Levy Et Lassault. Dictionnaire de La Géographie... [PDF]

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Zitiervorschau

Lévy, Jacques et Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, 1033 p. [con Nouvelle édition revue et augmentée. Belin, 2013. 1127 p.]

Recuperado en noviembre 29 de 2013 de http://www.espacestemps.net/articles/dictionnaire-de-la-geographie-et-de-lespace-dessocietes/ [la edición de 2003] Résumé Plusieurs articles du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (sous la direction de Jacques Lévy et Michel Lussault) publié à la fin du mois de mars 2003 par les éditions Belin, sont consultables en ligne sur le site d’EspacesTemps.net, ainsi que des articles concernant cet ouvrage. Le débat est ouvert par cet ouvrage, dont la revue se fait le média. N’hésitez pas à nous envoyer vos remarques, articles, contre-articles et critiques, à Redaction at EspacesTemps point net. Pour faire référence à cet article "Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés.", EspacesTemps.net, Traverses, 25.09.2003 http://www.espacestemps.net/articles/dictionnaire-de-la-geographie-et-de-lespace-dessocietes/

‘Le Dictionnaire, mode d’emploi’. Jacques Lévy | 18.03.2003 ‘Le Dictionnaire, mode d’emploi’. Introduction au Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, dirigé par Jacques Lévy et Michel Lussault, 2003. Jacques Lévy Comment se servir de ce dictionnaire ? Les entrées sont classées en quatre catégories signalées par un nombre 1, 2, 3 et 4). La catégorie 1 Théorie de l’espace correspond aux notions et concepts les plus fondamentaux de la géographie. Ses articles commencent toujours par une définition, imprimée en gras. Cette catégorie comprend les « cent concepts pour penser l’espace », qui se veulent un résumé de la pensée géographique ; ils sont signalés dans l’index par un pictogramme. La catégorie 2 Épistémologie de la géographie traduit la démarche de réflexivité de la géographie, sur son objet, son histoire, ses découpages internes, ses relations avec les autres aspects de la connaissance et de la pensée. La catégorie 3 Penseurs de l’espace, propose une galerie de portraits de chercheurs, géographes ou non, qui ont contribué par leurs travaux à notre connaissance de l’espace des sociétés. Les penseurs vivants ont été exclus de la liste. Enfin, la catégorie 4 Champs communs traite des outils communs à l’ensemble des sciences sociales, parfois à l’ensemble des sciences. Dans cette catégorie, les articles commencent par une définition dans le cas où ils traitent d’un objet bien identifié, par opposition à un thème de discussion, un courant de pensée ou un couple de contraires. Les astérisques* renvoient aux autres entrées, citées dans le texte. Par ailleurs, un important index offre des entrées alternatives dans les articles. Dans les deux cas, c’est le radical du mot qui a été pris en compte : un adjectif peut référer au substantif ou au verbe et un pluriel, au singulier. Enfin, les corrélats, situés à la fin de l’article et annoncés par une flèche. Si l’on ajoute l’index des noms propres, on obtient un ensemble de « moteurs de recherche » qui permet de circuler dans les textes selon d’autres voies que le hasard (qui demeure un puissant adjuvant en matière de connaissance) de l’ordre alphabétique. Il s’agit donc d’un texte construit dans l’esprit de l’hypertexte. Des bibliographies indicatives suivent la plupart des articles et incitent à la poursuite de la lecture en signalant des ouvrages d’approfondissement. Pour la catégorie 3, une sélection des œuvres essentielles de chaque auteur est proposée à la fin de la notice qui lui est consacré, avant la bibliographie. Les articles sont signés des initiales de l’auteur, mais il existe de nombreux articles co-signés, de trois façons différentes : .Le signe & (X & X) signifie que le texte est le fruit d’une réflexion collective intentionnelle des auteurs et d’une écriture commune. .L’usage du signe + signale que le texte est le résultat de l’intégration de deux écritures différentes, réalisée à l’initiative des deux directeurs ; là encore, le premier auteur est cité en premier. .Enfin les deux directeurs ont pu apporter des modifications aux textes initiaux, plus importantes que la seule retouche de style ou

de structure de l’article (en général des ajouts), ce qui est indiqué par la forme : X (+ JL) ou X (+ ML). L’espace pris aux mots. « Ne pourrait-on pas estimer que la vie est un questionnement constant, formulé après coup, sur les connaissances que l’on a sur l’espace d’où tout découle ? Et la scission de la société entre ceux qui savent quelque choses et ceux qui n’en savent rien : n’est-elle pas plus profonde aujourd’hui que jamais ? » Peter Sloterdijk, Sphères 1. Bulles (1998), Paris, Pauvert, 2002, trad. Olivier Mannoni, p. 12-13. « J’aimerais qu’il existe des lieux stables, immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références, des points de départ, des sources : Mon pays natal, le berceau de ma famille, la maison où je serais né, l’arbre que j’aurais vu grandir (que mon père aurait planté le jour de ma naissance), le grenier de mon enfance empli de souvenirs intacts… De tels lieux n’existent pas, et c’est parce qu’ils n’existent pas que l’espace devient question, cesse d’être évidence, cesse d’être incorporé, cesse d’être approprié. L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête. » Georges Perec, Espèces d’espaces, Paris, Denoël/Gonthier, 1974, p. 140. Publier aujourd’hui un dictionnaire de référence pour la géographie et, plus généralement, pour les savoirs sur l’espace des sociétés peut paraître une gageure et témoigner d’une prétention excessive, surtout lorsque l’entreprise est menée par deux personnes qui sont elles-mêmes engagées dans l’action scientifique. Il ne faut voir nulle arrogance dans la démarche qui a conduit à cet ouvrage, simplement la poursuite et l’amplification d’un cheminement, commencé, pour l’un d’entre nous, dans le milieu des années 1970 et, pour l’autre, à la fin des années 1980, et guidé par une intuition initiale et une volonté. L’intuition, petit à petit muée en affirmation argumentée, que l’aventure géographique valait la peine d’être tentée car la géographie pouvait constituer un outil pertinent d’intelligence du monde ; quelles que soient les critiques qu’on puisse adresser à la discipline académique, à l’institution géographique, au savoir scientifique lui-même, la géographie vaut qu’on s’y attarde et qu’on s’y attache. La volonté d’en passer par les mots, par la proposition d’un lexique présenté par ordre alphabétique, et pas seulement par des présentations théoriques ou des études d’objets singuliers, ne relève pas d’un souci de pure sémantique ou d’entomologie terminologique, mais part du constat que les mots et les discours qu’ils permettent sont des instruments appréciables pour les autres aspects de la démarche de recherche. Savoir de quoi l’on parle est clairement utile à l’énonciation des problématiques, à l’édification des théories, de construction des concepts, et à l’organisation de débats et discussions qui, à nos yeux, ont toujours constitué les zones cruciales du travail scientifique.

Ce dictionnaire, ainsi, ne constitue qu’une étape, certes importante, compte tenu de son ampleur et de l’énergie qu’a mobilisée sa rédaction, dans une recherche de bien plus longue haleine, qui ne cesse pas avec la présente publication. Son existence manifeste aussi la convergence de pensée entre les deux maîtres d’œuvre, la même appétence pour la théorie et la proposition conceptuelle, ce qui ne signifie pas que nous partagions toujours les mêmes vues, conférions toujours la même signification à un phénomène. Nos parcours et écrits respectifs se croisent, depuis une dizaine d’année, mais ne se confondent pas – et nos textes personnels dans ce Dictionnaire témoignent de cette différence, parfois sensible. Nous ne pouvons pas cacher, cependant, que nous sommes en phase sur l’évaluation d’ensemble, positive, de ce qu’est la géographie aujourd’hui et sur ses virtualités, sur ce qu’elle peut devenir, sur les objets qu’elle vise et ses démarches qu’elle permet, enfin, sur l’éthique de la production et de la communication scientifiques qu’une telle perspective exige. Au-delà de cet accord de fond, il existe une connivence : un tel livre n’aurait pas été possible, non plus, sans une réelle complicité intellectuelle et sans un plaisir partagé de l’échange d’idées et du travail en commun, sans une confiance réciproque dans les propos de l’autre, sans une mutuelle propension à associer travail et plaisir – sans notre amitié, qui nous a épaulés dans cette aventure et que celle-ci a renforcée. Cela va sans dire, mais pourquoi faudrait-il le taire ? Critique de l’existant. Le projet dont ce Dictionnaire est le résultat est né d’un double constat qui imposait, à nos yeux, une réaction. I. Longtemps, il n’y eut pas de grand dictionnaire scientifique disponible ; II. cette lacune fut comblée à partir des années 1970 en France, par deux ouvrages qui, au bout du compte, se révélaient, à notre avis, insatisfaisants. La « géographie classique » vidalienne et postvidalienne n’a pas été la source de la constitution d’un véritable dictionnaire de géographie, au sens d’un corpus de référence faisant le point systématique et critique de l’état d’un savoir. Il a certes existé, depuis le 17e siècle au moins, de nombreux dictionnaires de lieux et contrées, des abécédaires (dont on connaît le succès à partir du 19e) et des compendia géographiques ; tous sont accumulatifs, descriptifs et marqués par le souci de recension exhaustive de faits variés, sans qu’on puisse toujours découvrir une véritable problématique d’ensemble. Cette tradition de dictionnaire dont les entrées sont des lieux et des territoires se maintient d’ailleurs en se renouvelant : on peut citer par exemple le Dictionnaire de géopolitique (dirigée par Yves Lacoste), livre qui est, quant à lui, organisé autour de quelques grands principes, mais reste d’abord une série de textes présentant des lieux, l’entrée par État s’avérant déterminante. Cela étant, il n’est pas en soi illégitime de mêler noms propres et noms communs dans le même ouvrage. Dès lors que l’on considère, contrairement au courant positiviste, que ce n’est pas le nombre d’occurrences d’un phénomène qui fait de lui un objet éligible pour le travail scientifique, et que nous ne confondons pas généralisation et conceptualisation, nous aurions pu introduire des noms de lieux uniques, des géons (selon l’astucieuse expression de Roger Brunet). Si nous ne l’avons pas fait, c’est que nous avons craint que leur nombre et les principes qui auraient prévalu à leur choix ne prennent une place disproportionnée et n’ « étouffent » le reste du corpus. La préoccupation de présenter les lieux de la terre, à toute échelle, aussi singuliers soient-ils

comme des objets de connaissance appelant concept et théorie a habité notre démarche. Dans l’ensemble, le petit nombre de dictionnaire parlant d’espace doit en tout cas être vu comme un indice de plus de la défiance des géographes institutionnels classiques pour la pensée réflexive formalisée et du repli du propos géographique sur des connaissances idiographiques, peu propices aux montées en généralité et aux constructions théoriques, cela même qui constitue le fond d’un dictionnaire scientifique. La tentative d’élaborer un tel ouvrage, qui ne procède pas d’une démarche didactique ou pédagogique du style du « mémento » ou du « vocabulaire », est donc assez récente : en France, deux dictionnaires, se sont ainsi imposés, l’un dans les années 1970, celui de Pierre George, l’autre dans les années 1990, dirigé par Roger Brunet, avec l’aide d’Hervé Théry et de Robert Ferras. Ils peuvent servir de points de repères et imposent que toute nouvelle entreprise de ce type se place par rapport à eux. Par ailleurs, au Royaume-Uni, Ron Johnston, Derek Gregory, Geraldine Pratt, Michael Watts ont piloté l’édition d’un Dictionary of Human Geography, qui, au fil des rééditions, est devenu une référence internationale et dont on doit aussi méditer les enseignements. Le Dictionnaire de la géographie de Pierre George a constitué le premier travail de ce genre dans la géographie française contemporaine. Il y avait chez Pierre George une volonté incontestable de capitalisation des acquis scientifiques des recherches menées dans les années 1950 et 1960, qui avaient mis en question la vulgate institutionnelle. Pourtant, le ton général du livre est neutre (ce qui est censé témoigner qu’il manifeste l’objectivité de la science) et proscrit toute dimension critique. En même temps, il souffrait de très graves défauts dans sa conception et sa réalisation. De ce point de vue, une critique de 1976, très sévère et qui a provoqué une notable controverse, reste toujours d’actualité : « C’est par l’abondance de termes techniques ou étrangers que le Dictionnaire espère rattraper son indigence scientifique. On ne peut décemment en vouloir à un livre, à une matière qui vous aura au moins appris ce qu’est un Miombo ou une Ignimbrite ! Aussi le bric-à-brac généralisé caractéristique de l’ouvrage doit-il être considéré comme un obstacle et un masque. Obstacle à ce que les sciences de l’espace, chacune avec son objet propre, prennent leur essor. Masque qui fait oublier la faiblesse théorique sous l’exubérance empirique. Comme les foules cachent souvent une infinité de solitudes, l’abondance des matériaux peut dissimuler leur néant intérieur. Ce livre est aussi le symptôme de la géographie d’aujourd’hui. Il s’agit maintenant d’inventer la matière des dictionnaires futurs des sciences de l’espace. Les géographes ont devant eux cette tâche. Personne ne pourra l’accomplir à leur place. » (Lévy, 1976). Le présent ouvrage est sans doute l’occasion, pour l’auteur de ces lignes, de répondre à sa propre injonction, en évitant de verser dans le travers de l’accumulation sans véritable problématisation de ce que peut être le savoir géographique et des modalités de ses relations avec les autres savoirs. Ainsi peut-on, dans le dictionnaire de Pierre George, remarquer de nombreuses entrées qui renvoient aux sciences naturelles, à l’économie, ou, plus marginalement, à d’autres sciences sociales. Mais ces emprunts ne sont jamais explicités, justifiés, on ne montre pas en quoi ils seraient nécessaires, on ne réfléchit pas

aux effets de leur transposition dans le discours géographique, discours au demeurant totalement naturalisé, proposé comme un « donné » au lecteur. Au bout du compte, cette géographie apparaît à la fois béante et d’une insigne faiblesse épistémologique et théorique, ce qui, ajouté à l’hétérogénéité des entrées et au caractère lapidaire des textes, contribue à faire de ce livre un contre-exemple de ce que nous avons cherché à réaliser. Il est à noter que les éditions ultérieures du dictionnaire de Pierre George (bâties avec l’aide de Fernand Verger), ne remirent jamais en cause les choix initiaux, qui relèvent donc d’une position assumée, exprimant une certaine vision de la géographie. The Dictionary of Human Geography (dont la première édition parut en 1981) ne pâtit pas des mêmes défauts dirimants. On tient là, en vérité, une somme tout à fait considérable, mais qui souffre parfois, paradoxalement, de cette qualité : il s’agit avant tout d’une tentative de bilan quasi exhaustif de la géographie anglo-saxonne, telle qu’elle a évolué depuis les années 1960, notamment sous l’impulsion des auteurs, très nombreux, du dictionnaire. On n’a donc pas là un produit épistémologiquement stabilisé autour d’une lecture particulière de la discipline. Dans l’ensemble, ce « passage en revue », remarquable et très documenté, bien dans la tradition scientifique anglophone, manque de cohérence globale et le positivisme le plus classique y côtoie la postmodernité la plus foisonnante, ce qui constitue à la fois une limite et un des attraits du livre – paradoxe luimême très postmoderne ! La logique est donc plus celle de la juxtaposition des discours que de l’intégration. Cela posé, nous nous sentons proches de ce travail, qui a constitué pour nous un modèle (partiel), notamment en ce que, comme l’introduction le précise, ce dictionnaire se veut à la fois « le miroir et l’aiguillon » (« both mirror and goad ») de la géographie. Nous nous reconnaissons donc pleinement dans ce désir, même si nous avons tenté une mise en cohérence plus forte des principes et une homogénéisation plus marquée du corpus et de son traitement, tout en assumant la diversité (cf. infra). La tension entre la pluralité inévitable et souhaitable des positions scientifiques et la nécessité de consistance interne du discours d’ensemble sur la géographie qu’énonce de facto un dictionnaire nous a poussé à éviter autant qu’il est possible l’hétérogénéité et l’éclectisme, ce qui n’est pas toujours le cas du Dictionary of Human Geography. Il y a toujours une idée de la discipline et de la science dans un livre de ce genre, mieux vaut donc ne la point celer. Entre ces deux points de repère, dont la lecture a nourri notre projet, nous plaçonsLes mots de la géographie, un dictionnaire critique. Parce que la géographie avait changé depuis les années 1970, ce livre (paru en 1992) entendait rendre publique une vision nouvelle de la discipline et de son régime de scientificité. On pouvait lire sur la quatrième de couverture : « Enfin, la géographie a son grand dictionnaire, complet, à jour », témoignage de l’ambition poursuivie. Le tout apparaît très structuré par les apports spécifiques d’un géographe, Roger Brunet, qui a imprimé ses idées et son style à cette entreprise connexe de celle de la Géographie universelle qu’il a également dirigé. L’effort de lisibilité est réel, le texte est très alerte et ne délaisse pas l’humour, ce qui constitue une contribution appréciable à la décrispation nécessaire du discours scientifique. Les mots de la géographie est de lecture très agréable (ce caractère ne fut

pas pour rien dans son succès, ce qui n’est pas sans ambiguïté pour un livre qui n’a pas forcément séduit pour son contenu) et rompt avec le style académique. Mais on peut énoncer deux réserves majeures. La première vient de ce que, si les notices introduisent souvent une salutaire distance ironique, elles ne sont pas réellement critiques, quoi qu’affirme le sous-titre, car on recense plutôt des usages, avec un art certain de l’ellipse et du chemin de traverse, qu’on ne déconstruit des significations et qu’on indique les fondements cognitifs des choix proposés d’emploi du lexique. Au demeurant, bien des notions ne se voient pas affectés d’une définition précise, voire connaissent une sémantique flottante, indécise, qui varie au cours d’un même article. On retrouve ainsi une réelle difficulté à établir une conceptualisation intégrée et cohérente, sauf en ce qui concerne ce qui renvoie au vocabulaire spécifique de Roger Brunet, bien mieux stabilisé, mais qui est loin d’être majoritaire dans l’ensemble du corpus. La seconde réserve porte sur le nombre très élevé et l’hétérogénéité des entrées, qui reprennent souvent des termes classiques de la géographie traditionnelle, notamment ceux qui viennent des savoirs vernaculaires transposés dans le vocabulaire de la discipline. De ce fait, l’ouvrage s’avère parfois plus un plaisant abécédaire, où l’on divague amusé ici par un trait d’humour, retenu là par une citation, qu’un dictionnaire de concept et de langue. L’ignimbrite (« Brèche ponceuse issue des nuées ardentes ou de l’accumulation de projections chaudes encore visqueuses et susceptibles de se souder après la chute […] », p. 232), trop facile à moquer, dans le dictionnaire de George, pourrait être flanquée, toute proche dans l’ordre alphabétique, par l’igue (« Terme local venu du quercynois et repris par les spécialistes du karst […]. Désigne les puits verticaux, comme le gouffre de Padirac sur le causse de Gramat », p. 246) dans l’ouvrage de Brunet, qui, heureusement, contient des apports autrement stimulants. Par son caractère disparate, son refus de faire des choix qui engagent une conception forte sur des points décisifs, ce livre interdit de construire véritablement une grammaire des notions géographiques, ce qu’on pourrait pourtant attendre d’une entreprise centrée sur les mots. Un outil au service de la cohérence du discours géographique. Face à ce paysage éditorial contrasté, qu’avons-nous donc voulu faire ? Il faut d’abord comprendre le Dictionnaire de géographie et de l’espace des sociétéscomme une tentative de rendre plus rigoureuse la langue des géographes, et audelà, celle des sciences sociales, puisqu’il nous semble que la géographie peut et doit contribuer à la construction du discours des sciences sociales. Un des principaux défis, en cette matière, est constitué par les rencontres souvent indésirables entre concepts géographiques, métaphores spatiales du langage courant (« position », « central ») et les concepts non spatiaux utilisant des métaphores spatiales : « terrain », « distanciation », « exclusion ». D’où la nécessité de bien expliciter, par exemple, les différences entre « espace public (géographique) » et « espace public (politique) », « mobilité » et « mobilité sociale », « réseau (de relations) » et « réseau (géographique) », « situation » et « situation (spatiale) ». Cela nous a poussés à proposer deux entrées différentes, afin de bien spécifier chacune des significations. Dans la définition des termes, nous avons aussi poursuivi l’objectif, de maîtriser l’hétérogénéité du corpus et de préciser

les usages. Nous avons donc choisi l’univocité stricte du vocabulaire (une chose, un mot), qui permettra aux lecteurs de mener leur travail critique à partir de bases assurées : par exemple, nous avons proscrit systématiquement l’utilisation du générique territoire pour signifier espace, car, pour nous, ces deux mots ne sont pas des synonymes, ce que les différentes notices consacrées à ces concepts-clefs montrent clairement. Plus généralement nous avons souhaité qu’un même mot ne change pas de sens au sein d’un même article ou entre deux articles, ce qui se rencontre encore très souvent dans les sciences sociales, et particulièrement en géographie où la faiblesse de la théorisation incite souvent au flottement des significations. Cela nous a incités à écrire les définitions synthétiques des notions et concepts, textes en caractères gras, qui chapeautent le développement de chaque article, en utilisant un vocabulaire intégré et homogène. Ce type de stabilisation nous semble un préalable indispensable à tout débat scientifique véritable, car on ne dispute bien que de ce qui est explicitement fixé, quitte à ce que la discussion conduise à des déplacements de sens. Un dictionnaire systémique et hypertextuel. Pour soigneuse qu’ait été la mise au point de chacun des articles, on aura compris que ce qui importe pour nous dans ce travail est moins chaque notice prise séparément que le système des mots, la série des mots mis en système par le Dictionnaire, qui a été pensé comme cela et pour cela. Si l’on avait privilégié l’approche sémantique de chaque entrée prise comme une totalité isolée et isolable, logique dans laquelle l’article vaut plus que l’ensemble, nous n’aurions pu rompre avec le fantasme de l’exhaustivité (qui empêche de limiter la liste finale d’entrées, puisque chaque mot devient le support légitime d’une définition autorisée) et de l’uniformité de l’objectivation. Dans cet esprit, un dictionnaire allemand de géographie récemment publié contient environ dix mille entrées. Sans nier les avantages de cette démarche, nous en avons choisi une autre. Nous avons parié sur la plus-value de sens qui résulte de la possibilité offerte aux rédacteurs de développer leur pensée et d’expliciter leurs idées à partir du moment où l’on ne retient qu’un nombre assez restreint d’entrées : moins de sept cents, ce qui est peu par rapport aux ouvrages comparables et exigeait des arbitrages éditoriaux particulièrement exigeants, appuyés sur une analyse critique préalable du vocabulaire géographique et de sa pertinence. À partir de ce souci de sélection drastique, qui fut premier, originaire, nous avons privilégié les jeux de correspondance entre les termes, les rebonds signifiants, le travail sur les réseaux sémantiques, la complexité cumulative des significations du système de mots. Nous nous donnions ainsi la possibilité à la fois de maîtriser la liste des notions et le traitement de chacune d’entre elles, tout en laissant s’exprimer les sensibilités, les différences, les contradictions (de ton, de style, de démarche, de pensée), puisqu’au final, ce sont aussi les relations entre les mots qui confèrent du sens à l’ensemble. Nous pensons donc avoir élaboré un dictionnaire pluriel et systémique, au sein duquel émergent des sous-systèmes – soit des auteurs, soit des groupes d’auteurs exprimant une sensibilité particulière – et s’imposent des relations complexes entre les termes. En même temps, nous avons tenté de lui donner, dès sa conception, un caractère hypertextuel (et

nous nourrissons même le projet d’une version sur cédérom) en privilégiant la multiplication des embrayages et des bifurcations à partir d’un mot vers de nombreux autres. De ce point de vue, les corrélats, l’indexation des entrées (par un astérisque) dans les textes et l’index final constituent des instruments centraux à notre projet. Un pluralisme assumé. Pour mener bien le Dictionnaire de géographie et de l’espace des sociétés, nous avons constitué, avec l’aide du Comité de pilotage, un vaste collectif composé de personnalités diverses, auxquelles nous avons indiqué, dans un texte précis qui leur fut adressé à la commande de leurs articles, les tenants et aboutissants intellectuels de notre projet. Ce livre a été donc écrit par cent onze auteurs, venant de France mais aussi des États-Unis, de Suisse, d’Italie, du Québec, d’Allemagne et du Brésil : il témoigne d’un processus d’intelligence collective, qui nous semble indispensable au travail scientifique. Parmi les spécialités, la géographie domine, accompagnée par les sciences de la ville et l’aménagement, mais on trouve aussi en bonne place d’autres sciences sociales : sociologie, économie, science politique, histoire, droit, ainsi que la philosophie. Au sein de cet ensemble d’auteurs, il y a des différences, parfois des divergences, que nous n’avons pas cherché à gommer. Elles ont même été mises en scène pour quelques notions-clés. Là, pour une même entrée, deux ou trois articles, signalés par le symbole « t », manifestent des écarts plus ou moins significatifs de conception entre les rédacteurs. Le lecteur constatera cependant que cette diversité n’est jamais antagonique. Nous n’avons pas poursuivi l’objectif d’attiser la polémique, mais celui de dynamiser la réflexion par la mise en évidence de différences d’approches : au sujet du terme « territoire », par exemple, elle reflète des débats sérieux et respectueux d’autrui, ne créant en aucun cas un climat déplaisant, comme on l’a longtemps connu dans ce mélange détestable d’unanimisme de façade, de silence et de mépris pour toute pensée critique, dérangeante ou dissidente, qui caractérisait naguère la géographie. En outre, ce qui est contradiction pour les auteurs ne l’est pas forcément pour le lecteur : ainsi, en ce qui concerne le mot « lieu », il n’est pas interdit de penser que les quatre points de vue qui concourent à la définition apparaîtront pour l’essentiel comme un ensemble de contributions complémentaires à une question difficile. C’est d’ailleurs dans cette perspective que le recours à la diversité de l’inspiration est la plus substantielle, afin de montrer que bien des problématiques appellent des réponses ouvertes et diverses. Nous avons aussi fait en sorte que, dans la plupart des cas, les notions proches soient traitées par des rédacteurs différents, qui apportent chacun leur point de vue, complémentaire de celui des auteurs des articles connexes. Ainsi conçue, la variété relève moins de la confrontation que de la conjugaison d’approches différentes, de la mise en tension des mots par la diversité des positions. Toutefois, si nous sommes gardés de proscrire toute variété, nous avons voulu que toutes les démarches, par petites touches ou grands coups de brosse, participent à une construction commune, qui se révèlera, au-delà des sensibilités personnelles et des courants de pensée, cohérente. Cela provient que le pluralisme est organisé par un principe qui nous est cher : tous peuvent parler avec tous, sans complaisance, en

s’écoutant et en se respectant. Cela n’empêche pas, bien au contraire, qu’il y existe un point de vue structurant. Ce dictionnaire n’est pas, loin s’en faut, un objet invertébré, simple réceptacle d’avis divers, sinon divergents, La liste des mots (index compris) et des notices, le choix des auteurs, les modalités de traitement des entrées ont été élaborés par les deux directeurs avec le soutien, l’aide et l’avis du Comité de pilotage. Nous avons chacun relu, corrigé, amendé la forme de tous les articles, en proposant parfois des changements plus ou moins significatifs aux auteurs. Nous avons donc fait et assumé des choix, dont nous avons débattu lors de très nombreuses séances de travail, qui se sont échelonnées sur les quatre dernières années. Les textes écrits par les directeurs, qu’on retrouve plus particulièrement dans les « Cent concepts pour la géographie » et dans les grandes entrées épistémologiques générales, créent un cadre d’ensemble et une trame de fond qui va bien plus loin qu’une unité de style. Il s’agit d’une orientation épistémologique et théorique, articulée autour de quelques propositions formant ce qui se veut une axiomatique, qui permet de situer l’espace au sein de la connaissance sur les sociétés et de proposer des énoncés rigoureux et homogènes en réponse aux questions communes. Pour bien marquer cette orientation, afin d’harmoniser le vocabulaire et de stabiliser les significations, nous avons pris la responsabilité, en sus de nos articles, à quelques exceptions près, de rédiger toutes les définitions qui apparaissent en gras en tête des notices. Nous avons également construit le jeu des renvois et les corrélats, indispensables au repérage des réseaux de sens. Une fois encore, rappelons que, dans l’ambiance dialogique qui caractérise la géographie d’aujourd’hui et le Dictionnaire, nous n’avons poursuivi aucune volonté dominatrice, mais manifesté le désir d’offrir au lecteur un ensemble cohérent et consolidé, sans pour autant être clos, de présenter une grille interprétative spécifique, mais pas bloquée, un point de vue propre qui puisse nourrir le débat et appeler une véritable critique de fond. Ce dictionnaire n’est pas le support de la (vaine) prétention à une nouvelle orthodoxie, mais un outil de travail. Une image de la géographie Ce dictionnaire propose un corpus de connaissances organisé autour de questions, pas toujours suivies des mêmes réponses et ouvrant sur de nouvelles questions – et non pas des réponses sans questions comme c’était en général le cas, il y a encore vingt-cinq ans dans la géographie française. En tant que tel, l’ensemble nous semble constituer un état des savoirs sur ce que l’on peut dire de l’espace des sociétés. Compte tenu du découpage des entrées, qui déclinent le rapport à l’espace selon plusieurs angles, comme concept ou comme dimension spécifique, « de face » ou « de biais », au centre et sur les marges, c’est l’ensemble des démarches pluri-, inter- et transdisciplinaires qui se trouvent convoquées ici. Cette ouverture marquée et voulue est souvent sensible et explicite à l’intérieur même de chaque article consacré à une notion ou un concept géographique, car la plupart des auteurs choisis sont préoccupés de la relation de leur démarche à celle des autres savoirs. Par là même, les géographes

montrent leur capacité à décloisonner leurs approches et à importer le meilleur des sciences sociales. Parce que nous nous sommes attachés à une mise en cohérence qui ne gomme pas les différences mais les assume en tant que principe dynamique de la connaissance, parce que nous avons privilégié la dialogique à la juxtaposition, nous pensons avoir autorisé le pluralisme et évité l’éclectisme. Ainsi, parmi les cent onze auteurs, outre des chercheurs qui ont développé une posture personnelle difficilement assignable à un groupe, trois courants apparemment antithétiques se présentent, au sein de ce Dictionnaire comme des contributions compatibles et complémentaires : celui de l’« analyse spatiale », celui de la « géographie culturelle » et celui (non encore complètement identifié) de la « nouvelle géographie de l’environnement ». La première apporte la critique de l’exceptionnalisme, le souci de rigueur formelle, une utile culture en statistiques et la maîtrise des traitements quantitatifs ; la deuxième développe, avec ses références phénoménologiques, psychologiques et linguistiques, la préoccupation du singulier, du qualitatif, de la parole des hommes ; la troisième réintègre les apports de la géomorphologie, de l’hydrologie, de la climatologie, de la biogéographie et, plus généralement, des sciences de la nature, dans une géographie reconnue comme science sociale. Si ces trois composantes peuvent désormais cohabiter, ce n’est pas parce que l’on aurait réduit les exigences de cohérence et que, fatigués des polémiques, on aurait adopté une bonhomie relativiste peu exigeante mais porteuse de « paix civile » entre les géographes. La raison de cette commensalité retrouvée est, selon nous, à chercher dans l’existence d’une synthèse, plus ou moins latente dans l’ensemble de la collectivité des géographes et que nous avons voulu, dans et par ce Dictionnaire, rendre explicite. Un mot peut la résumer : complexité, qui peut être développé par un énoncé simple : la géographie est une science sociale, qui travaille, à travers la dimension spatiale, la tension entre acteurs et systèmes, qui considère avec une égale légitimité explicative la détermination causale et la compréhension, l’analytique et le synthétique, la partie et le tout, le qualitatif et le quantitatif, les formalisations langagières et mathématiques, le texte et la carte, le singulier et l’universel, et qui intègre la nature comme réalité significative au sein du social. Le dépassement de ces antinomies ne se fait pas sur la base d’un compromis mais par une intégration répondant aux objectifs d’un « programme fort » : celui de progresser dans l’intelligence de l’espace des hommes et d’apporter ainsi une double contribution à la maîtrise de cet espace par ses acteurs, petits ou grands, et d’enrichir la connaissance transdisciplinaire du monde social. Avons-nous réussi ? Les lecteurs en seront juges. En tout cas, ce qui tire la démarche, c’est à la fois l’impératif de donner leur place à tous les apports qui ont fait leurs preuves et l’obligation de résultat : nous voulons une géographie qui marche, qui avance, une science de l’espace qui cherche et qui trouve. Les confusions du possibilisme, les dérives littéraires ou idéologiques, l’impasse positiviste ont montré à tous que, sans rien perdre des acquis, il fallait passer à autre chose. Nous essayons de contribuer à ce nouvel équilibre dynamique qui est déjà dans l’air avant d’être dans les mots. Un état des savoirs.

Nous avons voulu explicitement organiser ce dictionnaire selon des catégories d’entrée clairement identifiées, qui permettent à l’utilisateur de placer chaque notice dans un ensemble plus vaste et de comprendre mieux la manière dont nous concevons un mot et ce qu’il apporte. Pour plus de détails, on se réfèrera au Mode d’emploi précédant ce texte. Les notices sont rangées en quatre catégories. Les articles de la catégorie 1 et notamment les « Cent concepts pour la géographie » représentent le noyau dur du programme de recherche sur l’état de notre intelligence de la dimension spatiale des sociétés qu’a constitué le dictionnaire. Dans ce groupe, on présente directement, par un discours positif (mais pas positiviste), à fort contenu cognitif, appuyé sur les travaux les plus récents ou/et en cours de réalisation, la dynamique du savoir géographique. On s’attache à la fois à réaliser un bilan précis des grandes approches possibles d’une notion et à indiquer les lignes de force des évolutions actuelles. La catégorie 2 regroupe les articles qui visent à procurer au lecteur la réflexivité nécessaire pour bien appréhender le projet scientifique de la géographie et les choix possibles de réalisation de ce projet. On trouve dans cette catégorie des entrées qui renvoient à trois types de notices. - En premier lieu, à l’épistémologie et à l’histoire de la discipline, permettant de saisir comment la géographie a construit et traité son objet principal (l’espace) et la multitude des objets géographiques pensables et aux outils cognitifs et aux méthodes employées (par exemple « nomenclature », « possibilisme », « spatialisme », « description », etc.). - Ensuite, à la présentation de branches et de courants, ce qui permet d’appréhender des manières de délimiter le champ géographique. Ces découpages donnent la possibilité de comprendre et de suivre les thématiques émergentes et les types de démarches qui leurs sont liées. Rien qu’à la découverte de l’intitulé de ces branches, on se rend compte que le mythe d’une histoire continue et linéaire et d’une construction « pierre par pierre de la maison géographique » ne résiste pas à l’analyse. On ne peut avoir en cette matière de vision et prédéterminée. Il n’y a pas de cohérence nécessaire préétablie, la géographie est un « jardin aux sentiers qui bifurquent ». - Le dernier sous-ensemble correspond à la présentation des interfaces (« géographie et… »). Il faut insister sur ces articles qui abordent les interactions et les échanges entre la géographie et de nombreuses autres disciplines ou ensemble de disciplines ou champ scientifique. Il n’y a pas d’équivalent dans les principaux dictionnaires existants, alors qu’il nous a paru que le sujet était d’importance et qu’il fallait apporter aux lecteurs des éléments de connaissance tangible, au-delà du propos très général dans lequel on se cantonne trop souvent. Les efforts consentis pour trouver des auteurs suffisamment compétents pour rédiger ces textes montre que ces problèmes ne sont pas encore assez travaillés par les géographes – ils restent de l’ordre de l’implicite – et encore moins, au demeurant, par les spécialistes des autres sciences. À cet égard, savoir ce que la géographie a pu apporter à ces sciences demeure encore, le plus souvent, mystérieux alors que des études épistémologiques et historiques laissent penser qu’elle a joué un rôle

non négligeable lors de certaines périodes d’affirmation de l’histoire (champ pour lequel la chose est le mieux renseignée), de l’urbanisme ou de la sociologie. Autre originalité de ce dictionnaire : les articles de la catégorie 3, « Penseurs de l’espace », où l’on trouve près de cent entrées, consacrées exclusivement à des personnalités disparues – afin de ne pas interférer avec la recherche en train de se faire, abordée à travers les autres catégories d’articles. Ces notices sont, en général, des introductions à la pensée d’auteurs qui ont, d’une manière ou d’une autre, contribué à la réflexion consacrée à l’espace. L’objectif poursuivi est de baliser le champ des sciences de l’espace des sociétés par une présentation de recherches qui ne sont bien sûr pas résumées in extenso dans les notices (ce qui constituerait le projet d’un dictionnaire spécifique), formant des ressources cognitives pour les géographes et ainsi d’inviter le lecteur à découvrir plus précisément leurs œuvres, dont une sélection significative est jointe à la fin de chaque texte. Ces penseurs ne sont pas tous nécessairement des spécialistes de l’espace social (et souvent ne se fixaient pas l’objectif d’aborder l’espace), mais ils aident grandement à le penser. Cette série d’articles permet d’ailleurs d’élargir le spectre des analyses généalogiques de la pensée géographique. En effet, les géographes stricto sensu sont assez peu nombreux dans la liste où l’on s’aperçoit de l’importance prise par les philosophes, les historiens, les sociologues les économistes, et même par les écrivains ou des personnalités plus difficilement classables. Le Dictionnaire offre donc là une possibilité supplémentaire de s’affranchir d’une vision mythologique de l’histoire de la géographie et de ses filiations intellectuelles. La géographie s’est nourrie d’influences multiples et à travers la réflexion sur les auteurs ici présentés, on peut interroger la construction du savoir géographique de façon neuve, y compris en reprenant à de nouveaux frais la question des relations intergénérationnelles. La forte présence de notions et concepts qui ne sont pas spécifiques à la géographie (articles de la catégorie 4) constitue la dernière différence marquée de ce dictionnaire par rapport à ses « concurrents ». Nous signalons ainsi deux types différents d’intégration de la géographie dans des champs plus vastes. - D’une part, nous avons souhaité montrer que la géographie s’inscrit dans un domaine particulier du savoir : celui des sciences de la société. De ce fait même, elle partage avec toutes ces sciences un patrimoine cognitif commun dont elle contribue à la construction en tant qu’elle traite de la dimension spatiale des sociétés. La géographie est certes une connaissance située et spécifique, mais elle doit participer de et contribuer à l’élaboration de mégathéories, c’est-à-dire à l’édification, à la validation, à la réfutation des concepts et des débats communs à toute la pensée du social (ce qui est appelé en anglais social theory). - D’autre part, il nous a semblé aussi important de relier le savoir géographique au domaine des métathéories (celui des théories de la connaissance, des démarches épistémologiques). On a donc souhaité consacrer des entrées à une importante série de notions communes à l’ensemble de la pensée scientifique et rationnelle (au-delà même de la science) contemporaine. Ces notices livrent des développements substantiels en

épistémologie, philosophie, mathématiques, sciences physiques, sciences du vivant ; ces deux derniers domaines regroupant aussi les apports de l’analyse spatiale des faits biophysiques au propos géographique d’ensemble. Là encore, la géographie est tout à la fois nourrie par ces connaissances et les enrichit, du moins lorsqu’elle prend conscience qu’elle peut apporter une quelque chose à la réflexion commune. La proximité de la géographie avec d’autres savoirs avait déjà été mise en scène jadis, dans le cadre d’un imaginaire disciplinaire très particulier, fondé sur l’idée que la géographie était une science de synthèse qui accueillait par « nature » des notions venues de toute part. Mais un tel accueil se réalisait sans spécifier réellement les contributions, sans penser les généalogies, les opérations de transposition et de traduction : les notions extérieures étaient incorporées dans les problématiques sans objectivation véritable et sans, le plus souvent, travail d’approfondissement — qu’on songe par exemple à la manière assez consternante dont bien des géographes utilisaient des termes de la science économique ou de l’histoire. Autoproclamée « discipline-carrefour », la géographie a vécu longtemps sous un régime de pluridisciplinarité paresseuse, décorative, qui en a fait une auberge espagnole où les emprunts aux sciences de la nature se mêlaient dans le désordre à ceux des sciences sociales, où régnait l’implicite et l’absence de réflexivité. Ce que nous proposons est à l’opposé de cette ancienne posture, puisque nous ne postulons pas que la géographie est un « carrefour » vers lequel tout devrait converger, sans que cela impose un quelconque effort aux géographes, mais qu’il existe une « maison commune » aux sciences sociales et même aux sciences et à la connaissance rationnelle. Cela étant posé, si l’on veut bien accepter la métaphore de la maison collective (une sorte de phalanstère, sans doute !), il faut savoir où sont les liens entre l’appartement géographie, les autres appartements et les parties communes. Une telle position exige en tout cas de procéder en permanence à des mises à niveau et, d’un même mouvement, de ne jamais hésiter à promouvoir l’indispensable participation de la géographie aux interrogations autour des grands concepts fondamentaux : l’État, la société, le social, la nature, l’individu, l’acteur, la culture, la connaissance, le temps, la vérité etc. La géographie peut en effet ne pas se contenter d’être importatrice des idées des autres, pour son propre bénéfice, mais stimuler le débat général sur des notions communes, sur les grands modèles théoriques, sur les schémas globaux d’intelligence des phénomènes. C’est d’ailleurs une des conditions pour que la géographie soit vraiment une science de la société comme les autres. Afin de bien manifester l’affirmation du potentiel du savoir géographique, la notion d’État, par exemple, a été placée en catégorie 1 (celle des concepts géographiques) tant est prégnante sa dimension spatiale. Si nos collègues et amis chercheurs des autres disciplines sous-estiment, pensons-nous, le rôle et l’importance de l’espace et de la spatialité, à nous de leur démontrer leur tort, par une géographie offensive, qui abandonne enfin sa propension au confortable repli sur des problématiques enclavées, qui l’a, un temps, presque menée à l’autisme. Il se trouvera sans doute des lecteurs pour estimer qu’il y a bien trop de mots non géographiques pour un dictionnaire de géographie. Nous pensons qu’ils auraient tort de ne pas chercher à découvrir en quoi la maîtrise de ces termes est indispensable pour que

notre discipline soit dynamique et pertinente, c’est-à-dire qu’elle propose une véritable connaissance cumulative, assurant de comprendre les réalités sociales à partir desquelles elle construit ses objets de science. Pour faciliter la tâche de lecture, nous avons tenu à indiquer, dans la plupart des cas, en quoi la géographie était directement concernée par des notions et concepts émanant de la philosophie, de la sociologie, de l’épistémologie, et comment certains géographes (et/ou courants de la géographie) exploitaient ces notions et concepts. Nous espérons en tout cas que ces articles ouvriront des pistes de réflexions pour que les géographes s’emparent des concepts et les transposent, les traduisent, les ploient à leurs propres préoccupations. Un regard francophone sur le Monde. Nous avons aussi eu le souci de prendre largement en compte des géographies étrangères, anglophones, bien sûr, mais aussi germanophones. Cela se traduit à la fois par des entrées spécifiques (« gay and lesbian studies » ou « time geography » par exemple, mais aussi de nombreuses notices consacrées à des auteurs) et par un souci d’indiquer dans les articles de catégorie 1, autant que faire se peut, les grandes tendances des différentes écoles de géographie. Par ailleurs, nous proposons une traduction de chaque entrée en anglais et en allemand. Mais affirmer l’internationalité de notre démarche consiste aussi à postuler l’importance scientifique et la crédibilité du discours des géographies francophones. Celles-ci ne sont pas moins pertinentes que d’autres pour saisir la spatialité des sociétés et leur réticence par rapport à certaines démarches ou certains concepts en vogue dans l’univers académique anglophone nous paraît souvent procéder désormais d’une véritable connaissance critique de ceux-ci – ce qui ne fut certes pas toujours le cas. Cette vigilance apparaît ça et là dans le Dictionnaire. La géographie française active est aujourd’hui bien insérée dans la recherche internationale, plus ouverte sur le Monde que beaucoup d’autres, et en même temps propose une manière originale de penser le moment géographique contemporain. En particulier, les géographes français semblent plus attachés que d’autres à proposer des théories et des mises en cohérence de différents apports, de différentes méthodologies, de différentes cultures. Cet ouvrage se veut en tout cas davantage que le reflet d’une « géographie française », plutôt un point de vue francophone sur une géographie de plus en plus universelle. Le dictionnaire d’une géographie. Nous avons pleinement conscience que ce que nous livrons ici est le dictionnaire d’une géographie, l’expression d’une conception du savoir géographique, des objets qu’il travaille, de la discipline universitaire et de ses modalités de fonctionnement, du régime des débats scientifiques qu’on y connaît. Cette conception, nous laissons au lecteur le soin de la découvrir précisément, à travers les différents articles. Nous nous contenterons ici de poser rapidement cinq principes qui fondent nos approches respectives, qui se déploient ensuite dans les différentes notions pour saisir l’espace comme une des dimensions du système sociétal et la spatialité en tant qu’une des logiques de son mouvement. La géographie que nous proposons est :

- Réaliste : au sens où nous postulons que les réalités sociales existent, réalités qui sont des hybrides de matérialités, d’immatérialités, d’idéalités. L’espace (hybride, lui aussi) est un des composants de toute réalité sociale. - Constructiviste, dans la mesure où nous considérons que ces réalités ne sont pas des « donnés », mais des réalités construites par le jeu du système sociétal. En même temps, nous sommes constructivistes dans une seconde acception puisque nous pensons que l’accès par la connaissance aux réalités sociales n’est pas immédiat mais réclame une construction cognitive, celle de l’objet de science, de connaissance. Cette construction, on peut la nommer objectivation, c’est-à-dire édification de l’objet que l’on va penser, à partir des phénomènes de la réalité. Ainsi, si nous réfutons la vieille croyance positiviste en l’objectivité scientifique, nous estimons qu’il n’y a pas de science sans objectivation — celle-ci devant aller jusqu’à, comme aimait à le souligner Pierre Bourdieu, objectiver le sujet objectivant. - Systémique, à la fois en ce que l’espace est abordé comme une des dimensions du système sociétal, de la société prise comme un tout et que, au sein de cette dimension, il apparaît utile de traiter des réalités dans leur globalité, dans une totalité dynamique faite d’interaction entre ses éléments. La transversalité propre de l’espace apparaît en fait une bonne opportunité pour traiter ensemble des réalités (social/sociétal, acteurs/objets, matériel/idéel, patrimoine/projet,…) qui demeurent séparés dans d’autres approches. - Dialogique car nous plaçons les opérateurs sociaux (et au premier chef les acteurs), l’action, ses instruments, et en particulier les langages, et ses effets au centre de l’investigation géographique. Il n’y a pas d’espace sans acteurs spatiaux dont il importe de comprendre les logiques et les actes : cette affirmation du caractère « pragmatique » autant qu’ « objectal » de l’espace peut sembler triviale, mais elle fut longtemps ignorée. - Théorique et empirique, inductive et déductive, puisque nous fondons notre travail sur la constitution, par de méthodes variées, d’un matériau empirique à partir de situations d’observation des réalités sociales, observation informée et mise en forme par l’objectivation. La théorisation, que nous estimons indispensable, ne peut se développer sans exploitation de ce matériau empirique. Au bout du compte, nous espérons que ce dictionnaire donnera une idée fidèle de ce qu’est la géographie française d’aujourd’hui, une géographie qui a rétabli le contact avec l’extérieur : elle pense le Monde et cela commence à ce savoir — c’est le tournant géographique que nous avons identifié. Ce dictionnaire témoigne de cette dynamique actuelle, il constitue donc une étape (le moment dictionnaire) au sein d’un programme de recherche encore en cours ; un arrêt photographique qui ne supprime pas le mouvement. Partant de ce corpus, nous appelons le lecteur à continuer le parcours, à poursuivre le travail d’approfondissement. La géographie que nous proposons au lecteur est une géographie de et pour notre temps. Nous vivons l’époque de l’urbanisation généralisée et du Monde mondialisé, des grands espaces englobants tout autant que des petits lieux à forte présence, de l’individu et de la société, confrontés à la résistance des communautés. Nous vivons à l’époque de l’infini

variété des spatialités, des métriques et des échelles. Nous vivons à l’époque de l’espace complexe. Pour autant, nous nous intéressons pleinement aux géographies des mondes anciens, aux dynamiques géohistoriques et aux penseurs de toutes les époques. Ainsi, de la « forêt » au « Cyberespace », d’Homère à Italo Calvino, nous avons cherché à dégager, pour la géographie, de bien plus vastes horizons que ceux que regardait jusque-là la discipline. Ce souci de « sortir du champ », n’est-ce pas d’ailleurs l’état du Monde contemporain qui nous l’impose si l’on souhaite le comprendre ? Pourquoi le nier ? nul doute que les équilibres entre le rural et l’urbain, les territoires et les réseaux, les acteurs et les structures, l’idéel et le matériel, le « naturel » et le social eussent été différents si ce Dictionnaire avait paru il y a cinquante ans — et même il y a une génération. Le présent, sans conteste, nous imprègne : nos questions sont ses questions et, nous l’espérons, nos réponses peuvent aussi lui être des réponses. La formalisation que représente Le dictionnaire de géographie et de l’espace des sociétés est tout le contraire, nous en sommes convaincus, d’une fossilisation. Mettons donc en garde le lecteur contre un usage dogmatique, dont nous avons toujours voulu nous prémunir, de la cohérence. Celle-ci constitue, croyons-nous, l’une des forces de cet ouvrage et nous serions navrés de voir se développer des vulgates paresseuses consistant à transformer, par perte d’esprit critique, les énoncés réflexifs en roides antiennes. En outre, si la volonté de proposer un instrument de travail et de réflexion solide et rigoureux fut notre but, il n’en reste pas moins (et heureusement) que l’espace mental que nous avons voulu baliser est nécessairement ouvert, inachevé. Nous avons parfois, par quelques petites touches, cherché à rendre perceptible et contagieux le caractère fondamentalement joyeux du travail de la pensée. On peut être sérieux sans se prendre au sérieux. C’est même recommandé. Résumé Comment se servir de ce dictionnaire ? Les entrées sont classées en quatre catégories signalées par un nombre 1, 2, 3 et 4). La catégorie 1 Théorie de l’espace correspond aux notions et concepts les plus fondamentaux de la géographie. Ses articles commencent toujours par une définition, imprimée en gras. Cette catégorie comprend les « [...] Pour faire référence à cet article Jacques Lévy, "‘Le Dictionnaire, mode d’emploi’.", EspacesTemps.net, Livres, 18.03.2003 http://www.espacestemps.net/articles/lsquole-dictionnaire-mode-drsquoemploirsquo/

‘Les entrées par catégories’. Jacques Lévy et Michel Lussault1 | 19.03.2003 1. Théorie de l’espace.

1



Accessibilité



Acteur spatial



Action spatiale



Agencement



Agglomération



Ailleurs



Aire



Aire culturelle



Alignement



Ambiance architecturale et urbaine



Aménagement du territoire



Anamorphose



Anthropisation



Archipel mégalopolitain mondial (AMM)



Armature urbaine



Attraction



Autocorrélation spatiale



Banlieue



Campagne



Capital spatial



Carte



Carte mentale

Professeur à l'université François-Rabelais de Tours. Membre du jury de l'agrégation de géographie, du comité national d'évaluation de la politique de la Ville, il dirige l'Action Concertée Incitative « Terrains, techniques, théories : travail interdisciplinaire en sciences humaines et sociales » du Ministère chargé de la recherche et des nouvelles technologies. Il a notamment publié Tours : Images de la Ville et Politique urbaine, Collection Sciences de la Ville Publications de l'Université François-Rabelais, Tours, 1993 ; avec Christian Calenge et Bernard Pagand, Figures de l'urbain. Des villes, des banlieues et de leurs représentations, collection Sciences de la Ville, Publications de l'Université François-Rabelais, Tours, 1997 ; avec Thierry Paquot et Sophie Body-Gendrot, La ville et l'urbain, L'état des savoirs, La Découverte, 2000 ; avec Jacques Lévy, Logiques de l'espaces, esprit des lieux. Géographies à Cerisy, Actes du colloque international de Cerisy, Collection Mappemonde, Belin ; Des légendes et des hommes, (dir.) Éditions Autrement, 2001. Il dirige, avec Jacques Lévy, le Dictionnaire de géographie et de l'espace des sociétés, aux Éditions Belin (2003). http://www.espacestemps.net/auteurs/michel-lussault/



Centralité



Centre/Périphérie



Centre urbain



Chorème



Chorotype



Circulation



Citadinité



Communication territoriale



Commutateur



Compromis territorial



Concentration



Configuration spatiale



Confins



Connexité



Contact



Contiguïté



Continent



Continuité



Coprésence



Corps



Cospatialité



Cyberespace



Décentralisation



Découpage



Découverte



Défrichement



Densité



Désert



Déterritorialisation



Développement local



Diaspora



Différenciation spatiale -Diffusion



Discontinuité



Dispositif spatial légitime



Distance



Distribution rang/taille



Distribution spatiale



District industriel



Diversité



Dynamique spatiale



Écart



Échelle



Économie-monde



Écoumène



Edge City



Emblème territorial



Emboîtement



Empire



Enclavement -Ensemble géographique



Espace



Espace public (I)



Espace vécu



État



État local



Étendue



Fédéralisme



Finage



Firme transnationale



Fleuve



Flux



Foncier



Forêt



Fractale



Friche



Front



Front pionnier



Frontière



Générique (Lieu)



Gentrification



Géoéconomie



Géogramme



Géographicité



Géographie



Géon



Géopolitique



Géosystème



Géotype



Ghetto



Glacis



Gouvernement urbain



Gradient



Graphe



Graphique



Gravitaire (Modèle)



Guerre



Habitat



Habitat non-réglementaire



Habiter



Haut lieu



Heimat



Hétérotopie



Hinterland



Horizont



Hors-sol



Hub



Identité spatiale



Île



Image



Imaginaire géographique



Immanence/Transcendance (spatiales)



Infra-urbain



Interaction spatiale



Interface



Interspatialité



Irrigation



Isolat



Isotropie



Jardin



Justice spatiale



Lieu



Lieux centraux (Théorie des)



Limite



Littoral



Local



Localisation



Logistique



Maillage



Maison



Marchandise



Médiance



Méditerranée(s)



Mer



Métaphore spatiale



Métrique



Métropole/Mégalopole



Métropolisation



Migration



Milieu



Milieu innovateur



Minorité territoriale



Mobilité



Monde



Mondialisation



Montagne



Nation



Network



Nœud



Norme



Oasis



Objet géographique



Parc à thème



Parc naturel



Parcours



Partie du monde



Pavillonnaire (Modèle)



Pays



Paysage



Périurbain



Peuplement



Polarisation



Population (Répartition de la)



Position



Pratique spatiale



Projet urbain



Prospective territoriale



Proxémie



Reconstruction(s)



Reconversion



Rénovation/Restauration/Réhabilitation



Représentation de l’espace



Réseau



Réseau technique



Réseau urbain



Rhizome



Rue



Rural



Schéma d’aménagement



Ségrégation



Seuil



Site



Situation géographique



Société-Monde



Sol



Spatialité



Stratégie spatiale



Substance



Système d’Information Géographique (SIG)



Système productif local (SPL)



Système spatial



Technopôle/Technopole



Télé-communication



Télétravail



Terre



Territoire



Territorial (Modèle)



Territorialité



Terroir



Topogenèse



Topographie



Topologie



Toponymie



Tourisme



Transition démographique



Transports



Ubiquité



Urbain



Urbain (Modèle)



Urbanisation



Urbanité



Valeur spatiale



Vaterland



Végétation



Village



Ville



Ville mondiale



Ville nouvelle



Violence



Visibilité (Régime de)



Voisinage



Zonage



Zone climatique

Résumé Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés : les entrées par catégorie. 1. Théorie de l’espace. Accessibilité Acteur spatial Action spatiale Agencement Agglomération Ailleurs Aire Aire culturelle Alignement Ambiance architecturale et urbaine Aménagement du territoire Anamorphose Anthropisation Archipel mégalopolitain mondial (AMM) Armature urbaine Attraction Autocorrélation spatiale Banlieue Campagne Capital spatial Carte Carte mentale [...] Pour faire référence à cet article

Jacques Lévy et Michel Lussault, "‘Les entrées par catégories’.", EspacesTemps.net, Livres, 19.03.2003 http://www.espacestemps.net/articles/lsquoles-entrees-par-categoriesrsquo/

Une lecture anglophone et marxiste. Kevin Cox2 | 20.11.2006 Vous m’avez invité1 à faire une lecture critique du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Je pense qu’il s’agit d’un bon ouvrage, très utile, très stimulant et, pour un géographe anglophone, très représentatif. C’est le genre de dictionnaire dont on a besoin. Il s’immerge dans les débats actuels et il est nourri de ces débats. C’est un ouvrage ambitieux qui va au-delà de la simple définition des objets géographiques comme « ville » ou « réseau de transport ». Par ailleurs, il atteint dans une large mesure ses objectifs. D’après le peu que je connais de la géographie française, ce travail en donne une bonne image en même temps qu’il en démarque pour partie, et c’est ce qui fait son intérêt. Autant dire qu’il n’est pas facile de le critiquer. Néanmoins, nul ouvrage n’est parfait, et je m’y essayerai donc. Je commencerai par présenter mon itinéraire afin de bien faire comprendre comment je me situe. Ensuite, je me concentrerai sur le Dictionnaire lui-même, en trois temps. Je ferai quelques propositions d’améliorations qui ne remettent pas en cause son approche générale de la géographie. Puis je m’arrêterai sur les objectifs de l’ouvrage et sur la méthode choisie pour atteindre ces objectifs. Enfin, je voudrais mettre l’accent sur ce qui me semble être les faiblesses du livre. De la « révolution quantitative » à la géographie marxiste. Je suis né en Angleterre il y a soixante-six ans. Je m’intéresse à la géographie depuis l’âge de quatorze ans et, quand je suis entré à l’université en 1958, j’ai eu la chance de rencontrer Peter Haggett et Richard Chorley, qui commençaient leurs enseignements à Cambridge. J’ai trouvé leur cours très excitants car ils s’écartaient beaucoup de la géographie que j’avais apprise à l’école. Ces deux chercheurs avaient pris la tête de la « révolution quantitative » de la géographie britannique. J’ai fait leur connaissance très vite et, encore une chance, ils s’intéressaient aux étudiants qui, comme moi, étaient insatisfaits de la géographie de l’époque. Ils ont joué un rôle très important dans ma formation intellectuelle et sont devenus des amis chers. À la même époque, j’ai aussi fait la connaissance de David Harvey, qui était plus avancé que moi dans les études. Il a lui aussi exercé une influence sur moi et est devenu un bon ami. J’ai quitté l’Angleterre en 1961 pour poursuivre ma formation aux États-Unis et, en 1965, j’ai obtenu un poste d’enseignant à l’Ohio State University. En ce temps-là, j’étais un 2

Kevin R. Cox est professeur de géographie à l’université d’Ohio State, à Columbus, aux États-Unis. Né en Angleterre en 1939, il réside aux États-Unis depuis 1961. Géographe politique, il s’intéresse plus particulièrement à la théorie et aux méthodes. Il porte un intérêt majeur aux rapports entre la théorie sociale, en particulier le matérialisme historique, et la géographie. Il a appliqué ces idées à la politique de l’urbanisation dans les sociétés capitalistes avancées et à l’économie politique de l’Afrique du Sud. Récemment, il a concentré son attention sur la politique du développement local. Il est l’auteur de quatre livres et a dirigé sept ouvrages. Son prochain livre, intituléSouth Africa and the Long History of Globalization, paraîtra en 2007 chez Routledge. Quand il ne travaille pas, il court, il joue du saxophone et fait de la randonnée en montagne.

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géographe quantitativiste mais avec un intérêt, qui ne s’est pas démenti, pour la géographie politique. J’ai appliqué les méthodes quantitatives au développement de la géographie électorale et je me suis employé à la rendre plus spatiale. J’ai également donné des cours de géographie quantitative. C’était un moment très stimulant pour moi. L’idée que, derrière le concept d’organisation de l’espace, il fallait aller chercher les rapports spatiaux fut pour moi une véritable révélation. À peu près jusqu’à 1973, j’ai eu un goût marqué pour une géographie s’intéressant à l’espace à travers une approche quantitative. Par la suite, mon orientation a commencé à changer pour diverses raisons. D’une part, je suis arrivé à la conclusion que mes efforts pour créer une géographie politique sur cette base avaient atteint leurs limites. D’autre part, la question urbaine a commencé à attirer mon attention et, à ce moment-là, David Harvey commençait lui aussi à aborder l’urbain d’un point de vue très différent de celui de la géographie quantitative. Par ailleurs, à l’école puis à l’université, je m’étais intéressé au marxisme. J’ai donc tout de suite compris la valeur de la nouvelle démarche de Harvey. Je suis devenu progressivement un géographe marxiste et depuis lors le marxisme constitue l’élément structurant de ma vie intellectuelle. Aujourd’hui j’enseigne la géographie politique, particulièrement la géographie politique urbaine, la mondialisation, les relations entre échelle et politique, l’histoire de la pensée géographique et l’Afrique du Sud, mais toujours d’un point de vue marxiste. Or j’évolue actuellement parmi des géographes qui s’éloignent du marxisme. C’est la soidisant « géographie humaine critique » qui domine. C’est certes une géographie d’extrême-gauche, mais qui, en mettant l’accent sur la dimension politique de la « différence », fait l’impasse sur le processus d’accumulation et sur la lutte des classes. Dommage ! Un dictionnaire, pour quoi faire ? S’agissant des dictionnaires, je dois dire que j’ai beaucoup de familiarité avec The Dictionary of Human Geography, dirigé par Ron Johnston, Derek Gregory, Geraldine Pratt et Michael Watts. Je le trouve très utile pour mes étudiants et pour moi. C’est un ouvrage indispensable, malgré ses faiblesses. Il a été en arrière-plan dans ma lecture du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. L’objectif majeur des éditeurs de ce dernier est de développer une démarche intégratrice. Ils veulent se démarquer du manque de cohérence, de l’éclectisme et de la juxtaposition de points de vue positivistes et post-positivistes qu’ils pensent avoir trouvés dans le dictionnaire anglophone. Je ne suis pas d’accord avec ce jugement et je dirai pourquoi plus loin. Les directeurs situent l’objectif de créer un dictionnaire intégrateur dans le contexte d’une géographie française plurielle. Ils constatent l’existence de trois courants intellectuels qui s’opposent les uns aux autres : l’analyse spatiale; la géographie culturelle, qui s’occupe du qualitatif, du singulier ; et ce qu’ils appellent la nouvelle géographie de l’environnement, qui a pour but l’intégration des apports de la géographie physique au sein d’une géographie humaine définie comme une science sociale. Leur but est de rendre effective, à travers les différentes entrées, la complémentarité entre ces courants intellectuels.

La géographie comme science sociale constitue un thème majeur du Dictionnaire. Les directeurs parlent aussi de l’ouverture de la géographie aux sciences sociales. À travers le Dictionnaire, ils souhaitent explorer les rapports entre la géographie humaine et les sciences sociales. Nombre d’articles mettent l’accent sur la « socialisation » de la géographie par suite de la contestation de l’orthodoxie vidalienne. Ils participent d’une volonté de « libération » de la géographie, libération commencée dès les années 1960. Il s’agit pour la discipline de s’affranchir d’un rapport parasitaire aux sciences sociales, d’entrer avec elles dans un dialogue réciproquement utile et de se mettre ainsi en position de contribuer à une théorie du social (social theory). Dans ce contexte, les directeurs se préoccupent du langage de la géographie. Ils désirent le rendre plus rigoureux. Ils semblent croire que c’est une précondition pour une géographie scientifique et, en conséquence, pour une géographie comme science sociale. On peut, jusqu’à un certain point, être d’accord avec cette démarche. Pendant longtemps j’ai été contrarié par l’abus que fait la géographie économique des termes « territoire » et, plus encore, « développement territorial », qui induisent des connotations trompeuses sur la question du pouvoir. Néanmoins, j’ai peur que l’objectif « une chose, un mot », que les directeurs annoncent, risque de nuire à la prise de conscience du caractère dynamique du sens des mots. Leur visée semble suggérer qu’il y a dans les sciences sociales un langage d’observation neutre et je ne crois pas que cela soit exact. L’organisation du Dictionnaire: quelques remarques générales. 1. L’index pose problème. Il ne renvoie qu’aux entrées. Pourquoi pas un index supplémentaire qui ne comprendrait que les noms des personnes mentionnées dans les entrées ? Par exemple, il devrait être possible de retrouver les passages duDictionnaire où l’on cite Doreen Massey ou Torsten Hagerstrand, ce qui est actuellement impossible. 2. Les penseurs de l’espace. C’est une innovation intéressante, dont le dictionnaire anglophone aurait bien besoin. Mais je crois qu’il serait utile d’y inclure quelques géographes vivants. Je pense, entre autres, à Karl Butzer, William Garrison, Peter Haggett, David Harvey, Ron Johnston, Doreen Massey et Donald Meinig. 3. Le Dictionnaire aurait besoin de plus de références à la littérature. Par exemple, dans l’entrée au sujet de la « simulation » on trouve des remarques très flatteuses sur les travaux de Hagerstrand sur les migrations. Mais si je voulais lire les travaux en question, il me serait impossible de trouver les références nécessaires dans leDictionnaire. 4. Pour illustrer les idées qui sont développées dans les entrées, il serait utile quelquefois d’inclure des tableaux, des diagrammes et des graphiques pour souligner les contrastes, pour structurer ou résumer les points de vue. Un diagramme sagittal peut ainsi aider le lecteur à comprendre le texte, comme ce serait le cas pour la discussion du modèle de migration d’Hagerstrand dans l’article sur la simulation. Le Dictionnaire représente un point de vue français, un point de vue qui résulte d’une immersion dans les travaux des géographes français. Les éditeurs sont clairs à ce sujet. Dans un monde caractérisé par des différences de langage et des barrières institutionnelles à l’échange entre les différentes écoles nationales, ce n’est pas

surprenant. J’ai trouvé très stimulant de découvrir ces approches, ces problématisations, cette histoire, qui font de la géographie française une géographie spécifique, différente de la géographie anglophone, mais il nous faut noter que cette dernière n’est pas monolithique — il existe, par exemple, des différences entre la géographie américaine et celle du Royaume-Uni. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, il n’y a jamais eu de rapport étroit, moins encore étouffant, avec l’histoire. Il n’y a pas eu non plus de conflits entre la géographie et la sociologie ; en fait, au Royaume-Uni, il n’y avait pas de sociologie du tout, ce qui fut un atout important de la géographie universitaire pour attirer les bons étudiants ! Par ailleurs, je remarquerai la faiblesse relative de la géographie économique en France. Presque tous les auteurs qui sont cités dans l’entrée qui s’intitule « Économique (Géographie) » sont anglophones. N’existe-t-ils pas de géographes économistes en France — à l’exception de George Benko, bien sûr ? De même, le Dictionnaire met l’accent sur l’ouverture sur la société de la géographie française, mais j’ai l’impression qu’il s’agit d’une socialisation un peu différente que celle qui caractérise les États-Unis ou le Royaume-Uni. Dans ces pays, la géographie féministe, la géographie marxiste et, plus récemment, les approches post-modernes et post-structuralistes, ont été plus importantes. Toutes ces démarches ont induit un plus grand intérêt pour les questions de pouvoir et de l’espace. À cet égard, j’ai trouvé frappante l’absence de traitement des conflits sur les localisations, comme dans le soi-disant NIMBYsme2 ou de la dimension politique des échelles. J’ai aussi l’impression que l’écologie politique n’est pas familière parmi les géographes français. Je ne m’étonne donc pas que, dans l’ensemble, la géographie politique actuelle en France ne semble pas être si développée que dans la géographie anglophone. En revanche, j’ai été impressionné par le niveau du débat, la capacité à produire des critiques constructives aux niveaux concret aussi bien qu’abstrait. À propos des entrées plus concrètes, par exemple, j’ai rencontré avec grand plaisir des thèmes tels que « Montagne », « Désert » et « Diaspora » parmi beaucoup d’autres. Cela montre clairement que la géographie française est vivante et en bonne santé. Au-delà des différences, il est frappant de constater que l’histoire de la géographie française n’est pas si distincte qu’on pourrait le croire de la géographie anglaise ou américaine. En tous les cas, on a la même évolution qui procède de la naturalisation à la socialisation, et de la socialisation à la déconstruction. Les débats aussi convergent. Je reviendrai à cette observation plus tard. Mais si le point de vue du Dictionnaire vient de l’intérieur de la géographie française, en quoi consiste-t-il ? À mon sens, le trait dominant est l’accent mis sur le constructivisme. Il me semble que c’est l’axe organisateur du Dictionnaire. Il faut toutefois reconnaître que ce mot a plusieurs sens : il y a plusieurs constructivismes. Indépendamment de nuances sur lesquelles je reviendrai, je suis en accord avec ce point de départ. Entre autres choses, il faut reconnaître la nature non immédiate de toute observation. Les faits ne sont jamais accessibles directement à nos sens. La condition nécessaire de toute observation est l’existence d’une grille interprétative. Ensuite, il faut rejeter le positivisme

de la révolution spatiale-quantitative, aussi bien que l’empirisme naïf de l’école vidalienne. Par ailleurs, les constructions du monde sont toujours sociales. Les idées, les acceptions à travers lesquelles nous comprenons le monde, relèvent de notre socialisation, une socialisation qui est à la fois intentionnelle et inconsciente. Ainsi, limiter les objets d’intérêt de la géographie au monde matériel — comme dans l’école vidalienne — n’a pas de sens. Nous habitons un monde dont les objets sont toujours sociaux. Par conséquent, le caractère social du monde doit saisir notre attention. Nos idées du monde, à travers lesquelles nous le construisons, sont les idées que nous partageons avec d’autres. Cela ne veut pas dire que toutes les idées marcheront. On doit reconnaître — comme les contributeurs de ce livre — le réel au sens où toutes les idées qui concernent le monde doivent subir l’épreuve de la pratique. Peut-être est-ce évident ; mais pas dans certains cercles de la géographie anglophone. La construction sociale du monde est ainsi mise en avant. Mais il faut savoir par qui, et en faveur de qui se fait cette construction ? En conséquence, il y a une reconnaissance du caractère non neutre de l’observation. C’est apparent partout dans le Dictionnaire, mais la prise en considération, dans l’entrée sur le « Post-colonialisme », de la construction discursive du monde par les Européens ou les Occidentaux est un bon exemple du caractère orienté de l’observation au regard de la construction sociale du monde. Enfin, et dans l’esprit du constructivisme qui parcourt le Dictionnaire, on y rencontre scepticisme profond envers les dualismes qui ont tourmenté la géographie dans le passé, tels que l’espace et la société ; la nature et la société ; l’individu et la société ; l’espace et le temps ; la partie et le tout ; le singulier et l’universel. Mais, et significativement pour moi, alors que les entrées essaient de déconstruire ces dualismes, elles butent sur la question de leur origine. Sont-ils transhistoriques et, donc, susceptibles d’une déconstruction purement philosophique ? Ou est-ce qu’il y a quelque chose d’autre qui renvoie à des conditions sociales particulières ? Cette remarque m’amène à quelques critiques plus profondes du Dictionnaire. Quelques critiques bienveillantes. J’ai deux critiques qui sont liées l’une à l’autre à certains égards. Ce sont des critiques constructives, qui ne mettent pas en cause l’apport général du Dictionnaire. Le traitement de la « géographie spatiale-quantitative ». En dépit du désir de découvrir quelque cohérence entre les différentes parties de la géographie, j’ai trouvé le traitement de ce que j’appellerai la « géographie spatialequantitative un peu difficile à comprendre. D’une part, il y a une reconnaissance de l’importance centrale de cette révolution, en même temps théorique et méthodologique, par rapport à la trajectoire de la géographie pendant le vingtième siècle; par exemple : « Au bout du compte, le mérite de ces nouvelles géographies aura été non pas d’imposer une nouvelle vulgate, mais de permettre depuis presque un demi-siècle désormais, une exceptionnelle et inédite dynamisation du débat scientifique en géographie. » (p. 662).

D’autre part, il y a une certaine ignorance des apports de ce courant, de sa contribution persistante à une géographie revivifiée capable d’entrer dans un échange d’idées avec les autres sciences sociales. Je voudrais affirmer que la révolution spatiale-quantitative fut très importante pour explorer les rapports multiples entre l’espace et la société. Je pense en particulier au travail de gens comme Peter Gould, Waldo Tobler, Les Curry et Torsten Hägerstrand, et leur développement de méthodes qui ont la capacité de mettre à jour des relations qu’on ne soupçonnait pas jusque là. Plus généralement il en résulta que les géographes devinrent plus conscients de l’organisation spatiale de la société sous toutes ses formes. Cependant, dire de l’espace qu’il est organisé n’implique pas de rechercher des lois qui régulent son organisation. Depuis au moins une vingtaine d’années, peut-être une trentaine, il y a eu un recul par rapport à cette position en faveur d’une autre qui reconnaît, de plus en plus, la centralité du contexte et des circonstances, pour comprendre les distributions, les différenciations et les transformations qu’on observe. Cette démarche est clairement présente dans le travail de Curry sur le modèle gravitaire. Il a démontré comment le soi-disant effet de distance varie avec le contexte spatial. Elle était déjà implicitement présente dans le travail de Berry pendant les années 1960, quand il montra que les paramètres des modèles de lieux centraux varient, entre autres choses, en fonction de la densité de la population et des moyens de transport dont les gens disposent. Il me semble que, pour les directeurs et les contributeurs, le problème vient d’une croyance en une identité entre travail spatial quantitatif et positivisme. Mais une telle identité n’est nullement mécanique. En tant que géographes, il nous faut faire usage des chiffres, mais cela ne nous lie pas à une épistémologie positiviste. Par ailleurs, comme Andrew Sayer l’a indiqué, il existe ce qu’il appelle des méthodes intensives aussi bien que des méthodes extensives. Le but des méthodes intensives est de déterminer les mécanismes causaux. De telles méthodes incluent l’ethnographie, l’observation participante et l’usage des entretiens sans questions prédéterminées. Le but des méthodes extensives est de déterminer la distribution des attributs et des rapports, leur étendue dans le temps et dans l’espace. Ici, on dispose des méthodes quantitatives. À son avis, les deux types de méthodes sont complémentaires. Il ne s’agit donc pas de limiter les méthodes quantitatives à une fonction exclusivement descriptive, comme Hägerstrand l’a démontré avec ses modèles de simulation. En revanche, si l’on a l’intention d’utiliser des méthodes quantitatives en description, on doit prendre conscience de tout ce qui est disponible, de leurs forces et de leurs faiblesses. Ainsi, si le Dictionnaire est révisé, il serait utile d’inclure des entrées qui discutent, entre autres choses, les méthodes de délimitation des régions, la corrélation spatiale, l’analyse des réseaux de transport, les indices de concentration et de ségrégation, l’analyse de la distribution des points. Il faudrait aussi analyser les problèmes qui émergent inévitablement au cours de l’interprétation : les effets d’agrégation, l’illusion écologique (ecological fallacy), par exemple.

Le Dictionnaire et le marxisme. J’ai remarqué une certaine distance — et même une prise de distance volontaire — duDictionnaire vis-à-vis su marxisme. Je suppose que cela a quelque chose à voir avec l’histoire de la géographie française, quelque chose dont je n’ai pas connaissance. Néanmoins je ne peux résister au fait de raconter qu’une de mes premières rencontres avec la géographie française a été la lecture, quand j’étais étudiant, deL’Europe Centrale de Pierre George et Jean Tricart, alors même qu’il m’était apparu que leur marxisme était pour le moins un peu trivial et superficiel. Pourtant, et depuis lors, la géographie marxiste a fait beaucoup de progrès. D’où les remarques qui suivent. L’image du marxisme et de la géographie marxiste dans le Dictionnaire est un peu trompeuse, surtout dans le contexte des interprétations entreprises dès 1970. C’est presque une caricature et c’est loin d’être sympathique. Par exemple : le marxisme est déterministe (p. 589) ; le marxisme réduit l’accent mis sur l’individu (p. 762) ; le marxisme est réducteur (p. 491) ; et le marxisme constitue un « grand récit » (p. 463). Tous ces attributs peuvent aisément être remis en cause. À propos de la géographie marxiste, on lit dans le Dictionnaire : « On peut penser qu’une véritable géographie du capitalisme, qui ne soit ni allégorique ni dénonciatrice, reste à faire. Hormis quelques travaux assez originaux (Lipietz, 1975), le capitalisme en lui-même, en tant que puissance organisatrice de l’espace n’a pas réellement été investi […]. Il y a là des recherches fertiles qui mériteraient d’être approfondies, alors que des pans entiers (par exemple le problème des relations entre capitalisme, circulation et échange des biens et des marchandises et organisation urbaine) demeurent quasiment vierges de démarches raisonnées. » (pp. 127-128). Surprenant ! C’est comme si les travaux de David Harvey et Doreen Massey n’avaient jamais existé. Dans son livre The Limits to Capital, Harvey décrit les divers modes par lesquels les contradictions de capitalisme s’expriment spatialement. Il met l’accent en particulier sur la contradiction entre la fixité et la mobilité et sa tendance à susciter la formation de coalitions de forces diverses pour défendre un territoire contre le défi de la dévalorisation. Je voudrais encore faire deux remarques sur l’apport potentiel du marxisme auDictionnaire et, aussi à la géographie. Premièrement, je voudrais me focaliser sur le style critique particulier qui parcourt le Dictionnaire. Il s’agit d’une posture critique à base philosophique, visant la découverte des vérités universelles. Cela a pour conséquence de produire des abstractions empiristes, des abstractions de quelque chose. Par exemple, qu’est-ce qu’on veut dire par « la société », « l’individu », « le territoire », « la région », « l’espace », « la ville », etc. ? Il est vrai qu’après avoir procédé aux abstractions, on peut ensuite les mettre en rapport avec d’autres abstractions pour parvenir, par exemple, à une conception des liens entre la société et l’individu. Mais il existe un grand danger à procéder de cette façon. En construisant des abstractions comme celles-ci, on les arrache aux circonstances sociales et historiques, qui, en vertu de structures et de pratiques sociales, les suscitent. Les abstractions comme « l’espace » ne sont pas transhistoriques. Dans les sociétés précapitalistes, il n’y a pas le sens, le sens très abstrait, que nous

attribuons au mot. Ainsi, quand on interroge un concept, il est important qu’on l’examine dans ses contextes. Par ailleurs, ces abstractions n’existent pas ; elles ne renvoient pas au réel. Où est « l’économie » en général, « la division du travail » en général, ou « l’État » en général ? Je peux repérer une économie capitaliste et un État capitaliste mais pas quelque chose en général. Ce sont des abstractions qui manquent de contenu et, en conséquence, de puissance explicative. Les abstractions du marxisme sont différentes. Ses abstractions ne sont pas des abstractions de quelque chose ; elles ne résultent pas d’un exercice purement mental. Au contraire, ces abstractions émergent historiquement en vertu d’une réalité sociale et matérielle qui se transforme. Un concept comme « l’espace » apparaît à un moment déterminé comme résultat d’un système d’échanges très développé, d’un éloignement grandissant entre les acheteurs et les vendeurs. En même temps, on voit comment les structures sociales, les pratiques se transforment, ce qui provoque un changement dans leurs effets causaux et leurs acceptions. La division du travail se transforme et on doit prendre en compte ces changements si l’on espère saisir leurs effets. On ne peut pas s’en tenir à « la division du travail » mais il faut examiner la division du travail capitaliste avec sa propre dynamique. Ma deuxième observation porte sur l’orientation très claire du Dictionnaire vers l’ouverture aux autres sciences sociales. Je ne suis pas entièrement sûr de ce qui est visé au titre de cette ouverture. Je suppose qu’on en espère un important foisonnement des démarches interdisciplinaires. Si c’est le cas, alors allons-y franchement ! De telles démarches sont rares. Plus rares encore sont celles qui réussissent. Il y a une bonne raison à cela. Le monde académique est divisé et fragmenté. Chaque discipline a son propre objet d’étude. Pour la géographie, c’est l’espace; pour la science politique, c’est l’État; pour la sociologie, c’est la société, etc. La division est liée au mode d’abstraction, l’abstraction empiriste dont j’ai déjà parlé. Un des résultats de cette division est la croyance dans le fait que les rapports entre l’économie, la politique, l’espace, le social, etc., sont contingents et non nécessaires. En conséquence, ces disciplines peuvent se penser indépendamment les unes des autres. Elles se développent dans un certain isolement avec leurs propres langages, leurs propres intérêts substantifs, et, bien sûr, leurs propres marchés du travail. En conséquence, il n’est pas facile de communiquer avec les autres sciences sociales et, de plus, la volonté en est limitée. Toutefois, en fin de compte, le problème n’est pas le mode d’abstraction. C’est plutôt le monde que nous habitons. Il s’agit de la manière dont le monde se présente en lien avec nos pratiques quotidiennes et les différenciations qui en résultent. Dans ce monde il faut constamment entrer dans des échanges et, dans l’acte d’échange, il faut abstraire. On parle de « valeur » pour l’argent. Comment arriver à un concept de valeur en matière d’argent? On doit isoler les attributs des biens qu’on préfère des attributs qui sont d’intérêt mineur. C’est un acte d’abstraction de quelque chose. Par ailleurs, avec le développement de la marchandise, le monde social se divise en de multiples secteurs. En entrant dans ce monde, on a l’impression de faire des choix : on peut choisir son patron, on peut choisir le quartier où l’on veut vivre, on peut choisir beaucoup de choses. Mais notre expérience est décevante. Il y a des limites que le monde nous impose. Nous ne

pouvons pas choisir de ne pas travailler du tout pour quelqu’un. L’État ne peut pas ignorer les besoins du processus d’accumulation, etc. Le sens d’un monde pluriel est ainsi trompeur. Jusqu’à présent, les marxistes seuls ont reconnu ce fait fondamental et ont développé un langage pour comprendre notre monde. Ce n’est pas un langage interdisciplinaire mais transdisciplinaire. Sans égard pour leur discipline académique, les marxistes trouvent, sans difficultés, les moyens de communiquer. Et cela, personne ne peut le nier. En conclusion, la lecture de ce Dictionnaire m’a fait prendre conscience de la vigueur impressionnante de la géographie francophone actuelle. Il s’agit d’un livre remarquable. Il existe des entrées d’une incontestable originalité et, pour le géographe professionnel, c’est un excellent ouvrage de référence. Dans les prochaines éditions, je pense qu’il serait utile de mieux prendre en considération les contributions durables de la géographie spatiale-quantitative dans une perspective non positiviste. Je crois aussi que la géographie marxiste est à l’origine d’apports qui sont plus substantiels que ceux que les directeurs et les contributeurs reconnaissent et qu’elle pourrait largement servir à la mise en cohérence qu’ils recherchent. Ces remarques n’entament cependant pas ma conviction qu’il s’agit d’un excellent ouvrage. Jacques Lévy et Michel Lussault (dirs.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Éditions Belin, 2003. 1033 pages. 31 euros. Résumé Vous m’avez invité1 à faire une lecture critique du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Je pense qu’il s’agit d’un bon ouvrage, très utile, très stimulant et, pour un géographe anglophone, très représentatif. C’est le genre de dictionnaire dont on a besoin. Il s’immerge dans les débats actuels et il est nourri [...] Pour faire référence à cet article Kevin Cox, "Une lecture anglophone et marxiste.", EspacesTemps.net, Livres, 20.11.2006 http://www.espacestemps.net/articles/une-lecture-anglophone-et-marxiste/

La frontière, un objet spatial en mutation. Groupe Frontière3 | 29.10.2004 La frontière, un objet spatial en mutation. Groupe Frontière La « frontière » est habituellement comprise comme la « limite de souveraineté et de compétence territoriale d’un État » De nos jours, la prégnance de cette définition semble s’estomper à l’échelle mondiale, accompagnant ainsi le processus de relativisation multiforme de l’État. Il faut y voir l’effet de l’évolution des techniques de transport et de communication, la dynamique et l’ampleur des échanges économiques, mais aussi la prise en considération politique d’une plus grande interdépendance du système-monde. Dans cette perspective, la désactivation sélective des frontières intra européennes n’est qu’une manifestation particulièrement vive d’un processus beaucoup plus vaste, mais très inégal à l’échelle planétaire. Cette tendance ne signifie d’ailleurs en rien la disparition de l’objet même de « frontière ». S’estompant sous ses expressions conventionnelles, la réalité frontalière réapparaît ailleurs, sous d’autres formes, mais toujours en des lieux investis d’une forte capacité de structuration sociale et politique. C’est dans ce travail de renouvellement effectif de la notion que s’est engagé le Groupe Frontière. La démarche conduit naturellement à revenir sur un concept central de la géographie, mais moins à partir de formes attendues que de propriétés. La frontière, une construction historique évolutive. L’Antiquité classique puisait l’idée de frontière dans les pratiques d’une société rurale qui bornait l’espace, dans le sens d’une extrémité au-delà de laquelle s’ouvre souvent l’inconnu (finis chez les Romains). L’apparition du terme est toutefois bien plus tardive, puisque son étymologie vient de « front », qui désigna à partir du 13e siècle la limite temporaire et fluctuante séparant deux armées lors d’un conflit (Fèbvre, 1962). Ce n’est qu’avec l’avènement de l’État moderne que la frontière apparaît comme une limite de souveraineté (Nordman, 1999). Du 16e au 19e siècle, les principes de continuité et de cohésion territoriales s’imposèrent aux dépens des repères médiévaux et primèrent sur les allégeances interpersonnelles ; confins et marches furent alors remplacés par des tracés de plus en plus exclusifs. Marquée par cette acception westphalienne, la frontière d’État s’imposa dès lors comme la forme la plus claire, la plus lisible et la plus achevée d’une expression absolue de souveraineté et finit par faire converger les principales discontinuités territoriales, qu’elles soient politiques, économiques ou sociales. L’apparition de la ligne-frontière accompagna étroitement les progrès de la pensée moderne de l’espace. Elle participa également des 3

•Christiane Arbaret-Schulz, Chargée de recherche, Cnrs, Strasbourg ; •Antoine Beyer, Maître de conférences de géographie, Université Louis Pasteur, Strasbourg ; •Jean-Luc Piermay, Professeur de géographie, Université Louis Pasteur, Strasbourg ; •Bernard Reitel, Maître de conférences de géographie, Université de Haute-Alsace, Mulhouse ; •Catherine Selimanovski, Maître de conférences de géographie, Iufm, Montpellier ; •Christophe Sohn, Docteur de géographie, Université Louis Pasteur, Strasbourg ; •Patricia Zander, Maître de conférences de géographie, Université Louis Pasteur, Strasbourg. http://www.espacestemps.net/auteurs/groupe-frontiere/

perfectionnements de la cartographie et de l’évolution des stratégies militaires. Avec le projet colonial, la frontière d’État s’exporta hors d’Europe, pour finalement s’imposer à l’ensemble de la planète (Foucher, 1991). De nos jours, son acceptation par les différents états et les organisations internationales lui confère un statut de modèle. Deux notions ont tour à tour été brandies comme des principes de légitimation de tracés où les frontières sont parties prenantes du discours de construction idéologique du territoire : les « frontières naturelles » et les « frontières historiques ». 

La recherche de la « frontière historique » s’inscrit fréquemment dans un mouvement de revendication territoriale qui cherche à prouver à partir de documents la légitimité d’un tracé antérieur. Elle a souvent appuyé au 19e et 20e siècles des revendications nationalistes, forcément conflictuelles par le choix de la période historique de référence qui correspondait à une extension territoriale maximale au détriment des États voisins (cf. la Grande Allemagne ou plus récemment la grande Serbie).



La référence à une « frontière naturelle » remet en cause l’enchevêtrement des droits historiques et des limites héritées pour mettre en avant une partition qui s’appuie sur des accidents topographiques ou hydrographiques « évidents ». La frontière naturelle est bien une convention dans laquelle n’intervient ni la puissance divine, ni même la Nature, mais bien la volonté des princes ou plus exactement de leurs conseillers militaires. La frontière doit être une ligne qui, en s’appuyant sur des éléments physiques, a le mérite d’être à la fois plus facile à surveiller et plus lisible dans le paysage. Le caractère conventionnel de la frontière dite naturelle a souvent prêté à confusion dans le cadre d’une approche déterministe de la géographie, où l’on cherchait dans la topographie ou l’hydrographie des fondements de divisions politiques. En sens inverse, on assiste aujourd’hui à une extraordinaire opération de resémantisation de la Nature pour justifier des projets territoriaux transfrontaliers (Fourny-Kober, 2003). La question environnementale est ainsi mobilisée pour devenir le principe unitaire sous-jacent que la coupure frontalière était venue interrompre arbitrairement. Ce nouveau rôle prêté à la Nature est alors le plus souvent mis en scène par la gestion commune de parcs, de bassins fluviaux, etc.

Continuant encore à nous servir de référence, la frontière westphalienne classique ne constitue cependant pas un aboutissement indépassable, car si notre rapport au territoire évolue, la notion et le fonctionnement de la frontière elle-même doivent être réévalués. Une première définition générique de la frontière. Partant de la perspective historique précédente, nous pouvons tenter une première définition du terme. La frontière est une limite politique signifiante d’un territoire. C’est un objet dont l’émergence s’inscrit dans un processus de territorialisation. Aussi, tout territoire qui se construit porte en lui les germes de frontières. Mais la frontière est également un objet mis en place par un pouvoir dont le projet politique est de s’affirmer et de se distinguer des autres entités territoriales. Nous entendons par pouvoir toute entité qui possède la « capacité à agir sur une situation de manière à en modifier le contenu ou le devenir » (Lévy, Lussault, 2003) et par politique, tout ce qui « concourt à

structurer une société » (Piermay 2002). L’intérêt de son étude géographique est alors de comprendre les mécanismes et les manières dont se gèrent politiquement les discontinuités spatiales et sociales qu’institue toute délimitation. De ce fait, elle ne se résume pas au seul partage de souveraineté entre deux États, propriété à laquelle on la réduit trop souvent. Pour singulariser la frontière par rapport à des notions voisines, J.-P. Renard (2002) suggère une gradation conceptuelle entre les notions de limite « qui circonscrit deux ensembles spatiaux dont on souligne les différences » qui ne sont pas forcément structurantes, ladiscontinuité qui suppose des structures d’organisation de l’espace, et enfin lafrontière, séparation structurante qui exprime ou révèle l’exercice d’un pouvoir. La frontière suppose bien la discontinuité qui elle même implique la limite. Dans son expression concrète, la frontière peut recouvrir différentes formes spatiales : ponctuelle, linéaire, aréolaire ou réticulaire. Point

Ligne

Aire

Frontière nodale, point de Frontière linéaire, ligne Marche, passage de front

Réseau Réseauxfrontières1,

démarcation Les formes émergentes de frontières. Dans les espaces d’aujourd’hui, que la multiplication et la sophistication des réseaux rendent de plus en plus complexes, la notion de « frontière » est susceptible d’apparenter des réalités que les géographes n’avaient pas appris à rapprocher. Cette mutation des frontières porte sur deux registres qu’il convient de bien distinguer : d’une part, les modalités d’inscription spatiale des frontières nouvellement créées ou en voie de transformation ; d’autre part, la nature des processus et des acteurs territoriaux concernés. À côté de la classique frontière d’État terrestre qui se localise aux marges des territoires nationaux, des frontières réticulaires viennent appareiller les réseaux de transports. Cette projection de la frontière d’État dans les nœuds des réseaux de communication tranche avec la figure classique de la ligne frontière séparant des territoires contigus. De même, dans le registre des acteurs producteurs de frontières, l’émergence de nouvelles organisations ou simplement de groupes d’individus capables d’agir sur le plan politique, de susciter des identifications fortes et de faire territoire, ouvre la possibilité de définir des frontières gestionnaires. Enfin, la participation inégale à la société de ses membres, assortie de l’éventuelle action des autorités pour apporter une réponse à ces inégalités, permet de parler de frontières sociales. Nonobstant d’autres acceptions possible du terme et sans rechercher une illusoire exhaustivité dans l’analyse que donne à voir les mutations actuelles de l’objet, ce sont ces trois types de frontières qui sont actuellement étudiées par les géographes de Strasbourg. L’analyse s’effectue selon une méthode de regards croisés qui permet de faire circuler la

réflexion d’un type de frontière à l’autre avec l’objectif scientifique d’enrichir la compréhension du concept. Frontières réticulaires. De nouvelles formes de frontières d’État apparaissent aux périphéries des très grandes villes. Attirées par les grands réseaux de transport et de communication, ces frontières viennent se greffer sur leurs principaux nœuds, là où justement l’accessibilité est maximale. Elles s’y relocalisent en se conjuguant avec les terminaux de toutes sortes : aéroports, ports spatiaux, maritimes ou fluviaux, gares routières et ferroviaires, platesformes logistiques. Nous appelons frontières réticulaires, ces formes frontalières qui s’imbriquent étroitement aux réseaux techniques et les appareillent, alors que les États sont appelés à mettre en œuvre des modalités de plus en plus sophistiquées de contrôle dédiés à des circulations spécifiques : celles des personnes ou des marchandises, des services ou des informations. Elles n’ont plus les formes que nous leur connaissions, puisqu’il ne s’agit plus de frontières linéaires aux fonctions polyvalentes, mais de points de contrôle qui se multiplient au sein des espaces réticulaires de plus en plus spécialisés et étroitement agencés à eux. Il s’y invente des formes de contrôles complexes et sophistiquées où s’imbriquent des enjeux multiples, de nature politique, économique, sociale, juridique et technique. La frontière est d’autant moins dissociable du réseau que les contrôles s’opèrent tout au long de l’acheminement. Si les réseaux incorporent les caractéristiques traditionnelles d’une frontière d’État, ils vont bien au-delà. Par exemple, l’impératif de protection d’un territoire national tend à s’y confondre avec l’impératif de protection des installations, aéroportuaires ou ferroviaires. Entre ces deux enjeux, l’équivoque s’installe : en témoigne l’émergence de partenariats et de coopérations tout aussi étranges et inédits entre États et gestionnaires de réseaux que viennent parfois révéler les incidents. Tout se passe comme si ces frontières étatiques, en se technicisant et en se « réseautisant », perdaient décidément de leur « exclusivité» étatique. Par leur efficace, ces nouvelles formes frontalières permettent aux sociétés qui en sont appareillées de jouer sur tous les registres de la distance, qu’elles peuvent installer ou effacer à leur gré, en fonction des circonstances les plus variées. Elles révèlent enfin qu’aujourd’hui le dehors et le dedans territorial s’enchevêtrent. A l’évidence ces frontières révèlent que les villes autant que les États, aujourd’hui, croissent en complexité. Frontières sociales. Une frontière sociale est une limite interne à la société qui tient selon Georg Simmel2à la différence de degré de participation à la société des membres de collectivités ou de groupes. Les membres de plein droit participant pleinement à la société sont séparés des membres qui ne le sont qu’à moitié ou au quart par une frontière : elle isole ces derniers de l’ensemble dont ils font pourtant partie. Ainsi, l’hétéronomie sociale implique la frontière. Mais une frontière sociale, aussi dure soit-elle, n’est pas analogue à une fracture, car les parties séparées par la frontière ne partent pas à la dérive. Ces parties évoluent dans l’interdépendance malgré la distance que la frontière introduit entre elles.

La forme de la frontière sociale est tantôt rigide, tantôt floue. Dans le cas de la frontière de la pauvreté, par exemple, l’entrée dans la sphère de l’assistance crée une frontière digitale au regard du droit. Mais la difficulté du rapport au travail dessine une limite floue. Elle est le résultat de l’enchevêtrement des statuts des intéressés : tantôt bénéficiaires de minima sociaux, ou chômeurs, ou travailleurs précaires, tantôt bénéficiaires de minima sociaux et chômeurs, travailleurs à temps partiel et bénéficiaires de minima sociaux et chômeurs par intermittence. Par conséquent, la figure de la frontière sociale interpelle car elle suppose, ici aussi, des jeux ambivalents entre liaisons et séparations, fractures et transitions, dehors et dedans, disqualification et protection, enfermement et protection. Corrélativement, cette complexité se traduit dans l’espace par une trace aux formes changeantes (soit très marquée, soit à peine esquissée, soit complètement transparente) et qui est présente à la fois dans la strate de l‘espace sociétal et dans la strate de l’espace vécu. Dans la strate de l’espace sociétal, l’impact de la frontière est lié aux effets de lieu, induits par la concentration ou la dispersion résidentielle des populations en situation dominée et à l’existence d’une correspondance fréquente entre les espaces de concentration de ces populations dominées dans la ville et les territoires de la politique de la ville que la société désigne comme des territoires ségrégués. Dans la strate de l’espace vécu, l’impact de la frontière est induit par la territorialité du repli que produit l’hétéronomie sociale dans laquelle vivent les personnes ayant passé une frontière sociale. En effet, leurs migrations résidentielles bloquées figent les dimensions de l’espace de leurs pratiques sociales. Ces mêmes difficultés contraignent leur mobilité habituelle et finissent par rétrécir les dimensions de l’espace de leurs pratiques quotidiennes. L’expérience de la territorialité du repli augmente d’autant le poids de la disqualification sociale qu’elles supportent. De la sorte, la frontière sociale n’est pas seulement une métaphore spatiale car elle produit des limites spatiales construites par la société et des limites perçues et vécues par les personnes intéressées. Ces limites spatiales sont bien des frontières parce qu’elles renvoient au champ du politique, c’est-à-dire à la structuration de la société. Elles signifient un rejet de la Cité qui prend la forme d’une incommunicabilité fermant l’individu aux réseaux ayant façonné la société et assuré la promotion dans la société. Ce rejet induit des pratiques collectives réactives, parfois violentes, qui alimentent les peurs et l’insécurité se diffusant dans la société par l’intermédiaire des médias. Frontières gestionnaires. Le processus de relativisation de l’État, issu de la multiplication récente des interactions à l’échelle mondiale notamment du fait de la mise en place de réseaux techniques performants, laisse une place importante à d’autres acteurs pour « faire territoire ». De ce fait, le terme de « frontière » peut être appliqué à ce que l’on aurait qualifié auparavant de simples « limites gestionnaires ». Les décentralisations, de même que les privatisations et les constructions supra étatiques, qui prennent leur place dans des systèmes de gouvernance, apparaissent ainsi comme des réponses à la nouvelle donne mondiale. Par ailleurs, là où l’État ne joue pas pleinement son rôle d’arbitre, des acteurs ressortissants

d’une logique différente (seigneurs de la guerre, mafias, sociétés privées, chefs charismatiques, coutumiers ou religieux, groupements de résidants, etc.) sont susceptibles d’assurer des encadrements de substitution qui peuvent « faire territoire ». De nouvelles frontières apparaissent alors dont la portée est souvent symbolique mais qui présentent une plus grande signification pour les populations que les frontières d’État. L’État enfin, devenant polymorphe pour s’adapter à de nouveaux enjeux, peut décider de moduler selon les lieux la forme et la nature de son action. Les « frontières gestionnaires » naissent de tels processus. Engagés dans une concurrence stimulée par l’ouverture au monde, les territoires développent aujourd’hui de véritables politiques. Les différentiels découlant de ces politiques donnent aux limites de ces territoires certaines des caractéristiques de la frontière. Celles-ci sont parfois très marquées, comme dans le cas des anciens bantoustans d’Afrique australe ou du mur en construction entre Israël et Palestine. Elles peuvent être modestes mais néanmoins sensibles, comme entre les communes françaises, différenciées notamment par les taux de taxes professionnelles. Entre les deux, existent de nombreuses transitions : territoires autonomes, zones franches, secteurs d’intervention d’acteurs spécifiques ou secteurs d’éligibilité à des programmes spécifiques, gated communities, etc. Innombrables, les limites gestionnaires constituent autant de frontières potentielles, que des enjeux politiques sont susceptibles d’activer. Les différentiels ont alors un effet multiplicateur, permettant même de développer des sentiments d’appartenance. On peut dire que la frontière gestionnaire est instrumentalisée dans le cadre de jeux d’acteurs complexes dans lesquels les pratiques liées à la proximité (physique) sont étroitement articulées aux pratiques relevant de la mise à distance (par la frontière). Ainsi en est-il de revendications d’autonomie par rapport à des territoires dont on se sent trop dépendant, comme dans les espaces périurbains étroitement liés à leurs métropoles, mais dont les territoires qui les composent tiennent à se démarquer par leurs politiques. Les lieux privilégiés de ces frontières émergentes : l’espace des villes. Les trois approches précédentes soulignent à quel point c’est le plus souvent au sein des villes que surgissent de nouvelles frontières. Les principales agglomérations sont les premières à être connectées aux grands réseaux de transport internationaux et, de ce fait, dans la nécessité de gérer la mise en contact avec les frontières internationales dont elles pouvaient être autrefois éloignées. Le potentiel de ces réseaux physiques, véritables portes d’accès, entre bien sûr en résonance avec les circulations des personnes et des capitaux que de tels pôles articulent. De plus, le processus d’urbanisation qui gagne progressivement l’ensemble de la planète se traduit dans le même temps par un renforcement des différenciations internes. Certaines catégories sociales pratiquent des choix résidentiels affirmés qui combinent la mise à distance, le regroupement, la protection. Il s’agit souvent plus qu’une simple distanciation (gated communities), car derrière une discontinuité physique elle peut revendiquer une autonomie politique (sécessionnisme). On cherche alors à distance ce qu’on ne trouve pas sur place. Les modes de transport aérien et maritime, les technologies de communication permettent de se

déplacer à l’intérieur de son « monde de référence ». Cependant, s’affranchir de son environnement n’est pas chose aisée : les réseaux présentent des fragilités et demeurent inscrits dans leur environnement immédiatement voisin. La proximité se révèle source potentielle de conflits. La distribution de l’eau, de l’énergie, l’assainissement, les transports sont autant d’éléments qui exigent des relations entre ces enclaves et les collectivités environnantes. L’isolement total semble difficile. Au-delà de ces phénomènes d’enclave, les grandes agglomérations sont aussi gagnées par un processus de ségrégation subi. Il participe à l’émergence de frontières sociales urbaines qui pour être moins visibles n’en sont pas moins actives et porteuses de sens. Plus fluides et instables que les frontières décrites précédemment, elles portent une forte symbolique qui compense leur faible matérialité : un boulevard, une rue, un parc, un bâtiment remarquable peut servir de repère pour distinguer, pour contrôler (y compris à distance), pour écarter. Ces frontières possèdent dès lors un effet structurant puisqu’elles agissent comme des filtres, renforçant les liens à l’intérieur des territoires et le sentiment d’identification. Cette démarcation a parfois été surdéterminée par son institutionnalisation : ainsi la politique de la ville en France a créé des dispositifs d’aides qui délimitent clairement les quartiers faisant l’objet d’aides et de mesures, en accentuant les effets d’enfermement. Enfin, le processus de territorialisation joue à l’échelle globale des grandes agglomérations. La création de structures politiques qui encadrent les communes ou les pouvoirs politiques préexistants cherche à instituer une démarcation active entre un dedans et un dehors. La frontière apparaît alors dans les différences de capacité d’action, dans les rapports de force, mais également à travers les différentiels qui s’observent de part et d’autre des limites instituées. La dimension politique est largement présente à travers le processus d’affirmation des pouvoirs d’une collectivité dans un contexte de fragilisation des États. En revanche, le contrôle n’y apparaît pas de manière directe : les territoires cherchent à capter les populations, les entreprises en fonction de critères spécifiques opérant alors un filtrage. Par ailleurs, les relations entre les territoires métropolitains et les territoires limitrophes peuvent s’inscrire dans le cadre de rapport de domination (réels ou supposés). Les développements qui précèdent soulignent bien combien les trois types de frontières (techniques, sociales et gestionnaires), dont les frontières d’État constituent un cas limite, sont autant de dimension d’un phénomène envisagé par diverses approches. Quatre fonctions pour définir la frontière. Au terme de notre parcours, se pose à nouveau la question de la définition de la frontière. Dans le dessein de dégager le concept de l’emprise qu’exerce sur lui la frontière d’État et d’identifier clairement l’objet au-delà de ses expressions matérielles, nous proposons de mettre en évidence quatre fonctions essentielles. Elles définissent la frontière et permettent dès lors de reconnaître comme tels les objets géographiques qui répondent à de telles fonctions. Une frontière est une construction territoriale qui « met de la distance dans la proximité ». (Arbaret-Schulz, 2002)

La proximité spatiale entre les lieux est contredite par la présence de dispositifs qui introduisent une distanciation, un éloignement. La construction de la frontière met en œuvre des dispositifs d’appropriation et de souveraineté à travers une distanciation d’ordre matériel (barrière, fossé, mur, etc.) et idéel (normes, représentations, etc.). Cette mise à distance est le plus souvent interprétée comme un moyen de protection (d’une population, d’un territoire, d’un pouvoir). Une frontière est conçue comme un système de contrôle des flux destiné à assurer une maîtrise du territoire à travers un filtrage. En fonction des circonstances, la fonction de filtrage qui assure un tri sélectif des flux peut être modulée. Dans cette perspective, la frontière se décline entre effet de coupure (frontière-barrière) et médiation (frontière zone de contact), stimulation (frontière accélératrice) et filtrage (frontière-filtre) (Ratti, 1995). Son rôle dépasse ainsi de loin celui du simple face-à-face ou de l’exclusion. Si le contrôle des flux peut prendre des formes invisibles, quoique efficaces (exemple des dispositifs fiscaux pour maîtriser la gestion d’une collectivité), il n’en demeure pas moins de nature politique. Une frontière est un lieu privilégié d’affirmation et de reconnaissance de pouvoirs politiques. La frontière est l’attribut d’un pouvoir qui cherche à fixer des limites ou qui se les voit imposées. La délimitation frontalière peut dès lors être comprise comme l’affirmation d’une séparation politique. Elle est souvent le résultat de négociations et de compromis, mais peut également émerger lors de conflits ou de revendications territoriales non résolues. Une frontière institue une distinction par l’appartenance matérielle et symbolique à une entité territoriale dont elle est l’expression. Toute frontière établit un dedans et un dehors territorial. D’un même mouvement de partage, elle exclut et inclut selon le côté considéré. D’une part, la frontière sert à délimiter : elle signifie la fin d’un territoire. D’autre part, la frontière permet de désigner l’altérité, l’étranger : elle signifie le passage à un autre territoire. Par la distinction qu’elle opère, la frontière est le vecteur d’une identité territoriale. La présence d’une frontière induit généralement des conséquences durables sur l’organisation des espaces. Ces effets-frontières peuvent être présentés sur la base de d’effets structurants puissants, mais qui ne sont pas nécessairement tous actifs en même temps. La frontière engendre des formes et des systèmes spatiaux originaux. Elle introduit une rupture plus ou moins marquée dans l’organisation de l’espace géographique, rupture d’autant plus accusée que la fonction de séparation est vive. La frontière se déploie pour structurer tout ou partie du territoire. Plus qu’un simple tracé, elle engendre des effets qui perdurent au-delà des acteurs qui les ont institué, car des traces subsistent dans les représentations et les pratiques. La frontière met en place des différentiels.

Ces différentiels signalent l’existence de systèmes territoriaux différents ayant chacun leurs normes, leurs principes, leurs cultures, etc. Ils peuvent être matériels et quantifiables (écarts de revenus, de coûts) ou plus qualitatifs (valeurs, systèmes culturels). L’exploitation des différentiels crée des flux spécifiques, objets d’échanges matériels et intellectuels, licites ou illicites (contrebande). Elle se traduit par l’apparition de fonctions originales (transbordement, transfert), souvent selon une logique d’opportunité. La frontière définit un espace à risques. Elle définit une zone vulnérable qui, soumise à un aléa, peut déboucher sur un conflit. Les rapports de force qui s’y expriment révèlent des oppositions d’ordre culturel, politique, économique, voire militaire. À ce titre, la frontière constitue indéniablement un enjeu. La frontière favorise enfin l’émergence de lieux d’hybridation. Les possibilités d’échanges qu’induit la frontière sont susceptibles de dépasser le cadre strict des relations de proximité. La confrontation d’idées, de valeurs et de normes différentes incite à l’adaptation, au dépassement, à l’invention de représentations et de pratiques originales. Le transfert frontalier peut donner naissance à des espaces hybrides, sortes d’entre-deux où l’on voit émerger des cultures et des pratiques locales spécifiques. Conclusion. Des processus concomitants d’émergence et de dévaluation des frontières sont aujourd’hui observables à différentes échelles. Les mutations que connaît le monde et les recompositions territoriales à l’œuvre nous invitent à reconsidérer un concept qui a longtemps été confiné dans une définition étatique un peu étroite. Si l’objet frontière est en mutation, cela ne concerne pas uniquement les seules limites d’États. Consubstantielle du territoire, la frontière apparaît aussi éminemment politique. Elle renvoie à l’exercice de pouvoirs qui se veulent structurants à défaut d’être souverain sur un territoire qu’ils construisent à leur mesure. Des frontières diverses traversent l’espace géographique, mais toutes ne jouent pas le même rôle et ne présentent pas des effets équivalents de structuration. De nos jours, l’évolution des structures étatiques et l’affirmation de nouvelles formes de pouvoir se traduisent par l’affirmation de nouvelles frontières. Plus labiles et plus mouvantes, elles s’inscrivent notamment dans les espaces urbains. C’est peut-être là, plus qu’ailleurs, que les frontières contemporaines prennent leurs sens. En tant que constructions historiques, les frontières sont toujours susceptibles de muter et de revêtir des formes inattendues. Mais au-delà des changements morphologiques, toute frontière se définit par une combinaison de propriétés (la mise à distance, le filtrage, l’affirmation politique, la distinction) dont les effets sur l’espace sont particulièrement marquants (différentiels, discontinuités, risques, entre-deux) tant dans les représentations sociales que dans les pratiques des acteurs qui leurs donnent forme et sens. Photo : Anneau de Möbius, © Emmanuelle Tricoire. Résumé

La « frontière » est habituellement comprise comme la « limite de souveraineté et de compétence territoriale d’un État » De nos jours, la prégnance de cette définition semble s’estomper à l’échelle mondiale, accompagnant ainsi le processus de relativisation multiforme de l’État. Il faut y voir l’effet de l’évolution des techniques de transport et de [...] Pour faire référence à cet article Groupe Frontière, "La frontière, un objet spatial en mutation.", EspacesTemps.net, Travaux, 29.10.2004 http://www.espacestemps.net/articles/la-frontiere-un-objet-spatial-en-mutation/

‘Frontière’. Jacques Lévy4 | 29.10.2004 Frontière. Limite* à métrique* topologique*. Notion allant apparemment de soi, la frontière connaît une existence concrète dans une fenêtre historique déterminée. Avant que l’État n’existe, elle n’a pas d’objet. Avant qu’il n’ait les moyens de la tracer et de la défendre, elle demeure un rêve. Dans un monde démilitarisé ouvert aux échanges, elle perd son sens. Les grands empires, romain (Limes) et chinois (Grandes Murailles) en tête, ont édifié des barrières réputées infranchissables, mais au coût exorbitant et devenant perméables dès que le rapport des forces se modifiait au détriment du défenseur. De fait, même dans les États anciennement et solidement intégrés et ayant, en outre, le regard tourné vers la « ligne bleue des Vosges » ou d’autres horizons mythiques fluviaux et montagneux, la surveillance des frontières se révélait extrêmement onéreuse, pour les marchandises comme pour les personnes, et souvent hors de portée budgétaire des États. C’est seulement au 20e siècle et dans les pays développés que le contrôle devint raisonnablement efficace. Mais, à peine quelques décennies plus tard, la frontière canadoétatsunienne et, un peu après, les frontières de l’Europe occidentale continentale (accords de Schengen pour l’Union européenne), s’effaçaient. Un monde sans frontières gardées commençait à exister. L’utopie de la frontière a produit des objets géographiques spécifiques. Les systèmes de défense en ligne qui, à partir du 19e siècle, évoluent en no man’s land, zones démilitarisées, zones tampons participent de la notion de glacis, organisée en surface, mais dans une perspective lourdement topologique, puisque conçue pour rendre aussi parfaite que possible la discontinuité de la frontière. On peut même considérer que le glacis, à l’instar des zones d’appui du Mur de Berlin (1961-1989), équipées de protections renforcées et de systèmes de tir automatique, ou de la zone vide séparant Soweto de Johannesburg au temps de l’apartheid, ont constitué des accessoires pour s’approcher concrètement de l’idée d’une ligne de séparation absolue. C’est encore dans cette classe d’objets que l’on peut ranger le mur de défense multifonctionnel progressivement mis en place par l’État marocain pour imposer sa conquête du Sahara occidental, ou encore les fortifications antiterroristes édifiées à partir de 2002 par l’armée israélienne, qui

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Professeur de géographie et d’aménagement de l’espace à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, où il est directeur du Laboratoire Chôros et co-directeur du Collège des humanités, il travaille sur la ville et l’urbanité, la géographie politique, l’Europe et la mondialisation, les théories de l’espace de l’individu et des sociétés, l’épistémologie de la géographie et des sciences sociales, la cartographie, l’urbanisme et le développement spatial. Il a notamment publié Géographies du politique (dir.), 1991 ; Le monde. Espaces et systèmes, 1992, avec M.-F. Durand et D. Retaillé ; L’espace légitime, 1994 ; Egogéographies, 1995 ; Le monde pour Cité, 1996 ; Europe. Une géographie, 1997 ; Le tournant géographique, 1999 ; Logiques de l’espace, esprit des lieux (dir.), 2000, avec M. Lussault ; From Geopolitics to Global Politics (dir.), 2001 ;Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (dir.), 2003, avec M. Lussault ; Les sens du mouvement(dir.), 2005, avec S. Allemand et F. Ascher ; Milton Santos, philosophe du mondial, citoyen du local, 2007 ;L’invention du Monde (dir.), 2008. Il est co-directeur d’EspacesTemps.net([email protected]). http://www.espacestemps.net/auteurs/jacques-levy/

présentent une certaine efficacité contre des ennemis à la puissance de feu limitée. L’obsession de la ligne ne peut en tout cas s’exprimer efficacement que par la surface. La difficulté à régler les contentieux frontaliers sur mer (comme en mer de Chine du Sud entre la Chine, le Vietnam, Taiwan et les Philippines) exprime aussi le caractère très particulier de la ligne frontalière, impossible à fixer dès qu’une ligne de front n’indique plus, point par point, les lieux où s’annule le rapport de forces entre les deux armées faceà-face. Le paradoxe est pourtant à chercher ailleurs : une frontière n’est effective comme ligne que lorsqu’elle n’est pas menacée, en temps de paix. Elle permet aux différences entre modes de vie, systèmes juridiques, organisations politiques de s’exprimer de manière topologique, donc particulièrement visible. Même dans ce cas, le caractère saillant de l’objet-frontière le condamne à être constamment érodé, par exemple par la contrebande, qui nie le protectionnisme et tend à égaliser les situations du point de vue du marché. Des pays entiers sont profondément marqués (le Nigeria avec la contrebande pétrolière) ou même largement caractérisés (trafic de produits taxés avec l’Andorre, transferts financiers avec la Suisse ou le Luxembourg) par la subversion de la frontière. Trois types d’effets spatiaux de la frontière ont été mis en valeur : celle de barrière, qui est sa raison d’être, mais aussi celle d’interface et celle de territoire. Dans le deuxième cas, la frontière ne fait que filtrer et canaliser des relations entre espaces qui existeraient de manière plus diffuse sans elle. Dans le dernier, du fait des deux premières fonctions, elle crée un territoire frontalier, dupliqué de chaque côté de la ligne, c’est-à-dire, au bout du compte, des confins d’un genre particulier. La seule frontière incontestablement fonctionnelle fut la frontier nord-américaine, c’est-àdire un front pionnier colonial, dynamique parce que résultat d’un rapport de forces très déséquilibré entre défenseurs et assaillants. On retrouve ce cas de figure dans la colonisation de l’Amérique du Sud et de l’Afrique par les Européens, de la Sibérie par les Russes. Thermomètre de la conquête, la frontière cesse alors, pour un temps, d’être une chimère destructrice et devient, vue du côté des gagnants, l’emblème de l’aventure. Jacques Lévy & Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003. 1032 pages. 30 euros. Confins – Géopolitique – Guerre – Limite – Métrique. Résumé Frontière. Limite* à métrique* topologique*. Notion allant apparemment de soi, la frontière connaît une existence concrète dans une fenêtre historique déterminée. Avant que l’État n’existe, elle n’a pas d’objet. Avant qu’il n’ait les moyens de la tracer et de la défendre, elle demeure un rêve. Dans un monde démilitarisé ouvert aux échanges, elle perd son [...] Pour faire référence à cet article Jacques Lévy, "‘Frontière’.", EspacesTemps.net, http://www.espacestemps.net/articles/lsquofrontierersquo/

Livres,

29.10.2004

L’« espace » d’une controverse. Cristina D’Alessandro-Scarpari5, Élisabeth Rémy et Valérie November | 18.01.2004 L’« espace » d’une controverse. Cristina D’Alessandro-Scarpari,Élisabeth Rémy et Valérie November Introduction. Les controverses socio-techniques ont déjà fait l’objet de nombreuses publications scientifiques et il est frappant de constater que ce sujet d’étude est l’apanage quasi exclusif des sociologues des sciences et techniques. Les géographes ne semblent pas porteurs d’une compétence spécifique dans le domaine. Or, la composante spatiale est pourtant bien présente dans ce genre de situation, car la controverse peut concerner des espaces qui vont se trouver pris dans le débat. La question que nous souhaitons aborder dans cet article consiste à clarifier le rôle que joue la composante spatiale dans les controverses : n’est-elle qu’un prétexte argumentatif ou joue-t-elle un rôle effectif dans le déroulement des controverses ? Autrement dit, il convient de s’interroger sur la manière dont géographes et sociologues peuvent appréhender la dimension géographique des controverses. Pour répondre à une telle interrogation, les controverses autour d’installations techniques apparaissent comme un objet privilégié. Elles permettent à l’analyste d’observer comment des acteurs, y compris et surtout des non-techniciens, engagent le débat (prennent la parole, argumentent, critiquent, etc.) à propos d’options et de thèmes souvent très ardus sur le plan scientifique ou technique, et de tester la présence éventuelle des éléments spatiaux et leurs modalités d’émergence. Dans ce texte, nous suivrons plus précisément la manière dont une ligne à haute tension (LHTdans la suite de cet article) a pu être mise en débat public par des non- spécialistes (Élisabeth Rémy, 1995)1. D’un point de vue méthodologique, il faut signaler l’apport de l’anthropologie des sciences en la matière. Celle-ci a contribué à remettre en cause le partage entre les faits et les valeurs, partage dont elle a fait apparaître qu’il pouvait nuire à la compréhension des sciences et consécutivement à celle du sens commun (Bruno Latour, 1988 et 1989 ; Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe, 2001). Suivant la démarche préconisée par ces auteurs, nous prendrons soin, pour décrire la manière dont des opinions publiques se forment au cours de la controverse, de traiter avec le même sérieux les connaissances réputées basées sur un savoir technique et les avis émis par des non-spécialistes. Il ne s’agira donc pas ici de révéler ce qui, dans la controverse, dépasse les personnes, ni même de dégager le sens caché qui guide leurs actions ou leurs paroles, mais bien de 5

Après un doctorat en géographie humaine à l’Université François Rabelais de Tours et une recherche postdoctorale à la West Virginia University (États-Unis), elle est enseignante à l’Institut des Sciences Politiques de Paris et chercheuse contractuelle à la Msh de Tours. Sa spécialité est la géographie humaine de l’Afrique subsaharienne. Elle s’intéresse tout particulièrement à l’étude géographique des situations problématiques (protection environnementale transfrontalière, usages des outils visuels et impérialisme digital, géographie des massacres) et aux enjeux théoriques dans les sciences sociales. Elle est l’auteure de Géographes en brousse (2005, L’Harmattan) et coéditrice de l’ouvrage Espaces, savoirs et incertitudes (Ibis Press). http://www.espacestemps.net/auteurs/cristina-

drsquoalessandro-scarpari/

comprendre comment la controverse s’effectue et quelles sont les contraintes que les personnes ont dû prendre en compte, dans la situation où elles se trouvaient insérées, pour rendre leurs critiques ou leurs justifications acceptables par d’autres (Luc Boltanski, 1990, p. 63). Bref, notre tâche consistera à essayer de comprendre la dynamique de la controverse, en observant comment les acteurs s’y prennent pour montrer aux autres que leurs actions et leurs propos ont un sens et que la position qu’ils défendent dépasse leur simple cas particulier. Une fois que la mise en débat de la LHT aura été éclaircie, nous nous concentrerons sur l’apparition des éléments spatiaux et sur la manière dont ils sont utilisés par les différents acteurs de la controverse. Dans l’optique de la sociologie des sciences et techniques, une controverse explore les zones d’incertitude et contribue parfois à les réduire par le jeu des affrontements qu’elle met en place et des informations qu’elle fait circuler. Cependant, les incertitudes peuvent augmenter avec l’émergence de nouveaux groupes de plus en plus nombreux qui s’attachent à rendre visibles d’autres zones d’ignorance (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001). Suivre une controverse, c’est donc étudier les changements et les modifications qui vont survenir concernant une situation qui pose problème, en se concentrant sur l’évolution des plages d’ignorance qu’elle contient et qui fluctuent au cours des débats. Une controverse met en scène une hétérogénéité d’éléments qui vont amener à reconfigurer le problème (le transformer pour le résoudre, ou l’ouvrir encore sur de nouvelles incertitudes). La reconfiguration de ces éléments inclut un redéploiement de celle-ci dans « l’espace », c’est-à-dire une nouvelle géographie et cette variation, qui peut être importante, comporte un questionnement sur l’adéquation des concepts géographiques actuellement utilisés dans la discipline (selon leur acception dans le domaine francophone) à la dynamique de la controverse. Dans cette perspective, trois conditions nous paraissent nécessaires pour qu’une notion de géographie puisse s’appliquer à l’analyse de la controverse : aller au-delà du couple nature/culture et de la séparation entre les faits et les valeurs, partant du principe que les connaissances scientifiques font partie du problème et qu’il n’est guère possible de faire une sociologie de l’environnement sans intégrer celle des sciences (Bruno Latour, Cécile Schwarz et Florian Charvolin, 1991)2 ; rendre compte de l’hétérogénéité des « mises en connexions » qui se produisent en continu lors des discussions ; avoir la souplesse de rendre compte des délimitations faites, en cours et à venir, telles qu’elles se font et défont au cours de la controverse. Une revue de la littérature géographique, bien que partielle, donne rapidement l’idée que les notions d’espace, de territoire, de milieu et, dans une moindre mesure, celle de lieu sont des notions polysémiques tant du point de vue de leur définition que de leur utilisation. Il suffit pour s’en convaincre de lire le tout récent Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés(Jacques Lévy et Michel Lussault (dir.), 2003). Notre projet n’est pas de définir le « bon » terme pour analyser les controverses, il est au contraire de soumettre l’une de ces notions, celle de lieu, à l’épreuve d’une controverse – et nous expliciterons dans le corps du texte les raisons de ce choix. Nous voudrions donc aboutir, par ce biais, à déceler les dimensions géographiques des controverses que l’on rencontre fréquemment dans l’étude des problèmes environnementaux et des risques. Autrement

dit, nous chercherons à montrer la capacité d’une controverse à « faire » lieux et symétriquement ce que ces lieux « font faire » en situation de controverse. Une ligne sous haute-tension. L’entrée en controverse. Pour améliorer une qualité de service qu’elle juge insuffisante, ÉDF envisage de créer un poste source 63/20kV (poste de transformation ou plus simplement « transfo » dans le langage courant) près de Balbec, un petit bourg réputé au plan touristique3. Le nouveau poste sera alimenté à partir du poste de Villetot, une autre commune distante d’une dizaine de kilomètres, par l’intermédiaire d’une LHT de 63kV. Il s’agira donc à la fois d’implanter un poste source et de construire une ligne. Or, ce double projet va rapidement susciter un débat au plan local : d’un côté, des élus vont s’affronter pour obtenir l’implantation du poste source sur leur commune (celui-ci étant synonyme pour eux de taxe professionnelle importante) ; de l’autre côté, va se constituer un comité regroupant des riverains et plusieurs associations locales de défense de l’environnement et du patrimoine, hostiles à la défiguration du paysage par la LHT. En suivant Camille Limoges et Alberto Cambrosio (1991, a et b), on peut qualifier le débat qui s’engage alors entre représentants d’ÉDF, élus et riverains de « controverse technologique publique » ; non seulement le problème des LHT met en scène un grand nombre d’acteurs, mais son but vise une décision, et non pas une connaissance, comme dans le cas des controverses scientifiques. Une fois que le comité de défense a réussi à mettre la LHT en débat, les différents opposants sont amenés à acquérir des savoirs et à se documenter pour tenter de négocier en face des experts d’ÉDF certaines options techniques et l’application de certaines procédures. C’est ainsi que pour qui veut participer au débat public et faire entendre sa voix, apprivoiser la technique devient à la fois une exigence et un recours. De quelle controverse s’agit-il ? L’installation de la ligne à haute tension fait surgir un débat public, dans lequel les non-spécialistes arrivent à jouer un rôle de première importance, en apprivoisant la technique concernant l’objet qui fait débat. Pour espérer obtenir la révision du projet d’ÉDF et la mise à l’étude de toutes les alternatives possibles, le comité de défense doit se livrer à deux tâches complémentaires : il lui faut se doter d’un public dont il sera le porte-parole parole ; il lui faut accumuler des connaissances techniques pour équilibrer la discussion avec les experts. La première tâche se traduit par un effort pour contacter et mobiliser le maximum d’habitants des environs, surtout les agriculteurs. C’est ainsi qu’en septembre 1992, une pétition recueille plus de 600 signatures. Celle-ci permet la production du public en tant que tel et donne par la même au comité les moyens de se faire le porte-parole d’une cause fondée. Une fois les contours d’un public esquissés, l’un des enjeux de la controverse devient l’organisation d’un forum de discussion commun, c’est-à-dire d’épreuves permettant aux différents porte-parole de confronter directement leurs points de vue, au lieu de s’exprimer sous forme de monologue depuis des univers différents. Deux mois plus tard, le comité sollicite les candidats aux élections législatives de la troisième circonscription du département en leur envoyant un petit questionnaire accompagné d’une lettre. Celle-ci rappelle aux candidats les actions menées par le comité et les raisons de son inquiétude

face à la LHT : la gêne qu’elle occasionnerait pour les agriculteurs, le tourisme, la richesse du patrimoine. Elle présente ensuite la solution envisagée par le comité, c’est-à-dire l’enfouissement de la ligne4. Enfin, le comité demande aux candidats de répondre au questionnaire joint. Comme l’indique le dossier constitué par le comité à la suite de cet envoi, l’opération recueille les réponses des principaux candidats, toutes couleurs politiques confondues. Avec ce deuxième effort de mobilisation, on comprend que pour devenir des interlocuteurs sérieux des pouvoirs publics et d’ÉDF et avoir le droit de discuter ensemble, il faut tout à la fois représenter quelque chose (et donc se construire un public et solliciter le soutien des élus) et accumuler des ressources et des savoirs aussi bien par rapport à la procédure juridique que par rapport aux aspects techniques du projet. L’opinion et la technique sont ici intimement mêlées, et c’est pourquoi les dispositifs où l’opinion se manifeste, dépassent très largement le cadre des seules pétitions ou manifestations. Les modalités de la prise de parole dépendent en effet non seulement de la capacité à construire son public et à représenter l’intérêt général (comme dans les théories classiques de la représentation) mais aussi des moyens disponibles pour s’informer et se former au niveau technique et juridique. Comme on peut le constater ici, des éléments spatiaux (emplacement de la ligne, paysage, enfouissement de la ligne, patrimoine, etc.) font partie de la constellation d’arguments invoqués par le comité pour solidifier son propos. Ceux-ci jouent un rôle important dans la constitution des avis qui prennent forme et se stabilisent au cours de cette controverse. Premier constat : la dimension géographique n’est pas complètement absente de cette controverse socio-technique mais celle-ci apparaît de manière implicite comme une dimension accessoire, jamais centrale dans l’analyse menée. Pour aller plus loin dans l’explicitation de cette dimension présente dans la controverse et dépasser cette géographie spontanée mêlant indistinctement les notions d’espace, de territoire ou de paysage, il nous semble important de mettre certains concepts géographiques à l’épreuve du cahier des charges que nous nous sommes fixés pour tenter de mieux appréhender la dimension spatiale de la controverse. La fabrique du lieu. De quoi discute-t-on dans une controverse socio-technique ? Quels arguments liés à l’espace sont convoqués ? Sur quel mode ? Et comment en rendre compte pour satisfaire à la fois les exigences de la sociologie et de la géographie intéressées par l’analyse des controverses ? En guise d’essai de conceptualisation, la notion de lieu a retenu notre attention ; elle sera testée pour tenter de définir les processus de reconfiguration spatiale que nous voyons se déployer dans une controverse5. Pour ce faire, il est nécessaire de donner plusieurs exemples empiriques pour saisir la nature des discussions produites en situation controversée. L’exemple du centre de gravité des charges ou la convocation dans la controverse d’arguments liés à « l’espace ».

Les opposants ont réussi à inaugurer avec ÉDF un espace de discussion commun. Le comité espère pouvoir négocier sur tous les plans. ÉDF, de son côté, s’en tient à sa politique : informer, écouter les opposants, tout en considérant que le tracé de la ligne est une chose acquise. À l’objet instable et mal défini du comité s’oppose un objet déjà formalisé dont le seul point indéfini concerne l’implantation du poste source. C’est ce point indéfini dont vont se saisir les non-spécialistes pour s’engouffrer en force dans la question technique, faire entendre leur voix et tenter de défaire le projet initial d’ÉDF. Très schématiquement, l’on peut dire que le calcul du centre de gravité des charges est ce qui permet de déterminer l’endroit où il serait utile d’implanter un point d’injection, c’està-dire un poste source. Ce calcul est donc un élément tout à fait stratégique du point de vue des riverains et des élus. C’est pourquoi deux acteurs, au départ non-spécialistes, vont s’atteler à recalculer le centre de gravité, dans un but différent : le maire de Brissol pour prouver que l’emplacement du poste source doit se faire sur sa commune, et un membre de l’association régionale pour, au contraire, remettre en cause la totalité du tracé. Pour déterminer le centre de gravité, le membre de l’association s’est arrangé avec un ami qui lui a fourni un certain nombre d’informations « en douce ». Il a ainsi pu réaliser un certain nombre de calculs, les reporter sur une carte et conclure finalement que le poste devait être reculé et la ligne passer plus à l’est : « on a pensé que le centre de gravité pouvait être calculé d’après l’argent versé aux communes qui est proportionnel aux consommations. La commune de Combray avait le tiers et on l’avait traduit sur une carte… partant de là, on s’est dit que les appels étant le plus important à l’est du canton de Combray, on pouvait imaginer quelque chose comme ça… D’après nous le centre de gravité est bien plus à l’est ». Le déplacement de la ligne vers l’est aurait pour conséquences, selon l’association, de permettre des économies (notamment en évitant l’aller-retour du poste source) et de mieux préserver l’environnement. Pour l’association, une modification du tracé s’impose donc, dans la mesure où « le centre de gravité est variable ». Telle est la conception de l’ouvrage qu’elle défend. De son côté, le maire aboutit à des calculs très différents. En juillet 1991, il écrit une lettre à ÉDF où il démontre que le centre de gravité des charges ne doit pas être situé à Balbec mais à Brissol : « Le calcul fait d’après les surtaxes municipales versées en 1990 pour ces communes donne le centre de gravité plutôt à Brissol entre les communes de Combray, Persay-Combray (540 132 F) et les autres communes (472 129 F). Brissol avec 127 303 F se situe par conséquent bien au centre de gravité des consommations donc des charges puisque les taxes municipales sont calculées d’après les consommations ». Appartenant au syndicat d’électrification, le maire a obtenu ses informations de base plus facilement que le comité, comme il l’explique : « J’ai fait une étude à partir des surtaxes qui sont payées par les usagers pour l’ensemble du syndicat d’électrification de la région de Combray et on s’est aperçu que globalement le centre de gravité des charges tombait à peu près à Brissol, secteur qui couvre à peu près la zone alimentée par le futur poste. La situation géographique la plus équilibrée était effectivement sur la commune de Brissol. Les gens d’ÉDF ont reconnu que mon étude était judicieuse ». Il est tout à fait remarquable que bien que l’association de défense et le maire se soient appuyés sur les mêmes données, à savoir les taxes d’électrification, les résultats auxquels ils sont parvenus sont

divergents. À partir des mêmes données, deux séries de calculs tracent deux ouvrages différents : pour le comité, la ligne doit passer plus à l’est ; pour le maire, la ligne n’a pas à bouger et le poste doit s’implanter sur sa commune. La représentation cartographique sert d’outil de visualisation afin de montrer que l’espace et ses caractéristiques justifient le déplacement à l’est (un déplacement non casuel) du centre de gravité des charges : en effet c’est la mise en relation de tout un ensemble d’éléments hétérogènes qui « décide » de l’emplacement du site en question. En cela, le calcul relatif au centre de gravité des charges contribue à proposer une nouvelle configuration de la LHT et de « l’espace » qu’elle traverse. On ne peut donc pas réduire le discours des acteurs à des jeux de pouvoirs qui s’effectueraient en laissant de côté la technique : l’ouvrage et son juste tracé constituent bel et bien le centre de la discussion. C’est pourquoi chaque acteur, s’il veut faire entendre sa voix et défendre ses intérêts, doit faire l’effort de se procurer des données et de se plonger dans des calculs sérieux et convaincants pour les autres. De ce fait, la question ne saurait être pour nous de départager les calculs « intéressés » et les calculs « objectifs » et « désintéressés » : elle est plutôt de comprendre comment une définition commune du centre de gravité et conséquemment du projet final, satisfaisant les calculs techniques et politiques des uns et des autres, arrive progressivement à se stabiliser. Cette stabilisation est sans doute rendue plus facile par le fait que les experts d’ÉDF, de leur côté, n’ont pas une conception très rigide ni très précise de l’endroit où se situe le centre de gravité. Pour les ingénieurs que nous avons rencontrés, un centre de gravité des charges, ce n’est rien de plus qu’une zone techniquement judicieuse pour implanter le point d’injection : « Ce n’est pas un point sur la carte, c’est une surface bien évidemment parce qu’on peut très bien calculer théoriquement un centre de gravité des charges selon la consommation puis dire : c’est là. Mais en réalité ça correspond pas à quelque chose de très pratique, donc on dit que le point d’injection devra se trouver entre Balbec et Brissol, en gros, dans ce secteur-là ». Ou encore : « c’est un centre mathématique si on tient compte du poids de la consommation géographiquement à un moment donné. On dit : il serait intéressant d’injecter de la tension à cet endroit-là ; parce que ça permet de couvrir les points de consommation par les réseaux 20 000 les plus courts ». Aucun argument technique ne justifiait donc qu’ÉDF implante le poste précisément sur Balbec : « On n’avait pas trop d’arguments pour dire que c’est vraiment à Balbec qu’il fallait le mettre ». L’emplacement de Balbec avait en quelque sorte été choisi par opportunité : le responsable d’ÉDF de l’époque avait pris contact de manière unilatérale avec la municipalité de Balbec pour rechercher un terrain susceptible de recevoir l’implantation du poste de transformation 63kV/20kV. De son côté, la municipalité de Balbec avait d’emblée réagi favorablement à ce projet en raison des rentrées financières que devait permettre l’application de la taxe professionnelle sur le poste source. Mais l’emplacement est apparu au fil de la controverse de moins en moins pertinent en raison de ses mauvaises qualités géologiques et de ses difficultés d’acceptabilité, puisqu’il a réuni contre lui, outre le maire de Brissol, le comité et certains agriculteurs. Là aussi, le choix de l’emplacement participe à la production de connaissances qui s’accumulent au fil de la controverse. En l’occurrence, certains acteurs non-techniciens en acquérant une

compétence technique ou, à tout le moins, en apprivoisant la technique – ainsi le maire de Brissol se félicitant d’avoir réalisé des calculs jugés judicieux par les spécialistes – ont réussi à dévier le projet. La détermination par ÉDF d’un centre de gravité initial (qui était, il est vrai, plus une zone qu’un point précis) s’est avérée insuffisante pour arrêter définitivement le projet, des acteurs ayant appris, entre temps, à se saisir de l’objet technique et à le rouvrir pour le modifier en fonction de leur point de vue et de leurs intérêts. Rien ne serait plus fallacieux en ce sens que de considérer qu’il y a d’un côté un objet stable (le centre de gravité défini précisément et scientifiquement) et de l’autre, des luttes politiques extérieures aux enjeux techniques. Pour l’emporter, chaque porte-parole a dû faire un effort pour tenir ensemble les impératifs d’ÉDF, des contraintes techniques et des enjeux socio-politiques. Il a fallu, par exemple, prendre en compte les exigences des défenseurs de l’environnement. Ces exigences entrent bien dans le compromis socio-technique final : l’emplacement initialement prévu pour le poste se trouvait en effet à l’extrémité de la zone intéressante pour le constructeur, côté mer ; après discussion, le poste a quitté le littoral, mais tout en restant cependant dans la zone intéressante pour le constructeur. La prise en compte de l’écologie a raccourci la ligne qui, en s’éloignant du littoral, a aussi permis à l’entreprise de réaliser une économie non négligeable sur l’ouvrage. La mise à l’épreuve de la notion de lieu. La relecture empirique de la controverse sur la ligne à haute tension fait ressortir plusieurs éléments spatiaux dont nous soumettons les qualités et le rôle à discussion. Il ressort de l’analyse de la controverse sur cette LHT qu’aucune des entités spatiales concernées n’est un support passif de l’action en cours, ni une projection d’intentions socio-politiques. Ces entités spatiales qui sont tour à tour convoquées, invoquées et dénoncées lors des discussions, font partie de la controverse en tant que telle. La controverse a porté à un moment donné sur deux éléments simultanément : le calcul du centre de gravité des charges et l’emplacement de la ligne. La technique de son côté n’a rien pu trancher : par exemple, le recours aux chiffres et le recalcul du centre de gravité n’ont pas apporté un argument incontestable et définitif dans le débat, mais ont simplement déplacé l’objet de la discussion et permis de relancer la controverse sur un autre terrain. Dans la mesure où les élus, le comité, les riverains, etc., ont fortifié leur droit à la parole en acquérant un peu plus le pouvoir de s’emparer des questions techniques, l’objet technique a été reconfiguré. En fonction de la force des oppositions et des argumentations déployées par les divers interlocuteurs, la définition technique d’ÉDF a pu apparaître plus contingente, moins « obligée ». Le calcul du centre de gravité des charges fait par des acteurs différents permet en effet de questionner à nouveau le choix de l’emplacement du poste source et reconfigure l’espace existant. Sur le plan méthodologique, si l’on évoque parfois en géographie des espaces (ou des milieux donnés), une première question se pose immédiatement : que signifie exactement ce « donné » ? Nous prendrons soin de nous décaler de cette perspective pour parler plutôt d’un espace ou d’un lieu « obtenu », en cherchant à thématiser ce qui l’a rendu

explicite (Denis Retaillé, 1997, p. 95)6. Mais comment nommer ces entités spatiales ? Un premier argument en faveur de l’utilisation du concept de lieu, c’est le problème des limites qui sont constamment soumises à discussion lors des controverses. C’est même une des caractéristiques principales de la controverse : changer les limites du dedans et du dehors, et la liste des éléments qui font ou non partie du problème (habitat, population, sol, etc.). L’idée de lieu contient cette dimension dynamique puisque selon Denis Retaillé, « ces mêmes lieux sont incertains, parfois éphémères (voir toutes les revendications possibles sur les territoires), et ne prennent pas sens par un contenu refermé sur lui-même. […] Le lieu a comme propriété finale la coprésence » (Retaillé, 1997, p. 120-121). Que fait-on dans une controverse si ce n’est de discuter des coexistences possibles, du monde commun dans lequel on souhaite vivre, lequel associe un ouvrage technique, un paysage que l’on ne souhaite pas défigurer, une alimentation électrique convenable etc. ? A l’issue des débats, on établit des limites entre ce qui fait partie du problème et ce qui reste à l’extérieur montrant en cela que « … les lieux se caractérisent aussi par le caractère sensible de leurs limites » (Lévy et Lussault (dir.), 2003, p. 555-563, cit. p. 562). Le lieu réalise (au sens de rendre réel) la mise en connexion d’une série d’éléments, il contribue à définir une identité, en associant des personnes, des objets, un sol particulier, une vue sur la mer, etc. Et la controverse contribue à produire des lieux : sans la LHTpersonne ne se serait mobilisé sur ce petit coin de terre pour se demander de quoi était composé le sous-sol présent sous leurs pieds. Ainsi, comme le mentionne Retaillé, « il ne suffit pas d’une proximité pour faire un lieu ; il ne suffit pas non plus d’une présence observatrice de quelques ingrédients rapprochés. Il faut encore un déclenchement, une circonstance qui placent les sujets et les objets en position d’interaction. C’est là que l’on rencontrera le caractère fortement phénoménologique et non essentiel du lieu » (Retaillé, 1997, p. 90). Ainsi, pour qu’un lieu constitue un « espace de référence » selon les termes d’André Micoud (1992, p. 119132, op. cit. p. 122) et développe une puissante rhétorique à son sujet, comme le montre Bernard Debarbieux (1996), il faut un « déclenchement » et une « circonstance ». Autrement dit, une des conditions à la fabrication d’un lieu ne serait-elle pas ce que Michel De Certeau, et à sa suite André Micoud, appelle un événement, à savoir « ce qui est construit comme le point d’un commencement » (1992, p. 120) ? En d’autres mots, cet événement pourrait fort bien ressembler à ce que Lussault nomme une situation : « J’appelle situation la convergence relationnelle – ce qui ne signifie pas consensuelle – d’individus, motivée par un objectif particulier, au sein de laquelle s’épanouissent des stratégies actorielles et se manifeste l’importance d’outils et objets divers » (Lussault, 2000, p. 24). L’idée de lieu nous semble pertinente car elle permet de décrire les dimensions spatiales de la controverse en passant avec succès les trois conditions requises pour l’analyse de la controverse. Elle tient compte du constant redimensionnement de la controverse, du côté éphémère et incertain dont vont être dotés les espaces au cours de la controverse. Un lieu a une extension possible et n’est pas borné (dans le sens de délimité) a priori. Dans un lieu, les éléments hétérogènes « entrent » de façon libre et moins contrainte, puisque ce qui « fait lieu » est constamment redimensionnable. Les limites des endroits frappés par la

controverse sont toujours à requestionner – en cela la notion de limite configurante proposée par Michel Lussault est parfaitement adéquate (Lévy et Lussault, 2003, p. 555563 (op. cit. p. 562)) – et la notion de lieu a la souplesse nécessaire pour en permettre l’analyse. Bien sûr, notre tour d’horizon est sommaire et nous n’avons fait qu’esquisser des pistes. Pour être plus complet, une autre série de questions devrait encore être posées à la notion de lieu, comme par exemple : cette notion suffit-elle pour suivre spatialement l’extension de la controverse ? Pourquoi certains lieux ne s’assemblent pas à d’autres lieux de controverse ? Et lorsqu’ils s’assemblent, comment qualifier l’extension des lieux controversés ? Si nous n’avons pas les moyens de répondre dans leur entièreté à ces questions, nous voudrions apporter néanmoins quelques éléments de réponse. Suivant la même progression que dans le point précédent, nous donnerons d’abord un exemple empirique concernant la ligne haute tension, puis nous tenterons de l’analyser à travers notre regard alliant géographie et sociologie. Ceci nous amène à poursuivre brièvement notre réflexion à l’aide d’une notion qui n’a été abordée qu’en filigrane ci-dessus, celle de distance pour aborder la question de l’extension/étendue de la controverse. (Re)configurer les distances. Le bouclage vers Coutanssous. Une fois réglée la question de l’implantation du poste source, la controverse change de terrain. Le comité, les riverains et les élus cherchent désormais à mettre une autre ligne en débat, celle qui reliera, à plus ou moins long terme, le poste, qui désormais s’implantera à Brissol, à la commune de Coutanssous. Pour sa part, ÉDF tient à séparer ces deux projets et préfère laisser le temps au temps pour réussir à imposer la réalisation de cette seconde ligne. Toute la question est donc de savoir si ce bouclage vers Coutanssous relève ou non du même projet que l’implantation du poste à Brissol. En fait, la LHT vers Coutanssous se trouve prise entre deux procédures. Le projet auquel elle correspond a pris forme sous une ancienne procédure qui ne prévoyait pas d’enquête publique pour les lignes 63kV. Or, au moment où les riverains en prennent connaissance, un nouveau protocole vient d’être signé entre ÉDF et l’administration, le 25 août 1992. Les opposants vont essayer d’exploiter au mieux cette nouvelle procédure qui redéfinit la participation du public et vise à renforcer la concertation avec l’ensemble des partenaires concernés (élus, associations, etc.) sur chacun des projets d’ÉDF en haute et très haute tension. Par son souhait de voir mis en discussion le bouclage vers Coutanssous, le comité réaffirme que sa volonté est de discuter du projet dans sa globalité et non de façon fractionnée. Or, selon ÉDF, la ligne vers Coutanssous est un aspect du projet d’ensemble qui ne peut être mis pour l’instant en débat. L’espace de discussion commun se rétrécit d’autant et de nombreux habitants se plaignent qu’on leur cache peut-être quelque chose. Le fait de ne pas avoir d’idées précises sur le devenir du bouclage nourrit chez certains le sentiment d’être une nouvelle fois mis « devant le fait accompli » : « Il est possible que la jonction vers Coutanssous soit nécessaire, mais il n’y a pas eu d’étude de

faite ; ça n’a pas été négocié ». Certains en particulier craignent qu’on leur impose un jour, sans leur demander leur avis, une nouvelle ligne qui viendra s’accrocher au poste qu’ils ont accepté : « Pour la ligne sur Coutanssous, on ne sait rien. Ils ont répondu : une fois que le poste source sera là, il servira à autre chose. Je suis persuadée que ça repartira ailleurs et on va être encore concerné. On n’en sait pas plus, on a beau demander, personne ne sait ». Craignant déjà de se retrouver empêchés de négocier au sujet de cette future ligne, les opposants, comme ils en ont maintenant pris l’habitude, s’empressent de dessiner une nouvelle ligne : « ça aurait dû faire l’objet d’une étude d’ensemble. On pense qu’on aurait pu aller beaucoup plus à l’est, raccourcir la ligne, éventuellement aller un peu plus droit et puis rejoindre par là ». Les membres du comité explorent par ailleurs les dispositions du nouveau protocole du 25 août 1992. Ils s’initient aux nouvelles procédures et espèrent désormais élargir le débat à tous les projets à venir localement. De leur côté, les élus se font l’écho des inquiétudes des riverains et déplorent le manque de concertation concernant le bouclage. Ils font remarquer que les habitants qui ont déjà fait des concessions importantes en acceptant la premièreLHT, risquent à plus ou moins long terme de se trouver face à une nouvelle LHT. Crainte qu’exprime ainsi cet élu : « Pour certains ça gêne de ne pas savoir. Certains se posent des questions pour demain déjà, c’est-à-dire quelqu’un qui met le doigt dans l’engrenage qui accepte un premier raccord, il se met un peu dans la gueule du loup. Demain, il va se retrouver avec un autre départ (de ligne) ». Les dispositions d’esprit des responsables d’ÉDF sont très différentes. Pour eux, il s’agit en effet surtout de dissocier les deux projets et de retirer le bouclage vers Coutanssous de la liste de ce qui peut être soumis pour l’heure au débat public : « on n’avait pas à discuter de Coutanssous. C’était [la démarche des opposants] pour essayer de faire peur aux gens. Ce sont deux projets différents car ça ne concerne pas les mêmes personnes. On ne sait pas où elle va passer ». Ce qui justifie la séparation entre les deux projets, c’est, selon ÉDF, le souci de régler la question de la première ligne au plus vite, en escomptant que les années qui passent, permettront d’utiliser la technique de l’enfouissement pour Coutanssous : « Pour faire passer le projet ça aurait été plus difficile ; on risquait de cristalliser une opposition ; ça n’était pas judicieux alors que dans dix ans la technique souterraine aura évolué ». S’opposent ici finalement deux conceptions de la ligne vers Coutanssous et de sa discussion éventuelle. Pour le comité, la ligne doit être débattue immédiatement et totalement : elle fait partie du projet d’ensemble. Pour ÉDF, au contraire, le projet technique étant encore trop indéterminé, l’important est de temporiser et de faire admettre un règlement ultérieur de la question comptant sur une meilleure maîtrise de l’enfouissement dans l’avenir, l’entreprise table sur une baisse des coûts future. Dans cette seconde conception, la place accordée au public demeure restreinte, dans la mesure où la ligne n’est pas disponible pour une mise en débat immédiate. Contrairement à la controverse entourant l’implantation du poste source, l’opposition n’est pas parvenue sur les autres points du projet à atteindre l’objet qu’elle souhaitait voir mis en débat- bien qu’elle soit parvenue à obtenir quelques informations sur le bouclage en obligeant l’entreprise à expliciter davantage ses projets. On le voit, la force des protagonistes n’est pas fixée une fois pour toutes : c’est au cours des différentes épreuves

qui se succèdent qu’elle se mesure. En l’occurrence la polémique se clôt par l’autorité d’ÉDF qui se réfère à l’ancienne procédure, de sorte que les opposants se trouvent empêchés de mettre le bouclage vers Countanssous en débat. Réduire ou maintenir ses distances. A plusieurs reprises, nous avons pu remarquer que la notion de lieu différait d’autres notions géographiques en raison de son rapport à la distance. Qu’est-ce qu’une distance ? Pour Jacques Lévy, « dans une étendue, une distance est un ensemble d’attributs, d’informations caractéristiques d’un phénomène, d’une réalité, en fonction du degré de séparation qu’il/elle entretient avec d’autres phénomènes, d’autres réalités » (Lévy, 1999, p. 395). Quelles sont les interactions possibles entre distance et lieu ? La réponse peut sembler claire dans un premier temps si nous prenons la définition proposée par le même auteur, pour qui un lieu est « un espace où l’on considère par hypothèse que la distance séparant les différents phénomènes qui le composent est nulle » alors qu’une aire est « un ensemble de lieux, séparés par des distances non nulles » (Lévy, 1999, p. 394 et 396). Cependant, si nous retournons à la controverse sur la LHT, il ressort que la relation entre « la fabrique des lieux » et la distance est plus complexe qu’il ne semble. En effet, le déroulement de la controverse contribue à modifier constamment les distances entre les différents acteurs (humains et non-humains) de celle-ci : un riverain souhaiterait que le poste s’implante ici et pas là ; en cela, il s’éloigne de ses voisins. En même temps, la LHT ne doit pas gêner la vue sur la mer et compromettre ce patrimoine touristique, etc. Au cours d’une controverse, nous pourrions dire qu’il y a un constant processus de rapprochement/distanciation entre les éléments concernés par celle-ci. Dès lors, la position relative des phénomènes du même lieu semble avoir son importance dans les lieux controversés – nous nous distinguons en cela de la définition de Jacques Lévy – car elle se modifie constamment. Nous pensons que la controverse a un effet de repositionnement des acteurs concernés et que cet effet de repositionnement peut être un rapprochement…jusqu’à « faire lieu », cette fameuse rencontre dont nous parle Denis Retaillé. Les mises à l’épreuve réalisées au cours des controverses définissent, pour un temps, le lieu et les distances effectives entre les êtres et les choses en indiquant à chaque fois ce qui fait partie ou non du problème. Retaillé donne une définition du lieu compréhensive de la propriété de la distance nulle en posant cette question cruciale pour notre propos : avec qui sommes-nous solidaires ? Ce qui renvoie bien à l’idée que le lieu est le résultat d’une circonstance particulière et contingente. Il s’agit donc d’une solidarité éprouvée et non d’une solidarité de fait comme pour la proximité induite par l’appartenance implicite à un territoire. En outre, il est possible de remarquer qu’à chaque fois qu’il y a création de distance – autrement dit, un déplacement pour reprendre les termes de Bruno Latour7 – cette opération a un coût. Il y a un avant et un après, l’après étant toujours différent de l’étape précédente. Ce coût ne se chiffre pas nécessairement : il est simplement la traduction d’un effort. Nous sommes là aux fondements de l’acte géographique et de la spatialisation. En effet, pour « faire » un autre lieu ou pour co-construire un lieu, qu’il soit

à controverse ou non, il y a un prix à payer pour le déplacement (au sens de création de distance ou de rapprochement). Il y a d’abord des êtres éloignés, et ceux-ci, au prix d’un effort important, vont créer des co-existences, construire des co-présences, créer des lieux. Cet effort, ce prix à payer, se traduit en termes de quantité de médiateurs à rencontrer : chaque être et chaque chose peut obliger à une transformation, à une bifurcation par rapport au projet initial. Cela a été le rôle du sol et de sa composition géologique par exemple. Celui-ci a contribué à transformer l’emplacement de la ligne. Le maire aussi a contribué à redessiner le tracé de la ligne, en recalculant le centre de gravité des charges. Cet effort, ce prix à payer, varie aussi en fonction des systèmes techniques à disposition, de l’état des connaissances scientifiques (quelles zones d’ignorance, quelles incertitudes, portant sur quoi ?) ainsi que des ressources que les individus mobilisent. L’acte du maire qui redessine le tracé de la ligne est aussi intéressant à relever pour un autre aspect : il permet de garder une trace graphique du déplacement de la ligne. Cet acte – qui n’est ici qu’un exemple que l’on pourrait étendre à tous les actes cartographiques – correspond à un processus de scénarisation qui assure au sens propre du terme la « mise en scène » de la controverse. C’est pourquoi prêter attention aux conditions dans lesquelles le redéploiement de la ligne s’est effectué conduit à identifier les processus de scénarisation des rapports de coexistence, créés ici au cours de la controverse et qui se cristallisent dans des lieux précis, en modifient les limites et l’extension. À chaque fois que l’on discute du futur passage de la ligne, les habitants se livrent à une « cartographie populaire » comme le font les riverains qui pour tenter de rendre plus tangible les risques invisibles et insidieux des menaces qu’ils subissent (comme les champs électromagnétiques), se livrent à une épidémiologie populaire visant à recenser les cas de maladies potentiellement attribuables aux sites à risque. Le bouclage vers Coutanssous ne fait pas partie du même projet et fait l’objet d’un traitement particulier. Est-ce à dire qu’il s’inscrit au sein d’une aire – pour reprendre la définition de Lévy citée précédemment – car un écart est maintenu avec le lieu précédent produit par la controverse autour du centre de gravité ? Ou s’agit-il encore d’une reconfiguration du lieu de la controverse qui, par ce biais, devient un autre lieu ? Enfin, signalons qu’un élément distingue les acteurs concernés par la ligne : pour les riverains, l’ouvrage est essentiellement localisé et c’est l’impact sur l’environnement qui compte ; sur d’autres terrains, nous avons pu observer que, sur une même LHT, les riverains mettaient tantôt en avant l’impact sur le patrimoine, tantôt l’influence éventuellement délétère des champs électromagnétiques sur la santé sans qu’apparaisse une communauté d’intérêts politiques tout au long de l’ouvrage. En revanche, pour les promoteurs du projet, la ligne et le poste ne sont que des éléments destinés à contribuer à la qualité de service de l’ensemble du réseau en alimentation électrique. Le lieu n’est donc pas le même selon les acteurs concernés : l’échelle pertinente de la ligne elle aussi varie avec les acteurs impliqués8. S’ouvre alors une question importante et controversée (Lévy et Debarbieux, article « territoire » in Lévy et Lussault, 2003, p. 909-912) : celle de savoir comment qualifier ces espaces où se mêlent des lieux, des aires et des réseaux. La métrique en réseau s’oppose-t-elle à celle supposée continue du territoire ? Et comment qualifier ce type de configuration ?9

Au terme de cette analyse, nous pouvons dire que les « entités spatiales » décrivent et en même temps participent à la construction des processus de configuration/reconfiguration des collectifs (Latour, 1999). En effet, la controverse socio-technique et publique ne vise pas à débattre autour d’un objet qui reste stable. A l’issue des débats, tout a changé : les positions des acteurs (riverains et promoteurs), la ligne qui s’est raccourcie, les propriétés du sol qui se sont amoindries par rapport à l’idée que l’on s’en faisait, etc. C’est la raison pour laquelle on ne peut ni parler d’un « espace donné » qui serait en quelque sorte indiscutable ni d’un espace sur lequel est projeté du travail et de l’information, selon la définition de Claude Raffestin, donc des valeurs qui seraient à jamais discutées. Les scientifiques ne sont plus seuls à discuter des faits et les sciences sociales ne définissent pas seules les valeurs a priori. De ce point de vue, notre étude de cas ne coïncide pas avec la définition de Raffestin : « un territoire par rapport à un écosystème naturel n’est, en fait, rien d’autre que la projection de travail humain à l’aide de médiateurs – pratiques et connaissances – qui s’enracinent dans les sciences et les techniques. […] Ce réagencement des écosystèmes naturels débouche sur une territorialisation » (Claude Raffestin, 1997, p. 100-101). Non seulement le rôle que jouent les sciences et techniques est plus souple que cette définition ne le laisserait supposer : il n’y a selon nous pas d’ancrage du territoire dans les sciences et les techniques, mais plutôt un constant processus d’aller-retour qui contribue à la fois à produire des formes spatiales, des sciences et des techniques ; plus encore, la controverse n’est pas le résultat d’une projection mais elle est issue d’une interaction constante entre les éléments physiques et sociaux pour constituer in fine … ce qui semble davantage se rapprocher de la notion de lieu. Selon notre perspective, l’espace n’est pas seulement produit en fonction de schèmes collectifs d’essence sociale10, il est parfois co-construit par les habitants lesquels savent s’immiscer dans les objets scientifiques et techniques11. C’est pourquoi, concevoir l’espace comme un concept hybride de matériel et de symbolique (Lussault, 2000) est une posture séduisante, particulièrement dans une optique d’analyse des controverses. Cette manière d’appréhender l’espace permettrait d’étudier, au sein de la controverse, les spatialités qui en émergent, c’est-à-dire les actions spatiales réalisées par les acteurs impliqués dans la controverse (Lussault, in Lévy et Lussault, 2003, p. 866-868) : cela mettrait en exergue la complexité des dynamiques spatiales des controverses sociotechniques. Cependant, le fait que l’espace soit surtout d’essence sociale ne permet pas la prise en compte symétrique des éléments physiques et des éléments sociaux. Or l’analyse de cette controverse nous a montré la co-existence simultanée de ces deux éléments. En effet, la dynamique de la controverse fait fi de ce partage. Pensons aux agriculteurs, au patrimoine ou encore au sondage géologique dans l’analyse des lignes à haute tension. Si le poste s’est finalement déplacé de Balbec à Brissol, ce n’est ni en raison de considérations « purement » techniques, ni en raison de considérations « purement » politiques, mais bien parce que des forces hétérogènes, mêlant intimement savoir technique et intérêts socio-politiques, ont pu être connectées : l’argumentation d’un maire recalculant un nouveau centre de gravité, des sondages géologiques, un travail de mobilisation mené par un comité d’opposants, etc. Pour l’emporter, chaque porte-parole

a dû faire l’effort pour tenir ensemble les impératifs d’ÉDF, des contraintes techniques et des enjeux socio-politiques. En définitive, la notion de lieu semble bien s’intégrer dans un cadre théorique qui saisit à la fois le déroulement dynamique de la controverse et la constitution « toujours en train de se faire » de lieux de controverse. La sociologie des sciences et des techniques ne hiérarchise pas les éléments non-humains par rapport aux éléments humains, et leur accorde une place symétrique dans l’analyse ; de même, le lieu avec lequel se déroule la controverse – la controverse a besoin de lieux autant que les lieux pour se fabriquer ont besoin de controverses– peut être considéré comme une potentialisation constante et continue des problèmes d’environnement et des situations de controverse. En géographie, la notion de lieu se décline selon trois formes d’acceptations12 : l’acceptation géométrique définit le lieu comme point d’une surface, l’acception spatialiste définit le lieu comme une somme de qualités et de positions et enfin l’acceptation socioanthropologique où le lieu est un emplacement qui fait sens dans la définition du rapport à l’espace d’un collectif. Il ressort de notre analyse que la fabrique des lieux s’inscrit dans un processus dynamique où il devient impossible de séparer ce qui relèverait de la seule inscription spatiale ou des seules relations techniques ou sociales, prises séparément et déconnectées de l’espace où celles-ci se déroulent. La notion de lieu traduit selon nous cette capacité à tenir ensemble des éléments hétérogènes au sein de connexions qui se produisent en situation de controverse, créant ainsi des délimitations qui ne sont jamais données d’avance. Conclusion. Notre dialogue entre une analyse de controverse et les concepts géographiques nous a permis de mieux saisir ce que nous pressentions de manière intuitive au début de notre discussion : les éléments spatiaux font partie intégrante de la controverse et sont davantage qu’un support passif de l’action. Ils participent à la controverse puisqu’ils agissent tout le long de l’évolution de la dynamique conflictuelle et ils (les lieux) en sont le résultat, ultime mais toujours provisoire lorsque la controverse diminue, s’arrête ou se clôture momentanément. La deuxième leçon à retenir, qui découle de la première, est que les controverses ré-articulent les dimensions de nature et de culture, en les imbriquant et les entremêlant, rompant, en cela, avec les dichotomies existantes. Pour souligner les limites de ces postures dualistes, on peut reprendre à notre compte les propos de Descola parlant de la fiction qui oppose faits de nature et faits de société. « Pour désigner les rapports entre la nature et la culture, nombreux sont les termes qui […] mettent l’accent tantôt sur la continuité – articulation, jointure, suture ou couplage – tantôt sur la discontinuité – coupure, fracture, césure ou rupture – comme si les limites de ces deux domaines étaient nettement démarquées et que l’on pouvait en conséquence les séparer en suivant un pli préformé ou les rabouter l’un à l’autre comme deux morceaux d’un assemblage » (Descola, 2001, p. 15). Lorsqu’on cherche à définir ce qui caractérise les relations entre science, espace et société en situation de controverse, on trouvera plutôt un brouillage de frontières que des limites

claires et stables. Est-on là dans le « faire lieu », le « faire eikos » pour reprendre les mots de Bruno Latour, qui est si important pour toute pensée écologique, et corollairement pour traiter les problèmes environnementaux ? Si une controverse contribue à créer, à recréer ou à reconnaître des lieux, ce qui est finalement une attention très ancienne, alors l’« espace » d’une controverse devient bien plus qu’un espace. Résumé En nous appuyant sur une étude de sociologie des sciences et des techniques portant sur une controverse autour d’une ligne à haute tension, nous avons l’intention de montrer que l’espace concerné contribue à remodeler et orienter la controverse, autant que celleci forge et modifie les espaces qu’elle touche. Avec la progression de l’analyse, la notion de lieu nous a semblé mieux adaptée à rendre compte de la complexité et de la variabilité de la géographie de la controverse. La notion de lieu traduit selon nous cette capacité à tenir ensemble des éléments hétérogènes au sein de connexions qui se produisent en situation de controverse créant ainsi des délimitations qui ne sont jamais données d’avance. Pour faire référence à cet article Cristina D’Alessandro-Scarpari,Élisabeth Rémy et Valérie November, "L’« espace » d’une controverse.", EspacesTemps.net, Travaux, 18.01.2004 http://www.espacestemps.net/articles/lrsquo-espace-drsquoune-controverse/

‘Géographie’. Jacques Lévy | 20.03.2003 Géographie. A. Science qui a pour objet l’espace des sociétés, la dimension spatiale du social. B. Objet de cette science, espace des sociétés (« espace géographique »). A. La première définition décrit le cadre de travail des géographes d’aujourd’hui. Le mot « géographie » désigne toutefois aussi trois autres réalités du passé qui ont encore une résonance dans le présent : 1. La géographie comme regard à la fois empirique et théorique, rationnel, éthique, esthétique, sur l’ici et l’ailleurs, sur la Terre et le Monde, qu’on peut appelerpaléogéographie, qui naît et se développe dans les civilisations méditerranéennes (Grèce et monde arabe surtout) de l’Antiquité à la Renaissance européenne. 2. La géographie comme exploration et description systématique de la Terre, qu’on peut appeler aujourd’hui archéogéographie, avec des prémisses chez les Grecs, une présence significative dans la Chine impériale, des Han aux Qing et une montée en puissance dans l’Europe du 16e au 19e siècle. 3. La géographie comme ensemble de discours combinant une étude des différents « genres de vie » selon les lieux, une idéologie nationale et une discipline scolaire. On peut nommer cet ensemble « géographie traditionnelle », « géographie classique » ouprotogéographie. Elle se manifeste surtout en Europe, et tout particulièrement en France, dans la seconde moitié du 19e et dans la première moitié du 20e siècle. Géographies. Après l’acte inaugural d’Homère, on peut appeler géographes des auteurs qui, de Strabon à Humboldt, ont cherché à repérer, à identifier, à nommer et à expliciter les localisations, les localités et les lieux. Cette démarche, qui a une forte présence dans la Grèce antique, dans le monde arabe entre le 19e et le 14e siècle et dans l’Europe des Lumières reste présente dans la recherche systématique d’information sur les lieux (cartes, guides, dictionnaires), notamment en vue du tourisme. C’est souvent le contenu des rayons « Géographie » des librairies ou des épreuves de « Géographie » des jeux populaires. On peut également appeler géographes des auteurs qui ressortissent à la « géographie traditionnelle » ou « classique », qui s’est développée pour l’essentiel entre 1860 et 1960, avec pour centre de gravité la France des années 1880-1920. Durant cette période, l’espace n’était pas à proprement parler l’objet de l’étude. Il s’agissait plutôt d’une éthnographie systématique des sociétés rurales (les « genres de vie » de Paul Vidal de La Blache) dans le cadre d’un paradigme lamarckien privilégiant, comme grille de lecture, les différentes modalités d’adaptation de la société au « milieu » naturel. Par ailleurs, cette discipline s’est institutionnalisée dans un rapport particulier à l’État, acceptant dans de nombreux pays, la mission de naturaliser le territoire étatique et de concourir ainsi, notamment dans l’école, à la construction d’un communautarisme étatique. Enfin, cette géographie était affaiblie dès sa naissance par son refus marqué de la théorie, en

contraste avec la sociologie et l’économie au même moment : la « description » littéraire – dans un cadre rhétorique proche du récit en histoire – contribuait à affranchir le raisonnement géographique de l’exigence de rigueur que les autres sciences sociales assumaient de plus en plus. Acquis et enjeux. Depuis les années 1960, avec un point de départ en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en Suède, la géographie s’est profondément transformée, produisant, par innovations successives, son paysage actuel. On peut en résumer quelques traits significatifs. La géographie est une science sociale parmi les autres sciences sociales. L’objet de la géographie est l’espace, comme dimension de toute vie sociale. La géographie intègre à son étude de l’espace les caractéristiques générales de la complexité spécifique du social : l’historicité, la sociétalité (la société n’est pas la simple somme de ses éléments), la pragmatique (existence d’actions et d’acteurs), le rôle des langages et des représentations comme composantes majeure du réel social, à égalité avec le référent de ces langages et de ces représentation. Enfin, forts de leur expérience récente, les géographes ont intégré la démarche réflexive, c’est-à-dire l’épistémologie interne, à partir des problèmes de la recherche, comme un aspect irremplaçable de leur activité. À côté de ces acquis, on peut considérer un certain nombre de points en émergence ou en débat, qui constituent les enjeux du présent pour la géographie. 

L’intégration systématique des apports des autres sciences sociales et de la philosophie dans les domaines encore peu explorés par les géographes : rôle de l’espace dans les sciences du psychisme et notamment les sciences cognitives, philosophie de l’espace, géohistoire, philosophies politique et morale appliquées à l’espace.



En relation avec cet enrichissement des substances, le renforcement d’une géographie analytique qui, renonçant à l’affirmation cartésienne d’un espace absolu géométrique, prenne davantage en considération l’importance de l’échelle et la diversité des métriques.



Une nouvelle réflexion sur la nature, conçue comme rapport social au monde biophysique, qui, dans son principe, concerne et intéresse la géographie ni plus ni moins que les autres sciences sociales mais qui, compte tenu de l’expérience de la cohabitation entre les « branches » de l’archéo- et de la proto-géographie, peut trouver une place innovante dans le nouveau dispositif.



Un effort de renouvellement théorique considérable sur la carte, qui doit redevenir un point d’appui langagier pour la production et la diffusion de connaissances scientifiques sur l’espace.



L’ensemble des débats théoriques des sciences sociales, notamment les relations social/sociétal, communauté/société, individuel/collectif, mémoire/projet, économique/sociologique, politique/géopolitique.



La mise en discussion des problèmes d’objet, de méthodes et de techniques tels que la relation disciplinarité/transdiciplinarité du social, théorique/ empirique, qualitatif/quantitatif, recherche fondamentale/expertise/action citoyenne.

B. La deuxième acception du mot « géographie » se manifeste plutôt à travers l’adjectif « géographique », le nom apparaissant plus souvent, dans ce sens, en anglais (par exemple dans le titre de l’ouvrage de The End of Geography). Ce qui est géographique, c’est ce qui relève de l’espace du social (l’« espace géographique ») par opposition à d’autres espaces (physiques, biologiques, mathématiques, métaphoriques). En ce sens, contrairement à « spatial », « géographique » fournit une image globale de l’objet de la géographie et donne une connotation plus épistémologique – ce que ne peuvent pas faire d’autres disciplines qui ne disposent pas de deux mots différents pour désigner le champ et son étude : économie/économique, science politique/politique, et même histoire/historique, dans la mesure où « temporel » désigne, dans les sciences sociales, un champ plus large que celui de l’histoire ; l’usage du mot « historiographique » tend alors à combler cette lacune. Bien évidemment, les acceptions « encyclopédique » (géographie = nomenclature des noms de lieux), naturaliste (géographie = ensemble des « conditions naturelles ») et écologique (géographie = relations « homme/milieu ») doivent être fermement bannies, sauf par ceux qui viseraient à enfermer la géographie d’aujourd’hui dans la paléo-, l’archéo- ou la proto-géographie. Épistémologie, Épistémologie de la géographie, Espace, Histoire de la géographie. Résumé Géographie. A. Science qui a pour objet l’espace des sociétés, la dimension spatiale du social. B. Objet de cette science, espace des sociétés (« espace géographique »). A. La première définition décrit le cadre de travail des géographes d’aujourd’hui. Le mot « géographie » désigne toutefois aussi trois autres réalités du passé qui ont encore [...] Pour faire référence à cet article Jacques Lévy, "‘Géographie’.", EspacesTemps.net, http://www.espacestemps.net/articles/lsquogeographiersquo/

Livres,

20.03.2003

‘Lieu’ 4. Michel Lussault | 19.03.2003 Lieu. Plus petite unité spatiale complexe de la société. Le lieu constitue l’espace de base de la vie sociale. Il est complexe parce qu’il résulte (et exprime) déjà d’une combinatoire de principes spatiaux élémentaires – ce qui ne signifie pas nécessairement simples. Si l’on considère un espace public comme une place, avec fontaine, bordée de bâtiments, on discrimine aisément ces composants élémentaires distincts, qui ne sont pas tous permanents – le lieu possède, en effet, à la fois une architectonique fixe et des registres changeants selon l’intensité de la présence de certains de ses ingrédients à différents moments (ainsi un lieu la nuit n’est pas le même que le jour) : mobilier urbain et objets divers, étendue même de la place et son traitement au sol, fontaine, végétaux, jardin architecturé, différents bâtiments aux caractéristiques variées, stocks et flux des automobiles et des piétons, dont la variation entraîne la modification de la valence du lieu, lumière, odeurs… ; mais aussi pratiques des individus, représentations officielles et individuelles du lieu en question – ce qui fait que celui-ci est sans cesse débordé par certains de ses composants, ne peut pas parfaitement contenir tout ce qui le constitue tout en le dépassant. Ainsi, une image du lieu dans un livre, une parole sur lui dans un autre lieu et c’est une part de ce qui le compose qui existe hors de lui. Les principes d’ordonnancement général de cette configuration locale font, bien entendu, en tant que tels, partie de ce qui définit un lieu. Dehors/dedans. Le lieu constitue la plus petite unité spatiale complexe car c’est un espace « au sein duquel le concept de distance n’est pas pertinente » (Lévy, 1994) donc, c’est l’espace de l’échelle la plus restreinte. Selon Jacques Lévy, lorsque réintervient l’influence de la distance on passe du lieu à l’aire. On sera, sur ce point, un peu plus nuancé que l’auteur. En effet, les lieux se caractérisent aussi par le caractère sensible de leurs limites. On introduit là un aspect qui renvoie en partie au champ de la pratique et de la représentation spatiales. Ce problème de la limite configurante paraît important et le lieu existe avant tout en tant que surface explicitement limitée, de micro-échelle – même si, comme on l’a souligné, certains de ses composants le dépassent. Le bornage constitue d’ailleurs une action essentielle de tout pouvoir politique souhaitant instituer un lieu et, au-delà, de tout acteur social engagé dans la même démarche, Regardons faire, par exemple, les gestionnaires-producteurs des espaces touristiques ou encore les sociétés d’autoroutes. Dès lors, se met en place le jeu du couple dehors/dedans, qui ne s’applique pas qu’au lieu, mais dont la prégnance est réelle en ce qui concerne cette espèce d’espace. Le lieu forme donc un ensemble discret – au sens des mathématiques – et aisément discrétisable, qui s’affirme en tant qu’entité dans cette discrétisation. Le lieu, participe d’une des deux grandes métriques, la métrique topographique, marquée par les principes de congruence, d’exhaustivité et de continuité. Cela écrit, on peut estimer que la distance, dans tous ses états, peut quand même intervenir pour

décomposer le lieu en micro-lieux, ceux-ci toujours sensiblement intégrés dans l’espace limité qui les contient et qui demeure un cadre explicite de la coprésence possible des individus et des choses ; la possibilité doit toujours exister de pouvoircontrôler « physiquement » le lieu par la marche brève ou le déplacement rapide et/ou la vue – les lieux les plus forts ne sont-ils pas ceux, d’ailleurs, que le regard peut intégralement embrasser et où les repérages visuels des limites sont les plus aisés ? C’est-à-dire que ne doit pas s’affirmer un effet d’échelle et d’espacement suffisamment marqué qui brise le lieu et le mue en aire. Une aire, de ce fait, peut être définie comme une combinaison dynamique de lieux discrets. Une telle conception du lieu offre la possibilité d’indexer à ce terme des espaces extrêmement variés, qu’il faut appréhender à l’aune des acteurs qui les agencent et les pratiquent. Le site, ou le lieu soustrait au regard du groupe social. Cela posé, il faut introduire une précision supplémentaire, importante. Un véritable lieu n’existe pleinement qu’en tant qu’il possède une portée sociale, en termes de pratiques comme de représentations, qu’il s’inscrit comme un objet identifiable, et éventuellement identificatoire, dans un fonctionnement collectif, qu’il est chargé devaleurs communes dans lesquelles peuvent potentiellement – donc pas systématiquement – se reconnaître les individus. Voilà qui différencie le haut-lieu, la place publique, le monument-lieu de mémoire, la galerie commerciale, tous marqués par la coprésence possible des composants sociétaux dans leur diversité et les signes manifestes des valeurs collectives, des lieux domestiques : appartements, maisons, pièces, jardins, qui répondent en général aux premiers critères de définition des lieux mais où le caractère privé s’impose comme l’étalon du fonctionnement de l’espace, où les valeurs sont explicitement configurées à l’aune de l’individualité, comme le montrent les analyses des pratiques habitantes. Cette tension – qu’on n’appelle pas antagonisme, car les rapports de complémentarité l’emportent sur les rapports d’opposition – intime/privé/individuel vs extime/public/social paraît très importante dans le fonctionnement des espaces. Elle justifie ici une discrimination entre, du côté de l’extime, du public et du social, les lieux et, du coté de l’intime, du privé et de l’individuel ce qu’on nommera, à titre expérimental – sans être satisfait par cette désignation –, les sites, distinction qu’on offre ici à la critique. Jacques Lévy & Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003. 1032 pages. 30 euros. Action, Agencement, Espace, Habitat, Spatialité. Résumé Lieu. Plus petite unité spatiale complexe de la société. Le lieu constitue l’espace de base de la vie sociale. Il est complexe parce qu’il résulte (et exprime) déjà d’une combinatoire de principes spatiaux élémentaires – ce qui ne signifie pas nécessairement simples. Si l’on considère un espace public comme une place, avec fontaine, bordée de [...] Pour faire référence à cet article Michel Lussault, "‘Lieu’ 4.", EspacesTemps.net, http://www.espacestemps.net/articles/lsquolieursquo-4/

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19.03.2003

‘Lieu’ 2. Nicholas J. Entrikin6 | 19.03.2003 Lieu. Une condition de l’expérience humaine. Les humains vivent leurs existences dans un lieu et ainsi développent simultanément un sens d’être dans un lieu et hors d’un lieu. L’expérience du lieu implique donc pour une personne à la fois la capacité subjective de participer d’un environnement et la capacité objective de pouvoir observer un environnement comme étant externe et séparé de soi. Cette tension crée une certaine ambiguïté dans les usages multiples du lieu dans le discours géographique contemporain. Le lieu est homologue et constitutif du soi. La relation de soi au monde et de soi aux autres est construite par un discours joignant les éléments subjectifs et objectifs du lieu et de la communauté. Un « lieu commun », longtemps peu exploré. Le lieu s’avère un concept central de la géographie humaine contemporaine, notamment dans le monde anglophone. Ce rôle s’est affirmé à mesure que le lieu s’est vu graduellement doté d’une définition plus complexe et que la géographie humaine a évolué de ses origines naturalistes et matérialistes vers une orientation plus « (humanistic) ». Dans les savoirs de la géographie classique, le lieu apparaît comme un concept peu explicité. Par exemple, Paul Vidal de La Blache, on le sait, décrit la géographie comme étant la science des lieux plutôt que celle des hommes, mais il n’a pas véritablement exploré le concept de lieu. Pour Carl Sauer, la géographie était une science fondée sur le sens naïf attribué aux différences des lieux, mais le lieu était un concept trop banal, à ses yeux, pour occuper une place importante dans ses recherches. Alfred Hettner, quant à lui, a développé une conception chorologique de la géographie qui accentue l’intégration spatiale de phénomènes divers dans le lieu ; mais, paradoxalement, presque tout au long du vingtième siècle et dans toutes les géographies, cette approche chorologique a plutôt mis l’accent sur la région que sur le lieu. Ainsi, le lieu a toujours fait partie du lexique des géographes, mais a longtemps été peu défini en compréhension. Le lieu resta dans l’ombre des concepts de région, de territoire et d’espace durant une grande partie du siècle dernier. Son utilisation dans les récits géographiques produits par les géographes « classiques » en faisait principalement un synonyme commode et vague de région, de territoire, de site, d’endroit… bref des espaces d’échelles et de substances fort variées. Son association systématique dans les pratiques traditionnelles de la géographie avec l’usage de la nomenclature et des index renforça cette signification et cette portée faibles du terme. L’évolution du concept de lieu. 6

Professeur de géographie à Ucla (University of California, Los Angeles). Ses intérêts de recherche sont l’épistémologie de la géographie et la géographie culturelle. Parmi ses publications :The betweenness of place (1991). http://www.espacestemps.net/auteurs/nicholas-j-entrikin/

Au début du 20e siècle, les géographes ont cherché à comprendre scientifiquement la diversité des lieux, mais le « scientifique » était alors conçu comme le domaine exclusif du « causal ». Les premières tentatives déployant une explication causale positiviste liaient l’occupation humaine au sol et au climat, et à une variété des milieux naturels. Ce déterminisme environnemental a graduellement évolué vers le discours causal un peu plus subtil du possibilisme. L’émergence progressive d’une géographie humaine réellement sociale, opposée à une géographie académique pensée comme une science naturelle, étend les horizons explicatifs pour inclure les éléments économiques, sociaux, et culturels comme facteurs potentiels de causalités complexes. Pendant la première moitié du 20e siècle, l’histoire du concept de lieu a étroitement été liée à la géographie régionale et à l’intégration spatiale des phénomènes divers qui donnent un caractère ou une « personnalité » à un milieu. Le lieu et la région ont tous deux été étudiés pour leurs spécificités ou leurs singularités (par exemple, la vallée de la Loire), ou comme catégories génériques (par exemple, une région industrielle). Le développement d’une approche analytique quantitative et spatiale durant les années 1960 transforme la signification primaire du lieu en une expression uni-dimensionnelle dans l’espace. Les tenants de l’analyse spatiale ont dénoncé le caractère idiographique et non-scientifique de la géographie régionale et leurs critiques visaient tant l’étude de la région que la conception traditionnelle du lieu. S’ils ont montré en parallèle un intérêt pour la catégorisation générique des lieux et des régions, c’est via des approches modélisatrices comme celle des « lieux centraux ». L’affirmation de l’importance du lieu comme un concept est associée, dans la dernière partie du 20e siècle, aux changements introduits dans le champ de la géographie par l’apparition du courant de la humanistic geography. Ce mouvement intellectuel, en vérité très divers, qui se développe dans les années 1970 a élargi les démarches de la géographie au-delà des formes naturaliste, matérialiste et positiviste des périodes précédentes, afin d’inclure des thèmes et des approches plus idéelles et herméneutiques, centrées sur l’expérience du sujet. Vue par ses contempteurs comme une descente dans le subjectivisme, voire comme une dérive solipsiste, lahumanistic geography s’avère plutôt une ouverture d’un chantier de recherche sous-tendue par une conception plus complexe de l’agencement humain de l’espace et du sujet géographique et de ses rôles. La prise en compte du sujet et de son expérience du lieu. Dans la géographie classique du début du vingtième siècle, les êtres humains sont principalement caractérisés comme des agents biologiques et géologiques pour qui besoins et coutumes deviennent les vecteurs de transformation des paysages naturels. Dans les approches marxistes ou dans celles de l’analyse spatiale, très matérialistes et néopositivistes, l’agent, quand il n’est pas purement et simplement escamoté, apparaît guidé par les contraintes matérielles des relations sociales de production ou/et par des calculs utilitaires de choix rationnel. Les tenants de la humanistic geography anglophone ont forgé le concept d’human agency (i.e. le sujet agissant) pour inclure le domaine subjectif, c’est-à-dire celui des valeurs, croyances, émotions et appartenances. L’acteur géographique combine les

éléments du social, du moral et de l’esthétique. La humanistic geography n’a pas puisé majoritairement ces thèmes dans la géographie, même si des auteurs anciens avaient identifié la fonction expérientielle du lieu : on trouve en effet une géographie esthétique dans la géographie allemande du dix-neuvième siècle. En revanche, les tenants de la humanistic geography pour formaliser la signification géographique d’un rapport d’ensemble entre le sujet et le milieu, ont été largement influencés par les philosophies existentielles et phénoménologiques et par ce que Gaston Bachelard appelait les poétiques de l’espace. L’importance de la connexion entre le lieu et le sujet ou l’agent est évidente dans la recherche contemporaine sur l’identité et la représentation. La question de base de l’identité est : qui suis-je ? Ou, dans le sens collectif : qui sommes-nous ? Alors que ces questions relevaient plutôt, traditionnellement, de la psychologie et la sociologie, la relation de l’individu ou du groupe au lieu ou au territoire est désormais posée comme une problématique centrale de la géographie humaine. L’expérience individuelle ou collective d’un milieu commun permet et limite les actions, offre les références de la mémoire, et est essentielle pour comprendre les diversités des modalités d’appartenances humaines à l’espace. Les êtres humains transforment l’espace terrestre, et ces transformations affectent ce qu’ils sont et ce qu’ils font. L’identité du lieu implique des stratégies discursives des sujets, des récits créant un sens d’ensemble, en termes de biographie humaine, de solidarité communautaire, et d’appartenance au monde entier. Ces identités (individuelles et collectives) liées au lieu et à son expérience, ont été étudiées par des géographes comme les manifestations de la puissance sociale, dans laquelle des groupes dominants, par exemple la classe sociale dominante et/ou le groupe ethnique et/ou l’élite politique, établissent et fixent les identités d’autrui. Ce processus est souvent accompli en partie par la naturalisation qui résulte de la mise en convergence discursive des qualités d’un groupe et d’un lieu. Ainsi, les termes ghettos et banlieues fonctionnent doublement comme descriptions de lieux et catégories sociales – les uns et les autres indissociables. De ce point de vue, le lieu et la personne sont tous deux des produits des forces sociales. Le brouillage des concepts. L’intérêt relativement récent pour le lieu n’a permis ni une clarification sémantique totale, ni à une diminution des tensions entre la définition du lieu et celles des autres conceptsclefs de la géographie. Par exemple, on différencie souvent le lieu et la région par l’échelle, de façon trop banale et routinière, préférant le terme région à celui de lieu pour représenter des plus grandes unités de terrain. Cependant, le lieu est parfois distingué comme le milieu sensoriel directement vécu et la région comme un concept abstrait et construit, une superficie obtenant sa cohérence par les institutions sociales et politiques. Le lieu et l’espace ont été à l’occasion décrits comme des concepts jumeaux qui assurent un continuum analytique entre l’expérience intérieure et le monde externe d’un sujet. D’autres chercheurs ont mis en exergue une tension entre les lieux renvoyant à l’identité, à l’appartenance humaine et la vie quotidienne, et les espaces renvoyant aux jeux des forces globales. Des géographes critiques de ces approches suggèrent quant à eux que le

lieu et l’espace sont des catégories séparées. Ils soutiennent que le concept géographique de lieu dérive de la physique téléologique aristotélicienne, dans laquelle toutes les choses possèdent leur place naturelle, alors que l’espace de l’analyse spatiale positiviste dérive d’une source cognitive différente, fondée sur la conception cartésienne de l’espace comme extension infinie de l’étendue. Les termes « spatialité » et « médiance », récemment développés, ont un sens proche de celui de lieu car ils mettent l’accent sur le lien d’un sujet à un milieu de vie. Pourtant, l’approche de la spatialité a souvent été limitée par un réductionnisme social dans lequel l’acteur et l’espace sont produits socialement de façon mécanique. Le lieu, dans l’acception de la humanistic geography, englobe le concept de la spatialité, tout en étendant sa sémantique pour inclure les relations d’un sujet autonome à un milieu. Comme le lieu, la médiance lie le subjectif à l’objectif, cherchant donc à surmonter la conception dualiste du milieu ; celui-ci existe à la fois au-delà de la conscience et est interprété à travers l’agent conscient. Mais le concept de lieu, du point de vue de lahumanistic geography, exprime un plus grand souci pour le territoire et l’espace social que pour le seul paysage et une plus grande attention pour un sujet actif qui se transforme lui-même tout en transformant son monde. Les défis des études du lieu. Le défi de l’étude du lieu en géographie procède de l’ampleur du champ qu’il délimite. Son utilisation courante rejoint pour les dépasser les antinomies traditionnelles : sujet/objet, matérialisme/idéalisme, particularisme/universalisme. Cette ampleur pose des problèmes pour dresser le lieu en concept théorique solide. Les géographes font sans doute de plus en plus allusion à l’importance du lieu dans la vie moderne, mais trop peu encore ont tenté de spécifier avec précision les mécanismes qui le rendent effectivement important. Comment, par exemple, le lieu influence-t-il l’action collective ? Le langage du lieu fait souvent partie du langage de la solidarité sociale et de l’identité culturelle, mais comment distinguer le rôle du lieu en tant que symbole, idée, discours, représentation, de ses fonctions de milieu de vie matériel ? Par ailleurs, bien des géographes reconnaissent que le lieu est plus un processus (une relation d’expérience entre le sujet et un locus) qu’un objet donné. Mais comment ce processus interagit-il avec la formation d’un sujet individuel ou/et de l’acteur collectif ? La question du fonctionnement du lieu et de ses effets multiples doit donc rester centrale aux futures recherches géographiques. Un autre défi cognitif est d’aller au-delà de l’association spontanée de l’importance du lieu avec les modes de vie traditionnels et particuliers. Le lieu a généralement occupé une modeste place dans les études de la vie contemporaine urbaine générique. Il a en effet plutôt été associé avec les genres de vie traditionnels, particulièrement avec ceux des sociétés agricoles pré-industrielles, dans lesquelles les rythmes de la vie sociale sont censés être liés à l’environnement naturel et bien contenus dans les limites de la localité. En l’opposant à la tradition, des auteurs ont décrit la modernité et la postmodernité comme une ère « sans-lieux », ou du moins caractérisée par la multiplication des « nonlieux ». Cependant de nombreuses études récentes montrent la montée en puissance croissante des mouvements sociaux et des phénomènes d’affirmation identitaire associés

au lieu. La surrection des mouvements communautaires, régionalistes, nationalistes et environnementalistes, certains progressistes (et mondialistes en même temps que localistes) et d’autres ataviques, conservateurs, voire réactionnaires, démentent les théories du déclin actuel du lieu et poussent les géographes à aborder résolument le problème de l’articulation du lieu et de la vie collective et individuelle. Jacques Lévy & Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003. 1032 pages. 30 euros. Agencement, Haut-lieu, Humanistic Geography, Identité, Mythe, Représentation (I), Valeur spatiale, Topophilia. Résumé Lieu. Une condition de l’expérience humaine. Les humains vivent leurs existences dans un lieu et ainsi développent simultanément un sens d’être dans un lieu et hors d’un lieu. L’expérience du lieu implique donc pour une personne à la fois la capacité subjective de participer d’un environnement et la capacité objective de pouvoir observer un environnement [...] Pour faire référence à cet article Nicholas J. Entrikin, "‘Lieu’ 2.", EspacesTemps.net, http://www.espacestemps.net/articles/lsquolieursquo-2/

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‘Lieu’ 1. Augustin Berque7 | 19.03.2003 Lieu. Là où quelque chose se trouve ou/et se passe. Termes proches : endroit, place, position, site, emplacement, parages, lieudit, localité, coin, scène, théâtre… Lieu (du latin locus) est un concept fondamental de la géographie, au point que celle-ci a pu être qualifiée de « science des lieux » (Vidal de la Blache). Les usages du terme, de ce fait, reflètent les vicissitudes de cette discipline ; en particulier son écartèlement entre une volonté d’abstraction scientifique, d’une part, et d’autre part la nécessité de prendre en compte la réalité sensible de l’écoumène. La divergence entre géométrie (abstraite) et topographie (concrète) est plus ancienne même que la géographie comme discipline. Elle s’exprime déjà par exemple dans les villes de l’époque sumérienne, dont le tracé révèle un conflit entre les exigences d’une géométrie sacrée et les contingences de la topographie profane. De ce conflit résulte l’ambivalence des lieux en géographie. La question suppose une ontologie, et ne peut se comprendre si l’on ne remonte pas aux origines de la pensée européenne à cet égard. En effet, la géographie – et avec elle tout ce qui a trait aux lieux dans la pensée et les pratiques contemporaines, par exemple en architecture – table inconsciemment sur des fondations qui ont été posées par Platon et Aristote. Celles-ci sont à la fois contradictoires et complémentaires. On peut les représenter par les deux concepts de chôra et de topos. Chacun de ces deux termes peut se traduire par « lieu » ; mais ce qu’ils impliquent est très différent. Dans le Timée de Platon, la chôra intervient dans le rapport entre l’être absolu (on, eidos ou idea), qui relève de l’intelligible, et l’être relatif (genesis), qui relève du monde sensible (kosmos). L’être relatif n’est qu’une une image imparfaite de l’être absolu. Celuici est éternel et n’a pas de lieu. Au contraire, l’être relatif est soumis au devenir, et il ne peut exister sans un lieu, qui est la chôra. Sans définir celle-ci, Platon la cerne cependant par une série de comparaisons, dont certaines apparaissent contradictoires ; ainsi celle de mère (mêtêr) ou nourrice (tithênê) d’une part, de porte-empreinte (ekmageion) d’autre part. Or que la chôra soit ainsi à la fois matrice et empreinte de la genesis, cela signifie qu’il y a dans le monde sensible un lien ontologique indissoluble entre les lieux et les choses. C’est le contraire qui ressort de la définition aristotélicienne du topos au livre 4 de laPhysique. En effet, celui-ci y est assimilé à un « récipient immobile » (aggeion ametakinêton) qui limite immédiatement la chose. Cela signifie d’une part que la chose et le lieu sont dissociables : si la chose bouge, son lieu devient un autre lieu ; d’autre part, que l’être ou l’identité de la chose ne dépasse pas son lieu : si elle dépassait cette limite

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Géographe, orientaliste, philosophe,Augustin Berque est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences

sociales.

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(peras), elle serait une autre chose ; car elle aurait une autre forme, et pour l’aristotélisme, la forme donne l’être à la chose. Cette définition du topos apparaît clairement liée au principe d’identité (A est A) qui fonde la logique aristotélicienne. Au contraire, dans son ambivalence et son indéfinition (Platon va jusqu’à la comparer à un rêve), la chôra y est manifestement étrangère. La genesis, dans son devenir, échappe également au principe d’identité. En revanche, l’être absolu, qui est immuable, est la parfaite illustration de ce principe. Le Timée pose par ailleurs que la vérité (alêtheia) concerne l’être absolu, tandis que l’être relatif relève de la croyance (pistis). C’est en ce sens que la métaphysique platonicienne est une des origines de la pensée scientifique, laquelle s’appuie aussi sur le principe d’identité qui fonde l’inférence rationnelle. Enfin, le Timée assimile l’être absolu à une forme géométrique. À partir de ces fondements épistémiques se sont déployées deux conceptions possibles du lieu, entre lesquelles oscille encore et toujours la géographie : dans l’une, le lieu est parfaitement définissable en lui-même, indépendamment des choses. C’est le lieu des coordonnées cartésiennes du cartographe, dont l’ordonnée (la longitude), l’abscisse (la latitude) et la cote (l’altitude) s’établissent dans l’espace absolu des Principia mathematica de Newton. Le lieu y est un point abstrait, totalement objectif. Il relève d’une géométrie qui permet de définir non moins strictement les objets qui peuvent ou non s’y trouver. Un tel lieu n’est autre qu’une synthèse du topos aristotélicien avec l’idea platonicienne ; l’autre conception possible relève de la chôra. C’est la plus problématique, car elle est essentiellement relationnelle. Le lieu y dépend des choses, les choses en dépendent, et ce rapport est en devenir : il échappe au principe d’identité. C’est le lieu du « croîtreensemble » (cum crescere, d’où concretus) des choses dans la concrétude du monde sensible. Il n’est donc pas question pour la géographie de l’ignorer, puisque c’est cela même en quoi elle se distingue d’une pure géométrie. Mais comment en concevoir la logique, si ce n’est pas celle de l’identité ? La logique du lieu (basho no ronri) propre au monde sensible, comme l’a montré Nishida dans Basho (Lieu, 1927), est une logique du prédicat et non point de l’identité aristotélicienne. Elle ne relève pas du A est A, mais du A est B, dans lequel A se ramène au prédicat (B) selon lequel on l’appréhende. Et le monde, qui est l’ensemble de tels prédicats, relève lui-même d’une logique prédicative. Il n’est pas possible d’absolutiser ce principe (comme Nishida commit l’erreur de le faire, dans un pur constructivisme), puisqu’il entre en contradiction avec l’inférence rationnelle, donc avec la science ; mais il éclaire décisivement la question du lieu. Les lieux réels de l’écoumène combinent en effet logique de l’identité et logique du prédicat : les choses y possèdent d’une part une identité physique (A est A, cette pluie est H 2O), strictement localisable dans les limites de leur topos ; mais d’autre part elles existent en fonction des prédicats – c’est-à-dire la valeur et le sens – dont l’existence humaine les charge au fil de l’histoire (A est B, cette pluie est un désastre pour le Sauternes). Ce rapport existentiel ne peut pas se réduire à une précipitation de H2O sur un topos identifié comme « Sauternes »

par la carte (ce qui est d’ailleurs déjà une prédication !) ; il engage beaucoup d’autres choses, dans une chôra qui échappe à la géométrie. Quel est donc le véritable lieu de la pluie en question ? À la fois le topos d’une précipitation, et la chôra d’un désastre. En outre, si la précipitation peut se réduire à une hauteur d’eau dans le « récipient immobile » qu’est ledit topos, le désastre est un processus dont la chôra n’a pas fini de s’étendre ; par exemple, l’année suivante, tel importateur néo-zélandais ne renouvellera pas sa commande de Sauternes. C’est donc en fait une chorésie (du grec chôrein, se déplacer), qui se compose prédicativement à la topicité de l’identité physique des choses. Et cette chorésie est d’autant plus active que Sauternes est un haut-lieu, c’est-à-dire un lieu plus chargé de prédicats que ne le sont d’autres lieux ; mais même les lieux les plus insignifiants ne peuvent se réduire à une pure topicité, laquelle serait absence totale de prédication. Pour autant qu’il y a monde – c’està-dire prédicats, prédications et prédicateurs –, il y a chorésie des topoi de la planète ; et c’est ce qui en fait notre écoumène. Telle est la double nature des lieux de l’écoumène. La géographie, science des lieux, doit ainsi nécessairement combiner les deux logiques qui les sous-tendent. C’est une tâche plus ardue, mais plus riche, que de les réduire illusoirement à l’une ou l’autre. Les lieux de la réalité, ceux qu’étudie la géographie, transgressent leur topicité : ils s’agencent en chorésies mouvantes, contingentes comme le sont les prédicats de l’histoire ; mais pourtant, jamais ils ne s’affranchissent totalement des lois de l’identité physique. Jacques Lévy & Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003. 1032 pages. 30 euros. Aristote, Écoumène, Environnement, Géogramme, Haut-lieu, Médiance, Platon. Résumé Lieu. Là où quelque chose se trouve ou/et se passe. Termes proches : endroit, place, position, site, emplacement, parages, lieudit, localité, coin, scène, théâtre… Lieu (du latin locus) est un concept fondamental de la géographie, au point que celle-ci a pu être qualifiée de « science des lieux » (Vidal de la Blache). Les usages [...] Pour faire référence à cet article Augustin Berque, "‘Lieu’ 1.", EspacesTemps.net, http://www.espacestemps.net/articles/lsquolieursquo-1/

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19.03.2003

‘Lieu’ 3. Jacques Lévy | 19.03.2003 Lieu. Espace dans lequel la distance n’est pas pertinente. La caractérisation d’un espace comme lieu est le résultat d’une construction. La même réalité peut être traitée comme aire (ensemble de lieux) si l’on active ses distances internes. Dans un lieu (ou, plus précisément : pour autant qu’un espace peut être considéré comme un lieu), la position relative des phénomènes les uns par rapport aux autres perd toute signification. En l’identifiant comme lieu, on privilégie d’une part les interactions au contact en son sein et les relations distantes avec d’autres espaces. Le noyau central du concept de lieu au sein de la connaissance de l’espace des sociétés porterait plutôt sur la coprésence, c’est-à-dire aussi sur la cospatialité poussée jusqu’au bout. Il y a là une divergence avec la conception très proche de celle de la physique selon laquelle en un point il ne peut y avoir qu’un objet. Le concept de lieu se fonde sur l’idée inverse : il y a lieu quand au moins deux réalités sont présentes sur le même point d’une étendue. Ces différents caractères du lieu conduisent à le considérer comme un espace spécifique (et non comme un contraire de l’espace) : même si, dans un lieu, la distance est suspendue, d’une part, elle se maintient alentour et, d’autre part, la possibilité conservée de faire basculer le lieu en aire, c’est-à-dire la pertinence dans une autre « couche » de l’espace d’une aire sur la même étendue, justifie cette option théorique. Cela apparaît tout particulièrement lorsqu’on s’intéresse aux limites d’un lieu. Les abords d’une gare peuvent être limités à un parvis, garnis de stations de taxis et d’autobus et de parkings. Mais pourquoi ne pas l’étendre aux cafés, aux restaurants et aux hôtels qui doivent leur existence à la gare et au-delà, au « quartier de la gare » dont tous les habitants de la ville savent qu’il possède une tonalité particulière ? Les voies qui conduisent de l’ancien centre à la gare reste plus ou moins marquées par cette fonction, même si, comme à Zürich, la Banhofstrasse (rue de la Gare) est devenue elle-même l’ « hypercentre », le cœur du centre-ville. Enfin, lorsqu’une aire urbaine est desservie, pour les grandes lignes, par une seule gare, c’est toute la ville qui, en un sens, en constitue les abords – la limite. Ainsi conçue, la détermination des limites d’un lieu devient une méthode pour identifier les sous-espaces d’une aire donnée et en saisir les articulations, en travaillant sur le basculement lieu/aire, toujours en question, toujours en jeu. Place, localisation, localité, local. Dans le lexique de la géographie anglophone, le mot « lieu » (« place ») a pris une signification large (article « Lieu 2 », Nicholas Entrikin), proche de l’idée d’identité spatiale, espace générateur d’identification. On est assez proche alors d’une des acceptions du mot « territoire » (article « Territoire » par Bernard Debarbieux) dans la géographie française. Malgré leur grand intérêt, ces développements peuvent être considérés comme ne rendant pas compte de la généralité et l’ampleur d’un mot comme « lieu ».

La notion de lieu mérite en effet d’être clairement distinguée de celle de localisation, qui peut ne correspondre qu’à une association entre un phénomène donné et un point de repère sur une étendue vide (par exemple une latitude et une longitude). C’est le principe de la notion de spot, adoptée par les adeptes de surf ou de planche à voile pour désigner les endroits propices à leur pratique : même s’il possède une consistance par ailleurs, le lieu (en l’occurrence une plage) est réduit à une seule de ces caractéristiques, toutes les autres entrant dans la composition du site de cette localisation, c’est-à-dire d’un référent reconnu mais non directement pertinent pour la question posée. La localité constitue un degré supplémentaire de complexité dans la mesure où une dénomination intervient : une localité est une localisation qui possède un nom. Au-delà, le couple constitué d’une localité et d’un phénomène quelconque, aussi limité et fugace soit-il, représente déjà une première entrée dans l’univers du lieu. Le lieu ne s’identifie pas non plus au local, défini comme plus petite échelle d’existence d’une société complète. Le lieu peut, lui, se manifester à n’importe quelle échelle ou, plus exactement : on peut toujours trouver un principe d’échelle qui fasse d’un espace un lieu. Ainsi le Monde peut-il être considéré comme un lieu du point de vue de certains phénomènes de communication ou d’opinion publique. L’adjectif « local » se trouve, en conséquence, frappé d’ambiguïté, renvoyant à la fois à « lieu » et à « local ». Mieux vaut garder l’adjectif « local » pour le substantif « local » et préciser l’acception retenue si nécessaire. Lieux forts, lieux faibles. Plus le nombre de phénomènes est grand, plus le fait de « faire lieu » prend de l’importance. Lorsque le lieu est une société, la suppression des distances internes est, plus ou moins efficacement, obtenue à l’aide d’instruments spécifiques : cadres éthiques et juridique commun, contrôle policier en réseau dense, territorialité politique. De par sa concentration et la condensation qu’il réalise d’une multitude de réalités sociales, le lieu est par excellence un objet d’étude pour les interactions au contact entre les différentes composantes d’une société. Les espaces publics se prêtent tout particulièrement à cette investigation puisque, par définition, toutes les composantes de la société locale s’y rencontrent. On peut alors analyser l’habitabilité d’un lieu, c’est-à-dire sa capacité plus ou moins grande à constituer l’un des habitats des différents individus et collectifs qui le fréquentent. Un lieu devient alors autre chose qu’un réceptacle, c’est un objet mais un opérateur actif que l’on peut utilement étudié comme une réalité singulière structurée par des habitudes et des rythmes, ayant une histoire, des pratiques et un devenir. À l’autre pôle de la complexité, les lieux faibles méritent attention en ce qu’ils se situent à la limite de la « lieuité » : un petit nombre de réalités (objets, acteurs) réunis pour des séquences brèves et à faible signification. Mais c’est justement dans ce genre de situation critique que l’effet de lieu se manifeste, en un sens, à son maximum : sur un fond peu contraignant, l’événement et le lieu s’identifient mutuellement mais toute la vérité, cognitive et esthétique, se trouve dans le catalyseur que cette configuration faible a pu constituer, en sorte que des actes importants y aient lieu. Jacques Lévy & Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003. 1032 pages. 30 euros.

Aire, Coprésence, Cospatialité, Espace, Identité spatiale, Local, Localisation, Réseau, Territoire. Résumé Lieu. Espace dans lequel la distance n’est pas pertinente. La caractérisation d’un espace comme lieu est le résultat d’une construction. La même réalité peut être traitée comme aire (ensemble de lieux) si l’on active ses distances internes. Dans un lieu (ou, plus précisément : pour autant qu’un espace peut être considéré comme un lieu), la [...] Pour faire référence à cet article Jacques Lévy, "‘Lieu’ 3.", EspacesTemps.net, http://www.espacestemps.net/articles/lsquolieursquo-3/

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19.03.2003

‘Nature’. Michel Lussault | 18.03.2003 Nature. Le monde bio-physique, pour autant qu’il concerne la société. La nature est l’ensemble des phénomènes, des connaissances, des discours et des pratiques résultant d’un processus sélectif d’incorporation des processus physiques et biologiques par la société. Bien loin d’être une instance extérieure à la société, un système autonome, la nature est une construction sociale, et elle se trouve intégrée, sous différents aspects, dans le moindre objet de société et donc dans le moindre espace. Cette idée rompt avec la pensée moderne occidentale sur la nature, qui a radicalisé une coupure héritée de la philosophie antique: celle séparant ce qui ressortit à la phusis (justiciable d’une physique c’est-à-dire d’une véritable science mathématisable) et ce qui ressortit à la thèsis (ensemble de phénomènes dont l’étude était dévolue aux humanités, d’où s’extrairont peu à peu les sciences sociales). À partir de ce clivage initial, le modernisme en sciences, toutes disciplines confondues, qu’elles s’occupent de l’ordre naturel ou du genre humain, a postulé que la nature et la culture – la société – sont des ensembles clos et bien distincts, radicalement séparés, des entités discrètes, deux « zones ontologiques entièrement distinctes » (Latour, 1991, 21). Le point de vue moderne autorisa et légitima toutes les postures hypostasiant l’une ou l’autre de ces « instances » – la nature, le social. Ainsi, le « naturalisme » affirme qu’il est possible et même souhaitable d’étudier la nature indépendamment de la prise en compte réelle de la société – tendance dominante de la « géographie physique », qui n’utilise, à l’occasion, que de façon métaphorique le vocabulaire des sciences sociales – et ne considère que marginalement l’homme – incorrigible gêneur, coupable d’influences néfastes. À l’inverse, une large fraction des sciences sociales se fonda sur l’expulsion de la nature, considérée comme une sorte de résidu, appelé à voir sa part diminuer irrépressiblement. Par ailleurs, de nombreux savoirs scientifiques et d’ingénierie se consacrèrent à la connaissance des mécanismes naturels dans la perspective de donner à l’homme les moyens véritables de devenir « maître et possesseur » de la nature, ainsi arraisonnée et mise à distance de l’humain. Le discours scientifique, durant longtemps, participa ainsi de l’idéologie dominante moderniste, qui structura la société occidentale, et dressait en principe primordial l’idée de domination, d’asservissement de la nature. La plupart des sciences de l’homme, dans leur moment positiviste, affirmant la désaffiliation de l’humain et du naturel, et se polarisant sur la société autonome, et les sciences de la nature, qui fournirent les instruments de compréhension des lois physiques permettant, justement, cette désaffiliation, convergèrent donc historiquement : ce nœud épistémologique assura la solidité scientifique de la « constitution Moderne » (Latour, 1991), fonda en raison objective la coupure société (culture)/nature. Ainsi était posée la disjonction fondamentale, qui travailla toute l’épistémè occidentale, entre non-humains

et humains qui permettait de purifier chaque domaine, et, en particulier, d’exclure l’humain des sciences de la nature et d’expurger les sciences sociales du non-humain. Peu à peu, à côté de la conception de la fracture radicale et la critiquant dans ses excès sans remettre en question sa pertinence et sa prégnance, on a pu déceler l’affirmation d’autres approches qui conservaient la séparation des deux instances, mais en cherchant à mettre en évidence leurs relations ; certains auteurs trouvent l’origine d’une telle démarche dans Marx et en signalent le développement au sein d’un large courant matérialiste, teinté de marxisme ou/et de structuralisme, des sciences sociales. Marx, en effet, énonça – dans Grundrisse et Le capital – l’idée du fondement naturel de l’ordre social. Toutefois, Marx et, ensuite, ses continuateurs maintinrent une séparation forte entre nature et société, entités contradictoires et liées par des rapports de domination, le substrat naturel cédant face aux nécessités dictées par le procès de production. On trouve maintes occurrences de ce type d’analyse analyse dans les sciences sociales, jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, dès 1968, Serge Moscovici (1968) proposait une voie plus subtile que la conception assez stéréotypée de l’instance naturelle, considérée comme une extériorité, qui entoure, environne l’humain et avec laquelle l’homme entretient des relations dialectiques. Pour Moscovici, en effet, les sociétés édifient les états de nature qui correspondent à leurs schèmes culturels et à leurs logiques sociales à un moment historique donné. Le travail de Pierre Moscovici fut fondamental pour lancer des réflexions neuves sur la nature. On peut aujourd’hui, en tenant compte des acquis de nombreuses réflexions, proposer une grille de lecture susceptible de déplacer la position qu’occupe la nature dans les sciences de la société, tout en conservant un champ bien défini pour des sciences positives de la phusis. Première hypothèse : il existe des systèmes physiques et biologiques indépendants de l’homme, au sens où leur existence sans l’homme est envisageable (et d’ailleurs ils existèrent avant que les hominidés n’apparaissent), même si leur pensée et donc leur conception en tant que systèmes est intégralement œuvre humaine. On peut séparer le physique et le biologique en raison d’une différence de principes d’organisation et de fonctionnement. Ainsi, Gilbert Chauvet (1995), un auteur spécialiste de biologie théorique, estime que l’interaction fonctionnelle caractéristique des systèmes physiques est symétrique et locale alors que celle des systèmes vivants est non symétrique et non locale. Cette séparation ne doit pas être conçue comme une opposition irréductible, les deux systèmes étant ouverts l’un à l’autre. Les phénomènes qui ressortissent aux systèmes physiques et biologiques doivent sans doute être étudiés par des « physiques » et des sciences du vivant. Celles-ci, dans leurs objets, leurs fondements et leurs méthodes peuvent à première vue ne pas sembler être concernées la présence des sociétés, sauf dans la mesure où elles insèrent l’être humain, en tant qu’il participe du système physique et du système du vivant, en dehors de son statut d’« être social ». Et pourtant la société apparaît bel et bien sous la forme des logiques qui sous-tendent les conditions de possibilités – idéelles et matérielles, cognitives et pratiques – de cette pensée des systèmes bio-physiques. C’est en soi considérable et

explique que discourir sur une bactérie, c’est déjà parler de la société et de ses rapports aux instances biologiques et à leurs principes objectivables. Cet ensemble de réalités n’est donc pas intrinsèquement sociétal – même si sa saisie l’est ; pourtant les sociétés s’en emparent, car il forme un matériau pour leur auto-construction. D’où la deuxième hypothèse : cette « prise » et ce traitement (matériel et idéel) de phénomènes physiques et biologiques par les sociétés produisent la « nature ». La nature n’environne donc pas la société, n’est pas un monde extérieur, mais s’y trouve placée au centre, comme un artifice, comme le résultat d’une fabrication. Car il n’y a rien de plus artificiel que la nature et celle-ci se trouve toujours de plain-pied avec la société. Chaque société construit ses états de nature qui assurent une partition, une distribution, et un régime de relation légitimes (acceptées par le plus grand nombre) entre l’humain et le non-humain. Cette partition, cette distribution, ce régime relationnel, et les systèmes idéologiques et pratiques qui vont de pair, manifestent l’existence d’un « compromis ». En effet, comme le souligne Bruno Latour (2001, 329) : « La nature, comme la société n’est pas considérée comme le fondement, externe et évident, de l’action humaine et sociale mais comme un compromis extrêmement problématique… ». Latour socialise la nature et du même coup dénaturalise la société (c’est-à-dire dénie son évidence), au sens où il la considère, elle aussi, comme un artifice fondé sur un compromis, sur un discours qui stabilise, momentanément, un monde commun qui fait office de seul Monde vrai et acceptable. Le « compromis moderne » fut celui de la séparation radicale et de la domination de la nature et l’on ne peine pas à trouver aujourd’hui des indices qui montrent qu’il est aujourd’hui en cours de redéfinition, même là où on ne s’attend pas à le découvrir. La promotion des discours de l’écologie, et pas seulement ceux de la Deep Ecology, le signale à l’envi, qui inversent le rapport de subordination : l’homme ne doit plus être maître et possesseur de la nature, il se doit de respecter ses « droits » et ses « principes ». Ce ne sont pas les systèmes physiques et biologiques proprement dits qui constituent un enjeu social majeur mais la nature. Celle-ci ne forme pas un système autonome mais un composant construit de la société ; elle est donc le résultat de la traduction (au sens fort du mot traduction) et de l’incorporation sociétale de phénomènes physiques et biologiques. Les seules véritables sciences de la nature sont, de ce point de vue, les sciences de la société. L’objectivation des réalités bio-physiques par des sciences spécifiques constitue un mode possible (mais pas unique, si l’on veut bien admettre que la nature a existé au sein des cultures humaines, avant même que ces sciences positives existent) dans la transformation des faits physico-biologiques en données de la nature, accompagné par bien d’autres modes assurés par d’autres acteurs que les scientifiques. On peut d’ailleurs montrer que tous les éléments des systèmes biologiques et physiques ne sont pas présents dans la nature que se construit chaque société, à un moment précis de son histoire. D’abord dans la mesure où la connaissance objectivante qu’on peut en avoir n’est pas stable : la nature médiévale n’était pas la même que la nôtre, ne serait-ce que parce que on ne connaissait pas précisément la dynamique de l’atmosphère, où les mécanismes de la reproduction. Ensuite, et plus profondément, parce que chaque société

sélectionne en permanence ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas. Et ce partage délimite les frontières entre le naturel et l’humain, bien sûr, mais aussi, et la chose est moins remarquée, celles entre le naturel et le bio-physique. Ainsi, des faits biologiques ou/et physiques avérés par la science (donc de ce fait même humanisés et présents dans la société) ne sont pas socialisés en faits de nature, parce que le compromis du moment ne s’y prête pas. Qu’on songe par exemple au statut de bien des phénomènes décrits et expliqués par la physique quantique, par la chimie des polymères, par l’opto-électronique, par la biologie des procaryotes etc. Le mode d’existence sociale et l’impact dans l’organisation et le fonctionnement de la société des phénomènes bio-physiques n’empruntent donc pas nécessairement le registre du « naturel ». Ce constat permet de donner un sens particulier à la notion de biodiversité. Par ce terme, on désignera le rapport qu’une société entretient avec la question de la diversité du vivant en tant qu’elle constitue un problème pour ladite société. La diversité biologique, quant à elle, dénote la variété des formes prises par le vivant telle qu’elle est saisie par la science positive du système biologique. Biodiversité et diversité biologique se recoupent, mais ne se confondent en général pas : ce ne sont pas des ensembles qui fixent le même type de discours, de pratiques, d’enjeux. On comprend alors que les sciences sociales attachées à penser le système biologique et le système physique avec la société, ne doivent pas limiter leur saisie aux seuls objets de nature, même si ceux-ci constituent des matériaux de choix. En tout cas, la traduction de fractions des dits systèmes en nature peuple la société de collectifs hybrides, c’est-à-dire d’association d’humains et de non-humains, dont la définition respective et les relations dépendent des conditions même de construction de l’objet « nature » par une société et des différentes aspects que le naturel prend dans celle-ci. Un tel processus de construction est intrinsèquement politique, car il définit le monde possible d’action et de réflexion pour les individus. Le moment moderne fut une des formes d’établissement de ce monde, composées d’espèces bien séparées et hiérarchisées. À partir de la disjonction fondamentale nature/culture, humain/non humain, on en trouvait d’autres comme subjectivité/objectivité, idéalisme/matérialisme, intériorité (la conscience)/extériorité. On peut envisager d’autres agencements, d’autres « cosmos », d’autres natures donc (Descola, 1986 ; Berque, 2000). Cette position est à la fois : réaliste – les faits, qu’ils soient matériels ou idéels, micro ou macroscopiques, sont là et bien là ; constructiviste – les faits sont « faits », ils ne s’imposent pas d’eux-mêmes, ils sont construits dans leurs différents aspects ; relativiste – il n’y a pas une bonne fois pour toute une seule vérité quant à la nature et à la société, quant au partage des humains et des non-humains. Celui-ci est une fiction, un ensemble de connaissances vraisemblables et légitimes, résultant d’un compromis qui peut être contesté par d’autres.

La thèse ici proposée permet d’appréhender la structure du nœud gordien qui lie société et nature. Les artefacts – langagiers et techniques – que développent les opérateurs sociaux, assurent la permanente traduction des systèmes physique et biologique en états de nature, propres à chaque société. Les sciences des univers physique et biologique, comme les sciences sociales participent de ce compromis réaliste et relativiste, dont elles omettent le plus souvent d’admettre la relativité. Il existe bien d’autres opérateurs de stabilisation possible, dans un même moment, d’un état de nature ; car n’oublions pas que la nature n’est pas la même pour tous les acteurs et que le problème de sa définition est crucial et souvent polémique. La société « invente » donc ses natures acceptables et en retour cette invention contribue à la configurer et à l’organiser. Ainsi nature et société sont totalement interpénétrées l’une et l’autre, par l’une et l’autre, même si le compromis moderne occidental reposait sur une idée de leur disjonction. Jacques Lévy & Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003. 1032 pages. 30 euros. Constructivisme, Hybridation, Social, Société, Traduction. Résumé Nature. Le monde bio-physique, pour autant qu’il concerne la société. La nature est l’ensemble des phénomènes, des connaissances, des discours et des pratiques résultant d’un processus sélectif d’incorporation des processus physiques et biologiques par la société. Bien loin d’être une instance extérieure à la société, un système autonome, la nature est une construction sociale, et [...] Pour faire référence à cet article Michel Lussault, "‘Nature’.", EspacesTemps.net, http://www.espacestemps.net/articles/lsquonaturersquo/

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18.03.2003

‘Braudel, Fernand (1902-1985)’. Christian Grataloup8 | 18.03.2003 L’historien Fernand Braudel joue un très grand rôle, à la fois intellectuel et institutionnel, dans l’ensemble des sciences sociales françaises de la seconde moitié du 20 e siècle. Intellectuellement il accorde à ce qu’il nomme l’espace une place décisive dans son dispositif ; institutionnellement il rencontre constamment la géographie. Né en 1902, agrégé d’histoire en 1923, il enseigne dix ans en Algérie, puis en 1935-36, à São Paulo ; en 1937, il intègre l’École Pratique des Hautes Études. Cette période de formation est située dans le sillage de Lucien Febvre, son directeur de thèse. Il lui succède en 1946 à la direction des Annales et en 1949 au Collège de France. L’influence de Febvre et des géographes qui l’ont formé dans les années 1920 font de Braudel un héritier direct de l’influence de Paul Vidal de La Blache. Cette genèse explique le choix, alors profondément novateur, de prendre pour sujet de thèse un espace. La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, soutenue en 1947 et publiée en 1949, restera sans conteste le grand œuvre de Braudel et un monument de l’historiographie du 20e siècle. Réédité à plusieurs reprises, c’est dans la deuxième édition, profondément remaniée, qu’apparaît la cartographie de Jacques Bertin. Bâtie en trois parties, qui seront à l’origine de ce qu’on appelle souvent la « triple temporalité braudélienne », La Méditerranée analyse d’abord « la part du milieu », puis « les mouvements d’ensemble », enfin « les événements ». Cette démarche s’inscrit donc dans la continuité du combat de Marc Bloch et Lucien Febvre contre l’histoire uniquement événementielle. Pour cela, elle place en premier la géographie, avant l’économie, le politique ne venant qu’à la fin. Braudel fut également le bâtisseur d’un empire institutionnel, en marge de l’université française, l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), fondée en 1962, à partir de la 6e section créée en 1946. Il fait bâtir pour l’abriter, grâce aux capitaux de la fondation Rockefeller, la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) à Paris. Là, il organise, autour de l’histoire, un travail pluridisciplinaire de recherches et de publications qui pesa très lourd dans l’ensemble de la réflexion sur les sociétés dans la seconde moitié du 20e siècle en France. Ce n’est qu’une trentaine d’années après son premier ouvrage lourd qu’il publia sa seconde œuvre importante : Civilisation matérielle, économie et capitalisme 15e siècle – 18e siècle, en trois volumes (une première version du tome 1 était parue en 1967). Le premier tome, Les structures du quotidien, est centré sur la vie matérielle et la démographie ; le second, Les jeux de l’échange, sur l’activité économique ; le troisième, Le temps du monde, allie réflexion sur l’espace et le temps. Dans cet horizon qui passe de l’Europe au Monde, au moment où l’Europe unifie la planète à son profit, Braudel utilise le concept d’économie-monde, emprunté à son propre disciple Immanuel Wallerstein. Sur la fin de sa vie, consacré « pape de la nouvelle histoire » (élu à l’Académie française en 1984, 8

Né en 1951, il est géographe, professeur à l'université Paris-Diderot (laboratoire Géographie-Cités), spécialiste de géohistoire. Auteur notamment de Lieux d'Histoire. Essai de géohistoire systématique, Reclus, 1996, Géohistoire de la mondialisation. Le temps long du Monde, Armand Colin, 2007 ; L'invention des continents. Comment l'Europe a découpé le Monde (à paraître), Larousse, 2009. http://www.espacestemps.net/auteurs/christian-grataloup/

honoré par un colloque consacré à son œuvre à Châteauvallon en 1985), il se lance dans la rédaction d’une volumineuse histoire nationale, L’identité de la France, dont paraîtrons seulement, posthumes, les trois premiers tomes. Le premier de ces volumes, Espace et histoire, reprend l’interrogation de Michelet : « La géographie a-t-elle inventé la France ? ». La démarche géographique mobilisée, très vidalienne, parut alors bien désuète ; mais cette référence obsolète ne doit pas masquer l’importance de son apport, en particulier La Méditerranée, pour la réflexion sur l’espace. Le travail de Braudel, en effet, ne peut être réduit à une vision déterministe de l’histoire et à quelques notions-clefs, dont celles de la triple temporalité et de l’économie-monde. Comme toute pensée riche, son œuvre a contribué à structurer le champ des sciences de la société, puis à bloquer de nouvelles perspectives. L’utilisation qu’il fait de la géographie, mieux que celle des fondateurs des Annales, illustre la richesse paradoxale des apports de l’école vidalienne. Alors qu’elle ne s’intéressait peu à l’histoire, sinon pour en recueillir des « héritages » fossilisés, la géographie française du milieu du 20e siècle découvrait que ses outils de réflexion n’étaient plus opératoires dans un monde urbanisé et en rapide mutation. À l’inverse, la mise en œuvre de la méthode braudélienne pour des sociétés révolues montrait une grande efficacité. Plus encore, l’utilisation que fait Braudel de la géographie comme temps long des sociétés lui a permis de circonscrire, en les intégrant, les démarches structuralistes. Son fameux article de 1958 « Histoire et sciences sociales : la longue durée » est une réponse à Lévi-Strauss ; aux permanences des structures, il oppose les mobilités constantes de toutes les sociétés, mais selon des dynamiques dont certaines sont très fluides et d’autres imperceptibles. La longue durée permettait d’intégrer toutes les avancées dans la compréhension des structures sociales profondes sans perdre l’historicité. Or la base même de ce temps presque immobile, c’est l’espace : la géographie que connaît et utilise Braudel est d’abord l’étude du milieu naturel et des rythmes sociaux et économiques qui en dépendent étroitement. Rien d’étonnant à ce que l’échange avec le géographe Étienne Juillard à Châteauvallon ait été largement un dialogue de sourds : pour Braudel, la géographie n’a de sens que si elle est « déterministe ». Cependant, la réflexion sur l’espace qu’il a menée n’est pas réductible à ses formules à l’emporte-pièce. Si Braudel est un aussi grand géographe qu’il est un historien majeur, c’est non seulement parce qu’il a appris à l’histoire à toujours localiser l’événement par rapport au milieu, mais aussi parce qu’il a toujours réfléchi à la position relative des phénomènes historiques les uns par rapport aux autres. Dans Civilisation matérielle notamment, il met constamment en situation les lieux et les moments des pouvoirs politiques, économiques, culturels. Cette géographie historique, dont la notion d’économie-monde n’est que l’aspect le plus formalisé, a largement contribué à sortir de l’histoire expliquée localement, même si le lieu pouvait être vaste. Pour Braudel, au contraire, il n’est d’événement, même ténu, que localisé et situé dans les jeux de relations de niveaux emboîtés et toujours finalement mondiaux. La géographie braudélienne peut présenter des durées parfois très longues, mais elle est toujours en mouvement. Rien n’est jamais acquis, mais rien non plus ne se produit par hasard. Le couple de concepts économie-monde (l’espace d’une civilisation géographiquement polycentrique) et empire-monde (l’espace de civilisation plus unifié par le haut) s’avère

d’une extrême fécondité, en particulier pour penser temporellement l’échelle géographique. Braudel invite ainsi, plus par son exemple que par son discours, à construire une géographie de l’histoire. Ce n’est donc pas fortuit s’il a favorisé la réflexion cartographique – même s’il a contribué à faire de la carte, dans la rhétorique graphique des sciences sociales et de l’histoire en particulier, le mode privilégié de la figuration du temps long. Sous sa houlette fut fondé par Jacques Bertin le laboratoire de graphique de l’EHESS, où la carte est devenue un mode d’écriture et de pensée à part entière. Comme pour les économistes de la régulation qui avouent une grande dette à son égard, c’est donc plus la lecture précise des grands livres de Braudel que le résumé de ses recherches en quelques formules qui permettent de comprendre en quoi son travail a marqué et marque encore la géographie. Centre/Périphérie, Empire, Géographie historique, Géohistoire, Histoire (Géographie et), Historicité, Monde, Sciences sociales (Géographie et, Temps (Espace et). Résumé Braudel, Fernand (1902-1985). L’historien Fernand Braudel joue un très grand rôle, à la fois intellectuel et institutionnel, dans l’ensemble des sciences sociales françaises de la seconde moitié du 20e siècle. Intellectuellement il accorde à ce qu’il nomme l’espace une place décisive dans son dispositif ; institutionnellement il rencontre constamment la géographie. Né en 1902, agrégé [...] Pour faire référence à cet article Christian Grataloup, "‘Braudel, Fernand (1902-1985)’.", EspacesTemps.net, Livres, 18.03.2003 http://www.espacestemps.net/articles/lsquobraudel-fernand-1902-1985rsquo/

Les cent-dix auteurs. | 17.03.2003 Les directeurs. Jacques LEVY (JL). Né en 1952, ancien élève de l’École normale supérieure de Cachan, agrégé de géographie, docteur d’État, Jacques Lévy est professeur à l’Université de Reims, à l’Institut des Hautes Études de Développement et d’Aménagement du Territoire (IHEDAT) et à l’Institut d’Études Politiques de Paris. Directeur de l’équipe de recherche VillEurope, il est cofondateur et coordinateur de la rédaction de la revueEspacesTemps, conseiller au Ministère de la Recherche, membre du Comité stratégique de la DATAR et conseiller scientifique de la revue Pouvoirs Locaux. Depuis 1975, il s’est consacré à la rénovation épistémologique et théorique de la géographie et à son affirmation comme science sociale. Ses principaux domaines d’études sont la géographie politique, la ville, l’Europe, le Monde. Parmi ses trois cents publications, on retiendra plus particulièrement : Révolutions, fin et suite (avec Patrick Garcia et Marie-Flore Mattei), EspacesTemps/Centre Georges Pompidou, 1991 ; Géographies du politique (dir.), Presses de Sciences Po/EspacesTemps, 1991 ; Le monde : espaces et systèmes (avec MarieFrançoise Durand et Denis Retaillé), Presses de Sciences Po/Dalloz, 1992, 2 e édition 1993 ; L’espace légitime, Presses de Sciences Po, 1994 ;Egogéographies, L’Harmattan, 1995 ; Le monde pour Cité, Hachette, 1996 ; Europe : une géographie, Hachette, 1997, 2e édition 1998 ; Mondialisation : les mots et les choses (avec le groupe Mondialisation du GEMDEV), Karthala, 1999 ; Le tournant géographique, Belin, 1999 ; Repenser le territoire : un dictionnaire critique (avec Serge Wachter et al.), L’Aube, 2000 ; From Geopolitics to Global Politics (ed.), Londres, Frank Cass, 2001. Michel LUSSAULT (ML). Né en 1960, agrégé de géographie (1983), docteur en géographie urbaine (1992), habilité à diriger des recherches (1996), Michel Lussault est professeur à l’Université François-Rabelais de Tours. Membre du jury de l’agrégation de géographie, du Comité National d’Évaluation de la Politique de la Ville, du comité de rédaction de la revue EspacesTemps, il dirige l’Action Concertée Incitative « Terrains, techniques, théories : travail interdisciplinaire en sciences humaines et sociales » du Ministère chargé de la recherche et des nouvelles technologies. Après avoir élaboré une approche sémiolinguistique des politiques territoriales et des relations pratiques des acteurs sociaux à l’espace, il se consacre depuis 1998 à la mise en place d’une théorie générale pragmatique et constructiviste de la spatialité individuelle et à des recherches d’épistémologie des savoirs géographiques et urbanistiques. Parallèlement, il mène une activité d’expertise et de conseil en matière d’urbanisme et d’aménagement. Auteur depuis 1991 de plus de 50 articles dans des ouvrages collectifs et des revues scientifiques, il a notamment publié Tours : Images de la Ville et Politique urbaine, Collection Sciences de la Ville Publications de l’Université François-Rabelais, Tours, 1993 ; Figures de l’urbain. Des villes, des banlieues et de leurs représentations, (avec Christian Calenge et Bernard Pagand) collection Sciences de la Ville, Publications de l’Université François-Rabelais, Tours, 1997 ; La ville et l’urbain. L’état des savoirs, (avec Thierry Paquot et Sophie Body-Gendrot) Paris,

La Découverte, 2000 ; Des légendes et des hommes (dir.), Série France, Paris, Éditions Autrement, 2001. Jacques Lévy et Michel Lussault ont codirigé Logiques de l’espace, esprit des lieux.Géographies à Cerisy, Belin, 2000. Le comité de pilotage. Christian GRATALOUP (CG), 1951, professeur de géographie à l’Université Paris 7-DenisDiderot, spécialiste de géohistoire, de modélisation graphique, de didactique. Il a notamment publié Lieux d’histoire. Essai de géohistoire systémique, 1996. Michel GRESILLON (MG), 1940, professeur de géographie à l’Université du Maine. Sa spécialité est l’Europe. Rémy KNAFOU (RK), 1948, professeur à l’Université Paris 7 – Denis Diderot, directeur de l’équipe de recherche MIT, président du jury de l’agrégation externe de géographie, travaille actuellement sur les mobilités géographiques, le tourisme et la ville. Ses principales publications récentes : L’état de la géographie (1997), l’Institut de SaintGervais, recherche-action dans la montagne touristique (1997), Tourisme et loisirs in Atlas de France, La Documentation française-Reclus (1997), La planète « nomade » (1998), Tourismes 1. Lieux communs (2002). François MORICONI-ÉBRARD (FME), 1960, chargé de recherche au CNRS (UMR ESPACE, Avignon). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’urbanisation du Monde, et d’une réflexion théorique sur la géographie structurale et l’anthropologie du dogme. Denis RETAILLE (DR), 1953, doyen de la faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Rouen. Il travaille sur l’espace nomade et les transferts conceptuels qu’il autorise pour saisir le monde contemporain de l’hyper-mobilité. Il a publié notamment Le monde, espaces et systèmes (1992, avec Marie-Françoise Durand et Jacques Lévy) et Le monde du géographe (1997). Olivier SOUBEYRAN (OS), 1952, professeur à l’Institut de Géographie Alpine de l’Université de Grenoble 1 et membre du laboratoire TEO (Territoires, Environnements Montagnards et Métropolitains, Organisations) associé au CNRS. Ses travaux portent principalement sur l’histoire de la pensée aménagiste et géographique, sur les théories de la planification environnementale et les enjeux du développement durable, l’écologie urbaine et l’urbanisme. Il a publié : Imaginaire, Science et discipline (1997), et en co-auteur avec Vincent Berdoulay : Débat public et développement durable. Expériences nordaméricaines (1996), et L’Écologie urbaine et l’urbanisme (2002). Il a également codirigé Milieu, colonisation et développement durable (2000). Jean-François STASZAK (JFS), 1965, maître de conférences à l’Université de Paris 1. Ses travaux en épistémologie et histoire de la géographie (Géographies anglo-saxonnes, Belin, 2001 ; Les Discours du géographe, L’Harmattan, 1997 ; La Géographie d’avant la géographie, L’Harmattan, 1995) et en géographie économique (Principes de géographie économique, Bréal, 2000, avec I. Géneau de Lamarlière) l’ont conduit à s’intéresser plus

largement à la question des représentations en géographie. Ses recherches portent aujourd’hui sur l’exotisme, les espaces domestiques, les jardins zoologiques et sur les images liées à chacun de ces thèmes. Les contributeurs. Valérie ADAMY (VA), philosophe et enseigne à l’Université. John AGNEW (JA), né en 1949 en Angleterre, Professeur de géographie à Los Angeles (UCLA). Ses publications les plus importantes sont Place and Politics (1987), The Power of Place (1989), Geopolitics (1998), American Space/American Place (2002) et Place and Politics in Modern Italy (2002). Pascal AMPHOUX (PAm), architecte et géographe, enseignant-chercheur à L’École d’architecture de Nantes, participe aux travaux du Laboratoire Dynamiques Territoriales (LADYT, École Polytechnique Fédérale de Lausanne) et du Centre de Recherches sur l’Espace Sonore et l’Environnement Urbain (CRESSON, École d’Architecture de Grenoble). Auteur de nombreux ouvrages et publications scientifiques portant notamment sur les rapports entre la pratique du projet urbain et les méthodes des sciences sociales, parmi lesquels, récemment, La notion d’ambiance, une mutation de la pensée urbaine et architecturale, (Ministère de l’équipement, 1998). Christiane ARBARET-SCHULZ (CAS), 1947, membre du groupe Dupont chercheur au CNRS, au Laboratoire « Image et Ville » de Strasbourg. Travaux sur les rapports entre objets techniques, espaces et sociétés, Elle est actuellement co-responsable d’un programme de la Maison interdisciplinaire des Sciences de l’Homme d’Alsace portant sur « Les frontières dans la ville ». Paul ARNOULD (PAr), 1946, professeur des Universités à l’École normale supérieure de Lettres et Sciences Humaines de Lyon. Ses recherches portent sur les milieux forestiers envisagés dans une perspective systémique allant de l’écologie aux faits de perception et de représentation. Il a notamment publié Les forêts d’Europe (1997, avec M. Hotyat, L. Simon), La forêt, perceptions et représentations (1997, avec A. Corvol, M. Hotyat.). François ASCHER (FA), 1946, professeur à l’Institut Français d’Urbanisme (Université Paris 8). Il travaille sur la planification urbaine, la prospective des villes et des modes de vie et s’intéresse notamment à l’évolution des mobilités des hommes, des informations et des marchandises et à leurs implications spatiales. Il a publié, en particulier : Métapolis ou l’avenir des villes (1995), Ces événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs. Essai sur la société contemporaine (2000), Les nouveaux principes de l’urbanisme. La fin des villes n’est pas à l’ordre du jour (2001). Franck AURIAC (FAU), professeur émérite de géographie à l’Université d’Avignon. Ses travaux portent sur l’analyse systémique de l’espace. Il a notamment publié Système économique et espace (1983). Jean-Marie BALDNER (JMB), 1951, enseignant de l’histoire et de la photographie à l’IUFMde Créteil et au Centre Photographique d’Île-de-France. Membre du comité de rédaction de

la revue EspacesTemps, il participe à l’Équipe de recherche « Dons, monnaies, prélèvements » à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Il a collaboré ou dirigé plusieurs ouvrages collectifs sur l’œuvre de Georg Simmel et de John R. Commons. Directeur d’une collection de manuels scolaires d’histoire, de géographie et d’éducation civique, il travaille actuellement sur les débats entre l’histoire et la sociologie. Boris BEAUDE (BB), 1973, doctorant en géographie à l’Université Denis Diderot (Paris 7). Ses recherches portent sur la géographie des réseaux de télé-communication informatique et tout particulièrement sur les processus d’intermédiation par Internet. Cyrille BEGORRE-BRET (CBB), philosophe, enseignant à l’Université. Florence BELLIVIER (FB), 1965, enseignant en droit privé à l’Université de Paris 13 et est rattachée au Centre de recherche en droit des sciences et techniques de l’Université Paris 1 (UPRESA 8056). Elle a notamment travaillé au sujet des lois de bioéthique. Depuis janvier 2000, elle co-rédige, avec J. Rochfeld, la chronique « Législation française en matière de droit privé » de la Revue trimestrielle de droit civil. Georges BENKO (GB), 1953, maître de conférences à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), chercheur au CEMI-EHESS, directeur-fondateur de la revue Géographie, économie, société. Auteur ou co-auteur de nombreux livres et articles scientifiques, ses recherches portent sur la géographie économique, le développement régional, la théorie sociale. Vincent BERDOULAY (VB), docteur de l’Université de Californie à Berkeley, professeur à l’Université de Pau où il dirige le Laboratoire CNRS « Société, Environnement, Territoire » (SET). Il est actuellement Président de la Commission de l’Union Géographique Internationale sur l’Histoire de la Pensée géographique. Ses publications portent principalement sur l’évolution des pensées géographique, environnementale et aménagiste, ainsi que sur les dimensions culturelles du rapport humain au milieu. Parmi ses ouvrages : La formation de l’École française de géographie, 1870-1914 (1981), Des mots et des lieux. La dynamique du discours géographique (1988) ou encore L’écologie urbaine et l’urbanisme (avec Olivier Soubeyran, 2002). Alain J.M. BERNARD (AJMB), 1952, enseignant-chercheur à l’Université de Technologie de Compiègne. Il est membre de l’UMR 8504 Géographies-Cités/Équipe EHGO. Ses travaux s’ordonnent autour de deux problématiques : les relations entre innovation et territoire, l’économie politique des savoirs géographiques. Augustin BERQUE (AB), 1942, géographe et orientaliste, directeur d’Études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Parmi ses livres : Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains (2000) ; Les Raisons du paysage, de la Chine antique aux environnements de synthèse (1995) ; (dir.) Dictionnaire de la civilisation japonaise(1994) ; Du Geste à la cité. Formes urbaines et lien social au Japon (1993) ; Le Sauvage et l’artifice. Les Japonais devant la nature (1986). Hélène BLAIS (HBI), 1971, maître de conférences en histoire à l’Université de Reims. Auteur d’une thèse sur les voyages dans le Pacifique au 19e siècle, ses recherches portent sur l’histoire de la géographie, la colonisation et les liens entre science et empire.

Jean-Paul BORD (JPB), 1950, maître de conférences en géographie à l’Université de Tours et chercheur au Centre d’études et de Recherches sur l’Urbanisation du Monde arabe (URBAMA). Ses centres de recherche sont la cartographie, la graphique, les représentations, les discours et l’invention des territoires. Il a notamment publiéInitiation géo-graphique ou comment visualiser son information (en collaboration avec Éric Blin) (1995) ; Le Monde arabe : des espaces géographiques aux représentations cartographiques (2000) ; Les cartes de la connaissance (dir.) (2002). Heather BRYANT (HBr), né en 1962 en Californie (États-Unis), géographe, travaille à l’Institut de Géographie de l’Université de Lausanne sur la géographie urbaine, la pauvreté ainsi que sur le Népal et Katmandou. Philippe CADENE (PhC), 1955, professeur de géographie à l’Université Paris 7-Denis Diderot, président du GEMDEV, un réseau spécialisé dans les recherches sur la mondialisation et le développement. Ses travaux personnels portent principalement sur l’Inde où il poursuit des recherches sur les dynamiques entrepreneuriales et les réseaux urbains. Laurent CAILLY (LC), 1976, doctorant en géographie sociale à l’Université François Rabelais de Tours. Il travaille sur les liens entre territorialité et identité sociale. Christian CALENGE (CCa), 1948, professeur agrégé de géographie à l’Université François Rabelais de Tours, et membre du centre de recherches « Ville, Société, Territoire » ( E.A. 2111) au sein de la MSH « Villes et territoires » de Tours. Ses recherches portent plus particulièrement sur les projets urbains, notamment les espaces périurbains et les représentations de la nature. Il a notamment publié Figures de l’urbain. Des banlieues et de leurs représentations (1997, avec Michel LUSSAULT et Bernard PAGAND), Emanuela CASTI (EC), 1950, professeur à l’Université de Bergame (Italie). Elle étudie le rapport entre le langage cartographique et les processus de territorialisation dans le domaine italien et africain. Parmi ses ouvrages : Reality as representation. The semiotics of cartography and the generation of meaning (2000) et Arcangelo Ghisleri e il suo clandestino amore (2001). Jacques CHARMES (JC), 1947, professeur de Sciences Économiques à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, et directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), au Centre d’Économie et d’Éthique pour l’Environnement et le Développement (C3ED). Spécialiste d’économie du travail, de comptabilité nationale et des questions de genre, il est directeur du programme statistique du réseau international « Women in Informal Employment : Globalising and Organising » (WIEGO). Christine CHIVALLON (CCH), 1961, chercheuse au CNRS, travaille sur les liens entre espace et identité, particulièrement dans l’univers culturel antillais. Elle a notamment publié : Espace et identité à la Martinique. Paysannerie des mornes et reconquête collective (1840-1960) (1998), Paul CLAVAL (PC), 1932, professeur émérite à l’Université de Paris-Sorbonne. Il s’est intéressé tout au long de sa carrière à l’histoire de la géographie, aux problèmes épistémologiques que pose cette discipline, et aux rapports qu’elle a entretenus avec les autres sciences sociales : cela l’a donc conduit à travailler successivement dans les

domaines de la géographie économique, de la géographie sociale, de la géographie politique et de la géographie culturelle, mais aussi dans celui de la géographie urbaine. Publications principales : La logique des villes (1982), Histoire de la géographie française (1998), Épistémologie de la géographie (2001). Béatrice COLLIGNON (BC), 1965, maître de conférences en géographie à l’Université de Paris, Panthéon-Sorbonne et membre junior de l’Institut Universitaire de France. Elle a notamment publié Les Inuit, ce qu’ils savent du territoire (1996) a collaboré àGéographies anglo-saxonnes, tendances contemporaines (2001, avec J.-F. Staszak) et Espaces domestiques (2003, avec J.-F. Staszak). Dominique CRETON (DC), maître de conférences en géographie à l’Université de Poitiers, il est membre des laboratoires de recherche ICOTEM et GEOPHILE. Son travail de recherche porte sur les questions de genre en géographie. Cristina D’ALESSANDRO (CDA), 1972, doctorante en géographie à l’Université FrançoisRabelais de Tours, et travaille sur la géographie de l’Afrique francophone. Réné DAGORN (RD), 1964, agrégé d’histoire-géographie, prépare une thèse de géographie sur les conceptions et les représentations des sciences sociales concernant la mondialisation et la société-monde. Il enseigne au Lycée Jean de la Fontaine à ChâteauThierry et à l’Institut d’Études Politiques de Paris. Il est le rédacteur en chef d’EspacesTemps.net, une revue de sciences sociales en ligne (http://www.espacestemps.net). Laurent DAVEZIES (LDa), 1952, professeur à l’Université Paris 12-Val de Marne et à l’Institut d’Urbanisme de Paris. Ses travaux sont consacrés à l’analyse économique du développement territorial. Rodolphe DE KONINCK (RDK), 1943, professeur de géographie à l’Université de Montréal. L’essentiel de ses recherches concerne l’Asie du Sud-Est, les paysanneries, les politiques agricoles et environnementales et la géopolitique. Parmi ses publications, on compte : Malay Peasants Coping with the World (1992), L’Asie du Sud-Est (1994),Le recul de la forêt au Vietnam (1999), Le Monde à la Carte (2000). Bernard DEBARBIEUX (BD), 1959, professeur à l’Université de Genève et directeur du laboratoire TEO (Université de Grenoble-CNRS). Il a travaillé sur le rôle des représentations et des identités collectives dans les processus de territorialisation et d’aménagement des territoires. Il a récemment publié, en co-direction avec F. Gillet,Mountains regions : a research subject ? (2001) et, en co-direction avec Martin Vanier, Ces territorialités qui se dessinent (2002). Christian DELACROIX (CD), en 1947, professeur d’histoire à l’iufm de Créteil et animateur de la revue EspacesTemps. Ses travaux de recherche portent sur l’historiographie, l’épistémologie de l’histoire et l’histoire du travail industriel au 20e siècle. Il a publiéLes courants historiques en France, 19e-20e siècle (1999), en collaboration avec François DOSSE et Patrick GARCIA.

Giuseppe DEMATTEIS (GD), né en 1935 en Italie, professeur de géographie urbaine et régionale à la première faculté d’Architecture du Politechnique de Turin. Il travaille sur les réseaux urbains, le développement local, les politiques urbaines et territoriales. Parmi ses publications : Le metafore della Terra (1985), Progetto implicito (1995), The Italian Urban System Towards European Integration (1999). David DESBONS (DD), photographe. Dernier ouvrage paru, en collaboration avec Christian RUBY, La Dignité (2002). Laurent DEVISME (LDe), 1972, maître-assistant à l’École d’architecture de Nantes. Ses travaux portent sur l’agir urbanistique et ses référents ainsi que sur les nouvelles territorialités métropolitaines. Après la publication d’un essai sur L’actualité de la pensée d’Henri Lefebvre à propos de l’urbain (éd. MSH de Tours, 1998), il prépare un ouvrage issu de sa thèse consacrée à l’urbanisme de nouvelles centralités. Guy DI MEO (GDM), 1945, professeur à l’Université Michel de Montaigne (Bordeaux 3). Spécialiste de la géographie sociale et culturelle, il a publié de nombreux ouvrages dont : L’homme, la société, l’espace (1991), Les territoires du quotidien (1996),Géographie sociale et territoires (1998), La géographie en fêtes (2001). François DOSSE (FD), professeur des Universités à l’IUFM de Créteil, maître de conférences à l’IEP, chercheur associé à l’IHTP et chercheur au Laboratoire d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Il est membre du comité de rédaction de la revue EspacesTemps. Ses intérêts de recherche concernent l’historiographie, histoire intellectuelle et l’épistémologie de l’histoire. Parmi ses publications : L’histoire en miettes (1987) ; Histoire du structuralisme, Le champ du signe, tome 1 (1991) et Le chant du cygne, tome 2 (1992) ; L’Instant éclaté (1994) ; L’Empire du sens (1995) ;Paul Ricoeur, les sens d’une vie (1997) ; L’Histoire (1999) ; Les courants historiques en France 19e20e siècles (1999, avec Christian DELACROIX et Patrick GARCIA) ;L’Histoire (2000) ; Michel de Certeau, le marcheur blessé (2002). François DURAND-DASTES (FDD), 1931, professeur émérite à l’Université de Paris 7-Denis Diderot où il a fait l’essentiel de sa carrière. Il s’est intéressé aux climats et aux rapports de ceux-ci avec les sociétés humaines, ainsi qu’à divers problèmes de méthodologie de la géographie. Il a appuyé ses réflexions sur des travaux sur l’espace indien et sur la France rurale. Cyria EMELIANOFF (CE), 1965, maître de conférences à l’Université du Maine et membre du groupe de recherche en géographie sociale de l’Université du Maine, ESO, UMR 6590 du CNRS. Ses travaux de recherche portent sur les politiques urbaines de développement durable. J. Nicholas ENTRIKIN (JNE), 1947, professeur de géographie à UCLA (University of California, Los Angeles). Ses intérêts de recherche sont l’épistémologie de la géographie et la géographie culturelle. Parmi ses publications : The betweenness of place (1991). Emmanuel EVENO (EE), 1962, maître de Conférences (HDR) en Géographie, à l’Université de Toulouse-Le Mirail. Chercheur au GRESOC (Groupe de Recherches Socio-Economiques) et au CIEU-CNRS (Centre Interdisciplinaire d’Études Urbaines). Il est spécialisé dans l’étude des

relations entre les villes et les Techniques d’Information et de Communication, il est notamment auteur de : Les Pouvoirs urbains face aux Technologies d’Information et de Communication (1997), Utopies urbaines (dir., 1998). Jean-Paul FERRIER (JPF), 1937, professeur à l’Université d’Aix-Marseille 1, et membre de l’UMR CNRS 6012 Espace. Ses enseignements, ses nombreux travaux, livres et articles veulent illustrer une géographie plus technique et humaniste, attentive aux territoires et à leurs nouveautés, comme aux enjeux d’une science de l’homme et de la société plus responsable et rigoureuse. Henri GALINIE (HG), directeur de recherche au cnrs, directeur du laboratoire Archéologie et territoires (UMR 6575, Université de Tours-CNRS), spécialiste d’archéologie urbaine, travaille sur la transition urbaine entre Antiquité et Moyen-ge en Europe. Publications récentes : Le Sol urbain (en collaboration, 1999) et Ville, espace urbain et archéologie(2000) Patrick GARCIA (PG), 1958, maître de conférences en histoire à l’iufm de Versailles, chercheur associé à l’Institut d’Histoire du Temps Présent (IHTP) et co-animateur de la revue EspacesTemps. Il se consacre à l’étude de l’historiographie et de l’épistémologie de l’histoire ainsi qu’à celle des usages de l’histoire et des mises en scène politiques à l’époque contemporaine. Il a notamment publié : Le Bicentenaire de la Révolution française (1989) ; Pratiques sociales d’une commémoration (2000) ;Les courants historiques en France 19e-20e siècles (1999) (en collaboration avec Christian DELACROIX et François DOSSE) ; L’enseignement de l’histoire en France de l’Ancien régime à nos jours (2003) (en collaboration avec Jean Leduc). Jean-Christophe GAY (JCG), 1962, est professeur des Universités, actuellement en poste à l’Université de Montpellier 3, et chercheur à l’Équipe MIT (Université de Paris 7, DenisDiderot). Il travaille sur les discontinuités spatiales et le tourisme. Il a publiéLes Discontinuités spatiales (1995) et, avec l’équipe MIT, Tourismes 1. Lieux communs(2002). Anne-Marie GERIN-GRATALOUP (AMGG), 1953, professeur à l’IUFM de l’académie de Créteil (centre scientifique et technique de Saint-Denis). Sa spécialité : la didactique. Annie GUEDEZ (AG), 1946, professeur de sociologie à l’Université de Poitiers, membre du laboratoire ICoTEM de la MSHS de l’Université de Poitiers. Ses thèmes de recherche concernent la transmission des savoirs professionnels, la sociologie urbaine ainsi que les transformations et recompositions socio-spatiales. Dernier ouvrage paru : Mues traversières, ethnographie en Montmorillonnais (2001, en collaboration avec Francis Dupuy et Michel Valière) Yves GUERMOND (YG), 1936, professeur émérite de l’Université de Rouen. Parmi ses nombreuses publications sur la géomatique, on retiendra Analyse de système en géographie (1984). Philippe GUILLAUME (PhG), 1969, docteur en géographie de l’Université de Reims et directeur scientifique de l’Institut Français d’Afrique du Sud (IFAS) à Johannesburg. Auteur de Johannesburg. Géographies de l’exclusion (2001).

Florence HAEGEL (FH), directrice de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques (CEVIPOF). Elle travaille principalement sur les phénomènes de politisation et dans le domaine de la sociologie des partis politiques. Elle a contribué récemment aux ouvrages suivants : Aux frontières des attitudes : entre le politique et le religieux. Textes en hommage à Guy Michelat, (2002, sous la direction de Jean-Marie Donegani, Sophie Duchesne & Florence Haegel), La démocratie à l’épreuve (2002, in Gérard Grunber, Nonna Mayer, Paul-M. Sniderman) et La démocratie en mouvement (2003, Pascal Perrineau, dir.). Rogério HAESBERT (RH), 1958, professeur de géographie à l’Université Fédéral Fluminense/Niteroi à Rio de Janeiro/Brésil. Ses recherches concernent la théorie de la géographie, la mondialisation et la régionalisation. Parmi ses publications : Latifundio e Identidade Regional, Blocos Internacionais de Poder, Desterritorializao e Identidade, Globalizao e Fragmentao no Mundo Contemporaneo, Territorios Alternativos. Philippe HAMOU (PH), 1965, maître de conférences en épistémologie à l’Université de Paris 10-Nanterre. Champs de recherche : histoire de la science et de la philosophie classiques (17e siècle), optique, perspective, théories de la perception. Claire HANCOCK (CH), 1969, maître de conférences en géographie à l’Université Paris 12-Valde-Marne et membre de l’équipe de recherche ATIR (Acteurs, Territoires, Inégalités Représentations). Romain GARCIER (RG) est un de ses amis. Daniel HIERNAUX-NICOLAS (DH), 1950, professeur titulaire et directeur du programme en Géographie Humaine de l’Université Autonome Métropolitaine campus Iztapalapa de Mexico. Ses champs de recherches principaux sont la ville de Mexico, la restructuration du territoire mexicain dans le cadre de l’Alena, mais aussi des questions d’épistémologie de la géographie et de géographie culturelle. Son dernier livre : Métropole et ethnicité, publié au Mexique, porte sur l’intégration des indiens dans la capitale mexicaine. Jochen HOOCK (JH), professeur d’histoire moderne et contemporaine à l’Université de Paris 7-Denis Diderot après avoir enseigné aux Universités de Heidelberg, Bielefeld et Paderborn. Ses travaux portent sur la théorie de l’histoire et le discours économique et commercial à l’époque moderne, thème de son Ars mercatoria en collaboration avec Pierre Jeannin (3 volumes parus). Isaac JOSEPH (IJ), 1943, professeur de sociologie à l’Université de Paris 10-Nanterre et travaille sur la sociologie urbaine et la microsociologie. Parmi ses publications : Le passant considérable (1984), Erving Goffman et la microsociologie (1998), La ville sans qualités (1998), Villes en gares (dir., 1999). Isabelle LABOULAIS-LESAGE (ILL), 1969, maître de conférences en histoire moderne à l’Université Marc Bloch (Strasbourg 2). Ses travaux s’inscrivent plus particulièrement dans le champ de l’histoire culturelle. Parmi ses publications, Lectures et pratiques et l’espace. L’itinéraire de Charles-Etienne Coquebert de Montbret, (1755-1831), savant et grand commis d’État (1999). Danielle LAPLACE-TREYTURE (DLT), 1967, chercheur au Laboratoire Société Environnement Territoire (CNRS– UMR 5603) à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Elle a publié de nombreux articles de nature théorique et épistémologique consacrés aux transformations

de la territorialité en rapport avec la crise de la modernité, à l’inscription du Sujet contemporain dans ses relations aux lieux (notamment, ville, paysage, montagne) et à l’altérité, à l’analyse de la pensée géographique à travers la diversité de ses écritures, notamment à travers les genres du discours géographique. Olivier LAZZAROTTI (OLa), maître de conférences (HDR) à l’Université de Picardie-Jules-Verne et membre de l’équipe MIT de l’Université de Paris 7 – Denis-Diderot. Après avoir mené des travaux sur la question des loisirs, il élargit son champ au tourisme et au patrimoine et à leurs relations et inscrit ses recherches dans le cadre général d’une géographie conçue en tant que science de l’habiter. Hervé LE BRAS (HLB), 1943, démographe, mathématicien et historien, est directeur d’études à l’EHESS, directeur de recherches à l’INED et président du conseil scientifique de la DATAR. Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages dont Essai de géométrie sociale(2000), Naissance de la mortalité : l’origine politique de la statistique et de la démographie (2000), Les limites de la planète (1996), Marianne et les lapins : l’obsession démographique (1992), Le sol et le sang (1993), Kafka y la familia (2001).Une autre France : votes, réseaux de relations et classes sociales (2002) et L’adieu aux masses (2002). Patrick LE GALES (PLG) Né en 1964, Patrick Le Galès est chargé de recherche CNRS au CEVIPOF et directeur d’étude à l’Institut d’Études Politiques de Paris où il enseigne. Il est le directeur de l’International Journal of Urban and Regional Research et co-directeur scientifique de l’Institut des Hautes Études sur le Développement et l’Aménagement des Territoires en Europe. Parmi ses publications récentes : Local industrial systems in Europe, rise or demise ? (2001, avec C. Crouch, C. Trigilia, H. Voelzkow) ; Le retour des villes européennes (2002). Mai LEQUAN (MLQ) Né en 1972, Mai Lequan est maître de conférences de Philosophie à l’Université Lyon 3. Ancienne élève de L’ENS Fontenay-Saint-Cloud, Agrégée de philosophie, Docteur, elle travaille sur la philosophie idéaliste allemande (Kant, Schelling, Hegel) et a publié La paix (1998), La chimie selon Kant (2000), La philosophie morale de Kant (2001) Kant, Projet de paix perpétuelle (2002). Yveline LEVY-PIARROUX (YLP), 1951, directrice de la publication de la revueEspacesTemps, professeur de lettres à Paris. Ses publications portent sur les liens entre les sciences sociales et la littérature et la poétique des textes. Claude LIAUZU (CL), 1940, spécialiste de la colonisation et des sociétés colonisées, en particulier méditerranéennes. Parmi ses publications : Race et civilisation. L’Autre dans la culture occidentale (1992), Passeurs de rives. Changements d’identité dans le Maghreb colonial (2000), Histoire de la Méditerranée (2001, en collaboration), Quand on chantait les colonies (2002). Odette LOUISET (OLo), 1956, géographe à l’Université de Rouen. Ses publications portent sur la ville et l’urbanité ainsi que la ville et la conception de l’espace en Inde. Michel MARIE (MM), 1931, directeur de recherche émérite au CNRS. A notamment publié : La fonction-miroir, La campagne inventée (avec Jean Viard) et Un territoire sans nom, Les terres et les mots, Les réseaux qui nous gouvernent, Grands appareillages et sociétés

locales en Méditerranée, Cultures, usages et stratégies de l’eau en Méditerranée occidentale : tensions, conflits et régulations. Jean-Louis MATHIEU (JLM), géographe. André MICOUD (AM), 1945, sociologue, directeur de recherche au CNRS et responsable d’une équipe mixte de recherche, le CRESAL (Centre de Recherches et d’Études Sociologiques Appliquées de la Loire, UMR 5043) associée aux deux Universités de Lyon 2 et de SaintÉtienne. Dans les deux domaines connexes du patrimoine et de l’environnement, il s’attache à décrire et à comprendre par quel type de travail symbolique, les sociétés modernes sont en train de reconfigurer leurs rapports au temps et aux milieux. Il a participé à la direction de plusieurs ouvrages collectifs sur ce thème : Ce qui nous relie (2002), Campagne de tous nos désirs (2000), Des hauts-lieux (1991). Jean-Baptiste MINNAERT (JBM), 1964, maître de conférences en histoire de l’architecture contemporaine à l’Université François Rabelais de Tours. Publications : The Architectural Drawings of Henri Sauvage (1994) ainsi qu’une monographie, Henri Sauvage, l’exercice du renouvellement (2002), Faubourg Saint-Antoine, architecture et métiers d’art (1998). Lorenza MONDALA (LM), 1963, professeur des Universités au département de Sciences du Langage de l’Université de Lyon 2. Elle travaille sur les interactions sociales dans différents contextes, en milieu urbain et dans des situations professionnelles. Elle est l’auteure de nombreux articles et du livre Décrire la ville. La construction des savoirs urbains dans l’interaction et dans le texte (2000). Veronica NOSEDA (VN), 1973, chercheuse à l’Université de Lausanne et travaille sur la genèse du problème de la « violence urbaine » en France, et en particulier sur le rôle des intellectuels dans la construction d’un discours sécuritaire. Jean-Marc OFFNER (JMOf), 1953, directeur du Laboratoire Techniques-Territoires-Sociétés (LATTS), professeur à l’École Nationale des Ponts et Chaussées. Il a une double formation d’ingénieur-urbaniste et de politologue. Ses travaux de recherche portent sur la socioéconomie des réseaux techniques, l’action publique locale, les interactions entre transport et aménagement. Il est rédacteur en chef de la revueFlux – Cahiers scientifiques internationaux Réseaux et territoires. Jean-Marc OHNET (JMOh), 1958, directeur des Études de l’Institut de la Décentralisation et directeur de la revue Pouvoirs Locaux. Il est l’auteur d’une Histoire de la décentralisation française. Olivier ORAIN (OO), 1968, professeur agrégé à l’Université de Toulouse-Mirail, est chercheur à l’Équipe « Épistémologie et histoire de la géographie » (EHGO) dans l’UMRGéographieCités (UMR 8504). Il prépare une thèse sur Le plain-pied du monde. Postures épistémologiques et pratiques d’écriture dans la géographie française au 20 esiècle. Thierry PAQUOT (TP), professeur des Universités, Thierry Paquot enseigne la philosophie de l’urbain à l’Institut d’Urbanisme de Paris (Paris 12-Val-de-Marne), éditeur de la revue Urbanisme. Parmi ses nombreuses publications : Homo urbanus(1990), Villes et civilisation urbaine, 18-20e siècles, anthologie avec Marcel Roncayolo, Le monde des villes.

Un panorama urbain de la planète (dir., 1996), La ville et l’urbain, l’état des savoirs (dir. avec Michel Lussault et Sophie Body-Gendrot),Le quotidien urbain. Essais sur les temps des villes (dir. 2001), Philosophie, ville et architecture. La renaissance des quatre éléments (dir. avec Chris Younès, 2002), Françoise PLET (FP), professeur de géographie à l’Université de Paris 8, membre de l’UMR 7533 LADYSS, coordinatrice du thème pluridisciplinaire « Espace, environnement, santé, société » à la Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord. Elle est spécialiste de questions de géographie rurale, géographie agricole, stratégies territoriales des agroindustries, géographie de l’offre alimentaire et des risques alimentaires. Elle vient de publier Une géographie de l’Amérique du Nord à la fin du 18e siècle : Saint-John de Crèvecoeur, Voyage dans la Haute Pennsylvanie et dans l’État de New-York depuis l’année 1785 jusqu’en 1798 (2002). Patrick PONCET (PP), 1974, docteur en géographie, auteur d’une thèse intituléeL’Australie du tourisme ou la société de conservation, une analyse des dispositifs spatiaux de conservation patrimoniale, et du rôle clé qu’y joue le tourisme. Il approfondit actuellement cette problématique au travers d’une recherche sur la durabilité des lieux, explorant les articulations entre leur singularité, leur valeur, et leur légitimité. Jean-François PRADEAU (JFP) enseigne l’histoire de la philosophie ancienne à l’Université de Paris 10-Nanterre. La plupart de ses travaux sont consacrés à l’œuvre platonicienne. Il a traduit en français l’Alcibiade (2000), le Critias (1997), l’Ion (2001), le Philébe (2002), et il a notamment publié Platon et la cité (1997) et Le monde de la politique. Sur le récit atlante de Platon (1997). Georges PREVELAKIS (GP), né en 1949 à Athènes, professeur de Géographie culturelle et politique à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1). Il enseigne également à l’Institut d’Études Politiques de Paris et à l’Université d’Athènes. Ses recherches portent sur les territoires et les réseaux, l’aménagement urbain, les diasporas, la géopolitique de l’Europe et des Balkans, la géographie de la Grèce, l’aménagement d’Athènes. En français, il a publié Les Balkans, cultures et géopolitique (1994), Les réseaux des diasporas (1996), Géopolitique de la Grèce (1997) et Athènes : urbanisme, culture et politique (2000). Philippe QUODVERTE (PQ), 1948, cartographe-géographe, maître de conférences à l’Université d’Orléans, ou il dirige la Maîtrise de Sciences et Techniques de Cartographie. Il est spécialiste de cartographie thématique, de sémiologie graphique, et des Systèmes d’Information Géographique. Jean-Bernard RACINE (JBR), 1940, professeur à l’Université de Lausanne. Spécialiste de géographie urbaine, culturelle et sociale, il travaille en étroite collaboration avec la municipalité de Lausanne et son Agenda 21, sur les questions du lien social, de l’interculturalité, de l’économie solidaire et de la violence dans le cadre urbain. Auteur ou co-auteur de : L’analyse quantitative en géographie (1973), Problématiques de la géographie (1981), du Canada (avec P. Villeneuve) dans la Géographie universelledirigée

par Roger Brunet, de La ville entre Dieu et les hommes, et Lausanne, une ville qui s’invente (2003). Hervé REGNAULD (HR), 1958, professeur de Géographie Physique à l’Université de Rennes 2, et chercheur à l’UMR 6554 du CNRS. Ses travaux portent sur la notion d’espace en géomorphologie, sur les paléo-dynamiques littorales et sur la modélisation comportementale des formes d’accumulation. Il a obtenu le 1er Prix du Festival du Film du Chercheur (Nancy) en 2001 (catégorie Enseignement de la Recherche par la Recherche). Il a écrit L’espace, une vue de l’esprit ? (1998). Muriel ROSEMBERG (MR), 1955, géographe, maître de conférences à l’Université d’Amiens et chercheur à l’Équipe EHGO-UMR Géographie-cités. Elle a publié Le marketing urbain en question. Production d’espace et de discours dans quatre projets de villes (2000). Ses recherches en cours portent sur la question des représentations géographiques. Christian RUBY (CR), docteur en philosophie, enseignant, chargé de cours sur le serveur audiosup.net de l’Université de Nanterre (Paris 10), chargé de cours à l’antenne parisienne de l’Université de Chicago, membre de l’Association pour le Développement de l’Histoire culturelle, membre du comité de rédaction des revuesRaison Présente, EspacesTemps, Bulletin critique du livre en langue française et Les Cahiers de l’Éducation permanente (ACSS, Belgique). Derniers ouvrages : L’État esthétique, Essai sur l’instrumentalisation de la culture et des arts (2000) ; L’Art public, Un art de vivre en ville (2001) ; Les Résistances à l’art contemporain (2002). Thérèse SAINT-JULIEN (TSJ), 1946, professeur de géographie à l’Université de Paris 1Panthéon-Sorbonne et chercheur à l’UMR Géographie-Cités. Gérard SALEM (GS), 1952, professeur des Universités, en poste à l’Université Paris 10Nanterre), où il dirige le laboratoire Espace, Santé et Territoire. Il a notamment publiéLa santé dans la ville. Géographie d’un petit espace dense (1998) et Atlas de la santé en France. Vol 1 : la mortalité (2000, avec S. Rican et E. Jougla). Lena SANDERS (LS), 1955, géographe, directrice de recherche au CNRS. Elle s’intéresse à la dynamique des systèmes spatiaux et elle a développé et testé des modèles sur l’émergence et la pérennité de l’habitat et des systèmes de villes à différentes échelles de temps et d’espace. Elle a notamment publié, Villes et Auto-organisation(1989, en collaboration avec D. Pumain et Th. SAINT-JULIEN), L’analyse des données appliquée à la géographie, (1990), Système de Villes et synergétique (1992), Des oppida aux métropoles (1998, collectif d’auteurs ARCHAEOMEDES) et elle a coordonnéModèles en Analyse Spatiale (2001). Mathis STOCK (MS), né en 1970 en Allemagne, maître de conférences à l’Université de Reims et membre de l’équipe MIT, ses travaux portent sur la manière dont les sociétés à individus mobiles habitent les lieux géographiques. Il a notamment collaboré à l’ouvrage Tourismes 1. Lieux communs (2002, Équipe MIT) et a coordonnéTourisme. Une approche géographique (2003). Anne STROHL (AS), 1971, professeur agrégée au Lycée André Maurois d’Elbeuf, Docteur en philosophie. Elle a réalisé une thèse sur L’espace à l’âge classique (Descartes, Leibniz,

Locke et Berkeley). Ses centres d’intérêt portent sur l’espace, le territoire, le monde, le corps. Serge THIBAULT (ST), 1950, ingénieur en génie civil et docteur d’État ès sciences physiques en génie urbain. Il est professeur en aménagement et urbanisme à l’Université FrançoisRabelais de Tours, où il dirige la Maison des Sciences de l’Homme « Villes et territoires ». L’ensemble de ses recherches est dominé par la modélisation des organisations spatiales. Parmi ses publications : Modélisation morpho-fonctionnelle des réseaux d’assainissement urbain à l’aide du concept de dimension fractale, Doctorat d’État (1987), 1987 ; La fabrique de l’urbain (avec Laurent Devisme, Ministère de l’Équipement, 2001). Jean-Louis TISSIER (JLT), 1945, professeur de géographie humaine à l’Université de Paris 12Val-de-Marne et membre de l’UMR 8504 Géographie-Cités/Équipe EHGO. Il travaille sur l’École française de géographie vidalienne et post-vidalienne, sur les rapports de la géographie et de la littérature, sur l’image et le paysage. Il a notamment publié (avec Philippe Pinchemel et Marie-Claire Robic) Deux siècles de géographie française (1984), une série de films sur le paysage (avec Philippe Pinchemel et Pascal Samson), et de nombreux articles sur l’histoire de la géographie, le paysage et sa fonction en géographie, la littérature et la géographie. Emmanuelle TRICOIRE (ET), 1971, historienne, a travaillé sur les tragédies grecques. Ancienne Durancière, elle est actuellement enseignante à Paris. Angelo TURCO (AT), 1946, professeur de Géographie à l’Université de L’Aquila (Italie). Ses recherches portent sur l’épistémologie de la Géographie et l’analyse du processus de territorialisation, notamment en Afrique tropicale. Directeur de la revue Terra d’Africa depuis sa fondation (1992), il vient de publier : Africa subsahariana. Cultura, società, territorio (2002) et Paesaggio : pratiche, linguaggi, mondi (2002). Paul VILLENEUVE (PaV), 1943, Ph.D. en géographie de l’Université de Washington à Seattle en 1971, professeur de géographie sociale et la modélisation urbaine à l’Université Laval au Québec où il a dirigé le CRAD (Centre de recherche en aménagement et en dÉveloppement) de 1991 à 1999. Co-auteur du volume sur l’Amérique du Nord dans la Géographie universelle, dirigée par Roger Brunet, il mène à présent des recherches sur les dynamiques urbaines et régionales. Philippe VIOLIER (PhV), professeur de Géographie à l’Université d’Angers (ESTHUA, UMR ESO) et membre de l’équipe MIT. Ses recherches portent sur les relations entre les acteurs et les objets géographiques selon des entrées parmi lesquelles le tourisme est privilégié. Anne VOLVEY (AV), 1964, maître de conférence en géographie à l’Université d’Artois. Elle travaille, à partir de l’étude des pratiques géographiques du terrain et de la figuration, par analogie avec l’expérience des spectateurs-usagers des installations in situ des artistes Christo et Jeanne-Claude, grâce à l’importation d’éléments théoriques empruntés à la psychanalyse phénoménologique et existentielle, à l’élaboration d’un modèle d’interprétation des déterminants psycho-somatiques de l’activité géographique, de son discours et de ses productions.

Serge WACHTER (SW), professeur des Écoles d’architecture, il est conseiller scientifique au Centre de prospective de DRAST (Direction de la recherche et des affaires scientifiques et techniques) au ministère de l’Équipement. Derniers ouvrages parus :L’aménagement en 50 tendances (2002), L’aménagement durable, défis et politiques(2002). Benno WERLEN (BW), né en 1952 en Suisse, professeur de géographie humaine à la Friedrich-Schiller-Universität d’Iéna. Ses intérêts de recherche concernent la théorie sociale et la méthodologie de la géographie humaine ainsi que les géographies du quotidien. Il a notamment publié Society, Action and Space (1993) ; Sozialgeographie alltäglicher Regionalisierungen, 2 vols (1995 et 1997) ; Sozialgeographie (2000). Denis WOLFF (DW), 1956, géographe, professeur agrégé et participe aux travaux de l’Équipe « Épistémologie et histoire de la géographie » (EHGO) dans l’UMR Géographie-Cités (UMR 8504). Il s’intéresse à l’histoire de la géographie française dans la première moitié du 20e siècle et prépare actuellement une thèse sur Albert Demangeon. Jacques Lévy & Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2003. 1032 pages. 30 euros. Résumé Les directeurs. Jacques Lévy (jl). Né en 1952, ancien élève de l’École normale supérieure de Cachan, agrégé de géographie, docteur d’État, Jacques Lévy est professeur à l’Université de Reims, à l’Institut des Hautes Études de Développement et d’Aménagement du Territoire (Ihedat) et à l’Institut d’Études Politiques de Paris. Directeur de l’équipe de recherche VillEurope, il [...] Pour faire référence à cet article "Les cent-dix auteurs.", EspacesTemps.net, http://www.espacestemps.net/articles/les-cent-dix-auteurs/

Livres,

17.03.2003