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L’ARCHITECTURE DE ROME hta 1 et 2 2011
Présentation Introduction I. L’Empire romain 1. Le facteur historique
a. La fondation de Rome (-753) b. La Royauté (-753 à -509) c. La République romaine (-509 à -27) d. L'Empire romain (-27 à 476) e. L'empire romain tardif
f. La dissolution de l'Empire romain (après 395) 2. L’Urbs 3. La ville romaine 4. Le Forum II. L’architecture romaine
1. Rôle de l’architecte a. Le pont du Gard b. L’huilerie de Brisgane c. Les édifices spectacles d. Aménagements 2. L’architecture militaire de Rome a. Les colonies b. Une organisation militaire III. Origines du classicisme et du baroque 1. Le classicisme romain a. La maison carrée de Nîmes b. Le corinthien romain 2. Éléments de composition architecturale a. Les salles voûtées b. La basilique c. Le Panthéon d. La maison romaine e. Les thermes f. Les édifices destinés aux spectacles 3. Signification du style baroque IV. Symbolisme de l’architecture romaine
1. Les arcs de triomphe 2. Tombeaux et monuments de victoire Conclusion
INTRODUCTION Pendant plus d'un millénaire (-500 av. J.C à +500 apr. J.C), la civilisation romaine a rayonné sur une vaste étendue qui comprenait tout le pourtour de la Méditerranée (Mare Nostrum). Pendant un autre millénaire (+500 à 1500) elle a subsisté autour de la ville de Constantinople (Byzance et Empire Byzantin). De nombreux Empereurs Romains ont laissé leur nom dans l'Histoire, en bien ou en mal. « Ceux qui refusent toute subordination, qui ne conçoivent l’homme qu’affranchi ou même révolté, ne peuvent aimer Rome », c’est une phrase de PICARD dans son livre « Empire Romain », laquelle dénote le caractère pragmatique et utilitaire de l’Empire où apparaît partout l’idée militaire de contrainte et de discipline imposée par la loi de la force. Les occidentaux, encore plus à partir de la Renaissance, ne peuvent se libérer de l’idée que l’Europe, et bientôt l’Amérique, soient le centre du monde. L’histoire, comme toute chose de la connaissance « moderne », va être réécrite sur cette base. Au fait, cela est un héritage de la vision romaine envers les autres nations non romaines considérées « Barbares », affirmant ainsi que tous les chemins doivent mener à Rome. Nous voyons là l’origine de cette manie de se considérer comme le centre incontournable du monde et de vouloir l’imposer par tous les moyens, à commencer par la force. L’Occident moderne a au moins raison quand il s’annonce comme étant le continuateur du modèle romain. Et la force, c’est le langage que Rome va utiliser pour constituer son Empire. Brisant impitoyablement les révoltes des nations en quête de liberté, chaque romain privilégié trouvait sa place de bien-être matériel, dans ces édifices dont les raisons d’être primordiales sont le confort et la dégustation de la vie romaine. Le peuple romain était néanmoins maintenu entre les volets de la politique « du pain et du jeu ». L’écrasante force impériale n’était pas uniquement destinée à l’oppression mais aussi à la protection des intérêts romains acquis au détriment non seulement des libertés des peuples « barbares », non civilisés à l’uniformité romaine, mais aussi basés sur l’exploitation de leurs terres et leurs mers. Sacro-saint intérêt des peuples conquérants qui va être non seulement une devise mais une sorte de conviction qui justifie toute injustice envers ceux qui menaçaient ces intérêts vitaux. De Rome à l’Occident moderne, il n’y a que les dates et les lieux géographiques des peuples « barbares » ou « Tiers-mondistes » qui ont changé. Qui plus est, cette logique de la protection des intérêts est imposée par la force militaire, est-il nécessaire de la rappeler, et à l’intérieur de ces énormes structures d’apparence inhumaine, les avantages de Rome étaient réservés à des rares privilégiés (thermes, gymnases, palais, Colisée, etc.).
Sur le plan spirituel, l’aspect rude et militaire de l’Empire Romain, qu’on va considérer dans un prochain chapitre, n’était mis au service d’aucun idéal spirituel autres que ceux idolâtres déviés et artificiellement héritées des autres civilisations notamment celles égyptienne, mésopotamienne et surtout grecque. PICARD affirme que : « l’état latin s’est fait le champion de la civilisation grecque qu’il avait adoptée et adaptée… Ce fait est si connu, ajoute-t-il, qu’il peut paraître banal d’y assister ». Dans le domaine de l’art, Rome s’est bornée de copier l’hellénisme, lui retirant ainsi toute vie et le dégradant. Cette conception est fondée : - sur les témoignages des romaines eux-mêmes ; - sur les études archéologiques des sites romains. Les écrivains latins ont toujours exprimé, dans leur grande majorité, la plus vive admiration pour les artistes grecques du passé et proclamé que la plus haute ambition de leurs contemporains était de suivre docilement les leçons de ces maîtres. Ainsi, la plupart des sculptures en ronde-bosse sont des copies ou des adaptations de modèles helléniques. « L’art romain apparaît ainsi comme un hellénisme décadent » (PICARD). Ceci s’applique aussi à l’art de bâtir. Le témoignage de VITRUVE présente l’esthétique architecturale romaine comme un développement de celle grecque. Examinons, sans plus tarder, le contexte de cet Empire Romain avant l’étude de l’architecture qu’il a produite. I. LA CIVILISATION ROMAINE 1. Le facteur géographique L’Italie est une péninsule qui a la forme générale d’une botte, d’une superficie totale d’un peu plus 300 000 km², y compris les îles, dont les trois principales sont la Sicile, la Sardaigne et l’île d’Elbe. Ses limites extrêmes se situent : • •
au nord à la Vetta d’Italia dans les Alpes centrales et au sud dans l’île de Lampedusa, golfe de Gabès ; à l’est, au mont Tabor dans les Alpes occidentales et au cap d'Otrante dans les Pouilles.
Les dimensions maxima sont de 1330 km, du nord au sud, de la Vetta d’Italia à Lampedusa, et de 630 km, d’est en ouest, du mont Tabor au mont Nevoso. Les frontières de l’Italie sont toutes marquées par des éléments physiques : la mer Ligure et la Mer Tyrrhénienne à l’ouest, le canal de Sicile au sud, la mer Ionienne et la mer Adriatique à l’est, les Alpes au nord ; mais dans la partie centrale la frontière s’écarte de la ligne de séparation des eaux, la Suisse s’étendant sur le versant sud avec le canton du Tessin. Le territoire italien est très accidenté : 23 % en plaine seulement, 35 % en montagnes et 42 % en collines. Deux grandes chaînes de montagne le structurent fortement : les Alpes au nord, avec le point culminant du pays situé au mont Blanc de courmayeur (4 748 m), et les Apennins qui courent depuis la côte Ligure jusqu’à Reggio di Calabria. Une seule grande plaine alluviale : la plaine du Pô, d’environ 45 000 km².
Située sur la ligne de contact des plaques africaine et européenne, l’Italie est sujette aux tremblements de terre et possède quatre volcans actifs : l’Etna, le Vésuve, le Vulcano et le Stromboli, ces deux derniers en mer Tyrrhénienne. Les côtes présentent un très long développement, d’environ 7 500 km, dont la moitié forme le contour des îles. Du fait de sa position géographique, l’Italie a un climat tempéré, avec de fortes variations régionales dues aux écarts de latitude, aux reliefs et à l’influence de la mer. L'organisation du relief dans la Péninsule est radicalement différente. Les montagnes forment une épine dorsale isolant de petites plaines littorales. Les terrains cristallins apparaissent dans l'Apennin calabrais ; découpés par une série de failles, ils donnent des paysages de horsts rabotés par l'érosion et de fossés, où sont venues se nicher les villes. Ces caractères s'estompent en Sicile, où un dédale de vastes collines occupe le centre de l'île. L' Apennin, en tout lieu, est une barrière : sa position centrale se révèle être un lourd handicap pour les communications. 2. Le contexte historique Selon la légende, Rome a été fondée en 753 avant J-C par Romulus. Pendant deux siècles et demi la ville a été gouvernée par des Rois. En 509 avant J-C les Romains établissent une République qui s'empare de tout le pourtour de la Méditerranée. En 29 av. J.C, Auguste établit l'Empire qui atteint son apogée un peu après les années 100. La Rome antique est le cadre de la naissance, de l'avènement et de la disparition de la civilisation romaine antique. Débutant comme un simple assemblage de villages, l'humble bourgade vit ensuite son histoire se confondre avec celle du monde méditerranéen jusqu'à la fin de l'Antiquité.
a. La fondation de Rome (-753) D'après la légende latine, Romulus , en tuant son frère Remus , fonda la ville de Rome à l'emplacement du Mont Palatin près du Tibre vers -753 et y regroupa des groupes de Latins, de Sabins, et peut-être d'Étrusques. Deux traditions existaient dans l'antiquité sur l'origine de Rome : - Les Grecs, avec Hellanicos de Mytilène (vivant au Ve siècle av. J.-C.), attribuaient sa fondation à un descendant d'Énée et des troyens rescapés de la guerre de Troie. - Les anciens récits romains évoquaient également un certain Latinus, roi de la peuplade autochtone des Latins, et beau-père Enée, comme étant le fondateur de la cité. Virgile tira de la première tradition une épopée intitulée l'Énéide, récit qui a plus une prétention poétique (dans la lignée de Homère), qu'historique. C'est à partir de la date fictive de l’événement de la fondation de Rome, le 21 avril -753, que les Romains comptèrent les années. Cette convention nécessitait une justification légendaire pour en affirmer le caractère sacré, deux narrations sont connues à travers la littérature gréco-latine sur le récit de cette fondation : - Tite-Live (-57, 17) écrivit une histoire de Rome : Ab urbe condita (AUC), qui en latin signifie « à partir de la fondation de la ville ».
- Denys d'Halicarnasse (vers -54, vers 8), rhéteur grec établi à Rome, écrivit un ouvrage intitulé Romaiké Archaiologia (Antiquité Romaine). Selon ces deux historiographes, dont le plus (re)connu est Tite-Live[1], Romulus et Remus étaient les fils de la vestale Rhéa Silvia et du dieu Mars, d'après les dires de la jeune fille, issue de la famille royale d'Alba Longa, ville voisine. Condamnés à mort par leur grandoncle, usurpateur inquiet d'être détrôné par des héritiers légitimes, les enfants furent abandonnés dans une fondrière sur les rives du Tibre en crue par les serviteurs chargés d'exécuter la sentence. Ils furent alors recueillis par une louve qui les allaita dans la grotte du Lupercal, au pied du Palatin (il est intéressant de signaler que le mot "ruma" désigne en latin archaïque une "mamelle", ce terme désignant peut-être aussi par allégorie, les collines qui parsèment le site). Par la suite, le berger Faustulus, témoin de ce prodige, recueillit alors les jumeaux et les éleva, en compagnie de son épouse Acca Larentia. Devenus adultes, ils décidèrent de fonder une ville. N'arrivant pas à départager celui des deux qui donnerait son nom à la ville nouvelle, ils s'en remirent aux augures qui désignèrent Romulus[1]. Ce rite fondateur est suivi de divers événements qui concourent au peuplement initial de Rome : enlèvement des Sabines, guerre contre le roi sabin Titus Tatius, secours apporté par le chef étrusque Coelius Vibenna qui s’installe sur une colline à laquelle il donne son nom (selon Varron), paix avec les Sabins, et partage du pouvoir avec Titus Tatius. L’anniversaire du jour de la fondation de Rome était une fête célébrée le 21 avril (fête des Palilia). L’année retenue par les Romains et par les historiens modernes est -753, date proposée par Tite-Live, malgré quelques propositions alternatives : - Timée de Tauroménion (vers -350, -250), cité par Denys d’Halicarnasse propose -813, en même temps que la fondation de Carthage. - Fabius Pictor (vers -254, -201), le premier historien romain, se base sur une royauté de 7 générations de 35 ans qui précède l'établissement de la République et aboutit à -747 ou -748. - Le censeur Caton l'Ancien (-234,-149) qui rédigea une histoire des Origines calcule 432 ans après la guerre de Troie, et obtient -751. - L’écrivain romain Varron (-116, -27) reprend les travaux de Fabius Pictor et corrige la date de fondation de Rome en 753/754, ce que Tite-Live adoptera. - Denys d’Halicarnasse dans une démonstration argumentée sur la chronologie des rois date la fondation de Rome de la première année de la septième olympiade, soit -751[3]. Dans l’ensemble, une convergence s’établit sur le milieu du 8ème siècle av. J.C. Toutefois, Tite-Live et Denys d’Halicarnasse émirent eux-mêmes des réserves sur ce qu’ils rapportaient. Au XVIIIe siècle, un rejet massif s’exprime avec la Dissertation sur l’incertitude des cinq premiers siècles de l’histoire romaine, de Louis de Beaufort, publiée en 1738.
L’historien Mommsen (1817-1903) a exprimé des doutes plus modérés. Il émit l’hypothèse que la tradition antique a pu se construire à partir de faits réels mais projetés sur un passé lointain et transformés en mythes. D’autres critiques soulignent l’habitude des auteurs anciens d’inventer un personnage éponyme pour fournir l’origine du nom d’un lieu. Romulus et Rome, le chef étrusque Coelius Vibenna et la colline du Cælius sont des exemples de ce mécanisme. Mais tant que les historiens ne purent s’appuyer que sur des textes, le débat ne pouvait progresser. Les analyses archéologiques apportèrent des éléments nouveaux.
b. La Royauté (-753 à -509) Après Romulus et ses successeurs légendaires, ce sont les rois étrusques qui, en occupant la région, vont faire de Rome une véritable ville vers 600 av. J.-C., en la dotant d'une muraille (mur Servien), en aménageant le Forum et en bâtissant le sanctuaire du Capitole. C'est probablement sous la Royauté que s'élabore la religion romaine, mélange d'archaïsmes indo-européens et d'influences grecques et étrusques. Les anciens Romains attribueront leurs succès militaires à la qualité scrupuleuse de leur piété envers les dieux.
c. La République[2] romaine (-509 à -27) Tarquin le Superbe est le dernier roi de Rome. Tyrannique, autoritaire, il fut chassé par les Romains en -509 ; la République romaine est fondée, gouvernée par le Sénat romain et les magistrats élus du peuple romain (populus" désigne, à l'époque le peuple en armes c'est-àdire les citoyens romains (patriciens et plébéiens)) À ses débuts, la République romaine est déchirée par les conflits entre la plèbe et le patriciat. Elle finit par se doter en -367 d'institutions qui équilibrent le pouvoir du patriciat et modèrent celui des consuls. Rome commence son expansion par la conquête de l'Italie centrale par la prise de Véies en -396. Le sac de Rome en -390 est le début d'une longue période où Rome ne fut jamais prise par ses ennemis, jusqu'en 410 et le sac de Rome par Alaric. En -295, bien que coalisés les Étrusques, les Ombriens, les Gaulois cisalpins et les Samnites, furent vaincus, notamment à la bataille de Sentinum. En quelques décennies ils furent totalement assujettis à Rome et inclus, par des traités spécifiques, parmi les « alliés » de la péninsule italienne. Les plébéiens de Rome obtiennent en -300 l’égalité politique. Rome domine toute l'Italie en -272. À partir de -264, dans son affrontement contre Carthage lors de la première guerre punique et de la deuxième guerre punique, Rome conquiert la Sicile, la Corse et la Sardaigne, l'Hispanie et devient la première puissance de la Méditerranée occidentale en -202. Tributaire de Rome, Carthage est finalement détruite en -146. Les légions romaines, de plus en plus efficaces, interviennent en Grèce, en Macédoine, en Asie Mineure. Durant le IIe siècle av. J.-C., Rome soumet la Grèce et en retire une grande influence culturelle. Les élites connaissent la richesse des butins, tandis que la crise sociale monte en Italie. La République qui dut son succès à un équilibre entre ses différentes composantes sombre devant son agrandissement trop brutal, ses institutions prévues pour une ville se révèlent inadaptées à la gestion d'un empire. À partir de -133, les tensions se multiplient, des ambitieux luttent pour le pouvoir : Marius contre Sylla, Cinna, Pompée contre Jules César, Octave contre Marc Antoine. La citoyenneté romaine ne sera accordée aux peuples soumis de la péninsule que lors de la guerre sociale de -90.
d. L'Empire romain (-27 à 476) L'Empire romain commence avec l'octroi du titre d'Auguste à Octave. Ménageant l'ordre sénatorial, il assoit son pouvoir personnel. Grâce aux légions, il agrandit considérablement le territoire romain, et l'organise en provinces romaines, qu'il gère avec la collaboration de l'ordre équestre.
Ses successeurs les empereurs Julio-Claudiens, les Flaviens et les Antonins mènent l'Empire romain à son apogée. Au IIe siècle, la superficie de l'Empire romain est à son maximum, et compte entre 50 et 80 millions d'habitants. Rome est avec un million d'habitants la plus grande ville du monde méditerranéen, avec une organisation spécifique. La pax romana, les voies romaines, la sécurité maritime favorisent la prospérité, les échanges commerciaux et la diffusion des pratiques religieuses. Les colonies se développent grâce à l'évergétisme de leurs élites, les grandes métropoles comme Carthage, Antioche, Alexandrie refleurissent. Les liens commerciaux atteignent la Baltique, l'Afrique noire, l'Inde et la Chine.
e. L'empire romain tardif La défense contre la pression croissante des peuples germaniques contribue à la militarisation de l'Empire, qui connaît après les Sévères une terrible crise politique, économique et démographique au IIIe siècle. Les empereurs illyriens parviennent à redresser la situation à la fin du IIIe siècle. Au IVe siècle, l'Empire rétablit sa puissance au prix de transformations considérables : division de l'empire romain et partage du pouvoir entre empereurs (tétrarchie, puis Auguste assistés de Césars), transfert de la capitale à Constantinople, absolutisme, alourdissement de l'administration, germanisation de l'armée, alignement du monnayage sur l'or (le solidus). La montée du christianisme accompagne cette transformation. L'Empire romain tolèrera puis adoptera définitivement le christianisme au cours du IVe siècle. En quelques générations le christianisme s'organise, avec la collaboration des empereurs : conciles, arbitrages des dogmes et condamnation des hérésies, définition des textes canoniques en grec puis en latin, montée en importance des grands patriarcats. Théodose Ier et Gratien mettent fin à la tolérance religieuse antique en imposant le christianisme comme seule religion.
f. La dissolution de l'Empire romain (après 395) Après une ultime réunification en 394 sous Théodose Ier, l'Empire est divisé en deux moitiés : 1. L'Empire romain d'Occident est submergé en l'espace de deux générations par les
peuples germaniques et s'efface en 476, ce qui marque la fin conventionnelle de l'Antiquité, 2. L'Empire romain d'Orient résiste et s'adapte, devenant progressivement l'Empire byzantin qui subsistera jusqu'en 1453.
Ainsi, pendant plus de trois siècles, rien n’a distingué Rome de centaines d’autres bourgades italiques. Elle naît vers le milieu du 8ème siècle av. J.C sous forme d’une confédération de villages bâtis sur des collines au dessus d’une plaine marécageuse côtoyée par le Tibre. Dès le 7ème siècle av. J.C, le drainage des vallées permet à la fédération d’établir dans l’une d’elles, un centre politique, « le Forum », qui restera jusqu’à la fin de l’antiquité le cœur d’un Etat de plus en plus vaste. Bientôt les « étrusques » établissent leur hégémonie sur la ville et la dotent de ses premiers monuments comme le Capitole qui est édifié en 509 av. J.C. Mais de dures luttes politiques intérieures et extérieures qui suivirent l’expulsion, en cette année, de la dynastie étrangère ralentissent pendant 3 siècles la croissance de la cité. Même victorieuse de ses voisins et maîtresse d’un Etat déjà vaste, Rome reste jusque vers 200 av. J.C, une capitale politique et militaire où l’activité économique et culturelle est restreinte. La population déjà nombreuse s’entasse sans raison. Les temples, seuls monuments importants enrichis par le butin, sont bâtis sur des modèles venus entre autres de la grande Grèce. Et le « Forum », unique centre politique et culturel s’encombre plus qu’il ne s’aménage. C’est au 1er siècle av. J.C seulement que des gouvernements autoritaires commencent à mettre un peu d’ordre dans ce chaos où grouillent déjà près d’un million d’habitants. SYLLA, POMPEE, CESAR, puis les empereurs s’y emploieront tour à tour sans parvenir jamais à régulariser complètement une agglomération monstrueuse pour le monde antique ; chacun taillera une place au milieu du fouillis et l’aménagera somptueusement, mais seuls César et Néron songeront à remodeler la cité dans son ensemble ; ils échoueront l’un et l’autre. Grandie en fonction de la conquête, Rome est essentiellement un centre politique. Elle devient peu à peu un centre culturel et à partir du début de l’Empire conçoit un mode de vie que le monde méditerranéen devrait imiter. Mais elle perd son rôle militaire à mesure que les frontières s’éloignent d’elle. Quand à son rôle économique, il se réduira pratiquement à la consommation pantagruélique qui exige d’énormes installations. La fonction religieuse, enfin, s’identifie pratiquement avec les fonctions politiques et culturelles jusqu’à ce qu’un renouvellement lui permettre de les suppléer par le christianisme qui en fait le partage et la compromission. Rome, d’autre part, prolifère avec une énorme fécondité vers le milieu du 4ème siècle av. J.C, le mouvement démographique déborde les frontières italiennes. Il ne s’agit plus de sauvegarder les points faibles de l’Empire mais d’écouler le surplus d’une population. Au temps des guerres civiles et au début de l’empire, la colonisation avait pour but d’assurer une retraite paisible et fructueuse aux soldats. A partir du 2ème siècle apr. J.C, l’institution change entièrement de nature et de destination tout en gardant son nom. Jusque là elle avait servi à nantir les conquérants aux dépends des vaincus, elle devient dès lors l’instrument politique et social des descendants des vaincus. Jamais on n’a déduit plus de colonies, elles se comptent bientôt par certaines dans des provinces telle l’Asie mineure et l’Afrique du Nord. Pourtant, il s’agit de très vieilles villes habitées à la romaine, contenant des populations autochtones qui ont demandé et réclamé l’égalité avec les citoyens de Rome. Certaines cités, les ports surtout, ont une activité commerciale qui donnent naissance à de grands établissements. Mais en général, la ville romaine vit plus ou moins directement de la terre. C’est le surplus des revenus agricoles qui finance les constructions. L’ampleur de celles-ci s’explique non par un perfectionnement des techniques de production, mais par les mises en culture de terres vierges dans les provinces occidentales et surtout par l’interruption presque complète des guerres pendant 2 siècles.
Les cités ont perdu pratiquement toute fonction militaire, excepté le long des frontières où les places fortes ne reparaissent qu’après les invasions du 3ème siècle ; ce qui entraîne, au moins dans certaines régions comme la Gaule, une mutation profonde de l’agglomération presque toujours consécutive à une destruction violente. Ce phénomène n’affecte d’ailleurs que beaucoup plus tardivement les provinces les plus évoluées. Quand à la fonction religieuse, elle ne domine guère la vie urbaine que dans quelques cités orientales. Il y a de nombreux temples au milieu des villes dont le plan est conçu pour les mettre en valeur. Toutefois, ces temples servent à des activités politiques et culturelles plutôt que religieuses. Les locaux des sectes mystiques, parmi lesquelles, il faut compter les églises chrétiennes jusqu’à la fin du 3ème siècle, sont en général peu développés et ne présentent pas un type architectural caractéristique. Il s’agit le plus souvent de simples maisons transformées. En Afrique, où les cultes de tradition punique sont restés vivaces, les temples se dressent pour la plupart dans les faubourgs et c’est en pleine campagne que les « vénérés » celtes accueillent leurs fidèles. 2. L’Urbs L’ "Urbs" diffère profondément des villes égyptiennes ou orientales. Celles-ci vivent à l’ombre de leurs temples telles les cités médiévales chrétiennes dans lesquelles la cathédrale est le seul véritable lieu public cumulant le rôle de refuge puissamment fortifié. L’Urbs a plus d’affinité naturelle avec la « Polis » grecque ; comme chez cette dernière, le centre est une place destinée au rassemblement des citoyens et à la discussion des affaires publiques. Mais avec l’avènement de l’Empire, le « Forum » attire moins les citoyens que les théâtres, les amphithéâtres, les thermes et les basiliques. Une des tâches essentielles de l’architecture romaine a été le développement de ces lieux de réunion fermés et couverts, pour lesquelles elle élabora des solution structurales et esthétiques nouvelles. Ces édifices sont moins destinés aux affaires qu’aux loisirs. L’urbs impériale est, en effet, essentiellement un lieu de plaisir. Dans le cas de Rome même, on peut parler d’un véritable parasitisme, la plèbe urbaine est en grande partie nourrie à ne rien faire par le gouvernement. Elle vit en somme sur les revenus du capital que ses ancêtres lui ont constitué en conquérant le monde méditerranéen. Dans les provinces, le déséquilibre existe, la ville vit de la compagne, mais lorsque la densité urbaine est très forte, et c’est le cas des provinces les plus prospères, il y a opposition entre le rural et le citadin. Les cultivateurs les plus aisés vivent en ville et les paysans y viennent pour se distraire, profiter du confort collectif. 3. La ville romaine Les fonctions de la cité sont à peu près semblables, qu’il s’agisse de Rome ou d’une autre agglomération provinciale. Mais l’organisation des colonies s’oppose au désordre de la capitale. On a l’habitude de prendre pour type de la ville romaine Timgad (Thamugadi) construite au début du 2ème siècle. La photo aérienne nous montre l’ordonnance géométrique de cette colonie installée dans les hautes plaines de l’Algérie méridionale non loin de l’Aurès.
Cet urbanisme d’arpenteur dérive d’une vieille tradition italienne, on le trouve déjà dans les cités étrusques du 6ème siècle av. J.C. Sans doute a-t-il son origine première en Asie mineure où les Ioniens l’ont mis en pratique bien avant le fameux HIPPODAMOS de Milet, à qui l’on attribuait naguère cette invention. Son succès chez les romains s’explique par des raisons à la fois culturelles et militaires. Il trouvait sa justification dans la discipline des augures, qui, pour observer le vol des oiseaux, commençaient par diviser le ciel et la terre par un système de droites idéales perpendiculaires entre elles. Ainsi, l’urbanisme régulier des romains procède du rationalisme naissant des grecs. Cependant, Rome ne lui fut jamais soumise. Nous en trouvons les principes essentiels dans les colonies anciennes d’Italie centrale et à Ostie, fondée peu après le milieu du 4ème siècle. Cependant, presque toujours, certains accommodements avec la nature du sol l’empêchent de se réaliser avec une entière rigueur. Une fois la cité installée, la vie reprend ses droits et tend à déformer cette ordonnance. Pourtant, dans l’ensemble, posséder des rues droites se coupant à angle droit était un idéal que toutes les cités s’efforçaient d’atteindre. Les villes qui obtenaient, par décret honorifique le titre de colonie, cherchaient à ressembler à celles qui avaient été implantées sur un sol vierge selon un plan régulier. On n’hésitait pas au besoin de détruire de vieux quartiers tout entiers pour les reconstruire géométriquement ; les architectes n’étaient pas retenus par un respect excessif du passé même dans des villes historiques. Lorsque le sol était inégal, on ne reculait pas devant les plus coûteux travaux de terrassement pour remplacer les pentes par des paliers superposés que reliaient des escaliers. Le développement des villes africaines, au 2ème et au 3ème siècle, est fort intéressant à suivre, d’abord par ce que la vie en a généralement disparu dès le haut Moyen-âge -ce qui facilite l’étude-, ensuite, parce que le grand développement démographique et économique de la région, pendant cette période, a posé aux urbanistes des problèmes difficiles qu’ils ont dû résoudre au mieux des circonstances. 4. Le Forum La ville dispose de tous les édifices indispensables à la vie de la cité romaine : forum qui peut être dédoublé mais qu’entourent les bâtiments indispensables à la vie quotidienne, curie, Sénat municipal, basilique où se jugent les procès, temples des « dieux » protecteurs de la cité et surtout du culte impériale, marché où se concentre une partie du commerce, tandis que le reste, ainsi qu’une partie de l’artisanat, se disperse dans des boutiques encadrant généralement en façade les vestibules des maisons particulières, enfin des édifices destinés aux loisirs qui sont les thermes les théâtres, les amphithéâtres pour les combats des gladiateurs, etc. La distribution de ces éléments urbains n’est réglée par aucune loi rigoureuse. Le forum est généralement au centre si le terrain le permet, l’amphithéâtre et le cirque presque toujours à la limite de l’agglomération avec les sanctuaires de « dieux » mal romanisés ou jugés dangereux comme Mars et Vulcain. C’est la naissance de l’anti-traditionalisme, du pragmatisme au nom duquel l’utilité prend la place de la vérité. On procédait ainsi à l’uniformisation des peuples et nations afin de mieux les dominer. Pour cela, il fallait procéder à la destruction pure et simple de ce qui est le plus précieux chez eux : leur civilisation qui fait leur identité. On procédait parfois au maintien de certains aspects extérieurs de ces peuples et nations, aspects vides de tout sens présentés en tant que folklore extérieur et superficiel. Cette attitude a ressurgi de nos jours à travers certains efforts de généralisation du modernisme.
II. L’ARCHITECTURE ROMAINE « Aux masses si nombreuses et si nécessaires de tant d’aqueducs, allez comparer les pyramides qui ne servent à rien, ou encore les ouvrages des grecs inutiles mais célèbres partout ». Cette phrase de Frontin peut être jugée scandaleuse mais elle révèle le caractère original de l’architecture romaine qui la distingue de toutes les autres sauf de celles qu’à crées à partir du 19ème s l’Europe industrielle. Il est bien étonnant, certes, de constater que l’architecture a été presque partout et toujours gratuite bien qu’elle exige des efforts et des dépenses que ne demande aucun autre art. Si les principaux monuments des civilisations de l’Extrême-Orient sont des temples ou des résidences royales, que l’Egypte n’a guère bâti solidement que pour ses « dieux » ou ses morts et que les édifices de l’Amérique précolombienne servaient uniquement au culte et leurs constructeurs, dépourvus des moyens techniques qui nous paraissent élémentaires alors qu’ils vivaient dans des huttes, quant à la Grèce, elle est orientée vers la conquête du réel qui s’incarne surtout dans le parthénon. Le Moyen-âge chrétien survit dans ses églises, l’Europe de la Renaissance et de l’âge classique a consacré le meilleur de ses ressources aux châteaux et aux palais. Rome, sans oublier ses dieux ni ses princes, a voulu assurer aux millions d’hommes qu’elle gouvernait, d’abord la prospérité matérielle, ensuite le confort collectif, ceci aux dépens des peuples conquis. De ce fait, les édifices liés à la vie économique ont tous en commun une puissance austère qui tendra à s’imposer même aux autres catégories de bâtiment. Le principe s’en trouve dans les lois fondamentales de l’art de bâtir tel que les ont conçues les romains. Ainsi, l’architecte romain travaille dans le même esprit que l’administrateur ou le soldat. Le véritable maître d’œuvre romain est un homme politique et un militaire qui se fait aider par des techniciens. En réalité, les monuments ne portent pas le nom d’un architecte mais celui d’un empereur ou d’un magistrat, car ce détenteur de la puissance publique est le véritable auteur (auctor) de l’édifice. Cela n’empêche pas que les architectes proprement dits soient dès le début de l’empire fort considérés. Mais Vitruve, Serverus et Celer, Rabirius ou Apollodore de Damas, n’ont jamais été que des auxiliaires et des conseillers auprès d’un prince, d’un haut dignitaire voire d’un simple « Maire » de ville provinciale. Il ne faut pas croire d’ailleurs que ces hommes d’Etat, ces administrateurs, se soient bornés à suivre de haut et de loin le travail de leurs auxiliaires. Du point de vue du rôle de l’architecte, l’époque hellénistique est un élément de transition. En effet, à cette époque dans la société grecque, les citoyens sont plus indépendants vis-à-vis des principes religieux et vis-à-vis des principes de la cité. C’est le début du deuxième volet de cette civilisation. L’intérêt personnel devient un moteur et au niveau des artistes, entre autres les architectes, la notion d’originalité fait son apparition comme moyen de réussite. Toutefois, ceci demeure une tendance et il n’existe rien de comparable au rôle dominant des architectes de la Renaissance. 1. Rôle de l’architecte
L’architecte romain a généralement utilisé à l’intérieur des édifices un décor plaqué. Les façades extérieures sont le plus souvent caractérisées par le matériau et le jeu des rapports de force révélé avec franchise. Si l’architecture grecque est fondée sur l’emploi du grand appareil à joints vifs dont les possibilités sont limitées en découpant et en combinant des blocs indépendants les uns des autres comme les pièces d’un jeu de construction, l’architecture romaine, quant à elle, fabrique une masse homogène en noyant dans du ciment de petits éléments de pierre. Ce blocage forme le noyau de la construction. Il est revêtu d’un parement dans lequel le grand appareil, d’abord conservé mais lié au mortier, est bientôt éliminé par le petit appareil puis le plus souvent par la brique. Cette révolution fondamentale dans l’art de bâtir, aussi importante que l’adoption du métal au 19ème siècle, se produisit au cours des 3ème et 2ème siècle av. J.C. Elle a été déterminée d’abord, sans doute par souci de construire solidement, par mesure économique ; les Italiens y ont été entraînés probablement par l’exemple des carthaginois. On ne tarda pas à savoir, d’autre part, que l’emploi du ciment favorisait la construction des voûtes ; celles-ci ont leurs origines dans le proche orient et l’Egée préhellénique. Tandis que les Grecs les négligeaient, les Etrusques perfectionnaient et généralisaient l’emploi de la voûte et surtout de l’arc en grand appareil dont les romains conservèrent la tradition. Mais la voûte romaine typique est construite en blocage ; monolithe, elle est d’une solidité presque infrangible. Aussi, les ingénieurs ne cesseront-ils de perfectionner sa structure soit par des combinaisons en accroissant indéfiniment la portée, soit par d’audacieux allégements internes permettant de savants jeux de lumière. Ce type de construction transforme les lignes essentielles de l’édifice aux tracés rectilignes, en plan et en élévation, et permet de substituer les courbes. De plus, la solidité du ciment et l’équilibre des forces au sein de la masse permettent d’accroître indéfiniment les dimensions des édifices et, en contenant la poussée des terres, de maîtriser également les dénivellations du terrain. Grâce à ces techniques, les architectes romains peuvent remodeler le paysage tandis que les Grecs se subordonnaient à lui. Ils peuvent donner à leurs projets ces proportions colossales qui les ont fait comparé souvent à celles de l'Égypte, pourtant obtenues à l’aide de moyens beaucoup moins perfectionnés. Les exemples qui vont suivre permettront d’illustrer et de préciser ces données : a. Le pont du Gard
C’est un aqueduc destiné à porter les eaux de la fontaine d’EURE proche d’UZÈS. On ne négligeait aucun effort pour se procurer l’eau en énormes quantités. De fait, les aqueducs ne sont pas uniquement de hautes arcades, mais aussi des conduites en tant que tuyau de blocage reliant la source originelle au lieu d’utilisation. Le problème est d’y établir la pente la plus favorable à l’écoulement tout au long d’un parcours, lequel traverse souvent des régions fort accidentées du fait que les meilleures sources jaillissent en montagne. Habituellement la conduite est établie en déblai dans les parties du trajet dont l’altitude est supérieure à son profil, en élévation dans les dépressions. Les arcades ne sont utilisées, en principe, que pour franchir les vallées. C’est le cas de ce pont. Cependant on s’avisa bientôt qu’elles préservaient l’eau des souillures et des vols et, aux environs de Rome surtout, on s’en servit pour exhausser la plus grande partie de la conduite. Celle-ci, étant le cœur de l’aqueduc, apparaît comme une de la création la plus proprement romaine. L’idée de se servir des conduites pour amener l’eau, et non plus seulement pour l’évacuer, apparaît à la fin du 4ème siècle av. J.C. Le pont du Gard est l’exemple le mieux conservé des conduites sur arcades se trouvant sur l’aqueduc de Nîmes dont la longueur est de 50kms. Toute l’œuvre dût être accomplie vers l’an 20 av. J.C sur l’ordre d’AGRIPPA, Empereur qui construisit aussi la maison carrée. Dans son principe, le pont aqueduc ne diffère pas du pont proprement dit. Les titulaires d’un sacerdoce latin étaient appelés « pontifes », littéralement « faiseurs de pont ». L’histoire la plus ancienne de Rome est liée à celle du pont Sublicius qu’elle contrôlait. Etant fait tout entier de bois sans le moindre morceau de métal, l’antiquité de cet ouvrage est démontrée de par sa technique. Seulement, il n’en est rien resté. En 179 av. J.C, les Censeurs jetèrent sur le Tibre un pont dont les piles étaient en pierre mais le tablier de bois. En 142 av. J.C, ces piles furent enfin reliées par des arches. C’est donc vers le milieu du 2ème siècle av. J.C, au moment où l’architecture romaine commence à réaliser toutes les possibilités de la voûte, qu’apparaît l’idée de se servir des arches pour résoudre un problème qui n’avait jusque là reçu aucune solution satisfaisante. Le pont à arches étant seul capable de résister aux brusques crues propres aux régions méditerranéennes, contrairement aux allégations de quelques historiens de l’art qui affirmaient que les romains ne savaient pas tirer parti de la nature. b. L’huilerie de Brisgane Les édifices romains destinés à l’activité économique ont pour la plupart une fonction commerciale. On connaît cependant quelques constructions qui méritent vraiment le nom d’usines ou plutôt de manufactures. Cependant, ce n’est pas Rome qui a, la première, concentré la production en des établissements groupant plusieurs centaines d’ouvriers. Les magnats du monde hellénistique avaient déjà réalisé de semblables entreprises. Mais il n’y a plus aucune trace des énormes briqueteries que l’empereur, sa famille et les principaux personnages de l’Etat avaient groupées sous leur contrôle direct près de Rome, ni de trace des ateliers d’Etat du Bas Empire qui fournissaient l’Administration et l’armée en textile et en armes. Seules les industries alimentaires ont laissé des vestiges, comme les huileries des steppes africaines qui se dressent dans un paysage quasiment désert, extrêmement dénudé qui a nourri du 2ème au 10ème siècle apr. JC une population assez dense grâce à l’oléiculture.
L’huile était extraite dans de vastes établissements, tel celui de Brisgane à une trentaine de kilomètres de Tébessa. L’essentiel en est constitué par des chambres qui abritaient les pressoirs, mais l’ensemble acquiert un caractère monumental grâce à une grande cour à portiques séparant ces salles de travail du magasin où étaient stockées les olives et les jarres d’huile. Les maçons campagnards se montraient moins exigeants que ceux des villes sur la qualité du mortier. Aussi, est-il arrivé souvent que les intempéries délitent complètement le petit appareil de remplissage, ne laissant subsister que les chaînages, ce qui donne à la ruine un aspect singulier. Les carthaginois imaginèrent, les premiers, ce procédé qui consiste en un petit appareil armé de harpes entre lesquelles s’insèrent des parpaings qui se lient au blocage. Le procédé leur fut emprunté par leurs vainqueurs à l’époque des guerres puniques et on en trouve des exemples à Pompéi. Délaissé plus tard en Italie, à cause des progrès de l’Opus caementicium, il survécut jusqu’à la fin de l’antiquité dans son propre pays d’origine où il est employé même dans l’architecture monumentale à l’apogée de l’Empire. Les constructeurs des régions les plus méridionales eurent l’idée de s’en servir pour assurer la répartition des forces à l’intérieur de l’œuvre que les architectes de la capitale recherchaient de leur côté à l’aide de méthodes moins rustiques. Les huileries des steppes africaines ont encore plus d’un intérêt pour l’histoire de l’Empire. Elles montrent qu’une production massive de certains produits trouvait un écoulement facile. Les meilleurs clients étaient évidemment l’armée, l’administration et les grandes villes dont la population atteignait le maximum de concentration possible dans un contexte dépourvu de machines. Rome qui dépassait probablement le million d’habitants eut été sans cesse menacée par la disette sans les efforts constants d’une administration spécialisée, l’annone, qui mobilisait à son service d’énormes flottes commerciales. c. Les édifices spectacles L’aspect fonctionnel des édifices destinés aux spectacles apparaît à l’analyse de la façade externe des grands amphithéâtres et des théâtres tels le Colisée de Rome, les arènes des villes provençales et l’amphithéâtre d’El Jem en Tunisie. Comme son nom l’indique, l’amphithéâtre est non pas un double théâtre mais « un théâtre en rond » entièrement refermé sur lui-même. Lorsque les spectacles dramatiques se développèrent en Grèce à la fin du 6 ème siècle av. JC, les spectateurs commercèrent par s’asseoir par terre sur les pentes d’une colline dominant un espace plan de forme ronde où évoluaient les chœurs. A la fin du 5ème siècle av. JC, on commença à Athènes à creuser une pente en gradins concentriques bientôt garnis de bancs de pierre. Ainsi renaissait une formule, autrefois employée par les architectes crétois, pour aménager aux abords des palais les emplacements destinés aux danses ou aux courses de taureaux. Les italiens imitèrent cet usage dès le 3ème siècle av. JC, mais à Rome les défenseurs des mœurs antiques n’admirent la construction d’un théâtre permanent qu’au milieu du 1er siècle av. JC. L’emplacement choisi fut le champ de mars où se déroulaient depuis longtemps des fêtes plébéiennes. A El Jem si accidentée, le théâtre s’implanta dans la seule région plate, il n’était donc pas possible de creuser une colline pour asseoir les gradins. On aurait pu comme dans certaines villes secondaires former une colline artificielle.
Mais au temps de Pompée, les architectes venaient de découvrir toutes les possibilités de la voûte et de l’architecture curviligne. Ils ont assis leurs gradins sur plusieurs séries d’arcades superposées dessinant à l’extérieur une façade semi-circulaire. Ainsi se trouva constitué le théâtre proprement romain, bientôt reproduit à Rome même. En même temps qu’ils adoptaient le théâtre grec, les romains avaient emprunté aux étrusques l’habitude de faire combattre à mort des hommes d’abord sous prétexte de satisfaire aux cruautés des dieux, bientôt par pur sadisme. Longtemps ces duels eurent lieu dans les forums même, qu’on entourait d’échafaudages. Vitruve recommandait de donner à ces places une forme allongée pour les rendre plus propres à cet usage. Mais de bonne heure, ces villes construisirent pour « les munera » un édifice spécial. Il suffisait d’éviter le cœur d’un monticule en rejetant la terre vers l’extérieur pour exhausser le pourtour et en la ceinturant d’un mur de soutènement. Après l’invention du théâtre construit sur arcades, le même principe fut appliqué à l’amphithéâtre. C’est sous les empereurs flaviens que la construction du Colisée, dédié en 80 apr. JC, fournit aux architectes de province un exemple qui devait être dès lors imité. L’art de bâtir atteint la plénitude de ses moyens dans le dernier quart du 1 e siècle apr. JC, au moment même où la pacification de l’Empire et la propagation de la civilisation grécolatine nécessitent l’exécution d’immenses programmes. Les façades d’amphithéâtres ont inspiré les architectes italiens. C’est ainsi qu’ALBERTI transposa à un palais l’épistyle à consoles qui couronne l’attique du colisée. Mais les romains eux-mêmes avaient utilisé le système des arcades superposées dans des façades monumentales plus complexes. d. Aménagements Un des principaux soucis des Empereurs du 1er et 2ème siècle fut d’assurer l’abondance et la régularité d’un ravitaillement dont dépendait l’ordre public. D’énormes travaux furent nécessaires pour aménager un port suffisant à Ostie. Certaines agglomérations incarnent les aspects les plus caractéristiques de l’Empire romain. L’habitat était constitué par de grands immeubles de rapport, à plusieurs étages et appartements multiples. Une grande partie de l’agglomération était occupée par les docks et les entrepôts. Les architectes avaient mis au point un type d’édifice qui pouvait être utilisé aussi bien pour le logement que siège de compagnie commerciale et même en tant que caserne. Si les édifices utilitaires romains exprimaient au 1er siècle la puissance, ils ont revêtu des effets de forme et de couleurs dont les architectes italiens ne cesseront de tirer parti à travers le Moyen-Âge et dans les temps modernes, s’accordant avec la lumière du pays etle tempérament de ses habitants. Le butin enlevé aux Daces, comblant le déficit qui avait mis en péril les finances de l’Empire sous le règne de DOMICIEN permit à TRAJAN de terminer l’aménagement monumental du centre de Rome entrepris cent cinquante ans plutôt par CESAR. A la place, créée par le dictateur pour doubler le vieux Forum romain, s’étaient ajoutés successivement en direction du nord et de l’Est, le forum d’AUGUSTE, puis le forum Transitorium et la vaste enceinte du « temple de la paix » bâtie par les Flaviens. L’œuvre de TRAJAN égale en importance celle de tous ses prédécesseurs réunis. 2. L’architecture militaire de Rome
Tout un ensemble d’ouvrages militaires témoignent de l’importance de ces constructions dans l’architecture romaine. Le plus ancien ouvrage d’architecture militaire romaine qui a laissé des vestiges est l’enceinte de la ville elle-même. L’enceinte du Palatin et du capitole à l’Esquilin, datant vraisemblablement du 6ème siècle apr. JC, atteint un développement de 7 kms. Après l’invasion gauloise du début du 4ème siècle, cette enceinte fut doublée par une autre. Ce système de fortifications comparables à celles hellénistiques, assurait à la ville une protection efficace, qui fit renoncer HANNIBAL à l’affronter. a. Les colonies Dans la seconde moitié du 4ème siècle, Rome commence à parsemer l’Italie par des colonies qui, à cette époque, sont essentiellement des postes militaires « castra ». Il s’agit de petites villes de plan carré ou rectangulaires entourées d’un rempart avec quatre portes situées au milieu de chaque côté que relient deux grandes rues rectilignes et perpendiculaires. Le Castrum forteresse est étroitement apparenté au camp qui porte le même nom. C’est en fait une ville provisoire avec son enceinte fondée sur le même principe que celle de Rome -terrasse ou « agger » couronnée d’un parapet et précédée d’un fosse-, ses portes axiales, ses rues et même sa place centrale. Les principes de la fortification romaine n’évoluent guère dans les trois siècles qui précèdent l’ère chrétienne. Celle-ci est entièrement réalisée en pierre et en bois. Cependant la stabilisation de la frontière à partir du règne d’AUGUSTE a pour conséquence la création d’une ligne de fortification permanente. Le terme de « limes » qui la désigne, s’applique proprement au chemin qui suit la frontière reliant entre eux divers camps ou postes fortifiés. Ces camps sont destinés aux troupes de garnison ; les plus importants contiennent une légion. Les forts qui abritaient des unités mineures, détachements légionnaires ou troupes auxiliaires, reproduisent en miniature la disposition des grands camps. Cependant, il arrive souvent que leur enceinte, au lieu d’être strictement rectangulaire, s’adapte plus ou moins au terrain. Dans les régions où les limes ne pouvait s’appuyer sur des défenses naturelles, sur un grand fleuve une chaîne de montagne ou une zone désertique par exemple, les romains n’hésitèrent pas à construire un rempart continu pour empêcher le passage des « barbares ». Le plus connu de ces murs est celui qu’HADRIEN construisit en Ecosse. La sécurité des populations était assurée de cette façon, l’Empire romain ne juge pas utile en général d’entretenir les enceintes urbaines. Souvent les places fortes de hauteur sont abandonnées au profit de sites de plaine où l’agglomération s’épanouit librement. Les portes fortifiées sont remplacées par des entrées décoratives qui ont l’aspect d’un arc de triomphe. Toutefois, quelques villes, situées dans des régions peu sûres conservent des remparts comme celui de CHERCHEL en Algérie.
Au milieu du 3ème siècle, le système militaire augustéen déjà bien compromis par l’invasion des Quades et des Marcomans en 169, s’effondre définitivement. L’irruption des « barbares » dans l’intérieur est maintenant un phénomène constant. L’infanterie légionnaire perd son rôle de reines des batailles au profit de la cavalerie. La première conséquence de cette situation est la réapparition de la ville forte. De nombreuses enceintes se construisent. AURÉLIEN décida, en 272, de mettre Rome à l’abri d’un coup de main et ordonna la construction d’une enceinte de près de 19kms ; tous les cents pieds une massive tour carrée saillait à l’extérieur. Sa chambre supérieure est aménagée pour les machines de guerre. La plupart des villes avaient été ruinées par les grandes invasions du milieu du 3ème siècle. Elles sont remplacées par des places fortes que désigne à nouveau le vieux nom de « Castrum ». Dans certains cas, comme à Strasbourg, il s’agit d’un camp du Haut Empire remis en état. La population civile continue alors à vivre au-dehors, quitte à se réfugier dans les remparts au moment de l’alerte. Mais le plus souvent, la fortification englobe le noyau urbain de l’ancienne « civitas ». Tous ces travaux présentent une uniformité qui montre qu’ils ont été réalisés d’après un plan d’ensemble et sur ordre de l’autorité supérieure. Les fondations massives et peu profondes sont formées, en grande partie, de matériaux de remploi provenant d’édifices détruits du Haut Empire. b. Une organisation militaire La réforme de l’armée entraîne une transformation profonde des forts et fortins. Au camp en miniature se substitue un type de construction qui comporte les éléments essentiels du château fort. En Afrique, au début du 4ème siècle, les centenaria se multiplient. Ce sont des forts carrés avec une tour à chaque angle, un bastion au milieu de chaque face et une porte encadrée par deux tours. La caractéristique de ces centenaria est la répartition des casernements le long des remparts qu’ils doublent à l’intérieur. En Syrie, les centenaria sont exactement semblables à celles d’Afrique, ce qui prouve bien que ce type de forteresse a été construit sur des plans établis par l’état-major. Les édifices militaires romains ont un but pratique, d’ordre économique ou militaire. Les amphithéâtres eux-mêmes n’échappent pas à cette définition, car les combats de gladiateurs étaient tenus pour une sorte de guerre en miniature qui entretenait un caractère martial du conquérant. L’armée contrôlait étroitement l’économie, l’annone civile est un prolongement de l’annone militaire administré selon les mêmes principes. En outre, la main d’œuvre légionnaire et la science des ingénieurs militaires servaient à la construction des aqueducs. Toutes les activités essentielles étaient considérées comme le complément et le prolongement de la guerre. L’empire a orienté vers des activités constructives, des « vertus » qu’il n’avait cultivées que pour subjuguer ses voisins. Cette évolution peut être suivie dans tous les domaines de la culture et de la littérature particulièrement. Pour l’art de bâtir, elle trouve son expression dans l’ordonnance à arcades. Ce n’est certainement pas un hasard si cette formule, où les rapports dynamiques sont immédiatement évidents, a été choisie pour des bâtiments qui incarnent tous, dans des domaines divers, la puissance militaire de Rome.
Ainsi, l’architecture romaine est enracinée au sol qu’elle veut maîtriser. On n’y trouve pas, sans doute, l’élan qui élève les constructions grecques vers un idéal transcendant. Partout reparaît l’idée militaire de disciplines et de contraintes. Sauf ces révoltés impitoyablement brisés, chacun trouvant sa place de l’empereur à l’esclave. L’écrasante force impériale était destinée à l’oppression et à la protection de ses intérêts. A l’intérieur de ces énormes structures inhumaines, Rome avait perpétuée les avantages réservées à de rares privilégiés. III- ORIGINES DU CLASSICISME ET DU BAROQUE Nous avons vu en introduction que : l’aspect rude et militaire de l’empire romain a été mis au service d’un seul idéal. L’Etat latin s’est fait le champion de la civilisation grecque qu’il avait adoptée et adaptée. Dans le domaine de l’art, du moins, Rome s’est bornée à copier l’hellénisme, lui a ainsi retiré toute vie et l’a dégradé. Cette conception était fondée, d’une part, sur les témoignages littéraires des romains eux-mêmes, d’autre part, sur l’étude d’objets, principalement des statues, découverts dans les fouilles des sites romains. En effet, les écrivains latins ont toujours exprimé, dans leur grande majorité, la plus vive admiration pour les artistes grecs du passé et proclamé que la plus haute ambition de leurs contemporains était de suivre docilement les leçons de ces maîtres. D’ailleurs, la plupart des sculptures sont des copies ou du moins des adaptations de modèles helléniques. L’art romain apparaît comme un hellénisme décadent. Un témoignage de Vitruve présente l’esthétique architecturale romaine comme un développement de celle grecque. En dehors de l’architecture fonctionnelle, l’art impérial a souvent trouvé son expression dans des formes étrangement apparentés à celles du baroque des 17ème et 18ème siècles. L’attention constante que les hommes de ces deux siècles portaient aux monuments antiques explique suffisamment une relation qui n’est nullement due au hasard. En effet, l’architecture romaine n’est pas baroque. Les tendances classiques triomphent en certaines époques aux environs de l’ère chrétienne en particulier. C’est dans l’architecture religieuse, en effet, que le précédent grec était le plus prestigieux, mais aussi le plus oppressant. C’est là que l’originalité latine s’est affirmée par plus de déviations et d’éloignement de la tradition. Le classicisme romain reflète « le travail patient d’un élève impeccable des maîtres grecs » (C. JULLIAN). 1. Le classicisme romain a. La maison carrée de Nîmes
La maison carrée de Nîmes est l’œuvre de l’équipe d’architectes qui construisit les principaux temples de Rome dans les années 20 à 10 av. JC. Ces artistes appliquaient les normes du classicisme grec et poursuivaient le même idéal. Le temple était inscrit dans un cadre architectural dont il constituait l’élément essentiel. Cette conception du temple enfermée dans une enceinte monumentale, a son origine dans l’architecture grecque et au-delà dans celle de l’Orient : l’idée du temenos, domaine du dieu, dont la maison n’occupe qu’une partie, a été particulièrement exploitée à l’époque hellénistique. Mais les romains, en la recueillant, lui ont donné une signification particulière : ils ont en effet combiné le temenos et l’agora pour aboutir au forum. Cette notion, s’élabora dans l’Italie méridionale au cours des siècles qui précédèrent l’ère chrétienne. Le forum de Rome donnait l’exemple d’une confusion que SYLLA commença le premier à organiser. Mais c’est Jules CESAR qui réalisa le premier la formule adoptée ensuite par les colons nîmois, celle d’une place rectangulaire entièrement close par ses portiques autour d’un seul temple voué au culte dynastique et adossé au petit côté faisant face à l’entrée. Cet adossement du sanctuaire est le trait essentiel qui distingue le forum italique du temenos hellénistique où le temple est isolé au milieu de l’aire sacrée. b. Le corinthien romain Les romains de la République avaient usé quelque fois du dorique. Ils avaient employé aussi l’ionique encore aimé des architectes augustéens. Souvent d’ailleurs, ils avaient marié une frise dorique à une colonnade ionique. Le corinthien, né en Grèce à la fin du 5ème siècle av. JC, était déjà plus populaire que ses niveaux au 1 er siècle av. JC mais admettait de très nombreuses variantes qui se succédaient rapidement selon les caprices de la mode. La stabilisation politique imposée par AUGUSTE entraîne presque immédiatement une stabilisation des formes. Le canon codifié par VITRUVE, qui écrit précisément dans les premières années de l’Empire, s’impose désormais aux architectes. Copié à la Renaissance et jusqu’à la fin du 19e s, il donne naissance à ce corinthien classique auquel nous sommes si habitués que nous n’imaginons guère qu’il n’ait pas été fixé dès l’origine. Trois éléments surtout permettent de caractériser cet ordre : la base attique, le chapiteau à « acanthes » en feuille d’oliviers et la corniche à modillons. L’entablement se compose naturellement d’une architrave, d’une frise et d’une corniche.
VITRUVE, de tempérament conservateur et classicisant, n’approuvait certainement pas certaines légères innovations architecturales romaines. L’introduction des modillons a contribué à entraîner le décor architectural romain vers une exubérance bientôt baroque. La destination de la maison carrée offerte à la colonie de Nîmes, où avaient été installés des vétérans de la guerre d’Egypte, était de servir de cadre aux cérémonies du culte que la ville rendait à l’empereur et aux entités qui lui étaient associées. Peu de temps avant l’ère chrétienne, on dédia plus spécialement le sanctuaire aux fils d’AGRIPPA, qu’AUGUSTE leur grand-père maternel, avait adoptés et qui faisaient figure d’héritiers présomptifs. Dans les années qui suivirent, ces jeunes princes moururent prématurément. L’empire fut désolé d’une perte qui compromettait gravement l’espoir de stabilité du régime. C’est sans doute l’émotion ressentie par les nîmois devant le malheur et l’attachement sentimental qu’ils éprouvaient à l’égard des deux jeunes gens, tragiquement foudroyés, qui expliquent pourquoi l’édifice conserva, jusqu’à la fin de l’antiquité, une dédicace assez peu conforme en somme à sa fonction. Ce n’était pas, en effet, a un culte funéraire qu’il était affecté mais à cette religion politique à peu près dépourvue de valeur métaphysique, qu’AUGUSTE avait suscitée, par servir de lien entre les populations si diverses de son Empire et qui, tout en changeant d’esprit, répondit effectivement à cet espoir pendant près de 5 siècles jusqu’au triomphe définitif du christianisme. 2. Eléments de composition architecturale a. Les salles voûtées Ces salles représentent, aussi bien dans les thermes que dans les temples, l’apport essentiel de l’architecture romaine. La salle voûtée semble avoir été conçue à l’origine comme une imitation des grottes naturelles, car ces dernières jouent un grand rôle dans la mythologie gréco-romaine. Elles passent pour les habitations d’êtres surnaturels : les nymphes en premier lieu. Certains « dieux », en particuliers Dionysos et Mithra, ont pour sanctuaires des grottes. Ces croyances dérivent certainement des cultes préhistoriques de cavernes, par l’intermédiaire de pays comme la crête, où ils étaient restés « vivants » à travers l’histoire. Très souvent, les jardins de Villas romaines comportent des grottes artificielles de plus ou moins grandes dimensions, représentant une valeur sacrée. Par exemple dans une caverne aménagée dépendant d’une villa de Tibère, l’élément à la fois sacré et pittoresque était constitué par un groupe statuaire représentant Scylla, un monstre cavernicole dévorant les compagnons d’Ulysse. Cette origine permet de comprendre comment la salle voûtée s’est toujours trouvée liée à une conception baroque de l’art. Elle évoque les profondeurs mystérieuses de la terre, les êtres redoutables ou bienfaisants qui les hantent et la descente vers un monde de rêve. On n’est donc pas étonné de constater que sa vogue commence dans la période où l’art romain s’abandonne à l’évasion psychologique, c'est-àdire, lors des guerres civiles qui entraînent la chute définitive de la République.
Les salles voûtées connues au 1er siècle av. et au 1er siècle apr. JC, ont été cataloguées. Ce sont soit des nymphées, soit des temples ou des chapelles, soit des hypogées funéraires. Une catégorie particulière est constituée par des pièces appartenant à des maisons privées et qui pouvaient être en majorité des sanctuaires domestiques. A ces pièces, dont le rôle religieux est prédominant, il faut ajouter des locaux voûtés à destination essentiellement pratique, comme les salles thermales qui sont peut être apparentées aux nymphées et les galeries souterrains. Ces locaux sont couverts d’une voûte en berceau que complète le cul-defour de l’abside. Ce cul-de-four est proche de la coupole et apparaît comme elle à l’époque augustéenne. Ce sont les thermes qui offrent les plus anciens exemples de la coupole. Dans l’ensemble, les salles voûtées sont de dimensions modestes. L’architecte par une grande portée, a juxtaposé deux galeries pour éviter de donner trop de largeur à son berceau. La salle voûtée, en berceau terminée par une abside sur l’un des petits côtés et décorée sur les longs de niches et de pseudo portiques, forme au 2ème et 3ème siècle la cella de temples qui ont parfois des dimensions importantes. b. La basilique Sanctuaire dans l’art romain, la basilique répond, par son ordonnance, au désir d’attirer à l’intérieur de la cella le cérémonial que le rituel traditionnel maintenait au dehors. Certes les sacrifices sanglants eurent toujours lieu en plein air, sur l’autel qui était construit en avant du podium. Mais les progrès de la conscience religieuse vers le syncrétisme tendaient à donner moins d’importance à l’immolation des victimes, et davantage au contact direct entre le fidèle et la divinité qui avait lieu dans la cella. Cette tendance triomphe dans les sectes initiatiques. H. KAIHIER a insisté sur le fait que la statue grecque est un tout en soi qui s’offre en entier au spectateur, tandis que la statue romaine, presque toujours intégrée dans un cadre, ne peut être aperçue que sous un seul aspect. Le sanctuaire à plan basilical et décor baroque est donc conçu pour créer en son sein une atmosphère fantastique et surnaturelle qui est celle des religions mystiques. On pourrait objecter à cette théorie que nous trouvons ce plan réalisé dans des temples destinés au culte politiques, ceux de Vénus, Genitrix ou de Mars Ultor, qui sont les moins chargés d’élan spiritualiste qu’on puisse imaginer. Pour comprendre l’état d’esprit des anciens, il faut considérer l’utilisation de l’architecture baroque dans les résidences impériales et les monuments destinés au culte du souverain, comme l’Aula Mégia de Domitien qui se faisait appeler « seigneur et Dieu ». Le principe de cette architecture est celui d’isoler entièrement du monde naturel un espace clos et plonge les fidèles dans une exaltation mystique. Nous verrons que l’évolution des demeures privées, celle des édifices destinés aux spectacles et aux loisirs, tend vers un but analogue. c. Le Panthéon Pour confirmer l’exactitude des conclusions auxquelles nous venons de parvenir, il nous reste à considérer l’édifice qui apparaît comme le type même du sanctuaire romain parvenu à sa perfection : le Panthéon. Une fortune l’a préservée intact, du moins dans sa structure, à travers les vicissitudes de la ville. Au centre de la vieille Rome des papes, qui recouvre l’antique champs de Mars, le Panthéon est un microcosme : sa coupole ouverte au sommet pour laisser passer la lumière, reproduit la voûte Céleste et tous « les dieux » réunis dans son sein personnifient les énergies physiques bienfaisantes.
C’est pourquoi, comme dans les thermes, la splendeur de l’intérieur rehaussée par la polychromie des marbres, contraste avec la nudité austère des façades. L’évolution du sanctuaire romain aboutit donc à ce Panthéon, antithèse parfaite du temple grec en tous ses éléments : l’intérêt reporté sur l’intérieur entièrement clos, le plan circulaire, la couverture voûtée, la structure, le matériau, le système de proportions. La coupure qui s’est produite entre l’esprit grec du 5ème au du 4ème siècle av. JC et celui du temps d’Hadrien n’en apparaît que plus radicale. Il serait intéressant de rechercher quelles raisons psychologiques expliquent ce succès si généralisé des formes courbes. Sans prétendre proposer une explication générale et suffisante dans tous les cas, nous pouvons remarquer que ces formes courbes ont fait leur première apparition dans l’architecture des théâtres et dans celle des fontaines, c'est-à-dire, dans deux types d’édifices directement liés à la conception si particulière du confort qu’à élaboré l’Empire romain.
d. La maison romaine Aux plus beaux temps de l’Empire, on entretenait sur le palatin une cabane de branchage que les voyageurs visitaient avec curiosité : c’était là, leur disaient les guides, qu’avait vécu Romulus. Les fouilles modernes ont retrouvé sur la colline les fonds, des huttes analogues qui remontent au 8ème siècle av. JC et ont été habités par les fondateurs de cette ville. Cent cinquante ans plus tard, Rome commençait à posséder des maisons. Les premières furent bâties par les conquérants étrusques qui s’emparèrent du Latium aux environs de 600 av. JC. Sous la conduite de TARQUIN, le roi habitait dès lors, sans doute, cette singulière Régia, sise au pied du Palatin à l’extrémité du forum qui servit ensuite aux grands pontifes et eut Jules CESAR pour dernier hôte. La véritable maison romaine dût apparaître aux temps de la domination étrusque. La maison étrusco romaine des 5ème et 4ème siècles, était construite sur plan axial. Un vestibule placé au milieu de la façade introduisait le visiteur dans l’atrium et le menait droit au tablinum où l’attendait le maître de maison. Les dépendances étaient distribuées symétriquement de part et d’autre. Entre le 5ème et le 2ème siècle av. JC, l’atrium prend sa forme définitive ; il est alors presque toujours couvert d’un toit à double pente, ouvert en carré en son milieu, au dessus d’un bassin qui recueille les eaux de pluie. Cet impluvium est interprété par les uns comme le vestige de la cour primitive, par les autres comme un moyen d’aérer et d’éclairer la pièce originellement fermée, trop sombre et malsaine. Un peu plus tard, l’ancien jardin potager s’entoure d’un portique à colonne selon une mode qui s’était répondue dans le monde grec depuis le 4ème siècle. Ainsi se trouve constituée la maison pompéienne classique, que bien des manuels donnent comme le type unique de la demeure romaine. On sait aujourd’hui qu’il s’agit d’un type proprement italique qui ne se répandit jamais dans les provinces et ne survécut guère à Rome même, aux débuts de l’Empire. e. Les thermes
Ces établissements exerçaient sur les romains un attrait comparable à celui des clubs pour les anglais. Beaucoup sans doute n’avaient pas le choix. Les habitants des grands immeubles n’avaient aucun poste d’eau dans leurs appartements. La plupart des « domus » elles mêmes n’avaient d’eau qu’à la fontaine qui occupait le milieu du patio. Il fallait bien aller se laver aux bains publics. Les hommes qui s’y rendaient l’après-midi, la journée de travail finie, s’y délassaient, faisaient du sport, bavardaient avec leurs amis, écoutaient des conférences ou lisaient dans les bibliothèques. Les femmes s’y rendaient le matin. L’édifice thermal joue donc un rôle essentiel dans les villes romaines. Il y en avait plusieurs dans les plus modestes et l’on en construisait même pour les travailleurs des mines pourtant bien mal traités en général. La capitale possédait, bien entendu, les plus vastes et les plus confortables. Quant au décor des thermes, ils sont avec les théâtres le domaine de prédilection de l’ornement baroque romain. Les voûtes étaient revêtues d’or ou de mosaïque de pâte de verre chatoyants. On commença dès le 1er siècle apr. JC à utiliser, pour le décor des bains et des fontaines, cette technique qui devait être reprise par les chrétiens pour l’ornement de leurs églises et atteindre son apogée à l’époque byzantine. HUYGHES a justement montré que la mosaïque Byzantine, en transforment la lumière comme le feront plus tard les vitraux des cathédrales, crée chez le sujet une sorte d’enivrement et d’hypnose qui le transporte dans un monde surnaturel. Mais cette sorte de ravissement n’a pas été imaginé par les chrétiens, elle leur vient de l’art romain qui avait d’abord cherché à l’obtenir, dans les maisons particulières, par la peinture en ouvrant au-delà de la paroi les horizons des IIe et IVe styles et qui l’a ensuite recherchée à l’intérieur des thermes grâces à la mosaïque. Ce nom de mosaïque « musivum opus » était réservé aux revêtements des murs et des voûtes ; mais le sol était pavé, dessinant, depuis le début du 2ème siècle, des images noires sur fond blanc, en Italie. Les thermes comme les temples servaient de musée et en général de centres culturels puisqu’ils comportaient des bibliothèques. Les hommes de lettres les fréquentaient assidûment, les philosophes y débitaient leurs leçons et les poètes déclamaient leurs œuvres. Le gouvernement qui dépensait de grosses sommes pour la construction de cette sorte d’édifices et qui leur attribuaient libéralement en quantité énormes l’eau amenée à grands frais par les aqueducs, savait que ces dépenses n’étaient pas perdues. Elles concouraient à l’action « psychologique » indispensable à un régime qui, comme celui des états totalitaires modernes, ne pouvait se passer de l’appui de l’opinion publique bien que le pouvoir fût fortement centralisé. Ainsi, nous pouvons trouver, bien souvent, dans les thermes des trophées et toute sorte de monuments propres à rappeler, à ceux qui s’y trouvaient, que leur bonheur était procuré et garanti par la puissance et la force des souverains. C’est justement parce que les thermes étaient l’instrument le plus efficace de la politique sociale des empereurs, le plus pauvre des hommes du peuple et les esclaves eux-mêmes n’en étaient point exclus et bénéficiaient d’un luxe égal à celui des plus grands seigneurs. Ainsi, les principes de l’architecture des thermes furent appliqués à d’autres édifices destinés aux mêmes fins.
De ce fait, le panthéon, le plus caractéristique des temples impériaux, présente les mêmes caractères que les édifices balnéaires, à tel point que certains archéologues ont pu imaginer autrefois, à tort, que cet immense rotonde avait d’abord fait partie des thermes d’AGRIPPA. La basilique de Maxence nous montre clairement comment les solutions imaginées pour ces établissements ont pu être transposées dans d’autres réalisations qui n’avaient pas la même destination pratique mais qui servaient à réunir les foules et à les mettre en contact avec les détenteurs du pouvoir. Tous les architectes sont d’accord pour souligner la parenté de cet édifice avec les grandes salles cellae balnéaires. Il annonce, d’autre part, les cathédrales voûtées du Moyen-âge. C’est précisément sous le règne de CONSTANTIN que seront construites, à Rome d’abord, les premières basiliques chrétiennes monumentales. Elles seront couvertes en charpente et leur exemple imposera en Occident ce type de toiture. L’église voûtée triomphera au contraire en Orient, à Constantinople surtout, « avec leurs coupoles, leurs puissantes et austères façades, dont la nudité contraste avec le luxe de l’ornementation intérieure des sanctuaires, comme Sainte-Sophie procèdent directement dans l’ordre esthétique des thermes romains ». Des effets analogues seront repris en Italie même à la Renaissance. f. Les édifices destinés aux spectacles Les thermes étaient pour chaque romain un palais collectif où il trouvait chaque jour tous les « agréments » de la vie « somptueuse et raffinée » des grands. Mais, en certaines occasions d’ailleurs très fréquentes, le pouvoir lui offrait des distractions qui n’avaient pas seulement l’avantage d’empêcher les citoyens de penser à la politique, mais établissaient et resserraient entre le prince et ses sujets une communion analogue à celle que recherchent de nos jours les régimes modernes. Il n’y avait pas une cité, si petite fût-elle d’un bout à l’autre de l’Empire, qui ne possédait pas au moins un théâtre, un crique ou un amphithéâtre. La plupart avaient à la fois deux au moins de ces trois édifices. Dans les pays où la densité urbaine demeurait faible, ou en bâtissait dans les compagnes auprès de vieux sanctuaires indigènes où les paysans avaient coutume de se rassembler. Le roi HÉRODE de Judée, essayant d’arracher ses sujets à l’isolement farouche que leur imposait leur foi monothéiste, n’osa pas construire à Jérusalem des sanctuaires païens ni même des monuments triomphaux. Il fit du moins édifier un théâtre. Du point de vue qui nous intéresse, il importe de se rendre compte que cette grande diffusion des édifices destinés aux spectacles a contribué, parallèlement à celle des thermes, à orienter le goût romain vers les solutions baroques. 3. Signification du style baroque
Ainsi la recherche du « confort », tant au profit des particuliers qu’au service de la collectivité, a conduit les architectes romains vers des solutions voisines de celles qu’ils avaient découvertes en tentant d’exprimer le sentiment religieux de leur société. C’est, en effet, le bien être dont ils jouissaient qui apparaissait aux citoyens de l’Empire comme la conséquence naturelle de la force de Rome. Celle-ci est justifiée par des « vertus » considérées justes et pieuses, permettant au peuple romain et son prince de recevoir de la providence la mission d’organiser l’univers et de lui procurer le bonheur. Cette « idéologie » a trouvé son expression dans des formes contradictoires réalisées à l’aide des mêmes moyens techniques : d’une part les masses inébranlables et austères de l’architecture fonctionnelle qui incarne la puissance de l’empire, d’autre part, le style, de fait baroque, parce qu’il présente les mêmes tendances esthétiques que le baroque moderne et que ses vestiges ont servi de modèles aux architectes de ce dernier. Par sa prédilection pour les tracés curvilignes et par la richesse de son ornementation, le baroque romain traduit les idées de fécondité, d’abondance, de liberté et de communion avec les forces vives de la nature. Il s’allie parfaitement à l’architecture fonctionnelle. Dans la maison, dans les thermes, dans les théâtres et les amphithéâtres comme au panthéon, la façade, qu »elle soit massive et aveugle ou articulée en puissantes arcades, protège le domaine intérieur de l’homme pour lequel il a domestiqué les énergies de la nature. Chaque édifice romain apparaît ainsi comme une image réduite de cet Empire où la force des légions, distribuée tout au long du « Limes », permettait à l’humanité méditerranéenne de goûter une des rares périodes de paix qu’elle ait connue au cours de son histoire. IV. LE SYMBOLISME DE L’ARCHITECTURE ROMAINE Un grand nombre d’édifices romains avaient, en dehors de leur destination pratique, une signification idéologique. Certains monuments ont une valeur symbolique plus importante que leur utilité. 1. Les arcs de triomphe Ces œuvres comprennent des centaines de monuments d’un bout à l’autre de l’Empire. Il n’est guère de villes qui n’en ait possédé un ou plusieurs, d’architecture plus ou moins majestueuse et de décor plus ou moins raffiné. C’est essentiellement une porte monumentale constituée par deux pylônes massifs qu’unit une voûte en plein centre surmontée d’une attique. C’est, de fait, une masse rectangulaire de maçonnerie dont le rôle est de porter des statues. En outre, l’arcade est encadrée de colonnes, au nombre de deux ou de quatre, soit engagés dans les pylônes, soit détachées et supportant un entablement lui aussi lié plus ou moins intimement à la masse. Il ne faut pas confondre les arcs et les portes. L’arc de triomphe est donc un cas particulier de cette arcade encadrée dans un entablement porté par des colonnes engagées dont la découverte, à la fin du 2ème siècle av. JC, représente une étape décisive de l’histoire de l’architecture romaine.
La signification de l’arc de triomphe n’a pas été moins discutée que son origine. Elle semble bien s’expliquer par de très anciens sites guerriers qui remontent à la préhistoire du peuple romain. Au début de la compagne, des cérémonies magiques emplissaient les champions d’une sorte de rage destructrice, qui n’eut pas été moins dangereuse pour leurs compatriotes que pour leurs ennemies, si d’autres rites ne les avaient ensuite réintégrés dans la vie civile. L’un d’eux consistait à les faire passer sous une porte sacrée qui les déchargerait de ce potentiel destructeur. En y passant, ils accrochaient à ses montants ou à son linteau, les dépouilles enlevées aux ennemis, voire leurs propres armes devenues « taboues » par le contact du sang. Le souvenir de ces offrandes est perpétué sur les monuments d’époque classique par le décor sculpté. Plus tard, les romains sans cesser de croire que le vainqueur fût animé d’une énergie surnaturelle, conçurent celle-ci non comme une fureur passagère mais comme une grâce accordée par les dieux à certains individus privilégiés. L’arc devint alors un moyen de manifester la transcendance de ce « charisme » : en plaçant l’image du triomphateur sur son attique, il y’a une évidente proclamation qu’il était placé au-dessus de l’humanité. C’est cette signification qui sépare les arcs des simples portes. A l’époque impériale enfin, « la théologie » de la victoire n’a cessé de s’étendre et de s’approfondir. L’Empereur est alors l’unique et perpétuel vainqueur. Les généraux qui commandent les armées ne sont que ses lieutenants, et leurs succès ont pour cause première, la grâce que les dieux lui ont conférée. Cette puissance victorieuse dépasse le plan humain et prend une valeur cosmique. On l’assimile à une énergie motrice de l’univers qui fait tourner les astres et ramène chaque année le cours des saisons. Aussi, est elle tenue pour fécondante autant que protectrice. Les monuments ne célèbrent donc plus telle on telle victoire pour ellemême, ou plutôt ils ne la célèbrent que comme un effet particulier de cette énergie universelle qui émane de la suprême providence. 2. Tombeaux et monuments de victoire Cette parenté de la religion politique, qui a perdu la froideur et la sécheresse augustéennes, avec les doctrines spiritualistes qui promettaient à l’individu une immortalité bienheureuse, explique la remarquable analogie des monuments de victoire et des tombeaux. Il est, en effet, un aspect des villes romaines que nous n’avons pas encore abordé mais qu’il n’est point permis de laisser dans l’ombre. Chacune d’elles s’entoure d’une nécropole grandiose, qui n’est pas retranchée du monde comme les cimetières européens étroitement clos, mais s’allonge au long des routes et appelle par ses épitaphes la visite des passants. Une famille particulière de mausolées est répandue dans le monde méditerranéen tout entier. Il faut, sans doute, en cherche l’origine en Asie mineure occidentale. Les princes indigènes de ces régions avaient l’habitude de se faire élever des tombes monumentales en forme de piliers qu’ils firent décorer à partir du 5ème siècle par des artistes grecs. Ce genre de sépulture s’est répandu à travers le monde hellénistique puis dans le bassin occidental de la méditerranéen. Les deux formes les plus répandues de mausolées romains, d’un très grand nombre, sont la lourde rotonde et la tour élancée. On trouve, d’ailleurs, ces deux types côte à côte dans les contrées méditerranéennes les plus diverses. Nous rencontrons la rotonde massive dès l’époque hellénistique chez les carthaginois, en Espagne ainsi qu’en Italie. En Syrie, la forme élancée donna naissance aux tours funéraires qui s’apparentent aux sépultures proprement romaines.
La concordance entre les monuments de victoire et les tombeaux se retrouve dans la colonne Trajane. La base enfermait les cendres de l’empereur. Le fût de la colonne, avec le long ruban sculpté, véritable filon de pierre qui s’y enroule en spirale, représente non seulement la conquête historique de la Dacie, mais le combat mené par TRAJAN pour mériter sa propre divinisation, combat au cours duquel il prouve son courage et ses talents stratégiques ainsi que les qualités morales nécessaires au souverain : piété envers les dieux, justice et bienveillance pour les citoyens et les soldats et clémence à l’égard du vaincu. Il est tout à fait significatif de constater que les principaux thèmes choisis pour la longue frise, en raison de leur valeur exemplaire et pour leur intérêt historique, sont repris dans le décor des sarcophages des membres de l’aristocratie. D’autres faits d’ordre purement architectural vont dans le même sens. C’est ainsi que les trophées monumentaux, élevés en principe pour commémorer une victoire ou une conquête, sont exactement semblables aux mausolées malgré la disparition des inscriptions et du décor. Ainsi, il est pratiquement impossible de distinguer ces deux sortes de monuments. CONCLUSION En analysant quelques uns des monuments les plus caractéristiques de l’architecture romaine, nous pouvons nous concentrer sur trois tendances relevées PICARD : 1. Le fonctionnalisme 2. Le classicisme 3. Le baroque Pour lui, le classicisme est une tendance strictement liée à une époque et même à la personne d’AUGUSTE. Il émane, comme nous avons vu, de l’art grec qui n’a jamais cessé d’exercer son influence. Si brillant qu’il ait été, ce classicisme reste un phénomène éphémère dans l’histoire artistique de Rome. Le classicisme reprend ainsi sa juste place, comparable à ce que fut du point de vue littéraire et artistique le 16ème siècle dans la Renaissance. Il nous reste à considérer les deux autres tendances : le fonctionnalisme et le baroque. En effet, les conceptions de l’architecture romaine ont presque toutes à la fois un aspect fonctionnel et un aspect baroque : 1. Le premier aspect correspond à l’esprit pratique, pragmatique, romain et lui permet de mettre en évidence sa force et sa domination ; on le trouve donc dès les premiers essais et persiste jusqu’à la fin de l’Empire. 2. Le second, au contraire, est l’expression d’un esprit de magnificence tout à fait étranger aux « grands ancêtres » qui s’est imposé seulement après la conquête du monde hellénistique.
Il est nécessaire de préciser que l’attitude baroque est une attitude spécifiquement antitraditionnelle dans le sens, qu’elle permet, par transition, de « gommer » tout aspect traditionnel. Ainsi, le terrain est préparé pour s’éloigner de tout principe et où règne la confusion presque totale de toute échelle de valeur autre que la remise en question du passé, de ses styles pour l’art et de ses traditions. Ce n’est donc pas un hasard que l’attitude baroque a établi la transition dans le temps entre une civilisation grecque d’origine traditionnelle et de l’Empire Romain anti-traditionnel. De même, l’attitude baroque a établi la transition temporelle encore plus manifeste, entre la civilisation occidentale du Moyen-âge de caractère traditionnel et la Renaissance qui est à l’origine du monde moderne laïc. Nous aurons à considérer cela avec plus de détail lorsque nous aborderons l’architecture baroque proprement dite. En attendant, nous pouvons retenir que : « …le mode de vie romain rappelle curieusement, comme le fait remarquer PICARD, certains aspects du monde industriel, tout en reposant sur une économie exclusivement agricole » basée sur des peuples non romains obligés de subir la Pax Romana. Quand celle-ci fut dangereusement ébranlée par les attaques des « barbares » en quête de liberté, le monde romain se trouvait naturellement condamné. Aussi, dès le début du 4ème siècle, un changement radical va s’opérer dans l’orientation des programmes de construction : les crédits les plus importants vont dès lors aux ouvrages militaires, aux édifices du culte chrétien et aux résidences des souverains et les grands responsables. Les établissements balnéaires, construits au 4ème et plus encore au 5ème et 6ème siècles, sont conçus dans un esprit d’économie qui les fait paraître bien minuscules à côtés des énormes thermes des 2ème et 3ème siècles. Du point de vue de l’aménagement urbain, on s’efforce d’utiliser au maximum le terrain, du fait que la ville ait dû se replier à l’intérieur de ses remparts, comme en Gaule, ou a dû accueillir des réfugiés venus de la campagne, comme en Afrique, en Italie et en Orient. Dans ces cas, la majeure partie des espaces libres -places, avenues, cours et jardins des villes du Haut Empire- est sacrifiée. Nous avons aperçu dans quelle mesure l’espace hellénistique pouvait préfigurer l’espace Romain. Pareillement, du point de vue du rôle de l’architecte, l’époque hellénistique est également un élément de transition. En effet, à cette époque dans la société grecque qui s’éloigne de plus en plus de la tradition, il apparaît un plus grand éloignement des citoyens vis-à-vis des principes religieux déjà déviés et peut être à cause de cela. Pour LEBOIS, l’intérêt personnel devient un moteur et, au niveau des artistes et des architectes, la notion d’originalité fait son apparition comme moyen de réussite. Cette notion ne peut qu’entraîner l’Individualisme, attitude qui consiste à sacrifier la vérité au détriment de l’originalité de l’auteur loin de tout souci de vérité. L’individualisme se répand dans une société, dès lors qu’il y’a négation de toute tradition. C’est pour cela que cette attitude va apparaître avec encore plus de vigueur après la Renaissance en Occident. A l’époque romaine, même si l’individualisme demeure une tendance pour les architectes, il est loin d’être comparable au rôle dominant des architectes de la Renaissance, farouchement individualistes et anti-traditionnels. De fait, les architectes romains restent au service de l’Empereur au même titre que l’administrateur ou le soldat. LEBLOIS affirme que les véritables maîtres d’œuvre sont les hommes politiques dont les monuments portent les noms.
Comme pour les grecs, nous pouvons aussi mettre en relation les caractéristiques de l’espace architectural romain avec les autres espaces :
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pour l’espace des pratiques sociales, la pratique idolâtre romaine implique des grands espaces intérieurs dont les grecs n’avaient pas usage ; pour l’espace du pouvoir politique, la volonté de prestige et de domination ont impliqué cette nouvelle monumentalité spatiale pour laquelle les centres, les axes, les symétries sont autant de moyens pour dominer, aller au-delà, marquer l’espace le plus loin possible et de la façon la plus oppressante.
Concernant l’espace urbain, c’est aussi le pouvoir politique qui autorise la mitoyenneté auparavant inimaginable dans le cadre des conceptions traditionnelles, et qui permet de concevoir le problème urbain comme une globalité : •
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au niveau de l’espace constructif, les vastes espaces intérieurs romains n’ont été réalisables que grâce à la fabrication d’un mortier, à base de cendres volcaniques, tellement résistant qu’on pouvait concevoir la construction en terme de masse homogène et non plus en terme de blocs ; Au niveau de la géométrie non idéalisée, contrairement à la Renaissance, le but à atteindre est un moyen essentiel de l’architecture romaine pour répondre au désir de hiérarchie. Par exemple, le temple romain n’est plus homogène comme le temple grec, il est orienté avec une façade avant et une autre arrière.
La maison carrée à Nîmes présente un stade transitoire. Au niveau urbain, la géométrie est un moyen de mettre des espaces en relation comme dans le Forum à Rome où la géométrie est le fil directeur d’une séquence spatiale des quatre Fora successivement construites par CÉSAR, AUGUSTE, DOMITIEN et NERVA. La distinction intérieur/extérieur, concept topologique, est devenue moins importante et le travail sur l’espace s’y applique indifféremment. L’architecture Byzantine poursuit les mêmes directions, notamment au niveau de la coupole. Le legs de l’architecture romaine va traverser les époques médiévales et chrétiennes jusqu’à la Renaissance occidentale et les recherches archéologiques des 17ème et 18ème siècles. D’après PICARD, il faut dénoncer cette erreur commise lorsqu’on voit le reflet de l’architecture romaine dans le néoclassicisme au 19ème siècle : « Comment, se demande-t-il, cet esprit aurait-il pu renaître hors de la civilisation qui l’avait engendré, coupé de l’idéologie étrange et complexe qui l’inspirait. Cette idéologie dont les humanistes au 18 ème siècle ne soupçonnaient même pas l’existence ? ». En effet, comme démontré plus haut, la similitude avec le monde moderne est grande sur le plan de la matérialité de toute chose. [1] - Alors qu'il trace le pomœrium, sillon sacré délimitant la ville, soulevant l'araire pour ménager des portes, son frère Remus, pour se moquer de la faiblesse de la ville nouvelle, franchit d'un pas ce rempart symbolique. Aussitôt Romulus le tue, marquant ainsi, tout aussi symboliquement, l'intransigeance sourcilleuse de Rome devant toute incursion malveillante. [2] - De res publica (lat.) signifie « la chose publique ».
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Bibliographie BOETHIUS A., The Golden house of Nero, Harbour1960 CHOISY, L’Art de bâtir chez les romains FLETCHER B., History of architecture GRIMAL P., La civilisation Romaine - Paris- Arthraud- 1960 GRIMAL, Les villes romaines, P.U. 1954. LEBLOIS Olivier, Naissance de l’Espace Architectural Moderne PICARD G. Ch., Empire Romain - Coll. Universelle E. Equerre PICARD G. Ch., L’art romain, Ed. Presses Universitaires, 1962 PICARD G. Ch., La civilisation de l’Afrique romaine, Ed. Plon 1959 10. PORRO R., Notes de cours 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9.