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LES
QUATRE LIVRES DU
VRAI CHRISTIANISME DE
JEAN ARNDT TRADUITS
DE L’ALLEMAND en
Français par
SAMUEL DE BEAUVAL
Texte intégral retranscrit d’après l’édition de 1723.
LE VRAI CHRISTIANISME
i
AVERTISSEMENT DU
TRADUCTEUR
L
e Vrai Christianisme de Jean Arndt1, un des plus pieux ministres de la parole de Dieu, qui ait fleuri dans le 17ème Siècle, ayant paru à plusieurs Nations digne d’être traduit en leur Langue, il n’est pas étonnant que nous en ayons tant de versions. On en compte jusqu’à sept. Peu après le décès de l’Auteur il fut traduit de l’Allemand en Latin l’an 1625. On ignore le nom du Traducteur ; mais il est certain, que cette version Latine fut en la dite année 1625 imprimée in 12 à Leipzig et réimprimée en la même forme à Francfort sur le Mein l’an 1658. Le Docteur Pritius nous en a donné une nouvelle Édition à Leipzig en 1704. Les Sclavons, les Bohémiens, 1 * Jean Arndt naquit en 1555, le 27 Dec., à Ballenstedt dans la Principauté d’Anhalt, son Père, Jacques Arndt, y étant Prédicateur de la Cour. Il fit ses premières études à Aschersleben, Halberstadt, Magedbourg et fréquenta ensuite 4 diverses universités, savoir, Helmstedt, Wittenberg, Bâle et Strasbourg. Agé de 28 ans, il devint Ministre à Ballenstedt jusqu’en 1590, qu’il fut transféré à Quedlinbourg jusqu’en 1599. De là à Brunswik et ensuite à Eisleben jusqu’en 1611 qu’il fut enfin appelé à Zell, où on l’éleva à la dignité de Surintendant Général de la Principauté de Lunebourg ; charge qu’il exerça avec zèle, l’espace de 10 ans depuis l’an 1611 jusqu’en 1621 ; qu’il mourut le 21 Mai, âgé de 66 ans après en avoir passé 38 dans les fonctions Ecclésiastiques, où il fit de plus en plus paraître sa piété et sa religion.
Diverses versions du Vrai Christianisme.
ii
AVERTISSEMENT
Les Suédois, Les Danois, Les Anglais et les Hollandais se sont servis de ces diverses éditions Latines, pour le mettre en leur Langue ; et quelques uns même croient, mais sans certitude, qu’il a déjà été traduit en Français. Occasion de la présente version.
Pourquoi on a plutôt suivi l’original Allemand que les versions Latines ?
C’est sur ce doute d’une version Française, dont aucun savant, ni aucun marchand libraire n’a pu donner une juste connaissance, qu’une personne, encore plus distinguée par sa piété, que par sont Illustre Naissance, m’ayant proposé de l’entreprendre, je n’ai pas tant consulté mes propres forces, que le désir de satisfaire ses religieux desseins. Un peu plus versé dans la Langue Latine, que dans l’Allemande il m’aurait été beaucoup plus facile de traduire sur la version Latine, que sur aucun imprimé Allemand. Peut-être que mon style en aurait paru moins gêné, en ne prenant, comme l’auteur de cette traduction, que le sens des phrases, et même de plusieurs articles, ce qui pourrait faire croire, qu’il s’écarte quelque fois de la pensée de l’auteur, comme il me semble l’avoir remarqué. Deux raisons m’ont d’ailleurs déterminé à suivre l’original, autant qu’il m’a été possible, et que le génie de la langue Française peut s’accorder avec l’Allemande. J’ai d’abord appréhendé, qu’en me donnant trop de carrière il ne m’échappa de me servir de quelques tours ou de quelques expressions, qui pussent faire soupçonner que je n’approuvais pas tous les sentiments de l’Auteur : C’est le fait d’un critique et non d’un traducteur. Je tâche donc de rendre littéralement mon Auteur ; je le regarde, comme une personne qui s’est distinguée par ses écrits et par sa piété. Je laisse aux autres
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à se donner la liberté de juger de ses sentiments. L’autre motif, qui m’a porté à cette traduction littérale, que l’on a même souhaitée de moi, est que je me suis imaginé, que Messieurs les Allemands, qui pour la plupart estiment fort le dit livre et ont de l’inclination pour la langue Française, ne seraient pas fâchés d’avoir une version facile à confronter avec l’Allemand. Quant au style, par rapport auquel je me flatte, qu’on ne me traitera point avec la dernière rigueur, je prie le prudent Lecteur, de considérer qu’il faut le conformer aux matières que l’on traite. Autre est le style oratoire, autre le dogmatique, autre est l’historique, autre est le style des Romans et autre celui des œuvres de piété, qui, comme celui d’Arndt, tend moins à arrêter l’attention des Lecteurs par des tours agréables, des incidents bien ménagés, des portraits bien représentés, ou à leur plaire par des mots choisis, des phrases périodiquement arrangées, des expressions nouvelles et étudiées, qu’à les édifier par des termes purs, mais à la portée d’un chacun, qui exposent sans emphase et sans fard la vertu qu’on doit suivre, et les vérités qu’il faut pratiquer. Au reste n’ayant pas été présent à la correction de l’impression de mes exemplaires, que j’ai donnés à mesure que j’avais traduit, je conjure le Lecteur d’avoir la complaisance de passer par-dessus ces fautes de virgules et des points mal placés, de quelques articles, dont le genre n’est pas bien observé, de quelques verbes, dont une seule lettre peut rendre le temps et le mode différent, de l’omission même ou du changement d’une syllabe, de la transposition d’un seul mot qui fait devenir le Français un peu trop conforme avec l’Allemand, enfin de deux ou trois expressions qui paraîtront un peu rudes, parce qu’on n’a pas jugé à propos d’user de périphrases, pour conserver
Du style de notre version.
Sur les fautes d’impression.
iv
Pourquoi on s’est exempté de donner une table des matières ?
AVERTISSEMENT
la pensée de l’Auteur. Minuties de peu de conséquence, qui ne rebuteront point ceux qui cherchent plus à s’édifier et à s’instruire, qu’à pédantiser sur les ouvrages d’autrui. Disposé d’ailleurs à corriger, à réformer, à rectifier et même à retrancher tout ce qu’on trouvera avec fondement à redire à la présente traduction. Les précis de chaque article, que l’on a eu soin de mettre à la marge, ont fait juger à propos de s’exempter de donner une table des matières, qui aurait encore augmenté un livre, que les caractères ne rendent déjà que trop ample. Il ne sera pas difficile de satisfaire ceux qui la souhaiteront. S. de BEAUVAL.
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PREFACE GENERALE
L
a vie impie et impénitente de ceux qui se glorifient d’être à Christ, et n’ont en bouche que ses divines paroles, pendant qu’ils se comportent d’une manière si indigne de leur vocation, qu’ils semblent moins vivre dans le Christianisme, que dans le Paganisme, ne nous donne que trop à connaître, Lecteur Chrétien, combien grand et honteux est l’abus que l’on fait du Saint Évangile en ces derniers temps. Cette conduite impie et criminelle m’a obligé de mettre au jour ces petits livres, afin que les simples pussent découvrir en quoi consiste le vrai Christianisme, à savoir, dans la démonstration d’une foi vive, vraie et agissante par une piété sincère, et par les fruits de la justice ; et afin qu’il fussent convaincus que nous ne sommes pas seulement nommés Chrétiens de Christ, pour croire en lui, mais encore pour vivre en lui, et Christ en nous ; que la véritable pénitence doit partir du plus profond du cœur ; qu’il faut que le cœur, les sens et les mouvements de l’esprit soient changés, si nous voulons devenir semblables et conformes à Christ, et à son Saint Évangile ; et que nous nous renouvelions tous les jours par la parole de Dieu, pour être de nouvelles créatures. Comme chaque semence produit des fruits qui lui ressemblent, de même la parole de Dieu doit continuellement porter en
Abus qu’on fait de l’Évangile.
En quoi consiste le vrai Christianisme.
La Semence de Dieu doit fructifier en nous.
vi
La Théologie est une expérience.
L’étude de la piété est entièrement éteinte.
PREFACE
nous de nouveaux fruits spirituels, en sorte que, si par la foi nous sommes devenus de nouvelles créatures, nous vivions d’une nouvelle naissance. En un mot, comme Adam doit mourir en nous, ainsi le Christ y doit vivre : Il ne suffit pas de savoir la parole de Dieu, il faut la réduire actuellement en pratique. Plusieurs s’imaginent que la Théologie n’est qu’une simple connaissance, une science, et un artifice de mots, bien qu’elle consiste dans une vive expérience et dans la pratique. Chacun s’étudie maintenant à trouver les moyens de se rendre grand et renommé dans le monde ; mais personne ne veut apprendre à devenir Homme de bien. Chacun cherche à présent la société des plus savants, afin d’en pouvoir être instruit dans les arts, les langues et les sciences ; mais personne ne se met en peint d’apprendre de notre seul et unique Docteur Jésus Christ la douceur, et cette humilité, qui part du cœur ; bien toutefois que son saint et vif exemple soit la juste règle de notre vie, puisqu’il est la souveraine sagesse, et que sa vie est cet Art des arts, qui nous peut faire si raisonnablement dire : Omnia nos Christi vita docere potest. Ta seule vie, ô Christ, peut de tout nous instruire ; C’est le plus sûr chemin pour à Toi nous conduire. Enfin chacun souhaiterait volontiers être serviteur de Christ, mais personne son imitateur. Cependant, il nous dit, qui veut me servir, me suive (Jean XII, 26). Ce n’est donc pas assez d’être le serviteur et l’amateur de Christ ; il faut
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encore être son imitateur. Qui aime Christ, doit aussi chérir et estimer l’exemple de sa sainte vie, son humilité, sa douceur, sa patience, sa croix, son ignominie, et les mépris qu’il a soufferts, quelque peine que la chaire en ressente. Et, quoique nous ne puissions dans la faiblesse que nous avons contractée, parvenir à être de parfaits imitateurs de la sainte et excellente vie de Christ (perfection, que je ne prétends point pouvoir faire obtenir par ces petits livres) nous devons néanmoins aimer le Christ, l’estimer et soupirer après lui. Ce ne peut être que de cette manière que nous vivons en Christ, et Christ en nous ; comme s’en explique S. Jean, disant : Celui, qui dit, qu’il demeure en Christ, doit aussi marcher lui même comme il a marché (1 Jean II, 6). Le monde est maintenant enclin et porté à vouloir tout savoir, pendant que personne ne veut apprendre ce qui vaut mieux que de tout savoir, c’est à dire, dit S. Paul, avoir l’amour de Christ (Éphésiens III, 19). Or personne ne peut aimer Christ, qu’il ne suive et n’imite l’exemple de sa sainte vie. Il y en a beaucoup, et même la plupart de ceux du siècle présent, qui se font une honte et rougissent de l’exemple de Christ, à savoir, de son humilité, et de son abaissement ; ce qui s’appelle rougir du Seigneur Jésus Christ, desquels il dit : Quiconque aura honte de moi parmi cette race adultère, le Fils de l’Homme aura aussi honte de lui, lorsqu’il viendra (Marc IIX, 38). Les Chrétiens de nos jours veulent avoir un Christ pompeux, magnifique, splendide, riche et mondain ; au lieu qu’aucun ne veut avoir, ni reconnaître, ni suivre un Christ pauvre, doux, débonnaire, humble, méprisé, abaissé. C’est pourquoi il leur dira un jour : Je ne vous connais point (Matthieu VII, 23). Vous ne m’avez pas voulu connaître dans mon humilité, je ne vous connais point dans votre orgueil.
En quoi consiste l’amour de Christ.
Qui n’imite point le Christ, ne croit point en lui.
Ce que c’est que d’aimer le Christ et avoir honte de lui.
Personne ne veut imiter le Christ dans son humilité.
viii Les impies sont odieux à toutes les créatures.
Les dernières plaies qui nous menacent nous marquent notre prochaine délivrance.
Nous évitons les dernières plaies par la pénitence et par la prière.
PREFACE
Cette vie impie et cette conduite dépravée n’est pas seulement opposée à Christ et au vrai Christianisme, mais elle augmente encore tous les jours la colère de Dieu, et les punitions dont il nous menace. En sorte qu’il faut que Dieu arme contre nous toutes les créatures, pour venger les injures que nous luis faisons. Le ciel, la terre, le feu et l’eau combattent contre nous. Toute la nature même en est émue, en souffre, et semble vouloir se dissoudre. De là, viennent ces malheureux temps de guerre, de cherté, de famine et de peste. Dernières plaies qui nous affligent si rudement, nous pressent et nous tourmentent avec tant de violence, qu’on ne pourra presque plus être en sûreté contre aucune créature. Car comme les plus horribles plaies attaquèrent et affligèrent les Égyptiens, avant la délivrance des enfants d’Israël, et leur sortie d’Égypte ; de même avant la délivrance des enfants de Dieu, des plaies épouvantables, terribles et inouïes tomberont sur les impies et les impénitents. Il est donc temps de faire pénitence, de commencer à mener une autre vie, de se convertir du monde à Christ, de croire en lui comme il faut, et y vivre chrétiennement, afin que, selon la parole du Psalmiste, nous puissions être en sûreté sous la protection du Très Haut, et sous l’ombre du Tout-puissant (Psaume XCI, 2). C’est à quoi nous exhorte aussi le Seigneur disant : Ainsi, soyez toujours vigilants, et priez, afin que vous puissiez être dignes d’éviter toutes ces choses (Luc XXI, 36). Ce que David nous témoigne encore dans un autre endroit (Psaume CXII, 7). Ces petits livres, Lecteur Chrétien, t’instruiront de quelle manière tu dois non seulement obtenir la rémission
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de tes péchés par la foi en Christ, mais aussi comment il te faut exactement user de la grâce de Dieu, pour mener une vie sainte, orner et montrer ta foi par des mœurs et une conversation chrétienne. Le vrai Christianisme ne consiste point en paroles, ou dans une apparence extérieure ; Il consiste dans une vraie foi, de laquelle, comme de Christ même, procèdent d’excellents fruits et toutes sortes de vertus chrétiennes. Et en effet, la foi étant une chose cachée et invisible aux yeux humains, il faut qu’elle soit manifestée par des fruits ; vœu que la foi tire de Christ tous ses avantages, la justice et la félicité. Quand la foi attend fermement en constamment les biens qui lui sont promis, l’espérance naît de la foi. L’espérance n’étant autre chose qu’une attente constante, ferme et persévérante des biens promis. Or, quand la foi partage au prochain les biens qu’elle a reçus, l’amour ou la charité provient de la foi et en agit à l’égard du prochain, comme Dieu en a agi envers elle. Lorsque la foi soutient l’épreuve des afflictions et des croix, se résignant à la volonté de Dieu, la patience s’augmente par la foi. Si elle soupire sous les croix, ou rend grâces à Dieu des bienfaits, qu’elle en a reçus, la prière s’en suivra. Si elle compare la puissance de Dieu avec la misère et la pauvreté de l’Homme et qu’elle se soumette à Dieu et fléchisse sous lui, l’humilité en proviendra. Si elle se met en peine de ne rien perdre de la grâce de Dieu, ou si, comme dit S. Paul, elle s’emploie au salut avec crainte et tremblement (Philippiens II, 9), la crainte de Dieu en naîtra. Ainsi tu vois, que toutes les vertus chrétiennes sont
En quoi consiste le vrai Christianisme.
Comment toutes les vertus chrétiennes procèdent de la foi ?
x Sans la foi, on ne peut avoir aucune vraie vertu chrétienne.
Il faut que ce qui doit plaire à Dieu, soit puisé en Christ.
La justice de la foi et des œuvres diffèrent.
Il n’y a point de vraie consolation sans la reconnaissance de ses péchés.
PREFACE
les enfants ou les productions de la foi, qu’elles croissent et s’engendrent d’elle, et n’en peuvent être séparées, étant leur source. Vertus, qui d’ailleurs doivent être vraies, vives, chrétiennes, et procéder de Dieu, de Christ, et du Saint Esprit. Aussi aucune œuvre ne peut elle être agréable à Dieu sans la foi en Christ. Car, comment peut il y avoir de vraie espérance, de charité sincère, de patience constante, de prière qui parte du cœur, d’humilité chrétienne, de crainte de Dieu filiale, sans la foi ? Il faut que par la foi tout soit puisé du Christ, qui est la fontaine du salut, à savoir, la justice et tous ses fruits. Prends bien garde toutefois de ne pas confondre tes œuvres, et tes vertus commençantes ou les dons d’une nouvelle vie avec ta justification devant Dieu. Il ne fait aucun état des œuvres, des mérites ou des talents de l’Homme, quelques excellents qu’ils soient, mais du sublime et parfait mérite de Christ que nous devons nous appliquer par la foi, comme il est suffisamment marqué dans les chapitres 5, 19, 34 et 41 du Premier livre et dans les 3 premiers du Second. C’est pourquoi prends bien garde de ne pas confondre la justice de la foi, avec la justice de la vie Chrétienne ; mais de les séparer ; ce qui fait tout le fondement de notre Religion. Néanmoins, il faut que ta pénitence soit sérieuse et sincère, ou tu n’as pas cette vraie foi, qui purifie tous les jours les cœurs, les change, et les amende. Tu ne dois pas non plus ignorer que la consolation de l’Évangile ne se peut rencontrer que dans ceux qui auront auparavant eu une vraie et sérieuse contrition, accompagnée d’une tristesse divine. Contrition qui doit avoir brisé leur cœur selon ces paroles : l’Évangile est prêché aux pauvres (Luc VII, 22). Et comment la foi peut-elle vivifier le cœur, s’il n’est auparavant mortifier par une sérieuse pénitence, un
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vrai déplaisir, une véritable contrition et un sincère aveu des péchés ? Ne crois donc pas que la pénitence soit une chose si facile et de si peu de conséquence. Fais réflexion de quels termes sérieux et sévères se sert l’Apôtre, lorsqu’il nous commande de mortifier et de crucifier la chair avec ses mauvais désirs et se convoitises, d’immoler le corps, de mourir aux péchés et d’être crucifié au monde. En vérité tout cela ne peut convenir avec la manière délicate et efféminée, dont on traite la chair. Les Saints Prophètes ne nous représentent pas la pénitence plus facile, quand ils souhaitent de nous un cœur brisé et contrit, ou un cœur humilié et froissé et qu’ils nous disent : brisez vos cœurs, lamentez-vous et pleurez. Où trouve-ton maintenant une telle pénitence ? Jésus Christ, prenant lui-même le soin d’en faire la description, nous dit, qu’il faut se haïr soi-même, se renoncer, abandonner tout ce que l’on a, si l’on veut être son disciple. Ce qui certainement ne s’exécute point en riant, et en se diversifiant. Tu en as un exemple sensible et une vive représentation dans les sept Psaumes de pénitence. La Sainte Écriture est remplie du zèle, avec lequel Dieu exige la pénitence avec ses fruits, sous peine de la perte du salut éternel ; Sur quoi la consolation de l’Évangile peut montrer son pouvoir naturel, et conforme à la raison, mais il faut que l’Esprit de Dieu opère en nous l’un et l’autre par la parole. C’est de cette sérieuse, véritable et intérieure pénitence du cœur et de ses fruits, que traitent ces petits livres, aussi bien que de la pratique de la vraie foi, et de tout ce qu’un chrétien doit faire par charité ; Car ce qui part de la charité chrétienne, vient aussi de la foi. Que s’il y a dans ces livres (principalement dans ceux qui sont imprimés à Francfort) quelques façons de parler de Tauler, de Kempis, et des autres, qui semblent
La vraie pénitence n’est pas une chose légère mais sérieuse.
Sans une sérieuse pénitence, personne n’est capable d’une vraie consolation.
But et fin de ces petits livres.
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trop attribuer aux forces et aux œuvres humaines (aux sentiments desquels tous ces petits livres sont opposés), le Lecteur Chrétien aura la bonté de se souvenir qu’il lui faut soigneusement considérer le but ou la fin de tous ces petits livres, et il trouvera qu’ils sont principalement dirigés à faire connaître l’énormité du péché originel, qui pour être cachée n’en est pas devenue moins naturelle, à nous apprendre à considérer notre misère, et notre bassesse, à désespérer de nous-mêmes et de toutes nos forces, à ne nous rien attribuer, mais à Christ, afin que lui seul soit en nous, opère tout en nous, vive seul en nous, fasse tout en nous, puisqu’il doit être le commencement, le milieu et la fin de notre conversion et de notre salut. Ce qui est clairement et suffisamment manifesté en plusieurs endroits de ces livres, par lesquels nous réfutons expressément la doctrine des Synergistes, des Majoristes et de leurs complices. L’article de la Justification de la foi est aussi exposé dans le Premier Livre et principalement dans le Second, où il est examiné, poussé et porté si haut, qu’il ne paraît pas possible d’en dire d’avantage. Afin néanmoins d’ôter tout prétexte de calomnie et d’abus, j’ai corrigé plusieurs termes dans cette présente Édition, et je prie le Lecteur sincère et équitable de vouloir interpréter et juger de l’Édition de Francfort et de quelques exemplaires de Brunswick selon cette Édition plus correcte de Magdebourg. Je proteste et je déclare que je souhaite qu’on n’entende ces petits Livres, comme dans tous les autres articles et points de la foi, de même que dans l’article qui concerne le libre arbitre et la justification du pécheur devant Dieu que selon le sens des Livres Symboliques des Églises de la Confession d’Augsbourg, tels qu’ils ont été dressés sur la première Confession d’Augsbourg, avant qu’on y
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eu rien changé, l’Apologie, les articles de Schmalkalde, les deux Catéchismes de Luther et la Formule de la Concorde. Dieu nous éclaire tous par son Saint Esprit, afin que nous soyons purs et sans tâche dans notre foi et dans notre vie, jusqu’au jour de notre Seigneur Jésus Christ (qui est proche et devant la porte) remplis des fruits de justice à la louange et à la gloire de Dieu. Ainsi soit-il !
LE SOMMAIRE des Quatre Livres
Du Vrai Christianisme I. LE LIVRE DE L’ÉCRITURE.
Comment Adam doit tous les jours mourir dans le vrai Chrétien, & le Christ y prendre vie ? Comment l’Homme se doit journellement renouveler selon l’image de Dieu, & vivre dans sa nouvelle naissance.
II. LE LIVRE DE VIE, OU LE CHRIST.
Que l’incarnation, la charité, l’humilité, la douceur, la patience, la passion, l’agonie, la croix, l’opprobre, & la mort de J. Christ sont la médecine, & la fontaine du salut de nos âmes, le miroir, & le livre de notre vie. Et que le vrai Chrétien doit surmonter le péché, la mort, le diable, le monde, l’enfer, les croix, & toutes les tribulations par la foi, la prière, la patience, la parole de Dieu, & la consolation céleste ; & le tout en J.C. par sa puissance, sa force, & sa victoire en nous.
III. LE LIVRE DE LA CONSCIENCE.
Que Dieu a placé son plus grand trésor & son Royaume dans le cœur de l’Homme, comme un trésor caché dans un champ, comme une lumière divine et intérieure de l’âme ; & comment elle doit être excitée & cherchée en nous.
IV. LE LIVRE DE LA NATURE.
Comment le vaste Livre de l’univers, qui est le Livre de la nature, nous rend témoignage de Dieu, nous porte, & nous conduit à lui ?
Premier Livre du
Vrai Christianisme, intitulé
Le Livre de l’Écriture. Comment Adam doit tous les jours mourir dans le vrai chrétien, & le Christ y vivre ? Comment l’Homme se doit journellement renouveller selon l’image de Dieu ; & comment il doit vivre dans sa nouvelle naissance. par
JEAN ARNDT
Surintendant Général de la Principauté de Lunebourg.
2
De l'image de Dieu en l'Homme.
Le Premier Livre du
Vrai Christianisme
Ou De la pénitence salutaire, du sincère repentir, et de la douleur des péchés. De la vraie foi, de la vie sainte et de la conduite des vrais Chrétiens.
CHAPITRE PREMIER Qu’est-ce que l’image de Dieu en l’Homme ? Éphésiens IV, 23,24 Renouvelez-vous en l’intérieur de votre esprit et revêtezvous du nouvel homme qui a été créé selon Dieu, en véritable justice et sainteté.
L
Description de l’image de Dieu.
’image de Dieu en l’Homme est la conformité de l’âme humaine, de l’entendement, de l’esprit, de la raison, de la volonté et de toutes les facultés intérieures et extérieures du corps et de l’âme avec Dieu et la très Sainte Trinité, aussi bien qu’avec tous ses attributs, ses vertus, sa volonté et ses propriétés. N’est-ce pas en effet ce que nous veut marquer cette espèce de délibération de la Sainte Trinité ? Faisons l’Homme, une image qui nous soit semblable, qui préside aux poissons de la mer, aux oiseaux de l’air, à tous les animaux et à toute la terre (Genèse I, 26).
L’Homme est l’image de la Sainte Trinité.
II. D’où il est manifeste, que la Sainte Trinité s’est représentée dans l’Homme, afin que dans son âme, son entendement, sa volonté et son cœur, de même que dans toute sa vie et sa conduite, la justice, la sainteté et la bonté divine se découvrit et reluisit aussi clairement que dans les saints anges l’amour divin, et les vertus de Dieu paraissent dans toute leur pureté. Ce fut dans les Hommes que Dieu voulu mettre son plaisir et sa complaisance, comme dans ses enfants. Car, comme un père se réjouit en se revoyant en ses enfants, ainsi Dieu met ses délices en l’Homme (Proverbes IIX, 31). Bien que le Seigneur ait eu
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sa complaisance en toutes ses œuvres, c’est néanmoins en particulier en l’Homme qu’il se contempla avec un plaisir singulier, d’autant que son image reluisait en lui avec la plus haute innocence et clarté. C’est pourquoi il y a trois principales facultés que Dieu a accordées à l’âme humaine, l’entendement, la volonté et la mémoire. Facultés que la Sainte Trinité produit et conserve, sanctifie et illumine, qu’elle embellit même et orne de sa grâce, de ses œuvres et de ses dons.
L’image de la Sainte Trinité en l’âme.
III. En effet, une image doit être une chose, en laquelle on voit une semblable forme et figure. Il n’y a point d’image qui n’ait une ressemblance de son original, sur lequel elle a été tirée. Dans un miroir, aucune image n’y peut paraître, qu’elle ne reçoive d’une autre une ressemblance ou une pareille forme. Et comme plus le miroir est clair, plus l’image y paraît nette ; plus aussi l’âme de l’Homme est pure, plus elle représente clairement l’image de Dieu. IV. La fin pour laquelle Dieu a créé l’Homme net, pur et sans tâche, aussi bien que toutes les facultés de son corps et de son âme, fut sans doute, afin qu’on y put remarquer l’image de son Dieu. Non pas à la vérité, comme une ombre inanimée, telle qu’on la voit dans un miroir, mais comme un portrait vraiment vivant et une ressemblance de Dieu qui est invisible, et de sa forme infiniment belle, intérieure et cachée. C’est à dire : - une image de sa sagesse divine dans l’entendement de l’Homme, - une image de sa bonté, de sa douceur, de sa clémence, de sa patience dans l’esprit de l’Homme, - une image de son amour et de sa miséricorde dans les passions du cœur de l’Homme, - une image de sa justice, de sa sainteté, de sa sincérité et de sa pureté dans la volonté de l’Homme, - une image d’affabilité, d’honnêteté, d’humanité, pour ainsi dire de vérité dans tous les gestes et les paroles de l’Homme, - une image de sa Toute-puissance dans cette domination qu’il lui a donnée sur tout l’univers, aussi bien que dans cette crainte qu’il a imprimée pour l’Homme à tous les animaux, - une image, enfin, de son éternité dans l’immortalité de l’Homme.
En quoi consiste l’image de Dieu.
4 Vrai usage de l’image de Dieu. Dieu est essentiellement tout ce qu’il y a de bon.
Pourquoi l’honneur et la gloire sont dus à Dieu seul ?
L’image de Dieu ne doit représenter que Dieu.
Dieu veut être tout en l’Homme.
De l'image de Dieu en l'Homme.
V. C’est par cette image ou ressemblance, que l’Homme devait reconnaître Dieu son créateur, et se connaître soi-même. Reconnaître que Dieu son créateur était tout et le seul Être suprême duquel tout a reçu son être et même que Dieu était essentiellement tout ce dont l’Homme portait l’image ou la ressemblance. Car, puisqu’il est l’image de la bonté de Dieu, il faut que Dieu soit essentiellement le bien souverain et universel, il faut qu’il soit essentiellement la charité, essentiellement la vie, essentiellement saint. D’où pareillement tout honneur, louange, gloire, grandeur, force, puissance et vertu appartiennent et sont dus à Dieu et non à aucune créature. A Dieu seul, dis-je, qui est essentiellement toutes ces choses. C’est pour cela qu’un certain demandant à Jésus Christ, qu’il considérait purement homme : Bon maître, que dois-je faire pour acquérir la vie éternelle ? Le Seigneur lui répondit : Pourquoi m’appelles-tu bon ? Personne n’est bon, que Dieu (Matthieu XIX, 17). C’est à dire, Dieu est essentiellement bon. Sans lui et hors de lui, il n’y a point de véritable bien. VI. Et voici de quelle manière l’Homme devait se connaître en l’image qu’il portait. C’est qu’il devait reconnaître la différence qu’il y a entre l’Homme et Dieu. L’Homme ne devant pas être lui-même Dieu, mais l’image, la figure, le portrait et l’impression de Dieu, en laquelle Dieu seul voulait se laisser apercevoir, de sorte que rien ne dut vivre dans l’Homme, rien ne dut luire, rien n’y dut opérer, rien n’y dut vouloir, rien n’y dut aimer, rien n’y dut penser, rien n’y dut parler et se réjouir, que Dieu seul. Que si quelque autre chose devait être remarquée dans l’Homme que ce que Dieu y fait et y opère, l’Homme ne pouvait être l’image de Dieu, mais l’était effectivement de celui qui opérait en lui et s’y faisait voir. Ainsi, l’Homme devait être entièrement soumis et résigné à Dieu, exécutant passivement la volonté divine, afin de laisser Dieu opérer tout en lui et de renoncer à sa propre volonté. Et on appelle s’abandonner entièrement à la volonté de Dieu, quand l’Homme n’est qu’un simple, entier, pur et saint instrument de Dieu, de sa sainte volonté et de toutes ses divines opérations ; en sorte que l’Homme ne fasse pas sa propre volonté, mais que sa volonté soit celle de Dieu. Que l’Homme n’ait aucun
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amour propre, mais que Dieu soit son amour, qu’il ne désire aucun propre honneur, mais que Dieu soit son honneur. Qu’il ne possède aucune richesse, mais que Dieu soit sa possession et ses biens, sans aucun amour des créatures et du monde. En un mot, rien ne devait vivre ni opérer en lui, que Dieu seul, et c’est en quoi consiste la plus parfaite innocence, la pureté et la sainteté des Hommes. En effet, quelle innocence peut être plus grande que quand l’Homme n’exécute point sa propre volonté, laissant Dieu opérer en lui et y accomplir toutes choses. Telle est certainement la plus haute simplicité, semblable à celle d’un enfant sans ruse dans lequel il n’y a ni jalousie d’honneur, ni amour propre. VII. Dieu devait ainsi posséder entièrement l’Homme audedans et au-dehors, comme nous en avons un exemple en notre Seigneur Jésus Christ, qui est une si parfaite image de Dieu, en ce qu’il offrit et consacra toute sa volonté à son Père céleste, afin de lui témoigner sa parfaite obéissance avec humilité et douceur, sans envisager son propre honneur, sans consulter l’amour propre, sans y chercher aucune utilité, sans s’en réserver aucune possession, sans y prétendre ni joie, ni plaisir. Il laissa Dieu opérer en lui et par lui tout ce qu’il pensa, tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fit. Sa volonté fut la volonté et le seul bon plaisir de Dieu qui lui fit entendre cette voix du Ciel : Tu es mon Fils bien aimé, en qui j’ai mis ma complaisance (Matthieu. III, 17). Jésus Christ est donc la vraie image de Dieu, en laquelle on ne voit reluire autre chose que ce qu’est Dieu même, à savoir, amour pur, miséricorde, bénignité, patience, douceur, affabilité, sainteté, consolation, vie et félicité. Ce fut de cette sorte que le Dieu invisible voulut se rendre visible et se manifester en Christ, afin que par lui il se donna à connaître aux hommes ; bien qu’il soit selon sa divinité la plus excellente image de Dieu, étant Dieu lui-même et une image essentiellement semblable à Dieu, et la splendeur de sa gloire (Hébreux I, 3). Nous n’en parlons pas cette fois, nous expliquons seulement la manière dont il a agi, conversé et vécu pendant le temps de sa sainte humanité. IIX. Cette sainte innocence fut en Adam même l’image de
En quoi consiste la plus parfaite innocence et la vraie simplicité.
Jésus Christ est la plus parfaite image de Dieu.
Dieu manifesté en Christ.
6 L’image de Dieu se conserve par l’humilité.
De la chute d'Adam.
Dieu et il eut dû l’avoir conservée par une entière obéissance et avoir fait connaître par une vraie humilité, qu’il n’était pas lui-même ce bien souverain, mais qu’il n’en était que l’image, que le Seigneur avait empreinte en lui. Ayant voulu au contraire être lui-même ce prototype, dont il n’était que l’image, c’est à dire Dieu même, ce fut alors qu’il tomba dans cet exécrable et horrible péché. IX. Quant à l’autre partie, l’Homme devait reconnaître en lui-même, que par cette ressemblance à son Dieu, il était devenu capable du divin, charmant et agréable amour, aussi bien que de la joie, du repos, de la force, de la puissance, de la paix, de la vie et de la lumière, afin que Dieu seul fut tout en l’Homme, vécu et opéra seul en lui. Et qu’ainsi, il n’y eu point dans l’Homme de volonté propre, d’amour propre, d’honneur propre, ni de propre gloire, mais que Dieu seul fut la gloire et l’honneur de l’Homme, en reçu et retint seul la louange et le prix. Un semblable est capable de son semblable, et non pas de son contraire. Un semblable se réjouit en son semblable et y prend son plaisir. Ainsi, Dieu voulait se répandre et s’infuser, pour ainsi dire, dans l’Homme avec toute sa bonté, parce que Dieu est un bien tout à fait communicatif de lui-même.
La souveraine tranquillité vient de l’union avec Dieu.
X. Enfin, l’Homme devait connaître à la saveur de cette image de Dieu, que par elle, il était uni à Dieu, et que c’était dans cette union que consistait le souverain repos de l’Homme : sa paix, sa joie, sa vie et sa félicité. Comme au contraire la plus grande inquiétude de l’Homme et son plus grand malheur ne peut venir que de ce qu’il n’agit pas conformément à l’image de son Dieu, qu’il se détourne de lui, perd son souverain bien et se prive de son bonheur éternel.
CHAPITRE SECOND De la chute d’Adam, ou quelle est la chute d’Adam ? Romains V, 19 Comme par la désobéissance d’un seul homme, plusieurs sont devenus pécheurs. De même par l’obéissance d’un homme, plusieurs sont devenus justes.
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L
a chute d’Adam est sa désobéissance à Dieu, par laquelle l’Homme s’est détourné de Dieu, pour se tourner vers lui-même et a ravi à Dieu l’honneur qui lui est dû, en voulant être lui-même Dieu, par où il a mérité d’être privé de la sainte image de Dieu, à savoir, de cette justice parfaite et de cette sainteté qu’il pouvait transmettre à ses héritiers. Aveuglé en son entendement, désobéissant en sa volonté et opposé à Dieu, détourné de lui dans toutes les forces de son cœur dépravé et devenu son ennemi. Abomination, qui par la naissance et la génération charnelle se transmet à tous les Hommes, passe en eux par une nécessité héréditaire et fait que l’Homme est spirituellement mort, et devient un enfant de colère et de damnation s’il n’est racheté par Jésus Christ. Ne sois donc pas si simple, ô Chrétien, que de ne regarder la chute d’Adam que comme un péché de peu de conséquence, comme si ce n’était que la manducation d’une pomme, au lieu que sa chute consiste en ce qu’il a voulu être lui-même Dieu ; ce qui avait déjà été la chute de Satan. Se peut-il un péché plus énorme et plus détestable ! II. Cette chute, qui se fit premièrement dans son cœur, se manifesta ensuite par la manducation de la pomme défendue. La chute et le crime d’Absolom nous en peut être une assez juste ressemblance (2 Samuel XIV, 25). Il était fils de Roi : (2 Samuel XVIII, 33) le plus beau des Hommes et le mieux proportionné de la tête aux pieds, n’y ayant aucun défaut dans son corps. (2 Samuel XV) L’enfant le plus chéri de son père, comme on peut le juger des larmes que David versa en apprenant sa mort. Et toutefois, n’étant pas content de cette splendeur et de ce glorieux avantage, il voulut être lui-même Roi, et ravit l’honneur Royal à son père. Sentiment dans lequel s’étant une fois confirmé, il commença à se révolter contre David, à se déclarer son ennemi juré, et à dresser des pièges à sa vie. De même ne suffisant pas à l’Homme d’être Fils de Dieu (Luc III, 38), la plus belle de toutes les créatures étant douée d’un corps et d’une âme sans tâche et de faire les délices de son Dieu, il prétendit lui-même devenir Dieu, ce qui lui inspira une haine si mortelle et une si grande aversion du vrai Dieu, qu’il se montra prêt, autant qu’il était
Description de la chute d’Adam.
La chute d’Adam fut un péché très énorme.
8 Adam et Satan ont commis le même péché.
Image de Satan.
Similitude.
Arbre empoisonné.
De la chute d'Adam.
en lui, de le détruire entièrement et de l’exterminer. III. On ne peut certainement s’imaginer rien de plus détestable que ce péché d’où il s’est premièrement ensuivi, que l’Homme, tant dans le corps que dans l’âme, est devenu semblable à Satan, puisque tous les deux ont commis le même forfait. Et n’étant plus l’image de Dieu, mais la ressemblance, l’organe et l’instrument du Démon, il s’est rendu capable de toute sa malice. De plus, l’Homme s’étant dépouillé de cette image divine, céleste et spirituelle, n’a plus été qu’une créature terrestre, charnelle, animale et semblable aux bêtes. Ce fut pour introduire plus aisément sa ressemblance en l’Homme, que Satan entreprit d’abord d’y répandre sa semence serpentine, par un discours flatteur, trompeur et rusé, qui y insinua le poison de l’amour propre, de l’ambition, de la volonté propre, et le désir d’être lui-même Dieu. C’est de là que l’Écriture appelle Race de vipères (Matthieu III, 7) tous ceux qui ont en eux le naturel du Diable : Je mettrai de l’inimitié entre la semence du serpent et celle de la femme (Genèse III, 15). IV. De cette semence de vipère et de serpent, que peut-il provenir, que peut-il croître, que ce fruit abominable qui s’appelle l’image de Satan, un fils de Bélial, un enfant de Diable ? Car comme une semence naturelle contient en soi, d’une manière cachée, la nature et les propriétés de la plante entière, de sa grandeur, de sa grosseur, de sa longueur et de sa largeur et qu’elle renferme les branches, les feuilles, les fleurs et les fruits du plus haut arbre, de sorte qu’on ne peut trop s’étonner qu’un arbre entier, quelque grand qu’il doive être, soit caché et resserré avec des fruits sans nombre dans une si petite semence. Ainsi, dans cette semence pestiférée et mortelle du serpent, je veux dire dans cet amour propre, cette désobéissance d’Adam que nous communiquons et que nous héritons par la génération charnelle, est renfermé cet arbre empoisonné, qui donne la mort, aussi bien que ces fruits sans nombre de la malice et du crime, en sorte que l’image de Satan y paraît avec ses mauvaises inclinations et sa malignité.
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V. Considérez un petit enfant, et voyez de quelle manière, dès qu’il est sorti du sein de sa mère et qu’il est dans le berceau, cette corruption née avec lui, mais en particulier la désobéissance et la volonté propre s’y font remarquer : Et sitôt qu’il a commencé à croître, est-il difficile d’y apercevoir l’amour propre né avec lui, l’ambition, le désir déréglé de la gloire, l’ardeur qu’il a pour la vengeance, son penchant au mensonge et semblables passions ? Peut de temps après, ne voit-on pas, comme rassemblés en lui, le faste, l’arrogance, l’orgueil, la vanité, le blasphème, les jurements, les imprécations, les tromperies, le mépris de Dieu, de sa parole, des parents et des Magistrats ? Joignez à tous ces vices, la colère, les querelles, les haines, l’envie, la dissimulation, la vengeance, les homicides et toutes sortes de cruautés. Principalement, lorsque d’ailleurs ces scandales extérieurs surviennent, qui, comme des sages femmes, aident à faire naître dans le monde ces malheureux enfants de la corruption Adamique. C’est de là qu’on voit se déborder l’impudicité, la luxure, les pensées impures, les imaginations déréglées, les sales entretiens, les gestes, les paroles, les actions qui ne tendent qu’au libertinage, l’ivrognerie, le luxe dans les habits, l’intempérance dans le manger et dans le boire, la vanité, dissolutions, la mollesse ; C’est de là que proviennent les usures, l’avarice, les fraudes, les tromperies, les ruses, les impostures, les fourberies, les stellionats ou les doubles ventes, les banqueroutes, et pour tout dire en un mot, toutes sortes de méchancetés, de crimes, de blasphèmes, d’actions injustes en tant de manières, qu’il n’est pas possible de les exprimer, ni d’en faire le dénombrement, comme le prophète Jérémie en s’exprime, disant : le cœur de l’Homme est dépravé et impénétrable, qui le connaîtra ? (Jérémie XVII, 19). Si à ces criminelles inclinations, se joint l’esprit de séduction et d’hérésie, combien entendrez-vous de fois renier Dieu ? Que d’idolâtries, que de persécutions de la vérité, que de péchés contre le Saint-Esprit, que de corruptions de la foi, que de mauvaises interprétations et d’abus de la Sainte Écriture, que de terribles et épouvantables séductions ? Voilà quels sont les fruits de la semence du serpent, et de l’image de Satan en l’Homme. VI. Qui, dès le commencement, aurait pensé que dans un
Fruits de cet arbre empoisonné.
Le scandale réveille en l’Homme. Le péché originel.
Scandales en la doctrine.
Malice cachée en l’Homme.
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enfant si petit, si faible et si nu, il y eut un si grand amas de crimes, qu’il eut un cœur si corrompu, qu’un ver si hideux et qu’un si affreux basilique y fut caché ? Si par une vie si déréglée, une conversation si charnelle, et par les desseins et les pensées d’un cœur en tout temps enclin au mal (Genèse VI, 5), il ne se montrait tel dès son bas âge et n’exprimait de lui-même ces funestes caractères à nos yeux ?
Pourquoi le scandale est si défendu ?
Le péché originel est ineffable.
Image céleste et Terrestre.
L’Homme devenu semblable à la bête.
VII. Ô mauvaise racine d’où provient un arbre si contagieux ! Ô exécrable semence de serpent et de vipère, par laquelle s’est manifestée cette image si laide et si difforme ! Toutes choses intérieures qui s’accroissent dans la suite étant excitées, aidées, fortifiées par les scandales extérieurs. C’est pour ce sujet que Jésus Christ a si expressément défendu qu’on ne scandalise point les enfants (Matthieu XIIX, 5,6) par un mauvais exemple. D’autant que cette semence du serpent est cachée en eux, et que tous les commencements des vices et des crimes son secrètement entretenus, et trompent aussi subtilement que ces cruels poisons renfermés dans un ver venimeux. VIII. Ne t’informe donc pas, ô Homme, d’une manière légère et superficielle du péché d’Adam et de la corruption originelle de notre race. Cette contagion est trop grande pour pouvoir l’approfondir. Apprends à te connaître et considère ce que tu es devenu par l’apostasie, ou la chute d’Adam : à savoir, de l’image de Dieu, l’image de Satan, dans laquelle sont renfermées toutes les inclinations dépravées, les propriétés et les malices du Diable. Comme dans l’image de Dieu toutes les vertus et les propriétés divines étaient renfermées, et comme l’Homme, avant la chute portait l’image du céleste (1 Corinthiens XV, 49). C’est à dire qu’il était tout céleste, tout spirituel, tout angélique, tout divin ; de même il porte maintenant depuis la chute l’image du terrestre, c’est à dire qu’il est devenu intérieurement tout terrestre, tout charnel, tout animal. IX. En effet, cette colère qui transporte l’Homme, convientelle à la nature de l’Homme ou à celle du lion ? Son envie et son avarice insatiable ne le rendent-elles pas semblable aux chiens et aux loups ? Son impudicité, et son intempérance n’en sont-elles pas
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un pourceau ? Oui, si l’Homme se considérait de près, il trouverait dans son cœur et même dans ses membres, une multitude d’animaux malins, quand ce ne serait que sur sa seule langue, que S. Jacques appelle le plus petit membre (Jacques III, 6) et qui cependant est un tour bien plein de vers contagieux, le domicile des esprits impurs, le nid des oiseaux immondes, comme nous l’atteste Isaïe (Isaïe III,21 et XIII,32) et Jean le Théologien. (Apocalypse XIIX, 2) : En sorte même qu’il se voit souvent qu’il n’y a point de bête farouche si cruelle, que l’Homme, de chien si envieux, de loup si ravissant et si avare, de renard si rusé, de basilic si venimeux, de pourceau si sale et si impur. C’est par rapport à cette inclination animale, que Jésus Christ appelle Hérode un Renard (Luc XIII, 32) et qu’en St. Matthieu, il nomme les impurs des chiens et des pourceaux, auxquels c’est un crime de donner les choses saintes, ou de jeter les marguerites (Matthieu VII, 6). X. Que si l’Homme ne s’amende point, se détournant d’une telle corruption et se renouvelant en Christ mais y meurt, il retiendra certainement pendant toute l’éternité ce naturel diabolique, arrogant, présomptueux et superbe. Il conservera la cruauté du lion, l’envie du chien ; il se montrera aussi cruel et ravissant que le loup, aussi rempli de venin que le basilic ; et devenu incapable d’être reformé, il portera toujours l’image de Satan dans des ténèbres sans fin, pour faire voir qu’il n’a point vécu en Christ, ni été renouvelé selon l’image de Dieu, comme il est marqué dans l’Apocalypse : Au-dehors sont les chiens, les idolâtres, les sorciers, les enchanteurs et tous ceux qui aiment et commettent le mensonge (Apocalypse XXI, 8).
CHAPITRE III Comment l’Homme est renouvelé en Christ pour devenir capable de la vie éternelle. Galates VI, 5 En Jésus Christ, ni la circoncision, ni le prépuce n’a aucune vertu, mais la nouvelle créature.
Ressouvenir très nécessaire.
12 Ce que c’est que la nouvelle naissance
Les bienfaits qui en résultent.
L
De notre renouvellement en Christ.
a régénération est l’ouvrage du Saint Esprit, et c’est par elle que l’Homme de fils de colère et de condamnation devient fils de grâce et de salut, et juste de pécheur par la foi, la parole et les sacrements, par lesquels notre cœur, nos sens, notre âme, notre entendement, notre volonté et nos inclinations sont renouvelés, illuminés et sanctifiés en Christ, et selon Christ, pour devenir une nouvelle créature. Car la régénération renferme en soi deux bienfaits principaux : qui sont la Justification et la sanctification ou le renouvellement (Tite III, 5).
Deux sortes de naissance.
II. Chaque chrétien a deux origines, la naissance et la régénération, l’une est charnelle, souillée de péchés damnée et maudite ; Elle nous vient d’Adam, et c’est par elle que la semence du serpent, l’image de Satan, l’Homme terrestre et animal se multiplie. L’autre qui est spirituelle, sainte, céleste, heureuse et bénite, est cette nouvelle naissance ou régénération qui vient de Christ, et c’est par elle que la semence et l’image de Dieu, et que l’Homme même devenu céleste et conforme à Dieu, est régénéré d’une manière spirituelle.
Vieille et nouvelle naissance.
III. Ainsi, chaque chrétien a deux races ou deux lignées : la race d’Adam qui est charnelle, celle de Christ, qui est spirituelle et vient de la foi. Comme la vieille naissance d’Adam est en nous, ainsi faut-il que la nouvelle de Christ y soit. C’est ce qui s’appelle le vieux et le nouvel Homme, l’ancienne et la nouvelle naissance, le vieux et le nouvel Adam, l’image terrestre et la céleste, l’ancienne et la nouvelle Jérusalem, la chair et l’esprit, Adam et Christ, l’Homme intérieur et l’extérieur.
Comment se fait la nouvelle naissance.
IV. Remarquez maintenant, comment nous sommes régénérés de Christ. Comme notre ancienne naissance provient charnellement d’Adam ; de même notre nouvelle naissance ou régénération est spirituellement de Christ ; Ce qui se fait par la parole de Dieu, qui est la semence d’une nouvelle naissance : Vous êtes régénérés, dit S. Pierre, non par une semence corruptible, mas par une semence incorruptible, à savoir, par la parole de Dieu, qui vit et demeure éternellement (1 Pierre I, 23) et S. Jacques : Il nous a de sa propre volonté engendré par la parole de la vérité, afin que
La parole de Dieu est la semence d’une nouvelle naissance.
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nous fussions comme les prémices de ses créatures (Jaques. I, 18). Cette parole produit la foi, et la foi est fondée sur la parole qui unit en soi Jésus Christ avec le S. Esprit, par la vertu et l’efficace duquel l’Homme est régénéré. Ainsi, la régénération se fait premièrement par le S. Esprit, ce que S. Jean appelle naître de l’esprit (Jean III, 5). En second lieu, par la foi : Qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né Dieu (I Jean V, 1). En troisième lieu par le S. baptême : A moins que quelqu’un ne soit de nouveau né de l’eau et de l’Esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu (Jean III, 5). Sur quoi, remarquez l’instruction suivante. V. D’Adam et par Adam, l’Homme n’a hérité que le plus grand des maux : le péché, l’abomination, la malédiction, la colère, la mort, le diable, l’enfer et la damnation. Tels sont les fruits de notre ancienne naissance. Au lieu que de Christ, l’Homme hérite par la foi, le souverain bien, à savoir, la justice, la grâce, la bénédiction, la vie et le salut éternel. D’Adam, l’Homme n’a qu’un esprit charnel et n’hérite que la tyrannie et la domination du malin esprit. De Christ, il reçoit le S. Esprit avec la grâce et un gouvernement aussi agréable que consolant. Car tel qu’est l’esprit de l’Homme, telle est son origine, sa naissance et sa propriété : Vous ne savez de quel Esprit vous êtes enfants (Luc IX, 55) ? Dit J.C. D’Adam, l’homme a l’esprit d’arrogance, et d’orgueil par sa naissance charnelle. Si donc il veut être régénéré et renouvelé, il faut qu’il recouvre en Christ, par la foi, un esprit d’humilité et de simplicité. D’Adam nous avons hérité un esprit incrédule, blasphémateur, et ingrat. Il nous faut donc par la foi, obtenir de Christ, un esprit facile à croire, fidèle, reconnaissant et toujours disposé à louer Dieu. Par Adam, il nous a été transmis un esprit désobéissant, cruel et téméraire. Il nous faut donc par la foi, contracter de J.C. un esprit d’obéissance, de douceur, et de modestie. D’Adam, nous avons reçu un esprit colérique, ennemi, impitoyable, avide de vengeance, de rapines et de sang. Il nous faut par la foi, acquérir de Christ, un esprit de débonnaireté, d’humanité et de bonté. D’Adam, l’Homme n’a eu en partage qu’un esprit d’impudicité, d’impureté et d’intempérance. De Christ, par la foi, il doit obtenir un esprit chaste, pur et tempéré. Par Adam, l’esprit de mensonge, de fausseté et de calomnie lui a été communiqué. Par Christ, il doit
La foi est le moyen de la nouvelle naissance.
Fruits de la vieille et de la nouvelle naissance.
Tel esprit, telle naissance.
Tout mal vient d’Adam.
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être fait participant de l’esprit de vérité, d’intégrité et de constance. D’Adam, enfin, est passé dans l’Homme, un esprit animal, terrestre et bestial. Il doit par J.C., acquérir un esprit céleste et divin.
La nature humaine est renouvelée par le Christ et par son esprit.
Nous revivons spirituellement en Christ par la foi.
Toutes les bonnes œuvres doivent procéder de notre nouvelle naissance.
VI. C’est pour toutes ces raisons, qu’il a fallu que Christ se revêtit de l’humanité, fut conçu du Saint Esprit et oint, dit S. Jean, du même Esprit sans mesure (Jean III, 34) et que selon Isaïe, l’Esprit du Seigneur reposa sur lui, (Isaïe XI, 2) l’esprit de sagesse, d’intelligence, de conseil, de force, de science et de crainte du Seigneur, afin que la nature humaine fut renouvelée en lui et par lui ; et qu’en lui, de lui et par lui, nous devinssions une nouvelle créature, recevant de lui l’esprit de sagesse et d’intelligence pour chasser et renverser l’esprit de folie. L’esprit de connaissance, pour dissiper cet aveuglement qui naît avec nous ; l’esprit de la crainte du Seigneur, pour bannir de notre cœur l’esprit d’impiété. C’est en ce changement que consiste la nouvelle vie, et les fruits d’une nouvelle créature, ou de la régénération. VII. Car, comme nous étions tous spirituellement morts en Adam et que nous ne pouvions faire que des œuvres de mort et de ténèbres ; De même il nous faut ressusciter en Christ, pour devenir en état d’en faire de lumières (1 Corinthiens XV, 22). Comme par notre naissance charnelle nous avons hérité d’Adam le péché ; de même il nous faut de Christ, acquérir la justice par la foi. Comme par la chair d’Adam, l’orgueil, l’avarice, la volupté et l’impureté sont nés avec nous ; de même par l’Esprit saint, notre nature doit être renouvelée, sanctifiée, purifiée de tout orgueil, de toute avarice, de toute volupté et de toute envie. Et il est nécessaire que nous recevions un nouvel esprit, un nouveau cœur, des sens, et une âme nouvelle. De la même manière que nous avons d’Adam eu en partage une chair soumise aux péchés. VIII. C’est par rapport à cette régénération, que Christ est appelé dans Isaïe notre Père éternel (Isaïe IX, 6). C’est donc de cette sorte que nous sommes renouvelés en Christ à la vie éternelle, que nous sommes régénérés par Christ et que dans ce même Christ, nous devenons une nouvelle créature. Et il faut par conséquent, que de
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cette régénération, que de Christ, que du Saint Esprit, partent toutes ces œuvres que nous voulons rendre agréables à dieu et lui faire approuver. IX. Par ce moyen, nous vivons d’une nouvelle naissance (Galates. II, 20) et une nouvelle naissance vit en nous. Par là, nous vivons en Christ et le Christ en nous. Par là nous vivons dans l’Esprit, et l’Esprit de Christ vit en nous. C’est cette nouvelle naissance et ses fruits que S. Paul nous veut exprimer, lorsqu’il dit qu’il faut être renouvelé dans l’esprit de l’entendement, se dépouiller du vieil homme et se revêtir du nouveau (Ephésiens III, 23,24). Et ailleurs qu’il fait être transformé en l’image de Dieu (2 Corinthiens III, 18) et encore qu’il faut être renouvelé en connaissance selon l’image de celui qui nous a créés (Colossiens. III, 10). Nouvelle naissance que le même Apôtre appelle aussi régénération et renouvellement du Saint Esprit (Tite III, 5) et le Prophète Ezéchiel : ôter le cœur de pierre et en donner un de chair (Ezéchiel XI, 19). D’où il est aisé de conclure, que la régénération provient de l’incarnation de Christ, d’autant que l’Homme par ambition, par orgueil et par désobéissance s’étant détourné de Dieu et étant tombé, son apostasie ou sa chute ne pouvait être punie ni corrigée que par l’extrême humilité, l’abaissement et l’obéissance du Fils de Dieu. Et comme Christ a conversé sur la terre et a vécu parmi les Hommes dans une grande humilité, il est nécessaire que ce même Christ vive en toi et y renouvelle l’image de Dieu. X. Maintenant donc, ô Chrétien, que toute ton occupation soir de considérer cet aimable, cet humble (Matthieu XI, 29) ce très doux, très obéissant et très patient Christ et apprends de lui à devenir tel, c’est à dire, vis en lui. Voici ! Premièrement, pourquoi a-t-il ainsi vécu ? Sans doute, pour te servir d’exemple, de miroir, de règle de vie. C’est lui, en effet, qui est la véritable règle de notre vie et non pas celle d’un Benoît, ou quelque autre règle, qui n’a été que la pure invention de quelque particulier. Oui, c’est l’exemple du Christ qui doit être notre seule règle, comme les Apôtres nous le témoignent d’un commun consentement. En second lieu, considère si ce n’est pas le but de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ.
Description de la nouvelle naissance, de ses fruits, et de ses avantages.
Nouvelle naissance ou régénération par Christ. Il faut que le Christ vive en l’Homme.
L’exemple de Christ est la règle de notre vie.
16 La nouvelle vie est le fruit de la mort et de la passion du Seigneur.
Cause de la nouvelle vie.
Doubles fruits de la passion de Christ.
Fruits du baptême.
De notre renouvellement en Christ.
Pourquoi a-t-il tant souffert ? Pourquoi est-il mort et ressuscité ? Si ce n’est afin que tu meures avec lui au péché, et qu’ensuite tu ressuscites spirituellement en lui, avec lui et par lui pour marcher dans une nouvelle vie (Romains VI, 4). C’est de quoi nous traiterons plus au long ci-après Chap. XI et XXXI. XI. Notre régénération ou nouvelle vie trouve donc ainsi sa source salutaire dans la passion, la mort et la résurrection de Christ. Ce qui fait dire à S. Pierre, que nous sommes régénérés en une espérance vive par la résurrection de Jésus Christ (1 Pierre I, 4). C’est pour cela que les S. Apôtres mettent toujours la passion de Christ pour fondement de la pénitence et de la nouvelle vie. Comme S. Paul (Romains VI, 4) ci-dessus et S. Pierre qui nous dit : Conduisez-vous avec crante durant le temps de votre séjour temporel, sachant que vous n’avez pas été rachetés par des choses corruptibles, par or ou par argent, mais par le précieux sang de Christ, comme de l’agneau sans tâche et sans défaut (1 Pierre I, 17, 18, 19). Où vous voyez que la raison, pour laquelle nous devons nous conduire d’une manière si sainte, c’est que nous avons été si précieusement et chèrement rachetés. Le même Apôtre dit ailleurs : Le Christ a porté nos péché en son corps sur le bois, afin qu’étant morts au péché, nous vivions à la justice ; par la meurtrissure duquel nous avons été guéris (1 Pierre II, 24). Et Jésus Christ même en S. Luc nous demande : Si ce n’est pas ainsi qu’il fallait que le Christ souffrit et ressuscita des morts le troisième jour et qu’on prêcha en son nom la repentance et la rémission des péchés (Luc XXIV, 46, 47). De ces paroles, il est évident que la prédication de la parole de Dieu et la pénitence tirent leur vertu et leur source de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ. XII. La passion de Christ est non seulement la satisfaction de nos péchés, mais aussi le renouvellement de l’Homme par la foi. Et l’un et l’autre sont en même temps requis pour la réparation et la rédemption de l’Homme. Car c’est là le fruit et l’efficace de la passion de Christ qui opère en nous le renouvellement et la sanctification. (1 Corinthiens I, 30) C’est d’où vient notre nouvelle naissance en Christ et c’est aussi à cette fin qu’est ordonné le Saint baptême, c’est qu’étant baptisés en la mort de Christ, nous devons mourir avec lui
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aux péchés par l’efficace de sa mort et ressusciter, ou nous retirer de nos péchés par la vertu de sa résurrection.
CHAPITRE IV Qu’est-ce que la vraie pénitence, la vraie croix et le joug de Christ ? Galates V, 24 Ceux qui sont de Christ ont crucifié leur chair avec ses passions et ses convoitises.
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a pénitence ou la vraie conversion est l’ouvrage du Saint Esprit. C’est par elle que la loi faisant connaître à l’Homme ses péchés et la juste colère qu’ils excitent en Dieu, il s’en repent sérieusement, en conçoit une sensible douleur et voudrait que ce qui est fait n’eu jamais été fait. Pendant que reconnaissant par l’Evangile la grâce de Dieu, il obtient par la foi la rémission de ses péchés en Christ. Or, c’est par cette vraie pénitence que l’Homme parvient à la mortification et au crucifiement de la chair, de toutes les voluptés charnelles et de toutes les convoitises ou mauvais désirs du cœur, et qu’il ressent en même temps, la vivification que le Saint Esprit opère en lui. Vraie pénitence par laquelle Adam meurt en nous avec tous ses vices et le Christ y vit par la foi. Ces deux choses étant inséparables, à savoir que la chair étant mortifiée, l’esprit soit aussitôt ressuscité et renouvelé et que le vieil Homme étant immolé et mis à mort, le nouveau vive en nous, nous vivifie et nous fasse vivre d’une nouvelle vie. Quoique notre Homme extérieur se corrompe et périsse, dit S. Paul, l’intérieur se renouvelle pourtant de jour en jour (2 Corinthiens IV, 16). Et ailleurs : mortifiez vos membres qui sont sur la terre. Estimez-vous morts au péché (Colossiens III, 15) dit le même Apôtre, et vivez à Dieu en J.C. notre Seigneur (Romains VI, 11). II. Mais considérez pourquoi la mortification de la chair doit se faire par la vraie pénitence ? Nous avons entendu ci-dessus (Chap. III) que, l’Homme par la chute d’Adam est devenu tout diabolique, terrestre, charnel, impie et dépourvu de tout amour ; c’est à dire,
Propriété de la vraie pénitence.
La mort du vieil homme est la vie du nouveau.
La chair est mortifiée par la vraie pénitence.
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La vraie pénitence change le cœur.
La propriété de la pénitence est de mourir à soi et au monde.
Haïr sa propre vie.
De la vraie pénitence.
sans Dieu et sans charité, détourné de l’amour divin pour ne plus s’occuper que de celui des créatures et du monde et surtout de luimême et de son amour propre ; en sorte qu’en toutes choses il ne cherche, il n’aime, il n’honore que lui et n’emploie toute son industrie qu’à se faire estimer d’un chacun. Voilà ce que résulte de la chute d’Adam, qui ayant désiré se faire Dieu, a enveloppé tout le genre humain dans le malheur qu’il s’est attiré. Corruption ou dépravation de la nature humaine, qui doit être changée et corrigée par une sérieuse repentance et pénitence, c’est à dire, par une vraie contrition qui vienne de Dieu, par une foi qui obtienne la rémission des péchés et par la mortification des voluptés charnelles de l’amour propre et de l’orgueil. En effet, la pénitence ne consiste pas seulement à éloigner et à congédier pour ainsi dire les péchés extérieurs et les plus énormes, mais encore à descendre en soi-même, à se sonder, à pénétrer jusque dans les replis les plus secrets de son âme et de son cœur, à se changer et à reformer, à passer de l’amour propre à l’amour divin, à quitter le monde et à se dépouiller de toutes les convoitises mondaines pour mener une vie spirituelle et céleste et participer par la foi au mérite de Jésus Christ. III. D’où il s’ensuit, premièrement, que l’Homme doit renoncer à soi-même (Luc IX, 23) c’est à dire, dompter sa propre volonté, s’abandonner tout entier au bon plaisir de Dieu, ne se point aimer soimême, se considérer le dernier, le plus misérable et le plus indigne de tous les mortels. Deuxièmement, que l’Homme doit renoncer à tout ce qu’il a (Luc XIV, 26), c’est à dire, mépriser le monde avec ses pompes et ses honneurs, ne faire aucun état de sa sagesse ni de ses talents, ne se fier à aucune créature, mais à Dieu seul. Troisièmement Haïr sa propre âme et sa vie. C’est à dire, mortifier les voluptés et les convoitises charnelles, comme l’orgueil, l’avarice, les plaisirs, la colère, l’envie, ne se point complaire en soi-même, ne faire aucune estime de toutes ses actions, ne se glorifier d’aucun avantage, ne rien attribuer ni rapporter à ses propres forces. Quatrièmement, Mourir au monde, c’est à dire, à la concupiscence des yeux, aux convoitises de la chair, à l’orgueil de la vie et être crucifié au monde (Galates VI, 14). Voilà en quoi consiste la vraie pénitence et cette mortification de la chair sans laquelle nul ne
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peut être le disciple de Christ. Voilà ce qui s’appelle le vrai abandon de soi-même, du monde et du Diable, pour se convertir à Dieu ; conversion sans laquelle personne ne peut obtenir la rémission des péchés, ni parvenir au salut (Actes XXVI, 18,19). IV. Cette pénitence et cette conversion est le renoncement à soi-même, la vraie croix et le joug de Christ, dont il dit portez mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Matthieu XIV, 30). C’est à dire, apprenez qu’il faut dompter et étouffer l’amour propre et l’ambition par une humilité sérieuse et intérieure et réprimer par la douceur, la colère et le désir de vengeance. Ce qui à la vérité est un joug agréable et léger au nouvel Homme, mais une rude croix et amère à la chair. Car c’est ce qui s’appelle crucifier sa chair avec ses vices et ses convoitises (Galates V, 24). V. Ceux-là donc se trompent et s’abusent extrêmement, qui n’estiment et ne reconnaissent d’autres croix que les calamités et les chagrins qui se trouvent en ce monde, ne sachant pas que la pénitence intérieure et la mortification de la chair est cette vraie croix que nous devons porter tous les jours après le Christ. C’est à dire, supporter nos ennemis avec une grande patience et surmonter leur faste et leur arrogance par la douceur et par l’humilité, afin d’imiter l’exemple de la douceur de Christ, qui a voulu si parfaitement renoncer au monde et aux choses mondaines. VI. Ce joug de Christ est donc cette vraie croix qu’il nous fait porter et c’est ce qui s’appelle mourir au monde. Ce n’est point en courant nous retirer dans un cloître, en embrassant un ordre et une règle particulière ou en prescrivant aux autres, qu’on porte ce joug de Christ, pendant que d’ailleurs on n’a le cœur rempli, que de l’amour du monde, que de vanité, que d’un orgueil spirituel, d’un mépris Pharisaïque du prochain, de désirs déréglés, d’envie et de haines secrètes. Ce n’est pas là, dis-je, mourir au monde. Notre mort au monde, consiste dans la mortification de la chair et de tout ce qui peut lui causer un plaisir désordonné. Notre mort au monde doit être un repentir continuel, intérieur et secret, qui détourne nos cœurs
Le joug de Christ est léger à porter.
Quelle est la vraie croix de Christ.
Qu’est-ce que mourir au monde.
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De la vraie pénitence.
du monde pour les tourner vers Dieu, qui l’y fasse mourir tous les jours pour vivre en Christ, par la foi, dans une humilité sincère et qui ne nous porte à nous fier, nous appuyer et à nous consoler qu’en la grâce de Dieu en Christ. Sans la vraie pénitence Christ ne sert de rien.
Le fruit de la mort et de la passion de Christ.
VII. C’est à cette vraie, intérieure et sincère pénitence et conversion du cœur de ce monde à Dieu, que Christ nous a appelés et c’est à elle qu’il a promis la rémission des péchés et l’imputation de sa justice et de sa sainte obéissance par la vertu de la foi ; puisque sans cette pénitence intérieure, Christ ne sert de rien à l’Homme, c’est à dire, que l’Homme ne participe point à sa grâce et au fruit de son mérite, qu’il faut recevoir avec un cœur contrit, fidèle, humble et pénitent. La raison de tout ceci, est que le fruit de la passion de Christ n’est en nous, qu’afin que par la vraie pénitence, nous mourions au péché, au lieu que le fruit de sa résurrection doit faire vivre le Christ en nous, et nous en Christ. VIII. Voilà ce qui s’appelle une nouvelle créature en Christ et la nouvelle naissance, qui est la seule chose qui vaut devant Dieu, selon l’Apôtre (2 Corinthiens V, 17 et Galates VI, 5) et comme vous le pouvez voir ci-après, Chap. XXXIII.
La vraie pénitence est intérieure.
IX. Comprends de ceci la nature de la vraie pénitence. Plusieurs se trompant et s’abusant lorsqu’ils pensent que la véritable pénitence consiste à quitter l’idolâtrie extérieure, à s’abstenir du blasphème, de l’homicide, de l’adultère, de la fornication, du vol et de tous ces autres crimes énormes et extérieurs. Je ne disconviendrai point toutefois que cette pénitence extérieure ne nous soit recommandée par les Prophètes Isaïe (Isaïe LV, 7) et Ezéchiel (Ezéchiel XIIX, 25 et XXIV, 14). Il est pourtant certain que les Prophètes et les Apôtres ont pénétré beaucoup plus avant dans nos cœurs, nous enseignant que la plus excellente pénitence est l’intérieure, puisque par elle, l’Homme doit mourir à l’orgueil, à l’avarice, aux désirs déréglés, renoncer à soi-même, se haïr, abandonner le monde, se dépouiller de toutes ses affections, se livrer tout à Dieu, crucifier sa chair, offrir au Seigneur et lui immoler tous les jours, un cœur contrit, humilié et rempli
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d’une sainte crainte, porter enfin dans son corps une âme baignée de larmes : Caractères de la pénitence sincère et intérieure, qui sont si clairement exprimés et décrits dans les Psaumes de la pénitence. X. La vraie pénitence est donc celle par laquelle le cœur est intérieurement touché, abattu, brisé et pénétré de la plus vive douleur qui nous met dans la disposition de pouvoir être guéris, réjouis, purifiés, changés et amandés par la foi et la rémission des péchés. D’où il s’ensuit l’amendement extérieur de notre vie. XI. Si l’Homme ne fait qu’une pénitence extérieure et ne s’abstient des plus grands crimes que par la seule crainte de la peine et du châtiment sans être changé dans le cœur et sans commencer une vie intérieure et renouvelée en Christ, qu’un tel Homme ne se flatte point d’en être moins condamné. Et il ne lui servira de rien de crier Seigneur, Seigneur, mais il sera obligé d’entendre ces terribles paroles qui suivent : Je ne vous connais point : Car tous ceux qui disent, Seigneur, Seigneur, ne parviendront point au Royaume des Cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père qui est dans le ciel (Matthieu VII, 27). Sentence en laquelle sont comprises les personnes de tous les états, savants et ignorants. Tous ceux donc, qui ne font point une vraie et sincère pénitence dans le fond de leur cœur et ne deviennent point une nouvelle créature en Christ, n’en seront point reconnus du nombre des siens.
CHAPITRE V Qu’est-ce que la vraie foi ? 1 Jean V, 1 Tout Homme qui croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu.
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a foi est une ferme confiance et une persuasion indubitable de la grâce de Dieu, promise en Christ, de la rémission des péchés et de la vie éternelle allumée dans nos cœurs, par la parole et l’opération du Saint Esprit. Par cette foi, nous obtenons gratuitement la rémission des péchés, sans aucun
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De la vraie foi.
mérite de notre part, mais par la pure grâce et en vertu du mérite de Christ, afin que notre foi établie sur un fondement si ferme, demeure immobile et inébranlable. Et cette rémission de nos péchés fait notre justice, qui est véritable, solide et éternelle devant Dieu. Ce n’est point l’obéissance des Anges, le mérite et le sang de Christ, qui nous sont appropriés par la foi. C’est pourquoi, bien que nous tombions dans de grandes faiblesses, que nous soyons sujets à plusieurs imperfections et infectés de beaucoup de péchés, ils sont néanmoins couverts par la grâce à cause du Christ (Psaumes XXXI, 2). Propriété de la vraie foi.
Efficace de la foi. Étant justifié par la foi nous avons la paix. Certitude de la foi.
II. Soutenu de cette douce confiance et d’une si ferme assurance, l’Homme livre entièrement son cœur à Dieu, se repose en lui seul, s’abandonne, s’attache et s’unit à lui seul, participe à tout ce qui est de Dieu et de Christ, n’est qu’un esprit avec Dieu, dont il reçoit de nouvelles forces, une nouvelle vie, de nouvelles consolations, la paix et la joie, le repos de l’âme, la justice et la sainteté. Et c’est ainsi que l’Homme est régénéré de Dieu par la foi. Car où est la vraie foi, là se trouve le Christ avec toute sa justice, sa sainteté, sa rédemption, son mérite, sa grâce, la rémission des péchés, l’adoption de Dieu, l’héritage de la vie éternelle. Telle est cette nouvelle naissance qui vient de la foi en Christ, d’où elle est appelée dans l’Épître aux Hébreux (Hébreux XI, 2) une substance, ou une assurance aussi vraie qu’indubitable des choses qu’on espère et une conviction de ce qu’one ne voit point. Car la consolation d’une foi vive devient si puissante dans le cœur, qu’elle le persuade, faisant éprouver un bien céleste à l’âme, à savoir, ce repos et cette paix en Dieu qui y produit une conviction si certaine, qu’on peut même volontiers mourir pour la conserver. C’est en quoi consiste la force en esprit que ressent l’Homme intérieur, le consentement que cause la foi, la véritable joie en Dieu et une certitude tout à fait indubitable. III. Foi, pour laquelle s’il me faut mourir, qui doit être enracinée en mon âme et vivement imprimée par le S. Esprit dans le plus profond de mon cœur, en sorte que ce me soit une consolation intérieure, vive et éternelle, qui me fortifie et me fasse acquérir une vigueur surnaturelle, divine et céleste pour surmonter en moi la mort
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et le monde. Et il faut qu’il y ait en moi une telle assurance et union avec Christ, que ni la mort, ni la vie ne puissent la dissoudre (Romains IXX, 38). Ce qui fait dire à S. Jean, que tout ce qui est né de Dieu, surmonte le monde. IV. Être né de Dieu ne peut certainement pas être un ouvrage de ténèbres, mais un ouvrage de vie et de lumière. Dieu ne porte point de fruits morts et ne produit point d’ouvrages sans vie et sans force. Étant un Dieu vivant, ne faut-il pas que le nouvel Homme qu’il engendre soit vivant ? Et notre foi est la victoire qui triomphe du monde (1 Épître Jean V, 4). Or, ne faut-il pas que ce qui doit triompher, soit doué d’une force suffisante et capable de vaincre ? Qui doute donc, que notre foi, qui est la victoire qui surmonte le monde, ne doive avoir une force vivante, victorieuse efficace et divine ? Ne faut-il pas même, que le Christ opère tout en nous par la foi ? Et n’est-ce point par cette vertu de Dieu, que nous retournons à lui, que nous sommes portés vers lui, transposés et transplantés en lui, ou plutôt en Christ, cette vigne bénite et vivante qui nous redonne la force de porter de bons fruits en la place de ces fruits morts que nous portions en Adam, cette vigne maudite ? (Jean XV, 4). C’est ainsi que nous possédons en Christ tous ses biens et que nous y sommes justifiés en lui.
Être né de Dieu n’est pas une œuvre morte.
La foi est vive et victorieuse pourvu qu’elle soit vraie.
Ce que nous sommes en Christ et hors de Christ.
V. Comme une greffe entée sur un bon arbre y prend vigueur, y reverdit, y pousse des boutons, y fleurit et porte des fruits, mais sèche, périt, sitôt qu’elle en est séparée. Ainsi, l’Homme hors de christ n’est qu’une vigne maudite et toutes ses œuvres sont des péchés : Leurs vignes sont un poison de Dragon (Deutéronome XXXIII, 32). Au lieu qu’en Christ, l’Homme est juste et heureux, ce qui fait dire à S. Paul, celui qui n’a point connu le péché, a été fait péché pour nous, afin que nous fussions en lui justice, qui a son prix devant Dieu (2 Corinthiens V, 21). VI. D’où tu vois et du dois conclure que les œuvres ne peuvent te justifier, puisqu’il faut être enté par la foi en Christ et justifié en lui, avant que de pouvoir faire une seule bonne œuvre. Reconnais donc, ô Chrétien, que ta justice est une grâce et un don
La justification ne vient point.
24 Des œuvres
Mais de J.C.
De la vraie foi.
de Dieu qui prévient tout ton mérite. Comment un homme mort peut-il marcher, se tenir debout et faire quelque chose de bon qu’il ne soit auparavant rappelé à la vie ? De même, étant mort à Dieu par tes péchés, il n’est pas possible que tu fasses aucune œuvre qui lui soit agréable, que tu ne sois auparavant ressuscité en Christ. D’où il s’ensuit, que ta justice ne vient que de Christ par la foi, qui est en l’Homme comme un enfant nouvellement né, encore faible et nu, exposé en cet état à son rédempteur et sauveur dont il reçoit tout, à savoir, la justice, la probité, la sainteté, la grâce et le S. Esprit.
Quelle est notre justice ?
VII. C’est ainsi que ce petit enfant nu et dépourvu de tout, est revêtu de la miséricorde de Dieu et qu’élevant ses deux mains vers lui, il en reçoit la grâce, le salut, la sainteté qui le rendent pieux, saint et heureux.
La mort, l’enfer et le diable sont soumis à la foi.
VIII. La justice ne vient donc que de la foi, et non pas des œuvres. Foi, qui reçoit le Christ et se l’approprie tout entier avec tout ce qu’il est et ce qu’il a. C’est alors qu’il faut que le péché, la mort, le Diable et l’enfer s’éloignent. Et quand bien même tu aurais seul les péchés de tout le monde, ils ne pourraient te nuire, tant le Christ est fort, puissant et vivant en toi avec son mérite par la vertu de la foi.
La foi se revêt du Christ et renouvelle l’Homme.
IX. Puisque, selon S. Paul, le Christ habite et vit en toit par la foi (Éphésiens III, 17) son inhabitation n’est pas une œuvre de mort, mais de vie ; d’où vient ton renouvellement en Christ par la foi. Car la foi opère deux choses en toi : Premièrement, elle te transpose en Christ et te le rend propre. En second lieu, elle te renouvelle en Christ, afin que tu y reverdisses, fleurisses et vives en lui. En effet, pourquoi la greffe est-elle entée sur le tronc, si ce n’est pour y reverdir et porter du fruit ? Et comme ci-devant par la chute d’Adam, par la séduction et la tromperie du Diable, la semence du serpent a été répandue dans l’Homme, c’est à dire, la perverse nature de Satan ; d’où est provenu un fruit empoisonné. De même la foi est semée dans l’Homme par la parole de Dieu et du S. Esprit, comme une semence de Dieu, dans laquelle sont renfermées d’une manière secrète toutes ses vertus et les propriétés divines, que sortent dehors et produisent une nouvelle
La foi est la semence de Dieu.
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et excellente image de Dieu, un bel arbre nouveau, dont les fruits sont : la charité, la patience, l’humilité, la douceur, la paix, la chasteté, la justice, un nouvel Homme et tout le Royaume de Dieu. D’autant que cette vraie foi qui nous sauve, renouvelle l’Homme entier, purifie le cœur, l’unit à Dieu, l’affranchit des choses terrestres, fait qu’il a faim et soif de la justice, opère la charité, procure la paix, la joie, la patience, la consolation dans les adversités, surmonte le monde, fait les enfants de Dieu, les héritiers de tous les biens célestes et éternels et les cohéritiers de Christ. Que si quelqu’un n’éprouve pas cette joie que produit la foi, mais se sent encore de peu de foi et dépourvu de consolation, qu’il ne s’en décourage point, se confiant à la grâce qui lui est promise en Christ. Grâce qui demeure certaine, constante et éternelle. Et quoique notre faiblesse nous fasse souvent broncher et quelque fois tomber, la grâce de Dieu ne nous manque pourtant pas, si seulement nous nous en relevons par une vraie pénitence. Le Christ demeure aussi toujours Christ et sauveur, soit que nous le recherchions avec une faible foi, soit que nous parvenions jusqu’à lui par une foi ferme et courageuse. La faible foi ayant autant en Christ, que la ferme et la constante. Chacun, soit qu’il soit d’une ferme ou d’une faible croyance, possède et s’approprie Christ tout entier. La grâce promise sur laquelle il faut que se repose la foi, ferme ou faible, est une grâce commune et éternelle. Dieu te fera jouir dans son temps d’une consolation sensible et véritable, bien qu’il se cache pour un temps dans ton cœur (Psaumes XXXVII, 24 et Psaumes LXXVII, 10, 11). De quoi nous traiterons plus au long dans le IIème Livre.
CHAPITRE VI Comment la parole de Dieu doit montrer sa vertu et devenir vivante en l’Homme. Luc XVII, 21. Voici, le Royaume de Dieu est au-dedans de vous.
Consolation de ceux qui ont peu de foi.
26 Tout le nouvel Homme est dépeint dans l’Écriture.
La parole de Dieu doit être vivifiée en nous.
Le combat de la chair et de l’esprit est le combat mystique d’Abraham.
C
La parole de Dieu se manifeste en l'Homme.
omme tout consiste dans la régénération et le renouvellement de l’Homme, Dieu à compris, décrit et renfermé dans l’écriture extérieure, qui est la sainte parole, tout ce qui doit arriver spirituellement à l’Homme en la foi et nous y a dépeint l’Homme tout nouveau. Car la parole de Dieu étant la semence de Dieu en nous, il faut qu’elle croisse en un fruit spirituel et qu’elle devienne par la foi telle, que la parole extérieure nous la marque et nous l’enseigne, ou c’est une semence morte et une naissance sans vie. Il me faut plein de consolation, ressentir, éprouver en esprit et en foi, ce que l’Écriture me dit être ainsi. II. Dieu n’a point fait divulguer la Sainte Écriture, pour qu’elle fut seulement comme une lettre morte, couchée sur le papier, mais afin qu’elle fut vivante en nous par l’esprit et par la foi et que nous en devinssions des Hommes intérieurs et tout nouveaux, ou l’Écriture nous est tout à fait inutile. Il faut que tout ce que l’Écriture enseigne extérieurement s’accomplisse en l’Homme par le Christ en foi et en esprit. Pour exemple, considère l’Histoire de Caïn et d’Abel (Genèse IV, 8) et tu trouveras dans leur naturel, leurs mœurs, tout ce qui se passe en toi par rapport au vieux et au nouvel Homme, avec toutes les œuvres : Deux sortes d’Hommes, qui sont toujours opposés en toi l’un à l’autre. Caïn veut toujours opprimer et faire périr Abel, ce qui ne nous marque autre chose, que le combat qui est entre la chair et l’esprit et l’inimitié de la semence du serpent avec celle de la femme. Par le déluge, il t’est clairement signifié que la corruption de la chair doit être inondée en toi et submergée ; mais que le juste et fidèle Noé y doit être conservé, qu’il faut que Dieu fasse une nouvelle alliance avec toi et toi avec lui (Genèse VII, 21). L’orgueil, tour de Babel ou de confusion, ne doit point être édifié en toi (Genèse XI, 9). Il te faut avec Abraham, sortir d’avec les tiens, tout abandonner (Genèse XII, 4), le corps même et la vie, et marcher seulement où Dieu te veut conduire afin que tu en obtiennes la bénédiction et que tu entres dans la terre promise et dans le Royaume de Dieu. N’est-ce pas ce que le Seigneur prétend de nous lorsqu’il dit en S. Matthieu : Qui n’abandonne point père, mère, frère, sœur, maison, champ et même la vie, ne peut être mon disciple (Matthieu X, 37). C’est à dire, plutôt que de
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vouloir renier le Christ, il te faut avec Abraham combattre cinq rois qui sont en toi, à savoir la chair, le monde, la mort, le diable et le péché (Genèse XIV, 14). Il te faut sortir avec Loth de Sodome et de Gomorrhe (Genèse XIX, 17). C’est à dire, que tu dois renoncer à la vie impie du monde, sans regarder derrière toi avec la femme de Loth (Genèse XIX, 26). Comme Christ le dit en S. Luc (Luc XXVII, 32). Pour couper court, Dieu a renfermé toute l’Écriture sainte en l’esprit et en la foi, et il faut que tout en soit spirituellement accompli en toi. C’est à quoi se rapportent toutes les guerres Israélites contre les peuples infidèles et païens, guerres qui ne nous marquent autre chose que le combat entre la chair et l’esprit. C’est là, que tend tout ce qui est rapporté du sacerdoce extérieur, de la Loi Mosaïque, du Tabernacle, de l’Arche d’alliance, du propitiatoire. Toutes choses qui doivent être spirituellement en toi, dont l’office est d’immoler des victimes par la foi, de brûler de l’encens et de prier. Le Christ ton Seigneur, doit être toutes ces choses en toi, lui qui les a toutes renfermées dans le nouvel Homme et dans l’esprit, et les accomplira toutes par la foi, ce qu’il opère même souvent par un seul soupir. L’Homme n’étant pas moins le centre de toute la Bible, qu’il l’est de toute la nature. III. Quant au Nouveau Testament, qu’est-ce autre chose selon la lettre, qu’un témoignage extérieur, que tout doit ainsi s’accomplir en l’Homme par la foi ? Il faut que le Nouveau Testament soit entièrement en nous et même il nous y porte avec force, par ce que le Royaume de Dieu est en nous (Luc XVII, 27). Comme le Christ par l’opération du S. Esprit a été corporellement conçu de Marie et mis au monde en la foi qu’elle eut aux paroles de l’ange, de même il faut qu’il soit spirituellement conçu en moi, qu’il y soit engendré, qu’il s’y augmente d’une manière spirituelle jusqu’à son plein accroissement. Et d’autant que je suis devenu une nouvelle créature en Christ, il s’ensuit qu’il faut que je vive en lui et que je marche comme lui. Il faut que j’aille avec lui et en lui en exil. Il faut que je pratique comme lui, l’humilité, la patience, la douceur, la charité et que je sois exposé aux mépris du monde. Il faut avec lui, que je pardonne à mes ennemis, que j’exerce la miséricorde, que j’aime mes adversaires, que j’exécute
La Sodome Mystique.
Il faut que les figures de l’Ancien Testament soient accomplies par la foi.
Tout le Nouveau Testament doit être accompli en l’Homme.
La vie de Christ en nous.
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La parole de Dieu se manifeste en l'Homme.
la volonté du Père, que je sois tenté avec lui par Satan, et que j’en remporte la victoire. Il faut, que pour l’amour de la vérité qui est en moi, je sois moqué, méprisé, affronté, haï et même s’il est nécessaire, il faut que je souffre la mort pour l’amour de lui, à l’exemple de tous les saints, afin de rendre témoignage devant lui et devant tous les élus, qu’il a été et qu’il a vécu en moi et moi en lui par la foi. La mort et la résurrection de Christ en nous.
IV. Se conformer entièrement à l’image de Christ, c’est naître en lui et avec lui, se revêtir de lui, croître et se fortifier avec lui et en lui, être en exil avec lui, être baptisé de son baptême, exposé à la risée et aux moqueries, être crucifié, mourir, ressusciter et régner avec lui. Et cela non seulement par la croix, mais encre en faisant tous les jours pénitence et ayant une vraie contrition et une douleur intérieure de ses péchés.
Christ doit être en nous.
V. C’est de cette manière qu’il te faut mourir tous les jours en Christ et crucifier ta chair, ou tu ne peux demeurer uni à Christ comme à ta tête. Autrement Christ n’est point en toi, mais hors de toi, hors de ta foi, de ton cœur et de ton esprit. Et il ne te sera d’aucune utilité ni d’aucun secours, puisqu’il doit être vivant en toi, te consoler et te rendre heureux.
Tout se doit accomplir par la foi.
VI. La foi n’opère-t-elle pas toutes ces choses ? Elle, qui fait vivre en toi la S. parole de Dieu et y est comme un témoin vivant de tout ce qui en es marqué dans la Sainte Écriture. Et c’est en ce sens que la foi est une substance et une hypostase (Hébreux XI, 1).
Toute l’Écriture n’a que l’Homme en vue.
VI. De tout ceci, il est assez manifeste, que toutes les prédications et les discours du Christ, des Prophètes et des Apôtres et que toute la Sainte Écriture n’a que l’Homme seul en vue, même chacun de nous en particulier. C’est aussi à quoi tendent toutes les paraboles et les miracles qui composent et illustrent l’histoire de Jésus Christ. VIII. Et pourquoi même cela est-il écrit, si ce n’est afin qu’il s’accomplisse en nous spirituellement. Car si le Christ a guéri les
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autres, il me guérira aussi, puisqu’il est en moi et qu’il y vit. Il a rendu la vue aux aveugles ; je suis spirituellement aveugle, il m’éclairera donc aussi. Ainsi, en est-il de tous les autres miracles. Lorsque tu te reconnais aveugle, boiteux, paralytique, sourd, lépreux, il ne manque pas de te guérir. Il a ressuscité les morts ; je suis mort par le péché, il me rendra vivant en lui, afin que je participe à la première résurrection. IX. Enfin, la foi accomplit intérieurement en l’Homme tout ce que l’Écriture marque extérieurement. C’est ainsi qu’elle décrit extérieurement l’image de Dieu qui doit être en moi par la foi. C’est ainsi qu’elle représente extérieurement le Royaume de Dieu qui doit être en moi par la foi. C’est ainsi qu’elle dépeint extérieurement le Christ qui doit être en moi, par la foi. C’est ainsi qu’elle fait mention d’Adam, de sa chute et de sa réparation ; toutes choses qui doivent être en moi. C’est ainsi qu’elle fait la description de la nouvelle Jérusalem qui doit être en moi et que je dois être moi-même. L’Écriture nous rend extérieurement témoignage de notre nouvelle naissance et nous marque qu’il nous faut devenir de nouvelles créatures. Toutes choses qui doivent être en moi et que je dois être moi-même par la foi. Ou bien, l’Écriture ne sert de rien. Voilà en quoi consiste la foi et ce qu’elle opère en nous ! Voilà, qu’elle doit être l’œuvre et le Royaume de Dieu en nos cœurs.
CHAPITRE VII Comment la Loi de Dieu est écrite dans les Cœurs de tous les Hommes ? Loi qui les convainc, afin qu’ils soient inexcusables au jour du jugement. Romains II, 15 Lorsque les Gentils, qui n’ont point de loi, font naturellement les œuvres de la loi, ils montrent que l’œuvre de la loi est écrite dans leur cœur.
Les miracles du Christ opèrent spirituellement en nous.
La lettre de l’écriture doit être accomplie par la foi.
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L
Comment la loi de Dieu est écrite dans nos cœurs.
Trois connaissances imprimées dans l’âme.
orsque le Seigneur créa l’Homme à son image en parfaite justice et sainteté, qu’il l’orna et l’embellit de toutes sortes de vertus divines et de dons et qu’il fit ce beau chef d’œuvre comme son plus sublime et son plus bel ouvrage, il grava si profondément trois principales propriétés en la conscience de l’Homme, qu’elles ne pourront jamais ni même éternellement en être effacées. La première est ce témoignage intérieur et ce sentiment naturel, qu’il y a un Dieu. La seconde est cette conviction d’un dernier jugement. La troisième, est cette loi de nature, ou cette justice naturelle qui fait discerner l’honneur du déshonneur et la joie de la tristesse.
Lumière de la nature.
II. Il n’y a jamais eu de nation si sauvage et si barbare qui ne reconnu qu’il y a un Dieu. La nature en convaincant tous les Hommes intérieurement et extérieurement et leur conscience ne les a pas seulement portés à croire qu’il y a un Dieu, elle les persuade encore qu’il faut que ce Dieu soit très juste, qu’il punisse le mal et récompense le bien, puisque c’est dans l’intérieur de leur conscience qu’ils éprouvent des remords et des frayeurs ou du plaisir et de la joie. D’où ils ont aisément conclu qu’il fallait que l’âme fût immortelle, comme Platon l’a si fortement soutenu. Enfin, de cette loi de la nature, c’est à dire de cet amour né avec nous, ils ont inséré que Dieu était la source de tous les bien qui se trouvent dans la nature et que par conséquent, il fallait le servir en s’appliquant à a vertu et en conservant son cœur pur. C’est pourquoi ils ont fait consister le souverain bien dans la vertu et ce fut pour établir ce sentiment que Socrate et d’autres philosophes ouvrirent et tinrent des écoles de vertu. Ce qui nous donne à connaître que Dieu, même après la chute d’Adam, a laissé dans l’Homme une étincelle de lumière naturelle, ou une trace et une marque de cette connaissance et de ce témoignage d’un Dieu né avec nous, afin que l’Homme put en apprendre à reconnaître son origine et que suivant ces vestiges, il parvint jusqu’à son Créateur. Ce que quelques uns des païens n’ont pas ignoré entre lesquels ARATVS, cité par S. Paul (Actes XVII, 28) dit : Nous sommes de la race de Dieu, et MANILIVS nous le fait connaître dans le distique suivant :
Étincelles de la Théologie naturelle.
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Qui peut douter que Dieu n’habite en notre Cœur, Que l’âme étant du ciel n’y vole avec ardeur ? III. Or, les gentils ayant méprisé ce témoignage naturel d’un Dieu que leur dictait leur conscience et par conséquent rejeté et méprisé le créateur même, c’est par leur propre faute qu’ils seront condamnés, étant entièrement inexcusables. Tel est l’argument de S. Paul aux Romains (Romains I, 19,20) Celui que sait qu’il y a un Dieu et ne s’efforce point de le connaître et de l’adorer comme il doit, sera inexcusable au jour du jugement. Or les gentils, conclut-il, ont connu la justice de Dieu, puisqu’ils ont naturellement su, que ceux qui font mal, sont dignes de mort et que non seulement ils ont fait le mal, mais que même ils s’y font plus (Romains I, 32) ; ne se sont-ils donc pas eux-mêmes jugés et condamnés ? Et il dit ailleurs (Romains II, 15) que leurs pensées s’accusent entre elles ou se défendent, leur conscience leur a rendu témoignage qu’il viendrait un jour auquel Dieu jugera les secrets des Hommes. Que si les Gentils sont inexcusables en ce que, pourvus de la connaissance naturelle de Dieu, malgré le témoignage de leur conscience, ils ne se sont point mis en peine de chercher Dieu ; que pourront alléguer pour excuse ceux, à qui Dieu a manifesté sa parole et qu’il a excités à la pénitence par Jésus Christ, son Fils unique, c’est à dire, s’abstenir de leurs péchés et à se détourner des œuvres de malice et d’iniquités, afin de pouvoir participer par la foi au mérite de Christ et obtenir le salut éternel.
Les païens inexcusables.
Les faux Chrétiens sont moins excusables que les païens.
IV. C’est pourquoi, tout Homme qui, connaissant le nom de Christ, ne s’est point converti, aura contre lui, deux puissants témoins au dernier jour. Premièrement, son propre cœur, sa conscience et la loi de nature. Deuxièmement, la Parole de Dieu révélée, qui le jugeront. D’où il s’en suivra cette terrible sentence et cette juste condamnation, dont le Seigneur dit qu’en ce jour-là, ceux de Sodome et de Gomorrhe, seront traités d’une manière plus supportable, et que la Reine du midi, s’élèvera contre cette nation impie et la condamnera (Matthieu XI, 24 et XII, 42).
Deux témoins condamneront les impies.
V. Et ces tourments seront d’autant plus sensibles, que le Souverain ÊTRE, ayant créé l’âme immortelle et dans cette âme, une
D’où procèdent les tourments éventuels de l’âme.
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Comment la loi de Dieu est écrite dans nos cœurs.
conscience qui pensera toujours à Dieu, elle ne pourra pourtant jamais parvenir jusqu’à lui. Ce qui lui causera des peines extrêmes et éternelles. Pourquoi il y a parmi les Chrétiens des crimes inconnus aux païens ?
Ceux qui ne veulent suivre Christ, suivent Satan.
VI. Peines intérieures de l’âme de ces Chrétiens jugés et condamnés, qui seront d’autant plus grandes, que par un cœur impénitent ils auront amassé la colère Dieu au jour du jugement (Romains II, 5). Comme le Seigneur, par un juste jugement, a livré les Gentils à un sens réprouvé parce qu’ils ont rejeté la loi intérieure de la nature et leur propre conscience lorsque la justice de Dieu était écrite dans leur cœur et que bien loin d’y faire réflexion ils ont opiniâtrement résistés à Dieu même ce qui a été cause, qu’aveuglés dans leur entendement, ils se sont précipités dans ces crimes honteux et abominables qui ont amassé et accru la colère de Dieu sur eux. Ainsi, ceux qui se glorifiant d’être Chrétiens, méprisent et la parole tant intérieure qu’extérieure et le témoignage de Dieu, sans non seulement vouloir faire pénitence, mais s’opposant même au S. Esprit et blasphémant Dieu, sont justement livrés à un sens si réprouvé, qu’ils deviennent pires que les Gentils et que les Turcs. Aussi Dieu leur envoie-t-il des erreurs si efficaces qu’ils croient au mensonge, afin que tous ceux qui prennent plaisir à l’iniquité, soient punis (2 Thessaloniciens II, 11,12). VII. C’est de cet aveuglement, de cet endurcissement, de ce sens réprouvé, que viennent ces crimes honteux et dont on n’avait jamais entendu parler, qui règnent maintenant parmi les Chrétiens, cette pompe et cet orgueil diabolique, cette avarice insatiable, cette honteuse intempérance, ces brutales impudicités, ces actions indignes d’un Homme. Point d’autre cause de tous ces désordres, que de ce que les Chrétiens, bien loin de vouloir suivre ni dans leur vie, ni dans leur conduite, le Christ pauvre, débonnaire, doux et humble de cœur, en sont scandalisés et regardent commune déshonneur, d’imiter la vie et de marcher sur les traces de celui que Dieu a donné pour lumière au monde. C’est donc avec raison, que ce juste Dieu permet qu’ils suivent Satan et mène une vie diabolique, pleine de toute sorte d’iniquité, de mensonge et d’insensibilité pour exercer les œuvres de ténèbres. Parce qu’ils ne veulent point marcher dans la lumière selon
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ce conseil du Seigneur, mes chers enfants, marchez dans la lumière, pendant que vous l’avez, afin que les ténèbres ne vous surprennent point (Jean XII, 35). VIII. Enfin, si Dieu a puni les gentils d’un aveuglement si terrible et d’un sens réprouvé parce qu’ils ont méprisé la loi naturelle qui leur devait servir comme d’une mèche ou d’un lumignon encore fumant et d’un crépuscule que la lumière naturelle formait dans leur conscience, ou parce que dit S. Paul (Romains I, 28) ils ne se sont point mis en peine de connaître Dieu, en sorte que par leur faute ils se sont privés du salut éternel. Combien plus légitimement ceux-là en serontils privés, qui, ayant la parole de Dieu imprimée et écrite dans leurs cœurs, non seulement par la nature mais encore par la parole révélée et la nouvelle alliance, ont détruit en eux cette grâce et ce gage de leur bonheur ? C’est de cette nouvelle alliance, que nous lisons dans Jérémie (Jérémie XXXI, 33) Voici l’alliance que je traiterai avec la maison d’Israël. Je mettrai ma loi dans leur cœur et je l’écrirai dans leur esprit, chacun d’eux n’enseignera plus son prochain, ni chacun son frère, disant, connaissez le Seigneur ; car ils me connaîtront tous, depuis le plus petit d’entre eux jusqu’au plus grand, dit le Seigneur, parce que je pardonnerai à leur iniquité et que je ne me souviendrai plus de leur péché. IX. Et nous lisons dans l’Épître aux Hébreux (Hébreux X, 26 et suivants.) Que si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il ne nous reste plus de sacrifices pour les péchés, mais une attente terrible de jugement et une ferveur de feu, qui doit dévorer les adversaires. Si quelqu’un avait méprisé la loi de Moïse, il mourait sans aucune miséricorde sur le témoignage de deux ou de trois témoins. De combien plus grands tourments pensez-vous que sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu et tenu pour une chose profane le sang du Testament par lequel il est sanctifié et qui aura outragé l’Esprit de la grâce ? Car nous savons qu’il dit, à moi la vengeance et je le ferai, dit le Seigneur. Mais c’est une chose terrible, que de tomber entre les mains du Dieu vivant. Au reste, il est certain que ceux qui manquent par faiblesse humaine, ne subiront point cette rigoureuse sentence, mais ceux, qui le sachant et le voulant, pèchent contre la vérité connue et persévèrent dans leur impénitence.
Nouvelle alliance imprimée dans les cœurs.
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Sans pénitence point de consolation en Christ.
CHAPITRE VIII Sans une vraie pénitence, personne ne se peut fonder sur Christ, ni avoir son mérite pour Consolation. Exode XII, 48 Aucun impur n’oserait manger la Pâques.
L
e Seigneur Jésus dit en S. Matth. (Matthieu IX, 12,13) que ceux qui sont forts et en santé, n’ont pas besoin de médecin, mais ceux qui se portent mal. Je suis venu appeler les pécheurs à la pénitence, et non pas les justes. Par où le Seigneur nous enseigne, qu’il appelle véritablement les pécheurs, mais à la pénitence et qu’ainsi, personne ne peut venir à lui sans une véritable pénitence, jointe à la conversion de ses péchés et à une vraie foi. Qu’est-ce que la vraie pénitence ?
II. La pénitence n’est autre chose que de mourir à ses péchés par une vraie contrition et une douleur sincère de les avoir commis, que d’en obtenir la rémission par la foi et que de vivre à la justice en Christ ; en sorte qu’une vraie pénitence doit nécessairement être précédée d’une contrition sérieuse et divine, qui brise le cœur et crucifie la chair. Aussi, la pénitence est-elle appelée dans l’Épître aux Hébreux (Hébreux VI, 1) la repentance des œuvres mortes, c’est à dire, qu’il faut abandonner ces œuvres qui n’opèrent que la mort. III. Que si notre pénitence n’est pas telle, le mérite de Christ nous est inutile. Car le Christ se dit le médecin de nos âmes et déclare que son sacré sang est le plus précieux et le plus salutaire remède de nos péchés. IV. Aucune médecine, quelque précieuse qu’elle soit, ne peut aider un malade, ni rien opérer en lui, s’il ne s’abstient pas de ce qui lui est nuisible. D’où il est évident que le sang de Christ et sa mort ne profitent de rien à celui qui ne veut pas abandonner ses péchés. Ce qui fait dire à S. Paul (Galates V, 21) que ceux qui commentent de telles choses (il entend les œuvres de la chair) n’hériteront point le Royaume de
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Dieu, c’est à dire, qu’ils n’auront aucune part en Christ. V. De plus, si le Christ et son précieux sang doivent être notre médecine, il faut supposer que nous étions malades. Les saints n’ont pas besoin de médecin, mais les malades (Matthieu IX, 12). Or ceux-là ne peuvent être réputés spirituellement malades, qui sont sans une vraie pénitence, sans un sincère repentir de leurs péchés, qui n’ont point un cœur brisé, contrit et humilié, ne redoutent point la colère de Dieu, ne veulent point fuir les convoitises de ce monde, mais ne soupirent qu’après les vains honneurs, les richesses et les délices, sans se mettre en peine de leurs péchés. Ceux-là, dis-je, ne sont point malades. C’est pourquoi, ils n’ont point besoin de médecin et par conséquent Christ ne leur sert de rien. VI. Remarque donc bien, que Jésus Christ est venu pour appeler les pécheurs, mais à la repentance (Matthieu IX, 13). Pourquoi ? C’est qu’il n’y a qu’un cœur pénitent, contrit, froissé, abattu, humilié et fidèle, qui soit capable d’éprouver la force du sang précieux et la vertu de la mort et du mérite de Jésus Christ. VII. Heureux est l’Homme, qui sent dans son cœur cette sainte vocation, c’est à dire, cette divine tristesse des péchés, qui produit une ferme repentance à salut (2 Corinthiens VII, 10). C’est le S. Esprit, qui produit cette tristesse divine par la loi, et par une sérieuse méditation de la sainte passion du Christ. Passion qui nous est en même temps une puissante exhortation à la pénitence, un miroir terrible de la colère de Dieu et une prédication de grâce. Pense à la cause de cette mort cruelle et amère qu’il a soufferte, ne fut-ce pas pour nos péchés ? Fais réflexion à cette charité de Dieu qui l’a porté à nous faire présent de son fils unique (Romains V, 8) et tu y remarqueras aisément la sévérité de la justice et la grandeur de la miséricorde de Dieu. VIII. Comment celui que croit en Christ, pourra-t-il après cela prendre plaisir à ces sortes de péchés ou ne voudra-t-il pas s’en abstenir, sachant que le Christ a versé son sang, donné sa vie et souffert la mort pour les payer et les expier ? Considère donc, ô
Dieu opère la tristesse spirituelle. La passion de J.C. est la cause efficiente de la pénitence.
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Sans pénitence point de consolation en Christ.
Fruits de la passion de J.C.
Homme, qui te rends esclave de l’orgueil et de l’ambition, par quel mépris et par quelle profonde humilité, il lui a fallu réparer ton orgueil et ton ambition, et cesse d’en être insatiable. Quelle pauvreté n’a-t-il pas souffert pour ton avarice et tu n’as jamais assez et tu ne peux te rassasier de richesses ? Par quelles peines et par quelles douleurs mortelles ne lui a-t-il pas fallu expier les convoitises de ta chair, et tu en fais encore toute ta joie ? Comment peux-tu mettre ton plaisir dans ces choses qui ont attristé ton Seigneur jusqu’à la mort ? Fais réflexion à cette souverain douceur et à cette extrême patience, par le moyen desquelles il a satisfait pour ta colère, ta haine, tes inimitiés, tes rancunes, ton esprit implacable et tout ardant de vengeance, ton irréconciliation, et ne te courrouce plus si facilement et ne considère plus la vengeance comme une chose plus douce que la vie. Trouverastu donc de la douceur dans une chose, pour l’expiation de laquelle ton rédempteur a dû boire cet amer calice de la mort ?
Les impénitents crucifient le Christ une seconde fois.
IX. Ainsi tous ceux qui s’appellent Chrétiens et ne s’abstiennent point de pécher, crucifient de nouveau le Christ et l’exposent à l’opprobre, comme il est écrit (Hébreux VI, 6). C’est pourquoi ils ne peuvent devenir participants de la passion de J.C. puisque comme il est marqué dans la même Épître (Hébreux X, 29) ils foulent aux pieds le sang de Christ, et tiennent pour impur le sang du testament. C’est à dire, qu’ils ne le regardent point, comme capable de les avoir purifiés de leurs péchés, qu’ils n’estiment aucunement qu’il ait été versé pour l’expiation de leurs crimes et qu’ils outragent l’esprit de la grâce (Hébreux X, 29) c’est à dire, qu’ils le repoussent, le rejettent et s’en moquent, blasphémant par leur vie impie cette grande et précieuse grâce qui leur est offerte. En sorte que le sang de Christ, répandu pour eux, crie vengeance contre eux, et que ce même sang (chose horrible et qui devrait nous faire trembler) les livre au juste jugement de Dieu. C’est une chose terrible, que de tomber entre les mains du Dieu vivant (Hébreux X, 31). Car notre Dieu étant un Dieu vivant et non pas une idole sans âme, sans vie, sans puissance, ne souffrira pas qu’on se moque toujours de lui et qu’on méprise impunément sa grâce.
Le sang de christ crie vengeance contre les impies.
X. Et il n’est que trop vrai, que notre propre cœur nous fait
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prévoir et nous convainc, que nous n’éviterons point cette juste vengeance et les effets de la grande colère de Dieu, si nous ne nous abstenons des péchés pour lesquels le Fils de Dieu a souffert et subi la plus terrible de toutes les morts. XI. C’est pour ce sujet qu’aussitôt après la mort du Christ, la pénitence fut prêchée par toute la terre, à savoir : premièrement, parce qu’il a subi la mort pour les péchés de tout le monde. Deuxièmement, afin qu’en tous les endroits les Hommes fissent pénitence, comme il est marqué dans les Actes (Actes XVII, 30) et prissent ce divin remède avec un cœur contrit, pénitent et fidèle, afin que ce précieux don de la grâce de Dieu ne fut point perdu ou inutile. XII. De cette seule, sincère et sérieuse pénitence, devait s’ensuivre la rémission des péchés, n’étant pas possible qu’on remette les péchés à celui qui n’a pas de regret d’avoir péché et qui se plaît encore dans le crime. Et qu’y a-t-il de plus absurde, que de prétendre obtenir la rémission des péchés, qu’on n’a pas la volonté de quitter et de vouloir trouver de la consolation dans la passion de J.C. sans abandonner les péchés pour lesquels il lui a fallu endurer la mort ? XIII. Il y en a beaucoup, qui, bien qu’ils ne se soient jamais sérieusement repentis, ni aient fait une vraie pénitence de leurs péchés, en voudraient néanmoins obtenir le pardon. Et qui n’ayant rien diminué de leur colère, de leur avarice, de leur orgueil, de leur haine, envie, hypocrisie et injustice, vices dans lesquels ils se sont même de plus en plus affermis, ne laissent pas de s’approprier le mérite de Jésus Christ. Ces sortes de personnes se persuadent qu’ils sont de bons chrétiens, parce qu’ils savent et qu’ils croient, que le Christ est mort pour leurs péchés, s’imaginant que cela suffit pour être sauvé. Ha, qu’un faux chrétien est malheureux et qu’il se trompe de croire que la parole de Dieu enseigne qu’on puisse de cette manière obtenir la vie éternelle ! Aucune des Prophètes, ni des Apôtres, n’a jamais prêché une telle doctrine. Leur sentiment unanime est, que celui qui souhaite que ses péchés lui soient pardonnés, doit en faire pénitence, s’en abstenir, en avoir un sincère repentir, en ressentir une vive douleur et croire en Jésus Christ.
Pourquoi Dieu exige de tous la pénitence ?
Sans la pénitence, les péchés ne sont point remis.
Vaine foi des faux chrétiens.
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Ce que c’est que mourir au monde.
Vain culte de Dieu.
Sans pénitence point de consolation en Christ.
XIV. Comment peut-on dire que celui-là se repente de ses péchés, qui ne pense point à les éviter et à les abandonner ? Ou comment les évitera celui qui n’a point de regret de les avoir commis ? C’est pour cette raison que J.C., ses prophètes et ses Apôtres nous enseignent qu’il faut mourir au monde et au péché, c’est à dire à notre propre orgueil, à l’avarie, aux plaisirs déréglés, à l’envie, à la haine, à la colère, à l’inimitié, retourner à Dieu de tout son cœur, lui demander pardon et implorer sa grâce. C’est alors qu’on reçoit la rémission de ses péchés, c’est alors que le médecin céleste vient vers nous, lui qui bande les cœurs brisés et guérit leur douleur (Psaumes CXLVII, 3). Autrement Christ est inutile et ne sert de rien, quelque parade que l’on fasse de la foi. Car la vraie foi renouvelle l’Homme, mortifie en lui le péché et le vivifie en Christ, c’est à dire qu’elle fait qu’il vit en Christ, en foi, en sa charité, en humilité, douceur et patience. Ainsi, le Christ nous sert de voie pour arriver à la vie et nous devenons en lui une nouvelle créature (2 Corinthiens V, 17). Que si nous persistons dans nos péchés, sans vouloir les abandonner, prenant au contraire plaisir à toutes les actions du vieil Adam, comment pouvons-nous devenir de nouvelles créature ? Comment pourrez-vous être de Christ, dit S. Paul, si vous n’avez pas encore crucifié votre chair, avec tous ses désirs et ses convoitises (Galates V, 24). XV. Quand on fréquenterait les églises, qu’on y entendrait chaque jour plus de dix prédications, qu’on se confesserait chaque mois, qu’on participerait à la table du Seigneur, toutes ces pratiques seraient inutiles pour obtenir la rémission des péchés, si on n’y apportait point un cœur pénitent, contrit, brisé et fidèle, seul capable d’éprouver les effets de cette médecine salutaire. Certainement la parole de Dieu et les Sacrements sont des remèdes d’une grande vertu, mais ils ne servent de rien à ces impénitents qui n’ont point un cœur repentant et plein de foi. Que sert-il à une pierre, qu’on y verse le plus précieux baume ? Quelle moisson serez-vous du meilleur froment, si vous le semez entre les épines et les ronces ? Il faut donc premièrement déraciner ces épines qui suffoquent et étouffent la bonne semence, en ôter et en éloigner tout ce qui peut l’empêcher
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de porter du fruit. Enfin, le Christ ne sert de rien à celui qui persiste dans ses péchés. La naissance de Christ ne peut être d’aucune utilité à celui qui ne se met pas en peine d’être régénéré avec lui ; ni sa mort, à quiconque n’a pas fermement résolu de mourir à ses péchés ; ni sa résurrection, à celui qui refuse de sortir du tombeau de ses crimes, ni enfin son ascension, à tout Homme qui ne veut pas mener une vie céleste. XVI. Si, étant converti avec l’enfant prodigue, vous déplorez vos péchés, les haïssez, vous les évitez, vous implorez la grâce de Dieu et lui en demandez pardon et que considérant avec les yeux de la foi, le Christ crucifié et ses sanglantes plaies, vous regardez comme les Israélites vers ce serpent d’airain, disant : Seigneur, ayez pitié d’un pauvre pécheur (Luc XV, 16), dès lors tout est pardonné et oublié, quand bien même un seul homme aurait commis les péchés de tout le monde. XVII. Tant est grande la valeur du précieux sang et de la sainte mort de Jésus Christ. Telle est la perfection qui se trouve dans la rédemption, acquise par son sang. Tant est efficace l’imputation de tout son mérite par la foi. Car Dieu veut bien recevoir la repentance de ceux qui ont péché, c’est à dire, que pour l’amour de J.C. par une pure grâce, il pardonne entièrement à ceux qui se repentent. Et même Dieu se fait un plaisir et une joie d’être miséricordieux et de pardonner gratuitement les péchés. Mes entrailles se sont émues à cause de lui, et j’aurais certainement pitié de lui, dit le Seigneur (Jérémie XXXI, 20). La raison en est, qu’alors la mort de Christ devient efficace et porte son fruit ce qui fait la joie des Anges de Dieu dans le ciel (Luc XV, 7) lorsqu’ils considèrent que le précieux sang de Christ n’est point perdu et inutile dans ces pauvres pécheurs, pour lesquels il a été répandu.
CHAPITRE IX La vie peu Chrétienne des Hommes de ce temps, renie le Christ et dément la vraie foi.
A qui J.C. ne profite point.
C’est par la seule pénitence que nous devenons capables du mérite de Christ.
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Le Christ est renié par les faux chrétiens.
2 Timothée III, 5 Ils ont l’apparence de la piété, mais ils en renient la force. La vie impie fait insulte à J.C.
C
omme il n’y a personne qui ne se vante d’être Chrétien quoiqu’il n’en fasse aucune action, il s’ensuite, que par les actions et la vie de la plupart des Chrétiens, le Christ est renié, méprisé, moqué, blasphémé, fouetté, crucifié, mis à mort et s’il se pouvait, exterminé, selon que s’en explique l’Apôtre (Hébreux VI, 6) Quelques uns crucifient de nouveau le Fils de Dieu et l’exposent à l’opprobre ; aussi bien que le Prophète Daniel, qui nous prédit (Daniel IX, 26) que vers les derniers temps, le Christ sera entièrement déracine du cœur des Hommes. II. Prophétie qu’on explique ordinairement du Christ crucifié à Jérusalem par les juifs qui s’écrièrent (Mattieu XXVII, 23) enlevez-le, enlevez-le, qu’il soit crucifié. Plut à Dieu, que cette explication fut la seule véritable et que le Christ ne fut point encore tous les jours crucifié et comme exterminé d’entre nous par une vie impie et antichrétienne, en sorte qu’il ne se trouve presque plus de traces de sa vie sainte et vraiment innocente. Où la vie de Christ ne se trouve point, Christ n’y peut être, quelque gloire que l’on se fasse de sa foi et de sa doctrine. Car qu’est-ce que la foi sans une vie chrétienne ? Ce n’est qu’un arbre stérile et infructueux, comme s’en explique l’Apôtre S. Jude, qui dans son Épître (Jude V, 12) appelle les faux Apôtres des arbres pourris comme ceux d’automne, infructueux, deux fois morts. Arbres dont le monde est maintenant plein, selon que le Christ l’a prédit (Luc XVIII, 8) en disant : Quand le fils de l’Homme viendra, pensez-vous qu’il trouve de la foi sur la terre ?
Vraie foi.
III. Il n’entend pas certainement ici cette foi dont le monde fait à présent profession de bouche, pendant qu’il la renie par ses œuvres ; foi qu’on fait consister à aimer le Christ de paroles et non en esprit et en vérité. Mais il veut nous marquer un Homme, que la foi a entièrement régénéré, que la foi a rendu un bon arbre, portant de bons fruits, que la foi a renouvelé et en qui, selon l’Apôtre, le Christ vit et habite par la foi (Éphésiens. III, 17). C’est cette foi qui est devenue si rare et qui ne se trouve presque plus de nos jours, puisque où
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est la vraie foi, là se remarque le Christ et sa sainte vie. Au lieu que quiconque n’imite point par la foi, la vie de J. Christ, loin d’avoir en soi la foi et le Christ, l’y détruit en le renonçant. IV. Que dit le Seigneur ? (Luc XII, 9) Qui me reniera devant les Hommes, je le renierai devant Dieu et devant les anges. Renoncement qui ne se fait pas seulement de bouche, comme lorsque nous renions la foi et J.C., mais beaucoup plus par les actions et par la vie, quand on résiste volontairement au Christ et au S. Esprit, ce que S. Paul appelle renier par les œuvres (Tite I, 16). Et en effet le Christ n’est pas moins renié par une vie impie et diabolique, qu’il le ferait de bouche. Il ne l’est pas moins par l’hypocrisie et la bigoterie ou une spécieuse sainteté, qui ne consiste que dans les grimaces, les mines et les paroles, qu’il le pourrait être par une fausse doctrine. Ce qui nous est évidemment représenté par la parabole de ces deux enfants (Matthieu XXI, 28,29 et suivants) à l’un desquels le Père dit : Va-t-en, mon fils, travailler dans ma vigne ; lequel répondant dit : je n’y veux point aller. Mais s’étant ensuite repenti, il y alla. Ayant commandé la même chose à l’autre, il lui répondit : j’y vais Seigneur, mais il n’y alla point. Qui des deux a fait la volonté du père ? Le premier sans doute. Qui des deux a méprisé le père ? Celui qui l’ayant assuré qu’i y voulait y allait ne n’y est point rendu. V. Tels sont de nos jours, ces faux chrétiens qui disent oui, oui Seigneur, pendant qu’intérieurement corrompus et rebelles, ils ne font rien de ce que le père leur a commandé. Ce qui nous est très bien exprimé par ces paroles de S. Paul (2 Timothée III, 5) Ils ont l’apparence de la piété mais ils en ont renié la force. Or, qu’est-ce que renier la force de la piété, sinon trahir, violer et renoncer à la foi en Christ et être un vrai Païen ou gentil sous le nom de Chrétien ? C’est pourquoi S. Paul les appelle (Éphésiens II, 2) Les enfants de l’incrédulité, qui n’ont aucune foi. Et c’est à ces personnes qui ont usurpé le nom de Chrétien sans en faire aucune action, que J.C. dit : retirez-vous de moi, vous qui ne faites que le mal, je ne vous connais point (Matthieu VII, 23). Vous méritez que je vous renonce, puisque vous ne vous êtes pas mis en peine de me renier.
Le Christ est renié par une vie impie.
Le mépris de Dieu devient extrême quand il se fait par une vie impie. Faux Chrétiens.
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La vie des mondains est opposée à Christ.
CHAPITRE X La vie des enfants du monde présent est tout à fait opposée à Christ, ce qui la rend fausse, aussi bien que leur Christianisme. Matthieu XII, 30 Qui n’est pas avec moi, est contre moi.
S
Vie des mondains.
i quelqu’un veut comparer la vie des Chrétiens de nos jours avec celle de Jésus Christ et avec sa doctrine, il reconnaîtra visiblement, que la vie de la plupart des mondains y est tout à fait opposée. Que remarque-t-on à présent dans la vie de tous les Hommes, qu’avarice, que soin inquiet de leur entretien, qu’usure, que convoitise de la chair et des yeux, qu’orgueil de la vie ? Qu’estime-t-on de plus excellent et de meilleur en ce monde que de se voir honoré sur la terre, y avoir beaucoup d’autorité, y être dans une grande réputation ? Et c’est pour y parvenir qu’on met en usage la désobéissance, la colère, les querelles, les guerres, les discordes, les dissimulations, les inimitiés, les vengeances de parole et d’effet, les envies secrètes, l’irréconciliation, l’injustice, l’impudicité, les tromperies, les fraudes, les calomnies. En un mot, toute la vie des enfants du siècle présent ne se réduit qu’à soupirer après les choses de ce monde, qu’à s’infatuer de l’amour propre, qu’à se procurer des honneurs, consulter et chercher son propre intérêt.
Vie de Christ et des Chrétiens.
II. Le Christ, au contraire, et ceux qui veulent imiter sa vie, ne sont remplis que d’un amour pur et sincère de Dieu et des Hommes, ne respirent qu’humanité et que douceur, ne s’abandonnent qu’à l’humilité, qu’à la patience, qu’à obéir jusqu’à la mort et l’on ne voit régner entre eux que compassion, justice, vérité, sainteté, mépris du monde, des honneurs, des richesses et des voluptés, que renoncement à soi-même, croix continuelles, chagrins et afflictions, qu’application assidue et que soupir vers le Royaume de Dieu, enfin qu’un désir actif et toujours disposé à exécuter sa divine volonté. III. Jésus Christ dit en S. Luc (Luc XI, 2) Qui n’est pas avec moi,
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est contre moi. Qu’est-ce que la vie du siècle présent a de commun avec celle de Christ ? Presque personne ne convient avec lui de sentiment, de cœur et d’esprit, comme cela devrait être, puisque S. Paul nous commande (1 Corinthiens II, 16) d’avoir la pensée de Christ. Et qu’il nous exhorte ailleurs (Philippiens. II, 5) à ce qu’un chacun ait le même sentiment que Christ. D’où il s’ensuit, que tous les enfants de ce monde sont opposés à Christ, or celui qui est contraire à Christ, ne doit-il pas être réputé un Ante Christ, si ce n’est par sa doctrine, au moins par la conduite de sa vie ?
Celui qui n’a pas l’esprit de Christ est l’Ante Christ.
IV. Où trouverons-nous après cela de vrais chrétiens ? N’estil pas raisonnable de dire, que le troupeau en sera très petit comme le Seigneur le nomme lui-même (Luc XII, 32), ou comme s’en explique le Prophète Isaïe (Isaïe I, 8) qui compare l’Église à une cabane dans une vigne, à une loge dans un champ de concombres, à une ville ravagée ; ou qui selon le Prophète Michée (Michée VII, 1) est semblable à une grappe de raisin, que les vendangeurs ont laissé par mégarde au sep de vigne, ce qui lui fait dire, qu’il lui arrive autant d’infortune, qu’à celui qui grappille dans la vigne ; et David nous la représente pareille à une tourterelle demeurée seule, à la chouette qui habite dans le désert et dans les endroits ruinés (Psaumes CII, 7).
Petit nombre des vrais chrétiens.
V. Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui et où ils sont : Le Christ doit être auprès d’eux et même en eux jusqu’à la fin de monde. (Matthieu XXVIII, 20) et il ne les laissera point orphelins (Jean XIV, 16). Car le fondement de Dieu demeure ferme, dit S. Paul, ayant ce sceau, le Seigneur connaît les siens (2 Timothée II, 19). Et il nous marque clairement ceux qui sont au Seigneur, lorsqu’il ajoute : Tous ceux-là se retirent de l’iniquité, qui invoquent le nom de Christ. Qui ne veut point se retirer de l’iniquité, doit laisser en repos le nom de Christ, n’en point abuser et se nommer tel qu’il lui plaira.
CHAPITRE XI Celui qui n’imite point le Christ dans sa vie, ne peut faire une sérieuse pénitence,
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Qui n'imite point Christ n'est pas chrétien.
et n’est ni Chrétien, ni Fils de Dieu. Qu’est-ce que la nouvelle naissance ? Qu’entend-on par le joug de Christ ? 1 Pierre II, 21 Jésus Christ nous a laissé un exemple afin que nous suivions ses traces.
D
Le Christ est notre Docteur, notre vie, notre doctrine.
ieu nous a destiné et donné son Fils bien aimé, pour être notre Prophète, notre Docteur et le Maître qu’il nous a commandé par une voix du Ciel de suivre et d’écouter. Office, que le Fils de Dieu n’a pas seulement exercé en paroles, mais qu’il a aussi réduit en pratique par d’excellents exemples d’une vie très sainte, comme il convient à un vrai docteur, ce que S. Luc nous donne assez à connaître, lorsqu’il dit : (Actes I, 1) J’ai composé mon premier livre, ô Théophile, de toutes les choses que Jésus à commencé à faire et à enseigner jusqu’au jour qu’il fut enlevé dans le ciel. Où il est à propos de prendre garde que l’Évangéliste met le mot de faire avant celui d’enseigner, pour nous marquer qu’il faut pratiquer avant que d’instruire, et que les œuvres et l’instruction doivent être ensemble, puisqu’il faut qu’un Docteur qui instruit, pratique lui-même ce qu’il enseigne aux autres. C’est un tel Docteur, dont nous avons l’exemple en Christ : Sa vie est une vraie instruction et le véritable livre de vie.
Le Christ est la lumière de notre vie.
II. Aussi, le Fils de Dieu ne s’est fait Homme et n’a conversé sur terre entre les Hommes, que pour nous donner un exemple vivant d’une vie céleste, divine, innocente, parfaite et sainte et afin que nous le suivissions, comme une lumière dans les ténèbres ; C’est pourquoi il s’appelle la lumière du monde et celui qui la suit ne marche point dans les ténèbres (Jean VIII, 13).
Ténèbres mystiques.
III. D’où il est évident que celui qui ne suit point Christ par la foi et en imitation sa sainte vie, demeurera dans les ténèbres et ne pourra jamais parvenir à la lumière de la vie. Quels sont ces ténèbres ? Ils sont formés par une vie impénitente, que S. Paul appelle les œuvres de ténèbres qu’il nous faut rejeter et nous revêtir des armes de lumières (Romains XIII, 18). Ce que nous appelons en un mot, faire pénitence.
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IV. Nous avons suffisamment montré ci-dessus, que la pénitence, qui vient de Dieu, jointe à une vraie foi, change entièrement l’Homme, crucifie la chair et y opère par le S. Esprit une nouvelle vie. Mais de peur que séduis par l’erreur nous ne nous imaginassions, que le Christianisme consistait plus en paroles qu’en effet, afin que nous eussions un exemple sensible d’un esprit vivifié et d’un Homme nouveau, Dieu nous a mis son cher Fils devant les yeux, non seulement comme un sauveur, mais encore comme un miroir de la vraie piété qui se fait voir dans sa sainte vie et comme un Homme tout nouveau dans lequel la chair pécheresse d’Adam n’a ni régné, ni vécu, mais Dieu même, afin que nous nous renouvelassions tous les jours à son image. C’est ce dont nous allons traiter dans les paragraphes suivants. V. Nous savons et nous expérimentons tous les jours, que notre nature pécheresse : la chair, le sang, le corps et l’âme sont infectés de toutes sortes d’impuretés, de malices, de péchés et de crimes, qui sont autant les œuvres et les propriétés du Diable qui agit dans l’Homme charnel, que les effets de sa volonté corrompue. Volonté dépravée, d’où procèdent tous les péchés. Car s’il n’y avait point de mauvaise volonté, il n’y aurait jamais de péché. Or la mauvaise volonté est celle qui se détourne de Dieu et de sa volonté ; et tout ce qui se détourne de Dieu et de sa volonté, comme du souverain bien, peut-il n’être pas mauvais ? Éloignement et abandon du souverain bien, qui ont fait l’apostasie du Diable et la chute de l’Homme. De là est venu dans le monde le péché, que nous transmettons l’un à l’autre par une propagation charnelle. VI. D’où il s’ensuit, que notre chair et notre sang sont comme naturellement participants de la semence et des inclinations du diable et que notre volonté charnelle a été infectée du venin de Satan. Ce qui se fait assez connaître dans l’orgueil, le mensonge, ces désirs déréglés et toutes ces autres œuvres criminelles qui sont contre Dieu. C’est par rapport à ce naturel dépravé, que le Christ appelle les Pharisiens Enfants du Diable (Jean VI, 44) et qu’il donne même le nom de Satan
Origine et source des péchés.
Les impies participent de la nature diabolique.
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Qui n'imite point Christ n'est pas chrétien.
à quelques uns de ses disciples ( Jean VI, 70) pour nous signifier que l’avarice, le mensonge, l’orgueil et toute mauvaise convoitise ne sont autre chose que Satan ou le diable même, dont l’Homme naturel et charnel est infecté. Vivre dans le Diable.
VII. Ainsi, tous ceux qui vivent dans l’impénitence, l’orgueil, l’avarice, le plaisir charnel et l’envie, vivent tous dans le Diable et participent de l’inclination et de la nature diabolique. Ils ont beau s’efforcer de se donner au dehors un air de probité, d’intégrité et d’honnêteté, ils ne laissent pas de demeurer diables dans leur cœurs, comme J.C. le dit aux Juifs. Quelque horrible que cela nous paraisse à penser et à dire, c’est toutefois la vérité.
Il a fallu que le souverain bien corrigea l’extrême corruption de notre cœur.
VIII. Puisqu’il est si manifeste que notre nature a été si grièvement et si profondément corrompue, il a sans doute fallu qu’elle fût rétablie et renouvelée. Mais comment ? Voici de quelle manière. Comme c’était le souverain mal qui avait corrompu l’Homme, il a fallu que le souverain bien, à savoir Dieu même, le corrigea, le redressa, le renouvela et c’est à cette fin que le Fils de Dieu à dû se faire Homme.
Pourquoi le Christ s’est incarné ?
IX. Le Fils de Dieu ne s’est point fait homme pour son propre avantage, ce n’a été que pour le nôtre ; afin que par lui, nous fussions réconciliés avec Dieu, faits participants du souverain bien et sanctifiés après avoir été ainsi purifiés. Car il faut que tout ce qui est sanctifié, le soit par Dieu et avec Dieu. Ainsi, comme Dieu est personnellement en Christ, il faut aussi que Dieu nous soit uni par la foi, que l’Homme vive en Dieu et Dieu en lui. Qu’il vive en Christ et le Christ en lui. (2 Corinthiens V, 19). Il faut enfin que la volonté de Dieu soit en l’Homme et l’Homme vive en la volonté de Dieu. C’est ainsi que Jésus Christ devient la médecine, ou le remède de notre nature corrompue. Et plus le Christ vit en l’Homme, plus la nature humaine est réparée et rétablie en meilleur état.
Nous devons être unis au Christ par la foi.
Noblesse et grandeur de celui dans lequel Christ vit.
X. L’Homme ne serait-il donc pas quelque chose de bien noble, en qui J.C. opérerait tout, dont la volonté serait la volonté de
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Christ. La pensée : la pensée de Christ. Le sentiment, le sentiment de Christ, comme dit S. Paul (1 Corinthiens II, 16) nous avons le sentiment de Christ, le discours et la parole la parole de Christ ? Et certainement il faut que cela soit ainsi : La vie de Christ est la nouvelle vie de l’Homme et le nouvel Homme est celui qui vit en Christ, selon l’Esprit. La douceur de Christ doit être celle du nouvel Homme, aussi bien que son humilité, sa patience et ses autres vertus. Toute la vie de Christ doit être celle du nouvel Homme. Voilà ce qui s’appelle une nouvelle créature et la noble vie de Christ, selon que s’en explique l’Apôtre : Je ne vis plus, mais Christ vit en moi (Galates II, 20). C’est aussi ce qui s’appelle suivre Christ en effet et vraiment se repentir. Par ce moyen, le vieil Homme est détruit et la vie charnelle prenant fin, la nouvelle, la spirituelle, la céleste commence, se lève et paraît avec splendeur. Celui qui mène une telle vie, n’est pas seulement chrétien de titre et de nom, mais en effet et en vérité. C’est un vrai fils de Dieu, né de Dieu et de Christ, renouvelé en Christ et vivifié par la foi. XI. Bien que nous ne puissions maintenant parvenir à la perfection, nous devons toutefois y aspirer, soupirer après et la désirer de tout notre cœur, afin que le Christ et non pas Satan puisse vivre en nous et que nous obtenions son Royaume. C’est le combat continuel que nous avons à livrer et c’est par une pénitence journalière qu’il nous faut mortifier le vieil Homme. Autant qu’un Homme meurt à lui-même, autant le Christ vit en lui. Autant que l’Esprit de Dieu chasse de corruption de notre nature, autant elle recouvre de grâce. Autant que notre chair est crucifiée, autant notre esprit est vivifié. Autant que les œuvres de ténèbres sont détruites en l’Homme, autant est-il de plus en plus illuminé. Autant que l’Homme extérieur se consume et est mortifié, autant l’intérieur se renouvelle (2 Corinthiens IV, 16). Autant que les passions et la vie charnelle de l’Homme s’affaiblissent, telles que son amour propre, son ambition, sa colère, son avarice et sa volupté, autant que le Christ vit en lui. Plus le cœur de l’Homme sort, pour ainsi parler, de ce monde en s’éloignant de la convoitise des yeux, de celle de la chair et de l’orgueil de la vie (1 Jean II, 16) plus Dieu, le Christ, et le Saint Esprit entrent en lui et en prennent possession, comme au contraire plus la nature corrompue, la chair,
Combat continuel avec notre nature corrompue. Comment l’Homme se renouvelle tous les jours ?
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les ténèbres et le monde dominent l’Homme et règnent en lui, moins il se trouve en lui de grâce et de lumière, moins Dieu, le Christ, le Saint Esprit y veulent habiter. La vie nouvelle est la croix de la chair.
XII. Cette nouvelle manière de vivre dont je parle, n’est autre chose que la croix, la plus cruelle ennemie de la chair, puisque c’est par elle qu’elle est comme broyée, domptée et crucifiée avec tous ses désirs et ses convoitises. Et c’est en quoi consistent toute la force et tout le fruit de la pénitence. L’inclination et le penchant de la chair et du sang est d’aimer à mener une vie libre, dissolue, assurée, conforme à sa volonté et à ses désirs déréglés, sans connaître d’autre vie plus agréable et plus douce. Au lieu que la vie de Christ est une croix très pesante à la chair et très amère au vieil Homme. Mais un joug très doux, un fardeau très léger, un repos ou un sabbat fort tranquille à l’Homme nouveau et spirituel. En vain, on cherche le vrai repos que dans la foi en Christ, dans sa douceur, son humilité, sa patience et sa charité. Vous y trouverez le repos de vos âmes (Mattieu XI, 29). Et à la vérité, celui qui aime le Christ, n’a pas de plus grande joie que de subir la mort pour lui. Aussi, est ce joug agréable du Christ, qu’il nous est enjoint de porter, afin que notre âme soit soulagée et parvienne à son véritable repos. XIII. Si nous devons obéir à ce commandement, nous revêtir du Christ, imiter sa vie et porter son joug, il nous faut secouer celui du Diable, changer notre vie charnelle, impie et dissolue et ne pas souffrir que la chair se rende maîtresse de l’esprit, mais il faut réduire tout ce qui est en l’Homme sous la loi, l’obéissance et le joug de Christ, je veux dire y soumettre la volonté, la raison, l’entendement, nos appétits et toutes ces convoitises charnelles que nous avons héritées d’Adam.
Qu’est-ce que le joug de Christ ?
XIV. Il est vrai que c’est quelque chose d’agréable à la chair, d’être honorée, respectée, louée, d’abonder en richesses, de se donner du bon temps et de vivre à son aise. Mais réduire tout cela sous le joug de Christ et y préférer son ignominie, ses mépris, sa pauvreté, regarder comme indigne de foi tout ce que le monde recherche, croit
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le plus haut, le plus honorable et le plus éclatant et se dispute jusqu’à se faire la guerre et s’entretuer. C’est en quoi consiste la croix de Christ, qui tourmente notre chair et fait son supplice. C’est vraiment imiter son humilité et sa vie et porter ce doux joug qui est à l’esprit un fardeau si léger (Mattieu XI, 30) d’autant que toute la vie de J.C. n’a été qu’une sainte pauvreté, qu’un mépris extérieur, qu’une douleur sans pareille. Il n’est pas venu en ce monde pour qu’on le servit, mais afin de nous servir lui-même, de donner sa vie, pour le paiement et l’expiation de nos péchés. XV. Le propre de l’Homme charnel est de rechercher les honneurs et de briguer les grands emplois. Celui du spirituel est d’aimer l’humilité en Christ et souhaiter d’être réputé pour rien. Tous les Hommes s’empressent de devenir quelque chose. Personne ne veut apprendre à n’être rien. Le premier est un effet de la manière de vivre selon Adam. Le second observe la règle que le Christ nous a prescrite. L’Homme charnel, qui ne sait pas encore ce que c’est que le Christ, c’est à dire, ce qu’est la vraie humilité, la douceur et la charité, estime que la vie de Christ est une grande folie et tient pour haute sagesse la vie impie et charnelle de ceux qui, par un extrême aveuglement, n’en croient point de meilleure ni de plus agréable. Sans reconnaître que c’est vivre dans le Diable. Hommes infortunés, qui étant éblouis par la fausse lueur de leur sagesse charnelle, se trompent et trompent les autres avec eux. Au lieu que ceux, que la vraie et éternelle lumière a éclairés, sont épouvantés et s’effrayent dès que la pompe, le faste, l’orgueil, la volupté, la colère, la vengeance et tous ces autres fruits de la vie charnelle se présentent à eux. C’est pourquoi ils s’écrient : Ha Seigneur, que celui-ci est encore éloigné du Christ et de sa connaissance, aussi bien que de la vraie pénitence, du vrai Christianisme et des fruits de la nouvelle naissance des vrais enfants de Dieu ! Il vit encore, hélas ! Mais il vit en Adam, il vit dans sa première naissance, il vit dans le Diable même. Car pécher hardiment et volontairement, c’est vivre dans le Diable. Celui donc en qui la vie de Christ n’est point, ne peut avoir une vraie repentance. Il n’est point un vrai chrétien, il n’est point un Fils de Dieu, il ne connaît pas même le Christ comme il faut, puisque quiconque veut justement le connaître, doit le regarder comme un sauveur et le considérer comme le modèle de sa vie. Il doit savoir qu’il est le pur
L’Homme animal et l’Homme spirituel.
La fausse et la vraie lumière.
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Vive connaissance du Christ.
Ce qui est le meilleur doit aussi être le plus cher. Connaissance du souverain bien.
Qui n'imite point Christ n'est pas chrétien.
amour, la vraie douceur, la patience et l’humilité. Vertus du Christ, qu’il doit avoir en lui et qu’il doit ressentir dans le profond de son cœur. Comme une plante donne à connaître sa nature par la saveur et par l’odeur qu’elle exhale, ainsi le Christ doit être reconnu en soi, comme une plante d’une très bonne odeur, de laquelle ton âme eut recevoir une force admirable. De nouveaux esprits vitaux, une joie extrême et un soulagement singulier. Et c’est de cette manière que l’on goûte, combien le Seigneur est doux (Psaumes XXXIV, 9). Ainsi, l’on connaît la vérité, ainsi on peut concevoir quel est le bien souverain et éternel. C’est même alors qu’on se persuade aisément qu’il n’y a rien de meilleur, de plus agréable, de plus doux, de plus précieux, de plus tranquille. Rien enfin qu’on puisse s’imaginer de plus conforme à la vie éternelle, que la vie de Jésus Christ. XVI. La vie de Christ étant la meilleure, ne doit-elle pas être aussi la plus agréable ? Mais celui en qui la vie de Christ n’est point, ne peut justement reconnaître quelle est la paix et la tranquillité de la vie éternelle, ni comprendre ce qu’est le souverain bien, la vérité éternelle, la véritable joie, la vraie lumière, ni la vraie charité, puisque le Christ est tout cela. Ce qui fait dire à S. Jean (1 Jean IV, 7, 8) que quiconque aime, est né de Dieu et connaît Dieu. Mais que celui qui n’aime point, n’a pas connu Dieu. Car Dieu est charité. XVII. D’où il est manifeste, que les fruits de la nouvelle naissance, qui est de Dieu et que même la vie et la créature nouvelle ne sont pas de simples paroles et une apparence extérieure, mais une chose effective et cette souveraine vertu qui est Dieu même, à savoir la charité. Car chacun doit avoir les propriétés de ce dont il est né et y être conforme. Et par conséquent, il faut que celui qui se glorifie d’être né de Dieu, le montre par la charité, par ce que Dieu est charité (1 Jean IV, 16).
Vive connaissance de Dieu.
XVIII. Il en est de même de la vraie connaissance de Dieu, qui ne consiste point en paroles ou en une science qui n’en a que l’ombre, mais dans une vive, aimable, charmante et forte consolation, qu’il nous est avantageux de faire vivre et d’imprimer
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dans le profond de notre cœur, en sorte que par la foi, nous goûtions intérieurement la douceur, la joie, les attraits et l’affabilité de Dieu, qui nous inspirent cette vraie et efficace connaissance, dont David dit (Psaumes LXXXIV, 3) que son cœur et sa chair tressaillent de joie après le Dieu fort et vivant. Et ailleurs (Psaumes LXIII, 4) que sa miséricorde est meilleure que mille vies. Où il est évident, que le Prophète veut décrire cette vive joie et cette douceur de la connaissance de Dieu, dont le cœur fidèle est rempli. Ainsi, l’Homme vit en Dieu et Dieu en lui. Ainsi il connaît Dieu en vérité et il est connu de Dieu.
CHAPITRE XII C’est l’obligation d’un vrai chrétien de mourir à soi et au monde et vivre à J.C. 2 Corinthiens V, 15 Christ est mort pour tous, afin que ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et qui est ressuscité pour eux.
O
utre que c’est une parole pleine de consolation que de faire voir clairement et d’assurer que le Christ est mort pour tous, c’est aussi une doctrine très salutaire, par rapport à la vie chrétienne, que de donner à connaître de quelle manière nous devons vivre, non pour nous-mêmes, mais pour celui qui est mort pour nous. Ce qui ne peut se faire, si nous ne mourons avant toutes choses à nous et au monde. C’est pourquoi si vous avez résolu de vivre à Christ, il faut que vous mouriez aux convoitises de ce monde. Que si vous être déterminés de vivre à vous et au monde, vous ne pourrez avoir aucun commerce avec le Christ. II. Au reste, il y a trois sortes de morts. La spirituelle, lorsque l’Homme meurt de jour en jour à soi-même, c’est à dire aux convoitises de sa chair, à l’avarice, à l’orgueil, à la volupté, à la colère et aux autres vices. La seconde est la naturelle et la troisième l’éternelle. III. Paul parle de la seconde aux Philippiens : (Philippiens I,
Celui qui veut vivre à J.C. doit auparavant mourir au monde.
Trois sortes de morts.
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Le vrai chrétien doit mourir à soi et vivre à Christ.
21) Christ est ma vie et la mort m’est un gain, comme s’il disait, quand un chrétien meurt d’une mort naturelle, le Christ devient sa vie et la mort est son gain. C’est à dire qu’il reçoit une meilleure vie et même avec usure, changeant cette vie courte, misérable, fragile et toute terrestre avec une céleste, stable, heureuse et éternelle. Et n’est-ce pas là un grand gain ?
Vie de Christ.
Ce qu’est mourir à soi et au monde.
D’où viennent les troubles de l’âme ? Sara figure de la nouvelle naissance.
IV. Celui toutefois qui veut appliquer cette sentence de Paul à la mort spirituelle ou à la mort aux péchés, ne se trompera point. Enfin, une âme n’est-elle pas mille fois heureuse, dont Christ est la vie, je veux dire, en laquelle le Christ vit, ou qui ne s’étudie, qu’à imiter la vie de Christ, son humilité, sa douceur ? Mais hélas ! La plupart en nos jours ont pris la vie du diable pour modèle. Le diable devient leur vie, puisqu’ils ne s’adonnent qu’à l’avarice, à l’orgueil, à la convoitise, à la colère, au blasphème. Une telle vie n’est elle pas la vie du diable ? V. Mais vous, ô Hommes, marchez prudemment et considérez bien qui vit en vous. Vous serez heureux si vous pouvez véritablement dire Le Christ est ma vie, non seulement dans l’autre, mais même pendant la vie présente. Et certainement il est nécessaire que ce soit dès cette vie, afin que le Christ soit votre vie et la mort d’un gain. Car, qu’y a-t-il de plus avantageux, que par ce moyen de mourir à l’avarice, à l’orgueil, à la convoitise, à la colère, et aux inimitiés, afin que le Christ tienne leur place en vous ? Plus nous mourons au monde, plus le Christ vit en nous. Faites donc que le Christ vive en vous dès maintenant, afin que réciproquement, vous viviez en lui dans l’éternité. VI. Au reste, puisque l’âme étant distraite et occupée des différents désirs et convoitises de ce monde, ne peut avoir de vraie paix ni de tranquillité, il s’ensuit qu’il faut que vous y mouriez avant que de commencer à vivre de Christ. Ce que le Seigneur nous a enseigné en diverses figures de l’Ancien Testament. Sara étant devenue par son âge incapable d’avoir des enfants et de ressentir les mouvements de la concupiscence charnelle, conçut pourtant et engendra Isaac, qui
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veut dire Ris (Genèse XVIII, 12). De même si vous n’arrachez de votre âme l’amour de ce monde, vous ne pourrez ni concevoir, ni ressentir la joie de l’esprit. VII. La promesse ne fut faite à Abraham à l’égard du Christ et l’alliance ne fut conclue avec lui dans la circoncision, qu’après qu’il fut sorti de sa maison et de sa patrie et qu’il eut abandonné son héritage. Ainsi, tant que l’Homme a l’âme attachée au monde, il ne peut en aucune manière, goûter, ni recevoir le Christ dans son cœur. VIII. Hérode étant mort, Jésus retourna en Judée (Matthieu XI, 19,20), preuve manifeste que tant que la tromperie de ce monde semblable à Hérode domine et règne dans une âme, Christ ne peut y entrer. Il faut donc mourir à ce renard d’Hérode, afin que l’enfant Jésus vive en nous. Tout ceci tend à nous persuader qu’il faut mourir à Adam avant que le Christ puisse vivre en nous. D’où Paul (Galates II, 20) dit, Je vis, non plus en moi, mais Christ vit en moi et (Colossiens III, 3)Vous êtes morts (or il écrivait à des personnes vivantes) et votre vie est cachée avec Christ en Dieu. IX. Personne ne peut être réputé véritablement mort qu’en cessant d’être ce qu’il était. Si nous vivons par l’esprit, marchons aussi selon l’esprit (Galates V, 25). Ce n’est pas assez de vanter sa foi, il faut que nos œuvres prouvent nos paroles. Puisque l’Apôtre dit à tous : Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si par l’esprit vous mortifiez les œuvres de la chair, vous vivrez (Romains IIX, 13). X. En quoi plusieurs sont semblables à Saül, qui ne mit point à mort Agab, roi des Amalécites, comme le Seigneur l’avait commandé, mais se contenta de l’emprisonner (1 Samuel XV, 8). C’est ainsi que plusieurs entretiennent et cachent leurs convoitises lorsqu’ils devraient les manifester et les déraciner jusqu’aux moindres fibres. Agissons ainsi, si nous ne voulons avec Saül être privés du Royaume, c’est à dire, de la vie éternelle. En un mot, toute l’écriture dans ses histoires et ses figures n’a pour but que le Christ, dont nous
Abraham figure de la renonciation au monde.
Il faut mourir auparavant à Adam, afin que le Christ vive en nous.
54 Toute l’Écriture n’a pour fin que l’Homme nouveau.
Le vrai chrétien doit mourir à soi et vivre à Christ.
devons imiter la vie. Sans parler de l’univers, que l’on peut dire, nous être un témoignage irréfragable et continuel de Dieu et de l’amour divin. XI. Il y a une sorte d’Hommes qu’on peut justement comparer aux arbres en hiver. Car comme le printemps revenant et l’année s’adoucissant, ils recouvrent très facilement les feuilles dont la rigueur de l’hiver les avait dépouillés. Ainsi, quelques uns, accablés et battus des adversités, retiennent et cachent leurs mauvais désirs, lesquels reviennent en foule avec une nouvelle vigueur, sitôt que les choses sont changées en un meilleur état. Le vrai chrétien est bien différent de ces hypocrites, il pratique la vertu aussi bien pendant le temps des adversités, que pendant celui des prospérités, égal, fidèle à son Christ quelque fortune qu’il éprouve. XII. Lorsque le Seigneur eut accordé a Achab une victoire sur le Roi de Syrie à condition que l’ayant fait prisonnier, il le retiendrait dans les chaînes afin qu’il servit à faire voir que Dieu était plus fort que tous ses ennemis et qu’il savait justement et rigoureusement puni ceux qui blasphémaient son saint nom, ce Prince méprisant le commandement de Dieu salua comme frère son ennemi qu’il avait pris dans le combat, et même lui donna la liberté. Ce fut pour cette désobéissance et pour avoir accordé la vie à un Homme qui méritait la mort, que le prophète annonça de la part du Seigneur, la peine de mort à Achab (1 Rois XX, 42). C’est à ce Prince que ressemblent ceux qui, entretenant et nourrissant leurs mauvais désirs, lorsqu’il faudrait les déraciner, se procurent volontairement une mort éternelle.
Sans la mortification de la chair, il n’y a rien de bon en l’Homme.
XIII. Tant il est vrai que sans la mortification de la chair, aucune prière, aucune piété, enfin aucune action de dévotion ne peut pénétrer jusque dans l’âme de l’Homme. Ce qui fut cause que le Seigneur (Exode XIX, 13) établit une peine de mort pour toutes les bêtes qui approcheraient du mont Sinaï. Combien est-il plus à propos que nous égorgions tous nos désirs animaux, si nous voulons monter sur la sainte montagne de Dieu, aller lui faire nos prières en cet endroit et y méditer sa divine parole, de peur que si nous
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agissions autrement, nous ne soyons mis à mort. XIV. Nous lisons dans la Genèse (Genèse XXXII, 28) qu’on donna à Jacob le nouveau nom d’Israël (qui signifie lutteur, ou prince de Dieu) parce que dans la lutte avec l’ange il avait vu Dieu. Mais auparavant, il avait été non seulement de nom mais d’effet Jacob (qui signifie supplanteur, oui prend la place d’un autre). A l’exemple duquel, si vous ne foulez auparavant aux pieds par l’Esprit Saint, tous vos mauvais désirs, vous ne pourrez jamais devenir Israël, ou Prince de Dieu, ni parvenir au lieu Pniel ou jusqu’à voir Dieu. XV. Le même Jacob fut obligé d’épouser la chassieuse Lia avant que de pouvoir posséder la belle Rachel (Genèse XXIX, 17, 25). Faites quelque chose de semblable et si vous désirez sérieusement Rachel, je veux dire, si vous osez prétendre unir votre âme au Christ le vrai Jacob, ne méprisez point auparavant d’accepter Lia, c’est à dire, méprisez-vous vous-mêmes, comme un Homme souillé et animal, déplaisez-vous à vous-même, faites-vous violence et donnez-vous la mort. Mais il y en a plusieurs qui, comme Jacob fut trompé par Laban, le sont par eux-mêmes. Car s’imaginant avoir acquis Rachel, c’est à dire, mener une vie Chrétienne et agréable à Dieu lorsqu’ils ont vu les choses de plus près, ils s’aperçoivent aisément avoir couché avec Lia, je veux dire qu’ils n’ont pas vécu en Christ et que bien loin d’être dans les vrais délices, ils méritent encore la haine de Dieu. C’est pourquoi efforçons-nous avant toutes choses de nous déplaire à nous-mêmes. Et comme Lia était méprisée dans la maison de son père, ayons du mépris de nous, pratiquant l’humilité, la douceur, la patience, afin qu’ensuite, nous jouissions de la belle Rachel. XVI. Pour laquelle comme Jacob a si constamment servi l’espace de sept ans, son amour adoucissant sa peine et lui abrégeant le temps. De même, le très fidèle époux de nos âmes, J.C., a subi pour nous en ce monde une très dure servitude pendant trente trois ans, selon qu’il est dit : (Matthieu XX, 18) Le fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner son âme pour la rédemption de plusieurs. A l’imitation de Jacob, qui souffrit si longtemps pour avoir
Il faut être Jacob avant que de devenir Israël.
Il faut que l’Homme se méprise pour plaire à Dieu.
Servitude de Jacob mystique.
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Mourir à soi et au monde pour l'amour de Christ.
l’objet de son amour, Je t’ai servi, dit-il à Laban, pendant vingt ans dans ta maison, j’étais exposé à la chaleur du jour et aux froids de la nuit et à la gelée et le sommeil semblait fuir de mes yeux (Genèse XXXI, 38-40). Ayant ces exemples devant les yeux, pourquoi tarderons-nous d’aimer réciproquement le Christ et de déclarer au monde son ennemi capital, une guerre qui dure toute notre vie ?
CHAPITRE XIII Que chaque Chrétien doit volontiers mourir à soimême et au monde pour l’amour de Christ, de cette gloire avenir et de ce salut éternel, pour lequel nous sommes créés et rachetés. 2 Corinthiens VIII, 9 Vous connaissez la grâce de notre Seigneur J.C. qui, étant riche, s’est rendu pauvre pour vous, afin que par sa pauvreté, vous fussiez rendus riches.
I
l te faut, pour l’amour de Christ, mourir à toi-même, à tes péchés et au monde, pratiquer le bien et mener une vie sainte et innocente, sans prétendre en mériter quelque chose (Christ t’ayant tout mérité) mais par un pur amour pour lui, puisqu’il est mort pour toi. Aimer Christ, c’est vivre en lui. L’amour de Christ surmonte le monde et la mort.
II. Aimes-tu le Christ ? Ne l’aimes pas seulement de la langue, mais en effet et en vérité, observant ses commandements comme il te l’enseigne lui-même (Jean XIV, 23). Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure chez lui. Car l’amour de Dieu est que nous gardions ses commandements et ses commandements ne sont point pénibles, dit le même Apôtre (1 Jean V, 3). Et notre sauveur même assure (Matthieu XI, 30) que son joug est doux et son fardeau léger. Sans doute à celui qui aime le Christ de toute son âme, puisqu’il lui est alors facile et agréable de se priver des douceurs et des bagatelles de ce monde et de vivre à Christ, la grandeur de son amour lui aplanissant toutes les difficultés. Mais ceux qui n’aiment point sincèrement le Christ, faisant toutes choses à regret et à contre
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cœur les éprouvent nécessairement rudes et difficiles, quand ils veulent s’adonner à faire le bien et à mener en apparence une vie sainte. Au lieu qu’un vrai ami de Christ ne trouvera pas la mort même terrible, s’il faut l’affronter et la souffrir, puisque selon l’Apôtre (Philippiens I, 29) il nous a été gratuitement donné, touchant Christ, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir et de mourir pour lui. III. Considérez Moïse, dont l’Apôtre rend ce témoignage honorable (Hébreux XI, 24, 25) Par la foi, Moïse devenu grand refusa d’être appelé Fils de la fille de Pharaon, choisissant plutôt d’être affligé avec le peuple de Dieu que de jouir pour un peu de temps des délices du péché, estimant que l’opprobre de Christ était de plus grandes richesses, que les trésors qui étaient en Egypte. IV. Représentez-vous Daniel (Daniel I, 8) choisi du nombre des captifs par le Roi de Babylone et destiné avec ses compagnons pour le servir, tous étant nourris des viandes et des vins qui venaient de la table du Roy jusqu’à ce qu’ils fussent capables d’exécuter les charges pour lesquels ils étaient élevés. Mets délicats qu’ils méprisèrent, en priant le gouvernement des eunuques, de leur laisser la liberté de se nourrir plutôt de légumes et de boire de l’eau. Tant avait de pouvoir sur ces jeunes âmes l’amour de la sagesse divine, dont ils désiraient uniquement d’être éclairés. Prenez donc garde d’avoir d’autres sentiments, et si vous désirez que le Christ, qui est la sagesse du père éternel vienne en votre âme, persuadez-vous fortement qu’il faut vous abstenir des convoitises charnelles, comme de ces mets délicieux de la cour de Babylone. Car comme ces jeunes gens devinrent plus beaux en vivant sobrement et avec tempérance et satisfaisant aux besoin de la nature en mangeant seulement des légumes et en buvant de l’eau, ainsi persuadez fortement à votre âme qu’elle deviendra plus belle aux yeux de Dieu et même participante de sa nature divine, comme dit S. Pierre (2 Pierre I, 4) si vous détestez le péché et les convoitises de ce monde. V. S. Paul dit (Galates VI, 14) Le monde m’est crucifié et moi au monde ; c’est à dire, je suis mort au monde et le monde est mort pour
L’amour de la sagesse nous persuade le mépris des voluptés.
58 Les Chrétiens regardent toutes les choses de ce monde comme des ombres.
Vœu des chrétiens.
Deux choses nécessaires au chrétien.
La vie spirituelle est la croix de la chair.
Mourir à soi et au monde pour l'amour de Christ.
moi. A son exemple tous les vrais Chrétiens sont à la vérité dans le monde, mais ne sont point du monde. Et quoiqu’ils y vivent, ils n’y ont cependant aucune attache, estimant pour rien et regardant comme des ombres, les pompes, les honneurs, les dignités de ce monde, aussi bien que la convoitise des yeux, la convoitise de la chair et l’orgueil de la vie (1 Jean II, 16). C’est de cette manière que le monde est mort et crucifié pour eux, que réciproquement ils sont morts et crucifiés au monde, ne faisant pas plus de cas de ces honneurs, de ses richesses, de ses plaisirs que du fumier, afin de gagner Christ (Philippiens III, 9). VI. Heureux et mille fois heureux est celui à qui Dieu a fait la grâce de ne se point laisser posséder du désir des richesses, des plaisirs et des honneurs de ce monde. C’est pour obtenir une telle grâce, que le vrai Chrétien ne doit cesser d’adresser ses vœux et ses prières à Dieu. VII. Salomon, le plus sage des Rois, faisant un tel vœu au Seigneur : (Proverbes XXX, 7) Je t’ai demandé deux choses, ne me les refuse point avant que je meurs, ne me donne ni pauvreté, ni richesses, donnemoi seulement ce qui m’est nécessaire pour la vie. Que le vrai Chrétien y conforme sa prière, en disant, Seigneur, je te demande deux choses, c’est de pouvoir mourir à moi-même et au monde. Car sans ces deux choses il ne peut y avoir de vrai Chrétien et si vous prenez une autre voie, vous vous trompez et vous entendrez un jour ces paroles : Je ne vous connais point (Matthieu VII, 3 et XXV, 12). VIII. Quoique ce soit une croix très insupportable à la chair et au sang de mourir à soi-même et au monde, c’est à dire, de préférer le ciel aux choses d’ici-bas, l’esprit toutefois surmonte ces difficultés et la force que nous inspire l’amour du Christ est si grande, que toutes ces choses nous deviennent en effet un joug doux et un fardeau léger. Ceux à la vérité qui sont ainsi disposés, sont haïs du monde, mais au contraire ils sont aimés de Dieu. Car l’inimitié de ce monde est ce qui nous procure l’amitié de Dieu et réciproquement l’inimitié de Dieu fait que nous sommes aimés au monde. Quiconque voudra donc être l’ami de ce siècle, se rendra ennemi de Dieu (Jacques IV, 4). Et le Christ même
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atteste ouvertement (Jean XV, 19) que si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui, mais parce que vous n’êtes pas du monde et que je vous ai élus du monde, c’est pour cela que le monde vous hait. IX. Comme la mer supporte les Hommes vivants et rejette et repousse les morts, de même le monde s’oppose à ceux qui sont morts à lui, pendant qu’il chérit ceux qui lui sont agréables, en ne songeant qu’à vivre dans la pompe, le faste et la splendeur. X. Enfin, celui qui est parvenu jusqu’à avoir mortifié ou fait mourir dans son cœur l’orgueil, l’avarice, la volupté, la colère et le désir de la vengeance est véritablement mort au monde, comme le monde est mort en lui. Il vit en Christ et le Christ vit en lui. Le Christ reconnaît pour siens ceux qui sont ainsi disposés, mais il dit aux autres, je ne vous connais point, vous, dis-je, qui voulez me méconnaître, qui avez honte de ma vie, de mon humilité, de ma douceur et de ma patience. En un mot, comment celui qui refuse de vivre pendant le temps de cette vie passagère avec le Christ, pourra-t-il vivre avec lui dans l’éternité ? Ou comment vivra-t-il en vous après cette vie, si pendant cette vie présente, vous ne vivez pas par lui et en lui ? Qu’il soit donc posé pour incontestable, que celui dont le Christ n’est pas la vie en ce monde, il n’en sera point la félicité en l’autre. XI. Examinez maintenant votre vie et voyez si elle est plus conforme à Christ, qu’au diable, vous assurant qu’après votre mort, il vous faudra vivre éternellement, ou avec l’un ou avec l’autre. XII. Au reste, celui qui est mort à soi-même, n’aura dans la suite aucune peine de mourir au monde. Mais qu’est-ce que mourir au monde, sinon ne plus aimer le monde, ni ce qui est dans le monde ? Selon S. Jean (1 Jean II, 5) Qui aime le monde n’est pas de Dieu. Car que peut servir le monde à celui qui y est mort intérieurement et dans le cœur ? Et même quiconque l’aime en est séduit, comme Samson le fut par Dalila et se voit ensuite exposé et condamné à tous ces tourments et ces supplices, que renferme une vie toute mondaine.
Qu’est-ce que mourir au monde ?
Union avec le Christ ou avec le Diable.
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Mourir à soi et au monde pour l'amour de Christ.
Le vieil Homme se plaît uniquement au monde, mais le nouveau ne se plaît qu’en Christ.
XIII. De plus, l’amour du monde appartient à la vieille créature et non pas à la régénération. D’autant que le monde n’ayant que les honneurs, les richesses, la convoitise des yeux, celle de la chair et l’orgueil de la vie, en quoi le vieil Adam prend tous ses délices, toutes les autres choses vraies et solides se trouvent en Christ, à savoir, la joie, l’honneur, les véritables richesses et le solide plaisir.
L’image de Dieu est la souveraine dignité de l’Homme.
XIV. Pouvait-il arriver quelque chose de plus honorable à l’Homme, ou devait-il souhaiter quelque chose de plus avantageux, que de voir l’image de Dieu renouvelée en lui par Christ ? Ou, si nous cherchons les vrais délices. Quel Homme bien sensé doutera que Dieu ne puisse nous faire plus de plaisir que toutes les autres créatures ? dit Tauler. Combien devons-nous estimer ces paroles de la Sainte Ecriture qui nous enseignent que l’Homme n’a pas été créé pour le monde, mais le monde pour l’Homme ? Lequel n’a pas aussi été fait pour remplir son ventre de viandes délicates, chercher ses plaisirs, amasser des richesse, étendre sa domination, posséder de grands fonds et héritages, se vêtir splendidement, se rouler sur l’or et l’argent, être Seigneur et maître de la terre, y mettre tout son plaisir et son consentement comme dans un Paradis, ne connaître et n’espérer que ce qui est visible et tombe sous les yeux ou enfin pour ne se plaire que dans ces choses caduques et périssables, quelques bonnes, agréables et précieuses qu’elles soient d’elles-mêmes. Non, certainement, l’Homme n’a pas été créé pour ces choses. Il faut qu’il les quitte et que dès maintenant il en éloigne son esprit puisqu’il n’est sur terre, que comme un étranger, qui en a l’usufruit. De laquelle terre, en quelque nombre que nous y entrions, il nous faudra tous sortir par la mort, sans en transporter avec nous la poussière même, quelque riches que nous y ayons été.
L’Homme est créé pour de plus grandes choses, que pour ce monde.
A quelle fin l’Homme est créé.
XV. D’où il est plus clair que le jour que nous ne sommes pas créés pour cette vie temporelle et que le monde n’est pas la principale fin de notre création, puisque nous n’y sommes que comme des hôtes. Il y a donc une autre fin, pour laquelle nous avons été mis au monde, ce que nous montre visiblement notre origine qui est Dieu même et l’image de Dieu, que nous portons en Christ et selon laquelle nous avons été renouvelés. Nous sommes principalement créés pour le
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Royaume de Dieu et pour la vie éternelle, que nous avons recouverte par Christ et à laquelle nous sommes régénérés par le Saint Esprit. XVI. Quelle folie est-ce donc d’attacher son cœur au monde et de consacrer à des choses terrestres, une âme que nous savons être plus excellente que tout le monde ? L’Homme qui est la plus noble des créatures, peut-il n’avoir des pensées que pour la terre, portant en Christ cette image selon laquelle il est renouvelé ? Car comme nous venons de dire, l’Homme n’a pas été créé pour le monde, mais le monde pour l’Homme. C’est pourquoi il porte l’image de Dieu en Christ, dont l’excellence est si éminente, que tous les Hommes avec toutes leurs richesses et leurs forces ne peuvent rétablir une seule âme, ni lui faire recouvrer l’image de Dieu. Et c’est pour cette raison qu’il a fallu que le Christ subit la mort, afin que l’image de Dieu, éteinte et effacée dans l’Homme y fut renouvelée par le Saint Esprit pour qu’il redevint en l’éternité, la demeure et la maison de Dieu. XVII. Sachant ces choses et les rappelant dans mon esprit, pour peu que j’aie de bon sens, je ne m’efforcerai jamais d’acquérir les richesses, les honneurs et les plaisirs de ce monde aux dépends d’une âme qui a tant coûté à Jésus-Christ. Ne serait-ce pas, comme il est marqué (Matthieu VII, 6) jeter les marguerites ou les pierres précieuses dans la boue et devant les pourceaux ? Et le sauveur ne dit-il pas à ce sujet : (Matthieu XVI, 26) Que sert à l’Homme, s’il gagne tout le monde et qu’il fasse perte de son âme ? Le monde étant mortel et périssable, ne peut, avec tous ses honneurs et ses pompes, aider une seule âme dont la nature est immortelle.
CHAPITRE XIV Le vrai Chrétien, à l’exemple de Christ, doit mépriser le monde et haïr sa vie en ce monde. Luc XIV, 26 Si quelqu’un vient vers moi et ne hait son âme, il ne peut être mon disciple.
Notre noblesse et notre dignité viennent de l’image de Dieu.
Préférer les choses terrestres aux célestes est une grande folie.
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Le chrétien doit mépriser le monde et haïr sa vie.
Jean XII, 25 Qui aime son âme la perdra et qui hait son âme en ce monde, la gardera en la vie éternelle.
L
’Homme devant se haïr soi-même, doit premièrement ne se point aimer, mourir ensuite tous les jours aux péchés, et combattre enfin avec lui-même et avec sa
chair. L’amour propre est le plus grand venin de l’âme, aussi bien que l’idolâtrie.
L’amour de Dieu apporte la tranquillité, mais celui du monde cause le trouble.
II. Rien n’est plus dommageable ni plus nuisible à l’Homme dans ce qui concerne l’affaire de son salut, que de s’aimer soi-même. Cet amour propre est celui dont nous devons traiter dans le livre présent et non pas de ce désir naturel que nous avons de notre conservation. Dieu étant le seul qui doit être aimé, il s’ensuit que celui qui s’aime soi-même est un idolâtre qui se fait lui-même un Dieu. Chacun met son plaisir et attache son cœur à ce qu’il aime. Et nous ne pouvons aimer une chose, que nous n’en devenions esclaves, nous dépouillant de notre propre liberté et par conséquent nous soumettant ou assujettissant à autant de maîtres, que nous aimons d’objets. Que si votre amour n’est uniquement porté que vers Dieu, vous n’êtes esclave d’aucun objet, mais vous jouissez d’une pleine liberté. C’est pourquoi, prenez soigneusement garde de ne rien suivre ni désirer, qui puisse vous détourner de l’amour divin. Et si vous souhaitez posséder Dieu tout entier, il faut vous consacrer entièrement à lui. Si vous vous aimez, si vous complaisez en vous-même, il vous faudra pour l’amour de vous-même, supporter beaucoup de chagrins, d’inquiétudes, de craintes et de tristesses. Mais si vous aimez Dieu et ne vous plaisez qu’en lui, vous consacrant tout entier à lui, alors il aura lui-même soin de ce qui vous regarde et vous n’éprouverez ni crainte ni tristesse. Celui que ne se cherche en tout, que lui seul, n’est attentif qu’à ses intérêts, ne travaille qu’à acquérir de la louange et de l’honneur, ne jouira jamais de la tranquillité, puisqu’il se présentera toujours à lui quelque chose qui le troublera. Ne croyez donc pas que ce qui augmente vos commodités, votre renom et vos honneurs, vous soit toujours favorable et utile. Assurez-vous au contraire qu’il vous est beaucoup plus avantageux de mépriser ces choses et d’arracher la racine de cette convoitise qui vous détourne tant de l’amour de
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Dieu. III. Puisque toutes les satisfactions de cette vie, les louanges et les honneurs passent aussi bien que le monde même, pendant que l’amour de Dieu demeure éternellement, le plaisir que vous recevez de l’amour de vous-même et des choses terrestres ne peut être durable, pouvant changer à tous les moments, au lieu que l’âme une fois bien occupée de l’amour divin, se réjouit continuellement. Tout ce qui n’est pas de Dieu est vain et passager. Mais renoncez à toutes les choses de ce monde et vous trouverez tout par la foi. Il n’y a point à espérer, que celui qui s’aime et le monde, trouve Dieu.
Le vrai et le solide repos n’est qu’en Dieu.
Qui est celui qui ne trouve point Dieu.
IV. L’amour propre est tout à fait terrestre et n’est point de Dieu. C’est même un grand obstacle pour obtenir cette céleste sagesse, qui ne désire rien moins que d’être éclatante et estimée en ce monde. C’est de là qu’elle est si méprisée et presque bannie de l’âme de l’Homme et effacée de sa mémoire. C’est pourquoi bien que plusieurs la vantent extrêmement et élèvent fort haut son nom dans leurs prédications et leurs discours, cependant elle demeure et demeurera toujours cette pierre précieuse inconnue et cachée, tant que notre vie et nos mœurs nous éloigneront d’elle. Le seul moyen de l’acquérir, est de renoncer à la sagesse humaine, à notre propre complaisance et à cet amour désordonné de nous-mêmes. Ainsi vous pouvez acquérir cette céleste sagesse en rejetant la terrestre, puisqu’en la place de cette haute mais fausse sagesse de ce monde, vous en recevrez une, qui semble de peu de conséquence aux Hommes charnels, mais qui est effectivement céleste et éternelle.
L’humilité est la compagne de la sagesse céleste.
V. Personne ne peut aimer Dieu, qu’il ne se haïsse soi-même, c’est à dire, qu’il ne se déplaise à soi-même, à cause de ses péchés, qu’il ne crucifie sa chair et ne mortifie sa propre volonté. Plus l’Homme aime Dieu, plus il hait sa mauvaise volonté, crucifie sa propre chair avec ses convoitises et ses appétits déréglés. Plus aussi l’Homme s’éloignera de soi-même et de l’amour propre par la vertu de l’Esprit Saint, plus il s’unira à Dieu et sera pénétré de son amour par la foi. Comme la paix intérieure dépend de ne désirer rien au-dehors, ainsi
En quoi consiste l’amour de Dieu.
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Le chrétien doit mépriser le monde et haïr sa vie.
on se retire vers Dieu et on pénètre jusqu’à lui, lorsque l’intérieur est tout à fait vide des choses de ce monde et que le cœur, détaché de toutes les créatures, ne s’attache qu’à Dieu. L’amour propre et l’amour de Dieu sont deux choses contraires. Christ est la voie, la vérité et la vie.
VI. Celui qui veut renoncer à soi-même, doit ne plus suivre sa volonté, mais le Christ. Je suis la voie, la vérité et la vie, dit-il lui-même (Jean XIV, 6). Comme s’il disait : Sans la voie, on ne marche point, sans la vérité on ne connaît rien et sans la vie on ne vit point. Considérez-moi donc, moi qui suis la voie dans laquelle il vous faut marcher, la vérité que vous devez croire et enfin, la vie selon laquelle il vous faut vivre et que vous devez espérer. Je suis la voie qui subsistera dans tous les siècles, la vérité infaillible et la vérité éternelle. La voie royale vers la vie immortelle par mon mérite, la souveraine vérité en ma parole et la vie par la force et l’efficace de ma mort. C’est pourquoi si vous continuez cette voie, la vérité vous mènera à la vie éternelle. Si vous ne voulez pas vous égarer, suivez-moi. Si vous espérez de posséder la vie éternelle, mettez votre confiance en ma mort. VII. Quelle est cette voie royale, cette vérité infaillible, cette vie la meilleure et la plus noble de toutes ? Il ne peut y avoir d’autres voies, que le très saint et très précieux mérite du Christ, ni d’autre vérité que la parole de Dieu, ni d’autre vie que la félicité éternelle. Maintenant donc, si vous désirez être élevé au ciel, suivez Christ et à son exemple, pratiquez l’humilité en ce monde, c’est la seule et royale voie. Ne voulez-vous point être trompé par le monde, arrêtezvous à la parole de Dieu par la foi et suivez les traces de la vie de J.C. parce que c’est là où se trouve la souveraine et infaillible vérité. Si vus souhaitez vivre avec le Christ, mourez avec lui, en lui et par lui au péché et devenez une nouvelle créature. C’est en quoi consiste la vie. Ainsi, J.C. n’est pas moins par son exemple que par son mérite, la voie, la vie et la vérité.
Notre vie doit être conforme à la vie de Christ.
VIII. Soyez les imitateurs de Dieu, comme des fils bien aimés, dit Paul (Éphésiens V, 1). Tendons de tout notre pouvoir à une seule chose qui est de rendre, autant qu’il est permis, notre vie semblable à la vie de Christ. Quand nous n’aurions pas mille autres moyens pour confondre les faux Chrétiens, le seul exemple de J.C. y pourrait suffire.
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Ayons honte de passer la vie dans les délices, puisque Jésus n’a vécu que dans les misères, les chagrins et les calamités jusqu’à sa mort. Si le soldat oublie ses divertissements lorsqu’il voit son Capitaine s’exposer courageusement à la mort, lorsque tu ne cherches que les honneurs sous les yeux d’un chef traité si ignominieusement, ne peut-on pas dire que tu ne combats point sous ses étendards ? IX. Mais hélas ! Nous voulons passer pour Chrétiens, pendant que très peu d’entre nous imitent la vie de Christ. S’il convenait aux Chrétiens de ne songer qu’aux richesses, qu’à une réputation périssable et qu’aux honneurs, J.C. n’aurait jamais commandé de les abandonner pour acquérir les biens éternels. Regardez, nous dit-il, ma vie et ma doctrine et vous ne pourrez nier qu’il n’y a rien de plus différent de celle de ce monde. Cette étable, cette écurie, ces langes, ce berceau, ne sont-il pas un miroir du mépris des choses de ce monde ? Ou dirons-nous peut-être qu’il a voulu par de tels exemples, nous détourner du droit et du vrai chemin ? Bien au contraire, il tâche de nous y remettre et c’est à quoi tend sa doctrine aussi bien que ses exemples. C’est pourquoi il s’écrie qu’il est la voie et la vérité (Jean XIV, 6), puisqu’il a donc jugé à propos de retourner au ciel par le mépris et par les peines, il s’ensuit que par votre faste et par ces honneurs, après lesquels vous soupirez, vous ne tendez qu’à aller en enfer. Quittez donc votre voie large, retournez sur vos pas et reprenez le chemin de celui qui ne peut s’égarer. Embrassez la vérité qui ne peut tromper. Vivez enfin en celui qui est la vie même. Cette voie est la vérité, cette vérité est la vie. Ô aveuglement ! Un petit ver de terre veut se faire grand, lorsque le Seigneur de la gloire s’abaisse volontiers jusqu’à vivre en ce monde. Ayez donc honte, âme fidèle et ne souffrez pas que votre époux, le céleste Isaac, vienne au-devant de vous à pied, pendant que vous demeurez élevée et assise sur un chameau. Et même, comme Rebecca, ayant aperçu son époux, voilà son visage couvert de pudeur et descendant de son chameau alla à pied vers lui (Genèse XXIV, 64). Ainsi, descendez humblement du chameau de votre cœur orgueilleux et allez au-devant de votre Époux, qui vous embrassera amoureusement et vous introduira dans son cœur.
Il y a beaucoup de Chrétiens, mais peu d’imitateurs du Christ.
L’humilité est la voie qui mène au Christ.
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Les plus méchants fruits de l’amour propre.
Le chrétien doit mépriser le monde et haïr sa vie.
X. Sors de ton pays et de ton parentage et de la maison de ton père et viens au pays que je te montrerai, dit Dieu à Abraham (Genèse XII, 1). Sors pareillement, ô Chrétien, de la maison de ton amour et de ta volonté propre. D’autant que l’amour propre corrompt les jugements, aveugle l’entendement, trouble la raison, séduit la volonté, souille la conscience, ferme les portes de la vie, ignore Dieu et le prochain, repousse les vertus, ne cherche que les honneurs, ne désire que les richesses, ne soupire qu’après les délices, préfère enfin la terre au ciel. Celui qui aime ainsi sa vie, la perdra (Jean XII, 25). Mais quiconque aura de l’aversion pour son âme, c’est à dire pour son amour propre auquel il renoncera, celui-là la conservera pour la vie éternelle. L’amour propre est la racine de l’impénitence et de la damnation éternelle. Ceux qui en sont enchantés, ne sont capables ni d’humilité, ni de la connaissance de leurs péchés, dont même ils ne peuvent par aucunes larmes obtenir la rémission, puisque ce ne sont pas des larmes causées par l’offense qu’on a regret d’avoir commise contre Dieu, mais excitées par la seule considération de son propre dommage. XI. En S. Matthieu (Matthieu XIII, 45,46), le Royaume des Cieux est comparé à une pierre précieuse pour l’achat de laquelle un joaillier s’est en allé et a vendu tout ce qu’il avait. Cette pierre précieuse est Dieu même ou la vie éternelle que vous ne pouvez acquérir sans abandonner tout le reste. Nous en avons un très parfait exemple en J.C. qui est descendu du ciel, non pour son intérêt, mais pour le nôtre. Et nous doutons de chercher par reconnaissance celui qui s’est oublié lui-même, afin de se donner pour nous.
Quelle âme est vierge et épouse du Christ.
XII. C’est le devoir d’une épouse fidèle de ne vouloir plaire qu’à son époux. Toutefois, votre âme étant l’épouse du Christ, désire encore de plaire au monde. Ressouvenez-vous donc, que votre âme est une à Christ et qu’elle ne peut sans crime en aimer en ce monde un autre que lui. Persuadez-vous plutôt que vous devez mépriser et effacer toute autre créature de votre cœur, afin que votre époux vous juge digne de son amour et de ses embrassements. Que si vous
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osez partager votre amour, en sorte que vous ne considériez pas uniquement le Christ en toutes choses, votre âme n’est plus vierge mais adultère. Or, il faut que la charité des Chrétiens soit une vierge chaste et sans tâche. XIII. C’est pourquoi comme il n’était permis aux prêtres de la loi de Moïse que d’épouser une vierge, ainsi le Christ, le souverain Pontife, veut avoir une âme vierge et qui n’ait tellement d’amour que pour lui, qu’elle s’ignore elle-même. Ce qu’il nous fait expressément connaître : Si quelqu’un vient à moi et ne hait point son âme, il ne peut être mon disciple (Luc XIV, 26). XIV. Disons en peu de mots ce qu’est se haïr soi-même. Nous portons tous le vieil Homme et nous sommes même ce vieil Homme que sa nature corrompue porte à pécher, à s’aimer soi-même, à chercher ses intérêts, à ambitionner les honneurs, à condescendre aux désirs déréglés de la chair. La chair et le sang n’ont point changé depuis leur corruption. La chair ne se considère et ne respecte qu’ellemême. Elle s’applaudit, elle ne cherche en tout que ses intérêts, elle se met aisément en colère, elle est envieuse, ennemie et vindicative. Ce sont toutes choses que vous faites et même que vous êtes, puisqu’elles partent de votre âme et de votre cœur et que telle est votre vie, je veux dire, la vie du vieil Homme. Il est donc nécessaire que vous vous haïssiez vous-même, si vous désirez devenir disciple du Christ. Celui qui s’aime, ne peut s’empêcher d’aimer son propre orgueil, son avarice, sa colère, sa haine, son envie, son mensonge, sa perfidie, son injustice et sa concupiscence dépravée. Vices, que celui qui veut être disciple de Christ, ne doit point aimer, ne doit point excuser, ne doit point cacher, mais haïr, mortifier et abandonner.
CHAPITRE XV Il faut dans le vrai Chrétien, que le vieil Homme meure tous les jours et que le nouveau se renouvelle. Ce qu’est se renoncer à soi-même et quelle est la vraie croix de Christ.
Pourquoi l’Homme doit se haïr soimême.
Qu’est-ce que l’amour propre ?
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Il faut que dans le vrai chrétien le vieil Homme meurt.
Luc IX, 23 Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même, porte sa croix et me suive.
V
oici les paroles de St. Paul (Éphésiens IV, 22, 23) touchant le vieil Homme. Dépouillez-vous, quant à la conduite précédente, du vieil Homme qui se corrompt par les convoitises qui séduisent. Mais renouvelez-vous dans l’esprit de votre entendement et revêtez-vous du nouvel Homme qui est créé selon Dieu dans une justice et une sainteté véritable, il en marque la cause (1 Corinthiens VI, 20) car vous avez été achetés d’un grand prix, glorifiez donc Dieu en votre corps et l’y portez. Ce qu’est le vieil Homme ?
Ce qu’est le nouvel Homme ?
Ce qu’est se renoncer soimême ?
II. Nous avons déjà dit que le vieil Homme était composé d’orgueil, d’avarice, de mauvais désir, d’injustice, de colère, d’inimitiés, de haine et d’envie. Toutes choses qui doivent mourir dans un vrai chrétien, afin que le nouvel homme sorte, paraisse et se renouvelle de jour en jour. III. Le vieil Homme périssant, le nouveau se vivifie, c’est à dire, l’orgueil étant détruit en l’Homme, l’humilité y prend sa place par la grâce du Saint Esprit. La colère s’éteignant, la douceur y reluit, l’avarice étant déracinée, la confiance en Dieu s’augmente. L’amour du monde étant chassé du cœur de l’Homme, l’amour de Dieu y exerce son ardeur. Alors le nouvel Homme y subsiste avec ses membres qui sont les fruits du Saint Esprit, la foi vive et efficace. Le Christ en nous, accompagné de sa vie illustre, le commandement nouveau, est enfin le fruit de cette régénération en nous, dans laquelle ceux qui vivent sont les vrais fils de Dieu. IV. C’est pour ce sujet que l’on dit que l’Homme devrait se renoncer soi-même, à savoir, renoncer à son honneur particulier, à sa volonté propre, à ses intérêts et à sa réputation et au contraire se désister de son droit et se croire non seulement indigne des autres choses, mais de la vie même. D’autant qu’un vrai Chrétien en qui se trouve l’humilité du Christ, reconnaît volontiers que l’Homme ne peut à juste droit s’attribuer aucune de ces choses, qu’il reçoit d’en
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haut, puisque ce sont autant de dons gratuits de la libéralité divine. C’est pourquoi, il s’en sert avec crainte et tremblement, comme de biens étrangers pour sa nécessité et non pas pour son plaisir, son intérêt, sa louange et son honneur. V. Comparons le Chrétien qui ne l’est que de nom et qui s’aime d’un amour désordonné, avec celui qui l’est véritablement de nom et d’effet et qui a tout à fait renoncé à soi-même. Si vous méprisez l’amateur de soi-même, vous le verrez aussitôt triste, chagrin, s’enflammer de colère, s’indigner, proférer mille injures, devenir furieux, se venger de paroles et d’effets et enjurer sur sa propre vie. Actions qui ne partent que du vieil Homme, dont le propre est de se fâcher et se courroucer facilement, d’exercer les dissimulations et les haines et de ne songer qu’à la vengeance. Au contraire, celui qui a renoncé à soi-même, est doux, tranquille, patient, s’abstenant de toute vengeance, se croyant mériter tous les affronts qu’il souffre et même digne de plus grands, puisque autrement ce ne serait pas renoncer véritablement à soi-même. VI. Nous avons un parfait exemple de patience, d’humilité et de douceur en J.C. qui le premier a renoncé à lui-même lorsqu’il dit (Matthieu XX, 28) Le fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir. Et (Luc XXII, 27) Je suis au milieu de vous, comme celui qui sert. Et (Luc IX, 58) Le fils de l’Homme n’a pas où reposer sa tête. Et (Psaumes XXII, 7) je suis un ver et non pas un homme. David étant maudit par Semeï, disait en se renonçant (2 Samuel XIV, 10) Le Seigneur lui a commandé, pour moi je suis un ver en la présence du Seigneur et je suis digne de plus grandes injures. En un mot, tous les Saints et tous les prophètes se sont renoncés, se jugeant indignes qu’il leur arriva quelque bien. Dans cette disposition ils ont tout supporté patiemment, n’ont maudit personne, ont rendu grâces pour les injures, ont béni leurs persécuteurs, ont prié pour ceux qui les faisaient mourir et ainsi par tant de souffrance ils sont entrés dans le Royaume de Dieu (Actes XIV, 22). VII. Voilà ce qu’est se renoncer, à savoir, se reconnaître indigne des biens que nous recevons, mais très digne des maux que
Il faut se servir de tout avec crainte. Comparaison de l’Homme charnel et spirituel.
Christ a renoncé à soimême.
Tous les saints se sont renoncés.
Ce qu’est se renoncer ?
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Il faut que dans le vrai chrétien le vieil Homme meurt.
l’on nous fait.
Croix du Christ.
La destruction du vieil Homme est l’origine du nouveau.
L’image de Dieu est la souveraine dignité de l’Homme.
VIII. Telle est la croix de J. Christ qu’il nous a commandé de porter, Celui qui veut être mon disciple, qu’il renonce à soi-même, porte sa croix et me suive. En effet, cette vie de Christ est une croix, un tourment et la mort même pour le vieil Homme, la chair et le sang, parce que le vieil Homme aimerait beaucoup mieux mener une vie libertine et accompagnée de tous les plaisirs inimaginables, que de pratiquer l’humilité, la douceur, la patience et enfin imiter toute la vie de J.C. Ce qu’il faut pourtant absolument faire. IX. Il faut que tout le vieil Homme meure dans le Chrétien. Vous ne pouvez vous revêtir de l’humilité de Christ, qu’en vous dépouillant de l’orgueil. Ni de sa pauvreté, qu’en déracinant l’avarice. Ni de son mépris pour la gloire, qu’en étouffant l’ambition. Ni enfin de la douceur, ni de la patience du Christ, qu’en réprimant votre colère et votre ardeur pour la vengeance. X. C’est ce que la Sainte Écriture appelle renoncer à soi-même, porter sa croix et suivre Christ. Et cela sans aucune espérance d’intérêt, de mérite, de récompense, de louange ou de gloire, mais pour le seul amour du Christ. Par ce qu’il l’a pratiqué le premier, parce que telle a été sa vie, parce qu’il nous en a laissé le commandement. Enfin, puisque telle est l’image de Dieu en Christ et en nous, ce qui est le plus grand honneur qui nous puisse jamais arriver, il serait indigne, injuste même, d’attendre une autre récompense de nos peine, de nos souffrances et de nos travaux. XI. Car ceux qui en ce monde font tout consister dans l’honneur pour lequel seul ils travaillent, par quel moyen deviendrontils meilleurs que les autres, lorsque la fortune leur aura accordé tous les désirs de leur cœur ? Tous naissent de la même manière, tous meurent également et aucun ne voit la lumière autrement qu’un autre ni n’en est autrement privé. Quelle est donc notre folie, nous nous tourmentons nous-mêmes et à toutes nos croix nous ajoutons celle de l’ambition de l’instigation de cet amour propre, qui nous engage
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à cette folle recherche de l’honneur ? Quiconque se flatte soi-même, s’applaudit et ne consulte que son amour propre en n’ambitionnant que le faste, l’honneur et la louange, détourne certainement son âme de Dieu et du Christ pour la tourner vers le monde et vers soi-même. C’est ce que nous a voulu donner à entendre le Sauveur en disant : Si tu veux sauver ton âme et ta vie, il faut que tu haïsses toutes ces choses. Que si tu persévères à les aimer, c’en est fait, tu n’as rien à espérer. Le vieil Adam ne veut point comprendre, mais rejette ce paradoxe comme trop contraire à la douceur qu’il trouve d’être honoré et estimé.
L’amour propre défendu.
XII. Combien y en a-t-il peu qui aient connu ce génie du vieil Adam, ou qui l’ayant reconnu veuillent ne le point consulter mais y renoncer ? Il est néanmoins nécessaire, que de quelque manière que ce soit, nous déracinions toutes ces criminelles dispositions nées et comme naturalisées avec nous et que nous mourions entièrement en Christ. Ces fâcheuses dispositions sont l’orgueil, l’avarice, l’ambition, la volupté et la colère qu’il faut absolument mettre à mort et exterminer par l’humilité, la pauvreté, la confusion, la passion et la douceur du Christ. XIII. Quand on est mort de cette manière, il n’est pas difficile de mépriser le monde avec toutes ses pompes, ses richesses, ses honneurs et ses voluptés, retrouvant tout cela en Christ et se considérant comme un étranger en ce monde, mais hôte convié et commensal du Christ, qui bientôt remplira son cœur d’une joie admirable et qui même dès cette vie lui fera sentir une satisfaction continuelle jusqu’à ce que dans l’autre il lui fasse célébrer avec tous les saints, un Jubilé éternel.
CHAPITRE XVI Le combat de la Chair et de l’Esprit ne cesse jamais dans un vrai Chrétien. Romains VII, 23 Je vois une autre loi dans mes membres, qui combat contre la loi de mon entendement.
Dieu réjouit celui qui est mort au monde.
72 Il y a deux Hommes en nous.
Combat de la chair et de l'esprit.
I
l y a deux Hommes en chaque Chrétien, l’extérieur et l’intérieur. Lesquels, quoique unis, sont toujours désunis, commandant et mourant alternativement, selon S. Paul (2 Corinthiens VI, 16) Si notre homme extérieur se corrompt, cependant l’intérieur se renouvelle tous les jours. II. Le même appelle l’un et l’autre (Romains VII, 23) la loi de l’entendement et de la chair. Et ailleurs (Galates V, 17) Chair et esprit : La chair, dit-il, convoitise contre l’esprit et l’esprit contre la chair.
L’Homme charnel et spirituel.
III. Lorsque l’esprit a le dessus, l’Homme vit d’une nouvelle naissance et devient une nouvelle créature en Dieu et en Christ et est appelé spirituel. Mais quand la chair domine, ce même Homme vit dans le diable, dans son ancienne naissance, hors du Royaume de Dieu et est appelé charnel. Or n’avoir des sentiments que conformes à la chair, n’est que mort (Romains VIII, 6). C’est pourquoi l’Homme selon l’Écriture reçoit le nom de charnel ou celui de spirituel, selon l’empire de l’un ou de l’autre, de la chair ou de l’esprit. IV. Que si l’Homme dans ce combat de la chair et de l’esprit devient supérieur à ses convoitises, ce sera une preuve de la force de cet esprit intérieur qui est en lui. Que s’il y succombe, c’est une marque d’infirmité de la foi et de son esprit, selon Paul : (2 Corinthiens IV, 13) Ayant le même esprit de foi, c’est pour cela que nous parlons aussi.
L’esprit et la foi sont synonymes.
La plus grande victoire est de se vaincre soimême.
V. Or puisque celui qui se dompte soi-même et peut retenir ses passions dans leur devoir est plus fort que celui qui force les villes les mieux remparées, selon ce qui est dit dans les Proverbes (XVI, 32) Le patient vaut mieux que l’Homme fort et celui qui maîtrise son courage, que celui qui prend des villes. Si vous avez un désir ardent de remporter une victoire signalée, surmontez-vous vous-même, dominez votre colère, humiliez votre orgueil, arrêtez votre avarice, réprimez vos mauvais désirs et vous avez renversé le royaume du Diable qui ne règne dans le monde que par le moyen de ces sortes de passions. Il y a beaucoup de grands Capitaines qui ont forcés des villes, mais il y en a très peu
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qui aient toujours été victorieux d’eux-mêmes. VI. Pensez que si vous êtes trop attaché à votre chair, vous donnez la mort à votre âme. Cependant, il est plus à propos que l’âme soit victorieuse, afin qu’en même temps, le corps soit conservé. Que par la victoire du corps, l’âme soit exposée à périr. C’est l’ordre que le Sauveur nous prescrit en S. Jean (Jean XII, 25) Qui aime sa vie, la perdra. Et celui qui perd sa vie, ou son âme en ce monde, la conserve pour la vie éternelle. VII. Quelque difficulté qu’il y ait dans ce combat, toutefois il acquiert une victoire illustre et une couronne encore plus belle. Sois fidèle jusqu’à la mort, dit le Fils de Dieu (Apocalypse II, 10) et je te donnerai la couronne de vie. Et (1 Jean V, 4) La victoire qui a vaincu le monde, c’est notre foi. Par ce monde l’Apôtre entend sans doute celui, qui est en nous dans notre intérieur et dans notre cœur, lequel étant une fois vaincu, nous devenons supérieurs à nous-mêmes. VIII. Que si quelqu’un maintenant me dit : Serais-je donc aussitôt damné, si le péché me soumet bien que je ne veuille pas ? Serais-je pour cela effacé du nombre des enfants de Dieu, selon ce qui est écrit (1 Jean III, 8) celui qui fait le péché est du Diable ? A Dieu ne plaise. Car si vous expérimentez en vous le combat de l’esprit avec la chair, de sorte, que vous fassiez ce que vous ne voulez pas, comme dit S. Paul, c’est une marque d’un cœur fidèle et que la foi et l’esprit contrarient la chair. Le même Paul nous apprend par son exemple que ce combat s’aperçoit aisément dans les bons et dans les fidèles, lorsqu’il nous avoue (Romains VII, 23) qu’il sentait une autre loi dans ses membres, qui s’opposait à la loi de son esprit (qui est l’Homme nouveau et intérieur) et qui le rendait captif sous la loi du péché, pour faire les choses qu’il ne voulait pas et qu’à la vérité, il avait le vouloir, mais qu’il ne trouvait pas le moyen d’accomplir le bien, puisqu’il ne faisait pas le bien qu’il voulait, mais le mal qu’il ne voulait pas. C’est pourquoi il s’écrie avec tristesse, misérable que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Christ nous dit la même chose (Matthieu XXXVI, 41 et Marc. XIV, 38) L’esprit est prompt mais la chair est faible.
Qu’est-ce que vaincre le règne du Diable ? La victoire de l’âme conserve l’Homme entier.
Qu’est-ce que vaincre le monde ?
Combat de la foi.
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Combat de la chair et de l'esprit.
Le péché qui habite en l’Homme ne le damne pas, mais bien celui qui le domine.
IX. Le péché n’est pas censé dominer en l’Homme, tant qu’il combat dans l’Homme, puisqu’il ne faut pas dire qu’un ennemi exerce sur nous son empire tant que nous combattons avec lui. Or ce qui ne domine pas, l’esprit lui étant toujours opposé, ne peut certainement pas damner l’Homme. C’est une condition dont les Saints même ne sont pas exempts, d’avoir des péchés, selon S. Paul (Romains VII, 18) Je sais qu’en moi, c’est à dire dans ma chair, il n’habite point de bien. S. Jean (1 Jean I, 8) Si nous disons que nous n’avons point de péché, nous nous séduisons nous-mêmes. C’est ce que nous appelons ordinairement péchés habitants en nous, pour les distinguer de ce péché qui régnant en nous peut seul nous condamner. Car un péché auquel nous résistons et nous refusons notre consentement, ne nous peut être imputé. S. Paul disant (Romains VIII, 11) Il n’y a maintenant nulle condamnation pour ceux qui sont en Christ, qui ne marchent point selon la chair, mais selon l’esprit, c’est à dire, qui ne permette point que la chair domine. Tous ceux qui ne sont pas continuellement exercés en ce combat, ne sont point renouvelés, ayant le péché régnant en eux, et par conséquent étant vaincus et devenus esclaves du péché et de Satan et destinés à être condamnés, tant qu’ils permettent que le péché les domine.
Les Cananéens mystiques.
X. Ce combat nous est signifié par les Cananéens (Josué XVII, 20) aux restes desquels il fut bien permis de demeurer dans la terre promise et conquise par les Israélites, mais non pas de les dominer. C’est de cette manière que les Saints Hommes ressentent et souffrent les imperfections qui restent en eux, sans leur laisser prendre aucun empire sur eux. D’autant que par rapport au nouvel Homme, j’appelle l’Homme un vrai Israélite, un athlète de Dieu (Genèse XXXIV) mais il ne convient au vieil Adam, que d’être dompté et soumis. XI. Aussi, ce combat continuel fortifie l’Homme nouveau contre le vieux. Sa milice nous prouve qu’il est un vrai Chrétien et sa victoire nous montre qu’il est devenu un vrai Israélite, et un vrai régénéré. Car ce n’est qu’en combattant qu’on s’empare et qu’on conserve la terre de Canaan. Que si quelquefois il arrive que sa chair
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ou le Cananéen reprend le dessus, c’est le devoir de l’Israélite, ou du nouvel Homme de ne pas longtemps souffrir le Tyran, mais ramassant de nouvelles troupes et cherchant de nouveaux recours en la grâce de Dieu en Christ, en une sérieuse pénitence et en la rémission des péchés, il doit se relever de sa chute et implorer le vrai Josué, Prince du peuple, pour en recevoir de nouveaux ordres et par sa force et sous sa conduite, recouvrer la victoire. Par ce moyen le premier péché est caché, effacé et pardonné et l’Homme est de nouveau régénéré à la vie, transplanté en Christ. C’est pourquoi, vous qui éprouvez encore tant de faiblesses en votre chair et qui ne pouvez tout entreprendre ni tout faire conformément au désir de votre esprit, persuadezvous fortement que le mérite de J.C. vous sera efficacement imputé, comme à de vrais convertis et sérieusement repentants et que la très parfaite obéissance de Christ cachera vos défauts et vos péchés. Le vrai moyen, dis-je, que le mérite du christ nous soit imputé, c’est de faire tous les jours pénitence et de ne cesser de se relever de ses chutes. Ce qui n’étant point pratiqué par les impénitents, ni par ceux qui obéissent à leur chair et laissent régner le péché en eux, ils ne peuvent compter sur le mérite du Christ. Car que pourrait servir le sang de Christ à celui que le foule aux pieds ? (Hébreux X, 29).
L’esprit doit prendre garde que la chair ne domine pas longtemps.
CHAPITRE XVII L’Héritage et le bien des Chrétiens n’étant point en ce monde, ils ne doivent s’en servir que comme des étrangers. 1 Timothée VI, 7 Nous n’avons rien apporté dans le monde, aussi est-il certain que nous n’en pouvons rien emporter. Mais ayant la nourriture et de quoi être couverts, soyons en contents.
L
e Seigneur ayant créé les biens temporels et les ayant accordés à l’Homme pour qu’ils servissent de soutien à son corps et pour subvenir aux nécessités de sa vie périssable, il est raisonnable et juste de ne point convertir à d’autres usages, mais de les recevoir du Dieu très clément avec actions de
Il faut se servir de tout avec crainte pour la seule nécessité.
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Les richesses ne sont que pour éprouver l’Homme.
L’Homme est inexcusable.
Les choses superflues sont une épreuve de la crainte du Seigneur.
Un Chrétien ne prend point plaisir aux choses mondaines.
L'héritage des chrétiens n'est point en ce monde.
grâces, craintes et tremblement. Pour ce qui est des choses superflues et qui excèdent le nécessaire comme sont l’or, l’argent, les aliments, la boisson, les vêtements, il est à propos de savoir qu’ils nous sont accordés pour nous éprouver, afin qu’il paraisse par l’attache que nous y avons, quelle est la disposition de notre âme à l’égard de ces choses terrestres et à l’égard de Dieu, c’est à dire, si elle n’est porté que pour lui seul, si elle ne se repose qu’en lui et ne s’applique qu’aux biens célestes et invisibles. Ou si éprise des charmes des choses terrestres, elle ne songe qu’à cette vie temporelle et préfère le paradis terrestre au céleste. II. Quant à ce qui regarde les choses temporelles, Dieu a laissé le libre arbitre et le choix à l’Homme qu’il semble vouloir éprouver par les richesses, les honneurs, la faveur et les autres dons excellents, pour connaître s’il s’attache à lui, s’il ne considère que lui, s’il ne veut vivre qu’en lui, ou plutôt, si séduit par l’éclat des choses d’ici-bas, il détourne son âme de Dieu, vit séparé de lui et même contre lui. Ainsi, chacun est jugé selon son choix et devient inexcusable, comme dit Moïse (Deutéronome XXX, 19) Considère que j’ai mis aujourd’hui devant toi, la vie et la mort et à l’opposé, la mort et le mal, afin que tu choisisses la vie et que tu sois béni. III. Tout est donc exposé à nos yeux en ce monde, non pour le plaisir et les délices, mais comme des épreuves et des tentations dans lesquelles il est aisé de tomber, si nous nous éloignons du souverain bien. Et c’est là cet arbre défendu avec ses fruits, dont la manducation nous a été interdite, de peur que notre âme n’y prit son plaisir et ne devint infidèle. A la manière des Hommes d’aujourd’hui, qui ne connaissent d’autre volupté que celle qui vient des choses de ce monde, abusant ainsi des créatures de Dieu, des aliments, de la boisson et des habits, qu’ils font servir aux convoitises de la chair et à ces vains délices qui de nous jours, détournent la plupart des Homme de notre Dieu. IV. C’est le devoir des vrais Chrétiens de penser qu’ils sont des étrangers et des voyageurs à la nécessité et non aux délices
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desquels les choses terrestres doivent servir, devant mettre tout leur plaisir et leur satisfaction non en ce monde, mais en Dieu seul. S’ils agissent autrement, ils s’engagent au péché, et séduits par leur convoitise dépravée, faibles, efféminés, n’étant point de vrais Israélites, ils mangent avec Ève du fruit défendu. Les vrais chrétiens ne désirent point avec curiosité et avidité les viandes nécessaires à la nourriture pour y chercher du ragoût et du plaisir, mais ils ont faim d’une viande qui ne se corrompt pas, ils ne cherchent point la pompe des vêtements, mais ils ne soupirent qu’à se voir revêtus de cette clarté divine, qui revêtira les corps glorifié. En un mot, tout ce qui flatte les autres et leur plaît en ce monde, n’est pour les vrais chrétiens qu’une croix, une tentation, une amorce du péché, du fiel et du poison. Et c’est avec raison. Car tout ce que l’Homme, pour plaire à sa convoitise et à sa chair, emploie sans aucune crainte de Dieu, ne peut ne pas être qu’un venin pour son âme, quelque bien qu’il semble faire à son corps. Or, quelle est maintenant l’indocilité de l’Homme, personne ne se met en peine de connaître l’arbre défendu, quoique chacun use et se nourrisse avec intempérance de la convoitise de la chair qui est véritablement le fruit de cet arbre défendu. V. Le Chrétien ne touche à aucune chose, qu’avec la crainte de Dieu et comme étranger, se mettant uniquement en peine de ne point offenser le céleste père de famille ou même les conviés par son intempérance dans le manger, le boire, les vêtements, les édifices ou les autres bien périssables, évitant tout abus avec une extrême exactitude et regardant en même temps par les yeux de la foi les biens avenir et éternels. Que sert-il en effet à un corps qui doit bientôt être rongé des vers, d’avoir sous ses ailes et ses plaisirs en ce monde avec abondance ? Je suis, dit Job (Job I, 21) je suis sorti nu du ventre de ma mère et j’y retournerai nu. Nous n’apportons en ce monde qu’un corps nu, faible et fragile et nous en sortirons encore plus pauvres que nous n’y étions entrés. Puisqu’en naissant nous avons un corps, une vie et nous trouvons ordinairement nos langes, nos vêtements, notre boire et notre manger déjà tous préparés, au lieu qu’en mourant, il nous faut laisser ces choses.
Toutes les choses de ce monde sont une vraie croix pour les Chrétiens.
Le Chrétien use des créatures avec crainte.
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L'héritage des chrétiens n'est point en ce monde.
Le pain des Chrétiens est un pain de douleur.
VI. En sorte que tout ce que nous avons eu depuis le sein de notre mère jusqu’à à la mort n’a été à la vérité qu’un soulagement de notre misérable nécessité qu’on peut même appeler un pain de douleur et de compassion et cependant la mort en un instant nous en interdit l’usure et la possession. Il n’y a donc rien de plus misérable qu’un homme mort, surtout s’il n’a pas été riche en Dieu.
En esprit nous sommes tous également riches.
VII. Considérez donc, mortels, que vous n’êtes en ce monde, que des étrangers et des passagers, que toutes les choses terrestres ne sont que les soutiens de la nécessité humaine et que bon gré, malgré nous, il les faudra abandonner en mourant. Faites-y réflexion et cessez enfin de rendre votre âme inquiète de telles choses et reconnaissez que c’est une espèce de folie d’amasser de grandes richesses pour un corps caduque et fragile, richesses qu’il n’emportera point de ce monde, mais pensez au contraire qu’il y a un autre monde, un autre corps, une autre vie. Rappelez, dis-je, ô mortels, ces choses dans votre esprit, je parle à vous qui êtes véritablement des étrangers et des passagers aux yeux de Dieu, comme il est dit (Psaumes. XXXIV, 14). Quoique très peu d’entre vous fassent voir par leurs actions qu’ils sont dans ce sentiment, dit le Seigneur (Lévitique XXV, 23).
L’avarice est une espèce de folie.
La méditation ou considération des choses éternelles et temporelles nous conduit à la sagesse.
VIII. Si nous sommes des étrangers en ce monde, il s’ensuit que nous avons autre part notre patrie, ce qui paraîtra visiblement à l’Homme, s’il veut comparer le temps avec l’éternité, le monde visible avec l’invisible, sa demeure terrestre avec la céleste, les choses mortelles avec les immortelles et les caduques avec les éternelles. Par cette comparaison des choses contraires, l’esprit qui y réfléchit en est éclairé et nous apercevons par la foi, qu’il y a beaucoup de choses à la connaissance desquelles ne parviennent point ceux qui ne vaquent pas à cette contemplation et qui par conséquent se vautrent dans les choses de la terre, comme le pourceau dans la boue, plongés dans l’avarice, attachés aux soins et emportés par le désir des choses d’icibas, adonnés aux usures, aveuglés dans l’âme, quoique d’ailleurs d’une vue aussi perçante que celle des lynx, je veux dire dans ce qui regarde leurs intérêts. Ces sortes d’Hommes s’étant une fois dévoués à cette vie fragile et mondaine, l’estiment la seule agréable, la meilleure et
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la plus noble, pendant que les vrais Chrétiens qui jugent sainement les choses, la regardent comme un exil, une vallée de larmes, une caverne de misère, une prison de douleur.
Le monde est une croix et un exil pour les vrais Chrétiens.
IX. Ceux donc qui aiment le monde ne surpassent pas les bêtes en prudence, mourants comme des chevaux, dit le Psalmiste (Psaumes XLIX, 21). Ils ne pensent nullement aux choses célestes, ne se réjouissent point en Dieu mais seulement dans les choses mondaines, dans lesquelles ils se complaisent, se croyant heureux s’ils les ont pu acquérir. Que de tels Hommes sont malheureux, aveugles, animaux, qui étant en ce monde assis dans les ténèbres de l’ignorance et de la mort (Luc I, 79) n’en sortent que pour être jetés dans les ténèbres des peines éternelles. X. Imprimons nous fortement dans l’esprit, que nous sommes étrangers et passagers en ce monde, à l’exemple du Christ, dont nous devons non seulement aimer la doctrine et la vie, mais que nous devons aussi nous proposer comme le modèle de nos mœurs, de nos pensées et de toute la conduite de notre vie. Lui, qui étant le plus noble des Hommes, a cependant volontiers choisi une vie, dans laquelle on ne peut rien remarquer que son extrême pauvreté, son mépris des honneurs, des richesses et des plaisirs qui sont les trois divinités du monde. Ce qui fait avouer au Christ même que (Matthieu IIX, 20) le fils de l’Homme n’a pas où reposer sa tête. XI. Avant que David fût appelé au Royaume, il était pauvre, vile et méprisé. Mais étant devenu Roi, il ne fit aucune estime de toute cette splendeur royale, quand il la compara à la joie que nous procurera la vie éternelle. C’est ce qui lui fait chanter (Psaumes XXCIV, 1, 2, 11) Seigneur des armées, combien sont aimables tes tabernacles, mon âme désire grandement après les parvis de l’éternel. Mon cœur et ma chair tressaillent de joie après le Dieu vivant. Il vaut mieux un jour en tes parvis que mille ailleurs. J’ai, disait David, j’ai un Royaume, j’ai des peuples qui me sont soumis, j’ai des palais, j’ai la forteresse de Sion, mais tout cela ne m’est rien, Seigneur, en comparaison d’habiter dans tes tabernacles. Et Job avait le même sentiment, lorsqu’il se réjouissait et se consolait
Le Christ étranger en ce monde.
Les Saints ont méprisé les choses de ce monde.
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L'héritage des chrétiens n'est point en ce monde.
en son rédempteur (Job XIX, 25). Les Saints ont vécu en Christ.
Les Saints ont été morts à eux et au monde.
Les mondains sont morts en leurs péchés.
La vie de Christ est le livre et la Bible des Chrétiens.
XII. Représentez-vous Pierre et Paul et les Apôtres qui n’ont point appliqué leur esprit à amasser les richesses de ce monde, mais à acquérir celles de l’autre, qui ont pris pour modèle la vie de Christ ; marchant et agissant conformément à sa charité, à sa douceur, à sa patience, ils ont méprisé le monde, souhaité du bien à ceux qui les maudissaient, remercié ceux qui les outrageaient et loué Dieu dans les plus grandes persécutions (Actes V, 21). Et, (1 Corinthiens IV, 12) puisque ayant même été fouettés, il l’on souffert patiemment, disant, c’est par plusieurs afflictions qu’il nous faut entrer dans le Royaume de Dieu (Actes XIV, 22). Enfin, lorsqu’on les mettait à mort, ils ont prié avec Christ : Père, pardonne-leur et ne leur impute point ce péché (Actes VII, 60). Qu’appellerons-nous mourir à la colère, à la vengeance, à l’aigreur, à l’ambition, à l’orgueil, à l’amour du monde et de soimême et au contraire vivre en Christ, en sa charité, en sa douceur, en son humilité, en sa patience, enfin être vivifié par la foi en Christ, si ce n’est agir comme les Apôtres se sont comportés. XIII. Cette noble manière de vivre, dont J.C. nous a donné l’exemple, est entièrement inconnue aux amateurs de ce monde. C’est pourquoi, ne vivant point en Christ et ne sachant ce que c’est que la véritable vie (Éphésiens IV, 23) il s’ensuit qu’ils sont morts en leurs péchés, leur colère, leur haine, leur envie, leur avarice, leurs usures, leur orgueil et leur ardeur pour la vengeance, dans lesquels crimes tous ceux qui sont plongés ne sont pas capables d’une vraie pénitence et ne vivent certainement point en Christ par la foi, quelque persuasion qu’ils aient du contraire. Quant aux vrais Chrétiens, ils comprennent aisément qu’il est de leur intérêt et que c’est leur devoir de suivre les traces du Christ, de conformer leur vie à la sienne et de tirer de lui comme d’un livre et d’un auteur authentique, la règle de leur vie et de leur doctrine. Ces sortes de personnes éprouvent et reconnaissent qu’il n’y a point d’autre vie et que la seule véritable est celle qui est en Christ selon cet axiome : La seule vie du Christ peut tout nous enseigner.
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Ce sont ces sortes de Chrétiens qui disent avec les Apôtres (2 Corinthiens IV, 17) Nous ne considérons point les choses visibles, mais les invisibles. Car les choses visibles sont pour un temps, mais les invisibles sont éternelles. Et (Hébreux XIII, 14) Nous n’avons point ici de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir. XIV. Si nous sommes véritablement des étrangers et si nous n’avons point de cités permanentes en ce monde, il s’ensuit que nous ne sommes pas créés pour ce monde et qu’ainsi il y a une autre patrie, il y a une autre demeure, pour laquelle nous devons croire qu’il est de notre intérêt de sacrifier cent mondes, tels que le présent et notre vie même. Ce que sachant le vrai Chrétien, il se réjouit intérieurement d’être créé pour la vie éternelle et ne s’applique qu’à s’enrichir en Dieu, se moquant de la folie de ces personnes aveuglées par l’amour du monde, qui ne font point difficulté, d’affliger cruellement leurs âmes, pour acquérir les choses fragiles, caduques et périssables de ce monde, jusqu’à s’exposer visiblement à se perdre.
L’Homme est créé, non pour cette vie, mais pour l’autre.
CHAPITRE XVIII Que Dieu est très irrité contre ceux qui préfèrent les choses périssables aux éternelles. Pour quoi et en quoi nous ne devons pas consacrer nos cœurs aux créatures. Nombres XI, 1 Voici que le feu de l’Eternel s’alluma parmi eux et en consuma quelques uns à l’extrémité du camp.
L
e peuple d’Israël qui murmura contre Moïse, disant : Qui nous fera manger de la chair ? Nous nous ressouvenons des poissons et des concombres que nous mangions en Égypte ; est maintenant une figure de ces Hommes qui, sous le prétexte et le titre de l’Évangile, ne cherchent que les choses terrestres, à savoir, les honneurs, les richesses et les voluptés. Ce sont ces sortes de personnes qui se donnent plus de mouvement pour devenir riches, que pour
Symbole du vrai et du faux Chrétien.
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Ne point préférer le périssable à l'éternel.
être heureux qui s’étudient plutôt à plaire aux Hommes qu’à se rendre agréables à Dieu. Enfin, qui s’appliquent plus à contenter les désirs de la chair, qu’à se conformer à la pauvreté de l’esprit. Tout au contraire, les vrais Chrétiens ont pour caractère, d’avoir plus d’égard à leurs âmes qu’à leurs corps, d’avoir plus d’ardeur pour s’acquérir un honneur éternel, qu’une estime passagère qui ne dure qu’un moment, de n’aspirer qu’aux choses invisibles et de négliger les présentes. De crucifier et de faire mourir leur chair, afin que l’esprit vive en eux. Le Christ est la règle de notre vie.
II. En peu de mots, il faut dire que tout le Christianisme consiste à imiter notre Sauveur, ou comme dit Augustin : Le sommaire de la religion, est d’imiter celui que vous adorez. Platon, éclairé des lumières de la nature, ne s’est point éloigné de ce sentiment, lorsqu’il a dit que la perfection de l’Homme consiste dans l’imitation de Dieu. d’où il ne nous reste que de prendre le Christ pour le modèle, le miroir et la règle de notre vie et de porter nos desseins et toutes nos pensées, aux moyens par lesquels nous pourrons parvenir jusqu’à lui, être sauvés par lui, vivre éternellement avec lui, après être délivrés de la prison où nous sommes encore retenus et dont nous attendons la délivrance avec tant d’ardeur et de joie.
Tout se peut faire par la foi.
III. C’est ce que nous obtiendrons, si tous nos travaux, nos actions, nos démarches et notre vocation, en sont que les œuvres de la foi, conjointement avec l’amour et l’espérance de la vie éternelle, ou pour le dire plus clairement, si dans toutes nos actions nous ne nous oublions pas un moment de la vie et du salut éternel.
L’amour du monde s’éteint par la foi.
IV. D’autant que de cette crainte de Dieu, il naît dans l’Homme un saint désir des choses éternelles et qu’en même temps, cette convoitise insatiable des choses de la terre est étouffée et éteinte selon S. Paul (Colossiens III, 17) Quoique vous fassiez par paroles ou par œuvres, faites tout au nom du Seigneur Jésus, rendant grâces par lui à notre Dieu et Père.
Ce qu’est le nom de Dieu.
V. Le nom de Dieu n’est autre chose que l’honneur, la louange et la gloire de Dieu : que ton nom, comme ta louange, ô Dieu, aille jusqu’aux
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extrémités de la terre (Psaumes XLIIX, 2). Si toutes nos œuvres et notre vie ne tendent que là, alors nous ne pensons qu’à l’éternité, nos œuvres sont faites en Dieu (Job III, 21) et elles nous suivront (Apocalypse XIV, 13). VI. En peu de mots, disons que Dieu, qui est le souverain bien et la vie éternelle, doit être comme le premier moteur de toutes nos pensées, nos actions et nos paroles, si nous ne voulons point nous priver du salut et de la vie éternelle. Ce que Paul nous insinue expressément (1 Timothée V, 21) Mais toi, ô Homme de Dieu, fuis ces choses, à savoir, l’avarice. Il appelle le Chrétien, Homme de Dieu, parce qu’il est né de Dieu. Il vit en Dieu est fils et héritier de Dieu. Mais l’homme du monde est celui qui vit d’une manière mondaine et dont le monde est l’héritage et le ventre est rempli des biens de la terre, comme dit le psalmiste (Psaumes XVII, 14). C’est ce que le vrai Chrétien évitera, s’il est animé de la foi et de la charité et s’il soupire après la seule vie éternelle pour laquelle il est créé et à laquelle il est appelé.
Ce qu’est l’Homme de Dieu. Ce qu’est l’Homme du monde.
VII. S’il n’en agit pas ainsi, il commet un péché énorme, que le juste Dieu punira du feu éternel, figuré par cette incendie du camp des enfants d’Israël, que le Seigneur irrité causa par un feu qu’il fit tomber du ciel, pour se venger d’eux et punir leur gourmandise (Nombres XI, 1). VIII. C’est pourquoi toutes les fois que nous voyons arriver ces fléaux et ces plaies, à savoir, l’inondation, l’incendie, les guerres, la faim, la peste, ressouvenons-nous que ce sont des punitions d’un Dieu justement irrité de nos offenses, parce que l’Homme charnel, figuré par le peuple d’Israël, oubliant les choses célestes, ne s’applique qu’à la recherche des choses périssables, préfère le présent à l’avenir et a plus d’attention à son corps qu’à son âme. Ne nous y trompons pas, c’est la dernière de toutes les ingratitudes envers Dieu et c’est un mépris de sa bonté qui ne peut être trop rigoureusement puni, ni en ce monde, ni en l’autre. Quoi mépriser un Dieu à qui nous sommes redevables de notre corps et de notre âme et adorer en sa place les idoles des créatures, préférer l’ouvrage à l’ouvrier et les choses périssables aux éternelles ! Peut-on faire un plus grand mépris de son
D’où vient la colère de Dieu.
De la souveraine ingratitude envers Dieu et de la plus grande injure qu’on lui peut faire.
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Ne point préférer le périssable à l'éternel.
Dieu et de son créateur ? Pourquoi les créatures nous ont été données ?
IX. Les choses créées ne nous ont été données, que pour la nécessité, mais nullement pour que nous leur consacrions notre cœur et notre âme, ce que Dieu seul s’attribue justement, mais afin qu’elles nous fussent comme des vestiges, des traces, des marques, des témoignages de Dieu, par le moyen desquels nous puissions parvenir à la connaissance et à l’amour de l’auteur de notre être.
L’amour du monde est changé en feu de Sodome.
X. Lorsque l’amour du monde ose se mêler à cet ordre que Dieu a établi, alors par une juste vengeance et punition du Seigneur, cet amour profane se change contre ceux qui en sont idolâtres, en un déluge infernal et tout de feu, dont Sodome et Gomorrhe ont été la figure (Genèse XIX, 24) aussi bien que cet embrasement du camp des Israélites, dont nous avons parlé.
Comment la créature devient une abomination.
XI. Toutes les créatures sont certainement bonnes d’ellesmêmes, mais lorsque l’Homme y attache son cœur et ne les aime pas seulement d’un amour légitime et qui ne lui est point défendu mais s’en fait des idoles, alors elles sont une abomination devant Dieu et lui deviennent aussi exécrables que ces Dieux d’or et d’argent, qui serviront de matière au feu éternel, quoique l’or et l’argent soient d’eux-mêmes de bonnes créatures.
Fruits de l’amour du monde.
XII. En un mot, l’amour, la joie, les richesses et les honneurs des Chrétiens ne regardent que l’éternité et sont des apparences de la vie éternelle, car où est votre trésor, là est votre cœur (Luc XII, 34 et Matthieu VI, 21). Au contraire de l’amour et de la convoitise de ce monde il ne peut s’ensuivre qu’une damnation éternelle, car le monde passe avec ses pompes, mais celui qui aura fait la volonté de Dieu, demeure éternellement (1 Jean II, 17). Et le même Apôtre (1 Jean II, 15) conjure ainsi les fidèles : Mes enfants, n’aimez pas le monde, ni les choses qui sont dans le monde. Par ces paroles il nous fait manifestement connaître que Dieu ne veut pas que nous aimions aucune créature :
Pourquoi il ne faut pas aimer les créatures ?
1. Parce que l’amour est le cœur de l’Homme même et la plus noble
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de ses affections, qui par conséquent n’est dû qu’à Dieu seul, comme au souverain bien. 2. Parce que c’est une grande folie d’aimer ce qui ne peut nous rendre amour pour amour. Aussi est-ce en vain qu’on aime les choses périssables et fragiles, au lieu que c’est avec raison que nous aimons Dieu seul, qui par un amour extrême nous a créé pour la vie éternelle, nous a racheté et sanctifié. 3. Parce que nous aimons naturellement ce qui nous ressemble. C’est pour cela que Dieu t’a créé à son image et à sa ressemblance, afin que tu l’aimas et ton prochain comme toi-même. 4. Quoique notre âme soit comme une cire qui représente les figures de tout ce qu’on y imprime et même que, comme un miroir elle nous fasse revoir tous les objets qui lui sont opposés, tantôt le ciel et tantôt la terre. Cependant elle n’est proprement destinée qu’à nous représenter Dieu. 5. Comme le patriarche Jacob, bien qu’il vécu parmi les étrangers en Mésopotamie et qu’il eu déjà acquis deux femmes par vingt années de service et même reçu la récompense qu’il méritait, ne laissa pas de songer à retourner en sa patrie incité par l’agréable souvenir qui lui en revenait continuellement en l’esprit. Ainsi notre âme, malgré les occupations de ce monde et les affaires que lui donnent l’emploi auquel elle est appelée, doit toujours, comme une pierre d’aimant, se tourner vers le pôle de l’éternité, sa vraie patrie. 6. Parce que les Hommes sont bons ou mauvais, selon ce qu’ils aiment, celui qui aime Dieu participera à toutes sortes de vertus et d’honneurs, au lieu que celui qui aime le monde, se souillera de toutes sortes de péchés et de crimes. 7. Comme le Roi Nabucadnetsar, pour avoir trop aimé le monde après avoir perdu la figure d’Homme, fut changé en celle de bête (car puisque l’écriture dit expressément qu’il recouvra enfin son ancienne forme (Daniel IV, 32) il s’ensuit qu’il doit l’avoir perdue) ainsi tous ceux qui se livrent à l’amour du monde, effacent l’image de Dieu dans leurs cœurs et deviennent selon l’Homme intérieur, des loups, des chiens, des lions et des ours. Enfin, selon ce qu’un chacun est icibas en son cœur, il sera manifesté dans l’autre vie et y sera possédé de Dieu ou du monde. Or celui qui ne s’attache qu’au monde, y sera
Ce que notre âme doit toujours considérer. Fruits de l’amour.
L’amour du monde fait une bête de l’Homme.
Manifestation des cœurs dans l’autre monde.
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Le plus pauvre en son cœur et le plus cher à Dieu.
changé en ce feu infernal qui nous est ici figuré.
CHAPITRE XIX Celui qui se croit le plus pauvre en son cœur et à son jugement, est le plus aimé de Dieu et par conséquent, c’est par une connaissance chrétienne de notre propre misère, qu’on peut obtenir sa grâce. Isaïe LXVI, 2 A qui regarderais-je ? Si ce n’est à celui qui est pauvre et affligé, qui a l’esprit brisé et qui tremble à ma parole ? Du mépris de soi-même.
L
e Seigneur, plein de douceur et de miséricorde, ne nous a déclaré cette sentence par son prophète, que pour relever et encourager nos âmes, accablées de tristesse. Quiconque donc veut se le rendre favorable, doit à son jugement se croire pauvre, misérable et indigne de la grâce de Dieu et de la consolation des Hommes et ne considérer que le Christ par la foi. II. Quiconque s’estime être quelque chose n’est pas encore pauvre d’esprit, ni capable de la grâce divine, sur quoi S. Paul dit (Galates VI, 3) Si quelqu’un pense être quelque chose, encore qu’il ne soit rien, il se trompe lui-même. Car Dieu seul est tout et si tu veux bien apprendre à le connaître, il ne te faut pas seulement savoir qu’il est lui seul, mais il faut le croire ainsi en ton cœur et t’en convaincre toi-même. III. Si tu veux donc rendre gloire à Dieu et montrer en effet qu’il est tout, il est nécessaire que tu exerces un sérieux jugement contre toi-même et que tu croies fermement que tu n’es rien à l’exemple de David, qui répondit à Michol qui le méprisait comme un bouffon, parce qu’il dansait devant l’arche du Seigneur Je me rendrai encore plus vil que je n’ai paru (2 Samuel VI 12,22).
La matière dont Dieu fait les fous.
IV. Celui qui veut être quelque chose est la matière dont Dieu ne fait rien, ou plutôt dont il fait les fous. Mais celui qui désire n’être
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point estimé et qui n’est rien à son jugement, est la matière dont le grand ouvrier de l’univers fait quelque chose et forme les héros. Quiconque se reconnaît devant Dieu le plus misérable et le moindre des Hommes en est regardé comme le plus grand et le plus estimable. Et quand il nous semble que nous sommes les derniers des pécheurs, Dieu nous met au nombre des plus saints. V. Voilà l’humilité que Dieu relève, la misère qu’il considère. Ce rien, enfin, dont Dieu, comme il fit à l’égard de ce monde visible, a coutume de former et de créer de nouveaux Hommes. VI. Nous en avons l’exemple en David, dont le Seigneur considérant la bassesse et voulant récompenser l’humilité, fit un ouvrage si honorable en le faisant élire Roi. Et en Jacob, qui dit (Genèse XXXII, 10) Je suis trop petit au prix de toutes les compassions dont tu as usé envers ton serviteur. VII. Auquel degré d’honneur et de gloire, le Père céleste n’at-il pas élevé le Christ qui s’était mis au-dessous du fort commun des Hommes et s’était rendu pour nous anathème et même semblable à un ver (Psaumes XXII, 7) enfin le plus vil et le plus méprisé d’entre les enfants des Hommes (Esaïe LIII, 4). VIII. Comme un ouvrier qui doit travailler et donner son chef d’œuvre prend une nouvelle matière et qui n’a encore été entre les mains de personne, de même il faut que l’Homme dont Dieu veut faire quelque chose, ne soit rien. Mais celui qui s’élève jusqu’à se croire être quelque chose, ne peut être la matière des ouvrages que Dieu prend plaisir à faire, puisqu’il faut que ce soit un rien et une matière sans forme, dont le Seigneur fasse des ouvrages merveilleux. La vierge Marie ne l’ignorant pas, disait (Luc I, 48) Il a regardé l’humilité de sa servante, voici désormais que toutes les générations me diront bienheureuse. IX. Au reste, celui-là est véritablement et intérieurement misérable, qui ne se juge digne d’aucun bienfait divin, soit corporel, soit spirituel. Car celui qui s’en estime digne, croit être quelque chose,
Dieu a fait tout de rien.
L’Homme ne se doit juger digne d’aucun bien.
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Qu’est-ce qui appartient proprement à l’Homme ?
Le plus pauvre en son cœur et le plus cher à Dieu.
lorsqu’en effet il n’est rien et est par conséquent fort éloigné de la grâce divine, qui ne saurait nullement souffrir l’arrogance. Qui se juge digne de quoique ce soit, ne reçoit pas tout gratuitement de Dieu. Or tout ce que nous désirons qui nous arrive divinement, est un effet de la grâce et non pas de notre mérite. De plus, l’Homme n’a rien de propre, que la misère et la faiblesse, tout le reste appartient à Dieu et vient de lui.
L’Homme est une ombre.
X. L’Homme, n’est qu’une ombre. Qu’est-ce que l’ombre d’un arbre en soi ? Rien. Mais si l’arbre se meut, l’ombre se meut aussi. Qui fait ce mouvement ? Ce n’est pas l’ombre, c’est l’arbre. Ainsi l’Homme reçoit de la main de Dieu, selon l’Apôtre S. Paul (Actes XVII, 28) C’est par lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être. Quoique les pommes de l’arbre paraissent à l’ombre, elles ne sont pas pour cela de l’ombre, mais de l’arbre. Pense semblablement que les bons fruits que tu portes ne t’appartiennent pas. De même que la pomme ne croît point du bois, ainsi que se l’imagine le vulgaire ignorant, quoiqu’il en pense, comme un enfant des mamelles de sa mère, mais de la vertu du centre de sa semence, autrement tous les arbres secs et arides porteront aussi des pommes.
L’Homme est un arbre stérile.
XI. En général, les Hommes sont des arbres infructueux et arides, le Seigneur seul leur donne une force végétative et toute leur vigueur selon le Psalmiste (Psaumes XXVII, 2) Le Seigneur est la force de ma vie ; Selon le Christ (Luc XXIII, 31) Si on fait ces choses au bois vert, que fera-t-on au bois sec ? Et le Seigneur dit on Osée (Osée XIV, 19) Je l’exaucerai et le dirigerai comme un Pin verdoyant, ton fruit se trouvera en moi. Et notre Sauveur (Jean XV, 5) Si vous demeurez en moi, vous porterez beaucoup de fruits.
Regard de Dieu.
XII. Quand un homme pauvre dans son cœur, s’estimant de peu de valeur, met toute sa confiance à la seule grâce divine en Christ, c’est alors que Dieu jette les yeux sur lui. Regard qui ne se fait pas d’une manière humaine, sans force et sans efficace, mais qui est plein de vertu, de vie et de consolation. Comme il n’y a que les cœurs contrits qui soient capables de ce regard divin, plus il est
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serein, aimable et fréquent, moins ces sortes de cœurs s’en croient dignes. Humilité figurée en Jacob, qui nous assure (Genèse XXXII, 10) qu’il est bien au-dessous de toutes les miséricordes que Dieu lui fait et des bénédictions temporelles qu’il lui accorde. A son exemple, un cœur vraiment humble et contrit se croit et s’écrie indigne de la moindre consolation céleste : Ô Seigneur, mon âme ta servante, est indigne de l’amour immense et de la miséricorde que tu lui as enseignée en J.C. Voici, depuis que tu m’as donné ton fils, je marche accompagné de deux troupes, je veux dire, des biens de la grâce et de la gloire. En effet, quand l’Homme verserait autant de pleurs qu’il y a d’eau dans la mer, il ne serait pas pour cela digne de la moindre consolation céleste. Car c’est une pure grâce de Dieu, au lieu que le mérite de l’Homme n’est autre chose que d’être digne d’une peine et d’une damnation éternelle. XIII. Si quelqu’un reconnaît véritablement ces choses par la foi, il ne peut désavouer sa misère et il en est convaincu et c’est alors qu’il est regardé de Dieu. Parce que sans cet aveu et cette connaissance l’Homme ne peut trouver de grâce. C’est pourquoi S. Paul (2 Corinthiens XI, 30 et XII, 9) dit : Je me glorifierai plus volontiers de mes faiblesses, afin que la vertu de Christ habite en moi. Et Dieu est si bon et si miséricordieux qu’il ne veut pas permettre que son ouvrage voit la corruption, mais plus il est faible de lui-même, plus il lui est donné de force d’en haut, selon ce que dit le Seigneur à Paul : (2 Corinthiens XII, 9) Ma grâce te suffit, car ma vertu s’accomplit dans la faiblesse.
Le vrai humble ne se croit d’aucune chose.
Quels malheureux Dieu regarde ?
XIV. Aussi, plus un Chrétien se croit faible et misérable en son cœur, plus le Seigneur le considère pour donner à connaître les richesses de sa gloire dans les vaisseaux de miséricorde (Romains IX, 23) Et il le visite, sans que son mérite l’y engage, par des consolations célestes, plus sincères et plus véritables que toutes les joies humaines. XV. Quand nous parlons d’un Homme qui se reconnaît misérable nous n’entendons pas celui qui est pauvre et dépourvu de tous les secours humains, mais celui qui se reconnaît pécheur. Car sans le péché, il n’y aurait point de misère en ce monde qui ne peut être si grande, que l’Homme ne soit digne d’en éprouver une plus
Pourquoi l’Homme est misérable ?
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Le plus pauvre en son cœur et le plus cher à Dieu.
grande. L’Homme n’est digne d’aucune grâce divine.
La meilleure action de l’Homme.
Ce que l’Homme doit principalement déplorer. La foi est la porte de la grâce.
La Magdelene mystique.
Il ne doit donc pas se plaindre de ce qu’il ne reçoit point de Dieu de grands bienfaits, puisqu’il n’est pas digne du plus petit, ni même de la vie qui lui est si gratuitement accordée. Quoique la chair et le sang ne puissent entendre un tel sentiment qu’avec indignation. Cependant pour ne point déguiser la vérité, si nous voulons obtenir la grâce de Dieu, il faut que nous soyons un juge sévère de nous même, pour punir rigoureusement nos péchés. XVI. De quoi l’Homme doit-il se glorifier et à quel sujet ouvrira-t-il plus à propos sa bouche ? Je pense que l’Homme ne peut prononcer de plus justes paroles que ces deux mots. Seigneur j’ai péché, sois favorable à un pécheur tel que je suis. Certainement, Dieu n’exige rien d’avantage de l’Homme, que de pleurer ses péchés et d’implorer sa grâce. Celui qui néglige ces deux choses doit être réputé avoir perdu la meilleure part. Prends donc garde, ô Homme, de ne verser des larmes que par compassion pour ton corps. Soit parce qu’il est nu, qu’il est tourmenté de la faim et de la soif, qu’il souffre persécution, qu’il est dans les chaînes. Soit parce qu’il est misérable, faible ou malade. Aie plutôt pitié de ton âme, et pleure sur cette fatale nécessité où elle est d’habiter dans la chair et le sang, sujets au péché et à la mort. Malheureux Homme que je suis, s’écrie S. Paul (Romains VII, 24) qui me délivrera de ce corps de mort ? Et c’est cette connaissance Chrétienne de notre propre misère, c’est cette repentance altérée de la grâce, c’est cette foi qui nous unit à J.C. seul, ce sont ces choses qui nous ouvrent la porte de la grâce en Christ. Porte par laquelle Dieu vient en notre âme. (Apocalypse III, 20) Aie donc du zèle et te repens. Voici, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, j’entrerai vers lui, je souperai avec lui et lui avec moi. Souper, qui n’est autre chose que la rémission des péchés, la consolation, la vie, et la béatitude. C’est à cette porte de la foi, que notre Dieu très clément vient en son temps au-devant de l’âme la plus misérable (Psaumes LXXXV, 11, 12) Là, la vérité germe de la terre et la justice regarde des cieux. Là, la miséricorde et la vérité se rencontrent, la justice et la paix s’entre baissent. Là, la Magdelene pécheresse, je veux dire, l’âme de l’Homme toute
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confuse et baignée de larmes, oint les pieds du Seigneur, les lave de ses larmes et les nettoie des cheveux de la plus profonde humilité. Là, le Pontife spirituel et mystique, revêtu des saints ornements de la foi, offre la vraie victime, ce cœur contrit et humilié et brûle l’encens d’une sérieuse pénitence et de la contrition. J’entends ces larmes causées par le regret des péchés commis et cette vraie eau lustrale ou purifiante, afin que les Israélites mystiques soient lavés et purifiés par la foi, et par l’efficace du sang de Christ.
Pontife mystique et la victoire des Chrétiens.
XVII. Jusqu’ici il est aisé de voir, chers Chrétiens, que c’est par la connaissance et l’aveu de votre propre misère et par la foi en Christ, que vous obtenez la grâce de Dieu, en sorte que, plus chacun s’estime misérable, plus il est cher à Dieu et en est comblé de plus grandes grâces.
CHAPITRE XX Que c’est par une contrition chrétienne que notre vie s’amende tous les jours et devient plus capable de posséder le Royaume de Dieu et la vie éternelle. 2 Corinthiens VII, 10 La tristesse qui est selon Dieu, produit une repentance à salut, dont on ne se repent jamais, mais la tristesse de ce monde produit la mort.
L
e vrai Christianisme consiste dans une foi pure, en la charité et une vie sainte. Or, la sainteté de la vie vient d’une sérieuse contrition, d’une véritable pénitence et d’une exacte connaissance de soi-même, apprenant tous les jours à reconnaître de plus en plus ses défaut, à les corriger et par la foi, à participer à la justice et à la sainteté de christ (Corinthiens I, 30)
D’où vient la sainteté.
II. Avantages que nous ne pouvons obtenir qu’en marchant comme de bons enfants et de fidèles sujets dans une continuelle crainte de Dieu, sans avoir aucune indulgence pour notre chair. Toutes choses me sont permises, dit S. Paul (1Corinthiens VI, 13) mais toutes choses ne sont pas expédientes, c’est à dire, propres à me rendre meilleur.
Crainte de Dieu.
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Notre vie s'amende par la vraie contrition.
Car comme un fils dans la maison de son père ne fait jamais tout ce que sa passion lui suggère, mais observe son père avec crainte et consulte ses yeux lorsqu’il lui faut dire ou faire quelque chose, ainsi un vrai Chrétien et un enfant de Dieu, corrigera ses sentiments par une modestie Chrétienne, ne fera et ne dira riens sans la crainte de Dieu. Les joies de ce monde éteignent la crainte de Dieu.
Renouvellement de l’Homme avec ses fruits.
Perte de l’âme causée par la joie de ce monde.
Avantages que l’on tire de la méditation de la joie éternelle et des tourments sans fin. Quels sont les empêchements de la joie et de la tristesse spirituelle ?
III. Mais la plupart, n’ayant pas la crainte de Dieu, se livrent aux voluptés de ce monde, ne sachant pas qu’il est plus expédient de craindre toujours Dieu, que de s’attacher aux joies et plaisirs de ce monde. Car la crainte de Dieu est la source et l’origine de la sagesse et de la dévotion, qui sont bientôt éteintes en nous, quand nous suivons la convoitise et les délices du monde. IV. Comme l’Homme se renouvelle de jour en jour par une continuelle contrition ou tristesse intérieure d’avoir offensé Dieu et par la mortification de sa chair, selon l’Apôtre (2 Corinthiens IV, 6) Quoique notre homme extérieur se corrompe, cependant notre intérieur se renouvelle tous les jours, en portant des fruits célestes et divins d’une douceur inexprimable, de même la volupté de ce monde produit au contraire la tristesse, le ver et le tourment du cœur. Bien plus, la misère de l’âme est si grande, aussi bien que la perte des dons célestes qui nous est causée par les désirs de la chair et les délices de ce monde, que celui qui voudra les rappeler dans son esprit, ne pourra ne pas détester toutes les joies mondaines et s’en détourner. V. Il y a deux choses auxquelles si l’Homme pense sérieusement, il ne sera jamais épris des joies de ce monde, ni attristé des malheurs qui lui arriveront. L’une est la peine éternelle des damnés, que l’on ne peut considérer attentivement, sans renoncer pour toujours à la joie et aux plaisirs passagers. L’autre est la vie éternelle, dont on ne peut méditer l’excellence, sans se résoudre à supporter patiemment toutes les adversités de ce siècle, qu’une telle pensée est si capable d’adoucir. Mais ne faisant presqu’aucune réflexion à l’une, ni à l’autre, faut-il s’étonner, que ne ressentant point les mouvements d’une contrition et d’une tristesse salutaire, nous n’éprouvions en aucune manière
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dans notre cœur les avant-goûts de la joie céleste ? VI. C’est le devoir du Chrétien de ne point prendre trop de plaisirs aux choses temporelles, mais d’en user modérément, toujours occupé de son Dieu et de la vie éternelle. Il ne doit point aussi se laisser trop abattre par les calamités qui lui surviennent en ce monde, quoique d’ailleurs il ne puisse assez déplorer toute sa vie la perte d’une âme. Car le Chrétien ne perd ici bas aucun bien périssable, qu’il n’en reçoive le centuple dans l’autre vie (Matthieu XIX, 29) au lieu qu’il ne peut recouvrer son âme quand elle est une fois perdue. VII. Bienheureux est donc l’Homme qui éprouve et cette divine tristesse et cette joie spirituelle et céleste. Mais souvent, nous rions sans mesure, lorsqu’il faudrait plutôt pleurer, puisqu’il n’y a point de vraie liberté, ni de contentement, que celui qui vient de la crainte de Dieu et de la conscience, laquelle nous ne pouvons avoir, ni conserver que par la foi et une vie sainte. La foi accompagnée d’une tristesse divine, corrige de jour en jour par le saint esprit les défauts de l’Homme. Or quiconque néglige de s’en corriger chaque jour, perd ce qu’il y a de plus avantageux pour l’Homme pendant cette vie. Il met obstacle à sa nouvelle naissance, empêche que le royaume de Dieu ne soit en lui et ne peut être délivré de l’aveuglement de son cœur.
Quelle est la vraie cause de la joie ou de la tristesse ?
La tristesse et la joie divine.
Empêchement du Royaume de Dieu.
VIII. D’où il s’ensuit que celui-là seul mérite le nom de prudent et de sage, qui évite très soigneusement tout ce qui peut être nuisible à l’amendement de sa vie et à l’accroissement de dons célestes et qui ne se propose pas de s’abstenir seulement des choses qui pourraient causer du dommage à son corps ou à ses biens, mais encore beaucoup plus de celles qu’il fait être à charge et pernicieuses à son âme.
Qui est celui qui est prudent ?
IX. Apprenez à combattre en Hommes, certains qu’une mauvaise coutume doit être surmontée par une meilleure, selon S. Paul (Romains XII, 21) Ne soyez point surmontés par le mal, mais surmontez le mal par le bien. Vous n’avez pas raison de croire vos maux incurables,
Pourquoi il faut journellement se corriger ?
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Notre vie s'amende par la vraie contrition.
pourvu que vous tourniez vos pensées vers vos propres défauts et que vous ne vous amusiez point à réfléchir curieusement sur ceux des autres : Considérez-vous toujours vous-mêmes avant que de juger les autres et exhortez-vous vous-mêmes, avant que de prendre la liberté de blâmer votre frère (Sir. XVIII, 21). Un vrai motif de la tristesse Chrétienne.
X. Si cette tristesse continuelle et cette contrition spirituelle vous fait mépriser, calomnier et haïr des Hommes, prenez garde de vous en affliger. Soyez plutôt triste, de ce que portant le nom de Chrétien, vous ne vivez pas aussi Chrétiennement, que vous devriez, ne faisant point des œuvres convenables à cette dignité. Il vous est bon et salutaire, que le monde vous attriste, afin que Dieu fasse toute votre joie, selon Esaïe (Esaïe LVII, 15) J’habiterai dans le lieu haut et saint et avec celui qui a le cœur brisé et qui est humble d’esprit, afin de vivifier l’esprit des humbles et le cœur des contrits.
La joie du monde et celle du ciel sont contraires.
XI. Il est impossible que le cœur humain reçoive en même temps une joie divine et une joie mondaine, il y a trop de différence et d’antipathie entre l’une et l’autre, puisque celle du monde ne provient que de la prospérité et celle du ciel de l’adversité. XII. J’avoue qu’il n’est pas naturel de se réjouir des adversités, comme S. Paul le dit (2 Corinthiens VI, 10) Comme tristes et toutefois toujours dans la joie. Comme pauvres et toutefois enrichissant plusieurs. Comme n’ayant rien et possédant toutes choses. Mais la grâce de Dieu corrige et change la nature, c’est pour cela que les Apôtres se réjouissaient d’avoir eu l’honneur de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus (Actes V, 41).
Le Chrétien se réjouit dans les adversités.
XIII. Un Chrétien est une nouvelle créature à qui l’affliction cause de la joie pendant que le vieil Homme en est troublé et attristé, nous nous glorifions, dit S. Paul, même dans les afflictions (Romains V, 3). La joie qui vient d’en haut est bien plus noble que celle de la terre et c’est cette joie céleste que ressent et reçoit par la faiblesse et par les mépris, celui qui est à Christ. Que si nous ne la ressentons pas, nous devons nous persuader que c’est notre propre faute et l’effet de notre trop grand amour pour le monde.
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XIV. Le vrai humble s’estime digne des afflictions et des calamités, mais indigne de la consolation divine. Cependant, plus il s’en regarde indigne, plus Dieu le visite et le console. Et plus il déplore ses péchés, moins il a d’affliction pour le monde, moins il y trouve de consolation. Il devient même à charge et tous ses plaisirs lui semblent amers. XV. Quiconque se considère bien soi-même, trouve plus de sujets de pleurer, que de se réjouir, et qui examine de près la vie des autres y trouvera plus de motifs d’en avoir compassion que de leur porter envie. Pourquoi Christ pleurait-il sur Jérusalem, qui le persécutait et demandait sa mort ? (Luc XIX, 41) C’est qu’il déplorait son aveuglement et ses péchés. Pensons qu’il nous en faut faire de même et que nous n’avons point de matière plus digne de nos larmes que nos péchés et l’impénitence des Hommes. XVI. Si l’Homme repassait aussi souvent dans sont esprit qu’il lui faut mourir et aller rendre compte de sa vie devant Dieu, qu’il pense des fois à se procurer les nécessités de la vie, il serait plus triste qu’il n’est et plus exact et ardent à faire pénitence et à s’amender. Que si le même Homme rappelait dans son esprit ce qu’il a lu ou entendu des tourments éternels, il ne pourrait ne pas mépriser le monde et en estimer toutes les afflictions et les tristesses agréables en comparaison de ces peines sans fin. Sentiments de dévotion, dont nous sommes d’autant plus éloignés, que nous sommes trop enchantés des charmes et des flatteries de ce monde. XVII. En un mot, le Chrétien doit fermement se persuader que son esprit est mort, si son corps se porte trop bien et nage dans les plaisirs. Mais que son esprit vivra s’il crucifie sa chair avec ses désirs et ses convoitises. Car ils se donnent réciproquement la mort. Si donc l’esprit doit vivre, il faut que le corps meure spirituellement et soit offert en sacrifice vivant (Romains XII, 1). XVIII. C’est cette manière de vivre que tous les saints ont
Vraie humilité.
Nous avons plus de sujets de pleurs que de ris.
Motif d’amendement.
Motif de patience.
La vie de la chair est la mort de l’esprit.
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Pain de larmes.
Notre vie s'amende par la vraie contrition.
observée dès le commencement du monde, mangeant et buvant avec actions de grâces, le pain et le calice de larmes, selon David (Psaumes LXXX, 6) Tu nous nourriras de pain de larmes et tu nous abreuveras de pleurs à grande mesure. Et (Psaumes XLII, 4) Mes larmes m’ont été au lieu de pain, jour et nuit, en sorte que j’ai même oublié de manger mon pain (Psaumes CII, 5). XIX. Mais la foi mêle et assaisonne ce pain de larmes d’une merveilleuse douceur et cette boisson de pleurs est exprimée des tendres raisins des cœurs les plus religieux, par une vraie pénitence et par cette tristesse de l’âme repentante, qui opère un salut permanent.
Fruits de la tristesse de ce siècle.
XX. Au contraire, La tristesse de ce monde produit la mort, selon S. Paul (2 Corinthiens VII, 10), tristesse qui ne vient que de la perte d’un honneur temporel et des biens périssables et est souvent si violente et si pleine d’impatience, qu’elle porte les Hommes jusqu’à se pendre, ou s’ôter la vie par le fer. Combien d’exemples en lisonsnous dans l’histoire païenne ? Il est convenable, que des chrétiens aient des sentiments plus modérés, eux qui savent que c’est une chose indigne, de mépriser, pour la perte des biens fragiles, une vie qui nous doit être d’un plus grand prix que tout ce qu’il y a dans ce bas monde. XXI. Ne vous affligez point de la perte de ces bien temporels, mais pour la perte d’un bien éternel, puisque nous ne possédons qu’un moment les biens de ce monde, ou que la mort nous les ravit entièrement. Lorsque l’Homme mourra, dit le Psalmiste, (Psaumes XLIX, 18) il n’emportera rien et sa gloire ne descendra point après lui. Loi également imposée à tous et le corps du Roi ne pourrira pas moins que celui du pauvre. Car alors un chien vivant est meilleur qu’un lion mort, dit Salomon (Ecclésiaste IX, 4). Cependant il engloutira la mort à toute éternité et l’enveloppe redoublée qu’on voit sur tous les peuples et il essuiera les larmes de dessus tout visage (Esaïe XXV, 7, 8). XXII. C’est pourquoi souvenez-vous de supporter patiemment la perte de ces choses temporelles et que tout le monde
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vous paraisse d’un moindre prix que votre âme pour laquelle le Christ a bien voulu mourir. Si vous n’aviez pas tant d’amour pour les choses périssables, vous seriez moins troublé de leur perte. La condition des choses aimées étant que plus on les a désirées, plus on en regrette la perte. Et c’est ainsi que le travail des insensés les tourmente et leur est amer. Labor stultorum affliget eos (Ecclésiaste X, 15).
L’amour du siècle cause la tristesse.
XXIII. Les enfants de ce siècle acquièrent leurs biens par de grands travaux, ils ne les possèdent pas avec moins de crainte de les perdre et ne les abandonnent qu’avec une extrême douleur. Telle est la tristesse de ce monde qui cause la mort. XXIV. Nous lisons dans l’Apocalypse (Apocalypse XIV, 11) que ceux qui adorèrent la bête n’eurent aucun repos. Auxquels sont semblables tous ceux qui adorent cette bête des richesses qui leur semble si belle, aussi bien que le désir de les amasser et même l’avarice qui rend ces sortes de personnes si misérables et si inquiètes. Nous les pouvons justement comparer aux chameaux et aux mulets car comme ces animaux portant à travers les rochers et les sommets des montagnes des étoffes de soie, des pierre précieuses, des aromates, des épiceries et les vins les plus excellents, ont autour d’eux beaucoup de valets qui les gardent et les accompagnent, mais sitôt que vers le soir ils sont arrivés à l’écurie, on leur ôte leurs précieuses couvertures, leurs ornements et les riches marchandises dont ils sont chargés, pour laisser voir les coups de fouet qu’ils ont reçus et les laisser seuls et tout nus, se reposer. Ainsi ceux, qui en ce monde ont brillé en or et en soie à l’extrémité de leur vie ou à la fin de leur journée, ne peuvent laisser voir que les marques des coups de fouet et les cicatrices des péchés qu’ils ont commis en abusant des richesses, dont le seul usage leur était accordé.
D’où viennent les troubles de l’âme.
XXV. Apprenez donc, apprenez à quitter le monde, avant qu’il vous quitte avec tant de chagrin. Celui qui en agit ainsi, délaissant même pendant sa vie, le monde en son âme, avant qu’il le lui faille abandonner avec le corps, meurt joyeux et la perte qu’il en fait ne peut l’affliger. Comme les enfants d’Israël, voulant quitter l’Égypte, et étant
Comment il faut quitter le monde dans le monde.
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Du vrai culte divin.
sur le point de le faire, n’en étaient que plus accablés de travaux par Pharaon qui ne songeait qu’à les exterminer (Exode V, 9). Ainsi le démon, ce Pharaon infernal qui porte envie au bonheur et au salut éternel que nous espérons, ne cesse de nous inspirer d’autant plus de soin et d’ardeur pour les choses terrestres que nous approchons de la mort qui nous en doit séparer. Nous n’emportons rien de ce monde.
XXVI. Aveuglement d’autant plus déplorable, qu’il n’est que trop évident que nous ne pouvons rien emporter dans le royaume des cieux de tous ces biens de la terre, ni même notre propre corps jusqu’au jour heureux de la résurrection. Le chemin de la vraie vie est si étroit, qu’il empêche toutes les choses terrestres dont l’âme serait chargée, d’y pouvoir pénétrer. La voie qui mène à la vie est étroite et il y en a peu qui la trouve, dit le Sauveur (Matthieu VII, 14). Comme un laboureur dans son aire sépare le grain de la paille, ainsi la mort délie la bonne semence des âmes fidèles de la paille des choses mondaines, car elles ne sont en effet que des pailles que le vent porte çà et là (Psaumes I, 4). XXVII. Faites seulement en sorte de penser toujours à ce que Paul vous dit, que la tristesse, qui est selon Dieu, produit une repentance à salut, dont on ne se repent jamais ; que la tristesse de ce monde produit la mort.
CHAPITRE XXI Quel est le vrai culte Divin ? Lévitique X, 1-2 Les enfants d’Aaron offrirent devant le Seigneur un feu étranger et le feu sortit de devant le Seigneur, qui les dévora.
Faux culte de Dieu.
C
e feu étranger nous figure un faux culte de Dieu, puisque ce feu ne venait point de celui qui brûlait continuellement sur l’autel et par lequel, selon l’ordre du Seigneur les holocaustes étaient enflammés. Les fils d’Aaron méritaient donc justement d’être dévorés par des flammes qui
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vengeassent violemment l’ordre du Seigneur. II. C’est ce zèle vengeur du juste Dieu que s’attirent ceux, qui suivant leur seul caprice par le mouvement d’une dévotion singulière et la présomption qu’ils ont de leur prétendue sainteté, controuvent et se forment une manière d’adoration et de culte, que Dieu n’a pas ordonné et par lequel même il ne veut point être servi mais qui excite sa jalousie, sa colère et sa vengeance, qui est un feu dévorant (Deutéronome VI, 15). III. Il nous faut maintenant savoir en quoi consiste ce vrai culte de Dieu, de peur que tombant dans une semblable erreur, nous ne méritions et n’éprouvions aussi l’indignation du Seigneur. Car la peine du feu temporel, dont il punit ce faux culte de sa divinité dans l’Ancien Testament, nous est une preuve qu’il veut également dans le Nouveau, se venger sévèrement des fausses religions, tant par le feu éternel que par les guerres et les ravages des provinces, des royaumes et des terres, ce qui ne semble plus terrible, que ce feu, qui dévora les enfants d’Aaron. IV. La nature et la manière du vrai culte divin nous sera facile à connaître, en conférant le vieil et le Nouveau Testament. Dans l’ancien, il était tout extérieur et plein des ombres et des figures du Messie, quoique d’ailleurs auguste par les cérémonies, que cette nation grossière était obligée d’observer à la lettre, dans lesquelles cérémonies et figures les fidèles d’entre les Juifs apercevant le Messie, comme d’un lieu élevé, sont sauvés en lui par la foi, selon la promesse divine. Mais le culte, que Dieu exige dans le Nouveau Testament, ne consiste point dans ces figures extérieures, ces cérémonies, ces traditions et ces lois de contraintes. Il est tout intérieur, en esprit et en vérité et en la foi en Christ, parce que par lui, toute la loi morale et cérémonielle est accomplie : le temple, l’autel, le sacrifice, l’arche, et le sacerdoce. D’où il s’ensuit, que nous sommes établis dans la liberté chrétienne, délivrés de la malédiction de la loi (Galates III, 13) et de toutes les cérémonies Judaïques (Galates V, 1) en sorte que nous servons Dieu d’un cœur libre par le Saint Esprit qui habite en nous (Jérémie XXXI,
Sa punition.
Vrai culte de Dieu.
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Du vrai culte divin.
33) et (Romains IIX, 14) notre foi et notre conscience n’est point liée et contrainte par aucune tradition des Hommes. Le vrai culte de Dieu consiste en trois choses.
V. Trois choses sont requises pour rendre à Dieu un culte vrai, spirituel, intérieur et chrétien, à savoir la connaissance de Dieu, la connaissance du péché et de la pénitence. Enfin celle de la grâce et de la rémission des péchés. Trois choses qui n’en sont qu’une, comme Dieu est un en trois personnes, puisque dans la connaissance de Dieu est renfermée et la pénitence et la rémission des péchés. VI. Connaissance de Dieu, qui consiste dans la foi qui nous fait concevoir le Christ, et en lui et par lui, reconnaître un Dieu, sa toute-puissance, son amour, sa miséricorde, sa justice, sa vérité et sa sagesse. Toutes choses qui sont Dieu même, le Christ et le Saint Esprit. VII. Et Dieu n’est pas seulement tel pour lui-même et de sa nature, mais aussi par rapport à moi par sa gracieuse volonté en Christ. C’est par là que Dieu m’est tout-puissant, miséricordieux, l’amour éternel, la justice, la vérité, la sagesse éternelle par la grâce qu’il me fait et par la rémission des péchés qu’il m’accorde. Il en est de même du Christ qui m’a été fait toute-puissance éternelle, chef et prince tout-puissant de ma vie, mon Sauveur très miséricordieux, charité perpétuelle, justice immuable, vérité et sagesse, selon S. Paul (1 Corinthiens I, 30) Christ nous a été fait de Dieu sagesse et justice et sanctification et rédemption. Toutes choses qu’on doit également dire du Saint Esprit.
Vraie connaissance de Dieu.
IIX. Cette vraie connaissance de Dieu consiste dans la foi et n’est pas une science vide et purement spéculative, mais une confiance pleine de joie, vive et efficace, par laquelle j’éprouve en moi d’une manière forte, mais agréable, les rayons et les influences de la divine toute-puissance de Dieu, en sorte que je me sens possédé de lui, vivre, me mouvoir, et être en lui (Actes XVII, 28) et toucher comme des mains les richesses de sa bonté et de sa miséricorde. Peut-on s’imaginer une plus grande charité que celle que Dieu le Père, le Christ et le St. Esprit nous ont si abondamment témoigné à tous en général et à
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chacun en particulier ? Quelle justice peut être plus parfaite que celle par laquelle Dieu nous délivre du péché, de la mort, de l’enfer et du diable ? Ou enfin, que peut-on ajouter à sa céleste sagesse et à son infaillible vérité ? IX. La foi solide et véritable est celle qui consiste dans une confiance vive et efficace et non pas dans le seul bruit et le son extérieur des paroles. Dans laquelle connaissance de Dieu, ou dans laquelle foi il nous faut avancer et nous perfectionner de jour en jour, comme des enfants de Dieu (1 Théssaloniciens IV, 1) C’est pourquoi S. Paul souhaite (Éphésiens III, 19) que nous puissions connaître l’amour de Christ, qui surpasse toute connaissance, comme s’il voulait dire, toute notre vie ne suffirait pas à connaître l’étendue et la grandeur de la charité de Christ. Ne vous y trompez pas, il ne termine point cette connaissance à une simple science, mais il veut outre cela, que nous goûtions l’agrément, la douceur et la force de cette divine charité si immense, que nous en expérimentions l’influence dans nos cœurs et que nous y participions en parole et en foi. Dirons-nous que celui-là connaît la charité de Christ, qui ne l’a jamais goûtée, ni expérimentée ? Selon S. Paul, (Hébreux IV, 4) ceux qui ont goûté le don céleste et la bonne parole de Dieu et les puissances du siècle à venir. Et tout cela nous arrive en la foi par la parole, puisque c’est l’effusion de la dilection de Dieu dans nos cœurs par le saint Esprit (Romains V, 5), en quoi consiste le fruit et la force de la parole de Dieu. Et pour m’exprimer en peu de mots, la vraie connaissance de Dieu vient du goût et de l’expérience et consiste dans une vive et solide foi. C’est pour cela que dans l’Épître aux Hébreux, il l’appelle hypostase et une démonstration très certaine (Hébreux XI, 1). Cette connaissance de Dieu, qui consiste dans une foi vive, est une partie du culte divin intérieur et spirituel ; comme réciproquement la foi même est un don spirituel vivant, céleste, la lumière et la vertu de Dieu. X. Quand nous avons une fois acquis cette connaissance, par laquelle Dieu s’est donné à goûter et à savourer notre âme selon le Psalmiste (Psaumes XXXIV, 9) goûtez et voyez combien le Seigneur est doux, il ne se peut qu’il ne s’ensuive un sérieuse pénitence, c’est à dire, un
La foi est la vertu et la puissance de Dieu.
La vive connaissance de Dieu.
La vraie connaissance de Dieu change le cœur et produit toutes les vertus.
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Du vrai culte divin.
renouvellement de l’âme et un amendement de vie. Car le sentiment intérieur et la solide connaissance de la toute-puissance de Dieu, nous porte à l’humilité, puisqu’il est juste que nous nous humilions sous la puissante main de Dieu. Du goût de la miséricorde divine, provient l’amour du prochain ; personne ne pouvant lui être impitoyable, ni lui refuser quelque chose quand on connaît cette compassion de Dieu et qu’on se souvient que par une pure miséricorde il s’est donné luimême à nous. De cette commisération naît cette admirable patience envers le prochain, qui doit être si grande, que quand le vrai chrétien devrait sept fois souffrir la mort injustement, il la pardonnerait autant de fois à son ennemi, se souvenant de l’immense miséricorde de son Dieu. De la justice divine vient cette connaissance de nos péchés qui nous fait prier et dire avec le prophète, ô Seigneur, à toi est la justice et à nous la confusion de face (Daniel IX, 7). Et n’entre point en jugement avec ton serviteur, parce que nul vivant ne sera justifié devant toi (Psaumes CXLIII, 2). Et, Seigneur, si tu prends garde aux iniquités, qui est-ce qui subsistera ? (Psaumes CXXX, 3). De la connaissance de la vérité divine, naît en nous cette fidélité envers le prochain qui fait cesser les fraudes, les tromperies et le mensonge, en sorte que le vrai chrétien se forme cette pensée : A Dieu ne plaise que je trompe mon prochain, car de cette manière j’offenserais la vérité de Dieu, qui est Dieu même, lequel agissant si fidèlement et si sincèrement avec moi, serait indigné si j’en agissais autrement à l’égard du prochain. De la connaissance de la sagesse éternelle de Dieu, provient la crainte de Dieu, qui certainement est le scrutateur des cœurs et voit notre intérieur, ce qui engage avec raison à trembler devant les yeux de sa divine Majesté. Celui qui a planté l’oreille, n’entendra-t-il point ? Ou celui qui a fermé l’œil ne verra-t-il point ? (Psaumes XCIV, 9) Malheur à vous, qui tenez dans votre cœur, votre conseil profondément caché au Seigneur et dont les œuvres sont dans les ténèbres et qui dites, qui nous voit et qui nous aperçoit ? Votre pensée est corrompue et mauvaise, comme si l’argile pense contre le potier et l’ouvrage dit à celui qui l’a fait : vous ne m’avez point fait et la chose formée dit à celui qui l’a formée qu’il n’y entend rien (Esaïe XXIX, 15-16) et (Jérémie XXXII, 19). XI. Voilà quelle est la vraie connaissance de Dieu, en quoi consiste la pénitence. Or la pénitence exige un renouvellement d’esprit qui ne
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peut être sans un amendement de la vie. Ce qui fait la seconde partie du culte intérieur de Dieu. Et c’est ce feu sacré qu’il faut apporter, selon l’ordre du Seigneur, pour consumer les victoires offertes, de peur que sa colère ne s’enflamme et qu’il ne nous fasse éprouver sa vengeance. XII. La figure de cette pénitence se trouve dans cette défense, que le Seigneur fit aux Prêtres, de ne point boire de vin quand ils entreraient dans le tabernacle du témoignage (Lévitique X, 9) ce qui étant pris selon l’esprit, regarde tous les chrétiens. Car si nous voulons entrer dans le tabernacle de la vie éternelle, il faut que nous nous abstenions de la convoitise du monde et de la chair, aussi bien que de toutes ces choses par lesquelles la chair peut se soumettre l’esprit. L’amour du monde, la volupté, l’orgueil et les autres vices font un vin agréable mais fumeux, qui surmonte l’âme et l’esprit. De même que Noé et Loth, étant pris de vin, exposèrent leur nudité. Aussi, l’honneur, la volupté et les richesses, comme un vin fumeux, occupent l’âme et l’esprit, les tentent et les troublent. Ce qui met l’Homme hors d’état d’entrer dans la maison de Dieu et de parvenir à la connaissance, ne sachant point distinguer le saint du profane, ni le pur de l’impur, parce qu’il n’a nulle intelligence dans les choses divines et par conséquent, il ne peut enseigner la saine doctrine au peuple qui lui est confié. Juste punition de tous ceux qui perdent la raison en buvant le vin de la convoitise de ce monde, de sorte que leurs pensées et leur entendement n’est plus capable d’être éclairé de la vraie lumière, et qu’enfin ils tombent dans les ténèbres éternels. Or, cette sérieuse pénitence ou contrition et douleur des péchés, aussi bien que cette loi efficace en Christ, est en même temps suivie de la rémission des péchés qui dépend du seul mérite de Jésus-Christ, dont on ne peut jouir hors de cette pénitence, sans laquelle il n’y a point de rémission. C’est pour cette raison, que le larron même fut obligé de faire pénitence sur la croix pour obtenir la rémission de ses péchés et accompagner le Christ en paradis. Pénitence, qui partir d’un cœur vraiment repentant et plein d’une si vive foi, qu’il dit à celui qui était attaché à la croix comme lui : Ne crains-tu point Dieu ? Pour nous nous recevons des choses dignes de celles que nous avons faites. Mais celui-ci n’a fait aucun mal. Ensuite, il dit à Jésus,
Figure de la pénitence.
Sans pénitence point de pardon.
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Du vrai culte divin.
Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras venu en ton Royaume (Luc XXIII, 40). Preuves incontestables d’un cœur fidèle et contrit. XIII. Au reste la force de cette gratuite absolution de nos péchés qu’un cœur pénitent obtient par une vraie foi, est si grande qu’elle l’excuse auprès de Dieu, de tout ce que nous ne pouvons expier, et cela en vertu de la mort et du sang de Christ, par lequel il a payé pour nos péchés, les rendant sans effet, et la grandeur de sa satisfaction n’en égale pas seulement l’énormité, mais la surpasse même, de sorte que le Psalmiste s’écrie (Psaumes LI, 9) Je serai lavé de mes péchés et je deviendrai plus blanc que neige. Pourquoi Dieu oublie les péchés ?
Vraie absolution.
XIV. De là vient, que Dieu ne veut plus se souvenir de tous les péchés, si le pécheur se convertit entièrement (Ézéchiel XVIII, 22). Ce qui est parfaitement et abondamment payé, même entièrement effacé devant aussi être oublié. Mais il faut que la conversion précède, comme dit le Prophète (Esaïe I, 16) Lavez-vous, nettoyez-vous, cessez de faire le mal, venez ensuite, nous débattrons nos droits. Car quand vos péchés seraient comme l’écarlate, ils seront blanchis comme la neige. Comme s’il voulait dire : Vous qui exigez que vos péchés vous soient remis et pardonnés, selon la promesse que je vous en ai faite, agissez si vous voulez et l’appelez en jugement. Je ne nie point vous avoir promis la rémission de vos péchés, mais à cette condition que vous en feriez auparavant pénitence. Laquelle si vous me prouvez procéder d’une foi véritable et vive, la chose vous est favorable, vous avez la victoire. Et alors, je ne tarderai pas d’effacer vos péchés, quelques énormes et en quelque grand nombre qu’ils puissent être. La pénitence est donc une concession sincère et véritable, j’entends cette contrition de l’esprit en la foi, laquelle quiconque éprouve dans son cœur, est absous de tous ses péchés par la mort et le sang de J.C., le souverain Pontife. Je veux dire, par ce sang qui crie pour nous vers Dieu, qui est dans le Ciel et nous en attire la vraie absolution. XV. Nous lisons (Deutéronome IV, 41, 42, 43) que Moïse avait désigné et séparé trois villes pour les enfants d’Israël, à savoir Bezer, Ramoth et Golan, dans lesquelles pourrait se réfugier celui, qui sans y penser, ou par accident, aurait tué son prochain.
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XVI. Or, ô Dieu, combien de fois, sans y faire attention, tuons-nous notre propre prochain par notre langue, nos pensées, notre colère, envie, haine, vengeance et dureté. Ayons donc recours, par la suite d’un divin repentir et de la foi, à l’asile de la grâce et de la miséricorde de Dieu, à la sainte croix du Seigneur et à son précieux mérite. Nos villes de refuge, où étant une fois parvenus, nous sommes en sûreté et exempts d’être mesurés à la mesure que nous avons mesuré notre prochain. Car le Christ nous a été marqué par chacune de ces villes de refuge : En effet Bezer signifie une tour fortifiée, et le Christ n’est-il pas le véritable Bezer (Proverbes XVIII, 10) Le nom du Seigneur est une forte tour, le juste y courra et y sera en une haute retraite. Or ce nom, c’est le nom de Jésus. Ramoth, signifie élevé et le Christ n’est-il pas le vrai Ramoth ou élevé, puisque c’est en son nom que tout genou se ploie de ceux qui sont dans les cieux et dans la terre et sous la terre (Philippiens II, 10). Golan signifie amas ou abondance et le Christ n’est-il pas un amas de grâces et de rémission, une abondance de dons célestes de richesses et de miséricorde, sur tous ceux qui invoquent son nom (Romains X, 20). XVII. Telle est la troisième partie de ce culte divin, intérieur, spirituel et véritable, qui provient de la connaissance de Dieu qui est autant la source de la pénitence, que celle-ci l’est de la rémission des péchés. Trois choses, qui dans la vérité n’en font qu’une, puisqu’elles contribuent toutes à nous donner la véritable et solide connaissance de Dieu. XVIII. Dieu nous a de plus figurés cette troisième partie par les Prêtres, qui devaient manger de l’oblation, faite au Seigneur (ce qui ne nous marque autre chose que l’application de la mort et du sang en un mot, du mérite de Christ par la foi) et cela dans le lieu saint, ce qui nous désigne la pénitence. D’autant que la foi par la vertu du sang de Christ rend l’Homme aussi saint devant Dieu que s’il n’avait jamais commis de péchés, comme il est dit dans le Prophète (Ézéchiel XVIII, 20) si l’impie fait pénitence, je ne me souviendrai plus de toutes les iniquités qu’il aura commises.
Homicide spirituel.
Le Christ est notre asile.
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La loi sainte de Moïse changée en esprit.
XIX. C’est ainsi que la loi de Moïse est maintenant changée en esprit ou en une vie intérieure, sainte et nouvelle, et les sacrifices de cette loi en cette pénitence par laquelle nous immolons à Dieu notre corps et notre âme, lui rendant grâces et honneur de ce qu’il nous a manifesté, qu’elle est la vraie conversion qui lui est agréable et qu’elle doit être la justification et la rémission des péchés, afin que Dieu soit seul toute chose, que sa grâce soit véritablement connue et que luimême soit loué dans toute l’éternité, par des cœurs et des langues reconnaissantes. Et tel est ce vrai culte divin, dont il est fait mention dans le Prophète (Michée VI, 8) Je te déclarerai, ô Homme, ce que le Seigneur requiert de toi, c’est de faire ce qui est droit, d’aimer la miséricorde et de marcher dans l’humilité avec ton Dieu. Quand voulons-nous donc, ô mortels, faire pénitence, afin que nous puissions parvenir à la rémission de nos péchés ? Nos péchés peuvent-ils être pardonnés sans pénitence, sans ce ressentiment et cette vive douleur que la grâce divine en fait concevoir à l’âme ? Et quelqu’un peut-il s’attrister et se repentir de ses péchés qu’il ne soit résolu de les quitter et de changer sa vie et ses mœurs ? Dieu veuille nous convertir tous à cause et en faveur de Jésus Christ.
Le vrai culte de Dieu consiste dans le cœur et n’est point extérieur.
XX. Comprenez-vous à présent, que le vrai culte divin consiste dans le cœur, dans la connaissance de Dieu et dans cette vraie pénitence, par laquelle la chair est mortifiée et l’Homme est renouvelé à l’image de son créateur, dont il devient ainsi le temple, dans lequel le vrai culte divin se pratique par le saint esprit, puisqu’il est aisé d’y remarquer la foi, la charité, l’espérance, l’humilité, la patience, l’oraison, l’action de grâces et la louange de Dieu.
Pourquoi le culte de Dieu est appelé ainsi ?
XXI. Quoique ce culte regarde Dieu même et ne soit rendu qu’à lui seul, ne nous imaginons pas cependant qu’il ait besoin de ce culte et qu’il nous y invite par le motif de quelque avantage qu’il en retire. Persuadons-nous plutôt, que c’est par un effet de miséricorde et de sa bonté qu’il veut se communiquer à nous, avec tous ses biens, vivre en nous, y opérer et y habiter, pourvu que réciproquement nous soyons prêts de le recevoir par une vraie connaissance, par la foi et la
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pénitence, afin qu’il puisse avoir en nous, un lieu pour ses ouvrages. XXII. Aucune œuvre n’est agréable à Dieu, s’il ne l’a pas lui-même fait en nous, c’est pourquoi il nous commande de faire pénitence, de croire, de prier, de jeûner, non certainement pour en retirer aucun avantage, mais pour notre propre utilité. Car personne ne peut ni donner, ni ôter quelque chose à Dieu, ni lui nuire ou lui profiter. Sommes-nous bons, c’est notre avantage. Sommes-nous méchants, c’est notre dommage. Quelle perte Dieu recevra-t-il si tu pèches et ne veux pas faire le bien ?
Quelles sont les œuvres qui plaisent à Dieu ?
XXIII. C’est donc pour toi, et non pour lui-même, qu’il te commande de le servir. Lui, qui étant la charité même (1 Jean IV, 16), a pour agréable qu’il y en ait plusieurs qui veulent participer de sa charité et à qui il puisse se communiquer. Comme une mère qui aime son enfant ne peut que se réjouir de lui voir sucer son lait, de même Dieu veut bien recevoir un plaisir singulier de l’aimable communication qu’il nous fait avec tant de miséricorde et de douceur.
Le vrai culte de Dieu nous profite et non pas à Dieu.
CHAPITRE XXII Comme nous ne reconnaissons un arbre que par le fruit, de même nous ne pouvons reconnaître un vrai Chrétien et le distinguer que par la charité et un continuel amendement de sa vie. Psaumes XCII, 13-16 Le juste fleurira comme la palme et croîtra comme le cèdre au Liban. Étant plantés dans la maison du Seigneur, ils seront avancés aux parvis de notre Dieu. Et bien qu’ils vieillissent en peu de temps, ils ne laisseront pourtant pas de fleurir, d’être fertiles et frais, afin d’annoncer que le Seigneur notre Dieu est droit et qu’il n’y a point d’iniquité en lui.
C
e n’est pas le nom, mais la vie chrétienne qui démontre le vrai chrétien, dont l’unique application doit être de manifester le Christ en foi en l’y rendant visible par la charité, l’humilité et l’affabilité. Il s’ensuit donc, que celui-là ne
Le Christ doit être manifesté dans un vrai Chrétien.
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Toute la vie vient de l’esprit.
Marques du vrai chrétien.
peut être Chrétien, en qui le Christ ne vit point et il faut qu’une telle vie parte du cœur et de l’esprit, comme une pomme tire sa substance de la force végétative et intrinsèque ou intérieure de l’arbre. Car il faut que l’esprit de Christ règle et régisse notre vie pour la rendre conforme à la sienne, selon S. Paul (Romains VIII, 14) Ceux qui sont conduis par l’esprit de Dieu, sont enfants de Dieu. Et si quelqu’un n’a pas l’esprit de Christ, celui-là n’est pas à lui. D’autant que toute la vie vient de l’esprit qui le fait être l’Homme extérieurement tel qu’il le meut et l’anime intérieurement. D’où il est évident que la grâce du Saint Esprit est requise pour une vie Chrétienne. Esprit, que le Christ ne nous a pas seulement commandé de demander par nos prières, mais nous a même promis (Luc XI, 3). Esprit, dis-je, d’une nouvelle naissance, par lequel nous sommes vivifiés en Christ pour mener un genre de vie nouveau, spirituel et céleste (Tite III, 5). Et c’est par sa puissance éternelle et vive, que l’on voit éclore et fleurir les vertus chrétiennes et que le juste croît comme un palmier et comme un cèdre du Liban que le Seigneur a planté.
Il faut être intérieurement Chrétien pour le paraître extérieurement.
II. C’est pour cela, que l’Homme doit premièrement être renouvelé de telle sorte à l’image de Dieu dans l’esprit de son entendement, que ses désirs et ses affections soient conformes à Christ. Ce que S. Paul appelle être renouvelé selon Dieu (Éphésiens IV, 23). Afin que sa vie extérieure vienne de la conviction et du renouvellement intérieur de son cœur et lui soit entièrement semblable. Et puisque Dieu, selon le Psalmiste, (Psaumes VII, 10) sonde les cœurs et les reins, il est raisonnable que l’Homme possède plus de vertus dans l’intérieur, qu’il n’en fait paraître à l’extérieur.
Pureté et justice des chrétiens.
III. Quoi qu’il soit impossible que nous soyons intérieurement aussi purs que les anges, nous devons toutefois aspirer et soupirer après une semblable pureté, afin que Dieu agréé les soupirs de notre esprit et reçoive les vœux que nous lui faisons pour devenir pur, par la force purifiante de cet Esprit saint, qui aide notre infirmité, faisant des prières pour nous par des soupirs, qui ne se peuvent exprimer (Éphésiens V, 27) Même par le sang de J.C. qui nous purifie par la foi (1 Corinthiens I, 30) afin que nous soyons sans tâche et sans rides (Éphésiens IV, 23). Et ce qui
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est encore plus, c’est que notre pureté, notre sainteté et notre justice n’est pas tant une pureté d’ange, que la justice du Christ et le Christ même (Colossiens III, 10). IV. Il faut que cette sainteté toute gratuite et que cette justice, qui surpasse de beaucoup la pureté et l’innocence des anges mêmes, renouvelle notre âme et notre esprit et opère en nous une vie sainte. Afin que, comme le palmier verdit continuellement, croît et s’augmente, de même par une vie et une conduite vraiment chrétienne, nous nous perfectionnions tous les jours de plus en plus en Christ. Or chacun n’avance et ne profite en Christ, qu’autant qu’il croît en foi, en vertus et en vie chrétienne, qu’il s’amende chaque jour et qu’enfin Christ vit en lui. Et c’est ce qui s’appelle fleurir comme le palmier. V. Comme le palmier s’élève de plus en plus, se renouvelle, il faut pareillement que le Chrétien se renouvelle tous les jours (2 Timothée I, 9), s’élève vers les choses célestes, réitérant toujours le dessein qu’il doit avoir de remplir son saint nom et cela de la même manière que s’il ne l’avait reçu qu’en ce jour. D’ailleurs, il ne doit s’appliquer à ne désirer que de ne point devenir un faux Chrétien. Comme celui qui est appelé à un emploi, ne doit avoir rien de plus à cœur que de remplir les devoirs de sa vocation, ainsi en devons nous agir, nous, qui sommes appelés à Christ par une sainte vocation (Proverbes I, 20) à laquelle nous ne correspondrons jamais, si le propos n’en est ferme en nous. Car n’étant point fermes et constants dans ce juste dessein, nous ne nous mettons pas en peine de l’amendement de notre vie, nous ne reverdissons pas, nous n’augmentons point en Christ, mais au contraire, nous nous trouvons entièrement dépourvus de la force et de la vertu de son esprit. D’autant plus que ce propos de bien vivre, est l’ouvrage du Saint Esprit et est cette grâce prévenante, qui attire, invite et engage tous les Hommes. Heureux donc est celui qui y prête les oreilles, entend et suit cette sagesse de Dieu qui crie et fait retentir sa voix dans les rues. Comprenant que tout ce qui tombe sous nos yeux, nous présente des témoignages de Dieu même, par lesquels il nous invite et tâche de nous attirer à lui.
Le Chrétien semblable au palmier.
Vocation des Chrétiens.
La sagesse de Dieu nous appelle.
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Il faut éviter le retardement.
Marques du vrai chrétien.
VI. Toutes les fois que nous remarquons que nous sommes appelés et attirés, nous devons aussitôt mettre la main à l’œuvre, commençant à bien faire, sans laisser échapper ce temps et ce moment, où nous n’éprouvons aucun empêchement. Temps favorable, que nous ne pouvons négliger, sans nous exposer à voir peut-être venir et succéder des jours auxquels il ne nous sera pas libre de penser, d’entendre, de dire ni de faire le bien. Ce que connaissant la sagesse éternelle, elle ne cesse de nous crier en tous lieux et de nous porter à ne point négliger le temps, ni l’occasion.
La grâce de Dieu présente partout.
VII. Considérez un arbre qui demeure toujours immobile, attend la lumière du soleil et les bénignes influences du ciel, qu’il est toujours prêt de recevoir. Ainsi lorsque la grâce de Dieu vous éclaire et que les influences célestes sont disposées à tomber sur vous, ne vous laissez point détourner par les empêchements et les embarras de ce monde, de les recevoir avec ardeur et empressement.
Vanité de notre vie.
VIII. Rappelez dans votre esprit, la brièveté de vos jours, pensez combien vous avez négligé d’occasions de pratiquer les vertus chrétiennes. Vous avez passé la moitié de votre vie à dormir, l’autre à boire et à manger, lorsqu’il vous faudra mourir, à peine aurez-vous commencé à en mener une meilleure et à faire le bien.
Comment un Chrétien doit vivre.
IX Il faut que chacun vive comme il souhaite mourir. Si vous avez de l’horreur pour une mort impie, vivez pieusement. Si vous désirez sortir de ce monde, comme un vrai chrétien, tâchez de vous montrer tel par vos œuvres et par votre vie. Or, qui veut vivre en Chrétien, doit vivre comme si chaque jour était celui de sa mort. N’ignorant pas qu’un bon serviteur doit toujours être prêt à paraître, quand son maître l’appelle. N’est-ce pas par la mort que Dieu en appelle un chacun de nous ? X. Bienheureux donc le serviteur que le maître trouvera veillant. Car certainement il l’établira sur tous ses biens (Luc XII, 37). Qui est celui qui veille, sinon celui qui ne se laisse point séduire par le monde et ses
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amateurs ? Fuyons donc celui-ci, évitons ceux-là, étant assurés que les scandales sont des branches inutiles, qui par leur épaisseur et leur abondance ou font périr le bon arbre, ou du moins l’empêchent de verdir comme il faut, et de fleurir.
CHAPITRE XXIII Qui veut croître et profiter en Christ, doit fuir les amitiés et les compagnies de ce monde. Psaumes LXXXIV, 2 Seigneur des armées, que tes tabernacles sont aimables, mon âme désire grandement, jusqu’à tomber en défaillance après les parvis du Seigneur, mon cœur et ma chair tressaillent de joie après le Dieu fort et vivant.
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vitons une trop grande familiarité avec les Hommes de ce monde, parce que comme nous ne sommes jamais mieux que dans notre propre maison, l’âme ne peut être dans une meilleure situation que lorsqu’elle se tranquillise dans sa vraie demeure, qui est Dieu, dont étant un écoulement, il est nécessaire qu’elle retourne à sa source, si elle veut être paisible. II. C’est la nature et la condition de toutes les créatures, que le lieu de leur origine soit celui de leur repos, celui des poissons est en la mer, des oiseaux en l’air, des plantes, sur la terre, et de l’âme, en Dieu, selon qu’il est dit : (Psaumes LXXXIV, 4) Le passereau a trouvé sa maison et la tourterelle son nid pour y mettre ses petits. Comme il n’est pas avantageux que les filles et les jeunes garçons aient toute liberté de se promener (Genèse XXXIV, 1) et d’aller çà et là, ainsi celui-là cherche son propre malheur, qui laisse témérairement la liberté à ses yeux et à sa langue de voir et de parler dans toutes les assemblées des Hommes et les cercles des femmes. Lorsqu’au contraire, il éviterait bien des occasions de scandale et de chute, s’il se renfermait dans la maison de son cœur. III. Dans les parvis de notre Dieu, les pantes du Seigneur deviennent vertes et les cèdres sur le Liban (Psaumes XCII, 14). Ces parvis du Seigneur
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Fuir les compagnies de ce monde.
sont les fêtes intérieures et le Sabbat spirituel de notre cœur ; et le Liban fleurissant dans le désert, est ce même Sabbat qui se célèbre dans la solitude de notre esprit. Cherchez donc soigneusement cette solitude, afin que vous puissiez vous y examiner vous-mêmes et y contempler les bienfaits et les merveilles de Dieu. Il faut éviter tout ce qui ne nous rend pas meilleur.
Définition de l’Homme.
La semence de Dieu produit des fruits divins.
Les paroles pleines d’offense, offensent l’âme.
IV. Gardez-vous bien d’imiter ceux qui ne prennent plaisir, que dans la lecture de ces matières subtiles et abstraites qui scandalisent plus le cœur qu’elles ne le rendent meilleur. Tout ce qui ne produit point la paix du cœur, ni son amendement, doit être éloigné de vos oreilles, de votre bouche, de vos yeux, et de votre pensée. Les arbres du Seigneur ne doivent croître et profiter qu’en Christ. Tel qu’était Paul, qui méprisait de savoir autre chose que Jésus crucifié (1 Corinthiens II, 2). C’est de cette sorte que se sont comportés tous les saints de Dieu, qui se sont efforcés de vivre d’une manière divine, en un silence accompagné d’une dévotion intérieure, qui se sont étudiés d’imiter les âmes célestes et heureuses et n’ont travaillé qu’à se cacher en Dieu seul, qui est l’unique repos de nos âmes. Du nombre desquels, il s’en est trouvé un, qui a dit, que toutes les fois qu’il conversait avec les Hommes, il devenait et s’en retirait moins Homme. Comme l’humanité consiste dans la ressemblance de Dieu et que c’est pour cela que Dieu décrivant l’Homme dit, qu’il est une image qui lui est semblable (Genèse I, 26), il s’ensuit que moins un Homme est semblable à Dieu, plus il s’est dépouillé de l’humanité et que plus il s’approche de Dieu et s’unit à lui, plus il lui devient semblable. Mais personne ne peut être uni à Dieu, qu’il ne se soit auparavant séparé du monde. C’est une propriété de toutes les semences que chacune produise son semblable. Ainsi, si la semence de Dieu est en vous, à savoir, l’Esprit Saint et le verbe divin, il faut que vous deveniez un arbre de justice et la plante du Seigneur, pour le glorifier (Esaïe. LXI, 3). V. Il n’est rien de plus ordinaire que de proférer ou d’entendre quelque parole, qui comme un aiguillon, pique notre cœur et blesse notre âme. C’est pourquoi, personne n’est plus en sûreté, plus tranquille et plus en repos que celui qui se tient chez soi et qui renferme dans la demeure de son cœur, ses pensées, ses paroles et ses sentiments.
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On lit du Philosophe Diogène, qu’un mauvais plaisant voulu ainsi le railler : Tu n’es pas ce que je suis ; or je suis Homme, donc tu n’es pas Homme. Mais il lui dit, la conclusion n’est pas juste, commence par moi et elle sera plus véritable.
Il y a des Hommes qui ne sont pas Hommes.
VI. Qui veut apprendre à bien parler, apprenne auparavant à se taire. Ce n’est pas une éloquence de beaucoup parler, mais un pur babil. Qui veut se mettre en état de bien gouverner, qu’il sache bien servir, puisqu’il ne se peut faire que celui qui n’a pas appris à se soumettre et à obéir à Dieu, gouverne bien les autres. Celui qui aime la paix et la tranquillité du cœur, qu’il prenne garde aux paroles qui sortiront de sa bouche et s’applique à conserver une bonne conscience. La mauvaise est comme une mer agitée, si elle ne retourne à son calme en J.C. qui est son repos et par la contrition et la pénitence. La colombe que Noé avait lâchée de l’arche, ne trouvant pas où se reposer revint à l’arche (Genèse IIX, 9) L’arche est le Christ, et l’église, elle n’a qu’une porte ou une fenêtre, à savoir, la pénitence par laquelle on va à J.C.. Comme la colombe retourna et se retira aussitôt dans l’arche, souvenez-vous d’en faire autant, toutes les fois que vous volez sur les grandes eaux de ce monde, retournez aussitôt en votre cœur pour y retrouver le Christ et votre repos.
La vertu vient souvent du contraire. Vrai repos.
Crainte de Dieu.
VII. Si votre état vous engage de converser parmi les Hommes et de vous intéresser dans les choses de ce monde, faitesle avec crainte et humilité, sans avoir la témérité de vous y croire en sûreté. Semblables à un arbre tendre qu’on lie à une perche, attachezvous à la perche de l’humilité et de la crainte de Dieu, de peur que le vent ne nous brise. Il n’y a rien de plus commun que de voir des personnes sans circonspection, être trompées en conversant trop librement avec les Hommes. Persuadez-vous qu’il ne faut pas plus vous fier au monde, qu’à la mer, que très facilement le plus grand calme s’y change en un instant en une sérieuse tempête et que ses joies produisent bientôt une mauvaise conscience. VIII. Ô que celui-là conserverait une bonne conscience, qui ne chercherait à se procurer aucune joie périssable, et ne s’embarrasserait jamais
Vraie paix et repos.
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Fuir les compagnies de ce monde.
des affaires de ce monde ! Ô que celui-là aurait une conscience paisible et tranquille, qui ne penserait qu’aux choses divines et ne mettrait toute son espérance qu’en Dieu ! Ô que celui-là recevrait de Dieu une grande et agréable consolation, qui ne se fierait point aux fausses consolations du siècle ! Combien de personnes perdent dans le commerce des Hommes, la conversion, l’amendement et la dévotion qu’ils auraient pu trouver en eux-mêmes. Les choses qui se trouvent dans le cœur se perdent aisément en courant indiscrètement de compagnies en compagnies. Comme l’arbre ne vient et ne produit jamais mieux que dans le fond où il était sorti de terre, de même, l’Homme intérieur ne se fortifie et ne s’augmente jamais mieux que dans le fond de son cœur, où est le Christ. Nature de la conscience.
Tristesse salutaire.
Entretien divin.
IX. La joie et la tristesse dépend de la conscience de l’Homme. Si vous ne l’occupez que des choses intérieures et divines, elle vous remplira réciproquement d’un plaisir solide et véritable. Mais si vous ne l’entretenez que des extérieurs et de ce monde, elle deviendra le sujet de votre peine et de votre tristesse (2 Corinthiens VII, 10). X. Aussi souvent qu’une âme fidèle s’afflige de ses péchés, autant de fois elle se pleure elle-même en secret. Et y trouvant une fontaine de larmes, elle s’y purifie toutes les nuits et s’y lave en esprit et en foi, par le nom de Christ, afin qu’elle devienne sainte et digne d’entrer dans le lieu secret, dans ce saint des saints, où le Seigneur peut s’entretenir avec elle (1 Corinthiens VI, 11). XI. Dieu étant un Dieu caché (Esaïe XLV, 15) il faut que l’âme soit en secret avec lui, afin de pouvoir lui parler, comme dit le Psalmiste (Psaumes LXXXV, 9) J’écouterai ce que le Seigneur dit en moi. Et (Psaumes XXXIV, 5) J’ai cherché le Seigneur et il m’a écouté et il m’a délivré de toutes mes tribulations. Cet affligé a crié et le Seigneur l’a exaucé et l’a délivré de toutes ses détresses. Et (Psaumes V, 4) Je te prierai dès le matin, tu exauceras ma voix. Dès le matin, je serai présent devant toi et je verrai. Plus notre âme s’éloigne du monde, plus elle devient familière avec Dieu. Semblable au Patriarche Jacob, qui sorti d’avec ses enfants, ses amis et ses parents, eu des entretiens avec Dieu et avec ses anges. Car il n’y
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a point de termes pour exprimer combien Dieu et les saints anges aiment une âme pieuse et retirée.
CHAPITRE XXIV De l’amour de Dieu et du prochain. 1 Timothée I, 5 La fin du commandement est la Charité qui procède d’un cœur pur et d’une bonne conscience et d’une foi non feinte.
P
ar cette courte sentence, Paul nous décrivant la plus noble de toutes les vertus, qui est la Charité, nous y veut faire remarquer quatre choses. Premièrement, qu’elle est la fin du commandement, ou l’abrégé de tous les commandements, puisqu’elle est (Romains XIII, 10) l’accomplissement de la loi parce que par elle, tous les commandements sont contenus. Parce qu’enfin, sans elle, tous les dons et les vertus sont inutiles et sans fruit. II. Ensuite, l’Apôtre dit que la Charité procède d’un cœur pur : Ce qui regarde la charité envers Dieu pour laquelle il est requis que le cœur soit vide de tout amour mondain. (1 Jean. II, 15) Mes petits enfants, n’aimez pas le monde, ni les choses qui sont dans le monde, parce que tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, convoitise des yeux et orgueil de la vie. Et le monde passe et sa convoitise. Mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement. Quiconque donc a le cœur dégagé et libre de tout amour des créatures, en sorte qu’il ne fonde ses espérances sur aucune chose temporelle et par conséquent périssable, quelle qu’elle soit, n’y mettant point sa confiance, mais en Dieu seul, après lequel son cœur soupire à l’exemple de David, qui dit (Psaumes LXXIII, 25) Ma chair et mon cœur étaient défaillis : Dieu est le rocher de mon cœur et mon partage à toujours. Car, quel autre ais-je au ciel et je n’ai pris en terre d’autre plaisir qu’en toi ? Une telle charité ne peut venir que d’un cœur pur. De même, si quelqu’un ressent un plaisir singulier et une joie spéciale de l’amour de Dieu, que le Psalmiste nous décrit ainsi (Psaumes XXIIX, 2) Je t’aimerai Seigneur, tu es ma force. L’Eternel est ma roche et mon asile et mon libérateur. Mon protecteur et la corne de mon salut et ma haute retraite.
Sincérité de la charité divine. Ce qu’est un cœur pur ?
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De l'amour de Dieu et du prochain.
La charité vient d’une bonne conscience.
III. Le troisième effet de la charité c’est qu’elle procède d’une bonne conscience, ce qui regarde l’amour du prochain, que nous devons aimer sans aucune vue d’intérêt (car cela ne convient qu’à un faux amour qui part d’une mauvaise conscience) et il ne faut offenser notre prochain, ni de parole, ni d’effet, prenant soigneusement garde de n’avoir pour lui aucune haine manifeste ou cachée, ou d’être porté envers lui d’envie, de colère, de rancune et désir de vengeance, de peur que notre conscience n’ait sujet de nous les reprocher pendant notre prière (1 Jean III, 19).
La charité procède d’une foi qui n’est pas feinte.
IV. La quatrième chose à remarquer dans la Charité, c’est qu’elle procède d’une foi qui n’est pas feinte, c’est à dire que nous ne devons rien faire de contraire à la règle de la foi et à la profession Chrétienne, ni renier notre Dieu, soit publiquement, soit en notre cœur, tant dans les prospérités que dans les adversités. Il nous faut maintenant traiter de chacun de ces points en particulier.
Dieu ne demande point de nous des dons et des œuvres sublimes.
Facilité de la charité.
Dieu n’exige point une science universelle.
V. Paul dit que la Charité est la fin du commandement. C’est à dire, cette charité qui procède d’une vraie foi, est le plus noble des fruits et de ses opérations et ce que l’Homme peut faire de meilleur et de plus agréable à Dieu. Dieu ne demande point de nous des œuvres difficiles, relevées et grandes dans le culte et le service que nous sommes obligés de lui rendre, puisque même il a réduit la pénible religion de l’Ancien Testament et renfermé la multitude et la diversité de ses préceptes dans la foi et la charité, y ajoutant même le don du Saint Esprit, selon S. Paul (Romains V, 5) La dilection de Dieu est répandue dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous a été donné. Paroles par lesquelles il nous insinue l’origine de la charité. VI. D’où je conclus, que la charité n’est pas une œuvre difficile, mais agréable et facile à l’Homme de bien et au fidèle. Ses commandements, dit S. Jean (1 Jean V, 3) ne son point pénibles, à savoir, aux chrétiens éclairés à qui le St. Esprit a inspiré un cœur joyeux, bon, libre et bien disposé. Dieu n’exige point aussi de nous une grande érudition, et une science universelle, mais la seule charité, laquelle,
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quand elle est sincère, ardente et fervente, lui est plus agréable, que tous les arts et la sagesse qui se rencontrent dans les Hommes de cet univers. En sorte que toutes les autres choses, arts, sciences, ouvrages et talents sont réputés inutiles et morts sans charité (1 Corinthiens XIII, 1).
Sans la charité toutes les œuvres sont de nulle valeur.
VII. La grande habilité est commune aux païens et aux chrétiens. Les grands ouvrages conviennent aux infidèles, aussi bien qu’aux fidèles. Mais la seule charité est la preuve, le symbole, le caractère et la pierre de touche du chrétien, distinguant le vrai du faux. Car où il n’y a point de charité, il n’y a rien de bon, quelque précieuse, grande et estimable que la chose nous paraisse ; puisque Dieu ne s’y rencontre point et cependant Dieu est charité et qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui (1Jean IV, 6) III. La charité est agréable tant à Dieu qu’à l’Homme qui la pratique. Les autres arts, sciences et sagesses s’acquérant avec beaucoup de travail, de soin, d’inquiétude et même avec la diminution de nos forces, la seule charité réjouit le corps et l’âme, le fortifie et le rectifie, sans y apporter aucun dommage, mais apporte plutôt et produit des fruits en abondance. Car l’amour est la récompense de celui qui aime et la vertu est son propre salaire, comme le vice est la propre punition.
La charité rend tout facile et n’est pénible à personne.
IX. Bien que les autres facultés de l’âme et du corps se fatiguent et se diminuent, la seule charité ne se lasse point et ne cesse jamais les prophéties seront abolies, dit S. Paul (1 Corinthiens XIII, 8) les langues cesseront et la connaissance sera anéantie, la foi même s’évanouira. XI. Il paraît hors de doute, que tout ce que nous faisons d’agréable à Dieu, vient de lui, il n’approuve en nous que ce qu’il y opère. Dieu étant charité, il faut que ce qui lui doit plaire, vienne de la foi, et que ce qui doit profiter au prochain, vienne de la charité, sans l’espérance d’aucun intérêt. Il est également nécessaire que la prière procède d’une charité cordiale. Ce qui vous doit faire connaître quelles sortes de prières peuvent faire ceux, dont le cœur est plein de colère
Ce qui se fait par la charité a Dieu pour auteur et la chose lui est agréable. Celui qui aime Dieu le prie bien, et fort volontiers.
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et d’inimité. Quand de telles personnes réciteraient tous les jours le Psautier, ils ne pourraient toutefois n’être pas abominables devant Dieu, puisque le vrai culte et l’adoration consistent en esprit, en foi, enfin en charité et non pas en paroles. Pensez à J.C. qui priait le Père avec un cœur si émeu de compassion, en lui disant Père, pardonne-leur (Luc XIII, 34) En un mot, celui qui n’aime pas Dieu, ne prie point volontiers, au lieu que, en qui se trouve sa charité, n’a rien de plus agréable que la prière. Qui aime Dieu, le sert avec ardeur. Qui n’aime pas Dieu, ne le sert point de bon cœur, quand vous lui entasseriez montagnes sur montagnes. XI. Rien donc ne peut être meilleur et plus utile à l’Homme, que quand la charité de Dieu est allumée dans son cœur. La foi doit opérer en l’Homme par la charité.
Il faut tout faire à l’égard du prochain dans un esprit de charité.
Éloge de la charité.
XII. Tout ce que la foi opère en l’Homme (et il faut qu’elle y opère toutes choses) doit être fait par la charité de la même manière que l’âme voit, entend, goûte, sent, parle et fait toutes ses opérations par le corps, il faut pareillement que la charité fasse tout en vous, en sorte que soit, que vous buviez ou que vous mangiez, soit que vous entendiez, que vous parliez, que vous blâmiez ou louiez, il faut que chaque chose soit faite par la charité. A l’exemple de Jésus Christ, en qui le plus pur amour fut le principe de toutes ses actions. Si donc vous jetez les yeux sur votre prochain, que ce soit des yeux pleins d’une sincère charité. Si vous l’écoutez, que ce soit la charité qui y dispose vos oreilles. Si vous lui parlez, que ce soit la miséricorde et la charité qui règlent votre langue. XIII. Appliquez vous uniquement à faire en sorte que par la foi, vous conserviez toujours en vous la racine de la charité, qui n’y eut rien produire, que de bon, et par là, vous commencerez à accomplir la loi de Dieu, dont l’amour est l’abrégé. Un ancien, ravi de la sublimité de la charité, n’a pu s’empêcher de s’écrier : ô Charité de Dieu l’Esprit saint, douceur de l’âme et la vie divine de l’Homme ! Qui ne te possède pas est mort, bien qu’il soit vivant. Qui te possède ne meurt jamais devant Dieu. Où tu n’es pas, la vie de l’Homme y est une mort continuelle. Où tu es, la vie de l’Homme y est un avant-goût de la vie éternelle. Nous avons jusqu’ici
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parlé de la charité en tant qu’elle est la fin du commandement. XIV. Venons maintenant à son second attribut, qui est de procéder d’un cœur pur qui consiste en ce que l’âme dégagée de tout amour de ce monde, regarde et reconnaît Dieu pour son souverain bien comme il est dit (Psaumes XVI, 5) Le Seigneur est la part de mon héritage et de mon breuvage et c’est toi qui me rétabliras dans mon héritage. Et (Psaumes XXXIV, 18) Le Seigneur connaît les jours de ceux qui sont entiers et leur héritage demeurera à toujours. C’est pourquoi l’Homme doit mettre en Dieu toute la joie de son âme et le contentement de son cœur. XV. Dieu doit donc être le bien aimé de notre âme, étant le souverain et le meilleur bien. Et en effet, n’est-il pas la pure grâce, la charité, la douceur, la patience, la foi, la vérité, la consolation, la paix, la joie, la vie et la béatitude ? Toutes choses qu’il a aussi conférées au Christ de sorte que quiconque le possède, jouit en lui de tous ces avantages. C’est pourquoi celui qui aime Dieu, doit aussi aimer sa vérité, sa miséricorde, sa bonté et toutes les vertus. XVI. Car une vrai amateur de Dieu, aime tout ce qui lui est agréable et a de l’aversion pour tout ce qui lui déplaît. Il faut donc aimer la justice, la vérité, la miséricorde, puisque Dieu est tout cela. Il faut aimer la douceur et l’humilité, pour se conformer à l’exemple de notre Sauveur qui s’est montré si humble et si doux. Au contraire un vrai amateur de Dieu hait et abhorre toute sorte de vies, comme lui étant opposés, et les œuvres du Diable. Il a donc le mensonge en exécration, parce que le diable est menteur et il en agit ainsi à l’égard des autres péchés, par ce qu’ils sont les opérations du diable. Quiconque aime le mensonge et l’injustice est un enfant du diable (Jean VIII, 44). Au lieu que celui qui aime le Christ, comme son Rédempteur et Sauveur, chérit aussi sa vie innocente, sa douceur, son humilité, sa patience. Un tel chrétien est enfant de Dieu. XVII. Ne manquez pas demander avec ardeur cette pureté de la charité à Dieu qui l’a allumée en vous par l’amour du Christ et il en allume volontiers ces flammes dans votre cœur, pourvu que vous l’en
Dieu est le souverain bien de l’Homme.
Pourquoi il faut aimer la vertu ?
Pourquoi il faut fuir les vices ?
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La charité de Dieu et l’amour du prochain ne peuvent être séparés.
De l'amour de Dieu et du prochain.
priez instamment et que vous lui donniez votre cœur, mais à toutes les heures et à tous les moments. Votre charité est elle faible et froide ? S’éteint-elle quelquefois en vous jusqu’à vous faire broncher ? Ha ! Relevez-vous aussitôt, rallumez-la, certain que la lumière éternelle de la charité divine ne s’éteint point et que Dieu, plein de grâces et de douceur, est tout prêt à vous éclairer encore une fois. Ce qui ne doit pas toutefois vous empêcher de prier Dieu tous les jours, qu’il ne permette pas que ce feu ardent de la charité divine s’éteigne jamais en votre cœur. Nous avons traité jusqu’à présent de la charité qui part d’un cœur purifié de l’amour des créatures et du monde. XVIII. Voyons maintenant l’amour du prochain qui procède d’une conscience pure. La charité de Dieu et l’amour du prochain sont une même chose ou plutôt, sont deux choses si unies qu’on ne les peut séparer, puisque la charité envers Dieu ne paraît plus manifestement, que par l’amour du prochain. Si quelqu’un dit : j’aime Dieu et il hait son frère, il est menteur. Car celui qui n’aime point son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit point ? Et nous avons ce commandement de Dieu, que celui qui aime Dieu aime aussi son prochain (1 Jean IV, 20) C’est à dire que la charité de Dieu ne peut habiter ni se trouver dans un cœur plein de rancune et ennemi de son prochain. C’est pourquoi il dit, si votre frère, que vous voyez, étant dans le besoin, vous n’avez aucune miséricorde pour lui, comment aimerez-vous Dieu, qui n’a pas besoin de votre secours ? XIX. Comme c’est la foi qui nous unit à Dieu, c’est l’amour qui nous unit au prochain (1 Jean IV, 16) Qui demeure en la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui. De même que l’Homme est un composé de l’âme et du corps, ainsi la foi et la charité de Dieu jointes à l’amour du prochain, forment le vrai Chrétien. Et puisque Dieu est bien disposé à l’égard de tous les Hommes, celui qui l’imite en cette disposition, semble être uni à Dieu et ne faire qu’un esprit avec lui. Mais celui qui fait le contraire, devient ennemi de Dieu, étant ennemi de l’Homme. XX. Le propre de la charité est d’avoir compassion des défauts,
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des imperfections, des fautes et des chutes de notre prochain (Galates VI, 1) Et à la vérité, les défauts de notre prochain sont le miroir des nôtres, afin que nous y reconnaissions et nous y apprenions notre propre faiblesse. D’où il est nécessaire, que nous supportions avec patience, humilité et douceur, l’infirmité de notre prochain (Romains XV, 7)
La Charité veut qu’on ait de la compassion pour le pécheur.
XXI. Certainement ceux qui pèchent plutôt par l’ardeur de leur nature, qu’avec un dessein prémédité, se reconnaissent aussitôt, se blâment eux-mêmes, se punissent et s’avouent pécheurs, sont assurément dignes de compassion et méritent ce pardon qu’on ne peur leur refuser, sans donner à connaître qu’on n’a pas l’esprit de Christ. En effet, il n’y a que celui qui est privé par sa faute de cette miséricordieuse charité de Dieu et de l’Esprit saint et par conséquent de Dieu même, qui puisse si témérairement punir les fautes et les infirmités de son prochain puisqu’un vrai Chrétien qui est oint de l’esprit du Christ, supporte tous les Hommes avec condoléance, compassion et amour, à l’exemple du Christ, son maître et c’est là la pierre de touche, sur laquelle chacun doit s’éprouver. Que si quelqu’un s’aperçoit n’avoir point l’amour du prochain, qu’il se persuade que la charité de Dieu et Dieu même, s’est retiré de lui. De quoi il doit concevoir de l’horreur et s’en repentant dans son cœur, se réconcilier avec son prochain, ce qui étant fait, il éprouvera que Dieu se rejoindra à lui par sa charité et tout ce qu’il fera ensuite en foi et en charité, redeviendra bon, saint et divin. Alors, par le mouvement de cette charité de Dieu, habitante en l’Homme, il exerce volontiers et avec plaisir l’amour et la miséricorde, ne trouvant rien de plus agréable que de faire du bien à tout le monde, ou comme parle Jérémie (Jérémie XXXII, 41) Il se réjouit sur eux pour leur faire du bien.
Il faut compatir aux faibles.
XXII. Hors la charité, tout ce qui est dans l’Homme est diabolique et entièrement méchant, et il n’y a point d’autres raisons pourquoi le diable ne peut rien faire de bon, que parce qu’il est dépourvu de la charité de Dieu et de l’amour du prochain. C’est pourquoi toutes ses actions et tous ses conseils ne tendent qu’à déshonorer Dieu et perdre le prochain, afin de satisfaire l’inimitié mortelle qu’il porte à
Où il n’y a point de charité, il n’y a point de Dieu.
Pourquoi tout ce que le diable fait est mauvais.
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De l'amour du prochain.
Dieu et à l’Homme. C’est pour exécuter les projets de son envie et de sa colère qu’il cherche des âmes qu’il puisse infecter du même poison. Et c’est le symbole par lequel on distingue les enfants de Satan, des enfants de Dieu (1 Jean IV, 10)
Qui aime Dieu, aime toutes ses œuvres, même ses châtiments.
XXIII. La charité procède d’une foi qui n’est pas feinte parce qu’elle aime Dieu autant dans les adversités, que dans les prospérités. Quiconque en effet l’aime véritablement, ne peut s’empêcher de n’avoir point pour agréable, tout ce que Dieu a ordonné, qu’il souffrit à l’exemple du Christ qui a souffert avec plaisir la croix qu’il savait lui être imposée par la volonté de son Père, ce qui le fait dire : (Luc XII, 50) J’ai à être baptisé d’un baptême et comment suis-je pressé jusqu’à ce qu’il soit parfait. Tous les martyrs ne l’ont-ils pas imité en portant leurs croix et en endurant les plus horribles tourments avec une si grande joie ? XXIV. Quiconque en effet aime Dieu de tout son cœur, ne peut ne pas porter avec plaisir cette Croix, qu’il sait être le joug du Christ (Matthieu XI, 29). Si l’aimant peut attirer un fer pesant, pourquoi cet aimant céleste de l’amour divin n’attirera-t-il point à soi, le poids de notre croix en la rendant même légère ? Pourquoi le sucre corrige-t-il plutôt l’amertume des herbes et des remèdes, que la douceur de la charité divine ne rectifie la saveur insipide, fade et même amère de notre croix ? Croix, dont la force est si grande, que les saints martyrs n’ont puisé nulle autre part la force de cette fermeté invincible, incroyable et cependant toujours égale et contente que dans cette source dont étant agréablement enivrés, ils sentaient à peine la violence des tourments.
CHAPITRE XXV De l’amour de Dieu et du prochain en particulier. 2 Pierre II, 19 On est asservi à celui par lequel on est vaincu.
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l n’y a point de servitude plus difficile, plus rude et plus dure, que de servir à ses passions criminelles et en particulier à la haine et à l’inimitié. Passion, qui charge et enchaîne toutes les forces du corps et de l’âme, sans laisser à l’Homme la moindre pensée libre. Au lieu que celui qui exerce la charité est libre d’esprit, n’étant point esclave de la colère, de l’envie, de l’avarice, de l’usure, de l’orgueil, du mensonge et de la calomnie ; toutes passions dont il est délivré par la charité qui ne souffre point qu’il soit surmonté par ces vices honteux mais le rend affranchi de Christ par l’esprit de liberté : (2 Corinthiens III, 17) Car où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté. Quiconque donc marche dans la charité de Christ, cesse d’être esclave du péché, des passions et des désirs de la chair, parce que par l’esprit de la charité divine, il est purifié et affranchi des convoitises de la chair. Voyons maintenant, comment cette charité divine s’étend sur tous les Hommes, ce qui nous est non seulement marqué dans la parole de Dieu, mais encore manifesté par toute la nature. Nous sommes tous entourés d’un même ciel. Les grands et les petits on l’usage du soleil, de l’air, de la terre et des eaux. Tel que le souverain Être se montre à l’égard du genre humain, telle notre âme doit être envers le prochain, d’autant que les choses dont nous venons de parler n’on point été établies de Dieu sans dessein, mais afin que par son exemple, il nous enseigna et nous donna à connaître qu’il avait un amour égal pour tous. C’est à dire qu’il nous aimait tous également en Christ, sans avoir égard aux personnes, à la dignité, ni aux mérites. Nous devons donc nous comporter envers le prochain, de la même manière qu’il se montre à notre égard, en sorte que nos serons traités comme nous aurons traité les autres. Loi, qu’il a mise et imprimée dans nos cœurs, afin de nous montrer évidemment que la disposition où il marquait être à notre égard était celle où nous devions être envers le prochain. C’est pourquoi, celui qui veut savoir comment il est auprès de Dieu, peut se contenter d’interroger sa conscience, parce que tel qu’elle lui marquera qu’il est à l’endroit de son prochain, tel pourra-t-il inférer être auprès de Dieu. En effet, il est naturel que Dieu nous traite comme nous aurons traité notre prochain. C’est en ce sens que selon le Psalmiste (Psaumes XIIX, 27) Avec les bénins, Dieu se montre bénin et envers les pervers,
La servitude des passions est la plus fâcheuse.
L’universalité de la charité divine.
Épreuve de l’amour divin.
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De l'amour du prochain.
il agit selon leur perversité. C’est à dire que si tu as un cœur pervers pour ton frère, Dieu te seras contraire. II. N’ayant aucun besoin de nous, mais le prochain, il est évident qu’il ne nous en a commandé l’amour qu’afin qu’il fut la preuve certaine et comme j’ai dit, la pierre de touche de notre charité envers lui.
Le Christ révoque la rémission des péchés à ceux qui ne pardonnent point à leur prochain.
Commandement de la charité.
III. Si le Seigneur avait eu un autre dessein, il n’aurait pas si exactement rapporté tout à l’amour du prochain, comme à un but et à une fin. Il ne nous aurait point obligé à cette loi de nous comporter à toutes les heures et à tous les moments de la même manière que nous connaissons par expérience, qu’il est disposé et qu’il en agit envers nous. C’est pour cette raison que bien que J.C. ait une fois pleinement satisfait par sa mort pour les péchés de tous les Hommes et qu’il les ait rétablis dans cet état de grâce dont ils étaient tombés, personne cependant ne peut s’y maintenir qu’il ne soit auparavant réconcilié avec le prochain. Car tout le genre humain nous est représenté sous la personne du méchant serviteur (Matthieu XVIII, 26-35) à qui le Roi ayant remis toutes ses dettes, parce qu’il n’avait pas de quoi payer, se montra ensuite si cruel à l’égard de son frère que le Roi révoqua sa parole et son bienfait, en condamnant ce méchant serviteur à cause de la dureté qu’il avait exercée à l’égard de son prochain. Parabole que le Christ conclut ainsi C’est de cette sorte, que mon père céleste agira envers vous. A quoi nous pouvons également rapporter ce qu’il dit (Luc VI, 38) En la mesure que vous mesurerez, on vous mesurera aussi. IV. D’où il est manifeste que l’Homme n’a pas seulement été créé pour lui-même, mais encore pour son prochain et qu’aussitôt que l’on transgresse le commandement d’aimer le prochain, la charité de Dieu s’éloigne de nous, pour faire place à sa justice, par le rigoureux décret de laquelle on est aussitôt condamné. Si nous repassions ces choses en notre esprit, nous ne nous mettrions jamais en colère l’un contre l’autre et le soleil ne se coucherait point sur notre colère (Éphésiens IV, 26). En effet, c’est une chose horrible à penser, que le mérite de
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Christ, par lequel il a pleinement satisfait pour les péchés de tous les Hommes, lorsqu’à l’exemple de ce Roi de la parabole, il nous à par une pure grâce, remis toutes nos dettes, que ce mérite, dis-je, soit perdu et devienne inutile, si nous ne nous remettons à nos frères et ne cessons de les haïr.
Le cœur qui ne veut point se réconcilier, ne peut éprouver le mérite de Christ.
V. Quelque rude que cette loi nous paraisse, elle est cependant écrite et nous oblige de telle sorte, que Dieu refuse l’amour que nous lui devons, si nous n’en avons point pour le prochain. Y manquons-nous, nous devenons en même temps coupables devant Dieu. Et certainement la raison, pour laquelle aucun n’a pas été créé meilleur et plus excellent qu’un autre, est afin que les Hommes de se méprisassent point, mais que étant comme frères et enfants d’un même père, ils vécurent paisiblement et en une union qui tranquillisa leur conscience.
Sujet de la charité.
VI. Celui donc qui hait son frère et le méprise, sache qu’il hait en même temps et méprise Dieu même, qui nous l’a si sévèrement défendu et qu’ainsi, il devient si haïssable et si abominable à ses yeux, qu’il le juge indigne d’éprouver l’efficace du mérite du Christ et coupable d’un damnation éternelle. VII. Car il ne se peut faire qu’un cœur plein d’inimité, sans miséricorde et inhumain, participe au sang du Christ qui n’a été répandu que par un pur amour. Puisque d’ailleurs, nous remarquons évidemment par la parabole dont nous avons fait mention (Matthieu XVIII, 35), que Dieu est moins sensible à une dette de dix mille talens, qu’il n’est indigné de la dureté du cœur et de la cruauté de ce serviteur que ne veut avoir aucune patience avec celui qui est dans une égale condition. Repassons donc continuellement dans notre esprit cette conclusion qu’en fait le Fils de Dieu : Ce sera ainsi, que mon Père céleste en agira avec vous.
Dieu n’est plus offensé d’aucun vice, que du cœur sans miséricorde.
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Pourquoi il faut aimer son prochain.
CHAPITRE XXVI Pourquoi le prochain doit être aimé ? Romains XIII, 8 Ne devez rien à personne, si ce n’est de vous aimer les uns les autres. Car celui qui aime son prochain a accompli la Loi.
N
ous lisons dans le Prophète Michée, cette demande et cette réponse (Michée VI, 6) Qu’offrirai-je au Seigneur, qui soit digne de lui ? Lui offrirai-je des holocaustes et des veaux d’un an ? Pensez-vous que le Seigneur prenne plaisir aux milliers de moutons ? Ou que l’huile lui soit agréable, quand il y en aurait un torrent ? Donnerai-je mon premier né pour mon forfait et le fruit de mon ventre pour le péché de mon âme ? ô Homme, on t’a déclaré ce qui est bon et ce que le Seigneur requiert de toi, à savoir, faire ce qui est droit, exercer la miséricorde, observer la parole de Dieu et marcher dans l’humilité devant lui. En quoi consiste le vrai culte de Dieu.
II. Le Prophète nous apprend par ces demandes et par ces réponses, en quoi consiste le vrai culte de Dieu, à savoir, que ce n’est pas dans les cérémonies et les offrandes extérieures. Que l’Homme peutil donner à Dieu, tout étant à lui ? Ce n’est point non plus dans des victimes humaines. Dieu les auraient en abomination et elles seraient honte à la victime propitiatoire de J.C. que Dieu a établi pour porter les péchés du monde (Jean I, 29). Ce vrai culte consiste dans une foi pure que le prophète appelle faire ce qui est droit et observer la parole de Dieu, je veux dire, dans l’exercice de la foi, de la charité, de la miséricorde, qui lui est plus agréable que toutes les offrandes, aussi bien que dans cet auguste sacrifice, qui se fait par l’humilité. Selon le Psalmiste (Psaumes LI, 19) Le sacrifice qui plaît à Dieu est un esprit froissé. Ô Dieu, tu ne mépriseras point le cœur contrit et humilié. III. Ainsi, il faut que le vrai culte divin parte du fond du cœur, de la foi, de la charité et de l’humilité. C’est à quoi nous exhorte l’Apôtre S. Paul (Romains XIII, 8, 9, 10) dont nous avons mis l’avertissement au commencement de ce Chapitre, qui contient un éloge de la charité et notre obligation continuelle à l’égard du
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prochain. Et cela, afin que nous puissions rendre un juste culte à Dieu, qui ne peut être servi que par ce qu’il opère lui-même dans nos cœurs, en sorte que servir Dieu, n’est autre chose que de servir le prochain, en lui faisant du bien et en l’aimant. IV. Pour nous exhorter à cet amour du prochain, l’Apôtre se sert d’un argument qui doit agréer à tous ceux qui aiment la vertu et la vie chrétienne. L’amour, dit-il, comprend toutes les vertus et est l’accomplissement de la loi. Argument par lequel l’Apôtre ne prétend pas nous assurer que nous puissions par notre charité satisfaire entièrement à la loi divine et mériter le salut et la vie éternelle, ce qui arriverait effectivement si notre charité était parfaite, mais il veut nous insinuer l’excellence et la dignité de cette vertu et nous enflammer à l’exercer avec un zèle ardent. Car notre justice et notre salut sont fondés sur le mérite de J.C. que nous appliquons par la foi.
Éloge de la charité.
V. De cette justice provient l’amour du prochain avec toutes les autres vertus, qui pour cela sont appelées les fruits de la justice à la louange et à la gloire de Dieu (Philippiens I, 2). Puis donc que la dignité de cette vertu est si grande, il est à propos de nous appliquer à chercher plus de motifs et plus de preuves, pour nous en convaincre et nous fonder en cet amour. VI. A mon avis la preuve qui peut nous y exciter le plus, est celle dont se sert S. Jean, disant : (1 Jean IV, 16) Dieu est charité et celui qui demeure en la charité demeure en Dieu et Dieu en lui. Qui ne voudrait pas volontiers être et demeurer en Dieu ? Et qui ne souhaiterait pas que Dieu fût et demeura en lui ? Comme au contraire, qui n’aurait pas horreur d’être en Satan et que Satan soit en lui ? Ce qui pourtant arrive toutes les fois, qu’ayant chassé la charité de notre cœur, la cruauté et l’inimitié en prennent la place. Car le diable est l’ennemi des Hommes, mais Dieu veut bien être leur ami. Ce que Jean nous veut marquer, lorsqu’il dit au même endroit : (1 Jean IV, 7, 8) Quiconque aime, est né de Dieu et connaît Dieu. En cela sont manifestés les enfants de Dieu et les enfants du diable. Qu’y a-t-il de plus consolable, que d’être enfant de Dieu, être né de Dieu et connaître véritablement Dieu ? Il est
Quel est le sujet qui doit nous porter et engager à la charité ?
La charité est le symbole des enfants de Dieu.
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On connaît Dieu par la charité.
Ce qui fait un disciple du Christ.
Dieu ne demande pas des choses difficiles.
Pourquoi il faut aimer son prochain.
évident que celui qui n’a pas l’amour dans le cœur ou n’en a jamais éprouvé la force, la vie, les saveurs, la bonté, l’honnêteté, la douceur et la patience, ne connaît point Dieu qui n’est que Charité. Il faut que la connaissance de Dieu et du Christ nous vienne par l’expérience et par le sentiment. Le Christ étant tout amour et la douceur même, il s’ensuit que celui qui n’a point exercé ces vertus, ne connaît point le Christ, mais seulement celui qui les a pratiquées, selon Pierre, qui nous dit (2 Pierre I, 8) Si vous avez la charité, elle ne vous laissera point oisifs, ni stériles en la connaissance de notre Seigneur Jésus Christ. VII. Le Seigneur dit aussi en S. Jean : (Jean XIII, 35) Par là tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. Pour être disciple du Christ, ce n’est donc pas assez que vous le soyez seulement de nom et de profession. Il faut encore que vous croyez en Christ, que vous l’aimiez, le suiviez, viviez en lui et l’écoutiez. Que vous en soyez véritablement aimé et qu’enfin vous participiez à tous ses biens. Quiconque n’a pas une telle charité n’appartient point à Christ et n’a aucune part en lui, puisqu’étant sans foi, Christ ne le reconnaîtra point pour un des siens. Comme on connaît une pomme par le goût et une fleur par l’odeur, de même le Chrétien se connaît par l’amour. VIII. S. Paul dit hardiment, (1 Corinthiens XIII, 2) que les plus excellents dons, sans la charité, ne sont rien. En effet, bien que vous possédiez plusieurs sortes de langues, que vous fassiez des miracles, que vous pénétriez les mystères, etc., toutes ces choses ne prouvent point que vous êtes un Chrétien, mais la foi qui opère par la charité. De plus, le Seigneur ne nous a pas commandé des choses difficiles, comme de faire des miracles, mais d’exercer la charité et l’humilité. Et au jour du jugement, on ne vous demandera pas si vous êtes fort avancé dans les arts, les langues et les sciences, mais comment vous avez exercé la charité par la foi. J’ai eu faim, dit le Christ (Matthieu XXV, 35), et vous ne m’avez pas donné à manger. Et Paul nous assure, (Galates V, 6) qu’en J.C. ni la circoncision, ni le prépuce n’a aucune vertu. C’est à dire, ni la prééminence, ni les talents, ni l’autorité des personnes, mais la foi agissante par la charité.
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IX. Écoutez les paroles de l’Apôtre S. Jean : (1 Jean IV, 20, 21) Si quelqu’un dit, j’aime Dieu et il hait son frère, il est menteur. Car celui qui n’aime point son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? Et nous avons ce commandement de Dieu, que celui qui aime Dieu aime aussi son frère. Ce qui nous donne à connaître, que la charité de Dieu ne peut subsister sans l’amour du prochain, et que celui qui n’aime pas son prochain, est ennemi de Dieu, car l’ennemi de l’Homme est l’ennemi de Dieu, qui est le souverain amateur des Hommes. X. La charité est une loi de la nature, par laquelle tous les biens viennent à l’Homme et sans laquelle il faut qu’il périsse, puisque tout ce qui arrive de bien à l’Homme, a sa source dans la charité. C’est pourquoi Paul l’appelle (Colossiens III, 14) le lien de la perfection, et en décrit si exactement les excellents fruits qui en croissent (Romains XII, 9). Et le Sauveur même nous enseigne (Matthieu VII, 12) que toutes les choses que nous voulons que les Hommes nous fassent, nous devons les leur faire, parce que c’est là la loi et les prophètes. Les païens mêmes, ont appris de la nature de ne point faire à autrui ce que nous ne voulons pas que l’on nous fasse. C’est cette loi et ce précepte naturel, que l’Empereur Severe, ce Prince si digne de louange pour sa vie moralement vertueuse, avait toujours en bouche et qu’il a même inséré dans ses lois écrites. XI. La charité est une belle figure et un avant-goût de la vie éternelle, dans laquelle les élus s’aimeront réciproquement et très sincèrement, recevant une joie singulière les uns des autres ; où les bienheureux habiteront et converseront ensembles avec une concorde merveilleuse et ineffable, avec agrément, douceur, affection, gaieté et honnêteté. Quiconque veut donc avoir quelque avant-goût de la vie éternelle, qu’il s’applique à la charité qui lui procurera un plaisir singulier, beaucoup de repos et la joie dans le cœur. XII. Plus la charité est pure, ardente et cordiale, plus elle approche de la nature divine, puisqu’en Dieu, en Christ et dans le Saint Esprit, la charité est très pure, très tendre, très fervente, très noble et très sincère. L’amour est pur quand on aime sans aucune vue
Il faut que celui qui veut aimer Dieu, aime son prochain.
Toute la loi dépend de la charité.
La charité est une figure de la vie éternelle. La charité nous unit à Dieu.
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Différence de la charité païenne et chrétienne.
L’amour des ennemis est une propriété du Chrétien.
Pourquoi il faut aimer son prochain.
d’intérêt particulier, mais par rapport à Dieu seul, que nous savons nous avoir aimé d’une manière si pure et si désintéressée. Qui n’agit pas ainsi, mais aime son prochain pour son propre intérêt, n’a pas un amour pur et divin. C’est en cela que consiste la différence de la charité païenne d’avec la chrétienne. Un Chrétien aime gratuitement son prochain en Dieu et en Christ et même tous les Hommes. Désintéressement, que les païens n’ont point connu, ayant souillé toutes leurs vertus par le vain désir de l’honneur et de leur propre utilité. Nous aimons véritablement notre prochain, lorsqu’il n’y a ni hypocrisie, ni fausseté dans notre amour qui part du cœur et non pas seulement des lèvres et de la langue, qui sert à tromper tant de gens. Enfin, la charité est ardente, lorsqu’elle est accompagnée de la miséricorde et de la compassion et quand les intérêts du prochain ne nous sont pas moins à cœur que les nôtres propres, en sorte même, que nous n’hésiterions point de donner pour lui notre vie (1 Jean III, 16) si elle lui était utile, à l’exemple de Moïse (Exode XXXII, 32) et de Paul (Romains IX, 3) qui souhaitaient être anathème pour les frères. XIV. D’où il s’ensuit, que nous devons et qu’il nous faut aimer nos ennemis, comme il est marqué en S. Matth. (Matthieu V, 44) et S. Luc (Luc VI, 3, 5) Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient, afin que vous soyez enfants de votre Père qui est aux cieux, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous ? Les publicains n’en font-ils pas autant ? C’est pourquoi la dignité, la noblesse et l’excellence des chrétiens consiste à soumettre la nature, dompter la chair et le sang et à vaincre par le bien et par la vertu, le monde avec tout le mal (Romains XIII, 2) qu’il renferme. C’est le commandement de Dieu dans l’Ancien Testament (Exode XXIII, 5) Si tu rencontres le bœuf de ton ennemi, ou son âne égaré, tu ne manqueras pas de le lui ramener. Si tu vois l’âne de celui qui te hait couché sous son fardeau, tu ne passeras pas outre, mais tu le relèveras avec lui. S. Paul admirant ce soin de Dieu pour des animaux, dit : (1 Corinthiens IX, 9) Dieu a-t-il soin des bœufs ? ne dit-il pas ces choses principalement pour nous ? Aussi nous dit-il : Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger (Romains XII, 20). Il ne nous suffit donc pas de ne point faire de tort à notre prochain, ni même à notre ennemi. Il faut que nous
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lui fassions du bien. Celui qui méprise de le faire, ne peut être fils de Dieu, parce qu’il n’aime pas le prochain. XIV. Qui ne s’applique pas à exercer la charité chrétienne, se sépare du corps spirituel de Christ, qui est l’Église et se prive de tous ses mérites, selon S. Paul : (Éphésiens IV, 5) Un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême. Car comme les membres séparés de la tête n’en peuvent recevoir ni la force ni la vie ni les bénignes influences mais périssent, de même tous ceux qui ne vivent pas dans la charité, se séparant eux-mêmes du Christ qui est leur chef et leur tête, n’en reçoivent ni la vie, ni le mouvement, ni la plénitude, selon S. Jean (1 Jean III, 14) Qui n’aime point son frère, demeure en la mort, étant vivant il est mort. XV. Le dernier motif qui nous excite à l’amour du prochain, est qu’il nous faut acquérir tous les dons de Dieu par la prière, sans laquelle c’est en vain que nous espérons du secours, de la consolation et notre délivrance, ne pouvant sans elle, recevoir de bénédiction, ni éprouver de prospérité. Or Dieu n’exauce aucune prière que celles qui sont fondées sur la foi et dans la charité, ce qui a fait dire à J.C. (Matthieu XVIII, 19) Si deux ou trois d’entrevous s’accordent sur la terre, tout ce qu’ils demanderont leur sera donné par mon Père qui est aux Cieux. XVI. Vivons donc, ô mortels, en la charité, puisque c’est en elle que se trouve la paix et l’union. Or où est la paix (Romains XV, 13-33) le Dieu de paix s’y trouve et où est le Dieu de paix, là (Psaumes CXXXIII, 2) le Seigneur a ordonné la bénédiction et la vie à toujours.
CHAPITRE XXVII Pourquoi il faut aimer les ennemis ? Matthieu V, 44 Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient, afin que vous soyez enfants de votre Père qui est aux Cieux.
La charité marque que quelqu’un est membre vivant de l’Église.
Prière sans charité, inutile.
Paix en la charité.
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L
Il faut aimer ses ennemis.
a première raison de cet amour se tire du commandement de Dieu qui nous dit ici, aimez vos ennemis et le Seigneur n’en ajoute d’autre motif, que celui-ci, afin que vous soyez les enfants de votre Père qui vous a aimé lors que nous étions ses ennemis, dit S. Paul (Romains V, 10). Par où le Seigneur nous veut donner à entendre que si nous n’aimons nos ennemis, nous ne pouvons être les enfants de notre Père céleste. Qui n’est point son enfant, de qui le sera-t-il ? Ah, que nous avons encore des choses à apprendre ! Que nous nous sommes encore éloignés des fruits et des avantages de l’enfance de Dieu, puisqu’il faut, que dans ses vrais enfants, il y ait un amour qui aime les ennemis ! La vie spirituelle consiste en foi et en charité.
II. Celui qui n’aime point son frère, dit S. Jean (1 Jean III, 14) demeure dans la mort. Pourquoi ? parce qu’il n’a point encore de Christ, cette vraie vie, qui est spirituelle et céleste, qui consiste en la foi envers Dieu et en amour pour le prochain, selon le même Apôtre : nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Tel est le fruit et la marque de la vivification en Christ, comme au contraire l’inimité est celle de notre mort, en sorte que quiconque meurt ennemi de son frère, meurt d’une mort éternelle. C’est de quoi le Seigneur Jésus nous avertit si fidèlement.
Sans la charité toutes les bonnes œuvres sont mortes.
III. Quand un Homme hait son prochain, toutes ses bonnes œuvres sont perdues, comme le culte qu’il rend à Dieu, ses prières et même l’observation de ses commandements : Quand je distribuerais, dit S. Paul, tout mon bien pour nourrir les pauvres et quand même je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, cela ne me sert de rien (1 Corinthiens XIII, 3). IV. N’est-ce pas de plus le fait d’une grande âme, noble et divine de pardonner les injures ? Considérez combien Dieu est modéré et patient ? Comment il se laisse tout d’un coup fléchir et apaiser ? (Psaumes CIII, 8) Jetez les yeux sur le Seigneur Jésus qui souffrit les plus cruels tourments, comme un agneau, sans même ouvrir la bouche (Esaïe LIII, 7). Représentez-vous le Saint Esprit qui n’a paru sous la forme d’une colombe, que pour nous enseigner
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la douceur et la simplicité des mœurs. (Matthieu III, 6) Pensez à la patience avec laquelle Moïse supporta les blasphèmes et les injures du peuple d’Israël, patience qui lui a mérité cet éloge. (Nombres XII, 3) Moïse était un homme fort doux plus que tous les Hommes qui demeuraient sur la terre. Enfin, avec quelle tranquillité d’âme David ne supporta-til pas Semeï, qui le maudissait (2 Samuel XVI, 10) V. La vraie charité ne se met jamais plus facilement en colère que contre elle-même. Et la vraie paix ne consiste pas dans une grande prospérité, mais dans une humble patience, à supporter les adversités. Publius dit agréablement : Ingenuitas non recipit contumeliam. Un esprit courageux n’est capable d’aucun blasphème, et Sénèque ; Si mangnanimus fueris, non judicabis, tibi contumeliam fieri. Si tu es vraiment magnanime et généreux, tu ne croiras jamais qu’on te puisse faire aucun outrage. Comme celui qui serait assez fou pour outrager le soleil pour dire qu’il n’est que ténèbres, ne changerait pas pour cela sa nature ; il en est de même d’une âme forte et généreuse, qui met sa plus grande vengeance à pardonner. Ce sont ces excellentes règles de vie qu’on pratiqué les plus grands Hommes de l’antiquité. Comme un Périclès, cet éloquent orateur Grec, qui, après avoir été injurié pendant tout le jour par un Homme qu’il écouta patiemment et sans répliquer, fit mener ce même Homme chez lui vers la nuit, de peur qu’il ne lui arriva quelque accident ; disant ces paroles, il est plus difficile de posséder la vertu que de la maudire. Comme un Phocion, prince Athénien, qui après avoir rendu de grands services à sa patrie par ses belles actions, étant condamné à mort par l’envie de quelques uns et interrogé en y allant, ce qu’il voulait qu’on manda de sa part à son fils, répondit : rien autre chose si ce n’est qu’il ne se mette pas dans l’esprit de venger l’injure que je souffre de la part de ma patrie. Lorsqu’on eut donné avis à l’Empereur Tite qu’il y avait à Rome deux frères qui aspiraient à l’Empire et avaient juré et conspiré sa mort, il ne fit point difficulté de les envoyer prier à souper et alla le lendemain avec eux voir les spectacles, s’asseyant entre eux deux et ce fut par cette admirable clémence, qu’il surmonta et apaisa leur méchanceté. Quand on eu rapporté à Jules César que Caton s’était tué lui-même, il ne put s’empêcher de dire : La plus grande de toutes mes victoires vient de m’être ravie, car je ne pensais remettre et
Exemple de douceur et de patience dans les païens.
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Il faut aimer ses ennemis.
pardonner volontiers à Caton toutes les injures qu’il m’avait faites. La grande patience de Dieu.
VI. Mais celui que l’extrême patience et l’humilité du fils de Dieu ne peuvent porter à aimer ses ennemis, n’y pourra jamais être engagé, ni par les exemples des païens dont j’ai fait mention, ni par ceux des Saints. Quelle plus grande injustice peut-on commettre ? Quelle plus énorme méchanceté peut-on inventer, que celle dont les enfants des Hommes traitent le Fils unique de Dieu, tout innocent qu’il était, il leur servit de jouet, ils le meurtrirent à coups de verges, le couronnèrent d’épines, lui crachèrent au visage et l’attachèrent enfin à une croix ? Ce fut pourtant une telle impiété, que par une pure grâce, il pardonna à ses ennemis pour lesquels il pria le Seigneur, s’écriant : Père, pardonne leur (Luc XXIII, 34).
L’exemple de Christ est notre remède souverain.
VII. Le motif pour lequel notre rédempteur nous a remis son exemple devant les yeux, est certainement afin qu’il nous fut un remède souverain de toute notre vie, par la vertu duquel tout ce qu’il y a d’élevé et d’orgueilleux en nous, fut humilité. Tout ce qu’il y a de faible, fut affermi, tout ce qu’il y a d’inutile, fut retranché, tout ce qu’il y a de corrompu, fut corrigé. Comment l’orgueil peut-il être assez grand dans l’Homme pour n’être point guéri par la profonde humilité du Fils de Dieu ? Ou quelle peut-être l’avarice, que la sainte pauvreté de Christ ne puisse guérir ? Quelle colère si violente qu’elle soit, ne devrait pas être apaisée par sa douceur ? Quel si barbare désir de vengeance ne sera point guéri par sa patience ? Quelle si cruelle inhumanité ne pourra être surmontée et adoucie par sa charité et ce nombre infini de ses bienfaits ? Enfin, quel cœur si dur qu’il puisse être, ne sera point attendri par ses larmes ?
Image de Dieu.
VIII. Qui ne voudrait volontiers être semblable à Dieu le Père, à J.C. son cher Fils et au Saint Esprit, et porter l’auguste image de la très sainte Trinité, qui consiste principalement dans la charité et le pardon des injures ? Car la principale et la suprême propriété de Dieu, est de faire miséricorde, d’épargner, de pardonner et d’être propice, ce qui nous empêche de douter que la plus noble de toutes les vertus et celle par laquelle nous devenons plus semblables à Dieu
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et aux plus vertueux personnages, ne soit la charité, qui nous engage au pardon des injures. IX. Enfin, le souverain degré de la vertu est de se vaincre soi-même, de pardonner et de changer sa colère en grâce et en clémence. Se surmonter soi-même, est gagner la victoire, Qui peut à la vertu mériter plus de gloire. A quoi se rapporte ce que nous lisons dans les proverbes (Proverbes XVI, 35) Celui qui est patient, vaut mieux que l’Homme fort et celui qui maîtrise son courage que celui qui prend des villes. La vertu, comme je l’ai dit, ne peut monter plus haut, c’est là son souverain degré. Car alors elle se repose et se perfectionne en Dieu.
Le souverain degré de la vertu.
CHAPITRE XXVIII Comment et pourquoi l’amour du Créateur doit être préféré à l’amour de toutes les créatures ; et pour quelle raison le prochain doit être aimé en Dieu ? 1 Jean II, 15 Si quelqu’un aime le monde, la charité du Père n’est pas en lui.
L
e cœur de l’Homme a reçu de Dieu son créateur, une nature qui ne lui permet pas d’être sans aimer. Il faut nécessairement qu’il aime ou Dieu, ou le monde, ou soi-même. Puis donc que l’Homme doit aimer quelque chose, il semble qu’il faut qu’il porte son amour vers ce qu’il y a de meilleur, qui est Dieu même. Étant juste qu’il rapporte et qu’il rende à Dieu cette noble passion qu’il a mis dans son cœur et que l’Esprit Saint y a allumée ; disposition que nous devons le prier continuellement, qu’il enflamme de plus en plus dans nos cœurs. Car c’est Dieu qui nous a aimé le premier et qui par son amour a excité le nôtre. Aimons-le donc réciproquement, si nous voulons être aimés de lui selon S. Jean (Jean XIV, 21) Celui qui m’aime sera aimé de mon Père. II. L’amour de Dieu est-il en quelqu’un, il ne doit penser
La charité est la plus noble passion et par conséquent due à Dieu seul.
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Préférer l'amour du créateur à celui des créatures.
mal de personne, mais vouloir du bien à tous. C’est la propriété de cet amour et cette disposition que l’amour de Dieu opère en nous doit l’empêcher d’offenser et de ne nuire à personne de parole ou d’effet. Il n’est rien de meilleur que l’amour de Dieu.
Les créatures sont indignes de notre amour.
III. Il y en a plusieurs et même la plupart sont tellement enchanté de l’amour du monde, que la charité de Dieu n’entre jamais dans leurs cœurs ; ce qu’ils font assez connaître par cet amour faux, hypocrite et trompeur qu’ils ne témoignent au prochain, que par rapport à leurs seuls intérêts. Le monde et tout ce qu’il y a dans le monde, ne doit point être aimé jusqu’à faire injure à Dieu et mettre obstacle à l’amour, que nous lui devons. Qu’est-ce que la vanité et la bassesse de ce monde en comparaison de la grandeur et de l’excellence de Dieu ? Comme il surpasse infiniment toutes ses créatures, aussi sa sainte charité est extrêmement plus noble et plus précieuse que tout l’amour que nous leur pouvons porter. C’est pourquoi, toutes les créatures sont trop peu de choses pour nous engager à violer et blesser l’amour que nous devons à Dieu, afin de leur complaire. IV. S. Paul, dit : Qui est celui qui plante une vigne et qui n’en mange pas du fruit (1 Corinthiens IX, 17). Disons de même : Qui est-ce qui est plus digne de notre amour que celui qui l’a imprimé et planté dans nos cœurs et à la charité duquel nous sommes redevables de la vie ? Or, nous vivons tous par la charité de Dieu en Christ, charité à laquelle nous devons avoir égard pendant toute notre vie, quelque fortune que nous éprouvions. Comme les nautoniers jettent l’ancre pour arrêter leur vaisseau lorsqu’il s’élève une tempête, ainsi même toutes les fois que ce monde qui est une mer orageuse, tourmente et agite le vaisseau de notre cœur par les flots des péchés, tels que sont ceux du crime, de l’orgueil, de la colère, de l’impatience, de l’avarice et des passions déréglées, souvenons-nous qu’il faut nous affermir par l’ancre de l’amour de Dieu et du Christ, disposés à plutôt tout endurer que de souffrir que l’on nous en sépare (Romains IIX, 38, 39). Disposition que nous devons conserver, afin que, si nous tombons une fois dans des tentations spirituelles et si nous sommes tourmentés du péché, de la mort, du diable, de l’enfer et de mille autres peines et misères,
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nous puissions nous affermir et y résister par la charité de Dieu et du Christ. La charité du christ est cette montagne qui fut montrée à Loth, pour qu’en s’y retirant, il évita ce feu qui devait tomber sur Sodome et Gomorrhe. C’est par là qu’on peut mettre son âme hors de danger (Genèse XIX, 17).
L’amour de Dieu ne nous peut être ravi.
V. Ainsi, un Chrétien doit sortir de la Sodome et Gomorrhe de ce monde et s’arrêter en l’amour de Dieu, s’il ne veut pas s’exposer à la punition que méritent les convoitises de ce monde. Punition mille fois plus rude que le feu qui consuma Sodome. C’est l’amour et la crainte de Dieu qui préservent l’Homme de ce monde, comme ils préservent Joseph de l’amour impudique de la femme de Putiphar (Genèse XXXIX, 9). VI. Il n’y a que celui qui n’a point goûté les douceurs de la charité divine qui puisse aimer le monde. Personne ne peut haïr son prochain, lui porter envie, le tromper et le condamner, que celui qui n’a pas l’amour de Dieu. D’où viennent tant de chagrins, tant de tristesses et toutes ces afflictions qui rongent l’âme, si ce n’est de ce qu’on n’aime pas Dieu de tout son cœur ? L’amour de Dieu a tant de charmes et de douceurs qu’il peut adoucir les plus grandes peines, consoler et réjouir l’Homme jusque dans la mort.
L’amour et la crainte de Dieu sont le souverain remède des péchés.
VII. La nature de l’amour est de n’estimer grand que ce qu’il aime, de mépriser et d’oublier toutes les autres choses pour obtenir le seul objet qui l’occupe. Pourquoi donc l’Homme n’oublie-t-il pas tout ce qui est dans le monde, honneurs, plaisirs, richesses, afin de pouvoir posséder Dieu seul et qu’on puisse dire de lui : Il aime Dieu ? C’est ce que les Saints ont pratiqué avant nous, eux qui étaient si épris et si charmés de la douceur de l’amour de Dieu, qu’ils en oubliaient le monde et eux-mêmes. Ce fut pour cette raison que les autres les regardèrent comme des insensés, dignes d’être moqués et cependant, ils ont été les plus sages. Qu’est-ce qui est le plus sage ? N’est-ce pas celui qui aime et recherche le bien éternel et préférablement à toute autre chose ? Ceux-là donc étaient dans la vérité les plus grands fous qui estimaient insensés ces saints personnages (1 Corinthiens III, 19
Nature de l’amour divin.
Qui est le plus sage et le plus fou des Hommes ?
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De la réconciliation avec le prochain.
et IV, 10)
Tout se trouve en Dieu.
D’où toutes les créatures sont bonnes ?
Pesanteur des âmes terrestres.
VIII. Le vrai amateur de Dieu le cherche et l’aime comme s’il n’y avait que Dieu au-dessous des Cieux ; ce qui lui fait trouver en Dieu tout ce qu’il pourrait aimer et obtenir en ce monde. Dieu en effet n’est-il pas tout ? Il est le vrai honneur, la joie solide, la paix immuable, le plaisir ineffable, les richesses et la magnificence, plus excellente que dans le monde. Veux-tu aimer quelque chose de beau ? Pourquoi n’aimes-tu pas Dieu qui est la source de la beauté ? Veuxtu aimer quelque chose de bon ? Pourquoi n’aimes-tu pas Dieu qui est le bien éternel ? Et personne n’est bon sans lui (Matthieu XIX, 17) qui de sa nature est le souverain bien. Toutes les créatures sont bonnes, mais ce n’est que parce qu’elles sont une étincelle et un écoulement de la bonté de Dieu. Et la bonté imparfaite, qu’elles en ont reçue estelle à comparer à celui qui en est un parfait océan. IX. Pourquoi n’aimes-tu donc pas plutôt ce Dieu qui est à l’origine, la source et la souveraine perfection de tout bien et cela par sa nature, qui le rend la cause de tout ce qu’il y a de bon en chaque chose ? Moins une chose a de terre et de cette pesanteur terrestre, plus elle est légère et s’élève en haut. Ainsi plus le cœur de l’Homme est appesanti par les choses de la terre, moins il s’élève en haut et peut se réjouir en l’amour de Dieu. Où donc il y a moins d’amour du monde, plus il y a d’amour de Dieu et d’amour du prochain. Ces deux amours étant inséparables. X. D’où il s’ensuit que celui qui aime Dieu, ne peut ne pas aimer aussi le prochain et que quiconque offense Dieu, fait aussi injure au prochain.
CHAPITRE XXIX De la réconciliation avec le prochain, sans laquelle Dieu révoque sa grâce. Nombres V, 6 Si quelqu’un pèche contre l’Homme, il pèche contre le Seigneur.
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P
aroles dignes de notre attention puisque ne séparant point l’Homme de Dieu, elles semblent égaler l’amour et l’offense de l’un, à l’amour et à l’offense de l’autre. Car Moïse y dit expressément : Qui offense l’Homme est réputé faire injure à Dieu.
Offenser l’Homme c’est offenser Dieu.
II. D’où il s’ensuit nécessairement que celui qui veut se réconcilier avec Dieu, doit se réconcilier avec son prochain puisque Dieu est offensé quand l’Homme l’est. C’est pourquoi un Homme qui a offensé Dieu et son semblable ne peut se réconcilier avec Dieu qu’il ne se soit réconcilié avec son prochain. Comme le Christ nous le déclare clairement (Matthieu V, 23). III. Il est donc à propos de dire encore ici quelque chose de l’amour de Dieu et du prochain, en faisant voir comment ils sont unis ensemble et ne peuvent être séparés, ce qui est la vraie et la pure source de l’amour fraternel.
L’amour de Dieu et du prochain sont inséparables.
IV. Saint Jean dit : (1 Jean IV, 20) Si quelqu’un se vante d’aimer Dieu et il hait son frère, c’est un menteur. Car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit point ? En nous avons ce commandement de Dieu que celui qui aime Dieu, aime aussi son frère. Sentiment qui nous confirme que l’amour de Dieu ne peut être véritablement en nous, sans celui du prochain. Notre amour pour Dieu est juste et sincère quand celui que nous portons au prochain est sans fausseté. Comme au contraire l’Homme n’a point un amour pur pour Dieu, quand il n’a qu’un faux amour pour son prochain. Ainsi l’amour du prochain est la pierre de touche de notre amour pour Dieu, laquelle donne à connaître s’il est pur ou non. V. Sur ce fondement, on peu justement considérer l’amour du prochain et la réconciliation fraternelle. L’Homme a deux buts, selon lesquels il doit diriger tout le cours de sa vie. L’amour de Dieu et celui du prochain. C’est à ce but qu’il doit s’efforcer tous les jours d’approcher de plus près, en se rendant de plus en plus parfait en l’amour de
Deux fins ou buts de l’Homme.
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De la réconciliation avec le prochain.
Dieu et du prochain. C’est à cette fin, que tous les Hommes ont été rachetés et sanctifiés. Et le Christ notre Seigneur est le vrai but, après lequel tous doivent courir et vers lequel nous nous approcherons d’autant plus que nous serons moins éloignés de la charité. La charité de Dieu est évidente en l’incarnation de Jésus Christ.
VI. C’est pourquoi Dieu s’est fait Homme, pour nous mettre devant les yeux une image vive et spirituelle de son amour et nous montrer que Dieu est essentiellement l’amour même dans son essence incompréhensible, impénétrable, infinie et divine, afin que les Hommes devinssent conformes par la charité à cette image qui est le Christ.
Lien de la charité.
VII. Or comme dans le Christ Dieu et l’Homme sont unis d’un lien indissociable, de même la charité de Dieu renferme en soi celle du prochain. Amours qui peuvent aussi difficilement être désunies et séparées, que la nature divine et humaine en Jésus Christ. En sorte que de même qu’on ne peut offenser l’humanité de Christ, sans offenser sa divinité. Ainsi celui qui offense son prochain, est censé avoir offensé Dieu. C’est de là que personne ne peut se séparer de son prochain qu’il ne se sépare de Dieu, ni se fâcher contre son prochain, qu’il ne semble vouloir se fâcher contre Dieu. Ni par conséquent, offenser son prochain, qu’il ne l’offense.
Dieu est offensé dans le prochain.
La miséricorde ou la compassion vient de la charité.
VIII. Donnons en une comparaison naturelle. Si l’on forme un cercle et au milieu un point d’où se tirent vers la circonférence toutes les lignes qui sont réunies et rassemblées, ne s’éloigne-t-on pas de ce centre, plus on les sépare les unes des autres ? De même Dieu est un point central, d’où s’éloigne celui qui se sépare de l’amour du prochain, au lieu que celui qui veut y demeurer uni et joint, doit participer à ses misères et le soulager dans ses infortunes ; autrement il est manifeste qu’il n’est point en Dieu, qui est comme le centre, où toutes les lignes doivent se rassembler. IX. Nous en avons aussi une marque excellente et spirituelle en l’histoire de Job. Lorsqu’il apprit que sa substance et ses biens lui étaient enlevés, il se contenta de dire : Dieu me les a donné, Dieu me
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les a ôté : Que le nom du Seigneur soit béni (Job I, 21), sans s’en attrister extrêmement. Mais lorsqu’on lui vint annoncer que tous ses enfants étaient péris, il déchira ses vêtements, et il en fut touché, qu’il commença à se plaindre. Les enfants de Job nous marquent le prochain. Quand nous entendons que notre prochain est dans l’affliction et dans le malheur, notre âme et notre cœur en doivent être plus émus que de la perte de nos héritages, de nos champs et de nos biens. La nature du vrai amour est d’être plus affligée du malheur d’autrui que du sien propre. Que notre vie serait heureuse dès ici-bas, je veux dire sur la terre, si nous marchions et vivions tous en un amour réciproque, qui nous engagerait à ne tromper, à ne condamner, à n’offenser personne.
La vie bienheureuse consiste dans la charité.
X. C’est pour nous le persuader que Dieu dans la création ne créa qu’un Homme duquel même il forma Ève. Tise unique dont sorti cette multitude d’Hommes qui peupla et qui remplit encore la terre, ce fut sans doute pour nous donner à connaître que tous les Hommes, provenus d’une même racine, devraient autant plus s’aimer les uns les autres. Au lieu que ce même Dieu, qui ne voulut créer qu’un Homme au commencement du monde, créa d’autre part plusieurs animaux, plusieurs plantes, plusieurs arbres, afin que les Hommes, comme les branches d’un seul arbre, s’aimassent ensuite mutuellement. XI. L’amour que Dieu nous a commandé à pratiquer est agréable à pratiquer et n’est à charge ni au corps ni à l’âme de l’Homme. Il rend sa vie tranquille et bien loi d’être contraire à notre nature, il lui est convenable et avantageux. Si Dieu nous avait commandé de haïr notre prochain, il nous aurait commandé quelque chose de plus difficile que de l’aimer. La haine et l’inimité sont un pesant fardeau à l’âme et un rude tourment au cœur, parce que la haine consume le corps et l’âme, au lieu que la charité fortifie, réjouit, conserve l’âme et le corps, sans les troubler ni détruire, comme font la haine et l’envie. C’est un plaisir pour ceux qui aiment Dieu, d’aimer aussi le prochain, ce qui n’est rude et difficile qu’à ceux qui n’aiment point le Seigneur.
Il est plus facile d’aimer que de haïr.
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De la réconciliation avec le prochain.
La réconciliation acquiert le repos.
XII. Cette difficulté ne venant que de notre nature corrompue, nous devrions considérer combien il nous sera plus rude de brûler dans l’enfer. Il faut qu’un Homme soit bien malheureux pour aimer mieux brûler éternellement dans l’enfer que d’aimer ici son prochain et se réconcilier avec lui. Et certainement l’Homme peut bien sentir en son âme que comme la foi produit la paix avec Dieu (Romains V, 2) selon S. Paul, de même l’amour et la réconciliation la produisent entre les Hommes et causent au cœur un grand soulagement et une douce tranquillité ; au lieu que l’inimitié et l’irréconciliation tourmentent et affligent l’âme.
La vertu est la propre récompense.
XIII. En un mot, chaque vertu récompense celui qui la possède et chaque crime tourmente celui qui l’a commis. Chaque vertu honore celui qui la pratique, chaque crime couvre de honte celui qui s’y est abandonné. XIV. L’Écriture sainte nous marque aussi de quelle manière il faut se réconcilier. Premièrement, le coupable doit reconnaître sa faute et en demander pardon à son prochain qu’il a offensé. Deuxièmement, il doit restituer ce qu’il a pris ou ce en quoi il a trompé en rendant le capital et de plus la cinquième partie. Troisièmement, s’il n’y a plus personne à qui l’on puisse payer, il faut donner au Seigneur la somme qu’on a volée ou mal acquise.
La restitution est une partie de la pénitence.
XV. Il est ici à remarquer que le Seigneur Dieu commande que l’on restitue au prochain le tort qu’on lui a fait et ce qu’on lui a pris. Ce qui appartient à la vraie pénitence et en est une propriété. Sur quoi St. Augustin, dit : le péché n’est point remis tant que ce qu’on a pris n’est point restitué. Ce qui explique encore plus clairement ajouter : Cum res aliena, quae reddi potest non redditur, non agitur, sed fingitur poetentia. Lorsqu’on ne rend point le bien d’autrui quand on le peut rendre, ce n’est pas faire feindre une repentance. XVI. Le propre de cette vraie pénitence, qui convertir l’Homme à Dieu, est de mépriser toutes choses et de n’en pas faire plus d’état que du fumier en comparaison de la surabondante grâce de Dieu. Zachée nous en donne un excellent exemple (Luc XIX, 8) et l’on trouverait
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à présent peu de personnes qui fissent une semblable pénitence. Car la vraie conversion à Dieu purifie le cœur et la conscience par la foi, en nous faisant restituer le bien mal acquis, afin que le cœur soir pur devant Dieu et devant les Hommes. L’Homme demeure voleur en son cœur et en sa conscience devant Dieu, tant qu’il retient ce qu’il a pris et ne le rend point, quoiqu’il cesse de voler. C’est pourquoi, afin que la pénitence soit véritable et que la conscience soit pure, il faut restituer autant qu’il est possible. Que s’il n’est plus en notre pouvoir, il faut prier Dieu avec déplaisir et une contrition qui parte du cœur, de vouloir bien rendre pour nous au prochain, ce que nous lui avons pris. XVII. La raison de ceci est que le pécheur est coupable envers deux, à l’égard de Dieu et à l’égard du prochain et qu’ainsi pour que la pénitence soit entière, il faut satisfaire à l’un et à l’autre, par une double réconciliation, parce que Dieu ne reçoit aucune pénitence, que l’Homme ne soit entièrement réconcilié avec son prochain. Il ne suffit donc pas de lui dire : Dieu très clément, je reconnais et j’avoue que j’ai fais injure à mon prochain, que je lui ai fais tort par un gain injuste, que je l’ai trompé, que je n’ai point agi avec lui, comme je voudrais que l’on agit avec moi. C’est pourquoi j’ai mal fait, pardonne-moi à cause de ton cher fils. Dieu rejetant une telle prière nous dit : Rendez ce que vous avez ôté ou pris à votre prochain par tromperie et par usure, alors je vous pardonnerai. Non pas que l’Homme mérite par là que le Seigneur lui pardonne. Point du tout. Il est en déjà redevable à son prochain et de beaucoup d’avantage. Comment donc mériterait-il quelque chose ? Mais c’est un arrêt du Seigneur (Matthieu VII, 12) Tout ce que vous voulez que les Hommes vous fassent, faites-leur. Comme vous en agissez avec votre prochain, le Seigneur en agira avec vous (Luc VI, 38). De la mesure que vous mesurerez, on vous mesurera. XVIII. C’est encore là que tend cette sentence (Matthieu V, 23) Va auparavant te réconcilier à ton frère et alors viens et offre ton présent. Et Esaïe nous dit (Esaïe I, 16, 17, 18) Lavez-vous, nettoyez-vous, ôtez de devant mes yeux la malice de vos actions, cessez de mal faire, apprenez à bien faire, recherchez la droiture, soulagez l’opprimé, faites droit à l’orphelin, aidez
Celui qui ne restitue point est un voleur devant Dieu.
Dieu ne se réconcilie à nous que quand nous nous sommes réconciliés au prochain.
La pénitence n’est rien sans la restitution.
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Fruits de la charité.
et défendez la veuve. Venez alors et débattons nos droits, dit le Seigneur, quand vos péchés seraient rouges comme le sang, ils seront rendus blanc comme la neige. Et quand ils seraient semblables à la rougeur de la rose, ils deviendront blanc, comme la laine. Et le même (Esaïe LIIX, 6, 7, 8) Voilà le jeûne, qui me plaît et que j’ai choisi, délie ce que tu as injustement lié, délivre ou laisse libre ceux que tu opprimais, renvoie francs ceux que tu foulais et romps tout le fardeau qui les accable. Partage ton pain à celui qui a faim et mène dans ta maison les affligés et les pauvres qui vont errant. Quand tu vois un homme nu, couvre-le ; et ne méprise point ta chair. Alors ta lumière se lèvera comme l’aurore et ta guérison s’augmentera incontinent et ta justice paraîtra au-dehors et te précèdera et enfin la gloire du Seigneur te ressemblera. XIX. Tout ceci nous marque expressément que Dieu ne veut agréer aucune pénitence ni aucune prière qu’on ne soit premièrement réconcilié avec son prochain.
CHAPITRE XXX Des fruits et avantages de la charité. 1 Corinthiens XIII, 4, 5 et suivants La charité est patiente, elle est douce. La charité n’est point envieuse, elle n’use point d’insolence, elle ne s’enfle point. La charité n’est point dédaigneuse, elle ne cherche point son intérêt, elle ne s’aigrit point, elle ne pense point à mal, elle ne se réjouit point de l’injustice, mais bien de la vérité. Elle tolère tout, elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout. Christ est la vie des fidèles.
C
omme l’arbre de vie était planté au milieu du paradis et portait un fruit qui devait faire vivre éternellement celui qui en mangerait, selon qu’il est dit : (Genèse III, 22,23) mais maintenant de peur que l’Homme n’étende sa main et ne prenne du fruit de vie, n’en mange et ne vive éternellement, le Seigneur le mit hors du Jardin des délices, afin qu’il laboura la terre. De même Dieu a placé Jésus Christ au milieu du jardin du Paradis de l’Église chrétienne, afin que tous les fidèles reçussent de lui la vie et la force. Car tout le Christianisme consiste dans la foi et dans la charité, en sorte qu’à cause de la loi en Christ, toute la vie du chrétien devient agréable à Dieu, mais on
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ne peut se rendre utile au prochain, que par la charité. Toutes les vertus étant mortes et ne profitant de rien hors de la charité, sans en excepter de la foi même (Jacques II, 17) qui (bien qu’elle soit la seule qui justifie, puisqu’elle seule comprend le mérite de Christ et que dans la justification on n’ait aucun égard aux œuvres précédentes, présentes ou suivantes, mais à J.C. seul) n’est toutefois qu’hypocrisie, si la charité ne l’accompagne, sans laquelle il n’y a point de vraie foi, quand bien même elle ferait des miracles. Comme le corps est mort sans l’âme, de même l’Homme spirituel et intérieur dont les vertus sont les membres, doit être réputé mort, aussi bien que toutes les vertus qui forment ses membres, dès que la charité ne les anime plus. C’est pour cela que S. Paul l’a établi la pierre de touche de la foi et exige que cette foi agisse par la charité (Galates V, 6). Je sais bien, qu’à l’égard de la justification, c’est la foi qui l’opère totalement sans aucune œuvre (Romains IV, 6) mais lorsqu’elle traite avec les Hommes, il faut qu’elle exerce les œuvres et qu’elle serve le prochain par la charité qui est la pierre de touche. C’est en ce sens, que S. Paul l’appelle (Galates V, 6) La foi qui opère par la charité. Et le même Apôtre nous marque autre part les excellents fruits de ce bel arbre, qu’il met au nombre de quatorze (1 Corinthiens XIII, 4-5) II. Premièrement, la charité est patiente. La patience est le premier fruit de la charité. Vertu qui ne se peut mieux remarquer que dans le Christ, notre Seigneur. C’est en lui que nous devons non seulement chercher ce fruit, comme sur le véritable arbre de vie, mais il nous faut aussi manger d’un si beau fruit et le convertir en notre propre vie. Considérez avec quelle admirable patience, il a supporté les péchés et la malice du monde, pour exciter les pécheurs à la pénitence (Romains II, 4). Imitez-le, afin que le patient Christ vive en vous et que vous viviez en lui, comme un membre uni à son chef. III. Deuxièmement, elle est bénigne. Remarquez cette bénignité en votre Sauveur. Où a-t-on entendu des lèvres plus agréables que celles du Christ, sur lesquelles, selon le Psalmiste (Psaumes XLV, 3) la grâce et la douceur sont répandues ? Chacun, dit S. Luc (Luc IV, 22) admirait
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Fruits de la charité.
la douceur des paroles qui sortaient de sa bouche. Faites en de même, afin que le Christ parle par votre bouche et demeurez unis avec lui. Mais que cet amour parte du cœur. IV. Troisièmement, Elle n’est point jalouse. C’est à dire elle n’est point vindicative, mais elle pardonne et elle oublie à l’exemple de Dieu, dont David dit : (Psaumes CIII, 8) Il ne disputera point à perpétuité et ne gardera point sa colère éternellement. Il ne nous a point fait selon nos péchés et ne nous a point rendu selon nos iniquités. Et Ézéchiel nous le représente ainsi (Ézéchiel XIIX, 22) Mais si l’impie se convertit et se détourne de tous les péchés qu’il a commis, il vivra et ne mourra point. Et je ne me souviendrai plus des iniquités qu’il a faites. Et Jérémie nous en témoigne la même chose (Jérémie XXXI, 3, 20-34) Je t’ai aimé d’un amour éternel, c’est pourquoi j’ai prolongé envers toi ma gratuité. - - C’est pourquoi mes entrailles se sont émues à cause de lui et j’aurai certainement pitié de lui - - Je pardonnerai à leur iniquité et je ne me souviendrai plus de leur péché. Et Esaïe fait écrier le Seigneur (Esaïe XLIII, 25) C’est moi, c’est moi qui efface tes forfaits pour l’amour de moi et je ne me souviendrai plus de tes péchés. Suis un si bel exemple, pardonne et oublie. Et le Seigneur te pardonnera aussi tes péchés, ainsi tu auras l’esprit de Christ et tu lui seras uni. V. Quatrièmement, Elle n’est point insolente, c’est à dire, la vraie charité n’engage point le prochain à quelque bouffonnerie pour l’affronter, se moquer de lui ou l’offenser. La charité n’a point en soi de ces sortes de malices secrètes, mais elle est libre, ouverte, ingénue et sincère. Prenez J.C. pour votre modèle ; il a également manifesté son cœur à ses ennemis et à ses amis et n’a jamais pensé que du bien de tous les Hommes, dont il a sincèrement cherché le salut. Que cette bonté du Christ, cette débonnaireté et cette franchise du cœur se fasse remarquer en vous. Comme il a sincèrement pensé à nos intérêts, faisons-en de même à l’égard les uns des autres, si nous voulons être unis à Christ, comme les membres à leur tête. VI. Cinquièmement, Elle n’est point orgueilleuse, c’est à dire, la charité n’est point arrogante, pleine d’elle-même et présomptueuse. Jetez les yeux sur le Seigneur Jésus et entendez ce qu’il dit lorsqu’une
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femme au milieu du peuple éleva sa voix et s’écria : (Luc XI, 27, 28) Heureux le ventre qui t’a porté et les mamelles que tu as tétées. Ceux-là plutôt, dit-il, sont heureux, qui entendent la parole de Dieu et la gardent. C’est ainsi qu’il détourne la louange qu’il lui appartient et la donne à ceux qui aiment Dieu. Pour l’imiter, il faut que vous viviez humblement en Christ et que l’humble Christ vive en vous. La vraie charité est donc de détourner de vous les louanges et de les donner aux autres. VII. Sixièmement, Elle n’est point dédaigneuse, comme ces têtes turbulentes, toujours prêtes à se mettre en colère, ne pouvant rien souffrir dans leur prochain, au lieu qu’elle fait voir dans ses yeux sont affabilité et son humanité. Que le Seigneur Jésus nous en est un si excellent portrait. Il ne sera, dit le Prophète (Esaïe XLII, 4) ni dédaigneux, ni triste, ni cruel, ni turbulent. Il a regardé un chacun avec des yeux de miséricorde. En fais-tu de même ? Tu t’es formé sur l’image de Christ et tu t’es uni à lui. VIII. Septièmement, Elle n’est point intéressée, c’est à dire, la joie de la vraie charité est, quand elle peut gratuitement servir les autres sans regarder son propre intérêt, mais être utile à plusieurs. C’est ainsi que Dieu en agit à notre égard, nous donnant tout en abondance, sans n’en retirer aucun profit. Que tu serves Dieu, ce n’est pas son intérêt, c’est le tien. Si Dieu t’a commandé d’être Homme de bien et de le craindre, c’est afin que tu puisses jouir de son amour et recevoir sa bénédiction. Considère ton Seigneur Jésus, il ne s’est en rien recherché lui-même, il n’a eu égard qu’à notre salut, sans en retirer aucune utilité (Matthieu XX, 28). Comme un arbre qui donne son fruit à un chacun, sans acception de personnes et sans en avoir de profit, mais il le donne aussi bon, que Dieu lui à donné, et s’il l’avait reçu meilleur, il le communiquerait sans envie. Ainsi, le Christ s’est donné à nous en propre et Dieu même se donne à nous en Christ, afin que tout soit à nous en Christ, sans excepter Dieu même. Il est le meilleur et le souverain bien et cependant il se communique et se partage lui-même à nous. Si tu en agis de la sorte, tu seras un arbre de justice à la gloire de Dieu, dit Esaïe (Esaïe LXII, 3). Et le Christ, qui est la vigne vivante et le Palmier toujours vert (Psaumes XCII, 13), selon
Le culte de Dieu nous est utile et non pas à Dieu.
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Fruits de la charité.
le Psalmiste, verdira, fleurira et augmentera toujours en toi. IX. Huitièmement, Elle n’est point sujette à se courroucer, c’est à dire, quand la colère est parvenue à son dernier excès, proférant mille injures contre son prochain et le maudissant, c’est alors qu’elle jette tout son venin. Considère au contraire le Seigneur Jésus, de la bouche duquel il n’est jamais sorti aucune parole amère, ni injurieuse (Esaïe XI, 3) mais des bénédictions et des paroles de vie. Et bien qu’il maudisse Chorazim, Capernaum et Bethsaïda (Matthieu XI, 21) et quoiqu’il crie malheur sur les Pharisiens (Mattieu. XXIII, 12 et suivants) ce n’est l’effet d’aucune animosité, c’est une exhortation à la pénitence par laquelle il tâche de les convertir et de les porter à un véritable amendement. Prenez donc garde, dit S. Paul (Hébreux XII, 15) que quelque racine d’amertume bourgeonnent en haut ne vous trouble et que plusieurs n’en soient souillés. X. Neuvièmement, Elle ne pense point à mal. Remettez-vous devant les yeux ce Dieu, plein d’amour, qui vous dit en Jérémie (Jérémie XXIX, 13, 14) avec un cœur de père : Je fais que les pensées que j’ai de vous, sont des pensées de paix et non d’adversité, pour vous donner une fin telle que vous l’attendez et une patience telle que vous la cherchez. Vous me cherchez et vous me trouverez après que vous m’aurez cherché de tout votre cœur. D’où il s’ensuit que celui qui a des pensées de paix à l’égard de son prochain, a le cœur de Dieu et les sentiments du Christ dont il est inspiré, comme un membre uni à sa tête. XI. Dixièmement, Elle ne se réjouit point de l’injustice et ne rie point secrètement quand on opprime et l’on fait tort au honnêtes gens. Comme fit Semeï, lorsque David fuyait de devant Abraham (2 Samuel XVI, 6) Mais elle imite J.C. qui eu tant de miséricorde pour Pierre, après qu’il fut tombé en parjure, que l’ayant regardé avec douceur et compassion (Luc XXII, 61) il le fit revenir de son égarement et l’engagea à pleurer son reniement. Car, selon le Psalmiste (Psaumes CXLVI, 8) le Seigneur relève ceux qui sont tombés et redresse ceux qui sont courbés. De quelle manière le Seigneur Jésus ne pleure-t-il pas la perte des Hommes et la ruine des Juifs (Luc XIX, 41) ? Avec quelle ardeur ne
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cherche-t-il pas et n’attire-t-il pas les pauvres brebis errantes et ne ramène-t-il pas celles qui étaient perdues (Luc XV, 4) ? Ainsi, quand tu vois la chute d’un Homme, sois-en fâché et ai pitié de lui. Aide-le à porter son fardeau et tu accompliras la loi de Christ (Galates VI, 2). Il a porté tous nos fardeaux, si tu es son vrai membre et si sa vie est en toi, il faut que la vie de la tête rende les membres vivants. XII. Onzièmement, Elle se réjouit de la vérité, et quand tout se fait et se passe d’une manière juste et convenable, comme fit notre rédempteur, lorsqu’il se réjouit en esprit, voyant revenir les soixante-dix disciples avec succès, ce qui lui donna occasion de louer le Père céleste (Luc X, 21) et les saint anges ne se réjouissent-ils pas dans le ciel, dit le Seigneur, sur un pécheur qui fait pénitence (XV, 10). Faites-en de même et vous participerez au naturel des anges et même à cette bienveillance que Dieu exerce envers les Hommes. XIII. Douzièmement, Elle supporte tout, afin que le lien de la paix ne soit point rompu. C’est pourquoi elle supporte les défauts du prochain avec patience, comme S. Paul a fait et dit : (1 Corinthiens IX, 22) Je me suis fait faible aux faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait toutes choses à vous, afin d’en sauver quelques-uns. Cette même charité croit tout, c’est à dire qu’elle ne pense ni même ne soupçonne aucun mal du prochain. Elle espère tout, c’est à dire qu’elle souhaite que le prochain soit comblé de toutes sortes de biens. Elle tolère tout, afin de rendre plus de services et faire plus d’utilité au prochain. Tous effets de la charité, que le Seigneur Jésus nous fait remarquer en lui, puisqu’il a pour nos péchés, supporté et souffert la plus grande faiblesse, la plus sensible douleur, la dernière des pauvretés, et cela, afin qu’en lui et par lui, nous puissions acquérir de l’honneur et de la joie. XIV. Treizièmement, Elle n’est point fatiguée, et ne cesse de faire du bien ayant pour modèle Dieu même, dont la miséricorde, dit le Psalmiste (Psaumes CIII, 17) et S. Luc après lui (Luc I, 50) est de génération en génération sur ceux qui le craignent. Et Esaïe (Esaïe XXX, 18) : Le Seigneur attend pour vous faire grâce et il s’est manifesté pour avoir
L’amour de Dieu est éternel.
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L'amour propre corrompt les plus beaux talents.
pitié de vous et nous lisons au livre des cantiques : (Cantiques VIII, 6, 7) Son amour est fort comme la mort et plusieurs eaux ne peuvent l’éteindre. Et S. Paul nous assure : (Romains VIII, 39) que rien ne nous peut séparer de l’amour de Dieu. Le même Esaïe dit en un autre endroit : (Esaïe LIV, 8) C’est lui qui a pour nous une miséricorde éternelle. Et quoique Dieu dise en Jérémie : (Jérémie XV, 6) je suis las d’avoir et de faire miséricorde, il faut cependant ne l’entendre que de ceux qui rejettent et refusent insolemment la miséricorde de Dieu, méprisent sa grâce et en abusent par malice (Jude 4) et non pas de ceux qui le craignent parmi lesquels il demeurera éternellement, selon Esaïe : (Esaïe LIV, 10) Quoique les montagnes se meuvent et que les collines tremblent et croulent, cependant ma grâce ne s’éloignera point de toi, et l’alliance de ma paix ne cessera point, dit le Seigneur qui a compassion de toi. Ainsi notre charité ne doit point se fatiguer, même à l’endroit de nos ennemis. Mais nous devons dire par une charité toujours compatissante : (Luc XXIII, 34) Père, pardonne leur, afin que le Christ vive et prie en nous. Christ était en nous. Pourquoi la charité est la plus grande des vertus ?
XV. Quatorzièmement, Elle est la plus grande de toutes les vertus, Car Dieu même est la charité, dit S. Jean (1 Jean IV, 16) et elle est l’accomplissement de la loi, dit S. Paul (Romains XIII, 10) et tous les commandements y sont renfermés. Elle est aussi éternelle puisqu’elle ne cessera point, comme seront la foi, l’espérance, les langues, etc. lorsque notre salut apparaîtra, qui est la fin de la foi. Toutes les vertus, les plus belles actions et les plus excellents dons, sont faux et inutiles sans la charité. Elle nous donnera aussi un témoignage éternel que par la foi en Christ, nous hériterons la félicité et le salut. C’est pourquoi un chrétien ne doit aspirer à aucun talent, ni à aucun art avec plus d’ardeur qu’à la charité. Rien, selon Paul (Éphésiens III, 19) n’étant à préférer à connaître l’amour de Christ, qui surpasse toute connaissance, afin que nous soyons remplis de toute la plénitude de Dieu.
CHAPITRE XXXI L’amour propre et la recherche de son propre honneur corrompent, souillent et anéantissent les plus grands et les plus beaux talents.
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1 Corinthiens XIII, 1 et suivants. Quand je parlerais les langages des Hommes et des anges, si je n’ai point la charité, je suis comme l’airain qui résonne, ou comme une cymbale qui tinte.
S
aint Paul n’élève la charité si haut, que parce que Dieu est lui-même charité, autant donc que Dieu est à louer, autant la charité est à exalter en lui ; n’y ayant point de plus grande vertu, soit en l’Homme, soit en Dieu même que la charité. II. Il y a deux sortes d’amour du prochain, l’un vrai, vif, ardent, sincère et pur ; l’autre faux, hypocrite, impur et dissimulé. Le pur amour est tel, que S. Paul nous l’a décrit ci-dessus avec ses propriétés et ses fruits. Le faux et l’impur est celui qui dans toutes ses paroles, ses actions, ses talents, en un mot, en toutes choses, ne cherche que sa propre gloire, son honneur et son intérêt. Et quoi qu’il ait l’apparence extérieure de vouloir servir Dieu et le prochain, il n’est toutefois intérieurement attentif qu’à sa propre gloire, son propre honneur, son propre intérêt, son propre amour. Et tout ce qui vient d’un tel fond d’intérêt, ne vient point de Dieu, mais du Diable et est un poison qui corrompt toutes nos bonnes actions et ruine nos talents et bonnes qualités. III. Comme une fleur d’une belle couleur, d’une odeur admirable et d’un goût charmant ne laisse pas d’avoir un poison caché, telles il s’en trouve quelques unes ; ainsi les belles qualités qui font les couleurs des Hommes, la bonne odeur de leurs actions, le goût charmant de leurs paroles ne sont pas seulement inutiles, mais aussi très dommageables (Jacques II, 17). Quand un Homme aurait des dons et des qualités angéliques, s’il est plein d’orgueil, d’estime de soi-même et d’amour propre, ces belles qualités extérieures sont non seulement inutiles, mais encore très pernicieuses. Ce qu’on doit appeler véritablement bon, est ce qui sort pur de Dieu et y retourne pur et se termine en lui. Tout ce qui a une autre origine et une autre fin, ne peut être bon. Car ce qui est bon, ne peut venir que de Dieu.
Le vrai amour et le faux.
Celui qui ne part point de la charité, ne peut venir de Dieu.
Ce qu’est le bien ?
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L'amour propre corrompt les plus beaux talents.
Tout ce qu’il opère seul dans ton cœur, est seul ce qu’il y a de bon, au lieu que ce que ta propre gloire, ton propre honneur, ton propre intérêt, ton amour propre y opère, ne peut être bon, puisqu’il ne vient point de Dieu. Il est seul bon (Matthieu XIX, 17), il est la charité. C’est pourquoi tout le bien que l’amour cause au prochain, ne vient que de Dieu même. IV. Un saint Homme a souhaité qu’il fut profitable, qu’il servit seulement à Dieu, comme sa main lui servait, c’est à dire de la même manière que notre main, qui en prenant et en rendant, ne s’en attribue aucune gloire, ni aucun honneur, étant un simple instrument, dont nous nous servons pour donner et pour recevoir. V. De même l’Homme doit être à l’exemple de sa main, dans une grande simplicité à l’égard de Dieu, afin de rendre par un pur amour et une bonté désintéressée, sans chercher sa propre gloire, ni son honneur, mais avec la dernière simplicité, ce qu’il reçoit de Dieu. Puisqu’il l’a reçu de Dieu, pourquoi s’en glorifierait-il ? La gloire n’appartient qu’à celui de qui il l’a reçu, c’est à dire à Dieu seul, les Hommes n’étant que les purs instruments de Dieu, pour en recevoir ses dons et les distribuer aux autres. VI. Celui qui n’a pas ce pur amour n’est rien, de quelque talent qu’il soit doué ; quand il parlerait le langage des anges, qu’il aurait le don des prophéties, qu’il connaîtrait tous les secrets et toute la science, qu’il aurait une foi capable de faire des miracles, qu’il distribuerait tous ses biens aux pauvres et qu’il livrerait son corps pour être brûlé (1 Corinthiens XIII, 1). L’amour propre et l’orgueil ont fait la chute du diable.
VII. Tout amour propre, gloire, honneur et intérêt viennent du diable et ont été la cause de la chute du démon, lorsqu’à cause son apostasie il fut chassé du ciel. En effet, Dieu ayant créé Lucifer pour être le plus beau des anges, doué de beauté, de sagesse, de lumière, de splendeur, et des plus excellents dons et qualités ; cet ange se considérant ou se mirant dans ses hautes perfections comme un paon dans ses plumes, commença à se complaire en lui-même, à s’aimer, à s’estimer, s’honorer et se glorifier. Tel fut le commencement de sa
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chute, ne rendant point à Dieu l’honneur qu’il lui devait, mais à soimême, qu’il aima au lieu d’aimer son créateur et son bienfaiteur. C’est pour cela que Dieu le réprouva avec les anges qu’il avait séduits par son orgueil. Car Lucifer était le chef de ces anges, dont S. Jude dit : (Jude VI) Qu’ils n’ont pas conservé leur principauté. Et S. Paul s’en exprime ainsi : (Colossiens II, 15) Il a dépouillé les principautés et les puissances qu’il a publiquement exposées en vue et a triomphé d’elles. VIII. Ce qui avait fait la chute de Satan, lui servit pour faire tomber l’Homme, il le détourna de l’amour et de l’honneur qu’il devait à Dieu, pour s’en faire aimer et honorer. Et c’est de là qu’est provenu dans l’Homme cette gloire et cet amour propre qui l’ont porté à vouloir devenir semblable à Dieu. Ce fut aussi pour la même raison que l’Homme fut chassé du Paradis terrestre, comme Lucifer l’avait été du ciel. Et c’est de nos premiers parents que nous avons hérité l’amour propre et ce désir de notre propre honneur. Voilà la chute d’Adam, que tous les Hommes font encore et qui se transmet des uns aux autres, par la chair et par le sang. IX. Pour rectifier maintenant et corriger cette chute, il n’y a d’autre ressource, que le précieux mérite du Christ, que nous nous appliquons par la foi, par laquelle nous nous renouvelons aussi en Christ et nous crucifions la chair. Ainsi, l’Homme qui s’aimait soimême, apprend par là à se haïr (Luc XIV, 26) c’est à dire, à n’avoir plus aucune complaisance en soi-même. Ainsi l’Homme qui s’honorait luimême, y apprend à se renoncer (Luc IX, 23) c’est à dire à ne faire aucune estime de lui-même. Ainsi, l’Homme qui cherchait sa propre gloire et son intérêt, doit apprendre à renoncer à tout ce qu’il a (Luc XIV, 33), sans mettre la moindre confiance et chercher la moindre consolation dans les choses de la terre, mais combattant continuellement avec la chair et le sang. Autrement, il ne peut être disciple du Seigneur, puisqu’il faut que la corruption du cœur de l’Homme soit changée par le Christ et par une vraie, sérieuse et sincère repentance. X. D’autant qu’il n’était point en la puissance de l’Homme de changer les dispositions de son cœur corrompu, qui naturellement ne pouvait plus faire autre chose que s’aimer, s’honorer, se glorifier,
Et de l’Homme.
Le renoncement à soi-même est nécessaire.
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Par l’incarnation du Christ, notre nature est renouvelée.
Nouvelle naissance par Christ et en Christ.
Les œuvres des chrétiens doivent procéder de leur nouvelle naissance.
L'amour propre corrompt les plus beaux talents.
et chercher en tout son propre intérêt, c’est à dire que l’Homme, selon la corruption de sa nature, ne pouvait que pécher. Il fallu que Dieu même fit le commencement de notre réparation aussi bien que le milieu et la fin. Il fallu que le fils de Dieu se fit Homme, afin qu’il renouvela notre nature et que par lui, en lui et de lui, nous devinssions de nouvelles créatures. Comme nous sommes morts en Adam corporellement et spirituellement de même devons-nous ressusciter et revivre spirituellement en Christ. Et comme par notre naissance charnelle nous avons hérité le péché d’Adam, de même devons-nous hériter en Christ, la justice par notre naissance spirituelle et par la foi. Enfin comme par notre naissance charnelle d’Adam, le péché, l’amour propre, l’honneur et le désir de notre propre gloire nous ont été transmis, de même notre nature doit être renouvelée, purifiée et sanctifiée de Christ par la foi et le Saint Esprit. En sorte que l’amour propre, l’orgueil et la vanité meurent en nous et que nous recevions de Christ un nouveau cœur et un nouvel esprit, comme nous avons reçu d’Adam une chair pécheresse et corrompue. C’est par rapport à cette nouvelle naissance que le Christ notre Seigneur est appelé le Père de l’Éternité (Esaïe IX, 6). XI. Il s’ensuite que toutes les œuvres des chrétiens, qui doivent plaire à Dieu, et que tous les dons doivent venir et procéder de notre nouvelle naissance, c’est à dire de la foi, de Christ et du Saint Esprit. Autrement les plus excellents dons, quand ce serait celui des miracles, ne sont rien devant Dieu. A l’égard du prochain il faut tout faire par amour (1 Corinthiens XIV, 1) sans chercher sa propre gloire, ni son propre intérêt. C’est dans cette vue que Dieu nous a proposé son cher Fils pour exemple, dans lequel on n’a pu remarquer ni amour, ni honneur ni intérêt propres, mais un amour pur et une humilité sincère et qui partait du cœur. Exemple du Christ, qui ne nous est pas proposé comme celui des Saints, que nous devons seulement considérer extérieurement, mais comme un exemple vivant, afin qu’il vive en nous par la foi. Ce qui est cause que toutes nos actions, nos paroles, nos connaissances et nos œuvres procèdent de Christ comme d’un fondement vivant et d’une vive source. Que si cela n’arrive pas ainsi, toutes nos actions ne sont rien, quand elles seraient angéliques. Car là où se trouve l’amour propre, la haine et l’inimitié de Dieu
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s’y rencentrent et où il y a de l’honneur propre et de la vanité, là se manifeste le mépris de Dieu. Comment donc se peut-il faire que de telles œuvres lui soient agréables. XII. Priez donc Dieu, qu’il vous donne la foi et une charité pure et sincère, sans être souillée d’aucun désir d’honneur propre, d’intérêt, ni de vaine gloire, mais qui parte du cœur. De cette sorte non seulement les œuvres éclatantes et les dons excellents faits dans une telle foi plairont à Dieu ; les moindres mêmes et les plus petites actions lui seront agréables, quand le ne serait qu’un verre d’eau froide. La moindre action, qui se fait par un pur amour et par humilité est meilleure et préférable à la plus grande qui n’est que l’effet de l’orgueil et de l’ambition.
La charité rend grandes les plus petites actions.
CHAPITRE XXXII Ce ne sont pas les grands talents, mais la foi qui opère par la charité, qui nous fait connaître l’Homme chrétien et agréable à Dieu. 1 Corinthiens IV, 20 Le royaume de Dieu ne consiste point en paroles, mais en vertu.
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orsque S. Paul veut nous décrire comment un Chrétien doit être disposé, il dit (1 Timothée I, 5) La fin du commencement est la charité qui procède d’un cœur pur et d’une bonne conscience et d’une foi non feinte. Par où il nous donne à entendre que pour qu’un chrétien et un Homme soit agréable à Dieu, on ne demande pas de lui des choses grandes et sublimes, beaucoup de science et d’érudition, ni des talents extraordinaires. On n’exige point de lui qu’il soit un prophète, un orateur, qu’il possède des langues et fasse des miracles ; mais qu’il soit croyant et fasse tout par un motif de charité, qu’il s’abandonne à Dieu et se laisse gouverner par le Saint Esprit.
Dieu n’exige point de nous une grande science.
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Ce qu’est crucifier sa chair ?
Rien ne vaut devant Dieu que la nouvelle créature. Les grandes choses ne font pas les heureux.
A quelle fin Dieu nous a accordé ses dons ?
Les talents ne font pas le chrétien, mais la foi.
II. Ne considérons donc point combien un Homme est savant dans les langues ou s’il est fort éloquent, mais comment il manifeste sa foi par la charité et par la mortification de sa chair. (Galates V, 24) Ceux qui son de Christ, ont crucifié leur chair avec ses passions et ses convoitises ; c’est à dire, l’honneur propre, la gloire, l’intérêt, la louange et tout ce qui peut être charnel. Ce qui fait dire à S. Paul (1 Corinthiens IV, 20) que le Royaume de Dieu ne consiste pas en paroles, c’est à dire en sciences et en dons ou talents, mais en vertu, ce qui veut dire un exercice réel des vertus de la foi, de la charité, de la douceur, de la patience et de l’humilité. III. C’est pourquoi personne n’est en une plus grande faveur auprès de Dieu, ni plus heureux à cause de ses excellentes et grandes qualités d’esprit ou de corps, mais parce qu’il se trouve vivre par la foi en J.C. comme un nouvelle créature. Et si un Homme, doué de tous les dons imaginables, ne vit point dans une pénitence continuelle, ne renonce point au monde et à tous les talents qu’il possède, ne se méprise et ne se hait point soi-même et ne s’attache à la pure grâce de Dieu comme un enfant pend au sein de sa mère, il ne peut être sauvé, mais il sera condamné avec toute son érudition, sa science et tous ses autres talents. IV. Les talents et les dons ne nous sont point accordés afin que nous devenions grands devant Dieu, ou d’être sauvés. Ils nous sont donnés pour l’édification de l’Église. C’est pourquoi, les septante deux disciples retournant avec joie et disant (Luc X, 17) Seigneur, les diables mêmes nous sont assujettis en ton nom, le Seigneur leur dit, ne vous en réjouissez pas, ces grands miracles et ces dons singuliers ne vous sauveront point, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux, c’est à dire de ce que vous croyez et vous me connaissez. Les miracles que Moïse a faits, ne l’ont pas sauvé, c’est la foi. Ce ne fut point l’éloquence d’Aaron qui le rendit plus agréable à Dieu. Marie, sœur de Moïse, fut une Prophétesse, par laquelle l’Esprit de Dieu parlait, cependant elle fut frappée de lèpre (Nombres XII, 10). V. Les miracles et le don des diverses langues n’ont point rendu heureux les Apôtres, mais la foi. Il faut que depuis les plus
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grands jusqu’aux plus petits d’entre les Hommes, tous demeurent en la foi, l’humilité, la pénitence, le crucifiement et la mortification de la chair, en une nouvelle créature qui vive en Christ par la foi et la charité, comme le Christ vit en elle. Si cela n’est pas ainsi, le Christ n’en reconnaîtra aucun pour être des siens. VI. La charité chrétienne est véritablement la nouvelle vie de l’Homme et même la vie de Christ dans les fidèles et l’inhabitation efficace et opérante du Saint Esprit, par laquelle Saint Paul souhaite (Éphésiens III, 19) que nous soyons remplis de toute la plénitude de Dieu. Et S. Jean dit (1 Jean IV, 16) Dieu est charité et celui qui demeure en la charité demeure en Dieu et Dieu en lui. D’où il s’ensuit que celui qui sent la charité dans son cœur, ressent Dieu en lui. Mais, afin que nous en eussions une preuve certaine et que nous ne fussions point trompés par le faux amour propre, S. Paul nous décrit la charité comme un bel arbre avec ses branches épandues çà et là (1 Corinthiens XIII, 1 et suivants). La charité, dit il, est patiente, etc. ce qui comprend toute la vie que le nouvel Homme doit mener.
Ce qu’est la charité ?
VII. Pour couper court, Dieu le Père est charité, Dieu le Fils est charité, Dieu le Saint Esprit est charité. Tout le corps mystique ou spirituel, qui est Christ et l’Église chrétienne où réside le vrai christianisme, est lié et uni par le lien de la charité. En sorte qu’il n’y a qu’un Dieu, un Christ, un Esprit, un baptême, une foi (Éphésiens IV, 5) et que la vie future et éternelle n’est autre chose qu’une pure et éternelle charité. VIII. Ainsi celui qui ne vit point en la charité, est un membre mort dans le corps de Christ. Comme un membre mort ne peut point être échauffé de la chaleur naturelle et qu’il n’a en soi aucune vie, de même celui qui ne vit pas dans la charité, n’a point en soit la vie spirituelle de Christ et est mort à Dieu et au Christ. Car il n’a aucune foi, est comme un sep desséché dans une vigne, n’a aucune part en Dieu, en Christ, au S. Esprit, à la sainte Église chrétienne, à la vie éternelle, où il ne pourra jamais arriver pour y voir face à face Dieu, qui est la charité même.
Celui qui n’a point la charité est mort.
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Dieu ne considère que le cœur.
CHAPITRE XXXIII Dieu n’a égard ni aux œuvres, ni aux personnes mais il juge des œuvres selon le cœur de chacun. Proverbes XXI, 2 Chaque voie de l’Homme lui semble droite, mais le Seigneur pèse les cœurs.
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ous lisons (1 Samuel XVI, 17) que Dieu le Seigneur envoya le Prophète Samuel dans la maison d’Isaïe, pour oindre David comme Roi et que le Prophète voulant oindre le premier né, le Seigneur lui dit : Ne prend point garde à son visage, ni à la grandeur de sa taille, parce que je l’ai rejeté. Car le Seigneur n’a point égard aux choses que l’Homme considère. L’Homme voit ce qui est devant ses yeux, mais le Seigneur voit le cœur.
L’orgueil corrompt tous les dons.
II. Par cet exemple Dieu nous veut apprendre qu’il n’a aucun égard à la personne des Hommes, quelques élevés qu’ils soient dans le monde, lorsque leur cœur n’est point rempli de piété, d’amour du prochain, de foi, d’humilité. Dieu ne juge pas seulement les personnes, mais il pèse toutes nos œuvres selon l’esprit intérieur, il juge notre humilité et nos sentiments, dit Salomon (Proverbes XXI, 2). Et même tous les talents, quelque grands, puissants, louables, honnêtes et estimables qu’ils soient au jugement des Hommes, s’ils ne procèdent pas d’un cœur pur, s’ils n’ont pas le seul honneur de Dieu et l’utilité du prochain en vue, si enfin ils ne sont point exempts de tout orgueil, d’amour propre, de gloire, d’utilité, de profit, de désir de louange et de réputation, ne valent rien devant Dieu, à qui ils ne plaisent pas. Quoi qu’un Homme ait reçu de Dieu les plus excellents dons, si toutefois il s’en sert pour rechercher sa propre louange, acquérir de la réputation de la gloire, ne consultant que son intérêt et son amour propre au lieu de ne s’en servir que pour l’honneur de Dieu et le profit du prochain, ces mêmes talents deviennent en exécration devant Dieu et augmentent les péchés de ces Hommes. Tous les dons n’étant donnés que pour la gloire de Dieu et l’édification du prochain.
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III. Considérez Lucifer ; il n’y avait point de plus beau, ni de plus brillant ange dans le ciel. Mais sitôt qu’il a fait servir ses sublimes qualités à son propre honneur, à son honneur propre et à se procurer une louange particulière, au lieu de songer uniquement à en louer et à en remercier Dieu, ne fut-il pas à l’instant changé en diable et rejeté de Dieu ? IV. Pour donc qu’une chose soit agréable à Dieu, il faut qu’elle vienne de la foi et d’un pur amour de Dieu et des Hommes, sans qu’il s’y rencontre aucun amour propre, aucun orgueil, aucun mauvais désir de louange, aucune vue d’intérêt, autant qu’il est possible à l’Homme dans cet état d’infirmité de s’en exempter par la grâce de Dieu. Ce qui donne sujet à S. Paul de dire : (1 Corinthiens XIII, 1) Quand je parlerais le langage des Hommes et des anges et je n’eus point la charité, je serais un airain qui résonne et une cymbale qui tinte ; c’est à dire une chose inutile de laquelle on ne peut tirer ni vertu, ni fruit, ni profit. Dieu ne considère point la bouche éloquente, mais un cœur humble. Dieu ne fait point attention à la science, aux arts, ni aux grandes connaissances de l’Homme mais il pèse et examine l’esprit de l’Homme pour voir s’il cherche son propre honneur, son amour propre, ou la seule gloire de Dieu et l’utilité du prochain. Dieu n’a point égard à une foi si merveilleuse, qu’elle serait capable de transporter les montagnes, lorsqu’elle n’a pour but que de s’acquérir de l’autorité dans le monde, et de se procurer de la gloire. Mais (Esaïe LXVI, 2) Il jette les yeux sur le malheureux, sur celui qui a l’esprit brisé et qui tremble à sa parole. Enfin, Dieu n’a point pour agréables ces grandes aumônes que l’on ne fait que pour s’attirer de la gloire et il n’approuve point ceux qui livrent leur corps aux flammes pour se rendre fameux, mais il considère l’intention de ces personnes, sonde leur cœur, en connaît les vraies dispositions et y prend plaisir quand il les voit remplis de son amour. V. Nous ne pouvons mieux comprendre ces choses, que par des exemples : Caïn et Abel (Genèse IV, 4, 5) présentèrent tous les deux leurs sacrifices à Dieu, mais la disposition de leurs cœurs était différente. C’est pourquoi Dieu agréa le sacrifice d’Abel et rejeta l’offrande de Caïn.
La foi miraculeuse est for différente de la foi qui nous sauve.
Sacrifices différents.
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Dieu ne considère que le cœur.
Saül et David (1 Samuel XIII, 12, 13) offrirent tous les deux des sacrifices, Dieu reçut l’un refusa l’autre, c’est que leurs cœurs n’avaient pas l’intention également pure. VI. David, Manassé, Nebucadnezar et Pierre trouvèrent grâce devant Dieu parce qu’ils firent une vraie pénitence. Mais la même grâce ne fut point accordée à Saül, à Pharaon, à Judas. Pourquoi cela ? C’est que la disposition de leur cœur était différente. Pharaon (Exode IX, 27) et Saül (1 Samuel XV, 24) dirent : Seigneur, j’ai péché. Manassé en dit de même. Ceux-là furent rejetés, celui-ci est exaucé. Que le prix de leur prière fut différent ! La récompense. VII. Judith (Judith X, 3) et Esther (Esther V, 1) se parèrent pour paraître belles, les filles d’Israël (Esaïe III, 16) en firent autant. Les unes en sont louées, et les autres blâmées. VIII. Ezéchias (2 Rois XX, 10), Josué (Josué X, 12), Gédéon (Juges VI, 37) demandent des signes du ciel et ils en sont loués et exaucés. Les Pharisiens (Matthieu XII, 38) en souhaitent et ils sont repris et refusés. IX. Le Publicain et le Pharisien (Luc XVIII, 10) font leurs prières dans le temple, mais n’en reçoivent-ils pas une différente sentence ? X. Les Ninivites (Jonas III, 6) jeûnent ; les Juifs et les Pharisiens (Matthieu VI, 16) en font de même ; Dieu regarde les Ninivites avec des yeux de miséricorde et ne peut souffrir les Juifs, ni les Pharisiens, qui ne purent s’empêcher de lui dire : Pourquoi jeûnons-nous et tu n’y a point d’égard (Esaïe LVIII, 3). XI. La veuve (Luc XXI, 2) qui mit deux pites dans le tronc fut louée, pendant que ceux qui y avaient beaucoup plus mis, ne le furent pas. XII. Hérode (Luc XXIII, 8) se réjouit de voir le Christ ; Zachée (Luc XIX, 8) en est aussi bien aise. Que leur désir fut différemment
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accompli et récompensé ! XIII. Diversité qui vient de la diverse disposition que Dieu voit dans les cœurs ; remarquant que les œuvres des uns procèdent d’une foi qui n’est pas feinte, d’un amour sincère et d’une simple humilité. Au lieu que les actions des autres sont tâchées et corrompues par l’orgueil, l’amour propre, un motif de vaine gloire ou d’intérêt, ce qui rend devant Dieu les plus excellents talents inutiles. XIV. Les Saints Martyrs se sont laissés égorger et mettre à mort pour l’amour de Christ ; Achaz (2 Rois XVI, 3) et Manassé (2 Rois. XXI, 6) ont été immolé et offert leurs propres enfants à Dieu, lequel a eu pour agréable le sacrifice des martyrs et a détesté ceux de ces deux rois.
CHAPITRE XXXIV L’Homme ne fait rien pour son salut, Dieu seul fait tout, pourvu seulement que l’Homme se résigne à la grâce de Dieu et s’en laisse conduire, comme un malade d’un médecin. Et sans la pénitence, le mérite de Christ n’est point imputé. 1 Corinthiens I, 30 Christ nous a été fait de Dieu sagesse et justice et sanctification et rédemption.
L
e Saint Apôtre nous enseigne par cette importante sentence, que J.C. notre Seigneur a mérité tout ce qui est nécessaire pour notre salut. Ne sachant point le chemin de la vie, il s’est fait notre Sagesse. Étant pécheurs, il s’est rendu notre sanctification. Méritant d’être condamnés, il s’est offert pour notre rédemption. II. A quoi le mérite de tous les Hommes, leur pouvoir et leur libre arbitre ne contribuent d’un seul iota, n’y pouvant ajouter la valeur d’un seul atome, qui paraît au soleil, ni pour le commencement, ni
L’Homme ne peut s’aider soi-même.
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L'Homme ne peut rien faire pour son salut.
pour le milieu, ni pour la fin. L’Homme a bien pu pécher, mais il ne peut lui-même se justifier ; il a bien pu se perdre, mails il ne peut se retrouver ; il a bien pu se donner la mort, mais il ne peut se redonner la vie ; il a bien pu se soumettre au diable, mais il ne peut s’en délivrer. Comme un corps mort ne peut de soi-même se vivifier, il en est de même de tous les Hommes, qui, étant morts dans leur péché, comme dit l’Apôtre (Éphésiens II, 5) ne peuvent eux-mêmes s’aider. III. Comme nous n’avons rien contribué à notre création car nous n’avons pas pu nous créer nous mêmes, ainsi nous ne pouvons rien faire pour notre rédemption, sanctification et régénération ; d’autant plus que la rédemption est plus que la création. Si nous pouvions nous-mêmes nous justifier, nous ferions quelque chose de plus que si nous nous étions créés. Cause de l’incarnation du Fils de Dieu.
Le Christ est notre médecin et non par nous-mêmes.
IV. C’est pour cette raison que le Fils de Dieu s’est fait Homme, afin de réparer tout ce qui avait été perdu en Adam et de vivifier tout ce qui était mort en ce premier Homme. V. Ce qui s’est fait pour nous manifester la vérité de la parabole de cet Homme blessé par des voleurs (Luc X, 30) et des meurtriers, entre les mains desquels il était tombé et dont il ne pouvait soi-même se délivrer. Il fallu que le fidèle et miséricordieux Samaritain banda ses plaies, le releva, le mena à l’hostellerie et agit avec lui comme un médecin avec un malade. De même que ce blessé, obéissant au Samaritain son médecin, lui laissa faire tout ce qu’il lui plu ; Ainsi devons-nous en agir, si nous voulons être sauvés. Il nous faut demeurer tranquilles entre les mains du Christ, le laisser agir sur nous, nettoyer et bander nos plaies, y verser de l’huile et du vin et nous abandonner entièrement à sa volonté. Ce sera le moyen de l’engager à nous secourir, penser et guérir. VI. Aussitôt qu’un pécheur fait pénitence, qu’il se tourne vers Dieu par sa grâce, il s’attriste de ses péchés, et laisse laver et purifier les plaies de ses crimes avec le puissant vin de la loi et la douce huile de la consolation. C’est alors que le Christ opère en lui par sa grâce la
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foi et tous ces fruits de la foi qui sont la justice, la vie, la paix, la joie, la consolation et le salut. Il le renouvelle et selon l’Apôtre (Philippiens II, 13) il produit en lui avec efficace le vouloir et le parfaire selon son bon plaisir. VII. Aussi il n’est pas au pouvoir naturel de l’Homme, d’abandonner ses péchés ; Car l’Écriture Sainte nomme l’Homme naturel (Jean IIX, 34) le serviteur du péché, elle dit (Romains VII, 14) qu’il est vendu au péché et que de sa nature, il ne peut que pécher ; selon le Prophète Jérémie (Jérémie XIII, 23) Comment pouvez-vous faire le bien, vous qui êtes accoutumés au mal ? Le léopard peut-il changer ses tâches et le more sa peau ? Mais, selon Paul (Tite. II, 11-12) la grâce de Dieu salutaire à tous les Hommes est apparue nous enseignant (par l’Évangile qui nous est prêché par toutes les créatures) qu’en renonçant à l’impiété et aux convoitises du monde, nous vivons dans le siècle présent sobrement, justement et religieusement. C’est à dire que la grâce nous vient par la parole de Dieu et que cette grâce nous corrige, nous enseigne, nous attire, nous incite, nous meut et nous exhorte à nous abstenir de nos péchés et à les abandonner. Exhortation de la grâce divine par sa parole, qui convient très bien avec le témoignage intérieur de la conscience, qui convainc l’Homme au-dedans et au-dehors qu’il agit injustement et qu’il faut qu’il abandonne les péchés, s’il veut être sauvé par ce qu’ils font contre Dieu et contre sa conscience. VIII. Que si l’Homme suit cette correction, cette exhortation de la grâce de Dieu, s’il donne et écoute sa parole, s’il commence à abandonner ses péchés, alors la grâce de Dieu opère tout en l’Homme, la foi, la charité et tous les fruits de la foi, semblable à une lumière qui commence à éclairer dans les ténèbres. Mais aussi peu que les ténèbres peuvent s’éclairer eux-mêmes, aussi peu l’Homme peut-il se servir de lumière à lui-même, selon le Psalmiste (Psaumes XIIX, 29) Seigneur, c’es toi qui fais luire ma lampe et me fais reluire dans les ténèbres. Il serait inutile d’ouvrir de grands yeux, si le soleil n’éclairait point ; de même c’est la seule grâce de Dieu et Christ même, cette claire lumière (Luc I, 79) qui s’est élevée pour tous les Hommes, assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort. C’est (Jean I, 9) cette lumière qui illumine
L’Homme naturellement ne peut et ne veut rien de bon.
La grâce de Dieu fait tout en nous.
L’Homme n’est que ténèbres, le Christ est la vraie lumière. Comment la vraie lumière éclaire tous les Hommes.
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Le Christ, comme un Époux, est toujours autour de nos âmes.
L’impénitence empêche l’efficace du mérite de Christ. Pourquoi il faut prêcher la pénitence avant toutes choses ?
L'Homme ne peut rien faire pour son salut.
tout Homme venant dans le monde, c’est à dire, qui se manifeste à tous, s’offre à tous et se laisse voir de tous. C’est la lumière de tout le monde, qui montre à tous les chemins de la vie, qui nous éclaire tous, va devant nous, comme un berger devant ses brebis (Jean X, 4) qui leur montre le chemin, où elles doivent aller. Le Christ nous a tous cherché, comme des brebis égarées, il nous cherche et nous attire encore tous les jours. Il court après nous, nous courtise, pour ainsi dire et est toujours à l’entour de nous, comme un Époux autour de son Épouse ; pourvu que nous voulions seulement recevoir son amour et que nous ne lui préférions point notre attache aux ténèbres et aux péchés. IX. Mais comme un médecin dit à un malade, prenez garde de faire cela ou vous mourrez ; car vous empêchez la force et la vertu des remèdes et ne pouvez redevenir sain. Ainsi J.C. notre Seigneur, le vrai médecin de nos âmes, nous dit d’abord : Voici mon cher fils, il te faut faire pénitence et abandonner tes péchés, ton orgueil, ton avarice, ta convoitise, ta colère, ta vengeance ou certainement tu mourras et la précieuse médecine du mérite de mon sang ne peut t’aider. Car tu empêches qu’il puisse fructifier en toi. X. Voilà la raison pour laquelle le Seigneur Jésus a commandé à ses Apôtres (Luc XXIV, 47) de prêcher premièrement la pénitence et pourquoi il y a appelé les pécheurs (Matthieu IX, 13) ; aucun cœur impénitent n’étant capable du mérite de Christ. XI. Quand nous entendons ces paroles, à savoir qu’il faut nous abstenir des péchés ou être éternellement damnés et perdus ; certainement il me semble presque impossible que l’Homme, réfléchissant sur lui-même et écoutant la vraie parole de Dieu et le témoignage de sa conscience, ne dise, cela est ainsi. Dieu a bien promis à tous la gratuite rémission des péchés, mais à cette condition, qu’ils se convertissent à Dieu, selon le Prophète Ézéchiel (Ezéchiel XVIII, 21 et XXXIII, 14,15) que si le méchant se détourne de tous ses péchés, il vivra et ne mourra point - - On ne lui fera plus mention de tous ses forfaits. Où vous pouvez remarquer que la rémission des péchés est jointe à la pénitence.
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XII. C’est dans le même sens que le Fils de Dieu dit (Jean III, 16) Celui qui croit en moi aura la vie éternelle. Or la foi s’oppose tous les jours au vieil Homme, dompte la chair, soumet les pensées et les rend obéissant, c’est à dire, convertit l’Homme, détruit et éteint les péchés et purifie le cœur. Telle est la foi qui se détourne du monde, du péché et du diable pour se retourner vers le Christ. Telle est la foi, qui sans les œuvres de tous les hommes, cherche uniquement le sang, la mort et le mérite de Christ, le repos et le soulagement de l’âme contre cette grande dette que nous contractons par les péchés. Mais celui qui s’imagine que Dieu lui pardonnera ses péchés sans qu’il abandonne, a certainement une foi fausse et ne peut jamais être heureux, ni obtenir la vie éternelle tant qu’il ne s’en abstiendra pas.
La vraie foi.
XIII. Considérez l’exemple de Zachée le Publicain (Luc XIX, 8) qui sans doute comprenait fort bien la doctrine de la foi et de la conversion, à savoir, que la vraie foi était celle de ses péchés vers Dieu et que celui qui veut avoir de Christ la rémission des péchés et jouir de son précieux mérite, doit s’abstenir de ses péchés et s’arrêter en Christ par une ferme et sincère confiance ou assurance à la grâce de Dieu. XIV. C’est ainsi qu’il faut entendre la prédication de Christ en S. Marc, à la fin de laquelle il dit (Marc I, 15) : Faite pénitence et croyez en l’Évangile, c’est à dire, abstenez-vous des péchés, consolez-vous en mes mérites et cherchez auprès de moi seul la rémission de vos péchés. C’est pourquoi Zachée dit à Christ (Luc XIX, 8, 9, 10) voilà la moitié de mes biens, Seigneur, que je donne aux pauvres et si j’ai trompé quelqu’un en quelque chose, je suis prêt de rendre le quadruple. Il ne prétend pas faire gloire de ses œuvres, mais relever la grâce par laquelle il avait connu, comment il devait faire pénitence ; comme s’il voulait dire : Seigneur j’ai tant de regret d’avoir trompé quelqu’un, que je veux lui restituer au quadruple et de plus donner la moitié de mes biens aux pauvres. Et puisque je reconnais maintenant mes péchés et que je suis tout à fait résolu de les abandonner et que je crois en toi, je te prie de me recevoir dans ta grâce. Alors le médecin vint et dit : Aujourd’hui le salut est venu à cette maison - - Car le fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.
L’aveu des péchés obtient la grâce par la foi.
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Progrès de la guérison spirituelle.
L’Homme ne peut de soi-même ni penser ni faire rien de bien.
A qui convient l’imputation.
L'Homme ne peut rien faire pour son salut.
XV. Telle est la véritable pénitence et la conversion par la foi, que Dieu opère en nous. Il est le commencement, le milieu et la fin de notre salut, pourvu que nous ne nous opposions pas obstinément à Dieu le Saint Esprit, comme ces Juifs (Actes VII, 51 et XIII, 46) opiniâtres, dont il est dit : C’était à vous qu’il fallait premièrement annoncer la parole de Dieu, mais puisque vous la rejetez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, nous nous tournons vers les gentils. Mais c’est à nous de le laisser agir avec nous, comme un médecin avec ses malades. Le médecin déclare d’abord au malade, la maladie dont il est attaqué. Ainsi Dieu nous manifeste nos péchés. Le médecin dit au malade les choses dont il doit s’abstenir, s’il veut que les médecines aient un bon effet. Ainsi Dieu nous manifeste ce que nous devons abandonner, afin que le précieux sang du Christ opère en nous, autrement cet excellent remède devient inutile. XVI. Sitôt qu’un Homme par la vertu du Saint Esprit s’est désisté de ses péchés, aussitôt la grâce de Dieu commence à opérer de nouveaux dons, autrement l’Homme n’est pas capable (2 Corinthiens III, 5) de faire quelque chose de bon de lui-même, ni même de le penser. Ainsi tout le bien qui se fait en nous, n’est pas de nous, mais de la grâce de Dieu, selon St. Paul (1 Corinthiens XV, 10) non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est en moi. Mais cela nous est imputé par grâce et même tout le mérite de Christ et son obéissance sont imputés aux pénitents comme s’ils l’avaient fait eux-mêmes et non pas eux impénitents. XVII. C’est pourquoi l’imputation ne regarde point les impénitents qui méprisent Dieu et sa parole. Le Christ l’opère seulement dans les pénitents, et non dans les autres. Comme un précepteur qui apprend à un enfant à former ses lettres et à écrire, lui conduit a main et ne laisse pas toutefois de lui dire pour l’encourager mon enfant, vous avez bien écrit ; de même tout notre pouvoir est de Dieu et il ne couronne en nous que ce qu’il y opère. Sans moi, dit le Christ (Jean XV, 5) vous ne pouvez rien faire (entendez de bien), il n’appartient qu’à Dieu. Mais nous pouvons fort bien, faire le mal sans lui, il n’appartient qu’à nous. La chair n’a donc pas sujet de s’en
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glorifier (Romains III, 26) c’est une pure grâce. XIIX. Celui-là doit être réputé heureux qui abandonne le péché et se soumet et livre à la volonté de son Dieu, comme une épouse consent de prendre un époux. Christ l’Époux de nos âmes tâche aussi d’opérer la bonne volonté, en nous visitant si bénignement, en nous parlant si aimablement dans sa parole, en s’insinuant si doucement dans nos cœurs qu’il cherche qu’il attire, qu’il caresse, étant assidûment autour de nous, avant même que nous pensions à lui et tout cela pour nous engager à quitter nos péchés, afin que son précieux sang ne soit point en vain répandu pour nous.
Le christ opère en nous la volonté.
CHAPITRE XXXV Sans une vie sainte et chrétienne, toute sagesse, tous les arts et les sciences, même la connaissance de toute l’Écriture est inutile. Matthieu VII, 21 Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront pas au Royaume des cieux, mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux.
L
’Apôtre S. Paul (1 Corinthiens XIII, 1) entend par la charité toute la vie chrétienne, la charité renfermant tout ce qui concerne cette sainte vie et celle de Christ n’est qu’une charité pure, sincère et qui part du cœur. II. Mais le propre de la vraie charité, est de ne considérer que Dieu en toutes choses, sans se chercher elle-même dans la moindre, ou si elle s’aime, s’honore et se glorifie, que ce soit sans chercher aucun profit ou récompense, gloire ou honneur en tout ce qu’elle fait. Le faisant par un pur amour de Dieu et des Hommes sans espérance d’en être récompensée ou estimée et aimant gratuitement Dieu et le prochain, seulement parce que Dieu est le souverain bien. III. Qui n’a point une telle charité, est un hypocrite. Il se
Propriété de la sincère charité.
Ce qu’est l’hypocrite ?
168 Sans la charité toutes les autres choses ne servent de rien. Vrai fruits de la foi et des sacrements.
Toute connaissance est inutile sans une vie chrétienne.
recherche lui-même dans toutes ses actions et non pas Dieu seul ; ce qui fait voir que son amour est faux. Quand un tel Homme saurait par cœur toute l’Écriture sainte et parlerait le langage des anges, il ne serait pourtant qu’un simple son sans efficace. Car la parole de Dieu doit être changée en vie ; autrement elle ne sert à rien. Comme la nourriture naturelle du corps ne profite de rien, si elle n’est changée en chair et en sang ; de même la parole de Dieu et les sacrements ne sont d’aucune utilité, s’ils ne sont changés en une vie sainte et si l’Homme n’en est converti, sanctifié, rempli de charité, s’il n’en reçoit une nouvelle naissance et n’en devient un homme nouveau. IV. S. Paul a donc raison de dire à ce sujet : (1 Corinthiens XIII, 2) Quand j’aurais le don de prophétie, et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, etc., et que je n’eu point la charité, je ne serais rien. C’est à dire, si par là, je cherchais mon propre honneur au lieu de n’y considérer que Dieu et l’Homme, je serais en abomination devant Dieu, bien loin de lui être agréable.
Pourquoi Dieu ne considère point les talents ?
V. C’est ce qui fera dire un jour, mais inutilement, aux faux Prophètes (Matthieu VII, 22) Seigneur, Seigneur, n’avons nous pas prophétisé en ton nom ? N’avons nous pas chassé les démons en ton nom et fait des miracles ? Alors il leur dira Je ne vous connais pas, vous ne m’avez pas recherché, ni considéré toutes ces choses, mais vous-mêmes.
Les aumônes des ambitieux condamnées.
VI. Oui, dit S. Paul (1 Corinthiens XIII, 3) quand je distribuerais tout mon bien pour nourrir les pauvres et je n’aurais point la charité, cela ne me servirait de rien. Comment donc, Paul ? Quelqu’un peut-il donner tout son bien au pauvre et n’avoir pas la charité ? Oui assurément, quant on n’y pense pas uniquement à Dieu, mais à soi-même, cherchant par ces aumônes à se faire honneur, à se donner de la réputation à mériter récompense. Comme les Pharisiens qui fondaient beaucoup de sacrifices et persuadaient aux autres de donner leurs biens au temple pour les sacrifices et tout cela pour s’acquérir de la réputation et de la gloire, puisqu’ils oubliaient d’en exercer la miséricorde envers les pauvres auxquels il aurait par charité fallu avoir plutôt égard. Ce que le Seigneur reproche aux Pharisiens, disant (Matthieu XXIII,
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14) Malheur à vous - - qui mangez les maisons des veuves, sous prétexte de faire pour cette rétribution de longues prières. Et ne se trouve-t-il pas aussi plusieurs personnes de notre temps qui ont donné leur bien pour fonder des monastères afin que les Prêtres et les Moines y offrissent et priassent pour leurs péchés. Toutes actions qui ne procèdent que d’un faux et trompeux amour, qui se cherche soi-même et ne pense qu’à sa gloire. Car si nous voulons considérer la chose de près, nous trouverons qu’on y désire moins de plaire à Dieu que d’être honoré des Hommes. VII. Le Prophète Habacuc dit (Habacuc II, 4) Le juste vivra de la foi. Il te faut faire une vraie pénitence et t’offrir toi-même en sacrifice à Dieu par la mortification et le crucifiement de ta chair, ne point faire toutes tes œuvres par amour propre ou par un motif d’intérêt et de gloire, mais par le seul, pur et sincère amour de Dieu. Autrement tout ce que tu feras, sera inutile. Quand donc tu livrerais ton corps aux flammes, si tu n’avais pas cette charité libre, pure et simple qui ne pense qu’à honorer Dieu, cela ne te servirait de rien. Que prétendent ces personnes qui fouettent leur corps, l’exposent aux flammes et lui font tout le mal qu’ils s’imaginent ? Que cherchent-ils par ces sortes d’actions ? Ils se cherchent eux-mêmes dit le Prophètes Isaïe (Esaïe LXVIII, 3) ils veulent montrer une sainteté toute particulière et une spiritualité qu’ils se sont choisie, non pour accroître la gloire de Dieu, mais pour se donner plus d’autorité. Aussi, quelquefois, tombent-ils dans un tel aveuglement, et dans une si profonde erreur, que pour la soutenir, ils se laissent brûler, afin de devenir des martyrs de Christ, bien qu’ils n’y cherchent point Jésus Christ, mais eux-mêmes ; afin de s’affermir dans l’erreur qu’ils se sont proposée et dont ils ne veulent point se départir, quand il leur en devrait coûter la vie. C’est ce que S. Paul (2 Théssaloniciens II, 9-11) appelle la force de Satan et une efficace d’erreur, d’autant que ce n’est pas la peine qui fait le vrai martyr, mais un sujet légitime ou une cause qui le mérite. VIII. Considérez jusqu’où le diable à porté les païens, entre lesquels il en a tellement aveuglés ou éblouis quelques uns, qu’ils se sont volontiers laissés égorgés, mettre à mort et sacrifier pour confirmer
Les faux martyrs.
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Qui sont ceux qui goûtent la vertu de la manne céleste.
et maintenir leur fausse religion païenne et le culte de démon. Quelle merveille qu’il arrive encore la même chose sous la fausse apparence de la foi chrétienne ? Les païens ont fait beaucoup de choses et ont même exposé leur vie pour se faire un nom immortel ; Le faux amour propre, le désir d’une vaine gloire n’ont-ils pas de nos jours tellement séduit les moines et autres gens d’un tel caractère, qu’ils n’ont point appréhendés de massacrer des Rois et autres souverains pour affermir et augmenter, comme il disent la Religion catholique ? Téméraires et insensés qui ont exposés et même perdu la vie, non pour l’honneur et l’amour de Christ, mais pour la prétendue gloire du saint siège, l’honneur du Pape, leur propre louange ou réputation et pour s’acquérir un nom immortel. Telle est la fausse charité, trompée par une fausse lueur. IX. Qu’il soit donc constant, qu’un Homme, quelque savant qu’il soit, quelque art qu’il puisse exercer, quelque connaissance qu’il ait, quand même il aurait la science et la sagesse de Salomon, quand il posséderait toute l’Écriture sainte, qu’il n’ignorerait rien de ce que l’Homme peut savoir, qu’il serait disposé à livrer son corps et sa vie, qu’il soit constant, dis-je, que tout cela n’est rien sans la vraie charité de Dieu et du prochain, sans une vie sainte et chrétienne. Bien plus, avoir la parole de Dieu, la savoir et ne pas agir selon ce qu’elle nous enseigne, c’est rendre sa damnation plus grande. Comme le Seigneur le dit lui-même en St. Jean (Jean XV, 22) Si je ne fusse pas venu et que je n’eusse pas parlé à eux, ils n’auraient point de péché. Mais maintenant ils n’on point d’excuse de leur péché.
CHAPITRE XXXVI Qui ne vit point en Christ, mais a son cœur attaché au monde, ne vit que selon la lettre de l’Écriture, sans en posséder l’esprit, ni goûter la douceur et la vertu de cette manne cachée.
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Apocalypse IV, 17 À celui qui vaincra, je lui donnerai à manger de la manne cachée et je lui donnerai une bonne marque et sur cette marque un nouveau nom écrit, que nul ne connaît, sinon celui qui le reçoit.
P
ar cette sentence, nous apprenons que ceux-là seuls goûtent la douceur de la consolation céleste et de la joie, qu’on trouve en la parole de Dieu, qui se mettent en état de vaincre et qui effectivement surmontent et se soumettent à la chair, le monde avec sa pompe et sa gloire et même le diable, ceux, qui par la pénitence et la contrition : (Galates V, 24) Crucifient tous les jours leur chair avec ses désirs et ses convoitises, qui meurent tous les jours au monde et à eux-mêmes et dont toute la vie n’est qu’une véritable croix. Ceux-là sont divinement nourris d’en haut dans leur intérieur de toute la douceur que renferme la manne céleste et boivent avec plaisir le vin du paradis. Au lieu que les autres, qui n’ont leur consolation qu’en ce monde, ne peuvent goûter cette manne cachée. La raison en est, que ce qui est semblable, s’unit volontiers avec son semblable et que les choses contraires ne conviennent pas ensemble. Or la parole de Dieu est spirituelle, elle ne peut donc s’unir avec un cœur terrestre et mondain. Comme le corps ne reçoit aucune vigueur d’une nourriture, que l’estomac ne peut souffrir et ne digère point ; ainsi l’âme ne goûte aucune vertu de la parole de Dieu ou du pain céleste, si elle ne le convertir entièrement en elle même, c’est à dire en vie.
Qui sont ceux qui sont capables de goûter la douceur céleste ?
II. Et comme tout semble amer à un homme qui a la fièvre, de même la parole de Dieu devient amère à ceux qui sont attaqués de fièvre de ce monde, je veux dire de l’avarice, de l’orgueil, de la volupté, de l’amour des choses d’ici-bas ; maladies spirituelles, qui causent autant de dégoût à leur âme, que la fièvre à ceux dont elle afflige le corps. Au lieu que ceux qui ont l’esprit de Dieu y trouvent un pain céleste, la manne cachée, qui n’aura jamais de goût pour ceux qui sont animés de l’esprit du monde.
Qui sont ceux qui n’ont point de goût pour la parole de Dieu ?
III. De là vient, que beaucoup de personnes ont si peu de goût, de plaisir et d’ardeur spirituelle pour le saint Évangile, bien
Les choses contraires ne peuvent compatir.
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Qui sont ceux qui goûtent la vertu de la manne céleste.
qu’ils l’entendent tous les jours. C’est qu’ils n’ont point l’esprit de Dieu, et que leur âme ne désire point les choses célestes mais celles de la terre. Or celui qui veut justement entendre la parole de Dieu et en recevoir de la force et manger la manne céleste, doit s’étudier et s’efforcer à conformer sa vie à la parole de Dieu et à la vie de J. Christ. Il nourrit les humbles de sa grâce (1 Pierre V, 5) les débonnaires de son amour, les patients de sa consolation et leur rend son joug agréable et son fardeau léger (Matthieu XI, 30). La douceur de la manne céleste ne se goûte que sous le joug de Christ et c’est ce que veulent nous marquer ces paroles dans S. Luc : (Luc I, 53) Il a rempli de bien ceux qui avaient faim et a renvoyé les riches vides. IV. Les paroles que je vous dis, sont esprit et vie, dit le Christ même en S. Jean (Jean VI, 63). Si elles sont esprit et vie, elles ne peuvent être reçues ni comprises par un cœur voluptueux, charnel et débauché, qui n’a aucun sentiment pour les choses spirituelles. Il les faut recevoir en esprit, en paix, en silence, avec une profonde humilité, avec un désir saint et ardent et les changer en vie. Autrement, on ne retire pas plus de fruit de la parole de Dieu, que du son extérieur des morts et de la lettre. Comme celui qui entend le son d’une harpe, sans comprendre ce qu’on chante dessus, n’en reçoit aucun plaisir ; de même on ne retire aucun avantage de la vertu de la parole divine, quand elle n’est point changée en vie, c’est à dire, si l’on n’en fait la règle de sa vie, en pratiquant ce qu’elle enseigne. V. C’est ce qui fait dire à S. Jean en son Apocalypse (Apocalypse II, 17) Je lui donnerai un caillou blanc et sur le caillou un nouveau nom écrit que nul ne connaît sinon celui qui le reçoit.
Nouveau nom.
VI. Voilà le témoignage que l’esprit rend en secret à la parole de Dieu, et réciproquement l’esprit de la parole de Dieu (Romains VIII, 16) rend témoignage à notre esprit et s’accordant l’un avec l’autre, ils s’unissent et deviennent (1 Corinthiens VI, 17) un seul esprit ; et c’est là le nouveau nom que personne ne connaît que celui qui le reçoit. Comme personne ne sent la douceur du miel que celui qui le goûte ; de même personne ne connaît le nouveau nom du témoignage divin
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dans le cœur, que celui qui l’éprouve ; ni tout ce que produisent les consolations divines, que celui qui en ressent les effets. Et c’est là le nouveau témoignage et ce nouveau nom que personne ne connaît sinon celui qui le reçoit. Nom, qui est en effet nouveau, parce qu’il procède de la nouvelle naissance et qu’il vient d’en haut. VII. Heureux est l’Homme à qui Dieu se donne ainsi à goûter dans son cœur. Ainsi le Seigneur dès le commencement rassasia les Prophètes de son doux pain céleste, par la communication de sa parole éternelle, qu’il leur fit, afin qu’ils pussent la publier et nous la communiquer ; car ils l’on reçu de lui et en ont ensuite composé la Sainte Écriture. VIII. Il ne cesse encore aujourd’hui de parler avec tous les Hommes et de nourrir intérieurement leur âme de sa parole, mais la plupart son trop sourds à sa voix, aimant mieux écouter le monde que Dieu, et suivre les convoitises charnelles que les mouvements de son esprit. C’est pourquoi ils ne peuvent manger la manne cachée, pendant qu’ils se rassasient du fruit de l’arbre défendu de mort et des voluptés de ce siècle, méprisant celui de l’arbre de vie. IX. C’est sans doute un grand aveuglement et une extrême folie dans les Hommes, de ne vouloir point comprendre qu’il se trouve un plus solide plaisir et une plus grande douceur en Dieu que dans le monde. Qui a une fois goûté la bonté de Dieu, ne trouve plus que de l’amertume dans le monde et en tous ses plaisirs. Nos premiers parents se sont laissés séduire par le monde et en goûtant du fruit défendu, ont mangé et ressenti toute l’amertume de la mort. Pourquoi sommes-nous encore si aveugles et si fous que de nous nourrir de convoitises défendues de notre chair qui ne peuvent que nous donner la mort ? X. Qui me mange, dit le Seigneur Jésus (Jean VI, 51) l’arbre et le vrai pain de vie, il vivra éternellement. Le manger, c’est croire en lui et y mettre tout le plaisir de son cœur, sa joie, son amour, sa consolation et son repos (Ecclésiaste XXIV, 29). Le monde ne nous
La parole vivante est la nourriture de l’âme. Arbre de mort.
Le monde est très amer à l’Homme spirituel.
Aveuglement charnel.
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Qui sont ceux qui goûtent la vertu de la manne céleste.
donne que des bagatelles de nulle valeur, caduques et périssables, il veut toutefois être servi avec une grande ardeur. Dieu nous accorde des biens abondants, excellents et éternels, et cependant le cœur des mortels ne marque que de la paresse et de la lâcheté quand il s’agit de le servir. Où trouve-t-on quelqu’un qui serve Dieu avec la même obéissance et le même soin qu’on sert Mammon et le monde ? Nous entreprenons de grands voyages pour une petite somme d’argent, mais pour la vie éternelle nous avons à peine de remuer le pied. XI. Les Prophètes reprochent à ces grandes villes marchandes Tyr et Sidon, qu’elles ont parcouru, cherché et rapporté des mers les plus éloignées (Esaïe XXIII, 3) les marchandises qui font leur richesses périssables pendant qu’elles n’ont pas daigné lever le pied pour acquérir des biens éternels. Enfants du monde.
La vraie victoire.
La douceur divine ne se goûte que quand on méprise celle du monde.
XII. Dans tous les ordres et tous les états, le monde n’est-il pas plus recherché et plus aimé que Dieu ? Tel Docteur étudie jour et nuit pour acquérir de la science qui puisse le faire honorer dans le monde ; mais pour le salut et la vie éternelle il ne prend pas souvent tant de loisir et n’emploie pas tant de temps qu’il en faut pour réciter l’oraison Dominicale. Tel ne redoute aucun travail, ni fatigue de la guerre pour acquérir de la noblesse et de la réputation, qui ne veut point combattre contre les vices particuliers de sa chair, quoique par ce combat il puisse obtenir une noblesse céleste et éternelle. Tel est conquérant de plusieurs provinces, pays et peuples, qui ne peut se surmonter soi-même. Combien y en a-t-il qui cherchent les choses temporelles, sans se souvenir que cette recherche les fasse périr euxmêmes et leur fasse perdre leurs âmes et leur salut ? Tous ceux qui agissent ainsi, n’ont pas goûté cette manne cachée de la divine parole, puisque bien loin de vaincre le monde, ils s’en laissent surmonter. Qui veut goûter la manne, doit pour l’amour de Dieu mépriser le monde, le combattre et le vaincre. Qui le fera, goûtera cette très douce consolation du Saint Esprit, que personne ne connaît, que celui qui la reçoit. XIII. Faisons donc premièrement en sorte que l’arbre de vie
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soit planté en nous et nous mangerons de son fruit. Détournons notre cœur du monde, pour le tourner vers Dieu et nous en recevrons une céleste consolation. Tu te persuades que la consolation de ce monde cause une grande joie, sans penser que la consolation qui vient de Dieu peut mille fois plus te réjouir, que tout le monde. Ce que Dieu fait, est toujours plus noble est plus excellent, que ce que font les créatures. La doctrine qui vient d’en haut par l’inspiration du Saint Esprit, est beaucoup plus noble et plus excellente que tout ce que l’entendement humain peut apprendre par le plus grand travail. Une pomme ou un lys naturel est infiniment plus beau et meilleur que tout ce que l’ouvrier en imiterait avec l’or le plus pur. Ainsi, le moindre moment et la plus petite étincelle de la consolation divine est infiniment préférable au plus grand océan de joie que nous pourrions recevoir en ce monde. XIV. Veux-tu donc maintenant éprouver l’excellente consolation de Dieu ? Méprise la consolation et les joies de ce monde. Veux-tu m’écouter, nous dit-il, tourne ton oreille vers moi. Veux-tu m’entendre, ouvre ton cœur à mes paroles. Veux-tu me voir, attache tes yeux sur moi. Ainsi, tourne tout ton cœur et tous tes sens vers Dieu et tu le verras, l’écouteras, le comprendras, le goûteras et le recevras, selon ce que nous lisons en Jérémie : (Jérémie XXIX, 3) Si vous me cherchez, vous me trouverez, après que vous m’aurez cherché de tout votre cœur, dit le Seigneur. XV. On dit maintenant, ô que c’est un homme riche, puissant, sage et savant ! Mais personne ne dit de cette même personne qu’elle soit douce, humble et patiente. Ainsi, on ne considère à présent les Hommes, que par le dehors, sans faire aucune attention au-dedans ou à l’intérieur, bien que ce soit le meilleur et le plus excellent. On dit, cet Homme a vu beaucoup de provinces et de villes ; mais il vaudrait mieux qu’il eut vu Dieu. On dit, cet Homme a entendu et servi l’Empereur, les Rois, les Princes, les grands Seigneurs ; Oui, mais ne lui serait-il pas plus avantageux d’avoir écouté la parole divine et avoir servi Dieu dans son cœur ? Plusieurs disent par une pure attache à ce monde, c’est à présent un siècle fort savant, un temps
La vraie consolation et la vraie sagesse viennent de Dieu. Vanité et inutilité de la joie de ce monde.
Comment nous avons le sentiment et le goût de Dieu ?
Fausse louange.
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d’Hommes habiles, ingénieux et artificieux. Et ils ne savent pas que la plus sublime science et le plus excellent art est (Éphésiens III, 19 et Luc. XIIX, 8) d’aimer le Christ, ce qui est plus avantageux que de savoir toutes choses. Mais cet amour semble entièrement éteint avec la foi, en sorte qu’il reste fort peu de vrais savants selon Dieu et de ceux qui veuillent apprendre de Christ (Matthieu XI, 29) la vie humble, douce et paisible. Au contraire les plus prudents de ce siècle sont souvent les plus dépourvus de la charité divine et n’ont pas encore appris que la vraie vie se trouve en Christ (Éphésiens IV, 18). Ils pensent que tout consiste dans l’artifice des mots, quoiqu’il soit certain que la vraie habilité ne consiste pas dans les mots, mais dans la sagesse éternelle, comme nous le faisons voir plus amplement dans le Traité de la Philosophie ancienne. Mais si l’on disait, c’est un siècle impie et irréligieux, ce serait parler plus conformément à la vérité et à la parole de Dieu. Jugement aveugle.
La solide joie vient de Dieu.
XVI. On dit, cet Homme a une table splendide et une bonne cuisine. Ah ! Que la parole de Dieu est bien plus agréable à celui (Jean VI) qui a une fois goûté cette manne cachée, ce pain céleste, vivant et incorruptible. Que celui-là a une table délicate et délicieuse, à qui le Seigneur l’a lui-même préparée (Psaumes XXIII, 5). XVII. Celui qui sait goûter Dieu et sa parole, n’y trouve rien que d’agréable ; mais quelle joie peut avoir celui à qui elle paraît insipide ? Dieu même est la joie, qui surpasse toutes les joies que peuvent causer les créatures ; il est la lumière éternelle à laquelle aucune lumière créée ne peut être comparée. Il veut remplir nos cœurs et les pénétrer de la clarté d’une joie secrète et cachée. Il veut purifier nos esprits et toutes nos puissances, les réjouir, les éclairer et les vivifier. Quand viendra cette heure, que Dieu nous rassasiera de sa présence et de tout ce qu’il est ! XVIII. Tant que cela n’arrivera pas, il n’y aura en nous aucune joie solide, aucun parfait contentement. Ramassons cependant ces petites miettes de consolation qui tombent de la table de notre Seigneur, jusqu’à ce que nous éprouvions la vraie joie de la vie éternelle (Matthieu XV, 27).
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XIX. Voici, je me tiens à la porte, dit le Seigneur (Apocalypse III, 20) et je frappe : Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre, j’entrerai vers lui et je souperai avec lui et lui avec moi. Écoute, ô mortel, il te vient un hôte distingué, veux-tu le laisser dehors ? C’est une grande honte de laisser un ami attendre longtemps devant la porte ; combien plus grand est le déshonneur que tu fais à ton Dieu, que tu laisses dehors, lorsqu’il veut devenir ton hôte. Tu n’oses le traiter, il te traite ; Tu mangeras avec lui le pain céleste et la manne cachée. Un grand Seigneur fait marcher avec lui sa propre cuisine, quand il veut loger chez son ami qui est pauvre.
Le Christ est notre convié.
XX. Le Seigneur dit : Écoute ma parole, et ouvre moi. Mais comme il ne peut y avoir de musique agréable dans une maison où l’on fait un grand bruit, de même Dieu ne peut être ouï dans un cœur mondain. C’est pourquoi la manne céleste n’a aucun goût pour un cœur terrestre. Que si le tumulte de ce monde cesse dans un Homme, le Seigneur vient frapper à la porte et se fait entendre de sorte qu’il peut lui répondre comme Samuel : (1 Samuel III, 10) Parle, Seigneur, car ton serviteur écoute.
Il faut chasser les choses mondaines, afin d’introduire les éternelles. Il faut un cœur paisible pour s’entretenir avec Dieu.
XXI. C’est de cette cène intérieure, spirituelle et céleste, dont il est dit : (Hébreux VI, 4) ceux qui ont été une fois illuminés, et ont goûté le don céleste et ont été faits participants du Saint Esprit et ont goûté la bonne parole de Dieu et les puissances du siècle à venir. D’où nous devons comprendre que quand le Saint Esprit est dans l’Homme et qu’il n’y trouve aucun obstacle, il nourrit tous les jours son âme de la manne cachée de cette parole divine, agréable et vive qui (Matthieu IV, 4) sort de la bouche de Dieu, de laquelle nous vivons.
Fruits de la vraie illumination.
XXII. Ce que David, le Prophète Royal, a éprouvé par l’opération du Saint Esprit dans son cœur et dans son âme, lorsqu’il dit : (Psaumes XVI, 11) Ta face est un rassasiement de joie, il y a des plaisirs en ta dextre pour jamais. Et ailleurs (Psaumes XXXIV, 9) Savourez et voyez que le Seigneur est bon ; bien heureux est l’Homme qui espère et se confie en lui. Et encore (Psaumes XXIII, 5) Tu prépares une table devant moi contre mes
La bonté de Dieu est un nectar et une ambroisie.
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Qui sont ceux que Dieu nourrit de la parole intérieure.
Qui sont ceux qui goûtent la vertu de la manne céleste.
ennemis ; tu oins ma tête d’huile et ma coupe est comble - - (Psaumes LXIII, 4) Ta miséricorde est meilleure que la vie, c’est pourquoi mes lèvres te loueront. (Psaumes XXXVI, 8) Ô Dieu, combien est précieuse ta gratuité ? Les fils de l’Homme se confient et espèrent sous l’ombre de tes ailes. Ils seront enivrés des riches biens de ta maison et tu les abreuveras d’un torrent de délices ; Car la source de la vie est avec toi et par ta clarté nous voyons la lumière. (Psaumes LXX, 6) Que tous ceux qui te cherchent s’égayent et se réjouissent en toi, disant toujours que le Seigneur soit magnifié par ceux qui aiment ta délivrance. Mais pour moi, je suis affligé et misérable, Dieu hâte toi de me secourir. Tu es mon aide et mon libérateur, Seigneur ne tarde point. Par tout ceci nous est décrit et manifesté, qui sont ceux qui sont intérieurement nourris de la parole de Dieu, à savoir, les pauvres d’esprit et ceux qui mettent toute leur confiance et cherchent seulement en Dieu leur consolation ; et qui par conséquent se rendent dignes de goûter les dons célestes ; Desquels David dit : (Psaumes LXXXIV, 1 et suivants) Seigneur des armées, que tes tabernacles sont aimables ! Mon âme désire ardemment après la maison du Seigneur ; mon cœur et ma chair tressaillent de joie après le Dieu fort et vivant. Par ces paroles, David nous enseigne que le moindre plaisir de la vie éternelle, surpasse les plus grandes joies de ce monde. En sorte qu’il est plus agréable et plus avantageux d’y passer un seul jour, que mille ans ici bas. Et celui qui l’a une fois bien goûté, ne trouve plus que de l’amertume dans tout ce qui est en ce monde, qui lui devient fatiguant et ennuyeux, parce qu’il a goûté quelque chose de meilleur et de plus charmant. XXIII. La sagesse éternelle dit à ce sujet : (Ecclésiaste XXIV, 28) Je suis plus douce que le miel et le rayon de miel ; Qui me mange a toujours faim de moi.
Dieu seul remplit et satisfait l’âme.
XXIV. C’est une faim et une soif qu’aucune créature ne peut éteindre, ni assoupir ; il n’y a que Dieu seul qui le puisse par son amour. Amour qui a enivré les saints, dont Salomon dit : (Cantiques V, 1) Mangez mes amis et buvez et enivrez-vous, mes bien-aimés. XXV. Dieu permet que ces choses arrivent à ses bien-aimés, afin qu’ils puissent tellement les attirer à soi, qu’ils oublient tout à
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fait les choses terrestres. Mais si dans cette vie nous ressentons tant de plaisir, lorsque nous mangeons les petites miettes de la manne cachée, et que nous goûtons les moindres gouttes de cette vigne céleste, quelle sera notre joie dans la vie éternelle, où nous puiserons à la source même ?
Figure de la vie éternelle.
XXVI. Lorsque le Seigneur Jésus dit sur la croix : (Jean XIX, 28) J’ai soif : ce fut pour exciter en nous et réveiller une soif sainte, spirituelle et céleste. Car comme lui seul rassasie notre faim et éteint notre soif spirituelle, de même nous rassasions sa faim et éteignons sa soif, puisqu’il a plus faim et soif de nous, que nous n’en avons de lui. Selon qu’il le témoigne en S. Jean : (Jean IV, 34) Ma viande est que je fasse la volonté de celui qui m’a envoyé. Or la volonté de Dieu est le salut des Hommes. Et si nous avions une soif aussi ardente pour lui qu’il l’a pour nous, il nous abreuverait de telle sorte de son Esprit agréable et plein de douceur (Jean VII, 38) qu’il découlerait de notre corps des torrents d’eau vivante, c’est à dire, que tout serait en nous spirituel, gracieux, aimable et consolant ; Oui, nous serions abreuvés d’un si grand torrent de sa bonté, que notre corps, notre âme et toutes ses puissances et nos sens mêmes tressailliraient en Dieu, comme s’il versait dans nos âmes un plus grand torrent de la joie céleste ; Car il n’y a rien de plus grand que l’âme de l’Homme dans sa joie et dans sa liberté, qui lui fait comprendre Dieu, le ciel et la terre. Il n’y a aussi rien de plus petit que l’âme de ce même Homme dans sa bassesse et dans cette humilité avec laquelle devant Dieu, elle se met au-dessous de toutes les créatures.
Soif de Christ.
CHAPITRE XXXVII Celui qui ne suit point le Christ par la foi, la sainteté de sa vie et une pénitence continuelle, ne sera point délivré de l’aveuglement de son cœur, mais demeurera dans des ténèbres éternelles : Il ne peut même véritablement reconnaître le Christ,ni avoir société et participation avec lui.
Fruits de la soif spirituelle.
La grandeur et la bassesse de l’âme humaine.
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Qui ne suit point le Christ demeure dans les ténèbres.
1 Jean I, 6 Dieu est lumière et il n’y a point en lui de ténèbres ; si nous disons que nous avons communion avec lui et que nous marchions dans les ténèbres, nous mentons et nous n’agissons pas avec sincérité. Mais si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même en lumière, nous avons une communion mutuelle.
P
our bien comprendre la nature de la lumière et ce que c’est que ténèbres, il nous faut examiner la description de la lumière.
La vraie lumière et les vraies ténèbres.
II. Dieu est une lumière, dit S. Jean. Mais qu’est-ce que Dieu ? Dieu est un Être spirituel, éternel, infini, tout-puissant, miséricordieux, clément, juste, saint, véritable, seul sage et savant dont la charité est ineffable et la fidélité inexprimable. Dieu Père, Fils et Saint Esprit, un en Essence, trois en Personnes ; et c’est le souverain bien et tout le bien essentiellement pris et la vraie lumière éternelle. C’est pourquoi celui qui se détourne de Dieu, de son amour, de sa miséricorde, de sa justice et de sa vérité, se détourne de la lumière et tombe dans les ténèbres. Car sans Dieu, ce n’est que ténèbres éternelles. Au contraire, Dieu est une lumière et le diable n’est que ténèbres ; et par conséquent, si Dieu est la charité, il faut que le diable ne soit que colère, inimitié, haine, rage, envie, péché et vice. Celui qui s’adonne au péché, se tourne vers les ténèbres et vers le diable et n’en peut être délivré jusqu’à ce qu’il se convertisse des ténèbres à la lumières, des péchés à la justice, des vices à la vertu, du diable à Dieu. Ce qui ne peut être que l’ouvrage de cette foi vive et véritable (Actes XV, 19) qui purifie nos cœurs. Car celui qui croit en Christ, fait tous les jours pénitence et se détourne des péchés, c’est à dire, du diable, pour se tourner vers Christ. D’autant que comme Adam par le péché, se détourna de Dieu vers le diable ; ainsi il faut par une vraie pénitence et un abandon de ses péchés se détourner du diable pour se tourner vers Dieu. III. D’où il s’ensuit, que l’Homme, sans l’abandon de ses péchés et son retour ou conversion vers Dieu, ne peut être éclairé. Car (2 Corinthiens VI, 14) quelle communion y a-t-il de la lumière avec les
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ténèbres ? L’impénitence est ténèbres, c’est pourquoi la lumière de la vraie connaissance de Christ n’a aucune communion avec elle. Il est partant impossible, que ceux qui vivent dans les ténèbres de l’impénitence, puissent être éclairés par l’esprit et par la lumière de la vérité éternelle. Ce qui fait dire à S. Paul, parlant des Juifs (2 Corinthiens III, 16) quand ils seront convertis au Seigneur, le voile sera ôté, c’est à dire, les ténèbres, l’aveuglement et l’ignorance, et ils seront éclairés par Christ et en Christ. IV. Le plus grand aveuglement et les plus profondes ténèbres du cœur humain consistent dans l’infidélité avec ses fruits qui sont l’orgueil, l’avarice, la volupté, la colère. Celui qui en est possédé, ne peut connaître le Christ, la vraie lumière, beaucoup moins croire véritablement en lui, s’y fier et être sauvé par lui. Comment celui qui est plein d’orgueil, qui le corrompt, peut-il reconnaître l’humble cœur de Christ ? V. Comment celui, qui est rempli de colère et d’envie, connaîtra-t-il le doux cœur de Christ ? Comment celui, qui est tout occupé de sa vengeance et de sa violence, connaîtra-t-il l’extrême patience de Christ ? Quiconque ne saurait comprendre la douceur, l’humilité et la patience de Christ, n’a pas encore assez de foi pour le connaître. Veux-tu véritablement le connaître, il te faut par la foi, avoir un cœur semblable au sien ; il te faut ressentir intérieurement sa douceur, son humilité, sa patience. Maintenant, sais-tu qui est Christ ? Si tu veux connaître un bon fruit ou une bonne herbe, goûtes la, sens la, tu le sauras. Il en est de même du Christ, l’arbre de vie. Sens, dis-je, éprouve et goûte dans la foi son humilité, sa douceur, sa patience et mange de son fruit, tu y trouveras le repos de ton âme et tu deviendras capable de la consolation et de la grâce de Dieu ; autrement l’âme ne peut trouver de vrai repos. La grâce et la consolation de Dieu ne peuvent éclairer un cœur infidèle ou dénué de foi, dans lequel la douceur et l’humilité de Christ ne se rencontrent point, car (1 Pierre V, 5) il ne donne sa grâce qu’aux humbles. VI. A quoi le Christ servira-t-il à l’Homme, s’il ne veut avoir
Vraie connaissance de Christ.
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Qui ne suit point le Christ demeure dans les ténèbres.
aucune communion avec lui ? Or ceux qui vivent dans les ténèbres du péché, ne peuvent avoir aucune communion avec la lumière, tel qu’est le Christ ; il ne leur est donc d’aucune utilité. Car S. Jean dit dans la sentence suivante : (1 Jean I, 6) Si nous disons que nous avons communion avec lui et que nous marchions dans les ténèbres, nous mentons et nous n’agissons pas avec sincérité. Mais si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même en lumière, nous avons une communion mutuelle. Ce qu’il nous manifeste encore d’avantage plus bas, en disant : (1 Jean II, 8) Les ténèbres sont passées et la vraie lumière luit maintenant. Celui qui a dit qu’il est dans la lumière et hait son frère est encore dans les ténèbres. Mais celui qui aime son frère, demeure dans la lumière et il n’y a point de scandale en lui ; au lieu que celui qui hait son frère, est dans les ténèbres, parce qu’il marche dans les ténèbres et ne sait où il va, parce que les ténèbres lui ont aveuglé les yeux.
Vraie connaissance du Christ.
La connaissance vient de l’expérience.
VII. Aussi longtemps qu’un Homme demeure dans ces affreuses ténèbres des péchés, aussi longtemps il ne sera point éclairé de Christ, la vraie lumière et ne parviendra point à la vraie connaissance de Dieu. Car quand on veut véritablement connaître Dieu et le Christ, il faut savoir que Dieu n’est que grâce et que charité. Or personne ne peut savoir ce que c’est que charité, que celui qui l’a et la pratique. Ainsi la connaissance de chaque chose vient de l’expérience, de la pratique et du sentiment, aussi bien que des œuvres de la vérité. Celui qui n’exerce point la charité, ne sait ce que c’est que charité, quoi qu’il en parle beaucoup. Christ est la pure charité, l’humilité, la douceur, la patience et la vertu même. Qui n’exerce pas ces vertus ne sait pas ce que c’est que Christ et ne le connaît point véritablement ; quoi qu’il parle de lui et porte son nom. La parole de Dieu n’est qu’esprit ; celui qui ne vit pas et ne marche pas en esprit, ne peut savoir ce que c’est que la parole de Dieu ; quoi qu’il en parle beaucoup. Qui peut savoir ce que c’est que la charité, lorsqu’il ne l’a jamais exercée ? La science et la connaissance viennent de l’expérience. Comment celui-là connaîtra-t-il ce que c’est que la lumière, qui a toute sa vie été dans les ténèbres et n’a jamais vu la lumière ? Or la lumière en l’Homme n’est rien autre chose, dit le Seigneur, que la foi et la charité chrétienne : (Matthieu V, 16) Que votre lumière luise devant les Hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et en
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glorifient votre Père qui est aux cieux. VIII. Quand nous voulons seulement un peu considérer la vie de Christ, nous n’y remarquons que charité. Or si nous apprenons de lui la vraie foi, l’amour, l’humilité, la douceur, la patience, comme il nous les a commandées, nous sommes transformés en son image et éclairés de cette lumière, comme de J.C. même, qui est la vraie lumière éternelle, comme dit S. Paul (Éphésiens V, 14) Réveille-toi, toi qui dors et te relève d’entre les morts et Christ t’éclairera. IX. C’est pourquoi ceux qui ne s’éveillent point du sommeil de leurs péchés, où ils sont en ce monde, à savoir, de la convoitise des yeux, de la convoitise de la chair et de l’orgueil de la vie, ne peuvent être éclairés de Christ. X. Il éclaire ceux qui prennent sa vie pour modèle de la leur et le suivent foi. Car celui qui n’imite point Christ en sa vie, aime mieux les ténèbres que la lumière, ce qui empêche qu’il soit éclairé, comme il dit en S. Jean : (Jean IIX, 12) Je suis la lumière du monde, qui me suit (savoir en foi, en charité, en espérance, en patience, en douceur, en humilité, en crainte de Dieu) ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie ; Ainsi, les vrais imitateurs de Christ ont seuls la lumière de la vie, c’est à dire, la vraie illumination et la lumière de la connaissance de Christ. Par rapport à la foi et à la vie chrétienne S. Paul appelle les fidèles Lumière, lorsqu’il dit : (Éphésiens V, 8) Vous étiez autrefois ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière au Seigneur. Ce que l’Apôtre entend de la foi des autres vertus chrétiennes, et d’autre part : (1 Thessa. V, 5-8) Vous êtes tous des enfants de lumière et des enfants du jour, nous ne sommes point de la nuit, ni des ténèbres - - étant revêtus de la cuirasse de la foi et de la charité et du casque de l’espérance du salut. XI. Nous lisons aussi dans la Sagesse : (Sagesse. I, 5 et VII, 27) Que le Saint Esprit fuit le déguisement et les impies, - - mais par certains espaces de temps, étant entrée dans les saintes âmes, il en fait des amis de Dieu et des prophètes. Que s’il fuit les impies, comment en seront-ils éclairés ? Et J.C. ne dit-il pas aussi en S. Jean (Jean. XIV, 17) Le monde (c’est à dire
Les seuls imitateurs de Christ sont éclairés.
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Qui ne suit point le Christ demeure dans les ténèbres.
les Hommes charnels et impénitents) ne peuvent recevoir le Saint Esprit.
La foi en Christ éclaire le coeur.
La lumière et la grâce donnée par l’humilité.
XII. Ainsi, toutefois que les Hommes eussent un exemple parfait de toutes les vertus, le Fils de Dieu est devenu Homme et s’est rendu la lumière du monde, par une vie vertueuse et sainte, afin que tous le suivissent et crussent en lui, pour en être éclairés. Les païens, qui ont eu un si grand amour pour la vertu, ne font-ils pas honte aux chrétiens, puisque sachant que Christ est la vertu parfaite, ils ne suivent pourtant pas sa vie et n’imitent point ses actions ? Platon, Aristote, Cicéron, Sénèque, les plus sages d’entre les païens ont dit : Si la vertu pouvait être vue des yeux du corps, elle paraîtrait plus belle et plus claire que l’étoile du matin. Mais ceux qui ont vu le Christ par les yeux de la foi, ont vu cette belle étoile du matin : Oui (1 Jean. I, 1) Ils l’ont vue, comme dit S. Jean, et ont touché de leurs mains cette parole de vie. Si les païens ont tant aimé et estimé la vertu et si ardemment souhaité de la voir, combien plus les chrétiens doivent-ils l’aimer, puisque le Christ est la pure vertu, la charité, la douceur, et Dieu même ? XIII. Aimer le Christ, dit S. Paul, (Ephés. III.19) est quelque chose de meilleur que de tout savoir. Celui qui l’aime, aime aussi son humilité et sa douceur et les reçoit volontiers pour l’amour de Christ. Alors (2 Corinth. II, 18) il est éclairé et transformé tous les jours en l’image de Christ, de gloire en gloire. Car Dieu, dit S. Pierre, (1 Pierre. V, 5) donne sa grâce aux humbles. Ce qui fait dire à Bernard, que les fleuves de la grâce découlent en bas et ne remontent point en haut. Comment donc la grâce de la lumière et de la connaissance de Dieu viendra-t-elle à l’Homme, qui ne marche point dans la sainte vie de Christ mais dans les sentiers du diable ? Car la foi et les fruits de la foi ne permettent point que (2 Pierre. I, 8) nous soyons oisifs, ni stériles en la connaissance de notre Seigneur J.C.. Le Christ vit dans l’humble, aussi fait-il reposer sur lui (Esaïe. XI, 1) l’esprit de sagesse et d’intelligence, l’esprit de conseil et de force, l’esprit de science et de crainte de Dieu, comme Esaïe le dit du Christ même. Car le Christ habite lui même dans l’Homme, en qui se trouve sa vie et sa lumière, puisqu’il est lui-même tout cela. Et c’est la raison pour laquelle les dons du Saint Esprit reposent sur un tel Homme, comme sur le Christ même.
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XIV. Sur quoi S. Pierre, dit au Juifs : (Actes II, 38) Faites pénitence - - et vous recevrez le don du Saint Esprit, comme s’il voulait nous marquer que l’Esprit de Dieu ne se met en peine, que d’éclairer les cœurs de ceux qui sont pénitents et fidèles. XV. Celui donc, qui veut se délivrer de l’aveuglement de son cœur, des ténèbres éternelles et même du diable, doit imiter le Christ en foi, en vraie conversion et par l’amendement de sa vie. Plus il s’approche de Christ, plus il sera près de la lumière éternelle ; et plus il s’approchera des infidèles, plus il sera près du diable et des ténèbres. Ces choses ont une connexion indispensable ; à savoir qu’où se trouve la foi, là se trouve Christ avec toutes les vertus ; mais qu’où il y a de l’infidélité, le diable s’y introduit avec tous les vices et les péchés. XVI. Les Saints Apôtres, qui suivirent le Christ en foi, méprisant le monde, renonçant à eux-mêmes, se dépouillant de tout ce qu’ils avaient, vivant dans l’union (Actes II, 11) furent éclairés d’en haut et reçurent le Saint Esprit. Au lieu que ce riche jeune Homme, qui ne voulu pas suivre J.C. pauvre (Luc XIIX, 23) demeura dans les ténèbres de ce monde et ne fut point éclairé pour la vie éternelle. Car (1 Jean II, 15) celui qui aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui. XVII. Le même S. Jean nous dit de plus : (1 Jean II, 11) Celui qui n’aime pas, demeure dans les ténèbres et ne sait où il va, parce que les ténèbres lui ont aveuglé les yeux. A quoi se rapporte ce que Tauler nous insinue en toutes ses prédications, dans lesquelles il nous montre, que sans un véritable exercice de la foi, sans la mortification, l’abandon et le renoncement de soi-même, sans la conversion du cœur, enfin sans un Sabbat ou un repos intérieur de l’âme, personne ne peut recevoir, ni éprouver en soi, la lumière divine. XVIII. Pour abréger, disons qu’autant que les œuvres des ténèbres sont détruites, étouffées en nous par l’esprit de Dieu ; autant nous sommes éclairés et qu’au contraire, plus la nature corrompue, la
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chair et le monde dominent en l’Homme, aussi bien que la convoitise des yeux, la convoitise de la chair et l’orgueil de la vie, plus il y a de ténèbres en lui et moins de grâce, de lumière, d’esprit, de Dieu et de Christ : Ainsi il ne peut être éclairé sans une vraie pénitence.
Plus nous nous éloignons de la vie de Christ, plus nous nous éloignons de la vraie lumière.
La vraie connaissance de Christ est en la foi et en ses fruits.
Croître en Christ et s’y perfectionner.
XIX. Celui qui ne veut pas empêcher et même de déraciner un vice ou un péché, donne occasion à plusieurs autres : Un crime en produit un autre ; un péché s’accroît par un autre et pullule comme l’ivraie. Et comme les ténèbres s’augmentent à proportion que le soleil s’éloigne de nous ; de même plus notre vie s’éloigne de celle de Christ, plus nos péchés et les ténèbres croissent en nous, jusqu’à ce que nous soyons réduits à des ténèbres éternelles. Au contraire, celui, qui par la grâce de Dieu commence à pratiquer la vertu, s’y fortifie et augmente de plus en plus, parce que toutes les vertus sont comme enchaînées ensemble : Connexion et chaîne d’or, que S. Pierre nous décrit ainsi : (2 Pierre I, 5 et suivants) Apportant toute sorte de soin ajoutez la vertu à votre foi ; et à la vertu la science ; et à la science, la tempérance ; et à la tempérance, la patience ; et à la patience, la piété ; et à la piété, l’amour fraternel ; et à l’amour fraternel, la charité. Car si ces choses sont en vous et si elles y abondent, elles ne vous laisseront point oisifs, ni stériles en la connaissance de notre Seigneur Jésus Christ. C’est à dire, celui qui ne pratique pas ces vertus, ne connaît pas Christ et ne sait pas qui il est ; au lieu que celui qui accroît en ces vertus par la foi, accroît aussi en Christ. Mais celui qui est colère, avaricieux, superbe, impatient, n’a pas beaucoup profité en Christ, mais en Satan. XX. Nous devons croître, jusqu’à devenir un homme parfait. C’est à dire, comme un enfant croît en grandeur de corps ; de même les chrétiens doivent augmenter en foi et en une vie vertueuse, jusqu’à ce qu’ils soient en Christ devenus (Éphésiens IV, 13) un homme parfait. Mais celui, dit S. Pierre (2 Pierre I, 2) en qui ces choses ne se trouvent point, est aveugle et ne voit pas de loin, tâtant avec la main et oublie la purification de ses vieux péchés ; c’est à dire, que Christ par son sang et par sa mort a effacé, ôté et aboli tous nos péchés. C’est pourquoi nous ne devons plus y continuer, mais la mort de Christ doit être féconde en nous, afin que nous mourions au péché et nous vivions en Christ.
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Autrement la purification et le paiement ou la satisfaction de nos péchés précédents ne nous sert de rien. Que si nous nous abstenons de nos péchés, nous faisons pénitence et nous croyons en Christ, tous nos anciens péchés nous sont pardonnés et sont oubliés. Mais si nous ne voulons pas abandonner un certain péché, nous devenons coupables de tous les précédents et il nous les faudra expier dans une damnation éternelle et même nous ne pourrons les payer dans toute l’éternité. Ainsi, un Homme peut être damné pour le seul vice de la colère et s’il s’en abstient et l’abandonne, tous ses autres péchés lui seront pardonnés pour l’amour de J.C. Que s’il ne le fait pas, c’est un aveugle, comme nous a dit S. Pierre, qui oublie la purification de ses anciens péchés.
Fruits de la mort de Christ en nous.
XXI. Tout ceci nous doit être un sujet assez important, pour nous porter à la pénitence et nous faire abandonner nos péchés. Quoique Christ soit mort pour nos péchés et y ait pleinement satisfait ; cependant nous ne devenons point participants de ce mérite, et il nous est inutile si nous ne faisons pénitence. Et bien qu’un Homme par le mérite de Christ ait la rémission de tous ses péchés, cette rémission des péchés ne regarde pourtant point les impénitents, mais ceux qui s’abstiennent de leurs péchés. Et les péchés qu’on ne veut pas abandonner en effet, bien qu’on pense à les abandonner, ne sont point aussi remis. Ceux-là seuls le sont, dont on a un sincère repentir et un vrai regret. C’est ce que veulent nous signifier ces paroles de S. Matthieu : (Matthieu XI, 5) L’Évangile est prêché aux pauvres, c’est à dire, la rémission des péchés. Comme par exemple si quelqu’un ayant vécu pendant plusieurs années ou dans l’avarice et l’usure comme Zachée, ou dans le libertinage, comme Marie Magdelene, ou dans la colère et la vengeance comme Ésaü, n’a pas plutôt entendu qu’il faut abandonner ces sortes de péchés ou que la mort et le sang de Christ ne lui serviront de rien, qu’il revient à lui-même et dit : Ah Seigneur, si je suis marri, et je me repens, et se retirant de ses vices, prie Dieu de lui faire grâce et croit en Christ, alors tous ses péchés passés lui seront remis et pardonnés par pure grâce, sans aucun mérite de sa part, mais à cause de la mort et du sang de Christ. Mais celui qui ne pense point à se déporter de son avarice, de sa colère, de son usure,
Nécessité de la pénitence.
Sans amendement les péchés ne sont point remis.
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Qui ne suit point le Christ demeure dans les ténèbres.
de sa volupté, de son orgueil et ne laisse pourtant pas de souhaiter la rémission de ses péchés, bien loin de l’obtenir, endurera la peine, due à ses péchés, dans l’enfer où il ne pourra cependant pleinement y satisfaire pendant toute l’éternité. Car il n’a aucune vraie foi, qui purifie et rectifie le cœur, ce qui fait dire clairement et expressément à S. Paul (Galates V, 21) que ceux qui commettent de telles choses, n’hériteront point le royaume de Dieu. Il faut donc abandonner ses péchés, ou être éternellement damné et perdu. La foi qui comprend le mérite de Christ est accompagnée de toutes les choses nécessaires au salut.
L’impénitence empêche tout le royaume de Dieu et le salut éternel.
XXII. Voilà quelle est la vraie conversion vers Dieu et la vraie foi, comme aussi la rémission des péchés et la grâce de Dieu ; où se trouve la grâce de Dieu, le Christ s’y trouve aussi, car hors de lui, il n’y a aucune grâce. Où est le Christ, sont précieux mérite y est aussi. Où est son mérite, le paiement ou la satisfaction pour nos péchés y est aussi ; où est la satisfaction pour nos péchés, là se trouve la justice ; et enfin où est la justice, là se trouvent la paix et la joie de la conscience, selon le Psalmiste : (Psaumes LXXXV, 11) La justice et la paix se sont entre baisées ; alors où est la joie d’une bonne conscience, le Saint Esprit s’y trouve aussi ; et où est le Saint Esprit, il ne se peut que la joie et la paix ne s’y rencontrent, puisqu’il est un Esprit qui réjouit. Mais enfin, où est la joie, la vie éternelle y doit aussi être, puisque la vie éternelle est une joie éternelle. XXIII. Telle est la lumière de la vie éternelle pour ceux qui vivent en Christ et font tous les jours une vraie pénitence. C’est là le commencement et le fondement de la mort de Christ. Au contraire, où il n’y a point de pénitence, il n’y a aussi aucune rémission des péchés. Où il n’y a aucune vraie repentance, ni douceur salutaire, il n’y a aussi aucune grâce à espérer. Où il n’y a aucune grâce, il n’y a point de Christ. Où il n’y a point de Christ, son précieux mérite ne s’y peut trouver. Où son précieux mérite ne se trouve point, il ne peut y avoir de satisfaction pour nos péchés. Où il n’y a point de satisfaction pour nos péchés, il n’y a aucune justice : Où il n’y a aucune justice, il n’y a ni paix, ni joie de conscience. Où il n’y a aucune joie de conscience, il ne peut y avoir de consolation. Où il n’y a point de consolation, le Saint Esprit ne s’y trouve point : Où il n’y a point de Saint Esprit, il
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ne peut y avoir de joie dans le cœur, ni dans la conscience. Enfin, où il n’y a aucune joie, il n’y a aussi aucune vie éternelle, mais la mort, l’enfer, la damnation et des ténèbres sans fin. XXIV. Et voilà ce que nous avions avancé, que celui qui n’imite pas la vie du Christ par une vraie pénitence, ne peut être délivré de l’aveuglement de son cœur, ni des ténèbres éternelles.
CHAPITRE XXXVIII La vie antichrétienne ou indigne d’un chrétien est la cause des doctrines fausses, corrompues et séductrices, comme aussi de l’endurcissement et de l’aveuglement ; où l’on traite de la Prédestination. Jean XXI, 35 Encre pour un peu de temps la lumière est avec vous, marchez tandis que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous surprennent.
P
uisqu’il est certain que le Christ et la foi sont désavoués, reniés, s’il se pouvait, exterminés par une vie impie, que nous sert sa doctrine ? La doctrine de Christ, sa parole et ses sacrements nous sont donnés, afin que nous marchions dans une vie sainte et que nous devenions par la parole divine et par les sacrements des Hommes nés de nouveau, plus saints et plus spirituels, comme un bon fruit d’une bonne et forte semence. Et l’on appelle chrétien celui qui est régénéré par la parole, l’esprit et les sacrements, comme de Christ auquel il croit et dans lequel il vit. Car comme un enfant est né de son père, ainsi un chrétien par la foi est né de Dieu et de Christ. II. Mais puisque nous ne voulons pas convertir la doctrine de Christ en notre vie et qu’au contraire notre vie y est opposée, comment pouvons-nous être nés de Dieu et à quoi nous doit servir la doctrine ? Quelle utilité retirons-nous de la lumière, si nous vouons marcher dans les ténèbres ? Que si la lumière se retire, il faut que les ténèbres paraissent, les fausses doctrines, les erreurs et les séductions. De quoi
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Suites fâcheuses d'une vie impie.
le Seigneur nous a averti, disant : Mes chers amis, marchez dans la lumière, pendant que vous l’avez, de peur que les ténèbres ne vous surprennent. C’est à dire, les ténèbres des erreurs, des séductions, de l’endurcissement et de l’aveuglement. Ce sont de semblables ténèbres qui ont surpris Pharaon, les Juifs et Julien, lequel enfin convaincu par les remords de sa conscience, que le Christ crucifié vivait encore et était un vrai Dieu, s’écria : Vicisti tandem, Galilaee. Tu as enfin vaincu, Galiléen, quoi qu’il eu été plus à propos de dire, aie pitié de moi. Mais il n’était pas capable de prononcer ces paroles, à cause de son endurcissement. Il avait méprisé et renié la grâce de Christ, il n’en pouvait plus rien espérer. D’où vient l’endurcissement ?
III. Un tel endurcissement est un vrai aveuglement et des ténèbres qui tombent enfin sur ceux qui ne veulent pas marcher dans la lumière ; véritable et juste punition pour ceux qui blasphèment contre la vérité ; comme dit Pharaon : (Exode V, 2) Qui est le Seigneur, dit-il, pour que j’obéisse à sa voix et que je laisse aller Israël ? Je ne connais point le Seigneur. C’est pourquoi il fallu qu’il sentit sa puissance et que Dieu lui fit connaître sa force et son pouvoir, afin d’en faire un exemple et un spectacle à tout le monde, pour nous convaincre que l’Homme ne peut rien contre Dieu.
L’aveuglement est une juste punition du mépris de Dieu.
IV. Pareillement, lorsque les Juifs ne voulurent point écouter Dieu, il les frappa d’aveuglement et d’endurcissement, comme Moïse les en avait avertis longtemps auparavant : (Deutéronom XXVIII, 28) Si tu n’obéis pas à la voix du Seigneur, il te frappera de frénésie, d’aveuglement et de stupidité. Comme nous lisons en (Esaïe VI, 9) Esaïe, qu’il arriva dans la suite. De là, nous voyons qu’un tel endurcissement est une juste punition de l’infidélité et du mépris de Dieu et de sa vérité, comme S. Paul le témoigne expressément : (2 Théssaloniciens II, 10, 11) Parce qu’ils n’ont pas voulu recevoir l’amour de la vérité, pour être sauvés. C’est pourquoi il leur envoya une efficace d’erreur, pour croire au mensonge ; afin que tous ceux qui n’ont point crû à la vérité, mais qui ont pris plaisir à l’iniquité soient jugés. D’où nous concevons pour quel sujet Dieu a permis un tel aveuglement et une si terrible séduction.
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V. Et à la vérité celui, à qui Dieu ôte sa grâce, après la lui avoir offerte, est assez puni et ne peut plus s’en relever, comme il arriva à Pharaon et à Julien. Celui à qui Dieu ôte sa lumière, doit demeurer dans les ténèbres. Or il ne l’ôte à personne, qu’à ceux qui ne veulent pas marcher dans la lumière ; Il n’ôte sa grâce qu’à ceux qui la rejettent. VI. C’est en ce sens, que S. Paul dit (Romains IX, 16) Il fait miséricorde à celui à qui il veut et il endurcit celui qu’il veut ; Mais il veut faire miséricorde à tous ceux qui la reçoivent et il veut endurcir ceux qui rejettent la grâce qu’il leur offre et même blasphèment contre elle. Ce que S. Paul reproche expressément aux Juifs : (Actes XIII, 4648) Puisque vous rejetez la parole de Dieu et que vous vous jugez vous mêmes indignes de la vie éternelle, nous nous tournons vers les gentils - - Mais les gentils, entendant cela, se réjouissent et glorifiaient la parole du Seigneur, autant qu’il y en avait d’ordonnés à la vie éternelle. C’est à dire, autant qu’il y en avait, qui n’avaient point rejeté la parole de la grâce, comme le moyen de la foi. En effet, les Juifs en ayant agi ainsi, n’ont pu devenir fidèles, ou croire en Christ. Car Dieu n’a ordonné à la vie aucun de ceux qui rejettent la parole.
A qui Dieu ôte sa grâce.
Cause de l’aveuglement.
VII. La prédestination et la préordination à la vie s’est fait en Christ, avec cette condition que Dieu offre sa grâce à tous par l’Évangile. Ceux qui la reçoivent, sont préordonnés à la vie éternelle ; Mais ceux qui la rejettent, se jugent eux-mêmes indignes de la vie éternelle, comme dit S. Paul, c’est à dire, ils font eux-mêmes qu’ils ne sont pas dignes de la vie éternelle et s’excluent eux-mêmes de la grâce générale, effacent leurs noms du livre de vie, c’est à dire de Christ, par leur obstination par laquelle ils ont rejeté la parole de Dieu, ce qui les empêche de devenir fidèles.
Ordre de la prédestination.
VIII. Ceux qui ne veulent point recevoir la doctrine de Christ, comme les Juifs et les Turcs, ne sont pas les seuls qui rejettent la parole de Dieu ; mais encore ceux qui ne marchent point sur les vestiges de Christ, ne veulent point imiter sa vie et suivre la lumière plutôt que les ténèbres. C’est pourquoi Dieu leur ôte aussi la lumière
Qui sont ceux qui rejettent la parole et la grâce de Dieu ?
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de la parole et de sa pure doctrine : (Jean VIII, 12) Je suis, dit-il, la lumière du monde, celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie. Les plus prudents de ce monde, sont les plus sujets et exposés à la séduction.
IX. D’où il s’ensuit que celui qui ne suit point, ou n’imite point le Christ en sa vie, doit marcher dans les ténèbres, c’est à dire, tomber dans l’erreur, être séduit, endurci, aveuglé. Considérez les plus superbes, les plus glorieux, les plus éminents, les plus sages, les plus savants, les plus puissants de ce monde, de quelle manière ils tombent dans l’erreur, sont séduits et aveuglés. Quelle pensez-vous qu’en soit la cause ? Ils ne vivent point en Christ et c’est pour cela qu’ils ne peuvent avoir la lumière de la vie.
D’où les hérésies ?
X. C’est aussi la cause de tant de séductions, d’hérésies et d’erreurs, que S. Paul appelle (2 Théssaloniciens II, 9) des opérations de Satan, des signes et des miracles de mensonge, lesquelles séductions augmentent de plus en plus, parce que tout le monde refuse d’imiter la vie de Christ. (2 Corinthiens VI, 15) Quelle communion y a-t-il de la lumière avec les ténèbres ? Quel accord y a-t-il entre Christ et Bélial ? C’est à dire, la pure doctrine et la lumière de la connaissance de Dieu ne subsiste point avec ceux qui vivent dans le diable, dans les ténèbres, dans l’orgueil, dans l’avarice et dans la volupté. Comment la pure doctrine divine demeurera-t-elle, où l’on mène une vie impure et impie ? La pure doctrine et la vie impure ne s’accordent point ensemble, elles n’ont aucune communion. Voulons-nous conserver la doctrine, il nous faut tenir un autre chemin ; il nous faut laisser celui de la vie infidèle ou antichrétienne, suivre uniquement le Seigneur Jésus et nous réveiller de nos péchés. Alors le Christ nous éclairera de la lumière de la véritable foi. Quiconque ne veut point marcher sur les sentiers de Christ, en imitant sa charité, son humilité, sa douceur, sa patience, sa piété, ne peut manquer d’être séduit puisqu’il ne marche pas dans le chemin qui conduit à la vérité.
Celui qui n’observe pas les sentiers de Christ, s’égare.
XI. Que si nous ne songions qu’à vivre seulement en Christ, à marcher dans son amour et dans son humilité ; si toute notre diligence, notre Théologie, nos études n’avaient d’autre but que de
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mortifier en nous la chair et y faire mourir le vieil Adam et y faire vivre le Christ en sa place, si toute notre intention était de nous vaincre nous-mêmes, de dompter notre chair, de surmonter le monde et de triompher du diable, il n’y aurait pas tant de dispute et de différence dans la doctrine et les hérésies tomberaient d’elles-mêmes. XII. Quel fut la cause que le Roi Achab fut séduit par quatre cent prophètes et persuadé par eux de faire la guerre ? Réponse : sa vie impie et tyrannique. D’une telle vie suivit une si fausse lumière qu’Achab crû au mensonge à sa propre perte. Le vrai Prophète Michée lui dit la vérité, en lui annonçant qu’il périrait dans la guerre ; il ne le voulu pas croire : les faux Prophètes lui dirent qu’il reviendrait en paix, ce qui était un pur mensonge. Cependant il les cru et il revint effectivement, mais afin que les chiens léchassent son sang, comme il l’avait mérité (1 Rois XXII, 8 et suivants) XIII. Cela peut nous marquer, comme dit S. Paul : (2 Corinthiens IV, 4) Que le Dieu de ce siècle aveugle les sens des incrédules, afin qu’ils ne puissent voir la claire lumière de l’Évangile. Que vous est-il signifié autre chose, lorsque Dieu par Esaïe (Esaïe XXIX, 13-14 et 1 Corinthiens I, 19) menace tous les hypocrites, qui ayant le Christ et sa doctrine en leur bouche, la renient par leurs actions, qu’ils seront livrés à l’illusion des faux Prophètes, comme Achab ? Car il dit assez clairement : Puisque ce peuple s’approche de moi seulement de bouche et ne m’honore que de ses lèvres, mais que son cœur est éloigné de moi - - c’est pour cela que la sapience de ce sages périra et que l’intelligence de ses prudent sera aveuglée. Le Seigneur veut aveugler leurs Prophètes et leurs voyants, afin que la parole de Dieu leur soit comme un livre cacheté, ou comme à une personne qui ne saurait lire. Et Paul dit des Juifs : (Esaïe XXIX, 11) Qu’un voile demeure attaché sur leurs yeux afin qu’ils ne puissent trouver ou voir dans leurs propres Prophètes, leur Messie. Mais quand ils se convertiront à Dieu le voile sera ôté.
L’aveuglement et la séduction sont des peines très justes.
L’aveuglement des Juifs, vient de leur impénitence.
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Comment on peut conserver la pureté de la doctrine.
CHAPITRE XXXIX Que la pureté de la doctrine et de la divine parole n’est pas seulement conservée par les disputes et dans le plus grand nombre des livres ; Mais aussi par une vraie pénitence et une vie sainte. 2 Timothée I, 13, 14 Retiens le modèle des saintes paroles que tu as entendues de moi dans la foi et dans la charité qui est en Jésus-Christ. Garde le bon dépôt par le Saint Esprit qui habite en nous.
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l faut nécessairement justifier et défendre la pure doctrine et la vérité de la sainte foi chrétienne contre les sectes et les hérésies, à l’exemple des Saint Prophètes qui ont prêché avec tant d’ardeur et de zèle contre les Prophètes faux et idolâtres dans l’Ancien Testament. A l’exemple du Fils de Dieu qui a sérieusement disputé contre les Pharisiens et les Docteurs de la loi à Jérusalem, à l’exemple de Jean l’Évangéliste, qui a écrit son Évangile contre Ebion et Cérinthe, et son Apocalypse contre la fausse église des Nicolaïtes et les autres. Nécessité des disputes.
II. Nous remarquons aussi, que S. Paul a fortement défendu le dogme de la justification par la foi (Romains III, 21 et IV, 1), les bonnes œuvres (2 Corinthiens IX, 8), la résurrection des morts (1 Corinthiens XV, 1), la liberté chrétienne (Galates V, 1) et semblables, contre les faux Apôtres. Exemple que le Saints Évêques et Pères de l’Église primitive ont soigneusement imité et suivi en écrivant tant et de si fidèles livres de controverses contre les Païens, l’Idolâtrie et les autres hérétiques, qui s’étaient élevés d’eux-mêmes. Enfin, les conciles œcuméniques furent ordonnés et assemblés par les louables Empereurs Chrétiens contre ces chefs hérétiques Arius, Macedonius, Nestorius et Eutiche. Il n’est pas moins connu de toue le monde, combien de notre temps, la Papauté et les autres hérétiques ont reçu de dommage et de diminutions par les écrits de controverses, qu’à mis au jour l’incomparable Martin Luther.
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III. Il est donc raisonnable d’écrire, de prêcher, de disputer contre les hérétiques et leurs adhérents, aussi bien que contre ceux qui font sectes à part et cela pour la conservation de la pure doctrine et de la vraie religion. Comme le commande l’Apôtre S. Paul, disant : (Tite I, 9) Qu’on doit reprendre et convaincre les contredisants. Mais cette louable coutume est bien dégénérée et produit de grands abus de notre temps. De telle sorte que pendant qu’on ne s’applique et ne s’étudie qu’à ces ardentes disputes, ces prédications, ces écrits et contrécrits de controverse, la vie chrétienne, la vraie pénitence, la dévotion et la charité chrétienne sont entièrement oubliées et effacées de notre mémoire ; comme si le Christianisme ne consistait qu’à disputer et qu’à augmenter les livres de controverses et non pas plutôt que le S. Évangile et la doctrine de Christ soit changé en une vie sainte. IV. Considérez les exemples de Saints Prophètes, des Apôtres et du Fils de Dieu même, ils n’ont pas seulement combattu avec ardeur les faux Prophètes, les faux Apôtres et l’Idolâtrie ; mais ils ont aussi fortement inculqué la pénitence et la vie chrétienne et ont montré dans de vives et pathétiques prédications que par l’impénitence, et la vie impie, la religion et le service divin étaient renversés, l’Église dépeuplée, les provinces et les royaumes, les peuples punis de la famine, de la guerre et de la perte ; comme l’expérience l’a assez fait connaître. Que prêche autre chose le Prophète Esaïe ? (Esaïe V, 6) Parce que la vigne du Seigneur n’a point produit de raisins mais des grappes sauvages, le Seigneur la laissera et la réduira en désert. Ce qui est une menace sérieuse qui nous donne à connaître que l’impiété est la raison pour laquelle la parole de Dieu nous est ôtée. Que prêche autre chose le Seigneur Christ ? (Jean XII, 35) Marchez dans la lumière, puisque vous l’avez, afin que les ténèbres ne vous surprennent point. Qu’est-ce autre chose, marcher dans la lumière, que d’imiter la vie de christ ? Et qu’est-ce que d’être surpris par les ténèbres, si ce n’est de perdre la pure doctrine de l’Évangile. D’où il est manifeste que personne ne peut être éclairé de la lumière de la vérité, sans la vraie pénitence et une vie sainte : Car (Sages VII, 27) l’esprit Saint ; qui éclaire les esprits, fuit les impies, mais par certains espaces de temps, étant entré dans les saintes âmes, il fait des Prophètes et des amis de Dieu. Et le Psalmiste dit : (Psaumes CXI,
Abus de la Théologie Polémique, ou de controverse.
Sans la vraie pénitence personne n’est illuminé.
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Comment on peut conserver la pureté de la doctrine.
10) La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse ; au contraire, l’impiété est le commencement de la folie et de l’aveuglement. La connaissance du Christ ne consiste pas en paroles.
Cette connaissance sans la vie sainte est défectueuse.
Ce ne sont pas les paroles, mais la vie qui fait le chrétien.
V. La vraie connaissance et la confession de Christ et de la pure doctrine ne consiste pas seulement dans les paroles, mais aussi dans les actions et la sainteté de la vie. Comme le dit S. Paul : (Tite I, 16) Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renient par leurs œuvres, étant en abomination devant Dieu et réprouvé pour toute bonne œuvre. Ce qui nous donne assez à connaître, que le Christ et sa divine parole ne sont pas moins reniés par une vie impie que par des termes injurieux comme S. Paul le dit ailleurs (2 Timothée III, 5) Ils ont l’apparence de piété, mais ils en ont renié la force. Et quelle peut être cette vraie connaissance de Christ, qui ne se manifeste jamais par les œuvres ? Celui qui n’a jamais éprouvé ni goûté dans son cœur l’humilité, la douceur, la patience et l’amour de Christ, ne connaît point véritablement le Christ. Comment donc le confessera-t-il dans la nécessité ? Qui connaît la doctrine de Christ, sans professer sa vie, ne le confesse qu’à moitié et celui qui prêche la doctrine de Christ, sans prêcher sa vie, ne la prêche qu’à moitié. Nous lisons beaucoup de choses écrites et disputées au sujet de sa doctrine, mais fort peu de sa vie. Et quoique les livres de controverse aient servi à établir sa doctrine, ils ont toutefois peu contribué à la vraie pénitence, et à la vie chrétienne. Car qu’est-ce que la doctrine sans la vie ? Un arbre sans fruit. En vérité, qui ne suit point Christ en sa vie, ne l’imite certainement point en sa doctrine : Le point principal de la doctrine de Christ étant : (1 Timothée I, 5) La charité qui procède d’un cœur pur et d’une bonne conscience et d’une foi non feinte. D’où il arrive que plusieurs parlent si bien et disputent si savamment des articles de la religion chrétienne, qu’ils s’acquièrent une grande autorité ; Mais dans le cœur, ce sont de méchants Hommes, si remplis d’orgueil, d’envie et d’avarice, qu’il n’y a point de basilic plus dangereux. Ce n’est pas en vérité sans raison, que S. Paul unit la foi et l’amour, mais il veut par là nous montrer que la doctrine et la vie doivent être d’accord. VI. Bien que nous ne disions pas, que ce sera par nos forces et notre piété que nous obtiendrons le salut, S. Pierre nous apprenant
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: (1 Pierre I, 5) Que nous sommes gardés par la puissance de Dieu par la foi, pour avoir le salut. Il est pourtant évident, que par une vie impie le Saint Esprit est chassé d’une âme avec tous ses dons, entre lesquels la foi, la connaissance, l’entendement et la sagesse ne sont pas les moindres. Comment donc la vérité de la pure doctrine peut-elle se conserver sans une vie sainte ? C’est pourquoi les impies qui n’imitent point Christ, ne peuvent être éclairés de la vraie lumière. Au contraire ceux, qui marchent dans la lumière, c’est à dire qui imitent la vie de Christ, sont aussi éclairés de la vraie lumière (Jean I, 9) qui est le Christ et elle les préserve de toutes erreurs. Cet ancien docteur, plein de piété, Tauler, a eu raison de dire : Quand un Homme se consacre et s’abandonne à Dieu, renonce à sa volonté et à sa chair, le Saint Esprit commence à l’éclairer et à lui enseigner ce qui est juste parce qu’il tient au Seigneur en son cœur le vrai Sabbat ou jour de repos, en apaisant et exemptant sa volonté et ses œuvres de tous mauvais désirs. Ce qu’il faut entendre de cette illumination et cet accroissement de nouveaux dons, que nous éprouvons tous les jours après la conversion. VII. Ce n’est pas aussi sans sujet, que le Seigneur dit : (Jean XIV, 6) Je suis la voie, la vérité et la vie. Il se nomme premièrement la voie, parce qu’il nous a montré le chemin. Comment ? Non seulement par sa sainte doctrine, mais aussi par sa vie sainte et innocente qui n’est autre chose que la vraie pénitence et conversion vers Dieu qui nous mène à la vérité et à la vie ; en quoi consiste tout le Christianisme et sont compris dans tous les livres et commandements. Dans lequel livre de la vie de Christ nous avons à étudier toute la notre ; à savoir, en la vraie pénitence, en la foi vive et opérante, en l’amour, en l’espérance, la douceur, la patience, l’humilité, la prière et la crainte de Dieu, en la vraie voie vers la vérité et la vie, toutes choses que J.C. est lui-même. Or (Matthieu VII, 14) le chemin est serré et la porte étroite et il y en a peu qui la trouvent. Et c’est le seul livre de vie, que si peu étudient ; encore quoi qu’ils comprennent tout ce qui est nécessaire à un chrétien. En sorte qu’il n’y a point de livre dont nous ayons plus de besoin pour notre salut. C’est aussi la raison pour laquelle la Sainte Écriture est renfermée en si peu de livres, afin que nous comprissions que le Christianisme ne consiste pas dans le grand nombre de livres ;
Les impies ne sont point éclairés.
Le Sabbat ou repos intérieur.
Comment le Christ est notre voie ?
Le Christ est notre livre.
D’où vient la brièveté de l’Écriture.
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Comment on peut conserver la pureté de la doctrine.
Mais dans une foi vive et en l’imitation du Seigneur Jésus. Sur quoi Salomon s’exprime justement, lorsqu’il dit : (Proverbes XII, 10) Il n’y a ni mesure ni fin à écrire des livres. Le contenu de toutes les doctrines est, crains Dieu et observe ses commandements.
L’orgueil est le champ des hérésies.
Tout se connaît par son fruit.
VIII. Que veut aussi nous signifier ce qui est marqué en S. Matthieu : (Matthieu XIII, 25) Que l’ennemi sema l’ivraie parmi le blé, lorsque les gens dormaient ? Rien autre chose que parce que les Hommes se tiennent dans l’impénitence et dans la sûreté du sommeil de leurs péchés et s’enivrent de l’amour de ce monde qui les étouffe plutôt que de les laisser songer à la vie éternelle ; l’ennemi répand doucement en leurs cœurs la semence de la fausse doctrine et dans le champ de l’orgueil, il sème les hérésies, les sectes et les divisions. Car par l’orgueil, les anges et les Hommes ont perdu la vraie lumière (Genèse III, 6 et Esaïe XIV, 12). Et toutes les erreurs en tirent leur origine. Si Satan et Adam avaient persisté dans cette humble vie de Christ, aucune séduction ne serait venue dans le monde. S. Paul a donc sujet de nous dire : (Éphésiens V, 4) Réveille-toi, toi qui dors, et Christ t’éclairera. Ce qui nous signifie que l’illumination ne peut arriver que nous ne soyons éveillés du sommeil des péchés, c’est à dire, de l’impénitence, de la fausse sûreté. Aussi il est écrit : (Actes II, 38) Faites pénitence et vous recevrez le don du Saint Esprit. Et autre part : (Jean XIV, 17) Le monde ne peut recevoir le Saint Esprit. Or qu’est le monde, sinon la vie impie et mondaine ? IX. C’est aussi ce que dit le Seigneur : (Matthieu VII, 20) Vous les connaîtrez par leurs fruits. Que signifient ces paroles, si ce n’est que les vrais et les faux chrétiens se font connaître par les fruits de leur vie et non pas en s’écriant plusieurs fois : Seigneur, Seigneur. Car les faux chrétiens se cachent sous l’apparence de la pure doctrine, comme sous une peau de brebis ; lorsque pourtant dans le fond de leurs cœurs ils ne sont rien moins, que vrais chrétiens. Bien que maintenant personne ne doive juger de la doctrine par une méchante vie et qu’on ne puisse dire qu’une doctrine est bonne ou fausse, parce que la vie est déréglée ; comme les Papistes et les Anabaptistes en jugent que notre doctrine n’est pas juste. Car il ne s’ensuit pas que la doctrine
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soit victorieuse, d’autant que les Hommes la contredisent par leur vie impie. Autrement, il faudrait que le Christ et les Apôtres eussent faussement ou mal enseigné par ce qu’il y avait plusieurs méchants de leur temps. La mauvaise vie n’est pas une preuve de la doctrine, mais de la disposition de la personne ; si c’est un faux ou un vrai chrétien, qui enseigne et vit tout autrement ; qui croit ce qui est à croire et agit tout au contraire de sa foi. C’est d’eux que le Seigneur Jésus a dit, que ce sont de faux chrétiens, des arbres faux et infructueux qui n’appartiennent qu’au feu (Matthieu VII, 19). X. La vraie foi est celle (Galates V, 6) qui opère par la charité, par laquelle l’Homme est une nouvelle créature, régénérée et unie à Dieu ; par laquelle le Christ habite en nous (Éphésiens III, 17) vit en nous, opère en nous ; par laquelle le royaume de Dieu est établi en nous ; par laquelle l’Esprit Saint purifie et éclaire nos cœurs. Ce que plusieurs belles sentences de l’écriture nous donnent à connaître. Celui, dit S. Paul (1 Corinthiens VI, 17) qui est joint au Seigneur, est un même esprit avec lui. Qu’appelle-t-il être un esprit avec Christ si ce n’et d’avoir les mêmes sentiments, la même disposition du cœur et la même humilité ? Oui, c’est la vie nouvelle, sainte et pure de Christ en nous. Le même S. Paul : (2 Corinthiens V, 17) Si quelqu’un est en Christ, qu’il soit une nouvelle créature. Qu’est-ce être en Christ ? C’est non seulement croire en lui, mais aussi vivre en lui : et le Prophète Osée dit (Osée II, 19) Je t’épouserai pour moi à toujours, oui je t’épouserai en foi. Que veut dire le Prophète ? Si ce n’est que l’Homme doit être tout simplement spirituellement uni avec Christ, en sorte que là où est la foi, Christ y soit ; où est le Christ, sa sainte vie soit en l’Homme ; où est la vie de Christ, l’amour y soit ; et où est l’amour, Dieu même y soit (car Dieu est charité) aussi bien que le Saint Esprit. Il faut nécessairement que toutes ces choses soient enchaînées et aussi unies ensemble que la tête avec les membres, un sujet avec sa cause et une cause avec ses effets. C’est cette union de la foi et de la vie chrétienne que S. Pierre nous décrit ainsi : (2 Pierre I, 5-6) Ajoutez la vertu à la foi ; à la vertu, la discrétion ; à la discrétion la tempérance ; à la tempérance la patience ; à la patience la piété ; à la piété la fraternité ; à l’amour fraternel la charité. Car si ces choses sont en vous, et si elles y abondent, elles ne vous laisseront point oisifs
La vie est un signe pour les Hommes.
La vraie foi.
Fiançailles de Christ et ses fruits.
Chaîne des vertus.
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La vraie foi.
Belle règles de la vie chrétienne.
ni stériles en la connaissance de notre Seigneur Jésus Christ. Mais celui en qui ces choses ne se trouvent point, est aveugle et va tâtonnant avec la main et oublie la purification de ses vieux péchés. Par ces paroles S. Pierre nous marque expressément dans qui cette union chrétienne de la foi et de la charité ne se trouve pas ; à savoir, dans celui qui ne connaissant pas bien le Christ, a perdu la foi et marche dans les ténèbres. Car la vraie foi est celle par laquelle tout l’Homme est vivant et renouvelé en Christ, en sorte qu’il vive et demeure en Christ et le Christ réciproquement en lui.
CHAPITRE XL Quelques belles Règles de la vie chrétienne. 1 Timothée IV, 8 Exerce-toi toujours à la piété ; car la piété est utile à toutes choses, ayant la promesse de la vie présente et de celle qui est à venir.
C
ette courte sentence est une description de la vie chrétienne et elle nous apprend à quoi un chrétien doit principalement passer et employer sa vie ; à savoir, à la piété qui comprend en soi toutes les vertus chrétiennes. Et l’Apôtre en allègue deux importants motifs : Premièrement, la piété est utile à toutes choses. Quand dans toutes les démarches, les paroles et les actions des Hommes, la piété règne, elle rend tout bon et utile et bénit tout. Deuxièmement, Dieu, la récompensera en cette vie et en l’autre ; en cette vie, comme il l’a fait à l’égard de Joseph, de Daniel et de plusieurs autres ; en l’autre, où nous ne cesserons de moissonner les fruits de nos travaux (Galates. VI, 9) Dieu tient la bonne volonté pour le fait.
II. 1ère Règle : Quoique tu ne puisses point vivre aussi parfaitement que l’exige la parole de Dieu et que tu le voudrais, c’est pourtant ce que tu dois toujours désirer. Car ces sortes de saints désirs plaisent fort à Dieu et il les agrée comme s’ils étaient réduits en pratique, parce qu’il considère plus le cœur que l’œuvre. Cependant tu dois continuellement crucifier ta
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chair et ne la point laisser dominer. III. 2ème Règle : En tout ce que tu penses et que tu fais, étudie-toi à conserver la pureté de ton cœur et ne te souille point par des pensées orgueilleuses, par des paroles et des actions méprisantes ; ni par la colère ou semblables œuvres charnelles et diaboliques. Par ce moyen, tu ouvrirais ton cœur au démon et le fermerais à Dieu.
La convoitise de la chaire est la porte du diable.
IV. 3ème Règle : Efforce-toi de conserver la liberté de ton âme, afin que tu ne deviennes point le serviteur et l’esclave des créatures par un désir désordonné des choses de ce monde. Car ton âme est plus excellente, que tout le monde ; comment pourrais-tu la vendre et la soumettre à des choses de si peu de conséquence, si viles et si périssables et attacher ton cœur à de telles bagatelles ?
Liberté de l’âme.
V. 4ème Règle : Évite soigneusement la tristesse de ce monde. Elle cause la mort et provient de l’avarice, de l’envie, du soin des choses domestiques, de l’incrédulité et de l’impatience. La tristesse divine vient au contraire de la connaissance de ses péchés et de la considération des peines éternelles, elle est salutaire et produit une repentance à salut, en sorte que personne ne se repent de trouver sa joie et paix en Dieu (2 Corinthiens VII, 10). Aussi n’y a-t-il rien ici-bas de temporel, qui doive rendre l’Homme plus triste que ses péchés. VI. 5ème Règle : Si tu ne peux recevoir et porter la croix avec plaisir, comme il te conviendrait, prends-la du moins avec patience et humilité et souffre que la providence divine et la favorable volonté de Dieu fassent toujours ta consolation. Car la volonté de Dieu est toujours bonne et ne cherche en toutes choses que notre avantage et notre salut. Dieu veut-il que tu sois triste ou joyeux ; pauvre d’esprit ou riche ; humilié ou élevé ; honoré ou déshonoré ? Comprends que tous ces états te sont convenables et que c’est le bon plaisir de ton Dieu : Et ce qui lui plait, doit aussi te plaire, et même ce te doit être une consolation que Dieu marche
La tristesse divine et celle de la terre.
Comment il faut porter la croix.
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La volonté de Dieu est toujours bonne, mais celle de l’Homme toujours mauvaise.
Belle règles de la vie chrétienne.
avec toi, comme il lui plaît et qu’il cherche par là ton salut (Ecclésiaste XXX, 6, 21)Toutes les œuvres de Dieu sont très bonnes, dit l’Ecclésiaste et David reconnaît, (CXLV, 17) que Dieu est juste dans toutes ses œuvres et saint dans toutes ses voies. Aussi est-il toujours meilleur de laisser agir la volonté de Dieu en toi, laquelle opère toujours le bien ; que de te comporter selon ta volonté, qui est toujours encline au mal.
Comment il faut supporter la tristesse spirituelle.
VII. 6ème Règle : Quand Dieu t’accorde des consolations et des joies célestes, reçoit les avec d’humbles actions de grâces. Mais si le Seigneur te les retire, sache que la mortification de la chair t’est plus avantageuse que la joie de l’esprit. Car ce que la douleur et la tristesse produisent en nous, est plus salutaire à l’Homme pécheur, que ce que nous apportent la joie et le divertissement. Combien par l’abondance des consolations spirituelles ne tombent-ils pas dans un orgueil spirituel ? Dieu sait bien ceux qu’il faut conduire à la vie éternelle par une voie pleine de consolations célestes et de lumières ; et ceux qu’il y faut mener par des chemins désagréables, tristes, pierreux et rudes. Il t’est beaucoup plus avantageux, que tu parviennes ainsi à la vie, comme la sagesse divine l’ordonne ; que comme ta propre volonté et ton bon plaisir le souhaiteraient. (Ecclésiaste VII, 4) La tristesse vaut mieux que le ris, dit l’Ecclésiaste, car par la tristesse le cœur devient meilleur. Le cœur des sages est dans la maison de la tristesse et le cœur des fous dans la maison de la joie.
Dieu reçoit la bonne volonté pour le fait.
VIII. 7ème Règle : Si tu ne peux apporter à ton Dieu les grandes et nombreuses offrandes de la dévotion, de la prière et de l’action de grâces, apportelui ce que tu as et ce que tu peux, mais avec une bonne volonté et de saints désirs, afin que ton culte lui soit agréable. D’autant que d’avoir un si saint désir, ou même de vouloir l’avoir, n’est pas une offrande et un don si petit, qu’il ne plaise à Dieu. Car aussi grandes que nous voudrions volontiers que fussent nos prières, notre dévotion, nos saints désirs et nos actions de grâces, aussi grandes deviennent elles devant lui. Le Seigneur n’exige de toi que de laisser opérer sa grâce en toi et tu ne peux lui donner que ce qu’il t’a donné. Mais prie ton Seigneur J.C. qu’il veuille bien perfectionner toutes tes
Notre perfection en Christ.
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offrandes et tous tes dons par son très parfait sacrifice ; puisqu’en lui est notre perfection et que dans nous il n’y a qu’imperfection, et dis : Mon cher Dieu et Père, reçois ma dévotion, ma foi, ma prière, mon action de grâce et ne considère point comme elles sont en ton serviteur, mais en Christ, ton cher fils ; elles te plairont, comme des œuvres parfaites. Mon Seigneur Jésus suppléera ce qui me manque. Considère que notre dévotion, nos prières et nos actions de grâces, toutes imparfaites, faibles, obscures et défectueuses qu’elles soient, reçoivent une grande valeur, un grand éclat et une grande gloire du mérite de Christ. Comme un pauvre enfant est tout à fait désagréable, quand il est tout nu et tout souillé. Mais plaît à tout le monde, quand il est orné, bien blanchi et bien habillé ; ainsi toutes tes actions ne sont rien en elles-mêmes, mais quand elles sont ornées et parées de la perfection de Christ elles plaisent au Seigneur. C’est une chose précieuse que de porter des pommes en des assiettes d’or ; quoique les pommes ne soient pas quelque chose de rare d’elles-mêmes ; cependant elles deviennent plus agréables, lorsqu’elles sont servies sur des coupes dorées, de même en est-il de nos prières, de notre dévotion et de nos actions de grâces, offertes en J.C., selon le dire de l’Apôtre :(Éphésiens I, 6) Il nous a aimés et rendus agréables en son bien aimé. IX. 8ème Règle : Tes péchés et tes diverses imperfections doivent extrêmement t’attrister mais non pas te désespérer. Sont-elles en grand nombres ? Sache que selon le Psalmiste (Psaumes CXXX, 7) il y a encore plus de gratuité par devers l’Eternel et une abondance de miséricorde et de rédemption par devers lui. Si elles sont grandes, pense que le mérite de Christ est encore plus grand et dis avec le Psalmiste :(Psaumes LI, 1) Aie pitié de moi, selon ta grande miséricorde. Mais si par la grâce de Dieu tu te repens de tes péchés et que tu considères le Christ en foi, alors Dieu se repent aussi de la peine qu’il destinait à tes péchés ; et de cette divine et salutaire contrition qu’il t’inspire, suit la rémission des péchés, ce qui arrive aussitôt et aussi souvent que le pécheur soupire vers lui. Comme le lépreux qui fut guéri dans le moment, qu’il dit au Seigneur : (Matthieu VIII, 2-3) Si tu veux, tu peux me nettoyer, car aussitôt il lui fut répondu, je le veux, sois nettoyé, de même Dieu te
En la foi et en Christ toutes nos actions sont parfaites.
Le chrétien doit s’attrister, mais non se désespérer.
La soudaine guérison de l’âme vient de Dieu.
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Belle règles de la vie chrétienne.
purifie aussi intérieurement, disant : (Matthieu IX, 2) console-toi et aie bon courage, mon fils, tes péchés te sont pardonnés. Ce qui nous doit être une image et un miroir de cette purification et rémission de nos péchés, que la grande miséricorde de Dieu accorde aux Hommes, non pour leur donner occasion de pécher d’avantage, mais d’aimer Dieu plus ardemment et le glorifier de plus en plus. (Psaumes CIII, 1) Mon âme loue le Seigneur. Comment il faut supporter les injures.
X. 9ème Règle : Tu ne dois point recevoir avec indignation, colère et vengeance les mépris, les injures, les calomnies extérieures, mais pense que c’est une épreuve par laquelle le Seigneur veut manifester ce qui est caché dans ton cœur ; pour savoir si c’est la douceur et l’humilité qui te possèdent ou si c’est l’orgueil et la colère qui t’obsèdent, car l’outrage qu’on nous fait, donne bientôt à connaître qui nous sommes intérieurement. Es-tu doux et humble, tu surmonteras tous les mépris par ta douceur. Et même tu les tiendras pour un châtiment du Tout Puissant et diras, comme David de Semeï qui l’outrageait : (2 Samuel XVI, 10) Peut-être que le Seigneur lui a commandé de maudire David. Ce mépris qu’on fait de toi, est une grande partie de celui qu’on fit de Christ, c’est pourquoi il te faut le supporter, comme un vrai membre de Christ, selon que dit l’Apôtre : (Hébreux XIII, 13) Sortons avec lui hors du camp, portant son opprobre. Vois avec quelle douceur de cœur, le Christ a supporté son opprobre et en infère qu’à l’exemple d’un cœur si doux, tu dois souffrir aussi les outrages avec douceur. Ne dis pas, souffrirais-je cela d’un tel Homme ? Quoi ? Pour l’amour de la douceur et de la patience du Christ, tu ne le souffrirais pas ? Et Dieu n’est-il point si bon et si fidèle à notre égard que pour une seule injure fait à l’innocent, il le comble de beaucoup plus d’honneur et de grâces ? Le Roi David ne tint-il pas pour une marque certaine, que le Seigneur le remettrait bientôt en honneur, comme il arriva de ce que Semeï l’avait ainsi outragé ? Car il dit : Laisse-le et qu’il me maudisse, car le Seigneur le lui a dit ; peut-être que le Seigneur regardera mon affliction et me rendra du bien au lieu de ses malédictions. Ainsi ne t’afflige donc point ; quand les Hommes parlent de toi, mais réjouis-toi plutôt de ce que (1 Pierre IV, 14) l’Esprit de gloire repose sur ceux qui sont méprisés et outragés.
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XI. 10ème Règle : Apprends à vaincre tous tes ennemis et calomniateurs par les bienfaits et la douceur. Par la vengeance, par la colère et par la réciproque des injures, on ne gagne aucun ennemi. La raison est : Que la victoire est dans la vertu et non dans le crime. La colère, la vengeance, la réciproque des injures sont des péchés et des crimes par le moyen desquels on ne peut vaincre, mais par la vertu. Comme un diable n’en chasse pas un autre, de même aucun crime n’en chasse un autre et aucune vengeance, ni outrage, ne surmontera tes calomniateurs. Au contraire, elle les rendra encore pires. Quand un Homme en verrait un autre, plein d’ulcère et de vérole et voudrait le frapper du poing, croirait-il le guérir ? Point du tout. Il en est de même des médisants. Ainsi il faut guérir par la douceur et l’affabilité ces méchants Hommes pleins de venin des ulcères de la calomnie. Considère, quelle manière Dieu lui-même emploie pour nous vaincre. Ne surmonte-t-il pas notre méchanceté par sa bonté et notre colère par son amour ? N’est-ce pas sa bonté qui nous attire à la pénitence ? C’est ce chemin que S. Paul nous enseigne et cette manière chrétienne de nous venger, qu’il nous prescrit : (Romains XII, 21) Ne soyez point surmontés par le mal, mais surmontez le mal par le bien. Telle est notre victoire.
La victoire consiste dans la patience.
XII. 11ème Règle : Quand tu vois qu’un autre a reçu un don de Dieu, que tu n’as pas ; ne lui porte point d’envie, ni de jalousie, mais réjouis t’en et loues-en Dieu. Tous les fidèles et les élus ne sont qu’un corps et les dons et les avantages qui ornent un membre fidèle, enrichissent et honorent tout le corps. Au contraire, quand tu vois un autre dans la misère, fais réflexion sur la tienne et sois-en triste. La condition des Hommes étant égale, les misères auxquelles toute chair est sujette, le doivent être également. Et celui qui n’a ni compassion, ni miséricorde, n’est pas un membre du corps de Christ, qui a regardé nos misères, comme les siennes et par celles qu’il a souffertes, nous a délivré des nôtres. Ce qui fait dire à S. Paul : (Galates VI, 2) Portez les charges les uns des autres et vous accomplirez la loi de Christ.
Il ne faut point envier les biens aux autres.
XIII. 12ème Règle : Tu remarqueras cette différence entre l’amour
Il faut avoir compassions des péchés du prochain.
206 Haïssez les vices et non les Hommes.
Un chrétien s’estime le plus grand des pécheurs.
La vraie illumination nous fait mépriser le monde.
Belle règles de la vie chrétienne.
et la haine du prochain ; que tu dois à la vérité haïr en l’Homme ses péchés et ses crimes, comme les œuvres du diable ; mais que tu ne dois pas haïr l’Homme en lui-même, mais en avoir compassion, considérant que de tels crimes habitent en lui et prier Dieu pour lui, comme le Seigneur Jésus a prié sur la croix pour ses malfaiteurs, disant (Luc XIII, 24) Seigneur pardonne-leur. Tu ne peux aussi ignorer que personne ne peut plaire à Dieu, tandis qu’il hait en lui-même son prochain. (Timothée II, 4) Car il est agréable devant Dieu que tous les Hommes soient aidés. Quand donc tu cherches à perdre un Homme, tu fais contre Dieu, et contre son bon plaisir ; d’autant qu’aucun de ceux qui cherchent à perdre les autres, ne peut plaire à Dieu. (Luc IX, 56) Le Fils de l’Homme n’est pas venu pour perdre les Hommes, mais pour les sauver. XIV. 13ème Règle : Bien que tu saches que tous les Hommes sont pécheurs, défectueux et imparfaits, tu dois néanmoins te regarder comme le plus faible et le plus imparfait. Car premièrement, tous Hommes devant Dieu sont dans une égale condamnation, et devant lui, il n’y a entre eux aucune différence. (Romains III, 22) Nous avons tous péchés, dit S. Paul, et nous sommes privés de la gloire que nous devions avoir devant Dieu. Deuxièmement, quoique ton prochain soit un grand pécheur, ne vas pas t’imaginer que tu sois meilleur devant Dieu (1 Corinthiens X, 12) Celui qui s’estime debout, prenne garde à ne pas tomber. Que si tu t’abaisses et t’humilies au-dessous des autres Hommes, la grâce de Dieu te conservera. Troisièmement, tu as autant de besoin de la grâce et de la miséricorde de Dieu, que le plus grand pécheur et où il y a plus d’humilité, il y a plus de grâce à espérer. C’est aussi pour cela que S. Paul se regardant comme le plus grand et le plus insigne pécheur, dit : (1 Timothée I, 16) J’ai trouvé miséricorde et le Seigneur a montré en moi sa grande patience. Et autre part : (2 Corinthiens XII, 9) Je me glorifierai plus volontiers dans mes faiblesses, afin que la vertu de Christ habite en moi. XV. 14ème Règle : Le mépris des choses terrestres est produit en nous par la vraie illumination. Car comme les enfants de ce monde ont leur héritage sur la terre, à
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savoir, les honneurs temporels, des richesses passagères, une gloire terrestre et mondaine, toutes choses qu’ils conservent comme leur plus grand trésor ; de même les enfants de Dieu ont pour leurs trésors sur la terre la pauvreté, le mépris, la persécution, l’outrage, la croix, la peine, le martyr et la mort. Comme (Hébreux XI, 26) Moïse qui estima plus l’opprobre de Christ que tous les trésors d’Égypte ; ce qui était une vraie illumination. XVI. 15. Règle : Le vrai nom des chrétiens, qui est écrit dans le ciel (Luc X, 20) est la vraie connaissance de Christ en la foi, par laquelle nous sommes transplantés en Christ et écrits en lui, comme étant le vrai livre de vie ; D’où procèdent ces saintes vertus, que Dieu glorifie en ce jour et tous ces trésors qu’il rassemble dans le ciel, aussi bien (Jean III, 21) que ces œuvres qui doivent venir à la lumière, parce qu’elles sont faites en Dieu. On ne trouve aucun saint, qui ne se soit distingué par quelque vertu particulière, que l’on n’oubliera jamais. Et cette vertu singulière, comme la foi, la charité, la miséricorde, la patience et semblables, qui doit être réputée son nom écrit dans le ciel. D’autant que ce sont ces vertus qu’ils ont spécialement pratiquées, qui font le caractère des Saints. C’est de quoi nous traiterons plus amplement dans le 2ème Livre.
Nom de chrétiens.
CHAPITRE XLI Récapitulation du Premier Livre Tout le Christianisme consiste dans le rétablissement de l’image de Dieu en l’Homme et dans la destruction de celle de Satan. 1 Corinthiens III, 18 Nous tous, qui contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, à visage découvert, nous sommes transformés en la même image de gloire en gloire, comme par l’esprit du Seigneur.
C
’est dans la vraie connaissance de Christ, de sa personne, de ses fonctions, de ses bienfaits et de ses dons célestes et éternels, que consiste la vie bienheureuse, que
En quoi consiste la vie éternelle.
208
En quoi consiste la religion chrétienne.
le Saint Esprit allume dans nos cœurs, comme une nouvelle lumière, qui s’éclaircit de plus en plus, comme de l’airain poli ou un miroir ou comme un petit enfant dont le corps croît et s’augmente tous les jours. Car l’Homme est régénéré en sa conversion, quand il est gratifié de la justice par la foi de Christ et il est même renouvelé tous les jours, selon l’image de Dieu, sans devenir tout d’un coup (Éphésiens IV, 13) un Homme parfait. Ce n’est d’abord qu’un enfant, que le Saint Esprit ensuite nourrit et rend de jour en jour plus conforme à J.C. Ce que c’est que le Christianisme.
II. Toute la vie chrétienne sur la terre n’est et ne doit être autre chose qu’un rétablissement de l’image de Dieu dans un Homme fidèle, en sorte qu’il vive toujours d’une nouvelle naissance, étouffant et mortifiant tous les jours en soi son ancienne (Romains VI, 4). Et commençant dès ici-bas ce genre de vie, afin qu’il puisse être perfectionné en l’autre monde. Car l’image de Dieu ne sera jamais rectifiée, ni rétablie dans celui qui n’y aura pas travaillé avant le jour du dernier jugement et par conséquent avant sa mort. C’est ce qui m’a fait juger à propos de répéter ici pour conclusion de ce livre, ce que c’est que l’image de Dieu et celle de Satan. D’autant qu’en ces deux points consiste tout le Christianisme et qu’ils servent à éclairer plusieurs articles de l’écriture, comme ceux du péché originel, du libre arbitre, de la pénitence, de la foi, de la justification, de la prière, de la régénération, de la dévotion, de la sanctification, de la nouvelle vie et de l’obéissance ; sur quoi remarque bien l’instruction suivante. III. L’âme de l’Homme est un esprit immortel, que Dieu a doué d’excellentes puissances, propriétés et vertus, à savoir d’entendement, de volonté, de mémoire et des autres mouvements et désirs.
L’âme de l’Homme est un miroir de Dieu.
IV. Tourne la maintenant vers Dieu et y forme son image de telle manière que, comme dans un miroir, il puisse y être vu et reconnu ; ce que S. Paul nous donne à entendre en disant que (2 Corinthiens III, 18) la clarté de Dieu renouvelée en son image y reluit comme dans un miroir.
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V. Dieu étant une substance et une essence bonne et sainte, celle de l’âme dans son commencement et dans son origine la fut aussi. Et comme il n’y a rien de méchant dans l’essence de Dieu ; ainsi n’y eut-il aussi rien de mauvais dans l’âme de l’Homme. (Deutéronome XXXII, 4 et Psaumes XXII, 7)Tout ce qui est en Dieu est bon ; tout fut aussi bon dans l’âme. Dieu est souverainement savant, spirituel et sage. L’âme de l’Homme fut aussi spirituellement sage, et pleine de la connaissance divine, de la sagesse céleste et éternelle. La sagesse divine disposa et plaça toutes choses en ordre avec nombre, poids et mesure. Car elle connaît les vertus célestes et terrestres de toutes les créatures. Cette même lumière éclaira aussi l’esprit de l’Homme.
Conformité de notre âme avec Dieu dans l’état d’innocence.
VI. Tel que l’esprit fut dans l’âme ; telle y fut aussi la volonté sainte et conforme en tout à celle de Dieu. Dieu est juste, bon, miséricordieux, débonnaire, patient, complaisant, doux, véritable et pur ; l’âme de l’Homme eut toutes ces qualités. Et comme la volonté de l’Homme était conforme à celle de Dieu, toutes ses passions, ses désirs, ses appétits et les mouvements de son cœur, furent saints, parfaits et conformes à l’esprit divin et éternel, et à ses mouvements. Dieu n’est qu’amour, tous les mouvements de l’Homme ne furent qu’amour. Dieu le Père, le Fils et le Saint Esprit, ne sont qu’amour, sont liés et unis ensemble d’un amour ineffable et éternel ; toutes les inclinations, les mouvements, les désirs de l’âme humaine furent enflammées dans toute leur étendue et celle de leurs forces, d’un amour très parfait, très pur et très ardent. En sorte que l’Homme aima plus Dieu et son honneur qu’il ne s’aime soi-même. VII. De même que l’image de Dieu éclaira et parut dans l’âme de l’Homme. Ainsi cette âme rendit son corps qui est sa ressemblance, chaste et saint dans toutes ses facultés vivantes, sans aucun mouvement désordonné ou convoitise illicite, beau, agréable, bien formé, toujours sain et frais, immortel avec tous ses sens et ses puissances intérieures et extérieures, sans aucun chagrin, passion, douleur, embarras, exempt de maladie, de vieillesse et de mort. En un mot, tout l’Homme fut créé parfait en son corps et en son âme, saint, juste et en tout agréable à Dieu. Car il faut aussi que le corps
Le corps de l’Homme est le temple de Dieu.
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Ce que le cœur signifie dans l’écriture.
La justice, la charité et la joie sont inséparables.
En quoi consiste la religion chrétienne.
soit saint et semblable à Dieu, afin que l’Homme soit son image, dit S. Paul : (1 Théssalaniciens II, 23) Votre corps, votre esprit et votre âme doivent être saints. En effet, le corps et l’âme ensemble composent l’Homme qui s’acquitte également de ses fonctions spirituelles et corporelles et si l’âme, qui est sainte et juste, doit faire ses actions par le corps et dans le corps, il lui faut un instrument saint, qui ne s’oppose point à elle, lui obéisse et ne lui résiste point. Comme l’âme fut enflammée du pur amour divin : ainsi la vie et toutes les puissances du corps furent pénétrées du feu de l’amour de Dieu et du prochain. Comme elle fut complaisante et compatissante à toutes ses facultés, ainsi le corps avec toutes ses puissances fut aussi enclin à la clémence. Comme la pureté divine reluisit en l’âme, ainsi tout le corps avec toutes ses propriétés intérieures et extérieures et ses forces, aussi bien que les sens, fut orné d’une chasteté et d’une pureté parfaite. De cette sorte, le corps fut conforme à l’âme en toutes ces vertus, comme un saint instrument, qui devait lui servir et coopérer à toutes ses opérations. C’est pourquoi l’Homme dans cet état d’innocence pouvait (Deutéronome VI, 5) aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces et son prochain comme lui-même. D’où il est aisé de conclure, que quand Dieu demande le cœur de l’Homme, il exige tout l’Homme avec son corps, son âme, et toutes ses puissances. C’est en ce sens que tu dois entendre dans la Sainte Écriture ce simple mot cœur, en le prenant pour toutes les facultés de l’âme, l’entendement, la volonté, les passions et les désirs. Quand Dieu veut notre âme, il demande aussi en même temps tout l’Homme avec toute sa substance, sa vie et toutes ses puissances. Il faut donc qu’il se rende conforme à Dieu et soit renouvelé en Christ, afin qu’il mène une nouvelle vie et agisse comme animé d’un nouvel esprit (Galates V, 16 et Éphésiens IV, 23). VIII. L’Homme possédant une sainteté, une justice, une charité parfaite, jouissait aussi d’une semblable joie en son âme et en son corps. Car où la sainteté divine se trouve, à se trouve aussi une divine joie. Ces deux choses sont ensemble de toute éternité, et sont l’image de Dieu. Or puisque maintenant nous n’avons point en cette vie une sainteté et une justice parfaite, nous devons aussi être privés d’une joie sans défaut. Toutefois d’autant que la justice de
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Christ est ici-bas commencée en tout fidèle, cette joie spirituelle et véritable y est aussi commencée et reçue de ceux qui sont vraiment dévots, pieux et exercés dans le royaume de Dieu. Autant que chaque chrétien a en soi d’amour de Dieu, autant ressent-il de cette joie spirituelle. Et parce qu’un jour la charité sera parfaite, la joie le sera aussi ; Comme dit le Christ, car la charité est la vie et la joie. Où il n’y a point de charité, il n’y a aussi ni joie, ni vie. Il n’y a que cette mort dans laquelle tous les diables, les impénitents et les obstinés demeureront éternellement. D’où un père reçoit-il de la joie ? De l’amour qu’il a pour ses enfants. D’où un époux a-t-il du plaisir ? de l’amour qu’il porte à son épouse, dit Esaïe (Esaïe LXII, 5). Combien plus inexprimable est la joie qu’on sent de l’amour qu’on a pour le créateur, qui nous a donné (Cantiques I, 2) un si tendre baiser de sa bouche, lorsqu’il nous a si agréablement baisé en Christ en qui, par l’amour du Saint Esprit, (Jean XIV, 23) il vient en nous et y fait sa demeure. Par cette image de Dieu, qui consiste en notre conformité avec lui, il ne faut pas s’imaginer que l’Homme lui devienne entièrement semblable, en acquérant une justice et une sainteté aussi grande que celle de Dieu même. Dieu est incompréhensible, immense, infini en son essence, en ses vertus et en ses propriétés. Ainsi, l’Homme porte seulement l’image de Dieu, comme nous en avons clairement marqué la différence dans ce 1er Livre, Chapitre Premier.
Où il n’y a point de charité, il n’y a point de joie.
Notre plus grande joie vient de l’amour de Dieu.
Dieu et l’image Dieu diffèrent beaucoup.
IX. Cette instruction, touchant l’image de Dieu, est claire, certaine et véritable. Dieu a fait l’Homme, afin qu’il en fût un miroir très net et très clair, de telle sorte que quand l’Homme aurait voulu savoir ce qu’était Dieu, il n’avait qu’à se considérer soi-même et y voir Dieu, comme dans un miroir. Et en effet, il eu facilement aperçu l’image de Dieu dans son cœur. X. Image de Dieu qui eut été la vie et la félicité de l’Homme, si Satan, chagrin de son bonheur, ne lui eu porté envie et employé ses plus grandes ruses et ses artifices pour la détruire en l’Homme par la désobéissance et par un esprit opposé à la volonté de son créateur (Genèse III, 4). On n’usa jamais d’un plus grand artifice et on n’en usera jamais, que celui dont le diable se servit. Il lui persuada et à
Les artifices du diable pour effacer l’image de Dieu en l’Homme.
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L’orgueil est origine du péché de l’Homme.
En quoi consiste la religion chrétienne.
tout le genre humain, que ce serait son souverain bien, que d’être un second Dieu et de demeurer tel éternellement. Et il ne trouva point de ruse et de finesse plus subtile pour tromper l’Homme et le détourner de Dieu, que celle qui l’avait fait tomber et l’avait trompé. Notre première mère se laissa persuader par le plus beau et le plus agréable animal du Paradis qu’un tel désir était le plus convenable et le meilleur. Quel conseil peut être plus avantageux, plus sublime et plus sage que celui que l’Homme devienne Dieu lui-même ? Mais par là, l’image de Dieu était détruite en l’Homme et celle de Satan imprimée en sa place, ce qui n’était autre chose que de vouloir être Dieu lui-même.
Chute d’Adam.
XI. Dès que l’Homme eut formé ce désir et se fut laissé aller à un orgueil si déraisonnable, il tomba dans la désobéissance et la transgression du commandement que Dieu lui avait fait, de ne point toucher à l’arbre défendu. Alors, l’image de Dieu fut effacée, l’Esprit Saint s’éloigna de l’Homme et l’image de Satan y fut imprimée. Par là les Hommes devinrent les esclaves de Satan, lui obéirent et devenu leur maître, il exerça sa cruauté sur leurs âmes, comme un géant en colère l’exerce sur de pauvres enfants. Il obscurcit et même aveugla leur entendement, détourna leur volonté de Dieu par la plus haute désobéissance, révolta toutes les forces de leur cœur contre Dieu et les empoisonna de la plus sublime méchanceté. En un mot, il déracina l’image de Dieu en eux et y substitua et mit son image en la place, sema en eux toutes sortes de mauvais désirs. Et comme ses enfants selon sa ressemblance, il les empoisonna de toutes sortes de péchés et leur inspira de l’inimitié pour Dieu. C’est ainsi qu’ils périrent d’une mort éternelle. Car comme l’image de Dieu était la vie éternelle et la félicité de l’Homme, de même la perte et la privation de l’image de Dieu causa sa mort et sa damnation éternelle (Éphésiens II, 1 et Colossiens II, 1)
La mort spirituelle et éternelle suivent de la chute d’Adam.
XII. Ceux-là comprennent bien mieux cette mort, qui ont le cœur affligé de ce qu’ils doivent être exposés à la tyrannie de Satan, à ces pénibles tentation spirituelles, qui exercent si cruellement leurs pauvres âmes et leur font extraordinairement éprouver la force des
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péchés. Si le Saint Esprit demeure tranquille, pendant ces croix qu’ils ont à porter et ne les soulage point par ses vives consolations, le démon vient et s’empare d’eux, les tue d’une telle mort et tourmente leurs âmes par des peines éternelles. Alors, tout le corps perd ses forces, le cœur se flétrit, la moelle se consume, dit le Psalmiste (Psaumes VI, 1 et Psaumes XXXVIII, 1). Toutes les paroles de Dieu sont une mort pour eux, ils n’y trouvent aucune vie, aucune dévotion ne les touche, il n’y a plus de vie spirituelle en eux. N’est-ce pas là une vraie mort spirituelle ? Et n’est-ce pas alors que la sainteté, la justice, la dignité, la force, le pouvoir, la gloire, l’honneur, les arts et la science de tous les Hommes ne leur servent de rien ? Il n’y a que la grâce de Dieu qui puisse les y aider.
Tentations spirituelles.
XIII. Apprends de là, ô Homme, que le péché originel est ce qu’il y a de plus abominable et de plus terrible ; puisqu’il nous prive de la justice que nous héritions de Dieu, et nous fait hériter l’injustice du diable ; injustice pour laquelle le pécheur est rejeté de Dieu et condamné à cette mort dans laquelle il lui faut demeurer éternellement s’il n’obtient la rémission de ses péchés en Jésus Christ par la foi. Mais afin que tu puisses mieux le comprendre, je veux te découvrir la détestation et la corruption dont ton âme et ton corps ont été souillés et tâchés. Je prie aussi et j’exhorte un chacun pour l’amour de Dieu et de son salut, de bien apprendre cet article et de le méditer tous les jours, parce qu’il y pourra comprendre sa misère et son état déplorable, aussi bien que le péché originel, qu’il y verra avec autant de clarté qu’il voit son visage dans un miroir ; Ce qui doit l’exciter à ne cesser de soupirer, en déplorant son malheur.
Ce que c’est que le péché originel.
XIV. Toute la vie chrétienne n’est et ne doit être qu’un combat spirituel contre le péché originel, pour s’en purifier par le Saint Esprit et par une vraie pénitence. Car plus on combat ce péché, plus on renouvelle en soi de jour en jour, l’image de Dieu. Au lieu que ceux qui ne se mortifient point intérieurement par le Saint Esprit, sont des hypocrites, bien qu’ils paraissent extérieurement de saints devant le monde. D’autant que tout ce qui n’est pas mort à soi-même et n’est point renouvelé à l’image de Dieu par le Saint Esprit, est incapable
Ce que c’est que le Christianisme.
Mort spirituelle.
Les hypocrites.
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En quoi consiste la religion chrétienne.
du royaume des cieux. Nécessité de la régénération. L’Homme hait Dieu naturellement.
Étincelle de la lumière naturelle restée en l’Homme.
La vie spirituelle entièrement morte en l’Homme.
XV. Voyez maintenant, combien une nouvelle naissance et une régénération est nécessaire, (vous qui prétendez comprendre mieux toutes choses) si vous considérez bien l’image de Satan selon la loi divine. Premièrement, comme le diable n’aime point Dieu mais est son ennemi capital, il a empoisonné l’âme et lui a tellement inspiré toute son inimitié contre Dieu, qu’elle ne l’aime, ni l’honore, ni ne l’invoque, ni ne met sa confiance en lui ; étant devenue son ennemie et le fuyant. En second lieu, comme le diable vit sans Dieu dans l’aveuglement et se met peu en peine de sa volonté, il a tellement aveuglé l’âme de l’Homme, qu’il vit aussi sans Dieu et ne pense point à sa volonté. Aveuglement de l’esprit de l’Homme, qui est une si détestable destruction de la lumière de l’image de Dieu et un péché si abominable qu’il lui fait dire : (Psaumes XIV, 1) Qu’il n’y a point de Dieu. Et ce sont ces ténèbres qui rendent la substance de tout le genre humain si exécrable devant Dieu. XVI. Il est vrai qu’il est resté en l’Homme ou plutôt en l’esprit humain, une petite étincelle de la lumière naturelle, qui lui fait conclure par la lumière de la nature (Romains I, 19) qu’il y a un Dieu et même, que ce Dieu est juste, comme le témoignent tous les Philosophes païens. Mais la vie spirituelle selon Dieu et sa justice est entièrement éteinte en l’Homme. Car la conscience qui est la loi de Dieu, écrite dans le cœur de tous les Hommes en la création, dicte à chacun ce qui est juste et droit. En sorte qu’un Homme dissolu pense quelquefois qu’il y a un Dieu et ce Dieu étant pur, il devrait l’être ; aussi l’impudicité étant abominable à ses yeux. Mais cette pensée bonne et juste et qui est une étincelle de lumière est bientôt éteinte, comme une petite flamme, est bientôt amortie et étouffée par l’eau. La convoitise et l’ardeur de la chair ont toujours le dessus. Un calomniateur et un meurtrier pense quelquefois et dit en lui-même : il y a un Dieu, qui est véritable et qui ne veut point faire périr les Hommes, mais les conserver. Étincelle de lumière, qui ne dure pas longtemps. Elle est bientôt surmontée par la colère et éteinte par ces désirs diaboliques de vengeance et cette vie spirituelle qui consiste
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dans l’amour et la vérité est tout à fait étouffée et morte dans un Homme charnel. XVII. Les sages païens concluent avec raison par cette lumière naturelle qu’il y a un Dieu, qui dirige et gouverne le genre humain ; mais qu’ils sont bientôt vaincus par l’aveuglement de leur cœur, qui va jusqu’à leur faire douter de la divine providence ; comme leurs livres en font foi ! De ce péché originel et de ces ténèbres nées avec nous, procède cette incrédulité et cette incertitude, ou ce doute dans lesquels tous les Hommes sont naturellement et qui les rendent si abominables devant Dieu ; parce qu’ils ne vivent point dans la foi et ne se fient point à Dieu de tout leur cœur, l’Homme naturel ne connaît point cette vie spirituelle, ni ses opérations. Il n’invoque point Dieu, mais se fie sur soi-même, sur sa sagesse, sur sa force, et sur son pouvoir, ce qui est le plus grand de tous les aveuglements. XVIII. De cet aveuglement provient le mépris de Dieu et une fatale assurance. Car comme le diable ne s’humilie point devant Dieu, mais lui demeure orgueilleusement opposé, de même il a tellement insinué dans l’âme par les crimes dont il l’a empoisonné, le mépris de Dieu, la confiance en soi-même et l’orgueil, qu’elle ne s’humilie plus devant lui, mais demeure dans son orgueil et fait tout intérieurement selon son sens malin et réprouvé, sans aucune crainte de Dieu. Comme le diable se fie à ses forces et à sa sagesse et se gouverne soimême ; de même il a tellement corrompu l’âme de l’Homme, qu’en se fiant en sa sagesse et en son pouvoir, elle prétend se gouverner elle-même. Comme le diable cherche son propre honneur, l’Homme le fait aussi, se mettant fort peu en peine de l’honneur de Dieu. Comme le diable s’irrite contre Dieu, de même il a rempli et semé dans l’âme de l’impatience contre Dieu. Comme le diable blasphème le nom de Dieu, est ingrat envers son créateur, impitoyable colère et vindicatif, il a répandu ce même poison d’iniquité dans l’âme de l’Homme. Comme le diable domine volontiers sur l’Homme et s’honore lui-même ; Ainsi il a tellement défiguré l’âme de l’Homme que, devenu orgueilleux, il tient dans son cœur son prochain pour un fou, pour un Homme de rien, pour un pécheur, chargé et souillé de
L’aveuglement naturel de l’Homme.
Semence du diable en l’Homme.
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Dieu accuse toujours l’âme.
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toutes sortes d’iniquités et souhaite qu’il puisse s’en servir comme d’un marchepied. Le diable étant un meurtrier, il a rendu l’âme meurtrière. Et par là, je souhaite qu’il te soit pour mille fois dit et persuade-toi que Dieu blâme et accuse toujours ton âme et non pas les membres extérieurs. C’est le cœur, c’est l’âme qui est homicide et menteuse et non les mains ou la bouche ; Comme quand Dieu dit dans le Psalmiste : (Psaumes L, 15) Invoque moi dans la nécessité, c’est une chose qu’il commande à l’âme et non à la bouche. Quiconque ne remarque point ceci, doit être regardé comme un stupide dans la Sainte Écriture et ne comprendra jamais, comme il faut, le péché originel, la pénitence, la nouvelle naissance, ni aucun article de la religion chrétienne. XIX. Nous voyons tous les jours cette surprenante méchanceté, cet orgueil, cette haine, cette envie contre le prochain qui porte les Hommes à aimer mieux perdre la vie, que de la supporter et la laisser vivre. Il sera sous nous, disent-ils, ou il ne sera rien, selon que nous l’inspire notre âme pleine de malignité et de colère. Détestable envie que le démon a semé dans l’âme humaine et c’est par rapport à ces excès de courroux, de colère, de haine, d’envie et d’inimitié, que l’Homme est l’image de Satan, aussi est-ce par là qu’il est peint et représenté dans l’âme de l’Homme.
Sainteté du mariage dans l’état d’innocence.
XX. Dieu a inspiré à l’Homme un amour conjugal pur, chaste et honnête pour engendrer des enfants spirituels selon l’image de Dieu. Et il n’y aurait point eu de plaisir, d’amour plus saint que de multiplier cette divine image, d’augmenter le genre humain, à la gloire de Dieu et au salut de l’Homme. Oui, quand l’Homme dans l’état d’innocence aurait engendré cent mille enfants et aurait pu multiplier l’image de Dieu et sa gloire, c’eut été son sont plus saint plaisir et sa plus grande joie. Tout se serait fait par rapport à l’amour de Dieu et du genre humain, qui en est l’image. Car de même que Dieu a créé l’Homme avec un saint plaisir et une sincère complaisance et a mis en lui sa joie et son consentement, comme dans son image ; Ainsi l’Homme aurait aussi témoigné une sainte volupté de la génération de son semblable et aurait mis son plaisir et sa joie en lui, comme
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en l’image de Dieu. Mais il ne faut pas beaucoup de paroles, pour faire voir de quelle manière Satan a souillé par ses impuretés ce pur et ce chaste amour conjugal. L’Homme engendre maintenant son semblable (Genèse V, 2) comme les bêtes irraisonnables, par une ardeur aveugle et furieuse ; tant cet esprit impur à corrompu le saint mariage par l’étrange dérèglement.
Abus du mariage.
XXI. L’inique Satan étant un voleur et un larron, il ferma ces mauvaises inclinations dans l’âme de l’Homme ; étant calomniateur, un sophiste, un médisant et un moqueur de Dieu et des Hommes, il changea en mal les paroles et les actions de Dieu et des Hommes, comme il fit pour tromper (Genèse III, 1) nos premiers parents. Et ce fut ainsi qu’il remplit l’âme de l’Homme d’une manière d’agir empoisonnée, perverse et menteuse et y a transplanté la nature diabolique, pour le rendre semblable à lui, c’est à dire, menteur, médisant, calomniateur. Ce poison est dans l’Homme d’une manière si surprenante et si diversifiée, qu’on ne peut trouver des paroles pour l’expliquer et pour décrire cette perversité (Psaumes V,10 et Romains III,13 et Jacques III, 5-6) d’une bouche menteuse et d’une fausse langue, dont tu n’entendras jamais autre chose, si ce n’est que c’est un poison diabolique en l’âme. Car Dieu ne se plaint pas seulement dans sa loi, de la bouche, de la langue, des mains et des pieds, mais aussi de l’Homme entier, de son cœur et de son âme, sources de tous les maux. Comme il nous le donne assez à entendre dans les deux (Deutéronome XX, 17-18) derniers commandements, qui regardent les mauvais désirs et les convoitises. Ce qu’il faut bien apprendre et observer. XXII. Telle est l’image de Satan, que le diable a si bien imprimée dans l’âme humaine, en la place de l’image de Dieu, que le plus grand plaisir et la plus grande joie de l’Homme est cette inclination désordonnée, qu’il a de pécher, de calomnier, d’humilier et de blâmer son prochain. En sorte même que tel, qui veut pourtant passer pour bon chrétien, cherche souvent l’occasion de répandre son venin contre son prochain, et quand cela est fait, il dit : Maintenant, je suis bien content, il y a longtemps que j’étais las de le porter ; il me semble
Image du diable.
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Nulle créature ne peut déraciner le péché.
Les forces naturelles de l’Homme.
Vraie explication du libre arbitre.
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qu’une meule de moulin est ôtée de dessus mon cœur et que je viens de renaître. Malheureux Homme, ne reconnais-tu pas qui t’a induit à un tel crime ? Ne vois-tu pas de qui tu portes l’image ? Ainsi, nous corrompent et c’est à quoi nous portent toutes ces autres inclinations, que le diable a jetées comme des semences dans nos cœurs, à savoir l’orgueil, l’avarice, le libertinage ; ce qu’une continuelle expérience ne nous fait que trop éprouver. Considère, infortuné que tu es, qu’il te faut apprendre à connaître dans ton cœur cette image de Satan qui est le péché originel, par lequel ton âme a été remplie de l’image et des perverses inclinations de Satan, cruellement ravagée, tellement souillée et est devenue si mauvaise que personne ne saurait pénétrer le cœur de l’Homme. Tu n’es pas toi-même capable de penser et d’exprimer quelle abomination il y a dans ton âme. Veux-tu, je te prie, te laisser dire mille et mille fois, que cet empoisonnement est si grand, si profond, si incurable, qu’il n’est pas possible à aucune créature, soit ange, soit Homme, de l’extirper, l’arracher, le déraciner de la nature de l’Homme ? Oui, c’est une chose impossible à toutes les forces humaines. Comment quelqu’un peut-il s’aider de ses propres forces, qui sont entièrement ruinées et spirituellement mortes ? Il faut que l’Homme demeure éternellement dans une telle perdition s’il ne vient un plus puissant destructeur du crime, maître du péché et de la mort, qui puisse changer, renouveler et purifier la nature humaine. Vois, maintenant, si la justification peut être un ouvrage de l’Homme et combien une nouvelle naissance ou une régénération est nécessaire ? Car l’âme ne peut intérieurement vivre d’une autre manière de ses propres forces, qu’en vivant dans la faiblesse qui lui est devenue naturelle, dans les inclinations corrompues que Satan y a semées et plantées, dans toutes sortes de péchés, contre tous les commandements de Dieu, principalement contre ceux de la première table, dont la transgression est la vraie inimité de Dieu. Alors l’entendement et la volonté sont captifs, entièrement morts, et ne peuvent plus, par les forces de la nature, craindre, aimer Dieu, se confier en lui, l’invoquer, l’honorer, le louer et l’exalter, encore moins se convertir à lui. Quant à ce qui regarde la seconde table, il est encore restée dans l’âme une étincelle du libre arbitre, lequel commande seulement aux œuvres extérieures de la seconde table, quoiqu’il soit
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tout à fait faible, débile et dépourvu de forces ; il peut à la vérité jusqu’à quelque mesure, tenir en bride les convoitises et les mauvais désirs et les gouverner, de sorte qu’ils ne passent pas à l’effet et à l’action extérieure, comme on le remarque en quelques vertueux païens. Mais il lui est impossible de changer le cœur, le tourner vers Dieu et le purifier des mauvais désirs. Ce ne peut être que l’effet d’une vertu divine. La racine intérieure demeure empoisonnée et est semblable à un feu étouffé qui ne peut étendre sa flamme, quoiqu’il demeure toujours intérieurement fumant et sans s’éteindre dans toute l’éternité. XXIII. Si ce libre arbitre n’était point dans la vie extérieure et dans l’être naturel de l’Homme, le genre humain ne pourrait vivre ensemble. C’est pourquoi Dieu n’a pas permis que Satan déracina de l’âme de l’Homme toutes ses forces et ses passions naturelles. La loi de nature est encore demeurée dans l’Homme aussi bien que cet amour naturel des personnes mariées, des pères et mères pour leurs enfants et des enfants pour ceux qui leur ont donné la vie. Autrement le genre humain ne pourrait subsister. Celui qui voudrait exécuter tout ce que sa convoitise et les mauvais désirs de sa nature corrompue lui suggèrent, détruirait toute la société humaine et exposerait sa vie au glaive de la justice des Hommes. Dieu nous a aussi laissé cette petite flamme de l’amour naturel, afin que nous pussions reconnaître et remarquer que le parfait amour de Dieu est ce souverain bien, cette excellente image et ce grand avantage que nous avons perdu. Quant aux choses spirituelles qui concernent le salut et le royaume de Dieu, il n’est rien de plus vrai que ce que dit S. Paul que (1 Corinthiens II, 14) l’Homme animal ne comprend point les choses qui sont de l’Esprit de Dieu : Car elles lui sont une folie, et il ne les peut entendre. C’est à dire, il n’a aucune étincelle de la lumière spirituelle, mais il est entièrement aveugle dans toute cette vie divine et spirituelle, pour laquelle seule, l’Homme est créé, à savoir ; afin que dans cette lumière spirituelle, il contempla avec les yeux intérieurs de l’âme, la présence de Dieu et son sincère amour pour lui, qu’il marcha éternellement devant lui et avec lui et s’en laissa gouverner en cette vie.
Pourquoi l’amour naturel a été laissé en l’Homme ?
L’Homme est né pour la vie spirituelle.
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Aveuglement naturel.
L’Homme n’est rien hors de Christ.
Il y a une grande faiblesse même dans les enfants de Dieu.
Combat intérieur.
Usage de la doctrine de ce Chapitre.
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XXIV. L’Homme naturel n’a pas la moindre étincelle de cette lumière spirituelle dans le royaume de Dieu. Tous les Hommes sont dans cet aveuglement, et y demeureraient naturellement, si Dieu ne les éclairait. Tel est ce vrai aveuglement spirituel, que nous héritons à l’égard des choses qui regardent le royaume de Dieu. De là vient aussi très souvent l’aveuglement naturel quand la méchanceté de l’Homme s’augmente et prend le dessus ; elle étouffe et obscurcit même cette petite lumière naturelle de la vertu et de l’honnêteté qui appartient à la vie extérieure. Ainsi, l’âme entière est frappée d’aveuglement et de ténèbres dont elle n’aurait jamais pu se délivrer, si le Christ ne l’eut éclairée. XXXV. Vois maintenant, ô Homme, ce que tu es, si le Christ ne te régénère par son esprit, ne te fait une nouvelle créature et ne te renouvelle à l’image de Dieu. Tout cela pourtant n’est que faiblement commencé en ce monde. Considère-toi toi-même, qui est une nouvelle créature du Saint Esprit. Combien faible et légère est en toi l’image de Dieu ? Combien infirme est en toi sa crainte et son amour, la foi et l’espérance ? Combien ton humilité est petite ? Et combien au contraire est grande ta méfiance, ton orgueil et ton impatience ? Combien froide et faible est ta prière ? Et combien léger est ton amour pour ton prochain ? Combien imperceptible est dans ton cœur l’étincelle de la chasteté spirituelle et combien remarquable est la flamme de la volupté charnelle ? Combien grande est ton amour propre, ton intérêt, ta gloire, ton ardeur, pour l’honneur et pour les plaisir déréglés ? Voilà de quoi lutter et combattre par l’Esprit de Dieu le vieil Adam, qui est en toi et cette image de Satan, que tu porteras jusqu’au tombeau. Prie donc, soupire, pleure, cherche, frappe, afin que le Saint Esprit te soit donné, qu’il renouvelle tous les jours en toi l’image de Dieu et étouffe celle de Satan. XXVI. Apprends de tout ceci à ne te pas fier et t’assurer sur toi-même ; mais à t’appuyer sur la grâce de Dieu et que c’est cette grâce qui doit tout opérer en toi. Apprends à tout chercher, demander, obtenir de Christ et en Christ par la foi, à savoir, la connaissance divine et la sagesse contre ton aveuglement ; la justice
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de Christ contre tous tes péchés ; la sainteté de Christ contre toutes tes impuretés ; la rédemption, la force, la victoire et la vertu de Christ contre la mort, l’enfer et le diable et la rémission de tous tes péchés contre tout le règne des péchés et du diable ; le salut éternel et la félicité contre toutes les misères corporelles et les peines spirituelles ; mais c’est en Christ seul, qu’on obtient la vie éternelle, de quoi nous traiterons plus au long dans le second livre.
CHAPITRE XLII Conclusion, et la plus importante raison de l’ordre du Premier Livre : Comment on doit se préserver de l’orgueil spirituel et de quelle manière aucuns vrais dons spirituels ne peuvent s’obtenir sans la prière ? 1 Corinthiens IV, 7 Qu’as-tu, ô Homme, que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifies-tu, comme si tu ne l’avais pas reçu ?
P
our conclusion du Premier Livre, il faut encore t’avertir, Lecteur chrétien et te faire ressouvenir de quelques points fort nécessaires.
II. Le premier, est que dans ce livre, j’ai pour des raisons particulières décrit fort au long et en diverses manières et exposé à tes yeux la pénitence avec ses fruits. En effet, la plus grande partie de ce premier livre ne contient autre chose que les fruits de la pénitence, à savoir, le renouvellement en Christ, le crucifiement et la mortification continuelle de la chair, la renonciation ou l’abnégation de soi-même, le mépris du monde, l’exercice de la charité etc. C’est ce que je t’ai clairement remis devant les yeux par des raisons spéciales et en différentes façons. Car la pénitence est le commencement et le principal fondement du vrai christianisme, de la vie sainte et des bonnes œuvres, même de notre félicité par une vraie foi. La vraie et solide consolation ne peut aussi jamais être goûtée, ni ressentie du cœur de l’Homme, qu’il n’ait auparavant justement et suffisamment reconnu la nature et les fruits de ce péché originel (péché, hélas ! qu’il est impossible de
La pénitence est le commencement du Christianisme.
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Conclusion du premier livre. Il faut éviter l'orgueil.
pouvoir assez détester) dont le poison est si exécrable, si horrible, si mortel, si infernal, si diabolique dans les maux qu’il cause du genre humain. Et véritablement tous les livres de consolations sont vains et inutiles, si ce fondement n’est pas d’abord posé et si l’Homme n’a entièrement reconnu sa misère et sa pauvreté et en particulier qu’elle est l’abominable corruption, où nous a plongé le péché originel. D’autant que c’est un effet de l’endurcissement de notre nature, qui ne recherche qu’à être flattée et veut être consolée, plutôt que de reconnaître ses péchés, sa dépravation et sa méchanceté. Consolation hors de propos.
Vie chrétienne.
Insensés jugements de ces livres.
Trois espèces d’orgueil spirituel.
III. Mais c’est une manière d’agir fort contraire et fort opposée au fondement de toute l’Écriture, qui nous dit (Matthieu IX, 12) que les forts n’ont pas besoin de médecin ; mais les malades. Christ est le vrai médecin et ses remèdes et toutes ses consolations nous sont inutiles sans la connaissance de notre maladie. La vie d’un vrai chrétien est, et ne peut être autre chose qu’un continuel crucifiement de sa chair : Je vous l’ai dit et je vous le répète, il n’y a que ces sortes de personnes, qui appartiennent et soient à Christ (Galates V, 24). Or ceux, qui appartiennent à Christ, ne seront jamais sans consolation. Et cette connaissance de notre propre faiblesse par l’Esprit saint et la considération de l’Évangile apporte avec soi la consolation et nous conduit à Christ. Ne te tourne point aussi vers les juges précipités de ce siècle présent, qui jugent et détruisent tout ; mais sache que ces juges et ces destructeurs sont de misérables aveugles qui ne connaissent ni leur calamité, ni leur pauvreté, sans comprendre ce que c’est qu’Adam, ce que c’est que Christ, ni comment Adam doit mourir en nous et le Christ doit y vivre. Celui qui ne veut pas l’apprendre, demeure dans son aveuglement et dans ses ténèbres et ne comprend point ce que c’est que la vraie pénitence, la foi et la régénération : En quoi consiste tout le Christianisme. IV. Il faut aussi que tu sois averti à l’égard de l’orgueil spirituel, que, quand notre Dieu commence à opérer en toi par sa grâce les dons spirituels, de nouvelles vertus et une nouvelle connaissance, il ne te convient point de te les attribuer, ni à tes propres forces ; mais à la grâce de Dieu.
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Deuxièmement, qu’il te faut encore bien moins croire que le commencement de tes vertus doit être réputé une justice devant Dieu. C’est un ouvrage encore imparfait. Troisièmement, Que tu ne dois pas aussi t’en servir pour fomenter ta propre louange et en attendre de la gloire ; mais qu’animé d’une humble crainte de Dieu, tu dois lui en donner tout l’honneur, sans l’attribuer à toi-même. Et n’aie point ces orgueilleuses pensées en ton cœur : J’ai maintenant une foi puissante, j’ai beaucoup de connaissance, et semblables. Prends-y garde, c’est l’ivraie que le Diable sème parmi le bon grain. Car Premièrement, tous ces dons ne sont point les tiens, ils sont de Dieu et sans son illumination tu demeures une masse de terre morte, qui sent mauvais : Et si Dieu ne met point en toi ses dons, tu demeures un vase vide. Comme des joyaux que l’on met dans une petite boîte, ne sont point à cette boîte qui était auparavant toute vide, mais à celui qui les y a mis. Ainsi ces dons ne sont point à toi, puisque tu n’es qu’une boîte toute vide. Te glorifieras-tu, pauvre vaisseau d’un bien étranger ? Tu le verras plus au long dans le second Livre. Deuxièmement, comme un maître a la liberté et le pouvoir de retirer et de prendre à toutes les heures son bien de la cassette où il l’a mis et de le remettre dans une autre ou de le garder sur soi : considère que Dieu peut à tous les moments reprendre ses dons ; c’est pourquoi (Romains II, 20) ne t’élève point par orgueil, mais crains. Troisièmement, il te faudra rendre à ton maître un compte exact, sévère et difficile de tous ses dons. Quatrièmement, ne pense pas aussi que si tu as de beaux dons, tu les possède tous. Hélas ! Cher chrétien, c’en est à peine le commencement et il t’en manque encore beaucoup. Cinquièmement, tu dois savoir qu’aucun don parfait ne s’obtiendra de Dieu (Jacques I, 17) sans la prière ; mais ce que tu as, est comme une ombre et une semence morte qui ne porte aucun fruit, se flétrit et sèche avant que de venir en maturité ; comme tu le pourras voir dans mon petit livre de prières, à savoir que ces sortes de dons célestes doivent être demandés à Dieu et ne peuvent venir en aucun cœur sans la prière. Mais afin que tu puisses en avoir un petit avant-goût, lis le petit traité de la prière, qui se trouve dans le livre suivant. Prends garde à deux choses dans la prière : Premièrement, que l’image de Satan, sous laquelle il faut entendre
Remède contre l’orgueil spirituel.
Aucun don utile ne s’obtient sans la prière.
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Sommaire de l’oraison Dominicale.
Conclusion du premier livre. Il faut éviter l'orgueil.
l’incrédulité, l’orgueil, l’avarice, la volupté, la colère etc. soit détruite en toi. Secondement, qu’ensuite, l’image de Dieu qui consiste dans la foi, l’amour, l’espérance, l’humilité, la patience, la crainte de dieu, puisse être rétablie en toi. Considère ce qui en est marqué dans la Sainte Oraison du Seigneur, laquelle fait pour toi et contre toi. Le seul nom de Dieu sera sanctifié. Il faut donc que ton nom et ton orgueil soient abolis. Le royaume de Dieu viendra. Il faut donc que celui de Satan soit détruit en toi. La volonté de Dieu se fera. Il faut donc que ta volonté soit réputée pour rien. Telles sont les deux parties de ce petit livre de prières si utile, qui apprend en suivant l’ordre de l’oraison Dominicale, à chercher d’obtenir de Dieu les dons célestes et les bien éternels qui sont renfermés et compris dans cette même oraison du Seigneur. Car dans l’oraison Dominicale, tous les trésors et les biens de l’âme et du corps sont contenus et décrits, comme dans un abrégé et même les temporels aussi bien que les éternels. C’est pourquoi Dieu, notre Seigneur, sera aussi volontiers notre cher Père, pour nous donner ce que son cher Fils nous a commandé de lui demander. De quoi nous traiterons dans un autre temps en son lieu.
Fin du Premier Livre du Vrai Christianisme.
T A B L E DES CHAPITRES du Premier Livre Chap. I. Qu’est-ce que l’image de Dieu en l’Homme ? 2 Chap. II. De la chute d’Adam, ou quelle est la chute d’Adam ? 6 Chap. III. Comment l’Homme est renouvelé en Christ pour devenir capable de la vie éternelle. 11 Chap. IV. Qu’est-ce que la vraie pénitence, la vraie croix et le joug de Christ ? 17 Chap. V. Qu’est-ce que la vraie foi ? 21 Chap. VI. Comment la parole de Dieu doit montrer sa vertu et devenir vivante en l’Homme. 25 Chap. VII. Comment la Loi de Dieu est écrite dans les Cœurs de tous les Hommes ? Loi qui les convainc, afin qu’ils soient inexcusables au jour du jugement. 29 Chap. VIII. Sans une vraie pénitence, personne ne se peut fonder sur Christ, ni avoir son mérite pour Consolation. 34 Chapitre IX. La vie peu Chrétienne des Hommes de ce temps, renie le Christ et dément la vraie foi. 39 Chap. X. La vie des enfants du monde présent est tout à fait opposée à Christ, ce qui la rend fausse, aussi bien que leur Christianisme. 42 Chap. XI. Celui qui n’imite point le Christ dans sa vie, ne peut faire une sérieuse pénitence, et n’est ni Chrétien, ni Fils de Dieu. Qu’est-ce que la nouvelle naissance ? Qu’entend-on par le joug de Christ ? 43 Chap. XII. C’est l’obligation d’un vrai chrétien de mourir à soi et au monde et vivre à J.C. 51 Chap. XIII. Que chaque Chrétien doit volontiers mourir à soi-même et au monde pour l’amour de Christ, de cette gloire avenir et de ce salut éternel, pour lequel nous sommes créés et rachetés. 56 Chap. XIV. Le vrai Chrétien, à l’exemple de Christ, doit mépriser le monde et haïr sa vie en ce monde. 61 Chap. XV. Il faut dans le vrai Chrétien, que le vieil Homme meure tous les jours et que le nouveau se renouvelle. Ce qu’est se renoncer à soi-même et quelle est la vraie croix de Christ. 67 Chap. XVI. Le combat de la Chair et de l’Esprit ne cesse jamais dans un vrai Chrétien. 71 Chap. XVII. L’Héritage et le bien des Chrétiens n’étant point en ce monde, ils ne doivent s’en servir que comme des étrangers. 75 Chap. XVIII. Que Dieu est très irrité contre ceux qui préfèrent les choses périssables aux éternelles. Pour quoi et en quoi nous ne devons pas consacrer nos cœurs aux créatures. 81 Chap. XIX. Celui qui se croit le plus pauvre en son cœur et à son jugement, est le plus aimé de Dieu et par conséquent, c’est par une connaissance chrétienne de notre propre
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T A B L E misère, qu’on peut obtenir sa grâce. 86 Chap. XX. Que c’est par une contrition chrétienne que notre vie s’amende tous les jours et devient plus capable de posséder le Royaume de Dieu et la vie éternelle. 91 Chap. XXI. Quel est le vrai culte Divin ? 98 Chap. XXII. Comme nous ne reconnaissons un arbre que par le fruit, de même nous ne pouvons reconnaître un vrai Chrétien et le distinguer que par la charité et un continuel amendement de sa vie. 107 Chap. XXIII. Qui veut croître et profiter en Christ, doit fuir les amitiés et les compagnies de ce monde. 111 Chap. XXIV. De l’amour de Dieu et du prochain. 115 Chap. XXV. De l’amour de Dieu et du prochain en particulier. 122 Chap. XXVI. Pourquoi le prochain doit être aimé ? 126 Chap. XXVII. Pourquoi il faut aimer les ennemis ? 131 Chap. XXVIII. Comment et pourquoi l’amour du Créateur doit être préféré à l’amour de toutes les créatures ; et pour quelle raison le prochain doit être aimé en Dieu ? 135 Chap. XXIX. De la réconciliation avec le prochain, sans laquelle Dieu révoque sa grâce. 138 Chap. XXX. Des fruits et avantages de la charité. 144 Chap. XXXI. L’amour propre et la recherche de son propre honneur corrompent, souillent et anéantissent les plus grands et les plus beaux talents. 150 Chap. XXXII. Ce ne sont pas les grands talents, mais la foi qui opère par la charité, qui nous fait connaître l’Homme chrétien et agréable à Dieu. 155 Chap. XXXIII. Dieu n’a égard ni aux œuvres, ni aux personnes mais il juge des œuvres selon le cœur de chacun. 158 Chap. XXXIV. L’Homme ne fait rien pour son salut, Dieu seul fait tout, pourvu seulement que l’Homme se résigne à la grâce de Dieu et s’en laisse conduire, comme un malade d’un médecin. Et sans la pénitence, le mérite de Christ n’est point imputé. 161 Chap. XXXV. Sans une vie sainte et chrétienne, toute sagesse, tous les arts et les sciences, même la connaissance de toute l’Écriture est inutile. 167 Chap. XXXVI.Qui ne vit point en Christ, mais a son cœur attaché au monde, ne vit que selon la lettre de l’Écriture, sans en posséder l’esprit, ni goûter la douceur et la vertu de cette manne cachée. 170 Chap. XXXVII. Celui qui ne suit point le Christ par la foi, la sainteté de sa vie et une pénitence continuelle, ne sera point délivré de l’aveuglement de son cœur, mais demeurera dans des ténèbres éternelles : Il ne peut même véritablement reconnaître le Christ,ni avoir société et participation avec lui. 179 Chap. XXXVIII. La vie antichrétienne ou indigne d’un chrétien est la cause des doctrines fausses, corrompues et séductrices, comme aussi de l’endurcissement et de l’aveuglement ; où l’on traite de la Prédestination. 189 Chap. XXXIX. Que la pureté de la doctrine et de la divine parole n’est pas seulement conservée par les disputes et dans le plus grand nombre des livres ; Mais aussi par une
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T A B L E vraie pénitence et une vie sainte. 194 Chap. XL. Quelques belles Règles de la vie chrétienne. 200 Chap. XLI. Tout le Christianisme consiste dans le rétablissement de l’image de Dieu en l’Homme et dans la destruction de celle de Satan. 207 Chap. XLII. Conclusion 221
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