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French Pages 605 [609] Year 1985
COLLECTION
DE
L'ÉCOLE 83
FRANÇAISE
DE
ROME
François HINARD
LES DE
LA
PROSCRIPTIONS
ROME
RÉPUBLICAINE
ÉCOLEPALAIS FRANÇAISE 1985 FARNESE DE ROME
© - École française de Rome - 1985 ISSN 0223-5099 ISBN 2-7283-0094-1 Diffusion en France : DIFFUSION DE BOCCARD 11 RUEDEMÉDICIS 75006 PARIS
Diffusion en Italie : «L'ERMA» DI BRETSCHNEIDER VIA CASSIODORO, 19 00193 ROMA
SCUOLA TIPOGRAFICA S. PIO X - VIA ETRUSCHI, 7-9 - ROMA
AVANT-PROPOS
Ce livre est né d'un travail universitaire : une thèse soutenue à la Sorbonne le 27 février 1982. C'est dire s'il doit beaucoup à la commun autéuniversitaire qui a été le témoin de son élaboration aussi bien qu'à ceux qui, dans mon entourage, ont assisté à sa maturation. Ma gratitude va d'abord à M. Claude Nicolet avec qui j'ai défini les contours de ce travail à l'intérieur des perspectives d'ensemble de la recherche qu'il avait dessinées pour moi et qui a toujours suivi avec un bienveillant intérêt les progrès de mon enquête. Et je voudrais dire toute ma reconnaissance à M. Joseph Hellegouarc'h à qui je dois mon entrée dans l'Université, qui, comme Direc teurd'U.E.R., a épargné au chercheur débutant que j'étais de trop lour descharges et qui a présidé le jury qui a eu à connaître de cette thèse. MM. Robert Etienne, Michel Humbert, Joseph Mélèze et Alain Michel, qui ont participé au jury, ont bien voulu juger ce travail digne d'une publication qu'ils ont, par ailleurs encouragée; M. Georges Vallet, pour sa part, l'a fait accepter dans la Collection de l'Ecole française de Rome et M. Charles Pietri l'a fait réaliser : je voudrais les assurer ici de l'obligation que je leur en ai. Merci à M. Michel Gras, directeur des études pour l'antiquité, à Mlle Noëlle de La Blanchardière, conservateur de la bibliothèque, à tout le personnel de l'Ecole française de Rome où j'ai trouvé les moyens de mener mon travail à son terme. Que soient remerciés aussi tous ceux qui, dans le monde universit aire, m'ont écouté, contredit, lu, fait des suggestions et à qui mon livre doit sans doute beaucoup. Mais ces remerciements ne seraient pas complets - et donc pas sin cères - si je n'y faisais pas une petite place à ma femme et à mes enfants qui ont été, jour après jour, les témoins de mes difficultés et de mes progrès : je souhaite leur rendre maintenant l'hommage de ma gratitude et de ma tendresse.
INTRODUCTION
On pourrait faire un livre avec l'intention de présenter une synthès e historiographique sur les proscriptions, à condition, bien sûr, de ne pas limiter son enquête aux seuls historiens : pour montrer comment se sont élaborés les principaux traits des images qui nous en ont été trans mises, il conviendrait d'être attentif surtout aux échos qu'elles ont eus dans la vie politique, dans la polémique donc, des pays de culture lati ne. Il faudrait examiner les traitements qu'elles ont subis dans les dif férentes formes d'expression artistique. On devrait ainsi rendre compte de l'extraordinaire production de tableaux représentant les «Massacres du Triumvirat»: dix-huit ont été peints après que, le 6 avril 1561, le connétable de Montmorency, Jac ques d'Albon de Saint-André et le duc de Guise eurent conclu un accord et formé ce que certains appelèrent alors «Le Triumvirat»1. Ils témoignent de la vigueur d'une propagande qui était à la mesur e des atrocités commises contre les Réformés, particulièrement depuis 1548 (les bûchers de la Place Maubert) et qui devaient culminer à la Saint-Barthélémy de 1572, alors que, par ailleurs, la traduction d'Appien par Claude de Seyssel connaissait une vogue remarquable (au moins cinq éditions entre 1544 et 1560). On devrait expliquer la fascination que Sylla n'a jamais cessé d'exercer en étudiant les tragédies qui lui sont consacrées et les opéras qui portent son nom. Ainsi trois musiciens ont composé entre 1773 et
1 Ces tableaux ont été étudiés par S. Béguin, L'École de Fontainebleau, Paris, 1960 (notamment 85-90) et surtout par J. Ehrmann, « Massacre and persecution pictures in six teenth century France »,7W7 8, 1945, 195-199; Id. «Artistes franco-flamands de l'École de Fontainebleau», Bull. Soc. Hist. Art français 1972, notamment fig. 12, p. 68; Id. «Tableaux de massacres au XVIe siècle», Bull. Soc. Hist. Protest, français juill. sept. 1972, 445-455; Id. «Hans Vredemans de Vries», Gazette des Beaux-Arts janv. 1979, 13-26.
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1779, une partition pour le livret de Giovanni di Gamerra, Lucio Siila, dans lequel le dictateur aime Giunia, fille de son ennemi Marius et épouse du proscrit Cecilio, mais finit par pardonner à ce dernier et par permettre que les époux se retrouvent alors que le chœur composé des sénateurs et du peuple Romain chante : «Se per Siila in Campidoglio Lieta Roma esulta e gode D'ogni gloria e d'ogni lode Vincitore oggi si fa»2. La vivacité de ce thème du dictateur qui renonce au pouvoir suprê me après l'avoir exercé de la façon la plus terrible vient sans doute de ce que Montesquieu avait fait de Sylla un personnage de tragédie («J'ai étonné les hommes», lui fait-il dire), comme le lui reprocha d'ailleurs Sainte-Beuve, et avait montré tout le parti qu'il y avait à tirer de cette «variante de la Clémence d'Auguste»3. On devrait étudier toutes les occasions, et elles furent nombreuses au XIXe siècle, où des exilés se sont parés du glorieux nom de «prosc rits». Pierre Larousse, dans l'article de son Grand Dictionnaire Univers el du XIXe siècle qu'il consacre à la proscription, survole les circons tances où une telle mesure a été renouvelée au cours de son siècle : «(. . .) Bonaparte, après le coup d'Etat de brumaire, érigea la proscrip tion en instrument de règne, mais sans bruit et par mesure de police. La seconde Restauration proscrivit les régicides et la famille Bonapart e. Les transportations sans jugement qui suivirent les journées de juin 1848 furent de véritables proscriptions. Le second Bonaparte s'empres sa de faire revivre les odieuses traditions du premier Empire. Il dressa, après son attentat du 2 décembre, de véritables listes de proscription, comprenant des hommes politiques, des généraux, des écrivains, etc., et sans autre forme de procès que l'avis de commissions mixtes, devenues ses complices, un nombre considérable de citoyens. La loi de sûreté générale, votée par une Assemblée servile, conféra au gouvernement le droit de proscrire par mesure de police (1858). Depuis la chute du second Empire, pendant et à la suite de la guerre civile, on a vu encore
2 Ces musiciens sont Mozart (1773), Jean-Chrétien Bach (1776) et Mortellari (1779). 3 Pour reprendre l'expression d'E. Lintilhac dans sa préface au Sylla, tragédie en quatre actes d'A. Mortier, Paris, 1913.
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une fois le sang couler à flots comme aux plus mauvais jours des gran desproscriptions dont il est fait mention dans l'histoire ... ». Et ce n'est pas la moins illustre des victimes de Napoléon III qui proclamait : «Je resterai proscrit, voulant rester debout. J'accepte l'âpre exil, n'eût-il ni fin ni terme, Sans chercher à savoir et sans considérer Si quelqu'un a plié qu'on aurait cru plus ferme, Et si plusieurs s'en vont qui devraient demeurer. Si l'on n'est plus que mille, et bien, j'en suis! Si même II ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ; S'il en demeure dix, je serai le dixième; Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là»4. On devrait évaluer l'importance de l'histoire de Sylla utilisée par les polémistes, au lendemain de la première Guerre mondiale, notam mentdans la droite française qui n'hésitait pas à qualifier l'épuration de 82 de «remède héroïque» destiné à purger la république des «traî treset tarés» qui «avaient persisté à défendre ou prôner la révolution violente et émeutière, ou simili-légale, et même législative et démocratiq ue, et à la soutenir de leurs deniers» et qui affirmait qu'elle était une procédure légale justifiée par la nécessité de rétablir l'ordre : « Ceux iqui ont donné leur sang pour la cause nationale ont contre eux l'oubli, l'inertie, la canaillerie des financiers et des mauvais magistrats, et aussi leur propre aveuglement qui est une semi-confiance dans la démocrati e. La révolution leur tend les bras, mais pour mieux les étouffer. Seul e la réaction, au sens plein du mot, est capable de leur conférer leur part antérieurement refusée, en assurant l'ordre de la cité. De cette idée naquit le principe de la Quaestio repetundarum, ou Tribunal des Reprises. . Λ
4 Hugo, Les Châtiments VII, 17, w. 56-64. 5 L. Daudet, Sylla et son destin. Récit de jadis et de toujours, Paris, 1922, p. 200. Ouvrage dédié «Aux Français clairvoyants» dans lequel on ne manquera pas de lire la description de la séance du sénat au cours de laquelle Sylla fit décider par un vote assis / debout l'élimination de « deux-cents chevaliers - sénateurs traîtres engraissés des libérali tés de Mithridate et de ses gouverneurs et intendants asiatiques » : « A sa gauche se tenait le groupe compact des chevaliers parmi lesquels tous ses ennemis jurés, et dont il connaissait un à un les visages torves et hypocrites, grâce à son excellente mémoire en
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On devrait montrer, enfin, que la proscription est si bien intégrée à notre univers culturel, auquel elle a donné des mots très vivaces (au point que l'emploi figuré de proscrire a largement supplanté celui de bannir) que son exemple vient tout naturellement aussi bien pour évo quer un marchandage, un «échange de têtes» comme il peut s'en pro duire pour une élection à l'Académie française («. . . quelques-uns vou laient convaincre Malraux de se présenter et ils disaient à leurs confrè res : ' Donnez-nous Malraux. Nous vous donnerons Montherlant ! ' Je croyais que ces marchandages ne se faisaient que pour les fusillés (déjà dans les proscriptions d'Octave, ceux qui dressent les listes de condamn és marchandent de la sorte)»6 que pour rappeler les horreurs qu'a engendrées une certaine conception du socialisme: «L'expérience la plus sanglante de l'histoire - le stalinisme plus le nazisme, le goulag plus les KZ - aura été vaine. L'idole d'un socialisme mythique, à laquell e des millions d'hommes ont été sacrifiés, continuera d'inspirer les enthousiasmes, les proscriptions et les massacres, et ces constructions pyramidales qui retombent sur les travailleurs». (J. M. Domenach, «Un socialisme équivoque», Le Quotidien de Paris, 4 septembre 1981). Les pratiques de certains régimes dans le monde contemporain donnent d'ailleurs à penser que le vocabulaire de la proscription n'est pas à la veille de s'affadir. * * * On pourrait faire un beau livre avec tout cela; ce n'est pourtant pas celui que nous avons entrepris d'écrire. Mais nous ne prétendons pas non plus réaliser, avec le présent tra vail, une synthèse interprétative sur le recours à la violence dans l'exer-
dépit de ses nombreuses absences et expéditions. Au centre, les modérés et libéraux, bien moins nombreux qu'auparavant, le considéraient avec des faces assez rouges, à la façon de gens qui auraient mal dormi, ou que relanceraient des hémorroïdes. En tout, une ci nquantaine de résignés, jouets alternatifs de la révolution et de la contre-révolution. A droite et au centre droit on remarquait les trois cent cinquante partisans de l'ordre et de la cité, dévoués au dictateur et à sa cause, et soumis à sa volonté, en y ajoutant la leur. Un peu plus bas et plus loin, entre les travées, se pressait le public ordinaire des grandes séances, surveillé par les huissiers vigilants. (. . .) » (p. 208). 6 Montherlant, «Autour d'une lettre académique», Arts, 2 février 1955 (repr. in Le Fichier parisien, Paris, 1955, 205-213).
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cice du pouvoir; simplement il se trouve que, dans l'histoire des épurat ionspolitiques, les deux proscriptions offrent l'image unique de la vio lence absolue légalisée. Par sa nature, la proscription est, au sens pro pre du terme, une procédure d'exception, mais elle semble avoir été intégrée au système répressif ordinaire à la fois par le fait que ses conséquences ont été pérennisées et par le fait qu'elle fut renouvelée quelque quarante années après sa première application. Et c'est préci sément cette apparente constitution d'un «Notstandrecht» qui lui confère son caractère de violence absolue. Il nous a donc paru nécessaire de vérifier la pertinence de cette image en tentant d'établir les faits qui restent encore bien mal connus : tout se passe comme si la fascination qu'ont exercée des événements si extraordinaires, fascination dont témoigne la très féconde création de représentations littéraires et artistiques, avait dispensé d'un examen plus attentif. Un rapide survol de la production scientifique sur ce sujet suffit, en effet, à constater que la proscription est davantage le thème d'un exemplum connu que l'objet d'une étude systématique. Une première constatation s'impose, à l'examen de la bibliographie dans son ensemble : à la différence de ce qui se passe pour la seconde qui est parfois traitée de façon autonome, la première proscription n'a jamais fait, à notre connaissance, l'objet d'une étude spécifique : les seules recherches spécialisées dont on dispose sur cette question sont les deux travaux de C. Lanzani, datés de 1931 («La rivoluzione sillana», Historia V, 1931, 351-382) et de 1936 {Lucio Cornelio Siila dittatore, Milan, 380 pages) dont nous aurons l'occasion de contester les conclus ions,mais qui eut l'immense mérite, selon nous, de poser les questions importantes que sont le nombre des victimes ou la chronologie des évé nements consécutifs à la victoire de la Porte Colline. Pour le reste, l'examen de la première proscription est toujours intégré à un tableau plus vaste qui embrasse toute la période ou à une recherche plus étendue, historique ou juridique (comme celle d'E. Betti, dans le chapitre de son grand ouvrage encore inédit sur la Crise de la constitution républicaine et la genèse du principat, qu'il sépa ra pour publication en 1915; le troisième paragraphe est une discussion sur les fondements juridiques de l'action de Sylla : « L'imperium discre zionale e le proscriptiones», 195-216), et qui englobe parfois les deux proscriptions. Et surtout elle intervient dans les ouvrages où elle entre, pour une part importante, dans le jugement qui est porté sur Sylla et sur sa personnalité. Il est d'ailleurs très significatif que ce jugement soit, le plus souvent, développé avant que ne soit décrite la proscrip-
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tion : c'est sensible en particulier chez Th. Mommsen qui tente d'expli querle contraste entre la politique de conciliation menée jusqu'alors par Sylla et la mise en œuvre du carnage de 4.700 personnes. Selon lui, c'est l'acharnement des marianistes à refuser tout accord, alors que Sylla «n'avait ni souhaité ni recherché l'office difficile et cruellement sanglant de la restauration», qui a fini par avoir raison de sa patience. L'historien allemand assure la transition entre les tentatives de négocia tion et la proscription par un « Nun war es genug ! » qui est presque une justification (Römische Geschichte, IV, chap. 10). Cette démarche est aussi celle de V. Duruy (Histoire des Romains depuis les temps les plus reculés jusqu'à l'invasion des barbares, 2de éd. Paris, II, 1880, chap. 47) même si la vision qu'il donne de Syllâ est quel que peu différente : «Sylla est de cette famille d'impitoyables niveleurs qui, de sang froid, sans haine ni colère, brisent et broient pour unir : le Richelieu de l'aristocratie». Elle est encore celle de G. Ferrerò «.(Gran dezzae decadenza di Roma I, Milan, 1902, chap. V) qui présente, lui, une véritable caricature du dictateur : «... questo orgoglioso, freddo, insensibile sibarita, naturalmente brutale come tutti gli uomini troppo avidi di piaceri sensuali, e che, esasperato dalla terribile lotta in cui per poco non era perito, odiava ormai ferocemente i suoi nemici e disprez zava tutto il genere umano, diventò, per calcolo e per vendetta, un carnifice». D'une certaine façon, enfin, c'est aussi la démarche de J. Carcopino avec cette différence toutefois que celui-ci «escamote» curieusement ce qu'il appelle «l'abattoir des proscriptions», qui n'est là que pour mémoire dans le premier chapitre de son Sylla ou la monarchie manquée (Paris, 1931) dans lequel il tente de résoudre Γ« énigme de Sylla» en reproduisant le portrait qu'en donne Salluste; pour trouver un tra itement de la proscription par J. Carcopino, il faut aller lire les deux pages qu'il consacre au «massacre organisé» dans le manuel de la col lection Glotz, où se trouve réaffirmée sa vision d'une «monarchie manquée» : «Pour que cette œuvre ne pût être ni contrariée maintenant ni, plus tard, compromise, Sulla voulut extirper jusqu'aux racines de l'op position. . .» (Des Gracques à Sulla, Paris, 1935, 451-452). Cette façon de faire est assez remarquable parce qu'elle implique que la proscription est un phénomène bien connu à propos duquel le seul vrai problème est de savoir comment on peut le justifier par rap port au projet d'ensemble du dictateur, à sa «constitution» qui a absor bé presque toute l'attention des historiens. Cela ne signifie pas qu'on ne puisse pas trouver des éléments d'analyse sur tel ou tel aspect particu-
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lier : Mommsen présente, dans une note, une discussion sur les chiffres de victimes transmis par la tradition; A. Piganiol a, lui, donné des indi cations qui nous paraissent importantes sur le nombre de listes (La Conquête romaine, Paris, 1927, chap. 6, § 5) Mais cela reste inévitabl ement limité. Dans le même temps on ne peut d'ailleurs pas ne pas remarquer l'usage «extensif » qui est fait par certains historiens modernes du voca bulaire désignant la proscription. Déjà Ch. du Rozoir (Précis d'Histoire romaine, Paris, 1828, IIIe période, chap. 7) parlait des proscriptions marianistes; il a été suivi en cela par de nombreux historiens qu'il n'est pas question d'énumérer ici. Citons simplement ce savant contempor ain qui évoque les «proscrizioni dell'anno 87» décidées par Marius (S. Lanciotti, «Siila e la tipologia del tiranno nella letteratura latina repubblicana», Quaderni di Storia 6, 1977, 129-153 §8, 1978 191-225). D'autres ont appliqué ce vocabulaire à l'élimination des 12 ennemis de l'année 88 : G. Ferrerò, qui affirme «dodici capi della rivoluzione furo no proscritti»; mais surtout A. Biscardi («Auctoritas patrum», BIDR 5758, 1953, 267, n. 68) qui se justifie en expliquant qu'il suit en cela l'usa ge antique représenté par Eutrope (ce qui est une erreur). En l'occur rence, il ne s'agit pas d'un abus de langage : s'il y a abus de langage, c'est dans l'utilisation du substantif au pluriel (les proscriptions, pros crizioni. . .) au lieu du singulier normalement attendu. En fait, c'est la conception même de la proscription qui est en cause. A. Biscardi mont rebien que, pour lui, elle n'est qu'une façon de caractériser une épu ration politique quelle qu'elle soit, ce qu'en d'autres termes avait dit L. Homo en écrivant : « II y avait eu des proscriptions lors du coup d'Etat de Sylla en 88, après la reprise de la ville par Cinna et Marius en 87, enfin, tout récemment encore, en 82, avant la grande débâcle démoc ratique» («Sylla» in Hommes d'État; Paris, I, 1936, 303). En définitive ce qui caractérise la proscription de Sylla, dans cette perspective, c'est à la fois le caractère systématique de l'épuration et son ampleur. Or ni l'une ni l'autre caractéristique ne nous paraît avoir reçu un traitement complet. Pour ce qui est de la seconde, elle est qua si-unanimement affirmée, mais nulle part nous n'avons trouvé un cata logue des noms de proscrits connus par les sources et, surtout, la plu part des études qui traitent du chiffre global de victimes concluent par un non liquet, comme nous le verrons. Le résultat est, évidemment, qu'on s'appuie ordinairement sur les chiffres les plus élevés dont on puisse avoir connaissance et qu'on dépeint la proscription comme «the reign of terror in which hundreds, perhaps thousands were arbitrarily
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killed» (E. Badian, «Lucius Sulla; the Deadly Reformer», The Todd Memorial Lectures, Toronto, 1976, 35-74, ici 53). Très gênante est l'absence de catalogue aussi bien pour apprécier la portée politique d'ensemble de la proscription que pour vérifier un point plus limité comme la prétendue haine de classe qui aurait animé Sylla contre les chevaliers : Ch. Meier (Res Publica amissa Eine Studie zu Verfassung und Geschichte der späten römischen Republik, Wiesba den, 1966, 253-254 n. 31) est contraint de s'appuyer sur «ein einzelnes zufällig bekanntes Beispiel», celui de Cn. Titinius. Mais surtout si beaucoup d'historiens sont amenés à reconnaître et à affirmer la profonde saignée qu'une telle mesure avait opérée dans le corps politique romain, ils se trouvent dans l'incapacité d'en apprécier la gravité réelle faute de pouvoir disposer d'une liste, même très incomp lète.De ce point de vue, la démarche d'E.S. Gruen nous paraît tout à fait caractéristique : ce savant consacre, au début de son très important ouvrage, The last Generation of the Roman Republic (Berkeley, 1974), quelques pages à ce qu'il appelle «the Sullan Blueprint»; toutefois il examine alors non pas les familles qui ont été frappées par la proscrip tion mais, au contraire, celles qui se sont ralliées à temps et qui ont donc été épargnées (p. 7). Plus avant dans son ouvrage (pp. 411-416), E. S. Gruen est amené à reprendre à grands traits l'histoire des reven dications pour une amnistie des victimes de Sylla et à déduire, faute de disposer d'éléments précis et surtout de noms de personnages concern és, que c'était plutôt là un thème de propagande permettant à cer tains, notamment à César, de se présenter comme populäres. Il conclut d'ailleurs en affirmant: «It is clear that the political victims of Sulla did not constitute a significant pressure group which could seriously threaten the peace of the city» (p. 416). Au total les tentatives faites par D. R. Shackleton-Bailey («The Roman Nobility in the Second Civil War», CQ. 10, 1960, 253-267), T. P. Wiseman (New Men in the Roman Senate, 139 B.C. - 14 A.D, Oxford, 1971) et H. Bruhns (Caesar und die römische Oberschicht in den Jahren 49-44 ν. Chr., Göttingen, 1978) pour reconstituer une liste des fils de proscrits, de ceux dont les sources nous apprennent qu'ils furent privés du droit de gérer les magistratur es jusqu'à ce que César assure leur réhabilitation, tendent à prouver que le savant britannique n'a pas tort : ils sont bien peu nombreux (8 dans la liste de H. Bruhns) et ce lui a été une occasion de réaffirmer son idée, dans le compte-rendu qu'il a donné récemment de l'ouvrage de H. Bruhns (Gnomon, 1980, 585-587).
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On observera d'ailleurs, en sens inverse, que la tentative faite il y a peu pour réévaluer l'importance des liberi proscriptorum en dressant un catalogue des personnages dans cette situation et en examinant plus précisément leur sort (V. Vedaldi-Iasbez, «I figli dei proscritti sillani», Labeo 27/2, 1981, 163-213), par le fait même qu'elle considère ces liberi proscriptorum comme une question en soi et qu'elle isole, était inévit ablement vouée à l'échec : faute d'avoir donné préalablement un conte nu à la notion de proscription et, corrélativement, d'avoir dressé le catalogue de ceux qui ont été proscrits, la liste de « fils de proscrits » qui constitue la partie centrale de ce travail (183-207) n'est évidemment pas cohérente. D'une part, en effet, l'auteur est amené à faire de Cinna un proscrit « in memoriam » (sic) pour expliquer la présence attestée de son fils au nombre des liberi proscriptorum ; d'autre part elle est conduite à compter dans cette catégorie des personnages qui, de toute évidence, n'ont rien à y faire (comme P. Sulpicius Rufus, préteur de 48 dont elle fait le fils du tribun déclaré hostis publicus et exécuté en 88); enfin elle est passée à côté de certains descendants de proscrits, et non des moin dres (M. Iunius Brutus, entre autres). Pour en revenir au deuxième caractère dominant de la proscription de Sylla, son aspect «systématique», il est réputé appartenir au domai ne du connu. Très significatif, à cet égard, est l'ouvrage récent de R. F. Rossi (Dai Gracchi a Siila, Bologne, 1980) qui, se proposant de fai re une histoire pour des lecteurs qui connaîtraient déjà les faits, pré sente une sorte d'«état des questions»: selon lui la proscription n'est pas - n'est plus? - une question puisqu'elle n'apparaît ni dans le texte ni dans la bibliographie. Même attitude, mais encore plus nette, peutêtre, chez un juriste allemand (E. L. Grasmück) qui, dans un ouvrage sur Yexilium, consacre un chapitre à Vaqua et igni interdictio et expli quele statut de Yinterdictus par comparaison avec celui du proscrit (Exilium. Untersuchungen zur Verbannung in der Antike, Paderborn, 1978, 66 & n. 20) à propos duquel il renvoie à l'article de la Realencyclopädie rédigé par M. Fuhrmann (dans les «Nachträge» du volume XXIII, s.u.) mais sans citer les pages fondamentales consacrées par J. L. Strachan-Davidson à cette question (Problems of the Roman Crimi nal Law, 2 vol. Oxford, 1912, II, chap. XV, 16-50). Or le proscrit comme catégorie juridique évidente sinon définie est en fait le résultat d'un amalgame entre les deux proscriptions, celle de 82 et celle de 43, amalgame qui se trouve presque partout, qu'il soit impliqué par le raisonnement (comme chez E. L. Grasmück qui, au
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détour d'une note, explique que les deux proscriptions avaient pour moteur des considérations financières : « Die Ächtung umfasste die Konfiscation des Vermögens. Die finanzielle Motive haben bei der Prosckription durch Sulla wie bei der durch Antonius i. J. 43 eine erhe bliche Rolle gespielt» - p. 108 n. 38) ou que l'assimilation soit explicit ement formulée. C'est le cas dans les dix pages que S. von Bolla a consa crées à l'interférence de la proscription dans le droit successoral (Aus römischen und bürgerlichen Erbrecht, Vienne, 1950, 25-36) où la forme même de la première proscription est déduite de celle qu'emprunta la seconde : un édit (p. 26); ce l'est encore dans le travail que L. Canfora a récemment publié sur les événements de 43 : «II fenomeno delle pros crizioni verrà perciò visto unitariamente per quel che accomuna, sul piano delle modifiche strutturali, le proscrizioni sillane e quelle triumv irali». («Proscrizioni e dissesto sociale nella repubblica Romana», Klio 62, 1980, 425-437, ici 425). Cette tendance assez générale s'explique essentiellement par deux raisons : nous connaissons bien mieux la seconde proscription, notam mentgrâce à Appien, et il est naturel d'imaginer qu'elle a dû se model er sur la première. Mais surtout le fait que cette procédure exceptionn elle semble avoir atteint les limites de l'horreur et que, par la suite elle n'ait pas été renouvelée, a incité à rechercher une cohérence «rétros pective», en quelque sorte, cohérence d'autant plus tentante que la proscription se trouve aux deux extrémités de la guerre civile et qu'elle a frappé chacun des deux groupes politiques qu'on représente se dispu tantle pouvoir. L'idée était déjà en germe chez Voltaire : «La dernière proscription fut celle d'Antoine, d'Octave et de Lèpide; elle ne fut pas plus sanguinaire que celle de Sylla. Quelque horrible que fût le règne des Caligula et des Néron, on ne voit point de proscriptions sous leur empire; il n'y en eut point dans les guerres des Galba, des Othon, des Vitellius». (Des Conspirations contre les peuples, 1767). Elles est clair ement exprimée chez V. Duruy : « Par cette inexorable fatalité des expia tions historiques que nous avons si souvent signalée dans le cours de ces récits, le parti sénatorial allait subir la loi qu'il avait faite au parti contraire. . .» (III, 1881, chap. 59). L'information meilleure dont nous disposons sur la seconde pros cription explique aussi qu'on trouve une bibliographie spécifique qui n'existait pas pour la première. La production scientifique sur les évé nements de la fin 43, qui n'est pas très abondante malgré tout, est essentiellement dominée d'un côté par les deux articles de H. Bengtson
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(«Zu den Proskriptionen der Triumvirn» SBAW 1972, 3-38) et de L. Canfora (cit.) et, dans une perspective un peu différente, à la fois par les quelques pages que M. A. LEVI (Qttaviano capoparte, Florence, 1933, 2 vols) a consacrées à ce sujet et par le chapitre que sir Ronald Syme a écrit sur «Les Proscriptions», en 1939, dans sa Révolution romaine (Chap. XV = pp. 182-194 de l'éd. française, Paris, 1967) en se fondant sur les résultats d'une très utile dissertation de la fin du siècle dernier qui, notamment, établissait un catalogue de 113 proscrits: H. Klövekorn, De Proscriptionibus a.a. Chr. n. 43 a M. Antonio, M. Aemilio Lepido, C. Iulio Caesare Octauiano triumuiris factis (. . .) Regimonti, 1891. Les problèmes qui se posent sur cette seconde proscription sont donc un peu moins nombreux que ceux qui concernent la première. Mais ils ne sont pas de nature tellement différente : de quelle ampleur fut l'épuration? Qu'est-ce qui en fut le principal moteur? Ce qui est frappant c'est que sur ces deux questions les indications qui se trouvent dans nos sources et qui viennent des Triumvirs eux-mêmes sont unani mement négligées. Tout se passe, en fait, comme si ceux qui avaient mis en œuvre une mesure aussi monstrueuse ne pouvaient que fournir des indications fausses lorsqu'ils étaient amenés à éclaircir les raisons de leur recours à la proscription ou à donner un ordre de grandeur pour le chiffre total de leur victimes. Ils ont eu beau protester qu'ils feraient périr moins de gens que n'en avait tués Sylla, la science moderne les crédite de chiffres beau coup plus importants; et ils ont bien pu annoncer qu'ils proscrivaient pour venger César, on ne les croit pas et on les accuse d'avoir surtout voulu se procurer de l'argent. Et ce qui est tout à fait frappant, dans le même ordre d'idées, c'est que malgré la très claire mise au point de R. Syme qui a montré que si Octave était souvent excusé sinon absous de sa participation au massacre, on le devait à une active propagande d'époque augustéenne, des travaux comme ceux de S. von Bolla ou de E. L. Grasmück continuent de présenter la proscription de 43 comme un édit d'Antoine tandis que d'autres, plus insidieusement, adoptent un classement des Triumvirs qui reproduit non pas l'ordre officiel tel qu'il est connu par ailleurs, (M. Lepidus, M. Antonius, Octauius Caesar App., B.C. IV, 8) mais l'importance supposée de leur participation à la proscription (H. Bengtson, p. 3) : «... die von den Triumvirn Antonius, Lepidus und Octavian beschlossenen Proskriptionen. . . »
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Dès lors qu'on a établi ces quelques constatations sur la production scientifique, il reste à définir le plan de l'ouvrage, c'est-à-dire la métho de à suivre pour établir les faits en discussion. Or la première exigence qui paraît s'imposer, sur un tel sujet, est de traiter la proscription comme un phénomène original, c'est-à-dire d'une part de montrer en quoi Sylla innovait lorsqu'il pratiqua ce genre d'épuration et d'autre part, d'analyser chacune des étapes de cette pro cédure moins, sans doute, pour en souligner les liens - très évidents avec les pratiques antérieures que pour en rechercher la cohérence interne. Mais si la proscription est une procédure originale, il nous semble, dans le même temps, qu'il est nécessaire de traiter chacune de ses deux occurrences de façon séparée. Nous ne sommes pas assurés que les procédures étaient identiques et, en tout état de cause, présupposer qu'elles l'étaient c'est nier qu'une évolution avait pu se produire de l'une à l'autre, c'est partir du principe que la situation dans laquelle la seconde intervenait était la même que quarante années plus tôt. Si donc on veut se donner la possibilité d'apercevoir les modifications des com portements ou des mentalités apportées par la première proscription, il faut étudier la seconde comme un objet propre en observant que les ressemblances ou les similitudes relèvent, elles aussi de l'analyse. Enfin il nous est apparu qu'il était nécessaire d'établir un catalo gue aussi complet que possible des proscrits. Il nous a semblé d'une part que c'était indispensable pour tenter d'apprécier la marque laissée dans les classes supérieures de la République romaine : il n'existe aucu ne liste pour 82 et celle de H. Klövekorn peut être utilement complétée (en tenant compte des auteurs qu'il a négligés comme Cornelius Nepos ou Velleius Paterculus). On a pensé pouvoir par ce moyen, apporter une vérification aux affirmations de la science contemporaine qui com mençait à douter de l'importance de la première proscription: «The first proscription list contained only forty senatorial names. . . And though Appian says that more were added, no other number is given anywhere. . . There cannot have been many more». (E. Badian, «Wait ingfor Sulla», JRS 52, 1962, 47-62 = Studies in Greek and Roman His tory, Oxford, 1968, 206-234, ici 211).
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D'autre part il nous avait semblé qu'il n'était pas de bonne métho de d'entreprendre une analyse des conséquences de la première pros cription et notamment de tenter d'établir une liste des fils de proscrits sans chercher à savoir préalablement qui avait été proscrit. De ce point de vue les conclusions de E. S. Gruen et de H. Bruhns nous parais saient paradoxales : tout en reconnaissant un impact important à la proscription, ils en nient les conséquences faute d'avoir trouvé beau coup de noms de liberi proscriptorum. Cette contradiction nous amène d'ailleurs à faire deux dernières observations sur ce que, par commodité, nous appellerons nos «Prosopographies», c'est-à-dire, nos deux catalogues de proscrits. Il est clair d'abord qu'établir des listes de personnages compris dans une épurat ion ne veut pas dire qu'on prétend avoir recours à la «méthode prosopographique»: les personnages dont on s'occupe sont, pour certains trop bien, pour d'autres trop peu connus, ils constituent un groupe «ac cidentel» et ne se prêtent donc pas à un traitement comparable à celui qui est possible, en histoire sociale, pour des listes de chevaliers ou de sénateurs (et sur cette question nous ne pouvons que renvoyer à la syn thèse présentée par C. Nicolet devant le Ve congrès de la FIAEC : « Prosopographie et histoire sociale : Rome et l'Italie à l'époque républicai ne», parue dans Annales E.S.C. 1970, 1209-1228). Mais surtout la pros cription est une mesure qui frappe des individus et des familles notam menten abolissant leur souvenir : ceux dont nous avons encore le nom ne sont pas les plus représentatifs de l'ensemble. Dans ce cas nous som mes donc au-delà du point limite d'application de la méthode prosopographique, en un domaine où elle peut se révéler trompeuse : il nous semble que E. S. Gruen et H. Bruhns n'ont pas vu le risque et ont été trompés. Nous étudierons donc successivement les REALITES de la premièr e proscription en distinguant la procédure proprement dite de la mesure légale qui en a fixé les conséquences, puis ses INFLUENCES c'est-à-dire à la fois son «importance» immédiate et ses conséquences à plus long terme. La seconde proscription, présentée comme une RE SURGENCE, fera l'objet d'une étude séparée au cours de laquelle on examinera et son déroulement propre et sa signification dans la société de 43. L'étude de chacune des deux proscriptions sera accompagnée d'un catalogue de proscrits, le premier comportant 75 noms, le second 160.
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On le voit, notre projet est limité en ce qu'il est d'abord descriptif : nous avons, pour le moment, dégagé notre étude de chacune des deux proscriptions d'une vision plus large de l'œuvre de Sylla ou de celle des Triumvirs aussi bien que nous l'avons isolée du tableau plus complet des pratiques d'épuration dans le monde romain. Ce sont des sujets sur lesquels nous nous réservons de revenir ultérieurement. Mais qu'on y prenne garde : la modestie du propos était nécessaire pour une mesure d'autant moins connue et d'autant moins facile à connaître qu'elle a été sanglante et qu'elle a été couverte par une abon dante littérature polémique ou moralisatrice. Il n'est d'ailleurs pas certain que même une tentative pour décrire, en dehors de toute préoccupation partisane, une procédure qui a consisté à décapiter des chevaliers et des sénateurs du Peuple Romain et à laisser se décomposer leurs têtes au soleil du forum, soit sans ris que. On se souvient des précautions que Mommsen avait prises avant d'expliquer l'attitude de Sylla : «Je n'offenserai pas la Sainte Figure de l'Histoire, et mon éloge ne sera pas un tribut corrupteur payé au génie du mal, si je démontre que Sylla eut bien moins à répondre de sa res tauration que l'aristocratie elle-même. . . ». De quelles précautions ne conviendrait-il pas de s'entourer pour annoncer qu'on va expliquer aussi la proscription des Triumvirs!
RÉALITÉS
CHAPITRE I
PROCÉDURE DE LA PREMIERE PROSCRIPTION
«Cette ostentation de légalité, cette barbarie systémati que fut ce qu'il y eut de plus insolent et de plus odieux dans la victoire de Sylla. Marius avait suivi sa haine en furieux, et tué brutalement ceux qu'il haïssait. Les massac resde Sylla furent réguliers et méthodiques». Michelet, Histoire Romaine, 4e éd., Paris, 1866 (II, 221). Si l'on veut étudier les mécanismes de la procription, qu'il s'agisse de celle de Sylla ou de celle des triumvirs, il convient de faire une remarque préalable sur le vocabulaire que l'on compte utiliser : la lan gue française - comme l'anglaise, l'allemande et l'italienne - utilise deux termes différents («afficher» et «proscrire») là où le latin n'en uti lise qu'un seul, proscribo, avec le substantif correspondant proscriptio. Pour nous, le verbe proscrire n'a emprunté que la valeur politique de proscribere et, dans notre vocabulaire, la proscription désigne «une condamnation à mort sans forme judiciaire, et qui peut être mise à exé cution par quelque particulier que ce soit»1. Il est clair que ces calques n'ont été constitués que pour rendre la valeur spéciale qu'ont prise les mots latins à la suite des troubles civils du premier siècle avant J.-C.2. Or en latin proscribo et proscriptio servent à désigner aussi tout ce que nous recouvrons du terme général d'affichage. Il résulte de cette différence linguistique un déséquilibre certain dans la façon d'envisa ger les mesures qui nous intéressent : à nos yeux, la proscription est 1 Dictionnaire de l'Académie française (5e éd., Paris 1825, s.w.) Le Littré reprend cette définition en précisant qu'il s'agit d'un terme d'antiquité romaine. Il ajoute que, par extension, le terme désigne «des mesures prises contre les personnes dans le temps des troubles civils». 2 La même dualité des termes existe aussi en allemand, par exemple, où l'affichage d'un débiteur se dit die Anschreibung des Schuldners et la proscription die Proskription. Vid. aussi l'anglais : to post / to proscribe et l'italien : publicare / proscrivere.
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une mesure politique bien précise qui consiste, au temps des guerres civiles, en l'élimination des vaincus et de leurs complices dont on affi che les noms et dont on met les têtes à prix. Et cette mesure nous paraît d'autant plus étrange qu'elle ne nous semble rattachée à aucune coutume qui pourrait en expliquer l'origine, faute d'un vocabulaire cohérent. En latin, au contraire, le terme unique proscriptio désigne, nous l'avons dit, toute une série d'opérations d'affichage avant d'être utilisé pour caractériser la mesure politique qui nous intéresse et qui n'est donc qu'une forme particulière d'affichage. Il nous faut donc, à la recherche de la signification profonde des proscriptions du premier siècle, nous interroger au préalable sur ce que nous pourrions appeler «les autres formes de proscription».
L'AFFICHAGE II est tout à fait naturel qu'une société où l'écrit, faute sans doute d'une technologie suffisante, ne connaît qu'une diffusion restreinte et qui, dans le même temps, est une société de la représentation, de l'o stentation, dans laquelle les mérites qu'on a n'existent pas s'ils ne sont pas proclamés, donne une place très importante au procédé de publica tion simple que constitue l'affichage, que cet affichage soit conçu com me un moyen de diffuser des informations officielles ou privées, ou qu'il permette de constituer, dans une large mesure, l'image sociale que les représentants de la classe dirigeante veulent offrir d'eux-mêmes et de leur gens. Et il en est bien ainsi à Rome où tout est objet d'affichage, quelle qu'en soit la forme : il est clair en effet, qu'une inscription gravée sur un socle de statue n'a pas la même fonction qu'une annonce peinte au minium sur une planchette blanchie ou qu'un grafitte dessiné sur un mur, à plus forte raison; mais ce qui nous importe, en l'occurrence, c'est, par delà la différence des supports et, par conséquent, par delà l'importance des vestiges que chacune de ces formes nous a laissés, le foisonnement extraordinaire des «affiches» ou annonces de tout ordre qui devaient solliciter le regard non seulement du Romain, mais aussi de tout habitant d'une ville d'Italie ou de Grèce3.
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3 Pour une évocation du foisonnement de l'affichage dans le monde grec uid. L. Ro art. Epigraphie in L'Histoire et ses méthodes, Paris, 1961, notamment p. 457.
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D'une façon générale, on peut considérer que l'ensemble du phéno mène d'affichage recouvre deux domaines particuliers. Tout d'abord celui qui a laissé les vestiges les plus importants mais qui n'est pas celui qui nous intéresse ici parce qu'il ne relève pas de la proscription : il s'agit des inscriptions, gravées pour la plupart. Le second domaine d'affichage est celui dont relève la proscrip tion : il s'agit de l'affichage de documents, surtout de documents offi ciels, qui concernent la vie et l'organisation de la cité. Il n'est pas ques tion de faire un catalogue exhaustif de tout ce qui fait, à Rome, l'objet d'un affichage : qu'on songe, par exemple, à X album du grand pontife sur lequel étaient inscrits, pour chaque année, le nom des consuls et des magistrats et les événements remarquables4, qu'on songe aux lois, ou tout au moins aux rogationes5, aux listes officielles de sénateurs6 (établies par les censeurs) ou de candidats7, aux réjouissances publi ques8, à l'annonce des jours de marché . . Λ
4 Cic, de Orat. II, 12, 52 : ... res omnes singulorum annorum mandabat Utteris pontifex maximus referebatque in album et proponebat tabulant domi, potestas ut esset populo cognoscendi. 5 Une proposition de loi est affichée le jour de la promulgano pour que chacun puisse en prendre connaissance. Sur l'affichage de la loi, uid. Festus, p, 277 L : Lex fixa in atrio libertatis cum multis aliis legibus incendio consumpta est, ut ait Cato . . . Encore faut-il remarquer que l'affichage d'une loi ne constitue nullement une publication préalable à laquelle son entrée en application serait soumise. (Vid. Rotondi, s.a. 62 : lex Iunia Licinia de Legum lattone et l'article Lex de Tibiletti in Diz. Epigr. Tous ces problèmes sont réexa minés par M. W. Frederiksen, «The Republican Municipal Laws : Errors and Drafts», JRS 55, 1965, 183-198. 'sur l'Album senatorum, uid., entre autres, Liu. XXXIX, 37; XXIII, 23. Dion Cassius (frgt. 109, 14) indique que la proscription de Sylla fut prise, au début, pour l'affichage ordinaire d'une liste de sénateurs ou de soldats : Τά τε γαρ πινάκια ώσπερ τις αναγραφή βουλευτών ή κατάλογος στρατιωτών νομιζομένων έξετίθετο ... On peut aussi penser à l'album iudicum ou à l'album decurionum. 7 Tab. Hebana, 11. 20-21 : ... item tabulas dealbatas in quib(us) nomina candidatorum scripta sint quo loco commodissime legt / possint, ponendas curet . . . 8 Dion Cassius (frgt. 109,14) explique que les listes de proscription ont pu passer pour des annonces de «bonnes nouvelles» : ... καθάπερ τινά χρηστήν έπαγγελίαν έχοντα. Vid. aussi les annonces de combats de gladiateurs - encore qu'il ne s'agisse pas de documents officiels. P. Sabbatini Tumolesi, «Gladiatorum paria». Annunci di spettacoli gladiatorii a Pompei, Rome, 1980, qui rassemble toutes les inscriptions de Pompéi sur ce sujet. 9 CIL, IV, 4182: Nerone Caesare Augusto / Cosso Lentulo Cossi fil. cos. / VIII idus Febr(u)arias / die solis, luna XIIIIX, nun(dinae) Cumis, V (idus Februarias) nun(dinae) Pompeis.
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Pour ce type d'affichage, on trouve deux termes concurrents : proscribere et proponere. Le second fait référence à l'affichage proprement dit, c'est-à-dire à l'installation du support sur lequel est écrit le texte auquel on veut donner une publicité. Proscribere, en revanche, renvoie à la rédaction d'un texte soumis à publicité et souligne donc la respons abilité du rédacteur. La différence d'emplois se marque assez nett ement dans le texte de la lex Malacitana à propos de la désignation des candidats au cas où le nombre en serait inférieur au nombre des char gesà remplir : dans un premier temps, le magistrat qui devra présider les comices est appelé à afficher les noms de personnages dignes d'être candidats : ... turn is qui comitia ha / bere debebit proscribito ita u(t) d(e) p(lano) r(ecte) l(egi) p(ossint), / tot nomina eorum, quibus per h(anc) l(egem) / eum honorem petere licebit, quoi de / runt ad eum numerum ad quem ere / ari ex h(ac) l(ege) oportebit 10. Ces personnages pourront à leur tour nommer chacun un autre candidat possible et les nouveaux nommés auront la possibilité d'en faire autant. Pour finir, le magistrat fera afficher la liste récapitulative de ces « candidatures » : ... isque, aput quem ea nominano fac / ta eût, eorum omnium nomina pro / ponilo, ita ut d(e) p(lano) r(ecte) l(egi) p(ossint) . . .n. Les deux opéra tionssont de nature différente et les termes employés (proscribo dans le premier cas, propono dans le second) le marquent bien. Il reste que, dans toute cette matière d'affichage, il est quelquefois difficile de faire la part de ce qui est officiel de ce qui ne l'est pas, parce que la proscription ne se limite pas, bien entendu, à la seule publication des annonces légales, mais qu'elle recouvre aussi d'autres formes d'affichages qui, si nous en croyons les textes littéraires, de vaient connaître un certain développement et qu'il ne faudrait pas négliger faute de vestiges suffisants : il s'agit de tout ce que nous pour rions appeler «les petites annonces» qui signalent la perte d'un objet12,
i0FIRA I2, p. 209 (= CIL II, 1964), 11. 7-12. 11 Ibid. 11. 19-21. 12 Propert. III, 23, 23-24 : /, puer, et chus haec aliqua propone columna, / et dominum Esquiliis scribe habitare tuum, ordonne le poète qui a perdu ses tablettes et qui veut qu'on affiche un « avis » sur une colonne pour qu'on les lui rapporte. CIL IV, 64 donne un bon exemple de ce genre d'annonce : Urna aènia percit de taberna / seiquis rettulerit, dabuntur / HS LXV . . .
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signalent une lecture publique13 ou une vente volontaire14, proposent une location15. . . Mais les termes qui désignent cette opération d'affichage, proscribere et proscriptio, ont développé, du fait de leur utilisation privilégiée dans le domaine du droit, une valeur particulière : l'annonce d'une vent e,et plus spécialement encore d'une vente sur saisie : Est enim proscribo palam et aperte scriptum porto, ut cum bona alicuius proscribo 16. Cet tedéfinition d'un grammairien nous montre bien l'importance qu'a pu prendre ce type d'emploi. Les ventes dont il s'agit peuvent être celles «d'un bien grevé d'hypothèque par un créancier hypotécaire»17, ou tout simplement celle de la totalité des biens d'un insolvable. Cette spéciali sationdans les emplois a teinté les termes d'une valeur dépréciative marquée : l'insolvabilité étant, dans tous les cas, suivie d'infamie 18, la proscription qui en est la manifestation sociale se charge d'une valeur péjorative telle que proscribere et proscriptio finiront par désigner la confiscation pure et simple, comme peine d'un délit, sans doute19. L'œuvre de Cicéron nous présente d'ailleurs une bonne illustration de
13 Cf. Tac, Dial. 9, 3, où il est question des libelli qu'il faut répandre (dispergere) lors qu'on veut faire une lecture publique. Encore est-il que, dans cet exemple précis, les libell i n'ont peut-être pas fait l'objet d'un affichage, même si le terme est souvent employé pour désigner des placards. 14 Cicéron lui-même annonce la mise en vente de sa propriété de Tusculum : Reficitur Formianum, quod ego nee relinquere possum nee uidere. Tusculanum proscripsi, etsi suburbano non facile careo. (Ait- IV, 2, 1 = 74 SB). 15 Pour une analyse de textes concernant une proscriptio locationis uid. B. A. Genco, «I 'si loca' nell'antica Roma», Atti IH congr. naz. stud. Rom. I, 1935, 452-463; A. Maiuri, «Note d'epigrafia Pompeiana», PP2>, 1948, 152-164 (notamment 152-162; «la proscriptio locationis dei praedia Iuliae felicis »). 16 Charis., Inst. Gram. II, 15. Dans le même sens on se rappellera l'abréviation juridi quetransmise par Valerius Probus et reconstituée par Mommsen: B(ona) e(x) e(dicto) p(ossideri) p(roscribi) u(eniri)q(ue) i(ubebo) Ci. Textes de droit Romain edd. P. F. Girard & F. Senn (7e éd. Paris, 1967) p. 14, n° 24. 17 R. Monier, Vocabulaire de droit romain, 4e éd. Paris 1949, s.u. proscriptio. 18 C'est ce qui ressort de Tab. Her. 11. 113-117 et de Gaius II, 154. 19 Pour proscriptio = δημεύω, uid. CGL II, 296, 24; proscriptio = δήμευσις, CGL II, 269, 23; III, 337, 6; III, 491, 72 : III, 514, 20. De même Isidor., Etym. X, 217 : Proscriptus cuius bona palam et aperte describuntur, bonisque fisci agglomerantur. En ce sens, ces termes ont fini par concurrencer publicare / publicatio qui, à l'époque républicaine, désignent la confiscation. Cf. Valgilio, Siila 59-60.
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l'importance des conséquences, pour le citoyen qui en est la victime, de la proscriptio bonorum, soit que l'orateur veuille attirer l'attention des juges sur la gravité de la peine20, pour les inciter à l'indulgence21, soit au contraire qu'il rappelle que tel de ses adversaires politiques est per du de réputation parce que ses biens ont été vendus à l'encan au vu et au su de tout le monde22. Et précisément la publicité qui est donnée à la vente des biens sai sis est un des éléments essentiels de l'infamie. Certes la perte du patr imoine est déshonorante à elle seule dans une société censitaire où les richesses sont constitutives de la qualité politique23 : les exemples ne nous manquent pas, dans toute la littérature, d'anathèmes jetés contre ceux qui, faute d'un soin attentif ou par suite de dépenses inconsidér ées, ont dilapidé le patrimoine24. On sait le mépris dont Cicéron char ge les decoctores au nombre desquels Antoine : Tenesne memoria praetextatum te docoxisse? . . . Illud tarnen audaciae tuae, quod sedisti in quattuordecim ordinibus, cum esset lege Roscia decoctoribus certus locus constitutus, quamuis quis fortunae uitio, non suo decoxisset2S.
20 En réalité, dans les cas où Cicéron évoque la possibilité d'une infamia pour son client, et notamment dans le pro Quinctio, il ne s'agit pas d'une peine à proprement par ler : l'infamie n'est que la conséquence de la vente du patrimoine. Sur l'infamie comme peine d'un délit uid. Mommsen, Dr. Pén. III, 345-357. 21 Cic, Quinci. 99 : ...ne is de cuius officio nemo unquam dubitauit, sexagesimo denique anno, dedecore, macula, turpissimaque ignominia notetur, . . . ne per te fiat quominus quae existimatio P. Quinctium usque ad senectutem produxit, eadem usque ad rogum prosequatur. 22 Dans son enumeration des gens qui soutiennent Catilina, Cicéron note quartum genus est sane uarium et mixtum et turbulentum; qui iampridem primuntur, qui numquam emergunt, qui partim inertia, partim male gerendo negotio, partim etiant sumptibus in uetere aere alieno uacillant; qui uadimoniis, iudiciis, proscriptione bonorum defatigati, permulti et ex urbe et ex agris se in ilia castra conferre dicuntur. {Cat. II, 21). 23 Hellegouarc'h 15 a souligné la nécessité pour un romain «d'être riche, non seule ment pour réussir, mais même pour entamer une carrière politique. Il s'agit là d'une nécessité qui ne découle pas seulement, de façon implicite, des conditions dans lesquelles s'exerçaient la recherche et la conquête des magistratures, mais d'un élément voulu et cherché». (Cf. aussi p. 235-237 l'étude sur les diuitiae comme «éléments de la nobilitasi). Sur le problème des qualifications censitaires pour l'accès aux fonctions politiques, uid. C. Nicolet, «Le cens sénatorial sous la République et sous Auguste», JRS 66, 1976, 20-38. 24 Et c'est une mentalité vivace puisque Prudence prête au préfet devant qui compar aît Laurent des paroles méprisantes pour les chrétiens qui vendent leur patrimoine et déshéritent ainsi leurs enfants : Addicta auorum praedia / foedis sub auctionibus / succes sor exheres gémit / sanctis egens parentibus. (Peristephanon, II, 77-80). 25 Phil, II, 44.
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Mais surtout cette perte, et l'insolvabilité qui en découle, déclen chent une procédure au cours de laquelle le «failli» est exposé aux regards de la foule : un certain nombre d'expressions montrent, en effet, l'importance du rôle du regard dans ce type de procédure : bona proscripta uidimus écrivait Q. Cicéron de C. Antonius26, et son frère avait déjà signalé, dans son premier discours, que lorsqu'un malheu reux voit ses biens saisis et vendus il ne lui est même pas possible «de périr dans le silence et dans l'obscurité», lui «dont le nom est en vue sur les affiches dans les endroits les plus fréquentés»27. Dans ce passa ge du pro Quinctio Cicéron développe d'ailleurs une comparaison entre la mort «physique» et la mort civile, cette dernière forme étant, à ses yeux, plus redoutable encore que la première parce que la victime non modo ex numero uiuorum exturbatur, sed, si fieri potest, infra etiam mortuos amandatur2*. C'est donc bien dans la publicité, c'est-à-dire dans le regard des autres, que réside l'infamie. Nous en trouverons une confirmation dans le fait que ce à quoi s'engage le bonorum emptor ce n'est pas à payer le bien qui est proscrit à un prix normal, mais à acquitter aux créanciers un certain pourcentage de leur créance et que, par conséquent, il n'est pas nécessaire que cela se fasse par une vente aux enchères29. En d'autres termes, la publicité qu'on fait lorsqu'il s'agit d'une vente volontaire pour laquelle on veut obtenir le meilleur prix des biens mis en vente n'a plus le même sens lorsqu'il est question de trouver un successeur au débiteur défaillant. Or la publicité était normalement assurée par le fait que l'annonce des ventes sur saisie se faisait par des affichages en des lieux connus des Romains et sans doute invariables. Nous en trouvons confirmation, dans le pro Quinctio, lorsque Cicéron raconte qu'Alfenus, agissant pour le compte de Quinctius, a fait enlever les libelli qui annonçaient la sai-
26 Comment. Petit. 9. le préfixe pro- de proscribere / proscriptio est déjà une indication sur la volonté de publicité. Est enim proscribo palarti et aperte scriptum potto. . . écrit Charisius pour expliquer la valeur de ce préfixe (cité suppra et n. 18). Dans le même sens, cf. CGL V, 411, 28 : Proscribantur porro uel palam scribantur. 27 Cic, Quinci. 50 : ...de quo libelli in celeberrimis locis proponuntur, hune ne perire quidem tacite obscureque coriceditur. 28 Ibid. § 49. 29 C'est la conclusion de M. Talamanca, «La vendita all'incanto nel processo esecutivo, romano·», in Studi de Francisci, II, 1956, 239-246. Sur les ventes aux enchères uid. du même Contributi allo studio delle vendite all'asta nel mondo classico», Atti dell'Acad. Naz. dei Lincei, 351, 1954.
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sie des biens de Quinctius : Libellos Sex. Alfenus, procurator P. Quinctii, familiaris et propinquus Sex. Naeui, deicit . . .30 cela ne se comprend que si Alfenus peut faire retirer toutes les affiches parce qu'il sait fort bien où elles sont apposées : les affichages officiels étaient donc certain ement disposés à des endroits déterminés et connus de tout citoyen. On remarquera ainsi que la «loi d'Héraclée» édicté que les distributions frumentaires devaient être affichées d'une part au Forum et, d'autre part, sur les lieux mêmes de la distribution : ... idque aput forum, et quom frumentum populo dabitur, ibei ubei frumentum populo dabitur cottidie maiorem partent diei propositum habeto, u(nde) d(e) p(lano) r(ecte) l(egi) p(ossit)31. On peut considérer, en effet, qu'il s'était opéré une répartition des différents endroits où l'on pouvait afficher selon la nature même de ce qu'on avait à afficher. Ainsi, pour les ventes sur saisie, nous savons par certains textes que l'annonce en était faite non loin du tribunal du pré teur, au Puteal32, et aux abords de l'atrium auctionarium, c'est-à-dire sans doute les Atria Licinia à l'entrée du macellum33. Du fait même qu'on y procédait à ce genre d'affichage, ces lieux étaient devenus, au même titre que la columna Maenia34, des lieux de réunion où se ren daient les Romains à l'affût du scandale et de la bonne affaire. Et c'est là que l'insolvable était proscrit. Un autre élément vient confirmer que la proscription est bien une mesure infamante : la procédure elle-même. Il y a, en effet, deux aff ichages à deux moments de l'action : tout d'abord, et c'est la première phase de la procédure, le décret du magistrat autorise la proscription. Cette première forme est, en réalité, un moyen de contraindre le débi teur à s'acquitter de sa dette ou d'amener sa famille à lui venir en aide
30 Quinci. 27. 31 Tab. Her. 11. 15-16. 32 En réalité, selon Welin (Topographie 9-74) suivi par P. Grimal (C. R. in REA 57, 1955, 198-204 - notamment 198-202) il y avait plusieurs tribunaux prétoriens; pour ce qui est de celui du praetor urbanus il se trouvait au voisinage du puteal Libonis, c'est-à-dire qu'il devait être situé entre ce puteal (au voisinage immédiat de la Regia) et le temple de Vesta. 33 Pour les atria qui semblent avoir constitué un ensemble cohérent à l'époque répu blicaine (situé à l'emplacement de la basilica Vlpia), uid. Welin, Topographie 203-219. Pour la localisation du macellum uid. Coarelli, Guida 119-120. 34 A l'endroit où siégeait le tribunal des triumuiri capitales.
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pour lui épargner l'infamie de voir ses biens saisis et vendus35. Au cas où, à la fin de cette première phase de la procédure36, le débiteur ne se serait pas acquitté, les créanciers nomment un magister bonorum qui fait afficher l'annonce de la vente37. Cette annonce bénéficie, en outre, de la publicité par la voix du praeco39. L'utilisation de l'affichage lors de la première phase comme moyen de pression montre assez la valeur déshonorante que pouvaient y attacher les Romains. Mais en marge de cette procédure judiciaire bien définie, la pros cription a pu désigner des pratiques extra-légales qui empruntaient les mêmes formes, mais qui, bien évidemment, ne pouvaient pas avoir les mêmes conséquences. C'est du moins la conjecture qu'a faite un juriste allemand39 à propos d'un texte du pro Sestio dans lequel Cicéron s'en prend à Gabinius dont il évoque le passé en ces termes : ... puteali et faeneratorum gregibus inflatus, a quibus compulsas olitn ne in Scyllaeo ilio aeris alieni tamquam in fretu ad columnam adhaeresceret, in tribu-
35 T. E. Kinsey, dans son commentaire au pro Quinctio (Sydney U.P., 1971), notam mentà propos du § 50 et dans un appendice consacré à l'infamia (p. 219-220), indique que le débiteur était infamis à la fin de cette première phase de la procédure. 36 Selon Gaius (III, 79) cette première phase dure trente jours s'il s'agit des biens d'un vivant, quinze jours s'il s'agit des biens d'un mort : Siquidem uiui bona ueneant, iubet ea praetor per dies continuos XXX possideri et proscribi, si uero mortui, post dies XV. 37 Postea iubentur conuenire creditores et ex eorum numero magistrum creari, id est eum per quem bona ueneant, idque si uiui bona ueneant, in diebus X fieri iubet, si mortui in dimidio. (Gai., ibid.). Les tablettes de Pompéi apportent une confirmation à cette des cription de la procédure. J. Macqueron (« Les Tablettes de Pompéi et la vente des Sûretés réelles». Mèi. R.Aubenas Montpellier, 1974, 517-526) a en effet montré que la clause fidu ciaproscribi que contient l'une d'elles s'explique par le fait que « le libellus qui annonce la vente prochaine des six esclaves cédés en fiducie a donné lieu antérieurement à des mesures de publicité qui ont duré un certain temps ». (p. 522). On observera d'ailleurs que, dans le cas d'espèce, le libellus a été accroché (adfixus fuit - Tab Pomp. 19, 1. 6) ce qui, fait remarquer Macqueron (520, n. 13), «suggère l'idée d'un panneau de bois accro ché au mur plutôt que d'une inscription qui y aurait été peinte». En tout cas ce qui est décrit, ce n'est pas la procédure, c'est son déroulement. Sur le magister bonorum (le dominus auctionis quand il s'agit d'une vente volontaire) uid. Kinsey ad Quinci., 50 et Ankum, «Quelques Problèmes concernant les ventes aux enchères en droit romain classique», in Studi Schedilo, Milan, 1972, I, 377-393. 38 . . . de quo praeconis uox praedicat et pretium conficit, huic acerbissimum uiuo uidentique funus indicitur. (Cic, Quinci., 50). 39 E. Weiss, «Proscriptio debitorum·», in Mélanges De Visscher, II, Bruxelles, 1949, 501506.
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natus portum perfugerat40. La scholie de Bobbio, commente le passage en expliquant que le Puteal était un lieu, dans le voisinage du Forum, où se trouvait la columna Maenia, apud quam debitores a creditoribus proscribebantur41. Pour comprendre ce texte difficile il faut penser à deux autres allu sions de Cicéron à cette colonne. La première se trouve dans le «dis cours sur la Divination», au cours duquel le jeune orateur renvoie Q. Caecilius et ses subscriptores, L. Appuleius et Allienus, à des accusés qui soient plus à leur mesure : uobis autem, tanta inopia reorum est ut mihi causant praeripere conemini potius quant aliquos a columna (Mjaen(i)a uestri ordinis reos reperiatis42. Or on donne ordinairement, à la suite du pseudo-Asconius, une interprétation trop restrictive de ce texte, en expliquant que la colonne dont il est question se trouve à l'en droit où les Illuiri capitales jugeaient les criminels de basse condition43. En réalité, il faut comprendre que Cicéron renvoie Caecilius et ses aco lytes non pas à des affaires de crimes crapuleux, mais à des histoires de dettes qui devaient trouver dans cet endroit de la ville un lieu privi légié d'affichage. «Laissez une affaire si importante aux gens sérieux et retournez à vos petites affaires d'insolvabilité» leur dit-il en substance. Et de fait, pour en revenir au pro Sestio, quelle que soit la mauvaise opinion que Cicéron voulait donner de Gabinius, il ne lui reprochait que des dettes impayées (aeris alieni) pour lesquelles il avait risqué de se trouver placardé sur la colonne : il ne va pas jusqu'à le qualifier de «gibier de potence» comme ce serait le cas si l'on devait s'en tenir à une interprétation trop restrictive de ces affichages sur la colonne44.
40 J. Cousin traduit ainsi ce texte : «Gabinius s'enflait de rage à la vue du Putéal et des groupes d'usuriers, qui jadis l'avaient poursuivi et forcé à se réfugier dans le port du tribunat, car il craignait d'être plaqué sur l'écueil de ses dettes, comme, dans le détroit, sur le rocher de Scylla, et placardé sur la colonne». (Cic, Sest., 18). 41 Schol. Bob. ad Sest. 18. 42 In Caecil. 50. 43 Ps. Ascon. 120-121 Or.: Reos uestra defensione condignos, uelut jures et seruos nequant, qui apud triumuiros capitales apud columnam Maeniam puniri soient. Aderant autem his reis moratores apti talibus negotiis. On remarquera que le scholiaste sousentend que Cicéron renvoie Caecilius à un rôle de défense : uestra defensione. 44 II évoque par ailleurs Gabinius en des termes voisins (sen. 11) : «... un homme qui, après avoir mis autant d'ardeur à dissiper son patrimoine que, dans la suite, le bien public, a soutenu son indigence et sa somptuosité par une prostitution domestique, qui, s'il n'avait trouvé un refuge à l'autel du tribunat, n'aurait pu éviter ni l'action du préteur ni la foule des créanciers ni la confiscation des biens ».
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Un autre texte de Cicéron, dans le pro Cluentio, où l'orateur esquisse avec une brièveté évocatrice la carrière d'un certain Q. Manlius, nous paraît aller dans le même sens : ... non Me honorem a pueritia, non studia uirtutis, non ullum existimationis bonae fructum umquam cogitarat, sed ex petulanti atque improbo scurra in discordiis ciuitatis ad eam columnam ad quam multorum saepe conuiciis perductus erat turn suffragiis populi peruenerat45. Le personnage en question était donc un habi tuéde la columna (ad quam . . . saepe . . ., perductus erat) où il avait per dusa réputation (existimatio) mais non pas ses droits civiques puisqu'il était venu siéger de façon habituelle auprès de cette colonne à titre de IHuir capitalis élu (suffragiis populi). Mais l'affichage dont il est question dans tous ces textes, et notam mentdans celui du pro Sestio, pourrait bien n'être pas celui que nous avons décrit dans la procédure légale. L'expression dont usent, en effet, Cicéron et le scholiaste suggère que le débiteur est proscrit - ou du moins risque de l'être - par les créanciers eux-mêmes et non pas selon les formes légales. Un tel affichage emprunte les mêmes formes que l'affichage légal et, en particulier se pratique au voisinage de celui-ci (apud columnam, dit le scholiaste) sans pour autant avoir des consé quences juridiques particulières. En d'autres termes, les créanciers, sans que le préteur ait délivré sa formule, auraient pu se permettre d'afficher le nom des mauvais payeurs, cet affichage ne constituant qu'un avertissement, une menace de proscriptio légale. Si une telle pra tique ne comportait pas confiscation et infamie, il est clair, en revan che,que X existimatio du citoyen ainsi proscrit devait en pâtir sérieus ement et que, le cas échéant, il devait lui être bien difficile de retrouver du crédit. De tels procédés rappellent d'ailleurs ceux qui sont évoqués dans Plaute à propos des fils prodigues : Ne quisquam credat nummum iam edicam omnibus, déclare Simon, père de Calidore46. Il n'est pas cer tain qu'on doive traduire comme l'a fait A. Ernout : «Je vais faire don ner ordre à tout le monde qu'on ne vous prête pas un denier». Le verbe edicere est un terme du langage institutionnel : Yedictum d'un magistrat
45 Cluent. 39. sur ce personnage appelé à tort Manilius dans l'éd. Budé uid Orelli, Onomasticon s.n. et MRR s.a. 77. Sur l'affichage du nom des accusés Ascon. 60 C : exemptum tiomen est de reis Cornell. Cf. CIL I2 583-585 : Quotum nomen . ..ex reis exemptum erit. 46 Plaut., Pseudol. 506.
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était, en quelque sorte, l'exposé de ses principes d'action, cet exposé fai sant l'objet d'un affichage. Dans le texte de Flaute qui nous intéresse, il pourrait bien s'agir d'un affichage pur et simple, mettant en garde les prêteurs éventuels et leur signalant que le père du citoyen désigné ne répond plus de ses dettes47. Cette coutume d'affichage n'est, en somme, pas faite pour nous étonner : elle est tout à fait en harmonie avec ce que nous savons par ailleurs de la façon dont les Romains manifestaient leurs inimitiés et notamment disaient tout le mal possible de leurs adversaires politiques, ainsi que l'a très bien montré P. Jal : «Les statues et leur socle deve naient un véritable emplacement d'affichage pour Γ« opposition» : «à la veille de l'assassinat de César, on lisait sur la statue de l'ancien Brutus de nombreuses inscriptions appelant son descendant à imiter son cou rage tandis que celle de César lui-même était couverte d'injures par la foule, comme le seront celle d'Octave au temps des proscriptions ou celles de Néron au début du soulèvement de Vindex et de Galba»48. Cer tes il ne s'agit là que de graffiti anonymes49, comme sont anonymes les deux vers qui eurent tant de succès en 59 : Non Bibulo quiddam nuper, sed Caesare factum est, / Nam Bibulo fieri consule nil memini50. Mais le même Bibulus, selon Suétone, ne voulant pas être en reste, s'en prit publiquement à César en faisant afficher des edicta en des termes qui eux du moins - ne sont pas équivoques : Missa enim facio edicta Bibuli, quibus proscripsit collegam suum Bythinicam reginam, eique antea r egem fuisse cordi, nunc esse regnum5i. La volonté de Bibulus de faire injure à César se manifeste déjà dans le proscripsit que Suétone emploie pour qualifier cette forme d'affichage.
47 Dans le même sens, Plaute, Mere, 51-52 : Conclamitare tota urbe et praedicere / omnes tenerent mutuitanti credere qu'A. Ernout traduit : « II allait crier par toute la ville et recommander aux gens de bien se garder de me consentir le moindre prêt ». Si le verbe conclamitare n'est pas un terme technique, il indique bien, lui aussi, la publicité qui est donnée à la démarche. 48 Jal 174. 49 La coutume des graffiti ou libelles anonymes ne se perdit pas, bien sûr, avec l'Emp ire. Témoin la liste dénonçant des citoyens comme zélateurs du Christ : Propositus est libellus sine auctore muttorum nomina continens. (Pline le J., Epist. X, 96). 50 Suet., Diu. lui. 20, 4. 51 Suet., Diu. lui. 49, 4. On pourrait songer aussi à l'épigramme affichée sur les murs de Rome à propos de l'élection au consulat de Ventidius Bassus, un ancien muletier: Concurrite omnes Augures, Haruspices; / Portentum inusitatum conflatum est recens. / Nam mulos qui fricabat consul factus est. Gell., ΝΑ XV, 4.
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Lorsqu'il s'agit de proscriptio nous sommes donc, dans l'ensemble, en présence de coutumes qui recouvrent des domaines très divers puisque cela va de l'affiche injurieuse à l'annonce d'une vente - mais qui toutes ont, dans la vie quotidienne des Romains, une importance qui nous est attestée par les nombreuses allusions qui y sont faites dans les textes littéraires. Il est clair, par ailleurs, que nombre de ces coutu mesont une valeur dépréciative caractérisée puisqu'elles constituent, légalement ou non, une mise au ban de la société d'un certain nombre de citoyens par la publicité faite autour de leur nom. Certes la proscription ne concerne pas seulement des affichages déshonorants : le magistrat fait placarder son édit, le particulier annon ce la mise en vente d'un bien dont il veut se séparer; il n'y a rien là, c'est évident, de «dépréciatif». Mais il n'en reste pas moins vrai que, dans une société de l'ostentation, un affichage de noms a nécessaire ment une valeur : qu'il rehausse l'éclat de ces noms en annonçant une récompense52 ou en indiquant l'appartenance à une élite53, qu'il les marque au contraire d'une nota signalant que des manquements ont été commis aux devoirs civiques54 ou même qu'il désigne au mépris de la communauté un individu qui n'a pas su gérer son patrimoine. L'absen ce même du nom sur une affiche est significative : les praeteriti sont ceux qu'on omet pour les exclure55.
52 Dion Cassius parle ainsi de κατάλογος στρατιωτών νομιζομένων. (Frgt., 109, 4). 53 Vid. supra n. 6. 54 La nota censoria sanctionnait « des fautes contre la discipline militaire, les abus de pouvoir des magistrats, l'excès de luxe, la trop grande fréquence des divorces ...» (Gaudemet, 344). Cf., dans la Table d'Héraclée (FIRA I2, 149, 11. 110-125) et au Digeste (III, 2 : De his qui notantur infamia) la liste des causes d'infamie. 55 Festus s.u. praeteriti (p. 290 L.) : Quo factum est ut qui praeteriti essent et loco moti, haberentur ignominiosi. Sur ces problèmes cf. Ps. Ascon in Diuin. (p. 189 St.) et P. Fraccaro, «Tributes ed aerarti», Athenaeum, 1933; C. Nicolet, «Appius Claudius et le double Forum de Capoue», Latomus, XX, 1961, 712. Il est clair qu'on pourrait faire une analyse du même ordre pour le monde grec. E. Weiss (Privatrecht 243-254) a étudié ce qu'il appell e « das Publizitätsprinzip », et cité un certain nombre de textes - épigraphiques - où προ γραφή et προγράφειν correspondent assez bien à la description que nous venons d'esquis ser pour les emplois de proscriptio et proscribo.
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La proscription C'est précisément à des pratiques de ce genre qu'eurent recours les syllaniens lorsqu'en 82/81 ils voulurent procéder à l'élimination de leurs ennemis marianistes. La proscription syllanienne, telle que nous la connaissons, n'est qu'une forme particulière des affichages que nous avons évoqués. A l'évidence, la proscriptio de caractère politique se veut dans la continuité de coutumes romaines bien établies et dissimule même son caractère d'exception derrière une similitude de dénominat ion : il n'est jamais fait recours à des déterminations particulières pour distinguer l'annonce d'une vente de la proscription proprement dite. On remarquera d'ailleurs que cette ambiguïté permet à Cicéron un jeu de mots lorsque, dans le pro Cluentio, il invite les juges à ne pas accor derune valeur excessive à la note des censeurs : ... uidete . . . ne in unum quemque nostrum censorious in posterum potestatem regiam permittatis, ne subscriptio censoria non minus calamitatis ciuibus quant Ma acerbissima proscriptio possit adferre . . . 56. Et pourtant si l'on trouve, dans le domaine grec, des pratiques qui «annoncent» la proscription57, à Rome c'est bien Sylla qui, le premier,
Pour une étude de προγραφή et προγράφειν dans la documentation épigraphique uid. A. Wilhelm, Beiträge zur grieschischen Inschriftenkunde, Vienne, 1909, 179-181. Sur la publicité faite à une vente on cite d'ordinaire Theophrast., frgt. 97, 1 : ... εναοι δέ προγράφειν κελεύουσι παρά τη άρχη προ ημερών μη έλαττόνων ή έξήκοντα καθάπερ Άθήνησι . . . (uid. Von Bolla, «Proscriptio» 27-28). "§ 123. 57 D'une façon générale la Grèce avait mis en pratique des mesures d'épuration qui peuvent constituer un précédent à celle que Sylla réalisa. On songe évidemment à l'ostr acisme qui resta efficace pendant près d'un siècle, encore que les conséquences en fussent moins dramatiques (uid. A. Martin, «Notes sur l'ostracisme dans Athènes», Acad. Inscr. Bell. Lett. 12, 1913, 382-446; J. Carcopino, Histoire de l'ostracisme athénien, Paris 1909; A. E. Raubitschek, «The Origin of Ostracism», A3A 55, 1951, 221-229; C. A. Robinson Jr, «Clisthens and Ostracism». AIA 56, 1952, 23-26). On ne peut pas ne pas évoquer aussi la loi passée à Athènes en 410, destinée à punir toute forme de subversion contre la démocratie, et dont Andocide nous a conservé le tex te (Sur les Mystères 96-98): «Si quelqu'un renverse la démocratie athénienne ou, après son renversement exerce quelque magistrature, qu'il soit tenu pour ennemi des Athé niens, qu'il soit impunément tué, que ses biens soient confisqués et qu'un dixième en soit réservé à la déesse. Celui qui aura tué ce criminel aussi bien que le conseiller du meurtre, resteront purs de toute impiété et de toute souillure etc ... ». Sur cette question uid. B. D. Meritt, «Greek Inscriptions», Hesperia 21, 1952, 340-380 et notamment 355-359: «Law
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a eu recours à cette procédure. La tradition est, en effet, quasi-unanime à ce sujet : Sénèque affirme nettement que Sylla est l'inventeur de la proscription : ... proscriptionem commentus est . . . 58 ; Appien est moins catégorique mais non moins crédible : «II semble qu'il ait été le premier à afficher la liste de ceux qu'il voulait punir de mort et à fixer des pr imes pour les assassins, des récompenses pour les délateurs et des chât iments pour ceux qui auraient caché un proscrit»59. Le seul à parler des «proscriptions» des marianistes est Eutrope qui évite le terme pour désigner les massacres syllaniens; mais il se pourrait bien qu'il faille en attribuer la cause au fait que le vocabulaire désignant la proscription a alors perdu de sa pertinence. Il est vrai que dans cette tradition, s'il semble établi que la victoire sur les marianistes vit la première proscription, en revanche Γ« inven teur» véritable est beaucoup plus discuté : Fursidius ou Fufidius pour
against tyranny»; M.Oswald, «The Athenian Legislation against Tyranny and Subvers ion»,TAPHA 86, 1955, 103-128). Mais si toutes ces mesures peuvent éventuellement avoir servi de modèle pour ce qui concerne le sort du ou des personnages visés par elles (ce qui est vrai essentiellement de la loi contre la tyrannie), elles diffèrent pourtant de la proscription en ce qu'elles ont un caractère «préventif». Cela ne veut pas dire que l'exemple de la proscription ne soit pas venu de la Grèce. Polybe, en effet, racontant les forfaits de Charops après Pydna, emploie le verbe προγράφειν avec une valeur proche de celle que nous connaissons au latin proscribere : l'Epire, qui avait trahi l'amicitia qui la liait à Rome, fit, après la fin de la troisième guerre de Macédoine, l'objet d'épurations très importantes. En particulier avaient été emmenés à Rome tous les personnages de quelque envergure qui étaient soupçonnés d'avoir eu des sympathies pour Persée. Charops, Epirote lui aussi, s'était fait l'instrument de ces épurat ionset avait profité de l'occasion pour s'enrichir honteusement. Il tuait qui bon lui semb lait, jusqu'au jour où il s'avisa d'employer un autre moyen (άλλην έπεισηγε μηχανήν) autrement plus efficace : προέγραφε γαρ τους εύχαιροΰντας τοις βίοις φυγάδας, ού μόνον άνδρας, άλλα και γυναίκας (Pol. 32, 21, 12). Et ce procédé provoqua, au dire de Polybe, une terreur suffisante pour lui permettre de rançonner les femmes. Venu à Rome pour faire ratifier ses actes, Charops y fut fort mal reçu puisque les citoyens les plus remar quables comme Paul-Emile lui fermèrent leur porte tandis qu'au sénat il n'était l'objet d'aucun égard. 58 Sen., de Benef. V, 16, 3; Veil. Pat., II, 28, 3 : Primus Me, et utinam ultimus, exemplum proscriptionis inuenit...; uir. ill. 75,10: Proscriptionis tabulas primus proposuit (se. Cornelius Sulla). 59 Ούτος γαρ δοκεΐ πρώτος, ους έκολάσε θανάτφ προγράψαι και γέρα τοις άναιροϋσι και μήνυτρα τοις έλέγχουσι και κολάσεις τοις κρύπτουσι έπιγράψαι. (BC Ι, 95, 442). Selon Dion Cassius Sylla n'a inventé la proscription que pour se distinguer des Marianistes (frgt., 109, 12).
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les uns60, c'est C. Caecilius Metellus pour Plutarque61 et Q. Lutatius Catulus pour Orose62. Nous ne discuterons pas ici de la signification que peuvent avoir ces variations qui révèlent, pour le moins, des défor mations importantes, mais nous constaterons que, quelle que soit l'i ntention politique qui est sous-jacente63, la date de «naissance» en est bien fixée et les caractéristiques en sont les mêmes que celles d'un aff ichage ordinaire.
L'EDICTUM Et tout d'abord elle a pour support des tabulae, planches de bois blanchies sur lesquelles étaient peints les noms64. Ce support est parfai tement attesté par les sources anciennes, notamment par Florus qui, pour évoquer la proscription, parle simplement de l'affichage de la tabula : . . .proposita est ingens illa tabula65. Cicéron, de la même façon, évoque la prétendue proscription de Sex. Roscius le père en ces te rmes : nomen refertur in tabulas Sex. Rosei, hominis studiosissimi nobilitatis . . . 66. Les historiens grecs confirment, quant à eux, le recours à ce
60 Notamment Florus II, 9, 25. Le nom Fursidius est donné par Orose (V, 21, 3). 61 Plut., Sulla 31,2. 62 Oros. V, 21, 2, II est vrai que pour Orose le véritable «auteur» de la procédure est L. Fursidius (auctore L. Fursidio, § 3), Catulus ne faisant que demander la fin du massac re. 63 Vid. Chapitre 3, 110-116. 64 Sur ces tabulae, uid. Daremberg & Saglio, s. u. E. Gabba, dans son commentaire du livre I des BC d'Appien (p. 256), cite un texte du de Prou, de Sénèque (III, 8) ... pretium caedis per quaestorem ac tabulas pictas numerat. Aucune des éditions critiques que nous avons consultées n'indiquait une variante pictas pour publicas. Il s'agirait donc d'une cor rection qui peut s'expliquer précisément par la nature même du support en question. Toutefois cette correction ne nous paraît pas nécessaire : les tabulae publicae dont il est question ici désignent plutôt, étant donné le contexte, les registres de comptabilité publi que. 65 Florus II, 9, 25. L'emploi de ces tablettes blanchies nous est garanti, pour la pros cription de 43, par un texte de Sénèque le Rhéteur reproduisant une Suasoria de Porcius Latro : Ciuilis sanguinis Sultana sitis in ciuitatem redit, et ad triumuiralem hastam pro uectigalibus ciuium Romanorum mortes locantur; unius tabellae albo Pharsalica ac Mundensis Mutinensisque ruina uincitur, (Suas. VI, 3). 66 Rose. Amer. 21.
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support qu'ils traduisent par λελευκωμένος πίναξ67, ou par λεύκωμα68, et l'on sait bien que le mot tabula est devenu un des substituts privilé giés du terme proscriptio : ainsi chez Claudien qui se félicite que Rome ne connaisse plus, sous le consultât d'Honorius, les guerres civiles, ni, par conséquent, la proscription : Non infelices tabula; non hasta refixas / Vendit opes; auida sector non uoce citatur69. En outre, tout porte à croire que ces affiches étaient apposées dans les endroits habituels pour la publicité des actes officiels. Dion Cassius indique, en effet, que les Romains qui passaient «se précipitaient pour lire (les tablettes) tout comme si elles contenaient l'annonce d'une bon nenouvelle»70. Le même Dion Cassius confirme, indirectement, que cet affichage n'avait pas lieu au Forum, comme le laissent croire certains textes lorsque, décrivant l'atmosphère de Rome au moment de la pros cription, il remarque que les mêmes scènes pitoyables se répétaient devant les listes et devant les têtes coupées exposées au Forum71. Cela signifie que l'affichage avait lieu non pas en plein Forum comme ten drait à le laisser supposer un certaine tradition «simplificatrice», mais aux abords, là où se trouvaient affichés les edicta des magistrats selon une répartition topographique qui, il est vrai, nous échappe. La pros cription est un édit parmi d'autres. Le terme edictum est employé à plusieurs reprises pour la caractériser. Valère-Maxime évoque les quat remille sept cents citoyens égorgés «au titre de l'édit» (edicto)72 et Florus parle d'un «édit d'un nouveau genre» : noui generis edictum11. Pour que cela fût possible, il fallait que ni le choix des lieux d'affichage, ni le support, ni la forme eussent rien d'exceptionnel.
67 Dio Cass., frgt. 109, 4. 68 Dio Cass., frgt. 109, 15. Sur la valeur technique de λεύκωμα uid. Weiss, Privatrecht 260 et 454. 69 Claudien, de IV cons. Honorii, 497-498. 70 Frgt. 109, 14 : ... και συνέθεον έπ' αυτά πάντες οί αεί παρίοντες σπουδή, καθάπερ τινά χρηστήν έπαγγελίαν έχοντα. . . 71 Frgt. 109, 21 : Ότι πάντων τών σφαζομένων όπουδαν ai κεφαλαί ες την των 'Ρω μαίων άγοραν έκομίζοντο και έπί του βήματος έξετίθετο, ώσθ' οσα περί τας προγραφας συνέβαινεν, ταΰτα και περί έκείνας γίγνεσθαι. Contra Diod. Sicul. 39, 19: «La table de proscription ayant été exposée sur le Forum (εις την άγοράν), un grand nombre d'habi tantsaccoururent pour la lire». «Val. Max. IX, 2, 1. " Flor. II, 9, 25.
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Enfin on peut se demander si Sylla n'avait pas fait procéder à une proclamation par la voix du praeco. A son retour d'exil, en effet, Cicé ron déclare dans son remerciement au sénat : Itaque ilio ipso tarnen anno cum ego cessissem . . . caput meae proscriptionis recitaretur, numquam dubitastis meant salutem cum communi salute coniungere74. Cer tes Cicéron n'était pas alors proscrit à proprement parler - pas encore! - mais la comparaison qu'il établit entre la mesure qui l'a frappé et la proscription mérite examen. Ce qui est mis en parallèle c'est, bien sûr, la lex elodia de 58 et la proscription de Sylla, mais c'est aussi un détail de procédure : il évoque, en effet la recitano de cette loi, c'est-à-dire sa lecture avant le vote, comme pour évoquer une autre recitatio, une autre proclamation, celle de X edictum de proscription dont le magistrat Sylla aurait fait donner lecture au cours d'une contio75 et dont le souve nir ne devait pas avoir quitté les Romains de sa génération. Dire : caput proscriptionis meae recitaretur, ce n'est pas seulement, selon nous, faire référence à un moment précis de la procédure de vote d'une loi, c'est aussi vouloir rappeler la proclamation de l'édit de proscription telle que l'avaient entendue ses concitoyens quelque vingt années auparav ant. D'autres textes confirment d'ailleurs cette interprétation. Notam mentle texte du pro Quinctio dans lequel Cicéron évoque la situation du failli dont les biens vont être vendus : ... cui magistri fiunt et domini constituuntur, qui, qua lege et qua condictione pereat, pronuntient, de quo praeconis uox praedicat et pretium confidi, huic acerbissimum uiuo uidentique funus indicitur76. Nous avons indiqué, ailleurs, que cette description de la proscriptid des biens impliquait une allusion transpa rente aux différentes étapes de la proscription «politique» dont les der nières manifestations venaient tout juste de se terminer au moment où Cicéron prononça sa plaidoirie77. Et par conséquent le praeco dont il est question est à la fois celui qui annonce la vente et recueille les enchères, celui qui annonce le décès et celui qui désigne nommément les proscrits et indique le montant de la récompense promise en échan ge de la tête de chacun d'eux. Plus explicite encore est une remarque de
74 Sen. 4. 75 Sur cette question uid Diz. Epigr. s. u. edictum : pour la contio chap. 3, 204. Sur les pouvoirs de Sylla à ce moment uid Betti, «Restaurazione» 195-216. Nous examinerons au chapitre 3 les raisons de ce recours à un edictum. 76 § 50. 77 «Le pro Quinctio-» 88-107.
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Valère-Maxime sur ce point de procédure : nec contentus (Sulla) in eos saeuire qui armis a se dissenserant, etiam quieti animi dues propter pecuniae magnitudinem per nomenclatorem conquisitos proscriptorum numero adiecit7*. L'emploi de nomenclator à la place du terme techni que praeco est justifié par le fait qu'en réalité l'édit de proscription comportait une très longue liste de noms.
Le contenu de l'édit Mais cette longue liste de noms était précédée de Yedictum propre mentdit, c'est-à-dire du texte qui exposait les motifs et les modalités de la proscription. C'est du moins ce qu'on peut déduire de l'examen de l'autre édit de proscription qui, lui, nous a été conservé : celui de 43 79. Pour ce qui est des motifs qui l'avaient amené à recourir à une telle procédure, Sylla les avait développés au cours de la contio préalable. Appien en témoigne : « Quant à lui, Sylla convoqua les Romains en assemblée : il parla beaucoup de ses propres mérites, proféra par ai lleurs des paroles menaçantes pour provoquer la terreur et ajouta qu'il procéderait à des changements utiles à l'Etat pourvu qu'on lui obéisse, mais qu'à aucun de ses ennemis il n'épargnerait les plus extrêmes châ timents et qu'au contraire il tirerait vengeance avec vigueur des géné raux, questeurs, tribuns militaires et, d'une façon générale, de tous ceux qui avaient collaboré avec ses adversaires depuis le jour où le consul Scipion avait rompu les accords qu'il avait conclus avec lui»80. Il est vraisemblable qu'une partie au moins de ce discours était reprise dans l'exposé préalable de Yedictum, mais le silence de nos sources ne nous permet pas de reconstituer cette partie dont, en définitive, l'exi stence n'est déduite que de la comparaison avec l'édit de 43. Pour ce qui est des passages consacrés aux modalités de la pros cription, nous ne disposons de guère plus de renseignements pour les reconstituer. En tout cas, il ne s'aggissait pas d'une simple condamnat ion à mort81. En fait, il semble que l'édit visait d'abord à priver ceux
78 Val. Max. IX, 2, 1. 79 Sur cet edictum et notamment pour ce qui concerne son authenticité uid. Chap. 5, 227-229. 80 BC 1,95, 441. 81 II ne faut pas interpréter en ce sens l'expression d'Appien (BCl, 95, 442) : «II sem-
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qui y étaient désignés de tout statut, d'une part en interdisant absolu ment toute forme de secours ou d'assistance et, d'autre part, en condamnant à mort ceux qui auraient transgressé ces interdits; com me, ensuite, il proposait une forte récompense à ceux qui trancheraient une tête et même à ceux qui permettraient, par une dénonciation, de trouver un proscrit, le résultat était de fait une condamnation à mort, mais obligatoire en quelque sorte, et valable en tous lieux et en tous temps. En ce qui concerne la double démarche d'un interdit négatif (l'a ssistance à un proscrit) et d'un interdit positif (la condamnation des complices), elle peut se déduire d'une expression de Plutarque qui affi rmeque Sylla «prescrivait, dans son édit, la mort pour quiconque avait accueilli et sauvé un proscrit»82. Cela implique effectivement l'interdic tion formelle d'accueillir (δεχέσθαι), de cacher (κρύπτειν dit Appien) un proscrit et de lui assurer le salut (διασώζειν); d'autre part la menace de mort pour celui qui aurait enfreint cette interdiction83. On observera d'ailleurs que, contrairement à ce que pourraient fai re croire une mauvaise interprétation du texte de Plutarque que nous venons de citer et une comparaison hâtive avec ce qui se passa en 43, les complices n'étaient pas proscrits. Il nous semble qu'un texte diffici le d'Appien confirme, en effet, qu'ils étaient condamnés à des peines très graves mais que, par conséquent, ils n'étaient pas portés à leur tour sur les listes : comparant la façon dont Marius et Sylla se sont comportés à l'égard de leurs ennemis, il écrit : Μάριος μέν γαρ έζήτει και έκόλαζεν ους εΰροι · Σύλλας δε υπό μισθοΐς τε μεγάλοις και κολασέσι των έπικρυψάντων όμοίαις τον έντυχόντα κτείνειν προέγραφεν84 ce qui nous paraît signifier (en donnant à όμοίαις une valeur adverbiale et en
ble avoir été le premier à afficher le nom (προγράψαι) de ceux qu'il voulait punir de mort (ους έκόλασε θανάτω)»; ce châtiment n'est que le résultat vu par Appien, il n'est absolu mentpas ce qui devait figurer sur l'edictum. 82 Sulla 31, 7: Προέγραφε δε τω μέν ύποδεξαμένω και διασώσαντι τον προγεγραμμένον . . . θάνατον. On ne peut d'ailleurs pas suivre R. Flaceliere & E. Chambry lorsqu'ils traduisent ce texte de la façon suivante : « II proscrivait aussi ceux qui avaient accueilli et sauvé un proscrit . . .». Sylla punissait de mort la complicité; il ne proscrivait pas les complices (ce que firent les Triumvirs : App., BC IV, 11). 83 BC I, 95, 442: «Sylla fut le premier à édicter, des châtiments pour ceux qui auraient caché un proscrit». 84 App., BC IV, 1.
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le faisant renvoyer, comme il est naturel, à ce qui précède) : « Marius recherchait ses ennemis et punissait ceux qu'il pouvait trouver; Sylla, lui, en l'assortissant de récompenses aussi fortes que les châtiments qui punissaient les complices, fit afficher l'ordre fait à chacun de les tuer». Il est clair, si l'on rapproche les deux textes de Plutarque et d'Appien, que les complices étaient menacés de mort «simple», en quelque sor te85, alors que les proscrits étaient frappés d'une condamnation qui impliquait non seulement la mise à mort mais aussi, en cas de non exé cution immédiate, d'une interdiction de séjour à la dimension de Yorbis terrarum u et que rendaient plus efficace les récompenses promises aux percussores et aux indices.
85 II semble que l'exécution du complice ait pris la forme d'une précipitation. C'est du moins ce qui ressort d'un texte de Plutarque {Sulla 1, 6) qui affirme qu'un affranchi fut précipité pour avoir caché un proscrit : ... άπελευθερικος άνθρωπος, δοκών κρύπτειν ενα των προγεγραμμένων καί κατακρημνίζεσθαι δια τοϋτο μέλλων ... A en croire nos sources, ce mode d'exécution avait déjà été pratiqué, en 88, contre l'esclave qui avait révélé la cachette du tribun Sulpicius déclaré hostis publions : il fut affranchi puis précipité de la roche Tarpéienne (Liu., Per. 77; Oros. V, 19, 6; Plut., Sulla 10, 2). Sur cette question uid. Mommsen, Dr. Pén. III, 270-273. 86 Le texte ne «prononçait» pas une aqua et igni interdictio puisqu'on ne retrouve aucune des expressions consacrées (dont l'existence nous est confirmée par des témoi gnages : uid. notamment Cic, dont. 47 : Velitis iubeatis ut M. Tullio aqua et igni interdicatur; un certain nombre de textes grecs ajoutent, à l'interdiction de l'eau et du feu, celle du toit: στέγη (Plut., Mar. 29, 9; Cic. 32, 1; App., BC1, 31, 139). En revanche on peut considérer qu'il «définissait» une véritable a & ii en privant les proscrits de toute protec tion juridique et en menaçant, dans le même temps, quiconque leur donnerait un appui ou un abri (sur cette définition uid Mommsen, Dr. Pén. I, 82-83). Cette assimilation entre proscriptio et a & ii avait déjà été admise par Hartmann, De exilio IO et n. 4, mais surtout clairement affirmée par Strachan-Davidson, Criminal Law 31 : «The legal effect of a & ii is the same as that of sacrano or proscription (Sur la permanence de la sacratio à l'époque tardo-républicaine uid. H. Bennet, «Sacer esto», TAPhA 1930, 5-18); 32-33: «Proscriptio and interdictio are then in principle the same thing : both are sentences of death and either may, in the last century of the Republic, be directed against citizens, whether with the intention of actually cut short their lives or in expectation of driving them to renounce their citizenship in exile. Many modifications, however, and these of great practical importance, are possible, especially in the extent of territory within which the outlawry is to run, and in the penalties threatened against those who harbour the victims. Sulla's outlawry of the Marians extended on the whole world, leaving no door for escape, and involved all who succoured the fugitives in the same peril». Dans le même sens, mais beaucoup moins précis Grasmuck, Exilium 102109.
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RÉALITÉS Le praemwm
Nous sommes mieux renseignés sur cette partie de l'édit parce qu'elle a donné lieu à des protestations dans toute la tradition. Sénèque et Lucain témoignent bien, chacun à sa façon, des réactions qu'une tel le pratique a provoquées, le premier en s'indignant de ce que la pros cription soit «pour quiconque tuait un citoyen Romain, l'impunité, un salaire en argent, presque la couronne civique assurés!»87; le second en évoquant par une formule lapidaire les horreurs auxquelles incitait une telle promesse: ... m fratrum ceciderunt praemia fratresss. On notera pourtant que ce type de récompense ne constituait pas véritablement une nouveauté : déjà L. Septimuleius s'était fait payer en or la tête de C. Gracchus89. Ce qui, en revanche, était nouveau, c'était la conjonction de toutes ces mesures qui en faisait un ensemble tout à fait redoutable, et c'est le sens de la remarque d'Appien qui, après avoir raconté la contio et la publication de l'édit, ajoute : «II semble bien qu'il ait été le premier qui, pour ceux dont il avait résolu la mort, ait procédé à la proscription tout en édictant à la fois des primes aux assassins, des récompenses aux indicateurs et des châtiments aux complices»90. Pour en revenir à ces primes, nous savons qu'elles étaient import antes : 12.000 deniers pour une tête91 et qu'elles étaient payées très officiellement sur fonds publics par le questeur qui enregistrait le nom des bénéficiaires sur ses registres : ... pretium caedis per quaestorem ac tabulas publicas numerai (se. Sulla)92. La confirmation du caractère public de ces récompenses - attesté par ailleurs chez Velleius Paterculus qui s'en indigne93 - nous est apportée, d'une certaine façon, par la
87 Ben. V, 16, 3 : ... u/ qui ciuem Romanum occidisset impunitatem, pecuniam, tantum non ciuicam acciperet ! 88 II, 151. 89 Cic., de Orat. II, 269 : ... cui pro C. Gracchi capite erat aurum repensum . . . Pour l'ensemble des références à ces faits uid. Gabba comment, à App., BC I, 26, 119. 90 App., BC I, 95, 441. Ce qui est nouveau, en effet, c'est que l'exécution populaire (Mommsen, Dr. Pén. III, 274-279) reçoit l'incitation du praemium. 91 Le chiffre est fourni par Plutarque (Sulla 31, 7) : deux talents; cf Cato min. 17, 5 : 12.000 drachmes. 92 Sen., Prou. III, 8. Sur ce texte uid. supra p. 32, n. 64. 93 II, 28, 3 : . . . ut in ea (se ciuitate) iugulati ciuis Romani publice constitueretur auctoramentum, plurimumque haberet qui plurimos interemisset, neque occisi hostis quam ciuis uberius foret praemium fieretque quisquis merces mortis suae.
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précaution que prirent les Illvirs de spécifier, dans leur édit : «Aucun de ceux qui recevront des récompenses ne sera inscrit sur nos registres afin que soit préservé l'anonymat»94. L'expérience avait montré, en effet, qu'une telle gratification pouvait se retourner contre ceux qui en avaient été les bénéficiaires : Caton et César avaient, en 64, exercé des poursuites inter sicarios contre trois personnages dont la fortune ve nait, en partie, des primes touchées pour exécution de proscrits95 et ce, bien qu'ils eussent été théoriquement protégés sur ce point par la légis lation de Sylla96. Et d'ailleurs la Table d'Héraclée présente comme un motif d'exclusion du sénat le fait d'avoir reçu une récompense pour prix de la tête d'un citoyen Romain : ... queiue ob caput c(iuis) R(omanei) referundum pecuniam praemium aliudue quid cepit ceperit . . . 97. Complémentaire mais moins bien connue est la clause qui pré voyait l'octroi de récompenses aux indices, c'est-à-dire à ceux dont les révélations auraient permis la capture ou l'exécution d'un proscrit. Seul Appien nous parle de ces primes dont l'existence n'est pas douteus e98. Mommsen a montré, en effet, que ce principe de la récompense, pour rares qu'en soient les occasions réelles, est bien attesté. Ainsi la liberté accordée à un esclave «comme rémunération du service rendu à la communauté» en cas de dénonciation dans un procès criminel. Sylla lui-même introduisit dans sa loi sur le meurtre des récompenses «à celui qui a pris la peine de prouver, dans un débat judiciaire, que le testament de la personne assassinée a été illégalement ouvert»99. D'ail leurs Q. Curius se vit décerner des récompenses publiques pour avoir, le premier, révélé le plan de la conjuration de Catilina : . . . Q. Curio, cui, quod primus consilia coniuratorum detexerat, constituta erant publica praemia . . . 10°.
94 App., BC IV, 1 1 : Και των λαμβανόντων ουδείς έγγεγραψέται τοΐς ύπομνήμασιν υμών, ϊνα μη κατάδηλος η. 95 Plut., Caio min. 17, 5; Suet., Diu. lui. 11,2: sur ces procès uid infra chap. 4, 204207. 96 Suet., Diu. luì. 11, 2 : ... quanquam exceptis Corneliis legibus. 97 Tab. Her. 1. 122. Il semble que cette formulation soit à mettre en rapport avec celle de Suétone pour les procès de 64 (. . . qui proscriptione ob relata ciuium Romanorum capi ta pecunias ex aerano acceperant . . .) et que ce rapprochement fournit des indications pour la datation de la loi d'Héraclée (cf. infra, chap. 4, 206). 98 App., BC I, 95, 442 : μήνυτρα τοΐς έλέγχουσι. "Dr. Pén. Il, 194-203. 100 Suet., Diu. lui. 17. Cf. Cic, Cat. IV, 10: Is et nudius tertius in custodiam ciuis
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Enfin nous ne savons pratiquement rien des dispositions qui concernent les récompenses attribuées à un esclave. Plutarque affirme simplement que la récompense était versée «fût-ce un esclave qui tuait son maître, fût-ce un fils qui tuait son père»101. C'est donc essentiell ement par comparaison avec ce qui se passa en 43 qu'on peut estimer que l'esclave percussor était affranchi et était inscrit comme nouveau citoyen dans la tribu de son ancien maître102. En tout cas rien ne nous permet d'affirmer qu'il devint l'un des 10.000 Cornelii dont l'affra nchissement, s'il est bien lié à la proscription puisqu'il s'agit d'anciens esclaves de personnes proscrites103, n'est pas à mettre en rapport avec les praemia : Appien place cet affranchissement massif au nombre des mesures constitutionnelles prises par Sylla104. Restent à examiner les pratiques réellement mises en œuvre et qui ne correspondent pas nécessairement à des prescriptions de l'édit : cel les qui condamnaient à une mort toujours atroce ceux dont le nom y était inscrit, qui impliquaient la mutilation de leur cadavre honteuse ment privé de sépulture et jeté dans le Tibre, qui ordonnaient la confis cation et la vente sub hasta de la totalité de leurs biens, qui bannissaient leur mémoire. Cicéron résume d'ailleurs parfaitement la situation de la victime soumise à ces traitements : . ..is non modo ex numero uiuorum exturbatur, sed, si fieri potest, infra mortuos etiam amandatur105.
La décapitation Le premier élément de toute cette phase terminale de la proscrip tion est constitué par la mise à mort proprement dite. A la différence
Romanos dédit et supplicationes mihi decreuit et indices hesterno die maximis praemiis adfecit. Iam hoc nemini dubium est qui reo custodiam, quaesitori gratulationem, indici praemium decrerit, quid de tota re et causa iudicarit. Sur la récompense prévue pour L. Vettius, Cic, Vat. 26. 101 Plut., Sulla 31, 7: Προέγραφε δέ... τφ δ' άποκτείναντι γέρας δύο τάλαντα τής άνδραφονίας, καν δουλον δεσππότην, καν πατέρα υιός άνέλη. 102 Sur ces problèmes uid. chap. 5, 235 et n. 32. 103 Appp., BC I, 100, 469 : τους δούλους των άνηρημένων τους νεωτάτους τε και εύρωσ τους. . . 104 Sur cette question uid infra chap. 2, p. 84. 105 Quinci. 49, dans un texte qui ne parle pas explicitement de la proscription syllanienne, mais qui y fait constamment allusion.
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de ce qui se passe pour les massacres de la Villa publica où le mode d'exécution n'est pas toujours indiqué dans nos sources ou bien l'est de façon différente selon les auteurs106, la mise à mort des proscrits nous est toujours présentée comme un égorgement au point que iugulare a pu servir de substitut à proscribere. Cela s'explique par deux considérat ions, Tout d'abord la décapitation a une signification en elle-même : elle est à la fois le signe du triomphe sur un ennemi dont on possède la partie du corps la plus importante en s'appropriant son énergie et elle témoigne, dans le même temps, de la volonté de faire souffrir cet enne mi au-delà même de la mort et, en tout cas, par la mutilation du corps qu'elle est, de le faire exclure du monde des morts107. Mais elle était aussi rendue quasiment obligatoire par le système de récompenses : ce que payait Sylla aux percussores, c'était le prix des têtes tranchées (comme l'atteste la Table d'Héraclée : Queiue ob caput c(iuis) R(omanei) referundum pecuniam praemium aliudue quid cepit ceperit . . . 108. Par ailleurs, on sait que la tête des personnages les plus en vue avait été promenée au bout d'une pique, du moins dans les premiers jours alors que les combats n'étaient pas partout terminés : ... colla
106 Lucan. II, 196-197 : Tune flos Hesperiae, Latii iam sola iuuentus / concidit et miserae maculauit ouilia Romae; Flor. II, 9, 24 : Quattuor miliae deditorum inermium ciuium in Villa publica interfici iussit . . .; cf. uir. ill. 75, 10; Sen., Ben. V, 16, 3 : Liu., Per. 88; Dio, frgt. 109, 5. Plutarque (Sulla 30, 4) parle d'égorgement (σφαττομένων), Valère-Maxime fait vraisemblablement allusion à une exécution par la hache (IX, 2, 1 : obtruncari iussit) tandis qu'Appien parle d'une exécution à la lance (BC I, 93, 432 : κατηκόντισε). 107 Pour la volonté de triomphe sur l'ennemi, elle est trop évidente et elle s'est trop souvent manifestée dans l'histoire pour qu'il soit besoin d'y insister; cf. Val. Max. IX, 2, 1 : Id quoque inexplebilis feritatis indicium est, abscisa miserorum capita, modo non uultum ac spiritum retinentia, in conspectum suun afferri uoluit ... et tout le thème du canni balisme. En ce qui concerne la souffrance après la mort, Lucrèce nous est témoin de ce que les anciens ne pouvaient admettre que toute sensibilité quitte le corps au moment de la mort (III, 870-893) et, d'après Ovide, Pythagore voulait rassurer les hommes sur ce point : (Meta. XV, 156-157 : Corpora, siue rogus fiamma, seu tabe uetustas / abstulerit mala posse pati non ulla putetis. Sur ces problèmes uid Cumont· Lux perpetua 16 (qui interprète dans le même sens la formule s(it) t(ibi) t(erra) l(euis) ) et Levy-Bruhl, préf. à FRAZER II. En ce qui concerne le statut social du mort, nous y reviendrons plus bas à propos de la privation de sépulture. Notons simplement, pour le moment, que les anciens lient « mysti quement l'état de l'esprit du mort à celui de la chair et des os de son corps». (JobbéDuval, Morts malfaisants 15; cf. Levy-Bruhl, «Fonctions mentales» 378). Pour les prati ques de décapitation chez les Romains, J.-L. Voisin, « Les Romains chasseurs de têtes », Colloque Du Châtiment dans la cité, Rome, novembre 1982. 108 Tab. Her. 122.
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ducum pilo trépidant gestata per urbem109. Ce n'était certes pas une innovation puisque, sans remonter haut, Rabirius avait exhibé la tête de Saturninus1-10 et Marius ne s'était pas privé d'en user ainsi, à son retour, en 87, avec la tête de l'orateur Antoine et celle de ses autres victimes111. Pour ce qui est des proscrits de Sylla, on sait que les têtes de C. Marcius Censorinus, de C. Carrinas, de Telesinus, de Damasippus et de Gratidianus furent envoyées à Préneste pour y être promenées au bout d'une pique autour des murailles112. Quant à l'exposition de ces têtes au Forum, sur les rostres, sa signi fication est trop évidente pour qu'il soit besoin d'y insister longuement. La valeur symbolique de cette tribune aux harangues où étaient dres sées les statues des personnages les plus célèbres et où fut érigée la statue équestre dorée de Sylla lui-même113 est bien connue et s'expli que, bien sûr, par sa situation privilégiée114.
Les exécutions II y a sans doute plus à apprendre en examinant la technique de mise à mort des victimes. Appien donne là-dessus des renseignements qu'il n'est pas facile d'interpréter. Selon lui, en effet, certains sénateurs de la liste supplémentaire furent tués (διεφθείροντο) par surprise, là où ils se trouvaient, chez eux, dans les rues ou dans les temples; d'autres furent «portés» à Sylla et jetés à ses pieds; d'autres enfin furent tirés et
109Lucan. II, 169. "° Vir. ill. 73, 2. 111 App., BC I, 73, 338. 112 Pour chacun de ces personnages uid. infra Prosopographie s.nn. 113 App., BC I, 97, 451 : ...εικόνα τε αύτοΰ έπίχρυσον έτη 'ίππου προ των εμβόλων άνέθησαν. Cicéron reproduit, dans la IXe Philippique, (§§ 15-17), un sénatus-consulte décidant l'érection d'une statue pédestre en bronze à Ser. Sulpicius Ruf us «m rostris». 114 Sur cette question uid. Platner-ashby s.n. et Coarelli, Guida 62-64. Déjà en 88 la tête de Sulpicius avait été exposée à cet endroit et Velleius présente cette exhibition com meun omen proscriptionis : ... caputque erectum et ostentatum pro rostris, uelut omen imminentis proscriptionis fuit (II, 19, 2). Et l'année suivante, après la mort d'Octauius, les marianistes avaient suspendu aux rostres la tête des sénateurs assassinés (App., BC I, 71, 328-331 et Dio, frgt. 102,9).
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foulés aux pieds115. La première catégorie ne pose pas de problèmes particuliers. Il s'agit de gens qui ont été égorgés, quel que fût l'endroit où ils se trouvaient116, et dont les têtes ont été apportées au Forum pour être payées par Sylla et exposées117. En revanche les deux autres modes d'exécution ne sont pas très clairs : en particulier on voit mal la signification qu'il faut donner au fait que certains furent transportés (μετέωροι προς τον Σύλλαν φερόμενοι)118. En tout cas ce qui est évident c'est la volonté de donner un caractère solennel à ces exécutions, qui ressemblent fort à des exécutions militaires. On rappellera, en effet, que si en principe une exécution doit avoir lieu en dehors du pomerium, celle qui concerne les prisonniers de guerre qui ont accompagné le cortège triomphal avait primitivement lieu sur le Forum (avant de se dérouler dans le Tullianum à la fin de la République)119. Si, dans le cas de la proscription, on amène les victimes à Sylla, c'est selon toute vra isemblance, pour procéder à une décapitation par la hache, ce que paraît confirmer l'expression ριπτούμενοι employée par Appien et qui doit faire allusion à la dernière phase de l'exécution présidée par un magistrat, celle où le «condamné» est étendu sur le sol pour y recevoir
115 BC I, 95, 443 : Και τώνδε οι μεν άδοκήτως καταλαμβανόμενοι διεφθείροντο ένθα συνελαμβάνοντο, έν οίκίαις ή στενωποΐς ή ίεροΐς, οι δέ μετέωροι προς τον Σύλλαν φερόμεν οι τε καί προ ποδών αύτοο ριπτούμενοι οι δέ και έσύροντο και κατεπατοοντο, ουδέ φωνήν έτι των θεομένων ούδενός έπί τοσοΐσδε κακοΐς έχοντος ύπ* εκπλήξεως. 116 Dion insiste bien sur le fait qu'aucun temple ne les mettait à l'abri des assassins (frgt,109, 18). 117 Dio, frgt. 109, 21 : «Ότι πάντων των σφαζομένων όπουδαν ai κεφαλαί ες την των 'Ρωμαίων άγοραν έκομίζοντο καί επί τοϋ βήματος έξετίθεντο . . . Et de fait, même la tête de Cn. Papirius Carbo, tué par Pompée en Sicile, fut envoyée à Rome (App., BC I, 96, 449). 118 J. P. Callu nous a suggéré que les mots utilisés par Appien pouvaient être la sim ple transcription de l'expression latine sublimis raptus ou elatus (sublimis = μετέωρος CGL II, 190) qui semble désigner une forme d'arrestation : Duette istum. Si non sequitur, rapite subliment foras (Plaut., Mil. 1394; cf. aussi Men. 992 : oblatus sublimis). Cette hypo thèse a le mérite de la simplicité : les personnages «arrêtés» (l'expression n'est pas juridi que), sans doute ceux dont l'exécution avait le plus d'importance, sont menés - portés devant Sylla où ils sont allongés sur le sol pour subir la décollation. 119 Cic, IlVerr. 5, 77; cf. Mommsen (Dr. Pén. III, 249 et n. 3) qui fait observer que l'exécution par la hache sur le champ de Mars, avec le concours des flamines de Mars et de Jupiter, d'époque césarienne, et après laquelle la tête des suppliciés était exposée à la regia, «n'est sans doute que la reprise d'une forme d'exécution de l'époque primitive».
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le coup de hache120. Il n'est pas impossible, d'ailleurs, que l'on ait pro cédé préalablement à une flagellation, mais rien, dans nos sources, ne permet de l'affirmer pour les exécutions sur le Forum, sinon dans le cas de M. Marius Gratidianus dont nous savons que le traitement fut particulier121. Quoi qu'il en soit, cette exécution par la hache est aussi pratiquée hors de Rome, par Sylla lui-même sur les notables Ephésiens 122, par P. Cethegus sur les Prénestins qui lui ont fait reddition 123, et surtout par Pompée sur les chefs marianistes d'Asculum124 et sur le consul Cn. Papirius Carbo 125. A l'évidence, le mode d'exécution choisi qui assimilait les victimes à des barbares capturés à la guerre consti tuaitune humiliation supplémentaire pour des magistrats et des séna teurs du peuple Romain. Un indice vient d'ailleurs corroborer cette hypothèse : il s'agit du choix du Seruilius lacus comme lieu des exécutions. On sait en effet par deux sources, notamment par le témoignage contemporain de Cicéron, que cette fontaine du Forum, située à l'extrémité du uicus Iugarius126, avait servi comme lieu d'exécution et d'exposition des têtes tranchées. On se souvient que le tout jeune avocat de Sex. Roscius, s'en prenant à l'engeance des accusateurs, rappelait que la proscription avait été l'o ccasion de se débarrasser de nombre d'entre eux et comparait, sur le mode ironique, cette disparition massive à un désastre de Trasimène : Multos caesos non ad Trasimenum lacum, sed ad Seruilium uidimus127. Une indication du même ordre est fournie par Sénèque qui prête à P. Rutilius Rufus des paroles méprisantes pour Rome qui mérite bien les massacres qui s'y déroulent : Videant largum in foro sanguinem et
254.
120 La procédure d'exécution par la hache est décrite par Mommsen, Dr. Pén. III,
121 Cf. infra Prosopographie. Pour une flagellation qui s'est produite hors de Rome uid. l'attitude de Pompée à Asculum (infra n. 124). 122 Ephesi causis cognitis principes belli securi necat . . . Gran. Lie. 28, 4 Fl. 123 Val. Max. IX, 2, 1 : ... cum abiectis armis humi corpora prostrauissent . . . 124Oros. V, 18, 26: Pompeius Asculum ingressus praefectos, centuriones cunctosque principes eorum uirgis cecidit securique percussit . . . 125 Lucan. II, 547-548 : ... nostrasque securis / passus, Sicanio tegitur qui Carbo sepulchro . . . Plutarque (Pomp. 10, 6) parle d'une décapitation par l'épée : . . . ώς ειδεν έλκόμενον το ξίφος ... ce qui semble être un anachronisme. 126 C'est Festus (370 L) qui fournit ce renseignement : Seruilius lacus appellabatur ab qui eum faciendum curaurat in principio uid Iugari, continens basilicae Iuliae; in quo loco fuit effigies hydrae posita a M. Agrippa. 127 Rose. Amer. 89.
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supra Seruili[an]um lacum (id enitn proscriptionis Sullanae spoliarium est) senatorum capita . . . 128. La congruence de ces deux témoignages ne nous permet pas de douter qu'une partie au moins de ces exécutions s'était faite au Seruilius lacus qui ne servit pas seulement de lieu d'ex position pour les têtes tranchées comme le laisse entendre - fausse mentselon nous - une scholie de Lucain 129. Le choix du Seruilius lacus n'est pas «innocent», comme bien on pouvait s'en douter: certes les têtes devaient se voir de loin, comme celles qui étaient posées sur les rostres, mais surtout, ainsi que nous l'a suggéré F. Coarelli, ce lacus Seruilius avait dû servir anciennement de marché aux esclaves130 (ce que son nom semble indiquer et ce que paraît confirmer le nom du uicus qui y mène: Iugarius131) et il ne paraît pas faire de doute qu'il s'agissait d'un endroit tout désigné pour en finir avec ses ennemis, c'est-à-dire avec les ennemis de la République.
Le traitement du cadavre A toutes ces humiliations viennent s'ajouter, bien sûr, celles qui concernent le cadavre lui-même. Il semble bien, tout d'abord, qu'un certain nombre d'entre eux aient été volontairement mutilés - en de hors même de la décapitation. C'est ce que laisse entendre Appien lors qu'il affirme que certaines victimes furent piétinées (κατεπατοΰντο) et
128 Sen., Prou. III, 7. Le spoliarium est l'endroit de l'amphithéâtre où l'on achevait les gladiateurs blessés et désormais incapables de combattre et où l'on dépouillait les cadav res. Vid. Sen., Epist. 92, 12 : Numquid aliquem tant stulte cupidum uitae puîas ut iugulari in spoliario quant in arena malti? 129Adnot. sup. Lucan. II, 160 : Cum congesta essent ad Seruilium lacum capita peremptorum, haec iussit Sulla proponi, unde ait Tullius 'multos caesos non ad Trasimenum sed ad Seruilium lacum uidimus '. Le texte de Cicéron ne laisse pas de doute sur ce qui se passa à l'entour de cette fontaine. Dans le même sens que le scholiaste Firm. Mat., Astronom. I, 7, 34 : Visne aliquid tibi, qui in Sullanis temporibus immoramur, de lacu Seruilio referam in quo multorum senatorum capita ad ostentationem immanissimi facinoris sectis ceruicibus pependerunt? 130 Seruilius peut, en effet, être considéré comme un dérivé de seruus (Ernout-Meillet s.n.) Sur la localisation de cette fontaine uid. T. Frank, Roman Buildings of the Repub lic,Rome, 1924, 75 : une structure de 5 χ 11 m sous le pavement impérial du uicus Iugar ius, à la jointure avec le cliuus Capitolinus. Vid. Nash, Bildlexikon, II, 18-20. 131 A moins qu'il ne fasse référence au mariage (Festus 104. L).
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c'est ce que démontre Lucain dans les paroles qu'il fait prononcer à César avant Pharsale : « Regardez ces croix, regardez ces chaînes pour les Césariens, et ma tête portée sur les rostres, mon corps déchiquet é ...; nous menons une guerre civile contre un chef Syllanien»132. Là encore il est inutile d'insister sur une pratique constante à toutes les époques et dans toutes les civilisations 133 et que le peuple Romain avait encore connue récemment avec le traitement infligé par la foule au corps de Cn. Pompeius Strabo134 ou celui que les marianistes avaient réservé à certaines de leurs victimes135. Mais en l'occurrence il convient de distinguer entre ce qui relève de la «Lynchjustiz»136 comme, par exemple, la mise en pièces de Baebius le marianiste 137, de ce qui ressortit à la volonté de mutiler systéma tiquement. A ce propos, on fera remarquer que le supplice horrible infligé à M. Marius Gratidianus par Catilina n'avait pas seulement va leur de «torture» : il était une mutilation spectaculaire de son corps, la victime elle-même étant témoin de cette mutilation multiple puisque le «sacrificateur» évita soigneusement de porter un coup mortel et n'arra cha les yeux qu'à la fin du supplice138. Tous les proscrits n'avaient pas, pour les syllaniens, le même «inté rêt»que Gratidianus et tous ne furent donc pas soumis à un traitement aussi atroce. En revanche, le fait que les cadavres aient été traînés, accrochés par un croc (uncus), constitue indiscutablement une mutilat ion, quelle que soit, par ailleurs, la signification du recours à cet ins-
132 Lucan VII, 304-307 : Caesareas spedate cruces, spedate catenas / et caput hoc positum rostris effusaque membra / / Cum duce Sultano gerimus ciuilia bella. 133 Pour quelques exemples de mutilation de cadavre uid. Frazer II, 53 sq. et 63 sq. 134 En 87 : Veli. Pat. II, 21, 4; Gran. Lie. 23, 6 FL; lui. Obseq. 116. 135 Lucan. II, 124 : Truncos lacer auit Fimbria Crassos . . . 136 Expression empruntée à Münzer dans son article de la RE consacré à C. Fabius Hadrianus (n° 82). 137 Contraitement à ce que laisse entendre Lucain (II, 119-121) c'est le Baebius marianiste qui fut déchiqueté par une foule en colère (cf. infra Prosopographie s.n.). 138 Nous avons essayé de montrer ailleurs («La maie mort au temps de la première proscription», Colloque Du Châtiment dans la cité, Rome, novembre 1982) qu'en effet un certain nombre de victimes, Gratidianus, c'est bien connu, mais aussi vraisemblablement Baebius, M. Plaetorius et Venuleius (uid. infra prosopo.) ont eu a subir une exécution par ticulière consistant en la mutilation de leur corps vivant, mutilation opérée collectiv ement et dans un lieu politiquement significatif: le tombeau du collègue de Marius en 102 : Q. Lutatius Catulus.
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trument139. On rappellera, à ce propos, l'expression dont use ValèreMaxime lorsqu'il rapporte que les corps des victimes massacrées dans la Villa publica furent traînés au croc dans le Tibre : lacerata ferro cor pora 14°. Toutes ces pratiques humiliantes avaient pour but de priver ceux qui en étaient les victimes du statut de «morts honorables» comme le rappelle Cicéron dans le texte du pro Quinctio déjà cité : ... infra . . . mortuos amandatur. En effet, selon une croyance constante dans l'Antiquité, la mutilation atteignait l'âme aussi bien que le corps et empêchait, par là-même, la sépulture rituelle; et l'on sait l'importance de la sépulture pour la vie de l'au-delà141. On ne peut pas ne pas son-
139 A ce propos on fera observer qu'à la différence des morts honorables dont le corps est «levé» {tollere, efferre), les morts non honorables, les biothanatoi - et les fou droyés - ne peuvent pas être soulevés de terre. Sur les croyances concernant les biotha natoià l'époque républicaine uid. A. M. Tupet, La Magie dans la poésie latine : I. Des Origi nesà la fin du règne d'Auguste, Lille, 1976, passim. Pour ce qui est de l'utilisation de Yuncus, elle intervient après la mort des suppliciés : lorsqu'à lieu l'exécution proprement dite, les Illuiri capitales font sortir le cadavre par le carnifex qui le traîne avec son croc. Cf. les prescriptions de la loi de Pouzzoles à ce sujet (AE 1971) : ... item si unco extrahere iussus erit oper(a) russat(a) cadauer ubi plura cadauera erunt cum tintinnabulo extrahere debebit (11. 13-14). Sur ces problèmes uid JobbéDuval, Morts malfaisants 68 et F. Cumont, After life in Roman Paganism, Yale, 1922, 145. 140 Val. Max. IX, 2, 1 : Dans le même sens on se reportera à la description des prati ques de la sorcière Erichto traînant un cadavre ; Electum tandem traiecto gutture corpus / ducit et inserto laqueis feralibus unco / per scopulos miserum trahitur . . . (Lucan. VI, 637639. Pour l'application aux proscrits on citera simplement Flor. II, 9, 14 et Oros. V, 20, 4. 141 On se souvient du soin que, dans les Métamorphoses d'Apulée, Télyphron est censé apporter à la veille d'un mort dont on lui a fait l'inventaire préalable pour montrer qu'il n'avait subi aucune mutilation (chap. 21-30). Vid. Jobbé-Duval, Morts malfaisants 44-45. Cf. en particulier Tert, de Anima 56 : Perinde extorres inferum habebuntur quas ui ereptas arbitrantur praecipue per atrocitates suppliciorum, cruets dico et securis et gladii et feras. Pour ce qui concerne la privation de sépulture, il suffit de rappeler les imprécations de Thyeste contre Atrée : (Neque sepulcrum quo recipiat habeat portum corporis / ubi remissa humana uita corpus requiescat malis - Enn., Thy estes XII, 316-317). On citera auss iFustel De Coulanges (Cité Antique 12): «Dans les cités anciennes, la loi frappait les grands coupables d'un châtiment réputé terrible, la privation de sépulture. On punissait ainsi l'âme elle-même et on lui infligeait un supplice presque éternel. » : et Cumont (Lux pertetua 23) : « Les appréhensions irraisonnées qu'inspirait la privation de sépulture sub sistèrent jusque sous l'Empire, non seulement dans la foule crédule, mais encore dans les classes les plus éclairées». C'est Auguste Comte (cité par Levy-Bruhl dans sa préface à Frazer II) qui écrivait : «l'humanité se compose de plus de morts que de vivants».
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ger, à ce propos, au traitement que Sylla avait infligé aux restes de C. Marius, mort quatre ans plus tôt, cuius corpus milites inimici extrac iummonumento disiecerant142. Comme le fait observer E. Jobbé-Duval, « cet incident des guerres civiles jette une vive lumière sur les croyances populaires des Romains»143 qui considéraient d'ailleurs que \agens Cor nelia avait adopté la crémation pour éviter que, par représailles, un traitement identique ne soit infligé à ses morts144. Dans le cas de Marius, la privation de sépulture et la mutilation du cadavre sont indis sociables comme elles le furent aussi pour les proscrits. Encore une fois, Sylla n'innovait pas en refusant la sépulture à ses victimes : l'édile de la plèbe Lucretius avait mérité son cognomen Vespillo parce qu'il avait fait jeter dans le Tibre le corps de Tiberius Grac chus et de ceux qui étaient morts avec lui en 133 145; Marius avait inter dit qu'on ensevelisse ses victimes de 87 dont le cadavre fut abandonné aux chiens et aux oiseaux146; et de même, Damasippus avait fait traîner au Tibre le corps des sénateurs qu'il avait assassinés147. D'ailleurs, la guerre civile n'est-elle pas, par définition, la guerre qui empêche la sépulture rituelle : ... bellum ciuile sepulchra / uix ducibus praestare potest ... 148? Ce qui, peut-être, est nouveau avec Sylla, c'est qu'il semble bien que l'interdiction de sépulture, qui se déduisait normalement du traitement infligé aux proscrits, ait figuré expressément dans l'édit luimême. C'est du moins l'hypothèse qu'on peut formuler à la lecture de Lucain et des scholies qui le commentent. Transcrivant les appréhens ions des Romains à la veille de la guerre civile, le poète donne la paro-
>« Gran. Lie. 33, 1-3 Fl.; Cic, Legg. II, 56; Val. Max. IX, 2, 1; Lucan. I, 583-584. 143 Morts malfaisants 54. 144 Sur l'opposition crémation/inhumation dans les croyances des anciens uid. notam mentCumont, Lux perpetua, notes complémentaires 390, qui souligne que l'incinération ne fait qu'anticiper, aux yeux des stoïciens, Yecpyrosis qui doit détruire le monde par le feu, et permet à l'âme de s'échapper victorieusement. En ce qui concerne Sylla, si on doit en croire Granius Licinianus (32-33 Fl), il avait demandé à être enterré (condì corpus iusserat) mais c'est L. Marcius Philippus qui avait suggéré qu'on le brûle pour lui épargner le sort de Marius. 145 Val. Max. I, 4,2; uir. ill. 64, 8; Oros. V, 9, 3. Cf. infra Prosopographie I, s.n. 146 App., BC I, 73, 338. En particulier Baebius et Numitorius : Baebium atque Numitorium per medium forum und traxere carnificum (Flor. II, 9, 14). 147 Oros. V, 20, 4 : Corpora interfectorum per carnifices unco tracta in Tiberini missa sunt. App., B.C. I, 88, 404. >« Lucan. IX, 235-236.
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le à l'un d'entre eux qui se souvient de ce qu'il a connu au temps de la proscription: «Moi-même, il m'en souvient, soucieux de placer sur le bûcher et les flammes interdites le visage défiguré d'un frère massacré, je parcourus tous les cadavres de la paix de Sylla et cherchai, parmi les troncs, à quel convenait la tête coupée. . .»149. Il caractérise d'ailleurs cette action comme «un vol commis en tremblant» (pauido . . . furto150); les Commenta Bernensia présentent, à ce propos, la privation de sépul turecomme une prescription de Sylla151 et les Adnotationes super Lucanum en font de même pour l'immersion de tous les cadavres dans le Tibre152. Si on admet cette hypothèse, on doit convenir qu'une fois encore Sylla avait systématisé quelque chose qui allait de soi puisque la privation de sépulture se présente comme une peine accessoire «ratta chéede plein droit à la peine prononcée ou ordonnée par le magistrat dans l'exécution de la condamnation pénale»153; on pourrait retrouver là le désir de rendre plus spectaculaire encore l'élimination des enne misen «légalisant» les procédures mises en œuvre pour y parvenir.
Deuil et souvenir On n'a pas, en revanche, d'indication positive sur la présence dans le texte de l'édit d'une mesure connexe de la privation de sépulture : l'interdiction du deuil154. Cela ne signifie bien évidemment pas que le
149 II, 169-173 : Meque ipsum memini caesi deformici fratris / ora rogo cupidum uetitisque imponere flammis / omnia Sullanae lustrasse cadauera pads / perque omnis truncos cum qua ceruice recisum / conueniat quaesisse caput. 150 Ibid. 168. 151 Ad Lucan. II, 152 : quoniam Siila praeceperat non debere interfectorum cadauer a sepeliri. Cf. Adnotat. II, 159: ...uetabat enim eos Sylla sepeliri. Appien (BC IV, 16) confirme, en tout cas que la privation de sépulture fut une caractéristique des maux de l'époque de Marius et de Sylla : ... και προσήν έκείνοις άταφία. 152 Ad II, 210 : Omnes enim in Tiberini occisos mitti Sylla praeceperat. On ne manquer a d'ailleurs pas de se reporter à la description épique que fait Lucain des cadavres cons tituant un barrage pour le fleuve qui se gonfle jusqu'à faire éclater l'obstacle pour aller trancher de rouge les flots bleus de la mer tyrrhénienne (II, 210-220). »" Mommsen, Dr. Pén. III, 337. 154 La signification de l'interdiction du deuil est la même que celle de la privation de sépulture : c'est la rupture des liens juridiques et sociaux entre le mort et le reste de sa
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deuil ait été autorisé, mais les sources dont nous disposons pour cette période ne disent pas que l'interdiction en avait été expressément fo rmulée par Sylla, pas plus qu'elle ne le fut dans l'édit des Triumvirs en 43 155. Sans doute, originellement, interdisait-on le deuil «pour préser ver l'ordre public et le respect dû aux condamnations, en évitant que des cérémonies ostentatoires soient dédiées au condamné par sa famill e»156, mais en ce qui concerne la période de la victoire syllanienne, on peut penser que les parents se dispensèrent de manifester des sent iments qui auraient pu être interprétés comme des signes de complicité. Ce n'est d'ailleurs pas le texte de Dion qui évoque l'exécution de gens laissant paraître quelque sentiment que ce fût à la vue des listes de proscription qui pourrait nous contredire : selon lui, un sourire, aussi bien qu'une larme, pouvait être fatal157. Autre mesure connexe de la privation de sépulture mais sur laquell e nous sommes un tout petit peu mieux renseignés : la damnatio memoriae 158. Il est vrai que la flétrissure de mémoire que nous connais sons plus précisément ne concerne pas un proscrit à proprement parler puisqu'il s'agit de celle de C. Marius, dont César, lors de son édilité, en 65, releva les trophées que Sylla avait renversés. Plutarque, qui raconte en détail cet épisode, signale bien que, pour certains, «César visait à la tyrannie en exhumant des honneurs enterrés par des lois et des dé crets»159, ce qui tend à prouver que la damnatio memoriae des Marii
gens (Glotz, Solidarité 59). On sait que ceux dont le tombeau n'est pas entretenu sont considérés comme morts deux fois (Propert. III, 6, 25-30). Pour des interdictions explicitement formulées uid. Ulpien (Dig. Ill, 2, 11, 3): Non soient autem lugeri, ut Neratius ait, hostes uel perduellionis damnait, nec suspendiosi nec qui manus sibi intulerunt non taedio uitae sed mala conscientia. . . 155 Sur l'édit de 43 uid. infra le chap. 5, 227-244. 156 Lebigre, Responsabilité 93. 157 Dio, frgt. 109, 16 : Τό τε δακρυσαι ή και γελάσαι θανάσιμον το παραχρήμα έγίγνετο και δια τοΰτο και πολλοί . . . οτι και έσκυθρώπασαν ή και έμειδίασαν, έφθείροντο. Jal («Cruauté» 482-483) considère que ce texte prouve l'interdiction du deuil. Il n'en est rien selon nous : rappelons que, pour 43, Dion signale l'interdiction du deuil en des termes non équivoques (47, 13, 2) : Και αυτούς ουδέ πενθείν τισιν εξουσία ην ... Il nous paraît d'ailleurs significatif qu'Appien ne parle pas de ces prescriptions pour 82. Pour une exécution justifiée, selon Valère-Maxime, par une manifestation de deuil cf. infra Prosopographie s.n. Plaetorius. 158 Sur le problème général uid. Mommsen, Dr. Pén. III, 340-341 et Dr. Pub. VII, 413414. 159 Caes. 6. 3 : 'Αλλ' oi μέν έβόων τυρρανίδα πολιτεύεσθαι Καίσαρα, νόμοις και δόγμασι
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figurait dans une loi, après avoir été annoncée dans un edictum, d'une façon similaire à ce qui se produisit pour les proscrits.
La confiscation II est enfin un point que les historiens modernes lient à l'édit de proscription et que pourtant les sources anciennes distinguent assez nettement : il s'agit de la confiscation des biens. On fera d'abord obser verqu'une telle pratique n'était pas nouvelle : sans vouloir remonter bien haut, on rappellera que les marianistes s'étaient emparés des biens de Sylla et de ceux qui le soutenaient pendant qu'il était en Asie160. Mais ce qui paraît compter, en l'occurrence, c'est que Sylla n'avait pas attendu la proscription pour faire main basse sur les biens de ses adversaires et pour les vendre : c'avait été un de ses premiers actes lorsqu'il était entré dans Rome au printemps 82 161. En revanche, si nous sommes assurés que certains articles de la lex Cornelia qui fit sui teà V edictum, traitaient avec précision des confiscations et des ventes, nous ne possédons aucun témoignage qui nous permettre d'affirmer qu'elles figuraient déjà dans cet édit. Ce n'est sans doute pas un hasard : Sylla avait clairement déclaré que ces biens constituaient sa praeda 162 et il est possible que cette déclaration ait été déjà faite à l'a ssemblée du peuple qu'il avait convoquée en avril 82, précisément après avoir procédé à des ventes 163. La proscription était un édit de mort qui visait à l'élimination immédiate de tous les adversaires nommément
κατορωρυγμένας έπανιστάντα τιμάς . . . Parlent aussi de cette action Velleius Paterculus (II, 43, 4) et Suétone (Dim. lui. 11, 2). 160App., 5C 1,73, 339-340. 141 App., BC I, 89, 407. 162 Cic, leg. agr. 2, 56 : L. Sulla cum bona indemnatorum ciuium funesta ilia auctione sua uenderet et se praedam suam diceret uendere ... Cf. Off. II, 27 ... est enim ausus dicere, hasta posita cum bona in foro uenderet et bonorum uirorum et locupletium et certe ciuium, praedam se suam uendere. Sur les implications juridiques de cette conception uid. infra chap. 4, 189-192. 163 Cicéron affirme que cette déclaration fut faite in contione ; ... tantum animi habuit ad audaciam ut dicere in contione non dubitaret, bona ciuium Romanorum cum uenderet, se praedam suam uendere. (IlVerr. 3, 81). Or Appien nous est témoin qu'il avait réuni une assemblée à sa première entrée dans Rome : ... τον δέ δήμον ες έκκλησίαν συναγαγών . . . (BC Ι, 89, 407). Sur cette contio uid infra chap. 3, 107-108.
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désignés et ne prenait pas en compte les conséquences à plus long te rme (conséquences patrimoniales, statut des liberi) qu'une loi devait régler. La confusion entre l'édit de proscription et la loi est entretenue par le fait que la loi reprend, en partie, l'article de proscription. Par exemp lel'interdiction faite de porter assistance aux proscrits fut reprise dans la loi, selon le témoignage de Cicéron qui nous montre les héri tiers de P. Trebonius refuser de jurer d'accomplir le testament parce qu'il comporte une clause qui leur fait une obligation de donner la moit ié, au moins, de leur part d'héritage à A. Trebonius qui a été proscrit : docent non oportere se id turare facturos esse quod contra legem Corneliant esset, quae proscriptum, iuuari uetaret 164. Les autres clauses de l'ar ticle ont vraisemblablement été reprises dans la loi, elles aussi, parce qu'un certain nombre de proscrits avaient pu échapper à la mort (les sertoriens, pour ne citer qu'eux), et qu'il fallait leur ôter toute possibili té de revenir.
Les listes Quant à la liste elle-même, elle suivait «l'article» de proscription: nous pouvons considérer que les noms qui y figuraient étaient classés selon l'ordre hiérarchique, comme sur toute liste officielle. Il n'y a d'ailleurs rien là qui doive surprendre : il est tout à fait naturel, en som•me, que dans une procédure comme celle-ci, le classement des indivi duss'opère selon les catégories traditionnelles. C'est la raison pour laquelle, sans doute, Orose énumère ainsi les premières victimes : Pr ima proscriptio octoginta hominum fuit, in quibus quattuor consulares erant, Carbo, Marius, Norbanus et Scipio, et inter eos Sertorius, tune maxime pertimescendus 165. En l'occurrence, l'ordre hiérarchique est ob servé puisque Cn. Papirius Carbo est consul III en 82 avec Marius (consul pour la première fois, à l'âge de vingt-six ans). C. Norbanus et L. Cornelius Scipio Asiagenus sont les consuls de l'année précédente, année au cours de laquelle Sertorius a été préteur166. On remarquera pourtant qu'Orose parle de «quatre consulaires» alors qu'en principe
164 // Verr. 1, 123. Vid. le chapitre 2 consacré à cette loi. 165 Orose V, 21, 3. 166 Pour tous ces problèmes, uid. infra Prosopographie s. nn.
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Cn. Papirius Carbo et Marius sont encore consuls au moment de la proscription. Cet emploi de consularis ne doit pas nous tromper : il ne signifie pas que la proscription a commencé en 81, comme nous aurons l'occasion de le montrer167. Quoi qu'il en soit, nous avons constaté que l'ordre hiérarchique est strictement respecté dans les noms de la liste de proscription telle que nous la transmet Orose : on pourrait, bien sûr, attribuer cette hiérarchi sation à une volonté classificatoire de l'historien, interprétation confir mée,en apparence, par deux textes d'Appien et de Salluste qui ne don nent pas les noms dans le même ordre. Appien, en effet, racontant que dans toute l'Italie on se livra au massacre des gens qui avaient obéi aux principaux chefs marianistes, reproduit ainsi leur nom : όσοι τι Κάρβωύπ' νος ή Νορβανοΰ ή Μαρίου ή των έκείνοις στρατηγούντων ύπήκουσαν168. Mais ce n'est pas là, à proprement parler, une enumeration de victimes, c'est plutôt un catalogue de chefs militaires. Les critères de classement sont donc ceux du prestige, ce qui explique le passage du jeune Marius après Norbanus. La preuve en est que L. Cornelius Scipio est absent : ses troupes on été débauchées par Sylla en 83. Quant à l'auteur des lettres à César, lorsqu'il invite ce dernier à se souvenir des massacres Syllaniens - pour ne pas les renouveler -, il indique ainsi les victimes : An Ma, quae paulo ante hoc bellum in Cn. Pompeium uictoriamque sullanam increpabantur obliuio interfecit : Domitium, Carbonem, Brutum, aliosque item . . . per summum scelus interfectos. . .?169 Mais là non plus il ne s'agit pas d'une enumeration de vic times. Ce sont plutôt des exemples parmi les plus illustres et les plus notoirement «populaires»: Cn. Domitius Ahenobarbus qui rassembla les forces marianistes en Afrique, Cn. Papirius Carbo (cos. 85, 84, 82) et M. Iunius Brutus (tr. pi. 83), qui fut exécuté sur l'ordre de Pompée en 77 à la fin de l'équipée de Lèpide à laquelle il s'était joint 170. Il est donc vraisemblable que les noms que donne Orose et qu'il a dû prendre chez Tite-Live, sont bien ceux qui figuraient en tête de liste. Comment ne pas voir, en effet, que Sylla, comme il en avait fait l'a nnonce au peuple romain171, avait l'intention d'opérer une purge systé-
167 Id. infra chap. 3, 106-107. 168 BC I, 96, 445. 169 Ep. adCaes. 1,4, 1. 170 Cf. Prosopo. I, s.n. Sur la guerre de Lèpide, chap. 4, 152-156. 171 Appien B.C. I, 95, 441.
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matique et que la publication de listes nominatives, sur lesquelles les noms étaient classés selon les critères traditionnels, révèle cette inten tion? Il est clair, par ailleurs, qu'un tel classement correspond à une volonté raisonnée d'éliminer les ennemis de la cité et de terroriser les éventuels sympathisants plus qu'à un aveugle instinct de vengeance, et il est possible que la représentation traditionnelle d'un Sylla comme monstre de cruauté froide trouve ici son origine. Ce classement des noms fait pourtant difficulté, du moins en appa rence : il implique, en effet, qu'il n'y avait qu'une seule liste de pros cription, close au moment de l'affichage. Or la tradition nous parle de plusieurs listes et Plutarque prête même à Sylla l'intention de laisser ouverte la liste de proscription : « Dans un discours qu'il tint au peuple sur ce sujet, il (Sylla) déclara qu'il proscrivait tous ceux dont il se sou venait et que ceux qu'il avait oubliés jusqu'à ce moment, il les proscrir ait plus tard172». Selon son biographe qui la transcrit, cette déclaration du dictateur aurait été faite après l'affichage de trois listes : «... Sylla proscrivit aussitôt quatre-vingts personnes, sans en avoir référé à au cun magistrat. L'indignation générale ne l'empêcha pas d'en proscrire deux cent vingt autres le surlendemain et autant le jour suivant173». Même indication chez Firmicus Maternus qui, pour souligner la cruaut é de Sylla, écrit que le dictateur ne se laissa pas émouvoir par les plaintes de ses concitoyens mais fit afficher une troisième liste : . . . cum omnium ciuium gemitu etiam tertiam proscriptionis tabulant posuit . . . 174. En revanche Orose n'indique que deux listes : Prima proscriptio octoginta hominum fuit, in quibus quattuor consulares erant . . . Item alia cum quingentis nominibus proposita est . . . 175. Aux termes de cette explication il y aurait donc eu une première liste sur laquelle auraient figuré les anciens magistrats marianistes au nombre de qua tre-vingts suivie d'une seconde sur laquelle auraient été inscrits un grand nombre de personnages moins en vue {quingenti ayant ici sa valeur indéterminée). Appien, avec des chiffres différents, semble confirmer cette dualité des listes : «Après ce discours (au peuple) il proscrivit aussitôt quarante sénateurs et mille six cents chevaliers»176.
172 Plut., Sulla 3Ì, 6. 173 Ibid. 31,5. 174 Math. I, 7. 175 V, 21, 3-4. 176 BC I, 95, 442.
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Puis il déclare, un peu plus loin : « Peu de temps après, il ajouta à ces noms d'autres noms de sénateurs»177. En apparence, la pluralité des listes est confirmée par le» fait que la proscription n'est pas une mesure limitée à Rome, mais qu'on procède de même dans toute l'Italie : Cicéron, dans ses plaidoyers, nous a conservé un certain nombre d'exemples, notamment celui, bien connu, d'Oppianicus, empoisonneur professionnel et justicier syllanien d'occas ion, qu'il nous montre revenant à Larinum pour y proscrire ses enne mispersonnels178. Mais on pourrait citer aussi le beau-père de Rullus «proscrivant tous ses voisins jusqu'à ce qu'il ait réussi à former, aussi loin que portait sa vue, un domaine d'un seul tenant au moyen d'une foule de biens particuliers»179. Si on examine tous ces renseignements, on constate qu'en réalité il y eut deux listes dont la seconde comportait deux volets. La première était constituée des personnages les plus importants (vraisemblable ment au nombre de quatre vingts), personnages classés selon la place qu'ils occupaient dans la hiérarchie sociale. Venait ensuite une seconde liste où il est vraisemblable qu'avaient été mêlés sénateurs et chevaliers du fait même que Sylla avait ajouté un deuxième volet composé exclus ivement de sénateurs si on doit en croire Appien. Cette hypothèse paraît confirmée par le long développement que Dion consacre à la description des listes de la proscription de 43 en comparaison de celles de 82. Il précise en effet: «Tout ce qui s'était produit au temps de Sylla se renouvelait alors, à ceci près qu'il n'y eut affichées que deux tables de proscription, l'une pour les sénateurs, l'au trepour le reste». Il s'étonne ensuite de cette différence à laquelle il n'a pu trouver, dit-il, une explication, et il continue : « Quoi qu'il en soit cela ne fit pas différer les meurtres de ceux qui s'étaient produits auparav ant, car la séparation du nom des citoyens les plus éminents de celui de la foule a sûrement semblé une distinction absurde à des gens égale ment condamnés à mourir»180. Cornelius Nepos, de son côté, parle pour 43 de la proscriptio equitum1*1 ce qui va dans le même sens que ce que dit l'historien grec. 177 Ibid. 443. 178 Cic, Cluent. 25. 179 Cic, leg. agr. 3, 14 : ... cum usque eo uicinos proscriberet quoad ocuîis conforman do ex muîtis praediis unam fundi regionem formamque perfecerit . . . 180 Dio 47, 3, 2-3. mAtt. 12, 4, lorsqu'il explique comment Atticus s'employa à sauver L. Iulius Calidus :
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La volonté classificatoire des triumvirs semble donc avoir été plus grande que celle de Sylla - du moins en ce qui concerne la seconde liste de 82 - quelle que soit la signification qu'il faille donner à la divi sion en deux de cette seconde liste : il fallait, bien sûr, le temps de com poser chacune des tabulae même si la plupart des noms étaient déjà connus à la veille de la victoire; il fallait sans doute aussi ménager ses effets; il fallait peut-être enfin négocier certains ralliements. Quoi qu'il en soit, copie de ces listes dut être expédiée à travers toute l'Italie, et cette constatation n'est pas sans importance : la tradi tion est prompte, en effet, à nous décrire la; proscription comme le meurtre et la vengeance légalisés après coup. Ainsi en est-il, par exemp le,dans le texte du pro Cluentio qui accuse Oppianicus de s'être débar rassé de ses ennemis personnels à la faveur d'une époque troublée. Mais un examen attentif de cette tradition en général et du pro Cluentio en particulier montre qu'en réalité la procédure suivie d'ordinaire est moins expéditive qu'il n'y paraît au premier abord. Oppianicus, en effet, de retour à Larinum, avait fait disparaître les IlIIuiri élus en déclarant . . . se a Sulla et alios très praeterea factos esse et ab eodem sibi esse imperatum ut A.Aurium illum qui sibi delationem nominis et capitis periculum ostentarat, et alterum A. Aurium et eius C. f ilium et Sex. Vibium quo sequestre in ilio inde corrumpendo dicebatur esse usus, pros cribendos interjidendosque curaret 182. C'est donc sur un mandat de Syl la- et non pas du tout sur une initiative personnelle - qu'Oppianicus vient à Larinum avec, entre autres, la mission de faire exécuter des individus dont le nom lui a été préalablement spécifié; l'emploi du ver be curare ne laisse d'ailleurs aucun doute à cet égard, verbe qui est repris plus loin dans un contexte équivalent : ... qui municipes suos proscribendos occidendosque curant (§ 125). Il a, sans aucun doute, luimême suggéré ce nom, mais cela ne modifie pas le caractère contrai gnantde la procédure qu'il suit. Qu'il ait, par ailleurs, pour mission de proscrire {proscribendos) ces gens-là signifie simplement qu'il doit faire
Idem L. Iuîium Calidum quern post proscriptionem equitum propter magnas eins Africanas possessiones in proscriptorum numerum a P. Volumnio, praefecto fabrum Antonii, absentem relatum expediuit. 182 Cic, Cluent. 25. Plutarque (Sulla 31, 9) confirme que la proscription était valable dans toute l'Italie : Προεγράφοντο δ' ούκ εν 'Ρώμη μόνον, άλλα και εν πάση πόλει της 'Ιτα λίας. Sur ce point, uid. Von Bolla, «Proscriptio» 28.
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apposer, dans son municipe, des affiches, copies de l'acte authentique, portant leur nom et l'article de proscription. D'autres faits confirment cette interprétation, notamment l'histoire de Sex. Roscius. Contrairement à ce qu'affirment un certain nombre d'historiens modernes183, le nom du vieux Roscius n'avait pas été ajouté sur la liste des proscrits. Une lecture un peu attentive du discours pro noncé pour la défense de son fils suffit pour s'en assurer. Dans un pre mier temps, l'avocat affirme, en effet, que Magnus et Capito ont fait annoncer la mort de Roscius le père à Chrysogonus et que celui-ci a fait porter son nom sur les listes : «Patrem meum cum proscriptus non esset, iugulastis, occisum in proscriptorum numero rettulistis ...» fait-il dire à son jeune client 184. Or dans la dernière partie de sa réfutation, alors qu'il discute de façon très serrée sur la vente des biens de Roscius et qu'il rappelle, en particulier, que la loi Cornelia qui autorise les ven tes concerne deux catégories distinctes de gens : les proscrits {qui proscripti sunt) et les victimes marianistes des combats {qui in aduersariorum praesidiis occisi sunt)1*5, il affirme nettement que c'est dans la seconde catégorie que Chrysogonus voulait faire entrer la victime, ce contre quoi précisément a tenu à protester la délégation d'Amérie venue trouver Sylla sur cette affaire : Ego haec omnia Chrysogonum fecisse dico, ut ementiretur, ut malum ciuem Sex. Roscium fuisse finger et,ut eum apud aduersarios occisum esse diceret, ut hisce de rebus a legatis Amerinorum doceri L. Sullam passus non sit1S6. Il ne faut donc pas se laisser prendre à l'utilisation que fait Cicéron de la référence à la proscription - qui lui sert à émouvoir son auditoire. Nous reviendrons sur les leçons qu'il y a à tirer de cette utilisation. Ce qui est certain, pour l'heure, c'est que le nom de Roscius n'a pas été ajouté à la liste de proscription. Or c'est le seul exemple dont disposent ceux qui affirment qu'on ajoutait ou qu'on faisait ajouter qui on voulait et quand on le voulait. La réalité nous paraît avoir été toute autre. Cer tes on avait dû avoir la possibilité, au premier temps de la proscription,
183 Notamment W. B. Sedgwick, «Cicero's conduct of the case pro Roscio», Class. Rev. 48, 1934, 13; Carcopino, Sylla 152-153; Treggiari, Freedmen 183-184. 184 Cic, Rose. Amer. 32. Il a déjà, un peu auparavant, évoqué l'inscription du nom sur les listes : Cum nulla iam proscriptions menno fieret, cum etiam qui antea metuerant redi rent ac iam defunctos sese periculis arbitrarentur, nomen refertur in tabulas Sex Rosei, hominis studiosissimi nobilitatis (§ 21). 185 Ibid. 126„ lt6Ibid. 127.
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de faire porter sur la liste en constitution des ennemis personnels ou des individus dont on souhaitait acquérir les biens. César, dans le dis cours qu'il prononça au sénat sur le sort à réserver aux Catiliniens rap pelle, en effet «Nam uti quisque domum aut uillam, postremo uas aut uestimentum alicuius concupiuerat, dabat operam ut is in proscriptorum numero esset»187. Mais l'expression dabat operam dit assez qu'il fallait encore faire accepter cette proscription par celui qui supervisait la lis te : Sylla lui-même. Plutarque fournit une autre preuve de ce que Sylla seul avait la haute main sur la liste de proscription : il raconte que Crassus avait pris l'initiative de proscrire qui bon lui semblait, dans le Bruttium et que, pour cette raison, Sylla le tint toujours à distance sans lui confier jamais aucune affaire politique188. En sens inverse, on observe qu'on ne connaît aucun personnage dont le nom ait été rayé de la liste. Très significative à cet égard est l'attitude de P. Cornelius Sulla, neveu du dictateur189 telle que Cicéron l'évoque dans le plaidoyer qu'il prononça en sa faveur : l'avocat lui fait une gloire d'avoir réussi à obtenir du vainqueur que des sénateurs ou des chevaliers aient la vie sauve en se portant garant de leur conduite : At uero in Ma graui L. Sullae turbulentaque uictoria, quis P. Sulla mitior, quis misericordior. inuentus est? Quam multorum hic uitam a L. Sulla deprecatus! Quam multi sunt summi homines et ornatissimi, et nostri et equestris ordinis, quorum pro salute se hic Sullae obligauit!190 A l'éviden ce il ne s'agissait que de ne pas faire inscrire des gens sur la liste. Cer tes cela signifie que P. Sulla a pu sauver quelques têtes en évitant cer taines inscriptions; cela peut signifier aussi qu'il avait dû moyennant finance, s'engager à intervenir, ou même qu'il avait procédé à un chan tage en faisant croire à une inscription prochaine; mais en tout cas cela montre que lui, un propinquus du vainqueur, ne disposait d'aucun pou voir une fois la liste constituée. On observera d'ailleurs que, prudemm ent, Cicéron refuse de nommer des personnages «sauvés» par P. Sul la: «Je pourrais les nommer car ils sont les premiers à y consentir et ils
187 Sail. Cat. 51, 33. Ainsi Catilina lui-même aurait fait proscrire son frère - déjà mort - et son beau-frère. Vid. infra Prosopographie n° 13 & 63. us plut., Crass. 6, 8 : Έν δε Βρεττίοις λέγεται και προγράψαι τινάς, ού Σύλλα κελεύσανδι* δ και Σύλλαν καταγνόντα προς μηθέν ετι χρήσθαι δημόσιον τος, αλλ' έπί χρηματισμό), αύτφ. 189 Pour les liens de parenté de P. Sulla avec le dictateur uid RE s.n. (Münzer) et Drumann-Groebe II, 437-444. 190 Cic, Sulla 72.
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l'assistent ici avec toute leur gratitude. Mais puisque ce bienfait dépas se ce qu'un citoyen doit pouvoir accorder à un citoyen, je vous deman de d'imputer aux circonstances ce qu'il a eu le pouvoir de faire et à lui-même ce qu'il a fait»191. On ne peut être plus évasif !
Composition des listes Dans le même temps, cette conception d'une liste centralisée rend compte, pour une bonne part, de la vision qu'ont gardée les Romains de la proscription. P. Jal a, en effet, bien montré que ce qui avait frap pé les anciens dans l'histoire de la guerre civile c'est qu'on trouve «une proportion exceptionnelle de morts parmi les hommes de premier plan : ces pertes étaient d'autant plus terribles pour Rome et y cau saient une impression d'autant plus profonde qu'elles touchaient dans une proportion jamais atteinte dans les conflits extérieurs, les personn alités les plus connues, les hommes les plus éminents, les généraux les plus utiles à leur pays - en un mot, tous ceux que leur position préémi nentedans la cité exposait tout naturellement, dans la lutte farouche entre les partis, aux inimitiés et aux vengeances»192. Or ce qui est devenu un thème de déclamation privilégié dans la littérature193 trouve son origine dans des réalités concrètes. Florus, en guise d'introduction à son développement sur «la guerre civile de Marius», note que le conflit qui opposa Marius à Sylla intéressa d'abord les classes supérieures : Primum leui et modico tumultu maiore quam bello, intra ipsos dumtaxat armorum duces subsistente saeuitia : mox atrocius et cruentius, per ipsius uiscera senatus grassante uictoria . . . 194. Appien, de son côté, lorsqu'il énumère les ennemis que Sylla avait fait périr, cite des chiffres qui ne concernent que les sénateurs, les consul aires et les chevaliers. Cela tient, sans aucun doute, à la nature aristo cratique de l'histoire, mais on remarquera, en même temps, que si
191 Ibid. : Quos ego nominarem - neque enint ipsi nolunt et huic animo gratissimo adsunt -; sed quia mains est beneficium quam posse débet ciuis ciui dare, ideo a uobis peto ut quod potuit tempori tribuatis, quod fecit ipsi. 192 Jal, «Cruauté» 496. »m Ibid. 496-497. 194 Flor. Π, 9, 3-4 et la note de P. Jal ad loc.
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Obsequens parle de proscriptio principum 195, c'est sans doute parce que Tite-Live employait des termes voisins et que Salluste parlait déjà de cruciatus uirorum illustrium196. Tout ceci s'explique fort bien par le contenu des listes tel que nous pouvons le reconstituer : la première, la plus spectaculaire, commenç ait par les deux consuls en exercice (C. Marius et Cn. Papirius Carbo), et les deux consuls de l'année précédente (L. Cornelius Scipio et C. Norbanus). Venaient ensuite les préteurs de 82 : le praetor urbanus L. Iunius Brutus Damasippus, puis M. Marius Gratidianus, M. Perperna Veiento, Q. Antonius Balbus, C. Carrinas, précédant les préteurs de 83 : P. Burrienus (préteur urbain) et Q. Sertorius. Après les préteurs de vaient venir les tribuns de la plèbe au nombre desquels Q. Valerius Soranus (pour 82) et M. Iunius Brutus (pour 83). Ont dû aussi figurer sur cette même liste un certain nombre de personnages importants dont la fonction ne nous est pas précisément connue mais qui ont pris une part active aux combats : Cn. Domitius Ahenobarbus, C. Marcius Censorinus, Quinctius, T. Cloelius, Venuleius 197. Il y avait évidemment de quoi impressionner les Romains : c'était la fine fleur des marianist es, de ceux qui avaient détenu le pouvoir depuis cinq années, qui était visée (du moins des marianistes qui n'avaient rien voulu entendre des propositions de Sylla) 198, d'autant que beaucoup de parents de ces per sonnages furent aussi condamnés, vraisemblablement sur la seconde liste199.
195 lui. Obseq. 118. vid. aussi Gruen, Generation 7, qui insiste sur le fait que Sylla voulait surtout atteindre les chefs du parti marianiste. 196 Sail., Hist. I, 55, 17. Les remarques de Sénèque le Rhéteur (Contr. X, 3, 5 : Peruagata est Ma crudelis belli fortuna omnem ordinem, usque in infimae plebis supplicia descend it) et de Lucain (II, 101 : Nobilitas cum plebe périt) sont exceptionnelles, comme le souli gneJal, «Cruauté» 497. D'une façon générale, c'est avant tout le sénat qui est visé : «Tutt a la storia della 'rivoluzione romana' da Caio Gracco alle proscrizioni è un disfare e ricomporre il senato, attraverso operazioni indolori come la diluizione in un corpo più vasto ovvero attraverso massacri». (Canfora, «Proscrizioni» 427). 197 Sur tous ces personnages uid. infra Prosopographie. 198 Certains s'étaient laissé attirer par Sylla : ainsi les Valerli Flacci ou C. Verres. D'autres, des «modérés», avaient été massacrés au moment sans doute où ils s'apprê taientà déserter la cause marianiste : P. Antistius, C. Papirius Carbo Aruina, L. Domitius Ahenobarbus, Q. Mucius Scaeuola. Sur tous ces faits, uid. Chap. 3, 120-124. 199 A titre d'exemple on citera le fils adoptif du consul de 83 L. Cornelius Scipio Aemilianus, le frère de C. Marcius Censorinus, L., ou le neveu de M. Perperna (uid infra Prosopo. I s.nn.).
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Cette seconde liste fut publiée le surlendemain : elle comportait des noms de sénateurs et de chevaliers et fut complétée, comme nous l'avons vu, par des noms de sénateurs. Mais il est possible que les che valiers proscrits aient été plus nombreux. A ce propos P. Jal a très jus tement fait remarquer que les guerres civiles «entraînaient dans la lutte non seulement une grande partie de l'aristocratie où les liens de famille et les relations d'amicitia interdisaient à la plupart de ses membres de rester en dehors du conflit, mais encore une abondante clientèle de chevaliers que liaient à elle des obligations d'intérêt»200. Et c'est sans doute de là que vient la vieille idée selon laquelle Sylla aurait porté une haine particulière à l'ordre équestre. Cicéron notait déjà que Sylla avait tout fait pour nuire aux chevaliers . . . pro Uh odio quod habuit in equestrem ordinem201. Les historiens modernes ont fait justice de ce vieux poncif en montrant que «ce ne sont pas les cheval iersen tant que classe et encore moins qu'ordo que Sylla a frappés, mais d'une part des adversaires politiques, d'autre part des riches»202. Proportionnellement, en effet, la liste des chevaliers était peut être plus longue que les deux autres pour la simple raison que l'ordre équestre était infiniment plus nombreux et que Sylla y avait donc les ennemis les plus nombreux et les plus voyants à la fois. Cette disproportion n'a ser viqu'à charger le dictateur d'une tare supplémentaire, celle d'être ani mé par une haine de classe. Que le second volet de la seconde liste ait été ou non exclusivement composé de sénateurs comme l'affirme Appien reste douteux203. En revanche, l'historien grec confirme une hypothèse qu'on ne peut man quer de formuler lorsqu'on examine l'ensemble de la documentation antique sur la proscription : non seulement les listes ne comportaient que des noms de citoyens Romains, mais elles n'étaient même consti tuéesque de gens appartenant aux deux premiers ordres de la cité.
200 Jal, « Cruauté » 496-497. On pourrait citer, par exemple, Sex Alfenus : ... periit cum Us et propter quos diligebat. (Cic. Quinci. 70). 201 Cic, Cluent, 151. 202Nicolet, «Victimes de Catilina» 381-395; Nicolet 573-581; P. Brunt, «Sulla and the Asian Publicans», Latomus 15, 1956, 17-25; Gruen, Criminal Courts 254; E. Badian, Publicans and Sinners, Oxford, 1972, 149 et «Lucius Sulla» 57-58. 203 Aug., Ciu. Dei III, 29, le confirme pourtant lorsqu'il écrit : Sultana porro tabula ilia postrema, ut omittamus alias innumerabilies mortes, plures iugulauit senatores quam Gothi uel spoliare potuerunt.
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Que la proscription n'ait concerné que des citoyens Romains est un fait qui se dégage de la tradition avec assez d'évidence pour qu'il soit inutile d'insister longuement. Nous nous contenterons donc de faire observer que Cicéron définit bien la proscription comme une mesure dirigée contre des citoyens : poenam in dues Romanos, nominatim, sine iudicio constitutam204, et que Velleius Paterculus s'indigne des récom penses offertes alors pour le prix de la tête d'un citoyen : nec occisi hostis quant ciuis uberius foret praemium. . . 205. Un autre texte de Cicéron nous paraît important pour confirmer cette hypothèse : il s'agit de l'a rgumentation de la cinquième Verrine au cours de laquelle l'orateur lie nécessairement citoyenneté et proscription puisque, selon lui, lorsque Verres se justifie d'avoir mis à mort certains citoyens Romains en évo quant les troubles politiques, il s'accuse lui-même d'avoir renouvelé la proscription206. Pour ce qui est de la limitation aux deux premiers ordres, elle res sort, elle aussi, avec évidence de l'examen de la tradition. Augustin, par exemple : ... tabula Ma cum magna gratulatione posita est, quae hominum ex utroque ordine splendido, equestri scilicet atque senatorio, occidendorum ac proscribendorum duo milia continebat207; mais aussi de tous les textes qui nous parlent de la décapitation et de l'exposition des têtes208. D'ailleurs on dispose, pour prouver la non-proscription des
204 Cic, dont. 43. 205 II, 28, 3. Cicéron indique d'ailleurs que c'est la proscription qui a fait perdre au peuple romain sa douceur contumière : ... desitum est enim uideri quicquam in socios iniquum, cum extitisset in ciues tanta crudelitas. (Off. II, 27). Et Lorsque Sénèque évoque la malitia et l'acerrima uirtus de Sylla, il remarque qu'elles s'exercèrent in hostes ciuesque (Consol. Marc. XII, 6). 206IIVerr. 5, 153 : Meum enim crimen auaritiae te nimiae coarguit, tua defensio furoris cuiusdam et immatitatis et inauditae crudelitatis et paene nouae proscriptionis. 207 Ciu. Dei II, 140; cf. Flor. II, 9, 25: ...proposito est ingens Ma tabula, et ex ipso equestris ordinis flore ac senatu duo milia electi qui mori iuberentur . . . 208 En particulier uid. l'évocation des senatorum capita sur le Seruilius lacus (Sen., Prou III, 7; cf. Firm. Mat, Mathes. I, 7, 34) Et ce n'est pas le texte du Pseudo-Asconius (189 St) qui pourrait faire contrepoids. A propos de la plèbe il affirme, en effet, . . .partim agros, partim ius ciuitatis amisit, partim omnino proscripta est uictore Sylla, quod plebs Romana de Mariants partibus fuerit. L'expression omnino proscripta est trop suspecte pour qu'il soit possible d'en tirer argument. On observera par ailleurs que Marius n'avait pas agi autrement à son retour, en 87 : il avait envoyé des ζητηταί à la recherche de ses ennemis, sénateurs et chevaliers : Ζητηταί δ' επί τους εχθρούς αύτίκα έξέθεον τους τε άπο της βουλής καί των καλουμένων ιππέων, (App., BC Ι, 71, 330). À l'époque, seules les têtes de sénateurs intéressaient les marianistes.
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«petits» marianistes, de ceux qui n'appartenaient ni à l'ordre sénatorial ni à l'ordre équestre, d'un argument négatif. Dans le remerciement qu'il adresse au sénat pour son retour, Cicéron explique qu'il n'a pas voulu tenir tête et qu'il est parti pour éviter de provoquer une effusion de sang : Quare cum uiderem . . . copias omnis Catilinae paene isdem ducibus ad spem caedis et incendiorum esse reuocatas, équités Romanos proscriptionis, municipia uastitatis, omnis caedis metu esse permotos, potui, potui . . .209. Or dans le discours qu'il prononça le lendemain devant le peuple, l'orateur avait supprimé - dans le passage qui corres pondexactement à celui-ci - la référence à la proscription et à ses conséquences (uastitas, caedes) qu'il remplace par l'évocation des trahi sons des gens de son propre parti et l'interdiction faite de prendre le deuil. Cette suppression est intéressante parce qu'elle amène à conclure que la proscription ne pouvait toucher que les ordres supérieurs de la cité, le gros du peuple n'étant pas concerné par cette mesure (sinon peut-être par les bénéfices qu'il pouvait en escompter)210. Et d'ailleurs Dion fournit une précieuse indication, et qui va dans le même sens, lorsqu'il affirme qu'«au temps de Sylla, ses ennemis et ceux d'hommes puissants près de lui furent les seuls qui périrent et que nul autre, par son ordre du moins, ne fut mis à mort : de telle sorte qu'en dehors des gens tout à fait riches (pour ceux-là, en effet, jamais, en pareil cas, il n'y a de paix avec le plus fort), le reste des citoyens était sans craint e»211. Tout cela ne signifie pourtant pas que les victimes de l'épuration aient été peu nombreuses, cela veut dire, tout simplement, que la pro cédure de proscription se présente comme une mesure d'exception s'appliquant exclusivement à des individus particulièrement remarquabl es212. Les autres, les petits marianistes, ceux qui n'avaient pas une
209 Cic, 5e«. 22. 210Quir. 13. D. Mack, Senatsreden und Volfareden bei Cicero, Würzburg, 1937 s'est appliqué à montrer comment Cicéron avait appliqué les mêmes thèmes à des auditoires différents (pour les passages qui nous concernent 37-40). 211 Dio 47, 5, 1. Contra Mommsen, Hist. Rom. 5, 351 n. 1 : «... il n'y eut pas que des sénateurs et des chevaliers qui furent mis à mort ... ». 212 Nous rejetterons donc comme suspecte la mention qui est faite par Valère-Maxime (IX, 2, 1) et par Firmicus Maternus (Mathes. I, 7, 32) de la présence de femmes parmi les victimes : ce n'est, semble-t-il, qu'une amplification du thème de la cruauté (aucun des deux auteurs ne donne d'exemple précis).
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«épaisseur sociale» suffisante, ont été l'objet de poursuites d'un autre ordre. C'est d'ailleurs un aspect qu'on néglige ordinairement pour insis tersur la proscription et la généraliser, en quelque sorte. Or le recours à une procédure -judiciaire? - nous paraît suffisam ment attesté pour qu'on n'ait aucun doute sur son existence : Appien, notamment, évoque «les procès» qui, dit-il, «se déroulèrent dans toute l'Italie, sous les chefs d'accusation les plus variés ... », procès qu'on n'a pas de raison de confondre avec la proscription elle-même puisque la tradition les distingue nettement213. Cicéron confirme indirectement le recours à d'autres procédures lorsque, dans le pro Roscio Amerino, il évoque l'atmosphère de Rome au lendemain de la victoire de Sylla et qu'il raconte que partout on voyait Sex. Roscius le père manifestant plus de joie pour cette victoire que de craintes personnelles cum proscriberentur homines atque ex omni regione caperentur ii qui aduersarii fuisse putabantur21*. On sait, par ailleurs, qu'un affranchi de Sylla, Cor nelius Phagita, commandait un détachement de soldats en pays Sabin avec pour mission d'arrêter (συλλαμβάνειν) les ennemis du vainqueur (et la tradition veut même qu'il ait arrêté le jeune César qui racheta de lui sa liberté215). Il est clair, d'après ces textes, qu'il y avait bien deux types d'action contre les marianistes : d'une part la proscription pour les chefs et, d'autre part, Γ« arrestation» sans doute destinée à empê cherque ne s'enfuient des gens dont on voulait qu'ils répondent de leur conduite devant une autorité. On connaît d'ailleurs un exemple de poursuites exercées contre un individu accusé de sympathies marianistes. Cicéron et Plutarque en racontent l'histoire : il s'agit de Sthenius, un Sicilien de Thermes, que des concitoyens malveillants avaient accusé, devant Pompée, d'avoir favorisé les marianistes : Esine hic qui apud Cn. Pompeium, clarissimum uirum, cum accusatus esset quod propter C. Mari familiaritatem et hospitium contra rem publicam sensisse eum inimici et accusatores eius dicerent, cumque magis inuidioso crimine quam uero arcesseretur, ita a Cn. Pompeio absolutus est ut in eo ipso iudicio Pompeius hune hospitio
213 BC I, 96, 446 : Κρίσεις τε ήσαν έπί τούτοις ανά την Ίταλίαν ολην πικραί και εγκλή ματα ποίκιλα . . . 214 Rose. Amer. 16. 215 Plut., Caes. 2,1; Suet., Diu lui 74, 2 (cf. 1, 2).
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suo dignissimum statueret?216 Les expressions dont use Cicéron ne nous laissent aucun doute : il s'agit bien d'un iudicium consécutif à une accusation en bonne et due forme (accusatus; crimen) même si elle est calomnieuse. Plutarque apporte d'ailleurs une confirmation du caractè re «légal» de cette procédure en déclarant que Pompée «renvoya des fins de la poursuite» cet homme, qu'il appelle Σθένις ό δημαγωγός et à qui il attribue une responsabilité dans la conduite de la ville d'Himère217. Et ce qui est remarquable dans cette histoire du procès d'un Sici lien c'est qu'elle se passe en 82, après la victoire de Pompée sur Cn. Papirius Carbo218, c'est-à-dire à un moment où la chasse au marianiste proscrit devait être généralisée. Sans doute les procès dont il est question ont-ils dû ressembler, bien souvent, à des règlements de compte purs et simples. C'est ce qui ressort de l'expression utilisée par Appien : εγκλήματα ποικίλα219. Les chefs d'accusation, en effet, sont variés «avoir exercé un commande ment militaire, avoir servi dans l'armée, avoir payé une contribution, d'une façon générale avoir, en acte ou en parole, fait quoi que ce soit contre Sylla; constituaient une charge, l'hospitalité, l'amitié, l'argent prêté ou emprunté; il n'est pas jusqu'à un geste de gentillesse, ou même jusqu'à un voyage fait ensemble avec un adversaire de Sylla qui ne fût cause d'une condamnation»220. Mais on se gardera d'oublier qu'en défi nitive à côté des excès, inévitables au lendemain d'une victoire de guer-
2l6IIVerr. 2, 113. Nous sommes revenu sur ces questions au cours du colloque sur les Bourgeoisies municipales italiennes aux IIe et Ier siècle a. C, Naples, 7-10 décembre 1981. ™Pomp. 10, 11-15. 218 Vid. MRR s.a. Il est vrai aussi que le procès intenté à un Sicilien ne rend pas compte des procédures qui pouvaient être entamées contre des citoyens et qui, normale ment, auraient dû se dérouler à Rome. On peut penser que, dans ces circonstances except ionnelles, Sylla avait chargé un certain nombre de ses lieutenants d'assurer la justice dans chacune des parties de l'Italie et dans chacune des provinces. Quant à la remarque que fait Cicéron dans le pro Roscio Amerino sur le rétablissement des indicia après une longue interruption, (longo interuallo iudicium inter sicarios hoc primum committitur § 1 1 et quod indicia tarn din facta non essent § 28 cf. Schol. Gronou. 304 St) on peut penser qu'elle ne concerne que la quaestio de sicariis d'une part et que, de l'autre, elle est une façon de rejeter une procédure qui, en tout état de cause, était une procédure d'exception (cf. ibid. : non modo ignoscendi ratio uerum edam cognoscendi consuetudo iam sublata est). 219 BC I, 96 446. 220 Ibid.
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re civile, les chefs d'accusation témoignent aussi d'une conception extensive de la notion de complicité, conception qui ne doit rien aux circonstances exceptionnelles dans lesquelles elle s'est manifestée, puis qu'on en retrouve la marque en des occasions moins tragiques221; et surtout, ils impliquent un recours à des procédures judiciaires, ce qui nous paraît important en une période pour laquelle on parle surtout d'ordinaire, d'un massacre généralisé. Il serait bien sûr prématuré de vouloir tirer des conclusions sur la proscription après ce simple regard porté sur sa première phase222. Il convient, avant de se livrer à une analyse politique de cette mesure, de porter son attention sur la seconde phase, celle de la loi. Pour l'heure, on peut simplement résumer les acquis de cette pre mière approche en disant que la proscription s'est présentée d'abord comme l'édit du proconsul Sylla, élaboré par lui, affiché en trois fois sous son autorité et mis en œuvre immédiatement; édit qui désignait à la mort et à l'infamie les personnages les plus en vue de ses adversair es, ces personnages appartenant exclusivement aux ordres sénatorial et équestre.
221 Sur ces problèmes uid. Longo, Complicità 106-140 qui étudie notamment l'expres sion ope consilio comme définissant la complicité. 222 La chronologie sera discutée dans le chapitre 3 (104 sq). Ce qu'on peut noter dès maintenant c'est que l'affichage des trois éléments constituant les deux listes s'est opéré en quatre jours.
CHAPITRE II
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Existence d'une lex Cornelia En faisant afficher des tabulae sur lesquelles étaient inscrits les noms de ceux qu'il fallait éliminer accompagnés des promesses de récompense pour les percussores et des menaces de châtiment pour tout acte de complicité à l'égard des proscrits, Sylla n'avait fait que publier un edictum : compte tenu du moment auquel nous croyons qu'il fit pro céder à cet affichage l, il ne pouvait en être autrement. Mais les sources anciennes nous assurent que la proscription fut aussi l'objet de mesur es législatives qui en pérennisaient les conséquences2, et ce sont ces mesures qu'il nous faut étudier maintenant. Si nous parlons de «mesures législatives», c'est que le problème est plus complexe qu'on ne le dit ordinairement. Il est clair, en effet, que les éliminations auxquelles on procéda alors ne furent pas réglées par une simple lex Cornelia de proscriptione comme on a pris coutume de l'affirmer en interprétant un texte de Cicéron : c'est oublier que les ennemis de Sylla n'étaient pas seulement ceux qui figuraient sur les lis tes de proscription proprement dites, c'est-à-dire ceux qui étaient enco re vivants à la veille du combat décisif de novembre 82. Ils sont - ils étaient - aussi ceux qui, prenant une part active à la résistance marianiste, avaient trouvé la mort dans les combats qui les opposaient aux forces syllaniennes depuis 83 : la loi devait fixer la destination de leurs biens et peut être aussi le statut de leurs descendants.
1 Sur les problèmes de chronologie uid. infra chap. 3. 2Vedictum ne vaut que le temps où le magistrat qui l'a rendu est en fonctions (Mommsen, Dr. Pub. I, 233). Sur le contenu nécessairement limité de Yedictum uid. Von Bolla, «Proscriptio» 29.
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On a pu supposer, par ailleurs, qu'il existait une autre loi que la lex Cornelia et qui, antérieurement à elle, aurait autorisé la proscription. Cette hypothèse a pour origine la feinte hésitation de Cicéron sur la lex quae de proscriptione est dont il prétend ignorer s'il s'agit d'une lex Valeria ou d'une lex Cornelia1: cela pourrait impliquer qu'entre l'aff ichage des listes proprement dites et la «promulgation» d'une loi Cornel ia aurait pu être passée une lex Valeria*. Un autre texte de Cicéron semble aller dans le même sens : il s'agit du passage de son traité sur les Lois dans lequel l'orateur affirme qu'il est absurde de considérer comme juste tout ce qui figure dans les institutions ou les lois des peup les. Il prend alors pour exemple les lois des Trente et ajoute : Nihilo credo magis illa quant interrex noster tulit ut dictator quern uellet ciuium nominatim aut indicta causa impune posset occidere5. Pourtant l'utilisation de ces textes pour démontrer l'existence d'une lex Valeria traitant spécifiquement de la proscription paraît d'autant moins convaincante qu'à y regarder de plus près les vraisemblances mêmes sont contre l'existence d'une telle loi. On ne manquera pas tout d'abord d'observer que la référence du de Legibus à la lex Valeria a un caractère polémique bien marqué : Cicé ron «traduit» une disposition légale (le verbe tulit implique qu'il s'agit d'une lex rogata) par les conséquences extrêmes qu'elle a pu avoir pour en exprimer le caractère inacceptable, odieux même : les termes qu'il emploie (occidere, nominatim, indicta causa ou impune) constituent, bien évidemment, un «commentaire» et non pas une transcription du texte de la loi. Et ce n'est pas un hasard si ce texte du traité philosophi que fait écho aux termes du discours prononcé quelques années plus tôt et dans lequel Cicéron, comparant la mesure d'exil qui l'avait frappé à une proscription, donnait de cette dernière la définition suivante : Proscriptionis miserrimum nomen illud et omnis acerbitas Sullani temporis quid habet quae maxime sit insigne ad memoriam crudelitatis? Opinor poenam in ciues Romanos nominatim sine iudicio constitutam 6. Cicéron demandait alors aux pontifes de ne pas permettre qu'un tribun
3 Rose. Amer. 125 : . . .siue Valeria est siue Cornelia, non enim noui nec scio. . . 4 C'est la conclusion de Lanzani, Siila 95, et η. 1, qui considère d'ailleurs que le de lege agraria (III, 5-6, qu'elle ne cite pas) contient une référence particulière à une loi Valeria sur la proscription. s Legg. I, 42. 6 Dom. 43.
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de la plèbe proscribere possit quos uelit7. Dans ces conditions, il est évi dent qu'on ne peut pas s'attendre à trouver dans l'affirmation du de Legibus un renseignement objectif sur l'existence d'une lex Valeria autorisant la proscription. Par ailleurs, lorsque Cicéron dit ignorer le nom de la loi qui traite de la proscription, il ne donne pas à entendre qu'il existait une lex Vale riade proscriptione : il ironise simplement sur la procédure même qui a permis la légalisation de la proscription. Il se peut que Sylla, investi du pouvoir constituant, n'ait pas soumis sa loi aux comices et celle-ci ne tenait donc sa force législative que de la loi Valeria de dictatore creando qui l'avait autorisée8. La troisième Verrine fournit une indication qui confirme cette interprétation. Evoquant les pouvoirs de Sylla, Cicéron écrit, en effet : ille de quo legem populus Romanus lusserai ut ipsius uoluntas et posset esse pro lege. . .9 ce qui ne peut être interprété que comme la référence à une loi (la lex Valeria votée par le peuple) confé rantà un seul le pouvoir constituant. Et s'il restait un doute, c'est la scholie de Gronouius au texte du pro Roscio Amerino qui, traduisant en termes simples la médiateté de la lex Cornelia, le lèverait : Valerius Flaccus praetor Sullanis temporibus fuit. Hic tulit legem : quicquid Sulla dixisset lex esset. Si quid ergo ad populum tulisset Sulla, ualebat lege Cor nelia; si quid uoluisset facere et non tulisset ad populum, hoc ualebat lege Valeria10.
* Ibid. 44. 8 MOMMSEN, Dr. Pub. IV, 451 et η. 1 : «Le pouvoir constituant a pour conséquence que toutes les dispositions fondées sur lui, même quand elles n'ont pas suivi la voie comitiale, peuvent être tenues pour loi (lex), ou, ce qui n'est qu'une autre expression de la même idée, que les magistrats investis de ce pouvoir ont indifféremment le droit de faire des lois d'accord avec les comices (leges rogare) ou d'en rendre de leur seule autorité (leges dare)». Vid. Gabba comment, à App., B.C. I, 95, 442, qui interprète ainsi le texte de Cicé ron (Rose. Amer. 125), mais qui confond loi de proscription et proscription proprement dite qu'il assigne à la période dictatoriale. 9 Cic, IlVerr. 3, 82. 10Schol. Gronou. 435 Or = 314 St. T. E. Kinsey («Cicero, pro Roscio Amerino 125», Mnemosyne 21, 1968, 290-292) ne croit pas que Cicéron puisse faire allusion à la lex Vale riade dictatore creando, qui devait avoir effectivement un objet plus vaste que la seule proscription - même si elle y faisait référence^ il souligne, par ailleurs, que le scholiaste n'offre pas de renseignements bien sûrs (et de fait, il présente Valerius Flaccus comme un praetor d'époque syllanienne). Par conséquent, pour expliquer l'hésitation de Cicéron, il faudrait supposer qu'en réalité la loi sur la proscription, inspirée par Sylla, aurait été présentée aux comices par Valerius Flaccus - probablement en l'absence du dictateur.
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Mais ce sont des raisons de vraisemblance qui doivent faire renon cer à l'hypothèse de l'existence d'une loi Valeria qui aurait autorisé la proscription : les listes de victimes étaient affichées, les proclamations avaient été lues, nombre de têtes avaient déjà été tranchées et payées. On voit donc mal ce qu'une loi aurait pu ajouter pour renforcer le caractère opérationnel de la proscription. Et pour ce qui est de la légal ité, la ratification des actes de Sylla, telle que nous la connaissons, est suffisante et il n'est pas besoin d'imaginer une loi: «intermédiaire»: Omnium legum iniquissimam dissimillimamque legis esse arbitror earn quam L. Flaccus interrex de Sulla tulit ut omnia quaecumque ille fecisset essent rata11. Cette ratification globale embrassait «ipso facto» la pros-
Mais cette hypothèse est parfaitement gratuite: outre le fait que, comme le reconnaît Kinsey lui-même, « legislative activity by a magister equitum on the orders of his dictator was no doubt unusual », nous n'avons, par ailleurs, pas la moindre allusion à la participa tion de L. Valerius Flaccus à cette législation et il nous paraît hasardeux d'affirmer que les opposants à la mesure de proscription avaient tâché de dissuader le maître de cavaler ie de la porter devant le peuple en le menaçant de lui donner son nom. Cela nous paraît une simplification abusive notamment parce que cela donne l'idée que l'opposition à la proscription, manifestée par le sénat, venait exclusivement de gens qui trouvaient excessi ves les mesures concernant les descendants de proscrits. Mais, par ailleurs, il ne peut s'agir, à Rome, d'une lex data qui a pour fonction de «pourvoir une cité d'institutions votées par les comices romains, donc sur la proposition d'un magistrat, sans que cette cité ait participé à leur établissement ». (W. Seston, « Aristote et la conception de la loi romaine au temps de Cicéron d'après la lex Heracleensis » in La filosofia greca e il diritto romano, Rome, 1976, I, 7-25 (ici 8) après G. Tibiletti, «Sulle leges romanae», Studi De Francisci IV, 1956, 612). Cela avait amené Me Fayden («The lex data of the Roman Repub lic», Papers Wulfing, St Louis, 1930, 64-72) à considérer qu'il y avait deux lois distinctes et toutes deux rogatae: une lex Valeria sur la proscription et une lex Cornelia sur les confiscations (attestée par Cic, dont. 79). En fait cette solution n'est guère satisfaisante parce que Cicéron, lorsqu'il se réfère à la loi qui autorise les ventes de biens pour mont rer que ceux de Roscius n'ont pas pu être vendus légalement, précise bien que c'est la loi quae de proscriptione est (uid infra et p. 74). Il est donc bien clair qu'une loi concernait la proscription et ses conséquences (confiscations), loi qu'il ne faut pas confondre avec cel les qui réglaient le sort des cités italiennes qui n'avaient pas fait le bon choix. 11 Cic, leg. agr. III, 5. Il est vrai qu'on a pu considérer que ce texte ne concernait pas une ratification des actes de Sylla - ratification obtenue précédemment - mais une justi fication préalable d'actes à venir. En d'autres termes le texte de Cicéron permettrait d'af firmer qu'il y avait eu deux procédures distinctes : d'une part une ratification des actes que Sylla avait accomplis en tant que consul et proconsul, ratification obtenue du sénat (puisque ceux qui la lui votèrent sont ceux aussi qui lui décrétèrent une statue : οι και πάντα οσα διω'κησεν ό Σύλλας ύπατεύων τε καί άνθυπατεύων, βέβαια και ανεύθυνα έψηφίζοντο είναι, εικόνα τε αυτού" έπίχρυσον επί 'ίππου προ των εμβόλων ανέθεσαν. App., BC Ι, 97, 451 - et que l'on sait par VelleiusII, 61, 3, que c'est le sénat qui la lui vota) et de
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cription aussi bien que les confiscations et les ventes qui avaient eu lieu précédemment, au printemps de la même année 82 n en même temps que se trouvait fondé légalement le pouvoir constituant qui devait per mettre la loi Cornelia sur la proscription. Ce sont deux aspects complé mentaires de la mesure qui faisait de Sylla le dictator legibus scribundis et constituendae rei publicae. On observera que ce recours à une procédure législative pour la justification de ses actes et plus particulièrement à une lex Cornelia pour la légitimation de la proscription semble avoir été imposé à Sylla par les réticences qu'avait montrées le sénat, réticences auxquelles Cicéron fait clairement allusion dans la péroraison du pro Roseto Amerino lorsque, évoquant la possibilité de voir en la condamnation de son client une deuxième proscription plus terrible encore que la première parce que dirigée contre les enfants des victimes 13, l'avocat rappelle : Illam priorem (se. proseriptionem) quae facta est in eos qui arma eapere potuerunt, tarnen senatus suscipere noluit, ne quid acrius quant more maiorum comparatum est publico consilio factum uideretur14. Cela nous paraît signifier que Sylla n'a pas eu recours à un sénatusconsulte sem blable à celui de 88 15 soit parce qu'il souhaitait contrôler personnelle-
l'autre une sorte de ratification préalable conférée par la lex Valeria et dont témoignerait le texte déjà cité de Cicéron. Pourtant, s'il est vrai que fecisset pourrait être l'équivalent d'un futur antérieur, on a du mal à considérer qu'il faut tenir pour fausse l'affirmation de Plutarque qui parle d'une ratification dans la loi Valeria dont il indique en même temps le contenu avec assez de précision : ... έψηφίσθη δ' αύτω πάντων άδεια των γεγο νότων, προς δε το μέλλον εξουσία θανάτου, δημεύσεως, κληρουχιών κτίσεως, πορθησέως, άφελέσθαι βασιλείαν και ω βούλοιτο χαρίσασθαι. (Sulla 33, 2. Le contenu est confirmé par Sali., Hist.l, 55, 13: ...leges, indicia, aerarium, prouinciae, reges penes unum denique necis ciuium et uitae licentia). Par ailleurs, on hésite à admettre que ratus puisse s'em ployer pour des acta qui n'ont pas encore été réalisés. Par conséquent, on ne suivra pas Gabba (comment, à App., BC I, 97, 451 & 99, 461 ) - lui-même suivi récemment par Bauman, Crimen maiestatis 84) qui distingue ces deux procédures en donnant au texte de Cicéron une valeur « prospective ». 12 App., BC I, 89, 407. 13 C'est d'ailleurs une façon de parler puisque Sex. Roscius le père n'a pas été prosc rit(Vid chap. 1, 57). 14 Rose. Amer. 153. Sur cet épisode et sur le sens à donner à suscipere uid Gabba, Eserc ito, 401-402. 15 Cic, Brut. 168, Liu., Per. 77; Val. Max. III, 8, 5; Flor. II. 9, 8; Plut.. Sulla 10, 1. On observera d'ailleurs que cette « Hostis-Erklärung » avait sans doute été ratifiée par un vote du peuple puisque Velleius parle d'une loi (lege lata - II, 19, 1) et qu'Appien évoque cet acte sous le nom de το κήρυγμα του δήμου. (B.C. I, 61, 273). Par ailleurs le Digeste rappelle
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ment l'épuration, ce que donne à penser Plutarque16, soit parce que des oppositions s'étaient fait jour, oppositions que la tradition attribue ord inairement à un refus de ce qui aurait passé pour un renchérissement de cruauté17, mais à l'origine desquelles on peut penser que se trouvait aussi le désir de certains de ne pas voir limité, par la constitution de listes précises, leur propre désir d'épuration. Quoi qu'il en soit, les dispositions de l'édit de proscription ont été reprises, étendues et pérennisées par une loi18 dont l'existence est bien attestée par les historiens ou à l'occasion des discussions et des contes tations qu'a pu provoquer telle ou telle de ses clauses, ou encore par le fait même qu'il a fallu avoir recours à une autre loi pour en annuler les effets. Assez curieusement d'ailleurs, nous disposons de bien peu de textes historiques qui nous renseignent positivement sur l'existence d'une lex Cornelia régissant les épurations. L'epitomator de Tite-Live est, sans doute, le plus explicite : il énumère des dispositions législatives nouvell es prises par Sylla (legibus nouis rei publicae statum confirmauit) au nombre desquelles figurent les mesures contre les descendants de pros-
(4, 5, 5, 1) que la déclaration d'hostis peut venir du sénat aussi bien que du peuple: . . . quos senatus hostes iudicauit uel lege lata . . . Sur cette question uid. Rotondi s.a. 88 : Lex Cornelia de exilio Marianorum ; Mommsen, Dr. Pub. VII, 474 η. 4 ; Gabba, comment, à App. cit.; R. A. Bauman, «The Hostis Declarations of 88 and 87. BC», Athenaeum 51, 1973, 270-293. 16 Sulla 31, 5 : «. . .Sylla proscrivit aussitôt quatre-vingts personnes sans en avoir réfé réà aucun magistrat » (ούδενι των εν τέλει κοινωσάμενος). 17 A commencer par Cicéron lui-même dans le texte cité plus haut : ne quid acrius. . . factum uideretur. 18 On ne peut pas suivre Bauman (Crimen maiestatis 83-85) lorsque, s'appuyant sur les textes d'Ammien Marcellin concernant la maiestas (Ubi maiestas pulsata defenditur, a quaestionibus uel cruentis nullam Corneliae leges exemere fortunam - 19, 12, 17) et de Cicéron sur les confiscations et les attributions de terres (Nam Valeria lege Corneliisque legibus eripitur cui datur [var: eripitur dui, dui datur; ms: eripitur dui datur] - leg. agr. Ill, 6), il affirme qu'il y avait plusieurs lois sur la proscription. En réalité le pluriel Corneliae leges implique un renvoi à l'ensemble du corpus législatif syllanien à l'intérieur duquel la maiestas devait être évoquée à plusieurs titres comme le furent les confisca tions qui apparaissaient dans la loi de proscription proprement dite (Cic, Rose. Amer. 125) mais aussi dans toute une série de lois concernant les cités qui étaient restées fidèles à Marius. On observera que, de la même façon, Suétone évoque l'immunité garant ie aux percussores par les lois de Sylla alors que, selon toute vraisemblance, cette immun iténe devait être garantie que par la lex sur la proscription (il est peu vraisemblable qu'elle ait figuré dans la lex de ui).
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cits : . . .proscriptorum liberis ius petendorum honorum eripuit et bona eorum uendidit19. Les autres allusions d'historiens à cette loi se présent ent, elles aussi, comme une référence au statut des liberi proscriptorum et en font donc une sorte de renchérissement sur la proscription ellemême. Ainsi Velleius Paterculus : Adiectum est edam ut bona proscript orum uenirent exclusique paternis opibus liberi edam petendorum hono rum iure prohiberentur . . .20; ainsi Plutarque : «Mais ce qui parut être le comble de l'injustice, c'est qu'il exclut du corps civique les fils et petitfils de proscrits et confisqua les biens de tous»21. Appien, de son côté, n'en dit pratiquement rien lorsqu'il évoque le corps des réformes de Sylla sauf si on considère que les dispositions concernant les esclaves de proscrits auxquels Sylla accorda la liberté et le droit de cité faisaient partie intégrante de la loi22. En revanche, il nous semble qu'il y fait clairement allusion dans le récit qu'il donne de la proscription, lorsqu'il affirme qu'on décida «le bannissement de certains et la confiscation des biens pour certains autres»23. Au total il faut donc admettre que les historiens sont largement tr ibutaires d'une tradition résolument hostile à Sylla et qui présentait sa loi comme un renchérissement, un raffinement, de cruauté. Il se peut d'ailleurs que cette tradition trouve ses origines chez Cicéron même, à la fois dans l'ignorance méprisante qu'il affecte à l'égard de cette dis position légale sur laquelle il appuie pourtant une partie de son argu mentation, et dans le registre pathétique sur lequel il joue en faisant de Sex. Roscius, qu'il assimile à un fils de proscrit, une victime des cou peurs de têtes. Quant à la nécessité où se trouva César d'avoir recours à une autre loi pour annuler les effets de celle-ci, elle constitue un argument solide
19 Liu., Per. 89. 20 II, 28, 4. 21 Sulla 31, 8. On pourrait citer aussi Denys (VIII, 80, 2) en prenant garde, toutefois, de noter que ce n'est pas Sylla lui-même qui est tenu pour responsable de l'exclusion des magistratures et du sénat (uid. infra et p. 97-98). 22 BC I, 100, 465-470. 23 BC I, 95, 444 : Έξέλασίς τε ετέρων ην και δήμευσις των έτέροις όντων. Il faut mettre cette affirmation en rapport avec celle de Plutarque (Sulla 31, 8) : . . .των γαρ προγεγραμμένων ήτίμωσε και υιούς και Οιωνούς, και τα χρήματα πάντων έδήμευσεν. Pour une discussion de ces deux textes uid infra 85-86. En revanche on ne peut sui vre Gabba (comment, à I, 95, 442-444) lorsqu'il laisse entendre que l'édit se fondait sur la loi alors qu'en réalité cette dernière est bien postérieure.
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en faveur de son existence, mais un argument qu'il ne faut pas surest imer : nous montrerons plus loin qu'en réalité entre la loi de proscrip tion et la loi de restitutio, il y a place pour une troisième loi et que ce sont aussi et surtout les effets de cette disposition intermédiaire que visait à annuler la lex Antonia de 49.
Le contenu de la lex Cornelia Le relatif silence de nos sources nous empêche de savoir la place qu'occupait cette loi dans l'ensemble du corps législatif syllanien et c'est seulement en s'appuyant sur l'argument de vraisemblance qu'on peut estimer qu'elle devait figurer parmi les premières pour fixer et éclairer les détails d'une mesure somme toute nouvelle24. Pour ce qui est de son contenu dont l'essentiel nous est donné par les protestations et les contestations qu'elle a suscitées, il convient tout d'abord de remarquer qu'il ne peut s'agir d'une lex de proscripîione ou de proscriptis. Le texte de Cicéron sur lequel on s'appuie d'ordinaire pour fixer cette appellation n'est, en effet, pas déterminant. Demandant à ses adversaires comment les biens de Sex. Roscius avaient pu être vendus, l'avocat se référait à une loi régissant les confiscations et les ventes et posait cette question : Qui potuerunt (se. uenire bona Rosei) ista ipsa lege quae de proscripîione est. . .?25 Or quelques instants plus tard, revenant à la charge sur cette vente dont il affirme qu'elle était illégale, il précise . . .neque apud aduersarios occisus est (Sex Roscius). . . cum in eos solos lex scripta sit, neque proscriptus est26. Par conséquent, et comme bien on pouvait s'y attendre, la loi concernait tous les adver saires de Sylla : non seulement les proscrits au sens étroit du terme, mais aussi ceux qui étaient tombés dans les rangs ennemis. D'ailleurs, à en croire les expressions de Plutarque et d'Appien, elle visait, dans cer taines de ses dispositions, tous les ennemis de Sylla, tandis qu'elle s'ap-
24 Beiti, «Restaurazione·» 257-258 affirme nettement qu'elle devait être la première et Rotondi lui assigne effectivement la première place. Mais le résumé du livre 89 de TiteLive, qui présente un sommaire des réformes syllaniennes, l'évoque après les lois sur le tribunat de la plèbe et les collèges sacerdotaux et après le recrutement complémentaire du sénat. 25 Rose. Amer. 125. ™lbid. 130.
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pliquait, dans certaines autres, à une catégorie plus précise : celle des proscrits27. C'est la raison pour laquelle il semble qu'il soit préférable de considérer qu'il s'agissait plutôt d'une lex Cornelia de hostibus rei publicae. On peut trouver confirmation de cette appellation dans le dis cours que Philippus est censé avoir prononcé contre Lèpide devant le sénat: il reproche au consul de s'être adjoint des proscrits qu'il avait rappelés (proscriptos accersi) et, lorsqu'il termine en formulant son avis, il reprend ce reproche dans les attendus dont il le fait précéder : Quoniam M. Lepidus exercitum priuato consilio paratum cum pessumis et hostibus rei publicae, contra huius ordinis auctoritatem ad urbem duxit, ut Ap. Claudius interrex cum Q. Catulo proconsule et ceteris quibus imperiutn est, urbi praesidio sint operamque dent ne quid res publica detr imenti capiat2S. En tout cas le texte officiel de la loi devait préciser explicitement que ceux qui étaient punis étaient ceux qui avaient pris les armes contre leur patrie. Trois expressions nous le confirment. Chez Cicéron d'abord, qui rappelle que la proscription «a été dirigée contre ceux qui ont pu prendre les armes»29. Chez Valère-Maxime et Velleius Paterculus ensuite dont la narration, inspirée sans doute d'une source antisyllanienne commune, confirme, de façon négative en quelque sorte, que la loi était dirigée exclusivement contre les ennemis de la patrie : ... nec contentus in eos saeuire qui armis a se dissenserant . . . écrit Valère-Maxi me30 à qui fait écho Velleius : Nec tantum in eos qui contra arma tulerant. . . saeuitum31. Il est d'ailleurs possible qu'un des articles de cette loi ait repris la liste complète de ceux qui avaient été proscrits. Une telle disposition est suggérée par une observation de Valère-Maxime qui affirme : Quattuor
27 Cf. les deux textes cités supra p. 73 qui distinguent bien deux catégories de victimes comme Cicéron lui-même: Scriptum enim dicunt esse ut aut eorum bona ueneant qui proscripti sunt (. . .) aut eorum qui in aduersariorum praesidiis occisi sunt (Rose. Amer. 126). 2» Sail., Hist. I, 77, 24. 29 Rose. Amer. 153 : . . .facta est (se. proscriptio) in eos qui arma capere potuerunt. . . L'expression capere potuerunt s'explique dans ce texte par le fait que Cicéron oppose à cette première proscription une seconde, beaucoup plus cruelle, qui viserait les fils de proscrits et qui s'étendrait jusqu'au berceau des petits enfants (ad infantium puerorum incunabula). 30 IX, 2, 1. 31 II, 28, 4.
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milia et DCC dirae proscriptionis edicto iugulatos in tabulas publicas retulit, uidelicet ne memoria tarn praeclarae rei dilueretur32. L'énoncé même de cette phrase implique qu'il y eut bien deux procédures : celle de Vedictum et celle qui consista à referre in tabulas publicas, précisé ment pour éviter que ne s'en perde le souvenir puisque Yedictum perd sa validité avec la fin du mandat du magistrat qui l'a fait publier33. Nous trouvons dans le discours que Cicéron prononça sur sa maison une comparaison entre la lex elodia de 58 et la proscription qui paraît confirmer notre hypothèse. Pour l'orateur, en effet, les deux «lois» - il est vrai qu'il ne prononce pas le terme de lex à propos de la proscrip tion - sont scandaleuses parce qu'elles constituent un priuilegium : «il est défendu par les lois sacrées comme par les Douze Tables de légifé rer contre un homme en particulier : c'est ce qu'on appelle un "privilè ge". Personne n'en a jamais présenté; il n'y a rien de plus cruel, rien de plus pernicieux, rien de plus intolérable à notre cité. Dans ce nom affreux de proscription et dans toute l'horreur du régime syllanien, qu'y a-t-il de plus significatif pour évoquer la cruauté? C'est, à mon avis, le châtiment prononcé contre des citoyens romains, nommément {nominatim) et sans jugement»34. L'orateur retrouve d'ailleurs, dans le pro Sestio, des formules très voisines pour fustiger la loi «de proscrip tion» qui l'avait frappé35. Et lorsque Dion affirme «le nom de beaucoup
«IX, 2, 1. 33 Mommsen (Dr. Pub. VII, 207 et n. 4) a examiné l'expression in tabulas publicas refer re pour ce qui concerne les sénatusconsultes. Il fait observer, par ailleurs (ibid. VIII, 482 et n. 4), que la plupart des lois étaient inscrites sur des tabulae, de bois anciennement, de bronze pour une époque plus récente. 34 Dom. 43 : Vêtant leges sacratae, uetant XII Tabulae leges priuatis hominibus inrogari : id est enim priuligegium. Nemo umquam tulit; nihil est crudelius, nihil perniciosius, nihil quod minus haec ciuitas ferre possit. Prosciptionis miserrimum nomen illud et omnis acerbitas Sultani temporis quid habet quod maxime sit insigne ad memoriam crudelitatis? opinor, poenam in ciues Romanos nominatim sine iudicio constitutam. Il est vrai que l'a ffirmation nemo umquam tulit fait difficulté, à moins qu'on ne considère que la lex Cornel ia était une lex data. 35 Sest. 65 : Cur, cum de capite ciuis - non disputo cuius modi ciuis - et de bonis proscripti ferretur, cum et sacratis legibus et XII tabulis sanctum esset ut ne priuilegium inrogari liceret, neue de capite nisi comitiis centuriatis rogari, nulla uox est audita consulum, constitutumque est ilio anno, quantum in Ulis duabus huius imperii pestibus fuit, iure pos seper operas concitatas quemuis ciuem nominatim tribuni plebis concilio ex ciuitate exturbari? Il est vrai que lorsqu'il évoque le priuilegium au Livre II du de Legibus (§§ 44-45), il ne donne pour exemple que la loi de Clodius, sans faire référence à la proscription ; mais
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de gens - certains vivant encore, d'autres déjà morts - furent ajoutés aux listes pour garantir l'immunité à leurs assassins»36, il nous semble bien attester l'existence de deux listes, celle de l'édit et celle de la loi. Or si on admet que la liste des gens visés par la loi, ou du moins la liste des proscrits au sens strict, était reprise dans le texte, on doit admettre du même coup que cette liste était close au moment de la pro mulgation. Une telle constatation n'est évidemment pas sans importanc e pour évaluer la portée et la signification de la mesure; mais elle a aussi pour conséquence de donner à la date du 1er juin 81 une autre signification que celle qu'on lui accorde d'ordinaire. On a, en effet, accoutumé de considérer que cette date était la limite que Sylla avait imposée à la proscription : la liste aurait été définitivement close le 1er juin. Mais c'est mal comprendre Cicéron que d'affirmer cela : lorsqu'il parle des Kalendes de juin comme «jour où doivent prendre fin les proscriptions et les ventes»37, il discute de la validité de la vente des biens de Sex. Roscius et non pas du tout de la proscription. L'utilisation du pluriel proscriptions et la iunctura avec le terme uenditiones dé montrent ce que la vraisemblance laissait supposer : la loi fixait défini tivement le statut des proscrits qui n'étaient pas encore morts et l'on voit mal ce qu'une limite chronologique aurait pu venir faire là-dedans. Cela reviendrait, en effet, à dire que Sylla se serait imposé à lui-même, dans sa propre loi {in lege dit bien Cicéron), une limite aux épurations qu'il avait entreprises; cela paraît pour le moins curieux et il est plus logique d'admettre, en effet, que Sylla avait limité au 1er juin les ventes consécutives aux confiscations38.
cela doit s'expliquer par des considérations personnelles : il n'a pas les mêmes raisons, dans un traité de 52, de mettre en cause le régime syllanien. 36 Dio, frgt 109, 13 : Πολλοί μέν γαρ oi μεν ζώντες oi δε και τεθνηκότες έπ'άδείςι των άποκτεινάντων σφας προσενεγράψαντο. . . 37 Rose. Amer. 128 : Opinor enim esse in lege quant ad diem proscriptions uenditionesque fiant, nimirum Kalendas Iunias. 38 Cette interprétation inexacte de Cicéron (reproduite récemment par Canfora, « Proscrizioni » 425) vient sans doute de l'idée répandue chez les Anciens, notamment par Plutarque, que la proscription était une limitation au massacre imposée à Sylla par les opposants du sénat. Et de fait Plutarque prête au dictateur cette affirmation : « Dans un discours qu'il tint au peuple à ce sujet, il déclara qu'il proscrivait tous ceux dont il se souvenait et que ceux qu'il avait oubliés jusqu'à ce moment, il les proscrirait plus tard». (Sulla 31,6). Dans ce contexte, la loi ne peut apparaître que comme une restriction de son pouvoir.
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Mais pour ce qui est du corps même de la loi, un des principaux articles devait reprendre, éventuellement en les précisant, l'essentiel des prescriptions de l'édit, notamment en ce qui concerne le statut des individus qui figuraient sur la liste et qui restaient «interdits de tout séjour» : nous avons vu en examinant Yedictum qu'il s'agissait moins de produire une simple condamnation à mort de ceux dont le nom avait été affiché et de garantir l'impunité à qui les exécuterait, que d'établir une peine absolue garantissant leur élimination définitive de la cité, peine que certains auteurs modernes ont pu comparer à Vaqua et igni interdiction. Cette peine avait sans doute un caractère beaucoup plus terrible que Va et i i que Sylla introduisit comme peine dans ses lois de maiestate et de ui40. Alors, en effet, que la mesure pénale pouvait se traduire par un bannissement hors de l'Italie ou même au-delà de limi tesplus lointaines41, et que ce bannissement garantissait, en définitive, à celui qui y était condamné une certaine sécurité dans les villes d'asile où il pouvait se rendre en dehors de la zone interdite, la proscription, quant à elle, avait instauré une peine «absolue», sans limite, et qui fai sait que ceux qui en étaient frappés ne pouvaient prétendre trouver nulle part au monde le repos et la sécurité. On trouve, éparses dans la tradition, un certain nombre d'indica tions qui ne laissent aucun doute à ce sujet : par exemple chez Dion
Pour les conséquences financières de cette limite chronologique uid. infra le chap. 4, 193-194. 39 Pour ce qui est de la «condamnation» que comportait l'édit et qui n'est pas formel lement une a & ii uid chap. 1, 35-37. Sur Va & ii uid Mommsen, Dr. Pén. I, 82-84 et C. Gioffredi, NDI, s.u. qui rappellent qu'il ne s'agit pas d'une peine, c'est-à-dire d'un acte de droit pénal, mais qu'elle est un acte d'autorité d'un magistrat, admise anciennement à l'égard des non-citoyens seulement. En quelque sorte les hostes rei publicae ont perdu, de fait, leurs droits civiques et sont assimi lables à des étrangers comme le confirme Cic, Cat. I, 28 et IV, 10. 40 Cette «pénalisation» par Sylla de l'a & ii est tout à fait significative : «On la retrou ve prescrite par les lois pénales postérieures pour la violence, X ambitus et pour d'autres délits». (Mommsen, Dr. Pén. III, 318-320). 41 Pour le bannissement hors d'Italie cf. Tab. Her. 117-118: queiue iudicio publico Romae / condemnatus est erit, quo circa eum in Italia esse non liceat . . . Pour ce qui concerne un bannissement plus lointain, on pensera à la lex elodia de capite ciuis Romani - que Cicéron ne cesse d'assimiler à une loi de proscription - qui fixait une limite de 400 milles de l'Italie. Cic, Ait. III, 4 = 49 SB. (Plut., Cic. 32, 1 et Dion 38, 17, 7 disent 500 mill es). L'a & ii qui le frappait est rappelée par Cicéron {Dom. 47) : Velitis iubeatis ut M. Tul lioaqua et igni interdicatur.
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Cassius, dans le discours qu'il prête à Antoine après la mort de César. Il suggère qu'il avait fallu, en effet, une mesure particulière - différente de la lex Antonia de 49, et sans doute bien antérieure - pour garantir une sécurité aux proscrits. Antoine, voulant montrer que le dictateur assassiné avait toujours mené une politique de conciliation, rappelle qu'il avait été à l'origine de mesures de clémence concernant des per sonnes que d'autres que lui avaient frappées : «A tous ceux qui avaient suivi Lèpide et Sertorius il fit accorder l'amnistie et à tous ceux ensuite qui survivaient des proscrits de Sylla il s'arrangea pour que soit garant ie la vie sauve. . ,»42. Cela signifie à l'évidence que les proscrits restè rent à la merci d'une exécution tant qu'une mesure législative ne vint pas adoucir un peu leur sort en leur permettant de vivre dans des villes d'asile. Appien, d'autre part, signale l'existence de ζητηταί qui se di spersèrent de tous côtés à la recherche des proscrits survivants43. Compt e tenu du contexte dans lequel se place une telle remarque (il vient d'être question des bannissements et des confiscations) ces ζητηταί n'étaient pas de vulgaires «chasseurs de têtes», il s'agissait plutôt de sicaires envoyés par Sylla pour faire disparaître ses ennemis les plus acharnés. On sait d'ailleurs que Sylla lui-même alla réclamer aux autor ités de Rhodes qu'on lui livre C. Norbanus qui s'était réfugié là44. Une expression isolée du livre II des Histoires de Salluste et qu'on ne peut guère appliquer qu'aux proscrits ne permet pas de douter du statut qui leur était fait : orbe terrarum extorres45. Et d'autre part, dans le discours qu'il fait prononcer à Macer pour désolidariser la plèbe des nobiles en refusant le service militaire, Salluste fait, nous semble-t-il, une allusion aux recherches de proscrits : «Qu'ils possèdent et qu'ils exercent à leur manière les commandements, qu'ils cherchent des triomphes, qu'ils
42 Dio 44, 47 4 : Πδσι μεν γαρ τοΐς μετά του Λεπίδου και μετά του Σερτωρίου γενομένοις άδειαν δοθήναι έποίησε, πασι δε έκ τούτου τοΐς έκ των έπικηρυχθέντων ύπο του Σύλλου περιλειφθεΐσι την σωτηρίαν ύπάρξαι παρεσκεύασε. . . Pour la date et le contenu de cette loi, uid. infra chap. 4. 43Έπί δε τους τής πόλεως έκφυγόντας πάντα μαστεύοντες διέθεον και δσους αυτών λάβοιεν άνήρουν. (B.C. Ι, 95, 444). 44 Sur cette affaire uid. infra Prosopographie s.n. Norbanus. On ne manquera pas non plus de faire référence à Catilina que Sylla avait officiellement préposé à la recher che de proscrits : Nam Ulis quos meminimus Gallis, qui turn Titiniorum ac Nanniorum ac Tanusiorum capita demebant, Sulla unum Catilinam praefecerat. (Q. Cic, Comm. Pet. 9). 45 Hist. II, 14. J. F. Kritz avait déjà noté, en 1829, que cette expression ne pouvait concerner que les populäres survivants.
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poursuivent sans vous, avec les portraits de leurs ancêtres, Mithridate, Sertorius et les restes des exilés. Mais point de danger ni de peine pour ceux qui n'ont point part au profit»46. Il se pourrait bien que le «reste des exilés» dont il est question {reliquias exulum) soit constitué des der niers proscrits qui survivaient en se cachant ou en organisant des poches de résistance. Au total, tous ces renseignements épars nous semblent bien conver ger et démontrer que la condamnation qui frappait les proscrits ne leur laissait guère d'espoir d'échapper. Mais la volonté d'élimination syst ématique de Sylla se manifeste aussi dans les autres dispositions de la loi venant de l'édit de proscription et qui concernent les peines pos tmortem, le traitement réservé aux complices et les récompenses a l ouées aux coupeurs de têtes. Pour ce qui est des peines «post-mortem», il est vrai, on ne peut démontrer de façon certaine qu'elles figuraient dans le texte de la loi parce que nous n'avons pas trouvé un texte qui les atteste formelle ment. Pourtant certaines indications et la vraisemblance même incitent à le penser. On rappellera, en particulier que Sylla avait fait exhumer les restes de Marius - qui n'était pas proscrit bien sûr - pour les faire jeter dans l'Anio47; mais surtout on fera observer d'une part qu'il était devenu habituel de refuser la sépulture à ceux qui avaient été mis à mort pendant les troubles civils et que les marianistes ne s'en étaient guère privés48; et d'autre part que la mutilation du corps que consti tuaitla décapitation impliquait à elle seule que les honneurs funèbres ne pouvaient être rendus régulièrement49. Le problème est le même pour ce qui concerne la damnatio memor iae dont, il est vrai, les règles d'application ne sont pas bien définies pour l'époque républicaine. On est, en tout cas, assuré que les monu-
46 Sail., Hist. IH, 48, 18: Gérant habeantque suo modo imperia, quaerant triumphos, Mithridatem, Sertorium et reliquias exulum persequantur cum imaginibus suis; absit periculum et labos quibus nulla pars fructus est. 47 Cic, Leg. II, 56. ... C. Mari sitas reliquias apud Anienem dissipari iussit Sulla uictor... Val Max. IX, 2, 1 ; cf. Lucan. I, 583-584. 48 C'est Appien lui-même qui affirme, à propos des meurtres perpétrés par Damasippus, qu'«on avait pris l'habitude de ne pas ensevelir le cadavre des gens qu'on avait tués». (Τά τε σώματα αυτών ές τον ποταμον έρρίφη · έπεπόλαζε γαρ ήδη μη καταθάπτεσθαι τους αναιρούμενους. BC Ι, 88, 404). 49 Sur ces questions de privation de sépulture, uid. supra le chap, consacré à la pro cédure.
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ments publics devaient être détruits comme avaient été abattus les tro phées de Marius commémorant sa victoire sur les Cimbres et les Teut ons50. Moins claire est l'affaire des statues de M. Marius Gratidianus parce qu'il semble bien que leur destruction ait été décidée bien avant la mise en œuvre de la proscription51 et parce qu'il s'agit plus d'un mouvement populaire spontané que d'une damnatio memoriae légal ement définie. Pour ce qui est des portraits privés, on se souviendra que le tribun de 99, Sex Titius, avait été condamné pour maiestas parce qu'il conservait chez lui un portrait de Saturninus52 et qu'il y a toute vraisemblance que Sylla avait légiféré dans le même sens. En revanche est bien attestée dans la loi la clause qui interdisait de venir au secours des proscrits, corrélativement à la peine dont ils étaient frappés. Ce sont les expressions dont use Cicéron à propos de l'affaire Trebonius qui permettent de l'affirmer. On sait, en effet, que P. Trebonius avait partagé ses biens entre plusieurs héritiers à condi tion que chacun d'eux fasse le serment qu'une partie du lot dont il héri tait parvienne au frère du testateur, A. Trebonius, qui avait été prosc rit53. Seul l'affranchi de Trebonius, qui faisait partie des héritiers, avait obéi aux volontés du défunt et Verres, ayant eu connaissance de l'affaire par les autres héritiers, leur avait accordé la possession de leur part en les dispensant de la clause restrictive, mais en même temps il avait privé l'affranchi de la sienne ne posset patronum suum proscrip tum iuuare (§ 124). 50 Suet., Diu. lui 11, 2 : . . .tropaea Gai Mari de Iugurtha deque Cimbris atque Teutonis olim a Sulla disiecta restituii. . . 51 Plin., HN 34, 27 : Statuerunt et Romae in omnibus uicis tribus Mario Gratidiano, ut diximus, easdemque subuertere Sullae introitu. Pourtant Mommsen {Dr. Pub. VII, 413-414 η. 5) donne cet exemple de destruction de statues comme typique de la damnatio memor iae à l'époque républicaine. 52Cic, Rab. perd. 24: ...Sex Titius quod habuit imaginem L. Saturnini domi suae condemnatus est. Sur la signification politique de ce procès uid Gruen, Criminal Courts 189-190. 53 HVerr. 1, 123-124. Sur les deux Trebonii, qui étaient d'origine équestre, uid. NicoLET, n° 356-357. il semble bien, d'après la première phrase de Cicéron sur cette affaire, que P. Trebonius avait prévu des difficultés pour la transmission d'une partie de son héri tage à son frère et que c'est une des raisons pour lesquelles il avait institué un grand nombre d'héritiers : outre les raisons sociales d'une telle pratique, on peut penser qu'il voulait ainsi garantir qu'au moins une partie de son bien parviendrait au malheureux (P. Trebonius uiros bonos et honestos complures fecit heredes). Sur le serment qu'il exigeait uid E. Genzmer, «La Genèse du fidéicommis comme intitution juridique », RHD 1962, 319350. (L'explication fournie par Costa, Cicerone giureconsulto I, 234, n'est pas nette).
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L'attitude de Cicéron, dans cette affaire, n'est pas claire au pre mier abord dans la mesure où il semble vouloir à la fois épargner les co-héritiers qui avaient refusé de se plier aux volontés du testateur (uiros bonos et honestos dit-il pour les caractériser) et exalter la conduite de l'affranchi qui avait, lui, rempli un devoir à l'égard de son patronus dans le malheur. Quoi qu'il en soit, c'est sur un point de droit qu'il argumente en reprochant à Verres son arbitraire. Il reconnaît que le préteur était fondé à concéder aux héritiers le droit de ne pas désobéir à la lex Cornelia comme ils en avaient formulé la demande : . . .docent non oportere se id turare facturos esse quod contra legem Corneliam esset, quae proscriptum iuuari uetaret (§ 123); mais rien, selon Cicéron ne l'autorisait à confisquer la part d'héritage de l'affranchi auquel il aurait dû appliquer les prescriptions de la loi : Proscriptum iuuat? lex est, poena est (§ 124). En réalité, Cicéron joue ici sur une certaine ambiguïté : la lex Cor nelia était encore en vigueur en 74, date de la preture urbaine de Ver res qui eut à connaître cette affaire. Mais elle ne l'est plus au moment où Cicéron est censé prononcer ce discours contre Verres et, par consé quent, la formule lex est, poena est signifie qu'il aurait fallu que le pré teur appliquât strictement une peine qui, au moment de son procès, n'aurait pas manqué d'apparaître comme monstrueuse puisque, selon toute vraisemblance, sans assimiler le «complice» au proscrit luimême, elle le rendait passible de la peine de mort par précipitation54. Il ne nous paraît donc pas faire de doute que le scholiaste commet une erreur d'inteprétation lorsqu'il glose ce texte en affirmant qu'il appartenait à Verres de faire accuser et condamner éventuellement l'affranchi, mais qu'il n'avait pas autorité pour l'empêcher d'aider son patronus proscrit parce qu'il ne pouvait réprimer que des faits, non des intentions55. Ce n'est pas ce que dit Cicéron et ce n'est pas conforme à la réalité juridique. L'orateur reproche à Verres sa superbia qui l'amè-
54 Plutarque est catégorique sur ce châtiment du complice : « II prescrivait dans son édit la mort pour quiconque avait accueilli et sauvé un proscrit et punissait cet acte d'hu manité, sans faire d'exception pour les frères, les fils ou les parents des personnes en cause». Vid. le chapitre précédent et n. 82 (Sulla 31, 7). Il est vrai que Plutarque parle vraisemblablement ici de Yedictum, mais la lex, reprenant cet article, ne devait pas en avoir modifié le contenu. Pour un exemple concret de précipitation, Plut., Sulla, 1, 6. 55 Pseudo Ascon 250 St : «Lex est, poena est» : Accusetur, inquit, cum fecerit, et damnetur. Hoc praetoris est, non prohibere ne faciat. Qui enim ius dicit, factorum iudex est, non futurorum, dumtaxat in ciuilibus causis.
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ne à confisquer les biens d'un homme de peu sans se soucier de lui appliquer une loi à la cruauté de laquelle il est implicitement accusé de participer puisqu'il nous est montré réprimant une infraction qui lui est faite; infraction que d'ailleurs Cicéron ne nie pas, bien au contraire, puisqu'il fait une gloire à l'affranchi d'avoir prêté serment pour obéir à ses devoirs et que, par contre-coup, il n'en charge que plus aisément Verres : Vtrum reprehendis quod patronum iuuabat eum qui turn in miseriis erat, an quod alterius patroni mortui uoluntatem conseruabat, a quo summum beneficium acceperat? Vtrum horum reprehendis'? (§ 124) La superbia de Verres s'est montrée dans la désinvolture avec laquelle il a empêché un affranchi d'hériter. Mais au fond le reproche de super bia ne pèse pas bien lourd parce que l'attitude du préteur a été plutôt conciliante. Il n'est peut-être pas inutile d'insister sur cette affaire Trebonius parce qu'on l'interprète parfois de façon restrictive en disant que l'his toire racontée par Cicéron témoigne de la perte, pour les proscrits, de la testamentifactio passiua56. Or ce qu'avaient perdu les proscrits, c'était beaucoup plus que cela, c'était l'ensemble de leurs droits, y compris celui d'exister; et l'affaire Trebonius démontre qu'il y avait, en 74, des gens pour se prévaloir des prescriptions de la loi Cornelia qui interdi sait tout secours aux «condamnés», qu'il faille interpréter ce recours des héritiers à la loi par le désir sincère de maintenir hors de la com munauté les ennemis de la patrie, par la crainte d'être dénoncés ou par le sens de leurs intérêts. Contrepartie de cette prohibition absolue de tout secours aux prosc rits, l'impunité devait être garantie à ceux qui les exécuteraient en même temps que leur étaient promises des récompenses. Pour ce qui est de l'impunité accordée à ceux que la loi appelait les percussores, elle est très explicitement rappelée par Suétone lorsqu'il évoque l'action de César lors de la présidence de la quaestio de sicariis en 64 : ... in exercenda de sicariis quaestione, eos quoque sicariorum numero habuit qui, proscriptione ob relata ciuium Romanorum capita pecunias ex aerano acceperant, quanquam exceptos Corneliis legibus57. (Une impunité du
56 C'est le cas notamment de Rotondi s.a. 82 : lex Cornelia de proscriptione. Cette inter prétation vient d'une confusion avec le statut de ceux qui, sous l'Empire, étaient déport és. Vid G. Impallomeni, NDI s.u. « Successioni ». 57 Suet., Diu. lui. 11, 2; cf. Ascon. 90-91 C. Sur la valeur technique de percussor, Cic, Rose. Amer. 93 : eos quos, qui leuiore nomine appellant, percussores uoeant. . .
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même ordre est garantie par une autre loi : la lex Clodia de 58 qui autor isait toute personne à tuer - sans encourir de peine - le banni ou qu iconque lui donnerait asile en cas de rupture de ban58). Mais la loi ne promettait pas seulement l'impunité, elle offrait des récompenses pour les têtes de proscrits. Le texte de Suétone le prouve (qui proscriptione ob relata ciuium Romanorum capita pecunias ex aerano acceperant), et nombre de textes y font référence59. Si l'on en croit Sénèque, c'est par les questeurs que les récompenses étaient payées60, et, en tout cas, les fonds étaient prélevés sur le Trésor61. Cet article, qui devait reprendre purement et simplement les prescriptions de l'édit, ne semble pas avoir prévu d'accorder la liberté aux percussores d'origine servile : l'affra nchissement de dix mille Cornelii doit avoir fait l'objet d'une mesure à part comme tend à le prouver le fait qu'Appien en parle plus tard, dans le cours de sa description de la réorganisation de l'Etat par Sylla62. Compte tenu de ce que nous savons sur la procédure de proscript ion, il nous est possible d'affirmer que les articles dont nous venons d'analyser le contenu ne pouvaient concerner que les proscrits au sens strict du terme, c'est-à-dire ceux dont la liste complète avait été aff ichée dans Rome au lendemain de la bataille de la Porte Colline. Mais il est un certain nombre de personnages dont Sylla souhaitait tirer ven geance et qui étaient morts depuis plusieurs mois, voire depuis plu sieurs années et qui, par conséquent, ne pouvaient avoir été inscrits sur Yedictum de proscription. Ainsi C. Fabius Hadrianus, propréteur maria-
58 Sur cette répression de la rupture de ban uid. Mommsen, Dr. Pén. II, 276-277 et n. 1 ; Rotondi s.a. 58 : Lex Clodia de exilio Ciceronis. 59 Même si ce sont des textes qui semblent faire davantage référence à Yedictum de proscription qu'à la lex: Veil. Pat. II, 28, 3; App., BC I, 95, 442; Plut., Sulla 31, 7; Caio min. 17, 5. Cicéron, quant à lui, prétend, (mais c'est dans le pro Ligario (§ 12)) que ces récompenses constituaient une incitation destinée à compenser le manque d'enthousias me des assassins éventuels! 60 Prou. III. 8 : . . .pretium caedis per quaestorem ac tabulas publicas numerai. 61 C'est ce que prouvent les expressions de Sénèque (per tabulas publicas) et de Suétone (ex aerario). On observera d'ailleurs que la Table d'Héraclée, dans l'énumération des incapacités qu'elle présente, inclut le fait d'avoir reçu une récompense pour avoir tranché la tête d'un citoyen Romain: ...queiue ob caput c(iuis) R(omanei) referundum pecuniam praemium aliudue qui cepit ceperit (122) et qu'il fallait bien que cette récom pense fût officiellement enregistrée. Sur cette question uid infra chap. 4, 206-207. 62 App., BC I, 100, 469 : Τω δε δήμω τους δούλους των άνηρημένων τους νεωτάτους τε και εύρωστους, μυρίων πλείους, έλευθερώσας έγκατέλεξε και πολίτας άπέφηνε 'Ρωμαίων και Κορνηλίους άφ'έαυτοΰ προσείπεν. . .
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niste d'Afrique, qui fut brûlé vif au cours d'un soulèvement63, aurait sans aucun doute figuré sur la liste s'il avait vécu assez longtemps, mais comme il périt au début de 82, il ne pouvait être frappé de pros cription par un édit de la fin de la même année. La vengeance que Sylla pouvait tirer de ces ennemis est simple : il s'agit de la confiscation de leurs biens. C'est un fait attesté de façon tout à fait claire, notamment par la discussion que Cicéron mène sur la vente des biens de Sex Roscius. On se rappelle, en effet, que l'avocat, soucieux de démontrer l'ill égalité de la confiscation des biens ayant appartenu à Sex Roscius le père, examine les prescriptions de la loi (dont il feint d'ignorer le nom et le contenu exacts) Scriptum enim ita dicunt esse : ut aut eorum bona ueneant qui proscripti sunt (quo in numero Sex Roscius non est), aut eorum qui in aduersariorum praesidiis occisi sunt64. On prendra pour tant garde au fait que le jeune avocat ne transcrit sans doute pas très exactement l'article de la loi : si le terme praesidia est bien attesté dans des emplois techniques, il n'en est pas de même pour aduersarii dont les occurrences au sens d'ennemis (de la patrie) sont peu nombreuses " et, en tout cas nulles dans les textes juridiques65. Cela inciterait à pen ser que Cicéron voulait garder ses distances et même marquer une cer taine réprobation à l'égard de la loi. Quoi qu'il en soit, la réalité de deux catégories de «justiciables» définies par la loi elle-même n'est pas en cause, d'autant qu'elle est attestée par ailleurs. Chez Appien d'abord, qui affirme : Έξέλασίς τε ετέρων ην και δήμευσις των έτέροις δντων. («Pour les uns ce fut l'exil, pour d'autres la confiscation des biens»)66. A l'évidence l'historien grec distingue deux types de traitement : Γέξέλασις, c'est-à-dire la proscrip tion avec toutes ses conséquences, y compris la confiscation, et d'autre part, la δήμευσις simple appliquée à une catégorie différente. Chez Plu-
63 Sur la mort de ce personnage (RE 82 Münzer): Liu., Per. 86; Diod. Sicul. 58, 11; Oros. V, 20, 3; Pseudo Ascon. 241 St. 64 Rose. Amer. 126. 65 Sur praesidia uid. le commentaire de Landgraf ad loc. Pour ce qui est d'aduersarius au sens d'hostis, on a trop peu d'exemples pour y voir un emploi technique (cf. TTL s.u.). En revanche on est assuré que Sylla considérait bien les marianistes comme des hostes ainsi que le confirme Plutarque (Sulla 27, 6) qui écrit que, selon Sylla lui-même (ως φησιν αυτός), il avait à affronter quinze généraux ennemis (επί πεντεκαίδεκα στρατηγούς πολε μίους). 66 BC I, 95, 444.
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tarque, ensuite, qui présente les choses de façon tout à fait particulière mais qui confirme la dualité des justiciables: «...il exclut du corps civique les fils et les petits fils des proscrits et confisqua les biens de tous»67. En d'autres termes il considère d'une part les proscrits - à tra vers leurs descendants - et d'autre part l'ensemble des gens concernés par la confiscation, proscrits et aduersarii. S'il faut suivre Cicéron dans le détail de son argumentation, on doit admettre qu'une liste de gens de la seconde catégorie (de ceux qui in aduersariorum praesidiis occisi sunt) était annexée à la loi. L'avocat affirme, en effet, que Chrysogonus aurait promis à la délégation d'Amérie, venue trouver Sylla à Volaterres pour défendre la mémoire de Sex. Roscius le père, de «faire disparaître son nom des registres», ce qui implique qu'il avait dû y être inscrit ou, du moins, qu'on avait fait comme s'il l'avait été68. Et on est en droit de se demander jusqu'à quel point il n'y a pas là une double falsification : de la part de ceux qui avaient confisqué les biens de Roscius, d'abord, et qui avaient dû pré tendre que ce personnage était mort apud aduersarios69 pour pouvoir s'emparer d'une partie de son patrimoine; de la part de Cicéron, ensuit e, qui utilise cette première falsification et la renforce pour faire naî tre le pathétique «.patrem meum cum proscriptus non esset iugulastis, occisum in proscriptorum numerum rettulistis. . .»70. Roscius n'a pas été proscrit et, par conséquent, lorsqu'il parle des registres {tabulae) Cicé ron joue sur l'ambiguïté du terme.
67 Sulla 31, 8 . . .τών γαρ προγεγραμμένων ήτίμωσε υιούς καί ύιωνούς, και τα χρήματα πάντων έδήμευσεν. 68 Rose. Amer. 26 : . . .cum Me confirmaret sese nomen Sex Rosei de tabulis exempturum ... On observera que le texte où il est dit de Roscius qu'il avait été inscrit sur ces tabulae, est mutilé : Cum nulla iam proscriptionis mentio fieret, cum iam qui antea metuerant redirent ac iam defunctos sese periculis arbitrarentur, nomen refertur in Tabulas Sex. Rosei, hominis studiosissimi nobilitatis . . . (§21). Le texte nomen refertur... Sex Rosei n'est pas dans les manuscrits mais est restitué par Charisius (CGL 1, 264) et Diomède (ibid. 390). 69 Rose. Amer. 127: Ego haec omnia Chrysogonum fecisse dico ut ementiretur, ut malum ciuem Sex. Roscium fuisse fingeret, ut eum apud aduersarios occisum esse diceret, ut hisce de rebus a legatis Amerinorum doceri L. Sullam passus non sit. 70 Ibid. 32. Pour le recours au pathétique suscité par la proscription, cf. la pérorai son : An uero, iudices, non uos intellegitis nihil aliud agi nisi ut proscriptorum liberi quauis ratione tollantur. . .? (...) cauete per deos immortales, iudices, ne noua et multo crudelior per uos proscriptio instaurata esse uideatur (§§ 152-153). Sur cette question uid. chap. 4, 149-152.
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Ce qui est important, en l'occurrence, c'est que ces confiscations et ces ventes ont dû cesser, aux termes mêmes de la loi, le 1er juin 81, comme nous l'avons vu71. Nous examinerons plus loin les conséquences qu'une telle limitation ne pouvait manquer d'avoir sur le statut des biens confisqués, mais non encore vendus et sur la signification polit iquequ'il faut lui donner. Pour l'heure contentons-nous d'observer que cette clause particulière figurait bien dans le texte même de la loi.
Le statut des liberi proscriptorum Telles devaient être, pour l'essentiel, les dispositions qui concer naient les hostes rei publicae et qui, au total, reprenaient simplement les injonctions de l'édit de proscription. Mais la loi comportait aussi d'au tres articles dont le contenu n'était pas annoncé dans Yedicîum ce qui explique qu'ils aient souvent été considérés comme un renchérissement sur la proscription : il s'agit des mesures qui constituent la partie de la loi la plus souvent attestée, ce qui ne veut pas dire la mieux connue ni la plus claire, les mesures qui concernent les descendants de proscrits. Un premier problème se pose d'ailleurs dès qu'on aborde l'étude de ces chapitres : établissaient-ils une distinction entre les descendants de proscrits proprement dits et ceux des victimes des combats, comme dans les articles qui concernent la peine? On a en effet du mal à admett re que le châtiment des marianistes ait pu être différent selon qu'ils avaient trouvé la mort dans les combats de la guerre civile ou qu'ils avaient été exécutés après la victoire de Sylla, d'autant que lui-même avait annoncé son intention de se venger de tous ceux qui avaient porté les armes ou commis un acte d'hostilité contre lui depuis la rupture de la trêve de 83. Ce n'est pas la prosopographie qui peut permettre de trancher la question : lorsqu'on examine la liste de ceux qui ont été empêchés de gérer une magistrature avant 49, on est toujours embarr assépour déterminer s'ils devaient cette éviction au fait que leur père ou grand-père figurait sur la liste ou était mort dans les combats précé dant son affichage. On a d'autre part trop peu de renseignements sur
71 Rose. Amer. 128. Pour la discussion de ce texte uid. supra 77; sur la formule même uid. Landgraf comment, ad loc.
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les chefs marianistes tombés avant novembre 82 pour dire si l'absence de descendance connue est significative72. En définitive, c'est encore dans les témoignages littéraires qu'il faut chercher les éléments de solution à ce problème. Chez Plutarque, d'abord, dont nous avons cité plus haut un texte de la Vie de Sylla dans lequel il distingue ceux qui sont proscrits - et dont les fils et petits-fils sont exclus du corps civique - de l'ensemble des justiciables de la lex Cornelia, tous soumis à la confiscation73. D'autre part, la quasi-totalité des auteurs latins qui parlent de cet article de la loi évoquent ceux qui en étaient les victimes sous le nom de liberi proscriptorum. Sans doute cette expression a-t-elle plus ou moins de signification en fonction du contexte dans lequel elle est utilisée : il est clair que, dans la péroraison du pro Roseto Amerino, lorsque Cicéron accuse ses adversaires de voul oir «se défaire par n'importe quel moyen» des liberi proscriptorum, on doit être circonspect sur les conclusions à tirer de cet emploi, d'autant que le père de Roscius n'avait pas été proscrit! Pourtant la convergence de Yepitomator de Tite-Live, de Suétone, de Velleius Paterculus, de Pli ne, de Sénéque et de Cicéron lui-même74 d'une part, et de l'autre le fait que le terme liber soit le terme technique pertinent pour désigner les descendants au moins des deux générations concernées par la mesure75
72 Sur cette question uid. nos «Liberi proscriptorum». . " Vid. supra 86 et n. 67. 74 Liu., Per. 89; Suet., Diu. /w/41, 3; Veil. Pat. II, 28, 4; Plin., HN 7, 117; Sen., Ira II, 34, 3. A cela il faut ajouter un texte de Salluste évoquant les fils de proscrits au nombre des partisans de Catilina : Praeterea quorum uictoria Sullae parentes proscripti, bona erepta, ius libertatis imminutum erat . . . (Cat. 37, 9). 75 Mommsen (Dr. Pub. II, 142, n. 2) a fait observer qu'il s'agit bien là d'un emploi tech nique du terme liberi tel qu'il est défini au Digeste (50, 16, 220 : Liberorum appellatione nepotes et pronepotes ceterique qui ex his descendunt continentur). Plutarque confirme d'une certaine façon le technicité du terme qu'il traduit par υιοί και ύιωνοί (pourtant TiBiLETTi, «Comitia» 98 parle d'une lex Cornelia de proscriptorum filiis). Malheureuse ment la proposographie n'est ici d'aucun secours : s'il est vraisemblable que C. Norbanus C. f. Flaccus, praet. 44/43, cos. 38, est le petit-fils et non le fils du cos. 83 troisième de la liste de proscription, il est non moins vraisemblable que son père, le monetai. 83, avait été proscrit, lui aussi. De la même façon, si nous pouvons connaître quelques descendants de proscrits appartenant à la troisième ou à la quatrième génération, on ne peut tirer aucu ne conclusion étant donné l'ignorance où nous sommes du statut de leurs parents ou grands-parents. Ainsi en est-il de M. Papius Mutilus, cos. suff. 9 p. C. (RE 13), vraisembla blement arrière petit-fils du proscrit: on ne sait si on doit attribuer l'obscurité de la famille entre le proscrit et le consul au caractère lacunaire de nos sources ou à une cou-
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ne nous permettent pas de douter que nous avons bien là une preuve de ce que seules les familles de proscrits étaient visées. Pour ce qui est du contenu même de ces chapitres, on peut, de pr ime abord, considérer qu'il y a deux mesures distinctes sur lesquelles il convient de discuter : la privation de l'éligibilité d'une part, assez géné ralement attestée dans nos sources, et, d'autre part, une mesure parti culière aux fils de sénateurs dont Velleius Paterculus et Denys sont, semble-t-il, les seuls à se faire l'écho. Mais pour examiner chacune de ces deux mesures, il convient d'analyser préalablement les sources dont nous disposons à leur sujet en fonction du contexte général à propos duquel elles ont été amenées à en traiter. On ne peut, en effet, prétendre trouver un renseignement historique sur le statut des liberi proscriptorum si on se contente de classer les sources en fonction de la formulation qu'elles adoptent76 : pour l'essentiel, les dispositions syllaniennes ont dû rester en vigueur pendant plus de trente années et ont fait l'objet, durant cette période, de bien des discussions ou attaques. Les auteurs qui y font allusion ont donc pu puiser à des sources différentes selon qu'ils en ont parlé dans le contexte même de la publication du corpus législatif syllanien ou dans celui des différentes tentatives qui ont été faites pour en annuler les effets, et il est nécessaire de restituer une véritable perspective chro nologique pour l'examen de nos sources en tenant compte du fait que les problèmes qui se posaient ne devaient pas être les mêmes au lende main de la guerre de Sertorius et en 63. De ce point de vue, on dispose essentiellement de trois types de sources pour tenter de déterminer ce que pouvait être le statut des des cendants de proscrits. Tout d'abord celles qui évoquent la mesure au moment même où elle fut prise par Sylla : il s'agit de trois textes très courts de l'abréviateur de Tite-Live, de Velleius Paterculus et de Plutarque auxquels il convient de joindre deux passages plus polémiques de Denys d'Halicarnasse et de Sénèque77. Une seconde catégorie est consti-
pure occasionnée précisément par la proscription. Dans le même ordre d'idées on peut citer l'exemple de A. Vibius Habitus (cos. suff. 8 p. C.) et de C. Vibius Posthumus (cos. suff. 5 p. C.) qui sont peut-être les petits-fils de Sex. Vibius. 76 Pour un classement juridique et raisonné des sources sur l'altération du statut des liberi proscriptorum uid. Mommsen, Dr. Pub. II, 142, n. 2. 77 Liu„ Per. 89; Veil. Pat. II, 28, 4; Plut., Sulla 31, 8; Dion. Hai. Vili, 80, 2; Sen., Ira II, 34,3.
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tuée par les auteurs qui font référence à la rogano de 63 à laquelle Cicéron s'opposa : on y trouve, outre le paragraphe du in Pisonem qui en parle précisément et la série de textes qui s'inspirent plus ou moins directement du discours qu'avait prononcé Cicéron à cette occasion, trois textes plus historiques, à savoir l'évocation par Dion et Plutarque de l'ensemble des tentatives populaires auxquelles le consul Cicéron eut à faire face et celle, par Salluste, des conséquences, dans les mois qui suivirent, de l'échec de la rogatio™. Enfin constituent la troisième caté gorie les auteurs qui citent la mesure syllanienne à propos de son aboli tionà l'initiative de César en 49 79. L'examen des deux dernières catégories de sources confirme la thèse généralement adoptée par les historiens modernes et qui veut que Sylla ait privé les fils de ses victimes de l'accès aux magistratures. Pour ce qui concerne les événements de 63, c'est le cas de Cicéron lui-même qui, au début de l'invective qu'il prononça en 55 contre Pison, justifie sa propre action et se glorifie d'avoir «fait en sorte que des jeunes gens honnêtes et méritants, mais que la situation où ils se trouvaient desti nait évidemment, s'ils obtenaient quelque magistrature, à provoquer un bouleversement dans l'Etat, fussent (...) exclus des listes d'éligibili té»80. Quintilien et Pline s'inspirent d'ailleurs directement de ce dis cours lorsqu'ils louent l'orateur pour cette action81. Plutarque et Dion, en revanche, dans le récit qu'ils donnent des événements de 63, sont plus complets puisqu'ils replacent la proposition combattue par Cicé ron dans un ensemble de rogationes dont, à la suite de Cicéron, on considère que la plus importante était celle de Seruilius Rullus. Ainsi Dion affirme qu'un tribun «proposait pour les charges les fils de ceux
78Cic., Pis. 4; Plin., HN7, 117; Quint, IO, 11, 1, 85; Plut., Cic. 12; Sail., Cat. 37, 9; Dio 37, 25, 3. " Dio 44, 47, 4; cf 41, 18, 2 et 41, 21, 6; Plut., Caes. 37, 2; Suet., Diu. lui. 41, 3; Veli. Pat. II, 43, 4. 80 Ego adulescentis bonos et fortis, sed usos ea condicione fortunae ut, si essent magistratus adepti, rei publicae statum conuolsuri uiderentur meis inimicitiis, nulla senatus mala gratia comitiorum ratione priuaui (Pis. 4). 81 Quint., IO, 11, 1, 85: Quid enim crudelius quant homines honestis parentibus ac maioribus natos a re publica submoueri? Itaque durum id esse summus Hie tractandorum animorum artifex confitetur, sed ita legibus Sullae cohaerere statum ciuitatis affirmât, ut his solutis stare ipsa non possit. Plin., HN7, 117 : . . .te orante proscriptorum liberos honor es petere puduit . . .
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que Sylla avait exilés»82 tandis que Plutarque, moins précis, dit simple mentque les liberi proscriptorum postulaient des magistratures bien qu'ils en fussent exclus par les lois de Sylla : oi κεκωλυμένοι κατά τους Σύλλα νόμους άρχειν83. Selon lui, d'ailleurs, l'essentiel du débat porta sur la rogatio Seruilia et Cicéron réussit si bien à faire échouer le projet agraire «qu'il amena les tribuns à renoncer à leurs autres propositions tant son éloquence les avait subjugués»84. Quoi qu'il en soit, le biogra phe et l'historien grecs confirment bien que ce qu'il était question de rendre aux descendants de proscrits c'était l'accès aux magistratures, ce qui implique que ces gens-là jouissaient encore d'un certain nombre de droits civiques, au nombre desquels, vraisemblablement, le droit de vote85. En définitive, si l'on suit le récit assez détaillé de Plutarque, les descendants de proscrits formaient «un groupe nombreux et puissant» et avaient les moyens de faire de l'agitation politique puisqu'ils «haran guaient le peuple et alléguaient contre la tyrannie de Sylla une foule de griefs justes et fondés»86. Salluste, qui évoque ces personnages un peu plus tard dans l'année 63, après l'échec du projet de restituito, confirme l'idée qu'on se fait de leur statut d'après Cicéron, Dion et Plutarque : selon lui, ils mettaient désormais tout leur espoir en Catilina, eux «dont les droits civiques étaient diminués»87. La formule ne permet pas de préciser quelles
82 Dio. 37, 25, 3 : .. ,ό μέν τις [se. δήμαρχος] τους παΐδας των ύπο Σύλλου έκπεσόντων προς τας αρχάς ήγεν. . . » Plut., Cic. 12, 2. 84 Ibid. § 6. Dans le même sens Dio. 37, 25, 4 : Και ταΰτα μέν προς τε του Κικέρωνος καί προς των άλλων των όμογνωμονούντων οι προκαταληφθέντα, πριν έργον τι άπ' αυτών συμβήναι, έπαύθη. 85 MoMMSEN, Dr. Pub. Π, 142, n. 2, considère que la perte de l'éligibilité n'implique pas la perte d'autres droits politiques et Tibiletti («Comitia» 98-99 n. 18) affirme que la lex Cornelia de proscriptorum filiis (sic) interdisait probablement aux magistrats d'accepter leur candidature (eorum rationem habere) mais qu'il est peu vraisemblable qu'elle leur ait interdit aussi de se présenter pour voter. Nous étudierons plus loin, dans le chapitre 4, le détail du statut des gens privés de l'éligibilité. 86 Cic. 12, 2. 87 Cat. 37, 9 : . . .quorum . . .ius libertatis imminutum erat. . . A propos des iura libertatis, on se reportera à la discussion de M. Ducos, dans sa thè se(Les Romains et la loi, à paraître), qui affirme notamment (p. 95 du ms) : « Le terme de libertas n'est pas en lui-même obscur : ce substantif qui est de la même racine que liber indiquait avant tout la situation de l'homme libre et, par conséquent, celle du citoyen : dans la plupart des cas, en effet, libertas et ciuitas sont inséparables à Rome. . .».
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atteintes avait subi leur statut, mais on peut conclure à une atteinte partielle (imminutum). Quant aux sources qui évoquent la restitutio de 49 (et qui forment le troisième groupe dans notre classification), elles vont, bien sûr, dans le même sens et on remarque qu'elles insistent surtout sur l'admission effective par César aux honneurs de ceux qui, jusque-là, en avaient été tenus écartés du fait de la proscription de leur père ou de leur grandpère: admisit ad honores et proscriptorum liberos*8. C'est ainsi qu'on connaît le nom de deux consuls fils de proscrit : C. Carrinas et C. Vibius Pansa Caetronianus89. Il est, en définitive, peu question d'une lex, mal attestée90, et peu question d'une restitutio au sens général, comme si les personnages en question avaient été privés du seul droit aux magistra tures et comme s'il avait suffi à César de dire qu'il considérait leur can didature comme recevable. C'est l'impression qui se dégage du texte de Suétone que nous avons cité aussi bien que de la relation de cette action présentée par Velleius Paterculus : . . .simulque reuocati ad ius dignitatis proscriptorum liberi91. Seul Plutarque, dans la biographie qu'il nous a laissée de César, affirme que ce à quoi il est mis fin par la lex Antonia, c'est une «atimie», c'est-à-dire une privation des droits civiques : . . .και των έπί Σύλλα δυστυχησάντων τους παΐδας επίτιμους έποίησε92. Or précisément cet teexpression répond à celle qu'il avait employée dans la biographie de Sylla pour caractériser la mesure prise par le dictateur contre les des cendants de ses ennemis : των γαρ προγεγραμμένων ήτίμωσε και υιούς και ύιωνούς. . .93. Le fait que Plutarque fasse partie des trois catégories de sources dont nous disposons et que ses expressions se répondent d'une biographie à l'autre nous incite à examiner son témoignage avec plus d'intérêt qu'on ne le fait ordinairement. Mommsen considérait, en effet, que les expressions άτιμουσθαι et επίτιμους ποιεΐσθαι étaient inexactes94. Or il est difficile de parler d'inexactitude lorsqu'on recon-
88 Suet., Diu. lui. 41, 3. Sur la façon dont César procéda, uid. chap. 4, 217-219. 89 Carrinas : Dio. 41, 21, 6; C. Vibius Pansa : Dio 45, 17, 1. 90 Les références sont dans Rotondi s.a. 49 (sauf Velleius II, 43, 4). Mais la distinction entre une loi sur les exilés «judiciaires » et une loi sur les victimes de Sylla n'est pas aisée à faire (Zonar. X, 8). Sur ces questions uid. infra chap. 4, 215-219. 91 Π, 43, 4. 92 Caes. 37, 2. Pour la valeur technique ά'έπιτίμος uid. Liddell Scott s.u. "Sulla. 31, 8. 94 Dr. Pub. II, 142,2.
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naît que les quatre mots qui suivent άτιμούσθαι et qui en constituent le complément : και υιούς και ύιωνούς sont une exacte transcription d'un terme du vocabulaire juridique sans doute utilisé dans la loi : liberi. Il est vrai que l'expression dont il use dans la vie de Cicéron (citée supra) et qui n'envisage que la privation de l'éligibilité peut faire difficulté et on pourrait penser qu' 17-18, la reprend à son compte, pour l'essent iel, en avançant, sans argumenter, la date de 77 ou 78), et de fait, il semble qu'on ne
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Ce qui est certain, c'est que le texte de Suétone qui évoque la loi qui nous occupe fait difficulté : selon l'historien, en effet, César en aurait assuré le soutien pour permettre le reditus de son beau-frère, L. Cornel ius Cinna. Or, il ne fait aucun doute que ce personnage avait été luimême proscrit et nous verrons que si les liberi proscriptorum bénéficiè rent d'un adoucissement de leur statut grâce au reditus, il ne semble pas que les proscrits aient eux-mêmes pu revenir à Rome. Ce qui est possible, en revanche, c'est que César ait plaidé pour une autre loi que la lex Plautia, pour une véritable loi d'amnistie qui aurait permis le retour de tous les survivants. On peut d'ailleurs penser que la contio tenue par César en cette occasion est à mettre en rapport avec le dis cours qu'il avait prononcé pour Deci(di)us qui, selon toute vraisemblanc e, est le Decidius proscrit dont Cicéron évoque la situation dans le pro Cluentio60. Il n'est pas impossible que, dans les mois qui ont précédé le passage de la lex Plautia, une pression se soit exercée en< faveur des victimes de Sylla, cette pression se marquant par le retour de certains proscrits à Rome. Un tel retour n'aurait pas manqué de susciter des réactions chez les tenants de l'ordre syllanien, d'où le pro Decidio de César. On ne voit pas, en effet, dans quelles conditions César aurait pu avoir à plaider pour un proscrit, compte tenu de ce que nous savons par ailleurs sur le statut de ces gens-là87. Le texte d'Aulu-Gelle qui attes te que César faisait allusion, dans son discours, aux obligations que lui créaient ses liens familiaux pourrait constituer une confirmation au fait qu'il avait plaidé non seulement pour Decidius mais aussi pour tous les proscrits à commencer par son beau-frère88.
puisse pas réduire aussi facilement la loi d'amnistie à un article de la lex de ui (Plautia ou Lutatia). En ce sens, notamment, J. Coroï, La Violence en droit criminel romain, Paris, 1915, 40-44; T. R. Holmes, The Roman Republic and the Founder of the Empire, I, Oxford, 1923, 385-386. Pour une datation en 70 de tout le corpus de leges Plautiae, Lintott, Violen ce 110-111. 86 Vid. supra n. 65. 87 D'une certaine façon, on pourrait expliquer aussi la présence de Decidius dans le pro Cluentio : si les adversaires de Cluentius lui avaient reproché d'avoir mal traité le proscrit dont il ne semble pas, par ailleurs, que le statut social ait justifié qu'on s'intéres se à lui au point de l'utiliser comme argument dans un procès criminel, c'est peut-être bien parce qu'il était devenu, en quelque sorte, le symbole de l'opposition entre partisans de l'amnistie et partisans de statu quo ante. On peut d'ailleurs penser que Yedictum des tribuns (évoqué supra n. 75) interdisant le séjour à Rome de citoyens condamnés pour un crime entraînant la peine capitale, visait des gens comme Decidius. 88 Gell., ΝΑ XIII, 3, 5 : Repperi in oratione C. Caesaris, qua Plautiam rogationem suasit,
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Pour le contenu de la lex de ciuilibus dissensionibus terminandis, nous ne disposons que de bien peu de renseignements. Elle devait bien sûr régler les modalités de la réintégration dans le corps civique de ceux qui avaient suivi Lèpide puis Sertorius en tenant compte du fait qu'ils avaient obéi à un hostis publicus puis à un proscrit combattant contre leur patrie. Ces dispositions particulières ne nous intéressent pas directement dans la mesure où elles ne visent que des citoyens qui n'avaient pas été compris dans l'épuration syllanienne et où, par consé quent, leur reditus ne posait pas de véritable problème, ni politique ni financier : il suffisait de décider, dans un souci d'apaisement, que leur retour à Rome était possible bien qu'ils eussent porté les armes contre la République. Pour les proscrits et leurs descendants, en revanche, le problème se posait en des termes tout à fait différents. On fera valoir tout d'abord que les Romains restèrent persuadés que, du moins pour l'essentiel, la loi avait maintenu les dispositions syllaniennes concernant les proscrits. Par conséquent elle ne devait faire qu'aménager le statut des hostes rei publicae sans remettre en cause l'esprit même de la mesure de Sylla qui visait à leur élimination pure et simple. C'est sans doute en ce sens qu'il faut interpréter le texte de la troisième Verrine que nous avons cité à propos des débats qui avaient dû se faire jour à l'occasion des propositions d'amnistie : «Non contents de maintenir tous ses actes (se. de Sylla), nous allons encore, dans la crainte de plus grands maux et de pires calamités, jusqu'à leur donner la caution des lois»89. Les modifications apportées à la réglementation de Sylla en ce domaine sont donc minimes et difficiles à préciser. En ce qui concerne les proscrits, tout d'abord, il semble bien que la peine qui les frappait ait été conservée, mais avec un adoucissement certain puisqu'ils bénéfi ciaient désormais du droit d'asile dans quelques cités. C'est encore le discours que Dion prête à Antoine qui nous l'apprend : César aurait fait
necessitatem dictant pro necessitudine, id est iure adfinitatis. Verba haec sunt : «equidem mihi uideor pro nostra necessitate non labore, non opera, non industria defuisse». (Cf. Non. Marc. 354 M). 89 Cic, HVerr. 3, 81. Nous traduisons publica auctoritate defendimus par «donner la caution des lois». En fait, il semble que l'auctoritas publica désigne, le plus souvent une décision du sénat (cf. supra n. 68) mais, en l'occurrence, on peut considérer que Cicéron fait allusion à un sénatusconsulte antérieur à la loi sinon à l'ensemble composé de la loi elle-même et de Yauctoritas patrum.
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garantir la σωτηρία à tous ceux qui survivaient de la proscription90, et, en l'occurrence, on ne peut pas comprendre ce terme comme une «amn istie» puisqu'Antoine ajoute que c'est seulement plus tard qu'il les fit revenir à Rome (καΐ αυτούς μετά τοϋτο κατήγαγε). En la circonstance la prosopographie ne nous est pas d'un grand secours parce qu'on ne sait pas où se sont installés les proscrits survivants (notamment Cn. Decidius, L. Fidustius, A. Trebonius). Le seul pour lequel nous soyons ren seignés est L. Cornelius Scipio Asiagenus qui semble avoir fini ses jours à Marseille91 mais on ne peut pas prouver qu'il ne s'agissait pas d'un exil volontaire. Beaucoup plus délicates à préciser sont les dispositions prises en 70 pour aménager le statut des liberi proscriptorum. Nous avons vu qu'eux aussi avaient été chassés de la cité et la loi d'amnistie devait leur permettre le retour et la restitution connexe d'un certain nombre de leurs droits. Pour ce qui est du retour à Rome, on peut l'établir sans grande difficulté. Le texte de la cinquième Verrine l'atteste pour tous les survivants des ciuiles dissensiones92 à l'exclusion des proscrits euxmêmes, bien sûr; le discours d'Antoine, chez Dion, affirme par ailleurs que Γάδεια fut garantie à tous ceux qui avaient suivi Lèpide et Sertorius, au nombre desquels devaient sans doute se trouver des liberi pros criptorum; et surtout, leur présence à Rome est souvent attestée entre 70 et 49, notamment en 63 lorsqu'une nouvelle rogano les réintégrant dans leurs droits fut proposée : «... ceux que les lois de Sylla avaient exclus des charges publiques (ils étaient nombreux et puissants) postul aient des magistratures, haranguaient le peuple et alléguaient contre la tyrannie de Sylla une foule de griefs justes et fondés»93. On ne peut prouver la présence à Rome d'aucun des fils ou petits-fils de proscrit, mais, selon toute vraisemblance, M. Iunius Brutus était revenu assez tôt : rappelons qu'il fut adopté, peut-être par son oncle Q. Seruilius Caepio 94
90 Dio 44, 47, 4 (cf. supra n. 80). 91 Cf. Prosopographie n° 18. Pour L. Cinna cf. la discussion supra et prosopographie n° 17. Pour Marseille ville d'exil, uid. Wilson, Emigration 66. 92 Cic, HVerr. 5, 152 : Forum plenum et basilicas istorum hominum uidemus (. . .) quibus hominibus per senatum, per Populum Romanum, per omnes magistratus . . . in hac urbe. . . uersari licer et. . . " Plut., Cic. 12, 1. 94 Sur cette adoption, uid. infra Prosopo. s. n. Sur Seruilius uid. p. 185, n. 135.
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Mais précisément, ce qui est difficile à dire, c'est ce dont ces per sonnages restèrent privés, et en conséquence, les droits que ce retour à Rome leur permit de recouvrer. Nous avons vu, dans le chapitre consa cré à la lex Cornelia, qu'en réalité, lorsque nos sources indiquent que Sylla interdit aux fils de ses victimes l'accès aux magistratures, c'est par une erreur de perspective qui consiste à interpréter une disposition de la loi de 70 comme la mesure syllanienne elle-même. Mais constater cela ne nous renseigne guère sur le statut précis de ces gens et il import e d'envisager à quelles restrictions de leurs droits civiques ils étaient soumis. Pour ce qui est de la perte du ius honorum, un certain nombre de textes nous prouvent qu'elle fut effective jusqu'à la restitutio complète en 49. C'est même ainsi que nous connaissons tel fils de proscrit dont une source ancienne nous signale qu'il géra des magistratures et mena un triomphe bien que son père eût été mis à mort par Sylla et que, par conséquent, il eût été lui-même écarté de la carrière des honneurs jus qu'en 49 95. Cette privation d'éligibilité ne pose pas de problème96 à un moment où précisément elle entrait dans le droit pénal à titre de pei ne97. Et on connaît deux personnages qui ont effectivement subi l'inte rdiction définitive d'accéder aux magistratures pour avoir été condamn és de ambitu au titre de la loi Calpurnia : il s'agit des deux consules designati pour 65, P. Cornelius Sulla et P. Autronius Paetus98.
95 Par exemple C. Carrinas cité par Dio 51, 21, 6 : . . .ήγαγε μεν και εκείνος τα νικη τήρια, καίτοι του τε πατρός αύτοϋ ύπο του Σύλλου θαναθωτέντος, και αυτός άρξαι ποτέ μετά των άλλων των ομοίων οί κωλυθείς. 96 Comme l'a bien vu G. Tibiletti, «The "Comitia" during the Decline of the Roman Republic», SDHI 25, 1959, 99, n. 18, la loi interdisait probablement au magistrat de les accepter comme candidats (eorum rationem habere ; pour une expression du même ordre, cf. Pis. 4 : comitiorum rottone priuaui à propos de laquelle P. Grimal - comm. ad loc. renvoie à la lex Malacitana FIRA l2 209, 1.6: comitiis rationem habere) 97 Mommsen, Dr. Pén. II, 104-142. C'est la lex Cassia de 104 qui est la première, à notre connaissance, à interdire le sénat, donc les magistratures, à des condamnés : ...ut quem populus damnaret cuiue imperium abrogasset in senatu ne esset (Ascon. 78 C). Et ce sont les lois de ambitu qui ont renouvelé cette interdiction : la lex Cornelia d'abord, la Calpur nia ensuite : . . .Nam superioribus temporibus damnati lege Cornelia hoc genus poenae ferebant ut magistratuum petitione per decem annos abstinerent. Aliquanto postea seuerior lex Calpurnia et pecunia multauit et in perpetuum honoribus iussit carere damnatos. Habebant tarnen licentia Romae morandi (Schol. Bob. 78-79 St). Sur ces lois uid. Rotondi s. n. 98 Schol. Bob. 79 St. : Postea iam damnatis Sylla et Autronio, poenam de ambitu grauiorem consules C. Antonius et Cicero sanxerunt, ut praeter haec ueteribus legibus cons-
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Pour en revenir aux liberi proscriptorum, la loi de 70 qui leur accordait le reditus, leur garantissait, de ce fait, Yincolumitas. C'est la notion qu'utilise Cicéron dans la cinquième Verrine (reliquos saltern dues incolumes licet conseruare), c'est aussi celle à laquelle il a recours à propos de C. Curtius, son ami d'enfance, en faveur duquel il inter vient auprès du propréteur Q. Valerius Orca : C. Curtio ab ineunte aetate familiarissime sum usus. Eius et Sultani temporis iniustissima calamitate dolui et cum Us, qui similem iniuriam acceperant, amissis omnibus fortunis, reditus tarnen in patriam uoluntate omnium concedi uideretur, adiutor incolumitatis fui". En l'occurrence, cette lettre nous renseigne davantage sur les conditions dans lesquelles la loi avait dû passer (en core qu'il faille nuancer sans doute l'affirmation uoluntate omnium parce que Cicéron s'adresse à un Césarien) que sur le contenu précis de cette incolumitas. Incolumis et incolumitas sont des termes difficiles à définir et qu'on ne peut cerner que par des oppositions : incolumis est celui qui n'est pas condamné100, qui n'a pas perdu ses droits de citoyens101, qui n'a pas été l'objet d'un S.C. 102. Le terme άδεια qu'emp loieDion à propos de cette loi n'a d'ailleurs pas davantage un contenu positif qu'on puisse préciser103. En conséquence, il est difficile de déterminer avec précision les autres droits dont les liberi proscriptorum restaient privés. Th. Mommsen avait fait observer, en particulier, que «la privation du droit de par ler dans une contio, portée du temps de Sylla contre l'individu condam né sur une poursuite repetundarum, fait se demander si cet individu n'était pas encore privé d'autres droits politiques»104. Et il note, de fait, que la loi de Bantia enlève au condamné le droit d'administrer les pro vinces, de siéger au sénat, d'être témoin, d'être juré, de porter les insi-
tituta edam exilio multarentur. Vid MRR s. a. 65. Sur les élections de 66 uid. G. V. Sumner, «The Consular Elections of 66 B.C.», Phoenix 19, 1965, 226-231. Nous reviendrons plus loin sur le cas de P. Sulla. 99 Cic, Fam. XII, 5, 2 = 319 SB. Il ne nous paraît pas possible de douter que le reditus auquel il est fait allusion dans ce texte soit celui qu'accordait aux fils de proscrits la loi qui nous occupe ici (cum iis qui similem iniuriam acceperant. . . reditus tarnen. . . concendi uideretur. . .). 100 Par exemple Cic, Arch. 9; Balb. 28; Cluent. 10; 25; 77;. . . 101 Par exemple Cic, dom. 62; IlVerr. 2, 157. 102 Phil. II, 52-53. 103 LlDDELL-SCOTT, S. U. 10*Dr. Pub. II, 142-143 n. 4; cf. ibid. I, 229.
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gnes de magistrat et de voter dans les comices105. Ces interdictions ne peuvent évidemment pas nous renseigner sur celles qui furent pronon cées contre les liberi proscriptorum, mais elles témoignent de la vra isemblance qu'il y a à supposer, pour ces gens, un ensemble d'interdits dont celui qui concerne le ius honorum n'est en fait qu'une partie, la plus visible. Or, il est un droit que les descendants de proscrit avaient sans aucun doute perdu (bien qu'aucune de nos sources ne l'évoque) : le droit d'accuser. Une telle privation est possible, sur le plan des princi pes à l'époque qui nous intéresse, et nous savons qu'elle était pratiquée; mais surtout, elle devait apparaître comme inévitable compte tenu de l'esprit dans lequel avaient été prises les dispositions visant ces genslà. Au plan des principes, Th. Mommsen a montré le rapport étroit qu'il y a entre l'accusateur et le magistrat : en se chargeant de repré senter la communauté, l'accusateur prenait en quelque sorte la place du magistrat qui dirigeait l'ancienne procédure pénale et se trouvait donc dans une situation analogue. A quoi, il faut ajouter que l'accusa teur reçoit du magistrat son pouvoir d'accuser : à la delatio correspond, de la part du magistrat, un acte d'acceptation formel : la receptio 106. Mommsen ajoute que «cette représentation de la communauté, analo gue à celle du magistrat, est plutôt soumise, au point de vue des clauses d'exclusion, à des règles semblables à celles qui régissent l'admission aux magistratures»107. Pour ce qui est de la pratique, il est clair, d'après nos sources, que l'interdiction d'accuser était courante et surtout qu'elle était étroite-
105 . . .njeque prou[inciam] . ../... in senaftu seiuje in poplico iudicio ne senftentiam rogato tabellamue nei dato / neiue is testimonfium deicito neiue quis mag(istratns) testimonium poplice ei de ferri [neiue denjontiari [sinito. . . FIRA I2, 82. Sur cette loi LiNτοττ, «Lex Baritina». 106 Sur ces détails de procédure uid. Bianchini, Formalità 45, qui cite notamment Cic, IlVerr. 2, 94: . . .ait, si liceret notnen absentis déferre, se nelle: iste uero et licere et fieri solere et se recepturum. Sur le pouvoir discrétionnaire limité du préteur uid. F. Pontenay De Fontette, Leges repetundarum, Paris, 1954, 112-113. Pour le procès en contestation d'accusation, cf. Rhet. Herenn. I, 12, 22 : . . .et in publias quaestionibus cauetur legibus ut ante, si reo commodum sit, iudicium de accusatore fiat utrum UH liceat accusare necne. Cf. Greenidge, Infamia 8 et η. 1. 107 Dr. Pén. II, 34-37 (ici 37). Il fait toutefois observer que la liste des accusateurs est plus large que celle des éligibles.
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ment liée à l'inéligibilité 108. On fera observer tout d'abord que capacité à être candidat et capacité à accuser sont deux éléments de la citoyen neté qui sont liés dans les faits puisque celui qui est reus perd ces deux droits109. Cicéron en témoigne par ailleurs lorsqu'il affirme que les lois «ont prévu les cas où il ne serait permis ni de revêtir une magistrature, ni d'être choisi comme arbitre, ni d'accuser autrui»110. Nous avons tou-
108 u y a> en apparence du moins, un cas où la perte du ius honorum ne s'accompa gne pas de celle du ius accusarteli. On sait que les deux consules designati de 66 pour 65, P. Cornelius Sulla et P. Autronius Paetus furent poursuivis de ambitu et condamnés e lege Calpurnia (cf. supra n.98). La peine prévue par cette loi était la perte définitive de l'éligi bilité. Or, on retrouve P. Sulla quelques années plus tard (en 54) comme accusateur de Gabinius : il a même fallu une diuinatio pour choisir entre les différents accusateurs pos sibles et c'est Sulla qui a été choisi (Cic, Ait. IV, 18, 3 = 152 SB; Q. Frai. III, 3, 2 = 149 SB). Les historiens modernes considèrent d'ailleurs que P. Sulla avait intenté cet teaction pour retrouver son siège au sénat (Taylor, Politique 210; Gruen, Generation 323). Pour ce qui est du ius accusandi, en tout cas, il se pourrait bien que P. Sulla l'ait effectivement perdu, mais qu'il l'ait retrouvé par la suite. On observera, en ce sens, que L. Caecilius Rufus avait, dès son entrée en charge de tribun, en décembre 64, déposé une rogatio visant à réduire la peine des condamnés de 66 à dix ans (ce qui correspond à la peine fixée par la loi Cornelia de ambitu - cf. Rotondi). Mais Caecilius avait dû renoncer à présenter sa rogatio au peuple après que, lors de la séance du sénat présidée par Cicé ron le 1er janvier 63, Q. Caecilius Metellus Celer, alors préteur, eut fait savoir à l'assem blée que P. Sulla lui-même, retiré à Naples, ne souhaitait pas voir aboutir ce projet. Il se pourrait donc bien que Cicéron, devant l'assaut de rogationes populaires qui se préparait - au nombre desquelles se trouvait une proposition visant au moins à rendre aux liberi proscriptorum leur ius honorum — ait obtenu des intéressés qu'ils renoncent à leur projet pour lui permettre d'être plus libre de combattre ceux de ses adversaires. La façon dont il évoque l'attitude ultérieure de L. Caecilius en témoigne : Ex ilio tempore L. Caecilius egit de re publica multa (Sulla 65 - notamment en s'opposant à la loi agraire). Il est possible aussi que ce renoncement ait été récompensé par une restitutio moins spectaculaire que celle qui était originellement projetée et qui pourrait bien n'être que de facto à défaut de l'être de iure. On remarquera au passage que ce P. Sulla, théoriquement privé du ius honorum et vivant dans un semi-exil, continua de provoquer la haine des Torquati, ses accusateurs de 66, puisque le fils se porta son accusateur principal dans le procès à lui intenté de ui en 62. Un tel acharnement contre un homme abattu est un peu suspect. Certes, il n'est pas impossible que de vieilles inimicitiae aient dicté sa conduite au jeune Torquatus. Mais sa démarche s'explique encore mieux si P. Sulla avait retrouvé, avec le ius accusandi, le moyen de se venger. 109 Sur ce point, uid. E. Laboulaye, Essai sur les lois criminelles des Romains, Paris, 1845, 346; Costa, Cicerone Giureconsulto Π, 136 et η. 4; Greenidge, Infamia 187 et η. 2; BiANCHiNi, Formalità 47. 110 Cluent.. 120 : . . .in omnibus legibus quibus exceptum est de quibus causis aut magistratum capere non liceat, aut iudicem legi, aut alterum accusare. . .
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tes les raisons de croire que la loi de 70, en formulant très précisément les interdictions auxquelles étaient soumis les fils et petits-fils de prosc rits, les avait assimilés à des infames111. Et sur le plan technique l'i nterdiction ne posait aucun problème puisque, comme nous l'avons dit, l'accusation est acceptée ou non par le préteur après examen des rai sons éventuelles d'exclusion112. Mais surtout, il paraît impossible qu'une telle exclusion n'ait pas été prononcée. Certes, nos sources n'en disent mot : cela tient peut-être à ce qu'il s'agissait d'une réalité si évidente que l'indication formelle en
111 Sont, en effet, exclus de l'accusation, les femmes et les mineurs d'une part, les infantes de l'autre (Zumpt, Criminalprocess 36), étant bien entendu qu'à l'époque qui nous occupe, il ne peut s'agir que d'une série de disqualifications affectant les droits civiques par l'intermédiaire de lois (comme la lex Acilia repetundarum ou la Table d'Héraclée). Sur cette question uid. notamment Greenidge, Infamia 9, qui classe les disqualifications en deux catégories, celles qui affectent les honores - le ius honorum - et celles qui concer nentles autres iura publica et qui sont résumées en ius suffragii; mais il ne parle pas de l'interdiction d'accuser qu'il faut sans doute rattacher à la première catégorie. Mommsen, Dr. Pén. II, 39 affirme que «l'infamie prétorienne prive du droit d'accusation comme elle enlève le droit de représenter dans l'action». Ce qu'on peut se demander c'est dans quelle mesure la proscription n'a pas contribué à la constitution de l'infamie légale (Pommeray, Infamie 65 insiste bien sur le fait qu'il n'existe pas encore, à la fin de la République, d'infamie légale et que les individus sont écartés «en raison de faits commis par eux, non à cause de la réprobation populaire qu'ils subissent»). La conjonction entre les mesures proprement infamantes prises à l'encontre des proscrits (notamment par la publicité faite autour de leur nom - sur cette question uid. J. M. Kelly, Studies in the Civil Judicature of the Roman Republic, Oxford 1976, en notamment ch. 4 : Loss of Face as a factor inhibiting litigation, qui démontre que la publicité faite autour des deux parties d'un procès impliquerait des risques d'infamie plus ou moins grands pp. 102-104) aussi bien que les conséquences statutaires dûment enregistrées par la loi de 70 pour les liberi de ces gens-là, ont créé une véritable catégorie de citoyens à part - en marge - catégorie nombreuse et qui a été visible pendant plus de vingt ans à Rome où elle a été l'objet de débats contradictoires. Les liberi proscriptorum avaient considérablement grossi les rangs de ceux qui, pour d'autres raisons, avaient per du le droit d'accuser (les condamnés dans un iudicium publicum essentiellement : is qui iudicio publico damnatus est, ius accusandi non habet - Ulp., Dig. 48, 2, 4. Cf. aussi le passage ironique de Rose. Amer, dans lequel Cicéron se moque d'Antistius quem non modo aetas sed etiam leges pugnare prohibebant § 90. Vid. Greenidge, Legal Procédure 459. Il semble d'ailleurs que cette perte du droit d'accuser ait été assez fréquente pour que Cicéron puisse l'envisager pour lui-même : . . .dum utrumuis licebit = «tant qu'il me sera permis d'accuser ou de ne pas accuser» - Rose. Amer. 83). 112 Sur ce problème uid. notamment Bianchini, Formalità 45; M. Lauria, NDI s.u. accusatio.
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était inutile. Quand on songe, en effet, à la multitude de procès qui n'auraient pas manqué de se dérouler - à la fois pour permettre aux fils de proscrits de retrouver leur place dans la vie politique et pour tirer vengeance de ceux qui avaient abattu leur famille113, on ne peut pas ne pas admettre en constatant que nous n'avons pas la trace d'un seul de ces procès, qu'au nombre des iura connexes du ius honorum et dont les fils de proscrits avaient été privés, figurait aussi le ius accusandi. Ce qui est scandaleux avec la mesure syllanienne et avec son maint ien- du moins pour l'esprit - par la loi de 70, c'est que ce ne sont pas seulement les adversaires qui sont visés par l'épuration, mais leurs des cendants aussi. La signification de cette mesure est d'ailleurs parfait ement claire : elle avait pour but d'empêcher les représailles que n'au raient pas manqué de vouloir exercer les fils des victimes. Qu'elle ait, par ailleurs, été confirmée en 70 - comme elle le sera à nouveau en 63 - donne à réfléchir sur la notion de solidarité familiale au dernier siè cle de la République. Et la décision d'écarter de la cité ou de maintenir à l'écart de la vie politique les liberi des victimes de l'épuration pourrait bien n'avoir pas été interprétée de façon aussi catégorique par les contemporains qu'elle l'est par la science moderne114. Pour affirmer qu'il s'agissait là d'une mesure contraire aux normes de fonctionnement de la société du Ier siècle, on s'appuie d'ordinaire sur un extrait des Antiquités romaines de Denys d'Halicarnasse qui raconte le procès de Sp. Cassius en 485 a. C. accusé d'avoir aspiré à la royauté, et qui, plus particulièrement, évoque la décision que prit le sénat d'épargner ses enfants : «Certains tentèrent de faire exécuter aussi les fils de Cassius, mais le sénat considéra que c'était là une coutume cruelle et nuisible : s'étant réuni, il décida par sénatusconsulte que les enfants seraient exempts de la peine, qu'ils pourraient continuer à vivre en toute quiétude, sans avoir à encourir exil, infamie, ni quelque déchéance que ce soit. Et depuis cette époque, la coutume s'est établie à Rome - et a été observée jusqu'à nos jours - d'exempter les enfants de toutes les peines encou-
113 Sur ces questions de vengeance familiale à l'époque cicéronienne uid. notre «Pa iera «5 inimicus ». 114 Par exemple Laffi, Mito di Siila 185 : «. . .una violazione gravissima delle norme più elementari della morale politica romana» ou Barthelmess, Reputation 106 : «...a blunder of incalculable magnitude on Sulla's part ».
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rues par leur père pour un crime, qu'ils fussent les fils d'un tyran, d'un parricide ou d'un traître (la trahison étant, à Rome, le crime suprême). Ceux qui ont tenté d'abolir cette coutume, à notre époque, à la fin de la guerre Marse et des guerres civiles, et qui ont enlevé aux fils des pros crits de Sylla le droit d'exercer les magistratures qu'avait exercées leur père et d'être sénateurs, pendant tout le temps que dura leur dominat ion, ceux-là ont attiré sur eux, de l'avis général, la haine des hommes et le ressentiment des dieux. Aussi bien, la justice, tel un bourreau implacable, les a-t-elle suivis sans discontinuer et les a ramenés des sommets de la gloire qu'ils occupaient au degré le plus bas de la misèr e,et, de leur race il ne reste plus rien, hors les femmes; quant à la coutume, c'est précisément celui qui a abattu ces hommes qui l'a res taurée dans sa vigueur originelle»115. Ce texte n'est pourtant peut-être pas aussi significatif qu'on l'affi rme ordinairement. E. Gabba a tout d'abord fait observer qu'il était une construction complexe faisant intervenir le sénat essentiellement pour énoncer le principe général qui ne veut pas qu'on punisse, à Rome, les fils quelle que soit la gravité des crimes de leur père, et pour souligner que la décision de 70 de maintenir les fils de proscrits en dehors de la vie politique est une violation flagrante des règles élémentaires de la morale politique et du droit romains116. Il est clair qu'un texte aussi
115 Dion. Hal. VIII, 80 : 'Επιβαλλομένων δέ τίνων και τους παΐδας άποκτεΐναι του Κασσίου δεινον το εθος έδοξεν είναι τη βουλή και άσύμφορον· και συνελθοΰσα έψηφίσατο άφεΐσθαι τα μειράκια τής τιηωρίας και επί πάση αδεία ζην, μήτε φυγή μήτε ατιμία μήτε άλληκαθ' συμφορφ ζημιωθέντα. Και εξ εκείνου το έθος τοοτο 'Ρωμαίοις έπιχώριον γέγονεν εως τή"ς ήμας διατηρούμενον ηλικίας, άφεΐσθαι τιμωρίας άπάσης τους παΐδας ών άν οί πατέρες άδικήσωσιν, εάν τε τυράννων δντες υιοί τύχωσιν εάν τε πατροκτόνων, εάν τε προ δοτών, ο μέγιστόν έστι παρ'έκείνοις αδίκημα. Οϊ τε καταλϋσαι το εθος τοοτο έπιβαλόμενοι κατά τους ημετέρους χρόνους μετά την συντέλειαν του Μαρσικοϋ τε και εμφυλίου πολέμου, και τους παΐδας των έπικηρυχθέντων έπί Σύλλα πατέρων άφελόμενοι το μετιέναι τάς πατρίους αρχάς και βουλής μετέχειν καθ' δν έδυνάστευον αυτοί χρόνον, έπίφθονόν τε άνθρώποις και νεμεσητον θεοΐς έργον εδοξαν άποδείξασθαι. Τοιγάρτοι δίκη μεν έκείνοις σύν χρόνω τιμωρός ού μεμπτή παρηκολούθησε, δι' ην έκ μεγίστου τέως αύχήματος εις ταπεινότατον πτώμα κατήχθησαν, και ούδε γένος το έξ αυτών οτι μη κατά γυναίκας ετι λείπεται· τό δ' εθος εις τον έξ αρχής κόσμον ό τούτους καθελών άνηρ αποκατέστησε. 116«Dionigi d'Alicarnasso sul processo di Spurio Cassio» in La storia del diritto nel quadro delle scienze storiche, Atti del primo congr. intern, della Soc. ital. di Stor. del Diritto, Florence 1966, 143-153 et notamment 149-152. E. Gabba montre que l'épisode des fils vient de ce qu'un peu plus haut Denys les a montrés accompagnant leur père et que, par
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polémique, dirigé contre les tenants du régime syllanien, c'est-à-dire sans doute Pompée et, évidemment, Cicéron, est à utiliser avec beau coup de précautions : l'histoire que raconte ici Denys pourrait bien être empruntée à une tradition antisyllanienne qui la rend, pour le moins, suspecte117. On a, par ailleurs, remarqué que la comparaison que Denys établit, dans la suite du texte, entre Rome et le monde grec, aussi bien que son refus de se prononcer sur la meilleure des deux pratiques118 semble indiquer que, s'adressant au public cultivé romain, il devait traiter ici un sujet privilégié de discussion à son époque. Et d'opérer un rappro chement avec un passage du de Natura Deorum où Cicéron semble montrer des préoccupations du même ordre. Le rapprochement opéré entre ces deux textes, celui de Denys et celui de Cicéron, démontrerait qu'il existait une véritable convergence de pensée sur ce problème des enfants de condamnés et que le Ier siècle a. C. aurait été celui qui a mar qué les plus nets progrès de la réflexion sur les implications de la soli-
ailleurs, se greffait là-dessus le souvenir de la fin de C. Gracchus et de l'exécution des deux fils de Fuluius Flaccus (bien que la situation soit différente puisqu'ils avaient été, eux aussi, déclarés hostes publici). 117 A. Klotz songeait à une source comme Licinius Macer (Livius und seine Vorgäng er, Leipzig-Berlin 1941, 244) mais Gabba fait observer qu'il n'est pas utile de supposer une source populaire «sia perché la valutazione negativa della dittatura sillana e delle sue conseguenze à caratteristica comune alla storiografia del I sec. A.C..» (150). On remarquera, par ailleurs, que lorsque Denys raconte l'histoire de la première dictature romaine, il le fait en des termes qui manifestent à l'évidence son hostilité à Sylla (V, 77). A ce propos uid. O. Bocksch, « De fontibus libri V et VI Antiquitatum Romanarum Dionysii Halicarnassensis quaestiones uariae» Leipziger Stud. ζ. class. Phil. 17, 1895, 165-273 et notamment 172-173. Dans le même sens, E. Rosenberg, Einleitung und Quellenkunde zur römische Geschichte, Berlin, 1921, 209 et A. Klotz, «Zu den Quellen der Archeologia des Dionysos von Halicarnassos », RhM 87, 1938, 32-50 et notamment 35. 118 «Chez certains Grecs, telle n'est pas la pratique: d'aucuns jugent préférable de tuer les fils de tyrans en même temps que leur père; d'autres leur infligent le bannisse ment à vie, comme si la nature interdisait absolument que des fils vertueux naissent de pères mauvais ou des fils méchants de pères honorables. Mais sur ce sujet, je laisse à autrui de décider laquelle de la pratique grecque ou de la pratique romaine est la meil leure». (Παρ'Έλλησι δ' ούχ οΰτως ένίοις ό νόμος έχει, άλλα τους έκ τυράννων γενομένους οί μεν συναποκτίννυσθαι τοις πατράσι δικαιουσιν, οι δ' αειφυγια κολάζουσιν, ώσπερ ούκ ενδεχομένης τής φύσεως χρηστούς παΐδας έκ πονηρών πατέρων ή κακούς έξ αγαθών γενέ σθαι. 'Αλλ' υπέρ μέν τούτων είτε ό παρ'Έλλησιν άμείνων νόμος είτε το 'Ρωμαίων εθος κρεΐττον, άφίημι τω βουλομένφ σκοπεΐν. VIII, 80, 3).
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darité familiale. Mais avant de parvenir à une conclusion aussi claire, il convient d'examiner de plus près le rapprochement qu'on a établi entre Cicéron et Denys. Et tout d'abord, on sera sensible au fait que, contrairement aux apparences, Cicéron ne vise pas véritablement le même aspect de la solidarité familiale dans la mesure où le cas qui l'intéresse n'est pas celui des enfants qui participent à la peine de leur père, mais plutôt celui du fils ou du petit-fils condamné à la place du père ou du grandpère : « Les dieux, dit Balbus, ne prennent pas garde à tout, pas davan tageque les rois. - Mais quel rapport? Que des rois se trompent sciem ment, voilà une faute grave. Mais pour le dieu, on ne peut quand même pas l'excuser par l'ignorance : vous avez une jolie façon de le défendre quand vous déclarez que telle est la puissance divine, que, si un crimi nel échappe, par la mort, à sa peine, elle en obtient le paiement des enfants, des petits-enfants, des descendants. Etonnante justice divine! Quelle cité tolérerait qu'on propose une loi visant à condamner le fils ou le petit-fils en cas de faute du père ou du grand-père? Quelle limite serait donc mise au massacre des descendants de Tantale? Quand donc jugera-t-on suffisant le supplice enduré pour payer la mort de Myrtilus? Sont-ce les poètes qui ont gâté les stoïciens ou les stoïciens qui ont autorisé les poètes? Difficile à dire: les uns et les autres disent des monstruosités, des choses scandaleuses. . ,»119. On le voit, la perspective est assez différente de celle de Denys et la phrase qu'on invoque ord inairement pour opérer le rapprochement avec l'historien grec : Ferretne ulla ciuitas latorem istiusmodi legis ut condemnaretur filius aut nepos si pater aut auus deliquisset? doit être examinée avec attention : Cicéron y oppose nettement la condamnation (condemneretur) formelle du fils
119 Cic, de Nat. deor., III, 38, 90-91 : Non animaduertunt, inquit, omnia di; ne reges quidem. - Quid est simile? Reges enim si scientes praetermittunt, magna cuîpa est; at deo ne excusatio quidem est inscientiae. Quem uos praeclare defenditis, cum dicitis earn uim deorum esse ut etiam si quis morte poenas sceleris effugerit expetantur eae poenae a liberis, a nepotibus, a posteris. Ο Miram aequitatem deorum ! Ferretne ciuitas ulla latorem iustius modi legis ut condemnaretur filius aut nepos si pater aut auus deliquisset? «Quinam Tantalidarum internecioni modus paretur, aut quaenam umquam ob mortem Myrtili poenis luendis dabitur satias supplici?» Utrum poetas Stoicos deprauarint an Stoici poetis dederint auctoritatem non facile dixerim! portento enim ab utrisque et flagitia dicuntur.
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ou du petit-fils à l'acte reprehensible (deliquisset) du père ou du grandpère. Ce n'est plus un cas de solidarité familiale, c'est bien plutôt un exemple de substitution de prévenu. Le contexte confirme à l'évidence cette interprétation puisque, dans la phrase qui précède, Cotta, à qui Cicéron prête ces propos, ironi se sur une justice divine qui exigerait réparation des descendants d'un coupable que les dieux auraient laissé mourir impuni, par inadvertanc e. Dans tous ces chapitres de l'œuvre, ce dont il est question, c'est la non-intervention des dieux dans les affaires humaines et il est, par conséquent, affirmé qu'on ne saurait attribuer à un ressentiment divin consécutif à une faute tel malheur ou telle succession de malheurs. En d'autres termes, l'allusion politique à la proscription syllanienne et à ses conséquences paraît moins évidente si on replace la phrase dans son contexte philosophique. Ces énormités (portento), ces choses scandaleuses (flagitia) se re trouvent, en effet, tout au long des littératures grecque et latine. Pour ce qui est de notre domaine, on se reportera, par exemple, à Horace qui commence ainsi une ode appelant à la restauration religieuse : « Les fautes de tes parents, bien qu'innocent, tu les paieras, Romain, tant que tu n'auras pas relevé les temples, les demeures croulantes des dieux et leurs images salies par une noire fumée»120. Valère-Maxime, qui n'a d'ailleurs pas l'excuse d'être un poète - ni non plus un philosophe! renchérit sur ce thème lorsqu'il faut trouver une justification au fait que Denys de Syracuse n'a pas connu le châtiment pour ses nombreux sacrilèges : «Bien qu'il n'ait pas reçu un juste châtiment, le déshonneur que connut son fils est une peine qu'il paya rétrospectivement faute de l'avoir payée de son vivant. La colère divine, en effet, est lente à se fai re justice, mais elle compense le retard apporté au châtiment par sa gravité»121. A l'évidence, notre compilateur n'avait pas lu Cicéron, ou du moins ne l'avait pas compris.
120 Hor., Od. Ill, 6 : Delieta maiorum immeritus lues, / Romane, donec tetnpla refeceris / aedisque labentis deorum et / foeda nigro simulacra fumo. Encore faut-il noter que cette ode n'a qu'une valeur d'avertissement et qu'Horace ne songe pas à justifier telle ou telle catastrophe contemporaine par une «faute» antérieure. 121 Val. Max., I, 1, ext. 3 : Qui, tametsi debita supplicia non exsoluit, dedecore tarnen fili mortuus poenas pependit, quas uiuus effugerat : lento enim gradu ad uindictam sui diuina procedit ira tarditatemque supplicii grauitate pensât.
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Pourtant la protestation de Cicéron s'inscrit* dans une tradition ancienne et continue: de Théognis122 à la Bible123 on trouve, en effet, un certain nombre de développements qui dénoncent nettement cette conception d'une divinité qui se vengerait d'un coupable qu'elle aurait laissé échapper comme une imposture. Ainsi Plutarque prête-t-il au philosophe cynique Bion de Borysthène le raisonnement suivant : «Dieu est plus ridicule lorsqu'il punit les enfants des méchants que le médec in qui donne un remède au fils ou au petit-fils pour la maladie du père ou de l'aïeul»124. D'ailleurs, l'allusion politique qui serait contenue dans le texte de Cicéron est moins évidente encore si on songe que la phrase considérée est prononcée par C. Aurelius Cotta, ce grand ami de Sylla qu'il avait rejoint en Asie et avec qui il était revenu125. Par conséquent, on n'est pas vraiment fondé à affirmer que les dispositions prises par Sylla concernant les fils de ses victimes et maintenues jusqu'en 49 malgré les tentatives faites pour les abolir étaient en contradiction avec la morale
122Theogn., 731-742: «Zeus vénérable, veuillent les dieux que les scélérats se comp laisent dans la violence, mais puissent-ils vouloir aussi que le méchant qui a commis des crimes au mépris de toutes leurs lois paye ensuite lui-même le prix de ses méfaits, et que les erreurs de leur père ne fassent pas plus tard le malheur de ses fils : que les enfants d'un père injuste, mais dont les pensées et les actes sont inspirés par la justice parce qu'ils redoutent ta colère, ô Cronide, et qui dès le premier instant l'ont pratiquée au milieu de leurs concitoyens, n'aient rien à expier des fautes de leur père. Ainsi le veuillent les dieux bienheureux! Aujourd'hui le coupable échappe et le mal qu'il a fait retombe sur un autre » (trad. J. Carriere). niDeut., 24, 16 : «Les pères ne seront pas mis à mort pour les fils ni les fils pour les pères : chacun sera mis à mort pour son propre crime ». (trad. Bible de Jérusalem) Cf. // Rois, 14, 6, et surtout Ezech., 18, 2-20. A ce sujet, uid. P. J. Verdam, «On ne fera point mourir les enfants pour les pères» en droit biblique. Mei. De Visscher, II, Bruxelles, 1949, 393-416. 124 Plut., de ser. Num. Vind., 19, 561 c : Ό γαρ Βίων τον θεόν κολάζοντα τους παιδας των πονηρών γελοιότερον είναι φησιν ιατρού δια νόσον πάππου και πατρός εκγονον ή παΐδα φαρμακεύοντος. 125 II est vrai que cet aristocrate distingué et très apprécié de Cicéron comme orateur et comme homme d'état (mais que Salluste peint comme un ambitieux, cf. Hist., 2, 42 et surtout 3, 48, 8 : ex facilone media consul, expression qu'il faut interpréter comme signi fiant «un consul issu du cœur même de la factio des Syllaniens» ainsi que l'a montré E. S. Gruen, Generation 26 ; dans le même sens : G. Perl, « Die Rede Cottas in Sallusts His torien» Philologus, 109, 1965, 75-82) avait, lors de son consulat de 75, fait voter une loi ouvrant aux tribuns de la plèbe l'accès aux magistratures (cf. Cic, apud Ascon. in Corn., 66 et 78 C; Sail., Hist. 2, 49; Ps. Ascon., 255 St.).
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politique de l'époque, d'autant que certains faits incitent à penser le contraire. «Toute condamnation à une peine capitale sans aucune dis tinction ni réserve, a pour suite nécessaire la publicatio des biens du condamné»126 disent les juristes. Et ce n'est que sous l'Empire que les textes législatifs et les commentaires des jurisconsultes s'efforcent de limiter le dommage ainsi subi par des innocents. Or, on a trop souvent négligé un certain nombre d'affirmations de Cicéron qui montrent bien que, dans la Rome de la fin de la République, on ne songeait pas enco re vraiment à remettre en question des pratiques de ce genre. P. Jal a noté, dans l'étude qu'il a consacrée à hostis publions, que «Cicéron ne craint pas. . . d'écrire à Brutus, inquiet du sort de la famille de Lèpide, que la sanction qui avait plongé dans la misère les enfants de Thémistocle était sans doute pénible, mais nécessaire, et il ajoute, en visant Antoine et Lèpide: «si telle est la peine qui frappe des citoyens condamnés dans un procès, comment pourrions-nous être plus indul gents à l'égard d'ennemis?»127. Dans une autre lettre à Brutus l'orateur justifie d'ailleurs ces pratiques en y voyant une extension de la fonction intimidatrice de la peine : ... nec uero me fugit quam sit acerbum parentum scelera filiorum poenas lui; sed hoc praeclare legibus comparatum est, ut Caritas liberorum amiciores parentes rei publicae redderet. Itaque Lepidus crudelis in liberos, non is qui Lepidum hostem iudicat 128. Et Cicéron fournit lui-même, dans les Verrines, une bonne illustra tion de cette conception de la solidarité familiale lorsqu'après avoir évoqué le comportement de Cn. Dolabella dans l'affaire de Lampsaque il s'écrit : Iam, iam, Dolabella, neque me tui, neque tuorum liberorum, quos tu in egestate atque in solitudine reliquisti, misereri potest 129 faisant référence à la condamnation de ce personnage, condamnation obtenue en partie grâce à Verres lui-même qu'il s'était pourtant compromis pour tirer d'affaire. Ce qui est vrai pour une condamnation judiciaire l'est aussi, et à plus forte raison, pour une «condamnation» d'ordre politique, c'est-à-dire une déclaration à'hostis publions ou une proscrip-
126 Lebigre, Responsabilité 8. 127 «Hostis (publions) dans la littérature latine de la fin de la République», REA 1963, 76 citant Cic, ad Brut. 15, 11 : Et si iudicio damnatos eadem sequitur dues, qui potuimus leuiores esse in hostes? (= 23 SB). l2iAd Brut. 12, 2 (= 11 SB). Sur la fonction intimidatrice de la peine chez Cicéron, Costa, Cicerone giureconsulto 74. 129 IlVerr. 1,77.
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tion. Cicéron remarque d'ailleurs que de telles conséquences sont inévi tables parce que même si Lèpide déposait les armes il ne pourrait échapper à des poursuites - et à une condamnation - de ui et que, par conséquent, ses enfants se trouveraient dans la même situation : Atque Me si armis positis de ui damnatus esset, quo in iudicio certe defensionem non haberet, eamdem calamitatem subirent liberi, bonis publicatis130. Ces arguments que développe Cicéron pour justifier le sort fait aux enfants de Lèpide ne doivent pas dissimuler la raison essentielle pour laquelle il ne veut rien tenter en leur faveur : si Lèpide venait à remport er la victoire, il n'aurait pas, lui, de tels scrupules : Itaque cum rogamur ut miser icordiam liberis eius impertiamus, nihil affertur quo minus summa supplicia si - quod Iupiter omen auertat - pater puerorum uicerit, subenda nobis sint131. C'est une idée sur laquelle il revient quelques lignes plus bas en des termes qui marquent qu'il ne s'agit, après tout, que de conséquences légales concernant un petit nombre d'individus alors qu'on peut attendre de la part des adversaires - qui sont des hostes - un traitement bien plus pénible encore et sur une grande échelle : Quanquam, quod tua mater et soror deprecatur pro pueris, id ipsum et multa alia crudeliora nobis omnibus Lepidus, Antonius et reliqui hostes denuntiant132. On le voit, nous sommes loin d'une conception «individuelle» de la responsabilité et c'est vouloir faire dire à Cicéron autre chose que ce qu'il pouvait dire que de lui prêter la volonté de défendre les enfants d'un «coupable» (au sens politique comme au sens judiciaire). Pour lui, comme sans doute pour nombre de ses contemporains, il s'agissait de pratiques parfaitement «naturelles» et dont Rome n'avait pas le monop ole: In qua uidetur illud esse crudele quod ad liberos, qui nihil meruerunt, poena peruenit, sed id et antiquum est et omnium ciuitatum. . . 133
wAd Brut. I, 12, 2 (= 21 SB). 131 Ibid. 1. xnIbid. 2; ci- I, 15, 11 (= 23 SB): Quid autem queri potest quisquam de me qui, si uicisset, acerbiorem se in me futurum fuisse confiteatur necesse est? 133 Ad Brut. Ibid. Nous ne pensons d'ailleurs pas comme E. Gabba (cité n. 116) que Cicéron aurait changé d'attitude sur ce sujet (p. 151-152). L'orateur nous paraît être resté constant dans le maintien nécessaire des conséquences de la proscription. Ce qui n'empê che pas qu'il ait pu juger de la cruauté de cette situation (cf. infra la discussion sur la rogatio de 63). On fera observer, en outre, que si Cicéron prend tant de soin à justifier son attitude à l'égard des enfants de Lèpide, c'est que Brutus à qui il s'adresse était leur oncle
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La mise à l'écart des fils des victimes, qui date formellement de 70 puisque Sylla les avait bannis purement et simplement, fut maintenue jusqu'en 49, c'est-à-dire pendant plus de vingt années. Dans ces condit ions, il est difficile de croire qu'il puisse s'agir d'une mesure qui violait les principes de la vie politique romaine. Cette «marginalisation» s'a ccompagnait d'ailleurs de façon bien compréhensible d'une interdiction de siéger au sénat. Nous avons parlé déjà de cette disposition particul ière et de la façon dont Velleius affirme que les fils de sénateur avaient à soutenir les charges de leur ordre bien qu'ils en eussent per du les prérogatives134. Il nous semble, nous l'avons dit, qu'il y a là plu tôt un écho des revendications formulées par ces gens-là qui souhai taient retrouver leur statut et qui se comportaient ostensiblement com mes'ils l'avaient retrouvé effectivement. Plus important, en revanche, nous paraît le fait que certains liberi proscriptorum ont dû pouvoir recouvrer un statut intègre par la voie de l'adoption. Il est vrai qu'on n'a, pour l'affirmer, que bien peu d'indices : on se fonde essentiellement sur le cas de M. Iunius Brutus dont nous avons cru pouvoir démontrer que le père avait été proscrit et qui retrouva le ius honorum quand il fut adopté par son oncle Q. Seruilius Caepio en 59 135. Il semble bien, en tout cas, que l'adoption de fils de
et qu'il était sans doute bien placé pour apprécier ce qu'une telle situation pouvait avoir de cruel. 134 Senatrum filii et onera ordinis sustinerent et iura perderent (II, 28, 4), cf. supra, ch. 2, 99-100. 135 L'identité exacte de l'adoptant et la date de l'adoption font difficulté. Münzer {Adelsfamilien 336-339) considérait que Brutus avait été adopté par Q. Seruilius Caepio qu'il identifiait au demi-frère de Caton mort en 67 (Plut., Cato min. 11, 1-3). L'adoption aurait donc nécessairement été antérieure à 67 ou de cette année - par testament? - (à moins qu'elle n'ait été fictive) ; en toute cas, elle aurait eu une signification particulière : elle aurait eu pour but d'empêcher qu'une gens de la plus ancienne noblesse ne s'éteigne en conférant le nom à un tout jeune parent (d'environ 18 ans). Mais Geiger («Seruilii» passim et notamment 155-156) a montré qu'il fallait distinguer entre (Cn?) Seruilius Cae pio, frère utérin de Caton, père de la Seruilia qu'avait épousée L. Licinius Lucullus, mort en 67 et Q. Seruilius Caepio, fils d'un précédent mariage du préteur de 91, qui aurait adopté son neveu vraisemblablement ca. 59 (ce qui expliquerait l'expression dont use cet teannée-là Vettius - : Caepio hic Brutus - AU. II, 24, 2 = 44 SB); après que César eut pré féré donner à Pompée sa fille Iulia qu'il lui avait promise, il avait épousé Hortensia et serait mort vraisemblablement peu après 58. Dans ces conditions, l'adoption de Brutus prend une signification plus politique puisqu'elle est destinée à rendre à la politique un jeune homme d'environ 25 ans qui aurait dû en être tenu écarté.
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proscrit n'ait pas posé de problèmes sur le plan strictement juridique : dès lors que le reditus leur avait été accordé, ils avaient recouvré leur ius ciuitatis. L'adoption devait alors prendre la forme d'une adrogatio puisque les individus concernés ne pouvaient plus se trouver sous la puissance paternelle136. On sait qu'il existait à l'époque impériale une procédure qui présente des similitudes avec celle que nous évoquons ici : il s'agit de Yadrogatio de l'affranchi, tout à fait possible même si certains juristes en contestaient l'opportunité 137. Par conséquent, la seu ledifficulté que devait avoir à surmonter un fils de proscrit souhaitant se faire adopter était d'ordre politique puisque X adrogatio était contrôl ée par les pontifes et se faisait par l'intermédiaire des comices curiates138. C'est probablement la raison pour laquelle on n'a pas d'autre exemple d'une récupération d'un statut intègre par la voie de l'adop tion : il s'est sans doute opéré un filtrage important et, d'autre part, personne ne devait souhaiter que se fasse une publicité autour d'une procédure qui se voulait banale 139.
Les bona proscriptorum Mais il est certainement une question que la loi de 70 avait dû évi ter et que peut-être les partisans d'une restitutio des liberi proscript orum n'avaient pas soulevée avec beaucoup de fracas pour éviter de pro voquer des réactions trop vives : il s'agit des biens confisqués. Il est
136 Sur la signification de Yadrogatio uid. M. Horvat, « Les Aspects sociaux de l'adrogation et de l'adoption à Rome, Studi Grosso VI, Turin, 1974, 45-53. C'est Gaius I, 128, qui affirme qu'une lex Cornelia libérait de la potestas les liberi de celui qui était condamné à Γα et ii : Cum autem is cui ob aliquod maleficium ex lege Cornelia aqua et igni interdicitur, ciuitatem Romanam amittat, sequitur ut, quia eo modo ex numero ciuium Romanorum tollitur, proinde ac mortuo eo desinant liberi in potestate eius esse; nec enim ratio patitur, ut peregrinae condicionis homo ciuem Romanum in potestate habeat. 137 Dig. 23, 2, 32: au dire d'Aulu-Gelle (NA V, 19, 11-14) c'est Sabinus qui contestait l'adrogation de l'affranchi. Sur ces questions uid. G. Lavaggi, « L'arrogazione dei liberti ni» SDHI 12, 1946, 115-135. 138 Sur cette procédure uid. M. Castello, «II problema evolutivo della adrogatio», SDHI 33, 1967, 129-162 et id. «Sui principi ispiratori delle norme sull'età dell'adottante e dell'adottato in diritto romano», Studi Grosso VI, Turin, 1974, 193-206. Magdelain, La Loi, 84-85. 139 M. H. Prévost, Les Adoptions politiques à Rome sous la République et le Principat, Paris, 1949.
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clair que les proscrits restant exclus de la cité, leurs enfants ne pou vaient pas prétendre récupérer leur patrimoine. En revanche, deux ans auparavant, un S.C. suivi d'une loi avait prescrit le retour au Trésor de sommes dont Sylla avait fait remise à certains acquéreurs de biens et, dans la période 70-63, on voit se multiplier les attaques lancées contre les profiteurs du régime syllanien. Pour ce qui est de la loi de 72, on ne sait pas grand chose à son sujet. Cicéron atteste en tout cas l'existence d'un decretum concernant ceux qui avaient une dette à l'égard de Yaerarium : ... unum hoc aliquot senatus consultis reprehensum, decretumque est ut, quibus Me de capite dempsisset, H pecunias in aerarium referrent. Statuii senatus hoc ne Uli quidem esse licitum cui concesseret omnia a populo factarum quaesitarumque rerum summas imminuere 140. Et par ailleurs, Aulu-Gelle nous a conservé un fragment des Histoires de Salluste dans lequel figure la mention d'une loi portée à l'initiative de consul de 72, Cn. Cornelius Lentulus Clodianus, visant à faire rentrer dans le Trésor l'argent dont Sylla avait fait remise aux acheteurs de biens141. La science moderne est curieusement discrète sur cette mesure qui pourtant nous semble avoir une certaine importance142. Il est bien possible que, sous couvert d'effacer les injustices les plus criantes, elle ait eu une autre fin : celle de confirmer la légalité des ventes opérées par Sylla. On ne sait pres-
140 Cic, HVerr. 3, 81. On ne voit pas bien à quoi les traducteurs de la collection Budé font allusion lorsqu'ils traduisent par «la somme totale de l'impôt» (capite) et par «ap porter des diminutions aux sommes totales des impôts établis et requis par le peuple romain» (factarum. . . imminuere). Sur la disparition effective de l'impôt direct, le tributum depuis 167, uid. C. Nicolet, Tributum 3-5. La suite du texte ne nous permet pas de douter que ce dont il s'agit c'est la somme due au titre de la vente des biens. In ilio reprehenditur, quod ex ea pecunia remiserit quant ipse quaesierat, tibi concedetur, qui de capite uectigalium Populi Romani remisisti? (§ 82). La construction asyndétique des deux memb resde la phrase renforce l'opposition entre la nature des remises concédées par Sylla et celles qui l'ont été par Verres. Et surtout ce qui paraît déterminant c'est que cette remise a été faite par Sylla uiris fortissimis. 141 Gell. ΝΑ. XVIII, 4, 4 = Sail., Hist. IV, 1 : At Cn. Lentulum patriciae genus, collega eius cui cognomentum Clodiano fuit, per incertum stolidior an uanior, legem de pecunia quam Sulla emptoribus bonorum remiserat exigenda promulgauit. Cf. Plut., Caio min. 17, 2. 142 Cette loi est simplement mentionnée par Badian, Lucius Sulla 28 η. 73 et par Gelzer, Caesar 37, qui affirment que rien ne se produisit jusqu'à ce que Caton s'en occupe personnellement (cf. infra). Rossi, «Lotta politica» n'en parie pas et Gruen, Generation 36 constate ce silence des historiens mais n'est guère plus attentif à la signification qu'il faut accorder à cette loi.
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que rien de la vie du rogator avant son consulat de 72 : en particulier on ignore s'il était syllanien «bon teint» ou s'il avait rallié plus tardivement la cause du vainqueur : contrairement à ce qu'affirme E. S. Gruen, il n'était sans doute pas nécessaire d'avoir été un syllanien de la première heure pour avoir une carrière consulaire à la fin de la décennie143. Il n'y a donc pas à attendre un éclaircissement de ce côté-là. Ce qui nous paraît plus significatif, c'est que les acheteurs de biens à qui on récl ameles sommes dues sont qualifiés de fortissimi uiri par Cicéron, ce qui pourrait impliquer qu'ils appartiennent à la nobilitas144 et, à notre connaissance, ces dispositions n'ont pas donné lieu à des incidents pour le recouvrement des sommes en cause. On ne connaît malheureuse ment pas tous ceux qui ont profité de la proscription et qui, par consé quent, étaient visés par cette mesure145. Mais si l'on ne peut exclure absolument qu'il s'agisse là d'une manœuvre de la fraction modérée du sénat soucieuse de prendre ses distances par rapport à la factio146, on ne peut pas non plus ne pas songer à une opération des profiteurs syllaniens eux-mêmes ayant pour but de confirmer dans leur propriété ceux qui avaient acquis des biens de proscrits en payant à Yaerarium le prix - souvent dérisoire - auquel ils avaient été adjugés147. C'était, en quelque sorte, une façon d'affirmer clairement par S.C. et par lex inter posés, qu'il n'était pas question de revenir sur les ventes de biens opé rées par Sylla. Au total, on constate d'ailleurs que ces ventes ont été assez peu contestées : il faut distinguer entre le sullanus ager en général, qui créa effectivement un certain nombre de difficultés sur lesquelles nous reviendrons à propos des rogationes de 63, et les bona proscriptorum vendus par Sylla sub hasta jusqu'au 1er juin 81. La seule véritable atta-
143 Generation 125. 144 Hellegouarc'h 494 qui analyse l'emploi de l'adjectif fortis chez Cicéron montre que sont qualifiés de fortissimi uiri tous ceux qui appuient la politique de l'orateur. 145 Sur les gentes sénatoriales qui avaient des biens de proscrits cf. infra pp. 195-204. 146 C'est possible compte tenu du fait que le rogator de cette loi expulsa au cours de sa censure, en 70, soixante quatre sénateurs au nombre desquels C. Antonius et P. Cornelius Lentulus Sura. Pour les références à cette censure MRR s. a. Selon Gruen, Generation 44, les deux censeurs, Clodianus et L. Gellius Publicola, étaient des amis de Pompée, mais on ne peut en déduire qu'ils avaient seulement éliminé ses adversaires. 147 Sur les ventes de biens, cf. infra 194 s. Compte tenu des termes employés par Cicé ron, on ne peut pas considérer que les dispositions prises en 72 avaient pour but de faire payer aux attributaires un certain nombre de biens à eux donnés par Sylla.
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que lancée sur ce plan est le procès de Faustus Cornelius Sulla en 66. Un tribun de la plèbe, dont la tradition ne nous a pas conservé le nom, poursuivit en effet le fils du dictateur devant C. Orchivius chargé de la quaestio de peculatu. L'accusateur réclamait que Faustus rende au Tré sor les sommes considérables dont il avait hérité et qui provenaient du butin que Sylla s'était approprié148. On conviendra volontiers, avec E. S. Gruen, que les raisons invoquées pour ne pas donner suite étaient pour le moins spécieuses : Cicéron avait affirmé que les circonstances étaient trop défavorables à Sulla et qu'en particulier la qualité de tr ibun de l'accusateur le mettait en position dominante149. Mais on ne peut pas, comme le fait l'historien moderne, réduire ce procès à n'être qu'un avatar des hostilités entre le clan de Pompée et celui de Lucullus150, pas plus qu'on ne peut suivre Asconius lorsqu'il prétend que c'était un moyen de renflouer le Trésor151. On n'aura garde d'oublier les échos que cette affaire a eus : nous verrons qu'en 63, Cicéron inter prète une des clauses de la rogatio Seruilia comme une contestation du même ordre. On comprend d'ailleurs l'ardeur de certains à défendre Sulla : s'il avait été condamné, la possession de tous les biens vendus ou attribués par Sylla aurait été remise en cause, même après qu'ils auraient été transmis par héritage, et, d'autre part, le principe de la libre disposition par le magistrat de la praeda aurait été aboli. On sait que Sylla, faisant vendre les biens de proscrits, avait affi rméque c'était sa praeda qu'il vendait. Cicéron y revient avec assez d'in sistance pour qu'on puisse considérer qu'il y a là plus qu'une nuance : . . Jantum animi habuit ad audaciam ut dicere in contione non dubitaret, bona'ciuium Romanorum cum uenderet, se praedam suam uende-
148 Cic, Cluent. 94 : Nuper apud C. Orchiuium, conlegam meum, locus ab iudicibus Fausto Sullae de pecuniis residuis non est constitutus . . . 149 Cic, ibid. : . . .sed quod accusante tribuno plebis condicione aequa disceptari posse non putauerunt. Cf. Ascon 73 C : in contione defendi, cunt id dicerem quod idem iudices postea statuerunt, iudicium aequiore tempore fieri oportere. Sur cette affaire E. S. Gruen, « Some Criminal Trials of the Late Republic : Political and Prosopographical Problems», Athenaeum 49, 1971, 54-69, notamment 56-58. 150 Gruen (art. cit. note précédente, 58) : « In fact, the cases represent a thrust and counter-thrust in the political contest between Magnus and the Lucullan faction». Id., Generation 267-277 et 414. 151 Ascon. 73 C : Quia defuerat superioribus temporibus in aerario pecunia publica, multa et saepe eius rei remedia erant quaesita : in quibus hoc quoque ut pecuniae publicae quae residuae apud quemque essent exigerentur.
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re152. Ce contre quoi s'indigne Cicéron, c'est le fait que Sylla parle de praeda alors qu'il s'agit de biens pris à des citoyens romains. Il y a là quelque chose de profondément scandaleux puisque la praeda peut être définie comme l'ensemble des biens mobiliers et immobiliers pris à des hostes par l'armée romaine au cours d'un bellum publiée indicium15*. Plutarque, d'ailleurs, quand il parle de l'origine de la fortune de Crassus, raconte que Sylla, après avoir pris la ville, «mit en vente les pro priétés de ses victimes qu'il considérait et désignait comme des dépouill es de guerre dans son désir d'imposer cette flétrissure au plus grand nombre possible de gens et aux meilleurs. . .»154. Mais on observe, en revanche, que Cicéron ne conteste jamais la procédure même de vente, au Forum, la lance étant plantée en terre et le praeco procédant aux annonces155: lorsqu'il évoque des acquisitions particulières, il dit tou jours qu'il s'agit de biens «achetés à Sylla»156 et il reconnaît que le fruit a dû en être enregistré et versé au Trésor157. Par conséquent, étant don néle pouvoir qu'a le magistrat de disposer comme bon lui semble de la praeda à condition que ce soit pour le bien de l'Etat158, on ne voit pas
152 Cic., HVerr. 3, 81 : cf. leg. agr.2, 56: L. Sulla cum bona indemnatorum ciuium funesta ilia auctione sua uenderet et se praedam suam diceret uendere. . . Off. II, 27 : Est enim ausus dicere hasta posita cum bona in foro uenderet et bonorum uirorum et certe ciuium praeda se suam uendere. 153 Nous empruntons cette définition à F. Bona, «Preda di guerra» 355. 154 Plut., Crass. 2, 4 : Σύλλας. . . έπώλει τάς ουσίας των άνηρημένων ύπ' αύτοΰ, λάφυρα και νομίζων και όνομάζων, και βουλόμενος οτι πλείστοις και κρατίστοις προσομόρξασθαι το άγος ... On trouve ici encore la référence à une déclaration de Sylla (όνομάζων) concernant ces dépouilles (λάφυρα). 155 Cic, Off. II, 83 : Sic par est agere cum ciuibus, non ut bis iam uidimus, hastam in foro ponere et bona ciuium uoci subicere praeconis. Cf. ibid. § 27 (cité supra n. 152); leg. agr. 2, 56 : . . .ex hoc loco uendidit 156 Ainsi Rose. Amer. 6 : Bona (. ..) quae de uiro fortissimo et clarissimo L. Sulla, quern honoris causa nomino, duobus milibus nummum sese dicit émisse (se. Chrysogonus) ; Quinct. 76 : Emisti bona Sex. Alfeni, L. Sulla dictatore uendente. . . 157 C'est ce qui ressort de sa discussion sur la vente illégale des biens de Sex. Roscius (Rose. Amer. 125-130) et notamment du dilemme qu'il pose: Profecto aut haec bona in tabulas publicas nulla redierunt. . . aut si redierunt, tabulae publicae corruptae aliqua ratione sunt (§ 128). 158 Sur le pouvoir discrétionnaire du magistrat sur la praeda, uid. l'excellent Bona, «Preda di guerra» passim et notamment §§ 18-20. A Watson, The Law of Property in the Roman Republic, Oxford 1968, 63-74, tout en reprenant les analyses de Bona, a contesté sa conclusion selon laquelle la praeda devenait automatiquement res publica Populi Romani. Selon Watson, les deux textes de Cicéron qui parlent de ces questions (leg. agr. ; 1, 12 et 2, 59) prouvent qu'il n'y avait pas de règle en ce domaine.
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bien comment, la vente étant réalisée conformément à la procédure normale, la possession de biens ainsi acquis aurait pu être juridique ment contestée. En réalité, lorsqu'on parle de biens de possession peu sûre, c'est des assignations qu'il s'agit et non pas du tout des biens vendus sub hasta159. Ceux-ci étaient de possession sûre et nous n'avons aucune rai son de ne pas croire Florus quand il affirme qu'ils étaient «légalement occupés par leurs propriétaires»160, d'autant que le discours de Lèpide lui-même tend à le confirmer et que rien de ce qu'en dit Cicéron ne
159 Cic, leg. agr. 3, 3 : Completi sunt animi auresque uestrae, Quirites, me gratificantem Septimiis, Turraniis ceterisque Sullanarum adsignationum possessoribus agrariae legi et commodis uestris obsistere. A ce propos, on observera que la distinction nécessaire entre assignations-colonisations d'une part et acquisitions de biens de proscrits d'autre part rend plus vraisemblable encore la correction apportée par Madvig à ce texte // Septimus, Turraniis : septem tyrannis codd // En tout cas, elle rend caduques les hypothèses faites par Frank, ESAR 1, 338 pour mettre un nom derrière ces «sept tyrans» (pour lui, il s'agit de Crassus, Faustus, Scaurus, Hortensius, Metellus, Domitius et Catulus. Il est suivi sur ce point par Jaczynowska, «Economie differentiation» 487 et n. 13). Il est clair, en effet, que les fortunes des personnages ainsi supposés ne sont pas construites sur des lots dans des assignations ou des colonisations. Il en est de même pour les autres textes qu'on évoque d'ordinaire pour démontrer la position juridique incertaine des «possessions» syllaniennes : leg. agr. 3, 7-8 et 11 pour 63. AU. I, 19 4 = 19 SB pour 60. Tarn. XIII, 8, 2 = 321 SB pour 45. Sur ce problème, uid. Gabba, Esercito 117-136 (qui distingue à l'intérieur des biens confisqués en Italie entre uenditiones et adsignationes - 123-124) et 172-174 (liste des colonies et assignations). Pourtant Canfora («Proscrizioni» 487) continue de confon dre biens de proscrits et terres assignées. 160 Flor. II, 11, 3: Cumque damnatorum ciuium bona addicente Sulla quamuis male capta iure tarnen tenerentur, repetitio eorum procul dubio labefactabat compositae ciuitatis statum. Qu'il s'agisse là, comme le dit Labruna, Console sovversivo 153-154, de la repro duction d'idées répandues dans les cercles antisyllaniens de l'oligarchie est possible. Mais on ne peut suivre le savant italien lorsqu'il affirme «qu'il s'agit de considérations opport unistes bien connues qui reviennent avec la même efficacité dans d'autres textes à pro pos d'affaires différentes mais considérées (à juste titre) comme également dangereuses pour les classes possédantes» (et de citer Cic, off. II, 78). En fait, il ne devait pas y avoir de place pour une contestation de la possession de ces biens et l'anecdote que Cicéron raconte au livre II du de Officiis nous paraît significative. Il s'agit de l'histoire d'Aratos qui s'empara du pouvoir après avoir chassé le tyran Nicoclès et qui rappela d'exil six cents personnages (le chiffre est lui-même intéressant!) qui avaient été les plus riches de la cité. Comme il ne pouvait leur rendre leur propriété sans commettre une grande injus ticeà l'égard des nouveaux détenteurs - d'autant que certains de ces biens étaient passés dans les héritages - il eut recours à l'aide de Ptolémée qui avait été son hôte et qui lui prêta l'argent nécessaire pour racheter ces propriétés ou pour indemniser les exilés. Cette histoire illustre bien l'attitude constante de Cicéron à ce sujet.
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vient l'infirmer. Pour ce qui est de Lèpide, on se souvient qu'il se déclar aitprêt, bien qu'il en eût acquitté le prix, à rendre les biens de pros crits qu'il avait achetés de Sylla161. Si on a pu penser parfois que le statut de ces biens n'était pas certain, c'est en s'appuyant sur une affi rmation du dernier discours sur la loi agraire : ... Valeria lege Corneliisque legibus eriptur cui datur, coniungitur impudens gratificatio cum acerba iniuria; sed tarnen habet in Ulis legibus spem non nullam cui ademptum est aliquem scrupulum cut datum est162. S'il est vrai qu'on peut à la rigueur considérer que la proscription est visée elle aussi (Corneliis legibus), on aurait mauvaise grâce à ne pas admettre, dans le même temps, que cette affirmation se trouve insérée dans une argu mentation quelque peu spécieuse destinée à faire passer Rullus pour un tyran plus redoutable encore que Sylla 163. Mais surtout, dans aucun des passages du de Officiis dans lesquels Cicéron évoque ces contestations sur les biens de proscrits, il ne remet en cause la validité de leur posses sion par leurs nouveaux acquéreurs. Certes, il ne reconnaît à Sylla ni à César aucune «générosité» à l'égard de leurs amis parce que «rien, en effet, n'est généreux qui ne soit en même temps juste»164. Contester le iustum ou Yhonestum165 ne revient bien évidemment pas à mettre en cause le tus et c'est le sens de l'anecdote d'Aratos de Sicyone166. Pour en revenir au procès avorté contre Fautus Sulla, il ne fait aucun doute que les arguments développés par Cicéron ne sont pas d'entière bonne foi : ce n'était pas la première et ce ne fut pas la der nière fois qu'un tribun de la plèbe se faisait accusateur. Mais l'orateur
161 Sail., Hist. I, 55, 18, dans un texte controversé, il est vrai. Si on adopte le texte de Maurenbrecher (. . .quae turn formidine mercatus sum pretto, soluto ture dominis tarnen restituo) cela revient au même, de notre point de vue puisque cela fait dire à Lèpide que les biens qu'il avait acquis en payant leur prix, il les rendra à leurs anciens maîtres, iure soluto c'est-à-dire en acceptant de ne plus faire valoir les droits qu'il a dessus. En tout cas la iunctura : iure-dominis nous paraît impossible précisément parce que la seconde partie de la phrase reconnaît explicitement qu'il s'agissait d'une praeda légalement attribuée (supra, p. 164, n. 73). 162 Leg. agr. 3, 6. 163 II s'agit d'un discours ad.populum dans lequel Cicéron se défend d'être le protec teur des possesseurs de biens assignés par Sylla (cf. supra, n. 159). 164 Off. I, 43 : Quare L. Sullae, C. Caesaris pecuniarum translatio a iustis dominis ad alienos non débet liberalis uideri; nihil est enim liberale quod non idem iustum. 165 Off. II, 27 : Ergo in ilio secuta est honestam causant non honesta uictoria. 166 Cf. supra, n. 160.
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était contraint d'avoir recours à cette manœuvre dilatoire pour n'avoir pas à plaider au fond précisément parce qu'il fallait éviter que des pro priétés juridiquement inattaquables fussent contestées en raison de leur origine. Or, développer cet argument-là, c'était déjà plaider au fond. Ce qui est certain, c'est que le reditus des descendants de proscrits avait donné au problème un tour nouveau : ces personnages voyaient la propriété de leur père entre les mains d'étrangers — qui n'étaient pas toujours leurs ennemis puisqu'il n'y eut pas que des syllaniens pour profiter de ces ventes. Certaines de ces propriétés n'avaient d'ailleurs même pas été vendues mais simplement attribuées par Sylla167, certai nes autres, vraisemblablement, n'avaient été ni vendues ni attribuées avant le 1er juin 81 et restaient donc des praedia uacua dont la destinat ion, sinon le statut, restait incertaine. Ainsi, dans le pro Roscio Amerino, on constate que les biens de Sex. Roscius n'ont pas tous été attr ibués puisque Chrysogonus promet à la délégation d'Amérie . . .sese nomen Sex. Rosei de tabulis exempturum, praedia uacua filio traditurum16*. On peut d'ailleurs admettre que certains fils de proscrits avaient retrouvé une partie de leurs biens à leur retour en 70. Il semble que ce soit le cas pour C. Curtius en faveur de qui Cicéron écrivit à Q. Valerius Orca en 45, pour éviter que le seul bien paternel qui lui res tât ne fût compris dans les projets agraires de César : /5 habet in Volaterrano possessionem, cum in earn tanquam e naufragio reliquias conîulisset169. Mais on peut penser qu'au total il devait y avoir assez peu de ces propriétés de proscrits qui n'avaient pas été vendues avant la date
167 On n'a pas beaucoup de témoignages sur ces attributions directes et il est assez vraisemblable qu'elles ont été peu importantes. On citera Cic, HVerr. 1, 38 où il est dit que Sylla récompensa Verres pour son ralliement : Et postea praemia tarnen liberaliter tribuit, bona quaedam proscriptorum in agro Beneuentano diripienda concessit... et Arch. 25 où l'avocat raconte l'histoire du mauvais poète à qui Sylla fit donner un praemium pour qu'il cesse d'écrire : quem (se. Sullam) nos in condone uidimus, cum ei libellum malus poeta de populo subiecisset. . . statim ex Us rebus quas turn uendebat iubere ei praemium tribut sub ea condicione ne quid postea scriberet. Un fragment des Histoires de Salluste (I, 49 mais de localisation bien incertaine) évoque ces attributions : Igitur uenditis proscriptorum bonis aut dilargitis. Cf. ibid. I, 55, 17 : bona ciuium miserorum quasi Cimbricam praedam uenum aut dono datam. Plutarque, dans la vie de Sylla (33, 3 et 41, 5) parle bien des libéralités du dictateur, mais c'est à chaque fois dans le cadre d'une vente aux enchères. 168 § 26. 169 Tarn. XII, 5, 2 = 319 SB.
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limite des kalendes de juin : Sylla avait voulu donner une certaine solennité à ces ventes de praeda parce qu'elles constituaient une flétri ssure(το άγος dit Plutarque 170) supplémentaire pour ses ennemis et on a tout lieu de penser qu'il s'était appliqué à n'en oublier aucun, d'autant que les convoitises des profiteurs devaient constituer une pression pour que soient effectuées les ventes. Le procès de Sulla fut sans aucun doute la plus retentissante des actions entreprises pour la restitution des biens confisqués. Il dut pourt ant, dans les années suivantes, y avoir un certain nombre de tentatives similaires dont sont parvenus jusqu'à nous des échos si affaiblis qu'on ne saurait dire s'il s'agissait d'actions intentées contre des détenteurs de biens de proscrits, ou, tout simplement, contre des Sultani possessores. En 65, nous savons par Cicéron que Ser. Sulpicius Rufus, gérant sa pre ture avec beaucoup de rigueur, avait contesté la légalité d'une libéralité de Sylla et avait ainsi provoqué le mécontentement de beaucoup de gens171. Il est possible d'interpréter la gratificatio litigieuse comme une attribution sur des biens de proscrits et le fait que l'affaire ait été plaidée - comme aurait dû l'être celle de Faustus Sulla - devant le préteur chargé de la quaestio de peculatu tendrait à le confirmer; mais par ai lleurs, le fait que ce jugement ait provoqué l'inquiétude d'une foule (presque la moitié de la cité, dit Cicéron) de gens sans grande impor tance (uiri fortes) incite à penser qu'il ne peut pas s'agir de la condamn ationd'un «acquéreur» des biens d'un proscrit, mais que c'était plutôt un possessor sullanus qui était sur la sellette. De nature différente semb le avoir été l'action tranchée en 61 par le préteur C. Octauius. Selon Cicéron qui cite à son frère Quintus cette preture comme modèle de sévérité et d'humanité réunies, Octauius «forçait les favoris de Sylla à restituer ce qu'ils s'étaient approprié par la violence et la terreur»172.
170 Crass. 2, 4 : cf. Sulla 33, 3 où Sylla est décrit assis à son tribunal : «. . .il vendait les biens des familles spoliées d'une manière si hautaine et si despotique que ses libéralités elles-mêmes étaient plus odieuses que ses confiscations». 171 Muren. 42 : Sullana gratificatio reprehensa, multi uiri fortes et prope pars ciuitatis offensa. 172 Q. frat. I, 1, 21 = 1 SB : Cogebantur Sultani homines quae per uim et metum abstulerant reddere. On ne peut évidemment pas suivre L. A. Constans (comm. ad loc.) lorsqu'il affirme que l'Octauius en question est Cn. Octauius préteur en 79, parce que ce personna ge est qualifié de mitis par Salluste (Hist. II, 26) et de optimus atque humanissimus uir par Cicéron (Fin. II, 93) et parce que la phrase de la lettre reproduit la formula Octauiana connue par les Verrines (HVerr. 3, 152) : Quod per uim et metum abstulisset. L'argument
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On remarquera que ce procès est différent des précédents en ce qu'il est une action en répétition (reddere) selon une formule de l'édit du préteur173 dirigée contre des gens qui s'étaient approprié (abstulerant) un bien à la faveur des troubles. Cela n'a rien à voir, selon nous, avec la restitution d'un bien de proscrit qui, sans aucun doute, aurait eu beau coup plus de retentissement.
La proscription et les transferts de fortune II est évidemment impossible de faire la moindre estimation des transferts de fortune qu'à opérés la proscription : nous n'avons que des indications très éparses et souvent contestables. Mais avant même de rassembler les quelques rares documents qui traitent de cette question, il convient de rappeler que le thème de la proscription décidée en rai son de la richesse des victimes a connu un développement considérab le174. Un certain nombre de nos sources anciennes affirment nett ement à ce propos que beaucoup de victimes succombèrent à cause de leur fortune175.
ne tient pas : ce n'est pas parce qu'il utilise une formule qu'Octauius en est l'auteur et, d'autre part, s'il avait eu le courage de faire rendre gorge aux sicaires de Sylla dès 79, ce n'est certes pas le qualificatif de mitis qui lui conviendrait le mieux! Comme Cicéron commence son évocation de la preture d'Octauius par un nuper et que sa lettre est de 59, il est plus raisonnable de penser que le personnage ainsi loué est bien C. Octauius, père d'Auguste, préteur en 61 (RE 15). Ces arguments ne paraissent pas suffisants à Lintott, Violence 130 n. 4, qui propose de maintenir la leçon Cn. Octauius de la plupart des manuscrits et qui considère que l'Octauius employant la formula Octauiana était son créateur. On ne voit pas bien cependant pourquoi l'utilisation de cette formula intégrée à l'édit du préteur implique qu'Octauius en est nécessairement le créateur: Cicéron ne l'aurait-il pas dit plus clairement? 173 Sur cet aspect, Labruna, «Firn fieri ueto» 14-16. 174 Sur la cupidité et la guerre civile uid. Jal 384-390. 175 Cette affirmation se retrouve notamment chez Plutarque (Sulla 31, 10-12): «Le nombre de ceux qui furent tués par rancune ou par haine n'était rien en comparaison de ceux que l'on faisait mourir à cause de leur richesse. On pouvait entendre dire aux exécu teurs: « celui-ci c'est sa grande maison qui l'a tué ; celui-là c'est son jardin ; cet autre, ses eaux thermales ». Et de citer à ce propos le cas de Q. Aurelius perdu par son domaine d'Albe. Orose, qui donne l'exemple voisin et souvent amalgamé à lui de Lollius (V, 21, 4 exemple différent ne serait-ce que parce qu'il ne le range pas expressément au nombre des gens tués par intérêt) affirme : Ita liberae per urbem caedes, percussoribus passim uagantibus ut quemque uel ira uel praeda sollicitabat, agitabantur. (Ibid. § 1) Et bien sûr.
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II est clair que ce thème de la proscription des riches est de même nature que celui de la proscription des chevaliers. Il y avait, à n'en pas douter, beaucoup de gens très riches sur les listes de proscription. Comment en aurait-il été autrement puisque la proscription visait les deux ordres les plus élevés de l'Etat? Mais on peut imaginer aussi qu'un certain nombre d'individus ont dû à leur fortune de figurer par mi les victimes : quelques très riches personnages ont pu ne pas faire assez vite ou de façon assez spectaculaire acte d'allégeance aux vain queurs et cela était suffisant pour justifier des représailles. En pareille circonstance, on doit être très exigeant pour un homme très riche 176. Il faut ajouter que les procédures d'épuration, qui n'ont rien à voir avec la proscription mais dont nous avons vu qu'elles y étaient le plus sou vent amalgamées, ont dû, elles aussi, concerner d'abord les riches177. Inévitablement, à partir de réalités comme celles-là a été accréditée l'idée que parmi les motivations des belligérants de la guerre civile la cupidité tient une place de premier plan à côté de l'ambition : . . . sanguine ciuili rem confiant diuitiasque conduplicant auidi, caedem caede accumulantes 178. Dans le traité qu'il consacre aux Devoirs, Cicéron développe aussi cette idée que «jamais en vérité ne manqueront le germe et le motif de guer resciviles, tant que des hommes perdus se rappelleront et attendront cette pique sanglante des enchères»179.
on trouve une idée du même ordre chez Valère-Maxime (IX, 2, 1) : «. . .Sylla poursuivit aussi, à cause de leur grande fortune, des citoyens paisibles». 176 C'est, à notre avis, ce que veut dire Dion Cassius (47, 5, 1) lorsqu'il observe que «au temps de Sylla, ses ennemis et ceux d'hommes puissants près de lui, furent les seuls qui périrent, et que nul autre, par son ordre du moins, ne fut mis à mort : de telle sorte qu'en dehors des gens tout à fait riches (pour ceux-là, en effet, jamais en pareil cas il n'y a de paix avec le plus fort), le reste des citoyens étaient sans crainte ... ». 177 C'est ce qu'affirme très clairement Appien à propos des accusations de complicité avec les marianistes lancées un peu partout : Και ταοτ' ήκμαζε μάλιστα κατά τών πλου σίων (BC Ι, 96, 446). 178 Lucret. III.70-71. 179 Off. Π, 29 : Nec nero umquam bellorum ciuilium semen et causa deerit, dum homi nesperditi hastam illam cruentam et meminerint et sperabunt. Et après avoir donné l'exemple de P. Sulla et du scribe Cornélius, il ajoute : Ex quo débet intellegi talibus praemiis propositis numquam defutura bella ciuilia.
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Mais surtout, le thème de l'enrichissement par la guerre civile a entraîné le développement du thème secondaire de la proscription faite pour enrichir soi-même et les siens, thème amplifié, comme il se devait, par la propagande antisyllanienne. Il était déjà ébauché dans le dis cours de Lèpide 180 et il a reçu accessoirement un traitement philosophi que chez Cicéron181, mais c'est dans le discours de César, en 63, qu'il a trouvé son épanouissement : ... neque prius finis iugulandi fuit quant Sulla omnis suos diuitiis expleuit 182. Il est malheureusement exclu que nous puissions apporter des él éments d'appréciation qui justifient les thèmes que nous avons relevés. La seule affirmation qu'on puisse présenter en la matière est la suivant e : la proscription a dû ruiner définitivement un nombre considérable de familles de premier plan et en affaiblir très sensiblement certaines autres; mais précisément, comme on ne connaît que moins de 15% des proscrits, on rie peut citer que bien peu d'exemples, les plus significat ifs étant bien sûr, ceux que nous ne pouvons pas connaître parce que le souvenir en a été aboli. Citons tout de même, pour mémoire, les Hirtulei, Instei, Marii, Telesini, Sertorii183. Mais en dehors des Marii sur lesquels nous avons quelques renseignements184, on ne sait rien sur ce
180 Sail., Hist. I, 55, 17 : . . .nisi adprobaritis omnes proscriptionem innoxiorum ob diuitias, cruciatus uirorum illustrium, uastam urbem fuga et caedibus, bona ciuium miserorum quasi Cimbricam praedam uenum aut dono datant. 181 Off. I, 43, à propos de ceux qui croient être généreux parce qu'ils enrichissent leurs amis par tous les moyens (supra 191-192) : . . .(iique arbitrantur se beneficos in suos amicos uisum iri si locupletent eos quacumque ratione) : uidendum est igitur ut ea liberalitate utamur quae prosit amicis, noceat nemini. Quare L. Sullae, C. Caesaris pecuniarum translatio a iustis dominis ad alienos non débet Überaus uideri : nihil est enim liberale quod non idem iustum. 182 Sail., Cat. 51, 34. Pour un écho moderne de ce thème, Frank, ESAR 1, 232: «To pay expenses and to reward himself and his friends he (sc. Sulla) institued proscriptions (...) and confiscations on a vast scale, and he seems to have emptied the sacred treasu ry». Une tentative d'évaluation des biens de proscrits a été faite par Schneider, Wirtschaft 69-73, mais elle s'appuie sur des chiffres erronés (notamment en ce qui concerne le nom brede proscrits). 183 Pour tous ces noms uid. infra Prosopographie. Une famille partiellement ruinée est celle des Curtii. 184 Vid. notamment Shatzman, Senatorial Wealth 279-282. Il faut ajouter d'ailleurs que la fortune de Marius avait dû sensiblement s'accroître après 87 puisqu'à en croire Velleius ses épurations avaient visé bien des gens riches : Postea id quoque accessit ut saeui-
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que pouvait être la fortune de ces familles. En ce qui concerne le rang équestre, on ne peut que rappeler l'affirmation de Sénèque selon laquelle «après le désastre des marianistes, bon nombre de personna ges de la plus illustre naissance, qui comptaient sur leur carrière mili taire pour entrer au sénat, ont été humiliés par la fortune : de l'un elle a fait un pâtre, de l'autre un gardien de cabane»185. En contre-partie, on imagine aisément que les partisans de Sylla avaient très sensiblement augmenté leur fortune de la dépouille des marianistes. Il semble bien d'abord que la première forme d'enrichiss ement qu'ait permis la proscription soit le praemium sur lequel notre source est Plutarque : il était fixé à 12.000 deniers186. On peut penser que les coupeurs de têtes, vraisemblablement gens de peu, se consti tuaient ainsi un petit capital qui les mettait en mesure de se porter acquéreurs de biens assez importants : c'est le cas de L. Luscius qui incite à formuler cette hypothèse, lui dont Asconius dit qu'il s'était fait payer trois têtes mais qui se retrouvait, en 64, en possession d'une for tune de plus de 10 millions de sesterces187. Il a dû se produire, par ai lleurs, un certain nombre d'enrichissements, significatifs certes pour ceux qui en étaient les bénéficiaires, mais qui ne devaient pas être suffi-
tiae causarti auaritia praeberet et modus culpae ex pecuniae modo constitueretur et qui fuisset locuples, fieret is nocens, suique quisque pericuîi mercis foret, nec quidquam uideretur turpe, quod esset quaestuosum (Π, 22, 5). Quoi qu'il faille penser de ce pamphlet antimarianiste, nous savons en tout cas que Marius possédait une villa à Misène (sur la valeur de laquelle nous reviendrons plus loin): Badian, «Marius' Villa», contre J. H. D'Arms, Ro mans on the Bay of Naples, Harvard, 1970, 20-30 et «The Campanian Villas of C. Marius and the Sullan Confiscations», CQ 62, 1968, 185-188 qui estime qu'il en possédait deux. 185 Sen., Ep. 47, 10 : Mariana clade multos splendidissime natos, senatorium per militiam auspicantes gradum, fortuna depressit, alium ex Ulis pastorem, alium custodem casae fecit. Il est vrai que, depuis Juste-Lipse, presque tous les éditeurs adoptent la correction Variana qui s'interprète par une référence à la défaite subie par Varus en Germanie. Pour une utilisation de ce texte avec la leçon Mariana des manuscrits uid. Nicolet, «Ar mée et société» 144. 186 Sulla 31, 7 : deux talents; Cat. min. 17, 5 : 12.000 drachmes. 187 Ascon. 90-91 : Hic quem nominal L. Luscius notus centuno Sullanus diuesque e uictoria factus - nam amplius centies possederai - damnatus erat non multo ante quant Cicero dixit. Obiectae sunt ei très caedes proscriptorum. On doit à la vérité de dire que tous les sicarii n'avaient probablement pas aussi bien «réussi» que Luscius. Et c'est évidemment la raison pour laquelle il servit de cible privilégiée à ceux qui voulaient remettre en cause la proscription et ses conséquences.
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sants pour que nos sources y fassent référence, sinon par accident188, parce qu'il s'agit encore de personnages d'un milieu modeste. Ce qui est sûr, c'est que l'enrichissement s'est produit parce que les biens vendus ont été adjugés à des prix dérisoires. L'affaire Roscius nous en fournit un exemple puisque les biens de Roscius le père, éva lués par Cicéron à 6 millions de sesterces, ont été «vendus» deux mill e189. En admettant même que l'avocat exagère l'importance de la fortu ne du père de son client, les chiffres qu'il donne fournissent une pro portion. Il est vrai, que dans le cas de Roscius il ne s'agit pas véritabl ement d'une vente, puisque la procédure de confiscation est, pour le moins, douteuse. Mais on dispose d'un élément d'appréciation comparable, et qui permet d'aboutir à des conclusions semblables, avec le prix payé pour la fameuse villa campanienne de Marius. Plutarque affirme, en effet, que cette demeure somptueuse «installée avec un luxe et un raffin ement peu convenables pour un homme qui avait été l'artisan de tant de guerres et d'expéditions» avait été achetée par Cornelia 75.000 deniers et que, peu de temps après, L. Lucullus s'en était porté acquéreur pour 500.200 190. Il y a toute vraisemblance que la Cornelia qui avait fait une si bonne affaire n'était autre que la fille de Sylla et qu'elle avait acquis cette villa à l'occasion de la proscription191. En ce cas, les chiffres four-
188 Ainsi Quinctius et Naeuius avaient-ils augmenté leur capital commun par le rachat, sans doute à bas prix, des biens de Sex. Alfenus (Quinci. 76) dont nous savons par ailleurs qu'ils étaient importants (. . . eques Romanus locupîes, sui negoti bene gerens ...ibid. § 62). Quelque choquante que puisse nous paraître une telle pratique, il faut bien admettre que les Romains n'hésitaient pas à racheter les biens de leurs amis ou de leurs familiers. C'est le cas aussi des deux Roscii (Magnus et Capito) du moins selon la version des faits présentée par Cicéron, et c'est vraisemblablement aussi le cas de Cicéron luimême pour les biens de Murena. 189 Rose. Amer. 6. 190 Plut., Mar. 34, 3-4 : Καί γαρ ην έκεΐ περί Μισηνούς τω Μαρίφ πολυτελής οικία, τρυφας έχουσα και διαίτιας θηλυτέρας ή κατ' άνδρα πολέμων τοσούτων καί στρατειών αύτουργόν. Ταύτην λέγεται μυριάδων επτά ήμίσους Κορνηλία πρίασθαι χρόνου δ' ού πάνυ πολλοΰ διαγενομένου, Λεύκιος Λεύκολλος ώνεΐται μυριάδων πεντήκοντα καί διακοσίων. . . 191 C'est l'opinion de Badian, «Marius' Villa» 131-132 qui révoque en doute le témoi gnage de la scholie de Bobbio (89 St) qui affirme que c'est Curion qui avait acquis cette propriété au moment de la proscription : C. Curionem qui de proscriptione Syllana fundum emerat in Campania qui C. Marii nuper fuerat, et ipsius Arpinatis. Selon Badian qui s'appuie sur d'autres exemples d'erreurs commises par le scholiaste, l'expression de pros-
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nis, moins caricaturaux que ceux qu'avance Cicéron pour l'affaire Roscius, sont intéressants: Cornelia a acheté une propriété à 15% du prix auquel elle l'a revendu peu après (χρόνου δ' ού πάνυ πολλού διαγενομένου), c'est-à-dire à un moment où les conditions de l'échange étaient redevenues "normales. Si on applique ce pourcentage à la somme de HS 350 millions que les ventes ont rapportée à Yaerarium 192, cela nous donne une évaluation des fortunes vendues qui se situe environ à 2,3 milliards. Ce chiffre mérite quelques commentaires. Tout d'abord certains biens présentaient un intérêt particulier, soit en raison de leur valeur propre, soit à cause du symbole qu'ils représentaient : en ce cas, les enchères ont dû monter plus haut que pour d'autres, plus ordinaires, et il se pourrait que la villa de Marius ait fait partie de ces biens excep tionnels. En ce cas, le pourcentage de 15% est trompeur. A cela on doit ajouter d'une part que le chiffre global de 2,3 milliards représente l'e nsemble des ventes, y compris celles des biens de ceux qui étaient morts dans les combats de la guerre civile (et non pas seulement ceux des 520 proscrits) et d'autre part, que certaines enchères ont dû être délibér ément faussées par une adjudication prématurée193 quand il n'y avait pas attribution pure et simple. Il faut donc être prudent dans l'exploita tion de ce résultat. Si on regarde du côté de ceux qui se sont approprié cette fortune, les renseignements qu'on recueille sont assez décevants. La liste est, en définitive, assez vite dressée des profiteurs que nous connaissons. Et encore faut-il observer que l'accroissement des fortunes à cette époque, n'est pas venue seulement de la proscription. Certes, le transfert (Cicé ron dit la translatio) de plus de 500 fortunes à vraisemblablement moins de 500 profiteurs a dû favoriser singulièrement les concentra-
criptione Syllana est un commentaire personnel qui induit le lecteur en erreur. Cette villa que Marius s'était fait construire (Plin., HN 18, 32) passa donc de Cornelia à Lucullus puis à Curion avant de se trouver dans le domaine impérial (Tac, Ann. VI, 50; Suet., Tib. 72-74). 192 Liu., Per. 89 : Redactum est sestertium ter milies quingenties. 193Plutarque {Sulla 41, 4) raconte une anecdote qui confirme cette interprétation: Sylla fit adjuger une immense propriété, sur la première offre, à un de ses amis, bien que d'autres acquéreurs possibles eussent enchéris après lui. Shatzman, {Senatorial Wealth 474-475) se livre à un calcul différent : il part d'un chiffre de 4.700 victimes (celui de Valère-Maxime) pour lesquelles il suppose une fortune moyenne de HS 400.000, ce qui représente un total de HS 1 milliard 800 millions ou 470 millions de deniers.
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tions. Mais un texte des Paradoxa nous rappelle opportunément qu'il existait d'autres moyens de s'enrichir rapidement après la victoire au point que Cicéron parle d'une véritable «moisson»194. Il est vrai que le personnage visé dans ce texte est Crassus dont Plutarque affirme que s'il bénéficia honteusement de la proscription, il sut aussi, mieux que quiconque, faire fructifier son capital195. Outre Sylla lui-même 196 et sa famille, notamment son épouse Caecilia Metella197, sa fille Cornelia198 et son neveu P. Sulla199, nous ne connaissons de façon certaine que peu de gens qui aient profité de la proscription pour s'enrichir : Crassus, évidemment, que nous avons déjà évoqué, et L. Domitius Ahenobarbus200, sans doute les deux plus grosses fortunes de la fin de la République201; les autres sont, outre M. Aemilius Lepidus202, C. Antonius, le collègue de Cicéron au consul at203, Catilina204, L. Bellienus205 et C. Verres206. Les autres profiteurs
194 Cic, Parad. 6, 46: . . .qui possessiones uacuas, qui proscripîiones locupletium, qui caedes municipiorum, qui illam Sultani temporis messetn recordetur. 195 Plut., Crass. 2, 4 et 6, 8. 196 La fortune que Faustus Sulla avait héritée de son père - et qui suscita son procès de 66 - dit assez la part que le dictateur s'était réservée sur sa praeda. D'ailleurs Pline (HN 33, 134) affime - ce qui ne surprend guère - que Sylla était l'homme le plus riche de son temps. 197 Pline (HN 36, 116) la qualifie de proscriptionum sectrix. 198 Sur Cornelia cf. supra. 199 P. Sulla passe, aux yeux de Cicéron, pour le type même du profiteur éhonté : Off. II, 29; cf. Fam. XV, 19, 3 : ... non quaesiit quid bonum esset sed omnia bona coemit. 200 II y a peu de textes qui parlent des acquisitions de Domitius au moment de la proscription : ... των τε γαρ Συλλείων έγεγόνει, και πολλήν έκ της δυναστείας εκείνης έκέκτητο. (Dio. 41, 11, 1). Il est vraisemblable, d'ailleurs, qu'il récupéra l'intégralité de la fortune de son frère proscrit. Contrairement à ce que pense Frank, ESAR, I, 368-369, le fait que Domitius Ahenobarbus ne soit pas un syllanien de la première heure ne fait pas de difficulté : un certain nombre des profiteurs que nous connaissons étaient des ralliés (cf. infra Catilina ou Verres). 201 Pour le détail de ces fortunes, uid. Shatzman; Senatorial Wealth au chapitre intitu lé Economie Prosopography. 202 Sali., Hist.l, 55, 18. 203 Ascon. 88 C. 204 Sail., Cat. 5, 2; Q. Cic, Comm. Pet. 9-10; Ascon 84 & 91 C; Plut., Sulla 32, 3; Cic. 10, 3. 205 Sur ce personnage, oncle de Catilina et meurtrier de Q. Lucretius Ofella, uid. notamment Gelzer, Caesar 37; Laffi, «Mito di Siila» 268; Wiseman, New Menili; D. R. Shackleton-Bailey «Notes in Cicero's ad Q. Fratrem», JRS 45, 1955, 34-38. 206 Cic., UVerr. 1, 38 (cf. supra).
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dont le nom nous a été transmis au détour d'un texte semblent être des personnages de moindre importance : le beau-père de Rullus, Quinctius Valgus207, un certain Labienus208, Cornelius le scribe209, Chrysogonus, bien sûr210, et les trois personnages nommés dans le discours de Lèpi de : Vettius Picens, Tarula et Scirtus211. Si, par ailleurs, on adopte l'h ypothèse de Madvig pour corriger le texte du troisième discours de lege agraria, on peut ajouter deux noms (encore qu'il s'agisse plus vraisem blablement de bénéficiaires d'assignations que d'acquéreurs de biens : Septimiis, Turraniis ceterisque Sullanarum adignationum possessoribus212 : Septimius213 et Turranius214, tous deux bien difficiles à identi fier. Il reste évidemment qu'un certain nombre de personnages connus ont pu avoir une part des dépouilles marianistes, même si nos sources sont muettes à ce sujet. Qu'on pense, par exemple, à P. Cornelius Cethegus, grand maître de la corruption électorale dans l'ère post-syllanienne, aux deux cousins Cn. Cornelii Dolabellae, aux deux Aurelii Cottae, aux Valerli Flacci. On peut aussi ranger dans cette catégorie de profi teurs vraisemblables, peut-être plus modérés que certains autres, Pom péeet Q. Caecilius Metellus, Q. Lutatius Catulus, C. Scribonius Curio215,
207 Cic, leg. agr. 2, 69-70. Sur la munificence de ce personnage, uid. aussi ILLRP 523 & 598. 208 App., BC IV, 26. Il fut lui-même proscrit en 43 (Vid infra Prosopo. II). De même le vieux Statius, exemple de sénateur proscrit en 43 (pour sa richesse?). Il y a toute vraisem blanceque ce samnite, fidèle aux Romains, ait tiré quelque bénéfice de la première pros cription. 209 Cic, Off. II, 29; Sail., Hist. I, 55, 17. 210 Cic, Rose. Amer. 6, où il est qualifié d'adulescens uel potentissimus hoc tempore nostrae ciuitatis. Sur les conditions de son enrichissement, ibid. 33. 211 Sail., Hist. I, 55, 17 (Vettius, sans doute celui de l'«Affaire» de 62 - Suet., Diu. lui. 17, 1 ; cf. Ait. II, 24, 2, et comm. de SB ad loc.) et 21 (Tarula et Scirtus). 212 Leg. agr. 3, 3. 213 RE 10; Wiseman, New Men n° 389. 214 On peut penser à D. Turranius (RE 5) qui apparaît dans la correspondance de Cicéron à Atticus comme homo χρηστομαθής (Ι, 6, 1 = 2 SB = 1 Budé), ce qui peut être ironique comme le suggère Münzer; ou encore à Turranius Niger, l'ami de Varron (RE 10). On ne peut pas exclure non plus absolument C. Turranius préteur en 44, homo summa integritate et innocentia (Phil. Ill, 25) qui fut exécuté lors de la seconde proscript ion. 215 Nous' rangeons au nombre des «vraisemblables» et non parmi les «assurés» Curion parce que nous avons suivi Badian qui révoque le témoignage du scholiaste de Bobbio, seule preuve de sa participation aux bénéfices de la victoire (cf. supra, n. 191).
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Q. Titinius216. En tout cas, il est des gens dont on sait qu'ils n'ont pas pris part à la curée : Q. Hortensius217, M. Aemilius Scaurus218 et peutêtre L. Licinius Lucullus219. On voit qu'au total nous sommes bien démunis pour évaluer les transferts de biens opérés par la proscription. En fait, il n'est pas quest ion, en ce domaine, de chercher à distinguer la proscription des autres procédures d'appropriation de biens marianistes. Mais il ne faut pas non plus prétendre la distinguer des processus d'élimination et de confiscation mis en œuvre depuis 88. C'est ce qu'avait bien vu T. Frank qui écrivait : «Finally some of the fortunes of Cicero's day were due to the participation on the lucrative trading in the property of those pros cribed by Marius (sic) and Sulla»220. Il faut bien voir en effet que depuis les événements qui avaient abouti à la mise au ban de la Répub lique de Marius avec onze de ses partisans, Rome n'avait pas cessé de donner le spectacle d'une série de règlements de comptes - assortis de confiscations, bien sûr - dont la proscription ne fut que le couronne ment. La conséquence la plus évidente de tout cela, c'est que, des famill es entières ayant été anéanties, il s'est naturellement opéré des concent rations soit sur des branches collatérales qui avaient choisi le bon côté (c'est vraisemblablement ce qui a dû se produire pour un Domitius Ahenobarbus, mais peut-être aussi pour un T. Aufidius ou pour un Trebonius) soit sur d'autres familles et que le résultat en a été une sensible différenciation, au sein même de la nobilitas, entre les très riches (les piscinarii de Cicéron) et les autres221. On constate, en définitive que la cité se montrait beaucoup plus préoccupée par les problèmes que posaient à la fois les colonisations syllaniennes et les terres confisquées mais non attribuées que par la possession des biens de proscrits. Il est vraisemblable que le procès de
216 Tous ces personnages sont donnés par Shatzman {Senatorial Wealth) comme ayant bénéficié de la proscription. 217 Cic, Tarn. II, 16, 3. 218Ascon. 18 C. Mais il hérita de sa mère Caecilia Metella et de son beau-père Sylla une fortune considérable (Plin., H.N. 36, 113; 116; Shatzman, Senatorial Wealth 290-292). 219 On ne dispose d'aucun élément pour l'affirmer. On sait simplement que sa fortune était déjà importante avant 82 et qu'il avait dû hériter en partie des biens de Sylla (Rap pelons qu'il était en Orient au moment de la proscription - cf. Van Ooteghem, Lucullus 35 & 42). Pour ce personnage, uid. Shatzman, Senatorial Wealth 378-381. 22° ESAR I, 298. 221 C'est notamment la conclusion de M. Jaczynowska, «Economie Differentiation».
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61 avait un objet de cet ordre; il est clair que les projets de Rullus concernaient ces terres-là. Nous verrons d'ailleurs que Cicéron fit aban donner à leur auteur le projet de restitutio des liberi proscriptorum et plaidant contre la loi agraire, c'est-à-dire qu'il avait vraisemblablement amalgamé, dans son argumentation, le problème des distributions de terres et la contestation de la possession des biens de proscrits.
Les procès contre les sicarii Au lendemain de l'échec du procès intenté à Faustus Sulla, la mise en cause de la proscription et de ses conséquences avait pris une autre forme : il s'agit, cette fois, de la recherche d'une vengeance par des procès criminels intentés à des coupeurs de têtes. C'est à Caton, pen dant sa questure en 64, semble-t-il, qu'était revenue l'initiative de telles actions qui, à en croire Plutarque, se déroulaient en deux temps. D'abord un procès, vraisemblablement de peculatu, visant à leur faire rembourser le praemium qu'ils avaient reçu pour prix des meurtres; puis un procès criminel - inter sicarios - qui était d'autant plus ronde ment mené que le premier procès, s'étant soldé par une condamnation, privait les sicarii de toute justification et ne leur permettait pas de dout erde l'issue du second222. On sait, par ailleurs, que César prit une part active à ces condamn ations puisque, selon Suétone, il présidait cette année-là la quaestio de sicariis ; ... in exercenda de sicariis quaestione eos quoque sicariorum numero habuit qui proscriptione ob relata ciuium Romanorum capita pecunias ex aerano acceperant, quamquam exceptos Corneliis legibus223.
222 Plut., Cat. min. 17, 5-7 : Όντων δε πολλών οίς Σύλλας εκείνος άποκτείνασιν άνδρας εκ προγραφής γέρας έδωκεν ανά μυρίας δισχιλίας δραχμάς, άπαντες μεν αυτούς ώς εναγείς και μιαρούς έμίσουν, άμύνασθαι δ* ουδείς έτόλμα, Κάτων δέ προσκαλούμενος εκαστον (ώς) έχοντα δημόσιον άργύριον αδίκως έξέπραττεν, άμα θυμω και λόγω το της πράξεως άνόσιον και παράνομον έξονειδίζων. Οί δέ τοΰτο παθόντες ευθύς ήσαν ένοχοι φόνφ, και τρόπον τινά προηλωκότες άπήγοντο προς τους δικαστάς και δίκας έτινον, ήδομένων πάντων και νομιζόντων συνεξαλείφεσθαι την τότε τυρρανίδα και Σύλλαν αυτόν έφοραν κολαζόμενον. Dio. 47, 6, 4 confirme la procédure lorsqu'il déclare que lors de la mise en œuvre de leur proscription les Illvirs avaient promis de ne conserver aucune trace des récompenses allouées pour éviter ce qui s'était déjà passé : ... τους έπί του Σύλλου φονεύσαντάς τινας ό Κάτων ό Μάρκος ταμιεύσας άπηστησε πανθ' δσα έπ' αύτοΐς είλήφεσαν. . . 223 Diu. lui. 11, 2. Gruen (Generation 76-77, n. 124; 277 et n. 62) considère que Taffir-
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Ce qu'on ne sait pas, en revanche, c'est qui fut ainsi attaqué. On ne connaît, en effet, que trois noms, ceux de L. Luscius, L. Bellienus et Catilina224. Les deux premiers sont des comparses225 et le troisième fut acquitté. En fait, bien que le scholiaste de Cicéron dise que César fit accuser et condamner beaucoup (muitos) de Syllaniens et bien que le récit de Plutarque laisse planer un doute sur le nombre de ces person nages que Caton fit citer un à un (προσκαλούμενος εκάστου), nous avons des raisons de croire qu'il n'y eut, en tout, que trois procès et deux condamnations. C'est Dion Cassius qui le confirme: «L'homme qui, par l'ordre de Sylla, avait donné la mort à Lucretius et celui qui avait tué un grand nombre de citoyens proscrits par le même Sylla, furent mis en accusation et punis pour ces meurtres. Jules César fut le principal promoteur de cette mesure»226. Et après quelques considérat ions sur le changement des fortunes, l'historien nomme Catilina «mis en jugement pour le même motif, car lui aussi avait fait mourir un grand nombre de proscrits»227. Il ne faut pas nous laisser prendre à l'amplification qui, vraisemblablement, a dû trouver son origine dans la propagande césarienne : il demeurait difficile, en 64, de s'en prendre à
mation de Suétone selon laquelle César aurait présidé la quaestio est sans doute fausse : pour lui, les autres textes qui évoquent cette affaire impliquent plutôt qu'il était un accusator. En fait, si le scholiaste de Gronovius interprète Cicéron en disant muitos accusauit et damanauit Sullanos (293 St) le texte qu'il commente ne dit rien de tel : . . .quae tarnen crudelitas ab hoc (se. Caesare). . . uindicata est (Lig. 12). Quant au second texte de Dion auquel se réfère Gruen, il dit simplement que César fut le principal instigateur de ces accusations : ... του Καίσαρος του 'Ιουλίου τουθ' οτι μάλιστα παρασκευασάντος. Nous sui vrons donc plus volontiers Suétone et, après lui, la plupart des historiens modernes (Gelzer, Caesar 37-38; Taylor, Politique 230; Laffi, «Mito di Siila» 267-268; MRR s.a.) en faisant valoir que César pouvait fort bien avoir collaboré avec Caton pour juger les sicaires de Sylla après avoir suscité des accusations. 224 Par Asconius 90-91 C. 225 Seul L. Luscius semble avoir été accusé au titre de la proscription (cf. supra, n. 187). Le second, L. Bellienus, dont Asconius parle ensuite, fut accusé pour avoir exécut é Q. Lucretius Ofella sur l'ordre de Sylla (sur cette exécution App., BC I, 101, 471 ; Plut., Sulla 33, 5-6 & 40, 7; Liu., Per. 89; Firm., Math. I, 7, 33), mais il ne paraît pas avoir été impliqué dans le meurtre de proscrits. 226 Dio 37, 10, 2 :Ό τε γαρ τον Λουκρήτιον έκ της του Σύλλου προστάξεως άποκτείνας, καΐ ετερός τις συχνούς των έπικηρυχθέντων ύπ' αύτοο φονεύσας, και κατηγορήθησαν επί ταΐς σφαγαΐς και έκολάσθησαν, του Καίσαρος του 'Ιουλίου τοϋθ' δτι μάλιστα παρασκευασ άντος. 227 Ibid. 3 : ... και ό Κατιλίνας επί τοις αύτοΐς έκείνοις αΐτίαν - πολλούς γαρ και αυτός των ομοίων άπεκτόνει - λαβών απελύθη.
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des syllaniens, sinon peut-être à des «seconds-couteaux» un peu plus voyants et tapageurs que les autres. Catilina, lui, «première lame», fut acquitté parce qu'il n'était pas question de permettre que les proscrits pussent trouver vengeance228. On ne manquera pas d'observer que la formulation adoptée par Suétone (eos. . . qui proscriptione ob relata ciuium Romanorum capita pecunias ex aerano acceperant) rappelle une des dispositions de la Table d'Héraclée qui exclut du décurionat entre autres, . . .queiue ob caput c(iuis) R(omanei) referundum pecuniam praemium aliudue quid cepit ceperit229. Cette clause de la loi nous paraît fournir pour sa datation un terminus post quern au-delà duquel il est très improbable qu'on puisse la faire remonter: Suétone insiste bien sur le fait que cette offensive dirigée contre les sicaires de Sylla avait un caractère exceptionnel puis qu'ils étaient, en principe, protégés par les lois Cornéliennes et on ne peut donc penser qu'une telle interdiction ait été antérieure à ces pre mières tentatives, elles-mêmes vraisemblablement symboliques230.
228 On ne sait pas grand chose sur les motifs qui ont pu déterminer L. Lucceius à se porter accusateur de Catilina. Sans doute était-il dans la mouvance de Pompée (Gruen, Generation 277) mais ceci n'explique pas cela. On serait plutôt tenté de supposer une parenté avec l'une des victimes de Catilina. Par ailleurs, il faut convenir avec Gruen (ibid. 76-77 η. 124) qu'aucune source ancienne ne nous indique que César travailla à faire acquitter Catilina comme on l'affirme souvent. 229 Tab. Her. 1. 122 (FIRA I2, 149). 230 Legras (Table d'Héraclée 129-140) a dépensé des trésors d'imagination pour mont rer que cet article ne pouvait pas viser les chasseurs de têtes de la proscription syllanienne. Pour lui, cela ne concerne que les tueurs à gages qui proliféraient en ces périodes troublées d'après la guerre sociale. Et d'accuser Mallius Glaucia - qui n'en peut mais d'être l'un de ces sicarii (il va d'ailleurs en cela plus loin que Cicéron - Rose. Amer. 19 puisqu'il lui attribue la responsabilité du meurtre de Roscius le père). Il est clair qu'une telle hypothèse ne peut pas être défendue et qu'il faut admettre que le législateur frappe d'infamie - par principe - tout individu qui se sera fait payer (ceperit reste un futur anté rieur malgré Legras) une tête, ce qui ne peut concerner, évidemment, que le praemium offert aux percussores. (Cette explication se trouve déjà dans Dirksen, Observationes ad Tabulae Heracleensis partem alteram, quae uulgo aeris Napoletani nomina uenit, Berlin, 1817, 188). Cela amène donc à remettre en cause, une nouvelle fois, la datation proposée par Ch. Saumagne (Le Droit latin et les cités romaines sous l'Empire, Paris, 1965) qui l'interprét ait comme une loi immédiatement postérieure à la guerre sociale et probablement d'épo quesyllanienne. Si les praemia visés par l'article qui nous occupe sont bien ceux qui ont été versés à l'occasion de la proscription, c'est évidemment impossible. Mais on peut faire valoir que Sylla n'a pas été le premier à proposer des récompenses pour ceux qui tran-
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Dans cette perspective, on en vient à se demander si l'étrange pro cès de Rabirius, l'année de la grande offensive populaire, ne peut pas être interprété aussi comme une tentative faite contre un Syllanien, mais à raison de faits antérieurs à la proscription. Il est vrai que rien, dans l'information dont nous disposons à ce sujet ne nous permet de l'affirmer et nous sommes donc dans le domaine de la pure hypothès e231. Il n'est pourtant pas invraisemblable de penser qu'après l'échec des poursuites criminelles engagées contre des proscripteurs, cette «tragédie-bouffe»232 n'était pas sans rapport à la fois avec les procès de l'année précédente qui avaient échoué sur Catilina et avec les projets de réintégration des fils de victimes.
L'année 63 Quoi qu'il en soit, ce sont évidemment les rogationes présentées dès l'entrée en charge des tribuns qui marquent le plus clairement la volont é de certains de redonner leurs droits à ceux qui en étaient privés depuis près de vingt ans. Trois rogationes sont attestées dont deux seu lement semblent concerner, directement ou non, nos liberi proscripto-
chaient la tête de ses adversaires. Pourtant on ne manquera pas de signaler, à l'appui de notre thèse, que Sylla semble bien être le premier à avoir versé sur le Trésor public (ex aerano) des récompenses aussi nombreuses (assez pour qu'on en retrouve mention dans les textes d'une organisation municipale) et qui finirent par être contestées légalement. Par ailleurs, les arguments que Ch. Saumagne a développés pour réfuter le rappro chement ordinairement opéré de la lex avec la lettre à Lepta de 46 ou 45 (Fam. VI, 18, 1 = 218 SB) ne nous paraissent pas convaincants. Là-dessus uid. nos «Remarques sur les praecones et le praeconium dans la Rome de la fin de la République», Latomus 35, 1976, 730-746 et E. Lo Cascio «Praeconium e dissignatio nella Tabula Heracleensis», Helikon 1516, 1975-1976, 351-371. 231 On ne sait rien de l'attitude de C. Rabirius pendant la guerre civile. Auparavant, il avait figuré dans le consilium de Pompeius Strabo (Criniti, Epigrafe 116-117) et il avait dû être accusé, avec un parent, d'avoir pris part à l'incendie du tabularium en 83 (Cic, Rab. perd. 8). Sa parenté avec les Curtii (qui avaient au moins un proscrit dans leur famill e) dont il adopta un membre et le fait aussi qu'il était propriétaire d'une villa à Naples (Ait. I, 6, 1 = 2 SB = 1 Budé) peuvent faire supposer qu'il avait été mêlé à la proscription et à ses conséquences. Sur la signification du procès, uid. notamment E. J. Phillips, « The Prosecution of C. Rabirius in 63 BC», Klio 56, 1974, 87-107. 232 Pour reprendre l'expression de Carcopino, César 157. A. Magdelain («Perduellio·» 411) parle, lui, de «comédie» à propos de la procédure des Iluiri qui sont une invention de l'annalistique.
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rum : la rogano de proscriptorum filiis et la rogano agraria de Seruilius Rullus233. On rappellera qu'un autre projet de loi avait été déposé visant à réduire la peine de P. Sulla privé à vie du tus honorum en rai son de sa condamnation de ambitu, mais que son auteur avait renoncé à le soutenir après la séance du sénat tenue le 1er janvier et que ce renoncement ne peut pas ne pas être interprété en termes politiques alors que se débattait, en même temps, un projet visant à rendre leur ius honorum à des gens qui en avaient été privés par une loi234. Il est tout à fait remarquable que Plutarque et Dion, qui parlent des événements du début de l'année 63, présentent les rogationes en question comme un ensemble destiné à provoquer l'agitation : «Les tr ibuns du peuple s'adjoignirent le consul Antoine, qui avait avec eux une parfaite conformité de caractère : puis l'un proposait pour les magis tratures les enfants de ceux qui avaient été chassés de Rome par Sylla; l'autre souhaitait accorder à P. Paetus et à Cornelius Sulla, condamnés ensemble pour brigue, le droit de siéger au sénat et de remplir les char gespubliques. Un troisième proposait l'abolition des dettes, un autre une distribution de terres en Italie et dans les territoires soumis»235. Plutarque, qui ne parle que des deux rogationes qui nous intéressent, donne d'autres renseignements. Tout d'abord, selon lui, les liberi pros criptorum «étaient nombreux et puissants; ils postulaient des magistrat ures, haranguaient le peuple, alléguaient contre la tyrannie de Sylla une foule de griefs justes et fondés, mais ils tendaient ainsi à boulevers er, sans nécessité ni à propos, la constitution»236. Si on peut voir, dans le dernier membre de phrase, un simple écho de l'argumentation déve loppée par Cicéron pour combattre le projet, plus original est sans dou-
233 Nous ne savons que bien peu de choses sur la troisième qui concernait le problè me des dettes. Elle est attestée par Dio 37, 25, 4; Cic, Ait. II, 1, 11 ; Fam. V, 6, 2 et Off. II, 84. Cf. Rotondi s. a. 63. 234 Cf. supra, n. 108. 235 Dio 37, 25, 3-4 : Oi γαρ δήμαρχοι τον Άντώνιον τον ΰπατον όμοιοτροπώτατόν σφισιν δντα προσλαβόντες, ό μέν τις τους παΐδας των ύπο του Σύλλου έκπεσόντων προς τας αρχάς ήγεν, ό δε τω τε Παίτω τω Πουκλίω και τω Σύλλα τφ Κορνηλίω τω μετ' αύτοϋ άλόντι τό τε βουλεύειν και το άρχειν έξεΐναι εδίδου. "Αλλος χρεών άποκοπάς, άλλος κληρουχίας και έν τη 'Ιταλία και έν τω ύπηκόω γενέσθαι έσηγεΐτο. 236 Plut., Cic. 12, 2. on pourrait citer aussi cette observation de Suétone sur Staberius Eros (Gramm. 13) : Sunt qui tradant eum honestate praeditum ut temporibus sullanis pros criptorum liberos gratis et sine mercede ulla in disciplina receperit. Et au nombre de ses élèves figurait Brutus.
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te le renseignement sur ces gens qui se répandaient en lamentations sur leur sort et en imprécations contre ceux qui souhaitaient maintenir le système mis en place par Sylla. Et Plutarque ajoute que la proposition de Rullus allait dans le même sens (προς την αυτήν ύπόθεσιν) ce qui, là aussi, peut être la reproduction d'un argument de Cicéron237 et qui révèle la volonté de celui-ci d'amalgamer les deux projets probablement pour répondre à la stratégie de ses adversaires qui tentaient de lui accoler l'étiquette de syllanien. C'est particulièrement évident d'après le troisième discours sur la loi agraire : Completi sunt animi auresque uestrae, Quintes, me, gratificantem Septimiis, Turraniis ceterisque Sullanarum adsignationum possessoribus, agrariae legt et commodis uestris obsistere238. Il se défend d'être un syllanien en ironisant sur le marianisme de son adversaire239 dont il prend soin de déconsidérer le beau-père en l'assimilant à un proscripteur240. Or, il semble bien que Cicéron ait fait de la proposition de Rullus l'objet privilégié de son attaque parce qu'en définitive, il lui était plus facile de se battre sur ce terrain que sur un autre. Certes, on peut dire que s'il s'est opposé avec tant de véhémence à ce projet agraire, c'est parce qu'il était hostile, par principe, à toute distibution de terres241. Mais on doit constater aussi que les conséquences de ce projet sont, à ses yeux, moins pernicieuses que celles de la proposition visant à réta blir les enfants de proscrits dans leurs droits. C'est ce qui ressort à
237 C'est d'autant plus vraisemblable que Plutarque reprend la présentation cicéronienne du projet de Rullus. 238 Leg. agr. 3, 3. A ce sujet uid. Gruen, «Veteres hostess 240-241. 239 Ibid. § 7 : Quid ergo ait Marianus tribunus plebis, qui nos Sullanos in inuidiam rapiti 240 Leg. agr. 2, 69 : Habet socerum, uirum optimum, qui tantum agri in Ulis rei publicae tenebris occupauit quantum concupiuit. Cf. 3, 14: ...cum usque eo uicinos proscriberet quoad oculis conformando ex multis praediis unam fundi regionem formamque perfecerit... 241 Comme le fait Sumner, «Rullus» 582. On peut aussi ne pas se poser la question comme L. Ha vas, « La rogatio Seruilia (Contribution à l'étude de la propriété terrienne au déclin de la République romaine)», Oikuménè 1, 1976, 131-156, qui voit dans ce projet une ébauche du programme de Catilina (idée déjà exprimée par A. Quinton, La Conjuration de Catilina, Orléans, 1880). En réalité, sur cette affaire, il semble qu'il faille en revenir à l'excellente analyse que proposait E.G.Hardy, «Rullan Proposai» 256-257, et selon laquelle aucune des raisons avancées par Cicéron ne résiste sérieusement à l'examen et que s'il est opposé avec tant de violence au projet c'est parce qu'il donnait des «points d'appui » (sic) à César contre la position dominante de Pompée.
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l'évidence du bref exposé de son action qu'il fait, quelques années plus tard, dans sa diatribe contre Pison : sa lutte contre la loi agraire « a déli vré le sénat et tous les honnêtes gens de la crainte d'une loi agraire et d'une immense opération de corruption électorale», alors qu'il s'est opposé à la restitutio des fils de proscrits parce que «la situation où ils se trouvaient (les) destinait évidemment, s'ils obtenaient quelque magist rature, à provoquer un bouleversement dans l'Etat. . .»242. On ne doit pas, sous prétexte qu'il ne nous a pas été conservé, sous-estimer l'i mportance du cinquième discours consulaire de Cicéron243 et considérer que le projet de loi n'était qu'un acte isolé qui ne concernait que peu de gens244. Ce qui est vrai, c'est que l'essentiel du combat eut lieu sur le projet de Rullus et que sa victoire sur ce plan entraîna l'abandon des autres projets245. Les arguments que Cicéron avança pour faire renoncer à la restitu tio sont résumés par Quintilien : certes, il est cruel de tenir écartés de la vie politique des jeunes gens qui sont issus d'honorables familles, mais
242 Pis. 4 : Ego kalendis lanuariis senatum et bonos omnis legis agrariae maximarumque largitionum metu liberaui (. . .). Ego adulescentis bonos et fortis, sed usos ea condicione fortunae ut, si essent magistratus adepti, rei publicae statum conuolsuri uiderentur, mets inimicitiis, nulla senatus mala gratia comitiorum ratione priuaui. 243 Oratio de proscriptorum filiis. Pour le classement des discours consulaires, Att. II, 1, 3 = 21 SB = 27 Budé. Les testimonia et fragments de ce discours sont utilement recueill is dans Puccioni. 244 C'est l'analyse qu'en fait Gruen, Generation 414-416, qui ignore la loi de 70 et en tire la conclusion qu'après vingt ans de silence et parce que l'affaire sera sans lende mains, il ne pouvait s'agir que d'une «opportunity for demagogic posturing» (414). Pour lui, cette question du ius honorum n'avait guère fait recette depuis la mort de Sylla soit parce que ceux qui auraient bénéficié d'une restitutio étaient trop peu nombreux, soit parce qu'ils étaient trop peu puissants. «It is clear that the political victims of Sulla did not constitute a significant pressure group which could seriously threaten the peace of the city. In general, efforts to reverse injustices perpetrated in the Sullan era played but a small part in the succeeding generation. And those efforts were themselves provoked usually by considerations marginal to the interests of the injured» (416). Compte tenu du nombre et de la qualité des victimes de Sylla, il nous semble qu'une telle affirmation est pour le moins discutable. Au total, il est vrai que nous ne connaissons que bien peu de liberi proscriptorum mais cela ne nous paraît pas une raison suffisante pour révoquer en doute le témoignage de Plutarque et de Dion (supra nn. 235-236) ou pour ne tenir aucun compte des attaques lancées contre les profiteurs et les sicaires. 245 « Non seulement, il fit rejeter le projet, mais encore il amena les tribuns à renoncer à leurs autres propositions tant son éloquence les avait subjugués» (Plut., Cic. 12, 6).
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c'est la stabilité même de l'Etat qui en dépend246. L'idée est la même que celle du discours contre Pison. Et ce qui est très révélateur c'est que dans le deuxième discours de lege agraria l'orateur évoque cette question - ce qui confirme bien le lien entre les deux affaires - en des termes qui rappellent très précisément ceux qu'il avait utilisés en 70, à propos de la lex Plautia : «. . .vous ne devez pas non plus considérer comme des mesures populaires le bouleversement des procédures judi ciaires, l'inexécution des jugements, la réhabilitation des condamnés : ce sont là, dans les cités malades où la situation est désespérée, les solu tions mortelles auxquelles on finit d'ordinaire par avoir recours»247. Ces «solutions mortelles» étaient déjà évoquées précisément dans les Verrines2**. Cet écho est trop évident pour qu'on puisse l'ignorer et en minimiser les raisons : l'éventualité d'un retour au pouvoir des victimes de Sylla avec les règlements de comptes qu'il aurait permis ne devait guère sourire aux contemporains de Cicéron. Et lui-même se félicite d'avoir fait avorter le projet nulla senatus mala gratia. L'échec de la loi d'amnistie avait sans aucun doute plongé les vict imes de Sylla dans le désespoir et c'est la raison pour laquelle un cer tain nombre d'entre eux avaient embrassé le parti de Catilina, le seul qui pût leur faire espérer le retour à un statut civique intègre. Cette présence de liberi proscripîorum aux côtés de Catilina, quelque surpre nante qu'elle puisse paraître au premier abord puisque Catilina luimême et un certain nombre de ses amis étaient d'anciens syllaniens249,
246 Quint., LO. 11, 1, 85: Quid enim crudelius quam homines honestis parentibus ac maioribus natos a re publica submoueri? Itaque durum id esse, summus ille tractandorum animorum artifex confitetur, sed ita legibus Sullae cohaerere statum ciuitatis affirmât, ut his solutis stare ipsa non possit. Il n'est d'ailleurs pas impossible qu'on ait un autre écho de l'argumentation de Cicéron dans l'énoncé des raisons qui, selon Plutarque (Cic. 10, 2) avaient valu à Cicéron son élection : « Le changement introduit par Sylla dans la constitu tion avait paru étrange, mais avec le temps et l'habitude, il semblait avoir acquis dès lors aux yeux de la plupart des citoyens une stabilité qui n'était pas à dédaigner; cependant il y avait des Gens qui cherchaient à ébranler et à bouleverser l'état présent en vue, non pas du bien commun, mais de leurs intérêts particuliers ». Là-dessus, uid. Laffi, « Mito di Sii la», 185-187. 247 Leg. agr. 2, 10 : . . .neque uero ilia popularia sunt existimanda, iudiciorum perturbationes, rerum iudicatarum infirmationes, restitutio damnatorum, qui ciuitatum adflictarum perditis iam rebus extremi exitiorum soient esse exitus. ™IIVerr. 5, 12. Cf. supra, pp. 163-164. 249 On conçoit assez bien qu'avec Catilina pour chef la conjuration ait pris le visage d'une action de syllaniens, et si on en doit croire Salluste (Cat. 21,2) Catilina avait promis
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nous est clairement attestée par Cicéron qui évoque la troupe de conju rés comme «une multitude disparate où tranchaient les victimes du régime syllanien»250. Salluste est plus nuancé: il se contente de dire que ces gens-là attendaient beaucoup de la victoire de Catilina, sans aller jusqu'à affirmer qu'ils prirent une part active aux événements251. Et de fait, on ne nous a conservé le nom d'aucun de ces personnages à la faveur de la conjuration. Ce qui est certain, c'est qu'après son écrase mentet la mort de ses chefs, il n'était plus question d'envisager une restituito. Si certains avaient conservé un espoir en Pompée, ils furent assez rapidement désenchantés252, et on n'entend pratiquement plus parler des liberi proscriptorum jusqu'à la guerre civile.
de renouveler la proscription : Catilina polliceri tabulas nouas, proscriptionem locupletium, magistratus, sacerdotia, rapinas. Et par ailleurs le serment des Catiliniens avec liba tion sanglante (Sail, Cat. 22, 1-2; Flor. II, 12, 14; Dio 37, 30, 3; Plut., de. 10, 4) est peutêtre une façon d'utiliser «à des fins politiques le culte sanglant de Mâ-Bellona, répandu parmi les vétérans de Sylla» (L. Havas, «L'arrière-plan religieux de la conjuration de Catilina», Oikuménè 2, 1978, 191-199). On sait d'ailleurs qu'à côté d'anciens colons de Syl la(Sail., Cat. 16, 4) on trouve quelques noms de grands profiteurs (R. Scalais, «Aspect financier de la conjuration de Catilina», LEC8, 1939, 487-492 - notamment 490 -, Desros iers, Political Influence 91-95 et surtout Gruen, Generation 418-426 qui analyse la comp osition du groupe). La présence de victimes de Sylla accentuait le caractère hétéroclite, attesté par Cicéron et Salluste, de l'ensemble. 250 Mur. 49 : . . .quant turbam dissimillimo genere distinguebant homines perculsi Sul tani temporis calamitate. On pourrait considérer que les premières pages qu'Appien consacre aux guerres civiles font allusion à la participation des liberi proscriptorum à la conjuration. 251 Cat. 37, 9 : Praeterea quorum uictoria Sullae parentes proscripti, bona erepta, ius libertatis imminutum erat, haud sane alio animo belli euentum exspectabant. 252 Gruen, « Veteres hostes » considère que les personnages quelque peu énigmatiques qui se cachent derrière l'expression ueteres hostes, noui amici que Cicéron utilise dans une réponse à Pompée en 62, sont, en fait, les liberi proscriptorum : «Ta lettre officielle m'a causé, comme à tout le monde, une joie incroyable ; tu y as fait briller une espérance de paix magnifique, et que je n'avais jamais cessé pour ma part d'annoncer à tous sur la seule garantie de tes talents. Mais il faut que tu le saches : la lettre a porté un coup terri ble à tes vieux ennemis, amis d'aujourd'hui : leurs grands espoirs sont par terre ». (Fam. V, 7, 1 = 15 Budé = 3 SB) Gruen a montré que l'interprétation la plus courante (les personnages en question seraient César et Crassus) repose sur des constructions parfait ement gratuites (en particulier sur une prétendue opposition entre Pompée et César dans les années 60 - cf. aussi Generation 81 η. 149) et que pour donner son sens à l'expression il fallait voir que les individus concernés étaient les victimes de la proscription de Sylla : « The victims of Sulla's proscriptions could certainly be described as veteres hostes of the man who had been one of Sulla's chief agents in the late 80 s. Similarly, the ironic refer-
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La période 63-49 Pourtant il est difficile d'admettre que ces personnages soient res tés à l'écart de l'agitation qui a secoué Rome pendant les douze années qui séparent le retour de Pompée du déclenchement de la guerre civile. En tout cas, on retrouve indiscutablement certains d'entre eux dans l'entourage de César, du moins si on suit notre interprétation de certai nes lettres de Cicéron. On sait, en effet, que l'orateur, dans une de ses lettres à Atticus, délibère sur l'attitude à adopter au début de la guerre et reprend les termes mêmes de la lettre qu'il vient de recevoir de son ami : «Si M. Lepidus et L. Vulcatius rémanent, manendum puto, ita ut, si saluus sit Pompeius et constiterit alicubi, hanc νέκυιαν relinquas et te in certamine uinci cum ilio facilius patiaris quam cum hoc in ea quae perspicitur futura colluuie regnare»2** . Ce terme νέκυια qui désigne, à l'év idence, l'entourage de César est repris dans une deuxième lettre datée du surlendemain, dans laquelle il raconte l'entrevue qu'il a eue, chez lui, avec C. Matius dont il a pu constater que lui aussi manifestait quel que méfiance à l'égard des gens qui se trouvaient autour de César : Quam ille haec non probare mihi quidem uisus est! quam illam νέκυιαν, ut tu appellas, timerel254 Enfin, huit jours plus tard, nouvelle lettre à Atticus dans laquelle il raconte à son ami son entrevue avec César. Et il évoque à nouveau l'entourage du proconsul : Reliqua, ο di, qui comitatus, quae, ut tu soles dicere, νέκυια!255 On a bien sûr donné à ce terme grec qui désigne le pays des morts256 bien des interprétations qu'il n'est pas question de passer en
enee to novi amici suits those who had hoped to benefit from the Rullan bill and had given active support to the proposals of Metellus Nepos. Pompey's letter collapsed their hopes. The general was an adherent of the status quo ». (p. 243 ; suivi par SB comm. ad loc. Contra T. Mitchell, « Veteres hostes, novi amici (Cic, Fam. V, 7, 1)», Historia 24, 1975, 618-622 qui considère qu'il s'agit des populäres en général). Si on suit Gruen, une conclusion s'impose: les victimes du régime de Sylla étaient encore assez nombreuses et puissantes pour constituer un groupe dont Cicéron - et Pom pée - aient étudié les réactions, ce qui confirme l'affirmation de Plutarque (cf. supra, n. 244). 2S3Att. IX, 10, 7 = 177 SB, du 18 mars 49. MMtt. IX, 11, 2 = 178 SB, du 20 mars 49. 2»Att. IX, 18, 2 = 187 SB, du 28 mars 49. 256 Au chant XI de l'Odyssée, Ulysse descend au pays des morts (νέκυια) - descente aux enfers rappelée par Cicéron lui-même (Tusc. I, 37).
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revue. Disons simplement que pour certains, il ne peut s'agir que des Catiliniens se dressant à nouveau dans la politique comme au sortir du Tartare257; E. Meyer avait proposé, lui, d'élargir un peu la signification de ce terme pour lui faire embrasser un ensemble d'aventuriers émer geant du monde de la mort civile que représente l'exil258; plus récem ment, E. Wistrand, qui consacre toute la première partie de son ouvra ge sur les «meurtres judiciaires» à montrer que les métaphores sangui naires des écrivains de la fin de la République et du début de l'Empire font, pour l'essentiel, référence non à des exécutions mais à des envois en exil, considère que cette dernière explication est, sans aucun doute possible, la bonne : elle confirme sa thèse259. Il revient d'ailleurs sur la signification de cette νέκυια pour affirmer que la propagande aristo cratique avait considérablement exagéré le nombre de sénateurs qui avaient quitté l'Italie en 49, ne laissant soi disant à César pour tout sénat que des gens qui avaient été bannis de Rome à un moment où fonctionnaient encore normalement les institutions judiciaires260. Ainsi donc, le terme grec employé par Atticus et Cicéron ne serait qu'un reflet de cette propagande anticésarienne et servirait à désigner un assemblage de «fantômes» politiques que César aurait ressuscites du monde de l'exil261. Ces explications de νέκυια sont cohérentes mais elles nous sem blent négliger une catégorie de «morts» politiques à laquelle César s'était pourtant intéressé de près : les proscrits survivants et leurs des cendants. Compte tenu de ce que nous avons dit de cette catégorie, compte tenu aussi du fait que l'année 49 est précisément celle de l'amn istie, il nous paraît qu'on doit compter pour une partie non négligea ble de cette νέκυια des individus, nés certes dans des familles honora-
257Gelzer, Caesar, 191. 258 Caesars Monarchie 348. 259 Judicial Murders 21. Interprétation voisine de celle de Shackleton-Bailey, Com ment, ad. loc. 260 Ibid. 40-43. Il cite, à ce propos, les vers 30-34 du chant V de la Pharsale en affi rmant que Lucain y reproduit les termes de la propagande aristocratique : Maerentia tecta / Caesar habet uacuosque domos tegesque silentes / Clausaque iustitio tristi fora : curia solos / ilia uidet patres, plena quos urbe fugauit : / Ordine de tanto quisquis non exulat hic est. 261 «...and this explains Atticus and Cicero making jokes implying that Caesar's entourage was made up entirely of ressuscitated ghosts from the nether world of exile ...» (43).
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bles mais qui n'auraient jamais dû, à en croire Cicéron, retrouver une existence politique. Comme de juste, l'orateur ne donne aucun nom et nous en sommes réduits à reconstituer, sur le mode de l'hypothèse cet entourage de César à partir des noms de liberi proscriptorum que nous avons conservés. Sur les quelque vingt personnages qui sont - avec des degrés divers de vraisemblance - des fils de proscrits262, il faut compter à part trois Pompéiens qui sont M. Iunius Brutus, Q. Lucretius Vespillo et Liuius Ocella263. La plupart des autres sont Césariens : C. Carrinas, le consul suffect de 43, (Cornelius) Cinna, questeur de Dolabella en 44 ou 43 264, Critonius, édile en 44, C. Curtius, recruté au sénat par César, L. Decidius Saxa tribun de la plèbe de César en 44, Cn. Domitius, praefectus equitum sous Curion en Afrique, Granius Petro, questeur désigné pour 46, M. Insteius, tribun de la plèbe en 43, L. Marcius Censorinus préteur en 43, C. Norbanus Flaccus fils et petit-fils de proscrit et C. Vibius Pan saCaetronianus le consul de 43. Pour les autres dont nous savons ou supposons qu'ils sont des filii proscriptorum, leur appartenance polit iqueest plus difficile à déterminer265. Ces quelques noms ne représent ent évidemment qu'une faible partie de ceux qui mettaient tout leur espoir en César : d'autres familles ont dû leur résurgence à sa victoire, qu'on songe, par exemple, aux Nonii Asprenates qui disparaissent entre 85 et 47; mais Cicéron ne cite aucune de ces familles pour les embrass er d'un commun mépris266. 262 A notre connaissance il n'existe pas une liste complète des liberi proscriptorum. Des listes partielles ont été données par Shackleton-Bailey, «Nobility» 265 (Cinna, Marc ius Censorinus, Norbanus, P. Sulpicius Rufus); Wiseman, New Men 88, η. 4 (Sex. Appuleius, C. Curtius, C. Norbanus, C. Carrinas, Granius Petro, L. Decidius Saxa auxquels il ajoute Vettius Scato - p. 81 n. 2 - et C. Turranius - p. 166 n. 4); Bruhns, Oberschicht 73-74 (C. Carrinas, L. Cornelius Cinna, (Cornelius) Cinna, C. Norbanus Flaccus, L. Marcius Cen sorinus, C. Curtius, C. Vibius Pansa Caetronianus, P. Sulpicius Rufus). Pour notre propre liste, uid. notre art. «Liberi proscriptorum». 263 Pour Brutus uid. infra Prosopographie n°35; Bynum, Brutus 23-24; Bruhns, Obers chicht 53. Pour Q. Lucretius Vespillo, Shackleton-Bailey, «Nobility» 262 et Bruhns, Oberschicht 53. Quant à Liuius Ocella, bien attesté comme Pompéien, sa preture ne peut être antérieure à 49 (comme l'affirme Bruhns, Oberschicht 44) si toutefois il est bien le fils du légat de Sertorius, L. Liuius Salinator. 264 II est vraisemblablement le fils de L. Cornelius Cinna que Shackleton-Bailey et Bruhns (cités n. 262) considèrent un filius proscripti, sur la foi de Suétone, alors qu'il devait être lui-même proscrit (Cf. Prosopo. n° 17 et Prosopo II, n°46). 265 II s'agit de Sex. Appuleius, Iunius Damasippus, C. Turranius, P. Valerius Cato. 266 Sur les Nonii, cf. Prosopographie s. n. Nannius. Ce mépris tient peut-être aussi au
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En revanche, l'orateur donne le nom de deux individus mêlés à ces «revenants» et que, visiblement, il ne s'attendait pas à trouver en si mauvaise compagnie : Ο rem perditam! ο copias desperatas! Quid quod Seruii filius? Quod Titinii? Quoi in castris fuerunt quibus Pompeius circumsideretur267. Le jeune Seruius est, sans aucun doute, le fils de Ser. Sulpicius Rufus. Cicéron avait gardé de bonnes relations avec les deux accusateurs de Murena et il est normal qu'il ait été choqué par une conduite qu'il jugeait humiliante pour des optimales268. Pour ce qui est de Titinius, les raisons de son indignation nous sont moins évidentes, même si elle se manifeste à plusieurs reprises269. On a pu dire que Q. Titinius le père, un riche sénateur, ami d'Atticus, était neutre en apparence mais jouait en réalité le succès de César270. Ce qui est plus intéressant, pour l'heure, c'est l'origine de l'appartenance de cette famille à l'ordre sénatorial : C. Nicolet considère que Q. Titinius pourr aitbien être un de ces «sénateurs syllaniens» recrutés pour combler les vides qu'avait faits la guerre civile dans la haute assemblée271. On comprend mieux ainsi l'indignation de Cicéron en voyant le fils du syllanien Titinius - adopté par un Samnite pour devenir Pontius Titinianus - rallié au restaurateur de proscrits qu'était César272 et on se sou vient des termes particulièrement méprisants prêtés à l'orateur pour
fait que les plus honorables avaient pu retrouver l'existence politique par le moyen de l'adoption. 267 Att. IX, 18, 2 = 187 SB. 268 Sur ce personnage uid. notamment P. Meloni, «Servio Sulpicio Rufo», Ann. Fac. univ. Cagliari 13, 1946, 67-245 (particulièrement 154-158) et SB comm. ad Att. V, 4, 1 = 97. Pour son identification, R. Syme, «A Great Orator Mislaid», CQ 1981, 421-427. 269 Att. IX, 6, 6 = 172 SB; IX, 9, 1 = 176 SB; IX, 12, 2 : 189 SB; X, 39, 2 = 194 SB. 270 SB comm. ad. 172= Att. IX, 6, 6. 271 Nicolet n° 345 et I, 257-258 ; Wiseman n° 433 ; moins af firmatif Gabba, Esercito 172. 272 Là réprobation de Cicéron se marque davantage encore dans une lettre du 17 mars {Att. IX, 9, 1 = 176 SB) : De optitnatibus sit sane ut uis; sed nosti illud Διόνυσος έν Κορίνθω : Titinii filius apud Caesarem est. L'anecdote de Denys le tyran déchu ouvrant une école à Corinthe peut signifier que la vie humaine est soumise à bien des vicissitudes (Tyrrel & Purser) ou bien encore, que, pour ce personnage comme pour les optimates mieux valait un simulacre de pouvoir (l'école) que l'absence de pouvoir (SB d'après Cic, Tusc. III, 27 : Dionysius quidem tyrannus Syracusis expulsus Corinthi pueros docebat : usque eo imperio carere non poterai). Sur l'adoption de ce personnage, uid. ShackletonBailey, Nomenclature 125.
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qualifier son entourage dans l'invective contre Salluste : in ea. . . cas tra... quo omnis sentina rei publicae confluxerat273. Il est clair que ce mépris répond à la propagande césarienne qui faisait du parti de Pompée celui des buveurs de sang syllaniens, et de celui de César le parti des vengeurs des atrocités de 82-81 274. Mais il est non moins évident que les préoccupations de César ne se limitaient pas à la propagande : on sait qu'il recruta au sénat un certain nombre de personnages issus de familles marianistes, sinon descendants de prosc rits275, et qu'il fit placer au nombre de ses partisans, lors des cérémon ies de son triomphe quelques unes des victimes du régime syllanien276. Mais bien sûr, préalablement à tout cela, il avait fait passer une loi d'amnistie qui rendait à tous ces gens leurs droits politiques.
La lex Antonia On ne sait presque rien de cette loi que les auteurs modernes appellent - à tort - lex Antonia de proscriptorum liberis puisqu'elle devait être, pour le moins, une loi de restitution de toutes les victimes du régime syllanien, y compris les proscrits eux-mêmes. Il faut donc penser qu'il s'agissait plutôt d'une lex de ciuibus restituendis, sans dout e différente de la loi - ou des lois - qui permirent la réintégration de ceux qui avaient été condamnés dans la décennie précédente et qui s'étaient ralliés277. On ne peut d'ailleurs pas dater cette mesure avec
273 In Sali, inuect. 16. 274 On n'aura garde d'oublier Ait. IX, 14, 2 (= 182 SB) de mars 49: . . .narrabat Cn. Carbonis, M. Bruti se poenas persequi omniumque eorum in quos Sulla crudelis hoc socio fuisset ... Il est assez évident, par ailleurs, que cette affirmation de César ne peut être comprise que comme un rappel à l'ordre de ceux qui, comme Brutus, avaient renoncé à accomplir le devoir sacré de vengeance pour se rallier au meurtrier de leur père. La pietas est bien du côté de César. 275 Sur ce point, uid. particulièrement R. Syme, «Caesar, the Senate and Italy», PBSR 14, 1938, 1-31 (notamment «Caesar's new Senators», 12-18) et Révolution 93. 276 Du moins s'il faut en croire J. Gage, «La Théologie de la victoire impériale», RH 1933, 38 & «De César à Auguste», RH 1936, 302-303; Jal 51. Mais nous n'avons trouvé aucune confirmation dans les textes anciens. 277 Ces lois sur les exilés dont César semble avoir confié la réalisation à Antoine sont peut-être évoquées dans la seconde Philippique (§ 98) par opposition aux mesures de res-
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précision : Certains textes ne fournissent aucune indication chronologi que, d'autres sont en apparence contradictoires. Pour résumer, il appar aîtque la mesure a pu être prise en deux temps. Tout d'abord, César, parvenu à Rome, au nombre des dispositions qu'il décida, autorisa les liberi proscriptorum à être candidats aux magistratures. C'est Dion qui le laisse entendre en ajoutant qu'il prit toutes mesures à son avantage dans les limites où les circonstances les lui permettaient278. Et ce n'est que plus tard, au moment de sa première dictature selon l'historien grec, qu'il fit accorder par une loi le retour aux exilés qui avaient été condamnés sous la domination de Pompée. Or, Plutarque situe, lui, la loi sur les victimes de Sylla au cours de cette première dictature de la fin de l'année 49 279. Il est possible que le biographe n'ait pas vu la dual ité de la mesure et que Dion ait passé sous silence la couverture légale qui fut donnée à l'autorisation de gérer les magistratures quelques mois plus tard280. A y regarder d'un peu plus près, on n'est guère sur pris de cette démarche de César : il devait être important pour lui de permettre à des individus, qui jouaient un certain rôle à ses côtés, de
titutio que ce dernier avait fait afficher au lendemain de la mort du dictateur sur la foi de ses fameux papiers personnels (cf. Phil. I, 3 ; 24 ; II, 56 ; . . .). César lui-même parle de sa loi en affirmant qu'il « rétablissait dans leur situation antérieure un certain nombre de personnes condamnées pour brigue en vertu de la loi Pompéia, pendant la période où Pompée avait eu à Rome une garde légionnaire, et dont les procès . . . n'avaient duré qu'un seul jour; ces personnes s'étaient, au début de la guerre civile, proposées à César. . .» (BC III, 4, confirmé par App., BC II, 48; Dio 41, 36, 2; Zonar. X, 8; cf. NiccoliNi, Fasti 330). 278 Dio 41, 18, 2 : ... και τοις παισί των ύπό του Σύλλου έπικηρυχθέντων αρχάς αίτεΐν έφήκε, τα τε άλλα πάντα. . . προς το έπιτηδειότατον έαυτω ώς έκ των παρόντων κατέστησ ε. 279 Plut., Caes. 37, 2 : «Nommé dictateur par le sénat. César rappela les bannis, rendit leurs droits civiques aux enfants de ceux qui avaient souffert du temps de Sylla ...... 280 Dion (41, 36, 2) parle en effet du seul retour de tous les exilés à l'exception de Milon (τοις τε έκπεπτωκόσι κάθοδον πασι πλην του Μίλονος έδωκε) avant d'évoquer magistratures et sacerdoces. Or, dans le discours qu'il prête à Antoine (44, 47, 4), l'histo riengrec affirme nettement qu'il y eut bien deux mesures : le retour des proscrits et la restitutio de leurs enfants. Ce qui permet de conclure qu'effectivement Plutarque (comme Suétone d'ailleurs - Diu. lui. 41,3: admisit ad honores et proscriptorum liberos) assigne à la première dictature ce qui n'était, en quelque sorte, que l'ébauche du projet d'amnist ie. Denys, VIII, 80, fait une allusion trop vague à cette mesure pour qu'on puisse en tirer un renseignement utile ici (cf. supra, 177-178). Quant à Velleius (II, 43, 4) il se trom pe en assignant la restitutio à l'année 63.
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retrouver un statut intègre et on comprend que la décision de les auto riser à être candidats ait été prise assez tôt281. Pour ce qui est du contenu de cette loi, nos sources sont muettes et, c'est seulement en s'appuyant sur des vraisemblances qu'on peut imagi ner qu'elle décidait une restitutio in integrum de tous ceux qui avaient été proscrits au temps de Sylla et d'autre part de leurs liberi qui, à la faveur de la loi de 70, avaient pu revenir à Rome mais avaient été contraints de se contenter d'un ius imminutum2*2. Ce qu'on sait, en revanche, c'est que cette loi ne remettait absolument pas en question les confiscations et les ventes de Sylla, précisément parce que César ne voulait pas qu'on pût contester les siennes. C'est une lettre de Cicéron à Rutilius, à propos des biens d'un certain C. Albanius, qui en témoigne puisque, selon l'orateur, ces propriétés ayant été acquises dans les ven tes de César, il convient de ne pas les diviser : Sed tarnen cum Caesar Sullanas uenditiones et adsignationes ratas esse uelit quo firmiores existimentur suae, si ea praedia diuidentur quae ipse Caesar uendidit, quae tandem in eius uenditionibus esse potent auctoritas?2*3 *
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La victoire de César, en permettant de réintégrer dans leurs droits tous ceux qui survivaient de la proscription syllanienne - et en les grati fiant vraisemblablement de biens saisis sur ses propres ennemis - étei gnait les dernières conséquences d'une épuration intervenue plus de trente ans auparavant et dont nous avons vu que le souvenir hantait encore nombre de contemporains. Il nous paraît tout à fait significatif qu'il ait fallu attendre aussi longtemps et des conditions si particulières pour abolir une mesure qu'on considère ordinairement comme contra dictoire avec les mœurs de la Rome de la fin de la République. En l'o ccurrence, il nous semble que cette affaire des descendants de proscrits pourrait nous amener à réviser quelque peu l'opinion que nous nous faisons de cette société tardo-républicaine.
281 Cela dit, on voit mal sur quels fondements s'appuyait une telle décision. Il est pos sible qu'elle ait résulté d'un SC ou, comme l'autorisation d'utiliser les fonds de Yaerarium, d'une simple décision tribunicienne (cf. Carcopino, César, 381). 282 Sur cette question, uid. supra, chap. 2. 2S3Fam. XIII, 8, 2 = 321 SB. Sur le sens de cette diuisio uid. Brunt, Manpower 323.
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Nous avons esquissé, par ailleurs284, une étude sur quelques cas de vengeance dont Cicéron nous a conservé la trace; mais il serait néces saire d'examiner de façon plus précise les vestiges que conserve le droit d'époque républicaine de la solidarité familiale. P. Collinet a déjà abor dé le problème en montrant qu'au nombre de ces vestiges, figure la res ponsabilité des héritiers ultra uires hereditatis qui fait que ces héritiers sont tenus des dettes du de cuius sur leurs biens personnels et non pas seulement sur les biens laissés par ce dernier : une telle responsabilité ne peut s'expliquer que par la solidarité qui unit des sui heredes au pater défunt et non pas, comme voudrait le faire croire une explication tardive, parce que l'héritier succède à la personne du défunt, continue sa personne, le représente et le remplace. En réalité, «de même que les biens dont ils héritent étaient déjà, du vivant du pater, en quelque manière (quodam modo disent Gaius et Paul) "leurs biens" et que leur hérédité est, pour eux, consolidation d'une propriété virtuelle (continuatio dominii) plutôt qu'une vraie succession (nulla. . . hereditas), de même les dettes du pater dont ils héritent sont, en quelque manière, "leurs dettes" et, logiquement, ils doivent en répondre (in infinitum) sur les biens qu'ils acquerront dans la suite»285. Mais c'est dans le domaine de la vengeance - qu'il s'agisse de l'exercer ou de la subir - que les traces de solidarité familiale se lai ssent le plus aisément discerner et, plus particulièrement, dans la légis lation sur le cautionnement. On sait qu'antérieurement à la lex Furia de sponsu les cautions qui s'engageaient à plusieurs pour le débiteur étaient tenues solidairement (in solidum) : ... inter sponsores et fidepromissores lex Appuleia quamdam societatem introduxit. Nam si quis horum plus sua portione soluerit, de eo quod amplius dederit, aduersus ceteros actiones constituit. Quae lex ante legem Furiam lata est quo tem pore in solidum obligabantur286. Or l'explication qu'on donne ordinaire ment de cette solidarité est que les sponsores qui s'engageaient, à l'ori-
284 Notre «Patemus inimicus». 285 Collinet, «Solidarité familiale» 252-253. De la même façon, la responsabilité in infinitum des heredes extranet lorsqu'ils ont fait adition ne peut s'exprimer que par une extension de l'effet de solidarité familiale (ibid. 254). P. Collinet fait observer, par ai l eurs, que les incapables dépendent de ceux «dont les intérêts hérétidaires éventuels seraient menacés par leur incapacité même à bien gérer» et que, par conséquent, les tutelles et curatelles sont, en droit primitif romain, «fonction de la solidarité familiale». Sur V hères uid. H. Levy-Bruhl, «Hères», Mèi. De Visscher, Bruxelles, 1949, II, 137-176. 286 Gai. III, 122.
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gine, n'étaient pas de quelconques citoyens mais bien des parents qui intervenaient pour garantir la poena, la composition pécuniaire qui était due par suite d'un délit commis par un de leurs proches. Ces spon sores étaient membres de la famille du coupable et, par conséquent, «la solidarité entre sponsores ne serait qu'un souvenir, une transposition du régime primitif dans lequel ces parents auraient été responsables du délit de leur proche ipso facto, sans engagement solidaire spécial envers la victime. Elle serait, à Rome, un dernier vestige de la solidarité famil iale en cas de délit»287. Ce qui est intéressant, en l'occurrence, c'est que ces vestiges de solidarité familiale qu'on peut déceler dans l'organisation juridique attestent qu'à un moment de l'histoire de Rome, la famille a porté sol idairement la responsabilité des actes de ses membres. Il est clair, par ailleurs, que le groupe familial est resté fortement structuré jusqu'à la fin de la République : « Durant la période de plusieurs siècles qui sépare la loi des XII Tables de la législation matrimoniale d'Auguste, le droit de la famille est resté quasiment inchangé dans la Rome républicaine (...). La famille, sous la République, constitue une entité indépendant e, avec son chef, le pater, et ses hiérarchies internes : de telle sorte que le droit qui la régit est, si l'on peut se permettre ce néologisme, un droit «super-privé», seulement limité par la constitution (matérielle, non for melle) de la cité et l'ensemble des traités ou des usages qui tiennent alors lieu de droit international»288. Il est d'ailleurs vraisemblable que la législation sur le cautionnement, qui vient assez tard, a quelque peu bouleversé, pour des raisons politiques, des pratiques que la classe dominante ne songeait nullement à remettre en cause289.
287Collinet, «Solidarité familiale» 254; uid., dans le même sens, P. Huvelin, «La Solidarité de la famille en Grèce et la méthode du droit comparé», RHD 1907, 202 et P. Collinet, «La Garanzia solidale in diritto romano», Mem. Acad. Bologna, 1930-1931, 3-14. 288 R. Villers, «Droit de la famille et législation à Rome», rés. dans REL 50, 1972, 30-32. 289 Sans vouloir reprendre le dossier de la législation sur le cautionnement, il importe de rappeler que nous connaissons cinq lois : la lex Publilia, la plus ancienne et dont le contenu ne nous intéresse guère ici (uid. Rotondi 473); puis un groupe de trois lois, essentielles pour notre propos, puisqu'elles marquent un affaiblissement de la solidarité familiale dans la droit privé : la lex Appuleia, d'abord, qui « introduisit une sorte de com munauté entre répondants et fidepromettants : si l'un deux a payé plus que sa part, la loi lui donne une action contre les autres pour l'excédent». (Gai. III, 122); la loi Furia ensuit e, et surtout, qui introduisait, pour les cautions {sponsores et fidepromissores), le bénéfice
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On peut d'ailleurs se demander dans quelle mesure la prise de conscience effective de principes comme ceux-là n'a pas, par ellede la division, les libérait de leurs obligations au bout de deux ans et donnait au sponsor un recours contre le créancier en cas de fraude au bénéfice de la division (Gai. III, 121 et IV, 22) ; la lex Cicereia, enfin, qui, dans le prolongement de la lex Furia, fait obligation au créancier de proclamer et de déclarer le nombre des cautions qu'il a prises ainsi que la nature de la prestation pour laquelle il a pris garantie (Gai. III, 123). Quant à la cinquiè me loi, la lex Cornelia, qu'on attribue à Sylla (Rotondi 362-363), elle ne nous apprend pas grand chose sur le sujet qui nous intéresse puisqu'elle interdisait à quiconque «de s'obli gerpour une créance de plus de vingt mille sesterces pour le même débiteur, envers le même créancier, la même année» (Cai. Ill, 124). J. Triantaphyllopoulos («La Législation romaine sur le cautionnement», RHD 39, 1961, 501-509; «Lex Appuleia de sponsu», Aegyptus 49, 1969, 129-137 et Lex Cicereia, Athènes 1959, 2 vols) s'est appliqué à démont rer que les trois lois les plus importantes pour notre propos devaient être datées assez haut (à partir de la fin du IIIe siècle). Mais ni les arguments juridiques qu'il avance (les rapports entre la loi Vallia et la loi Furia dans le domaine de la manus iniectio), ni les considérations historiques qu'il développe (en affirmant que «la loi Furia appartient à une époque où la teneur des lois est encore sobre» et que «l'époque où la loi Furia fut émise est précisément (sic) l'époque où les capitaux romains, rivalisant avec les capitaux hellénistiques et orientaux, s'écoulent dans toute la Méditerranée»), ni enfin les raisons d'ordre prosopographique qu'il hasarde (« C. Cicereius, préteur de la Sardaigne de l'an 173 av. J.-C. et la gens Cicereia», Mél. Piganiol, Paris, 1966, 859-874) sur le rogator de la loi Cicereia (qu'il date du milieu du IIe siècle - ? - mettant un intervalle d'au moins ci nquante ans entre la lex Furia et son « complément naturel », la lex Cicereia) ne nous parais sent de nature à emporter l'adhésion. Il vaut donc mieux en revenir aux hypothèses de Ch. Appleton qui faisait observer que le «jugement préjudiciel» de la loi Cicereia impliquait l'existence de la procédure formulaire et rendait donc toute datation antérieure au Ier siècle bien improbable («Les Lois romaines sur le cautionnement», ZSS 26, 1905, 1-48 et malgré J. Triantaphyllopoul os, « Praeiudicium legis Cicereiae», Labeo 10, 1964 - = Mnemeion Solazzi - 24-37 & 171219); il donnait, par ailleurs, à l'abondance de la législation sur le cautionnement une signification politique : les trois lois semblent bien avoir pour but de dégager progressive ment les cautions du pouvoir sans doute jugé excessif du riche prêteur, hypothèse d'au tant plus vraisemblable qu'il s'agit de lois plébéiennes qu'il faut évidemment mettre en rapport avec le problème des dettes qui s'est posé avec une acuité particulière au dernier siècle de la République (« Etude sur les sponsores, fidepromissores et fideiussores. Episode des luttes entre la plèbe et le patriciat au VIIe siècle de Rome», Rev. legist, anc. mod. 1876, 541-581); il suggérait comme rogator de la lex Appuleia, L. Appuleius Saturninus, le tr. pi. 100, en montrant ce qu'il y a de popularis dans le fait de favoriser les débiteurs accessoires désormais moins soumis au bon vouloir du prêteur qui les tenait auparavant par la menace de faire supporter à celles des cautions qu'il lui plairait de choisir la tota lité du poids de la dette. Quant au Furius rogator de la loi sur la division, il pourrait bien être le jurisconsulte spécialiste du droit des praedia auquel Q. Scaeuola n'hésitait pas à renvoyer ceux qui le consultaient (Cic, Balb. 45; Val. Max. VIII, 12, 1 - que Münzer, RE 21, identifiait au N. Furius du de Oratore (III, 87), identification refusée par Nicolet, n° 161).
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même, entraîné une évolution assez rapide en amenant les contempor ains à réfléchir sur les conséquences extrêmes de pareilles mesures : Cicéron, à chaque fois qu'il évoque ces questions, reconnaît que faire supporter la peine de leur père à des innocents a quelque chose de cruel. Il le concédait dans le discours contre la rogano de 63; il en renouvelle l'expression dans ses lettres à Brutus. Et nous pouvons pen ser qu'il ne s'agit pas seulement de concessions oratoires (pour att énuer Yasperitas de sa position) ou circonstancielles (les enfants de Lèpi de étaient les neveux de Brutus) : la proscription de Sylla, parce qu'elle avait frappé un grand nombre de familles dont au moins quelques unes étaient honorables, avait probablement rendu plus sensible aux Ro mains ce problème de la déchéance des enfants. Pour la première fois on avait devant les yeux le spectacle de tant de jeunes gens « morts-nés civilement» et ce spectacle avait sans doute amené certains contempor ains à s'insurger contre des coutumes qui, maintenant, leur apparaiss aient absurdes. En ce sens, on ne peut que souscrire à l'affirmation d'E. Badian, pour qui «la guerre sociale et la guerre civile ont eu un effet profond sur le climat moral aussi bien que sur les structures sociales et politiques de Rome»290.
290 «They had profound effect on both the moral climate and the social structure of the Roman Republic». (Roman Imperialism in the Late Republic, New- York, 1968, 67).
RÉSURGENCE
CHAPITRE V
LA PROCÉDURE DE LA SECONDE PROSCRIPTION
A s'en tenir au seul aspect extérieur de la seconde proscription, on ne peut que constater une ressemblance de procédure avec celle que Sylla avait mise en œuvre quelque quarante années plus tôt. Les sour cesqui nous renseignent sur les événements de 43 insistent d'ailleurs sur l'identité de ces deux proscriptions : Dion Cassius, comme Velleius Paterculus ou Florus, parle d'un retour des exécutions «à la manière de Sylla»1; Appien, de son côté, insiste sur le fait qu'il s'agissait d'une méthode originale qu'on ne pouvait confondre avec aucune autre parce qu'elle donnait lieu à des atrocités «dont on ne se rappelait pas d'avoir jamais vu d'exemple, ni chez les Grecs, ni chez les Romains, au milieu des horreurs de la guerre, au milieu des fureurs des séditions, excepté sous Sylla qui fut l'inventeur de cette manière de vouer ses ennemis à la mort»2.
L'edictum De fait, cette seconde proscription prend la même forme que la première : celle d'un edictum. Même si, dans le détail, ce recours à Yedictum présente quelques difficultés sur lesquelles nous aurons l'o ccasion de revenir, il est trop bien attesté et trop bien en accord avec la situation des triumvirs pour qu'on puisse le mettre en doute3. Il se
1 Dio 47, 3 1 : ... αϊ τε σφαγαί έκεΐναι αϊς ποτέ ό Σύλλας έκ τών προγραφών έκέχρητο έπανήχθησαν. . . Velleius (Π, 66, 1) parie de instauratimi Sultani exempli malum et Florus, plus simplement affirme : ... redit Sultana proscriptio. . . (II, 16, 3). 2 ßC IV, 1 : ... οία ούτε επί 'Ελλήνων εν στάσεσιν ή πολέμοις ούτ' επί 'Ρωμαίων αυτών έμνημονεύετο γενέσθαι, πλην επί μόνου Σύλλα του πρώτου τους εχθρούς ές θάνατον προγράψαντος. 3 Sénèque (Clement. I, 9, 3) emploie l'expression proscriptionis edictum. Sur les pou-
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RÉSURGENCE
trouve, par ailleurs, que nous disposons d'une transcription en langue grecque des attendus qui, dans cet édit, précédaient la liste des person nagesà éliminer : il s'agit de celle qu'Appien donne dans les chapitres 8 à 1 1 du livre IV de ses Guerres civiles et dont la critique moderne s'a ccorde à reconnaître l'authenticité4. Pour l'essentiel, on observera qu'il est parfaitement naturel que les triumvirs rei publicae constituendae5 aient eu recours à Yedictum pour signifier leur volonté et on fera remarquer en outre qu'il n'est pas impossible qu'ils aient tenu la contio préalable à l'affichage de l'édit6.
voirs des Triumvirs uid. Millar, «Triumvirate» 59-61. Sur cet edictum collectif uid. Von Bolla, «Proscriptio» 27. 4 Les arguments les plus forts contre l'authenticité de cette transcription ont été avancés par E. Schwartz (RE s.n. Appianus, notamment col. 233) et celui qui a tenu le plus longtemps est le fait qu'Appien transcrit le nom d'Octave sous la forme apparem ment aberrante Όκτάουιος Καίσαρ (IV, 8, 31). E. Gabba (Appiano 225 η. 1) suivi récem ment par Bengtson («Proskriptionen» 10-13) et par Canfora («Proscrizioni» 431-432) a montré qu'en fait on trouvait cette forme du nom à deux reprises (sur la patere d'argent d'Annecy et sur un camée conservé au musée de l'Ermitage à Leningrad) et que, par conséquent, l'argument de Schwartz ne tenait plus. On ne peut évidemment «prouver» l'authenticité de cet edictum, mais on peut faire valoir qu'un certain nombre d'indices en font un document intéressant, à commencer par le λέγουσι dont Millar («Triumvirate» 59) rappelle à juste titre qu'il s'agit d'une terminologie conventionnelle (ainsi que le άγαθη τύχη = quod felix faustumque sit, du chapitre 11). On pourrait faire observer, en outre, que l'ordre des noms (Lèpide, Antoine, Octave César) reproduit l'ordre officiel tel qu'il figure sur les Fastes (CIL I* p. 28, 64). Pour ce qui est de son contenu, nous examinerons plus loin les prescriptions essent ielles, mais observons, après Bengtson et Canfora, que Yedictum transcrit par Appien ne comporte aucun anachronisme qui pourrait faire douter de son authenticité mais qu'au contraire plusieurs dispositions sont confirmées par ailleurs notamment par Dion. Enfin il n'est pas sans intérêt de remarquer qu'Appien, avant de «traduire» l'édit, donne une description de la proscription qui constitue un résumé, assez précis et redondant des dis positions prises (IV, 7) et que cette coincidence exacte entre le récit et le document, milite en faveur de l'authenticité de ce dernier. Au pire, on dispose là d'un faux d'une excellente qualité dont on ne voit pas très bien pour quelle raison il aurait été fabriqué. 5 Appien (IV, 7) place la proscription proprement dite juste après le passage de la lex Titia de Triumuiris rei publicae constituendae : ... αύτίκα έκυροΰτο ό νόμος. Και νυκτός άλλων, έπί τοΐς έπτακαίδεκα, τριάκοντα και εκατόν ανδρών προγραφαί κατά πολλά της πόλεως προυτίθεντο . . . Pour les références à la lex Titia, Rotondi 434-435; sur les dix-sept proscrits «anté rieurs» à la proscription, uid. infra. 6 Sur cette contio uid. notamment l'art, edictum du Diz. Epigr. et Mommsen, Dr. Pub. I, 232.
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Dion présente, en effet, comme une déclaration au peuple un des argu ments qu'Appien reproduit dans Yedictum : «Ils allèrent même jusqu'à dire un jour ouvertement au peuple qu'ils n'imitaient ni la cruauté de Marius et de Sylla, afin de ne pas être haïs, ni la clémence de César, afin de ne pas être méprisés et, par suite, en butte à des complots7. On peut donc penser qu'après avoir été nommés triumvirs, Lèpide, Antoine et Octave réunirent le peuple pour lui annoncer leur intention d'élimi ner un certain nombre de leurs ennemis. Sylla n'avait pas agi autre ment8. A la suite de cette conno, l'édit fit l'objet d'un affichage régle mentaire : les fameuses tabulae (πίνακες, disent les Grecs) furent appos éesun peu partout dans Rome9. Ce qui fait difficulté, évidemment, c'est le fait que les exécutions sinon la proscription - avaient commencé avant même l'entrée à Rome de ceux qui devaient en donner l'ordre. On sait, en effet, par Appien qu'après avoir scellé leur réconciliation Lèpide, Antoine et Octave diffé rèrent la proscription proprement dite mais décidèrent d'envoyer des percussores chargés d'exécuter dix-sept - ou douze - de leurs plus importants adversaires, au nombre desquels Cicéron lui-même10. L'his torien grec ajoute d'ailleurs que le consul Pedius, pour mettre un terme à la panique qui gagnait Rome toute entière fit afficher, le matin venu, la liste des dix-sept personnages visés, comme s'ils étaient les seuls re sponsables des troubles civils et, par conséquent, les seules victimes; cet affichage se fit contre la volonté des triumvirs11. Il n'est pas question, pour le moment d'entreprendre un examen détaillé des noms qui devaient se trouver sur cette liste. Il faut constat er simplement son existence confirmée d'une part dans le récit d'Appien qui donne les quatre premiers noms de la proscription propre mentdite (L. Aemilius Lepidus Paullus, L. Iulius Caesar, L. Plotius
7 Dio 47, 13, 4 : Kai προς γε τον δήμον φανερώς ποτέ ειπον οτι ούτε τήν του Μαρίου του τε Σύλλου ωμότητα, ώστε και μισθήναι, ούΥ αύ τήν του Καίσαρος έπιείκειαν, ώστε και καταφρονηθήναι και απ' αύτοΰ και έπιβουλευθήναι, έζηλώκασι. 8 Supra chap. 3, 107-109. 9 App., BC IV, 7, cité supra n. 5. 10 App., BC IV, 6 : Tò μεν δη πλήθος αυτών από τής συνόδου διελθόντες ες 'Ρώμην προγράφειν εμελλον, δυώδεκα δε άνδρας, ή, ώς έτεροι λέγουσιν, έπτακαίδεκα, τους μάλιστα δυνατούς, εν οις ην και Κικέρων, έδοξε προανελεΐν έπιπέμψαντας άφνω. 11 Ibid. :"Αμα δέ εφ παρά γνώμην των τριών ανδρών προύγραφεν ό Πέδιος τους έπτα καίδεκα ώς μόνους τε αιτίους δόξαντας είναι τών εμφυλίων κακών και μόνους κατεγνωσμένους. . .
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Plancus et L. Quictius12 et, d'autre part, dans le texte même de l'édit où les Triumvirs affirment qu'ils ont déjà puni certain de leurs adversair es13. Ce passage de Yedictum constitue une sorte de légalisation «a posteriori» de l'épuration qui avait commencé. D'une certaine façon, on comprend le désir qu'avaient les Triumvirs de ne pas afficher cette liste des dix-sept personnages à éliminer par priorité : non seulement il fallait pouvoir les prendre par surprise et ne pas leur donner l'occasion de s'échapper, mais en outre la liste de leurs noms aurait dû faire part ie de Yedictum de proscription. Il est d'ailleurs possible que ces noms aient été repris dans la liste générale de l'édit, ce qui expliquerait que Dion ne parle pas de cette épuration préalable : leur présence au milieu des autres proscrits aurait pu contribuer à faire perdre le souvenir de la procédure particulière mise en œuvre pour éliminer les dix-sept personnages les plus redoutab les. En tout cas il est exclu que leur proscription ou leur exécution ait été «légalisée» par un edictum propre au consul Pedius, responsable de l'affichage intempestif de la liste, parce que la tradition n'aurait pas manqué de le compter au nombre des proscripteurs.
La condamnation Pour ce qui est de la proscription proprement dite, Yedictum des Triumvirs devait rappeler celui que Sylla avait fait afficher. Comme en 82 se trouvait «définie» une aqua et igni interdictio par la privation de tout statut, cette privation s'opérant par un double interdit : négatif (i nterdiction d'accueillir ou de cacher un proscrit) et positif (menaces de
12 Ibid. 12. A ce propos on ne peut pas suivre Von Bolla (« Proscriptio » 27) qui inter prète l'expression d'Appien των έν έτέρω πίνακι προκειμένων comme la preuve qu'il y avait bien une seconde liste, sans voir qu'il faut compléter le texte par ές το μέλλον υπάτων ce qui modifie évidemment le sens puisqu'il ne s'agit plus des proscrits mais des consules designati dont le nom était inscrit sur une tabula voisine. Pour l'existence de la seconde liste uid. ibid. 7, où Appien affirme que la proscription visait cent trente person nes « outre les dix-sept » (έπί τοΐς έπτακαίδεκα). 13 Ibid. 9 : 'Ημείς δε αυτών τους μεν ήδη τετιμωρήμεθα. . . Il est peu vraisemblable que cette expression, qui implique un châtiment bien réel dont ils annoncent la généralisation aux autres «coupables», soit une allusion des Triumvirs à la lex Pedia particulièrement inefficace contre des adversaires dont les armées tenaient tout l'Orient.
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mort en cas d'acte enfreignant le premier interdit)14; et comme en 82 cet interdit était assorti de promesses de récompenses pour les percussores et pour les indices. C'est cet ensemble de mesures, instituant ce que nous avons appelé une condamnation à mort obligatoire, valable en tous lieux et en tous temps15, qui constitue l'originalité de la proscription. Appien ne s'y est d'ailleurs pas trompé: «Marius recherchait ses ennemis et punissait ceux qu'il pouvait trouver; Sylla, lui en l'assortissant de récompenses aussi fortes que les châtiments qui punissaient les complices, afficha l'ordre fait à chacun de les tuer»16. Mais on ne peut pas manquer d'être frappé, dans le même temps, par un certain nombre de différences avec la procédure syllanienne, différences dont certaines peuvent n'être pas sans signification. Pour ce qui est du double interdit frappant les proscrits, les différences nota bles tiennent d'abord au vocabulaire employé sans qu'on puisse déter miner les raisons de cette variation. Sylla interdisait d'accueillir (δεχέσθαι), de cacher (κρύπτειν) un proscrit, d'assurer son salut (διασώζειν) sous peine de mort; les Triumvirs, eux aussi, interdisent «d'accueillir et de cacher» un proscrit, mais ajoutent de «favoriser sa fuite» (έκπέμπειν) et de se laisser corrompre (πειθέσθαι χρήμασι); et d'autre part leurs menaces sont dirigées contre ceux qui seraient convaincus d'avoir sauvé (σώζειν), secouru (έπικουρειν) un proscrit, de s'être montrés ses
14 Sur Yedictum de 82 et son rapport avec l'a & i i, uid. chap. I, p. 35-37. Encore une fois, il n'est pas question de faire entrer dans une catégorie juridique précise (les a & i interdicti) les victimes d'une peine atypique, d'autant que, du moins dans sa signification originelle, Va & ii n'est pas un acte de droit pénal mais un acte de droit administratif (Mommsen, Dr. Pén. I, 82). Toutefois il est clair que la proscription ne saurait se définir comme une simple condamnation à mort (supplicium) dont on sait par ailleurs qu'elle vise rarement à l'exécution réelle; au contraire la proscription, en ce qu'elle interdit à quiconque d'accueillir, de cacher, d'aider ses victimes, se présente com meune véritable « interdiction du toit, de l'eau et du feu » (Mommsen, Dr. Pén. III, 309) qui a pour fin d'« exterminer» les individus visés. 15 Vid. supra 35-36 & 78. Et à l'expression de Salluste se rapportant sans doute aux proscrits de Sylla : orbe terrarum extorres, répond celle de Florus qui déplore « la mort affreuse, horrible, pitoyable pour tous ceux qui fuyaient par tout l'univers» (II, 16, 4: Exitus foedi, truces, miserabiles tot terrarum orbe fugientium). 16 App., BC IV, 1 : Μάριος μεν γαρ έζήτει και έκόλαζεν ους εΰροι, Σύλλας δέ ύπό μισθοΐς τε μεγάλοις και κολάσεσι των έπικρυψάντων όμοίαις τον έντυχόντα κτείνειν προέγραφεν. Sur ce texte, uid. supra chap. I, 36-37.
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RÉSURGENCE
complices (συνειδέναι) 17. Il est difficile, en l'occurrence de chercher une signification à quelques variantes de vocabulaire compte tenu du fait qu'il s'agit de transcriptions en grec d'une réalité romaine, et, d'au trepart, de ce que nous sommes renseignés avec beaucoup plus de pré cision sur la seconde proscription. Beaucoup plus importantes, en revanche, sont les différences qu'on note dans les dispositions concernant ceux qui auraient commis un acte révélant leur complicité avec les proscrits. S'il est vrai que Sylla avait frappé d'une peine «simple» ceux qui avaient aidé un proscrit18, les Triumvirs, eux, édictèrent très clairement que celui qui aurait trans gressé les interdits «serait placé au nombre des proscrits»19. Et plu sieurs indices nous donnent à supposer qu'effectivement ceux qui avaient aidé ou caché un proscrit furent proscrits à leur tour. Dion affirme nettement qu'Antoine «faisait périr sans pitié non seulement ceux qui figuraient sur la liste, mais encore ceux qui avaient essayé de secourir quelqu'un d'entre eux»20, et quelques proscriptions spectacu-
17 App., BC IV, 11. Dion, de son côté, confirme l'emploi de έπικουρεΐν (47, 8, 2) et Appien reprend partiellement ces termes lorsqu'il explique, à propos des esclaves, que ceux qui étaient bien disposés à l'égard de leur maître «craignaient de lui porter assistan ce, de le cacher, d'être ses complices, de peur d'encourir un châtiment identique au sien» (βοηθεΐν, κρύπτειν, συνειδέναι - IV, 14). Enfin, il introduit un terme nouveau dans le cha pitre qui précède immédiatement la transcription de Yedictum en notant qu'ordre était donné « à chacun d'ouvrir sa maison pour perquisition » (παρέχειν δέ ες ερευναν πάντας τα ίδια) et que ceux qui avaient accueilli ou caché un proscrit et qui n'avaient pas facilité la perquisition (την ερευναν ού παρέχειν) étaient soumis à des peines identiques (IV, 7). Au total on constate que les variations par rapport au texte de Yedictum sont de peu d'impor tance : elles consistent ou bien en l'emploi d'un verbe préfixé à la place du verbe simple (ύποδεχέσθαι, διασώζειν comme Dion συνκρύπτειν - 47, 7, 5), ou bien dans la substitution d'un terme de signification voisine (βοηθεΐν pour έπικουρεΐν) ou bien, enfin, dans l'emploi d'une tournure explicative justifiée par le contexte (την ερευναν ού παρέχειν qui remplace et explique κρύπτειν). En tout état de cause ces variations sont trop peu importantes pour qu'on puisse mettre en doute avec elles l'authenticité du texte de Yedictum tel qu'il nous est transmis par Appien. 18 Cette peine était la précipitation {supra ch. 1, n. 85). 19 App., BC IV, 1 1 : ... τούτον ήμεϊς, ούδεμίαν ύπολογισάμενοι πρόφασιν ή συγγνώμην, έν τοΐς προγεγραμμένοις τιθέμετα. Il est d'ailleurs à remarquer que font partie de cette catégorie non seulement ceux qui aideraient un proscrit à se sauver ou à se cacher, mais aussi ceux qui « seraient comp lices de l'une ou l'autre de ces deux actions» {ibid). 20 Dio 47, 8, 1 : ... ανηλεώς ούχ οτι τους έκτεθέντας, άλλα και τους έπικουρήσαί τινι αυτών έπιχειρήσαντας εκτείνε.
LA PROCÉDURE DE LA SECONDE PROSCRIPTION
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laires de complices avaient dû décourager toute velléité d'assistance aux proscrits. C'est du moins ce que laisse entendre Appien21. Pour ce qui concerne ceux dont nous avons conservé le souvenir, il apparaît clairement que M. Oppius le fils, qui assura le salut de son père et qui partagea son exil, avait dû être proscrit pour fait de complicité22. Ce qui est important, en l'occurrence, c'est que la proscription des compli ces implique que les listes étaient restées ouvertes, ce qu'effectivement d'autres faits viennent confirmer. Nous examinerons, dans le chapitre suivant, la portée de cette innovation des Triumvirs.
Le praemium Pour ce qui est des récompenses attribuées aux meurtriers et aux indicateurs, les dispositions de 43 devaient reprendre, pour l'essentiel, celles de 82. Rappelons à ce propos que le principe même de la récom pense n'est pas une nouveauté mais qu'il a déjà été pratiqué avant la proscription23. Et comme on pouvait s'y attendre, la récompense n'est
21 App., BC IV, 14 : cf. supra n. 17. L'exemple du jeune Atilius, abandonné par tous ses amis et même par sa mère qui n'osa pas le recueillir (App., BC IV, 30), montre qu'effect ivement la terreur empêcha bien des résistances. 22 Vid. infra Prosopo. II, s.n. On a quelques autres exemples de punition pour complic ité - punition qui ne peut pas consister en une proscription puisqu'il s'agit d'esclaves ou d'affranchis. Ce sont des exemples négatifs, en quelque sorte, puisqu'il s'agit de cas où précisément on obtient qu'ils ne subissent pas le châtiment pour avoir sauvé leur maître : c'est le cas d'un esclave dans une anecdote où le protagoniste est anonyme (App., BC IV, 29); c'est celui aussi de l'affranchi de T. Vinius dont Auguste fit un chevalier (Suet., Diu. Aug. 27, 4; Dio 47, 7, 5). Par ailleurs quelques femmes ont réclamé pour elles-mêmes un châtiment qu'on ne pouvait sans doute pas leur appliquer dans toute sa rigueur. Ainsi la femme de Ligarius qui suivait les assassins de son mari en criant : Έγώ τούτον ύπεδεξάμην, τα δ' όμοια τοις ύποδεξαμένοις εστίν έπιτίμια (App., BC IV, 23); et de même Julie, mère d'Antoine, venue braver son fils sur le forum pour obtenir la restitutio de L. César : Suet., Diu. lui. 29, 2; Plut., Pomp. 58, 1-2; Caes. 29, 3; App., BC IV, 26. 11 L. Hayne, «L. Paullus and his Attitude to Pompey», Ant. Class. 41, 1972, 148-155. R. D. Weigel («The Career of L. Paullus (cos. 50)», Latomus 38, 1979, 637-646) a cru pou voir nier le désir de vengeance en affirmant que Paullus était plutôt mu par un idéal aristocratique (p. 637). Mais c'est ignorer que cet idéal reposait sur la notion de groupe gentilice et imposait à ceux qui s'en faisaient les adhérents des devoirs absolus de solida rité et de vengeance. Sur ce sujet uid. notre «Paternus Inimicus». 12 Cic, Att. II, 24 = 44 SB. Même s'il avait un «alibi» puisqu'il se trouvait alors en Macédoine, sa présence aux côtés de Brutus dans un complot contre Pompée devait avoir au moins les apparences de la vraisemblance. 13 App., BC IV, 37.
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"Ad Brut. 11,2 = 2 SB. 15 MRR s.a. Pour ce qui concerne les liens avec Cicéron, uid. Crawford n°415, qui commente la tête de Concordia sur son denier de 62 comme le reflet de la concordia ordinum qui était au centre de la politique cicéronnienne. "ßCIV, 12. 17 Liu., Per 120 : In qua proscriptione plurimi équités Romani, CXXX senatorum nomi na fuerunt, et inter eos L. Pauli, fratris M. Lepidi. . . 18 App., BC IV, 37; cf. Dio 47, 6, 3. 19 App., BC IV, 37.
6. (M AEMILIVS SCAVRVS) Sénateur
Aux côtés de Sex. Pompée.
Rome
Restitutus par Misène
On peut considérer avec une certaine vraisemblance que cet homme qui, par sa mère Mucia, était le demi-frère de Sex. Pompée, figurait en bonne place sur la liste de proscription. Mais si on est assez bien renseigné sur son grand-père et sur son père * on ne sait malheureusement pas grand chose de lui sinon qu'il avait vraisembla blement bénéficié de la restitutio consécutive aux accords de Misène et qu'il empêcha, par sa trahison, Sex. Pompée d'échapper à ses poursuivants2. Luimême se rallia à Antoine avec lequel il se trouvait à Actium : Octavien avait résolu sa mort après la victoire mais Mucia obtint son pardon3. * RE 142 (Klebs); non in Klôverkorn; PIR2 405. 1 Vid. notamment Fischer n°43 et P. Grimal, intro. au pro Scauro, 145-146. 2 App., jBCV, 142,593. 3 Dio 51, 2, 5. Son fils est Mam. Aemilius Scaurus, le consul de 21 p. C. (RE 139; PIR2 A 404).
7. [C. ANTISTIVS] REGINVS* Praetorius?
Proscrit (App., BC IV, 40, 168).
Rhegium? Gabies?
Rejoignit Sex. Pompée Restitutus par ne. Fils triumuir monetalis.
Appien raconte les aventures d'un certain 'Ρηγΐνος qui fut d'abord caché dans un conduit d'égoût puis déguisé en charbonnier par sa femme pour facili ter sa fuite. Il fut reconnu aux portes de Rome par un de ses anciens soldats
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
qui avait servi sous lui en Syrie et qui le laissa passer en le saluant du titre d' imperator1. Ce cognomen Reginus n'est porté, à l'époque républicaine, que par des Antistii, un Minucius et un Pompeius2, et on s'accorde en général à reconnaître en ce personnage C. Antistius Reginus le légat de César en Gaule entre 53 et 50 3, mais on ignore ce qui put bien lui valoir d'être inscrit sur la liste. Appien ne dit pas auprès de qui il trouva refuge et on notera simplement qu'il est vra isemblablement l'Antistius qui, en 35, passa de Sex. Pompée à Antoine4 avec lequel il devait être lié5, ce qui implique qu'il avait rejoint la Sicile et qu'il avait été restitutus à la faveur des accords de Misène. C. Antistius Reginus, le triumuir monetalis attesté sous Auguste est proba blement son fils6. *Non in RE (cf. n°39); Klövekorn n°51; Willems, Sénat I, 529 n°346; Ribbeck n° 192 qui fait de lui un praetorius. Son cognomen pourrait bien être un ethnique (cf. Nicolet n° 239). Sur l'origine possible à Gabies, PIR2 A 763. 1 App. I.e. : . 2Kajanto, Cognomina 316. Le Minicius est C. Minucius Reginus (RE 47) préfet de Zeta en 46 et le Pompeius est un personnage, inconnu par ailleurs, dont Maxime raconte que son père ne le désigna pas parmi ses héritiers (VII, 8, 4). 3 Caes, BC VI, 1, 1; VI, 83, 3; 90, 6. RE 39; cf MRR s.aa. Willems, suivi par Bruhns {Oberschicht 56-57) considère que cette fonction implique au moins un rang questorien. Nicolet le compte au nombre des ER (n° 239). 4 App., BC V, 139; 579 (Άντίστιος) ; RE 3. Gabba, comment, ad loc. suivant Willems, ne doute pas de cette identification. 5 Cic, Ait. X, 12, 1 = 203 SB. 6 PIR2 A 763.
8. (C. ANTISTIVS VETVS)* Sénateur
Rallié aux tyrannicides.
Gabies
Restitutus (cos. 30). Fils cos. 6.
Il est possible, mais non certain, qu'un second Antistius ait figuré au nom bredes proscrits : il s'agit de C. Antistius Vêtus dont la carrière témoigne assez peu de constance dans les amitiés politiques pour qu'on puisse parfois se demander s'il s'agit bien toujours du même personnage1. César était lié à cette famille des Antistii Veteres puisqu'avant d'emmener notre personnage avec lui comme questeur en Espagne, il avait lui-même servi comme questeur sous son père2. Cela n'empêche pas que son attitude au début de l'année 43, à un moment où il revenait de Syrie3, avait de quoi laisser conce-
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voir des espoirs aux républicains : Plutarque affirme qu'il remit à Brutus les fonds publics qu'il transportait4 ce que l'intéressé confirme dans une lettre à Cicéron5. Brutus écrit d'ailleurs cette lettre pour demander à son ami de conforter Antistius dans cette attitude en le soutenant dans ses prétentions à être préteur. Et il semble que cette politique de «récupération» ait porté ses fruits puisqu'Antistius dont Brutus avait écrit «qu'il se serait certainement montré à l'égard de César comme à l'égard d'Antoine, un défenseur acharné de la liberté si l'occasion lui en avait été donnée»6, vint le rejoindre dans le cou rant de l'année7. Cette attitude républicaine avait pu lui valoir d'être inscrit sur la liste de proscription; mais en tout état de cause il dut obtenir son pardon en se ralliant à Octave après la défaite des tyrannicides puisqu'on le retrouve en 33 contre les Pannoniens8 et qu'il dut gérer, le consulat en 30. Pline rappelle que c'est lui qui racheta la propriété que Cicéron possédait à Cumes9. * RE 47 (Klebs) ; non in Klövekorn, 1 II semble d'ailleurs que les Antistii Veteres aient fait de l'inconstance une règle poli tique. A ce sujet uid. E. Badian, «Two Roman Non-Entities», Class. Quat. 63, 1979, 200204 et Glauning, Anhängerschaft 10-11. 2 Plut., Caes. 5, 6. Pour sa carrière antérieure, uid. MRR et Shackleton-Bailey, « Nobil ity» 257, η. 4, puis comment, à Cic, AU. XIV, 9, 3 = 363. 3 Où il avait été envoyé comme quaestor propraetore en 45. Sur cette question uid. MRR s.a. 4 Cinq cent mille drachmes (Brut. 25, 1). * Ad Brut. 1, 11, 1 = 19 SB. 6 Ibid. : Veteris Antistii talis animus est in rem publicam ut non dubitem quin et in Caesare et in Antonio se praestaturus fuerit acerrimum propugnatorem communis libertatis, si occasioni potuisset occurrere Ί Ad Brut. I, 12, 1 = 20 SB. 8 App., Illyr. 17; PIR2 A 770; Szramkiewicz, Gouverneurs II, 88, fait de lui un gouver neur des Gaules ; uid. la discussion ibid. 373-374. Son fils a été consul en 6 a. C. et procons ul d'Asie en 2/3 ou 3/4 p. C. (PIR2 A 771 ; Szramkiewicz, Gouverneurs 178 et II, 374). 9 HN 31,6; Shatzman, Senatorial Wealth 295 n°88. 9. ANTIVS* Sénateur?
Proscrit (App., BC IV, 40, 167)
Minturnes?
Se réfugie en Sicile.
Cet Antius est encore un de ces personnages dont l'identification est imposs ibleparce que leur existence et leur proscription ne sont attestées que par Appien qui les désigne simplement par leur gentilice, leur cognomen voire leur praenomen.
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«
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Celui-ci fait partie, avec Antistius Reginus entre autres, des proscrits qui ont dû leur salut à leur épouse. Antius fut caché par les soins de la sienne dans un sac de linge (στρωματοδέσμω) 1 qui fut transporté jusqu'au bord de la mer. Antius parvint alors à s'embarquer pour la Sicile. Ribbeck voyait en lui l'Antius évoqué par Cicéron dans une lettre à Atticus d'octobre 54 et qui était un Catonien convaincu2. Mais le fait qu'il s'agisse du seul rapprochement possible - compte tenu du petit nombre d'Antii républi cainsdont le souvenir nous a été conservé - ne signifie pas qu'il soit entièr ementconvaincant. * RE 2 (Klebs); Klövekorn n° 83; Ribbek n° 183. Sur l'origine de cette famille CIL I2, 2688, 9; 2688, 12; 2679, 3; 2689, 9. Crawford n°455 pense que la tête des Dii Penates sur une monnaie de 47 de C Antius Restio fait penser à Lavinium. 1 App. 1. c. On observera qu'un στρωματόδεσμος avait servi à Cléopâtre pour s'intro duireauprès de César (Plut., Caes. 59). 2 Au. IV, 17, 4 = 91 SB. Il est vrai que Shackleton-Bailey corrige ANTIVS en ATEIVS en arguant du fait que les Antii de cette époque sont des fantômes. Il considère qu'il s'agit donc de C. Ateius Capito, le tribun de la plèbe de 55 (RE 7), allié de Caton contre les dynastes (Dio 39, 35, 4; cf. 39, 32, 3) et chaud partisan de Cicéron (Fam. XIII, 29, 2 = 282 SB). De son côté R. Syme («Ten Tribunes», JRS 1963, 59 n. 42) suggère qu'il pourrait bien s'agir d'un Antistius. Mais si on s'efforce ainsi de faire disparaître les seuls Antii attestés à l'époque républicaine, on contribue à les transformer en fantômes ! Il en existe pourtant un autre dont l'existence ne peut être mise en doute : C. Antius Restio, lui aussi proscrit (uid. infra s.n.).
10. [C] ANTIVS RESTIO* Tribunicius
Proscrit (Val. Max. VI, 8, 7).
Minturnes
Se réfugia en Sicile (App., BC IV, 43, 181).
Macrobe, Valère-Maxime et son abréviateur racontent une anecdote concernant un certain Antius Restio sauvé par l'esclave qu'il avait sévèrement châtié peu auparavant1; Appien présente à peu près la même histoire mais ne donne du personnage que son cognomen2 tandis que Dion Cassius et Martial évoquent eux aussi cet exemple célèbre de fidélité d'un esclave, mais sans ind iquer le nom du maître (que Dion prétend même ignorer)3. Le seul élément que l'anecdote nous fournisse pour l'identification du proscrit est le fait que l'esclave tue, pour le substituer à son maître, un viei llard4: on peut en déduire qu'Antius Restio n'était plus de la toute première jeunesse en 43. Il est possible, dans ces conditions, qu'il s'agisse de C. Antius Restio qui avait été tribun de la plèbe en 68 et qui était l'auteur d'une loi somptuaire5. On
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peut penser aussi qu'il est le sénateur évoqué par une lettre d'Atticus d'octobre 54 6. Dans ce cas, le monetalis de 47 C. Antius C. f. Restio serait son fils7. Cette hypothèse a évidemment l'avantage de rendre cohérente la proscrip tion puisque le sénateur de 54 était un catonien convaincu. Quoi qu'il en soit, Antius Restio se réfugia en Sicile, mais on n'a aucune indication sur une éventuelle activité auprès de Sex. Pompée ni sur une possi blerestituito après Misène. Il est possible que le C. Antius envoyé en 16 p. C. pour le recensement des Gaules soit un de ses descendants8. * RE 4 (Klebs); Klövekorn n°63; Ribbeck n° 135; Willems, Sénat I, 489 n° 168. Sur son origine uid. supra s.n. Antius. 1 Val. Max. I.e.; lui. Par. VI, 7; Macr., Sat. I, 11, 18-20. 2'Ρεστίωνι (I.e.). 3 Dio 47, 10, 4-6. De même Martial HI, 21 : Proscription famulus seruauit fronte notatus / non fuit haec domini uita, sed inuidia. 4 ... egentem . . . senem (Val. Max), senem (lui. Par) ; τίνα πρεσβύτην (App.) ; Dion par lesimplement d'un «individu qu'il rencontra par hasard». 5 Pour l'année 68, R. Syme, «Ten Tribunes», JRS 1963, 59 (contre Niccolini, Fasti s.a. 70). Sur la lex Antia, Rotondi s.a. 71. 6 Att. VII, 17, 4 = 91 SB. Identification proposée par Neudling, Catullus 5, à propos de Catul. 44, 10-15 qui évoque l'opposition de P. Sestius et d'Antius. Contra ShackletonBailey (cf. supra s.n. Antius n. 2). 7 Crawford n° 455 qui considère que ce monétaire est le proscrit, mais qui confond les deux Antii proscrits, celui d'App. BC IV, 40, 167 et celui de IV, 43, 181). 8 Tac, Ann. II, 6; PIR2 A 780; Szramkiewcz, Gouverneurs II, 375.
11. [Q.] APONIVS* Chevalier?
Proscrit (App., BC IV, 26, 1 12).
Picenum?
Exécuté.
On ne sait rien de ce personnage dont Appien nous dit qu'il commença par se cacher mais qu'il finit par aller se livrer, ne pouvant plus supporter ce mode de vie. Klövekorn l'identifie au chevalier Q. Aponius qui, en 46, avait pris avec T. Scapula, la tête de la révolte des légions d'Espagne1. C. Nicolet après Ribbeck et Carcopino, considère qu'une telle identification est impossible parce que Q. Aponius ne pouvait pas avoir obtenu son pardon après Munda : César n'avait pas pardonné à ceux qui l'avaient mis si près de sa perte2. Mais cet argument n'a rien de déterminant : il n'était sans doute pas nécessaire d'avoir obtenu son pardon de César pour être porté sur les listes de proscription. On peut penser qu'il suffisait d'avoir conservé une influence quelconque et s'il
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vivait encore Q. Aponius avait dû pouvoir rentrer à Rome après les ides de mars. Les autres Aponii d'époque républicaine sont trop peu attestés pour per mettre des rapprochements significatifs3. * RE 1 (Klebs); Klövekorn n°67; Ribbeck n°383. Pour l'origine Schulze, Eigenna men 66. 1 Dio 43, 29, 3; RE 6; Wilson, Emigration 36-37. 2 NicoLET n° 27; Carcopino, César 948. 3 Pour l'époque impériale on signalera simplement l'existence d'un L. Aponius, eques Romanus e cohorte Drusi en 14 p. C. (Tac, Ann. I, 29; cf. PIR2 A 934).
12. M. APPVLEIVS* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 46, 195-197).
Luna
Organisa une résistance en Italie. Rejoignit Brutus puis passa à Antoine. Restitutus. Cos. ord. 20.
Plusieurs identifications sont théoriquement possibles pour les deux Appulei dont Appien nous apprend qu'ils furent proscrits. Pour ce qui concerne le second (dans l'ordre du récit), il pose moins de problèmes que le premier et on peut considérer son identification comme certaine : il s'agit de M. Appuleius qui, en 44, en tant que proquesteur d'Asie, fit passer à Brutus les fonds publics qu'il détenait et les forces armées qu'il avait avec lui1. On sait qu'il était augure en 45, ce qui implique presque certainement son appartenance à la nobilitasi En tout cas son attitude après la mort de César et les liens qui l'unissaient à Brutus3 expliquent sans aucun doute sa présence sur la liste de proscription. Il offre d'ailleurs, avec L. Arruntius, un des rares exemples de résistance individuelle armée en Italie : déguisés en centurions, ils réussirent, chacun de son côté, à se constituer une petite armée, impressionnante au point qu'ils fail lirent engager le combat quand ils se rencontrèrent à nouveau, l'un et l'autre étant persuadé qu'il avait affaire à une force triumvirale venue le combattre. M. Appuleius finit par passer à Brutus qui lui confia le commandement de la Bithynie. Après la mort de Brutus, il se rallia à Antoine ce qui lui valut d'être restitutus. Il est vraisemblable que le M. Appuleius Sex. f. qui fut consul ord. en 20 avec P. Silius Nerva est le même homme, ce qui implique qu'il avait rallié Octavien assez tôt4. * RE 13 (Klebs); Klövekorn n°45. Sur l'origine des Appulei, Syme, «Senators» 111.
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1 Cic, Phil. X, 24; XIII, 32; App., BC III, 63; IV, 75. Cette identification était déjà celle de Klövekorn. Syme, «Province of Cilicia» 316-317, suggère de distinguer cet APVLEIVS (Άπουλήιος) des APPVLEI; mais il est difficile de voir là autre chose qu'une variante orthographique. 2 Cic, Att. XII, 13, 2; 14, 1; 15, 1 (= 250-252 SB). Vid. Shackleton-Bailey comment, ad loc. et «Nobility» 257 n. 6. 3 C'est sans doute à lui qu'il est fait allusion dans la lettre de ce dernier à Cicéron : ad Brut. I, 7, 2 = 15 SB. ♦Dio 54, 7, 4; RE 14 (v. Rohden) PIR2 959. L'identification était déjà proposée par Klövekorn; uid. aussi Szramkiewicz, Gouverneurs II, 376.
13. [P.] APPVLEIVS* Tribunus plebis
Proscit (Ie" liste?) (App., BC IV, 40, 166).
Luna?
Réussit à s'échapper. Rejoignit Brutus (?).
Il est question ici du premier des deux Appulei dont Appien nous raconte les aventures après qu'ils eurent été proscrits : c'est celui que son épouse mena ça de dénoncer s'il ne l'emmenait pas dans sa fuite et qui réussit à s'échapper en voyageant au grand jour avec sa familia. Klövekorn suggérait déjà de reconnaître en lui le tribun de la plèbe de 43, P. Appuleius qui, au sénat, faisait partie des anti-césariens et qui eut la charge d'annoncer au peuple la nouvelle de la défection des deux légions d'Octave alors que le préteur M'. Aquillius Crassus était envoyé dans le Picenum pour lever des troupes1. Appien dit que sur le moment Octave, soucieux d'établir une réputation de clémence, ne punit personne mais que, peu de temps après, tous les responsables furent proscrits2. Cicéron affirme par ailleurs qu'Appuleius a été, depuis son consulat, «le témoin, le confident, l'associé de tous ses desseins et de tous ses périls»3 et cela seul aurait pu lui valoir la proscription. Si c'est bien le même Appuleius qui est désigné dans la lettre de Brutus à Cicéron du mois de mai 43 4, on peut penser que, comme M. Appuleius avec lequel on ne saurait dire s'il avait un lien de parenté, il se réfugia en Orient auprès du proconsul. Mais on ne peut pas ne pas penser aussi à un lien avec L. Ap(puleius) Dec(ianus), questeur de Sex. Pompée en Espagne où il frappa monnaie en 44-43 5, ce qui rend possible un refuge en Espagne ou en Sicile. En tout état de cause il y avait, en 43, un certain nombre d'Appulei qui pouvaient être l'objet de la vindicte des Triumvirs, ce qui suggère une parenté entre eux6. * RE 4 (Klebs); Klövekorn n° 39. Sur son origine uid. Syme, «Senators» 111. 1 RE 15. Sur son attitude App., BC III, 93.
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2 Appien (BC III, 94) parle en réalité des préteurs qui avaient incité le sénat à prendre cette initiative, mais on peut penser que tous ceux qui avaient été mêlés à cette affaire ont subi le même sort. 3 Phil. XIV, 16 : ... meorum omnium consiliorum periculorumque iam inde a consulatu meo testis, conscius, adiutor. . . On peut penser à d'autres rapprochements, notamment avec le correspondant, proquesteur en Asie, auquel Cicéron recommande L. Egnatius et L. Nostius Zoilus (Fam. XIII 45 & 46 = 271 & 272 SB). Il est vrai que Shackleton-Bailey (comment, ad loc.) après Syme («Cilicia» 315-317) suggère qu'il pourrait s'agir précis ément du tribun de la plèbe de 43. AAd Brut. I, 7, 2 = 15 SB; MRR s.a. Mais il est vraisemblable que cette lettre fait allusion à M. Appuleius (uid. supra s.u.). 5 Non in RE. Cf. Grant, FITA 24-25; MRR II, 474. On fera aussi le rapprochement avec C. Appuleius Tappo (RE 31; PIR2 A 967) qui fut tribun de la plèbe à la fin de la république ou au début de l'empire et avec le sénateur L. Appuleius L. f. Serg. attesté chez Ioseph., Ant. lud. 14, 220. 6 Vid. aussi infra s.n. VARVS (n° 110).
14. M.'AQVILLIVS CRASSVS* Praetor
Proscrit (de la lère liste?) (App., BC III, 94. 386).
Latium
Exécuté.
Ce préteur de 43 avait été envoyé dans le Picenum pour y effectuer des levées lorsqu'on apprit qu'Octave, qui marchait sur Rome, avait été abandonné < par deux de ses légions et qu'on pouvait donc espérer lui résister1. Capturé alors qu'il tentait de s'enfuir déguisé en esclave, il fut amené devant Octave qui, soucieux de se constituer une réputation de clémence, le laissa repartir. Mais ce n'était que partie remise puisqu'il le fit inscrire, quel ques mois plus tard, sur la liste de proscription. Willems voyait en lui un M.'Acilius2; mais les Aquillii sont bien attestés au premier siècle et le cognomen est unique aussi bien chez les Acilii que dans cette gens. Il n'y a donc aucune raison de l'identifier à l'Acilius dont nous savons par ailleurs qu'il avait été proscrit3. Il est possible qu'il soit apparenté au M.'Aquilius M.' f. M.' n. connu par un denier de 71 et attesté comme sénateur dans le pro Cluentio4; il est aussi assez vraisemblable qu'il avait un lien avec les Aquillii Fiori qui se trouvaient aux côtés d'Antoine à Actium dont l'un (le père) fut exécuté et l'autre (le fils) se suicida5. Pour ce qui le concerne, Appien ne dit pas expressément qu'Aquillius Crassus fut exécuté, mais la façon dont il présente les choses paraît l'impliquer. Et on ajoutera même qu'il y a toute vraisemblance pour que ce préteur en exerci-
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ce ait figuré sur la première liste, celle des personnages que les Triumvirs vou laient faire disparaître à tout prix. * RE 16 (Klebs); Klövekorn n°27. Sur sa tribu (Pomptina) uid. Taylor, Voting Dis 192-193 et Syme, «Senators» 111-112. 1 App., BC III, 93, 384. 2 Sénat I, 567 n° 13. 3 Supra s.n. Sur le cognomen uid. Kajanto 244. On peut d'ailleurs expliquer ce cogno menpar l'adoption. *RE 9 qui date, avec Mommsen, son monnayage de 54 (Crawford n° 401 : a. 71). La RE ne parle pas du sénateur juré au procès d'Oppianicus (Cluent. 127). 5 Dio 51, 2, 5-6; PIR2 A 989. Sur la parenté des différents Aquillii uid. Badian, «Roman senators» 131-132. tricts
15. M. AQVINVS* Sénateur
Se joignit aux meurtriers de César (App., BC 11, 119). Servit sous Cassius.
Si l'on sait, grâce à Appien qu'un Άκουΐνος se joignit aux tyrannicides tout de suite après la mort du dictateur et qu'il subit le même châtiment qu'eux, c'est-à-dire qu'il fut sans aucun doute condamné e lege Pedia puis proscrit, on est moins bien renseigné sur l'identité exacte du personnage : on connaît, pour cette période, plusieurs individus du nom d'Aquinius ou Aquinus. Il semble pourtant raisonnable d'admettre que notre sénateur républicain est le même que le légat Pompéien qui apparaît dans la guerre d'Afrique (sous le nom d'Aquinius)1 et qui fut pardonné par César2. Selon toute vraisemblance c'est encore lui qui apparaît sur deux émissions monétaires de C. Cassius en 43-42 avec le titre de légat3. Mais on ne sait rien de plus sur ce «petit sénateur» que la guerre civile a fait disparaître. * RE 3 (Klebs) (cf. aussi 5); non in Klövekorn; uid. MRR suppt 7; Willems, Sénat I. 538 n°380; Wiseman, New Men n°36. 1 Bell. Afr. 57, 1-5. Cf. § 3 : M. Aquinium, hominem nouum paruumque senatorem. . . 2 Ibid. 89, 5; RE Aquinius 2. 3 Crawford nn° 498 & 499 avec, au droit la tête de Libertas : M. AQVINVS LEG. (RE 5), identification déjà proposée par Willems et reprise dans MRR suppt 7. En revanche on ne sait pas le rapport qu'il faut établir entre notre sénateur et le poète (RE 2) qui appar aîtchez Cicéron (Tusc. V, 63) et Catulle (14, 18). Neudling (Catullus 6) considère qu'il s'agit du même homme.
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
16. ARRIANVS* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 41).
Campanie
Sauvé par son fils et restitutus.
Appien, au chapitre des proscrits sauvés par leur fils, transcrit simplement l'épitaphe de ce personnage : Τον ένθάδε κείμενον υιός ού προγραφείς προγραφέντα εκρυψέ τε και συνέφυγε και περιέσωσε. On ne peut compter que sur ce texte pour tenter d'identifier un personnage tout à fait inconnu par ailleurs et les renseignements qu'on en tire sont limités : le père était proscrit alors que le fils ne l'était pas - et la formulation montre que la distinction était d'importance; le fils prit la fuite avec son père dont il assura le salut. Compte tenu du fait qu'on ne connaît aucun Arrianus d'époque républicai ne, Klebs suggère qu'il pourrait s'agir d'un Arrius adopté. Ce n'est pas impossib le, mais on ne peut rien affirmer. On signalera simplement que le Q. Arrius évoqué par Cicéron dans le Brutus1 et qui avait été préteur2 était particulièr ement riche3 et que s'il était mort en 46, au moment où fut rédigé le Brutus, on lui connaît au moins deux fils4 dont l'un pourrait bien être notre proscrit5. Or si on considère la carrière de ce Q. Arrius dont Cicéron finit par dire qu'il était son familiaris6 et son amicus1, on constate qu'il n'avait pas pu être consul en 58, comme il le souhaitait, parce que César ne le soutint pas8; il est possible, dans ces conditions, qu'une partie des Arrii ait été violemment anticésarienne. Quoi qu'il en soit, et toujours en admettant que l'Arrianus proscrit soit un Arrius adopté, les Arrii semblent avoir disposé d'une fortune suffisante pour expliquer une proscription. Tout porte par ailleurs à croire que notre proscrit avait bénéficié d'une restitutio, ce dont témoigne son épitaphe même. * RE 1 (Klebs); Klövekorn n° 85. Sur son origine campanienne qui se déduit de celle des Arrii uid. Badian, «Roman Senators» 132. 1 §§ 242-243. 2 MRR s.a. 64, d'après Plut., de. 15, 5. RE 8 (Klebs). Il semble qu'il n'y ait pas lieu de distinguer entre deux Q. Arrii. Le personnage dont il est question avait dû être préteur en 73, propréteur en 72 et candidat au consulat pour 58 : MRR suppt 7; Wiseman, New Men n° 37; Nicolet n° 33. Dans le même sens, B. A. Marshall & J. Baker, «The Aspirations of Q. Arrius», Historia 24, 1975, 220-231. Contra Douglas, Oratorum aetates 299 qui considè re qu'il y a bien deux personnages, le candidat malheureux au consulat, préteur en 65 ou 64, né ca. 105, et le préteur de Sicile mort en gagnant sa province où il devait succéder à Verres (Schol. Gronou. 324 St.). 3 II avait offert en l'honneur de son père (ou de son oncle : R. J. Baker & B. A. Marsh all, «Auunculus liber», Mnemosyne 30, 1977, 292-293) un banquet funèbre dont la magnificence était tout à fait exceptionnelle : Cic, Vat. 30-31 ; Horat., Sat. II, 3, 86. 4 Horat., Sat. II, 3, 243-244.
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5 Un autre fils de ce Q. Arrius est sans doute M. Arrius Secundus le monétaire de 41 (Crawford n° 513; RE 34). * Vai. 30. 7 Mil. 46. •Att. II, 5, 2 & II, 7, 3 = 25 & 27 SB.
17. (ARRIANVS)* Campanie
Complice d'un proscrit.
On peut considérer avec une certaine vraisemblance que le fils d'Arrianus, qui avait réussi à sauver son père de la proscription, fut, à son tour, porté sur les listes. C'est du moins ce que laisse entendre l'épitaphe de son père transcrite par Appien : Τον ένθάδε κείμενον υίος ού προγραφείς προγραφέντα εκρυψέ τε καί συνέφυγε και περιέσωσε1. Compte tenu d'une part du fait qu'il faut donner à συνέφυγε le sens de «partagea son exil», «fut exilé en même temps que lui»2, et d'autre part de ce que la complicité avec des proscrits semble bien avoir été effectivement punie d'une inscription sur la liste3, nous rangeons Arrianus le fils au nombre des proscrits possibles4. * Nec in RE nee in Klövekorn. »App., BC IV, 41. 2 LlDDELL-SCOTT S.U. ' Dio 47, 8, 1. 4 Pour les problèmes d'identification uid. supra s.n. Arrianus (pater).
18. ARRVNTIVS* Atina (?)
Proscrit (App., BC IV, 21). Exécuté.
On n'a aucun renseignement ni sur le statut ni sur la parenté des deux Arruntii dont Appien raconte la mort tragique avec le troisième Arruntius prosc rit: L. Arruntius. On sait simplement que le père, dont il est ici question, fut exécuté (άνηρημένον) après avoir réussi à convaincre son fils de s'échapper sans lui1. * RE 2 (Klebs); Klövekorn n° 86. 1 Cf. infra s.n. Arruntius (filius).
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
19. ARRVNTIVS* Atina (?)
Proscrit (App., BC IV, 21). Réussit à s'échapper mais périt dans un naufrage.
A la différence de son père, cet Arruntius réussit à s'échapper, avec la comp licité de sa mère, et à s'embarquer. Mais il ne parvint pas à la destination qu'il s'était fixée et qu'on ignore. On peut considérer sans doute que ces Arruntii sont apparenté à L. Arrunt ius qui, lui, put s'échapper, et qu'ils doivent leur proscription à leur commune parenté aux Pompeii; mais toute autre conjecture est impossible1. * RE 2 (Klebs); Klövekorn n° 87. 1 Cf. infra s.n. L. Arruntius.
20. L. ARRVNTIVS* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 46, 195-197).
Atina
Organisa une résistance en Italie avant de rejoindre Sex. Pompée. Restitutus à Misène (Veli. II, 77, 2-3) et cos. 22. Fils cos. 6 p. C.
Pas plus que pour son compagnon M. Appuleius l, nous ne pouvons guère hésiter sur l'identification de cet Arruntius dont Appien raconte qu'il se déguisa en centurion et qu'il leva une véritable petite armée avant de gagner la Sicile : il s'agit, selon toute vraisemblance, de L. Arruntius L. f. L. n. qui, après avoir été rétabli dans tous ses droits à la faveur de la paix de Misène, se rallia à Octave aux côtés duquel il se trouvait à Actium2. Il était un érudit qui avait écrit une Histoire de la Guerre Punique3, et un orateur4; il y a toute vraisemblance, par ailleurs, qu'il était apparenté aux autres Arruntii contemporains : L. Arruntius qui, en 53, apporta à Cicéron une lettre de Trebatius (peut-être le père de notre proscrit)5 et les deux Arruntii qui périrent dans la proscription6. On sait que la gens Arruntia était liée aux Pompeii et aux Cornelii Sullae7 : ces alliances expliquent assez bien la présence de trois personnages de ce nom sur la liste de proscription en lui donnant la valeur d'élimination systématique d'adversaires politiques.
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L. Arruntius, après sa réconciliation avec le jeune César, devint la souche de la très puissante famille des Arruntii : lui-même géra le consulat en 22 8; son fils, consul en 6 p. C, était considéré par Auguste comme capax imperii9; son petit-fils L. Arruntius Camillus Scribonianus fut consul en 32 p. C. 10. * REI (Von Rohden); Klövekorn n° 68; Ribbeck n° 146; PIR2 A 1129. Sur son origine Taylor, Voting Districts 193. 1 Cf. supra s.n. 2 Plut., Ant. 66, 3; Veil. Pat. II, 85, 2 : Glauning, Anhängerschaft 14. 3 Sen., Epist. 114, 17; Bardon 96-97. 4 Sen. Rhet., Contr. VII, praef 7. 5 Fam. VII, 18, 3 = 37 SB (où est formulée l'hypothèse de cette filiation). 6 K. Nipperdey («Zur Geschichte des römischen Historiographie», Philologus 6, 1851, 139) considérait que ces deux Arruntii étaient le père et le frère de notre personnage. Mais nous ne pouvons pas le démontrer. 7 Les liens avec Pompée sont démontrés par une inscription de L. Arruntius Camillus Scribonianus, sans doute fils du consul 32 p. C, qui se présente comme adnepos Pompei Magni (ILS 976; PIR2 1147); les liens avec Sylla par un texte de Tacite (Ann. 3, 31, 6) qui fait d'Arruntius un parent (propinquus) de L. Sulla (consul en 33 p. C.) et par l'existence d'un Faustus Arruntius (CIL VI 5942) vraisemblablement petit-fils du proscrit. Sur toutes ces alliances uid. Weinrib, «Drusus Libo» 265-275; Scheid, «Scribonia Caesaris» 370-371, Stemma des descendants de Pompée. 8 Dio 54, l;PIR2 1129. 9 Tac, Ann. 1, 13, 2; PIR2 1130. 10 Fils naturel de M. Furius Camillus (cos. 8 p. C.) : Weinrib, «Drusus Libo» 273-275; PIR2 1140. 21. ATILIVS* Chevalier
Proscrit (App., BC IV, 30, 129-130).
Etrurie (?) Samnium (?)
S'échappa mais finit par se livrer.
Άτίλιος, le jour même où il prenait sa toge virile, apprit qu'il figurait sur les listes. Abandonné par tous ses amis au milieu même des cérémonies, repoussé par sa mère qui ne voulut pas risquer de le cacher, il quitta Rome et fut contraint de travailler dans une fabrique. Incapable de supporter bien long temps cet esclavage, il s'échappa et alla se livrer. On ne peut identifier ce tout jeune homme dont la proscription s'explique, selon Appien, par la fortune (δια πλοϋτον). Tout au plus peut-on penser qu'il était lié aux Atilii dont l'existence est attestée pour cette époque : appartenant à l'ordre équestre un Atilius fait l'objet en 51, d'une recommandation et d'autres personnages homonymes apparaissent, par ailleurs, dans l'œuvre de Cicéron1. Parmi les Atilii de l'ordre sénatorial on ne manquera pas d'observer qu'un Άτίλιος se trouve être le légat de Pompée pour lequel il commande une flotte
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dans la mer Tyrrhénienne en 67 2. D'autre part, Plutarque nomme, dans l'entou rage de Brutus à la veille de Philippes, un certain 'Ατίλλιος partisan de différer la bataille3. Mais le fait qu'Appien dise expressément que le jeune homme fut porté sur la liste en raison de sa fortune empêche de chercher plus loin une cohérence politique à cette proscription. * RE 6 (Klebs); Klövekorn n° 89. 1 Nicolet qui les réunit sous le n° 36. 2 App., Mithr. 95 = P. Atilius (RE 23). 3 Plut., Brut. 39, 10-11; (RE 5).
22. (CAECILIVS)* Sénateur
Un des conjurés contre César (App., BC II, 113).
Latium II ne fait aucun doute que ce sénateur qui, avec son frère1, fit partie de la conjuration contre César à ses débuts ait subi le même sort que les autres conjurés s'il vivait encore fin 43, ce qu'on ne sait pas : la condamnation e lege Pedia puis la proscription. Ce qui est plus douteux, en revanche, c'est son identification. Le supplé mentde MRR suggère de voir en lui le questeur de l'année 59, attesté par Cicéron2, ou bien encore le tribun incertain de 45 3. Mais comme on ne sait prat iquement rien de ces deux personnages, il ne s'agit pas de rapprochements bien éclairants. S'il est permis d'esquisser d'autres rapprochements, on ne peut manquer de songer que, quelques mois plus tôt, un autre Caecilius avait montré ses sen timents républicains : il s'agit de M. Caecilius Cornutus qui était préteur en 43 ; il avait pris en main la direction des affaires après la mort des consuls et lors que ses troupes l'abandonnèrent pour passer à Octave qui venait d'arriver à Rome, il se suicida4. Il n'est pas impossible que notre tyrannicide ait été appa renté à ce préteur5. * Non in RE (cf. n°36: Caecilius Bassus - Münzer); non in Klövekorn; Ribbeck n° 196; Etienne, Ides de Mars 159 (Pompéien). 1 Cf. infra s.n. [Caecilius] Bucilianus. Appien donne leur nom parmi les premiers de ceux que Brutus et Cassius rassemblèrent : Καί συνήγειραν εκ μέν των σφετέρων άδελφώ δύο, Καικίλιόν τε και Βουκιλιανόν. . . 2 AU. Π, 9, 1 = 29 SB (RE I). 3 NiccoLiNi, Fasti 344-345. 4 Vid. MRR s.a. et RE 45 (Münzer).
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5 Scheid, Arvales 36, considère que le fils du préteur urbain avait dû être proscrit, ce qui reste à démontrer. En tout état de cause il devait avoir dans les 18 ans au moment de la proscription, ce qui rend évidemment impossible l'identification avec notre sénateur. 23. [CAECILIVS] BVCILIANVS* Sénateur
Un des assassins de César (App., BC II, 117).
Latium
Rejoignit Brutus.
Comme son frère Caecilius, Bucilianus faisait partie de la conjuration contre César dès son origine1. Il fut un de ceux qui portèrent les premiers coups au dictateur2 et, dans ces conditions, il dut être porté sur les listes de proscription. Malheureusement nous ne savons pratiquement rien de ce personnage dont l'identité même est incertaine. Appien dit de lui qu'il était Γάδελφός de Caecilius, ce qui suggère qu'il pourrait être un Bucilius passé dans la gens Caecilia par adoption3. Quoi qu'il en soit, comme L. Sestius, il disposait de navires qui vinrent grossir la flotte de Brutus4. * RE s.n. Bucilianus (Klebs); non in Klövekorn; Ribbeck n°197; Etienne, Ides de Mars 159 (Pompéien). 1 App., BC II, 113. Cf. supra s.n. 2 II le blessa dans le dos (App., BC II, 117). 3 Shackleton- Bailey, Nomenclature 105. *C\c, Att. 16, 4,4 (= 411 SB). 24. [CAECILIVS] METELLVS* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 42, 175-178).
Rome
Restitutus, combattit aux côtés d'Octavien à Actium.
L'identification de ce partisan d'Octavien, assez considérable pour se trou verà ses côtés au moment du tri des prisonniers d'Actium, dépend évidemment de celle de son père. Si l'on pense que Metellus le père était le tribun de 49, l'identification du fils est désespérée1. Si en revanche on accepte la solution suggérée par Mommsen - qui paraît moins vraisemblable - notre personnage pourrait être Q. C] AECILIVS M[ETELLVS CRETICVS M. f. qui fut préteur urbain et proconsul de Sardaigne dans les dernières années du premier siècle avant notre ère2.
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
En tout état de cause ce qui est remarquable dans le cas de ces deux per sonnages, c'est que les derniers rejetons d'une gens qui avait été prééminente avaient, dans un premier temps du moins, embrassé le parti républicain. * RE 70 (Münzer); Klövekorn n° 36. 1 Cf. infra le dossier du père notamment n. 1. 2 CIL X 7581 ; RE 88 (Groag); PIR2 C 62. Szramkiewicz, Gouverneurs II, 380.
25. [L. CAECILIVS] METELLVS* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 42, 175-178).
Rome
Restitutus, combattit aux côtés d'Antoine à Actium. Sauvé par son fils après la victoire d'Octavien.
Appien raconte, au chapitre des pères sauvés par leur fils, l'histoire de ces deux Metelli, sans dire qu'ils avaient été proscrits l'un et l'autre et sans même faire allusion à la période «active» de la proscription (43-42) puisque les faits qu'il rapporte se situent en septembre 31, à Actium : le père se trouvait parmi les Antoniens prisonniers alors que le fils avait exercé un commandement sous Octavien1. Mais comme ce récit s'insère dans la longue série d'anecdotes sur les proscrits on ne peut pas douter que le père et le fils aient figuré tous deux sur la liste. A en croire Appien, c'est sur les instances du fils qu'Octavien pardonna au père, bien qu'il lui ait été tout à fait hostile et qu'il ait traité avec mépris les offres qu'on lui avait faites d'abandonner Antoine2. Les seules choses que nous apprenne cette anecdote sont donc que Metellus le père devait être un person nageassez important pour qu'Octavien ait essayé à plusieurs reprises de le débaucher et, d'autre part, qu'il fallait qu'il fût bien attaché à Antoine, ou plu tôt bien hostile (πολεμιώτατον) à Octavien pour refuser des offres sans doute alléchantes. Ces indications sont bien évidemment insuffisantes pour fonder une identi fication : tout au plus peuvent-elles fournir un argument supplémentaire à ceux3 qui estiment qu'il s'agit peut-être de L. Caecilius Metellus, le tribun de la plèbe de 49, qui tenta de s'opposer à César lorsque celui-ci voulut s'emparer des fonds déposés à Yaerarium et qui faillit bien y laisser la vie4. Après la fin des hostilités, le dictateur, qui ne lui avait pas pardonné, le fit chasser d'Italie5 et on peut considérer que cette hostilité entre César et ce Metellus devait être une raison suffisante pour que ce dernier figure sur les listes de proscription (à la demande d'Octave?), d'autant qu'il avait pu reprendre du service après la mort du dictateur. Dans cette hypothèse on s'expliquerait assez bien qu'après
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une restituito (consécutive aux accords de Misène) il ait été un des partisans d'Antoine et surtout un ennemi de l'héritier de César6. En tout état de cause, il s'agit d'une identification possible (la plus vraisem blablemême), mais qui n'exclut pas l'hypothèse formulée par Mommsen qui voyait plutôt en lui le M. Metellus qui, en 60, donna des jeux de gladiateurs7 mais dont on ne sait rien d'autre8. Cette hypothèse sous-entend que le Metellus en question aurait pu être proscrit, entre autres raisons, pour sa fortune, mais ne rend pas compte de son hostilité personnelle au jeune César; elle a pourtant l'avantage de permettre une identification vraisemblable pour son fils, partisan convaincu d'Octavien9. * RE 70 (Münzer) qui ne dit pas qu'il avait été proscrit ; cf. nn° 75 & 79 ; Klövekorn n° 35; Ribbeck n° 140. 1 Έστρατηγήκει. Sur l'interprétation à donner de ce verbe uid. MRR suppt 10. 2 ... καίτοι πολεμιώτατον αύτώ γενόμενον και δωρεών πολλών, εί μεταδοιτο προς αυτόν άπ'Άντωνίου, πολλάκις ύπερίδοντα. 3 Récemment Shackleton-Bailey, Nomenclature 19-20; déjà Klövekorn, mais qui l'a ssimilait au tribun de 55 qui avait voué Crassus aux Furies lors de son départ pour la guerre contre les Parthes, sans s'aviser que Florus commet une erreur en l'appelant Mettellus (sur ce point JAL comment, à Flor. I, 46, 3). 4 Cic, Ait. XI, 4, 8 = 195 SB; RE 75 (Münzer), cf. Van Ooteghem, Caecilii 295-297. 5 Cic, AU. XI, 7, 2 = 218 SB. 6 Même si c'est Antoine qui, en 48, avait été chargé en tant que magister equitum, d'exécuter les ordres de César. La lettre de Cicéron (citée note 5) atteste qu'il avait dû s'acquitter de sa tâche en y mettant les formes. Pour ce qui est du ralliement des pomp éiens à Antoine uid. Glauning, Anhängerschaft 12-14. 7 Cic, Ait. II, 1, 1 = 21 SB; RE 79 où Münzer évoque, lui aussi, la possibilité d'une telle identification. 8 Shackleton-Bailey (comment, à 21) suggère qu'il pourrait être soit M. Caecilius C. f. Metellus le préteur de 69 (RE 78) soit un plus jeune membre - inconnu - de cette gens. 9 Dont Glauning, Anhängerschaft 13-14, et Syme, Révolution 257, considèrent qu'il échappe à toute identification.
26. Q. CAEPIO BRVTVS* Proconsul Rome
Suicidé après Philippes.
Il serait superflu de retracer la carrière de M. Iunius Brutus qui fut le chef du «parti républicain» jusqu'à sa mort, après sa défaite à Philippes, le 23 octo bre42 Κ
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On rappellera simplement qu'il était lui-même le fils d'un proscrit de Sylla2 et qu'il n'avait pu retrouver un statut intègre que par la voie de l'adoption par un parent : Q. Seruilius Caepio3. Sa réconciliation avec César contre lequel il avait pris parti au moment de la guerre civile avait dû être d'autant plus facile qu'il n'avait jamais pu être un pompéien puisque c'est le jeune Pompée qui, en 77, avait fait exécuter son père4. Quoi qu'il en soit, il était Brutus et son nom avait valeur de symbole dans la conjuration. C'est la raison pour laquelle Octavien avait choisi comme accu sateur, e lege Pedia, l'un de ses proches, L. Cornificius qu'il récompensa avec le consulat de l'année 35 5. Pour ce qui est du fait que nous ne disposons d'aucune indication positive concernant sa proscription, outre la naturelle «conspiration du silence» qui tend à effacer le souvenir d'une proscription déshonorante, il convient de noter que l'absence de référence explicite à celle de Brutus s'explique assez bien : nous sont indiqués comme proscrits essentiellement des personnages qui ont été exécutés6 ou, au contraire, qui ont été sauvés dans des conditions particulièr es. A ces gens-là il faut ajouter ceux dont l'inscription sur la liste est réputée scandaleuse (le frère de Lèpide, l'oncle d'Antoine, Cicéron) ou injuste (Sex. Pompée). Mais Brutus n'entre dans aucune de ces catégories et, dans la mesure où les Triumvirs affirmaient qu'ils voulaient venger César, sa présence dans les premiers noms de la liste était trop évidente pour que les sources anciennes éprouvent le besoin de la rappeler.
* RE IVNIVS 53 (Gelzer); Klôvekorn n° 20; Willems, Sénat I, 533-534; Etienne, Ides de Mars 158. 1 Pour l'activité de Brutus en 44-43 uid. A. E. Raubitschek, «Brutus in Athens», Phoe nix11, 1957, 1-11. 2 Prosopo. I, n° 35. 3 Sur cette adoption uid. chap. 4 (185-186). Pour ce qui est de la forme de son nom, Q. Caepio Brutus ou le cognomen de l'adoptant joue le rôle de gentilice (R. Syme, « Imper ator Caesar. A study in nomenclature», Historia 7, 1958, 172-188), nous suivons l'usage constant chez Cicéron malgré A. E. Raubitschek, «The Brutus Statue in Athens», Atti ter zo cong. internai, epigr. greca e latina, Rome, 1959, 15-21 & tab. Ill, (suivi par ShackletonBailey, Nomenclature 129-131 et par MRR suppt 32) qui reconstitue le gentilice Seruilius sur une inscription grecque mutilée datant de 43. 4 Val. Max. VI, 2, 8. Il était évidemment farouchement hostile à l'assassin de son père contre lequel il avait écrit un De dictatura Pompei (Quintil. 9, 3, 95 ; Taylor, Politique 258, n. 24). SRE 5 Wissowa; MRR s.a. C'est M. Agrippa qui accusa Cassius (Plut. Brut. 27, 4). 6 D'une certaine façon, la proscription s'identifie à l'exécution, dans les textes : cela s'explique d'autant plus facilement que la seconde proscription a été annulée par les accords de Misène et que ne sont restés proscrits, en quelque sorte, que ceux qui ont été tués.
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27. CAESENNIVS [LENTO]* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 27, 115).
Etrurie
Exécuté.
Compte tenu de la façon dont Appien raconte l'anecdote qui concerne ce personnage, le moins qu'on puisse dire est que sa proscription lui paraissait inconcevable. C'est la raison pour laquelle il ameuta les Romains en criant qu'on en voulait à sa fortune - ce qui n'était peut-être pas faux. Il fallut donc l'amener devant l'affiche pour le convaincre qu'il y figurait bien avant de l'exé cuter. Alors que Klövekorn considérait toute identification comme impossible, Ribbeck et Groebe x voyaient en lui le C. Caesennius Philo qui, en 52, poursuivit Sex. Clodius2. Mais cette hypothèse n'est étayée sur aucun fait. On pourrait peut-être en formuler une autre, plus surprenante sans doute, mais correspondant aux faits rapportés par Appien : Caesennius Lento avait servi, en 45, sous César en Espagne et c'est lui qui avait tué Cn. Pompée, frère aîné de Sex. 3. En juin 44 il avait fait partie des VHuiri agr. diu. institués pour distribuer des terres aux vétérans4. Certes on ne peut fonder une identification sur le seul caractère inattendu d'une proscription même si la victime elle-même ne pouvait pas croire qu'elle fût possible; mais on fera observer en outre que ce personnage n'apparaît plus aux côtés d'Antoine après cette mission de répart ition des terres : aucune source n'en parle plus. Au total la fortune d'un personnage peu important et sans doute peu relui sant pouvait justifier son inscription sur la liste quelles qu'aient pu être jus qu'alors ses prises de positions politiques, sans qu'on puisse dire auquel des Triumvirs on pourrait attribuer une telle initiative. * Non in RE; Klövekorn n° 90 (ignotns); Ribbeck n° 393. Pour l'origine des Caesennii, Syme, «Senators» 113. 1 Drumann-Groebe I, 470. 2Ascon. 55 C; RE 11. 3 Dio 43, 40, 2; Flor. Π, 13, 86 et Oros. VI, 16, 9 l'appellent Caesonius; RE 6. * Cic, Phil. II, 99; VIII, 26; XI, 13; XII, 20 & 23; XIII, 2; 26 & 37. VI, 14. 28. [P.] CAESETIVS RUFUS* Praetorius
Proscrit (App., BC IV, 29).
Sabine
Décapité. Sa tête est exposée devant la son de Fulvie.
Ce sénateur aurait été proscrit à la demande d'Antoine puisque, selon Appien et Valère-Maxime, c'est Fulvie qui avait exigé sa mort parce qu'il avait
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refusé de lui vendre la très belle (περικαλλή) maison mitoyenne de la sienne (συνοικίαν). Cela rend peu vraisemblable l'anecdote telle que nous la transmettent Valère-Maxime et Dion1 selon lesquels Antoine aurait dit, après avoir examiné la tête qu'on lui apportait, qu'il ne connaissait pas le personnage2. On a du mal à admettre qu'Antoine ait pu ne pas connaître un sénateur possédant, sur le Palat in,une superbe propriété voisine de celle de sa femme et pour laquelle, préci sément, il aurait demandé son inscription sur les listes de proscription. Appien raconte l'histoire de façon plus crédible en faisant dire à Antoine, devant la tête tranchée, «que cela ne le concernait pas»3. Il ne s'agit d'ailleurs pas seulement d'un problème de crédibilité : on s'ap puie d'ordinaire sur Valère-Maxime et Dion pour réfuter l'identification possi bledu proscrit avec P. Caesetius qui, en 72, avait été le questeur de Verres en Sicile4, en arguant du fait qu'Antoine n'aurait pas pu ne pas connaître un per sonnage qui siégeait au sénat depuis une trentaine d'années5. Le fait que Ver res lui aussi ait été proscrit, apparemment sur demande d'Antoine6, n'est sans doute qu'une coïncidence et ne permet pas d'affirmer que l'identification est certaine : elle ne reste que vraisemblable. On ne peut pas non plus déterminer la parenté que le proscrit pouvait avoir avec les Caesetii contemporains7 et, plus particulièrement, avec L. Caeset iusFlauus qui, en raison de son ardente opposition à César en 44, fut privé par lui de la puissance tribunicienne qui lui était échue pour cette année-là8. * RE 5 (Münzer); Klövekorn n°91; Ribbeck n°223. Sur l'origine sabine des Caesetii, Cic., Lig. 33 et Nicolet n° 72. Sur son rang prétorien, Willems, Sénat I, 254-256. 1 II est vrai que Dion (47, 8) ne nomme pas la victime et qu'il peut avoir contaminé plusieurs anecdotes. 2 En réalité, à bien le lire, Valère-Maxime prête à Antoine une réponse qui ne s'inter prète pas aussi simplement : Taetrum facto pariter ac dicto M. Antonii conuiuium. Nam cum ad eum triumuirum Caesetii Rufi senatoris caput allatum esset, auersantibus id ceteris, propius admoueri iussit ac diu diligenterque consider auit. Cunctis deinde exspectantibus quidnam esset dicturus 'hune ego, inquit, notum non habui'. Superba de senatore, impotens de occiso confessio (IX, 5, 4). Comme cette histoire est placée au chapitre De superbia et impotentia, il est clair que la réponse d'Antoine est une manifestation de sa superbia ce qui signifie qu'il connaissait la victime mais qu'il affecta de ne la pas recon naître. Dion, en revanche, prête à Antoine une réponse sans ambiguïté: «Τούτον ούκ ήπιστάμην». 3 ... καί την κεφαλήν ό μεν 'Αντώνιος οί προσφερομένην ούχ έαυτω προσήκειν είπων. . . * Cic, IlVerr. 4, 146; 5, 63. 5 MRR suppt. après Ribbeck. 6 Infra n°150. 7 Notamment C. Caesetius, chevalier romain (RE 1 et Nicolet n° 72). 8 En même temps que C. Epidius Marullus : Liu., Per. 116; Nie. Dam. 20, 9; App., BC II, 108; Veil. Pat. II, 68, 4-5. Ils furent restitués après la mort de César (App., BC II, 122;
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Nie. Dam. 22) et, selon toute vraisemblance, ils durent figurer en bonne place sur la liste de proscription s'ils étaient encore en vie à la fin de l'année (nous ne les intégrons pas à notre catalogue faute d'une indication en ce sens).
29. L. CALPVRNIVS BIBVLVS* Chevalier
Proscrit (App., BC IV, 38).
Rome
Se réfugia auprès de Brutus. Restitutus après Philippes, passa à Antoi ne.
Ce tout jeune nobilis ne fut sans doute pas surpris d'apprendre que son nom figurait sur la liste de proscription : il était le fils de M. Bibulus, le collè gue- et l'adversaire - de César en 59 *. Par sa mère Porcia, il était le petit-fils de Caton et le beau-fils de M. Brutus sur lequel il rédigea un ouvrage intitulé Mémoires sur Brutus 2. Octavien avait de bonnes raisons de chercher à éliminer ceux qui, par tradition familiale, étaient les ennemis irréconciliables de César. Et la conduite de Bibulus dans les années qui suivirent confirment d'ailleurs que c'est bien à lui qu'il devait de figurer sur la liste. Depuis 45 il était à Athènes3, pour y recevoir l'éducation qui convenait à un homme de son rang et il se réfugia naturellement auprès de Brutus qui lui confia un commandement militaire4. Compte tenu de la façon dont Appien raconte son histoire, on peut considé rer qu'il ne fut pas rayé de la liste dans les mêmes conditions que Messalla, comme le pensait Klövekorn, mais que, plus probablement, les négociations qu'ils menèrent tous deux avec les chefs de l'armée d'Antoine prévoyaient la restitutio d'un certain nombre de républicains proscrits, dont bien entendu la sienne, en échange de l'argent, des armes, du matériel de guerre et des approvi sionnements abondants qui leur restaient5. L'historien grec qui consacre quel ques lignes à Bibulus après avoir développé l'histoire de Messalla écrit, en effet : Βύβλος δε έσπείσατο αμα τω Μεσσάλςι6 ce qui fait référence non pas à un édit particulier comparable à celui qui avait été pris en faveur de Messalla, mais bien au pacte conclu avec les Antoniens en 42. Appien présente d'ailleurs le commandement naval confié à Bibulus par Antoine comme une conséquence de ce pacte7. Par la suite, il joua un rôle important dans les négociations entre Antoine et Octave puis gouverna la Syrie de 34 jusqu'à sa mort en 32 8. * RE 27 (Münzer); Klövekorn n° 69. Le nom est étrusque : Schulze, Eigennamen 138. Syme, Révolution 522, n. 34. 1 Contrairement à ce qu'affirme Münzer dans la RE, il n'est pas le troisième fils de M. Bibulus auquel son père cherchait à faire obtenir l'augurât en 50. Groebe a, en effet, montré que Bibulus avait eu trois fils d'un précédent mariage : les deux aînés étant morts
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en 50, c'est le troisième qui fut candidat à l'augurât la même année. Pour ce qui est de notre proscrit, L., il était le seul survivant des deux enfants que Porcia, sa deuxième épouse, avait donnés à Bibulus. Il fut, quant à lui, candidat à l'augurât en 43. Sur ces questions uid. Drumann-Groebe V 209-210, n. 12. 2 Plut., Brut. 13, 3. 3 Cic. Ait. XII, 32, 2 = 271 SB. 4 Brutus, en épousant sa cousine Porcia, devenue veuve, devint le beau-père de L. Bi bulus. Le commandement est attesté par Appien, BC IV, 104. 5 App., BC IV, 136. Messalla avait eu droit, pour sa part, à un édit l'innocentant du meurtre de César et le rayant, de ce fait de la liste (uid. infra n° 145). 6 App., BC IV, 38. 7 Ibid. IV, 136 : ... και έναυάρχησεν Άντωνίφ. Cf. Grant, PITA 43-45. 8 App., BC IV, 32; Syr. 51 ; Szramkiewicz, Gouverneurs II, 236-237, n. 46.
30. (Cn. CALPVRNIVS PISO [FRVGI])* Sénateur
Se rallia à Brutus (Tac, Ann. 2, 43, 2).
Rome
Restituîus et cos. 23. Fils coss. 7 & 1 a. C.
On a du mal à imaginer qu'ait pu ne pas figurer sur la liste le républicain ferox dont Tacite esquisse, de façon suggestive, le portrait et la carrière : «... dans la guerre civile, il prêta au parti qui se redressait en Afrique l'appui le plus énergique contre César, puis suivit Brutus et Cassius, enfin, autorisé à ren trer, s'abstint de briguer les honneurs jusqu'à ce qu'on vînt le prier d'accepter le consulat que lui offrait Auguste 1 ». Il était de tempérament violent comme le montre l'anecdote racontée par Valère-Maxime et selon laquelle lors de son procès contre Manilius Crispus, dans les années 50, il finit par s'en prendre à Pompée lui-même, défenseur de son adversaire2. Au cours de la guerre civile, il servit d'abord sous Pompée comme proquesteur en Espagne Ultérieure3 puis participa activement4 à la guerre d'Afrique, comme le rappelle Tacite. Il est d'ailleurs vraisemblable qu'il n'avait pas désarmé quand le dictateur fut assassiné et c'est tout naturellement qu'il se rangea aux côtés des tyrannicides. Compte tenu du fait qu'il s'était rallié à Brutus et Cassius, il n'est pas possi blede douter de sa proscription. Ce qu'on ne sait pas, en revanche, c'est dans quelles circonstances il fut restitutus; mais on peut penser qu'il refusa toutes les propositions jusqu'à ce que la paix de Misène mette un terme à la proscript ion. Il semble, en tout cas, qu'il soit resté un certain temps aux côtés de Sex. Pompée5. Quoi qu'il en soit, il fut consul en 23 et ses fils Cn. et L. gérèrent la magis trature respectivement en 7 et en 1 a.C.6. * RE 95 (Münzer); PIR2 286; non in Klôvekorn; Willems, Sénat I, 574-575. Sur le
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cognomen uid. la controverse entre R. Syme, «Piso Frugi and Crassus Frugi», JRS 50, 1960 et Crawford n° 547. Pour l'origine des Calpurnii uid. n°29, supra. 1 Tac, Ann. 2, 43, 2 : ciuili bello résurgentes in Africa paries acerrimo ministerio aduersus Caesarem iuuit, mox, Brutum et Cassium secutus, concesso reditu petitione honorum abstinuit, donec ultro ambiretur delatum ab Augusto consulatum accipere. 2 Val. Max. VI, 2, 4. 3 Crawford n°446; cf. MRR s.a. 49; Bruhns, Oberschicht 53-54. 4 II apparaît deux fois dans le Bell. Afr. (III, 1 & XVIII). 5 Grant, FITA 32, attribue sa monnaie à l'année 37 et considère donc Piso Frugi com meun de ces personnages qui étaient restés auprès de Pompée, même après les accords de Misène. Crawford, n° 547, moins catégorique assigne cette émission à la période 4341. 6 PIR2 287 & 290.
31. CANINIVS REBILVS* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 48, 209).
Tusculum
Se réfugia auprès de Sex. Pompée.
Le nom de rebilus ('Ρέβιλος) apparaît deux fois dans l'œuvre d'Appien. La première, pour désigner un proscrit qui, désireux de gagner la Sicile, fut sou mis à un chantage de la part du capitaine du navire à bord duquel il s'était embarqué, mais auquel il répondit par un autre chantage. La seconde fois, c'est à propos du raid de Ménodore, en 36, qui relâcha un sénateur de ce nom qu'il avait fait prisonnier1. Le second est, selon toute vraisemblance, C. Caninius C. f. C. n. Rebilus, fidèle ami de César qu'il avait servi en Gaule, aux côtés duquel il s'était trouvé pendant la guerre civile et pour lequel il administra l'Afrique2. C'est lui qui fut élu consul suffect pour moins d'une journée, en décembre 45, ce qui lui valut toutes sortes de plaisanteries, notamment de la part de Cicéron3. Drumann & Groebe, suivis par Münzer, ont fait observer que le proscrit ne pouvait pas être le même personnage qui aurait embrassé le parti des meurt riers de César parce qu'aucun de ceux-là ne pouvait s'être réconcilié avec Octavien ni figurer au nombre de ses partisans. A cela on ajoutera qu'on voit mal un proscrit se réfugier auprès de Pompée et se trouver, quelques années plus tard, prisonnier du même Pompée après être passé à Octave. Il s'agit donc d'un autre Caninius Rebilus, son frère4 ou même son fils5; mais nous ne disposons d'aucun indice qui nous permettre de fixer ce degré de parenté, de même que nous ne pouvons dire ce qu'il advint de lui. * RE 6 Münzer; Klövekorn n°107; Drumann-Groebe II, 90-91 n. 4. Sur l'origine, Syme, «Senators» 114. 1 V, 101, 422.
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE 2 Sur ce personnage, uid. RE 9; MRR et Gabba, comment, à App., BC V, 101, 422. *PIR2 391. 4 Selon Drumann & Groebe, Klövekorn et Ribbeck (n° 396). 5 Syme, Révolution 500 n. 47.
32. (C. CANNVTIVS)* Sénateur
Tué après Pérouse.
Compte tenu des hypothèses qu'on peut formuler sur les Cannutii de cette époque, il est vraisemblable que C. Cannutius, celui qui nous est connu comme ayant été l'élève de P. Seruilius Isauricus et dont les rapports avec Octave et Antoine semblent avoir été pour le moins conflictuels1, est le personnage dont Appien nous apprend qu'il figurait au nombre des victimes immolées par Octavien au lendemain de la chute de Pérouse2. Il est possible qu'il soit un républicain passé à Antoine après la défaite de Philippes3, ce qui implique une très vraisemblable proscription. * RE 3 (Münzer); non in Klövekorn. 1 Suet., Rhet. 28 : Epidius calumnia notatus, ludum dicendi aperuit docuitque inter ceteros M. Antonium et Augustum : quibus quondam C. Cannutius obicientibus sibi quod in re publica administranda potissimum consularis Isaurici sectam sequeretur : malle, respondit, Isaurici esse discipulum quam Epidii calumniatoris. Ernesti, dans son édition de 1748, proposait de corriger C. en Ti.', mais rien ne fonde cette correction (uid. infra n° 33 : Ti. Cannutius). Par ailleurs on doit signaler l'existence d'un P. Cannutius, orateur contemporain de Cicéron (ORF3 n° 114) qui avait édité les discours de P. Sulpicius; on ne sait pas s'il vivait encore en 44-43. 2 BC V, 49, 207. Dion (48, 14, 4) écrit qu'il s'agit de Ti. Cannutius. Sur cette confusion uid. Gabba comment, à App. cit. 3 Hypothèse déjà formulée dans Drumann-Groebe, I, 300 n. 5. Sur le ralliement des républicains à Antoine, App., BC IV, 136 et Glauning, Anhängerschaft 11-12.
33. Ti. CANNVTIVS* Tribunicius
Proscrit (1*™ liste) (Veli. II, 64, 4). Exécuté.
Si on est certain qu'au moins un Cannutius figurait sur la liste de proscript ion, il est parfois difficile de préciser duquel il s'agit parce que les sources anciennes semblent se contredire. Velleius Paterculus, en effet, esquisse un parallèle entre Ti. Cannutius, tribun de la plèbe en 44, et Cicéron : tous deux
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s'attaquèrent à Antoine - mais chacun selon son talent - et tous deux en payè rent le châtiment. Il ajoute que le tribun fut la première victime et Cicéron la dernière1. Or cette notation est en contradiction formelle avec Appien qui raconte en détail la mort de Saluius, tribun de la plèbe en exercice en 43, par qui commença le massacre2. Par ailleurs Dion affirme que Ti. Cannutius, qui avait présenté au peuple le jeune héritier de César lors de sa première marche sur Rome3 figurait au nombre des victimes qui furent immolées au lendemain de la guerre de Pérouse4. De toutes ces données disparates et contradictoires on peut tenter de déga gerdes vraisemblances : le tribun de 44 qui se fit en quelque sorte l'auxiliaire de Cicéron contre Antoine5 peut bien, comme Cicéron lui-même, avoir figuré sur la liste : il s'était bien sûr fait le champion du jeune César mais ce n'était que pour nuire à Antoine et, à notre connaissance, il n'existait aucun lien entre Cannutius et Octavien qui eût pu le protéger contre le vindicte d'Antoine (qui, avant la constitution du triumvirat, lui avait interdit l'accès du sénat6). Mais on ne peut plus suivre Velleius lorsqu'il affirme que Ti. Cannutius fut la première victime de la proscription. Appien donne de cette première exécu tionune version trop précise et trop bien documentée pour qu'on puisse croire qu'il s'est trompé sur le nom de l'intéressé. C'est donc Velleius qui a dû confon dre entre l'ancien tribun de 44 et celui qui était en exercice au moment de la proscription, Saluius. L'erreur s'explique d'autant plus facilement que l'un et l'autre devaient figurer sur la première liste et que, d'autre part, elle était entraînée par la figure symétrique créée par Velleius. Mais on a, par ailleurs, du mal à admettre que le tribun de 44, si manifeste ment hostile à Antoine, ait pu avoir sa place avec les Antoniens de Pérouse et figurer au nombre des victimes que le jeune César immola après la chute de la ville. Si Appien confirme qu'il y avait bien un Cannutius parmi les personnages exécutés7 il n'indique pas le prénom et on doit penser que cette fois c'est Dion qui s'est trompé et qu'il s'agit de C. Cannutius.
* RE 3 Münzer; Klövekorn n°37; Ribbeck n° 159. 1 Haec sunt tempora quibus M. Tullins continuis actionibus aeternas Antonii memoriae inussit notas, sed hic fulgentissimo et caeîesti ore, at tribunus Cannutius continua rabie lacerabat Antonium. Vtrique uindicta libertatis morte stetit; sed tribuni sanguine commissa proscriptio, Ciceronis uelut satiato Antonio paene finita (II, 64, 3-4). Sur cette opposition à Antoine, Cic, Phil. Ill, 23. 2 App., BC IV, 17 :Ήρξατο μεν δη το κακόν εκ συντυχίας από των έν άρχαΐς ετι δντων, και πρώτος άνηρέθη δήμαρχων Σάλουιος. 3 Dio 45, 6, 3; cf. App., BC III, 41, 167. 4 48, 14, 4 avec, cette fois, Τίτος pour prénom. 5 Cf. Cic, Fam. XII, 3, 2 = 345 SB; 23, 3 = 347 SB. 6 Cic. Phil. Ill, 23 - de même pour L. Cassius et D. Carfulenus. 7 £C V, 49, 207. Vid. supra n° 32.
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34. CAPITO* Sénateur?
Proscrit (App., BC IV, 25, 103). Se défendit puis fut exécuté.
Le personnage qui vendit chèrement sa tête et tua, un à un, ceux qui étaient envoyés pour l'assassiner avant de succomber lors d'un assaut de sa maison est appelé Καπίτων par Appien qui raconte son histoire. Et cette dési gnation par un cognomen assez répandu fait désespérer de l'identifier1. On en est donc réduit, pour ce qui le concerne, à étudier les identifications possibles ou non invraisemblables. Au premier rang figure C. ATEIVS CAPITO, le tribun de la plèbe de 55 qui s opposa à Pompée et à Crassus2. Il fut expulsé du sénat en 50 pour avoir falsifié les auspices contre Crassus3 dont il avait accompagné le départ d'exécrations solennelles4. Cet Ateius semble avoir eu un tempérament qui s'accorde assez bien avec celui du Capito dont Appien nous raconte la fin. Son histoire au moment de la guerre civile n'est pas claire et il se peut que sa position ait été moins tranchée qu'en 55 : on le retrouve, à l'occa siond'une lettre, datée de 46 probablement, dans laquelle Cicéron recommande ses intérêts à Plancus en protestant bien fort de son attachement pour César {semper Caesarem Capito coluti et dilexit) 5, mais il se pourrait bien que ce chaud partisan de Cicéron6 n'ait été incliné du côté césarien que par la nota que lui avait infligée Ap. Claudius Pulcher7. Son attachement à Cicéron aurait pu lui valoir aussi d'être porté sur les listes8. D'autres identification sont possibles parmi ceux dont on sait qu'ils por taient ce cognomen. On peut songer à un Fonteius, en particulier à P. FONTEIVS P. f. CAPITO, le monétaire de 55 9 qui peut être aussi bien le père adoptif de P. Clodius comme le pense Münzer 10 que le personnage évoqué par Cicéron dans sa correspondance avec Atticus11. Un Gabinius est aussi possible et serait donc parent des deux chevaliers connus pour cette époque - si même il n'est pas le second : A. GABINIVS A. f . CAPITO u. Plus convaincant serait un rappro chement avec un Oppius puisque deux personnages portant ce gentilice durent figurer sur la liste et que M. OPPIVS CAPITO, préfet de la flotte d'Antoine en 36 13 nous prouve que certains membres de la gens portaient ce cognomen. On peut aussi évoquer un SINNIVS CAPITO, philologue d'époque césarien ne14, un VELLEIVS, l'oncle de l'historien15 et enfin C. VVLTEIVS CAPITO, trib. mil. 49 16. * Klovekorn n° 92; Ribbeck n° 397. 1 Selon Kajanto, Cognomina 235, les contemporains du triumvirat porteurs de ce cognomen appartiennent à 8 génies. 2 Plut., Cato min. 43; Dio 39, 32, 3; RE 7 (Klebs). 3 Cic, Diu. I, 29.
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4 Veil. II, 46, 3; Plut. Crass. 16; App., BC II, 18 (. . .). 5 Farn. XIII, 29, 6 = 282 SB. 6 Ibid. § 2 : C. /l/eio Capitone utor familiarissime. Notae tibi sunt uarietates meorum temporum. In omni genere et honorum et laborum meorum et animus et opera et auctoritas et gratia, etiam res familiaris C. Capitonis praesto fuit et paruit et temporibus et fortunae meae. 7 C'est ce que suggère Shackleton-Bailey, comment, à Ait., IV, 17, 4 = 91. En tout état de cause il ne saurait être le même personnage que le C. Ateius à qui César fit grâce de la vie (Bell Afr. 89, 5). 8 II était sans doute le frère de L. Ateius Capito, pére du juriste qui n'est vraisembla blement pas le proscrit : Tacite, qui évoque (Ann. 3, 75) son père en des termes peu flat teurs n'aurait pas manqué de faire état de sa proscription s'il y avait eu lieu de le faire. 9 Crawford n° 429. 10 RE 13. 11 .4«. IV, 15, 6 = 90 SB. Identification suggérée par Crawford (cit.) qui observe la référence à M. Fonteius sur un de ses deniers. On note, en outre, la présence d'un C. FONTEIVS CAPITO aux côtés d'Antoine en 37, personnage envoyé à Cléopatre (Plut., Ant. 36, 1) et qui fut consul suffect en 33. 12 Nicolet n° 165; cf. n° 164 P. GABINI VS CAPITO, un des conjurés de 63 (RE 15). 11 RE 24; ci. MRR s.a. 14 RE 2. 15 RE 4. 16Lucan. IV, 462-581 et Schol Bern, ad loc; Flor. II, 13, 33.
35. L. CASSIVS* Sénateur?
Lieutenant de son oncle (App., BC IV, 63, 272).
Rome
Combattit jusqu'à la mort à Philippes (App., BC IV, 135, 571).
On sait bien peu de choses sur le neveu de C. Cassius : simplement Appien nous dit qu'il avait commandé une légion en Syrie pour son oncle et qu'à Phi lippes il combattit jusqu'à la mort1. Il faut donc le compter au nombre des proscrits certi. Son fils est vraisemblablement L. Cassius Longinus qui fut consul suffect en 11 p. C.2.
* RE 15 (Münzer); non in Klövekorn. 1 Cf. infra s.n. M. Porcius Cato n° 109, qui, lui aussi, chercha la mort à Philippes. 2 PIR2 502.
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
36. C. CASSIVS LONGINVS* Proconsul
Proscrit (App., BC IV, 96).
Rome
Mort à Philippes.
Il n'est sans doute pas nécessaire de passer en revue tout ce qu'on sait de la carrière de ce pompéien converti que César avait fait préteur pérégrin pour 44 et qui fut sans doute le véritable instigateur de la conspiration contre le dicta teur1 ce qui fit de lui un des chefs du «parti républicain». Ce qu'il n'est peut-être pas inutile de rappeler, le concernant, c'est, bien sûr, que la proscription est, en quelque sorte un renchérissement sur la lex Pedia : il est un des très rares personnages dont la condamnation au titre de cette loi et la proscription sont attestées2. Par ailleurs il faut observer qu'il ne figurait pas sur la première liste, celle que les Triumvirs avaient gardée secrète mais que Pedius avait fait afficher contre leur volonté : proconsul de Syrie, il était hors d'atteinte des Triumvirs qui n'avaient donc aucune raison de la ranger parmi les dix sept personnes à exécuter par priorité. Il est possible que le consul de 30 p. C. soit un de ses descendants3. * RE 59 (Frölich); Klövekorn n°20; Willens, Sénat I, 534 n°367; Etienne, Ides de Mars 157-158; Shatzman, Senatorial Wealth 317-319, n° 110. 1 Plut, Brut. 8-10; App., BC II, 118. 2 Sur ces questions uid. chap. 6 : les rapports entre condamnation e lege Pedia et proscription (293-300). 3 Tac, Ann. 16, 7; PIR2 501.
37. L. CASSIVS LONGINVS* Tribunicius
Aux côtés de son frère.
Rome
Pardonné par Antoine (App., BC V, 7, 28).
Le frère de C. Cassius, césarien, lui1, n'avait à notre connaissance pris aucune part à la conjuration. Ce qui n'empêchait pas Antoine de le considérer comme un individu particulièrement dangereux : il lui avait interdit l'accès au sénat sous peine de mort2. Il y a toute vraisemblance, dans ces conditions qu'il fut proscrit lui aussi : on le retrouve aux côtés de son frère dans le camp républicain. On ne sait quelle part il avait pu prendre dans les actions militaires menant à Philippes, mais après la défaite il fut pardonné par Antoine, probablement lors de son passage en Asie. Et il dut ce pardon au fait qu'il n'avait pas trempé dans le meurtre de César, comme le spécifie bien Appien.
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Son fils combattit jusqu'à la mort à Philippes3. * RE 65 (Münzer); Klövekorn n° 38; Willems, Sénat I, 577 n° 40. 1 MRR s.a. 48 ; Bruhns, Oberschicht 56-57. 2 Cic, Phil. Ill, 23. 3 Vid. supra L. Cassius n° 35.
38. CASSIVS PARMENSIS* Sénateur
Ex interfectoribus Caesaris (Veil. II, 87, 3).
Parme
Dans l'armée des républicains. Rallié à Antoine et exécuté après Actium. (Val. Max. I, 7, 7).
Cet homme de lettres qui avait fait partie de la conjuration contre César géra probablement la questure en 43 1. Mais compte tenu de sa participation à la conjuration, il devait déjà faire partie du sénat l'année précédente2. On sait au demeurant peu de choses sur ce républicain sinon qu'il exerça des fonctions dans l'armée aux côtés d'Horace3. Après la défaite il rejoignit Sex. Pompée en Sicile avant de passer à Antoine en 35, avec un certain nombre de personnages remarquables4. Après Actium il se réfugia à Athènes où Octave dépêcha un officier pour l'exécuter5. Cet acharnement du jeune César s'expli que sans doute par sa volonté de venger son père, mais aussi probablement par sa rancune contre l'auteur d'une Epistula, œuvre de propagande antonienne dont Suétone nous a conservé un fragment6. * RE 80 (Skutsch); Klövekorn n°60; Drumann-Groebe, Cassii n°23; Etienne, Ides de Mars 159-160. 1 Cic, Fam. XII, 12 = 419 SB; MRR s.a. 2 MRR suppt 15. 3 Acron et Porphyrion font de lui un tribun militaire ... in partibus Cassi et Bruti cum Horatio tribunus militum miîitauit. (ad Epist. I, 4, 3). 4 App., BC V, 139, 579; Glauning, Anhängerschaft 12. Avant de rejoindre Pompée il avait constitué, avec d'autres proscrits une force navale conséquente qui s'était rangée sous les ordres de Staius Murcus et de Domitius Ahenobarbus (App., BC V, 2, 4). Sur ces deux personnages uid. infra 51 & 130. s Veli. II, 87, 3; Acr & Porph. cit.; Val. Max. I, 7, 7. 6 Diu. Aug. 4, 3. Sur l'activité littéraire de Cassius de Parme, uid. aussi Bardon 327 et 331, et, pour ce qui concerne plus particulièrement la propagande SCOTT, «Propaganda» 14-15, qui lui attribue, entre autres, le vers inscrit sur le socle de la statue d'Octave en 43 : Pater argentarius, ego Corinthiarius (Suet., Diu. Aug. 70, 2). Il y a d'ailleurs toute vraisem blancequ'Antoine avait récupéré ce tyrannicide parce qu'il pouvait servir très efficac ement sa propagande.
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
39. C. CESTIVS* Praetorius
Proscrit (App., BC IV, 26).
Pérouse
Se jeta sur un bûcher en flammes.
Appien raconte la fin de ce personnage qui vivait dissimulé parmi des esclaves en qui il pouvait avoir confiance : ne supportant pas la vue des chas seurs de têtes qui le cherchaient partout, armés jusqu'aux dents, et portant avec eux des têtes déjà tranchées, il fit édifier un bûcher pour tromper ses poursuivants, disait-il, sur lequel il se jeta lorsqu'il fut en flammes. Il ne nous paraît pas faire de doute que ce Κέστιος soit C. Cestius, préteur en 44, qui, aux dires de Cicéron, refusa la partage des provinces fait à la séance du 28 novembre1 ce qui lui valut, comme à Lentulus ou à Turranius2 d'être porté sur la liste. Il est possible qu'il ait été apparenté au chevalier qui, en 59, déposa dans le procès de L. Valerius Flaccus3 et surtout, bien sûr à L. Cestius un préteur en 43 qui, avec son collègue C. Norbanus Flaccus, frappa une monn aie d'or dont l'interprétation est délicate4 mais qui confirme la participation des Cestii aux événements politiques de cette période et selon toute vraisem blance, dans au moins deux des partis en présence. On ne peut pas non plus ne pas rapprocher notre proscrit du Cestius Macedonicus, notable de Pérouse qui, après la défaite des Antoniens fit de sa propre maison son bûcher et provoqua ainsi l'incendie de la ville5. On signalera enfin C. Cestius Epulo qui se fit construire le tombeau que l'on sait6.
* RE 3 (Münzer); Klövekorn n°21; Ribbeck n°399. Pour son origine, Syme «Sena tors» 114. Le nom est étrusque (Schulze, Eigennamen 575). 1 Cic, Phil. Ill, 26. Contra Willems, Sénat I, 564-565. 2 Vid. infra s.nn. 3 NicoLET n° 91, refuse l'identification, proposée par Orelli, Onomasticon s.n. et Wil lems, de ce chevalier avec le praet. 44. 4 A. Alfoldi, «Der Einmarsch Oktavians in Rom, August 43 v. Chr». Hermes 86, 1958, 480-496 interprète cette monnaie comme légionnaire et la met en rapport avec les trois légions levées contre Octavien en août 43 et qui se joignirent à lui (App., BC III, 92). Crawford (n° 491) considère que, compte tenu de l'importance de l'émission, il s'agit plu tôt d'une monnaie octavienne. 5 Veil. Pat. II, 74, 4. (qui le qualifie de princeps eius loci); App., BC V, 49, 204 (qui explique son cognomen par sa participation à une campagne en Macédoine). Malgré la similitude de leur suicide, on ne peut penser qu'il s'agit du même personnage. 6 Sur Cestius [Epulo] uid. RE 7; PIR2 686.
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40. CI[L]LO* Sénateur
Rajouté à la liste (App., BC IV, 27, 117). Exécuté.
Appien raconte l'histoire d'un sénateur qui, sortant de la curie avec Decius apprit que son nom venait d'être rajouté à la liste, ainsi que celui de Decius, et qui se trahit par la précipitation avec laquelle il tenta de s'échapper de Rome. R. Syme a donné la liste des personnages de cette époque qui portèrent le cognomen Cilo, Chilo ou Cillo1. Aucun d'entre eux ne se signale particulièr ement sinon peut-être l'ami du pompéien C. Toranius, lui-même proscrit2. En tout cas cette proscription a été déclenchée à retardement, à une épo que où un sénateur pouvait venir siéger sans s'inquiéter sur son sort. C'est ce qui incite à la mettre en rapport avec les mesures prises contre les antoniens au lendemain de la guerre de Pérouse3. En d'autres termes, Octavien aurait récu péré l'arme de la proscription pour se débarrasser des partisans de ses collè gues du triumvirat. * Non inueni in RE; Klövekorn n° 52. 1 « Missing Senators » 59-60 : L. Flaminius Chilo ; P. Vettius Chilo ; Q. Annius Chilo ; Cilo, l'ami de C. Toranius; P. Magius Cilo; Q. Fuluius Cillo. 2 Cic, Farn. VI, 20, 1 = 247 SB. Cf. infra n° 138. 3 Vid. notamment Ti. Claudius Nero (n° 41) et C. Velleius (n° 146) rajoutés sur les lis tes à cette occasion. 41. Ti. CLAVDIVS NERO* Praetortus
Proscrit (Tac, Ann. 6, 52).
Rome
Tenta de soulever la Campanie puis se fugia auprès de Sex. Pompée. Restitutus à la faveur de Misène. Père de Tibère.
Si on connaît d'assez nombreux personnages dont le nom fut rayé de la liste après sa publication pour affirmer que la radiation constitua une pratique commune, on n'a, en revanche, que peu d'exemples de gens dont le nom ait été rajouté sur la liste. Ti. Claudius Nero est un de ceux-là. Cicéron, en 50, aurait vu d'un bon œil le mariage de sa fille avec un aussi beau parti1, mais l'affaire ne se fit pas puisque l'alliance fut conclue avec Dolabella. Le jeune Claudius servit sous César dont il fut le questeur : il commandait la flotte à Alexandrie2 et, en récompense de ses services, César en fit un pontife
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
en 46, date à laquelle il reçut aussi la charge d'installer des colonies de vétérans en Gaule3. Après la mort du dictateur il se rallia aux républicains et proposa même, lors de la séance du 17 mars, de faire voter des honneurs spéciaux aux tyranni cides.Il ne fut pourtant pas porté sur les listes en 43 puisqu'il exerça la preture l'année «qui se termina par une mésentente entre les Triumvirs»4. C'est à l'occasion de la guerre de Pérouse que son nom fut sans doute ajou té à ceux des proscrits : après avoir combattu dans les rangs des antoniens, il réussit à s'échapper, pour Préneste d'abord, pour Naples ensuite où il tenta de provoquer un soulèvement. Après l'échec de cette tentative il se réfugia avec sa femme et son tout jeune fils Ti. auprès de Sex. Pompée5. La proscription de Ti. Nero ne fait aucun doute : elle est clairement attes téepar Tacite qui, évoquant la jeunesse de Tibère, écrit : Tiberius proscriptum patrem exsul secutus6. Comme tous les emplois de proscriptio et proscribo qu'on relève chez Tacite sont pertinents, il n'est pas possible de douter qu'il avait bien été rajouté sur la liste. Münzer a d'ailleurs fait observer que la remarque de Tacite ne pouvait pas valoir pour 43 puisque le jeune Tibère était né en 42 : cela confirme bien qu'il s'agit là d'une proscription décidée dans un second temps. S'il restait un doute, ce serait Velleius qui pourrait le lever : lorsqu'il place Claudius Nero en tête des «illustres personnages» que les accords de Misène rendirent à l'Etat7, ce qui d'ailleurs ne signifie pas qu'il était resté aux côtés de Pompée8 mais qu'il bénéficia de la restitutio comme tous les autres proscrits {omnibus proscriptis écrit Velleius). Cette réhabilitation permit le retour à Rome du père et du fils, retour qu'avait déjà effectué plus anciennement Liuia Drusilla qui avait une liaison avec Octavien dont elle attendait un enfant et qu'elle épousa lorsque Ti. Nero eut accepté, sans trop se faire prier, semble-t-il, de divorcer9. Lui-même mourut peu de temps après, en 33, vraisemblable ment 10. Pour revenir sur sa proscription, elle est donc à mettre sur le compte d'Octavien qui, effectivement avait dû chercher à tirer vengeance de ce «républi cain» qui, après avoir combattu du côté des Antoine, avait tenté de provoquer un soulèvement contre lui en Campanie, qui prétendait conserver les faisceaux au delà du terme légal et qui avait rallié Sex. Pompée. Elle nous paraît démont rer, en tout cas, la volonté du jeune César d'épurer Rome des antoniens les plus redoutables, et cette mesure est sans doute à mettre en rapport avec le rajout sur la liste de sénateurs comme Cillo et Decius11. * RE 254 (Münzer); Klövekorn n° 44; Ribbeck n° 189. lAtt. VI, 6, 1 = 121 SB. 2 Bell. Alex. 25, 3; Suet., Tib. 4, 1. J Suet., Tib. 4,2; MRR s.a. 4 Suet., Tib. 4, 4; cf. Veil. II, 75, 1 qui, en 40, le présente comme praetorius. 5Suet., Tib. 4, 4; Veil. Π, 75, 1 & 76, 1; cf. Dio 48, 15, 3. C'est à cette occasion que C. Velleius, qui l'avait suivi jusque-là, se suicida; uid. infra n° 146.
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6 Ann. 6, 52. . 7 II, 77, 3. 8 Selon Suétone (Tib. 4, 5), il était passé assez vite à Antoine parce qu'il avait jugé que l'accueil de Sex. Pompée n'était pas digne de lui et parce qu'il s'était vu interdire l'usage des faisceaux auxquels il n'avait plus droit. «Tac, Ann. 1, 9; Suet., Tib. 4, 6. 10 Suet., Tib. 6 : Nouent natus annos defunctum patrem pro rostris laudauit (sc. Tiber ius). 11 Vid. nn° 40 & 50.
42. APPIVS [CLAVDIVS PVLCHER]* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 51, 222).
Rome
Se réfugia auprès de Sex. Pompée. Vraisemblablement Cos. 38.
restitutus avant 39.
A deux endroits de la longue série d'anecdotes qu'Appien raconte sur les proscrits de 43 apparaît un Appius. Le premier personnage ainsi désigné est sauvé par un esclave qui, ayant revêtu ses habits et pris sa place dans la litière, fut exécuté tandis que lui-même, déguisé en esclave, se trouvait tout à côté l. Le second, après avoir distribué ses biens à ses esclaves, s'embarqua pour la Sicile. Mais au cours d'une tempête, ceux des esclaves qui l'accompagnaient, voulant s'emparer de tout son or, l'abandonnèrent dans une petite embarcation sous prétexte d'assurer son salut. Effectivement, le bateau ayant coulé, Appius fut le seul survivant à parvenir en Sicile dans cette expédition2. Compte tenu de la relative proximité de ces deux anecdotes dans son récit, on peut penser qu'Appien n'aurait pas manqué, s'il s'était agi d'un seul et même personnage, de rappeler, la seconde fois, les mésaventures arrivées pr écédemment à son Appius. Nous n'avons donc pas de raisons de suivre Münzer lorsqu'il suggère la simplification qui consiste à assimiler les deux Appii en un seul: Appius Claudius Pulcher «minor», c'est-à-dire celui qui, fils de C. Pulcher, le préteur de 56, fut adopté par son oncle Αρ., consul en 54 et censeur en 503. Dans ces conditions, l'identification du second des deux Appii, celui qui trouva refuge en Sicile, avec Ap. Claudius Pulcher «maior», identification déjà proposée par Drumann & Groebe, est tout à fait vraisemblable4. Tout jeune encore, il avait commandé les légions que Pompée avait récupérées de César en 50 5. On le retrouve, en 43, déclaré ennemi public avec Antoine. Son ralliement à Antoine s'explique - et s'excuse - selon Cicéron qui cherche à le faire réhabil iter, par le fait que celui-ci avait obtenu la restituito de son père6. Et c'est sans doute son attitude après la guerre de Modène qui lui valut d'être porté - par
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
Antoine? - sur les listes de proscription : il chercha vraisemblablement à se ral lier aux républicains comme tendent à le prouver les lettres que Cicéron consa cre à sa restitutio7. Cependant, le fait qu'il ait géré le consulat en 38 implique qu'il avait été rayé des listes avant la paix de Misène : les consulats pour les années 38 à 31 avaient été attribués par Octavien et Antoine avant leurs négociations avec Sex. Pompée8 et on admet généralement que la paix de Misène ne remit pas en cau sel'attribution des magistratures pour les premières années9. Appius faisait donc vraisemblablement partie des personnages que les triumvirs avaient réta blis dans leurs droits et auxquels ils conféraient des honneurs pour se les atta cher. Il gouverna l'Espagne (sur laquelle il célébra un triomphe en 32) puis l'Afrique 10. * RE 14 (Münzer); Klövekorn n°84; PIR2 982; Wiseman, «Pulcher Claudius» 207208. Sur l'emploi du seul praenomen, Syme, «Missing Senators» 67. 1 App., BC IV, 44. Les manuscrits donnent Άππίονα. 2 App., BC IV, 51. 3 C'est Mommsen {Rom. Forsch. I, 25, η. 37) qui a, le premier, expliqué cette homony mie des deux Appii par l'adoption du plus jeune fils de C. Pulcher par son oncle. Sur cet Ap. minor uid. RE 299. 4 Identification suggérée par Drumann-Groebe II, 320-321. RE 298. PIR2 982, peut-être père naturel du cos. 12 : M. Valerius Messalla Barbatus Appianus. 5 Plut., Pomp. 57, 7; Cic, Au. VII, 15, 3; 20, 1 (139 & 144 SB). 6 Cic, Fam. XI, 22 & 21 (427 & 411 SB). iFam. X, 9 (= 426 SB); XI, 22 (= 427 SB). 8 Dio 48, 35, 1-3. 9 Vid. notamment Gabba comment, à App., BC V, 73, 313 et intro. LXXI s'appuyant sur Dio 48, 36, 4, qui affirme qu'on procéda, pour la signature de la paix, à une réparti tion du tribunat, de la preture et des prêtrises - à l'exclusion, par conséquent, du consul at. 10 Ou la Bythinie (en 27): Wiseman, «Pulcher Claudius» 208, après Grant, FITA 255258. Vid. Szramkiewicz, Gouverneurs II, 389; Scheid, Arvales 29-34.
43. APPIVS [CLAVDIVS PVLCHER]* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 44, 185).
Rome
Restitutus par Misène (?) Sénateur en 25.
Appien raconte l'histoire d'un Appius qui fut sauvé par un de ses esclaves qui se fit passer pour lui au moment où ses poursuivants arrivaient pour l'exé cuter1.
CATALOGUE DES PROSCRITS DE 43
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Mais le texte d'Appien a fait l'objet d'une correction : les manuscrits por tent Άππΐονα. Par ailleurs, Valère-Maxime raconte une histoire semblable à propos d'un certain Urbin(i)us Panapio (ou Panopio) en précisant que cela se passait dans une propriété de campagne du proscrit, à Réate2. Macrobe, lui aussi évoque cette histoire en donnant, au génitif, ce qui doit être le gentilice du protagoniste: Vrbini3. On a donc parfois considéré qu'il s'agissait d'un seul et même personnage4 en imputant à Appien l'erreur sur le nom, erreur qui pourrait s'expliquer par la ressemblance des deux formes : Άππίον(α) et Panapio. On renvoie d'ailleurs, en outre, à Sénèque et à Dion qui, sans donner de nom, racontent des histoires de maîtres sauvés par leur esclave qui, effectivement, ressemblent aux récits d'Ap pien et de Valère-Maxime5. Mais on ne semble guère s'être avisé du fait que Dion rapporte deux histoires assez proches et qu'il se pourrait bien, par consé quent, qu'il ne faille pas chercher à simplifier et à unifier, au prix de correc tionsimportantes des textes, le nom tel qu'il nous est transmis par Appien d'un côté et par Valère-Maxime et Macrobe de l'autre. La difficulté vient de ce qu'Appien et Valère-Maxime ont selon toute vra isemblance, contaminé les deux anecdotes et que, par conséquent, on ne sait plus distinguer les traits pertinents de chacune des deux. Cette remarque vaut, en particulier, pour la propriété de campagne dans laquelle les faits se sont déroulés pour la première des deux anecdotes (ές επαυλιν écrit Dion) : Appien utilise le même terme (εν έπαύλει) pour l'histoire de son Appius tandis que pour celle d'Urbinius, Valère-Maxime parle d'une propriété à Réate (in Reatinam uillam). Ce n'est pas sans importance si on considère que cette indication peut servir à identifier le personnage6. • Si donc on admet qu'il faut distinguer deux proscrits et reconnaître un second Appius dans le récit d'Appien, il faut l'identifier à Appius minor, celui qui avait été adopté par son oncle, le censeur de 50 7. On ne sait pratiquement rien de lui pour la période qui nous intéresse : compte tenu des liens des Claudii avec les adversaires de César, sa proscription n'est pas surprenante8. Com meAppius maior il fut restitutus puisqu'on le trouve dans un sénatusconsulte de 25 9 et qu'il dut achever la construction d'un portique, entreprise à Eleusis par son père adoptif 10. * RE 14 (Münzer) qui l'identifie au précédent; Klövekorn n°78; Ribbeck n°466; Wiseman, «Pulcher Claudius» 208-209. 1 Vid. le précédent n° 42. 2 Val. Max. VI, 8, 6. Le gentilice n'apparaît qu'une fois au génitif, ce qui ne permet pas de déterminer précisément s'il s'agit d'un Vrbinus ou d'un Vrbinius. 3 Sat. I, 11, 16. 4 Klôvekorn, en particulier. 5 Sen., Ben. III, 25; Dio, 47, 10. 6 Cf. infra n° 160. Il semble qu'Appien fasse plutôt référence à la seconde histoire racontée par Dion (celle dans laquelle le maître est lui-même déguisé en esclave) tandis
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
que les faits que rapporte Valère-Maxime s'accordent mieux à la première (qui est aussi celle que reproduit Sénèque). 7 C'est celui auquel Münzer proposait d'identifier l'autre Appius proscrit (cf. dossier précédent). Sur Appius minor uid. RE 299 (Münzer); Drumann-Groebe, Claudii n°44; PIR2 983. 8 Rappelons qu'une Claudia (RE 388), fille du cos 54, avait épousé Cn. frère aîné de Sex. Pompée et que sa sœur (RE 389) avait épousé M. Brutus dont elle divorça en 45. 9IGR 4, 33; PIR2 983. 10 CIL Ρ 775.
44. [C] CLODIVS* Rome?
Commanda une flotte républicaine (App., BC V, 2, 5). Rejoignit Cassius de Parme.
On ne sait pratiquement rien du Κλώδιος qui apparaît dans le récit d'Appien après le désastre républicain à Philippes : les forces navales qui restaient et qui étaient encore considérables, se concentrèrent sous l'autorité de Staius Murcus et de Domitius Ahenobarbus, avant de se scinder en deux, une partie rejoignant Sex. Pompée, l'autre restant constituée en force autonome1. Pour sa part Clodius joignit les treize bateaux qu'il commandait à ceux de Cassius de Parme. On peut penser, avec une certaine vraisemblance, qu'il était le C. Clodius à qui avait été confiée la garde de C. Antonius, frère d'Antoine, et qui finit par l'exécuter2. * RE 8 (cf. 3) (Münzer) ; non in Klövekorn. ^id. m/rann°51&130. 2 Dio 47, 24, 2-4. Mais on peut penser aussi, comme le suggère Gabba (comment, à App. 1.1.) qu'il est le Clodius, transfuge de l'armée d'Octave, venu renseigner Brutus à la veille de Philippes (Plut., Brut. 47, 8). Dans ce cas la proscription serait peu vraisemblab le. 45. C. COPONIVS* Praetorius
Proscrit (App., BC IV, 40).
Tibur
Sauvé grâce au «dévouement» de sa me (rayé des listes).
S'il faut en croire Appien, cet homme que Cicéron présentait en 56 comme un adolescens humanissimus et doctissimus, rectissitnis studiis atque optimis
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artibus praeditus l ne dut son salut qu'au sacrifice que sa femme, pourtant chast e jusqu'alors (σώφρων μεν ούσα τέως), fit de sa vertu à Antoine, remédiant à un malheur par un autre malheur (άτυχήματι δε ατύχημα ίωμένη). Il avait été préteur en 49 et avait choisi le parti de Pompée qui lui avait confié le commandement de sa flotte, conjointement avec C. Marcellus à Rhod es2. Après un échec devant Antoine, il perdit ses bateaux dans une tempête3. Pour ce qui est de sa proscription en 43, sur laquelle nous n'avons aucune précision, la façon dont Appien présente l'affaire laisse supposer qu'Antoine avait pu faire inscrire Coponius sur la liste précisément pour que son épouse demande qu'il en soit enlevé4, mais on n'aura garde d'oublier qu'il s'agit là, selon toute vraisemblance, d'une déformation due à la propagande hostile à Antoine et que la proscription d'un pompéien aussi eminent que Coponius n'a rien qui puisse étonner. Quoi qu'il en soit il est possible de voir en lui le sénateur que Velleius Paterculus évoque pour l'année 32 ... uir e praetoriis grauissimus, P. Silii socer. . . 5. On ne lui connaît pas de descendance. * RE 3 (Münzer); Klövekorn n° 11 ; Willems, Sénat I 517 n° 314. 1 Cic., Cad 24. 2 Caes., BC III, 5; Bruhns, Oberschicht 44-45; Crawford n° 444. * Caes., BC III, 26-27, Cic, Diu. I, 68. 4 Κοπώνιον δέ το γύναιον ήτησε παρά 'Αντωνίου. . . R. Syme, Révolution 187 (suivi par Hellegouarc'h comment, à Veil. Π, 83, 3) affirme : « La proscription d'un Coponius peut, à bon droit, être attribuée à Plancus», en expliquant cette hypothèse par l'hostilité qu'il marqua, par la suite, pour le personnage en question. 5 II, 83, 3.
46. (L. CORNELIVS CINNA)* Praetorius Rome
Prit le parti des tyrannicides (App., BC II, 121). Fils coss. 32. a. C. & 5 p. C.
Ce qui incite à accepter L. Cornelius Cinna dans le catalogue des proscrits (parmi les incerti en raison de l'absence de sources sur son activité pour l'an née 43), c'est le fait qu'il ait échappé de justesse au «lynchage» après sa prise de position publique en faveur des tyrannicides. Contrairement à ce que pense J. Scheid qui écrit que «la vive réaction de la foule devait pousser Cinna vers la neutralité»1, la tension était telle à Rome que le préteur ne pouvait pas y rester en sécurité et c'est la raison pour laquelle il dut partir en même temps que
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ceux dont il s'était montré solidaire. Et dans ces conditions il ne pouvait pas si du moins il était encore en vie en décembre 43 - ne pas figurer en bonne place parmi les proscrits. Si, en effet, on admet que les Triumvirs avaient rée llement l'intention de venger César, c'est-à-dire d'éliminer tous ceux qui étaient anti-césariens, comment penser que cet homme, anciennement victime de Sylla et rendu à la vie politique par César, ayant pris publiquement parti pour ceux qui avaient tué son bienfaiteur et ancien beau-frère qu'il qualifiait maintenant de tyran, ait pu échapper à leur vindicte? Quand bien même il aurait souhaité se retirer dans une prudente neutralité, il n'aurait pas pu trouver le repos. A cela on pourra ajouter un autre argument de vraisemblance. Dans le dis cours qu'il prête à Auguste après la découverte de la conjuration de Cinna Magnus, Sénèque lui fait dire : «.Ego te, Cinna, cum in hostium castris inuenissem, non factum tantum inimicum sed natum, seruaui, patrimonium tibi omne concessi·»2. Il nous paraît assez clair que l'expression inimicum... natum ne peut faire allusion qu'à la période triumvirale puisque Cinna avait épousé Pompeia en 46. Et d'autre part, la générosité d'Auguste à l'égard de Cinna {patrimo nium tibi omne concessi) ne semble avoir de sens que s'il était en mesure de confisquer le patrimoine du jeune homme comme la proscription lui en donn ait le droit (la restitutio consécutive à Misène ne prévoyait que la récupération du quart des biens). Il reste que L. Cinna avait été proscrit par Sylla et que s'il le fut une secon de fois par les Triumvirs, on est un peu surpris que les sources n'en fassent pas état : L. Fidustius a été deux fois proscrit, et on le sait! Il est vrai que tout avait été fait pour «effacer» la première proscription au point qu'elle ne nous est pas explicitement attestée3 et que, pour ce qui est de la seconde, la carrière polit iquede ses fils sous Auguste avait dû contribuer à en faire perdre le souvenir : L. Cinna a été consul suffect en 32 et frère arvale; Cn. Cinna Magnus a géré le consulat ordinaire en 5 p. C.4.
* RE 107 (Münzer); non in Klövekorn. 1 Arvales 23. 2 Clement. I, 9, 8. Sur ce texte uid. D.C.A. Shotter, « Cn. Cornelius Cinna Magnus and the Adoption of Tiberius», Latomus 33, 1974, 306-313. 3 Prosopo. I, n° 17. 4 L. Cinna : RE 107 (que Münzer confond avec son père); PIR2 1338 (= 1313); Scheid, Arvales 23-27. Cn. Cinna: RE 108 (Groag); PIR2 1339.
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47. [L. CORNELIVS] LENTVLVS CRVSCELLIO* Praetorius
Proscrit (App., BC IV, 39, 164).
Rome
Se réfugia auprès de Sex. Pompée (Val. Max. VI, 7, 3). Père du cos. 18 a. C.
Au chapitre de l'amour conjugal au cours de la proscription, Appien racont e que Lentulus (qu'il appelle Λέτλος) partit secrètement pour la Sicile, ne vou lant pas faire partager à son épouse les dangers de sa fuite et que lorsque celleci eut appris où il se trouvait elle s'échappa, déguisée en esclave, et le rejoignit : elle le trouva très abattu de leur séparation. Valère-Maxime raconte à peu près la même anecdote en ajoutant que l'épouse s'appelait Sulpicia et était fille d'une Iulia, et que le mari s'appelait Lentulus Cruscellio. L'identification du mari proposée par Klövekorn et Münzer est assez vra isemblable : il s'agit du fils du consul de 49, L. Lentulus Crus, qu'il faut proba blement identifier au préteur de l'année 44, L. Lentulus. Groag considérait qu'on devait plutôt l'identifier avec Cn. Lentulus, legatus pro praetore sous Sex. Pompée en Sicile et qui serait revenu à Rome, après 39, pour y gérer la preture l. Mais cette identification est bien fragile et mieux vaut s'en tenir à la vraisemblance. Les derniers rejetons de la gens des Cornelii Lentuli avant l'Empire ont été d'ardents républicains. On sait que le père du proscrit était un ennemi acharné de César qui l'accuse d'avoir déclenché la guerre civile dans l'espoir de devenir un second Sylla2; il participa à Pharsale puis se réfugia en Egypte où il fut tué par le roi3. Nous sommes moins renseignés sur son fils dont nous savons sim plement qu'il exerça la preture en 44 et qu'il fit partie de ceux qui refusèrent, le 28 novembre de cette année-là, le partage des provinces4. On ne peut d'ailleurs tirer argument de cette preture pour compter Lentulus au nombre des parti sans de César pendant la guerre civile, comme le fait H. Bruhns5 : d'autres que lui ont été préteurs cette année 44 qui avaient exercé une responsabilité dans l'armée de Pompée, à commencer par M. Brutus. Quoi qu'il en soit, Sex. Pom péel'accueillit avec une certaine déférence et lui accorda le titre de στρατηγός (ce qui, évidemment, ne peut gère nous renseigner sur la nature exacte du cur sus qu'il avait déjà parcouru à Rome). Mais on ne sait pas ; ce qu'il devint par la suite, en particulier s'il bénéficia d'une restituito ou s'il périt dans la tourmente. En revanche, si notre identification est acceptée, on en déduira comme vra isemblable la filiation de Cn. Cornelius Lentulus, le consul de 186. Par ailleurs, l'indication que fournit Valère-Maxime sur son mariage avec une Sulpicia fille d'une Iulia n'est guère éclairante parce que nous sommes dans l'impossibilité de déterminer quel Sulpicius pouvait avoir marié sa fille au fils de Lenturus Crus7.
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* RE 219 (cf. 197) (MOnzer); Klôvekorn n°22; Drumann-Groebe II, Cornelii 35; PIR2 1389. 1 «Triumvirat» 54-55 à propos de l'inscription de T. Marius Siculus (CIL XI 6058) et suivi par PIR?. Cf. MRR s.a. 38 «praetors». Pour ce personnage uid chap. 6, la note prél iminaire au tableau des proscrits (p. 273). 2 BC I, 4, 2 : Lentulus aeris alieni magnitudine et spe exercitus ac prouinciarum et regum appellandorum largitionibus mouetur seque alterum fore Sullam inter suos gloriatur ad quem summa imperii redeat. Cf. Veil. Pat. II, 49, 4 : ... Lentulus uero salua re publica saluus esse non posset. . . 3 Sur ce personnage uid. RE 218 (Münzer), Willems, Sénat I, 472-473 n° 123 et Dru mann-Groebe II, Cornelii n° 26. 4 Cic, Phil. Ill, 25-26. 5 Oberschicht 57-58, n° 39. 6 RE 180; PIR2 1378; Szramkiewicz, Gouverneurs Π, 392-393. 7 Les trois Sulpicii connus pour cette époque (Ser. Sulpicius Rufus, Ser. Sulpicius Galba, P. Sulpicius Rufus) ne peuvent être retenus; cf. la discussion de MOnzer dans la RE s.n. Iulia (n° 544).
48. P. CORNELIVS LENTVLVS SPINTHER* Proquaestor Rome
Se joignit aux meurtriers de César (Plut., Caes. 67, 4-5). Subit le même sort que les tyrannicides.
Bien qu'il ne soit dit nulle part qu'il avait figuré sur les listes de proscript ion, il n'est pas possible de douter que ce jeune homme, fils du consul de 57 qui avait été l'artisan du rappel de Cicéron, avait été proscrit : il faisait partie, avec C. Octauius, lui-même proscrit l, de ces gens qui se joignirent aux tyranni cides lorsque ceux-ci montèrent au Capitole : « De ce nombre étaient C. Octauius et Lentulus Spinther qui, dans la suite, furent bien punis de cette fanfaronna de : Antoine et le jeune César les firent exécuter et ils n'avaient même pas joui .de la gloire pour laquelle ils mouraient parce que personne ne les crut»2. On ne sait malheureusement que peu de choses sur lui avant les ides de mars 44 : pour être eligible dans le collège des augures il avait, l'année même de sa prise de toge virile, été adopté par un Manlius Torquatus, adoption pure ment formelle puisqu'elle ne modifia pas sa nomenclature3. Il y a toute vra isemblance que le jeune homme avait suivi son père pendant la guerre civile4 mais alors que le consul devait trouver la mort en Afrique, la présence à Rome de son fils est attestée en 45, date à laquelle il divorça d'avec sa femme Metella5. Ce qui est certain, c'est qu'après son ralliement spectaculaire aux tyranni-
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cides il partit en Asie comme questeur de Trebonius et que, l'année suivante, après la mort du proconsul, il assuma la charge de proquaestor pro praetore selon la titulature que lui-même indiqua sur son rapport au sénat du début du mois de juin6. Dans une lettre de la même date adressée à Cicéron, il insiste sur la sincérité de son choix républicain qui a été fait malgré ses attaches familial es : Atque haec omnia is feci qui sodalis et familiarissimus Dolabellae eram, coniunctissimus sanguine Antoniis, prouinciam quoque illorum beneficio habebam; sed πατρίδα έμήν μάλλον φιλών omnibus mets bellum primus indixi7. Il attendait d'ailleurs que son attitude lui vale une reconnaissance : «Je crois avoir assez bien mérité de l'Etat pour prétendre, je ne dirai pas seulement à obtenir le gouvernement de cette province, mais à être traité sur le même pied que Cassius et les Brutus non seulement pour avoir pris part à leur glorieuse entreprise et à leurs dangers mais aussi pour m'être comme identifié aussi à leurs vues et à leurs sentiments politiques8». Dans ces conditions il n'avait pas dû être bien surpris d'apprendre que son nom figurait parmi ceux des proscrits. En 42 il se trouve aux côtés de Cassius contre Rhodes9, puis avec Brutus en Lycie10. On ne sait rien de sa mort, mais compte tenu de la façon dont Plutarque évoque son histoire on peut penser qu'il fut capturé après Philippes et exécut é. On ne lui connaît pas de descendance. * RE 239 (Münzer); non in Klövekorn. Son statut se déduit de la façon dont Plutar que raconte son histoire : il fait partie des notables que les tyrannicides rencontrèrent après avoir accompli leur acte, ce qui implique qu'il n'était pas lui-même à la séance du sénat. Compte tenu du fait qu'il prit la toge virile en 57, il est vraisemblable qu'en 44 il ne faisait pas encore partie du sénat. Mais lui-même, en 43, devait se considérer comme sénateur après ses fonctions provinciales. 1 Cf. infra n° 94. 2 Plut., Caes. 67, 4-5. Appien (BC II, 119) ajoute que pour faire croire à cette participa tion certains brandissaient des armes dégainées. 3 Dio 39, 17, 2, qui ajoute que si la lettre de la loi fut ainsi respectée, l'esprit en fut transgressé. Vid. Shackleton-Bailey, Nomenclature 113-114. 4 En avril 47, Cicéron écrit à Atticus : P. Lentulum patrem Rhodi esse aiunt, Alexandriae f ilium, Rhodoque Alexandriam C. Cassium profectum esse constat (Att. XI, 13, 1 = 224 SB). 5 Att. XII, 52 = 294 SB; XIII, 7 = 314 SB. Sur cette Metella, uid. Münzer (RE 137) et Shackleton-Bailey, Appendix III in Cicero's Letters to Atticus Vol. V, 412-413). 6 Cic, Fam. XII, 15 = 406 SB : P. Lentulus P. f. Pro Q. pro Pr. 7 F am. XII, 14, 7 = 405 SB. 8 Ibid. 6 : Ego me de re publica puto esse meritum ut non prouinciae istius beneficium exspectare debeam sed tantum quantum Cassius et Bruti non solum illius facti periculique societate sed etiam huius temporis studio et uirtute. 9 App., BC IV, 72. "Ibid. 82.
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49. (Q. CORNIFICIVS)* Proconsul Lanuvium
Avait pris le parti des républicains. Tué dans les combats de 42 (App., BC IV, 56).
La proscription de Q. Cornificius est possible, elle est vraisembable même, mais elle n'est pas formellement attestée1. Cet ancien césarien qui avait dû exercer la preture en 45 2 était proconsul d'Afrique en 43. Or Appien raconte que lorsque Sextius demanda à Cornificius de lui aban donner l'Africa Vêtus «parce que toute l'Afrique était échue à César lors du partage des Triumvirs»3, celui-ci répondit «qu'il ne connaissait pas le partage fait entre les Triumvirs et que, puisqu'il avait reçu le commandement du sénat, il ne l'abandonnerait à personne sans l'ordre du sénat». Si Sextius est envoyé pour prendre possession de l'Africa Vêtus c'est parce que le magistrat qui la gouverne est un ennemi des Triumvirs : Appien affirme que, sous Cornificius, l'Afrique était devenue un refuge pour les proscrits4 et Dion ajoute qu'il avait envoyé des forces considérables pour soutenir Sex. Pomp ée5. Ces actes d'hostilité avaient pu lui valoir d'être porté sur les listes et, en tout cas, il fut tué au cours des hostilités contre Sextius6. On observera qu'un Cornificius avait fait un autre choix : L., qui fut l'accusateur de Brutus e lege Pedia1, participa aux opérations contre Sex. Pompée8 et géra le consulat en 35 9. Il est possible qu'il soit un cousin du proscrit. * RE 8 (Wissowa); Klövekorn n° 14. Sur son origine, Taylor, Voting Districts 208; sur sa fortune Shatzman, Senatorial Wealth n° 134; sur le personnage F. L. Ganter, «Q. Cornif icius. Ein Beitrag zur Geschichte der Senatspartei in den letzten Jahren der Republik», Philologus 53, 1894, 132-146. 1 Bengtson, «Proskriptionen» 30 (après Klövekorn) la considère comme sûre. 2 MRR s.a. 3 App., BC IV, 53 : ... ώς Λιβύης άπάσης έν τη λήξει των τριών ανδρών Καίσαρι νενεμημένης. *BC IV, 36: Certains d'entre eux se réfugiaient en Afrique «où Cornificius avait embrassé le parti républicain » (και τονδε της δημοκρατίας μεταποιούμενον). 5 Dio 48, 17, 6 : καί τίνα αύτώ δύναμιν και Κυίντος Κορνουφίκιος έκ τής Άφρίκης έπεμψε. 6 App., BC IV, 56. Il faut donc corriger les manuscrits de la Periocha 123 de Tite-Live qui donnent ce texte, aberrant compte tenu de ce que nous savons par ailleurs : Q. Corni ficius in Africa T. Sextium, Cassianarum partium ducem, proelio uicit. 7 Plut., Brut. 27, 4. 8 App., BC V, 80, 339 et comment, de Gabba. 9PIR2 1503; RE 5. Il gouverna l'Afrique ca 32 : Szramkiewicz, Gouverneurs 135 & II, 395-396.
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50. [PjDECIVS* Sénateur
Proscrit (rajouté sur la liste) (App., BC IV, 27).
Latium
Exécuté sur place.
On ne sait absolument rien sur ce personnage dont Appien dit qu'il apprit avec son collègue Cillo - au sortir du sénat que leur nom avait été rajouté sur la liste de proscription et qui fut tué alors qu'il essayait de s'enfuir. Le seul rapprochement qu'on puisse tenter est évidemment celui qui se ferait avec l'antonien P. Decius, sur lequel Cicéron ironise dans les Philippiques1. Il pourrait s'agir du même personnage que celui par l'intermédiaire duquel Octave avait fait des propositions à Antoine après la guerre de Modène2. S'il fallait identifier notre proscrit avec l'antonien, ce que nous considérons comme vraisemblable, il conviendrait d'interpréter sa proscription comme un règlement de comptes intervenant tardivement, à un moment, en tout cas, où un sénateur ne craignait pas de venir siéger. On devrait penser alors à une deuxième épuration, entreprise par Octavien contre les partisans d'Antoine au lendemain de la guerre de Pérouse3. * RE 1 (Münzer); Klövekorn n°226. Le nom est étrusque; cf. Münzer, Adelsfamilien ' 1 XI, 13 : «... qui, suivant l'exemple de ses ancêtres s'est dévoué pour ses créanciers». Cf. XIII, 27. RE 10. 2 App., BC III, 80. 3 Vid. Ti, Claudius Nero (n°41) et C. Velleius (n° 146) sans doute rajoutés à la liste après Pérouse. Sur Cillo, supra n° 40). 45.
51. Cn. DOMITI VS AHENOBARBVS* Sénateur
Proscrit (App., BC V, 61, 259).
Rome
Réfugié en Grèce puis réconcilié avec toine. Restitutus à Brindes Cos. ord. 32. Fils cos. 16.
Il n'y a pas lieu de mettre en doute les renseignements que fournit Appien dans le dialogue qu'il imagine entre L. Cocceius Nerua et le jeune César. A ce dernier qui reproche à Antoine de s'être acoquiné avec un assassin de son père, Domitius, «qu'un vote, un procès, une proscription avaient condamné»1, L. Cocceius répond qu'Ahenobarbus ne faisait pas partie des assassins et que «le vote qui a été pris contre lui l'a été pour des raisons d'inimitié personnelle»2.
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Ces renseignements sont, en effet, confirmés partiellement par Suétone qui affirme : Is inter conscios Caesarianae necis quamquam insons damnatus lege Pedia . . . 3. Dion qui, à trois reprises, affirme au contraire que Domitius faisait partie des assassins4 a visiblement puisé à une source octavienne antérieure à la réconciliation de Brindes entre le jeune César et Antoine, réconciliation qui se traduisit par une amnistie pour tous ceux qui, venant du parti républicain, étaient passés à Antoine5. D'ailleurs la proscription d'Ahenobarbus n'avait dû surprendre personne à Rome : par sa mère Porcia, sœur de Caton, il était évidemment allié aux enne misde César avec lesquels il se trouva, en effet, au moment de la guerre civi le. Après Philippes, il avait rassemblé, avec Staius Murcus, toutes les forces navales disponibles et, alors que ce dernier choisit de se rallier à Sex. Pompée, lui-même pour des raisons évidentes6 préféra se constituer une force indépen dante dont bien vite Antoine chercha à s'attirer le concours7. Quoi qu'il en soit, sa réconciliation avec Antoine lui avait valu le gouverne ment de la Bythinie entre 40 et 35 puis le consulat en 32 8. Mais l'année suivante il passa à Octavien et mourut peu de temps après9. Son fils L. fut consul en 16 a. C. l0. * RE 23 (Münzer); Klövekorn n° 59; Willems, Sénat I, 609-610. 1 BC V, 61, 259 : «. . .Άηνόβαρβον φονέα του έμοΰ πάτρος, ψήφω, κρίσει και προγραφή κατεγνωσμένον. . .». 2 Ibid. 62,261. 3 Nero 3, 2. Mais il est possible que ces textes innocentant Domitius du meurtre de César aient été inspirés par une propagande impériale. 4 48, 7, 5 : Ό γαρ Δομίτιος ην μεν των σφαγέων. . . cf. 29, 2. De même en 54, 4 : «Do mitius qui avait été un des assassins de César et qui avait été proscrit ...» (mais ce der nier texte remplace la condamnation e lege Pedia par ce qui devait théoriquement la fon der : la participation au complot. Il n'est donc pas entièrement convaincant). 5 Dio 48, 29, 2 ; cf. App., BC V, 65, 275 où il n'est pas expressément parlé de cette amnistie. Suétone, quant à lui, affirme que Domitius fut le seul des condamnés au titre de la loi Pédia qui ait pu revenir dans sa patrie pour y exercer des charges (Nero 3). On constate, en tout cas que D. Turullius, qui resta près d'Antoine ne fut pas pardonné : il avait effectivement pris part à la conjuration. 6 On ne saurait oublier que c'est Pompée qui était responsable de la mise à mort de son oncle Cn. Domitius Ahenobarbus, proscrit par Sylla (Prosopo. I, n°24) et que les Domitii Ahenobarbi comptaient parmi les chefs d'un clan très hostile à Pompée (sur cette question uid. notamment R. J. Seager, « L. Domitius Ahenobarbus and Cicero's election to the consulship», LCM 1, 5, 1976, 46). 7 App., BC V, 2, 9 et comment, de Gabba. 8 App., BC V, 63, 271 et comment, de Gabba; MRR s.aa. 9 Dio 50, 13, 6; Plut., Ant. 63, 3-4; Suet., Nero 3, 3. 10PIR2 128 (grand-père de Néron). Szramkiewicz, Gouverneurs 129-130, 139-140 & Π, 399.
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52. EGNATIVS (pater) 53. EGNATIVS (filius)* Sénateurs
Proscrits (App., BC IV, 21).
Caere
Tués en même temps.
Parmi les anecdotes concernant des pères et des fils proscrits, figure celle de la mort simultanée des deux Egnatii tués d'un seul coup alors qu'ils se tenaient embrassés et dont les têtes furent tranchées alors que leurs corps étaient encore accrochés l'un à l'autre. Il y a évidemment peu de renseignements à tirer de cette anecdote et nous connaissons trop mal les Egnatii de la fin de la République pour opérer des rapprochements convaincants. On peut penser, évidemment, qu'il s'agit de Cn. Egnatius, celui dont le père avait été exclu du sénat en 70 *. Le fils pourrait alors être l'Egnatius qui avait été préfet de la cavalerie contre les Parthes2. Mais il n'existe aucun argument qui puisse déterminer à adopter une telle identification et, en tout état de cause, elle ne permet pas de déterminer ce qui a pu valoir à ces deux malheureux une exécution aussi sommaire. * RE 6 (Münzer); Klövekorn nn° 93-94. Sur l'origine de ces personnages uid. Badian, «Roman Senators» 133. 1 Cluent. 135. RE 2. Sur la détermination de son prénom MRR suppt 23, ce qui amène à le distinguer de C. Egnatius Maxumus, monétaire de 75 (Crawford n°391). 2 Plut., Crass. 27, 8-9; RE 5. 54. C. FANNIVS* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 84, 354). Se réfugia auprès de Sex. Pompée. Finit par passer à Antoine (Ibid. V, 139, 579).
L'identification des Fannii d'époque triumvirale est délicate et on en est souvent réduit aux hypothèses. On considère parfois que le proscrit mentionné par Appien dans l'entoura ge immédiat de Sex. Pompée n'est autre que le préteur de 54 l. Mais on sait que Cicéron, dans une lettre de 48 annonce à Atticus la mort de ce pompéien : de Fannio consoler te?2. On est donc amené, pour justifier l'hypothèse, à affirmer que Cicéron se fait l'écho d'une fausse nouvelle 3 parce qu'on considère qu'il n'a pu y avoir qu'un seul C. Fannius d'un rang aussi élevé à cette époque.
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Mais il n'est pas de bonne méthode de rapporter à un seul personnage tous les témoignages connus sur C. Fannius. Certes celui qui, en 43, fut envoyé par le sénat à Sex. Pompée en même temps que L. Aemilius Paullus et Q. Minucius Thermus devait être un sénateur d'un certain rang, mais comme l'a fait obser ver T.R.S. Broughton, la troisième place dans une légation de cet ordre revenait souvent à un homme jeune de moindre importance4 et surtout on interpète mal une expression d'Appien lorsqu'on fait du proscrit le personnage le plus haut placé dans l'entourage de Sex. Pompée : énumérant ceux de ses partisans et amis qui finirent par l'abandonner, Appien cite Cassius de Parme, Q. Nasidius, Sentius Santurninus Vetulo, Q. Minucius Thermus, C. Antistius Rheginus et «tous les nobiles qui restaient encore dans son entourage»; il ajoute alors à cet teliste deux personnages, ceux dont la trahison devait être la plus cruelle : Fan nius (ό και τιμιώτατος αύτω Φάννιος) et L. Scribonius Libo, son beau-père. Il est clair qu'on ne peut pas arguer de l'expression τιμιώτατος αύτω pour faire de Fannius le personnage prédominant en Sicile : Appien ne l'isole des autres αξιόλογοι que parce qu'il était particulièrement cher à Pompée, au même titre que son beau-père. Le superlatif τιμιώτατος ne se comprend ici qu'avec son complément αύτω qui en donne la mesure. Il nous semble donc qu'il n'y a pas lieu de suspecter l'information que don neCicéron en 48 : C. Fannius, pontife, ancien préteur, propréteur de Sicile puis d'Asie, un des personnages les plus éminents du parti pompéien, est mort au cours de la guerre civile, comme Pompée et Lentulus Spinther. Dans ces condit ions, le sénateur envoyé auprès de Sex. Pompée, en 43, et qui se réfugia auprès de lui après que son nom eut été inscrit sur les listes, pourrait très bien être son fils : il existait sans doute des liens privilégiés entre Fannii et Pompeii, liens dont il est difficile de préciser la nature compte tenu du peu d'informations dont nous disposons, mais qui expliquent, en tout cas, la présence du jeune C. Fannius dans l'ambassade de 43. Ce qui est remarquable, par ailleurs, c'est la présence dans les rangs répu blicains d'un autre Fannius, qu'on ne peut pas assimiler à notre proscrit : il s'agit du personnage qui est attesté comme légat de Cassius contre Rhodes en 42, aux côtés de P. Lentulus Spinther5, et qu'on identifie généralement au Fan nius Caepio qui, en 22, avait comploté contre Auguste6. Enfin on ne manquera pas de signaler l'existence d'un Fannius dont se moque Martial parce qu'il se suicida pour échapper à ses ennemis, ce qui, dit le satiriste, est une façon de mourir pour ne pas mourir : Hostem cum fugeret se Fannius ipse peremit. Hic, rogo, non furor est, ne moriare, mori?1. Il se pourrait, mais rien ne permet de le démontrer, qu'il s'agisse d'un de ces suicides de proscrits dont Appien nous a conservé, par ailleurs, quelques exemples. * RE 9 (Münzer); Klövekorn n° 10; Ribbeck n°36; Fischer n° 132.
CATALOGUE DES PROSCRITS DE 43 9.
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1 Sur la date de cette preture et les détails de sa carrière, MRR s.aa. et suppt. 24 ; RE
2 Ait. XI, 6, 6 = 217 SB, du 27 novembre. 3 C'est notamment l'hypothèse de Münzer, suivi par Shackleton- Bailey, comment, ad loc. et par Cadoux, MRR suppt. 4 MRR suppt. 24. 5 App., BC IV, 72; RE 1 Münzer. 6 C'est notamment l'hypothèse de Kappelmacher (RE 16). Sur ce personnage que nous n'avons pas intégré à notre catalogue, uid. chap. 6, note préliminaire au tableau des prosc rits, 270-274. 7 Mart. II, 80.
55. M. FAVONIVS* Praetorius
Un de ceux qui se joignirent aux triers de César (App., BC II, 119).
Terracine
Se trouva aux côtés de Brutus. Exécuté après Philippes (Dio 47, 49, 4).
On sait que ce stoïcien était, sur le plan des principes du moins, plus intransigeant que son ami Caton : rappelons qu'il avait été le seul, en janvier 49, à s'opposer à toute entente avec César1 et qu'il n'hésitait pas à ironiser sur les prétentions monarchiques de Pompée2. Lors de la guerre civile il avait pris le parti de Pompée à l'égard duquel il n'avait pas perdu son ironie provoquante3. Et, à en croire Plutarque, Pompée endurait ce partisan récalcitrant4 auquel était vraisemblablement échu une propréture5 et qui, après Pharsale, l'accompagna dans sa fuite6. Mais à la différence de Caton, son modèle, il survécut à la défaite de son parti puisqu'en 44 Brutus, préparant la conjuration contre César, l'avait sondé et s'était entendu répondre «qu'une guerre civile est pire qu'une monarchie illégale»7. Pourtant une fois le dictateur tué, comme un certain nombre d'aut res, il se joignit aux tyrannicides dont il ne partagea pas la gloire mais dont il subit le châtiment8. De fait, il suivit Brutus en Orient9. Après Philippes il fut capturé par Octavien qui le fit exécuter 10. Il est tout à fait remarquable que Favonius soit un des très rares proscrits dont on sache à qui fut échue une partie de ses biens : un de ses anciens escla ves,Sarmentius, ayant été poursuivi pour avoir usurpé la dignité de chevalier Romain, expliqua qu'il avait été affranchi par Mécène qui avait été le sector des biens de Favonius11. * RE 1 (Münzer); Klövekorn n°16; Willems, Sénat I, 513-514, n°299; DrumannGroebe II, 32-37. Sur son origine possible Taylor, Politique 251, n. 5 & Wiseman, New
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Men n° 173, s'appuyant sur CIL X 6316. Sur le détail de sa carrière MRR, notamment s.a. 49 pour sa preture. 1 Cic, Au. VII, 15, 2 = 193 SB :. . . uni Fauonio leges ab ilio (se. Caesare) nobis imponi non placebat sed is non auditus in consilio. Caio enim ipse iam seruire quant pugnare mauult. 2 Val. Max. VI, 2, 7. Sur le tempérament passionné de ce personnage qui « faisait de la philosophie moins par raison que par entraînement et folle passion» (Plut., Caio min. 34, 4) uid. D. Babut, Fiutarque et le Stoïcisme, Paris, 1969, 168-169. 3 Plut., Caes. 33, 5 : « Favonius lui conseilla de frapper du pied la terre, parce que Pompée, un jour où il parlait au sénat avec jactance, avait déclaré à l'assemblée qu'elle n'avait à s'inquiéter de rien ni à s'occuper des préparatifs de guerre : « Moi-même, dit-il, dès que César arrivera, je n'aurai qu'à frapper du pied le sol pour remplir d'armées l'Ita lie». Cf. Pomp. 60, 8; App., BC II, 37. 4 Plut., Pomp. 67, 5: «Favonius ne lui était pas moins désagréable que ceux qui le raillaient avec une franchise intempestive, lorsqu'il criait : «Amis, ce n'est pas cette année encore que nous goûterons aux figues de Tusculum». Cf. Caes. 41, 3. 5 Dio 41, 43, 2-3. «Veli. II, 51, 3. 7 Plut., Brut. 12, 3. 8 App., BC II, 119, c'est-à-dire qu'il fut condamné e lege Pedia puis proscrit; cf. Dio 47, 49, 4. 9 Plut., Brut. 34, 4-8. 10 Dio 47, 49, 4. Selon Suétone (Dim. Aug. 13, 3) Favonius, au moment d'être égorgé, salua Antoine du titre d'imperator mais injuria Octavien. 11 Schol. ad Iuuen. V, 3:... cum apud iudices nihil aliud docere temptaret quam concessam sibi libertatem a Maecenate, ad quem sectio bonorum Fauori pertinuerat. Szramkiewicz, Gouverneurs II, 94, fait du Favonius qui fut consul sous Tibère, un descendant du proscrit. Il pourrait aussi descendre de Fauonius Caepio. 56. L. FIDVSTIVS* Sénateur
Proscrit (Plin., HN 7, 134).
Rome
Exécuté (Dio 47, 11, 4).
On n'est pas mieux renseigné sur la seconde proscription de ce sénateur, que Pline appelle M. Fidustius et Dion Λούκιος Φιλούσκιος, qu'on ne l'était sur sa première proscription, sous Sylla1. Les seules indications qu'on puisse tirer de l'anecdote racontée par ces deux auteurs concernent son statut (senatorem) et le fait qu'il trouva la mort (απέθανε). On observera, en tout cas, que cet ancien proscrit, réintégré dans ses droits civiques par la loi de 49 avait retrouvé son statut de sénateur, sans doute à l'initiative de César, et qu'il avait vraisemblablement réussi à récupérer une partie de ses biens. Mais comme on ne peut pas penser qu'il était parvenu à se constituer une fortune très considérable et comme, par ailleurs, on a du mal à croire, avec
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Pline, qu'il avait été proscrit par Antoine pour la seule raison qu'il avait déjà figuré sur des listes de proscription, on est amené à considérer qu'il avait dû manifester de façon un peu trop voyante des sentiments républicains. Il est le seul Fidustius qui nous soit connu par les textes et, par conséquent, la tentation est forte de voir en lui le L. Fidustius M. f. (Voltinia) dont on connaît un certain nombre d'affranchis2. * RE s.n. (Münzer) ; Klövekorn n° 54. 1 Prosopo. I, n° 26. 2 CIL F 1305; CIL VI 35254; 35255.
57. (C. FLAVIVS)* Chevalier
Praefectus fabrum de Brutus (Plut., Brut. 51, 2). Mort à Philippes.
Il y a toutes chances pour que ce princeps equestris ordinis, qui s'était char gé d'organiser une «souscription volontaire» de l'ordre équestre pour les meurt riers de César l et qui fut Γεπαρχος των τεχνιτών de l'armée de Brutus, ait figu réen bonne place sur la liste des chevaliers proscrits. Là s'arrête notre information sur ce personnage que les Triumvirs devaient juger comme un de leurs ennemis privilégiés et qui trouva la mort à Philippes en même temps que Pacuuius Labeo2. * RE 11 (Münzer); non in Klövekorn; Nicolet n° 148. 1 Nep., Ait. 8, 3. 2 Vid. infra n° 99.
58. FVLVIVS* Tusculum?
Proscrit (App., BC IV, 24, 101). Exécuté.
Il faut nous résoudre à considérer l'identification de ce proscrit comme impossible : nous avons trop peu d'indications sur lui-même et nous savons trop peu de choses sur les Fuluii d'époque triumvirale pour fonder des hypot hèses. Appien raconte simplement que cet homme, à la recherche d'une cachette, se réfugia chez une affranchie qui avait été sa maîtresse et qu'elle le trahit par cequ'elle était jalouse de son récent mariage.
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On doit pouvoir affirmer, en tout cas, qu'il n'était pas apparenté à la fem me d'Antoine : la tradition, si prompte à charger le couple de toutes les cruaut és, n'aurait pas manqué de se faire l'écho de ce meurtre familial. * RE 3 (Münzer); Klövekorn n°95. Sur l'origine des Fuluii, Cic, Plane. 20. 59. Q. GELLIVS CANVS* Chevalier?
Proscrit (Nep., Ait. 10, 2-5).
Samnium ?
Rayé de la liste par Antoine.
Selon toute vraisemblance, et compte tenu du fait que cet épicurien s'était tenu à l'écart de toute activité politique, sa présence sur les listes de proscrip tion s'explique à la fois par sa fortune et par sa familiarité avec Atticus. Il fut d'ailleurs rayé de la liste par Antoine en même temps qu'Atticus et grâce à lui puisque le Triumvir voulait ainsi prouver à Atticus ses bonnes dispositions. Par conséquent nous ne suivrons pas Münzer1 lorsqu'il suggère que cette proscription pourrait s'expliquer par la parenté de Canus avec L. Gellius Poplicola, le fils du consul de 72 : pour lui, il y avait un seul personnage, Q. Gellius Poplicola Canus, chevalier Romain témoin dans le procès de Sestius en 56 2 et ami d'Atticus. Mais c'est là une simplification que rien ne justifie et contre laquelle il y a de fortes objections3. * RE 1 (Münzer); non in Klövekorn; Nicolet n° 170. lRE. 2 Cic, Sest. 1 1 1 ; Nicolet. 3 Nicolet a fait observer, en particulier que lorsque Cicéron parle de l'ami de Clodius, il le cite sous son gentilice (Ait· IV, 3, 2 = 75 SB) tandis que dans les trois lettres où il est question de l'ami d'Atticus, celui-ci apparaît sous son cognomen Canus (Ait. XIII, 31, 4 = 302 SB; 41, 1 = 344; XV, 21, 2 = 398). Sur Poplicola uid. infra n° 60. 60. (L. GELLIVS POPLICOLA) * Sénateur
Aux côtés de Brutus en 42 (Liu., Per. 122).
Samnium Ce fils du consul de 72 devait être, par tradition familiale, hostile à César : on sait que son père s'était opposé à ses projets agraires et qu'il avait, en revan che,parlé en faveur du rappel de Cicéron1. Pour ce qui est du fils, on ne sait rien de lui avant la mort de César, mais on le trouve, en 42, aux côtés de Brutus et de Cassius, avec son demi-frère M. Valerius Messalla dont nous savons de façon certaine qu'il figurait sur la liste de proscription2.
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Par conséquent on peut admettre qu'il était bien inscrit, lui aussi, sur cette liste et considérer que les tentatives qu'il fit d'abord contre Brutus puis contre Cassius lui auraient été une façon de racheter sa radiation. Dans l'un et l'autre cas il fut découvert mais épargné, la première fois en raison de sa parenté avec M. Messalla, la seconde par égard pour sa mère, Polla, qui avait empêché sa conjuration contre Cassius d'aboutir3. Il passa à Antoine, sous lequel il procéda, en 41, à une émission monétaire avec le titre de questeur (propraetore?)*. Cette réconciliation, aussi bien peutêtre que son mariage avec Sempronia, sœur de l'antonien L. Sempronius Atratinus, lui avaient valu le consulat en 36. Au début de la guerre qui opposa Antoi ne et Octavien, il était en Orient et il combattit du côté d'Antoine dont il com mandait une partie de la flotte5. Selon toute vraisemblance il fut tué au cours des hostilités parce qu'on n'entend plus parler de lui. * RE 18 (Münzer); non in Klövekorn; Drumann-Groebe Gellii n° 14. 1 RE 17 (Münzer). 2 Cf. infra n° 145. 3 Dio 47, 24, 5-6; Liu., Per. 122. 4 Crawford n° 517; MRR s.a.; Glauning, Anhängerschaft 11-12. 5 Veil. II, 85, 2; Plut., Ant. 66, 4. L'aile droite : ibid. 65, 1.
61. HATERIVS* Sénateur ?
Proscrit (App., BC IV, 29, 127). Exécuté. Fils (?) cos. suff . 5 a. C.
C'est un de ses esclaves qui trahit Haterius et révéla sa cachette; c'est ce même esclave qui, un peu plus tard, racheta ses biens. Il est possible que cet Haterius soit le jurisconsulte évoqué par Cicéron dans sa correspondance1. Son statut sénatorial se déduit de la parenté qu'on lui suppose avec Q. Haterius qui fut tribun de la plèbe et préteur puis consul (en 5 a. C.) et dont Tacite écrit qu'il était familia senatoria2. Quoi qu'il en soit, il est le seul Haterius républicain qui nous soit connu et on ne peut déterminer ce qui lui valut d'être proscrit. * RE 1 (Mûnzer), Klôvekorn n° 88; Wiseman, New Men n° 200. 1 Fam, IX, 18, 3 = 191 SB, ce dont doute Shackleton-Bailey, comment, ad loc. 2 Tac, Ann. 4, 61, 1 ; PIR2 24. Münzer pensait qu'il était le frère du proscrit, Wiseman, que nous serions tenté de suivre, voit en lui son fils.
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62. HIRTlVS * Sénateur?
Proscrit (App., BC IV, 43, 180).
Ferentinum?
Leva une armée en Italie puis se réfugia auprès de Sex. Pompée.
Ce proscrit a donné lieu à une hypothèse ingénieuse et très répandue mais qui nécessite la correction de son nom dans le texte d'Appien et il vaut sans doute mieux s'en tenir à la leçon des manuscrits. On sait, en effet, qu'Appien raconte les aventures d'un certain Ίρτιος (que Y interpretatio latina transpose en Ircius) qui, proscrit, réussit à quitter Rome avec ses esclaves, traversa l'Italie en délivrant les prisonniers et en s'adjoignant tous ceux qu'il rencontrait jusqu'à se constituer une armée suffisante pour contrôler le Bruttium. Mais comme les Triumvirs avaient envoyé une force régulière contre lui, il préféra passer en Sicile auprès de Sex. Pompée. Et toujours selon Appien, c'est grâce à lui - vra isemblablement par des manœuvres d'intimidation - que A. Pompeius Bithynicus finit par accepter de se retirer de sa province de Sicile en laissant le champ libre à Sex. Pompée1. On considère souvent, depuis Drumann, que la leçon des manuscrits d'Ap pien est fautive dans les deux occurrences du nom et qu'il faut corriger en Hirrus, cognomen dont la transmission par les textes a subi bien des vicissitudes. Le seul Hirrus que nous connaissions est C. Lucilius Hirrus, cousin de Pompée et riche propriétaire dans le Bruttium2. L'identification est alors d'autant plus vraisemblable qu'on sait, par ailleurs, le prix de la villa dans laquelle il avait fait installer un vivier de murènes (ce qui implique qu'elle avait pu être vendue lors de la proscription3). Il n'est pas invraisemblable, en effet, que C. Lucilius Hirrus ait été proscrit, compte tenu de ses attaches avec Pompée. Mais encore faudrait-il qu'il ait vécu jusqu'en 43, ce qui est possible mais non certain puisque la dernière mention qui en est faite l'est, par Pline, pour l'année 45, lorsqu'il fournit 6.000 murènes à César pour les festins de son triomphe. Et ce n'est pas une raison suffisante pour corriger les manuscrits d'Appien qui, à deux reprises, portent le nom Hirtius, même si ce personnage nous est tout à fait inconnu par ailleurs : il n'est pas du tout invraisemblable qu'un parent du consul de 43 ait épousé les thèses républicaines et en ait subi les conséquences à la fin de l'année4. * RE 4 (Münzer), Klövekorn n° 96. Sur l'origine du cos. 43 uid. Wiseman, New Men n° 206 et Taylor, Voting Districts 220. 1 App., Β. C. IV, 84, 354. 2 Pour ce personnage uid. notamment RE Lucilius 25 (Münzer) et A. B. West, « Lucilian Genealogy», AJPh 49, 1928, 240-252). 3 Plin., H.N. 9, 171 : 4 millions de sesterces. 4 Münzer signale un autre parent possible du consul, Q. Hirtius (RE 3) dont le nom apparaît sur une inscription.
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63. Q. HORATIVS FLACCVS* Chevalier
Proscrit (Acro ad Horat., Epist. II, 2, 41).
Venusia
Restitutus après Philippes.
La seule indication du scholiaste nous disant qu'Horace fut proscrit ne nous paraîtrait pas entièrement convaincante si elle n'était étayée par d'autres textes. En effet, racontant brièvement la vie du poète, son commentateur signal e qu'il vint à Athènes étudier la philosophie. Il ajoute : Ab ilio studio secutus est partes Bruti; quo fugato ab Augusto, cum aliis proscriptus est, id est hereditate priuatus . . . Cette façon de présenter la proscription comme postérieure à Phi lippes et de l'assimiler à une simple confiscation des biens pourrait paraître un peu suspecte. Mais plusieurs raisons amènent à penser que l'expression proscriptus est pertinente. Tout d'abord nous savons qu'Horace était de rang équestre et qu'il servit dans l'armée républicaine avec le titre de tribunus militum1. Ces respons abilités au sein des troupes ennemies devaient, à elles seules, lui avoir valu son inscription sur la liste. D'autre part, et ce n'est évidemment pas une surprise, Horace dit lui-même que la totalité de ses biens avaient été confisqués : ... inopemque paterni / et Loris et fundi . . . 2. Mais ce qui nous semble le plus détermi nant, c'est le texte de l'ode 7 du deuxième livre dans laquelle le poète invite son ami d'enfance à fêter sa restituito : «Ο toi qui souvent avec moi fus amené au dernier péril quand nous servions, conduits par Brutus, qui t'a refait Quirite et t'a rendu aux dieux de nos pères et au ciel de l'Italie, ô Pompée, le premier de mes camarades . . .?»3 On ne peut pas interpréter ce texte autrement que com mela manifestation de la joie qui s'exprime au moment des retrouvailles entre deux amis qui, ensemble, avaient perdu leur statut de citoyen mais dont le pre mier a bénéficié antérieurement de la restitutio. Le quis te redonauit Quiritem est une délicate invitation à manifester sa reconnaissance à celui qui a permis la récupération des droits civiques. Pour en revenir à Horace lui-même, il est vraisemblable qu'il n'avait pas tout de suite abandonné le combat. Dans une autre ode, en effet, il évoque les dangers auxquels il a échappé : «... ami de vos fontaines et de vos danses, ni la déroute de Philippes, ni un arbre maudit, ni le Palinure battu par l'onde sic ilienne n'ont pu m'anéantir»4. On peut penser que le dernier vers (nec Sicula Palinurus unda) est une allusion à des opérations navales qui se déroulèrent à l'entour de la Sicile. Il est sans doute exclu que le poète ait été présent - du moins du côté pompéien - au moment où Agrippa commandait les expéditions contre Sex. Pompée et où il perdit une partie de ses navires dans une tempête devant le cap Palinure5. Mais on peut déduire de cette allusion à l'onde sicilien ne une plus longue participation à la guerre que ne le dit la septième ode du livre II qui, au contraire, semble impliquer un retrait consécutif à Philippes : «Mais moi l'agile Mercure m'enleva, effrayé, à travers les ennemis, sous un
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nuage opaque; et toi, l'onde te reprenant dans le bouillonnement de ses vagues, t'emporta de nouveau vers la guerre»6. Dans ces conditions, on peut supposer qu'Horace s'était retrouvé, après la défaite, avec les forces républicaines r egroupées sous Staius Murcus et Domitius Ahenobarbus. Il est difficile de pousser plus loin l'hypothèse concernant ses activités pour cette période et il nous paraît hasardeux d'affirmer qu'il se trouvait à Rome dès 41 7. Ce qui est possible, en revanche, c'est de chercher qui a pu ser vir d'intermédiaire pour le réconcilier avec les Triumvirs : à bien lire les vers 13 et 14 de l'ode dans laquelle il évoque son retrait des combats, on devine une allusion à un personnage qui serait intervenu et qui, tel l'agile Mercure, l'aurait soustrait à ses ennemis «sous un nuage opaque», c'est-à-dire l'aurait caché pen dant un certain temps. Si on examine qui peut bien être désigné par cette appellation de Mercurius Celer, on est amené à constater qu'un personnage qui portait le cognomen Celer pouvait avoir joué ce rôle : il s'agit de Q. Pilius Celer, le beau-frère d'Atticus8. Ce chevalier avait servi César et son attitude ambiguë après la mort du dic tateur avait irrité Cicéron qui s'indignait, en mai 43, qu'il ait pu apporter, le même jour, une lettre de Brutus et une autre d'Antoine9. Il semble donc avoir été très bien placé pour faire le lien entre les survivants du parti républicain et Antoine qui, on le sait, en accueillit un certain nombre après Philippes. Il est d'ailleurs remarquable qu'Atticus ait, de son côté, porté un secours efficace aux proscrits qui s'étaient réfugiés en Epire 10 après avoir lui-même obtenu d'Antoi ne la radiation des listes de son propre nom et de celui de Q. Gellius Canus11. Il est donc vraisemblable qu'Horace n'avait pas dû attendre la paix de Misène pour être restitutus : le pacte de Brindes pouvait lui avoir permis le retour à Rome12 et cela explique sa joie de voir son ami Pompeius réhabilité à son tour l'année suivante13. * RE 10 (Stemplinger); non in Klövekorn; PIR2 198. Sur son statut équestre uid. L. R. Taylor, «Horace's Equestrian Career», AJPh 1925, 161-170 & «Republican and Augustan Writers enrolled in the Equestrian Centuries» TAPhA 1968, 469-486, notamment 477-479; Nicolet n° 183. 1 Suet., Vita Horati (p. 297 Roth) : Bello Philipensi excitus a M. Bruto imperatore, tribunus militum meruit ... Cf. Epist. II, 2, 47-48 : ... ciuilisque rudem belli tulit aestus in arma / Caesaris Augusti non responsura lacertis. 2 Epist. II, 2, 50-51. 3 Carm. II, 7, 1-5 : Ο saepe mecun tempus in ultimum / deducte Bruto militiae duce, / quis te redonauit Quritem / dis patriis Italoque caelo, / Pompei, meorum prime sodaHum . . . ?. 4 Carm. Ill, 4, 25-28 : ... uestris amicum fontibus et choris / non me Philippis uersa actes retro, / deuota non extinxit arbor / nee Sicula Palinurus unda. 5 Veil. Pat. II, 79, 3; Dio 49, 1 ; App., BC V, 98. 6 Vv 13-16 : ... sed me per hostis Mercurius celer / denso pauentem sustulit aere, te rursus in bellum resorbens / unda fretis tulit aestuosis. De même Epist. II, 2, 49 : Vnde simul primum me dimisere Philippi . . .
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7 Comme le fait Stemplinger, RE col. 2340. 8 RE 2 (Münzer) ; Nicolet n° 269. C'est le seul personnage qui porte ce cognomen qui puisse être envisagé : le second, pour cette époque, est Q. Caecilius Metellus Celer cos. 60. Vid. Kajanto, Cognomina 248. 9 Ad Brut. II, 5, 3 = 5 SB: ...qui uir, di boni, quant grauis, quam constans, quam bonarum in re publica partium! Hic epistulas adfert duas, unam tuo nomine, alteram Anton i. 10 Nep., Au. 11, 1-2, qui cite les deux Liuii Ocellae et A. Manlius Torquatus. 11 Ibid. 10, 4. 12 La Vita Horati de Suétone n'est pas très éclairante à ce propos : ... uictisque partibus, uenia impetrata scriptum quaestorium comparauit (p. 297 Roth). Plus curieuse est la version présentée par un scholiaste des manuscrits de Paris (éd. H. J. Botschuyver I, Amsterdam 1935, 1) : ... consentit iste Horatius cum Bruto captusque est in proelio. Si l'on peut douter qu'Horace ait été fait prisonnier (mauvaise interprétation de Od. II, 7, 1316?), il n'est pas impossible qu'il se soit rendu aux pressions d'un ami. 13 On notera d'ailleurs le mépris avec lequel il s'en prend à son inimicus P. Rupilius Rex, proscrit lui aussi, mais qui avait trouvé la mort avant de pouvoir être réhabilité: Proscripti Regis Rupili pus atque uenenum / hybrida quo pacto sit Persius ultus, opinor / omnibus et lippis notum et tonsoribus esse. (Sat. I, 7, 1-3). 64. Q. HORTENSIVS* Proconsul Rome
Egorgé par Antoine sur la tombe de son frère (Plut., Brut. 28, 1).
Bien que nous ne disposions d'aucune indication positive sur la proscrip tion du fils du grand orateur, ami de Cicéron, P. Groebe a avancé, pour la démontrer, un argument tout à fait ingénieux1. Il s'appuie sur le discours qu'Appien place dans la bouche d'Hortensia, sœur de Q. Hortensius, lorsqu'elle exprima devant les Triumvirs le mécontentement de toutes les femmes à qui l'on venait d'imposer une contribution, proportionnelle à leur fortune, pour les besoins de la guerre : « Déjà vous nous avez enlevé nos pères, nos enfants, nos époux, nos frères, sous prétexte qu'il vous avaient traités en ennemis ... Si vous nous accusez d'avoir, comme les hommes de nos familles, agi avec hostilité contre vous, inscrivez-nous sur vos tablettes de proscription, ainsi que vous les y avez inscrits eux-mêmes»2. Or comme Hortensia avait perdu son père en 50, comme elle n'était pas mariée et n'avait pas d'enfant, elle ne pouvait être le porte-parole des femmes que parce que son frère avait été proscrit3. Cette proscription n'a, en tout cas, rien de surprenant : Hortensius avait été un partisan de César dès 49 et avait exercé la preture en 45 4; mais alors qu'il était proconsul de Macédoine en 44, il se rangea du côté du parti du sénat5. Et c'est lui qui eut la charge de faire exécuter C. Antoine6. Antoine vengea son frè reen faisant égorger Hortensius, qu'il avait fait prisonnier à Philippes, sur son tombeau7.
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II semble qu'il ait eu deux fils : Hortensius Corbio qui, selon Valère-Maxime, mena une vie particulièrement dégradante8 et M. Hortalus qui vécut dans la plus grande misère9.
* RE 8 (Münzer); Klövekorn n° 18; Willems, Sénat I, 532, n°361; Drumann-Groebe, Hortensii 7; Shatzman, Senatorial Wealth 344 n° 149. 1 Drumann-Groebe III, 106, n. 6. 2 App., BC IV, 32, 138-139. 3 Münzer (RE 8 & surtout Adelsfamilien 342-347, suivi récemment par A. E. Raubitschek, «Brutus in Athens», Phoenix 11, 1957, 2-11 - notamment 6 - et par Geiger, «Seruilii» 150-151), s'appuyant sur une inscription de Délos (BCH 3, 1879 (Homolle); Inscr. Délos 1622 & BCH 33, 1909, 467-471 : J. Hatzfeld, «Une inscription de Délos en l'honneur de M. Iunius Brutus ») considère qu'Hortensia avait été mariée à Q. Caepio, le père adoptif de Brutus. Le texte de l'inscription est le suivant : Ό δήμος 'Αθηναίων και oi την νησον οίκοΰντες - Κόιντον Όρτήσιον Κοίντου υίόν τον θεΐον Καιπίω / νος δια τας έξ αύτοΟ Καιπίωνος εις την πόλιν εύ / εργεσίας, Άπόλλωνι. Cette inscription qui fait de Q. Hortensius Q. f. l'oncle (τον θεΐον) de Caepio, qu'on identifie ordinairement à Brutus, donne en effet à penser qu'Hortensia avait pu épouser Q. Seruilius Caepio, père adoptif de Brutus. Compte tenu d'une part du sens de θεΐος (frè redu père, frère de la mère, époux de la sœur du père, époux de la sœur de la mère) et d'autre part de la nécessité de se demander si la parenté ainsi fixée par l'inscription s'e xprime par rapport aux parents naturels de Brutus - M. Iunius Brutus et Seruilia - ou à ses parents adoptifs - Q. Seruilius Caepio - c'est, en effet, l'hypothèse la plus « économi que», celle qui ne contraint pas à supposer l'existence d'un personnage intermédiaire. Mais on ne peut plus suivre Münzer lorsqu'il identifie Q. Seruilius Caepio avec le frè reutérin de Caton, mort en 67 alors qu'il se rendait en Asie : le mariage de la toute jeune Hortensia, sa maternité et son veuvage entre 69 et 67 (alors que son père était né en 114) sont à la limite du possible. En revanche, si, comme le fait Geiger (« Seruilii », notamment 166: stemma de la gens) on distingue le frère utérin de Caton (Cn?) Seruilius Caepio, mort en 67 de Q. Seruilius Caepio, autre fils du préteur de 91, on peut dater le mariage avec Hortensia et l'adoption de Brutus de 59. Dans cette hypothèse, évidemment, la prise de position en 42 a une autre valeur : si elle est choisie comme le porte-parole des femmes à qui les Triumvirs veulent imposer une contribution extraordinaire ce n'est pas seulement parce qu'elle a hérité les dons de son père, c'est aussi, bien sûr, parce qu'elle est la mère adoptive de Brutus. Et du même coup la démonstration de Groebe concernant la proscription d'Hortensius perd de sa vigueur. 4 Sur ces problèmes de carrière uid. MRR s.aa. Bruhns, Oberschicht 33. 5 Cic, Phil. X, 13; 24; 26; Plut., Brut. 25, 3; Dio 47, 21, 5. 6 Plut., Brut. 28, 1 ; Ant. 22, 6. 7 Ibid.; Liu., Per 124 présente les faits de façon plus vague et laisse croire qu'il fut tué pendant les combats. Mais il n'y a pas lieu de soupçonner ici l'information de Plutarque. Pour Velleius (II, 71, 2) uid. infra n° 134 : M. Terentius Varrò Lucullus. 8 Val. Max. III, 5, 4; RE 10; PIR2 207. 9 Tac, Ann. 2, 37-38; Suet., Tib. 47; RE 12; PIR2 210. Cette filiation est mise en doute par Geiger (cité supra) qui en fait son neveu.
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65. [C.] HOSIDIVS GETA* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 41, 171).
Histonium
Sauvé par son fils. Descendant cos. 43 ou 45 p. C.
Dion Cassius et Appien racontent l'histoire de ce vieillard qui dut son salut au stratagème inventé par son fils : celui-ci alluma un bûcher où il prétendit que brûlait la dépouille de son père suicidé1. Par la suite, pour se rendre méconnaissable, le proscrit se mit un bandeau sur l'œil, quand la paix fut reve nue, il avait perdu l'usage de cet œil. On ne connaît qu'un seul Hosidius Geta pour l'époque républicaine : il s'agit de C, qui fut triumuir monetalis à une date difficile à déterminer2 et Ribbeck tirait argument de l'âge du proscrit (πρεσβύτης dit Appien) pour considé rer qu'il n'était pas le monetalis mais son père. En tout cas, nous sommes abso lument démunis pour déterminer les raisons de cette proscription. Il est assez vraisemblable, en revanche, que le proscrit est l'ancêtre des Hosidii Getae attestés sous l'Empire, notamment de Cn. Hosidius Geta qui fut consul en 43 ou 45 3 et d'Hosidius Geta, auteur d'une Medea4. * RE 4 (Münzer); Klövekorn n° 97; Wiseman, New Men n° 210. Pour son origine, Tay lor, Voting Districts 221. 1 App. cit.; Dio 47, 10, 6. 2 Münzer, après Mommsen datait de 54; MRR II, 441 de 60; Crawford n°407 de 68. 3 RE 6; PIR2 216. *RE 3; PIR2 214; sur lequel uid. F. Desbordes, Argonautica, Bruxelles, 1979, 83-108, notamment 83-87.
66. L. IVLIVS CAESAR* censorius
Le second de la liste (App., BC IV, 12, 45).
Rome
Sauvé par sa sœur Iulia (Plut., Ant. 20, 5).
On sait le développement qu'a connu le thème de la perversion des sent iments naturels sous l'effet de la passion des guerres civiles notamment grâce à l'exemple de la proscription de L. Iulius Caesar par son neveu Antoine. Cela explique le nombre important de références à cet événement dont nous dispo sons1. Mais ce qui nous importe, ici, c'est de noter qu'en définitive cette proscrip tion ne devait pas être surprenante du point de vue politique. Si, après son consulat de 64, L. Caesar avait été le légat de son cousin en Gaule Narbonnaise de 52 à 49 2, son attitude pendant la guerre civile n'est pas claire et, en l'absence
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
d'information, il vaut mieux le ranger au nombre des personnalités qui adoptè rent une attitude de neutralité3. En tout cas il devait être resté en assez bon termes avec son neveu, devenu magister equitum de César, pour se faire nom mer praefectus urbi en 47 4. propos* Le changement dans son attitude se marque à l'évidence à de la position qu'il prit, au lendemain de la mort du dictateur, contre l'organisation de funérailles publiques5. D'ailleurs s'il chercha à atténuer quelque peu les décrets du sénat contre son neveu6 il semble que, dans ses propos du moins, le condamnation de son attitude était sans équivoque7. En tout cas, lorsqu'on déli béra au sénat sur l'attitude à adopter à l'égard d'Antoine après Modène, il fut le premier à donner son avis, et cet avis était qu'il fallait déclarer son neveu hostis publicus 8. Selon les témoignages anciens, il ne semble pas avoir manqué de gens à Rome pour souhaiter que L. Caesar soit effectivement exécuté puisqu'il il avait fallu que sa sœur Iulia aille au Forum interpeller son fils Antoine pour lui garantir la vie sauve et la restituito9. Quoi qu'il en soit on n'entend plus parler de lui après ces événements : il est vrai qu'il n'était plus de la première jeunesse et que sa santé était précair e10.
* RE 143 (Münzer); Klövekorn n° 2; Ribbeck n° 1 ; Willems, Sénat I, 438, n° 21 ; Drumann-Groebe Iulii 10. 1 Vid. en particulier, outre Appien et Plutarque (citt.) Liu., Per. 120; Plut., Cic. 46, 5-6; Sen., Suas. 6, 7; Veil. Pat. II, 67, 3; Dio 47, 6, 3; Flor. II, 16, 4; Oros. VI, 18, 11; wir ill. 85, 3. 2 Pour sa carrière antérieure, uid. MRR s. aa. et Nicolet « Note prosopographique ». 3 Ainsi font Shackleton-Bailey, «Nobility» 261 & η. 3, et Bruhns, Oberschicht 40-11. On observera que son fils L. Caesar (RE 144) était pompéien. 4 Dio 42, 30, 1 et MRR s. a. 5 Lactant., Inst. Diu. I, 15, 30, qui affirme qu'il se déclara opposé à ce qu'on rende les honneurs funèbres à César : Quod si consul non fuisset Antonius, C. Caesar pro suis in rem publicam meritis etiam dejuncti hominis honore caruisset, et quidem consilio Pisonis soceri et L. Caesaris propinqui, qui uetabant funus fieri . . . 6 Cic, Phil. VI, 1. Ce qui lui valut sans doute d'être désigné pour la seconde ambassa de - celle qui n'eut jamais lieu - à Antoine (ibid. XII, 18). 7 Cic, Fam. XII, 5, 2 (= 365 SB) : Erat firmissimus senatus exceptis consularibus ex quibus unus L. Caesar firmus est et reclus. (Cf. X, 28, 3 = 364 SB). 8 C'est ce qui ressort d'App., BC IV, 12, 45. 9 App., BC IV, 37, 156-158; Flut., Ant. 20, 5; Dio 47, 8, 5. 10 Elle l'avait empêché d'être présent au sénat à la fin de 44 : Cic, Fam. XII, 2, 3 = 344 SB.
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67. L. IVLIVS CALIDVS* Chevalier
Rajouté sur la liste (Nep., Ait. 12, 4). Restitutus par les soins d'Atticus.
«De loin le plus délicat des poètes de notre époque» disait de lui Cornelius Nepos racontant comment Atticus lui vint en aide après qu'il eut été inscrit sur la liste des chevaliers proscrits à cause d'importantes propriétés qu'il avait en Afrique. Il y a peu de vraisemblance à identifier notre poète proscrit au personnage que Cicéron recommande, en 56, au proconsul d'Afrique Q. Valerius Orca 1 : C. Nicolet a fait observer que comme Calidus était selon Cornelius Nepos, plus jeune que Catulle, il ne pouvait guère être à la tête d'affaires importantes en Afrique en 56. * RE 158 (Münzer); Klövekorn n° 70; Taylor «Writers» 472; Nicolet n° 184; Bardon I, 355. 1 Farn. XIII, 6, 3 = 57 SB ; identification proposée par Münzer, suivi par ShackletonBailey comment, ad loc.
68. M. [IVNIVS] SILANVS* Sénateur
Restitutus à la paix de Misène (Veil. II, 77, 3).
Rome
Cos. 25.
Evoquant la paix de Misène, Velleius Paterculus affirme qu'elle permit de rendre à la république des hommes tout à fait illustres : ... quae res et alios clarissimos uiros et Neronem Claudium et M. Silanum Sentiumque Saturninum et Arruntium ac Titiwn restituii rei publicae. Cet énoncé ne nous permet pas de douter que le Silanus dont il est question soit le consul de 25 parce que les autres personnages avec lesquels il se trouve appartiennent tous à des familles importantes de l'Empire1. Le problème est de savoir quel rapport ce Silanus peut avoir eu avec les homonymes qui sont attestés pour la même époque : si l'on peut éliminer com mepeu vraisemblable l'idée d'une identification avec le légat de César en 53 2, on doit se demander s'il est possible de considérer qu'il est bien le M. Silanus, légat de Lèpide dans la guerre de Modène et le partisan d'Antoine qui passa à Octavien à la veille d'Actium. On sait que Lèpide avait envoyé, lors des opérations de Modène, une force armée commandée par un M. Silanus auquel il s'était bien gardé de donner des consignes précises et qui se rallia à Antoine3. Et Lèpide, dans une lettre à Cicé-
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
ron, de désavouer son légat et, avec lui, Q. Terentius Culleo (pour des raisons du même ordre)4 en affirmant que désormais il les tient écartés de toute res ponsabilité5. Münzer considérait que ce désaveu de Lèpide avait pu inciter Sila nus à rejoindre Sex. Pompée, avec lequel, pensait-il, il avait des liens de parent é. Mais outre le fait que ces liens sont du domaine de la pure hypothèse, on ne voit pas bien pourquoi Silanus, s'il avait été effectivement désavoué par Lèpide, n'était pas retourné - ou resté - aux côtés d'Antoine où, précisément, on le retrouve entre les années 34 et 316. On connaît, en effet, un M. Silanus qui, avec le titre de Q(aestor) pro Co(n)s(ule) procède, en 34 ou 33, à une émission monét aire7 sous Antoine et qui est probablement le même que ce partisan qui, avec Q. Dellius, finit par rallier Octavien peu avant la bataille d'Actium parce qu'il ne pouvait plus supporter l'atmosphère qui régnait à la cour de Cléopâtre8. Il nous semble donc préférable - pour des raisons de vraisemblance - de distinguer d'une part l'antonien, anciennement légat de Lèpide et qui se rallia à Octavien au bon moment et, de l'autre, un M. Silanus, proscrit, qui se trouvait aux côtés de Sex. Pompée au moment de la réconciliation et qui fut consul sous le régime d'Auguste. On remarquera d'ailleurs qu'un autre Silanus se trouvait auprès de Pompée : L. Iunius Silanus qui procéda à une émission monétaire peut-être en 43-42 9. * RE Ì72 (Münzer); non in Klôvekorn; cf. Willems, Sénat I, 529, n°347. PIR2 830. 'C'est évident pour Ti. Claudius Nero; ce doit l'être aussi pour Sentius Saturninus (dont le fils fut consul en 19), pour Arruntius (consul en 22) et pour Titius (dont le fils fut pontifex et consul en 31). 2 RE 171; MRR s. a. Pourtant Szramkiewicz, Gouverneurs II, 409. 3 Dio 48, 36, 6-7; Cic, Fam. X, 30, 1 = 378 SB; cf. Zonar. X, 15. 4 Sur ce personnage uid. RE 44 et MRR s. a. 43. 5 Cic, Fam. X, 34, 2 = 396 SB. 6 Glauning, Anhängerschaft 28, η. 87, mettait en doute l'identification de Münzer pour cette raison. Pourtant Münzer est suivi par Syme, Révolution 309. 7 En Grèce? Pour la datation en 33 uid. Crawford n° 542; pour 34 MRR s. a. 8 Plut., Ant. 59, 6. 'Grant, FITA 30, RE 165. Nous ne l'avons pas compris dans notre catalogue: uid supra chap. 6, note préliminaire au tableau des proscrits, 270-274.
69. LABIENVS* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 26, 110).
Picenum
Se mit en évidence pour attendre ses meurtriers.
Labienus était un expert en matière de proscription : il avait lui-même tran ché un bon nombre de têtes au temps de Sylla, et il jugea qu'il fallait à un
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homme comme lui mourir avec dignité : il s'assit donc devant sa maison pour attendre ses meurtriers. Münzer faisait justement remarquer que l'histoire ainsi racontée par Appien s'insère mal dans le chapitre où elle se trouve et qui est consacré aux anec dotes concernant les maîtres et leurs esclaves. Il suggérait donc de rapprocher un texte de Macrobe qui aurait pu en constituer la première partie : Labienum ope Ubertorum latentem, ut indicarent liberti nullo tormentorum genere compulsi sunt1. C'est possible, mais rien ne nous indique que l'anecdote de Macrobe se situe au moment de la proscription2. En tout cas il nous semble exclu qu'on puisse identifier notre proscrit à Q. Labienus, le fils du légat de César, que Brutus et Cassius avaient envoyé chez les Parthes et qui, après Philippes, devint Parthicus, c'est-à-dire incita les bar bares à envahir les provinces romaines d'Orient3: l'anecdote racontée par Appien n'a de sens que si elle se passe à Rome et dans les débuts de la proscript ion, à un moment où la chasse au proscrit était généralisée. Ce qui est vraisemblable, en revanche, c'est que notre Labienus était appa renté aux Labieni que nous connaissons (le légat de César et son fils) et que cela explique sa présence sur la liste de proscription : on sait que ces picéniens étaient depuis longtemps liés aux Pompée4. Par ailleurs, comme il avait activ ement participé à la proscription de Sylla, on peut penser qu'il s'était constitué une solide fortune et que cela aussi avait pu jouer un rôle. * RE 2 (Münzer); Klövekorn n° 98. 1 Sat. I, 11, 8. Rapprochement suggéré déjà par Klövekorn. 2 Gardthausen, Augustus II, 1, 113 η. 28 la rapporte au moment où Ventidius assié geait Q. Labienus (Dio 48, 40), suivi en cela par Münzer. î RE 5. 4 Sur cette question uid. R. Syme, «The Allegiance of Labienus», JRS 28, 1938, 113125. 70. (Q. LABIENVS)* Sénateur
Légat de Brutus envoyé chez les Parthes (Dio 48, 24, 5-8).
Picenum
Capturé et exécuté en 39 (Liu., Per. 127).
Dion Cassius nous fournit de précieux renseignements sur les événements de Syrie et d'Asie mineure. En particulier, il raconte comment Q. Labienus, fils de T. Labienus (le légat de César mort du côté pompéien à Munda en 45) était devenu Parthicus, c'est-à-dire un des chefs des armées Parthes qui avaient envahi les provinces romaines : Brutus et Cassius l'avaient envoyé, un peu avant Philippes, à Orode pour lui demander son aide. Il avait été retenu par le roi et, à la défaite de son parti, il avait décidé de rester chez les barbares « pré-
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férant vivre chez eux plutôt que périr dans sa patrie»1. Cette expression nous parait montrer que Labienus ne pouvait espérer le retour à Rome, et ce parce qu'il avait été proscrit. On observera d'ailleurs que cette proscription n'a rien qui doive surprend re, quand il s'agit du fils de T. Labienus le pompéien, qui exerçait des fonc tions importantes dans l'armée des tyrannicides, et alors qu'un autre Labienus figurait déjà sur la liste. Pour ce qui est de sa mort, Dion raconte qu'il s'était déguisé en esclave pour échapper aux recherches et que Demetrius, un affranchi de César qu'An toineavait préposé à Chypre, le fit rechercher et arrêter2. C'est cette façon de présenter les choses qui avait incité Münzer à rapprocher de ce récit l'anecdote racontée par Macrobe sur le Labienus caché par ses affranchis3. * RE 5 (Münzer); non in Klövekorn. 1 Dio 48, 24, 6 : ... τον μετ' αυτών βίον προ του οίκοι όλέθρον προτιμήσας. 2 Dio 48, 40, 5-6. 3 Sat. I, 11, 18 (Vid. supra n° 69) Mais l'anecdote que raconte Macrobe implique plutôt que le Labienus dont il est question a été sauvé par le dévouement de ses affranchis.
71. (D. LAELIVS BALBVS) Tribunicius Suicidé en Afrique en 42. Père du cos. ord. 6 a. C. D. Laelius père et fils étaient liés aux Pompei: le père avait été tué en Espagne en 77, alors qu'il était légat de Pompée1. Quant au fils, après avoir été tribun de la plèbe en 54, il se trouva aux côtés de Pompée pendant la guerre civile2 (il commanda notamment une partie de la flotte d'Asie)3. Il fut pardonné par César4 et, après la mort du dictateur, il avait manifesté une certaine activité au sénat, si on en croit Plutarque : il reprocha notamment à Cicéron d'avoir favorisé la candidature illégale du jeune Octave au consul at5. Questeur pro praetore en Afrique sous Cornificius, il se suicida lorsque celui-ci eut été tué par les troupes de Sextius6. Tout porte donc à croire qu'il figurait, lui aussi, sur les listes de proscription. Il est probablement le père de D. Laelius Balbus, consul en 6 a. C.7. * RE 14 (cf. 6) (Münzer); non in Klövekorn; Willems, Sénat I, 499, n°214. lRE 5; Affli? s. a. 2 Att. VIII, 12 a 3 = 162 a SB; Bruhns, Oberschicht 49. 3 Caes., BC III, 5, 3 & 7, 1.
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« Cic, Ait. XI, 14, 1 = 225 SB. 5 Cic. 53, 4. * App., BC IV, 56; Dio 48, 21, 6 affirme qu'il fut tué pendant les combats. 7 PIR 27; Szramkiewicz, Gouverneurs 148-149 & II, 409-410.
72. LARGVS* Chevalier?
Proscrit (App., BC IV, 28, 123).
Etrurie
Exécuté.
Curieuse histoire que celle de ce proscrit capturé par des chasseurs de têtes qui en cherchaient un autre, relâché par eux et qui revint se faire égorger parce qu'il était sur le point de se faire rattraper par d'autres chasseurs de têtes, pour que touchent la prime plutôt ceux qui avaient manifesté quelque compassion à son égard. Il semble qu'il faille déduire de cette anecdote qu'il était un personnage sans grande importance, dont les Triumvirs ne souhait aientpas particulièrement l'exécution, et qui tomba entre les mains de soldats à la recherche d'un ennemi bien plus redoutable. • L'identification de Largus est désespérée : on doit simplement rappeler qu'un Largus est évoqué dans une lettre de Cicéron à Caecina, en 46, comme homo lui studiosus l et que sous l'Empire on connaît plusieurs Caecinae Largi, qui sont peut-être issus d'un Largus passé dans la gens Caecina par adoption2. * RE 2 (Münzer); Klövekorn n°99. 1 Fam. VI, 8, 1 = 235 SB. 2 Shackleton-Bailey comment, à 235. Sur ces Caecinae Largi, uid. Münzer, RE Lar gus 3. 73. (M. LICINIVS CRASSVS)* Sénateur
Est passé de Sex. Pompée à Antoine puis à Octavien (Dio 51, 4, 3).
Rome
Cos. 30 (Oros. VI, 19, 14). Fils cos. 14.
On ne sait malheureusement rien sur l'attitude politique ni sur les activités de ce petit-fils de Crassus le Triumvir. On apprend simplement par Dion, au moment où est évoqué son consulat de 30, qu'il avait été aux côtés de Sex. Pom péeavant de passer à Antoine puis à Octavien1. Comme Cn. Cornelius Lentulus Cruscellio de façon certaine et comme Q. Nasidius de façon probable, il est possible de compter M. Crassus au nombre
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des proscrits. Il aurait donc bénéficié de la restituito consécutive aux accords de Misène2. Il avait adopté un fils de M. Piso Frugi (praet. 44) qui fut consul en 143. * RE 58 Groag; non in Klövekorn; PIR 126; Szramkiewicz, Gouverneurs II, 411-412. Le nom est étrusque (Syme, Révolution 522, n. 34). 1 Glauning, Anhängerschaft 13 & 16. 3 Sur cette filiation uid. Syme, «Piso Frugi and Crassus Frugi», JRS 50, 1960, 12-20. 74. LIGARIVS* Sénateur?
Proscrit (App., BC IV, 23, 93-95).
Sabine
Exécuté.
La famille des Ligarii a payé bien cher son adhésion au parti de Pompée puisqu'après la disparition de P. Ligarius1 trois d'entre eux furent, de façon certaine, proscrits et il y a toutes chances que le quatrième l'ait été aussi. Pour celui dont Appien nous raconte qu'il fut trahi par une esclave alors que sa femme avait réussi à le dissimuler à ses poursuivants, l'identification est impossible : nous ne connaissons pas son prénom et les faits que raconte Appien nous empêchent de l'assimiler à aucun des autres Ligarii connus. On ne connaît pas non plus le nom de sa femme qui, selon Appien, accom pagna de ses imprécations les meurtriers de son mari en leur demandant de la tuer, elle aussi, comme complice d'un proscrit. Elle finit par aller au Forum où siégeaient les Triumvirs et se suicida. * RE 1 (Münzer); Klövekorn nn° 48, 49 & 50. 1 Exécuté par César en 46. RE 3.
75. [C] LIGARIVS 76. (Q. LIGARIVS)* Sénateur?
Participa à la conjuration contre César (App., BC II, 113, 474).
Sabine La seule raison qui nous fait ranger Q. Ligarius au nombre des incerti est le fait qu'il est impossible de prouver qu'il était encore en vie au moment de la publication des listes.
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Son passé de pompéien, sa participation à la conjuration et la proscription de ses deux frères (et celle d'un autre Ligarius) ne laissent aucun doute sur sa présence parmi les proscrits. * RE 4 (Münzer); Klövekorn n°48 (uid. supra les trois autres Ligarii); Etienne, Ides de Mars 158-159. 77. T. LIGARIVS* Sénateurs
Proscrits (App., BC IV, 22, 87-89).
Sabine
Exécutés.
Il ne paraît pas faire de doute que les deux frères Ligarii dont Appien raconte qu'ils furent exécutés l'un immédiatement et l'autre après avoir été repêché dans le Tibre où il s'était jeté en apprenant la mort de son frère, soient les deux frères de Q. Ligarius en faveur duquel Cicéron plaida devant César en 46. On sait que, des trois frères, T. était sans aucun doute le moins hostile à César, ce qui ne signifie pas qu'il faille en faire un césarien convaincu l. Pour ce qui est du dernier, il s'agit sans doute de C, celui qui, selon Plutarque2 avait fait partie de la conjuration contre César, encore qu'on ne voie pas très bien comment ce personnage qui avait dû être condamné e lege Pedia vers le milieu de l'année 43, pouvait se trouver à Rome quelques mois plus tard et s'y faire prendre à l'occasion de la proscription. Comme on hésite à faire de lui un ci nquième Ligarius proscrit, il faut donc imaginer qu'il avait pu revenir à Rome avant la réconciliation entre Octave, Antoine et Lèpide; à moins qu'on ne consi dère, comme le faisait Klövekorn, que Plutarque se trompait et qu'un seul Liga rius figurait au nombre des conjurés : Q. C'est, en effet, la solution la plus éco nomique. * RE2&5 (Münzer); Klövekorn, nn° 50 & 49. 1 Willems, Sénat I, 526 n° 338, s'appuyant sur Cic, Lig. 34, qui n'est pas un texte bien déterminant. 2 Plut., Brut. 11. 78. M. LIVIVS DRVSVS CLAVDIANVS* Praetorius?
Proscrit (Dio 48, 44, 1)
Rome
Suicidé après Philippes (Veli. II, 71, 2).
Les attaches familiales de Liuius Drusus et son attitude au début de l'année 43 expliquent assez bien qu'il ait figuré au nombre des proscrits.
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
II était né Claudius : mais on ne sait pas s'il s'agit de la branche des Pulchri ou de celle des Nerones1 et sa fille Liuia Drusilla avait épousé Ti. Claudius Nero, proscrit lui aussi, avant de devenir l'épouse d'Octavien2. Il avait été adopt é par M. Liuius Drusus, le tribun de 91, dont la sœur Liuia avait épousé Q. Seruilius Caepio, grand-père de M. Brutus puis M. Cato, père de Caton d'Utique. On sait peu de choses sur sa carrière3 et, en particulier, sur son attitude pendant la guerre civile4. Ce sont ses prises de position pendant la guerre de Modène qui le rangèrent du côté des républicains : il fit voter le sénatus-consulte qui plaçait Dec. Brutus à la tête des armées consulaires après la mort d'Hirtius et de Pansa5. On ne saurait dire à quel moment - avant ou après la proscription - il avait rejoint les armées républicaines. Ce qui est sûr, c'est qu'après la défaite il ne voulut pas s'en remettre à la clémence de ses adversaires à laquelle d'ailleurs sa proscription l'empêchait de croire, et il se suicida. Il est peut-être le père adoptif du consul de 15 a. C. : M. Liuius Drusus Libo6. * RE 19 (Münzer); Klövekorn n°13; Willems, Sénat I, 515-516 n°307; DrumannGroebe, Claudii n°30; Shackleton-Bailey, Nomenclature 120-121. 1 Schackleton-Bailey, Nomenclature 120 affirme qu'il est un Claudius Pulcher, mais on n'en a pas la preuve, le mariage de sa fille (uid. infra) ne signifiant rien. 2 Dio 1.1. et Suet., Tib. 5, 4. Cf. supra Ti. Claudius Nero n°41. 3 MRR s.a. 50. 4 Shackleton-Bailey, «Nobility» 262 n°2, pense son activité anti-sénatoriale en 59 (Att. II, 7, 3 = 27 SB); les circonstances de son procès en 54, sa présence en Italie en 47 et les mariages de sa fille inclineraient à en faire un Césarien. Syme, Révolution 543 n° 71 en fait plutôt un Pompéien. Plus prudent Bruhns, Oberschicht 47, le range parmi ceux dont on ne peut savoir quel parti ils avaient pris ou parmi les neutres. 5 Cic, Fam. XI, 19, 2 = 399 SB; en même temps que L. Aemilius Paullus. 6 PIR 205 ; RE 20. Sur le détail de la filiation uid. Weinrib, « Drusus Libo », notam ment274-275, et Scheid, «Scribonia Caesaris» notamment 365-368.
79. L. LIVIVS OCELLA (pater) 80. L. LIVIVS OCELLA (filius)* Sénateurs, Père praetorius
Proscrits (Nep., Att. 11,2).
Rome
Secourus par Atticus.
Depuis Cichorius 1 on considère comme des déformations du même nom : L. Pella, L. Cella et L. Iulius Mocilla. Les deux personnages auxquels Atticus fournit quelque secours alors qu'ils se trouvaient en Epire sont appelés, dans
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les manuscrits de Cornelius Nepos : L. Iulium Mocillam (praetorium et f ilium eius). La faute sur le cognomen s'explique assez bien, précisément à l'accusatif et la confusion Iulius/Liuius est trop fréquente pour que cela soulève des diffi cultés. Par ailleurs il est question, dans la Guerre d'Afrique, d'un père et de son fils à qui César accorda la vie sauve et dont le nom est donné au datif, sous la forme L(ucio) Cellae patri et filio2. Là encore, la faute s'explique bien (si on écrit le praenomen en entier). Plus difficile à justifier, sur le plan paléographique, est la correction du texte de Plutatque qui raconte que Brutus eut à juger, sur plainte des gens de Sardes, un certain Λεύκιον Πέλλαν qu'il condamna et nota d'infamie3. Mais le fait qu'il s'agisse d'un ancien préteur (έστρατηγηκότα) comme le Mocilla/Ocella de Cornelius Nepos incite évidemment à accepter la correction. On ne sait pratiquement rien de ces deux personnages sinon qu'ils avaient suivi le parti de Pompée4 et on doit supposer que s'ils avaient été pardonnes par César ils avaient dû se rallier à la cause républicaine après la mort du dic tateur. * RE 25&26 (Münzer); Klövekorn n°31 (Iulius Mocilla); Willems, Sénat I, 531 n°35, 7;MRR suppt 36. 1 Römische Studien, Berlin, 1922, 253-257 : «Zwei Gegner Caesars». 2 Bell. Afr. 89, 5. 3 Brut. 35, 1. Μ«. Χ, 13, 3 = 205 SB; Χ, 10, 4 = 201; Bruhns, Oberschicht 44-451 Pour l'ensemble des références les concernant uid. RE. Pour ce qui est de leur parenté avec L. Liuius Salinator, suggérée par Münzer après Cichorius (à cause du prénom), elle est possible mais reste du domaine de l'hypothèse (uid. nos «Liberi proscriptorum»). 81. M. [LOLLIVS PAVLLINVS]* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 49, 210).
Picenum?
Rayé de la liste. Cos. 21.
Tout un chapitre d'Appien est occupé par la narration d'un échange de bons procédés entre deux personnages qui se trouvèrent alternativement dans une situation critique. C'est d'abord Μάρκος qui, après avoir servi sous Brutus, fut capturé et se fit passer pour un esclave. Acheté par Barbula (Βαρβούλας), celui-ci finit par l'identifier et par obtenir d'Octavien - par l'intermédiaire d'Agrippa - que son nom soit rayé des listes. Après Actium, la situation était inversée: Barbula était devenu l'esclave de «Marcus» qui obtint son pardon. Tous deux furent consuls la même année. C'est précisément cette dernière remarque d'Appien qui cause la plus de difficultés. Après Borghesi l, Klövekorn voyait dans le Barbula un Aemilius : Q.
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Aemilius Lepidus, fils du consul de 66, qui fut lui-même consul en 21 2 et qui pouvait bien avoir ressuscité le cognomen Barbula propre aux Aemilii du IVe/IIIe siècle3. Et par conséquent le proscrit serait l'autre consul de cette année-là: M. Lollius Paullinus. C'est une hypothèse qui a sa vraisemblance mais qu'on ne peut étayer d'aucun autre fait4. Ribbeck, de son côté, pensait que le proscrit devait être M. Claudius Marcellus Aeserninus, consul en 22 5 et que, par conséquent, Barbula était son collè gueArruntius. Mais d'une part on ne voit pas bien ce que vient faire le cogno menBarbula chez les Arruntii, et d'autre part L. Arruntius avait lui-même été proscrit, ce qui est évidemment difficilement conciliable avec l'anecdote telle qu'elle nous est racontée par Appien. Il est donc préférable de s'en tenir à l'h ypothèse de Klövekorn, en observant que s'il était aux côtés de Brutus, le prosc rit n'avait pris aucune part à la conjuration contre César puisqu'il devint un ami d'Auguste. * RE 11 (Münzer); Klövekorn n°71; sur les Lolla uid. notamment Wiseman, New Men n°231. » Oeuvres V, 289-290. 2 Sur son père M'. Aemilius Lepidus, uid. RE 62, MRR et Weigel, Aemilii Lepidi 152162. Sur lui-même RE 79; PIR2 376 et Weigel, Aemilii Lepidi 281-284 qui n'évoque pas les événements de 43-39 mais qui rappelle opportunément que Q. Lepidus fut quindecemuir en 17 (l'année des Jeux séculaires) alors que son ancêtre M'. Aemilius Numida avait exer céla même fonction dans les mêmes conditions en 236. 3 Kajanto, Cognomina 224. 4 Münzer, dans la RE, considère que «Klövekorns Argumente haben wenig Gewicht», parce qu'il pense que Lollius peut avoir été un des amici d'Octavien, dans la liste que donne Nicolas de Damas (ch. 31, FHG III, 455) en corrigeant Μάρκος Μοδιάλος en Μάρ κοςΛόλλιος. Par ailleurs pour ce qui concerne Lollius, Szramkiewicz, Gouverneurs 87-88 & n° 153, considère que, pour des raisons d'âge, on peut difficilement penser que le consul de 21 était le même que le républicain attesté par Appien : il devait être né ca 55 ce qui fait qu'il fut légat à 38 ans. Pour Szramkiewicz, s'il est l'officier de Brutus en Asie, il faut remonter sa date de naissance ca 65 ce qui lui donne 48 ans pour sa légation mais surtout 65 ans lorsqu'il fut désigné comme rector et cornes de C. Caesar en Orient (1 a. C. 2 p. C. : Veil. II, 102, 1 ; Suet., Tib., XII, 2). 5 Ribbeck n° 148; RE 233; PIR? 926. Il avait épousé la fille d'Asinius Pollion. 82. [L.] LVC [CE] IVS * Praetorius
Proscrit (de la première liste?) (App., BC IV, 26, 109).
Cumes?
Exécuté.
Appien raconte l'histoire de ce Λεύκιος qui avait confié sa fortune à ses deux plus fidèles affranchis avec lesquels il essaya de gagner la mer. Mais lors-
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que ses affranchis se furent enfuis, il désespéra de se sauver et retourna se livrer à ceux qui le cherchaient. Or on sait, par le même Appien, que le sénat, lors de l'été 43, avait envoyé secrètement auprès de Brutus et de Cassius deux des siens, pour demander une aide dans le cas d'une alliance entre Octavien et Antoine. Ces deux sénateurs sont nommés Λεύκιον καί Πάνσαν1. Il s'agissait évidemment d'une mission qu'on ne pouvait confier qu'à deux partisans sur qui on pouvait compter2 et, par conséquent, si Λεύκιος était de retour à Rome à la fin de l'année3, il n'y a rien d'étonnant à ce qu'il ait été proscrit et exécuté. Lucius ne fait pas partie de ces prénoms comme Appius, Mamercus ou Seruius qui sont utilisés sans le gentilice, précisément parce qu'ils sont le quasi monopole de certaines gentes prééminentes et qu'ils ne prêtent pas à confus ion4. C'est la raison pour laquelle Münzer considérait que l'historien grec - ou du moins sa tradition manuscrite - avait en quelque sorte banalisé le gentilice Lucceius en Lucius. Il s'agirait donc de L. Lucceius Q. f., dont la carrière est assez mal connue au total5, mais dont on sait, en tout cas, qu'il fut un pomp éien résolu et écouté6. César témoigne lui-même de cette importance lorsqu'il parle du cercle de confidents qui entourait Pompée, constituant une sorte de consilium : ... adhibito Libone et L. Lucceio et Theophane, quibuscum communicare de maximis rebus consuerat . . . 7. Il semble que Lucceius ait bénéficié du pardon de César et qu'il ait pu ren trer en Italie : si nous n'avons plus trace de son activité politique, nous savons qu'il était encore vivant puisqu'en 46 et 45 Cicéron eut avec lui un échange de correspondance8. Si donc on accepte la correction que Münzer propose pour le texte d'Appien, on trouve un proscrit très vraisemblable : comme beaucoup d'autres anciens ennemis de César, ce très cher ami de Cicéron avait pu repren dre une activité politique après la mort du dictateur et en payer le prix à la fin de 43. Par ailleurs, il est possible que cet ancien préteur ait été apparenté aux autres Luccei de l'époque, notamment à L. Lucceius M. f.9 et à Cn. Lucceius qui, en 44, se trouvait aux côtés de Brutus 10. * RE 6 (Münzer); Klövekorn n° 100 (Lucius); Drumann-Groebe IV, 557-559. Sur son origine uid. infra n° 10. 1 App., BC III, 85, 350. 2 On ne connaît malheureusement pas le Pansa dont il est question ici : Willems voyait en lui le fils du consul, Mommsen son frère. Quoi qu'il en soit, s'il était encore en vie à la fin de l'année, il avait dû, lui aussi, figurer sur la liste. 3 On ne sait pas exactement le trajet qu'avaient à parcourir les deux sénateurs, mais il ne fallait guère plus de dix jours à des voyageurs pressés pour atteindre Brindes et cinq (avec des vents favorables) pour passer en Grèce. (H. G. Pflaum, « Essai sur le cursus publicus sous le Haut-Empire romain», Mém. Acad. Inscr. Bell. Let. 14, 1940, 189-191, notamment chapitre VIII : « La rapidité du cursus publicus » 380-388 qui donne 7 jours pour Rome/Brindes. L. Quilici, La via Appia da Roma a Bovillae, Rome, 1977, compte
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13/14 jours sur ce parcours pour un voyageur moyen, ce que n'étaient pas nos deux envoyés. L. Casson, Ships and Seamanships in the Ancient World, Princeton U.P., 1971, notamment 281-296 évalue à 4 jours et demi la traversée Corinthe - Pouzzoles par vent favorable. Partis au plus fort de l'été Lucius et Pansa étaient sans aucun doute de retour en Novembre. 4 Sur cette question uid. notamment Syme, «Missing Senators» 67 après Axtell, «Mens's Name» 398-400. 5 Outre la RE, uid. MRR à corriger, pour la date de la preture (62) par J. M. David & M. Dondin, «Dion Cassius XXXVI, 41, 1-2 : conduite symbolique et comportements exemp laires de Lucullus, Acilius Glabrio et Papirius Carbo (78 et 67 a. C.)», MEFRA 92, 1980, 199-203. Une reconstruction discutable dans W. C. Me Dermott, «De Lucceiis», Hermes 97, 1969, 231-246. Sur son activité littéraire ORF* n° 123; Schanz-Hosius I, 327; Bardon I, 263-264. 6Cic, Au. IX, 13, 1 = 167 SB; 11, 3 = 178 SB; Bruhns, Oberschicht 43-44 avec une erreur dans l'indication de la filiation (C. f.). 7 BC 111, 18,3. 8 Fam. V, 13 = 201 SB V, 14 = 251 ; V, 15 = 252. 9 RE 5; R. E. A. Palmer, «The vici Luccei in the forum Boarium and some Luccei in Rome», Bull. Com. 85, 1976-1977, 135-161, notamment 155-156. 10 RE 2 (Münzer). Vid. Cic, Ait. XVI, 5, 3 = 410 SB; Cn. Lucceius qui multum utitur Bruto (nous ne l'avons pas compris dans notre catalogue : uid. chap. 6, note préliminaire au tableau des proscrits 270-274). Si la parenté de ces deux républicains était démontrée, elle confirmerait, ce qui est vraisemblable, l'origine campanienne du proscrit (sur les Luccei à Cumes uid. CIL X 3685-3690).
83. (LVCILIVS)* Sénateur?
Εταίρος de Brutus (Plut., Brut. 50; 1). cupéré par Antoine à Philippes.
On connaît par Appien1 et par Plutarque2 la belle histoire de ce Lucilius qui, voyant Brutus en danger, appela l'attention des ennemis en se faisant pas ser pour Brutus et en demandant à être conduit à Antoine. On ne sait malheureusement rien sur ce personnage et, comme le fait observer Münzer, aucune identification n'est vraiment possible. Si nous le comptons dans notre catalogue c'est parce qu'Appien dit que le fait d'avoir exercé un commandement militaire sous Brutus suffisait pour être porté sur les listes3 et qu'il apparaît que ce Lucilius devait avoir un rang assez élevé pour pouvoir se faire passer pour Brutus4. Antoine le conserva à ses côtés et Plutarque laisse entendre qu'il périt avec lui après Actium5. * RE 2 (Münzer); non in Klövekorn. 1 BC IV, 129, 542-544.
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2 Brut. 50, 1-9 & Ant. 69, 1-2. >BC1V, 49, 210. 4 Même auprès de Barbares et même dans la pénombre! 5 Glauning, Anhängerschaft 12.
84. Q. LVCRETIVS VESPILLO* Sénateur
Proscrit (Val. Max. VI, 7, 2).
Etrurie
Caché par sa femme à Rome. Restitutus (App., BC IV, 44, 189-192). Cos. ord. 19.
Q. Lucretius était fils de proscrit 1 et c'est même à la faveur de son histoire racontée par Appien que nous apprenons la proscription de son père sous Sylla2; mais dans le récit que nous avons de ses aventures (par Appien et ValèreMaxime), nous ne pouvons trouver aucun renseignement sur lui. Il y a toute vraisemblance qu'il était le commandant de la flotte pompéien ne dans l'Adriatique qu'évoque César sans donner de prénom. Il faut le distin guer, par conséquent, du Q. Lucretius qualifié par César de senator et qui se trouvait dans les rangs pompéiens à Sulmone en 49 3. On n'entend plus parler de lui jusqu'à sa proscription : quand son nom fut affiché sur les listes, il mena, pendant quelques temps, une vie errante avec deux esclaves, puis, lorsqu'il n'eut plus les moyens de subsister, il réussit à revenir à Rome où son épouse, Turia, le dissimula dans un double plafond jus qu'à ce que des amis influents obtiennent que son nom soit rayé de la liste. Auguste en fit un consul en 194. Il n'est pas question de reprendre ici toute la question de la «cosidetta» Laudatio Turiae : M. Durry a déjà longuement développé les arguments qui lui paraissaient contraires à une identification entre la matrone dont l'inscription bien connue nous a conservé le souvenir et Turia, femme de Vespillo5. * RE 36 (Miltner); Klövekorn n°72; PIR2 412; sur l'origine Schulze, Eigennamen 182-183; Ranouil, Patriciat 176-177. 1 Vid. nos «.Liberi proscriptorum». 2 Vid. supra Prosopo. I n° 41. 3 Lucretius Vespillo est attesté pour 48 par Caes., BC III, 7, 1 ; Q. Lucretius le séna teur apparaît en 49 à Sulmone où il semble bien qu'il ait achevé sa carrière : Caes., BC I, 18, 1 ; Oros. VI, 15, 4. Comme nous l'avons fait observer (Prosopo. I n°41, n. 4) la mention senator qui accompagne le nom de Q. Lucretius en 49 rend impossible l'identification des deux personnages puisque Q. Lucretius Vespillo, fils de proscrit ne pouvait pas avoir retrouvé sa dignité sénatoriale à cette date. Assimilation pourtant acceptée par Miltner (RE), Shackleton-Bailey, «Nobility» 262, MRR suppt 37, Bruhns, Oberschicht 54-55.
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♦ Dio 54, 10, 2; App., BC IV, 44, 192. 5 Intro, à son éd. de l'Eloge d'une matrone Romaine, notamment LIX-LXIV. Pourtant, plus récemment, A. E. Gordon a émis une opinion plus nuancée, revenant sur ce que luimême avait écrit (uid. «Who's who in the Laudatio Turiae?» Epigraphica 39, 1977, 7-12).
85. A. MANLIVS TORQVATVS* Sénateur
Proscrit (Nep., Att. 11, 2).
Rome
Secouru par Atticus.
Au nombre des personnages auxquels Atticus porta secours après avoir été lui-même rayé de la liste, figure un A. Torquatus : Quin etiam post proelium Philippense interitumque C. Cassi et M. Bruti, Iuliwn Mocillam praetorium et filium eius Aulumque Torquatum ceterosque pari fortuna perculsos instituit tueri atque ex Epiro iis omnia Samothraciam supportari iussit. Les Torquati de la fin de la République ont été bien étudiés par J. F. Mit chell 1 qui a montré que le proscrit était le questeur attesté en 43 sous le consul Pansa2 et qui se retrouva aux côtés de Brutus et Cassius à Philippes. La paix revenue, il devint un avocat très réputé3 auquel Horace, un autre fugitif de Phi lippes, dédia une épître et une ode4. Il était vraisemblablement le fils de L. Torquatus ami d'enfance d'Atticus5. Les Manlii Torquati disparaissent sous l'Empire. * RE 72 (Münzer); non in Klôvekorn; PIR 122. 1 «The Torquati», Historia 15, 1966, 23-31. 2 App., BC III, 69; 76; MRR s.a. 3 Porphyr, ad Horat., Epist. 1, 5, 9. *Epist. I, 5;Carm. IV, 7. 5 Nep., Att. 1, 4; RE 79.
86. Q. MARCIVS CRISPVS* Praetorius
Rallié à Brutus (App., BC IV, 59, 255).
Rome Q. Marcius Crispus est un de ces anciens césariens qui finirent par passer aux tyrannicides avant de disparaître dans la tourmente. Après avoir exercé la preture, vraisemblablement en 54 l, il avait servi sous César, notamment en Afrique2.
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En 45 il fut proconsul de Bithynie-Pont et se joignit à Staius Murcus pour mener les opérations contre Caecilius Bassus en 44 3. C'est en 43 qu'avec Staius Murcus, proscrit lui aussi, il fit passer ses trou pes sous Cassius à la fois par amitié, dit Appien, et pour obéir au décret du sénat. La correspondance de Cicéron témoigne de ce ralliement. Cassius écrit, en effet, en mars 43 : In Syriam me profectum esse scito ad L. Murcum et Q. Crispum imp. uiri fortes optimique dues, postea quant audierunt quae Romae gererentur, exercitus mihi tradiderunt ipsique mecum fortissimo animo rem pubîicam administrant A. Cassius était d'ailleurs conscient des risques qu'un tel ralliement comport ait et c'est la raison pour laquelle il recommande à Cicéron de défendre les intérêts des deux personnages : Murci et Crispi imperatorum dignitatem, quan tumest in te, tuere5. Il ne fait aucun doute, dans ces conditions, que, comme Staius Marcus, Q. Marcius Crispus figurait en bonne place sur les listes6, mais on ne sait pas ce qu'il devint et on ne lui connaît pas de descendance. * RE 52 (Münzer); non in Klövekorn, Willems, Sénat I, 518 n° 316. 1 MRR suppt 39, qui remonte la date tradionnellement acceptée (46). 2 Bell. Afr. 77, 2; Bruhns, Oberschicht 45-46. 3 Sur toutes ces questions uid. Syme, «Cilicia» 321-323. 4Fam. XII, 11, 1 = 366 SB. Brutus confirme cette nouvelle dans une lettre du 1er avril (ad Brut. H, 3, 3, = 3 SB). Vid. aussi Veil. II, 69, 2 : ... C. Cassius, acceptis a Staio Murco et Crispo Marcio, praetoriis uiris imperatoribusque, praeualidis in Syria legionibus . . . 5 Fam. XII, 12, 3 = 387 SB de mai 43. On ne voit pas bien ce qui autorise D. R. Shackleton-Bailey (comment, à 366, 1 = Fam. XII, 11) à affirmer qu'il se retira après avoir fait passer ses troupes à Cassius. Il nous semble que l'expression dont use ce dernier (ipsique mecum fortissimo animo rem pubîicam administrant) contredit cette affirmat ion. 6 Sur L. Staius Murcus uid. infra n° 130.
87. MARC[I]VS [REX]* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 43, 179).
Rome
Resta caché jusqu'à Γάδεια.
Voici un personnage qui fut enfermé par ses esclaves chez lui pendant tou tela durée de la proscription et qui ne put sortir qu'une fois accordée l'amnist ie. Münzer concède que ce proscrit qu'Appien appelle Μάρκος peut être un Marcius; auquel cas il serait le fils de Q. Marcius Rex, le consul de 68, et de elodia Tertia. Vraisemblablement Pompéien, il avait dû être pardonné par César puisqu'il fut questeur (?) en Sicile en 46 ou 45 Κ
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On ne sait pas ce qui a pu lui valoir sa proscription ni si l'amnistie dont il a bénéficié avait un caractère personnel ou s'il s'agit de la conséquence des accords de Misène. * RE 7 & 88 (Münzer); Klövekorn n° 101. Sur l'origine des Mardi uid. Taylor, Voting Districts 232. 1 Cic, Fam. XII, 52 = 312 SB.
88. MENENIVS* Proscrit (App., BC IV, 44, 186). Rome?
Se réfugia en Sicile.
Menenius dut à un esclave d'avoir la vie sauve : un des porteurs de sa litiè reprit sa place et se laissa égorger. Lui-même assista à la scène. Il gagna ensui te la Sicile1. On ne peut rien savoir de ce Menenius : il est le seul personnage de ce nom attesté pour la fin de la République2. * RE 2 (Münzer); Klövekorn n° 102; Taylor, Voting Districts 235. 1 Dio 47, 10, 3 raconte la même histoire sans donner le nom du proscrit. 2 Un Menenius apparaît dans Catulle (dont Neudling Catullus 130, pense qu'il est peut-être le proscrit) et dans Horace (Sat. II, 3, 286). On ne sait s'il faut les rapprocher de notre proscrit.
89. MINVCIVS RVFVS* Praetor
Proscrit de la première liste (App., BC IV, 17, 68). Exécuté sur le champ.
L'identification du Μινούκιος dont Appien raconte qu'il présidait les comi ces(ou une contio) au Forum (αρχαιρεσιάζων μέν έν αγορά) lorsqu'il apprit que des soldats le cherchaient, est, depuis Klövekorn, faite non sans vraisemblance avec Minucius Rufus l'ancien pompéien qui, en 48, commandait - en compag nie d'un autre futur proscrit : Q. Lucretius Vespillo - une flotte dans l'Adriati que1. On ne sait malheureusement pas grand chose d'autre sur ce personnage. On observera simplement qu'il y avait, avec L. Minucius Basilus, un des tyran nicides tué par ses esclaves pendant l'été 43 2 et Q. Minucius Thermus lui aussi
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proscrit3, trois Minucii dans les anti-césariens les plus acharnés; et pour que Rufus ait été placé sur la première liste, celle des gens que les Triumvirs vou laient éliminer à tout prix, il fallait qu'il fût considéré par eux comme bien redoutable: il est vrai qu'il était investi du pouvoir prétorien et qu'il aurait donc eu les moyens de résister. * RE 9 & 50 (Münzer) ; Klövekorn n° 28. Sur sa preture urbaine uid. infra s.n. L. Villius Annalis (n° 155). 1 Caes.f BC III, 7, 1 ; App., BC II, 54, 225. 2 App., BC III, 98, 409; RE 38. Sur les raisons de sa participation à la conjuration uid. Etienne, Ides de Mars 153-154. 3 RE 67; infra n°90.
90. Q. MINVCIVS THERMVS* Praetorius
Finit par abandonner Sex. Pompée (App., BC V, 139, 579).
Minturnes Comme les deux autres membres de l'assemblée qu'en 43 le sénat avait délégués à Sex. Pompée1 et comme les six autres personnages remarquables qui finirent par quitter le même Pompée quand, en 35, il s'obstinait à combatt re des forces supérieures2, Q. Thermus (Θέρμος) avait été proscrit. Sa carrière est assez bien connue3. Pour ce qui nous intéresse, on rappeller a, en particulier, que lors de son tribunat de la plèbe en 62 il se trouvait aux côtés de Caton pour faire obstacle à la proposition de Metellus Nepos de faire revenir Pompée avec ses troupes en Italie4. En 49, il était dans le camp pomp éien: César raconte qu'il perdit à l'arrivée de Curion à Iguvium les cinq cohortes qu'il commandait5. On ne lui connaît aucune activité entre la guerre civile et 43, date où il fut envoyé en ambassade auprès de Sex. Pompée à Mars eille, ce qui laisse à penser qu'il avait ouvertement pris le parti républicain. On ne peut manquer de rappeler aussi que Thermus, à la fin de sa propréture d'Asie, s'était montré très réticent à l'égard de son questeur L. Antoine auquel il ne voulait pas laisser la responsabilité de sa province, comme avait fait Cicéron qui avait confié à C. Coelius Caldus l'autorité sur la Cilicie : l'ora teur rappelle à Thermus qu'il vaut peut-être mieux éviter de provoquer les inimicitiae des trois frères en faisant au questeur l'affront de laisser ce command ementà l'un de ses légats plutôt qu'à lui-même6. Mais il est difficile de penser que cette hostilité ait pu jouer un rôle déterminant dans sa proscription alors même que c'est à Antoine qu'il finit par passer lorsqu'il abandonna Sex. Pomp ée7.
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Quoi qu'il en soit, on ne sait pas ce qu'il devint (est-il mort à Actium?) et on ne lui connaît aucune descendance notable sous l'Empire8. * RE 67 (Münzer); Klövekorn n° 12; Willems, Sénat I, 518, n° 317. Pour l'origine uid. Taylor, Voting Districts 236. 1 Cic, Phil. XIII, 13 : L. Aemilius Paullus et C. Fannius. 2 App., BC V, 139, 579: C. Cassius de Parme, Q. Nasidius, Sentius Saturninus Vetulo, C. Antistius Reginus, C. Fannius et L. Scribonius Libo. 3Vid. MRR. Willems et Klövekorn considèrent pourtant qu'il faut distinguer Q. Minucius Thermus, qui fut tr. pi. en 62 (uid. infra) et praet. en 58 ou 53, de (Minucius) Thermus notre proscrit qui avait été un pompéien, parce que lorsque César parle de ce dernier, il le désigne (pour l'année 49) comme praetor. Mais nous préférons comprendre (avec MRR) qu'il fut propréteur cette année-là. 4 Plut., Cato min. 27-28; Dio 37, 43, 1-2. 55C I, 12, 1-2. Cf. Cic, AU. VII, 13 a, 3 = 137 SB. Bruhns, Oberschicht 43-45. 6 Farn. Π, 18 = 115 SB. 7 App., 1.1. et Glauning, Anhängerschaft 13. 8 Münzer après Mommsen, signale que la Polla Minucia de CIL Ρ 1237 = VI 5961, qui avait épousé un A. Allienus (le praet. 49?) pourrait être sa fille.
91. (Q. NASIDIVS)* Sénateur
Figure dans la liste des partisans de pée qui finirent par l'abandonner (App., BC V, 139, 579).
Pays marse? Les trois Nasidii que nous connaissons pour l'époque tardo-républicaine étaient des pompéiens. Celui qui est attesté chez Lucain1 n'a peut-être pas de réalité historique. En revanche L. Nasidius était un chevalier qui commanda une flotte pour Pompée entre 49 et 47 2. Quant à Q. Nasidius, notre proscrit, il était sans doute le fils du précédent, et il se trouva sous Sex. Pompée dès 44/43, date à laquelle il procéda à une émission monétaire en Sicile3 portant une tête de Cn. Pompée à l'avers. Il fit partie de ceux qui passèrent à Antoine en 35 et il subit, avant Actium, une défaite navale devant Agrippa4. On ne lui connaît pas de descendance. * RE 3 (Münzer); Klövekorn n° 73; Wiseman, New Men n° 269. »IX, 790-804; RE 2. 2 Nicolet n° 242; RE 3. 3 Crawford n° 483. 4 Dio 50, 13, 5.
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92. P. NASO* Praetorius
Proscrit (première liste?) (App., BC IV, 26, 107). Exécuté.
Νάσων fut trahi par l'affranchi qui avait été son «favori» et qu'il tua avant de se rendre. L'anecdote ainsi brièvement racontée par Appien n'est guère éclairante sur l'identité du personnage. La difficulté vient de ce que plusieurs Nasones nous sont connus pour cette période et qu'on ne peut donc avoir de certitude ni sur le nom ni même sur le nombre des personnages qui nous intéressent. L'examen de la liste de ceux qui ont porté le cognomen1 révèle qu'il y a, pour notre époque, un assez grand nombre de génies attestées qui pourraient bien avoir fourni d'une part le prosc ritet, de l'autre, le P. Naso, préteur en 44, qui refusa le partage des provinces à la séance du 28 novembre2. Au nombre de ces «possibles» figure évidemment le tyrannicide Sextius Naso. Au total, il y a toute vraisemblance pour que le préteur de 44 soit aussi le proscrit, encore qu'il soit impossible de montrer que tous les préteurs (ils sont neuf) qui avaient refusé le partage avaient commis à l'égard d'Antoine un acte d'hostilité qui pût leur valoir une proscription3. Mais une épigramme de Catull e qui ironise sur un Naso que personne ne veut accompagner au Forum parce qu'il est un «giton» nous fournit des éléments de liaison entre les deux person nages: le préteur (neque tecum multus homost qui / descendit) et l'homosexuel (pathicus)4. Crawford pense que le proscrit (donc le préteur?) est le monétaire L. Ax(s) ius Naso ou un descendant5. Ce n'est pas impossible : on sait qu'un sénateur, Q. Axius, originaire de Réate, fut l'ami de Varron et de Cicéron6; mais on ne dis pose d'aucun indice pour étayer cette hypothèse. En sens inverse, on n'a pas beaucoup d'arguments solides pour contredire l'assimilation proposée, entre autres par E. Badian7, entre le préteur proscrit et le pompéien tyrannicide Sex tius Naso8 mais nous considérerons, après Klövekorn, Münzer et Groebe, qu'une telle identification est peu vraisemblable parce qu'il ne devait guère res ter à Rome de participants à la conjuration : ils avaient tous été condamnés auparavant à Vaqua et igni interdictio au titre de la lex Pedia et avaient quitté Rome ou étaient morts9.
* RE 1 (Münzer); Klövekorn n° 25; Wiseman, New Men n° 543. 1 La liste est donnée par Kajanto, Cognomina 237 : M. Actorius Naso (historien anticésarien); L. Ax(s)ius Naso (monétaire de 71 selon Crawford, de 54 selon Klebs); L. Octauius Naso (mort en 59 en Asie); Cn. Otacilius Naso (attesté en Sicile en 46); C. Sal-
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luuius Naso (Legatus pro praetore de Lucullus dans la guerre de Mithridate, en 73); Q. Voconius Naso (préteur peut-être en 61) et le tyrannicide Sextius Naso (uid. infra). 2 Cic, Phil. Ill, 25 :. . . P. Naso, omni cauens cupiditate. . . 3 Parmi les huit autres, quatre ont été proscrits : L. Cornelius Lentulus, C. Turranius, C. Cestius et L. Cinna. Sp. Oppius a pu l'être aussi. Restent trois personnages dont on ne sait pas bien s'il faut les considérer comme susceptibles de proscription : M. Piso et M. Vehilius, mais surtout L. Marcius Philippus qui fut consul en 38. 4Catull. 112. L'identification que Neudling (Catullus 131-132) propose est avec Sex tius Naso qu'il considère comme étant aussi le préteur de 44, ce qui reste à démontrer : uid. infra. 5 n° 400. Sur ce personnage uid. Nicolet n° 50. 6 RE 4; Nicolet n° 51. 7 «CR de MRR suppt» 497 après Neudling (cité supra n. 4). 8 Attesté par Appien, BC II, 113, 474. 9 Dion affirme que lorsque la lex Pedia fut passée « la majorité des assassins étaient partis, certains même avec des gouvernements provinciaux; pour ceux qui étaient à Rome, la crainte les empêcha de se montrer et ils s'échappèrent discrètement». (46, 48, 3).
93. NONIVS* Sénateur
Proscrit (Plin., HN 37, 81). Grand-père du cos. 35 p. C.
Pline raconte, à propos de pierres précieuses, qu'un certain Nonius, fils de Nonius Struma dont Catulle s'indigne qu'il ait pu siéger sur un siège curule (comme édile vraisemblablement)1, fut proscrit par Antoine qui convoitait une très belle pierre qui était en sa possession et qu'il emporta dans sa fuite. Klövekorn considérait qu'il pouvait être un Nonius Asprenas : L., celui qui géra le consulat en 6 p. C. Mais comme il le faisait observer lui-même, ce Nonius aurait été proscrit bien jeune" ou consul bien vieux. Mieux vaut donc reconnaître l'impossibilité où nous sommes de proposer une identification sérieuse et constater que ce que nous dit Pline sur sa descen dance (il est Yauus du consul de 35 p. C.)2 ne nous éclaire pas davantage. * RE 50 (Munzer); Klövekorn n° 55 (L. Nonius L. f. L. n. Asprenas); sur la significa tion du cognomen Struma Kajanto, Cognomina 246. 1 Hypothèse de Münzer à propos de Catull. 52, 2. 2 Seruilius Nonianus. Sur ce personnage uid. Syme, «Seruilius Nonianus» notamment 408-413.
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94. C. OCTAVIVS* Sénateur
Se rallia aux tyrannicides (Plut., Caes. 67, 4-5). Mort au plus tard en 31.
On n'a aucune raison de confondre C. Octauius qui rejoignit les assassins de César au moment où ils sortirent de la curie avec l'un des deux Octauii Balbi dont Appien nous apprend qu'ils furent proscrits et qu'ils périrent, l'un exécut é, l'autre noyé. Ces deux proscrits devaient, en effet, se trouver à Rome au moment de l'annonce de la proscription : c'est du moins ce qui ressort du récit d'Appien et de Valère-Maxime qui montrent le père et le fils cherchant à s'échapper, puis le père revenant se livrer1. Or il est tout à fait invraisemblable qu'ait pu se trou verà Rome en novembre 43 un de ceux qui montèrent avec les tyrannicides au Capitole «comme s'ils avaient pris part à l'action et en revendiquaient la gloi re»2: sans doute n'avons-nous aucune preuve formelle qu'il ait été frappé d'aqua et igni interdictio puisqu'aucun texte ne nous dit explicitement qu'il fut condamné e lege Pedia. Toutefois les expressions utilisées par Plutarque et Appien ne nous permettent pas d'en douter : le premier affirme qu'ils « furent bien punis de cette fanfaronnade : Antoine et le jeune César les firent exécuter et ils n'avaient même pas joui de la gloire pour laquelle ils mouraient parce que personne ne les crut. . .»3; le second qu'«ils ne partagèrent pas la gloire mais payèrent le châtiment des coupables»4. Dans ces conditions il est impossible d'assimiler C. Octauius à Octauius Balbus le père comme le font la plupart des historiens modernes5 même si cela nous condamne à tout ignorer de ce personnage, sinon sans doute qu'il ne devait pas être apparenté aux Octauii de la famille d'Auguste parce qu'il serait bien étonnant que, dans cette hypothèse, aucune source n'en ait conservé le moindre souvenir. * Nec in RE nee in Klövekorn : ordinairement confondu avec Octauius Balbus le père (infra η. 5 et n° 95). 1 App., BC IV, 21, 84-86; Val. Max. V, 7, 3 Vid. infra nn° 95-96. 2 Plut. cit. § 5 qui ne donne que le nom de deux personnages qui agirent ainsi : Octauius et Lentulus Spinther (proscrit). Appien (BC II, 119) ne cite pas Octauius mais nomme Lentulus Spinther, Favonius, Aquinus, Dolabella, Murcus et Patiscus (tous pros crits sauf évidemment Dolabella qui s'était suicidé auparavant). > Ibid. «App., BC II, 119. 5 Notamment Münzer (RE 44) et Wiseman, «Republican Senators» 124. L'époque triumvirale est, par ailleurs, assez riche en Octauii pour qu'il ne soit pas nécessaire de procéder à ce regroupement simplificateur. On signalera, en particulier le pompéien M.
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
Octauius Cn. f. fils du consul de 76 (RE 33) et deux antoniens : M. Octauius (RE 34) qui commandait une flotte à Actium et T. Octauius (non in RE; MRR suppt 44) qui apparaît sur une monnaie. Tous personnages qui pourraient bien avoir été apparentés à notre proscrit.
95. OCTAVIVS BALBVS 96. OCTAVIVS BALBVS* Sénateurs?
Proscrits (App., BC IV, 21, 84-86). Père exécuté, fils naufragé.
Les deux Octauii Balbi avaient été proscrits et le père ayant appris la (faus se) nouvelle que son fils était mort alla se livrer à ceux qui le poursuivaient. En réalité, l'anecdote n'est pas la même selon qu'elle est racontée par Appien ou par Valère-Maxime. Pour ce dernier, Octauius père rentra dans sa demeure en entendant des cris qu'il crut être ceux de son fils qu'on égorgeait1. Plus vraisemblable est la version des faits présentée par Appien selon lequel les deux Octauii décidèrent de partir à quelques temps d'intervalle pour ne pas se faire remarquer : le père revint donc se faire égorger lorsqu'il crut son fils mort et celui-ci ne lui survécut guère puisqu'il périt dans un naufrage. Ces récits ne nous apprennent pas grand chose sur l'identité de ces deux malheureux sinon qu'on ne peut identifier le père au C. Octauius qui se rallia aux tyrannicides lors de leur montée au Capitole2. Wiseman, qui fait pourtant la confusion3, rappelle par ailleurs l'existence de deux Octauii Balbi pour cette époque, tous deux ture periti : L. qui fut juré dans le procès de Verres4 et P. qui apparaît dans le pro Cluentio5. Il n'est pas impossible que nos proscrits soient apparentés à ces juristes, mais on ne saurait le démontrer. * RE 44 (Münzer); Klövekorn nn° 103 & 104. » Val. Max. V, 7, 3. 2 Plut., Caes. 67, 4-5. Supra n° 94. 3 «Republican Senators» 124 où il propose d'ailleurs de confondre les deux Octauii Balbi qu'il signale en faisant valoir que le prénom du second : P., est rare chez les Octauii et pourrait être une erreur de la tradition manuscrite. 4 Cic, IlVerr 2, 32; ps. Ascon. 263 St. RE 45. 5 Cic, Cluent. 107; RE 46.
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97. [MjOPPIVS*
98. M. OPPIVS Sénateurs
Proscrits (Dio 48, 53, 4).
Picenum
Tous deux réfugiés auprès de Sex. Pompée (App., BC IV, 41, 172-173). M. Oppius aed. 37.
Appien et Dion, lorsqu'ils racontent cette histoire, font mentir Velleius Paterculus qui affirmait que la proscription avait révélé l'absence totale de fides des fils à l'égard de leur père l : M. Oppius le fils, en effet, tel Enée portant Anchise, prit son vieux père sur ses épaules et le' sortit ainsi de Rome, puis continua son chemin jusqu'en Sicile, tantôt le portant et tantôt l'aidant à marc her. Appien ne dit pas que le fils avait été proscrit lui aussi : il évoque simple mentla perte de son patrimoine qui le mettait dans l'impossibilité d'assumer ses fonctions d'édile. Dion, en revanche, affirme qu'il avait bien été porté sur les listes : . . . έκ γαρ των έπικεκηρυγμένων και αυτός και ό πατήρ αύτοΰ ην. On peut d'ailleurs supposer que cette proscription s'explique par le secours que M. Oppius avait apporté à un proscrit : son père. On ne sait pratiquement rien de ces deux personnages : le fils fut édile en 37; il avait donc bénéficié de la resîitutio accordée à la paix de Misène. Pour son père, on ne peut pas suivre Klövekorn quand il l'identifie au préteur de 44 Sp. Oppius2 : il est difficile d'admettre qu'un homme qui avait été préteur l'an née précédente soit empêché de marcher par la vieillesse (ύπό γήρως ασθενέσ τατου dit Appien). On rappellera que, pour cette époque, on connaît plusieurs Oppii, notam mentC. Oppius, un des plus fidèles partisans de César3; M. Oppius Capito, pré fet de la flotte d'Antoine, en 36, contre Pompée4 et Q. Oppius, praefectus ou proconsul octavien5. Il semble, par conséquent, que nos deux proscrits aient appartenu à une branche sinon à une famille différente, encore qu'on ne connaisse pas les raisons de leur proscription.
* RE 15 (Münzer); Klôvekorn nn° 23-24. 1 Veil. Pat. II, 67, 2. 2 RE 22 cf. 5. 3 RE 27. 4 RE 24; Syme «Senators» 120. 5 RE 21 (que Crawford, n° 550, place en 88 faute de pouvoir le dater précisément!).
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99. PACVVIVS LABEO* Sénateur
Participa à la conjuration contre César. Suicidé après Philippes.
Le père du célèbre jusrisconsulte Antistius Labeo1 avait fait partie de la conjuration contre César2 et avait donc, selon toute vraisemblance, été condam né e lege Pedia. On ne sait presque rien de lui sinon qu'il servit sous Brutus en qualité de légat3 et qu'après Philippes il se fit mettre à mort par un de ses esclaves4. Là s'arrête notre connaissance du personnage qui n'apparaît, par ailleurs, que bien fugitivement dans la correspondance de Cicéron5. * RE 35 (Klebs); Klövekorn n° 62 (Antistius Labeo); Ribbeck n° 172; Etienne, Ides de Mars 160. 1 App., BC IV, 135; Pompon., Dig. I, 2, 2, 44. E. Badian, «The Attempt to try Caesar», Mel. SALMON, Toronto, 1974, 145-166, suivi par Shackleton-Bailey (Nomenclature 103) considère qu'il s'agit bien d'un Pacuuius et que son fils, le jurisconsulte, a été adopté par un Antistius - inconnu par ailleurs. 2 Plut., Brut. 12, 4-5. 3 Plut., Brut. 51,2. ♦App., BC1V, 135. *Ad Brut. I, 18, 3 = 26 SB; II, 5, 4, = 5 SB.
100. Q. PATISCVS* Sénateur, Proquaestor
Se joignit aux meurtriers de César (App., BC II, 119,500).
Etrurie? Le Patiscus (Πατίσκος) qui se joignit aux meurtriers de César et qui, dit Appien, subit le même châtiment qu'eux sans partager leur gloire, avait donc été condamné e lege Pedia dans un premier temps puis proscrit. Il semble qu'il soit le personnage dont Cicéron parle à Caelius en 51 et qui vendit dix panthères à Curion pour ses jeux1. C'est sans doute lui, aussi, qu'on trouve en 48 dans le parti de César : il fut envoyé par Domitius en Cilicie pour chercher des renforts2. Après s'être rallié aux conjurés, il servit sous Cassius en tant que proques teur : il commandait une partie de la flotte qui attaque Dolabella en 43 3. On ne peut rien savoir d'autre sur ce personnage, le seul de son nom qui nous soit attesté.
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* RE s.n. (Münzer); Klövekorn n°42; Willems, Sénat I, 573, n°30; Wiseman, New Men n°310; Schulze, Eigennamen 157, pour une origine étrusque possible. 1 Fam. VIII, 9, 3 = 82 SB. 2 Bell. Alex. 34, 5 : le texte dit Q. Patisius, mais Willems, Klövekorn et Münzer propos entde corriger en Patiscus. C'est effectivement possible. >Fam. XII, 5, 2 = 406 SB; XII, 13, 4 = 419 SB.
101. PETRONIVS* Sénateur
Faisait partie de la conjuration contre sar (App., BC V, 4, 15). Exécuté après Philippes.
Nous n'apprenons la participation de ce personnage à la conjuration contre César qu'à la faveur du récit qu'Appien fait du passage d'Antoine à Ephèse : celui-ci pardonna à tous ceux qui avaient combattu sous Brutus et Cassius, et qui s'étaient réfugiés dans le temple, sauf à Petronius parce qu'il avait trempé dans la conjuration (συνεγνωκότος έπί τω φόνω Καίσαρος) et à un cer tain Quintus l qui avait trahi Dolabella. Petronius avait donc dû être condamné e lege Pedia avant d'être inscrit sur la liste. Toute identification dans l'état actuel de notre documentation est impossib le. On signalera simplement l'existence d'un C. Petronius Vmbrinus, sénateur sous Auguste2. * RE 85 (Münzer); Klövekorn n° 105. 1 Un centurion, selon Gabba, comment, ad loc. 2 RE 79; PIR 236; Wiseman, New Men n° 315.
102. (L. PLINIVS RVFVS)* Sénateur
Légat de Pompée 426 = ILS 8891).
Gaule cisalpine?
Restituais par Misène?
en
Sicile
(ILLRP _
Compte tenu du fait que Plinius se trouvait aux côtés de Sex. Pompée au moment des accords de Misène et que c'est vraisemblablement en vertu de ces accords qu'il avait été désigné pour la preture1, on peut penser qu'il était un personnage assez important pour avoir figuré sur la liste de proscription. On ne sait malheureusement rien ni sur lui ni sur sa famille : il continua de servir Sex. Pompée jusqu'en 36, date à laquelle il fut contraint de traiter avec Lèpide2.
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE On n'entend plus parler de lui après cette date.
* RE 4 (Münzer); non in Klövekorn. Pour son origine uid. Wiseman, New Men n° 327. 1 L. Plinius L. f. Rufus, leg(atus) pro pr(aetore), pr(aetor) des(ignatus). (ILLRP 426). 2 App., BC V, 122, 507 : Glauning, Anhängerschaft 14.
103. L. PLOTIVS PLANCVS* Praetor
Troisième sur la liste (App., BC IV, 12, 46).
Tibur
Exécuté
On ne sait pas bien la raison qui a pu valoir à L. Plotius Plancus de retrou ver son nom parmi les premiers de la liste de proscription. Il avait été un césarien sans doute sincère. En tout cas il procéda, en 47, à une émission monétair e1 avec son nom au droit (L. Plautius) et Plancus au revers. Au début de l'an née 44 César l'avait désigné pour la preture de 43 alors même que son frère l'était pour le consulat de 42. Et pendant cette même année 44 il fut praefectus coloniae deducendae à Buthrote2. Il faut donc penser qu'après les tentatives qu'il fit pour maintenir son frère dans la légalité républicaine, les positions se durcirent considérablement et que L. Plotius avait dû voter le sénatus-consulte déclarant Antoine hostis publiais alors même que son frère L. Munatius se ralliait à lui. Il paraît d'ailleurs possible de considérer que L. Plotius avait, à Rome, commis quelque acte d'hostilité à l'égard de L. Munatius (appropriation de ses biens, par exemple) pour expliquer que celui-ci l'ait' laissé inscrire3. Quoi qu'il en soit, le proscrit chercha refuge in regione Salernitana, mais son parfum trahit sa cachette et comme on mettait ses esclaves à la torture pour leur faire dire où il se cachait précisément, il finit par se livrer4. Les textes anciens qui nous parlent du «raffinement» des deux frères lais sent entendre que leur fortune devait être considérable5. * RE Munatius 26 (Münzer); Klövekorn n°29; Drumann-Groebe, Munatii n° 17. Sur Tibur uid. Willems, Sénat I, 528, n° 345. Il s'appelait originellement C. Munatius Plancus et fut adopté par un Plotius (Schackleton-Bailey, Nomenclature 124). 1 Crawford n° 453. 2 Sur cette affaire de Buthrote uid. E. Deniaux, « Un exemple d'intervention politique : Cicéron et le dossier de Buthrote en 44 avant J. C», BAGB 1975, 283-296. 3 II est difficile de suivre Velleius Paterculus (II, 67, 3) lorsqu'il affirme que Munatius avait demandé lui-même la proscription de Plotius : ... nee Planco gratia defuit ad impetrandum ut frater eius Plancus Plotius proscriberetur. En tout cas c'est un bruit qui courut à Rome puisque, lors du triomphe de Lèpide et de Plancus, certains soldats plaisantaient en disant : De Germants, non de Gallis duo triumphant consules (ibid. 4).
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4 Val. Max. VI, 8, 5; Plin., HN 13, 25. 5 Vid. notamment Porphyr, ad Horat., Sat. II, 2, 50. Sur le censeur de 22 uid. aussi Suolahti, Censors 501-504. 104. POMPEIVS* Sénateur
Proscrit (Porphyr, ad Horat., Sat. I, 8, 25).
A propos de Sagana, la sorcière évoquée par Horace, Porphyrion rappelle qu'elle était l'affranchie d'un certain Pompeius, un sénateur proscrit par les Triumvirs1. L'identification de ce personnage est d'autant plus difficile que la tradition manuscrite est incertaine2. En tout état de cause il semble exclu qu'on puisse l'assimiler avec Pompeius Varus, le dédicataire de l'ode II, 73: le scholiaste n'aurait pas manqué de faire le rapprochement. * Nec in RE nee in Klövekorn. 1 ... Saganam nomine fuisse Horati temporibus, libertam Pompei senatoris qui a triumuiris proscriptus est. 2 Certains mss. portent la forme Pomponii. 3 Infra s.n.
105. Sex. POMPEIVS MAGNVS PIVS* Praef. classis
Proscrit (Oros. VI, 18, 19).
Picenum
Restitutus par la paix de Misène.
Le cas de Sex. Pompée est exemplaire pour déterminer les procédures de vengeance et d'élimination mises en place par les Triumvirs. Il fut d'abord condamné e lege Pedia bien qu'il n'eût pris aucune part à la conjuration. Dion a, là-dessus, des lignes sans équivoque : « Non seulement ceux qui avaient assas sinéCésar et leur complices, mais beaucoup d'autres encore qui n'avaient pas conspiré contre César et qui n'étaient même pas à Rome à cette époque, furent condamnés par contumace. Cette mesure fut prise surtout contre Sex. Pompée qui, bien qu'il n'ait pris la moindre part au complot, fut pourtant déclaré cou pable en raison de la guerre qu'il menait contre César»1. Puis en novembre il fut porté sur les listes de proscription : « Lorsque cependant son nom eut été affiché sur les listes et qu'il sut que la proscription valait contre lui aussi, désespérant d'obtenir son retour par César, il se prépara à la guerre»2. Cette proscription est confirmée par le discours qu'Appien prête à Cassius : « Pompée a été proscrit en même temps que nous bien qu'il ait été loin, en Espagne, quand nous avons accompli notre acte»3.
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On comprend aisément qu'Octavien puis les Triumvirs aient souhaité élimi nerpar tous les moyens l'héritier d'un nom dont ils avaient tout à craindre, ne fût-ce que parce qu'il avait été investi par le sénat d'un commandement sur les mers, qui effectivement organisa la résistance en regroupant autour de lui un nombre important de proscrits, et qui constitua en définitive une force avec laquelle il finirent par être contraints de composer : il leur imposa, en quelque sorte d'annuler leur proscription, réussissant ce que Sertorius avait sans doute cherché à réaliser. Les accords de Misène auxquels il amena ses adversaires prévoyaient sa restituito : récupération de la fortune de son père, consulat, augurât, provinc es4,tout cela précisément parce qu'il n'avait pas pris part au complot contre César. Sa fille Pompeia avait été fiancée à C. Claudius Marcellus au moment des accords de Misène5. La descendance des Pompei est assez bien connue6. * RE 33 (Miltner); Klôvekorn n°61; Drumann-Groebe Pompeii 25; Hadas, Pompey, notamment 54-99; Gabba, comment, à App., BC V, 143, 596. 1 Dio 46, 48, 3-4. De même en 48, 17, 2, l'historien rappelle que Sex., «apprenant qu'il était lui-même compris dans la condamnation des meurtriers (. . .) espérait être rappelé par César lui-même parce qu'il n'avait eu aucune part au complot». Cf. aussi Zonar. X, 16. 2 Dio 48, 17, 3. De même 47, 12, 2. Vid. Oros. VI, 18, 19 : Sex. Pompeiiis, postquam se in proscriptorum numerum relatum comperit, conuersw in latrocinia omnem oram Italiae caedibus rapinisque uastauit. 3 BC IV, 96. « Dio 48, 36; App., BC V. 72; Veli. Il, 77; Liu., Per. 127. s App., BC V, 73, 312, Syme, Révolution 212. 6 Vid. en dernier lieu Scheid, «Scribonia Caesaris» 370-371 : «Stemma des descen dantsde Pompée». 106. POMPEIVS VARVS* Avait servi sous Brutus en même temps qu'Horace (Horat., Carm. II, 7, 1-5). Ο saepe mecum tempus in ultimum deducte Bruto militiae duce quis te redonauit Quiritem dis patriis Italoque caelo, Pompei, meorum prime sodalium. . ,?1 Cet ami intime d'Horace, que certains manuscrits et que les scholiastes appellent Pompeius Varus avait donc servi sous Brutus, comme le poète luimême et, comme lui, avait perdu son statut de citoyen par la proscription2.
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Mais à la différence d'Horace qui avait renoncé à se battre, Pompeius semb leavoir rallié Sex. Pompée: «Mais toi, l'onde te reprenant dans le bouillonne ment de ses vagues, t'a de nouveau emporté vers la guerre»3. Contrairement à ce que pense Miltner, il n'est pas nécessaire de considérer que Pompeius Varus était passé à Antoine après la défaite de Sex. Pompée et qu'il avait recouvré son statut à la faveur de l'amnistie d'après Actium : l'ode a une valeur plus générale et s'accorde bien à l'idée d'une restituito antérieure, celle qui fut consécutive à la paix de Misène4. Ce proscrit est malheureusement le seul Pompeius Varus que nous connaissions. * RE 50 (Miltner); non in Klövekorn; Drumann-Groebe Pompeii n°41. 1 « Ο toi qui souvent, avec moi, fus amené au dernier péril, quand nous servions, conduits par Brutus, qui t'a refait Quirite et rendu aux dieux de nos pères et au ciel de l'Italie, ô Pompée, le premier de mes camarades ...?». 2 Vid. supra s.n. Q. Horatius Flaccus (n° 63). 3 Ibid. 15-16 :. . . te rursus in bellum resorbens / unda fretis tulit aestuosis. 4 C'est aussi l'interprétation de Drumann & Groebe.
107. POMPONIVS* Sénateur?
Proscrit (App., EC IV, 45, 194). Se réfugia auprès de Sex. Pompée.
L'amusante histoire du proscrit qui, pour quitter Rome, revêtit les insignes de la preture après avoir habillé ses esclaves en licteurs et en esclaves publics est racontée par Appien pour un certain Pomponius et par Valère-Maxime pour Sentius Saturninus Vetulo1. Quoi qu'il en soit de celui qui a mis en pratique ce stratagème, il reste que Pomponius a été proscrit et que son identification est très difficile sinon déses pérée. Willems proposait de voir en lui M. Pomponius, le légat de César en 48, qui perdit ses bateaux devant Cassius2, personnage dont il faisait, du même coup, le fils de M. Pomponius qui avait été légat de Pompée contre les pirates en 67 3. C'est bien possible, mais il s'agit d'une hypothèse que rien ne vient étayer. * RE 2 (Gundel); Klövekorn n° 106; Willems, Sénat I, 542, n° 496; Ribbeck n° 70. » Val. Max. VII, 3, 9. 2 Caes., BC III, 101 ; RE 11. De son côté Ribbeck tire argument de l'anecdote racontée par Appien pour faire de lui un praetorius. >MRR s.a.; RE 10.
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108. T. POMPONIVS ATTICVS* Chevalier
Proscrit (Nep., AU. 10, 4).
Rome
Restitutus par les soins d'Antoine.
Compte tenu à la fois de sa richesse, des liens très étroits qui l'unissaient à Cicéron et de son amitié avec Brutus, il aurait été étonnant que Brutus ne fût pas proscrit. Il semble d'ailleurs qu'il ait été radié assez vite de la liste (probablement avant Philippes) et que sa fortune n'ait pas été touchée. Il dut cette restitutio à Antoine avec lequel il avait aussi de bonnes relations et qui lui écrivit ... se eum et illius causa Canum de proscriptorutn numero exemisse. D. R. Shackleton Bailey, s'appuyant sur le texte de Cornelius Nepos a fait observer qu'Atticus n'embrassa jamais les haines farouches de son ami Cicéron ni ne le suivit dans son combat à outrance1. Comme il avait toujours épargné les amis d'Antoine (notamment P. Volumnius qui le protégea quand il fut prosc rit) et avait secondé Fulvie dans ses démêlés judiciaires2, la réconciliation fut aisée. Si on en croit Cornelius Nepos, une fois restitutus, Atticus mit tous ses efforts dans le secours à apporter aux proscrits en déroute depuis Philippes3 et c'est sans doute par l'intermédiaire de son beau-frère qu'Horace obtint sa resti tutio*. On sait que sa fille épousa M. Agrippa. * RE suppt VII (Feger); non in Klövekorn (Syme, Révolution 187 affirme qu'«il ne figurait pas sur la liste»); Nicolet n°283. 1 «Atticus and Cicero» in Letters to Atticus I, 51. 2 Nep., Ait. 9, 4. 3 Ibid. 11, 2 : L. Liuius Ocella, A. Torquatus, L. Saufeius, L. Iulius Calidus. 4 Vid. supra n° 63.
109. M. PORCIVSCATO* Sénateur Tusculum
Mort à Philippes (App., BC IV, 135, 571).
On ne peut pas démontrer la proscription de ce jeune fils de Caton d'Utique, mais plusieurs faits la rendent tout à fait vraisemblable. Au lendemain de la guerre civile il avait obtenu le pardon de César qui lui avait laissé la jouissance de la fortune paternelle1. Mais après la mort du dicta teur, il avait suivi son beau-frère Brutus aux côtés duquel il avait combattu. Cette activité militaire implique presque certainement la proscription2.
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Par ailleurs sa mort volontaire devant l'ennemi tend à confirmer qu'il avait bien été inscrit sur les listes. Enfin on observera que, dans le bilan qu'il fait de cette guerre, Velleius Paterculus ne donne pour exemple de chacune des catégories qu'il établit (ral liés, morts au combat, exécutés après la défaite, suicidés) que des noms de proscrits3 et qu'il serait bien étonnant que Caton, qui figure les morts au comb at, soit le seul à ne pas l'avoir été. Il semble que la gens ait survécu puisque Tacite atteste l'existence d'un M. Porcius Cato pour l'année 28 p. C, personnage qui fut consul suffect sans qu'on puisse déterminer quelle année4. * RE 13 (Miltner); non in Klövekorn; Drumann-Groebe Porcii n°24. 1 Val. Max. V, 1, 10. 2 Outre Appien uid. Plut., Cato min. 73, 5; Brut. 49, 9. 3 Veil. Pat. II, 71 : M. Valerius Messalla, M. Terentius Varrò Lucullus, Q. Hortensius, M. Liuius Drusus Claudianus, Sex. Quinctilius Varus. * Tac, Ann. 4, 68; PIR 635.
110. [Sex. QVINCTILIVS] VARVS* Praetorius?
Proscrit (App., BC IV, 28, 120).
Rome
Chercha à s'échapper mais finit par avoir la tête tranchée. Petit-fils cos. 13.
S'il est un personnage dont on peut être certain qu'il fut proscrit, c'est bien notre Varus : il le proclama lui-même aux habitants de Minturnes qui s'apprê taientà l'exécuter alors qu'il s'était d'abord fait passer pour un brigand. Il fut alors décapité par un centurion qui ne laissa à Minturnes que son corps mutil é. Mais s'il est un personnage qui pose des problèmes inextricables d'identifi cation c'est bien ce Varus : la première difficulté vient de ce que lui-même, pour échapper au supplice que lui préparaient les Minturniens, s'écria qu'il interdisait qu'on le torture, lui ΰπατον (...) γεγενημένον1. Or comme on ne connaît aucun consulaire qui portait ce cognomen on doit admettre avec R. Syme ou bien qu'il s'agit d'un des dix praetorii à qui César conféra les consularia ornamenta, ou bien qu'Appien transcrit une expression latine qui pouvait prêter à confusion2. La première hypothèse n'est évidemment pas à écarter : on trouve assez d'anciens césariens parmi les proscrits pour qu'elle soit vraisemblable. La seconde est plus probable et elle ouvre le champ des possibles : on peut, en particulier, penser à Sex. Quinctilius Varus qui, pendant sa preture de 57, avait
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œuvré pour le retour de Cicéron et qui avait été ensuite proconsul en Espagne, de 56 à 53 3. Compte tenu du fait que les sources anciennes sont muettes sur ce personnage après son proconsulat, son identification avec le proscrit reste év idemment hypothétique. D'autant qu'on ne peut bien sûr pas écarter la possibilité qu'il se soit agi d'un Attius Varus: on sait que si on trouve un Q. Varus césarien4, P. Attius Varus, en revanche, fut un des adversaires les plus déterminés que César eut à combattre 5. Mais on observera que notre hypothèse est confortée par la proscription certaine de Sex. Quinctilius Varus, le questeur de 49, vraisemblablement son fils6. * Non in RE ; Klövekorn n° 1 (C. Cassius Longinus Varus). 1 App., BC IV, 28, 121. 2 «Missing Persons» 258. Pour sir Ronald, le texte latin pourrait comporter une for mule comme summo me Populi Romani imperio usum qui s'applique au pouvoir préto rien(Cic, leg. agr. II, 34). Mais il n'est pas impossible non plus que Varus ait fait référen ce à une preture pro consule : il s'adressait à de braves gens qu'il voulait impressionner et qui n'étaient peut-être pas capables de faire la différence. En tout cas on doit éliminer la solution proposée par Willems (Sénat I, 433, n° 12) et reprise par Klövekorn, qui consiste à voir en lui C. Cassius Longinus Varus, le consul de 73. Non seulement Cassius ne s'est jamais appelé Varus, mais en outre Orose témoigne de sa mort en 72 (V, 24, 4). 3 RE 4 ; pour sa carrière uid. MRR s.a. Apparememnt il était resté neutre pendant la guerre civile (Bruhns, Oberschicht 47). ♦ΛΕ 33. 5 RE 32. Il faudrait lui supposer un parent. Les autres hypothèses sont moins vra isemblables: R. Syme suggérait que le préteur de 59, L. Appuleius, pouvait bien avoir Varus pour cognomen («Senators» 110), mais le seul indice qu'on en ait se trouve être le nom de la fille du consul de 29 : Appuleia Variila (PIR2 968) et aucun Appuleius républi cain ne s'appelle Varus. Reste Alfenus Varus, le consul de 39, mais on ne voit pas bien le lien qu'il faudrait imaginer entre le proscrit et lui. Les autres personnages porteurs du cognomen Varus apparaissent à des époques qui ne nous intéressent pas (Kajanto, Cogno mina 242). 6 Infra s.n. n° 111.
111. Sex. QVINCTILIVS VARVS* Quaestorius Rome
Suicidé après Philippes (Veil. II, 71, 3). Père du cos. 13.
Faisant un rapide bilan des personnalités qui trouvèrent la mort à l'occa sionde la défaite des républicains à Philippes, Velleius Paterculus nomme deux
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personnages qui se suicidèrent ne temptata quidem hostis misericordia : Liuius Drusus et Quinctilius Varus. Nous savons que le premier avait été proscrit * et il y a toute vraisemblance que le second l'ait été aussi : son suicide laisse à penser qu'il considérait toute échappatoire impossible parce qu'il avait été inscrit sur les listes. On sait en définitive peu de choses sur ce personnage sinon qu'il fut un pompéien ardent : après avoir été pardonné par César à Corfinium2 il rejoignit les rangs ennemis en Afrique3. Il disparaît de nos sources jusqu'à cette mention qui en est faite dans Velleius. En revanche on connaît sa descendance : il était le père de Varus (P. Quinct ilius), le consul de 134.
* RE 17 (Gundel); non in Klövekorn. 1 Vid. supra n° 78. 2 Caes., BC I, 23, 2; Bruhns, Oberschicht 54-55. 3 BC 11, 28, 1. *RE 20. Vid. Syme, Révolution, appendice VII (la famille de Varus); Szramkiewicz, Gouverneurs II, 434-435.
112. L. QVINCTIVS* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 12, 46). Suicidé en 40 (ibid. 27, 114).
L. Quinctius était le quatrième nom de la seconde liste, après L. Paullus, L. Caesar et L. Plotius Plancus. Mais on ne sait pratiquement rien de ce personna ge sinon qu'il était le beau-père d'Asinius Pollion et que cette alliance aussi bien que la place privilégiée qu'il occupait sur la liste attestent qu'il deyait être un personnage assez considérable1. Appien raconte qu'il se suicida alors qu'il désespérait de se sortir de la tem pête dans laquelle son bateau avait été pris alors que son gendre était consul : on peut donc penser qu'il avait trouvé refuge auprès de Sex. Pompée2.
* RE 13 (Gundel); Klövekorn n°43; Willems, Sénat 1, 532 n°360; Syme, «Missing Senators» 68. 1 Willems lui suppose une questure au plus tard en 54. Andre, Asinius Pollion 19-20. 2 Le texte d'Appien est ici fautif : il l'appelle Λεύκιος ό Άσινίου . . . πενθερός.
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113. (RVBRIVS RVGA)* Sénateur
Un des assassins de César (App., BC II, 113, 474). Mort au plus tard en 31.
Comme tous ceux qui avaient participé à la conjuration contre César, Rubrius Ruga - s'il était encore en vie - avait dû être condamné e lege Pedia avant d'être porté sur les listes de proscription; et comme tous ceux qui étaient dans la même situation - sauf un - il n'a pas dû vivre au delà de 31. Depuis Willems, certains corrigent le texte d'Appien et proposent de voir en ce personnage P. Rupilius Rex1. Mais d'une part Klövekorn a fait observer qu'il est peu vraisemblable qu'un tyrannicide ait géré la preture en 43 et, d'au trepart, Münzer a rappelé que le nom Rubrius était attesté dans un autre texte, la uita Caesaris de Nicolas de Damas où, à propos du meurtre de César, il est dit que Minucius manqua le coup qu'il voulait lui porter et blessa Rubrius à la jambe2. Il est possible qu'il faille assimiler Rubrius Ruga au jeune M. Rubrius qui servit sous Caton en Afrique et qui est peut-être lui-même un fils du Rubrius sous lequel Caton avait été tribun militaire3. Cela constituerait, en tout cas, un personnage cohérent. Mais on ne peut pas non plus ne pas songer à une identification avec le sénateur L. Rubrius auquel César pardonna en 49, à Corfinium en même temps qu'à un certain nombre d'autres4. * RE 13 (Münzer); Klövekorn n°57. Sur le cognomen Kajanto, Cognomina 237. 1 Willems, Sénat I, 570-571 n°24. Vid. infra n° 114. 2 Cap. 24 : Μινούκιος δε και αυτός τύπτων Καίσαρα, παίει 'Ρούβριον εις τόν μηρόν. 3 M. Rubrius le jeune : Plut., Caio min. 62, 4; 63, 1 ; RE 13. Rubrius (le père?) : Plut., Cato min. 9, 1 ; RE 4. 4 Caes., BC I, 23, 2. Les sénateurs en question sont : L. Domitius, P. Lentulus Spinther, L. Caecilius Rufus, Sex. Quinctilius Varus, questeur, et L. Rubrius. 114. P. RVPILIVSREX* Praetor
Proscrit (de la première liste?) (Horat., Sat. I, 7, 1).
Préneste
Réfugié auprès de Brutus.
L'essentiel de notre information sur Rupilius Rex vient d'Horace et des scholies qui le commentent 1, c'est dire si elle est limitée. Porphyrion est sans doute plus complet qu'Acron : selon lui, Rupilius avait été condamné, avant le déclenchement de la guerre civile et avait pris la route
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de l'exil. En 49, il avait servi sous P. Attius Varus. Pardonné sans doute et pré teur en 43 il fut porté sur les listes de proscription et trouva refuge auprès de Brutus où il avait un rang élevé (inter comités habitus est). L'hostilité du poète à son égard viendrait d'une mésentente remontant à cette époque et son mépris de ce que Rupilius avait dû trouver la mort avant de pouvoir être restitutus. Selon toute vraisemblance il convient de distinguer notre préteur de P. Rupilius, magister de la société de Bythinie en 50, que Cicéron recommande à Crasippes2 : ce rapprochement entre les deux personnages (proposé par Münz er, lui-même suivi par Wiseman3) est bien invraisemblable comme le faisait déjà remarquer Hatzfeld4. * RE 10 (Münzer); Klövekorn n° 30; MRR suppt 54. 1 Horat, Sat. I, 7, 3 et schol. ad loc. 2 Cic, Fam. XIII, 9, 2 = 139 SB; Nicolet n° 307; RE 6. ìRE\ «Republican senators» 129. 4 Trafiquants 108 η. 3.
115. [L. SAENIVS] BALBINVS* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 50, 215-219).
Etrurie
Réfugié auprès de Sex. Pompée. Restitutus à la paix de Misène. Cos. suff. 30.
Il y a toute vraisemblance pour que le consul que M. Aemilius Lepidus vint supplier d'accepter sa caution pour sa femme accusée de complicité dans la conjuration du jeune Lèpide soit un fils du sénateur attesté, par un passage de Salluste, pour 63 1. Il serait donc L. Saenius Balbinus, cos. suff. pour les deux derniers mois de l'année 302. E. Wistrand a d'ailleurs montré les liens qu'on pouvait supposer entre ce personnage et les Aemilii Lepidi auxquels il devait vraisemblablement sa carrièr e. Ces liens expliqueraient que l'ancien Triumvir ait cherché à obtenir l'appui du consul de 30 en l'interpellant en ces termes : « Ce n'est pas moi qui t'ai fait proscrire, moi qui suis moins qu'un proscrit»3. Il est possible, dans ces condi tions que Saenius ait été porté sur les listes par Antoine, sans qu'on puisse déterminer quelle raison l'avait déterminé à le faire4. Que Balbinus ait trouvé refuge auprès de Sex. Pompée s'explique déjà moins facilement compte tenu de l'hostilité bien compréhensible entre Aemilii Lepidi et Pompei5.
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* RE Balbinus 2 (von Rhoden); Saenius 2 (Stein); Klövekorn n°97 (M. Titius Balbinus); PIR S 40; E. Wistrand, Horace's Ninth Epode, Göteborg, 1958, 43-45. 1 L. Saenius qui lut au sénat une lettre annonçant les troubles d'Etrurie (Cat. 80, 1); RE 1 ; Wiseman, New Men n° 370. 2 Et que Degrassi n'a pas fait figurer dans ses Fasti Consolari; uid. Syme, «Roman Senators» 57. 3 § 218 : . . . σέ δε ούκ έγώ μεν προέγραψα, κάτω δέ ειμί των προγραφέντων. 4 Cette hypothèse semble se confirmer du fait que Saenius avait pris le parti d'Octavien et non celui d'Antoine (Glauning, Anhängerschaft 14). 5 Sur ce problème uid. supra s.n. L. Aemilius Paullus. 116. SALVIVS* Tribunus Plebis
Proscrit de la première liste (App., BC IV, 17, 68).
Ferentinum
Exécuté.
La première liste de proscription, celle qui contenait le nom de 17 person nagesparmi les plus influents et dont les Triumvirs voulaient la disparition à tout prix, fut affichée par Pedius contrairement à leurs intentions parce qu'ils souhaitaient que la suprise leur permît une plus grande efficacité. Effectivement «quatre personnages de cette liste furent exécutés sur le champ, soit à des banquets soit au hasard des rencontres»1. Or Appien raconte l'histoire de ce tribun de la plèbe en exercice, Σάλουιος, qui, apprenant la réconciliation entre Lèpide, Antoine et Octavien et leur venue prochaine à Rome, organisa un banquet, «persuadé qu'il n'aurait plus guère l'occasion de participer à des banquets». Il fut exécuté au cours de ce banquet dans des conditions particulièrement dramatiques et Appien qui met en scène ces événe ments de façon saisissante ajoute qu'il fut la première victime2. Tout ce que nous savons sur Saluius vient d'ailleurs d'Appien qui prétend qu'après avoir fait ajourner la décision du sénat concernant une éventuelle déclaration d'hostis publicus contre Antoine, il collabora par la suite entièr ementavec Cicéron. On peut donc penser qu'il s'était fait l'auxiliaire de l'orateur dans sa haine contre Antoine et son comportement tendrait à nous le prouver : il ne se faisait guère d'illusions sur le sort qui l'attendait. Münzer et Badian3 considèrent qu'il devait être apparenté à Saluius Otho, chevalier romain, arrière grand-père de l'empereur Othon4. * RE 6 (Münzer); Klövekorn n°40; Wiseman, New Men n°375. 1 App., BC IV, 6, 22. 2 ßC IV, 17, 65 : ... και πρώτος άνηρέθη δήμαρχων Σάλουιος. Sur cette question de la première victime, uid. supra Ti. Cannutius. 3 RE et «Roman Senators» 143. *RE 16; NiC0LETn°311.
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117. L.SAVFEIVS* Chevalier Préneste
Domaines italiens entièrement confisqués (Nep., Au. 12, 3). Récupéra ses biens grâce à Atticus. Restitutus par Antoine.
Bien que la proscription de Saufeius ne soit pas expressément signalée, les conditions dans lequelles il se vit confisquer la totalité de ses domaines ne per mettent aucun doute. Cornelius Nepos raconte, en effet, que l'amitié d'Antoine pour Atticus aurait pu permettre à ce dernier de s'enrichir, mais qu'elle n'a servi qu'à aider les autres : « C'est ce qu'au beau milieu de la proscription on put constater en toute évidence. Par exemple, L. Saufeius, chevalier romain de l'âge d'Atticus, qui depuis plusieurs années, conduit par son goût pour la philo sophie, habitait Athènes, avait en Italie des propriétés de grande valeur; les Triumvirs vendirent ce qu'il possédait - ainsi les choses se passaient-elles alors ; mais il dut aux efforts infatigables et rapides d'Atticus d'apprendre par le même message et la perte de ses biens héréditaires et leur restitution»1. On connaît un peu mieux, depuis Raubitschek, cette famille des Saufei : on sait, en particulier, que notre proscrit avait un frère aîné, Αρ., mort vraisembla blement en 51; on sait surtout que les Saufei, dont Münzer a montré, grâce à une inscription de Préneste2, qu'ils devaient être alliés aux Caelii, étaient très liés à Cicéron auquel ils devaient l'acquittement de l'un d'entre eux poursuivi, selon Asconius, pour son rôle dans le meurtre de Clodius3. On peut donc penser que les attaches de L. Saufeius, sa présence à Athènes et sa richesse expliquent assez bien sa proscription. Il fut rayé de la liste assez tôt et récupéra la totalité de ses biens alors que s'il faut en croire Cornelius Nepos, ils avaient déjà été vendus; à moins que le labor et Y industria d'Atticus aient consisté en le rachat de ces domaines pour les conserver à son ami. * RE 6 (Münzer); Klövekorn n°75; Nicolet n°313; sur ses origines Syme, «Senat ors»121. Sur Saufeius épicurien, F. Münzer, «Ein römischer Epikureer», RhM 69, 1914, 625-629. Pour les Saufei de la fin de la république A. E. Raubitschek, « Phaidros and his Roman Pupils», Hesperia 18, 1949, 96 - 103, notamment 100-101. 1 Nep., Att. 12, 3 : Quod quidem sub ipsa proscriptione perillustre fuit. Nam cum L. Saufei equitis Romani, aequalis sui, qui complures annos studio ductus philosophiae Athenis habitabat habebatque in Italia pretiosas possessiones, triumuiri bona uendidissent consuetudine ea qua turn res gerebantur, Attici labore atque industria facturn est ut eodetn nuntio Saufeius fieret certior se patrimonium amississe et recuperasse. 1 CIL XIV 2624. 3 In Milon. 48-49 C : M. Saufeius M. f. qui dux fuerat in expugnanda taberna Bouillis et Clodio occidendo. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire de corriger M. en Ap. pour expliquer l'attachement des Saufei à Cicéron.
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118. L. SCRIBONIVS LIBO* Praetorius Restitutus en 40(?). Consul en 34. Père naturel du cos. 15 a. C. Grand-père du cos. 16 p. C. Les Scriboniii Libones étaient liés de longue date aux Pompei. Déjà, en 56, on trouve L. au sénat, actif défenseur des intérêts de Pompée1 et, en retour, celui-ci l'assista lorsqu'il fut poursuivi devant les censeurs par Heluius Manc ia2, peut-être en raison de l'extravagance de ses jeux. Il est possible, comme le pensait Münzer, qu'il ait géré la preture en 50, ou, du moins, avant 49, compte tenu de l'importance qu'il semble avoir eue dans les rangs pompéiens3. Il s'était retiré après Pharsale et paraît n'avoir repris une activité politique4 qu'à la suite de la mort de César. Il ne nous est dit nulle part qu'il avait été proscrit, mais étant donné ses liens très étroits avec Sex. Pompée auquel il avait marié sa fille5 et ses attaches avec d'autres proscrits6, et comme, par ailleurs, on le retrouve aux côtés de son gendre dans les négociations avec les Triumv irs,il ne nous paraît pas possible de douter qu'il figurait en bonne place sur la liste. Mais on doit convenir, dans le même temps, qu'il n'avait sans doute pas fallu attendre les accords de Misène pour qu'il soit question de sa restituito. Dion et Appien nous apprennent, en effet, qu'Octavien, craignant les manoeuv res d'Antoine, avait demandé en 40 à épouser Scribonia, seconde fille de notre personnage, pour se ménager des moyens de négociation avec Sex. Pompée7. Il est clair que cette démarche du Triumvir - dont Appien nous dit que Libo encouragea ses parents à l'accepter προθύμως - ne se conçoit guère si elle n'était accompagnée d'un édit réintégrant son (futur) beau-père dans ses droits8. Quoi qu'il en soit il joua un rôle important dans la négociation entre son premier gendre et les Triumvirs pour aboutir aux accords de Misène au cours desquels il fut conclu que sa petite fille (fille de Sex. Pompée) épouserait Marcellus, beau-fils d'Antoine et neveu d'Octavien9. Ces accords n'empêchèrent d'ailleurs pas Scribonius Libo de rester aux côtés de Sex. Pompée jusqu'au moment où il estima, avec d'autres, que celui-ci s'obstinait à lutter contre des forces qui lui étaient supérieures et où, par conséquent, il passa à Antoine10. L'année suivante, en 34, il exerça le consulat avec Antoine, comme il avait été convenu probablement au moment de sa restitutio et comme les accords de Misène l'avaient confirmé. Il ne participa vraisemblablement pas à Actium, en tout cas pas du côté
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d'Antoine : on le retrouve parmi les frères Arvales et, en 29, il devint patri cien11. Pour ce qui est de sa descendance immédiate, elle est l'objet d'hypothèses : outre ses deux filles (épouses de Sex. Pompée et d'Octavien), il eut au moins un fils (peut-être deux) adopté par M. Liuius Drusus Claudianus et qui fut cos. en 15 12. * RE 20 (Münzer); Klövekorn n° 64; Willems, Sénat I, 495-496, n° 203. 1 Cic, Fam. I, 1, 3 = 21 SB. 2 Val. Max. VI, 2, 8. 3 Cf. Cic, AU., VIII, 12, 2 = 135 SB. Sur ses activités pendant la guerre civile MRR s.aa. 49-48 ; Bruhns, Oberschicht 44-45. 4 Sur son activité littéraire pendant cette période Bardon I, 268-269. 5 La date de ce mariage est bien difficile à déterminer Neudling, Catullus 102-103 la fixe en 49; Weinrib («Drusus Libo» 248) dans les années 40 et Scheid, Arvales 17 affirme «... il (se. Pompée) fit épouser à son fils Sex. Pompée Scribonia, fille de Libo. Ce mariage porta Scribonius à la preture en 50-49». 6 Notamment avec C. Sentius Saturninus Vetulo (uid. infra s.n.) par son épouse Sentia (et non pas sa mère comme l'affirme Münzer dans la RE). Sur cette question uid. Scheid, «Scribonia Caesaris» 360-363. 7 Dio 48, 16, 3; App., BC V, 53, 222. Sur cette négociation menée par Mécène uid. Scheid, «Scribonia Caesaris» 369-370, qui considère que Libo n'avait pas été proscrit et que c'est son fils (M. Liuius Drusus) Libo qui servit d'interlocuteur à Mécène. 8 II est vrai qu'Octavien divorça l'année suivante, à un moment où ce mariage n'avait plus de raison d'être (Dio 48, 34, 3). 9 App., BC V, 73, 312; Syme, Révolution 212. 10 App., BC V, 139, 579; Glauning, Anhängerschaft 13. 11 Pour cette question Scheid, Arvales, 19-20. Sur sa descendance Syme, Révolution 399 et 473; Szramkiewicz, Gouverneurs II, 111-112. 12 Sur ces questions uid. notamment Weinrib, «Drusus Libo», 274-275 et Scheid, «Scribonia Caesaris», 365-368.
119. P. SELICIVS CORONA* Sénateur
Proscrit (Dio 46, 49, 5).
Préneste?
Exécuté (App., BC IV, 27, 118-119).
Le seul sénateur1 à avoir voté l'acquittement pour les meurtriers de César poursuivis au titre de la lex Pedia paya son audace de l'inscription sur la liste de proscription. Le nom est très rare et on ne peut savoir qui était ce personnage qui fit, en quelque sorte, acte de complicité avec les tyrannicides2. Tout ce qu'on sait c'est qu'il tenta de s'échapper en se mêlant aux porteurs d'un cortège funèbre mais qu'il fut dénoncé et exécuté aux portes de la ville.
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* RE Silicius (Münzer); Klövekorn n°32; Wiseman, New Men n°405: pour l'origine et la forme Selicius, Syme, «Senators» 122-123 qui confond curieusement le proscrit avec Q. Selicius (RE 1) - erreur rectifiée dans la réimpression (Roman Papers, Oxford 1979, II, 601); le prénom est attesté par Plut., Brut. 27, 5 : Πόπλιον Σιλίκιον. Selon Torelli («Senat ori Etruschi» 327-328) la gens pourrait être d'origine étrusque. 1 Dio 46, 49, 5 : Σιλίκιος Κορώνας βουλευτής. App., BC III, 95, 393, le décrit comme ενός ανδρός των επιφανών ce qui a incité Willems - qui l'identifie aussi avec Q. Selicius à en faire un praetorius (Sénat I, 506 n° 258). 2 Un autre Selicius se trouve dans la correspondance de Cicéron : le foenerator à'Ait. I, 12, 1 = 12 SB qu'il faut sans doute assimiler au Q. Selicius ami de Lentulus Spinther (Fam. I, 5a, 3-4 = 15 SB). Quant à Selicia d'Att. XV, 13, 4, Shackleton-Bailey (n°416) dout equ'il faille maintenir cette lecture et préfère Seruilia.
120. [C] SENTIVS SATVRNINVS VETVLO* Sénateur
Proscrit (Val. Max. VII, 3, 9).
Etrurie
Restitutus par Misène (Veil. Pat. II, 77, 3). Père du cos. 19.
Il n'est pas toujours facile d'identifier les personnages appartenant à cette gens Sentia pour la fin de la République. On sait, par Valère-Maxime, qu'un Sentius Saturninus Vetulo, apprenant que son nom figurait parmi ceux des proscrits, avait revêtu les insignes de la preture et transformé ses esclaves en licteurs. Il fit ainsi route, ostensiblement, jusqu'à Pouzzoles et là, comme s'il avait une mission officielle, il réquisitionna un bateau pour passer en Sicile. Cette anecdote racontée en ces termes ne nous renseigne guère sur ce Sent ius : on ne saurait dire, en particulier, si son idée de se déguiser en préteur (praeturae insignia inuasit) lui était venue de ce qu'il avait déjà géré cette magistrature. Par ailleurs Appien, dans le récit qu'il fait des événements de Sicile, évo que, par deux fois, un Σατουρνΐνος : tout d'abord en compagnie de Scribonius Libo, dans la délégation qui accompagnait Iulia pour aller rencontrer Antoine à Athènes1; ensuite à propos de l'abandon, par ses partisans, de Sex. Pompée jugé trop acharné à combattre plus fort que lui2 : il figure à côté de Cassius de Parme, de Q. Nasidius, de Q. Minucius Thermus, de C. Antistius Reginus, tous personnages qu'Appien qualifie α'άξιόλογοι et auxquels il ajoute C. Fannius et' Scribonius Libo, les deux plus proches de Sex. Pompée. Enfin Velleius Paterculus donne le nom de quelques uns des personnages remarquables que la paix de Misène avait rendus à la République, au nombre desquels figure Sentius Saturninus3. R. Syme voit un seul personnage dans les textes de Valère-Maxime et d'Appien (qu'il distingue d'ailleurs soigneusement du Sentius qui «apparaît» dans le
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consilium de Lentulus Crus à Ephèse en 49, dont il pense qu'il est un fantôme prosopographique)4, mais rapporte le texte de Velleius à un autre Sentius, le consul de 19 a. C, en notant qu'il devait être bien jeune à l'époque. Cette dis tinction ne nous paraît pas convaincante. On pourrait, bien sûr, penser pour la justifier que Velleius parle des clarissimi uiri ainsi rendus à la vie politique de façon prospective, en quelque sorte. Mais ce n'est pas certain : le premier nom qui vient sous sa plume est celui de Ti. Claudius Nero qui avait été préteur et pontife sous César5. En l'absence d'arguments déterminants pour prouver la nécessité de cette distinction, nous préférons donc suivre Münzer et considérer que le Sentius Saturninus de 39 est bien le proscrit de 43, vraisemblablement le père du consul de 19. On sait d'ailleurs peu de choses sur les raisons de cette proscript ion; mais la parenté de Sentius Saturninus avec Scribonius Libo qui avait épousé sa sœur Sentia6 et sa présence à ses côtés en 40 et en 35 laisse à penser qu'il avait fait les mêmes choix pompéiens que lui. Outre le consul de 19, ses autres descendants sont assez bien connus7. * RE 4 (Münzer); Klövekorn n°74; Syme, «The Stemma of the Sentii Saturnini», Historia XIII, 1964, 156-166 après «Senators» 121-122. Ribbeck, n°71, tirait argument de l'anecdote racontée par Valère-Maxime pour faire du proscrit un praetorius. lBCV, 52,217. 2 Ibid. 139,579. 3 II, 77, 3 : Quae res et alios clarissimos uiros et Neronem Claudium et M. Silanum Sentiumque Saturninum et Arruntium et Titium restituii rei publicae. 4Ioseph., Ant. lud. XIV, 229; Syme cit. 161-162; suivi par Schor, Sextus Pompeius, 156-158; J. Suolahti, «The Council of L. Cornelius P. f. Crus in the Year 49 BC (los., Ant. 14, 229)», Arctos 2, 1958, 152-163. 5 Vid. supra s.n. n° 41. 6 Sur cette question, Scheid, «Scribonia Caesaris» 363. 7 Vid. RE Groag; Szramkiewicz, Gouverneurs II, 439-441.
121. [C] SEPTIMIVS* Praetorius
Proscrit (App., BC IV, 23, 96-97).
Sabine
Exécuté.
Dans l'histoire scandaleuse de la femme de Septimius, maîtresse d'un ami d'Antoine, qui, pour filer le parfait amour avec son amant, fit inscrire son mari sur la liste et le livra à ses assassins alors qu'ignorant tout de son infortune il s'était réfugié auprès d'elle, on ne peut déceler aucun indice qui permette une identification du malheureux. On s'accorde, en général, à reconnaître en lui C. Septimius T. f. qui, lors de sa preture, en 57, avait favorisé le retour de Cicéron1. Après son proconsulat
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d'Asie, on le retrouve parmi les anticésariens du sénat2. On ignore son attitude au cours de la guerre civile et, au mieux, on le rangera au nombre des neutres3. Il apparaît encore dans la correspondance de Cicéron en 45 et il est parfait ement possible, vraisemblable même, qu'il ait été proscrit comme tous les amis de Cicéron. Proposer cette identification c'est évidemment «rendre» une cohé rence politique à un fait vraisemblablement déformé par la propagande antiantonienne : on peut douter qu'un prétorien ami de Cicéron et notoirement host ile à César ait été proscrit pour de simples raisons (extra) conjugales. Il est vrai qu'on ne peut pas exclure tout à fait qu'il s'agisse d'un Septimius d'un rang moins élevé4. * RE 7 (Münzer); Klövekorn n° 9; pour son origine Taylor, Voting Districts 253. 1 C'est notamment l'hypothèse de Willems, Klövekorn, Münzer et, plus récemment, de Shackleton-Bailey (comment, à Cic. Ait. 250 = XII, 13, 2). Sur sa preture MRR s.a. 2 Cic, Fam. VIII, 8, 5-6 = 84 SB. 3 Comme le fait Bruhns, Oberschicht 47-48. 4 Pour les Septimii de rang équestre uid. Nicolet n° 321.
122. SERGIVS* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 45, 193). Restitutus peu de temps après. Sénateur en 31.
L'identification de ce Sergius est impossible. On remarquera simplement le fait qu'il se réfugia dans la maison même d'Antoine et que c'est Antoine qui obtint de Plancus, probablement au début de 42, une radiation de la liste1. Ce lien privilégié de Sergius avec le Triumvir est à rapprocher de certains rapports qui semblent avoir existé entre Antonii et Sergii : on rappellera, en particulier que si c'est C. Antonius qui, en tant que consul, eut la charge de réprimer militairement la conjuration de Catilina, il le fit avec d'autant moins d'enthousiasme qu'il avait formé avec Catilina, l'année précédente, une coitio pour les élections au consulat. Par ailleurs, Iulia, mère des Antoine, avait épous é, en secondes noces, P. Cornelius Lentulus Sura qui fut exécuté en 63 comme complice de Catilina. Il n'est donc pas inexplicable qu'un sénateur apparenté à Catilina, proscrit peut-être à l'initiative de Lèpide, ait trouvé son salut auprès d'Antoine. Et il est remarquable que ces liens aient perduré puisque lorsqu'à la veille d'Actium Octavien voulut dépouiller son adversaire de toute couverture légale, Sergius fut le seul membre du sénat à s'opposer ouvertement à ce projet2.
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* RE 3 (Münzer); Klövekorn n° 109; MRR suppt 57 après Syme, «Missing Senators» 68-69. 1 Plut, Ant. 2, 1. 2 App., cit.
123. M. SERVILIVS* Tribunus plebis
Légat sous Brutus et Cassius.
Rome
Restitutus. Père du cos. 3 p. C.
Sans aucun doute le tribun de la plèbe qui, en 43, s'était fait l'auxiliaire de Cicéron contre Antoine1 et qui partit servir sous Brutus et Cassius2 figurait au nombre des proscrits. Ce qui est plus douteux, en revanche, c'est son identification : il est possi ble,mais cela relève de la pure hypothèse, qu'il ait été le fils du monétaire C. Seruilius C. f. dont l'émission n'est pas facile à dater, il est vrai3; il est possible, mais on ne peut le démontrer, qu'il soit le même personnage que le M. Serui liusdont Caelius raconte à Cicéron les démêlés judiciaires avec App. Claudius Pulcher et Q. Pilius Celer4; il est possible, vraisemblable même, qu'il ait obtenu sa restitutio et que ce soit lui dont on trouve le nom sur un S.C. de 39 5; il est possible, enfin et généralement admis, qu'il ait été le père du consul d'époque augustéenne M. Seruilius M. f. (cos 3 p. C), lui-même père de l'historien Seruil iusNonianus6. Les informations dont nous disposons sont, à l'évidence, bien fragmentair es et on ne saurait pousser plus loin l'hypothèse. * RE 21 (Münzer); non in Klövekorn; Crawford n°505; Syme «Seruilius Nonianus» (notamment 408-413). 1 Phil. IV, 16 (pour le 20 décembre 44) et Fam. XII, 7, 1 = 367 SB (pour mars 43); cf. ad Brut. II, 5, 3 = 5 SB. 2 Crawford cit ; Babelon, Seruilia nn° 39-42. On ne sait s'il fut privé, lui aussi, de sa qualité de tribun (uid. infra n° 125). 3 Sydenham, 147, la date de 63; Crawford, n°423, de 57. 4 Fam. VIII, 8, 2-3 = 84 SB et comment, ad loc; RE 20. Cette identification est donnée comme possible par Münzer et comme vraisemblable par R. Syme et D. R. ShackletonBailey (1.1. et Au. 117 = VI, 3, 10). 5 Viereck, Sermo Graecus 41, n° 20. 6 Szramkiewicz, Gouverneurs I, 198-199 pour le cos. 3 p. C. et Syme (1.1.).
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124. SERVILIVS CASCA* Sénateur
Un des assassins de César (Plut., Caes. 66, 8).
Rome
Suicidé après Philippes ÇAnth. lot. 457 se).
On ne sait pratiquement rien du frère de P. Seruilius Casca Longus sinon que comme lui, et pour les mêmes raisons que lui, il devait figurer sur les listes de proscription. T. J. Cadoux a montré x qu'il fallait distinguer ce personnage du tribun de la plèbe de 44, C. Casca, avec lequel on l'identifiait généralement : Dion atteste bien que le tribun, ému par le sort de C. Heluius Cinna, lynché par la foule qui l'avait pris pour le préteur L. Cornelius Cinna, protesta bien haut, par voie d'af fiches, de son innocence dans le meurtre de César en rappelant qu'il n'avait de commun avec les Seruilii Cascae que le seul cognomen 2. Notre proscrit se suicida après Philippes3. * RE 52, cf. 53, (Münzer); Klövekorn n° 58; Etienne, Ides de Mars 156. 1 MRR suppt 58. 2 Dio 44, 52, 2-3. Ce qui implique qu'on ne peut pas supposer une identité de prénom comme le fait Cadoux. 3 Cf. infra P. Seruilius n. 4.
125. P. SERVILIVS CASCA LONGVS* Tribunus plebis
Condamné e lege Pedia (Dio 46, 49, 1).
Rome
Suicidé après Philippes.
Le Casca auquel on rapporte, de préférence, la quasi totalité des références dans nos sources anciennes est le tribun de la plèbe de 43, celui qui avait pris une part prépondérante dans la conjuration contre César et qui avait porté le premier coup au dictateur. Appien le range au nombre des césariens qui s'étaient agrégés aux conjur és1. On peut d'ailleurs penser que son tribunat de 43 avait été décidé par César. En tout cas, ce tribunat d'un tyrannicide avait, pour Cicéron, valeur de test politique2. Lorsque Casca apprit qu'Octavien marchait sur Rome, il s'esquiva discrète ment,ce qui lui valut d'être démis de sa charge à l'initiative de son collègue Titius. Il trouva refuge auprès de Brutus sous lequel il commanda une flotte3.
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II se donna la mort après Philippes4. * RE 53 (Münzer); Klövekorn n° 41 ; Drumann-Groebe III, 628-629 n° 3; Etienne, Ides de Mars 156. 1 App., BC II, 113, 474, où il n'est question, il est vrai, que de Γάιον Κάσκαν. 2 Ait. XVI, 15, 3 = 426 SB; Phil XIII, 30-31. 3 Plut., Brut. 45, 8-9; Crawford n° 507. 4 Anth. Lai. 457 Riese (De Cascis fratribus) : uccidere simul Cascae, simul occubuere / Dextra quisque sua, qua scelus ausus erat. / Castra eadem fouere, locus quoque uulneribus idem; / Partibus afflictis uictus uterque iacet.
126. L. SESTI VS [QVIRINALIS ALBINIANVS]* Proquaestor
Proscrit (App., BC, IV, 51, 223).
Latium
Restitutus. Cos. suff. 23.
Le fils du tribun «cicéronien» P. Sestius s'était rangé, en 44, du côté des tyrannicides : il suivit Brutus comme proquesteur en 43/42 1. Et s'il faut en croi reAppien, il avait fait l'objet de sollicitations répétées des antoniens pour trahir son chef mais il avait toujours refusé de les entendre et fut proscrit pour cette raison. Ce qu'on ne sait pas c'est si cette inscription sur la liste a été faite au début de la proscription ou si Sestius avait été rajouté. On ignore aussi la nature de sa restitutio : mais compte tenu de son attachement à Brutus dont il conserva tou jours des statues chez lui2, on peut penser qu'il lui fallut attendre la paix de Misène pour retrouver son statut civique. La réconciliation avec Octavien semble avoir été réelle puisqu'il géra le consulat (suffect) en 23 3. * RE 3 (Münzer); Klövekorn n°47; PIR 436. Pour l'origine, Ranouil, Patriciat 178. Il est assez vraisemblable que le nomert complet est «impérial», mais que lorsqu'il fut prosc ritle jeune homme (30 ans) s'appelait encore L. Sestius. Par ailleurs on admet d'ordinai re que le texte d' Appien qui évoque notre proscrit sous la forme Πούπλιος δέ ό ταμίας Βρούτου est une erreur qui s'explique par la filiation : Λεύκιος Πουπλίου ύίος. C'était déjà l'hypothèse de Willems, Sénat I, 480, n° 148. 1 MRR s.a.; Crawford n° 502. 2 Dio 53, 52, 4. 3 Sur son prétendu proconsulat de Sicile uid. A. Pinzone, « L. Sextius procos. Siciliae : un fantasma prosopografico?», RFIC 105, 1977, 322-333 malgré Szramkiewicz, Gouver neursII, 506. Il est le dédicataire de l'ode I, 14 d'Horace.
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127. (SEXTIUS NASO)* Sénateur
Un des conjurés contre César (App., BC II, 113,474).
S'il vivait encore en 43, il ne fait aucun doute que ce pompéien qui avait pris part à la conjuration contre César ait été d'abord condamné e lege Pedia avant d'être porté sur la liste de proscription. Il faut sans doute le distinguer de P. Naso, le préteur de 44, mais là s'arrête notre information sur le personnage 1. * RE 33 (Münzer); non in Klövekorn; Wiseman, New Men n° 543. 1 Cf. supra s.n. Naso (n° 92). Wiseman identifie le préteur au conjuré.
128. SITTIVS* Chevalier
Proscrit (App., BC IV, 47, 201).
Calés
Restitutus en deux fois.
Sittius, bienfaiteur de sa ville avait été porté sur les listes de proscription, sans qu'on sache pourquoi. Ses concitoyens obtinrent alors des Triumvirs que lui soit garantie la vie sauve dans sa propre cité où il devait être assigné à rés idence. On peut interpréter cette restituito partielle de Sittius par le désir des Triumvirs de ne pas rendre ses biens au proscrit. Quoi qu'il en soit il a dû bénéficier, s'il vivait encore, de l'amnistie consécut ive aux accords de Misène. On peut penser qu'il était apparenté aux deux P. Sittii de Nuceria1. * RE 1 (Münzer); Klövekorn n° 110. 1 RE 2 & 3; Syme, Révolution 542 n. 34.
129. (M. SPVRIVS)* Sénateur
Un des conjurés contre César (App., BC II, 113,474).
Campanie (Herculanum?) On ne peut guère aboutir à des certitudes sur le Μάρκος Σπόριος dont Appien nous apprend la participation au complot contre César. Tout ce qu'on peut affirmer c'est que, s'il vivait encore fin 43, il avait dû être inscrit sur la liste de proscription après avoir été condamné e lege Pedia.
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* RE 2 (Münzer); non in Klövekorn; Wiseman, New Men n°409; MRR suppt 61. Le nom Spurius est rare : il est pourtant attesté au CIL I2 (1625 = ILLRP 609) : M. Spurius M. f. Men. Rufus, Iluir d'Herculanum. De même on trouve un N. Spurius D. f . dans une liste de magistri Campani (A£ 1958, 267). 130. L. STAIVS MVRCVS* Praetorius
Un de ceux qui se joignirent aux conjurés (App., BC 11, 119, 500).
Sulmone?
Assassiné par Sex. Pompée en 39. (App., BC V, 70, 294-296).
Cet ancien légat de César en 48, qui avait géré la preture en 45, fait partie des gens qui se joignirent aux meurtriers du dictateur quand ils montèrent au Capitole. Appien dit que ces gens-là payèrent le châtiment de cet acte sans en avoir partagé la gloire et, par conséquent, il ne fait pas de doute qu'il avait été condamné e lege Pedia avant d'être porté sur la liste de proscription. Cela se confirme lorsqu'on examine ses actes après les ides de mars : il part itpour la Syrie comme proconsul et il finit par faire passer ses troupes - trois légions - sous Cassius, sous lequel il continua d'exercer un commandement l. Il participa à différentes opérations navales avant et après Philippes puis passa sous Sex. Pompée avec des forces considérables2. Il fut victime des tensions qui se manifestèrent dans le camp pompéien au début de 39 et qui conduisirent aux accords de Misène : Sex. Pompée le fit assassiner et voulut faire croire qu'il avait été tué par des esclaves3. * RE 2 (Münzer); Klövekorn n° 15. Pour Drumann & Groebe (I, 474 n. 3) ce Murcus qui se joignit aux meurtriers n'est pas le praet. 45. Mais contrairement à ce que pensent ces auteurs il n'y a pas contradiction entre la mise à mort par Sex. Pompée et la notion de châtiment exprimée par Appien. Sur son origine uid. Gabba, comment, à App., BC V, 2, 8. 1 Sur ces problèmes uid. MRR s. aa. 44-43. 2 MRR s. aa. 42-41. 3 App. 1.1. et Veli. II, 77. 3. 131. STATIVS* Sénateur
Proscrit (App., BC IV, 25, 102).
Samnium
Suicidé.
Statius est donné par Appien comme l'exemple même du personnage prosc ritpour sa fortune διά πλοΰτον προγεγραμμένος. Et comme, en effet, on ne sait
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presque rien de lui, on ne voit pas très bien ce qui aurait pu valoir à ce séna teur octogénaire enrôlé au sénat par Sylla de se trouver sur la liste en dehors de sa fortune considérable 1 : si on doit rapporter à notre proscrit les inscrip tions de Pietrabbondante qui témoignent des dépenses exceptionnelles engagées par un Statius dans des monuments publics, on conviendra que sa fortune avait de quoi susciter des appétits2. D'ailleurs il distribua la plus grande partie de ses biens avant de s'enfe rmer dans sa maison pour y mettre le feu. Appien affirme que l'incendie qu'il provoqua se propagea dans les environs. * RE 1 (Münzer); Klövekorn n° 56; Wiseman, New Men n°414. 1 Le moment de son entrée au sénat est discuté : Badian (Foreign Clientelile 246-247 & η. 1) la place à l'époque syllanienne. Gabba (Esercito 162 & 214) voit plutôt en lui un séna teur d'époque marianiste (a. 86). Sa proscription est apparemment plus cohérente s'il est un syllanien - encore qu'à quarante années d'intervalle il ne s'agisse plus de classements pertinents. 2 Sur cette question uid. A. La Regina, «Stazio Sannita (Appiano, BC IV, 25, 102)» PP 30, 1975, 163-169.
132. (Ser. SVLPICIVS GALBA)* Praetorius
Un des conjurés contre César (Cic, Phil. XIII, 33). Condamné e lege Pedia (Suet., Galba 3, 8). Grand-père du cos. 5 a. C. Arrière grandpère de l'empereur Galba.
Après avoir été le légat de César en 58-56, Ser. Sulpicius Galba avait géré la preture en 54 1 et, selon Suétone, son échec au consulat et le fait que César ne l'y avait point élevé avait fait de lui un ennemi irréconciliable du dictateur contre lequel il conspira en 44 V On le trouve, l'année suivante, sous le consul Hirtius dans la guerre de Modène. Et à la fin de l'été il fut condamné e lege Pedia. Si donc il vivait encore quelques mois plus tard, il devait figurer sur la liste de proscription. Son fils l'historien ne dépassa pas le stade de la preture3 mais l'un au moins de ses petits-fils atteignit le consulat4. * RE 61 (Münzer); non in Klövekorn; Willems, Sénat I, 484, n° 155; Etienne, Ides de Mars 156. 1 MRR s.a. 2 La caution qu'il avait offerte à Pompée avant la guerre civile était peut-être pour quelque chose dans cette hostilité (Sur cette question uid. en particulier Cic, Fam. VI, 18, 3 = 219 SB et comment, ad loc).
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3 Suet., Galba 3, 6: non enim egressus praeturae gradum; RE 52; PIR 720; Szramkiewicz, Gouverneurs II, 445. 4 (C ?) Sulpicius Galba, cos. 5 a. C. (RE 53). Szramkiewicz, Gouverneurs II, 445-446. Sur son second petit-fils RE 62.
133. M. TERENTIVS VARRÒ* Praetorius
Proscrit (Geli. Ili, IO, 17).
Réate
Sauvé et restitutus par les soins de Q. Fufius Calenus (App., BC IV, 47, 203). Vécut jusqu'à l'âge de cent ans (Val. Max. VIII, 7, 3).
La proscription de Varron est trop bien attestée pour qu'il soit besoin d'y insister : Aulu-Gelle en témoigne lorsqu'il rapporte les paroles mêmes de l'érudit: «II ajoute. . . qu'il a écrit soixante dix séries de sept livres, dont un assez grand nombre a disparu quand il fut proscrit, ses bibliothèques ayant été pil lées». Son inscription sur les listes s'explique au demeurant assez bien : Appien affirme qu'il était ennemi de la monarchie (ώς εχθρός μοναρχίας προυγράφη) et on peut rappeler qu'effectivement il avait écrit, au moment de la constitution du premier triumvirat, un pamphlet intitulé Tricaranus («Le monstre à trois têtes»)1. A cela on ajoutera qu'il était un pompéien de vieille date puisqu'il avait servi en Espagne entre 76 et 71, puis contre les pirates à partir de 67 et à nou veau en Espagne avant 49 2. Enfin on n'oubliera pas qu'il était propriétaire d'une fortune conséquente et que cela n'avait pas dû jouer en sa faveur3. Appien affirme que ses amis rivalisèrent pour avoir l'honneur de lui porter assistance, mais que c'est l'antonien Q. Fufius Calenus qui le cacha dans une propriété de campagne où Antoine avait accoutumé de descendre lorsqu'il voyageait dans la région. Et comme ce personnage était mort au début de l'an née 40, on doit admettre que Varron avait obtenu antérieurement sa restituito.
* RE 84 (suppt VI Dahlmann); Klôvekorn n° 33. 1 App., BC II, 9, 33. 2 Sur ces détails de carrière uid. MRR s. aa. Pour son adhésion au parti de Pompée pendant la guerre civile Bruhns, Oberschicht 44-45. 3 Syme, Révolution 189 & n. 42. * RE 10.
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134. M. TERENTIVS VARRÒ LVCVLLVS* Chevalier Exécuté par Antoine après Philippes (Val. Max. IV, 7, 4). Valère-Maxime ne permet pas de douter qu'un certain M. Lucullus, exécuté sur ordre d'Antoine après Philippes «parce qu'il avait embrassé le parti de Bru tus et de Cassius»1 figurait bien sur la liste de proscription. Velleius le confir me d'ailleurs d'une certaine façon en évoquant brièvement sa mort en même temps que celle d'Hortensius2. Mais le texte de Velleius fait difficulté parce qu'il raconte, aussitôt après, la mort d'un Varrò dont l'identification est discutable : on s'accorde d'ordinaire à voir en lui M. Terentius Varrò Gibba, le tribun de la plèbe de 43 3. Les seuls indices qui permettent cette identification sont le fait que Velleius le range par mi les clarissimi uiri qui trouvèrent la mort à l'occasion de la guerre entre les tyrannicides et les Illvirs, et surtout le fait que le tribun de la plèbe est le seul Varron «possible». Mais il est difficile de considérer que ce personnage d'origi ne équestre, ruiné dans les intérêts qu'il avait en Asie et promu par César à la questure en 46 4 puisse être qualifié de clarissimus uir et, par ailleurs, Dion rend pour le moins très improbable la mort à Philippes de Varrò Gibba : il rappelle qu'au contraire le tribun de la plèbe, craignant de subir le même sort qu'Heluius Cinna (lynché par la foule qui l'avait confondu avec L. (Cornelius) Cinna) avait fait afficher à Rome une mise au point affirmant que s'il était homonyme d'un proscrit, à Yagnomen près - il n'avait rien à voir avec lui5. Mais d'autre part il nous semble que le texte de Velleius donne une indica tionqu'il ne faut pas négliger. En faisant sa récapitulation des hommes part iculièrement remarquables qui ont péri à l'occasion de cette guerre, il distingue nettement trois catégories : la première est représentée par le jeune Caton : il s'agit de ceux qui sont morts au cours des combats; la troisième, celle des per sonnages qui n'avaient pas voulu faire l'épreuve de la misericordia de leurs ennemis mais qui s'étaient suicidés, est illustrée par l'exemple de Liuius Drusus et de Quinctilius Varus. Entre ces deux ensembles se situe la deuxième catégor ie qui nous intéresse ici et qui est celle des prisonniers qui furent exécutés sur l'ordre d'Antoine. L'ensemble du texte de Velleius est le suivant : Turn Catonis filius cecidit. Eadem Lucullum Hortensiumque, eminentissimorum ciuium filios, fortuna abstulit; nam Varrò ad ludibrium moriturus Antonii digna ilio ac uera de exitu eius magna cum Übertäte ominatus est. Drusus Liuius, Iuliae Augustae pater, et Varus Quinctilius ne temptata quidem hostis misericordia alter se ipse (. . .) interemit. . Λ Pour ce qui est de la deuxième catégorie, elle est donc cons tituée d'Hortensius et de Lucullus qui, dit Velleius, subirent le même sort l'un et l'autre : il nous semble qu'on ne peut pas comprendre l'expression eadem fortuna par référence à Caton compte tenu des conditions très différentes dans
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lesquelles celui-là et ceux-ci ont trouvé la mort. Hortensius a été sacrifié com meune victime expiatoire sur la tombe de C. Antonius ; c'est un fait assez bien établi pour que Velleius ne juge pas nécessaire de développer7 et pour qu'il puisse l'utiliser comme exemple de référence; et d'autre part l'anecdote que raconte Valère-Maxime confirme indirectement que Lucullus avait dû être exé cuté, lui aussi, en suivant le même rituel8. Quant à Varron, son cas vient com meune illustration, une explication (ce que démontre l'emploi de nom), de ce qui précède immédiatement. Il est nécessairement le même personnage que Lucullus dont il vient d'être question9. En d'autres termes, Velleius présente ainsi son « catalogue » : mort au comb at, Caton; morts dans des conditions identiques (c'est-à-dire de la façon cruell e que l'on sait), Lucullus et Hortensius : de fait [Lucullus] Varrò fut lui aussi exécuté sur l'ordre d'Antoine; suicidés, Liuius Drusus et Quinctilius Varus. Et si Velleius a recours à deux dénominations différentes pour un' même personnage à si peu de distance c'est précisément parce qu'il y avait une confu sionpossible 10. Il nous semble d'ailleurs que les auteurs modernes ont été vict imes de cette confusion en considérant que l'ensemble des références à un cer tain Lucullus dont nous disposons pour les dernières années de la République concernaient le fils du consul de 74, L. Licinius Lucullus11. Cette identification provoquait une difficulté puisqu'une fois au moins ce jeune homme est appelé M. Lucullus. On justifiait donc cette apparente anomalie dans le praenomen soit en supposant une faute dans les manuscrits de Valère-Maxime (une dittographie du m dans l'énoncé cum M. Lucullum familiariter coluisset), soit en ar guant du fait que la transmission du prénom paternel n'était pas une· règle absolue, soit enfin en supposant que notre personnage n'était pas le fils aîné de Lucullus. En réalité, il nous semble que ce texte permet d'établir l'existence d'un M. Terentius Varrò Lucullus distinct de L. Licinius Lucullus fils du consul de 74 dont l'existence est attestée en 49, année au cours de laquelle sa mère et lui avaient suivi Caton, son grand oncle, qui les avait installés en sécurité à Rhod es12. Cicéron évoque son éducation dans le de Finibus13, l'appelle puer Lucull us dans une lettre de 45 14 et clarissimus adulescens dans la dixième Philippique15. On ignore ce qu'il devint, mais s'il fut proscrit, ce n'est pas lui qui fut exécuté au lendemain de Philippes. Plus âgé que son cousin (puisque L. Licinius Lucullus n'avait épousé Seruilia qu'à son retour d'Asie, c'est-à-dire au plus tôt en 65) M. Lucullus devait être le fils de M. Licinius Lucullus, consul en 73 et frère cadet du consul de 74, devenu M. Terentius Varrò Lucullus après son adoption 16. Que le fils ait conservé Yagnomen qui, pour son père, rappelait l'adoption dont il avait fait l'objet n'est pas fait pour surprendre : il s'agissait d'un surnom trop célèbre pour ne pas être reproduit dans sa dénomination; et que, par ailleurs, il soit appelé M. Lucullus ou Lucullus dans nos sources se justifie par l'exemple même de son père 17.
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Les activités militaires de M. Lucullus du côté des républicains expliquent aisément sa proscription. A cela on doit ajouter qu'il avait vraisemblablement hérité d'une fortune considérable qui, à elle seule, avait pu le faire mettre au nombre des ennemis à éliminer. Mais ce qu'on ne sait pas c'est ce qui a bien pu lui valoir un traitement identique à celui de Q. Hortensius : il avait dû prendre une part quelconque à la mort de C. Antoine pour être égorgé sur sa tombe comme une victime expiatoire. On observera, en tout cas, qu'il est le second Terentius Varrò sur la liste de proscription. * RE LICINIVS 110 (Münzer); non in Klövekorn. I Quia Bruti et Cassii partes secutus fuerat. 2 II, 71, 2; cf. infra, n. 6. 3 Ainsi Münzer (RE 89); Shackleton-Bailey, comment, à Fam. XIII, 10, 1 (= 277). 4 Nicolet, n° 338 corrigé par «Onomastique» 56 et n. 2. 5 47, 11, 3. Il est vrai que si notre hypothèse se vérifie (cf. infra), il devait y avoir sur les listes deux Terentii Varrones : M. Terentius Varrò (l'écrivain) et M. Terentius Varrò Lucullus; mais seul ce dernier possède un agnomen, qui le différencie à la fois du précé dentet, surtout, du tribun de la plèbe. 6 II, 71, 1-2 : «C'est alors que tomba le fils de Caton; le même sort emporta Lucullus et Hortensius, fils des citoyens les plus éminents; quant à Varron, sur le point de mourir sous les railleries d'Antoine, il lui prédit avec une grande hardiesse une fin digne de lui et qui se réalisa effectivement. Drusus Livius, père de Julia Augusta, et Quintilius Varus ne firent même pas appel à la clémence de l'ennemi: le premier se tua sous sa tente. . .» (trad. Hellegouarc'h). 7 On peut penser aussi que la discrétion de Velleius sur cet épisode particulièrement dramatique dont Plutarque nous a conservé le souvenir (uid. supra s. n. Q. Hortensius), tient aussi au fait que les conditions de l'exécution d'Hortensius sont particulièrement déshonorantes pour lui et qu'il vaut donc mieux les passer sous silence. Pour M. Cato qui se jeta dans les rangs ennemis uid. supra n° 109. 8 P. Volumnius fut emmené à sa demande, sur le lieu où Lucullus avait été exécuté, ramassa la tête de son ami qui gisait dans la poussière et la serra contre lui avant de tendre son cou (IV, 7, 4). 9 C'était déjà l'interprétation de C. A. Rupertus, Dissertationes obseruationesque mixtae ad Valerium Maximum et C. Velleium Paterculum, Noribergae, 1663, 308-310 (ici 309) : « Nam reducit nos ad superiora et indicat alterum ex iam nominatis (Lucullum scilicet) Varronem esse quem Antonius supplicio af fecit ». 10 On observera d'ailleurs que ce souci de variation apparaît dans les lignes qui précè dentoù il est question de ceux qui se sont ralliés au jeune César, catégorie que Velleius illustre par l'exemple de M. Valerius Messalla Corvinus qu'il appelle Messalla dans la pre mière phrase et Corvinus dans la seconde : « Messalla, un jeune homme particulièrement brillant (...) préféra devoir la vie à la clémence de César (...); et, dans ses victoires, rien ne fit plus plaisir à César que d'avoir sauvé Corvinus...» (extraits de la trad. Helleg ouarc'h). II Notamment Drumann & Groebe (IV, 188-189, n° 5) et Münzer (RE 110). 12 Plut., Cato min. 54, 1 : το Λευκόλλου παίδιον. Pour l'identification de Seruilia com menièce de Caton uid. Geiger, «Seruilii», notamment p. 156.
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13 Fin. III, 8-9 : «. . .l'enfant donne déjà des marques nombreuses d'une nature noble et bien douée, mais tu vois son âge ! ». Quelques lignes plus bas, il est qualifié de tener. »M«. XIII, 6, 2 = 310 SB. 15 § 8 : . ..in insula clarissimi adulescentis, Luculli. . . 16 Shackleton-Bailey, Nomenclature 132. 17 On observera ainsi que le père apparaît, dans la quasi-totalité des sources (y comp ris dans les fastes tardifs), comme M. Lucullus. Sur cette question uid. Drumann-Groebe IV, 189 et nn.
135. L. TILLIVS CIMBER* Praetorius
Un des principaux conjurés (Plut., Caes. 66, 5-6). Mort à Philippes (?).
Ce sénateur était un des plus ardents défenseurs du parti césarien et beau coup furent sans doute surpris de le trouver parmi les principaux conjurés de 44. Cicéron lui-même témoigne de cette surprise lorsque, dans la deuxième Philippique, il se défend d'avoir influencé les tyrannicides: «Et L. Tillius Cimber, a-t-il subi mon influence? Je l'ai, moi, plus admiré d'avoir accompli cette action que je ne l'ai cru capable de l'entreprendre et, si je l'ai admiré, c'est parce qu'il ne s'est pas souvenu des bienfaits pour ne se souvenir que de la patrie»1. Sénèque témoigne, de son côté, qu'il avait été le césarien le plus ardent : acerrimum paulo ante partium defensorem2. Il fut aussi un des plus actifs dans la conspiration : il était chargé de don ner le signal du meurtre après avoir présenté à César une supplique pour le retour de son frère exilé3. Comme il avait été désigné par César pour le proconsulat de Bythinie et Pont, il partit pour sa province où Brutus et Cassius le chargèrent de collecter des fonds et de préparer des troupes4. Il participa à différentes opérations mili taires entre 44 et 42 5. On n'entend plus parler de lui après Philippes et on en déduit d'ordinaire qu'il avait dû trouver la mort au cours des combats. Il est possible, mais loin d'être prouvé, que le Tillius que raille Horace pour avoir recommencé la carrière des honneurs soit précisément le frère de notre proscrit : « Que t'a servi, Tillius, de reprendre le laticlave que tu avais déposé et de devenir tribun?»6. Acron et Porphyrion commentent, en effet, ces deux vers en affirmant que le personnage ainsi interpellé par le poète avait retrouvé sa dignité sénatoriale après le meurtre de César. La difficulté vient de ce que cet ancien pompéien que le dictateur avait maintenu en exil et dont le frère était un des principaux personnages de la conspiration pouvait difficilement avoir fait carrière (tribunat et preture)7 sous Auguste : il faudrait admettre que Til lius était revenu à Rome après la fin des troubles et qu'il avait tenté, au grand
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scandale d'Horace, d'y reprendre une carrière sénatoriale dont beaucoup de raisons semblaient devoir l'exclure8. * RE 5 (Münzer); Klövekorn n° 17; Willems, Senati, 531 n°358; Drumann-Groebe III, 629, n° 5; Wiseman, New Men n° 430 (cf. n° 429); Etienne, Ides de Mars 156-157. lPhil. II, 27: An L. Tilîius Cimber me est auctorem secutus? Quem ego magis facisse illam rem sum admiratus quam facturum putaui, admiratus autem ob earn causant quod immemor beneficiorum memor patriae fuisset. 2 Ira III, 30. Cela lui donnait un certain poids auprès de César (Cic, Fam. VI, 12, 2 = 226 SB). 3 Plut, Caes. 66, 5-6; Brut. 17, 3-4; Suet., Diu. lui. 82, 1; App., BC II, 117; cf. Dio 44, 19. 4 App., 5CIII, 6. 5 MRR s. aa. 6 Sat. 1,6,24-25. 7 Ibid. (107-108). On ne peut pas penser que la preture de Tillius est une plaisanterie d'Horace. Le commentaire de Porphyrion donne le véritable sens de ces trois vers. Alors que le poète affirme : « On ne reprochera point mon avarice sordide comme à toi, Tillius, lorsque sur la route de Tibur tu te fais suivre, toi, préteur, de cinq esclaves portant ton vase de nuit et ta jarre à vin», le scholiaste explique que Tillius n'avait ni le census ni les mœurs en rapport avec son statut social. 8L. R.Taylor, «Horace's Equestrian Career», AJPh 1925, 169, considérait qu'il était en fait un fils d'affranchi, comme Horace lui-même, mais le contexte ne justifie pas enti èrement cette hypothèse (non in Treggiari, Freedmen).
136. (TISIENNVS GALLVS)* Sénateur
Officier antonien rallié à Sex. Pompée (App., BCV, 104,432).
Sabine
Finit par se rendre à Octavien.
Ce qui peut faire penser que Tisiennus Gallus, qui se trouvait aux côtés de L. Antoine dans la guerre de Pérouse, fut rajouté à la liste, c'est l'exemple de Ti. Claudius Nero : comme lui il rejoignit Sex. Pompée1. Tisiennus resta d'ailleurs en Sicile jusqu'au moment où il fut contraint de se rendre à Octavien2. Il est le seul personnage de ce nom qui nous soit connu et, par conséquent, on ne peut guère tirer d'enseignements sur sa proscription qui, par ailleurs, s'explique vraisemblablement par le désir d'Octavien d'épurer les partisans d'Antoine au lendemain de Pérouse3. * RE s. n. (Münzer); non in Klövekorn; Wiseman, New Men n°434; sur son origine uid. Syme, Sallust 229.
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1 Vid. supra s. n. (n° 41 et infra n° 146 : C. Velleius). 2 Glauning, Anhängerschaft 14. 3 Outre les deux personnages cités n. 1, uid. Cillo et Decius nn°40 & 50.
137. [L.] TITIVS* Praetorius
Proscrit (Dio 48, 30, 5). Réfugié auprès de Sex. Pompée. Restitutus à la paix de Misène (Veli., II, 77, 3). Père du cos. 31.
Curieuse histoire que celle de ces Titii dont, il est vrai, l'identification n'est pas aisée : Dion raconte que Sex. Pompée, apprenant les accords entre Octavien et Antoine, avait envoyé Menas ravager l'Etrurie et que celui-ci, au cours des opérations, avait capturé M. Titius, fils du Titius qui avait été proscrit et qui se trouvait précisément aux côtés de Sex. Pompée. Or ce M. Titius, plutôt que de s'engager dans un des partis en présence, avait choisi de défendre ses propres intérêts : il avait levé une force armée, pour son compte, en Gaule Narbonnaise afin d'y établir sa domination et c'est alors qu'il avait été capturé. La présence de son père aux côtés de Pompée lui avait sauvé la vie. Par la suite il avait servi sous Antoine qu'il avait rejoint; c'est lui qui fit exécuter Sex. Pompée puis il se rallia à Octavien et géra le consulat suffect en 31 l. Le texte dans lequel Velleius dit que la paix de Misène rendit à la Républi que un certain nombre d'hommes tout à fait illustres fait apparemment diffi culté : il ne nomme qu'un seul Titius. Mais nous n'avons aucune raison de pen ser que Titius le fils avait été proscrit lui aussi2 et on peut admettre qu'effect ivement son consulat avait été prévu avant les accords de Misène et que c'est bien son père qui est désigné au nombre des ciarissimi uiri dont cette paix avait permis la restituito.. Dans ce cas on doit chercher ce qui, dans la carrière de cet homme, avait pu le hausser au rang de clarissimus uir et constater que prend davantage enco re de vraisemblance l'hypothèse d'un rapprochement avec L. Titius qui avait été préteur (à une date qu'il est difficile de déterminer)3. Si l'on ajoute à cela que le praetorius avait épousé la sœur de L. Munatius Plancus, on comprend mieux sa présence dans cette liste d'hommes remarquables. En revanche on ne voit pas bien pourquoi Titius avait été proscrit : sans doute avait-il, comme son autre beau-frère, L. Plotius Plancus, commis quelque acte d'hostilité à l'égard des Triumvirs. En tout cas on n'entend plus parler de lui après 39 : c'est son fils qui, désormais, représente les Titii.
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* RE 15 (Münzer); Klövekorn n°65 (M.Titus Balbinus). lRE 18 (Münzer); Glauning, Anhängerschaft 21-24; Gabba, comment, à App., BC V, 134, 555; Szramkiewicz, Gouverneurs II, 452-453. 2 Contra Syme, Révolution 542 n. 30. ' RE 14 (Münzer); MRR II, 466.
138. C. TORANIVS* Praetorius
Proscrit (App., BC IV, 12, 47). Egorgé. (Val. Max. IX, 11, 5).
Deux personnages de l'époque triumvirale, qui tous deux furent proscrits, ont été l'objet de bien des confusions. Le premier d'entre eux, dans l'ordre de la dignité comme dans celui de l'âge, est C. Toranius, très lié à Octave puisqu'il avait été son tutor1. Suétone nous apprend en outre qu'il avait été le collègue d'Octauius le père au moment de l'édilité. Dans la dernière mise au point sur ce personnage, T. R. S. Broughton2 pro pose de considérer toutes les références anciennes à un ancien préteur de ce nom (celles de Valère-Maxime : Toranius; d'Orose : Thoranius et la seconde d'Appien : θουράναος3) non pas au tuteur d'Octave, dont nous ne savons pas s'il avait géré le preture, mais à C. Turranius le préteur de 44, un de ceux qui refu sa la partage des provinces à la séance du 28 novembre4. Mais on ne peut pas accepter cette solution. Tout d'abord il faut rappeler, comme le faisait Klövekorn, que Valère-Maxime et Appien, qui racontent son histoire à peu près dans les mêmes termes, disent que le proscrit trahi par son propre fils était un vieillard5 ce qui ne s'accorde guère avec l'idée d'un préteur de l'année précédente. Et, par conséquent, on est tenté de voir dans ce vieux praetorius inscrit sur la liste le tuteur d'Octave. Ensuite l'examen des conditions de la proscription de chacun des deux per sonnages considérés amène à les distinguer. L'énoncé d'Orose permet d'affi rmer que le praetorius uir dont il parle ne figurait pas sur la liste générale de proscription mais était compté au nombre des dix-sept adversaires que les Triumvirs avaient décidé d'éliminer préalablement à tout affichage6. Il est donc nécessairement différent de celui dont nous savons, par ailleurs, qu'il figurait sur la seconde liste : Appien indique clairement que son nom se trou vait après ceux de Lèpide et de César7; et à cela on ajoutera que les conditions de son inscription (son fils étant au courant) et le fait qu'il ait connu les dispo sitions qui concernaient le patrimoine8 rendent impossible sa présence au nom bredes dix-sept de la première liste. Le problème est qu'Appien, dans le second des textes qui nous intéressent, précisément lorsqu'il raconte l'anecdote avec le plus de détail, place sa mort au milieu de celles des victimes de la première liste9.
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II faut donc admettre d'une part que le vieux C. Toranius avait géré la pre ture 10, et, d'autre part, que C. Turranius avait été porté sur la première liste ; au premier se rapportent Valère-Maxime et la première référence d'Appien, au second le texte d'Orose. Pour la seconde référence d'Appien, elle relève d'une confusion entre les deux personnages, d'autant plus explicable que la transcrip tion en grec du nom la favorisait et que l'un et l'autre avait été préteur. Si on nous suit dans notre raisonnement on trouvera, en outre, une amorce d'explication à la proscription de C. Toranius : il fallait imaginer un manque ment bien grave aux devoirs d'un tuteur à l'égard de celui dont il avait eu la charge pour comprendre sa proscription, ce que Nicolas de Damas avait fait, expliquant que Toranius avait dilapidé le patrimoine dont il avait eu la charg e11. En réalité la proscription de ce vieillard semble bien avoir été décidée à l'initiative d'Antoine (même si Appien prétend que c'est sur la demande de son propre fils) probablement parce qu'il n'avait pas été un des derniers à voter sa mise hors la loi. En l'occurrence Octavien est «simplement» coupable d'avoir laissé se régler ces comptes sans intervenir. Cette hypothèse est d'ailleurs confirmée par un elogium de C. Octauius, postérieur à 27 a. C. et dans lequel C. Toranius est nommément cité comme son collègue dans l'édilité, ce qui ne peut être interprété que comme une volonté délibérée de lui rendre hommage12. On ne sait pas ce que devint le jeune C. Toranius; le nom s'éteint pour nous peu après 13. * RE 4 (Münzer); Klövekorn n°7; Wiseman, New Men n°439. 1 Suet., Diu Aug. 27, 2. 2 MRR suppt 63-64 après R. Syme & T. J. Cadoux. 3 Val. Max. IX, 11, 5; Oros. VI, 18, 9; App., BC IV, 18, 71. La première référence d'Ap pien (BC IV, 12, 47) est à θωράναος. 4 Cic, Phil. Ill, 25; cf. infra s. η. Münzer réitère cette affirmation dans l'article «Thoranius» de la RE. Après avoir expliqué que les deux formes Thoranius et Toranius se confondent dans la tradition manuscrite, il affirme qu'il faut distinguer du θωράναος de IV, 12, 47, le θουράναος de IV, 18, 71 qui, selon lui, est le même que le personnage évoqué par Valère-Maxime et Orose : C. Turranius. 5 Val. Max. le qualifie de Senex ; Appient dit ό πρεσβύτης. 6 §§ 9-10 : Inde cum ad urbem accessissent ac rumor de futura proscriptione ortus esset, C. Thoranius, uir praetorius, nihil tale metuens incursu militum domi suae interfectus est aliique complures trucidati sunt. Itaque ne latius atque effrenatius incircumscripta caedes ageretur, centum triginta et duum senatorum nomina in tabula proposito sunt, primum Lepidi praecepto et nomine. A l'évidence le malheureux a été tué à un moment où la pros cription n'était qu'un rumor. 7 IV, 12, 47 : son nom est évoqué après ceux des quatre premiers de la liste générale des sénateurs. 8 IV, 18, 71 : il avait demandé à ses assassins un délai qu'il mit à profit pour conseil ler à sa fille de ne pas faire valoir ses droits à une part du patrimoine. 9 Après Saluius, Minucius Rufus, L. Villius Annalis et avant Cicéron.
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10 Suétone, dans son désir de marquer le caractère impitoyable d'Octavien, insiste sur les liens qui unissaient les Octauii à Toranius : le fait d'avoir été collègues à l'édilité est un de ces liens. Si, par ailleurs, il ne dit pas qu'ils ont été préteurs ensemble, cela ne signifie évidemment pas que Toranius n'avait pas géré cette magistrature. Il est probable ment le destinataire des lettres de Cicéron F am. VI 20 & 21 (247 & 246 SB). 11 Vita Aug. 2; suivi par Scott, «Propaganda» 20. 12 CIL F p. 199, elog. XXIX = ILS 47 (11. 3-4 : aed(ilis) pl(ebis) cum / C. Toranio. . .) cité par Me Dermott, « Second Proscription » 498-499, qui interprète cet hommage au proscrit comme un remords d'Auguste. 13 II est peu vraisemblable, et en tout cas indémontrable, qu'il soit le marchand d'es claves Toranius Flaccus (RE 5). Les deux autres Toranii connus sont un orateur de la fin de la République (RE 2) et l'ami de Martial qui apparaît dans deux épigrammes. En revanche on connaît un C. Thoranius (RE 1; PIR 216; Wiseman, New Men n°440) qui fut tribun de la plèbe en 25 : on ne sait s'il faut supposer qu'il s'agit de la même gens (uid. supra n. 4).
139. M. TVLLIVS CICERO* Consularis
Proscrit de la première liste (App., BC IV, 6, 21).
Arpinum
Exécuté.
Il est évidemment bien inutile de revenir sur la proscription qui a contri bué à inverser l'image que les anciens se faisaient de cette procédure. Ce qui est plus important et qui ne doit pas non plus nous surprendre, c'est que le nom de Cicéron figurait dans la liste des quelques personnages que les Triumvirs voulaient absolument voir éliminés rapidement, liste que Pedius divulga contre leur volonté1. On ne sait pas quel crédit, par ailleurs, il faut accorder aux sources qui affirment que C. Popillius Laenas, qui trancha sa tête, avait été défendu par Cicéron dans une accusation de parricide2. Il est possible qu'il ne s'agisse que d'une amplification venant des écoles de rhétorique. On notera enfin que son assassin trancha non seulement sa tête mais aussi sa main qui, dit Plutarque, avait écrit les Philippiques. * Klövekorn n° 3 : plutôt que de se reporter à l'immense article de la RE, il vaut mieux, pour un aspect si limité de la vie de l'orateur, consulter H. Homeyer, « Die Quellen zu Ciceros Tod», Helikon 17, 1977, 56-96. 'C'est ce qui ressort d'Appien et de Velleius (II, 66, 2). Contra Orose (VI, 18, 11) raconte le marchandage entre les Triumvirs et semble laisser croire qu'il avait été pros crit en même temps que L. Caesar ou L. Paullus. 2 Sen., Coni. VII, 2, 8; Plut., Cic. 48, 1.
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140. M. TVLLIVS CICERO* Chevalier
Proscrit (App., BC IV, 19, 73).
Arpinum
Restitutus (sans doute à Misène) (App., BC IV, 51, 221). Cos. 30
Le fils de l'orateur se trouvait à Athènes en 44, où Brutus vint, à la fin de l'année, pour gagner à son parti tous les jeunes nobles qui finissaient là leurs études1. Le jeune homme suivit donc Brutus qui lui confia un commandem ent2. Il participa vraisemblablement à la bataille de Philippes puis rejoignit Sex. Pompée qui, lui aussi, lui confia un commandement3. Il bénéficia sans doute de la restituito consécutive à la paix de Misène puis qu'il rentra à Rome et fit l'objet d'attentions toutes particulières de la part d'Octavien qui le fit pontifex et cos. suff. pour les derniers mois de l'année 304. Il fut le seul survivant des Tullii Cicerones dont la gens s'éteignit avec lui. * RE 30 (Hanslik); Klövekorn n°37; Szramkiewicz, Gouverneurs II, 453-454. 1 Plut., Brut. 24, 3-4. 2 Plut., Cic. 45, 3. 3 App., BCIV, 51, 220. 4 App., cit. C'est lui qui fut chargé d'annoncer au peuple la défaite d'Antoine à Actium. 141. Q. TVLLIVS CICERO* Praetorius
Proscrit (App., BC IV, 19, 73).
Arpinum
Exécuté en même temps que son fils (App., BC IV, 20, 83).
Comme son aîné, Q. Cicero avait suivi le parti de Pompée et, comme lui, avait obtenu son pardon de César1, et s'il embrassa le parti des tyrannicides, il ne fut chargé d'aucune mission officielle2. Sa proscription s'explique par le nom qu'il portait : il semble bien qu'Antoi ne avait résolu de se venger de toute la famille. Il n'avait pas eu le temps de s'échapper et lorsqu'il fut rejoint, il se trouvait avec son fils : tous deux eurent la tête tranchée. * RE 6 (Münzer); Klövekorn n° 6. 1 Bruhns, Oberschicht 43-44. 2 Pour le détail de son activité uid. la RE.
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
142. Q. Τ VLLIVS CICERO* Chevalier
Proscrit (App., BC IV, 19, 73).
Arpinum
Exécuté en même temps que son père (App., BC IV, 20, 83).
Le neveu de Cicéron et d'Atticus avait donné bien des inquiétudes à ses oncles au moment où avait commencé la guerre civile : il aurait volontiers tenté sa chance du côté de César. Il n'en fit rien et suivit son père dans le camp de Pompée sans qu'on puisse dire s'il exerça un commandement comme son cous in. En tout cas il semble que César l'ait recruté dans le collège des Luperci 1 en 46, ce qui atteste que le jeune homme avait cette fois choisi son camp. Il fit d'ailleurs partie de l'expédition contre les fils de Pompée en Espagne. Après la mort de César, Cicéron écrit à Atticus, en reprenant les termes mêmes de son ami, que leur neveu «Antoni est dextella»2 jusqu'au jour où Quintus annonce qu'il ne peut plus supporter le régime en place et qu'il a décidé de passer à Brutus et Cassius3. C'est probablement sa brouille avec Antoine autant que sa parenté avec Cicéron qui lui valut d'être porté sur les listes. Quoi qu'il en soit, il essaya de s'enfuir avec son père mais fut capturé et exécuté en même temps que lui. * RE 32 (Münzer); Klövekorn n°77. 1 Att., XII, 5, 1 = 242 SB, sans qu'on sache si c'est dans le collège des Luperci Iulii. 2 AU., XIV, 20, 5 (= 374 SB); cf. XIV, 17, 3 (= 371 SB). 3 Cic, Att. XV, 19, 2 (= 396 SB).
143. C. TVRRANIVS* Praetorius
Proscrit de la première liste (Oros., VI, 18, 9). Exécuté chez lui. Petit-fils (?) praef. ann.
On ne sait pratiquement rien de ce personnage qui, à la séance du 28 novembre 44, refusa le partage des provinces organisé par Antoine. Cicéron le présente comme homo summa integritate atque innocentia l. Ce qu'on sait, en revanche, grâce au texte d'Orose, c'est qu'il figurait sur la première liste, celle qui comportait le nom de dix-sept des adversaires dont les Triumvirs souhaitaient la disparation immédiate2. On peut donc penser que certains voyaient en lui un ennemi redoutable probablement en raison de ses talents militaires3.
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C. Turranius, praefectus annonae en 14 p. C. est peut-être son petit-fils4. * RE 4 (Münzer) ; Klövekorn n° 26 ; Wiseman, New Men n° 449. 1 Phil III, 25. 2 Cf. supra s. n. Toranius la discussion sur la distinction Toranius / Turranius. 3 II est sans doute le premier de sa gens à entrer au sénat et les qualificatifs que Cicéron lui applique ne laissent guère supposer un pouvoir politique. 4 Tac, Ann. 1, 7; Sen., dial. 10, 20, 3. Cela reste du domaine de la pure hypothèse (RE 5 ; PIR 297). Il n'y a sans doute rien à tirer de l'existence de Turranii en Espagne à la fin du Ier siècle p. C. : R.Etienne & G. Fabre, «C. Turranius Ruf us de Conimbriga», Conimbriga 11, 1972, 193-203.
144. D. TVRVLLIVS* Quaestorius
Un des conjurés contre César (Dio, 51, 8, 2). Exécuté par Octavien après Actium (Val. Max. I, 1, 19).
On ne sait rien de ce personnage avant 44, année où il fut questeur et où il participa à la conjuration contre César. Il partit ensuite en Bythinie où il com manda la flotte que Tillius Cimber avait préparée1. Après Philippes, il rejoignit Cassius de Parme avec une force navale consi dérable. Appien raconte2 qu'après leur jonction avec Cn. Domitius Ahenobarbus et Staius Murcus, le groupe se scinda en deux : une partie, avec Murcus, rejoi gnit Sex. Pompée, une autre, avec Ahenobarbus, constitua une force indépen dante.On sait que Domitius Ahenobardus avait fini par se rallier à Antoine et Turullius l'avait suivi : il commanda une flotte sous Antoine aux côtés duquel il se trouvait à Actium3. Après la défaite il avait été envoyé par Antoine à Octavien, dans l'île de Cos, où il fut exécuté4. Il semble bien avoir été le premier et le dernier sénateur romain de ce nom.
160.
* RE 1 (Münzer); Klövekorn n° 46; Wiseman, New Men n° 450; Etienne, Ides de Mars
1 Sur le détail de sa carrière uid. MRR et suppt 64. 2 BC V, 2, 4-9. 3 Crawford n° 545. 4 C'est lui, le praefectus d'Antoine qui, pour les besoins de sa flotte, avait commis le sacrilège de couper une partie des bois consacrés à Esculape : Lactance (Dim. Inst. 2, 7, 17) et Dion (51, 8, 3) présentent sa mort comme une vengeance du dieu de Cos.
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LES PROSCRIPTIONS DE LA ROME RÉPUBLICAINE
145. M. VALERIVS MESSALLA CORVINVS* Chevalier
Proscrit (App., BC IV, 38, 159.
Rome
Restitutus par un édit spécial des virs. Cos. 31. Fils coss 3 a. C. & 20 p. C.
La proscription du jeune Messalla ne fait aucun doute ', ce qui ne signifie pas qu'elle ne présente aucune difficulté. En juin 44, une lettre de Cicéron nous apprend qu'il est à Rome2 et en juillet de la même année, une autre lettre confirme qu'il s'est rallié aux tyrannicides3. En réalité il est très vraisemblable que le jeune homme, qui se trouvait à Athènes, avait, comme Cicéron le fils et comme Horace, suivi Brutus. Plutarque témoigne, à plusieurs reprises de la présence de Messalla aux côtés de Brutus et Cassius et cite notamment la réponse qu'il fit un jour à Auguste qui le remerc iaitd'avoir été si utile à Actium, bien qu'il eût été dans l'autre camp à Philippes : «J'ai toujours été du parti le meilleur et le plus juste»4. Mais on ne peut pas suivre Dion lorsqu'il affirme que c'est Antoine qui l'avait condamné à mort : après Philippes, en effet, Messalla refusa de com mander les forces considérables qui restaient du côté républicain mais réussit à convaincre les gens qui étaient avec lui de rejoindre Antoine5 : un tel ralliement ne s'expliquerait pas si une hostilité réelle avait existé entre les deux hommes. On observera d'ailleurs que, selon Appien, les Triumvirs avaient compris assez rapidement qu'ils avaient commis une erreur en proscrivant le jeune aris tocrate et ils avaient publié un édit de restituito probablement peu de temps après la mise en œuvre de la proscription. Il est possible que les autres Valerli soient restés neutres et aient pu intercéder en sa faveur6. Quoi qu'il en soit, Messalla finit par abandonner Antoine pour passer à Octavien qui fit de lui le cos. suff. 31 7 après qu'il eut géré la preture ca 34 8. Sa descendance est trop bien connue pour qu'il soit besoin de la rappel er9. * RE 261 (Hanslik); Klövekorn n°79; Szramkiewicz, Gouverneurs II, 454-457; Scheid, Arvales 50-58. Sur la généalogie de ce personnage, uid. dans JRS 45, 1955, 155160, le C. R. que R. Syme a donné de l'ouvrage de A. E. Gordon : Potitus Valerius Messalla, consul suffect 29 BC, Berkeley, 1954. Ses activités littéraires sont évoquées par J. Carcopino, «Notes biographiques sur M. Valerius Messalla Corvinus», RPh, 20, 1946, 96-117. 1 Elle est confirmée par Dio 47, 11, 5 & 49, 16, 1. *Att. XV, 17, 2 = 394 SB. Mif Brut. I, 15, 5 = 23 SB. Selon Velleius (II, 71, 1) il occupait d'ailleurs le plus haut rang dans le camp des tyrannicides. *Brut. 53, 1.
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5 App., BC IV, 38, 160. D'ailleurs, toujours selon Dion (cette fois 49, 16, 1), c'est Octavien lui-même qui avait décidé la proscription : « Quant à lui (se. le jeune César), il fit augure hors nombre Valerius Messalla, dont il avait précédemment décidé la mort pen dant les proscriptions». En réalité, tous ces personnages qui se trouvaient à Athènes et qui servirent activ ementsous Brutus et Cassius devaient avoir été inscrits ipso facto sur la liste. 6 Sur les autres Valerii uid. le C. R. de Syme cité supra. 7 Glauning, Anhängerschaft 16-17. 8 MRR suppt. 66. 9 Vid. R. Syme (cité supra) sur Messallinus (cos. 3) et M. Aurelius Cotta Messallinus (cos. 20 p. C).
146. C. VELLEIVS* Chevalier
Praefectus fabrum de Pompée, de Brutus puis de T. Nero (Veli. II, 76, 1).
Campanie
Suicidé. Fils sénateur sous Auguste.
Bien qu'il ne soit écrit nulle part que le grand-père de Velleius Paterculus avait été proscrit, il ne nous paraît pas possible de douter qu'il l'ait été : les responsabilités de praefectus fabrum qu'il exerça sous Brutus puis sous Ti. Nero l, tous deux proscrits, après avoir été un pompéien, constituent, sinon une preuve, du moins une très forte présomption. Velleius, qui se garde bien évidemment de faire référence à cette proscript ion, indique que son grand-père se suicida parce que l'âge l'empêchait de sui vre son très cher ami Ti. Nero (dont il oublie de dire qu'il était proscrit mais dont il évoque simplement le digressus après la guerre de Pérouse)2. C'est possi ble,mais Velleius lui-même est la seule source sur ce sujet et il nous paraît que la proscription rend encore mieux compte de ce suicide. Les autres Vellei, ses fils, semblent avoir choisi le parti adverse puisque l'un d'eux fut le subscriptor d'Agrippa dans le procès contre Cassius e lege Pedia3 et entra au sénat tandis que l'autre vécut paisiblement sans sortir de l'ordre équestre4. * RE 2 (Ziegler); non in Klövekorn; Nicolet n° 377. 1 Eiusdem (se. Pompei) Marcique Bruti ac liberi Neronis praefectus fabrum . . . 2 . . .digressu Neronis a Neapoli (. ..) cum comes esse non posset gladio se ipse transfixit. 3 Veli. Pat. II, 69, 5. 4 Veli. Pat. II, 104, 3. Sur ce sujet uid. Syme, Révolution 362-363.
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147. VENTIDIVS* Sénateur?
Proscrit (App., BC IV, 46, 198).
Picenum
Réussit à s'échapper pour la Sicile.
Le personnage qu'un de ses affranchis déguisa en centurion à la tête de ses esclaves en armes et qui traversa l'Italie en prétendant qu'il était à la recherche du proscrit Ventidius, est pour nous un inconnu. Comme il se réfugia en Sicile auprès de Sex. Pompée, il semble difficile de l'identifier au légat de Cornificius en Afrique, proscrit lui aussi, selon toute vraisemblance1. * RE 2 (Gundel); Klövekorn n° 111. 1 Vid. infra s. n. (n° 148).
148. (VENTIDIVS)* Sénateur Picenum
Tué dans les combats en Afrique en 42 (App., BC IV, 55, 236).
Il paraît très probable que le légat de Cornificius, en Afrique, qui prit part au combat contre T. Sextius nommé par les Triumvirs1, figurait lui aussi sur la liste de proscription. Si cette hypothèse pouvait être vérifiée, Ventidius serait le deuxième prosc ritde ce nom2. * RE 3 (Gundel); non in Klövekorn; Wiseman, New Men n° 473. 1 Vid. MRR s. a. 42 et supra s. n. Cornificius (n° 49). 2 Supra s. n. (n° 147).
149. VERGINIVS* Chevalier?
Proscrit (App., BC IV, 48, 204-208). Réussit à gagner la Sicile.
Les seuls choses que nous apprend l'anecdote relativement longue qu'Appien raconte sur Verginius sont qu'il était habile à convaincre et qu'il disposait d'une fortune non négligeable.
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On peut tout au plus accepter comme possible le rapprochement que Münz ersuggérait entre le proscrit et le débiteur de Faberius que Cicéron évoque dans une lettre à Atticus1. * RE 2, cf. 1 (Gundel); Klönekorn n° 112. . XII, 5a = 307 SB. 150. C. VERRES* Sénateur
Proscrit (Sen., Suas. 6, 3). Exécuté (Lact., Diu. Inst. II, 4).
La proscription de C. Verres est attestée par plusieurs sources et il n'est pas possible de douter qu'il soit bien le préteur accusé par Cicéron1. Ce qu'on ne sait pas, en revanche, c'est s'il avait été réintégré dans ses droits avant la proscription. Si on devait en croire les témoignages dont nous disposons, ce n'est pas nécessaire : il n'aurait été porté sur les listes que parce qu'il ne voulait pas céder à Antoine ses bronzes de Corinthe. Et cela n'implique pas, en effet, qu'il ait obtenu le droit de retour. Mais il est bien possible qu'il s'agisse là d'une déformation des faits due à la propagande anti-antonienne2 et qu'il faille supposer une raison plus polit iqueà la présence de Verres au nombre des proscrits, d'autant que la proscript ion est une procédure réservée aux sénateurs et chevaliers et qu'on voit mal un «exilé» en être frappé. * RE 1 (Habermehl); Klövekorn n°5. 1 Vid. en outre Plin., HN 34, 6. 2 On observera qu'une contre propagande chargeait Octavien dans des termes voi sins. Au moment de la proscription quelqu'un avait écrit, sur le socle de sa statue : « Mon père était argentier, moi j'en tiens pour le bronze» (Suet., Diu. Aug. 70, 4), parce qu'on le soupçonnait d'avoir décidé des inscriptions pour s'emparer de vases de Corinthe.
151. VETTIVS SALASSVS1 Proscrit (Val. Max. IX, 11, 7). Picenum?
Se suicida quand sa femme le dénonça. (App., BC IV, 24, 98-100).
L'identification de ce proscrit est désespérée. Appien, qui raconte avec plus de détail ses aventures, l'appelle Σάλασσος tandis que Valère-Maxime, plus concis sur l'anecdote, le nomme Vettius Salassus.
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Les Vettii connus pour notre période sont plutôt des chevaliers1 mais on voit mal auquel d'entre eux il pourrait être apparenté, d'autant que son cogno menest un ethnique des Alpes2. * Non inueni in RE; Klövekorn n° 108. Sur l'origine uid. A. Degrassi, Epigraphica IV, 1969, 133-136 notamment à propos de L. Vettius L. f. Vel(ina) qui figure dans le consilium de Cn. Pompeius Strabo. 1 Nicolet nn° 384-387. Mais si on peut tirer argument des autres exemples donnés par Valère-Maxime dans ce chapitre, il se pourrait bien qu'il ait été sénateur. 2 Kajanto n° 196.
152. VETULINVS 153. (VETVLINVS)* Sénateur? (père) Chevalier? (fils)
Proscrit (App., BC IV, 25, 104-106). Organisa . la , resistance autour de , Rhegium. Finit par se jeter dans les rangs ennemis. Fils réfugié en Sicile.
Ce personnage offre un exemple intéressant de résistance armée aux Triumvirs : après la proscription, il assembla, autour de Rhegium, une troupe importante de proscrits et de citoyens des dix-huit cités désignées pour servir d'attribution aux vétérans des Triumvirs. A partir de là, le récit d'Appien est moins clair. Il semble qu'il ait commenc é à essuyer des échecs sérieux quand une force régulière eut été envoyée contre lui. Il décida alors de faire passer le gros de la troupe dans laquelle se trouvait son fils (qui peut bien avoir été proscrit, lui aussi) en Sicile pendant que lui-même contenait les forces triumvirales. Il trouva la mort dans le der nier combat. La forme de son nom tel qu'elle nous est transmise par Appien (Ούετουλΐνος est évidemment suspecte : elle est unique. On est donc amené à considérer qu'il pourrait s'agir d'une transcription fautive de la forme Vetulo Saturninus encore que le mécanisme de la faute soit bien difficile à justifier1. Cette solution, un peu acrobatique, aurait évidemment l'avantage de nous reporter à une gens qui comptait au moins un proscrit2. Mais ce n'est pas un argument suffisant pour l'étayer. * Non inueni in RE; Klövekorn n° 113. 1 Vetul (o Saturn)inus. 2 Cf. supra s. n. (n° 120).
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154. ([C. VIBIVS] PANSA)1 Tribunicius
Envoyé secret du sénat auprès de Brutus (App., BC III, 85, 350).
Pérouse Ce qui constitue une forte présomption de la proscription du personnage qu'Appien appelle Πάνσαν, c'est d'abord le caractère secret de la mission à lui confiée par le sénat (demander à Brutus et à Cassius leur aide en cas d'alliance entre Octave et Antoine) : il fallait être un homme de confiance pour remplir une telle mission; mais c'est ensuite le fait que l'autre délégué du sénat, L. Lucceius, fut proscrit Κ Pour ce qui est de son identification, nous avons déjà eu l'occasion de dire qu'il ne faisait pas de doute, pour nous, qu'il était l'ancien tribun de la plèbe de 51, C. Vibius Pansa2 dont il n'est pas certain qu'il ait été un césarien convaincu comme on l'affirme parfois3. On ne sait pas ce qu'il devint. * RE 17 (Gundel); non in Klövekorn; Willems, Sénat I, 526, n°329. 1 Vid. supra s. n. (n° 82). 2 Prosopo. I, n° 74 (nn. 7 & 8). 3 Qu'il ait fait intercession aux menées anticésariennes en 51 n'implique pas qu'il se soit trouvé dans le camp de César en 49 : un Pansa se trouvait aux côtés de Pompée (Liu., frgt 40 Jal = 45 WM). Bruhns, Oberschicht 51-52 le range parmi ceux qu'il est difficile de classer.
155. L. VILLIVS ANNALIS* Praetor II
Proscrit de la première liste (App., BC IV, 18, 69-70).
Lanuvium
Exécuté. Fils édile sous le triumvirat.
On sait en définitive peu de choses sur l'Annalis dont Appien raconte qu'il faisait campagne pour son fils, candidat à la questure, quand il apprit que son nom figurait sur les tablettes, qu'il se réfugia chez un client où son fils amena les soldats qui le recherchaient pour le tuer. On l'identifie, ordinairement, à L. Villius Annalis qui apparaît dans une liste de sénateurs présidant la rédac tiond'un sénatus-consulte 1 : comme il s'agit de la transcription d'un document officiel et que les noms sont classés par ordre de dignité, on déduit de la pré sence de L. Villius Annalis entre le consul de 52 et le préteur de 57 qu'il avait dû exercer la preture au plus tard en 58 2.
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Le problème est qu'Appien, racontant les circonstances dans lesquelles Annalis fut proscrit et exécuté, place son histoire après celle de Minucius Ruf us, préteur en 43, et présente Annalis comme «un autre préteur» (έτερον στρατηγόν). On voit là d'ordinaire une simple erreur de l'historien grec qui aurait confondu praetor et praetorius ou plutôt mal transcrit ce dernier terme : mais on ne s'avise pas qu'à deux lignes de là Appien évoque autour d'Annalis «ses amis et ceux qui portaient les insignes de sa charge» (οι τε συνόντες φίλοι και oi τα σημεία της αρχής φέροντες) et que, par conséquent, s'il y a erreur, ce n'est pas seulement sur le mot στρατηγός mais bien sur le statut du personnag e3. On ne peut attendre aucun secours de la seconde source dont nous dispo sons pour la proscription de cet Annalis : Valère-Maxime ne donne aucun ren seignement sur son statut mais transcrit son nom : L. Villius Annalis, et racontre qu'il avait appris sa proscription alors qu'il était descendu au Champ de Mars pour les comices qui devaient procéder aux élections à la questure où son fils était candidat4. Il nous paraît difficile d'admettre qu'Appien, si bien renseigné par ailleurs sur la proscription et sur chaque proscrit, ait pu commettre une pareille erreur5 d'autant que les conditions mêmes dans lesquelles Annalis fut exécuté tendent à prouver qu'il avait un rang important. On ne peut pas douter, en effet, à examiner la narration d' Appien et celle de Valère-Maxime, qu'il figurait sur la première liste, celle qui comportait le nom des dix-sept personnages dont les Triumvirs voulaient absolument la disparition parce qu'ils étaient les plus puissants de leurs adversaires (τους μάλιστα δυνατούς), c'est-à-dire ceux qui avaient les moyens légaux de leur résister6. On observera d'ailleurs que la récompense accordée au fils pour avoir dénoncé son père est à la mesure de l'importance de celui-ci : les Triumvirs lui accordèrent la totatlité du patrimoine et firent de lui un édile, lui qui était can didat à la questure7. Enfin on pourra ajouter des arguments tirés de l'économie même du texte d'Appien : l'historien commence sa très longue série d'exemples en disant que les premiers massacrés furent des magistrats8. Il nomme alors Saluius, tribun de la plèbe, Minucius (Rufus), préteur, Annalis, préteur, et Turranius qui, écritάλλ' il, n'était pas préteur en exercice mais l'avait été : ού στρατηγών μεν ετι, έστρατηγηκώς9. La place d'Annalis dans cet ensemble ne permet pas de douter de son statut. Dans ces conditions on devrait admettre que l'Annalis proscrit n'est pas le même personnage que celui qui figurait dans la lettre de Caelius à Cicéron, en 51 : c'est une explication simple, mais qui pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. Tout d'abord, seuls les Villii, à notre connaissance, ont porté ce cogno men10 et, d'autre part, il n'y a pas place, entre le préteur de 58 et le candidat questeur de 43 pour une génération supplémentaire. Enfin, comme ValèreMaxime lui donne le prénom L., on ne peut pas penser qu'il se serait agi d'un frère du sénateur de 51.
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II reste donc l'explication la plus vraisemblable : L. Villius Annalis a itéré la preture. Dans ce cas, ce n'est pas Appien qui s'est trompé : ou bien les copistes de ses manuscrits ont banalisé l'expression qui témoignait de cette itération (στρατηγον το δεύτερον)11, ou bien il faut considérer que le έτερον nous fournit un renseignement supplémentaire : en 43 Annalis était préteur peregrin n. Sans doute l'itération de la preture est-elle assez rare : elle ne se rencontre que dans des circonstances exceptionnelles13 et, pour le dernier siècle de la République, nous n'en connaissons qu'un seul exemple, celui de M. Marius Gratidianus en 85 et 84 14. Pour ce qui est de Villius Annalis, cette itération n'avait sans doute pas été prévue par César mais elle devait correspondre, au contrair e, à une reprise d'activité politique après une retraite forcée consécutive à la victoire des césariens. Du même coup s'expliquerait la volonté des Triumvirs de faire disparaître un de ces vieux républicains que la mort de César avait sortis de leur silence et qui risquaient de se constituer en une force politique redoutable.
* RE 7 (Gundel); Klövekorn n°47; Willems Sénat I, 478, n° 125. Sur son origine Syme, «Senators» 124-125. 1 Cic, Fam. VIII, 8, 5 = 84 SB, d'octobre 51. 2 Willems, suivi notamment par Klövekorn, Gundel, Broughton (MRR s.a. 51) et Syme. Il est peut-être aussi le sénateur Λεύκιος Άνάλιος brutalisé par Crassus en 55 (Plut., Crass. 35, 3; RE Annalius Klebs). 3 Ou bien alors il faudrait admettre que l'expression τα σημεία της αρχής désigne non pas l'appareil extérieur de sa magistrature - essentiellement les faisceaux - mais plutôt des insignes marquant son ancienne dignité prétorienne, encore qu'on ne voie pas très bien de quels insignes il pourrait s'agir. 4 IX, 11, 6 : L. Villius Annalis, cum in campum ad quaestoria comitia filii descendens proscriptum se cognosset . . . Cette présentation des faits est d'ailleurs en contradiction avec ce que nous savons par ailleurs : Minucius Rufus tenait une assemblée au Forum (App., BC IV, 17, 68) ce jour-là et, par conséquent, on ne peut pas penser que les comices étaient réunis au Champs de Mars. 5 L'examen des emplois de στρατηγός chez Appien (Luce, «Terminology») ne permet pas de penser à une autre valeur du mot. 'Les expressions employées par Valère-Maxime (proscriptum se cognosset) et par Appien (προγεγράφθαι τοΐς πίναξι τον Ανναλιν) sembleraient plutôt impliquer une présen ce sur la liste « normale ». Mais le fait que le personnage et ses amis aient appris la pros cription par hasard implique que cela se passait à un moment où le massacre n'avait pas encore commencé et où il était, par conséquent encore possible d'ignorer les décisions triumvirales (et de mener paisiblement une campagne électorale). D'autre part, on sera sensible au fait qu'Appien raconte l'histoire d'Annalis avant celle de Cicéron dont on sait, par ailleurs, qu'il figurait lui aussi sur cette première liste (sur sa composition uid. chap. 6, 262-264). 7 App. § 70. "ßCIV, 17,65. 9 Pour tous ces personnages uid. supra s. nn.
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10 Kajanto 218. on ne peut donc tenir aucun compte de la variante qui se trouve chez Iulius Paris, l'abréviateur de Valère-Maxime L. Iulius Annalis. 11 Nous ne connaissons aucune occurrence épigraphique d'etepov avec la valeur à' iterum, qui aurait expliqué assez simplement la banalisation στρατηγον έτερον iprator iterum) en έτερον (= άλλον) σ. Lorsqu'il s'agit d'indiquer une itération le grec emploie το β' = το δεύτερον; cf. IGRR IV, 943 = Sylloge2 355, 1. 12 : Λουκίωι (Σ)ύλλα τω δε[ύτε] / ρον ύπάτωι en 80. 12 Dès lors qu'ê^poç signifie le deuxième d'un groupe de deux, on doit considérer que le στρατηγός est le préteur urbain et Γετερος στρατηγός le pérégrin. Cela semble d'ail leurs impliquer que Minucius Rufus, dont il vient d'être question, était préteur urbain, ce qui n'est pas impossible puisque le préteur urbain en titre, M. Caecilius Cornutus, s'était suicidé quelques mois plus tôt, lors de la première marche d'Octave sur Rome. 13 Sur cette question uid. Mommsen, Dr. Pub. II, 175-176. 14 MRR s. aa. Il faut évidemment excepter les itérations qui s'expliquent par la nécess itéde recommencer une carrière «annulée» par une condamnation (uid. notamment P. Cornelius Lentulus Sura RE 240).
156. T. VINIVS* Praetorius
Proscrit (Suet., Diu. Aug. 27, 4).
Amiternum
Sauvé par sa femme et par Octavien (Dio 47, 7, 4). Grand-père du cos. 69 p. C.
On ne sait qu'une seule chose sur T. Vinius, mais on la sait de façon certai ne parce qu'elle est attestée par plusieurs sources anciennes : il avait été prosc rit par les triumvirs1. C'est grâce à l'habilité de sa femme qui réussit à le cacher et à fléchir Octavien, grâce aussi au dévouement d'un de ses affranchis, qu'il put obtenir sa restitutio. Pourtant l'examen des différents récits de sa proscription nous assure qu'il devait être un personnage assez considérable. D'une part Tacite, évoquant la famille de T. Vinius, le consul de 69 p. C. mort en même temps que Galba, note que son père était de famille prétorienne et que son grand-père faisait partie des proscrits2 : nous pouvons en déduire, avec une certaine vraisemblance, que c'est le proscrit lui-même qui avait été préteur. C'est d'autant plus probable qu'il est le premier sénateur connu de ce nom3. D'autre part il avait épousé une femme appartenant à une famille en vue (γυνή επιφανής, dit Dion), Tanusia4, dont en tout cas un parent (συγγενής) au moins exerçait une charge en 43/42 : c'est au cours d'une fête publique (δεμοτελή έορτήν) qu'elle réussit à émouvoir Octavien et à le convaincre d'accorder sa restitutio au proscrit. On observera enfin que cette Tanusia devait être assez liée avec Octauia minor puisque c'est avec sa complicité qu'avait dû être montée la mise en scène destinée à fléchir son frère.
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Si ces renseignements ne nous permettent pas d'avancer des noms précis, ils nous donnent pourtant à penser que Vinius était un personnage assez important et qu'il dut vraisemblablement son salut aux alliances qu'il avait du côté des Triumvirs5. * RE 2 (Gundel) & Tanusius 3 (Münzer); Klövekorn n°80; Wiseman, New Men n° 496. Sur son origine, Syme, «Missing Persons III» 153. 1 Outre Suétone et Dion : Appien (BC IV, 44, 187 qui l'appelle à tort Ίουνίον) et Tacite (Hist. I, 48, 3-4). 2 Pater Uli praetoria familia, maternus auus e proscriptis. On s'accorde, en général à reconnaître que les manuscrits sont fautifs et qu'il convient de lire paternus auus (Syme, 1.1.). 3 Wiseman; McDermott, «Second Proscription» 497, le considère comme un cheval ier. 4 Elle-même, selon toute vraisemblance, fille de proscrit (uid. Prosopo. I n° 65). 5 On ne voit pas bien le rapport que notre proscrit peut entretenir avec T. Vinius Ruf us, Octouir à Amiternum (ILS 3701).
157. VOLVMNIVS* Chevalier
Aux côtés de M. Lucullus à Philippes (Val. Max. IV, 7, 4).
Etrurie
Exécuté.
Le chevalier dont Valère-Maxime raconte la mort, après Philippes, figurait sans aucun doute sur la liste de proscription : il demanda à Antoine de périr à côté de son ami M. Lucullus qu'il avait lui-même entraîné dans cette guerre1. On ne sait rien d'autre sur ce personnage sinon qu'il était le second Volumnius à être proscrit. * RE 9 (Gundel) ; non in Klövekorn, Nicolet n° 400. Sur l'origine étrusque du nom, Schulze, Eigennamen 258-259. 1 . . .cum ei infelicis militiae auctor extiterim. 158. P. VOLVMNIVS* Sénateur?
Avec Brutus (Plut., Brut. 48, 2).
Pérouse? Dans le rangs des tyrannicides on trouve au moins deux Volumnii, qui devaient figurer sur les listes de proscription. L'un d'entre eux est celui que Plutarque désigne comme «philosophe qui avait fait campagne dès le début
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avec Brutus» et que, par ailleurs, il cite à plusieurs reprises comme une source sur la fin de Brutus l. L'indication selon laquelle Volumnius avait suivi son ami dès le début per met de le distinguer de Volumnius Flaccus, le confident de Dec. Brutus que celui-ci envoya au sénat2 et, à plus forte raison, de P. Volumnius Eutrapelus, praefectus fabrum d'Antoine3. Il est possible de voir en lui le fils du sénateur et pontifex minor juré au procès de Cluentius en 66 4 mais cette hypothèse repose sur la seule identité du prénom. On ne sait pas ce qu'il devint. Ce qui est sûr, c'est qu'il vécut assez long temps pour rédiger et publier un récit de la mort de Brutus, ouvrage que Plutarque a utilisé5. * RE 8 (Gundel); non in Klövekorn. Le nom est étrusque (Schulze, Eigennamen 258259) et le berceau des Volumnii est peu-être Pérouse (Ranouil, Patriciat 176). 1 Brut. 48, 2 : Πόπλιος Βολούμναος. 2 RE 12. L'identification était suggérée par Gundel; elle est reprise par ShackletonBailey, comment, à 397 =Att. XI, 18, 1. Comme on ne sait rien d'autre sur ce Volumnius Flaccus, il nous est impossible de le ranger au nombre des proscrits (uid. chap. 6, note préliminaire au tableau des proscrits 270-274). 3 RE II; Nicolet, n° 401. 4 Cic, Cluent. 198; RE 6. 5 Bardon 275.
159. M. VOLVSIVS* Aedilis plebis
Proscrit (première liste) (Val. Max. VII, 3, 8).
Cingulum?
Réfugié auprès de Sex. Pompée (App., BC IV, 47, 200). Restitutus ? Oncle du cos 12 a. C. (?).
Il est possible que le proscrit dont Appien et Valère-Maxime nous disent qu'il était édile de la plèbe et qu'il réussit à s'échapper déguisé en prêtre d'Isis et qui mendia tout au long de sa route sans se faire reconnaître, soit le même personnage qui, en 49, apporta une lettre de Tiron à Cicéron l. Il est possible aussi que ce proscrit soit apparenté aux deux autres Volusii connus pour cette époque précise : Cn. Volusius, préfet de Cicéron en Cilicie2 qu'il faut peut-être lui-même assimiler à Q. Volusius, gendre d'un ami d'Atticus et chevalier romain3.
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D'une façon générale, ces Volusii semblent liés à Cicéron et il est possible qu'ils aient suivi à peu près la même ligne politique, ce qui expliquerait la pré sence de M. au nombre de nos proscrits. La relation de Valère-Maxime pose, par ailleurs, un autre problème : il affirme que le proscrit réussit à rejoindre Brutus. Mais comme Appien déclare qu'il se réfugia auprès de Sex. Pompée, compte tenu du fait qu'il était sans dout eplus facile de rejoindre la Sicile que la Grèce (ne serait-ce que parce que Pompée lui-même aidait les proscrits à s'échapper) et qu'on sait par ailleurs que c'est là que la grande majorité des proscrits trouva refuge4, il nous paraît préférable de nous en tenir à la version des faits présentée par l'historien grec. Il était vraisemblablement apparenté à L. Volusius Q. f. Saturninus, cos. suff. 12 a. C. dont Tacite affirme qu'il était issu d'une uetus familia neque tarnen praeturam egressa s. * RE 4 (Lippold); Klövekorn n° 34; Wiseman, New Men n° 513. L'origine est contestée par Syme («The Stemma of the Sentii Saturnini», Historia XIII, 1964, 156) mais affirmée par Wiseman («Republican Senators», 126). 1 Farn. XVI, 2, 6 = 146 SB. M«. V, 11,4= 104 SB; RE 3. 3 A condition de corriger Cn. en Q. dans le texte de la lettre de juillet 51 (note précé dente). Sur ce Q. Volusius (RE 5) uid. Nicolet n° 404. 4 Sur cette question chap. 6. 5 Ann. 3, 30. Szramkiewicz, Gouverneurs Π, 466. R. Syme (1.1.) considère que le consul de 12 est le fils de Q. Volusius, celui-ci ayant vraisemblablement épousé une Claudia, sœur de Ti. Claudius Nero, lui-même proscrit. Notre M. Volusius pourrait être un frère de Q. et, par conséquent, l'oncle du consul.
160. [C] VRBINVS PANAPIO* Sénateur
Proscrit (Val. Max. VI, 8, 6). Sauvé par un esclave (Macr., Sai. I, 11, 16). Restitutus.
Ce personnage est sans doute un de ceux qui présentent le plus de difficul tés d'identification: si l'on sait qu'un Panapio, qu'il faut distinguer de ΓΆππίον(α) dont Appien raconte l'histoire1, a été proscrit et sauvé par un de ses esclaves, on n'a de certitude ni sur la forme de son nomen et de son cognomen, ni sur les conditions dans lesquelles il a été sauvé. Pour ce qui est de son sauvetage, il relève du domaine de l'anecdote et il importe peu d'en connaître le détail2. En revanche pour ce qui est de son nom,
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il convient d'examiner les quelques témoignages qui pourraient permettre de nous déterminer : si Valère-Maxime et Iulius Paris ont la forme Vrbini au génétif qui ne permet pas de déterminer s'il s'agit d'un Vrbinius ou d'un Vrbinus, on sait, par ailleurs, que Salluste atteste l'existence, pour 74, d'un questeur de Lucullus appelé C. Vrbinus3 avec lequel il est possible d'identifier notre prosc rit, d'autant que Macrobe donne bien la forme Vrbinus4. Quant à son cognomen, qui n'est reproduit que par Valère-Maxime et son abréviateur, il est impossible de dire si la forme en a été altérée dans la trans mission et mieux vaut donc le conserver sous la seule forme qui nous soit connue5. Ce qui est certain c'est qu'Vrbinus fut restitutus, vraisemblablement à la suite des accords de Misène. *RE Urbinus 3 (Münzer), Urbinius 1 (Gundel); Klövekorn n°78; Wiseman, New Men n° 453. 1 Vid supra s. n. Appius Claudius Pulcher nn° 42-43. 2 Nous avons examiné, plus haut, les signes de contamination entre les deux anecdot es. Le seul intérêt que présente l'histoire de Panapio est celui de la localisation éventuell e de la gens : Valère-Maxime et Macrobe placent l'action à Reate, en pays Sabin. >Hist. II, 70 M; MÄÄs. a. 4 Cela semble exclure, par conséquent, l'origine Marrucine du personnage que sir Ronald déduisait de l'existence d'une Vrbinia qui avait épousé le Marrucin Clusinius (Ré volution 542 n. 31) : il aurait alors fallu admettre que Valère-Maxime et Macrobe (ou leur source commune) avaient confondu Reate et Teate (Marrucinorum). 5 Luisa Banti (RE s. n. Panapione) fait observer l'existence d'un lieu qui porte ce nom sur la côte étrusque entre Pyrgi et Castrum Novum.
BIBLIOGRAPHIE
On ne trouvera, dans cette bibliographie, que les ouvrages ou articles qui ont été effectivement utilisés pour ce travail ou qui l'ont influencé (avec quelques titres que nous n'avons pas eu le loisir de consulter mais qui sont reportés ici avec la mention «n(on) u(idi) », parce qu'ils nous ont semblé être de quelque importance pour le sujet). Cela signi fie que n'y figurent pas tous ceux qui n'ont servi que de façon accidentelle (notamment pour la constitution de nos catalogues de proscrits) et qui sont cités dans les notes. Par ailleurs, nous n'avons pas cru nécessaire d'alourdir cette bibliographie avec la liste des éditions de textes anciens que nous avons utilisées: lorsqu'elles existent, nous faisons référence aux éditions de la Collection des Universités de France l auxquelles il faut évidemment adjoindre un certain nombre d'éditions commentées qui sont trop bien connues pour qu'il soit utile d'en dresser à nouveau la liste. De la même façon, d'ailleurs, nous avons cru devoir éliminer les titres des ouvrages de référence qui sont familiers à tous les historiens de l'Antiquité : des articles de la RE au CIL en passant par les articles du NDI et du Dizionario) Epigr(afico) , les FIRA, les éditions de fragmenta (ORF, HRR, FHG, FGH. . .), les dictionnaires (Ernout-Meillet, Lidell-Scott-Jones, TLL), les corpus d'inscriptions (ILS, ILLRP. . .). Pour ce qui est des abréviations, lorsqu'il ne s'agissait pas d'un usage traditionnel, comme c'est le cas pour certains ouvrages (FITA, de M. Grant) ou pour les revues (dont la liste se trouve dans les premières pages de l'Année Philologique), nous avons essayé de les constituer de façon qu'elles soient facilement intelligibles en les accompagnant toujours du nom de l'auteur. Ces abréviations figurent dans la présente bibliographie, entre parent hèses, après le titre qu'elles résument.
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1 Nous devons à son éditeur dans cette collection, J. Hellegouarc'h, à qui nous expr imons toute notre gratitude, d'avoir pu consulter Velleius Paterculus sur épreuves.
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