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French Pages 21 Year 1985
LES SEPT ' 'LECTURES" : CORPS SOCIAL ET ÉCRITURE RÉVÉLÉE* Première partie 1) Le problème des sept "ahruf" dans la recherche Le hadîth attribué au Prophète :"Le Coran a été révélé en sept ahruj" occupe une place de choix dans les recueils de hadîth, dans les ouvrages classiques en arabe sur la collecte du Coran, dans la littérature des qirâ'ât, dans certains commentaires classiques, en particulier, ceux de Tabarî (m. 323/910) et de Qurtubî (m. 671/1272), dans les manuels coraniques. Il a attiré depuis longtemps l'attention des orientalistes qui ont tenté de lui donner un sens et une fonction à l'intérieur de leurs recherches sur l'établissement et le destin du texte coranique et sur l'exégèse. Nous voudrions reprendre ici ce dossier. Après avoir présenté les principaux résultats obtenus jusqu'a ce jour, nous rexaminerons un certain nombre de textes anciens désormais édités, nous tenterons de classer les diverses interprétations qu'ont données les auteurs anciens de ce hadîth. Dans la deuxième partie de cette étude, nous essaierons de replacer ces traditions dans le cadre d'une anthropologie de la tradition. * Nous avons rendu, dans le titre, ahruf par "lectures", il ne s'agit pas d'une prise de position initiale sur le sens de Surf, mais le terme français est suffisamment plurivoque pour permettre cette traduction. Dans l'article lui-même, nous n'avons pas traduit ce vocable pour qu'il n'y ait pas de confusion avec les sept qirâ'ât, les sept lectures.
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Dès 1808, A. Silvestre de Sacy avait abordé le problème par le biais d'une traduction du Commentaire de la 'Aqîla d' ash-Shâtibî, intitulé : al- Wasîla ilâ kashf al-'aqîla dont l'auteur est as-Sakhâwî (m. 634/1243) ( l ) . L'interrogation sur ce thème a vraiment été entreprise par 1. Goldziher, G. ~ergstrasseret O. Pretzl (2) et elle n'a guère progressé depuis. R. Blachère fait allusion à ce problème dans son Introduction au Coran, mais le souci qu'il avait :"d'extraire de cette mine si riche, mais si encombrée, ce qui convient à un lecteur français" (3) (sic !) - cette "mine'' étant l'Histoire du Coran de Noldeke et autres - a abouti à une simplification abusive de la recherche publiée en langue allemande. Pour 1. Goldziher (4), l'exploitation des hadîth-s sur les sept ahruf a servi d'attestation traditionnelle à un point de vue moyen et médiateur, une sorte de conciliation entre l'affirmation du caractère exclusif de la configuration textuelle de la veision 'uthmânienne et une certaine liberté, limitée mais réelle, dans la récitation du texte coranique. La parole du Prophète sur les sept ahruf a été utilisée dans la science des lectures pour justifier les conditions dominantes et pour instaurer quand même une cer1) A. SILVESTRE de SACY, Mémoire sur l'origine et les anciens monuments de la littérature parmi les Arabes, in Mémoires de l'Académie Royale des Inscriptions et Belles Lettres, L(1808), p 334-335. Pour l'extrait traduit du Commentaire de la 'Aqîla, p. 328-345. Ash-Shâtibî (al-Qâsim b. Fierroh al-Andalusî, m. 590/1194, cf. C A L , 1, 409-410 et S 1 , 725-726) a mis en vers le Taysîr d'ad-Dânî dans un poème connu sous le nom de : ash-Shâ!ibiyya = W r z al-amânî wu wajh ut-tahânî, éd. 'Alî M. ad-Dabba' , Le Caire, Mustafâ 1-Bâbî al-Halabî, 1355/1935, 1 1 1 p. Ce poème fut commenté entre autres par as-Sakhâwî('A1amaddîn Abû 1-Hasan 'Alî b. M., m 634/1243, C A L , 1,410) sous le titre : Fath al-wasîd. La'Aqîlaatrâb al-qa~â'idfiasnâ1-maqâsid est un poème en râ', dans lequel ash-Shâtibî a mis en vers le Muqni' d'ad-Dânî (m. 444/1053). As-Sakhâwî a également commenté ce poème sous le titre : al-Wasîla ilâ kashf al-'aqîla ; cf. A. SILVESTRE de SACY, in Notices et Extraits, VI11 (1810), p. 342 S. qui donne une partie du texte arabe accompagné de la traduction de la 'Aqîla (plusieurs fois éditée au Caire depuis 1282). Pour ash-Shâtibî cf. SARKÎS, 1, 1091-1092. 2) 1. GOLDZIHER, Die Richtungen der islamischen Koranauslegung, 19201, réimp. Leiden, Brill, 1970J, p. 36; G. BERGSTRASSER und O. PRETZL, in Th. NOLDEKE, Geschichte des Qorans, Bd. III, 193g2,réimp. Hildesheim-New York, Georg Olms, 1970, (cité GdQ) III, p. 106. 3) R. BLACHERE, Le Coran. Traduction selon un essai de reclassement des sourates, t . 1, Introduction au Coran, Paris, G.P. Maisonneuve, 1947, p . XXIX. Pour les sept ahruf, p. 124-125. 4) Richtungen, op. cil., p. 36-38.
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taine discipline. Goldziher soulignait encore que le chiffre sept n'avait pas toujours été compris dans la tradition islamique comme une détermination arithmétique précise, mais comme symbole du grand nombre. On relèvera cependant qu'une lecture fautive d'un texte attribué à une autorité en la matière, Abû 'Ubayd al-Qâsim b. Sallâm (m. 224/838), a conduit Goldziher à penser que celui-ci mettait en doute l'authenticité de la parole attribuée au Prophète. Pour Goldziher, Abû 'Ubayd aurait déclaré que la parole du Prophète sur les sept ahruf "n'était absolument pas confirmée" (als vollig unbeglaubigt), c'est ainsi qu'il comprenait : shadhdh ghayr musnad. Or si l'on se réfère au Kitâb Alif bâ d'al-Balawî (Abû 1-Hajjâj Yûsuf b. M., m. 604/1207), ce n'est pas l'attribution de la parole à Muhammad qui est mise en doute, mais l'une des interprétations de cette parole ; il s'agit aussi de la faiblesse de 1' isnâd. Cette tradition mise dans la bouche d'Ibn Mas'ûd voit dans les sept ahruf : "le licite, l'illicite, l'ordre, l'interdit, le récit de ce qui était avant nous et de ce qui sera après nous, et l'utilisation des paraboles" (darb al-amthâi). Abû 'Ubayd commente : "Nous ne savons pas quelle est la voie (de transmission, wajh) de ce hadîth, car il est irrégulier et ne remonte pas au Prophète" ( 5 ) (shâdhdh ghayr musnad). La critique d'Abû 'Ubayd porte ici visiblement sur le canal de transmission (wajh) d'un khabar particulier et rien de ce que nous a transmis de lui le Itqân de Suyûtî, par exemple, ne nous permet de penser qu'il ait pu mettre en doute l'attribution à Muhammad du hadîth des sept ahruf. Quant à l'explication elle-même de cette parole par le licite, l'illicite, etc. .. elle a été en général mal accueillie, bien qu'étant présentée comme venant d'Ibn Mas'ûd, car c'était laisser la porte ouverte à des divergences fondamentales sur des affaires de droit : fi-annahu muhâlun an yakûna 1-harf minhâ harâman lâ mâ siwâhu aw halâlan 1â mâ siwâhu, wa fi-annahu la yajûzu an yakûna 1-qur'ânu yuqra'u 'alâ annahu halâlun kulluhu aw harâmun kulluhu aw amthâlun kulluhu (Itqân, 1, 171) 5) al-BALAW~,K. A l i f b â , Le Caire, 1287/1870, 1, p. 210. L'erreur de lecture de Goldziher a été relevée dernièrement par Rushdî 'ULAYYÂN, al-Qur'ân al-Karîm wa 1-ahruf as-sab'a, in al-Mawrid (Bagdad) 9/4 (1981), p. 18b. L'ensemble de l'article, p. 17-26.
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On peut penser qu'Abû 'Ubayd avait des réticences à l'égard de cette tradition d'Ibn Mas'ûd, aussi bien à cause de l'isnâd qu'à cause de son contenu. Il devait revenir à G. Bergstrasser (m. 1933) et à O. Pretzl (m. 1941) d'affiner la théorie esquissée par 1. Goldziher en réunissant davantage de matériau ancien. Ils distinguèrent deux tendances dans le combat autour du Coran : "Alors que 'Uthmân et al-Hajjâj voulaient supprimer les racines du combat, les différences entre les textes du Coran, d'autres voulaient le surmonter par l'éducation à la tolérance" (p. 106) @ ) . La tradition des sept ahruf aurait été invoquée à l'appui de cette dernière tendance : "C'est cet objectif que s'assignent la tradition selon laquelle le Coran aurait été révélé en sept ahruf et les récits qui l'accompagnent, selon lesquels le Prophète aurait refusé de trancher entre des versions contradictoires du texte (p. 106-107). Les deux efforts, en apparence opposés, devaient aboutir au même but, car dans la pratique le texte 'uthmânien devait sYimposer,eten théorie les formes non 'uthmâniennes devaient être reconnues comme divines'dans la mesure où elles ne s'opposaient pas au ductus de la version 'uthmânienne. Dernièrement, J. Wansbrough ('1 a fait une place, bien que réduite, à ce thème dans le cadre de sa recherche. On sait qu'il considère les récits sur l'établissement du texte 'uthmânien comme une fiction et que "la littérature des masâhifsuggère fortement que les codex des "Compagnons" ont été fabriqués à partir d'un matériau exégétique à l'appui d'un argument central pour le récit traditionnel sur la canonisation du texte, c'est-à-dire la version 'uthmânienne" (p. 204). La plus grande partie du matériau s'est cependant maintenue sous la forme d'écarts types par rapport au canon, le tout ayant été "arrangé par la doctrine des sept ahruj" (p. 204) et par les interprétations de cette tradition (p. 44-45), ce qui, pour Wansbrough, est l'expression d'une tendance générale qui préfère conserver plutôt que supprimer. Pour cet A. également la thèse et ses interprétations remplissent 6 ) GdQ, I I I .
7 ) J . WANSBROUGH, Quranic studres. Sources and methods of scriptural inferpretation, Oxford, Oxford University Press, 1977, p. 44-45, 204.
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une fonction de médiation, justifiant la persistance des variantes (p. 44-45). Ces récits traditionnels ont retenu plus longuement l'attention de J. Burton (8) pour l'étude de la collecte du Coran par les premiers califes. Pour lui également, les traditions sur la rédaction 'uthmânienne sont une fiction, il en est de même pour les codex des Compagnons et les variantes qui auraient été approuvées par le Prophète. Tout cela est le fait de savants juristes qui voulaient de la sorte donner une base en raison a leurs propres divergences et aux traditions qui prétendaient qu'il existait des lectures différentes transmises de plusieurs Compagnons. Les ouvrages ou articles écrits dernièrement en arabe sur les lectures coraniques font, en général, une place à l'interprétation des hadîth-s sur les sept ahruf, mais se contentent de justifier leur préférence pour l'une ou l'autre des interprétations traditionnelles, apportant parfois des traditions peu exploitées ; c'est le cas de l'article de Rushdî 'Ulayyân sur le Coran et les sept ahruf, qui cite une tradition rapportée par al-Kulaynî dans &iîl al-Kâfl et attribuée à Abû Ja'far ( = M. b. 'Alî Zayn al-'Abidîn, Abû Ja'far al-Bâqir, m. 114/732), selon laquelle le Coran est un, les divergences provenant des transmetteurs. Pour le reste, l'A. de l'article s'en tient aux positions sunnites les plus "traditionnelles" (9). Il nous paraît, quant à nous, que la tradition des sept ahruf 8) J. BURTON, The Collection of the Qur'an, Cambridge Univ. Press, 1977. Pour les sept ahtuf, p. 148-156, 193-194, 206-21 1. Ce n'est pas le lieu de résumer en détail les théories de J. Wansbrough et de J. Burton, on les trouvera exposées dans A.T. WELCH, al-Qur'ân, EI, V', p. 409. Ils ont donné lieu à de longs comptes rendus critiques. Pour Wansbrough, citons entre autres : J. Van ESS, in Bibi. Orient., XXXV (1978), 349-353 ; M. COOK, in JRAS, 1980/2, 180-182 ; R. PARET, in Der Islam, 55 (1978), 354-356 ; E. ULLENDORF, in BSOAS, 40 (1977), 609-612. Pour Burton : G . MONNOT, in JA, CCLXVI, 1978, p. 360 ; l'excellent CR de A. NEUWIRTH, in OLZ, 76 (1981), col. 372-380 ; J. van ESS, in Times Literary Suppl., no 3898, 8/9/1978, 977 ; J. WANSBROUGH, in BSOAS, 41 (1978), 370-371 : R. PARET, in Der Islam, 55 (1978), 352-354. K. RU DOLPH, Neue Wege der Koranforschung? in Theologische Literaturzeitung, 105/1 (1980), CO. 1-19 fait une large place à ces deux ouvrages, sans toutefois ménager ses critiques, en particulier col. 18. A. RIPPIN, Literary Analysis of Qur'ân, Tafsîr, and Sîra, The Methodologies of John Wansbrough, dans un ouvrage collectif édité par R. Martin, p. 150-163 (sous presse). 9) R. 'ULAYYÂN, art. cit., p. 18-19. Cf. aussi : 'Afif DIMASHQHIYYA, Âthâr al-qirâ'ât al-qur'âniyya fl tatawwur ad-durs an-nahwî, Beyrouth, Ma'had al-inmâ' al-'arabî, 19781, 203 p., p. 9-26 (avec bibl., pour d'autres ouvrages). A L - K U L A Y N ~ , Usûl al-Kâj7, II, p. 63 ; Fad al-Qur'ân, nawâdir, 12-13.
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acquiert davantage de sens si on l'envisage dans la perspective générale de 1'Ecriture comme Parole révélée ; en effet, la Tradition est essentielle a l'Ecriture, elle replace celle-ci dans un horizon de temporalité et l'insère "dans un corps social dont elle partage la durée" ('0).
II) Le choix de Tabarî et l'embarras des Anciens Mais avant de tracer ce cadre théorique, il convient tout d'abord d'examiner a nouveau les traditions en question, de les classer, d'étudier les interprétations traditionnelles qui en ont été données. Nous avons choisi comme texte de base le début du Commentaire coranique de Tabarî qui nous fournit le corpus le plus développé. De plus, Tabarî est connu comme spécialiste des lectures coraniques, non seulement à cause des informations contenues à ce sujet dans son Commentaire, mais aussi à cause d'un ouvrage consacré a ce domaine, et qui nous est conservé en manuscrit : Kitâb al-qirâ'ât wa tanzîl al-qur'ân ou K. Jâmi' al-qirâ'ât mina 1-mashhûr wa sh-shawâdhdh wa 'ilal dhâlika wa sharhuhu, qui contient lui aussi un chapitre sur les sept ahruf ("1. D'autre part, il y a un lien entre Ibn Mujâhid (m. 324/936) 1' "innovateur-réformateur" des lectures coraniques et Tabarî; le premier a transmis certaines des lectures coraniques du célèbre exégète et il tenait en grande estime son livre sur les lectures, comme ce sera le cas plus tard également pour ad-Dânî (m. 444/1053). Cependant ad-Dânî fait le reproche à Ibn Mujâhid d'avoir utilisé indûment le nom de Tabarî dans ce domaine (dallasa smahu) (12). Tabarî, de son côté, devait beaucoup au livre d'al-Qâsim b. Sallâm, Abû 'Ubayd (m. 224/838), 10) S. BRETON, Ecriture et tradition, Paris, Cerf (coll. "Cogitatio fidei", 97), 172 p., p. 154. 11) Nous ferons souvent référence à TABARI, Tafsîr, Jâmi' al-bayân 'an ta'wîl al-qur'ân, éd. Shakir, t. 1, Le Caire, Dâr al-Ma'ârif, 1954', 196g2, cité : TAB, 1, suivi parfois de la numérotation des traditions rapportées. Il existe un manuscrit du Jâmi' al-qirâ'ât de Tabarî à al-Azhar, l'attribution n'en est pas certaine selon C A S , 1, p. 328, no 9.Quant à I'existencedecet ouvrage,elle est attestée : Ghâya, II, 106-107 ; Fihrist, p. 23 1. 4 ; Udabâ', XVIII, éd. Ahmad Farîd ar-Rifâ'î, Le Caire, 1936-1938, XVIII, p. 66-68, 44-45. P. 68 de cet éd. on corrigera : Tabarî tenait le livre d'Abû 'Ubayd de Ahmad b. Yûsuf at-Taghlibî (et non pas ath-Tha'labî), celui-ci étudia les qirâ'ât auprès d'Abû 'Ubayd, in Ghâya, 1, 152-153 et Ta'rîkh Baghdâd, V , 218-219. 12) Ghâya, II, p. 107
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qu'il tenait de Ahmad b. Yûsuf at-Taghlibî (m. 273/886). Nous sommes donc avec Tabarî, une fois de plus, à un momentcharnière entre les traditions antérieures et l'époque de la codification, incarnée par Ibn Mujâhid qui joua un rôle déterminant pour imposer les "lectures closes". G. Bergstrasser a très bien résumé le sens de la "réforme-innovation" de l'adversaire implacable d'Ibn Shanabûdh (m. 328/939) et d'Ibn Miqsam (m. 354/965) (13): "L'innovation déterminante d'Ibn Mujâhid (m. 324)' qui constitue une grande coupure avec le passé, consiste moins dans le fait d'avoir préparé la voie à la canonisation des sept lectures que dans celui d'avoir remplacé définitivement dans la science des variantes l'étude des variantes individuelles par celle des lectures closes telle que l'école coranique l'enseignait. Pour lui, le motif déterminant ne fut pas seulement le traditionalisme montant qui se développait partout à son époque. La raison décisive est qu'on avait besoin d'une garantie en tradition, non pas tant pour les qirâ'ât que pour le Coran lui-même ; celle-ci n'existait pas dans les lectures, et le mushaf reposant sur une tradition orale n'y pouvait suffire. La préférence accordée aux lectures closes devait aboutir à un bouleversement de la pensée dans tout le domaine de la science des variantes ..." (GdQ, III, p. 152 ; cf. p. 183). Avant de tenter de reclasser les diverses traditions rassemblées par Tabarî sur les sept ahruf, une remarque s'impose qui n'est pas sans importance pour l'ambiance générale qui entoure ces récits (14). 13) GdQ, III, p. 110-1 12, p. 122-123 qui donne plus de détails à ce sujet que les articles de l'Encyclopédie de l'Islam consacrés à Ibn Shanabûdh et à Ibn Miqsam, EI, 1112, 960b, Suppl.2, 393-394 ; cf. aussi l'introduction de Shawqî Dayf à IBN MUJÂHID, K. as-sab'afll-qirâ'ât, Le Caire, Dâr al-Ma' arif, 1972' 19802, éd. corrigée, p. 18s. 14) L'abréviation Tr. suivie d'un chiffre renvoie au numéro du khabar dans le Commentaire de Tabarî, éd. Shâkir. Pour ne pas multiplier les notes, nous avons renoncé à indiquer les parallèles dans d'autres ouvrages, nous nous contenterons de donner ici les lieux où on pourra les trouver : A. JEFFERY, Two Muqaddirnas to the Qur'anic sciences, Le Caire, al-Khânjî, 1954, p. 207-234, 265-274 ( = K . al-Mabânî d'un anonyme, commencé en 425/1033, IBN 'ATIYYA (m. 542-1 147), Muqaddirna) ; IBN ABÎ DÂWÛD as-Sijistânî, K. al-Ma~âhif,in A. JEFFERY, Materials for the history of the tex1 of the Qur'ân, Leiden, Brill, 1937, avec Index, 1951, réimpr. 1975, New York, AMS, ne comporte pas de section sur les sept ahruf; l'un des lieux les plus riches en information est : IBN al-JAZARÎ (m. 833/1429), K. an-Nashrfll-qirâ'ât al-'ashr, Le Caire, al-Maktaba t-tijâriyya 1-kubrâ, tashîh 'Alî M. ad-Dabbâ', s.d., 1,
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Aucun d'entre eux ne donne un exemple précis de versets ou de mots sur lesquels il y aurait eu divergence de lecture ou de récitation. Ils demeurent dans une généralité que viennent à peine tempérer des thèmes "synonymiques" qui ont trait aux noms de Dieu ('alîin, hakîm, ghafiîr, rahîm, Tr. 8) ou des concepts religieux qui ne sont pas précisés, la seule chose qui est défendue étant de remplacer 'adhâb par rahma ou vice-versa (Tr. 16). On trouve bien la mention de deux sourates, an-Na61 dans un hadîth rapporté par Ubayy b. Ka'b (Tr. 38), al-Furqân dans la tradition du désaccord entre 'Umar et Hishâm b. Hakîm (Tr. 15) ; mais même là, aucun exemple n'est donné. Il est tout p. 19-33 ; IBN K A T H ~ R('Imâduddîn, m. 774/1373), Fadâ'il al-qur'ân, Beyrouth, Dâr al-Andalus, 19794, p. 27-39 ; S U Y Û T ~ I, tqân, éd. M. Abû 1-Fadl Ibrâhîm, Le Caire, 1967'. 1974-19752, avec corrigenda et pagination différente, 1, p. 163-177, naw' 16, rnas'ala 3, p. 274-277 ; az-ZARKASH~ (Badruddîn, m. 794/1931), al-Burhân f i 'ulûm al-qur'ân, éd. M. Abû 1-Fadl Ibrâhîm, Le Caire, 1957', réimpr. Beyrouth, Dâr al-mat rifa, 19722, 1, p. 211-227. Parmi les manuels modernes : a z - Z U R Q Â N ~(M. 'Abdal'azîm), Manâhil al-'irfân/rrulûm al-qur'ân, Le Caire, 'Isâ 1-Bâbî 1-Halabî, s.d., 1, p. 130-185 (l'A. s'y montre surtout préoccupé de supprimer les doutes que cette question pourrait provoquer chez ses étudiants) ; Subhî SÂLIH, Mabâhithfi 'ulûm al-qur'ân, Damas, 1958', plusieurs éditions revues et augmentées, dont Beyrouth, Dar al-'ilm li-1-malâyîn, 197911, p. 101 (pour lecteurs bien-pensants). IBN QUTAYBA, K. Ta'rvÎl mushkilal-qur'ân, éd. as-Sayyid Ahmad Saqr, Le Caire, 1954l, rééd., Le Caire, Dâr at-turâth, 19732, p. 33-49 ; cf. sur ce sujet : G . LECOMTE, Ibn Qutayba, l'homme, son oeuvre, ses idées, Damas, IFD, 1965, p. 283-286 ; a n - N î S Â ~ û R f , Tafsîr gharâ'ib al-qur'ân wu raghâ'ib al-furqân ( = Nizâmuddîn al-Hasan b. M. al-Qummî, la date exacte de sa mort est inconnue, on pense que ce commentaire a été écrit entre 710 H et 730, cf. SARKIS, Il, 1527. G . MONNOT, Islarn : exégèse coranique, in E P H , Ve section, Annuaire, Résumés ..., XCI (1982-l983), 317-318. Le Caire, 1323, en marge du Commentaire de Tabarî, réimpr. Beyrouth, 1972, 1, p. 2 1 s . ; a l - Q U R T U B ~(m. 671/1272), Jârni' ahkâm al-qur'ân, tashîh Ahmad M. al-Bardûnî, Le Caire, 1952, réimpr. Beyrouth, Dâr ihyà' t-turàth al-'arabî, 1967, 1, p. 41-49 ; le Qârnûs et le Lisân à H R F ; Kashfaz-zunûn, réimpr. Beyrouth, Maktabat al-Muthannà, II, 1317, H . FLEISCH, Harf, in EI, 1112, 210-21 1 ; pour les recueils de hadîth, cf. WENSINCK, Concordance, 1, 448 ; en particulier, B U K H Â R ~(éd. , Krehl), 11, 310, 1. 1 - 2 = T R (Traduction de Houdas), 11, 133 ; II, 90-91 = T R , 11, 126 ; IV, 4 9 7 = T R IV, 646-647 ; MUSLIM, (éd. M. F. 'Abdalbâqî, Le Caire, 1955, réimpr. Beyrouth, 1978), 1, 560-563 ; NAS'A"~(éd. Hasan M. al-Mas'ûdi, avec commentaire de Suyûtî), Beyrouth, 19662, II, 152, etc. .. Une source intéressante est également : IBN HAJAR, Fath al-bârî, Le Caire, 1328/1910, 1, p. 19-27 ; cf. aussi Q A S T A L L Â N ~ , Irshâd as-sûr?, Le Caire, 1327/1909, réimpr. Beyrouth, s. d., IV, 236-237 ; VII, 450-453 ; N A W A W ~ Sharh , sahîh Muslirn, Le Caire, 1929-1930, réimpr. Beyrouth, 1978, VI, 99-100 (synthèse intéressante) ; al-QASTALLÂN~,Latâ'if al-ishârât li-funûn al-qirâ'ât, ed. 'Amir as-Sayyid 'Uthmân et 'Abdassabûr Shâhîn, 1, Le Caire, al-Majlis al-a'lâ li-sh-shu'ûn al-islamiyya, 1972, p. 31-44.
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au plus question d'un verset non précisé ou du verset un tel (ka-dhâ wa ka-dhâ, Tr. 17). En observateur perspicace, al-Qastallânî (m. 923/ 1517) avait déjà relevé que la mention des ahruf sur lesquels 'Umar et Hishâm b. Hakîm avaient été en dispute n'apparaissait dans aucune des versions de cette tradition. Il annonce qu'il reviendra sur ce sujet, pour voir ce qu'en ont dit, outre les Compagnons, les Anciens, plus spécialement sur la sourate al-Furqân. Il tient, en effet, sa promesse dans son commentaire du K. Fadâ'il al-Qur'ân de Bukhârî, mais doit bien évidemment se contenter des opinions de certaines Autorités, qui ne sont que des interprétations générales sur le sens de cette tradition cl5). On comprendra, dès lors, que G . Bergstrasser ait pu écrire que le matériau de ces traditions est : "abstrait et politique et non orienté concrétement sur le texte coranique lui-même", ce qui contraste avec les traditions qui concernent les disputes sur le texte coranique et ses variantes. (GdQ, III, p. 107, n. 1) III) Essai de reclassement des traditions sur les sept ahruf
Sur les cinquante-deux traditions rapportées par Tabarî dans le cadre du thème des sept alzruf (TAB, 13, no 7-58, p. 21-59), quatorze n'ont pas la mention explicite des sept ahruf; sur les trente-huit restantes, six se réduisent à l'isnâd avec un renvoi à un matn précédent (mithlahu, nah wahu, bi-nah wihi); il reste donc trente-deux traditions qu'on peut reclasser en fonction de leur contenu. On distinguera d'abord les traditions qui ont un "thème d'encadrement" de celles qui n'en ont pas. Le thème d'encadrement, au sens où cette expression est utilisée dans le folklore, désigne l'ensemble des circonstances dans lesquelles un entretien ou un événement a eu lieu. 1) Les traditions sans thème d'encadrement : Nous pouvons les répartir en deux catégories, celles qui ont un 15) QASTALLÂNÎ, IV, p. 237, 1 . 10-11 et p. 401-403.
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accompagnement et celles qui n'en ont pas. Nous entendons ici par accompagnement un commentaire ou une ébauche de commentaire illustrant une déclaration du Prophète ou de l'un des premiers garants sur les sept ahruf. a) Les traditions sans cadre et sans accompagnement : Le corpus de Tabarî n'en contient qu'une (Tr. 28) : "Le Coran est descendu selon sept ahruf '. Cette tradition est rapportée par Ubayy b. Ka'b qui tient une place importante dans la transmission des hadîth-s sur les sept ahruf, ce qui n'a pas de quoi surprendre de la part de celui qui est appelé sayyid al-qurrâ', le Prophète ayant dit de lui qu'il était le meilleur des lecteurs de sa Communauté (IS, II, p. 341 : aqra'u ummatî), Jibrîl l'ayant désigné comme celui qui devait recevoir du Prophète le premier verset révélé. Il est évident que cette déclaration du Prophète (ou à lui attribuée)surles sept ahruf est le plus souvent citée, comme un abrégé de l'ensemble des récits sur ce thème. On la retrouve, non seulement dans les commentaires du Coran, mais aussi dans la littérature des masâhif, dans les récits sur la collecte du Coran et dans les ouvrages consacrés aux lectures coraniques, sans parler des dictionnaires anciens à l'entrée HRF. b) Les traditions sans cadre avec accompagnement On peut y voir encore deux catégories. Les unes sont centrées sur la fonction conative ou injonctive par le biais d'un jugement de valeur, on peut les retraduire comme suit : utilisez n'importe lequel des sept harf-s, ils sont égaux en valeur (Tr. 7, 20, 24, 42, 43, 45, 47). Dans les autres, c'est la fonction référentielle qui constitue la pointe du récit, sous la forme d'une ébauche d'explication (Tr. 8, 10, 45). Certaines traditions renferment les deux fonctions (Tr. 45). Le champ d'utilisation de ces sept ahruf est parfois délimité par une restriction : "Ne concluez pas (un verset) en mentionnant la miséricorde au lieu du châtiment.. ." (Tr. 45, 47). Comme on le voit, la frontière entre le texte du hadîth et l'interprétation est floue.
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2) Les traditions avec un thème d'encadrement : Elles sont au nombre de vingt, m'ais se réduisent a deux types de thème d'encadrement dont les "variantes" sont nombreuses ; elles renferment également des thèmes d'accompagnement. Les deux thèmes d'encadrement sont celui de l'ange et celui de la querelle. a) Le thème de l'ange : Le déroulement est le suivant : un ambassadeur de Dieu (Jibrîl, ou les deux anges, ou Jibrîl et Mîkâ'îl, ou quelqu'un qui vient) ordonne à Muhammad de faire réciter le Coran selon un harf, Muhammad se récriant et arguant de l'ignorance ou de la diversité de sa communauté obtient après divers "marchandages", que Dieu lui concède la récitation selon sept ahruf (Tr. 19,21,22, 29, 34, 35, 46, 47). Ainsi par exemple : "Jibrîl me fit réciter suivant un harf, mais je le consultai a nouveau (fa-râja'tuhu), lui en demandant toujours davantage (fa-lam azal astazîduhu), il m'en accorda davantage jusqu'à ce qu'il parvînt à sept ahruf (Tr. 19, TAB, 1, p. 29). Le thème du "marchandage" avec un être céleste, voire ici avec Dieu apparaît à plusieurs reprises dans la tradition islamique. C'est le cas, en particulier, pour les cinq prières, Moïse conseillant à Muhammad de demander à Dieu de réduire le nombre des cinquante prières par jour ordonnées par Dieu à l'origine (16). C'est un thème que l'on trouve également dans la Bible, par exemple lors de l'intercession d'Abraham en faveur de Sodome et de Gomorrhe (Gen. 18, 23 ss.) Parfois, c'est Mîkâ'îl qui incite Muhammad à demander l'augmentation du nombre des ahruf permis dans la récitation (Tr. 25, 26, 40). b) Le thème de la querelle : Il précède le plus souvent le premier thème dans une même tradition. On pourrait également l'appeler le thème des lectures divergentes. 16) Cf. A . J . WENSINCK, Salât, in EI, IV1, lOla et Mi'râdj in H . A . R . GIBB and J.H. KRAMERS, Shorter Encyclopaedia of Islam, Leiden, Brill, 1961, 383a, avec références.
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Un homme ou deux hommes récitent un passage du Coran (à la mosquée, par exemple) de façon différente de celle que le témoin de la scène, qui est aussi le premier garant de la chaîne, a apprise du Prophète. Le témoin (Ubayy ou 'Umar) emmène l'homme ou les deux hommes chez le Prophète, ou encore ils y vont d'euxmêmes, pour lui soumettre leur litige (selon Abû Juhaym al-Ansârî, Tr. 41). Le Prophète donne raison à l'homme ou aux deux hommes et au témoin. Ainsi pour le récit de l'épisode entre 'Umar et Hishâm b. Hakîm (Tr. 15, in TAB, 1, p. 24-25) : "Du vivant de l'Envoyé de Dieu (désormais : ED), j'entendis Hishâm b. Hakîm réciter la sourate al-Furqân. J'écoutai sa récitation, or il la faisait dans de nombreux hurûf que 1'ED ne m'avait pas fait réciter. Je faillis le saisir par la tête durant la prière (fa-kidtu usâwiruhu fi s-salâti)(17)mais je patientai jusqu'a la salutation finale et lorsqu'il l'eut faite, je le saisis par le collet de son habit (labbabtuhu bi-ridâ'ihi) et je lui dis :
- Qui t'a fait réciter ainsi
?
Il me dit : c'est ED. Je lui dis : tu mens ! Par Dieu ! c'est 1'ED qui m'a fait réciter cette sourate que je t'ai entendu réciter. Je le conduisis sur le champ auprès de ED et je dis a ED:
- J'ai entendu celui-ci réciter la sourate al-Furqân suivant des hurûf que tu ne m'as pas fait réciter, et c'est bien toi qui m'a fait réciter la sourate al-Furqân. L'ED de Dieu dit : laisse-le 'Umar ! Récite Hishâm ! Il la lui récita de la façon que je lui avais entendu réciter (fa-qara'a 'alayhi 1-qirâ'ata Ilatî sami'tuhu yaqra'uhâ). L'ED de Dieu dit : c'est ainsi qu'elle a été révélée. Puis 1'ED dit : récite, 'Umar ! -
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17) LA (éd. Sâdir), IV, 385 : sâwarahu : tanâwala ra'sahu ou à propos du hadîth de 'Umar : usâwiruhu : uwâthibuhu wu uqâtiluhu. AL-QASTALLÂN~,Latâ'if al-ishârât, op. cif. commente : âkhudhu bi-ra'sihi, p. 3 2 .
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Je la lui récitai de la façon que 1'ED m'avait apprise et 1'ED dit : - C'est ainsi qu'elle a été révélée.
Puis 1'ED dit : - Le Coran a été révélé suivant sept ahruf : récitez suivant celui (des ahrufi qui est le plus facile (fa-iqra'û mâ tayassara minhâ) !"
Ce type de récit est le plus souvent suivi du thème de l'ange ou des deux anges (premier thème d'encadrement) (Tr. 15, 16, 17, 25, 26, 30, 32, 38, 39, 41). 3) Relation de ces traditions avec celles qui ne comportent pas la mention explicite du thème des sept ahruf : On ne s'étonnera pas que Tabarî ait rassemblé dans ce cycle des traditions qui ne font pas une référence explicite au thème des sept ahruf, le lien qui unit cet ensemble étant le contentieux à propos de la récitation du Coran. Un adage résume la position de la communauté : "se quereller sur le Coran, c'est de l'impiété" (al-mirâ' fî 1-qur'ân kufr) (Tr. 7) ; ou selon une parole d'Ibn Mas'ûd : "gardez-vous d'être prolixes !" (iyyâkum wa t-tanattu', Tr. 48).
IV) Les interprétations Elles sont de deux genres. Les unes se présentent sous la forme d'ébauches d'explication et sont déjà contenues dans les traditions elle-mêmes, nous les avons appelées plus haut : thème d'accompagnement (cf. p.7). On ne sait pas toujours très bien si elles font partie des traditions en tant que telles ou si elles sont le fait de l'un ou l'autre des garants de la chaîne. Les autres sont attribuées à des Autorités ultérieures. Avant d'en venir aux positions de Tabarî, nous voudrions tenter de reclasser ces interprétations, nous basant pour se faire essentiellement sur le Itqân de Suyûtî (1, 164-176). Suyûtî note qu'il y a eu une quarantaine d'interprétations dif-
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férentes de ce hadîth. Il en propose tout d'abord seize qu'il emprunte à diverses Autorités ; puis il en donne trente-cinq dont certaines sont semblables aux précédentes, et qui ont été rassemblées par Ibn Hibbân ( = Abû Hâtim M. b. Hibbân al-Bustî m. 354/965, et non pas Abû Bakr comme in EI, 1112, 822a), au dire de Qurtubî (Tafsîr, 1, 42). Suyûtî les reprend de 1'Introduction du Tafsîr d'Ibn an-Naqîb ( = M. b. Sulaymân b. al-Hasan, m. 698/1298; Suyûtî, Tabaqât al-Mufassirîn, p. 100-104). L'ensemble de ces seize (désignées ici par: A) ou de ces trentecinq interprétations ( = B) peut se réduire à quelques types: 1 - On ne connaît pas le sens de ces paroles, étant donné la variété des sens du terme harf: parler, lettre, mot, signification, mode.(Al, p. 164)
2 - Il s'agit d'un chiffre symbolique qui indique un grand nombre, le but étant de faciliter la récitation du Coran à la communauté (A2) (18). 3 - On désigne par là des variantes phonétiques, morphologiques, lexicales (dans certaines limites), grammaticales : A5-9, A12-14, B25, B24-28. 4 - Des lectures différentes : A3-4. 5 - Des parlers différents : A10, B20-24). 6 - Des "genres" différents (asnâfi: ordre, licite, illicite, interdiction, récits, paraboles, passages ambigus ( A l l , p. 170171 selon Ibn Mas'ûd, BI-29-35), des sciences (A15-16). 7 - Des attributs ou des noms de Dieu, thème qui apparaît souvent dès lors que certains détails du Coran posent problème, c'est le cas des lettres mystérieuses (B28, B33-34). La faveur des commentateurs ne va pas à la sixième série d'interprétations, car ils ne peuvent accepter qu'il puisse y avoir 18) Cf. IBN al-JAZARÎ, Nashr, 1, p. 25, antépén. : wu qîla laysa 1-murâdu bi-s-sab'ati haqîqata 'adadin. On peut rapprocher ce chiffre, non seulement des sept portes du Paradis dont il est question plus loin, mais aussi des sept mathânî (par exemple : IBN HANBAL, Musnad, V, 114) ou des sept membres pour le sujûd (MUSLIM, 1, p. 354). Sept est un chiffre symbolique s'il en est ; cf. les références dans notre article, à paraître dans Arabica : "Portrait "mythique" d'Ibn 'Abbâs".
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des divergences sur le licite et l'illicite par exemple. C'est probablement l'une des raisons pour lesqtielles Abû 'Ubayd avait peu d'estime pour la tradition que nous avons examinée plus haut (P. 7 1. De façon plus générale, l'ensemble des interprétations de la série B a posé des problèmes a plus d'un commentateur, Suyûtî s'en fait l'écho en rapportant les propos d'al-Mursî, l'auteur d'un long commentaire du Coran ( = M . b. 'Abdallâh Abû 1-Fadl al-Mursî, connu comme Sharafuddîn al-Mursî, m. 655/1257) : (19) "La plupart de ces significations se recoupent, je ne sais sur qui elles s'appuient ni de qui elles ont été transmises (1â adrî musnadahâ wa lâ 'amman nuqilat), je ne sais pas non plus pourquoi ceux qui les ont transmises ont donné pareille spécification à ces sept ahruf, alors que ceux-ci se trouvent toutes dans le Coran. Je ne sais pas quel est le sens de cette spécification ! Il y a là des choses que je ne comprends pas en réalité. Le hadîth de 'Umar avec Hishâm b. Hakîm qui est dans le Sahîh vient contredire la plupart de ces significations. Ils ne divergeaient pas sur le commentaire du Coran, non plus que sur ses statuts, mais ils divergeaient sur la lecture des hurûf du Coran. Beaucoup de ceux qui appartiennent à la majorité pensent qu'il s'agit des sept lectures, c'est là une ignorance infâme !" (Itqân, 1, 176). Tabarî, dont nous avons dit l'importance en tant que représentant de ceux qui se situent à une époque charnière, celle de la codification des divers savoirs du domaine islamique, a-t-il une position particulière à ce sujet ? V) La position de Tabarî
La manière d'argumenter qui est ici celle de Tabarî, son désir de prendre en considération les diverses opinions, sa volonté de répondre avec un esprit apparemment "conciliant" aux diverses objections, les rebondissements de l'argumentation provoqués 19) SUYÛTÎ, (.baqât al-mufassirîn, p. 10-107 ; DÂwÛDÎ, Tabaqât al-mufassirîn, Beyrouth, 1983, I I , p. 172s.
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par la citation de nouvelles traditions rendent difficile la compréhension de ce passage. Pourtant, une fois surmontés les écueils qu'offre la lecture de ces pages, sa position apparaît clairement. Les arguments qu'il avance sont bien souvent repris à ses prédécesseurs, en particulier à Abû 'Ubayd al-Qâsim b. Sallâm, mais l'ensemble de l'argumentation est, elle, originale, à tel point que, comme nous le verrons, certains de ses points de vue n'ont pas reçu l'assentiment général. Les faveurs de Tabarî vont à l'interprétation des sept ahruf comme sept parlers arabes (alsun) (TAB, 1, 47; lughât, p. 48). Telle était déjà la position d'Abû 'Ubayd que Tabarî a probablement reprise de son K. fadâ'il al-qur'ân. (Nashr, 1, p. 24). Pour répondre à l'objectiori de ceux qui voudraient y voir sept significations (ma'ânin) : l'ordre, l'interdiction, la promesse, la menace, la polémique, les récits et les paraboles (TAB, 1, 5 9 , ou bien encore : l'ordre, la remontrance (zajr), l'exhortation, la dissuasion (at-targhîb wa t-tarhîb), le récit (al-qasas) et la parabole (al-mathal) (TAB, 1, 47), Tabarî procède à un raccourci qu'on ne peut saisir que si l'on a bien en tête l'ensemble des traditions qui ont trait aux sept ahruf. Il faut tenir compte, d'une part d'une tradition de Ubayy b. Ka'b selon laquelle le Prophète aurait dit : "On m'a ordonné de réciter le Coran selon sept ahruf venant de sept portes du Paradis (min sab'ati abwâbin mina 1-janna) (TAB, 1, no 3 1, p. 37, citée à nouveau p. 47). Or selon une tradition souvent citée, mais dont certains isnâd-s sont critiqués par Abû 'Ubayd, et qui remonte à Ibn Mas'ûd, sans qu'elle soit attribuée au Prophète : "...le Coran est descendu de sept portes selon sept ahruf : selon la remontrance, l'ordre, le licite, l'illicite, le muhkam, l'ambigu et les paraboles" (zâjiran wa âmiran wa halâlan wa harâman wa muhkaman wa mutashâbihan wa amthâlan)." (TAB, 1, no 67, p. 68-69; Mustadrak, 1, 553 : déclare que ce hadîth est sain bien qu'ils ( = Bukhârî et Muslim) ne l'aient pas intégré dans leur recueil ; IBN KATHÎR, FaM'îl, p. 33). Tabarî distingue dans ce hadîth les sept ahruf qui signifient sept parlers et les sept portes qui désignent les sept sens qui s'y trouvent (TAB, 1, p. 47). Ces sept portes sont les sept manières
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(wujûh) d'obtenir l'agrément de Dieu : "Car celui qui pratique chacune de ces sept manières (d'obtenir l'agrément de Dieu, ridwânallâh ) oeuvre à l'une des portes du Paradis ('âmilfi bâbin min abwâbi 1-janna)" (TAB, 1, p. 71). Ces sept manières consistent à pratiquer ce que Dieu ordonne (amr) dans son livre, à s'écarter de ce qu'il y interdit ( tarku mâ nahâllâhu 'anhufihi), à considérer comme licite ce qu'il y déclare licite, illicite ce qu'il y déclare illicite, à croire à ce qui de toute évidence est muhkam, à accepter ce qui est ambigu (mutashâbih) et dont Dieu s'est réservé la science, à considérer les paraboles et à méditer les admonitions. Pourquoi introduire cette distinction entre ahruf et sens dans des traditions qui de soi n'appellent pas semblable différence ? Tabarî, comme souvent, ne l'indique pas dans l'explication immédiate de ces traditions, mais cette raison est contenue dans l'ensemble de son argumentation : 'Umar et Hishâm b. Hakîm (TAB, 1, no 15, p. 24-25) ou Ubayy b. Ka'b et les hommes qu'il a entendus dans la mosquée (TAB, 1, no 25, p. 32; no 26, p. 33-34) et d'autres n'ont pu avoir des divergences sur le licite, l'illicite, etc.. ., sinon le Prophète n'aurait pas déclaré juste leur récitation divergente (TAB, 1, p. 48). Il n'en reste pas moins, comme l'ont déclaré d'autres après Tabarî, qu'on voit mal comment 'Umar et Hishâm b. Hakîm auraient pu réciter avec des variantes de parlers différents , alors que tous deux étaient qurayshites! Mais ce problème n'est pas abordé par Tabarî ! (cf. IBN al-JAZARI, Nashr, 1, p. 24). Cependant l'argumentation de Tabarî a continué à être utilisée par la suite : "Les Compagnons qui avaient des divergences et qui portaient leur différend devant le Prophète (tarâfa'û ilâ n-nabl). .. n'avaient pas de divergences sur l'interprétation du Coran non plus que sur ses statuts, mais ils avaient des divergences sur la lecture des hurûf du Coran" (Nashr, 1, p. 25). Reste le problème de savoir où l'on peut dans le Coran trouver trace de ces sept ahruf. Pour Tabarî, 'Uthmân a mis la communauté d'accord sur un seul harf pour éviter la dissension à propos du Coran, ce pour quoi elle a abandonné la récitation selon les six autres ahruf (TAB, 1, p. 63-64). De la sorte toute trace des six autres ahruf a disparu de la communauté et l'on ne peut plus
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réciter le Coran selon ces ahruf qui ont complètement disparu (fi-duthûrihâ wa 'ufuwwi âthârihâ) (p. 64). Il n'y a rien là qui aille contre l'intention du Prophète. L'ordre qu'il leur a donné à ce sujet n'était aucunement positif, non plus que cogeant (lam yakun amra îjâbin wa fardin), c'était bien plutôt un ordre permissif, une autorisation (wa innamâ kâna amra ibâhatin wa rukhsatin) (p. 64). Il est à peine besoin de dire que les divergences de lecture (ikhtilâf al-qirâJât) qu'on trouve par exemple entre les sept lectures (al-qirâ 'ât as-sab') n'ont rien à voir avec ce hadîth, bien que certains l'aient soutenu (p. 65). Que si l'objectant s'obstine à vouloir trouver des traces des six ahruf qui n'ont pas été retenus par 'Uthmân, Tabarî lui répond par une fin de non recevoir : la communauté n'a pas besoin de les connaître, les aurait-elle encore en sa possession qu'elle ne les utiliserait pas dans la récitation (pour éviter la dissension, comme c'était l'intention de 'Uthmân qui a montré ainsi sa sollicitude à l'égard de l'Islam : p.66 et p. 65 successivement). A notre connaissance, Tabarî nous présente ici la systématisation la plus complète et la plus ancienne sur le sujet, du moins parmi les sources anciennes éditées jusqu'à ce jour. Nous n'avons pas pu consulter le manuscrit des Fa&îJil al-QurJân d'Abû 'Ubayd à qui Tabarî doit beaucoup, mais les extraits qu'en donne Ibn al-Jazarî dans son K. an-Nashr, Ibn Kathîr dans des Fa@âJil al-QurJân et Suyûtî dans son Itqân donnent à penser que ses développements étaient moins argumentés.
On notera cependant que les pages de Tabarî ne font aucune place à des développements sur les changements phonétiques, les variantes d'i'râb, des changements lexicaux, comme ce fut le cas par exemple pour Ibn Qutayba (20). Visiblement ce qui intéresse Tabarî, c'est d'abord de réfuter l'interprétation qui pourrait laisser croire que les Compagnons ont pu avoir des divergences sur des problèmes de fiqh dans leur récitation du Coran. Sur un point au moins, la théorisation de Tabarî n'a pas fait l'unanimité.
20) IBN QUTAYBA, op. cif., p. 27-49 ; pour la traduction de la terminologie des sept awjuh que retient Ibn Qutayba, cf. G. LECOMTE, op. c i t . , p. 284-285.
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VI) Critique adressée à Tabarî La critique vient de Makkî b. a. Tâlib al-Qaysî (m. 437/1045), auteur, entre autres, du K. al-kashf 'an wujûh al-qirâ'ât as-sab' wa 'ilalihâ wa hujajihâ dont le K. al-Ibâna 'an ma'ânî 1-qirâ'ât (désormais Ibâna) constitue une sorte d'introduction (Ibâna, p. 20). C'est dans ce dernier ouvrage que Makkî critique Tabarî. Il s'agit de savoir si la version 'uthmânienne du Coran contient ou non les sept ahruf mentionnés par le Prophète. (Itqân, 1, 176-177) Il semble que l'opinion de la "majorité" consistait à concilier deux principes. D'une part, il ne faut pas que la communauté néglige les sept ahruf dont le Prophète avait parlé ; mais d'autre part, 'Uthmân a voulu regrouper les musulmans autour d'un seul texte. La solution consistait à dire que les masâhif 'uthmâniens renferment les ahruf qui ne viennent pas contredire le ductus du mushaf (annahâ mushtamila 'alâ mâ yahtamilu rasmuhâ mina 1-ahrufi s-sab'ati faqa?) (Itqân, 1, 177, d'après IBN al-JAZARÎ, Nashr, 1, p. 31). Pour Tabarî la lecture selon les sept ahruf n'était pas obligatoire pour la communauté, mais seulement possible, afin de lui rendre la chose moins pénible (wa innamâ kâna jâ'izan lahum wa murakhkhasan p h i , in Nashr, 1, p. 31, résumant la position de Tabarî). De la sorte, Tabarî peut dire qu'il n'y a dans le mushaf 'uthmânien qu'un seul harf et que, dès lors : "il n'y a plus aujourd'hui pour les musulmans d'autre récitation que celle retenue par leur imam clément et de bon conseil ( = 'Uthmân), selon un seul harf à l'exclusion des six autres" (TAB, 1, p. 64, cité par Ibâna, p. 40). - Pour Makkî : "toutes les lectures utilisées aujourd'hui et dont la transmission vient authentiquement des imâm-s sont bien une partie des sept ahruf dans lesquels le Coran a été révélé et leur énoncé correspond au ductus du mushaf de 'Uthmân (wa wâfaqa 1-lafzu bihâ khat. 1-mushafi, mushafi 'Uthmâna)" (Ibâna, p. 22).
En fonction de ce principe, il voit une contradiction dans la théorie de Tabarî (wa hâdha madhhabun mutanâqib) (Ibâna,
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p. 41) (21). D'une part, selon Makkî, Tabarî aurait énoncé dans son ouvrage sur les lectures une théorie semblable à la sienne : ce sur quoi il y a divergence, mais qui correspond au ductus du mushaf, fait partie des sept ahruf (Ibâna p. 40-41). Mais d'autre part, dans son commentaire Tabarî dit que ce sur quoi il y a divergence, et qui correspond au ductus du mushaf, est un seul harf et qu'on n'utilise plus aujourd'hui les autres ahruf. (Ibâna, P. 41) Pour Makkî, si Tabarî est tombé dans cette "contradiction", c'est qu'il considère qu'il n'y a de divergence que dans le changement du ductus du mushaf (li-anna 1-ikhtilâfa ('indahu) lâ yaqa'u illâ bi-taghyîri 1-khatfij7 ra'yi 1-'ayni) (Ibâna, p. 33) et que les sept ahruf dans lesquels le Coran a été révélé consistaient dans des substitutions de mots (tabdîl kalimatin fi mawdi'kalima). Il n'est pas toujours facile de suivre la pensée de Makkî, comme le note Muhîddin Ramadân, l'éditeur de la Ibâna, cependant le but visé par lui comme par Tabarî est le même : rassembler les musulmans autour du Coran pour éviter les divergences, fixer des limites raisonnables à celles-ci puisque les tradition du Prophète qui a posé des problèmes à plus d'un spécialiste des lectures ou des traditions, ce que résument assez bien l'emploi du verbe ishtakala par Ibn al-Jazarî à ce sujet (Nashr, 1, p. 31) et la longue citation d'Al-Mursî que nous avons traduite plus haut. Ce débat nous montre également qu'au cinquième siècle de l'Hégire encore l'accord au sujet du Coran n'était pas aussi total qu'on veut bien le dire parfois. Certes les grandes options étaient prises et sur le fond du problème Makkî (m. 437) était d'accord 2 1) L'éditeur de la Ibâna note que celui qui examine bien ce que dit Tabarî voit clairement qu'il n'y a pas de contradiction (Ibâna, p. 41, n. 15). La question n'est pas là ; car
comme nous le verrons la visée des deux auteurs est la même, mais il s'agit de trouver l'explication qu'on croit la plus appropriée. Ce n'est pas la seule fois où certaines positions ou déclarations de Tabarî provoquent de vives réactions. On en a un bel exemple in TAB, XVI, p. 452 S. super ar-Ra'd 31, où Tabarî écrit à propos d'une variante : karaba 1-kâribu 1-ukhrâ wa hwa nâ'is, M . M . Shâkir n'en croit pas ses yeux et écrit une longue note à ce sujet, il annonce même un livre (p. 453-454). Cf. : Labîb as-SA'FD, Difâ' 'âni 1-qirâ'âti al-mutawâtira fi muwâjahati [ - P b a r î al-mufassir, Le Caire, Dâr al-Ma'ârif, 1978, 158 p. Cf. p. 15-32.
LES SEPT "LECTURES" : CORPS SOCIAL ET ÉCRITURE RÉVÉLÉE
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avec Tabarî (m. 323)' mais le débat était loin d'être clos sur la façon la meilleure d'assurer à la fois l'unanimité autour du Coran et la validité des lectures canoniques. En somme, comme le notait déjà G. Bergstrasser, deux entreprises opposées, l'une tendant à réduire au maximum les variantes, voire à les faire disparaître, l'autre visant à montrer qu'elles remontent au Prophète, devaient atteindre leur but : "dans la pratique, le texte de Uthman s'est imposé ; en théorie, les formes non uthmaniennes du texte ont été reconnues comme divines, comme Coran" (GdQ, III, p. 107, cf. p. 102-110 sur cette évolution). La discussion autour du problème des sept ahruf en Islam participe de l'assurance qu'une société qui se réclame d'un Livre révélé doit se donner pour maintenir sur ['Ecriture, conçue comme Parole révélée'de droit d'y séparer "l'authentique" de "l'inaut h e n t i q ~ e " ( ~ ~C'est ). à cette entreprise que nous voudrions donner sens dans la deuxième partie de cette étude. (A suivre)
Claude GILLIOT (Paris)
22) Cf. S. BRETON, op. cit., p. 140.