Les Conflits D'intérets Dans La Société Anonyme [PDF]

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Zitiervorschau

Département de droit privé Mémoire de fin d’études pour l’obtention du diplôme de

Master en Droit des Affaires Sous le thème :

Les conflits d’intérêts dans la société anonyme

Réalisé par : Kaaouachi Abdelghafour Les membres du jury : PR Aboulhoucine Mohammad Pr Lagdali Tarek PR Sabik Naim

Encadré par : Monsieur Aboulhoucine Mohammed

Pr Akache Brahim

Année universitaire :

2020/2021

Remerciement

Tout d’abord, je tiens à exprimer toute ma reconnaissance et ma gratitude à mon encadrant de mémoire : Monsieur Aboulhoucine Mohammed Professeur à la faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales Mohammedia et je le remercie pour ses efforts fournis dans le but de nous assurer une formation de qualité malgré ses occupations et ses responsabilités. Je le remercie aussi de m'avoir encadré, orientée et conseillé. Que ce modeste travail soit le témoignage de ma considération et mon profond respect. J’adresse mes sincères remerciements à tous les professeurs, intervenants et toutes les personnes qui par leurs paroles, écrits, leurs conseils et leurs critiques m’ont aidées dans mon parcours de Master .

Dédicace

Je dédie ce travail :

A la mémoire de mon père Mon exemple éternel, celui qui s'est toujours sacrifié pour me voir réussir que Dieu ait son âme dans sa sainte miséricorde. A ma mère  Qui m’a entouré d’amour, d’affection et qui fait tout pour ma réussite, que dieu la garde

Sommaire LISTE DES ABREVIATIONS INTRODUCTION

Partie 1 : les instruments de préventions en matière des confits d’intérêts Chapitre 1 : les dispositions légales en matière des conflits d’intérêts Section 1 : les incompatibilités et les interdictions Section 2 : les règles de transparences

Chapitre 2 : le contrôle des conflits d’intérêts Section 1 : le contrôle interne Section 2 : le contrôle externe par le commissaire aux comptes

Partie 2 : les outils de répression en matière des conflits d’intérêts Chapitre 1 : les sanctions civiles en matière des conflits d’intérêts Section 1 : les sanctions de la violation des règles préventives Section 2 : les sanctions d’abus de droit en matière des conflits d’intérêts

Chapitre 2 : les sanctions pénales en matière des conflits d’intérêts Section 1 : l’abus des biens sociaux Section 2 : la faute professionnelle du commissaire aux comptes CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE TABLE DES MATIERES Al

Alinéa

Ar

Article

B.O

Bulletin Officiel

Bull

Bulletin

Bull.Crim

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bull . Joly

Bulletin mensuel Joly d’information des sociétés

Cass

Cour de cassation

Cass.com

Cour de Cassation Chambre commerciale

Crim

Chambre criminelle de la cour de cassation

C .com.

Code de commerce

DOC

Dahir des obligations et des contrats

Ed

Edition

NRE

Loi relative aux Nouvelles Régulations Economiques



Numéro

P

Page

Etc

Et cætera

Ibid.

Ibidem (au même endroit)

Op. cit.

 opere citato (dans l’ouvrage cité)

S.A

Société Anonyme

S.A.R.L

Société à responsabilité limitée

RSE

Responsabilité sociétale des entreprises

Vol

Volume

LISTE DES ABREVIATIONS

INTRODUCTION

Selon Yves Chaput « La gouvernance est l’art de gouverner en recherchant une solution impartiale aux conflits d’intérêts »1. Si l’on peut dégager une chose de cette citation, ça serait le caractère problématique de toute situation mettant en jeu une pluralité d’intérêts, notamment lorsqu’ils divergent et s’opposent. Cette situation, étant particulièrement récurrente dans le monde des affaires ainsi que de l’entreprise, espace dans lequel interagissent de nombreux acteurs, chacun étant dirigé par ses propres intérêts, n’est pas sans risques pour tout cet ensemble, l’entreprise y compris. Car dans cet écosystème se heurtent les intérêts de l’entreprise avec ceux du concurrent, du fournisseur, du collaborateur, du client, ou encore ceux des pouvoirs publics, sans oublier les intérêts des acteurs internes de l’entreprise qui se chevauchent également : les intérêts des actionnaires ou associés, des dirigeants sociaux, des salariés, des investisseurs… En effet, il ne faut pas croire que répondre à l’intérêt social de l’entreprise reviendrait à répondre à chacun des intérêts individuels de ses éléments internes, car même si on peut imaginer que l’intérêt social n’est que la somme des intérêts catégoriels des différents acteurs évoluant au sein de l’entreprise, œuvrer dans l’intérêt social commun se traduirait en pratique par la conciliation entre les différents intérêts en présence, voire à sacrifier les uns en faveur des autres 2 : à titre illustratif, une entreprise se trouvant dans la nécessité d’abandonner une branche d’activité exploitée à perte, reviendrait à licencier les travailleurs de cette branche, chose qui serait louable pour la santé financière de l’entreprise et sa continuité, mais défavorable pour les travailleurs licenciés. C’est ce qui explique, pour revenir à la citation d’Yves Chaput sus-évoquée, pourquoi la bonne gouvernance repose essentiellement sur la résolution « impartiale » des conflits d’intérêts ; le choix de la notion d’impartialité n’étant pas anodin, car il peut arriver que les intérêts du gouvernant soient eux même en conflit avec d’autres intérêts : c’est le cas classique du dirigeant qui octroie un poste de travail à un membre de sa famille. On a d’une part sa responsabilité professionnelle qui l’exhorte de choisir le candidat le mieux qualifié, et d’autre part sa responsabilité familiale en vertu de laquelle il est appelé à agir en faveur de sa famille. Cet exemple n’étant qu’une illustration parmi plusieurs où dirigeant, comme actionnaire ou associé, et salarié ou encore auditeur peuvent être confrontés à des 1 2

CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 5, SEPTEMBRE-OCTOBRE 2005 Y. Guyon, Droit des affaires, tome 1 : Droit commercial général et sociétés, 2003, page 211.

situations de conflits d’intérêts, du moment que leurs propres intérêts sont contradictoires avec l’intérêt commun, nous laisse perplexe par rapport à la définition de ce phénomène qui parait relativement abstrait et large. Alors que le droit marocain ne propose aucune définition légale de la notion, c’est en tournant vers la doctrine française, qui s’est déployée particulièrement dans ce sens, que nous avons puisé les tentatives de définition suivantes : Selon J. MORETBAILLY, le conflit d’intérêts renvoie aux « situations dans lesquelles une personne en charge d’un intérêt autre que le sien n’agit pas, peut être soupçonnée de ne pas agir, avec loyauté ou impartialité vis-à-vis de cet intérêt, mais dans le but d’en avantager un autre, le sien ou celui d’un tiers »3. En matière de droit des sociétés, qui nous intéresse particulièrement, la notion objet de la présente étude se définit selon le professeur Dominique Schmidt comme étant « une situation dans laquelle un actionnaire ou un dirigeant choisit d’exercer ses droits et pouvoirs en violation de l’intérêt commun soit pour satisfaire un intérêt personnel extérieur à la société, soit pour s’octroyer dans la société un avantage au préjudice des autres actionnaires »4. Si l’on peut retenir d’après ces définitions des éléments caractéristiques voire constitutifs du conflit d’intérêts, ils seront les suivants : l’existence d’une pluralité d’intérêts et la divergence de ces intérêts, avec un troisième élément qui est la violation de l’intérêt « supérieur » c’est-à-dire le fait d’agir en contradiction avec lui. Ce dernier élément caractérise à vrai dire, par sa présence la réalisation effective du conflit d’intérêt, et par son absence le simple risque de sa survenance. Mais pour détailler davantage dans ces éléments, il convient de les discuter en trois temps : En premier lieu, le premier élément implique que la survenance d’un conflit d’intérêt suppose la coexistence de deux intérêts au moins. Dans les sociétés, cette coexistence est courante dans la mesure où un associé ou un dirigeant a souvent, à côté de l’intérêt commun aux actionnaires de la société, des intérêts personnels. De même, la société-mère d’un groupe poursuit son intérêt propre à côté de celui de chacune de ses filiales ; de même un administrateur peut siéger à la fois aux conseils d’administration d’une entreprise et de la principale banque de celle-ci. Les intérêts de ces entreprises ne sont pas nécessairement opposés, ils laissent place à la complémentarité et à la convergence. La société-mère qui utilise la trésorerie d’une filiale dans l’intérêt commun du groupe, moyennant une contrepartie équitable au profit de celle-ci, soigne ses intérêts propres ainsi que les intérêts de la filiale. De même, l’administrateur de la banque et de la société cliente de celle-ci occupe une position favorisant la recherche d’une relation équilibrée. 3

K. AWOKI, « Le conflit d’intérêts dans l’administration des sociétés en droit marocain et de l’OHADA. », Thèse de Doctorat en Sciences juridiques, sous la direction de Rachid FILALI MEKNASSI, Rabat, Université Mohammed V – Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales - Agdal, soutenue le 10 octobre 2017, 536, page 34 4 Ibid., page 35

En second lieu, la survenance d’un conflit d’intérêts suppose une contradiction entre les intérêts en présence. Le mandataire chargé de vendre un bien qu’il entend personnellement acquérir est divisé entre son intérêt de mandataire, qui lui dicte de vendre au plus haut prix, et son intérêt d’acquéreur, qui le pousse à conclure au plus bas prix. L’administrateur de deux sociétés concurrentes est contraint de choisir entre les intérêts opposés de l’une ou de l’autre: comment servir deux maîtres ? En troisième lieu, le conflit d’intérêts peut consister en la violation de l’intérêt commun, de la part du dirigeant ou de l’actionnaire se servant de ses droits ou de son pouvoir, pour satisfaire un intérêt personnel extérieur à la société. Dans cette hypothèse, il s’agira des cas dans lesquels l’intérêt personnel est lié à une qualité autre que celle de l’actionnaire. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un détenteur de 40 % des droits de vote s’oppose à une augmentation de capital nécessaire à la survie de la société pour provoquer la dissolution à l’avantage d’une entreprise concurrente qu’il contrôle. De la même façon, un dirigeant peut, au préjudice de son intérêt d’actionnaire qu’il partage avec ses coassociés, vouloir utiliser ses pouvoirs de décision et d’action pour favoriser son intérêt personnel s’il s’abstient de poursuivre le recouvrement d’une créance que la société détient à l’encontre d’une entreprise à laquelle il est lié, ou encore il créera une société concurrente, ou transfèrera à l’une l’autorisation administrative d’exploitation que détenait la seconde. Dans toutes ces situations, on voit bien que le conflit d’intérêts se manifeste par la volonté d’utiliser des droits ou pouvoirs dans la société pour promouvoir un intérêt lié à une autre qualité d’actionnaire et contraire à l’intérêt de l’actionnaire. Le conflit appauvrit le patrimoine social. Enfin, le conflit d’intérêts peut être constitué par une violation de l’intérêt commun, de la part du dirigeant ou de l’actionnaire se servant de ses droits ou de son pouvoir, pour satisfaire un intérêt personnel au préjudice des autres actionnaires. Dans, cette hypothèse, le conflit d’intérêt appauvrit non le patrimoine social, mais les coactionnaires. C’est le cas du majoritaire qui affecte systématiquement les bénéfices en réserves de façon à maximiser la valeur de ses titres, au préjudice des minoritaires dont les actions non liquides ne procurent aucun rendement. Ou encore un actionnaire s’oppose à toute décision en assemblée générale extraordinaire dans le seul dessein de contraindre ses coassociés à lui racheter sa participation à un prix élevé. De même, un actionnaire propose d’acquérir les titres de ses coassociés en dissimulant leur valeur réelle très supérieure. Dans tous ces cas, la recherche de l’intérêt personnel se réalise par la lésion des intérêts des coassociés. Les droits et pouvoirs dans la société sont utilisés pour promouvoir un intérêt lié à la qualité d’actionnaire, mais au préjudice des coactionnaires. De toutes ces situations, on peut retenir que, le conflit d’intérêts rompt l’intérêt commun des associés pour servir soit un intérêt extérieur lié à une autre qualité, soit

un intérêt lié à la qualité d’actionnaire, mais toujours au préjudice des coactionnaires. Dans tous les cas, il se sert de la société au lieu de la servir. Par ailleurs, et pour donner la pleine mesure des enjeux suscités par cette notion, il convient d’aborder une affaire emblématique qui marque la réalisation concrète d’une situation de conflits d’intérêts : l’affaire du Crédit Immobilier et Hôtelier au Maroc. Dans cette affaire, le président directeur-général s’est acheté, deux appartements appartenant au CIH, à un prix dérisoire. Dénoncé par les journaux, la personne a avancé comme argument le prix préférentiel représentait une prime bien méritée pour le travail qu’il a fourni pour le compte de l’établissement, outre le fait que le conseil d’administration aurait autorisé l’opération sans contestation. Alors que l’établissement en question faisait l’objet d’un redressement judiciaire au moment de l’incident. Constatons à ce titre le caractère nocif de ces situations de conflits d’intérêts d’autant plus qu’elles sont inhérentes à la vie de l’entreprise car à tout moment peut être tenté, un élément actif en son sein, à agir de façon à satisfaire un intérêt personnel et donc extérieur à celui de l’entreprise pour laquelle il travaille ; le risque s’aggravant davantage lorsque l’entreprise est incapable de supporter les préjudices de tels actes, comme c’était le cas dans l’exemple susmentionné. Et c’est ainsi que les enjeux majeurs corrélés à la notion du conflit d’intérêts, nous invitent à nous interroger sur le cadre légal mis en place pour neutraliser ce phénomène universel et pour remédier à ses répercussions. A ce titre, notons que le droit marocain, a adhéré à un certain mouvement de réforme initié par le législateur français dans une conjoncture où multiples scandales relevant des conflits d’intérêts dans le monde des affaires ont éclaté5. Quelles seront alors les mesures prévues par le Droit marocain des sociétés commerciales, étant supposé régir la problématique objet de notre étude, pour prévenir la survenance potentielle des situations de conflits d’intérêts dans la vie sociale de l’entreprise ? Et quelles seront les mesures de traitement voire de sanction de la réalisation de ces situations ? Pour répondre à la problématique formulée ci-haut, nous proposons de scinder notre développement en deux parties, la première tendant à étudier tout ce qui est à même de décourager et de limiter la survenance des situations de conflits d’intérêts, éventuellement à travers des moyens dits de prévention des conflits d’intérêts (partie une), la seconde s’intéressant à tout ce qui pourrait permettre la résolution de 5

En l’occurrence la loi de sécurité financière du 1er août 2003 qui a été adoptée en réponse à la crise de confiance ouverte par les scandales et dysfonctionnements à répétition de sociétés américaines et européennes.

ces situations postérieurement à leur survenance, à travers des moyens de réparation voire de répression (partie 2).

Première Partie : Les instruments de prévention en matière des conflits d’intérêts

Il va sans dire que les conflits d’intérêts représentent un risque de taille pour la société commerciale, surtout lorsqu’ils ne sont pas neutralisés en amont. Car il se

peut qu’une personne dotée d’un pouvoir donné (dirigeant, actionnaire, auditeur) au sein de la société commerciale, se retrouve dans une situation de conflits d’intérêt, sans pour autant commettre un acte nuisible aux intérêts de la société. Comme il se peut que cette personne agisse au détriment des intérêts de la société ce qui sera par conséquent préjudiciable pour elle, ainsi que pour tous les opérateurs gravitant dans sa sphère, partenaires économiques, collaborateurs, actionnaires… Cette idée a d’ailleurs été développée par une partie de la doctrine qui considère que « […] le simple fait qu’un conflit survienne n’est pas suffisant en principe pour qu’une sanction puisse être prononcée. Ce qui est critiquable n’est pas d’être dans une situation de conflit lorsque l’on y est arrivé d’une façon totalement accidentelle ou par inadvertance. Ce qui est blâmable est de ne pas tirer les conséquences du conflit ou de se placer sciemment dans une position de conflit 6 ». C’est pourquoi, il est primordial de prévenir les conflits d’intérêts pouvant intervenir à l’occasion de la gestion de l’entreprise. En droit des sociétés marocain comme en droit comparé, les conflits d’intérêts ne font pas l’objet d’une législation particulière. Cependant, nous remarquons que certains législateurs commencent à envisager cela 7. C’est l’exemple du législateur français, qui, à travers la loi sur les régulations économiques (NRE) de 2001 avait fait naître des espoirs en consacrant son chapitre 3 à la «prévention des conflits d’intérêts », même si en réalité le contenu de ce chapitre ne traite que des conventions règlementées, mentionnées aux articles L-225-38 et suivants du Code de commerce ; les conflits d’intérêts dépassant largement ce cap. Cependant, l’absence de législation qui soit spécifique aux conflits d’intérêts ne laisse pas libre place aux dirigeants sociaux. En effet, un ensemble de dispositions éparpillées forme indirectement un certain régime de prévention et par ricochet, de sanction des conflits d’intérêts au sein des sociétés. Dans le cadre de cette première partie, il sera question pour nous d’étudier les dispositions légales qui garantissent la prévention des conflits d’intérêts dans un premier chapitre avant de nous intéresser au contrôle desdits conflits dans un second chapitre.

6 7

Op.cit. K.Awoki, Page 46. Ibid. page 47.

Chapitre 1 : les dispositions légales en matière des conflits d’intérêts

Le droit des sociétés marocain renferme des dispositions qui intéressent la prévention des conflits d’intérêts. Ces dispositions se traduisent par l’édification d’un certain nombre d’incompatibilités et d’interdictions (Section 1) qui font obstacle à la survenance de certaines situations de conflit d’intérêts, appuyées par l’obligation

de loyauté (Section 2) qui incombe au dirigeant et de laquelle découle une obligation de transparence qui l’incite à divulguer toute situation compromettante, les situations de conflits d’intérêts y compris.

Section 1 : les incompatibilités et les interdictions Si les incompatibilités résident dans l’impossibilité de cumuler certaines activités, les interdictions se présentent sous forme de prohibition de certains actes, le plus souvent entre le dirigeant social et l’entreprise quoiqu’elles s’étendent aux commissaires aux comptes dans certains cas, comme nous allons voir ci-après. Il convient de faire un traitement individuel de chacune des deux notions.

Paragraphe 1 : les incompatibilités L’incompatibilité comme notion juridique, est un instrument qui bloque l’accès par une personne à un droit, de crainte que celle-ci en fasse mauvais usage pour des raisons données. En droit des sociétés, l’incompatibilité désigne l’impossibilité légale d’exercer simultanément certaines fonctions8. En ce sens, le droit marocain des sociétés édicte des incompatibilités empêchant le cumul de fonctions à l’intérieur d’une même société. Ces incompatibilités sont considérées par les auteurs comme relatives parce qu’elles touchent la situation d’un membre d’une société vis-à-vis d’un autre membre de cette même société 9. C’est le cas de l’incompatibilité existant entre les fonctions de dirigeant d’une société anonyme et de commissaire aux comptes. Elle est étendue aux autres types de sociétés commerciales par les articles 13, 34 et 83 de la loi n° 5-96. Cependant, les renvois effectués par ces dispositions ne tiennent pas compte de l’organisation et du fonctionnement spécifiques aux sociétés commerciales autres que la société anonyme. Il n’est nullement fait allusion au gérant d’une société en nom collectif, d’une société en commandite simple ou par action ou d’une SARL. Par conséquent, et dans la mesure où les règles d’incompatibilités sont sujettes à une interprétation étroite et excluant de ce fait le raisonnement par analogie, les indésirables pourront passer à travers les mailles du filet dressé par le législateur. S’agissant donc de l’incompatibilité frappant les commissaires aux comptes, il existe deux types : une incompatibilité générale et des incompatibilités spécifiques.

8 9

M.Cozian , A.Viandier, F.Deboissy « droit des sociétés », LexisNexis 2015 , 28eme édition, page 143. Ibid. page 144.

Pour ce qui est des incompatibilités générales, elles découlent des dispositions de l’article 161 de la loi 17-95 interdisant notamment de désigner comme commissaire aux comptes : - les fondateurs, apporteurs en nature, bénéficiaires d’avantages particuliers ainsi que les administrateurs, les membres du conseil de surveillance ou du directoire de la société ou de l’une de ses filiales ; - ceux qui reçoivent des personnes susvisées une rémunération quelconque à raison de sa prestation susceptible de porter atteinte à leur indépendance ou assurent pour la société ou pour ses filiales des fonctions susceptibles de les placer dans la position d’avoir à se prononcer sur des documents, des évaluations ou des prises de positions qu’ils auraient contribuer à élaborer ou de les mettre en situation de représentation de la société ou de ses filiales ainsi que le recrutement du personnel ; - les sociétés d’experts comptables dont l’un des associés se trouve dans l’une des situations prévues aux paragraphes précédents, ainsi que l’expert-comptable associé dans une société d’experts comptables lorsque celle-ci se trouve dans l’une desdites situations. Par ailleurs, ne peuvent devenir commissaires aux comptes d’une même société, deux ou plusieurs experts comptables qui font partie à quelque titre que ce soit de la même société d’experts comptables ou d’un même cabinet.

Pour ce qui est des incompatibilités spécifiques : elles sont réfléchies dans un souci d’éviter au commissaire aux comptes de se retrouver dans des situations de conflit d’intérêts pouvant porter atteinte à son indépendance, intégrité et impartialité dans l’exercice de sa mission de contrôle, le législateur marocain va au-delà des incompatibilités générale étudiées plus haut, et consacre une autre série d’interdictions. Ces dernières, qualifiées d’incompatibilités temporaires, résultent, au Maroc, des dispositions de l’article 16210 de la loi 17-95 sur la SA. Ces deux législations interdisent l’admissibilité d’anciens commissaires aux comptes aux fonctions de dirigeants des sociétés anciennement contrôlées par eux, et inversement à l’encontre d’anciens dirigeants sociaux appelés à exercer les missions de commissariat aux comptes dans les sociétés qu’ils dirigeaient auparavant. Le passage immédiat de l’une à l’autre de ces fonctions constitue un cas d’incompatibilité. Toutefois, la loi impose l’écoulement d’un délai minimum de cinq ans pour mettre fin à l’incompatibilité. En revanche, rien n’empêche le commissaire 10

Article 162 de la loi 17-95 : Les commissaires aux comptes ne peuvent être désignés comme administrateurs, directeurs généraux ou membres du directoire des sociétés qu'ils contrôlent qu'après un délai minimum de 5 ans à compter de la fin de leurs fonctions. Ils ne peuvent, dans ce même délai, exercer lesdites fonctions dans une société détenant 10 % ou plus du capital de la société dont ils contrôlent les comptes. Les personnes ayant été administrateurs, directeurs généraux, membres du directoire d'une société anonyme ne peuvent être désignées commissaires aux comptes de cette société dans les cinq années au moins après la cessation de leurs fonctions. Elles ne peuvent, dans ce même délai, être désignées commissaires aux comptes dans les sociétés détenant 10 % ou plus du capital de la société dans laquelle elles exerçaient lesdites fonctions.

aux comptes de devenir immédiatement salarié à la fin de ses fonctions puisque aucune disposition légale ou réglementaire ne l’interdit.

Il existe par ailleurs des incompatibilités entre les fonctions de membre du directoire et de membre du conseil de surveillance d’une S.A. : aucun membre du conseil de surveillance ne peut faire partie du directoire ou être directeur général unique, car on ne peut attribuer à une même personne la qualité de surveillant et de surveillé. Mais la loi ne s’oppose pas à ce qu’un membre du conseil de surveillance démissionne pour être nommé au directoire. Cette solution peut même présenter l’avantage d’assurer la continuité de la direction en faisant entrer au directoire une personne qui connaît déjà les affaires de la société. En outre, la loi a également institué des incompatibilités analogues touchant les intéressés qui ont occupé antérieurement des fonctions dans la société : aux termes de l’article 162 de la loi relative aux S.A., le ou les commissaires aux comptes ne peuvent, dans un délai de 5 ans à compter de la date de la cessation de leurs fonctions, être nommés administrateurs, directeurs généraux ou membres du directoire des sociétés qu’ils contrôlent ou des sociétés détenant 10% ou plus du capital de cette société. Mais il faut relever la contradiction flagrante qui existe entre ce texte et celui régissant la profession d’expert-comptable qui institue une incompatibilité entre le statut d’expert-comptable et le mandat de dirigeant d’une société commerciale, hormis le cas d’une société d’experts comptables et celui où l’expert-comptable est radié du tableau de l’ordre professionnel. Notons par ailleurs que la violation des règles d’incompatibilités entraîne toujours une sanction. Celle-ci est la plupart du temps disciplinaire, voire pénale. Elle n’entraînera pas toujours la nullité des actes accomplis, comme en matière d’incapacités. Par conséquent, celui qui a pris la qualité d’associé ou de dirigeant alors qu’il lui était « interdit » de le faire la conserve et ne peut invoquer sa propre faute pour se soustraire aux obligations et aux responsabilités qui en sont le résultat. Enfin, soulignons que les incompatibilités sont des exceptions. En effet, parce qu’elles sont graves et attentatoires aux attributs de la personne, les incompatibilités sont exceptionnelles. Il s’ensuit qu’elles doivent toujours résulter d’un texte ou de dispositions statutaires et que l’interprétation de ces textes doit être étroite. Ainsi, comme en matière pénale, le raisonnement par analogie n’est pas permis car il s’agit d’une atteinte à la liberté des individus. Ainsi, en érigeant ces incompatibilités, le législateur marocain vise à prévenir toute situation de cumul de mandat et tout lien affectif ou financier pouvant compromettre la loyauté, l’impartialité et l’exigence de défense de l’intérêt commun qui s’impose

aux dirigeants sociaux et aux associés bénéficiaires d’avantages particuliers dans la société. Les incompatibilités visent donc à empêcher la réalisation des conflits d’intérêts. Ces incompatibilités sont assorties d’un certain nombre d’interdictions qui renforcent cette fonction préventive.

Paragraphe 2 : les interdictions Si les incompatibilités interdisent à certaines personnes d’exercer la fonction de gestion lorsqu’elles présentent un risque d’impartialité, les interdictions objet du présent paragraphe interdisent l’accomplissement de certains actes, car préjudiciables pour la société. Il s’agit plus précisément des conventions dites interdites, qui sont des actes d’emprunt accordé par la société à un dirigeant ou à une personne liée, et qui ne peuvent en aucun cas avoir lieu sous peine de lourdes sanctions, en raison de leur caractère abject et contradictoire avec l’intérêt social. Ainsi, en droit marocain des sociétés et conformément aux dispositions de la loi 1795 sur les SA, il est interdit aux administrateurs autres que les personnes morales, aux directeurs généraux, aux représentants permanents des personnes morales administrateurs ainsi qu’aux conjoints et aux ascendants de contracter des emprunts auprès de la société anonyme sous peine de la nullité du contrat conformément à l’article 62 de la loi précitée11.

Concrètement parlant, il est interdit pour les personnes énumérées au même article : 

de contracter des emprunts sous n'importe quelle forme auprès de la société;



de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement ;



de se faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers.

Toutefois, si la société exploite un établissement bancaire ou financier, cette interdiction ne s'applique pas aux opérations courantes de ce commerce conclues à des conditions normales. Comme s’il s’agissait d’une banque accordant un crédit à un membre de son conseil d’administration, agissant en tant que simple client. Ces 11

Article 62 de la loi 17-95 consolidée relative aux sociétés anonymes : « A peine de nullité du contrat, il est interdit aux administrateurs autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de l'une de ses filiales ou d'une autre société qu'elle contrôle…, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers. Toutefois, si la société exploite un établissement bancaire ou financier, cette interdiction ne s'applique pas aux opérations courantes de ce commerce conclues à des conditions normales. La même interdiction s'applique aux directeurs généraux, aux directeurs généraux délégués, aux représentants permanents des personnes morales administrateurs et aux commissaires aux comptes ; elle s'applique également aux conjoints et aux ascendants et descendants jusqu'au 2e degré inclus des personnes visées au présent article ainsi qu'à toute personne interposée. »

opérations sont soumises donc aux mêmes critères que ceux retenus pour déterminer l'existence d'une convention libre. Dans la SA, l'interdiction n'est pas non plus applicable si l'administrateur est une personne morale. Une société mère peut donc emprunter à sa filiale et réciproquement, à moins que l'une d'entre elles n'agisse en fait que comme personne interposée sans bénéficier réellement du prêt ou de la garantie. Dans les SA, les emprunts, découverts, avals ou garanties irrégulièrement contractés sont sanctionnés d'une nullité. Celle-ci étant d'ordre public, les conventions ne peuvent pas être couvertes par un acte confirmatif, car contrairement aux conventions dites réglementées, que nous allons étudier plus tard, il y a possibilité de préserver la validité de la convention même si celle-ci a été faite contrairement à la loi. La nullité peut alors être invoquée non seulement par les associés mais aussi par les tiers et les créanciers sociaux lésés si ceux-ci peuvent justifier d'un intérêt légitime à agir. Dans tous les cas, la société ne peut pas renoncer à exercer l'action en nullité. Par ailleurs, en cas de jugement, la nullité peut être soulevée d'office par le tribunal. Concernant les tiers, la société peut leur opposer cette nullité mais uniquement lorsqu'ils sont de mauvaise foi12. Pour déterminer celle-ci, il faut s'attacher à leur éventuelle connaissance de l'existence de la convention interdite sans laquelle le dirigeant n'aurait pas contracté. Par ailleurs, interdiction est également faite aux dirigeants, directeurs généraux d’une société anonyme, leurs conjoints, ainsi que leurs enfants mineurs non émancipés, de détenir des actions à dividende prioritaire13. L’action à dividende prioritaire donne l’assurance à son détenteur de recevoir un dividende si un bénéfice est réalisé par l’entreprise par priorité sur les autres actionnaires. De plus, le montant de ce dividende est plus important que pour une action classique ou ordinaire. Il est également interdit aux administrateurs et aux personnes qui sont au service de la société débitrice et des sociétés garantes de l’emprunt d’être désignés comme représentants de la masse, afin de préserver les droits des parties prenantes, notamment les créanciers14. C’est ainsi que ces actes, qui sont des situations où le conflit d’intérêt est manifeste et constitue un énorme risque de dommage économique pour la société, sont formellement interdits et sanctionnés d’abord par la nullité absolue de l’opération, ensuite par des sanctions civiles contre les personnes concernées tendant à réparer 12

Article 347 de la loi 17-95 : « Ni la société, ni les actionnaires ne peuvent se prévaloir d'une nullité à l'égard des tiers de bonne foi. » 13 Article 268 de la loi 17-95 consolidée relative aux sociétés anonymes : « Les membres du conseil d'administration, du directoire ou du conseil de surveillance, les directeurs généraux d'une société anonyme et leurs conjoints, ainsi que leurs enfants mineurs non émancipés ne peuvent détenir, sous quelque forme que ce soit, des actions à dividende prioritaire sans droit de vote émises par cette société » 14 Article 301 de la loi 17-95 consolidée relative aux sociétés anonymes.

le dommage subi par la société, et éventuellement des sanctions pénales tendant à réprimer de tels actes, comme nous allons voir en 2eme partie. Par ailleurs, les incompatibilités et les interdictions sus-évoquées, bien qu’elles soient d’un grand intérêt en matière de prévention des conflits d’intérêts, ne suffisent pas à les juguler. C’est pour cette raison que les lois sur les sociétés commerciales soumettent les dirigeants sociaux et les actionnaires ou associés à une obligation de transparence. Car seule la transparence sur les situations de conflit d’intérêts permet de combattre ces derniers de manière efficace. La transparence et l’information des actionnaires se trouvent au cœur de la prévention des conflits d’intérêts. Transparence et information reposent sur un arbitrage dans les conflits d’intérêts pouvant naître tout au long de la vie sociale et entraver le bon fonctionnement de la société. L’un des moyens mis en œuvre par le droit des sociétés en faveur de la transparence est l’obligation de révélation des situations de conflits d’intérêts.

Section 2 : Les règles de transparence Il va sans dire que la révélation précoce de la situation de conflit d’intérêts est la clé de sa résolution, car elle permet de dévoiler aux intéressés le risque suscité par ladite situation et les invite par la même à intervenir s’il y a lieu. En droit marocain, nous trouvons certaines dispositions relevant du droit des contrats, qui incitent à la révélation de ce genre de situation, en l’occurrence l’obligation de loyauté (1), comme nous trouvons d’autres dispositions relevant du droit des sociétés (2).

Paragraphe 1 : L’obligation de loyauté découlant du principe de la bonne foi contractuelle En droit des sociétés marocain, rares sont les dispositions légales expresses prescrivant aux dirigeants ou aux actionnaires l’obligation de révéler les conflits d’intérêts qui les toucheraient. Néanmoins, le droit des contrats prévoit une obligation de bonne foi à la charge des cocontractants en vertu de l’article 231 15 du DOC. Or, le dirigeant comme l’actionnaire ou l’associé, étant partie au contrat de société, cela implique qu’ils sont soumis à cette obligation. Dans cette optique, la doctrine a érigé une obligation dite de loyauté du dirigeant et de l’actionnaire envers la société comme envers le restant des actionnaires, qui n’est autre que l’obligation de bonne foi traduite au droit des sociétés. 15

Article 231 du DOC: Tout engagement doit être exécuté de bonne foi et oblige, non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que la loi, l'usage ou l'équité donnent à l'obligation d'après sa nature.

C’est ainsi que, si en droit des contrats, en vertu du principe de la bonne foi, le cocontractant est tenu à un minimum de transparence par la divulgation des informations nécessaires à la partie opposée pour qu’elle ait une idée éclairée de ce à quoi elle s’oblige, il en est de même en droit des sociétés, en vertu du devoir de loyauté, qui incombe au dirigeant comme à l’actionnaire. C’est pourquoi, dans les sociétés commerciales, la communication de l’information est un impératif fondé sur la communauté d’intérêts des associés. Partageant tous le risque social, chacun des associés en est conscient et est tenu par conséquence de partager toute information utile en l’occurrence avec les membres de l’organe délibérant (conseil d’administration ou assemblée générale d’actionnaires). Ceci s’impose davantage lorsqu’un dirigeant ou un actionnaire se retrouve dans une situation de conflit d’intérêts et que son intérêt propre s’oppose à l’intérêt de la société : s’il privilégie le second, il subit un manque à gagner ; s’il favorise le premier, la société subit une perte, idem pour les actionnaires. C’est pourquoi la révélation de ce conflit d’intérêts est nécessaire. La transparence et l’obligation de déclaration du conflit d’intérêts doivent s’imposer, qu’il s’agisse d’un dirigeant ou d’un actionnaire16 qui exerce une influence déterminante, car il peut imposer ou empêcher une décision. Par conséquent, s’il exerce son influence dans son intérêt personnel opposé à l’intérêt de la société, il lui causera préjudice. Alors, l’exigence de révélation du conflit d’intérêts devient absolue et se mesure à hauteur de l’impact qu’elle produit. Le dirigeant en particulier a le devoir de révéler aux actionnaires le conflit d’intérêts qui le concerne parce qu’il a la mission de représenter leurs intérêts, car il ne peut se taire sans trahir son mandat et violer son devoir de loyauté envers eux. C’est ainsi que s’il trahit ce devoir de loyauté, on peut admettre qu’il risque de s’exposer à une action en responsabilité contractuelle en raison du mandat qui le lie aux actionnaires. Mais en tout état de cause, il y a lieu d’engager sa responsabilité délictuelle comme nous allons voire dans le chapitre relatif à la sanction civile en seconde partie.

Paragraphe 2 : L’obligation de révélation découlant de la loi sur la société anonyme Les seules modalités de révélation qui figurent en droit marocain des sociétés concernent le bénéficiaire d’avantages particuliers, le cumul de mandats de dirigeant social et les conventions réglementées. Il convient de les analyser distinctement pour en souligner l’importance et les limites. 16

Qui détient par exemple en assemblée une majorité de voix ou une minorité de blocage.

D’abord, s’agissant des avantages particuliers entendus comme un droit préférentiel sur les bénéfices ou sur le boni de liquidation 17, lorsqu’un associé est bénéficiaire de ce droit, il doit en informer ses coassociés pour que ceux-ci puissent décider en connaissance de cause. À cette fin les dispositions de la loi 17-95 organisent des procédures destinées à révéler le nom du bénéficiaire ainsi que la nature et l’importance de l’avantage à consentir : lorsque l’avantage est consenti lors de la constitution de la société, un commissaire aux apports ou un commissaire aux comptes procède à son appréciation dans un rapport porté à la connaissance des actionnaires et annexé aux statuts de la société18. Ces dispositions sont aussi applicables aux avantages particuliers stipulés en cours de vie sociale à l’occasion de certaines opérations. Dans tous les cas, l’intérêt personnel que l’avantage particulier doit satisfaire est clairement révélé. En principe, l’identité des bénéficiaires et la nature des avantages doivent être mentionnées dans les statuts. Ensuite, s’agissant du cumul de mandats de dirigeant social, les risques de conflit d’intérêts surgissent lorsqu’une même personne occupe des fonctions de direction, d’administration ou de surveillance dans d’autres sociétés. Il importe que cette personne, avant d’accepter de telles fonctions au sein d’une société, l’intéressé doit en informer les actionnaires. L’article 141-3 de la loi 17-95 prévoit que tout actionnaire a le droit de prendre connaissance au siège social, avant la réunion de l’assemblée, lorsque l’ordre du jour comporte la nomination des membres du conseil d’administration, du conseil de surveillance et du directoire, la liste des candidats, ainsi que, le cas échéant, des renseignements sur les candidats à ces organes. Toutefois, la loi marocaine ne précise pas la nature des renseignements à fournir contrairement à la loi française : « Lorsque l’ordre du jour de l’assemblée générale porte sur la présentation de candidats au poste d’administrateur ou d’administrateur général, selon le cas, il doit être fait mention de leur identité, de leurs références 17

Il s’agit des actions dites de préférence qui offrent aux actionnaires qui les possèdent des avantages tels:

    18

Un droit à un dividende prioritaire, c’est à dire qui échappe aux règles de mise en reserve Un droit pour un dividende d’un montant supérieur à celui des actions ordinaires Un droit privilégié au boni de liquidation Un droit prioritaire en cas de rachat

Selon l’art. 24 de la loi 17-95: « Les statuts contiennent la description et l’évaluation des apports en nature. Il y est procédé au vu d'un rapport annexé aux statuts et établi sous leur responsabilité par un ou plusieurs commissaires aux apports désignés par les fondateurs. Si des avantages particuliers sont stipulés au profit de personnes associées ou non, la même procédure est suivie. Au sens de la présente loi, on entend par avantage particulier un droit préférentiel sur les bénéfices et le boni de liquidation. Ces apports en nature et avantages particuliers peuvent également faire l'objet d'un acte séparé mais faisant corps avec les statuts et signé dans les mêmes conditions ».

professionnelles, de leurs activités professionnelles et de leurs mandats sociaux au cours des cinq dernières années ». Ces renseignements permettent de déceler les liens d’intérêts susceptibles de nourrir un conflit avec les intérêts et devoirs des mandataires sociaux. Enfin, s’agissant des conventions réglementées19, le droit marocain prévoit un arsenal de mesures qui préviennent que celles-ci soient préjudiciables à la société. En effet, constituant une situation de conflit d’intérêt par excellence, puisque l’intéressé est tiraillé dans ce genre d’actes entre son propre intérêt et l’intérêt de la société, la loi intervient d’abord pour imposer que ces actes soient portés à la connaissance des dirigeants comme des actionnaires non impliqués, et ensuite pour que ceux-ci exercent un certain contrôle pour se prémunir de tout éventuel préjudice. Ainsi, la loi contraint les dirigeants sociaux et les actionnaires intéressés à la transparence et à la révélation des conventions qu’ils concluent avec la société, et oblige l’administrateur, le directeur général, le directeur général délégué ou l’actionnaire intéressé d’informer le conseil dès qu’il a eu connaissance d’une convention règlementée soumise à la procédure d’autorisation 20. La loi française se montre encore plus précise sur cette question et oblige même l’intéressé « d’indiquer, en particulier, sa situation et son intérêt personnel au regard de ladite convention, en précisant ses participations, son rôle et ses liens personnels avec les autres parties à la convention et la mesure dans laquelle il pourrait en tirer un avantage personnel ». Il est important de noter qu’avant la réforme de la loi 17-95, les conventions qui devaient être révélées étaient limitées aux hypothèses d’un administrateur ou directeur général qui conclut avec la société une opération dans laquelle il a un intérêt, direct ou indirect. Or, les risques de conflits d’intérêts ne se situent pas seulement au niveau des administrateurs et directeurs généraux de la société, mais aussi au niveau des directeurs généraux délégués ou l’un des actionnaires détenant plus de 5 % du capital ou des droits de vote, sans oublier les conventions dans lesquelles un actionnaire traite avec la société par une personne interposée physique ou morale. La réforme de la loi 17-95 est venue pallier cette carence en élargissant 19

Contrat dont les parties sont l’entreprise et son dirigeant ou un de ses actionnaires ; dans ce contrat le dirigeant agit comme représentant légal de l’entreprise mais également en tant que son cocontractant ce qui peut être synonyme de conflit d’intérêts ; exemple : cession d’un terrain appartenant à un dirigeant social en faveur de la société dont il est membre de son conseil d’administration, en tant que propriétaire du terrain il est censé le céder au prix le plus haut, alors qu’en tant que dirigeant social il est censé offrir le prix le plus bas. Autres exemples : octroi de primes, avantages sociaux au dirigeant… 20 L’article 56 de la loi 17-95 qui dispose : « Toute convention intervenant entre une société anonyme et l’un de ses administrateurs ou directeurs généraux ou directeurs généraux délégués ou l’un de ses actionnaires détenant, directement ou indirectement, plus de cinq pour cent du capital ou des droits de vote doit être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration. Il en est de même des conventions auxquelles une des personnes visées à l'alinéa précédent est indirectement intéressée ou dans lesquelles elle traite avec la société par personne interposée. Sont également soumises à autorisation préalable du conseil d'administration, les conventions intervenant entre une société anonyme et une entreprise, si l'un des administrateurs, directeurs généraux ou directeurs généraux délégués de la société est propriétaire, associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur ou directeur général de l'entreprise ou membre de son directoire ou de son conseil de surveillance ». S’agissant d’une SA à directoire et Conseil de surveillance ce sont les articles 95 et 97 combinés qui s’appliquent.

le champ d’application des conventions réglementées requérant une autorisation préalable. En outre, une autre réforme du régime juridique marocain des conventions règlementées est intervenue pour combler les insuffisances de la loi en vigueur. La principale innovation de cette loi vise à clarifier les conventions conclues à des conditions «exceptionnelles», c’est-à-dire les conventions portant sur des opérations courantes conclues à des conditions normales de marché. Ainsi, certaines conventions entrant normalement dans le champ d’application des conventions réglementées n’auront pas à faire l’objet d’une autorisation préalable car elles portent sur des opérations courantes conclues à des conditions normales du marché21. En effet, Selon l’ancienne rédaction des articles 56 et 57 de la loi 17-95 relatives aux SA, il revenait à l’administrateur, au directeur général, ou au directeur général délégué concernés d’apprécier que la convention n’a pas à être soumise à autorisation. Le commissaire aux comptes devait donc s’assurer qu’il n’y a pas eu omission ou dissimulation volontaire d’opérations qui ne sont pas courantes (art. 61). Outre les contrôles étendus que devait opérer un commissaire aux comptes, il devait obtenir une lettre d’affirmation par laquelle le conseil d’administration ou le conseil de surveillance, selon le cas, confirmait que toutes les conventions susceptibles d’être visées par les dispositions légales ont été portées à sa connaissance dans les délais requis. Désormais, la réforme introduite de la loi 17-95 permet de garantir plus de transparence et de vérifier que l’intérêt social n’est pas sacrifié au profit d’un autre intérêt personnel d’un dirigeant ou d’un actionnaire. Pour cela les articles 57 et 96 imposent la communication, par l’intéressé, au président du conseil d’administration ou au président du conseil de surveillance, aux membres du conseil d’administration ou de surveillance et aux commissaires aux comptes, la liste comprenant l’objet et les conditions desdites conventions et ce, dans les 60 jours qui suivent la clôture de l’exercice social, afin de permettre à toutes ces personnes de consulter ces conventions au siège social de la société conformément à l’article 141 de la loi 17-95. Cette nouvelle mesure est de nature à assurer une meilleure traçabilité à la fois comptable et juridique de l’ensemble des conventions dites libres. Car tout actionnaire a en effet le droit d’obtenir communication de la liste et de l’objet des conventions qui ont été passées par les dirigeants sociaux. Il s’agit néanmoins simplement d’une information, car aucune exigence d’approbation n’est requise 22. Par ailleurs, le législateur marocain n’ayant pas précisé si la liste de ces conventions « libres » devra être incluse dans le rapport spécial annuel du commissaire aux 21 22

Op.Cit. K.Awoki. page 57. Op.Cit. K.Awoki, page 58.

comptes, il faudra, pour le savoir, attendre le décret qui fixera le contenu du rapport spécial selon les dispositions de l’article 97 de la loi 78-12 23.

23

Ibid.

Chapitre 2 : le contrôle des conflits d’intérêts

Le contrôle des sociétés s’opère de deux façons. D’abord, il intervient à travers à une vérification minutieuse de l’état des comptes sociaux pour s’assurer de leur régularité et de leur sincérité. Ensuite, le contrôle se manifeste par la surveillance exercée à l’égard des détenteurs du pouvoir de gestion ou de direction. En effet, dans l’un et dans l’autre cas, le contrôle est un mécanisme clé qui permet la détection et la prévention des conflits d’intérêts dans les sociétés anonymes. En effet, dans la SA, les leviers de contrôle, qui constituent des moyens d’investigation et de requête d’information mis à la disposition des actionnaires ou de certains administrateurs24, peuvent également avoir pour effet, même si ce n’est pas 24

Les membres du conseil de surveillance

nécessairement la finalité directe qui leur est assignée par la loi, de révéler des situations de conflit d’intérêts. Idem pour le contrôle exercé par le commissaire aux comptes. Nous proposons justement d’étudier dans le cadre de ce chapitre, le mécanisme de contrôle qui peut être exercé par des organes internes (section 1) ou externes (section 2).

Section 1 : le contrôle interne La SA ainsi que la SARL mais à une moindre mesure, sont des structures organisées qui empruntent aux démocraties des principes tel la séparation des pouvoirs, c’est pourquoi il existe une séparation des organes de direction des organes de contrôle. Cette séparation de pouvoirs instaurée par le législateur répond aux exigences de la bonne gouvernance et vise à consacrer un certain équilibre de forces pour un meilleur fonctionnement interne25. Ainsi, les mandataires sociaux (Conseil d’administration, le directoire selon le cas) assurent la direction alors que l’assemblée générale des actionnaires, et les membres de conseil de surveillance assure le contrôle. Dans cette perspective, le législateur a dévolu à ces organes de contrôle des outils juridiques afin d’exercer pleinement ladite fonction de contrôle. Nous allons retenir uniquement ceux qui s’inscrivent dans notre contexte c’est-à-dire ceux qui permettent la détection et la prévention des situations de conflits d’intérêts, à savoir le droit d’information et de communication et l’expertise de gestion.

Paragraphe 1 : le contrôle par l’information des actionnaires

L’assemblée générale des actionnaires est l’organe souverain de la société, car ce sont les actionnaires qui sont à l’origine de sa création. Il donc est censé être doté de pouvoirs étendus pour s’assurer de sa bonne marche et ce à travers son contrôle. Ledit contrôle ne peut s’opérer que si l’actionnaire est en mesure d’accéder à l’information économique, sociale et financière concernant la société, pour qu’il puisse intervenir en cas de dysfonctionnement en toute connaissance de cause.

25

Op.cit. K.Awoki. page 135.

A ce propos, le titre 5 de la loi 17-95 est dédié à l’information de l’actionnaire et prévoit un ensemble de mécanismes qui favorisent son accès à l’information :

A : Un droit d’information ponctuel qui s’exerce par l’actionnaire à l’occasion de la tenue des assemblées, et qui est porté par l’article 141 qui dispose en substance que « A compter de la convocation de l'assemblée générale ordinaire annuelle et au moins pendant les quinze jours qui précèdent la date de la réunion, tout actionnaire a droit de prendre connaissance au siège social, entre autres : -Le rapport de gestion26 du conseil d'administration ou du directoire soumis à l'assemblée, ainsi que, le cas échéant, des observations du conseil de surveillance ; -l'inventaire, des états de synthèse de l'exercice écoulé, arrêtés par le conseil d'administration ou le directoire, ainsi que, le cas échéant, des observations du conseil de surveillance ; -Le rapport du ou des commissaires aux comptes soumis à l'assemblée et du rapport spécial ; -La liste des conventions réglementées et le rapport du commissaire aux comptes les concernant Remarquons à ce propos que ces documents sociaux sont ceux qui sont les plus révélateurs des dysfonctionnements dans la gestion dont peut souffrir la société, notamment les actes ou les situations relevant d’un conflit d’intérêt, d’où leur importance quant à la détection de ces situations.

B : Un droit à l’information permanent porté par l’article 146 de la même loi et qui dispose en substance que tout actionnaire a droit, à toute époque, d'obtenir communication des documents sociaux énumérés à l’article 141 précité et concernant les trois derniers exercices ainsi que des procès-verbaux et feuilles de présence des assemblées générales tenues au cours de ces exercices.

26

Selon l’Article 142 de la loi 17-95: Le rapport de gestion du conseil d'administration ou du directoire doit contenir tous les éléments d'information utiles aux actionnaires pour leur permettre d'apprécier l'activité de la société au cours de l'exercice écoulé, les opérations réalisées, les difficultés rencontrées, les résultats obtenus, la formation du résultat distribuable, la proposition d'affectation dudit résultat, la situation financière de la société et ses perspectives d'avenir… »

Nous regrettons toutefois que le législateur marocain n’ait pas implémenté la possibilité de poser des questions écrites aux dirigeants comme c’est le cas pour la SARL27 ou pour la SA en droit français28. Mais là également, des documents sociaux dont l’actionnaire a un droit de regard peuvent révéler des indices sur des situations probables de conflits d’intérêts et lui permettre d’agir en conséquence pour les faire cesser. Outre le fait que si le dirigeant social lui refuse ce droit, il peut y être contraint par décision judiciaire sous peine d’astreinte sur chaque jour de retard. Car selon l’art. 148 de la loi 17-95, l’actionnaire peut recourir à ce moyen lorsque la société refuse en totalité ou en partie la communication de documents utiles à son information avant la tenue de l’assemblée générale. L’actionnaire auquel ce refus a été opposé peut demander au président du tribunal, statuant en référé, d’ordonner à la société, sous astreinte, de communiquer les documents dans les conditions prévues par la loi 17-95.

Paragraphe 2 : le contrôle par L’expertise de gestion

L’expertise de gestion est une procédure spéciale qui permet aux actionnaires d’avoir un pouvoir d’action assez fort pour obtenir des informations et contrôler le pouvoir du gérant. En effet, elle permet aux actionnaires de saisir le juge pour qu’il nomme un expert chargé de vérifier la régularité et conformité à l’objet social d’une ou plusieurs opérations29. Ce mécanisme puise son fondement de l’article 157 de la loi 17-95. Il donne le droit à un ou plusieurs actionnaires représentant au moins le dixième du capital social de demander au président du tribunal compétent, statuant en référé, la désignation d’un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion. L’expertise de gestion, même si elle constitue un moyen de contrôle réservé uniquement aux actionnaires minoritaires, n’en demeure pas moins utile pour détecter et prévenir d’éventuels conflits d’intérêts impliquant soit certains dirigeants sociaux soit les actionnaires majoritaires. L’expertise de gestion permet à ce propos de « renforcer le contrôle exercé par les associés, en leur permettant de se faire assister par un contrôleur tiers doté d’une expertise dont eux-mêmes ne disposent pas »30. 27

Article 81 de la loi 5-96: Tout associé non gérant peut, deux fois par exercice, poser par écrit des questions au gérant sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l'exploitation. La réponse du gérant est communiquée au ou aux commissaires aux comptes, le cas échéant. 28 L’Article L225-108 du code de commerce français permet à tout actionnaire de poser aux organes de direction préalablement à l’Assemblée Générale des questions écrites sur l’exercice écoulé et le texte impose aux dirigeants d’y répondre en vue de l’Assemblée Générale. Il bénéfice à tout actionnaire avant toute Assemblée Générale (ordinaire ou extraordinaire). 29 M. El Mernissi, « Traité marocain de droit des sociétés », LexisNexis, 2020, page : 402 30

Op.Cit. K.Awoki, page 170.

Toutefois, l’expertise ne pouvant porter que sur une ou plusieurs opérations de gestion, ce qui implique que l’actionnaire doit cibler de manière précise celles qui doivent être examinées. Sur ce point, la jurisprudence française exclut toute expertise portant sur l’ensemble de la gestion des dirigeants. La jurisprudence se fonde sur un critère organique pour qualifier l’acte de gestion : ne sont des opérations de gestion que les décisions prises par les organes dirigeants de la société, à l’exclusion des organes de contrôle et de l’assemblée générale. Ce critère reste néanmoins discuté pour certaines obligations complexes. Le contrôle exercé par l’expert de gestion porte donc sur le contrôle-direction, et uniquement sur celui-ci, tout en se limitant à des opérations ponctuelles . Ce qui nous invite à discuter les modalités de sa mise en œuvre. D’abord seuls les actionnaires qui détiennent au moins 10% du capital sont éligibles pour provoquer cette procédure. La qualité à agir quant à elle s’apprécie au jour de la demande de la procédure. Le juge peut malgré tout refuser l’expertise car selon la jurisprudence française: la demande doit être sérieuse et la raison légitime, car il faut que la demande soit fondée sur des présomptions d’irrégularités. Le demandeur doit établir que les opérations sont irrégulières et portent atteinte à leur intérêt social. A ce propos, l’appréciation de cette condition est extrêmement délicate et si le juge chargé de désigner l’expert doit certainement vérifier le bien-fondé de la demande, il ne doit pas se substituer à l’expert et contrôler le bien-fondé de l’opération litigieuse elle-même. Une distinction entre le contrôle de l’opportunité de l’expertise et l’appréciation de l’opération de gestion s’impose donc. Il appartient cependant aux juges du fond d’apprécier le caractère « sérieux » de la demande. Or, le sérieux de la demande est avéré si l’opération critiquée est susceptible de nuire à l’intérêt social. Il ne faut donc pas prouver une atteinte établie mais une simple éventualité d’atteinte à l’intérêt social. Ainsi, justifient la désignation d’un expert, des présomptions sérieuses d’irrégularités. À l’inverse, la demande n’est pas fondée si elle repose sur des griefs généraux, peu sérieux, relevant d’une politique de harcèlement vis-à-vis des dirigeants sociaux.

Pour ce qui est de la mission de l’expert, elle est décidée à travers l’ordonnance du juge des référés31. Rappelons en dernier lieu que le rapport d’expertise dressé par l’expert n’a d’autre finalité que d’informer les parties32, de la réalité des prétentions avancées par les 31

L’article 157 al.2 : S'il est fait droit à la demande, l'ordonnance de référé détermine l'étendue de la mission et les pouvoirs de l'expert, les représentants légaux de la société dûment appelés à l'audience. 32 L’article 157 al.4 : Ce rapport est adressé au demandeur, au conseil d'administration, ou au directoire, et au conseil de surveillance ainsi qu'aux commissaires aux comptes. Il doit être obligatoirement mis à la disposition des actionnaires en vue de la prochaine assemblée générale, en annexe au rapport du ou des commissaires aux

actionnaires. Ce qui veut dire que ceux-ci devront agir à postériori en vertu d’une action distincte afin de remédier à l’acte de gestion objet de l’expertise. Par rapport à notre sujet, si l’acte en question relève d’un conflit d’intérêt, il va être mis en exergue dans le rapport de l’expert et les actionnaires pourront intervenir pour redresser la situation. S’il s’avère par ailleurs que les actionnaires ont provoqué l’expertise uniquement pour nuire à l’image du dirigeant, celui-ci peut demander des dommages et intérêt sur le fondement de l’article 9433 du DOC. Mais en tout état de cause, les actionnaires supportent les frais de l’expertise s’il est établi qu’ils ont agi de mauvaise foi34. Ainsi se présentent les mécanismes de contrôle interne mis en place par le législateur pour permettre une meilleure emprise des actionnaires sur le pouvoir de gestion de leur société, et entre autres pour leur permettre de déceler les situations de conflits d’intérêts. Les actionnaires disposent dans ce sens de plusieurs moyens leur permettant de détecter et de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts qui seraient survenus dans la gestion courante de la société comme le droit à l’information, le droit de communication des documents sociaux, le droit de recourir à l’expertise de gestion et surtout le droit de vote qui leur permet d’approuver ou de désapprouver la gestion des dirigeants sociaux. Par ailleurs, l’intervention de l’assemblée des actionnaires pour contrôler les conventions à risques passées par un dirigeant social ou un actionnaire prépondérant avec la société est un moyen efficace de combattre les conflits d’intérêts qui prennent source dans les contrats suspects. Les associés sont en outre représentés par des mandataires sociaux (conseil d’administration et conseil de surveillance) qui sont des organes légaux ayant reçu la mission spéciale de contrôler la gestion de la direction générale ou du directoire. Ladite mission de contrôle étant dévolue également à un organe externe à savoir le commissaire aux comptes, nous allons lui consacrer la section suivante.

Section 2 : le contrôle externe par les commissaires aux comptes comptes. 33

Article 94 du DOC : Il n'y a pas lieu à responsabilité civile, lorsqu'une personne, sans intention de nuire, a fait ce qu'elle avait le droit de faire. Cependant, lorsque l'exercice de ce droit est de nature à causer un dommage notable à autrui et que ce dommage peut être évité ou supprimé, sans inconvénient grave pour l'ayant droit, il y a lieu à responsabilité civile, si on n'a pas fait ce qu'il fallait pour le prévenir ou pour le faire cesser . 34

L’article 157 al.3 : L'ordonnance de référé fixe également s'il y a lieu, les honoraires du ou des experts à titre provisionnel. Les honoraires ne seront payés qu'en fin de mission soit par la société, soit par les actionnaires demandeurs s'il se révèle que la demande d'expertise avait un caractère abusif et était faite dans le but de nuire à la société.

Les commissaires aux comptes sont investis d’une mission légale de surveillance et de contrôle des comptes sociaux des sociétés anonymes 35. Cette mission légale de contrôle est vitale car ils assurent un contrôle externe, professionnel et impartial, qui est censé remédier aux insuffisances du contrôle interne car celui-ci ne suffit pas pour garantir un niveau de transparence rassurant, surtout que les actionnaires sont dépourvus des outils techniques et les connaissances dont jouit le commissaire aux comptes pour que le contrôle qu’ils exercent soit suffisant. Le commissaire aux comptes peut dans ce sens jouer un rôle proéminent dans la détection des situations de conflit d’intérêts, car il est amené à divulguer toute irrégularité constatée dans le cadre de sa mission de contrôle, les situations de conflits d’intérêts y compris. Et même si le commissaire aux comptes est lui-même susceptible d’agir en conflit d’intérêt lorsqu’il ne respecte pas les règles d’incompatibilité ou s’abstient de remplir son devoir de dénonciation par connivence avec le dirigeant, il encourt des sanctions pénales très sévères 36 à effet dissuasif, ce qui limite considérablement ce risque. Nous proposons ainsi de mettre la lumière sur les taches remplies par le commissaire aux comptes, qui ont un rôle particulier dans la prévention en matière de conflits d’intérêt.

Paragraphe 1 : La vérification des comptes Les commissaires aux comptes ont pour mission fondamentale de veiller à ce que les comptes dressés par les dirigeants sociaux, soient réguliers et sincères, car ceuxci sont présentés aux actionnaires pour les informer sur la situation économique et financière de leur société37, car la moindre information fausse ou altérée risque d’influer sur l’idée que se fait l’actionnaire sur l’état de la société. D’une manière générale, le commissaire aux comptes à l’obligation légale de veiller au respect des principes ci-après : La régularité des comptes : Le commissaire aux comptes procède à la vérification de la conformité des comptes de la société aux principes et règles comptables définis par les textes réglementaires et la doctrine. Le commissaire doit s’assurer 35

Leur statut juridique obéit aux dispositions des articles 159 à 181 de la loi n° 17-95 relative aux SA telle qu’elle a été modifiée et complétée par la loi 20-05 notamment ses articles 164, 169 et 179, et aux prescriptions de la loi n° 15-89 du 8 janvier 1993 règlementant la profession d’expert-comptable et instituant un ordre des experts comptables. 36 Voir la faute professionnelle du commissaire aux comptes en partie 2. 37

Selon l’article 166 de la loi 17-95, de vérifier « la sincérité et la concordance, avec les états de synthèse, des informations données dans le rapport de gestion du conseil d’administration ou du directoire et dans les documents adressés aux actionnaires sur le patrimoine de la société, sa situation financière et ses résultats ».

dans ce sens que les comptes ont été dressés conformément aux dispositions de la législation applicable aux SA et du plan comptable général, complétées ou modifiées, le cas échéant, par les directives des plans comptables professionnels et les dispositions fiscales en vigueur. La sincérité : Le principe comptable de sincérité est l'application de bonne foi de ces règles et principes comptables. En effet, les règles et procédures sont appliquées avec sincérité afin de traduire la connaissance que les dirigeants responsables de l’établissement des comptes ont de la réalité dans les événements enregistrés.  Ce principe fait reposer sur les dirigeants de l’entreprise, c'est-à-dire les personnes les mieux renseignées et donc les plus capables d’avoir une vision globale de la situation de l’entreprise, la responsabilité de traduire la situation économique réelle de l’entreprise de manière loyale. L’image fidèle: le principe d’image fidèle suppose un devoir mis à la charge du responsable de l’établissement des documents sociaux de fournir loyalement toute l’information utile et pertinente pour permettre à des tiers d’avoir, à travers les états financiers, une perception exacte de la réalité économique de l’entreprise. L’image fidèle est, en quelque sorte, la meilleure traduction possible de la situation de l’entreprise.  « L’information fidèle est celle qui ne dénature pas la situation de l’entreprise, qui en donne une représentation cohérente et permet donc de bien mesurer les risques financiers courus par la société »38. Ainsi, le commissaire aux comptes à travers la réalisation de sa mission de vérification des comptes, à l’issue de laquelle il procède à leur certification 39, parvient tout naturellement à déceler tout manquement aux principes susmentionnés et procède de par son devoir à le divulguer dans son rapport. C’est ainsi que lorsque le manquement est dû à une situation de conflit d’intérêts, ladite situation est portée à la connaissance des actionnaires qui auront la chance d’agie en conséquence pour y remédier.

38 39

Op.Cit. K.Awoki, page 186.

La certification consiste pour le commissaire aux comptes à se prononcer sur la régularité et la sincérité des comptes car selon l’article 175 de la loi 17-95 qui énonce : « Dans leur rapport à l’assemblée générale, le ou les commissaires aux comptes : 1) soit certifient que les états de synthèse sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat de l’exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société à la fin de cet exercice ; 2) soit assortissent la certification de réserves ; 3) soit refusent la certification des comptes. Dans ces deux derniers cas, ils en précisent les motifs. Ils font également état dans ce rapport de leurs observations sur la sincérité et la concordance avec les états de synthèse, des informations données dans le rapport de gestion de l’exercice et dans les documents adressés aux actionnaires sur la situation financière de la société, ainsi que sur son patrimoine et ses résultats ».

Paragraphe 2 : Le contrôle du rapport de gestion La seconde mission du commissaire aux comptes, en dehors du contrôle et de la vérification des comptes annuels, consiste à contrôler le rapport de gestion, qui puise son fondement légal de l’article 166 de la loi 17-95 qui prescrit au commissaire aux comptes de vérifier également « la sincérité et la concordance, avec les états de synthèse, des informations données dans le rapport de gestion du conseil d’administration ou du directoire et dans les documents adressés aux actionnaires sur le patrimoine de la société, sa situation financière et ses résultats ». Cette mission du commissaire aux comptes présente un avantage certain en matière de détection et de prévention d’éventuels conflits d’intérêts, car pour mener efficacement cette tâche, il dispose d’un certain nombre de prérogatives qui lui sont garanties par la loi. Il peut, en effet, à toute époque de l’année, opérer toutes vérifications et tous contrôles qu’il juge opportun et peut se faire communiquer sur place toutes les pièces qu’il estime utiles à l’exercice de sa mission et notamment tous contrats, livres, documents comptables et registres de procès-verbaux 40. Le ou les commissaires aux comptes peuvent également recueillir toutes informations utiles à l’exercice de leur mission auprès des tiers qui ont accompli des opérations pour le compte de la société. Toutefois, ce droit d’information ne peut s’étendre à la communication des pièces, contrats et documents détenus par des tiers, à moins qu’ils n’y soient autorisés par le président du tribunal statuant en référé41. C’est ainsi que ses prérogatives élargies lui permettent d’avoir une image transparente sur la gestion de la société et de prendre connaissance de tout fait nuisible aux intérêts de la société, en l’occurrence les situations de conflits d’intérêts. Dans ce sens, le commissaire aux comptes est tenu de dévoiler ce genre de situation et ce en vertu de l’article 169 qui dispose que : «  le commissaire aux comptes portent à la connaissance du conseil d'administration ou du directoire et du conseil de surveillance, aussi souvent que nécessaire : … 3) les irrégularités et inexactitudes qu'ils auraient découvertes ; … 5) tous faits leur apparaissant délictueux dont ils ont eu connaissance dans l'exercice de leur mission. » A ce propos, il est regrettable que le droit marocain des sociétés anonymes ne prévoit pas de prérogative de dénonciation faite à la justice surtout en cas de détection de faits délictueux contrairement au droit comparé où on trouve par exemple cette prérogative en droit français42. 40 41

Article 167 de la loi 17-95 premier alinéa Article 167 de la loi 17-95 dernier alinéa

Cela-étant, le commissaire aux comptes est tenu néanmoins de porter à la connaissance de l’assemblée des actionnaires les irrégularités contenues dans le rapport de gestion et ce en vertu du dernier alinéa de l’article 175 : « Ils font également état dans ce rapport de leurs observations sur la sincérité et la concordance avec les états de synthèse, des informations données dans le rapport de gestion de l'exercice et dans les documents adressés aux actionnaires sur la situation financière de la société, ainsi que sur son patrimoine et ses résultats. » Ce qui permet aux actionnaires de prendre connaissance, à travers le rapport du commissaire aux comptes, de tout acte suspect pouvant relever d’un conflit d’intérêt.

Le contrôle externe consiste ainsi pour l’essentiel, à contrôler et la vérifier des comptes annuels et surtout à les certifier, de telle sorte que ceux-ci puissent donner une image fidèle et sincère de la situation financière et du patrimoine de la société. Cette mission que remplit le commissaire au compte ne peut être réussie sans un certain nombre de pouvoirs consacrés en sa faveur par le législateur et surtout sans une certaine indépendance exigée par le législateur vis-à-vis de la société contrôlée et de ses dirigeants. En matière de détection et de prévention des conflits d’intérêts, nous avons vu que le commissaire aux comptes joue un rôle primordial, puisqu’il est tenu d’informer les dirigeants sociaux et les actionnaires sur les résultats de sa mission de contrôle et de vérification des comptes annuels. Il a également l’obligation de révéler aux organes de direction et aux actionnaires les irrégularités et inexactitudes qu’il aurait constatées, de dénoncer les faits délictueux dont il a eu connaissance dans le cadre de sa mission, et enfin de contrôler l’égalité entre les actionnaires. Il est évident que le commissaire aux comptes, eu égard à l’importance de sa mission qu’il assume en toute indépendance, est incontournable quand il est question de garantir la fiabilité des informations comptables et financières données par les responsables sociaux.

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L'article L. 823-12, al. 2 du code de commerce français « Ils révèlent au procureur de la République les faits délictueux dont ils ont eu connaissance, sans que leur responsabilité puisse être engagée par cette révélation. »

Partie 2 : Les outils de répression en matière des conflits d’intérêts Les mandataires sociaux et les actionnaires prennent souvent des décisions collectives. Ces décisions doivent répondre à l’intérêt de la collectivité des actionnaires et ne doivent pas nuire à leurs intérêts. Toute décision ou délibération qui méconnaitrait cette exigence doit être sanctionnée. Par ailleurs, étant donné que de nombreux conflits peuvent engendrer la rupture de l’intérêt de la collectivité au profit d’un intérêt personnel, sans forcément passer par une décision collective du conseil d’administration ou de l’assemblée générale, les actes individuels de l’actionnaire et du dirigeant social dictés par un conflit d’intérêts appellent également des sanctions.

Chapitre 1 : Les sanctions civiles en matière des conflits d’intérêts

Une sanction civile est une mesure qui est prononcée pour réparer un préjudice subi, à rendre à chacun ce qu’il appartient, autrement dit c’est une manifestation d’une violation de la règle de droit qui porte atteinte aux intérêts privés, aux intérêts des particuliers43. Dans notre contexte, il s’agit de mettre sur le dos de la personne agissant en conflit d’intérêt la charge de réparer les conséquences dommageables de ses actes. En effet, il existe un nombre de dispositions dans la loi 17-95 qui permettent de mettre en cause l’auteur de certains actes relevant d’un conflit d’intérêts et qui ouvre la voie aux intéressés pour lui demander de réparer le préjudice résultant de ses actes. Chose que nous allons voir tout d’abord dans une première section qui va se focaliser sur les sanctions civiles qui émanent de la violations des règles préventives (section1) et puis dans une seconde section nous aurons l’opportunité de dresser le cadre es sanctions corrélés à l’abus de droit (section2) 43

Pim pert agnès , introduction au droit en fiches, ellipses, 2017, page :12

Section 1 : Les sanctions de la violation des règles préventives des conflits d’intérêts : Un dirigeant peut se trouver dans une situation où ses affaires personnelles sont confondues avec celles de la société, cette interférence doit être contrôlée d’une façon sérieuse pour écarter les tentations et les abus car il se peut que le dirigeant abuse de sa position dans la société pour bénéficier des avantages au détriment de la société44

Paragraphe 1 : Les sanctions relatives aux conventions réglementées et interdites

La législation Française fait référence dans ses dispositions aux divers actes conclues entre les dirigeants et les tiers, se sont : les conventions réglementées, les conventions interdites et les conventions dites libres. « La loi réglemente ou interdit certains actes que peuvent accomplir les dirigeants au nom de la société. C’est surtout le cas des conventions auxquelles le dirigeant est intéressé personnellement, qui le voient dans l’hypothèse la plus simple intervenir à la fois à l’acte en son nom propre et en tant que représentant de la société. Une procédure plus ou moins complexe d’autorisation ou d’approbation de l’acte par les organes d’administration ou par les assemblées d’associés est souvent instituée. Lorsque la société est dotée d’un commissaire aux comptes, celui-ci est généralement appelé à établir un rapport sur les conventions. »45

A : La nullité des conventions interdites La loi 17-95 dans son article 62 frappe de nullité tout contrat par lequel un dirigeant social ayant obtenu de la société soit un prêt, soit une caution de ses engagements personnels, cette mesure est vêtu d’un grand intérêt dans la mesure où il sert à préserver l’argent des la société contre les besoins personnels de ses dirigeants. A peine de nullité du contrat, il est interdit aux administrateurs autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de l’une de ses filiales ou d’une autre société qu’elle contrôle au sens de l’article 144 ci-dessous, de se faire consentir par elle un découvert, en

44 45

Mohammed El Mernissi, Traité marocain de droit des sociétés, LexisNexis, 2020, page :494

Dondero Bruno,

droit des sociétés, Dalloz , 2019, page :201

compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers46. Toute contravention à cette interdiction est sanctionnée par une nullité qui est d’ordre public, la gravité de la sanction s’opère dans la présence du danger qui peut affecter les actionnaires et les créanciers sociaux d’une part, et pour le crédit de la société d’une autre part, il faut noter que toute personne intéressée peut agir en nullité pour obtenir gain de cause47

B : L’annulation des conventions réglementées Les conventions réglementées ou bien encore les conventions dites autorisées sont des accords qui sont conclus entre une société et une personne de la direction de cette société qui demande l’approbation préalable d’un organe compétent. Les conventions réglementées sont encadrées par la loi afin d’éviter et lutter contre les conflits d’intérêts dans le sens où elle favorise l’information des associés, la transparence des actes conclus par la société et le contrôle des associés dans la gestion. Au Maroc l’article 56 de la loi 17-95 relative à la société anonyme dispose que les conventions passées entre la société et l’un de ses dirigeants ou l’un des actionnaires détenant, directement ou indirectement, plus de cinq pour cent du capital ou des droits de votes doivent avoir une autorisation au préalable 48 . En France la procédure du contrôle s’applique aux conventions qui sont conclues directement ou indirectement ou bien encore par personnes interposée entre la société et un actionnaire qui est soit une personne physique, soit une personne morale qui détient plus que 10 pour cent des droits de vote, c’est une modification qui a augmenté le pourcentage via la loi NRE qui a pour objectif de d’améliorer la transparence dans les relations économiques et la prise en compte du développement durable dans les activités des entreprises 49. L’article 61 de la loi 17-95 relative à la société anonyme donne droit au juge d’annuler les conventions réglementées conclues sans autorisation préalable par le conseil d’administration et qui ont causé des dommages pour la société 50. C’est une sanction vise à annuler toute convention au profit d’un administrateur ou d’un associé prépondérant qui a conclu sans l’autorisation préalable du conseil d’administration et qui préjudicie la société par son acte, il faut aussi noter que l conflit d’intérêt peut être accentué par la clandestinité lorsque l’opération est 46

Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article :62 alinéa 1

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Mohammed El Mernissi, Traité marocain de droit des sociétés, LexisNexis, 2020, page :497 Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article :56 Code de commerce français, art .L.225-38 Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article :61,al 1

approuvée par le président du conseil d’administration au profit d’un administrateur, dans ce sens l’annulation de la convention met fin au dommage 51 Le dommage résultant de la convention conclue sans autorisation préalable du conseil d’administration s’apprécie le jour où le tribunal statue sur la nullité de la convention, mais le problème se pose en premier lieu car cette nullité à un caractère facultatif dans la mesure où elle appartient à l’appréciation souveraine du juge. En second lieu car cette nullité a aussi un caractère relative. En effet l’article 61 de la loi 17-95 relative à la société anonyme dispose que le vote de l’assemblée intervenant sur un rapport spécial du commissaire aux comptes en exposant les circonstances qui ont poussé à ne pas suivre la procédure d’autorisation 52 . Pour permettre aux actionnaires de voter en toute sincérité et connaissance de cause le rapport du commissaire aux comptes doit contenir les détails et les précisions sur la convention litigeuse en question, en cas de décision de nullité par l’assemblée, l’action en dommages et intérêts pour réparer le préjudice causé par la société sera toujours possible et elle peut être intenté soit par la société ou par les actionnaires en agissant à titre individuel, cependant le cocontractant ne peut pas agir en nullité53. L’article 61 de la loi 17-95 relative à la société anonyme dispose que L’action en nullité se prescrit par trois ans à compter de la date de la convention non autorisée ou du jour de sa révélation si elle a été dissimulée 54, mais si la convention a été acceptée par le conseil d’administration et la procédure d’autorisation n’a pas été observé correctement, la nullité n’est pas encourue et aussi lorsque il y’a un default d’accomplissement des autres formalités, il est lieu de noter que la nullité ne sanctionne que le défaut d’autorisation préalable du conseil ou la fraude au cours de la conclusion de la convention .

C : la mise en œuvre de la responsabilité civile La responsabilité est couramment définie comme étant l'obligation, mise à la charge d'un responsable, de réparer les dommages causés à la victime. Cette définition est très proche de celle donnée par Doyen René Savatier. En effet, selon cet auteur, la responsabilité civile est « l'obligation qui peut incombé à une autre personne de réparer le dommage causé à autrui, par son fait, ou par le fait d'une personne ou des choses dépendant d'elles » Ainsi définie, elle répond à un souci d'indemnisation des victimes. Pour altruiste ou noble qu'elle soit, cette volonté 51

Kougnontèma Awoki, Le conflit d’intérêts dans l’administration des sociétés en droit marocain et de l’OHADA, Thèse de Doctorat en Sciences juridiques de l’Université Mohammed 5, 10 octobre 2017, page :279 52 Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article 61,alinéa 3 53 54

Mohammed El Mernissi, Traité marocain de droit des sociétés, LexisNexis, 2020, page :504

Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article 61,alinéa 2

d'indemniser à tout prix les victimes de dommages a largement contribué à la crise, du moins aux métamorphoses, ou encore, pour être complet, au désordre actuel du droit de la responsabilité civile. Trois éléments composent la responsabilité civile : le dommage, la faute, le lien de causalité entre la faute et le dommage. Le dommage peut être matériel, corporel ou moral. La faute est le manquement à une obligation préexistante. Cette obligation préexistante est de ne pas causer de dommage à autrui. La gravité de la faute ne détermine pas l’étendue de l’obligation. Une faute, légère ou grave, donne droit à la victime d’être dédommagée intégralement. Le lien de causalité est fondamental pour la définition de responsabilité et par conséquent l’intervention de l’assurance. La responsabilité ne peut être engagée que si la relation entre la faute et le dommage est établie, ce qui peut être complexe. Dans notre contexte Le bénéficiaire de la convention conclue irrégulièrement peut encourir une sanction civile qui se manifeste par l’engagement de sa responsabilité civile .En effet les actionnaires lésés peuvent engager directement la responsabilité civile du dirigeant social ou de l’actionnaire impliqué dans un cas manifeste de conflit d’intérêts, notamment lors de la conclusion des conventions règlementées. Au terme de l’article 60 de la loi 17-95 relative à la société anonyme dispose que les conséquences préjudiciable des conventions désapprouvés par l’assemblée générale peuvent être mise à la charge du dirigeant social qui peut être un administrateur, un directeur général, directeur général délégué ou e l’actionnaire intéressé et éventuellement des autres membres du conseil d’administration 55. Le dirigeant social ou bien encore l’actionnaire est toujours responsable car il bénéficie d’un gain personnel de la convention qui préjudicie la société sans oublier aussi les autres membre du conseil d’administration ou de l’assemblée qui ont autorisé et approuvé une telle convention , en plus le président du conseil trouve sa responsabilité engagée par sa faute à défaut de la mise en œuvre de la procédure légale soit par sa négligence soit par sa complaisance envers l’administrateur intéressé56.

Paragraphe 2 : les autres sanctions envisageable Il existe belle t bien des sanctions civiles autres que celles évoquées précédemment et qui permettent d’engager la responsabilité civile des dirigeants sociaux, il s’agit de la faute de gestion ou encore une violation d’un devoir de loyauté qui est une situation génératrice d’un conflit d’intérêts sans pour autant oublier la révocation judiciaire du dirigeant social qui constitue un autre mode de sanction permettant de lutter contre les conflits d’intérêts. 55

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Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article 60,alinéa 2

Kougnontèma Awoki, Le conflit d’intérêts dans l’administration des sociétés en droit marocain et de l’OHADA, Thèse de Doctorat en Sciences juridiques de l’Université Mohammed 5, 10 octobre 2017, page 282

A : la mise en œuvre de la faute de gestion La faute de gestion ne fait l’objet d’aucune définition précise par la loi. Elle est appréciée par les tribunaux au cas par cas. Tout acte ou omission d’un dirigeant qui serait contraire à l’intérêt social pourrait constituer une faute de gestion. En effet, que les dirigeants se comportent, dans la gestion des affaires sociales, de manière prudente, diligente et active, la négligence, voire la simple imprudence, des dirigeants peut constituer une faute de gestion. La responsabilité du dirigeant peut aussi être engagée qu’il ait ou non eu l’intention de nuire, et quelles que soient les conséquences dommageables de la faute pour la société. Le principe de la responsabilité civile des dirigeants s’opère sur une règle simple qui est la violation des lois et règlements, la violation des statuts de la société ou de leurs fautes de gestion, c’est le fondement même de la responsabilité des dirigeants, ainsi pour la lutte contre les conflits d’intérêts et en s’appuyant sur la faute de gestion le droit marocain permet d’engager la responsabilité du dirigeant social qui au delà de se comporter dans l’intérêt social de l’entreprise il agit en réalisant des intérêts personnels57. Ainsi la responsabilité civile pour faute de gestion est fondée sur la preuve et trouve son fondement dans l’inexécution d’une obligation de moyen. Pour la mauvaise gestion reprochée à un administrateur, elle peut être intentionnelle et un résultat de fautes positives, ce genre de reproche est généralement adressé au directeur général qui a l’aptitude de la gérer opérationnellement la société. Pour la preuve de la faute de gestion elle est difficile à établir d'autant plus que lorsque le tribunal est appelé à statuer sur la responsabilité, les faits reprochés aux dirigeants peuvent remonter loin dans le temps. Il n'est pas toujours facile de se placer rétrospectivement dans le feu de l'action au moment où la décision incriminée a été prise afin d'apprécier son opportunité 58 La faute de gestion permet d’englober l’ensemble des fautes qui ne constituent pas des violations directes de la loi ou des statuts, y compris les manifestations de conflits d’intérêts qui ne sont pas réprimé par la loi. Ainsi, la responsabilité du dirigeant pour faute de gestion, peut être engagée sur la base de l’article 352 de la loi 17-95 relative à la société anonyme dispose que les administrateurs, le directeur général et aussi le directeur général délégué ou les membres du directoire sont responsables d’une façon individuelle ou solidaire envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes dans leur gestion59.

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Kougnontèma Awoki, Le conflit d’intérêts dans l’administration des sociétés en droit marocain et de l’OHADA, Thèse de Doctorat en Sciences juridiques de l’Université Mohammed 5, 10 octobre 2017, page 283 58 Mohammed El Mernissi, Traité marocain de droit des sociétés, LexisNexis, 2020, page :508 59

Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article 352,alinéa1

La jurisprudence en droit français a pu retenir comme faute de gestion les faits suivants : -le fait pour un dirigeant, en présence de la détérioration rapide de la situation financière de la société, de n'avoir pas pris en temps utile des mesures concrètes de restructuration et, dans le même temps de s'être fait consentir des avantages financiers; - le fait pour un administrateur de n'avoir pas exercé les missions de surveillance et de contrôle qui lui incombaient, sans que l'intéressé puisse prétendre s'exonérer de sa responsabilité en raison de la carence du président ou de la courte durée pendant laquelle il a exercé ses fonctions ; - le fait pour un administrateur de s'être abstenu d'exiger du président qu'il effectue la déclaration de cessation des paiements qui s'imposait en vue d'obtenir le bénéfice du redressement judiciaire; -le fait d'avoir laissé s'accumuler les pertes alors que la société était. Manifestement en état de cessation des paiements; -le fait d'avoir mis en place, lors de la création de l'entreprise, un plan d'investissements inadaptés ou excessifs compte tenu des conditions prévisibles de financement de ces investissements; -le fait d'avoir créé une société sans apporter de fonds propres suffisants pour assurer son fonctionnement dans des conditions normales et d'avoir poursuivi l'activité de la société sans prendre aucune mesure pour remédier à cette insuffisance de fonds propres ; -le fait de n'avoir pas accordé toute son attention à la gestion d'une entreprise naissante et fragile et d'avoir compté sur des subventions aléatoires et sur le soutien des banques pour se constituer une trésorerie ; - le fait de n'avoir été présent au siège de l'entreprise qu'un jour par semaine, en déléguant la plupart de ses pouvoirs à des collaborateurs qu'il savait incompétents. Après avoir mentionné les cas de la faute de gestion qui sont retenues par la jurisprudence française il est lieu de passer au cause d’exonération de la faute de gestion, dans cette optique les conséquences malheureuses des opérations commerciales ou financières qui font partie de l’objet social et dans les prérogatives du conseil d’administration et qui ne sont pas anormales ou spéculatives ne peuvent pas être considérées comme fautes de gestion60.

B : la responsabilité civile en cas de la violation du devoir de loyauté : Dans le cadre de l’exécution de son mandat social, le dirigeant est tenu envers la société d’une obligation de loyauté, Cela signifie notamment qu’il ne devrait pas dans le cadre d’activités extérieures à celle-ci, la concurrencer, à titre d’exemple le dirigeant de la société ne devrait pas exploiter une activité concurrente à la société 60

Mohammed El Mernissi, Traité marocain de droit des sociétés, LexisNexis, 2020, page :510

dont il est mandataire social sous peine d’engager sa responsabilité envers cette dernière. Dans un même sens le dirigeant doit agir de façon prudente, être de bonne foi et se comporter de manière à s’abstenir d’agir dans son propre intérêt et doit respecter les statuts et les réglementations en vigueur. Dans le cadre du devoir de loyauté, doit être relevé, l’interdiction faite aux dirigeants de saisir les opportunités d’affaires de la société61. En droit Français l’obligation de loyauté de l’associé n’est pas affirmée clairement par les textes, la disposition qui semble le plus proche d’affirmer cette obligation est l’article 1833 du Code civil, qui dispose que la société « doit être constituée dans l’intérêt commun des associés », texte dont on peut déduire l’importance de l’intérêt social, voire sur lequel on peut fonder la notion de « contrat-organisation » , mais qui ne formule pas de directive précise de ce point de vue 62. Le devoir de loyauté comme en droit français n’est encore pas expressément reconnu par une disposition législative ou réglementaire dans le droit Marocain, mais il résulte des dispositions de l’article 1006 du Dahir des obligations et des contrats que l’obligation d’information et l’obligation d’exécution de bonne foi sont les fondements généraux du devoir de loyauté63, la jurisprudence française a consacré dans l’arrêt Vilgrain rendu par la chambre commerciale de la cour de cassation française le 27 février 1996 «  Mandaté par un actionnaire minoritaire pour l’aider à vendre ses actions, M. Vilgrain s’en était porté personnellement acquéreur avant de les revendre quelques jours plus tard à un prix sensiblement supérieur. La Cour de cassation a considéré qu’en dissimulant les négociations parallèles qu’il avait engagées pour la vente de sa participation, M. Vilgrain s’était rendu coupable de réticence dolosive et avait "manqué au devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant d’une société à l’égard de tout associé, en particulier lorsqu’il est intermédiaire pour le reclassement de sa participation"64 »65 Un second arrêt rendu par la même chambre consacre une obligation de loyauté du dirigeant envers la société. Le directeur général d'une société avait démissionné et créé une société concurrente en embauchant plusieurs de ses anciens collaborateurs. La Cour de cassation estime que l'ancien dirigeant était tenu à une obligation de loyauté à l'égard de sa société et le condamne à verser des dommages-intérêts à celle-ci. Cette obligation est une application d’une façon particulière au contrat de société de 61

Saida guenbour, le devoir de loyauté : un vecteur de la moralisation de la vie d’affaire, revue de droit civil économique et comparé, Vol 1 No 1 2020, page :16 62 Dondero Bruno, droit des sociétés, Dalloz , 2019, page :153 63 64 65

Dahir du 9 ramadan 1331 formant Code des obligations et des contrats ,B.O.12 septembre 1913 , article :1006 Cass. com. 27 février 1996, n° 94-11241.

Kougnontèma Awoki, Le conflit d’intérêts dans l’administration des sociétés en droit marocain et de l’OHADA, Thèse de Doctorat en Sciences juridiques de l’Université Mohammed 5, 10 octobre 2017, page 285,286

l'obligation de bonne foi prévue dans les contrats dans l'article 1104 du Code civil. Exprimée d’une manière générale, elle s'applique aux dirigeants de toutes les sociétés, et elle tend à élargir l'application des sanctions prévues par la loi pour les dirigeants de sociétés anonymes et les gérants de sociétés à responsabilité limitée. Elle n'impose pas toutefois au cessionnaire de droits sociaux un devoir de conseil et contraint le cédant de prouver qu'il n'était pas en mesure d'obtenir l'information par lui-même. Cette approche est confortée par le nouvel article 1112-1 du Code civil de la réforme de l'ordonnance du 10 février 2016, et qui dispose que l'obligation d'information à la charge d'une partie à une convention y compris une cession de droit sociaux n'exclut en aucun cas le devoir incombant à l'autre partie de se renseigner par ses moyens personnelles sur l'opération projetée. À présent, un associé est soustrait à tout devoir de loyauté66.

C : la révocation des dirigeants : La révocation du dirigeant est, à côté de la démission et du terme de son contrat, une des causes de la cessation de ses fonctions. La révocation du dirigeant est par principe totalement libre, dite ad nutum, mais elle peut donner lieu, dans certains cas, au versement de dommages et intérêts si elle est réalisée sans juste motif. La révocation est décidée par l’organe administratif compétent, elle peut avoir un effet dissuasif sur le comportement du dirigeant qui serait tenté par la situation de conflit d’intérêts dans laquelle il se trouve. Même si elle parait comme étant une sanction sévère, elle serait raisonnablement envisageable surtout lorsque la société est contrôlée par un actionnaire majoritaire qui utilise son pouvoir pour accéder à une fonction de direction ou pour nommer une personne qui lui est dévouée .La mesure de la révocation du dirigeant est très importante pour lutter contre les conflits d’intérêts, en particulier lorsque un dirigeant social se trouvant dans une situation de conflits d’intérêts qui ne déclare pas sa situation ou bien encore il s’abstient de participer aux délibérations et au vote 67. La révocation du dirigeant est un droit reconnu aux actionnaires qui leur permet de le destituer de ses fonctions, puisqu'il est simple mandataire de ces derniers, ce qui fait que le maintien de son poste dépend principalement de leur volonté. Ainsi, si les actionnaires perdent confiance en lui, en raison de tout agissement contraire à l'intérêt de la société, tel les actes relevant d’un conflit d'intérêts, ils ont l'entière liberté de le révoquer. Ce qui fait que ce droit reconnu aux actionnaires se présente comme un moyen efficace pour sanctionner les actes de conflits d'intérêts en particulier et les actes nuisibles a l'intérêt de la société en général. 66 67

Magnier Véronique, droit des sociétés, Dalloz 2017, page :113-114

Kougnontèma Awoki, Le conflit d’intérêts dans l’administration des sociétés en droit marocain et de l’OHADA, Thèse de Doctorat en Sciences juridiques de l’Université Mohammed 5, 10 octobre 2017, page 288

Dans un autre sens la révocation des dirigeants illustre le pouvoir des actionnaires de contrôler et de sanctionner la gestion des dirigeants et qui met fin par anticipation à leurs fonctions, c’est un principe classique du rôle des administrateurs qui sont des simples mandataires révocable à discrétion lorsqu’ils perdent la confiance des actionnaires ou bien encore lorsqu’il y’a un changement de majorité et ce via une assemblée générale ou extraordinaire68, qui peuvent décider de révoquer un ou plusieurs administrateurs et procéder à leurs remplacements 69 Une révocation présente des caractéristiques qui sont nombreuses et diverses - il n'y a pas de préavis à respecter, le couperet peut tomber à tout moment. D'ailleurs, le préavis entendu comme délai-congé, s'il se justifie pour les salariés pour leur permettre de retrouver du travail, ne peut pas s'appliquer aux mandataires sociaux parce qu'il est incompatible avec les exigences d'une bonne gestion de la société et peut s'avérer contraire à l'intérêt social; - l'assemblée n'a pas à justifier ni même à motiver sa décision. L'administrateur révoqué ne peut pas contester cette décision; il ne peut prétendre à aucune indemnité même si la révocation est injustifiée ; - le pouvoir de révocation est d'ordre public; il ne peut être ni supprimé ni atténué par les statuts et ne peut souffrir aucune limitation. Les statuts ne peuvent prévoir des conditions de quorum ou de majorité plus renforcées pour la révocation des administrateurs. Ils ne peuvent pas non plus prévoir une indemnité au profit de l'administrateur révoqué qui pourrait faire réfléchir les actionnaires sur les conséquences financières de la révocation et notamment la pratique des golden parachutes qui profitent essentiellement aux présidents et aux directeurs généraux des grandes sociétés. De même est nulle toute convention de nature à faire échec à la liberté de révocation telle que l'obligation pour la société de maintenir en place l'administrateur pour une durée déterminée, de lui garantir un emploi dans la société après sa révocation ou de lui racheter ses actions à des conditions financières qui peuvent influer sur la décision de révocation70. Après avoir énoncé quelques caractéristiques de la révocation des dirigeants il nous est opportun de se focaliser sur des atténuations de ce mécanisme. En effet la révocation n’est pas du tout absolue dans la mesure où La révocation d’un dirigeant peut, dans certains cas, s’avérer abusive. Cette situation suppose que la procédure soit entourée de certaines circonstances, une révocation est qualifiée d’abusive lorsqu’elle s’accompagne de circonstances ayant porté atteinte à la réputation ou à l’honneur du dirigeant démis de ses fonctions. Il s’agit de circonstances vexatoires ou injurieuses, Le caractère abusif existe également lorsque la société prend d’une façon brutale la décision de révoquer son dirigeant, en violant son obligation de loyauté au cours de la procédure. Il s’agit d’une situation 68 69 70

Mohammed El Mernissi, Traité marocain de droit des sociétés, LexisNexis, 2020, page :449 Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article 118,alinéa2 Mohammed El Mernissi, Traité marocain de droit des sociétés, LexisNexis, 2020, page :450

dans laquelle la société révoque son dirigeant avant même de lui indiquer les causes de sa révocation. Le fait qu’il ait commis une faute grave ou qu’il existe un juste motif ne change rien à cette règle. Par ailleurs, le dirigeant doit pouvoir présenter ses observations et disposer d’un minimum de temps pour le faire. Une autre atténuation de la sanction de la révocation du dirigeant est développée par la jurisprudence française dans les années 1990 qui est le respect du contradictoire, ça veut dire que les sociétés qui veulent révoquer leurs dirigeants doivent respecter ce principe, car son violation est devenue une cause autonome de l’abus de droit de révocation.

Section 2 : La sanction de l’abus de droit en matière des conflits d’intérêts :

Dans toutes les sociétés, les associés ou actionnaires doivent exercer leur droit de vote dans l’intérêt de la société. Ainsi, lors de l’exercice du droit de vote, si une minorité ou une majorité prend une décision dans le seul but de nuire aux autres actionnaires ou associés, le défaut de prise en compte de l’intérêt social par la majorité en fait une pratique interdite. On parle d’abus de majorité et abus de minorité. Dans le silence de la loi. La jurisprudence admet que l’abus de droit puisse être sanctionné, qui provient de l’attitude d’une partie des associés, majoritaires ou minoritaires selon les cas, lorsqu’un conflit latent oppose ces deux camps. C’est ainsi que la jurisprudence sanctionne, sous certaines conditions71 . Il peut arriver qu’un administrateur ou un actionnaire, privilégiant un intérêt personnel antagoniste à l’intérêt commun, soit tenté d’influencer ou d’imposer une décision. La volonté de satisfaire un intérêt personnel au détriment de l’intérêt commun peut pousser l’intéressé à tenter de disposer du pouvoir que lui confère le droit de vote, soit pour tenter d’imposer sa loi aux autres (s’il est majoritaire), soit pour bloquer la prise de décision qui ne le favorise pas s’il est minoritaire72.

Paragraphe 1 : l’abus de majorité  L’abus de majorité consiste dans le fait pour une majorité d’actionnaires ou d’associés d’utiliser leur droit de vote dans le but de nuire aux actionnaires ou aux associés minoritaires. Naturellement, il faut que cette intention de nuire aux associés ou actionnaires minoritaires s’accompagne d’une violation de l’intérêt social. Cela implique donc que la majorité des actionnaires vote sans prendre en compte l’intérêt 71 72

Magnier Véronique, droit des sociétés, Dalloz 2017,page :105

Kougnontèma Awoki, Le conflit d’intérêts dans l’administration des sociétés en droit marocain et de l’OHADA, Thèse de Doctorat en Sciences juridiques de l’Université Mohammed 5, 10 octobre 2017, page :289

social. Un préjudice est alors porté aux intérêts légitimes des actionnaires ou associés minoritaires, ou l’auteur de l’abus favorise exclusivement son intérêt propre. En l'absence d'une définition législative, la théorie de l'abus de majorité est une création jurisprudentielle inspirée de la théorie civile de l’abus de droit. En effet L’abus de majorité a été défini par la Cour de cassation française dans un célèbre arrêt Schuman-Picard de la chambre commerciale en date du 18 avril 1961 73. Il y a abus de majorité lorsque les associés majoritaires ou les dirigeants ont fait prendre à la société une décision qui n’est pas conforme à son intérêt, en ce qu’elle lui cause un préjudice, et lorsque les majoritaires ou les dirigeants auront recherché leur intérêt personnel, en s’octroyant un avantage particulier ou en frappant les minoritaires d’un désavantage. La non-conformité des actes litigieux à l’objet social peut être un indice supplémentaire de la présence d’un abus 74 Dans une autre approche, l’abus de majorité consistait pour les associés majoritaires à prendre des décisions dans le but et l’intention de nuire aux associés minoritaires. Mais la jurisprudence a élargi la définition de l’abus en retenant deux paramètres. Est désormais abusive la décision prise contrairement à l’intérêt général et dans un simple et unique but de favoriser les membres de la majorité face aux membres de la minorité Dès lors, les juges relèvent généralement comme élément déterminant la rupture intentionnelle d’égalité entre les associés. Cependant selon une jurisprudence constante, il n’y a pas abus en l’absence d’un dommage causé à la société, la jurisprudence semble avoir consacré l’abus de majorité négatif, cas d’abstention qui était jusque-là réservé à l’abus de minorité 75. D’après ce qu’on a pu exposer l’abus de majorité est donc une manifestation de l’abus de droit et dans un même sens est l’une des situations des conflits d’intérêts qui nécessite des sanctions appropriées. En droit Marocain comme en droit Français, la sanction de l’abus de majorité est la nullité de la décision prise par l’assemblée générale. Au delà, les minoritaires disposent de la possibilité d’obtenir des dommages et intérêts des majoritaires, et ce en application du droit commun de la responsabilité civile. Ils devront être assignés personnellement, puisque c’est leur responsabilité qui doit être engagée et non pas celle de la société. Les actionnaires majoritaires et les dirigeants sociaux engagent leur responsabilité civile du fait de leur vote abusif ou des fautes commises lors de l'exercice de leurs fonctions. Pour que l’action en responsabilité soit recevable, elle doit remplir les conditions de droit commun de la responsabilité. Autrement dit, il faut qu'il y ait une 73 74 75

Cass. Com, 18 avril 1961

Dondero Bruno,

droit des sociétés, Dalloz , 2019, page 156-157

Magnier Véronique, droit des sociétés, Dalloz 2017,page 106

faute commise par un dirigeant, un dommage subi à l’associé et un lien de causalité entre la faute et le dommage. En France L’action en nullité est généralement intentée par les associés minoritaires sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, mais elle peut l’être également par la société elle-même, victime de l’atteinte portée à l’intérêt social 76. La sanction de l’annulation de l’acte pourrait toutefois être remise en cause par la loi PACTE du 22 mai 2019, puisque l’art. 1844-10 a été modifié, pour exclure des causes de nullité des actes ou délibérations des organes de la société la violation de l’art. 1833, al. 2 nouveau du Code civil, texte qui dispose que la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité77. Au Maroc L’action en nullité recouvre deux catégories qui sont différentes la première est l’application du droit commun des nullités des décisions de société. La deuxième est d’une origine jurisprudentielle qui a comme finalité de protéger les minoritaires contre un abus des majoritaires. Ainsi les articles 337 et 338 de la loi 17-95 relative à la société anonyme dressent le cadre du régime des nullités propre en droit des sociétés. Pour s’en tenir aux seules causes de nullité des assemblées générales ordinaires, une délibération peut être annulée pour incapacité, vice de consentement, objet illicite par application des lois qui régissent les contrats78. Le droit des sociétés étant technique, ce sont les vices de forme qui sont plus nombreux. Dans certains cas, la loi ne laisse au juge aucun pouvoir d’appréciation, c’est ce qu’on peut tirer des dispositions de l’article 139 de la loi 17.95 relative à la société anonyme79. Il y en a d'autres situations où le juge reconquiert cette liberté d'appréciation. Ainsi et dans une logique d'éviter que soient prononcées de façon fréquente les nullités, l'article 340 de la loi 17-95 relative à la société anonyme qui affirme qu'il est permis au tribunal de fixer même spontanément un délai où les parties peuvent régulariser la situation80.

Paragraphe 2 : l’abus de minorité Une situation de conflits d’intérêts pet apparaitre quand elle va prendre encore plus d’ampleur lorsque les associés majoritaires estiment que les associés minoritaires instaurent une situation de blocage en refusant de voter certaines résolutions de 76 77 78 79 80

Magnier Véronique, droit des sociétés, Dalloz 2017,page :106

Dondero Bruno,

droit des sociétés, Dalloz , 2019, page : 158

Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article 337 et 338 Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article 139 Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article 340

l'assemblée générale, alors même que l'entreprise est en danger. Là en revanche, on parle d’abus de minorité où la survie de l'entreprise est mise en cause pour des intérêts personnels. En effet on peut définir l’abus de minorité comme une attitude d'un associé qui agit contrairement à l'intérêt général de la société en ce qu'elle interdit la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci, et dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de l'ensemble des autres associés, là on parle de l’abus de minorité négatif qu’il faut le distinguer de l’abus de minorité positif. En effet l’abus de minorité négatif est plus fréquent, c’est le fait de bloquer toute modification du pacte social en assemblée, que ce soit par la non-participation des minoritaires aux assemblées générales, soit par l’abstention ou par un vote avec malice qui a pour but d’empêcher d’obtenir la majorité requise exigée par la loi pour les modifications du pacte social on parle aussi de minorité de blocage 81. En ce qui concerne l’abus de minorité positif est très rare, il est constitué par l’utilisation abusive des prérogatives offertes aux associés minoritaires afin de nuire à la société. Cela se traduira par exemple par la demande injustifiée de la désignation d’un expert en gestion, d’un administrateur provisoire ou par la multiplication des questions écrites au dirigeant sans raison valable. En France les applications jurisprudentielles de l’abus de minorité sont plus au moins restrictives La Cour de cassation admet qu’en plus que l’opération refusée est essentielle pour la société et indispensable à la survie de celle-ci, les minoritaires ont adopté une attitude dans le but de favoriser les membres de la minorité au détriment de l’ensemble des autres associés. C’est pourquoi, les juges analysent au cas par cas, notamment dans le cas où le refus des minoritaires porte sur un vote en assemblée générale extraordinaire relatif à une augmentation de capital 82. Face au silence de la loi marocaine sur les véritables sanctions qui peuvent être infligé à l’abus de minorité, le juge pourrait s’inspirer de la jurisprudence française. En effet L’abus de minorité ne peut pas être sanctionné par la nullité dans la mesure où aucun acte n’ayant pu être pris, il n’y a donc rien à annuler utilement. Cependant, il est possible de condamner les minoritaires auteurs du refus abusif à verser des dommages-intérêts à la société, voire aux autres associés. La question s’est également posée de savoir si le juge pouvait rendre une décision valant consentement des minoritaires83, en revanche L’allocation de dommages-intérêts est retenue, mais elle constitue une sanction moins satisfaisante. C’est la raison pour laquelle, une jurisprudence a laissé entendre que la seule sanction efficace pour vaincre l’obstruction des minoritaires était de rendre exécutoire la résolution soumise à l’assemblée par l’autorité judiciaire84 81 82 83 84

Magnier Véronique, droit des sociétés, Dalloz 2017,page :107 Magnier Véronique, droit des sociétés, Dalloz 2017,page :107

Dondero Bruno,

droit des sociétés, Dalloz , 2019, page : 158

Magnier Véronique, droit des sociétés, Dalloz 2017,page :107

la cour de cassation française dans l’arrêt Flandin du 9 mars 1993 a estimé que le juge pouvait désigner un mandataire judiciaire qui voterait en assemblée à la place du minoritaire, dans le but de l’intérêt de la société, et sans porter préjudice aux intérêts du minoritaire. Le mandataire votera dans le sens qu’il estimera le plus conforme à l’intérêt social, le juge ne pouvant formellement au moins fixer le sens du vote du mandataire. L’abus de majorité ou l’abus de minorité explique la situation de conflit d’intérêts qui produira de plus en plus des tensions qui existent entre ces deux blocs.

Chapitre 2 : Les sanctions pénales en matière des conflits d’intérêts

La répression des diverses manifestations du conflit d’intérêts dans la société anonyme n’est pas l’œuvre du droit pénal général. En effet, ce dernier ne comporte aucune référence explicite au conflit d’intérêts et aucune infraction n’emploie cette expression. Hormis la répression de la prise illégale d’intérêts 85. Dans un même sens l’ignorance se manifeste de deux façons. La première est indirecte et trouve sa cause dans l’absence de sanction pénale des dispositions visant à prévenir les conflits d’intérêts. La seconde est directe et s’observe dans l’absence d’une infraction ayant la notion de conflit d’intérêts dans ses éléments constitutifs. Le Code pénal marocain, ne réprime pas les conflits d’intérêts. Cependant dans les sociétés commerciales la répression des actes délictueux qui ont pour origine un conflit d’intérêts puisent leurs sources plutôt du droit pénal des affaires. 85

Kougnontèma Awoki, Le conflit d’intérêts dans l’administration des sociétés en droit marocain et de l’OHADA, Thèse de Doctorat en Sciences juridiques de l’Université Mohammed 5, 10 octobre 2017, page :333

Pour ce, nous allons décortiquer dans un premier temps l’abus des biens sociaux comme principale infraction génératrice des conflits d’intérêts (section1) et en second temps la faute du commissaire aux comptes dans son exercice de contrôle des la société (section2)

Section 1 : L’abus de biens sociaux : Considéré comme noyau dur de droit pénal des affaires l’abus des biens sociaux est une infraction tout comme l’abus de confiance, tend à réprimer les comportements déloyaux des individus chargés de gérer les biens d’autrui. Cependant, son champ d’application est approprié au droit des sociétés. En effet, le recours à l’abus de confiance était toujours moins satisfaisant par le fait de la restriction de son domaine d’application à certains contrats. En outre, les notions de détournement et de dissimulation caractérisant l’abus de confiance, ne permettaient pas d’appréhender toutes les formes d’abus commis par les dirigeants sociaux 86. Le droit Marocain comme son homologue le droit Français présume que l’abus de biens sociaux apparait lorsque qu'un dirigeant d'une société use des biens ou des fonds de la société dans un but personnel ou avec l'objectif de privilégier une autre entreprise dans laquelle le responsable a un intérêt. Par exemple, si un dirigeant détourne l'argent de société sur son compte personnel. Au Maroc la loi 17-95 relative à la société anonyme dans son l’alinéa 3 de l’article 384 qui stipule que le délit d’abus de biens sociaux concerne les membres des organes d' administration, de direction ou de gestion d' une société anonyme qui, de mauvaise foi, auront fait, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savaient contraire aux intérêts économiques de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement87. En France Ce délit a été créé par un décret-loi du 8 août 1935 pour pallier les insuffisances de l’arsenal répressif de l’époque à l’occasion de scandales politicofinanciers. On se souviendra particulièrement de l’affaire Stawisky, le fondateur du crédit municipal de Bayonne qui avait émis de faux bons de caisses qui ne furent pas remboursés. Cette affaire se termina par le suicide de cet escroc notoire et elle fut à l’origine de la chute du gouvernement Chautemps et des événements du 6 février 193488, ainsi L'infraction d'abus de biens sociaux est prévue par le code de commerce français, à ses articles L241-3 et L242-6, elle incrimine l'infraction, dans le cadre des SARL et des SA, de  faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement . 86 87 88

Djila Kouayi Kemajou, Rose, le droit pénal des affaires au Cameroun, l’harmattan 2015, page :118 Dahir n° 16-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article :384 alinéa 3 Monteiro, Evelyne, L’essentiel du droit pénal des affaires, Gualino 2016, page 68

Alors on peut en déduire que l’abus des biens sociaux est une manifestation de conflit d’intérêts qui se concrétise par une décision prise par un dirigeant dans son intérêt personnel et qui porte atteinte à l'intérêt de l'entreprise.

Paragraphe 1 : Les éléments constitutifs du délit d'abus de biens sociaux Les éléments constitutifs du délit d'abus de biens sociaux représentent une manifestation de conflit d’intérêts par excellence, du fait que les dirigeants qui utilisent leur pouvoir sur les actifs sociaux pour satisfaire leurs intérêts personnels s’opposent à l’intérêt de la société qu’ils sont censés servir. En droit français on constate qu’il y’a quatre éléments constitutifs qui sont retenus : un acte d’usage des biens, du crédit ou des pouvoirs de la part du dirigeant qui est contraire à l’intérêt social, effectué de mauvaise foi et dans un intérêt personnel. En outre en droit marocain les éléments constitutifs de l’infraction de l’abus des biens sociaux sont : Un usage abusif des biens ou du crédit de la société contraire à l’intérêt de celle-ci ; il faut que cet usage ait été fait dans un intérêt personnel et enfin il faut que cet usage ait été fait de mauvaise foi.

A : Un acte d’usage des biens, du crédit ou des pouvoirs Le terme usage  est très large, il englobe les actes de disposition comme le détournement des biens ou fonds appartenant à la société ou bien encore les actes d’administration comme le fait d’utiliser sans contrepartie un bien appartenant à la société. L’acte d’usage incriminé signifie en premier lieu l’appropriation directe des biens appartenant à la société. Les biens sociaux regroupent l’ensemble des meubles et des immeubles qui constitue le patrimoine de la société, les biens en question pouvant simplement être « détenus » comme c’est le cas quand il y a détournement de la force de travail des salariés89. Parmi ces actes d’usage des biens, on peut citer par exemple, le fait pour le dirigeant de se faire virer sur son compte personnel des sommes dues à la société90. Une société peut consentir une hypothèque ou un gage, avaliser une traite … Concrètement, il s’agit d’opérations qui ne nécessitent pas un décaissement immédiat. Ces opérations engagent une signature sociale. Il s’agit  donc d’utiliser la surface financière de la société, sa capacité d’emprunter ou de garantir un emprunt, imposant à celle-ci un risque anormal et contraire à son intérêt. D’après la jurisprudence française, faire ainsi du crédit de la société un usage contraire à son intérêt, c’est l’exposer à un risque de perte qu’elle ne devrait pas courir. Par 89 90

Monteiro, Evelyne, L’essentiel du droit pénal des affaires, Gualino 2016, page 69 Crim., 3 oct. 1996, nº 95-85.320

exemple, dans le cas où le dirigeant fait cautionner ses dettes personnelles par la société, le préjudice n’est certes qu’éventuel mais le risque, quant à lui, est bien réel et actuel. Enfin, l’abus de voix renvoie à la question de l’utilisation des procurations par les dirigeants sociaux en tant que mandataires lors des assemblées générales, notamment celles données en blanc dont ils feraient un mauvais usage. D’après la Commission Coulon, cette modalité de l’infraction serait redondante dans la mesure où elle est couverte par l’abus de pouvoirs. En outre, les dispositions du Code de commerce relatives à l’orientation obligatoire des pouvoirs en blanc lui ont fait perdre toute portée pratique91 .

B : Un acte contraire à l’intérêt social  La détermination de l’intérêt social exige une appréciation de ce qu’était l’intérêt social dans la situation où se trouvait la société. Or la détermination de l’intérêt social relève de la compétence du conseil d’administration ou de l’assemblée des actionnaires d’après la loi ou les statuts. Si donc cet organe a pris une telle décision, le juge ne devrait pas la remettre en question car elle est présumée conforme à l’intérêt social. Selon une jurisprudence «  l’assentiment du conseil d’administration ou de l’assemblée  générale des actionnaires ne peut faire disparaître le caractère délictueux de prélèvements abusifs de fonds sociaux 92 » L’acte d’usage des biens, du crédit de la société ou des pouvoirs possédés par le dirigeant dans la société doit être contraire à l’intérêt social pour être punissable en tant qu’abus de biens sociaux, Dans ce sens un simple usage ne suffit pas pour la constitution de l’infraction. Il faudrait aussi que l’usage soit contraire à l’intérêt de la société. L’appauvrissement de la société ou un risque d’appauvrissement, un manque à gagner, la perte d’une occasion d’enrichissement sont autant d’atteintes à l’intérêt social de la société. Mais la détermination de l’usage contraire à l’intérêt social a posé le problème de savoir à qui il revenait de procéder à cette appréciation et à quel moment fallait-il se placer pour apprécier l’utilité de l’opération pour  la société. La jurisprudence française considère que l’usage des biens ou de crédit de la société est contraire aux intérêts de celle-ci lorsque un dirigeant par cet acte expose la société à un risque de perte 93 , à un risque anormal de poursuites pénales ou fiscales 94 . Plus généralement, l’usage des biens de la société est considéré abusif lorsqu’il est fait dans un but illicite 95 . 91 92 93 94 95

Monteiro, Evelyne, L’essentiel du droit pénal des affaires, Gualino 2016, page 70

 Crim 14 mai 2003, D. 2003, p.1766, n°26, Obs A. Lienhard. Crim., 8 déc. 1971 Crim., 17 déc. 2015, n°14-86.602 Crim., 22 avr. 1992, n°90-85.125

C : Un acte effectué de mauvaise foi  Dans cette optique l’infraction est intentionnelle puisque les textes exigent du coupable qu’il ait agi de mauvaise foi, en sachant que l’acte d’usage des biens, du crédit ou des pouvoirs qu’il détenait était contraire à l’intérêt de la société.  La mauvaise foi s’explique à ce que le dirigeant avait bien conscience du caractère délictueux de son agissement, or une erreur ou une faute ne suffit pas de qualifier l’infraction comme un abus des biens sociaux, la raison pour laquelle  l’imprudence, l’inattention, la négligence ou le laisser-aller  ne sont pas réprimés pénalement. De même, l’intention de porter atteinte au patrimoine de la société n’est pas exigée. La simple conscience qu’a le dirigeant que l’acte est contraire à l’intérêt social suffit. La jurisprudence française n’admet pas toujours que la mauvaise foi soit relevée, ce qui importe le plus se sont les faits matériels qui ont été commis par le dirigeant pour prouver l’existence de sa mauvaise foi. Il suffit que la mauvaise foi découle implicitement mais nécessairement des faits matériels. Ainsi lorsque le dirigeant a utilisé de l’argent qui fait partie du patrimoine social pour ses fins personnelles, il est évident que des trucages comptables sont utilisés ou que l’opération a été cachée aux commissaires aux comptes. Le non respect de la procédure visant à autoriser des conventions passées entre les dirigeants et la société et à informer les actionnaires est révélateur à ce point. Une présomption de mauvaise foi apparaîtra alors96.

D : Un acte réalisé dans un intérêt personnel  La loi exige que le dirigeant ait poursuivi une fin spécifique à savoir la recherche de l’intérêt personnel. En effet l’intérêt personnel est  assimilé au fait pour le dirigeant de favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement. Il peut se présenter sous plusieurs formes ; il peut s’agir de l’intérêt personnel direct ou de l’intérêt personnel indirect.

     L’intérêt personnel direct peut être pécuniaire ou matériel mais peut aussi s’étendre à l’intérêt moral ou professionnel. Dans ce sens les fins personnelles, peuvent être aussi bien matérielles que morales, résultat d’un problème d’entretenir de bonnes relations avec un tiers ou du souhait de rechercher un prestige ou une notoriété, de préserver sa réputation et celle de sa

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 M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, Droit des sociétés, 17é édition, 2004, p.271

famille ou de consolider sa situation au sein du groupe et donner satisfaction à des personnes influentes97.  L’intérêt personnel peut aussi être indirect. Ainsi, un dirigeant qui favorise une société ou une entreprise dans laquelle il est intéressé personnellement. Il est important de préciser que ces fins personnelles pour être incriminées, comme le prévoit le droit marocain doivent conduire le dirigeant à faire des biens ou du crédit de la société un usage qui s’oppose à l’intérêt économique ou social de celleci. Il faut entendre donc par là que lorsque les fins personnelles et l’intérêt économique de la société ou l’intérêt social de la société convergent, donc c’est l’opposition entre les fins personnelles et l’intérêt économique ou social qui déclenche le conflit d’intérêts et l’abus des biens sociaux 98. Or l’intérêt personnel du dirigeant, élément constitutif du délit d’abus de biens sociaux, est présumé lorsque ce dernier ne justifie pas du caractère social des dépenses de réception et de cadeaux d’affaire. C’est dans ce sens que la jurisprudence française dans un arrêt de La Cour de cassation a par ailleurs établi une présomption, selon laquelle  s’il n’est pas justifié qu’ils ont été utilisés dans le seul intérêt de la société, les fonds sociaux, prélevés de manière occulte par un dirigeant social, l’ont nécessairement été dans son intérêt personnel 99 . Donc on peut en déduire que l’élément moral de l’abus de biens sociaux est donc très complexe dans la mesure où il est nécessaire de prouver que l’acte a été accompli non seulement de mauvaise foi, tout en sachant qu’il était contraire à l’intérêt social, mais aussi dans un intérêt personnel 100. En tout état de cause, dès lors que la mauvaise foi et la culpabilité du dirigeant sont établies, le conflit d’intérêts dommageable est consommé dans l’acte d’abus des biens sociaux, et mérite à ce titre d’être sanctionné.

Paragraphe 2 : La répression du délit d'abus de biens sociaux La responsabilité pénale susceptible d’être appliquée aux administrateurs est importante et lourde. Il faut qu’ils en soient conscients. Les dirigeants doivent en vertu de la loi effectuer des opérations nombreuses lors de la constitution, du

97

Kougnontèma Awoki, Le conflit d’intérêts dans l’administration des sociétés en droit marocain et de l’OHADA, Thèse de Doctorat en Sciences juridiques de l’Université Mohammed 5, 10 octobre 2017, page :354 98 Kougnontèma Awoki, Le conflit d’intérêts dans l’administration des sociétés en droit marocain et de l’OHADA, Thèse de Doctorat en Sciences juridiques de l’Université Mohammed 5, 10 octobre 2017, page :355 99 Crim., 11 janv. 1996, n°95-81.776 100

Monteiro, Evelyne, L’essentiel du droit pénal des affaires, Gualino 2016, page 72

fonctionnement et de la liquidation de la société. Le non-respect de ces directives est souvent sanctionné par des dispositions pénales.

A : les peines applicables  Au Maroc la loi 17-95 relative à la société anonyme dans son article 384 énumère les sanctions que les membres des organes d’administration, de direction ou de gestion d’une société anonyme peuvent encourir. En effet c’est une peine d’emprisonnement allant de un à six mois et une amende de 100 000 à 1 000 000 de dirhams ou de l'une de ces deux peines seulement101. En outre il est lieu de préciser que la loi 17-95 relative à la société anonyme n’a prévu aucune disposition en ce qui concerne les peines accessoires dans ce sens, pur cela il faut se référer au code pénal marocain qui prévoit aussi une interdiction d’exercer un métier ou profession pour les condamnés pour crime ou délit 102 . En France les dirigeants de droit ou de fait ont punissables de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende à titre de peines principales 103. La loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique a ajouté une circonstance aggravante applicable aux SARL et aux SA qui est sept ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende sont encourus lorsque l’infraction a été réalisée ou facilitée au moyen soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger, soit de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger. Des peines complémentaires peuvent s’ajouter à ces peines principales. La loi nº 2008-776 du 4 août 2008 a transformé les anciennes déchéances et incapacités en matière commerciale en peines complémentaires qui ne sont que facultatives. L’article L. 249-1 du Code de commerce prévoit des interdictions professionnelles, telles que l’interdiction temporaire de gérer dont la durée a été allongée à quinze ans par la loi du 6 décembre 2013 104. Par ailleurs, on tient à noter que plusieurs difficultés relatives à la procédure d’action ont été relevées particulièrement quant à la prescription de l’action publique.

B : la prescription de l’action publique  101 102 103 104

Dahir n° 16-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article :384 al 1 Dahir n°1-59-413 du 28 joumada II 1382 (26 NOVEMBRE1962) portant approbation du texte du code pénal, article : 87 code de commerce français , article : L242-6 Monteiro, Evelyne, L’essentiel du droit pénal des affaires, Gualino 2016, page 73

D’après la législation pénale marocaine l’action publique est mise en mouvement par le ministère public, soit d’office, soit sur la plainte des victimes, l’action publique permet d’agir en justice contre les auteurs du délit d’abus de biens sociaux et faire prononcer contre ceux-ci les peines et mesures de sûreté édictées par la loi. Le délit d'abus de biens sociaux obéit aux mêmes règles que l'abus de confiance en ce qui concerne la prescription de l'action publique. La loi marocaine 17-95 relative à la société anonyme n’édicte pas de règles spécifiques en matière de prescription de l’action publique contre le délit d’abus de biens sociaux, ce sont les règles de la procédure pénale qui s’appliquent dans ce sens. En effet l’abus de biens sociaux étant un délit, cette infraction se prescrit, par quatre années grégoriennes révolues à compter du jour où le délit a été commis 105. En outre l’abus des biens sociaux a toujours été considéré comme un délit instantané consommé au moment de l’accomplissement de l’acte délictueux. Mais les dirigeants sont parfois discrets, et l’infraction commise ne sera découverte qu’ultérieurement soit à l’occasion du dépôt du bilan, ou à l’occasion du changement des dirigeants. En droit français le délit d’abus des biens sociaux Il fait partie de la catégorie des délits clandestins pour lesquels la jurisprudence française veille à retarder le point de départ du délai de prescription. Tout va dépendre de l’existence ou non d’une dissimulation des actes d’abus dans les comptes annuels, du caractère ou non occulte du délit. Pour les délits non occultes, la jurisprudence française a posé le principe d’un report du point de départ du délai de prescription au jour de la présentation des comptes annuels lorsque les dépenses sont inscrites en comptabilité sous leur libellé correct106. En cas des délits de dissimulation, le point de départ du délai de prescription est poussé au jour de la découverte de l’abus, c’est-à-dire pour reprendre la formule de la chambre criminelle française qui admet qu’ au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans les conditions permettant l’exercice de l’action publique ,de ce fait, seule la révélation à des personnes ayant qualité pour engager les poursuites et mettre en mouvement l’action publique sera de nature à faire courir la prescription 107.

C : l’exercice de l’action civile  Cette action visant à assurer la protection du patrimoine social et l’action civile supposant la démonstration d’un préjudice personnel et direct, il en est logique 105 106 107

Code de procédure pénale marocaine, article :5 Monteiro, Evelyne, L’essentiel du droit pénal des affaires, Gualino 2016, page 74

Crim., 7 juin 2000, nº 99-80.006 ; Crim., 6 oct. 2010, nº 07-83.426 et nº 09-86.628

qu’elle soit ouverte à la société victime elle-même par le biais de son représentant légal. Lorsqu’une société est victime d’agissements de son dirigeant qui apparaissent contraires à l’intérêt social, notamment dans le cas des fautes de gestion, il appartient à la société d’engager la responsabilité du dirigeant ayant commis cette faute de gestion. Il s’agit de l’action sociale en responsabilité qui se subdivise en deux actions distinctes à savoir l’action « ut universi » qui est l’action en responsabilité engagée par les dirigeants eux mêmes, et l’action « ut singuli » qui elle est dirigée par l’un des associés de la société. Cette action tend à faire réparer le préjudice personnel subi par l’actionnaire ou par l’associé. L’action doit être exercée par l’actionnaire lui-même, si la société est en état de redressement ou de liquidation judiciaire, ceci n’influence en aucun cas l’exercice de l’action civile par l’actionnaire, étant donné que l’action sera entamée contre le dirigeant et non par contre la société en état de cessation de paiement.

D : La particularité de la constitution de la partie civile  Pour la Cour de cassation française, la victime directe de l’abus de biens sociaux est la société elle-même. À ce titre, elle est la seule personne à pouvoir se constituer partie civile devant les juridictions répressives108.à l’exclusion des actionnaires qui ne pourront pas obtenir des dommages-intérêts en raison de préjudices personnels, tels que la dévalorisation de leurs actions découlant des agissements fautifs des dirigeants109 En se référant au code de commerce français, ce sont les dirigeants sociaux qui agiront au nom de la société lésée, laquelle a droit à une réparation intégrale du préjudice subi du fait des actes illicites. Les associés ou les actionnaires ont également qualité pour exercer l’action ut singuli lorsque les dirigeants n’exercent pas l’action ut universi au nom de la société qu’ils représentent 110. L’action ut singuli n’est pas irrecevable quand l’action ut universi exercée par les organes sociaux est de toute évidence insuffisante, voire complaisante envers les anciens dirigeants111

108 109 110 111

Crim., 12 déc. 2000, nº 97-83.470 Crim., 13 déc. 2000,nº 99-80.387 ; Crim., 5 juin 2013, nº 12-80.387 Code de commerce français, art. L. 223-22 et L. 225-252

Crim., 16 déc. 2009, nº 08-88.305

Section 2 : La répression de la faute professionnelle du commissaire aux comptes : Le commissaire aux comptes joue un rôle primordial dans la vie des affaires et plus particulièrement dans la société anonyme, la raison pou laquelle le législateur marocain, à l’instar d’autres législations modernes, a mi en place un bloc de dispositions dans leur droit pénal spécial des sociétés visant tout particulièrement le contrôleur légal des comptes. Pour bien mener sa mission le commissaire aux comptes doit agir avec compétence diligence et prudence pour lui permettre d'avoir une connaissance approfondie et complète de la société contrôlée et d'avoir un degré raisonnable d'assurance par rapport à l'opinion qu'il doit mettre dans ses rapports. Il doit faire preuve d'impartialité et accomplir sa mission dans l'intérêt de tous les actionnaires. Dans l'exercice de sa mission, le commissaire aux comptes doit se conformer aux règles de diligence fixées par la profession112. Dans cette optique ce qui nous intéressent ici, les infractions du commissaire aux comptes ayant indubitablement pour origine des actes de conflits d’intérêts, quand sa mauvaise foi l’amène à violer intentionnellement ses obligations légales et professionnelles à l’égard de la société, ce sont cas notamment où la responsabilité pénale du commissaire aux comptes peut directement être mise en œuvre notamment pour des actes de conflits d’intérêts 113. Trois types d’infractions en lien avec ses obligations professionnelles peuvent être reprochées aux commissaires aux comptes sur qui pèse notamment un devoir de révélation des faits délictueux. Il s’agit donc de se focaliser sur la violation des incompatibilités légales (Paragraphe 1) ; le non révélation des faits délictueux (Paragraphe 2) ; et la communication ou la confirmation d’une information mensongère (Paragraphe 3).

Paragraphe 1 : la violation des incompatibilités légales  La violation d’une incompatibilité légale est sanctionnée pénalement. Sur le plan civil, les délibérations prises à défaut de désignation régulière d’un commissaire aux comptes ou sur le rapport d’un commissaire demeuré en fonction contrairement aux dispositions légales sont nulles. Au Maroc les commissaires aux comptes encourent une responsabilité pénale s’ils exercent leur fonction en violation d’une incompatibilité d’une part pour veiller à 112 113

Mohammed El Mernissi, Traité marocain de droit des sociétés, LexisNexis, 2020, page :621

Kougnontèma Awoki, Le conflit d’intérêts dans l’administration des sociétés en droit marocain et de l’OHADA, Thèse de Doctorat en Sciences juridiques de l’Université Mohammed 5, 10 octobre 2017, page :368

garantir l’indépendance des commissaires aux comptes et d’autre part pour lutter contre les conflits d’intérêts par le moyen d’éviter toute situation qui par son apparence pourrait conduire à ce phénomène. En effet le commissaire aux comptes engage sa responsabilité pénale sur la base de l’article 404 de la loi 17-95 relative à la société anonyme qui punit d'un emprisonnement de un à six mois et d'une amende de 8 000 à 40 000 dirhams toute personne qui, soit en son nom personnel, soit à titre d'associé dans une société de commissaires aux comptes aura, sciemment, accepté, exercé ou conservé les fonctions de commissaire aux comptes nonobstant les incompatibilités légales 114. En outre Cette infraction est établie directement quand une personne tombe sous le coup d'une incompatibilité et qui, en connaissance de cause, soit accepté les fonctions de commissaire aux comptes même sans les exercer, soit exercé ces fonctions, soit poursuivi l'exercice des fonctions après la survenance de l’incompatibilité115. Donc c’est un délit intentionnel ce qui suppose que le délai de prescription de l’action publique ne commence à courir qu’à compter du jour où le comportement illicite a pris fin. En France la loi nº 2003-706 du 1 er août 2003 a renforcé les dispositions du Code de commerce relatives à la déontologie des commissaires aux comptes en développant les incompatibilités de fonction, notamment lorsqu’elles concernent des personnes morales faisant appel public à l’épargne (art. L. 822-9 à L. 822-16, C. com.). L’article L. 620-6 du Code de commerce punit de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 7 500 euros, le fait pour toute personne de violer ces incompatibilités légales, soit en son nom personnel, soit au titre d’associé dans une société de commissaires aux comptes116. La rigueur des règles qui encadrent la profession du commissaire aux comptes s’observe dans l’obligation de révéler toute erreur, fraude, manipulation ou collusion des producteurs de l’information comptable et financière, la non dénonciation de tout fait délictueux, dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de sa mission est pénalement sanctionné .

Paragraphe 2 : La non révélation des faits délictueux  Au-delà de la prévention et de la procédure d'alerte, le commissaire aux comptes peut être amené à révéler les faits délictueux dont il a eu connaissance au cours de sa mission .En effet on peut définir les faits délictueux comme des faits qui sont 114 115 116

Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article : 404 Mohammed El Mernissi, Traité marocain de droit des sociétés, LexisNexis, 2020, page : 625 Monteiro, Evelyne, L’essentiel du droit pénal des affaires, Gualino 2016, page : 79

susceptibles de recevoir une qualification pénale. L'expression " faits délictueux " vise toutes les catégories d'infractions, indépendamment de leur qualification juridique de crime, de délit ou de contravention, quelle que soit la qualité ou la fonction de la personne ou de l’entité qui les a commis. Elle vise des situations établies, objectivement constatées, par opposition à des suppositions ou à des soupçons. Pour certains auteurs L'obligation de révélation du commissaire aux comptes doit concerner tous les faits délictueux qui peuvent être qualifiés d'infractions pénales et être en relation avec le droit des sociétés, le droit du travail, le droit fiscal le droit douanier ou le blanchiment d'argent. Cependant d’autres auteurs font entendre par les faits délictueux les seuls délits en rapport avec le fonctionnement des organes de la société et non pas tout les faits délictueux car cette obligation de dénonciation se limite à l'objet même de la mission du commissaire aux comptes, qui est la surveillance de l'application des règles relatives à la société, à l'exclusion de toute appréciation sur la conduite des affaires sociales 117 . L’obligation de révélation de faits délictueux à la charge des commissaires aux comptes existe aussi bien en droit marocain qu’en droit français. La seule différence réside dans le fait que, au Maroc, le commissaire aux comptes est tenu de révéler ces faits aux organes d’administration, de direction ou de gestion, tandis que dans le droit français, il doit s’adresser au Ministère public. Au Maroc la loi 17-95 relative à la société anonyme dans son article 405 pose dispose que tout commissaire aux comptes qui soit en son nom personnel, soit à titre d'associé dans une société de commissaires aux comptes, qui n’aura pas révélé aux organes d’administration, de direction ou de gestion les faits lui apparaissant délictueux dont il aura eu connaissance à l’occasion de l'exercice de ses fonctions sera puni d'un ‘emprisonnement de six mois à deux ans et/ou d'une amende de 10 000 à 100 000 dirhams118. En France le code de commerce punit de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende tout commissaire le commissaire aux comptes qui, soit en son nom personnel, soit au titre d’associé d’une société de commissaires aux comptes, n’a pas révélé au procureur de la République les faits délictueux dont il aura eu connaissance119.

A : La connaissance des faits délictueux  Sur ce terrain, la jurisprudence française est par sévère parfaitement envers les professionnels qui ne peuvent se contenter de ce qui est porté à leur connaissance 117 118 119

Mohammed El Mernissi, Traité marocain de droit des sociétés, LexisNexis, 2020, page :626 Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article :405 al :1 Code de commerce français , article : L. 820-7

par les dirigeants de la société. La loi leur impose en effet de procéder à des vérifications et des contrôles, de rechercher ce qu’on leur dissimule et d’exiger la communication de tous documents, le refus de production des documents étant luimême pénalement sanctionné comme délit d’obstacle à l’exercice de leurs fonctions120 .Donc ils ne pourront pas échapper facilement aux poursuites en avançant leur ignorance des infractions commises au sein de la société. Les tribunaux justifient souvent les condamnations par référence à leur qualité de professionnels avertis ou chevronnés et de spécialistes du droit des sociétés 121. Il faut préciser dans ce sens que le ministère public doit apporter la preuve que le commissaire aux comptes avait eu connaissance du fait délictueux qu’il s’est abstenu de révéler122. Le délit de la non révélation des faits délictueux est donc consommé donc il s’apprécie le jour où le commissaire aux comptes a pris connaissance des faits délictueux. Il est en principe auteur principal de l’infraction. Mais il est parfois poursuivi pour complicité par instructions d’une infraction commise par les dirigeants sociaux, en certifiant sans réserve des comptes tout en ayant connaissance 123 

B : La non révélation et le secret professionnel  Pour bien mener sa mission le commissaire aux comptes se trouve parfois entre devoir de révélation des faits délictueux et l’obligation de respecter le secret professionnel, chose qui n’est pas toujours facile à réaliser. Le législateur marocain comme son homologue le législateur français astreint le commissaire aux comptes et ses collaborateurs au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont ils ont pu avoir connaissance à raison de leurs fonctions124, et punit de l'emprisonnement d'un à six mois et d'une amende de 1 200 à 20 000 dirhams toute personne dépositaire par état ou par profession ou par fonctions permanentes ou temporaires des secrets qu'on lui confie et qui révèle ces secrets125. L’obligation du secret professionnel du commissaire aux comptes n'est pas incompatible avec sa mission d'information vis-à-vis des organes sociaux comme le cas de la dénonciation de faits délictueux, le commissaire aux comptes n'est tenu de l'obligation d'informer et de rendre compte qu'à l'égard des organes sociaux pris en tant que tels. Il ne peut pas répondre à une demande d'information qui émane d'un actionnaire ou même d'un dirigeant, agissant à titre individuel en dehors des 120 121 122

Véron Michel , Droit pénal des affaires, 11°édition, Dalloz 2016, page :195 Crim. 8 févr. 1968, Bull. crim. N° 42 ; T. corr. Paris 14 janv. 1981, Gaz. Pal. 1981. 1.190

Crim., 21 mars 1983 : Bull. CNCC, p. 238, § 50, note Du Pontavice – Crim., 16 juin 1999 : Bull. Joly Sociétés 1999, p. 1159, J.-F. Barbieri 123 Véron Michel , Droit pénal des affaires, 11°édition, Dalloz 2016, page :196 124 125

Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, art :405 al2 Dahir n°1-59-413 du 28 joumada II 1382 (26 NOVEMBRE1962) portant approbation du texte du code pénal, art :446

assemblées ou des réunions du conseil d'administration, du directoire ou du conseil de surveillance. L'obligation au secret professionnel reste entière vis-à-vis des tiers, en particulier les fournisseurs, clients et créanciers 126. En France, ce secret professionnel n’est pas absolu et apparaît « relativisé » en de nombreuses circonstances. C’est ainsi que le code de commerce français les délie du secret professionnel d’une part, pour signaler à la plus prochaine assemblée générale les irrégularités et les inexactitudes relevées par eux dans l’accomplissement de leur mission127, et d’autre part, pour révéler au procureur de la République les faits délictueux dont ils ont eu connaissance, sans que leur responsabilité puisse être engagée par cette révélation 128. En ces deux circonstances, leur devoir de se taire doit céder devant l’obligation de parler que la loi leur impose. En outre, les commissaires aux comptes sont tenus de fournir tous les renseignements et documents qui leur sont demandés à l’occasion des inspections et contrôles de l’exercice de leur profession sans pouvoir opposer le secret professionnel129.

C : l’intention coupable  Il est indiscutable que ce délit suppose une intention coupable que la jurisprudence française qualifie de mauvaise foi. La loi ne sanctionne guère la simple négligence, mais le véritable refus de dénoncer par le commissaire aux comptes qui a eu connaissance du caractère délictueux, la jurisprudence a fait preuve dans cette optique d’une certaine sévérité. En effet la cour de cassation française n’hésite pas à censurer la décision des juges du fond qui ne sanctionne pas le prévenu lorsqu’elle considère qu’il ressort des constatations des juges du fond qu’il avait nécessairement connaissance, dans le cadre de sa mission, d’irrégularités susceptibles de constituer des infractions pénales130

Paragraphe  3 : Les informations mensongères La non révélation des faits délictueux n’est pas la seule infraction qui peut être commise par les commissaires aux comptes. Il y’a également une autre sanction

126 127 128 129 130

Mohammed El Mernissi, Traité marocain de droit des sociétés, LexisNexis, 2020, page :627 Code de commerce français, article L.832-12, al 1 Code de commerce français, article L.832-12, al 2 Code de commerce français, article L.821-12 Crim. 25 févr. 2009, Dr. pénal 2009. Comm. 69, note J.-H. Robert

pénale si les commissaires aux comptes communiquent ou confirment une information mensongère dans le rapport spécial sur les conventions 131. En effet le délit d'informations mensongères suppose la présence d'une information mensongère se rapportant à la mission du commissaire aux comptes et sa communication aux associés ou aux tiers. Au Maroc le délit de communication ou de confirmation des informations mensongères découle des dispositions de la loi 17-95 relative à la société anonyme qui stipule que Tout commissaire aux comptes qui soit en son nom personnel, soit à titre d'associé dans une société de commissaires aux comptes, aura sciemment donné ou confirmé des informations mensongères sur la situation de la société sera puni d'un emprisonnement de six mois à deux ans et/ou d'une amende de 10 000 à 100 000 dirhams132. En France ce délit est réprimé par un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 75 000 €133. L'infraction est constituée, soit par un acte positif qui tend à donner ou à confirmer une information mensongère oralement ou par écrit, soit par un silence approbateur du commissaire aux comptes, il doit s'agir de falsifications qui sont contraires à la vérité. C’est une infraction qui est souvent constatée au niveau de la certification, de mauvaise foi, de comptes irréguliers. En outre cette infraction peut aussi concerner les informations données dans le rapport de gestion, c'est la sanction la plus grave dans toutes les dispositions pénales du droit de sociétés au niveau de l'emprisonnement et de l'amende, cette gravité puise son illégitimité par le fait que le commissaire aux comptes induit en erreur les actionnaires et le public et trahit ainsi la confiance mise en lui134.

131

Kougnontèma Awoki, Le conflit d’intérêts dans l’administration des sociétés en droit marocain et de l’OHADA, Thèse de Doctorat en Sciences juridiques de l’Université Mohammed 5, 10 octobre 2017, page :374 132 Dahir n° 1-96-124 (14 rabii II 1417) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes, article : 405 al :1 133 134

Code de commerce français, art .L.820-7

Mohammed El Mernissi, Traité marocain de droit des sociétés, LexisNexis, 2020, page :625-626

CONCLUSION Les conflits d’intérêts font de plus en plus l’objet de débats et de réflexions, auprès des juristes marocains comme au niveau universel, en témoigne les modifications qu’a subi la loi sur la société anonyme et qui ont remédié principalement à un vide juridique relatif à certaines situations de conflits d’intérêt comme explicité dans notre développement. Ce mouvement, étant enclenché par une volonté grandissante d’assainir la vie sociale de la société commerciale et de parfaire son fonctionnement, a donné naissance à maintes institutions légales de nature à pallier aux dysfonctionnements internes de la société résultant des situations de conflits d’intérêt. Dans cette perspective, le législateur marocain a suivi les pas de ses homologues européens, par son implémentation de certaines dispositions dans la loi 17-95 qui vont contrecarrer ces espèces de situations, soit par la prévention, le traitement ou encore la répression. Pour ce qui est des règles qui servent à limiter le risque de survenance des situations de conflits d’intérêts, nous trouvons des conditions légales négatives qui interdisent l’exercice de certaines fonctions de direction et de contrôle en même temps, comme l’exercice du commissariat aux comptes et de la direction, ou bien comme étant à la fois membre du directoire et du conseil de surveillance, entre autres. Car ce genre de situation où la même personne cumule les deux fonctions le plonge dans une situation manifeste de conflit d’intérêts et risque d’affaiblir la fonction de contrôle qui est censée neutraliser tout acte suspect de la part du dirigeant.

Dans le même ordre idées, le législateur a instauré des interdictions quant à certains actes qui sont de par leur nature nuisible à la société, notamment les conventions interdites qui sont manifestement synonymes d’un conflit d’intérêts pour le bénéficiaire de ce type de convention, puisqu’il s’agit d’un acte à travers lequel le dirigeant ou une personne qui a un lien direct avec lui contracte un crédit auprès de la société qu’il dirige. A cela s’ajoute les conventions réglementées qui doivent obéir à une procédure draconienne tendant à accorder aux actionnaires le droit de les valider ou les contester, puisqu’elles procurent des avantages au même personnes visées par les conventions interdites, qui risquent d’en abuser en raison de leur pouvoir d’influence. Viennent en renfort également les institutions classiques de contrôle à savoir le droit d’information de l’actionnaire et le pouvoir d’investigation du commissaire aux comptes, qui se présentent comme des moyens efficace pour déceler tout éventuel dysfonctionnement dans la gestion de la société, les actes relevant d’un conflit d’intérêt y compris. D’autres mesures contribuent à la réalisation du même objectif, quoique à une moindre mesure, notamment l’obligation de loyauté dont est tenu le dirigeant, qui suppose de lui un degré de transparence et un devoir de révéler toute situation potentiellement compromettante tel les situations de conflits d’intérêts, sous peine de se voir sa responsabilité engagée pour trahison des principes de bonne foi et du devoir de diligence qu’implique son mandat social. Pour ce qui est des règles qui servent à traiter les situations de conflits d’intérêts postérieurement à leur survenance, le législateur marocain a réservé tout une panoplie d’institutions censées assurer la réparation du préjudice engendrée par ce genre de situation et parfois allant jusqu’à sanctionner leur auteur. Nous citons à ce titre, les actions en responsabilité dont peut faire face ce dernier, à chaque fois qu’il y a un dommage, résultant directement de l’acte relevant d’un conflit d’intérêt, l’acte en question pouvant aller de la simple faute de gestion, la violation des règles statutaires ou légales, ou encore la violation des conventions réglementées et interdites, jusqu’aux délits pénaux de l’ordre de l’abus de biens sociaux, ou encore la faute professionnelle du commissaire aux comptes, qui sont tous des agissements par lesquels leur auteur cherche à satisfaire un intérêt personnel en profitant de sa position d’influence et de pouvoir auprès de la société, d’où le conflit d’intérêt. A ce propos, et s’agissant des délits pénaux, il y a lieu de mettre en œuvre l’action publique en raison de la gravité des faits pour faire supporter à leur auteur la peine appropriée et faire jouer la fonction dissuasive de ces incriminations. A l’opposé, et s’agissant de simples discordes entre actionnaires, entrainant blocage ou préjudice pour une frange d’entre eux, tel les situations d’abus de majorité ou de minorité, le droit marocain offre des solutions intéressantes à ces situations sur le fondement de la notion de l’abus de droit comme explicité dans notre développement.

A l’issue donc de notre analyse de ces situations de conflits d’intérêts au sein de la société anonyme, nous pouvons constater que le cadre juridique réservé au traitement de ce fléau universel est suffisamment solide pour fournir à l’actionnaire comme à la société des moyens de protection. Sauf que force est de constater que malgré l’existence d’un tel arsenal juridique, le problème des conflits d’intérêts persistent et influent négativement sur la bonne marche des sociétés commerciales en raison de l’inapplication des lois qui est une tendance d’autant plus répandu dans le monde des affaires car on craint de décourager l’investissement. Il n’est donc pas nécessaire d’aller plus loin en légiférant sur le conflit d’intérêts mais le plus important est de mettre en œuvre des dispositifs existants, et de trouver le juste équilibre entre la pénalisation et la dépénalisation afin de préserver la confiance et la sécurité de l’investisseur sans démoraliser le monde des affaires. Par ailleurs, et même si ces instruments législatifs soient sérieusement mise en œuvre pour éradiquer les situations de conflits d’intérêts, un autre problème surgit lorsqu’on sait qu’ils ne peuvent être mis en œuvre que par voie judiciaire et que l’impact que peut avoir des instances judiciaires sur la vie sociale d’une société peut lui être extrêmement dommageable, entre nuisance à la réputation, déstabilisation interne et perte de confiance entre les organes sociaux, il vaudrait mieux les éviter. C’est pourquoi, nous estimons que l’idéal est d’anticiper la réalisation du conflit d’intérêt et d’empêcher sa concrétisation. Et c’est dans ce sens qu’intervient la notion de la bonne gouvernance, qui se traduit dans notre contexte par le développement, au sein de toute structure économique, d’une culture d’entreprise qui affirme avec force et de manière à être clairement comprise par tous les collaborateurs que le respect de la loi et des règles d’intégrité n’est pas négociable. De même, la bonne gouvernance suppose l’exemplarité des dirigeants qui sont appelés à donner l’exemple et faire en sorte que les conditions de l’émergence et du maintien de cette culture soient bien réunies. Dans ce sens, nombreux sont les théoriciens de la gouvernance de l’entreprise qui ont proposé de faire face aux conflits d’intérêts par l’implémentation du droit soft 135, à fortiori à travers des mesures de sensibilisation et un travail sur la culture de l’entreprise. Furent dans ce sens proposés les mesures suivantes 136 : • favoriser l’information et la sensibilisation sur les situations engendrant les conflits d’intérêts, notamment dans les fonctions les plus sensibles. 135

Le soft law ou droit soft consiste en des textes de droit non contraignant et pouvant être librement interprétés par les assujettis à ces textes. 136

• Elaborer un code éthique illustré par des cas pratiques. • Mettre en place un dispositif de formation pour sensibiliser les collaborateurs et les dirigeants à l’identification, la prévention, la gestion des conflits d’intérêts et les sanctions applicables. • Désigner une personne en charge des questions liées à l’éthique et faciliter l’accès à cette personne pour tous les salariés et les dirigeants. • Mettre en place des procédures de vérification à quatre yeux et/ou de double signature au moins pour les projets et décisions les plus sensibles. • Mettre en place des procédures de séparation physique et organisationnelle entre préparation et validation de décision. • Mettre en place des procédures de rotation des salariés sur certaines fonctions sensibles, telles que les achats et les relations clients. • Encourager l’auto-déclaration spontanée faite par chacun dès qu’un risque de survenance de conflits d’intérêts apparaît. Se pose alors la question de savoir, si les entreprises marocaines sont suffisamment matures et organisées, pour privilégier l’action sur ses organes internes vers une révision de leur idéaux et leur culture RSE137, et si elles ont suffisamment de moyens et de volonté pour investir aussi bien dans la promotion des principes de la bonne gouvernance auprès de ses collaborateurs que dans ses projets économiques, voire si elles sont conscientes de l’intérêt d’agir à ce niveau. Car il faut reconnaitre que les entreprises marocaines souffrent d’une grande inculture dans ce sens surtout au niveau de ses organes de direction qui se comportent encore comme des chefs d’entreprises familiales, surtout s’agissant des très petites et moyennes entreprises, qui constituent les majeures parties du tissues entrepreneurial marocain. Alors que les grandes entreprises quant à elles, à l’exception de quelques-unes, peinent à adhérer à ce mouvement de promotion de la bonne gouvernance en raison du manque de conscience des chefs d’entreprise car ceux-ci souffrent eux même d’un manque de compétence et de formation, pour ne pas dire de vertus et de sens de responsabilité. Ce qui nous invite à nous interroger sur le moyen qui serait le plus idéal pour agir contre ce genre de fléaux, ne serait-il peut être pas plus intéressant d’agir sur le corps des dirigeants sociaux à travers la sensibilisation voire la mise à niveau ? N’est-il pas temps de cesser de réviser les textes et de concevoir de nouvelles formules et d’agir sur l’élément humain qu’est le dirigeant social plutôt que sur l’élément légal ? 137

La RSE ou la responsabilité sociétale des entreprises désigne la prise en compte par les entreprises, sur base volontaire, et parfois juridique, des enjeux environnementaux, sociaux, économiques et éthiques dans leurs activités.

Bibliographie Ouvrages généraux : Monteiro Evelyne : L’essentiel du droit pénal des affaires, Gualino 2016 Pimpert Agnès : introduction au droit en fiches, ellipses, 2017 Y. Guyon : Droit des affaires, tome 1: Droit commercial général et sociétés, 2003

Ouvrages spéciaux : Bruno Dondero : Droit des sociétés, Dalloz , 2019 Djila Kouayi Kemajou Rose : Le droit pénal des affaires au Cameroun, l’harmattan 2015 Magnier Véronique : Droit des sociétés, Dalloz 2017 M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy : Droit des sociétés, 17é édition, 2004 M.Cozian, A.Viandier, F.Deboissy : Droit des sociétés ,LexisNexis 2015, 28eme ed Mohammed El Mernissi : Traité marocain de droit des sociétés , LexisNexis, 2020 Véron Michel : Droit pénal des affaires, 11°édition, Dalloz 2016

Thèse :

Kougnontèma Awoki : Le conflit d’intérêts dans l’administration des sociétés en droit marocain et de l’OHADA, Thèse de Doctorat en Sciences juridiques de l’Université Mohammed 5, 10 octobre 2017

Revues : Saida Guenbour : le devoir de loyauté : un vecteur de la moralisation de la vie d’affaire, revue de droit civil économique et comparé, Vol 1 No 1 2020 Yves Chaput : Cahiers de droit de l’entreprise N° 5, Septembre-Octobre 2005

Table des matières REMERCIEMENTS DEDICACE SOMMAIRE INTRODUCTION Partie 1 : Les instruments de prévention en matière des conflits d’intérets Chapitre 1 : Les dispositions légales en matière des conflits d’intérets Section 1 : Les incompatibilités et les interdictions Paragraphe 1 : Les incompatibilités Paragraphe 2 : Les interdictions Section 2 : Les règles de transparence Paragraphe 1 : L’obligation de loyauté découlant du principe de la bonne foi conractuelle Paragraphe 2 : L’obligation de révèlation découlant de la société anonyme Chapitre 2 : le contrôle des conflits d’intérets Section 1 : le contrôle interne Paragraphe 1 : Le contrôle par l’information des actionnaires A : Un droit d’information ponctuel B : Un droit à l’information permanent Paragraphe 2 : Le contrôle par l’expertise de gestion Section 2 : Le contrôle externe par le commissaire aux comptes

Paragraphe 1 : La vérification des comptes Paragraphe 2: Le contrôle du rapport de gestion Partie 2 : Les outils de répression en matière des conflits d’intérets Chapitre 1 : Les sanctions civiles en matière des conflits d’intérets Section 1 : Les sanctions de la violation des règles préventives des conflits d’intérets Paragraphe 1 : Les sanctions relatives aux conventions réglementées et interdites A : La nullité des conventions interdites B : L’annulation des conventions réglementées C : La mise en œuvre de la résponsabilité civile Paragraphe 2 : Les autres sanctions envisageables A : La mise en œuvre de la faute de gestion B : La résponsabilité civile en cas de violation du devoir de loyauté C : La révocation des dirigeants Section 2 : Les sanctions de l’abus de droit e matière des conflits d’intérets Paragraphe 1 : L’abus de majorité Paragraphe 2  : L’abus de minorité Chapitre 2  : Les sanctions pénales en matière des conflits d’intérets Section 1 : L’abus des biens sociaux.................................................................................. Paragraphe 1 : Les éléments constitutifs du délit d’abus des biens sociaux.................. A : Un acte d’usage des biens,du crédit ou des pouvoirs..................................... B : Un acte contraire à l’intérêt social................................................................... C : Un acte effectué de mauvaise foi.................................................................... D : Un acte réalisé dans un intérêt personnel Paragraphe 2 : La répression du délit d’abus des biens sociaux................................. A : Les peines applicables....................................................................................... B : La prescription de l’action publique................................................................. C : L’exercice de l’action civile................................................................................ D : La particularité de la constitution de la partie civile ....................................... Section 2 : la faute professionnelle du commissaire aux comptes.................................... Paragraphe 1 : La violation des incompatibilités légales............................................... Paragraphe 2 : La non révèlation des faits délictueux A: La connaissance des faits délictueux

B : La non révèlation et le secret professionnel.................................................... C : L’intention coupable........................................................................................ Paragraphe 3 : Les informations mensongères............................................................. CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE TABLE DES MATIERES

En cas de dissimulation, le point de départ du délai de prescription est retardé au jour de la découverte de l’abus, c ’est-à-dire pour reprendre la formule de la chambre criminelle

En cas de dissimulation, le point de départ du délai de prescription est retardé au jour de la découverte de l’abus, c ’est-à-dire pour reprendre la formule de la chambre criminelle En cas de dissimulation, le point de départ du délai de prescription est retardé au jour de la découverte de l’abus, c ’est-à-dire pour reprendre la formule de la chambre criminelle En cas de dissimulation, le point de départ du délai de prescription est retardé au jour de la découverte de l’abus, c ’est-à-dire pour reprendre la formule de la chambre criminelle