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ISBN 2-7605-1276-2 • D1276N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés
DANS LA MÊME COLLECTION
Enjeux psychosociaux de la santé Sous la direction de Joseph J. Lévy, Danielle Maisonneuve, Henriette Bilodeau et Catherine Garnier 2003, ISBN 2-7605-1233-9, 352 pages
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Sous la direction de
Joseph J. LÉVY Janine PIERRET Germain TROTTIER
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Données de catalogage avant publication (Canada) Vedette principale au titre : Les traitements antirétroviraux : expériences et défis (Collection Santé et société) Comprend des réf. bibliogr. ISBN 2-7605-1276-2 1. Médicaments contre le sida. 2. Sidéens – Conditions sociales. 3. Sida – Aspect psychologique. 4. Médicaments contre le sida – Aspect psychologique. I. Lévy, Joseph Josy, 1944- . II. Pierret, Janine. III. Trottier, Germain, 1943- . IV. Collection. RC606.6.T72 2004
616.97'92061
C2003-942176-7
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.
La publication de cet ouvrage a été rendue possible avec l’aide financière de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC).
Mise en pages : PRESSES DE L’UNIVERSITÉ DU QUÉBEC Couverture : RICHARD HODGSON
1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2004 9 8 7 6 5 4 3 2 1 Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés © 2004 Presses de l’Université du Québec Dépôt légal – 1er trimestre 2004 Bibliothèque nationale du Québec / Bibliothèque nationale du Canada Imprimé au Canada
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Table des matières
PRÉSENTATION ............................................................................................
1
CHAPITRE 1 LES FEMMES ET LES TRAITEMENTS ANTIRÉTROVIRAUX : perspectives théoriques et enjeux psychosociaux .............................................................
7
Jacqueline C. GAHAGAN et Charlotte LOPPIE
1. La définition et les mesures de l’adhésion au traitement ........................... 10 2. Les modèles psychodynamiques de l’adhésion au traitement .................... 12 3. Les perspectives genrales (gender perspectives) ........................................ 17 4. La pauvreté chez les femmes et le traitement antirétroviral ...................... 19 5. La diversité ethnoculturelle et l’adhésion au traitement ............................ 20 6. La responsabilité des soins et l’adhésion au traitement ............................. 21 7. Le processus de médicalisation .................................................................. 23 8. Les théories féministes sur l’adhésion au traitement ................................. 25 Conclusion .......................................................................................................... 26 Références bibliographiques .............................................................................. 30 CHAPITRE 2 VIVRE AVEC LES MÉDICAMENTS ANTIRÉTROVIRAUX ET L’INFECTION AU VIH / SIDA : l’univers amoureux et sexuel de femmes montréalaises d’origine africaine sous traitement ........................................................................................
35
Robert BASTIEN, Mylène FERNET, JOSEPH J. LÉVY, Germain TROTTIER, Joanne OTIS, Johanne SAMSON, Marie HARERIMANA, Marlène RATEAU, Régis PELLETIER, Normand LAPOINTE, Stéphane RICHARD, Isabelle GOUPIL et Marc BOUCHER
1.
Méthodologie .............................................................................................. 37 1.1. Profil des répondantes.......................................................................... 37
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VIII
Les traitements antirétroviraux
1.2. Contenu d’entretien ............................................................................. 38 1.3. Procédure d’analyse des données ........................................................ 38 2. Résultats ...................................................................................................... 40 2.1. Le rapport à soi révélé par le VIH et les médicaments ....................... 40 2.2. Le rapport à l’autre .............................................................................. 45 2.2.1. Le dévoilement au conjoint : une expérience difficile et périlleuse ................................................................ 45 2.2.2. Le dévoilement à un amoureux potentiel : valider l’acquiescement ........................................................... 47 2.3. Le rapport à la sexualité et à la prévention .......................................... 49 2.3.1. Une redéfinition de la vie sexuelle .......................................... 50 2.3.2. Images de femmes, rapports de pouvoir et tractations ............ 50 2.3.3. Une protection nécessaire et obligée ....................................... 53 2.3.4. Le caractère intrusif du condom au sein de la relation ........... 54 2.3.5. L’abstinence : une question de contexte .................................. 55 Conclusion .......................................................................................................... 55 Références bibliographiques .............................................................................. 57 CHAPITRE 3 ANALYSE DYNAMIQUE DE LA MISE SOUS MULTITHÉRAPIE DANS LA COHORTE FRANÇAISE APROCO (1998-2000) ..............................
61
Janine PIERRET
1. 2.
3.
4.
Méthodologie .............................................................................................. 63 L’acceptation et la mise en place du traitement dans les premières semaines ....................................................................... 67 2.1. Un traitement mal connu ..................................................................... 67 2.2. Une contrainte dans la vie quotidienne ............................................... 68 2.3. Des gênes et des désagréments ............................................................ 69 2.4. Un délai de réflexion nécessaire .......................................................... 69 2.5. Des significations différentes données au traitement .......................... 70 Au bout de huit mois, des relations renforcées avec les médecins ............ 71 3.1. La confiance dans la médecine et les médecins .................................. 72 3.2. L’intégration du traitement dans la vie quotidienne ........................... 73 3.3. L’expérience du traitement .................................................................. 77 Après vingt mois, une vie avec des traitements ......................................... 80 4.1. Des traitements qui ont été changés .................................................... 80 4.2. Le traitement : de l’habitude à la contrainte ........................................ 83 4.3. Une expérience du traitement encore difficile à maîtriser .................. 85 4.4. Entre espoir et désenchantement ......................................................... 87
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IX
Table des matières
Conclusion .......................................................................................................... 90 Références bibliographiques .............................................................................. 91 CHAPITRE 4 VIE PERSONNELLE ET SOCIALE ET EXPÉRIENCE DES THÉRAPIES CONTRE LE VIH / SIDA ........................................................
95
Isabelle WALLACH
1. Méthodologie .............................................................................................. 98 1.1. Contexte de l’enquête .......................................................................... 98 1.2. Population ............................................................................................ 98 1.3. Collecte des données ............................................................................ 98 2. Accepter, refuser, supporter la thérapie ...................................................... 99 2.1. Quand vision de la vie et thérapies sont en désaccord ...................... 100 2.2. Le désir de vivre : un moteur essentiel à la prise du traitement ........ 102 2.3. Supporter les effets secondairesdes thérapies : l’influence du sens ............................................................................. 105 3. Les conversions au traitement .................................................................. 107 3.1. La menace de la maladie ................................................................... 108 3.2. Une dimension sacrée reconnue à la vie ........................................... 112 3.3. Une remise en question personnelle .................................................. 114 3.4. Un nouveau mode de vie ................................................................... 117 Conclusion ........................................................................................................ 120 Références bibliographiques ............................................................................ 121 CHAPITRE 5 LES THÉRAPIES CONTRE LE VIH / SIDA : la mise à l’épreuve du temps .......
123
Germain TROTTIER, Mylène FERNET, Joseph J. LÉVY, Joanne OTIS, Robert BASTIEN, Régis PELLETIER et Antoine BOURDAGES
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.
Méthodologie ............................................................................................ 126 Les antirétroviraux : des représentations multiples et complexes ............ 127 La trajectoire individuelle et sociale avec les antirétroviraux : une expérience marquante et en escalade ................................................. 128 Impact des antirétroviraux sur l’organisation de la vie quotidienne : « Une vie ordonnée comme à l’armée » .................................................... 130 Impact des antirétroviraux sur le droit au secret : « Être confronté à un geste qui expose » .................................................. 132 Impact des antirétroviraux sur la santé physique et psychologique : « Ça, ce n’est pas une qualité de vie » ...................................................... 134 Les effets physiques .................................................................................. 135 Les effets psychologiques ......................................................................... 137
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X
Les traitements antirétroviraux
9.
Impact des antirétroviraux sur l’emploi et les loisirs : « Ne jamais savoir à quoi t’attendre » ...................................................... 138 10. Impact des antirétroviraux sur la vie sociale : « Une méchante débarque » ...................................................................... 141 11. Impact des antirétroviraux sur la vie affective et sexuelle : « Chances assez réduites... ou... ça l’amortit la sexualité » ..................... 142 12. Impact des antirétroviraux sur le rapport au sexe sécuritaire : « C’est la responsabilité [...] des séropositifs, de dire [...] des autres, de demander » ........................................................................................... 143 Conclusion ........................................................................................................ 146 Références bibliographiques ............................................................................ 148 CHAPITRE 6 VIVRE AVEC LES MULTITHÉRAPIES : l’expérience ontarienne .....................
153
Barry D. ADAM, Eleanor MATICKA-TYNDALE et Jeffrey COHEN
1. 2. 3.
4.
5. 6.
7.
Méthodologie ............................................................................................ 154 Caractéristiques des participants .............................................................. 155 Les enjeux liés au marché du travail ........................................................ 158 3.1. Maintien de l’emploi .......................................................................... 158 3.2. Révéler ou non la séropositivité ........................................................ 161 3.3. Temps partiel ou sans emploi ............................................................ 163 3.4. Les médicaments et le travail ............................................................ 165 Les relations interpersonnelles ................................................................. 166 4.1. Les couples ........................................................................................ 167 4.1.1. La sexualité dans le couple .................................................... 168 4.1.2. Les célibataires ...................................................................... 171 4.1.3. Négociation de l’activité sexuelle ......................................... 171 4.2. La famille ........................................................................................... 173 4.3. Les amis ............................................................................................. 175 Associations et groupes de soutien ........................................................... 178 Prise des médicaments .............................................................................. 179 6.1. Ajustement de la dose et modifications des règles alimentaires ....... 180 6.2. Effets secondaires .............................................................................. 181 6.3. Dépression .......................................................................................... 182 6.4. Efficacité ............................................................................................ 183 6.5. Aide-mémoire .................................................................................... 185 6.6. Passages de la frontière américaine ................................................... 186 Adhésion au traitement et expérience de la maladie ................................ 186
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XI
Table des matières
7.1. Groupe des améliorés ........................................................................ 187 7.2. Groupe des symptomatiques (plus sévères) ...................................... 188 Conclusion ........................................................................................................ 190 Références bibliographiques ............................................................................ 193 CHAPITRE 7 LA PRISE EN CHARGE DES TRAITEMENTS CONTRE LE VIH / SIDA : l’expérience brésilienne ...............................................................................
195
Francisco Inácio BASTOS, Maya PETERSEN, Deanna KERRIGAN et Marie-Claude BOILY
1. 2.
L’épidémiologie du VIH / sida au Brésil .................................................. 197 Le modèle brésilien : populations défavorisées et accès universel aux antirétroviraux ...................................................... 198 2.1. Le réseau brésilien pour les soins, la surveillance et la prévention................................................................................... 199 2.2. Évaluation des groupes à risque ........................................................ 200 2.3. Le continuum prévention-traitement ................................................. 202 2.4. Difficultés actuelles et leçons à tirer de l’expérience du Brésil ........ 206 3. Principaux défis ........................................................................................ 208 3.1. Amélioration de l’adhésion au traitement ......................................... 208 3.2. Surveillance de l’émergence des souches résistantes........................ 210 3.2.1. Impacts individuels et collectifs de la résistance aux médicaments antirétroviraux .......................................... 210 3.2.2. Résistance et adhésion au traitement ..................................... 211 3.2.3. La résistance au Brésil ........................................................... 212 3.2.4. Le soutien psychosocial : un besoin pour les personnes vivant avec le VIH / sida ........................................................ 213 3.2.5. HAART, un vent d’optimisme .............................................. 214 3.2.6. Au-delà des changements de comportement au plan individuel : les impacts dynamiques du HAART sur la communauté ............................................. 216 3.2.7. Soins et soutien des populations défavorisées : le modèle de la prise en charge des utilisateurs de substances psychoactives .................................................. 222 Conclusion ........................................................................................................ 226 Références bibliographiques ............................................................................ 227 LISTE DES COLLABORATRICES ET DES COLLABORATEURS ......................
237
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Joseph J. LÉVY Janine PIERRET Germain TROTTIER
L’apparition d’une nouvelle maladie constitue un véritable défi pour l’ensemble de la société, les pouvoirs publics, les professionnels et les personnes atteintes. L’infection à VIH dessine à cet égard une situation relativement unique compte tenu de la rapidité des évolutions depuis vingt ans. Entre 1982 et aujourd’hui, une nouvelle maladie a été repérée, le virus isolé, ses modes de transmission connus et les premiers traitements ayant une efficacité existent depuis 1996. D’une maladie associée à la résurgence de l’épidémie, le sida ou plus exactement l’infection à VIH est devenue, dans les pays occidentaux, une maladie traitée avec laquelle les personnes atteintes peuvent vivre plusieurs années. Si l’infection à VIH n’est pas guérissable et que le virus n’est pas éradiqué, vivre avec un traitement au long cours pose aux personnes concernées des problèmes qui ne sont pas fondamentalement différents de ceux observés dans de nombreuses maladies chroniques même si ce traitement a ses spécificités. Depuis 1990, de nombreuses recherches en sciences sociales ont été réalisées à travers le monde sur la connaissance de la maladie et ses modes de
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Les traitements antirétroviraux
transmission, sur l’impact de la prévention auprès des jeunes, des consommateurs de drogues et de diverses catégories de la population, sur l’adoption de comportements sexuels à moindre risque et ses effets sur la sexualité dans des groupes sociaux différents, sur le rôle de l’entourage familial et professionnel sur la vie des personnes atteintes par le VIH, sur l’accompagnement et la fin de vie. Le temps est venu de présenter un état des recherches qui, depuis 1997, ont étudié l’arrivée des nouveaux traitements et leurs répercussions individuelles, collectives et sociales. Cet ouvrage entend être une contribution à la compréhension des changements psychologiques, sociologiques et anthropologiques dans l’histoire d’une maladie. Pendant les quinze premières années de l’épidémie, la majorité des patients atteints du sida ont été confrontés à une issue fatale liée à l’absence de traitements capables de contrer les effets de ce syndrome, et ce malgré la mise sur le marché, dès 1987, du premier nucléoside, l’AZT (zidovudine) et de plusieurs autres médicaments du même type – didanosine (DDI), zalcitabine (DDC), lamivudine (3TC) et stavudine (D4T) – apparus au cours des années suivantes. Ces substances ont été ainsi utilisées en monothérapie, puis, à cause de la résistance croissante du virus, en bithérapie combinant l’AZT aux autres médicaments. Cette situation s’est significativement modifiée à partir de janvier 1996, quand a été annoncé au Congrès de Washington sur les rétrovirus l’efficacité de l’association de deux antirétroviraux et d’une nouvelle molécule, un inhibiteur de protéase (saquinavir, indinavir, ritonavir). La Conférence internationale sur le sida qui s’est tenue à Vancouver en juillet de la même année a constitué un tournant majeur et décisif pour les personnes atteintes et les médecins grâce aux perspectives ouvertes par ce traitement. Avec les HAART (highly active anti-retroviral treatment), des trithérapies, et, dans certains cas, des quadrithérapies ont succédé aux bithérapies qui ont consisté soit à combiner deux nucléosides à un inhibiteur de la protéase, soit à combiner un ou deux nucléosides et deux inhibiteurs de la protéase. Ces combinaisons ont eu des effets bénéfiques en favorisant la suppression de la réplication virale, tout en prévenant le développement de mutations associées à la résistance aux agents médicamenteux. De plus, les recherches fondamentales et cliniques en cours autorisent à croire qu’une intervention thérapeutique rapide peu après la séroconversion a une influence significative sur la réduction de la progression de l’infection. En quelques années, ces protocoles sont ainsi devenus la norme dans le traitement de l’infection à VIH d’abord chez les hommes puis chez les femmes touchées plus tardivement par l’épidémie et plusieurs publications sont actuellement disponibles afin d’informer les personnes concernées sur les diverses stratégies de traitement. Celles-ci sont par ailleurs améliorées par la mise au point de tests qui aident à préciser les doses de médicament à prescrire ou à mesurer les résistances à certaines substances.
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Introduction
De plus, en 1998, est apparue une nouvelle famille de produits, les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse, plus communément appelés non-nucluéosides (effavirenz, delavirdine, névirapine), qui ont étendu la panoplie des traitements, mais d’autres études sont toutefois nécessaires pour évaluer l’efficacité à long terme des non-nucléosides. L’apparition et l’évolution rapide des antirétroviraux et des traitements prophylactiques pour les personnes séropositives ont ainsi introduit un élément nouveau dans la lutte contre l’épidémie, contribuant à une modification des représentations de l’épidémie, effaçant en partie l’équation entre le sida et la mort. Certes, ces médicaments ont permis le retour à une vie plus normale chez de nombreux patients, en particulier chez les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) à un stade avancé de maladie et affectées par des infections opportunistes graves. Après l’amélioration de leur état de santé, ils ont ainsi pu réactiver des projets à plus long terme. Ces progrès ont entraîné une forme de « normalisation paradoxale » du sida (Setbon, 2000)1 qui a perdu son statut d’exception pour se rapprocher, par certains aspects, d’une maladie chronique, ce qui n’est pas sans avoir des conséquences majeures sur la qualité de vie des patients. Mais malgré ces résultats encourageants, les traitements ont aussi entraîné des effets iatrogéniques et psychosociaux importants qui ont affecté de façon variable les différentes sphères de la vie des utilisateurs. Traitement lourd et contraignant, traitement non encore stabilisé dont il importe de saisir la place dans la dynamique de l’infection à VIH et ses répercussions sur les représentations et l’expérience de la maladie. C’est ainsi que l’on pourra approfondir la compréhension des processus thérapeutiques et leur appropriation par les personnes de même que l’on pourra évaluer leur impact sur le plan collectif. Ces traitements demandent à être scrupuleusement respectés au risque de ne pas être efficaces et de voir apparaître des résistances. Ainsi, plusieurs recherches ont porté sur la question de son suivi à partir du point de vue des personnes elles-mêmes. Généralement étudiée en termes d’observance, cette question est abordée ici en termes d’adhérence, de fidélité ou d’intégration du traitement. Si les études sur l’observance se situent dans une perspective comportementale de strict respect des prescriptions médicales, les travaux présentés soulignent l’importance de resituer le traitement dans l’ensemble de la vie des personnes. Ils montrent également que le respect du traitement implique de prendre en compte les différentes contraintes qui pèsent sur la vie des personnes qui vont par ajustements successifs adapter le traitement ou s’y adapter. Et bien que les protocoles de prise des médicaments se soient simplifiés, de nombreuses contraintes professionnelles et familiales subsistent qui rendent encore difficiles un suivi adéquat du traitement.
1.
M. Setbon (2000). « La normalisation paradoxale du sida ». Revue française de sociologie, 41, 61-78.
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Les traitements antirétroviraux
Ainsi, la qualité de la relation avec le médecin, l’information transmise, de même que le rapport à la médecine conventionnelle ou aux thérapies alternatives joueraient un rôle dans la décision de recourir ou non aux nouvelles thérapies. Les représentations des médicaments, les perceptions entourant la toxicité et l’efficacité des traitements, la gravité de la maladie, le soutien social, le sentiment d’autoefficacité quant à la capacité d’observer la thérapie et les barrières perçues quant à la prise de médicaments constituent quelques-unes des dimensions qui peuvent influer sur le respect du traitement. Les effets indésirables peuvent dans certains cas affecter profondément le bien-être des malades et leur vécu, entraînant à l’occasion, une aversion face au traitement ou même sa cessation. À cet égard, les recherches ont mis en évidence que les nouvelles thérapies contre le VIH / sida provoquent des effets indésirables variables et non uniformes qui affectent la qualité de vie d’un grand nombre de patients. Ainsi, des dizaines d’effets indésirables ont été rapportés depuis la fatigue chronique jusqu’à des problèmes cardiaques, en passant par divers problèmes gastro-intestinaux, problèmes de peau, nausées, vomissements, calculs rénaux, étourdissements, problèmes de cholestérol, douleurs chroniques, anormalités métaboliques, hyperlipidémie, niveaux de glucose élevés et résistance à l’insuline... La vie quotidienne se voit marquée par des modulations dans le bien-être physique et mental qui affectent aussi la sphère des relations sociales, interpersonnelles et des loisirs. La lipodystrophie, sans être reliée directement à la prise d’antirétroviraux ou d’inhibiteurs de protéase mais plutôt à la charge virale plasmatique, peut aussi intervenir sur l’abandon des traitements à cause des changements corporels qui surviennent et qui altèrent la perception de l’image corporelle et de l’estime de soi. Les fonctions sexuelles, à la suite de la prise de ces médicaments, sont aussi quelquefois affectées à la baisse. Même si le traitement antirétroviral contribue à l’amélioration de la santé physique, les patients sont souvent confrontés à des difficultés au plan de la restructuration du style de vie, des loisirs et du travail. Et comme le montrent plusieurs textes, cet ensemble d’effets complexes dépendent aussi du sexe des individus et de leur orientation sexuelle, des environnements socioculturels et de l’état de leur santé. Afin d’illustrer les différents enjeux liés au recours des traitements antirétroviraux, les contributions présentées dans cet ouvrage s’appuient sur des travaux fondés sur des perspectives disciplinaires complémentaires dans le champ des sciences sociales (anthropologie, psychologie sociale, sociologie), mobilisées pour étudier aux plans individuel et collectif différentes populations (femmes, groupes hétérosexuels et homosexuels), provenant d’horizons socioculturels variés (Brésil, Canada, France et Québec).
© 2004 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Les traitements antirétroviraux, Joseph J. Lévy, Janine Pierret, Germain Trottier (dir.),
ISBN 2-7605-1276-2 • D1276N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés
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Introduction
Ce livre met donc en relief, à la fois sur un plan macrosociologique et microsociologique, les conséquences multiples des nouvelles thérapies qui ont contribué à modifier radicalement l’appréhension de l’épidémie du VIH / sida dont l’itinéraire se voit transformé, affectant de façon diversifiée les populations, les communautés, les groupes et les individus. Les réponses de ces différents paliers aux défis posés par ces innovations pharmaceutiques démontrent la complexité du rapport à la maladie qui dépasse le domaine biomédical trop circonscrit pour plonger dans les modalités culturelles, sociales et psychologiques qui ne peuvent mieux se saisir qu’à partir d’une vision enracinée dans le champ des sciences humaines et sociales.
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LES FEMMES ET LES TRAITEMENTS ANTIRÉTROVIRAUX Perspectives théoriques et enjeux psychosociaux Jacqueline C. GAHAGAN Charlotte LOPPIE
Des statistiques canadiennes récentes font état d’une augmentation considérable du nombre total de cas positifs aux tests de VIH chez les femmes adultes, de l’ordre de 10,7 % en 1995 à 21,8 % en 1998, à 24,9 % en 2001 (Health Canada, 2002). Les données de Santé Canada (2000) indiquent aussi que la proportion des cas de sida est la plus élevée chez les femmes entre 15 et 19 ans. Par ailleurs, ces données indiquent que plus de la moitié des infections par le VIH parmi les femmes canadiennes âgées de 15 ans et plus sont imputables à la transmission hétérosexuelle (Health Canada, 2002). Ces données reflètent non seulement l’impact croissant du VIH / sida sur les femmes au Canada, mais montrent aussi le jeune âge auquel les femmes contractent le VIH. Le nombre croissant de Canadiennes infectées par le VIH nous confronte à des questions urgentes de santé publique et d’ordre social. Non seulement le nombre croissant d’infections nous incite-t-il à analyser en profondeur les relations
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Les traitements antirétroviraux
complexes entre les facteurs sociaux, économiques et politiques qui contribuent au risque accru d’infection par le VIH, mais ces données nous enjoignent également d’intervenir de façon plus efficace pour prévenir la progression de l’infection parmi les femmes déjà atteintes. Pour les femmes séropositives qui ont commencé un traitement antirétroviral, un des défis à relever concerne l’adhésion à un traitement au long cours (Roberts et Mann, 2000 ; Schuman et al., 2001). L’arrivée des multithérapies antirétrovirales, ou HAART (traitement antirétroviral hautement actif), au milieu des années 1990, a entraîné une réévaluation du traitement contre le VIH en général. Au début, la pratique clinique visait une efficacité quasi parfaite qui exigeait des patients de restructurer leur vie quotidienne en fonction d’une prise d’environ quarante pilules par jour. Des exigences supplémentaires, telles des restrictions alimentaires, des horaires particuliers pour la prise des doses, une consommation importante d’eau et la réfrigération de certains des médicaments, ajoutaient aux difficultés et pouvaient compromettre le critère optimal de 95 % d’adhésion au traitement, considéré comme nécessaire pour une suppression virale maximale (Allardice, 2002). Plus tard, on a constaté que sans une stricte adhésion au traitement, la réplication et les mutations virales de même que la résistance aux médicaments restreignaient les choix possibles en cas de nécessité d’un traitement de « sauvetage » et ce, pour beaucoup de personnes. Dans cette situation, le traitement de sauvetage réfère aux choix de médicaments contre le VIH, jugés les plus appropriés parmi les types de médicaments auxquels la personne ne présente pas encore de résistance, et à leur utilisation en lieu et place de la combinaison de médicaments anti-VIH idéale ou préférée (Chesney, Morin et Sherr, 2000 ; Marelich et al., 2000). L’adhésion au traitement constitue un défi de longue date dans le domaine médical. Cependant, plus récemment, la notion d’adhésion associée au traitement antirétroviral a exigé une réévaluation des enjeux liés à la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH. On a ainsi porté une attention particulière au contexte social dans lequel les personnes doivent maintenir leur prise de médicaments, ainsi qu’aux réalités politiques et économiques du VIH et du sida en général. Contrairement à d’autres conditions médicales qui requièrent également un traitement au long cours, le VIH continue d’être, plus de vingt ans après son apparition, une maladie socialement stigmatisée. Cette maladie soulève, du point de vue moral, un grand éventail de problèmes quant aux origines du virus et aux facteurs qui mènent à l’infection. Tous ces aspects ont suscité, en conséquence, le tracé d’un portrait stéréotypé des personnes considérées comme étant à plus haut risque d’infection. Au début, cette description caricaturale du VIH visait presque exclusivement la population d’hommes blancs homosexuels en Amérique du Nord. Elle a contribué, jusqu’à un certain point, à la marginalisation des expériences des femmes en général, et plus particulièrement des femmes de couleur, tant au
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regard du risque de contracter le VIH et des stratégies de prévention que pour l’accès au soutien médical et social approprié pour augmenter l’adhésion au traitement des femmes vivant avec le VIH. Cet écart relatif au genre et à l’identité sexuelle a entraîné une réévaluation des facteurs qui diminuent l’adhésion au traitement parmi les hommes séropositifs, dans le but d’établir les différences entre les hommes séropositifs et les femmes séropositives dans leurs comportements de santé, incluant les variables liées à l’utilisation des médicaments anti-VIH et l’assiduité aux rendez-vous médicaux. Très souvent, les femmes vivant avec le VIH expriment leurs inquiétudes à dévoiler leur statut séropositif par peur de la stigmatisation et de la marginalisation, pour elles-mêmes et pour leurs enfants, et, possiblement, pour leur famille (Gahagan et Loppie, 2001). Cette crainte a posé à son tour de nouveaux défis pour les médecins et les intervenants dans le domaine de la santé, à savoir : encourager le début d’un traitement HAART (traitement antirétroviral hautement actif) ainsi que l’utilisation continue de ce traitement tout en tenant compte des variations dans les normes et les rôles sociaux basés sur le genre (Loppie et Gahagan, 2001). La dépendance financière ou matérielle des femmes vis-à-vis de leur partenaire masculin peut aussi augmenter la réticence des femmes à dévoiler leur statut séropositif aux professionnels de la santé, à leur famille ou à leurs amis, puisque cette révélation pourrait mettre en jeu leur bien-être matériel ou celui de leurs enfants dépendants (UN, 2002). Deux facteurs ont un impact négatif sur les femmes atteintes du VIH / sida quant aux soins qu’elles s’accordent, en général, et quant à leur adhésion au traitement en particulier : un fardeau inéquitable par rapport aux soins à apporter à leurs proches et une socialisation particulière visant les femmes. Dans la situation où une femme séropositive est l’aidante principale d’un enfant séropositif ou d’un partenaire séropositif, il est probable qu’elle mette en priorité la santé de ces personnes importantes pour elle, avant la sienne, n’hésitant pas à mettre en jeu l’adhésion à son propre traitement (WHO, 2003). De plus, le bien-être des femmes est miné par la discrimination liée à leur prétendue responsabilité dans la propagation du virus, particulièrement à leurs enfants. Au début du développement et de la mise en marché des traitement antirétroviraux, l’approche la plus courante était de débuter avec une multithérapie agressive dans le but de maximiser la suppression de la réplication virale, de préserver la fonction immunitaire et de réduire le développement d’une résistance aux médicaments. Les cliniciens maintiennent cette pratique en la basant sur le principe qu’un dosage sous-optimal des médicaments antirétroviraux pourrait mener à une résistance accrue aux médicaments. Par conséquent, les femmes séropositives aussi bien que les hommes séropositifs doivent maintenir une fidélité quasi parfaite au traitement pour s’assurer d’une efficacité maximale des médicaments (Fogarty et al., 2002 ; Misener et Sowell, 1998 ; Mocroft et al., 2000). Cependant, les effets indésirables (la diarrhée, les céphalées, la nausée, la lipodystrophie, etc.), de même que différents facteurs, tels que la complexité du traitement, qui inclut un nombre spécifique de pilules, la taille et le goût des
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médicaments, les restrictions alimentaires et les horaires de prise de médicaments, font en sorte de diminuer les probabilités d’une fidélité au traitement optimale (Brook et al., 2001 ; Jones, 2002 ; Molassiotis et al., 2002 ; Reynolds et Neidig, 2003 ; Schuman et al., 2001 ; Wright, 2000). Pour plusieurs femmes séropositives en particulier, les effets indésirables des médicaments peuvent avoir un impact majeur et débilitant sur l’état physique et le bien-être psychologique (Jones, 2002). Dans certains cas, la crainte des effets secondaires peut être suffisante pour refuser d’entreprendre un traitement antirétroviral hautement actif ou HAART (Catz et al., 2000 ; Gahagan et Loppie, 2001). Celles qui commencent le HAART et font l’expérience de sérieux effets indésirables ou de bouleversements dans le rythme de la vie quotidienne peuvent choisir de s’autoprescrire des modifications de doses ou des interruptions pour contrebalancer ces effets. Malheureusement, les facteurs contextuels ou psychosociaux qui influencent l’adhésion au traitement parmi les femmes séropositives au Canada ont été grandement ignorés de l’approche médicale traditionnelle (Gahagan et Loppie, 2001). Étant donné ces enjeux, l’espoir placé dans le traitement antirétroviral s’est transformé en une réalité plutôt décourageante et, dans certains cas, en une solution intenable, à court terme, avec la progression initiale de l’infection par le VIH. Malgré cela, relativement peu d’études sur l’adhésion au traitement antirétroviral ont pris en considération l’importance des facteurs psychosociaux, particulièrement en relation avec la vie des femmes infectées par le VIH. Les agendas de recherches ont négligé, en particulier, la situation des femmes qui prennent soin d’autres membres de la famille également infectés par le VIH, la situation des personnes malades mentalement, mais non diagnostiquées, ou encore la situation des personnes ayant des problèmes de toxicomanies (Meadows, LeMarechal et Catalan, 1999 ; Welch, 2000). De façon générale, les études sur l’adhésion au traitement présentées aux congrès internationaux sur le sida demeurent presque inaccessibles à un public plus large que celui qui participe à ce genre d’événements (Fogarty et al., 2002). Peut-être plus important encore, très peu des travaux publiés dans ce domaine fournissent des lignes directrices pour savoir comment aborder cette question de la non-adhésion, non seulement dans une perspective clinique, mais également du point de vue des personnes placées devant le dilemme de commencer une prise de médicaments au long cours, en sachant qu’elles devront respecter des critères de stricte adhésion (Turner, 2002).
1.
LA DÉFINITION ET LES MESURES DE L’ADHÉSION AU TRAITEMENT
Dans le corpus de recherche, on retrouve un grand éventail de définitions et de notions concernant l’opérationnalisation du concept d’adhésion au traitement ou de compliance, en vue d’une utilisation dans un contexte clinique. Dans certaines études, l’adhésion au traitement renvoie à une prise stricte de tous les médicaments
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alors que dans d’autres études, le niveau de fidélité correspond à la prise d’un minimum de 90 % à 95 % des médicaments prescrits durant une période de temps spécifique. Dans d’autres encore, l’adhésion au traitement se définit simplement par le nombre de doses non prises dans un temps donné. Les difficultés à définir le concept de fidélité se conjuguent avec celles liées à sa mesure. Une métaanalyse du concept de fidélité dans les publications scientifiques menée par Fogarty et al. (2002) a montré que les mesures de l’adhésion au traitement peuvent se diviser en trois catégories distinctes : l’utilisation de mesures subjectives tels les autorapports, les mesures objectives tel le décompte des pilules et les mesures physiologiques telles que la charge virale ou le taux de CD4. Fogarty et al. (2002) affirment que ces catégories constituent les caractéristiques clés pour déterminer le succès ou l’échec dans l’adhésion au traitement dans le cas du VIH. Il n’est pas surprenant de constater que ces facteurs incluaient l’aspect de la complexité de la prise de médicaments, les demandes des horaires, les exigences cognitives, les effets indésirables, les facteurs sociaux et psychologiques, les attitudes des patients à l’égard du traitement avec des médicaments contre le VIH, le climat social, le soutien des intervenants en santé, les services institutionnels et de santé, les attributs personnels, les facteurs socioéconomiques, le genre, l’appartenance à un groupe ethnique et l’âge, l’utilisation de substances psychoactives et les types d’intervention pour soutenir l’adhésion au traitement (Fogarty et al., 2002). Selon le Merck Manual of Medical Information (Berkow et al., 1999), les professionnels du domaine médical définissent la compliance comme étant « le degré de conformité du patient au plan défini pour le traitement » (p. 49 ; notre traduction). Barber (2002) soutient, quant à lui, que la non-compliance devrait peut-être être classée comme une erreur médicale et que des efforts additionnels devraient être consentis pour appliquer la théorie de l’erreur humaine à l’enjeu de l’adhésion au traitement, dans le but de développer des stratégies pour prévenir de telles erreurs. Cependant, dans plusieurs cas, les erreurs humaines, les manquements ou les oublis peuvent en fait être liés à des phénomènes sociaux et médicaux plus complexes, lesquels ne peuvent pas facilement être catégorisés ou auxquels on ne peut trouver de solutions à partir de tels fondements théoriques. Les diverses définitions ou explications de la compliance servent à illustrer plus clairement les tensions entre une approche médicale et une approche centrée sur le patient concernant une prise complexe de médicaments. On peut souligner que le terme de fidélité a souvent été privilégié par rapport à celui de compliance, ce qui met davantage l’accent sur le patient qui doit maintenir une prise complexe de médicaments. Ces définitions illustrent également un conflit entre les aspects médicaux et psychosociaux de la gestion de la prise de médicaments tels que prescrits ou selon les indications de dosages. Ce conflit manifeste un manque sous-jacent d’attention aux expériences vécues par les personnes vivant avec le VIH / sida dans le contexte d’une multitude de situations complexes. Nombreuses sont les femmes de couleur vivant avec le VIH / sida, aux États-Unis par exemple,
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qui font face à une myriade d’enjeux, dont plusieurs ne sont reliés aux médicaments que de façon indirecte. Pour ces femmes, un manque d’accès à un logement sécuritaire et financièrement abordable, un racisme systémique dans les différents secteurs des soins de santé, le sous-emploi et un manque de services communautaires adaptés selon le genre mettent en péril leur capacité à prendre leurs médicaments. Et pourtant, ces facteurs sont encore une fois largement absents d’une conceptualisation médicale de l’adhésion au traitement (Adams, 1995).
2.
LES MODÈLES PSYCHODYNAMIQUES DE L’ADHÉSION AU TRAITEMENT
En 1991, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définissait les déterminants de la santé comme étant des comportements biologiques et des comportements de santé (s’ils sont choisis librement), des avantages passagers acquis par certains groupes qui adoptent, avant d’autres, des comportements de santé, les comportements à risque dans lesquels le choix est gravement restreint, des conditions de vie et de travail insalubres et stressantes, un accès inadéquat aux services publics et de santé, des aspects de la santé reliés à une diminution de la mobilité sociale causée par la maladie ou l’invalidité. Depuis lors, la liste des déterminants au plan social s’est allongée pour inclure le revenu, le soutien social, le logement, l’éducation, le type d’emploi et le développement chez l’enfant. Il est largement admis maintenant que ces déterminants ont une influence à la fois indépendante et collective sur la santé (WHO, 1986). Plusieurs perspectives différentes pourraient être utilisées pour explorer les enjeux de l’adhésion au traitement antirétroviral. Le modèle le plus fréquemment appliqué situe la santé humaine et la maladie dans un contexte médical : dans ce modèle, l’adhésion au traitement chez les femmes est considérée comme étant influencée aussi bien par des déterminants psychologiques que par des comportements de santé, incluant l’utilisation des services médicaux. Au cours de la dernière décennie, plusieurs chercheurs en santé ont tenté d’appliquer ce modèle traditionnel médical au nombre grandissant et variable des déterminants de la santé définis par l’OMS. Cependant, ce cadre de travail inclut rarement les conditions sociales qui influencent la santé, pas plus que ses analyses subséquentes ne s’étendent au-delà des variables discrètes pour expliquer la temporalité de l’expérience humaine (Evans, Barer et Marmor, 1994). Les modèles médicaux se basent sur une conceptualisation et une mesure des composantes individuelles de la santé, portant peu d’attention aux contraintes plus globales et aux conditions reliées aux domaines social, économique et politique. Bien que l’unité d’analyse puisse parfois être le groupe, le concept de la collectivité, et sa valeur associée, demeure relativement rare dans les domaines médicaux. Les modèles médicaux risquent, par conséquent, d’engendrer une « erreur écologique » en présentant à tort les conditions sociales comme étant des facteurs personnels (Kaplan, 1996).
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Les femmes et les traitements antirétroviraux
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Quand ils sont utilisés pour examiner les différences dans l’adhésion au traitement entre les hommes et les femmes, les modèles médicaux parviennent rarement à fournir les éléments nécessaires pour comprendre en profondeur cette question complexe. Le fait d’accorder peu de considération aux circonstances socioculturelles et environnementales dans la vie des femmes entraîne une connaissance extrêmement limitée des déterminants contextuels de l’adhésion des femmes au traitement antirétroviral. Les enjeux particuliers aux femmes ne sont pas validés et, par conséquent, ne sont pas intégrés dans la plupart des cadres théoriques utilisés pour développer des stratégies de fidélité au traitement. Les efforts se sont plutôt concentrés à établir des généralisations à partir de l’expérience des hommes séropositifs. Bien que les modèles psychodynamiques élargissent la perspective plutôt étroite du modèle médical, l’accent demeure sur les femmes considérées individuellement ou dans leurs interactions immédiates avec des personnes significatives. Dans ce cas, ce sont donc les croyances, attitudes, motivations et comportements de ces femmes qui deviennent les déterminants d’une réussite dans l’adhésion au traitement. Ces modèles psychodynamiques sont pertinents pour l’exploration de concepts tels que la conscience interne (p. ex., peur, anxiété, déni), les difficultés relationnelles, les attributs de la personnalité, le sentiment de la compétence personnelle et l’engagement (Sherr, 2000). Les stratégies qui émergent de ces perspectives mettent d’abord et avant tout l’accent sur les attitudes et les motivations des femmes et de ceux qui leur prodiguent des soins de santé. Le modèle environnemental élargit encore la vision pour inclure des événements et des circonstances qui, se produisant dans la vie des femmes, peuvent engendrer des difficultés à une fidélité au traitement antirétroviral. Cependant, bien que l’étiologie aille au-delà des femmes considérées individuellement, les solutions dérivées de ce modèle demeurent étroitement liées à leur style de vie et à leur comportement. Prenons par exemple le fait que les interventions recommandées exigent fréquemment des moyens qui dépassent les ressources sociales et économiques de nombreuses femmes : elles sont alors étiquetées comme incapables de « bien gérer » leur maladie. Un tel suivi dévalorisant aide relativement peu les femmes à être fidèles au traitement, alors qu’elles vivent des difficultés dont l’origine se situe fréquemment dans leur contexte de vie sociale plutôt qu’à l’intérieur d’elles-mêmes. Vers la fin du XXe siècle, les psychologues sociaux ont mis l’accent sur les pratiques sociales dominantes, les normes et les rôles qui peuvent influencer les perspectives d’avenir dans la vie des femmes : ces éléments ont un impact sur les comportements de santé et l’exposition au stress ainsi que sur l’accessibilité aux ressources sociales, éducatives et économiques (Amick et al., 1995). Cette perspective minimise les aspects endocrinologiques et psychologiques, et souligne l’influence des rôles sociaux et des responsabilités des femmes. Ce modèle culturel situe donc l’expérience de la maladie chez les femmes en fonction de contextes
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Les traitements antirétroviraux
social, politique et économique. Ainsi, l’adhésion au traitement antirétroviral se situe dans un cadre de rôles sexuels socialement construits, de croyances et d’attentes d’une culture particulière à un moment particulier. Une telle lentille psychosociale focalise sur les différences intrinsèques du comportement, mais les relie à la santé par le biais de mécanismes de contrôle social aussi bien que par le biais de la distribution des ressources et du pouvoir. Selon ce modèle, les obstacles sociaux et financiers à l’accessibilité aux soins de santé se traduisent par un amoindrissement de la prévention, une diminution des options de traitement et un affaiblissement de l’adhésion au traitement. Ce modèle souligne à quel point les structures sociales modulent les choix personnels tout autant que la répartition de l’autorité et du pouvoir, lesquels sculptent un environnement social qui est souvent néfaste pour la santé des femmes. Par exemple, les structures macropolitiques qui limitent une distribution égale des ressources restreignent également les options d’éducation, d’emploi et de logement pour les femmes séropositives, particulièrement pour celles qui sont membres de minorités ethnoculturelles visibles et celles qui ont de faibles revenus. La plupart des modèles utilisés pour développer des stratégies de fidélité au traitement sont basés sur les théories psychodynamiques de la promotion de la santé, et ils ont été élaborés, à partir de diverses approches conceptuelles, pour encourager la modification du comportement (Clark et Becker, 1998). En règle générale, ces modèles théoriques se basent sur le principe que les stratégies efficaces de fidélité au traitement sont dépendantes de la volonté des personnes à prendre leurs médicaments et à adopter les comportements prescrits. Nous présentons ici une brève description des modèles les plus fréquemment utilisés, de même qu’une discussion sur leur utilité dans la promotion de l’adhésion au traitement antirétroviral pour les femmes. Développé dans les années 1950, le modèle des croyances relatives à la santé (Health Belief Model) se base sur deux principes théoriques qui tentent d’expliquer la modification du comportement : 1) les personnes assignent une valeur à un objectif particulier en santé ; 2) les personnes ont certaines croyances au sujet de la relation entre leur action et l’atteinte de leur objectif de santé (Clark et Becker, 1998). Ce modèle, quoique fréquemment appliqué dans la prévention de la maladie et la promotion de la santé, est plutôt limité dans son utilité. Bien que le modèle des croyances relatives à la santé établisse un éventail d’influences, allant des influences personnelles à celles qui sont davantage d’ordre structurel et social, ces déterminants se manifesteraient à travers une motivation individuelle et des perceptions subjectives concernant sa propre susceptibilité à la maladie, la gravité de la maladie et les avantages éventuels de la maladie. Ce focus privilégie les déterminants individuels au détriment du contexte social, limitant ainsi la capacité du modèle à aborder les obstacles sociaux, politiques et économiques à l’adhésion au traitement antirétroviral des femmes. Ce modèle est également fondé sur la croyance que la santé de la personne constitue un objectif grandement valorisé.
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Ce principe peut, cependant, ne pas toujours être vrai pour les femmes qui ont souvent été éduquées à valoriser la santé et le bien-être des autres bien avant les leurs. Les modèles tels que le modèle décisionnel en santé (Health Decision Model) et celui du comportement à l’égard de la maladie (Model of Illness Behavior) mettent l’accent sur les éléments constituants de la réceptivité et du processus d’intégration de l’information par les personnes elles-mêmes ainsi que sur les mécanismes qui les sous-tendent, lesquels influencent à leur tour les comportements de santé. De la même manière, le modèle de l’autorégulation (Self-Regulation Model) met l’accent sur les objectifs, les projets et les réponses individuels dont la visée principale serait de se rapprocher d’un but spécifique de santé. La principale limite de ces trois modèles touche l’importance accordée aux opérations cognitives et la conceptualisation plutôt étroite des êtres humains en tant que « systèmes de traitement d’information », chacun étant considéré comme ayant la maîtrise de son interaction avec les facteurs environnementaux (Shumaker, 1998). La théorie sociocognitive souligne l’importance de la perception des incitatifs, des attentes de résultats et des attentes d’efficacité. À l’intérieur de ce cadre, la perception de l’autoefficacité influence toutes les composantes du comportement, incluant celles reliées à la santé. La notion d’« impuissance acquise » s’articule aux concepts d’efficacité personnelle et d’attentes de résultats, où les personnes « apprennent », à travers les expériences négatives de la vie, qu’elles n’ont aucun pouvoir pour susciter des changements, ce qui limite leurs attentes par rapport à elles-mêmes aussi bien que les conséquences positives de comportements favorisant la santé (Clark et Becker, 1998). Bien que ce modèle reconnaisse les influences sociales, le focus demeure en quelque sorte restreint aux attentes d’autoefficacité (difficulté, habileté et capacité de généraliser) en tant que fonction du lieu de contrôle de la santé, de l’estime de soi et des stratégies d’adaptation. La théorie de l’action raisonnée (Theory of Reasoned Action) postule que les comportements favorisant la santé sont liés aux attitudes, aux croyances normatives (c’est-à-dire : Qu’est-ce que les autres en pensent ? Quelle est ma motivation à me plier aux normes sociales ?) et aux intentions d’action (perception de la probabilité du comportement). Les stratégies de fidélité au traitement basées sur ce modèle se préoccupent de la façon dont les personnes conceptualisent leur statut séropositif en relation avec ce qu’elles devraient faire et la probabilité d’action sur la base de ces motivations. La théorie du comportement planifié (Theory of Planned Behavior) cherche à expliquer les problèmes de fidélité au traitement par un manque de volonté personnelle. Cette théorie est essentiellement un prolongement de la théorie de l’action raisonnée en ce sens qu’elle met l’accent sur les attitudes et les normes subjectives. Cependant, les concepts de contrôle perçu et d’attitude intentionnelle sont aussi considérés comme jouant un rôle critique dans des comportements spécifiques reliés à la santé (Clark et Becker, 1998).
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Le modèle transthéorique de changement de comportement (Transtheoretical Model for Stages of Change), ayant ses racines dans la psychothérapie, incorpore quatre concepts fondamentaux reliés aux changements de comportement. Tout d’abord, ce modèle établit que ce sont les intervenants qui doivent établir l’étape où se situe un client-utilisateur de services (préconsidération, considération, préparation, action, maintien de l’action). Les stratégies doivent également être taillées sur mesure pour la situation d’une personne relativement aux processus de changement, lesquels peuvent inclure une sensibilisation, un redressement radical (dramatic relief), une autoévaluation, une évaluation environnementale ou une libération personnelle. Ce qui détermine un équilibre décisionnel, ce sont la perception et les jugements de chaque personne sur les avantages et inconvénients d’actions spécifiques. Finalement, selon ce modèle, l’efficacité personnelle ou la croyance en sa propre capacité à prendre une action spécifique, laquelle est enracinée dans l’expérience personnelle, dans l’observation, dans la persuasion verbale et dans l’état physiologique, joue un rôle important dans l’adhésion au traitement (Shumaker, 1998). Bien que la plupart de ces théories confrontent plusieurs des limites du modèle médical, elles représentent des cadres de référence incomplets pour la compréhension des enjeux de l’adhésion au traitement antirétroviral des femmes. En règle générale, les théories psychodynamiques mettent l’accent sur le comportement individuel et portent peu d’attention aux aspects environnementaux, à l’accès au soutien et aux soins, ou aux normes / idéaux sociaux, lesquels entraînent des difficultés reliées à la santé pour les femmes séropositives (par exemple, préoccupation du poids, dysmorphie corporelle). Il est clair qu’aucune théorie ne fournit une explication totale du comportement humain. En conséquence, tout cas doit être examiné dans le contexte de l’expérience de vie de chaque femme. Un changement de comportement est souvent temporel ; ainsi les enjeux reliés à l’adhésion au traitement sont dynamiques et fluctuent avec les circonstances changeantes dans la vie des femmes. Pour compliquer encore davantage ce tableau, les étapes des changements peuvent être à la fois stables et ouvertes à des modifications. Plusieurs théories tentent d’expliquer de façon statique un processus de prise de décision et de changement de comportement concernant la santé sans mettre en valeur les aspects du processus lui-même, qui pourrait améliorer les interventions. Dans certains cas, les intervenants peuvent être incapables d’appliquer les théories les plus appropriées aux stratégies de fidélité au traitement à cause des difficultés que pose le transfert d’un modèle théorique, élaboré dans un contexte de recherche, à une situation de vécu. Habituellement, les chercheurs développent et présentent une théorie, puis se demandent comment l’appliquer au mieux à une question particulière. Il serait peut-être plus efficace de partir d’un enjeu particulier, celui de l’adhésion au traitement par exemple, et de se demander ensuite comment chaque théorie peut nous aider à comprendre cet enjeu. Cette perspective permettrait probablement de mieux servir les femmes séropositives.
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Par exemple, l’âge et les contextes sociaux qui y sont rattachés semblent influencer l’adhésion des femmes au traitement antirétroviral. Les femmes entre 18 et 24 ans rapportent les taux les moins élevés de fidélité, avec des taux qui augmentent progressivement avec l’âge. Ces résultats suggèrent que des programmes de soutien pour l’adhésion au traitement spécifiquement conçus pour les jeunes femmes pourraient les aider à maximiser leur fidélité, établissant ainsi au départ des stratégies qui pourront amener une augmentation de l’adhésion au traitement (Becker et al., 2002).
3.
LES PERSPECTIVES GENRALES (GENDER PERSPECTIVES)
Peu d’enjeux concernant la santé peuvent être étudiés sans tenir compte du genre. Le genre influence la santé aux plans individuel, interpersonnel et structurel. En effet, selon un principe fondamental de la plupart des théories féministes, toute expérience humaine est influencée par le genre et liée à la culture, d’une part, et, d’autre part, les expériences doivent être considérées comme subjectives au plan contextuel (Love et al., 1997). Par exemple, la théorie matérialiste / structurelle (Materialist / Structural Theory) soutient que ce sont les contraintes et les perspectives d’avenir qui façonnent les choix des femmes au regard du travail, des activités de loisir, du logement et des comportements de santé tels que l’adhésion au traitement antirétroviral (Love et al., 1997). Le genre constitue un enjeu dans l’adhésion au traitement : en ce sens, plusieurs des critiques actuelles se basent sur le concept d’inégalité structurée (Doyal, 1995). Au point de départ, on constate une position de subordination des femmes dans les hiérarchies sociales en général et dans les hiérarchies de soins de santé en particulier. Cette position limite souvent la capacité des femmes à déterminer leurs priorités, à influencer l’allocation de ressources limitées, à influer sur les actions des intervenants en santé ou à contribuer de façon équitable aux décisions concernant leurs soins et leur traitement contre le VIH (Doyal, 1995). La majorité des études portant sur le VIH / sida n’ont pas mis l’accent sur l’adhésion au traitement antirétroviral parmi les femmes. Les femmes séropositives plus âgées, en particulier, ont été grandement ignorées dans les principaux projets de recherches (Emlet, Tangenberg et Siverson, 2002). En règle générale, par exemple, les recherches en épidémiologie révèlent que l’adhésion pose un défi particulier lorsque les effets secondaires deviennent débilitants ou que la prise de médicaments est compliquée, au long cours, ou lorsque les horaires de prise de médicaments perturbent la vie quotidienne et que le soutien ou l’information ne correspondent pas aux attentes minimales (Sherr, 2000). Les études qui évaluent l’adhésion parmi les femmes mettent l’accent sur les obstacles reliés aux effets secondaires associés au traitement antirétroviral, tels les sueurs, les nausées, les vomissements, la diarrhée et la fatigue. Dans ce corpus de recherche, l’abus de substances psychoactives, la
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Les traitements antirétroviraux
complexité de la prise de médicaments, la dépression, les difficultés liées à la langue parlée et la confusion ont aussi été relevés comme des obstacles significatifs à l’adhésion au traitement des femmes, entraves qui peuvent être exacerbées pour les femmes vivant en régions rurales ou qui reçoivent peu de soutien social formel (Roberts et Mann, 2000 ; Jones, 2001). Cependant, beaucoup de chercheurs dans le domaine du VIH / sida n’ont pas tenu compte du fait que les hommes et les femmes doivent surmonter des obstacles différents en ce qui concerne les traitements ou qu’il existe des différences qui peuvent être reliées à des questions plus globales aux plans social, racial, économique. On en trouve un exemple dans les impacts négatifs des effets du VIH ou du sida sur les relations sociales et personnelles des femmes qui doivent faire face à une stigmatisation constante (Greene, Frey et Derlega, 2002). De manière plus spécifique, le processus de socialisation peut créer des obstacles à l’adhésion au traitement des femmes qui ne se sentent pas à l’aise de prendre leurs médicaments dans un lieu public, principalement parce qu’elles croient que les autres pourraient ainsi déceler leur statut séropositif (Roberts et Mann, 2000). Même le fait d’avoir des enfants représente une exigence plus grande pour les femmes que pour les hommes en ce qui a trait à l’adhésion au traitement. De fait, la responsabilité de prendre soin des enfants fournit un excellent exemple des enjeux de l’adhésion au traitement qui se relient plus particulièrement aux femmes et qui tendent, cependant, à être sous-estimés par les intervenants. L’adhésion peut être particulièrement difficile pour les femmes qui n’ont pas révélé leur statut séropositif à leurs enfants. Leurs raisons de ne pas le faire incluent le jeune âge des enfants et leur manque de capacité à comprendre la maladie et ses conséquences, l’immense fardeau émotionnel qui y est rattaché, leurs inquiétudes que les enfants se sentent rejetés, leur volonté de préserver leurs enfants de la crainte de perdre leur mère, aussi bien que leur décision de donner aux enfants le temps de faire leur deuil envers d’autres personnes proches décédées du sida (Schrimshaw et Siegel, 2002). Avec ou sans enfants, un horaire quotidien surchargé peut interférer avec la capacité des femmes à suivre leur traitement en ce sens qu’elles trouvent souvent difficile d’établir un équilibre entre, d’une part, les multiples demandes au travail et les responsabilités à la maison et, d’autre part, les exigences du traitement. Dans plusieurs cas, les femmes vivant avec le VIH peuvent être trop occupées ou peuvent tout simplement oublier de prendre leurs médicaments (Catz et al., 1999). Les données épidémiologiques suggèrent qu’il est plus fréquent pour les femmes vivant avec le VIH d’avoir vécu des situations et des événements traumatisants (incluant l’inceste, l’utilisation de substances psychoactives et la comorbidité psychiatrique) que les femmes dans la population générale (Brady et al., 2002). Kalichman et al. (2002a) ont constaté que 68 % des femmes séropositives affirmaient avoir été victimes d’agression sexuelle dès l’âge de 15 ans. La conséquence de ce traumatisme sur la santé mentale des victimes s’observe
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dans les taux plus élevés d’anxiété, de dépression et de troubles limites de la personnalité (Kalichman et al., 2002b). Les traumatismes récents ainsi que plus anciens ont un impact négatif sur la perception des femmes au sujet de leur santé (Simoni, 2002). En plus des effets négatifs de ces traumatismes sur la santé physique et émotionnelle aussi bien que sur la diminution des possibilités d’intervention actuelle, il n’est pas surprenant que les femmes qui ont été victimisées rapportent une moins grande fidélité au traitement antirétroviral (Brady et al., 2002 ; Turner-Cobb et al., 2002).
4.
LA PAUVRETÉ CHEZ LES FEMMES ET LE TRAITEMENT ANTIRÉTROVIRAL
Au Canada, 82 % des familles monoparentales sont dirigées par des femmes et 62 % des femmes vivent sous le seuil de la pauvreté (Cohen, 1994). En raison du biais masculin dans la recherche en santé dans le domaine du travail, il est difficile d’évaluer l’impact de diverses conditions de travail rémunéré sur la santé des femmes (Doyal, 1995). Cependant, nous savons que les femmes représentent actuellement 56 % des personnes à faibles revenus et 72 % des personnes qui travaillent à temps partiel sans avantages sociaux (Cohen, 1994). En bref, les personnes qui travaillent dans des emplois considérés essentiels (principalement des hommes d’origine caucasienne) sont mieux nantis que les femmes et les minorités qui occupent des emplois périphériques moins valorisés, moins bien rémunérés et auxquels se rattache une moins grande sécurité d’emploi. Le fait que l’adhésion au traitement soit réduite parmi les femmes aux revenus peu élevés est bien établi (Becker et al., 2002 ; Erlen et al., 2002 ; Roberts et Mann, 2000). Pour comprendre ce phénomène, nous devons examiner les façons dont les revenus et le type de travail, en tant qu’indices d’une classe sociale, déterminent l’endroit où les personnes vivent (soit les obstacles environnementaux à la promotion de comportements de santé) aussi bien que l’accessibilité aux espaces, aux loisirs, à l’emploi, à l’éducation, aux services, et aux ressources en santé (Blackburn, 1991). Ironiquement, la pauvreté augmente le stress en même temps qu’elle limite les options pour gérer ce stress, en plus d’amoindrir le soutien social et les mécanismes qui pourraient accroître le sentiment de maîtrise sur sa vie (Singh et Yu, 1995). Lorsque la gestion des ressources et des finances se situe en dehors de la zone d’influence de la personne, comme c’est le cas pour beaucoup de femmes, l’estime de soi commence à en souffrir (Fisher, 1984). La théorie du lieu de contrôle explique qu’une augmentation du stress, vécu de façon disproportionnée par les femmes à faibles revenus qui perçoivent avoir moins de contrôle, interfère avec la capacité d’adopter des stratégies de promotion de la santé. Au fur et à mesure que le revenu diminue, l’adhésion au traitement antirétroviral, ainsi que
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Les traitements antirétroviraux
l’estime de soi et l’optimisme, diminuent eux aussi. Cette analyse illustre clairement comment les conditions sociales dans la vie des femmes influencent leur bien-être par le truchement de comportements de santé spécifiques, sur lesquels elles ont en général peu de contrôle (Fisher, 1984). Le lien entre la pauvreté et les niveaux d’éducation et d’alphabétisation a été confirmé de façon systématique dans les recherches en sciences sociales (Cohen, 1994 ; Evans, Barer et Marmor, 1994). Les économistes peuvent souvent prédire la prospérité de la nation et la santé générale de ses membres par le niveau d’alphabétisation de ses femmes (Amick et al., 1995). Dans un contexte nordaméricain, les femmes ayant un niveau peu élevé d’éducation ont en général peu de connaissances en santé et elles ont souvent de la difficulté à comprendre les consignes concernant les médicaments antirétroviraux. Dans un tel cas, les femmes peuvent non seulement mal comprendre les consignes écrites concernant la médication, mais peuvent également ne pas saisir correctement les instructions verbales que leur donnent les professionnels de la santé. La honte d’avouer son manque d’instruction peut entraîner une faible fidélité, augmentant ainsi le potentiel de développement et de transmission de souches VIH résistantes (Kalichman et al., 2000 ; Kalichman, Ramachandrom et Catz, 1999).
5.
LA DIVERSITÉ ETHNOCULTURELLE ET L’ADHÉSION AU TRAITEMENT
Les données épidémiologiques suggèrent que les membres de certaines minorités ethnoculturelles (noires et autochtones), ainsi que les personnes ayant un faible niveau d’éducation et celles qui ont de hauts niveaux de dépression, ont tendance à montrer des charges virales élevées, par comparaison avec la population séropositive en général. Dans ce corpus de recherche, ces groupes rapportent aussi une plus grande utilisation d’alcool et de cocaïne (poudre et crack) dans les trois mois précédents (Kalichman et al., 2002a). Ces statistiques, présentées habituellement comme étant des déviations de la « norme blanche », obtenue par le truchement de résultats de recherche ayant des hommes blancs pour sujets, déterminent la base des stratégies de fidélité visant les groupes à « haut risque » qui ne sont pas fidèles au traitement pour diverses raisons. Fait plus important, l’utilisation des statistiques d’un groupe comme étalon auquel celles d’un autre groupe sont comparées représente une pratique considérée comme du relativisme. En tant que position politique et idéologique pour comprendre les différences dans l’adhésion au traitement parmi les femmes de divers groupes ethnoculturels, le relativisme nie de façon fondamentale les réalités radicalement différentes de divers contextes historiques, sociaux et économiques (Doyal, 1995). De la même manière, devons-nous prendre soin d’éviter un universalisme tranchant quand nous discutons des enjeux de l’adhésion des femmes au traitement. Les femmes ne sont pas un groupe homogène ; par conséquent, il n’y
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a pas « d’expérience féminine » universelle. En fait, les femmes de couleur sont confrontées, de façon disproportionnée, à des difficultés créées par les hiérarchies de production et de pouvoir, par une ségrégation sexuelle dans le cadre d’un travail peu rémunéré, difficultés aggravées par une ségrégation raciale (Lewis et Bernstein, 1996). Bien plus, les structures macropolitiques restreignent souvent la distribution équitable des ressources telles que les options concernant l’éducation, l’emploi et le logement pour les femmes de couleur (Adams, 1995). Le racisme institutionnalisé dans les systèmes de soins de santé est bien établi dans le fait que les femmes de couleur reçoivent des soins de moindre qualité que les femmes d’origine caucasienne (Nickens, 1995). Il existe peu de doute que cette discrimination a un impact sur leur confiance à l’égard des cliniciens et sur leur capacité subséquente à suivre les consignes pour la prise de médicaments. De plus, une hostilité latente, résultant d’un racisme systémique, peut contribuer à une mauvaise santé psychosociale et, conséquemment, à une faible fidélité au traitement antirétroviral (Adams, 1995). Les soins de santé biaisés culturellement dépassent les aspects ethnocentriques associés à la langue parlée. Par exemple, au Canada, les femmes immigrantes qui sont séropositives consultent habituellement un médecin ou un professionnel de la santé qui parle une langue autre que la leur. La majorité de ces femmes n’ont pas accès à des interprètes ou à des membres de leur famille qui parlent et lisent couramment l’anglais ou le français. En raison des barrières de la langue, les femmes peuvent mal comprendre les consignes verbales concernant la prise de leurs médicaments. De plus, elles peuvent être incapables de lire ces consignes sur les étiquettes des flacons de médicaments. Les normes culturelles, qui souvent interdisent les attitudes d’affirmation de soi chez les femmes, peuvent les empêcher également de poser des questions ou d’admettre ouvertement qu’elles ne comprennent pas, ce qui peut contribuer à une faible fidélité au traitement, augmentant ainsi une résistance potentielle aux médicaments (Kalichman, Ramachandrom et Catz, 1999 ; Catz et al., 1999).
6.
LA RESPONSABILITÉ DES SOINS ET L’ADHÉSION AU TRAITEMENT
Récemment, la théorie des rôles sociaux (Social Role Theory) s’est montrée d’une certaine utilité pour évaluer les mécanismes par lesquels les hommes et les femmes rencontrent des obstacles qui contribuent à des enjeux différents d’adhésion au traitement. Ce modèle fournit un cadre pour explorer les questions concernant la multitude des rôles, du rôle de travailleur et des rôles d’aidant (Amick et al., 1995). L’analyse des différences dans la santé entre les hommes et les femmes utilise traditionnellement la théorie des rôles pour vérifier dans quelle mesure les rôles cumulatifs (parent, employé rémunéré et aidant) favorisent ou fragilisent la santé des femmes (Arber et Cooper, 1999). Le double rôle des femmes, souvent
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décrit comme une « double journée », implique un travail rémunéré aussi bien qu’un travail non payé de prise en charge de la famille aux plans physique et émotionnel (enfants, parents âgés ou partenaire). Malgré l’augmentation constante des responsabilités en dehors de la maison, les femmes continuent d’assumer les responsabilités, répondant ainsi à des normes sociales et culturelles bien établies, qui concernent les tâches ménagères telles que l’entretien ménager, l’achat et la préparation de la nourriture. Ces tâches sont à la fois sans fin et perpétuellement à recommencer. En effet, la santé des sociétés, à travers celle de la famille, repose souvent entièrement sur les épaules des femmes et se trouve renforcée par une socialisation biaisée selon le genre. La responsabilité des soins, comme le genre d’ailleurs, est construite socialement et, à divers degrés, culturellement imposée aux femmes. Les responsabilités des femmes en tant qu’aidantes peuvent s’étendre du « berceau à la tombe » en ce sens qu’on attend fréquemment d’elles qu’elles prennent soin des membres de leur fratrie, de leurs partenaires, de leurs enfants aussi bien que de leurs parents vieillissants, fragiles ou malades. La supposition que les femmes vont remplir le rôle d’aidantes s’accompagne souvent de la formulation de règles et de critiques de la part des professionnels de la santé, qui apportent peu en termes de soutien ou de ressources. De fait, on s’attend à ce que les femmes prennent soin des autres aux dépens de leurs propres besoins (santé, éducation, travail, loisirs, organisation du temps, vie sociale et vie privée ; Doyal, 1995 ; Blaxter, 1990). Le taux réduit de fidélité des femmes au traitement antirétroviral peut être dû en partie à ces multiples responsabilités, en plus d’un faible contrôle des situations de vie, dans des conditions de ressources minimales. La théorie des rôles sociaux explique que la responsabilité de la santé de la famille et celle du budget des ressources dans des conditions de contrôle limité affectent de façon négative l’adhésion des femmes à des comportements de promotion de la santé (Blaxter, 1990). Encore une fois, peu d’attention a été accordée au lien entre la réduction de l’adhésion des femmes au traitement et le stress relié à un travail sous-payé et peu valorisé. Le soutien social a également émergé comme un facteur clé de la santé psychosociale des femmes, à travers les mécanismes d’estime de soi et d’empowerment (Blaxter, 1990 ; Walters, Lenton et McKeary, 1995). Cependant, la pauvreté et les responsabilités des soins, vécues de façon disproportionnée par les femmes, peuvent restreindre l’accès aux réseaux de soutien. Avec le manque de ressources et de programmes, tout particulièrement dans les quartiers pauvres et dans les régions rurales, les femmes manquent de soutien instrumental, d’information, d’un soutien émotionnel et affirmatif qui pourraient augmenter l’adhésion au traitement avec les antirétroviraux (Blaxter, 1990 ; Blackburn, 1991).
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LE PROCESSUS DE MÉDICALISATION
Le modèle le plus souvent utilisé dans la médecine moderne – le modèle médical de santé – prend comme point d’appui l’état physiologique ou psychologique de la personne, sans établir l’impact des variables sociales ou contextuelles. Le principe de base du modèle médical de santé est que la présence ou l’absence de maladie peut être diagnostiquée et traitée suivant les types de symptômes que le patient présente (Bowling, 1997). La reconnaissance et l’acceptation de l’opinion du médecin dans le diagnostic de la maladie sont centrales à ce modèle de santé. Cependant, ce modèle ne tient pas compte de la variabilité culturelle pour expliquer la santé et la maladie, et, en fait, laisse entendre que les professionnels de la santé ou l’expert médical sont seuls capables de déterminer l’état de santé ou de maladie d’une personne (Cockerham, 1998). De plus, cette approche de la santé et de la maladie ne met pas en lumière les facteurs sociaux et interpersonnels qui influent sur l’autoperception de la santé et du bien-être (Fremont et Bird, 1999). Comme Brown (1996) l’a indiqué, le modèle médical de santé ne tient souvent pas compte des facteurs politiques, économiques et culturels de la maladie, alors que ces facteurs font partie intégrale de la façon dont les sociologues comprennent le construit social des diagnostics et de la maladie. La notion de structure à multiples facettes de la dominance médicale a été proposée par Conrad et Schneider en 1980 et utilisée comme modèle conceptuel pour comprendre comment le processus de médicalisation et ses conséquences se manifestent dans la vie des femmes. La santé des femmes en général et, dans le cas présent, dans leur expérience avec l’adhésion au traitement est particulièrement sensible à ce processus. Les hiérarchies médicales sont organisées de façon informelle à travers des perspectives convergentes, des méthodes et des choix de publications d’une élite professionnelle qui devient l’autorité formelle et une source d’information subséquente pour les personnes, pour les médias tout aussi bien que pour les décideurs politiques (Bell, 1987). Au plan conceptuel, la médicalisation se produit lorsqu’un comportement humain est jugé problématique selon le vocabulaire médical – à travers le jargon relié à la maladie. Les enjeux tels que les comportements associés à l’adhésion sont définis comme provenant de pathologies individuelles psychocomportementales qui exigent une intervention (Bell, 1990). Les professionnels de la santé, généralement perçus comme des experts dans le domaine du VIH, ont l’avantage d’avoir accès à de l’information privilégiée, ce qui tend à formaliser la médicalisation à un niveau institutionnel. Cette inégalité dans les connaissances fondamentales peut mener à la médicalisation individuelle, qui se produit lorsque la relation entre les professionnels de la santé et ceux et celles qui reçoivent les soins devient inégale en ce qui a trait à la prise de décision. Ce processus est exacerbé lorsque les femmes séropositives s’engagent dans ce qu’on appelle la « subjectivité médicalisée », où leur vie et leur personne mêmes sont définies en termes de leur statut de séropositif. Dans ce contexte, les professionnels de la
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santé s’accaparent une juridiction sur le quotidien des femmes séropositives, de telle façon qu’elles deviennent vulnérables à la coercition tant sur le plan personnel que médical (Morgan, 1998). L’autonomie personnelle joue un rôle essentiel dans la culture nordaméricaine. Cependant, cette autonomie est souvent menacée dans la relation traditionnelle entre un médecin et ses patients, là où la maladie engendre une dépendance et une vulnérabilité. Malgré les efforts de certains professionnels de la santé pour créer une relation équitable dans leurs interactions avec leurs clients, il existe tout de même un déséquilibre du pouvoir qui peut être basé sur le genre, la race ou la classe sociale ainsi que sur un contrôle médical historiquement établi. Les croyances courantes concernant les pathologies naturelles des femmes, de concert avec le paternalisme de l’establishment médical, peuvent amener les médecins à tenir pour acquis, à tort, des éléments qui mettent l’accent sur les enjeux médicaux au détriment des problèmes pratiques (Sherwin, 1998). Plutôt que de modifier les stratégies de fidélité au traitement pour s’adapter à l’ensemble des aspects de la vie des femmes, les professionnels de la santé tendent à voir l’adhésion au traitement comme un processus individuel, qui met la responsabilité ultime de la réussite ou de l’échec sur le dos des femmes séropositives (Sherr, 2000). Malgré un imposant corpus de recherche qui établit un lien entre les circonstances sociales des femmes et les enjeux de l’adhésion au traitement, il semble y avoir peu de motivation parmi les professionnels de la santé à modifier leurs interventions ou leurs stratégies de soutien. Ainsi, tant que les personnes les plus vulnérables et sans voix (par exemple les femmes séropositives) domineront dans les statistiques d’échec à l’adhésion au traitement, les décideurs politiques continueront sans doute à éviter de s’occuper des problèmes sociaux et économiques dans leur dimension sexiste, qui sont associés à l’adhésion au traitement parmi les femmes. La pratique de la médecine est basée sur une théorie où l’aspect biologique prime, ce qui favorise le « réductionnisme » et la dichotomie corps / cerveau. Cette approche engendre de façon typique, une sous-estimation de l’importance du contexte et une surestimation de l’impact de la biologie. Le traitement antirétroviral a donc été conçu et développé dans le contexte de paradigmes médicaux et androcentriques, qui continuent d’être renforcés par la dominance masculine de la culture occidentale. Les soins médicaux donnés aux femmes séropositives sont inadéquats parce qu’ils sont enracinés dans une recherche clinique basée sur des concepts fragmentés, qui ne reflètent pas la complexité de la vie des femmes. Dans le cadre des recherches sur l’adhésion au traitement, le contexte social est particulièrement susceptible de donner lieu à des suppositions erronées ou biaisées au regard des comportements associés à l’adhésion au traitement. Le fait de considérer que les choix comportementaux en matière de santé et les conditions sociales sont des caractéristiques mutuellement inclusives qui créent des difficultés dans l’adhésion au traitement peut mener à blâmer la victime (ou tout au moins à une apathie de la part des victimes) en vertu de la responsabilité individuelle
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implicite. Ainsi, il est crucial que les enjeux reliés à l’adhésion au traitement soient évalués dans le contexte des conditions sociales et environnementales (Amick et al. 1995). Pour mieux comprendre les enjeux reliés à l’adhésion au traitement des femmes, une évaluation doit être faite des circonstances quotidiennes de leur vie (Lewis et Bernstein, 1996). En plus d’établir les mécanismes spécifiques à travers lesquels les femmes rencontrent des obstacles à l’adhésion au traitement, il est important de voir comment les facteurs sociaux s’imbriquent dans le tableau d’ensemble (Doyal, 1995). Nous devons commencer avec un cadre théorique qui prend en considération les hiérarchies sexuelles ainsi que les liens entre les différentes hiérarchies de classe et de race / ethnicité (Lewis et Bernstein, 1996). Par exemple, les chercheurs ont découvert que la classe sociale, plus que le genre ou l’ethnie, influencent la manière dont les femmes sont informées de leurs résultats de test au VIH et la façon subséquente dont elles répondent au traitement (Barnes et al., 2000). La nature complexe et à long terme des traitements requiert que les femmes intègrent dans leur quotidien la prise de médicaments ainsi que la manifestation de leurs effets secondaires. Cependant, les femmes rapportent qu’elles ne reçoivent pas assez d’information ou de soutien de la part des intervenants de la santé. La peur et l’incertitude qui en résultent concernant la sécurité et l’efficacité des médicaments peuvent contribuer au manque de fidélité chez les femmes (Roberts et Mann, 2000).
8.
LES THÉORIES FÉMINISTES SUR L’ADHÉSION AU TRAITEMENT
Pour comprendre les enjeux de l’adhésion au traitement antirétroviral pour les femmes, nous devons d’abord explorer nos structures sociales, qui maintiennent les femmes dans un désavantage relatif dans la mesure où elles créent des différences dans la santé psychosociale basée sur le genre (Dan, 1994 ; Walters et al., 1995). Cette structure, qui a un impact sur les choix personnels, la division du travail et la distribution du pouvoir, crée également un environnement qui est nocif pour la femme (Doyal, 1995). Donc, l’adhésion au traitement antirétroviral ne peut être évaluée de façon isolée par rapport à la position des femmes, caractérisée par une diminution de la propriété des moyens de production et par des rôles et des statuts basés sur le genre (Arber et Cooper, 1999). Les recherches en santé des femmes ont montré que, de façon traditionnelle, la physiologie et le comportement des hommes sont considérés comme étant la norme et ceux des femmes comme déviant de la norme. Nous en sommes venus à apprécier la dualité des genres comme une force biologique et sociale qui organise la santé des femmes et se reflète dans les diverses façons avec lesquelles des phénomènes semblables sont reliés à la fois à la santé des hommes et des femmes (Love et al., 1997). À quelques exceptions près, les femmes sont
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majoritairement absentes dans les études importantes sur les médicaments antirétroviraux. Le fait de ne pas inclure les femmes, particulièrement les femmes de couleur, dans les recherches sur les antirétroviraux, a eu comme résultat un universalisme abstrait par rapport à l’efficacité des médicaments et l’adhésion au traitement. Au Canada, les chercheurs masculins, qui sont membres d’une minorité ayant un haut niveau d’éducation et de revenus, font de la recherche et établissent des analyses subséquentes qui convergent vers une norme restreinte qui ne tient compte ni du genre ni de l’ethnicité. On ne mentionne que rarement les divergences importantes qui existent dans l’accès aux traitements et aux soins pour les groupes les plus désavantagés comme les femmes, les personnes de couleur et les membres des Premières Nations (Love et al., 1997). Même dans les cas où les femmes et les divers groupes culturels sont représentés de façon marginale, il existe des présupposés non fondés quant aux entraves imposées à ces groupes, en comparaison des hommes caucasiens. Nous avons besoin d’un paradigme féministe dans le but de recentrer les enjeux associés à l’adhésion au traitement des femmes dans le contexte du vécu quotidien de chacune. La critique féministe évalue les rôles sociaux dominants et subordonnés qui, à travers l’exercice du pouvoir, façonnent la santé, la maladie et le recouvrement ainsi que l’accès aux soins de santé sous leurs différentes formes. Une perspective écologique, qui inclut cinq niveaux d’influence sur les comportements de santé et les conditions sociales, devient de plus en plus acceptée, car elle permet d’élaborer un modèle plus complet des enjeux reliés à l’adhésion au traitement antirétroviral. À l’intérieur de ce cadre théorique, les stratégies doivent non seulement rendre compte des facteurs intrapersonnels, telles les connaissances, les attitudes et les compétences, mais aussi des facteurs interpersonnels, qui incluent le soutien social à travers la famille, les amis et les groupes communautaires. Les institutions, comme les lieux de travail et les institutions religieuses, jouent aussi un rôle fondamental dans la fidélité au traitement, particulièrement pour les femmes. De plus, la communauté, qui peut être définie comme un groupe ethnoculturel, socioéconomique ou géographique auquel les personnes s’identifient, influence la vie des femmes et leur capacité à rester fidèles au traitement antirétroviral.
CONCLUSION En général, le manque de fidélité au traitement antirétroviral est maintenant reconnu comme une menace à la santé des personnes vivant avec le VIH. Une fidélité moins qu’optimale est en corrélation avec la résistance aux médicaments et une diminution de la probabilité de trouver une combinaison antirétrovirale efficace pour aider à freiner la progression du VIH vers le sida. Malheureusement, il existe un grand éventail de déterminants biopsychosociaux complexes qui influencent la capacité les femmes à obtenir le plein bénéfice clinique du traitement,
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particulièrement si elles ne prennent pas ou ne peuvent pas prendre les médicaments tels que prescrits. De plus, il est reconnu que l’adhésion à un traitement qui doit être pris au long cours ne se produit pas dans un vacuum social : des systèmes de soutien appropriés doivent donc être mis en place dans la communauté médicale et dans les communautés étendues avant de recommander le début du traitement. Les définitions utilisées pour décrire l’adhésion au traitement antirétroviral ont servi à opérationnaliser ce phénomène qui, malgré le fait qu’on y réfère dans le jargon des domaines médicaux, reste ancré dans le contexte social de la vie des femmes. Du point de vue des femmes vivant avec le VIH, les enjeux reliés à la santé mentale, incluant la dépression non diagnostiquée et non traitée, les situations de logement précaire, le fait de prodiguer des soins à d’autres personnes de l’entourage, et l’incertitude face à la révélation de son statut séropositif peuvent avoir un impact négatif sur leur capacité de prendre les médicaments tels que prescrits. Bien que la recherche actuelle sur l’adhésion au traitement montre un large éventail des enjeux auxquels font face les femmes séropositives, le manque de spécificité dans les traitements, le traitement lui-même et le soutien envers les femmes en fonction de leurs expériences personnelles tant dans les essais cliniques que dans la vie quotidienne indiquent la nécessité d’établir des plans de traitement individualisés, qui tiennent compte des besoins spécifiques des femmes. Même si un plan de traitement individualisé ne peut garantir l’adhésion à des traitements complexes au long cours, il peut aider à déterminer si des conditions préexistantes telles que la dépression, ou des préoccupations relatives au logement ou un scepticisme au sujet de l’utilité des médicaments pourraient avoir un impact sur l’adhésion. Pour déterminer l’impact des facteurs non médicaux, les cliniciens doivent être prêts à investir beaucoup de temps avec leurs patientes séropositives pour établir les objectifs du traitement avant de commencer un traitement complexe. Les cliniciens doivent aussi déterminer l’attitude de chaque patiente à l’égard des enjeux du traitement, la croyance en l’efficacité du HAART, l’attitude devant le fait d’entreprendre un traitement à vie, et les niveaux existants de soutien communautaire, personnel et financier. Ces considérations pourront non seulement avoir un impact positif sur les enjeux de traitement spécifiques, mais également permettre de jumeler les femmes avec des ressources qui tiennent compte de leurs situations particulières dans leurs communautés respectives. Les recherches antérieures montrent que les enjeux reliés au soutien social, aux soins des enfants et aux responsabilités familiales se conjuguent pour limiter la possibilité des femmes de demeurer fidèles à 100 % au traitement (Gahagan et Loppie, 2001). Plusieurs ont exprimé qu’elles se sentent physiquement et émotionellement débordées par le manque général de soutien social disponible, surtout les femmes qui ont, pour une raison ou une autre, opté de ne pas révéler leur statut séropositif à leurs familles ou amis. Des antécédents d’utilisation de substances psychoactives et un manque d’accès aux soins pour les femmes
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contribuent également au fait qu’elles ne restent pas fidèles au traitement dans le temps. L’impact du traitement sur l’apparence physique des femmes ou leurs capacités physiques contribuent en outre à une diminution de leur fidélité au traitement. La majorité du corpus de recherche sur le VIH met l’accent sur les différences du point de vue biologique dans les symptômes du VIH, la progression de la maladie et le développement des maladies opportunistes. Cependant, récemment, les chercheurs ont commencé à nuancer les conceptualisations biologiques de l’échec thérapeutique. Une analyse plus basée sur les facteurs de genre commence à émerger dans les discussions sur le traitement des femmes séropositives, particulièrement en ce qui a trait à l’adhésion au traitement. Cette analyse doit d’abord tenir compte des relations inégales qui aggravent l’épidémie du VIH en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde. Les conclusions des recherches doivent être qualifiées pour rendre compte du fait que le VIH a un impact plus grand sur les femmes en termes de vulnérabilité sociale et biologique à l’infection. De plus, les programmes de recherches doivent inclure ou tout au moins inclure davantage de femmes séropositives dans leurs essais cliniques. Nous avons besoin d’une approche holistique, individualisée et multisectorielle des besoins de santé et des préoccupations des femmes séropositives, qui leur permette aussi d’avoir droit à la parole dans le choix de leur traitement. L’intégration du soutien provenant de la communauté et des soins de santé avec valeur ajoutée représente une base essentielle pour les femmes vivant avec le VIH et leur famille. À travers la collaboration et la consultation, les équipes de soins pourront augmenter la sensibilisation aux problèmes étendus et complexes auxquels les femmes doivent faire face lorsqu’elles naviguent à travers le labyrinthe des diagnostics, pronostics et options de traitement. Ce soutien pourrait également venir sous la forme d’une plus grande visibilité et une discussion des diverses options de traitements disponibles pour les femmes vivant avec le VIH qui sont enceintes ou voudraient le devenir. Indépendamment du problème, le processus sera le plus efficace quand les femmes séropositives auront une plus grande part dans la prise de décisions concernant les objectifs de santé et les priorités (p. ex., le degré d’importance de l’adhésion au traitement). Le fait d’accroître la présence des femmes séropositives dans les conseils consultatifs de développement de politiques de santé pourrait aussi augmenter la reconnaissance de leur droit à la sécurité de la personne, incluant la possibilité d’avoir un impact sur les décisions qui ont trait à la reproduction. Les ressources, les obstacles, les systèmes de soutien et les perspectives d’avenir présents dans la communauté doivent être considérés lorsque des difficultés surviennent dans l’adhésion au traitement. Les cliniciens doivent se familiariser avec ces éléments pour pouvoir servir de porte-parole auprès de leurs clients. Les travailleurs sociaux et les responsables de cas peuvent aussi aider les femmes à se prévaloir des services nécessaires offerts par la communauté. En
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particulier, dans l’aide aux femmes aux prises avec des problèmes de toxicomanies, les cliniciens doivent avoir une attitude proactive à l’égard des problèmes de fidélité au traitement (Moyle, 2002). La complexité de la plupart des traitements antirétroviraux peut créer une situation d’échec pour certaines femmes avant même qu’elles n’aient eu la chance de s’établir dans un traitement confortable et avec succès. Certains ont suggéré de mettre au point des traitements plus simples, à ne prendre qu’une fois par jour, qui devraient être assez efficaces pour que les femmes les commencent et puissent ensuite passer à des traitements plus complexes, si besoin est. Certaines des stratégies les plus courantes pour simplifier les traitements incluent des essais avec des placebos qui aident les femmes à s’habituer à la routine du traitement antirétroviral en utilisant des aides-mémoire tels que les piluliers, des alarmes et des dessins. Cependant, le fait de simplifier le traitement pourrait augmenter l’adhésion pour certaines femmes, sans pour autant créer une fidélité au traitement optimale pour tous (Moyle, 2002). Une évaluation de l’adhésion au traitement devrait prendre en considération le contexte social tout autant que les obstacles à l’adhésion en général. Il existe présentement plusieurs façons de mesurer l’adhésion au traitement. Habituellement, les médecins préfèrent utiliser la méthode la plus rapide qui est de compter le nombre de pilules prises entre chaque visite. Cependant, cette stratégie ne tient pas compte des compétences psychosociales, des effets secondaires des médicaments et des préoccupations sociales générales qui peuvent créer des obstacles à l’adhésion au traitement (Jones, 2001). Une approche plus avantageuse devrait inclure une façon pour les femmes de préparer des autorapports, qui décriraient les opportunités et les difficultés qu’elles rencontrent dans leurs traitements (Rand et Weeks, 1998). Il semble particulièrement important de fournir aux femmes une information adéquate sur le traitement antirétroviral et ses effets secondaires possibles, qui tient compte de leur situation personnelle. Cette information doit aussi être donnée en fonction des différences linguistiques, de l’éducation en général et des connaissances sur la santé en particulier. Une équipe de santé constituée de divers intervenants (infirmières, pharmaciens, conseillers, etc.), en consultation avec chaque client, devrait préparer un plan individualisé de traitement. Idéalement, les cliniciens peuvent aussi encourager l’aide de la famille et des amis. Il a été démontré également que les groupes de soutien pourraient augmenter l’adhésion au traitement chez certaines femmes. Cependant, ce type de soutien doit prendre en considération les capacités de chaque femme de s’adapter et d’être à l’aise. Bien qu’il soit difficile d’en discuter sur une base individuelle, il est important de reconnaître les obstacles structurels à l’adhésion au traitement antirétroviral des femmes. Par exemple, l’éducation et la formation des équipes de soins primaires et paramédicales (médecins, infirmières, pharmaciens, travailleurs sociaux et personnel de laboratoires) doivent incorporer les dimensions sociales de la santé et de la maladie. Une plus grande conscience de la
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culture et du contexte, dans un climat de respect et de confiance entre les femmes et les prestataires de soins de santé, aura comme conséquence d’améliorer l’adhésion au traitement. Sur cette base, une éducation sensible et appropriée de la clientèle, une approche d’équipe qui favorise le soutien, des efforts individualisés d’aide et une surveillance qui prend en considération les besoins des femmes deviennent des stratégies efficaces pour aider les femmes à surmonter les obstacles à l’adhésion au traitement antirétroviral.
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Les femmes et les traitements antirétroviraux
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VIVRE AVEC LES MÉDICAMENTS ANTIRÉTROVIRAUX ET L’INFECTION AU VIH/ SIDA L’univers amoureux et sexuel de femmes montréalaises d’origine africaine sous traitement1 Robert BASTIEN Mylène FERNET Joseph J. LÉVY Germain TROTTIER Joanne OTIS
1.
Johanne SAMSON Marie HARERIMANA Marlène RATEAU Régis PELLETIER
Normand LAPOINTE Stéphane RICHARD Isabelle GOUPIL Marc BOUCHER
Cette recherche a été rendue possible grâce à une subvention du Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC).
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Les traitements antirétroviraux
L’épidémie de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et de la maladie du système immunitaire qui en résulte, le syndrome d’immunodéficience acquise (sida), continue d’être une préoccupation mondiale majeure. Jusqu’à ce jour, aucun vaccin ou traitement curatif n’est encore disponible. Toutefois, depuis 1996, de nouvelles classes d’agents antirétroviraux (inhibiteurs de protéase IP, inhibiteurs non nucléosides de la transcriptase inverse ou INNTI) ont été mises au point et approuvées (Deeks, 1998), donnant ainsi naissance à de nombreux protocoles d’utilisation. Ces thérapies, ayant de nombreux effets bénéfiques, sont devenues la norme dans le traitement du VIH (Saout, 1999). Utilisés en association, ces médicaments favorisent une suppression efficace de la réplication virale, permettent une reconstitution immunitaire et retardent la progression vers le sida (Gallant, 2000 ; Rogers et al., 2000 ; Sendi et al., 1999). L’arrivée des thérapies a donc transformé la perception de l’épidémie et le VIH / sida est maintenant bien plus perçu comme une maladie chronique qu’une maladie létale à brève échéance (Lévy et al., 2000 ; Pelletier et Berthelot, 1999 ; Sowell, Phillips et Geier, 1998). Vus sous un certain angle, les agents antirétroviraux, malgré les problèmes importants d’observance (Daubigny et Pelege, 2000), ont des effets bénéfiques sur la vie de la majorité des personnes vivant avec le VIH ou PVVIH (Saout, 1999), particulièrement sur leur état de santé (Godin, Naccache et Bédard, 2000 ; Pelletier et Berthelot, 1999). Toutefois, pour plusieurs utilisateurs, le recours à ces thérapies affecte la majorité des systèmes organiques (Lévy et al., 2000) et entraîne des conséquences au plan individuel et relationnel, familial ou social (Lévy et al., 2000 ; Pelletier et Berthelot, 1999). Hors de tout doute, les médicaments ont un impact sur la vie des PVVIH, provoquant toutefois de nouveaux problèmes touchant deux sphères : celle de l’identité intime, voire discrète, et celle de l’identité sociale. Peu d’études ont porté sur l’impact de ces nouvelles thérapies sur la vie quotidienne des PVVIH. Et, selon la recherche documentaire effectuée, les aspects qui semblent avoir été les plus documentés à l’échelle internationale et québécoise portent sur l’adhésion et l’observance à ces nouvelles thérapies (Godin et al., soumis ; Tsasis, 2001). Par ailleurs, les données épidémiologiques canadiennes sur le VIH / sida révèlent que les femmes constitueront l’un des groupes les plus à risque dans le futur (Santé Canada, 2002) ; à l’heure actuelle, ce sont les femmes provenant des minorités ethniques qui sont particulièrement touchées par l’épidémie. Au Centre maternel et infantile sur le sida ou CMIS (CHU mère-enfant, hôpital SainteJustine), on constate que l’épidémie se modifie sans cesse, affectant tour à tour les femmes d’origine antillaise, puis les femmes caucasiennes et plus récemment les femmes d’origine africaine. En décembre 2002, les femmes provenant des Antilles représentaient 38,7 % (201 / 519) de la cohorte, celles d’origine caucasienne, 35,3 % (183/519) et les femmes africaines constituent maintenant 21,9 % (114/519) des femmes suivies.
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Vivre avec les médicaments antirétroviraux et l’infection au VIH / sida
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Bien que certains travaux aient été effectués auprès de femmes vivant avec le VIH (Bennett, 1999 ; Broun, 1999 ; Bungener, Marchand-Gonod et Jouvent, 2000 ; Fortin, 1999 ; Klein, 2000 ; Simoni, Walters et Nero, 2000 ; Simoni et Cooperman, 2000 ; Simoni et Ng, 2000 ; Smits et al., 1999), rares sont les études qui ont porté sur les répercussions des thérapies sur le vécu des femmes infectées par le VIH, en particulier celles provenant des groupes ethnoculturels. Or, comme l’ont montré plusieurs de ces travaux, les femmes de ces groupes, tout en partageant un certain nombre de préoccupations avec les femmes nées au Québec, sont aux prises avec des conditions socioéconomiques (Dumont et Santos, 1996), maritales, familiales (Battaglini, 2000), sociales (Labelle et Lévy, 1995) et sexuelles (McCormick, 1993), à la fois spécifiques et variées dans leur ampleur, et qui peuvent contribuer aux problèmes associés au VIH / sida et aux répercussions des multithérapies sur leur vécu. Dans la perspective développée par ces travaux, nous nous intéresserons plus particulièrement aux représentations des traitements antirétroviraux et à leurs conséquences sur l’univers amoureux et sexuel de femmes montréalaises d’origine africaine2.
1.
MÉTHODOLOGIE
1.1.
PROFIL DES RÉPONDANTES
Jusqu’à maintenant, des entrevues semi-dirigées ont été réalisées auprès de huit femmes francophones d’origine africaine infectées par le VIH et dont l’âge varie entre 29 et 43 ans. Quatre d’entre elles sont originaires du Burundi, deux du Congo, une de la Guinée et une de la Côte-d’Ivoire. Cette diversité reflète l’hétérogénéité des mouvements migratoires africains vers Montréal. Le temps écoulé depuis le diagnostic de l’infection par le VIH s’échelonne de cinq mois à seize ans. La majorité (six) d’entre elles se sont dites asymptomatiques depuis le début de l’infection, alors que deux ont éprouvé des problèmes de santé liés au VIH qui se sont traduits, dans un cas, par une perte d’autonomie. La plupart des femmes (cinq) prenaient des agents antirétroviraux au moment de l’entrevue, selon des protocoles variés : bithérapie (une), trithérapie (trois), combinaison de plus de trois médicaments (une). Trois répondantes avaient interrompu leur traitement sous la supervision de leur médecin. Deux d’entre elles se sentaient épuisées par le régime thérapeutique et la troisième avait été traitée durant le temps de sa grossesse seulement. Au moment de l’entrevue, la majorité (cinq) des participantes étaient sans emploi et, à une exception près, elles vivaient de l’aide sociale avec un revenu personnel annuel inférieur à 10 000 $. Au plan de la scolarité, la moitié des participantes détenaient un diplôme d’études postsecondaires, trois avaient complété 2.
Signalons que les prénoms utilisés dans le texte sont des pseudonymes.
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Les traitements antirétroviraux
des études secondaires et une avait terminé le primaire. Toutes les femmes rencontrées entretenaient des liens avec le milieu communautaire : deux travaillaient dans des organismes s’adressant aux PVVIH, deux s’y impliquaient à titre de bénévoles et les autres avaient recours aux services offerts par ces associations3. La majorité (six) des participantes avait des enfants. Elles en partageaient la responsabilité avec le père (trois) ou avec un nouveau conjoint (une) ou en assumaient seules la charge, le conjoint étant décédé ou retenu à l’étranger. En ce qui concerne les deux femmes sans enfant, l’une vivait avec un membre de sa famille et l’autre dans un appartement en colocation. Parmi les six participantes engagées dans une relation de couple au moment de l’entrevue, cinq l’étaient avec un partenaire séronégatif et la sixième ne connaissait pas le statut infectieux de son partenaire.
1.2.
CONTENU D’ENTRETIEN
L’entretien explorait quatre grandes dimensions de la vie des femmes vivant avec le VIH : 1) le quotidien avec les thérapies, y incluant les interactions avec les professionnels de la santé (le médecin traitant ou autres), les effets indésirables biologiques et cliniques, l’observance et l’arrêt de traitement s’il y a lieu ; 2) le quotidien d’ordre social qui tient compte des aspects socioéconomiques, relationnels, professionnels, occupationnels, psychosociaux et légaux ; 3) le quotidien d’ordre familial et domestique, en particulier le rapport aux enfants (grossesse, accouchement, maternité), le rapport à la famille ainsi que l’attribution, le partage et la répartition des tâches et des rôles au sein de cette unité ; 4) le quotidien associé à l’intimité, à l’identité personnelle et aux rapports sexuels et affectifs. Dans le contexte du présent texte, ces quatre dimensions ont permis de dégager deux regards distincts, l’un sur le rapport à soi et l’autre, sur le rapport à l’autre.
1.3.
PROCÉDURE D’ANALYSE DES DONNÉES
Avant de présenter la stratégie d’analyse, il importe de préciser qu’il s’agit d’un premier travail d’interprétation et de compréhension d’un matériel encore nouveau. Il faut donc entrevoir nos avancées comme des effleurements préliminaires, c’est-à-dire sujets à des reformulations ou à des réinterprétations desquelles, avec le temps, d’autres significations émergeront inévitablement. Comme l’a déjà démontré O’Dowd (1993), le temps affecte habituellement le sens accordé aux
3.
Toutes les femmes ont été recrutées dans des organismes communautaires (CRISS, Centre de ressources et d’interventions en santé et sexualité, et GAP-VIES, Groupe d’action pour la prévention de la transmission du VIH et l’éradication du sida) œuvrant dans une perspective de prévention du VIH et de soutien auprès des personnes vivant avec le VIH ou le sida.
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Vivre avec les médicaments antirétroviraux et l’infection au VIH / sida
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données de recherche de même qu’aux résultats. On peut ici parler de la construction d’une distance interprétative que seul l’effet du temps produit (Bastien, 2002). Ce premier travail d’analyse doit être entrevu comme un effort visant à dégager des indications de recherche et susceptible d’influencer les perspectives d’analyses ultérieures, voire de recherche, ce qui, au demeurant, n’affecte en rien la fidélité des résultats présentés. L’analyse des données a été réalisée à partir de l’extraction de thématiques émergentes se rapportant aux répercussions de la maladie et à l’effet des médicaments sur la vie privée et sociale des femmes. Notre perspective se rapproche de celle employée par Pierret (2002, p. 14) et qu’elle décrit de la façon suivante : « nous nous sommes centrée sur la parole des personnes interviewées » ; elle privilégie leur point de vue, c’est-à-dire les contenus qu’elles ont abordés ainsi que la façon dont elles les ont mis en forme. Bien que les thèmes évoqués par les femmes constituent une partie importante de la trame des entretiens, ces retranscriptions ont été systématiquement classées en vue de constituer une unité d’ensemble autonome pour l’analyse horizontale, visant à dégager dans une optique dialectique les points de convergence et de divergence des expériences entre les femmes interviewées. Un tel traitement comporte des forces et des limites. D’une part, ce choix peut donner l’impression de limiter, c’est-à-dire de réduire, l’expérience de ces femmes, car il ne tient pas compte, avec l’approfondissement requis, des dimensions culturelles, amoureuses, familiales et sociales. Même s’il nous arrive d’évoquer ces dimensions, celles-ci ne sont pas exploitées à leur juste valeur. D’autre part, ce choix permet d’entrevoir comment la maladie intervient dans leur définition et redéfinition du monde. Mais, à l’instar des travaux de Pierret (2002), la structuration de leur contenu narratif dérive un peu de la morbidité et des effets des médicaments. Découlant de cette stratégie de classification et d’analyse, divers segments d’entretiens furent extraits afin de constituer le corpus d’analyse. Ce matériel a été soumis à des intervenantes connaissant bien le parcours et les trajectoires des femmes interviewées en vue de s’assurer de la fidélité des propos recueillis (Angen, 2000). Idéalement, cet indice de crédibilité (validité de signifiance) aurait dû être obtenu par un retour direct vers les personnes interviewées, mais divers niveaux de contrainte nous empêchèrent de réaliser cette étape. C’est pour cette raison que des informatrices clés s’en sont assurées, parce qu’elles aussi vivaient des expériences pratiques analogues aux femmes interviewées. Une fois cette étape réalisée, les segments d’entrevues ont été traités de la façon suivante. Premièrement, les effets de la maladie et des impacts des médicaments sont exposés de façon à illustrer les modifications liées au rapport à soi. Le rapport à soi est ici traité comme un aspect particulier de la vie de ces femmes sans être tout à fait détaché du social. Il englobe les transformations corporelles et le sens que les femmes accordent au rapport à l’autre, ce qui constitue le deuxième axe
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d’analyse. Notre façon d’entrevoir l’intersection entre ce qui relève de soi et ce qui concerne le social, voire le public, renvoie à la perspective sociologique de Durkheim, revue par Douglas (1999). Ainsi, pour Douglas (1999, p. 158) « l’idée du moi s’élabore [...] sous la pression des relations sociales ». La dichotomie que nous opérons par l’intermédiaire du rapport à soi et du rapport à l’autre vise simplement à situer plus clairement ce qui, dans un premier temps, concerne ce que les femmes disent d’elles et comment, par la suite, elles entrevoient leurs relations publiques à partir du pôle de la maladie et de l’effet des médicaments. Enfin, les analyses s’achèvent par la mise en relief de la place qu’occupent la sexualité et la prévention dans la vie de ces femmes. Au fil de la présentation des résultats, nous intercalons des références aux écrits lorsque cela peut apporter de la nuance, du contraste et de la profondeur de champ à l’égard de l’expérience des femmes.
2.
RÉSULTATS
2.1.
LE RAPPORT À SOI RÉVÉLÉ PAR LE VIH ET LES MÉDICAMENTS Je n’avais jamais eu de ventre de ma vie, même après avoir eu des enfants, j’avais toujours conservé ma taille toutes ces années. Avec les médicaments, j’ai changé de taille. Maintenant, mon ventre grossit et mes fesses fondent. (Dela)
Pour divers auteurs, dont Chapman (1998), l’absence de maladie fait en sorte que le rapport au corps s’effectue sur des bases inconscientes, dans la mesure où les individus n’ont pas à se préoccuper intentionnellement des aspects mécaniques, biologiques et chimiques. Avec l’expérience de la maladie surgit plus vivement la conscience du corps dont les personnes, voire les patients, doivent dorénavant s’occuper, c’est-à-dire lui consacrer du temps, pour qu’il fonctionne le plus adéquatement possible, tant au plan biologique, esthétique que social, sans que paraissent trop les traces laissées par l’épreuve de la maladie4 et le régime astreignant de la prise de médicaments. Malgré des différences quant à la nature, à la durée, au nombre ou à la gravité des effets secondaires, presque toutes les répondantes sous traitement antirétroviral rapportent des inconvénients liés à la prise de médicaments (céphalées,
4.
Pour Chapman (1998), n’importe quelle maladie chronique fatale peut transformer l’expérience antérieure du corps. En état de santé, le corps fonctionne à un niveau inconscient, mais avec la maladie, tout est confus. Nous perdons confiance dans le fonctionnement de notre corps et nous pouvons peut-être aussi perdre confiance en nous-même.
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nausées, vertiges, problèmes intestinaux, etc.). Malgré la variabilité de ces faits, de ces impressions et de ces sensations, l’appréciation de ces effets demeure profondément subjective, en ce sens qu’elle diffère d’une personne à l’autre (Collins, Wagner et Walmsley, 2000 ; Chapman, 1998). Les effets secondaires n’épargnent pas non plus l’univers affectif et sexuel puisqu’ils affectent objectivement et directement le corps dans son intégralité. Certains agents antirétroviraux peuvent provoquer des effets secondaires dont la lipodystrophie ou la lipoatrophie qui se manifestent par l’émaciation du visage, des fesses et des membres ou, au contraire d’une étique5 corporelle, et par l’accumulation d’une masse graisseuse au niveau de la taille. C’est aussi le cas de la perte de masse musculaire qui, en plus de transformer le corps, altère l’équilibre ou la motricité et s’accompagne de douleurs chroniques. En tablant sur divers fragments d’entrevues évoquant l’interprétation des transformations corporelles, le sens que les femmes accordent à leur vie ne peut être détaché de l’expérience de la maladie et, dans le cas des femmes interviewées, de l’assujettissement à la prise de médicaments et aux effets iatrogènes incontournables qu’ils produisent dans le corps. Bien que l’on ne puisse nier le fait que les médicaments repoussent indubitablement l’expérience de la mort, la vie sociale comme l’intimité de ces femmes d’ailleurs se structurent d’une manière totalitaire6, au sens de Goffman (1968) et dont Pollack (1990) s’inspire pour illustrer les modifications identitaires qu’engendre l’expérience concentrationnaire. Dans l’optique goffmanienne comme d’ailleurs chez Pollack, le recours à l’image du totalitarisme renvoie à des situations sociales vécues à l’extérieur du
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Dans le contexte, le choix de ce mot nous apparaissait approprié, bien qu’il ne soit pas d’usage courant, pour décrire l’état de maigreur qu’apporte épisodiquement, chez certaines personnes, la prise de médicaments associés au VIH et au sida. Le terme étique, approprié par la médecine ancienne, signifie « d’une extrême maigreur ». Le nom étisie peut aussi s’employer pour la description d’un même état de faits, car il « désigne en médecine l’émaciation qui provient d’une maladie chronique ». Voir Rey, 1998. Pour Goffman (1968, p. 213), le concept d’institution totale (en anglais total institution) s’applique à « Toute institution qui accapare une part du temps et des intérêts de ceux qui en font partie et leur procure une sorte d’univers spécifique qui tend à les développer. Mais parmi les différentes institutions de nos sociétés occidentales, certaines poussent cette tendance à un degré incomparablement plus contraignant que les autres. Signe de leur caractère enveloppant ou totalitaire, les barrières qu’elles dressent aux échanges sociaux avec l’extérieur ainsi qu’aux entrées et sorties et qui sont concrétisées par des obstacles matériels : portes verrouillées, étendues d’eau, forêts ou landes. Ce sont des établissements que j’appelle institutions totalitaires […] ».
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« monde ». La vie en prison, dans des camps de concentration, à l’asile ou dans certains monastères sont des exemples d’institutions totales dont les caractéristiques sont d’opérer, par divers dispositifs, une coupure avec la vie « normale » en société. Au plan symbolique, il apparaît possible de créer certains liens avec la maladie, le sida et les nouveaux traitements en particulier, dans le sens que ceux-ci, mis en commun, semblent opérer une coupure irrémédiable et irréversible entre le passé et le présent (entre ce qui fut possible et ce qui ne l’est plus), nécessitant, comme c’est aussi le cas dans les expériences extrêmes relatées par Pollack, une obligation de soumission à de nouvelles règles sur lesquelles l’individu détient un pouvoir extrêmement restreint par contraste avec ceux impartis à la maladie et aux médicaments7. Plus récemment, Amadou Dia (2000) empruntait à Mauss le concept de « fait social total » pour traiter du fait social qu’est le sida, car pour lui on ne peut aborder cette maladie sous un angle unique, par exemple l’épidémiologie ou l’étiologie, ce qui implique de prendre en compte une multitude de dimensions incluant les aspects religieux, juridique, économique et personnel. Il soutient cette idée, non plus en situant l’action dans un cadre institutionnel ou physique contraignant comme le firent Goffman et Pollack et dont nous nous inspirons pour parler du caractère totalitaire de la maladie, car pour lui les aspects symboliques et manifestes de la maladie sont porteurs d’un pouvoir analogue qui fait que le malade voit sa vie refaçonnée radicalement, voire totalement. D’une part, par la maladie et, d’autre part, par les effets iatrogènes des médicaments. En se référant à Detrez (2002), ce processus pourrait s’expliquer par le fait que le corps ne serait plus l’interface sociale appropriée parce qu’il s’écarte des représentations canoniques de la beauté, de l’esthétique de l’idéal-type de la femme tel qu’il se construit dans les médias occidentaux. Comme le notent la plupart des répondantes, la détérioration de leur image physique est considérée comme une atteinte profonde à leur féminité. Chez Gabrielle, cet état se caractérise par un sentiment d’incomplétude : « c’est comme si j’étais incomplète ». Cette représentation de l’incomplétude touche en fait plusieurs sphères dont celles de la maternité – qui reste possible mais menacée par le spectre du VIH, dont les effets iatrogènes constituent toujours un risque pour les enfants (Egrot, 2001) – de l’amour, de la sensualité, voire de la séduction et de la sexualité. On peut aussi dégager de cet état, une amorce de confirmation de l’existence éventuelle, comme l’avance Nicoud (2002), d’une relation fusionnelle indéfectible entre le corps et l’individu. Dans le cas qui nous intéresse, la maladie créerait une forme particulière de dissociation qui rendrait le corps plus manifeste que l’individu. 7.
Une réflexion plus approfondie sur l’apport des travaux de Pollack traitant de la vie quotidienne dans les camps de concentration pourrait sans doute fournir des perspectives interprétatives intéressantes pour comprendre les effets d’isolement qu’engendrent la maladie et les médicaments.
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Les modifications corporelles qu’engendrent les effets indésirables des médicaments ont pour conséquence de diminuer l’estime personnelle des répondantes. Un corps, pour reprendre les mots de Valérie, qu’on ne veut dorénavant plus voir tel qu’il était auparavant : ne plus vouloir « se voir en photographie et éviter de se refléter dans le miroir » sont des exemples employés par les femmes pour expliquer la mise à distance qu’elles opèrent par rapport à leur passé, mais aussi par rapport à leur présent. Cette altération de soi, comme l’a déjà soulignée Collins, Wagner et Walmsley (2000), se décline sous trois régimes : l’astreignant cycle de prises de médication, l’esthétique, voire l’apparence corporelle, et la souffrance physique et psychique. De ce fait, elles sont obligées de modifier leurs habitudes vestimentaires pour dissimuler la proéminence ventrale, de tenter de la cacher ou encore de porter autrement leurs vêtements ; « tu t’habilles et tu vois ton ventre sortir [...] on se sent moins belle ». Ces transformations, d’ailleurs documentées par Chapman (1998), sont communes à bien des formes de maladies chroniques dont le cancer. Le remodelage plastique, par l’entremise du maquillage, pour amoindrir les effets de la lipodystrophie du visage ou encore le recours à des vêtements plus amples pour dissimuler les débordements constituent un incessant travail supplémentaire quotidien à effectuer pour se resituer « convenablement » dans un monde « normal » pour des femmes qui se sentent moins belles. Le fait de voir son apparence physique se détériorer ainsi est dépeint par des participantes comme une atteinte profonde à l’image de soi et une brèche importante à leur féminité. Le ressentiment à l’égard de sa propre image corporelle peut conduire des femmes à s’exclure socialement. Si certaines femmes témoignent d’une accoutumance positive à ce nouveau corps, d’autres restent totalement subjuguées par l’imprévisibilité des effets des médicaments. À ce propos, Dela n’hésite pas à se demander « c’est quoi seigneur, ces médicaments ? » en référence à des changements d’apparence incessants et imprévisibles requérant sans cesse de nouveaux ajustements dans la lecture de soi. Au plan séquentiel, le ventre peut d’abord grossir pour fondre plus tard. Les fesses peuvent s’effacer alors qu’elles étaient auparavant apparentes. Les bras pourront grossir en même temps que le visage s’émaciera. Des stigmates pourront apparaître sur la peau et par la suite disparaître. Cet incessant cycle polymorphique requiert une adaptation constante au changement. De plus, comme les changements se manifestent de façon inopportune, cela amène les femmes à s’interroger sur les sources de ces transformations, c’est-à-dire à développer divers scénarios interprétatifs. S’agit-il essentiellement des médicaments, des changements de régime alimentaire, des effets de la maladie ? Témoignant de son expérience pratique des effets secondaires, Dela ira jusqu’à arrêter la prise de médicaments et observera, au fil du temps, un retour à la « normale ». D’autres femmes dont Lucie, Lady et Monique se sentent moins concernées par les modifications corporelles, soit que les effets ne sont pas visibles, soit que les transformations ne suscitent pas autant d’inquiétudes. Inquiètes des
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transformations subies par leur corps, Virginie et Valérie se consolent en envisageant d’autres effets secondaires qu’elles auraient pu ressentir ou en se disant que, pour le moment, la situation est tolérable. La réduction de cette inquiétude vient du fait qu’elles échangent, entre elles, des expériences personnelles liées à la maladie. La corpulence, dont il a été montré qu’elle représente pour plusieurs un signe caractérisant les personnes bien portantes (Broqua, 1999), est l’un de ces effets secondaires manifestes rapportés par nos interlocutrices. Les manifestations visibles des effets des médicaments sur le corps peuvent susciter questions et commentaires embarrassants de la part de l’entourage. Elles deviennent un stigmate pouvant trahir le statut infectieux. Pour contourner ce problème qui risquerait de donner plus de puissance aux stigmates sociaux, Virginie dira qu’elle mange présentement davantage, mais qu’elle entamera bientôt un régime amaigrissant, ce qui a pour effet de taire, voire de brouiller, la source du problème, c’est-à-dire le dévoilement de la maladie. Toutefois, ce recours au secret engendre un repli sur soi, dimension déjà documentée dans nos travaux sur les hommes infectés par le VIH (Trottier et al., 2003). En plus de se sentir marquées, certaines femmes ont l’impression de ne plus avoir d’emprise sur la gestion du secret entourant leur séropositivité. À l’instar de l’indicible, le dicible devient un risque au même titre que le mutisme, car en parler ou ne pas vouloir en parler peut se retourner contre soi et magnifier le sentiment d’isolement et peut-être même engendrer le rejet. Pour Lady et Lucie, ces transformations corporelles ont été bien accueillies ou, du moins, ne semblaient pas les affecter outre mesure au moment où elles ont été rencontrées. Comme l’ont d’ailleurs relevé Collins et al. (2000), l’augmentation du volume des fesses peut être peu troublant lorsque les critères de beauté transitent par des valeurs culturelles qui font des fesses dodues un gage de charme et de séduction. C’est la même chose pour les femmes dont le visage dorénavant émacié pourrait correspondre à des normes en matière de beauté plastique, si l’on se réfère à des critères occidentaux élitistes valorisant un corps filiforme. Comme le rapporte Corbeil et al. (2001), ces critères, bien qu’ils comportent une forme particulière d’obligation d’adhésion, sont aussi porteurs d’exclusion et de jugements lorsqu’ils ne sont pas atteints et maîtrisés. D’autres interlocutrices, comme Lucie, estiment qu’elles ont bien d’autres préoccupations en tête pour le moment. Elles ne s’inquiètent pas trop des effets que pourraient avoir les médicaments sur leur corps et souhaitent ne pas avoir à faire face à d’éventuelles transformations : Je ne pense pas à de telles éventualités [lipodystrophie], si cela arrive, je parlerai de cela. Pour l’instant, je ne veux pas de bouleversements supplémentaires dans ma tête. Ça va très bien pour moi, je prie là pour que ça continue. (Lucie)
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LE RAPPORT À L’AUTRE Mon ami me disait toujours avant de manger : as-tu pris ton médicament, as-tu pris tes pilules ? [...] Quand tu prends les médicaments, même si tu as des effets secondaires et que ton corps change, il t’aime comme ça. Ça donne un peu d’espoir. (Virginie)
Pour plusieurs femmes, le fait d’être infectée par le VIH est un aspect qu’on préfère garder caché ou qu’on ne veut pas divulguer à n’importe qui par crainte de vicier son rapport à autrui, de perdre des proches, de se voir rejeter. Les médicaments sont souvent considérés comme un révélateur de la maladie, un signe extérieur tangible, dont il faut gérer les manipulations et l’exposition. Un certain nombre de participantes évitent donc de prendre leurs médicaments en public ou en présence de certaines personnes, ou encore déploient différents dispositifs pour rendre la consommation la plus discrète possible, compte tenu du lieu ou du contexte. Certaines estiment que la médication a tendance à exposer leur statut infectieux et elles ne sont pas nécessairement prêtes ou disposées à composer avec cet état de fait. Dans plusieurs cas, le traitement amène toutefois à divulguer formellement le statut infectieux, notamment auprès des personnes qui sont côtoyées de façon régulière tels des membres de la famille, des amis et des collègues. La question de la visibilité des médicaments peut aussi devenir particulièrement embarrassante dans la sphère amoureuse. En effet, le traitement réduit considérablement la marge de manœuvre en termes de dévoilement de l’infection au VIH, notamment lorsqu’un couple est déjà formé lors du diagnostic, et lorsque les fréquentations avec un nouveau partenaire deviennent régulières. L’expérience de la maladie, qu’elle soit le fruit de l’infection ou des effets iatrogènes des médicaments, ne se nourrit donc pas que des souffrances physiques et d’itinéraires thérapeutiques complexes ; elle est aussi une expérience interactionnelle où l’on doit composer avec les multiples scénarios de réaction à l’autre : les préjugés, les attitudes de compassion, le silence et les affirmations autoritaires (Vidal, 1996). À l’instar des effets imprévisibles des médicaments sur le corps, les réactions de l’autre sont aussi inattendues. 2.2.1. Le dévoilement au conjoint : une expérience difficile et périlleuse Les femmes vivant en couple lors du diagnostic d’infection par le VIH se sentent le devoir d’en informer leur conjoint (Cranson et Caron, 1998). Pour les cinq femmes rencontrées vivant en couple, le dévoilement au conjoint a suscité de vives appréhensions. Comme l’ont aussi souligné Cranson et Caron (1998), les femmes séropositives ont particulièrement peur d’être abandonnées par leur conjoint à la suite de l’annonce de leur statut infectieux. Chez certaines nouvelles arrivantes
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au Québec, cette crainte d’être abandonnée est encore plus marquée. Elles se retrouvent en effet en terre inconnue, très loin de leur famille et plus rarement séparées d’un conjoint retenu dans un pays affecté par la guerre et la famine. Les analyses révèlent un type principal de scénario, où pour plusieurs les craintes étaient démesurées par rapport à la réaction du conjoint. Cette appréhension plonge des femmes dans le secret et l’angoisse au point où la maladie revêt pour elles un caractère indicible. Comme le rapporte Lucie, c’est la crainte de l’abandon qui les incite à reporter le moment du dévoilement. Elle indique que son inquiétude a été amplifiée par le fait qu’elle était enceinte et qu’elle appréhendait de devenir mère célibataire. Contrairement à ses craintes, Lucie raconte que son partenaire l’a soutenue après son dévoilement, sans l’abandonner ni la juger. Pour Gabrielle, la crainte d’être rejetée était si grande et la rendait si dépourvue de moyens qu’elle ne pouvait imaginer affronter seule ce problème, tant les enjeux étaient importants : risquer de perdre son conjoint et donc de se retrouver seule et diminuée par la maladie avec un enfant pouvant être infecté. Entre le moment où elle découvre son statut infectieux et celui où elle l’annoncera à son conjoint, cette période d’attente se mesure en mois. Pour contourner ce problème, Gabrielle développe alors une stratégie : attendre de connaître le statut infectieux de l’enfant et utiliser une travailleuse sociale comme médiatrice lors du dévoilement. Elle recourt à cette mise en scène parce qu’elle dit que son conjoint parle peu et qu’il lui est difficile de connaître ses réactions. Dans les cas de Lucie et de Gabrielle, les conjoints vivent au Québec, ce qui n’est pas la situation de Valérie dont le mari est à l’étranger. Elle laissera donc le temps passer attendant que son mari arrive au Québec, car à ses yeux la communication à distance, par lettre ou par téléphone, ne lui apparaît pas être le contexte d’échange le plus approprié. Cependant, le dévoilement de l’infection au VIH peut parfois provoquer une véritable crise au sein du couple, car inévitablement le mari pourra évoquer qu’il a été trompé par sa femme. Comme le rapportent les répondantes, le vœu de fidélité de l’épouse peut être remis en question par le conjoint. Ce dernier pourra aussi développer la peur de s’être lui-même infecté lors de relations sexuelles avec sa femme. Ces observations vont dans le même sens que d’autres résultats de recherche où la peur d’être infecté a été relevée comme une préoccupation majeure au sein de couples sérodiscordants (Beckerman, Letteney et Lorber, 2000 ; Cranson et Caron, 1998). Pour plusieurs femmes, l’annonce de leur statut infectieux s’accompagne d’un interrogatoire pénible où le mari se sent trompé. Cette situation implique qu’elles devront alors se justifier, faire mention de leur passé sexuel et de l’existence possible d’autres partenaires sexuels, comme dans le cas de Virginie. Dans d’autres situations, elles devront évoquer des images douloureuses ou encore chercher des éléments extérieurs à la sexualité pour expliquer leur infection. C’est le
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cas de Valérie qui dit être incapable de situer clairement le moment où elle a été infectée. Cela aurait pu se produire à l’hôpital lors de son accouchement à la suite d’une transfusion sanguine ou encore lors d’un viol. Devant l’obligation de devoir se justifier à son mari, elle adopte une attitude qui cherche à rassurer un mari inquiet qui ne comprend pas qu’il ne soit pas infecté par le VIH tout en devant gérer ses propres inquiétudes par rapport à la maladie. Lady fournit un éclairage porteur de sens sur les émotions que suscite le diagnostic de l’infection au VIH chez l’autre. Sa description résume bien les bouleversements que peut provoquer cette annonce chez le conjoint tout en soulignant l’importance de lui accorder du temps afin que, lui aussi, puisse intégrer le diagnostic : Ce fut un choc pour moi lorsque j’ai découvert que j’étais séropositive. Imagine pour ton conjoint, le choc est de la même nature. Je crois qu’il faut être compréhensive, ne pas porter de jugement trop rapide sur la réaction du conjoint, c’est tout simplement humain. Bien des femmes anticipent la réaction du conjoint comme un rejet. Pour bien comprendre la réaction de l’autre, il faut se replonger dans ce qu’a produit, pour soi, l’annonce de l’infection. (Lady)
2.2.2. Le dévoilement à un amoureux potentiel : valider l’acquiescement Il semble qu’à la différence des hommes les femmes soient significativement plus tentées de dévoiler leur statut infectieux à un nouveau partenaire (Cranson et Caron, 1998) même si cet événement est considéré comme hautement angoissant. Il arrive aussi qu’elles préfèrent garder le secret. Ainsi, Lady, dont le mari était déjà décédé lors du diagnostic d’infection par le VIH, et Virginie, qui a vécu une rupture de couple à la suite du dévoilement de son statut au conjoint, ont indiqué avoir vécu des expériences différentes lorsque la révélation de leur statut s’est effectuée dans le contexte des relations avec des partenaires avec qui elles désiraient s’investir affectivement et sexuellement. Leurs expériences se sont révélées fort différentes de celles dont nous avons parlé précédemment, c’est-àdire des femmes vivant déjà en couple lors du diagnostic d’infection par le VIH. Ces expériences dont elles parlent de manière positive paraissent avoir été l’occasion d’une véritable prise de conscience de leur pouvoir. Pour Lady et Virginie, le dévoilement a conduit leur partenaire à leur signifier leur amour inconditionnel, et dans le cas de Valérie et de Monique, cet événement a été l’occasion de réaffirmer leur amour. Ainsi pour Lady, cette révélation constitue une preuve d’amour indéniable. Si l’homme, un nouvel amant possible, ne peut pas ou ne veut pas maintenir une relation intime avec une femme infectée, c’est qu’il n’est pas digne d’être aimé. Virginie évoque toutefois certaines situations où, après avoir tenté d’aborder la question du VIH / sida avec un partenaire potentiel, elle a jugé qu’il était préférable de garder le secret sur son statut infectieux de peur de subir un rejet. Elle s’est ainsi contentée d’observer pendant quelque temps les propos de son
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futur amant, d’expliquer son travail d’accompagnement auprès de personnes infectées, avant de conclure qu’il était sans doute trop fermé à l’égard de la maladie pour aimer une femme vivant avec le VIH. Elle a préféré mettre fin à la relation. Comme le rapportent d’autres chercheurs dont Cranson et Caron (1998), il semble qu’une importante proportion de femmes demeure en couple après l’annonce du diagnostic d’infection au VIH au conjoint. Pour une majorité de femmes rencontrées dans le contexte de la présente recherche, la vie de couple reprend aussi son cours. Une fois les conjoints rassurés sur leur état de santé, ils cherchent un sens à l’épreuve qu’ils traversent ensemble. Fait intéressant à noter, la totalité des interlocutrices soutiennent que leur conjoint à la suite d’un dépistage du VIH est non infecté. En fait, tous les couples de notre échantillon sont sérodiscordants. Pour Valérie et Monique, la maladie semble avoir eu un effet magnifiant sur le plan relationnel ; elles se sentent désormais plus près de leur conjoint, comme si l’épreuve de la maladie les avait rapprochées ou confirmées dans les sentiments qu’elles entretiennent à l’égard de leur conjoint. Cette plus grande proximité émotive, rapportée par certaines participantes, avait déjà été mise en lumière dans le cadre d’autres recherches réalisées auprès de couples sérodiscordants (Beckerman, Letteney et Lorber, 2000). L’histoire de vie commune avait ainsi tendance à prendre plus de valeur après le diagnostic d’infection par le VIH. Dans cette même optique, les couples touchés par le VIH ont indiqué que depuis l’arrivée de cette maladie dans leur vie, ils devaient se faire davantage confiance l’un et l’autre et se sentaient plus engagés au plan affectif : Il a pris ça positivement [...] Même aujourd’hui il me respecte. Ça nous a rapprochés bien plus. (Valérie) Je sais que mon mari m’aime et je ne vois pas ce qui pourrait nous séparer, ce qui pourrait arriver pour que ce soit fini. Je ne croyais pas que cet homme-là pouvait être capable de supporter une telle situation de façon aussi harmonieuse. Cet état de fait m’apporte beaucoup de positif. (Monique)
Pour Lucie, Virginie, Valérie et Monique, le soutien et l’amour de leur conjoint sont perçus comme une véritable source de motivation et d’espoir pour faire face à la maladie et, dans un cas particulier, pour composer avec le traitement et les effets secondaires qu’il occasionne. D’ailleurs, il semble que les couples sérodiscordants se sentent une plus grande proximité sur des questions relatives à la maladie, mais qu’ils soient plus distants sur d’autres aspects de leur vie active (Beckerman, Letteney et Lorber, 2000 ; Remien, 1998). Une fois l’annonce faite et la crise passée, la vie de couple reprend son cours « normal », mais il paraît difficile pour la femme de reparler de son quotidien d’individu malade. Lucie et Monique témoignent à cet égard que leurs conjoints manifestent un désintérêt face à la maladie et aux médicaments. Comme elles le racontent, elles se contentent d’informer leur conjoint et, au fil du temps, n’espèrent
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plus de rapprochement sur ce plan. Cette distance émotionnelle entre les partenaires a déjà été soulevée comme étant un enjeu central au sein des couples sérodiscordants (Beckerman, Letteney et Lorber, 2000). Dans un cas particulier, celui de Virginie, sa relation s’est détériorée au point où son partenaire a mis fin à leur relation. La souffrance vécue ne concerne plus le dévoilement de la maladie, mais plutôt l’abandon par un conjoint qui avait promis d’être là quoi qu’il advienne. Virginie reproche à son mari de l’avoir trahie. Ce sentiment est encore bien présent et il s’est récemment manifesté lorsque l’ex-conjoint l’a supplié de le « reprendre ». Parmi les cinq femmes qui vivaient en couple lors du dévoilement de leur statut infectieux, Virginie est la seule participante à avoir vécu une rupture et la seule aussi à ne pas avoir eu d’enfant avec ce conjoint. Des femmes, dont Dela et Charlotte, préfèrent dorénavant vivre seules. Elles estiment que la gestion du VIH, et pour Dela la maladie de son enfant en plus, canalisent toutes leurs énergies : Outre l’amour, j’avais tellement de dossiers à régler que de courir derrière les hommes [rires]... Je ne voulais pas risquer d’avoir un mari compliqué, qui ne serait pas compréhensible, qui ne sera pas bon... Je risque d’avoir des problèmes de gestion de ma maladie, de l’entretien de ma famille et de m’occuper des problèmes d’ordre je ne sais quoi. J’avais choisi de rester d’abord sans mari pour régler mes problèmes et ensuite attendre que mon fils soit grand. (Dela) Avoir un enfant malade [séropositif], c’est tellement difficile. C’est parmi les raisons qui m’ont incité à ne pas me remarier. Je consacre toute mon attention à mon enfant, je lui donne toute l’affection qu’il m’est possible de lui donner. J’ai donc essayé de faire le maximum pour lui. (Dela)
2.3.
LE RAPPORT À LA SEXUALITÉ ET À LA PRÉVENTION J’étais vraiment déprimée. Je n’avais même pas le temps de m’occuper de lui. Il voulait me toucher et je ne voulais même pas donner mon corps parce que j’étais vraiment toute fatiguée [...] C’est un homme, il cherchait aussi l’affection, l’amour, mais moi je lui donnais pas l’amour. Il rentrait à la maison, j’étais toujours fatiguée, toujours triste, je pleurais tout le temps. (Virginie)
Si la maladie et les médicaments transforment le rapport au corps et le rapport à l’autre à travers une redéfinition de l’intimité du couple, ils modifient aussi de façon profonde la vie sexuelle des femmes infectées. Les études consultées à ce sujet indiquent que la sexualité des personnes vivant avec le VIH peut être perturbée par plusieurs facteurs : dégénérescence physique, fatigue chronique, perte de désir ou désir exacerbé, sentiment de ne plus être physiquement ou sexuellement attirante, symptômes cliniques liés au VIH, la maladie du partenaire ou bien une séparation et abstinence par choix (Hankins, Tran et Lapointe, 1998).
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La moitié des répondantes ont indiqué avoir repris une vie sexuelle active avec un partenaire depuis le diagnostic d’infection par le VIH alors que les quatre autres étaient devenues inactives sexuellement. 2.3.1. Une redéfinition de la vie sexuelle Pour ces femmes, qu’elles soient sexuellement actives ou non, l’infection par le VIH entraîne une importante redéfinition de la vie sexuelle. Elle les amène, comme en témoignent les extraits qui suivent, à se pencher sur la place qu’occupe la sexualité dans leur vie et à redéfinir leurs besoins affectifs et sexuels, de même que leurs pratiques comme l’avaient d’ailleurs déjà constaté Blackburn (1996) et Mensah (1995) : Pour moi un couple sans sexualité, ce n’est pas un couple [...] Il faut être capable de passer à travers ça [...] Il faut que tu acceptes que je sois malade mais quand même je ne suis pas ta sœur, non il faut qu’on vive normalement aussi [...] Mon mari accepte, il accepte jusqu’au bout [utiliser le condom] sinon c’est nous deux qui allons en souffrir. (Lucie) Quand elles viennent de l’apprendre alors là, elles ne veulent plus rien savoir, tantôt on parlait de condoms. Tu ne peux même pas en parler. Il faut attendre qu’elles intègrent le VIH dans leur vie et tout, mais sûrement les quelques six mois, un an là, c’est comme, c’est fini, je ne veux plus rien savoir. Mais après, ça revient. (Lady)
Par mesure de protection, Lady et Lucie ont indiqué avoir désormais appris à vivre autrement leur sexualité et à intégrer le sécurisexe dans leur vie de couple : Avant je ne me protégeais pas, alors ça a modifié [ma sexualité] parce que maintenant c’est systématique. (Lady) Avant le VIH, on ne se protégeait pas du tout. Maintenant ça a changé, on se protège. (Lucie)
Les propos de certaines répondantes montrent que les stratégies de protection se heurtent à plusieurs obstacles dont certains s’enracinent dans les représentations culturelles d’origine. 2.3.2. Images de femmes, rapports de pouvoir et tractations L’image de la prostituée comme vecteur du VIH / sida est palpable dans les témoignages recueillis sur la maladie et rend compte d’une certaine force d’association entre l’infection au VIH et un comportement sexuel de prostituée. Les participantes qui rapportent des propos tenus dans leurs communautés africaines d’origine sur les femmes infectées en parlent en ces termes : « prostituées » ; « vie de prostitution » ; « fait le trottoir » ; « fille de rue ». Selon Vidal (2000), cette équivalence entre la femme contaminée et la femme prostituée n’est aucunement propre à l’Afrique. Elle découle explicitement
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d’un processus de catégorisation émanant des efforts de prévention du sida. Transposée à l’Occident, cette catégorisation stigmatisante sert malheureusement de label aux femmes toxicomanes. Pour bien comprendre les propos des femmes rencontrées dans le cadre de cette étude, il faut dépasser la lecture habituelle de la prostitution et porter l’analyse en direction de la « femme libre » en Afrique, celle qui refuse les « contraintes du mariage » (Vidal, 2000). Comme le soulèvent Virginie, Lucie, Valérie, Monique et Gabrielle, la « femme libre », « sort avec beaucoup de gars » ; « a beaucoup de partenaires » ; « va dans les bars, les boîtes » ; « n’est pas sérieuse » ; « a eu une vie débridée » ; « est débauchée » ; « a des comportements marginaux, anormaux, bizarres ». La figure de la « femme prostituée » ou de la « femme libre » est opposée à celle de la « bonne mère » ou de la « bonne épouse ». Cette seconde figure à laquelle les interlocutrices s’identifient renvoie, selon leurs propres termes, à une femme bien portante, qui a été mariée ou est divorcée, qui a des enfants, qui fréquente l’église et dont l’entourage et la famille sont respectables. Les représentations dominantes des ITS dans certains pays d’Afrique, ainsi que le traitement social qui leur est réservé aurait participé, selon Vidal (2000), au cantonnement de la femme dans son statut de mère ou de prostituée. L’invisibilité des « autres femmes », c’est-à-dire celles qui échappent aux deux précédentes catégories, est doublement remarquable lorsqu’on se penche sur les contextes sociaux et idéologiques de la période précédant l’apparition du sida. En fait, on se rend compte de la faiblesse de la dichotomie mère en santé et prostituée malade, car la mère peut tout de même se retrouver au carrefour de la diffusion du VIH, contaminée par voie sexuelle et contaminante pour son enfant et elle doit, dans ce contexte, intégrer une contraception qui soit aussi un moyen de prévention du sida. Les « autres femmes », ni mères, ni prostituées ou « femmes libres », ne semblent pas exister pour l’institution sanitaire. Les connaissances que nous détenons sur ces femmes, tant au plan sociologique que psychologique, semblent ainsi échapper à la recherche (Vidal, 2000) et c’est justement à ces dernières que nos répondantes s’associent. Devant ces images stéréotypées de femmes infectées et la réticence de certains hommes à utiliser le préservatif, il serait tentant de situer les répondantes dans un système de contraintes culturelles, ce qui serait une fausse présomption. Le discours préventif sur la nécessaire protection des relations sexuelles ne doit pas occulter (derrière un argumentaire culturaliste) la question essentielle de la négociation du rapport sexuel et donc du préservatif : processus qui, face au risque représenté par le sida, révèle des relations de pouvoir qui modulent les capacités de décision, des dimensions essentielles pour comprendre la dynamique de la prévention (Fernet, 2003). Or la question du « genre », de même que l’autonomie financière des femmes et leur protection juridique constituent autant de facteurs
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modelant profondément les rapports de sexe (Vidal, 1996). En effet, nombre d’études réalisées en contexte nord-américain soulignent les enjeux de pouvoir basés sur le genre que sous-tendent les interactions sexuelles et la négociation du sécurisexe (Amaro et Raj, 2000 ; Doyal, 1995), en particulier auprès de femmes d’origine africaine (Amaro, 1995) : Les hommes sont toujours comme ça, ils veulent rien savoir pour les condoms. Il faut vraiment insister, insister, ils ne veulent rien savoir. (Virginie) Dans nos pays, d’abord une femme, c’est à peu près tabou pour qu’elle dise à un homme de se protéger [...] On voit comme ce sont des prostituées seulement qui peuvent utiliser ça [...] On est encore en retard par rapport à l’évolution et dire que c’est quelque chose dont la fille à envie mais n’a pas le courage de dire à l’homme que non je mets ça. (Monique)
En dépit des barrières relationnelles énoncées, plusieurs femmes africaines rencontrées ont tout de même appris à imposer le condom à leur partenaire et se sentent désormais à l’aise de le faire. Virginie et Lucie évoquent, à ce titre, des situations où elles ont eu à négocier des pratiques sexuelles sécuritaires, et ce malgré les réticences exprimées par leur partenaire : Si tu ne mets pas de condom, on peut pas avoir des relations, on peut être des amis, on peut parler ou bien se caresser parce que moi je ne veux pas comme ça. (Virginie) Mon mari accepte [ma maladie], il accepte jusqu’au bout [d’utiliser le condom]. S’il ne peut pas accepter [...] c’est nous deux qui allons en souffrir. (Lucie)
Pour imposer son point de vue, Virginie a principalement recours à un argument valorisant la santé : « Mais j’ai dis moi j’ai pas le choix parce que je veux pas t’infecter, c’est pour ton bien tout ça. Ben j’ai dit tu peux être atteint, tu peux être malade comme moi ». On retrouve aussi des stratégies faisant appel à des motifs de contraception. Gabrielle, une jeune mère dont le partenaire ignore encore le statut infectieux, demande à utiliser le condom pour éviter une autre grossesse qui serait trop rapprochée de la précédente : « J’insiste [pour avoir des relations sexuelles protégées], il veut pas [...] Je dis mais c’est parce que je suis pas prête maintenant à faire un autre bébé ». D’autres interlocutrices dont Monique évoquent les coûts élevés des médicaments et l’incertitude des progrès de la médecine pour expliquer la nécessité d’adopter des comportements sexuels protégés : D’abord les médicaments coûtent trop cher [...] [les médicaments] ça peut ralentir [la progression du virus], mais chez une autre personne ça ne répond même pas, donc rien ne prouve que si tu le contractes ça va marcher avec ton système et puis tu vas mourir vite. (Monique)
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Il faut voir que ces femmes, qui sont pour la plupart de nouvelles arrivantes au pays, se sentent privilégiées de pouvoir avoir accès aux médicaments lorsqu’elles se comparent à leurs pairs vivant en Afrique. 2.3.3. Une protection nécessaire et obligée Les femmes actives sexuellement semblent avoir assimilé le discours de prévention faisant la promotion systématique des pratiques sexuelles protégées. Comme l’indiquent Lucie, Lady et Virginie : On fait ce qu’il faut. (Lucie) Je ne pourrai jamais penser faire l’amour sans condom. C’est devenu un automatisme, c’est ancré dans notre vie, c’est comme ça. (Lady) Il ne faut pas prendre de risque, il faut toujours se protéger. (Virginie)
L’importance de ces décisions préventives rejoint les observations de certains auteurs (Cranson et Caron, 1998) selon lesquelles les pratiques protégées par le condom font partie intégrante de la compréhension du sécurisexe pour plusieurs femmes infectées par le VIH. Ainsi, les femmes qui poursuivent une vie sexuelle active après le diagnostic ont tendance à protéger leurs pratiques sexuelles, et ce de façon systématique. D’autres chercheurs ont toutefois mis en évidence des pratiques à risque de certaines femmes infectées, communément appelés « slips » (relation sexuelle sans condom avec une personne sérodiscordante) (Vandevanter et al., 1999). Monique témoigne d’interactions sexuelles protégées par le condom, d’abord pour des motifs altruistes visant la protection de son partenaire : « Ça serait toujours mieux sans ça [condom], mais faute de mieux, je ne veux pas risquer la vie de quelqu’un pour des petits plaisirs dénués. » La peur d’infecter son partenaire a d’ailleurs été relevée comme un important motif de protection chez les femmes infectées (Mensah, 1995). En voulant préserver la santé de leur conjoint, certaines participantes, dont Monique, veulent aussi s’assurer qu’au moins un parent sera disposé à prendre en charge les enfants si leur propre santé venait à se détériorer : « Celui qui n’a pas le VIH qu’il puisse demeurer en santé pour pouvoir élever les petits. » Contrairement à celles qui craignent d’infecter leur partenaire sexuel, Lucie, sous traitement antirétroviral, indique qu’elle se sent encore plus en sécurité lorsqu’elle utilise un condom. Elle perçoit une charge virale devenue indétectable comme présentant un moindre risque pour le partenaire, à la condition bien sûr d’avoir des activités sexuelles protégées : « Je n’y pense pas [de pouvoir potentiellement infecter mon partenaire], c’est indétectable [...] Comme mon médecin m’a dit, le virus s’est endormi carrément, ça n’évolue même pas. » Certaines recherches réalisées auprès d’individus infectés par le VIH ont souligné, à ce sujet, qu’une proportion significative de répondants croyait que les
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thérapies à base d’IP diminuaient les risques de transmission du VIH par voie sexuelle puisque la charge virale devenait indétectable (Demmer, 2002 ; Kravcik et al., 1998). Selon ces mêmes recherches, la modulation des risques de transmission du VIH aurait ainsi contribué à un relâchement des pratiques sécuritaires chez ces mêmes individus, ce qui ne semble toutefois pas être le cas pour les femmes ayant participé à la présente étude. 2.3.4. Le caractère intrusif du condom au sein de la relation Si, pour certaines femmes, l’obligation de protéger leurs relations sexuelles contre l’infection au VIH s’est révélée un incitatif pour l’adoption définitive d’un code de conduite en matière de sécurisexe, il s’agit pour la plupart d’un apprentissage graduel qui demande un certain temps d’adaptation. Comme le souligne Lady : « Le condom, c’est une barrière, une grosse. [...] C’est une chose qui vient changer le comportement à l’âge plus qu’adulte. » Certaines barrières d’ordre relationnel associées à l’usage du condom référant au désir d’une proximité peau à peau, le refus catégorique du partenaire à l’enfiler et le fait de n’en avoir jamais utilisé ont aussi été évoqués par les femmes ayant participé à la présente étude. Certaines perçoivent le condom comme un objet faisant intrusion dans leur intimité, s’interposant entre les partenaires amoureux : Pour la majorité des femmes, ça a complètement changé leur sexualité parce que c’est comme amener un intrus [le condom] dans une relation. On le fait parce qu’on est obligé de le faire, mais ce n’est plus quelque chose qu’on fait par plaisir. (Lady)
Comme l’ont aussi souligné plusieurs femmes ayant participé à l’étude de Vandevanter et al. (1999), le préservatif serait perçu de façon négative depuis qu’elles ont contracté le VIH / sida. Non seulement ce dernier serait vu comme faisant obstacle à l’intimité du couple, mais il rappellerait également lors de chaque utilisation l’état de santé et le risque de transmission encouru pendant les relations sexuelles. Selon Lady, le condom changeait l’atmosphère relationnelle en affectant le déroulement et la spontanéité de l’interaction sexuelle entre les partenaires : « Une fois que l’habitude est installée, ça va. Au début, ça coupait l’ambiance, c’était pas évident mais maintenant ça va. » En outre, le condom interviendrait sur le plaisir ressenti qui est déjà amoindri par les opérations génitales traditionnelles, réduisant ainsi le contact direct (Yomi, Aoudou et Tambashe, 2002) : Si on parle des femmes pour qui la sensibilité est beaucoup amoindrie à cause qu’ils ont coupé le clitoris [...] normalement peau sur peau ça peut donner un certain plaisir mais quand il y a le condom, c’est zéro. (Lady)
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Virginie, quant à elle, a fait part de préoccupations liées au maintien de l’érection de son partenaire : « C’était difficile et même s’il était excité, dès qu’il portait ça tombait [rires], toujours comme ça. » 2.3.5. L’abstinence : une question de contexte Une autre façon de concevoir la prévention du VIH / sida a été relevée par les femmes inactives sexuellement, il s’agit de la protection par l’abstinence. Toutefois, chez ces femmes, cette forme de protection est motivée par des considérations différentes. Valérie, en relation avec un partenaire séronégatif, préfère se priver d’activités sexuelles de peur de l’infecter. Elle perçoit la sexualité comme une source de danger et d’anxiété en raison de la nature contaminante des fluides et du spectre de la mort qu’elle laisse planer (Chapman, 1998) : « Je me dis bon si jamais on essaie pis que lui va avoir attrapé ce virus, qu’est-ce qui va se passer après. J’ai peur de l’infecter, j’ai peur de moi-même [...] On a pas encore repris [nos activités sexuelles]. » Pour Charlotte, cette décision relève de considérations liées à son état de santé, alors que pour Dela, cette stratégie est motivée par des convictions d’ordre moral sur la sexualité : Non, non, non, les relations sexuelles [...] pour le moment je combats pour que ma santé devienne plus stable [...] c’est vraiment trop tôt. (Charlotte) Je n’ai pas de relations sexuelles, donc parler des histoires de prévention, j’en ai pas besoin parce que j’ai pas de mari. Je m’abstiens. C’est mes valeurs et puis je ne peux pas changer, c’est entré dans ma tête. (Dela)
Pour Monique, la protection abstinente relève plutôt de circonstances liées à l’immigration, son conjoint ne disposant pas des documents nécessaires pour la rejoindre. L’éventualité d’avoir à intégrer le condom avec son partenaire qui ne l’a jamais utilisé suscite chez elle bien des appréhensions dont celle d’essuyer un rejet : Je le verrai bientôt, je me demande comment ça va être. Comme on s’écrit souvent par e-mail, je vais déjà le préparer qu’il n’y aura plus de corps à corps. Si dans ta psychologie tu acceptes déjà de te protéger, ça marche. Si tu l’acceptes pas, ça marchera pas avec moi parce que je ne veux pas de contact, ça, rien à faire. (Monique)
CONCLUSION Cette analyse qualitative des représentations des nouveaux traitements antirétroviraux, intimement liées à celles du VIH / sida, montre qu’elles affectent significativement les sphères personnelle, relationnelle et sexuelle de femmes d’origine africaine. Celles-ci reconnaissent les bienfaits des médicaments qui, indubitablement, leur ont permis de « revivre » et de retrouver un certain bien-être,
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malgré des effets secondaires marqués. Il s’agit surtout de transformations physiques qui portent significativement atteinte à leur apparence et à leur image corporelle, ainsi qu’à leur estime de soi, des dimensions essentielles du rapport à soi et aux autres. Ce qui rend cette expérience particulièrement difficile, c’est que ces transformations corporelles sont aléatoires, incessantes et imprévisibles, les obligeant à s’adapter constamment à des altérations qu’elles ne peuvent contrôler. Cette plasticité corporelle demande alors de recourir à de multiples subterfuges, au plan des pratiques (« je porte des pantalons plus amples... ») ou à celui des discours (« je viens d’entreprendre un régime amaigrissant ») pour tenter d’occulter ou de justifier ces modifications aux yeux de leur entourage. Le médicament, par ses effets, est donc perçu comme blessant leur féminité et comme un révélateur insidieux de leur état de santé, et il ne cesse de leur rappeler qu’elles sont malades et que les autres peuvent s’en rendre compte. Le secret entourant l’infection au VIH et les modalités de sa divulgation constituent de ce fait des préoccupations importantes, associées à des peurs profondes d’être abandonnées ou rejetées. Ces sentiments semblent prépondérants chez les femmes qui sont arrivées depuis peu comme immigrantes au Québec. Les craintes de se retrouver seules en cas de maladie déclarée sont ainsi prégnantes, amplifiées, lorsqu’elles sont mères, par les inquiétudes quant à l’avenir devenu incertain de leurs enfants. La peur du jugement de leur entourage quant à leur sexualité et leurs habitudes de vie intervient aussi. La figure culturelle africaine de la « femme libre », associée au libertinage, remettrait en cause celle, valorisée, de la « bonne mère » qu’elles tiennent à maintenir. La révélation de l’infection au VIH et du traitement au conjoint, à cause de la crise qu’elle pourrait provoquer dans la relation de couple, fait l’objet d’appréhensions et de résistances profondes, moins marquées cependant dans le cas de l’établissement d’une nouvelle relation. Mais, chez la plupart des femmes interviewées, ce dévoilement n’entraînerait pas une rupture mais plutôt une réaffirmation et une réorganisation du lien affectif, une fois la crise passée. De nouvelles adaptations prennent aussi place dans la sphère sexuelle, non sans difficultés. L’adoption de conduites de protection, prônées avec détermination par les femmes, se heurte ainsi à plusieurs obstacles, en particulier dans l’imposition du condom considéré comme un « mal nécessaire ». Le condom entre aussi en contradiction avec des normes culturelles, en transformations, qui prônaient jusqu’alors un contact corporel direct, et il atténue le plaisir ressenti, quelquefois déjà affecté par l’excision du clitoris. Au plan relationnel, l’usage du préservatif demande un apprentissage et des négociations qui peuvent être laborieuses avec le conjoint souvent réticent à son utilisation, bien qu’avec de nouveaux partenaires, ces résistances semblent plus facilement surmontables.
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Ces éléments de conclusion préliminaires seront à situer ultérieurement lorsque les entretiens prévus avec des femmes provenant d’autres groupes ethnoculturels auront été analysés. Cette comparaison permettra de mieux saisir les points de convergence et de divergence liés à l’expérience des antirétroviraux qui affectent les représentations du VIH / sida et leur évolution chez les femmes séropositives.
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Les traitements antirétroviraux
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ANALYSE DYNAMIQUE DE LA MISE SOUS MULTITHÉRAPIE DANS LA COHORTE FRANÇAISE APROCO (1998-2000)1 Janine PIERRET
L’analyse exposée dans ce texte s’inscrit dans un courant de la sociologie qui privilégie le point de vue des personnes malades et postule qu’elles sont actives dans leur maladie. En effet, depuis près de trente ans, des travaux ont considéré que l’apparition d’une maladie crée des bouleversements dans l’organisation de la vie individuelle, conjugale, familiale, professionnelle et sociale des personnes concernées comme dans les interprétations qu’elles en donnent (Strauss et Glaser, 1975 ; Bury, 1982, 1991). Dans cette perspective, le traitement n’est qu’un des aspects de l’histoire des personnes malades et va devenir une composante de leur vie avec la maladie, voire en infléchir le cours (Charmaz, 1991). Si le traitement s’inscrit bien dans une relation avec le médecin prescripteur, sa mise en œuvre
1.
Cette recherche a été rendue possible grâce à une subvention de l’Agence nationale de recheche sur le sida (France).
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Les traitements antirétroviraux
effective la dépasse pour s’ajuster aux différentes contraintes que ce soient celles du traitement lui-même (respect de la posologie, des heures de prise, de ses désagréments éventuels), mais aussi celles de la vie professionnelle et familiale. Le traitement a ainsi permis d’analyser le travail de gestion effectué par les malades qui vivent avec des maladies chroniques en soulignant l’importance des déterminants sociaux autant que médicaux (Conrad, 1985, 1987 ; Baszanger, 1986). En d’autres termes, le traitement ne doit pas être perçu comme pouvant avoir des conséquences importantes sur l’organisation de la vie quotidienne des personnes et ne pas trop perturber leurs activités. Il ne doit pas non plus avoir d’effets secondaires prévisibles inquiétants et il faut qu’il soit au minimum perçu comme pouvant avoir un effet positif sur l’évolution des symptômes ou leur nonaggravation (Baszanger, 1998). Ainsi, les malades n’acceptent pas toujours automatiquement un traitement et font des choix en évaluant ses avantages comme ses inconvénients en fonction de leurs propres contraintes et exigences (Strauss et Glaser, 1975 ; Schneider et Conrad, 1983). Cependant, les traitements étudiés jusqu’ici sont des traitements existants depuis plusieurs années et relativement routinisés dans le cas de maladies chroniques (diabète, épilepsie, insuffisance rénale). Depuis son développement en 1996, le traitement antirétroviral hautement actif a pris une signification particulière dans la mesure où il est apparu quinze ans après la survenue d’une maladie qui était jusque-là synonyme d’une mort relativement rapide. Il est donc le premier et le seul traitement dans l’infection à VIH à avoir une efficacité, bien que ses effets à long terme ne soient ni connus ni maîtrisés par la médecine. Ce texte s’inscrit dans la perspective des recherches précédemment menées sur les conséquences et les réaménagements réalisés par les personnes vivant avec le VIH (Carricaburu et Pierret, 1995 ; Pierret, 1997, 2000 et 2001a) et la prolonge pour interroger la place du traitement dans leur vie quotidienne (Pierret, 2001c). S’appuyant sur des données qualitatives recueillies à trois reprises sur une période de vingt mois, il propose un cadre d’analyse qui prend en compte les effets du temps et de l’autorégulation autour du traitement, c’est-à-dire les négociations et les arbitrages qui sont effectués, et qui ainsi va au-delà de l’étude du seul respect ou non-respect des prescriptions médicales (Conrad, 1985). Ce cadre d’analyse est organisé autour de deux dimensions : le processus d’intégration et l’expérience du traitement, qui l’une et l’autre demandent du temps et évoluent dans le temps tout en s’appuyant sur les possibilités de maîtrise et de négociation des personnes. Des travaux ont déjà décrit les activités quotidiennes qui rythment la soumission à un traitement antirétroviral hautement actif (Race et Wakeford, 2000) et analysé les rituels et stratégies d’appropriation des médicaments (Lévy et al., 2002) sans pour autant prendre en compte systématiquement le temps-durée.
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Analyse dynamique de la mise sous multithérapie dans la cohorte française...
1.
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MÉTHODOLOGIE
Ce travail s’intègre dans la cohorte française APROCO2 qui comprend également une étude sur l’observance (Duran et al., 2001 ; Spire et al., 2001a, 2001b). Mise en place au printemps 1997 dans 47 services hospitaliers répartis sur l’ensemble de la France, cette cohorte est constituée de 1 281 personnes infectées par le VIH qui reçoivent pour la première fois un traitement antirétroviral hautement actif et qui sont suivies à un mois puis tous les quatre mois sur le plan médical et biologique. Un autoquestionnaire sur l’observance du traitement est rempli régulièrement (tous les huit mois à partir du huitième mois). À partir de février 1998, une enquête qualitative par entretiens en profondeur a été menée auprès d’un petit nombre de volontaires dans huit services hospitaliers à Paris et en régions. Les personnes ont été choisies par les médecins des services hospitaliers en diversifiant les modes de contamination, le sexe et le fait d’avoir déjà eu ou non un traitement. On peut néanmoins se demander si les personnes qui ont accepté d’être interviewées ne sont pas celles qui se sentent proches des services hospitaliers ou bien encore celles qui souhaitent témoigner sur la façon dont elles vivent avec le traitement. En effet, ces personnes sont, comme leurs médecins prescripteurs, dans des conditions particulières de suivi dans la cohorte APROCO qui peuvent induire un certain nombre d’effets. Trente-cinq personnes ont accepté d’être interviewées entre février 1998 et janvier 1999 dont 24 ont été revues huit mois après, entre octobre 1998 et juillet 1999 et 25 ont participé au troisième entretien, entre novembre 1999 et juillet 2000, soit vingt mois après le début du traitement. Au total, sept personnes n’ont participé qu’au premier entretien parmi lesquelles trois sont décédées dans les mois suivants, sept sont venues à deux entretiens et 21 personnes ont participé aux trois. Ne pas avoir été interviewé la deuxième fois ne signifie pas toujours un refus de l’enquête : quatre personnes qui n’étaient pas venues au deuxième entretien se sont présentées au dernier. Le tableau 1 montre les caractéristiques des personnes interviewées à un mois, huit mois et vingt mois de traitement. Le tableau 2 présente, avec des prénoms fictifs, les caractéristiques de chaque personne interviewée avec mention spéciale pour celles suivies trois fois et citées dans le texte. 2.
La composition du Groupe d’études APROCO est la suivante : investigateurs principaux : Catherine Leport, François Raffi ; coordonnateurs : Geneviève Chêne, Roger Salomon, Jean-Paul Moatti, Janine Pierret, Françoise Brun-Vézinet, Hervé Fleury, Gilles Peytavin. Que les personnels des services investigateurs d’APROCO qui ont participé à l’enquête qualitative soient remerciés et plus particulièrement : Pr Dellamonica, Dr Clevenberg, Dr Cepii, Mme Serini à Nice ; Pr Bazin, Mr Féret à Caen ; Pr Reynes, M me Cotte, M me Vidal à Montpellier ; P r Raffi, Mme Sicot à Nantes ; P r Garré, Mme Derrien à Brest ; Pr Leport, Dr Brunschweig à Bichat-Paris ; Pr Sicard, Mme Lebaut à Cochin-Paris. La première série d’entretiens a été réalisée par Pascale Donaiti, Florence Carton de Grammont et moi-même. Les deuxième et troisièmes séries d’entretiens ont été assurées par Florence Carton de Grammont et moi-même.
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Les traitements antirétroviraux
Tableau 1 Caractéristiques des personnes interviewées dans l’enquête qualitative de la cohorte APROCO 1998-2000 À 1 mois
À 8 mois
À 20 mois
Paris Ouest Sud-Est Sud-Ouest
2 (77 %) 9 (77 %) 20(77 %) 4 (77 %)
2(77 %) 7(77 %) 11(77 %) 4(77 %)
2(77 %) 7(77 %) 12(77 %) 4(77 %)
Hommes Femmes
*27 (77 %)* 8 (23 %)
19 (79 %) 5 (21 %)
20 (80 %) 5 (20 %)
Mode de transmission
Homosexuel Drogue Hétérosexuel Sang
13 (37 %) 9 (26 %) 12 (34 %) 1 (77 %)
10 (42 %) 4 (17 %) 9 (37 %) 177 %)
10 (40 %) 6 (24 %) 8 (32 %) 177 %)
Traitement
1er traitement déjà traité
18 (51 %) 17 (49 %)
15 (63 %) 9 (37 %)
15 (60 %) 10 (40 %)
< 30 ans 31 à 40 ans > 41 ans
9 (26 %) 18 (51 %) 8 (23 %)
7 (29 %) 12 (50 %) 5 (21 %)
7 (28 %) 12 (48 %) 6 (24 %)
en activité sans activité
24 (68 %) 11 (32 %)
18 (75 %) 6 (25 %)
18 (72 %) 7 (28 %)
seul couple VIH+ couple VIH-
18 (51 %) 8 (23 %) 9 (26 %)
10 (42 %) 7 (29 %) 7 (29 %)
12 (48 %) 7 (28 %) 6 (24 %)
35 (77 %)
24 (77 %)
25 (77 %)
Lieu de résidence
Genre
Âge** Activité de travail
Vie affective TOTAL
** Les pourcentages sont calculés pour chaque période, c’est-à-dire par colonne et sont donnés à titre indicatif. ** L’âge retenu est celui du début de l’enquête en 1998, alors que l’activité de travail et la vie affective sont celles vécues au moment de l’entretien.
La méthodologie du type d’entretien utilisé consiste à fournir aux individus un espace d’expression afin qu’ils puissent faire le récit de leur propre expérience et de leur histoire. Cette occasion les amène à élaborer dans l’espace ainsi ouvert un récit qui n’aurait probablement pas eu l’occasion d’émerger dans les mêmes termes dans d’autres conditions (Pierret, 1994 et 2001b). L’intervieweur se centre sur les propos et les modes de raisonnement des interviewés et en suit strictement le cheminement en les aidant à s’exprimer et à approfondir certains aspects. La formulation de la consigne de départ de l’entretien a donc été suffisamment large et ouverte pour laisser toute liberté aux personnes de s’exprimer comme elles le souhaitaient : J’aimerais que vous me racontiez comment ça s’est passé pour vous depuis que vous connaissez votre contamination par le VIH, que vous me racontiez les changements que ça a pu provoquer dans votre vie personnelle, familiale, professionnelle...
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Caen Brest Brest Nice Nice2 Paris-Cochin Caen Nice Nice Caen Caen Nice Nice Nice Nice Nice Nice Nice Nice Caen Nice Nice Nice2 Nice Nice Nice2 Nice Nice2 Montp Montp Nantes Nantes Paris-Bichat Montp Montp
Luc Charles1 Fatou Jules Marco Florence Bernard Laurent Jacqueline Didier Philippe Paul Patricia Françoise Franck Florent Oriane Toni Patrick Pierre Marc Albert Christian Ahmed Serge Odile Dominique Nicole Clément Alban Daniel Christophe Jean Ali Félix 23 41 39 37 32 38 30 36 38 49 43 44 39 35 42 33 38 34 34 36 39 50 35 30 44 27 27 35 29 24 26 37 56 28 33
Âge homo hétérodiv2enf hétérocouple-2enf hétérocouple+ homo drogueveuv+2enf hétérocouple-lenf homocoupledrogue divenf homocouple+ sangcouple+2enf droguediv4enf hétérocouple+2enf. droguedivlenf homo drogue droguedivlenf homoavecPatrick homoavecToni droguecouple-2enf hétérocouplehétérodivenf droguedivlenf droguecouple-2enf hétérocouplehétérodiv+lenf homocouplehétéro homoavecAlban homoavecClément homo hétérocouple-2enf hétébi homo hétéro
Contamination CAP CEP CEP CAP CAP CEP BEP CAP bac bac bac BTS BTS BEP CAP CEP CAP BEP BEP BEP BEP CAP bac CEP BEP BEP CAP bac+2 bac sup bac+ 2 CAP sup CAP CAP
Diplôme Dépistage 1994 1991 1994 1991 1992 1991 1992 1988 1987 1987 1990 1985 1992 1997 1996 1985 1985 1997 1997 1997 1996 1998 1991 1985 1994 1996 1994 1998 1998 1998 1997 1998 1992 1997 1992
Emploi AAH2 emp. de presse artiste transp. AAH inactive hôtellerie pompier AAH ingénieur artiste élect.AAH hôtellerie AAH restauration AAH employée restauration ambulance chauffeur pompier agent entret. serveur aide-boucher AAH chômage artiste AAH employée commerce chômage chargé de mission restauration enseignant chômage ingénieur son
Traitement : nombre d’entretiens naïf3 (2 ent) non naïf (3 ent) non naïve (l ent) naïf (l ent) décédé lors du 3e ent non naïf (l ent) naïve (3 ent) non naïf (3 ent) non naïf (3 ent) non naïf (2 ent) non naïf (2 ent) naïf (3 ent) non naïf (2 ent) non naïve (2 ent) non naïve (décédée après 1er ent) non naïf (2 ent) non naïf (décédé après 1er ent) naïve (3 ent) naïf (3 ent) naïf (3 ent) naïf (3 ent) non naïf (3 ent) naïf (l ent) non naïf (3 ent) non naïf (l ent) non naïf (3 ent) naïve (3 ent) naïf (2 ent) non naïve (3 ent) naïf (3 ent) naïf (3 ent) naïf (3 ent) naïf (3 ent) naïf (3 ent) naïf (3 ent) naïf (3 ent)
1. Les prénoms en gras servent à désigner les personnes interviewées à trois reprises et qui ont été citées dans le texte. Ces prénoms sont des pseudonymes. 2. Allocation adulte handicapé. 3. Sans traitement avant d’entrer dans la cohorte.
Ville
Prénom
Tableau 2 Caractéristiques individuelles des 35 personnes interviewées (1998-2000)
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Les traitements antirétroviraux
Quand la personne semblait avoir fait le tour et épuisé ce qu’elle souhaitait dire, l’intervieweuse reprenait certains thèmes abordés pour les faire approfondir. D’une durée moyenne d’une heure, tous les entretiens ont été enregistrés au magnétophone et intégralement retranscrits. Les deuxième et troisième entretiens ont débuté avec une consigne de forme semblable en mettant l’accent sur les changements survenus au cours des mois précédents : Nous vous avons rencontré il y a huit mois environ (ou nous nous sommes vus pour la dernière fois, il y a un an). Pourriez-vous me raconter comment cela s’est passé pour vous pendant cette période, y a-t-il eu des changements dans votre vie professionnelle, familiale, personnelle, amoureuse...
Comme au cours du premier entretien, il s’agissait de sortir du ponctuel et de l’événementiel pour faire explorer les significations pouvant même être implicites sans négliger pour autant des épisodes plus anciens, que ce soit avant ou depuis la contamination, que l’interviewé pouvait aborder pour la première fois ou sur lesquels il pouvait revenir. Si l’interviewé n’évoquait pas ou trop rapidement le traitement, une relance était introduite : « et pour le traitement comment cela se passe ». En effet, les deuxième et troisième entretiens se proposaient d’explorer le traitement, ses avantages en termes de vie quotidienne (travail, activité...) et ses contraintes (régularité, levée du silence...). Il s’agissait aussi de repérer les moments d’oubli ou d’irrégularité dans la prise du traitement et d’appréhender le sens donné à la contrainte de régularité enfin de voir si des questions surgissaient sur l’incertitude des effets et des résultats (résistances...) ainsi que sur la prise du traitement au long cours. La durée des deuxième et troisième entretiens a été variable et dans l’ensemble moins longue que pour les premiers entretiens. L’exploitation des données recueillies s’est appuyée sur une approche inductive. Centrée sur la parole des personnes interviewées, elle a privilégié leur point de vue, c’est-à-dire les contenus qu’elles ont abordés ainsi que la façon dont elles les ont mis en forme. Pour cela, l’imprégnation du matériel par des lectures répétées et successives des entretiens permet de dégager les grands thèmes abordés ainsi que leur organisation. La position du chercheur est alors centrale dans la mesure où il établit les thèmes et les organise pour élaborer des schémas interprétatifs. Mais comment analyser trois entretiens qualitatifs recueillis auprès des mêmes personnes sur une durée de vingt mois ? L’absence d’expérience dans ce type d’analyse m’a conduite à adopter une position pragmatique de façon à prendre en compte toutes les personnes : chaque série d’entretiens a été analysée successivement et indépendamment. L’analyse s’est faite quasiment « en aveugle », car ayant moi-même réalisé des entretiens et parfois à trois reprises avec la même personne, je n’étais pas complètement naïve et vierge de souvenirs et d’émotions. Elle s’est élaborée au fur et à mesure de la rédaction sans tenir compte des entretiens suivants et sans connaissance de l’ensemble du matériel. Une fois le travail de rédaction et d’élaboration complètement terminé, quelques ajustements ont été effectués sans que le cadre d’analyse ait été remis en cause.
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Si ces personnes font le récit de leur vie et abordent l’ensemble de ses dimensions professionnelles, affectives et familiales, seuls les résultats relatifs au traitement sont présentés ici (Pierret, 2002). Un cadre d’analyse a été élaboré pour rendre compte de la place prise par les multithérapies dans la vie de ces personnes au cours des vingt mois. Dans les premières semaines, la question qui émerge est celle du « pourquoi ce traitement, pourquoi maintenant » et de sa signification dans leur histoire avec le VIH. Huit mois plus tard, l’usage et l’ajustement du traitement aux contraintes de la vie quotidienne sont devenus les questions centrales, alors qu’après vingt mois un certain désenchantement se fait jour face aux modifications intervenues dans ce traitement et aux difficultés d’en maîtriser l’expérience. Après avoir présenté les interprétations autour du traitement dans les premières semaines, l’analyse de la place qu’il occupe dans la vie et l’habitude que ces personnes en ont prise huit et vingt mois plus tard sera développée à l’aide des notions d’intégration et d’expérience.
2.
L’ACCEPTATION ET LA MISE EN PLACE DU TRAITEMENT DANS LES PREMIÈRES SEMAINES
Dans les semaines qui suivent le début du traitement, celui-ci n’est pas au cœur des préoccupations des personnes interviewées même si elles abordent certains aspects qui ont pu être regroupés autour de la description du traitement, des contraintes qu’il représente dans leur vie quotidienne et des gênes ressenties. En revanche, les interrogations sur sa signification dans leur histoire avec le VIH sont centrales.
2.1.
UN TRAITEMENT MAL CONNU
Chez plusieurs personnes, la mise sous inhibiteur de protéase n’est pas clairement identifiée surtout quand elles étaient traitées et qu’elles avaient déjà connu plusieurs changements de médicaments. Le relevé des noms de médicaments spontanément nommés au cours de l’entretien permet de mieux comprendre cet aspect : 19 personnes sur 35 citent des médicaments et, parmi ces personnes, 13 avaient déjà un traitement. L’AZT, et sous cette appellation, est ainsi nommé par treize personnes. Huit personnes seulement citent des inhibiteurs de protéase dont quatre d’entre elles sont traitées pour la première fois. Dans l’ensemble, les médicaments sont plus souvent désignés par la couleur, la taille, la forme ou le goût. Ces éléments sont difficilement interprétables en termes de connaissance ou de méconnaissance, car ils peuvent avoir des sens différents : les personnes peuvent effectivement ne pas savoir ou ne pas avoir envie de savoir, ne pas y penser dans le cadre de cet entretien, car cela ne leur semble pas important, ou encore ne pas souhaiter aborder cette question et faire volontairement le silence. Si les médicaments eux-mêmes ne retiennent guère leur attention, les caractéristiques du traitement ne semblent pas non plus trop les préoccuper : dans l’ensemble, elles citent le nombre de comprimés qui varie entre 10 et 15 par jour pris en deux ou trois fois.
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Les traitements antirétroviraux
Cependant, elles reconnaissent toutes qu’il s’agit d’une « contrainte » même si elles estiment que celle-ci n’est pas si importante et surtout moins forte que ce que les médecins leur avaient annoncé. Patrick s’exprime dans des termes si généraux que l’on pourrait les retrouver chez toute personne ayant à suivre un traitement quel qu’il soit : « C’est un peu la contrainte, c’est sûr de prendre les cachets, de ne pas les oublier faire attention comment on les prend, où on les prend, de ne pas manger avant, de ne pas manger après. » Dans l’ensemble, ces contraintes sont surtout ressenties par rapport à la vie professionnelle et familiale, même si pour près de 4 personnes sur 10 (13 d’entre elles), ce sont les médicaments eux-mêmes qui leur posent problème du fait de leur taille, de leur goût ou de leur nombre, comme le souligne Marc : « Ils sont énormes, oui, ils sont gros, énormes et ils ne sont pas bons. La totale. »
2.2.
UNE CONTRAINTE DANS LA VIE QUOTIDIENNE
Le respect scrupuleux des horaires pour la prise des médicaments n’est pas sans leur poser des problèmes d’organisation, compte tenu des contraintes professionnelles, familiales ou du maintien du secret sur la contamination. Six personnes sur 10 qui travaillent ont un problème pour prendre les médicaments du fait des horaires. Travaillant en 3/8, Laurent raconte : Je peux faire le matin à cinq heures comme les après-midi entre treize et vingt et une heures et je fais des nuits. Donc comme il faut douze heures à peu près d’espace entre les prises, c’est difficile. Donc, il y a des fois je le prends à vingt et une heures et je reprends souvent à cinq heures du matin.
Les personnes qui ont des horaires plus réguliers peuvent aussi éprouver des difficultés à certains moments de l’après-midi pour « sortir en pleine réunion » comme Daniel, ou au moment de la prise du soir pour des raisons de fatigue et d’heures de sommeil. Enfin, sortir, aller dîner au restaurant ou chez des amis suppose de penser à emporter ses médicaments et de trouver un moment ou un lieu pour les prendre. En d’autres termes, des circonstances exceptionnelles, « hors norme », au travail comme dans la vie de tous les jours, révéleront le caractère contraignant du traitement. C’est pourquoi, dès le premier mois, plusieurs personnes vont mettre en place des routines, le plus souvent dans la vie domestique, en calant la prise des médicaments sur des moments particuliers de la journée et en phase avec des activités (Race et Wakeford, 2000) : le traitement sera pris immédiatement en se levant avec parfois la nécessité d’avoir recours à la sonnerie du réveil pour Florence, Alban et Clément ou au moment du retour à la maison ou du dîner pour Toni et Patrick. Néanmoins, les heures de prise ne sont pas toujours strictement respectées et des décalages peuvent avoir lieu ; parfois même des oublis, volontaires ou non, se sont produits ou pourront se produire, ce que Patrick n’interprète pas de façon négative : « Bon ça va nous arriver certainement de temps en temps de les oublier, il faut éviter mais bon des fois on est tellement pris qu’on peut. À la limite, c’est presque pas plus mal parce que c’est qu’on n’y pense pas quoi. »
© 2004 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Les traitements antirétroviraux, Joseph J. Lévy, Janine Pierret, Germain Trottier (dir.),
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La mise en place de routines pour le traitement se fait aussi en fonction du maintien du secret : 14 personnes disent se cacher pour prendre les médicaments qui peuvent aussi être banalisés (conservation dans du papier aluminium pour Laurent, suppression des étiquettes par Christophe). Bernard a immédiatement choisi le traitement en deux prises : « C’était le plus facile pour moi par rapport au boulot et par rapport à si je vais chez quelqu’un. C’est matin et soir parce que je ne prends pas mes médicaments devant les gens. » Se cacher pour prendre son traitement correspond à la fois à la peur du stigmate et au fait qu’un traitement médical relève davantage de la sphère domestique et privée que de la sphère publique (Conrad, 1985 ; Broqua, 1999 ; Race et Wakeford, 2000). Le traitement s’accompagne, pour 13 personnes, d’une contrainte particulière liée à des changements dans leurs habitudes alimentaires (boire beaucoup d’eau, manger trois fois par jour, supprimer les graisses...)
2.3.
DES GÊNES ET DES DÉSAGRÉMENTS
La prise du traitement produit des troubles qui gênent la vie quotidienne de la moitié des personnes : les nausées sont les plus fréquemment évoquées puis la fatigue et les diarrhées. Ces gênes et ces difficultés sont surtout ressenties dans les premiers jours du traitement et la plupart des personnes s’empressent d’ajouter que ce n’est pas grand-chose, que le traitement va se banaliser et prendre sa place. Néanmoins, la moitié des personnes interviewées dit « bien supporter le traitement ». L’analyse de cette expression a mis en évidence des sens différents en fonction des personnes ainsi que des variations au cours d’un même entretien : ne pas avoir les effets secondaires annoncés par les médecins ou lus sur les notices ; sentir une amélioration de l’état physique et une reprise de la vitalité même si seuls les examens biologiques apporteront la confirmation. Ainsi, dès les premières semaines du traitement, ces personnes ont fait un travail de mise à distance et de banalisation des gênes qu’il peut occasionner. Il s’agit bien pour elles de montrer que le traitement n’est pas aussi éprouvant qu’elles l’avaient cru et qu’elles font tout pour s’y habituer, le supporter et l’accepter. Deux hommes font exception : Luc a arrêté de lui-même le traitement au bout de quinze jours et Franck « s’accroche », car il veut que le traitement soit efficace : il négocie donc entre des gênes importantes et le maintien de son activité professionnelle. Même s’ils ne sont venus qu’aux deux premiers entretiens, Luc et Franck sont évoqués, car ils sont les seuls à avoir fait part d’autant de difficultés avec le traitement.
2.4.
UN DÉLAI DE RÉFLEXION NÉCESSAIRE
Au-delà des aspects descriptifs du traitement, il s’agit de prendre en compte la façon dont les personnes l’ont resitué dans leur histoire de maladie et leurs relations avec le médecin. Si le médecin est toujours à l’initiative de la proposition, le traitement a souvent fait l’objet d’une négociation avec lui avant d’avoir été
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accepté. Ces personnes ont eu besoin de temps, d’abord, pour se faire à l’idée même d’un traitement ou d’un changement de traitement, puis pour appréhender ses contraintes éventuelles et ses conséquences sur l’organisation de leur vie et, enfin, pour peser le pour et le contre, c’est-à-dire en évaluer les inconvénients par rapport aux bénéfices. Une personne sur trois insiste sur l’importance de ce moment de réflexion qui a parfois duré plusieurs mois. Ce délai de réflexion peut aussi être mis à profit pour en parler avec une tierce personne qu’il s’agisse d’un compagnon, d’une conjointe ou d’un parent. Mais surtout, cette tierce personne intervient de façon indirecte et occupe, sans toujours le savoir, une position centrale dans la prise de décision : le traitement est accepté et pris en référence à une ou à des personnes particulières, c’est le cas par exemple de celles qui ont des enfants et qui souhaitent les voir grandir, par exemple Philippe et Christophe. Jamais traitée, Florence dont le mari est mort quelques années auparavant, l’exprime clairement : « Je sais qu’il faut que je le prenne pour ma petite fille parce que je vous dis j’y crois quand même », et elle ajoute un peu plus loin : « Et puis je l’ai pris pour ma mère parce qu’elle a tellement fait pour moi et elle est en train de craquer ». Cela souligne, si besoin était, l’importance de l’entourage et surtout le fait de faire quelque chose pour quelqu’un d’autre que soi (Broqua, 1999). Le temps de la réflexion nécessaire avant d’accepter le traitement et la négociation avec le médecin pour l’adapter aux contraintes de la vie quotidienne révèlent l’importance de ce que l’on a appelé la capacité de maîtriser la situation, que cette capacité soit réelle ou supposée. C’est également en termes de maîtrise que l’on peut interpréter la description que font plusieurs personnes de la façon dont elles décalent les heures de prises des médicaments en fonction des contraintes de travail ou des gênes dans la vie quotidienne. Cela ne doit cependant pas masquer leurs interrogations sur la peur d’un traitement à vie et la dépendance que cela signifie, voire de « l’engrenage » dans lequel elles disent entrer. La dimension du temps est centrale pour interpréter ces éléments relatifs au traitement : temps de la réflexion pour son acceptation ainsi que temps de sa mise en place. Le traitement est donc un processus qui, d’une part, demande du temps et évolue dans le temps et qui, d’autre part, s’appuie sur les possibilités de maîtrise que les personnes peuvent mettre en place et sur les négociations dans lesquelles elles entrent tant avec les professionnels qu’avec leur entourage.
2.5.
DES SIGNIFICATIONS DIFFÉRENTES DONNÉES AU TRAITEMENT
Au cours du premier entretien, l’interrogation centrale est celle du « pourquoi le traitement ? », « pourquoi maintenant ? » c’est-à-dire le sens que ces personnes donnent à ce traitement et la façon dont elles le situent dans leur histoire avec le VIH. Deux façons différentes d’interpréter la prise de ce traitement ont été dégagées : pour 22 personnes, prendre ce traitement signifie une aggravation de leur état, en d’autres termes, « elles vont plus mal » et ce traitement est le moyen pour elles « d’éviter de tomber malade ». C’est dans ces termes que s’exprime Odile qui n’avait
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jamais été traitée : « Au départ, j’étais complètement contre. J’avais peur en fait, pour moi c’était “ tu prends un traitement, tu es finie ”. » Philippe, également non traité et dépisté depuis 1990, était exténué : « Ça n’allait pas du tout ! Et je me suis dit “ je suis en train de crever, il faut que je fasse quelque chose de toute urgence ”. C’est pour ça que je suis allé à l’hôpital. » Ces personnes sont aussi nombreuses à avoir déjà eu un traitement qu’à en recevoir un pour la première fois, et les deux tiers d’entre elles ressentent beaucoup de gênes dans la vie quotidienne. Treize autres personnes resituent la prise de ce traitement dans leur histoire de l’infection à VIH pour la considérer comme « logique », voire « normale » et devant leur arriver un jour. Jean, dépisté en 1992, n’avait jamais eu de traitement, il s’appuie sur sa relation de confiance avec le médecin pour raconter : On a parlé des progrès thérapeutiques. Donc, ça s’est intégré et puis je savais que le moment allait venir et quand le moment est venu, j’étais prêt, quasiment prêt pour y passer. Voilà, ça s’est fait assez naturellement. Je pense que j’étais bien préparé.
Les personnes récemment contaminées considèrent même qu’elles ont de la chance de pouvoir en avoir un, au moment où elles en ont besoin. Parmi ces 13 personnes, 10 sont traitées pour la première fois et, dans l’ensemble, ne se plaignent guère d’effets gênants. Il apparaît donc que le sens que les personnes donnent à ce traitement est en rapport avec le fait d’avoir ou non déjà été traité ainsi qu’avec la façon dont elles disent le supporter. Ainsi, même si toutes ces personnes ont accepté de prendre les multithérapies, elles s’interrogent sur leur sens par rapport à leur histoire avec le VIH. L’ajustement progressif à ce qu’elles qualifient toutes de « contrainte » demande du temps et s’appuie sur leur capacité à exercer une certaine maîtrise sur la situation. Le traitement doit être progressivement inséré dans la vie professionnelle et familiale sans occasionner trop de gênes dans l’activité. Parmi ces 35 personnes, 2 hommes, Luc et Franck, ont spontanément arrêté le traitement, car ils ne pouvaient plus continuer leurs activités.
3.
AU BOUT DE HUIT MOIS, DES RELATIONS RENFORCÉES AVEC LES MÉDECINS
Les personnes réinterviewées au bout de huit mois sont plus nombreuses à être traitées pour la première fois et ne connaissent donc pas cet effet de lassitude marqué par les changements de traitement et leurs échecs successifs, comme nous le verrons dans les cas de Franck et Serge. Elles sont aussi plus nombreuses à avoir considéré que ce traitement s’inscrivait normalement dans leur histoire de maladie et qu’elles ont même la chance d’en bénéficier. En d’autres termes, les personnes qui sont revenues au bout de huit mois sont à la fois celles qui recevaient un traitement pour la premières fois et celles qui l’ont envisagé comme une étape normale dans l’histoire de leur infection à VIH.
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Les traitements antirétroviraux
3.1.
LA CONFIANCE DANS LA MÉDECINE ET LES MÉDECINS
À la différence des premiers entretiens, les relations avec la médecine et les médecins sont largement développées et organisent même les récits autour du thème de la confiance. La vie de ces personnes s’organise désormais avec la médecine. D’un côté, si la prise des multithérapies a tendance à se banaliser à travers une certaine routinisation, elle encadre cependant la journée ; de l’autre, la fréquence des rendez-vous médicaux, bimensuelle et parfois même mensuelle, organise leur calendrier. Ce thème central de la confiance prend toutefois des sens différents et recouvre des réalités distinctes. En effet, Florence, Clément, Alban et Daniel disent avoir confiance dans leur médecin qu’ils nomment à plusieurs reprises, montrant ainsi qu’ils sont dans une relation très personnalisée. Charles, Oriane et Christophe font confiance aux médecins et à l’équipe, comme l’explique Oriane : Je fais entière confiance aux médecins, je leur laisse faire tout ce qu’ils veulent, je suis confiante [...] Tant qu’ils ne savent pas trop eux, moi, je ne sais pas trop, par contre, je leur fais entièrement confiance, je suis bête et disciplinée.
Laurent et Serge insistent sur le fait qu’ils ne peuvent pas faire autrement que d’avoir confiance étant donné ce qu’est ce traitement. « Je ne vois pas comment quelqu’un qui n’est pas médecin peut avoir le choix », souligne Serge qui était à 80 T4 et qui a dû changer plusieurs fois de traitement en deux ans. L’incertitude sur l’état des connaissances médicales s’accompagne donc d’une délégation à ceux qui savent et la confiance est aveugle, car l’information est surtout aléatoire et incertaine (Giddens, 1994). Cette confiance dans la médecine et dans ses avancées est très largement présente et se retrouve exprimée dans des termes différents, mais qui veulent dire la même chose : les médecins vont bien finir par trouver quelque chose. Si Bernard estime « la médecine travaille pour moi », Laurent exprime dans une phrase lapidaire cette dichotomie dans la confiance entre médecine et médecins : « J’ai confiance dans la médecine pas dans les planteurs d’aiguilles. » Nicole dit en riant : « J’attends le médicament miracle qui va enlever tout ça » et ajoute, manifestant ainsi la conscience qu’elle a des limites de ce qu’elle demande « on peut toujours espérer ». Néanmoins, si les délais sont lointains « à échéance de dix ans » pour elle comme pour Pierre et Christian, ces personnes considèrent que le progrès des connaissances est en marche. Cet espoir mis dans les avancées médicales est à rapprocher du fait que la majorité d’entre elles avaient estimé huit mois auparavant que ce traitement s’inscrivait normalement dans leur histoire avec le VIH, voire qu’elles avaient eu de la chance de pouvoir l’avoir. Tout se passe comme si elles étaient désormais prises dans le mouvement des connaissances médicales et des avancées thérapeutiques dont elles ne peuvent s’imaginer ne plus bénéficier. Huit mois après le début de ce traitement, la place prise par le thème de la confiance traduit bien à la fois cette délégation accordée aux professionnels et
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l’attente à l’égard des progrès scientifiques et surtout thérapeutiques. Car, pour toutes ces personnes, le médecin est bien le référent et le seul détenteur de la connaissance et du savoir spécialisé (Barbot et Dodier, 2000). Paradoxalement, l’exercice d’un jugement et d’une vigilance semble même s’être atténué et l’engagement dans la médecine est fort et décisif. Ces personnes vivent désormais avec la médecine et sont accaparées par leur traitement, ses effets et ses résultats.
3.2.
L’INTÉGRATION DU TRAITEMENT DANS LA VIE QUOTIDIENNE
La prise en compte de la durée a conduit à développer une approche dynamique du traitement antirétroviral hautement actif en termes de processus d’intégration dont deux étapes ont été dégagées : l’acceptation et l’appropriation. Chacune d’entre elles est organisée autour du temps et de l’autorégulation, c’est-à-dire des possibilités de maîtriser la situation et de la négocier avec les professionnels comme avec l’entourage. Dans les premières semaines, comme on l’a vu, prendre le temps de la réflexion avant de commencer le traitement a permis à ces personnes d’entrer dans des relations de négociations avec les professionnels et parfois même avec leur entourage. À travers ces diverses négociations, elles ont alors l’impression qu’elles peuvent exercer, voire qu’elles exercent une certaine maîtrise sur ce qui leur arrive. Cette étape de l’acceptation du traitement est une construction qui prend en compte un ensemble de moments parfois difficiles à définir et qui peuvent se télescoper. Ils correspondent à une série d’arbitrages plus ou moins verbalisés et formalisés, évoqués rétrospectivement par les personnes au cours des entretiens. En effet, compte tenu des critères de sélection et d’inclusion dans la cohorte APROCO, toutes les personnes interviewées ont, au sens strict, accepté ce traitement puisqu’il en est la condition. Il ne peut donc s’agir d’étudier le processus de décision d’acceptation ou non d’un traitement, comme cela a été fait par exemple pour le cancer du sein (Charles et al., 1998). Cette première étape est suivie de l’appropriation qui comporte trois moments principaux : apprendre à connaître les médicaments, mettre en place le traitement et en contrôler les désagréments. À chacun de ces moments qui peuvent se succéder ou être simultanés, on retrouve l’importance du temps et de l’autorégulation. On a vu que la connaissance des médicaments était très peu maîtrisée au cours du premier mois, en particulier, par les personnes déjà sous traitement qui ne perçoivent pas clairement la nature du changement. Mais, au bout de huit mois, toutes les personnes citent intégralement et sans la moindre hésitation, souvent même sous forme d’une litanie, l’ensemble de leurs médicaments. Philippe, qui en 1998 accrochait les noms et ajoutait « il y en a un rouge et blanc et un tout petit comprimé blanc », n’a plus la moindre hésitation huit mois après « mon traitement est pareil, Crixivan, Zérit et Epivir ». Ali, qui n’avait pas parlé du traitement lors du premier entretien, cite maintenant ses médicaments « Videx, Viracept et Zérit, deux fois par jour » et décrit en détail la façon dont il les prend. Laurent, qui avait déjà été traité, trouvait en 1998 que les médicaments avaient
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« des noms bizarres », mais huit mois plus tard il se souvient parfaitement qu’il prend « Norvir, le plus puissant, le Zérit et Epivir en 40 milligrammes ». La connaissance des médicaments s’acquiert donc progressivement en s’appuyant sur leur usage et semble être le premier élément de l’appropriation. Plusieurs personnes sont maintenant passées à deux prises par jour, plus faciles à organiser tant au regard de la vie professionnelle que familiale soit comme Alban en le demandant au médecin, soit plus fréquemment à l’initiative de ce dernier. Ce sont surtout les difficultés que posaient les médicaments en raison de leur taille ou de leur nombre qui ont disparu au bout de huit mois. Patrick s’est progressivement habitué à la taille des médicaments grâce à différentes techniques : Au début ils restent un peu coincés et avec le temps on s’habitue, c’est toute une technique. Il faut un peu saliver, il faut mouiller le médicament avec la salive et après on avale. C’est une technique et on l’apprend qu’après car au début on le prend, on l’avale et cling il reste coincé au milieu de la gorge.
Philippe lui est plus radical : « Maintenant, c’est devenu une habitude, de la rigolade. » Cette notion d’habitude qui apparaît dans presque tous les entretiens rend bien compte de l’effet du temps et de la maîtrise qui a été acquise. « Ça rentre dans le quotidien et on vit avec, maintenant c’est instinctif. Le matin on se lève, toc on prend et c’est parti », insiste Christophe qui a « accordé » son traitement en fonction de son travail et qui dit être « bien avec trois prises par jour ». Son exemple illustre l’importance de cette adaptation du traitement en fonction des contraintes de la vie de chacun et donc au cas par cas indépendamment du nombre de prises. Cette maîtrise est bien celle exercée sur les diverses contraintes et ne dépend pas seulement et de façon mécanique du nombre de prises. Ces personnes acceptent avec moins d’anxiété les contraintes qu’elles ont appris à négocier ainsi que l’existence de décalage dans les horaires de prises. Laurent qui travaille toujours en 3/8 a encore des problèmes pour respecter les douze heures mais après avoir discuté avec les médecins, il a appris à adapter ses horaires de prise de médicament à ses contraintes professionnelles : « Bon alors des fois ça fait huit-neuf heures, on ne va pas chipoter pour... et puis les médecins m’ont dit “ bon c’est douze heures mais neuf heures c’est bon, en dessous ça ferait trop ”. » Toni a des horaires variables dans l’hôtellerie : Des fois, je commençais à seize heures, je faisais l’après-midi ou je faisais le matin ou des fois mes horaires de coupure, il fallait adapter le traitement, prendre le médicament au boulot mais bon je m’en suis plus ou moins bien sorti [...] »
mais il ajoute qu’il oublie une à deux fois par mois la prise de l’après-midi. Jean constate avec le temps un « relâchement » qu’il associe également aux bons résultats. D’une façon générale, la prise de l’après-midi est celle qui est la plus difficile à respecter du fait de l’activité professionnelle. Cependant, décalages et oublis sont interprétés positivement : ils signifient que le traitement n’est plus
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une obsession et que la situation est mieux acceptée. Patrick, qui dit oublier une ou deux fois par mois une prise, s’exprime de façon plus radicale que lors du premier entretien : « À la limite, c’est bien des fois qu’on les oublie, ça veut dire qu’intellectuellement ça va mieux et qu’on ne pense pas qu’à ça. » Pour Daniel aussi, ces oublis ont leur importance : « Ça me fait plaisir aussi de dire que j’ai oublié, c’est signe que quelque part aussi on a accepté l’état de santé et qu’on le gère pas mal. » Ces décalages et ces oublis ne prennent cependant pas le même sens que celui qu’il a pour les malades atteints d’épilepsie : tester l’efficacité des médicaments ou contrôler leur état de dépendance (Conrad, 1985). En effet, la survenue plus ou moins rapide de la crise conduira ces derniers à des ajustements avec les médicaments alors que dans le cas de l’infection à VIH, ce sont les résultats biologiques de la charge virale et de l’évolution du nombre de T4 qui fourniront les éléments nécessaires à l’appréciation de l’efficacité du traitement. L’autorégulation des personnes VIH correspond surtout à l’importance pour elles de s’aménager un espace de liberté avec le traitement. Reconnus et acceptés, ces oublis et ces décalages sont alors liés à des changements de rythme dans la vie de travail ou de loisirs et presque jamais le fait du médicament lui-même. En d’autres termes, des circonstances exceptionnelles peuvent perturber les routines anti-oubli qui ont été progressivement installées, par exemple, recevoir des amis ou sortir pour dîner peut s’accompagner d’un décalage dans la prise du soir. Bernard se souvient : À part l’autre jour, je ne sais pas pourquoi, j’ai failli l’oublier, j’avais du monde à la maison, on discutait et d’un seul coup ma femme m’a dit : « eh tes médicaments », il était onze heures du soir. C’est la première fois depuis le mois de février, c’est vrai que c’est ce qu’il me disait [le médecin], ce ne serait pas dramatique de l’oublier une fois.
Cet exemple souligne le rôle que peut jouer l’entourage dans la prise des médicaments. Les hommes qui vivent en couple séroconcordant insistent sur le fait qu’être à deux à prendre le traitement est un soutien incontestable et efficace pour éviter les oublis. Au bout de huit mois, les personnes sont aussi nombreuses que dans les premières semaines à faire état de gênes et de désagréments liés au traitement, en particulier des diarrhées, mais elles semblent moins préoccupées et surtout moins inquiètes. Tout semble s’être passé comme si ces personnes avaient en quelque sorte négocié la place des désagréments dans leur vie quotidienne et qu’elles en avaient banalisé les conséquences pour considérer que cela faisait partie de leur traitement et donc de leur vie. Tel est le cas de Nicole qui, bien qu’ayant toujours des diarrhées, « ne panique plus ». Toni reconnaît qu’au début il avait des vomissements, des diarrhées, des crampes d’estomac et que maintenant « ça passe tout seul, on ne les sent plus ». Dans l’ensemble, ces personnes considèrent, selon les termes de Marc, qu’il s’agit d’un traitement « costaud et puissant » et c’est pourquoi il faut bien que cela se traduise quelque part, c’est-à-dire qu’il « fait le ménage ».
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Presque toutes les personnes, à l’exception de Luc et de Franck, disent s’être habituées à vivre avec ces désagréments. Cette habitude prise avec le temps est bien le résultat important même s’il est intéressant de relever que l’expression « s’être habitué » ne prend pas toujours le même sens : le corps s’est habitué au traitement et donc les désagréments sont moins fortement ressentis insiste Marc ; ou alors c’est la personne elle-même qui s’est habituée aux gênes causées par le traitement, en particulier les diarrhées et la fatigue, comme le formule Clément : « À force, on s’habitue à plein de choses. On s’aperçoit que les petits trucs qui tracassent au départ, eh bien, au bout de quelques mois, ça devient quelque chose de normal presque. » Enfin, le traitement lui-même est devenu une habitude et a trouvé sa place dans l’organisation quotidienne de chaque personne : « Je vis avec », souligne Jean alors que Florence se rappelle combien elle a changé : « Quand je le prenais je me disais “ tu es en train de prendre ça pour ne pas mourir ” et ça me gênait, ça me dérangeait. Maintenant j’avale ça, je n’y pense même pas. » Cette habitude est telle que trois personnes n’ont pas voulu changer de traitement lorsque le médecin le leur a proposé, car elles estimaient que leurs résultats étaient satisfaisants malgré la persistance des désagréments et selon leur expression : « On ne change pas une équipe qui gagne. » Parmi les 24 personnes revues au bout de huit mois, Luc et Franck sont toujours les seuls, comme dans les premières semaines, à éprouver des difficultés avec le traitement. Luc, qui n’avait jamais eu de traitement, avait arrêté de luimême dès les premiers jours, car « le traitement le rendait malade, une vraie galère avec des diarrhées et la perte du sommeil », puis il avait repris de façon discontinue. Avec plus ou moins de régularité, il poursuit le traitement et se rend aux consultations, peut-être en partie à cause du pouvoir de surveillance et de contrôle qu’il attribue aux médecins et qu’il est le seul à mentionner : « Les médecins se seraient rendu compte sur ma prise de sang que j’avais arrêté. » Franck, qui travaillait seize heures par jour avec la bithérapie, insiste sur le fait que depuis qu’il prend la trithérapie il est « complètement déphasé » avec des pertes de mémoire, des troubles du sommeil, des diarrhées, des vertiges et des allergies. Sa situation est délicate, car si son traitement a été de nouveau changé il y a un peu plus de deux mois, il est moins fatigué et a repris des kilos, mais les résultats sur la charge virale ne sont pas satisfaisants. Il ajoute « je pense que je vais refuser de changer encore de traitement pour le travail ». Son récit traduit une tension entre le respect scrupuleux du traitement « même s’il ne le supporte pas », le fait qu’il dit « ne prendre aucune décision sans en parler à son médecin », son intérêt pour d’autres médecines comme l’acupuncture et l’homéopathie et son travail qui prime sur tout. Luc et Franck étaient considérés comme perdus de vue par leur service, un an plus tard. Le processus d’intégration du traitement a pris en compte, d’une part, ce que l’on a appelé « le temps du traitement » qui se manifeste par la durée nécessaire à son acceptation et à sa banalisation et, d’autre part, « l’autorégulation » qui correspond à la possibilité de maîtriser le changement et de le négocier tant
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avec les professionnels qu’avec l’entourage. Il s’agit donc du temps et de l’espace social dans lequel vivent les personnes. Si le processus d’intégration a été étudié dans ses composantes objectives, c’est-à-dire à travers sa routinisation et sa banalisation, au bout de huit mois, d’autres éléments plus subjectifs interviennent également qui vont contribuer à ce que le traitement devienne en quelque sorte l’affaire de ces personnes.
3.3.
L’EXPÉRIENCE DU TRAITEMENT
Cette dimension subjective du traitement s’appuie à la fois sur un retour sur le sens que les personnes lui ont donné dans les premières semaines et sur les éléments d’appréciation et d’évaluation qu’elles ont acquis à travers la confrontation régulière avec les médecins et les personnels soignants. L’expérience se construit pour certaines personnes en réinterrogeant le sens qu’elles avaient donné au traitement dans les premières semaines. Florence revient sur le choc qu’elle a eu lorsque le médecin lui a annoncé qu’elle devait prendre le traitement : « Ça m’a foutu un coup, la trithérapie, ça, c’est vrai parce que je ne m’attendais pas à être à une telle limite. J’étais tellement haut. » Odile, qui a eu besoin du soutien de son compagnon pour accepter le traitement, réinterprète ce qu’est un traitement préventif et qu’elle a eu tant de difficulté à comprendre : « Quand tu le commences, c’est à vie normalement et, moi, je pensais que c’était en phase terminale alors que non ; en fait, c’est en prévention. Au départ je ne voyais pas ça comme ça. » Toni reprend l’exemple de son amieconfidente qui s’est inquiétée lorsqu’il lui a annoncé qu’il devait être traité pour préciser qu’il a seulement un traitement à titre préventif et ce que cela signifie. Clément souligne bien qu’être en quadrithérapie, même avec deux prises par jour au lieu de trois, n’est pas si simple à comprendre : « On dit “ tiens, quadri, donc, c’est plus grave ” et puis en fait ce n’est pas plus grave qu’autre chose, c’est juste une pilule en plus. » Ces personnes ont surtout, au cours des huit mois, construit leur expérience du traitement sur la prise en compte et l’appréciation des résultats. Cette appréciation recouvre plusieurs niveaux. Si Charles, Laurent, Nicole, Philippe, Clément et Jean s’appuient sur les résultats biologiques de la charge virale et du nombre de T4, Charles et Nicole font également référence à leurs sensations et à la façon dont ils se sentent, c’est-à-dire qu’ils apprécient le traitement par rapport à eux et à travers ses effets. Mais, dans l’ensemble, cette évaluation est faite indirectement comme s’il y avait besoin d’une confirmation extérieure, que ce soit par les résultats eux-mêmes ou par les médecins, pour apprécier son efficacité. Patrick emploie une formule à la fois vague et impersonnelle : « D’après les analyses, ça va de mieux en mieux, ça marche. » Pour Marc et Christian qui emploient presque les mêmes termes, ce lien est direct : « Je réagis bien puisque je suis indétectable » pour le premier et « apparemment, ça va puisque j’ai de bonnes
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analyses » pour le second. Enfin, Florence et Odile ne s’appuient que sur les réactions du médecin pour évaluer le traitement : « Là, il [le médecin] a des résultats où il est hyper content et il dit que c’est même assez extraordinaire », selon les termes de Florence qui a une relation forte et personnalisée avec le médecin, alors qu’Odile s’exprime de façon plus distanciée : « Ça va les résultats, c’est normal, le médecin est même content. » Mais constamment fatiguée, elle ne sait pas si cela vient « de son foie un peu fatigué, du virus ou du traitement ». L’intervention du médecin est alors décisive : « il m’a dit que normalement ça n’avait rien à voir puisque j’ai de bons résultats. C’est plutôt le foie ». Ce décalage entre état physique ressenti et résultats du traitement est aussi exprimé par Serge qui, traité depuis plusieurs années, estime que c’est ce traitement qui le rend malade et lui donne ses violentes douleurs, car « au niveau des papiers, sur les analyses disons que le traitement a toujours réagi », ce que le médecin va lui confirmer. Philippe qui se dit toujours méfiant n’arrive pas à s’expliquer pourquoi [...] les analyses de sang sont super bonnes, parce qu’il n’y a pratiquement plus de virus dans le sang, quasiment indécelable. Donc je dois pouvoir vivre comme tout le monde or j’ai toujours de temps en temps des malaises, des moments de fatigue.
Ces citations soulignent la complexité de la situation dans laquelle se trouvent ces personnes pour apprécier l’efficacité du traitement et confirment, si besoin était, le poids déterminant des paramètres biologiques dans l’infection à VIH. Ce sont eux et seulement eux qui vont permettre d’apprécier son efficacité, c’est-à-dire s’il « marche », et ce indépendamment des gênes et des désagréments qu’il va procurer et de la façon dont les personnes se sentent, c’est-à-dire ses effets. La caution du médecin est alors déterminante. Cependant, le traitement ne donne pas toujours les résultats escomptés. Comme nous l’avons vu, Franck éprouve des difficultés pour travailler depuis qu’il prend le nouveau traitement sans que pour autant celui-ci fasse baisser la charge virale : « Je n’ai pas de traitement qui me va bien ». Il se plaint comme Serge de changer trop souvent de traitement et son corps ne peut pas s’habituer aux intolérances qui disparaissent selon lui au bout de quatre-vingt-dix jours. Quant à Serge qui a déjà eu « quatre, cinq ou six traitements depuis trois ans qu’ils me soignent », son nouveau traitement semble le satisfaire : « celui-là il marche, on ne va pas le changer m’a dit le docteur ». Franck et Serge manifestent à la fois leur impatience d’avoir enfin un traitement qui marche et leur lassitude de ces changements répétés. Oriane, Pierre et Félix ont eux aussi des résultats qui ne sont pas tout à fait satisfaisants, mais ils sont dans une situation différente puisqu’ils reçoivent leur premier traitement et ne semblent ni impatients ni inquiets d’autant plus qu’ils ont confiance dans les médecins et dans la médecine. Cette appréciation des résultats du traitement s’accompagne parfois d’un jugement. Lorsque les résultats sont satisfaisants et donc que le traitement « marche », c’est « encourageant » pour Jean et « important » pour Florence. Ces jugements reflètent-ils leurs propres prises de position ou la reprise des paroles
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du médecin ou sont-ils le produit de leur confrontation ? D’autres personnes mobilisent dans des sens différents le raisonnement statistique. Laurent et Philippe sont dans une posture réflexive qui révèle l’acquisition d’un certain savoir sur la maladie. Laurent s’exprime dans un langage imagé : « Il y a trois mois j’étais indétectable, mais c’est pas parce qu’on gagne maintenant que la semaine prochaine la charge virale sera [...], ça, c’est un peu comme les montagnes russes », alors que Philippe s’appuie sur du concret : Moi, je suis très statistique, très mathématique, très rationnel, donc trois fois [de bons résultats] je me dis c’est bien, et puis au bout de trois ou quatre fois, je me dis apparemment maintenant c’est bon, il faut que je suive très bien le traitement, terminé et puis c’est bon jusqu’à ce qu’un jour il y ait quelqu’un qui trouve quelque chose, ça devrait être bon.
Comme Laurent et Philippe, Jean est contaminé depuis plusieurs années mais sa référence demeure la durée de survie des personnes infectées par le VIH avant l’apparition des multithérapies : Maintenant, je suis rentré dans la zone dangereuse parce que les statistiques, il y a dix ans, la moitié des gens mourait au bout de sept ans, et moi j’en suis à sept exactement [...] Je sais bien qu’il y a des gens qui durent dix ans, sans rien. On sait qu’à une époque, un tiers des gens mouraient au bout de sept ans, un autre tiers était malade et un troisième tiers était bien portant. Là, je me sens protégé quand même pour un certain temps, malgré tout.
Inquiet par ses résultats, Franck s’interroge : « Est-ce que je suis dans les 40 % qu’on ne pourra pas soigner ? On verra bien, mais je pense que j’ai un cas assez spécial. » Cet usage du raisonnement statistique, devenu majeur en médecine, traduit bien l’incertitude face au traitement, son efficacité et sa durée comme nous allons le voir. Si la notion de rémission permet de rendre compte de cette incertitude dans le cancer (Ménoret, 1999), elle n’a pas encore d’équivalent dans l’infection à VIH. Cette expérience du traitement s’accompagne aussi d’interrogations sur le temps et la durée : combien de temps le traitement sera-t-il efficace et combien de temps faudra-t-il le prendre ? Des préoccupations par rapport à son efficacité à long terme peuvent être formulées à travers l’usage d’expressions générales : « Évidemment, il y a toujours l’appréhension qu’un jour le traitement ne fasse plus effet parce que c’est déjà arrivé dans certains cas », constate Philippe. Mais des interrogations plus précises sur certaines conséquences dont les médecins et les médias parlent sont également exprimées, qu’il s’agisse des modifications corporelles ou de l’apparition de résistances. Des questionnements surgissent également sur ce que signifie un traitement à vie comme l’exprime Toni : « Un problème sur la durée maintenant qui pourrait se poser dans le sens de savoir combien de temps on va faire ce traitement, car c’est vrai que c’est contraignant et on voudrait bien que ça débouche sur quelque chose. » Ces personnes se demandent maintenant : comment vivre avec un traitement au long cours et comment l’adapter à leur vie ?
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Huit mois après avoir commencé ce traitement, celui-ci occupe une place importante dans la vie des personnes interviewées d’autant plus qu’il s’accompagne d’un suivi médical fréquent et régulier. Elles ont surtout acquis une expérience, c’est-à-dire une capacité d’apprécier et d’évaluer les effets d’un traitement qui est devenu une habitude, mais dont l’efficacité ne peut être évaluée que par les examens biologiques. Ce traitement ne constitue en rien une « expérience totale » au sens d’une vie organisée autour de cette seule finalité (Duprez et Kokoreff, 2000, p. 33). Si désormais ces personnes ont une vie avec la médecine, elle n’est qu’en partie organisée par et autour d’elle, car leurs préoccupations demeurent bien de continuer à vivre normalement. Cette place désormais prise par la médecine implique qu’elles développent des stratégies pour effectuer les ajustements indispensables entre les contraintes du traitement et l’organisation de leur vie (Rajaram, 1997).
4.
APRÈS VINGT MOIS, UNE VIE AVEC DES TRAITEMENTS
Comme cela a été relevé dès les premières semaines, le traitement antirétroviral hautement actif préoccupe diversement les personnes qui lui accordent une place variable dans leurs récits. Au bout de vingt mois, 3 personnes sur 10 n’en parlent pratiquement pas ou seulement de façon allusive. Ce que l’on peut qualifier de relative absence, compte tenu des caractéristiques du dispositif de recherche centré sur les traitements, correspond au fait que leur traitement est toujours le même et que tout se passe bien. Elles n’ont rien de particulier à en dire, car il fait maintenant partie de leur vie. Les autres personnes en parlent longuement, et ce souvent dès le début de l’entretien sans que pour autant le traitement soit devenu leur principale préoccupation. Quelle que soit la place faite au traitement dans les récits recueillis après vingt mois, les arbitrages effectués par les personnes entre les exigences de leur vie et le respect du traitement n’ont pas complètement disparus. Des tensions subsistent, voire apparaissent, et ce bien que le traitement soit maintenant intégré ; mais celui-ci ayant souvent été changé de nouveaux ajustements sont nécessaires et d’autres questionnements surgissent. En effet, l’expérience du traitement dans la durée demeure fragile et toujours difficile à maîtriser, sinon plus difficile.
4.1.
DES TRAITEMENTS QUI ONT ÉTÉ CHANGÉS
On a vu comment les personnes avaient intégré les multithérapies à travers un processus d’acceptation et d’appropriation qui s’appuie sur le temps et l’autorégulation. Après vingt mois, si elles vivent avec les multithérapies et que celles-ci font même partie de leur vie, c’est aussi parce qu’un changement externe s’est produit : elles ont été modifiées. En effet, la moitié des personnes ont changé de
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traitement pendant cette année, c’est-à-dire de molécules, mais aussi de formes galéniques et de posologies. Si elles en apprécient les conséquences en termes d’amélioration de leurs conditions de vie, ces changements, en faisant surgir de nouvelles questions, soulignent la fragilité d’en acquérir une expérience. Pour la moitié des personnes, le changement significatif de l’année est bien celui du traitement qui leur a rendu la vie plus facile. Philippe, qui supportait mal sa situation jusque-là, commence l’entretien par : [...] tout va bien, il y a eu un changement de traitement je ne sais plus quand, six-huit mois, peut être avant d’ailleurs. Le traitement va bien, c’est nickel, la vie est normale, c’est bien. J’ai repris des forces, j’ai regrossi, j’ai coupé mes cheveux aussi. J’ai plus de boulot qui est tombé brusquement, il en tombait autant mais avant je ne l’acceptais pas tandis que là je l’ai pris.
Toni aussi se sent soulagé depuis qu’il a changé de molécule et qu’il a deux prises « j’ai l’impression d’être en vacances de médicaments, maintenant que le Videx va être en gélules, ça va être magnifique ». Même si Daniel reconnaît qu’avec le changement de molécule les débuts ont été difficiles : [...] c’est maintenant plus facile parce que l’autre il y avait trois prises et la prise de midi était toujours plus embêtante, pas facile à gérer au boulot. Tandis que là c’est facile le matin et le soir à part quand on sort un peu mais ça se passe bien et puis on est moins tributaire des horaires aussi, il y a une plage qui est beaucoup plus souple.
Car, même avec deux prises par jour, des ajustements ont lieu qui sont moins radicaux que les précédents. C’est ainsi qu’apparaît la notion « de plages horaires » au cours desquelles les médicaments peuvent être pris avec une certaine flexibilité. Mais maintenir des ajustements, c’est aussi montrer que l’on continue à exercer une certaine maîtrise sur le traitement. Si le changement de traitement est affirmé et parfois même dès les premiers mots, son « pourquoi » ainsi que ses conditions ne sont que rarement explicités, sauf dans un cas, celui de Philippe. Tout semble se passer comme si, maintenant que le traitement est bien dans leur vie, ces personnes étaient prises dans la médecine avec une acceptation de ses prescriptions comme de ses aléas et de ses incertitudes. L’autorégulation, c’est-à-dire la capacité d’exercer une certaine maîtrise et de négocier avec l’entourage et les professionnels, n’aurait-elle de sens et de validité que dans les premiers mois de la mise en place du traitement et de son ajustement aux contraintes de la vie quotidienne ? Puis dans la durée, tout ne serait qu’une question de petits arrangements et d’ajustements à la marge, comme nous venons de le voir avec la notion de plage horaire, les décisions importantes relevant des médecins qui en sont les instigateurs et qui en conservent l’initiative. Tout en étant peu développées au cours des entretiens, les raisons du changement de traitement se révèlent être très diverses depuis les mauvais résultats biologiques jusqu’à des effets secondaires que les personnes ressentent comme extrêmement handicapants dans leur vie professionnelle. Pierre ne se pose guère
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de questions « ils sont mieux placés que moi pour savoir ce que j’ai à prendre ». Après vingt mois de ce traitement, la délégation au médecin demeure. Oriane indique dans un premier temps qu’elle a changé depuis six mois pour une quadrithérapie parce qu’elle avait encore des ganglions, mais au cours de l’entretien elle précise : [...] j’ai encore des ganglions et ils [les médecins] me disent qu’on laisse tomber, mais ce n’est pas normal qu’ils ne partent pas non plus. C’est vrai que je n’ai pas envie de me faire charcuter donc ça m’arrange mais quelque part ça m’inquiète aussi. »
Ses propos révèlent une tension entre un changement de traitement justifié par des raisons médicales sans que pour autant celles-ci aient disparu au bout de six mois. Ali qui vient juste d’arrêter de lui-même le traitement se plaint beaucoup de ses effets. Il a, lui aussi, du mal à comprendre : « [...] mon docteur me dit que ce ne serait pas nécessaire d’avoir un traitement, donc quelque part ce que j’en tire aujourd’hui c’est que peut-être ils font des tests, n’importe quoi, peut-être pas les bons tests aussi... » Ces tensions dans lesquelles ces personnes semblent être prises révèlent la difficulté d’acquérir une expérience du traitement qui soit solide. Toni en explicitant les conditions du changement en souligne cependant la particularité : sa participation au protocole de recherche lui a permis de reconnaître comme effets secondaires des désagréments qui le gênaient pour travailler lui qui « a besoin de ses pieds » : J’ai commencé à avoir des problèmes, un ongle incarné, au début je l’ai fait soigner mais en remplissant vos questionnaires [sur l’observance], ils parlaient d’ongle incarné. Tout de suite, ça a fait tilt [...] Le docteur a dit “ on va arrêter le traitement ” .
Mais, dans tous ces cas, le changement n’a pas fait l’objet d’une négociation avec le médecin : ce changement s’est imposé au médecin aux vus des résultats. Philippe est le seul à raconter qu’il voulait changer et qu’il a pris l’initiative en le suggérant au médecin : [...] je voulais absolument changer, voir s’il y avait une équivalence. S’il n’y avait jamais eu d’équivalence, j’aurais continué Crixivan parce que de toute façon je ne peux pas faire autrement, mais je savais qu’il y avait des équivalents, je m’étais renseigné avant. Le médecin était un peu réticent au départ et puis il m’a dit « après tout, on essaye » et puis j’ai essayé. J’ai fait un peu cobaye, mais ce n’est pas grave.
Il raconte ensuite comment il s’y est pris pour s’informer sur ce qui existait puis ce qui s’est passé avec le médecin : [...] j’ai deux ou trois amis qui sont séropositifs et qui ont des traitements différents. Donc traitement différent et santé physique a priori identique... donc finalement je raisonne comme ça, c’est peut-être un peu primaire [...] C’est comme ça que j’ai proposé ce traitement au médecin. Enfin, je ne l’ai pas proposé, je l’ai fait supposer et après lui m’a proposé les noms. Et puis on a commencé et ça marche très bien, donc pas de raison d’arrêter, je pense.
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En se reprenant pour introduire une nuance entre proposer et faire supposer, Philippe souligne bien la subtilité et les difficultés de la relation de négociations avec les médecins.
4.2.
LE TRAITEMENT : DE L’HABITUDE À LA CONTRAINTE
Ces entretiens révèlent des tensions entre un traitement qui est devenu une habitude et qui est intégré à la vie mais qui demeure tout de même une contrainte. Au cours de cette année, tout semble s’être passé comme si ces personnes avaient opéré des déplacements dans leur façon d’utiliser certaines notions comme celle d’habitude et de contrainte. En 1999, au moment du deuxième entretien, elles disaient avoir pris l’habitude du traitement et les contraintes énoncées étaient celles imposées par la vie professionnelle et familiale qui avait donné lieu à des négociations conduisant au processus d’intégration du traitement. Un an plus tard, le traitement est devenu une habitude et les contraintes de la vie quotidienne ne sont plus ressenties que par quelques personnes, mais le traitement lui-même est maintenant une contrainte et une contrainte incontournable. Un déplacement s’est effectué des contraintes externes imposées par la vie quotidienne vers une contrainte interne et incorporée : le traitement est une habitude dont la prise est une contrainte vitale incontournable. Ce changement dans le traitement au cours de l’année à l’initiative des médecins s’est aussi accompagné d’interrogations, de tensions et d’instabilité. Christophe dit avoir été « déstabilisé », car il a eu des réactions désagréables « au bout de quinze jours, des plaques, des boutons difficiles à supporter ». Laurent est toujours pris dans une tension difficile à surmonter entre le précédent traitement « infect et horrible à prendre » qui lui donnait des diarrhées impossibles dans son travail, mais qui avait de bons résultats et l’actuel qui ne donne pas les meilleurs résultats puisque « ça a tendance à remonter ». Mais quand les résultats sont satisfaisants, cette tension est plus facile à accepter comme Jean en fait l’évaluation : « Ces diarrhées sont très embêtantes, j’en avais eu avec le Crixivan tout au début, ça avait duré un mois et puis je n’en avais plus du tout entendu parlé, ça s’était complètement évaporé. Là, ça perdure », il ne peut alors que se mettre dans une position relativiste « on sait bien que chacun de ces médicaments a ses inconvénients propres et le Sustiva était catastrophique pour moi ». Et « quand ça marche bien », comme le dit Marc, qui ne se souvient plus s’il avait déjà ce traitement la dernière fois, « il y a juste des petits à côté, mais on s’est habitué sur le tas. Le corps s’habitue, il a régulé les situations. Il y a toujours des petits effets secondaires, mais c’est dû aux médicaments, ils accompagnent le bien-être ». Patrick, lui aussi, relativise les effets de son nouveau traitement : Apparemment ça va, à part quelques diarrhées, mais il m’avait averti, quelques éruptions cutanées, un peu de dessèchement de la peau. Donc ça démange un peu, c’est un peu rouge, ça disparaît, ça revient. Là, ça a l’air de s’atténuer.
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Ces tensions sont d’autant plus vivement ressenties que les résultats ne sont pas entièrement satisfaisants comme en témoigne Laurent, en revanche, elles sont considérées comme faisant partie des aléas du traitement et « du prix à payer » quand « il marche bien », c’est-à-dire quand les résultats biologiques sont ceux attendus pour Jean et Patrick. Cependant, le changement de traitement peut aussi rassurer sur les possibilités thérapeutiques existantes, comme le souligne Toni « changer de médicament, ce n’est pas un échec, car il y a d’autres possibilités et c’est sécurisant ». Ces ajustements à la marge nécessités par le changement de traitement sont d’autant plus banalisés qu’ils s’insèrent dans un traitement qui est devenu une habitude et fait désormais partie de la vie de ces personnes. Mais surtout le traitement est désormais une contrainte inévitable et incontournable dont ces personnes n’envisagent pas, ne peuvent pas même envisager, de se passer. Plusieurs d’entre elles expriment clairement ce déplacement de la contrainte et son changement de sens : ce ne sont plus les exigences de la vie professionnelle et familiale qui constituent des contraintes, car avec le temps elles ont appris à les négocier en faisant du traitement une habitude, mais cette habitude est maintenant ressentie comme une contrainte. Bernard exprime clairement l’existence de cette tension : « Des fois, je les prends, je me pose la question après “ est-ce que je les ai bien pris ? ” tellement j’ai l’habitude de les prendre. On s’y fait, on se fait à tout, mais je ne sais pas si on s’y fait vraiment, c’est une contrainte », puis vers la fin de l’entretien il va illustrer cette tension ainsi : Il y a des moments où ça fait chier de prendre les médicaments, mais je les prends. Je n’ai jamais oublié une fois. Une fois, j’ai eu un doute, il n’y a pas bien longtemps, il y a peut-être un mois, je crois qu’il me manquait un médicament, et j’ai revidé une boîte neuve pour voir exactement s’il y avait toujours le même nombre de médicaments. J’ai calculé pour savoir si j’en avais pris un de plus ou un de moins. En fait, j’avais pris mon compte. Non, j’essaye de faire ça à la lettre.
Pour Oriane aussi cette contrainte est pesante : « C’est vrai que des fois on n’a pas envie de les prendre, mais enfin puisque tout va bien... mais c’est vrai qu’il y en a ras le bol. » C’est bien le traitement lui-même qui est devenu maintenant une contrainte et une contrainte intégrée et même incorporée. Car il n’est pas pensable de s’en passer comme l’exprime fortement Pierre : [...] si j’arrête le traitement je sais très bien... non, non, c’est clair que je ne me suis jamais dit du jour au lendemain je ne le prends plus, je m’en fous. Non, non, même si je ne le respecte pas à la lettre, je le prends quand même régulièrement.
Marc adopte une attitude rationnelle et évalue le pour et le contre : [...] si on supprime le médicament, il y a plus à perdre qu’à y gagner donc ce sont des petits à-côtés quand on les met dans la balance... si on se focalise que sur les petits effets, c’est embêtant, si on regarde par rapport à l’ensemble, c’est négligeable.
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Après vingt mois d’un traitement qui a été modifié au cours de la dernière année pour la plupart des personnes, elles ne s’interrogent plus sur son sens et tout semble s’être passé comme si elles étaient maintenant confrontées à l’irrémédiable et se heurtaient à ce qui est devenue leur réalité : un traitement quotidien à vie et qui n’est toujours pas stabilisé.
4.3.
UNE EXPÉRIENCE DU TRAITEMENT ENCORE DIFFICILE À MAÎTRISER
Comme en 1999, ces personnes sont plus nombreuses à n’avoir jamais eu de traitement avant les multithérapies et ce changement au cours de l’année est souvent le premier. Si elles l’ont accepté sans difficulté et parfois recherché, cela ne signifie pas pour autant qu’elles ne s’interrogent pas et ne soient pas confrontées à des incertitudes. Comme nous venons de le voir, les récits révèlent des tensions de divers types autour des changements : les résultats biologiques ne sont pas ceux escomptés ; les raisons médicales à l’origine du changement n’ont pas pour autant disparues ; les désagréments du nouveau traitement sont tolérés, car les résultats biologiques sont satisfaisants. Ces divers éléments permettent de comprendre que l’expérience du traitement se manifeste quasi exclusivement à travers une appréciation de ses désagréments et de ses résultats, mais que cette expérience reste instable et difficile à maîtriser, du fait des spécificités de l’infection à VIH et des décalages entre effets et efficacité. Parallèlement aux tensions mises en évidence, des interrogations sur son efficacité surgissent, car le changement plonge ces personnes dans une nouvelle forme d’incertitude : on était habitué au traitement précédent comme l’exprime Toni « c’est toujours délicat d’arrêter un traitement quand on est habitué... on a toujours peur des fameux contre-effets ». Un peu plus loin dans l’entretien, il s’interroge sur l’effet-durée et l’incertitude : [...] le traitement, je pense qu’il faut attendre la première année pour que l’organisme... maintenant qu’elles vont être les nouvelles difficultés au cours de ce traitement puisqu’il y en a, il ne faut pas se leurrer, il y en a bien sûr plus ou moins, avec de grands effets, en fonction de l’organisme. Mais le cap est bien passé. Quand on fait un changement de traitement, comment ça va se passer, c’est toujours les fameuses questions d’incertitude qu’on a, mais ça va.
Cette incertitude de Toni fait écho aux interrogations de Philippe sur l’efficacité : [...] j’ai eu peur qu’il n’ait pas l’efficacité du premier traitement. Apparemment, ça s’avère autant efficace puisque j’ai même fait parfois quelques excès et ça va, les taux sont bons, les prises de sang sont bonnes et encore les prises de sang j’y vais maintenant tous les deux ou trois mois. C’est moins contraignant qu’au départ.
En effet, malgré des années de vie avec l’infection à VIH et après vingt mois de multithérapies, ces personnes ont toujours autant de difficultés à apprécier
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la façon dont évolue leur état physique et s’interrogent sur les rapports entre le respect du traitement et les résultats obtenus. Si Philippe remarque que malgré des écarts les résultats sont satisfaisants, Pierre manifeste son incrédulité : « Je n’ai pas trop bien compris parce que c’était une époque où en plus je ne le prenais pas régulièrement, régulièrement, donc je n’ai pas trop compris, on m’a dit les résultats sont excellents ». En revanche, Serge qui se plaint d’avoir beaucoup changé de traitement est « maintenant détectable » alors qu’il le prend régulièrement. Christophe a aussi été confronté à un tel décalage : [...] le fait que le virus ait augmenté, ça m’avait travaillé. Je me suis dit : “ j’ai pourtant bien pris mes antiprotéases ”. Mon traitement habituel, je n’ai pas fait de défaut. Depuis deux ans, j’ai toujours pris à la lettre. Là, franchement, je me sentais un peu perdu là-dessus.
À cette difficulté d’établir une relation entre la prise du traitement et les résultats biologiques obtenus s’ajoute celle reliée au décalage entre leurs sensations corporelles et les résultats. Pour Serge, les choses sont relativement simples, car ses résultats ne sont pas satisfaisants et le médecin n’arrive pas à lui trouver le traitement adapté ; de plus, son état de fatigue est tel qu’il ne peut pas envisager de reprendre un travail. Mais Charles s’interroge entre un traitement qu’il a mal respecté, une annonce du médecin selon laquelle ses résultats ne seront pas bons, mais qu’il ne connaît pas encore et la façon dont il se sent : [...] il m’a dit que je déconnais pas mal. Il m’a dit qu’il fallait faire attention, car automatiquement la charge virale allait augmenter. Je ne l’ai pas encore vu aujourd’hui, donc je ne sais pas, mais je pense que certainement, oui, mais, moi, je ne ressens rien. Je ne ressens aucun changement, je ne suis pas plus fatigué.
Pour Daniel non plus ce décalage entre résultats biologiques et sensations corporelles n’est pas simple à comprendre : [...] la seule chose, je n’ai pas ressenti même quand la charge virale recommençait un petit peu à remonter, je ne me sentais pas plus fatigué, plus bas au niveau rythme de vie. Je dirais que c’étaient plus les indicateurs cliniques qui faisaient que ce n’étaient pas bon, même si pour l’instant on ne décèle rien au niveau fatigue, au niveau santé.
Cette appréciation s’appuie sur une relation de confiance avec le médecin dans un contexte dont l’incertitude ne s’est guère dissipée (Giddens, 1994). Cependant, comme en 1999, certaines personnes vont évaluer leur état par rapport à leur capacité à faire et à continuer leur vie, c’est le cas de Philippe qui peut « travailler au quotidien normalement comme tout le monde ». Mais il est aussi pris dans une exigence de rigueur qui s’appuie sur un relevé statistique systématique de tous ses résultats : véritable surveillance clinique qui, regrette-t-il, n’intéresse que lui « ça me sert à me rendre compte de choses ». Ces résultats constituent un moyen pour lui de gérer son activité et il les utilise en quelque sorte pour anticiper ses capacités physiques par rapport à l’organisation de son
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travail, c’est-à-dire comme un baromètre. Marc est, pour sa part, dans un raisonnement statistique déjà observé qui consiste à prendre en compte l’effet-durée si important dans l’infection à VIH et si incertain du fait de l’absence de recul : [...] pour le moment avec les médicaments, ça tient le choc, là, on arrive vers les trois ans. On va voir, on va suivre les événements, voir comment ça se passe. Je n’ai pas eu d’évolution en escaliers, j’ai eu une évolution de suite plutôt en falaise.
On retrouve chez quelques personnes l’acquisition d’un certain savoir sur la maladie et les traitements, qui peut être mobilisé à différents moments de leur vie, voire dans leurs relations avec le médecin sans pour autant remettre en cause cette délégation à celui qui sait. Néanmoins, cette difficulté à apprécier par elles-mêmes où elles en sont et la preuve indiscutable que constituent les seuls critères biologiques contribuent, et ce malgré le temps, à maintenir la plupart de ces personnes dans l’incertitude et dans la difficulté d’acquérir une réelle expérience du traitement. En effet, l’existence de la seule évaluation biologique fait la différence essentielle avec ce qui se passe dans des maladies comme le diabète ou l’épilepsie pour lesquelles les manifestations corporelles et les symptômes demeurent des références et des indicateurs d’ajustement du traitement. Dans l’infection à VIH, le corps et les sensations corporelles ne font toujours pas, et ne feront peut-être pas avant longtemps, preuve. La nécessité de cette confirmation externe conduit Marc à cette réflexion : « C’est assez pernicieux comme maladie parce qu’il ne se passe rien. C’est une espèce de truc tendu qui attend, tant que les médicaments durent, ça va. C’est pervers comme truc ». Pour lutter contre l’incertitude, les malades peuvent développer des relations privilégiées avec les équipes médicales et soignantes et acquérir des connaissances en partageant leur expérience au sein de groupes de malades (Fox, 1959). Mais dans ce travail, malgré des relations fortes avec les équipes et leur participation à une cohorte biomédicale, ces personnes ne se sont pas, au bout de vingt mois, construit un corps de connaissances et de savoir suffisamment stable et stabilisé pour lever l’incertitude.
4.4.
ENTRE ESPOIR ET DÉSENCHANTEMENT
La diversité des changements qui sont intervenus au cours de cette année dans les rapports à la médecine et au traitement a conduit à une relative amélioration des conditions de vie de ces personnes avec la notion de plage horaire pour la prise des médicaments et le relâchement du rythme des consultations à l’hôpital. Ainsi, le temps occupé par l’infection à VIH dans leur vie quotidienne a diminué. Parallèlement, elles ont été confrontées à d’autres questionnements sur la difficulté d’apprécier, voire d’évaluer l’efficacité des traitements et d’en acquérir une expérience relativement stable et maîtrisée. Si la confiance dans le médecin est toujours présente et s’est parfois même renforcée du fait de cette incertitude, en
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revanche, la confiance particulière relevée en 1998 dans les avancées médicales et scientifiques s’est émoussée avec le temps. Dans ces conditions, ces personnes demeurent dans une incertitude qui s’accompagne de ce que l’on a qualifié d’un certain désenchantement par rapport aux progrès des connaissances et des avancées de la recherche. Des propos sur des aspects très divers de la vie avec le traitement révèlent une certaine lucidité et même une relative diminution de l’euphorie des premiers mois. Lassitude par rapport au traitement ? Nouvelle forme d’incertitude devant l’échec du traitement ou ses difficultés ? Désenchantement par rapport à des avancées médicales qui tardent à arriver ? Telles sont les questions que ces propos aux contenus divers viennent poser. Clément qui insiste sur l’aspect routinier du traitement s’interroge « si on doit en prendre puis pendant deux mois ne plus en prendre puis en reprendre, c’est presque plus pénible ». Sans prononcer le nom, il évoque l’éventualité des « fenêtres thérapeutiques » qui paraît davantage le déstabiliser que le rassurer. Christophe a pensé qu’il était « foutu quand le virus a pris le dessus » et a même envisagé de baisser les bras comme il le raconte : [...] le médecin a bien vu que je me sentais un petit peu perdu. J’ai dit « est-ce qu’il y a d’autres traitements efficaces ou alors, ce n’est pas la peine que je continue si c’est pour en arriver à une phase finale. Si ça ne tient pas, j’arrête ». Il m’a dit « il n’en est pas question, on va continuer, il n’y a pas de problème, on va continuer le traitement et ça va revenir à la normale ». Et c’est ce qu’on a fait.
Échec du traitement qui fait resurgir l’incertitude et à laquelle Christian reconnaît qu’il n’a jamais été confronté depuis qu’il est traité « maintenant je ne sais pas comment ça se passerait si j’avais de mauvaises nouvelles. C’est un cas que j’envisagerais s’il se présente ». Ces exemples permettent de souligner cette incertitude des personnes traitées prises entre des attentes, un espoir, voire un rêve improbable et leur réalité qu’elles ont du mal à évaluer et même à apprécier. De façon plus précise, ce relatif désenchantement peut être mis en évidence à travers ce que ces personnes attendent des progrès de la recherche et des espoirs qu’elles formulent : espoir dans de nouveaux médicaments, espoir dans un vaccin mais aussi espoir de redevenir un jour une personne sans virus... Patrick envisage ces différentes possibilités qui vont le faire rêver : [...] au niveau maladie, si ça reste comme ça, c’est très bien ; si ça s’améliore, c’est encore mieux, c’est-à-dire que ça disparaisse ou que les médicaments on ne les sente plus ou alors on prend un cachet qui fait une tête d’épingle, on diminue la taille des cachets... ça peut être ça les améliorations jusqu’à la disparition, on ne sait jamais, on peut toujours rêver.
Alors que Nicole illustre bien cette ambivalence entre réalité et espoir qu’elle n’avait formulée qu’en termes de « médicament miracle » au début du traitement : « J’espère qu’un jour on me dise : ça y est, il n’y a plus rien. Ce n’est pas possible, je sais bien, mais c’est l’espoir. Là, je suis au maximum du possible
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puisque je suis indétectable donc on ne peut pas être mieux ». Si Patrick et Nicole sont pris entre espoir, rêve et principe de réalité, Oriane, elle, croit au miracle : « J’essaie encore d’y croire au miracle. On baisse les bras au bout d’un moment, je me dis “ c’est de rester le mieux possible le plus longtemps possible pour ma fille ”. Moi, personnellement, je n’attends plus grand-chose. » Rêves, espoirs, miracles, telles sont aussi les perspectives de certaines personnes. D’autres personnes alignent leur position sur la dynamique des avancées médicales et thérapeutiques même si plusieurs d’entre elles constatent qu’elles sont lentes. Ainsi, Marc a parfaitement conscience qu’il « avance avec la médecine, maintenant, moi, je suis sur la ligne de feu ». Laurent est, pour sa part, dans un processus évaluatif des avancées : [...] sûr qu’ils vont trouver quelque chose. Ils ne trouveront peut-être pas un vaccin. Nous, les gens qui sommes contaminés, je pense qu’on va le rester, mais je pense que plus on va avancer dans les années... un jour, ils trouveront un médicament idéal. Je crois que, nous, les contaminés, on restera contaminés, ça, c’est sûr, c’est mon avis ; peut-être que je me trompe, espérons que je me trompe. On devra jusqu’à la fin de nos jours suivre un traitement, mais j’espère qu’ils vont trouver quelque chose pour éviter que les gens se contaminent. J’espère que ça se soignera comme une grippe, j’espère, parce qu’il y en a marre, c’est fatigant.
Cette position que l’on peut qualifier de raisonnable est aussi relativement réaliste sur les possibilités thérapeutiques comme sur le sens du vaccin. Toni et Pierre sont moins clairs dans leurs attentes et constatent comme Charles que les avancées sont lentes. Toni explicite peu ce qu’il entend par vaccin et révèle une ambiguïté quand il le qualifie de guérisseur « on aimerait bien qu’il y ait un vaccin qui apparaisse mais pour l’instant quand est-ce que ça va... ça ne se profile pas à l’horizon le fameux vaccin guérisseur, mais on a fait beaucoup de progrès. » Pierre est plus clair dans ses espoirs : [...] pour l’instant je pense que ça stagne. Dans les années à venir, je pense qu’ils trouveront, pour l’instant, ça stagne ; je ne dis pas qu’on ne cherche pas, mais on ne trouve pas. Moi, j’aimerais bien le vaccin qui supprimerait que je sois séropositif.
Si Charles a conscience que « l’avenir dépend du progrès de la science, qu’il y ait un vaccin ou quelque chose », il aimerait aussi « que ce soit terminé avec ce truc », mais il ajoute : « Je ne vois pas trop d’évolution depuis la trithérapie. J’espère qu’ils vont réussir à trouver quelque chose qui soit mieux que la trithérapie, plus simple à prendre et qui soit aussi efficace ». Il est vrai qu’il est dans une position délicate, car il n’a pas encore vu le médecin et il attend ses résultats dont il affirme qu’ils ne seront pas bons : [...] quand on s’est vu, c’était au début de la trithérapie. Je faisais totalement confiance à la trithérapie, c’était à ce moment-là que j’arrivais le plus facilement à les prendre, j’ai réussi à bien m’adapter. [...] J’étais plus optimiste quand j’ai commencé la trithérapie mais là vu que j’ai déconné, ma charge virale a remonté donc je suis un peu moins optimiste.
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Dans une situation d’attente de ses résultats, Charles est aussi le seul à affirmer aussi clairement et ouvertement la baisse de son optimisme par rapport au traitement, alors que par ailleurs l’ensemble de sa vie s’est nettement amélioré. Quelle que soit leur position par rapport au vaccin et à l’avancée des connaissances thérapeutiques, ces personnes sont nombreuses à exprimer leur désir de redevenir « normale », c’est-à-dire séronégative. L’existence d’un traitement semble avoir rendu possible une telle expression qui n’apparaissait pas dans les années 1990 (Carricaburu et Pierret, 1995 ; Pierret, 2001a). Elle était inexprimée, car impensable et hors du concevable. En 2000, l’existence d’un traitement dont ces personnes ont acquis une expérience relative et instable la rend formulable et envisageable même si elles prennent toutes soin d’ajouter qu’il s’agit d’un rêve. Et même Laurent, qui est assez réaliste sur les possibilités médicales, peut aussi y croire et rêver : « C’était resté longtemps indétectable à la limite de croire que j’étais séronégatif, à la limite parce que malheureusement... ». L’incertitude qui subsiste ainsi que les considérations sur une relative stagnation des avancées thérapeutiques et des attentes ambiguës par rapport au vaccin sont bien à lire comme un relatif désenchantement ou tout au moins un fléchissement de l’enthousiasme par rapport au début de la prise du traitement. Par ailleurs, suivies régulièrement dans une cohorte biomédicale, ces personnes ne semblent guère envisager qu’elles participent à l’avancée de la science ou même qu’elles sont moralement engagées dans un collectif (Barbot et Dodier, 2000). Cela est-il en relation avec le fait qu’il s’agit d’une cohorte et non d’un essai thérapeutique ?
CONCLUSION Le suivi longitudinal sur vingt mois de personnes infectées par le VIH et traitées pour la première fois avec un antirétroviral hautement actif a conduit à l’élaboration d’un cadre d’analyse autour de l’intégration et de l’expérience du traitement qui s’appuie sur le temps-durée et l’autorégulation. Ce travail a permis de montrer que par-delà les aspects strictement comportementaux de l’observance, la prise d’un traitement nouveau pour la médecine comme pour les personnes traitées, posait à ces dernières des questions sur sa durée et sur son efficacité. Ces questions essentielles les maintiennent dans une incertitude et les conduisent à formuler des attentes fortes et ambiguës en matière de progrès scientifiques et médicaux. Si un « remodelage social » de la médecine a eu lieu pour ces personnes qui vivent toutes avec la médecine, elles la mettent néanmoins à distance de leur vie, tout en délégant aux médecins qui seuls savent ce qui est bon pour elles. Elles n’ont ni acquis le maniement d’un savoir spécialisé qui demeure fondamentalement incertain, ni construit tout au long de ces vingt mois une position originale et autonome par rapport aux traitements (Barbot et Dodier, 2000). Tout en participant à une cohorte biomédicale, elles ne sont pas des « patients particuliers, collègues et collaborateurs » des équipes médicales, qui par leur implication
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apportent une « contribution autant professionnelle que personnelle à la recherche » (Fox, 1988, p. 180). Le traitement antirétroviral hautement actif permet à ces personnes de continuer à vivre le plus normalement possible, tout en n’ayant pas réduit l’incertitude dans laquelle elles sont. Encore peu protocolisé, ce traitement est le plus souvent adapté au cas par cas pour répondre aux situations singulières et tend à enfermer chaque personne dans son individualité. À la question que ces personnes se posent : avec cette maladie sommes-nous vraiment malades ? Le sociologue répond : sont-elles des malades ou des personnes traitées au long cours qui vivent accompagnées par la médecine ? Composante essentielle de la vie de ces personnes qui vivent accompagnées par la médecine, le traitement antirétroviral hautement actif a été intégré comme une contrainte incontournable et vitale tout en étant adapté à leurs conditions de vie et non l’inverse. Contrainte mais aussi ressource qui vient s’ajouter aux ressources existantes mises en place au cours des années par ces personnes, que ce soit dans les sphères de l’emploi, de la vie affective ou familiale... Ces ressources leur ont permis et leur permettent de poursuivre leur objectif qui est de continuer à vivre le plus normalement possible. Et si le traitement est devenu l’une des conditions de cette vie normale, il n’est en rien suffisant pour entreprendre ou reprendre un projet de vie lorsque celui-ci n’existait pas antérieurement.
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VIE PERSONNELLE ET SOCIALE ET EXPÉRIENCE DES THÉRAPIES CONTRE LE VIH/ SIDA Isabelle WALLACH
Depuis l’arrivée des multithérapies antirétrovirales génératrices d’un véritable bouleversement dans le monde du VIH, les chercheurs en sciences sociales se sont attachés à étudier les répercussions de ces traitements sur la vie des personnes séropositives (Broqua, 1999 ; Lévy et al., 2001 ; Pierret, 2002). Cependant, une seule recherche, celle de Nathan et Lewertowski (1998), a exploré la façon dont la culture d’origine et l’histoire singulière des patients influent sur leur rapport à la maladie et leur comportement à l’égard des traitements antirétroviraux, et ce à travers les cas d’immigrés résidant en France. Privilégiant le même angle d’approche et s’intéressant à tous les types de médicaments, Fainzang (2001) a cherché à analyser comment l’appartenance à une religion, envisagée comme véhicule de valeurs et d’une culture, « mode d’inscription dans le monde1 », marque de son empreinte les pratiques de médication des individus.
1.
Fainzang, 2001, p. 12.
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Notre recherche se situe, pour une part, dans une perspective similaire, en cela qu’elle s’efforce de décrypter l’influence que peut exercer l’univers de pensée auquel se rattache l’individu sur sa relation aux médicaments anti-VIH, mais notre objectif est également d’analyser les effets de la vie personnelle et sociale, ainsi que de la trajectoire biographique sur l’expérience des thérapies. La compréhension des comportements individuels face aux médicaments a fait l’objet de multiples recherches depuis une trentaine d’années2. La plupart de ces études ont abordé la question sous l’angle de l’observance thérapeutique en cherchant à analyser les paramètres influant sur le suivi des prescriptions médicales. Cette approche peut paraître légitime concernant les nouvelles thérapies contre le sida, car celles-ci présentent la particularité de nécessiter un respect très strict des posologies pour être efficaces. Néanmoins, en envisageant la prise médicamenteuse uniquement en termes de respect de la prescription médicale, il semble que la perspective des médecins soit privilégiée au détriment de celle des patients. Des voix se sont ainsi élevées contre cette posture qui occulte totalement le point de vue des malades et la rationalité inhérente à leur usage des médicaments (Conrad, 1985 ; Trostle, 1988 ; Donovan et Blake, 1992 ; Wright, 2000). À cet égard, Conrad suggère de considérer les personnes souffrant d’une maladie comme des agents actifs de leur traitement plutôt que comme des récepteurs passifs des instructions médicales. Il montre ainsi que l’intégration de la prise des médicaments dans leur vie quotidienne conduit les individus à mettre en place une véritable autorégulation de leur pratique de médication. Dans la même optique, Ankri, Le Disert et Henrard (1995) soulignent que les études centrées sur l’observance réduisent leurs interrogations sur les raisons du suivi irrégulier du régime médicamenteux à des éléments qui se réfèrent uniquement à la maladie tels que les dysfonctionnements de l’interaction médecin-malade, les croyances en matière de santé, les comportements à l’égard de la maladie. Ils critiquent le fait que « tout tourne autour d’elle comme si la maladie envahissait totalement l’univers temporel et psychologique des malades et comme si leurs conduites vis-à-vis des médicaments constituaient un élément clos, isolé du reste de leur vie quotidienne » (Ankri et al., 1995, p. 439). Dans le contexte de l’infection à VIH, une large part des recherches portant sur l’observance aux médicaments antirétroviraux ont limité leur analyse à l’identification d’une série de déterminants, dans la mesure où leur objectif est la mise en place de dispositifs d’intervention ou de prise en charge pouvant agir sur ces facteurs afin d’améliorer l’observance des patients (consultations d’aide à l’observance, éducation à la santé, interventions sur le contexte institutionnel,
2.
Voir revue de la littérature des auteurs suivants : Ankri et al., 1995 ; Moatti, Spire et Duran, 2000 ; Wright, 2000 ; Morin, 2001.
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l’organisation et l’environnement social...)3. Les déterminants relevés ont été répartis en trois grandes catégories4 : les facteurs liés au patient (socioéconomiques, psychologiques, soutien social, connaissances, croyances...), les facteurs liés au traitement (complexité, effets secondaires...) et les facteurs liés à la prise en charge médicale (relation médecin-malade, modalités d’accès au soin, information en direction des patients...). Ankri et al. (1995, p. 438) proposent plutôt de « penser ces comportements comme des actions quotidiennes trouvant leur logique dans des composantes très fondamentales des personnes, dans leur identité, dans les représentations qu’elles ont d’elles-mêmes en tant que personnes et non seulement en tant que malade ». Cette orientation rejoint la position heuristique que nous avons choisi d’adopter pour appréhender les comportements thérapeutiques dans le cadre de l’infection à VIH. En effet, nous privilégions la perspective ethnologique qui, selon une approche plus holistique, s’attache à envisager les conduites des patients dans toute leur complexité, resituant les pratiques thérapeutiques des individus dans le contexte de leur appartenance culturelle, de leur histoire singulière et de leur vie personnelle et sociale. À l’inverse, la médecine occidentale tend à négliger ces dimensions en isolant le patient du groupe humain auquel il est rattaché pour le transformer en cas, de sorte qu’elle crée des appartenances à des groupes tronqués qui ne se définissent que par un diagnostic commun et ne sont pas fondés sur la prise en compte du social et du culturel (Nathan, 1995 ; Pignarre, 1995, 1997). L’un des objectifs de cette recherche est donc de donner la parole aux patients, de nous intéresser à leur univers et de replacer leur expérience des thérapies dans leur contexte de vie qui ne se réduit pas à la maladie (Conrad, 1985). Dans ce chapitre structuré en deux parties, nous nous proposons d’examiner les répercussions que peuvent avoir la vie personnelle et sociale et la vision du monde sur les perceptions et les comportements de prise des thérapies. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à l’influence de l’existence individuelle, envisagée dans ces différentes dimensions, sur l’expérience de la thérapie et de ses effets secondaires. La seconde partie sera consacrée à l’étude de cas de personnes séropositives qui se sont « converties » au traitement contre le VIH après une longue période de refus à la suite d’un tournant existentiel modifiant profondément leur conception de la vie, leur personnalité ou leur mode de vie.
3. 4.
Pour une présentation détaillée des dispositifs existants, voir Morin, 2001. Voir la revue de la littérature de Tourette-Turgis et Rébillon, 2002, et de Morin, 2001.
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Les traitements antirétroviraux
1.
MÉTHODOLOGIE
1.1.
CONTEXTE DE L’ENQUÊTE
Notre recherche s’inscrit dans un projet plus ample5 sur l’observance des traitements contre le VIH qui s’intéresse à la fois à l’expérience des patients et aux pratiques des soignants. Les résultats présentés dans ce chapitre sont issus d’une série d’entretiens qualitatifs semi-directifs conduits auprès de 19 personnes6 séropositives sous thérapies antirétrovirales, rencontrées sur les différents lieux où était réalisé l’ensemble de l’enquête de terrain : dans les services de maladies infectieuses de deux hôpitaux de Paris et dans le groupe de parole sur les traitements d’une association parisienne de lutte contre le sida.
1.2.
POPULATION
Les patients étaient sélectionnés en fonction de l’expérience des traitements dont ils rendaient compte au cours des consultations médicales ou du groupe de parole. S’ils témoignaient de difficultés liées à la prise des médicaments anti-VIH ou à leurs effets secondaires ou bien s’ils étaient sous gigathérapie, il leur était proposé de participer à l’enquête. En dehors de ces conditions, les patients recrutés ont été choisis de façon à former une population diversifiée relativement au sexe (9 femmes et 10 hommes), à l’âge et à la situation professionnelle, sociale, familiale et ethnique. La progression de la maladie et le type de thérapie étaient également assez variables. En revanche, concernant la date de séroconversion, nous avons constaté une certaine homogénéité, la plupart des patients (15/19) ayant connaissance de leur sérologie positive depuis plus de dix ans. Ils ont souvent (12/19) été rapidement mis sous traitement antirétroviral, ce qui explique peut-être qu’ils connaissent actuellement des difficultés avec leur thérapie.
1.3.
COLLECTE DES DONNÉES
Une première série d’entretiens semi-directifs a été effectuée entre février et mai 2002 avec une dizaine de personnes, puis une deuxième série d’entretiens s’est déroulée entre novembre 2002 et janvier 2003. La très grande majorité des entretiens enregistrés sont d’une durée variant de deux heures et demie à trois heures. Ils ont pris place – à l’exception d’un seul qui s’est déroulé dans un hôpital – au domicile des patients ou dans un café, et ce pour favoriser une liberté d’expression qui risquait d’être plus limitée au sein des structures de prise en
5. 6.
Ce projet est mené dans le cadre d’un doctorat en anthropologie et financé par l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida). Afin de préserver l’anonymat des personnes qui ont accepté de participer à cette enquête, tous les prénoms utilisés dans ce texte sont des pseudonymes.
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charge médicale, notamment quant au suivi de la thérapie. Les entretiens portaient sur trois grands thèmes : l’expérience de la séropositivité, l’expérience des traitements et la relation avec l’équipe soignante. Partant du principe désormais admis que l’observance est un phénomène dynamique qui fluctue au cours du temps (Moatti et Spire, 2000 ; Spire et Moatti, 2000), nous avons aussi assuré un suivi longitudinal des patients. Afin d’éviter une procédure trop lourde, nous avons opté pour un suivi informel en assistant systématiquement à leur consultation trimestrielle avec le médecin spécialiste du VIH. Ce rendez-vous constituait une occasion de nous entretenir régulièrement avec les patients sur l’évolution de leur situation générale (sur le plan de la santé, du travail, du logement, de la vie affective...), de leurs comportements thérapeutiques et du vécu associé aux traitements. Le contenu de la discussion était pris en note après coup, le plus fidèlement possible. Dans le cas des personnes séropositives rencontrées dans le cadre de l’association, le suivi était plus aléatoire, les répondants s’y rendant plus irrégulièrement ou cessant parfois même complètement de la fréquenter.
2.
ACCEPTER, REFUSER, SUPPORTER LA THÉRAPIE
Dans les études sur l’observance aux traitements contre le VIH / sida, on emploie parfois l’anglicisme « adhérence » ou son équivalent français « adhésion » pour désigner le degré d’acceptation et d’accord d’un sujet à l’égard des choix thérapeutiques (Moatti, Spiré et Duran, 2000 ; Morin, 2001) ou, plus largement, « la dimension subjective » inhérente au comportement de suivi de la prescription médicale, « le fait qu’un sujet doive y mettre du sien pour se prêter à ce qu’on lui demande » (Abelhauser et al., 2001). L’acceptation d’une thérapie antirétrovirale est un processus complexe qui prend racine dans un ensemble de préoccupations autres que biologiques. En effet, comme le souligne Benoist (1989-1990, p. 48) « le malade vit sa maladie à la fois dans son corps, dans ses relations à son entourage et à la société et dans la perception de son destin. Le médicament, qu’on le veuille ou non, porte en lui des échos de tous ces thèmes ». Le fait d’accepter ou de refuser une thérapie contre le VIH ou ses effets secondaires est un acte signifiant qui porte en lui les traces de la conception du monde ou du rapport à l’existence de l’individu. Souvent, la relation au traitement prend naissance dans les éléments constitutifs de l’identité de la personne ou dans son parcours biographique. Parmi les personnes que nous avons interviewées, plusieurs ont témoigné de l’imbrication existant entre leur pratique de médication et leur façon d’être au monde.
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100 2.1.
Les traitements antirétroviraux
QUAND VISION DE LA VIE ET THÉRAPIES SONT EN DÉSACCORD
L’un des motifs de refus des thérapies antirétrovirales peut être la non-adhésion à la thérapeutique proposée par la biomédecine dans la mesure où elle contrarie les valeurs auxquelles adhère le patient individuellement ou en vertu de son appartenance à un groupe. Nous rejoignons sur ce point Pignarre (1999, p. 131) lorsqu’il écrit : « Le patient qui n’est pas compliant est un patient que l’on n’a pas réussi à convertir ou dont on n’a pas réussi à entretenir la conversion, c’est-à-dire son adhésion à un groupe qui se définit par la référence au modèle médical ». Lorsque l’image du médicament entre en contradiction avec le système de référence de la personne ou avec sa façon de vivre, elle ne peut pas accepter le traitement. Deux récits que nous avons recueillis témoignent de cette incompatibilité qui supplante tous les arguments médicaux. Rachel, une femme d’une quarantaine d’années, a refusé les thérapies antirétrovirales pendant de nombreuses années parce que ces médicaments, selon la perception qu’elle en avait, étaient en désaccord avec sa conception du soin et plus largement sa vision de la vie. Sa séroconversion a été à l’origine d’un cheminement personnel vers la spiritualité, comme nombre de séropositifs (Lévy et al., 2002). Lorsqu’elle a appris sa séropositivité en 1991, Rachel pensait n’avoir plus qu’une ou deux années à vivre. En psychanalyse depuis plusieurs années, elle a décidé de l’interrompre six mois après l’annonce parce qu’il lui restait peu de temps à vivre et qu’elle jugeait cette forme de psychothérapie comme étant « négative ». Elle a décidé d’essayer de voir le « côté positif des choses » et s’est inscrite à un stage de visualisation positive. Elle a ainsi été introduite dans un monde qu’elle ne connaissait pas, celui des médecines naturelles et du magnétisme. En accord avec cette nouvelle démarche, elle s’est rapprochée de la nature et elle a pris l’habitude de faire de longues randonnées. Rachel s’est concentrée sur l’amélioration de sa qualité de vie à travers une alimentation équilibrée, une activité sportive et la consultation de praticiens de médecines parallèles, un acupuncteur, un homéopathe et une magnétiseuse. Par l’intermédiaire de cette dernière, elle est entrée ellemême dans un groupe qui faisait du magnétisme. Elle s’est également intéressée au bouddhisme qu’elle pratique de temps en temps. Cette ouverture au monde spirituel, alors qu’elle raconte avoir toujours été antireligieuse, a changé sa vision de l’univers et sa façon de vivre. Le bien-être et l’harmonie avec la nature sont devenus ses priorités. Cette philosophie de vie ne l’empêchait pas de consulter régulièrement un spécialiste mais lorsque son médecin estima nécessaire de la mettre sous trithérapie, Rachel refusa jusqu’en 1999, date où elle développa une toxoplasmose cérébrale. Pour elle, les médicaments antirétroviraux étaient des produits toxiques, contraires à ce qui était naturel pour le corps donc opposés à sa démarche. Elle préférait risquer de tomber malade plutôt que d’accepter d’en prendre, comme l’atteste cet extrait de son entrevue :
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Vie personnelle et sociale et expérience des thérapies contre le VIH / sida
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J’étais fortement opposée à ça [les antirétroviraux]. J’aimais mieux à l’époque utiliser l’homéopathie, l’acupuncture, les plantes, les vitamines, les choses très naturelles et qui prennent la globalité du corps. Ça, pour moi, c’est chimique, donc, c’est complètement à l’opposé. C’est ma vision globale de la vie. Par exemple, quand on fait du magnétisme, on dit de ne pas prendre de médicaments. Parce que les médicaments tels qu’ils sont, les antirétroviraux et l’allopathie en Europe, c’est des choses qui sont chimiques, c’est une création de l’homme, c’est pas naturel. Donc, à la base, j’étais contre ce qui est chimique. Je savais qu’ils avaient des conséquences terribles d’une façon ou d’une autre ou sur les intestins ou sur ci ou sur ça, la dégradation de certains organes... ça aide d’un côté, ça apporte des troubles importants de l’autre, donc j’étais foncièrement contre. Je pensais que je dégringolais, que ça allait être la fin, mais je n’avais tellement pas envie de prendre ces médicaments. Ça allait à l’encontre de ma démarche profonde. Ma famille me suppliait de prendre des médicaments. C’était difficile d’expliquer ça. Parce que c’était quelque chose que je ressentais tellement fort en moi, que c’était plus fort que le côté raisonnable de me dire, il faut prendre les médicaments.
Frédéric, 33 ans, est également un patient qui pendant de nombreuses années a rejeté les traitements antirétroviraux. Contaminé en 1988, il a refusé de se faire suivre médicalement durant six ans, pour finalement céder, sous la pression de son entourage, et accepter de se rendre à l’hôpital. Le médecin lui a prescrit un traitement anti-VIH qu’il ne suivit pas fidèlement durant des années, prenant les médicaments pendant un mois puis ne renouvelant pas son ordonnance durant les six mois suivants. Il retournait alors voir le médecin à la suite de l’insistance de son entourage et le même scénario se répétait. L’une des principales raisons de son refus de prendre des médicaments était liée à l’image qu’il en avait. Celle-ci dépassait de loin la simple représentation, car elle s’enracinait dans son mode de vie et sa conception de la société. Frédéric a toujours préféré éviter les médicaments. Pour les infections banales, il a pris l’habitude de se soigner par la seule force de sa volonté ou à l’aide de plantes. Il considère que les médicaments sont « quelque chose d’étranger dans l’organisme ». Il critique le fait qu’ils soient « chimiques », « pas naturels ». Il nourrit une méfiance envers les traitements contre le VIH qu’il assimile à une drogue, dans la mesure où il sera obligé de les prendre toute sa vie. Or cet homme valorise et recherche tout ce qui s’apparente au naturel. Il classe, par exemple, sous cette étiquette un certain type d’alimentation, non pas biologique mais traditionnelle, à base de produits de la terre non traités industriellement. Sa mise en valeur du naturel participe aussi d’un refus des fauxsemblants et des conventions sociales qui l’ont obligé à cacher son homosexualité durant des années à sa famille. Ainsi raconte-t-il : J’ai toujours paru [été dans l’apparence] le jour, mais quand je sortais [la nuit], je ne mentais pas, tout le monde savait que j’étais homo, j’étais naturel, tout le monde était naturel [...] La société m’empêche d’être ce que je veux, je suis obligé de me battre pour être ce que je veux, normalement on doit être ce qu’on veut naturellement.
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Les traitements antirétroviraux
Chez Frédéric, le naturel est érigé en valeur essentielle et correspond à une manière d’être au monde qui affecte toutes les sphères de sa vie, y compris son attitude à l’égard des médicaments. Ces deux exemples mettent en lumière le rôle essentiel joué par l’attachement à un mode de vie et à des convictions, qu’elles soient d’ordre spirituel ou sociétal, sur l’acceptation d’être mis sous thérapie antirétrovirale. Nous voyons ici à l’œuvre l’influence exercée par l’univers et le groupe auquel la personne est affiliée sur son comportement thérapeutique, notamment dans le cas de Rachel qui a totalement adhéré au monde des médecines « naturelles ». Le respect de leurs valeurs et de leur vision globale de la vie semble ainsi bien plus fondamental aux yeux des individus que le fait de prendre une thérapie qu’ils perçoivent comme étant en opposition avec leur système de références.
2.2.
LE DÉSIR DE VIVRE : UN MOTEUR ESSENTIEL À LA PRISE DU TRAITEMENT
Se traiter au long cours pour une maladie chronique, qui de plus est potentiellement mortelle, ne peut se faire sans un désir de vivre affirmé. S’appuyant sur une enquête menée avant l’arrivée des trithérapies auprès d’hommes homosexuels, Pierret (1997) a déjà évoqué le rôle joué par le maintien des insertions familiales et sociales comme ressource essentielle pour conserver la volonté de vivre, pour « construire l’espoir ». Chez les patients que nous avons interviewés, le désir de vivre prend sa source dans les différentes sphères de la vie. Il puise sa force dans les relations affectives et sociales, dans la vie professionnelle, mais aussi dans les convictions, dans les projets et, en dernière instance, dans le sens que revêt l’existence pour le patient. Trois des femmes qui ont témoigné, toutes d’origine africaine, ont, à un moment de leur parcours thérapeutique, arrêté de prendre leur traitement anti-VIH parce qu’elles connaissaient de telles difficultés dans les domaines affectif et social que leur vie perdait son intérêt ou son sens. Pour Suzanne, une jeune femme béninoise, l’interruption de la prise des médicaments antirétroviraux a été provoquée par la peur de devoir renoncer au projet d’avoir des enfants. Cette femme souffre de problèmes gynécologiques qui l’obligent à suivre un traitement pour arriver à procréer. Elle est actuellement sous Trizivir® et a toujours pris sa trithérapie sans écart. Cependant, à deux reprises, elle l’a interrompue pendant une semaine parce que son traitement gynécologique ne fonctionnait pas et qu’elle perdait tout espoir de mener une grossesse à terme et, par conséquent, de fonder une famille :
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Je m’accroche à prendre ces médicaments, à me traiter par rapport à ce virus parce que j’ai envie d’avoir des enfants et vivre plus longtemps. Quand il m’arrive des choses comme ça [fausse couche], ça sert à rien [de prendre les antirétroviraux]. S’il n’y a pas d’enfants, je vais vivre pour quoi ? Ce n’est pas la peine ! La seule chose qui me fait arrêter les médicaments, c’est ça.
Brigitte a interrompu son traitement antirétroviral parce qu’elle traversait une période de crise sur le plan personnel. D’une part, elle était confrontée à une grave crise conjugale et, d’autre part, elle venait de perdre sa mère qui vivait en Côte-d’Ivoire, ce qui l’emplissait de la douleur du deuil et de la culpabilité d’être encore en vie, alors qu’étant séropositive, elle avait pensé mourir avant elle. De plus, la situation politique en Côte-d’Ivoire l’inquiétait énormément, car elle avait encore des neveux et nièces sur place qui, jusqu’à présent, étaient à la charge de sa mère défunte. Elle était partagée entre la culpabilité d’être vivante et l’envie de ne plus souffrir. À la question « pourquoi avez-vous arrêté de prendre vos médicaments ? », Brigitte répondit ainsi : Parce que j’en avais ras le bol de la vie. Je me disais que je ne méritais pas de vivre alors qu’il y a mes neveux et mes nièces qui sont en train de mourir de faim. [...] Pourquoi continuer à vivre ? Mieux vaut t’en aller, partir, que de continuer à supporter cette souffrance. Tous ces problèmes que j’ai au pays et au foyer aussi. La seule chose qui peut mettre fin à tout ça, c’est la mort.
Mireille, originaire du Zaïre, a arrêté son traitement à plusieurs reprises sur une période de trois mois. À cette époque, elle connaissait des épreuves sur le plan sentimental et professionnel, et, pour elle, la vie n’avait plus de sens : « J’avais plus envie de me soigner, j’en avais marre. D’un côté je perdais mon travail, on voulait me licencier et mon ami me mettait à la porte. Je me suis dit, je vais mourir, comme ça, on n’en parle plus. » À l’inverse, le désir de vivre, le soutien familial et amical, les projets, le sens donné à l’existence fondent les soubassements de la motivation à prendre les médicaments, en dépit de la lourdeur des thérapies. En attestent les cas de deux hommes qui étaient sous gigathérapie au moment de l’entretien. Pierre, un homme hétérosexuel de 45 ans, ayant appris sa séropositivité depuis dix ans, était en échec thérapeutique7 au moment de l’entretien. Il prenait neuf antirétroviraux auxquels s’ajoutaient des médicaments de confort. Au total, son traitement se composait de 15 cachets le matin et 15 cachets le soir. Pourtant, il ne sautait jamais une prise même s’il ne respectait pas toujours l’intervalle de douze heures requis. Il trouvait les ressources pour supporter les contraintes de sa gigathérapie dans son envie de vivre pour réaliser ses projets et retrouver une vie normale :
7.
Situation dans laquelle se trouve un patient dont le traitement est devenu inefficace.
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Les traitements antirétroviraux
Ce qui me motive, c’est le fait de ne pas aller plus mal pour pas faire de peine à ma famille, de redevenir sportif parce que j’aimais ça et que je me sentais mieux après et aussi de pouvoir enfin fonder un foyer. Pour ces trois valeurs-là.
Séropositif depuis treize ans, André, 43 ans, est lui aussi sous gigathérapie. Il prend cinq antirétroviraux, c’est-à-dire huit comprimés matin et soir et fait partie d’un essai thérapeutique pour le T208 qui s’administre par voie sous-cutanée sous forme d’injection matin et soir : C’est une maladie grave avec une épée de Damoclès sur la tête, mais si on se donne les moyens de se dire je suis mon traitement, je prends mes médicaments... On en a toujours des contraintes, mais si on se donne pas les moyens de lutter contre ça, de justement de prendre le matin ses médicaments... Faut accepter la maladie, faut accepter de se battre pour vivre ! Y a un truc que je dis souvent ou on aime la vie et on veut combattre... ou ça vaut le coup ou ça vaut pas le coup. Je suis assez clair là-dessus, je crois que si vraiment j’avais pas voulu je serais pas là. Mais j’aime trop la vie pour tout détruire et aussi faire de la peine aux autres. Quand vous avez une famille, quand vous avez des amis qui vous aiment... Il y avait des fois je disais oh... Puis je disais tu peux pas dire ça, regarde t’as tout autour de toi qui te sourie !
Dès l’annonce de sa séroconversion, André a choisi de se battre et de vivre. L’appartenance à un réseau amical et une famille solidaire qui constituent un réel soutien moral contribue à entretenir sa motivation pour lutter contre la maladie et prendre sa thérapie. Il trouve aussi un appui dans ses convictions religieuses qui confèrent à son existence un but et une signification : Je suis catholique, je suis baptisé, j’ai fait ma communion, j’ai des affinités avec la religion... Je peux dire entre guillemets que ça a été un moteur, mais je ne suis pas la personne qui va aller à l’église. Mais je sais qu’à l’intérieur de moi j’ai une générosité de cœur que des êtres dans ma famille m’ont donnée, et ça, je tiens à le conserver le plus longtemps possible. Ma croyance, c’est un peu mon cœur. C’est d’aider les autres quand ils en ont besoin. Ça m’aide beaucoup, pour plein de choses. J’ai la foi intérieure. Je crois que si on a cette foi intérieure, on arrive à plus supporter certaines choses.
Choisir la vie plutôt que la mort, trouver un but et un sens à son existence sont des conditions essentielles au suivi de la thérapie. Le comportement de prise des médicaments est indissociable de l’histoire de l’individu, de sa vie sociale et affective, de son projet de vie et, éventuellement, de ses croyances religieuses. La décision de prendre ou de ne pas prendre son traitement dépend de raisons qui vont bien au-delà d’une question de contrainte et de quantité de gélules.
8.
Molécule qui fait partie d’une nouvelle famille d’antirétroviraux, les inhibiteurs d’entrée. Le T20 est un inhibiteur de fusion.
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2.3.
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SUPPORTER LES EFFETS SECONDAIRES DES THÉRAPIES : L’INFLUENCE DU SENS
De nombreux exemples attestent que, de façon générale, les effets secondaires des médicaments font l’objet d’une réappropriation culturelle par les sociétés et les individus (Benoist, 1999). Concernant l’infection à VIH, les effets indésirables sont fréquemment cités comme une cause de mauvaise observance aux traitements par la littérature consacrée au sujet. Certaines études ont nuancé leurs propos et corroborent les observations de Benoist en signalant que c’est la perception subjective des effets secondaires qui engendre le non-respect des prescriptions médicales. Spire et son équipe (2001, p. 89) notent que « le risque de ne pas rester observant augmente significativement avec le nombre d’effets secondaires autodéclarés par le patient », mais qu’« en revanche ce risque n’est pas significativement augmenté par le nombre d’effets secondaires enregistrés dans le dossier médical ». Lévy et al. (2001), confirmant l’importance de la perception subjective des effets secondaires, signalent que les significations attribuées à ces effets diffèrent en fonction de la trajectoire individuelle liée à la maladie. La perception des effets indésirables, la place qui leur est accordée, la façon dont ils sont vécus sont très variables selon les personnes touchées. Ils peuvent se parer d’un voile tragique ou être invisibles aux yeux du patient. Il arrive aussi qu’après avoir occupé une grande place dans l’esprit d’un individu, ils perdent tout leur poids et sortent de son champ de vision. Quelle que soit leur objectivité scientifique, ils n’existent qu’à travers le filtre du regard et de l’histoire du sujet qui en souffre. Pour commencer, nous reprendrons l’exemple d’André. Sous gigathérapie, il a souffert de divers effets secondaires au cours de son parcours thérapeutique. Il a notamment développé une bosse de bison qu’il a fait enlever par une intervention chirurgicale, car il ne supportait plus le regard des autres. Cependant, il a tendance à relativiser les effets secondaires plus légers : Si déjà je domine pas mon corps, que j’essaie pas de lui faire accepter un nouveau médicament, c’est sûr qu’il va y avoir des effets secondaires. C’est sûr que je vais aller à la selle après ou peut-être que je vais vomir, ou peut-être rien du tout, mais c’est pas en deux jours ou une semaine... Moi, la chose première et principale, c’est qu’il faut laisser le temps aux médicaments pour que votre organisme accepte ou accepte pas. Quand on m’a dit : « Vos piqûres ça va comment ça se passe ? » J’ai dit oui, ça se passe bien, j’ai des petits nodules de temps en temps. Ça fait des petites plaques d’une journée et demie, puis elles partent. Mais il faut se donner les moyens aussi. On n’a pas choisi d’être séropositif, mais on fait un choix si on veut se soigner ou pas se soigner. Et puis là encore, ça part du premier jour, c’est le choix qu’on se donne.
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Les traitements antirétroviraux
La décision prise par André de vivre et, par voie de conséquence, de se soigner est déterminante dans son aptitude à supporter les aspects pénibles de sa thérapie. Comme nous l’avons vu, ce positionnement face à la vie est motivé par ses relations familiales et amicales ainsi que par sa foi religieuse. Son désir de vivre l’aide à endurer les effets secondaires dans la limite du possible et à ne pas s’alarmer dès l’apparition de légers symptômes. L’expérience des effets secondaires peut également être modulée par l’interprétation religieuse qui en est faite. La signification qui leur est attribuée peut les rendre moins facilement supportables, notamment s’ils sont considérés comme une sanction divine. Frédéric, jeune homme de 33 ans dont nous avons cité le cas précédemment, a pris pendant trois mois du Sustiva®, connu pour ses effets psychoactifs. Il en a largement subi les conséquences : troubles du sommeil, vertiges, troubles de l’humeur, agressivité, envies suicidaires... Étant donné qu’il était déjà réticent aux médicaments antirétroviraux, cette expérience n’a fait qu’alimenter l’image négative qu’il en avait. Effrayé par ces effets secondaires très nocifs, il a pendant un temps assimilé ces médicaments à un poison. Cependant, il s’est rapidement rendu compte qu’il vivait très mal les effets indésirables des trithérapies parce qu’il les voyait comme une punition contre son homosexualité. Il avait le sentiment d’être châtié pour la faute qu’il avait commise. Ayant été élevé dans une famille très catholique, sous la férule d’une grand-mère qui lui avait donné une éducation chrétienne traditionaliste, il était encore sous l’emprise de ce système de valeurs. Il a, depuis, entamé une psychothérapie qui lui inculque une autre conception du monde9 et transforme progressivement sa perception des effets indésirables. Il tente actuellement de se convaincre que l’homosexualité n’est pas un péché et que les effets secondaires sont simplement des événements malheureux et non une punition. Un cas similaire est celui d’une femme de 55 ans qui souffre d’une lipodystrophie. Geneviève a perdu de la masse graisseuse sur les cuisses, les fesses, les bras et a grossi du ventre. Elle vit très mal cette transformation de son corps qu’elle voit comme un « squelette ambulant ». En outre, la déformation de sa silhouette lui a fait prendre une allure masculine. Geneviève nourrit une haine pour ce corps qu’elle ne reconnaît plus. Cette souffrance est accrue par l’origine qu’elle attribue à l’apparition de sa lipodystrophie, tout en sachant qu’elle a pour
9.
Nathan (1998) « propose d’englober dans le terme “ psychothérapie ” toute procédure d’influence destinée à modifier radicalement, profondément et durablement une personne, une famille ou simplement une situation, et cela à partir d’une intention “ thérapeutique ” » (p. 12). D’après lui (p. 17), « une psychothérapie n’est pas une discussion de personne à personne [mais] une véritable guerre conceptuelle : un conflit dont l’issue est l’adhésion à une théorie ».
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cause biologique l’effet des médicaments. Ayant été élevée dans la religion catholique, elle interprète cette métamorphose corporelle comme un châtiment pour les péchés qu’elle a commis et comme une réponse à ses prières : Je me souviens avoir prié le ciel en disant : « Mon Dieu, faites que je devienne laide, que je devienne moche, que plus personne ne me regarde, comme ça je n’aurai plus de problèmes, je ne serai plus tentée. » Et est arrivée la lipodystrophie, je me suis dit : « Bon Dieu, c’est pas possible, je suis punie, on m’a entendue. »
Dans ces deux situations, la signification attribuée aux effets secondaires en référence à la religion d’origine, loin d’en alléger le vécu, ne fait que l’exacerber. En définitive, il apparaît que l’expérience des effets secondaires, comme la prise des traitements, peut être influencée par l’appartenance culturelle du patient, par son parcours ou par son existence. Deux tendances semblent se dessiner. Le comportement et l’expérience thérapeutiques peuvent être soit sous l’emprise des convictions et des valeurs du patient, de sa conception de la vie, c’est-à-dire de son univers culturel qui façonne le regard porté sur les thérapies et leur vécu, soit sous l’influence de la vie personnelle et sociale, qui alimente le désir de vivre et, partant, celui de continuer à se soigner.
3.
LES CONVERSIONS AU TRAITEMENT
Selon le dictionnaire français10, le mot « conversion » se définit comme un « retour à la pratique religieuse ; à l’observation de règles morales ». Un phénomène similaire de retour à l’observation des règles peut se produire dans le domaine thérapeutique. Le terme « observance » est lui-même emprunté au domaine religieux, le dictionnaire ne mentionnant pas son application au contexte médical. Nous nous permettrons de pousser la comparaison plus loin et d’utiliser l’expression « conversion au traitement » pour parler des situations de retour à la pratique de soin ou à l’observation des règles médicales, à l’observance. Huit des personnes que nous avons interviewées ont rapporté a posteriori un changement de cette nature ou l’ont expérimenté alors que nous les suivions. Nous avons donc pu observer directement, à travers les propos et le comportement des patients, cette mutation à l’œuvre11.
10. Le Nouveau Petit Robert, dictionnaire de la langue française, 1995. 11. Nous reprendrons à notre compte les propos de l’ethnologue Fainzang (2001, p. 75-76) selon laquelle « [...] rien ne prouve que les justifications construites par la personne enquêtée dans l’entretien soient bien celles qui ont régi les pratiques antérieures. C’est pourquoi il me semble nécessaire d’observer les pratiques sur le moment, les informations recueillies par ce moyen s’avérant avoir une plus grande valeur que celle que nous livrent les récits de vie ».
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Pour certains des patients qui ont vécu cette transformation récemment, la conversion n’est pas totalement achevée. Le processus peut être long en raison de la difficulté d’adopter du jour au lendemain une nouvelle conduite, mais, malgré quelques écarts, ils sont résolument déterminés à réussir, à terme, à suivre la prescription médicale. Il va sans dire que les personnes ne se sont pas converties au traitement par souci de se soumettre aux consignes du médecin et de devenir « un bon patient », mais que ce retour à l’observance participe d’un désir personnel nouveau de prendre soin de leur santé. Ces personnes ont donc, à un moment donné de leur parcours thérapeutique, changé radicalement d’attitude concernant le traitement antirétroviral, en acceptant de le commencer après un long refus, de le reprendre après un arrêt ou de le prendre régulièrement. D’après les entretiens, dans tous ces cas, le tournant dans le parcours thérapeutique a coïncidé avec une rupture biographique, une transformation profonde de leur existence. Certes, des travaux (Carricaburu et Pierret, 1995 ; Pierret, 1997) ont porté sur la rupture biographique qui était induite par la situation de la séropositivité, mais aucune étude, à notre connaissance, ne s’est intéressée à l’impact des ruptures biographiques12 sur l’expérience de la maladie et, plus spécifiquement, sur la prise des traitements. Dans cette perspective, nous essaierons d’identifier les diverses formes de rupture existentielle qui ont entraîné une conversion à la thérapie contre le VIH.
3.1.
LA MENACE DE LA MALADIE
Forts de l’existence de thérapies efficaces, certains des patients que nous avons rencontrés occultent totalement le risque létal du VIH, ne percevant plus la période de la séropositivité asymptomatique comme une « situation à risque de maladie » (Carricaburu et Pierret, 1992) telle qu’elle était vécue avant l’arrivée des multithérapies. Comme l’a observé Pierret (2002), actuellement de nombreuses personnes séropositives mènent une vie normale, bien qu’elles suivent un traitement
12. L’expression « rupture biographique » est utilisée par Pierret et Carricaburu en référence au concept de « biographical disruption » élaboré par le sociologue Bury (1982) dans le cadre de l’analyse de la maladie chronique. Selon lui, la maladie chronique constitue une rupture biographique, car elle bouleverse les structures de la vie quotidienne et les formes de savoir qui les étayent. Pour notre part, nous utilisons l’expression de rupture biographique dans son acception la plus commune, à savoir celle de tournant ou de changement radical dans l’existence d’une personne, sans référence au contexte de la maladie chronique et à sa conceptualisation par Bury.
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au long cours, et refusent l’identification au monde des malades. Dans ce contexte, la confrontation à la menace d’une maladie aiguë modifie radicalement l’existence de la personne en lui faisant prendre conscience de sa vulnérabilité et de sa mortalité. Cette rupture existentielle peut provoquer un repositionnement par rapport aux médicaments qui deviennent alors des alliés indispensables à la survie. Pour deux personnes que nous avons interviewées, le fait d’avoir frôlé la maladie a eu un tel effet et, dans les deux cas, il nous a été possible d’observer sur le moment la transformation de leur relation au traitement. Ces deux femmes, d’origine ethnique et d’âge différents, avaient un positionnement semblable à l’égard de la thérapie. Séropositives asymptomatiques, elles n’avaient pas souffert des efets du VIH, mais seulement de ceux de la thérapie, situation assez fréquente de nos jours. Aussi leur attention était-elle entièrement focalisée sur les désagréments du traitement qu’elles avaient du mal à supporter. Geneviève, dont nous avons déjà évoqué le parcours, sous traitement depuis onze ans, avait une forte réticence à l’égard des médicaments antirétroviraux, dans la mesure où elle souffrait d’une lipodystrophie qui avait enlaidit son corps et où elle avait physiquement du mal à avaler beaucoup de cachets. Elle était donc particulièrement hostile à la classe des antiprotéases qui impliquent souvent la prise d’un grand nombre de comprimés et favorisent le développement de lipodystrophies. Ainsi, lorsque sa thérapie avait comporté des antiprotéases et était composée de cinq comprimés le matin et six le soir, Geneviève avait négocié un nouveau traitement avec son médecin. Le traitement suivant ne comprenait que deux comprimés le matin et trois le soir, mais au bout de quelques mois, il se révéla insuffisamment efficace, son immunité13 commençant à décroître tandis que la charge virale augmentait. Victime d’une pneumopathie, infection dont elle avait déjà souffert trois ans auparavant, Geneviève fut hospitalisée, pendant trois semaines, dans un service de maladies infectieuses. Cet épisode infectieux a marqué un tournant dans son parcours de malade : L’hospitalisation, l’incident maladie que j’ai fait m’a quand même rappelée à l’ordre. Parce que j’oublie, je travaille tellement que je n’ai pas le temps de penser à ma maladie. Ça m’a fait prendre conscience que j’étais malade. J’ai eu peur de la douleur, de souffrir, peur de l’asphyxie... Moi, j’ai vu ma mère, elle avait du mal à respirer, ça me faisait mal pour elle, c’était l’horreur, j’ai peur de ça, c’est l’angoisse de ça.
De plus, lors de cette hospitalisation, Geneviève a, pour la première fois, côtoyé des personnes séropositives qui développaient des infections opportunistes dues au VIH. Elle s’est donc trouvée confrontée à la maladie, dont l’image a cessé d’être abstraite pour s’incarner notamment en la personne de sa voisine de chambre qui était affectée par un cytomégalovirus :
13. Les marqueurs biologiques de l’immunité sont les lymphocytes T4.
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Les traitements antirétroviraux
Ce qui m’a fait peur aussi là-bas, c’est la bonne femme en face de moi, qui avait un problème à l’œil, un cytomégalovirus et qui était maigre, squelettique, même le visage, ça, ça m’a fait peur. Vous savez que j’en ai rêvé de cette femme. Et je me suis dit, je ne veux pas devenir comme ça. Et je ne veux pas me montrer comme ça à mes enfants, je veux pas. Je préfère qu’ils ne viennent pas me voir. Donc, tout pour éviter ça !
Après cet épisode, elle a demandé de modifier sa thérapie à son médecin qui l’a mise sous antiprotéases et lui a prescrit un traitement se composant de 14 comprimés, 7 le matin et 7 le soir. Très abattue, Geneviève se demanda au début comment elle réussirait à les avaler. Durant les premiers jours, elle a passé des heures à considérer les comprimés avant d’arriver à les absorber, mais rapidement la prise ne lui a plus posé de problèmes : Je les prends beaucoup plus facilement maintenant. Avant, c’était la contrainte, c’était la corvée, c’était ce qui me rappelait sans arrêt que j’étais malade, alors que maintenant, je les avale avec un grand verre de jus d’orange le matin et le soir je les prends avec un verre d’eau et de vin mélangés. En plus, ce qui me montre que vraiment ça passe bien maintenant, c’est que je les avale très vite. Les sept je les prends en une minute, sans que mon gosier se coince. Donc, il n’y a pas de rejet même physique, il y a une adéquation entre l’esprit et le corps qui fait que les médicaments passent. Il faut le faire, c’est tout ! Donc, maintenant, allez hop ! Je les prends comme je prends ma tartine de pain beurré dans le café le matin et c’est fini, on n’en parle plus. Je me dis qu’ils sont nécessaires, de toute façon, je suis bien obligée de les prendre. Donc, maintenant, ce n’est plus une obligation, c’est devenu un automatisme, c’est comme me laver les dents.
Le discours de Geneviève a radicalement changé par rapport au premier entretien dans lequel elle disait ne pas supporter de prendre cinq comprimés le matin et six le soir et où elle était prête à menacer le médecin d’arrêter le traitement, s’il ne l’allégeait pas. La perception du risque de tomber gravement malade, qu’elle n’éprouvait absolument pas avant, a constitué une sorte de tournant dans sa trajectoire de maladie et, partant, dans son existence. Il y a désormais un avant et un après cette hospitalisation qui l’a conduite à donner la priorité à son maintien en bonne santé sur sa qualité de vie. Après deux semaines sous nouvelle thérapie, elle avait déjà des signes évidents que la lipodystrophie regagnait du terrain, son ventre grossissant rapidement. Cependant, cette fois, elle n’envisagea pas de renégocier son traitement avec le médecin : La lipodystrophie, ça, ça me tue ! Ça a augmenté, je le sens... Ça me gêne beaucoup, cette graisse que j’ai sur le ventre, je hais mon corps. Mais même pour ça, je n’arrêterai pas le traitement, je serai prête à faire un sacrifice financier pour faire une liposuccion, mais pas d’arrêter le traitement.
Geneviève, qui a pris conscience du danger qu’elle encourait, a décidé d’accepter une thérapie lourde et avec des effets secondaires nocifs. Cet événement l’a obligée à choisir de se battre contre la maladie et de continuer à vivre. C’est à
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partir de cette rupture existentielle qu’elle s’est trouvée contrainte à se positionner et qu’elle a changé ses priorités, acceptant, de fait, de supporter les désagréments de la thérapie. L’exemple de la seconde patiente ayant une trajectoire similaire est encore plus édifiant, car, à la différence de la première, il lui était déjà arrivé d’arrêter provisoirement son traitement et la peur de la maladie a provoqué chez elle un retour absolu au suivi régulier de la thérapie. Claudine, Rwandaise de 35 ans, a souvent mal toléré les médicaments antirétroviraux, à cause d’effets secondaires fréquents. Ce dont elle a le plus souffert sont la déformation de son corps due à la lipodystrophie ainsi que des réactions allergiques cutanées violentes et des vomissements au début des nouveaux traitements. À plusieurs reprises, elle a interrompu sa thérapie sans l’avis du médecin, ne pouvant plus supporter ces effets secondaires. Peu à peu, à cause des intolérances ou des résistances, elle a épuisé presque tous les médicaments disponibles sur le marché. Devant cette situation, et les résultats de ses analyses biologiques n’étant pas trop alarmants, son médecin décida d’interrompre la thérapie, le temps de faire une demande d’ATU14 nominative pour une nouvelle molécule. Après quelques mois d’attente, la réponse étant négative, le médecin estima qu’il était nécessaire de reprendre un traitement et lui donna une association de deux médicaments de la famille des antiprotéases sans effets sur la masse graisseuse, dont un en sirop, car elle semblait avoir une aversion profonde pour les comprimés. Claudine a fortement réagi aux médicaments puisque trois jours après le début du traitement elle est victime d’une allergie cutanée associée à des démangeaisons « des pieds à la tête ». À l’hôpital de jour, où elle se rend en urgence, elle reçoit un médicament contre l’allergie, mais elle doit continuer à prendre les antiprotéases. Par ailleurs, le goût du sirop lui paraît infâme et, durant les premiers jours, malgré les antivomitifs prescrits, elle souffre de vomissements intenses. Elle dépeint le début de ce traitement comme une épreuve terrible : « Les premiers jours, c’était la catastrophe. J’étais traumatisée, c’était horrible. J’ai pensé arrêter, mais je me suis dit qu’il fallait continuer. Je me suis forcée. Il faut que ça marche, je n’ai pas le choix. » Elle avait peur, en effet, de ne plus trouver de médicaments efficaces et qu’elle puisse tolérer. Elle s’est sentie, pour la première fois, remplie d’inquiétude en pensant au VIH et au risque de développer une maladie opportuniste. Lorsque, à la consultation suivante, Claudine obtient le résultat de ses analyses et apprend qu’ils sont réellement meilleurs, elle se sent extrêmement soulagée, persuadée qu’à partir de ce moment le goût amer du sirop et sa mauvaise odeur seront atténués. Quant à la crainte d’une aggravation de sa
14. Autorisation temporaire d’utilisation qui permet au malade d’avoir un accès précoce aux médicaments avant l’autorisation de mise sur le marché, la demande est adressée à l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé).
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lipodystrophie, elle s’en trouve relativisée ; Claudine exclut la possibilité d’interrompre son traitement si elle grossit à nouveau. À la question : « Qu’est-ce qui a changé par rapport à avant ? », elle répond : « C’est que j’ai été désespérée ! » Et d’expliquer : « C’est comme si vous voulez avoir des enfants. Vous savez que ça va transformer votre corps, que vous n’aurez plus le même corps. Mais vous les voulez alors vous les faites quand même ! » Chez cette patiente, la crainte de ne plus trouver de médicaments adéquats, donc de ne plus être traitée et de devoir affronter une maladie, a totalement métamorphosé son expérience des traitements, jusqu’à transformer sa perception du goût et lui faire accepter la déformation de son corps. Dans les deux cas, la menace de la maladie aiguë et, partant, de la mort a obligé les patientes à se positionner et à choisir la vie même si sa qualité n’est pas optimale. Ce changement de posture existentielle les a conduites à accepter de supporter leur régime thérapeutique, malgré ses répercussions notables.
3.2.
UNE DIMENSION SACRÉE RECONNUE À LA VIE
Parfois, la rupture dans l’existence n’est pas tant provoquée par le fait d’avoir échappé à la mort que par la révélation spirituelle que cet événement a entraînée. Le fait d’avoir survécu à une maladie grave devient le signe de l’intervention d’une puissance surnaturelle qui marque de son empreinte la vie à venir et oblige à la poursuivre. Deux femmes ont témoigné d’une expérience similaire pour expliquer leur changement d’attitude relative aux traitements contre le VIH. Chacune a frôlé la mort parce qu’elle ne prenait pas de traitement et, pour toutes les deux, le sens nouveau donné à leur vie a été fondamental dans leur choix de suivre désormais une thérapie. Rachel, dont nous avons aussi précédemment évoqué le parcours, était farouchement opposée aux médicaments antirétroviraux, préférant risquer de tomber gravement malade plutôt que d’en absorber. Huit ans après avoir appris sa séropositivité, elle fut victime d’une toxoplasmose cérébrale. Après avoir continué à refuser la thérapie contre le VIH pendant quelques jours alors qu’elle était dans un semi-coma, elle s’est soudainement décidée à l’accepter : La toxoplasmose, c’était une façon de me pousser jusqu’au bout pour me faire comprendre que là c’était à moi de décider si je voulais vivre ou pas. J’ai pas voulu pendant une semaine parce que c’était ma démarche habituelle de pas vouloir prendre de l’allopathie et puis, un beau jour, hop, ça m’est venu, c’est-à-dire ça m’est venu, c’est-à-dire que je pense qu’on m’a envoyé, il m’a été envoyé ce message-là, de dire oui. Parce que c’était plus dur pour moi à l’époque, je n’avais pas envie du tout, j’aurais préféré mourir à l’hôpital que de prendre cette trithérapie. Et quelque part, il m’a été dit « Tu dois vivre ». Et maintenant, je trouve que c’est merveilleux et non seulement je trouve que c’est merveilleux, mais, en plus, je pense que
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la vie m’a été donnée et non seulement j’ai pas le droit, mais c’est du gâchis de l’écourter. C’est-à-dire que même si les conditions sont difficiles, si tu as la foi et si tu as l’espoir, tu peux toujours améliorer les choses. Si les médicaments existaient, peut-être que ça faisait partie de mon parcours, de ma destinée, que j’avais à vivre cette chose-là.
Rachel considère que sa décision a été dictée par une voix extérieure émanant d’une force supérieure. Ce message d’origine transcendante lui a fait comprendre que son heure n’avait pas sonné et a été source de questionnement sur sa destinée. La décision de continuer à vivre et, par conséquent, d’accepter un traitement est donc née d’un nouveau regard sur son existence, plus empreint de spiritualité. Depuis, Rachel s’est tenue strictement au respect de la prescription médicale et n’a jamais fait d’écart. Mireille, originaire du Zaïre, avait interrompu sa trithérapie pendant plusieurs semaines, une année avant l’entrevue, car elle était confrontée à de graves problèmes dans son couple et n’avait plus envie de continuer à prendre ses médicaments. Constatant son état psychologique, le médecin lui avait proposé de faire une interruption thérapeutique sous son contrôle, mais en l’enjoignant de ne pas arrêter son traitement hypotenseur. N’ayant plus de désir de vivre, elle finit par l’interrompre malgré ces recommandations et eut un accident cardiovasculaire auquel elle survécut mais qui la rendit hémiplégique. Depuis cet accident, qui s’est produit il y a un an, elle a réussi à retrouver la quasi-totalité de sa mobilité, même si elle souffre encore d’un léger handicap pour marcher. Cette guérison revêt pour elle un caractère miraculeux : J’allais mourir, mes T4 étaient diminués, ma tension avait monté, je me suis retrouvée hémiplégique, j’allais vraiment mourir mais le Bon Dieu m’a aidée, c’est là que j’ai trouvé que le Bon Dieu existe. Parce que les gens qui étaient avec moi hémiplégiques, maintenant, ils sont paralysés.
Depuis cet accident, Mireille accorde une grande importance à la prise de ses traitements contre le VIH, car elle a pris conscience qu’à cette époque elle avait voulu se tuer. Désormais, elle dit vouloir vivre longtemps, sans doute parce que sa vie a pris une plus grande valeur à ses yeux, dans la mesure où elle pense avoir été sauvée par une intervention divine. À la question de savoir ce qui la pousse actuellement à prendre ses traitements sans interruption, elle répond explicitement : J’ai vu que je suis tombée malade, j’ai fait un accident, j’ai failli mourir, mais j’ai vu que le Bon Dieu il m’aime bien, il veut que je reste, il veut pas que je meurs, c’est pour ça, il a encore besoin de moi.
Sa motivation présente à se soigner réside dans le nouveau sens donné à son existence qui s’est parée d’une dimension sacrée. Pour ces deux femmes, l’expérience d’avoir échappé à la mort du fait d’une protection divine ou transcendante a marqué un tournant dans leur existence, lui conférant une signification et un dessein nouveaux, qui ne leur appartiennent
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Les traitements antirétroviraux
pas, mais qu’elles se doivent de respecter. Cette expérience jette une lumière mystique sur leur vie qui prend à leurs yeux une nouvelle valeur. La conviction qu’elles doivent vivre auréole la prise des médicaments antirétroviraux d’un nouveau sens.
3.3.
UNE REMISE EN QUESTION PERSONNELLE
Pour deux hommes, la décision de suivre correctement la thérapie antirétrovirale a coïncidé avec un bouleversement biographique occasionné par une remise en cause totale de leur façon d’être et de leur personnalité. Leur volonté d’une modification en profondeur de leur personne et de leurs comportements a entraîné un changement notable concernant leur prise des médicaments contre le VIH. Chez ces deux patients, la conversion au traitement s’est inscrite dans un mouvement plus large que l’un d’eux qualifie de renaissance et qui se répercute sur de nombreux aspects de leur existence, dont leur relation à la santé. Frédéric, dont nous avons déjà cité l’expérience, s’est montré rétif aux thérapies durant des années, à la fois parce qu’il n’avait pas l’impression d’en avoir besoin, refusant d’admettre sa séropositivité et parce qu’il était contre les médicaments qui étaient en opposition avec sa recherche de « naturel ». Après des années de refus de se soigner, hormis quelques parenthèses d’un mois de traitement, il se mit à maigrir de façon anormale, perdant 15 kilos en deux ans. En voyant le reflet que lui renvoyait le miroir, il se dit qu’il ne pouvait plus continuer à « faire semblant » : Ce qui a fait le déclic, c’est d’avoir vraiment maigri, le visage émacié, c’est comme si j’avais ma psyché devant moi. De m’avoir senti maigri, à l’intérieur, je me sentais vraiment mal. Pendant deux jours, j’ai ruminé dans ma tête, j’ai dit ou tu vas droit dans le mur ou tu prends les médicaments, sois honnête avec toi-même.
Si jusque-là il ne voyait pas l’intérêt de prendre les médicaments, car il vivait au jour le jour, à partir de ce moment, sa posture existentielle a changé et il s’est projeté dans l’avenir : Je me suis dit si ça peut m’aider à vivre, à concrétiser mes rêves, allons-y ! Je veux réaliser ce que j’ai envie avant la date butoir. Quand je me suis dit, je vais prendre les médicaments, je me suis dit, ça va repousser la date. Vingt ou trente ans, ça me laisse quand même le temps de réaliser certains de mes rêves.
Cette prise de conscience s’est accompagnée d’une transformation identitaire se traduisant par une volonté d’autonomisation affectant tous les aspects de son existence, qu’il vit comme une véritable renaissance, une autoreconstruction : Je me suis dit si je prends mes médicaments en main, je prends ma vie en main, je prends tout en conséquence. Ça me secoue. C’est vrai que, psychologiquement, ça me fait peur. Parce que ça veut dire de me prendre en
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main, ça me remet en question, c’est moi qui gère ma maladie, ma vie, ma sexualité. Je vivais par procuration, je vivais selon le désir d’autrui, j’avais l’impression d’exister que par rapport aux autres. Maintenant, j’arrive à me construire. Justement, c’est ça qui me fait peur parce qu’arrivé à 33 ans, je me dis que je suis en train de me construire, je suis en train de naître. Avant je vivais que dans l’interdit. Là, j’ai envie de renaître mais ouvertement, difficilement mais ouvertement, me battre pour ce que je veux être, être moi-même.
La reprise de la trithérapie ne constitue qu’une des facettes de la transformation de sa vie. Il s’est ouvert sur l’extérieur, parvenant à participer aux activités d’une association de lutte contre le sida afin de pouvoir parler de sa séropositivité. Signe important de cette métamorphose, il s’accepte mieux physiquement, même s’il n’a pas encore repris du poids. Autre indice significatif, il semble cheminer vers une acceptation plus totale de son homosexualité. Après cette remise en question radicale, Frédéric a aussi commencé une psychothérapie, désireux de régler les angoisses qui l’animaient et d’être accompagné dans sa reprise des médicaments. La décision d’accepter de suivre une thérapie anti-VIH participe de ce cataclysme existentiel. Elle est le fruit d’une remise en cause et d’une métamorphose généralisées qui touchent tous les aspects de sa personne. Son histoire prouve une fois encore l’incidence que peut avoir une rupture biographique de l’ordre d’une modification identitaire sur la prise en charge personnelle de la santé. Bruno, 42 ans, contaminé en 1995, a immédiatement été mis sous thérapie. Dès le début, il a été instable dans le suivi de son traitement, alternant entre des périodes de prise et des interruptions allant de quelques jours à plusieurs mois. Jusqu’à récemment, il n’avait pas d’idées précises sur les raisons de ses arrêts du traitement. En outre, durant ces périodes où, selon son expression, il n’avait plus envie de se battre, il cessait non seulement de se soigner, mais souvent, également de se nourrir tandis que sur le plan sexuel, il adoptait des comportements à risque. Après de longues années de recherche personnelle, cheminement qui avait débuté par la participation à des mouvements chrétiens, la foi étant pour lui une voie pour accéder à plus de vérité sur lui-même, Bruno a entamé, il y a trois ans, une psychothérapie avec la psychiatre-psychanalyste du service hospitalier où il est pris en charge pour le VIH. Cette psychothérapie, toujours en cours, lui a permis de comprendre comment ses comportements actuels s’enracinent dans son passé personnel et familial : Il y avait quelque chose plus ou moins inconscient de suicidaire. De temps en temps, ça revient. Pas à se jeter par la fenêtre, dans la vie, je suis très vivant, très sociable, mais c’est plutôt le fond. C’est ce que je travaille avec la psychiatre. Apprendre à mettre ça en parole, à regarder en face. Il y a plein de choses dont je n’avais pas conscience. Il y a beaucoup de choses liées à l’inconscient, au passé. Qu’est-ce que représentaient les médicaments... Il y avait ces pulsions d’autodestruction dont je n’avais pas conscience. Il y a eu l’histoire du corps, ne pas prendre soin de son
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corps qui se traduisait par ne pas manger, par la prise de risque, par ne pas prendre les médicaments. Après, il y avait l’histoire du médicament, c’était long de découvrir, mais c’était très lié à l’histoire que j’avais avec ma famille. Il a fallu travailler cet héritage. Plus je guéris ma relation avec ma mère, plus ça va mieux par rapport à cette notion du corps, du médicament, de prendre soin de soi, d’être libre pour soi-même, pas être pris dans une pensée de quelqu’un d’autre, mais bon j’avance encore, c’est pas encore joué.
Ainsi, malgré ces différentes prises de conscience, le processus pour arriver à sortir de conduites d’autodestruction et à assumer le suivi thérapeutique n’est pas encore achevé. Bruno arrête encore de temps à autre le traitement, mais, au lieu de durer plusieurs mois, ces interruptions sont désormais limitées à quelques jours. À la différence des scénarios antérieurs, lorsqu’il entre dans une phase d’autodestruction, il s’en rend compte plus rapidement et en émerge plus facilement : Quand on prend conscience d’un problème, on le repère plus vite. Avant ça durait des mois, je prenais plus les médicaments et puis j’étais chez moi comme ça à ne rien faire, avec des angoisses terribles. Maintenant quand je sens un mouvement comme ça, je dis : « Tiens, qu’est-ce qui arrive ? Est-ce qu’il y a eu un événement, quelque chose ? » Donc je vois plus clair avec ce que j’ai découvert. Je dis : « Ah oui, il y a eu ça, ça, ça » et je prends la décision de pas rentrer là-dedans.
Dans la même démarche, il a décidé de déménager dans une ville de province afin de quitter le milieu gai parisien où il replonge à chaque fois qu’il est aux prises avec ses angoisses : Le monde gai, c’est un peu comme une spirale de la mort et j’arrive pas à m’en sortir. J’ai une conscience assez vive, mais entre la conscience et le quotidien... quand je ne vais pas bien, je retourne dedans. Pour moi [le déménagement], c’est une rupture, c’est me donner un peu plus de moyens pour être dans une dynamique de vie plutôt que de mort.
Pour exprimer ce processus de transformation personnelle opérée par la psychothérapie, il a recours à cette métaphore : C’est comme si je faisais de l’alpinisme, je voulais monter vers l’air pur, le sommet et j’avais plein de cordes qui m’attachaient, des cordes différentes, qu’il fallait petit à petit prendre chaque corde, enlever chaque nœud, pour trouver la liberté d’aller jusqu’au bout, de m’envoler.
L’objectif que s’est fixé ce patient de réussir à prendre régulièrement ses médicaments contre le VIH s’inscrit dans une remise en question profonde et une trajectoire laborieuse vers le désir de vivre. Sa volonté nouvelle de se soigner ne peut être comprise qu’en étant resituée dans le contexte de cette métamorphose personnelle qui, telle une mue, s’accomplit progressivement et conserve pendant un temps les traces de l’état antérieur.
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3.4.
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UN NOUVEAU MODE DE VIE
Des études ont montré que certains styles de vie rendent la prise régulière des médicaments difficile15. Cependant, il arrive qu’un événement extérieur décisif mette un terme à une façon de vivre qui était incompatible avec le souci de la santé et soit à l’origine d’une conversion au traitement. Dans le cas de deux patients, un incident a soudainement remis en question le mode de vie dans lequel ils s’étaient installés depuis de nombreuses années et l’a radicalement transformé, produisant alors une rupture biographique déterminante dont les effets ont rejailli sur la prise de la thérapie contre le VIH. Un des hommes hétérosexuels de notre cohorte, originaire de la Guadeloupe, est subitement devenu observant alors qu’il ne prêtait jusque-là aucune attention à sa santé. Il a ainsi entrepris une démarche de soin, après un changement de style de vie. Séropositif depuis dix ans, âgé d’une trentaine d’années, Denis a suivi ses thérapies contre le VIH de façon irrégulière jusqu’à l’année dernière, date à laquelle sa façon de vivre s’est transformée. Pendant des années, il a donné la priorité à ses amis et aux sorties pendant lesquelles il consommait des drogues dans un but festif. Cette toxicomanie légère était sans doute un moyen pour lui d’oublier sa séropositivité puisqu’il raconte s’être beaucoup « défoncé » lorsqu’il a appris sa contamination. Depuis un an, Denis a rompu avec son cercle d’amis pour une raison extérieure à sa séropositivité, après avoir réalisé qu’ils entretenaient des relations avec lui par intérêt. Il a coupé les liens avec eux et s’est replié sur lui-même. Cette solitude forcée l’a amené à s’interroger sur lui-même, sur sa situation et à se préoccuper davantage de sa santé : Avant j’oubliais beaucoup. Mon idée n’était pas sur les médicaments. Maintenant, je bouge beaucoup moins, je suis beaucoup plus chez moi. Avant j’étais toujours en vadrouille et j’étais avec des copains, tu peux pas dire à tes copains je vais prendre mes machins. Quand tu sors, tu peux rester dehors deux ou trois jours, dans les soirées, tu fumes, tu te défonces. Je ne pensais pas à ça. Je n’avais pas la tête à prendre les médicaments. Depuis que j’ai quitté mes copains, maintenant j’y pense plus parce que je suis beaucoup plus chez moi. Beaucoup de choses ont bougé dans ma tête aussi. Avant, je ne pensais pas à ça. Là, je pense ma vie dépend des médicaments.
L’évolution que Denis a connue dans sa manière de vivre n’a pas été planifiée, elle n’est pas née d’une volonté de changer ou d’une remise en question personnelle, mais elle n’en a pas moins fondamentalement modifié son rapport à la santé et à la thérapie antitérovirale. Vincent, un homme de 44 ans, contaminé depuis quinze ans, n’a pas respecté les prescriptions médicales durant des années, n’absorbant que la moitié
15. Morin, 2001 ; Tourette-Turgis et Rébillon, 2002.
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des doses prescrites, ne prenant sa thérapie que le matin et non le soir. Renoncer totalement eût été pour lui synonyme d’abandon de toute tentative de soin, mais il ne souhaitait pas non plus octroyer une réelle importance à sa maladie qu’il avait toujours maintenue à distance. Ancien toxicomane, Vincent avait transféré son besoin de substances psychoactives sur l’alcool et pris l’habitude de boire quotidiennement du matin au soir. Cette consommation excessive de drogue puis d’alcool avait chez lui une signification particulière, car elle le rapprochait de son père mort à l’âge de 33 ans sans qu’il ne l’ait jamais connu, un homme marginal et également toxicomane qui avait adhéré à la mouvance psychédélique des années 1960-1970, fréquentant les milieux artistes new-yorkais. Vincent a donc lui-même mené une existence assez marginale, préférant l’imaginaire à la réalité et se sentant d’une certaine façon au-dessus de la masse. Une rupture amoureuse, survenue l’année dernière, lui a fait l’effet d’un choc et l’a amené à changer radicalement sa façon de vivre, y compris sur le plan de la santé. En le quittant après dix ans de vie commune, sa compagne lui a ôté son sentiment d’invulnérabilité, alors que depuis l’adolescence Vincent s’était toujours senti protégé, comme par un ange gardien, peut-être par son père « décédé à l’âge christique » : C’est un truc enfantin, mais je m’étais toujours senti à l’abri de tout. J’ai toujours eu l’impression que je passais à travers, que rien de fâcheux ne pouvait m’arriver. J’avais une vision romantique des choses, cette impression que tu es seul, que tu n’es pas du lot commun. Maintenant, je me dis qu’on ne peut pas tirer sur la corde indéfiniment, tôt ou tard, je serai rattrapé. Je veux préserver ma peau, c’est une basse préoccupation humaine.
La solitude à laquelle il a été confronté a contribué à sa transformation, car il a été forcé de prendre davantage sa vie en main : Du jour au lendemain, je me suis retrouvé seul et j’ai dû grandir parce qu’en fait j’étais resté dans une sorte d’adolescence prolongée. Toute ma vie, j’avais été pris en charge, par ma grand-mère, par des copains plus âgés, puis par les femmes. Je ne pensais pas que pour s’accomplir on ait besoin d’accéder à une position sociale, à un travail. Je voulais m’accomplir juste en étant moi-même, par la force de ma réflexion.
Après avoir été dans l’obligation de faire appel à des aides sociales, il a accepté un emploi à mi-temps de bibliothécaire dans une fondation, qu’une association de lutte contre le sida lui avait trouvé. Parallèlement, il s’est remis à peindre, a trouvé des lieux où exposer son travail photographique et a décidé d’organiser des événements culturels en tant que bénévole pour l’association de lutte contre le sida qui l’a aidé. Après le départ de son amie, Vincent a aussi pris des résolutions relatives à sa santé. Il a décidé de se soucier à nouveau de son apparence physique et de son corps, consultant un dermatologue et un dentiste et s’occupant du suivi de
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son hépatite. Depuis six mois, il a également énormément réduit sa consommation d’alcool, s’interdisant de boire avant la fin de l’après-midi. Quant à la thérapie antirétrovirale, il a décidé de la prendre complètement, matin et soir, ne sautant plus aucune prise : Maintenant, je suis vraiment complètement la thérapie, je fais tout ce qu’il faut, j’essaie de m’occuper de moi-même, de moins me laisser aller, que ce soit au niveau de l’alcool ou d’un certain confinement parce que je suis trop jeune pour finir comme ça. Les narcotiques, c’était pour échapper au sentiment d’être sur terre. L’alcool me permettait de décoller, de ne pas assumer la fonction d’être humain sur terre, mais j’ai pris conscience de la dégradation de ma personne physique. J’ai décidé d’arrêter la bière. J’essaie de refaire ma vie, de bosser, d’arrêter l’alcool, de faire gaffe à ma santé. Je veux finir ma vie dans la dignité, je ne veux pas finir dans la clochardisation. J’essaie de ne pas aller droit à l’échec de façon autodestructrice.
À présent, Vincent souhaite prolonger sa vie et se renouveler. Lui qui ne s’était jamais projeté dans le futur, préférant finir sa vie dans dix ans plutôt que de renoncer à sa jeunesse, se soucie désormais de son avenir. De façon générale, Vincent a changé sa position face à la vie, ce qui se traduit aussi par l’attention nouvelle qu’il accorde à sa santé. Certains événements sont parfois responsables d’un bouleversement qui métamorphose la manière de vivre d’une personne et peut avoir des répercussions sur tous les niveaux de son existence. Dans le cas de ces deux hommes, la mutation qui s’est opérée dans leur mode de vie a également transformé leur rapport à leur santé, les rendant plus soucieux de la préserver, ce qui passe nécessairement par un meilleur suivi de leur thérapie antirétrovirale. Pour l’ensemble des patients dont nous venons d’évoquer le parcours, la conversion au traitement s’est produite simultanément ou à la suite d’un tournant qui a marqué leur vie personnelle. Avant que cette mutation survienne, chacun se trouvait dans une configuration existentielle qui le plaçait dans l’impossibilité d’adhérer au traitement, pour des raisons qui, selon les individus, ressortissaient à une priorité donnée à la qualité de vie, à la signification conférée à l’existence, à une façon d’être s’enracinant dans une histoire singulière ou encore à un style de vie adopté en vertu de l’appartenance à un groupe ou de l’inscription dans une filiation. Dans ces diverses situations, le retour à une prise en charge individuelle de la santé a été possible parce qu’il était partie prenante du changement existentiel soit en devenant un moyen de réaliser le nouveau but, qu’il s’agisse de continuer à vivre ou d’accomplir sa destinée, soit en devenant un des éléments à la fois signe et opérateur de la transformation mise en œuvre au niveau de la façon d’être ou de vivre. La prise de la thérapie était compatible, et servait même la nouvelle conception et les nouveaux objectifs de l’existence. D’autres circonstances, d’autres directions prises par la vie auraient pu être incompatibles et empêcher l’adhésion au traitement.
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CONCLUSION Comme nous l’avons précisé dans notre introduction, notre propos était de mettre en lumière l’emprise de la vie individuelle, de l’histoire singulière, de l’univers de référence des individus sur leur relation aux thérapies antirétrovirales et leurs pratiques médicamenteuses. Nous avions également la volonté de privilégier une perspective dynamique, de montrer, dans la mesure du possible, l’enchâssement des pratiques thérapeutiques dans une vie en perpétuelle évolution qui se fabrique au jour le jour. À cet égard, nous souhaitions montrer les conséquences que peuvent avoir l’évolution de la conception de la vie, les modifications identitaires et biographiques et, plus généralement, l’affiliation à de nouveaux modes de pensée et d’être sur le suivi de la thérapie. De cette étude est ressortie l’influence essentielle du sens donné à la vie sur les pratiques de médication, un sens dont les points d’ancrage peuvent être les dimensions affective et sociale de l’existence ou la vision du monde et l’appartenance culturelle. L’enchevêtrement des comportements thérapeutiques dans l’écheveau de la vie s’est également révélé par la mise en évidence d’une coïncidence entre les ruptures existentielles et les conversions au traitement. Qu’elles résultent d’un tournant dans la trajectoire de maladie, d’une révélation spirituelle qui donne un nouveau sens à la destinée, d’une volonté de changer sa façon d’être ou d’une métamorphose du style de vie, ces ruptures existentielles ont été déterminantes dans l’évolution de la place accordée à la prise du traitement. Dans ces divers contextes, les patients se sont convertis au traitement parce que son suivi prenait une nouvelle signification au regard de la nouvelle direction donnée à l’existence. Une fois encore, nous avons pu constater que la vie individuelle transforme le sens conféré au traitement et, partant, le comportement à l’égard de la thérapie. Dans son essai autobiographique narrant son itinéraire de malade confronté à la chimiothérapie, Jaulin (1993) écrivait que le traitement médical aurait pu être mieux supporté s’il avait pris une dimension initiatique, à la manière des rituels d’initiation des sociétés traditionnelles où la souffrance endurée est reliée à un univers partagé qui donne un sens à l’épreuve. Cette réflexion formulée par un anthropologue aux prises avec la maladie illustre à quel point le sens donné à l’expérience des traitements influe sur la capacité à les accepter et à les supporter. La leçon principale qui émerge de cette étude est que, pour être compris, le vécu de la thérapie doit être éclairé à la lumière de l’univers propre à chaque patient. Force est d’admettre que le système de référence, les croyances, le mode de vie, la vie personnelle et sociale ne s’accordent pas systématiquement avec la prise du traitement antirétroviral. Mais il est essentiel de se souvenir que ces différentes facettes de l’existence peuvent parfois constituer une ressource
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formidable pour entretenir l’envie de vivre du patient et, partant, son désir de se soigner, même dans des cas de traitements très lourds où tout laisserait présager un abandon de la thérapie.
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LES THÉRAPIES CONTRE LE VIH /SIDA La mise à l’épreuve du temps1 Germain TROTTIER Mylène FERNET Joseph J. LÉVY
Joanne OTIS Robert BASTIEN
Régis PELLETIER Antoine BOURDAGES
Le médicament emprunte toujours deux trajets à la fois : un trajet biologique qui donne accès à l’ingénierie du corps, et un trajet social qui conduit du laboratoire au patient (Benoist, 1999). Plus complexe que le précédent sur le plan humain, le trajet social du médicament couvre la distribution, la publicité, l’économie, l’espace relationnel médecin-malade, les conduites des malades eux-mêmes, sujettes aux interprétations et aux réinterprétations. Dans le contexte du VIH / sida, plusieurs médicaments antirétroviraux sont actuellement sur le marché. De 1996 à 2000, la prise de ces médicaments a augmenté de façon substantielle et les thérapies plus simples ou à base exclusive
1.
Cette recherche a été rendue possible grâce à une subvention du PNRDS (Programme national de recherche sur le sida). Santé-Canada.
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Les traitements antirétroviraux
d’inhibiteurs de protéase ont peu à peu été remplacées par des combinaisons plus complexes (Gardner, Bayoumi et Kerry, 2001a, 2001b). Par leurs effets bénéfiques sur la charge virale et le taux de CD4, ces combinaisons antirétrovirales ont contribué à l’augmentation du délai à l’apparition de la maladie ainsi qu’à la diminution de la morbidité et de la mortalité chez les personnes vivant avec le VIH ou PVVIH (Gallant, 2000 ; Rogers et al., 2000 ; Sendi et al., 1999). En revanche, si elles ont eu des effets positifs pour une bonne proportion d’entre elles, ces combinaisons ont aussi entraîné, de façon concomitante, d’autres formes de morbidité, principalement liées à la toxicité ou aux effets secondaires des médicaments (Bonfanti et al., 2000 ; Collins, Wagner et Walmsley, 2000 ; Kotler, 2000 ; Mallal et al., 2000 ; Rourke, Trépanier et Devins, 2001 ; Rourke, Trépanier et Bayoumi, 2001 ; Saint-Marc et al., 2000 ; Thiebaut et al., 2000 ; Tsiodras et al., 2000). Il faut ajouter qu’elles seraient inefficaces dans 20 % à 30 % des cas, ce qui serait lié à des problèmes d’observance, au développement de résistances ou à l’état d’avancement de la maladie (Bangsberg et al., 2000 ; Casado et al., 2000 ; O’Neil et al., 2000 ; Ross et al., 2000 ; Schmitt et al., 2000). En effet, il semble que ces médicaments antirétroviraux aient une efficacité transitoire due au développement de résistance virale et à l’apparition de troubles métaboliques. Bien que l’échec thérapeutique et les résistances associées soient bien documentés et étudiés par différentes méthodologies, les répercussions de l’échec sur des paramètres psychosociaux constituent un domaine encore peu investigué. Pourtant, pour la personne, cet échec la confronte à la menace d’une détérioration possible de son état de santé et à un réajustement de sa thérapie. Il semble donc que ces développements thérapeutiques rapides, relativement récents mais constants, imposent une remise en contexte des rapports dynamiques que doivent entretenir les PVVIH à l’endroit de la maladie et de ses traitements. La plupart des études ayant exploré le vécu des PVVIH se sont surtout attardées aux dimensions médicales. Certaines d’entre elles ont mis en évidence l’altération de la qualité de vie due aux effets secondaires des médicaments (anormalités métaboliques, hyperlipidémie, taux de glucose élevé et résistance à l’insuline, lymphographie, etc. ; Bonfanti et al., 2000 ; Collins, Wagner et Walmsley, 2000 ; Kotler, 2000 ; Mallal et al., 2000 ; Rourke, Trépanier et Devins, 2001 ; Rourke, Trépanier et Bayoumi, 2001 ; Saint-Marc et al., 2000 ; Thiebaut et al., 2000 ; Tsiodras et al., 2000). En lien avec les effets secondaires des traitements, certaines études qualitatives révèlent que les multithérapies induisent un rapport au corps différent selon le degré d’avancement de la maladie (Broqua, 1999). Administrées aux personnes les plus avancées dans la maladie, elles produisent un rétablissement parfois spectaculaire. À l’inverse, elles peuvent affecter le corps à travers les effets secondaires, effets d’autant plus perceptibles lorsqu’elles sont prescrites à des patients asymptomatiques. Ces études qualitatives illustrent aussi comment l’apparition des thérapies a transformé la temporalité quotidienne de la
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vie par la régularité des prises de médicaments, leur nombre important dans la journée et les contraintes qu’elles supposent (Broqua, 1999). Les effets secondaires des médicaments seraient d’ailleurs perçus par plusieurs comme intrusifs dans différentes sphères de leur vie (travail, relations interpersonnelles et amoureuses ; McDonald, Bartos et Rosenthal, 2001). Au plan social, les répondants soulignent les contraintes que l’ingestion complexe des médicaments imposent dans leur vie socioprofessionnelle et la stigmatisation potentielle liée à la visibilité de leur état, ce qui peut entraîner des problèmes de réinsertion professionnelle et une chronicisation des rapports liés aux services médicaux et de santé. Compte tenu de ces constats, l’observance apparaîtrait comme un phénomène dynamique à travers lequel chaque individu négocie sa propre réalité qui semble modulée par le contexte social, par les valeurs symboliques des thérapies et leurs conséquences. On estime qu’un taux d’observance optimal, égal ou supérieur à 95 %, est indispensable pour maintenir une charge virale basse et pour prévenir le développement de virus résistants (Paterson et al., 2000). Or, les études rapportent des taux d’observance qui varient considérablement, entre 27 % (Roca, Gómez et Arnedo 1999) et 82 % (Singh et al., 1999). Les facteurs affectant l’observance peuvent être classés selon quatre dimensions (Tsasis, 2001) : les facteurs liés au patient, au médecin traitant, au régime thérapeutique lui-même et à l’état de la maladie. Parmi les variables liées au patient, les variables sociodémographiques comme l’âge, le genre, l’éducation et le revenu joueraient un rôle mineur (Sandro et Cinti, 2000 ; Wilson et al., 2002 ; Spire et al., 2002 ; Wood et al., 2002), alors que des conditions précaires sur le plan socioéconomique seraient plus déterminantes (Tsasis, 2001). Des variables psychosociales et comportementales auraient davantage de poids sur le taux d’observance : la dépression, le pessimisme, la perte d’espoir ou des troubles de l’humeur ainsi que la consommation abusive d’alcool et de drogues auraient un effet négatif (Catz et al., 2000 ; Cook et al., 2002 ; Gordillo et al., 1999 ; Holzemer et al., 1999 ; Spire et al., 2002 ; Williams et al., 2000). L’oubli serait souvent en cause (Ostrop et Gill, 2000). L’observance serait aussi modulée par les croyances relatives à la santé, la perception de l’efficacité du traitement (attitude à l’égard du traitement) et la perception de contrôle quant à l’observance (Catz et al., 2000 ; Tuldrà et al., 1999). De plus, les habiletés et les stratégies d’ajustement ainsi que le soutien social seraient impliqués (Catz et al., 2000 ; Gordillo et al., 1999 ; Singh et al., 1999). En ce qui concerne les facteurs liés au médecin, la relation patient-médecin encadrant la prise de médicaments antirétroviraux serait associée à l’adoption de comportements secondaires de prévention. La qualité de l’interaction et de la communication avec le médecin traitant, sa disponibilité et sa rigueur à donner les explications favoriseraient une meilleure observance (Erlen et Mellors, 1999 ; Evans et al., 2000 ; Roberts et Volberding, 1999). Les études qualitatives ont d’ailleurs révélé que les relations entre le patient et son médecin, en particulier
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celles qui sont axées sur un modèle de collaboration, auraient non seulement une portée sur la décision d’entreprendre un traitement et sur l’observance au traitement, mais aideraient également les personnes sous multithérapies à surmonter la maladie (Broqua, 1999 ; Roberts, 2002 ; Marelich et al., 2002). Les facteurs relatifs au régime thérapeutique lui-même, tels que le nombre de doses à prendre, l’horaire et la diète très stricts, mais surtout les effets secondaires des antirétroviraux, joueraient en défaveur de l’observance (Gao et al., 2000 ; Roberts et Mann, 2000 ; Roca, Gómez et Arnedo, 1999). Finalement, l’état de la maladie modulerait l’observance : sa gravité la favoriserait, sa chronicité l’atténuerait (Gao et al., 2000). À la suite de ces travaux, la présente recherche s’est attachée, à partir d’une approche qualitative, à cerner les représentations que se font les PVVIH de leur infection ou maladie et des médicaments antirétroviraux qu’elles prennent pour y faire face et à décrire les répercussions de leurs expériences de ces médicaments sur leur qualité de vie, compte tenu des diverses sphères de leur vie.
1.
MÉTHODOLOGIE
Des entretiens semi-dirigés ont été réalisés à deux reprises auprès de 26 hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH) et infectés par le VIH, dont l’âge varie entre 21 et 54 ans. Ils sont tous Québécois francophones. Chez ces hommes, le temps écoulé depuis le diagnostic d’infection par le VIH se situait entre quelques mois et dix-sept ans. La très grande majorité des interviewés (24 sur 26) étaient sous traitement et, de ce nombre, deux l’ont entrepris entre la première et la seconde entrevue. Parmi ces 24 participants, 21 prenaient ou avaient déjà pris un ou plusieurs inhibiteurs de la protéase (IP), la catégorie d’antirétroviraux ayant donné naissance aux fameuses « trithérapies », mais aussi celle comportant le plus d’effets secondaires et d’interactions médicamenteuses (Lefebvre, 1999). Au terme de la seconde ronde d’entrevues, 17 sujets étaient sous antiprotéase (IP), avec une combinaison comportant soit trois, quatre ou cinq médicaments. De ce nombre, cinq étaient sous trithérapie sans IP et deux en bithérapie sans IP. Trois sujets avaient interrompu leur traitement et deux n’avaient jamais été traités (patients naïfs). Plus de la moitié des personnes en traitement au moment de l’étude avaient déjà pris des antirétroviraux avant l’avènement des inhibiteurs de la protéase. Plus de la moitié des participants (15) ont connu des problèmes de santé liés au VIH, dont cinq pour des problèmes jugés graves (sida déclaré). La proportion des sujets occupant ou non un emploi est à peu près égale et les sujets sans emploi le sont en raison de problèmes de santé liés au VIH, à la médication ou aux deux à la fois. À une exception près, ils vivent des prestations de l’aide sociale avec un revenu annuel de moins de 10 000 $. Sur le plan de la scolarité, la moitié
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des interviewés détiennent un diplôme d’études universitaires. En grande majorité, ils entretiennent des liens avec le milieu gai, soit parce qu’ils y vivent, qu’ils y fréquentent les endroits de rencontre, qu’ils s’impliquent dans les organismes s’adressant aux PVVIH ou y ont recours. La moitié des participants vivent seuls ; les autres vivent soit en colocation, soit avec leur conjoint. Les 10 participants vivant en couple au moment de l’entrevue l’étaient avec un partenaire séronégatif. Le schéma d’entretien, subdivisé en trois grands thèmes, portait d’abord sur une brève histoire personnelle de l’interviewé, puis sur sa trajectoire avec le VIH / sida, et enfin sur celle liée à la médication. En alternance avec l’analyse verticale du matériel, la première ronde d’entrevues s’est déroulée de septembre 1999 à la mi-avril 2000. Durant cette période, une banque de données informatisées pour faciliter la gestion et l’analyse du matériel recueilli a été bâtie. À l’aide du Logiciel FileMaker Pro, les extraits des discours selon les thèmes et sous-thèmes correspondant à nos catégories d’analyse ont été codés et archivés. La banque ainsi constituée pouvait ensuite être consultée selon divers paramètres : par thème et sous-thème, à partir de mots apparaissant dans le discours, selon les noms fictifs attribués aux participants ou encore selon les données signalétiques qui accompagnent chaque fiche. Dans le cadre de ce chapitre, nous traiterons des représentations que se font les HARSAH de leur maladie et de ses traitements, de leur trajectoire individuelle et sociale avec les médicaments antirétroviraux, de leur rapport avec les médecins qui assurent leur suivi et des répercussions de ces traitements antirétroviraux dans diverses sphères de leur vie.
2.
LES ANTIRÉTROVIRAUX : DES REPRÉSENTATIONS MULTIPLES ET COMPLEXES
Dans la présente étude, comme l’ont déjà souligné d’autres auteurs, plusieurs participants sont d’avis que la mise en marché des antirétroviraux a transformé le statut du VIH / sida. En prolongeant l’espérance de vie des PVVIH, les médicaments ont changé la perception de ce syndrome passant du statut d’une maladie létale à celui d’une affection chronique. Même si la guérison complète n’est pas encore assurée, ces médicaments ont introduit un espoir de contrôler la progression du virus, d’améliorer la qualité de vie et de permettre la réactivation de projets d’avenir. Toutefois, cet optimisme n’est pas partagé par tous les répondants et, avec le temps, plusieurs remettent en question le qualificatif de « miraculeux » qui leur est accordé à cause des difficultés associées aux problèmes d’observance (respect des prescriptions, des consignes de traitement) et d’adhésion au traitement (capacité du patient à faire sien le traitement ; Delfraissy et al., 2002), ainsi qu’aux effets indésirables qui l’accompagnent.
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Les traitements antirétroviraux
Plusieurs ensembles de représentations parcourent donc les récits (Lévy et al., 2002). D’une part, les médicaments sont considérés comme une innovation pharmaceutique significative, prometteuse et bien supportée. Son fondement biomédical, contrairement à des médicaments alternatifs, contribue à en faire des produits de confiance à cause de leur efficacité. Chez d’autres, la valeur technique, tout en étant reconnue, ne s’accompagne pas d’une totale confiance et le traitement est suivi, sans états d’âme particuliers. Les médicaments peuvent aussi être rapprochés de substances naturelles, ce qui facilite leur apprivoisement. Chez plusieurs patients, les représentations dominantes sont plus négatives, les multithérapies étant associées à des substances antinaturelles et toxiques qui ont des effets débilitants sur l’organisme, d’où leurs effets secondaires problématiques à court et à long terme et une remise en question de leur efficacité. Allant à l’encontre des modes de fonctionnement de l’organisme que les médecines naturelles sont plus à même de favoriser, les médicaments sont donc à rejeter ou à contrer par l’usage de produits naturels qui aideront à en contrebalancer les effets ou à remplacer le traitement biomédical. Pour d’autres participants, les multithérapies ne peuvent atteindre leur plein potentiel que par un travail mental associé à des pensées positives à leur égard qui peuvent aller jusqu’à les personnaliser et leur attribuer des dimensions affectives. La diversité de ces représentations confirme les hypothèses anthropologiques voulant que les médicaments soient entourés de perceptions ambivalentes (Van der Geest, Whyte et Hardon, 1996) que Dagognet (1964, p. 27) a cernées, les décrivant comme une « matière équivoque et contradictoire2, [...] toxique et bienfaisant en même temps, source de crainte et d’attirance, danger et secours, chose et esprit3, forme apparente et force cachée ».
3.
LA TRAJECTOIRE INDIVIDUELLE ET SOCIALE AVEC LES ANTIRÉTROVIRAUX : UNE EXPÉRIENCE MARQUANTE ET EN ESCALADE
Malgré des différences quant à la nature, la durée ou le nombre de médicaments consommés, presque tous les participants sous traitement antirétroviral ressentent des effets indésirables plus ou moins prononcés, ce qui contribue, chez certains, à une remise en question de leur efficacité et à souligner leur portée iatrogène. Comme nous l’illustrerons plus loin, ces effets varient selon leur nature et leur gravité, étant de l’ordre de simples malaises jusqu’aux problèmes de santé graves.
2. 3.
Souligné par l’auteur. Souligné par l’auteur.
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Les thérapies contre le VIH / sida
Au-delà de la nature même de ces malaises intervient le sens accordé à cette expérience en fonction de la trajectoire personnelle et sociale, un sens qui, à son tour, module l’expérience vécue. Par exemple, pour ceux qui sont restés asymptomatiques depuis leur infection, éprouver ces effets peut signifier une nouvelle étape dans leur trajectoire associée au VIH. La situation actuelle, comparée à celle précédant le traitement, peut alors être perçue comme une détérioration de leur état de santé malgré l’efficacité relative du traitement au plan virologique. Chez ceux qui ont connu l’assaut des infections opportunistes, les effets indésirables peuvent être expérimentés comme le prolongement d’une trajectoire déjà marquée par la maladie : Avant j’étais malade avec la maladie, à présent, je suis malade avec les effets secondaires. Quand j’ai commencé la trithérapie, c’est là que les problèmes ont commencé... Avoir su tous les effets secondaires, je le sais plus si je l’aurais pris. Je pense que non... j’étais en bonne condition, je veux dire, je n’avais aucun effet par rapport au VIH, j’étais en bonne santé.
Lorsque les effets indésirables perturbent significativement l’état de santé, ils en viennent presque inévitablement à affecter la nature même du traitement qui sera prescrit et la façon dont il est perçu. Pour plusieurs participants, chez qui les effets secondaires se chronicisent et s’accumulent, il s’ensuit souvent une escalade médicamenteuse. Ils doivent en effet recourir à d’autres médicaments pour remédier aux problèmes causés par les antirétroviraux, ces médicaments causant parfois à leur tour d’autres effets indésirables. Plusieurs participants, déprimés et anxieux en raison de l’incertitude et de la précarité qui planent sur leur vie, recourent aussi à des somnifères ou à des antidépresseurs : J’ai vu des gens qui ont eu de la misère avec leur médication [...] et qui ont vécu des effets secondaires l’un par dessus l’autre, et des escalades de médicaments, des pilules pour contrer les effets secondaires. J’ai pas envie de vivre ça.
En partie liée à cette escalade, un autre phénomène, que l’on pourrait qualifier d’essoufflement thérapeutique, s’inscrit dans une perspective à plus long terme. Après deux à trois ans de traitement intensif, certaines personnes se sentent épuisées physiquement. La précarité de leur santé et de leurs conditions de vie, souvent accompagnée d’un sentiment de dévalorisation et de perte d’estime de soi, ajoute à cet épuisement physique une grande détresse psychologique. Cet essoufflement, attribuable à la chronicisation ou à l’accumulation des effets secondaires, est souvent renforcé par l’apparition plus tardive de certains d’entre eux, mais il est aussi lié à la valse-hésitation qui précède les changements de cocktails médicamenteux. Près de la moitié des répondants ont en effet connu, en l’espace de quelques années, au moins trois changements de protocole thérapeutique, parfois avec une progression vers des combinaisons plus puissantes et plus complexes
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Les traitements antirétroviraux
(quadrithérapies ou quintithérapies). Dans la plupart des cas, cette modification se révèle nécessaire parce que le traitement perd de son efficacité ou parce que ses effets secondaires sont insupportables, mais elle engendre de nouveaux effets secondaires et certains ont un sentiment qu’encore une fois, tout est à recommencer, alors que d’autres ont l’impression d’être des cobayes. Quelques-uns, toujours aux prises avec des problèmes de santé dus au VIH, sont doublement touchés, essoufflés à la fois par le VIH et son traitement. L’essoufflement que plusieurs ressentent, ou même anticipent, n’est pas sans avoir un impact sur leur façon d’envisager ou de percevoir le traitement. En effet, quelques participants, usés par la multithérapie, en viennent à remettre en question leur décision. Épuisés par le traitement, certains songent à l’abandonner plutôt que de continuer à subir ces conséquences : Quand j’ai commencé la trithérapie, c’est là que les problèmes ont commencé. Des effets secondaires, des nausées, des vomissements, les problèmes de pouvoir marcher, mal aux jambes, mal dans tout le corps. Présentement, je suis rendu à 18 médicaments par jour, ce qui fait que je me demande si c’est une bonne affaire tous ces médicaments. Des fois, j’aurais envie de tout ficher en l’air.
D’autres abandonnent la médication, parfois après seulement quelques mois, dès l’apparition des premiers effets indésirables importants. Si ceux qui abandonnent ne sont pas totalement fermés à l’idée de reprendre le traitement ultérieurement, ils espèrent le reporter le plus tard possible. Notons enfin que, comparativement à ceux qui ont commencé les multithérapies à l’époque où à peu près rien de leurs effets secondaires à long terme n’étaient connus, certains de ceux qui songent à y recourir ou qui l’ont entrepris récemment connaissent maintenant d’emblée les problèmes qui risquent de survenir. Malgré – ou à cause – de toute l’information dont ils disposent, le traitement devient pour eux chargé d’ambiguïté.
4.
IMPACT DES ANTIRÉTROVIRAUX SUR L’ORGANISATION DE LA VIE QUOTIDIENNE : « UNE VIE ORDONNÉE COMME À L’ARMÉE »
Les contraintes liées à l’observance du traitement qui nécessite l’ingestion d’un certain nombre de comprimés de façon régulière et continue ont eu des conséquences sur l’organisation de la vie quotidienne, que ce soit en tant que personnes infectées par le VIH ou vivant avec le sida. Bien que l’évolution de la technologie pharmaceutique et de l’expertise des cliniciens semble aujourd’hui tendre vers l’administration de protocoles thérapeutiques comportant moins de comprimés et moins de prises, tous n’ont pas nécessairement accès à ce régime plus souple soit, par exemple, en raison des traitements reçus antérieurement ou de l’apparition de nouvelles résistances.
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Les thérapies contre le VIH / sida
Même si la posologie peut varier considérablement d’un individu à l’autre, elle impose un régime continu de la vie quotidienne sur le plan de l’horaire. Se conformer au traitement demande donc une discipline à laquelle le mode de vie pratiqué antérieurement ne convient pas toujours, notamment en ce qui touche les horaires des repas et des heures de sommeil : C’est dur tout ça [la posologie]. Ce qui fait que je ne peux jamais me reposer, ni la semaine, ni la fin de semaine. On dirait qu’il n’y a jamais de temps pour se reposer, dormir. [Les traitements] ont un impact sur le quotidien, sur ce que je fais tous les jours, comment je mange et à quelle heure il faut que je prenne mes médicaments, mais je peux dire que je suis stabilisé sur cet aspect. Ils font partie de ma routine.
Nouvel élément à insérer dans les habitudes de vie, la posologie peut donner lieu à diverses stratégies, en fonction du mode de vie déjà en place. Ceux qui menaient déjà une vie stable semblent mieux accepter les contraintes thérapeutiques, contrairement à ceux dont les habitudes de vie sont plus irrégulières. Si certains en viennent à apprécier les nouvelles habitudes de vie imposées par le traitement, pour d’autres le régime posologique est considéré comme un lourd carcan : J’avais fait un horaire parce qu’il fallait que ce soit très régulier [...] manger tout le temps à heures fixes. C’est là que quelque part tu t’emprisonnes. Cela a débalancé beaucoup mes horaires parce que j’aime bien manger quand j’ai faim, non pas comme c’est ordonné comme à l’armée, déjeuner, dîner, soir, je ne suis pas capable.
Si plusieurs sont à même d’établir une routine d’ingestion avec une certaine facilité, d’autres ont recours à des micro-rituels personnalisés visant concrètement à intégrer les pilules dans leur quotidien, à l’aide de piluliers, de calendriers ou d’avertisseurs sonores : Mon frère m’a donné une petite chose, une petite boîte de Life Savers [dans laquelle] je mets mes pilules. [...] C’était comme une plaisanterie... Quand est venu le temps de commencer mon premier cocktail, je me suis fait un cadeau, je suis allé m’acheter une belle Timex programmable, dix alarmes. Depuis ce temps-là, j’ai une alarme pour me dire que c’est l’heure de prendre mes pilules, une autre pour vérifier si je ne les ai pas oubliées.
Ces techniques ont déjà été mentionnées par Saout (1999) et certains les associent à des rituels qu’ils suivent à la lettre. Une fois la routine bien établie, les stratégies auxiliaires de rappel peuvent être abandonnées. « [...] Après quasiment trois ans, cela devient comme un réflexe automatique. »
© 2004 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré de : Les traitements antirétroviraux, Joseph J. Lévy, Janine Pierret, Germain Trottier (dir.),
ISBN 2-7605-1276-2 • D1276N Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés
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Les traitements antirétroviraux
IMPACT DES ANTIRÉTROVIRAUX SUR LE DROIT AU SECRET : « ÊTRE CONFRONTÉ À UN GESTE QUI EXPOSE »
Intimement lié à la question de la prise de médicaments, un autre thème émerge de nos entrevues : la question de leur visibilité. Comme pour plusieurs dont la séropositivité est un aspect qu’on préfère garder caché ou qu’on ne veut pas divulguer à n’importe qui, les médicaments sont souvent vus comme un révélateur, un signe extérieur tangible de la maladie, dont il faut gérer la visibilité. De plus, les médicaments rappellent constamment l’existence de la séropositivité, le statut de malade et le spectre de la mort, d’où un rapport ambigu à leur égard : À partir du moment où tu prends des médicaments au quotidien [...] tu es confronté à un geste qui t’expose [...] qui fait te rappeler [le VIH]. Ce n’est pas un geste anodin. C’est important pour moi de prendre les médicaments, mais ça me rappelle que je suis séropositif. C’est sûr que quand je les prends, je me rends compte que je suis malade et qu’il faut que je prenne soin de moi. J’ai encore cette peur de mourir qui revient en plus des peurs de me perdre dans la médication qui s’ajoute. C’est une forme de mort, ça. C’est toujours la même maudite épée de Damoclès qui est là.
Un certain nombre de nos sujets évitent donc de prendre les médicaments en public ou en présence de certaines personnes, ou encore doivent déployer différents mécanismes pour rendre l’ingestion la plus discrète possible, compte tenu du lieu ou du contexte (aller prendre ses pilules aux toilettes, masquer la prise avec un mouchoir, etc.). Certains estiment donc que la médication a tendance à exposer de manière quotidienne leur statut sérologique (comparativement à la séropositivité sans médication), et ils ne sont pas nécessairement prêts ou disposés à composer avec cette nouvelle réalité : Si je suis dans une boîte, je vais discrètement aux toilettes et je dis à mes amis que je vais prendre mes pastilles contre la toux. Ce sont certaines personnes dans des endroits publics qui me gênent [...] Je vais sortir ma boîte de pilules [...]. Je vais sortir un mouchoir, faire semblant de me moucher et je vais glisser les pilules dans la bouche, remettre mon kleenex dans ma poche et prendre deux bonnes gorgées de mon café [...] je ne veux pas que les gens me voient prendre des pilules par ce que les gens sont portés [à penser que je prends] un cap d’acide ou une mescaline.
Dans plusieurs cas, le traitement amène donc à divulguer davantage sa séropositivité, notamment auprès des personnes côtoyées de façon régulière (famille, amis, collègues). C’est un processus de dévoilement qui pour plusieurs n’est pas sans analogies avec celui du coming out homosexuel, vécu antérieurement. Pour ceux qui vivaient déjà assez ouvertement leur séropositivité, l’entreprise du traitement apporte peu de changement ; c’est pour ceux qui dévoilaient peu ou pas leur séropositivité que cet impact est le plus prégnant. Même
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dans les cas où ils se sentent à l’aise de révéler leur séropositivité, certains interviewés font remarquer que ce n’est jamais un geste gratuit, alors que bien souvent ils doivent soutenir les personnes à qui ils se révèlent pour les aider à encaisser le choc : À chaque fois que je devais dire que j’étais porteur, c’était en même temps dire je vais mourir et c’était épouvantable... c’est une grande charge émotive, et puis d’avoir à porter l’angoisse de l’autre aussi parce que quand tu dis à quelqu’un une histoire comme celle-là, là, l’autre se sent totalement confronté à sa propre mort, aussi c’est automatique, ça, c’est épouvantable.
La question de la visibilité des médicaments peut également devenir embarrassante dans la sphère de l’intimité amoureuse. En effet, le traitement réduit considérablement la marge de manœuvre en termes de dévoilement de la séropositivité, notamment lorsque les fréquentations deviennent régulières : J’étais incapable de baiser avec lui le premier soir, parce que dès le premier soir, je me disais c’est quelqu’un avec qui il peut se produire quelque chose, et là j’aurais pas été capable d’avoir une relation sexuelle avec lui sans lui dire, sachant qu’il y aura un lendemain à ça.
Outre le rituel de l’ingestion, l’approvisionnement, l’entreposage et le transport des médicaments sont également des sources de visibilité de la maladie (et de l’homosexualité). Dans la situation particulière du voyage à l’étranger, quelques interviewés mentionnent le stress ressenti parce qu’ils ont dû passer les douanes avec les médicaments dans leurs bagages en prenant le risque de se voir refuser l’entrée au pays, par exemple aux États-Unis : Quelque chose qui me fait « freaker » à chaque fois, là, c’est traverser les États avec « full » de pilules, ça me fait « freaker » [...] Et bien que je ne vais pas aux États-Unis, que c’est pas aux États-Unis ma destination finale, je suis de passage, mais s’ils trouvent ça les Américains ils font un plat de très peu de choses.
Pour d’autres, même le stockage des médicaments à la maison demande un certain nombre de précautions en présence de visiteurs à qui l’on ne souhaite pas dire qu’on est infecté par le VIH. Pour d’autres encore, le simple fait d’aller à la pharmacie pour s’approvisionner est vu comme un geste qui expose, soit parce que celle-ci est rattachée à l’une des cliniques spécialisées dans le suivi du VIH, et qu’y être vu avec « son petit sac » de médicaments équivaut à être identifié comme étant infecté par le VIH, soit parce que le pharmacien est une autre des personnes à qui le statut sérologique doit inévitablement être dévoilé : S’il y a pas de monde qui le savent, j’ai tendance à les cacher, ça fait que là c’est comme toute caché dans le fond de mon garde-robe dans un sac à terre, c’est compliqué là, pour pas que ma mère les trouve pis elle fouille partout. Ça, c’était une grosse crainte parce que, moi, je voulais garder ça le plus anonyme possible. Moi, à un moment donné, j’étais allé dans une clinique pour un problème autre que ça, pis j’avais vu dans la petite pharmacie qui
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est là, genre, le montant 1 000 $, même si j’étais pas dans la pharmacie j’avais vu ça, le cash register... ça m’avait comme frappé, genre, ok, ce monsieur-là, c’est évident qu’il sort avec son petit sac pis il est sur une trithérapie. Ça m’avait comme frappé à l’époque, pis quand j’ai su ma séroconversion, j’y ai repensé après, comment tu fais pour garder ça anonyme pis, genre, t’es obligé d’aller dans une pharmacie où que c’est quasiment évident quand tu sors avec ton petit sac, là.
Enfin, le recours à un régime d’assurance-médicaments au travail est aussi une source de malaise pour quelques sujets. Même si le régime d’assurance est souvent administré par des instances extérieures à l’employeur, la crainte subsiste que les montants réclamés, généralement élevés, attirent l’attention et que l’employeur soit éventuellement mis au courant de la séropositivité, avec les risques de discrimination que cela comporte : Après six mois que je travaille avec eux autres, si j’embarque sur leurs choses d’assurance, ça veut dire que l’employeur va savoir, pour avoir un petit bill de mille piastres à chaque mois, c’est comme évident que l’employeur va savoir.
Au fond, le désir que manifestent la majorité de nos répondants n’est pas tant d’élever autour de leur statut sérologique un secret hermétique que de choisir à qui et dans quelles circonstances ils veulent le divulguer. Car, en dépit des progrès médico-pharmaceutiques, la séropositivité demeure une étiquette fortement connotée, une étiquette que le traitement à tendance à rendre plus visible. En bref, le traitement constitue pour plusieurs sujets une source de visibilité non souhaitée, et l’auto-imposition d’une certaine forme de censure rend parfois d’autant plus présente une réalité qu’on souhaite banaliser vis-à-vis de soi-même, qu’on désire moins intrusive.
6.
IMPACT DES ANTIRÉTROVIRAUX SUR LA SANTÉ PHYSIQUE ET PSYCHOLOGIQUE : « ÇA, CE N’EST PAS UNE QUALITÉ DE VIE »
Comme nous l’avons mentionné précédemment, presque tous nos participants sous traitements antirétroviraux en ressentent des conséquences indésirables. Les principaux effets adverses rapportés sont les suivants : maux de tête, nausées, vomissements, étourdissements, éruptions cutanées, déshydratation de la peau, démangeaisons, faiblesses, fatigue, douleurs ou malaises abdominaux, diarrhées, problèmes digestifs, perte d’appétit, altération du goût ou de l’odorat ou mauvais goût dans la bouche, engourdissements, altération de l’équilibre ou de la motricité, douleurs musculaires, calculs rénaux, problèmes de foie, problèmes de cholestérol, lipodystrophie (redistribution des tissus adipeux), perte de masse corporelle, insensibilité génitale, difficultés érectiles, baisse notable de la libido, sensation d’ivresse, insomnie, anxiété et dépression.
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Nous avons regroupé ces effets en deux grandes catégories : d’un côté les malaises et de l’autre, les effets qui constituent ou deviennent un problème de santé à part entière ou qui s’apparentent à un état de maladie. Les malaises, surtout éprouvés en début de traitement, finissent généralement par s’estomper ou disparaître. Lorsqu’ils sont chroniques, certains s’y adaptent tout en tentant de minimiser leur intrusion dans leur vie de tous les jours. Cette chronicisation, ou encore l’accumulation simultanée de plusieurs malaises, peut néanmoins aboutir à une condition qui s’apparente davantage à un état de maladie que de santé. Les médicaments peuvent ainsi affecter significativement l’un ou l’autre des systèmes organiques et avoir des répercussions médicales plus graves, retentissant souvent sur la qualité de vie : C’est une idée aussi que [les médicaments], c’est pour avoir une meilleure qualité de vie. Mais la qualité de vie que j’ai, c’est que je me lève à onze heures, je passe deux heures, l’après-midi, couché. Je me couche de bonne heure, ce qui fait que ma journée je ne la vois quasiment pas. Ça, ce n’est pas une qualité de vie.
Dans certains cas, les désordres engendrés par la médication constituent un problème de santé à part entière qui peut nécessiter le recours à des soins médicaux, voire à l’hospitalisation.
7.
LES EFFETS PHYSIQUES
Bien entendu, la première facette de ces effets secondaires consiste en leur manifestation objective au plan physique. Bien qu’au sens strict ces malaises soient indésirables ou inconfortables, ils sont expérimentés de diverses façons. Pour certains, ils surviennent surtout en début de traitement, de manière intense mais passagère. Pour d’autres, ils se manifestent graduellement et, dans certains cas, en plus de leur nature ou de leur gravité, deviennent problématiques en raison tantôt de leur accumulation, tantôt de leur chronicisation, tantôt de leurs conséquences en dehors de leur manifestation en tant que telle. Certains effets indésirables peuvent devenir problématiques au point de nécessiter des traitements qui, à leur tour, sont susceptibles d’entraîner d’autres effets indésirables : Ça [le Crixivan] m’a donné la diarrhée, plein d’effets secondaires, ça m’a donné des infections, ça m’a donné des pierres aux reins [...] de l’agressivité. Je me rappelle pas toutes les fois où j’ai pris des médicaments, mais dès la première fois, gros médicament, effets secondaires importants au début... tout le temps mal à l’estomac, beaucoup de nausées, de vomissements, ça a duré longtemps, ça a duré facilement plus d’un an et demi, examen gastroscopie pour essayer de voir ce qu’on pourrait faire. Ça n’a pas été la période la plus drôle, là.
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Moins évidentes parce qu’elles n’apparaissent que graduellement, d’autres manifestations n’en deviennent pas moins problématiques ; c’est le cas avec la lipodystrophie qui en vient à transformer le corps. Associée à certains agents antirétroviraux (inhibiteurs de protéase IP), elle provoque l’émaciation du visage, la perte des graisses au niveau des bras et des jambes ou l’accumulation des masses graisseuses sur certaines parties du corps (nuque, abdomen, poitrine). Dans le milieu gai, où les interactions peuvent s’inscrire dans une dynamique très sexualisée dans laquelle l’image corporelle influe directement sur les rôles que peuvent négocier les acteurs à la recherche de relations sexuelles et affectives, l’impact de ces manifestations est majeur chez les hommes rencontrés : J’avais les joues creuses, je n’avais pas de fesses, ça fait qu’oublie ça, dans ce temps-là tu ne te présentes même pas dans les clubs et tu te présentes même pas dans les autres places non plus parce que tu ne t’aimes pas. C’est comme si tu te regardes dans le miroir et que tu dis, « mon Dieu, ce n’est même pas moi, j’ai les joues creuses, j’ai l’air fatigué et je ne pognerai même pas de toute façon ».
Alors que les manifestations visibles de la lipodystrophie peuvent susciter questions et commentaires embarrassants de la part de l’entourage ou des collègues de travail, dans le milieu gai, où le phénomène est mieux connu, elles deviennent un stigmate qui trahit le statut sérologique. S’il est possible de dissimuler la maigreur par des vêtements amples, ou de la compenser partiellement par un entraînement de musculation, il s’avère néanmoins impossible de cacher l’émaciation du visage. Ainsi, en plus de se sentir marqués, certains ont l’impression de ne plus avoir d’emprise sur la gestion du secret entourant leur séropositivité. Avec le VIH remis à l’avant-plan de manière aussi manifeste, des répondants considèrent qu’il devient plus difficile de se faire connaître d’abord pour ce que l’on est, sans que le VIH prenne toute la place : Une parenthèse aussi avec la lipodystrophie que je parlais tout à l’heure, ça assomme beaucoup, c’est pas juste de te voir dans le miroir, mais que les gens te disent « mon Dieu, t’as bien maigri... » les gens sont très, très, très curieux. Les gens cherchent beaucoup à savoir pis toute l’affaire de la vie privée. Je me promène dans le Village et je regarde les gens et souvent je me dis : « Ah, celui-là est atteint, celui-là est atteint... » Je pense que l’enjeu, c’est de camoufler le plus possible.
Par ailleurs, ces corps et ces visages émaciés ne sont pas sans rappeler ceux des personnes atteintes du sida, avec lesquels nous étions plus familiers avant l’avènement des multithérapies, à la différence qu’aujourd’hui ces visages et ces corps émaciés sont ceux de personnes qui parfois craignent moins le VIH que son traitement. Chose certaine, comme l’ont fait remarquer quelques répondants, ce ne sont résolument pas les visages et les corps des personnes qu’on voit dans les publicités des compagnies pharmaceutiques : «C’est bien beau les posters que les compagnies pharmaceutiques nous montrent avec des gars qui courent, mais c’est pas ça la réalité, là.»
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Les thérapies contre le VIH / sida
8.
LES EFFETS PSYCHOLOGIQUES
Une dimension importante traverse souvent les récits concernant l’expérience du traitement en général et, en particulier, celle des effets indésirables. Il s’agit d’un genre de sentiment d’aliénation exprimé de plusieurs façons. La rupture biographique entourant la trajectoire avec l’infection par le VIH entraîne une relative précarité individuelle et sociale. Chez les personnes pour qui les effets secondaires de la médication chronicisent, réitèrent ou provoquent cette précarité, la restauration de meilleures conditions de vie est d’autant plus difficile qu’elle est souvent ennuagée d’un sentiment de dévalorisation, de perte de l’estime de soi, de détresse psychologique ou de dépression. L’un de nos participants, infecté par le VIH depuis dix-sept ans et sans traitement au moment du premier entretien, s’implique bénévolement auprès des personnes atteintes depuis les premières heures de la crise du VIH / sida. Bien renseigné en matière de multithérapies, il constate chez les personnes sous traitement qu’il côtoie des changements subtils de leur personnalité, de leur humeur, de leurs traits de caractère. Ayant lui-même pris le parti de reporter le traitement le plus longtemps possible avec des produit naturels, il entrevoit néanmoins de recourir aux antirétroviraux si le VIH menace de prendre le dessus. C’est en larmes qu’il explique que ces changements dont il est témoin le font hésiter quant au traitement, encore davantage que les inconvénients physiques : J’ai eu des bons amis, qui sans les perdre, c’est devenu parfois déplaisant de passer beaucoup de temps avec eux autres, leur personnalité changeait, leur concentration, leur humour... Il y avait beaucoup d’aspects que je voyais, que j’aimais chez eux qui disparaissaient. Ça a été je pense l’élément qui m’a fait hésiter le plus de me voir diminuer ou changer de personnalité... en tout cas, ça m’insécurise beaucoup... Je pense que c’est plus ça qui me fait peur que les inconvénients physiques je dirais.
Par ailleurs, plusieurs interviewés racontent comment ils ont le sentiment d’être « dans les vaps », de ne plus s’habiter comme avant, qu’un quelque chose de plus ou moins tangible change. Moins percutantes que certaines manifestations physiques, ces manifestations occasionnent néanmoins des dommages qui, sournoisement, altèrent l’équilibre psychologique en enveloppant le quotidien d’un voile supplémentaire d’incertitude. Ces exemples nous ramènent à la question des effets indésirables à long terme. Et, d’une certaine manière, peut-être pourrions-nous même parler d’effets tertiaires plutôt que d’effets secondaires : « Des fois je me pose la question est-ce que je suis totalement conscient ou est-ce que je suis un peu dans les vaps ? J’en parlais avec d’autres et puis eux autres aussi me disent la même chose. » Pour tenter de mieux passer au travers, plusieurs décident de consulter un psychologue ou encore se joignent à des groupes de soutien. Mais, selon certains participants, le support psychologique serait ce qui manque le plus à l’éventail de services offerts par les ressources communautaires s’adressant aux personnes atteintes du VIH. Nombre de ces organismes auraient d’ailleurs fermé leurs portes
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ces dernières années, particulièrement depuis l’avènement des trithérapies, comme en témoignent quelques individus impliqués sur la scène communautaire. D’après eux, l’espoir véhiculé par les traitements aurait relégué le VIH / sida à l’arrière-scène et aurait contribué à l’essoufflement des mouvements associatifs et de mobilisation : C’est pas vrai que le monde vont bien à cause des médicaments, c’est pas vrai, c’est juste que ça a changé, avant ils mouraient, c’est pas mal plus difficile de vivre avec que c’était d’en mourir. Tant que les gens n’auront pas réalisé ça, ça va aller mal. Les coupures gouvernementales, les organismes qui ferment, c’est là qu’on en a le plus de besoin.
9.
IMPACT DES ANTIRÉTROVIRAUX SUR L’EMPLOI ET LES LOISIRS : « NE JAMAIS SAVOIR À QUOI T’ATTENDRE »
Étant donné ses impacts dans la vie quotidienne, le traitement a des conséquences inévitables sur d’autres sphères de la vie comme le domaine des loisirs et du travail. Presque la moitié de nos participants sont, par exemple, sans emploi depuis quelques années. Vivant le plus souvent de prestations de l’aide sociale ou de la Régie des rentes4, certains d’entre eux aimeraient bien reconquérir une certaine autonomie financière, ou tout simplement vivre au-dessus du seuil de pauvreté. Mais surtout, ils souhaiteraient redonner un sens à leur vie à travers un emploi, se sentir utiles ou avoir quelque chose à raconter lorsqu’ils rencontrent leurs amis. Car le fait d’être sans emploi crée chez plusieurs le sentiment d’une distance sociale entre eux et leur famille ou leurs amis. Comme quelques études l’ont démontré (Godin, Naccache et Bédard, 2000 ; Jalbert, 1999 ; Pelletier et Berthelot ; Sowell, Phillips et Geier, 1998), le retour au travail est déjà semé d’embûches pour les PVVIH : la peur de perdre le minimum de sécurité financière qu’ils ont ; la difficulté à trouver un emploi convenable après une absence de plusieurs années du marché du travail ; la peur de ne pas pouvoir travailler à temps complet ou de ne pas gagner un revenu suffisant pour subvenir à leurs besoins, etc. Les traitements ne font qu’amplifier ces préoccupations : Tu ne sais jamais à quoi t’attendre. Ça va bien aujourd’hui mais demain comment ça va aller ? Je le sais pas moi, je me disais bon peut-être que je pourrais essayer de me trouver quelque chose, peut-être pas du plein temps, mais le matin, quant tu te lèves, et puis que tu dois aller travailler et que ce matin-là ça file pas, c’est pas évident, là, que ton boss il va prendre ça dur. 4.
Au Québec, l’aide sociale renvoie à l’aide financière apportée aux personnes n’ayant peu ou aucun moyen de subsistance et qui sont ainsi incapables d’assurer leur autonomie économique. La Régie des rentes est l’organisme qui assure aux personnes cotisantes une protection financière de base en cas d’invalidité, de retraite ou de décès.
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Certains craignent aussi de mettre leur santé en péril en retournant travailler. De plus, ils ont peur de ne pas pouvoir reprendre le travail dans le même genre d’emploi qu’ils avaient auparavant, et hésitent à aller vers un travail qui ne correspond pas vraiment à leur expérience, à leurs aptitudes. Plusieurs, dans la mi-quarantaine, jugent également minces leurs chances de trouver un bon emploi en raison de leur âge. En plus, les effets secondaires des médicaments les placent souvent dans une situation d’incertitude quant à leurs capacités physiques ou psychologiques de maintenir un emploi et d’y être productifs : J’ai essayé de retourner sur le marché du travail à quelques reprises, mais de courte durée et ça n’a pas fonctionné pour la simple raison que la prise de médicaments tôt le matin, trois fois par jour. Aussitôt absorbés, les médicaments, une demi-heure plus tard, m’amortissent au point où je dois me reposer. Comme le matin à huit heures, je prends mes médicaments et puis j’ai beau prendre un café et de me dire que c’est une belle journée, je dois retourner me coucher, ça m’amortit complètement, ça m’écrase.
Outre l’instabilité psychologique liée à la détérioration de leurs conditions de vie, l’absence des capacités physiques nécessaires au maintien d’un emploi est un élément que plusieurs rapportent. Ces capacités sont souvent instables, non seulement à cause du caractère parfois imprévisible des effets secondaires, mais aussi en raison des changements de combinaison médicamenteuse qui, bien souvent, modifient la donne à nouveau : Avec tous les changements de médicaments qu’on fait, une semaine, c’est beau et puis l’autre semaine, c’est pas beau... Ça te prend quasiment des horaires flexibles si tu veux travailler ou encore tu peux travailler pour toi-même à la maison. C’est bien dur.
Certains voient mal comment ils pourraient concilier un emploi avec l’incertitude liée à leur condition, à moins de trouver un travail adapté sur mesure : Mais la prise de médicaments elle-même, pour la plupart des gens que je connais d’ailleurs, les neutralise au point qu’ils ne sont pas fonctionnels. C’est le repos pas 100 % total, mais quasi total. On peut faire des activités en après-midi, l’avant-midi, ça prend tout notre change pour nous préparer... Donc, le travail à plein temps inutile d’en parler. À moins d’un travail à temps partiel, et même encore, un travail à temps partiel régulier qui requiert des heures convenables, entre mes doses de médicaments que j’ai à prendre.
Pour plusieurs sujets, l’expérience de l’infection par le VIH ou de la maladie a par ailleurs occasionné des prises de conscience relativement à la place du travail dans leurs priorités de vie. Bien qu’ils estiment que le revenu versé par l’aide sociale ou la Régie des rentes du Québec n’est pas assez élevé, certaines personnes se sont habituées à vivre avec moins et réussissent à trouver un certain bien-être ailleurs que dans le matériel :
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Il y a d’autres choses beaucoup plus importantes que ça. Il y a des priorités plus valables que le travail, dans le sens que, oui, effectivement à un moment donné, j’ai pensé que le travail ça égalait à une respectabilité. C’est parce que je pensais également que de ne pas travailler, c’était d’être peu respectable. Ben j’ai changé ces valeurs-là parce que je peux concevoir que ça peut l’être pour certaines gens, ça ne l’est plus pour moi.
Pour certains, donc, le retour au travail est considéré comme n’en valant pas la chandelle ; ils préfèrent accepter de vivre avec moins d’argent mais avec plus de temps disponible : Je ne veux pas travailler quarante heures, c’est fini ça, je veux profiter de la vie. J’ai appris à vivre avec moins et je peux vivre avec moins sauf que j’aimerais avoir un petit peu plus pour payer, comme j’ai dit, mes vitamines, tout ça. Mais je veux profiter de la vie quand même, parce qu’il y a des choses que je fais maintenant que je n’étais jamais capable de faire quand je travaillais quarante, quarante-cinq heures par semaine et c’est des choses importantes.
Quelques interviewés disent même qu’ils n’auraient pas le temps de travailler, la gestion de la maladie et de la médication constituant une occupation à temps complet :« Avec les rendez-vous chez les médecins, les tests à passer, le retour de la visite chez les médecins pour les résultats, tout ça, au bout de la ligne me tient assez occupé. Je ne sais même pas si j’aurais le temps d’aller travailler. » Certains font le calcul et se disent « pourquoi retourner travailler à 40 heures semaines pour seulement quelques centaines de dollars de plus par mois ? ». Plusieurs ont pris le parti de vivre pleinement le moment présent, plutôt que de se projeter dans un avenir incertain ou de vivre dans la nostalgie du passé : Pour retourner sur le marché du travail, ça me prendrait un salaire qui doublerait au moins les revenus que j’ai actuellement du gouvernement parce que sinon j’irais travailler pour 250 $, 300 $ de plus par mois et mettre ma santé en danger pour avoir 250 $ ou 300 $ de plus à dépenser. Tandis que là, je m’arrange relativement assez bien, même si je vis sous le seuil de la pauvreté, je m’arrange quand même. Je n’irais pas jouer avec ma vie pour quelques cents dollars par mois.
Ainsi, certains préfèrent faire des petits travaux non déclarés, ce qui leur permet de se payer des sorties, des gâteries, tout en gardant le privilège d’avoir du temps pour prendre soin d’eux :« J’aime mieux, peu importe ce qu’on en dit, travailler quelque temps en dessous de la table pour me ramasser quelque chose dans le but de faire quelque chose qui est à mon goût, à mes envies, à mes standards aussi. » Grâce au traitement, quelques-uns ont tout de même retrouvé l’énergie nécessaire pour reprendre le travail, en repartant parfois de zéro, avec les difficultés que cela comporte : trouver un emploi après plusieurs années d’absence sur le marché du travail, se réinstaller dans une discipline de vie abandonnée depuis un certain temps, travailler tout en assumant les autres responsabilités de la vie
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quotidienne comme les tâches domestiques, apprendre à vivre avec un salaire qui n’est pas nécessairement celui qu’on gagnait auparavant, et tout cela en se pliant au régime posologique du traitement et à ses effets secondaires : J’ai trouvé un emploi là de vingt heures semaine, pis là je sais que pertinemment que ça l’aidait mon moral aussi. J’avais besoin de m’occuper à faire quelque chose pis j’ai embarqué dedans pis tout allait bien, à la maison, ça continuait, tranquillement pas vite j’ai rembarqué dans tout le système. J’ai changé de job, j’ai augmenté à trente heures semaine pis là c’est comme tout repris le train de vie quelque part que j’avais avant.
Quelques sujets, qui ont toujours gardé leur emploi malgré l’infection par le VIH, les épisodes de maladie ou le traitement, ne sont pas sans éprouver certaines difficultés. Quelques-uns ont dû s’absenter temporairement du travail en raison d’effets indésirables intenses ou encore pour prendre le temps de traiter une affection déclenchée par la médication. D’autres ont décidé, avec l’appui de leur médecin, de cesser temporairement de travailler pour favoriser l’adaptation au traitement et à ses effets secondaires du début : Moi, je suis une personne qui veut travailler. J’aime ça, j’aime ça quand je travaille et j’ai besoin de ça, bon. C’est comme ça, oui, je suis fait de même. Mais, des fois, il faut que j’arrête, comme là j’avais une bronchite mais il [le médecin] m’a arrêté. Ça fait des coupures dans ma vie, dans mon budget.
Certains ont la chance d’avoir un employeur compréhensif en ce qui a trait à la question du VIH et à la médication. Ils se sentent donc plus à l’aise, si une difficulté survient, d’avertir leur patron et de prendre quelques jours de congé ou encore de ralentir le rythme. Ces personnes estiment que le maintien à l’emploi était important pour eux, qu’il les a aidées à garder le moral et le goût de vivre malgré le VIH : [...] Pourquoi tu veux avoir la job, j’ai dit, c’est parce que je suis HIV et que, moi, je veux changer, me repositionner un petit peu [...] pour moi, c’est un énorme poids ça que j’enlevais, mon milieu de travail savait pis acceptait ça pis je me trouvais privilégié d’être dans un milieu que je pouvais le dire, ben privilégié de voir reconnaître que j’ai des états d’âme là-dedans pis qu’il faut que je prenne ces médicaments-là... Ça fait que ça c’était comme extraordinaire qu’il y ait des gens qui acceptent ça dans un milieu de travail.
10.
IMPACT DES ANTIRÉTROVIRAUX SUR LA VIE SOCIALE : « UNE MÉCHANTE DÉBARQUE »
En corollaire au fait d’être sans emploi, avec peu de ressources financières, plusieurs PVVIH expérimentent également une certaine forme d’isolement social. Malgré le temps libre dont ils disposent, le registre de leurs activités récréatives est non seulement restreint par le manque d’argent, mais aussi par les problèmes physiques (fatigue, faiblesse, douleurs, diarrhées, etc.) ou psychologiques liés au
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traitement. Certains restreignent leurs fréquentations à des personnes qui sont au courant de leurs capacités physiques et sont à même de respecter leurs limites. À l’écart de la vie active, ils n’ont parfois pour seul réseau social que les autres personnes atteintes qu’ils rencontrent dans les organismes communautaires de soutien : Alors c’est sûr que la vie sociale avec [...] les revenus qu’on a prend une méchante débarque. Mais c’est la vie sociale qui prend une débarque, c’est pas... en tout cas dans mon cas, là, c’est pas Jean Untel qui prend une débarque. Mais il y en a que c’est la personne qui prend une débarque, ça, je trouve ça malheureux.
11.
IMPACT DES ANTIRÉTROVIRAUX SUR LA VIE AFFECTIVE ET SEXUELLE : « CHANCES ASSEZ RÉDUITES... OU... ÇA L’AMORTIT LA SEXUALITÉ »
La question des effets secondaires n’épargne pas l’univers affectif et sexuel. Le fait de ressentir des effets indésirables incommodants fait souvent en sorte que les préoccupations d’ordre amoureux ou sexuel sont reléguées à l’arrière-plan. Durant ces épisodes où l’on est littéralement malade, on ne se sent pas vraiment apte à séduire. Certains interviewés, déjà en relation, craignent de devenir un poids pour leur partenaire. Ils ont peur d’être un moins bon conjoint, peur d’être abandonnés. Plusieurs participants se sentent incompris par leur partenaire séronégatif, estimant que celui-ci n’est pas apte à bien saisir ce qu’ils vivent à cause du traitement : Mais je pense que lui [mon chum] s’en rend pas compte que chaque personne réagit différemment au traitement pis qu’il y a plusieurs sortes de traitements parce que, lui, il a un ami avec qui il travaille qui est séropositif, qui fait une thérapie, pis lui il travaille. Pour lui, dans sa tête, ben mon copain travaille, pourquoi tu ne travailles pas.
Le fait de voir son apparence physique se détériorer est généralement dépeint comme une atteinte profonde de l’image de soi et une brèche importante dans l’aptitude à séduire, au point de s’isoler de l’univers des rencontres sexuelles et affectives. Les lieux de rencontre entre gais, que plusieurs estiment axés sur la beauté et la jeunesse, peuvent ainsi devenir un espace où l’on se sent exclus. Et cela est d’autant plus vrai pour ceux qui approchent de la mi-quarantaine, un âge où d’emblée il devient plus difficile de rencontrer, et qui se sentent vieillir avant le temps à cause de la lipodystrophie. Sans renoncer complètement à l’idée d’une relation amoureuse, quelques-uns s’écartent donc de la scène des rencontres sexuelles et de la séduction, pour ne pas s’exposer au rejet : Donc l’âge et puis le fait aussi que je suis amaigri par la maladie et que j’ai plus de muscles pratiquement et que je suis rendu assez maigre, c’est sûr que je vas pas faire exprès pour m’exposer dans un sauna ou de marcher dans le corridor à côté de trois body-builders là, parce que je sais que mes chances sont assez réduites à ce moment-là, je fais pas exprès.
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En dehors de ces manifestations, le traitement peut également avoir des retombées directes sur la fonction sexuelle. En effet, de nombreux interviewés disent avoir enregistré des difficultés érectiles ou une baisse importante de libido qu’ils attribuent soit à leur cocktail antirétroviral, aux autres médicaments qu’ils utilisent pour contrer les effets secondaires, soit à la perte globale d’énergie que provoque la lourdeur du traitement. Parfois, ils attribuent cette baisse d’intérêt pour la vie sexuelle active à leur état dépressif, auquel l’impact du VIH ou de la médication n’est souvent pas étranger ou encore aux antidépresseurs qu’ils se sont résolus à prendre pour surmonter cet état : Et puis pour ce besoin sexuel-là, bien qu’à un moment donné j’avais même plus de libido tellement les médicaments étaient forts... oublie ça, c’était comme... il y avait rien là qui se passait. Je veux dire un effet secondaire qui est très important d’en discuter, c’est que ça l’amortit la sexualité [...].
12.
IMPACT DES ANTIRÉTROVIRAUX SUR LE RAPPORT AU SEXE SÉCURITAIRE : « C’EST LA RESPONSABILITÉ [...] DES SÉROPOSITIFS, DE DIRE [...] DES AUTRES, DE DEMANDER »
Chez les PVVIH interrogées, les stratégies de prévention ne semblent pas être directement modulées par l’apparition et l’usage des médicaments, un thème peu saillant dans les entrevues, mais elles sont plutôt dépendantes d’autres critères plus complexes et multidimensionnels. Parmi ceux-ci, on peut noter les contraintes liées à la trajectoire des individus dans leur rapport à la séropositivité et à la maladie. La trajectoire de l’infection par le VIH, plutôt que celle de la médication, semble être dominante. Chez les personnes infectées plus récemment, ces trajectoires paraissent se superposer, mais, chez les répondants qui sont infectés depuis plus longtemps, le début du traitement ne semble pas vraiment influer sur la nature des pratiques préventives. Interviennent aussi les réflexions personnelles sur la sexualité, sur l’érotisme et son évolution, sur la modulation des pulsions sexuelles et de la consommation des drogues et de l’alcool. Le choix d’un style de vie monogamique ou non, le registre des pratiques érotiques privilégiées, les habiletés de négociation dans la sphère intime, les enjeux éthiques (responsabilité personnelle assumée ou non, sollicitude altruiste, égoïsme) associés à la prévention, modulés par les événements qui surviennent dans la sphère affective et sexuelle (nouvelles rencontres, ruptures, types de partenaires, contexte, expression amoureuse), orientent les stratégies préventives. Ces dimensions ne sont pas stables, mais obéissent à des fluctuations, à des dynamiques diverses qui mettent en relief la complexité des perspectives de prévention chez un même individu et entre les individus. Dans cette optique, on peut dégager plusieurs modèles. Chez certains, on constate la présence d’une prévention bien établie, soit pour des motifs égoïstes (se protéger), soit pour des motifs altruistes (protéger l’autre) :
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Les traitements antirétroviraux
Mon leitmotiv c’est d’abord je me protège moi, alors pis si l’autre... si l’autre veut pas pis c’est son histoire. Il n’est pas question d’avoir une relation sexuelle sans [condom] parce que moi j’ai vu ce qui se passait, c’est tout simplement que je ne serais pas capable de vivre avec l’idée d’infecter l’autre personne parce que j’y ai pas dit, et que l’autre personne prendrait des risques.
Cette prévention peut s’accompagner de la révélation du statut de séropositivité qui, aux yeux de quelques répondants, permet de vraiment partager la responsabilité des pratiques sexuelles sécuritaires : Quand je rencontre quelqu’un de nouveau, peut-être une aventure d’un soir là qu’on appelle, pour moi, je veux dire la première chose je lui dis que je suis porteur de sida [...] J’essaye d’être franc parce que je veux pas le donner à quelqu’un. Je l’ai attrapé de quelqu’un qui ne me l’a jamais dit, mais j’ai appris au bout de six mois, mais aujourd’hui quand je rencontre quelqu’un je lui dis, pour moi, c’est important.
Le maintien ou l’adoption de stratégies de protection peuvent s’accompagner d’une réduction de la fréquence des rapports sexuels ou du nombre de partenaires, et miser davantage sur l’affection, la tendresse, l’amour et l’amitié : Ça [l’infection par le VIH] a eu un effet sur ma fréquence d’activités sexuelles qui est beaucoup moindre qu’avant... Ça me fait poser plein de questions par rapport aux saunas. [...] il y a d’autres manières, être avec une personne, la caresser, puis la sentir, des fois, c’est beaucoup plus d’affection que de la sexualité dont on a besoin, de se sentir près d’une personne.
Néanmoins, malgré des discours de prévention largement axés sur l’idée qu’il incombe à chacun de se protéger, nombreux sont ceux qui ont ressenti, implicitement, que c’est en grande partie sur leurs épaules que repose l’entreprise du sexe sécuritaire : Je trouve quand même aujourd’hui c’est la responsabilité de tout le monde, les gens qui sont séropositifs de dire à leurs partenaires qu’ils sont séropositifs, mais c’est aussi la responsabilité des autres aussi de demander aux gens.
Si, pour certains, l’infection par le VIH a constitué un tremplin vers l’adoption immédiate et définitive d’un code de conduite qu’ils jugent satisfaisant en matière de sexe sécuritaire, pour la plupart, elle a plutôt enclenché un apprentissage graduel qui demande un certain temps avant que des balises ne soient établies, un processus qui comporte des ratés, des accidents de parcours. D’après les récits des répondants interviewés, plus le sentiment d’avoir une sexualité responsable serait établi, plus l’image de soi serait positive, ce qui semble rejaillir sur le maintien des pratiques sécuritaires. L’important, semble-t-il, n’est pas seulement d’être safe, mais aussi et surtout de se sentir à l’aise avec soi-même, d’estomper le sentiment de culpabilité ou de malaise :
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Non, moi le VIH ça m’a jamais empêché d’avoir une relation [sexuelle] avec un gars [...] Il y a quelque chose qui est de mise, c’est la sécurité dans le sexe et, moi, tant et aussi longtemps que je n’ai rien à me reprocher. Ça [le VIH] facilitait pour moi la négociation parce que c’était pas parce que j’ai quelque chose que je veux pas te donner, donc un sentiment d’être mal à l’aise [...] Alors c’est plus juste de temps en temps, on et off le condom, maintenant, c’était devenu : il faut se protéger tout le temps.
Une autre stratégie de prévention passe par le maintien d’une relation monogame, impliquant l’usage du condom, la réduction ou l’élimination de la consommation de drogues qui risquent de menacer la mise en place d’une protection efficace : [...] ben à partir de ce moment-là, j’ai pris conscience que ça n’avait pas d’allure de ne pas se protéger, pis que je me suis pris en main pis qu’à partir de là j’ai commencé à être safe là-dedans, le safe sex. Si je consomme, je consomme seul, il n’est pas question de commencer à courir, non, je ne me sentirais pas à l’aise.
La modulation de la prévention peut aussi varier en fonction de la valence affective présente dans la relation, mais il semble que le statut sérologique soit un aspect rarement abordé lors des relations sexuelles avec des partenaires occasionnels. S’ils ne prennent pas l’initiative d’en parler – et seulement quelquesuns le font –, la question ne se pose tout simplement pas : Ça ne m’est jamais arrivé une fois dans ma vie qu’il y ait quelqu’un qui me le dise avant de baiser. Sur quinze années, je suis pas mal sûr que j’ai baisé avec des personnes séropositives, c’est évident, donc ça ne se dit pas dans le milieu, c’est pas quelque chose qui se dit et je ne me sens pas mal par rapport à ça, que je le dis pas.
Dans le même ordre d’idées, certains participants ont fait valoir que les occasions se présentent souvent où leur partenaire est prêt à avoir des pratiques à risque sans poser de question ni proposer l’usage du condom, notamment dans les contextes des rencontres prenant place dans les saunas. Quelques-uns prétendent même que la pénétration sans condom y serait monnaie courante : Moi, je vais au sauna. il y a des gens qui m’ont déjà approché et ils ont dit des choses que je trouve... des choses qui m’ont choqué et je me dis comment ça se fait aujourd’hui que les gens sont prêts à faire presque n’importe quoi, c’est comme leurs attitudes ont pas changé. Je sais que par expérience dans les saunas ils ont beau en donner à la porte [des condoms], le monde s’habille pas ben gros, de ce que j’ai vu là, il y a beaucoup de risques qui se prend là, mais ça, c’est mon jugement.
Nos données ne nous permettent toutefois pas de statuer sur l’influence que l’avènement des multithérapies pourrait ou non avoir sur l’occurrence de ces pratiques à risque, ni de savoir si ces partenaires, dont parlent les répondants interviewés, disposés à donner ou recevoir la pénétration sans condom, sont ou
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non eux-mêmes infectés par le VIH. Chose certaine, l’existence de traitements contre le VIH ne semble pas rendre plus simple la négociation du sécurisexe pour ce qui est de l’aspect du dévoilement du statut sérologique. Et, d’après les discours recueillis, rien ne nous permet d’assurer que les multithérapies aient eu ou non un impact direct sur le développement de pratiques sexuelles sécuritaires ou sur leur maintien.
CONCLUSION Les entrevues que nous avons menées auprès de ces hommes vivant avec le VIH nous permettent de tirer quelques constats à propos des effets des thérapies pour contrer la maladie. Les traitements antirétroviraux, si prometteurs en 1996, produisent des effets qui entraînent aujourd’hui des inconvénients à court et à long terme qui étaient imprévisibles alors. Bien sûr, il faut admettre que, pour plusieurs personnes vivant avec le VIH, la qualité de vie a été améliorée d’une façon significative et les traitements leur ont redonné courage et espoir. Pour d’autres toutefois, l’inclusion des médicaments dans leur routine quotidienne a créé des problèmes dans plusieurs sphères de leur vie personnelle et sociale. Ces effets, variables selon les individus, montrent l’importance qu’il faut accorder aux équations personnelles dans le retentissement des médicaments qui créent de nouvelles dynamiques et parfois même engendrent de nouveaux problèmes. Si, pour plusieurs, la trajectoire avec les médicaments se révèle relativement harmonieuse, pour d’autres, elle se traduit par une escalade médicamenteuse entretenue par les rétroactions entre la prise des antirétroviraux doublés d’autres médicaments pour en réduire les effets secondaires, créant eux-mêmes d’autres problèmes de santé, et un essoufflement thérapeutique mettant en péril l’observance aux traitements, au point où même son interruption peut être envisagée, du moins de façon transitoire, avec les risques que cette conduite comporte. Et cette trajectoire ne sera pas un cas d’exception, compte tenu de cette mise à l’épreuve du temps. Néanmoins, les multiples stratégies d’ajustement développées par plusieurs PVVIH pour s’adapter à ces expériences de contraintes quotidiennes et de chronicisation des effets secondaires devraient être davantage mises en relief et répertoriées pour que les intervenants en soutien aux PVVIH puissent diffuser ces divers moyens pour apprivoiser dans le quotidien cette réalité. Sur ce plan, les intervenants devraient tenir compte des diverses représentations que se font les PVVIH des médicaments antirétroviraux, certaines d’entre elles étant de nature fort adaptatives et appropriées à une observance optimale. Les cliniciens ou les médecins traitants auraient avantage à exploiter ces représentations dans leur counselling auprès du patient sous traitements antirétroviraux, afin de mieux ajuster leurs recommandations et leurs conseils à la façon dont il interprète et comprend les modes d’action de ses médicaments.
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Certes, les thérapies ne guérissent pas, mais elles positionnent désormais le VIH / sida dans le même registre que celui des maladies chroniques, ce qui contribue à maintenir l’espoir. En contrepartie, l’avènement des traitements a fait perdre au VIH / sida, semble-t-il, son caractère de cas d’exception et a contribué d’une certaine façon à banaliser la maladie, voire à la repousser, à la nier. Plusieurs personnes atteintes se sont mises à mieux se porter et ne voyant plus (ou ne voulant plus voir) la nécessité de se mobiliser autour de leur seul statut de personne infectée par le VIH se sont mises à déserter le milieu communautaire, ce dernier ayant joué un rôle prépondérant dans le soutien des personnes atteintes du temps où celles-ci étaient malades et mouraient du sida. Mais cette désertion aura été de courte durée. Il semble en effet y avoir une forte « re-mobilisation » des PVVIH actuellement. L’entraide et le soutien sont de plus en plus nécessaires devant la persistance et l’importance des effets secondaires et les difficultés reliées à l’observance aux traitements. Cette « re-mobilisation » n’est certes pas étrangère à la réémergence de la visibilité du sida dans la communauté gaie. En effet, si pendant quelque temps, l’arrivée des traitements antirétroviraux a pu créer une certaine atmosphère d’invisibilité du VIH / sida, les effets secondaires qu’ils entraînent tels la lipodystrophie et la complexité du régime thérapeutique qui les caractérise sont devenus les nouvelles marques de la présence de cette épidémie. Tôt ou tard, la lutte pour les droits des personnes vivant avec le VIH redeviendra un cheval de bataille pour les groupes communautaires sida, lutte délaissée avec l’arrivée des traitements antirétroviraux. Pour supporter la réalité de leur infection, la plupart des PVVIH ont besoin de soutien, d’information et de counselling pour réorganiser leur vie, que ce soit pour connaître les options qui s’offrent à eux en matière de traitement ou pour apprendre à gérer ces traitements adéquatement ; ils ont besoin de soutien aussi pour apprendre à mieux composer avec un état de santé précaire ou pour mieux accepter leur situation, et d’initiatives flexibles pour retourner ou demeurer actifs sur le marché du travail. Et par-dessus tout, les personnes infectées par le VIH ont besoin d’être reconnues, encouragées et respectées, car étonnamment plusieurs de nos participants estiment que le statut de personne infectée est plus difficile à vivre aujourd’hui qu’avant l’avènement des thérapies. Cette évolution indique combien il est important de suivre, à partir d’une perspective psychosociale, les transformations des représentations de l’épidémie du VIH / sida et de son statut dans la société et parmi les PVVIH.
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VIVRE AVEC LES MULTITHÉRAPIES L’expérience ontarienne1 Barry D. ADAM Eleanor MATICKA-TYNDALE Jeffrey COHEN
Vers le milieu des années 1990, des recherches démontrant le succès de nouvelles thérapies antirétrovirales pour combattre la réplication du VIH ont donné lieu à un optimisme renouvelé : l’infection au VIH devenait maintenant une maladie chronique « gérable ». La réduction du nombre de personnes infectées par le VIH qui développaient le sida, de même que la diminution du nombre de décès attribués au sida (tout au moins dans les pays développés) ouvraient des perspectives d’espoir. Des articles annonçaient déjà l’arrivée d’une ère « post-sida », et le sida se transformait en une maladie plus normalisée et traitable médicalement.
1.
Cette recherche a été rendue possible grâce à une subvention du Ontario HIV Treatment Network. Nous voudrions remercier Nancy McFarland, Cathy Parent, Grahame Davies, Bonnie McKinnon, Kevin Manuel, Michelle Newton, Lorne Tyndale, Catherine Brooke, Peter Kemp, ainsi que le AIDS Committee of Windsor pour leur aide.
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Les traitements antirétroviraux
Pourtant les conséquences de ce progrès n’étaient pas nécessairement faciles à vivre pour ceux qui revenaient des « frontières de la mort » ou pour ceux qui recouvraient une meilleure santé et un niveau d’énergie plus élevé. Ainsi, en règle générale, la thérapie oblige le patient à se soumettre à un horaire strict et complexe de prise de médicaments (nombreux liquides ou pilules à dosages différents) auxquels s’ajoutaient des restrictions alimentaires et parfois des effets secondaires difficiles à supporter (Altice et Friedland, 1998 ; Bright, 1999 ; Jeffe, Meredith et Fraser, 1998 ; Sigma Research, 1998). La présente étude fait état des changements dans les façons de vivre avec le VIH au cours des cinq dernières années, c’est-à-dire depuis l’introduction des inhibiteurs de protéase et l’adoption répandue de diverses formes de multithérapies dans le traitement du VIH. Des entretiens avec 35 personnes du Sud-Ouest ontarien (Canada) suivant une multithérapie ont permis d’explorer les conséquences de ces thérapies sur leurs façons de vivre avec le VIH, aux plans personnel et professionnel. Nous avons aussi étudié comment la structuration de la vie quotidienne, à son tour, influe sur les thérapies et en quoi l’adhésion au traitement constitue un dilemme quotidien. Nos résultats montrent un large éventail de réactions aux multithérapies. Nous notons, par exemple, diverses expériences en ce qui concerne les symptômes, expériences qui modulent fortement l’adhésion au traitement et qui façonnent la vie quotidienne avec le VIH. Certains participants, le plus souvent diagnostiqués après l’arrivée des multithérapies au milieu des années 1990, ne présentent généralement pas de symptômes. D’autres ont recouvré la santé et ont suffisamment d’énergie pour jouer un rôle actif dans leur vie professionnelle et familiale, leurs symptômes s’étant estompés, comme en ont fait état plusieurs patients qui suivent une multithérapie. D’autres, cependant, continuent de souffrir de symptômes récurrents ou qui se sont aggravés. D’ailleurs, les participants à un groupe de discussion (focus group) ont exprimé beaucoup de scepticisme à l’égard de l’expression « condition chronique traitable » en tant que descripteur du VIH, préférant le caractériser plutôt de « condition plus tolérable ». Après avoir exposé la méthodologie de la recherche, nous explorerons les différentes dimensions privilégiées : le marché du travail, le champ de relations interpersonnelles, les contraintes entourant la prise de médicaments, l’adhésion au traitement et l’expérience de la maladie.
1.
MÉTHODOLOGIE
Des entretiens en profondeur ont été menés entre mai 1999 et mai 2000 avec 31 hommes et 4 femmes sous multithérapies. C’est par l’intermédiaire d’infirmières travaillant dans un centre local de soins aux personnes vivant avec le VIH (HIV Care Programme) et par le biais d’un envoi postal à une liste de patients inscrits aux services d’aide contre le sida de la région que s’est effectué le recrutement des participants. La région de Windsor est autosuffisante dans le domaine
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Vivre avec les multithérapies
des soins médicaux de sorte qu’on estime que ces deux organismes sont en contact avec au moins 96 % des personnes séropositives dans la région. Un petit nombre d’entre elles vivant en périphérie ont également reçu des soins dans une région avoisinante. Les participants à cette étude représentent environ un quart des personnes séropositives connues de la région. Les entrevues ont été menées par des sociologues de l’équipe de recherche. Des questions ouvertes couvraient les aspects suivants : trajectoire du traitement et types actuels de multithérapies, autoévaluation de l’adhésion au traitement, problèmes reliés aux horaires de la prise de médicaments ou au suivi de la prescription, symptômes et stratégies de gestion qui leur sont associés, organisation des routines quotidiennes, activités professionnelles, finances, vie sociale, activités domestiques, familiales et relations personnelles, changements de vie reliés aux multithérapies, vision de la vie et projets d’avenir. Les entrevues duraient en moyenne de soixante à quatre-vingt-dix minutes. Les participants ont reçu 30 $ pour leur temps et pour les frais de transport. Les participants ont accordé à l’équipe de recherche l’autorisation d’accès à leurs dossiers médicaux. Des infirmières-chercheures à l’emploi du HIV Care Programme ont été engagées pour colliger l’information, notamment au sujet des traitements actuels et antérieurs, de la date du diagnostic, des symptômes reliés au sida et des infections opportunistes, du taux de CD4 et des charges virales de même que tous changements récents, de la catégorie clinique du CDC et des indices de Karnofsky récents et antérieurs. Les entretiens ont été transcrits et analysés afin de dégager les éléments descriptifs de la vie quotidienne reliés au travail, aux finances, aux relations personnelles et sociales, aux projets futurs et aux attentes par rapport à l’avenir. Le logiciel QSR NUD*IST a été utilisé pour assurer une analyse comparative cohérente des récits des participants. L’état complet des résultats et la validité des interprétations ont été évalués par des participants de l’étude, qui avaient exprimé un intérêt à fournir des commentaires, à partir d’une version préliminaire de l’analyse envoyée par courrier. Un groupe informel a discuté des résultats et des interprétations ; le rapport final reflète les modifications, explications et ajouts recommandés par le groupe.
2.
CARACTÉRISTIQUES DES PARTICIPANTS
Les participants de l’étude ont été regroupés en quatre catégories en fonction de leurs symptômes récents et antérieurs : – Asymptomatiques (N = 8) : taux CD4 récent > 200, charge virale < 1000, indice de Karnofsky 90 ; aucune maladie définissant le sida dans les antécédents.
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Les traitements antirétroviraux
– Améliorés (N = 11) : taux CD4 courant > 200, charge virale < 1000, indice de Karnofsky 90 ; avoir eu au moins une des conditions suivantes : taux CD4 < 200, charge virale > 1000, indice de Karnofsky 80. – Symptomatiques (moins sévères ; N = 8) : présentement seulement une des conditions suivantes : taux CD4 < 200 ou charge virale > 1000 ; de même que pas plus d’une des conditions suivantes : maladie définissant le sida, indice de Karnofsky récent 80, taux CD4 à la baisse. – Symptomatiques (plus sévères ; N = 8) : taux CD4 courant < 200 et / ou charge virale > 1000 ; de même qu’au moins deux des conditions suivantes : maladie définissant le sida, indice de Karnofsky récent 80, taux CD4 à la baisse. On ne trouve pas de différences significatives dans la distribution de l’âge ou du sexe parmi les participants de l’étude selon les diverses catégories de symptômes. Il existe cependant des différences dans les autres caractéristiques. Un plus grand nombre de personnes dans les deux groupes symptomatiques (moins sévères et plus sévères) avaient été diagnostiquées avant 1994 ; quant aux participants classés dans les groupes des asymptomatiques et des améliorés, ils se distribuent assez également en fonction de l’établissement de leur diagnostic avant et après 1994. Des 11 personnes ayant survécu le plus longtemps (diagnostiquées avant 1990), 6 se retrouvent dans le groupe des symptomatiques moins sévères, les cinq autres se classant dans d’autres catégories. À l’opposé, quatre des cinq participants les plus récemment diagnostiqués, c’est-à-dire depuis 1996, étaient dans la catégorie des améliorés, et l’autre participant dans la catégorie des asymptomatiques. À la lecture des transcriptions des entrevues, il apparaît clairement que les participants nouvellement diagnostiqués dans le groupe des améliorés ont été dépistés parce qu’ils présentaient des symptômes reliés au VIH. Ils ont immédiatement été placés sous multithérapie et tous ont bien répondu à la médication. Pour les autres années de diagnostic, on ne retrouve pas de modèle de regroupement des participants en fonction des catégories de symptômes. Les récits des participants ont été analysés en tenant compte des activités quotidiennes et des divers contextes de l’expérience personnelle de la maladie évaluée selon divers paramètres : la stigmatisation, les expériences avec le système médical et social, et le moment du diagnostic eu égard au développement historique de l’épidémie du VIH. Les trajectoires de vie variaient également selon l’expérience de la maladie pour les participants de chacun des groupes. En ce qui concerne le marché du travail, la majorité des participants du groupe des asymptomatiques et du groupe des symptomatiques moins sévères occupaient un emploi : seulement la moitié environ de ceux qui étaient dans le groupe des améliorés et seulement une personne dans le groupe des symptoma-
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Vivre avec les multithérapies
Tableau 1 Caractéristiques de l’échantillon interviewé Catégories de symptômes
Asymptomatiques Améliorés Symptomatiques moins sévères
N Hommes Femmes Âge : 30-39 ans 40 ans et plus Date du diagnostic avant 1994 1994 ou plus récemment Statut d’emploi Plein temps Temps partiel Sans emploi Vivent avec partenaire Famille Seul En relation oui non Sexuellement actif oui non
Symptomatiques plus sévères
Total
8 6 2 5 3
11 11 0 6 4
8 8 0 5 2
8 6 2 5 3
35 31 4 21 12
4
6
6
5
21
4
5
2
3
14
6 1 1 3 2 3
5 0 6 5 2 4
5 1 2 7 0 1
1 1 6 3 1 4
17 3 15 16 5 12
4 4
6 5
7 1
3 5
20 15
6 2
5 3
5 6
1 7
17 18
tiques plus sévères se retrouvaient dans cette situation. Nous verrons plus loin que ce pattern est fortement relié à la capacité des participants à se maintenir, en fonction de leurs expériences de la maladie, sur le marché du travail. Quant au mode de vie, les deux formes les plus courantes étaient soit de vivre avec un ou une partenaire, soit seul. Cette situation se retrouvait à peu près également dans toutes les catégories, excepté pour le groupe des symptomatiques moins sévères, où la majorité vivait avec un ou une partenaire. Les participants du groupe des asymptomatiques et du groupe des améliorés se divisaient de façon égale entre ceux qui étaient engagés dans une relation et ceux qui ne l’étaient pas. Les participants du groupe des symptomatiques moins sévères étaient majoritairement en relation alors que dans le groupe des symptomatiques plus sévères, la plupart n’étaient pas en couple. Nous verrons que les modes de vie et les types de relations reflètent une combinaison de facteurs incluant le choix personnel, l’expérience de la maladie de même que le vécu dans les relations antérieures.
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158 3.
Les traitements antirétroviraux
LES ENJEUX LIÉS AU MARCHÉ DU TRAVAIL
Les traitements affectent de façon significative le rapport au travail (MatickaTyndale, Adam et Cohen, 2002). Les participants qui travaillaient à temps plein provenaient exclusivement des groupes suivants : asymptomatiques, symptomatiques moins sévères et améliorés. Les personnes qui ne présentaient aucun symptôme ou avaient des symptômes moins prononcés, et qui travaillaient à temps plein, avaient rarement arrêté de travailler à cause du VIH. Le VIH n’avait pas évolué vers une condition associée au sida et les symptômes n’avaient jamais été assez sévères pour mettre en jeu leur emploi. Pour le groupe des améliorés, une interruption d’emploi était en relation avec la date du diagnostic. Malgré le fait que presque tous ceux qui avaient été diagnostiqués récemment avaient eu une maladie pour laquelle les traitements conventionnels n’avaient pas apporté d’amélioration, la période sans travail avait été relativement courte et n’avait pas entraîné la perte d’emploi. Ceux qui avaient été diagnostiqués avant l’apparition des multithérapies avaient souvent dû abandonner le marché du travail à cause de problèmes de santé rattachés au sida. Avec la venue des multithérapies, leur santé s’est suffisamment améliorée pour qu’ils puissent retourner sur le marché du travail. Ceux du groupe présentant des symptômes plus sévères étaient tous sans emploi et vivaient de pensions et de programmes de soutien aux personnes invalides.
3.1.
MAINTIEN DE L’EMPLOI
Pour les participants asymptomatiques, le travail est décrit comme faisant simplement partie de la vie quotidienne : ils ne s’étaient pas posé la question de savoir s’ils allaient ou non quitter le marché du travail. En comparaison, ceux des groupes améliorés et à symptômes moins sévères avaient dû fournir de grands efforts pour continuer à travailler à temps plein, les difficultés physiques rendant problématique le maintien de ce rythme de travail. Pour certains même, la fatigue extrême limitait leur vie à deux pôles, travail et repos, les obligeant ainsi à sacrifier tous les autres aspects de la vie quotidienne au profit du travail. Un participant de l’étude décrit une longue période de fatigue extrême : « Je travaillais alors cinq jours par semaine, douze heures par jour. [...] Je travaillais et je dormais ; j’étais très fatigué. » (groupe des améliorés, homme, poste de cadre) Pour d’autres, il fallait trouver des moyens de faire face aux symptômes, comme la nausée ou la diarrhée, et ce alors qu’ils étaient au travail. Plusieurs ont reconnu que leur travail n’était pas exigeant au plan physique et que c’est pourquoi ils pouvaient continuer à travailler. Les personnes occupant des emplois physiquement exigeants, tels les emplois en usine comportant des rotations dans les horaires, devaient souvent couper leurs heures de travail, ce qui réduisait ou annulait leurs possibilités d’avancement. Même lorsqu’une justification médicale était fournie en vue de diminuer les rotations horaires ni les collègues, ni les superviseurs, ni même souvent les syndicats ne les approuvaient :
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Vivre avec les multithérapies
Je travaillais, à cause de ma maladie, sur deux rotations horaires plutôt que sur les trois normales ; puis le syndicat s’en est pris à moi après que des collègues se soient plaints de cette situation. Mais quand j’ai travaillé de nuit, je ne pouvais plus dormir. Je ne savais plus quand je devais prendre mes médicaments ni si je les avais pris. [...] J’ai écrit une lettre au contremaître, mais il n’a rien fait pour m’aider, il était plus ou moins contre moi. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme, sans emploi)
La rotation dans les horaires de travail de même que les déplacements engendrent des problèmes. Un chauffeur de camion décrit comment il a dû passer du camionnage sur de longues distances au transport local à cause des diarrhées, des horaires de prise de médicaments, des passages aux frontières de même que des changements dans la vie quotidienne et dans les habitudes de sommeil. Un directeur, qui ne pouvait plus répondre aux exigences de travail et au rythme de vie quotidienne lié aux affectations internationales, s’est retrouvé restreint dans ses perspectives d’avancement dans la compagnie : À la maison, j’organise mon propre horaire. Je prépare mes repas et je suis conscient de mes limites. [...] Lorsqu’on travaille à l’étranger, on fait quatorze heures par jour. On voyage d’abord une heure en autobus, un peu plus d’une heure en train, puis un transport en camion jusqu’au chantier où on travaille quatorze heures, puis c’est la même histoire pour le retour à la maison. Il y a peu d’anglophones. [...] La nourriture est différente. [...] Voilà pourquoi je ne veux pas y aller, j’ai peur d’être malade. Alors, oui, je peux dire que le VIH a un impact sur ma carrière parce qu’il me limite. Je suis devenu très exigeant sur le genre d’emploi que je suis prêt à accepter. (groupe des améliorés, homme, poste de cadre)
Cependant, ce ne sont pas tous les participants qui réduisent leurs heures de travail. Certains travaillent selon des horaires extrêmement exigeants, qui le seraient même pour des personnes en bonne santé, mais cette situation reflète les contraintes de la nouvelle réalité économique : Je ne suis pas sorti du travail avant dix heures ce matin et j’ai commencé à huit heures et demie la nuit passée. Ça fait une longue période de travail. Mais la tâche doit être bien faite et je ne peux pas partir avant de l’avoir accomplie de façon satisfaisante. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme, superviseur d’usine) Hier et avant-hier, j’ai dû travailler quatorze heures en ligne. Je suis crevé. Puis j’ai dormi trois heures seulement, et aujourd’hui j’ai travaillé onze heures. [...] Je travaille soixante à soixante-dix heures par semaine. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme, industrie alimentaire)
Un arrêt de travail relié au VIH, et particulièrement aux problèmes de santé rattachés au sida, était courant dans le groupe des améliorés. Quitter son emploi, retourner vivre avec des membres de la famille et vendre ses biens faisaient souvent partie des stratégies pour faire face à une maladie en progression. Certains se décrivaient d’ailleurs comme « se préparant à mourir ». Un retour au travail à temps plein peut représenter un signe important d’un recouvrement de la santé et d’un retour à une certaine autonomie. Ceux qui retournaient ainsi au travail passaient à travers les mêmes étapes qu’une personne qui recouvre la santé après n’importe quelle maladie :
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Les traitements antirétroviraux
« Tu veux sentir que tu es capable d’accomplir quelque chose et tu penses toujours, au fond de toi-même : “ Oui, je peux m’en sortir.” » (groupe des améliorés, homme, poste de gestionnaire / technique) Travailler à temps plein peut être si fondamental que certains acceptent, une fois que leur santé s’est améliorée, de passer d’un poste de technicien hautement spécialisé ou de cadre supérieur à un emploi comparativement peu ou pas du tout spécialisé (avec parfois une perte des possibilités d’avancement) tant que cela leur permet de travailler. Un participant à l’étude qui avait un poste de technicien hautement spécialisé dans l’industrie de l’imprimerie décrit comment il est devenu livreur de pizza : Je me suis lié d’amitié avec le propriétaire d’une pizzeria et il m’a demandé : « Veux-tu faire les livraisons pour moi ? » J’ai commencé par faire les livraisons mercredi, jeudi, vendredi et samedi, et maintenant je les fais six jours par semaine. Ça me donne quelque chose à faire et ça structure ma journée. C’est mieux que de rester assis à ne rien faire. (groupe des améliorés, homme, livreur)
Une amélioration de la santé et le désir de prouver à soi-même et aux autres que la vie reprend le dessus fournissent à certains la motivation nécessaire pour relever le défi d’une formation exigeante ou d’un stage dans un nouveau domaine : Comme je l’ai dit, j’ai passé outre très rapidement et j’avais besoin de me plonger dans autre chose que ce VIH. Peu de temps après, je me suis lancé. Pour le travail que j’ai choisi, il y a beaucoup de cours à suivre, puis le permis à obtenir. Et durant ces deux années, j’avais encore trois autres cours obligatoires. J’ai continué malgré le fait que ces derniers cours ont été laborieux parce que j’étais très fatigué. (groupe des améliorés, homme) Je suis devenu un bourreau de travail. Toute ma vie était axée sur le travail. (groupe des améliorés, homme, poste de gestionnaire / technique)
Comme Goldstein et Goldbaum (1999) le soulignent, il existe peu ou pas d’incitatifs ou d’aide à la transition pour un retour au travail. En fait, la réalité est telle que les raisons abondent de ne pas retourner sur le marché du travail : doutes des amis et des membres de groupes de soutien concernant la sagesse de la décision de retourner au travail, perte de subventions gouvernementales après le retour au travail, inquiétudes au sujet de la prise de médicaments au travail, impact du stress au travail sur la santé, et incertitude quant à la possibilité de retrouver un statut d’invalidité si le retour au travail ne pouvait être maintenu. L’un des participants, qui avait recouvré la santé et voulait retourner au travail, rapporte : Ce n’était pas mon choix d’être sur le bien-être social. Je voulais travailler et tout faire. Pourquoi n’existe-t-il pas de programmes pour aider les personnes qui ont des difficultés à retourner sur le marché du travail ? (groupe des améliorés, vendeur)
Le fait d’avoir à faire face à la séropositivité et au processus de survie et de vivre ensuite un retour à la santé après avoir lutté contre une maladie mortelle donne souvent lieu à des périodes de réflexion existentielle (Adam et Sears, 1996 ;
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Vivre avec les multithérapies
Weitz, 1989). Cette expérience suscite une nouvelle vision de la vie et une réflexion sur la place qu’occupe le travail rémunéré dans la vie personnelle. Pour certains, cela peut signifier de restructurer leur vie pour passer moins de temps à leur emploi ou encore quitter définitivement le marché du travail. Pour d’autres, il s’agit d’une réévaluation de la relation au travail. L’un des participants a exprimé les pensées et les sentiments qui l’avaient habité durant une entrevue pour un poste : J’étais assis là, en train de me dire : « J’y suis arrivé, c’est un miracle. [...] Je m’en balance de votre saloperie. » [Les interviewers] avaient l’air tellement sérieux. Je ne pense pas qu’ils aient jamais eu une révélation personnelle ou un défi quelconque à relever. Ça me paraissait étrange d’être assis là, à les regarder, et de penser : «Vous ne savez même pas de quel enfer je reviens !» (groupe des améliorés, homme, changement de domaine de travail après une amélioration de son état de santé)
L’acceptation du scénario culturel dominant qui prône un emploi rémunéré pour les adultes en bonne santé accompagné d’une forte implication dans le travail peut atténuer la compassion envers les personnes séropositives qui sont perçues capables de travailler, mais qui choisissent de ne pas le faire : Je vois que le revirement de situation [lié aux nouvelles thérapies] a eu un impact sur beaucoup de personnes. Les gens ont dépensé tout leur argent ; certains se retrouvent complètement épuisés d’avoir à faire face à la maladie et ils ne seront plus jamais les mêmes. Par ailleurs, je sais qu’il y a des gens qui sont relativement bien, mais qui ont peu de motivation. Ils pourraient faire ce qu’ils veulent. Je me fiche de savoir s’ils choisissent de faire ceci ou cela, mais qu’ils fassent quelque chose ! Retounez aux études, faites quelque chose au lieu de rester sur le bien-être social. [...] Ils restent là, frustrés, parce qu’ils voudraient avancer, mais ils ont trop peur. Il n’y a pas de raison de ne rien faire. (groupe des améliorés, homme, changement de domaine de travail après une amélioration de son état de santé)
3.2.
RÉVÉLER OU NON LA SÉROPOSITIVITÉ
Pour ceux qui sont sur le marché du travail, la question de révéler leur séropositivité demeure aussi épineuse qu’au début de l’épidémie. Craignant la discrimination, la perte d’emploi, la stigmatisation et le bris de confidentialité, les personnes séropositives sont peu enclines à révéler leur statut. Un serveur qui s’était activement engagé dans l’éducation sur le sida dans les écoles parle ainsi de l’effet de sa visibilité publique sur son travail : Je faisais des présentations dans les écoles secondaires et puis j’ai constaté que des clients du restaurant m’étiquetaient comme « le gars avec le sida » et ça devenait un problème. J’ai commencé à sentir une contradiction entre le fait d’avoir révélé mon statut séropositif et le fait d’être serveur dans un restaurant. C’est une chose de sourire et de serrer la main aux gens dans une école, mais une tout autre quand je vous présente un plat de nourriture et que vous vous demandez si j’y ai touché. (groupe des asymptomatiques, sans emploi)
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Les traitements antirétroviraux
Rares sont ceux qui, travaillant à temps plein, ont révélé leur séropositivité à leurs collègues ou à leurs employeurs. Ils sont d’ailleurs souvent dissuadés de le faire sur le conseil de personnes de leur entourage : J’étais sur le point de le dire à mon superviseur [...] mais le docteur A. m’a d’abord un peu freiné et m’a dit d’y réfléchir sérieusement et d’envisager les conséquences du point de vue légal avant de prendre ma décision. [...] J’ai consulté une personne spécialisée en droit et elle m’a aidée à remettre les choses en perspective en m’expliquant que sa relation avec moi et ma relation avec le médecin sont des relations confidentielles, tandis que celle avec mon superviseur ne l’est pas vraiment. Mon statut séropositif pourrait être révélé et, de ce fait, je ne serais pas protégée. (groupe des asymptomatiques, femme, professionnelle)
Même les personnes qui ont un plan d’assurance-médicaments, obtenues par l’entremise de leur entreprise, ne révèlent pas leur séropositivité à leur compagnie d’assurances, préférant ne pas bénéficier de ses avantages plutôt que d’avoir à en subir les conséquences négatives possibles : J’ai une assurance-médicaments au travail, mais j’ai choisi de ne pas l’utiliser. Je passe par le programme de médicaments Trillium, sauf pour les médicaments contre l’acné ou des nouvelles lunettes, des conditions qui ne sont pas reliées au VIH. (groupe des améliorés, homme)
Cependant, tous ne voient pas la nécessité de cacher leur statut de séropositivité à leur employeur et à leurs collègues. Pour les personnes qui travaillent avec des employeurs bien informés sur le sida, le fait de révéler la séropositivité ne semble pas poser problème : Je me demande alors ce qui fait que ces employeurs ont une attitude aussi correcte. C’est parce qu’ils travaillent si proches du danger. Ils doivent être conscients de tous les pathogènes potentiels. La tuberculose transmise par dissémination aérienne est beaucoup plus contagieuse. La méningite est beaucoup plus contagieuse et c’est un des dangers de leur profession. [...] Et du fait de leur environnement professionnel, ils sont personnellement au courant des campagnes de sensibilisation au sida qui ont été lancées dans les quinze ou vingt dernières années. Interviewer : Qu’en est-il de l’assurance-santé et de l’assurance-médicaments ? Excellentes, j’ai de très bonnes assurances. J’ai même une assurance pour de la psychothérapie en plus de mon assurance médicale. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme)
Par ailleurs, certains employeurs, peu informés sur le sida, étaient prêts à être sensibilisés. Ces employeurs étaient d’ailleurs, en règle générale, perçus comme compréhensifs, flexibles et faciles d’approche même avant de discuter de la séropositivité. Un homme, qui ne travaillait pas dans un domaine où les gens étaient informés sur le VIH, a pris la responsabilité d’éduquer ses collègues sur les risques du VIH dans leur vie :
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Vivre avec les multithérapies
Ce qui est arrivé, c’est que l’année passée plusieurs femmes ont quitté leur conjoint et se sont retrouvées, bien entendu, à rencontrer des partenaires. J’ai dû les éduquer parce qu’elles n’adoptaient pas des comportements sexuels sécuritaires. Alors c’est intéressant. C’est quelquefois ingrat, mais je dois leur apprendre la prévention, encore et encore. (groupe des améliorés)
3.3.
TEMPS PARTIEL OU SANS EMPLOI
Ceux qui se retrouvaient sans emploi ou qui travaillaient à temps partiel avaient dû arrêter leur travail régulier à cause du VIH. Les maladies graves, telles la pneumonie à Pneumocystis carinii ou le sarcome de Kaposi, rendaient le travail impossible ; ou encore certains patrons refusaient d’avoir des employés séropositifs. Pour les participants qui font partie du groupe des symptomatiques plus sévères, le retour au travail semble impossible. Bien que peu de participants fussent gravement atteints au moment de cette étude, la fatigue, la diarrhée, les sautes d’humeur, les maux de tête, les pertes de mémoire, les contrecoups physiques et émotionnels du fait d’avoir survécu à une maladie qui menace la vie même, des taux CD4 à la baisse ou une charge virale à la hausse, et d’autres symptômes reliés aux traitements ou au VIH avaient des conséquences débilitantes. « Vivre avec le VIH est un travail à temps plein », affirmait ainsi l’un des participants : Ce serait trop difficile pour moi d’avoir un travail. Il y a trop de rendezvous avec les médecins, trop de sautes d’humeur et de moments de dépression, sans compter les différents effets secondaires des médicaments sur mes jambes. Tandis qu’une personne avec le diabète pourrait travailler normalement, durant une assez longue période, avec le VIH, c’est différent. (groupe des améliorés, homme)
Contrairement à ceux du groupe des symptomatiques plus sévères, plusieurs de ceux qui étaient sans emploi dans le groupe des améliorés et dans le groupe des symptomatiques moins sévères ont exprimé le souhait de retourner travailler. Cependant, trois obstacles ont été relevés : trouver un travail acceptable, payer les médicaments et faire face à l’incertitude. Il semble difficile aux participants de trouver un travail comparable à celui qu’ils avaient quitté au regard des aptitudes, des responsabilités et du salaire. Le fait de retrouver dans leur curriculum vitae une longue période sans emploi ou de devoir aviser un employeur potentiel de leur statut de séropositif étaient perçus comme des obstacles à trouver un emploi convenable. Le nombre restreint de postes ouverts dans un domaine donné et la taille de la communauté locale limitaient les possibilités et faisaient en sorte que « tout le monde se connaît ». Les participants à l’étude qui étaient hautement qualifiés et qui avaient occupé des postes techniques ou de cadres, ou encore des postes qui comportaient des contacts avec le public percevaient comme inexistantes les possibilités de reprendre le même emploi et comme décevantes les autres perspectives de travail. L’un des participants s’est ainsi plaint de :
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Les traitements antirétroviraux
L’impossibilité de retourner au travail et de fonctionner à un niveau qui pourrait me motiver. Je ne retournerais pas au travail pour le simple fait de travailler, [...] pas après avoir gagné ce que je gagnais avant et avec mon niveau d’éducation. Ça ne me paraît pas acceptable. (groupe des symptomatiques moins sévères)
Des participants qui avaient bénéficié d’un régime de retraite anticipée percevaient que leurs besoins financiers et en assurances étaient relativement satisfaits, mais que la possibilité de trouver du travail était fortement diminuée : Je travaillais de façon sporadique et le docteur B. m’a signé une lettre d’invalidité. Je suis allé voir le médecin de la compagnie ; il a lu la note et a dit : « On le met à la retraite. » (groupe des améliorés, ancien ouvrier d’usine mis à la retraite au début de la quarantaine)
Pour d’autres, les employeurs avaient clairement indiqué qu’ils ne seraient pas les bienvenus : Ils ne veulent pas de retour au travail pour une personne qui a le VIH. J’étais cadre et je connais les manigances qui se tramaient derrière mon dos de la part de certains directeurs. [...] Pas de promotions. Certains étaient vraiment cruels et il y a eu des plaintes directement au siège social à propos d’une directrice qui était ma supérieure. J’ai entendu dire qu’elle empêchait la promotion de quelqu’un qui avait le VIH, quelqu’un qui ne travaillait même pas dans sa succursale, mais dans une autre succursale. [...] Et elle agissait ainsi simplement parce que cette personne était atteinte du VIH. (groupe des améliorés, homme, sans emploi)
Le deuxième obstacle évoqué par les participants à un retour éventuel au travail concernait le coût des médicaments. Pour les sans-emploi, les médicaments sont couverts par le biais de programmes gouvernementaux. Plusieurs ont exprimé leurs inquiétudes par rapport au fait que, s’ils retournaient sur le marché du travail, ils perdraient leur assurance-médicaments. Il devenait alors peu probable qu’ils puissent obtenir une couverture adéquate (ou même tout simplement une couverture) par le biais de leur employeur. Certains se sentaient « coincés dans un statut d’invalidité » à cause de la couverture médicale procurée : « Tous les médicaments sont couverts. Des fois, je me sens coincé parce que j’ai l’impression que je ne peux pas faire ce que je veux à cause de mon assurance. » (groupe des symptomatiques plus sévères, homme, sans emploi) Des inquiétudes quant à la possibilité d’être accepté sur un régime d’invalidité ont poussé un homme asymptomatique, qui voulait passer du temps avec son partenaire américain, à quitter son emploi et à s’inscrire à ce régime lorsqu’il a appris que les critères d’admissibilité allaient devenir plus exigeants : Il est venu me voir et m’a dit que les catégories et les paramètres définissant les critères d’admissibilité au programme d’invalidité allaient changer, alors il m’a dit que si je voulais continuer à être assuré, c’était le moment de m’inscrire. Je suis allé voir mon médecin et je lui ai dit : « Pourriezvous indiquer “dépression” sur le formulaire ? » et il m’a dit : « Absolument. » (groupe des asymptomatiques, homme, sans emploi)
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Vivre avec les multithérapies
Il apparaît clairement que la tendance actuelle du gouvernement de réduire le nombre de personnes pouvant bénéficier des programmes sociaux en appliquant des critères d’admissibilité plus rigoureux pourrait avoir un effet contraire à celui escompté. Le troisième obstacle relevé par les participants quant à un retour éventuel sur le marché du travail est l’incertitude, en particulier les incertitudes concernant la durée de l’amélioration de l’état de santé, les possibilités concrètes de maintenir un emploi à temps plein, la flexibilité des employeurs au sujet des journées de maladie et des rendez-vous médicaux, les effets à long terme des médicaments, la possibilité d’obtenir à nouveau une pension d’invalidité et d’assurance-maladie si le maintien du retour au travail s’avérait impossible : Interviewer : Est-ce que vous voudriez retourner au travail ? Je continue d’y penser, mais je ne suis pas sûr de le faire. J’y retournerais pour l’argent, mais du point de vue santé, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne décision. Si je pouvais espérer être suffisamment en forme, je le ferais, mais avec mon état présent, je ne pense pas que j’en serais capable. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme, métallurgiste)
Pour ceux qui étaient restés en dehors du marché du travail pendant une longue période, la difficulté d’avoir à réorganiser leur vie une fois de plus s’ajoute aux autres embûches. Le fait de quitter le marché du travail s’était accompagné d’une réévaluation et d’une réorganisation de la vie quotidienne. Des recherches antérieures décrivent cette situation comme exigeant la recherche d’un nouvel agencement des priorités qui inclut le développement d’une identité et d’un style de vie qui n’intègrent pas le travail en même temps que des attentes fortement modifiées quant au présent et au futur. Les chercheurs de Sigma (1998) décrivent la perte des habiletés, de la formation et de l’implication dans l’emploi comme « une perte des fondements mêmes du travail ». Étant donné les incertitudes des effets à long terme des médicaments, ceux du stress au travail sur la santé, la stigmatisation et la discrimination auxquelles il faudrait faire face au retour au travail, de même que le risque de perdre des avantages, il est peut-être irréaliste de s’attendre à ce que le retour au travail soit perçu par les personnes vivant avec le VIH comme une conséquence logique et nécessaire d’une amélioration de l’état de santé.
3.4.
LES MÉDICAMENTS ET LE TRAVAIL
Se maintenir dans son emploi tout en prenant ses médicaments engendre des contradictions difficiles à concilier. À partir des entretiens, nous avons relevé deux problèmes majeurs reliés au travail quant à l’adhésion au traitement. Le premier concerne la difficulté de concilier l’horaire de la prise des médicaments avec les exigences d’un travail basé sur des quarts de travail. Les travailleurs dans le domaine industriel et de la santé en particulier sont souvent confrontés à
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un horaire mouvant où le travail, les repas et les heures de sommeil changent fréquemment. Devoir combiner les exigences de prendre les médicaments au moment des repas, de maintenir un sommeil réparateur et, dans certains cas, de se plier à un travail peu flexible dans l’horaire ajoute des contraintes qui entravent l’adhésion au traitement et en favorisent même l’oubli. Un travailleur, pris dans la rotation des quarts de travail, nous explique sa stratégie pour minimiser les conséquences des changements fréquents : J’essaie de suivre l’horaire de prise des médicaments. Je veux rester en vie, alors je les prends. J’essaie de les prendre de façon régulière. Je sais que ça fluctue beaucoup. [...] J’essaie de manipuler les heures de prise. Je les prends quatre heures en avance ou je les retarde de quatre heures, dépendant où je m’en vais. Je les pousse encore quatre heures, et encore quatre heures, en dedans de trois jours. Je sais que c’est quatre heures plus tôt, mais c’est mieux qu’un changement radical. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme)
L’autre problème majeur concerne la prise de médicaments au travail. Lorsque les conditions du traitement et de l’emploi exigent que les médicaments soient apportés au travail et pris sur place, l’adhésion au traitement en est augmentée. Comme l’exprimait l’un des participants : Je dois me préoccuper de cacher mes pilules et de trouver le moyen de les prendre. Je suis également inquiet, car une fois mes médicaments pris, j’aurai la diarrhée pendant une heure : «Est-ce que je serai capable de me rendre aux toilettes qui sont situées à l’autre bout du couloir ?» (groupe des symptomatiques moins sévères, homme)
La dose de l’après-midi est souvent la plus difficile à prendre de façon régulière et selon l’horaire prévu, ce que la littérature confirme (Proctor, Tesfa et Tompkins, 1999 ; Erlen et Mellors, 1999). Les exigences du travail font en sorte qu’il est souvent difficile de se souvenir qu’il faut prendre sa dose ou bien l’heure de sa prise survient à un moment où la tâche ne peut être abandonnée. L’exigence de boire beaucoup d’eau, par exemple, pour prévenir la formation de cristaux de Crixivan dans les reins est également difficile à satisfaire au travail. Les contraintes liées au traitement affectent aussi le champ des relations interpersonnelles.
4.
LES RELATIONS INTERPERSONNELLES
Dans leur étude, Adam et Sears (1996, p. 75) ont décrit « la diversité inventive des relations » que les personnes vivant avec le VIH entretiennent. Cette même diversité se retrouve dans notre recherche. Les types de relations incluent des couples traditionnels qui vivent ensemble et dont les partenaires entretiennent des liens intimes au plan affectif et sexuel ; des couples qui étaient sexuellement actifs par le passé, mais qui ne l’étaient plus au moment de l’étude ; des colocataires
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qui partagent une intimité émotionnelle et une interdépendance, mais pas de relations sexuelles ; et les célibataires qui vivent seuls ou avec leur famille. Certains peuvent décrire les amis proches et la famille comme leurs principales sources de soutien émotionnel, et ils peuvent ou non avoir des partenaires sexuels. La nature des relations, en particulier dans le champ sexuel, varie selon les catégories de maladie, principalement en fonction de la gravité des symptômes et de l’historique de l’expérience avec le VIH.
4.1.
LES COUPLES
Tous les participants ont parlé de la façon dont le VIH et les multithérapies ont influencé leurs relations de couple. Parmi ceux dont les relations étaient antérieures à la séroconversion, le thème le plus courant est celui du rapprochement à cause du VIH et l’appréciation du soutien et des soins mutuels qu’ils partageaient avec leurs partenaires. Le soin du partenaire atteint constituait une haute priorité. Plusieurs personnes ont déménagé d’une ville à une autre ou ont quitté leur emploi pour être avec leur partenaire, surtout dans les cas où son état de santé se détériorait. Le maintien d’un rapport basé sur une implication est une caractéristique évidente de ces relations qui duraient depuis cinq à douze ans. Le commentaire d’un homme à propos de son partenaire depuis onze ans reflète bien les sentiments exprimés par plusieurs : C’est un gars super, extrêmement dévoué. Il est d’une très grande influence dans ma vie. Pour tout ce qui ne concerne pas les médicaments, je me motive tout seul. Je fais ce que je dois faire, mais il me motive, se dévoue pour moi et me comble de bonheur, et il me procure nourriture et amour. Selon lui, il est la raison de ma survie. Alors, qu’est-ce que je peux répondre à ça ? (groupe des améliorés)
L’importance et le désir d’avoir une relation sont également évidents tant parmi ceux qui commencent de nouvelles relations que pour ceux qui projettent d’intensifier leur implication dans des relations déjà existantes. Même ceux qui avaient prodigué des soins à des partenaires qui étaient décédés des suites du VIH et qui s’étaient jurés de ne plus jamais avoir de relations changeaient souvent d’avis après un certain temps et s’engageaient avec de nouveaux partenaires : Je n’aurais jamais pensé que ce serait ainsi. Je me souviens d’une période où j’affirmais que jamais je n’entreprendrais une relation avec quelqu’un qui est séropositif parce que dans mes deux relations précédentes, mes partenaires sont décédés, et je ne voudrais jamais revivre cette situation. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme dans une relation avec un partenaire séropositif)
Pour certains, célibataires endurcis avant la séroconversion, le VIH a suscité le désir de développer une relation. Un célibataire, engagé dans une relation depuis peu, la définit ainsi : « On prend notre temps avant d’emménager ensemble. » :
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Les traitements antirétroviraux
Je ne voulais surtout pas de ce qui m’avait rendu séropositif, c’est-à-dire des relations d’une nuit. J’en avais marre et je n’en voulais pas. Rencontrer quelqu’un de bien, ce n’est vraiment pas facile. Rencontrer quelqu’un avec qui tu t’entends, qui t’attire, qui est sympathique et qui a un sens de l’humour, toutes ces choses, c’est difficile à trouver. Je ne sais pas si c’est différent dans votre monde, mais il y a beaucoup de menteurs, de tricheurs... et des gens horribles. (groupe des améliorés)
Le VIH et les multithérapies peuvent entraîner des tensions dans une relation, ce qui peut la vouer à l’échec. Révéler le statut séropositif dans une relation hétérosexuelle peut également mettre au jour une bisexualité ou une homosexualité, de même qu’une infidélité possible dans une relation qui avait pu être considérée comme monogame. Adam et Sears (1996) ont noté que le VIH engendre des trajectoires de vie différentes dans les couples sérodifférents ou asymétriques, ce qui contredit la notion couramment acceptée qu’une vie partagée ou un destin commun font partie d’une relation de couple. Bien que les multithérapies puissent aider à synchroniser de nouveau les trajectoires de vie en permettant un retour à la santé, elles peuvent également inciter un partenaire séropositif à mettre un terme à une relation où les partenaires n’étaient plus au diapason depuis un certain temps : C’était malaisé, durant cette période de six ans : moi, séropositif et lui, non. C’était trop différent. Il faisait des études et il a obtenu deux maîtrises. Il faisait des projets pour son avenir. Je pense que je lui en voulais et je me disais : « Oh ! tu as tout ça et tu te bâtis un avenir et, moi, je pourrais mourir. » [...] Je veux quelqu’un qui soit présent tout le temps ; c’était difficile pour moi de prendre une décision parce que je me demandais si j’en valais la peine. [...] Un jour, D. m’a dit : « Tu mérites ce que tu demandes. [...] Va chercher ce que tu veux. » Et j’ai dit : « Oui, tu as raison. » Je me demandais : « Est-ce que je mérite mieux ? » Tu peux être sûr que oui. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme)
4.1.1. La sexualité dans le couple Des recherches antérieures ont rapporté une baisse du désir sexuel et même un certain dégoût pour les relations sexuelles, peu de temps après le diagnostic (Adam et Sears, 1996). Cette expérience est le plus souvent vécue par les participants qui vivaient en couple au moment de la séroconversion : Au tout début, nous n’avions presque pas de relations sexuelles, par peur. Mais maintenant on est plus revenu à la normale ; on a des relations protégées et c’est beaucoup mieux maintenant qu’au début. (groupe des asymptomatiques, femme) C’était effrayant. Le sexe me faisait peur. J’avais l’impression de tirer des balles empoisonnées. [...] J’avais très peur et je ne voulais pas empirer la situation. Je ne voulais pas qu’il tombe très malade et qu’il meure. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme)
Comme cela a été relevé dans d’autres recherches, nos participants retournent après un certain laps de temps à leurs activités sexuelles.
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Vivre avec les multithérapies
Les traitements interviennent aussi sur la sexualité (Maticka-Tyndale, Adam et Cohen, 2002). Dans notre échantillon, le désir sexuel et la fréquence d’activité varient davantage en fonction du type de symptômes que du statut de la relation. Les participants dans le groupe des asymptomatiques étaient plus typiquement sexuellement actifs, tandis que ceux dans le groupe des symptomatiques plus sévères ne l’étaient pas. Les autres se situaient quelque part entre les deux. Dans les relations sexuellement actives, les négociations se concentraient sur l’utilisation du condom. Tous étaient d’accord pour dire que les multithérapies n’avaient pas diminué le besoin d’utiliser des condoms. Il apparaissait clairement que les attitudes envers l’utilisation du condom avaient été établies avant le diagnostic et n’avaient pas changé avec les multithérapies. Plusieurs participants ont manifesté leurs inquiétudes au sujet des comportements à risque de certains de leurs partenaires : Il voulait avoir des relations sexuelles avec moi. Je me rappelle qu’il me disait : « Tu m’empêches de vivre l’expérience d’avoir des relations sexuelles avec quelqu’un de séropositif. » Je lui ai répondu : « Quel genre d’expérience est-ce que cela représente ? Je ne te comprends vraiment pas. » Et je ne comprends toujours pas, il n’a pas été capable de me l’expliquer. C’était le frisson du risque ou je ne sais trop. (groupe des asymptomatiques, homme)
Certains décrivent plus en détail les raisons pour lesquelles le condom demeure important : Certaines personnes pensent que les relations protégées sont moins importantes si tu es sous multithérapies parce que ta charge virale est réduite. Mais il y a toujours le facteur de surcontamination [réinfection avec une souche du VIH résistante aux médicaments]. Si tu mélanges du sang médicamenté avec du sang médicamenté, tu peux faire plus de tort que de bien. Alors je dis toujours à mes partenaires, même si on est tous les deux séropositifs, que je préfère avoir des relations protégées. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme)
Dans la plupart des cas, les pratiques sexuelles à moindres risques et l’utilisation du condom ne posent pas de problèmes ; elles sont intégrées sans hésitation dans la vie des participants : Je pense bien que nous avons quitté la clinique avec des condoms, ils en donnent toujours. C’est tout. Nous n’avions même pas à en discuter, nous savions tous les deux ce qu’il fallait faire. (groupe des asymptomatiques, femme) Avant que je ne me fasse hospitaliser, nous n’avions jamais utilisé de condom. [...] Maintenant j’utilise des condoms à chaque fois. Alors c’est un peu différent, mais nous nous sommes habitués. C’est encore agréable. (groupe des symptomatiques améliorés, homme)
L’utilisation des condoms dans les relations à plus long terme n’est pas toujours chose aisée. Souvent, les partenaires adoptent des formes différentes de relations à moindres risques, incluant des formes de plaisir sexuel qui ne requièrent pas de condoms :
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Les traitements antirétroviraux
Nous n’avons pas de relations anales, alors nous n’en avons pas vraiment besoin. Nous mettons cela de côté et nous trouvons d’autres façons de nous faire frissonner. Nous avons des relations orales et nous nous cajolons ou d’autres choses du genre. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme)
Ou encore les condoms sont utilisés dans des relations sans lendemain, mais pas dans la relation primaire quand les deux partenaires sont séropositifs. Dans certains cas, les condoms sont utilisés au début de la relation, puis l’usage en est discontinué : Il a eu les résultats en premier, et alors nous avons eu des relations protégées. Puis j’ai reçu mes résultats : nous avions des relations protégées au début et puis nous avons abandonné ça. Nous étions tous les deux séropositifs et nous étions ensemble depuis si longtemps. C’est difficile dans une relation de couple qui dure depuis longtemps. (groupe des symptomatiques plus sévères, homme)
Peu importe la méthode négociée, visant à assurer que les activités sexuelles soient sécuritaires, tous les participants sexuellement actifs s’inquiètent de la possibilité de transmettre le VIH à leur partenaire. Certains participants dans les groupes des symptomatiques moins sévères et plus sévères continuent à faire l’expérience d’un manque de désir et d’une diminution de la libido. Certains blâment les multithérapies. Certains sont moins affirmatifs : était-ce le VIH, les multithérapies, ou bien était-ce « dans leur tête » ? Plusieurs avaient été testés pour évaluer le taux de testostérone et recevaient un traitement pour augmenter ce taux considéré trop bas. Aucun ne rapportait d’effets positifs en termes d’augmentation du désir avec ce traitement : Non, maintenant je n’ai plus d’érections. Ce n’est pas une question de “ difficulté ” ; ça n’arrive pas, c’est tout. (groupe des symptomatiques moins sévères) Les traitements ont annihilé ma libido, mon désir sexuel. Moi, je voudrais bien..., mais il ne se passe rien. Je suis allé pour des tests. Le docteur E. a vérifié mon taux de testostérone et a confirmé qu’il était normal. Ce pourrait être relié à la médication. C’est peut-être dans ma tête. (groupe des symptomatiques plus sévères)
Les effets secondaires plutôt que les médicaments eux-mêmes sont perçus, dans certains cas, comme responsables de la baisse du désir ou de son absence : C’est très difficile parfois d’avoir des relations sexuelles parce que tu y penses, mais tu n’as pas vraiment le goût et tu n’as pas l’énergie ; et si tu as l’énergie, alors tu fais de la diarrhée ou tu ne te sens pas bien. Qui a envie d’avoir des relations dans ces conditions ? Je constate que je n’ai même plus envie d’avoir des relations sexuelles. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme)
Le manque de désir chez les participants de la catégorie des symptomatiques plus sévères affectait également l’activité sexuelle de ceux qui étaient dans
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les groupes des asymptomatiques et des améliorés impliqués dans des relations avec des partenaires dont les malaises étaient plus sévères. Bien que les partenaires asymptomatiques et améliorés se décrivaient comme éprouvant un désir sexuel, cet élan ne s’actualisait pas puisque leur partenaire ne ressentait pas de désir : Et le fait d’être dans une relation, c’est difficile, parce qu’on se demande : « Est-ce un bien ou un mal de ne pas avoir de relations sexuelles ? » Cette situation cause un grand nombre de problèmes dans la relation. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme)
Les participants qui vivent avec un partenaire qui désirerait avoir des relations sexuelles se questionnaient sur les implications de leur inactivité sexuelle pour leur relation, puisque les multithérapies pourraient augmenter considérablement leur longévité : Avant, ce n’était pas comme si j’allais vivre, j’étais si proche de la mort ! Je sais, j’y pense maintenant et je me dis : « Il faudrait que nous devenions plus actifs sexuellement parce que ce ne sera peut-être pas pour l’année prochaine ou même dans cinq ou dix ans. Ce pourrait être dans vingt ou trente ans, qui sait ? » Je dois vraiment y réfléchir et prendre cette situation en considération. Nous devons en parler et changer. (groupe des améliorés, homme)
4.1.2. Les célibataires Ce ne sont pas tous les participants de l’étude qui étaient engagés dans des relations stables. Certains espéraient que le fait de rester célibataires serait une situation temporaire seulement, mais plusieurs exprimaient de sérieux doutes quant à la possibilité de trouver un partenaire qui accepterait leur statut séropositif : Je dois continuer de croire qu’il y a quelqu’un qui pourra m’aimer dans l’avenir. Mais j’en doute. Les hommes ne peuvent tout simplement pas être en relation avec une femme séropositive. Mais il faut que je continue d’y croire. (groupe des symptomatiques plus sévères, femme)
Cependant, la plupart de ceux qui n’étaient pas dans une relation d’intimité déclaraient s’être engagés à rester célibataires. Certains parmi eux préféraient avoir des partenaires sexuels occasionnels plutôt que de s’engager dans une relation à long terme. Le plus souvent, les difficultés à trouver un partenaire combiné aux difficultés de révéler leur statut séropositif motivaient principalement leur préférence à rester célibataire. 4.1.3. Négociation de l’activité sexuelle Les célibataires sexuellement actifs se retrouvaient surtout dans le groupe des asymptomatiques. La discussion au sujet de leur activité sexuelle tournait autour de la question de révéler ou non leur statut séropositif. Une participante projetait ses propres sentiments initiaux envers les personnes vivant avec le VIH sur les réactions éventuelles des autres à son endroit :
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Spontanément, je pense que si je révèle à quelqu’un que j’ai le VIH, il va me percevoir comme une courailleuse ou une prostituée, mais je ne le suis pas. Je ne veux pas qu’on m’appose de telles étiquettes. Je pense que c’est la raison pour laquelle je ne veux pas m’impliquer dans une relation, parce que je devrais alors le dire. Ils vont finir par penser ça de moi parce que c’est ainsi que je me perçois. (groupe des symptomatiques moins sévères)
Plusieurs participants ont raconté des expériences de réactions négatives à la révélation de leur statut séropositif, ce qui venait confirmer leurs inquiétudes : Il a été très bousculé avec toute cette histoire de VIH. J’ai vraiment pensé que ce pourrait être une façon pour lui d’apprendre et j’ai tenté de lui faire voir que je ne suis pas seul dans cette situation. [...] Il a dit que tout était correct et que nous devions passer à travers. Et puis, deux semaines après, il m’a dit qu’il avait essayé, que j’étais quelqu’un de super, mais qu’il n’était pas capable de rester avec moi. (groupe des asymptomatiques, homme)
Pour plusieurs des participants, leurs inquiétudes au sujet de la réaction des autres à la révélation de leur statut séropositif motivent leur célibat, leur décision de devenir inactifs sexuellement ou celle de ne pas devenir actif sexuellement. Ils se décrivent comme se plaçant eux-mêmes en retrait, se rendant inaccessibles socialement, s’établissant des règles de conduite pour eux-mêmes, ou mettant un trait sur des liaisons sexuelles potentielles : Rencontrer des nouvelles personnes ? Je pense que je me rends inaccessible exprès. Je n’ai pas envie de me créer des problèmes. [...] Tu ne peux pas imaginer ce que c’est que de rencontrer quelqu’un et de te sentir attiré physiquement et tout, et d’avoir à leur dire, un jour : « Ah ! oui, tu sais, je suis séropositif. » C’est une chose très difficile à faire parce que tu ne sais jamais comment les gens vont réagir. Alors pourquoi mettre toutes mes énergies dans quelque chose qui peut tout simplement s’écrouler ? (groupe des asymptomatiques, homme) Il y avait un gars au travail que j’aimais bien. Il était amical avec moi et je lui rendais la pareille. Puis, un jour, je me suis dit d’oublier ça. Je me dis que si je commençais à le fréquenter régulièrement, alors je devrais lui dire à propos du VIH. [...] Et si les choses ne marchaient pas entre nous, il pourrait aller le dire à tout le monde. Comment est-ce que je peux savoir qu’il ne le dirait pas à tout le monde au travail ? (groupe des asymptomatiques, femme) Tu apprends réellement à jouer le jeu. Je sortais, je fréquentais des gens et je flirtais. Des amis que j’ai depuis dix-sept ans me taquinent parce qu’ils disent que je rentre toujours seul à la maison. « Tu les séduis et tu leur dis : “ Au revoir, à plus tard. ” » Je ne donne jamais mon numéro de téléphone. « Est-ce que tu veux sortir avec moi ? » « Non. » « Est-ce que je peux avoir ton numéro ? » « Non ». (groupe des améliorés, homme)
Certains évitent d’avoir à dévoiler leur séropositivité en utilisant toujours des condoms : Interviewer : En termes de fréquentations ou de rencontres occasionnelles, comment vivez-vous cela ?
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Je prends mes précautions, je fais des provisions de condoms.
Interviewer : Est-ce que vous le dites aux gens ? Non. Je me dis que si j’utilise une protection, alors je n’ai pas à le dire. (groupe des asymptomatiques, homme)
Même parmi les célibataires, plusieurs renoncent aux rapports sexuels précisément parce qu’ils ne sont pas prêts à exposer un partenaire à ce risque : Je ne pourrai plus jamais avoir de femmes dans ma vie, et j’ai toujours eu des femmes dans ma vie. C’est la chose la plus difficile à accepter. Je ne considérerais même pas la possibilité d’avoir des relations sexuelles avec une femme, parce que je ne veux pas. J’ai attrapé le VIH en ayant des relations non protégées [...] et je ne voudrais pas le transmettre à quelqu’un d’autre. Alors, ça fait trois ans que je n’ai pas eu de relations sexuelles. (groupe des améliorés, homme) Quelle expression avez-vous utilisée : « Plus sécuritaire ? », Vous n’avez pas dit juste « sécuritaire ». Jusqu’à ce que vous utilisiez le mot « sécuritaire », point final, je ne veux rien savoir. [...] Voilà pourquoi je suis célibataire. J’étais prêt à embrasser, à faire des choses du genre et à avoir de très bons amis, mais pas à avoir des relations sexuelles, mais ça, ça n’est pas suffisant. (groupe des améliorés, homme)
Comme pour ceux qui sont en relation de couple, le manque de désir compliquait la situation d’avoir des partenaires sexuels pour les célibataires des deux groupes symptomatiques (plus sévères et moins sévères). La plupart évoquaient cette seule raison pour ne pas poursuivre une relation.
4.2.
LA FAMILLE
Pour ceux qui ont traversé de longues périodes de maladie, les familles sont perçues comme particulièrement importantes, non seulement durant les périodes de crise, mais également dans le maintien d’un certain bien-être une fois les crises passées. Ce sont les participants du groupe des symptomatiques plus sévères qui s’expriment le plus à cet égard : En toute honnêteté, les personnes les plus importantes sont ma mère et mon père ; sans eux, je ne serais pas là. Ils ont été remarquables. Mes parents sont absolument incroyables, très forts. Vous savez comment les mères ont une façon de saisir au téléphone la moindre fluctuation dans votre voix, sachant immédiatement que quelque chose ne tourne pas rond. La mienne peut mettre le doigt dessus en moins de deux secondes ; il n’y a plus de cachotteries. Si je veux lui cacher quelque chose et que je ne l’appelle pas, elle a immédiatement la puce à l’oreille. Mes parents et ma famille sont vraiment remarquables. (groupe des symptomatiques plus sévères, homme)
Cette vision était reprise en écho par certains du groupe des améliorés qui considéraient leur famille comme un facteur important dans l’amélioration de leur état de santé :
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Les traitements antirétroviraux
Il y a des programmes qui m’aident pour la nourriture, qui m’aident avec tout, mais j’ai demandé au médecin où je pourrais vivre si j’avais besoin d’un lieu d’hébergement et que je n’avais pas de famille. Il m’a dit : « À l’hôpital. » [...] Sans ma famille pour s’occuper de moi quand j’étais si malade, je serais mort. (groupe des améliorés, homme)
Pour certains, un diagnostic de VIH a conduit éventuellement à une réconciliation avec des membres de leur famille avec qui ils entretenaient des relations tendues : Je réalise que j’ai souvent fait sortir mon père de ses gonds. Je m’en rends compte maintenant, mais à l’époque je pensais : « Qu’il me laisse tranquille ! » Je fais encore ça des fois, mais je sais davantage quand m’arrêter. Je ne réagis plus de la même façon avec lui – comme de m’énerver contre lui ; je m’énerve encore, mais je ne m’en prends plus à lui. Je vais en parler avec une autre personne. (groupe des asymptomatiques, femme) La seule relation que [le VIH] a changée, c’est la dynamique de la relation avec mon frère. Nous avons seulement onze mois de différence, et c’était toujours la guerre entre le grand frère et le petit frère. Mais maintenant, ce n’est plus comme ça. Nous sommes comme le jour et la nuit. Il m’appelle pour me dire bonjour et si je ne fais pas l’effort de parler, la conversation s’arrête là. Il n’est pas bavard, mais au moins il appelle. En fait, il ferait n’importe quoi pour moi. (groupe des symptomatiques plus sévères, homme)
Pour ceux dont l’implication de la famille est importante, les activités de la vie quotidienne sont souvent partagées en famille, même quand il y a la présence du partenaire : [Mon partenaire] vient d’une famille nombreuse, lui aussi. Je pense qu’ils sont 11 frères et sœurs. Ils habitent tous dans cette région. J’ai de la chance parce qu’ils m’acceptent et me traitent comme je l’aurais souhaité. Je passe le plus clair de mon temps avec eux. Un jour, c’est avec les enfants, et un autre jour, l’un d’eux m’invite pour un repas, et durant la fin de semaine on est toujours ensemble. (groupe des symptomatiques plus sévères, homme)
Ce ne sont pas tous les participants, cependant, qui rapportent de bonnes relations avec la famille. Certains étaient rejetés à cause du VIH ou de leur orientation sexuelle. Il y avait également ceux qui n’avaient pas révélé leur statut séropositif à leur famille, ou à certains membres de leur famille, par peur du rejet. L’absence de dévoilement à la famille (aussi bien qu’aux amis et aux employeurs) était d’ailleurs la situation la plus courante chez les participants hétérosexuels. Cependant, dans certains cas, les personnes gaies et lesbiennes faisaient face, également, à certaines difficultés dans leurs rapports avec les membres de leur famille. Un homme, issu d’une famille de 12 enfants, qualifiait négativement la réaction générale de sa belle-famille à son statut séropositif : Les membres de la belle-famille sont les pires. Interviewer : Dans quel sens ?
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Vivre avec les multithérapies
Par exemple : « Ne touche pas à mes enfants. » Ou encore : « Si tu t’approches trop près, je vais l’attraper. » Beaucoup de peurs. (groupe des améliorés)
La crainte n’est pas associée seulement au VIH, mais également à l’homosexualité : « Il y a environ un an, une de mes belles-sœurs a trouvé son fils en train de faire des attouchements avec un ami et elle a dit : « Tu veux devenir comme ton oncle ? » (groupe des améliorés) Les enfants devenus adultes peuvent aussi servir de source de soutien : J’ai deux fils qui sont grands ; ils me soutiennent beaucoup. Mon plus jeune vit à Windsor et je le vois au moins une fois par semaine. Il m’appelle et s’assure que j’ai pris mes médicaments. Celui qui vit à Toronto me téléphone une fois par semaine, mais il ne m’appelle pas tous les jours pour me demander si j’ai pris mes médicaments. Il veut juste prendre de mes nouvelles. (groupe des symptomatiques plus sévères, femme)
Pour les participants qui ont de jeunes enfants, le fait de passer du temps avec eux représente un changement dans leur vie quotidienne perçue comme relativement routinière et prévisible. Un homme dont la santé s’est améliorée a choisi de ne pas retourner sur le marché du travail, mais de prendre plutôt soin de ses enfants : Je m’occupe de nos deux enfants – dont un qui n’est pas mon enfant biologique –, ce qui représente beaucoup de travail. Je nettoie sa maison (celle de mon ex-épouse), je lave la vaisselle et j’accomplis toutes les autres tâches qu’une mère ferait. C’est aussi exigeant que d’avoir un emploi. (groupe des améliorés)
4.3.
LES AMIS
Les recherches antérieures ont souligné l’importance des amis pour le soutien à la fois émotionnel et physique (Weitz, 1990 ; Adam et Sears, 1996), particulièrement durant les périodes de maladie. Cependant, pour les participants de l’étude actuelle, les amis ne semblent pas jouer un rôle pivot et avoir beaucoup d’importance dans leur vie. Interrogés sur leurs contacts avec des amis et sur le rôle que ceux-ci remplissent, la plupart les décrivent principalement dans un contexte de loisirs. Je passe beaucoup de temps avec mes amis, mais ils ne savent pas tous que j’ai le VIH. Je joue au golf avec des amis pour me détendre et oublier un peu ce qui m’arrive. Je vis ma vie au jour le jour comme si j’étais normal, dans le sens que je m’éloigne des relations, des amitiés physiques, mais non pas des simples amitiés. Chaque jour, je rencontre des nouvelles personnes ; j’ai beaucoup de connaissances et je considère bien des gens comme de très bons amis. (groupe des améliorés, homme) Je sors avec mes amis deux ou trois fois par semaine. Nous allons boire. [...] L’autre samedi soir, nous nous sommes retrouvés au casino et nous avons joué au blackjack. Nous allons au cinéma, ou nous nous réunissons parfois chez des gens pour jouer aux cartes. (groupe des améliorés, homme)
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Les traitements antirétroviraux
Certains décrivent de manière spécifique comment ils se sont « extirpés » de certaines de leurs relations d’amitié, soit parce qu’ils ont modifié le style de vie qui les a amenés à devenir infectés, soit parce qu’ils ne veulent pas imposer à leurs amis les difficultés qu’eux-mêmes éprouvent à vivre avec le VIH : Les amis que j’avais n’étaient pas de très bons amis. Ils tramaient des intrigues, jouaient à des jeux ; il y avait trop de manigances à mon goût, de sorte que j’ai simplement coupé les ponts : je n’ai pas d’amis homosexuels, mais mon partenaire, lui, en a. (groupe des améliorés, homme) À un certain point, j’ai pensé que ce serait plus facile pour moi de disparaître de cette façon plutôt que de placer les gens dans des situations difficiles, ou encore de couper les ponts : si quelque chose m’arrivait, ce serait plus facile pour eux à long terme. Et ce serait plus facile pour moi parce que je n’aurais pas à faire face aux gens, à donner des explications, alors je me suis beaucoup isolé. (groupe des symptomatiques plus sévères, homme)
Par ailleurs, certains autres, parce qu’ils éprouvent de la honte au sujet de leur statut séropositif, ne veulent pas que leurs amis l’apprennent : Parce que j’ai vraiment honte de cette maladie. Alors je ne sors pas souvent. Je me sens très mal à l’aise à ce sujet et je veux que personne ne sache que j’ai cette maladie. Je me sens humilié et moins les gens en sauront, mieux ça vaudra. (groupe des améliorés, homme)
Parmi ceux qui maintenaient des contacts réguliers avec des amis, on constatait une variation considérable dans le fait de révéler ou non la séropositivité. Les amitiés n’étaient pas seulement occasionnelles ou liées aux activités de loisirs. Pour certains, l’amitié représentait une forme importante de soutien : J’ai de la chance. [...] J’ai beaucoup d’amis et de membres de ma famille qui me soutiennent si je passe une mauvaise journée ou si je pleure. Ils m’écoutent. Je vois mes amis plusieurs fois par semaine. Des fois pour le dîner, des fois juste pour dire bonjour. (groupe des symptomatiques plus sévères, femme)
Pour certains participants, les amis représentaient un point d’appui durant les périodes de maladie. Les relations entre amis pouvaient se transformer de relations entre pairs, qui partageaient des expériences et « du bon temps », en relations de dépendance pour assurer un soutien quotidien. Revenir ensuite à un statut d’égalité pouvait être parfois difficile : les amis, ne pouvant pas toujours faire la transition, cherchent parfois à maintenir leurs rôles et leur position d’aidants. Revenir « à simplement être de bons amis » n’était pas facile et, dans certains cas, ne se faisait pas de façon satisfaisante. Une participante, qu’une amie avait prise en charge chez elle au moment de son déménagement de l’autre bout du continent à Windsor, s’est rendue compte que, au fur et à mesure que sa santé s’améliorait, cette amie ne pouvait pas faire la transition entre deux rôles : s’occuper d’une amie mourante puis être en relation avec une personne dont la vie se prolongeait, grâce aux multithérapies.
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Vivre avec les multithérapies
Elle est tellement occupée. La dernière fois, elle est venue me voir et m’a dit : « Pourquoi tu ne m’appelles jamais ? » et je lui ai dit : « Je pensais que tu en avais marre de me voir. J’attendais de te manquer. » J’ai pensé qu’on passerait beaucoup plus de temps ensemble. Je pensais qu’on irait au cinéma et qu’on irait dans les magasins, mais ça ne s’est pas passé comme ça. La réalité s’est révélée différente des projets que nous avions faits ensemble. Mais je suis reconnaissante pour ce qu’elle a fait. (groupe des symptomatiques plus sévères).
Il est rare pour les femmes et les hommes hétérosexuels de révéler leur séropositivité à leurs amis. Ceux qui la cachent soulignent particulièrement la crainte d’être stigmatisés et une incertitude quant aux réactions de leurs amis. De façon assez typique, ils décrivent leur détachement à l’égard de leurs anciennes amitiés, et leur sentiment d’être laissés pour compte par leurs amis qui « continuaient leur chemin » en les laissant derrière : Interviewer : Combien de fois voyez-vous vos amis ? Ces derniers temps, ça a été difficile. Une amie avec laquelle je sortais tout le temps, je ne la vois presque plus. Je suis sortie avec une autre amie hier soir. Je trouve que je n’ai plus grand-chose en commun avec aucune des deux. C’est comme si elles changeaient. Je commence à sentir qu’on va dans des directions différentes. Elles sont mariées et ont des enfants, et j’ai le sentiment qu’elles ont toujours « quelqu’un » avec elles. (groupe des asymptomatiques, femme)
Cette femme décrivait ainsi son dilemme : devait-elle décider de révéler ou non son statut séropositif ? Elle avait le sentiment que le fait de garder secret son statut créait une barrière entre elle et ses amies, mais elle se sentait aussi très peu sûre quant aux conséquences possibles de sa révélation. Pour certains qui avaient des difficultés à entrer en contact avec d’autres personnes, Internet leur a fourni non seulement une source d’information, mais également un réseau d’amitiés. Un homme hétérosexuel s’est ainsi trouvé des amis à travers un réseau gai : Parce que je n’arrivais pas à trouver des gens à qui parler, j’ai navigué sur Internet et j’ai trouvé des salles de chat gai et j’ai commencé à parler à des homosexuels qui étaient plus réceptifs au VIH et qui avaient plus de connaissances en général. Tu peux vraiment parler à quelqu’un dans la salle de chat et dire : « J’ai le VIH, mais je ne suis pas homosexuel. » J’y ai découvert plus que de l’information. J’ai trouvé des amis, j’ai rencontré des gens très sympathiques. En fait, certains d’entre eux ont même voyagé jusqu’ici pour me rencontrer, l’un venant d’Australie et l’autre de Calgary. (groupe des améliorés)
Les personnes séropositives peuvent également offrir leur expertise sur Internet : Je navigue sur Internet, dans une salle de chat de soutien VIH, ce qui est vraiment extraordinaire. On n’y parle pas « d’ordures ». Je peux vraiment aider les gens et discuter avec eux de la façon de gérer les sentiments, les
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Les traitements antirétroviraux
expériences, les réactions aux médicaments. Je sais que beaucoup de gens apprécient mes interventions et j’ai préparé des questionnaires auxquels les gens répondent sur Internet. Une personne m’a dit utiliser l’information que je donne dans ses travaux universitaires et obtenir de bonnes notes. C’est ainsi : être là pour quelqu’un et en parler, parler de ce que les médicaments font, parler du fait que peut-être tu devras prendre les médicaments pour le reste de ta vie, mais que ta vie peut en valoir la peine. (groupe des améliorés)
5.
ASSOCIATIONS ET GROUPES DE SOUTIEN
Les groupes de soutien constituent une des forces des organisations sida, fournissant une place où les personnes vivant avec le VIH peuvent en rencontrer d’autres qui font face aux mêmes dilemmes : ces personnes peuvent développer éventuellement des amitiés ou rencontrer des personnes significatives. Plusieurs participants étaient actifs dans ces réseaux de soutien et dans les organisations sida : grâce à ces groupes, ils avaient réussi à changer leur vie pour le mieux : Le VIH a changé ma relation avec mes amis. Beaucoup des amis que j’ai maintenant, je les ai rencontrés parce que j’ai le VIH, à travers mes activités de volontaire au comité sida et je connais tout le monde là-bas. J’ai perdu beaucoup d’amis parce que je suis séropositif. Mais je pense qu’ils n’étaient peut-être pas de véritables amis au point de départ, sinon nous serions encore des amis. Mais je m’en suis fait plusieurs nouveaux. (groupe des symptomatiques plus sévères, femme) Les rencontres du groupe de soutien duraient deux heures. C’est incroyable ce qu’elles apportent à ma vie. Ça nous donne la chance de parler de ce qui nous arrive, par exemple, si on avait des problèmes avec nos médicaments ou avec nos médecins. (groupe des symptomatiques plus sévères, homme)
Toutes les femmes que nous avons interviewées espéraient trouver un groupe de soutien pour femmes « comme elles ». L’une d’entre elles qui avait passé sa jeunesse dans une ville où vivaient un grand nombre de femmes séropositives et où s’étaient constitués plusieurs groupes de soutien avait essayé de créer un groupe à Windsor, mais le petit nombre de femmes séropositives dans la région rendait cette initiative difficile à réaliser. Deux femmes dans le groupe des asymptomatiques qui travaillaient à temps plein ont parlé de leurs difficultés à participer au groupe de soutien après une longue journée de travail ou à trouver un groupe de femmes qui travaillaient comme elles le faisaient : Au tout début, j’ai ressenti le besoin de trouver un groupe de soutien. L’infirmière qui travaillait à la clinique m’a fait savoir que beaucoup des groupes de soutien existants n’avaient pas beaucoup de choses en commun avec nous [...] J’espérais trouver un groupe de soutien avec des gens éduqués et professionnels avec emploi, mais je ne suis pas sûre qu’il existe un tel groupe. (groupe des asymptomatiques, femme)
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Vivre avec les multithérapies
Cependant, tous n’ont pas une expérience positive des groupes de soutien. Certains les décrivent comme des lieux d’énergie négative regroupant des personnes qui se plaignent et comparent leurs expériences au sujet des médicaments plutôt que de faire face à leur vie : Avant j’y allais, mais je ne les aime pas. Lorsque je vivais chez mes parents et que je ne travaillais pas, j’essayais de sortir et de rencontrer des gens. Tout ce que j’entendais, c’étaient des plaintes, des plaintes constantes, alors je me suis désisté. Dans mon cas, je suis tombé malade, j’ai obtenu les médicaments dont j’avais besoin, je suis allé à la clinique le lendemain, il y avait des infirmières qui venaient me voir, tous mes médicaments étaient couverts. Alors je pense qu’il faut passer outre et arrêter de mettre le blâme sur les autres pour ce qui t’arrive. (groupe des améliorés, homme)
Pour la plupart des participants, le fait de vivre avec le VIH s’est plutôt normalisé. Ils prennent leurs médicaments et vivent leur vie. Dans la situation actuelle, il n’est plus nécessaire de devoir prendre des décisions de fin de vie ou de maladie grave, ou encore de chercher des nouvelles thérapies, ce qui était le lot des séropositifs au début de l’épidémie. Plusieurs des participants vivent des vies semblables à celles de leurs voisins, ou du moins de ceux qui souffrent d’une maladie chronique. Comme l’a fait remarquer l’un des participants : « Quelle est la différence avec les gens qui ont subi une crise cardiaque et qui doivent prendre leurs médicaments ? » (groupe des améliorés, homme) La prise de médicaments n’est cependant pas sans poser des problèmes d’adaptation complexes que nous cernerons à présent.
6.
PRISE DES MÉDICAMENTS
Une partie importante de la littérature scientifique fait état implicitement d’un modèle où le patient ne comprend pas l’importance de l’adhésion au traitement, et regroupe les personnes vivant avec le VIH en deux catégories : les « adhérents » et les « non-adhérents ». Les entrevues démontrent ici les limites de ce modèle (Adam, Maticka-Tyndale et Cohen, 2003). Les difficultés liées à l’adhésion au traitement proviennent souvent des exigences irréconciliables imposées par les horaires en ce qui concerne le travail, les différentes prises de médicaments, les restrictions alimentaires, et même, dans le cas de la politique d’immigration des États-Unis, une discrimination ouverte. L’adhésion au traitement peut résulter de compromis faits dans un effort pour trouver une solution aux exigences contradictoires, peut-être circonstancielles et reliées tant aux caractéristiques de certains médicaments qu’aux traits de personnalité.
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180 6.1.
Les traitements antirétroviraux
AJUSTEMENT DE LA DOSE ET MODIFICATIONS DES RÈGLES ALIMENTAIRES
Les différentes exigences concernant la prise de médicaments et l’alimentation incitent les personnes sous traitement à simplifier des horaires souvent irréconciliables. Compte tenu, par exemple, des difficultés liées à la dose du milieu de la journée, il n’est pas surprenant que le changement de dose le plus courant soit de passer de trois fois à deux fois par jour, changement fait de concert ou non avec le médecin, soit en privilégiant des médicaments prescrits deux fois par jour, soit en prenant deux fois par jour seulement des médicaments prescrits trois fois par jour. Dans certains cas, les contraintes concernant l’alimentation poussent les personnes sous traitement à prendre une fois par jour des médicaments prescrits deux fois par jour. Comme l’explique ce participant : La chose la plus difficile avec les nouvelles thérapies, c’est que le Videx doit être pris à jeun, c’est-à-dire que tu ne peux pas manger deux heures avant de le prendre et une heure après. Tu dois vraiment le prendre au bon moment. Au début, je le prenais le matin en me levant parce que je n’avais rien dans le ventre, donc c’était facile. Mais alors je me retrouvais dans la situation où je ne mangeais pas avant plus tard dans la journée et c’était trop dur. J’aime beaucoup le petit déjeuner. Alors j’ai changé un peu l’horaire et je le prends maintenant le soir, ce qui est mieux, parce que, de toutes les façons, je ne veux pas manger avant de me coucher. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme)
Un jeûne forcé de six heures chaque jour était trop difficile à intégrer dans la routine pour plusieurs des participants. Ils ont alors modifié la prise de tous leurs médicaments pour les prendre une fois par jour afin de répondre aux exigences alimentaires. Pour éviter que ces résultats ne soient interprétés comme une consigne qu’il vaudrait mieux prendre les médicaments moins souvent, il faut noter que plusieurs participants ont aussi mentionné qu’ils ont changé leur prise de médicaments d’une fois par jour à deux fois par jour pour en minimiser les effets secondaires. Plusieurs personnes sous Sustiva ont indiqué que lorsqu’elles prenaient les médicaments trop près de l’heure du coucher, elles faisaient des « cauchemars et des rêves bizarres », et qu’elles se sentaient fébriles lorsqu’elles les prenaient le matin. Une solution apparemment efficace à ce problème était de prendre les médicaments à deux moments différents de la journée. L’ajustement des doses se produit essentiellement en réaction à des horaires conflictuels, à des effets secondaires et à des restrictions alimentaires. Tandis que certains médicaments requièrent d’être à jeun pour en maximiser l’efficacité, d’autres sont plutôt à prendre avec de la nourriture pour augmenter la tolérance gastro-intestinale. Dans certains cas, les conflits d’horaires sont résolus en prenant tous les médicaments à jeun. Comme l’exprime un des participants : « Je sais que nombreux sont ceux qui ont de la difficulté avec les médicaments. Pour ma part, j’ai un estomac de fer. »
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Vivre avec les multithérapies
Ceux qui ne sont pas dotés d’une telle constitution absorbaient des quantités réduites d’aliments pour minimiser les douleurs stomacales, la nausée et la diarrhée. Pour la plupart, les exigences alimentaires étaient respectées en mangeant des aliments à faible teneur en gras, comme des fruits ou des biscuits. Dans d’autres cas, certains avaient tendance à faire des entorses aux restrictions alimentaires afin d’atténuer le goût des médicaments. De plus, un des participants note la contradiction entre la règle alimentaire qui interdit la prise de nourriture pour au moins six heures et la recommandation de contrôler la nausée et le syndrome de dénutrition (wasting syndrome) en mangeant plusieurs petits repas pendant la journée.
6.2.
EFFETS SECONDAIRES
Nous nous devons d’insister de nouveau sur le fait que la plupart des participants démontraient une forte adhésion au traitement malgré les effets secondaires. Pour d’autres, cependant, les effets secondaires constituent un obstacle majeur à l’adhésion au traitement : Disons que tu t’es levé tard le matin parce tu n’as pas réussi à te réveiller tôt à cause de la fatigue ou parce que tu te sens malade, la dernière chose que tu veux, c’est de prendre une dizaine de médicaments. Il y a des jours où tu te dis : « Tant pis ! » Et puis tu ne les prends pas. [...] Tu les regardes et tu sais que ça va goûter dégueulasse et que tu vas avoir des brûlures d’estomac et une indigestion et tu te dis : « Aujourd’hui, c’est non ! » Alors tu sautes une dose. Ce n’est pas correct, mais on le fait tous. (groupe des améliorés, homme)
Un autre participant exprime un sentiment semblable : Pourquoi est-ce que tu voudrais avaler quelque chose qui te fait sentir pire qu’avant ? C’est vraiment déprimant. Voilà comment je dois vivre le restant de ma vie, à prendre ces maudits médicaments... Je voudrais m’enfouir sous les couvertures et y rester pour le restant de mes jours. Je me sentais mal à ce point-là. [...] C’est difficile de continuer à les prendre quand tu te sens tellement mal. [...] Je sautais une dose par-ci par-là. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme)
Mais plusieurs persévèrent : Pendant deux mois, je n’étais plus capable de les prendre parce que j’avais des migraines et je vomissais tout le temps. Mais en dehors de cette période, je les prends toujours à temps et je suis très assidu dans ma prise des médicaments. (groupe des symptomatiques moins sévères, homme)
Certains participants expriment de la détresse par rapport aux changements physiques apparents causés par la lipodystrophie. Certains prennent de la THC (Tétrahydrocannabinol) sous prescription ou consomment illégalement de la marijuana pour minimiser les effets secondaires.
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Les traitements antirétroviraux
Le Ritonavir semble poser des problèmes particuliers : Je n’avais pas toujours bien pris mon cocktail antérieur. J’avais l’habitude de regarder les flacons de Ritonavir et je me disais : « C’est toi l’ennemi parce que tu me fais chier dans mes culottes », mais j’ai toujours réussi à tout avaler pour voir ce qui allait se passer. (groupe des symptomatiques plus sévères, homme)
Dans d’autres entretiens, on parle du Ritonavir comme d’un médicament « horrible », « très amer », « dégoûtant », un « poison liquide », « dégueulasse et fétide ». Certains disent : « Je le déteste » et « Rien que d’y penser, ça me donne envie de vomir. » Un seul parmi les participants mentionne que le goût ne le dérange pas. Certains essaient de masquer ce goût avec du lait au chocolat ; un autre suce un glaçon pour engourdir sa bouche afin de pouvoir tolérer le Ritonavir. La majorité des participants déclarent qu’ils maintiennent leur adhésion au traitement malgré cette situation. Cette affirmation tendrait à soutenir l’hypothèse que les divers médicaments pour le traitement du sida pourraient sans doute être reliés à des profils différents d’adhésion. En même temps, il est intéressant de noter qu’il n’existe pas un pattern unique d’effets secondaires ; en fait, il existe une grande variabilité dans le vécu à cet égard. Six des 35 participants dans cette étude rapportent n’avoir eu aucun effet secondaire. L’un d’eux remarque : « Je pensais que c’était de la rigolade, tous ces effets secondaires. Pour moi, tout se passait sans anicroches. » (groupe des symptomatiques plus sévères, homme)
6.3.
DÉPRESSION
Dans les recherches, la dépression, définie par une humeur triste ou négative, constitue un facteur fréquent associé à l’adhésion au traitement (Ferrando et al., 1996 ; Singh et al., 1996 ; Gordillo et al., 1999 ; Holzemer et al., 1999 ; Kalichman, Ramachandran et Catz, 1999 ; Singh et Berman, 1999). Ce facteur est également associé aux pratiques du sécurisexe (Adam, Sears et Schellenberg, 2000). Cette catégorie floue inclut souvent des préoccupations existentielles à l’égard de soimême et de son avenir. L’importance que prend l’adhésion au traitement et le recours à des pratiques sexuelles sécuritaires reposent sur le principe de l’autopréservation pour un futur meilleur, et se retrouvent donc dans les récits autobiographiques qui offrent une description de soi qui se veut cohérente et pleine de sens. Dans les situations où ce principe de base est manquant, l’adhésion au traitement peut perdre sa raison d’être et, dans certains cas, des comportements autodestructeurs peuvent survenir. Le fait de donner un sens à la vie peut sans doute expliquer un autre résultat de recherche qui montre que le « soutien social » est associé à une meilleure adhésion au traitement et un taux de survie plus élevé (Gordillo et al., 1999). L’un des participants explique cette connexion entre son expérience de rejet par des hommes qu’il désire et l’adhésion au traitement :
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Vivre avec les multithérapies
Il y a des fois où je me suis dit : « C’est fini, je ne les prends plus. Peut-être que je devrais laisser la nature suivre son cours. » Dans ces moments-là, je me sentais déprimé et pas aimé. Puis tu rencontres quelqu’un, tu lui dis [que tu es séropositif] et il ne veut plus rien savoir de toi. Je voudrais bien avoir une relation à un moment donné dans ma vie. Mais je pense que c’est impossible pour moi en ce moment. Quand les gens apprennent la vérité sur ta santé, ils ne veulent plus rien savoir. (groupe des asymptomatiques, homme)
Un autre participant décrit les dilemmes existentiels qui influencent sa décision de prendre ses médicaments de façon régulière : Pendant quelques jours, j’ai complètement oublié de prendre mes médicaments. J’étais déprimé d’avoir omis de prendre ces doses. [...] Mon oubli était la manifestation d’un ensemble de situations complexes. Après avoir oublié une dose, je me disais : « Prends-les quand même jusqu’à ce que tu prennes ta décision. Si tu ne t’es pas encore décidé, tu veux quand même garder toutes les chances de ton côté dans le cas où tu décides que la vie vaut le coup d’être vécue, alors tu dois continuer à les prendre. » Alors je recommençais à les prendre et, une semaine après, j’oubliais encore. Interviewer : Y a-t-il autres choses qui rendaient difficile pour toi le fait de continuer à prendre tes médicaments, de savoir que tu les as pris et pris à temps ? Absolument, la décision fondamentale de vivre ou de mourir. Je crois fermement que si tu n’as pas pris une décision sérieuse, [...] te regarder dans la glace et te dire : « J’y ai pensé, je veux être ici, je vais vivre... et voilà, ce que je dois faire. » Ou alors faire un examen intérieur et dire à tes amis : « Je ne prends pas les médicaments, je vais mourir. » Tant que tu n’as pas pris la décision consciemment et concrètement, tu n’as pas encore pris d’engagement envers toi-même. (groupe des asymptomatiques, homme)
D’autres participants exprimaient des sentiments similaires dans les entrevues et l’un d’eux a établi un lien direct entre sa fidélité au traitement et le fait « qu’il soit heureux d’être vivant ». La question de l’efficacité des médicaments influe aussi sur l’adhésion au traitement.
6.4.
EFFICACITÉ
Les résultats de la présente recherche reflètent le fait que la fidélité au traitement est influencée par la croyance en l’efficacité du médicament (Aversa et Kimberlin, 1996 ; Smith et al., 1997 ; Rabkin et Chesney, 1999). C’est l’un des premiers principes du modèle des croyances en ce qui concerne la santé (Health Belief Model ; Horne et Weinman, 1998 ; Williams, 1999). Par ailleurs, il existe peu d’explications dans la littérature sur l’origine de ces croyances. La perception de l’efficacité d’un médicament peut changer avec le temps, selon l’expérience subjective, des résultats aux tests médicaux, des reportages dans les médias, des commentaires de médecins et des opinions des amis, de la famille et d’autres
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Les traitements antirétroviraux
personnes qui prennent les mêmes médicaments. Le raisonnement qui aboutit à une évaluation de l’efficacité est peut-être l’aspect le plus intéressant de ce processus. Un participant parle de l’influence des films, des médecins et de l’expérience subjective pour en arriver à une décision concernant l’efficacité et, donc, l’importance de prendre régulièrement les médicaments et selon les horaires : J’ai vu des films montrant des gens en traitement, j’ai vu des gens atteints du sida, et je me suis dit : « Pourquoi est-ce que je prendrais des médicaments qui vont me rendre malade comme ça tous les jours ? » Alors ça m’a découragé et j’ai dit : « Je ne les prendrai pas. » Le docteur A. m’a dit : « Si je te prescris un médicament qui ne te rendra pas trop malade, le prendras-tu ? » J’ai répondu : « D’accord, je vais essayer, mais si je suis malade, on oublie ça. » [...] J’ai passé un test de charge virale seulement un mois plus tard et elle avait baissé de 90 % et mon taux de CD4 a doublé. Alors ces pilules, ça marche vraiment ! (groupe des améliorés, homme)
Pour certains, l’efficacité des médicaments peut se démontrer facilement et de façon convaincante : J’ai commencé à les prendre il y a presque trois ans et ma vie a changé de direction en moins de six semaines. [...] Au test sanguin suivant, ma charge virale est devenue indétectable et mon taux de CD4 a augmenté durant les trois mois suivants ; puis durant six autres mois, le taux est resté au même niveau et ensuite il a commencé à grimper de plus en plus haut. [...] J’ai regardé mes médicaments et je me suis dit : « Oh ! ces petites pilules vont faire ceci et faire cela. » Et ça a marché. Tu les regardes et tu te dis que ça change tout. [...] Si je dois les prendre, je m’assure de les prendre à temps. Point final. Je les vois maintenant comme l’essence qui continue de me faire avancer. (groupe des améliorés, homme).
La confiance dans l’autorité de la science et la médecine peut être ellemême suffisante pour se traduire dans une détermination pragmatique d’employer les médicaments de la façon la plus efficace possible : Je suis probablement une des personnes les plus fidèles au traitement. Je réalise pleinement que si ce n’était pas des médicaments et de la sagesse de mon médecin, je serais déjà mort. (groupe des symptomatiques plus sévères, homme) Je pense que prendre des pilules deux fois par jour, c’est mieux que de transpirer à mort, puis de mourir. (groupe des asymptomatiques, homme)
Il va sans dire que ce ne sont pas tous les participants qui croient en l’efficacité des traitements. Malgré les reportages dans les médias de recouvrement miraculeux de la santé chez des personnes atteintes de sida grâce à l’utilisation des inhibiteurs de protéase, les entretiens révèlent un large éventail de réactions aux multithérapies. Tandis que certains font état d’une petite ou d’une grande amélioration, l’état de santé d’autres participants reste au même niveau ou peut même empirer. Pour faire partie de cette étude, les participants devaient être sous traitement avec des multithérapies ou avoir récemment été sous traitement avec des multithérapies. Ceux qui ont refusé d’être sous traitements antirétroviraux
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Vivre avec les multithérapies
hautement actifs (Highly Active Antiretroviral Therapy ou HAART) ne sont pas inclus dans cette étude. Cependant, certains sous multithérapies expriment eux-mêmes des doutes à leur égard : Avant, je ne suivais vraiment pas bien la thérapie, mais ça va mieux. J’ai constamment le goût des pilules dans la bouche, et je sais que les pilules sont en train de me tuer. Je dis ça à tout le monde. Je sais qu’elles sont mauvaises pour le foie et pour bien d’autres choses – mais c’est le prix à payer. [...] J’ai arrêté les médicaments pendant une semaine quand je suis allé à Cuba et je me suis senti en pleine forme. (groupe des symptomatiques plus sévères, homme)
Plusieurs participants évaluent les HAART sur la base de leur expérience personnelle avec le Zidovudine ou des commentaires de leurs amis sur cette thérapie ou encore des comptes rendus dans les médias. Parmi ces participants, la plupart comparaient leur perception de l’inefficacité de ce dernier avec leur perception positive de l’efficacité des multithérapies, bien qu’ils n’aient eu qu’une brève expérience ou encore aucune expérience avec le Zidovudine en monothérapie. Leurs remarques mettent en relief le fait qu’il ne faut pas concevoir l’adhésion au traitement comme simplement un attribut global ou personnel, puisque chacun des médicaments a une réputation publique et personnelle, qui sous-tend les croyances reliées à leur efficacité et à leur importance.
6.5.
AIDE-MÉMOIRE
Plusieurs des participants ont fait part de certaines des méthodes qui les ont aidés à respecter les horaires de prise de médicaments. Certains conservaient les médicaments dans des endroits visibles, comme la table de cuisine, ou avec les céréales et le café du matin. Quelques-uns utilisaient des avertisseurs ou des alarmes de montre, mais la plupart de ceux qui avaient essayé cette méthode sonore l’avaient abandonnée, la trouvant trop intrusive, la sonnerie se faisant entendre parfois à des moments plutôt inopportuns. Dans certaines situations, les membres de la famille aident au respect de l’horaire dans la prise des médicaments, comme l’exemple de l’épouse qui appelle au travail son mari. Mais les membres de la famille peuvent aussi agir comme une barrière à l’adhésion au traitement, particulièrement dans le cas où le partenaire a des horaires différents de prise de médicaments. Ainsi, un participant a dû modifier son horaire pour s’adapter aux exigences alimentaires de son partenaire : Il est diabétique et il doit manger à une heure qui est en conflit avec mon propre horaire : manger très tard est mauvais pour lui et, pour moi, c’est mieux de manger plus tard, alors maintenant que je prends ce médicament, ça rend les choses plus faciles. (homme)
Les obstacles à l’adhésion au traitement peuvent aussi relever de contraintes administratives liées à la proximité des États-Unis et ses lois concernant les mouvements migratoires.
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Les traitements antirétroviraux
PASSAGES DE LA FRONTIÈRE AMÉRICAINE
La plupart des Canadiens vivent à moins de 80 kilomètres de la frontière des États-Unis qui ont une politique ouvertement discriminatoire envers les personnes séropositives. Comme les douaniers américains n’ont aucun moyen de détecter qui sont les personnes séropositives, cette politique est appliquée aux personnes qui transportent des médicaments contre le VIH, et elle fonctionne ainsi non pas comme une barrière contre le virus, mais plutôt comme un obstacle au traitement. Pour ceux qui doivent souvent passer la frontière, soit pour se rendre au travail ou retourner chez eux, cette situation peut compromettre, dans le but d’éviter l’inspection douanière, l’adhésion aux traitements. D’autres encore interrompent leur traitement pour voyager aux États-Unis sur de courtes périodes seulement, risquant ainsi de développer une résistance immunitaire. Les politiques d’exclusion du gouvernement américain en ce qui a trait au passage aux frontières des personnes séropositives et, jusqu’à très récemment, la non-reconnaissance des couples de même sexe en vertu des lois de l’immigration, ont servi à maintenir des couples séparés, à les forcer à vivre illégalement dans l’un ou l’autre pays, à rendre les voyages entre le Canada et les États-Unis, que ce soit pour le travail, les soins médicaux ou des raisons familiales, difficiles et anxiogènes. Chacun des partenaires courait ainsi le risque de se faire « étiqueter » à chaque passage de la frontière. L’immigration du partenaire canadien devenait plus difficile à cause du statut séropositif, ce qui impliquait des passages fréquents aux frontières pour maintenir le travail et les relations, et ce malgré les risques. Par exemple, un homme du groupe des asymptomatiques a quitté son travail et s’est inscrit à un programme gouvernemental pour personnes handicapées ; il a réduit le nombre de ses voyages au Canada et ne quittait sa résidence « illégale » aux États-Unis, où il habitait avec son partenaire, que pour des visites médicales au Canada. Un autre homme du groupe des asymptomatiques qui travaillait au Canada, mais avait un partenaire aux États-Unis, vivait avec sa sœur plusieurs jours par semaine pour réduire le nombre de passages aux frontières. Avec la reconnaissance grandissante des relations de couples avec des partenaires de même sexe, tant au point de vue légal que social, l’immigration au Canada est maintenant perçue comme une solution potentielle par les partenaires américains.
7.
ADHÉSION AU TRAITEMENT ET EXPÉRIENCE DE LA MALADIE
Les participants dans les catégories des asymptomatiques et des symptomatiques (moins sévères) mentionnaient habituellement que leur adhésion au traitement était plus influencée par la structure de leur vie quotidienne que par leurs expériences de la maladie. Les doses associées à des événements de la vie quotidienne, particulièrement le coucher et le lever, sont prises de la façon la plus constante ; les doses qui doivent être prises au travail, sur la route ou en dehors des routines
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Vivre avec les multithérapies
quotidiennes sont plus souvent oubliées. Les difficultés liées à l’adhésion au traitement proviennent souvent des exigences conflictuelles imposées par les horaires de travail, les différents médicaments, les restrictions alimentaires, et même par la discrimination ouverte, comme dans le cas des passages aux frontières entre le Canada et les États-Unis. La dépression et les préoccupations existentielles jouent aussi un rôle dans les difficultés liées à l’adhésion au traitement. Alors que la plupart des participants à l’étude rapportaient avoir pris des mesures extraordinaires dans la façon de gérer leur vie quotidienne afin de remplir les exigences de la prise des médicaments, ceux qui font partie du groupe des améliorés et de celui des symptomatiques (plus sévères) rapportent plus souvent des problèmes dans l’adhésion au traitement liés à leurs expériences de la maladie. Les participants du groupe des améliorés reliaient le plus souvent leur fidélité à une amélioration des indices médicaux et à leur expérience subjective, tandis que ceux du groupe des symptomatiques (plus sévères) rapportaient plus souvent des problèmes d’adhésion au traitement en reliant les interruptions de prise de médicaments aux effets secondaires et au fait de ne pas se sentir bien.
7.1.
GROUPE DES AMÉLIORÉS
Certains des participants rapportaient une amélioration de leur état de santé avec les inhibiteurs de protéase, à un point tel que leur scepticisme antérieur à l’égard de la thérapie en général s’en trouvait diminué : J’ai arrêté de prendre les médicaments. J’avais d’abord réduit la dose, puis j’ai arrêté complètement, parce que j’avais des amis qui étaient malades, et beaucoup sont morts et j’étais convaincu que l’AZT en était la cause. [...] Puis je suis tombé malade et le docteur B. m’a recommandé une multithérapie. C’était merveilleux parce que je pense qu’après six mois, six ou sept mois, je me rappelle que c’était moins de neuf mois, j’ai refait le test de charge virale et c’était à 500. C’était à peu près à ce niveau-là, un niveau limite. Depuis ce temps-là, elle est restée non détectable, ou à moins de 50 réplications quand le nouveau test est sorti. (homme)
Un autre participant a expérimenté un processus de revitalisation rapide, l’un des aspects les plus remarquables associés à l’arrivée des inhibiteurs de protéase : C’était la peur parce que tout le monde disait que l’AZT les tuait plus qu’il ne les guérissait. Par la suite, tout a changé rapidement. J’ai commencé les multithérapies il y a environ trois ans, et ma vie a changé en six semaines. [...] À ce moment-là, j’hésitais à compromettre une bonne santé avec les médicaments. J’ai finalement dit au médecin : « Je sais que les résultats sont trop impressionnants pour être ignorés, alors donnez-m’en pour dix jours et j’en aurai fini avec les multithérapies », pensant que j’aurais toutes sortes d’effets secondaires et de malaises. À ma grande surprise, absolument rien ne s’est produit, à part le fait que j’ai eu besoin d’une période d’adaptation au point de vue de la digestion. (homme)
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Les traitements antirétroviraux
Pour plusieurs autres participants, leur ambivalence face à la thérapie était associée à des résultats mitigés. Ainsi si ce participant croyait que « ceux qui ne prennent pas leurs médicaments tombent malades » son degré d’adhésion au traitement restait tout de même influencé par ses symptômes de fatigue et de perte de poids auxquels s’ajoutait le nombre de médicaments, malgré une charge virale non détectable : J’en étais arrivé au point où j’étais fatigué de les prendre ; alors quand arrivait l’heure, je me disais que je les prendrais un petit peu plus tard, puis plus tard. Je me disais : « Tant pis, maintenant il est trop tard pour les prendre. Je dois sauter cette dose. » Pendant les trois années où je les prenais, tout allait bien ; je les prenais trois fois par jour et ça paraissait dans mes tests sanguins. Puis je me suis dégoûté de prendre 26 pilules par jour. C’est toi qui décides de les prendre ou pas. Les gens qui ne les prennent pas tombent malades. (homme)
De même, les effets secondaires ou les facteurs subjectifs reliés à ces réactions peuvent avoir un impact sur la fidélité au traitement, malgré des indices médicaux nettement améliorés, comme nous l’avons vu plus haut.
7.2.
GROUPE DES SYMPTOMATIQUES (PLUS SÉVÈRES)
Ceux qui s’étaient sentis malades avant et après le début des multithérapies vivent souvent de longues périodes d’adaptation aux effets secondaires et ressentent de l’ambivalence et du scepticisme face aux médicaments en général et à l’adhésion au traitement en particulier. L’adhésion au traitement peut aussi varier en fonction du type de médicament : J’ai commencé à les prendre, mais ils me donnaient la nausée ; l’idée de les prendre ne me réjouissait pas et j’étais en plus un peu inquiet. Après deux semaines, je me suis réveillé un matin et j’avais des rougeurs sur tout le corps. Heureusement que je savais ce que c’était. J’avais déjà eu une réaction semblable quand j’avais fait une infection à l’oreille : j’avais pris des antibiotiques et j’avais eu plein de boutons rouges, alors je savais que c’était une réaction aux médicaments. Je me suis dit : « Génial, je ne peux pas prendre ces médicaments. » J’ai appelé le médecin et lui ai dit que je ne pouvais pas prendre ces médicaments parce que je suis allergique, mon corps m’a clairement dit qu’il n’aime pas ces médicaments. Il m’a répondu : « Venez me voir, on pourra faire quelque chose pour les boutons. » Puis j’ai pensé : « Je ne veux rien faire pour les boutons parce que c’est un signe clair pour moi que ces médicaments ne sont pas bons pour moi. » (femme)
Elle a réussi finalement à tolérer les effets secondaires et à continuer les multithérapies, mais elle a aussi eu des difficultés à maintenir son adhésion au traitement à cause de problèmes de sommeil causés par d’autres médicaments prescrits. Un autre participant vivant avec le sida relate une expérience similaire d’adhésion sporadique au traitement :
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Vivre avec les multithérapies
Je me sentais toujours comme un cobaye quand un nouveau médicament arrivait sur le marché parce qu’aucun d’eux ne me semblait faire effet. Je n’ai jamais été capable d’en prendre un pour très longtemps, et ça continue jusqu’à présent. [...] J’ai essayé de prendre mes médicaments de façon régulière parce qu’on te rentre dans la tête que si tu ne le fais pas, tu vas tomber malade, tu vas tomber malade, mais quelques fois, tu sautes une dose, c’est normal. [...] J’ai raté certaines doses, mais je ne les saute pas de façon régulière parce que ma charge virale a baissé de 200 000 à 5 000 et a remonté jusqu’à 200 000 encore et je ne sais pas pourquoi. [...] J’avais quelque chose dans ma bouche, des points noirs, et le médecin a dit : « Venez me voir immédiatement. » C’était une mauvaise passe, mais ils ne me dérangeaient pas vraiment. Après j’ai dû recevoir des traitements par radiation et puis là, j’ai été vraiment malade. Ce fut très long avant de me remettre sur pied et de retrouver mon énergie. Je pense que ça m’a pris presque un an avant de commencer à me sentir à nouveau normal. [...] Souvent je regarde mon pilulier et je me dis : « Oh ! je pourrais toutes les bazarder sur-le-champ. » (homme)
Cette personne vivant avec le sida rapporte aussi des discours contradictoires quant à la perception de l’efficacité, de l’expérience subjective et de l’autorité médicale : Des fois, je suis occupé avec mes amis et je perds la notion du temps, puis je me dis : « Bon, je ne suis pas à la maison alors je les prendrai tout à l’heure. » Et souvent je les prends, mais souvent je ne les prends pas. Le médecin le sait parce que ça paraît dans mes tests de laboratoire. Il me regarde alors d’un drôle d’air et me demande : « Est-ce que tu prends tes médicaments ? » et je me sens tellement coupable parce que la réponse est non. [...] D’habitude je les prends à l’heure, mais souvent, surtout quand je suis à l’extérieur ou occupé ou que je veux faire autre chose et que c’est le temps de les prendre, alors des fois je ne le fais pas. (homme).
D’autres rapportent une excellente adhésion au traitement, même si cette évaluation reste subjective et qu’elle est favorisée par le soutien social et l’expérience antérieure avec les médicaments : Je suis assez régulière dans ma prise de médicaments. [...] Presque toute ma vie, j’ai pris des médicaments pour une chose ou une autre. Je me débrouille assez bien. En plus, mes amis m’appellent, ma mère et ma sœur m’appellent, alors même si j’oubliais, tout le monde se préoccupe de moi et me demande si j’ai pris mes médicaments. Puis ils me téléphonent tous avant le souper pour me le rappeler encore. Alors c’est difficile d’oublier. Et ce qui est bien, c’est que je sais qu’il y a beaucoup de gens qui sont inquiets et qui s’assurent que je prends mes médicaments. (femme)
Pour certains, une philosophie personnelle associée à la foi en la médecine augmente aussi l’adhésion au traitement : J’ai passé proche deux fois [de mourir]. Je ne suis pas stupide et je ne joue pas avec ma vie. Je sais dans le fond que c’est grâce aux médicaments et à mon médecin que je suis encore vivant. À un moment, je me disais que je vivais sur du temps prêté et que, cette fois, c’est un cadeau que la vie me fait. (homme).
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Les traitements antirétroviraux
CONCLUSION Notre étude sur les répercussions du VIH dans les relations personnelles, familiales et de travail (Adam et Sears, 1996), menée dans les années 1990, incluait plusieurs participants de la même région que la présente recherche. Achevée à la fin de la première décennie du sida et avant l’introduction des inhibiteurs de protéase, elle offre ainsi un point de repère intéressant pour comparer le vécu associé au VIH avant et après l’ère des multithérapies. À cet égard, on observe à la fois des aspects de stabilité et de changement. En comparaison avec les résultats de l’étude menée avec des personnes vivant avec le VIH au début des années 1990, les problèmes de l’emploi ont peu changé. De fait, peu d’employeurs offrent une certaine flexibilité envers ceux qui présentent des symptômes, et les exigences de l’adhésion au traitement entrent souvent en conflit avec les contraintes associées au travail. Au début des années 1990, les personnes séropositives ont commencé à être protégées par des lois sur la discrimination envers les personnes handicapées. Malgré ces lois, peu de personnes pouvaient se prévaloir de leur application à cause de considérations comme les attitudes des employeurs, remplir les tâches reliées à l’emploi malgré la maladie, l’inflexibilité des horaires, les politiques des syndicats et les avantages sociaux. Cette situation s’observe encore dix ans plus tard. Cette apparente constance dans le quotidien du travail doit être cependant mise en perspective en tenant compte des transformations importantes dans l’environnement sociohistorique. L’ère du sida suit un cours parallèle à la montée des politiques gouvernementales néoconservatrices. Il y a dix ans, nous faisions état de coupures imminentes dans les programmes sociaux ; dix ans plus tard, la relation entre le travail et le « filet de sécurité social » pour les sans-emploi a changé et les personnes vivant avec le VIH doivent faire face à ces conséquences. Un autre changement sociohistorique majeur durant cette période concerne, de façon générale, l’état de santé des personnes vivant avec le VIH. Comme nous l’avons mentionné, ce changement est peut-être surévalué. Même avant l’arrivée des multithérapies, un grand nombre de personnes séropositives restaient sur le marché du travail, ou tentaient de s’y faire une place et de se bâtir une carrière, malgré la présomption, à l’époque, que la seule trajectoire valable était de sortir du marché du travail. Encore aujourd’hui, l’état de santé des personnes séropositives est plus complexe que ce que la vision de l’infection par le VIH en tant que maladie chronique traitable laisse supposer. En gardant ces remarques à l’esprit, on comprend que les multithérapies ont eu comme résultat de créer une classe de personnes séropositives dont le bilan de santé s’est amélioré et qu’elles ont contribué à en stabiliser plusieurs autres qui sont (relativement) asymptomatiques. En conséquence, les problèmes liés à l’emploi restent une préoccupation majeure pour les personnes qui veulent retourner sur le marché du travail et qui tentent de concilier les exigences des traitements avec les contraintes liées au travail, tout en affrontant le stress que connaissent aussi les travailleurs restants dans les industries où les coupures budgétaires ont déjà éliminé de nombreux postes.
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Vivre avec les multithérapies
Pour ceux qui ont quitté le marché du travail, le retour exige de la détermination, des efforts et du zèle, et souvent une volonté de chercher un nouveau type d’emploi. Il faut aussi accepter de laisser derrière soi une formation antérieure, une expérience accumulée, une ancienneté et des habiletés acquises. Les programmes gouvernementaux d’invalidité, les assurances au travail et les assurancesmédicaments imposent des barrières à un retour au travail que plusieurs n’ont pas réussi à surmonter. Les coupures récentes et l’adoption de nouveaux critères d’admissibilité dans un grand éventail de programmes sociaux découragent ceux qui bénéficient présentement de ces programmes à prendre une chance de retourner sur le marché du travail : ils ont peur de se retrouver inadmissibles à l’assistance sociale si l’emploi se révèle trop exigeant pour eux ou s’ils sont mis à pied ou renvoyés du travail. Les participants dont la santé s’est améliorée avaient souvent vu leur vie mise en péril par la maladie ; beaucoup s’étaient départis de leurs biens et avaient déménagé pour se rapprocher de leur famille, anticipant une détérioration de leur état de santé. Pour certains, le retour au travail était un élément essentiel de leur bien-être : ils s’investissaient dans de longues périodes de formation et d’accréditation pour retourner au travail à temps plein ou pour obtenir de l’avancement. D’autres ont changé de domaine de travail et se retrouvaient à la case départ : ils devaient accumuler de l’ancienneté, développer de nouvelles compétences et attendre de les voir reconnues. Le fait d’occuper un emploi structure la vie quotidienne, donne la possibilité de contacts sociaux et fournit un but : d’ailleurs les participants considéraient l’emploi comme important, même s’il se situait à un niveau inférieur de responsabilité, exigeait moins de compétences ou procurait un salaire moins élevé que celui qu’ils occupaient auparavant. L’importance des relations personnelles et familiales reste semblable à celle que nous avions constatée dans notre étude d’il y a dix ans. Le changement le plus marquant concerne le fait que les familles sont plus enclines, aujourd’hui, à fournir un soutien à des parents séropositifs. L’hystérie collective qui caractérisait la première décennie a aussi diminué. Les personnes vivant avec le VIH ne rapportent que très rarement une quasi-quarantaine imposée par leur famille, comme c’était le cas pour certains il y a dix ans. La satisfaction dans les relations à long terme est restée à un même niveau et l’excitation est la même chez les célibataires qui établissent de nouvelles relations. Le secret relatif maintenu par les hétérosexuels quant à leur statut reste aussi notable qu’il y a dix ans. À l’exception de certains Afro-Américains interviewés il y a dix ans à Détroit, et dont plusieurs vivaient dans des communautés fortement touchées par l’épidémie du VIH, les hétérosexuels s’attendent, maintenant comme avant, à peu de compréhension et de soutien de la part de leur entourage et, en conséquence, ils ne révèlent leur statut séropositif qu’à un nombre restreint de personnes. Malgré l’augmentation constante du nombre d’infections par le VIH chez les femmes hétérosexuelles, tout comme chez les hommes, l’incidence globale reste telle que la majorité des hétérosexuels continuent de penser que le VIH ne fait pas partie de leur réalité sociale.
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Les traitements antirétroviraux
En revanche, les gais, dont les communautés ont été confrontées au VIH depuis plusieurs années, ont davantage tendance à révéler leur statut séropositif. De plus, ils s’attendent à ce que leurs amis et leur réseau social les soutiennent : en conséquence, ils profitent davantage du soutien social que ceux-ci peuvent leur offrir. Il reste que cette comparaison doit être nuancée par les expériences des gais qui continuent de subir le rejet de leurs semblables, particulièrement dans les situations de rencontres. Deux décennies de sida et l’utilisation répandue des multithérapies ont eu comme résultat une certaine normalisation de la « routine » relative au sida, une diminution de la crainte du public ou même de commentaires négatifs, et une apparente normalisation du sida maintenant perçu comme un problème d’ordre médical. Avec cette évolution du discours public s’est produit un changement dans la façon dont les personnes vivant avec le VIH se perçoivent dans leur relation avec la maladie. Durant la première décennie, un nombre significatif de personnes séropositives endossaient le sida comme une identité, mais aujourd’hui le VIH est de plus en plus perçu comme un aspect secondaire dans la vie de plusieurs. Dans le climat social hostile de la première décennie, plusieurs personnes vivant avec le VIH, surtout dans les communautés gaie et lesbienne, se sont regroupées en associations communautaires, en groupes de défense ou de soutien et en réseaux sociaux (Adam, 1997). Toutefois, dans les entretiens, les participants de la présente étude mentionnent souvent qu’ils ne connaissent personne d’autre de séropositif, manifestent une moins grande identification avec les personnes séropositives et semblent moins ressentir le besoin de s’affilier à des organismes offrant des services aux personnes séropositives ou de se joindre à des groupes de soutien. Pour ceux qui vivent avec le VIH depuis plusieurs années, ces considérations peuvent paraître faire abstraction des deuils multiples qu’ils ont vécus tout au long de l’épidémie, incluant la perte de partenaires, d’amis, la perte d’emplois, la perte du sens de sa vie, la perte de confiance sexuelle, la perte de soutien familial et communautaire. Les résultats de cette étude, comme ceux d’autres recherches, révèlent que la dépression continue d’être un facteur influençant l’adhésion au traitement ainsi que les pratiques sexuelles sécuritaires. La dépression provient certes de sources dites « normales », comme les événements stressants tels que la perte d’emploi, les problèmes de couples et les problèmes aigus de santé, mais la présence du VIH reste tout de même un des facteurs qui contribue à cette condition. Par ailleurs, les enjeux liés au traitement sont multiples. L’adhésion au traitement peut être le résultat de compromis qui visent a résoudre des exigences contradictoires ; elle peut être circonstancielle et reliée aux caractéristiques de certains médicaments tout autant qu’à des traits de personnalité. Les récits autobiographiques qui mettent en valeur le concept de soi fournissent les raisons sur lesquelles se fondent les décisions entourant l’adhésion au traitement. Cette adhésion se base sur le principe qu’une (longue) vie a une valeur intrinsèque, et l’évaluation de cette valeur dépend, selon les récits de vie, des considérations entourant
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Vivre avec les multithérapies
les relations personnelles, le travail et la famille, de même que l’expérience avec les médicaments. Les messages publics concernant la valeur (ou le manque de valeur) du vieillissement peut aussi avoir un impact sur cette évaluation, peutêtre particulièrement pour les femmes et les gais. Les personnes sont peut-être plus enclines à maintenir leur adhésion au traitement en fonction de leur conviction qu’ils améliorent leur état de santé, suivant leur expérience subjective ou les tests médicaux ; mais cette conviction peut changer lorsque ces indices montrent au contraire une détérioration de l’état. Ces deux aspects peuvent s’autorenforcer : la croyance augmenterait l’adhésion au traitement, ce qui augmenterait l’efficacité, ou encore l’inefficacité engendrerait une perte de confiance, ce qui diminuerait l’adhésion au traitement et en accentuerait, en conséquence, l’inefficacité. L’adhésion au traitement est aussi fonction de la perception de l’efficacité : la perception subjective de la maladie, les indicateurs médicaux ou les effets secondaires peuvent tous avoir un impact sur la poursuite ou non du traitement. L’adhésion au traitement est nettement améliorée lorsque les dosages peuvent être adaptés à la structure de la vie quotidienne pour être intégrés et « ancrés » dans une routine quotidienne. Puisqu’il n’existe aucune structure qui puisse s’appliquer à tous, les décisions entourant la médication doivent être prises en tenant compte des variations individuelles. L’adhésion au traitement suppose aussi une estime de soi fondée sur le soutien social, une tendance à se prendre en main de façon active (active coping), une stabilité personnelle et une attitude positive à l’égard du vieillissement – des thèmes très larges qui ne sont pas toujours faciles à aborder dans le cadre d’une intervention.
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Les traitements antirétroviraux
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LA PRISE EN CHARGE DES TRAITEMENTS CONTRE LE VIH/ SIDA L’expérience brésilienne Francisco Inácio BASTOS Maya PETERSEN Deanna KERRIGAN Marie-Claude BOILY
Les avancées médicales dans le traitement du VIH ont permis d’augmenter l’espérance de vie et d’améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH / sida dans les pays développés (Palella et al., 1998). Malheureusement, plusieurs des pays ayant des taux élevés de VIH ont peu d’accès – ou même aucun – au traitement antirétroviral. Non seulement les médicaments antirétroviraux sont-ils prohibitifs au plan des coûts pour la plupart des pays en développement (Hogg et al., 1998 ; Weber et al., 1999), mais ils exigent le plus souvent un traitement au long cours et une surveillance systématique des effets secondaires.
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Les traitements antirétroviraux
À cet égard, le programme de traitement antirétroviral du Brésil constitue un modèle novateur. En effet, le Brésil est le premier parmi les pays en développement à mettre en œuvre une politique d’accès universel et gratuit au traitement antirétroviral et à la surveillance thérapeutique, lorsque jugée nécessaire (Bastos et al., 2001). Un accès universel au traitement antirétroviral a été défini par la loi fédérale brésilienne no 9.313, le 13 novembre 1996. Cette loi stipule que : « Les personnes infectées par le VIH ou les personnes vivant avec le sida sont en droit de recevoir du système national de santé tous les médicaments nécessaires à leur traitement et ce, sans frais. » La chute du taux de mortalité associée au sida observée au Brésil depuis la mise en œuvre de l’accès universel au traitement antirétroviral a été marquée. La médiane de la survie des personnes atteintes de sida est passée de dix-huit mois, pour les cas diagnostiqués en 1985, (Chequer et al., 1992), à cinquante-huit mois pour ceux diagnostiqués en 1996 (Marins et al., 2002). L’accès au traitement antirétroviral combiné à une prophylaxie pour les infections opportunistes a favorisé une baisse substantielle de la morbidité associée au VIH (Guimaraes, 2000). Par exemple, on a observé à São Paulo une baisse de 76 % dans l’incidence de tuberculose parmi les personnes infectées par le VIH durant la période de 1996 à 2000 (Brazilian Ministry of Health, 2001). Par ailleurs, au Brésil comme dans les pays développés, plusieurs patients ressentent d’importants effets indésirables et vivent des difficultés dans l’observance médicale de régimes thérapeutiques complexes lorsqu’ils font usage de multiples médicaments puissants durant de longues périodes. Une faible adhésion au traitement est associée à des conséquences néfastes, telles qu’une suppression incomplète de la réplication du virus, une détérioration immunologique, pour la personne malade et l’émergence de souches virales résistantes pour la société en général (Bangsberg et al., 2001 ; Goudsmit et al., 2001 ; Tanuri et al., 2002). À l’heure actuelle, un enjeu demeure central : celui de savoir si les bénéfices du traitement antirétroviral pour la personne peuvent contrebalancer les effets indésirables potentiels au plan de la communauté. En d’autres termes, est-ce que les conséquences indésirables de l’utilisation à grande échelle des antirétroviraux au niveau de la population peuvent contrebalancer les avantages qu’ils offrent pour l’individu ? Dans ce chapitre, nous traçons un bref portrait non seulement de l’historique et de la logistique actuelle du modèle brésilien quant à l’approvisionnement des médicaments antirétroviraux, la distribution et la surveillance, mais nous avons également mis en lumière trois enjeux importants : a) l’apparition de souches résistantes du virus et ses liens possibles avec une prise en charge sous-optimale des patients infectés par le VIH ; b) les impacts sociodémographiques complexes de l’accès universel au traitement antirétroviral hautement actif (HAART) ; et c) le besoin d’intégrer l’aspect de la prise en charge clinique et celui du soutien psychosocial, particulièrement pour les populations défavorisées.
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La prise en charge des traitements contre le VIH / sida
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Les récents accomplissements du Brésil dans le domaine de la prévention et du traitement du VIH / sida devraient encourager des initiatives semblables dans d’autres pays en développement. Notre objectif dans ce texte est à la fois d’exposer les résultats positifs de ces interventions et de soumettre quelquesunes de nos préoccupations : nous pensons qu’une science qui ne serait pas soutenue par un certain espoir n’a pas plus de sens qu’un optimisme qui ne serait pas modulé par une évaluation adéquate et une identification claire des mises en garde, des contradictions et des défis qui se posent.
1.
L’ÉPIDÉMIOLOGIE DU VIH / SIDA AU BRÉSIL
Au début des années 1980, l’épidémie du sida au Brésil touchait surtout des personnes vivant dans les grands centres urbains, particulièrement des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH) et des personnes qui avaient reçu du sang ou des produits sanguins infectés (Szwarcwald et al., 2000a ; Lowndes et al., 2000). Au milieu des années 1980, l’épidémie s’est propagée aux villes de taille moyenne et l’incidence a augmenté parmi les utilisateurs de drogues par injection (UDI). Récemment, le VIH s’est propagé à travers tout le pays, infectant des habitants de plus petites municipalités, incluant des personnes hétérosexuelles, particulièrement des femmes (Szwarcwald et al., 2000a ; Lowndes et al., 2000). La prévalence globale du VIH au Brésil est actuellement estimée à 0,6 % (UNAIDS, 2002). Au cours des dernières années, le nombre de nouveaux cas de sida signalés au Brésil s’est stabilisé à environ 16 000 par année, même en tenant compte des retards de déclaration et des cas où les déclarations sont incomplètes (Barbosa et Struchiner, 2002). Cependant, les taux de prévalence sont considérablement plus élevés et continuent d’augmenter parmi des populations spécifiques, telles que les femmes en situation de pauvreté vivant dans les bidonvilles de même que les utilisateurs de drogues par injection et leurs partenaires sexuels (Szwarcwald et al., 2001 ; Bastos, Pina et Szwarcwald, 2002). L’augmentation de la prévalence dans ces populations reflète un changement progressif durant les deux dernières décennies du statut socioéconomique de ceux et celles qui sont les plus touchés par l’épidémie. Le pourcentage des personnes atteintes de sida nouvellement diagnostiquées qui n’ont pas dépassé un niveau primaire d’instruction est passé de 27 % dans les années 1980 à 57 % dans les années 1990 (Fonseca et al., 2000). La séroprévalence du VIH parmi les femmes enceintes s’est maintenue de façon constante au-dessous de 1 % dans toutes les régions du Brésil. Cependant, la forte prévalence du VIH et de la syphilis parmi les femmes enceintes qui n’ont pas eu un suivi de grossesse est particulièrement inquiétante. Des taux de séroprévalence du VIH entre 3 % et 6 % ont été récemment observés parmi ce sousgroupe de femmes enceintes de l’État de Rio Grande do Sul, situé à l’extrême sud du Brésil (Bastos et al., 2002). Plusieurs de ces femmes se présentaient au
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Les traitements antirétroviraux
département de maternité quelques heures seulement avant l’accouchement sans avoir jamais eu de suivi de grossesse. La majorité de ces femmes qui se trouvaient être séropositives ne pouvaient compter que sur de très faibles revenus (revenu familial mensuel en dessous des 40 $US), avaient un niveau peu élevé d’instruction et appartenaient à divers groupes ethniques (Bastos et al., 2002). Bien que l’épidémie n’ait pas cessé de progresser chez certaines populations et dans certains quartiers spécifiques, la prévision de 1992 de la Banque mondiale et du ministère de la Santé du Brésil selon laquelle le nombre d’adultes brésiliens atteints du VIH en l’an 2000 serait de 1,2 million ne s’est pas vérifiée (Brazilian Ministry of Health, 2001). Les estimations actuelles sont de l’ordre de 600 000 personnes vivant avec le VIH / sida (Szwarcwald et Carvalho, 2001). Étant donné la baisse du taux de la mortalité associée au sida qui a été observée dans la dernière décennie (avec l’augmentation conséquente du nombre de personnes vivant avec le VIH / sida), nous pouvons émettre l’hypothèse que l’écart entre les prévisions du nombre de personnes infectées par le VIH vivant au Brésil et le nombre actuel est dû en partie à un ensemble de mesures de prévention, de traitements et de soins dans le cadre du programme national brésilien contre le VIH / sida, à travers ses propres initiatives, d’une part, et ses partenariats avec les secrétariats de santé nationaux et municipaux, et avec des organisations non gouvernementales (ONG), d’autre part.
2.
LE MODÈLE BRÉSILIEN : POPULATIONS DÉFAVORISÉES ET ACCÈS UNIVERSEL AUX ANTIRÉTROVIRAUX
Le programme national de lutte contre le sida du ministère de la Santé du Brésil a été reconnu mondialement pour ses prouesses techniques et son savoir-faire politique. Dès sa conception, d’étroites collaborations ont été instaurées entre les gouvernements brésilien et internationaux de même qu’avec les ONG. Cette initiative a été financée par un des plus importants programmes de prêts de la Banque mondiale, jumelé à un financement considérable du gouvernement brésilien. Malgré le soutien de la Banque mondiale, il est important de souligner que ce ne sont pas ses prêts qui ont financé la production, l’approvisionnement, la distribution et la surveillance du traitement antirétroviral, puisque ces activités n’étaient pas incluses dans les ententes antérieures. Le programme brésilien de lutte contre le sida a mis sur pied des campagnes de prévention et des interventions visant à la fois la population générale, à travers des campagnes présentées par les médias, et des groupes spécifiques à risque élevé, dont les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH), les utilisateurs de drogues par injection (UDI) et les travailleurs du sexe. Les interventions touchaient la prévention de la transmission verticale grâce à des programmes de dépistage et de traitement avant et après l’accouchement, le
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développement de nouvelles approches pour les soins hospitaliers et en unité de jour, ainsi que pour les soins palliatifs communautaires, l’approvisionnement de traitement antirétroviral gratuit aux centres de distribution pour toutes les personnes admissibles infectées par le VIH, et une interaction soutenue avec les organisations non gouvernementales. Contrairement aux autres programmes sociaux au Brésil, le programme contre le sida peut être considéré comme une enclave dans un contexte d’inéquité sociale (Szwarcwald et al., 2000b). Les aspects majeurs de l’action menée contre l’épidémie du VIH au Brésil incluent la mise en œuvre des éléments suivants : – Un réseau de centres de traitement et de soins pour les personnes infectées par le VIH et les infections sexuellement transmissibles (IST) ; – Des systèmes de surveillance épidémiologique, clinique et comportementale ; – Des services de counselling et de dépistage volontaire et anonyme (VCT) associés au VIH ; – Des programmes d’éducation préventive et d’intervention à la fois pour le grand public et pour des populations spécifiques ; – Un soutien technique et financier à l’intention des organisations non gouvernementales ; – Des programmes volontaires de dépistage du VIH durant la grossesse ; – Le traitement et les soins aux personnes infectées par le VIH, incluant un traitement antirétroviral gratuit accessible aux centres de distribution.
2.1.
LE RÉSEAU BRÉSILIEN POUR LES SOINS, LA SURVEILLANCE ET LA PRÉVENTION
Depuis la fin des années 1980, des centres de référence ont été établis à travers le Brésil pour fournir un traitement et des soins aux personnes vivant avec le VIH, et pour développer et mettre en œuvre des campagnes de prévention. Au départ, ces centres de référence dépendaient presque exclusivement du financement et de l’expertise fédéraux, mais ce soutien a été progressivement décentralisé vers les institutions de santé municipales et nationales. Les cas de sida au Brésil sont inscrits dans un système national de surveillance nommé SINAN-AIDS. La coordination et la gestion de ce système sont assurées par le ministère de la Santé du Brésil, lequel est responsable de vérifier l’exactitude de l’information recueillie par les autorités en santé locales et nationales. Malgré certaines limites, telles que des données sociodémographiques partielles (Fonseca et al., 2000 ; Fonseca, Szwarcwald et Bastos, 2002), le système est considéré comme relativement fiable.
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Le réseau de contrôle logistique pour les médicaments contre le sida a été créé pour implanter, coordonner et surveiller l’approvisionnement et la distribution des médicaments antirétroviraux du Brésil (Bastos et al., 2001). Deux bases de données sur ordinateur ont été établies : le Système informatisé de contrôle logistique pour les médicaments antirétroviraux (SICLOM), qui collige de l’information sur le nombre de patients traités et leurs régimes thérapeutiques, et le Système d’information et de surveillance des procédures de laboratoires (SISCEL), lequel a été mis en place pour assurer que les régimes antirétroviraux sont gérés de façon adéquate par le truchement d’analyses de laboratoire complètes et périodiques. Une mise en œuvre globale de ces systèmes à l’échelle nationale reste encore à parachever, compliquée par le grand nombre de laboratoires, par d’importantes distances géographiques, et par des problèmes de télécommunications. Les unités cliniques qui attendent encore d’être reliées au système informatisé utilisent des feuilles de route à remplir manuellement, la télécopie et la poste régulière pour recueillir et transmettre les données. Depuis le milieu des années 1980, le sang et les produits sanguins ont été régulièrement testés pour le VIH et pour d’autres infections transmises par voie sanguine. Des programmes annuels de surveillance de la prévalence du VIH et de la syphillis sont réalisés parmi les donneurs de sang, les femmes enceintes, les conscrits militaires et les patients atteints d’infections sexuellement transmissibles ou IST (Szwarcwald et al., 2000c ; Szwarcwald et Carvalho, 2001).
2.2.
ÉVALUATION DES GROUPES À RISQUE
Des études faites parmi certains groupes, tels que les travailleurs et les travailleuses du sexe, sont relativement peu nombreuses au Brésil (Lurie et al., 1995). Par ailleurs, plusieurs études transversales successives ont été effectuées avec des utilisateurs de drogues par injection dans divers contextes (Mesquita et al., 2001 ; Bastos, Pina et Szwarcwald, 2002). Des études transversales successives et des recherches ethnographiques ont été réalisées avec des HARSAH (Parker et Caceres, 1999) et parmi des hommes gais et bisexuels recrutés pour participer à des études préparatoires pour les essais vaccinaux (Souza et al., 1999 ; Souza et al., 2002 ; Lignani et al., 2000 ; Carneiro et al., 2000 ; Perisse et al., 2000 ; Hofer et al., 2000 ; Schechter, 2002). Malheureusement, la plupart de ces études ont été réalisées dans le Sud et le Sud-Est du pays, bien que récemment une étude de surveillance chez les femmes enceintes de même qu’une étude sur le comportement sexuel des conscrits dans l’armée à l’échelle nationale aient été effectuées (Szwarcwald et al., 2000c ; Szwarcwald et Carvalho, 2001). Beaucoup reste à faire, particulièrement avec les différents groupes de travailleurs et travailleuses du sexe qui ont souvent des comportements sexuels à risque en ce qui concerne le VIH et des statuts socioéconomiques très hétérogènes (Lurie et al., 1995). Les travailleurs et travailleuses du sexe provenant des couches
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socioéconomiques plus défavorisées qui s’engagent dans des conduites à risque pour financer leurs habitudes d’utilisation de substances psychoactives suscitent des inquiétudes particulières (Szwarcwald et al., 1998 ; Souza et al., 2002). On connaît encore peu de chose sur la prostitution qui prend place dans les hôtels, les saunas ou les clubs. Les populations concernées évitent délibérément les contacts avec les autorités et, souvent, elles ne font pas appel aux services fournis par les cliniques IST ou par les dispensaires consacrés aux travailleurs et travailleuses du sexe, comme ceux implantés à Santos (Szwarcwald et al., 1998). Les membres du « Mouvement sans terre », les mineurs et les travailleurs saisonniers, tous ceux qui font partie de populations mobiles, posent un défi majeur pour une implantation systématique de programmes de prévention. Jusqu’au milieu des années 1990, les quelques ONG engagées dans le développement de programmes de prévention auprès des utilisateurs de drogues par injection mettaient principalement l’accent sur la promotion de l’abstinence. Le premier programme sud-américain d’échange de seringues a été ouvert au Salvador, dans l’État de Bahia, en 1994 (Andrade et al., 2001). Entre 1992 et 1996, la mise en œuvre de programmes d’échange de seringues (PES) s’est fait de manière erratique et, dans quelques cas, ont d’abord été interdits à cause d’une forte opposition de la part des forces locales conservatrices. Depuis lors, le nombre et la capacité opérationnelle de ces programmes ont augmenté. Malgré le manque de ressources financières et les conflits avec les forces conservatrices, les stratégies de réduction des préjudices ont pris de l’essor au Brésil, et ont permis de développer un réseau intégré de différents programmes sur une échelle qui n’a pas son pareil dans aucun autre pays à revenu intermédiaire ou à faible revenu (Bastos et Strathdee, 2000). À ce jour (décembre 2002), environ 100 programmes d’échange de seringues sont opérationnels dans diverses régions du Brésil, soutenus par un consortium d’organisations locales, le ministère de la Santé du Brésil, la Banque mondiale, l’Office contre la drogue et le crime des Nations Unies, et d’autres agences internationales. De tels programmes incluent des projets bien établis, des projets pilotes et des programmes d’échange affiliés avec d’autres initiatives, tels que les services de counselling et de dépistage volontaire et anonyme. Les programmes d’échange de seringues qui remportent le plus de succès au Brésil sont des projets plutôt de petite envergure selon les critères internationaux. Par exemple, à Porto Alegre, au sud du Brésil, le PES distribue environ 15 000 seringues par mois. Le PES de Porto Alegre a gagné la sympathie et le soutien des autorités et des communautés locales, et des organisations communautaires publiques et privées (Bastos, 2000). Des études transversales successives montrent une baisse des taux de prévalence du VIH et de l’hépatite C ainsi qu’une réduction du partage d’aiguilles et de seringues parmi les UDI dans un certain nombre de villes (Mesquita et al., 2001 ; Bastos, Pina et Szwarcwald, 2002a). Le secteur de la santé a joué un rôle
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Les traitements antirétroviraux
clé en créant des coalitions politiques pour protéger les droits de la personne et promouvoir la santé, parfois en conflit avec les communautés et les autorités locales. Étant donné le rôle socioéconomique dominant du Brésil en Amérique du Sud et l’ampleur de son épidémie de VIH, les politiques brésiliennes de prévention du VIH, spécialement celles qui visent des communautés marginalisées, ont eu un impact marqué sur les programmes de presque tous les autres pays sud-américains. Des campagnes ont été mises sur pied spécialement pour les populations autochtones brésiliennes vivant dans des régions éloignées, souvent menées par des ONG en collaboration avec d’autres institutions fédérales et locales (Brazilian Ministry of Health, 2001). Par exemple, les routiers ont été ciblés à travers des projets pilotes organisés par les secrétariats de santé locaux, de concert avec des centres de recherches et des universités outre-mer (Vilarinho et al., 2002). Des initiatives à grande échelle ont aussi été mises en œuvre en collaboration avec des syndicats de travailleurs et d’importantes compagnies de transport.
2.3.
LE CONTINUUM PRÉVENTION-TRAITEMENT
Comme il a été mentionné auparavant, le Brésil est un des seuls pays à revenu intermédiaire avec une politique d’accès gratuit et universel au HAART (traitement antirétroviral hautement actif). Toute personne séropositive ayant des symptômes ou avec un taux de CD4 de moins de 500 cellules/mm3 et une charge virale plus grande que 30 000 copies/mm3 est admissible au traitement antirétroviral gratuit au centre de distribution (Brazilian Ministry of Health, 2002). Cependant, selon un rapport récent d’ONUSIDA résumant les statistiques officielles du Brésil, cela signifie que concrètement environ 170 000 patients reçoivent actuellement des médicaments antirétroviraux, la grande majorité d’entre eux étant sous trithérapie. Ce nombre semble passablement faible étant donné que les directives de traitement au Brésil sont relativement inclusives et basées sur ceux des pays industrialisés (Brazilian Ministry of Health, 2002). Malheureusement, il n’existe aucune estimation globale du nombre de personnes vivant avec le sida qui devraient être couvertes par les programmes de traitement, compte tenu des directives au Brésil. Malgré le manque de données fiables, la couverture incomplète du traitement antirétroviral laisse supposer que le processus actuel de dépistage, de counselling et d’inclusion des patients dans les programmes thérapeutiques n’atteint pas son niveau optimal. Bien que le budget gouvernemental pour des services de counselling et de dépistage volontaire et anonyme (VCT), pour le dépistage du VIH et pour des interventions visant les groupes à risque, ait augmenté de façon significative dans les dernières années, la couverture pour ces groupes demeure limitée. La plupart des 200 services de VCT à travers le Brésil se retrouvent dans les régions les plus riches du pays, dans le Sud et le Sud-Est. Des stratégies novatrices ont été mises en place dans quelques centres VCT pour rejoindre les UDI,
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les itinérants, et les autres populations difficiles à rejoindre. Cependant, la mise en place de certaines initiatives des VCT est loin d’avoir été systématique et a été rarement évaluée. La mission des services de VCT est de dépister les personnes infectées avec le VIH, de référer ces personnes aux centres autorisés de distribution d’antirétroviraux et d’offrir des services de counselling aux personnes non infectées. Les VCT requièrent l’installation de laboratoires pour les tests et les services d’un personnel qualifié pour offrir un counselling pré- et post-test de même que d’autres activités de soutien. À la suite de la mise en place du réseau des VCT, de concert avec l’emploi d’agents communautaires qui travaillent sur le terrain avec des groupes spécifiques tels que les UDI, les itinérants et les autres populations difficiles à rejoindre, le nombre de personnes voulant être testées a augmenté. L’expansion des services de counselling et de dépistage volontaire et anonyme devrait continuer, car ce réseau de VCT est un outil efficace de prévention contre la transmission du VIH (Painter, 2001). Pour réduire la stigmatisation potentielle des femmes séropositives dans les sociétés patriarcales, des VCT pour les couples devraient aussi être mis sur pied (Painter, 2001). Depuis le milieu des années 1980, des campagnes de prévention du VIH visant la population générale ont été menées périodiquement à la radio, à la télévision et dans les principaux journaux. Ces campagnes médiatiques ont tenté de sensibiliser la population sur les conduites à risque, et de promouvoir une solidarité envers les personnes qui sont atteintes du VIH. De récentes campagnes médiatiques ont ciblé les femmes enceintes et les jeunes, mettant l’accent sur la réduction de la discrimination associée au VIH, sur le danger potentiel relié à l’usage de substances psychoactives et sur le besoin d’utiliser des condoms de façon systématique, particulièrement durant des événements tels que le Carnaval. Le ministère de la Santé du Brésil, de concert avec les écoles publiques et privées, a mis sur pied un certain nombre de projets d’éducation qui se sont révélés efficaces. Cependant, le Brésil a des niveaux élevés d’abandons scolaires et doit allier les efforts fournis dans les institutions scolaires avec des stratégies visant les jeunes de la rue et ceux qui sont impliqués dans le travail des enfants, incluant le trafic de drogues (Pinto et al., 1994). Le niveau de prise de conscience du sida est relativement élevé parmi les Brésiliens. Une enquête de 1997 indiquait que 84 % des femmes et 88 % des hommes âgés entre 15 et 30 ans savaient que le sida peut être évité en utilisant un condom (Brazilian Ministry of Health, 2001). Bien que les effets des campagnes médiatiques de masse sur la population générale soient difficiles à évaluer précisément, certaines études ont fait état d’une hausse de l’utilisation des condoms. De plus, entre 1993 et 1996, la proportion des hommes qui répondaient qu’ils utilisaient toujours un condom a augmenté de 25 % à 37 %, alors que ceux qui répondaient qu’ils utilisaient « presque toujours » un condom a augmenté de 14 %
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à 19 % (Chequer et al., 1997 ; Brazilian Ministry of Health, 2001). Les ventes de condoms domestiques et importés sont passées de 53 millions d’unités en 1992, à 70 millions en 1993, et à 228 millions en 1997, reflétant probablement une augmentation des activités sécurisexe (Brazilian Ministry of Health, 2001). La disponibilité à grande échelle de condoms vendus à des prix raisonnables est un élément important pour la prévention du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles. Bien que le prix des condoms ait d’abord été relativement élevé au Brésil, il a chuté durant ces dernières années. Présentement, une exemption temporaire de la taxe domestique de 16 % sur les condoms est en vigueur, ce qui entraîne une baisse du prix. Quelques agences font également du lobbying afin d’obtenir une exemption de taxe sur l’importation de condoms (Brazilian Ministry of Health, 2001). Le programme brésilien de lutte contre le sida a réussi à mobiliser le public, en partie à travers le financement d’un nombre important d’organisations non gouvernementales. Les membres de ces ONG ont été capables de prendre contact et de travailler avec les groupes stigmatisés, d’assurer la distribution efficace d’information clé et ciblée ainsi que de matériel de prévention, et d’apporter du soutien psychosocial à ceux qui sont le plus à risque. La plupart de ces initiatives n’avaient pas été évaluées de façon systématique, jusqu’à tout récemment lorsque la surveillance et l’évaluation des interventions sont devenues une exigence de base de toute soumission de projet. Le nombre de femmes infectées par le VIH qui n’ont jamais été testées et qui ignorent leur statut séropositif est également une préoccupation au Brésil (Bastos et al., 2002). Beaucoup de femmes parmi les plus pauvres n’ont jamais eu un suivi de grossesse ou n’en obtiennent un qu’une fois leur grossesse avancée (Bastos et al., 2002). Les principaux hôpitaux du Sud et du Sud-Est, de même que les secrétariats de santé d’État et municipaux ont formé du personnel dans la prise en charge des femmes séropositives et de leurs bébés. Des tests aux résultats rapides ont été développés, la prescription d’AZT est encouragée si jugée pertinente et l’allaitement est remplacé par des substituts de lait maternel ou par du lait obtenu de banques de lait (Nogueira et al., 2001 ; Nogueira, 2002). Les normes de soins pourraient être améliorées dans les unités plus petites et dans les régions plus pauvres ou plus éloignées du Brésil. D’autres études sont nécessaires pour mieux comprendre les difficultés d’accès au suivi de grossesse et aux services de counselling et de dépistage volontaire et anonyme parmi les femmes pauvres. Des efforts systématiques sont consentis pour s’assurer que toutes les femmes enceintes obtiennent un suivi de grossesse, reçoivent du counselling et sont testées pour le VIH, et que de la prophylaxie antirétrovirale leur est fournie pour arrêter la transmission verticale du VIH. Le plus grand défi consiste à convaincre toutes les femmes enceintes de la nécessité d’un suivi de grossesse, pour ensuite les suivre de façon périodique afin d’assurer une mise en œuvre efficace des mesures de prévention.
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L’industrie pharmaceutique du Brésil produit des médicaments antirétroviraux génériques depuis le milieu des années 1990. Les médicaments qui ne sont pas produits localement, comme Nelfinavir et Efavirenz, sont importés à rabais, avec des réductions appréciables. Au Brésil, la loi des brevets ne s’applique pas aux médicaments produits avant le milieu des années 1990, de sorte que les litiges ne se rapportent qu’aux médicaments produits après le milieu des années 1990. À ce jour, les autorités brésiliennes ont établi des ententes concernant ces brevets avec les différentes compagnies pharmaceutiques et, en conséquence, le traitement antirétroviral peut maintenant être offert à un coût annuel de 250 $US à 500 $US par personne, comparativement à un coût antérieur de plus de 10 000 $US par personne. Comme nous l’avons mentionné plus haut, depuis la venue du traitement antirétroviral hautement actif (HAART) en 1996, la mortalité et la morbidité liées au VIH ont diminué de façon significative parmi les hommes et les femmes, réduisant le nombre et la durée des hospitalisations et, par voie de conséquence, les coûts qui leur sont associés (Bastos et al., 2001). Des études montrent que le HAART réduit la charge virale, ce qui, en conséquence, réduirait le niveau du pouvoir infectieux du VIH chez les personnes infectées et donc la possibilité de transmission du VIH. Malheureusement, comme on peut l’observer dans plusieurs villes à travers le monde, l’accès au HAART a également conduit à une augmentation des comportements sexuels à risque élevé dans certains groupes et à une réduction de la promotion des mesures de prévention. Une adhésion sous-optimale au traitement, causée soit par la non-disponibilité des médicaments antirétroviraux, soit par la difficulté pour les patients de les prendre tels que prescrits, est associée à l’échec thérapeutique et à une progression prématurée de la maladie, mais peut également entraîner le développement de souches de VIH résistantes aux médicaments, comme cela a déjà été observé au Brésil (Tanuri et al., 2002). L’adhésion au traitement avec les schémas HAART peut être particulièrement problématique pour les personnes en situation de précarité et marginalisées, spécialement pour les UDI. Dans la prochaine section de ce chapitre, nous traiterons de ces questions plus en détail. Plusieurs approches novatrices, humanitaires et alternatives aux soins des patients atteints de sida ont été développées, et elles ont toutes eu comme conséquence une baisse du taux d’hospitalisation et des coûts reliés. De telles alternatives aux soins hospitaliers devraient non seulement améliorer le rapport coût-efficacité des soins pour les patients séropositifs, mais également améliorer leur qualité de vie. Les soins à domicile, l’hôpital de jour, les soins ambulatoires spécialisés ont été mis en place dans plusieurs régions à travers le Brésil, avec le soutien de plusieurs organisations non gouvernementales (Brazilian Ministry of Health, 2001).
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206 2.4.
Les traitements antirétroviraux
DIFFICULTÉS ACTUELLES ET LEÇONS À TIRER DE L’EXPÉRIENCE DU BRÉSIL
L’expérience vécue lors de la mise en œuvre du programme national de prévention intégré, de traitement et de soins pour les personnes atteintes de VIH au Brésil permet de mieux comprendre la situation dans d’autres pays à revenu intermédiaire ou à faible revenu. Plusieurs facteurs tels que la mise en place de centres de traitement pour le VIH et de programmes d’accréditation, la création de réseaux nationaux pour la mise en marche et la surveillance de la gestion clinique et des laboratoires, la motivation pour la production locale de médicaments génériques de haute qualité, et un programme complet de formation pour les professionnels de la santé, dont beaucoup travaillent sur de grandes distances géographiques, doivent être pris en considération lors de la mise sur pied d’un programme de traitement et de soins pour le VIH. En plus de l’approvisionnement ininterrompu de médicaments antirétroviraux, il est nécessaire d’offrir un éventail de services de laboratoires, de counselling et de dépistage pour le diagnostic et le suivi des personnes séropositives, incluant l’administration d’ordonnances complexes de médicaments. Un ensemble de services doivent être fournis – incluant soins ambulatoires spécialisés, hôpital de jour et soins à domicile. Ces services sont nécessaires pour ménager un accès précoce aux soins cliniques, pour faciliter l’adhésion au traitement antirétroviral et pour intégrer des services de soutien psychosocial dans les soins afin de s’assurer que le traitement antirétroviral hautement actif ne soit pas associé à des conduites à risque au plan sexuel et au plan de l’utilisation de substances psychoactives. De plus, l’approvisionnement de traitement antirétroviral hautement actif et les services de soins associés au traitement doivent être abordables, avec un bon rapport coût-efficacité. Un diagnostic précoce de l’infection par le VIH et l’accès au traitement et aux soins demeurent aussi des enjeux d’importance. Malgré les améliorations substantielles dans les services de counselling et de dépistage volontaire et anonyme, un grand nombre de personnes au Brésil sont encore diagnostiquées tardivement dans le processus infectieux du VIH, alors que leur statut immunologique s’est déjà détérioré et que les maladies opportunistes se déclarent. Les femmes enceintes socialement défavorisées forment un groupe important de cette catégorie, particulièrement celles qui se présentent quelques heures seulement avant le moment de l’accouchement sans avoir eu de suivi de grossesse. Ces femmes ont besoin d’être testées rapidement pour déceler la présence du VIH ; il faut également qu’on leur prescrive des médicaments antirétroviraux pour l’accouchement avant de commencer un traitement antirétroviral hautement actif complet. Si le développement de l’infrastructure pour prodiguer les soins et les traitements pose déjà problème dans les régions urbaines, ces difficultés se trouvent exacerbées dans les quartiers défavorisés qui ceinturent les villes, et dans les régions rurales ou éloignées du pays. La logistique qui permet de maintenir l’approvision-
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nement en médicaments, en fournitures cliniques et en équipements de laboratoire, la formation et la supervision des professionnels de la santé, et les réseaux de communication peut être très complexe et problématique dans ces régions. Malgré les efforts, il semble encore difficile d’intégrer certains groupes marginalisés socialement dans des projets de prévention du VIH. En effet, même si les médicaments antirétroviraux sont disponibles gratuitement, les condoms doivent être achetés et sont relativement coûteux ; pour plusieurs, le traitement est donc plus accessible que la prévention. Jusqu’à maintenant, le programme national de lutte contre le VIH a été un programme à prédominance verticale qui reste à être complètement intégré à l’intérieur du système de soins de santé brésilien. Cependant, le Brésil fait également face à d’autres problèmes importants de santé, tels que des taux élevés et inacceptables de mortalité infantile (Szwarcwald et al., 2002), des taux élevés de mort violente – particulièrement parmi les jeunes hommes qui vivent dans les centres urbains (Szwarcwald et al., 1999) –, et des taux élevés de maladies chroniques, telles que les maladies cardiovasculaires (Chor, da Fonseca et Andrade, 1995) et le cancer (Lorenzato et al., 2001). La réponse du Brésil pour faire face à l’épidémie du VIH a donné lieu, à travers la mobilisation des communautés, la collaboration avec les ONG et le développement de liens étroits entre le gouvernement et la population, à un nouveau modèle pour affronter les problèmes de santé. Malheureusement, cette réussite contraste avec quelques échecs récents et d’autres aspects du système de santé publique brésilien telle l’incapacité à contrôler les épidémies successives de dengue (Teixeira Mda et al., 2002) ; de plus, la nécessité d’améliorer les soins de santé en général se fait toujours sentir et l’urgence de changements au niveau social demeure une constante. Le fait que le Brésil a réussi à implanter un tel programme national dépend de plusieurs conditions et facteurs essentiels. Ce programme est en opération dans des contextes d’inégalités socioéconomiques et régionales importantes, et d’inégalités dans les critères de soins dans le système national de santé (Almeida et al., 2000). Le succès du programme brésilien de lutte contre le VIH confirme, d’une part, la volonté politique soutenue du gouvernement brésilien de faire face à l’épidémie, de concert avec l’engagement actif de la communauté et, d’autre part, une mobilisation face à l’épidémie : l’harmonisation de ces différents vecteurs sous-tend toute stratégie efficace pour limiter la propagation du VIH à long terme. La nécessité de ressources financières additionnelles s’est fait sentir pour mettre sur pied le programme brésilien de lutte contre le VIH. Le Brésil occupe le 10e rang au plan économique dans le monde, avec un produit intérieur brut (PIB) par habitant de 3,230 $US. Cependant, le programme était viable seulement après avoir obtenu un statut spécial et une structure de financement exclusivement dédiée à ce programme, qui inclut des prêts de la Banque mondiale jumelés à un
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financement national. L’expérience brésilienne démontre le besoin d’allier la volonté politique à un financement adéquat et d’autres ressources pour mettre en place un programme efficace. Dans les systèmes de soins de santé bien structurés, l’accès au traitement antirétroviral pourrait être mis en œuvre de façon presque immédiate. Cependant, pour mettre en place l’accès universel dans toutes les régions du Brésil, un investissement additionnel considérable de ressources, de temps et d’efforts doit continuer à être consenti. Il existe au Brésil des inégalités sociales de taille et l’accès « universel » en matière de soins de la santé en général est plus un idéal à atteindre qu’une réalité (Almeida et al., 2000). Tout pays qui voudra offrir un accès universel aux médicaments antirétroviraux devra mettre en place des systèmes d’information intégrés pour la mise en œuvre, la coordination et la surveillance de l’approvisionnement et de la distribution des médicaments antirétroviraux, ainsi que pour connaître le nombre de patients traités et leur utilisation des services, incluant le type de régime thérapeutique, les coûts et les résultats obtenus par l’entremise de ces services. Étant donné la nature évolutive de l’épidémie du VIH et les changements rapides associés au traitement et aux soins des personnes séropositives, le besoin existe d’une information fiable sur l’utilisation des services offerts, les coûts et les résultats obtenus, qui peut servir à améliorer le service d’approvisionnement local, régional et national dans le cadre de restrictions budgétaires, tout en fournissant des services de haute qualité aux personnes infectées par le VIH.
3.
PRINCIPAUX DÉFIS
3.1.
AMÉLIORATION DE L’ADHÉSION AU TRAITEMENT
Des études d’ensemble sur l’adhésion au traitement sont très rares dans les pays en développement, même parmi les pays, tels que la Thaïlande ou l’Argentine, où un nombre important de personnes vivant avec le VIH / sida suivent un traitement antirétroviral. Un tel manque de données fiables contraste avec le rôle clé que joue l’adhésion au traitement dans la prise en charge des patients, au plan individuel, et dans les efforts pour limiter la transmission du VIH en prévenant la réinfection au VIH, la co-infection avec d’autres infections sexuellement transmissibles et la transmission de souches résistantes (de Ronde et al., 2001). De plus, il n’est pas évident que les résultats obtenus dans les pays développés soient valides dans des contextes différents, avec des infrastructures de soins de santé différents et des spécificités sociales et culturelles différentes. Dans ce sens, des analyses spécifiques de l’adhésion au traitement dans des contextes à revenu intermédiaire ou à faible revenu et des études transculturelles multicentriques devraient être une priorité des recherches sur le VIH / sida.
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Sur ce plan, le Brésil ne fait pas exception ; il existe peu d’information, dans les recherches publiées dans les revues avec comité de lecture, sur l’adhésion au traitement. Cela constitue une importante lacune, compte tenu du nombre important de patients sous traitement antirétroviral et des réseaux de surveillance qui existent au Brésil. Une étude récente réalisée par Brigido et al. (2001) a montré qu’en plus de l’oubli dans la prise de médicaments et des effets secondaires du traitement, il existe d’autres facteurs psychosociaux liés à l’adhésion au traitement, tels que la croyance en l’efficacité du traitement, la communication entre patient et intervenants de la santé, et les difficultés à suivre les recommandations du traitement dans le milieu de travail, possiblement à cause des contraintes logistiques, de la stigmatisation et de la discrimination perçues, ainsi que des difficultés matérielles, comme un manque de ressources financières pour payer le transport pour se rendre aux centres de distribution des médicaments (Brigido et al., 2001). Notre groupe de recherche a récemment évalué l’adhésion au traitement parmi les femmes et les hommes sous traitement antirétroviral dans le système de santé publique à Rio de Janeiro. Par le biais d’entrevues avec 200 hommes et femmes sous traitement antirétroviral dans des dispensaires de soins allant de centres hospitaliers universitaires à des cliniques communautaires, nous avons trouvé que 82 % des personnes rapportaient une adhésion au traitement de plus de 90 % (Remien et al., sous presse). Ces données ont été obtenues à partir d’un échantillon non aléatoire de patients recrutés dans les hôpitaux du système de santé publique et les ONG. Même si notre échantillon n’était pas nécessairement représentatif de l’ensemble de la population, il semblait bien refléter le profil démographique des patients traités dans les grands centres urbains du Brésil, comme c’est le cas dans d’autres études menées au Brésil (Nemes et al., 2000 ; Brigido et al., 2001). L’adhésion sous-optimale au traitement antirétroviral peut entraîner des échecs thérapeutiques et l’apparition – et la transmission – de souches résistantes du VIH, comme nous allons le discuter ci-dessous (Andrews et Friedland, 2000 ; de Ronde et al., 2001). L’échec thérapeutique peut entraîner une augmentation de la morbidité, de la mortalité de même qu’une hausse des coûts des soins, en partie à cause de la nécessité d’utiliser des traitements de sauvetage complexes, des procédures de diagnostic plus raffinées et exigeantes, et des hospitalisations plus fréquentes (Valenti, 2001).
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210 3.2.
Les traitements antirétroviraux
SURVEILLANCE DE L’ÉMERGENCE DES SOUCHES RÉSISTANTES
3.2.1. Impacts individuels et collectifs de la résistance aux médicaments antirétroviraux La résistance du VIH aux médicaments antirétroviraux peut limiter l’efficacité de ce traitement. Les premiers traitements basés sur un seul inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse (NRTI), tel l’AZT, n’ont pas eu un succès clinique durable, en raison de la capacité du VIH de développer rapidement une résistance (Tisdale et al., 1993). Au cours des années 1990, le développement subséquent de deux nouvelles classes d’antirétroviraux, les inhibiteurs de protéase et les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (NNRTI), ont révolutionné le traitement contre le VIH en rendant possible la combinaison de médicaments. Les multithérapies retardent de façon significative l’émergence de la résistance, car elles reposent sur un traitement utilisant simultanément des médicaments de plusieurs classes différentes. Les multithérapies peuvent ainsi favoriser la suppression du VIH, jusqu’au point où il ne peut plus être détecté dans le sang du patient, ralentir la progression de la maladie et augmenter l’espérance de vie (Collier et al., 1996 ; Palella et al., 1998). Malgré les effets thérapeutiques impressionnants des multithérapies, les patients sous HAART peuvent tout de même développer une résistance au traitement, ce qui peut avoir de sérieux impacts sur le traitement des patients et le pronostic de la maladie. La résistance peut empêcher le traitement d’agir efficacement sur la multiplication du virus, entraînant chez le patient l’augmentation de la charge virale et, finalement, une perte de la fonction immunitaire, de même qu’un risque accru de contracter des maladies et de mourir (Romano et al., 2002 ; Hirsch et al., 2000). Modifier le traitement d’un patient pour inclure les nouveaux antirétroviraux peut ralentir la progression de la maladie chez une personne où le virus a développé une résistance : le fait de ne pas changer de médicaments est d’ailleurs un prédicteur d’échec virologique (Deeks et al., 1999 ; DeGruttola et al., 2000). Cependant, la décision de modifier le traitement exige que le médecin soit conscient du fait que le traitement actuel d’un patient ne contrôle plus la progression du virus. Tant au Brésil que dans les pays développés, des mesures régulières des taux de CD4 et de la charge virale sont utilisées pour détecter une résistance possible aux médicaments antirétroviraux. Mais dans certains milieux où les ressources sont inadéquates, cette technologie n’est pas disponible présentement. Plusieurs mutations virales peuvent entraîner une résistance à plusieurs médicaments ou même à des classes entières de médicaments (Hertogs et al., 2000 ; Condra et al., 1995), incluant des médicaments que le patient n’a jamais pris auparavant. Les données montrent que, une fois qu’il y a échec du traitement antirétroviral, les traitements de sauvetage subséquents utilisant des nouveaux médicaments sont moins efficaces (Deeks et al., 1999). En outre, une fois que le
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virus chez un patient a acquis une résistance à un médicament donné, cette personne reste en général résistante à ce médicament, même en arrêtant de le prendre (Albrecht et al., 2002). En conséquence, le recyclage des médicaments devient impossible, l’éventail des options de traitement se réduit avec le temps et s’accompagne souvent d’une augmentation importante des coûts. En plus des effets évidents que l’infection avec des souches résistantes peut avoir sur la santé et le bien-être des personnes traitées, l’inquiétude grandit au sujet de la transmission de ces souches résistantes du virus. Les contacts sexuels ainsi que les contacts sanguins peuvent entraîner une transmission directe du virus résistant (Hecht et al., 1998 ; Salomon et al., 2000). Des études récentes menées en Amérique du Nord et en Europe rapportent que la proportion des personnes séropositives sans historique de traitement qui sont porteuses de souches résistantes du virus est élevée et continue de s’accroître (Little et al., 2002 ; Simon et al., 2002 ; Descamps et al., 2001 ; Grant et al., 2002). D’autres études révèlent que l’infection par un virus résistant est associée avec une faible réponse initiale aux antirétroviraux (Grant et al., 2002), tandis que les conséquences cliniques à long terme demeurent inconnues. Jusqu’à maintenant, peu d’études sur la résistance transmise ont été réalisées dans les pays en développement. 3.2.2. Résistance et adhésion au traitement Les mutations de résistance peuvent entraîner une perte de la suppression virologique et une progression accélérée de la maladie, comme nous l’avons déjà mentionné. Par ailleurs, toute forme de traitement sous-optimal qui offre au VIH la possibilité de se répliquer augmente aussi la probabilité que de nouvelles mutations de résistance se développent (Wong et al., 1997). Les patients qui prennent seulement un ou deux médicaments antirétroviraux et les patients qui ont de la difficulté à absorber les antirétroviraux, parfois à cause d’autres maladies ou d’interactions avec d’autres médicaments non antirétroviraux, présentent un risque accru de développer une résistance (Deeks et al., 1999 ; Zolopa et al., 1999). Une faible adhésion au traitement prescrit constitue un facteur majeur de l’échec thérapeutique, de la morbidité et de la mortalité (Bangsberg et al., 2000 ; Descamps et al., 2000). En rendant possible une réplication virale accrue, une faible adhésion au traitement contribue à l’émergence de souches résistantes (Montaner et al., 1998 ; Wainberg et Friedland, 1998). Cependant, il existe de plus en plus de données indiquant que la relation entre la résistance et l’adhésion au traitement n’est pas si directe. Des études récentes ont démontré que, dans certaines situations, une adhésion au traitement plus faible est associée à une baisse de la résistance (Bangsberg et al., 2000). Les auteurs émettent l’hypothèse que, chez les patients avec une réplication virale continue, une adhésion au traitement moindre fait en sorte que le virus est exposé à moins d’antirétroviraux, ce qui résulte en une pression sélective favorisant l’émergence d’une résistance plus faible lors de sa multiplication.
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Bien que des recherches additionnelles soient nécessaires pour mieux comprendre le lien entre la résistance et l’adhésion au traitement, particulièrement dans des contextes autres que l’Amérique du Nord et de l’Europe, on peut d’ores et déjà tirer certaines conclusions. D’abord, on constate que le manque d’adhésion au traitement est clairement associé à des résultats cliniques plus faibles. En conséquence, l’intervention dans le but d’augmenter l’adhésion au traitement doit constituer une priorité de tout système de distribution des médicaments antirétroviraux. Ensuite, les études ont montré que les populations vulnérables, tels les itinérants ou les utilisateurs de drogue par injection, peuvent, avec un soutien adéquat, atteindre des niveaux élevés d’adhésion au traitement. Finalement, les données actuelles ne permettent pas de supposer que le fait d’offrir un traitement antirétroviral aux populations vulnérables, considérées à risque en ce qui a trait à l’adhésion au traitement, accélérerait nécessairement la transmission de souches résistantes du VIH. 3.2.3. La résistance au Brésil Contrairement à la plupart des pays en développement, le Brésil a la capacité de réaliser des analyses de laboratoire des souches de VIH à grande échelle pour en tester la résistance : un réseau national de laboratoires, récemment mis sur pied, permet de surveiller l’émergence de la résistance aux antirétroviraux. Une étude récente, effectuée par les membres de ce réseau, a analysé le virus obtenu en 1998 parmi 49 donneurs de sang naïfs de l’État de Rio de Janeiro (Dumans et al., 2002). Les résultats n’ont montré aucune évidence de mutations de résistance pour aucune des classes majeures de médicaments, ce qui permet de penser que la transmission de souches résistantes au Brésil en 1998 était relativement rare. Ces résultats concordent avec d’autres rapports révélant une transmission plutôt rare de la résistance dans d’autres parties de l’Amérique latine (Delgado et al., 2001 ; Kijak et al., 2001). Les estimations de transmission de la résistance ont été même inférieures a celles mesurées chez les personnes naïves au traitement en Amérique du Nord et en Europe. Le taux actuel de transmission du virus résistant au Brésil demeure inconnu mais pourrait être plus élevé que les estimations antérieures, en raison de la pression sélective engendrée par quatre années d’utilisation des médicaments antirétroviraux. Des analyses récentes de virus obtenus de patients brésiliens subissant un échec thérapeutique aux antirétroviraux ont démontré une haute prévalence de résistance chez les patients avec une perte de suppression virale persistante (Tanuri et al., 2002). Les virus résistants aux traitements ont été détectés dans plus de 80 % des cas, parmi un échantillon de patients subissant un échec du traitement antirétroviral à travers le Brésil. En plus des enjeux cliniques et de la complexité supplémentaire d’avoir à traiter des personnes infectées avec une souche résistante du VIH, ces résultats indiquent que le Brésil est à risque d’une transmission accrue de virus résistants. Une surveillance continue et plus étroite de VIH résistants, particulièrement chez les personnes nouvellement infectées, est en projet.
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L’importante diversité virale qui caractérise l’épidémie du VIH au Brésil complique le problème de la résistance aux antirétroviraux. Il existe de multiples sous-types distincts du VIH-1 ; un corpus de recherche grandissant autorise à penser que ces différents sous-types ont sans doute des propriétés biologiques spécifiques, incluant différents pouvoirs infectieux (Hudgens et al., 2002) et, potentiellement, des différences au plan de leur vulnérabilité naturelle aux médicaments antirétroviraux (Palmer et al., 1998). Jusqu’ici, la majorité des études sur la résistance ont été effectuées en Amérique du Nord et en Europe, où la grande majorité des infections au VIH sont causées par le sous-type B. Bien que le sous-type B soit responsable de la majorité des cas de VIH au Brésil, une proportion importante des cas est causée par le sous-type F (Morgado et al., 1994 ; Sabino et al., 1996). De plus, le sous-type C, responsable de plus de la moitié des infections au VIH-1 à travers le monde (Esparza et Bhamarapravati, 2000), a récemment été introduit au Brésil et sa prévalence est en croissance (Soares et al., 2003 ; Morgado, Guimaraes et Galvao-Castro, 2002). La diversité virale observée au Brésil complique les efforts investis pour surveiller et comprendre les patterns de résistance. Les tests pour détecter la présence de résistance dans le sang des patients ont été développés avec les souches de sous-type B ; des études récentes tentent d’évaluer l’efficacité de ces tests pour les autres souches (Brindeiro et al., 1999 ; Caride et al., 2000). De plus, certaines données laissent supposer que les mécanismes génétiques responsables de la résistance différeraient selon le sous-type du virus (Soares et al., 2003 ; Caride et al., 2001 ; Brindeiro et al., 2002). 3.2.4. Le soutien psychosocial : un besoin pour les personnes vivant avec le VIH / sida Idéalement, des interventions comportementales efficaces adaptées devraient accompagner la mise sur pied d’un programme de traitement antirétroviral universel peu importe le type d’environnement ou de contexte. Malheureusement, plusieurs des dispensaires de médicaments antirétroviraux au Brésil manquent de main-d’œuvre, de ressources ou de compétences en gestion pour offrir à chaque patient un ensemble intégré d’options de traitement et de soutien. Au Brésil, la qualité de la formation de base du personnel des dispensaires de médicaments antirétroviraux est assurée à travers les programmes d’accréditation, mais la norme minimale n’est pas à la hauteur des conditions optimales souhaitées. Nemes et al. (2000) ont défini une typologie des services de soins pour les personnes vivant avec le VIH / sida à São Paulo (l’État le plus riche et le plus développé du Brésil). Ils ont clairement mis en évidence les différences entre les services de référence et les services de petite et de moyenne taille. La plupart de ces services de petite et de moyenne taille ont un personnel insuffisant, surchargé – au bord de l’épuisement professionnel ; de plus, les services de petite taille font face à d’importants défis en termes d’infrastructure, de capacité de gestion et de
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disponibilité des ressources financières. Les auteurs ont également relevé un lien entre ces écarts et les niveaux d’adhésion au traitement et de satisfaction des clients, même en prenant en considération la variation dans les caractéristiques individuelles des clients desservis ; les normes cliniques les plus faibles se retrouvent dans les plus petits services, par comparaison avec les centres de référence (Nemes et al., 2000). En dépit de ces résultats, le niveau global d’adhésion au traitement, tel qu’il a été évalué dans les études effectuées à la fin des années 1990 (Nemes et al., 2000) et particulièrement dans des études plus récentes (Brigido et al., 2001 ; Remien et al., sous presse), laisse supposer que même en l’absence d’interventions spécialisées, les patients ont la capacité d’être fidèles au HAART, la plupart du temps à un degré suffisant pour atteindre un niveau significatif d’efficacité clinique. Certaines populations défavorisées sont particulièrement vulnérables et doivent être ciblées à travers des initiatives spécifiques, telles que celles décrites dans la section précédente de ce chapitre. Compte tenu de notre expérience passée et actuelle, nous avons décidé de mettre l’accent sur les utilisateurs de drogues par injection. Cependant, des stratégies similaires de prise en charge peuvent s’appliquer aux différentes populations marginalisées. 3.2.5. HAART, un vent d’optimisme L’utilisation du traitement antirétroviral hautement actif (HAART) a posé de nouvelles difficultés reliées aux conséquences indésirables sur les comportements associés au VIH. Un certain nombre d’études montrent que le sentiment d’invulnérabilité, c’est-à-dire la perception d’une réduction de la transmissibilité ou une diminution de la susceptibilité au VIH associées à l’existence du HAART, peut entraîner une augmentation des conduites sexuelles à risque (Remien et Smith, 2000). Plusieurs de ces études ont été effectuées auprès d’hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH) vivant dans des pays développés. Bien que plusieurs études établissent un lien entre le sentiment d’invulnérabilité et les conduites à risque parmi les participants séropositifs ainsi que séronégatifs (van de Ven et al., 1999 ; Ostrow et al., 2002), d’autres études rapportent une telle relation seulement parmi les hommes séronégatifs (Elford et al., 2001). Tandis que le sentiment d’invulnérabilité associé au traitement a d’abord été évalué dans les populations d’hommes homosexuels à prédominance blanche, on commence maintenant à étudier cette problématique dans d’autres populations. Une étude récente a évalué l’impact de traitements améliorés contre le VIH sur la pratique des comportements sexuels sécuritaires dans une population à prédominance hétérosexuelle parmi des résidants de centres urbains (inner city) infectés par le VIH aux États-Unis, la plupart faisant partie de groupes ethniques minoritaires (Demmer, 2002). Vingt-trois pourcent des répondants de cette étude rapportent adopter moins souvent des pratiques sexuelles sécuritaires depuis le début de leur traitement antirétroviral hautement actif (Demmer, 2002).
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D’autres études effectuées auprès des UDI aux États-Unis présentent des résultats similaires, c’est-à-dire une perception réduite des risques d’infection et une diminution des comportements sexuels sécuritaires associés au début du traitement antirétroviral hautement actif ou au sentiment d’invulnérabilité associé au HAART (Vlahov et al., 2001). En dehors des États-Unis et de l’Europe, à cause de l’accès limité au HAART dans la plupart des contextes défavorisés, il existe peu d’information au sujet des conséquences indésirables potentielles de cette nouvelle forme de traitement sur les comportements sexuels sécuritaires parmi les personnes vivant avec le VIH / sida. À notre connaissance, il n’existe aucune recherche publiée dans des revues avec comité de lecture sur la question du sentiment d’invulnérabilité et du comportement sexuel sécuritaire parmi les personnes vivant avec le VIH / sida dans les pays en développement. Bien que les données établies à ce jour au sujet du sentiment d’invulnérabilité associé au traitement soient loin d’être concluantes, elles ont cependant suscité des questions et des inquiétudes chez ceux qui planifient les programmes de prévention du VIH et les décideurs politiques, particulièrement dans les pays les plus pauvres, là où les taux de prévalence sont élevés et où l’accès au HAART commence à être disponible. En effet, ils veulent s’assurer que l’accès au HAART n’aura pas comme conséquence une hausse du taux d’infection (UNAIDS, 2002). Deux études de recherche qualitative, distinctes mais complémentaires, effectuées à Rio de Janeiro, examinent les conséquences inattendues du HAART. La première étude, chapeautée par le centre de recherche sur le sida de la Johns Hopkins University (CFAR), a évalué les connaissances, les attitudes, les croyances et les comportements associés au HAART (à la fois en ce qui regarde le comportement sexuel sécuritaire et l’adhésion au traitement) de même que le rôle potentiel du sentiment d’invulnérabilité à l’égard du traitement sur les comportements liés au VIH et aux IST. Les participants (n = 80) à cette étude incluaient des personnes séropositives et séronégatives provenant de quatre populations distinctes : des HARSAH, des hommes hétérosexuels, des femmes hétérosexuelles et des UDI. Une deuxième étude importante, chapeautée par le Horizons / Population Council, a exploré de façon plus globale l’éventail des facteurs potentiels associés au maintien d’un comportement sexuel sécuritaire et à un engagement aux soins, incluant, sans s’y limiter, la question de l’adhésion au traitement, parmi des femmes hétérosexuelles sous HAART et leur partenaire sexuel principal actuel (n = 40). De plus, cette étude visait à explorer des pistes d’intervention pour tenter de minimiser certains des obstacles concernant les situations suivantes : commencer un traitement et rester fidèle aux soins, se prévaloir des services de prévention et maintenir des comportements sécuritaires. Les analyses de données de ces deux études sont présentement en cours. Plusieurs thèmes ressortent des analyses préliminaires. Ainsi, plusieurs facteurs communs aux deux études ont été relevés et pourraient potentiellement jouer un rôle facilitateur ou nuisible à l’actualisation de comportements d’adhésion
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au traitement et de conduites sexuelles sécuritaires. Ces facteurs incluent des aspects tels que les connaissances, attitudes et croyances concernant le HAART et son efficacité, la dépression ou une vision optimiste du futur, la dynamique de la relation avec les partenaires sexuels, le soutien social de la part de la famille et des amis, la stigmatisation et la discrimination perçues, la communication et le degré de confiance envers les intervenants cliniques, et la stabilité socioéconomique. Malgré le fait que les types de réponses soumises par les participants au sujet des facteurs potentiels affectant l’adhésion au traitement ou aux comportements sexuels sécuritaires se sont révélés assez universels, ces études ont également mis en évidence des enjeux spécifiques à certaines populations qui doivent être pris en considération dans le cadre de recherches et d’interventions futures. Par exemple, des résultats préliminaires de l’étude CFAR indiquent que le sentiment d’invulnérabilité lié au traitement joue peut-être un rôle plus important chez les hommes que chez les femmes (Kerrigan et al., 2002). Les femmes qui ont participé à l’étude CFAR mettaient généralement l’accent sur leurs difficultés à rester fidèles au HAART en raison de leurs multiples rôles dans la famille et en dehors du foyer en tant que femmes, mères, aidantes, travailleuses, etc. Un plus grand nombre d’hommes ont souligné les avantages potentiels du HAART et, plus particulièrement, comment ces avantages et le sentiment d’invulnérabilité ont influencé le comportement sexuel de leurs amis et de leurs pairs. Ce sont les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes qui semblent avoir le plus d’information sur le HAART. Ils donnaient plus d’exemples de cas où ils croyaient que le HAART influençait les pratiques à risque associées au VIH / IST parmi leurs amis ou leurs pairs. Cela peut être dû au simple fait qu’ils connaissent plus de personnes infectées par le VIH ou à la façon dont l’information est disséminée dans la communauté gaie à Rio de Janeiro. Il est important de noter, cependant, que presque tous les participants des deux études percevaient les connaissances et les croyances associées au HAART comme seulement un élément parmi un éventail complexe de facteurs qui pourraient influencer une pratique soutenue de comportements sécuritaires. 3.2.6 Au-delà des changements de comportement au plan individuel : les impacts dynamiques du HAART sur la communauté L’évaluation de la pertinence de l’utilisation du traitement antirétroviral à grande échelle pour une population ayant des ressources limitées doit, comme nous l’avons déjà mentionné, prendre en compte un grand éventail de facteurs (l’infrastructure, les questions d’éthique, l’évaluation du rapport coût-efficacité, etc.). Une question qui revient sans cesse lors des débats sur l’utilisation du traitement antirétroviral à grande échelle est de savoir si les avantages que procure le traitement antirétroviral aux personnes infectées peuvent contrecarrer les effets indésirables potentiels pour la communauté. Le traitement antirétroviral est bénéfique pour les personnes infectées par le VIH en ralentissant la progression de la maladie, en
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augmentant le taux de survie et en réduisant partiellement le pouvoir infectieux du VIH lorsqu’il y a diminution de la réplication virale (Gupta et al., 1997 ; Detels et al., 1998 ; Hosseinipour et al., 2002). En diminuant la transmission du VIH et, par conséquent, en réduisant l’incidence du VIH, une réduction importante du pouvoir infectieux des personnes séropositives peut aussi être bénéfique pour l’ensemble de la communauté et, éventuellement, permettre de contrôler l’épidémie du VIH (même si la prévalence du VIH pourrait augmenter à cause de l’allongement de la période d’incubation ; Anderson, Gupta et May, 1991 ; Blower, Gershengorn et Grant, 2000 ; Velasco-Hernandez, Gershengorn et Blower, 2002). Malheureusement, des effets secondaires (la toxicité des médicaments, la lipodystrophie, etc.) et des conséquences indésirables (l’émergence de la résistance aux médicaments, l’augmentation des comportements à risque, etc.) ont été observés à la suite de l’utilisation des médicaments antirétroviraux (Dodds et al., 2001 ; Stolte et Coutinho, 2002 ; Brenner, Turner et Wainberg, 2002). On craint que certaines de ces conséquences indésirables n’aggravent l’épidémie du VIH. Par exemple, l’usage à grande échelle des médicaments antirétroviraux pourrait augmenter la transmission de la résistance du VIH dans les communautés où l’adhésion au traitement ne serait pas élevée. Des hausses récentes des cas de gonorrhée et de syphilis de même que des augmentations des comportements à risque ont été observées chez les HARSAH en Europe, aux États-Unis, au Canada et en Australie (Doods et al., 2001 ; Stolte et Coutinho, 2002 ; Elford, Bolding et Sherr, 2002), au même moment où le traitement antirétroviral est devenu disponible à grande échelle dans ces populations. Ces craintes s’étendent d’ailleurs à un niveau plus large : si les antirétroviraux deviennent disponibles de façon universelle, des augmentations similaires pourraient peut-être également se produire dans d’autres populations et accélérer la transmission du VIH. Les raisons de ces tendances à la hausse ne sont pas encore parfaitement élucidées bien que différentes hypothèses aient été avancées pour les expliquer. Dans cette section, nous discutons des différentes manières dont l’utilisation des médicaments antirétroviraux à grande échelle peut causer une augmentation des comportements sexuels à risque et des IST. Nous mettons un accent particulier sur les changements occasionnés par le traitement antirétroviral sur l’histoire naturelle de l’infection VIH / sida, incluant des changements dans la mortalité et la morbidité associées au sida, et les répercussions sur les comportements sexuels et les IST à l’échelle de la population, au fil du temps. L’impact du traitement antirétroviral sur les comportements sexuels à risque d’une communauté peut se manifester à l’échelle de l’individu ou de la population. Le traitement antirétroviral peut avoir un impact direct sur le comportement sexuel des individus en influençant les processus cognitifs individuels ou, selon la théorie de l’action raisonnée d’Ajzen (1991), les attitudes individuelles, les normes, les décisions et les intentions concernant certaines conduites à risque. Le traitement antirétroviral peut aussi agir indirectement à l’échelle de l’indvidu
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en modifiant l’environnement sexuel, c’est-à-dire par le renforcement des facteurs facilitants, tels qu’ils ont été décrits dans la théorie de l’action raisonnée (Boily et al., 2002). La plupart des études empiriques ont mis l’accent sur l’impact direct du traitement antirétroviral en évaluant la relation entre les conduites à risque et les facteurs au niveau de l’individu, tels les effets du traitement antirétroviral sur le sentiment d’invulnérabilité par rapport au risque de sida. Bien que les résultats ne soient pas uniformes et parfois contradictoires, certains auteurs ont postulé que le traitement antirétroviral peut amener une augmentation des conduites à risque chez les personnes séropositives ainsi que chez les personnes séronégatives. Étant donné l’efficacité du traitement, les personnes non infectées peuvent développer ou maintenir un sentiment d’invulnérabilité et ainsi adopter une attitude nonchalante envers le risque de contracter le VIH et les maladies associées au sida. De plus, les personnes séropositives sous traitement qui se sentent mieux peuvent revenir à des conduites à risque. Elles peuvent également être moins craintives de transmettre le VIH à leurs partenaires parce qu’elles sont sous traitement antirétroviral. Toutefois, les facteurs de risques qui concernent l’individu, tel le sentiment d’invulnérabilité, ne sont pas associés de façon systématique à une augmentation des conduites à risque à l’échelle de l’individu (Dilley, Woods et MacFarland, 1997 ; Miller et al., 2000 ; Knox, Van de Ven et Prestage, 2001 ; Van de Ven et al., 2002 ; Stolte et Coutinho, 2002 ; Elford et al., 2002). La plupart des études à ce jour sont transversales et ne permettent donc pas d’établir une relation de causalité, ce qui a mené certains auteurs à postuler que le sentiment d’invulnérabilité associé au traitement antirétroviral peut être utilisé comme une justification des conduites à risque plutôt que d’en constituer la cause. Ils estiment que, puisque les facteurs individuels ne peuvent à eux seuls expliquer complètement les hausses récentes dans les comportements à risque, les facteurs sociaux doivent également être pris en compte pour comprendre la tendance récente (Miller et al., 2000 ; Elford et al., 2002). L’un des aspects récemment évalué avec l’aide de modèles mathématiques est l’impact direct du traitement antirétroviral sur les comportements sexuels à l’échelle de la communauté, et les conséquences de ces changements sur les comportements sexuels à l’échelle des individus. Les conséquences possibles (Boily et al., 2002 ; Boily, Bastos et Masse, 2002) de la disponibilité à grande échelle du traitement antirétroviral sur les comportements sexuels et les infections sexuellement transmissibles, dus aux changements de l’histoire naturelle du VIH / sida par les médicaments, sont présentées brièvement. Au départ, lorsque le VIH se transmet dans une population, il infecte les personnes avec les comportements sexuels les plus à risque. Donc, par la suite, le sida élimine de façon différenciée, par la mortalité ou les maladies graves, les
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personnes les plus à risque sexuellement, réduisant ainsi la taille des groupes à risque et la moyenne des comportements à risque à l’échelle de la communauté. Au fur et à mesure que le nombre de personnes ayant des comportements les plus à risque diminue, il est possible qu’il devienne de plus en plus difficile pour les personnes qui veulent encore avoir des conduites sexuelles à risque de trouver des partenaires qui sont prêts à adopter ces comportements. Cette situation peut alors forcer ces personnes, à abandonner ou à diminuer leurs conduites sexuelles à risque, du moins temporairement (c’est-à-dire jusqu’à ce que la disponibilité des partenaires sexuels augmente), ce qui réduit davantage la moyenne des comportements à risque à l’échelle de la population, et, par conséquent, les taux d’IST dans la communauté (Kault, 1992 ; Blower et van Griensven, 1993). Après la disponibilité à grande échelle du HAART dans les populations homosexuelles, on a émis l’hypothèse que l’effet contraire peut également se produire (Boily et al., 2004). En d’autres termes, les taux d’IST et le niveau des comportements sexuels à risque dans la communauté peuvent augmenter à la suite de l’utilisation à grande échelle du traitement antirétroviral. Ces hausses se produisent en partie parce que le traitement antirétroviral permet une amélioration de la qualité de vie des personnes séropositives symptomatiques qui peuvent recommencer leurs activités sexuelles. Elles peuvent également se poursuivre de façon continue au fil du temps parce que le traitement antirétroviral diminue la morbidité et la mortalité associées au sida, ce qui réduit l’élimination des personnes à risque qui sont déjà infectées au VIH ou le sont devenues récemment. Le traitement antirétroviral réduit le pouvoir infectieux du virus chez les personnes séropositives, ce qui potentiellement réduit le nombre de nouvelles infections au VIH parmi les personnes à risque. Ces effets favorisent le renouvellement de la population à risque, et, avec le temps, le niveau moyen et l’hétérogénéité des conduites à risque dans la communauté augmentent graduellement, après l’introduction du traitement antirétroviral. Ainsi, le traitement antirétroviral peut modifier l’environnement sexuel en augmentant le nombre de partenaires disponibles qui veulent adopter des conduites sexuelles à risque. Dans certains cas, la disponibilité accrue de partenaires à risque peut également permettre aux personnes qui avaient réduit leurs comportements sexuels à risque malgré eux (comme conséquence de la mortalité et de la morbidité associées au sida) de revenir peu à peu à leurs anciennes pratiques sexuelles à risque. Donc, le risque dans l’ensemble de la population peut s’accroître encore davantage. En bref, le traitement antirétroviral peut favoriser de façon inattendue une augmentation des conduites à risque à l’échelle de l’individu et de la population à partir d’un mécanisme qui s’enclenche dans la communauté. Il est à noter que ces changements de comportements peuvent être suffisamment importants pour entraîner une augmentation substantielle des IST, et être suivis ou non d’une augmentation de l’incidence du VIH. En fait, il existe une corrélation positive entre l’augmentation des conduites à risque et des IST, d’une part, et la couverture
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thérapeutique (nombre de personnes traitées) et l’efficacité du traitement, d’autre part. En d’autres termes, en réduisant la transmission du VIH et la progression de la maladie, une amélioration de l’efficacité du traitement et du nombre de personnes sous traitement augmente les chances d’observer une hausse des conduites à risque et des taux d’IST à l’échelle de la population. Cette corrélation signifie que les augmentations des conduites à risque et des taux d’IST, observées récemment après la disponibilité à grande échelle du traitement antirétroviral, ne mèneront pas toutes nécessairement à une augmentation de l’incidence du VIH. Le degré d’augmentation de l’incidence du VIH dépend jusqu’à quel point les augmentations de comportement sont dues à des changements du processus cognitif de l’individu plutôt qu’à l’effet du traitement qui par son efficacité modifie l’environnement sexuel. Il est donc très important de poursuivre les recherches sur les facteurs de conduites à risque en cette ère du traitement antirétroviral. Les données nécessaires qui permettraient de démontrer l’hypothèse que l’impact du traitement antirétroviral sur les comportements sexuels à l’échelle de la population a des répercussions sur les comportements individuels à risque élevé sont difficiles à obtenir. L’hypothèse peut se diviser en trois questions : 1) Est-ce que la disponibilité des partenaires sexuels a des répercussions sur les comportements sexuels des individus ? Si oui, de quelles façons ? 2) Est-ce que le traitement antirétroviral augmente la disponibilité des partenaires sexuels à risque élevé ? Si oui, de quelles façons ? 3) Est-ce que le traitement antirétroviral a suffisamment changé la disponibilité des partenaires sexuels à risque élevé pour influencer les comportements sexuels des individus ? Si oui, de quelles façons ? Ces questions nécessiteraient, idéalement, l’obtention de données individuelles et écologiques sur les comportements sexuels au fil du temps, avant et après l’utilisation des traitements antirétroviraux, dans diverses communautés. Ces données n’existent pas actuellement. Une autre possibilité consiste à utiliser les méthodes de recherches qualitatives (comme les vignettes et autres) pour établir les différentes causes (tels le sentiment d’invulnérabilité et la disponibilité des partenaires sexuels à risque et autres) responsables des changements qui se produisent dans les conduites à risque. Cette dernière approche permettra d’étudier les HARSAH, au Brésil. Ce projet fait partie d’une collaboration à long terme entre le centre de recherche sur le sida de la Johns Hopkins University (CFAR), l’Institut Fiocruz à Rio de Janeiro et le département d’épidémiologie des maladies infectieuses de l’Imperial College, à Londres. Puisque les comportements sexuels sont généralement très hétérogènes à l’intérieur d’une même population, les résultats rapportés jusqu’à présent peuvent s’appliquer à une grande variété de communautés. En fait, l’impact du traitement antirétroviral sur les tendances temporelles des IST et des conduites à risque des populations ne dépend pas strictement de l’ampleur de l’épidémie du VIH / sida, mais fortement de l’impact différentiel du sida, qui est accentué dans le cas d’une plus grande diversité sexuelle. Ainsi, l’ampleur de l’impact du traitement antirétroviral sur le comportement sexuel et les IST dans la communauté ne sera
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pas identique pour toutes les populations. L’un des facteurs déterminants est l’épidémiologie locale du VIH / sida. En effet, le renouvellement différentiel des personnes qui ont des conduites à risque élevé est accéléré, si le processus de renouvellement de la population est rapide, par le truchement de taux élevés de fertilité ou de migrations et si, par exemple, la prévention est moins efficace (Boily et al., 2004). L’impact du traitement antirétroviral à l’échelle de la population a un certain nombre d’implications pour les communautés, autant dans les pays développés que dans les pays en développement. Dans les pays développés, l’impact du traitement antirétroviral à l’échelle de la population permet de mieux comprendre la hausse graduelle des conduites à risque et des taux d’IST chez les hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes depuis que le traitement antirétroviral est accessible à grande échelle. Cela peut expliquer pourquoi on ne retrouve pas toujours de relation directe entre les facteurs individuels, tel le sentiment d’invulnérabilité, et l’augmentation des conduites à risque. L’interprétation des différences de changements de comportements sexuels qui peuvent exister entre les personnes séropositives et les personnes séronégatives devrait aussi prendre en considération l’impact du traitement antirétroviral sur l’histoire naturelle et la dynamique de transmission du VIH / sida. Les résultats d’études basés sur des modèles mathématiques indiquent aussi que les différences de comportements sexuels entre populations de personnes séropositives et séronégatives ne dépendent pas uniquement de changements qui s’opèrent sur le plan individuel (Boily, Bastos et Masse, 2002). Ces différences doivent être interprétées en tenant compte des changements du nombre d’individus sexuellement actifs dans les différents états d’infection VIH / sida à la suite de l’utilisation des traitements antirétroviraux efficaces qui modifie l’histoire naturelle de la maladie. Les comportements à risque auront tendance à augmenter dans la population de personnes séronégatives si les personnes à risque échappent à l’infection, restent « bloquées » et s’accumulent dans cet état de susceptibilité à l’infection. Cette situation se produit grâce au renouvellement des personnes à risque élevé, en raison de l’immigration ou de la maturation sexuelle, et grâce à la réduction des taux d’infection entraînée par une probabilité de transmission VIH réduite avec le traitement antirétroviral, particulièrement si les périodes de survie et d’incubation sont courtes. D’un autre côté, si les personnes susceptibles à risque élevé (nouvelles recrues ou non) s’infectent relativement rapidement, elles se retrouveront « bloquées » et s’accumuleront à l’état d’infection par le VIH. Cette situation se produira surtout si un nombre suffisant de nouvelles infections se produisent, si la mortalité liée au sida devient plus rare et si la progression vers le sida est beaucoup moins fréquente, contribuant ainsi à l’augmentation du niveau des comportements à risque dans la population de personnes séropositives. Évidemment, le pourcentage de personnes infectées recevant un traitement antirétroviral aura un impact sur ces divers aspects.
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La situation peut être quelque peu différente dans les pays moins développés et / ou dans les communautés où le traitement antirétroviral n’est devenu accessible de façon universelle que récemment. Dans ces communautés, l’épidémie VIH / sida a souvent été plus grave, la morbidité et la mortalité différentielles sans doute plus élevées, et la prévention parmi les jeunes a probablement été inadéquate. Dans ces contextes, il est donc important de tenir en considération l’augmentation potentielle des IST causée par le traitement antirétroviral dans l’évaluation du rapport coût-efficacité de ces traitements. Il est très important également de mettre en œuvre des stratégies de prévention efficaces au moment où l’accès universel au traitement antirétroviral devient une réalité. De tels résultats ont une grande valeur compte tenu du rôle que jouent les réseaux sexuels dans la propagation des IST et du VIH / sida (Anderson et al., 1991 ; May et Lloyd, 2001). En effet, il est essentiel de comprendre non seulement l’impact des réseaux sexuels sur la propagation du VIH / sida mais également l’impact du VIH / sida, qui agit par le truchement de la morbidité, de la mortalité et des changements comportementaux, sur la structure des réseaux sexuels. Sans cette compréhension, une dimension importante du problème pourrait être ignorée, ce qui peut poser des difficultés dans l’interprétation des tendances observées et entraîner, en conséquence, la prise de mauvaises décisions dans le domaine de la santé publique. 3.2.7. Soins et soutien des populations défavorisées : le modèle de la prise en charge des utilisateurs de substances psychoactives Au Brésil, comme dans les pays développés, le traitement des utilisateurs de substances psychoactives séropositifs pose des défis importants. Au-delà des diverses toxicomanies et de la dépendance aux opiacés, aux stimulants et à l’alcool, cette population souffre souvent de problèmes psychiatriques, tels que la dépression, l’anxiété et les troubles de la personnalité antisociale (King et al., 2000 ; Woody et al., 1997). Les utilisateurs de substances psychoactives sont typiquement mobiles, sans emploi, sans domicile fixe ; ils ont des casiers judiciaires et vivent des relations de famille difficiles. Ces différents aspects de leur situation les rendent particulièrement susceptibles à ne pas suivre fidèlement leur traitement antirétroviral ; par ailleurs, ils n’ont souvent pas accès aux soins de santé de base dont ils auraient fréquemment besoin. Différentes études ont indiqué que cette population peut être traitée de façon efficace avec les antirétroviraux (Moatti et al., 2000 ; Escaffre et al., 2000). Puisque les UDI séropositifs sont souvent impliqués dans des réseaux sociaux à risque, il apparaît donc possible, en réduisant de façon significative leur charge virale par le biais des traitements antirétroviraux efficaces, de diminuer les risques de transmission sexuelle et parentérale au reste de la communauté.
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Certaines études ont abordé les difficultés rencontrées par les UDI séropositifs à accéder au traitement antirétroviral et à maintenir une adhésion à long terme ; elles ont également souligné le besoin de nouvelles approches pour mettre sur pied des initiatives taillées sur mesure en fonction de leurs besoins spécifiques (Strathdee et al., 1998 ; Moatti et al., 2000). Par exemple, les UDI séropositifs qui reçoivent un traitement de maintien à la méthadone ont, de façon significative, une probabilité plus élevée de recevoir un traitement antirétroviral (Clarke et al., 2002). Moatti et al. (2000) ont aussi trouvé que les utilisateurs de substances psychoactives séropositifs qui prennent de la buprénorphine ont des niveaux d’adhésion au traitement antirétroviral légèrement plus élevés. Cependant, les traitements basés sur les agonistes opiacés ne sont presque pas disponibles au Brésil, mais seraient probablement d’une valeur limitée puisque le principal abus de substances psychoactives concerne la cocaïne et que l’abus d’héroïne n’est que rarement déclaré. Récemment, des options pharmacologiques novatrices ont été développées pour la prise en charge d’abus de cocaïne (Petrakis et al., 2000). D’autres études ont évalué, d’une part, les attitudes des professionnels de la santé ainsi que leurs difficultés à prodiguer des soins et à offrir un soutien aux personnes séropositives et aux UDI (Strathdee et al., 1998 ; Escaffre et al., 2000), et, d’autre part, les autorapports des UDI séropositifs au sujet de leurs difficultés à accéder et à maintenir une adhésion au traitement antirétroviral (Altice, Mostashari et Friedland, 2001). La stigmatisation et la discrimination, manifestées par les intervenants en santé et institutionnalisées dans les systèmes de soins de santé, jouent un rôle clé dans la diminution de l’accès aux soins de qualité pour ces personnes. Des lacunes importantes continuent de se faire sentir dans les connaissances et les interventions ciblant le traitement et les soins offerts aux UDI séropositifs. La prise en charge de cas est une approche intégrée destinée à améliorer l’accès aux soins cliniques ainsi qu’aux services psychosociaux. Elle a été utilisée avec succès chez les utilisateurs de substances psychoactives et d’autres populations défavorisées aux États-Unis (Knowlton et al., 2001 ; Meredith et al., 1998). La prise en charge de cas contribue à améliorer l’accès aux services médicaux pour les hommes homosexuels séropositifs (London, LeBlanc et Aneshensel, 1998) et pour les UDI séropositifs (Knowlton et al., 2001). La prise en charge de cas est un service auxiliaire important pour favoriser un accès aux soins et une utilisation optimale des soins de santé, l’adhésion au traitement de la toxicomanie et l’adhésion au traitement antirétroviral, parmi les UDI actuels et passés qui sont infectés par le VIH / sida (Knowlton et al., 2001). La prise en charge de cas, particulièrement celle se concentrant sur l’abus de substances psychoactives, a été en général utilisée pour améliorer l’accès et la fidélité aux services offerts pour le traitement de la toxicomanie (Shwartz et al., 1997) et pourvoir aux besoins spécifiques des utilisateurs de substances psychoactives séropositifs (Newschaffer et al., 1998 ; Thompson et al., 1998).
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La prise en charge de cas est un outil qui aide les patients, dans ce cas particulier les utilisateurs de substances psychoactives qui vivent avec le VIH / sida, à manœuvrer à travers le système de santé, ce qui favorise l’adhésion au traitement antirétroviral, permet la prise en charge de l’abus de substances psychoactives, aide à prévenir les rechutes et soutient les démarches pour l’obtention d’autres services spécifiques (Knowlton et al., 2001). Dans notre expérience décrite ci-dessous, nous avons mis en œuvre la prise en charge de cas dans le but d’améliorer l’adhésion au traitement de la toxicomanie (fourni sur place ou à travers des références), de favoriser l’adhésion au traitement des antirétroviraux (sur place) et de promouvoir les activités qui peuvent réduire les conséquences négatives associées à l’usage de substances psychoactives. Bien que l’importance de la prise en charge de cas dans la prévention de la transmission du VIH n’ait pas été démontrée de façon convaincante dans cette population, il demeure que ces stratégies peuvent aider les personnes à maintenir une adhésion au traitement antirétroviral, ce qui peut indirectement réduire le pouvoir infectieux du virus (Barroso et al., 2000) tout en les aidant à se remettre des conséquences de comportements chaotiques et autodestructeurs. Dans le contexte brésilien, la prise en charge de cas de personnes vivant avec le VIH / sida qui sont des utilisateurs de substances psychoactives a rarement été tentée. Les expériences réussies, comme celle décrite ci-dessous pour Rio de Janeiro, sont des exceptions par rapport à la norme générale des soins de santé. À notre connaissance, la première tentative d’utilisation de prise en charge de cas visant les UDI ainsi que d’autres types d’utilisateurs de substances psychoactives, au Brésil, a été réalisée par notre équipe de recherche. Mise en œuvre dans le cadre des initiatives chapeautées par l’Organisation mondiale de la santé, elle met en action un consortium d’institutions qui offrent des services de soins cliniques pour le VIH / sida, pour différents problèmes de santé et pour le traitement de la toxicomanie. Dans le cadre de nos études antérieures, nous avons observé que, malgré de longues périodes passées dans les hôpitaux, les patients que nous avons recrutés dans les centres de traitement de la toxicomanie n’avaient pas vraiment tiré profit des initiatives qui visaient la prévention du VIH / sida et des autres infections sexuellement transmissibles ou transmissibles par le sang. Puisque plusieurs de ces utilisateurs de substances psychoactives n’avaient pas complété leur traitement et vivaient assez fréquemment des rechutes, ils revenaient souvent à leurs comportements à risque liés à l’injection ou à des relations sexuelles non protégées dès qu’ils quittaient les cliniques. En ce sens, notre stratégie initiale de référer les patients séropositifs pour des soins, après qu’ils eurent complété leur programme de traitement de la toxicomanie, avait manqué la cible, c’est-à-dire ceux qui en avaient le plus besoin. Ces personnes n’avaient pas bénéficié d’initiatives de prévention autres que celle du programme de traitement de la toxicomanie axé sur l’abstinence.
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Pour faire face à ces besoins, nous avons réuni une équipe de médecins, fonctionnant comme une unité mobile, qui visite de façon régulière les deux plus grands centres de traitement de la toxicomanie à Rio. Ces visites aux cliniques par les équipes mobiles ont été très bien accueillies et ont donné lieu à des sessions individuelles de counselling, des discussions de groupe et des consultations cliniques sur place (Bastos et al., 2000). Ces activités représentent la première tentative d’intégrer les efforts de sensibilisation, les services de référence, la prévention et les traitements, et elles servent à favoriser les échanges entre professionnels venant d’horizons différents. L’expérience de l’équipe mobile et l’augmentation continue du nombre d’utilisateurs de substances psychoactives, recrutés dans la communauté, qui sont référés ont mené ce partenariat vers une collaboration permanente, ciblant surtout la prévention d’ensemble et les soins des participants inclus dans les différents projets de recherches. La grande majorité de la clientèle visée par notre initiative appartient à des couches sociales très pauvres. Certains sont des itinérants ou des personnes marginalisées d’une quelconque façon, d’autres sont des travailleurs et des travailleuses du sexe, des mendiants, des enfants de la rue, des jeunes en fugue, des personnes qui trafiquent des petites quantités de drogues illicites, etc. Le service de consultation externe est allié à un hospice où les adultes et les enfants atteints du VIH, sérieusement malades et vivant dans des conditions sociales difficiles, peuvent être hébergés avant ou après leur hospitalisation. Les services offerts comprennent des soins et un soutien individualisé pour les personnes vivant avec le VIH / sida, de même que des initiatives visant des groupes de clientèles cibles. Les cas qui demandent une prise en charge et un soutien particulier sont l’objet d’interventions supervisées par du personnel expérimenté et sont discutés sur une base régulière. Chaque patient est évalué par au moins un médecin, un psychologue et un travailleur social. Tous les patients dans l’unité de soins de jour ou ayant des rendez-vous avec les médecins / infirmières peuvent se doucher et manger dans les locaux aménagés à cette fin. Les principales initiatives visant des groupes de patients sont les suivantes : – Causeries Débats sur différents sujets, couvrant un large éventail de questions, incluant les aspects associés à l’abus d’alcool et à l’utilisation de substances psychoactives, y compris leurs conséquences négatives, les façons de les prévenir et de les gérer ; – Groupes AA / NA (Alcooliques anonymes / Narcotiques anonymes). Bien que ces groupes soient une activité indépendante en conformité avec les normes des AA, ils bénéficient du soutien de travailleurs sociaux qui tentent d’aider les membres des groupes à développer les habiletés nécessaires pour répondre à leurs différents besoins ;
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– Groupe de soutien à l’adhésion au traitement. Profitant de l’expérience d’un groupe déjà existant. De telles activités ont reçu un nouvel élan grâce à l’intégration de notre équipe de recherche, au soutien d’un nouveau personnel et à l’application de différentes techniques non verbales de jeux de rôles.
CONCLUSION Nous avons décrit brièvement ci-dessus les principales réalisations du Brésil en matière de traitement du VIH / sida. Malgré les nombreux défis auxquels feront face dans un avenir proche les professionnels de la santé, les chercheurs, les gestionnaires, les activistes et les personnes vivant elles-mêmes avec le VIH / sida au Brésil, nous croyons que l’effort brésilien est une source d’inspiration et devrait être imité par d’autres pays dans un effort global pour enrayer l’épidémie de sida. Les nouveaux défis de la troisième décennie de l’épidémie de sida constituent des enjeux universels : améliorer l’adhésion au traitement, offrir des soins de santé intégrés et procurer un soutien psychosocial adéquat afin d’engager les populations marginalisées dans le traitement, surveiller de près l’émergence des souches résistantes et l’échec thérapeutique. Malgré cette caractéristique universelle, la situation brésilienne est unique en ce sens qu’aucun autre pays ne fournit un accès universel au traitement antirétroviral, accompagné d’un suivi clinique et de laboratoire d’ensemble, sur un tel fond d’inégalité sociale et de diversité géographique. Tout en décrivant l’exemple brésilien, nous avons tenté d’intégrer à la fois les perspectives des personnes et des communautés. Nous espérons que ce chapitre illustre bien l’idée que la lutte pour juguler l’épidémie de sida ne connaîtra de succès que si nous intégrons de manière efficace les personnes de différentes sociétés et cultures, profitant de leurs réussites et apprenant de leurs échecs et de leurs tentatives avortées. Un dicton latin s’applique, on ne peut mieux, à ce domaine de la santé publique : « Je suis un être humain à part entière et rien de ce qui relève de la nature humaine ne m’est étranger. »
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Les traitements antirétroviraux
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Liste des collaboratrices et des collaborateurs
Adam, Barry D., professeur, Département de sociologie et d’anthropologie, Université de Windsor, Windsor, Ontario, Canada. Bastien, Robert, Unité Écologie humaine et sociale, Direction de la santé publique de Montréal-Centre, Département de médecine sociale et préventive, Université de Montréal et Équipe de recherche Prévention MTS / sida, Fonds de recherche en santé du Québec (FRSQ). Bastos, Francisco Inácio, Département d’information en santé, Fondation Oswaldo Cruz, Rio de Janeiro, Brésil. Boily, Marie-Claude, Département d’épidémiologie des maladies infectieuses, Imperial College, Londres, Royaume-Uni et Unité de recherche en santé des populations (URESP), Hôpital Saint-Sacrement affilié du CHA, Québec, Canada. Boucher, Marc, médecin, Centre maternel et infantile sur le sida, Hôpital Sainte-Justine. Bourdages, Antoine, agent de recherche. Cohen, Jeffrey, directeur, HIV Care Program, Hôpital régional de Windsor, Windsor, Ontario, Canada. Fernet, Mylène, professeure, Département de sexologie, Université du Québec à Montréal. Gahagan, Jacqueline C., Ph. D., assistante-professeure, School of Health and Human Performance, Université Dalhousie, Nouvelle-Écosse, Canada. Goupil, Isabelle, intervenante, Centre de ressources et d’intervention en santé et sexualité (CRISS) Harerimana, Marie, directrice, Centre de ressources et d’intervention en santé et sexualité (CRISS) Kerrigan, Deanna, Département de santé internationale, Johns Hopkins School of Public Health, Baltimore, MD, USA. Lapointe, Normand, médecin, Centre maternel et infantile sur le sida, Hôpital Sainte-Justine. Lévy, Joseph J., professeur, Département de sexologie, Université du Québec à Montréal, Équipe de recherche Prévention MTS / sida, Fonds de recherche en santé du Québec (FRSQ).
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Les traitements antirétroviraux
Loppie, Charlotte, M. A., chargée de cours, School of Health and Human Performance, Université Dalhousie Nouvelle-Écosse, Canada. Maticka-Tyndale, Eleanor, professeure, Département de sociologie et d’anthropologie, Université de Windsor, Windsor, Ontario, Canada. Otis, Joanne, professeure, Département de sexologie, Université du Québec à Montréal, Équipe de recherche Prévention MTS / sida, Fonds de recherche en santé du Québec (FRSQ). Pelletier, Régis, agent de recherche, Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-sida), Fonds de recherche en santé du Québec (FRSQ). Petersen, Maya, Division d’épidémiologie et de biologie de la santé publique, School of Public Health, University of California at Berkeley, Berkeley, CA, États-Unis. Pierret, Janine, sociologue, directeur de recherche au CERMES (CNRS-INSERMEHESS), Villejuif, France. Rateau, Marlène, présidente du C.A., Groupe d’action pour la prévention de la transmission du VIH et l’éradication du sida (GAP-vies). Richard, Stéphane, intervenant, Groupe d’action pour la prévention de la transmission du VIH et l’éradication du sida (GAP-vies.) Samson, Johanne, coordonnatrice de recherche, Centre maternel et infantile sur le sida, Hôpital Sainte-Justine Trottier, Germain, professeur, École de service social, Université Laval, Équipe de recherche Prévention MTS / sida, Fonds de recherche en santé du Québec (FRSQ). Wallach, Isabelle, doctorante en ethnologie, Université Paris VIII – Centre GeorgesDevereux.
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LE VIRAGE AMBULATOIRE Défis et enjeux Sous la direction de Guilhème Pérodeau et Denyse Côté Dans la collection
PROBLÈMES SOCIAUX ET INTERVENTIONS SOCIALES
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43 $
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