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French Pages 290
Bruno PA YS, docteur en économie et docteur en droit, est actuellemnt responsable du développement de produits financiers au sein du groupe S\lez. li est également maître de conférences à l'Institut d'Etudes politiques et chargé d'enseignements à l'Université Paris l où il participe aux travaux du Centre de Recherche de Mésoanalyse (MESA).
LIBRE ÉCHANGE Collection fondée par Florin Aftalion et Georges Ga/lais-Hamonno et dirigée par Florin Aftalion
Ecrits par des auteurs français jeunes ou confirmés, ou traduits à partir d'œuvres étrangères importantes, les ouvrages de cette collection ont trois caractéristiques : - Ils traitent des grands problèmes de choix dans notre société, tels que : rôle et place de l'Etat, justice sociale, réglementation du marché et du pouvoir politique, efficacité de la production et des échanges, formation des valeurs. - Dans leurs analyses, ils font souvent appel à la méthode économique, sans toutefois en présenter les aspects techniques. - Ils défendent avant tout l'idée de liberté de l'individu, surtout lorsque celle-ci est menacée par l'emprise étatique. Ils ne s'adressent donc pas exclusivement aux enseignants et aux chercheurs, mais aussi au public désireux de prendre part aux débats d'idées contemporains. « Libre Echange » assure ainsi l'expression du point de vue authentiquement libéral en France.
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LIBÉRER LA MONNAIE
« LIBRE ÉCHANGE» COLLECTION FONDÉE PAR FLORIN AFTALION ET GEORGES GALLAIS-HAMONNO ET DIRIGÉE PAR FLORIN AFTALION
LIBÉRER LA MONNAIE Les contributions monétaires de Mises, Rueff et Hayek
BRUNO PAYS
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Presses Universitaires de France
ISBN 2 13 043997 7 ISSN 0292 7020
Dépôt légal- Ire édition: 1991, octobre
©
Presses Universitaires de France, 1991 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
La vémcité de la monnaie est la condition de la liberté humaine. Jacques
RUEFF.
La monnaie l"eprésente pour la science économique ce qu'est la quadrature du cercle en géométrie ou le mouvement perpétuel en mécanique. Stanley
JEVONS.
A Patricia Lelouch
SOMMAIRE
Introduction, Il 1
Les auteurs, 12
II - Choix méthodologiques, 21
PREMIÈRE PARTIE
La monnaie perturbatrice : ses fondements théoriques 1. Le primat de la monnaie dans les relations sociales, 27 1 - Les fondements extra-économiques de la monnaie, 27 a IDes soutènements libéraux, 28. - b ILe cadre d'analyse: action humaine ou sphère de ces agissements " 32 II - Principes méthodologiques, 40 a ILa méthodologie économique: une nécessité différemment perçue, 40. - b ISpécificité méthodologique de la science économique " 44. c IFausseté des doctrines économiques sans fondement méthodologique, 48 III - L'analyse monétaire au coeur des préoccupations contemporaines, 50 2. Révisions conceptuelles, 55 1
Les origines de la monnaie le développement parallèle de l'économie et des instruments d'échange, 56
II
La monnaie, intermédiaire des échanges, 59
III - L'essence perturbatrice de la monnaie, 62 a IMonnaie et non-monnaie: un clivage incertain, 62. - biLa monnaie valide à quelles conditions " 68. - C ITrois approches difficilement comparables, 70
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SOMMAIRE
3. Le pouvoir d'achat et la théorie quantitative de la monnaie, 75 Le système des prix, mécanisme régulateur, 76 Il
La valeur - ou pouvoir d'achat - de la monnaie, 81 a IUn contenu extensif chez Mises, 82. - h IL'utilisation par Hayek d'une notion critiquée, 84
III - Reformulations de la théorie quantitative de la monnaie, 86 alDivergences sur la valeur explicative de l'équation des échanges, 87. h ILa théorie quantitative revisitée, 89 4. Les échanges internationaux, extension des mécanismes internes, 101 L'adhésion générale à la théorie de la parité des pouvoirs d'achat, 102 a ILe principe affirmé, 102. h IL'analyse affinée, 107 II - Une illustration contemporaine: le problème des réparations allemandes, 112 III - La confirmation du caractère régulateur du mécanisme des prix, 115
5. Effets pervers du rôle de prêteur des banques, 117 1 . Deux conceptions de l'intérêt, 118 alRelectures de Knut Wicksell, 118. - hiLe primat du taux d'escompte, 123 II - Complications intrinsèques au système bancaire contemporain, 127
6. Les cycles économiques; des explications novatrices, 135 1 - Les origines monétaires des fluctuations cycliques, 136 II - L7, toutefois, contrairement à ce qui est parfois avancé, Fisher n'a pas été jusqu'à admettre le théorème quantitatif dans son sens le plus strict. Car d'une part il admet l'influence du niveau des transactions à la fois sur la quantité de monnaie et sur sa vitesse, et pose d'autre part que le théorème n'est valable qu'en état d'équilibre, non pour les" périodes de transition". Les études empiriques sur l'économie française menées par Rueff le conduisent à rejeter tout lien rigoureux entre l'offre de monnaie et 25. Full empLoyment at any priee?, Londres, IEA, 1975. 26. Denationalisation of money ... , Londres, IEA, 1976, XVIII. 27. 1. Fisher, Le pouvoir d'achat de la monnaie (911), trad., Paris, Giard, 1926.
LE POUVOIR D'ACHAT ET LA THÉORIE QUANTITATIVE DE LA MONNAIE
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le niveau des prix, sans l'amener pour autant à remettre en question sa démarche globaliste. Quand varient rapidement l'activité des échanges ou la vitesse de circulation de la monnaie - la période de fuite devant le mark donne un exemple de telles variations - la théorie quantitative devient" grossièrement inexacte ,,2H. Rueff va ainsi s'attacher à reformuler cette théorie, dès les années vingt puis plus complètement dans L'ordre social. Dans cet ouvrage, la pensée de Rueff va être conduite sous l'angle de la demande, la variation du niveau général des prix résultant désormais des évolutions respectives des encaisses effectives et désirées. Le concept d'encaisses effectives (Ee) ne nécessite pas d'explication: il s'agit de la quantité de monnaie en circulation, ou plutôt - puisque Rueff constate à l'instar de Mises que la monnaie est toujours sous le commandement de quelqu'un même quand elle voyage - des encaisses effectivement détenues par les" agents économiques" (particuliers et organismes bancaires), Inauguré par Walras, puis adopté et développé notamment par Marshall et Wicksell, le concept d'encaisses désirées (Ed) prend un sens original dans la pensée rueffienne: "est désiré tout élément d'encaisse que son titulaire ne désire pas remplacer par une richesse de nature non monétaire ,,29, Cette encaisse désirée est composite: elle comprend l'encaisse nécessaire (En), "montant de l'encaisse indispensable à une activité économique déterminée, dans les conditions de fait où elle est exercée "."J, Ce montant est fonction, toutes conditions égales quant à la valeur des richesses à régler, des délais de paiement. Ainsi, la durée moyenne de rotation d'une encaisse est l'intervalle de temps qui s'écoule, en moyenne, entre le moment où une unité monétaire devient indisponible, parce que sortie de l'encaisse du payeur, et redevient disponible, parce qu'entrée dans l'encaisse du payé, Ce délai est lié notamment à l'envoi des fonds par la poste, et aux paiements par chèques ou virements, Quand le délai minimum - propre à chaque état de la technique bancaire - est atteint, l'encaisse nécessaire n'est plus fonction que du montant de
28. Théorie des phénomènes monétaires, op. cit., 1. 29. La régulation monétaire et le problème institutionnel de la monnaie, Paris, Sirey, 1953, p. 10. 30. L'ordre social, op. cit., XIV, 3; Œuvres complètes, p. 201.
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ces règlements, c'est-à-dire du niveau des prix et de l'indice d'activité des échanges. Mais la détention de cette encaisse ne permet de parer à aucun des aléas de la vie économique; en outre, les agents peuvent désirer conserver une réserve de monnaie pour profiter d'une occasion imprévue, parer à un arrêt fortuit de leur commerce, etc. C'est pourquoi Rueff appelle encaisse thésaurisée (Et) "la fraction d'encaisse que chaque individu détient en sus de son encaisse nécessaire". L'économiste français n'explicite cependant pas davantage les motifs de la thésaurisation, se bornant à constater qu'à l'inverse de l'encaisse nécessaire, celle thésaurisée apparait dans les tiroirs-caisses ou dans les portefeuilles. Les encaisses nécessaire et thésaurisée sont donc de nature très différente, la première étant la conséquence indirecte de la valeur des richesses non monétaires acquises en chaque période et des modalités techniques de paiement; sa détermination n'est pas consciente et son montant généralement ignoré puisque les éléments qui le constituent étant "en route", ils n'apparaissent plus dans le patrimoine de l'acheteur et pas encore dans celui du vendeur; ils sont seulement visibles en comptabilité. L'encaisse thésaurisée est le lieu d'influences psychologiques, l'encaisse nécessaire, la résultante de facteurs mécaniques. Rueff précise à juste titre que cette présentation a l'intérêt d'abandonner la référence au concept de vitesse de circulation, détrôné par la notion de durée moyenne de rotation. L'analyse ainsi conduite présente également un autre avantage sur lequel l'économiste français n'a pas insisté: si l'on définit un" paiement" comme le passage d'un montant de moyens de paiement, d'une encaisse d'un individu à celle d'un autre individu, la question se pose en effet de savoir où se trouve la monnaie; e!>t-elle située dans une encaisse ou circule-telle entre deux agents? Elle ne peut en effet figurer deux fois: une première fois dans chaque encaisse et une autre fois entre chacune. Aujourd'hui, lorsqu'elle raisonne au niveau d'agrégats, la macroéconomie oblitère ce déroulement de la vie économique et avec lui le problème des cadences de paiements. La présentation de Rueff a ainsi le mérite de mertre l'accent sur le divorce qui existe entre présentation comptable et réalité des échanges. Cette analyse débouche sur une reformulation de la loi de Say: si l'encaisse effective est au niveau de celle désirée, le volume global des droits à remplir des richesses non monétaires sera égal au volume
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global des droits vidés des mêmes richesses quelle que soit la répartition des droits vidés et remplis entre les divers compartiments du marché; les prix particuliers pourront donc varier mais le niveau général des prix restel'a inchangé; la loi de Say est vraie. Au contraire, dans l'hypothèse de l'inégalité des encaisses effective et désirée, il va se produire une variation du niveau général des prix. On a ainsi:
en posant:
D
=
o
=
volume de la demande globale volume de l'offre globale t:.E" = variation de la circulation monétaire t:.Eû = variation du montant global des encaisses désirées pendant la séance du marché considérée 3 !. Ainsi, "la condition unique de la stabilité du niveau général des prix est le maintien, en toute période, de la quantité de monnaie en circulation au niveau du montant global des encaisses désirées ,,32. Les travaux de Rueff viseront à rechercher le mécanisme par lequel l'égalité précédente se trouve assurée. Ces réflexions théoriques ont une large portée pratique: à supposer en effet que 'le système bancaire augmente la quantité de monnaie (dans le but, par exemple, de financer un déficit budgétaire) plus rapidement que l'augmentation des besoins d'encaisses, les individus chercheront à se débarrasser de leurs excédents de monnaie en demandant davantage de biens réels. La hausse des prix réduira en conséquence la valeur réelle des encaisses jusqu'à ce qu'elles atteignent leur niveau désiré. Ce processus est bien connu des économistes sous
3l. On peut rapprocher cette équation de l'identité de Walras: si l'on considère que les variations de l'offre et de la demande de monnaie sont des variations de stocks dans la période d'analyse, que les stocks initiaux sont des stocks d'équilibre, alors une demande excédentaire de biens (monnaie exclue) doit être égale à une offre excédentaire de monnaie (identité de Walras); cette dernière va être égale à la différence entre les variations de l'offre et de la demande de monnaie - " identité de Rueff" - (Nous empruntons cette expression à E. M. Claasen, in Œuvres complètes, Th. mo, vol. II, note p.65). 32. De l'aube au crépuscule. op. cil., Œuvres complètes, p. 187.
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LA MONNAIE PERTURBATRICE
le nom d'effet d'encaisse réelle. La conséquence politique n'en sera pas moins essentielle: l'activité des instituts d'émission est en grande partie illusoire car ils peuvent manipuler la quantité nominale de monnaie, non sa quantité réelle.
L'utilisation, par les auteurs, de méthodologies contrastées conduit, une fois de plus, à des résultats très différents: si une étude globaliste de l'équation des échanges fait de celle-ci une nécessité rationnelle, une identité irréfutable, l'approche individualiste ne lui accorde aucune valeur praxéologique puisqu'elle ne part pas de l'action de l'individu. Cette divergence se traduit de la manière la plus nette dans l'étude des prix: en se proposant d'en construire un indice indifférent à la répartition des demandes entre les différents articles du marché, Rueff s'interdit par là-même, du point de vue autrichien, d'accéder à la compréhension économique; le "niveau" des prix méconnait leur " révolution" et ôte à la monnaie son caractère dynamique. L'étude du concept de vitesse de circulation présente un intérêt tout particulier: si Fisher considérait que celle-ci varie très peu car les particuliers ont pour habitude de conserver une proportion à peu près fixe entre le niveau de leur encaisse et les paiements qu'ils ont à effectuer, A. Aftalion montrera au contraire qu'avec un même montant d'encaisse, les individus peuvent faire face à un mouvement de paiements accru ou diminué; ainsi, contrairement à ce que pensait Fisher, la fidélité des individus à leurs habitudes se traduit par des variations de la vitesse de circulation. Or, dès les années trente, Hayek et Rueff contestent l'hypothèse de sa constance. Les contributions de ces deux économistes annoncent par là-même les recherches plus récentes de l'école de Chicago tendant à réhabiliter la vitesse de circulation de la monnaie comme facteur déterminant des variations du niveau général des prix. Si l'accent mis sur ces variations est heureux, il parait en outre logique: l'importance accordée à la vitesse de circulation n'est-elle pas ainsi la conséquence du primat de la fonction d'intermédiaire des échanges? De surcroît, l'étude de cette vitesse ne permet plus de réduire la théorie quantitative à la "simple juxtaposition des secteurs réel et monétaire dont elle méconnait les
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relations· dénoncée par Samuelson33 . Il faut cependant mesurer ici la longueur du chemin parcouru par Rueff entre l'intérêt porté en 1927 au concept de vitesse moyenne de circulation du stock monétaire concept mécanique par excellence! - et l'abandon en 1945 de toute référence à cette notion jugée, à l'instar de Mises, trop mécanique et vide de toute réalité humaine... En revanche, on pourra regretter le manque d'importance accordée par Rueff à l'indice des échanges. N'est-ce pas nier l'action de l'offre sous prétexte qu'elle trouve une contrepartie? Mais Rueff raisonne essentiellement dans le court terme; l'action des prix sur la production sera un des thèmes essentiels de l'analyse autrichienne. En s'accordant pour réfuter toute relation proportionnelle entre les variations de la quantité de monnaie et celles des prix, les contributions des auteurs - dont celle de Mises au premier chef annoncent les analyses du revenu d'Aftalion: très souvent, estime celui-ci, l'évolution des prix précède celle du stock de monnaie car de nombreux mouvements de prix particuliers ont des fondements psychologiques; le facteur souverain des variations de prix réside non pas dans la quantité de monnaie, mais dans les variations de revenu 34 . A l'instar de Mises, Aftalion considère que la valeur de la monnaie n'est pas en raison inverse de sa quantité. Le parallèle établi entre les deux auteurs trouve cependant rapidement ses limites, car bien plus que Mises, Aftalion reconnait aux anticipations une responsabilitê importante dans les variations du pouvoir d'achat monétaire. Mais la version proposée en 1945 dans L'ordre social suscite des comparaisons plus poussées entre les analyses autrichiennes et rueffienne : en recourant au concept d'encaisse désirée, l'économiste français a pour ambition de prendre en considération les désirs de l'individu. Toutefois sa critique de la vitesse de circulation ne le conduit pas à remettre en question les fondements méthodologiques de sa théorie : n'est-il pourtant pas paradoxal de rejeter ce concept tout en continuant à se référer au niveau général des prix? Ce dernier n'est-il pas, à l'instar du précédent, • vide de toute réalité psychologique et humaine " personne ne se proposant jamais de modifier cette grandeur? Au vrai, 33. Economies introductory analysis, trad., Paris, Economica, 1957, p.256. 34. A Aftalion, Monnaie, prix et change, Paris, Sirey, 1948, p. 175.
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le niveau des prix ne prête pas le flanc aux mêmes critiques: le comportement des individus est certainement influencé par sa connaissance; surtout, il est une moyenne des prix; ceux-ci ont une réalité pratique alors que la notion de vitesse de circulation n'a pas plus de sens au niveau global qu'à celui de l'individu. En dernière analyse, la principale conclusion de Rueff est compatible avec la présentation autrichienne: il s'agit, chez les trois auteurs, d'étudier l'effet des variations entre offre et demande de monnaie (analyse autrichienne) - c'est-à-dire entre encaisses effectives et désirées (Rueff) - sur les prix. Quand Hayek montre qu'une demande accrue de monnaie, satisfaite par une augmentation de sa quantité, n'implique aucune perturbation dans la sphère des biens et services, il exprime la condition d'équilibre de l'égalité de Rueff. On dirait aujourd'hui que l'équilibre monétaire est réalisé chez les trois auteurs quand l'excédent de la demande de monnaie est nul. Aucune influence perturbatrice n'émane alors de la monnaie: elle est neutre et son pouvoir d'achat est stable, seule hypothèse dans laquelle neutralité et stabilité de la monnaie coïncident. La présentation de l'économiste français est peut-être plus fructueuse cependant, en ce qu'elle permettra de constituer le point de départ d'une étude de la régulation monétaire qui ne sera pas aussi aboutie chez les Autrichiens.
4 Les échanges internationaux, extension des mécanismes internes La théorie du commerce extérieur telle que l'a bâtie Ricardo a montré de façon irr~futable que la liberté des échanges est seule capable d'assurer aux efforts économiques une productivité maxima et que tout protectionnisme doit nécessairement entraîner une diminution des fruits du capital et du travail (. ..); du point de vue du ravitaillement du consommateur en marchandises le libre échange est plus efficace que tout autre système. (L. v. Mises, Les illusions du protectionnisme et de l'autarcie, trad., Medicis, 1938.)
Si la monnaie, lorsqu'elle est appréhendée dans le cadre des échanges internationaux, occupe une place quantitativement faible dans les analyses théoriques de Mises, Rueff et Hayek, cette étude revêt au contraire une importance essentielle dans leurs développements consacrés à la politique monétaire. La raison en est simple: pour les trois auteurs étudiés, le mécanisme des prix dans le cadre international n'est qu'un cas particulier et Olthodoxe du même mécanisme au niveau national. Il y a, en ce sens, similitude des échanges intérieurs et extérieurs. On peut reprocher à Mises d'avoir traité un peu hâtivement l'échange international, mais cette critique serait en revanche injustifiée s'agissant de Hayek qui consacre un volume entiser à cette .question! et surtout de Rueff qui, dès 1922, s'est interrogé sur le principe de la parité. des pouvoirs d'achat, avant d'en élaborer plus complètement la théorie en 1927. Les trois auteurs adhèrent en effet au principe classique de la parité des pouvoirs d'achat même si le mérite de son 1. Monetmy nationalism and intemational stabilifcY (937), reed. New York. Kelley. 1971.
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LA MONNAIE PERTURBATRICE
perfectionnement revient à Rueff. La théorie dite des transferts en fournit une illustration pratique en même temps qu'elle apporte une confirmation du caractère régulateur du mécanisme des prix.
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L'ADHÉSION GÉNÉRALE À LA THÉORIE DE LA PARlTÉ DES POUVOIRS D'ACHAT
Si les" Classiques" avaient considéré la monnaie comme un voile, il faut leur reconnaître le mérite d'avoir décrit son rôle actif dans les échanges internationaux, rôle considéré comme essentiellement" équilibrant ", les métaux précieux se dirigeant là où ils ont le pouvoir d'achat le plus élevé en marchandises et provoquant par leurs mouvements un nivellement international des prix. Encore s'agit-il de savoir quels sont les rapports de causalité entre les taux de change et la situation de la balance des paiements. Deux thèses se sont très vite affrontées: la "théorie de la balance des paiements" prétend que le taux de change est déterminé par l'offre et la demande de devises qui résultent des opérations inscrites à l'actif et au passif de la balance : le taux de change s'élève quand la balance des paiements courants présente un excédent et s'abaisse dans le cas contraire. La "théorie de la parité des pouvoirs d'achat ", énoncée par J. Wheatley et W. Blake, puis par D. Ricardo et R. Thornton, affirme au contraire que le taux de change est déterminé par la relation qui relie le niveau des prix nationaux au niveau des prix étrangers et dans laquelle l'inverse du niveau des prix indique le pouvoir d'achat de la monnaie. Adoptée par Mises et Hayek, cette théorie est affinée par Rueff.
a / Le principe affirmé Se plaçant au départ dans la situation où il n'existe qu'une seule sorte de monnaie sur un territoire isolé, Mises 2 considère les variations 2. The theory of money and credit (912), [rad., Indianapolis, Liberty classics, 1980, IX.
LES ÉCHANGES INTERNATIONAUX
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spatiales du pouvoir d'achat. Contrairement à ce qui se passe pour les autres biens, la valeur de la monnaie n'est pratiquement pas influencée par sa situation géographique: son pouvoir d'achat est le même sur tous les marchés car les systèmes de compensation permettent, dans une certaine mesure, d'affranchir l'usage de monnaie des coûts de transport, ce qui n'est pas le cas des autres biens économiques. Ce principe est appelé par Mises" loi des relations de prix interlocales " (law of interlocal priee relations). De plus, alors qu'en règle générale, les biens se déplacent dans une seule direction, des sites à production excédentaire aux places à consommation élevée, il n'en va pas de même de la monnaie (compte non tenu de la situation des pays extracteurs d'or et des nations cherchant délibérément à modifier le volume de leur encaisse liquide): celle-ci se déplace tantôt dans un sens, tantôt dans le sens opposé. Les différences de pouvoir d'achat que l'on croit percevoir d'une place à l'autre s'expliquent par le fait que les marchandises offertes et demandées ne sont pas les mêmes, poursuit Mises. Elles tiennent également fréquemment à des mesures politiques qui entravent la libre circulation des marchandises et des hommes. On peut enfin, accessoirement, expliquer ces écarts de prix en invoquant les différences de qualité de la monnaie offerte ou demandée. Chose curieuse, Mises avait estimé le problème de la valeur d'échange objective de la monnaie élément central de la théorie monétaire, alors que l'importance des variations du pouvoir d'achat de la monnaie se voit soudain fort relativisée par l'absence des différences locales de pouvoir d'achat 1 Lorsque deux sortes de monnaie sont utilisées simultanément côte à côte, leur taux de change est égal au rapport d'échange de chacune d'elles avec les autres biens économiques; c'est dire que le taux de change entre les monnaies est déterminé par la comparaison de leurs pouvoirs d'achat. Si un écart apparaît entre ces derniers, il offre une possibilité de transaction avantageuse et les efforts des gens de négoce attentifs à en profiter tendent à faire de nouveau disparaître l'écart en question. Issue des recherches de Cassel", l'analyse de Mises n'est toutefois pas aussi fine que celle de J'économiste suédois car il ne
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3. G. Cassel, Money andforeign exchange after 19.14, Londres, Constahle, 1922, 181.
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LA MONNAIE PERTURBATRICE
fait pas la distinction entre les prix domestiques et ceux d'importation et d'exportation. Ce sont en tout cas les mouvements de la monnaie qui déterminent l'état de la balance des paiements et non l'inverse. Ainsi, à supposer que l'équilibre de cette balance soit rompu, les individus ayant des encaisses excédentaires se hâteront de dépenser ce surplus en achetant des biens de production ou de consommation. Ceux qui se trouvent dans la situation inverse augmenteront leurs encaisses, soit en restreignant leurs achats, soit en vendant des biens en leur possession. Les variations de prix ainsi suscitées rétabliront l'équilibre des paiements. C'est pourquoi une balance des paiements en déséquilibre ne peut être que transitoire. Une nation qui n'utilise pas d'instruments fiduciaires ne court ainsi jamais le risque de perdre ses réserves de monnaie au profit de l'étranger. De même, les mesures de politique économique visant à réguler les mouvements internationaux de monnaie à l'intérieur d'une nation ne peuvent réussir que si elles suscitent un déplacement des demandes relatives de monnaie ; c'est pourquoi elles sont la plupart du temps inutiles, contrairement à ce que prétendaient les mercantilistes'. Mises conclut que le rôle joué par la monnaie dans le commerce international ne diffère pas de celui qu'elle tient dans les échanges intérieurs. Partant des résultats obtenus par son prédécesseur, Hayek se fixe pour objectif' de déterminer le meilleur système monétaire international praticable: il va s'opposer à la doctrine dominante du "nationalisme monétaire ", selon laquelle la quantité de monnaie possédée par une nation ne doit pas être déterminée par des principes analogues à ceux qui régissent la distribution de monnaie entre ses différentes régions; cette doctrine préconise des monnaies nationales indépendantes reliées entre elles par des parités flexibles. A l'opposé, Hayek désigne, sous l'appellation "système monétaire international ", la présence dans le monde d'une monnaie universelle dont la circulation entre nations est déterminée par les seules actions des individus. Chaque unité monétaire peut ainsi être utilisée pour effectuer des règlements à l'étranger: elle sera transférée physiquement pour y être transformée en monnaie étrangère. L'illustration type en est l'étalon-or international. Entre ces 4. L'action humaine (1949), trad., Paris, l'tiF, 1985, XVII, 13. 5. MonetClly natlonahslIl Cind international stabili(v, op. cil.
LES ÉCHANGES INTERNATIONAUX
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deux systèmes extrêmes se situe celui des ,monnaies mixtes" qui permet la conversion des devises à taux constant. Hayek examine en premier lieu 6 les mécanismes attachés à l'existence d'une monnaie purement métallique: si un individu effectuait jusqu'à présent certains de ses achats dans le pays A, mais se fournit désormais dans le pays B, la balance commerciale de A va s'en trouver déficitaire, les recettes de cette nation ayant diminué (toutes choses égales par ailleurs) au profit de B. C'est seulement depuis peu, écrit Hayek, que sont connus les mécanismes qui finiront par rétablir l'équilibre des balances des paiements7 : le règlement effectué de A vers B génère des variations de revenus monétaires dans ces deux nations, variations comparables à deux chaînes, l'une commençant par la baisse du revenu d'un individu en A et l'autre débutant avec la hausse du revenu d'une autre personne en B. On fait ici abstraction des ramifications supplémentaires se produisant à chaque niveau et de la longueur plus ou moins grande et même inégale de ces chaînes. Une personne en sera un maillon si elle a contracté avec l'un des deux individus dont le revenu a été affecté au départ. Ces deux chaînes vont finalement se rejoindre non seulement dans un même pays, mais sur le même individu, en se compensant l'une l'autre. On ne peut donc prévoir combien de revenus et de prix seront affectés au total, ni quelle sera la durée nécessaire à la création de nouvelles et inverses variations des balances des paiements. On comprend également qu'il n'est pas impossible que la plupart des individus qui enregistrent une baisse de leur revenu se trouvent en B et non en A. Ceci, conclut Hayek, montre une fois de plus combien est dommageable l'habitude consistant à parler en termes de niveau des prix et du revenu d'un pays comme si prix et revenus devaient nécessairement se déplacer de concert ou dans la même direction. Il s'ensuit que les termes d'inflation et de déflation n'ont sans doute guère de signification s'agissant des transferts internationaux de devises dans un système
6. Le lecteur non spécialiste pourra faire l'économie des développements ciaprès et ne retenir que leurs conclusions. 7. Ici Hayek renvoie à F. W. Paish, Banksing policy and the balance of international payments, Economica, vol. III, n" 1, nov. 1936; P. B. Whale, The working of the pre-war gold standard, Economica, vol. IV, n" 13, févr. 1937.
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à monnaie unique car il est improbable que ces transferts suscitent de mauvaises allocations de capitaux. Dans l'hypothèse de «monnaies mixtes ", la situation précédente engendre des mécanismes différents, la sortie de monnaie du pays A mettant en danger ses réserves; la Banque centrale va faire pression sur ses débiteurs pour qu'ils remboursent leurs prêts; il s'ensuit une diminution des dépenses d€ certains agents, mais pas nécessairement de ceux qui y eussent été contraints. dans un système monétaire international. L'investissement va diminuer et les taux d'intérêt s'orienter à la hausse. Les contractions du crédit provoquent enfin une mauvaise allocation des capitaux, d'où l'aggravation du chômage. Enfin, dans un système de monnaies indépendantes, les flux de monnaie entre nations qui seraient intervenus en régime de changes fixes, font place à une variation du taux de change; si certaines industries de B se caractérisent par un progrès technique plus rapide qu'en A, le coût plus élevé des importations de A suscite une demande accrue de biens nationaux, et partant une hausse de leurs prix, à l'exception de ceux affectés par la demande en baisse des industries les moins compétitives. Le résultat final de la dépréciation du pouvoir d'achat est donc, non pas la baisse des prix et des revenus du groupe d'industries les moins compétitives - baisse qui serait survenue en régime de changes fixes - mais l'augmentation générale du prix de tous les facteurs. Pourtant, la contraction de la production du groupe précité reste inévitable. En outre, la hausse des prix revêt un caratère définitivement inflationniste: en effet, certaines industries demeurant temporairement plus profitables, la production s'y développe, mais sera rapidement enrayée par une hausse des coûts; d'autre part la quantité de monnaie augmente en A du fait du remboursement par les importateurs de leurs emprunts aux banques; celles-ci peuvent dès lors prêter à des conditions plus avantageuses, mais là encore cette situation ne sera pas durable car dès que les coûts commenceront à hausser, il deviendra évident qu'il n'existe aucun fonds disponible pour financer des investissements supplémentaires. A l'inverse, dans le pays B, l'industrie qui par sa compétivité a bénéficié de la demande de A voit l'augmentation de ses recettes rognée par la dépréciation de la monnaie de A. De même les industries de B dont les produits entrent en concurrence avec les importations qui sont maintenant
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moins chères (exprimées en monnaie nationale) devront diminuer leurs prix. Mais dans la réalité, en raison de la rigidité des salaires à la baisse, une inflation généralisée se substitue à la diminution escompté'€: des revenus d'un groupe d'industries. La modification des parités ne peut donc pallier la plupart des difficultés liées à la rigidité des salaires. Les conséquences des raisonnements économiques en termes de niveau de prix sont aussi dommageables sur le plan international qu'au niveau national. Rueff, davantage que les Autrichiens, va formaliser la théorie des changes; il se pose au préalable la question suivante": comment les actes innombrables d'hommes répartis dans le monde entier, agissant indépendamment les uns des autres sans se préoccuper des répercussions de leurs actes sur l'équilibre global, sont-ils compatibles avec cet état de quasi-équilibre qui a longtemps caractérisé les balances des paiements? Rueff est convaincu que seul un système monétaire efficace peut imposer aux balances des paiements un équilibre durable, alors qu'en 1965, les gouvernements français et américain renversent cette causalité. L'économiste français va se proposer d'expliquer pourquoi les déficits des balances des paiements sont toujours liés au développement de processus d'inflation prolongée.
b / L'analyse affinée Dès son premier article de théorie économique, Rueff expose déjà l'essentiel de ses contributions à l'analyse monétaire internationale: " en première approximation et lorsque dans les pays (1 et 2) il n'est pas pratiqué d'émissions de papier-monnaie autres que des émissions d'origine commerciale, la monnaie du pays (1) s'échange contre celle du pays (2) à un cours qui lui donnera, à l'intérieur du pays (2), un pouvoir d'achat sensiblement égal à celui qu'elle possède à l'intérieur du pays (1) ,,9 En d'autres termes, la parité des pouvoirs d'achat 8. Une cause du désordre mondial: l'état actuel du système des paiements internationaux, Revue d'économie politique, n" 59, Paris, Larose, mars-avril 1949, p. 145-165. 9. Le change, phénomène naturel, Revue générale des sciences pures et appliquées, 30 nov. et 15 déc. 1922; reproduit in Œuvres complètes, Th. ma., vol. II, p. 143.
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s'exprime «directement" par l'inverse du niveau des prix. Fidèle à sa méthode d'exposition des années vingt et trente, Rueff recherche une confirmation expérimentale de ce principe et parvient à montrer, dans une étude menée pour la France, l'Angleterre, les Etats-Unis et l'Espagne en 1912-1913 et 1920-1922, que la théorie dégagée s'applique tant au régime de la circulation métallique qu'à celui des changes t1ottants. Cette analyse est affinée en 1927 dans la Théorie des phénomènes monétaires, par la mise en évidence des disparités de pouvoir d'achat: soient deux pays, la France et l'Angleterre; pour tous les articles du marché, la différence entre le prix français et le prix anglais évalué en francs reste toujours comprise entre deux limites qui représentent le montant des frais de transfert de France en Angleterre et d'Angleterre en France de l'unité de quantité de l'article considéré. L'analyse peut être généralisée en termes de niveau de prix: alors que la théorie classique posait que le pouvoir d'achat intérieur du franc était constamment égal à son pouvoir d'achat en Angleterre, Rueff a montré qu'il peut au contraire exister entre ces niveaux de prix des différences appréciables qui, au terme d'une étude empirique, sont égales au tiers du nombre mesurant le pouvoir d'achat du franc. C'est pourquoi, à la théorie de la parité des pouvoirs d'achat, « approximation utile mais très grossière des phénomènes ,,10, doit être' substituée la théorie des points de marchandises l l Il faut remarquer que celle-ci, à l'instar de l'équation des échanges, n'est qu'un cadre à l'intérieur duquel les phénomènes viennent obligatoirement se placer, mais qui n'implique en elle-même aucune relation causale. Les analyses précédentes permettent à Rueff de montrer que la disparité des pouvoirs d'achat constitue un mécanisme qui assure . l'équilibre des balances des paiements l1 , tant en régime de cir-
10. Idem; Œuvres complètes, p. 350. ll. Rueff appelle ainsi «points de marchandises moyens d'entrée et de sortie" (dans l'exemple des deux pays précités) deux niveaux de prix situés au-dessous et au-dessus du niveau des prix intérieurs et séparés de lui, le premier par l'intervalle que mesure la moyenne arithmétique, pondéré comme la formule de l'indice, du montant des frais maxima de transport, d'assurance et de douane afférents à l'importation en France de tous les articles du marché anglais, le second par le même intervalle, mais relatif cette fois aux frais de transport de France en Angleterre. " 12. Nous avons substitué, sur le conseil de Rueff, l'expression balance des paiements à celle de balance des comptes: • En définissant la balance des
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culation métallique qu'en régime de "cours forcé" (changes flottants). On suppose l'apparition, dans la balance des paiements de la France ~au départ équilibrée), d'un nouvel élément de passif de grandeur limitée et de montant permanent dans le temps, les prix étant supposés stables dans les deux nations considérées (France et Angleterre), avant cet événement. En régime de circulation métallique, ce nouvel élément de passif suscite une demande accrue de livres sterling et donc une hausse du cours de celle-ci contre francs jusqu'au point d'or de sortie; mais à ce niveau il cesse de varier, le déficit de la balance des paiements donnant lieu pour son montant à transfert d'or de France en Angleterre. Il en résulte une baisse des prix dans la première nation et une hausse dans la seconde; les phénomènes de disparité qui s'ensuivent tendent à rétablir l'équilibre des balances des paiements. Cependant, dans la réalité, l'or transféré en Angleterre proviendra pour sa plus grande part des encaisses métalliques des établissements de crédit. Ceux-ci, dans l'obligation de ne pas laisser diminuer le montant de leurs encaisses relativement au total de leurs engagements, chercheront à réduire le montant de leurs ouvertures de crédit, d'où une hausse du taux d'escompte sur le marché; ils pourront également augmenter leur recours au réescompte de la Banque d'émission. Ainsi, toutes conditions égales, les sorties d'or suscitent la hausse des taux d'escompte dans le pays qu'elles affectent et les entrées d'or le phénomène inverse. Or, l'augmentation des taux d'escompte tend à réduire l'activité des affaires dans le pays où elle se réalise et à y provoquer par cet intermédiaire, et toutes conditions égales, la baisse du niveau des prix. En régime de cours forcé, l'élément de passif qui apparaît dans la balance française tend, comme précédemment, à faire hausser le cours de la livre sterling contre francs. Supposons dans un premier temps que les prix intérieurs en France et en Angleterre ne varient pas; toutes les disparités particulières diminuent donc en valeur comptes comme la différence algébrique entre le montant des dettes immédiatement payables et celui des créances immédiatement exigibles, nous supposions, ce qui est inexact que toute dette payable ou toute créance exigible donnait lieu à un paiement immédiat" (Œuvres complètes, Th. mo, va\. Il, note 2, p.178). Cette opinion est confirmée in De l'aube au crépuscule, 1977, Œuvres complètes, p. 44
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algébrique. Il en résulte une baisse à la fois des achats français en Angleterre et des éléments de passif qu'ils introduisaient dans la balance des paiements française; l'augmentation des achats anglais en France introduit quant à elle des éléments d'actifs dans la balance française. Le cours de la livre sterling continuera ainsi d'augmenter jusqu'au point où la balance des paiements de la France sera de nouveau en équilibre. En réalité, à cause du développement des courants d'échanges, les «prix particuliers» augmentent en France et diminuent en Angleterre; ces variations de prix provoqueront une légère accentuation de toutes les disparités particulières: il s'ensuit une réduction des éléments d'actifs et un accroissement du passif, donc l'apparition d'un nouveau déficit de la balance française des paiements, mais sensiblement plus réduit que le précédent. Les mouvements de change et de prix qui en résultent vont se trouver de plus en plus réduits jusqu'au moment où, compte tenu du niveau des prix effectivement réalisé, le cours des changes sera tel que la balance des paiements de la France sera de nouveau équilibrée. Ainsi, quel que soit le système de change, les phénomènes de disparité auront pour effet d'assurer l'équilibre des balances des paiements et de le restaurer quand il aura été accidentellement troublé. Si l'analyse est étendue à plusieurs pays, les conclusions précédentes ne sont pas modifiées. L'interdépendance du cours des devises est mise en évidence, interdépendance qui souvent admise comme inévitable depuis la Première Guerre mondiale, ne recevait pas jusqu'alors d'explication satisfaisante. Rigoureuse, la présentation de Rueff est de surcroît originale car ses conclusions, quoique dégagées quelques années plus tôt par G. Cassep3, ne furent pas, semble-t-il, connues de Rueff avant sa rédaction de la Théorie des phénomènes monétaires. Mais ces thèses n'en sont pas moins critiquables sous plusieurs aspects: les indices de prix établis dans les différents pays sont-ils comparables? Chaque nation a sa spécificité statistique de construction des indices. Par ailleurs, si la comparaison est possible pour certains produits (ex: matières premières), les biens économiques sont la plupart du temps de qualité différente, fait sur lequel Mises a eu le mérite d'insister. Plus générale13. G. Cassel, Money and foreign e.xchange, op. cit.
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ment, la théorie de la parité des pouvoirs d'achat n'est valide que si, en longue période, les prix des biens et des services domestiques varient parallèlement aux prix des biens "internationaux,,; elle est donc surtout vérifiable s'agissant d'un "pouvoir d'achat particulier" mais beaucoup moins s'agissant d'un pouvoir d'achat global. Au total, il est très difficile de la démontrer ou de la réfuter d'un point de vue empirique. Plus encore, si l'on s'appuie sur l'analyse historique de Rueff, on constate qu'après la dévaluation de la livre sterling en 1931, le change a été dans le sillage de cette devise dominante avant d'influencer les prix intérieurs. En d'autres termes, après la Première Guerre mondiale, ces derniers ont suivi le change plus qu'ils ne l'ont commandé 1 Enfin, la théorie omet des facteurs importants dans la détermination des niveaux des parités (investissement a ong terme, transferts d'intérêt et de dividendes, mouvements de capitaux à court terme). En ne prenant pas assez en compte les éléments psychologiques de change, elle confère ainsi à ce mécanisme un fonctionnement trop automatique. Mais dans L'ordre social, Rueff relie les conclusions précédentes à la théorie des droits de propriété. Il appelle" balance des comptes d'un marché en une certaine période la différence entre le volume, évalué en unités monétaires, des droits remplis et vidés de richesses non monétaires, sur ce marché, pendant la période considérée ,,14. Dans l'égalité D = 0 + ~Ee - ~Ed, la "balance globale des comptes" est définie par le membre de gauche de cette relation. Est ainsi unifiée l'analyse des échanges intérieurs et internationaux: Rueff précise que les mouvements de change - à l'instar des variations de prix spécialisent les économies nationales dans les productions donnant à l'ensemble de l'appareil productif le rendement maximum. En définitive, la présentation de 1927 complétée en 1945 est tout à fait comparable à l'approche monétaire moderne de la balance des paiements développée notamment par R. Mundell, ]. Frenkel et H. Johnson: tout déséquilibre entre l'offre et la demande nationale d'encaisses monétaires est très rapidement résorbé par une entrée nette de capitaux (excès de demande de monnaie) ou une sortie nette de capitaux (excès d'offre de monnaie). 14. L'ordre social (1945), XXI, 2; Œuvres complètes, p.298.
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Ces auteurs ont ainsi montré que, sauf en ce qui concerne des phénomènes de court terme, les taux de change n'ont aucun effet réel; ils n'affectent pas la structure de la balance des paiements ou la répartition des revenus. C'est pourquoi la dévaluation ou la dépréciation d'une monnaie ne procurent aucun avantage de compétitivité durable à la nation qui y a procédé. Autre conclusion très importante: c'est donc une erreur de considérer qu'il existe des "problèmes de balances des paiements", auxquels il faudrait remédier par des politi· ques d'équilibre extérieur. La balance des paiements n'est au contraire qu'un" bilan", dont les soi-disant déséquilibres ne font que traduire ceux de l'économie. L'appréhension macroéconomique des phénomènes est par là-même rejetée car, ce qui est essentiel, c'est l'interdépendance des actes innombrables de millions d'individus. Or, on a souvent prétendu que le problème dit des transferts constituait une exception aux principes précédemment énoncés.
II -
UNE ILLUSTRATION CONTEMPORAINE: LE PROBLÈME DES RÉPARATIONS ALLEMANDES
La question du remboursement de la dette des pays en voie de développement ou celle du caratère inflationniste ou non du prélèvement pétrolier, soulèvent l'important problème du transfert des capitaux entre nations et de leurs répercussions. Les auteurs étudiés - mais Rueff au premier chef - ont eu l'occasion de théoriser cette question à l'occasion du problème des réparations allemandes, au lendemain de la Première Guerre mondiale. En effet, si les "Classiques" ne s'étaient guère préoccupés des modalités propres aux transferts de capitaux, les économistes du XX" siècle n'ont pu s'en désintéresser, le versement de l'indemnité de guerre après 1918 leur en faisant obligation. La France avait pourtant déjà fait deux fois l'expérience de cette question au cours du XIX" siècle, en 1815 puis après le conflit de 1870. Outre le paiement des réparations imposées à l'Allemagne par le Traité de Versailles, il s'agissait également, au lendemain de la Première Guerre mondiale, d'assurer le remboursement simultané aux Etats-Unis des dettes interalliées. Dans les deux cas, il était nécessaire de prévoir les modalités et les conséquences de ces paiements considérables.
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Parmi les nombreuses opinions avancées, J. M. Keynes l ' estimait que l'Allemagne, ayant perdu dans la guerre la quasi totalité de ses avoirs étrangers et de son encaisse or, étant par ailleurs incapable de contractel'des emprunts à l'étranger tant que sa monnaie restait instable, ne pouvait donc s'acquitter de ses dettes qu'en nature. Or la plupart des produits susceptibles d'être exportés par l'Allemagne faisant concurrence à ceux des pays créanciers, cette nation devait les offrir à des prix nécessairement très bas, d'où une réduction des salaires allemands, tant nominaux que réels, à un niveau presqu'intolérable. Les réparations ne pouvaient en conséquence excéder un chiffre modeste, idée qui triompha dans le "plan Dawes ", en 1924. Sa mise en application démentit cependant les prévisions de Keynes: au lieu des exportations allemandes escomptées, on assista à un énorme accroissement de ses importations, car le rétablissement de sa stabilité monétaire reconstituait le crédit de cette nation et attirait vers elle les capitaux étrangers. Aussi une controverse éclata en 1929, déclenchée par un article de J. M. Keynes l " relatif au plan Young, destiné à remplacer le plan Dawes en 1930. B. Ohlin 17 répondit à l'économiste de Cambridge qu'il fallait abandonner la conception du troc attachée à sa théorie et considérer les déplacements de pouvoir d'achat représentés par l'imposition d'une indemnité de guerre: les pays créanciers se trouvent ainsi disposer d'un pouvoir d'achat accru du montant de l'indemnité, alors que celui du débiteur est diminué du même montant. A lui seul, ce déplacement assure, ipso facto, un débouché supplémentaire aux marchandises du pays débiteur sans que l'Allemagne soit obligée pour cela de baisser ses prix et sans qu'il en résulte de troubles pour les taux de change. Le problème est donc plutôt de savoir si les pays créanciers accepteront la concurrence suscitée par ces marchandises étrangères. Lors de l'assemblée de la Société des nations, tenue à Genève, à la fin de l'été 1929, J. M. Keynes et J. Rueff furent invités à exposer 15. Cf. Les conséquences économiques de la paix, trad., Paris, Nouvelle revue française, 1920, p. 153. 16. ]. M. Keynes, The german transfer problem, Economie journal, n° 39, Londres, Royal Economie Society, mars 1929, p. 1-17. 17. B. Ohlin, The reparation problern, a discussion: transfer difficulties, real and imagined, Economicjoumal, op. cit, n° 39, juin 1929, p. 172-178 et]. M. Keynes, The reparation problem : a reJOinder, idem, p. 179-182.
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leurs points de vue. Pour l'économiste français l8 , si le gouvernement allemand prélève par l'impôt la somme nécessaire au paiement de l'indemnité, le problème des transferts se résoud de lui-même, sans qu'il soit besoin d'imaginer une baisse supplémentaire des salaires allemands; en effet le gouvernement de ce pays, en recherchant des devises étrangères à hauteur du montant de l'indemnité, fera monter le cours de ces devises jusqu'au point où le prix des marchandises allemandes en monnaie étangère aura suffisamment baissé pour attirer la demande extérieure. Or les importations qui en résulteront correspondront ainsi exactement à la quantité de marchandises soustraites par l'impôt à la consommation allemande. En effet, l'impôt aura pour conséquence de réduire les ressources de la population du pays débiteur et cette réduction de pouvoir d'achat sera exactement égale à l'accroissement des ressources de la population du pays créancier. C'est le principe de la conservation du pouvoir d'achat, dont l'énoncé - inspiré de Lavoisier! - est le suivant; «au cours des diverses transformations économiques, le pouvoir d'achat ne se perd ou ne se crée mais se conserve toujours égal à lui-même. Dans le cas présent, il signifie que la population de l'Etat débiteur n'aurait pas à subir un prélèvement de pouvoir d'achat supérieur au montant de sa dette ,19. Cette idée, qui n'est pas sans similitude avec la présentation misienne, n'est cependant pas développée alors qu'elle est utilisée par l'approche monétaire récente de la balance des paiements pour analyser le mécanisme d'équilibre des paiements de transfert. Keynes pensait que les échanges de marchandises sont commandés par la structure économique des nations et ne peuvent donc s'adapter que difficilement aux courants de capitaux. Mais Rueff affirme que .l'élasticité des courants commerciaux a été au contraire maintes fois démontrée par l'expérience (ex; balance française des paiements, en 1919) et que la balance commerciale s'adapte aux nécessités de la balance des paiements; «ce sont les transferts effectifs qui font, à
18.]. Rueff, Les d'économie politique, 19. Les idées de in Œuvres complètes,
idées de M. Keynes sur le problème des transferts, Revue op. cil., n" 42, juin-juillet 1929, p. 1067-1081. M. Keynes sur le problème des transferts, op. cit. Reproduit Th. ma., vol. II, p. 204.
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chaque instant, les possibilités de transfert ,,20. La seule question pertinente est de savoir jusqu'à quel point l'Allemagne peut élever le montant de ses prélèvements fiscaux. Le problème se déplace donc sur le terrain budgétaire. C'est pourquoi dans L'ordre social, la question des transferts est qualifiée de "pseudo-problème". La divergence entre Rueff et Keynes est, de l'avis de l'économiste français, parfaitement exprimée par Keynes lui-même: ce dernier estime que ceux qui croient à l'inexistence d'un problème" appliquent la théorie des liquides à ce qui est une matière sinon solide, du moins pâteuse, avec de fortes résistances internes ,,21 Pour Rueff au contraire, "fluidité de la matière économique, sensibilité des phénomènes qui s'y déroulent, ce sont pour nous deux constatations essentielles, qui dépassent infiniment, quant à leur portée, le problème des transferts ,,22 Sa solution renvoie ainsi à la conception même de l'économie: libérale ou organisée. Néanmoins, Rueff semble faire un pas en direction de Keynes lorqu'en 1932, il écrit que la matière économique, jadis malléable, est devenue pâteuse ,,23. Mais Keynes fait à son tour une concession à la pensée économique classique en reconnaissant que celle-ci a mis en évidence certaines vérités universelles et de la plus haute importance 24 .
III -
LA CONFIRMATION DU CARACTÈRE RÉGULATEUR DU MÉCANISME DES PRIX
Chez Mises et Rueff, les échanges internationaux se présentent donc comme une simple illustration du mécanisme des prix. Les divergences méthodologiques entre les auteurs n'en disparaissent pas 20. Une erreur économique: l'organisation des transfe1ts; 1928; in Œuvres complètes, Th. mo., vol. II, p. 196. 21. The german transfer problem. Economie Journal, op. cit., mars 1929, p.6 (trad. Rueff). 22. Les idées de M. Keynes .... op. cil.; Œuvres complètes, p. 214. 23. Défense et illustration de l·étalon-or. 1932. in Œuvres complètes, Pol. Eco., vol. II. p. 123. 24. The balance of payments of the United States. Economie Journal. op. cif., juin 1946
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pour autant, l'analyse des Autrichiens étant toujours menée en termes de prix relatifs et celle de Rueff en termes de "niveaux" et de " moyennes ". Mais au-delà de ces remarques générales, Rueff paraît plus confiant que Mises dans le caractère autorégulateur du mécanisme des prix; il estime ainsi - ce qui pourra sembler étonnant - que le droit de douane ne constitue pas un obstacle au libre jeu de ce mécanisme". Surtout, quel que soit le régime monétaire considéré (" circulation métallique" ou "cours forcé "), l'équilibre de la balance des paiements ne peut pas ne pas être assuré ou rétabli en cas de perturbations, alors que ces dernières caractérisent au contraire le "système de monnaies mixtes" et plus encore le régime des changes flottants dans l'analyse hayekienne. C'est ici en effet que les divergences méthodologiques entre les deux auteurs se révèlent pleinement. Les échanges intérieurs et internationaux font-ils cependant l'objet d'un traitement identique 1 Mises met davantage l'accent sur la demande de monnaie dans les relations internationales qu'au niveau interne; la spécialisation des facultés de production impliquée par l'échange est surtout développée par Rueff lorsqu'il raisonne en économie ouverte; il expose alors un mécanisme proche de la loi ricardienne des avantages comparatifs. Au vrai, la similitude recherchée par les auteurs entre échanges intérieurs et internationaux a peut-être une portée limitée, le refus de prendre en compte dans l'analyse l'influence des politiques nationales, du protectionnisme, des rigidités économiques de toutes sortes, conduisant à évacuer les principaux problèmes. A juste titre, J. Viner a affirmé que par les hypothèses de départ qu'elle postule, la théorie "classique" de l'échange paraît inadaptée à un traitement international'6. Toutefois, Mises, Rueff et Hayek ont eu le mérite de ne pas tenir pour négligeables les coûts de transport; il ne se sont pas confinés au seul cadre de l'étalon-or et, s'agissant des Autrichiens, la maximisation recherchée du revenu global n'est pas exempte d'une prise en compte de sa répartition. La confirmation " spatiale" du caractère régulateur des prix est-elle aussi temporelle ï En d'autres termes, l'analyse du rôle de la monnaie sur l'activité doit prendre en considération la possibilité du crédit. 25. L'ordre social, op. cif, XXII. 26. ]. Viner, International [fade theory and its present-day relevance, Economies and public poUcy, 1951, p. 100 et s.
5 Effets pervers du rôle de prêteur des banques Wicksell's work was like a mountain from whose jlanks diuergent streams 11 Mises n'apporte pas de réponse sur ce point Les analyses de son disciple vont souvent s'avérer ici plus rigoureuses.
b / Les approfondissements Dès 1929, Hayek met l'accent sur le processus dit de l'épargne forcée. Ce phénomène, déjà signalé plus d'un siècle auparavant par Bentham, Thornton et Malthus, consiste en un accroissement du capital aux dépens de la consommation: l'augmentation du volume des prêts bancaires en période d'expansion est consacrée à la production des biens d'investissement; de ce fait, les biens de consommation étant en quantité insuffisante, il en résulte une abstinence involontaire des consommateurs, contraints d'épargner malgré eux. On est certes loin des analyses de Rueff, mais l'épargne forcée s'analyse tout à fait comme la création de faux droits! Hayek va se proposer de montrer que l'épargne forcée libère des capitaux permettant la mise en œuvre de nouveaux investissements. Toutefois, l'offre de capital étant insuffisante à la réalisation de tous les processus nouvellement entrepris, le capital nécessaire à cette fin sera détourné de la maintenance des entreprises existantes; certaines d'entre elles devront ainsi arrêter leur production. La description de ces mécanismes est entreprise en 1931 dans Prix et production: "l'argument fondamental développé dans ce livre est que l'expansion du crédit conduit à une affectation erronée des facteurs de production, du travail en particulier, en les dirigeant dans des emplois qui cessent d'étre rentables dès que l'inflation cesse de s'accélérer ,,7. Se situant dans un cadre statique, Hayek part d'une situation d'équilibre correspondant au plein emploi des ressources (l'existence de ressources inutilisées étant inexplicable dans une analyse statique).
7. Avant-propos à l'édition française de 1975, Paris, Calmann Lévy, p. 57. Les développements suivants qui pourront sembler ardus aux non spécialistes, ne sont cependant pas indispensables à la compréhension de ce chapitre.
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Dès lors, l'hypothèse de conditions stationnaires s'impose d'elle-même, hypothèses de départ qui ne seront pas sans conséquences ... L'économiste autrichien aborde des cas très simples, pour progresser, au fil des quatre conférences de Prix et production, vers des situations de plus en plus réalistes. Si l'exposé de 1931 est présenté en termes de structure de production selon une formulation proche des triangles de Jevons", cette représentation n'est toutefois pas indispensable à la compréhension de l'analyse hayekienne. Il importe en revanche de préciser la théorie du capital de l'économiste autrichien: les produits intermédiaires sont les biens de production qui ne sont pas moyens originels de production (i.e. terre et travail) mais qui se situent entre ces derniers et les biens de consommation; la proportion de ces produits intermédiaires employés dans un processus de production croit avec la longueur du détour - de production - qui devient alors plus « capitalistique ». On en déduit deux conséquences: la quantité de monnaie dépensée en biens de production durant une période quelconque peut être bien supérieure au montant consacré à l'achat de biens de consommation pendant la même période, puisque la plupart des biens sont échangés plusieurs fois contre la monnaie avant d'être vendus au consommateur, et en moyenne, un nombre de fois égal au rapport entre le montant dépensé en biens de production et le montant dépensé en biens de consommation; la rentabilité d'un investissement dépend d'une part du niveau des prix des produits obtenus au stade où il est entrepris, d'autre part des prix payés pour les moyens originels de production et pour les produits intermédiaires du stade précédent. La mise en œuvre de processus de production plus·capitalistiques peut s'opérer de deux manières mais qui aboutissent à des résultats radicalement différents: une augmentation de l'épargne volontaire suscite une baisse des prix des biens de consommation, moins demandés, mais un accroissement de la demande des biens de production, donc une hausse de leurs prix; pourtant, cette dernière n'est pas homogène, car la baisse des prix des biens de consommation tend à réduire les marges bénéficiaires des derniers stades de produc8. W. S. Jevons, Theory ofpolitical economy. Mais K. WickseIJ y recourt également in Vorlesungen ... , vol. I.
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tion, c'est-à-dire ceux les plus proches des biens de consommation. La structure des marges et le faible niveau du taux d'intérêt permis par une épargne abondante favorisent les processus de production utilisant .beaucoup de capital; la longueur de ces processus s'accroît. Le taux d'intérêt constitue ainsi un guide efficace aux décisions des entrepreneurs. Le supplément d'épargne volontaire étant prêté aux producteurs escomptant les profits les plus élevés, toute production pour laquelle ces fonds supplémentaires s'avéreraient insuffisants sera donc exclue. En clair, l'épargne volontaire n'engendre pas d'investissements erronés. Tel n'est pas le cas des perturbations occasionnées par une expansion du crédit à la production: la baisse du taux d'intérêt, nécessaire pour que cette offre de prêts rencontre une demande, favorise les méthodes de production utilisant beaucoup de capital. Mais à l'inverse du cas précédent, ces processus plus détournés peuvent être mis en œuvre sans une réduction préalable de la consommation. Or les produits intermédiaires se déplaçant vers les processus les plus rentables, leur rareté dans les derniers stades va bientôt susciter une diminution de la production des biens de consommation: la société doit faire face à une réduction involontaire de sa consommation; c'est l'épargne forcée. Mais les salaires ayant augmenté par suite des investissements nouveaux, la demande va continuer à s'exercer avec la même force sur les biens de consommation, poussant les prix de ceux-ci à la hausse et offrant par là-même des perspectives de profit aux entrepreneurs, disposés à emprunter plus cher! Ce processus se poursuivra jusqu'au moment où la spirale inflationniste des prix et le danger d'un effrondrement du système monétaire mettront finalement un terme à l'expansion: à ce stade, l'augmentation absolue de la quantité de monnaie est consacrée à l'achat des biens de consommation. Son effet est équivalent à une augmentation des crédits à la consommation: la hausse du prix de ces biens améliore les marges des stades de production antérieurs et rend par conséquent les processus plus longs non profitables, d'où un brusque arrêt du travail à ces stades. Les processus plus courts n'absorbant que graduellement les biens et le capital humain employés précédemment dans les stades antérieurs, cette transition se traduit en général par une crise. Ces développements techniques débouchent sur des conclusions
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importantes: ainsi, l'existence de capacités oisives, loin d'être la preuve d'un excès de capital et d'une insuffisance de la consommation est au contraire le symptôme de notre incapacité à utiliser pleinement les équipements existants: la demande courante de biens de consommation est trop pressante pour permettre d'investir des services productifs dans des processus plus longs pour lesquels on dispose cependant de l'équipement durable nécessaire. Par ailleurs, afin de ne pas perturber la production, tout accroissement de la consommation doit avoir comme préalable une épargne additionnelle. En effet, le déséquilibre suscité par la variation de l'épargne volontaire est résorbé par les mécanismes autorégulateurs du marché, c'est-à-dire par le jeu des prix; l'augmentation de l'épargne volontaire est même favorable aux consommateurs puisque les prix des biens de consommation auront finalement diminué par rapport à leur état antérieur et que le revenu réel des ménages aura augmenté. Dans ce processus, la monnaie n'a joué aucun rôle, sa quantité n'ayant d'ailleurs pas varié: il n'y a pas de création monétaire; les banques sont de purs intermédiaires financiers, la monnaie de crédit n'existe pas. L'investissement est donc obligatoirement financé par une épargne réelle qui détermine le montant de l'investissement; on dirait aujourd'hui que l'égalité ex ante de l'investissement et de l'épargne est nécessairement garantie. En revanche, le déséquilibre que provoque un investissement financé par la monnaie de crédit, c'est-à-dire sans épargne préalable, modifie la structure de production en engendrant de «faux investissements,,; ce déséquilibre est résolu par la crise (inflation cumulative, dévaluation du capital et chômage). La crise constitue aussi, en quelque sorte, la sanction du déséquilibre: par elle, les conditions réelles imposent de nouveau leur contrainte sur le processus de production. A la fois sanction et amorce d'un processus d'assainissement, la crise fait office de régulation. En 1931, l'explication de la dépression et de la reprise est négligée par Hayek; cette analyse plus complète du cycle est entreprise en 1939 dans Profits, interest and investment, ouvrage malheureusement éludé par les commentateurs économiques. Toutefois, il faut bien reconnaître que le souci scrupuleux du détail qui caractérise l'analyse de 1939 rend parfois cette dernière difficile à suivre; de surcroît, les résultats essentiels dégagés en 1931 n'y sont pas remis en cause. Enfin,
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l'accent est porté davantage sur le déroulement du cycle que sur ses causes monétaires. Mais les conditions de départ se veulent plus réalistes lorsqu'elles abandonnent l'hypothèse de l'emploi intégral des facteurs de production: comment en effet l'expansion peut-elle avoir lieu si les capacités de production sont toutes utilisées? Menée dans le court terme, l'analyse exclut par ailleurs la mobilité du travail et du capital et la variation des salaires, mais fait une large place aux anticipations des entrepreneurs. Surtout, le rôle qui en 1931 était assigné aux variations du taux d'intérêt est maintenant assuré par les mouvements du taux de profit (Hayek ayant montré que les décisions des entrepreneurs sont déterminées plus par celui-ci que par le taux d'intérêt monétaire). Les thèses avancées dans Prix et production et Profits, interest and investment ont suscité des controverses nourries dans les années trente. Certaines d'entre elles restent aujourd'hui d'actualité en ce qu'elles touchent aux fondements de l'analyse monétaire et plus largement économique. Est-il déjà si sûr que l'épargne volontaire n'a aucun rôle perturbateur? Hansen et Tout ont montré à juste titre que la transition d'un important programme d'investissements vers leur simple remplacement peut se traduire par une réduction massive de pouvoir d'achat qui provoquera, de manière quasi certaine en l'absence de forces stabilisatrices, une dépression 9 Il faut toutefois reconnaître que Hayek n'exclut pas les difficultés d'ajustement temporaires, mais il rejette tout déséquilibre général suscité par ces causes réelles. Certes, il appréhende les conséquences d'une variation de l'épargne volontaire dans un univers sans monnaie. Néanmoins, comme le fait remarquer Piero Sraffa 1o , dans un tel univers, il n'y a pas un taux d'équilibre de l'intérêt mais une pléiade de taux; s'il existe un taux naturel, ce ne peut donc être qu'une moyenne pondérée de ces différents taux; or cette approche en termes de moyennes reste évidemment incompatible avec l'approche hayekienne.
9 A. H. Hansen, H. Tout, Investment and saving in business cycle theory, Eeonometriea, n" 1, Chicago, Econometrie society, avril 1933, p.138-140. 10. P. Sraffa, Doctor Hayek on money and capital, Economie journal, Londres, Royal Economie Sociery, mars 1932, p.44-45.
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LA MONNAIE PERTURBATRICE
La prise en compte de la monnaie dans le système ne supprime pas toute difficulté, loin s'en faut: l'étude de son influence sur les prix relatifs est jugée par Sraffa excellente dans son principe, mais à condition que la monnaie ne soit pas considérée comme un bien parmi d'autres. Or, outre qu'il rejette toute notion de niveau des prix, Hayek néglige également le concept de valeur de la monnaie; il lui est donc facile d'affirmer que si la quantité de monnaie reste constante, après une augmentation de l'épargne, un nouvel équilibre de la production et des prix relatifs s'établit aussi parfaitement que si la monnaie n'existait pas. La monnaie est ainsi considérée comme un simple moyen d'échange et Hayek ne tient compte ni des dettes, ni des contrats passés. Mais le jugement de Sraffa est à son tour trop tranché puisque Hayek ne rejette que la valeur de la monnaie entendue comme l'inverse du niveau des prix. D'autre part, Sraffa paraît oublier que la méthode adoptée par Hayek consiste à étudier les phénomènes économiques dans un univers de monnaie neutre avant de les transposer dans le cadre monétaire. Telle est d'ailleurs la réponse de Hayek ll : le système économique possède une tendance inhérente à l'équilibre à condition de négliger les facteurs monétaires; c'est pourquoi il fallait montrer que ces derniers engendrent des déséquilibres, irréalisables en leur absence. Mais la démarche hayekienne ne risque-t-elle pas de se révéler dichotomique lorsqu'elle superpose la monnaie à une économie caractérisée par sa neutralité? Hayek n'échappe pas complètement à cet écueil. Surtout, insister comme le fait l'économiste viennois, sur la décomposition temporelle de la production, sans faire allusion à la division instantanée du travail, n'équivaut-il pas à assimiler le progrès économique à un allongement du détour de production? Or une division plus intensive du travail ne signifie pas nécessairement une période moyenne d'investissement plus longue. C'est la théorie autrichienne du capital qui est ici en question car elle ne prend pas en compt~ l'hypothèse de rendements d'échelle croissants. Certes Hayek se place dans un cadre statique, même si celui-ci est élargi à l'ét.ude des mouvements conjoncturels; mais, en courte période, il est peu probable que la structure de production puisse se déformer 11. F. A. Hayek, Money and capital: a reply, Economie journal, op. cit., juin 1932, p. 237.
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verticalement. Chose plus gênante, après avoir envisagé l'" innovation" comme l'une des causes premières des fluctuations cycliques, Hayek est conduit à en abandonner la prise en compte: la théorie des cycles promettait d'être dynamique; elle se confine en définitive dans cette explication statique. Celle-ci intègre une donnée temporelle, grâce à l'étude du détour de production, mais tant que jouent les forces du marché, la "trajectoire" de l'économie est prédéterminée, l'incertitude négligée et l'analyse de la structure de production contient en elle les germes de l'état stationnaire. On concèdera à l'économiste autrichien le fait qu'une étude dynamique des cycles pose certainement des difficultés insurmontables. Ainsi par exemple, en intégrant les" entrepreneurs innovateurs" dans son analyse des cycles, l'explication de Schumpeter se révèle peut-être plus descriptive qu'analytique. Aujourd'hui, sous l'éclairage des théories keynesiennes, la littérature économique 12 reconnaît à Hayek le mérite d'avoir introduit dans le système économique une double dimension temporelle: la première, de nature prospective et également prise en compte par Keynes définit la décision d'investir sur la base d'une anticipation par l'investisseur de la situation à venir; l'autre, de nature" rétroactive ", décrit l'incidence de chaque décision présente sur l'avenir du système économique dans son ensemble. Cette seconde dimension, empruntée à l'analyse autrichienne du capital, est au contraire étrangère à Keynes. L'apanage de la théorie hayekienne est ainsi de montrer qu'une décision prise sur la base d'une anticipation " rétroagit" en ce sens qu'elle transforme la mémoire du système en provoquant un rallongement ou un raccourcissement du circuit de production. On ne saurait, en définitive, faire grief à Hayek d'avoir ignoré les problèmes posés par l'adoption d'un cadre statique car il s'agit moins pour lui d'ériger une théorie autonome des fluctuations économiques que d'élargir le champ de la théorie statique, pour lui permettre de traiter des phénomènes cycliques: l'approfondissement de l'étude des cycles s'efface devant la tentative - prioritaire - d'unifier la théorie économique l3 .
12. Notamment C. Schmidt, préface à j'édition française de 1975 de Prix et production, op. cit, p.11-12. 13 Cf. Price expectations, monetary disturbances and malinvestments, 1933; reproduit in Profits, interest and investment, Londres, Routledge, 1939, p. 135.
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LA MONNAIE PERTURBATRICE
Les explications autrichiennes des cycles peuvent difficilement être comparées aux contributions de Rueff: l'économiste français ne consacre à leur étude que de brefs développements. Il cherche seulement à faire l'" ébauche d'une théorie des mouvements cycliques du niveau général des prix ,,14 A dire vrai, l'objectif qu'il poursuit est étranger aux préoccupations autrichiennes: si Rueff parle de cycles, c'est au sens étroit des mouvements du niveau général des prix et avec pour seule ambition d'étudier l'effet sur l'évolution économique de " résistances et frottements". Le tissu réel du cycle s'en trouve par là-même occulté, les fluctuations de la production n'étant observées que dans un régime de convertibilité monétaire, à travers les variations comparées de la production de "richesses" et de l'extraction d'or. Il n'est donc pas question pour l'économiste français de faire la distinction entre biens de consommation et de production, encore moins de s'intéresser à la structure de cette dernière. Rueff ne procède pas davantage à une étude des salaires et des profits. On ne peut enfin trouver dans l'analyse rueffienne d'étude approfondie des causes du cycle ou des points de retournement. Il est cependant regrettable qu'aucun des trois économistes n'approfondisse la périodicité des cycles: peut-être, note Hayek au détour d'un développement, l'intervalle entre les cycles est-il dû à "quelque loi naturelle "IS. Rueff reste également évasif, parlant seulement de " l'apparence cyclique de l'évolution monétaire, comportant alternances de phases de hausse et de baisse du niveau général des prix ,,16 En revanche, les trois auteurs se rejoignent pour négliger l'importance des désajustements réels. Mais si Rueff considère les mouvements de la production comme des" résistances et frottements ", on ne saurait toutefois souscrire à l'opinion de Hicks pour qui" Hayek ne s'est pas libéré de l'illusion (commune à beaucoup d'économistes même prestigieux), selon laquelle lorsque l'on retire la monnaie, donc lorsque l'on raisonne sur l'économie "en état de troc", tout doit s'adapter
14. L'ordre social (1945), XXVIII, III, 1; Œuvres complètes, p.449. 15 Monetary theory and the trade cycle, op. cit., p. 185. 16. L'ordre social, op. cit.; XXVIII, III, 2, Œuvres complètes, p.458.
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d'une manière ou d'une autre ,,J7. On ne peut en effet souscrire à un tel jugement car les dysfonctionnements réels ne sont pas totalement exclus de l'analyse hayekienne: si la baisse du niveau d'épargne est plus rapide que la capacité du système productif à se transformer, certains investissements seront abandonnés: c'est le seul cas où épargnes volontaire et forcée présentent des similitudes. Surtout, il ne faut pas oublier que les auteurs ne raisonnent pas en "état de troc ". Malheureusement, leur démarche est parfois amibiguë. Rueff entretient notamment la confusion lorsqu'il affirme que l'évidence des conclusions théoriques dans le cadre d'un univers sans monnaie nous renseigne sur la vraie nature des problèmes qui ne cessent d'être clairs que lorsqu'ils sont transposés du plan des réalités économiques sur celui de la logomachie monétaire'"' Ainsi, malheureusement la monnaie? L'examen des politiques monétaires devrait permettre d'apporter une réponse plus précise à cette question. L'analyse théorique des auteurs s'achève donc sur un dilemme: la monnaie est nécessaire, en ce sens que l'économie n'est pas concevable sans elle. Mais la monnaie est par essence perturbatrice : même saine ou vraie, elle n'en est pas moins non neutre. L'économie est intrinsèquement instable car monétaire.
17. J Hicks, Le temps et capital, Paris, Economica, 1975, p.148. 18. L'ordre social, op. cit, VI, 4, Œuvres complètes, p.93.
DEUXIÈME PARTIE
La norme monétaire,' comment neutraliser une monnaie non neutralisable You may feel that my proposai amounts to no less than the abolition of monetary policy, and you would not be quite wrong. ( ..) It seems to me that if we could prevent governments from meddling with money, we could do more good than any government has ever done in this regard. CF. A. Hayek, Choice in currency' a way to stop inflation, 1975.)
En définissant la monnaie comme bonne ou mauvaise ou comme vraie ou fausse, Mises et Rueff émettaient donc un jugement de valeur sur la nature de l'instrument monétaire; la définition adoptée révélait non seulement ce que la monnaie peut être, mais plus encore ce qu'elle doit être. Elle devait logiquement conduire à rechercher les moyens de politique monétaire par lesquels la « validité» de la monnaie peut être obtenue. D'ailleurs, le terme hayekien de neutralité revêt une connotation politique, si l'on considère que la substitution du problème de la neutralité à celui de la stabilité dans la théorie monétaire privilégie l'aspect de politique économique aux dépens de l'aspect théorique' . Il faut souligner l'importance quantitative des développements accordés par les auteurs aux questions de politique monétaire. Ainsi, la quatrième partie de The theory of money and credit, ajoutée en 1953, s'y intéresse presqu'exclusivement. Chez Hayek, ces questions
1. Cf. en ce sens E. M. Claassen, La neutralité de la monnaie. Quelques aspects théoriques, Cahiers du séminaire d'économétrie, n" 7, Paris, Génin, 1964, p. 114.
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NEUTRALISER UNE MONNAIE NON NEUTRALISAl3LE
constituent le thème central de son ouvrage de 1937" ; même lorsqu'il se sera éloigné de ses préoccupations économiques, Hayek reviendra à la théorie dans les années soixante-dix, poussé par des considérations politiques. Encore faudrait-il faire référence aux nombreux ouvrages de Mises et Hayek relatifs au libéralisme et au socialisme, consacrés indirectement à la politique monétaire. Si Rueff enfin aborde ces questions dans L'ordre social en 1945, la plupart de ses écrits sont émaillés de considérations de politique économique qui prennent, au fil des années, une ampleur croissante dans son œuvre. C'est en augmentant la quantité de monnaie en circulation, estiment Mises, Rueff et Hayek, que les gouvernants peuvent s'octroyer aisément un pouvoir d'achat accru; leur intérêt les conduit, à court terme, à " manipuler" la monnaie. En quoi consiste la politique monétaire? Elle n'est rien d'autre, estime Mises, que la détermination de la valeur d'échange objective de la monnaie. Rueff est cependant plus précis lorsqu'il considère que " le problème central de la politique monétaire apparaît comme celui du maintien à tout instant, de la quantité de monnaie en circulation au niveau du montant global des encaisses désirées" 3. Ces définitions ne sont pas complètement explicites en elles-mêmes car visent à assigner un objectif bien précis à la politique monétaire. A dire vrai, celle-ci est jugée le plus souvent néfaste et le mieux qu'elle puisse faire est de ne l'être pas. Ainsi, alors que les analyses théoriques des auteurs mettaient en évidence leurs divergences, leurs contributions à la politique monétaire opèrent un rapprochement des points de vue: la politique est, à l'égard de la monnaie, plus perturbatrice que salvatrice. La norme monétaire - "neutraliser la monnaie" - ne va-t-elle pas se définir comme la neutralisation de la politique monétaire?
2. Monetary nationalism and international stahility, Genève, Institut universitaire des hautes études internationales, 1937. 3 La régulation monétaire et le prohlème institutionnel de la monnaie, Paris, Sirey, 1953, p. 21.
7 L'inflation: dénonciation des résultats pervers d'une politique There is no subtler means of overtuming the existing basis of society than to debauch the currency. The process engages ail the hidden forces of economic law on the side of destruction, and does it in a manner which not one man in a million is able ta diagnose (J. M. Keynes, The economic consequences of the peace, 1919.)
Défendant un point de vue qui n'a aujourd'hui encore que peu d'adeptes en dehors du cercle "monétariste ", Mises, Rueff et Hayek assimilent l'inflation à une politique et cette politique est le mal fondamental de l'économie. Elle confère aux gouvernements qui y recourent un instrument de pouvoir aussi efficace qu'en sont perverses les conséquences. L'inflation est d'autant plus dangereuse que ses répercussions sont non seulement économiques, mais sociales et politiques: elle touche aux fondements mêmes de la société. Or, ce sont les bienfaits de l'ordre de marché qui ont permis les progrès de la civilisation, rappelle Mises en montrant que le capitalisme a porté le niveau de vie des masses à un niveau qui n'aurait pu être obtenu autrement; d'ailleurs, loin de devoir être défini comme le diktat des entrepreneurs, le capitalisme se caractérise au contraire par le primat du consommateur: celui-ci est un patron égoïste, capricieux, tout autant qu'imprévisible'. Encore s'agit-il de définir l'inflation qui a une signification précise dans l'esprit des auteurs. Pour Mises', elle est la politique monétaire 1. L'action humaine (949), trad. Paris,
l'UF, 1985, X'I, 4. 2. The theory of money and credit (912), trad., Indianapolis, Liberty cJassics, 1980, XIII, 7.
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consistant à accroître la quantité de monnaie (au sens large) au-dessus du niveau de sa demande, si bien qu'il en résulte une baisse de sa valeur d'échange objective. Mais il faut remarquer, concède Mises, que la notion d'" inflation» suscite de nombreuses ambiguïtés: elle est utilisée pour désigner les grands changements du pouvoir d'achat de la monnaie; or quel sens donner à ce qualificatif? Lorsqu'elle est assimilée à une hausse des prix, on confond J'inflation avec ses conséquences. Il n'y a donc plus de terme adéquat pour exprimer ce que l'inflation signifiait jadis. Or il est impossible de combattre une politique qu'on ne peut nommer. Cela a parfois conduit à combattre l'inflation par elle-même! Hayek définit pour sa part l'inflation comme un développement excessif de la quantité de monnaie provoquant normalement une hausse des prîx Ce faisant, en parlant de croissance excessive du stock de monnaie, Hayek ne commet-il pas l'erreur dénoncée par Mises? Mais il ajoute que toute hausse générale des prix n'est pas nécessairement la conséquence de l'inflation; elle doit avoir été suscitée par un accroissement de la quantité de monnaie; par ailleurs, l'inflation peut ne pas s'accompagner d'une hausse des prix si celle-ci a été empêchée par voie autoritaire. Enfin, une inflation réprimée ne mérite pas moins l'appellation d'inflation. Dans une conférence donnée en 1952 au Conseil économique et social, Rueff la définit comme "l'existence d'un pouvoir d'achat qui dépasse la valeur des produits à acheter» ; elle est, en d'autres termes, un excès de la demande globale sur la valeur globale des offres. La définition rueffienne n'est-elle pas à la fois plus large que celle de Mises en ce qu'elle ne se réduit pas à la hausse de la quantité de monnaie et plus imprécise en ce que l'inflation n'est pas présentée nécessairement comme une politique? Mais Rueff répond à cette critique en rappelant que jadis, l'inflation était réputée provenir d'une augmentation de la quantité de monnaie en circulation; or les deux définitions, poursuitil, sont équivalentes: pour que, dans une collectivité, la demande globale l'emporte sur la valeur globale des offres, il faut qu'il existe des déficits non compensés par des excédents de même montant et, pour cela, que les personnes déficitaires trouvent, dans des disponibilités créées de toutes pièces, le supplément de ressources nécessaires j
3. Further considerations on the sa me topic, 1975, reproduit in New Studies ... , Londres, Routledge, 1978, p. 217
L'INFLATION: DÉNONCIATION DES RÉSULTATS PERVERS D'UNE POLITIQUE
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au règlement de la fraction de leur demande qui excède leurs offres. Si l'inflation ne revêt donc pas nécessairement la même caractère intentionnel que chez Mises, elle sera toutefois le plus souvent une politique.
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LA MONNAIE FACILE, INSTRUMENT DE POUVOIR
Les gouvernements ne sont pas intervenus dans l'activité bancaire pour limiter l'émission des instruments fiduciaires et pour empêcher l'expansion du crédit, mais au contraire dans une perspective inflationniste: en permettant aux hommes politiques de soutenir l'activité économique dans le court terme, le leurre de l'argent facile s'est avéré irrésistible, surtout depuis le début du XX" siècle, déplore Mises. L'accent est donc mis d'emblée sur l'inflation budgétaire, celle salariale n'étant étudiée que dans une moindre mesure par les auteurs. Il ne sera enfin pas question de la hausse du coût des matières premières par exemple, toute hausse importante des prix passant nécessairement par une création de monnaie, selon Mises, Rueff et Hayek. Rueff accorde ainsi une attention toute particulière au financement, par les Banques centrales, des déficits budgétaires, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu'à la fin des années cinquante. Le mécanisme en est le suivant: «l'éligibilité à l'escompte des bons du Trésor est une véritable baguette magique qui libère le Trésor public de toute préoccupation financière ,,4. En effet, l'augmentation de la circulation fiduciaire fait apparaître, entre les mains de l'Etat, un pouvoir d'achat qui a été prélevé sur le pouvoir total du stock monétaire existant avant l'émission; ce pouvoir d'achat, l'Etat ne l'a donc pas créé mais l'a seulement déplacé, le prélevant à son bénéfice entre les mains des détenteurs des signes monétaires. Rueff en tire une conclusion qu'il estime fondamentale: en un instant donné, par quelque procédé que ce soit, on ne saurait acheter plus de produits qu'il n'yen a à vendre pendant la même période. C'est donc dans le déficit budgétaire déficit de patrimoine et non simple déficit de caisse - que la plupart 4. Un instrument d'analyse économique: la théorie des vrais et des faux droits, 1967; Œuvres complètes, Th. mo., vol. II, p.85.
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NEUTRALISER UNE MONNAIE NON NEUTRALISABLE
des faux droits attribués prennent leur origine. En bref, «c'est par le déficit que les hommes perdent la liberté ,,5. Or si le déficit budgétaire est la source principale des faux droits, c'est parce que l'Etat jouit d'un statut privilégié. L'analyse se déplace du terrain économique vers celui institutionnel: certes, considère Mises, l'Etat est un agent économique comme les autres en ce qu'il est soumis, à l'instar des individus, à la loi du marché, c'est-à-dire à celle des prix. Cette affirmation n'est pas surprenante, les Autrichiens ayant montré que le marché n'est pas le produit d'un dessein mais de l'action humaine. Pourtant, si les gouvernements ne peuvent altérer les termes de l'échange, ils sont capables de modifier les facteurs qui les déterminent. Selon quel processus? Ici, les développements juridiques de Rueff sont plus explicites que ceux de Mises : la production de services publics, déficitaires en raison de la valeur que le taux des impôts lui assigne, engendre des faux droits à concurrence du déficit. Mais alors qu'en droit privé, les droits des tiers ont priorité sur les droits du titulaire du patrimoine, l'Etat s'est soustrait à l'application de cette règle en rendant insaisissables et inaliénables les actifs qui constituent le domaine public. L'insaisissabilité signifie que l'Etat ne paie que lorsqu'il le consent, l'inaliénabilité qu'il s'est interdit de vendre les biens qui, par leur nature et leur affectation, sont destinés à la satisfaction des besoins collectifs. Si donc l'Etat veut éviter l'apparition de faux droits à son passif, c'est sur le taux de l'impôt qu'il doit agir, en le fixant à un niveau tel que son produit global, en toute période, soit égal à la valeur de remplacement des services publics fournis en cette période. Si, néanmoins, la valeur actuelle des créances fiscales reçues par le Trésor est inférieure à la valeur globale des richesses acquises par l'Etat, les droits d'où ces richesses ont été vidées sont faux dans la mesure où fait défaut dans les actifs du Trésor la valeur nécessaire pour les remplir. Quand leur titulaire voudra obtenir des richesses proprement dites, ils devront être dévalués. Le Trésor, caissier protégé de l'Etat, a cependant les moyens juridiques d'éviter les troubles que cela impliquerait: il recourt à l'emprunt, éventuellement au rationnement, mais surtout à l'éligibilité des fausses créances à
5 L'ordre social (945), XXXVII, 6; Œuvres complètes, p.658
L'INFLATION: DÉNONCIATION DES RÉSULTATS PERVERS D'UNE POLITIQUE
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l'escompte. Ce dernier procédé ne peut opérer qu'en régime d'inconvertibilité monétaire. Généralement, c'est à la Banque d'émission que l'Etat impose l'achat à leur valeur nominale des fausses créances qu'il émet; il fleut ainsi remplir les droits de ses créanciers, qui restent tous vrais droits, nonobstant l'insuffisance des actifs du Trésor. Ainsi seuls les droits inscrits au passif de la Banque d'émission, en fait ceux des détenteurs de monnaie, deviennent de faux droits. Pour dissuader les agents économiques de refuser les paiements contre monnaie, l'Etat va donner cours forcé au signe monétaire, et s'investir par làmême du privilège du déficit permanent. La monnaie devient, selon l'expression de Rueff, «l'égout collecteur des fausses créances indésirées ,,6. Les auteurs étudiés déplorent ainsi la perte d'indépendance des Banques centrales: elles ne sont plus aujourd'hui qu'un instrument de la politique menée par le gouvernement, un organe subordonné du Trésor. C'est pourquoi le privilège d'émission reconnu à la Banque centrale est à l'origine du système hybride de crédit précédemment décrit. Les Autrichiens n'attachent pas la rigueur de Rueff à décrire les mécanismes du déficit budgétaire, mais ils accordent davantage d'importance que l'économiste français à l'évolution historique des pouvoirs de l'Etat en matière monétaire: l'histoire n'est peut-être ainsi que l'histoire de l'emprise des gouvernements sur la monnaie: bénéficiant d'un statut privilégié, l'Etat prétend jouer un rôle d'exception. On pourrait être plus provocant encore, en affirmant que l'Histoire est celle de la monnaie! «Ainsi se rythment les chapitres de l'histoire du monde. A la cadence des fabuleux métaux", affirmera Fernand BraudeF. Keynes lui-même proposera d'expliquer la civilisation de Sumer par l'or d'Arabie et la stagnation médiévale de l'Occident européen par son « maigre avoir" en métaux précieux. Mises et Hayek ne s'essayent pas à ces généralisations; il leur importe davantage de dénoncer le caractère néfaste du monopole de l'Etat en matière monétaire. La question est jugée suffisamment essentielle pour que Hayek y consacre de substantiels développements dans ses ouvrages les plus ré-
6. L 'ordl-e social, op. cil, XXIV, 2; Œuvres complètes, p 385. 7. F. Braudel, Monnaies et civilisation. De l'or du Soudan à l'argent d'Amérique, Annales, Paris, Colin, 1946, p. 22.
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cents: dès l'époque romaine, le monopole monétaire de l'Etat est en place, sans pour autant être justifié, si ce n'est par des raisons mystérieuses. Conférant un pouvoir d'achat accru aux gouvernants, il constitue plus encore un instrument de pouvoir tout court, véhiculé par l'estampille à l'image du Prince, apposée sur les pièces de monnaie. C'est pourquoi, au Moyen Age, on en vint à croire que c'est cette estampille qui conférait à la monnaie sa valeur. L'Etat en a largement profité pour étendre son droit de seigneuriage, en d'autres termes pour augmenter l'écart entre la valeur nominale de la pièce et son coût de fabrication. Cette prérogative gouvernementale prit une ampleur sans précédent avec l'apparition de la monnaie papier. Mais pourquoi le monopole monétaire est-il demeuré incontesté 1 La mystique du pouvoir libératoire en est la cause, qui a donné naissance à l'une des théories monétaires les plus fausses, de l'avis des Autrichiens: le nominalisme. Mises et Hayek ont ainsi abondamment critiqué les thèses de Liefmann, Wagemann, Bendixen et surtout de Knapp qui présentent la monnaie comme une création de l'Etat et une manifestation de son prestige. Cette doctrine, issue des idées relatives à le valor impositus, n'est cependant d'aucun secours, montre Mises, car elle ne fournit aucune indication sur le problème du pouvoir d'achat de la monnaie. En ce sens, elle n'est pas une mauvaise théorie monétaire; elle n'est pas une théorie monétaire du tout. C'est pourquoi la politique monétaire étatiste (taxation des prix, lutte contre la dépréciation de la devise nationale et contre la spéculation) doit être rejetéeS Le pouvoir libératoire, complète Hayek, est seulement un moyen légal de contraindre les individus à accepter, dans leurs rapports contractuels, quelque chose qui n'a jamais été prévu dans les clauses du contrat. La soidisant nécessité du pouvoir libératoire de la monnaie n'a donc pas plus de justification économique que le statut exceptionnel de l'Etat s'agissant de la monnaie. Cette conclusion est d'autant plus importante que les effets pervers de l'inflation ne se limitent pas à la hausse des prix à laquelle elle est si souvent assimilée, mais remettent en question les fondements mêmes de l'économie.
8. L "action humaine, op. cit; XVII, 12.
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L'ANÉANTISSEMENT DE. L'ÉCONOMIE MONÉTAIRE
a / Les déreglements du marché Il est réputé que l'inflation améliore la position des débiteurs aux dépens de celle des créanciers, puisqu'elle allège la charge du remboursement des prêts. Encore l'inflation ne profitera-t-elle à ces emprunteurs que si elle n'est pas anticipée; dans le cas contraire, les prêteurs majoreront le taux d'intérêt afin de compenser leur probable perte en capital. Mises analyse le processus d'une inflation de grande ampleur : si le public escompte des variations importantes du pouvoir d'achat et s'attend ainsi à une hausse - ou à une baisse - des prix de toutes choses, il intensifie - ou ralentit - ses achats; cette attitude nourrit la tendance anticipée. En phase d'inflation, les achats vont donc se développer très rapidement, le public essayant de réduire son encaisse au strict minimum car, dans ces circonstances, le coût de la conservation de l'encaisse liquide s'augmente des pertes subies du fait de la baisse progressive du pouvoir d'achat. Cette baisse s'accomplit plus rapidement que l'accroissement de la quantité de monnaie. Lorsque les masses s'aperçoivent que l'inflation est délibérée et que cette politique continuera indéfiniment, dans un délai très bref (quelques semaines voire quelques jours), ce qui était employé comme monnaie cesse de servir d'instrument d'échange. Les mandats territoriaux français en 1796 et le mark allemand en 1923 en sont des illustrations. "Ce n'est donc pas la façon dont l'argent est dépensé, mais bien la façon dont il est obtenu qui provoque les conséquences que nous appelons inflation" concluait Mises lors d'une conférence donnée en Argentine en 19589 . Ce serait ainsi une erreur de penser que la dépréciation de la monnaie stimule la production. Dans son explication du processus inflationniste, Rueff semble tenir pour accessoire l'influence des anticipations, mais en revanche il met en évidence, mieux que Mises, le rôle de la Banque centrale dans ce mécanisme: au départ, un phénomène de régulation va jouer; une partie des titulaires d'encaisses indésirées demandent davantage 9. Conférence reproduite in Politique économique. Réflexions pour aujourd'hui et pour demain, Institut économique de Paris, 1979, p.62.
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d'effets de commerce, d'où une baisse des taux d'intérêt. L'offre de créances va cependant rapidement dépasser la demande; le taux du marché hors-banque "colle" alors au taux d'escompte et le marché hors-banque disparaît. Si les titulaires d'encaisses indésirées ne souhaitent pas de créances mais préfèrent des richesses proprement dites (marchandises ou services), les cours au comptant s'élèvent. Le caractère désavantageux des ventes à terme provoque le remboursement de tous les effets pour lesquels le débiteur jouit d'une option entre la vente au comptant et la vente à terme; le remboursement d'un effet antérieurement escompté en banque impliquant résorption de monnaie, il atténue donc, à due concurrence, l'inflation. Mais lorsque toutes les créances pour lesquelles les débiteurs jouissent de cette option entre remboursement et renouvellement sont réduites à néant, le mécanisme tendant à résorber les encaisses indésirées devient sans action et le niveau des prix s'élève lO En revanche, Rueff étudie peu l'impact de l'inflation sur la sphère "réelle" de l'économie même si, dans son Rapport sur la situation financière de la France, en 1958, il expose un point de vue très proche des idées autrichiennes: le processus inflationniste, parce qu'il affecte à un rythme inégal les diverses catégories de prix, provoque des distorsions graves et souvent irrémédiables dans la structure de l'appareil productif. Mais à tout le moins, ne peut-on accepter une inflation d'ampleur limitée, voire l'utiliser comme expédient temporaire? Non, estime Hayek", car pour maintenir le niveau d'activité qu'elle a rendu possible par une inflation de faible amplitude, la politique monétaire doit en accélérer la progression et devra le faire à un taux croissant chaque fois qu'est anticipé le taux d'inflation effectif; en effet, si l'inflation cesse brusquement, l'économie se retrouvera dans une position pire que celle occupée au début du processus. Rueff apporte une confirmation de ces résultats au terme d'une étude empirique du montant de la circulation monétaire entre 1915 et 1923, menée dans cinq pays européens ayant fait face au déficit de leur budget par l'émission de papier monnaie: les courbes représentant les variations
10. La régulation monétaire et le problème institutionnel de la monnaie, Paris, Sirey, 1953, IV. Il. Denationalisation of !noney, Londres, IEA, XVII; ajout de 1978.
L'INFLATION: DÉNONCIATION DES RÉSULTATS PERVERS D'UNE POLITIQUE
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du montant nominal de la circulation des billets de banque sont remarquablement similaires et exponentielles. Mais cette conclusion n'est valable que si la vitesse de circulation de la monnaie reste comprise çians ses limites habituelles, que dans la mesure où l'importance des échanges réglés en monnaie ne se trouve pas systématiquement réduite par la généralisation du troc et du paiement en devises étrangères, et tant que l'Etat prétend touver dans l'émission de papier monnaie une quantité de pouvoir d'achat sensiblement constante dans le temps. Les développements hayekiens de 1939 ont toutefois montré qu'il est des situations où il est à tout prix nécessaire de réduire le chômage - ex : l'Allemagne en 1932 -, mais ceci ne constitue qu'une dérogation exceptionnelle: "elle est la " politique du desperado" qui n'a rien à perdre mais tout à gagner d'un sursis "n L'int1ation n'épuise cependant pas ses effets désastreux au seul plan économique: ses conséquences sont également politiques et sociales. Permise par ignorance du public, l'int1ation est donc bel et bien, selon le mot de Mises, une supercherie; elle suscite des cont1its sociaux et n'est même pas légitime en période de cont1it armé: dans cette situation en effet, elle n'ajoute rien à la capacité de résistance d'une nation, ni à ses ressources matérielles et morales: l'int1ation ne peut pas donner plus que ce que l'élan patriotique des citoyens est capable d'apporter. En vérité, un gouvernement recourt à l'int1ation quand il pense que l'action qu'il poursuit ne recevrait pas du peuple les moyens d'aboutir si celui-ci avait connaissance de la politique entreprise. En ce sens, l'int1ation est anti-démocratique. C'est pourquoi elle a si souvent été au selvice de la guerre, de la révolution et du socialisme!'. On pourrait alors penser qu'elle se veut égalitaire, mais c'est exactement l'inverse: la répartition des sacrifices que l'int1ation int1ige est automatique et aveugle, donc indifférente à toute considération de justice sociale ou d'équité. Elle permet d'éluder la responsabilité de la politique monétaire en en faisant porter les conséquences par l'économie tout entière. A l'instar de Mises, Rueff dira qu'" une démocratie int1ationniste n'est qu'une caricature de démocratie ,,1. Mises est plus sévère encore en 1949: ce l. Demain le franc or, L'Information, Paris, 28 mars 1952. 2. The theory of money and credit (1912), trad., Indianapolis, Liberty classics, 1980, XVI, 4.
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que les gouvernements appellent coopération monétaire internationale est en réalité une action concertée pour développer les prêts. Les partisans de cette pseudo coopération ont négligé le problème fondamental de la répartition de la monnaie nouvellement créée entre les nations; celles-ci s'estimant systématiquement défavorisées dans ce partage, il en résultera des conflits qui disloqueront le système tout entier3 . Sans aller jusqu'à échafauder un tel scénario catastrophe, Hayek émet cependant des réserves analogues, en 1937; le projet d'une autorité monétaire internationale est un "rêve utopique ". Rueff avait déjà montré, dans une note inédite rédigée en 1931" que les demandes de coopération monétaire internationale n'ont le plus souvent pour objet que de déplacer les difficultés financières des Etats qui les ont provoquées à ceux qui ont été assez prudents pour s'en préserver. En définitive, les projets préconisant l'instauration d'une autorité monétaire internationale auraient pour objet, inavoué, de permettre une extension accrue du crédit et d'en reporter la responsabilité sur cette seule autorité; ce faisant, les auteurs prennent plus ou moins ouvertement position contre le projet, conçu en 1930 par Keynes, de l'instauration d'une banque supranationale. C'est pourquoi ils portent leurs espoirs sur l'adoption de l'or comme monnaie internationale. Doivent-ils pour autant être présentés comme partisans du retour au système de l'étalon-or traditionnel et taxés, selon l'expression de Keynes, de "mangeurs d'or .. ? Ils s'en défendent vivement. Rueff confessait ainsi, en septembre 1972, devant le Joint Economic Committee; "Je suis considéré comme un défenseur de l'or comme fondement du système monétaire internationel. Permettez-moi de vous dire qu'une telle interprétation de mes conceptions n'est pas la bonne. Je ne suis pas le champion de l'or en tant que tel; je suis le champion de relations internationales ordonnées, qui conduisent à un certain degré de stabilité des prix (. .. ) et d'un certain degré d'équilibre des paiements à l'étranger ,,'. Il juge d'ailleurs sa position personnelle vis-à-vis de l'or comme non orthodoxe... pour cette simple raison qu'il n'y a pas d'orthodoxie en matière monétaire.
3. L'action humaine (1949), trad., Paris, PUF, 1985, XVII, 19. 4. Reproduite in De l'aube au crépuscule, Paris, Plon, 1977, Annexe III. 5. Reproduit in Œuvres complètes, Pol. éco., vol. II, p. 493.
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Encore s'agit~il de savoir ce que l'on entend par" régime d'étalon~ or ", ce système monétaire étant susceptible de revêtir plusieurs acceptions. L'idée que s'en font les auteurs est ainsi radicalement opposée"par exemple à celle qui sera avancée au début des années quatre vingts par les tenants de l'" économie de l'offre" et qui propose en substance d'assurer la discipline de l'étalon or sur le long terme, moyennant cependant une suspension opportune de cette contrainte en certaines circonstances! Il est sûr que cette " clause de suspension opportune" est inconciliable avec le système préconisé par les auteurs.
I
~ L'ÉTALON~OR: UNE INNOVATION?
La notion d'étalon~or, déplore Mises, a une consonance désuète; elle est synonyme, pour nombre d'auteurs, de "retour en arrière ", de " relique barbare" (Keynes). Il est vrai que l'étalon~or, tel qu'il a existé, ne correspondait pas à ce qu'il aurait dû être; mais loin de prétendre retourner à un "âge d'or" mythique, Mises, Rueff et Hayek posent les conditions de l'établissement d'un système plus satisfaisant.
al Un âge d'or mythique Quels sont les avantages réputés de l'étalon~or? Dans les régimes de convertibilité, la valeur de l'unité monétaire est définie par son égalité avec celle d'une quantité déterminée d'une richesse choisie une fois pour toutes. La monnaie a, dans les échanges, la valeur fixée par sa définition car elle est soumise à des forces susceptibles de l'y maintenir, l'unité monétaire étant échangeable sans frais ni restriction d'aucune sorte contre la quantité de richesse qui la définit. Ce mécanisme ne peut être efficace que si l'institution qui a mission d'en assurer le fontionnement dispose des réserves de richesse étalon ou de monnaie nécessaires pour répondre à toutes les demandes de conversion qui lui sont présentées. Ces conditions étant posées, le régime de la circulation métallique se définit par la convertibilité en or des billets de banque émis, l'Institut émetteur ayant l'obligation
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absolue d'en assurer, à vue, le remboursement en pièces métalliques par la liberté de la frappe et de la fonte des pièces d'or et par la liberté sans limite des exportations ou importations de métaux précieux. Ainsi, fait observer Rueff, la Banque d'émission étant tenue par ses statuts, de ne monétiser que des effets représentant des valeurs réelles et de rembourser, en or, sur demande ou à vue, tous les francs qu'elle a créés, le système est sanctionné par une obligation légale et verrouillé par une obligation de fait: la peur de la faillite pour la Banque d'émission, cette crainte s'étendant par contagion à toutes les banques. C'est" la grande vertu du mécanisme de l'étalon~or que d'assurer qu'à tout moment il n'y ait pas d'autre pouvoir d'achat qu'à la mesure des richesses à acheter ,,6. Le système présente également l'avantage, pour~ suit Rueff, de ne pas imposer de limitation aux échanges internationaux, aucun déséquilibre n'étant susceptible d'advenir. En définitive, l'étalon~ or apparaît comme un "monarque absolu, mais éclairé". Il ne détruit pas la liberté des hommes, il l'utilise à ses fins 7 . L'analyse de la régulation monétaire l'avait montré: l'établissement de l'étalon~or n'implique nullement la suppression des formes de monnaie non métallique, fondées sur la monétisation de créances. Exige-t-il la circulation effective des pièces d'or? Pas nécessairement, estime Rueff qui adhère ce faisant à une conception moins stricte que celle de Mises, celui-ci jugeant nécessaire la circulation de l'or aux cotés de la monnaie non métallique. Le XIX" siècle a~t-il correspondu à l'application du système d'étalon-or préconisé par ses partisans? R. Triffin décrit certainement à juste raison ce siècle comme "celui de la monnaie et du développement d'un système monétaire basé sur le crédit et celui de l'euthanasie des mouvements d'or et d'argent plutat que comme le siècle de l'étalon-or "". Les auteurs étudiés n'émettent pas, sur ce point, un jugement différent, Mises insistant déjà sur les insuffisances de l'Act of Peel de 1844 : la Currency School n'ayant pas compris la similitude entre dé pots bancaires et papier monnaie, elle ne légiféra donc pas de la même manière pour ces deux 6. Exposé sur la remise en vigueur d'une monnaie librement convertible en or, 1952, reproduit in Œuvres complètes, Pol. éco., vol. II, p.30. 7. Défense et illustration de l'étalon-or, 1932; idem, p 113. 8. R. Triffin, cité par P. Pascallon in Le système monétaire international, théories et réalités, Paris, éd. de l'Epargne, 1982, p. 35
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types d'instruments d'échange: l'Act of Peel restreignit l'émission de billets de banque, non la création des comptes de dépôts. C'est pourquoi, dans sa conclusion à l'édition de 1924 de The theory of money and credit, Mises reste très pessimiste sur l'évolution du système: celui-ci porte en lui le germe de sa destruction future; le développement des instruments fiduciaires y conduira inexorablement. D'ailleurs, lorsqu'il rédigera L'action humaine, Mises estimera que l'étalon-or n'a échoué que parce que les gouvernants n'ont eu de cesse d'agir en ce sens. Le jugement de Hayek9 est tout aussi accablant: les «politiques de stabilisation» - expression désignant les efforts menés isolément par chaque nation pour stabiliser le niveau des prix - ont contribué à l'effondrement de l'étalon-or. Suite à l'inflation de papier monnaie qui se traduisit en Europe dès 1919 par une hémorragie de l'or au profit des Etats-Unis, le métal fin subit une telle dépréciation que l'Amérique elle-même sentit qu'il ne pouvait plus constituer un fondement pour sa monnaie. On oublia cependant que cette baisse de la valeur de l'or résultait de l'abandon de l'étalon métallique en Europe. Mais Keynes a également contribué indirectement, de l'avis de Hayek, à l'abandon du régime de convertibilité - or : l'économiste de Cambridge affirmait en effet dans son Treatise on monetary reform, en 1923, que les banques américaines du Federal reserve system poursuivaient une politique méthodique tendant à «stériliser» tout l'or qui affluait dans leurs caisses. Elles empêchaient par là-même, selon Keynes, la circulation monétaire américaine d'augmenter proportionnellement à l'afflux d'or. L'Amérique faisait ainsi figure de tonneau des Danaïdes où l'on pouvait verser tout l'or du monde sans exercer la moindre influence sur le niveau des prix de ce pays. Le mécanisme de rééquilibre permis par l'étalon-or était rendu par là-même inefficace. Hayek réfute également l'affirmation selon laquelle, avant 1929, la pénurie d'or a été préjudiciable au progrès économique, puisqu'on assiste à cette époque à une expansion sans précédent du crédit; comment donc les réserves d'or, suffisantes pour permettre de procéder à une telle expansion de crédit, seraient-elles devenues insuffisantes du jour au lendemain? En 9. L'étalon-or et son évolution, 1932, trad., Revue d'économie politique, vol. 76, n" 6, Paris, Larose, 1966.
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réalité, seule l'Angleterre connaissait alors une telle pénurie de métal jaune. L'influence dominante de ce pays en matière monétaire devait porter préjudice au monde entier à partir du moment où sa position devenait défavorable sur le plan international; en effet, estime Hayek, ce sont les nations économiquement fragiles qui cherchent à éliminer l'étalon-or, non les pays forts. A l'instar de Mises, Hayek déplore également la disparition générale de l'or dans la circulation monétaire et sa concentration dans les réserves des banques centrales: tant que l'or circulait et qu'il n'était donc pas nécessaire de le retirer de l'Institut d'émission pour régler les importations, la Banque centrale n'était pas tentée de compenser la sortie de métal par une augmentation des crédits; la réduction de la circulation générait aussitôt une augmentation des taux d'intérêt et par suite, un relèvement du taux d'escompte officiel. Hayek en conclut que toute tentative pour compenser les mouvements d'or par des variations inverses du volume des crédits ne peut que rendre inefficace le mécanisme des mouvements internationaux de capitaux, elle ne peut que détruire l'étalon-or. "Le Hayek de 1932 reste en 1966 d'une brülante actualité", note Rueff cette même année, lorsqu'il préface l'article" L'étalon-or et son évolution". Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que le premier écrit de Rueff relatif à l'étalon-or - " Défense et illustration de l'étalonor" - paraît au même moment que l'article précité de Hayek. A son tour, l'économiste français considère que l'échec de l'étalon-or est imputable aux gouvernants; que si le système monétaire d'Europe occidentale est, en apparence, celui de la convertibilité, il a subi des perversions (notamment le déficit budgétaire) qui l'ont dénaturé. Or, tous les pays qui adultèrent le mécanisme des prix par l'inflation ou par la pratique du gold-exchange standard sont finalement voués à l'isolement économique. Mais ces conclusions n'ont jamais été évoquées par les défenseurs du nationalisme économique. Rueff et les Autrichiens n'ont sans doute pas assez insisté sur le fait que, avant 1914, l'étalon-or était bien davantage un étalon sterling, puisque Londres apparaissait comme le centre financier et commercial du système monétaire international. Mais ils critiquent en revanche vigoureusement le rétablissement, en 1925, de la livre anglaise à la parité or qu'elle possédait avant la guerre: cette mesure nourrit en effet très largement l'animosité de l'opinion publique envers l'étalon-
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or. Aussi Hayek déclarait-il encore récemment 'O que la politique des décennies passées puise sa source dans l'expérience de la Grande Bretagne des années vingt et trente; l'économiste autrichien cite ici Ricardo qui écrivait en 1821 qu'un gouvernement ne doit pas chercher à restaurer une monnaie qui a été dépréciée de 30 % par rapport au pair. (Mais pourtant, en 1925, la livre sterling n'avait perdu que 10 % !) Quoi qu'il en soit, poursuit Hayek, cette mesure mit l'Angleterre dans une situation d'autant plus délicate que les prix intérieurs se trouvaient alors au-dessus de leur niveau international. Pour sauvegarder l'étalonor de façon durable, il aurait ainsi fallu pousser le processus de déflation jusqu'au point où les prix intérieurs anglais aient atteint un niveau comparable à celui du reste du monde. Mais l'Angleterre, influencée par les théories de stabilisation des prix, rejeta ce projet. Contrairement au principe de l'étalon-or, l'hémorragie de métal fin fut en permanence compensée par l'élargissement des crédits. Quand survint la crise de 1931, l'Angleterre abandonna donc l'étalon-or, qui s'en trouva par là-même discrédité.
b / L'étalon-or à quelles conditions? Le gouvernement omnipotent est empreint d'un bel optIffilsme quant au retour à l'étalon-or: • Aucun accord de planisme international n'est nécessaire si un gouvernement veut retourner à l'étalon-or. Toute nation riche ou pauvre, puissante ou faible, peut à tout moment adopter à nouveau l'étalon-or. La seule condition requise est l'abandon d'une politique d'argent facile et des efforts pour combattre les importations par la dévaluation ,,11. Mises tient cependant en 1953 des propos plus nuancés : la création des instruments fiduciaires affectant le marché de la même manière qu'une offre accrue de monnaie, leur développement doit obéir aux mêmes principes. La mise en place du système idéal va être explicitée par Mises à travers l'évolution comparée de deux nations, la Ruritanie et les Etats-Unis - dissemblables tant par leur taille que par leur niveau de vie. Mais quelle que soit l'entité 10. ,Choice in currency: a way ta stop inflation", Londres, IEA, 1975. 11. Mises, trad., Paris, Médicis, 1947, p.354.
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concernée, le schéma reste fondamentalement le même; préalablement à toute réforme, la nation considérée devra réduire son inflation au niveau de celle internationale. Parvenue à ce stade, elle déclarera parité officielle le taux de change qui prévaut alors sur le marché pour sa monnaie. L'émission de nouvelles unités monétaires devra impérativement être couvelte intégralement en or ou en devises étrangères, le marché libre de l'or étant rétabli. La nation est alors en régime de gold-exchange standard, ce qui va lui permettre de restaurer rapidement l'équilibre de sa balance des paiements. Il est essentiel, précise Mises, que les autorités monétaires n'aient aucun pouvoir pour intervenir sur le marché de l'or. Mais le Federal reserve system s'est justement rendu coupable par cette façon d'agir. Mises rappelle que la circulation effective d'or est une nécessité absolue. On peut toutefois s'interroger sur le bien fondé de cette disposition: le processus de dématérialisation de la monnaie, jugé par l'économiste autrichien comme étant favorable au développement des échanges, devrait donc souffrir une exception s'agissant de l'or? Aujourd'hui, en tout cas, le métal jaune est entré dans l'ère des transactions dématérialisées: il prend la forme de simples écritures sur des comptes-métal qui ne nécessitent aucune manipulation physique d'or. Actif financier moderne, il est le support à toute une gamme de produits « papier" (certificats, options, contrats à terme, obligations indexées positivement ou négativement sur le prix de ce métal). Certes Hayek entreprend lui aussi de mettre en évidence les conditions requises pour la réalisation d'un étalon-or pleinement satisfaisant. Mais la question qui revient comme un leitmotiv dans les conférences qu'il donne à Genève en 1937 est davantage la suivante: comment obtenir un système monétaire idéal permettant notamment de limiter l'instabilité inhérente à la structure actuelle du crédit ï La fixité absolue des taux de changes est une nécessité mais ne constitue que le point de départ d'une politique réussie; si elle permet en effet d'éviter les variations soudaines qui surviennent au niveau de la détention d'une monnaie, elle ne résoud pas le problème de l'existence des différents types de monnaie au sein d'une structure nationale. Il est donc nécessaire que les Banques centrales détiennent des réserves d'or suffisamment importantes pour empêcher les contractions et les expansions secondaires suscitées par le transfert d'or d'une nation à
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une autre. Or, en 1937, les nations qui détiennent d'abondantes réserves d'or en profitent pour maintenir des prix artificiellement hauts. C'est donc seulement quand le prix de l'or aura baissé assez pour permettre aux nations d'acquérir des réserves d'or suffisantes qu'un retour général à un étalon-or libre pourra être tenté. Si déjà les nations détenaient une réserve d'or correspondant à un tiers de la circulation monétaire totale, elles auraient une marge d'action amplement suffisante pour permettre la mise en œuvre de l'étalon-or. En l'espace de quelques années, les conceptions de Hayek vont pourtant enregistrer une évolution sensible: dans son article "A commodity reserve currency", paru dans l'Economie journal en 1943, Hayek rappelle que les avantages de l'étalon-or ne sont pas directement issus des propriétés du métal lui-même: tout étalon internationalement accepté, constitué par un " bien" dont la valeur serait régulée par son coüt de production, posséderait les mêmes avantages. Or, actuellement, l'attrait psychologique pour l'or est bien moindre qu'auparavant. Il faudrait donc rechercher un étalon international présentant les avantages de l'or, sans ses défauts; ceux-ci tiennent beaucoup plus à la lenteur avec laquelle l'offre d'or s'ajuste aux variations de la demande qu'à l'irrégularité de sa production. Le paradoxe de l'étalon-or est ainsi le suivant: une augmentation générale du "désir de liquidité" conduit à l'accroissement de production de la chose qui ne peut être pratiquement utilisée qu'à founir des réserves de liquidité au public; de surcroît, son offre ne peut augmenter que très lentement. Si bien que toute augmentation de sa demande agira beaucoup plus sur sa valeur que sur sa quantité, suscitant ainsi une baisse générale des prix. En revanche, il faut renforcer les qualités essentielles de l'étalonor, c'est-à-dire son caractère automatique, la contrainte qu'il exerce sur les systèmes monétaires nationaux et sa relative stabilité. Hayek considère ainsi avec un grand intérêt les propositions avancées à l'époque par Benjamin Graham et Frank D. Graham I2 : celles-ci visent à n'émettre de la monnaie qu'en échange d'une combinaison fixe de certificats (warrants) gagés sur des matières premières; la monnaie émise doit être remboursable dans la même unité de marchandises. 12. B. Graham, Storage and stabilizy, New York, Mc Graw Hill Book Co., 1937 ; F. D. Graham, Social goals and economic institutions, Princeton University press, 1942
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Par ce système, estime Hayek, une augmentation de la demande d'actifs liquides revient à mettre de côté des matières premières. Au contraire, lors du retour à la circulation de la monnaie thésaurisée et la demande de biens augmentant, ces stocks doivent satisfaire la nouvelle demande. Alors que par le passé les mines d'or étaient la seule industrie florissante pendant les périodes de dépression, désormais les producteurs de matières premières connaîtraient, dans une telle situation, une prospérité accrue qui réduirait l'ampleur de la dépression. En reliant l'or au panier de biens considéré, on préserverait à la fois la valeur de l'or et les avantages du système proposé. La proposition hayekienne - qui n'est pas nouvelle puisque Stanley Jevons avait déjà émis, en 1875, l'idée d'un étalon marchandises '3 reprend une certaine actualité puisque, lors de l'assemblée du FMI en octobre 1987, le Secrétaire d'Etat au Trésor de l'époque, James Baker, déclarait les Etats-Unis prêts à envisager l'utilisation, comme indicateur dans le processus de coordination des politiques économiques, de la relation entre les monnaies nationales et un panier de matières premières incluant l'or. Cette proposition restait néanmoins en deçà du projet hayekien car les prix de l'or et des matières premières n'avaient pour vocation que de constituer un indicateur d'inflation. Mais même limité dans son ambition, le projet n'en reste pas moins discutable si l'on admet que l'offre de matières premières est généralement très peu élastique aux prix: ainsi, dans l'industrie pétrolière, la part des coûts fixes est très importante; d'autre part, certains Etats, à qui les matières premières procurent l'essentiel des recettes d'exportation, continuent de produire tant que les ventes couvrent la seule part en devises des coûts de production. La demande elle-même, particulièrement depuis le milieu des années soixante dix, est très peu sensible aux prix à court terme et est dominée par d'importants phénomènes de substitution. En outre, on ne saurait oublier que les matières premières font l'objet de comportements grégaires d'achats ou de ventes de précaution, parfois amplifiés par des opérations spéculatives sur les marchés à terme. C'est également sans compter l'intervention des Etats. 13 L'idée en sera fréquemment reprise, notamment par M. Friedman, en 1953, et lors des CNUCED de 1964 et 1976
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Les propositions de Rueff collent ici davantage à l'actualité que ne le font les projets de réforme autrichiens: dès les années vingt, l'économiste français participe à plusieurs entreprises d'assainissement financier ayant pour objectif le rétablissement de la convertibilité monétaire: en 1926 en France, en tant que chargé de mission au cabinet de R. Poincaré, puis en 1927 en Grèce et en Bulgarie, comme membre d'une mission du Comité financier de la Société des nations. Vers la fin des années cinquante, les conséquences de l'étalon de change-or redeviennent un problème dominant. Au mois de juin 1961, Rueff" montre qu'il est nécessaire de rembourser contre or la plus grande partie des avoirs en dollars accumulés dans l'actif des banques d'émission. Mais la suppression de la duplication de l'édifice de crédit, caractéristique de l'étalon de change-or risque de réduire le volume global des liquidités monétaires à un montant inférieur au minimum nécessaire à l'exécution des règlements quotidiens. Pour y parer, R. Triffin" avait proposé d'attribuer une partie des réserves des Banques centrales au Fonds monétaire international. Toutefois, la nouvelle monnaie de règlement prévue dans ce système ne devait être que partiellement convertible et pouvait, en certaines circonstances, avoir cours forcé. En outre, l'autorité chargée d'émettre cette monnaie se trouvait nantie, du fait de ses facultés d'émission, d'un véritable pouvoir de prélèvement sur l'économie des Etats membres. C'est pourquoi Rueff n'adhère pas à cette solution. Mais les thèses de Rueff relatives à l'or furent mal accueillies, et dénoncées comme anti-américaines car réputées engager l'économie internationale dans une déflation sauvage et amputer largement les revenus américains; l'influence économique des Etats-Unis aurait ainsi pour conséquence de propager la déflation dans le monde entier. C'est pourquoi les propositions de Rueff et du général de Gaulle ne furent guère prises au sérieux, la décision adoptée par ce dernier de faire échanger contre de l'or une partie des dollars obtenus par la Banque de France les agaçant plus que ne les inquiétant; mais pendant la crise des missiles d'octobre 1962, le comportement du général de
14. Un danger pour l'Occident: le go Id exchange standard, Le Monde, 27-29 juin 1961. 1'J. R. Triffin, Gold and the dollar cn'sis, Yale university press. 1960.
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Gaulle vis-à-vis des américains ayant été irréprochable, c'est seulement lorsque le déficit des Etats-Unis s'aggrava que les déclarations françaises furent vraiment difficilement supportables pour les américains. Cela n'empêche pas Rueff d'accorder, en 1965 et 1966, plusieurs entretiens à l'Economist et au Sunday Times'6 et d'intervenir au Conseil économique et social. Il propose d'éliminer les balances dollar et sterling des réserves internationales et de doubler le prix de l'or. Cette solution doit apporter, selon Rueff, la certitude d'un dégel des actifs thésaurisés, d'un retour de toutes les réserves sur les marchés, d'une baisse des taux d'intérêt à long terme et d'une augmentation sensible des possibilités d'investissement, conduisant par là-même à une période d'expansion rapide. Grâce aux gains en capital réalisés sur leurs avoirs en or, du fait de l'augmentation du prix de ce dernier, les Etats-Unis et la Grande Bretagne pourront rembourser leurs dettes à court terme. L'augmentation du prix de l'or n'est cependant pas un objectif en soi pour Rueff mais seulement une mesure destinée à améliorer l'ajustement des balances des paiements. Rueff réitère ses propositions en 1966 mais ne sous-estime pas pour autant les réticences qu'auront les pays occidentaux à adopter de telles mesures: «le principal obstacle résulte de l'opposition de l'opinion publique des Etats-Unis à une hausse du prix de l'or; le seul problème pour l'Occident est donc de convaincre l'opinion des Etats-Unis et d'abord le gouvernement américain .17. Mais en 1971, après l'instauration de 1'« étalon dollar ", le total des dettes à vue des Etats-Unis à l'égard d'institutions officielles étrangères et de porteurs privés ne résidant pas aux Etats-Unis est plus de trois fois supérieur au stock d'or des Etats-Unis; aussi la solution qui consisterait à tripler le prix de l'or devient-elle trop utopique. Il faut en conséquence, propose Rueff, rechercher une consolidation amiable des balances dollar existantes: les Etats créanciers et détenteurs de stocks d'or devraient consentir aux Etats-Unis des prêts à long terrne 'H • Rueff va 16. Cf. notamment • Return to gold? Argument with Jacques Rueff., The Economist, 13 fév. 1965, p. 662-665; • Breaking with the world money deadlock., The Sunday Times, 3 juillet 1966. 17. Le temps de l'action, Le Monde, 27 sept. 1966; Œuvres complètes, Pol. éco., vol. II, p. 236-237. 18. Ils m'appelaient Cassandre, Le Figaro, 18-19 sept. 1971.·
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envisager une solution originale, un "plan Marshall pour les EtatsUnis ,,19: si l'on doublait le prix de l'or - ce qui signifierait seulement que le prix du marché libre est reconnu - la réévaluation dégèlerait, au 31 décembre 1971, 15 milliards sur les 26 du déficit commercial américain; un accord international déciderait que les gains réalisés hors des Etats-Unis - 31 milliards de dollars - prendraient la forme d'un prêt à long terme aux Etats-Unis, sur 20 ou 25 ans, à un taux d'intérêt très faible - Rueff n'exclut pas cependant un don pur et simple -. Ce prêt, couplé à l'accroissement de la réserve d'or des Etats-Unis d'un montant de 10 milliards, permettrait de garantir le remboursement des 41 milliards de dollars de créances étrangères. Une telle opération provoquerait une baisse considérable des taux d'intérêt à long terme. Il en résulterait une croissance très forte de la capacité d'investissement. Tous ces projets, depuis ceux de Mises pour une réforme monétaire en Ruritanie au "plan Marshall" de Rueff, reposent implicitement sur une question qui, aujourd'hui encore, est à l'origine de confusions: il s'agit de savoir si, dans un régime de convertibilité monétaire, toute la monnaie (au sens large) en circulation doit ou non être" couverte" en or. Plusieurs solutions s'avèrent en effet théoriquement possibles: on peut imaginer tout d'abord un système dans lequel toute la monnaie serait or; il n'y aurait donc pas, dans cette hypothèse, de monnaie fiduciaire, ni de monnaie scripturale; mais. cette solution avait été rejetée en son temps par Smith et Ricardo qui avaient compris les avantages de la circulation de monnaie papier; elle n'est pas, bien sÎlr, davantage adoptée par les auteurs étudiés, Rueff ayant démontré - s'il en était besoin - qu'une monnaie taillée dans le crédit est, en raison de sa souplesse, bien meilleure qu'une monnaie exclusivement métallique. On peut également envisager que l'or circule dans l'économie aux côtés d'autres formes de monnaie gagées sur ce métal: Mises a recherché les conditions d'une telle solution, notamment dans ses projets de réforme pour la Ruritanie et les Etats-Unis. Rueff ne préconise pas, pour sa part, un tel système. Un troisième type- de régime monétaire est possible, dans lequel l'or ne serait pas moyen de paiements entre particuliers; la monnaie en circulation serait cependant 19. Cf Le Monde, 22 fév. 1973.
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" couverte» par les réserves d'or se trouvant dans les coffres de la Banque d'émission. C'est donc ici que se pose le problème précité: cette couverture or doit-elle être intégrale? Contrairement à une idée reçue, la convertibilité-or n'exige en rien le principe de ce taux de couverture-or à 100 %. Si une monnaie couverte intégralement par la réserve métallique est réputée éviter toute inflation monétaire et toute ingérence de l'Etat sur la monnaie, l'" élasticité» de sa circulation s'en trouve réduite dans une large mesure. On pourrait revenir sur les débats qui ont opposé les Currency et Banking Schools ; encore n'estil pas certain que ces controverses aient été bien comprises : Ricardo par exemple n'avait pas préconisé de couverture or à 100 % de l'émission monétaire>°. M. Friedman s'est en revanche longuement interrogé sur cette possibilité. Mises n'apporte que des fragments de réponse au problème étudié; il est nécessaire de se placer, dit-il, de deux points de vue: y a-t-il déjà des limites tracées au montant des émissions de monnaie? C'est la question de l'élasticité du crédit; il importe de rappeler qu'une contradiction insoluble est inhérente à la nature même des instruments fiduciaires qui ont une valeur égale à celle de la monnaie, puisqu'ils sont à tout moment convertibles en monnaie, mais il est impossible d'assurer la pleine réalisation de cette convertibiité si la confiance tend à disparaître. On parvient ainsi à ce résultat, en apparence étonnant, selon lequel l'abandon d'un fonds de conversion de la monnaie est impossible, mais qu'à l'inverse est impraticable une couverture à 100 % de la monnaie en circulation. Le problème de la couverture or peut cependant être considéré d'un second point de vue, à savoir la nécessité d'imposer des limites à l'expansion du crédit; toutefois, ici encore, la solution de la couverture intégrale de l'émission de monnaie n'est pas pleinement justifiée: Mises analyse le projet d'lIving Fisher obligeant chaque banque à garder une réselve correspondant à 100 % du total des substituts monétaires. Or, estime Mises, même si ce plan était adopté sur la base d'un étalon-or authentique, les banques s'emploieraient à conserver leur statut d'établissements privilégiés. C'est pourquoi Mises ne pousse pas plus avant l'analyse du projet de Fisher. Néanmoins il garde certainement une certaine sympathie pour les plans de couverture 20. Cf
J.
Fau. Analyse économique. monnaie, Paris, Cujas, 1987-1988, p.40.
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intégrale de la monnaie, comme tendent à le prouver ses projets de réforme monétaire. Hayek considère lui aussi qu'il est impossible de maintenir parfaitement stable le montant global des dépôts bancaires car cela requiert la suppression totale de toute monnaie bancaire et la réduction du rôle des banques à celui de courtier. Il en résulterait sans doute un ralentissement du progrès économique. (Le taux d'intérêt serait constamment au-dessus de son niveau actuel; la mise en œuvre de nouvelles inventions serait rendue plus difficile et ainsi disparaîtrait une incitation psychologique au progrès.) Contrairement à ce qui est affirmé parfois, Hayek n'est donc pas partisan des plans du type" 100 % money", Si ces projets sont intéressants, écrit-il en 1937, c'est parce qu'ils vont au fond du problème, non parce qu'ils sont réalisables ou même théoriquement pertinents! C'est pourquoi Hayek s'est finalement limité à prescrire la détention par les Banques centrales de réserves suffisamment importantes pour que le transfert d'or nécessaire dans les règlements entre pays ne suscite pas de contractions ou d'expansions secondaires de la superstructure de crédit. Enfin, les développements rueffiens sur la régulation monétaire ont montré que, à l'instar de ses condisciples autrichiens, Rueff ne cherche pas à couvrir intégralement la monnaie en or. Il importe seulement que celle-ci soit gagée sur de vraies créances. Encore cette dernière affirmation est trop catégorique puisque l'économiste français montre qu'un volume restreint de fausses créances peut être sans risque éligible à l'escompte, dès lors qu'elles ne représentent qu'une faible proportion des vraies valeurs du portefeuille commercial de la Banque d'émission. Le système" réaliste" n'est d'ailleurs considéré par Rueff que comme un type idéal de système bancaire jamais tout à fait réalisable en pratique - contrairement à ce que son nom aurait pu laisser suggérer. (Dans la réalité, sous le régime de l'étalon-or, la couverture fut fixée de manière empirique au taux du tiers.)
II -
L'OR, RÉGIME DE TUTELLE DES GOlNERNEMENTS INCAPABLES
Rueff exprime parfaitement le point de vue partagé par les trois économistes lorsqu'il affirme qu'en régime de monnaie inconvertible,
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le désir d'éviter l'inflation et ses conséquences ne constitue pas un rempart efficace contre les intérêts appelant le déficit". Ne faut-il pas