métamorphisme ; 2. une zone où coexistent solide + liquide : toute l’eau est dissoute dans le liquide ; 3. une zone où la phase liquide renferme toute l’eau ; 4. une zone où coexistent liquide + vapeur : il y a rétro-ébullition du magma. Les zones 2, 3 et 4 constituent le domaine du magmatisme. Une poche liquide de la zone 3 peut soit se mettre en place et refroidir de façon isobare (scénario A), soit monter de façon adiabatique (scénario B). A. Le liquide traverse son liquidus, puis son solidus à pression constante. Les cristaux apparaissent, le liquide résiduel s’enrichit en eau et n’atteint la saturation qu’au solidus. Au solidus, une pression de fluides apparaît par suite de l’exsolution de la phase vapeur. Si la pression de fluides est inférieure à la résistance des roches, la vapeur percole dans les interstices entre les grains et provoque des réactions d’altération hydrothermale aux zones de contact entre fluide et cristaux. 151

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

solidus liquidus

pression kb 20 18

2

liquide silicaté + solide

16

Xmole H2O = 0,6

14

3

12

liquide silicaté

10

scénario A 8

scénario

B

6

1

4

solide + vapeur

solubilité de H2O

4

liquide silicaté + vapeur

2 0 600

700

800

900

1000

1100

1200

1300

température °C

Figure 3.21 – Évolution d’un magma silicaté contenant de l’eau dissoute en fonction de la pression et de la température, d’après le système simplifié NaAlSi3O8-H2O (modifié d’après Burnham, 1979).

Le scénario A correspond à un refroidissement en profondeur (plutonisme), le scénario B à une ascension adiabatique vers la surface (volcanisme).

Si elle est supérieure, la roche se fracture et forme des brèches hydrauliques, constituées de fragments anguleux de roches dans une matrice produite par la précipitation du fluide. Altération hydrothermale et bréchification hydraulique sont deux aspects des réactions subsolidus subies par un granite au cours de son refroidissement. B. Le liquide, au cours de son ascension, est d’abord sous-saturé en eau, puis traverse son seuil de solubilité. Apparaissent alors des bulles de vapeur qui se rassemblent au sommet de la poche magmatique. Si la pression exercée par les bulles de vapeur dépasse la résistance du toit, il y a explosion et expulsion jusque dans l’atmosphère du mélange constitué par les débris du toit pulvérisé, le liquide et la vapeur : ce sont les nuées ardentes, le liquide brutalement détendu se fige en verre pour donner les ponces. Si la pression de fluides est plus faible, le liquide chargé de bulles de vapeur peut atteindre son solidus et cristalliser. Les bulles de vapeur contiennent de nombreux éléments en solution qui, lors du refroidissement, précipitent pour donner les minéraux caractéristiques des poches pegmatitiques et des filons hydrothermaux associés. Le dégazage du magma granitique est fréquemment explosif à cause de la grande viscosité du liquide. Comme ηL est fonction inverse de la teneur en eau dissoute, plus le dégazage se développe, plus la viscosité du liquide augmente. Des pressions 152

3.2 • Un magma différencié : le granite

de fluides de 50 à 500 MPa peuvent être induites par l’emprisonnement des bulles de vapeur dans une armature liquide très visqueuse et provoquer des éruptions explosives catastrophiques. Les brèches pegmatitiques en sont l’équivalent en profondeur et induisent des séismes. Une partie de cette eau peut ensuite apparaître à la surface, sous forme thermale comme, par exemple, les geysers. b) Processus chimiques À cause de la dissociation thermique de l’eau, il existe des relations étroites entre la teneur en eau et le caractère redox du milieu. La réaction la plus simple est la déshydrogénation : 2 H2O → O2 + 2 H2 ↑ À cause de sa petite taille, la molécule H2 se déplace plus facilement que la molécule O2 ou même que l’ion O2–. De ce fait, l’apparition d’une phase vapeur séparée rend le milieu oxydant. Le caractère oxydant se traduit minéralogiquement par : • la cristallisation dans le liquide d’oxydes de fer (magnétite Fe3O4, puis hématite Fe2O3) en présence de silicates magnésiens ; • l’oxydation de la magnétite précoce en hématite et la coloration en rouge des roches en conditions subsolidus. Inversement, si le milieu reste réducteur, les oxydes de fer sont peu abondants et les silicates s’enrichissent en fer ferreux. Les roches sont sombres ou claires, mais jamais rouges. Les processus s’expliquent par les réactions suivantes : • dans un magma sous-saturé en eau : [2 Fe2+ + 2 OH–] (magma) + 0,5 O2 (fluide) → [2 Fe3+ + 2 O2–] (magma)+ H2O (fluide). L’incorporation d’eau dans le magma favorise la cristallisation de minéraux ferreux hydroxylés. La perte d’eau se traduit par celle de minéraux ferriques anhydres. • dans un milieu sursaturé en eau :

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2 Fe2+ (magma)+ [H2O + 0,5 O2] (fluide) → 2 Fe3+ + 2 OH– (magma). Les minéraux ferriques anhydres coexistent avec les minéraux hydroxylés enrichis en Mg et Mn. Dans un magma naturel, la saturation en eau n’est acquise que tardivement. De ce fait, le milieu magmatique sous-saturé en eau est relativement réducteur, proche du tampon FMQ (fayalite-magnétite-quartz : 3 Fe2SiO4 + O2 = 3 SiO2 + 2 Fe3O4), avec un rapport Fe3+ / (Fe2+ + Fe3+) variant entre 0,15 et 0,30, ce qui se traduit au cours de la cristallisation par un enrichissement en Fe2+ des cristaux silicatés. Lors de l’expulsion de la phase vapeur, il devient oxydant, ce qui se traduit par un enrichissement tardif en Mg et Mn des bords des cristaux (zonation « inverse »), le dépôt massif d’oxydes de fer et la rubéfaction des roches causée par l’hématite en micro-inclusions dans les cristaux de feldspath. 153

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

3.2.5 Associations magmatiques Les travaux expérimentaux ont montré que le magma granitique peut se former soit par différenciation extrême d’un magma silicaté plus basique, soit par fusion partielle de roches crustales. Le fait que le granite soit abondant dans les continents et fréquemment associé à des phénomènes métamorphiques a fait considérer, au début des années 1960, le problème du granite comme résolu définitivement : le granite constituerait le « terme ultime » du métamorphisme et proviendrait de zones partiellement fondues de la croûte continentale. La découverte de granites dans des îles océaniques (Islande, Kerguelen) où aucun fragment continental n’a été reconnu a relancé le débat. Le dragage sur la ride de Rodrigues (océan Indien) de granite en filonnet recoupant un basalte océanique et l’observation in situ de granite dans la ride médio-atlantique a montré que certains granites n’ont aucune relation avec la croûte continentale mais pourraient au contraire représenter des noyaux de futurs continents. Le problème du granite se pose ainsi en termes nouveaux, le manteau jouant un rôle jusqu’à présent sous-estimé. À une étape de la pensée scientifique monogéniste (un seul granite avec une origine crustale unique), fait suite une conception polygéniste (plusieurs types de granites avec des sources variées). La variété minéralogique et chimique des granites ne constitue pas un phénomène aléatoire mais reflète une variété de sources, de processus d’évolutions et d’associations. Le premier critère de détermination est l’environnement géodynamique au moment de la mise en place et l’on distingue maintenant les granites orogéniques et anorogéniques. La mise en place de granites s’accompagne toujours de celle d’autres roches, volcaniques et plutoniques, avec lesquelles ils constituent des associations magmatiques.

3.3 VOLCANISME

ET PRODUITS ASSOCIÉS

Les roches volcaniques proviennent du refroidissement en surface des magmas. Par leur variété minéralogique, texturale et chimique, elles témoignent des différents processus qui permettent leur mise en place au cours des éruptions, phénomènes toujours spectaculaires, souvent dangereux, mais parfois bénéfiques pour le développement de la vie. Les éruptions volcaniques transforment le paysage dans lequel elles se déroulent et apportent des matériaux nouveaux à la croûte terrestre.

3.3.1 Dynamismes éruptifs Un volcan produit rarement au cours de sa période d’activité les mêmes types de laves. Les produits émis varient ainsi que le type d’éruptions, passant du dynamisme effusif, relativement calme avec des coulées plus ou moins fluides, au dynamisme explosif, avec des retombées et des écoulements pyroclastiques (voir dans la même collection Volcanologie). 154

3.3 • Volcanisme et produits associés

a) Types d’éruptions Au cours d’une éruption, sont émises des retombées liées aux explosions, associées ou non à des écoulements pyroclastiques, des coulées et des extrusions, enfin des gaz et fumerolles. Les éruptions ont été longtemps classées en quatre types par ordre d’explosivité croissante : hawaïen caractérisé par des laves très fluides, strombolien à bombes volcaniques, vulcanien à cendres et péléen à nuées ardentes. Ces types ont été définis d’après quatre volcans références : Hawaï (Pacifique Central), Stromboli et Vulcano (Iles Éoliennes) et Montagne Pelée (Martinique). La classification a été ensuite amendée par l’introduction des paramètres caractéristiques des retombées, l’épaisseur, la dispersion et la fragmentation, qui mesurent l’intensité des éruptions (Fig. 3.22). 100

F

surtseyen

ultraplinien

vulcanien 50

plinien

strombolien hawaïen sub-plinien 0

D 0,05

5

500

50000

km2

Figure 3.22 – Types d’éruption volcanique selon la fragmentation (F)

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

et la dispersion (D) des dépôts (Walker, 1973).

L’épaisseur des dépôts varie avec la distance par rapport au cratère, ou bouche d’émission qui a fonctionné au cours de l’éruption. Les zones d’égale épaisseur déterminent les isopaques. Le paramètre E mesure l’épaisseur maximale au niveau de la bouche d’émission, il est en général difficile à mesurer directement et souvent calculé par extrapolation. La dispersion D est mesurée par la surface délimitée par l’isopaque 0,01 E. La fragmentation F est déterminée par le pourcentage de matériaux de taille inférieure à 1 mm à l’isopaque 0,1 E. Les valeurs des paramètres D et F caractérisent le type de l’éruption. Aux types hawaïen, strombolien et vulcanien déjà définis, s’ajoutent de nouveaux types : surtseyen, d’après l’île de Surtsey, apparue en 1963 au large de l’Islande, et plinien, d’après Pline qui a décrit en détail 155

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

l’éruption du Vésuve du 24 août 79. Les paramètres D et F sont étroitement corrélés et mesurent l’explosivité de l’éruption. Le volume émis lors d’une éruption détermine son intensité, selon les neuf degrés de l’échelle de Tsuya. Du degré I (< 10– 5 km3, soit < 104 m3) au degré IX (> 100 km3), l’énergie mise en jeu varie de 2 1010 kJ à 1,4 1017 kJ. b) Retombées volcaniques et écoulements pyroclastiques Les matériaux volcaniques sont parfois éjectés violemment à partir du cratère. Ces éjecta, après une trajectoire balistique dans l’atmosphère et/ou l’eau (éruptions subaquatiques), forment des retombées ou téphra qui, comme les roches sédimentaires détritiques, sont classées en fonction de la taille des particules et de l’induration (Tab. 3.7). Parfois émis à l’état encore liquide, les éjecta ont généralement le temps de se refroidir pour retomber à l’état solide. Les gaz à l’origine de l’explosion leur donnent un aspect scoriacé, c’est-à-dire riche en vacuoles. Les ponces constituent un cas-limite avec un matériau vitreux très riche en bulles de gaz, qui peut s’étirer à l’état pâteux : dans certains cas (Lipari, Vulcano), la densité du mélange (verre + gaz) est inférieure à celle de l’eau de mer et les ponces, caractéristiques des éruptions pliniennes, flottent au gré des courants. Tableau 3.7 – Classifications des retombées volcaniques (d’après Schmid, 1981 ; Le Maitre et al., 1989).

Taille des clastes

Dépôt pyroclastique Pyroclaste

mm

non consolidé : téphra

Ø

consolidé : roche pyroclastique

> 64

+4

La granulométrie en Ø est donnée par la relation : Ø = – (Log taille mm / Log 2) Les cendres sont classées en trois fractions : sableuse 1/16 mm-2 mm –1 18 % et [Na2O + K2O] < 2 %, komatiite si TiO2 < 1 %, meiméchite si TiO2 > 1 % ; • si 30 % < SiO2 < 52 %, MgO > 12 % et [Na2O + K2O] < 3 %, picrite. Pour les autres roches, les variétés se distinguent par leurs teneurs en alcalins (en poids ou en moles) : • dans les champs S (saturés en silice), une roche est sodique si Na2O – 2 ≥ K2O (en poids) ; elle est potassique si K2O ≥ Na2O – 2 (en poids) ; • une roche est hyperalcaline si [Na2O + K2O] > Al2O3 (en moles) (présence d’ægyrine Ac et de disilicate de sodium Ns, absence d’anorthite An dans la norme CIPW) ; • une roche est métalumineuse si [Na2O + K2O] ≤ Al2O3 ≤ [Na2O + K2O + CaO] (en moles) (présence d’anorthite An et de clinopyroxène Di dans la norme CIPW) ; • une roche est hyperalumineuse si Al2O3 > [Na2O + K2O + CaO] (en moles) (présence d’anorthite An et de corindon Co, absence de clinopyroxène Di dans la norme CIPW).

163

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

Na2O+K2O (poids%)

A

16

Ph

14

F

12

U3

10

T

U2

S3

8

U1

6

S1

4

O1

B

2

R

S2 O3

O2

Pc

0 35

39

43

47

51

55

59

63

67

71

75

79

SiO2 (poids%)

ultrabasique basique

intermédiaire 52

45

A. Nomenclature des roches volcaniques et définition des termes : ultrabasique, basique, intermédiaire et acide (Le Bas et al., 1986). F : roches à feldspathoïdes (foïdites ou feldspathoïdites), Pc : picrobasalte, U1 à U3 : roches alcalines sous-saturées en silice, Ph : phonolite, S1 à S3 : roches saturées en silice, T : trachyte et trachydacite, B : basalte, O1 à O3 : roches sursaturées en silice, R : rhyolite. Il n’y a pas de réelle limite entre F et U1 (téphrite et basanite).

acide

63

Na2O+K2O (poids%)

B

16

phonolite 14

téphriphonolite

feldspathoïdite

12

10

phonotéphrite

trachyansésite

8

basanite téphrite

tb

picro basalte

4

2

rhyolite

ta b andésite basaltique

6

trachyte

basalte

B. Nomenclature des roches volcaniques courantes (Le Bas et al., 1986). Abréviations : tb. trachybasalte, ta b. trachy-andésite basaltique.

dacite andésite

0 35

39

43

47

51

55

59

63

67

71

75

79

SiO2 (poids%)

C

Na2O+K2O (poids%) 16

phonolite 0.5

14

0.4

12

feldspathoïdite

0.4 trachyte 0.5

10

0.35

0.3 8

0.3

6

0.4

rhyolite 0.5

0.35 0.3

0.2 0.2

0.35 0.3 andésite 0.2 0.15 0.15 basalte

4

2

0.4 dacite

C. État d’oxydation (rapport Fe2O3 / FeO) des roches volcaniques (Middlemost, 1989).

0 35

39

43

47

51

55

59

63

67

71

75

79

SiO2 (poids%)

Figure 3.25 – Diagramme TAS (Na2O + K2O – SiO2). 164

3.3 • Volcanisme et produits associés

Parce qu’elles sont émises à l’air libre ou au contact de l’eau, les roches volcaniques sont fréquemment oxydées et/ou hydratées. De ce fait, leurs compositions actuelles ne correspondent pas exactement à celles des magmas qui leur ont donné naissance. On considère un échantillon comme « frais » s’il contient moins de 2 % H2O+ et de 0,5 % CO2. Le rapport Fe2O3/FeO est variable selon la nature de la roche (Fig. 3.25C). Les valences du fer dans un magma sont déterminées par le potentiel redox des tampons qui varient selon les magmas. Les magmas ultrabasiques (< 45 % SiO2) sont les plus réduits (Fe2O3/FeO de l’ordre de 0,15), alors que les magmas acides (> 63 % SiO2) sont les plus oxydés (Fe2O3/FeO de 0,4 à 0,5). Le rapport Fe2O3/FeO joue un rôle important dans la nature et l’abondance des minéraux colorés de la norme CIPW : les oxydes (ilménite FeTiO3 et magnétite Fe3O4, parfois hématite Fe2O3) sont calculés avant les silicates contenant Fe2+ (pyroxènes, olivine). Si Fe2O3 est élevé dans l’analyse chimique, la quantité de silicates ferreux calculés est réduite, ce qui consomme peu de SiO2 dans le calcul. Par conséquent, une roche oxydée contient plus de quartz normatif que la même roche à l’état réduit. Dans certains cas, un magma sous-saturé en silice peut donner par oxydation une roche artificiellement sursaturée. Afin de comparer entre elles les séries magmatiques, il convient donc de calculer des normes standardisées après recalcul des rapports Fe2O3/FeO selon les indications de la figure 3.25C et élimination des échantillons montrant de trop fortes valeurs de H2O+. c) Roches alcalines et subalcalines Les basaltes sont classés dans le tétraèdre de Yoder et Tilley par leur assemblage minéral normatif. Les basaltes alcalins et les basanites, à néphéline normative, sont séparés des autres basaltes par le plan critique de sous-saturation en silice Di-Ab-Ol (Fig. 3.14). Comme l’avait observé Iddings dès 1892, une roche alcaline, à teneurs égales en SiO2, est plus riche en alcalins, selon la réaction chimique : néphéline NaAlSiO4 + 2 quartz SiO2 → albite NaAlSi3O8 La frontière séparant les roches alcalines et subalcalines est bien définie dans le diagramme TAS (Fig. 3.26). Les fondateurs du concept de série alcaline ont établi Na2O+K2O 14

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

12

10

8

roches alcalines 6

roches subalcalines

4

Figure 3.26 – Roches

2

0 35

45

55

65

75

SiO2

alcalines et subalcalines dans le diagramme TAS, d’après Miyashiro (1978).

165

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

que les roches appartenant à cette association sont génétiquement liées. Il en est de même pour les différentes séries subalcalines. Une deuxième distinction repose sur l’environnement géodynamique. Les magmas mis en place lors d’une phase de construction d’une chaîne de montagne sont dits orogéniques ; dans le cas contraire, ils sont dits anorogéniques. Des types transitionnels peuvent exister. Comme les deux types de classification sont indépendants, il est possible de distinguer plusieurs séries magmatiques : • les séries anorogéniques regroupent les séries alcalines s.l. et tholéiitiques ; • les séries orogéniques sont calco-alcalines, shoshonitiques et ultrapotassiques.

EN CART La diversité des séries magmatiques 1. Séries anorogéniques Les séries anorogéniques forment des associations souvent bimodales, c’est-àdire constituées en majorité de roches basiques à ultrabasiques et de roches acides. Les roches intermédiaires sont plus rares, elles peuvent manquer et délimitent une lacune, appelée « Daly gap ».

166

3.3 • Volcanisme et produits associés

F

série tholéïtique série alcaline

alcaline

série calco-

A

M

Figure 3.27 – Évolutions des séries anorogéniques (cf. Tab. 3.11). A. Diagramme TAS. La limite de Miyashiro (cf. Fig. 3.26) est indiquée en tiretés. Noter le caractère alcalin de la plupart des séries anorogéniques. B. Diagramme AFM (Na + K) – (Fe + Mn) – Mg. Les séries anorogéniques suivent un trajet différent de celui des séries orogéniques.

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Tableau 3.10 – Séries volcaniques anorogéniques. 1

2

3

4

5

6

7

8

SiO2 TiO2 Al2O3 FeO* MnO MgO CaO Na2O K2O P2O5

47,07 1,66 14,86 10,87 0,17 8,52 11,47 2,24 0,20 0,18

62,39 0,83 14,24 7,98 0,19 0,70 3,92 4,64 2,70 0,25

72,40 0,18 11,50 1,84 0,06 0,11 0,92 4,50 3,60 0,03

46,01 1,80 15,40 9,25 0,08 13,25 10,74 2,30 0,67 0,62

47,26 3,58 17,19 11,94 0,22 5,08 7,82 3,50 1,40 0,77

51,99 3,02 16,30 9,91 0,11 3,19 6,67 5,64 2,13 1,25

62,02 0,31 18,71 3,97 traces 0,40 0,86 6,90 4,93 0,24

66,78 0,59 15,69 2,70 0,05 1,28 2,61 4,49 3,60 0,58

D.I.

19,45

72,11

89,90

21,60

37,68

58,23

87,97

80,14

FeO* : tout le fer est analysé sous forme de FeO Série tholéiitique de Thingmuli, Islande, Océan Atlantique Nord. (Carmichael, 1964) 1. basalte tholéiitique à olivine 2. islandite (limite andésite-benmoréite, diagramme TAS) 3. rhyolite Série alcaline saturée en silice (tendance Coombs) d’Hawaï, Pacifique central (Macdonald, 1968) 4. basalte alcalin 5. hawaïte (limite basalte-hawaïte, diagramme TAS) 6. mugéarite 7. trachyte 8. rhyolite (trachyte, diagramme TAS)

167

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

Tableau 3.10 – Séries volcaniques anorogéniques (suite). 9

10

11

12

13

14

15

16

SiO2 TiO2 Al2O3 FeO* MnO MgO CaO Na2O K2O P2O5 H2O+ CO2 Cl F

43,26 3,40 9,69 12,26 0,16 12,64 12,10 1,59 1,18 0,61

44,13 4,02 15,36 11,86 0,14 6,37 10,61 2,56 1,77 0,55

55,81 0,26 22,00 2,40 0,06 0,21 0,93 9,26 5,45 0,02

41,93 0,92 15,55 8,05 traces 1,28 10,89 10,26 4,95 0,54

52,88 0,93 19,89 5,24 traces 0,45 2,67 10,63 4,91 0,11

38,05 3,84 9,85 10,37 0,21 13,55 13,90 1,31 3,02 0,95

41,63 4,94 7,99 10,00 0,16 16,09 10,19 0,68 7,33 0,44

2,39

0,15

traces 0,10 0,08 0,26 0,04 0,49 12,74 29,53 7,58 0,83 8,59 31,75 3,86 2,69

D.I.

20,38



21,70

32,21

93,99

51,74

78,84

1,47 0,27 27,94

Série alcaline sous-saturée en silice (tendance Kennedy) de Tahiti, Pacifique Sud (McBirney, 1984) 9. ankaramite porphyrique à pyroxène ± olivine (picrobasalte, diagramme TAS) 10. basanite 11. phonolite Série fortement alcaline et carbonatitique d’Oldoinyo Lengaï, Tanzanie (Dawson, 1962) 12. néphélinite (foïdite, diagramme TAS) 13. phonolite 14. natrocarbonatite, éruption de 1960 Série ultrapotassique (foïdites) de la branche centre-ouest du Rift Africain (McBirney, 1984) 15. katungite = mélilitite à kalsilite-leucite-olivine, Ouganda 16. mafurite à biotite = kalsilitite à olivine-pyroxène, Ouganda

La série tholéiitique, toujours subalcaline (Fig. 3.27A), se caractérise par sa richesse en fer. L’enrichissement en fer des termes intermédiaires (« Fennertrend ») se marque par l’augmentation de Fe2+, ce qui témoigne de faibles fugacités d’oxygène (Fig. 3.27B). La série tholéiitique comprend (Tab. 3.10) : picrite tholéiitique → tholéiite à olivine → tholéiite à quartz → islandite → rhyolite Les séries alcalines sont plus variées en fonction du degré de sous-saturation en silice. On distingue (Fig. 3.27A) des séries fortement alcalines et faiblement alcalines. Les séries faiblement alcalines contiennent des roches saturées en silice et occupent en majorité les champs S (saturé en silice) du diagramme TAS. Les termes basiques présentent de faibles teneurs en néphéline ou en quartz normatifs. On y distingue plusieurs tendances : • la tendance Kennedy est caractérisée par une sous-saturation croissante en silice (Fig. 3.27A) : picrite → basalte à olivine → hawaïte → mugéarite → benmoréïte → trachyte → phonolite 168

3.3 • Volcanisme et produits associés

• la tendance Coombs est constituée de roches de plus en plus saturées en silice (Fig. 3.27A) : picrite → basalte à olivine → hawaïte → mugéarite → benmoréïte → trachyte → rhyolite • des tendances mixtes (type « straddle ») comprennent des roches basiques sous-saturées et des roches acides sursaturées en silice, jamais l’inverse. La Chaîne des Puys en constitue un exemple. Les séries fortement alcalines sont constituées tout au long de la différenciation de roches à néphéline normative qui se situent dans les champs F (feldspathoïdique) et U (sous-saturé en silice) du diagramme TAS (Fig. 3.25A) : néphélinite → basanite → téphrite → phonolite

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Des séries encore plus fortement alcalines sont caractérisées par de fortes teneurs en K2O telles que K2O ≥ Na2O. Elles sont ultrapotassiques, permettant la cristallisation de leucite, de pseudo-leucite (mélange [néphéline + sanidine + analcime] formé par déstabilisation de la leucite au cours du refroidissement) et/ou de kalsilite, équivalent potassique de la néphéline. Le déficit en silice est tel que des minéraux comme la mélilite et la pérovskite peuvent cristalliser. Comme elles sont très rares, ces types de roches ont des noms locaux (Tab. 3.10) et occupent surtout le champ F des foïdites du diagramme TAS (Fig. 3.25A) : leucitite – mélilitite – néphélinite. Parmi les laves les plus singulières du Rift Est-Africain, les natrocarbonatites formées de carbonates calco-sodiques sont actuellement produites par l’Oldoinyo Lengaï (Tanzanie). Depuis 1960, toutes les éruptions, après un début hydromagmatique, se poursuivent par l’émission de coulées de laves de type pahoehoe à des températures relativement basses de l’ordre de 500-600 °C. Les laves porphyriques sont constituées de phénocristaux de grégoryite Na2CO3 et de nyéréréite Na2Ca(CO3) 2 et d’une pâte formée d’agrégats microcristallins de fluorite CaF2, de grégoryite, de BaCO3 et de chlorures de Na et K. À côté des natrocarbonatites, l’association volcanique d’Oldoinyo Lengaï comprend une série fortement alcaline allant des néphélinites aux phonolites (Tab. 3.10). L’absence de lave intermédiaire entre les compositions silicatées et carbonatées suggère que les deux types de magmas sont immiscibles. 2. Séries orogéniques Les séries orogéniques se distinguent des précédentes par le fait que les roches intermédiaires sont abondantes et peuvent prédominer sur les roches basiques et acides. Appelées généralement calco-alcalines à cause des nombreux phénocristaux de plagioclase, les roches ont comme minéral caractéristique l’orthopyroxène. Il n’y a pas d’enrichissement en fer (Fig. 3.27B), les teneurs en TiO2 sont faibles (≤ 1,5 %) et les teneurs en Al2O3 sont toujours fortes (Tab. 3.11).

169

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

Na2O+K2O (poids %) 12

téphrite à leucite du Vésuve

10

8

A

limite alcalin/subalcalin de Miyashiro

suite shoshonitique du Montana suite shoshonitique du Pacifique ouest

6

suite calco-alcaline des cascades

4

suite tholéïtique d'arc des sandwich du Sud

2

0

45

50

55

60

65

70

75

SiO2 (poids %) K2O (poids %) 6

5

suites shoshonitiques

4

B

suites calco- alcalines potassiques

3

2

suites calco- alcalines 1

suites tholéïtiques pauvres en K 0 45

50

55

60

65

70

75

SiO2 (poids %)

Figure 3.28 – Évolutions des séries orogéniques (cf. Tab. 3.12). A. Diagramme TAS. Noter la prédominance des suites subalcalines et la teneur en alcalins des séries océaniques plus basse que celle des séries continentales. B. Diagramme K2O-SiO2 et délimitation des séries (d’après Peccerillo & Taylor, 1976 ; Ewart, 1982).

170

3.3 • Volcanisme et produits associés

Tableau 3.11 – Séries volcaniques orogéniques. 1

2

3

4

5

6

7

8

9

SiO2 TiO2 Al2O3 FeO* MnO MgO CaO Na2O K2O P2O5

51,04 0,87 17,12 10,48 0,19 5,91 11,76 1,96 0,37 0,07

54,00 1,31 14,84 12,82 0,22 4,17 8,86 2,82 0,60 0,14

66,27 0,69 13,23 8,65 0,17 0,85 4,06 4,16 1,57 0,20

51,70 1,20 17,50 9,50 0,20 6,20 9,00 3,70 0,80 0,30

60,40 0,90 17,50 6,40 0,10 2,80 6,20 4,30 1,20 0,20

65,60 0,70 16,40 4,70 0,10 1,70 4,40 4,60 1,60 0,20

73,00 0,30 14,20 2,40 0,10 0,50 1,70 4,60 3,10 0,10

49,86 0,76 11,07 8,80 0,17 14,60 8,38 1,96 3,53 0,50

53,99 1,06 17,82 7,58 0,12 4,25 6,15 3,30 4,53 0,68

D.I.

23,90

35,10

66,80

37,35

58,40

70,67

87,76

36,76

57,43

Série tholéiitique d’arc de l’archipel des Sandwich du Sud, Océan Atlantique Sud (Baker, 1978) 1. basalte tholéiitique, île Visokoi 2. andésite basaltique, île Visokoi 3. dacite pauvre en K, île Cook Série calco-alcaline quaternaire « normale » des Hautes Cascades, Oregon (USA) (McBirney, 1984) 4. basalte riche en Al 5. andésite 6. dacite 7. rhyolite Série shoshonitique du Montana et du Wyoming (USA) (McBirney, 1984) 8. absarokite (trachybasalte potassique, diagramme TAS), Monts Absaroka 9. shoshonite, Monts Absaroka

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Tableau 3.11 – Séries volcaniques orogéniques (suite). 10

11

12

13

SiO2 TiO2 Al2O3 FeO* MnO MgO CaO Na2O K2O P2O5

49,80 0,68 17,59 8,08 0,18 4,90 9,39 2,43 3,81 0,47

53,74 1,05 15,84 7,77 0,11 6,36 7,90 2,38 2,57 0,54

59,27 0,56 15,90 5,19 0,10 5,45 5,90 2,67 2,68 0,41

47,67 1,13 18,14 7,05 n.d. 4,19 9,01 2,78 7,47 0,50

D.I.

43,10

40,70

51,50

53,43

Série shoshonitique du Pacifique ouest (Baker, 1978) 10. shoshonite (trachybasalte potassique, diagramme TAS), Vita Levu, Archipel des Iles Fidji 11. shoshonite (andésite basaltique, diagramme TAS), Rivière Gumnach, Mont Hagen, NouvelleGuinée 12. latite (andésite dans le diagramme TAS), Tambul, Mont Giluwe, Nouvelle-Guinée Série ultrapotassique du Vésuve (McBirney, 1984) 13. téphrite à leucite (phonotéphrite, diagramme TAS), lave de 1872 du Vésuve

171

Chapitre 3 • Les phénomènes magmatiques

Les différentes séries, subalcalines à alcalines (Fig. 3.28A), ont des teneurs comparables en Na2O, mais diffèrent par K2O. Aussi a-t-on pris l’habitude d’utiliser pour les séries orogéniques le diagramme K2O – SiO2 (Fig. 3.28B). Les séries subalcalines contiennent toujours l’association : basalte riche en Al → andésite basaltique → andésite → dacite → rhyolite et sont subdivisées en : – série calco-alcaline riche en K (K2O ≥ 1,5 %) ; – série calco-alcaline « normale » ; – série tholéiitique pauvre en K (K2O ≤ 2 %) ou encore série tholéiitique d’arc insulaire, qui ne contient pas ou peu de rhyolite (SiO2 ≤ 70 %) : La série shoshonitique est alcaline (Fig. 3.28A) et potassique (Fig. 3.28B). Son caractère sous-saturé en silice est lié à l’abondance en K2O (souvent ≥ 3 %). La série shoshonitique est formée par l’association : absarokite → shoshonite → banakite → latite Des associations encore plus alcalines, ultrapotassiques, peuvent exister dans certains volcans, comme le Vésuve, qui émet des laves allant des téphrites aux phonotéphrites à leucite.

D’après les observations nombreuses recueillies depuis des siècles sur l’activité des volcans, il est clair que les processus de différenciation qui aboutissent à l’individualisation des liquides émis en surface à l’état de laves sont achevés au moment même de l’éruption. Il en résulte que l’essentiel des mécanismes pétrologiques à l’origine des différentes séries volcaniques prend place en profondeur, c’est-à-dire dans les étages plutoniques. Pour compléter la connaissance des processus à l’origine des éruptions volcaniques, l’étude des roches plutoniques est nécessaire car elle apporte des éléments supplémentaires d’information.

3.4 MISE

EN PLACE DES PLUTONS

Sous les volcans, se mettent en place les roches plutoniques dans des massifs intrusifs. Parmi ceux-ci, on distingue les intrusions en feuillets et les batholites. En s’assemblant, les intrusions en feuillets forment soit des champs ou essaims, qui s’étendent sur des dizaines de kilomètres, soit des complexes annulaires, formés d’intrusions en coupoles dont le diamètre varie de 2 à 40 km et dont le volume est de l’ordre de la centaine de km3. Les batholites composites sont constitués par des intrusions successives de magmas de compositions variables qui occupent des volumes importants de l’ordre du millier de km3. Un massif plutonique occupe un certain volume en profondeur. Pour s’installer, il doit résoudre le problème de la place (« room problem ») en déplaçant un volume égal de roches de l’encaissant. Deux mécanismes permettent ce déplacement : • passif : le magma se déplace dans des fractures ouvertes en milieu cassant ou fragile (« brittle ») par propagation de failles ou par subsidence souterraine (« cauldron subsidence ») ; 172

3.4 • Mise en place des plutons

• actif : le magma, se déplaçant en force, repousse les formations encaissantes à la manière des diapirs (= « qui percent à travers ») ou les disloque.

3.4.1 Les intrusions en feuillets On distingue les filons, qui recoupent les litages ou les foliations des formations encaissantes et dont le plan de symétrie est subvertical, et les sills, concordants, dont le plan de symétrie est sub-horizontal. Les intrusions en feuillets sont limitées dans l’espace par leurs épontes, également appelées murs, qui les séparent de l’encaissant solide. Elles se forment préférentiellement par injection de magma dans un réseau de joints ou de fractures préexistant dans un milieu anisotrope mais peuvent aussi se mettre en place dans un milieu isotrope. L’orientation des feuillets dans un essaim est généralement constante, à l’exception de certains qui montrent une orientation perpendiculaire à l’orientation générale, ce qui indique qu’au moment de leur mise en place, le champ régional de contraintes n’a pas varié. L’ascension d’une poche de magma à travers une lithosphère trop froide pour fondre ou même ramollir au contact du magma n’est possible que par fracturation, car le processus de fracturation est suffisamment rapide pour empêcher la solidification du magma.

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a) Contexte tectonique • En milieu cassant Dans un champ de contraintes anisotrope, le magma s’oriente perpendiculairement à l’axe de la contrainte compressive minimale σ3. Dans le cas d’un filon vertical, σ3 est associé dans le plan horizontal soit à σ2 (régime extensif), soit à σ1 (régime décrochant). Dans le cas d’un sill horizontal, σ3 est vertical (régime compressif). Le critère d’orientation des filons dans le champ de contrainte est déterminé par le nombre sans dimension : λ = (ηL/ ∆σ)n (v / d) ηL, viscosité du magma ; ∆σ, différence entre les deux contraintes horizontales ; n, constante variable selon l’état du fluide ; (magma pauvre en cristaux newtonien : n = 1 ; magma porphyrique dilatant : n > 1) ; v, vitesse de propagation ; d, profondeur où apparaît l’anisotropie du champ de contraintes. Si λ + 10). Les rapports isotopiques des roches dites « normales » sont du même ordre de grandeur, quels que soient le lieu et l’âge de mise en place des batholites, ce qui suggère que les compositions isotopiques des roches et des fluides qui percolaient dans le réseau de fractures du système convectif géothermique associé se sont équilibrées à basse température, soit moins de 500 °C. Le même problème se pose pour CO2. Tous les magmas mantéliques contiennent CO2. Cela ne signifie pas pour autant que CO2 est issu du dégazage du manteau primordial. Il provient en fait de la décarbonatation des phases solides apportées au manteau par la subduction et participe au recyclage du carbone. Les fluides hydrothermaux proviennent donc des différents réservoirs et participent au cycle des molécules H2O et CO2 entre atmosphère et manteau. Au cours des processus de dissolution-précipitation, de nombreux éléments chimiques sont mobilisés par les fluides hydrothermaux et se concentrent sous forme d’associations minérales dans certaines zones. Si les éléments ont un intérêt économique, on parle d’indice lorsque les teneurs sont faibles, de gîte ou de gisement lorsque les teneurs sont suffisantes pour que l’exploitation soit rentable.

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4.1.3 Gîtes minéraux hydrothermaux De nombreux gisements métalliques associés aux massifs granitiques se sont formés en contexte hydrothermal. Le magma silicaté étant primitivement sous-saturé en fluide, quatre étapes sont nécessaires pour obtenir des dépôts métalliques : 1. Acquisition des éléments métalliques par le magma silicaté sous-saturé en eau. 2. Concentration des éléments dans les phases solides (feldspaths, micas, oxydes et sulfures), les liquides résiduels et les fluides au cours de la cristallisation du magma. 3. Libération des éléments et transport dans les fluides hydrothermaux. 4. Dépôt de minerais par interactions entre les fluides et les roches encaissantes. Les fluides hydrothermaux sont acides et contiennent toujours, avec F et B dont le rôle n’est pas encore bien connu, le composé HCl qui peut être produit au cours de la rétro-ébullition du magma par hydrolyse de NaCl dissous, selon la réaction : 2 NaCl (magma) + H2O (fluide) → 2 HCl (fluide) + Na2O (magma) Le devenir des éléments métalliques est essentiellement gouverné par le cycle des chlorures, par individualisation de l’espèce NaCl dans le magma, production de HCl 243

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

dans les fluides au cours de la rétro-ébullition du magma, puis dissolution, transport et dépôt des éléments métalliques par neutralisation de HCl (Fig. 4.4).

D MeCl2 + H2S

MeS + 2 HCl

Bi + 2 HCl Cc + 2 HCl

Ms + Q + 2 KCl CaCl2 + H2CO3

C f

2 HCl + silicates

MeCl2 + H2O

B NaCl

m 2NaCl(m) + H2O(f)

2 HCl (f) + Na2O(m)

A m NaCl Figure 4.4 – Cycle des chlorures (Eugster, 1985). A. entrée de NaCl dans le liquide silicaté, B. production de HCl par dégazage du magma et fracturation hydraulique de l’encaissant, C. neutralisation de HCl et transport des métaux par lessivage des silicates, D. dépôt de composés métalliques dans les schistes et les carbonates en milieu acide, production de HCl et H2CO3.

a) Dissolution et transport des éléments métalliques Les éléments métalliques concentrés dans les fluides hydrothermaux, qu’ils soient d’origine magmatique ou météorique, ont trois origines possibles. Les éléments peuvent être dissous dans le fluide au cours de la rétro-ébullition du liquide silicaté, ils peuvent être incorporés à la suite de réactions chimiques des fluides avec les portions déjà cristallisées du magma, ou ils peuvent l’être par réactions des fluides avec les roches solides de l’encaissant. Trois classes d’éléments métalliques ont été identifiées par leurs propriétés cristallographiques. 244

4.1 • Effets de la mise en place des corps magmatiques

1. Les grands cations fortement chargés (GCFC) (0,5-0,7 Å, charges + 3 à + 5) regroupent Al, Fe3+, As, Nb, Mo, Sn, Sb, Ta et W. Ils sont facilement expulsés du réseau silicaté polymérisé et forment des complexes hydratés avec Na, Li et Be. Ils sont mobiles dans les milieux acides mais relativement réduits typiques des stades précoces. Ils se rassemblent au toit du pluton où ils s’associent aux ions oxygène ne reliant pas (« non-bridging ») les tétraèdres [(Si, Al)O4]. 2. Les cations divalents octaédriques (CDO) (0,6-0,8 Å) regroupent Fe2+, Zn, Mn, Cu et le cation monovalent Li. Ils forment des complexes avec Cl, F et B et se rassemblent préférentiellement dans la phase fluide au cours de la vésiculation. Ils se concentrent dans les environnements acides et oxydants typiques des stades tardifs. 3. Les cations de type alcalin (CTA) (1,1-1,5 Å) sont surtout représentés par Pb, Ag et Hg. Ils sont libérés par dissolution dans les milieux acides et oxydants des stades tardifs. La libération des éléments métalliques, comme par exemple le fer, se produit par des réactions de dissolution-précipitation en milieu chloruré aux dépens du liquide silicaté et des phases solides. Dans un milieu acide et réducteur, la magnétite se dissout par la réaction : magnétite + 6 HCl → 3 FeCl2 + 3 H2O + 0,5 O2 Dans un mileu encore acide mais sans action sur la fugacité d’oxygène, le fer ferreux du liquide silicaté et la biotite déjà cristallisée sont remobilisés : FeO (liquide silicaté) + 2 HCl → FeCl2 + H2O 3 biotite + 20 HCl → muscovite + 6 quartz + 9 FeCl2 + 2 KCl + 12 H2O Dans un milieu resté acide mais devenu oxydant, la biotite favorise la re-précipitation de la magnétite :

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3 biotite + 2 HCl + 1,5 O2 → muscovite + 3 magnétite + 6 quartz + 2 KCl + 3 H2O Enfin, le milieu peut devenir neutre, tout en restant oxydant. La biotite devient magnésienne et facilite le dépôt de la magnétite : biotite Fe + MgCl2 → biotite Mg + FeCl2 biotite + NaCl + 0,5 O2 → albite + magnétite + KCl + H2O À la suite des réactions qui se produisent au cours du refroidissement, la magnétite magmatique a disparu pour laisser la place à la magnétite hydrothermale qui cristallise avec le quartz, la muscovite et l’albite, minéraux typiques des greisens. Dans les deux types de cristaux, la formule stœchiométrique Fe3O4 est conservée. Mais les éléments mineurs, Ti, V et les éléments de transition, et présents dans la magnétite primaire précipitent après remobilisation dans des minéraux tardifs différents. 245

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

b) Dépôt des minerais métalliques Le dépôt des minerais métalliques est la conséquence de réactions de neutralisation. Les solutés de chlorures métalliques précipitent sous forme d’oxydes et/ou de sulfures, avec libération de HCl, c’est-à-dire de H3O+. Les oxydes se forment par réactions d’oxydation du fluide hydrothermal sur les roches. Dans les roches calcaires, la neutralisation est effectuée par la dissolution des carbonates et la production de saumures à CaCl2, par exemple : SnCl2 + 0,5 O2 + calcite CaCO3 → cassitérite SnO2 + CaCl2 + CO2 Dans les roches silicatées, la neutralisation est aidée par la déstabilisation des feldspaths alcalins et de la biotite en muscovite et la production de saumures alcalines, par exemple : SnCl2 + H2O + 0,5 O2 + orthose+ 2 albite → cassitérite + muscovite + 6 quartz + 2 NaCl SnCl2 + 2 O2 + 3 biotite → cassitérite + muscovite + 6 quartz + 3 magnétite + 2 KCl + 2 H2O Les sulfures précipitent à partir du soufre contenu dans les fluides hydrothermaux. Selon la température et la fugacité d’oxygène, l’espèce dissoute dominante est H2S ou SO2. Dans le cas où l’espèce est H2S, la réaction générale de précipitation est : MeCl2 + H2S → MeS + 2 HCl, où Me est un cation divalent. Le soufre hydrothermal provient de sources variées : magmas et minéraux granitiques d’une part, sulfures, sulfates et soufre organique disséminés dans les roches encaissantes d’autre part. Comme leur étymologie l’indique, les processus hydrothermaux consistent en la remobilisation de constituants chimiques par un fluide aqueux et chaud et sont la conséquence de la mise en place des magmas à un certain niveau de la croûte. Par ailleurs, la disposition des massifs magmatiques n’est pas quelconque et obéit à une logique globale : la nature d’un magma varie en fonction du site où il est produit et mis en place.

4.2 MAGMATISME

ET GÉODYNAMIQUE

La tectonique des plaques fournit une vision cohérente de la géodynamique du globe terrestre, qui permet de rassembler et comparer les résultats obtenus à partir de différentes disciplines des Sciences de la Terre. Les conceptions de la pétrologie endogène en ont été complètement renouvelées, car il est vite apparu que chaque site géodynamique et chaque période dans un cycle orogénique ont des associations magmatiques avec leurs caractères propres. Il n’est pas question, ici, de détailler les suites magmatiques, ce serait la matière à un second livre, encore plus développé que celui-ci, et il en existe déjà. Quelques associations magmatiques seront rapidement décrites avec des indications sur leur origine et l’évolution de leur environnement. 246

4.2 • Magmatisme et géodynamique

EN CART La normalisation des éléments incompatibles dans les roches magmatiques

Les magmas qui arrivent dans la croûte ne sont en général pas primaires. Ils ont subi au préalable une différenciation plus ou moins prononcée. Les éléments incompatibles, qui entrent de préférence dans la phase liquide (D = CS/CL < 1), sont utiles pour caractériser les sources des magmas, car ils évoluent tous de la même manière. Il suffit alors de les comparer entre eux et par rapport à une référence, qui peut être le manteau primitif, un type de basalte ou même un type de granite (Tab. 4.1). Le rapport entre la teneur d’un élément dans le magma et celle dans la référence choisie donne une valeur dite normalisée. Les valeurs normalisées des éléments sont alors utilisées dans les diagrammes multi-éléments, appelés arachnogramme (« spidergram »). L’ordre de présentation des éléments de la gauche vers la droite suit en général l’ordre décroissant d’incompatibilité et varie suivant les auteurs. L’ordre indiqué dans le tableau 4.1 est celui de Thompson et al. (1984). Il faut noter que certains éléments peuvent être incompatibles lors de la fusion primaire du manteau et devenir compatibles au cours de la différenciation et entrer alors dans les phases solides (D > 1), ils ne sont alors plus utilisés dans les diagrammes correspondant aux roches différenciées, par exemple Sr, P et Ti.

Tableau 4.1 – Compositions moyennes (= valeurs de normalisation) des chondrites

(= manteau), du manteau primitif, du basalte de ride médio-océanique (MORB) et du granite de ride océanique (ORG) (Thompson et al., 1984 ; Sun & McDonough, 1989 ; Pearce, 1983 ; Pearce et al., 1984).

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Elément (ppm) Oxyde (poids %) Ba Rb Th K2O Nb Ta La Ce Sr Nd P2O5 Sm Zr Hf TiO2 Tb Y Yb

Chrondrites

6,944 0,354 0,042 0,014 0,354 0,024 0,328 0,865 11,804 0,634 0,010 0,203 6,844 0,244 0,103 0,052 2,004 0,224

Manteau primitif 6,989 0,635 0,085 0,030 0,713 0,041 0,708 1,833 21,100 1,366 0,023 0,444 11,200 0,309 0,220 0,108 4,550 0,481

MORB

12,5 1,01 0,21 0,11 3,11 0,18 – 10 120 – 0,12 3,38 90 2,4 1,5 – 30 3,4

ORG

50 4,18 0,810,8 0,41 10 0,71 – 35 – – 0,12 9,18 340 9,18 – – 70 8,18

247

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

4.2.1 Zones océaniques Les océans recouvrent plus des 2/3 du globe terrestre. La densité élevée (d ≈ 3,00) des matériaux constitutifs explique qu’en équilibre isostatique, la croûte océanique est immergée par 4 000 m de fond environ, alors que les continents (d ≈ 2,67) sont normalement émergés de 750 m environ. a) Croûte océanique et ophiolites Les rides médio-océaniques, surélevées de 1000 à 3000 m au-dessus des plaines abyssales et parfois émergées, matérialisent les frontières de divergence de plaques où se forme une nouvelle croûte océanique, qui évolue ensuite de façon passive. Les observations sous-marines au niveau des rides et des failles transformantes ont permis de préciser la structure de la croûte océanique (Fig. 4.5A). Les massifs d’ophiolites peuvent représenter des fragments de croûte océanique préservée de la subduction et maintenant charriée sur un continent par obduction (Fig. 4.5B). On dénombre plusieurs types d’ophiolites qui correspondent à la croûte océanique normale ou à la croûte formée dans les bassins d’arrière-arc en contexte de supra-subduction. La répartition actuelle des ophiolites mésozoïques dans la chaîne alpine montre une nette prédominance du type arrière-arc ou supra-subduction (Méditerranée Orientale, Oman) sur le type océanique (Alpes, Corse, Apennins). Ceci ne signifie pas que les bassins d’arrière-arc étaient plus développés que les océans, mais leurs caractères ont rendu leur obduction relativement plus facile que dans le cas des aires océaniques avec une lithosphère plus âgée, donc plus épaisse et plus dense. La croûte océanique est classiquement constituée de plusieurs couches : • la couche 0 aqueuse, de densité 1, est épaisse de 4 000 à 4 500 m ; • la couche 1 sédimentaire, de 0 à 500 m d’épaisseur, a une densité 2,3 environ ; • la couche 2 basaltique, de 1,7 km d’épaisseur, de densité 2,7, est subdivisée en groupe 2A, formé par les coulées sous-marines présentant un débit en coussins ou en feuillets, et en groupe 2B, constituant le complexe filonien d’alimentation ; • la couche 3 gabbroïque, de 5 km d’épaisseur, de densité 3,0, résulte de la coalescence des chambres magmatiques subvolcaniques où se sont différenciés les magmas basaltiques ; • la couche 4 péridotitique, de densité 3,3, contient à son sommet le groupe 4A de cumulats ultrabasiques lités, correspondant à la base de la chambre magmatique de la couche 3, puis le groupe 4B des péridotites foliées (« tectonites ») du manteau supérieur. Les deux groupes 4A et 4B sont séparés par ce que l’on appelle le Moho « pétrologique » ou « géologique ». Les laves essentiellement basaltiques constituent les basaltes des rides médioocéaniques, ou MORB (« mid-oceanic ridge basalts ») (Tab. 3.4, analyse 1). Ce sont des tholéiites à olivine dont la composition en éléments majeurs est remarquablement constante. Les éléments en trace ont permis de distinguer plusieurs types de basalte : N-MORB (normal), P-MORB ou E-MORB (enrichi et supposé en relation avec un panache mantélique) et T-MORB (transitionnel) (Fig. 4.6). La pauvreté des N-MORB et T-MORB en éléments très incompatibles Rb à Nd par rapport aux 248

4.2 • Magmatisme et géodynamique

éléments moins incompatibles Sm à Yb est remarquable. Elle est originelle, car leur source est un manteau appauvri de type harzburgite, tandis que les P-MORB proviennent d’un manteau lherzolitique peu ou pas appauvri (Tab. 1.8 et 2.1). D’après les résultats expérimentaux (Tab. 2.8), les MORB dérivent de la différenciation à basse pression d’un magma primaire formé par 25 % environ de fusion du manteau à plus de 30 km de profondeur (pression de 1,0 à 1,5 GPa). Dans les portions émergées de rides médio-océaniques (Islande, par exemple), des volcans centraux à caldeira montrent une différenciation par les islandites vers les rhyolites (Tab. 3.11, analyses 1 à 3). Dans la chambre magmatique, située sous le complexe filonien d’alimentation des basaltes et délimitée au sommet par des dolérites massives, les cumulats (olivine + plagioclase + pyroxène) occupent les étages inférieurs et les liquides différenciés se placent au sommet ou forment des filons qui recoupent tout l’ensemble plutonique et volcanique (Fig. 4.5). Les liquides les plus différenciés, de composition granitique, forment des filons bréchiques, témoins de fortes pressions de fluides. Ils sont associés aux circulations hydrothermales matérialisées en surface par les « fumeurs noirs » et aux dépôts métalliques associés (sulfures et hydroxydes massifs). Un métamorphisme de basse pression et haute température affecte plus de 15 % de la croûte océanique avec précipitation abondante de carbonates à plus de 500 m de profondeur. La zone altérée montre, du haut vers le bas, la séquence des faciès : zéolite (palagonite, smectite, illite), schiste vert (chlorite, serpentine) et amphibolite (actinote, hornblende, épidote). Le métamorphisme est provoqué par la circulation de l’eau océanique, d’abord froide et oxydante dans le circuit descendant, puis chaude et réductrice dans le circuit ascendant. Il dure environ 10 Ma à partir de la formation de la croûte au niveau de la ride.

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b) Iles océaniques La surface du plancher océanique est hérissée de structures volcaniques : monts sous-marins qui peuvent émerger de façon épisodique, îles océaniques plus longuement émergées. Les îles océaniques constituent des unités hautes de plus de 4 000 m au-dessus du plancher océanique, qu’elles déforment par l’effet de leur propre poids. Elles témoignent de la vigueur du phénomène magmatique qui a construit des édifices importants. Fréquemment alignées en archipels le long de zones de fractures, les îles océaniques montrent un magmatisme évoluant avec le temps des séries tholéiitiques aux séries alcalines. Les séries magmatiques comprennent toujours des basaltes, constituant les OIB (« oceanic island basalts »), et des roches différenciées jusqu’aux rhyolites et aux phonolites (Tab. 3.11, analyses 4 à 11). L’atoll de Fangataufa (Tuamotu, Polynésie Française), âgé d’environ 10,5 Ma, en est un bon exemple. Le soubassement de l’atoll, issu d’une activité magmatique sousmarine, est tholéiitique, constitué de picrites et de basaltes mis en place pendant 1,9 Ma.

249

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

2A

sédiments coulées de laves à débit en coussins

2B

complexe filonien

couche 3

séquence crustale

couche 2

2Km

couche 1

5Km

A

3A

3B

gabbros isotropes

gabbros lités MOHO SISMIQUE

couche 4

manteau supérieur

péridotites litées MOHO PETROLOGIQUE

péridotites foliées = tectonites

EN CART Moho « sismique » et Moho « pétrologique » Le Moho « sismique », défini par l’augmentation brutale de la vitesse des ondes P, ne coïncide pas avec le Moho « pétrologique », défini par la limite entre les cumulats ultrabasiques du groupe 4A et le manteau supérieur du groupe 4B, pour la raison simple qu’ils ont des compositions semblables et des propriétés physiques équivalentes. Les roches du manteau supérieur ont été observées à l’affleurement dans les escarpements des failles transformantes et des plateaux océaniques. En fait, le Moho « sismique » sous les océans ne correspond pas à la frontière entre la croûte et le manteau, comme c’est généralement le cas dans les zones continentales. Il représente la limite inférieure de la partie du manteau supérieur qui a été transformée en serpentinite (10 à 15 % H2O) par l’altération hydrothermale lors du refroidissement de la ride médio-océanique.

250

4.2 • Magmatisme et géodynamique

B

8 7 6 5 9 4 3 2

300m

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1

?

Figure 4.5 – Structure de la croûte océanique, actuelle et fossile. A. Constitution des différentes couches, d’après les études sismiques et les dragages en milieu océanique. B. Reconstitution de la séquence ophiolitique de Corse (Rocci, Ohnenstetter & Ohnenstetter, 1976). 1. lherzolite localement recoupée par des filons de gabbro, 2. zone de transition : lherzolite à plagioclase, anorthosite et troctolite, 3. troctolite et allivalite, 4. euphotide, 5. ferrogabbro, 6. plagiogranite, 7. dolérite massive, 8. laves basaltiques en coussins, 9. filons doléritiques, 10. série sédimentaire.

251

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

A A. Arachnogrammes des basaltes de la ride médioIslande (P) atlantique (MORB = « Mid100 61°- 63°N (T) Oceanic Ridge Basalts ») normalisés par rapport aux 28°- 34°N (N) chondrites (d’après Wilson, 1989). La normalisation est définie par le rapport : concentration dans la roche/concentration dans un 10 matériau normatif, ici les chondrites représentant le manteau supérieur primitif (droite de valeur 1) (Thompson et al., 1984). L’ordre d’incompatibilité des éléments 1 décroît de Ba vers Yb. Une valeur de normalisation de 1 correspond à 100 % de fusion, de 10 à 10 %, de 100 à 1 %, etc. La variation des valeurs de normalisation d’un élément à l’autre indique que le manteau 0.1 source des MORB n’a pas la Ba Rb Th K Nb Ta La Ce Sr Nd P Sm Zr Hf Ti Tb Y Tm Yb composition des chondrites. Le « manteau appauvri » présente une baisse marquée en éléments légers (LILE) comme Ba, Rb, K, ce qui s’explique par des épisodes antérieurs de fusion. Le caractère résiduel est de plus en plus marqué depuis le manteau sous les Açores et l’Islande (P = primitif) à celui sous la ride aux latitudes 61-63 °N (T = transitionnel) et 28-34 °N (N = normal).

MORB de l’Océan Atlantique

Açores (P)

B Granites océaniques 100

Océan Indien (N) Océan Indien (P) Islande (P) Islande (P) MAR 45°N (N°)

10

1

0.1

K20

Rb

Ba

Th

Ta

Nd

Ce

Hf

Zr

Sm

Y

Yb

B. Arachnogrammes des granites océaniques normalisés par rapport aux ORG (= « Oceanic Ridge Granites ») (d’après Hedge et al., 1979 ; Jauzein, 1981 ; Pearce et al., 1984). Les ORG ont été définis par Pearce et al. (1984) comme le produit de la différenciation des MORB par 80 % de cristallisation fractionnée. L’ordre de présentation des éléments suit la même logique. Deux types de granites sont observés : les plagiogranites, très pauvres en K et Rb, et les monzogranites, relativement riches en K, Rb, Ba.

Figure 4.6 – Compositions normalisées des matériaux océaniques. 252

4.2 • Magmatisme et géodynamique

100

Basaltes de Fangataufa (Polynésie)

tholéïtique alcalin MORB

10

1

0.1

Sr

K Rb Ba Th Ta Nb Ce

P

Zr Hf Sm Ti

Y Yb Sc Cr Ni

Figure 4.7 – Arachnogrammes des basaltes de l’île océanique de Fangataufa (Polynésie Française, océan Pacifique) normalisés par rapport aux MORB (d’après Guillou, 1990).

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

La composition typique moyenne des MORB a été définie par Pearce (1983). Un échantillon de MORB de l’Océan Atlantique (N) est assez proche de la valeur de normalisation 1. Les éléments sont classés d’abord selon leur mobilité dans les fluides : Sr, K, Rb et Ba sont mobiles, alors que Th à Yb sont réputés immobiles. L’ordre d’incompatibilité croît de l’extérieur vers le centre du diagramme (c’est-àdire de Sr vers Ba et de Yb vers Th). Il en résulte une allure typique de cloche. Dans le cas de Fangataufa, les arachnogrammes semblables suggèrent un manteau source identique, plus riche en éléments mobiles et incompatibles (de Sr à Zr) que le manteau source des MORB, alors que les éléments immobiles les moins mobiles (de Zr à Ni) sont comparables : on parle alors de « manteau enrichi », c’est-à-dire préalablement appauvri, puis ayant reçu un apport d’éléments incompatibles. Les valeurs de normalisation indiquent un taux de fusion plus faible pour le basalte alcalin que pour le basalte tholéiitique, conformément aux résultats expérimentaux sur la pyrolite.

La superstructure provient d’éruptions aériennes alcalines, ayant émis océanite, basalte alcalin et hawaïte pendant environ 1,4 Ma. Avant érosion, l’île a pu atteindre l’altitude de 1 300 m. Les deux séries magmatiques ont évolué par cristallisation fractionnée d’olivine, puis de plagioclase + pyroxène + ilménite. Les magmas basaltiques les moins évolués ont des compositions différentes mais des arachnogrammes parallèles (Fig. 4.7). Les basaltes tholéiitiques proviennent d’un taux de fusion partielle plus élevé que les basaltes alcalins, mais la source mantélique enrichie en éléments légers incompatibles est identique. Les éléments Sr, Rb et K, un peu moins abondants que les éléments suivants Ta à Ce, suggèrent que la source peut contenir un mica réfractaire (phlogopite). Les éléments Y et Yb, moins abondants que dans les N-MORB, indiquent que la source mantélique peut contenir aussi du grenat et se situer à une profondeur supérieure à 80 km. 253

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

L’archipel d’Hawaï montre une évolution identique avec une variation d’âges remarquable d’île en île, qui se poursuit de façon continue pendant plus de 60 Ma. Les données géochimiques indiquent que plusieurs sources mantéliques sont mises à contribution. La relation linéaire existant entre la position d’une île et son âge a conduit au concept du point chaud (« hot spot »), qui constituerait la trace en surface d’un panache mantélique (« mantle plume ») pouvant provenir de la base du manteau inférieur ou de la zone de transition. Dans chaque île, la séquence générale est : série fortement alcaline (néphélinite, basanite) → série moyennement alcaline (picrite, basalte) → série tholéiitique → séries de plus en plus alcalines, mais les deux premiers épisodes sont généralement peu représentés, car enfouis dans les produits des épisodes suivants. L’évolution peut s’expliquer (Fig. 4.8) par l’intrusion sous la lithosphère de portions du manteau profond, provenant de plus de 300 km de profondeur et contenant des éléments volatils du système C-H-O. Une zone de fusion s’établirait entre 75 et 100 km de profondeur pour produire des magmas picritiques qui vont remplir des chambres magmatiques à la base de la croûte où ils se différencieraient en liquides basaltiques. 0

200

100

0

100

200

Moho tholéïte Lithosphère 50

nephelinite picrite alcaline

picrite

N

vapeur

D

vapeur nephelinite

M U

Solidus

100

profondeur, km

trace de liquide

150

C-H-O 200

Solidus

vapeur 100

0

100

200 distance, km

Figure 4.8 – Magmatisme lié à la remontée d’un panache mantellique (Wyllie, 1988).

Noter la forme en champignon aplati de la zone affectée par la fusion partielle. Les magmas picritiques (en noir) formés dans la zone de fusion M pénètrent dans la lithosphère sus-jacente. Les magmas riches en éléments volatils (néphélinites) entrent dans la lithosphère de part et d’autre de la zone M. En approchant le solidus, les magmas exsolvent une phase fluide, augmentant la probabilité d’éruptions explosives. Le trajet suivi par les magmas diffère selon qu’ils se placent en amont (U) ou à l’aval (D) du mouvement de la plaque.

254

4.2 • Magmatisme et géodynamique

Le mouvement horizontal de la lithosphère océanique provoque l’apparition d’îles volcaniques distinctes, chacune évoluant pour son propre compte avec une durée de vie moyenne ne dépassant pas 4 à 5 Ma mais pouvant connaître des reprises d’activité tardive (suite fortement alcaline posthume). Dans le Pacifique, où les taux d’expansion océanique sont de l’ordre de 10 cm.a– 1, aucun volcan central de 10 km de diamètre ne pourrait être actif pendant plus de 0,1 Ma si l’on admet la théorie classique du point chaud fixe agissant à la manière du chalumeau. En fait, comme l’indique la figure 4.8, le panache mantélique s’étale, atteignant et pouvant dépasser 400 km de diamètre, et apporte à la base de la lithosphère de la matière et de l’énergie thermique (∆T = + 300 °C ou + 100 °C, selon les hypothèses). Une partie de la lithosphère, réchauffée au-dessus de 1 300 °C, devient asthénosphérique (comportement plastique). Dans la zone d’asthénosphère modifiée comprenant l’asthénosphère ancienne, la partie transformée de la lithosphère océanique et les matériaux issus du panache profond, les magmas primaires se forment par décompression adiabatique et utilisent comme conduits pour leur ascension les fractures lithosphériques préexistantes, ce qui explique la relative longévité des appareils volcaniques.

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c) Arcs insulaires et bassins d’arrière-arc Les arcs insulaires, constitués de chapelets d’îles volcaniques, matérialisent les zones de convergence océan-océan (subduction de type Mariannes) et s’installent sur la plaque chevauchante. Les principaux arcs insulaires se situent dans les Caraïbes (Petites Antilles), l’Atlantique Sud (Sandwich du Sud) et le Pacifique Ouest. Le processus de subduction se traduit par l’enfouissement dans le manteau d’une plaque océanique froide constituée des éléments suivants : manteau supérieur appauvri, résidu de la fusion sous les rides médio-océaniques et plus ou moins altéré (corps de serpentinites), croûte océanique altérée à 15 % de son volume et sédiments océaniques. Dans la plaque océanique chevauchante, le retrait de la zone de subduction conduit à un contexte d’extension et la formation de bassins d’avant-arc et d’arrière-arc. L’arc des Izu-Bonin, reliant le Japon aux Iles Mariannes, constitue un exemple émergé d’avant-arc. La série volcanique contient une roche particulière, appelée boninite et caractérisée par de fortes teneurs en MgO (> 8 %) pour une teneur en SiO2 dépassant 53 % (Tab. 4.2). À partir des résultats expérimentaux, les boninites sont considérées comme le produit direct de la fusion partielle d’un manteau appauvri hydraté. La suite associée andésite → dacite → rhyolite se forme à l’intérieur de chambres magmatiques. Les arachnogrammes (Fig. 4.9) illustrent la consanguinité de la boninite, magma primaire, et de la dacite à pigeonite, liquide évolué, et leur dérivation à partir d’un manteau très appauvri en éléments de fort potentiel ionique La à Yb, mais enrichi en éléments volatils Ba à K par les fluides issus de la plaque en subduction. Les massifs ophiolitiques d’affinité boninitique constituent les témoins obductés d’anciens bassins avant-arc. Les arcs insulaires sont caractérisés par les associations orogéniques, que l’on peut distinguer par le diagramme K2O-SiO2 (Fig. 3.28B). Le basalte à l’origine des suites calco-alcalines est appelé « high alumina basalt » (Tab. 3.4 analyse 5). 255

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

Tableau 4.2 – Série calco-alcaline de Chichi-jima, Iles Bonin.

SiO2 TiO2 Al2O3 FeO* MnO MgO CaO Na2O K2O P2O5 H2O D.I.

1

2

3

4

5

6

53,76 0,24 12,53 7,05 0,16 11,93 6,44 1,90 0,68 0,06 5,13 25,45

54,55 0,22 10,20 8,81 0,17 15,24 6,60 1,13 0,23 0,01 1,78 19,26

56,88 0,28 13,76 7,84 0,22 5,44 7,99 2,17 0,49 0,07 4,40 36,58

65,79 0,31 12,59 5,62 0,11 1,56 4,54 3,09 0,90 0,04 5,09 61,29

70,52 0,18 12,92 3,55 0,12 0,85 3,45 3,04 1,13 0,06 4,25 71,89

73,08 0,18 12,41 2,99 0,03 0,43 2,85 3,69 1,36 0,05 3,31 78,77

Suite boninite-dacite (Kuroda et al., 1978) 1. boninite, cœur de lave en coussin, Tsuri-Hama 2. boninite, filon, Hatsune-ura 3. andésite à orthopyroxène, lave en coussin, Yoake-yama 4. dacite, brèche volcanique, Miyano-hama Suite dacite quartzique-rhyolite (Kuroda et al., 1988) 5. dacite quartzique à pigeonite, brèche volcanique, Miyano-hama 6. rhyolite à orthopyroxène, brèche volcanique, Tenno-ura

57,23 % SiO2

Boninites

69,56 % SiO2

10

1

0.1

0.01

Sr

K Rb Ba Th Ta Nb Ce

P

Zr Hf Sm Ti

Y Yb Sc

Cr Ni

Figure 4.9 – Arachnogrammes des boninites des Iles Bonin (Japon) normalisées par rapport aux MORB (d’après Wilson, 1989).

Les éléments immobiles, très peu abondants (valeurs de normalisation de l’ordre de 0,1), indiquent que le manteau source lithosphérique est très appauvri. Les éléments mobiles abondants (valeurs de normalisation de 1 à 10) ont été apportés par les fluides provenant de la plaque océanique en subduction. Les valeurs de normalisation 2,5 fois plus élevées pour la boninite à 69,56 % SiO2 sont dues à l’effet de 40 % de cristallisation fractionnée, en particulier de l’olivine (diminution de Cr et Ni).

256

4.2 • Magmatisme et géodynamique

La teneur moyenne en K des associations magmatiques varie en fonction de la distance de la fosse océanique selon la zonalité : • série tholéiitique pauvre en K à dynamisme effusif (laves en coussin et volcans boucliers), près de la fosse (Tab. 3.13, analyses 1 à 3) ; • série calco-alcaline plus explosive (strato-volcans et dômes) à distance moyenne (environ 100 km) ; • série shoshonitique à grande distance (Tab. 3.13, analyses 10 à 12). La même zonalité se retrouve en fonction du temps, les arcs jeunes étant essentiellement tholéiitiques et les suites shoshonitiques caractérisant les arcs en fin d’évolution (arcs « mûrs »). L’origine des magmas se situe dans le manteau lithosphérique appauvri, enrichi par les fluides issus de la déshydratation des sédiments et de la croûte océanique en subduction. Le résultat de la métasomatose est un manteau hydraté qui fond au fur et à mesure qu’il s’hydrate. Les magmas primaires picritiques se logent à différents niveaux depuis l’interface croûte-manteau jusque dans la croûte où ils se différencient par cristallisation fractionnée, assimilation et contamination par les formations volcano-sédimentaires de l’arc insulaire. Une partie des liquides est émise en surface, mais l’essentiel forme l’infrastructure avec des chambres magmatiques stratifiées et des intrusions plutoniques superficielles.

4.2.2 Aires continentales Bien que représentant moins du tiers de la surface du globe, les suites magmatiques continentales sont mieux connues, car elles sont émergées et l’érosion importante permet de les observer à différents niveaux structuraux, de la surface à la croûte inférieure. Même dans les zones non soumises à des épisodes orogéniques, le magmatisme n’est pas insignifiant. À certaines périodes critiques, l’éruption massive dans un faible intervalle de temps des trapps volcaniques et leur impact sur l’environnement et la météorologie a pu jouer un rôle dans l’extinction en masse des espèces.

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a) Trapps volcaniques De vastes secteurs continentaux ont été recouverts par des épanchements volcaniques alimentés par des fissures et constituant les trapps ou CFB (« continental flood basalts »). On en connaît à toutes les périodes, par exemple dans le Protérozoïque moyen (Keeweenaw, Lac Supérieur), autour de la limite Permien-Trias (Sibérie), au cours du Mésozoïque (Karoo-Farrar en Afrique du Sud et Antarctique, Paraná-Étendeka au Brésil et en Namibie), à la limite Crétacé-Tertiaire (Atlantique Nord, Deccan en Inde) et dans le Néogène (Columbia River et Snake River dans l’ouest des États-Unis). Associées aux épisodes d’extension intra-continentale et de formation de bassins océaniques, les provinces de CFB ou « grandes provinces magmatiques » (« Large Igneous Provinces » ou LIP) recouvrent des surfaces de 50 000 à 1 500 000 km2 sur des épaisseurs pouvant atteindre plusieurs milliers de mètres. L’association tholéiitique à transitionnelle, plus rarement alcaline, évolue des basaltes aux rhyolites. 257

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

Précurseurs de l’ouverture de l’Atlantique Sud, les trapps du Bassin du Paraná, qui se prolongent en Namibie (Étendeka), recouvrent 1 200 000 km2 sur 1 530 m d’épaisseur et se sont mis en place il y a 130-135 Ma. Près de 700 m d’épaisseur de produits volcaniques ont été émis en moins de 1 Ma. Deux suites bimodales basalte (≥ 51 % SiO2)-rhyolite (≤ 72 % SiO2) ont été distinguées. La suite HPT est riche en P2O5 (0,9 à 0,4 %) et TiO2 (3,4 à 1,2 %) et prédomine au nord, tandis que la suite LPT est pauvre en P2O5 (0,3 à 0,15 %) et TiO2 (1,7 à 0,7 %) et prédomine au sud. La différenciation est gouvernée par la cristallisation fractionnée à basse pression (≈ 2540 km de profondeur). L’intervention de la croûte continentale est mise en évidence dans les basaltes par des rapports 87Sr/86Sr variant de 0,706 dans la suite HPT, peu contaminée, à 0,715 dans la suite LPT, très contaminée, et par de fortes teneurs en K, Rb, Ba et Th (Fig. 4.10), relativement aux tholéiites d’îles océaniques (Fig. 4.7), alors que les teneurs des autres éléments sont comparables. Trapps du Paraná (Brésil) 100

HPT LPT

10

1

0.1

0.01

Sr K Rb Ba Th Ta Nb Ce P Zr Hf Sm Ti Y Yb Sc Cr Ni

Figure 4.10 – Arachnogrammes des basaltes des trapps du Paraná (Brésil) normalisés par rapport aux MORB (d’après Wilson, 1989).

Les courbes en cloche obtenues pour les deux types de basaltes, respectivement riches (HPT) et pauvre (LPT) en P et Ti, sont semblable à celles de Fangataufa, ce qui indique un manteau source analogue. Les basaltes HPT, plus alcalins, correspondent sans doute à un taux de fusion plus faible que les basaltes LPT.

Les complexes tholéiitiques lités, comme Skaergaard dans le Groenland oriental, Duluth dans la Province de Keeweenaw, et Dufek en Antarctique, sont liés à des trapps basaltiques cogénétiques et synchrones. Le complexe géant du Bushveld est lui-même associé à une série volcanique analogue. Ils représentent les réservoirs de stockage superficiel durant l’ascension des magmas vers la surface. Les deux suites volcaniques différenciées basalte-rhyolite sont élaborées à ce niveau par cristallisation fractionnée à faible pression et contamination. 258

4.2 • Magmatisme et géodynamique

Les teneurs assez faibles en MgO (< 10 %) des CFB montrent qu’ils ne sont pas des magmas primaires. L’ensemble des roches des deux suites provient de magmas primaires picritiques, issus de la fusion d’un manteau analogue à celui responsable du magmatisme des îles océaniques (OIB), qui se sont installés à cause de leur densité à l’interface croûte-manteau sous forme de sills et s’y sont différenciés par fractionnement de l’assemblage [olivine + clinopyroxène + plagioclase] et contamination par la croûte profonde. L’ascension des liquides différenciées s’effectue le long de filons utilisant les fractures préexistantes. b) Magmatisme anorogénique Dans les zones qui ne subissent aucun événement orogénique compressif, se mettent en place des volcans en surface et des complexes annulaires en profondeur, appartenant généralement aux séries alcalines. On appelle ce magmatisme anorogénique, bien qu’il puisse être synchrone de phénomènes orogéniques se déroulant ailleurs dans le monde. L’essentiel du magmatisme anorogénique se concentre dans les rifts intra-continentaux, mais il existe aussi des provinces sans rift associé. Le magmatisme anorogénique alcalin est caractérisé par l’abondance remarquable des termes évolués (granite/rhyolite, syénite/trachyte, syénite néphélinique/phonolite) relativement aux termes basiques (basanite, basalte, hawaïte). Plusieurs associations ont été définies (Fig. 4.11) : Q

1 2 G

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

3 5 A

4 P 1 Série tholéïtique 2,3,4 Séries intermédiaires 5 Série alcaline

Figure 4.11 – Associations magmatiques anorogéniques sursaturées en silice dans le diagramme QAP.

L’évolution conduit des roches basiques (pôle P) au pôle G situé dans le champ des granites à feldspath alcalin, correspondant au minimum thermique du système quartz-albite-orthose (Tuttle & Bowen, 1958, cf. chap. 3 Fig. 3.16). Les séries magmatiques se distinguent essentiellement par leurs roches intermédiaires.

259

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

1. L’association sursaturée en silice (= faiblement alcaline), marquée par la coexistence de basalte à néphéline normative et de roches différenciées à quartz modal (granite/rhyolite). 2. L’association saturée en silice, dans laquelle les roches différenciées ne contiennent ni quartz, ni feldspathoïdes modaux (syénite/trachyte). 3. L’association sous-saturée en silice (= fortement alcaline), constituée de roches qui renferment des feldspathoïdes normatifs et/ou modaux (théralite/basanite → syénite néphélinique/phonolite). Les magmas primaires proviennent de faibles taux de fusion partielle d’un manteau comparable à celui générateur des OIB (Fig. 4.12). Comme les basaltes des trapps (CFB), ils montrent de fortes teneurs en certains éléments incompatibles (K, Rb, Ba, Th). L’évolution des magmas basiques aux liquides résiduels s’effectue par cristallisation fractionnée et contamination à deux étages : à l’interface croûtemanteau et à la limite entre croûte inférieure plastique et croûte supérieure cassante. Les minéraux responsables de la différenciation sont aussi bien anhydres (olivine, pyroxènes, plagioclase) que hydroxylés (amphibole ± biotite). Le rôle de l’amphibole, appelé effet amphibole, est essentiel. Minéral sous-saturé en silice, sa précipitation provoque la sursaturation en silice des liquides résiduels. Mais comme elle contient les anions OH–, F– et Cl–, l’amphibole n’est stable qu’en présence de fluides aqueux. La nature des trois suites magmatiques, étroitement liée à l’abondance d’amphibole, reflète donc la variation des teneurs en fluides piégés dans les chambres magmatiques. À partir de l’achèvement d’un épisode orogénique majeur, le magmatisme anorogénique évolue au cours du temps dans les cratons. Pendant 500 Ma environ, la série sursaturée en silice prédomine. Les autres séries, saturée et sous-saturée en silice, se mettent en place plus de 500 Ma après la fin de l’orogenèse, souvent en association avec les carbonatites (Tab. 3.11, analyses 12 à 14) et les kimberlites (Fig. 4.13). L’évolution, observable dans tous les cratons, s’explique par la diminution au cours du temps du volume de fluides hydrothermaux pouvant percoler dans la croûte et se traduit par une contamination crustale de plus en plus réduite. c) Rifts intra-continentaux Les rifts intra-continentaux ne constituent qu’un cas particulier du magmatisme anorogénique continental déjà décrit et les mêmes associations magmatiques alcalines s’y observent. Expressions en surface de fractures lithosphériques profondes, les rifts favorisent la mise en place de grands volcans et de leurs racines plutoniques. Deux types principaux ont été distingués : • les rifts peu volcanogènes sont caractérisés par de faibles taux d’extension, comme par exemple le Fossé du Rhin, le Rift de Baïkal et la branche occidentale du Rift Est-Africain. L’activité volcanique est discontinue et les volumes émis de magmas sont faibles, avec un rapport volumique basaltes/roches différenciées très élevé. Les associations alcalines sont fortement sous-saturées en silice (néphélinites, basanites et leucitites) et faiblement différenciées (roches acides rares) (Tab. 3.10, analyses 15 à 16). 260

4.2 • Magmatisme et géodynamique

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

A. Arachnogrammes des roches basiques alcalines de Corse normalisées par rapport aux MORB (Platevoet, 1990). Pour comparaison, ont été reportées les courbes du basalte HPT du Paraná (Fig. 4.10) et du basalte alcalin de Fangataufa (Fig. 4.7). Les courbes sont voisines, à l’exception des éléments Th, Ta, Nb et Ce qui sont moins abondants en Corse. Ceci suggère que les manteaux sources et les processus de fusion sous les îles océaniques et les domaines intra-plaque continentaux sont très semblables.

B. Arachnogramme s des syénites et granites alcalins de Corse normalisés par rapport aux ORG (d’après Bonin, 1988). Les valeurs de normalisation des syénites et des granites alcalins par rapport aux ORG sont du même ordre de grandeur que celles des roches basiques alcalines par rapport aux MORB : elles suggèrent un manteau source identique et un lien génétique par cristallisation fractionnée. L’appauvrissement marqué en Ba dans les granites les plus évolués est dû au fractionnement important de feldspath alcalin.

1000

Roches basiques alcalines de Corse 100 dolérite Corse gabbro Corse HPT Paraná

10

Fangataufa

1

0.1

0.01 Sr K Rb Ba Th Ta Nb Ce P Zr Hf Sm Ti Y Yb Sc Cr Ni

Syénite et granites alcalins de Corse syénite granite à biotite à fayalite

100

à arfvedsonite à aegyrine 10

1

0.1

0.01

K20

Rb

Ba

Th

Ta

Nb

Ce

Hf

Zr

Sm

Y

Yb

Figure 4.12 – Compositions normalisées des roches d’une suite alcaline continentale.

261

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

• les rifts très volcanogènes présentent un taux d’extension élevé, comme le Rift Éthiopien et la branche orientale du Rift Est-Africain. L’activité volcanique plus continue produit de grands volumes de magmas. Le volcanisme est typiquement bimodal avec association de basaltes et de roches acides. Toutes les séries alcalines sont présentes et évoluent par cristallisation fractionnée ± contamination crustale. L’alcalinité des associations magmatiques tend à décroître au cours du temps, ainsi que vers l’axe du rift, traduisant une augmentation du taux de fusion partielle du manteau asthénosphérique sous-jacent qui, de plus, s’appauvrit. Dans le rift Éthiopien, les basaltes deviennent subalcalins avec une composition proche de celle de MORB et marquent le passage vers l’océanisation. L’évolution spatio-temporelle des séries alcaline → tholéiitique dans les rifts continentaux est donc l’inverse de l’évolution tholéiitique → alcaline observée dans les îles océaniques. K

Faille transformante de fin de zone de suture

Kimberlites Roches alcalines, filons annulaires Tremblements de terre

Nouvel océan B K

K

K K Vieux craton (âge 1000 ma)

Mont sous marin Bassin sédimentaire

Séismes dispersés nombreuses failles réactivées

N Anomalie magnétique

ne zo ne ture n cie su An de

O TUR ZO E R I QU P LI E C E SS A M O U EE BR IE N

FAILL E

SFOR

MANT

E

Nouvel océan A

IN C E LE I- P A P FIN

Ancienne zone de faiblesse réactivée lors de l'ouverture mésozoïque ou cénozoïque

TRAN

FAILL E

Chaîn

e sou

TRAN

N

SFOR

MANT

E

N

s-mari

ne

N+1 N

N+1

Figure 4.13 – Sites géodynamiques du magmatisme anorogénique (Lameyre et al., 1984, d’après Sykes, 1978).

Dans les continents, les kimberlites se mettent en place dans les cratons ; les autres roches alcalines se situent dans des zones sismiquement actives et les ceintures mobiles anciennes. Dans les océans, le magmatisme forme des chaînes en relation avec les failles transformantes.

262

4.2 • Magmatisme et géodynamique

À partir de l’étude des systèmes isotopiques (Sr-Nd-Pb-O), les sources des magmas peuvent être regroupées en plusieurs réservoirs distincts : • un réservoir enrichi, caractérisé par les rapports 87Sr/87Sr = RiSr ≈ 0,703-0,707 et 143 Nd/144Nd = RiNd ≈ 0,5130-0,5121, et souvent considéré sous la forme d’un panache profond ; • l’asthénosphère, résiduelle ou non, homogénéisée par les courants de convection, avec RiSr ≈ 0,703 et RiNd ≈ 0,5132-0,530 ; • le manteau lithosphérique très hétérogène, en général résiduel mais souvent mésomatique, avec RiSr ≈ 0,7035-0,7100 et RiNd ≈ 0,5132-0,5122 ; • la croûte continentale de composition très hétérogène. Les phénomènes tectoniques extensifs favorisent la fusion par décompression de l’asthénosphère et de la lithosphère. S’y ajoute l’intrusion possible d’un panache chaud qui peut induire la fusion partielle des mêmes réservoirs. Les liquides provenant des différentes zones de fusion se mélangent (Fig. 4.14), selon un schéma semblable à celui proposé pour les îles océaniques (Fig. 4.8). 0

RIFT

Néphélinite

CROÛTE

Kimberlite

Carbonatite MOHO

4

Métasomatose

100

3

Kimberlite Métasomatose

us

id Sol

Kimberlite avortée

1

200

L i q u i d e

Profondeur km

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

Solidus

2

300

Magma Vapeur

Figure 4.14 – Magmatisme lié aux rifts (Wyllie, 1988). Au-dessus d’un panache mantellique (solidus entre les niveaux 2 et 3), la lithosphère est amincie par distension. Les magmas s’accumulent dans le piège constitué par la limite lithosphère-asthénosphère (1). Après un début de différenciation, les magmas montent dans la lithosphère au niveau 4 où des chambres magmatiques se développent, les fluides exsolvés provoquent une altération importante. Les différentes suites alcalines et carbonatitiques se différencient à ce niveau.

263

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

4.2.3 Subduction et collision continentales Pendant longtemps, tant que l’accès au fond des océans est resté impossible, le magmatisme orogénique continental a fourni l’essentiel des études pétrologiques. La découverte et la compréhension des processus d’origine océanique dans les zones de convergence de plaques ont permis de clarifier les différents types de magmatisme orogénique. Le magmatisme lié à la subduction océan-océan a déjà été décrit et servira de référence. Deux grands types de magmatisme orogénique continental peuvent être définis : • le magmatisme syn-subduction, associé à la subduction d’une plaque océanique et mis en place dans la plaque continentale chevauchante ; • le magmatisme syn- à post-collision, lié à la collision entre deux plaques continentales et mis en place aussi bien dans la plaque chevauchante que la plaque chevauchée. a) Zonalité des séries calco-alcalines Le volcanisme actuel lié au phénomène de subduction océan-continent est bien connu autour de l’océan Pacifique, dans les îles de la Sonde et dans les îles de la mer Égée. Le magmatisme unimodal est caractérisé par l’andésite et la dacite, prédominant sur le basalte alumineux et la rhyolite. De la fosse océanique vers le continent, se mettent en place au cours du temps différentes séries magmatiques : • la série adakitique pauvre en K, précoce et située près de la fosse océanique, est formée d’andésite, de dacite et de rhyolite (Tab. 4.3). La suite adakitique est fréquemment associée à des basaltes distincts, non cogénétiques et marqués par de plus fortes teneurs en Nb. La suite plutonique équivalente comprend gabbro, diorite, tonalite, trondhjémite et granodiorite. Elle se caractérise par l’abondance des minéraux hydroxylés précoces (amphibole, biotite) et la rareté des oxydes de Fe-Ti, traduisant un milieu riche en eau et relativement réduit. L’association plutonique correspondante est appelée tonalitique ou TTG, par l’abondance de la trilogie tonalite-trondhjémite-granodiorite (voir encart page 267 et suivantes). • les séries calco-alcalines à potassium normal et à potassium élevé, situées plus en arrière et plus tardives, se manifestent en surface par des stratovolcans andésitiques, des dômes dacitiques, des basaltes et des rhyolites en quantités mineures (Tab. 4.2, analyses 4 à 7). En profondeur, les batholites étroits (50 km de largeur en moyenne) et très allongés (de 250 km jusqu’à plus de 1 000 km de longueur) sont constitués de massifs coalescents où coexistent gabbro, diorite, granodiorite, monzogranite et rare syénogranite. Les minéraux hydroxylés moins précoces et associés aux oxydes de Fe-Ti indiquent un milieu encore riche en eau mais plus oxydant. L’association plutonique est appelée granodioritique ou encore, selon la nomenclature australienne, de type I (I pour Igné). Bien étudié dans les Andes, ce magmatisme est aussi qualifié de type andin. • la série potassique, communément appelée shoshonitique et constituée d’absarokite, shoshonite, banakite et latite, se met en place très en arrière et à une période tardive, fréquemment lorsque le processus de subduction cède la place à celui de 264

4.2 • Magmatisme et géodynamique

collision, et se poursuit durant tout l’épisode de collision. La suite plutonique équivalente comprend (monzo-) gabbro et diorite, monzonite, monzogranite et rare syénogranite. L’alcalinité est marquée par les fortes teneurs en K et la présence de minéraux potassiques dont certains sont précoces : mica, feldspath et leucite. Les minéraux colorés anhydres et magnésiens (olivine, pyroxène) coexistent avec les minéraux hydroxylés, les oxydes et les sulfures, montrant un milieu oxydant et relativement pauvre en eau. L’association plutonique est appelée monzonitique, ou encore de type calédonien (à cause des Calédonides d’Écosse, où cette association forme les Newer Granites). Elle forme également une partie du type I de la nomenclature australienne. • la série ultrapotassique se met en place postérieurement à la fin de la subduction. Elle montre des compositions très alcalines dues à la richesse en K des magmas, caractère probablement primaire lié à la déstabilisation du mica (phlogopite) dans la zone profonde de fusion du manteau métasomatique. La zonalité des séries plutoniques syn-subduction se met en évidence dans le diagramme modal QAP (Fig. 4.15). Toutes les séries prennent leur point de départ au pôle P (plagioclase) et évoluent vers la zone granitique correspondant aux liquides résiduels. La suite tonalitique suit le côté PQ, les autres suites se déplacent Q

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G

A

G'

P

Figure 4.15 – Associations magmatiques orogéniques dans le diagramme QAP. L’évolution conduit des roches basiques (pôle P) aux granites vrais (aire G’, différente du minimum thermique G du système quartz-albite-orthose), correspondant à des compositions cotectiques dans le système quartz-orthose-albite-anorthite. En tiretés longs, suite tonalitique ou calco-alcaline pauvre en K ; en tiretés courts, suite monzonitique ou calco-alcaline potassique ; autres figurés, suites granodioritiques ou calco-alcalines.

265

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

progressivement vers le côté PA (suite monzonitique). Comme le pôle A est surtout représenté par le feldspath K, l’évolution traduit surtout les rôles antagonistes joués par les minéraux potassiques (effet biotite). Le fractionnement de biotite, minéral hydroxylé précoce non représenté dans le diagramme, conduit les liquides résiduels le long du côté PQ. Au contraire, le feldspath alcalin, minéral anhydre tardif, devient abondant dans les liquides plus pauvres en biotite qui suivent alors le côté PA. Les arachnogrammes des termes les plus basiques traduisent l’effet de somme d’une source mantélique (lithosphère métasomatique) et de fluides issus de la croûte océanique et riches en K, Rb, Ba et Th (Fig. 4.20). Les variations présentées d’une roche à l’autre peuvent être dues aussi bien à des taux de contamination variables qu’à des effets de cristallisation fractionnée. Le passage d’une composition calcoalcaline à une composition très potassique à l’intérieur d’un même massif basique dans l’unité de Boussac, nord-ouest du Massif Central Français, se marque par la cristallisation de plus en plus importante de carbonates (calcite et dolomite) et l’augmentation considérable des éléments incompatibles (Fig. 4.20). L’association de fluides aqueux et de CO2 suggère que l’acquisition du caractère potassique d’un magma orogénique a une origine métasomatique profonde. L’origine du magmatisme orogénique est liée à la cinétique des plaques. En effet, de la ride médio-océanique où elle se forme jusqu’à la fosse océanique où elle disparaît, la croûte océanique refroidit et sa densité augmente. Corrélativement, l’ensemble de la lithosphère océanique s’épaissit. Dans la zone de subduction, la lithosphère océanique agit à la manière d’un coin froid pénétrant dans le manteau supérieur chaud et subit un métamorphisme de haute pression et basse température. Parmi les différentes possibilités, deux cas principaux peuvent se présenter (Fig. 4.21) : • Dans le cas général, la croûte océanique vieille, dense et froide, se déshydrate avant de fondre et expulse des fluides jusqu’à la transition amphibolite → éclogite (Fig. 4.21A). Plus bas, la déshydratation du manteau lithosphérique serpentinisé pourrait apporter des fluides jusque dans la zone de transition. Les fluides hydratent le coin de manteau situé au-dessus du plan de subduction et resté chaud. Le solidus de la péridotite s’abaisse en présence d’amphibole et de phlogopite. Les liquides primaires de type boninitique sont produits par déstabilisation d’amphibole. Au cours de leur ascension, ils acquièrent le caractère calco-alcalin et se différencient à plusieurs étages, interface croûte-manteau et chambres magmatiques intra-crustales. À noter que l’apport de fluides dans la croûte inférieure anhydre pourrait provoquer une anatexie localisée. Les liquides potassiques proviennent de la déstabilisation à plus grande profondeur du phlogopite qui fournit le potassium. À cause de la géométrie de la zone de subduction, les magmas mis en place précocement et à proximité de la fosse sont calco-alcalins, tandis que les magmas plus tardifs et situés en arrière ont des caractères potassiques.

266

4.2 • Magmatisme et géodynamique

• En revanche, si la croûte océanique est jeune et chaude, elle peut fondre avant d’atteindre la réaction de déstabilisation de l’amphibole et former alors des magmas dits « adakitiques » (voir encart ci-dessous). • Ainsi s’expliquent certains caractères paradoxaux du magmatisme synsubduction : • Au début de la subduction d’une croûte océanique jeune, la série tonalitique (adakitique) se met en place à peu de distance de la fosse, car les réactions de fusion sont assez superficielles. Elle est assez vite remplacée dans le cas d’une subduction ancienne affectant une croûte océanique froide. La série calco-alcaline granodioritique provient alors de la fusion d’un manteau hydraté où l’amphibole se déstabilise, tandis que le phlogopite reste stable. La série shoshonitique ou monzonitique provient de la fusion d’un manteau où le phlogopite se déstabilise et libère les éléments volatils K, Rb, Ba, Th… • Il n’y a pas synchronisme, mais un retard pouvant aller jusqu’à 50 Ma entre la subduction océan-continent qui est la cause et le magmatisme orogénique qui en est la conséquence. Un magmatisme présentant des caractères syn-subduction peut subsister alors que la subduction a cessé et durer tant que le processus d’expulsion de fluides aqueux et/ou de liquides silicatés de la croûte océanique se poursuit. L’arrêt de la subduction empêchant tout apport de fluides nouveaux, l’ensemble formé par la croûte océanique et le manteau supérieur se déshydrate progressivement car, à ces profondeurs, les fluides sont très solubles dans les magmas (jusqu’à 35 % H2O). Au bout de 30 à 50 Ma, l’hydratation devient insuffisante et le magmatisme syn-subduction cesse.

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EN CART Fusion des roches basiques, adakites et TTG La fusion de roches basiques peut donner naissance à des magmas intermédiaires ou acides. Dans la Terre actuelle, il est assez rare que les roches basiques fondent de façon significative : dans les zones de subduction, elles se déshydratent avant de fondre ; tandis que dans les zones de collision, ce sont surtout les roches sédimentaires ou granitiques qui fondent. Il existe cependant quelques cas où il est possible de faire fondre des roches basiques, de façon plus qu’anecdotique. C’est par exemple ce qui se passe dans les zones de subduction « chaudes », où, à l’inverse des subductions « ordinaires », il est possible de faire fondre la plaque plongeante avant qu’elle ne se déshydrate ; on obtient alors des magmas appelés « adakites » (d’après l’île d’Adak, aux Aléoutiennes). 1. Les adakites, un type particulier de magmas de zones de subduction • Pétrologie et géochimie Les adakites sont des laves des zones de subduction. Ce sont des roches intermédiaires à acides, le plus souvent des dacites, généralement à phénocristaux de plagioclase, amphibole et/ou biotite. Elles sont sodiques (et le feldspath potassique est rare), avec des rapports K/Na faibles, dus à des teneurs en potassium modérées (1—2 %) mais en sodium significativement élevées (4—7 %) comparée aux laves de subduction habituelles (Fig. 4.16). 267

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

K TTG archéennes Adakites

Figure 4.16. Caractéristiques

chimiques des adakites, comparées aux TTG archéennes, dans un diagramme moléculaire K—Na—Ca.

Calco-alcalin «ordinaire»

Ce diagramme permet de mettre en évidence la nature sodique ou potassique des roches, ainsi que (indirectement) leur degré de différentiation, les roches plus différenciées étant normalement plus riches en Ca. Le champ gris correspond à la gamme de composition des laves calcoalcalines d’arc « ordinaires ».

Ca

Na

Au point de vue des éléments en traces, les adakites ressemblent aux laves d’arc ordinaires, en différant principalement par leurs teneurs en terres rares lourdes (et en Y) faibles (par exemple 10 ppm d’Y pour 50 ppm dans les laves d’arc nonadakitiques, 1 ppm d’Yb à comparer à 5 ppm normalement) ; ceci se traduit par des spectres de terres rares à la forme caractéristique, très pentée ; et à des rapports La/Yb élevés pour les adakites (Fig. 4.17).

Adakites TTG «Low silica» adakites Laves d’arc ordinaires

LaN YbN

TTG archéennes Adakites

150

Adakites «low silica»

100

50 Calco-alcalin «ordinaire»

0 La Ce Nd SmEu Gd Tb Dy Er Yb Lu

0

4

8

12

16

20

(YbN)

Figure 4.17 – Caractéristiques chimiques des adakites, comparées aux TTG archéennes, pour les terres rares.

À gauche, spectres de terres rares (normalisées aux chondrites) pour la moyenne des TTG, des adakites, des adakites « low silica » (voir plus bas) et des laves calcoalcalines d’arc « ordinaires ». Ce diagramme se traduit (à droite) par des positions bien séparées des adakites et des TTG, d’une part ; des autres laves d’arc, d’autre part ; dans un diagramme YbN vs. (La/Yb)N, où l’indice N indique la normalisation aux chondrites.

268

4.2 • Magmatisme et géodynamique

• Fusion des roches basiques et génèse de magmas adakitiques Les adakites ne sont pas associées à des basaltes, et sont donc les magmas les plus primitifs de leur série. Leur nature intermédiaire à acide exclut une source ultrabasique (manteau), puisque les magmas produits dans le manteau sont des basaltes ou des andésites. D’autre part, leur composition sodique interdit une source de type croûte continentale (granites, sédiments). Le seul mécanisme qui puisse produire des compositions adakitiques est la fusion de roches basiques (méta-basaltes : amphibolites, éclogites). De nombreuses études expérimentales ont confirmé que la fusion de métabasaltes produit des liquides avec la bonne composition en éléments majeurs ; de tels liquides se forment dans une large gamme de conditions de pression, le plus souvent par des réactions de fusion partielle qui impliquent la destruction de l’amphibole (Fig. 4.18 ; cf. aussi Tab. 2.10, Fig. 2.31) ; il est intéressant de faire le parallèle avec la fusion des sédiments, où la réaction de fusion est pilotée par la destruction de biotite et forme des liquides granitiques, potassiques. Par ailleurs, les faibles teneurs en terres rares lourdes impliquent que, lors de la fusion, une phase à forte affinité pour ces éléments était stable, et, ne fondant pas, a constitué un piège. Dans les minéraux formés lors de la fusion de roches basiques, seul le grenat est un candidat réaliste, avec des coefficients de partage de l’ordre par exemple de 10 à 20 pour Yb. Pour former des adakites, il faut donc faire fondre des roches basiques dans les conditions de stabilité du grenat (expérimentalement, à des pressions supérieures à 1,5 GPa environ).

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• Contexte et implications géodynamiques Dans une zone de subduction, on peut proposer pour répondre à toutes les contraintes pétrogénétiques un modèle de fusion de la plaque plongeante. En temps normal, une plaque subductée se réchauffe relativement lentement en s’enfonçant, et il y règne des températures trop froides pour permettre la fusion de la plaque plongeante ; en revanche, elle peut se déshydrater (courbe A, Fig. 4.18) et libérer des fluides qui vont fertiliser le manteau et permettre la formation de magmas andésitiques ordinaires. Dans une subduction anormalement chaude, la plaque plongeante peut évoluer selon un géotherme plus chaud et fondre avant d’avoir eu l’occasion de se déshydrater (courbe B, Fig. 4.18). Une subduction peut être chaude pour différentes raisons ; par exemple parce qu’on subducte une lithosphère jeune, qui n’a pas eu le temps de se refroidir ; ou encore parce que le processus de subduction lui-même est juste commençant, si bien que la plaque s’enfonce dans un manteau pas encore refroidi par une longue histoire de subduction. Un joli exemple, dans le Sud du Chili (Fig. 4.19) montre la corrélation entre l’âge de la plaque qui rentre en subduction, et la nature des magmas formés : adakitiques là où c’est une dorsale qui est subductée ; calcoalcalin « ordinaire » ailleurs.

269

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

Figure 4.18 – Modèle pétrogénétique de formation des adakites. En haut, diagramme pression-température montrant (i) les géothermes le long de la plaque subductée, dans le cas normal (A) et chaud (B) ; (ii) la position du solidus d’un basalte sec et avec 5 % d’eau ; (iii) les courbes de déstabilisation de minéraux hydratés tels que anthophyllite (a), chlorite (c), talc (ta), zoïsite (z) qui sont les minéraux qui transfèrent l’eau de la plaque plongeante vers le manteau dans les subductions froides ; et les courbes de stabilité de minéraux comme le grenat (g), le plagioclase (p) et la hornblende (h). Le champ grisé correspond à la « fenêtre adakitique », où il est possible de faire fondre des basaltes avant de les déshydrater, dans le champ de stabilité du grenat, par des réactions de fusion impliquant la hornblende. En bas, deux dessins schématiques illustrant la situation dans le cas d’une subduction froide, avec déshydratation de la plaque plongeante, transfert de fluides (pointillés) et fusion du manteau ; et d’une subduction chaude avec fusion de la croûte plongeante.

270

4.2 • Magmatisme et géodynamique

Figure 4.19 – Les adakites du Chili : lien entre l’âge de la plaque subductée et les caractéristiques chimiques des laves produites.

Au Chili, deux provinces volcaniques (zones volcaniques « Sud » et « Australe ») sont séparées par une zone sans volcans. La zone Sud présente des laves appartenant à des séries calco-alcalines classiques, tandis que la zone Australe est adakitique. Il y a une très bonne corrélation entre ces deux zones, marquées par exemple par les teneurs en Yb, et l’âge de la plaque quand elle rentre en subduction, très nettement plus jeune dans la zone Australe (autour de 10 Ma) que dans la zone Sud (autour de 40 Ma).

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• Interaction adakites-manteau Dans le modèle de fusion de la plaque plongeante, les adakites se forment en profondeur, le long de la plaque subductée, et par conséquent sous un épais coin de manteau que ces magmas ont à traverser lors de leur remontée vers la surface. On peut donc s’attendre à des interactions importantes entre magmas adakitiques, et coin de manteau. On observe de fait des roches qui possèdent les caractères que l’on attend de telles interactions : ce sont des basaltes ou des andésites, qui peuvent se forment en équilibre avec le manteau ; mais leurs teneurs en éléments en traces « trahissent » le lien avec des adakites, par exemple elles ont des rapports La/Yb élevés, comme les adakites (mais pas les andésites ordinaires). Parmi les roches de ce groupe, on parle souvent de « NEB » (Niobium-enriched basalts), de « bajaites », de « HMA » (High-Magnesium Andesites), etc. Le terme de « LSA » (Low-silica adakites) a parfois été utilisé pour regrouper l’ensemble de ces roches. 2. Les TTG archéennes : le modèle adakitique Un problème majeur de la géologie de l’Archéen est que l’on ne connaît pas les contextes géodynamiques qui pouvaient exister à cette époque (voir page 280 et suivantes). • La série TTG Le type de roches plutoniques le plus commun de l’Archéen est connu sous le nom de TTG (Tonalites, Trondhjémites et Granodiorites – voir aussi page 287). Il s’agit de granitoïdes et d’orthogneiss sodiques, à quartz, plagioclase et rarefeldspath

271

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

potassique ; les minéraux mafiques en sont la biotite, l’amphibole et l’épidote. Au point de vue chimique, les TTG sont des granitoïdes sodiques (K/Na ≤ 0,5), relativement leucocrates comme la plupart des granitoïdes (FeOt + MgO + TiO2 < 6%). Ils ont aussi, comme les adakites, des spectres de terres rares fractionnées (La/Yb et Sr/Y élevés). Ce sont donc des roches chimiquement assez voisines des adakites modernes, et on peut tirer les mêmes conclusions de leur géochimie : ce sont des roches issues de la fusion partielle de roches basiques, dans les conditions de stabilité du grenat. • Implications géodynamiques Il est tentant, dès lors, de prolonger le parallèle et d’admettre pour les adakites et les TTG une origine commune, par fusion partielle de la plaque plongeante dans une zone de subduction. La prédominance des TTG à l’Archéen s’explique alors par les conditions plus chaudes qui régnaient dans la planète à cette époque, avec en particulier un manteau pouvant être 200 °C plus chaud que de nos jours (voir page 285). Dans ces conditions, on peut attendre des températures plus élevées dans les zones de subduction de cette période, favorisant la fusion de la plaque plutôt que sa déshydratation ; une zone de subduction « normale » archéenne aurait des conditions thermiques analogues à une subduction « chaude » moderne (Fig. 4.18). Il convient toutefois de noter que les indices clairs de subductions sont rares ou absents à l’Archéen, où l’on ne connaît ni métamorphisme de haute pression et basse température, ni chevauchements. Si on poursuit ce raisonnement, il faut alors envisager pour la formation des TTG archéennes un autre contexte qui puisse amener des roches basiques à fondre dans le champ de stabilité du grenat ; on a par exemple proposé la fusion à la base de plateaux océaniques épais. • TTG et roches associées Un dernier (pour le moment !) élément à ce débat test apporté par les roches appelées « sanukitoïdes » (voir page 288). Les sanukitoïdes sont chimiquement similaires aux roches du groupe des « low-silica adakites » et semblent résulter de la fusion partielle d’un manteau enrichi par des magmas de type TTG ; il semble difficile d’imaginer ce genre de mécanisme génétique sans subduction, ce qui tendrait à démontrer qu’au moins une partie des TTG archéennes se sont formées dans un contexte de subduction.

c) Leucogranites d’anatexie et hypercollision Aux stades de collision continent-continent, encore appelés d’hypercollision, sont associés des épisodes magmatiques de relativement faible volume. Les roches acides hyperalumineuses sont riches en quartz et caractérisés par une minéralogie distincte que l’on ne retrouve pas dans les autres types de magmatisme. Intimement liées aux processus d’anatexie, elles ne présentent aucun lien génétique avec les roches basiques que l’on peut trouver associées avec elles sur le terrain. Les leucogranites à deux micas ± tourmaline caractérisent le type himalayen, c’està-dire un magmatisme mis en place au cours d’un épisode de chevauchement d’une croûte continentale sur une autre croûte continentale. La formation de la chaîne himalayenne s’est déroulée en trois stades principaux : 272

4.2 • Magmatisme et géodynamique

A

Roches calco - alcalines et shoshonitiques 1000 basalte, Chili andésite, Chili

100

leucitite, Vulsini basanite, Vulsini 10

1

0.1

0.01

Sr K Rb Ba Th Ta Nb Ce P Zr Hf Sm Ti Y Yb Sc Cr Ni

B Roches basiques calco-alcalines de la Marche 1000 gabbro gabbro K

100

diorite diorite K 10

1

0.1

0.01

Sr K Rb Ba Th Ta Nb Ce P Zr Hf Sm Ti Y Yb Sc Cr Ni

Figure 4.20 – Compositions normalisées des roches basiques des marges © Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

continentales actives.

A. Arachnogrammes des laves calco-alcalines du Chili et shoshonitiques de Vulsini (Toscane, Italie) normalisées par rapport aux MORB (d’après Wilson, 1989). Les éléments immobiles, avec des valeurs de normalisation proches de 1, indiquent un manteau source identique à celui des MORB. Les valeurs de normalisation des éléments mobiles varient de 10 à plus de 100 et illustrent l’effet des fluides issus de la zone de subduction. B. Arachnogrammes des roches basiques de la Marche (Massif Central) normalisées par rapport aux MORB (d’après Bouvier, 1985). Les symboles vides correspondent à des roches calco-alcalines, les symboles pleins à des roches potassiques, provenant des mêmes massifs plutoniques. Les roches potassiques se distinguent par un enrichissement en éléments mobiles et immobiles de Sr jusqu’à Ti (3 à 100 fois les roches calco-alcalines). Minéralogiquement, elles se caractérisent par le développement de carbonates, soulignant le rôle important joué par CO2 dans les fluides.

273

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

• Avant 50 Ma, stade syn-subduction ou pré-collision. L’arc insulaire du KohistanLadakh, avec RiSr ≈ 0,705, et le batholite de type andin du Trans-Himalaya, Tibet, avec RiSr ≈ 0,712, se mettent en place dans le Bloc de Lhassa qui appartenait alors à la plaque eurasiatique. Dans l’arc insulaire et dans la plaque indienne en subduction, le métamorphisme M0 de haute pression et basse température atteint le faciès des éclogites. • Entre 50 et 25 Ma, stade syn-collision de type alpin. La mise en place de nappes de charriage et l’obduction d’ophiolites le long du Main Mantle Thrust (= MMT) s’accompagnent du métamorphisme M1, normal et prograde, qui atteint la zone à disthène (0,5-1,0 GPa, 400-700 °C).

0

Croûte continentale

B

H 2O Croûte océanique

Solidus C

50

D

H

Moho

Hb Manteau Solidus

Schiste vert Amphibolite

N Amphibole

100

Lit

H 2O

ho

sp



Eclogite

qu

e

Solidus

ite

150

G

ni

op

éa

H 2O

log

oc

Ph

re

Fluides aqueux Solidus avec H2O

200

Figure 4.21 – Magmatismes liés à la subduction d’une lithosphère océanique sous une lithosphère continentale (Wyllie, 1988).

A. Subduction d’une croûte océanique vieille (froide). Entre D et G, la déshydratation de la croûte océanique favorise la métasomatose (zone pointillée) du manteau (amphibole Hb) et de la croûte et permet en C l’anatexie locale de la croûte. Le solidus en présence d’eau de la croûte océanique (courbe en tiretés) n’est jamais atteint. Le manteau sus-jacent subit en N une fusion partielle (champ de stabilité du phlogopite et partiellement de l’amphibole). Le magma produit s’accumule en H à la base de croûte où il se différencie, les liquides résiduels montent dans la croûte le long des filons B.

274

4.2 • Magmatisme et géodynamique

• Depuis 25 Ma, stade himalayen sensu stricto associant surrection (8-10 mm.a– 1), écaillage de la croûte continentale de la plaque indienne avec chevauchement dans les zones profondes et détachement dans les zones plus superficielles le long de failles ductiles à faible pendage nord. Le métamorphisme se développe en deux épisodes : M2, inverse, lié au fonctionnement des plans de chevauchement (Main Central Thrust = MCT, Main Boundary Thrust = MBT) et M3, rétrograde, limité aux zones de cisaillement. Au cours de ce dernier stade, se mettent en place les massifs du Haut Himalaya, épais de 8 km en moyenne et constitués de deux types de leucogranite : l’un à (muscovite)-biotite et l’autre à tourmaline-muscovite. Enracinés dans les migmatites de la Dalle du Tibet et alimentés par des filons d’aplite et de pegmatite, les massifs granitiques intrusifs s’installent par « ballooning » et « stoping » au-dessus de la zone de décollement entre les gneiss précambriens et leur couverture phanérozoïque. 0

Croûte continentale

B

H 2O Croûte océanique

Solidus D

50

H''

Hb

Schiste vert Amphibolite

N

ho

sp



re

M

oc

éa

150

Phlogopite

H

Lit

Manteau Solidus Amphibole

E 100

Moho

H'

C H 2O

ni

H 2O

A

G

qu

e Eclogite

Fluides aqueux

R

Solidus avec H2O

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

200

Amphibole métasomatique

Magma

Pyroxénite à phlogopite

Figure 4.22 – Magmatismes liés à la subduction d’une lithosphère océanique sous une lithosphère continentale (Wyllie, 1988) (suite).

B. Subduction d’une croûte océanique jeune (chaude). Entre D et E, la déshydratation de la croûte océanique favorise la métasomatose (zone pointillée) du manteau (amphibole Hb) et de la croûte et permet en C l’anatexie locale de la croûte. Le solidus en présence d’eau de la croûte océanique est atteint entre E et G, les liquides produits H sont siliceux et peuvent se mélanger avec les magmas mantelliques produits en N. Les magmas hybrides suivent le trajet N-H’-B le long duquel ils se différencient. Une partie des liquides siliceux H se combine avec le manteau péridotitique pour former des corps de webstérite à grenat-phlogopite (cf. chap. 2, Fig. 2.40) qui montent adiabatiquement en H”. La déstabilisation du mica en R provoque une fusion du manteau avec ascension des liquides en A et vers la surface.

275

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

Les leucogranites hyperalumineux, pauvres en minéraux colorés, sont des granites à feldspath K et albite-oligoclase, avec quartz globuleux, deux micas (muscovite et biotite) et des minéraux accessoires alumineux : andalousite, sillimanite, grenat, cordiérite, tourmaline, topaze, turquoise, béryl (avec les variétés saphir et émeraude). Ils ne contiennent comme enclaves que les roches encaissantes et les résidus de fusion de la source (= restites), sans aucune enclave basique. Saturés en fluides (H2O, Cl, F) au lieu de mise en place, ils subissent d’importantes altérations hydrothermales (poches et filons pegmatitiques, épisyénites, greisens et poches à kaolinite) avec des concentrations métalliques à Sn-W-Mo, Pb-Zn-Cu, Au, U, Nb-Ta, Les manifestations volcaniques associées, quoique peu abondantes, existent avec les macusanites de Macusani, Pérou, formations ignimbritiques à verre leucogranitique. Les xénocristaux (< 5 % en volume) représentent les phases minérales réfractaires extraites des restites, biotite, sillimanite, apatite, monazite ± tourmaline ± cordiérite, et coexistent avec des phénocristaux d’andésine apparaissant précocement dans le liquide à 0,50-0,75 GPa et 800 °C. Ils sont relayés par les phénocristaux de la phase magmatique majeure (jusqu’à 40 % en volume), quartz, sanidine, oligoclase, biotite, muscovite, andalousite, tourmaline, cordiérite, hercynite (spinelle riche en fer), ilménite, zircon, rutile Nb, apparaissant à 0,15-0,20 GPa et ≤ 650 °C. Les arachnogrammes (Fig. 4.18) illustrent la mobilité des éléments K, Rb, Th, Ta par rapport aux autres éléments qui restent fixés dans les phases minérales réfractaires : la pauvreté en Ba, Ce, Hf, Zr, Sm, Y et Yb est moins prononcée dans l’ignimbrite riche en cristaux que dans l’obsidienne vitreuse. 1000

Ignimbrites de Macusani (Pérou) obsidienne tufs

100

10

1

0.1

0.01

K20

Rb

Ba

Th

Ta

Nb

Ce

Hf

Zr

Sm

Y

Yb

Figure 4.23 – Arachnogrammes des roches volcaniques acides de Macusani (Pérou) normalisées par rapport aux ORG (d’après Pichavant et al., 1988).

L’effet de fusion très faible d’un matériel crustal se traduit par des valeurs de normalisation élevées (de 10 à 500) pour les éléments mobiles comme K, Rb, Ba, Th, Ta. Au contraire, les valeurs de normalisation faibles (de l’ordre de 0,1) pour les éléments de Ce à Yb indiquent la présence dans la source d’un résidu réfractaire riche en minéraux accessoires.

276

4.2 • Magmatisme et géodynamique

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

D’origine purement crustale, les magmas proviennent de matériaux orthodérivés (orthogneiss dans le cas des leucogranites du Limousin) ou paradérivés (métapélites ou paragneiss en Himalaya ou à Macusani). La fusion de la croûte chevauchante est favorisée par la percolation d’eau provenant de la déshydratation de la croûte chevauchée (origine externe) ou par la déstabilisation de minéraux hydratés (muscovite, biotite) de la croûte chevauchante (origine interne). À cause de la géométrie du solidus granitique en présence d’eau, de tels magmas ne peuvent se déplacer beaucoup en hauteur. La mobilité verticale de tels magmas, légers mais très visqueux, qui donnent des massifs intrusifs et des formations volcaniques associées n’est possible qu’en présence de facteurs favorables (Fig. 4.24) : • État préalablement surchauffé de la source subissant un métamorphisme de moyenne à basse pression et haute température, avec percolation de fluides provenant de la croûte chevauchée : le type himalayen (Fig. 4.24A) permet une ascension de 8 à 10 km par « stoping ». • Surcharge tectonique, par chevauchement de nappes denses (amphibolite, granulite, éclogite) sur la zone de fort gradient thermique où se produit la fusion : le type limousin (Fig. 4.24B) permet une ascension diapirique correspondant au moins à l’épaisseur des nappes chevauchantes (6 à 10 km). • Surchauffe locale par l’intrusion d’un magma basique. Les massifs granitiques contiennent alors des enclaves basiques, comagmatiques (magmas synchrones) mais non cogénétiques (origines différentes) : le type Guéret sera décrit dans le paragraphe suivant. La fusion dans la zone chevauchante est déclenchée très rapidement par le processus de charriage. Bien développée dans les épisodes de collision et d’hypercollision (Himalaya, Limousin), elle peut également se produire en dehors de vraie collision, au cours d’épisodes locaux d’écaillage en bordure d’une chaîne de type andin, comme à Macusani, Pérou. d) Granitoïdes hyperalumineux Un dernier groupe de granitoïdes orogéniques se distingue des granitoïdes calcoalcalins par son caractère hyperalumineux marqué et des leucogranites à deux micas par son indice de coloration plus élevé. Contenant fréquemment la cordiérite ou le grenat almandin en cristaux automorphes et/ou tardifs en cocarde, ces granitoïdes renferment, à côté des enclaves de l’encaissant et des restites, de nombreuses enclaves basiques. Appelés en France « granites de type Guéret », du nom du massif du Limousin où ils ont été définis, ils se rapprochent des granitoïdes de type S (S pour Sédimentaire) définis en Australie et forment l’association unimodale tonalitegranodiorite-granite hyperalumineux (PTG = « peraluminous tonalite-granodiorite »), où les granodiorites prédominent. Les PTG forment de grands laccolites, comme celui de Guéret (5 000 km2 de surface pour 1 500 m d’épaisseur maximale), la Margeride dont l’épaisseur peut atteindre 4 km, ou des massifs complexes de grande extension, comme le Velay où plusieurs générations de granitoïdes ont été reconnues. Il n’y a pas de relations claires avec les phénomènes de chevauchement : le massif de Guéret repose directement 277

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

N-NE

S-SW

Tibetan series

Tibet

MCT

b an sla

Midlands

ky+

H2O+CO2

CT

M

LIMOUSIN

TYPE

T

MM

D.W

OS

L M

MBT

E

Figure 4.24 – Magmatisme d’anatexie crustale. A. Type himalayen d’après l’exemple du Manaslu (Le Fort, 1981). MCT : Main Central Thrust, ky + : isograde disthène + dans les formations chevauchées des Midlands, H2O + CO2 : fluides percolant des formations des Midlands à travers le MCT vers les formations métamorphiques chevauchantes du Tibetan Slab, croix : leucogranite du Manaslu, mis en place dans les formations sédimentaires des Tibetan Series et enraciné dans les formations du Tibetan Slab par un réseau filonien très dense. B. Type limousin (Lameyre, 1988). Traits structuraux majeurs : DW. fenêtre diapirique, MBT. Main Boundary Thrust, MCT. Main Central Thrust, MMT. Main Mantle Thrust, Os. suture ophiolitique. Générations de leucogranites : E. phase précoce (335 Ma), M. phase majeure (325-315 Ma) (liée au MCT), L. phase tardive (300 Ma) (liée au MBT).

sur des gneiss à cordiérite par un contact anormal cataclastique tardif, le massif de la Margeride recoupe le grand chevauchement de type himalayen de Marvejols. Ils sont fréquemment associés aux suites potassiques d’affinités shoshonitique à ultrapotassique, qui regroupent des roches ultrabasiques (cortlandtite) à intermédiaires (appinites dans les Calédonides d’Écosse, vaugnérite et durbachite dans les Hercynides d’Europe occidentale) proches des lamprophyres. De gisement filonien, les 278

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4.2 • Magmatisme et géodynamique

lamprophyres se caractérisent par des cristaux très abondants d’amphibole et de biotite, tandis que les feldspaths et les felspathoïdes sont présents seulement dans la pâte. Les équivalents volcaniques forment une suite hyperalumineuse dacite-rhyolite, généralement à phénocristaux de cordiérite bleue, souvent associée à des roches volcaniques ultrapotassiques. Dans les provinces volcaniques tertiaires à récentes de Toscane et du Latium, les appareils volcaniques sont encore préservés et, en profondeur, les plutons granitiques à granodioritiques, affleurant dans les îles d’Elbe, de Montecristo et de Giglio. Certains, encore enfouis, gardent suffisamment de chaleur pour entretenir une industrie géothermique active (Larderello, Monte Amiata). Les associations lamprophyriques ont leur source dans un manteau métasomatique à phlogopite et sont associées dans le temps et l’espace avec les PTG qui montrent une origine au moins partiellement crustale (enclaves restitiques). Les sources crustales métapélitiques (paragneiss kinzigitiques à cordiérite-sillimanite) montrent un taux élevé de fusion, donc une température importante, pouvant atteindre 800-900 °C. De telles conditions ne sont guère possibles dans la croûte inférieure que dans l’environnement d’un magma basique intrusif qui apporte sa chaleur interne et sa chaleur latente de cristallisation. La fusion devient possible au-dessus et au-dessous de l’intrusion et le liquide anatectique surchauffé peut alors migrer vers le haut. Les liquides crustaux situés au-dessus de l’intrusion basique se déplacent en désagrégeant leur environnement métamorphique partiellement fondu (enclaves restitiques) et leur ascension est stoppée lorsque la température devient insuffisante. Les liquides crustaux situés sous l’intrusion basique peuvent également se déplacer vers le haut, disloquer la masse basique et en prélever une partie sous forme d’enclaves basiques arrondies ou anguleuses. Il est donc possible de produire des magmas anatectiques en contexte orogénique, dès lors que les conditions de fusion sont réunies, même sans phase vapeur séparée (Fig. 4.20). Les sources crustales dont la composition se rapproche le plus de celle du minimum thermique dans le système SiO2-NaAlSi3O8-KAlSi3O8-H2O, seraient a priori les plus favorables et incluent les orthogneiss issus de syénogranite et de granite à feldspaths alcalins et les paragneiss issus de sédiments terrigènes immatures, comme les arkoses et les grauwackes. En effet, pour un faible intervalle de température, le pourcentage de fusion augmente rapidement et le seuil critique pour la ségrégation des liquides est vite atteint. Mais de telles roches ne contiennent pas beaucoup d’eau fixée dans les minéraux et ne peuvent fondre qu’avec un apport de l’extérieur. Les autres roches crustales, comme les métapélites, peuvent contenir beaucoup de minéraux hydroxylés (micas ± amphibole) mais, à cause de leur composition chimique éloignée de celle du minimum thermique, sont généralement assez peu fertiles. Les migmatites qui en dérivent sont sombres (abondance des oxydes et de la biotite résiduelle) et pauvres en leucosomes.

4.2.4 Évolution dans le temps Les phénomènes magmatiques semblent n’avoir pas changé fondamentalement de caractère au cours du Phanérozoïque et du Protérozoïque, ce qui indique que leurs 279

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

COLLISION CONTINENT-CONTINENT

ZONE de CISAILLEMENT

FUSION PARTIELLE

Fluides

ANATEXIE « HUMIDE »

Leucogranites à deux micas

MANTEAU SUPERIEUR

Magma

Roches orthoet/ou paradérivées

ANATEXIE « SECHE »

Granitoïdes à biotite ± cordiérite

Figure 4.25 – Anatexie des roches de la croûte continentale lors d’une collision : « sèche » par intrusion de magmas mantelliques et « humide » par circulation de fluides dans les zones de cisaillement (Barbarin, 1991).

causes n’ont pas été modifiées fondamentalement depuis 2,5 Ga, ce qui correspond à plus de la moitié de l’âge de la Terre. À l’Archéen, le flux de chaleur beaucoup plus important s’est traduit par des conditions thermodynamiques différentes et a engendré des épisodes magmatiques particuliers. a) Magmatisme archéen L’Archéen couvre le tiers de l’histoire de la Terre, depuis 4,0 Ga environ jusqu’à 2,5 Ga. C’est une période à la géologie exotique, les principales différences avec la Terre actuelle étant (1) une production de chaleur plus élevée, résultant en un manteau globalement plus chaud ; (2) une croûte continentale plus rare, pas encore formée. Ces changements entraînent quelques différences géologiques majeures : (1) un mode de convection mantellique (et donc de tectonique des plaques) potentiellement différent de ce que l’on connaît à l’heure actuelle, sans que l’on puisse être sûr qu’il existait une tectonique des plaques archéenne ; (2) une déformation de la lithosphère dominée par les forces de volume, avec pas ou peu d’épaississement crustal, et donc de topographie ; (3) la rareté des grandes accumulations sédimentaires (en particulier détritique), et donc des roches magmatiques qui en dérivent. En dépit de quelques rares unités sédimentaires, la large majorité des roches Archéennes connues sont des roches magmatiques (ou des roches métamorphiques qui en dérivent). On les trouve dans trois ensembles géologiques principaux (Fig. 4.26) : 1. des associations de laves et de sédiments, souvent de faible degré métamorphique, assez fréquemment bien préservées : les « ceintures de roches vertes » ; 2. des plutons de granitoïdes de différentes natures ; 280

4.2 • Magmatisme et géodynamique

3. des « complexes de gneiss gris », qui sont dominés par des orthogneiss mais contiennent aussi les équivalents déformés des roches des ceintures de roches vertes.

Tr an sv aa lS Gp .

Nelspruit



Mp

um Sw alan az ga ila nd (R.S .

Barberton

A.





Badplaas



)

Pigg's Peak

 

 





Lochiel



N

Jessievale

Mbabane JFM Oct 2010

Couverture Protérozoïque (Supergroupe du Transvaal) et Mésozoïque (Supergroupe du Karoo)

Ceinture de roches vertes

Roches plutoniques Potassique

Grp de Moodies Grp de Fig Tree Grp d’Onverwacht Grp d’Onverwacht (faciès amphibolite) © Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

0

TTG

{

{

20

40 km CRV de Barberton

ca. 3,1 Ga 3,23 - 3,21 Ga ca. 3,45 Ga

Rép. Sud-Africaine Swaziland

3,55 - 3,50 Ga

Gneiss gris 3,6 - 3,2 Ga

Figure 4.26 – Carte et log schématique de la ceinture de roches vertes de Barberton et ses alentours.

Comme dans la plupart des terrains Archéens, on y trouve un socle de gneiss gris (qui s’étend au Sud-Est et au Nord de la carte présentée ici), une ceinture de roches vertes volcano-sédimentaire (cf. Fig. 4.27) et des plutons de granitoïdes, soit TTG, soit potassiques. Les contacts entre la ceinture de roches vertes et les roches voisines sont soit intrusifs (au Sud-Ouest de la ville de Barberton par exemple) ; soit, le plus souvent, tectoniques (failles normales au Sud et au Nord de la ceinture). La ceinture elle-même est fortement plissée, avec de nombreuses failles dont seule la plus importante (faille d’Inyoka — Saddleback) est indiquée. Grp : groupe.

281

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

On trouve aussi quelques intrusions plus basiques, comme des anorthosites ou des complexes basiques lités, bien plus rarement cependant qu’au Protérozoïque (2.5 – 0.6 Ga) ; et des massifs de syénite. Les deux types de roches « emblématiques » de l’Archéen sont les komatiites et les TTG ; ce sont des roches uniques à cette partie de l’histoire de la Terre, qui disparaissent (sauf exception) à partir de la fin de cette période. • Les laves des ceintures de roches vertes Les CRV sont dominées très largement par des laves basiques et ultrabasiques, formant des coulées souvent sous-aquatiques avec des pillow-lavas, parfois des niveaux de tuffs surtseyens, etc. Ces laves forment des piles d’une épaisseur impressionnante, atteignant facilement 10 km (Fig. 4.27), souvent entrecoupées de rares niveaux de laves plus acides (cf. plus bas), et de niveaux de cherts (dans les CRV Archéennes, ce sont le plus souvent des cherts de remplacement, qui se forment par silicification de roches existantes, autour de systèmes hydrothermaux au fond des océans). Vers le haut de leur stratigraphie, la plupart des CRV présentent une plus grande diversité ; aux laves basiques, toujours dominantes viennent se superposer des laves à affinité d’arc, associé à des sédiments chimiques (« BIF ») ou détritiques. Les dernières unités stratigraphiques des CRV sont souvent des grès et conglomérats.

Laves basiques et ultrabasiques – Tholéites Le type le plus commun est un basalte tholéitique, comparable à des MORB modernes au point de vue pétrologique et des éléments majeurs, mais plus riche en la plupart des éléments traces incompatibles (voir photo 1 et photo 2 en ligne)1. Certains basaltes sont franchement siliceux, et enrichis (« SHMB », siliceous highmagnesium basalts) ; ils pourraient traduire soit une contamination de basaltes ordinaires par la croûte continentale qu’ils traversent lors de leur mise en place ; soit une source mantellique déjà assez enrichie, peut-être en lien avec une subduction. En revanche, les basaltes alcalins (de type OIB ou rift) sont absents dans l’Archéen. Le contexte géodynamique de formation de ces tholéites est mal connu. Malgré une recherche acharnée dans les 30 dernières années, on ne connaît pas à ce jour de fragment « démontrable » de croûte océanique Archéenne. Si différentes unités dans le monde ont été décrites comme des ophiolites, cette interprétation a été remise en cause ou infirmée pour toutes. La nature sub-aquatique des laves, les fortes épaisseurs enregistrées, la chimie tholéitique, semblent compatibles avec des scénarios de type « plateau océanique » (Kerguelen, Ontong-Java). – Komatiites Le type le plus spectaculaire (mais pas le plus commun, il est rare par rapport aux tholéites ordinaires) de laves Archéennes ultra-basiques est représenté par les komatiites. Ce sont des laves ultrabasiques (environ 45 % SiO2) et magnésiennes (20 à 1. Les compléments web sont disponibles sur www.dunod.com à la référence de l’ouvrage. 282

(m) 200

100

GROUPE DE MOODIES

Ages (Ma) < 3210

Discordance angulaire ≈ 3230

GROUPE DE FIG TREE

(Epaisseur > 1000 m)

4.2 • Magmatisme et géodynamique

S3, S4

0

6000

5000

4000

3000

2000

1000

Footbridge Chert 3334

Fm. de Kromberg

GROUPE D’ONVERWACHT

8000

7000

Msauli Chert

Fm. de Mendon

Conglomérats Grès

Buck Reef Chert 3416 H6

Fm. d’Hooggenoeg

9000

3445

Formations ferrifères (jaspilite, BIF) Grès, argiles, dépôts volcanoclastiques (cendres acides/intermédiaires)

S1 3470 Chert Niveaux à sphérules d’impact météoritique Roches volcaniques intermédiaires à acides Middle Marker Basaltes

Fm. de la Komati

(m)

Komatiites 3481

0

Figure 4.27 – Colonne stratigraphique schématique dans le Sud-Ouest de la © Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

ceinture de Barberton (voir Figure précédente).

Cette séquence est idéalisée, elle ne correspond à aucune coupe réellement observée. Notez les changements d’échelle verticale pour chacun des trois groupes ; la nomenclature utilisée est lithostratigraphique : un « groupe » a la même valeur qu’une série chronostratigraphique ; un « supergroupe » correspond à un système et une formation à un étage. La « stratigraphie » est dominée par des roches volcaniques, surtout des basaltes et des komatiites, et de rares unités de laves intermédiaires à acides, soit sous forme de dômes dacitiques (niveau H6 de la formation d’Hooggenoeg), soit de dépôts volcano-sédimentaires (cendres remaniées) comme dans le groupe de Fig Tree. Les niveaux de chert sont le plus souvent des cherts secondaires, formés par la silicification hydrothermale de roches pouvant aller de komatiites (Footbridge) à des sédiments détritiques ou même évaporitiques (Buck Reef) ; on y trouve des niveaux carbonés contenant des traces de vie (Buck Reef).

283

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

Ultrabasique

Basique

Intermédiaire

Acide

Iles océaniques

10

15

Komatiites Basaltes tholéitiques Tholéites différenciées Calco-alcalin (shoshonites, adakites, etc.)

(A)

5

Subductions

0

MORB

40

50

60

70

80

Figure 4.28 – Composition des laves des ceintures de roches vertes Archéennes, dans un diagramme TAS (Total alkali vs. silica).

Pour les noms des différents champs, voir Fig. 3.25 page 164. La ligne marquée (A) correspond à la limite des séries alcalines et sub-alcalines. Les symboles correspondent aux types de laves archéennes : komatiites, basaltes tholéitiques ordinaires (et leurs produits de différentiation), laves calco-alcalines variées.

30 % de MgO), par rapport à des basaltes ordinaires qui ont respectivement environ 50 % et 10 à 12 %. Les komatiites ont donc presque la composition d’une olivine, et sont de fait formées presque uniquement de ce minéral. À l’affleurement, elles forment des coulées minces (rarement plus de 1 à 2 m d’épaisseur), parfois des pillow-lavas ou des tuffs surtseyens. Les affleurements les plus intéressants sont ceux qui correspondent à des coulées massives. Dans ce cas en effet, on observe une superposition de différents types pétrographiques, de bas en haut (voir Fig. 4.29, et photos 3 à 6 en ligne) : • brèche basale, correspondant à la progression de la coulée ; • horizon microgrenu, à phénocristaux d’olivine automorphe ; • zone à texture « spinifex » • bordure figée supérieure. Les textures spinifex (voir photo 7 et photo 8 en ligne) correspondent à un enchevêtrement de grands cristaux aciculaires d’olivine (en général transformée maintenant en amphibole), pouvant atteindre quelques dizaines de centimètres. Ces textures se forment dans des conditions permettant aux cristaux de grandir très vite, mais avec peu de nucléation de nouveaux grains ; ces conditions sont atteintes pour 284

4.2 • Magmatisme et géodynamique

Sommet de la coulée : bordure vitreuse

Petits spinifex entremêlés

Figure 4.29 – Coupe dans une coulée de komatiites typique.

Grands spinifex en gerbe

Zone massive

Accumulation d’olivine automorphe

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Brèche basale

L’épaisseur totale d’une coulée peut atteindre un à quelques mètres, rarement plus. On y trouve des zones supérieures à spinifex, qui correspondent à la croissance très rapide de cristaux d’olivine dans un milieu en forte surfusion ; et des zones inférieures plus habituelles, avec des laves massives à cristaux automorphes d’olivine, qui tendent à s’accumuler (par différentiation gravitaire) à la base de la coulée. Le nom de spinifex vient d’une graminée australienne, Triodia sp., appelée « spinifex » communément et dont l’allure enchevêtrée est similaire à celle de ces niveaux des coulées de komatiites.

des forts degrés de surfusion, c'est-à-dire des refroidissements très rapides, par exemple par la « trempe » d’une coulée très chaude dans l’eau (voir Fig. 3.8 p. 126). La composition chimique des komatiites, très voisine de celle d’une olivine, implique que ces roches se sont formées à partir du manteau, par fusion à très fort degré (50 %, pour 5 à 20 % pour des basaltes). De tels taux de fusion ne peuvent pas être atteints dans le manteau actuel ; il faut un manteau de 200 à 300 °C plus chaud, dans lequel existaient des températures de 1 600 à 1 800 °C à 100 km, pour atteindre ces conditions. Même comme cela, il est peu probable que ces températures aient été les températures du manteau « ambiant » à l’Archéen, et on pense plutôt que les komatiites étaient des laves formées dans des points chauds, des secteurs anormalement chauds du manteau. Les komatiites sont relativement communes à l’Archéen, mais disparaissent ensuite presque totalement ; l’exemple le plus récent date du Crétacé, sur l’île de Gorgona au large de la Colombie. Elles sont considérées comme une des meilleures preuves de la température ambiante plus élevée dans le manteau Archéen ; le refroidissement séculaire de la Terre a causé leur disparition presque complète par la suite. – Laves basiques et intermédiaires à affinité « d’arc » On ne trouve pas dans l’Archéen de vrais basaltes (à andésites) calco-alcalins comme dans les zones de subductions actuelles. On trouve, en revanche, un certain nombre de roches qui se rapprochent des types mineurs de laves des zones de 285

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

subductions actuelles. Ces roches sont intercalées dans les laves basiques « ordinaires », dont elles se distinguent mal sur le terrain ; mais sont souvent plus commune vers le haut de la stratigraphie où elles peuvent localement devenir dominantes. On a ainsi décrit : 1. des boninites (basaltes magnésiens, issus de la fusion d’un manteau très appauvri et ensuite refertilisé par des fluides ; les boninites actuelles sont strictement liées aux zones de subductions) ; 2. des shoshonites (laves potassiques, formées par fusion d’un manteau enrichi par l’incorporation de sédiments, ou de liquides magmatiques issus de la fusion à haute profondeur de sédiments) 3. des basaltes enrichis en Niobium (NEB ; basaltes enrichis, formés par la fusion d’un manteau enrichi par des liquides magmatiques de nature TTG ou adakitique – cf. plus bas et encart pages 267 et suivantes) Toutes ces roches ont en commun un mécanisme pétrogénétique, la fusion partielle d’un manteau préalablement enrichi par un composant d’origine crustale (sédiments, basaltes enfouis, fluides…). Ce mécanisme est responsable, pour toutes ces roches, de la création d’une signature géochimique « d’arc », c'est-à-dire similaire à celle que l’on observe dans les laves d’arc actuelles avec notamment un découplage entre les éléments solubles (LILE) et les HFSE, résultant en des anomalies reconnaissables dans des diagrammes multi-éléments. La signification géodynamique de ces types de roches est débattue ; il est tenant d’en faire des marqueurs de zones de subductions archéennes. Mais il convient de souligner le danger de lier un site géodynamique à une signature géochimique : la composition d’une lave dépend de sa source et de ses conditions de fusion, et même si certaines combinaisons sont plus faciles à réaliser dans tel ou tel site, il n’existe pas de lien aussi direct. En l’occurrence, certains géologues proposent des hypothèses alternatives, par exemple la délamination de la base d’un plateau océanique (qui causerait, comme dans une subduction, l’enfouissement de matériel crustal dans le manteau ; et expliquerait l’intercalation des unités « à affinité d’arc » au sein des assemblages de type « plateau océanique »). – Laves, tuffs etc. acides Dans les CRV, on trouve aussi de rares intercalations de laves acides, le plus souvent sous forme de produits d’éruptions explosives (tuffs) ou de leur remaniement (grès volcano-détritiques) ; plus rarement sous forme de dômes ou de coulées. Ces roches sont souvent altérées et délicates à interpréter ; on y retrouve : 1. des produits de différentiation des tholéites ordinaires (comme en Islande) ; 2. des « adakites » (cf. encart page 267 et suivantes) ; quoique la plupart des adakites Archéennes ne ressemblent pas vraiment à leurs équivalents modernes, et sont des rhyolites, qui dérivent probablement de la fusion de la croûte inférieure, basaltique. 286

4.2 • Magmatisme et géodynamique

• Les granitoïdes Les roches plutoniques acides représentent une grande partie de la croûte Archéenne, soit sous forme de plutons circonscrits, soit sous forme de composants déformés dans les complexes de gneiss gris. Les plus typiques des granitoïdes Archéens sont connus sous le nom de « TTG » : tonalites, trondhjémites et granodiorites.

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Granitoïdes d’origine purement crustale La majorité des granitoïdes se forment par fusion partielle de roches de la croûte, sans que le manteau ne joue un rôle visible. Les croûtes archéennes sont dominées par des roches basiques et plutoniques, avec très peu de sédiments ; les granites formés reflètent donc cette différence avec la Terre actuelle. Selon que la source est plutôt basique (méta-basaltes, par exemple dans une croûte océanique) ou plutôt acide (méta-granitoïdes), on obtient des liquides tous globalement granitiques mais de compositions différentes en détail : – Les granitoïdes sodiques : la série TTG Les granitoïdes formés par fusion de roches basiques ont des compositions sodiques, et forment une série dite « TTG » pour tonalites, Trondhjémites et Granodiorites (voir encart p. 267). Ce sont des granitoïdes à plagioclase-quartz, feldspath potassique rare ; les minéraux mafiques sont surtout la biotite, plus rarement l’amphibole (voir photos 9 à 11 en ligne). L’épidote est une phase accessoire fréquente. Les TTG forment des plutons pré- à syn-tectoniques autour des ceintures de roches vertes ; ou bien alors ils sont déformés et forment un composant des complexes de gneiss gris qui dominent les terrains de l’Archéen. Si la géochimie des TTG impose une origine par fusion partielle de roches basiques, en présence de grenat, le site géodynamique de cette fusion reste très discuté. En effet, on stabilise le grenat dans les méta-basaltes à partir de 10-12 kbar, si bien que la base d’une croûte épaissie, comme une plaque plongeante dans une subduction chaude, peuvent atteindre les conditions nécessaires à la fusion de roches basiques. Dans le premier modèle, les TTG peuvent se former, par exemple dans des plateaux océaniques épais, ou encore des zones de collision entre de tels plateaux ; dans le second modèle, il s’agit de roches associées aux zones de subductions. En fait, il semble maintenant probable que les différents scénarios ont tous existé à l’Archéen, à des moments ou des endroits différents, et que la série TTG regroupe en fait une famille de roches formées dans différents contextes. Les TTG sont des roches extrêmement communes à l’Archéen ; certaines des plus anciennes roches terrestres connues (les gneiss d’Acasta, dans le Nord du Canada – 4.1 Ga) sont des roches de ce type. On peut se demander si les TTG existaient avant cette période (à l’Hadéen) ; les données, très fragmentaires, dont nous disposons (sur des zircons détritiques de Jack Hill, en Australie, dont l’âge atteint 4.4 Ga) ne permettent pas de conclure avec certitude ; il est possible, sans être certain, que la première croûte terrestre ait été composée en partie de telles roches. À partir de la fin de l’Archéen, à 2.5 Ga, les TTG deviennent plus rares ; elles restent présentes dans le Protérozoïque inférieur (jusque vers 2.0 Ga) ; puis elles deviennent anecdotiques, 287

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

et au Phanérozoïque on ne connaît que quelques plutons tonalitiques associés à des zones de subduction. – Les granitoïdes potassiques Les granitoïdes potassiques Archéens sont des granites ordinaires, à biotite seule (type « I »). Ils sont très similaires aux TTG, mais le feldspath potassique est ici plus commun que le plagioclase. Ils forment des plutons souvent post-tectoniques ; on les trouve aussi, parfois, comme un composant des Gneiss gris. Ils se forment sans doute par fusion partielle de roches de la croûte continentale, par exemple d’anciennes TTG ; le contexte tectonique de leur formation est incertain. Dans de très rares cas, on trouve des granites à deux micas, ou à grenat (granite de type S), qui témoignent d’une source sédimentaire ; leur rareté est le résultat de la rareté des accumulations sédimentaires importantes à l’Archéen. Granitoïdes avec une composante mantellique Pour une minorité de granitoïdes, on peut démontrer que le manteau a joué un rôle direct dans la formation des magmas parents. On observe par exemple souvent ces granitoïdes associés avec des enclaves ou des petits corps de roches magmatiques basiques (dioritiques souvent), dérivées du manteau. Le lien entre ces diorites, et les granitoïdes à proprement parler, reste assez mal compris (cristallisation fractionnée ? mélange avec des liquides crustaux ? refusion de ces diorites ?). – Les diorites magnésiennes enrichies (« sanukitoïdes ») et les granites qui en dérivent L’un des types les mieux étudiés est connu sous le nom de « sanukitoïdes » (d’après « sanukites », qui désigne des andésites magnésiennes de l’île de Sanuki, au Japon). Il s’agit d’une série magmatique allant de diorites à des granodiorites, à parfois des granites, sans doute par cristallisation fractionnée (voir photo 12 en ligne). Les diorites parentales de cette série sont assez similaires aux NEB mentionnés plus haut (page 271) : elles se forment par fusion partielle d’un manteau enrichi, sans doute par percolation de liquides de type TTG. Ce modèle pétrogénétique a été considéré comme un fort indice de subduction Archéenne, puisque pour faire interagir des liquides TTG avec le manteau, le plus simple est de les générer sous un volume de manteau, dans une plaque subductée. De plus, les sanukitoïdes sont post-tectoniques, généralement plus jeunes que les TTG dans une région donnée. À l’échelle mondiale, elles apparaissent vers la fin de l’Archéen, témoignant sans doute de l’installation progressive de phénomènes de subduction au cours de cette période. – Les granites calco-alcalin potassiques D’autres roches à origine partiellement mantelliques sont représentées par les plutons post-tectoniques magnésio-potassiques, ou calco-alcalins potassiques (voir photos 13 et 14 en ligne). Ces plutons sont aux aussi associés à des diorites (voir photo 15 en ligne), mais le lien est moins clair que dans le cas des sanukitoïdes, et l’origine des diorites moins bien connue. Le consensus est de proposer pour ces diorites une origine semblable à celle des shoshonites (manteau fertilisé par des 288

4.2 • Magmatisme et géodynamique

sédiments), et là encore leur apparition à la fin de l’Archéen pourrait refléter l’importance que prennent à ce moment les processus de subduction. • Les complexes de gneiss gris La plus grande partie de la croûte Archéenne est formée de complexes de gneiss gris (voir photos 16 et 17 en ligne). Ces associations sont surtout des roches métamorphiques orthodérivées, équilibrées dans la croûte moyenne (faciès amphibolite, rarement granulite) ; elles sont souvent en contact tectonique avec les ceintures de roches vertes. Les Gneiss Gris contiennent de nombreux composants ; le plus abondant en volume est un orthogneiss de nature TTG.

b) Cycle de Wilson magmatique Le cycle orogénique, ou cycle de Wilson, affectant une région donnée est formé par cinq étapes successives. À chacune correspond un type de magmatisme caractéristique par ses produits volcaniques et plutoniques, ses sources et son mode de différenciation.

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• Du continent à l’océan : ouverture 1. Étape continentale intra-plaque. Cette étape affecte un continent issu d’un ou plusieurs cycles orogéniques précédents. Le champ de contraintes extensif (σ1 vertical) permet l’apparition de systèmes de failles normales et de rifts intracontinentaux. Le magmatisme alcalin anorogénique marque la cratonisation progressive du continent. Les CFB des trapps et les séries alcalines de rifts signalent le passage du stade cratonique au stade pré-océanique. 2. Étape d’ouverture. L’extension se poursuit et conduit à la formation de croûte océanique au niveau d’une ride médio-océanique, représentant une frontière divergente de plaques. En dehors des rides médio-océaniques, le domaine océanique en situation intra-plaque se recouvre d’îles océaniques. L’expansion des fonds océaniques conduit à l’écartement des zones continentales primitivement voisines. • De l’océan au continent : fermeture 3. Étape de fermeture. Le champ de contraintes se modifie avec σ3 vertical. Le domaine océanique commence de disparaître par subduction sous une plaque océanique (type Mariannes) ou continentale (type Andes). Certaines zones océaniques peuvent être préservées par obduction. Au niveau de la frontière convergente de plaques, un système complexe s’installe avec, de l’océan à la plaque chevauchante : fosse océanique, prisme d’accrétion, arc insulaire magmatique et bassin arrière-arc. Le magmatisme océanique s’installe dans les bassins d’arrière-arc et dans les arcs insulaires, tandis que le magmatisme continental constitue une « Ceinture de Feu » avec des chaînes de volcans et des batholites importants, évoluant de compositions calco-alcalines pauvres en K à des compositions shoshonitiques très potassiques (Fig. 4.30). 289

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

A

B

C Figure 4.30 – Évolution du magmatisme en fin d’orogenèse (Bonin, 1987, 1988, 1990).

A. Étape de fermeture par fin de la subduction océanique : magmatisme de marge active d’affinités calco-alcalines (durée minimale : 100 Ma). B. Étape de collision continent-continent : magmatisme calco-alcalin potassique, avec ou sans anatexie crustale associée (durée moyenne : 30-50 Ma). C. Étape de surrection, distension et tectonique décrochante : magmatisme postorogénique d’affinités alcalines évoluant en 10 Ma vers un magmatisme alcalin anorogénique (durée moyenne : 70-90 Ma).

290

4.3 • Conclusion : croissance et recyclage de la croûte

4. Étape de collision. Lorsque le domaine océanique a complètement disparu, les masses continentales sont en contact et des lambeaux du domaine océanique et des arcs insulaires peuvent se retrouver au niveau de la zone de suture. Le phénomène de subduction s’arrête et est relayé par les épisodes de charriage intracontinental, avec épaississement de la croûte par superposition des croûtes continentales. Le magmatisme est alors acide et d’origine essentiellement crustal, avec ou sans apport de magma mantélique. • Événements tardi- et post-orogéniques 5. Étape de surrection. Lorsque tout le système est bloqué, la croûte continentale épaissie subit un mouvement de surrection à cause du déséquilibre isostatique. Les reliefs montagneux deviennent alors importants. Le champ de contraintes redevient extensif, permettant la formation de structures en horst et graben. Le magmatisme d’origine crustale plus sec comprend l’association PTG à cordiérite ou grenat, il est accompagné par les suites shoshonitiques à ultrapotassiques d’origine mantélique profonde. Moins de 10 Ma suffisent pour passer du stade tardi-orogénique ou post-collision au stade anorogénique, le stade post-orogénique voyant la mise en place d’un magmatisme alcalin présentant des caractères hybrides entre le magmatisme ultrapotassique et le magmatisme anorogénique (Fig. 4.30). En général, l’étape 5 laisse la place à un magmatisme alcalin anorogénique sporadique. La région considérée devient stable avec une croûte continentale d’épaisseur redevenue normale après érosion et le manteau lithosphérique peut s’épaissir jusqu’à 200 km sous les cratons. Dans d’autres cas, le système reste instable, avec une croûte épaisse et un manteau lithosphérique aminci, et passe directement de l’étape 5 à l’étape 1 d’un nouveau cycle orogénique.

4.3 CONCLUSION :

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CROISSANCE ET RECYCLAGE DE LA CROÛTE Le magmatisme est à l’origine de la formation de la croûte, comme le montrent les compositions moyennes des croûtes océaniques et continentales (Tab. 1.2, 1.6, 1.7 et 1.8). Dans la croûte continentale (Tab. 1.7), à peu près 86 % des roches sont magmatiques (64,7 %) ou orthodérivées (gneiss, 21,4 %), les 14 % restants proviennent en majeure partie du recyclage de matériaux préalablement magmatiques (sédiments terrigènes). La proportion de roches magmatiques est encore supérieure dans la croûte océanique où le recyclage détritique est peu développé.

4.3.1 Taux d’éruption volcanique et de production des magmas Les suites magmatiques proviennent à la fois du manteau et de la croûte elle-même. Ainsi, la croûte continue-t-elle d’augmenter de volume aux dépens du manteau, même si une grande partie est recyclée dans le manteau par subduction. Afin de mesurer le taux de croissance de la croûte, plusieurs méthodes sont possibles. La plus simple est de mesurer les taux d’éruptions de magma en surface par compilation 291

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

des événements volcaniques enregistrés dans le monde (volumes émis et durée des cycles éruptifs). Les régions les plus actives produisent jusqu’à 0,1 km3.a– 1, comme les volcans d’Hawaï, d’Islande et du Kamchatka pour le volcanisme basaltique, et jusqu’à 0,01 km3.a– 1, comme les volcans du Kenya, du Kamchatka et d’Éthiopie pour le volcanisme acide. Cependant, la relation entre le volume de magma émis au cours d’une éruption volcanique et le volume total de magma produit dans le manteau ou la croûte n’est pas simple. La difficulté majeure tient à ce qu’il est en général impossible d’observer en même temps les formations volcaniques superficielles et les massifs plutoniques profonds associés. Le rapport volumique entre roches plutoniques et volcaniques est plus important en milieu continental qu’en milieu océanique, à cause de deux facteurs indépendants : (1) dans les zones océaniques, les magmas à prédominance basaltique ont une faible viscosité, (2) la lithosphère océanique, plus mince et plus chaude, permet une ascension plus facile des magmas vers la surface. Le rapport volumique entre roches plutoniques et volcaniques est estimé entre 3:1 et 6:1 (moyenne 5:1) en milieu océanique, entre 4:1 et 16:1 (moyenne 10:1) en milieu continental. Le taux global de production magmatique sur terre est évalué à 26-34 km3.a– 1 avec de fortes variations selon les sites géodynamiques (Tab. 4.3). À partir de la dissipation de l’énergie des marées sur terre, une estimation comparable de 30 km3.a– 1 a également été calculée. Le magmatisme océanique est beaucoup plus développé que le magmatisme continental, respectivement 87 et 13 % du total émis. Près de 70 % sont fournis par les rides médio-océaniques et 7 % par les îles océaniques. Les zones de subduction, à moitié océanique et continentale, concourent pour environ 20 %. Le magmatisme intra- continental constitue moins de 3 % du total. Tableau 4.3 – Production des magmas et importance des granites (modifié d’après Crisp, 1984).

Site géodynamique

Rides médioocéanique s

Convergence

Intraplaque continental

Intraplaque océanique

Total

Production (km3.a– 1) Total Roches volcaniques (RV) Roches plutoniques (RP) Granitoïdes

21,54 31 18,54 10,54

2,9-8,6 0,4-0,6 2,5-8,0 2,1-6,8

12,6 31 7-19

72-79 85 75-87

0,13-1,6 0,03-0,1 0,10-1,5 0,03-0,3

1,8-2,4 0,3-0,4 1,5-2,0 0,15-0,2

25,8-33,6 3,7-4,1 22,1-29,5 2,81-7,84

Volume % des granitoïdes Par rapport au total RV + RP Par rapport au total RP Par rapport aux granitoïdes

15-19 20-19 0,7-3,8

8,3 10 2,5-5,3

11-23 13-27 100

Pour 100 km3 de magmas émis dans le monde, le volume des granitoïdes des rides médio-océaniques est de 1,6 à 2,0 km3, les granitoïdes intra-plaque océaniques de 0,6 km3, les granitoïdes intra-plaque continentaux de 0,1 à 0,9 km3 et les granitoïdes des zones de convergence de 8 à 20 km3.

292

4.3 • Conclusion : croissance et recyclage de la croûte

La productivité magmatique linéaire est également variable selon les sites géodynamiques. Les rides médio-océaniques produisent chaque année 21 km3 de magma (3 km3 en surface et 18 km3 en profondeur) sur une longueur d’environ 53 700 km, soit une productivité linéaire de 3,9.10– 4 km2.a– 1. Les arcs magmatiques liés à la subduction ont une productivité linéaire pouvant atteindre 5 à 6.10– 5 km2.a– 1, soit 6 à 8 fois moins, bien que les manifestations volcaniques soient plus spectaculaires. Les roches granitiques contribuent pour 3 à 8 km3.a– 1, soit 11 à 23 % du total. La proportion en volume des granitoïdes par rapport au reste des roches magmatiques est très variable d’une association à l’autre (Tab. 4.3). Les granitoïdes orogéniques des zones de subduction constituent ainsi 75 à 87 % de l’ensemble des granitoïdes, ce qui explique pourquoi la croûte continentale supérieure est essentiellement formée de granitoïdes orogéniques.

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4.3.2 Croissance et recyclage des continents Le phénomène de subduction océanique conduit à la disparition des roches des fonds océaniques, qu’elles soient magmatiques formées au niveau des rides médioocéaniques ou sédimentaires issues de la destruction des reliefs émergés. Le devenir des roches constitutives des îles océaniques est moins clair. Les observations dans les fosses océaniques ont montré que certains monts sous-marins (guyots) disparaissent également par subduction. Par contre, les plateaux océaniques (Kerguelen) et les îles émergées (Réunion, Polynésie) renferment des roches différenciées (syénite, granite) qui ont une densité moyenne suffisamment faible pour empêcher leur subduction et peuvent se lier par accrétion et obduction aux continents lors des phénomènes de collision. Des formations continentales à coésite + pyrope ± diamant, c’est-à-dire ayant été plongées à plus de 100 km de profondeur, ont été décrites, montrant que la subduction continentale existe. Les matériaux continentaux disparaissent aussi par érosion, transport et dépôt en milieu océanique, où ils sont ensuite entraînés par subduction dans le manteau. Si l’on compare la répartition des laves actuelles à la surface du globe et celle des laves anciennes affleurant dans les continents (Tab. 4.4), le rôle de la subduction apparaît pleinement. Les roches océaniques disparaissent à plus de 99 %, seuls subsistent les massifs ophiolitiques et les paléo-îles océaniques accolés aux continents par obduction. Dans les aires continentales, le paléovolcanisme intra-plaque est pratiquement aussi bien représenté que celui de subduction-collision.

293

Chapitre 4 • Les interactions entre magmatisme et environnement

Tableau 4.4 – Répartition des roches volcaniques actuelles et anciennes (Crisp, 1984 ; Pearce, 1987).

Site géodynamique

% laves actuelles

% laves anciennes

Répartition

Observations Disparition à 99,7 % par subduction. Obduction de 0,3 %. Augmentation relative malgré une forte érosion (80 %).

Rides médio-océaniques

73-81

5

90 % basiques 10 % intermédiaires

Zones de convergence

10-16

55

29 % basiques 59 % intermédiaires 12 % acides

Zones intra-plaque – continentales

1-2,5

38

– océaniques

8-11

2

73 14 13 80 10 10

% % % % % %

basiques intermédiaires acides basiques intermédiaires acides

Augmentation relative forte, érosion limitée. Disparition à 99 % par subduction et érosion. Accrétion de 1 % en noyaux continentaux.

Les laves anciennes constituent des formations paléovolcaniques préservées et affleurant dans les domaines continentaux et les zones de suture océanique. Roches basiques et ultrabasiques (SiO2 < 52 %). Roches intermédiaires (52 % ≤ SiO2 < 63 %). Roches acides (SiO2 ≥ 63 %).

Si l’on retient une production de magma intra-continental de 0,87 ± 0,73 km3.a– 1 (Tab. 4.3) et une érosion nulle, la croissance continentale peut être estimée à 2,1 ± 1,3 km3.a– 1. Comme les formations volcaniques meubles sont facilement remobilisées par érosion, cette valeur est minimale. Des estimations indépendantes aboutissent à des valeurs comparables. Les couples d’isotopes radioactifs et radiogéniques (systèmes Rb-Sr, Sm-Nd, Lu-Hf, U-Th-Pb, etc.) permettent de déterminer l’origine et l’évolution des différentes couches terrestres (voir Géochimie). La croissance des continents par mise en place de magmas d’origine mantélique et le recyclage des roches crustales dans le manteau par subduction peuvent être calculés, en assimilant le globe terrestre à 4 réservoirs distincts en contact : noyau, manteau inférieur primitif, manteau supérieur appauvri et croûte continentale. La croissance des continents est évaluée à 1,8 ± 0,7 km3.a– 1 résultant de l’addition de croûte juvénile à partir du manteau de 2,5 ± 0,5 km3.a– 1 et de la perte de sédiments par subduction de 0,8 ± 0,5 km3.a– 1. La contribution en masse des météorites, 15 à 50 106 kg.a– 1 en moyenne à la surface de la terre, est négligeable, de 60 à 200 fois inférieure à la contribution magmatique. Pour fabriquer le volume actuel d’environ 8 109 km3 de croûte continentale, il faudrait à peu près 4,4 Ga, durée voisine de l’âge de la Terre et comparable à l’âge des plus vieux cristaux de zircon datés. Pendant le même temps, 110 à 150 109 km3 de matériaux crustaux, surtout océaniques, ont été fabriqués et la grande majorité, soit 93 à 95 %, a été recyclée dans le manteau. 294

4.3 • Conclusion : croissance et recyclage de la croûte

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Les calculs supposent que le taux de production magmatique est resté à peu près constant dans le temps. Cette approximation se justifie par l’importance relative du magmatisme océanique (87 %), dont la variation de productivité a été probablement assez faible, sur le magmatisme continental (13 %), dont la productivité est beaucoup plus importante durant les épisodes orogéniques qu’en contexte anorogénique. Cependant, il est possible de concevoir d’autres modèles plus compatibles avec la suite des événements géologiques. Dans ce type de modèles, les périodes de crise, caractérisées par une accrétion continentale forte, alternent avec des périodes plus calmes, pendant lesquelles elle est plus faible. Dans les cratons et les boucliers, les événements orogéniques sont toujours diachroniques, c’est-à-dire se sont produits parallèlement, mais à des époques sensiblement décalées dans le temps. Les courbes de croissance de la croûte continentale ne sont donc jamais identiques d’un bouclier à l’autre. Les débuts de l’histoire de la Terre commencent il y a 4,566 Ga. L’Hadéen a vu l’apparition de la croûte primitive au cours du bombardement intensif qui se poursuivit jusque vers 3,9 Ga mais il n’en reste que des lambeaux, sous forme de cristaux de zircon âgés de 4,4 Ga et d’un morceau de croûte continentale datée à 4,04 Ga. L’Archéen dure de 4,0 Ga à 2,5 Ga et constitue la période majeure de croissance continentale, avec la formation d’un volume crustal correspondant à environ 75 % de la croûte actuelle, ce qui permet d’expliquer la précocité du magnétisme terrestre, le fonctionnement de la dynamo supposant le refroidissement lent du noyau. Le Protérozoïque dure deux milliards d’années, de 2,5 Ga à 545 Ma, début du Cambrien, et constitue également une période importante d’accrétion continentale. Plus court, le Phanérozoïque ne dure que 545 Ma. Il comprend les périodes allant de l’ère primaire, avec les épisodes orogéniques successifs calédonien, varisque et alléghanien qui aboutissent à la dernière Pangée connue, jusqu’à l’ère quaternaire, avec la dernière orogenèse en cours dans la ceinture de collision alpine et himalayenne et les chaînes de subduction autour du Pacifique. Son rôle dans la croissance des continents est encore mal évalué.

295

ÉPILOGUE La pétrologie n’est pas seulement la description des roches. Elle se situe à la frontière de nombreuses disciplines des sciences de la terre, dont elle emprunte les techniques et les méthodes et dont elle suscite également les thèmes de recherche.

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MÉTHODES

ET MOYENS DE LA PÉTROLOGIE

Pour étudier une roche, le pétrologue doit utiliser un nombre important de techniques, tant sur le terrain qu’au laboratoire. 1. Sur le terrain, le pétrologue est d’abord un géologue, qui observe les relations entre les objets. À ce titre, la plupart des concepts fondamentaux de la stratigraphie peuvent être utilisés, en particulier les principes de remaniement : une roche en enclave dans une autre est antérieure, parfois synchrone, et de recoupement : une roche recoupant les structures d’une autre lui est postérieure. De ce fait, l’étude des contacts est absolument essentielle : nature et forme des contacts, présence de bordures figées et d’enclaves. Doivent également être examinées la nature pétrographique des roches et leurs variations de faciès. L’ensemble des observations aboutit en général à une carte géologique où sont reportés les contours des objets géologiques et l’indication de leurs structures (pendages, foliations, linéations…). 2. L’échantillonnage est une étape particulièrement importante. En effet, au laboratoire, le pétrologue n’aura à sa disposition que son carnet de terrain où il aura consigné ses observations de façon la plus minutieuse possible, sa mémoire… et ses échantillons. L’échantillonnage varie selon le type de problème étudié mais doit toujours être représentatif, c’est-à-dire donner une bonne idée des roches présentes. Il doit donc associer des échantillons correspondant à la moyenne des roches et des échantillons illustrant les variations et les accidents observés sur le terrain. 3. Au laboratoire, le pétrologue a à sa disposition l’ensemble des techniques d’analyse physico-chimique des matériaux. Généralement, il étudiera ses échantillons de façon séquentielle, sélectionnant à chaque étape ceux qui lui paraissent le plus propres à obtenir les résultats scientifiques qu’il désire. a. Examen optique. L’outil premier du pétrologue est le microscope optique et ses variantes (loupes). Pour cela, il a recours aux lames minces confectionnées par sciage d’échantillons, polissage et amincissement des faces. Selon le type d’observations à faire, l’épaisseur des lames varie : lames « épaisses » pour l’examen des inclusions à l’intérieur des cristaux, lames plus minces pour la 297

Épilogue

reconnaissance des minéraux colorés. Les observations sont quantifiées sous la forme d’analyses modales, véritable inventaire des minéraux constitutifs des roches, et de séquences de cristallisation, visualisant l’ordre d’apparition et/ou de disparition des phases solides. b. Analyse chimique. La composition globale d’une roche et les compositions des phases qui la composent permettent de déterminer la répartition des éléments chimiques dans les roches. Les méthodes d’analyse ont considérablement progressé ces dernières années et il est possible d’obtenir les teneurs de pratiquement tous les éléments naturels du tableau de Mendeleïeff. Les roches totales sont analysées en général à partir de poudres provenant du broyage d’échantillons représentatifs. Les phases minérales peuvent être analysées de la même façon après séparation, ou être analysées in situ grâce aux techniques montées sur microscope électronique (à balayage et à transmission). c. Analyse physique. La nature des phases solides et fluides, la répartition des atomes, la résistance des matériaux et leurs propriétés physiques peuvent être précisées par les méthodes de la minéralogie et de la cristallographie, qui sont en fait celles de la physique et de la chimie du solide. d. Expérimentation. Effectuée dans certains laboratoires sur des matériaux significatifs, l’expérimentation permet de simuler les conditions thermodynamiques qu’ont pu connaître les roches. La détermination des conditions de stabilité des différentes phases devient déterminante pour l’étape suivante. 4. Mise en forme des données. L’ensemble des résultats obtenus doit alors être traité. Le premier type de traitement concerne directement les données (diagrammes, calcul de paramètres physico-chimiques) de façon à en homogénéiser la représentation selon des normes internationalement reconnues. Ensuite, les données sont reprises de façon à en tirer des résultats plus généraux : détermination des paramètres thermodynamiques et de leur évolution dans le temps (trajets P-T-t par exemple), mise en évidence des lignées de différenciation et de leurs modalités, mise en œuvre et utilisation des lois de la physique du solide et de la mécanique des fluides. Toute étude scientifique doit actuellement conduire à l’élaboration d’un modèle, c’est-à-dire d’un ensemble cohérent de faits dont les deux caractères essentiels sont d’être vérifiable et quantifiable et de permettre la prédiction de faits nouveaux.

LIENS

DE LA PÉTROLOGIE AVEC LES AUTRES SCIENCES

À l’heure actuelle, notre planète est de plus en plus intensivement exploitée et il n’est pas étonnant que les roches, qui constituent notre substratum, soient également étudiées en vue de leur utilisation. Il n’est pas possible de décrire l’ensemble des liens présentés par la pétrologie avec les autres sciences. Nous nous contenterons d’en esquisser certains. 1. Avec la physique et la chimie de la Terre. À l’heure actuelle, l’étude globale de la planète tend à se développer en prenant en compte non seulement ce qui est 298

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Épilogue

visible à l’affleurement ou accessible par sondage, mais aussi les couches plus profondes. La géophysique et la géochimie fournissent l’essentiel des contraintes qualitatives et quantitatives, à partir desquels s’élaborent les modèles. La pétrologie, en étudiant les roches de la croûte et du manteau supérieur, fournit l’un des maillons de la chaîne, tandis que les matériaux plus profonds ne peuvent être connus que de façon indirecte par l’expérimentation sur des matériaux analogues. Les phénomènes magmatiques actuels et anciens fournissent des données précieuses sur l’évolution thermique et chimique de la croûte et du manteau. 2. Avec les applications des sciences de la Terre. L’homme a longtemps fait de la pétrologie sans le savoir, en extrayant des lits des rivières ou des carrières le silex ou l’obsidienne nécessaires à son outillage, plus tard l’argile pour la céramique, enfin les pierres pour la construction et les minerais pour la métallurgie. La pétrologie endogène est importante pour déterminer les cibles de la métallogénie, qui recherche les lois présidant à la concentration des métaux et des métalloïdes en amas d’intérêt économique. Elle est aussi utile pour la recherche de pétrole, car les hydrocarbures économiquement intéressants se forment en conditions de métamorphisme léger souvent associé à des manifestations magmatiques (relations entre la mise en place des trapps du Paraná et les réservoirs de pétrole au Brésil, par exemple). Elle est enfin essentielle en génie géologique, lors d’études de risques géologiques ou de faisabilité de carrières. Les roches, exploitées pour elles-mêmes et non en tant que porteuses d’éléments, sont de plus en plus utilisées soit sous la forme de granulats, soit en plaques (revêtement des gratte-ciels, voire de montres, par exemple). 3. Avec la vie. Il existe nécessairement des interactions entre la lithosphère, l’hydrosphère, l’atmosphère et la biosphère. Les manifestations volcaniques ont joué et jouent toujours un rôle important dans les problèmes de risques majeurs. Une éruption volcanique non ou mal prévue peut avoir des conséquences désastreuses sur les populations. Que l’on songe aux deux catastrophes du XXe siècle : SaintPierre, en Martinique, et Armero, en Colombie. Plus généralement, le volcanisme joue un rôle dans la pollution des eaux et de l’atmosphère (catastrophe de Nyos, au Cameroun, par exemple) et plus généralement sur les climats. Une période d’intense activité volcanique correspond à une chute des températures et une augmentation des précipitations dans l’hémisphère où elle se produit, à cause des aérosols acides (HCl + H2SO4) et des nuages de poussière expulsés jusque dans la stratosphère. Les effets sur la santé sont également détectables, même dans le cas des roches anciennes : il a ainsi été montré que la silicose des mineurs ne provenait pas du charbon qu’ils extrayaient, mais des niveaux de verre volcanique intercalés dans les couches porteuses. Par ailleurs, les phénomènes volcaniques peuvent être bénéfiques, en fournissant des sols très fertiles. L’énergie thermique apportée par les magmas peut être domestiquée sous forme d’énergie géothermique ou de sources thermominérales. Les sources thermominérales ont souvent un intérêt économique, sous forme de cures thermales ou de bouteilles mises à la vente. Enfin, le tourisme y trouve son compte (Islande, Parc du Yellowstone, Etna, Vésuve, Stromboli, Santorin, etc.). 299

Épilogue

CONCLUSION La pétrologie a fait de grands progrès au cours de ces dernières années. L’application à différentes échelles d’observation des lois établies par la physique et de la chimie du solide et des fluides a permis de mieux comprendre d’où une roche tire son origine, comment elle se forme, puis évolue dans le temps et l’espace. Cependant, cette science n’est pas arrivée à maturité. Les faits d’observation et d’analyse sont reliés entre eux par des hypothèses et des scénarios, certes plausibles mais qui demandent à être mieux établis. Il est vraisemblable que les lois les plus générales sont connues actuellement avec suffisamment de précision mais il n’est pas impossible qu’avec le progrès des connaissances, beaucoup d’idées actuelles devront être revues et modifiées.

300

Références bibliographiques

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES OUVRAGES

GÉNÉRAUX OU SPÉCIALISÉS

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304

INDEX

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A aa 136 absarokite 172 accident 297 accrétion 8, 10, 293 achondrite primitive 20 acide 110, 159, 243, 245 adakites 267, 268, 286 adakitique 264 addition de croûte juvénile 294 agmatite 88 albite 139 alcalin 165, 166, 168, 172, 249, 259, 260, 262 alcalinité 262 altération hydrothermale 151 aluminosilicate 31 amas sulfuré massif 209 amphibole 54, 61 analyse modale 298 physico-chimique 297 anatexie 65, 86, 145, 272 andésite 172, 264 basaltique 172 andin 264 angrite 20 anhydre tardif 266 anorogénique 154, 166, 259, 289 anorthite 139 anorthositique 26 aphyrique 129, 131 aplitique 142, 150 appinite 278 arc insulaire 255, 289 Archéen 271, 280 ascension du magma 233 dans un conduit 119 dans un milieu perméable 119

assimilation 212 association magmatique 154 astéroïde 13 asthénosphère 36 atmosphère 242 aubrite 20 augmentation 236 auto-colmatage 241 automorphe 125

B banakite 172 barrière thermique 139 basalte 22, 100, 110 à olivine 168, 169 alcalin 139, 161 riche en Al 172 riche en alumine 139 basaltes enrichis en Niobium 286 basaltique 30 basanite 139, 165, 169 basique 110 basse pression 249 basse température 266, 274 bassin arrière-arc 289 bassins d’avant-arc et d’arrière-arc 255 batholite 172, 229 benmoréïte 161, 168, 169 bimodal 166, 262 binaire 200 Bingham 115 boninite 163, 255, 286 bordure figée 126 inférieure 178 supérieure 178 brachinite 20 brèche 20, 27 hydraulique 40, 152 pegmatitique 153 305

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brucite 57 büchite 70

C calco-alcaline 166, 169, 257 « normale » 172 potassium normal et à potassium élevé 264 riche en K 172 caldeira 157 capacité calorifique 111 caractère redox 153 carbonatation 223 carbonate 61 carbonatite 210 à calcite 210 à dolomite 210 cassant (milieu) 33, 172 cataclastique 196 cation de type alcalin 245 divalent octaédrique 245 ceinture de roches vertes 281, 282 CFB (continental flood basalts) 257 chaleur 235 latente de cristallisation 111 chaos prélithosphérique 27 chaotique 215 charriage intra-continental 291 chassignite 20 chondre 17 chondrite 17 à enstatite 18 carbonée 17 carbonées CI 18 carbonées CM et COH 18 de Rumuruti 18 ordinaire 18 climat 299 clinopyroxénite 42 coefficient de dilatation thermique 115 de distribution 200 de fugacité 223 coésite 56 cogénétique 215 coloration 137 comagmatique 160, 277 cométaire 14 306

compatible 200, 207, 247 complexe annulaire 172, 189, 198 subvolcanique 190 plutonique 229 tholéiitique lité 258 composition modale 203 compressibilité isotherme 115 concentration 197 condensation 8, 10 condition de stabilité 298 conduction 238 contact 297 de la dolomite avec le granite 240 entre le nodule siliceux et la dolomite 240 contaminé (liquide) 212 controverse du granite 140, 239 convection 238 cordiérite 277 corps de Bingham 195 cortlandtite 278 couche fondue 134 granitique 140 sédimentaire 248 stagnante 188 couche-limite 122, 207 cinématique 206 thermique 206 coulée 154 courbe rectiligne 201 craton 291 cratonique 289 cristal intercumulus 203 cristallinité 125 cristallisation 188, 233 aux parois 206 fractionnée 161, 198 fractionnée partielle 203 croissance 124, 125 continentale 294 des continents 294 croûte 24, 102, 242 continentale 30, 100 inférieure 30, 107 océanique 30, 289 passive et rigide 134 primitive 26 semi-rigide 134

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supérieure 30, 106 supérieure continentale 140 crustale 145, 277 cryptique 181 cumulat 130, 201, 203 cycle orogénique 289

D dacite 172, 267 « Daly gap » 166 degré d’évolution 198 dendritique 126 densité 115 densité de fractionnement 207 diachronique 295 Diagramme QAP 144 diamant 20, 55, 65 diapir 173 diapirique 145, 196, 277 diatexite 88 différence de densité 193 différenciation 10, 110, 198 diffusion 241 chimique 175, 212 thermique 175 diffusivité chimique 122 thermique 122 diogénite 20 diopside 139 direction 194 dispersion 155 dolérite 177 double diffusion 207 ductile 33 dunite 42 durbachite 278 E échantillon 297 éclogite 86 écoulement laminaire 119 écran (screen) 191 effet amphibole 260 Bagnold 206 biotite 266 effusif 154 éjecta 156

élaboration d’un modèle 298 élasticité 33 élément compatible 200, 203 incompatible 200, 203 emballement thermique 174 embrittlement 196 encaissant 173 enclave 22, 63, 130 anguleuse 212 cumulative 162 magmatique sombre arrondie 212 épaisseur 155 critique d’emballement thermique 175 critique de trempe 174 éponte 173 équante 142 espèce 145 essaim 172 étape continentale intra-plaque 289 d’ouverture 289 de collision 291 de fermeture 289 de surrection 291 étoile filante 14 eucrite 20 évent hydrothermal 159 évolution lithosphérique 27 exogène 130 expérimentation 299 explosif 154 externe 277 extraction 188 extrusion 158 extrusive (roche) 109

F fayalite 142 feldspath alcalin 139 felsique 91, 110, 137 fermé (système) 215 ferreux hydroxylé 153 ferrique anhydre 153 ferrocarbonatite à ankérite et/ou sidérite 210 ferropériclase 32, 56 feuillet conique 190, 198 fiamme 157 figure de Widmanstatten 19 307

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filon 173 annulaire 190 d’alimentation 174 de granophyre 186 hydrothermal 152 filtre-presse 206 fissure hydraulique 118, 196 fluidalité magmatique 194 fluide 39 supercritique 236 flux d’écoulement magmatique 194 foïdite 169, 210 foïdolite 210 foliation magmatique 194 formation de plancher 178 de toit 178 meuble 27 fortement alcaline 169, 254 fractal 215 fraction de liquide 200 fractionnement 198 des liquides 207 fracturation hydraulique 145 fracture radiaire 198 fragile 33, 172 fragmentation 155 fugacité 223 d’oxygène 224 fumerolle 159 fusion à l’équilibre 199 complète 223 critique 199 de l’encaissant 212 fractionnée 199 partielle 65, 198, 224 partielle à l’équilibre 224

G gaz 127 géothermie de haute enthalpie 218 geyser 218 gisement 243 gîte 243 globulaire 127 gneiss gris 289 gonflement 194, 229 gradient chimique 212 308

granite 22, 110, 140, 141 granitoïde 141, 287, 288 granodiorite porphyroïde à « dents de cheval » 151 granodioritique 264, 267 granophyre 185 transgressif 185 granulat 299 granulite 87 graphique 126 graphite 17, 55 Grashof 122 grégoryite 169 greisen 239 greisenisation 240 grenat 277 grenue 141 équante 149 grossier 142

H haplogranitique 144 harzburgite 42 haute pression 266, 274 haute température 249 hawaïte 161, 168, 169 hématite 139 hétérogène 24 hétérogénéité 29 hexaédrite 19 high-temperature metamorphism 86 himalayen 272 hollandite 32, 56 hololeucocrate 137 holomélanocrate 110, 137 homéogène 130 homogène 24 horizon-sandwich 178 howardite 20 hyaloclastite 158 hybridation 80 hybride 64, 211, 214 hydraulique 40, 152, 198 hydromagmatique 159 hydrosphère 24, 242 hydroxylé enrichi en Mg et Mn 153 précoce 266

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hypabyssale 174 hyperalcaline 163 hyperalumineuse 163, 272 dacite-rhyolite 279 hypercollision 272

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I ignimbrite 157 ijolite 210 île océanique 289 immiscibilité 225 immobile 241 incompatible 200, 247 incongruente 69, 221 incorporation mécanique 212 indice 243 de coloration 142 de différenciation 145 indifférencié 16 induite 224 inférieure au million d’années 233 infracrustale 197 initiateur de réseau 112 intergranulaire 131 intermédiaire 110 interne 277 intersertale 131 intracrustale 197 intrusif 141 intrusion en feuillets 172, 190 intrusion en force 145 intrusive 109 inverse 209, 211, 275 islandite 168 isopaque 155 K kalsilite 169 kamacite 19 kaolinisation 240 kimberlite 63 komatiite 163, 282 L lacune de cristallisation 126 lahar 190 lame mince 297

laminaire 119 lamprophyre 278 latite 172 leucite 139, 169 leucitite 169 leucocrate 110, 137 leucogranite 275 à deux micas 272 leucosome 88 lherzolite 42 ligne de Neumann 19 lignée d’évolution 198 linéaire 293 linéation magmatique 194 liquide 109, 127, 147, 148, 151 basaltique 173 granitique 174 interstitiel 118 interstitiel de fusion partielle 196 liquidus 73, 91, 109, 111, 198 litage 181 cryptique 181, 188 intermittent 181 modal 181, 188 de phase 181, 188 rythmique 181 lithophile 23 lithosphère 36 lithostatique 39 lunaire 13, 20

M maar 160 macusanite 276 mafique 110, 137 magma 95, 109 primaire picritique 259 magmatic stoping 191, 198, 229 magmatique 64, 195 magmatisme 151, 231 magmatologique 107 magmato-rigide 115, 196 magnésiowüstite 32, 56 magnésite 57 magnétite 17, 139 Main Boundary Thrust 275 Main Mantle Thrust 274 309

Index

majorite 32, 56 manteau 24, 242 appauvri 117 primitif 30 supérieur 107 mantélique 145 Mars Observer 38 maskélynite 68 massive 129 matière 235 matrice solide restitique 196 mécanisme de couches-limites 225 mechanical boundary layer 51 mégacristal 63, 142 mégalithe 100 méga-régolithe 27 meiméchite 163 mélagranophyre 186 mélange 212 mélange chimique (« mixing ») 214 mélange de liquides 212 mélange mécanique (« mingling ») 214 mélange solide 148 mélanocrate 110, 137 mélanosome 88 mélilite 169 mélilitite 169, 210 mésocrate 137 mésosidérite 19 mésosome 88 métalumineuse 163 métamorphisme 1, 151 basse température 274 hausse température 274 métasomatique 65 métasomatose 52, 239 métatexite 88 météorite 13, 14, 15 microcristal 131 micrométéorite 12, 14 migmatite 87, 88, 275 minéral accessoire 137, 139, 142 blanc 137, 142 coloré 137, 142 cumulus 203 minéraux caractéristiques 142 mobile 241 310

mobilisat 91 modal 138 MODE 137 modèle 2, 29, 30, 299 quasi-cristallin 145 modificateur de réseau 112 monomicte 20 monzonitique 265, 267 MORB (mid-oceanic ridge basalts) 248 morphologie 125 mugéarite 161, 168, 169 mur 173

N natrocarbonatite 169, 210 nébuleuse 7 chaude 24 néosome 88 néphéline 139 néphélinite 169 neutre 245 newtonien 115, 195 nodule de péridotite 22 normal 207, 209, 274 normalisé 247 normatif 138 NORME 138 norme CIPW 138 norme de Barth-Niggli 138 noyau 24, 26 des comètes 12 nucléation 124 nucléosynthèse 6 nuée ardente 152, 157 nyéréréite 169

O obduction 248, 289, 293 océan magmatique 24 magmatique superficiel 26 océanisation 262 octaédrite 19 OIB (oceanic island basalts) 249 olivine 139 ophiolite 248 ophitique 131 origine de la Vie 159

Index

orogénique 154, 166 orthodérivé 277 orthopyroxène 139, 169 orthopyroxénite 42 orthose 139 oxydant 153, 245 oxysphère 22

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P pahoehoe 136 palagonite 158 paléosome 88 pallasite 19 panache 102, 197, 217, 254 paradérivé 277 paragenèse 137 Péclet 123 pegmatitique 142, 150 percolation 241 périclase 32 péridotite 42 à mica 63 résiduelle 100 perméabilité 238, 241 pérovskite 32, 56, 169 perte de sédiments 294 phase gazeuse 129 liquide 129 solide 130 phénocristal 130 phlogopite 54, 61 dolomite 54 magnésite 54 phonolite 168, 169, 210 phonotéphrite 172 phyllosilicate 17 picrite 163, 168, 169 tholéiitique 168 pillow lavas 158 planète vivante 28 planétésimal 15 plaque 299 plastique 33 plutonique 110 plutonisme 231 poche pegmatitique 152 pœcilitique 131

point chaud 254 critique 151 poise 33 pollution 299 polymère organique 18 polymérisation 112 polymicte 20 ponce 152, 156 pore 196 porphyrique 129, 131 porphyroïde 142, 150 potassique 163, 172 pourcentage 203 critique de liquide 196 pondéral d’oxydes 137 volumique 137 Prandtl 122 premier stade 36 première différenciation 12 pré-océanique 289 pression réduite 223 primaire 145, 198 primitif 100 prograde 274 propagation de failles 172 pseudo-leucite 169 pseudomorphose 214 PTG (peraluminous tonalite-granodiorite) 277 pyroclastique 154, 157 pyrolite 30 pyroxénite 42

Q quartz 139 queue d’accrétion 16 R racine 197 Rayleigh 123 rayon 193 critique 124 réaction 188 recoupement 297 réducteur 153, 245 refroidissement 233, 236 région intermédiaire 134 311

Index

régionale 197 règle des leviers 203 régolithe 26, 27 remaniement 297 remobilisation par convection 188 représentatif 297 réservoir 242 résidu 66 restite 88, 91, 276 retard 267 retombée 156 rétrograde 275 Reynolds 120 rhéologique 33 rhyolite 168, 169, 172 ride médio-océanique 248, 289 rift 260, 289 ringwoodite 32, 56 risque majeur 299 roche 21 felsique 141 granitique 293 rupture de pentes 201 rutile 56

S sanidinite 70, 87 saturation en silice 139 saturé en eau 151 en silice 139, 260 schiste bleu 86 schlieren 206 sédimentation gravitaire 206 ségrégation de flux 206 séquence de cristallisation 149, 298 série 160, 229 de différenciation 136 magmatique 201 shergottite 20 shoshonite 166, 172, 257, 264, 286 Sial 31 sidérite 57 sidérophile 23 sidérose 57 silicose 299 sill 173 skarn 239 312

sodique 163 solide 109, 127 solidus 73, 91, 109 humide 147 source 196 chaude 211 froide 211 thermominérale 299 sous-saturé en eau 151 en silice 75, 139, 260 spinifex 284 squelettique 126 stade initial pré-caldeira 190 post-caldeira 190 syn-caldeira 190 statique 105 stishovite 56 stoping 277 straddle 169 structure 127 subalcaline 165, 172 subduction 269, 289, 293 continentale 293 océanique 293 submagmatique 115, 196 subsidence en chaudron 190, 198, 229 souterraine 172, 189 subsolidus 152 subvertical 173 subvolcanique 110, 174 suévite 66 suite 160, 229 superunité 229 surcharge tectonique 277 surchauffe locale 277 surfusion 124 sursaturé en silice 75, 139, 260 syn- à post-collision 264 syn-subduction 264 système ouvert 215 résiduel 144 riche en fer et en phosphore 210 silicate + sulfure 209 très alcalin riche en CO2 209

T tænite 19

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Index

tampon 224 TAS 163 tektite 20 température réduite 223 tendance Coombs 169 Kennedy 168 téphrite 169, 172 ternaire 199 texture 127 thermal boundary layer 51 thermique 40 tholéiite à olivine 139, 168, 248 à quartz 139, 168 tholéiitique 166, 168, 249, 254, 257, 262 d’arc insulaire 172 pauvre en K 172, 257 Tholéites 282 titanite 56 tonalitique 264, 267 topochimique 52 trachyte 161, 168, 169 transfert de matière et de chaleur 233 transport par les fluides 225 par les phases fluides 212 transpression 229 trapp 257, 289 TTG 264, 271, 287 tuf soudé 157 turbulent 119 type calédonien 265 Guéret 277 himalayen 277 limousin 277

U ultrabasique 39, 110 ultrahigh pressure metamorphism 86 ultramafique 39, 110 ultramafique potassique 63 ultramétamorphisme 85 ultrapotassique 166, 169, 172, 265 unimodal 264

unité d’âge 160 de lieu 160 magmatique 160 ureilite 20 urtite 210

V vapeur 109, 151 variation 297 de faciès 297 vaugnérite 278 verre 111, 131, 299 diaplectique 67 vésiculée 129 viscosité 33, 193 cinématique 116, 122 critique 174 critique d’éruption 121, 145 dynamique 113 effective 115 vitreuse 131 volatil 23 volcan 172 volcanique 110 volcanisme 231 volume réduit 223

W wadsleyite 32, 56 walstromite 56 webstérite 42, 80 wehrlite 42 wüstite 32

X xénocristal 63, 65, 130, 212 xénolite 212

Z zircon 26 zonation minérale 127 313