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French Pages 369
Bruno Fantino Gérard Ropert
Bruno Fantino Gérard Ropert
Postface de Hughes Verdier, BearingPoint
© Photos de couverture : Phovoir
© Dunod, Paris, 2008 ISBN 978-2-10-053742-6
Sommaire Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
VII
Partie 1 La santé en France : état des lieux et perspectives Chapitre 1
La santé des Français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3
Chapitre 2
Une politique émergente de prévention et de santé publique . . . . .
23
Chapitre 3
Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation . . . . . . . . . . .
59
Chapitre 4
Un système hospitalier en mutation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
91
Partie 2 Du bon usage du progrès médical Chapitre 5
Un progrès médical à consolider . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
115
Chapitre 6
Le médicament : une marchandise pas comme les autres . . . . . . . . . . .
133
Chapitre 7
Le médecin du XXIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
151
Chapitre 8
Le colloque médecin-patient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
169
Partie 3 Un progrès social vulnérable Chapitre 9
Des problèmes récurrents de financement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
183
Chapitre 10
L’assurance maladie : un assureur solidaire en santé ? . . . . . . . . . . . . .
201
SOMMAIRE Chapitre 11
Une démocratie sanitaire menacée par le consumérisme . . . . . . . . . . .
217
Chapitre 12
Les médecins libéraux et leur contrat de société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
231
Partie 4 Du bon usage de la réforme
VI
Chapitre 13
Une réforme : pour quoi faire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
253
Chapitre 14
Réformer : oui, mais comment ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
269
Chapitre 15
Des assurances « complémentaires », mais à quoi ? . . . . . . . . . . . . . . . .
283
Chapitre 16
Pour une approche globale d’une politique de santé publique . . . . .
301
Postface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
327
Compléments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
329
Sigles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
341
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
344
Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
348
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
355
Avant-propos
L
E SYSTÈME DE SANTÉ FRANÇAIS,
classé le meilleur du monde par l’OMS en 2000, contient en lui-même un véritable paradoxe. Il se situe en effet dans les premiers rangs pour son espérance de vie à la naissance mais aussi pour sa surmortalité prématurée, indigne d’un pays riche. Et les performances du système, bien qu’honorables, risquent de se dégrader encore, les résultats observés ne paraissant pas à la hauteur des ressources qui y sont consacrées, eu égard notamment aux financements publics. Les risques auxquels sont confrontés les Français ne cessent de se diversifier, qu’ils soient sociaux, professionnels ou sanitaires, et ce en dépit d’une politique de prévention émergente. L’offre des soins de ville est en constante recherche d’optimisation, tandis que le système hospitalier amorce une mutation tant attendue. Quant aux inégalités sociales de santé, elles soulignent que la société française doit au plus vite adapter son système de santé afin de répondre aux nombreux défis qui l’attendent. Cette adaptation passe à la fois par la refonte des paysages hospitaliers et de médecine de ville, par la détermination de nouvelles valeurs communes à tous les acteurs du système, par une réflexion sur les nouvelles gouvernances à élaborer, sur les voies de réformes à entreprendre. En effet, si bon nombre de textes législatifs ou réglementaires ont été à l’origine de réformes profondes depuis trois ans dans les domaines de la santé et de la Sécurité sociale, il n’en reste pas moins que notre système de santé semble de plus en plus remis en cause dans ses fondements.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Le système français doit se tourner vers l’amélioration continue des pratiques professionnelles à travers notamment la promotion de la santé et la qualité des soins. L’hôpital français constitue encore une référence technique sans apparaître comme un modèle d’efficience organisationnelle. Le développement des alternatives à l’hospitalisation, marquant la fin des cloisonnements entre la médecine de ville et la médecine hospitalière, reste insuffisant. Le bon usage du progrès médical s’impose tant auprès des industries initiatrices qu’à travers sa diffusion pertinente dans les pratiques professionnelles et son accessibilité au plus grand nombre. La politique du médicament qui tente de concilier des intérêts économiques et sociaux a priori divergents doit s’inscrire dans cette logique de bon usage du progrès médical. Le médicament n’est en effet pas une marchandise comme les autres : il relève d’une industrie concurrentielle qui doit le rester tout en réussissant sa contractualisation avec les pouvoirs publics. Quant au médecin, premier utilisateur du progrès médical, il doit en faire bénéficier tous ses patients avec discernement, tant en ce qui concerne ses prescriptions que ses tarifs qui garantissent l’accès aux soins de tous. À ce titre, la médecine générale ne doit plus être considérée comme une sous-médecine mais comme une spécialité à part entière, ses principes énoncés dans la charte de 1927 constituant toujours une référence, si ce n’est juridique, du moins culturelle pour l’ensemble du corps médical. C’est autour de ces principes que les affrontements les plus âpres ont eu lieu entre partenaires sociaux et médicaux : aujourd’hui, le climat est plus apaisé et ces principes ont été largement amendés au fil du développement de l’Assurance maladie, pour aboutir à un compromis socio-libéral. Toutefois, l’évolution de la relation médecin patient dans le cadre d’un
AVANT-PROPOS
VIII
« colloque » devenu pluriel implique d’aller vers d’autres référents culturels pour concilier progrès médical et progrès social. Ce dernier reste quant à lui vulnérable, non seulement au regard des problèmes récurrents de financement, mais aussi au regard d’une utilisation des ressources trop consumériste fragilisant tout autant l’émergence de la démocratie sanitaire, le contrat sociétal des médecins libéraux et par voie de conséquence le caractère solidaire de notre système de santé. Attention donc aux coûts de santé non maîtrisés, aux coûts évitables liés à la conjoncture ou à une organisation des soins non optimisée. L’originalité de l’Assurance maladie française est qu’elle repose sur la coexistence d’une prise en charge socialisée des dépenses avec une offre libérale de soins, d’où une gouvernance du système partagée avec l’État. Si la réforme de 2004 a confirmé son caractère obligatoire et solidaire, cinq ans après l’instauration de la Couverture maladie universelle, des difficultés se font jour, rappelant que l’égalité d’accès aux soins n’est jamais acquise. Ces constats ne doivent pas freiner toute démarche de réforme du système de santé, même s’il convient de s’interroger au préalable sur la finalité et la méthode. Ce qui importe avant tout est d’en bien user. Il nous faut donc interroger la stratégie, les enjeux et les mythes pour mieux dépasser des clichés de plus en plus éculés : un État et une Assurance maladie qui s’affrontent sur la gouvernance, un patient qui s’émancipe et conteste le pouvoir médical, des Français qui veulent les meilleurs soins sans cotiser davantage, des médecins qui veulent continuer de gagner plus tout en travaillant moins, tout ce petit monde restant par ailleurs viscéralement attaché à la sacro-sainte Sécu... Le concept de « panier de biens et services de santé », s’il a fait l’objet d’un rapide consensus, fait également débat, tandis qu’une articulation des prises en charge entre les régimes de base et complémentaires est rendue nécessaire, tant par l’absence d’harmonisation que par les perspectives de désengagement des régimes obligatoires. Si le mur qui séparait le préventif du curatif est enfin tombé et avec lui le quasi-monopole de l’État dans la gestion de la prévention, pour autant l’intégration de la prévention aux soins a besoin d’être outillée et professionnalisée. Une politique de santé se situe aujourd’hui à la confluence de choix environnementaux, sociaux, économiques, sanitaires et budgétaires : placer le curseur au bon endroit de ce champ multidimensionnel s’avère essentiel quand bien même l’exercice est difficile, tant les intérêts paraissent parfois divergents. C’est sur cette difficulté majeure que le lecteur trouvera ici les éléments susceptibles de mieux éclairer les choix et les décisions auxquels les politiques doivent aujourd’hui faire face, avec lucidité et détermination, pour le plus grand intérêt des citoyens et des usagers du système de santé.
Partie 1 La santé en France : état des lieux et perspectives
Chapitre 1
La santé des Français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3
Chapitre 2
Une politique émergente de prévention et de santé publique . . .
23
Chapitre 3
Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation . . . . . . . . .
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Chapitre 4
Un système hospitalier en mutation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 1 La santé des Français
PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
PLAN DU CHAPITRE 1. La santé des Français : un état des lieux mitigé Des critères objectifs pour améliorer la santé Une situation loin d’être idéale L’espérance de vie sans incapacité Des progrès entachés d’inégalités Une surmortalité prématurée et atypique 2. Des inégalités sociales et territoriales Sommes-nous vraiment tous égaux devant la mort ? Qu’entend-on par « déterminants de santé » ? Que peut bien cacher une géographie aussi inégalitaire ? Une cartographie inopérante de l’offre de soins Vers de nouveaux territoires de santé
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5 5 6 7 7 9 13 13 14 15 18 19
1 • La santé des Français
1. LA SANTÉ DES FRANÇAIS : UN ÉTAT DES LIEUX MITIGÉ La bonne santé des Français enregistre une progression à plusieurs vitesses car l’espérance de vie à la naissance ne cesse de s’allonger tandis que la surmortalité prématurée demeure une caractéristique bien française.
Si globalement la santé des Français s’est améliorée au cours des trente dernières années, elle concerne de manière inégale différents groupes de la population : les enfants, les femmes ou encore les personnes âgées de plus de 65 ans apparaissent très nettement comme les catégories les plus favorisées.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Il est tout d’abord intéressant de noter que quelles que soient les méthodes d’enquête, l’appréciation portée par la population française sur son propre état de santé est positive. On connaît bien les limites de telles études, entachées de subjectivité, mais globalement près de neuf1 Français sur dix jugent leur état de santé très satisfaisant ou satisfaisant. Bien entendu ce sont les plus âgés qui pensent se trouver dans un état de santé peu satisfaisant, les hommes déclarant classiquement un état de santé légèrement meilleur que les femmes. Par ailleurs, la perception de l’état de santé s’améliore en même temps que le niveau de formation de l’individu. Quand on demande aux Français leur opinion sur l’évolution de l’état de santé de la population en général au cours des dix dernières années2 , ils ne sont plus qu’un français sur deux à estimer que leur état de santé s’est amélioré (contre 62 % en 2000). Ils sont même 27 % à déclarer au contraire qu’il s’est détérioré et 18 % à estimer qu’il n’a pas évolué. Les jugements les plus pessimistes émanant des
femmes (écart important de 7 points par rapport aux hommes), des bénéficiaires du RMI, des chômeurs, des employés et ouvriers (écarts respectifs de 16, 11 et 7 points, par rapport « aux professions libérales et cadres supérieurs ») et des personnes non diplômées (8 points d’écart avec les « bac + 2 et plus »).
Des critères objectifs pour améliorer la santé L’espérance de vie à la naissance est le critère le plus communément cité. On rappellera brièvement ce dont il s’agit : c’est le nombre moyen d’années restant à vivre à la naissance, compte tenu du taux de mortalité par tranche d’âge et dans l’hypothèse où celui-ci ne se modifie pas. En 1935 l’espérance de vie des Français se situait à 55 ans pour les hommes et à 61 ans pour les femmes. Aujourd’hui, l’espérance de vie à la naissance est de 77,23 ans pour les hommes (soit en net progrès puisqu’elle était de 72,7 ans en 1990) et de 84,1 ans pour les femmes (81 ans en 1990). C’est un résultat excellent, l’un des meilleurs du monde. Les conditions de recours au système de soins, la qualité de la médecine, l’éducation, les conditions d’accès à l’eau potable, l’alimentation et les facteurs d’hygiène sont contributifs de ce résultat sachant qu’il est admis que les déterminants de santé sont avant
1. DREES, « L’évolution des Français en matière de santé et de protection sociale entre 2000 et 2005 », Études et Résultats n◦ 462, février 2006. 2. Id. 3. Chiffres provisoires Insee, 2006.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES tout sociaux et que la part du système de soins, pour essentielle qu’elle soit, ne dépasse pas 20 %. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) utilise un indicateur1 intégrant les maladies et leur gravité afin de les soustraire à l’espérance de vie totale. L’ancien indicateur calculait l’espérance de vie sur les seules durées de vie totale et donc sur les données de mortalité. Il résulte du nouvel indicateur une espérance de vie « en bonne santé » égale ou supérieure à 70 ans dans 24 pays et supérieure à 60 ans dans plus de la moitié des pays membres de l’OMS, tandis que 32 pays affichent une durée inférieure à 40 ans. Les dix derniers pays se situent en Afrique subsaharienne dévastée par l’épidémie du Sida (26 millions2 de personnes infectées sur un total mondial d’environ 40 millions).
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Alors que la France se situe à la 7e place, derrière le Japon, la Suisse, l’Islande, la Suède, l’Australie et l’Espagne, les États-Unis sont relégués au 24e rang confirmant qu’un américain meurt plus tôt et passe plus de temps malade que n’importe quelle personne des autres pays riches. Malgré la part de PIB la plus importante du monde consacrée aux dépenses de santé, les Américains ne parviennent pas à vaincre les inégalités et l’exclusion sociale, à diminuer le nombre d’homicides consécutifs à la violence, les maladies coronariennes, les cancers dus au tabac ni à enrayer les effets de la drogue et du Sida (même si le nouvel indicateur leur confère une espérance de vie à 77,5 ans contre 80,3 pour la France et 82,1 pour le Japon...).
Une situation loin d’être idéale L’espérance de vie des personnes sans domicile fixe est d’environ 45 ans, selon les quelques données disponibles. Autrement dit, l’espérance de vie des plus pauvres en France est plus proche de l’espérance de vie au Sierra Leone (34 ans), pays qui a l’une des espérances de vie les plus courtes du monde, que de l’espérance de vie de l’ensemble de la population française3 ; la part de « mortalité évitable liée aux pratiques de prévention primaire4 » (représentant les causes de décès qui pourraient être évitées par une réduction des comportements à risque tels le tabagisme, l’alcoolisme, les conduites routières dangereuses) par rapport à la mortalité « prématurée » est de 39 % chez les hommes et de 24 % chez les femmes (chiffres de 2002) ; ainsi, pour les accidents de la circulation, la classe d’âge la plus exposée est celle des 18 à 24 ans (en particulier chez les hommes), avec un taux de risque 2,6 fois plus fort que la moyenne en métropole ; les suicides représentent 13 % du total des décès et constituent la seconde cause de décès après les accidents de la circulation entre 15 et 24 ans. La France souffre d’une surmortalité masculine malgré la baisse de la mortalité cardio-vasculaire. Aux inégalités sociales s’ajoutent des inégalités géographiques : l’espérance de vie à la naissance varie de plus de dix ans entre certaines zones du nord et du sud de la France avec une surmortalité spécifique à l’âge de 30 et 40 ans dans les petites villes par rapport aux
1. DALE : Disability Adjusted Life Expectancy. 2. Chiffres 2005 du dernier rapport UNAIDS : l’Afrique subsaharienne ne représente que 10 % de la population mondiale, mais 60 % des personnes atteintes par le Sida ; 3,2 millions de personnes de cette région du monde ont été infectées en 2005 sur les 5 millions de contaminations nouvelles dans le monde. 3. Institut de veille sanitaire, « Les inégalités sociales en France en 2006 : éléments de l’état des lieux », Bulletin épidémiologique hebdomadaire thématique n◦ 2-3, 23 janvier 2007. 4. DREES, L’état de santé de la population en France en 2006 – Indicateurs associés à la loi relative à la politique de santé publique, 2006.
1 • La santé des Français campagnes et aux pôles urbains. L’obésité des hommes jeunes est plus forte dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Le taux de prématurés est fonction du niveau scolaire de la mère, la mortalité maternelle reste trop élevée1 , la contraception et le taux de couverture vaccinale demeurent souvent insuffisants.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
La France est loin d’avoir optimisé sa politique de prévention et de santé publique par défaut de pilotage et de responsabilisation des acteurs. Les retards de traitement de l’obésité des adolescents, des comportements violents des jeunes adultes ou des effets du vieillissement constituent des facteurs de dégradation à terme des indicateurs sanitaires. La baisse modeste de la mortalité tabagique masculine, voire de celle liée à l’alcool ne doit pas occulter la montée des mêmes comportements à risques chez les femmes dont la hausse d’espérance de vie ralentit (en particulier chez les femmes seules de plus de 45 ans). Enfin, si l’augmentation de l’espérance de vie résulte principalement du recul de la mortalité sur les tranches d’âges élevés, il apparaît opportun de traiter tous les effets du vieillissement sur la santé et de s’interroger sur la qualité des années de vie gagnées. Outre la question de savoir si elles vont permettre d’allonger la durée de vie active, contribuant ainsi au financement des régimes de retraite, des progrès sont attendus quant à la prévention et au traitement de l’incapacité et de la dépendance qui surviennent et augmentent avec l’âge. Il s’agit autant d’empêcher l’accident ou la maladie conduisant à l’incapacité que d’accroître les probabilités de recouvrement de la santé ou d’une qualité de vie qui s’en rapproche.
L’espérance de vie sans incapacité Mais s’il faut ajouter des années à la vie encore faut-il ajouter de la vie aux années, et c’est pourquoi nous parlerons ici d’un autre critère qui est l’espérance de vie sans incapacité. Il s’agit cette fois du nombre moyen d’années restant à vivre en jouissant d’une autonomie parfaite. Quelle utilité en effet d’allonger sa vie jusqu’à 110 ans si les quinze dernières années de celle-ci sont passées dans un état grabataire, intellectuellement déficient et totalement dépendant ? C’est donc un critère de qualité de la vie qui est introduit ici, la coutume étant de coupler ce critère à l’indicateur précédent en parlant du rapport espérance de vie sans incapacité sur espérance de vie tout court. En résulte un pourcentage de temps de vie passée sans incapacité par rapport à la durée de vie totale. Ce pourcentage de « bonnes années » atteint en 1982 87,6 % chez les hommes et 85,2 % chez les femmes, notre pays se situant juste derrière le Québec où ces chiffres sont respectivement de 88,8 % et 86,4 %. Là encore, l’évolution montre un gain de l’espérance de vie sans incapacité de trois ans pour les hommes et de 2,6 ans pour les femmes sur la période 1981-1991, la réduction des incapacités concernant la vie en institution, le confinement à domicile, l’alitement, la gêne où le handicap permanent et l’arrêt d’activité.
Des progrès entachés d’inégalités Cette amélioration collective concerne-t-elle l’ensemble de la population de façon équitable ? Et bien non, car on observe que certains groupes ont davantage profité du progrès que
1. Selon le rapport sur la mortalité maternelle du Comité d’experts national de décembre 2006, elle représentait, en 2002, 8,8 décès pour 100 000 naissances (dernier chiffre disponible). Le Comité relève que la France est mal classée parmi les pays européens, et qu’un décès sur deux aurait pu être évité.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
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d’autres. Et tout d’abord les femmes, dont l’espérance de vie se situe à un niveau exceptionnel puisqu’elles sont au 2e rang après les Japonaises, ex aequo avec les Espagnoles1 ! Par ailleurs, la progression de leur espérance de vie s’est accompagnée d’un gain de qualité de vie sur les années supplémentaires gagnées : espérance de vie et espérance de vie sans incapacité ont progressé de la même manière. Il est classique d’affirmer que les femmes se préoccupent davantage de leur santé que les hommes et ceci pour différentes raisons. Tout d’abord leur physiologie les expose à davantage de surveillance, qu’il s’agisse de grossesse, de contraception ou encore de ménopause. Elles entrent très tôt dans une culture du suivi médical lié à leur statut même de femmes et, très probablement, ce comportement a des effets bénéfiques sur leur état de santé. Par ailleurs, elles bénéficient de programmes spécifiques mis en place par la collectivité, qu’il s’agisse du dépistage du cancer du sein ou celui du cancer du col utérin. Il est bien entendu difficile, par rapport aux hommes, de faire la part du génome, qui les rend peut-être plus « fragiles » et donc plus en contact avec la médecine et plus « guérissables » mais peut-être aussi ce même génome leur confère-t-il une plus grande longévité. Les personnes âgées sont le 2e groupe social ayant le plus bénéficié d’une amélioration de l’état de santé. Quand on sait qu’au-delà de 75 ans le sexe-ratio est de deux femmes pour un homme, on comprend immédiatement le poids de ce qui a été dit précédemment. Cependant il faut noter que les gains en espérance de vie – plus 2,5 ans entre 1981 et 1991 – ont bénéficié pour plus de moitié aux personnes de plus de 60 ans. Ainsi, à 60 ans un homme a encore une espérance de vie de près de 19 ans, une femme de 24 ans. Le dernier argument porte sur les 1. OCDE, chiffres 2004. 2. Insee, Bilan Démographique 2005 – Mortalité.
centenaires dont le nombre a considérablement progressé – 10 % – sur la même période. On observe également que la population résidant en institution a considérablement vieilli, les personnes de plus de 80 ans présentant une motricité encore remarquable. Si les déficiences sensorielles restent plutôt stables, le niveau des troubles psychiques s’accroît, de même que l’incontinence. La dépendance entraîne des soins peu médicalisés mais concernant la vie quotidienne : toilette, alimentation, motricité, déambulation... Les nouveau-nés et les enfants constituent le 3 sous-groupe de la population ayant le plus bénéficié de l’amélioration de son état de santé. En effet, deux indicateurs sont souvent cités lorsqu’il s’agit d’apprécier l’état de santé global d’une population, la performance d’un système de santé ou encore le niveau de développement socio-économique d’un pays. Le premier de ces indicateurs est le taux de mortalité périnatale qui comptabilise les enfants décédés avant le 8e jour suivant leur naissance, rapporté au nombre total de naissances pour une année donnée. En l’espace de 40 ans ce taux est passé de 18,1 pour 1 000 naissances totales à 6,7, la France se situant en 2000 au 11e rang mondial. Elle était alors notamment devancée par le Japon (3,7), la Finlande (4,4), la République Tchèque (4,5), l’Islande (5,3), la Suède (5,6) et l’Australie (5,8). Toutefois, depuis 2002, ce taux est remonté à 11 décès pour 1 000 naissances : cette forte évolution est liée à la forte augmentation du nombre de naissances sans vie, due à un changement législatif ; en effet, selon une circulaire de novembre 2001, un acte d’enfant sans vie correspond désormais au terme de 22 semaines d’aménorrhée ou à un poids de 500 grammes. Ces critères se sont alors substitués au délai de 180 jours de gestation prévu antérieurement2 . e
1 • La santé des Français La mortalité infantile quant à elle comptabilise les enfants décédés avant l’âge d’un an, rapporté au nombre total de naissances pour une année donnée. Toujours en l’espace de 40 ans, cette mortalité infantile est passée de 27,4 pour 1 000 naissances vivantes à 3,91 en 2004. Cette division par sept du nombre annuel d’enfants décédés place la France au 8e rang mondial en 2004. Elle est alors précédée par l’Islande et le Japon (2,8), la Suède (3,1), et la Norvège (3,2), la Finlande (3,3), l’Espagne (3,5), et la République Tchèque (3,7), les États-Unis se situant à 6,9 un an plus tôt.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
À cette période de la vie, les causes du décès sont souvent mal définies mais concernent principalement les affections d’origine périnatale et les anomalies congénitales, tandis que la mort subite du nourrisson concerne chaque année 1 500 enfants. Après 1 an et jusqu’à l’âge de 14 ans, les principales causes de décès sont les accidents – pour un tiers –, les tumeurs, et les anomalies congénitales. Là encore le taux de mortalité entre 1 et 14 ans a baissé de moitié sur la période 1975-1990. Ainsi, sur des critères « classiques » de jugement de l’état de santé global d’une population il paraîtrait à première vue que la situation française est enviable et ne cesse de s’améliorer au fur et à mesure du progrès technique, de l’accroissement des connaissances et de l’amélioration du bien-être des individus dans une société postindustrielle. À y regarder de plus près cependant certaines spécificités nous concernent bel et bien et n’ont rien d’enviable. Car si les Français meurent en moyenne plus tardivement qu’il y a 50 ans, ils meurent surtout à un âge où ils ne devraient pas mourir ! C’est ce que l’on appelle pudiquement la surmortalité prématurée. 1. OCDE, Rapports 2003-2005.
Une surmortalité prématurée et atypique La surmortalité prématurée se définit comme un décès survenant avant l’âge de 65 ans. On considère en effet de manière conventionnelle que la mort survient de façon précoce avant cet âge. Les chercheurs ont eu la bonne idée de comparer les taux de décès survenant à chaque âge, comparaison entre pays de niveau de développement identique à la France. Ils ont ensuite construit un indicateur simple appelé l’indice de surmortalité, qui est le rapport du taux de mortalité constaté dans une tranche d’âge dans un pays donné sur le même taux de mortalité dans la même tranche d’âge en France. La surmortalité prématurée est très accentuée chez les hommes jusqu’à l’âge de 6065 ans, chez les femmes elle survient jusqu’à l’âge de 45-50 ans ; en l’espace de 20 ans les comparaisons faites avec les pays de référence ont montré une forte dégradation, chez les hommes en particulier. Mais ceci n’est-il pas en contradiction avec une espérance de vie considérable tant chez l’homme que chez la femme ? Non, car tout se passe comme s’il y avait un mauvais cap à passer, les choses s’améliorant beaucoup ensuite ! En effet la proportion de personnes âgées et très âgées est importante dans notre population et « tire » ainsi la moyenne de durée de vie vers le haut (l’espérance de vie) ; le phénomène de surmortalité prématurée est ainsi estompé. On considère que plus de la moitié de ces morts survenus « avant l’âge » aurait pu être évitée ! Pourquoi mourir si tôt ? Il faut pour répondre à cette question faire la part de l’individuel et du collectif. En effet certaines raisons expliquant la surmortalité prématurée « à la Française » sont relativement évidentes et ne prêtent guère à interrogation, une fois le triste constat réalisé. D’autres facteurs, por-
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES tant notamment sur l’efficacité du système de santé, sont plus difficiles à analyser permettant seulement d’émettre des hypothèses : insuffisance des dépistages de nombreux cancers (sein, col, colon), infections nosocomiales à l’hôpital qui touchent 6,9 % des personnes hospitalisées (mais aussi d’une manière générale un patient sur vingt1 ), iatrogénie... Par ordre d’importance, les causes de la mortalité avant 65 ans sont2 (tableau 1.1) : • les maladies de l’appareil circulatoire (un
peu moins d’un tiers des décès) ;
• les cancers qui sont à l’origine de plus d’un
10
décès sur quatre avec, en tête du palmarès, les cancers du poumon et les cancers des voies aérodigestives supérieures causés par le tabagisme ; • les morts violentes (accidents, suicides et autres causes extérieures de décès) représentant un décès sur treize ; • les maladies de l’appareil respiratoire (un décès sur quinze). Ces quatre groupes de maladie représentent près de trois quarts des décès. Les évolutions temporelles sur la période de vingt ans allant de 1970 à 1991 montrent une diminution des décès par accidents de la circulation de l’ordre de 30 %, diminution qui s’est accentuée entre 2001 et 2004 puisque le nombre de tués a baissé de 32,2 % et celui des blessés de 29,4 %. La diminution des morts par cancer des voies aérodigestives supérieures dus à l’alcoolisme ou aux cirrhoses est de l’ordre de 50 %, tandis que les morts par suicide progressent de 25 % et que les décès par cancer du poumon progressent de plus de 50 % chez les hommes et de 70 % chez les femmes. Le tabagisme " Il apparaît en France comme le facteur le plus meurtrier avec l’al-
cool : il provoque en effet 60 000 décès par an (45 000 pour l’alcool), dont la moitié sont prématurés, par cancer du poumon mais aussi cancer des voies aérodigestives supérieures et maladies cardio-vasculaires. Les prévisions ne sont guère optimistes puisqu’à l’horizon 2025 on comptabilisera 165 000 décès, dont 110 000 chez l’homme et 55 000 chez la femme. La mortalité évitable représente 50 % des décès prématurés (tableau 1.2). Ainsi 60 000 décès survenant avant l’âge de 65 ans sont considérés en France comme évitables. La mortalité évitable liée aux comportements à risques est deux fois plus élevée chez les hommes que chez les femmes. Les cinq affections responsables, dans des proportions proches de la mortalité évitable, sont le cancer du poumon, les suicides, l’alcoolisme, les accidents de la circulation et enfin les cancers des voies aérodigestives supérieures. Chez les femmes les trois causes principales sont l’alcoolisme, les suicides et les accidents de la circulation. Le tabagisme constitue donc à lui seul une source de morbidité considérable : en plus du cancer du poumon il faut citer les insuffisances respiratoires chroniques, les accidents cardiaques et vasculaires cérébraux, les artérites, l’ostéoporose survenant chez la femme après la ménopause, les cancers des voies aérodigestives supérieures et de la vessie. L’impact sur l’environnement du fumeur ne doit pas être sous-estimé et il convient de citer l’hypotrophie du nouveau-né ainsi que les infections des voies aériennes chez les enfants de parents fumeurs. On observe une prévalence du tabagisme relativement stable ; on notera tout de même que chez les adolescents l’âge moyen de la première cigarette se situe à 11,6 ans3 avec un âge moyen d’entrée dans la consommation régulière de 15,5 ans.
1. Institut national de veille sanitaire, Enquête nationale de prévalence des infections nosocomiales de 2006. 2. DREES, Données sur la situation sanitaire et sociale en France en 2004. 3. L. Harris, Jamais la première cigarette, étude pour la Fédération française de cardiologie, février 2005.
1 • La santé des Français Tableau 1.1. Principales causes de décès (INSEE, Chiffres 2004). Ensemble Nombre %
Hommes Nombre %
Femmes Nombre %
Maladies de l’appareil circulatoire dont : – infarctus – maladies cérébro-vasculaires
147 323
28,9
69 337
26,4
77 986
31,7
40 656
8,0
23 122
8,8
17 534
7,1
33 487
6,6
13 985
5,3
19 502
7,9
Tumeurs dont : – cancer du poumon – cancer du colon, du rectum et de l’anus – cancer du sein
152 708
30,0
90 688
34,5
62 020
25,2
28 392
5,6
22 773
8,7
5 619
2,3
16 458 11 404
3,2 2,2
8 817 205
3,4 0,1
7 641 11 199
3,1 4,5
37 428
7,3
22 481
8,5
14 947
6,1
5 389
1,1
4 035
1,5
1 354
0,5
Morts violentes dont : – accidents de transport – suicides – maladies de l’appareil respiratoire – maladies de l’appareil digestif – maladies endocriniennes – autres causes Toutes causes
10 30 22 18 99
797 286 905 856 902
2,1 5,9 4,5 3,7 19,6
509 408
100,0
7 15 12 8 44
853 944 272 141 207
3,0 6,1 4,7 3,1 16,8
263 070
100,0
2 14 10 10 55
944 342 633 715 695
1,2 5,8 4,3 4,3 22,6
246 338
100,0
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Champ : France métropolitaine. Source : Inserm, CépiDc-Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès.
Cependant, la mise en œuvre du plan Cancer et de la loi du 31 juillet 2003 ont apporté de bons résultats en termes de comportements puisqu’il semble que la courbe de consommation de tabac chez les femmes a enfin amorcé sa baisse. Ainsi, chez les femmes, la prévalence du tabagisme a été réduite de 11 % en 2005 par rapport en 1999. De même, chez les adolescents de 15 à 19 ans, elle a diminué de 17 % chez les garçons et de 30 % chez les filles. Chez les fumeurs réguliers de même âge, la prévalence a chuté de 30 %, de même que pour les enfants de l’âge de 12 à 14 ans. Enfin, on note pour la première fois une diminution de la prévalence chez les personnes de 55 à 64 ans, alors que dans cette tranche d’âge, l’effet de la hausse des prix n’avait pas été visible en 20031 . De plus, l’inter-
diction de fumer dans les lieux publics depuis le début de l’année 2007 devrait concourir à poursuivre cette dynamique amorcée depuis quelques années, et toucher certaines catégories de fumeurs qui restaient jusqu’à présent plutôt imperméables aux diverses mesures proposées. La consommation d’alcool " Elle est importante et reste une spécificité française malgré les quelques progrès constatés. La consommation en 2003 est de 14 litres2 par an et par personne de plus de 15 ans, ce qui place incontestablement la France au 4e rang mondial. En quarante ans, la consommation moyenne d’alcool pur par adulte de 15 ans et plus a diminué d’un tiers. Au début des années 1990, la consommation d’eaux minérales et de jus de
1. Chiffres issus de la Journée mondiale sans tabac en 2005. 2. Insee, « Division conditions de vie des ménages », Tableaux de l’économie française, Édition 2005-2006.
11
PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES Tableau 1.2. Principales causes de décès des jeunes et des enfants en 2004. Moins de 1 an Nbr %
5 à 14 ans
15 à 24 ans
Nbr
%
Nbr
%
2,9
192
30,2
263
32,9
2 510 65,2
37 428
7,3
14
0,5
44
6,9
123
15,4
1 382
35,9
5 389
1,1
52 -
1,7 -
110 -
17,3 -
77 20
9,6 2,5
304 621
7,9 16,1
12 438 10 797
2,4 2,1
1 423
47,7
7
1,1
2
0,3
3
0,1
1 423
0,3
632
21,2
73
11,5
51
6,4
79
2,1
1 518
0,3
89
3,0
9
1,4
9
1,1
10
0,3
146
0,0
289
9,7
31
4,9
22
2,8
39
1,0
615
0,1
Tumeurs
26
0,9
114
17,9
204
25,5
378
9,8
153 524
30,1
Maladies du système nerveux et des organes des sens
117
3,9
52
8,2
54
6,8
172
4,5
23 408
4,6
Maladie de l’appareil circulatoire
68
2,3
33
5,2
50
6,3
149
3,9
147 323
28,9
Maladies infectieuses et parasitaires
59
2,0
47
7,4
15
1,9
33
0,9
9 556
1,9
523
13,6
135 228
26,5
Certaines infections de la période périnatale Malformations congénitales et anomalies chromosomiques dont : – malformation congénitale du système nerveux – malformation congénitale de l’appareil circulatoire
Nbr
%
Ensemble tous âges Nbr %
87
Morts violentes dont : – accidents de transport – autres accidents – suicides
12
De 1 à 4 ans
Autres causes
572
19,2
118
18,6
161
20,1
Toutes causes
2 984
100,0
636
100,0
800
100,0 3 847 100,0 509 408 100,0
Champ : France métropolitaine. Source : Inserm, CépiDc – Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès.
fruits a dépassé celle des boissons alcoolisées. Le vin constitue 61 % de la consommation totale d’alcool en 2003. En 2005, 13,7 % des Français disent avoir consommé de l’alcool tous les jours de l’année, que ce soit du vin, de la bière ou d’autres alcools, contre 19,3 % en 2000. On rappellera qu’un buveur excessif se définit comme une personne de sexe masculin consommant plus de 21 verres par semaine ou une personne de sexe féminin consommant plus de 14 verres par semaine. Les comportements face à l’alcool se sont modifiés avec une diminution des buveurs réguliers d’autant plus importante que le sujet avance en âge. Le comportement des jeunes se caractérise par la prédominance de la consommation épisodique, collective, et massive. Globalement près d’une femme sur dix
et d’un homme sur quatre sont des buveurs excessifs. La consommation excessive a diminué en concernant davantage les gros buveurs alors que la proportion des petits buveurs s’est plutôt accrue. Au niveau européen, le coût direct sanitaire et social des dégâts liés à l’alcool (125 milliards d’euros en 2003) est sensiblement le même que celui du tabagisme. Vingt millions de personnes (6 % de la population) dépassent quotidiennement 40 grammes de consommation pour les femmes et 60 grammes de consommation pour les hommes. Le Nord trinque davantage que le Sud. Lorsqu’on sait qu’il existe près de soixante types de maladies ou états pathologiques liés à la consommation excessive d’alcool, que l’al-
1 • La santé des Français cool constitue le troisième risque sanitaire après le tabac et l’hypertension artérielle, il apparaît urgent de remettre en place des plans de santé publique à la hauteur des enjeux : renforcement des contrôles d’alcoolémie sur les routes, intégration des risques dans les programmes d’éducation pour la santé dès le plus jeune âge, interdictions publicitaires, accroissement des taxations des boissons alcooliques, régulation des conditions de vente, sanction des débits de boissons ne respectant pas l’interdiction de consommation des mineurs... La Cour des comptes, dans son rapport annuel de 2007, mentionne d’ailleurs que « les réformes peuvent également prendre plus de temps, faute de consensus. C’est le cas pour la politique sanitaire de lutte contre l’alcoolisme. Trois ans après son premier contrôle, le constat – critique – de la Cour reste pour l’essentiel inchangé du fait notamment de l’absence d’accord sur la place de l’alcool dans la
politique de lutte contre les addictions. La coordination des acteurs nationaux et locaux reste par ailleurs insuffisante et les principaux leviers pour diminuer la consommation d’alcool (fiscalité, réglementation) n’ont pas été utilisés ». L’alcool et le tabac constituent aujourd’hui des risques banalisés dans l’opinion publique car les experts en santé publique ne sont pas parvenus à sensibiliser les gouvernants aux risques encourus. Les lobbies économiques ont été plus efficaces quant à la préservation de leurs intérêts et l’arrivée des nouveaux pays européens stimule le marché tout en contribuant à l’abaissement de l’espérance de vie. Veut-on faire de l’Europe un nouveau bateau ivre ? Qu’il s’agisse d’alcool, de tabac, ou de tout autre produit comportant des risques d’addiction, l’individu responsable et de mieux en mieux informé doit passer du statut de consommateur abusé à celui de citoyen avisé.
13
2. DES INÉGALITÉS SOCIALES ET TERRITORIALES
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Les inégalités sociales de santé répondent à une somme de déterminants figurant en arrière-plan d’une certaine géographie de la santé. Une cartographie pertinente de l’offre de soins est censée lui correspondre, notamment grâce à l’arrivée des nouveaux territoires de santé.
Sans doute sommes-nous tous logés à la même enseigne, d’un point de vue philosophique, devant cet événement de la vie qu’est la mort : impossibilité d’en prévoir le moment précis, réflexe de survie dans des conditions extrêmes, volonté d’en reculer le plus possible l’échéance, mais aussi liberté ou non d’en choisir la venue pour mettre dignement un terme à sa vie. On peut cependant s’interroger : frappe-telle totalement « au hasard » quand une diffé-
rence d’espérance de vie de sept ans entre un cadre et un ouvrier qualifié constitue un exemple, parmi d’autres, des inégalités sociales de santé ?
Sommes-nous vraiment tous égaux devant la mort ? Les statistiques viennent en effet ébranler quelque peu les grands principes énoncés en introduction. En effet, la plupart du temps, nous
PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
14
laissons le soin au hasard et à la destinée d’expliquer l’arrivée plus ou moins tardive de la mort chez chacun d’entre nous. La destinée et le hasard ne sont donc guère favorables aux ouvriers de 35 ans dont un sur quatre décédera avant l’âge de 65 ans – venant ainsi renforcer la cohorte des décès prématurés – contre un cadre sur dix seulement. Il existe en outre parmi les ouvriers même un gradient de mortalité puisque ceux d’entre eux qui sont non qualifiés ont une espérance de vie inférieure de 1,5 an à celle de leurs homologues qualifiés. De telles inégalités existent de façon beaucoup plus marquée chez les hommes que chez les femmes : ainsi, dans les mêmes conditions, c’est-à-dire ouvrières et âgées de 35 ans, elles présentent une espérance de vie inférieure de 3,5 ans à celle de leurs congénères cadres. Cette différence de mortalité selon les groupes sociaux est, dans notre pays, importante et stable dans le temps. En effet, sur une période de vingt ans (1975-1995) la mortalité des employés et ouvriers par rapport aux professions libérales et cadres est deux fois plus importante – voire 2,5 – lorsque l’on considère les ouvriers non qualifiés. Cependant les inégalités devant la mort ne s’expliquent pas uniquement par la catégorie socioprofessionnelle à laquelle un individu appartient. Ainsi on se réfère un peu partout aux « déterminants de santé » comme théorie susceptible d’expliquer les inégalités sociales de santé.
Qu’entend-on par « déterminants de santé » ? Cette appellation recouvre des caractéristiques capables d’expliquer, ou tout au moins d’éclairer, certains phénomènes : on meurt plus tôt dans le nord de la France que dans le sud, on meurt plus tôt chez les ouvriers que chez les cadres supérieurs. La plupart du temps, de manière usuelle, on va ainsi utiliser les caractéristiques qui suivent.
Les catégories socioprofessionnelles " Cet outil à la disposition des statisticiens répond mal au classement des populations, notamment en ce qui concerne les inactifs et les femmes car le fait de classer les individus dans telle ou telle classe ne reflète pas les disparités salariales ou les disparités des conditions d’emplois, en particulier le travail à temps partiel, ou la nature des contrats de travail : ainsi la précarité des situations liées à l’emploi n’est absolument pas prise en compte. L’échelle des revenus " Les ressources des citoyens sont la plupart du temps rapportées à l’unité familiale, au foyer, et exprimées en nombre d’euros par consommateur : nombre d’adultes, nombre d’enfants présents dans un foyer. Dans notre pays en particulier les données concernant les salaires des personnes restent difficiles à obtenir et surtout les méthodes de calcul employées agrègent toutes sortes de revenus : des revenus stables, des revenus irréguliers, des revenus issus du travail, ainsi que des revenus sous condition de ressources concernant les différentes allocations dont peut bénéficier chacun d’entre nous. Le niveau de scolarisation " Il s’agit d’un déterminant à replacer dans une perspective temporelle, devant prendre en compte l’âge des individus mais aussi la génération de naissance, ainsi que les différents événements sociaux et politiques définissant l’environnement du niveau éducatif obtenu à un moment donné. L’appartenance à un segment de la population sur lequel s’exerce une politique publique " Les différents dispositifs d’assistance sont mis en place par le législateur avec la volonté d’atteindre des cibles précises dans la population, comme par exemple les mineurs, les personnes âgées, les retraités, les handicapés, les personnes défavorisées avec la mise en place du Revenu minimum d’insertion, de la Couverture maladie universelle. Le reproche essentiel que l’on peut faire aux déterminants que nous venons rapidement
1 • La santé des Français de décrire est qu’ils n’expliquent pas les nouvelles formes de vulnérabilité ou de précarité sociale et sanitaire des individus. On s’aperçoit que la classification opérée par les différents déterminants en question est davantage tournée vers les résultats que vers les causes : en effet il est possible grâce à eux d’évaluer l’impact des politiques publiques mises en place pour assister différentes catégories de citoyens, ou pour leur favoriser l’accès aux soins au sens large, mais il est impossible par exemple d’expliquer pourquoi ces mêmes catégories utilisent si peu les différents dispositifs mis à leur service. Une approche de santé publique centrée sur la prévention primaire ainsi que l’accès aux dispositifs de prévention secondaire nécessite de détenir des informations de nature différente sur les déterminants sociaux, individuels et collectifs conditionnant les attitudes et comportements de santé des publics les plus vulnérables.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Que peut bien cacher une géographie aussi inégalitaire ? En 15 ans, l’écart maximum de l’espérance de vie à la naissance, selon les régions, est passé de 6,6 à 10,1 années chez les hommes, et de 3,6 à 6,9 années chez les femmes. Ces différences d’espérance de vie concernent les individus à leur naissance, mais aussi à l’âge de 35 ans, puis à l’âge de 65 ans, ce qui montre bien une variation de la mortalité globale chez les hommes comme chez les femmes. En effet, si elle apparaît comme beaucoup moins nette, la géographie de la mortalité féminine existe bel et bien, respectant une grande opposition Nord-Sud. Les Unions régionales des Caisses d’Assurance maladie ont élaboré en 2007, une carte de
France des besoins de soins en retenant l’échelon cantonal comme base territoriale, en se fondant sur 3 indicateurs, l’âge, l’état de santé et la précarité1 . Les six régions ayant l’indice d’âge le plus élevé sont le Limousin, Midi-Pyrénées, PoitouCharentes, l’Auvergne, la Corse et l’Aquitaine, régions qui sont soit rurales, soit situées dans le grand sud de la France. L’Ile-de-France est quant à elle la région la plus jeune du pays, avec seulement 15,9 % de la population de 60 ans et plus. Concernant l’indice de santé, les auteurs ont pu observer « une zone de surmortalité » allant de la Bretagne à la Lorraine, et des Ardennes au Massif central. Les analyses tendent à montrer que ces régions sont marquées par des particularismes comportementaux (consommation d’alcool, alimentation), mais aussi par des particularismes sociaux (forte proportion d’ouvriers) ou environnementaux. À l’inverse, le Sud-Ouest, le Sud-Est et le Centre Ouest présentent un indice de sous-mortalité notable. Globalement, les 6 régions françaises où l’état de santé de la population est le plus préoccupant sont le Nord-Pas-de-Calais, la Corse, la Picardie, l’Auvergne, l’Ile-de-France et la Haute-Normandie. A contrario, les régions où l’état de santé paraît le meilleur sont les Pays de Loire, Midi-Pyrénées, Poitou-Charentes, Franche-Comté, Rhône-Alpes et l’Ile-de-France. L’étude révèle que près d’un quart des Français résidant dans un canton « à meilleur état de santé » se trouve en Ile-de-France. Elle mentionne par ailleurs que l’Ile-de-France apparaît dans la catégorie à la fois du meilleur et du moins bon état de santé, illustrant ainsi de fortes disparités territoriales. Enfin, l’indice de précarité montre que les six régions les plus touchées sont le Languedoc-
1. L’indice « état de santé » est obtenu, selon les auteurs, « à partir des indices de mortalité et de morbidité. Il constitue la moyenne arithmétique des deux indices ». L’indice de précarité est calculé pour sa part à partir des données de la couverture maladie universelle et de la CMU complémentaire.
15
PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES Roussillon, le Nord-Pas-de-Calais, la ProvenceAlpes-Côte d’Azur, la Haute-Normandie, la Champagne-Ardenne et la Picardie.
16
En conclusion, les auteurs ont pu établir une cartographie des besoins de soins en France. Ainsi, pour eux, « six régions connaissent un pourcentage important de leur population avec un niveau de besoins de soins élevé à très élevé par rapport à l’ensemble de la France » : la Corse, l’Auvergne, le Limousin, le NordPas-de-Calais, la Bourgogne et le LanguedocRoussillon. Selon eux, 15,2 % de la population française résident dans des cantons à besoins de soins élevés ou très élevés, soit 8,8 millions de personnes. À l’opposé, six régions ont un pourcentage de leur population avec un niveau de besoins de soins modéré par rapport à l’ensemble de la France : l’Ile-de-France, les Pays-de-la-Loire, la Haute-Normandie, RhôneAlpes, Midi-Pyrénées, et Champagne-Ardenne, ce qui représente près de 33 % de la population française. Si l’on change maintenant d’unité territoriale, on s’aperçoit que les plus grandes villes sont caractérisées par une sous-mortalité générale, sauf en ce qui concerne le Sida. Ainsi, les capitales régionales comme Nantes, Toulouse, Lyon, Grenoble, Dijon, Nice, Marseille et Paris sont-elles dans cette situation. Les plus petites villes sont au contraire la plupart du temps en situation de surmortalité, notamment avant 30 ou 40 ans. Si les accidents de la circulation sont parfois invoqués comme explication, c’est surtout la composition sociale des populations – comportant une proportion plus grande d’ouvriers et d’employés, alors que les cadres et professions libérales sont plus nombreux dans les grandes villes – qui semble d’abord à l’origine de cette caractéristique. La reconnaissance du rôle des lieux dans la survenue des maladies remonte à l’Antiquité, reprise beaucoup plus tard avec les débuts de
l’épidémiologie moderne (étude de l’épidémie de choléra par J. Snow à Londres en 1849). Si l’inégale répartition des maladies dans l’espace n’est pas une idée récente, il est clair que les études de pathologies géographiques sont restées longtemps purement descriptives, liées qu’elles étaient à la seule notion de « milieu naturel ». Ce milieu naturel porteur de déterminants tout aussi « naturels », à l’exclusion des facteurs économiques et sociaux et de leurs rôles pathogéniques propres. C’est depuis une bonne vingtaine d’années seulement que les géographes de la santé se sont orientés vers une géographie des soins, étendant ainsi la notion de milieu naturel à la notion de milieu socio-économique et culturel. Le concept de complexe socio-pathogène va bientôt naître avec H. Picheral (1982) introduisant ainsi une géographie de la santé plus large et multifactorielle. Celle-ci va d’ailleurs à ses débuts balbutier jusque dans ses appellations, de pathologie géographique à géographie médicale, en passant par géographie des maladies et épidémiologie spatiale. La géographie de la santé la plus récente est définie comme « l’analyse spatiale des disparités de niveaux de soins et de santé des populations et des facteurs environnementaux (au sens large) qui concourent à expliquer ces inégalités ». On le pressent, l’épidémiologie descriptive et analytique se nourrit des apports de la géographie de la santé, et réciproquement. La notion de « caractéristique épidémiologique du lieu » vient illustrer cette osmose. Le rôle du géographe de la santé est de localiser précisément les problèmes et les besoins et d’apporter une explication à ces localisations qui souvent n’obéissent en rien aux logiques du découpage administratif d’un pays. Il doit intégrer alors la logique de planification institutionnelle, tout en apportant les éclairages populationnels faisant et défaisant les équilibres fragiles entre offre et besoin de soins.
1 • La santé des Français Tableau 1.3. Variation de l’indicateur de distance pondéré (IDP) des établissements publics du Languedoc-Roussillon Établissements
Idp
CH de Mende
4,6
CH de Lézignan-Corbières
5,3
CH de Sète
6,6
CH de Bagnols-sur-Cèze
9,7
CH d’Alès
11,3
CH de Perpignan
12,8
CH de Béziers
13,0
CH de Narbonne
13,1
CHU de Nîmes
14,3
CH de Castelnaudary
14,7
Cl mutualiste Beausoleil Montpellier
16,2
CH de Carcassonne
20,1
CHU de Montpellier
32,6
CRLCa de Montpellier
62,3
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
a. Centre régional de lutte contre le cancer.
Une telle approche géographique des besoins de santé permet de prendre en compte les populations, leurs demandes et leurs habitudes spatiales de consommations, intégrant les différenciations climatiques et topographiques entre régions. L’analyse spatiale des faits de santé est la seule approche capable de s’opposer à une gestion administrative et technocratique. Ne pas essayer de faire « coller le terrain » à une carte préétablie mais faire exactement l’inverse : établir des relevés précis et en déduire une représentation cartographique comme outil d’aide à la décision. Un point de vue qui complète celui de l’économiste, du gestionnaire, du sociologue, du professionnel de santé, pour une décision éclairée en santé publique. Le découpage géographique du territoire en bassins de santé répond parfaitement à une telle approche. Un bassin de santé est « une partie de territoire drainée par des flux hiérarchisés et orientés principalement vers un centre de patients aux caractéristiques et aux comportements géographiques homogènes ». La délimitation des bassins de santé repose
sur l’analyse d’informations décrivant les flux des patients de leur domicile à leur lieu de soins (PMSI géocodé, enquêtes). Ainsi les analyses des lignes dans un espace sanitaire donné permettent-elles de modéliser les flux hospitaliers. L’indicateur de distance pondéré – qui est la distance moyenne des lieux de résidence des malades à leur lieu d’hospitalisation – est un reflet de l’attractivité d’une discipline médicale. La géographie de la santé peut révéler des distorsions régionales ou infra-régionales sans qu’on puisse toujours en cerner toutes les causes. La cartographie de l’offre de soins indique, certes, son inégale répartition sur le territoire et les inconvénients issus de la « sacro-sainte » liberté d’installation (désertification de l’offre dans les zones rurales ou zones urbaines insécurisées), mais elle montre aussi l’absence de corrélation entre la géographie de l’offre et celle de la santé des populations, ne serait-ce que parce que la santé dépend d’autres déterminants que de la seule offre de soins (tableau 1.3).
17
PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
Une cartographie inopérante de l’offre de soins
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La carte sanitaire a vécu parce qu’elle s’est révélée inopérante. Aujourd’hui on avance plus volontiers les termes de schéma ou de cartographie afin de mieux répartir l’offre de soins sur le territoire. Ces nouveaux outils permettront-ils de mieux adapter l’offre aux besoins ? Parler de cartographie renvoie à une action volontariste animée par une recherche de rationalité. Ainsi, s’agissant de l’offre de soins, proposer une cartographie pourrait signifier différents types d’ajustements : ajuster l’offre à la demande... Oui mais comme la demande est quasiment exponentielle, s’agit-il d’un ajustement conditionné par une enveloppe financière par nature limitée ? On pourrait aussi préférer à la notion de demande celle de besoin de soins... Oui mais comment objectiver le besoin de soins ? Cependant, la cartographie ne saurait se limiter à la géographie, même s’il n’existe pas de cartographie possible de l’offre de soins sans connaissance de la géographie de la santé qui en est une des résultantes. Mais autant un « atlas » de la santé renvoie à l’existant, autant la notion de cartographie s’attache à une cible visant à corriger certains déséquilibres dans la géographie de l’offre et à adapter l’offre aux besoins de santé. Autrement dit, une cartographie de l’offre de soins peut participer de la régulation de l’offre. Qui en sont alors les acteurs, selon quels critères et dans quel espace ? La notion même de cartographie renvoie à des notions d’aménagement du territoire et de planification sanitaire, autrement dit à des acteurs essentiellement publics et à une époque d’État Providence. Notre géographie de la santé, voire notre système de santé, sont encore largement le produit de cette époque marquée par l’hospitalocentrisme, une planification de l’offre sous
contrôle d’enveloppes fermées gérées par les représentants de l’État, tant pour les dépenses de personnel que pour les équipements lourds des établissements. Est-on pour autant parvenu à un paysage sanitaire rationnel ? Nous savons que non au même titre que les politiques d’aménagement du territoire ont échoué, quatre régions assurant 50 % du PIB français, l’Ile-de-France en produisant à elle seule 30 % avec 20 % de la population. Nous connaissons aujourd’hui les raisons d’un tel échec : la structuration d’un territoire est soumise à des forces diverses et parfois contradictoires : les interactions de l’action publique et du Marché, une économie résidentielle qui n’obéit pas aux mêmes lois que l’économie productive : l’emploi productif se contracte (nous passons 15 % de notre vie au travail) tandis que l’emploi domestique se développe dans des territoires souvent différents de ceux liés à l’activité productive, qui baisse brutalement dès l’âge de 50 ans. L’aménagement du territoire a très peu réduit les inégalités entre les régions et, paradoxalement, les plus pauvres ou les plus dépendantes des transferts publics sont souvent celles qui réclament le plus d’autonomie. En dernier ressort, un aménagement du territoire « dirigé » de Paris est par essence voué à l’échec, d’où les recherches actuelles d’extension de la décentralisation ou de la déconcentration et d’une nouvelle échelle (forcément variable) d’appréhension de la régulation présumant d’une meilleure efficacité des résultats attendus. Autrement dit, quels sont les espaces stratégiques et politiques, les espaces de mise en œuvre des actions, les espaces attractifs, ouverts ou fermés pour la coopération... ? Souvent la cartographie ne peut que prendre acte de la géographie, tant certaines tendances apparaissent irréversibles (urbanisation croissante, globalisation de l’économie, isolement de certaines zones rurales...).
1 • La santé des Français
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Néanmoins, des progrès sont possibles si on trouve l’espace adéquat de territorialisation des politiques, de coordination des acteurs et dès lors que les logiques de service à rendre l’emportent sur les logiques institutionnelles. Malheureusement, notre tradition jacobine aidant, l’histoire de la décentralisation en France a souvent vu l’État se défaire par nécessité ou par défaut de certaines missions ou responsabilités sur les collectivités territoriales ou sur son administration déconcentrée, s’agissant ici de transférer la charge financière, s’agissant là d’alléger une administration centrale surchargée... Les économistes nous rappellent régulièrement que face à une demande illimitée de biens et de produits de santé confrontée à des ressources limitées, la régulation intervient soit par la voie du Marché, soit par la contrainte publique. Dans la conception même du système français, les deux voies sont légitimes puisqu’elles cohabitent nécessairement. Le problème est de savoir où l’État place le curseur entre les mécanismes du Marché et les interventions publiques et quelles règles les partenaires se donnent pour gérer ensemble « le risque ». Le champ de contraintes s’accentuant, il doit être partagé par les acteurs qui fixent des règles contractuelles précisant les responsabilités, le bon niveau de gestion et les compromis indispensables entre des contraintes acceptées et gérées dans le cadre d’un contrat social commun et les espaces de liberté qui participent des performances du système. Il s’agit alors d’explorer ensemble les voies d’une nouvelle régulation. C’est vrai pour les acteurs publics entre eux (État – Assurance maladie) où les champs et les niveaux de gestion sont à redéfinir mais c’est aussi vrai pour les partenaires sociaux (Assurance maladie et professionnels de santé) qui doivent construire ensemble une nouvelle rationalité de l’offre pour assurer la pérennité du système.
Vers de nouveaux territoires de santé Dans une nouvelle optique, la cartographie de l’offre redevient un outil intéressant tant pour l’hôpital que pour la médecine de ville qui sont de plus en plus appelés à se réorganiser ensemble compte tenu de leurs interactions qui seront d’autant mieux connues qu’on sera capable de préciser les trajectoires de patients mais aussi de praticiens... La région constitue un bon espace stratégique de coordination mais les échelles territoriales d’exploitation sont multiples, d’où l’intérêt de cerner les « bassins de santé » existants ou à construire : comment coordonner secteurs sanitaires, psychiatriques, urgences hospitalières, continuité libérale des soins, consommations hospitalières et ambulatoires de soins ? Comment appréhender les inégalités territoriales, concilier qualité et proximité, faire coopérer structures publiques et privées, rassembler les acteurs dans les réseaux ? La notion de cartographie territoriale est pertinente puisqu’elle autorise une approche globale et favorise la recherche de cohérence tant quantitative que qualitative. Les paramètres ne peuvent plus être appréhendés de manière partielle ou séquentielle. Ainsi, s’agissant des maternités, dès lors que le niveau de sécurité et de qualité obstétrique s’accroît alors que diminue le nombre de personnels qualifiés, la logique veut que les accouchements aient lieu dans quelques grands centres équipés et qualifiés tandis que les interventions pré ou postnatales seraient réalisées dans des centres de proximité. La fermeture des petites maternités dans cette optique constitue une opportunité de reconversion. Dans tous les cas, il s’agit d’anticiper et d’être réactif aux changements prévisibles ou constatés : ainsi en psychiatrie, comment concilier insuffisance de praticiens hospitaliers psychiatres et organisation sectorielle si ce n’est en
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développant des unités plurisectorielles dans une logique de réseau de soins, voire de santé sociale pour intégrer les effets de la précarité. Dans le même ordre d’idée, la pénurie de chirurgiens hospitaliers implique le partage des ressources (équipements et compétences) tandis que celle des infirmières autorise de recruter des infirmières espagnoles qui connaissent le chômage dans leur pays. Cependant, la libre circulation des professionnels de santé en Europe demande paradoxalement à être régulée elle aussi s’agissant des conditions d’accueil, d’acculturation, de formation et d’implantation. Le concept de qualité qui est nécessairement présent dans une démarche de régulation de l’offre de soins est toujours difficile à mettre en œuvre tant auprès des populations qui le cernent difficilement que des praticiens dont la pratique individuelle s’accommode mal des nouvelles approches collectives. Ceci étant, autant il est possible d’expliquer à une patiente qu’accoucher dans une petite maternité de proximité qui pratique moins de 300 accouchements par an présente des risques, autant il est difficile de justifier les longues listes d’attente pour certaines opérations chirurgicales ou le fait d’effectuer des centaines de kilomètres pour des séances régulières de chimiothérapie. Le dernier rapport Berland de novembre 2006 sur la démographie médicale hospitalière, après avoir analysé la situation des 58 000 médecins travaillant à plein-temps dans les hôpitaux et les cliniques, propose plusieurs pistes afin d’éviter la fuite des praticiens vers d’autres modes d’exercice. Il plaide ainsi pour une réorganisation structurelle de l’offre de soins et des établissements de soins au niveau des territoires de santé. Il envisage la création des groupements hospitaliers territoriaux, la possibilité pour un praticien de pouvoir avoir une activité « multi-site » ; il rappelle l’importance des transferts de tâches entre médecins et paramédicaux ; il envisage une nouvelle forme de rémunération pour les praticiens hospitaliers (une rémunération à l’activité, voire un paiement à l’acte).
L’ambition des Schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS) d’aller vers une offre de qualité, graduée, solidaire et en réseau ne peut se concrétiser que dans des cartographies cibles capables de prendre en compte et d’articuler les logiques de planification sanitaire, de trajectoire des patients et des professionnels, de fonctionnement de réseaux de santé, de fongibilité d’enveloppes financières entre ville et hôpital, de coopération public/privé, de qualité de soins. L’approche régionale peut s’avérer pertinente dès lors que peuvent s’articuler les points de vue de l’État, de l’Assurance maladie, des professionnels et des usagers... C’est sans doute l’un des enjeux de la création des nouveaux territoires de santé qui ont remplacé les secteurs sanitaires. Au nombre de 153 en France métropolitaine et de 5 pour les départements d’outre-mer, ils ont été conçus à partir de l’analyse découlant du Programme médicalisé des systèmes d’information (PMSI) qui a permis de connaître très précisément la zone d’attraction de chaque établissement. Ces territoires sont devenus, depuis le 31 mars 2006, l’unité de référence du SROS de 3e génération. Ils gardent un rôle dans l’aménagement du territoire, mais ils prennent une nouvelle dimension (financière) puisqu’ils se verront appliquer des « objectifs quantifiés » infrarégionaux. Cette approche régionale ne peut cependant se substituer ni au niveau national garant des fondamentaux de la politique de santé et des conditions d’accès aux soins, ni au niveau local de proximité et d’application qui reste le plus souvent le département, mais qui trouve aussi de nombreuses légitimités d’intervention au niveau infra-départemental. Une cartographie utile est nécessairement un outil d’information sur la qualité des soins dispensés : s’il est légitime que celle-ci soit rapportée par les médias, ce n’est pas à eux d’en fixer l’approche d’où l’intérêt de faire appel, dans ce domaine, à une autorité indépendante du type Haute Autorité de santé (HAS).
1 • La santé des Français C’est parce que l’offre de soins est mouvante, incertaine, inscrite dans son époque et qu’elle répond à des injonctions paradoxales (État et Marché) qu’elle a besoin d’être mieux connue et mieux régulée. La connaissance des paramètres qui l’animent pousse toujours à davantage d’anticipation tant il est vrai que les mesures correctives demandent du temps (ex. : démographie médicale). Cependant, et comme l’a rappelé un rapport de l’académie de médecine dans une réflexion
prospective pertinente1 : « si l’on veut sortir de l’impasse dans laquelle se trouve actuellement le système de santé en France, il faut arrêter de distribuer des moyens dans le seul but de satisfaire des demandes qui ne sont pas toujours la bonne réponse à des besoins réels et bien identifiés. Il faut au contraire définir des objectifs correspondant à des besoins précis, clairement exprimés sur la base d’études épidémiologiques qui sont nécessaires pour définir et évaluer une politique de santé publique ».
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1. Rapport Nicolas, Le corps médical à l’horizon 2015, 13 mars 2007.
Chapitre 2 Une politique émergente de prévention et de santé publique
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PLAN DU CHAPITRE
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1. Une éducation pour la santé insuffisante mais des veilles sanitaires qui s’organisent La promotion de la santé Responsabiliser très tôt grâce à l’éducation L’éducation nutritionnelle face au risque alimentaire Passer à une approche globale de la prévention Promouvoir le dépistage Optimiser les outils de la veille sanitaire Briser le tabou de la maltraitance Mieux protéger la jeunesse contre des risques spécifiques Éviter le drame du suicide Défendre le droit des femmes à disposer de leurs corps
25 25 26 29 31 33 36 38 41 45 49
2. Un « thème majeur » qui émerge tardivement : la santé au travail Le déficit en mécanismes de détection et de prévention Les nouveaux risques professionnels L’évaluation des risques pour mieux cibler les plans d’actions « Le travail c’est la santé ? » : bonheur au travail et stress Les politiques de prévention
50 50 52 54 55 57
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique
1. UNE ÉDUCATION POUR LA SANTÉ INSUFFISANTE MAIS DES VEILLES SANITAIRES QUI S’ORGANISENT La promotion de la santé devient une valeur sociétale inscrite dans de véritables programmes politiques où figurent éducation, prévention, dépistage et veille sanitaire pour contrer des risques multifactoriels et multicatégoriels. D’autres risques relèvent encore du tabou ou sont au contraire banalisés comme inhérents aux différents mal-être de l’adolescence ou de la jeunesse. L’évolution du nombre des suicides comme celui du nombre des IVG est un témoin « à part » de la bonne santé d’une société.
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Nous aborderons ce chapitre en rappelant les objectifs fixés par la première Conférence internationale pour la promotion de la santé réunie à Ottawa le 21 novembre 19861 . La « Santé pour tous » à l’horizon 2000 et au-delà, a fait l’objet d’un manifeste plus connu sous l’appellation de « charte d’Ottawa ». Une relecture attentive de ce document s’impose tant il demeure d’actualité, contenant l’expression même d’un rêve qui reste encore à réaliser. Le champ d’intervention est immense, mais le plaidoyer pour une meilleure santé de tous et de chacun paraît déjà bien étoffé, même s’il faut encore, dans de nombreux domaines, poursuivre inlassablement l’effort. C’est ce plaidoyer que nous allons développer dans les paragraphes qui suivent.
La promotion de la santé « La promotion de la santé » vise l’égalité en matière de santé. Pour cela, elle s’accompagne d’interventions ayant pour finalité de réduire les écarts d’états de santé au sein d’une population en procurant aux citoyens des moyens et des possibilités pour réaliser « pleinement leur potentiel santé ». Ceci nécessite l’existence d’un environnement socio-économique apportant « son soutien, l’information, les aptitudes 1. Voir « Compléments », page 330.
et les possibilités permettant de faire des choix sains ». Chaque individu doit être placé en situation d’autonomie afin de prendre en charge, de manière responsable, les facteurs conditionnant son état de santé. Cette notion d’autonomie, de contrôle exercé sur sa santé s’oppose au fatalisme et à la passivité : elle mise sur le développement personnel grâce à l’éducation pour la santé et le perfectionnement des « aptitudes indispensables à la vie ». Pour ce faire, il apparaît comme déterminant de donner à toute personne les capacités d’apprendre : accéder à l’information compréhensible, se l’approprier, en tirer un mode de comportement adapté et ceci à chaque période de l’existence, tels sont les éléments clés d’une autonomie permettant de gérer au mieux son capital santé. Une démarche aussi ambitieuse doit commencer très tôt, à l’école, mais aussi au sein de la cellule familiale ; le lieu de travail est également un lieu privilégié comme l’ensemble du « cadre communautaire ». Ce dernier comprend tous les intervenants économiques et sociaux, du secteur marchand ou des services, à but lucratif ou bénévole, les autorités locales ou régionales, les institutions et les médias : chaque individu agit en tant que personne, citoyen membre d’une famille ou d’un groupement professionnel.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES Si l’on a bien compris qu’il s’agit donc avant tout d’éduquer pour rendre autonome, il faut rappeler le but de cette approche : éduquer pour quoi ? Ce quoi est important à considérer car il fait l’objet de deux définitions quelque peu différentes. Selon l’OMS, la santé correspond à un état de « bien-être complet physique, social et mental » et l’éducation pour la santé viserait alors à conduire les individus vers cet état de bien-être. Dans le cadre de la promotion de la santé, la santé est définie comme la « mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut d’une part réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et d’autre part évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci ». La santé est envisagée ici comme une « ressource de la vie quotidienne » et non pas comme un but en soi à atteindre.
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À la conception statique d’un état de santé tel que défini par l’OMS, s’oppose un concept plus dynamique introduisant les notions d’évolution et d’adaptation à l’environnement, avec un préalable cependant rassemblant « la paix, un abri, de la nourriture et un revenu ». L’objectif est donc de modifier les comportements, de faire évoluer ceux-ci en fonction de l’environnement et des étapes de la vie. La communication constitue la clé pour atteindre cet objectif : les outils sont multiples mais permettent de distinguer les actions globales des actions de proximité. Les actions globales utilisent les moyens classiques à disposition : affiches, radio, télévision, selon des méthodes qui s’inspirent désormais du marketing et de la publicité plutôt que des messages systématiquement négatifs visant à interdire. Les messages positifs, insistant sur le plaisir, le bonheur ou l’amour prennent progressivement le pas. Cette diffusion globale d’information en direction d’une population ou d’un groupe particulier de la population constitue une première phase de sensibilisation collective. Elle n’aurait pas d’effet sans qu’un relais soit pris par les acteurs de proximité : à eux ensuite de travailler
auprès de chaque individu pour renforcer et personnaliser le message. Qu’il s’agisse du médecin, de l’infirmière, de l’assistante sociale, d’un éducateur ou de tout autre intervenant, chacun doit avec ses mots et avec ses compétences véhiculer une information cohérente. En l’état actuel des choses, force est de reconnaître que la formation initiale de chacun de ces acteurs fait une place plutôt circonscrite à l’éducation pour la santé et à ses méthodes. C’est plus tard dans l’exercice de leur métier que les professionnels ont alors accès à ce type de formation, qu’il s’agisse d’un abord thématique ou méthodologique. L’ensemble des soignants a le désir de bien faire et considère son rôle éducatif comme « naturel » : aussi la nécessité d’acquérir des compétences dépassant celles acquises lors du cursus initial, tournées vers le soin, ne fait pas encore l’objet d’une prise de conscience unanime. Il faut des interrogations lourdes sur la non-compliance des patients, ou des exigences sans cesse martelées par les associations de malades pour que les professionnels du soin entrevoient enfin que leur action doit être « prolongée » par un discours, par une méthode d’apprentissage, par une évaluation des résultats. C’est là le domaine de l’éducation thérapeutique en aval de la maladie ou celui de l’Éducation pour la santé en amont, et des comportements inadaptés qui en ont fait parfois le lit. Dans les deux cas une ingénierie de l’éducation doit servir à faire comprendre, à faire acquérir des compétences et une autonomie, que l’on soit malade ou bien portant.
Responsabiliser très tôt grâce à l’éducation Les métiers de l’éducation à la santé tardent à apparaître dans notre paysage sanitaire français d’une part parce que leur place est encore disputée par les professionnels de santé euxmêmes et d’autre part parce qu’il faudra bien
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique trouver des moyens pour financer de tels emplois. En cette période de disette, pas facile de faire avancer cette idée : investir dans l’éducation des patients pour éviter le mésusage des traitements ou l’émergence de complications. Bref, générer de la qualité dans les prises en charge médicales en même temps que des économies. Les définitions les plus complètes de l’éducation pour la santé, celle de Ewles et Simnett, mais aussi celle de Castillo spécifient que : • elle a pour objet la personne tout entière
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et en comprend tous les aspects physiques, mentaux, sociaux, émotionnels, spirituels et sociétaux ; elle est un processus qui s’étend durant toute la vie, de la naissance à la mort, et qui aide les gens à changer et à s’adapter à tous les niveaux ; elle a pour objet les personnes à tous les niveaux de maladies et de santé, du mieux portant au malade chronique et au handicapé, pour maximaliser le potentiel de chaque personne à vivre en bonne santé ; elle est dirigée vers les individus, les familles, les groupes et les communautés dans leur ensemble ; elle a pour objet d’aider les personnes à s’aider elles-mêmes et à travailler dans le but de créer des conditions plus saines pour que tout le monde « fasse des choix sains, les choix les plus faciles » ; elle comprend l’enseignement et l’apprentissage formels et informels et se sert d’un éventail de méthodes ; elle a une gamme de buts, y compris la transmission des informations et les changements d’attitude, de comportement et de vie sociale.
« L’éducation à la santé constitue une partie de l’éducation générale et, en tant que telle, elle doit réunir les mêmes caractéristiques, surtout en ce qui concerne la révision fréquente
des objectifs éducatifs et la participation active des enseignés au niveau de la planification, du développement du processus et de son évaluation permanente. Les objectifs de l’éducation à la santé visent des connaissances, des attitudes et des comportements : ils prétendent développer un savoir, un savoir-faire et un savoir-être permettant à chacun et à chaque communauté d’atteindre le plus haut degré de santé possible » (Castillo). La relation professionnel/profane peut se situer plus vers la guidance ou vers la coopération, la méthode peut être plus individualiste et éducative que collective et sociale. Ces différences permettent alors une catégorisation des approches, correspondant à l’histoire même de l’éducation pour la santé. Traditionnelle, elle repose sur l’information, avec des limites vite atteintes dans les changements comportementaux. Comportementale, elle favorise la dimension éducative et participative. Collective et politique, elle prend en compte les contraintes socio-économiques entravant un choix éclairé. Les thèmes abordés correspondent aux différents « champs d’autonomie » que l’on peut identifier. Ainsi il a pu être proposé une typologie comme celle qui suit : • éducation-information sur le corps, la santé
(au sens strict), la maladie, les soins, les facteurs de risque de maladie ou de mort précoce, par exemple : relation cancer du poumon et tabac ; • développement des aptitudes individuelles et sociales dans le champ de la santé ; par exemple : exprimer ses symptômes face au médecin, lui poser des questions, connaître les « gestes qui sauvent », prendre conscience des facteurs individuels ou sociaux influençant la santé, participer à un groupe de patients ; • éducation-information sur les services de santé et leur utilisation optimale ; par exemple : utiliser les services préventifs ; où et quand se faire vacciner ?
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES • éducation-information sur la politique de
prochaines années. Cette démarche permet non seulement de mieux traiter une maladie chronique particulière (HTA, diabète, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale...) mais aussi – et c’est vrai notamment pour la population la plus âgée – d’éviter bon nombre de complications dites iatrogènes. Se mettre d’accord sur un objectif thérapeutique, établir un plan d’action avec le patient, lui faire comprendre et respecter certaines consignes en cas de problème lié au traitement, lui indiquer comment se comporter alors et qui appeler sont autant d’aspects essentiels entrant dans une logique éducative. Il ne s’agit pas de « conseils » facultatifs et adjuvants des médicaments consommés, mais bien d’un comportement nouveau à adopter, correspondant aux contraintes nouvelles de telle ou telle pathologie chronique.
Les groupes cibles sont issus de la population générale, en passant par différents sousgroupes (école, famille, travail, groupes de malades, groupes exposés) jusqu’à l’individu. Enfin les méthodes reposent sur l’information, la persuasion et l’éducation. L’information sanitaire transmise au grand public de manière neutre est censée procurer aux individus les connaissances indispensables pour éviter ou contrer la maladie, même si le fait d’être destinataire d’une information n’a pas pour corollaire que celle-ci soit utilisée : en effet les populations informées ne modifient pas toujours leurs comportements, ou tout au moins dans une magnitude suffisante. L’éducation thérapeutique du patient qui apparaît comme une composante de l’éducation pour la santé est en passe de prendre un essor considérable dans le contexte démographique et épidémiologique qui est déjà le nôtre : vieillissement de la population, poids des maladies chroniques et du handicap. Faire du malade un acteur autonome dans la prise en charge de son programme thérapeutique constitue un enjeu de santé publique majeur pour les
Cette approche nécessite des compétences particulières à attribuer à des éducateurssoignants en éducation thérapeutique du patient. Ce métier d’éducateur soignant consiste à réaliser un diagnostic éducatif avec le patient et son entourage, à négocier les compétences que celui-ci devra acquérir, et à planifier les séquences éducatives, que celles-ci soient initiales ou « de suivi ». Pour cela, ce professionnel doit pouvoir sélectionner des techniques d’éducation thérapeutiques adéquates qu’elles soient collectives ou individuelles et évaluer chez le patient les modifications bio-cliniques et psychosociales résultant de l’action conduite. Enfin, l’éducateur doit participer à l’évolution des programmes et des moyens mis en œuvre dans l’éducation thérapeutique. Les grandes dimensions du champ de cette discipline à part entière sont ainsi posées, mais on observera à la lecture du tableau 2.1 que les savoir-faire à acquérir sont plus complexes qu’il n’y paraît. Ce descriptif de l’emploi d’éducateur soignant démontre, s’il le fallait encore, la nécessité de professionnaliser l’activité, en développant des métiers nouveaux autour du soin.
santé, la législation, les règlements, par exemple : information sur la législation en matière de publicité pour le tabac, mais aussi informations sur les moyens de faire connaître les demandes d’un groupe d’habitants aux autorités communales ; • éducation-information sur l’environnement et les facteurs socio-économiques, par exemple : pollution de l’air, relation santétravail ou santé-chômage, relation habitations vétustes et saturnisme ; • éducation-information sur les services, autres que les services de soins concernés par la santé, tels que les services agissant sur l’environnement et les facteurs socioéconomiques, par exemple : droit au relogement, droit des locataires, aides à l’amélioration de l’habitat.
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2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique Tableau 2.1. Compétences des éducateurs-soignants en éducation thérapeutique des patients. Compétences Réaliser un diagnostic éducatif avec un patient et son entourage Proposer et négocier avec le patient les compétences à atteindre par le programme d’éducation thérapeutique
Composantes • Mener un entretien avec un patient conduisant au diagnostic éducatif • Participer à la synthèse en équipe des informations recueillies
pour la formulation du diagnostic éducatif
• Négocier avec le patient des compétences qu’il peut atteindre
en tenant compte de sa motivation, de ses potentialités, de son contexte de vie et des ressources éducatives accessibles • Associer l’entourage à l’éducation thérapeutique
• Organiser l’éducation thérapeutique des patients dans différents
Planifier, organiser des séquences d’éducation thérapeutiques du patient (éducation initiale, suivi éducatif, reprise éducative). •
contextes : hôpital, réseaux, en tenant compte des problèmes d’accessibilité des patients (géographique et sociale) et du principe de continuité par le patient de son éducation Assurer la cohérence entre l’éducation thérapeutique des patients, les soins et les interventions des différents professionnels de santé
Sélectionner et mettre en œuvre des • Identifier les stratégies pédagogiques les mieux adaptées aux compétences à atteindre aux différents publics (adultes, techniques d’éducation thérapeutique, enfants, personnes âgées), et à leur diversité culturelle de groupe et individuelles, favorisant l’expression, la motivation • Maîtriser les techniques d’éducation et de conduite des groupes et l’apprentissage du patient de patients, de tutorat, d’animation et de soutien à distance • Évaluer les compétences acquises par les patients suite
à l’éducation thérapeutique (compétences de compréhension, d’analyse, de raisonnement, de décision face à l’urgence, de pratique gestuelle et technique ; compétences d’adaptation et de réajustement de la thérapeutique, d’utilisation pertinente Évaluer chez les patients des ressources du système de soins...) les compétences et les changements bio-cliniques, psychosociaux • Évaluer les changements intervenus chez le patient en lien avec liés à l’éducation thérapeutique l’éducation thérapeutique : modifications cliniques et biologiques, évolution des représentations et logiques explicatives, des motivations, des conduites, de la transformation de son environnement de vie, amélioration de sa qualité de vie, renforcement de sa citoyenneté en santé
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• Organiser un système de recueil de données sur le patient
Participer à l’évolution permanente des programmes et des moyens d’éducation thérapeutique
et le programme d’éducation (incluant les éducateurs-soignants), facilitant l’évaluation et la recherche • Participer à des recherches en éducation thérapeutique • Mettre au point des nouvelles techniques et des supports éducatifs pour l’éducation thérapeutique • Assurer sa formation permanente dans le domaine de l’éducation thérapeutique
Source : « Actualité et dossier en santé publique », Revue du Haut Comité de santé publique, 2002.
L’éducation nutritionnelle face au risque alimentaire L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a été créée pour analyser les modes de production, de stockage et de circu-
lation des aliments, leurs impacts nutritionnels et en termes de santé afin de mieux informer les autorités et le public des risques encourus et des moyens de les prévenir. L’analyse de la malnutrition a une finalité encore plus large : étudier l’incidence sanitaire
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES des comportements alimentaires. L’approche segmentée par population concernée a permis de cerner les risques thérapeutiques dus aux déséquilibres nutritionnels afférents aux catégories ainsi ciblées : • la prévalence de l’obésité infantile et ado-
lescente s’accroît depuis quelques années. Selon un rapport de l’International Obesity Task Force rendu public en mars 2005, un enfant sur cinq est en surpoids ou obèse en Europe. Toujours selon ce même rapport européen, 18 % des petits français seraient en surpoids, dont environ 4 % d’obèses ;
• 70 % des enfants de moins de 10 mois ont
des apports insuffisants en fer, près d’un enfant sur deux n’a pas de réserve en fer à l’âge de 10 mois, et 17 % sont anémiques ;
• les enfants actifs (sportifs) et dont l’indice
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de sédentarité (moins d’heures devant la télé) est faible ont un meilleur équilibre alimentaire par ailleurs remis en cause par la déstructuration de la prise des repas et le grignotage permanent ;
• l’image du corps véhiculée par les médias
et l’identification accolée à certains produits sont constitutives des déséquilibres alimentaires des adolescents souvent carencés en fer et en calcium. Les filles sont plus touchées par l’anorexie et la boulimie : la fixation sur le corps, accrue par le regard des autres, se fait au détriment des ressources intérieures, d’où une lutte compulsive contre l’impulsion à se nourrir. Les risques de complication à long terme sont sérieux et graves : ostéoporoses, dépressions, troubles de l’humeur...
• les personnes âgées qui vivent majoritaire-
ment à leur domicile présentent de nombreuses carences nutritionnelles liées aux dérégulations de l’appétit, du goût et de l’odorat et à l’apparition de troubles fonction-
nels empêchant de faire les courses, préparer les repas, voire de manger. Il en résulte une diminution des défenses immunitaires et un risque accru aux infections ; • il existe aussi une malnutrition propre aux
patients hospitalisés. La prévalence de la dénutrition concerne entre 25 et 45 % des patients hospitalisés. Les services les plus touchés selon l’Inserm sont les services de réanimation, de pathologie digestive, de chirurgie lourde, de cancérologie et de pédiatrie. Malgré le rapport spécifique consacré au problème par le Professeur Guy Grand en 19971 , la situation ne s’est guère améliorée. En 2003, le ministère de la Santé constatait2 que la moitié des repas servis à l’hôpital finissent à la poubelle, que les personnes âgées n’ont que dix minutes pour manger au lieu des trente nécessaires, qu’un service sur deux est dépourvu de balance, que certaines infections nosocomiales ont pour origine l’alimentation proposée aux malades... Le rapport de 1997 soulignait que l’absence de prise en charge de la malnutrition hospitalière induisait une augmentation de la morbidité et de la mortalité ainsi que l’augmentation de la durée d’hospitalisation. A contrario, lorsque l’amélioration nutritionnelle était précoce, la durée d’hospitalisation était raccourcie ;
• la malnutrition des personnes en situation
de précarité, pour être hétérogène n’en est pas moins réelle : sous-consommation de certains groupes d’aliments (fruits et légumes, produits laitiers...), perturbations du rythme alimentaire, surconsommation d’aliments riches en glucides et en graisses, état nutritionnel grave des personnes en situation de grande exclusion. Dans ce dernier cas, malnutrition, tabagisme, alcoolisme, insalubrité, violence et dénuement se
1. Rapport Professeur Guy Grand, L’alimentation en milieu hospitalier, 1997. 2. Colloque Alimentation et nutrition dans les établissements de santé, Paris, mars 2003.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique cumulent jusqu’à dégrader irrémédiablement la santé des individus. Dans tous les cas, les personnes précaires présentent des risques accrus de maladies cardio-vasculaires et de cancers liés à leurs déséquilibres nutritionnels.
6. réduire de 5 % la cholestérolémie moyenne des adultes ;
D’une manière générale, les modes de vie des pays industrialisés favorisent la malnutrition : suralimentation, sédentarisation, lobbying de l’industrie agro-alimentaire sont autant de facteurs d’exposition au risque d’obésité, aux maladies cardio-vasculaires, au diabète. La progression de l’obésité en France est, à cet égard, significative : 5,5 millions d’obèses dans un groupe d’environ 20 millions de personnes en surpoids... À défaut d’infléchir cette courbe, 20 % de la population sera obèse en 2020 ! L’obésité progresse davantage à partir de 35 ans : sa fréquence a augmenté de 51 % en six ans parmi les 35 à 44 ans. À partir de 45 ans, le surpoids concerne un homme sur deux et une femme sur quatre avec des excès avérés de graisse abdominale. Parmi les obèses vivant en France, 1 780 000 sont hypertendus, 1 280 000 ont des niveaux anormaux de graisse dans le sang, 565 000 sont diabétiques... Le nuage américain a traversé l’Atlantique ! Comment sensibiliser l’opinion publique à ces faits afin d’inverser la tendance ? Le programme national Nutrition-Santé 20012005 fixe neuf objectifs nutritionnels prioritaires en terme de santé publique :
9. augmenter l’activité physique journalière de l’équivalent d’une demi-heure de marche rapide supplémentaire par jour...
1. augmenter la consommation de fruits et légumes ; 2. augmenter la consommation de calcium ; 3. réduire les apports lipidiques à moins de 35 % de l’apport énergétique journalier ; 4. augmenter l’apport glucidique à plus de 50 %, dont l’apport en fibres ; 5. réduire la consommation d’alcool à moins de 20 grammes par jour dans la population générale ;
7. réduire de 10 mm de Hg la pression artérielle systolique des adultes ; 8. réduire de 20 % la prévalence du surpoids et de l’obésité ;
Depuis 2004, la prévention de l’obésité fait désormais partie intégrante de la loi de santé publique. Cette dernière, entrée en vigueur le 1er septembre 2005, comporte plusieurs mesures phares : • interdiction des distributeurs automatiques
de boissons sucrées et de confiseries dans les établissements scolaires ; • réglementation de la publicité sur les produits sucrés depuis le 1er février 2007, toutes les campagnes publicitaires pour des produits alimentaires manufacturés ou des boissons sucrées comportent un message de prévention nutritionnelle ; • surtaxe des mélanges alcoolisés et sucrés. En mars 2005, une proposition de loi supplémentaire, demandant en outre la création d’un « Haut Comité de lutte contre l’obésité » et d’un « Observatoire de l’épidémie d’obésité » ainsi que l’organisation d’une campagne nationale de sensibilisation aux risques d’épidémie d’obésité, avait d’ailleurs été déposée. Il en est cependant du sucre comme du tabac, voire de l’alcool : les mesures prises demeurent fluctuantes, au gré de la pression des lobbies concernés sur les pouvoirs publics...
Passer à une approche globale de la prévention Prévenir la maladie et prévenir le malade, voilà les déclinaisons d’un verbe décrivant les
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES deux dimensions essentielles de la prévention : empêcher les affections de se manifester, ou au moins de se déclarer sous leurs formes graves, et conseiller, informer les patients sur leur état de santé et comment l’améliorer ou simplement se préserver. Un schéma désormais classique segmente l’activité de médecine préventive en préventions primaire, secondaire et tertiaire. La prévention primaire " Elle a pour objectif la diminution du nombre de nouveaux cas d’une affection donnée : elle réduit l’incidence de la maladie. L’illustration parfaite de cette approche est la vaccination qui protège efficacement chaque individu au sein d’une population. Ainsi non seulement certaines maladies ont considérablement diminué en nombre de cas : tétanos, poliomyélite, diphtérie, coqueluche, rubéole, rougeole mais d’autres ont carrément disparu de la surface du globe comme la variole.
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Cette prévention primaire recouvre également les modifications comportementales des personnes. Les comportements alimentaires concernent la consommation excessive d’alcool et ses conséquences : cirrhoses, psychoses, polynévrites, mais aussi les régimes riches en fibres (diminution du risque de cancer colorectal) ou riches en acides gras polyinsaturés (diminution du risque cardio-vasculaire). La prévention du tabagisme, et ses répercussions vingt ans plus tard en termes de cancers des voies aérodigestives supérieures ou de cancers du poumon, viennent compléter cet axe comportemental. Un dernier axe de la prévention primaire pourrait être qualifié d’environnemental : développer une culture du bien-être par l’exercice physique et le sport, promouvoir une ambiance au travail moins stressante et contribuant fortement au développement personnel des individus, agir sur le stress en général, sont quelques pistes auxquelles il faut ajouter les mesures concernant la sécurité routière. Toutes contri-
buent à diminuer l’apparition d’événements pathologiques ou mortels dont on a identifié les causes, qu’il s’agisse d’infarctus du myocarde favorisé par le surpoids, la sédentarité et le tabagisme, ou du suicide sur les lieux du travail ou encore de la mort sur une route départementale. La prévention secondaire " Elle vise à réduire la gravité d’une maladie – que l’on ne peut pas empêcher d’apparaître – et sa durée d’évolution en la diagnostiquant le plus tôt possible. C’est le domaine du dépistage qui sera développé un peu plus loin. Les illustrations sont nombreuses et concernent en premier lieu les cancers : cancers du sein ou du col utérin chez les femmes, cancer de la prostate chez l’homme, cancer colo-rectal dans les deux sexes. Mais d’autres maladies entrent également dans le champ du dépistage, qu’il s’agisse de l’hypertension artérielle, du diabète ou de certains troubles métaboliques. La prévention tertiaire " Elle voudrait réduire les incapacités et les handicaps d’une maladie que l’on n’a pu ni empêcher de survenir, ni diagnostiquer à l’avance. La rééducation à l’effort des patients victimes d’infarctus du myocarde, la rééducation orthopédique visant à limiter les séquelles d’un accident vasculaire cérébral, ou encore la récupération d’une voix œsophagienne chez les laryngectomisés sont autant d’exemples de ce type de prévention. Que l’on envisage les préventions primaire, secondaire ou tertiaire, prévenir la maladie nécessite de prévenir le malade. L’information du patient est transverse à ces trois domaines, car elle permet son adhésion en tant qu’individu, à une action par nature collective. Qu’il s’agisse de vaccination ou de dépistage on a affaire à une médecine des populations, dont l’efficacité est mesurée sur des indicateurs statistiques. On entrevoit ici à quel point cette segmentation – certes structurante à ses débuts – de la prévention est artificielle et comment elle
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique « efface » l’individu du champ de la réflexion. Parlons plutôt de risques individuels et collectifs. Avec des prises de risque individuelles et des dégâts collectifs : accidents de la route, alcoolo-dépendance, non-compliance à des vaccinations contre les maladies contagieuses. Avec des prises de risques collectives et des dégâts individuels : non-dépistage organisé du cancer colorectal, exposition professionnelle tolérée à des toxiques ou agents nuisibles, pollution atmosphérique. La prévention comme science du probable et du non-probable, la prévention comme science de l’éducation à la connaissance et au contrôle du risque, au niveau individuel comme au niveau collectif. En 2005, selon le ministre de la Santé citant les chiffres de l’OCDE, « notre pays se classe en 6e position pour ses dépenses de prévention. Le total des dépenses, y compris celles incluses dans la consommation de soins, a atteint 12 milliards d’euros ». Cependant, la Commission d’orientation, dans un rapport d’étape de septembre 2006 préconise de se lancer dans une démarche de promotion de la santé, notamment « par une action sur les déterminants environnementaux et sociaux, individuels et collectifs, de permettre à chaque citoyen d’exercer un meilleur contrôle sur sa propre santé (...) ». Plus loin, elle insiste toutefois sur le fait que « le développement de cette prévention individuelle n’aura de sens et d’efficacité qu’à condition que soient menées en parallèle et de manière cohérente des actions multisectorielles sur les déterminants collectifs de la santé ». La loi de santé publique du 9 août 2004 a eu pour but de « fixer des objectifs nationaux de santé publique, donner à l’État la responsabilité de les concevoir et décentraliser leur mise en œuvre, développer une culture de la prévention ». À partir d’une centaine d’objectifs définis pour la période 2004-2008, cinq axes priori1. OCDE, Panorama de la santé – indicateurs 2005.
taires sont dégagés et annexés à l’avant-projet : cancers, violences, environnement, maladies rares et qualité de vie des personnes atteintes de maladies chroniques. Cette loi, votée suite au rapport annuel 2003 de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), intitulé « Santé, pour une politique de prévention durable », soulignait les principales faiblesses de la prévention sanitaire en France et les quatre champs incriminés : « les risques environnementaux, les risques professionnels, la politique d’aide et d’accompagnement des difficultés sociales et psychologiques des jeunes enfants et de leurs familles, ainsi que la réduction des inégalités sociales face à la santé ». Les rapporteurs préconisaient déjà « de développer un effort de promotion de la santé, plutôt que de multiplier injonctions et interdits ». Le rapport pointait enfin « la crise de la médecine préventive » avec des services « organisés autour d’une vision très individuelle de leur mission, au détriment de la surveillance des risques collectifs ». D’une manière générale, l’IGAS plaidait pour une prévention mieux ciblée et mise en œuvre par des actions pluridisciplinaires. L’OCDE rappelle d’ailleurs encore deux ans après que le développement de la prévention « pourrait atténuer les pressions qui pèsent sur les systèmes de soins1 ». L’OCDE relève en effet que les pays de l’OCDE ne consacrent en moyenne que 3 % de leur budget santé aux actions de prévention, alors que des campagnes de vaccination ou contre les comportements à risque ou l’obésité coûtent pourtant beaucoup moins cher que les maladies qu’elles permettent d’éviter.
Promouvoir le dépistage Le concept de dépistage est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord, fai-
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES sant appel essentiellement à des calculs de probabilité mais aussi à des connaissances aussi variées que celles portant sur la communication, l’organisation ou encore l’économie. De cette complexité naît un malentendu permanent entre ceux qui soignent et ceux qui mettent en œuvre les dépistages, tandis que ceux qui financent tardent souvent à en comprendre l’urgence. En premier lieu, le dépistage se différencie fondamentalement d’un acte diagnostique habituel ; l’examen médical, qu’il soit clinique (le palper des seins à la recherche d’une boule anormale) ou biologique (le dosage du sucre dans le sang), est réalisé chez un individu qui n’est pas demandeur, car il ne présente aucun symptôme, aucun signe « d’appel » comme l’on dit dans le jargon médical. Si on ne lui avait pas proposé un test, la plupart du temps l’individu en question n’aurait pas, de son plein gré, passé cet examen.
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C’est le principe de « l’avance au diagnostic » qui justifie totalement une telle approche : le fait de trouver une petite tumeur cancéreuse du sein de moins d’un centimètre de diamètre, sans envahissement ganglionnaire, sans métastase multiplie les chances de survie de la patiente. On a « avancé » dans le temps un diagnostic : sinon celui-ci aurait été porté devant des signes tardifs, authentifiant sans hésitation une maladie déjà diffuse et beaucoup plus difficile alors à combattre. Cette « avance au diagnostic » concerne le cancer du sein, le cancer du col, le cancer colo-rectal et conditionne les chances de guérison des malades. Elle concerne tout autant la phénylcétonurie ou la mucoviscidose, maladies génétiques dépistées chez le nourrisson avant que celui-ci ne présente des signes révélateurs et tardifs lors de sa croissance. Des dépistages beaucoup plus banalisés, tels que celui de l’hypertension artérielle, permettent de mettre en œuvre les thérapeutiques évitant les complications. Quant au dépistage du Sida, il permet à la fois de gérer cette mala-
die chronique le plus tôt possible, avec un arsenal médicamenteux efficace, et d’informer l’individu de sa contagiosité vis-à-vis de ses partenaires sexuels. En deuxième lieu, l’utilisation de tests clinique ou biologique lors de dépistages permet de différencier les individus qui présentent probablement une maladie de ceux qui ne la portent pas. Le mot probablement revêt ici une importance particulière et s’oppose au mot « certainement ». C’est dire que le test de dépistage n’apporte pas un diagnostic formel, il met sur la piste, il présume fortement, mais il ne certifie pas, il n’authentifie pas la maladie recherchée. Un bon test de dépistage n’est jamais parfait : il indique que l’individu est malade, alors que ce dernier porte vraiment la maladie, plus de neuf fois sur dix. Ce sont les vrais positifs : plus ils sont nombreux et plus on dit que le test est sensible. Mais une fois sur dix, il inquiétera à tort des sujets sains, les faux positifs. Et puis, symétriquement un bon test de dépistage dira qu’un individu est indemne alors qu’il ne porte pas la maladie neuf fois sur dix : ce sont les vrais négatifs, plus ils sont nombreux et plus on dit que le test est spécifique. Hélas, ce même test rassurera de vrais malades une fois sur dix : ce sont les faux négatifs, sans doute ceux pour qui, il faut bien le dire, cette imperfection du test est la plus problématique. En troisième et dernier lieu, le test de dépistage, proposé à des gens apparemment bien portants n’ayant rien demandé, ne s’adresse pas à tout le monde. Il vise une population, un groupe de personnes qui présente une probabilité plus forte d’avoir la maladie recherchée. Ainsi, le cancer du sein n’est pas dépisté chez toutes les femmes, mais chez celles de plus de 50 ans car c’est à partir de cet âge que la fréquence de cette tumeur augmente. De même pour le cancer colorectal dont le risque, chez l’homme comme chez la femme, augmente considérablement après 50 ans en dehors de tout antécédent particulier. Il convient donc de
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique réserver son énergie et ses ressources – en particulier financières – en direction des groupes les plus exposés au risque de survenue de la maladie que l’on recherche. C’est ce que les économistes appellent communément être « coût-efficace ». Ces particularités du test de dépistage étant connues, quelques principes de bon sens viennent codifier les règles de sa mise en œuvre par les pouvoirs publics.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Le premier de ces principes établit que la maladie à dépister doit être une menace grave pour la santé publique. Derrière les mots « menace grave » se profilent deux indicateurs simples. La fréquence de l’affection dans la population, exprimée en nombre de nouveaux cas survenant chaque année ou incidence de la maladie. La mortalité, ou nombre de décès causés par cette même maladie, constitue le second indicateur. Mais proclamer que le cancer du sein est un problème majeur de santé publique, avec X nouveaux cas et Y décès annuels n’est dans l’absolu guère édifiant. Il est nécessaire de connaître les mêmes chiffres à propos du cancer du colon, du cancer du col de l’utérus, des autres cancers afin d’établir un classement et de dégager une priorité nationale. Car il n’est pas économiquement envisageable de généraliser le dépistage à toute maladie susceptible d’être diagnostiquée « en avance » sur son évolution naturelle. Le deuxième principe dit que le test de dépistage doit être efficace, sans trop de faux positifs ou trop de faux négatifs. Une sensibilité et une spécificité supérieures à 90 %, comme c’est le cas pour l’examen mammographique par exemple, sont communément admises comme témoins d’un test efficace. Cherchera-t-on à maximiser les faux positifs ou les faux négatifs ? Quelle que soit la maladie recherchée, en cancérologie plus qu’ailleurs, les faux négatifs nous placent devant une perspective qui fait peur : inviter des personnes non demandeuses à passer un examen dit
fiable, pour les rassurer faussement et les laisser repartir sans les soins nécessaires pose un problème éthique majeur. La perte de chance d’un diagnostic précoce est manifeste. Inquiéter inutilement des individus a sans doute des conséquences moins dramatiques mais viendra irrémédiablement annuler le bénéfice espéré du dépistage sur le long terme par une possibilité d’abandon ultérieur. La perte de chance d’un diagnostic précoce est ici moins visible, mais bien réelle. Le troisième principe stipule que les moyens appropriés du diagnostic certain de la maladie recherchée existent. On l’a dit, le test de dépistage n’est pas sûr à 100 %, puisqu’il comporte un certain nombre de faux positifs et de faux négatifs. Ainsi un moyen diagnostique formel doit pouvoir lever l’ambiguïté et, surtout, permettre d’instaurer un traitement à bon escient. Ce moyen est la biopsie des tissus suspects en cas de cancer du sein ou de cancer du col : c’est la colonoscopie en cas de suspicion de cancer colorectal, elle-même complétée par une biopsie des polypes suspects. Le quatrième principe est essentiel et fonde la théorie même du dépistage : la maladie doit être décelable, dans sa phase de latence, ou au tout début de sa phase clinique. C’est dire que l’histoire naturelle de celle-ci doit être parfaitement connue. Ainsi, l’on sait que le cancer du col utérin peut être identifié en prélevant localement quelques cellules, grâce à un écouvillon. Les anomalies de ces cellules signent l’existence d’un cancer microscopique, des mois avant l’apparition des symptômes visibles à l’œil nu : ulcération, bourgeonnement, saignements. C’est cette phase de latence, d’évolution à bas bruit, qui permet l’avance au diagnostic. Il en va de même avec la mammographie, montrant une image radiologique anormale avant même la palpation d’une tuméfaction du sein, ou de la recherche de sang occulte dans les selles, permettant de trouver de petits polypes
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES colorectaux avant qu’ils ne dégénèrent en cancer. Le cinquième principe, simple, conditionne la mise en œuvre d’un dépistage : un traitement codifié, consensuel et surtout efficace doit pouvoir être proposé au patient en cas de résultat positif. Que faire en effet d’un test positif si aucune réponse médicale ne peut modifier l’évolution naturelle de la maladie ? C’est précisément là le problème qui se pose à propos du cancer de la prostate : le traitement envisagé est soit hormonal, soit radiologique, soit chirurgical, chaque technique présentant ses avantages et ses inconvénients. Ce cancer a pour particularité d’être très fréquent chez les gens âgés, sans être la cause directe de leur décès. En revanche, la qualité de vie de ces hommes après un geste thérapeutique se trouve la plupart du temps altérée. On comprend donc que le dépistage systématique de cette affection ne soit guère préconisé.
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Le sixième principe indique qu’il faut une continuité dans la recherche des cas pour que la politique de dépistage soit efficace. En effet à quoi bon proposer à des femmes un examen mammographique, un frottis cervico-vaginal de manière sporadique ? On est sur la maîtrise d’un risque – celui de voir survenir un cancer du sein ou du col – qui s’inscrit dans la durée et implique le systématisme de dépistage. Un examen de dépistage est prévu tous les deux ans, aussi longtemps que ce risque existe, avec parfois des examens plus rapprochés si un facteur supplémentaire apparaît : papillomavirus pour le col, antécédents personnels familiaux pour le sein. Le septième principe – faut-il l’appeler ainsi ? – nécessiterait plutôt de s’appeler condition : le coût de la recherche des cas, les dépenses diagnostiques et thérapeutiques engagées par un dépistage de masse doivent être inférieures au coût global de la maladie survenant dans la population non dépistée. Cette condition purement économique nous rappelle
d’abord que la santé a un coût : l’avance au diagnostic, avant d’être utile à l’individu en terme d’espérance de guérison et de survie, doit être utile à la collectivité en minimisant les dépenses occasionnées par des diagnostics tardifs, générant des thérapeutiques lourdes.
Optimiser les outils de la veille sanitaire Nous vivons dans un monde de plus en plus complexe et les modèles qui marchaient « avant » sont désormais rapidement dépassés : c’est l’apparition du Sida qui en premier a balayé les certitudes du passé, démontrant tout d’abord que de nouvelles maladies peuvent bel et bien survenir. Ensuite les balbutiements et les événements des premiers mois de l’épidémie vont être porteurs de leçons pour l’avenir. Envisager toutes les hypothèses, même les plus folles, ne pas camper sur des postulats scientifiques établis une fois pour toutes, sont autant de postures intellectuelles qui vont fonder le « principe d’incertitude » débouchant lui-même sur le « principe de précaution ». Plus tard le scandale du sang contaminé va pousser ces deux principes jusqu’à des positions extrêmes que l’on n’avait jamais tenues dix ans auparavant. L’entrée en scène du prion et de la maladie de Creutzfeld-Jacob permettront au principe de précaution de donner toute sa mesure et personne, bien entendu, n’aurait l’idée de s’en plaindre. Une véritable éco-éthique telle que prônée par Hans Jonas voit discrètement le jour. La vigilance devient le maître mot et l’on assiste alors, quasiment en rafale, à la naissance de nombreux organismes de veille. Ils sont eux-mêmes cordonnés par le Comité national de sécurité sanitaire présidé par le ministre de la Santé. Ainsi sont apparus : • l’Institut national de veille sanitaire, qui
alerte les pouvoirs publics en cas de risque
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique
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pour la santé de la population et coordonne des enquêtes épidémiologiques ; l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, qui contrôle médicaments, cosmétiques, produits sanguins, tissus et organes ; l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qui évalue les risques nutritionnels à toutes les étapes, du producteur au consommateur ; l’Établissement français du sang, qui organise les collectes et distribue les produits sanguins en garantissant leur qualité ; l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, qui mène des expertises dans le domaine de l’environnement et propose des mesures de prévention des risques. Ils s’ajoutent aux organismes plus anciens :
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
• l’Office de protection contre les rayonne-
ments ionisants (1994), qui contrôle la radioactivité dans l’environnement et l’exposition des salariés dans l’industrie nucléaire et la radiologie médicale, • l’Établissement français des greffes (1994) qui, outre la gestion des listes de donneurs et receveurs, veille à la sécurité et à la qualité des greffes, • l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (2002) qui met en œuvre les politiques de prévention et d’éducation pour la santé dans le cadre des orientations de la politique de santé publique fixées par le gouvernement, et qui, depuis 2004, doit participer à la gestion des situations urgentes ou exceptionnelles ayant des conséquences sanitaires collectives et à la formation à l’éducation pour la santé, • la Haute Autorité de santé (créée par la loi du 13 août 2004 portant réforme de l’Assurance maladie), qui a repris les missions de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé, de la Commission de la
transparence et de la Commission d’évaluation des produits et prestations. Elle est notamment chargée d’évaluer l’utilité médicale de l’ensemble des actes, des prestations et des produits de santé pris en charge par l’Assurance maladie, de mettre en œuvre la certification des établissements de santé, de promouvoir les bonnes pratiques et le bon usage des soins auprès des professionnels de santé et du grand public. À cette mise en place des moyens, il faut ajouter un changement radical des mentalités des citoyens ou des malades avérés ou virtuels que nous sommes. L’exigence de sécurité est devenue la norme comme l’exigence de transparence et d’information. Un ultime épisode vient nous rappeler que désormais, tout est scientifiquement envisageable : l’épizootie de grippe aviaire qui touche de manière récurrente une dizaine de pays asiatiques et pourrait être un jour la cause d’une pandémie chez l’homme. Récemment encore, un tel épisode s’est reproduit : de nombreux pays (dont le nôtre) ont été touchés. L’hebdomadaire médical britannique The Lancet révélait que selon une étude d’avril 2006, les niveaux de préparation étaient très différents au sein de l’Union européenne. Ainsi, des chercheurs ont analysé les plans nationaux de lutte contre une pandémie de grippe aviaire de 21 pays et en ont tiré certaines conclusions ; ainsi, si la planification de la surveillance épidémiologique, la coordination entre les différents secteurs concernés et l’information du public sont jugées globalement satisfaisantes, il n’en va pas de même pour ce qui est de l’anticipation et de la modélisation des mesures à prendre afin qu’une situation pandémique ne désorganise pas profondément le tissu social, l’économie et la vie collective. Rappelons l’impact majeur, en terme de mortalité, que pourrait avoir une pandémie grippale causée par un virus hautement pathogène. Les estimations varient entre des taux de
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES mortalité compris entre 230 et 465 pour cent mille habitants... soit, pour une population de 453 millions de personnes, une fourchette comprise entre un et deux millions de décès.
Briser le tabou de la maltraitance Que répondre à l’affirmation d’une société « toujours plus violente » ? D’abord qu’il convient de quantifier le phénomène quand cela est possible. Le nombre d’agressions à main armée, les voitures brûlées sur les parkings, le nombre d’homicides sont autant d’indicateurs permettant de mesurer l’évolution de la délinquance ou de la criminalité. Mais quantifier n’est pas toujours possible et l’on peut opposer une violence visible à une violence « invisible », celle qui se situe dans la famille faisant parler volontiers de violence « domestique ».
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La violence faite aux femmes Il s’agit d’un fléau mondial, insensible aux cultures et aux niveaux socio-économiques des agresseurs comme des agressés. Quarante études recensées par l’OMS, sur quatre continents recouvrant 24 pays, ont montré les points suivants : • 20 à 50 % des femmes sont ou ont été vic-
times d’actes de violence physique de la part de leur partenaire à un moment de leur vie ; • la moitié des femmes ayant subi des violences ont été violées par leur partenaire ; • ces violences domestiques sont la première cause de meurtre de femmes dans le monde. La première étude jamais réalisée par l’OMS sur la violence domestique révèle que la forme la plus courante d’actes de violence dont les femmes sont victimes est celle due à leur partenaire et que ces agressions sont beaucoup plus fréquentes que les agressions ou les viols com-
mis par une connaissance ou par un inconnu. L’étude fait part des effets énormes que les actes de violence physique et sexuelle commis par le conjoint ou le partenaire ont sur la santé et le bien-être des femmes dans le monde entier et souligne que la violence du fait du partenaire reste un phénomène encore largement caché. L’étude est fondée sur des entretiens avec plus de 24 000 femmes de milieux ruraux et urbains dans les dix pays suivants : Bangladesh, Brésil, Éthiopie, Japon, Namibie, Pérou, République Unie de Tanzanie, Samoa, Serbie-et-Monténégro et Thaïlande. L’étude sur la santé des femmes et la violence domestique à l’égard des femmes formule des recommandations à l’intention des responsables politiques et du secteur de la santé publique et lance un appel en faveur de mesures pour tenir compte des coûts humains et sanitaires, et notamment pour intégrer des programmes de prévention de la violence dans un éventail de programmes sociaux. L’étude constate que, parmi les femmes qui ont été brutalisées par leur partenaire, la proportion de celles chez qui les coups reçus étaient selon elles directement à l’origine de traumatismes physiques s’établissait entre le quart et la moitié. Ces femmes étaient également deux fois plus exposées que les autres au risque de problèmes de santé et à des problèmes physiques et mentaux, alors même que les actes de violence pouvaient avoir été commis plusieurs années auparavant. Certaines songeaient au suicide ou faisaient une tentative de suicide, d’autres éprouvaient une détresse mentale ou des symptômes physiques – douleurs, étourdissements ou pertes blanches. Les auteurs de ces violences sont des hommes dans l’immense majorité des cas, les agressions se produisant dans le cadre familial la plupart du temps. On observera que la majeure partie des meurtres de femmes est commise par des partenaires ou ex-partenaires.
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique La violence masculine à l’encontre des femmes est donc un phénomène sinon visible, au moins quantifiable. Les formes de violences conjugales sont variées : depuis la violence verbale faite pour humilier, rabaisser, terroriser, en passant par la violence économique pour contrôler la vie de l’autre, jusqu’à la violence corporelle et sexuelle atteignant la victime dans son intégrité corporelle. Une véritable escalade de la violence peut être décrite, l’agresseur commençant toujours par réduire la confiance personnelle de sa victime par des messages négatifs perpétuels. Une baisse de l’estime de soi consécutive va anesthésier la femme dans ses capacités à se défendre, notamment à se saisir du droit pour faire cesser les agressions. Les violences verbales font partie de cette phase du processus, afin d’instaurer la terreur, l’explosion se produisant lors de l’agression physique, prenant des formes bien connues : ecchymoses, brûlures, fractures. Depuis les vingt dernières années, les associations d’aide aux femmes battues ont dénoncé la gravité des faits sans relâche : la loi de juillet 1992 leur a donné raison, mentionnant que la qualité de conjoint d’une victime constituait une circonstance aggravante des « atteintes volontaires à la personne ».
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
La maltraitance des enfants Elle constitue une autre violence invisible, qui appelle d’abord trois définitions. On parle « d’enfants maltraités » lorsque l’enfant est victime de violences physiques, de cruauté mentale, d’abus sexuels, ou de négli-
Encadré 2.1
gences lourdes, ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique. Un « enfant en risque » est un enfant qui connaît des conditions d’existence mettant en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou son entretien, mais qui n’est pas pour autant maltraité. Enfin, la dénomination « enfants en danger » désigne l’ensemble des enfants maltraités et des enfants en risque. Il faut se souvenir que, jusqu’en 1912, l’enfant est, comme l’adulte, responsable de ses actes et en répond devant le Code pénal avec les mêmes peines d’enfermement. C’est jusqu’en 1935 que se perpétue le « droit de correction paternelle » permettant à un père de faire interner son enfant dès que son autorité est bafouée ou que la paix familiale est compromise. Parallèlement à cela, tout un système législatif spécifique à l’enfant se met progressivement en place (encadré 2.1). On voit bien dans l’encadré 2.1 que les droits des enfants sont bel et bien affirmés et que la tolérance à la maltraitance, voire à la simple notion de danger s’amenuise au fil du temps : une judiciarisation croissante des procédures en atteste. Mais au devoir d’intervention se heurtent le respect de la vie privée et le refus de stigmatiser des différences sociales et culturelles (tableau 2.2). Ceci ne constitue pas la moindre des contradictions, parmi lesquelles prévention et protection, secret médical et signalement obligatoire, protection sociale et protection judiciaire sont autant de valeurs qui s’affrontent.
Chronologie du système législatif spécifique à l’enfant
• 1898 : loi sur la répression des violences, voies de fait et attentats commis contre des enfants
(art. 312 du Code pénal) ;
• 1904 : loi de police et de sûreté qui catégorise les enfants secourus, en dépôts, en garde,
pupilles. Ces catégories sont celles restées en vigueur jusqu’en 1986 ;
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES ☞
• 1912 : loi instituant les tribunaux pour enfants et l’obligation d’une enquête familiale ; • 1926 : transformation des colonies pénitentiaires et maisons de correction en institutions
d’éducation surveillée ; • 1945 : tournant majeur dans la protection de l’enfance : la présomption d’irresponsabilité des enfants est affirmée et un corps de magistrats spécialisés est créé. Lois, décrets et circulaires en direction de l’enfance en danger vont se multiplier à partir de la seconde guerre mondiale. Parmi les textes les plus importants on retiendra : • l’ordonnance du 23 décembre 1958 sur la protection judiciaire de l’enfance en danger ;
• le décret du 7 janvier 1959 sur la protection sociale de l’enfance en danger : deux textes qui
vont régir officiellement l’assistance éducative en milieu ouvert ; • la loi du 4 juin 1970 sur l’autorité parentale et qui traite de la délégation, de la déchéance et de l’abandon ; • la loi du 17 mai 1977 sur le statut des familles d’accueil ; • la loi du 6 juin 1984 relative au droit des familles dans leurs rapports avec les services chargés de la protection de l’enfance. Les textes législatifs spécifiques à l’enfance maltraitée sont plus récents : • la circulaire du 28 janvier 1981 traite spécifiquement ce problème ;
• la circulaire interministérielle du 18 mars 1983 s’intéresse particulièrement à la coordination
40
des services et des professionnels ; • enfin, la loi du 10 juillet 1989 précise les responsabilités des présidents des conseils généraux et leurs rapports avec l’autorité judiciaire.
La maltraitance des personnes âgées Aussi inconcevable que la violence faite aux femmes ou aux enfants, la maltraitance des personnes âgées n’est abordée comme un problème de santé publique que depuis une dizaine d’années en France. S’il n’est pas plus « immoral » de frapper ses vieux parents que sa femme ou ses enfants, il faut souligner que la victime est ici encore plus faible, souvent la plus isolée au sein d’un huis clos familial où aucune personne étrangère ne pénètre. Tandis que la femme peut trouver des appuis à l’extérieur, que l’enfant va à l’école ou rencontre le médecin, la personne âgée peut être privée de visite et même parfois séquestrée.
L’éventail de la maltraitance couvre les domaines financiers (spoliation de biens ou d’argent, vie aux crochets de l’aïeul), psychologiques (rejet, humiliation) et physiques (brutalité, coups, escarres non soignées), mais concerne aussi les négligences dans l’aide à la vie quotidienne : lever, coucher, toilette ou repas. Comme on pouvait s’y attendre, trois fois sur quatre les victimes sont des femmes, veuves, vivant en famille. Les facteurs de risque sont liés à la dépendance de la personne âgée, lourde à supporter à domicile, incontinence et démence exposant plus que d’autres causes à la maltraitance, de la part d’un environnement « à bout de tolérance ». On ne peut en terminer avec ce panorama de la violence invisible sans parler des personnes handicapées mentales.
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique Tableau 2.2. Évolution des signalements faits à l’aide à l’enfance (France métropolitaine). 2000
2001
2002
2003
2004
Enfants en risque
65 500
67 500
67 500
71 000
76 000
Enfants maltraités dont : – violences physiques – Abus sexuels – Négligences graves – Violences psychologiques
18 300
18 000
18 500
18 000
19 000
5 5 5 2
5 5 4 2
6 5 4 2
Total des enfants en danger
83 800
85 500
500 900 000 000
86 000
800 200 400 600
89 000
600 500 400 500
95 000
Source : ODAS, Rapport 2005, « Protection de l’enfance : Observer, évaluer pour mieux adapter nos réponses ».
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Le cas des personnes handicapées mentales Comme précédemment, il y a isolement, non pas cette fois physiquement mais intellectuellement. Comment en particulier écouter la plainte d’un sujet autiste ? Là encore les facteurs de risque sont parfaitement identifiés et les mesures de prévention connues : pleine participation des parents, alerte si épuisement des professionnels, bonne organisation des équipes, optimisation des règlements intérieurs, lutte contre l’isolement de l’institution d’accueil. Le Code européen de bonnes pratiques pour prévenir la violence et les abus à l’égard des personnes autistes contient les bases d’une action cordonnée visant à prévenir les violences et les abus. Il repère les facteurs de risque spécifiques à l’autisme, suggère des mesures de prévention et des recommandations en terme de bonnes pratiques.
Dans les prisons françaises Nos prisons sont toujours aussi remplies avec, en 2007, 60 771 détenus (dont 30 % de prévenus) pour 50 395 places, la surpopulation pouvant atteindre des taux supérieurs à 200 %. On se doute bien qu’à trois ou quatre dans 9 m2, la promiscuité entraîne une violence encore
une fois invisible entre détenus et contre les surveillants. L’Observatoire international des prisons n’est guère tendre avec les geôles françaises et il faut bien mesurer que là comme ailleurs la violence appelle la violence. Le choix de l’incarcération quand des alternatives crédibles existent répond à un choix de société qui a quelque chose d’inquiétant. « Le niveau et la nature des punitions sont un miroir des normes qui règnent dans une société » nous dit Nils Christie1 . Ainsi aux États-Unis la pénalisation maximum a généré un véritable marché : des sociétés privées livrent en quelques mois des prisons, équipées avec un personnel fraîchement recruté, réalisant au passage de substantiels bénéfices.
Mieux protéger la jeunesse contre des risques spécifiques Les dangers qui guettent les jeunes sont multiples et variés mais ont pour caractéristiques de s’inscrire, tous, dans la recherche du risque, sous toutes ses formes, risque sans lequel jeunesse ne rimerait plus avec ivresse, ivresse de la découverte bien sûr. C’est à partir de l’adolescence que le jeune prend conscience de l’autonomie nouvelle qui lui permet de s’affranchir de ses parents : autonomie de la
1. N. Christies, L’Industrie de la punition, Éd. Autrement, 2003.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES pensée, renforcée par les innombrables sources d’information qui l’entourent, autonomie du corps sexué et du plaisir. La nécessité de vivre sa propre expérience s’impose petit à petit, dans tous les domaines de la vie, avec l’impérieuse obligation de sentir les choses, tant la sensibilité est aiguisée, tant la découverte appelle, cette quête des sens n’étant pas forcément une quête du sens. L’alcool, le tabac, la drogue, le Sida, la route et le suicide résument les six principaux risques auxquels le « jeune », comme groupe social, est particulièrement exposé, risques qu’il devra appréhender avec l’aide de ses aînés.
42
Une enquête de l’Inserm d’avril 2004 a révélé l’importance de la consommation des drogues illicites d’alcool et de tabac chez les 11-19 ans. Ainsi, 22 % des garçons et 16 % des filles de 12 ans ont déjà consommé au moins une fois du tabac, et à 14 ans, ils sont la moitié à l’avoir fait. Quant à un usage régulier, ce type de consommation concerne 11 % des garçons et 14 % des filles à 15 ans et 24 % des effectifs à 16 ans. Pour ce qui est de l’alcool, à 12 ans, 7 garçons sur 10 et 6 filles sur 10 déclarent en avoir consommé. La consommation régulière de ce produit concerne 4 % à 14 ans et 22 % à 18 ans des garçons ; pour les filles, elle représente 1 % à 14 ans et 7 % à 18 ans. À 16-17 ans, 51,1 % des garçons et 47 % des filles ont déjà été ivres. Enfin, la consommation régulière de cannabis reste exceptionnelle avant 15 ans, mais rejoint le niveau de consommation régulière de l’alcool à partir de 16 ans. Pour d’autres produits illicites, leurs consommations concernent plus souvent les garçons : qu’il s’agisse des amphétamines, du LSD, de la cocaïne et de l’ecstasy, les niveaux ne dépassent pas 5 %. L’usage de somnifères ou de tranquillisants quant à lui concerne surtout les filles qui à 14-15 ans sont 20,7 % à avoir consommé de tels médicaments (contre 17,6 % des garçons), et à 16-17 ans sont 26,3 % à en avoir consommé (contre 18,8 % des garçons).
En cas de conduite toxicomaniaque, peut être la première expérience toxicophile, ce « premier » produit étant utilisé par 20 à 30 % des futurs héroïnomanes ou polytoxicomanes. L’abus d’alcool peut s’inscrire dans une polytoxicomanie (drogues illicites et médicaments) ou constituer la dernière étape évolutive d’une héroïnomanie, qu’elle soit sevrée ou substituée par la méthadone. Du fait du caractère illicite de la consommation de drogues, il est évident que les données épidémiologiques sont difficiles à établir. Cependant un observatoire européen des drogues et des toxicomanies a été mis en place en 1993. On peut noter que l’expérimentation de cannabis en 2003 est en nette progression par rapport à cette date, et ce, à tous les âges. L’ensemble des niveaux a plus que doublé sur cette période de dix ans. Le niveau d’expérimentation des garçons de 14-15 ans est passé de 8,1 % à 24,9 %, et celui des filles de 6 % à 16,5 %. À 16-17 ans, les chiffres d’expérimentation des garçons ont progressé de 20,6 % à 47,6 % et ceux des filles de 16 % à 41 %. Pour les consommations plus fréquentes, ces augmentations sont également très prononcées : elles concernaient 7,2 % des garçons de 16-17 ans en 1993 contre 21,4 % en 2003, et 3,6 % des filles de la même tranche d’âge en 1993 contre 10,8 % en 2003. Pour ce qui est du Sida, l’information donnée dans les écoles a entraîné la généralisation de l’usage du préservatif. Différentes enquêtes permettent de surveiller une relâche éventuelle de ce mode de comportement, afin de relancer le cas échéant les campagnes d’informations. C’est sans doute dans ce domaine que les jeunes se sentent les plus confiants, sans doute parce que la prise de risque implique deux protagonistes et que les filles sont beaucoup plus vigilantes et responsables de leur santé. Au contraire, quand cette prise de risque a lieu de manière individuelle, mettant par exemple
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique en péril la vie des autres sur la route, ce sont les garçons qui sont les plus exposés.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
La présence parentale et la force de la relation entre enfants et parents – ce que les anglosaxons appellent « parent and family connectedness » – apparaissent comme un déterminant de la conduite à risque chez les adolescents. On a pu observer que les jeunes qui avaient une bonne relation avec leurs parents (mais pas avec leurs amis) étaient moins exposés à la consommation de cannabis ou à un tabagisme régulier. À l’opposé, ceux qui dialoguent plus facilement avec leurs amis mais pas avec les parents étaient les plus exposés à la consommation de substances psycho-actives. Les adolescents qui, eux, ont une relation difficile à la fois avec parents et amis, présentent un risque de suicide plus élevé, la qualité de vie et la qualité de l’entente avec les parents étant les indicateurs les plus explicatifs. Mais qu’est-ce que la « présence parentale » et comment approcher la force ou la qualité d’une relation avec ses enfants ? Là encore les enquêtes nous apprennent beaucoup sur la manière dont les jeunes perçoivent l’attention parentale et le contrôle exercé sur eux. Les choses sont simples et tiennent en quelques phrases bien connues, car souvent rabâchées, par la plupart des parents : où vas-tu ? à quelle heure rentres-tu ? avec qui es-tu ? sont des interrogatoires clés qui font percevoir au jeune le contrôle parental. L’écoute des idées, savoir féliciter et encourager, établir une règle et la faire respecter sont les signes de l’attention mais aussi de la cohérence parentale. Et les enquêtes nous livrent là des résultats1 à méditer : les jeunes les plus contrôlés sur leurs horaires et leurs fréquentations boivent moins souvent d’alcool, sont moins souvent fumeurs réguliers ou consommateurs de cannabis au cours de leur vie, et ceci est vrai chez les filles comme chez les
garçons, quel que soit l’âge. Il existe également une relation entre certains comportements de santé tels que tabagisme régulier, consommation hebdomadaire d’alcool, consommation de cannabis au cours de la vie et la perception d’une cohérence défaillante dans l’application des règles parentales, là encore quels que soient l’âge et le sexe des adolescents. Enfin, les jeunes faisant l’objet d’une valorisation par les parents adoptent moins souvent des comportements à risque, notamment en ce qui concerne l’alcool, le tabac et le cannabis, là encore indépendamment de l’âge et du sexe du jeune, du côté des parents, il apparaît que ceux qui sont les plus « contrôleurs » sont également ceux qui privilégient le dialogue et félicitent l’adolescent le plus souvent. L’enquête en question est particulièrement riche d’enseignements. Elle doit nous faire réfléchir à une notion peu abordée lorsqu’il s’agit de conduire des actions de santé publique visant l’adolescence et la reparentalisation. Cette reparentalisation consiste à placer, au centre du dispositif de prévention des risques liés à l’adolescence, les parents du jeune. Les tendances mises en lumière plus haut montrent clairement qu’il n’y a pas seulement fatalité mais qu’il y a aussi responsabilité. Cette responsabilité des adultes qu’il convient de montrer, de mettre en valeur, pour convaincre les parents du rôle majeur qu’ils ont à jouer.
Les modes de consommation de substances psycho-actives L’épidémiologie concernant les modes de consommation de substances psycho-actives a profondément évolué ces dernières années. Les enquêtes montrent : • une stabilité, voire une diminution de la
consommation d’héroïne ;
1. Haut Comité de la santé publique, Actualité et dossier en santé publique, mars 1999.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES • une augmentation de la consommation de
cannabis (un jeune sur trois l’a expérimenté) ;
• une accessibilité de plus en plus importante
des drogues de synthèse ;
• une progression de la consommation de
médicaments psycho-actifs en particulier chez les jeunes filles ;
• une banalisation de l’usage des produits
dopants ;
• et surtout une fréquence des consommations
abusives associant produits illicites et licites.
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Il existe un lien évident entre les pratiques de consommation des différentes substances, l’usage de drogues illicites étant plus répandu chez les jeunes qui consomment également le plus d’alcool et le plus de tabac. La corrélation est particulièrement forte entre les états d’ivresse et la consommation de cannabis. Si la consommation de drogues de synthèse est encore mal connue, différentes enquêtes montrent que ce type de consommation, qui aujourd’hui dépasse le cadre des soirées « rave » ou « techno », est souvent associé à l’alcool ou aux médicaments. Ces comportements, qui sont de plus en plus précoces, ne sont pas réservés aux jeunes en difficulté puisqu’on consomme nettement moins d’alcool, de tabac et de cannabis dans les établissements scolaires situés en zones d’éducation prioritaire que dans les autres. Un paysage nouveau apparaît donc : développement des polyconsommations, fragmentation des lieux et modes d’usage, extrême fréquence du recours à plusieurs produits. Il conduit à penser que les dépendants de demain seront des polyconsommateurs de produits licites et illicites, et que l’intensité et les modalités de cette consommation seront de plus en plus hétérogènes.
Le plan gouvernemental 2004-2008 Le plan gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l’alcool 2004-2008 accorde une place majeure à la prévention face à l’évolution des consommations, et il est essentiellement à destination des adolescents et des jeunes, avec pour but principal d’empêcher ou de retarder l’expérimentation des différentes substances. En effet, l’âge précoce des consommations est un facteur de gravité supplémentaire, et le potentiel addictif des produits rend la démarche d’arrêt particulièrement difficile ; il s’agit de « créer à l’école une prévention précoce, intense et à tous les niveaux de scolarité », en associant aux actions les parents et l’école elle-même. Ce plan de cinq ans, dont la durée avait été recommandée par la Cour des comptes, comporte trois axes prioritaires concernant d’une part la lutte déterminée et sur tous les fronts contre le tabac, d’autre part l’image trop « complaisante » vis-à-vis de l’alcool et de ses nuisances, et enfin, il est marqué par la volonté de réduire les inégalités face aux drogues résultant de facteurs sociaux, collectifs, individuels et de mobiliser le système de soins contre toutes les formes de dépendance. Ce plan est en effet aussi à destination des personnes dépendantes, ou en risque de le devenir. Il conviendra de souligner l’importance du rôle des médecins généralistes dans le repérage de l’usage nocif de produits addictifs, avant de développer le renforcement de l’offre (accessibilité, nouvelles stratégies thérapeutiques, multidisciplinarité) et de la coordination des soins. Le plan souligne également l’importance de l’utilisation et surtout de l’application de l’éventail législatif qui doit ainsi servir « à la fois les objectifs de santé publique et de sécurité », ce qui revient souligner les enjeux à la fois préventifs et répressifs de ces actions. Le rôle de l’action internationale à travers les organisations internationales, les négociations
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique européennes et les accords bilatéraux, est également déterminant : par ce biais, il faut tendre à une harmonisation des politiques au sein de l’Union européenne, tant dans le domaine de l’alcool et du tabac, que dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Sur ce dernier point, la coopération avec les pays de production et de transit, qui enregistrent une explosion de la demande, est essentielle.
Éviter le drame du suicide Mieux repérer les symptômes mais aussi mieux traiter les états dépressifs, évaluer le risque suicidaire, s’assurer d’un réel suivi après une tentative de suicide ayant conduit à l’hospitalisation sont autant de pistes susceptibles d’améliorer la prise en charge globale de ce problème majeur de santé publique.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Une situation épidémiologique particulière On enregistre en France 11 000 décès par suicide, pour 160 000 tentatives. Ce chiffre représente une incidence de 19 suicides pour 100 000 habitants, plaçant notre pays en tête des pays européens, juste après l’Allemagne (tableau 2.3). Ces décès sont en majorité masculins (8 000 hommes pour 3 000 femmes), avec un pic de fréquence entre 35 et 54 ans, puisque l’on en compte 4 000 dans cette tranche d’âge. Avant 50 ans, les hommes se suicident trois fois plus que les femmes (deux fois plus après 50 ans). L’incidence augmente avec l’âge jusque vers 40 ans, reste en plateau jusqu’à 70 ans, et progresse ensuite fortement, notamment chez les hommes : 73 décès pour 100 000 vers 80 ans et 133 décès pour 100 000 vers 90 ans. Sans vouloir minimiser l’importance du suicide chez les jeunes, il est bon de rappeler que le tribut payé à ce mal est de l’ordre de 800 entre 15 et 24 ans. Avec un taux d’incidence de
10,3 pour 100 000, la France arrive ici encore en tête de l’Union européenne (tableau 2.4). Représentant 16 % des causes de décès de cette tranche d’âge, ce geste est alors la deuxième cause de mort violente après les accidents de la circulation (38 %) (tableau 2.5). Une importance du phénomène donc au sein des 1524 ans, avec ses spécificités ; sur les quelques 500 000 jeunes de cet âge, 10 % sont concernés, expliquant les 50 000 tentatives annuelles. Après un tel geste, seul un suicidant sur quatre sera hospitalisé et un seul sur quatre alors observera un suivi thérapeutique régulier (présence à trois rendez-vous avec le psychothérapeute). À côté de cette entité particulière qu’est le suicide du jeune, un tiers des personnes qui mettent fin à leurs jours chaque année en France (4 000 décès) a plus de 65 ans. En terme d’incidence, les hommes âgés se donnent la mort entre trois et cinq fois plus que les hommes jeunes, cette différence de risque avec l’âge n’étant pas observée chez les femmes. Notons au passage que les aînés sont plus « déterminés » que les jeunes. En effet, entre 15 et 24 ans on compte 22 tentatives chez les garçons et 160 tentatives chez les filles pour un décès. Après 65 ans, les hommes « réussissent » toutes leurs tentatives tandis que les femmes en font trois pour un décès. Enfin, le monde du travail avec l’évolution de la société face à l’entreprise fournit son contingent. Si on sait qu’au Japon un suicide sur cinq (33 000 suicides pour 126 millions d’habitants) est lié à des difficultés économiques ou sociales, des interrogations sérieuses commencent à apparaître chez nous. Avec plusieurs cas de prise en charge de décès par suicide au titre des accidents du travail, l’impact des tensions et des contraintes, l’évolution des valeurs et des représentations au sein de l’entreprise se révèlent sous un jour nouveau. Au sein de l’Union européenne, quinze millions de travailleurs soit 10 % de la population active seraient victimes de violence, de
45
PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES Tableau 2.3. Nombre de suicides annuels sur la période 1993-1997. 15-24 ans
Tous âges
France
771
11 139
Allemagne
742
12 256
Italie
363
4 697
Royaume-Uni
493
4 143
Espagne
352
3 157
Finlande
144
1 388
Autriche
144
1 592
Belgique
143
1 878
Pays-Bas
139
1 511
Danemark
136
1 159
Suède
90
1 253
Irlande
77
403
Portugal
46
653
Grèce
27
356
Luxembourg
7
81
3 674
45 666
Total Source : OMS.
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Tableau 2.4. Taux de mortalité par suicide chez les 15-24 ans dans l’Union européenne en 1994-1995. Taux de décès pour 100 000
Ensemble
Hommes
Femmes
Finlande
22,5
36,8
8,4
Autriche
15
26,8
3,8
Luxembourg
12,2
20
4,2
Belgique
10,3
18,7
4,4
France
10,3
16,1
4,3
Suède
9,4
12
6,6
Irlande
8,8
14,2
3
Danemark
8
13,4
2,3
Pays-Bas
6,8
9,2
4,6
Royaume-Uni
6,7
11
2,2
Espagne
4,7
7,6
1,8
Allemagne
4,7
Italie
4,3
7,1
1,4
Portugal
4,1
5,8
3
Grèce
2,8
4,4
0,8
Union européenne
8,7
14
3,2
Source : OMS.
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique Tableau 2.5. Causes de décès les plus fréquentes (15-24 ans) 1997. Cause de décès Accidents de la circulation
Ensemble Nbre %
Hommes Nbre %
Femmes Nbre %
1 842
38
1 465
41
377
31
Suicides
771
16
586
16
185
15
Autres morts violentes
725
16
561
16
164
13 12
Tumeurs
395
8
241
7
154
Autres maladies
1 064
22
704
20
360
29
Toutes causes
4 797
100
3 557
100
1 240
100
Source : OMS.
harcèlement moral ou sexuel sur le lieu de leur travail. Mettre fin à ses jours sur ce lieu peut alors prendre une signification particulière.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
L’insuffisance des soins primaires Un médecin généraliste, en charge de 2 000 patients adultes, peut s’attendre à un suicide tous les deux ans en moyenne et à dix tentatives de suicide nécessitant une intervention médicale chaque année, tandis qu’approximativement 50 patients penseront sérieusement à se supprimer au moins une fois. La prévalence importante des états dépressifs anxieux chez les patients suivis par les omnipraticiens est confirmée par l’importance de leurs prescriptions concernant les sédatifs, les tranquillisants et les antidépresseurs. Le degré de formation et le degré de compétence des médecins généralistes sont des éléments essentiels. Ceci est d’autant plus important qu’il existe une observance faible des prescriptions ainsi qu’une certaine barrière psychologique à l’accès des services de santé mentale. Chez l’adolescent, en particulier, de nombreux travaux font état que 90 % des victimes de suicide présentaient au moins une affection psychiatrique diagnosticable au moment de l’acte suicidaire.
La prise en compte de l’environnement L’aspect environnemental prend une dimension différente selon que l’on a affaire à un adolescent ou à un adulte. Chez l’adolescent, une fréquence élevée de psychopathologie parentale est associée aux tentatives de suicide ou suicides. On rencontre spécifiquement des taux élevés de suicides, de comportements suicidaires, de désordres affectifs, de toxicodépendances, de comportements anti-sociaux dans les familles de suicidants à l’adolescence. La psychologie parentale exercerait un effet direct sur les risques suicidaires, indépendamment de la transmission familiale d’un état psychopathologique. La prise en charge d’un adolescent suicidaire comporte ainsi la nécessité d’un dépistage des affections psychiatriques des parents. Chez l’adulte, l’environnement est encore plus complexe et concerne les problèmes de divorce, d’emploi, de maladie, de logement, etc.
Le suivi thérapeutique et la discontinuité des soins L’observance du suivi thérapeutique est une dimension essentielle de la prise en charge du patient qu’il faut rappeler. Toutes les études concordent sur la notion que la majorité des jeunes suicidants ne se rend pas aux rendezvous proposés et ceci indépendamment du
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES type de prise en charge retenue. En effet, le taux d’observance primaire est de l’ordre de 30 % (présence au premier rendez-vous) et le taux d’observance effectif est d’environ 24 % (présence au moins à trois rendez-vous). De nombreuses études longitudinales démontrent le risque important de récurrence d’un comportement suicidaire. Les facteurs associés à la récidive sont multiples : milieu familial stressant, non prise en charge de la famille sur le plan thérapeutique, prescription d’antidépresseurs tricycliques. Chez l’adulte, le nomadisme médical et l’absence d’un système d’information prenant en compte l’historique d’un patient (carnet de santé, DMP) rend difficile l’évaluation des tentatives de suicide, chez un même individu ou à l’échelle de la population.
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Les programmes de sensibilisation Des programmes de prévention du suicide se développent autour d’axes principaux tels que : • la prise de conscience du problème du
suicide en France, avec le recueil de données épidémiologiques permettant la mise en évidence des principaux facteurs de risque ; • les exemples étrangers, en particulier ceux de la Suède et du Canada, nourrissent la réflexion autour de la réponse que doit apporter l’hôpital, les services d’urgence étant un lieu de convergence de la permanence de soins de type urgentiste et psychiatrique ; • la focalisation sur le diagnostic de dépression présent chez 65 % des patients qui se suicident ; • l’accent particulier mis sur la thérapeutique qui doit être adaptée, sachant que l’utilisation d’un antidépresseur n’est correcte que dans un cas sur dix pour la posologie, et un cas sur quatre pour la durée de prescription.
Le diagnostic psychopathologique Les professionnels de santé doivent être formés à l’identification des manifestations d’un terrain psychiatrique qui renforce le risque de suicide, en particulier chez l’adolescent. Les praticiens de la santé devraient être formés à la conduite d’un interrogatoire diagnostique approfondi, nécessaire à l’appréciation fine du risque suicidaire et au choix d’un traitement efficace. Les comportements suicidaires ne doivent pas être minimisés, mais au contraire évalués à leur juste mesure en particulier, en cas de consommation de drogue.
Le diagnostic de l’environnement familial L’optimisation de la prise en charge des enfants et adolescents passe par un diagnostic de la santé mentale des parents. Pédiatres et pédopsychiatres devraient être formés pour dépister les états parentaux psychopathologiques en utilisant par exemple des instruments standardisés aptes à dépister des états dépressifs et la consommation de drogue chez les parents. Inversement, les professionnels confrontés aux problèmes de santé mentale adulte devraient-ils avoir le réflexe de s’enquérir d’une transmission familiale des troubles. En complément, il conviendrait de former des généralistes suffisamment compétents en médecine de famille pour assumer la prise en charge globale de chacun des membres d’une famille.
L’approche psycho-éducative Les professionnels de santé devraient être formés à l’approche psycho-éducative pour éduquer les membres de la famille afin qu’ils anticipent les situations à risque. C’est la probabilité de rechute qui doit conduire à une attitude cohérente visant à préparer l’environnement familial à cette éventualité. La description des
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique signes d’alerte ainsi que la conduite à tenir dans les situations les plus courantes constituent une véritable prévention.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Défendre le droit des femmes à disposer de leurs corps On se souvient du combat de Simone Veil pour faire adopter sa loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) devant l’Assemblée nationale en 1975. Réformant la loi Neurwirth de 1967, ce texte posait les nouveaux fondements de la liberté des femmes à disposer de leur corps et à maîtriser la conception et la naissance. Mais si la loi est l’expression de la volonté collective, démocratiquement représentée à l’Assemblée et au Sénat, qu’en est-il de ses conditions d’application, en pratique, dans notre pays aujourd’hui ? Environ 200 000 IVG sont pratiquées chaque année mais, selon le Mouvement français du planning familial, de nombreuses femmes n’accèdent pas à cette possibilité et se font avorter à l’étranger. À cette situation, deux explications : un désengagement du secteur privé en raison d’une non-revalorisation de l’acte depuis 1991, et de la « clause de conscience » que tout chef de service de gynéco-obstétrique peut faire valoir en ne faisant pas pratiquer d’IVG dans son équipe. Ces deux phénomènes ont à tel point contribué à allonger les listes d’attente et les difficultés à pratiquer une IVG, que la loi du 4 avril 2001 a porté à quatorze semaines de grossesse (au lieu de douze), le délai légal maximum pour pratiquer l’interruption. Il faut attendre trois semaines en Ile-de-France, quatre semaines en
région lyonnaise pour pratiquer une IVG, alors que selon l’avis de l’ANAES (devenue la Haute Autorité de santé), un délai optimum de cinq jours est raisonnable et souhaitable. L’IVG n’est pas la solution aux problèmes de contraception, elle est un droit au choix. De ce point de vue, la pilule du lendemain change la donne car depuis son apparition en 2001 on note une baisse de 20 % des IVG chez les moins de 18 ans (source : Planning familial). La délivrance gratuite par les infirmières scolaires, mais aussi par les pharmaciens, est une mesure de bon sens de nature à faire encore évoluer favorablement les chiffres. Et même si la loi d’avril 2001 autorise les mineures à se faire avorter sans le consentement des parents, c’est plus vers une bonne maîtrise de la contraception – fusse-t-elle du lendemain – qu’il faut s’orienter. En effet chaque année 16 000 IVG sont pratiquées chez les jeunes filles de moins de 20 ans. Une enquête récente sur cette population a montré l’existence de facteurs de risque précis. Les grossesses non désirées et interrompues sont plus fréquentes en région parisienne, dans les familles recomposées, chez les filles élevées par une mère seule, ou dans les familles « peu communicantes ». Quant au comportement de l’adolescente, on observe une absence de projet de vie, une mauvaise assiduité scolaire, une hygiène de vie médiocre (tabagisme, alimentation...), des troubles psychologiques majorant le risque d’IVG. Enfin, on notera que 9 grossesses non désirées sur 10 sont liées à un oubli du contraceptif : cet oubli est constaté avec onze heures de retard en moyenne et une adolescente sur cinq prend la « pilule du lendemain » en cas de relation sexuelle !
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
2. UN « THÈME MAJEUR » QUI ÉMERGE TARDIVEMENT : LA SANTÉ AU TRAVAIL Historiquement le souci du législateur a été de réparer plus que de prévenir le risque professionnel. Aujourd’hui, les risques se sont diversifiés à l’image des maladies professionnelles. L’intensification du travail explique la montée du stress alors même que les travailleurs vont devoir travailler plus longtemps. Il faut donc remettre à plat la protection de la santé au travail, identifier les nouveaux risques, les observer pour mieux les prévenir, mieux les détecter et mieux les réparer. L’enjeu est de taille : mettre fin au « travail intenable »1 pour réconcilier les salariés, sinon avec l’entreprise, du moins avec la valeur travail.
Le déficit en mécanismes de détection et de prévention
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Au même titre que le scandale du « sang contaminé » a révélé à l’opinion publique les carences de notre veille sanitaire, le drame de l’amiante a démontré l’insuffisance des mécanismes de détection et de prévention des risques « santé » encourus par les travailleurs sur leur lieu de travail. Depuis que se sont multipliés les observatoires de la santé au travail, le diagnostic s’est encore aggravé. Que constate-t-on aujourd’hui ? Que les accidents du travail sont plus nombreux chez les jeunes « précaires » parce qu’ils sont les plus exposés au risque, que la pénibilité physique du travail n’a pas disparu, que le stress lié au travail s’est accru, enfin que les conduites addictives (alcool, drogues) sont un facteur majeur d’accidents. Par ailleurs, la notion historique d’aptitude médicale liée à la visite médicale auprès du médecin du travail est à revoir parce qu’inefficace. Combien de fois les médecins du travail ont-ils déclaré « aptes au poste » des travailleurs, sans considérer le caractère pathogène du poste... Aujourd’hui, les pouvoirs publics et les partenaires sociaux se sont emparés des problèmes. Cependant, la bataille idéologique risque souvent de l’emporter sur les vertus
de l’observation et du diagnostic de proximité, préalables pourtant indispensables à l’action. Historiquement, la protection de la santé au travail s’est d’abord donnée pour objectif d’identifier les risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles (AT/MP) avec une double préoccupation de prévention et de réparation. Les négociations sociales conduites autour de cette dernière notion l’ont vite emporté sur l’intérêt de construire en amont une politique de prévention des risques. Aujourd’hui, sous la pression des usagers et d’un mouvement général de judiciarisation poussant à une réparation intégrale des risques professionnels et considérant les insuffisances des dispositifs de contrôle et de prévention ainsi que les surcoûts assuranciels, les acteurs réévaluent les politiques de santé au travail. Les partenaires sociaux après avoir, en 2006, élaboré un mode de gouvernance spécifique à la branche AT/MP (gestion paritaire à l’intérieur de l’Assurance maladie) sont parvenus, un an plus tard, à un accord améliorant la prévention et la réparation des risques professionnels. Concernant la prévention, il s’agit de développer, tout en les articulant, ses trois étages : prévention primaire (élimination prioritaire du risque), secondaire (dépistage des maladies professionnelles) et tertiaire (prévention
1. L. Thiery (dir.) Le travail intenable, La Découverte, 2006.
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
des rechutes, réadaptation fonctionnelle, maintien de l’activité professionnelle). Une tarification encore plus sélective doit permettre aux employeurs investissant dans la prévention, de cotiser moins et inversement pour les employeurs exposant plus leurs salariés aux risques, de cotiser plus. Concernant la réparation, il s’agit d’aller vers des réparations forfaitaires et personnalisées et de tendre vers une sécurisation juridique de la mise en œuvre de la responsabilité de l’employeur. À partir de l’émergence de la société industrielle, la préoccupation dominante a longtemps été de protéger la santé des travailleurs, autrement dit la force de travail disponible d’où l’intégration rapide du thème santé au travail dans les négociations entre syndicats de salariés et patronaux, les premiers s’attachant d’abord à protéger l’intégrité physique des travailleurs par la sécurisation de l’environnement du travail, les seconds s’efforçant de contrôler le processus assuranciel d’indemnisation. Néanmoins, l’intérêt commun à agir a permis l’instauration progressive d’un droit de la santé au travail sans que soient pour autant approfondis les liens entre conditions de travail et santé, malgré le renforcement du rôle des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et la multiplication des textes relatifs à l’évaluation des risques et à l’organisation de la prévention. Deux grands types de fractures sont alors apparus, lourds de conséquences pour l’avenir : • une sous-estimation des risques profession-
nels liée notamment à l’insuffisance des dispositifs de contrôle et de prévention ; • une méconnaissance et des réponses parfois inappropriées face à de nouvelles formes de souffrance au travail liées à la tertiarisation d’une société à peine sortie de l’ère postindustrielle sans qu’il soit encore possible de qualifier son identité ou sa direction.
Malgré le cadre législatif précisant leurs responsabilités, ni les services publics ni les employeurs ne sont parvenus à évaluer et donc à prévenir ces trente dernières années la progression d’un certain nombre de risques professionnels. Ainsi est mis en place aujourd’hui un suivi post-professionnel des travailleurs ayant pu être exposés à l’amiante en vue de les indemniser, alors que depuis longtemps cette exposition aux fibres mortelles s’est réalisée dans l’indifférence générale et avec autant de certificats d’aptitude qu’il y avait de postes concernés. Combien de salariés sont encore de nos jours exposés à des risques cancérogènes sans le savoir ? La dernière enquête SUMER1 concernant 2003 révélait que près de 2,4 millions de salariés sont exposés à des produits cancérogènes, dont plus d’un tiers sans bénéficier de protections collectives. Les médecins du travail sont-ils toujours armés pour évaluer une exposition à un risque voire, comme il leur a déjà été demandé, pour évaluer le « sur-risque »... du fait des antécédents de santé propres à chaque salarié, ou de son attitude face aux problèmes de santé... Les textes issus de la réforme de la santé publique de 2004 demandent aux médecins du travail d’analyser les conditions de travail, de répertorier les risques avérés et potentiels, de réaliser des études ergonomiques et environnementales, de consigner leurs observations dans des fiches d’entreprises tout en visant à aider le chef d’entreprise à rédiger le document unique obligatoire d’évaluation des risques professionnels. En janvier 2007, le rapport Gosselin a démontré le caractère obsolète du contrôle de l’aptitude médicale au poste de travail ou à l’emploi. Plutôt que de multiplier des visites de routine aussi inutiles qu’inappropriées, il s’agit d’adapter le suivi médical aux besoins et aux caractéristiques des travailleurs : les niveaux
1. DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), « Les expositions aux produits cancérogènes », Premières Synthèses Informations, juillet 2005.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES d’embauche des seniors, des travailleurs exposés ou en arrêt de travail prolongé devraient faire l’objet de consultations approfondies. Le médecin du travail doit disposer de plus de temps pour « consulter le travail », de plus de pouvoirs pour identifier les risques mais aussi pour proposer des mesures visant à les prévenir. Reste à savoir si les médecins du travail sont suffisamment nombreux et formés face à l’ampleur de la tâche. Le fait est que les maladies professionnelles n’ont cessé de s’accroître. Entre 1995 et 2001, le nombre de maladies reconnues a été multiplié par deux et demi. De nouvelles maladies sont apparues, qu’il s’agisse de celles liées à l’utilisation des éthers de glycol, des cancers dus à l’amiante ou des troubles musculo-squelettiques (TMS).
Les nouveaux risques professionnels 52
Il est vrai que la prise en compte des risques s’accélère, non pas à la suite de risques nouveaux, mais parce que les politiques de santé publique s’en emparent et que la prévention s’organise. C’est le cas de la protection face au benzène, aux poussières de bois, aux rayonnements ionisants, aux ventilations et risques induits de légionellose, aux maladies nosocomiales, au tabagisme, aux risques de harcèlement sexuel et moral. Tous ces risques sont désormais codifiés par la loi qui a renforcé les pouvoirs de surveillance, de consultation et d’alerte du CHSCT à leur égard. Du côté des accidents du travail, des progrès sont encore à réaliser tant sur le plan de la prévention (1,4 million d’accidents du travail et près de 125 000 accidents de trajets reconnus en 2006, selon les chiffres de la CNAMTS) que sur celui de la reconnaissance (une enquête de la DARES révèle que plus d’un accident sur cinq ne serait pas déclaré). L’accident du travail continue néanmoins de renvoyer à la problématique ancienne de la protection de
l’intégrité physique du travailleur. En effet, si depuis les années 1970, la santé, la sécurité et les conditions de travail des salariés en France se sont sensiblement améliorées, il n’en reste pas moins que des progrès restent à faire, considérant les 783 000 accidents annuels recensés donnant lieu à un arrêt de travail, et les 40 000 maladies professionnelles reconnues dans le même temps et enfin la menace potentielle des risques à effets différés, des milliers de substances chimiques dont les impacts sanitaires sont insuffisamment évalués. À l’inverse, on peut noter que les longues journées de travail sont devenues plus rares, que le travail répétitif est moins répandu et que l’exposition à des agents biologiques est restée stable. Ainsi, ces dernières années, la problématique de la protection physique des salariés s’est élargie à celle de la souffrance psychique au travail sans qu’on ait pu encore aujourd’hui en mesurer ni toutes les causes ni toutes les conséquences. Les symptômes somatiques étant plus faciles à appréhender que ceux ayant trait à la santé mentale, il est logique que la santé au travail ait d’abord été approchée sous l’angle « physiologique » même s’il est vrai que l’émergence d’une gestion des « ressources humaines » a trouvé son corollaire dans un intérêt plus grand porté aux aspects psychopathologiques du travail. Néanmoins, l’inscription du monde du travail dans un modèle économique privilégiant profits financiers immédiats, flexibilité et mobilité des moyens de production, course à la productivité, perte d’identité communautaire, s’est traduite par une intensification des rythmes de travail et une perte de sens. Les pressions au travail s’accentuent : la gestion par objectifs, par flux tendus et sous-tendus par le « zéro défaut », une gestion des compétences qui, parfois, relève plus souvent du discours incantatoire que des faits, conduisent à s’interroger sur la légitimité de démarches managériales qui au lieu de sécuriser le salarié
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique dans la maîtrise de son activité et la compréhension de ses finalités, le déstabilisent et augmentent son stress. Ainsi, les situations de souffrance au travail se multiplient, conduisant à des déséquilibres psychologiques intenses pouvant, dans les cas extrêmes, aller jusqu’au suicide.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
De ce point de vue, l’hyperactivité professionnelle des cadres peut faire autant de dégâts qu’en font les situations diverses d’exclusion qui touchent toutes les catégories de salariés : à la peur du chômage s’ajoutent celles d’une perte de compétence, de considération, d’estime de soi ou des autres, d’où une montée en puissance des troubles psychosomatiques, de consommation de psychotropes, d’alcool, sans parler de la dégradation concomitante des rapports sociaux. Seuls les plus forts survivent à l’ère du chacun pour soi1 . Les processus de réduction du temps de travail sont d’autant plus ambivalents qu’ils posent la problématique du travail « utile », non seulement comme base de calcul de l’aménagement du temps de travail mais en soulignant deux principes : seul le travail utile est nécessaire à l’entreprise d’où la nécessité bien comprise des employeurs visant à optimiser le travail subsistant en compensant les réductions d’horaires par une productivité accrue. Le travail utile doit être partagé, d’où la nécessité, moins bien comprise des employeurs, à commencer par l’employeur public parfois, de compenser les réductions d’horaires par des embauches dont l’effet obligatoire ne peut que s’étioler avec le temps. « L’effet 35 heures » qui se confirme a contrario dans les faits, c’est que jamais le travail n’a été aussi peu partagé : les cadres travaillent toujours plus et sont de plus en plus exposés au risque de « burn out » (décompensa-
tion brutale conduisant à l’épuisement), et ceci tant dans les secteurs privés que publics. Le taux d’activité des travailleurs de plus de 50 ans dans les entreprises françaises est le plus bas d’Europe : moins d’un tiers ! Les salariés soulignent l’intensité et les pressions accentuées du travail « utile » qui ne leur laissent guère de temps pour communiquer ou créer du lien social. Pendant que les systèmes d’information se dématérialisent, le travail se « numérise » : il est compressé pour être optimisé sur un support plus court : le temps. Certes, plus de temps libre permet au salarié de « décompresser » mais le débat est loin d’être clos sur les effets d’un travail compressé à flux tendus où trop de pression engendre la dépression. La santé au travail, aujourd’hui plus qu’hier, ce n’est pas de travailler moins mais de travailler mieux. C’est précisément au nom de ce « travailler mieux » qu’est remise en cause la légitimité managériale, les cadres devenant alors les boucs émissaires de la contestation des nouveaux paradigmes productifs. C’est ainsi que certains sociologues 2 ne voient dans le management que les seuls effets d’un pacte faustien, d’où leur contestation globale de toutes les démarches managériales considérées tantôt comme futiles tantôt comme aliénantes. Nul ne peut nier que le management (« l’art de diriger ») a toujours subi l’impact du contexte socio-économique, mais l’histoire du développement des organisations démontre que c’est surtout l’absence de management qui est aliénante et non l’inverse. Le salarié est désemparé lorsqu’il ne comprend pas son travail, ne sait pas où il va, ne maîtrise pas ses activités, perd ses repères et son identité. C’est l’objet même du management d’être porteur de sens, de lien social et de sécurisation.
1. J. Généreux, La Dissociété, Seuil, 2006. L’auteur explique pourquoi et comment on a basculé d’une société coopérative et solidaire à une « dissociété » fondée sur la compétition solitaire... 2. Notamment J.P. Le Goff, Les illusions du Management – Pour le retour du bon sens, La Découverte, 2003.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES Tableau 2.6. Les 23 actions du plan Santé au travail. Objectifs
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Actions
Développer les connaissances des dangers, des risques et des expositions en milieu professionnel
1. Introduire la santé au travail dans le dispositif sanitaire 2. Structurer et développer la recherche publique en santé et sécurité au travail 3. Organiser l’accès à la connaissance 4. Développer et coordonner les appels à projet de recherche en santé au travail 5. Développer la formation des professionnels de santé en matière de santé au travail
Renforcer l’effectivité du contrôle
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Réformer les instances de pilotage et décloisonner les approches des administrations
10. Structurer la coopération interministérielle sur la prévention des risques professionnels 11. Réformer le Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels 12. Créer des instances de concertation 13. Améliorer et harmoniser la réglementation technique
Encourager les entreprises à être acteur de la santé au travail
14. Moderniser et conforter l’action de prévention des services de santé au travail 15. Mobiliser les services de santé au travail pour mieux prévenir les risques psychosociaux 16. Repenser l’aptitude et le maintien dans l’emploi 17. Refaire de la tarification des cotisations AT/MP une incitation à la prévention 18. Encourager le développement de la recherche appliquée en entreprise 19. Aider les entreprises dans leur démarche d’évaluation a priori des risques 20. Promouvoir le rôle des CHSCT dans tous les établissements 21. Développer la prévention des accidents routiers au travail 22. Promouvoir le principe de substitution des substances chimiques les plus dangereuses (CMR) 23. Développer, dans les écoles et par la formation continue, la sensibilisation des ingénieurs et des techniciens aux questions de santé au travail
Créer des cellules régionales pluridisciplinaires Adapter les ressources du contrôle aux dominantes territoriales Développer la connaissance des territoires et renforcer le système de contrôle Renforcer la formation des corps de contrôle en santé et sécurité au travail
Source : Ministère de l’Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, plan Santé au travail 2005-2009.
L’évaluation des risques pour mieux cibler les plans d’actions Le décret du 5 novembre 2001 oblige les entreprises à transcrire les résultats de leur évaluation dans un document unique recensant l’ensemble des facteurs susceptibles d’altérer la santé des salariés. La jurisprudence récente laisse à penser qu’une sous-évaluation des risques dans ce document engage la responsabilité de l’employeur jusqu’à la faute inexcusable d’où la réaction des assureurs qui ne garantissent plus la faute inexcusable au titre de la
responsabilité civile. Par ailleurs, le taux de cotisations AT/MP intègre désormais le nombre et la gravité des sinistres intervenus lors des trois dernières années. Toutes les conditions sont réunies pour inciter les entreprises à élaborer des politiques fortes de prévention à moins que la problématique ne bascule davantage vers le passage à la réparation intégrale du risque professionnel... La stratégie retenue par le Conseil supérieur de la prévention et de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles est de ce point de vue équilibrée. Quatre axes
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique devaient être mis en œuvre de 2003 à 2006 : mettre en place des outils de connaissance des risques et des maladies professionnelles, améliorer l’application de la réglementation, renforcer la coordination des actions de prévention (en réformant les services de santé au travail) et adapter l’indemnisation des victimes. Les acteurs ont pu constater deux tendances « préoccupantes » :
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
• la tendance générale à la réduction des
risques professionnels n’est pas homogène : certaines catégories de salariés (jeunes, travailleurs précaires, nouveaux embauchés) sont plus exposées, certaines entreprises sont plus vulnérables (PME), certains secteurs d’activité restent particulièrement dangereux (bâtiment et travaux publics, travaux forestiers), certaines maladies professionnelles prennent une ampleur nouvelle (TMS, cancers professionnels), certains risques deviennent prépondérants (55 % des accidents mortels du travail de salariés sont des accidents de la route), l’indice de gravité des accidents s’accroît (augmentation du nombre et de la durée des arrêts de travail liés à l’accident du travail AT) ; • la nature des risques professionnels évolue d’où la nécessité d’une adaptation du système de prévention pour faire face à ces risques nouveaux. Ainsi, l’accélération de l’innovation (impliquant l’utilisation de nouveaux produits, et donc une veille épidémiologique et toxicologique accrue), la montée de nouveaux facteurs de risques (stress professionnel, violences au travail, addictions...), le développement de pathologies à effet différé (amiante...) et multi-causales (cancers professionnels, TMS), les transformations du travail (et notamment des parcours), ont amené les pouvoirs publics à envisager une approche globale du phénomène et à mobi-
liser l’ensemble des acteurs de la prévention (État et partenaires sociaux) grâce à un plan concerté pluriannuel. Ainsi, la Direction des relations du travail en lien avec différents ministères concernés, a élaboré le plan Santé au travail 2005-2009 qui s’inscrit dans le sillage du plan national Santé Environnement, mais aussi du plan de cohésion sociale. Il vise à étendre à l’ensemble des salariés, du public comme du privé, des niveaux comparables et aussi des protections de leur santé sur leur lieu de travail, notamment en réduisant de manière significative le nombre d’AT/MP, et en faisant des emplois de qualité la norme. Le plan Santé au travail comprend vingt-trois actions répondant à quatre grands objectifs : développer la connaissance du risque, renforcer les contrôles, optimiser le pilotage ou le décloisonnement, mobiliser tous les acteurs de l’entreprise (tableau 2.6).
« Le travail c’est la santé ? » : bonheur au travail et stress Le manuel d’orientation sur le stress lié au travail de la Commission européenne1 le définit ainsi : « un état fait de réactions émotionnelles, cognitives, comportementales et physiologiques aux aspects néfastes et nocifs de la nature du travail, de son organisation et de son environnement. Cet état est caractérisé par des degrés élevés d’éveil et de souffrance et souvent par le sentiment de ne pas s’en sortir ». Le document mentionne deux types de stress : le stress « positif » qui stimule la personne et lui donne les moyens d’affronter les exigences du travail et le stress « négatif » qui l’agresse et nuit à son état de santé. Néanmoins, si le stress apparaît comme un facteur perturbant du couple « travail-santé », il est aussi devenu un
1. L. et I. Levi, Manuel d’orientation sur le stress lié au travail – Piment de la vie ou coup fatal ?, Office des publications officielles des Communautés européennes, 2000.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES véritable phénomène sociétal dont les causes sont plus globales. Selon une étude de l’institut TNT-Sofrès d’avril 2006, le stress en milieu professionnel touche aujourd’hui 44 % des Français, dont 18 % gravement. Les premières victimes sont les femmes avec 55 % et 26 % à des niveaux très élevés. Chez les hommes, les proportions tombent respectivement à 34 % et 11 %. Pour le psychiatre Patrick Légeron, les principales causes de stress pour les femmes seraient liées à davantage de frustrations professionnelles (salaires moindres, fonctions plus ingrates, etc.) et au fait qu’elles doivent assumer en parallèle du « travail à la maison ».
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Les tensions sont de plus en plus fortes pour les professions en contact avec le public et il est fréquent de devoir aller plus vite ou de changer de tâche inopinément. Les journées internationales de prévention du suicide ont fait apparaître que les suicides sont de plus en plus liés à la vie professionnelle. Christophe Dejours, qui dirige le laboratoire de psychologie du travail du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), insiste1 de façon récurrente sur la dégradation des rapports sociaux dans l’entreprise et les conséquences néfastes sur la santé des hausses de productivité : « l’entreprise a raté le virage des nouvelles technologies. Les progrès annoncés comme l’automatisation et l’informatique devaient assouplir les contraintes. On s’en est, en fait, servi pour intensifier les tâches dans les services, augmenter les cadences ». La psychologue Nicole Aubert souligne2 de son côté l’émergence de l’individu à « flux tendus », le bilan ambivalent de la RTT qui a compacté le temps de travail au détriment des temps de pause ou de simple convivialité, le fait que les salariés soient de plus en plus traités comme des produits à durée de vie limitée.
Il faut enfin souligner la montée de la violence sur les lieux de travail avec une multiplication des agressions du personnel dans le secteur des transports publics, dans les écoles et d’une manière générale dans l’ensemble des services appelés à être au contact du public : réparateurs d’ascenseurs, agents de péage d’autoroute, enseignants, employés de banque et de la sécurité sociale... Les effets psychologiques de la violence subie au travail sont connus : perte de confiance en soi, sentiment de honte, de culpabilité, d’abandon, colère et agressivité, dépression et tendances suicidaires. Les témoignages sont suffisamment nombreux pour considérer à sa juste valeur l’enjeu social que représente la protection de la santé psychique des travailleurs. Ceci étant, la focalisation effectuée sur le stress au travail ne masque-t-elle pas un phénomène plus global dont il convient d’analyser les causes pour comprendre un mal-être qui risque de devenir dans les prochaines années un des principaux problèmes de santé publique ? Si les enquêtes sur le stress au travail se sont multipliées ces dernières années, c’est notamment parce que le monde du travail concentre et cumule de nombreux facteurs de stress : peur de l’avenir, difficultés d’adaptation aux normes, rythmes élevés, agressions... Pour autant, ces facteurs ne sont pas spécifiques au monde du travail et font partie de notre quotidien. En y regardant de près, nous nous comportons autant en agresseurs qu’en agressés, nous générons autant les urgences que nous les subissons, nous exigeons de nos proches et notamment de nos enfants des facultés d’adaptation, voire des performances, que nous n’attendons pas de nous-mêmes, nous proférons des incivilités en situation d’impatience, nous nous plaignons du comportement des autres à notre égard sans pour autant faire preuve d’altérité positive. La
1. Fondation européenne, 2001. 2. N. Aubert, Le culte de l’urgence, la société malade de son temps, Flammarion, 2003.
2 • Une politique émergente de prévention et de santé publique montée de la violence dans le monde du travail est concomitante aux pertes de solidarité et de lien social.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
En réalité, s’il est fait référence à des stress positifs ou négatifs, c’est parce que l’enjeu réside dans notre capacité à nous adapter ou pas à des situations nouvelles. Le stress qui concrétise la mobilisation de nos ressources physiques et psychiques pour nous adapter, devient négatif au fur et à mesure que les ressources s’épuisent dans cet effort d’adaptation, d’où des « réactions » de fatigue, de colère, d’anxiété pouvant aller jusqu’à la dépression. Or, le développement des sociétés industrielles ou post-industrielles s’est considérablement accéléré ces dernières années. Il en a résulté une hausse du niveau de vie mais aussi des mutations considérables sur le plan des modes de vie, de pensée et de travail d’où le qualificatif « d’épidémie industrielle » appliqué au stress par certains économistes de la santé. D’autres y voient aussi une conséquence de la course folle à la productivité qui génère des dommages sociétaux majeurs (pollution, vache folle...), le stress étant alors le produit d’un dopage généralisé, voire parfois créé et encouragé par l’industrie pharmaceutique. Le sociologue Alain Ehrenberg1 explique la dépression par l’évolution des valeurs et normes imposées par la société actuelle, obligeant l’individu à réussir par lui-même, d’où un risque de dépression qui exprime alors « la fatigue d’être soi ». Dans la même optique, d’autres experts2 associent la croissance des patients dépressifs à une croyance suggérée conjointement par les sphères scientifiques, médicales et pharmaceutiques, selon laquelle toute souffrance peut être « étiquetée » et prise en charge médicalement.
Le stress serait donc sur le point de devenir un fléau majeur lié à notre mode de vie global et appelant à ce titre une véritable politique de prévention et de santé publique. Ses conséquences pathologiques sont en effet sévères : qu’il s’agisse du cortège des maladies psychosomatiques, de leur degré de gravité, des différentes formes de fatigue, d’anxiété ou d’épuisement et des conséquences physiologiques (cancers, maladies cardio-vasculaires) les dégâts humains et économiques sont considérables. Considérant que la France est le premier pays consommateur de psychotropes et d’antidépresseurs, il est légitime de s’interroger sur la réponse apportée par le médicament : elle est pour le moins ambivalente car, outre la dynamique de marché entretenue par l’industrie pharmaceutique, une nouvelle génération de médicaments est apparue, visant non à soigner la dépression, mais à accroître les facultés d’adaptation de l’individu, participant ainsi d’un dopage rampant et en voie de généralisation. Ces médicaments apparaissent comme des psycho-dynamisants (Prozac , sérotoinergiques, inhibiteurs de la recapture de la sérotonine...) qui deviennent parfois indispensables dans la course effrénée aux résultats, qu’ils soient scolaires, personnels ou professionnels... !
Les politiques de prévention Face au stress, les politiques de prévention sont nécessairement plurielles : elles concernent tout autant l’individu, les professionnels de santé, les partenaires sociaux et les assureurs. La difficulté réside dans l’analyse de l’imputabilité. Les causes étant multiples, il convient de les apprécier le plus justement
1. A. Ehrenberg, La fatigue d’être soi, Odile Jacob, 1998. 2. P. Pignarre, Pouvoir des psychotropes, pouvoir des patients, PUF, 1999. D. Healy, « À l’heure des antidépresseurs », Sciences Humaines, mai 2003.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
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possible. Ainsi, il convient de ne pas surévaluer la responsabilité des personnes si c’est d’abord le contexte organisationnel qui est en cause, et inversement, rendre le modèle socioéconomique responsable de tous les maux même si la montée du stress interpelle les valeurs d’une société. S’agissant de l’individu, les actions de prévention relèvent des domaines du sport, des techniques de relaxation et d’expression. L’éducation pour la santé peut également faciliter un rapport plus positif à la santé. Néanmoins, l’essentiel des actions de prévention doit être conduit au niveau des acteurs de l’entreprise qui doivent se mobiliser aussi bien pour analyser les risques et leurs causes que pour mettre en œuvre des actions opérationnelles. Celles-ci concernent notamment l’ergonomie des postes de travail, la prévention et la prise en charge des actes d’agression et des plaintes diverses sur l’insuffisance de formation, les cadences trop élevées, les insuffisances de reconnaissance, les directives inadaptées, une autonomie décrétée mais non accompagnée, des objectifs inatteignables, les conflits entre personnes... Les institutions représentatives du personnel, le Comité d’entreprise, le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), les services sociaux et de médecine du travail,
les services ressources humaines ont un intérêt commun à travailler ensemble sur la recherche de solutions opératoires au même titre que le collectif de travail dans les petites structures dans le cadre d’un dialogue social de qualité. De leur côté, les professionnels de santé et les assureurs ont tout intérêt à mieux connaître les pathologies du travail, les motifs de prescription des arrêts de travail, les facteurs pathogènes des outils et des organisations, les effets réels des prescriptions médicamenteuses. Les risques professionnels se sont transformés à l’image (positive ou négative) de l’entreprise. Selon une caractéristique bien française, nous avons longtemps privilégié la réparation. Celle-ci n’a cependant jamais été à la hauteur des préjudices subis, victime de la dévalorisation progressive de l’ensemble des indemnités en espèces mais surtout de la carence des mécanismes de détection à l’instar de l’inaptitude de la visite médicale du travail. Tout aussi grave s’est révélée l’insuffisance des politiques de prévention. Aujourd’hui un arsenal juridique s’est mis en place visant à boucher tous les trous dans le cadre d’une vision parfois totalisante et uniforme de la santé au travail. Le plan Santé au travail (2005-2009) a pour mérite son approche globale qui constitue sa force et sa faiblesse. Il restera à en évaluer les résultats pour mieux affiner les approches.
Chapitre 3 Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation
PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
PLAN DU CHAPITRE
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1. La qualité des soins : de l’exigence à la valeur La qualité des soins : un concept émergent Peut-on normer la santé ? De meilleures pratiques médicales De bonnes recommandations pour la pratique clinique L’évaluation médicale : une culture Quels sont les outils de l’évaluation médicale ? Trop de gaspillages
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2. L’hospitalisation à domicile au service d’une coordination des soins Un recours insuffisant à l’ambulatoire HAD : plus qu’un concept, un mouvement La coordination
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3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation
1. LA QUALITÉ DES SOINS : DE L’EXIGENCE À LA VALEUR La qualité des soins passe progressivement de l’exigence à la valeur : l’évaluation des pratiques professionnelles et les recommandations qui l’accompagnent en sont les piliers. La notion de normes prend une dimension essentielle, tant dans les équipements que dans les compétences ou les pratiques, normes désormais exigibles de la part d’un consommateur et d’un payeur avisés.
La qualité des soins : un concept émergent
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Selon l’Afnor (Association française de normalisation) la qualité se définit comme « une aptitude d’un produit ou d’un service à satisfaire les besoins des utilisateurs ». Ce concept de qualité a été particulièrement développé par Deming, introduisant la notion de « mise sous contrôle statistique » d’un quelconque processus de production. Tout processus résulte de la succession d’opérations qui sont toutes potentiellement à l’origine d’une variabilité. C’est cette variabilité qu’il convient de traquer, l’approche statistique permettant de mesurer comment se distribuent les résultats de toute action élémentaire, parfaitement identifiée dans ses tenants et ses aboutissants. L’analyse fine du processus et de sa mise en œuvre débouche sur une recherche de la variabilité du résultat – la non-qualité – dans le processus lui-même et non chez les individus qui y contribuent. La planification de la qualité (Quality planning), sa maîtrise (Quality control) ainsi que son amélioration (Quality improvment) constituent les trois étapes à promouvoir selon cette approche. Dans le domaine de la santé, l’OMS propose une définition de la qualité des soins très extensive puisqu’il s’agit d’une « démarche qui doit permettre de garantir à chaque patient l’assortiment d’actes diagnostiques et thérapeutiques qui lui assurera le meilleur résultat en termes de santé (conformément à l’état actuel de la
science médicale) au meilleur coût pour un même résultat, au moindre risque iatrogène, et pour la plus grande satisfaction en termes de procédures, de résultats et de contacts humains à l’intérieur du système de soins ». On retrouve dans cette définition les composantes de la qualité en général, à savoir l’efficience, l’efficacité, la sécurité, la fiabilité et le coût d’une procédure, d’un produit ou d’un service. On peut affirmer qu’en France l’évaluation de la qualité des soins en est à ses débuts, même si les premières tentatives en la matière remontent à la fin des années 1970. Cette démarche peine à se mettre en route, même si elle est relancée globalement tous les dix ans par les pouvoirs publics. La première manifestation officielle d’une volonté politique pour développer, à l’hôpital, une telle approche, correspond en 1981 à une lettre du ministre de la Santé aux présidents des Commissions médicales consultatives. Des comités médicaux spécialisés associant médecins et personnel de soins sont préconisés afin d’évaluer l’admission des malades, les alternatives à l’hospitalisation, la sortie et la réinsertion, l’utilisation optimum du séjour hospitalier, les stratégies diagnostiques et thérapeutiques mises en œuvre. Un peu plus tard (1984), parmi diverses mesures d’ordre social, la loi institue la production annuelle par la Commission médicale consultative d’un « rapport sur l’évaluation de la qualité de soins dispensés dans l’établissement », transmis au Conseil d’administration et au Comité technique paritaire. Il faut donc attendre dix
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES ans pour qu’après la timide apparition de l’évaluation de la qualité des soins dans les établissements, la loi du 31 janvier 1991 portant réforme hospitalière énonce clairement « Afin de dispenser des soins de qualité, les établissements de santé, publics ou privés sont tenus de disposer des moyens adéquats et de procéder à l’évaluation de leur activité ». Pour cette mission, les établissements doivent développer « une politique d’évaluation des pratiques professionnelles, des modalités d’organisation des soins et de toute action concourant à une prise en charge globale du malade afin notamment d’en garantir la qualité et l’efficience », mettre en œuvre « des systèmes d’information qui tiennent compte notamment des pathologies et des modalités de prise en charge en vue d’améliorer la connaissance et l’évaluation de l’activité et des coûts et de favoriser l’optimisation de l’offre de soins ».
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Dans le cadre de la réforme Juppé, un pas de plus est franchi avec l’accréditation des établissements. L’ordonnance du 24 avril 1996 portant réforme hospitalière introduit la procédure d’accréditation des établissements de soins. Il s’agit d’une procédure d’évaluation externe à l’établissement et à ses organismes de tutelle, réalisée par des professionnels, sur l’ensemble de son fonctionnement et de ses pratiques. Elle a pour objectif de s’assurer que les conditions de sécurité et de qualité des soins, de prise en charge des patients sont en permanence la préoccupation de l’établissement de santé. C’est l’ANAES qui est chargée de sa mise en œuvre opérationnelle à partir de 1999. C’est dire que ce processus, véritable révolution culturelle aux impacts organisationnels et humains multiples, est jeune et soumis encore à des ajustements. Récemment, les missions de l’ANAES ont été reprises par la HAS créée dans le cadre de la loi de réforme de l’Assurance maladie du 13 août 2004. On notera que 1. HAS, Rapport annuel d’activité 2006.
cette dernière a introduit un changement de vocable : la « certification » remplace « l’accréditation » désormais réservée aux médecins et aux équipes médicales (décret paru au Journal Officiel du 23 juillet 2006). Une Commission de certification des établissements a d’ailleurs été mise en place le 16 mars 2005. À la fin de l’année 2006, tous les établissements de santé étaient certifiés dans la version 1 de la procédure et 194 dans sa deuxième version1 . De surcroît, la loi du 4 mars 2002 a complété cette exigence de qualité par différentes dispositions concernant les malades, parmi lesquelles l’obligation d’information du prescripteur et l’objectif de ce devoir. En pratique deux démarches complémentaires contribuent à l’amélioration de la « qualité de service » rendu par l’hôpital : l’une porte essentiellement sur les pratiques professionnelles – l’audit clinique – l’autre repose sur l’implication de toute l’organisation des soins à l’hôpital, c’est l’assurance qualité. Les ressorts humains mis en jeu par l’audit écartent toute sanction, toute récompense, toute incitation financière ou une quelconque réglementation administrative. Pour terminer, la mesure du changement est une dimension propre à l’audit. Celui-ci doit être périodiquement recommencé afin de vérifier l’amélioration des performances. C’est ainsi que le cycle de l’audit peut être assimilé à une spirale ascendante avec une réévaluation vers le haut des normes dès que le niveau convenu a été atteint. On évite ainsi de se décourager en cherchant à atteindre des normes trop élevées et chaque réévaluation empêche de se satisfaire de pratiques médiocres. Quant à l’assurance qualité, elle semble désormais bien implantée grâce au processus de la certification. La conformité de structure à des procédures ou à des standards garantit en
3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation principe un certain socle de qualité, connu des pouvoirs publics et des consommateurs. Ce socle ne saurait cependant être que le minimum requis en deçà duquel la qualité de soins n’existe pas. C’est un point de départ, le fondement d’un édifice visant à atteindre un optimum. Pour cela, l’ensemble des activités composant les fonctions clés de l’hôpital doivent être listées et faire l’objet d’un recueil d’informations spécifiques : durées d’attente, traitements instaurés et leurs effets secondaires... La mise sous contrôle statistique implique l’utilisation des outils d’analyse appropriés. Des indicateurs de la qualité de prise en charge des malades à l’hôpital peuvent ainsi être élaborés comme, à titre d’exemple : • la mesure des délais d’attente aux consulta• • • •
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
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tions externes et aux urgences ; la qualité des informations données au médecin traitant ; la qualité des informations données au malade pendant son hospitalisation ; la qualité de la surveillance des chutes de malades hospitalisés ; la pertinence de la décision d’hospitalisation aux urgences (relecture quotidienne des dossiers des consultants aux urgences) ; la conformité à des recommandations de prescriptions diagnostiques et/ou thérapeutiques concernant une pratique coûteuse et/ou à risque pour le malade à déterminer par l’hôpital en fonction de sa spécificité ; la conformité à des procédures de prévention des risques pour le personnel (en particulier liés au sang) ; la qualité de la surveillance de l’hygiène hospitalière (conformité à des procédures pour des gestes à risque de survenue d’infections) ; la qualité de la distribution des médicaments ; la mesure de la satisfaction des malades et des plaintes.
C’est sans doute une poussée consumériste qui est à l’origine d’un premier classement « officiel » comparant les performances des hôpitaux et des cliniques dans la lutte contre les infections nosocomiales, rendu public en février 2006. Il révèle que près de 6 % des établissements ont encore des efforts à faire dans la prévention de ces affections contractées lors d’une hospitalisation. Ce classement, fondé sur un critère particulier, les infections nosocomiales a non seulement pour but d’informer les patients sur le risque infectieux encouru mais aussi celui « d’inciter tous les établissements de santé à mesurer leurs actions (...) contre les infections nosocomiales ». Lorsqu’il a été mis en place, il était basé sur un indicateur appelé Icalin (Indicateur composite des activités de lutte contre les infections nosocomiales) composé de 31 items, répartis en trois fonctions (organisation, moyens et activité). Pour l’année 2007, le ministère de la Santé a introduit un second indicateur dans le classement des hôpitaux en matière de lutte contre les infections nosocomiales : la consommation de solutés hydro-alcooliques (SHA) par le personnel médical (qui représentent le meilleur moyen de s’assurer une bonne hygiène des mains). Le ministère de la Santé a établi, pour chaque établissement un niveau de consommation attendue des SHA (calculé en fonction de plusieurs critères : nombre de patients hospitalisés, type d’activité chirurgicale, degré de complexité des interventions...). Plus un hôpital approchera de ce niveau, moins les risques d’infections seront élevés.
Peut-on normer la santé ? Appliqué au champ de la santé, le terme concerne tout autant les individus – leurs paramètres de bonne santé se situant « dans la norme » – que les professionnels dont les techniques obéissent à des normes, ou encore les infrastructures qui doivent être conformes à des
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
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normes d’hygiène, de sécurité et de fonctionnement. Laissons à Danguilhen le débat sur le normal et le pathologique, et envisageons du côté des professionnels de santé, en premier lieu, le sens du mot norme. Si la médecine est un art, comme certains l’entendent, peut-on parler de norme ? Le peintre, le musicien, le poète voient-ils leur création obéir à une norme ? Les règles de la perspective, l’écriture musicale selon des codes, une forme littéraire particulière s’apparentent davantage à la technique mise en œuvre pour créer qu’à une quelconque norme. La pratique médicale n’est pas un art car elle ne crée rien ; elle répète. Elle fonde cette répétition sur l’expérience, qui « probabilise » ainsi le succès de guérison en fonction de l’option thérapeutique retenue. Car il y a très souvent plusieurs possibilités pour trouver le chemin de la guérison dans les affections graves comme dans les moins graves. La réponse doit intégrer la situation du patient et ses attentes : informé des avantages et des inconvénients il optera avec son médecin pour l’une ou l’autre des solutions. Il existe des situations à considérer avec le même regard quand bien même le risque est encore plus sérieux, mettant en cause la survie du malade. On peut préférer la tumorectomie à la mammectomie, même si les risques de rechute sont plus grands, pour préserver son équilibre psychologique. La norme n’est pas unilatérale, technologique, elle doit intégrer les souhaits du patient qui s’exprime alors en parfaite connaissance du problème : quelles chances de guérison, quels avantages, quels inconvénients pour chacune des options possibles ? Et si la médecine n’est pas un art, elle est une pratique parfois difficile et lourde de conséquences. Ne pas faire porter la responsabilité écrasante d’un avis sur un seul spécialiste, fut-il éminent ! Faisons entrer dans la norme, l’exercice collégial dès que le pronostic vital est en jeu. Ainsi le plan Cancer intègre-t-il la possibilité, pour le malade, du double avis, double avis entrant ainsi prudem-
ment mais sûrement dans la norme. La norme pouvant bientôt se définir comme ce que le médecin doit proposer à son malade comme option diagnostique et thérapeutique, prenant en compte la situation clinique de ce dernier (diagnostic, stade évolutif de la maladie) et ses souhaits, après qu’il ait été informé de toutes les options possibles assorties de leurs bénéfices et de leurs risques. La loi du 4 mars 2002 dit en tout cas bien la règle et donc la norme « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ». Concernant les structures et leur fonctionnement la notion de norme est plus facile à appréhender, tout au moins quand il s’agit de règles d’équipement. Les textes énoncent clairement ce que doit, par exemple, comporter un plateau technique d’anesthésie-réanimation, de gynéco-obstétrique ou encore de néonatalogie. La présence obligatoire de tel ou tel appareil, de telle ou telle compétence, l’existence de nombreux ratios d’équipement en moyens matériels et humains sont autant d’artifices techniques définissant la norme. Celle-ci est censée donner au malade une assurance sur les conditions de sécurité et de performance du service, du plateau médical où il est accueilli. Mais les listes de dispositifs obligatoires, les exigences de compétences, les ratios n’ont guère d’effets sur les comportements humains. Ce sont pourtant dans les comportements des professionnels que résident les plus grands gisements d’amélioration de la qualité des soins. Il suffit pour s’en convaincre de regarder du côté des infections nosocomiales à l’hôpital mais aussi en médecine ambulatoire. Si la norme correspond à ce que l’on doit attendre en terme de résultat de santé mais aussi de prise en charge, ne
3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation doit-elle pas inclure ce qui ne « doit pas arriver » ? Non par une norme qui exclurait le risque inhérent à toute activité humaine, tendant ainsi vers l’idéal, mais par une norme inclusive du « premum non nocere » qui prévaut, encore et toujours, dans toute pratique médicale. On ne peut plus parler du risque d’infection nosocomiale comme d’une éventualité peu probable, fatalement inhérente au contact du milieu médical et de ses techniques. Pour autant, doit-on en parler en termes d’incidence, de prévalence empruntant ainsi le vocabulaire de l’épidémiologie, comme s’il s’agissait précisément d’une épidémie survenant on ne sait quand, ni pourquoi ? Si les causes et les mécanismes sont parfaitement connus, les moyens à mettre en œuvre pour lutter efficacement tardent encore à venir.
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De meilleures pratiques médicales C’est d’une adaptation de l’exercice médical à l’avancée des connaissances, d’une amélioration des pratiques et, somme toute, d’un progrès technique dont il s’agit. L’amélioration des pratiques médicales revêt différents aspects et se fonde sur le constat d’une hétérogénéité d’exercice, générant des interrogations légitimes. Si l’existence de variations de pratiques peut être considérée comme inhérente à la profession, elle devient une véritable problématique lorsqu’elle ne peut se justifier par des différences de caractéristiques épidémiologiques entre populations. Depuis les années 1970, les variations des taux de procédures médicales et chirurgicales entre groupes distincts de populations ont été étudiées. Il résulte de ces analyses sérieuses des observations troublantes : pourquoi deux à trois fois plus d’opérations pour appendicite en Allemagne que dans les autres pays européens ? Pourquoi deux à trois fois plus d’hystérectomies aux États-Unis qu’en Angleterre ou au Canada
alors que ces pays ont des niveaux de développement socio-économique comparables ? Pourquoi quatre à six fois plus de naissances par césarienne aux États-Unis qu’aux Pays-Bas ou en Norvège ? Ces variations peuvent par ailleurs exister au sein même d’un pays : toujours aux États-Unis, on s’étonnera de constater que trois interventions (hystérectomie, amygdalectomie et prostatectomie) ont des taux d’utilisation variant en moyenne du simple au double au sein de 200 groupes de population comportant de 10 000 à 200 000 habitants. Différentes hypothèses ont été émises quant à ces différences : la sous-utilisation dans certains endroits de procédures médicales validées, de possibles explications épidémiologiques, les caractéristiques socioculturelles des malades, influençant la demande et la décision médicale, ou encore le rôle du médecin dans l’orientation des patients dans les filières de soins. Un sociologue avait récemment découvert que les enfants des médecins avaient statistiquement moins d’amygdalectomie que les autres... ou que lorsque le gynécologue était une femme les patientes avaient moins souvent d’hystérectomie ! Il en concluait soulagé que, fort heureusement, les urologues statuant sur le sort fait aux prostates des hommes... n’étaient pas souvent des femmes ! L’amélioration des pratiques médicales passe ici par l’homogénéisation des procédures, c’est-à-dire : toutes choses étant par ailleurs égales, à situation clinique donnée, réponse médicale donnée. Si le concept paraît simple, sa mise en application est des plus complexes. Car il convient en tout premier lieu d’identifier les variations anormales de pratique, de les expliquer et, si ce n’était pas déjà fait, d’établir un consensus médical sur ce qui en théorie devrait être fait dans une situation clinique bien particulière.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
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Les rapports remis par le Professeur Matillon en 2003 et 20061 sur le sujet de l’évaluation des compétences professionnelles des métiers de la santé relevaient à la fois la nécessité de valider a priori les compétences et d’entretenir celles-ci tout au long de l’activité professionnelle par des procédures de certification, validation et qualification. Cependant, elles ne sont pas une assurance pour la vie d’une qualité intrinsèque attachée aux professions médicales, d’où la nécessité pour lui de mettre en place un système de « recertification, revalidation, requalification qui consistera à s’assurer que le praticien tout au long de son parcours professionnel maintient bien son niveau de compétences en regard de références définies par la ou les spécialités qu’il exerce ou sera amené à exercer », fondé sur des référentiels de métiers et de compétences à décliner en fonction des spécialités médicales. De son côté, Guy Vallancien relevait en 20052 qu’ « un médecin doit d’abord être un “bon médecin”, bien formé, aux compétences élevées et régulièrement vérifiées ».
De bonnes recommandations pour la pratique clinique Les recommandations pour la pratique clinique ou « guidelines » se définissent comme « (...) des propositions développées méthodiquement pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données ». Cette définition dérive de celle que l’Institute of Medicine (IOM) a proposée en 1990 et introduit plusieurs notions importantes. Tout d’abord le terme de recommandation se distingue : • des standards de qualité de soins que l’IOM
définit quant à lui comme des propositions
autoritaires définissant des niveaux de soins minimaux, acceptables ou optimaux ; • des critères de jugement dont l’objectif est
l’évaluation des pratiques de santé plus que l’aide à la décision ;
• des mesures de performances qui évaluent
l’observance des recommandations par les praticiens.
Le caractère méthodique du développement des recommandations implique la nécessité d’un processus formel et systématique. Celui-ci doit prendre en compte la totalité des données scientifiques et des opinions de l’expert disponible afin d’aboutir à un résultat aussi valide que possible. Parallèlement à l’opinion du praticien, la prise en compte de l’opinion des patients est une tendance particulièrement nette aux États-Unis. De nombreux auteurs considèrent que les consommateurs doivent être parfaitement informés des différentes alternatives – bénéfices et risques respectifs – les concernant. L’objectif principal des recommandations est l’aide à la décision : il s’agit d’améliorer la pratique clinique tout en prenant en compte les aspects économiques. La référence au caractère « approprié » des soins, sous-entend une quantification du rapport bénéfices-risques. Pour le praticien, cette quantification est impossible car elle est confrontée à des techniques récentes, nombreuses pour lesquelles une grande quantité de données a été publiée, les résultats étant divergents ou de qualité discutable. Enfin la référence à « des circonstances cliniques données » souligne la nécessité de définir précisément et clairement à qui les recommandations sont destinées : à quel praticien, à quel type de patient et dans quelle circonstance elles s’appliquent, à quelle stratégie médicale et dans quel contexte de soins. Ainsi l’objectif et
1. Rapports Matillon 2003 et 2006, Modalités et conditions d’évaluation des compétences professionnelles médicales. 2. G. Vallancien, « Pour des médecins libres, donc évalués ! », Le Monde, 13 janvier 2005.
3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation le champ d’application des recommandations pour la pratique clinique sont clairement définis, se déclinant en trois orientations :
• documentées sur les méthodologies expli-
• définir clairement les interventions sur la
santé qui sont appropriées ;
• définir clairement les interventions qui ne
sont pas appropriées ; • définir clairement les interventions pour lesquelles il existe une équivoque. En ce qui concerne le champ des recommandations, celles-ci s’appliquent dans le domaine de la prévention, du diagnostic, du traitement ou encore du suivi d’une maladie donnée ou d’un groupe de malades. Bien que ces recommandations portent d’abord sur des situations cliniques, elles peuvent prendre en compte des déterminants économiques, sociaux, organisationnels ou éthiques. Mais ce champ ne se limite pas à l’aide à la décision médicale et à l’amélioration de la qualité des soins. Il peut aussi concerner :
•
•
•
• l’éducation et la formation des profession-
nels de santé ;
• l’information des patients ; • la prise de décision en santé publique ;
•
• les aspects juridiques de la pratique médi-
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
cale.
Des critères de qualité des recommandations pour la pratique ont été établis. Ainsi selon l’American Medical Association et l’Institute of Medicine (1990), pour être de qualité, ces recommandations doivent être : • développées par ou en collaboration avec
des groupes de praticiens selon un processus multidisciplinaire afin que tous les points de vue soient examinés ; • valides car construites à partir de la totalité des informations disponibles : projets scientifiques publiés dans la littérature, opinions d’experts, éventuellement enquêtes complémentaires ;
• •
cites : les recommandations doivent être argumentées et vérifiables. Tous les moyens mis en œuvre doivent être décrits : bibliographie, méthodes d’analyse de la littérature, nom et qualité de l’expert consulté et des personnes ayant réalisé le travail, financement ; détaillées en ce qui concerne la ou les situations cliniques et le contexte de soins dans lequel elle s’applique : hôpital, médecine ambulatoire, bloc opératoire, soins intensifs, service de chirurgie..., types de patients concernés, moyens en personnel qualifié, en équipement et en structure nécessaires ; spécifiques d’une situation clinique précise : les exceptions connues ou attendues doivent être spécifiées, ce qui permet une certaine latitude dans l’application de ces recommandations, définissant ainsi leur degré de flexibilité ; claires dans leur langage et leur présentation : elles doivent être aisément utilisables en pratique quotidienne et être interprétées de façon identique par toutes les personnes concernées ; applicables en pratique : elles doivent être adaptées aux moyens disponibles et préciser les ressources qu’elles impliquent en personnel, matériel et sur un plan organisationnel ; diffusées largement auprès de tous les professionnels et patients concernés ; régulièrement révisées afin de ne pas devenir obsolètes alors même qu’elles doivent constituer une référence durable.
Les méthodes disponibles Parmi les différentes méthodes qui ont été proposées pour l’élaboration des recommandations en pratique clinique, la première a été le consensus informel. Il s’agit de reproduire des recommandations émanant d’un consensus d’experts, sans que soient définis les critères de
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES décision utilisés ni le niveau de progrès scientifique disponible ni le code formel de réunion de ces experts. Cette méthode apparaît comme la moins rigoureuse sur le plan de l’analyse des progrès scientifiques. Le groupe canadien sur les examens médicaux périodiques, l’US Preventive Task Force, l’American College of Physicians ont cherché à quantifier le niveau de progrès scientifique en cotant les données scientifiques prises en compte en fonction de la qualité méthodologique de leur source, celles-ci allant de l’essai contrôle randomisé au simple avis d’expert. Ainsi la pertinence en terme de niveau de preuve de chaque recommandation peut-elle être cotée. D’autres structures telles que la RAND Corporation ont également cherché à quantifier la liste d’experts. Enfin aux États-Unis, l’Agency of Health Care Policy Research, agence fédérale créée en 1990 combine ces deux types d’approche.
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Les recommandations pour la pratique Elles comprennent nécessairement : • des informations sur des bases scientifiques
et les avis d’experts qui les fondent ;
• des informations sur les résultats cliniques
prévisibles, les avantages et les inconvénients (le seuil rapport bénéfice-risque de la stratégie étudiée) ;
• des informations concernant les consé-
quences économiques potentielles et leur mise en balance avec les résultats cliniques escomptés ;
• une synthèse de l’ensemble de ces données
en terme de conduite pratique à tenir dans une situation clinique donnée.
L’évaluation médicale : une culture Le marché de la santé ayant cette particularité d’être solvabilisé entièrement par la protection sociale, celle-ci doit répondre à des exigences d’équité entre les individus et à des exigences de santé publique : permettre à tous d’accéder à des soins de qualité entraîne, en principe, un état de santé non pas maximum mais optimum, compte tenu du patrimoine génétique de chacun et de l’environnement socio-économique auquel il est soumis. Le scandale du sang contaminé a permis de mettre en lumière les conséquences redoutables du manque d’information et du cloisonnement entre professionnels de santé d’un côté, responsables politiques et administratifs de l’autre. En cascade, une exigence absolue de transparence est apparue chez les citoyens, se sentant en droit de demander des comptes face à des décisions médico-administratives d’un genre nouveau les concernant : la formule « responsables mais pas coupables » en résuma à l’époque fort bien la teneur. Dès lors tout ce qui a trait à la Sécurité Sanitaire a contraint l’ensemble des acteurs du domaine de la santé à s’interroger. La nécessaire culture de l’information, claire, disponible, valide, partagée s’est imposée au grand jour, à tous les niveaux du système de santé, à travers maints aspects : « la démocratie sanitaire » fait son entrée tandis que les droits des malades sont clamés et promulgués. L’évaluation médicale ne peut qu’accompagner un tel mouvement, puisque face aux enjeux médicaux du XXIe siècle, elle est une réponse appropriée : elle permet de faire des choix au nom de critères médicaux et scientifiques, mais aussi économiques et éthiques. Elle représente un formidable outil de dialogue, de négociation, prenant en compte les points de vue du consommateur, du financeur, du professionnel de santé, du politique et de l’administratif. Elle permet
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3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation ainsi d’apprécier objectivement l’efficacité des différentes stratégies possibles mises en œuvre pour satisfaire le plus grand nombre de malades. Enfin, son champ d’intervention couvre tous les compartiments du système de santé : les structures et organisations sanitaires, les stratégies médicales, et surtout les résultats en termes de santé. La certification des structures hospitalières récemment engagée dans notre pays, le contrôle de qualification des médecins (accréditation des équipes médicales), l’évaluation de l’université sont les outils du premier compartiment. L’évaluation des stratégies médicales, qu’elles soient préventives, diagnostiques ou thérapeutiques permet d’identifier celles qui s’avèrent les plus utiles aux malades. Cette démarche prend en compte la sécurité, l’efficacité expérimentale et pragmatique d’une technologie mais aussi son coût. Les conséquences sociales, éthiques, économiques font naturellement partie de l’analyse conduite sur ce champ-là. Quant à l’évaluation des résultats, elle est censée mesurer l’écart existant entre la théorie et la réalité de tous les jours. Cette analyse a pour but de réduire bien évidemment cet écart entre la pratique observée sur le terrain clinique et les principes fondamentaux décrits dans les recommandations ou les conférences de consensus.
Quels sont les outils de l’évaluation médicale ? Les systèmes d’information L’existence d’un dossier médical de qualité et la médicalisation des systèmes d’information sont deux conditions essentielles au développement de l’évaluation médicale. Le dossier médical apparaît comme un document de base indispensable aux études d’évaluation qu’il
s’agisse des études de procédures, de rentabilité ou de résultats. Ce dossier médical doit être accessible, correctement instruit et complet. Dans le domaine de la médecine ambulatoire, la mise en place d’un tel document est encore d’actualité. C’est en effet avec la convention signée entre les organismes de protection sociale et les syndicats médicaux en octobre 1993 que la mise en place du dossier médical devient effective. Encore ce dossier ne concerne-t-il que les personnes âgées porteuses de deux affections donnant droit à exonération du ticket modérateur. Dans le domaine hospitalier se pose le délicat problème du dossier unique ou du dossier multiple réparti entre les différentes spécialités de l’établissement hospitalier. L’existence d’un dossier médical par service ou par spécialité présente beaucoup d’inconvénients notamment celui d’empêcher l’accès à l’information et d’interdire l’agrégation des données et la surveillance de certains phénomènes comme par exemple les infections nosocomiales. Le dossier unique, commun à l’ensemble des services, est sans doute la solution la meilleure, à condition d’organiser le recueil des informations dans le respect des particularités de chacune des spécialités. La qualité du dossier médical est un élément fondamental dans toute procédure d’évaluation. La plupart du temps en effet celui-ci apparaît comme incomplet du fait d’un recueil des données erroné, ou du fait de données manquantes concernant les soins appropriés. Lorsqu’un dossier est complet, il faut être sûr que les données enregistrées sont fiables. C’est pourquoi aux États-Unis, la Joint Commission of Accreditation Organisation attache une si grande importance au contenu et au suivi du dossier, ainsi qu’à l’organisation administrative du service des dossiers médicaux et à la surveillance et au contrôle des enregistrements. La médicalisation des systèmes d’information devrait permettre d’éviter les lacunes qui
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES viennent d’être évoquées et de répondre à un certain nombre d’exigences. Cette médicalisation doit tout d’abord faciliter la gestion quotidienne du dossier médical, tout en facilitant les échanges d’informations entre services. Le système d’information doit être structuré de façon à pouvoir collecter des données de provenances diverses en respectant les particularités de chacune des sources. Une connexion du système d’information médicale au système de gestion économique et financière est prévue dans le Programme de médicalisation du système d’information, l’analyse étant orientée vers le calcul de coûts par groupe homogène de malades (GHM) et groupe homogène de séjours (GHS). Il est clair cependant que l’information enregistrée dans le cadre du PMSI peut être couplée à une information intégrant la qualité des soins, le système d’information prenant en compte alors les deux approches.
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Les conférences de consensus Leur objectif est de faire le point sur l’état des connaissances médicales à un moment donné, afin d’établir des recommandations sur un thème donné. Cette démarche est rendue indispensable du fait des progrès extrêmement rapides de la médecine, d’une évolution non moins rapide des technologies et aussi du fait d’un environnement restrictif où s’affirme la volonté d’une maîtrise des dépenses de santé par les pouvoirs publics. La première conférence de consensus a eu lieu aux États-Unis en septembre 1977 et a été organisée par l’Office of Medical Applications of Research. Depuis cette date, plus de 70 conférences de consensus se sont tenues aux États-Unis. Nous reprendrons la définition de la conférence de consensus donnée par I. Jacoby : « Des forums ouverts rassemblant des experts scientifiques de la recherche biomédicale, des cliniciens et des représentants du public dans un effort commun pour évaluer la sécurité et l’efficacité d’une procédure ou d’une technique
médicale et pour recommander leurs meilleures conditions d’application dans la pratique clinique ». Ainsi la conférence de consensus apparaîtelle comme une méthode d’évaluation visant à définir une position dans une controverse portant sur une procédure médicale, dans le but d’améliorer la pratique clinique. Cette démarche se fonde sur la réunion d’un jury appelé à faire la synthèse des bases scientifiques présentées publiquement par les experts, se rapportant à des questions définies. Le choix de cette méthode implique que soient connus : • les indications de la méthode envisagée ; • l’organisation à mettre en place et les tech-
niques de travail à employer ; • le mode de diffusion des recommandations et la mesure de l’impact des recommandations à diffuser. Une méconnaissance de ces différents points a conduit l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM) à proposer une base méthodologique pour l’organisation des conférences de consensus en France. En ce qui concerne les indications, l’organisation d’une conférence de consensus peut être proposée dans trois circonstances : • lorsqu’il faut aider des acteurs de santé sur
des points de connaissance ou de pratique à propos d’une procédure médicale à visée diagnostique ou thérapeutique, soit parce que celle-ci fait l’objet de divergences soit parce qu’elle est insuffisamment connue ; • lorsqu’il est nécessaire d’intégrer à la pratique des préoccupations d’ordre éthique, économique, sociologique ou légal ; • enfin lorsqu’il existe sur un thème donné un écart trop important entre l’état des connaissances scientifiques et la pratique médicale, ou qu’encore la variabilité entre les pratiques médicales est trop grande.
3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation Il existe par ailleurs un moment judicieux pour proposer une conférence de consensus : en effet, celle-ci ne doit pas être proposée trop tôt car alors les techniques ne peuvent pas être suffisamment connues et les données de base sont insuffisantes. Il ne faut pas non plus la proposer trop tard car un consensus de fait est alors souvent déjà installé sans qu’il soit possible de remettre en cause les habitudes des différents acteurs. Le choix du thème est extrêmement important et doit tenir compte de trois critères principaux : • l’existence de controverses susceptibles
d’être clarifiées grâce aux avis fournis par les experts au moment de la conférence ;
• la nécessité de répondre à une préoccupa-
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
tion de santé publique définie par l’importance en terme de fréquence ou de gravité de l’affection, l’impact en matière de prévention, l’intérêt porté par les professionnels de santé, l’impact économique, l’intérêt porté par les consommateurs et le choix d’une politique de santé ; • la disponibilité sur ce thème de données publiées et un niveau de validité scientifique suffisamment élevé pour que le résultat puisse être valablement considéré comme indépendant du seul jugement subjectif du jury de la conférence. Le thème peut être proposé par des associations de médecins, des groupes scientifiques, les pouvoirs publics, des organismes financeurs, des représentants d’associations issues du public, voire des structures privées. Les organismes cités constituent les promoteurs potentiels dont le rôle est d’initier la conférence, d’identifier et de hiérarchiser les différentes cibles concernées par le sujet, d’apporter au comité d’organisation les moyens nécessaires à la tenue de la conférence et enfin d’organiser le financement et de publier la liste complète des financeurs.
L’organisation, les structures et les méthodes de travail d’une conférence de consensus sont développées sur les points cruciaux du Comité d’Organisation, du jury et des experts.
L’audit médical C’est une méthode d’évaluation permettant grâce à des critères déterminés de comparer la pratique du médecin à des références. Ces références sont des standards admis par la profession pour améliorer la qualité des pratiques et des soins délivrés aux patients. Concernant les objectifs, l’audit médical est une activité d’évaluation orientée vers la pratique. Cette méthode est déjà utilisée dans de nombreux pays et a fait la démonstration de son efficacité lorsqu’elle est appliquée rigoureusement. Cette méthode d’évaluation de la qualité des soins semble la mieux adaptée à la complexité de l’exercice de la médecine ambulatoire. En résumé, l’objectif de l’audit est d’identifier les circonstances propices à l’amélioration de la qualité des soins et de fournir les moyens de la réaliser. Si les techniques propres à l’évaluation médicale sont donc connues et parfaitement codifiées, elles tardent encore à prendre la place qui leur revient dans le système de soins. Les raisons sont multiples et peuvent être qualifiées globalement de « culturelles ». On l’a vu, un séisme majeur a fait bouger cette culture de la non-transparence vers plus de transparence, plus par peur des conséquences juridiques ou politiques que par réelle conviction des professionnels hélas. L’AFSSAPS, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES), l’Agence française du sang, l’Agence du médicament sont autant d’organismes dont la naissance récente traduit bien cette évolution. Il reste beaucoup à faire car au niveau des professionnels du terrain le mot évaluation rime toujours avec sanction, perte de pouvoir et perte d’autonomie.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
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Ainsi, on a pu observer en France une lente évolution sur la question de l’évaluation des pratiques professionnelles. L’évaluation s’affiche bientôt comme non « contraignante », des référentiels sur lesquels se fonde l’évaluation se mettent en place sous l’impulsion de l’ANAES. L’évaluation des médecins se retrouve alors pilotée par l’ANAES et les Unions régionales de médecins libéraux (URML) : l’ANAES prend en charge la formation et l’habilitation de médecins évaluateurs, élabore ou valide les référentiels et guides d’évaluation, tandis que les URML prennent en charge l’organisation de l’évaluation sur le terrain. En 2002, des études pilotes sont alors lancées par l’ANAES, mais le bilan montre encore une fois la lente insertion des médecins dans ce dispositif : une centaine de médecins habilités et quelques centaines évalués... Cependant, la loi du 13 août 2004, portant réforme de l’Assurance maladie, marque sans doute un virage important concernant ce sujet : ainsi, l’évaluation des pratiques professionnelles est étendue à l’ensemble du corps médical français (médecins libéraux, salariés, médecins du corps de santé des armées) et quel que soit le lieu d’exercice et la spécialité. Définie par la Haute Autorité de santé (HAS) comme « une démarche organisée d’amélioration des pratiques, consistant à comparer régulièrement les pratiques effectuées et les résultats obtenus, avec les recommandations professionnelles. Cette démarche est inspirée du “formative assessment” des anglo-saxons, L’évaluation des pratiques se traduit par un double engagement des médecins : premièrement, ils s’engagent à fonder leur exercice clinique sur des recommandations, et deuxièmement, ils mesurent et analysent leurs pratiques en référence à celles-ci ». Les modalités de sa mise en œuvre sont variées : l’audit, les approches permettant de
contrôler les processus de soins en plaçant l’évaluation au centre de la pratique quotidienne (comme le chemin clinique, le reminder ou aide-mémoire, les arbres de décision diagnostique ou thérapeutique, la révision des dossiers...), sans oublier les formes de pratique médicale protocolée et évaluée comme les réseaux de soins, les groupes de pairs ou les maisons médicales. Enfin sa mise en œuvre peut également passer par des dispositifs conventionnels, tels les contrats de bonne pratique ou les Acbus. La HAS rappelle l’importance de la formation médicale continue (FMC) dans la démarche d’évaluation des pratiques. Désormais, cette dernière se décline de façon plus rationnelle. Elle prévoit, d’une part, la mise en place de l’Évaluation des pratiques professionnelles (EPP) validée par différents organes reconnus ou agréés (Organismes agréés, médecins habilités, Commission médicale d’établissement), et signifiée par l’obtention finale d’une attestation par le Conseil départemental de l’ordre compétent valable pour cinq ans. Elle associe, d’autre part, des sanctions au niveau du conseil de l’ordre, en cas d’absence ou de manque d’engagement dans la démarche d’EPP ou en cas de mise en cause avérée de la sécurité des patients non corrigée par le praticien. Enfin, elle met en valeur une évaluation des pratiques et une formation médicale continue tout au long de la vie pour le corps médical. La mise en œuvre de cette démarche sur l’ensemble du territoire s’opère de manière progressive, et seul un premier bilan permettra de mesurer à quelle hauteur le corps médical s’est véritablement engagé dans la démarche. Le suivi et la réadaptation sont à envisager dès la formalisation des recommandations (encadré 3.1).
3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation Encadré 3.1
Les huit étapes de l’audit clinique
Première étape : la constitution d’un groupe de médecins Différents participants peuvent prendre part à l’audit. Il peut s’agir bien entendu des omnipraticiens, de certains spécialistes mais aussi des secrétaires, réceptionnistes et encore des patients, des infirmières, des kinésithérapeutes, des assistantes sociales, des gestionnaires, des aides ménagères, voire même du personnel d’entretien. En ce qui concerne le nombre de participants, au-delà d’une dizaine de membres, il est préférable de constituer un groupe de pilotage qui ne comprend que quelques membres par discipline ou par cabinet si l’audit regroupe plusieurs cabinets. Ce groupe de pilotage a en charge d’organiser la bonne marche de l’audit, de distribuer la responsabilité des actions à chacun de ses membres. Quand le thème de l’audit est choisi, le groupe doit ensuite définir les règles qui orienteront le choix des critères et des références, désigner ceux qui seront chargés de la bibliographie, choisir les experts qui interviendront dans la rédaction des références. Il doit également établir les protocoles de recueil et de traitement des données et bien entendu, veiller au respect de la confidentialité la plus totale. Deuxième étape : le choix d’une activité à évaluer Il s’agit d’identifier le thème de l’audit. Ce choix relève de tous les participants et peut avoir différentes origines. Il peut s’agir en particulier de suggestions des participants à l’audit, qu’elles proviennent : • de la lecture d’articles médicaux, • des statistiques concernant l’exercice de la médecine générale ou des statistiques concernant
le fonctionnement d’un cabinet,
• des difficultés ressenties dans l’exercice professionnel, • des incidents ou événements indésirables se produisant en cours d’activité,
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• des plaintes de patients, telles que la difficulté à joindre le médecin ou à obtenir un rendez-vous,
des urgences mal assurées ou l’attente en salle d’attente, etc. • des informations sur la pratique professionnelle : formation médicale continue, • des réflexions émanant de stagiaires sur le fonctionnement du cabinet : qualité des dossiers médicaux, prescription de thérapeutiques ou d’examens complémentaires, tenue de la trousse d’urgence, mode de stérilisation... Le choix du thème peut également être généré par des considérations extérieures au cabinet : • recommandation des conférences de consensus, • recommandation pour la bonne pratique, • recommandation des organismes de prévoyance, analyse des données des RIAP (Relevé
individuel d’activité et de prescription),
Enfin le thème de l’audit peut avoir pour origine un problème ressenti comme un dysfonctionnement et pour lequel une action correctrice peut être entreprise. Précisons que le choix du thème doit porter sur un problème suffisamment important en terme de fréquence pour que la quantité de données analysables en un temps raisonnable soit suffisante.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES ☞ Une fois le sujet de l’évaluation défini, il convient de rédiger les questions auxquelles l’audit devra répondre. Ces questions doivent être énoncées de manière précise et correspondre aux particularités de l’étude. Troisième étape : détermination des critères Le critère peut se définir comme un élément sur lequel on propose un jugement. Ce critère de jugement peut concerner : • une procédure diagnostique ; • un diagnostic ; • une procédure thérapeutique ; • un traitement.
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Ce critère se rapportant à toute décision concernant le patient, il est impératif qu’il figure dans le dossier. Quelles sont les qualités attendues d’un critère ? Tout critère doit être valide, quantifiable, fiable, sensible et spécifique. La validité se définit comme son aptitude à bien décrire la grandeur qu’il est censé mesurer. Son aspect quantifiable recouvre des aspects qualitatifs que les modalités soient nominales, ordinales, ou dichotomiques et des aspects quantitatifs. Sa fiabilité recouvre sa précision et sa capacité de reproductibilité. Sa sensibilité indique sa capacité à réagir aux variations. Quant à sa spécificité, elle indique son aptitude à caractériser l’activité médicale évaluée. Le nombre de ces critères doit être limité au maximum à dix pour la plupart des auteurs, ce qui est suffisant pour pratiquer une évaluation de bonne qualité sur un thème donné. Quatrième étape : la collecte des références et élaboration des normes Une fois les critères déterminés, il faut en indiquer la norme. Ces normes sont établies à partir de revues bibliographiques et la consultation d’experts. La bibliographie permet d’établir l’intérêt du sujet choisi par le nombre de publications qui lui sont consacrées. La lecture comporte l’ensemble des ouvrages de référence : livres, articles, comptes rendus, analyses de la littérature qui s’appuient sur une bibliographie la plus complète possible. Ce travail nécessite l’accès aux banques de données des bibliothèques et l’utilisation d’une grille de lecture afin de noter les articles en fonction de leur qualité. La consultation d’experts est d’autant plus nécessaire que le thème choisi repose sur des notions scientifiques variées recouvrant différentes disciplines. Le choix des experts est guidé par la notoriété scientifique, la responsabilité professionnelle, mais aussi la compétence reconnue par des travaux et des publications. C’est ainsi que des cliniciens, des biologistes, des spécialistes de la santé publique, des épidémiologistes, des statisticiens, des économistes seront consultés en fonction des informations recherchées. Il est recommandé d’établir une liste de questions posées aux experts auxquelles ceux-ci devront répondre par écrit. La notion de norme répond à la définition qu’en donne l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM) : « Pour chaque critère il existe un seuil au-delà duquel le processus de soins étudié au moyen de ce critère est jugé acceptable. En deçà, il ne l’est pas. Ce seuil constitue la norme des soins pour ce critère. » Cet organisme distingue des normes idéales ou empiriques. Dans les normes idéales on définit comme qualité acceptable :
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3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation ☞
• soit la meilleure qualité imaginable, ce qui correspond à l’idéal absolu,
• soit la meilleure qualité atteinte dans les meilleures conditions des soins, ce qui correspond à
l’idéal optimal.
La norme empirique prend en compte les résultats obtenus dans des circonstances moins privilégiées. Elle peut être fondée par exemple sur des moyennes nationales ou régionales, ce qui laisse présager un objectif plus réaliste, plus atteignable et par conséquent plus motivant pour le praticien. Cette norme empirique correspond au niveau minimal de performance acceptable pour chaque critère. Elle doit cependant tenir compte de deux éléments : • l’exhaustivité : tout ce qui était nécessaire a-t-il été réalisé ? • l’utilité : tout ce qui a été réalisé était-il nécessaire ?
L’exhaustivité correspond à la qualité scientifique et technique des soins, tandis que l’utilité mesure la logique de ces soins. Entre norme idéale et norme empirique, différents niveaux ont été établis. Le niveau un correspond à un patient : un critère. Par exemple, un frottis doit être pratiqué tous les trois ans chez une femme entre 25 et 65 ans. Une norme empirique consisterait à considérer comme acceptable la pratique d’un médecin s’il réalise un frottis tous les trois ans à 80 % des femmes de 25 à 65 ans de sa clientèle. Le niveau deux correspond à un ensemble de patients : un seul critère. Ainsi le carnet de santé prévoit que chaque nourrisson doit avoir un examen de santé systématique au 9e mois et il s’agit d’une norme absolue. Le niveau trois correspond à un patient : plusieurs critères. Par exemple l’examen clinique d’une femme sous oestroprogestatif impose la surveillance régulière de la pression artérielle, des seins, de l’appareil génital. Enfin le niveau quatre correspond à un ensemble de patients : plusieurs critères. Par exemple, l’ensemble des dossiers de patients présentant une hypertension doit comporter au minimum le chiffre tensionnel, le poids, le traitement en cours ainsi que ses modifications éventuelles.
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Cinquième étape : le recueil des données Le recueil des données doit se faire sur une période de temps suffisamment longue permettant d’atteindre un nombre de dossiers de patients représentatifs de la clientèle évaluée. Lorsque l’information concernant les critères est enregistrée dans les dossiers, le recueil des données peut être rétrospectif. La construction d’une fiche de saisie permet de collecter l’information directement à partir du dossier. On peut envisager également un recueil prospectif lorsque le thème le rend indispensable ou encore lorsque l’information n’est pas uniformément répartie à l’intérieur des dossiers. Le recueil de l’information est alors réalisé par le médecin au cours de la consultation sur une fiche établie au préalable. Que le recueil soit prospectif ou rétrospectif, la fiche de saisie doit être la plus simple possible afin que le temps passé à la remplir n’entrave pas le déroulement normal de l’activité médicale. La confidentialité est de mise. Le recours à un codage permet au médecin de connaître la valeur de sa performance, ainsi que son niveau de compétence sans que les tiers puissent en être informés.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES ☞ Sixième étape : analyse des données et ses conséquences C’est l’analyse des données qui va permettre de savoir si l’exercice est en accord avec les normes. Cette analyse permet également d’estimer le niveau de qualité de l’activité du médecin en mesurant l’écart entre les données recueillies et les normes et de déterminer le type d’actions à envisager après explication des écarts constatés. Les explications concernant les écarts peuvent relever d’un défaut : • du matériel ; • de l’organisation ; • des connaissances ; • de l’application de ces connaissances dans le processus décisionnel clinique.
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Les actions correctrices seront modulées en fonction des explications et s’appliqueront aux différents niveaux explicatifs mis en lumière. Le nombre de dossiers concernant cette analyse ne doit pas dépasser trente à cinquante par médecin. De même que plus haut nous avons indiqué que le nombre maximum de critères ne devait pas dépasser dix, un nombre restreint de dossiers correspond également au souci d’efficacité : un nombre limité de critères, un nombre limité de dossiers facilitent l’analyse des résultats, le choix de l’action correctrice, la mise en application de cette action. Soulignons que lorsqu’une controverse naît d’un écart important entre les données et les normes, le rôle du groupe de pilotage devient alors prépondérant. En effet, celui-ci doit réaffirmer la validité des critères, décider de la conformité ou non de certains dossiers et surtout résister à la tentation de vouloir réviser les normes pour les adapter à la pratique plutôt que de modifier les pratiques pour les rapprocher des normes. L’écart observé entre la pratique et les normes doit entraîner la décision d’une action correctrice, ainsi que son application. On s’appuiera à nouveau sur les références qui éclairent le processus décisionnel : recommandations, conférences de consensus, conférences d’experts, analyses de la littérature... Lorsque les actions sont multiples, chacune d’entre elles doit faire l’objet d’une analyse « coûtefficacité » afin de privilégier l’option la plus rentable. Enfin l’action correctrice est conduite selon trois principes : • le but de toute pratique médicale est de maintenir ou améliorer l’état de santé des patients de
manière efficace et économique ;
• l’activité médicale entraîne des résultats sur l’état de santé des patients qui doivent être évalués ; • le but recherché par le médecin et le patient doivent être les mêmes.
Septième étape : l’amélioration de la pratique Le but recherché est un changement des comportements, des pratiques par la mise en application de l’action correctrice. Différentes conditions apparaissent comme autant de facteurs incitatifs capables d’entraîner le changement des pratiques. En effet, l’application des recommandations sera d’autant plus réalisée que l’ensemble des acteurs auront participé à la décision initiale et que l’information aura été bien faite. C’est dire qu’il faut faire un effort de communication afin qu’aucun ne se sente exclu de la procédure d’audit. Par ailleurs, les recommandations d’origine interne sont généralement mieux accueillies que celles venues de l’extérieur. Le groupe de pilotage paraît essentiel car il favorise une modification des comportements au niveau de :
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• la formation ; • l’information ou « feed-back » ; • la participation à la décision ; • le contrôle par les pairs.
Huitième étape : le suivi
Trop de gaspillages
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Le terme de gaspillage renvoie à l’utilisation abusive et désordonnée des ressources ainsi qu’aux dépenses inutiles. Le gaspillage existe pourtant, singulièrement dans les organisations sans contrainte ni mécanisme de régulation. S’agissant du système de santé en général et de l’Assurance maladie en particulier, les gaspillages occupent la place laissée vacante par les absences de contraintes ou les insuffisances de régulation. Les quelques illustrations choisies ont pour objet de sensibiliser au fait que le « laisser faire » engendre des dérapages et que la responsabilité n’accompagne pas naturellement la liberté. Les gaspillages sont encore trop nombreux pour passer ce thème sous silence. Une partie des gaspillages est aussi le fait de médecins « suractifs »1 , soit 16 % des généralistes qui ordonnancent à eux seuls 30 % de la prescription médicamenteuse totale. Sur les années 2000-2001, ils ont prescrit en moyenne chacun près de 525 000 euros de médicaments (93 % de plus que la moyenne des généralistes) et effectuent 8 200 consultations ou visites par an, soit, à raison de cinq jours et demi de travail par semaine et sans congés annuels, une moyenne de 29 consultations ou visites par jour... Leurs honoraires annuels (160 000 euros) sont supérieurs de 60 % à ceux de la profession... On est ici loin d’une médecine générale de qualité à l’écoute du patient...
Il existe des gaspillages lourds et structurels, pas toujours faciles à appréhender, d’où les trois exemples ci-après : la consommation des psychotropes, les prescriptions médicamenteuses à destination des personnes âgées et les arrêts de travail. Les Français consomment deux à quatre fois plus de psychotropes que leurs voisins européens. S’agissant des tranquillisants, nous en consommons cinq fois plus que les Allemands et huit fois plus que les Anglais (deux fois plus que les Allemands ou les Italiens pour les hypnotiques et un peu moins pour les neuroleptiques et les antidépresseurs). Selon une étude de la DREES parue en juillet 2006 et comparant cinq pays européens (France, Allemagne, Italie, Espagne et Royaume-Uni), la France a enregistré en 2004 les ventes pharmaceutiques par habitant les plus élevées (284 euros), soit un chiffre d’affaires supérieur de 40 % à celui observé en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni. On peut d’ailleurs noter que l’explication donnée à ce résultat est fondée sur la très forte consommation d’unités standards de l’ordre de 1 500 unités par habitant, soit autour de 40 % de plus que la moyenne. De nombreuses études démontrent le risque accru d’iatrogénie pour les patients âgés. Elles relèvent également une polymédication inadaptée (une étude de l’URCAM d’Aquitaine démontre que 16 % des 65 ans et plus ont des prescriptions de plus de sept médicaments, et que 27 % des prescriptions contiennent des
1. CNAMTS, MEDICAM – médicaments remboursés par le régime général d’Assurance Maladie, juin 2002.
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risques d’interactions) ainsi que l’inobservance des traitements par plus d’un sujet âgé sur deux. Un rapport de la Cour des comptes qui s’intéressait à la consommation pharmaceutique des personnes âgées notait déjà en 2003 un gaspillage « qui pourrait atteindre 40 à 50 % des médicaments prescrits ». De surcroît, les médicaments prescrits ne sont pas toujours indispensables : il en va ainsi, notamment, des statines au-delà de 70 ans ou d’un vasodilatateur à base d’extraits de plantes dont le service médical rendu est faible. La Cour recommandait alors « la sensibilisation de 5 % de médecins qui réalisent 30 % des prescriptions, suivie de la visite de pharmaciens conseils ». La Cour critiquait également les médicaments anti-Alzheimer qui transforment les malades aigus en malades chroniques et pour lesquels « l’incertitude sur l’effet médicoéconomique rejoint l’incertitude sur les effets thérapeutiques ». Or, l’enjeu dépassera le milliard d’euros d’ici quelques années. L’opinion publique dénonce régulièrement les abus liés aux arrêts de travail de complaisance et la dérive consécutive des indemnités journalières (environ 6 % des dépenses d’Assurance maladie). En 2005, la branche maladie a réalisé 750 000 contrôles d’arrêts de travail (680 000,
dont 234 000 pour des arrêts maladie de courte durée en 2006) : 15 % étaient médicalement injustifiés et 17,5 % des arrêts maladie de longue durée n’ont pas été reconduits après le contrôle médical. On peut noter qu’après une forte hausse (34 %) sur cinq ans du nombre de journées indemnisées pour arrêts maladie (entre 1997 et 2002), ce nombre a diminué de 15 % entre 2003 et 2005. Une étude de la CNAMTS (octobre 2006) montre que cette baisse résulte essentiellement de la politique de lutte contre les arrêts injustifiés. La notion de gaspillage renvoie à l’irresponsabilité de tous les acteurs, des assurés comme des prescripteurs. Elle s’inscrit aussi dans un schéma de représentation d’un droit à la santé1 fondé sur un système de distribution des soins pseudo gratuite puisqu’ « assurée » par un financement collectif en temps réel. Outre les effets pervers engendrés (émergence d’une fraude organisée, effets d’aubaine pour les acteurs « économiques », report des déficits vers les générations futures...), c’est la finalité même du système qui est menacée car chaque euro gaspillé est un euro manquant à la prise en charge d’un bien de santé utile.
2. L’HOSPITALISATION À DOMICILE AU SERVICE D’UNE COORDINATION DES SOINS L’hospitalisation à domicile est appelée à se développer encore, constituant la référence en matière de coordination des soins. Elle est la traduction opérante, sur le terrain, du travail en réseau de l’ensemble des professionnels de santé. Elle constitue en cela un modèle et une référence, notamment pour établir de futurs cahiers des charges aptes à favoriser un développement homogène et efficient des réseaux de santé de demain.
1. G. Vallancien, La santé n’est pas un droit. Manifeste pour une autre médecine, Bourin Éditeur, 2007.
3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Un recours insuffisant à l’ambulatoire Les actes médicaux relèvent de l’ambulatoire lorsqu’ils sont compatibles avec les activités habituelles du malade et lorsqu’ils ne nécessitent pas d’hospitalisation prolongée. L’humanisation des hôpitaux a fait l’objet d’un effort considérable de ces trente dernières années, cette humanisation portant davantage sur l’accueil physique des patients (chambres agréables et claires à un ou deux lits) que sur les relations hôpital public/malades (qualité de l’écoute, prise en compte du malade et de ses attentes en tant que personne). En même temps, l’exigence des consommateurs de soins s’est considérablement accrue, allant de pair avec les nombreuses critiques du système, les associations de malades contribuant largement à ce mouvement salutaire de remise en question des professionnels de santé, tant à l’hôpital qu’au dehors. Bref, si l’on ajoute à ce tableau sommaire quelques touches – comme par exemple les infections nosocomiales ou encore les difficultés pour obtenir les informations contenues dans le dossier médical on voit bien la défiance croissante du citoyen vis-à-vis d’un système hospitalier bureaucratique, froid, impersonnel, fermé et peu transparent. Au total, le malade n’a pas envie d’aller à l’hôpital quand il n’y est pas obligé et n’a pas envie d’y rester plus que de raison ; de son côté, l’hôpital ne veut plus le garder. Aux États-Unis près de 94 % des interventions chirurgicales parmi les actes éligibles sont pratiquées sur le mode ambulatoire avec une organisation spécifique du travail qui place l’anesthésiste réanimateur au centre du disposi-
tif. En effet, c’est lui qui endosse la plupart des responsabilités médico-légales et se prononce sur « l’aptitude à la rue » de l’opéré, qui le soir même va regagner son domicile. L’entourage de ce dernier est mis à contribution et est évalué dans ses capacités à assurer la contrainte de la surveillance, à encadrer le déroulement d’éventuels soins postopératoires dispensés en ambulatoire. Ce type de pratique est particulièrement intéressant pour les enfants et les personnes âgées, permettant de ne pas les couper de leur milieu affectif et concerne une série importante d’interventions courantes telles que hernies inguinales, conisations1 , ablations de kystes du sein, ou encore amygdalectomies, cataractes2 , glaucomes3 . En 2007, la France est encore parmi les derniers pays de l’OCDE en matière de développement de la chirurgie ambulatoire avec seulement 40 % d’actes réalisés parmi les actes éligibles. Des études menées en 2004 par l’Assurance maladie en collaboration avec des établissements de santé ont démontré que, moyennant certains progrès organisationnels, 85 % de la chirurgie pourraient être réalisés sous forme ambulatoire en France. Cependant, la part de l’ambulatoire tend à augmenter depuis plusieurs années : ainsi, si l’on observe les cinq activités chirurgicales les plus fréquentes (cataracte, arthroscopie du genou, varices, végétations et amygdales, extractions dentaires), la chirurgie ambulatoire représentait 36 % des actes réalisés en 1999 et 51 % en 2005. Si cette pratique n’a pas réellement réussi à s’imposer dans les gestes de la routine, les raisons sont nombreuses mais celles d’ordre pratique semblent les plus importantes. Une telle organisation débouche sur un transfert de la charge de travail (surveillance et sécu-
1. La conisation est l’ablation d’une partie du col utérin. 2. La cataracte est une opacification du cristallin qui altère considérablement la vision. 3. Le glaucome est une augmentation de la pression intra-oculaire pouvant entraîner une cécité.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES rité de l’opéré notamment) de l’hôpital vers la famille, avec les conséquences que cela suppose en termes d’emplois : si demain 85 % des interventions chirurgicales réalisées dans notre pays ne nécessitent plus qu’un jour d’hospitalisation au lieu des trois ou quatre habituels, la surcapacité hôtelière de l’hôpital public deviendra criante. Malgré tout, la CNAMTS souhaite atteindre 85 % des interventions réalisées en ambulatoire en 2008 pour 18 actes marqueurs, qui concernent l’ophtalmologie (cataracte et strabisme), l’orthopédie (canal carpien...), le vasculaire, la chirurgie générale et digestive (hernies...), l’ORL et maxillo-faciale, la chirurgie infantile et la gynécologie. Une incitation financière avec l’alignement des tarifs de l’hospitalisation complète sur ceux de la chirurgie ambulatoire pour 15 GHS, et la poursuite du rapprochement des tarifs en général accompagneraient alors la sensibilisation des patients et des médecins traitants, prescripteurs initiaux de la chirurgie ambulatoire.
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Si l’on aborde maintenant les soins médicaux et non plus chirurgicaux, la donne est un peu différente. La prise en charge en médecine ambulatoire s’applique essentiellement aux maladies chroniques, aux personnes handicapées et aux personnes en fin de vie. Dans le domaine des maladies chroniques (insuffisance rénale, cancers stabilisés, insuffisance respiratoire) la prise en charge ambulatoire permet à l’entourage familial de réinvestir un domaine d’où elle était depuis longtemps exclue, en redevenant compétente. On l’entrevoit donc assez bien, de nombreux facteurs concourent à ce que la prise en charge des malades sur le mode ambulatoire ait désormais le vent en poupe, mais avec un certain nombre de conditions qui respectent des équilibres fondamentaux. On assiste à un retour de balancier, avec la nécessité de retrouver les valeurs de la solidarité familiale : solidarité des enfants avec les parents vieillissants et de moins en moins autonomes, des proches de patients
sidéens, mais aussi insuffisants rénaux ou respiratoires, cancéreux en fin de vie. Enfin, on observera que le manque de lits en hospitalisation à domicile (HAD) est criant. Si le postulat, désormais admis, veut qu’à environnement technique et sécurité des patients constants un malade chronique vive mieux chez lui qu’à l’hôpital, les politiques incitatives en matière d’HAD sont insuffisantes. Si la suppression du fameux « taux de change » obligeant à fermer deux lits hospitaliers pour un lit d’HAD créé a été un bon début, il manque encore l’incitation de la promotion de l’HAD tant par les acteurs associatifs que privés.
HAD : plus qu’un concept, un mouvement Une innovation majeure dans la pratique médicale L’HAD fait partie des structures de soins alternatives à l’hospitalisation complète dont le but est d’éviter une hospitalisation à temps complet ou de diminuer sa durée. Elle concerne des malades atteints de pathologies graves, aiguës ou chroniques, évolutives et/ou instables qui, en l’absence d’un tel service, seraient hospitalisés en établissement de santé. Les prestations alors dispensées se distinguent de celles délivrées lors de consultations ou de visites à domicile. Les structures d’HAD permettent d’assurer au domicile du malade, pour une période limitée mais révisable en fonction de l’évolution de l’état de santé, des soins médicaux et paramédicaux continus et nécessairement coordonnés. Ces soins se différencient de ceux habituellement dispensés à domicile, par la complexité et la fréquence des actes. Concernant la philosophie et le fonctionnement, tout service d’hospitalisation à domicile assure une mission de service public et les obligations qui en découlent, à savoir l’accueil des patients sans discrimination et la continuité des
3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation soins. Les structures adhérant à la charte de la Fédération nationale des établissements d’HAD (FNEHAD) s’engagent obligatoirement dans un processus constant de démarche de certification tel que défini par la HAS. Elles mettent en œuvre l’analyse de leur fonctionnement et de leur organisation dans les conditions qui leur permettent de les infléchir dans le sens des conclusions de l’analyse. Les personnes prises en charge à domicile ont accès à cette charte1 . Les principes fondamentaux de l’HAD sont simples : le service du malade est au centre des préoccupations de la structure d’hospitalisation à domicile. Elle est une prise en charge globale, évolutive, qualitative et coordonnée quel que soit l’âge du malade et pour toute pathologie dont les soins sont compatibles avec le domicile. Elle assure une prise en charge avec une équipe pluridisciplinaire : médicale, paramédicale, sociale, administrative et logistique. Elle assure des soins d’intensité et de nature hospitalières apportés au domicile du patient.
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Maillon important et fondamental de la chaîne de soins, l’HAD est capable de s’adapter rapidement aux données épidémiologiques et aux particularismes locaux. La prise en charge en HAD est subordonnée à une prescription médicale par le médecin, et à l’accord écrit du malade ou à défaut de sa famille et du médecin traitant. Des évaluations sont obligatoirement réalisées dans les domaines médical, paramédical, social, logistique, administratif et financier. Les points clés de l’engagement requis pour conduire les missions de l’HAD correspondent aux opérations suivantes : • identifier toute évolution technologique per-
mettant d’améliorer la qualité de la prise en charge et favoriser la formation continue du personnel,
• fournir toutes les informations nécessaires
• •
•
•
•
•
lors de la prise en charge du patient et lui remettre, à son admission, un livret d’accueil, favoriser l’écoute du malade, organiser dans les meilleures conditions, la sortie du patient de l’HAD en veillant à ce que les relais nécessaires soient mis en place, fournir à l’entourage du patient des informations afin de faciliter les aides apportées quotidiennement au malade, respecter les règles déontologiques en vigueur concernant en particulier le secret médical et le secret professionnel, favoriser, dans l’intérêt du patient, toutes les formes de coopération utiles avec tous les intervenants du système sanitaire et social ; gérer les moyens budgétaires alloués dans le respect des règles juridiques, financières et comptables en vigueur et fournir aux autorités de tutelle les données économiques et médicales requises pour la valorisation de l’activité.
Un cadre réglementaire rigoureux2 Tout service d’HAD doit préalablement à son ouverture, avoir obtenu l’agrément (autorisation administrative préalable) de l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH) conformément aux dispositions prévues par le Code de la santé publique et les textes en vigueur. L’autorisation est accordée après examen par la commission exécutive de l’ARH d’une demande comportant : • un dossier technique et financier ; • un dossier administratif, présentant l’opé-
ration envisagée notamment au regard du schéma d’organisation sanitaire, avec un engagement du demandeur sur le volume
1. Site Internet de la FNEHAD : http://www.fnehad.asso.fr/ et de la FEHAP : http://www.fehap.fr/. 2. Articles L. 6121-2, R. 6121-4, R. 6122-32, D. 6124-306 à R. 6124-308 du Code de la santé publique.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES d’activité ou les dépenses à la charge de l’Assurance maladie ; • un dossier relatif aux personnels, faisant apparaître les engagements du demandeur en ce qui concerne les effectifs et la qualification des personnels, notamment médicaux, nécessaires à la réalisation du projet ; • un dossier relatif à l’évaluation comportant la description des indicateurs et méthodes prévus pour apprécier la réalisation des objectifs fixés, ainsi que la description du système de recueil et de traitement des données médicales et administratives nécessaires à la mise en œuvre de l’évaluation.
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Les décrets du 2 octobre 1992 repris depuis dans le Code de santé publique ont donné une définition plus précise de l’HAD et l’ont reconnue comme alternative à l’hospitalisation classique aux côtés des structures d’hospitalisation à temps partiel de jour et de nuit et des structures pratiquant l’anesthésie et la chirurgie ambulatoires. Plusieurs évolutions ont été alors introduites : • la possibilité de prescription d’une prise en
charge à domicile par un médecin de ville (sans passage obligatoire par l’hôpital) ; • la présence d’un médecin coordonnateur au sein de l’équipe (pour organiser le fonctionnement médical de la structure) et d’un cadre infirmier (pour assurer la coordination des interventions des personnels non médicaux) ; • la notion de permanence et de continuité des soins dispensés en HAD (y compris les dimanches et les jours fériés). Une circulaire de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins a récemment complété ce dispositif (circulaire du 31 mai 2000 et complément à cette circulaire en date du 11 décembre 2000). Après avoir défini les missions de l’HAD et précisé sa place parmi les structures de soins à domicile, elle propose une classification des soins délivrés en HAD.
Trois types de séjours sont ainsi établis en fonction de la charge en soins, des types de soins et des moyens techniques mis en œuvre : • les soins ponctuels, définis comme des soins
techniques et complexes, chez des patients ayant une pathologie non stabilisée, pris en charge pour une durée préalablement déterminée et qui peuvent être fréquemment réitérés ; • les soins continus qui associent, pour une durée non déterminée préalablement, des soins techniques plus ou moins complexes, des soins de nursing, de maintien et d’entretien de la vie pouvant aller jusqu’à la phase ultime. Ils concernent des patients ayant une pathologie évolutive ; • la réadaptation au domicile destinée à des patients pris en charge pour une durée déterminée, après la phase aiguë d’une pathologie neurologique, orthopédique, cardiologique ou d’une polypathologie. Afin d’améliorer la prise en charge des patients, cette circulaire a également proposé des recommandations visant à faciliter la collaboration entre les professionnels des secteurs ambulatoire et hospitalier (publics et privés). Le personnel est généralement composé de deux équipes : • une équipe de coordination : médecin coor-
donnateur, cadre infirmier, assistante sociale, secrétariat, comptabilité ; • une ou plusieurs équipes soignantes : Infirmières Diplômées d’État (IDE), aidessoignantes, kinés, puéricultrices...
Le médecin coordonnateur organise le fonctionnement médical de la structure, dans le respect des règles professionnelles et déontologiques en vigueur. Il veille notamment à l’adéquation et à la permanence des prestations fournies aux besoins des patients et à la bonne transmission des dossiers médicaux et de soins nécessaires à la continuité des soins.
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3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation Des conventions de partenariat peuvent être signées avec les acteurs libéraux médicaux et paramédicaux de proximité. Une formation peut être dispensée à ces partenaires privilégiés afin de diffuser des bonnes pratiques ou des protocoles de soins établis par le service de référence. Le personnel peut être salarié de la structure, salarié de toute personne morale ayant passé convention avec ladite structure ou d’exercice libéral lorsque les personnels susvisés sont habilités à pratiquer ce mode d’exercice. Parmi les personnels, toute structure dite d’HAD doit disposer en permanence d’au moins un agent pour six patients pris en charge. Cet agent est selon les cas un auxiliaire médical ou un agent relevant des personnels de rééducation. Le personnel exprimé en équivalent temps plein, autre que les médecins, exerçant dans la structure susvisée est constitué au moins pour moitié d’infirmiers diplômés d’État. Quelle que soit la capacité autorisée de la structure, un cadre infirmier assure la coordination des interventions des personnels non médicaux. La structure comporte en outre au moins un cadre infirmier pour 30 places autorisées. L’admission d’un patient dans une structure d’HAD ainsi que sa sortie sont prononcées par le responsable de ladite structure après avis du médecin coordonnateur. Afin de garantir la sécurité des patients et la coordination des soins, toute structure d’HAD dispose d’un système de communication à distance permettant, 24 h/24, y compris les dimanches et jours fériés, d’assurer une liaison permanente entre les patients, leurs familles et les personnels. Les structures d’HAD sont tenues d’assurer la permanence et la continuité des soins, y compris les dimanches et les jours fériés. Elles garantissent aux patients qu’elles prennent en charge leur transfert, en cas de nécessité, dans
un établissement de santé accueillant en permanence des patients dans les disciplines de médecine et de chirurgie. Dans le cas où la structure ne relève pas d’un établissement comportant les disciplines susvisées, elle est tenue de conclure une convention avec un autre établissement de santé doté de telles disciplines. Toute structure dite d’HAD dispose de locaux spécifiques permettant notamment d’assurer sa gestion et de mettre en œuvre la coordination des prestations de soins et des personnels. Les locaux précités peuvent être organisés sous forme de plusieurs antennes assurant tout ou partie de ces missions.
L’hospitalisation à domicile, pour qui et comment ?1 L’HAD s’adresse à tous les assurés sociaux, quels que soient leur âge et leur pathologie. Ainsi, elle concerne à la fois les adultes et les enfants et permet la prise en charge de toutes les pathologies. L’HAD n’est possible que sur prescription médicale (d’un médecin hospitalier, d’un médecin de clinique ou d’un médecin de ville). Elle intervient soit après une consultation hospitalière, soit à la suite d’une hospitalisation, soit sur proposition du médecin traitant après accord du médecin coordonnateur de l’HAD. La prescription s’effectue pour une durée de 1 à 20 jours reconductibles et le médecin prescripteur établit le protocole de soins. Les soins assurés en HAD concernent tous les types de pathologies. Ainsi, les tumeurs constituent plus du tiers des motifs de prise en charge (35 %), suivies des maladies de l’appareil respiratoire (15 %) et des maladies du système nerveux (12 %). Sont également à l’origine des admissions les maladies infec-
1. M. Jouve (FEHAP), N. Raffy-Pihan (FNEHAD), M. Olivier et P. Le Plat (Fondation la Croix-St-Simon), F. Bernard, A. Febvre (Santé Service Puteaux), « L’hospitalisation à domicile, au-delà des mots », Techniques hospitalières, décembre 1999.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES tieuses et parasitaires (9 %), les traumatismes, les grossesses pathologiques, la surveillance post-partum, les maladies de l’appareil respiratoire, les maladies endocriniennes, les maladies de la nutrition et du métabolisme...
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Les structures d’HAD qui offrent aujourd’hui une prise en charge généraliste ont également développé des pôles de compétence de spécialisation unique ou multiple. Ces choix reposent soit sur la présence d’une demande importante d’une prise en charge, soit sur la nécessité de recours à des techniques communes pour des pathologies différentes. Si certaines structures ont axé leur spécialisation sur les pathologies vasculaires, la pédiatrie (prématurés, enfants atteints de mucoviscidose...), la cancérologie, etc., la vocation de l’HAD n’est pas de se spécialiser. Elle doit rester « généraliste » de manière à mieux assurer la continuité des soins au fur et à mesure de l’évolution de l’état du patient. En particulier, les soins palliatifs ne doivent pas être autonomisés, mais doivent être prodigués par toutes les HAD lorsqu’ils deviennent nécessaires. L’HAD prend en charge les honoraires des médecins et des professionnels paramédicaux libéraux (infirmières, kinésithérapeutes...), les actes de laboratoires d’analyses biologiques, les actes d’imagerie médicale, les frais pharmaceutiques, l’hospitalisation de jour, les transports ambulanciers et le matériel nécessaire (matériel médical, mobilier spécifique, accessoires à usage unique...). L’admission en HAD se prononce en fonction du niveau de soins requis par l’état du patient quelle qu’en soit l’étiologie. L’HAD en terme de niveau de soins se situe toujours au-dessus des Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et en dessous de l’hôpital traditionnel. Les techniques modernes permettent toutefois d’admettre en HAD des malades de plus en plus lourds (quadriplégiques avec troubles de la conscience, trachéo-
tomisés, patients présentant une « poche » après intervention digestive de dérivation, nécessitant une assistance respiratoire, etc.). Le séjour en HAD est certainement plus adapté aux exigences du patient qui se retrouve dans son contexte familial. Infections nosocomiales moindres, plus grand confort psychologique du patient font que 90 % des bénéficiaires de l’HAD se déclarent satisfaits de leur prise en charge et sont prêts à recommencer cette expérience.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? On comptait fin 2006 quelque 160 structures d’HAD en France. À cette date le nombre de lits est évalué à 6 200 lits installés pour 7 500 autorisés (contre 3 908 en 2001)1 . Actuellement, seuls 12 départements (contre 52 en 2001) ne sont pas couverts par l’HAD. Le ministre délégué à la Sécurité sociale s’est fixé comme objectif de porter le nombre de lits à 15 000 d’ici 2010. Une des priorités du Schéma régional d’organisation sanitaire est de développer ce service principalement dans les zones rurales. L’implantation en zone rurale peut faire l’objet de création d’antennes déconcentrées, situées dans des établissements. Le développement en milieu rural doit se faire en favorisant les contrats d’objectifs et de moyens avec les établissements et les services d’HAD. Le fonctionnement des structures est variable, pouvant dépendre directement d’un établissement public comme un service à part entière, ou pouvant être privé en tant qu’association à but non lucratif (Participant au service public hospitalier (PSPH) ou non) : ainsi 40 % des structures sont publiques et 60 % sont privées. Un service associatif est financé par un prix de journée négocié chaque année avec
1. IRDES, L’HAD, une alternative économique pour les soins de suite et de réadaptation, février 2007.
3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation la CRAM. Le prix de journée allait de 57 à 247 euros en 20001 ; quant au coût moyen global de l’hospitalisation à domicile, il est estimé à environ 140 euros par journée, ce qui reste bien inférieur au prix de l’hospitalisation traditionnelle.
La coordination
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
« Agencement logique des parties d’un tout, en vue d’obtenir un résultat déterminé. »
Cette définition du Petit Robert semble écrite spécifiquement pour l’univers de la santé, pour le malade comme « tout » dont des morceaux seraient éparpillés entre chacun des professionnels, chacun des acteurs du système œuvrant autour de lui. Avec l’hyper-spécialisation de la médecine, déjà, l’individu se trouve artificiellement segmenté, anatomiquement découpé et chaque organe a son docteur : ophtalmologiste, cardiologue, urologue, phlébologue, psychologue, diabétologue... Sur ce versant purement « médical » de la personne, ces territoires de spécialités ne sont pas étanches, ne peuvent s’ignorer : le diabétologue doit connaître l’état rétinien de ses patients et les conclusions de l’ophtalmologue sont essentielles pour la conduite du traitement. De même, le néphrologue aura son mot à dire tant cette maladie importe sur l’état rénal et la suite des événements : dialyse, greffe éventuellement. Un véritable colloque devrait exister entre ces différentes spécialités pour des prises de décision intégrant le point de vue du patient, décisions qui seraient ainsi « coordonnées ». Si ce type de colloque se produit parfois à l’hôpital, il n’en est rien en médecine ambulatoire, pour des raisons évidentes de faisabilité. Cependant, au centre du dispositif, recueillant toutes les informations nécessaires, le médecin
généraliste tient ce rôle pivot de coordonnateur. Il connaît les avis spécialisés de tous les intervenants, toutes leurs prescriptions médicamenteuses, toutes leurs recommandations et décisions. On est bien dans l’agencement logique des parties d’information constituant un tout – le malade – en vue d’obtenir pour lui un résultat de santé le meilleur possible. La situation se complique un peu lorsqu’à ce versant relevant de la pure technique médicale, s’ajoute un pan social, environnemental. C’est le cas de la personne âgée dépendante ou de l’adulte porteur d’un handicap, qu’il soit psychologique ou moteur. Aux problèmes simplement « organiques » viennent s’additionner des problèmes d’aide, de toilette, de repas, de surveillance, de sécurité dans le maintien à domicile. Qui s’assure alors que l’infirmière passe régulièrement pour dispenser les soins, que le kiné en fait de même, qu’il n’existe pas de discontinuité dans la prise en charge, pour une raison ou une autre ? Qui tient ce rôle de « superviseur », disposant d’une vision globale tant médicale que sociale, afin que le malade bénéficie d’une véritable « continuité de service » ? Ce lien ne peut être généré que par une structuration de la prise en charge, avec un outil qui peine encore à s’imposer : le réseau. Il est nécessaire qu’existe un chef d’orchestre et que la partition soit écrite, connue de tous, jouée sans cacophonie, pour le plus grand bien du malade. On entre dans les domaines de la procédure, du protocole et du contrat, avec toutes les difficultés culturelles qui ont déjà été évoquées expliquant la lenteur du changement. Une véritable culture de l’information globale à propos du malade, du partage des responsabilités et des territoires dans une approche pluridisciplinaire et, justement, « coordonnée ».
1. CREDES, « Le coût de prise en charge en hospitalisation à domicile », Question d’économies de la santé, n◦ 67, juin 2003.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES En finir avec les redondances ou au contraire les lacunes dans la prise en charge des patients, tout aussi graves l’une que l’autre, optimiser les trajectoires de ceux-ci entre les différents acteurs du système, bref coordonner au lieu de laisser filer. C’est là que l’idée de réseau apparaît un tant soit peu ésotérique, tant elle en cache et en contient plein d’autres. Tentons donc en premier lieu d’éclairer le concept en citant les différentes définitions établies par le Collège des économistes de la santé. • Services intégrés : ensemble de services
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mis en œuvre pour une population sur un territoire, par une même entreprise ou organisation, qui les rassemble sous un même pouvoir de décision ; • Réseau ou coordination : organisation volontaire de professionnels, pouvant inclure des bénévoles, qui mettent en commun leurs moyens, leurs ressources, pour développer des actions d’information, d’aide et de soins, de prévention, desti-
Encadré 3.2
nées à résoudre des situations complexes ou urgentes, identifiées comme prioritaires sur un territoire selon des critères élaborés au préalable en concertation ; • Filière : trajectoire d’une personne ou d’un
patient dans un réseau ou un ensemble intégré ; cette trajectoire est légitimée, soit par l’état des connaissances scientifiques, soit par l’expérience professionnelle, soit par des logiques réglementaires ou tarifaires. Une trajectoire est un parcours effectué par une personne ou un patient dans un dispositif d’offre de services ou de soins ; ce parcours se caractérise par des passages d’un service à un autre, par un temps de passage dans un service, par des ensembles d’aides et de soins.
Un historique s’impose par ailleurs. Le plan Juppé a initié un cadre à des systèmes émergents dont la chronologie synthétique serait la suivante.
Bref historique
• 1980 : Naissance des réseaux ville-hôpital • 1996 : Naissance des réseaux inter-établissements et des réseaux expérimentaux et publications
de circulaires de la Direction générale de la santé relatives à la promotion du travail en réseau : 1996 sur l’alcool, 1995 sur l’hépatite C, 1994 sur la toxicomanie, 1993 sur les réseaux de proximité, 1991 sur le Sida • 1999 : Les réseaux ambulatoires soutenus par le Fonds d’aide à la qualité des soins de ville • 2001 : La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2001 (LFSS) : prorogation de 5 ans des réseaux Soubie et transfert de compétences vers l’ARH • 2002 : La LFSS pour 2002 (JO du 21 décembre 2001) ; La loi sur le droit des malades et la modernisation du système de santé (JO du 5 mars 2002)
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation Ainsi, depuis 2002, il existe un seul statut juridique des réseaux (article L. 6321-1 du Code de la santé publique1 ) et il n’est pas nécessaire d’obtenir un agrément formel, si ce n’est le « feu vert » donné par les directeurs de l’ARH et de l’URCAM, qui ouvre droit à un financement spécifique (la « cinquième enveloppe ») créé par la LFSS de 2002. Cependant, il existe aujourd’hui de nombreux types de réseaux officiels, sans référence commune, obéissant à des régimes juridiques et financiers différents et surtout de nombreux réseaux hors cadre réglementaire. Qu’il s’agisse de réseaux ville/hôpital, de dispositifs de coopération, de dispositifs de coordination et de continuité des soins conventionnels ou encore de réseaux expérimentaux ambulatoires ou réseaux dits « Soubie », ces dispositifs sont soumis à une évaluation stricte. Le cadre expérimental est conçu afin de déroger au système actuel de prise en charge des patients, de rémunérer les professionnels de santé différemment et pour des actions nouvelles comme la prévention, l’éducation des patients, la coordination des soins, de participer à la réorganisation du système de soins par le rapprochement des pratiques à vocation sociale et hospitalière... Les dépenses liées à la prise en charge des patients et aux rémunérations des professionnels de santé s’imputent sur le compte « risque » des caisses et sur l’enveloppe nationale des soins de ville. L’activité principale des structures existantes a pour but l’amélioration de la qualité des soins ainsi que la coordination médicale autour de la prise en charge des patients. L’initiative du réseau est ouverte à tous types de promoteurs, y
compris les Caisses d’Assurance maladie. Leur création est soumise à une procédure spécifique, débouchant sur un examen par une commission (ex. commission « Soubie ») et, le cas échéant, sur un agrément ministériel pour trois années. Les organisations possibles répondent aujourd’hui à quatre schémas : • Les réseaux ville/hôpital : ils sont inscrits
dans le Code de la santé publique en 1996 (VIH, hépatite C, toxicomanie, alcoolisme, précarité...). La convention constitutive de ces réseaux est agréée par le directeur de l’ARH ; • Les dispositifs de coopération hospitalière : ce sont des communautés de pratiques hospitalières et de prestations de services nées de la loi hospitalière de 1991, souvent proches des réseaux par la complémentarité des actions et la formalisation des accords qu’ils induisent et qui relèvent de l’autorité de l’ARH ; • Les dispositifs de coordination des soins conventionnels : inexistants, leur principe est autorisé par le Code de la Sécurité sociale et repris dans la convention des médecins généralistes et spécialistes. Ces réseaux relèvent de la responsabilité des partenaires conventionnels ; • Les filières et réseaux expérimentaux ambulatoires ou réseaux « Soubie » : créés par l’ordonnance de 1996, ils concernent principalement les acteurs du champ ambulatoire : 19 réseaux ont pu être agréés dans ce cadre (tableau 3.1). L’artificielle distinction entre réseau de santé, dépendant du directeur de l’ARH, et réseau de
1. Article L. 6321-1 du CSP, « Les réseaux de santé ont pour objet de favoriser l’accès aux soins, la coordination, la continuité ou l’interdisciplinarité des prises en charge sanitaires, notamment de celles qui sont spécifiques à certaines populations, pathologies ou activités sanitaires. Ils assurent une prise en charge adaptée aux besoins de la personne tant sur le plan de l’éducation de la santé, de la prévention, du diagnostic, que des soins. Ils peuvent participer à des actions de santé publique...»
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES Tableau 3.1. Les réseaux « Soubie » en 2002. Noms
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Lieux
Promoteurs
Prophylaxie et soins dentaires chez l’enfant (03.09.98)
Tout département métropolitain pour les enfants ayants droit du régime agricole) de 7 à 12 ans et région Poitou-Charentes pour les enfants de 12 ans
Caisse centrale de mutualité sociale agricole (CCMSA) et la Confédération nationale des syndicats dentaires
Partenaires Santé (30.09.1999)
12 cantons du département de l’Allier, 11 du département des Côtes d’Armor et 14 des Pyrénées-Atlantiques.
Groupama et CCMSA
Réseau de soins palliatifs (26.11.1999)
CPAM des Hautes-Pyrénées(à l’origine) et MSA des Hautes-Pyrénées (depuis le Département des Hautes-Pyrénées 17 octobre 2000), Société pyrénéenne de soins palliatifs, professionnels libéraux et établissements de soins
Développement de la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique (26.11.1999)
Département de l’Ain, de la Côte-d’Or, du Doubs, du Jura, de la Associations Aider-Bourgogne et Haute-Saône, de la Saône-et-Loire, Osmose Franche-Comté. de l’Yonne, du Territoire de Belfort
Oncorese, réseau de soins palliatifs et de chimiothérapie à domicile (26.11.1999)
Département de la Corrèze
Réseaux gérontologiques expérimentaux (30.03.2000)
19 sites dans les départements suivants : Aude, Cantal, Charente-Maritime, Côte-d’Or, Dordogne, Doubs, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher, Loiret, Lot-et-Garonne, CCMSA Maine-et-Loire, Haute-Marne, Nièvre, Pas-de-Calais, Pyrénées-Atlantiques, Saône-et-Loire, Seine-Maritime, Deux-Sèvres et Somme.
CPAM de la Corrèze et CH de Brive
Réseau « Intégrale Santé » (01.08.2000)
Arrondissement de Lens-Béthune
Association de professionnels de santé de Lens, CAPAM, groupe Médéric-Prévoyance et Groupe Prévéa
Réseau de soins palliatifs à domicile (17.10.2000)
Département de la Haute-Loire
Association ReSoPad 43
Parad. soins coordonnées aux patients « en difficulté avec l’alcool » (06.12.2000)
Département du Puy-de-Dôme
Association, CHU de Clermont-Ferrand, professionnels de santé libéraux, travailleurs sociaux
Réseau de soins palliatifs à domicile du Faucigny (23.03.2001)
10 cantons de Haute-Savoie
Association « Soins palliatifs à domicile » (Spad).
Surveillance postopératoire à domicile (Spod) (02.08.2001)
Limoges et département de la Haute-Vienne
CHU de Limoges
3 • Une offre de soins de ville à la recherche d’optimisation Tableau 3.1. (suite) GT 69. Prise en charge de toxicomanes en libéral (02.08.2001)
Arrondissement de Lyon
Association « Généralistes et Toxicomanie 69 » et CPAM
Revediab, Réseau expérimental Val-de-Marne-Essonne de soins aux diabétiques de type 2 (02.08.2001)
Départements de l’Essonne et du Val-de- Marne
Association « Diabète 94 »
Rediab, réseau diabète (24.08.2001)
Département du Pas-de-Calais
Association Rediab Nord-Pas-de-Calais en partenariat avec la CPAM de Boulogne-sur-Mer
Réseau gérontologique du pays de Retz (44) (07.11.2001)
18 communes de Loire-Atlantique
Association de gérontologie clinique de l’estuaire de la Loire (AGCEL)
Douleur 77, évaluation et traitement de la douleur chronique Arrêté du 19.03.2001. JO n◦ 297 du 22.12.2001
Département de la Seine-et-Marne
Association Douleur 77
Prise en charge des urgences vitales en Bourgogne centrale (19.12.2001)
Dix cantons de la Nièvre situés à plus de trente minutes d’un SMUR
Association des médecins libéraux pour l’urgence vitale de la Nièvre (AMLUV 58).
Filière de prise en charge globale Département du Maine-et-Loire (49) Association Diabète 49 des personnes atteintes de diabète (19.12.2001) Qualivie, réseaude stratégie préventive en gérontologie (19.12.2001)
Département des Alpes-Maritimes
Association Qualivie, CPAM et Mutualité française des Alpes-Maritimes
Source : Espace social européen, du 8 au 14/03/2002.
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soins régis par le Code de la Sécurité sociale a conduit à une disparité criante : tandis que les hospitaliers échafaudaient quelques 120 projets, de leur côté les libéraux en faisaient aboutir à peine 20 en passant par le Conseil d’orientation des filières et réseaux expérimentaux. Dans le domaine gériatrique, en particulier, comment envisager autrement une gestion optimisée de l’environnement médico-social de la personne âgée ? Par définition porteuse de polypathologies, de handicaps fonctionnels, celle-ci doit bénéficier de services non médicaux : repas, soins d’hygiène et toilette, rééducation ou entretien de l’appareil locomoteur, autant d’interventions permettant le maintien d’une « vie sociale à domicile ». Ceci implique la présence d’aides ménagères et d’auxiliaires de vie, un environnement intérieur adapté, et l’aide
de la famille. Sur le plan médical, la prise en charge doit être le plus possible axée sur la prévention : prévention de la iatrogénie par une bonne coordination entre prescripteurs différents, prévention du déclin cognitif, prévention des chutes par une adaptation de l’habitat. Toute autre solution que celle du réseau articulant des professionnels de santé autour de la personne âgée ne peut être que parcellaire et donc, à terme, inefficace. Le nombre et la complexité des pathologies, leurs processus évolutifs propres, le terrain sur lequel elles se greffent, l’environnement socio-économique sont autant de dimensions à prendre en compte, nécessitant des interventions multiples et spécialisées. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de mai 2006, sur le fonctionne-
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES ment des fonds de financement des réseaux de santé, met en cause la gestion des procédures, le financement, ainsi que l’utilité même de certaines initiatives. Il recommande de mettre les pouvoirs publics au cœur du financement des réseaux. L’aspect financier globalement négatif met en cause la démarche même de ces réseaux puisqu’ils ne paraissent pas répondre à la volonté de rénovation de l’offre de soins, des pratiques professionnelles, des modes de prise en charge des patients, du service médical rendu. Pour l’IGAS, il conviendrait de créer un fonds unique entièrement dédié au financement des innovations, définir un cahier des charges pour chaque type de réseaux, simplifier la réglementation existante jugée trop complexe
et former les professionnels de ces réseaux tant sur le plan gestionnaire que médical. En effet, constituer un réseau ne s’improvise pas et il convient, avant toute généralisation, de dresser un bilan complet des expériences réussies. Ce point de vue est partagé par un certain nombre d’observateurs1 . Si la nécessité des réseaux n’est pas en cause, l’optimisation de leurs conditions de fonctionnement pose question. Autant il était utile d’abandonner les excès de formalisation des réseaux « Soubie », autant il sera sans doute nécessaire d’optimiser les modalités d’intervention des différents acteurs dans les réseaux de demain !
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1. R. Fromentin, « L’évaluation des réseaux de soins devient indispensable », Espace social européen, 12-18 mai 2006. Pour lui, les réseaux constituent un enjeu pour l’avenir en termes d’aménagement du territoire, de pénurie de moyens...
Chapitre 4 Un système hospitalier en mutation
PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
PLAN DU CHAPITRE
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1. Hospitalo-centrisme et nouvelle gouvernance Le poids de l’histoire 1991-2005 : réforme et pilotage régional Les plans hôpital 2007 et 2012 Les facteurs de blocage de la période récente Quand la gouvernance de l’hôpital rejoint celle du système de santé...
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2. Le prix de l’hospitalisation Le PMSI, une entité complexe Des enjeux multiples, pas seulement économiques La tarification à l’activité : une réforme attendue
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4 • Un système hospitalier en mutation
1. HOSPITALO-CENTRISME ET NOUVELLE GOUVERNANCE Restructurations hospitalières, tarification à l’activité, schémas régionaux d’organisation sanitaire, contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens... autant de mesures qui traduisent les efforts de l’hôpital pour s’adapter aux transformations du système de santé. L’hôpital français demeure une référence technique mais est-il un modèle d’efficience organisationnelle ? L’État qui en assure la gestion directe ne parvient pas à réformer son fonctionnement en profondeur. L’hôpital a d’autant plus de mal à s’ouvrir qu’il apparaît souvent comme un lieu de cloisonnement et de luttes catégorielles. Un espoir cependant : les plans hôpital 2007 et 2012 tracent des pistes ambitieuses de réforme autour desquelles les acteurs hospitaliers tentent de se mobiliser.
Le poids de l’histoire
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L’histoire de l’hôpital traduit l’évolution d’un lieu d’enfermement vers une structure ouverte. Après avoir franchi successivement les étapes de la charité, de la bienfaisance et de l’humanisme, l’hôpital s’est progressivement médicalisé, socialisé et industrialisé. À l’issue de la seconde guerre mondiale, la solvabilisation de sa clientèle étant garantie par l’Assurance maladie, l’hôpital va asseoir son développement sur les progrès techniques. À partir des lois Debré de 1958, l’hôpital, et notamment le centre hospitalo-universitaire, est devenu la colonne vertébrale de notre système de santé à l’image de l’État providence qui culmine dans son rôle de planificateurrégulateur y compris dans le domaine de l’industrie. L’État a depuis renoncé à gérer l’économie, a rappelé ses capitaines d’industrie, considérant de plus en plus l’économie marchande comme un état de fait, et s’est replié sur ses activités régaliennes dont fait partie la santé publique. L’État, en tant que gestionnaire de
l’hôpital, a réussi à contenir la progression des coûts de fonctionnement d’un poste qui représente un peu moins de la moitié des dépenses d’assurance maladie et dont près des trois quarts sont constitués des frais de personnel1 ... Cette maîtrise « comptable » ne s’est pas toujours accompagnée de la modernisation attendue de la gestion des hôpitaux malgré les trains de réforme lancés dans les années 1990 et reconduits en ce début de XXIe siècle. Le paysage hospitalier se compose aujourd’hui d’environ 3 000 établissements dont un millier d’établissements publics (de taille et de rôle inégaux, allant du petit hôpital rural de long séjour au gros centre hospitalouniversitaire dans lequel s’intègre la faculté de médecine), d’un peu moins de 900 établissements privés à but non lucratif participant au service public hospitalier et d’un peu plus de 1 100 établissements privés à but lucratif. La France est ainsi le pays qui compte le plus grand nombre d’établissements de soins au monde, publics et privés (un établissement pour 20 000 personnes, soit deux fois plus que la moyenne européenne).
1. Cour des comptes, Les personnels des établissements publics de santé, mai 2006. Selon ce rapport les hôpitaux publics emploient près de 860 000 personnes (765 000 équivalents temps plein (ETP) dont environ 100 000 médecins (55 000 ETP) représentant 70 % de leurs dépenses et un quart des charges de l’Assurance maladie, soit 38 milliards en 2004.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES Pendant longtemps, l’hôpital est resté une forteresse technique complexe et cloisonnée où dominait le pouvoir médical, où le médecin traitant était inconnu, où la continuité des prises en charge était source de conflits entre les services, où le dossier médical du malade était inaccessible, où la technique effaçait le relationnel et où les allocations internes de ressources relevaient plus des jeux d’influence que de procédures d’évaluation rationnelle des activités, a fortiori si celles-ci se situaient hors du plateau technique.
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L’hôpital s’est industrialisé en devenant une usine à soins codifiant les stratégies thérapeutiques au fur et à mesure de leur éclatement, planifiant les ressources, prescrivant tour à tour : les circuits de prise en charge et d’informations, les protocoles de soins, les trajectoires des patients en fonction de pathologies mais aussi de l’âge, du sexe, de l’état de gravité... Ceci étant, ce formatage industriel a davantage concerné les activités de soins que les autres, d’où les déficits organisationnels dans la relation de service, la fonction sociale ou les processus supports de gestion. L’hôpital est devenu le lieu où convergent de multiples médecines techniques apportant chacune leur contribution au diagnostic et aux soins du malade. La profession médicale s’est segmentée à l’image des disciplines représentées autour de plateaux techniques sophistiqués où brillent les grands patrons médiatisés. Cependant l’hôpital demeure une organisation complexe où cohabitent des entités très diverses : administratives (direction, secrétariats, gestion des entrées, services informatiques...), hôtelières (cuisines, blanchisseries...) et techniques (blocs opératoires, laboratoires, pharmacie, imagerie...) qui développent des logiques organisationnelles propres, sans pour autant considérer l’hôpital comme une organisation globale au service... de ses malades. Cependant, depuis quelques années, on observe la mise en place d’une organisation plus cohé-
rente du service hospitalier, désormais ordonnée selon trois niveaux : l’accueil de proximité, le pôle de recours et un plateau technique disposant d’une offre médicale, chirurgicale, obstétricale et de réanimation. Dans le domaine hospitalier comme dans celui de la médecine de ville, les ordonnances de 1996 ont posé de nombreux jalons d’une réforme demeurée à peine ébauchée.
1991-2005 : réforme et pilotage régional Les textes de 1996, outre le transfert au Parlement du taux de progression des dépenses hospitalières, vont établir trois nouveaux grands principes de gestion : la déconcentration régionale de la politique hospitalière, le décloisonnement externe de l’hôpital, la mise en place d’une politique d’accréditation, puis de certification des soins et des établissements. La loi du 31 juillet 1991 a ouvert la voie en créant les Schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS) afin de recomposer le tissu hospitalier et d’adapter l’offre de soins. L’ordonnance du 24 avril 1996 a mis en place des agences régionales d’hospitalisation (ARH) qui se chargent des procédures d’autorisation, de planification et d’allocation de ressources tandis que leurs directeurs sont nommés par le gouvernement afin d’avoir suffisamment de poids vis-à-vis des préfets et des lobbies du monde de la santé. Ces directeurs sont ainsi responsables des SROS, arrêtés en cohérence avec les priorités dégagées par les conférences régionales de santé. Au principe de déconcentration du pouvoir d’État s’ajoute celui de la contractualisation avec les établissements (contrats d’objectifs et de moyens). Des progrès ont été obtenus : meilleure lisibilité de la politique hospitalière, meilleure appropriation des priorités et, consécutivement,
4 • Un système hospitalier en mutation de l’acceptation des allocations de ressources, émergence d’un dialogue constructif lors de la contractualisation... Pour autant, la nouvelle planification régionale hospitalière n’a pas abouti à la rationalisation attendue du tissu hospitalier s’agissant notamment des missions respectives des différents établissements. Les ouvertures avec les secteurs médicosocial et ambulatoire sont insuffisantes, la fongibilité des enveloppes ville/hôpital ne peut être gérée du fait de l’étanchéité de gestion entre les deux secteurs, et les acteurs concernés sont encore trop nombreux pour parvenir au niveau attendu de coopération. Chacune des parties dispose de ses propres modes de pilotage de surcroît éclatés (ARH, DRASS, DDASS, URCAM, CRAM, Service Médical), sans compter que l’État « central » (ministère, Préfet de région...) reprend parfois la main... Concernant la nécessaire réorganisation structurelle de l’offre de soins hospitalière, les principes suivants ont présidé à la conception des SROS de 3e génération : • concertation, par l’élargissement du péri-
mètre des conférences sanitaires à de nouveaux partenaires, notamment les élus ;
• décentralisation, par la délégation qui est
faite à ces conférences d’élaborer les projets médicaux de territoire ;
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• déconcentration, puisqu’à l’occasion de la
suppression de la carte sanitaire remplacée par les objectifs quantifiés, toute la responsabilité des autorisations d’activité ou d’équipement est désormais dévolue à l’ARH, tant qu’il s’agit de décisions à caractère régional.
L’avènement des nouveaux territoires de santé et la singularité des SROS 3 qui réside dans leur caractère opposable, laissent entrevoir un nouveau mode de gouvernance au sein de l’hôpital. Les cliniques et hôpitaux sont financièrement comptables des objectifs arrêtés pour chacun, ces objectifs étant désormais fixés en termes de volume d’activité (l’interface entre les orientations du schéma et les établissements de santé s’effectuera au moyen de contrats d’objectifs conclus avec l’ARH dans le cadre d’un projet médical de territoire). De plus, ces SROS comprennent tous seize volets1 (les directeurs d’ARH ayant toute latitude pour intégrer des thèmes non cités dans l’arrêté2 ) pour lesquels ils organisent, chaque fois que c’est possible, une offre de soins graduée, sur le modèle de ce qui a été fait pour les maternités. Cette nouvelle conception des territoires de santé, qui concentrent notamment les soins lourds dont la chirurgie, est axée sur une approche pragmatique des besoins. Il s’agit dans le même temps de développer les alternatives à l’hospitalisation complète : hospitalisation à domicile et chirurgie ambulatoire. La fermeture d’établissements constitue une opération difficile compte tenu des incidences en termes de fiscalité et d’emplois pour les collectivités locales ; les maires continuent d’ailleurs de présider les conseils d’administration des hôpitaux... À défaut de recomposer le tissu hospitalier, ce sont des stratégies de mutualisation et d’ouverture qui vont être mises en place : groupements de coopération sanitaire, réseaux de soins avec les praticiens de ville, rassemblant autour du malade des compétences pluridisciplinaires.
1. Médecine ; chirurgie ; périnatalité ; soins de suite, rééducation et réadaptation fonctionnelle ; hospitalisation à domicile ; urgences et leur articulation avec la permanence des soins ; réanimation, soins intensifs et soins continus ; imagerie médicale ; techniques interventionnelles utilisant l’imagerie médicale ; insuffisance rénale chronique ; psychiatrie et santé mentale ; personnes âgées ; enfants et adolescents ; cancer ; soins palliatifs ; prise en charge des patients cérébro-lésés et traumatisés médullaires. 2. Arrêté du 27 avril 2004.
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
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L’ordonnance du 24 avril 1996 a créé l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES), devenue depuis la loi de réforme de l’Assurance maladie de 2004 la Haute Autorité de santé (HAS), en vue notamment d’engager les établissements dans des évaluations externes de la qualité et de la sécurité des soins menées par des experts à l’aide de référentiels. Cette procédure a reçu également une nouvelle dénomination depuis la loi de réforme de l’Assurance maladie : elle est devenue la procédure de certification. La démarche de certification présente trois étapes :
avec les priorités affichées dans les SROS, de poursuivre la mise aux normes de sécurité, d’achever la rénovation des services d’urgence et enfin de développer les systèmes d’information hospitaliers, la dépense informatique hospitalière devant passer de 1,7 % (2006) à 3 % minimum en 2012... Il s’agit aussi de poursuivre les efforts d’optimisation de la recherche dans la continuité de l’ordonnance du 3 mai 2005 qui a rendu obligatoire la contractualisation du volet recherche entre le CHU et l’ARH, en vue de disposer d’une recherche mieux structurée, mieux coordonnée et mieux évaluée.
1. une étape d’autoévaluation par l’établissement qui confronte ses pratiques au référentiel fourni par la HAS (manuel de certification) ;
La régionalisation de la gestion
2. une visite par les experts visiteurs de la HAS qui évaluent l’organisation et les pratiques de l’établissement au regard du référentiel, ainsi que l’efficacité de la dynamique d’amélioration mise en œuvre pour corriger les dysfonctionnements identifiés ; 3. un rapport incluant les décisions de la HAS sur le niveau de certification de l’établissement.
Les plans hôpital 2007 et 2012 Le plan 2007 visait à transformer la réforme « décrétée » en réforme déléguée et concertée d’où deux grands volets, l’un qui allège et régionalise la gestion par des mesures immédiatement lisibles, l’autre qui envisage la modernisation de la gestion interne et l’appropriation de la réforme par les acteurs hospitaliers euxmêmes. Quant au plan 2012, il prolonge l’effort financier engagé dans le précédent plan, mais dans une logique de maîtrise des dépenses et de retour sur investissement en termes économiques et de qualité des soins. Ses quatre priorités sont d’articuler les investissements
La stratégie adoptée consiste à sortir définitivement de la centralisation et de la planification de la gestion en allégeant et déconcentrant les procédures (autorisations, achats) au profit de la Région, en valorisant la coopération entre les secteurs public et privé, en relançant enfin l’investissement pour donner du corps à la réforme. En premier lieu, la carte sanitaire qui planifie la répartition des équipements sur le territoire en fonction d’indices de besoins par habitant et de quotas de matériels disparaît au profit d’annexes spécifiques aux SROS comprenant alors toutes les autorisations nécessaires de fonctionnement et leur durée. Il est important de souligner que la planification sanitaire centrale n’a permis ni de répondre aux besoins, ni de compenser les inégalités entre régions, ni d’équiper le pays à un niveau satisfaisant d’équipements lourds sachant qu’une procédure d’autorisation pouvait s’avérer parfois plus longue que la durée d’amortissement du matériel souhaité. Il s’agit donc d’accélérer et de déconcentrer les procédures vers les ARH qui accordent ou pas les autorisations en fonction des équipements répondant aux besoins. Les activités sont appréhendées par bassins de santé dans un seul SROS qui intègre aussi les soins palliatifs et regroupe
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4 • Un système hospitalier en mutation les champs de compétence somatique et psychiatrique. Outre des procédures d’achat modernisées et adaptées, il est prévu de faciliter les coopérations sanitaires entre établissements publics, privés participant au service public hospitalier et médecins de ville, l’objectif étant d’opérer un meilleur partage des ressources (plateaux techniques, équipements, lits, gardes communes...). Au-delà, le plan 2012 met l’accent sur les missions des ARH concernant la poursuite des regroupements et des restructurations des plateaux techniques en médecine, chirurgie et obstétrique et la mise en service d’établissements de soins de suite et de réadaptation « afin de garantir le maintien d’un niveau de soins primaires de bonne qualité ». Les esprits sont plus ouverts aux restructurations devant accompagner la graduation de l’offre de soins territoriale. En écho au rapport Vallancien1 , les ARH sont invitées à reconvertir ou supprimer les sites chirurgicaux en sous-activité (le rapport préconise la fermeture sans délai de 113 blocs opératoires effectuant moins de 2 000 actes par an et n’assurant pas les conditions de sécurité requises). Les conseils d’administration des établissements doivent désormais établir un état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD) au 1er décembre de chaque année, transmis au directeur de l’ARH. En cas de refus de vote ou de refus d’adoption de l’EPRD par le Conseil d’administration, le directeur de l’ARH arrête l’EPRD qui présente alors un caractère limitatif. À défaut d’approbation ou d’opposition expresse de l’ARH, l’EPRD est exécutoire de plein droit au bout de 30 jours. L’aspect le plus innovant de ces deux plans concerne la relance de l’investissement alors même que le taux de vétusté des équipements dépassait les 68 % en 2000 ! Une aide de 16 milliards d’euros a donc été prévue sur 1. Rapport Vallancien, avril 2006.
10 ans afin de favoriser tous types d’investissements (immobilier, informatique, équipements lourds...). Il s’agit de combiner apports en capital et apports en exploitation et de diversifier les financements... Là encore, ce sont les ARH qui répartissent les crédits entre établissements, après cadrage national et éventuellement, au final, un redéploiement interrégional des enveloppes non utilisées. Le plan Hôpital 2012 insiste particulièrement sur la mise aux normes de sécurité : ainsi, une enveloppe nationale est affectée au financement des opérations exceptionnelles (risques sismiques, désamiantage) et les ARH devront intégrer systématiquement dans tout nouveau projet le rafraîchissement ou la climatisation des services, en plus de la mise aux normes de sécurité incendie. De plus, il mentionne qu’en cas de construction de nouvel établissement hospitalier, celle-ci devra se faire dans une logique de développement durable et de réduction des dépenses énergétiques.
La mise en œuvre de la nouvelle gouvernance L’évolution de l’organisation interne de l’hôpital et de ses modes de fonctionnement constitue le second volet du plan 2007. La méthode se veut pragmatique dans un contexte conflictuel latent. Le plan 2007 entend ainsi reprendre un chantier ouvert par les prédécesseurs quant aux objectifs : généralisation des pôles d’activité, de la contractualisation interne étendue jusqu’au Conseil d’administration, assouplissement des règles de gestion budgétaire et des modalités d’achat... Le projet entend également rénover la gestion des ressources humaines : intéressement individuel, nouveaux modes de rémunération pour les médecins, marges de manœuvre supplémentaires pour le directeur, recrutement déconcentré des praticiens hospitaliers. Les CHU font
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES l’objet d’une réflexion spécifique sur l’innovation, le recrutement des chercheurs et des enseignants et les modalités de coopération interrégionale. Qui gouverne et comment est géré l’hôpital aujourd’hui ? Plus qu’un centre de responsabilités, c’est un lieu d’affrontement de pouvoirs multiples, plus qu’un établissement public autonome, c’est un service de plus en plus étatisé, envahi de circulaires centrales. Les ordonnances du 2 mai et du 1er septembre 2005 ont organisé la nouvelle gouvernance de l’hôpital. Elles restructurent l’organisation interne de l’hôpital par plusieurs mesures : le renforcement de la Commission médicale d’établissement (CME), la création d’un Conseil exécutif (CE), le découpage en pôles d’activité (en remplacement des services et départements) et la contractualisation. • Le Conseil d’administration tout d’abord,
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conserve sa mission traditionnelle (il définit la stratégie de l’établissement à travers son projet) et se voit confier la politique d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, l’organisation interne en pôles d’activité et la contractualisation. Il est également chargé de l’évaluation de la marche générale de l’établissement et du fonctionnement des pôles. • La CME voit ses pouvoirs étendus puisqu’elle n’est plus seulement consultée sur les projets médicaux mais sur tous les projets du Conseil d’administration, sur la nomination des responsables des pôles, sur les conditions d’exécution des contrats internes. Elle intervient également sur les questions individuelles relatives au recrutement et à la carrière des praticiens hospitaliers et prépare le projet médical et les plans de formation continue et d’évaluation des pratiques professionnelles. La nouvelle commission des soins infirmiers médico-techniques et de rééducation est chargée de l’amélioration de la qualité et de la sécurité, et de l’organisation
des soins qui relève de son domaine. Au même titre que le comité technique d’établissement, elle donne son avis sur tous les projets soumis à délibération du Conseil d’administration. • Véritable nouveauté de cette gouvernance,
le Conseil exécutif, composé paritairement des médecins (dont le président de la CME) et de responsables administratifs (dont le directeur qui en assure la présidence et a une voix prépondérante) se voit attribuer des compétences très larges. En effet, il prépare les mesures nécessaires à l’élaboration et à la mise en œuvre du projet d’établissement et du Contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, dont il coordonne et suit l’exécution. Le CE élabore également le projet médical ainsi que les plans de formation et d’évaluation. Il contribue à l’élaboration et à la mise en œuvre des plans de redressement, donne un avis sur la nomination des responsables de pôles d’activité et peut faire appel à des conseillers généraux des établissements de santé, placés auprès du ministre de la Santé pour qu’ils proposent, entre autres, toutes mesures propres à améliorer les fonctionnements de l’établissement, ou encore toutes enquêtes ou études portant sur la gestion administrative et financière de l’établissement.
Néanmoins, le directeur « patron » n’existe pas ni en interne, ni en externe. Son pouvoir contractuel sur la masse salariale est très limité. En outre, comment peut-il contractualiser quand il partage son pouvoir de décision avec la CME et le CE pour ce qui est des plans de formation et de l’évaluation des pratiques professionnelles, et quand il le partage avec le président de la CME s’agissant de la nomination des responsables de pôles, de l’affectation des services, et de la signature des contrats de pôles ? Avec l’ARH il négocie plus des allocations de ressources que des objectifs. Comment d’ailleurs instaurer un management
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
4 • Un système hospitalier en mutation par objectif dans un univers bureaucratique, statutaire et administré ? Le rapport de la Cour des comptes sur les personnels des établissements publics de santé de mai 2006 déplore le cadre excessivement complexe et opaque dans lequel s’exerce la gestion des personnels hospitaliers. Il dénonce un système centralisé à l’excès où 42 000 personnes (médecins, professeurs, directeurs d’hôpitaux) relèvent directement du ministère de la Santé ! Il n’existe pas de contractualisation sans engager la responsabilité des personnes dans un périmètre de gestion identifié (gestion des ressources humaines, qualité des soins...) à portée du « gestionnaire ». Le talent des hommes est trop souvent mobilisé à trouver des compromis « acceptables » (« Ne touche pas à mon statut, je ne dérangerai pas le tien »). Outre le fait de ne pas avoir choisi l’option d’un « directeur Médical » pleinement responsable des soins mais sous l’autorité du directeur, la France reste l’un des derniers pays où le Conseil d’administration, voire le directeur d’établissement ne nomme pas ses chefs de service... Il ne reste alors au directeur que son rôle d’exécutant puisqu’il exécute seul les décisions du Conseil d’administration et assume la gestion et la conduite générale de l’hôpital en exerçant son autorité sur l’ensemble du personnel, « dans le respect des règles déontologiques et d’indépendance professionnelle »1 . Autrement dit, il est sans pouvoir vis-à-vis des praticiens hospitaliers, ce qui limite considérablement la portée de la nouvelle gouvernance... À l’hôpital sont toujours attendues de nouvelles règles de gestion, clarifiant qui pilote quoi et contractualise avec qui, et impulse les synergies collectives. Pour l’ancienne directrice de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, Rose-Marie Van Lerberghe, il existe d’ailleurs « des marges de manœuvre importantes pour
les hôpitaux, en changeant l’organisation du travail ». C’est pourquoi, la création des nouveaux pôles d’activité s’inscrit dans une culture d’objectifs et de résultats : en théorie, les « responsables » élaborent les projets de pôles dans le cadre du projet médical de l’établissement et mettent en œuvre les moyens pour atteindre les objectifs définis, dont la réalisation ou non donne lieu à « récompense » par le biais d’un processus d’intéressement financier, ou à sanction concernant les futurs moyens d’investissement et de fonctionnement du pôle. Nous en sommes encore loin ! Entre 2005 et 2015, un agent hospitalier sur deux sera parti à la retraite alors que l’hôpital risque d’être davantage sollicité durant cette période par une population vieillissante. L’enjeu de la réforme apparaît alors évident : soit l’hôpital public réussit sa modernisation interne centrée sur les meilleurs soins aux meilleurs coûts, soit il retourne à son ancien rôle d’hospice, les soins de pointe et rentables étant alors pris en charge par le secteur privé lucratif qui couvre déjà aujourd’hui majoritairement la chirurgie programmée, l’obstétrique courante et une partie de l’hébergement des retraités... les plus aisés.
Les facteurs de blocage de la période récente Parmi les risques majeurs qui mettent en cause la qualité du service rendu par l’hôpital nous en avons retenu quatre, qui bien que différents par nature, n’en sont pas moins représentatifs de la crise hospitalière : le passage à la tarification à l’activité, la prise en charge des personnes âgées, les modalités de mise en place des 35 heures et l’organisation des urgences.
1. La Cour des comptes préconise une décision des conseils d’administration pour l’affectation des praticiens dans leur établissement ou « au moins » une décision du directeur d’ARH, tant pour les praticiens que pour les directeurs, à charge pour eux d’affecter les praticiens dans les pôles et services...
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
Le passage à la tarification à l’activité La tarification à l’activité se déploie progressivement, mais plutôt lentement à l’hôpital public. Les secteurs concernés sont aujourd’hui la médecine-chirurgie-obstétrique, l’hospitalisation à domicile, les soins de suite et de réadaptation et la psychiatrie, ceci permettant d’arriver à un taux de 50 % avec des secteurs couverts à 100 % (HAD, chirurgie ambulatoire...).
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Trois types de financement cohabitent dans les hôpitaux : un budget global résiduel, une enveloppe forfaitaire pour leur mission de service public et la T2A qui tient compte de la nature des prises en charges réalisées. Peut-on affirmer pour autant que l’hôpital entre ainsi dans le secteur concurrentiel et risque lui aussi de rechercher les niches rentables en faisant du chiffre d’affaires ? Pas exactement, puisque les pathologies regroupées dans les Groupes homogènes de séjour (GHS) sont tarifées par le législateur. Néanmoins, la rémunération de l’hôpital dépend de l’afflux de patients relevant de différents GHS. Si l’hôpital a une gestion performante qui veut que son coût de prise en charge soit inférieur au tarif alloué, il dégage des marges, tandis que dans le cas inverse, il est déficitaire. Cette approche économique suppose un changement culturel profond mais aussi des outils de pilotage et de gestion permettant de repérer rapidement les activités rentables ou coûteuses avec un contrôle de gestion en capacité de suivre les résultats et de les analyser afin d’agir sur l’organisation, voire de modifier la stratégie. N’oublions pas cependant que l’hôpital ne choisit pas ses patients, que la majeure partie de ses coûts reste fixe (les trois quarts ressortent des salaires) et que son activité est
largement cadrée par l’ARH (SROS, CPOM...). Néanmoins, ainsi que l’ont souligné l’IGF et l’IGAS dans leur rapport d’avril 2007 consacré aux ARH et au pilotage des dépenses hospitalières1 , « un très grand nombre d’établissements font du développement de l’activité la solution principale à leurs difficultés financières, le cas échéant en pariant sur des gains de productivité liés au grand nombre d’actes ; la qualité, l’organisation de l’hôpital et la maîtrise des coûts ne font le plus souvent pas l’objet d’une approche intégrée ». Autrement dit, la mise en œuvre de la T2A ne peut être que corrélée avec les restructurations qui ont nécessairement une incidence sur l’emploi et l’organisation des services et que souvent ces restructurations dépassent le cadre de l’établissement et s’inscrivent dans des logiques régionales de réseaux et de coopération au sein des territoires de santé. Ces logiques supposent elles-mêmes une vision politique claire du rôle et de la répartition des différents établissements de santé sur l’ensemble du territoire national au regard des critères d’accessibilité et de sécurité des soins. Tout le monde doit comprendre que la T2A n’est qu’une reconversion parmi d’autres...
La prise en charge des personnes âgées C’est un lieu commun que de rappeler les effets prévisibles du « papy-boom ». La prise en charge de la dépendance concernait en 2005 1 200 000 personnes de plus de 85 ans, et leur nombre aura presque doublé en 2015. L’allocation personnalisée à l’autonomie, la meilleure prise en compte des besoins des personnes âgées, les progrès attendus dans le traitement de la maladie d’Alzheimer ou des maladies neuro-dégénératives ne devront pas faire oublier la charge croissante de la gériatrie et de la médicalisation d’une fin de vie qui ira
1. IGF et IGAS, Rapport sur les Agences régionales d’hospitalisation et le pilotage des dépenses hospitalières, avril 2007.
4 • Un système hospitalier en mutation en se prolongeant. Les exigences plus fortes et justifiées de dignité rendront obsolètes les clivages apparents entre les prises en charge sociales et médicales. Au même titre qu’en début de vie, un redéploiement doit faciliter une différenciation de la prise en charge entre les établissements accoucheurs et les centres de périnatalité, il convient d’opérer également, en fin de vie, des différenciations entre les services, suivant le degré de médicalisation nécessaire et ce jusqu’aux unités de soins palliatifs, en repensant de la même manière la typologie des compétences à mobiliser, leur caractère pluridisciplinaire et aussi leur attractivité, notamment en terme de rémunération.
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En attendant ces jours meilleurs, l’hôpital « parque » comme il peut les personnes âgées dépendantes sans pour autant répondre à la demande tant quantitative que qualitative. De ce point de vue, la manière dont l’hôpital traite les personnes âgées reflète les réponses qu’apporte la société aux besoins de ses anciens et témoigne des valeurs ambiantes. Depuis 2006, on voit cependant s’esquisser une politique gériatrique visant à articuler les prises en charge entre le domicile, les structures médico-sociales et l’hôpital. À chaque fois que c’est possible, il s’agit de maintenir la personne âgée qui le souhaite à son domicile, d’où le développement des alternatives à la prise en charge hospitalière (HAD, soins spécialisés à domicile...). Chaque territoire de santé doit se doter d’une filière gériatrique à partir d’un établissement pivot comprenant un service d’urgences, un pôle d’évaluation gériatrique, des consultations spécialisées, du court séjour, une équipe mobile dédiée, des soins de suite et de
réadaptation et des soins de longue durée. Au sein de la filière, les établissements et structures associées (y compris non gériatriques) passent des contrats les uns avec les autres afin d’assurer la continuité du parcours des patients. Restera dans les prochaines années à adapter et sûrement à accroître les ressources pour optimiser le fonctionnement de cette filière. Le cri d’alarme de l’infirmier Jean-Charles Escribano1 début 2007, concernant la prise en charge des personnes âgées en maison de retraite nous rappelle que beaucoup reste à faire : « tant que les établissements (les maisons de retraite) ne seront pas strictement surveillés, dirigés par des directeurs compétents, avec des budgets suffisants pour employer un personnel en nombre et en qualité, pour s’équiper dignement, le plan Solidarité-Grand-Âge ne voudra rien dire ».
Les modalités de mise en place des 35 heures Acquis social pour le personnel qui en bénéficie, la RTT n’en a pas moins eu des effets négatifs sur la qualité du service rendu, alors même qu’elle devait être l’occasion de rendre les organisations plus efficientes, de partager le travail en créant des emplois, de mobiliser enfin des acteurs mieux motivés autour de l’amélioration de la qualité des soins. En fait, la mise en place de la RTT a globalement échoué2 non pas tant en raison du manque d’emplois créés (45 000 emplois promis en 2002, 38 000 alloués, et seulement 34 000 pourvus, soit plus de 10 000 emplois en moins que ce qui était prévu !) mais parce qu’elle a constitué un formidable révélateur des rigidités organisationnelles, du cloisonnement
1. J.C. Escribano, On achève bien nos vieux, éd. de Noyelles, février 2007. 2. L’accord du 27 septembre 2001 instituant les 35 heures à l’hôpital a fait l’objet d’un protocole d’assouplissement le 9 janvier 2003 visant à mettre en œuvre des mesures transitoires : report de jours de RTT non pris, compte épargne temps plus attractif... Le rapport Acker de juillet 2007 fait état de 2,2 millions de journées épargnées fin 2005 pour un coût de 700 millions d’euros...
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES interne des services, de l’opacité des modes de fonctionnement, des mauvaises conditions de travail, des difficultés de recrutement et, enfin, des contraintes afférentes aux choix budgétaires lorsqu’il s’agit de répondre à la fois aux efforts de sécurité sanitaire, aux protocoles de revalorisation de carrières, aux démographies médicales sinistrées (gynécologie, pédiatrie, psychiatrie). Qu’importent les emplois supplémentaires alors qu’il existe déjà 3 000 postes de praticiens hospitaliers vacants et qu’on ne parvient plus à recruter les infirmières nécessaires...
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L’hôpital est prisonnier de ses logiques statutaires et d’une division du travail incompatible avec la prise en charge globale du malade mais aussi avec un fonctionnement optimisé de l’ensemble. Outre les 70 corps de métiers différents, les 36 statuts, dont 12 pour les médecins hospitaliers publics (contre un seul dans le secteur privé) et 24 pour les personnels de la fonction publique hospitalière, l’existence de 4 corps de direction, la multiplication des statuts des personnels médicaux contractuels et l’éclatement des compétences de gestion1 , il existe un affrontement permanent autour d’enjeux de champs de compétences, de ressources et de carrières. Les procédures d’avancement et de recrutement sont longues, peu homogènes et échappent souvent au directeur, d’où un recours croissant aux recrutements contractuels. L’élément fédérateur que constituait l’autonomie liée à la pratique libérale est remis en cause par un environnement technique structurant (informatique, interdépendance des interventions dans la trajectoire du patient, etc.), une prise en charge de plus en plus collective des soins, la nécessité croissante de se concerter avec les autres groupes professionnels (infirmiers, manipulateurs, aides-soignants, kinésithérapeutes, etc.).
Ce qui est ressenti par les praticiens hospitaliers comme le poids grandissant de l’administration est souvent lié au fait que les demandes d’optimisation, après avoir d’abord touché les services logistiques et administratifs, concernent maintenant les soins et leur environnement. L’arrivée de la RTT a accentué la problématique de l’organisation du travail qui supporte de plus en plus mal ces multiples cloisonnements. Nous avions déjà souligné, en son temps2 , les difficultés de mise en œuvre des politiques de gestion des ressources humaines et l’inopportunité de plaquer des outils de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (nomenclature emplois-types, guide GPEC...) sans qu’un travail en profondeur ne soit effectué préalablement avec l’ensemble des acteurs, sur les enjeux, les objectifs, le diagnostic de l’existant, les écarts entre le service attendu par le malade et le service rendu... Nous écrivions alors « comment faire de la fonction ressources humaines une fonction partagée et non diluée avec l’encadrement dans un contexte structurel où les niveaux d’autorité s’annulent souvent par redondance (chef d’établissement/président de commission médicale, surveillant/chef de service, responsable RH infirmière générale...) ». La Cour des comptes déplore depuis que « la gestion des personnels hospitaliers ne repose pas sur une information suffisamment fiable et précise des autorités responsables ». Elle met en avant une véritable opacité de l’organisation dans la gestion des personnels (comme la méconnaissance du temps de travail médical, et notamment du temps de présence à l’hôpital, ou encore l’insuffisance de la gestion des évolutions salariales). Tout agent hospitalier est un agent « double » : il appartient à la fois à un corps et à un service. Mais il se montre parfois plus sou-
1. Cour des comptes, Les personnels des établissements publics de santé, mai 2006. 2. G. Ropert et M. Boyé, Gérer les compétences dans les services publics, éd. d’Organisation, 1994.
4 • Un système hospitalier en mutation cieux de son « corps », à savoir de son intérêt catégoriel, que du fonctionnement optimisé de son service, a fortiori lorsque les intérêts entre les deux sont contradictoires ou concurrents avec ceux des territoires voisins...
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L’organisation des urgences L’organisation actuelle des urgences trouve son origine à la fois dans la mission de service public de l’hôpital qui a l’obligation d’accueillir tout le monde sans discrimination aucune et dans l’intérêt d’apprentissage de confier une mission aussi polyvalente aux internes qui s’initient ainsi à la pratique médicale en fixant notamment dès l’entrée du malade, le diagnostic adéquat permettant ensuite de l’orienter vers le service concerné. Malheureusement, les urgences hospitalières ont été rapidement les victimes de leur succès, recueillant pêle-mêle les vraies (20 %) et les fausses urgences (80 %) soit celles qui ne requièrent pas d’hospitalisation. Parmi les vraies urgences, une minorité relève de l’utilisation d’un plateau technique tandis que les autres appellent une prise en charge psychiatrique ou sociale : la loi du 29 juillet 1998 intègre l’hôpital dans les dispositifs de lutte contre l’exclusion sociale en mettant en place notamment des permanences d’accès aux soins de santé adaptées à la prise en charge globale des personnes précaires en lien avec toutes les institutions concernées. Toujours est-il qu’aujourd’hui les urgences sont saturées tandis que les conditions de travail et d’accueil se détériorent de façon inacceptable (à l’inconfort de l’attente, parfois plusieurs heures dans un couloir en vue d’un diagnostic, s’ajoute ensuite la file d’attente du service soignant !). Cette situation reflète d’abord les carences dans l’organisation de la permanence des soins de ville, les médecins de ville rechignant de plus en plus à assurer leur rôle de garde, tant pour des raisons financières que pour des raisons de qualité de vie. Cet état
de fait témoigne également de l’insuffisance des modes de régulation de l’urgence et de la sous-information des patients. Il est donc impératif de trouver des solutions intermédiaires pour décharger l’hôpital des urgences non vitales, revitaliser le service public de garde via des structures attractives (maisons médicales de garde) situées en amont (et non à l’entrée) des urgences hospitalières et gérées par les médecins de ville eux-mêmes. Les collectivités locales pourraient en financer l’infrastructure tandis que l’Assurance maladie pourrait prendre en charge des rémunérations forfaitaires mieux adaptées aux conditions d’exercice. Néanmoins, les 631 sites hospitaliers publics ou privés accueillant des services d’urgence répartis sur l’ensemble du territoire national ont bénéficié d’un renforcement significatif de leurs moyens : le plan « Urgences » de septembre 2003 a permis de créer 2 321 postes dans toutes les structures (SAMU, SMUR et services d’urgence). Les pouvoirs publics ont par ailleurs multiplié les mesures pour tenter de limiter l’afflux des patients dans les services d’urgence en organisant une meilleure coordination entre tous les acteurs : sapeurs-pompiers, ambulanciers, SMUR, médecins de ville et médecins hospitaliers notamment afin d’améliorer la régulation en amont. Le dispositif de la permanence des soins est destiné à réorganiser les modalités de la participation des médecins libéraux aux gardes, des conventions précisent le rôle et les missions des services départementaux d’incendie et de secours, des SAMU et des ambulanciers privés, et la régulation téléphonique entre les médecins libéraux et les SAMU est mieux organisée (les interconnexions entre le 15 et le 18 sont obligatoires).
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
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Ceci étant, le rapport Grall1 de septembre 2007 préconise de faire évoluer le dispositif de permanence des soins qu’il juge « fragile, coûteux, au pilotage trop complexe ». Pour ce faire, il propose notamment de créer « l’Aide médicale permanente à la population » régulée par un centre d’appel, intégrée dans les activités du SROS, alternant des points fixes de consultation médicale avec des interventions mobiles sur des secteurs élargis. Rationaliser la permanence des soins est certainement nécessaire. Reste à savoir si le contrat de volontariat préconisé et de meilleures rémunérations parviendront à rendre le dispositif plus attractif et plus efficient. En dépit de ces efforts, la population recourt de plus en plus fréquemment aux services d’urgence hospitaliers : le nombre de passages dans ces services a doublé entre 1990 et 2004 passant de 7 à 14 millions, sans que l’augmentation de la fréquentation des services d’urgence ne soit liée à une dégradation de l’état de santé général. La mobilisation immédiate de moyens médicalisés lourds n’est nécessaire que dans moins de 3 % des cas et 20 % seulement des patients sont hospitalisés après leur passage dans un service d’urgence. Alors qu’ils étaient destinés initialement à la prise en charge des malades les plus atteints, les services d’urgence hospitaliers assurent essentiellement une fonction de consultations non programmées, comprenant notamment une part importante de personnes précaires qui apprécient d’être dispensées de toute avance de frais. Le dernier rapport public annuel de la Cour des comptes publié en février 2007 souligne le pilotage « incohérent », le système d’information « déficient », le manque de coordination entre la ville et l’hôpital en matière d’urgences médicales. La Cour remet en cause un dispositif qui « répond de plus en plus à une demande non
programmée » et ce, au détriment de la prise en charge des urgences vitales, qui pourrait être améliorée, notamment pour les polytraumatisés. Quand bien même le plan « Urgences », mis en place après la canicule de l’été 2003 a renforcé les moyens des services, le système d’orientation des patients est jugé « déficient ». L’absence d’un numéro d’appel unique, les carences d’organisation de la permanence des soins (seconde partie de nuit) et le surcoût des urgences hospitalières sont dénoncés.
Quand la gouvernance de l’hôpital rejoint celle du système de santé... Partageant la vision de Patrick Mordelet2 , nous nous contenterons de le citer : « La bonne gouvernance est l’art d’assurer la vision, les choix stratégiques, l’organisation, le pilotage, la gestion et le contrôle d’une organisation particulièrement complexe, l’hôpital, afin d’en assurer un bon fonctionnement. La bonne gouvernance sous-tend la régulation de l’ensemble du système de santé, car l’hôpital n’est qu’un élément appartenant à cet ensemble sanitaire. Réguler le système, c’est d’une part garantir un accès équitable à des soins de qualité, sans liste d’attente, et d’autre part, assurer son efficience économique, en évitant le gaspillage des ressources ». En tant qu’hospitalier, l’auteur pose aussi la question : « Faut-il gérer tous les hôpitaux comme des entreprises avec un système de paiement à l’activité ou faut-il gérer les hôpitaux et la médecine de ville de manière cohérente et coordonnée, dans le cadre d’un paiement per capita ? ». Nous ajouterons notre propre questionnement : faut-il des gouvernances distinctes pour l’hôpital et la médecine de ville ?
1. Dr. J-Y. Grall, Rapport Mission de médiation et propositions d’adaptation de la permanence des soins, Ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports. 2. P. Mordelet, Gouvernance de l’hôpital et crise des systèmes de santé, Éd. ENSP, 2006.
4 • Un système hospitalier en mutation
2. LE PRIX DE L’HOSPITALISATION
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Le PMSI (Programme médicalisé des systèmes d’information) a enfin accouché de la T2A (Tarification à l’activité), permettant de connaître bientôt le prix de l’hospitalisation. Si la tarification à l’activité a vu le jour, après une longue phase de gestation de près de 15 ans, il faudra encore attendre pour que ce système de financement concerne tous les établissements hospitaliers. Un quart de siècle, pour mettre en place une indispensable transparence dans la gestion de l’hôpital, alors que déjà se profilent les effets délétères attendus de cette toute nouvelle T2A.
Le PMSI, une entité complexe
d’une évaluation continue. Sa mise en place nécessite :
Le PMSI en court séjour
• un recueil de données médicales codées de
Depuis la loi du 31 juillet 1996, les établissements de santé, publics et privés, doivent procéder à l’évaluation et à l’analyse de leur activité. Concernant les séjours hospitaliers de court séjour MCO (médecine – chirurgie – obstétrique), cette analyse est basée sur le recueil systématique et le traitement automatisé d’une information médico-administrative minimale et standardisée, issue du Résumé de sortie standardisé (RSS). Les données collectées sont l’objet d’un classement en un nombre restreint de groupes de séjours présentant une similitude médicale et un coût voisin : les Groupes homogènes de malades (GHM). L’éventail des cas traités est valorisé grâce à l’échelle nationale relative de coût par GHM et par Groupe homogène de séjour (GHS). Le PMSI a pour objectif d’obtenir des indicateurs réalistes de l’activité hospitalière et de créer un meilleur dialogue entre les partenaires hospitaliers : médecins, soignants, administratifs. C’est un instrument de gestion permettant de responsabiliser les acteurs, d’assurer une relative transparence, d’assurer les conditions d’une politique contractuelle sur la base de programmes médicaux négociés accompagnés
manière uniforme selon un format standard ; • des grilles de lecture pertinentes pour les médecins, directeurs, administrateurs, personnels des services déconcentrés de l’état, personnels de l’Assurance maladie... • des moyens informatiques rendant facile le recueil, le contrôle des données et le traitement des informations. Pour bien en comprendre les enjeux il convient de s’attarder quelque peu sur les aspects purement techniques conditionnant l’opérationnalité du PMSI car, pour le profane comme pour le professionnel, les choses ne sont pas aussi simples qu’il y paraît au premier abord. On se reportera utilement à l’encadré 4.1 pour disposer des notions essentielles.
Le PMSI en soins de suite et de réadaptation L’extension du PMSI aux soins de suite et de réadaptation correspond à des finalités internes aux établissements et à des finalités externes concernant les ARH. Les soins de suite et de réadaptation représentent près de 20 % de l’activité hospitalière dans des domaines très
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES divers recouvrant environ 80 disciplines d’équipement. Cette activité a pour caractéristiques spécifiques : • des séjours relativement longs (35 jours en
moyenne) ; • un double objectif de prise en charge : poursuite des soins médicaux et de réadaptation (sociale, professionnelle, scolaire...) à l’interface du médical et du social ; • des patients relativement âgés et donc dépendants, tant sur le plan physique que psychique, avec des pathologies multiples. Encadré 4.1
Ces éléments entraînent une approche spécifique pour agréger les informations sur les patients et leurs prises en charge dans des groupes homogènes, médicalement et économiquement, permettant ainsi de décrire l’éventail des cas traités dans les établissements. Les travaux initiés dans le champ du moyen séjour se sont donc orientés vers une classification dite « à la journée pondérée » selon la lourdeur de la prise en charge du patient.
Le prix de l’hospitalisation
La classification en GHM
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La classification française en GHM est, à l’origine, une adaptation de la classification américaine des diagnosis related groups (DRGs) élaborée initialement par l’équipe du Professeur Fetter (Université de Yale, États-Unis), permettant de classer les séjours hospitaliers dans des groupes présentant une double homogénéité, en termes de caractéristiques médicales et de durées de séjour. Ces DRGs, conçus initialement comme outils d’analyse de l’activité, ont été utilisés dès 1983 par l’administration américaine pour procéder au paiement forfaitaire des séjours hospitaliers des personnes âgées et handicapées, prises en charge par le programme fédéral Medicare. Dans le secteur public hospitalier français, la classification en GHM est utilisée pour comparer la dotation allouée au titre de l’année écoulée si l’activité avait été rémunérée sur la base du dispositif PMSI (GHM pondérés économiquement au moyen de l’échelle nationale de coûts) au budget réel dont a effectivement disposé l’établissement dans le cadre de l’enveloppe globale. Le système peut également, pour certains, être utilisé en gestion interne pour l’élaboration du budget de service ou de groupes de services. Issu de la classification en DRGs, le système français est élaboré selon un arbre de décision qui oriente chaque séjour vers le GHM adapté. La comptabilisation de l’activité externe et les actes hors nomenclature Une circulaire du 10 mai 1995 demande aux établissements hospitaliers sous compétence tarifaire de l’État de transmettre chaque semestre à la DRASS le nombre de consultations et d’actes externes, mesurés en lettres-clés de la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP), issus de leur système de facturation. Les éléments à prendre en compte ou à exclure figurent en annexes. Le problème particulier de la prise en compte des « actes hors nomenclature » dans l’activité externe de l’hôpital trouve également des réponses dans les textes réglementaires. L’Échelle nationale de coût par GHM et le modèle comptable Par circulaire du 28 février 1992, la Direction des hôpitaux a décidé la constitution d’une base nationale de coûts par séjour afin de calculer des coûts de référence par GHM. Le GHM 540 « accouchement par voie basse » sert de référence pour caler le poids relatif de chaque GHM qui
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4 • Un système hospitalier en mutation ☞ est ainsi valorisé en points permettant d’attribuer à chaque établissement un Indice synthétique d’activité (ISA). Les résultats de l’étude de coûts sont donc publiés sous une double forme : • une échelle de coûts relatifs par GHM (en points), utilisée dans le cadre de la réforme de
l’allocation budgétaire publiée la première fois en 1995 au Bulletin officiel, • un ensemble de coûts de référence en unités monétaires par GHM, décomposés par grand poste de dépenses, utilisables en gestion interne et qui ont été publiés à la fin de l’année 1995 pour la première fois. L’étude est actualisée chaque année avec publication annuelle des résultats. Le modèle comptable L’objectif est de calculer, dans les établissements participant à l’étude de coûts, des coûts par « produit hospitalier » notamment par séjour MCO. Il se distingue des modèles de comptabilité analytique hospitalière préexistants par la grande précision qu’il réserve aux dépenses médicales, alors qu’il se contente de regroupements plus grossiers pour tout ce qui concerne la logistique et la structure. Le modèle a essentiellement pour fonction de permettre la construction d’une échelle de coûts par GHM. Mais il n’est pas possible de calculer les coûts relatifs au court séjour MCO sans isoler ceux de l’activité externe (pour laquelle on calcule notamment des coûts par ICR (Indice de coût relatif) de consultation), des soins de suite et de réadaptation (coûts par journée « pondérée » par type de séjour), et des soins de longue durée (coûts par journée « pondérée » par type de séjour). Les autres activités de l’hôpital (école, SAMU, CTS...) sont isolées pour la même raison. Pour le champ MCO, le modèle aboutit à des coûts par séjour (et non directement par GHM), cet intermédiaire de calcul pouvant être important pour d’autres usages que celui de la construction d’une échelle de coûts par GHM, notamment pour l’analyse de l’homogénéité des coûts de tel ou tel GHM, et, pour des révisions de la classification des GHM. Les établissements de l’échantillon indiquent pour chaque séjour : • les dépenses directes affectables au malade : prothèses, implants, matériel à usage unique
coûteux, produits sanguins, médicaments coûteux, actes réalisés à l’extérieur,
• le poids économique (exprimé en ICR en B ou en scores Oméga) des actes réalisés par chaque
service médico-technique au cours de l’hospitalisation,
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• le nombre de journées passées par le patient dans chacun des services cliniques fréquentés
pendant le séjour.
Parallèlement, ils affectent à chaque service clinique ou médico-technique l’ensemble de leurs charges directes de fonctionnement : salaires des personnels médicaux, des personnels soignants, des autres personnels du service (entretien, secrétariat, encadrement...), afin que le coût des unités d’œuvre produites par ces services puisse être calculé : coût de la journée pour chaque service clinique, coût des ICR d’imagerie, de bloc, d’anesthésie, d’explorations fonctionnelles, etc., coût du B de biologie. Enfin, ils déterminent le volume des charges à affecter sur les activités logistiques (blanchisserie, restauration, logistique et administration) ainsi qu’à la structure (dépenses d’amortissement des bâtiments, frais financiers, dépenses d’entretien des bâtiments). Le coût du séjour hospitalier est obtenu en additionnant l’ensemble des coûts rapportables au séjour. Le passage du coût au nombre de points par GHM peut s’opérer alors. En 1995, il a été décidé, par convention, que le GHM 540 (accouchement par voie basse sans complication) aurait
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES ☞ la valeur de 1 000 points. Ce GHM représente une prestation hospitalière standard très répandue et dont la dispersion du coût est faible. Cette convention permet de définir le reste de l’échelle en fonction du coût relatif des GHM par rapport au GHM 540. La généralisation aux établissements privés L’arrêté du 22 juillet 1996 définit le recueil et les modalités de traitement et de transmission de données d’activité médicale des établissements privés de santé ne participant pas au service public. Il concrétise ainsi l’expérience menée dans ce type d’établissement depuis plusieurs années. Par rapport aux établissements publics et privés participant au service public, des différences existent quant à la production et la transmission des données des RSS en particulier. Les données sont transmises à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés sous forme de Résumés de sortie anonymes chaînables (RSAc). À partir des fichiers RSS groupés, il est constitué, sous la responsabilité du médecin chargé de l’information médicale pour l’établissement des fichiers de résumés de sortie anonymes chaînables. Pour chaque période trimestrielle, l’établissement transmet les fichiers de RSAc à la CNAMTS, en une ou plusieurs fois, de telle manière que le dernier envoi intervienne au plus tard deux mois après la fin du trimestre considéré. Le support informatique et les modalités de transmission des fichiers sont définis selon le cahier des charges élaboré conjointement par les services de l’État, les Caisses d’Assurance Maladie, les fédérations représentatives de l’hospitalisation privée et les organismes représentatifs des médecins exerçant dans les établissements de santé privés.
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Une classification dite « à la journée pondérée » selon la lourdeur de la prise en charge du patient Ce sont des périodes hebdomadaires de prise en charge qui font l’objet d’un classement dans un groupe homogène de périodes sur un plan médico-économique. Cette classification semble en effet mieux adaptée à une activité où les séjours complets sont difficilement prévisibles quant à leur durée et hétérogènes quant aux journées qui les composent. La classification en GHJ (Groupes homogènes de journées) répond donc à un objectif non seulement économique mais aussi médical. Chaque Résumé hebdomadaire standardisé (RHS) est d’abord orienté vers une des 14 catégories majeures cliniques (CMC) puis vers un des quelques 279 groupes homogènes de journées. Les procédures de rééducation/réadaptation sont alors réparties en 12 grands types (dont certains ne sont pas classants mais ont été intégrés dans les coûts) grâce à un catalogue qui précise pour chaque acte son appartenance à un des types suivants : bilan, physiothérapie, balnéothérapie, rééducation mécanique, rééducation neuropsychologique, rééducation neurosensorielle, rééducation cardio-respiratoire, rééducation nutritionnelle, rééducation sphinctérienne et urologique, adaptation d’appareillage, réadaptation/réinsertion, rééducation collective. Peut-on évaluer le taux de complications iatrogènes à travers le PMSI ? L’existence au sein de la CMD 21 des « Traumatismes, allergies et empoisonnements » de quelques GHM dont les libellés évoquent la notion de complication, peut faire penser que le repérage de la pathologie iatrogène est possible à travers les résultats du PMSI. Est-il raisonnable de considérer que le contenu des GHM « Autres interventions pour blessures ou complications d’actes » d’une part, « complications iatrogéniques » non classées ailleurs d’autre part, peut servir d’indicateur sur le taux de complications d’un établissement ? Au sein de la CIM10 (Classification Internationale
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4 • Un système hospitalier en mutation ☞ des Maladies version 10) dans les chapitres concernant un système, un appareil, la néonatalogie ou l’obstétrique, il existe une ou plusieurs catégories consacrées aux complications iatrogènes. Il s’agit souvent de complications à distance, ou des conséquences prévisibles à la suite d’une intervention, mais il peut également s’agir de complications immédiates. Le volume 2 de la CIM10 indique clairement qu’un codage précis doit toujours être prioritaire sur l’utilisation de codes peu descriptifs. Dans le chapitre XX des causes externes de morbidité et de mortalité, on a la possibilité de coder très précisément la notion de complications d’actes ou d’affections nosocomiales. Ces codes interdits en diagnostic principal, sont acceptés en diagnostic associé par la fonction groupage. Quelles données épidémiologiques attendre du PMSI ? Exemple du suicide Le « suicide » n’étant pas une lésion mais une cause, c’est dans le chapitre « causes externes de morbidité et de mortalité » de la CIM10 que se trouve la solution. Les « suicides » se codent avec les catégories consacrées aux « lésions auto-infligées ». Les codes du chapitre XX sont interdits en diagnostic principal, mais ils sont tous acceptés en diagnostic associé sans provoquer aucune erreur dans la fonction groupage. En diagnostic principal, c’est l’effet du suicide qui est à coder : intoxication, plaie vasculaire ou tout autre traumatisme, strangulation etc....
Des enjeux multiples, pas seulement économiques
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La gestion interne de l’hôpital Le dispositif mis en œuvre par la circulaire du 10 mai 1995 permet de comparer le budget théorique de l’hôpital calculé à partir de l’activité médicale et le budget réel dont dispose l’hôpital pour cette même activité. Que des écarts soient constatés ou non, il est intéressant pour l’hôpital d’analyser la structure de ces dépenses par rapport à la structure des dépenses de la base nationale de coûts. Pour mener à bien cette analyse, les hôpitaux disposent des coûts de référence par GHM. Il est important pour l’établissement de réaliser une analyse suivant son découpage interne. Certaines conditions d’organisation du recueil de l’information médicale et financière doivent exister : • correspondance du découpage en unité
médicale et du découpage servant à l’analyse de gestion respectant la cohérence médicale et permettant l’imputation fiable des dépenses ;
• possibilité de repérer correctement les pas-
sages des malades dans les différentes unités en particulier pour des séjours de moins de 24 heures mais pour lesquels des activités médicales lourdes et coûteuses peuvent être réalisées (urgence, réanimation, soins intensifs...) ;
• possibilité d’affectation fiable des charges
financières, en particulier des frais de personnel, notamment quand celui-ci travaille sur plusieurs unités médicales ou médicotechniques.
Même si le budget théorique est conforme au budget réel de l’établissement, l’analyse est intéressante à réaliser, cette conformité pouvant cacher une différence importante de structure des coûts. Cette analyse doit en outre tenir compte de la sur ou sous-dotation de la région dans laquelle se situe l’établissement. La base nationale de coûts permet de disposer pour chaque séjour des éléments du RSA (en particulier du GHM dans lequel est classé le séjour) et des éléments financiers permettant de calculer le coût complet du séjour à partir
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PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
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du modèle d’affectation des charges défini dans l’étude nationale de coûts. Il est ainsi possible de dresser la distribution des coûts complets par GHM et de calculer le coût moyen de chaque GHM, lui-même décomposé par grand poste de dépenses, à savoir : dépenses de personnel, dépenses de consommables médicaux, dépenses d’amortissement, dépenses de maintenance des matériels médicaux dans les unités d’hospitalisation, dépenses de logistique médicale, dépenses des actes médico-techniques, dépenses de logistique, dépenses de structure. À partir de ces éléments de référence, il est possible de positionner les coûts de l’hôpital pour un éventail des cas traités identiques. Cette méthode revient à comparer l’établissement à un établissement théorique prenant en charge les mêmes malades (même case-mix en GHM) avec des coûts correspondant à ceux observés dans la référence nationale. Cette approche ne nécessite pas la mise en place d’une comptabilité analytique par séjour au niveau de l’hôpital. Elle peut être réalisée par tous les établissements ainsi que par les services extérieurs de l’État et les ARH. Par contre, pour analyser l’origine des écarts, il est nécessaire non seulement de disposer d’une comptabilité analytique par séjour mais également des pratiques médicales par séjour. Il faut, en effet, non seulement comparer le coût et le volume global de l’unité d’œuvre (B, point d’ICR...) à la référence nationale mais il faut établir le volume d’unité d’œuvre grâce à la connaissance des actes et prescriptions consommées par nature d’actes ou de prescriptions. Enfin les unités de réanimation isolées sont difficilement modélisables par les approches citées ci-dessus.
La qualité des soins à l’hôpital Quelle lecture du PMSI peut-on avoir pour se faire une idée du taux de complications d’actes ou d’infections nosocomiales ? Le niveau du RUM, du RSS ou du RSA est le seul niveau
qui permet de repérer un certain nombre d’éléments. Le manque de consigne unique pour le codage des complications et les divergences de codage qui en résultent ne facilite pas l’exploitation des données. La façon la plus sûre d’avoir des résultats intéressants est d’instaurer le codage obligatoire de la « cause » avec le chapitre XX. En effet, comme il s’agit de codes non lus par la fonction groupage, leur utilisation est laissée à l’initiative des « codeurs » et la confiance qu’on peut avoir dans les résultats est limitée s’il n’y a pas un suivi avec des objectifs précis. La réponse à la question posée peut paraître décevante à juste titre. Il serait légitime de penser qu’un recueil d’information, tel que celui mis en place pour le PMSI, soit capable de produire facilement des éléments d’évaluation concernant le taux de complications. Mais un recueil organisé et obligatoire de la pathologie iatrogène et nosocomiale nécessiterait de fixer des objectifs clairs allant dans ce sens.
Les données épidémiologiques Comment peut-on par exemple dénombrer les tentatives de suicide ? La question des suicides doit être généralisée à l’ensemble des codes du chapitre des causes externes qui ont un intérêt certain pour des exploitations internes, ou concertées au niveau d’une spécialité, d’une région, d’un registre, etc. En revanche, on sait très bien qu’une information, qui n’a pas de caractère obligatoire ou qui est sans effet sur le traitement de données, est recueillie avec moins de soin ; la confiance que l’on peut avoir dans les résultats est alors limitée ! Pour que ce codage ait un sens, il faut donc des consignes particulières et un suivi par ceux qui sont directement intéressés par le recueil de cette information. Il est alors tout à fait possible de dénombrer les suicides au niveau d’un registre régional par exemple. Il reste le problème du chaînage des séjours pour suivre plus précisément les récidives, mais c’est un obstacle qui touche toutes les études de ce
4 • Un système hospitalier en mutation type à partir d’un fichier issu du PMSI, sauf dans le cadre de l’hospitalisation privée.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
La tarification à l’activité : une réforme attendue La réforme de la Tarification à l’activité (TAA ou T2A) vise à harmoniser les modes de rémunération entre les établissements hospitaliers publics et privés. Ce nouveau mode de tarification s’appuie sur une allocation de ressources fixée à partir de la nature et du volume des soins réellement produits et sur le développement d’outils de pilotage médico-économique. La T2A concerne les établissements de soins publics et privés dès 2004, avec dans un premier temps les services de court séjour (médecine, chirurgie, obstétrique), qu’il s’agisse de l’hospitalisation complète ou de ses alternatives ambulatoires de jour ou à domicile. Soixante établissements expérimentateurs ont permis de simuler l’impact du schéma de tarification dans six régions : Ile-de-France, RhôneAlpes, Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Aquitaine, Bretagne et Réunion. La coexistence de deux systèmes de financement – d’un côté les établissements privés contraints par un objectif quantifié national, et de l’autre les établissements publics sous le régime de la dotation globale – voit sa fin proche. Afin de comparer ce qui est comparable entre secteur public et secteur privé, les missions particulières du premier (enseignement, recherche) seront encore financées par une dotation forfaitaire ; seule l’activité de soins sera financée par la tarification à l’activité. Cette réforme est censée améliorer les « coûts de production » de l’hôpital public tout en limitant les effets pervers liés au nouveau système : une sélection des « bons » malades, par exemple, afin de limiter leurs coûts de prise en charge. C’est là que la méthode de
classification en GHM, longuement décrite plus haut, prend toute son importance. La bonne qualité des informations saisies dans le RUM et la pertinence de l’algorithme classant, prenant en compte les co-morbidités et les complications sont des arguments techniques s’opposant, de facto, à un tel biais de sélection. L’adéquation des tarifs, bien entendu, allant de pair avec l’indispensable sophistication du système d’information. En instaurant la tarification à l’activité, les ressources des hôpitaux seront peu à peu calées sur leur activité réelle. Ce système concerne depuis le 1er janvier 2005 les activités de médecine, chirurgie et obstétrique en priorité, et devrait être décliné dans d’autres spécialités comme la psychiatrie ou les urgences. Le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) soulignait dans un rapport de juillet 2005 qu’il était illusoire d’attendre de la T2A qu’elle génère « en ellemême des économies nettes, sa mise en place n’étant pas au contraire dénuée de risques, comme celle de la Classification commune des actes médicaux (CCAM) ». Le HCAAM ne remet toutefois pas en cause le rôle de la T2A, qui doit jouer « un rôle restructurant et obliger les établissements à se doter des instruments et des pratiques de gestion qui font aujourd’hui trop souvent défaut ». Toutefois, on ne peut ignorer que cette tarification à l’activité pourrait avoir un effet inflationniste, comme le soulignait un rapport de l’IGAS et de l’IGF en juillet 2005 et plus récemment en 2007. Pour illustrer cette crainte, un exemple parlant : pour certains GHM, les établissements de santé ont la possibilité de choisir une tarification pour les patients « légers » ou une tarification codée CMA/CMAS pour les séjours avec co-morbidités majeures associées1 et destinés aux patients « lourds ». Or, on observe qu’une proportion plus importante de séjours avec CMA/CMAS est utilisée dans certaines
1. Co-morbidités associées : présence d’une ou plusieurs maladies ayant une incidence sur l’affection traitée.
111
PARTIE 1 • LA SANTÉ EN FRANCE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES
112
zones géographiques : façade atlantique, nord et est de la France pour les établissements publics. Selon les départements, leur part varie ainsi fortement : de 11 à 39 % des séjours sont codés CMA/CMAS dans les cliniques privées, et de 22 à 44 % dans les établissements publics. La sélection du GHS approprié constitue un enjeu-clé pour l’Assurance maladie, le tarif d’un GHS avec CMA étant en moyenne le double d’un GHS « classique ». On estime à 200 millions d’euros les économies potentielles, si les établissements facturant une proportion importante de GHS codés CMA/CMAS rejoignaient la moyenne nationale1 . Selon le rapport IGAS et de l’IGF de 2005, il conviendrait donc devant les risques de dérapage des dépenses hospitalières de « ralentir le processus de mise en œuvre de la T2A, confronté à un défaut de pilotage (notamment par manque d’anticipation), une gestion défaillante des établissements de santé publics, et, enfin, un objectif non atteint de réduction des dépenses hospitalières et de paiement des soins à leur juste coût ».
1. Dossier maîtrise médicalisée à l’hôpital, 8 mars 2007. 2. Néanmoins le PLFSS 2008 prévoirait 100 % dès 2008.
Cette réforme de la tarification à l’activité, qui s’inscrit dans le plan « Hôpital 2007 », constitue cependant un outil de modernisation du système de santé à maints égards essentiel. Les parlementaires l’ont d’ailleurs bien compris, qui ont rétabli le « pallier 2008 » dans le mécanisme de convergence des tarifs des établissements publics et privés, l’objectif de convergence des tarifs à 100 % devant être atteint en 20122 . L’information, la transparence dans le fonctionnement des gigantesques machines à produire du soin que sont les établissements hospitaliers publics ou privés représentent une fois de plus un enjeu central, le « voile d’ignorance » de Rawls ne pouvant recouvrir des éléments aussi déterminants dans nos choix de société que ceux portant sur la qualité des soins (les plus utiles, les plus efficaces et au moindre coût), leur organisation, leurs modes de distribution, les moyens mis en œuvre pour les assurer et enfin, mais peut être surtout, les dispositifs pour en faciliter l’accès.
Partie 2 Du bon usage du progrès médical
Chapitre 5
Un progrès médical à consolider . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 6
Le médicament : une marchandise pas comme les autres . . . . . . . . .
133
Chapitre 7
Le médecin du XXIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
151
Chapitre 8
Le colloque médecin-patient . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 5 Un progrès médical à consolider
PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL
PLAN DU CHAPITRE
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1. Quelles voies pour le progrès médical ? Progrès médical et progrès social Une compétition avec la maladie : l’exemple du cancer Un progrès qui trébuche : l’exemple de l’Alzheimer
117 117 118 123
2. Comment maîtriser le risque iatrogène ? L’hôpital, haut lieu du risque nosocomial Le médicament, une arme à double tranchant
125 126 128
5 • Un progrès médical à consolider
1. QUELLES VOIES POUR LE PROGRÈS MÉDICAL ? Un progrès médical pour tous sur des maladies et des risques qui concernent le plus grand nombre.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Progrès médical et progrès social Les résultats en termes de santé publique ne sont pas tous imputables au progrès médical, et encore moins aux progrès de la médecine, qui n’interviennent qu’à hauteur d’environ 20 % dans l’amélioration des conditions et de la durée de vie. Les progrès de l’hygiène, de l’éducation et du confort de vie sont largement responsables d’une telle évolution qui a également bénéficié des grandes avancées scientifiques des XIXe et XXe siècles. Cependant, le progrès, aussi dynamique qu’il soit, ne pourra jamais garantir un quelconque droit à la santé, non seulement en raison de son coût, mais aussi parce qu’il existe aussi un « génie pathologique » propre aux agents infectieux qui résistent de plus en plus et se régénèrent. Par ailleurs, les succès obtenus dans le domaine des sciences du vivant sont porteurs d’espoirs mais aussi de craintes comme à chaque fois que l’homme impose son pouvoir à la nature. Alors qu’en France, les débats éthiques sont passionnés, les États-Unis brevettent des organismes vivants depuis plus de vingt ans ! S’il est vrai que la recherche thérapeutique est tributaire du rythme de la recherche fondamentale, les stratégies industrielles se déploient dans un contexte de contraintes politiques, économiques et juridiques, qu’elles savent intégrer mais, aussi, contourner. La santé n’étant pas, cependant, une marchandise comme les autres, il lui faut néanmoins intégrer les objectifs de résultats attendus par l’opinion. L’innovation
thérapeutique n’est jamais neutre : elle répond à des besoins médicaux insatisfaits mais s’installe prioritairement sur les créneaux les plus rentables, donc « profitables » pour les actionnaires des industries qui s’en saisissent. La rentabilité des médicaments innovants, garantie par le prix du marché, doit permettre à l’industrie de financer la recherche, tandis que le plus grand nombre de malades doit pouvoir bénéficier des médicaments génériques à prix moindre. Les pays développés ne partagent pas tous les mêmes sensibilités éthiques ou politiques : les lois bioéthiques françaises sont spécifiques à notre pays et, au niveau de l’Organisation mondiale du commerce, un blocage est réalisé par les États-Unis pour empêcher les importations de génériques par les pays incapables de les produire eux-mêmes. Le progrès médical est loin d’être partagé entre les pays du Nord et ceux du Sud de la planète, bien qu’il résulte lui-même d’un processus mondialisé, notamment quant à la recherche. Le progrès médical est continu mais appelle une évaluation permanente en terme de risque/bénéfice dont les résultats seront différents suivant les finalités poursuivies par les parties prenantes. Les acteurs du marché privilégient d’abord la rentabilité, tandis que les acteurs politiques et sociaux recherchent l’égal accès des bénéficiaires, sans toutefois occulter la nécessité de définir des priorités de santé publique, corollairement à des arbitrages de coûts. Néanmoins, s’il est courant de rendre responsable le progrès médical de la hausse des coûts de santé, il n’en est pas moins vrai qu’une diffusion plus rationnelle des biens médicaux
117
PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL issus de ce progrès pourrait générer à long terme une stabilisation de leur progression. Le progrès médical doit demeurer inséparable du progrès social, qui en garantit le bénéfice au plus grand nombre.
Une compétition avec la maladie : l’exemple du cancer L’ampleur du problème
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Il y a encore vingt ans seulement 160 000 nouveaux cas survenaient chaque année en France, avec une espérance de vie ne dépassant pas trois ou quatre ans. Aujourd’hui, ce sont 280 000 diagnostics de la maladie qui sont portés annuellement, avec une espérance de vie qui a globalement doublé : plus de deux millions de personnes ont été confrontées à la maladie et plus de 920 0001 vivent avec leur cancer. Si le vieillissement de la population explique pour partie une telle évolution des chiffres, d’autres facteurs pèsent lourdement dans la balance, tels que le tabagisme, la dépendance à l’alcool ou encore l’exposition à des risques professionnels comme l’amiante. Globalement responsable d’un décès sur trois chez les hommes et d’un sur quatre chez les femmes, le cancer fait son apparition en moyenne à 66,3 ans chez les premiers contre 64 ans chez les secondes. Au total, quatre cancers sur dix surviennent avant 65 ans, trois d’entre eux étant mortels avant cet âge. Quant aux cancers d’origine professionnelle, c’est l’amiante qui pose le problème de santé publique le plus préoccupant. Quand on sait qu’entre 3 000 et 4 000 décès annuels causés par ce cancer sont prévus dans les prochaines années, une reconnaissance précoce de l’exposition favoriserait au moins un dépistage plus précoce de la maladie.
Les moyens de lutte Rappelons qu’une prévention primaire est possible basée sur la minimisation de deux facteurs de risque véritables pourvoyeurs de cancers : le tabac et l’alcool. À cet effet, une application sans faille de la loi Evin ainsi qu’un repérage transversal plus efficace de l’alcoolo-dépendance (alcoologie dite de « liaison » dans les hôpitaux : tous les services sont censés identifier et signaler aux alcoologues les cas relevant d’une consommation excessive ou d’une dépendance, quelle que soit la cause de l’admission à l’hôpital) permettraient sans doute une diminution du nombre de cancers des voies aérodigestives supérieures (lèvres, langue, oro-pharynx, larynx) et du nombre de cancers du poumon. On remarquera à ce propos que le tabagisme féminin rattrapant celui observé chez les hommes, le nombre de cancers du poumon chez la femme est en forte augmentation annuelle. Sur le plan de l’alimentation il est plus difficile d’agir, mais un apport journalier de fibres est conseillé pour diminuer les risques d’apparition d’un cancer colo-rectal. Le programme national Nutrition-Santé a pour objectif en particulier de faire consommer aux Français cinq fruits et légumes par jour : cette modification de masse du comportement alimentaire repose sur une information, une communication, non pas sporadique mais continue avec utilisation intensive du support télévisuel. Le deuxième axe de la lutte contre le cancer concerne les dépistages précoces, permettant une avance au diagnostic qui augmente les chances de guérison du malade. Malgré son imperfection, le dépistage du cancer du col par frottis cervico-vaginal2 est le modèle démonstratif de ce qu’un test simple, efficace, acceptable peut apporter en matière de progrès médical :
1. Institut national du cancer, La situation du cancer en France en 2007. 2. Frottis cervico-vaginal : prélèvement par une spatule de cellules du col utérin aux fins d’analyses.
5 • Un progrès médical à consolider le taux de mortalité par cancer du col est passé de douze pour cent mille en 1979 à huit pour cent mille en 2000. Une organisation optimale d’un dépistage qui deviendrait véritablement « systématique » permettrait d’améliorer encore ces chiffres, près d’une femme sur trois restant encore pas ou mal surveillée en France aujourd’hui.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Les preuves de l’efficacité du dépistage du cancer du sein par mammographie ont été apportées par des études prospectives, essentiellement nord-américaines montrant une baisse de la mortalité liée à cette maladie de l’ordre de 30 % lorsque cet examen radiologique préventif est réalisé tous les deux ans après 50 ans. En France, 12 000 femmes, tous âges confondus, meurent d’un cancer du sein et 46 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année. Le dépistage obligatoire ne connaît actuellement un taux de participation que de 45 %, alors qu’on sait qu’il ferait reculer la mortalité de 25 à 30 % si son taux atteignait 70 %. Enfin le cancer colo-rectal est dépisté grâce à l’Hemoccult1 de manière expérimentale dans une douzaine de départements. Rappelons qu’en Bourgogne déjà une expérimentation a été conduite depuis de nombreuses années afin de comparer la mortalité liée à ce cancer dans la population bénéficiant du test, à celle existant dans la population non dépistée. Là encore, la preuve d’une diminution de la mortalité a pu être apportée, confirmant en cela les résultats de nombreuses études publiées à l’étranger sur le sujet. Ceci dit, l’un des objectifs de santé publique issus de la loi de santé publique d’août 2004 prévoit de définir d’ici 2008 une stratégie nationale de dépistage concernant ce cancer.
Un troisième axe environnemental trouve aujourd’hui son illustration avec la publication du rapport d’expertise sur les pesticides en Martinique2 , coordonné par le président de l’Association pour la recherche thérapeutique anticancéreuse. L’instigateur de l’appel de Paris pour un environnement moins chimique affirme que « les expertises scientifiques (...) menées sur les pesticides conduisent au constat d’un désastre sanitaire aux Antilles », d’où l’urgence de réformer les pratiques agricoles et économiques actuelles. Deux pesticides notamment – le chlordécone (interdit en 1993) et le paraquat (selon le rapport, « l’OMS le désigne comme l’un des produits chimiques les plus dangereux au monde ») – pointés cet été semblent bien impliqués dans la « possibilité d’une augmentation d’incidence des malformations congénitales et de troubles du développement chez les enfants » et dans « l’augmentation du nombre de cancers de la prostate et du sein ainsi qu’à une baisse de la fécondité ».
119
La recherche fondamentale Le cancer est une maladie d’origine génétique. Les événements génétiques qui aboutissent à la transformation cellulaire et à leurs effets fonctionnels, peuvent être regroupés en six chapitres : 1. L’autosuffisance de facteurs de croissance avec, au niveau génétique, les oncogènes, cellulaires ou viraux ; 2. L’insensibilité aux signaux d’anticroissance qui normalement bloquent dans un état quiescent la division naturelle de la cellule ou qui conduisent les cellules vers un état de différenciation. Les antioncogènes ou gènes suppresseurs de tumeurs et de nombreux
1. Hemoccult : recherche de saignement microscopique sur un prélèvement de selles. 2. Pr. D. Belpomme (coord.), Rapport d’expertise et d’audit externe concernant la pollution par les pesticides en Martinique. Conséquences agrobiologiques, alimentaires et sanitaires et proposition d’un plan de sauvegarde en cinq points, le 23 juin 2007.
PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL facteurs de contrôle de la division cellulaire sont l’objet de cet axe de recherche ; 3. L’échappement à l’apoptose ou mort cellulaire programmée (clé du contrôle du développement embryonnaire) concerne tous les cancers avec des mécanismes propres, intra et intercellulaires (récepteurs de surface « de mort »). Rétablir l’apoptose est l’enjeu thérapeutique qu’il s’agisse de chimiothérapie ou de radiothérapie ; 4. Le potentiel de réplication sans limite, avec passage de la sénescence à l’immortalisation cellulaire. Les télomères (structures terminales des chromosomes) raccourcissent à chaque mitose (division cellulaire), constituant un signe de vieillissement. Ils sont soumis à la maintenance d’une enzyme de réparation appelée télomérase, pouvant favoriser sans limite la réplication ;
120
5. La vascularisation tumorale (angiogenèse), est considérée aujourd’hui comme constitutive de la croissance des tumeurs solides. Elle répond à l’effet opposé de facteurs positifs et négatifs. Elle constitue une cible thérapeutique de choix, bien explorée ; 6. L’invasion tissulaire et les métastases sont des critères de différence entre tumeurs bénignes et malignes. Des propriétés très complexes dans leurs origines soulignent l’importance de la surface cellulaire et de ses interactions avec le micro-environnement. Des récepteurs d’organes cibles responsables de la spécificité d’organes des métastases (pourquoi l’os, le foie ou le cerveau, plutôt que le rein pourtant excellent filtre vasculaire !) y sont impliqués. Ces six classes de mécanismes physiopathologiques du développement d’un cancer constituent, chacune, les axes potentiels de projets de recherche. La recherche fondamentale s’ouvre sur des perspectives d’applications diagnostiques ou thérapeutiques plus directes. C’est le cas de
l’immunologie, où tumeurs et organismes s’opposent, et dont les applications diagnostiques et thérapeutiques peuvent être immédiates : ciblage de cellules tumorales par anticorps, vaccins antitumoraux.
Le programme Carte d’identité des tumeurs (CIT) La génomique des cancers comporte trois voies d’approche : • l’étude de l’expression des Acides ribonu-
cléiques (ARN) : le « transcriptome » ; • l’étude de la structure des génomes ; • enfin, l’étude de la nature et de la fonction des protéines correspondant aux gènes modifiés (le « protéome »). Cette voie de recherche s’appuie sur des banques de tissus normaux et cancéreux, bien caractérisés du point de vue clinique (Le Patient), cytogénétique et biologique. Ces ressources biologiques d’origine humaine constituent des tumorothèques. Des résultats préliminaires récemment annoncés montrent très concrètement l’ampleur et l’intérêt potentiel de cette approche globale de la génétique. Le projet CIT est un projet national. Si les USA ont des programmes semblables, en France l’existence des tumorothèques, des réseaux de soins en cancérologie et la disponibilité des ressources biologiques d’origine humaine, normale ou pathologique, constituent des atouts importants.
Le plan Cancer Le rapport de la commission d’orientation sur le cancer du 16 janvier 2003 recommandait de privilégier plusieurs axes afin que, globalement, cette maladie soit mieux prise en compte par la collectivité. Encore une fois la Recherche est au centre des préoccupations, avec quatre champs bien définis : • épidémiologie des cancers ;
5 • Un progrès médical à consolider • biologie et génomique fonctionnelle du can-
cer ;
• recherche diagnostique et thérapeutique ; • sciences humaines et sociales et éthique
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
médicale.
Le premier champ accuse un retard important, la recherche en santé publique étant le parent pauvre de la Recherche en général. Il s’agit là du poids de l’histoire dans notre pays, avec une domination traditionnelle des approches fondamentales et biomédicales des problèmes de santé. La biologie et la génomique fonctionnelle du cancer doivent s’appuyer sur des ressources biologiques annotées, avec une organisation du système d’information d’envergure nationale. Les cartes d’identité des tumeurs par type particulier de cancer permettront de connaître la combinatoire spécifique des gênes responsables et doivent donc reposer sur des « tumorothèques », véritables collections de sérums ou de tissus provenant des malades. La recherche diagnostique et thérapeutique s’appuie principalement sur les essais cliniques. Globalement la production scientifique dans ce domaine est considérable, avec un fort impact dans la discipline. Cependant, la recherche clinique doit évoluer avec plus de modernité. Ainsi, plus que la survie du patient, d’autres critères dits intermédiaires devraient pouvoir être considérés sous l’angle de la biologie ou des sciences sociales. L’accès aux fameuses « tumorothèques » des patients inclus dans un essai clinique devient tout aussi essentiel que le reste de l’information collectée à propos de l’essai en question. Une amélioration des outils statistiques mis en œuvre est un enjeu majeur, quand on connaît le développement considérable de la quantité d’information – notamment d’ordre biologique – collectée pour chaque patient. Plus de transparence à propos des essais est fortement souhaitée. Parmi les autres axes que la Commission recommandait de suivre, émergeaient diffé-
rentes priorités : renforcer la prévention, impliquer les généralistes dans le dépistage, mieux coordonner les soins au niveau régional, mieux soutenir les malades et leur proposer une feuille de route susceptible d’améliorer l’approche multidisciplinaire entre le radiologue, le chirurgien, le médecin oncologue, le psychothérapeute...
L’INCa : une réorganisation de la cancérologie française La Commission faisait deux recommandations essentielles dans ses conclusions : • Premièrement, augmenter le nombre de can-
cérologues dûment formés : on estime que 4 000 médecins pratiquent la cancérologie, avec une faible proportion ayant un exercice exclusif. C’est notoirement insuffisant et il est urgent de relancer les vocations, en favorisant l’attractivité des carrières et en créant des postes en nombre nécessaire ; • Deuxièmement, s’acheminer vers la création d’un Institut national du cancer afin de combler les imposantes lacunes observées dans le dispositif de santé publique et la recherche. C’est chose faite depuis la loi de santé publique du 9 août 2004. La Convention constitutive de l’INCa a été approuvée le 3 mai 2005. Ce dernier se voit reconnaître huit grandes missions : – observer et évaluer le dispositif de lutte contre le cancer, – définir les référentiels de bonnes pratiques et de prise en charge en cancérologie et les critères d’agrément des établissements et des professionnels pratiquant la cancérologie, – informer les professionnels et le public, – participer à la mise en place et à la validation d’actions de formation continue des médecins et des paramédicaux,
121
PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL – mettre en œuvre, financer et coordonner des actions de recherche, en liaison avec les organismes publics de recherche et les associations caritatives concernées, – développer et suivre des actions publicprivé dans les domaines de la prévention, de l’épidémiologie, du dépistage, de la recherche, de l’enseignement, des soins et de l’évaluation, – participer au développement d’actions européennes et internationales, – réaliser, à la demande des ministres concernés, toute expertise sur les questions relatives à la cancérologie et à la lutte contre le cancer.
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Prenant le relais de la Mission interministérielle pour la lutte contre le cancer, l’INCa est chargé de veiller à la mise en œuvre du plan Cancer, et à sa réussite. Son plan d’action s’articule autour de trois axes principaux, en mettant le malade au cœur de la réflexion et de l’action : • impulser et coordonner la politique de
soins ; • définir et financer la politique de recherche ; • agir contre le cancer en Europe et dans le monde. Parmi les mesures à mettre en œuvre à la fin 2007, l’Institut national du cancer doit s’attacher prioritairement à multiplier les actions d’information, de dépistage, de prévention et d’organisation des soins avec en particulier la généralisation du dispositif d’annonce, la mise en place des réseaux de soins en cancérologie, la prise en charge à domicile, les autorisations de soins en cancérologie. Le développement des soins de support (prise en charge des dispositifs esthétiques, meilleure organisation des dispositifs d’aide à domicile, allocations parentales...), de la formation (rendre les filiales médicales et paramédicales en cancérologie plus attractives) et la
stimulation de projets de recherche biologique et clinique (financement et coordination des cancéropôles, stratégie nationale de recherche clinique...) accompagne nécessairement les actions prioritaires précédentes. Nous porterons un rapide coup de projecteur sur les décrets du 22 mars 2007 relatifs à l’autorisation des établissements de soins en cancérologie qui constituent un véritable tournant. Deux principes désormais prévalent dans la prise en charge des patients : la pluridisciplinarité et l’organisation coopérative des soins. Les aspects qualitatifs majeurs de la réforme ont été renforcés par des critères quantitatifs avec la notion de « seuils d’activité » concernant la chirurgie cancérologique, la chimiothérapie et la radiothérapie (arrêté du 29 mars 2007). Ces seuils, définis par l’INCa et les Sociétés savantes, impulsent une réorganisation en profondeur de la cancérologie. En effet, l’enjeu en chirurgie est considérable car : • la chirurgie des cancers représente près de
15 %, voire 20 %, de l’activité chirurgicale programmée ; • le total des activités de chirurgie carcinologique appelées à transfert représente parfois un volume supérieur à l’activité annuelle du CHRU et/ou du Centre régional de lutte contre le cancer ; • l’image des établissements publics de santé qui ne seront plus autorisés à traiter tout ou partie des cancers risque de se dégrader rapidement s’ils ne s’intègrent pas dans des filières assurant la graduation des soins et la coopération des équipes soignantes. L’activité à redéployer par localisation concerne le secteur public, les centres de lutte contre le cancer, les établissements privés participant au service public hospitalier et les établissements privés. Ce redéploiement concerne l’activité de chirurgie carcinologique calculée à partir des éléments PMSI 2004 selon la méthode dite M1. Le nombre de
5 • Un progrès médical à consolider Tableau 5.1. Pourcentage d’établissements en dessous du seuil d’activité Public 38 %
Type d’établissements PSPHa + CLCCb 32 %
Privé 34 %
Sein
57 %
42 %
56 %
Urologie
61 %
63 %
37 %
Thoracique
78 %
79 %
78 %
Gynécologie
69 %
51 %
70 %
ORL Maxillo-faciale
67 %
57 %
75 %
Type de chirurgie Digestive
a. Participant au service public hospitalier. b. Centres de lutte contre le cancer.
séjours à redéployer s’élève à 12 % de l’activité totale de chirurgie carcinologique, avec des disparités importantes selon la spécialité chirurgicale : 36 % pour la gynécologie, 22 % pour la chirurgie thoracique, 19 % pour l’oto-rhinolaryngologie et la chirurgie maxillo-faciale. Cinq régions Nord-Pas-de-Calais, Ile-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, et Aquitaine concentrent 50 % des séjours à redéployer. Le secteur public sera particulièrement impacté par ce critère de seuil, comme le montre ce tableau où figure, par type de chirurgie, le pourcentage d’établissements en dessous du seuil d’activité1 (tableau 5.1).
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Un progrès qui trébuche : l’exemple de l’Alzheimer Les données épidémiologiques sont parlantes. La prévalence de cette affection, autrement dit sa fréquence est de 5 % chez les personnes âgées de plus de 65 ans et de 25 % chez les personnes âgées de plus de 80 ans. Son incidence, ou fréquence de survenue des nouveaux cas, est de 11,7 pour 1 000 personnes de plus de 65 ans suivies pendant un an, et cette incidence augmente exponentiellement avec l’âge. Ainsi, d’après l’étude PAQUID 2003, les
estimations françaises de la prévalence de la maladie chez les personnes de plus de 75 ans sont de 13,2 % pour les hommes et de 20,5 % chez les femmes. Une personne sur deux serait atteinte, passé 90 ans, de déclin cognitif. Il s’agit bien d’une épidémie nouvelle, avec désormais 860 000 malades et 225 000 nouveaux cas chaque année. De plus, l’impact financier de cette maladie est important : un malade représente en effet plus de 22 000 euros de dépenses annuelles, médicales et médico-sociales. Les dépenses médicales se montent à 5 731 euros par malade. Le montant total de ces dépenses est estimé à un milliard d’euros par an, dont 97 % sont pris en charge par l’Assurance maladie. Les dépenses médico-sociales s’élèvent quant à elles à 16 307 euros par malade. Même si l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) apporte un soutien réel, ces dépenses sont encore insuffisamment prises en compte : 55 % restent en effet à la charge des familles. Mais introduisons tout d’abord plus de rationalité à propos des mots « démence » ou « Alzheimer ». Premièrement, si toute maladie d’Alzheimer est une démence, toute démence n’est pas une maladie d’Alzheimer. Deuxièmement, le terme démence ne signifie pas folie. Troisièmement enfin, cette démence débutante
1. « Dossier réorganisation de la cancérologie », La Revue Hospitalière de France, n◦ 516, mai-juin 2007.
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL n’est reconnue ni par la famille, ni par le médecin généraliste dans la moitié des cas. Qu’entend-on donc par démence ? L’évolution naturelle de la maladie conduit à la démence qui est une « détérioration des fonctions cognitives suffisamment sévère pour retentir sur la vie quotidienne du patient. Elle s’accompagne d’une désorganisation de la personnalité ». Cette définition permet d’introduire les notions de stades pré-démentiel et démentiel de la maladie d’Alzheimer.
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Quant à la maladie d’Alzheimer à proprement parler, elle se définit comme « une affection neuro-dégénérative du système nerveux central caractérisée par une détérioration durable et progressive des fonctions cognitives et des lésions neuro-pathologiques spécifiques de type dégénérescences neuro-fibrillaires et plaques séniles ». Dès lors, comment reconnaître la maladie d’Alzheimer ? Comme chacun sait, les signes inauguraux les plus fréquemment rencontrés lors de la maladie sont les troubles de la mémoire et ceux dits des fonctions exécutives. Les troubles mnésiques caractéristiques portent d’abord sur la mémoire épisodique, celle qui permet de fixer des nouvelles informations dans un lieu et à un moment donné, à propos d’événements touchant de près la personne. Une désorientation dans le temps – la date du jour, puis le quantième du mois, le jour de la semaine, et enfin le mois et l’année en cours – précède la désorientation dans l’espace, habituellement plus tardive. Les troubles de la mémoire sémantique sont encore plus tardifs et concernent les connaissances du sujet. Après ce qui vient d’être écrit sur le pronostic plutôt sombre de la maladie, à quoi bon réaliser un diagnostic précoce ? En a-t-on réellement les moyens ou ce diagnostic finit-il par s’imposer avec le temps et le déclin de l’individu ?
Les professionnels s’accordent pour dire qu’il faut poser le diagnostic de la maladie d’Alzheimer à un stade précoce. Ce stade précoce recouvre les formes légères et modérées avec des scores à l’échelle d’évaluation de la démence (Clinical Dementia Rating) compris entre 1 et 2. Rappelons que le visage de la maladie a beaucoup évolué puisqu’auparavant tous les troubles démentiels étaient classés « Alzheimer », dans un fourre-tout bien commode. Il est désormais possible de gagner quelques années dans le repérage de la maladie grâce à des tests neuropsychologiques. Certains critères permettant de catégoriser un individu comme porteur d’une maladie d’Alzheimer s’il présente une démence (un trouble de la mémoire décrit plus haut) associée à au moins l’altération d’une autre fonction cognitive, comme un trouble des fonctions exécutives ou un trouble du langage. Par ailleurs, ces troubles occasionnent un retentissement socioprofessionnel avec perturbation de la vie quotidienne et déclin significatif par rapport à ce qui existait auparavant. Le début de ces troubles doit se situer après 40 ans avec une aggravation continue et progressive. Enfin, les autres causes de troubles cognitifs doivent être écartées : maladie de Parkinson, maladie cérébro-vasculaire, hypothyroïdie, carence en vitamines B12, prise médicamenteuse (anxiolytiques, neuroleptiques, antidépresseurs, sédatifs...) ou troubles psychiatriques (dépression, schizophrénie, confusion mentale d’origines diverses...). Les fonctions cognitives du malade sont évaluées grâce à des outils très simples : on citera le Mini Mental Status Examination (MMSE). Ce MMSE est côté sur trente points et consiste en une série de questions. D’autres tests sont employés, comme le test de l’horloge qui consiste à demander au patient de dessiner le cadran d’une horloge, d’en désigner toutes les heures et de placer correctement la petite et la grande aiguille pour des heures données. On citera encore le test de fluence verbale, qui
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
5 • Un progrès médical à consolider consiste à évaluer la mémoire sémantique : en une à deux minutes, la personne doit citer tous les noms d’une même classe, tels que des animaux ou tous les noms communs commençant par une lettre donnée (fluence lexicale alphabétique ou lexicale catégorielle). Certains instruments permettent par ailleurs d’évaluer le retentissement des troubles cognitifs sur les activités de la vie quotidienne, tels que l’IADL (Instrumental Activities of Daily Living) comportant huit domaines : utiliser le téléphone, utiliser les transports, prendre ses médicaments, gérer ses finances, faire les courses, préparer les repas, entretenir la maison, faire la lessive. La sensibilité et la spécificité de cette échelle pour le diagnostic de démence sont de respectivement 86 % et 88 % si le malade nécessite une aide pour au moins 2 de ces 8 items. Enfin, des examens complémentaires, notamment biologiques, permettent de repérer les démences potentiellement réversibles, même si celles-ci ne représentent que 1 % des cas. Dans le même esprit, l’imagerie cérébrale peut préciser l’existence d’autres causes de démence : tumeur cérébrale, hématome sousdural, hydrocéphalie, infarctus cérébral... Quant à l’électroencéphalogramme, il n’est pratiqué que si le contexte le nécessite. Les examens à la pointe du progrès dans le domaine de l’imagerie n’apportent guère de progrès diagnostic en cas d’Alzheimer : l’imagerie par émission monophotonique (Spect) n’est recommandée qu’en cas de doute avec une démence d’un type particulier (démence
fronto-temporale). L’imagerie par émission de positons (TEP) n’est pas recommandée par la plupart des experts. Comme on peut le constater, des outils du repérage de la maladie existent bel et bien et font l’objet d’accords professionnels quant à leur utilisation. Plus qu’à un problème épidémiologique, nous avons affaire à un problème de société, où demain l’exercice des solidarités concernera un public bien plus large que celui touché par une maladie orpheline quelconque. Présidée par le professeur Joël Ménard, la Commission sur le plan Alzheimer a été installée, le 3 septembre 2007, par le Président de la République. Le travail de la Commission s’articulera autour de plusieurs priorités : • optimiser les efforts de la recherche fran-
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çaise dans le cadre d’un système mondial de recherche ; structurer les partenariats entre les secteurs public et privé ; définir les objectifs en matière de recherche, de soins et de prise en charge des malades et établir entre eux des connexions efficaces ; veiller à l’équité territoriale de la prise en charge des malades et de leurs familles ; accroître la mobilisation des acteurs concernés et l’élargir à la société dans son ensemble.
La lutte contre la maladie d’Alzheimer a été déclarée Grande Cause nationale de l’année 2007.
2. COMMENT MAÎTRISER LE RISQUE IATROGÈNE ? La iatrogénie dans son ensemble doit rappeler au médecin un principe de base : « primum non nocere 1 ». Pour cela, il doit bien sûr maîtriser les connaissances indispensables à la
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1. Que l’on pourrait traduire littéralement par : « avant tout ne pas nuire ».
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL ☞ thérapeutique, mais aussi s’appuyer sur une véritable pédagogie, à destination du malade et de son entourage proche.
Le mot iatrogénie désigne l’ensemble des accidents involontairement survenus lors d’une pratique médicale (du grec iatrov : médecin et genein : engendrer).
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Qu’il s’agisse d’une perforation intestinale lors d’une endoscopie ou d’un choc après injection de produit iodé de contraste lors d’une radiographie des reins, les deux effets malencontreux font partie de la iatrogénie. De nombreuses études ont montré à l’étranger l’importance du phénomène engendrant une mortalité pouvant varier de 6 à 13 % (tableau 5.2). On le comprendra aisément, les chiffres sont en matière de iatrogénie sujets à caution. En premier lieu à cause du concept lui-même, qui a beaucoup évolué, élargissant sans cesse le champ de la détection d’un événement iatrogène (tableau 5.3). En second lieu parce que les causes d’accident iatrogène sont multiples et souvent difficiles à évaluer.
L’hôpital, haut lieu du risque nosocomial Un certain Semmelweis a fait, il y a plus d’un siècle déjà, une découverte fondamentale : l’hygiène des mains permet au médecin de soigner, sans « passer » une maladie d’un individu à l’autre. Il ne s’agit pas d’un risque incontrôlable inhérent à une technique particulière : perforation malencontreuse lors d’une fibroscopie, allergie à un produit de contraste iodé lors d’un examen radiologique, ou encore effet secondaire inopiné d’un médicament. Aucune fatalité, fut-elle probabilisée, dans cette histoire-là : simplement l’imperfection d’une activité humaine englobée sous le terme de « soigner ».
Car soigner nécessite de toucher, palper, d’être au contact le plus intime du corps de l’autre, parfois même d’être « invasif », pour qualifier des gestes techniques sophistiqués permettant d’accéder aux secrets anatomiques les plus profonds : cathétérismes artériels ou veineux, sondages, endoscopies, etc. Tous ces gestes ne sont pas (encore ?) pratiqués par des robots et nécessitent les mains expertes des opérateurs. Tous ces gestes n’entraînent pas l’utilisation de matériel à usage unique de manière systématique et nécessitent des processus de décontamination des appareils. D’un côté les mains, de l’autre les instruments. Voici ainsi résumées les deux sources, uniques, par lesquelles peut se transmettre une maladie quelconque, et ceci au moment où une autre maladie fait l’objet d’examens diagnostiques ou de gestes thérapeutiques dans le cadre hospitalier, le plus souvent, mais également en médecine ambulatoire. Quelques données épidémiologiques s’imposent pour comprendre l’ampleur du problème. Un premier classement officiel comparant les performances des hôpitaux et des cliniques dans la lutte contre les infections nosocomiales, rendu public en février 2006, révèle que près de 6 % des établissements ont encore des efforts à faire dans la prévention de ces affections contractées lors d’une hospitalisation. Ce classement a non seulement pour but d’informer les patients sur le risque infectieux encouru mais aussi celui « d’inciter tous les établissements de santé à mesurer leurs actions (...) contre les infections nosocomiales ». Cette première évaluation porte sur l’année 2004, et 2 832 établissements sont concernés. Parmi eux, 404 (14 %) n’ont pas répondu. Au final, 11,1 % des établissements sont classés en
5 • Un progrès médical à consolider Tableau 5.2. Fréquence, caractère évitable et conséquences des événements iatrogènes (EIA) identifiés aux États-Unis, en Australie, en Grande-Bretagne, au Danemark et en Nouvelle-Zélande. Références
Nombre de patients
Patients ayant des eia graves
EIA évitables ou liés à une négligence
EIA ayant conduit à un décès
Brennan T.A. et al. 1991 HPMS (États-Unis)
30 121
3,7 %
27,6 %
13,6 %
Wilson R.M. et al., 1995 QAHCS (Australie)
14 179
16,6 %
51,2 %
4,9 %
Thomas E.J. et al., 2000 UTCOS (États-Unis)
14 700
2,9 %
27,5 % (Colorado) 32,6 % (Utah)
6,6 %
Vincent C. et al., 2001 (Grande Bretagne)
1 014
11,7 %
48,0 %
8,0 %
Schioler T. et al., 2001 Danemark
1 067
9,0 %
40,4 %
6,1 %
Davies T. et al., 2001 (Nouvelle-Zélande)
1 326
10,7 %
49,0 %
Source : DREES, Études et résultats , n◦ 219, février 2003.
Tableau 5.3. Liste des critères de détection d’un événement iatrogène éventuel. 1
Hospitalisation de référence non prévue, dont le motif est lié aux conséquences d’une prise en charge médicale dans les 12 mois
2
Atteinte physique non désirée survenue au cours de l’hospitalisation de référence
3
Événement indésirable inattendu ou grave dû à un médicament
4
Infection liée aux soins
5
Ablation, lésion ou réparation non prévue d’un organe ou d’un tissu au cours ou consécutif à une procédure invasive, chirurgicale ou non, ou lors d’un accouchement par voie basse.
6
Passage ou retour non prévu au bloc opératoire au cours de l’hospitalisation de référence
7
Intervention chirurgicale « à ciel ouvert » non prévue après une procédure fermée ou laparoscopique planifiée
8
Accident aigu mettant en jeu le pronostic vital à court terme (arrêt cardiaque ou respiratoire, score d’Apgar bas...)
9
Survenue d’un déficit neurologique non présent à l’admission
10
Lésion ou complication liée à une grossesse, à une interruption de grossesse, au travail et à l’accouchement, y compris les complications néonatales
11
Lésion ou complications présentées par le patient (infarctus du myocarde : thrombose veineuse profonde ; accident vasculaire cérébral, embolie pulmonaire...)
12
Insatisfaction du patient ou de sa famille en rapport avec les soins reçus, documentée dans le dossier du patient ou par un dépôt de réclamation ou de plainte
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Transfert non prévu dans un service de soins intensifs ou de réanimation
14
Transfert non prévu dans un autre établissement de santé de court séjour
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Décès inattendu
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Douleur ou impact psychologique ou social documenté
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Autre événement non désiré lié aux soins non pris en compte par les critères précédents.
Source : DREES, Études et résultats , n◦ 219, février 2003.
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL catégorie A, 22,2 % en B, 33 % en C, 13,2 % en D et 5,8 % en E, c’est-à-dire la catégorie la plus mauvaise. L’objectif est qu’en 2007, il n’y ait plus aucun établissement dans cette dernière catégorie. On compte 4 000 décès directement liés aux infections nosocomiales en France, selon les données officielles issues du plan national de Lutte contre les infections nosocomiales 2005-2008. En tout 6,9 % des patients sont en moyenne touchés par ces affections. On estime que 20 à 30 % de ces cas pourraient être évités. La France se situe dans la moyenne européenne concernant ce sujet.
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En ce qui concerne la médecine ambulatoire, il est beaucoup plus difficile d’avoir une idée sur la situation car les patients ne reviennent pas toujours consulter le même médecin. Par ailleurs, le risque est variable selon la filière professionnelle, la pratique d’un gastro-entérologue différant notablement de celle d’un gynécologue ou d’un stomatologue. Peu d’enquêtes donc permettent aujourd’hui de répondre à la question. Les gestes préventifs sont simples et commencent par un programme d’amélioration de l’hygiène des mains. Ainsi, l’impact de l’utilisation des solutions hydro-alcooliques sur les taux d’infections nosocomiales a été démontré : plus l’observance des professionnels augmente et plus la prévalence des infections diminue. Les mesures pratiquées susceptibles d’entraîner des résultats durables et généralisés sont simples : lavabos avec distributeurs de savon liquide et essuie-mains en papier à l’entrée de chaque chambre, présence de distributeurs de solution hydro-alcoolique sur les chariots de visite. La redécouverte du bon Docteur Semmelweis s’impose, au grand réconfort des nostalgiques, mais n’est pas du goût de tous les autres, si l’on en croit les statistiques. Pourquoi la France figure-t-elle parmi les pays les plus touchés par la résistance aux antibiotiques ? Pourtant, on le voit bien, les mesures de prévention font appel à des connaissances
médicales de base et leur mise en œuvre répond à une logistique et à une technologie peu sophistiquées. Mais la mise à disposition des outils simples, décrits plus haut, doit entraîner un comportement collectif homogène de la part des infirmières et des médecins. Cette norme n’est pas encore admise, n’est pas intégrée à la qualité du soin et les conséquences en sont épidémiologiquement peu visibles.
Le médicament, une arme à double tranchant Un indicateur majeur de la iatrogénie médicamenteuse a été mesuré pour la première fois dans une étude nationale récente : les effets indésirables des médicaments constituent le motif d’admission de 3,2 % des hospitalisations dans les services de spécialités médicales des hôpitaux publics français. Les principales caractéristiques des effets indésirables ayant motivé une hospitalisation sont les suivantes : • ces effets sont survenus de façon prépondé-
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rante (9 fois sur 10) pour des médicaments de prescription, et seulement une fois sur dix pour des produits d’automédication ; ils ont été observés chez des patients souvent âgés de plus de 60 ans (âge moyen 60,5 ans) ; ils sont liés dans 57 % des cas à la toxicité inhérente des médicaments. Dans 31 % des cas, dont une partie aurait probablement pu être évitée, ils relèvent aussi de pratiques de prescription par le médecin et d’utilisation par le patient non conformes à l’autorisation de mise sur le marché ; ils ont été essentiellement digestifs, cardiovasculaires et cutanés ; ils ont été causés, par ordre de fréquence décroissante, par des médicaments cardiovasculaires, en particulier des cardiotoniques, antiarythmiques et vasodilatateurs, des psy-
5 • Un progrès médical à consolider
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
chotropes, des cytostatiques, des anticoagulants et des antibiotiques, des analgésiques, des anti-inflammatoires et des antirhumatismaux. La projection des données recueillies, compte tenu des quatre millions d’admissions annuelles dans les services de spécialités médicales en France métropolitaine, permet d’estimer le nombre des hospitalisations motivées par un effet indésirable médicamenteux à environ 130 000 par an en France. La durée moyenne d’hospitalisation étant de neuf jours, on peut estimer le nombre moyen de journées d’hospitalisation dues à un effet indésirable médicamenteux à plus d’un million par an. Ces résultats confirment l’importance du problème de santé publique posé par la iatrogénie médicamenteuse et montrent que celle-ci est en partie évitable en respectant le bon usage du médicament et en luttant contre la surconsommation médicamenteuse injustifiée. Il s’agit de limiter la prescription et la consommation des médicaments aux seuls besoins de santé publique et de réduire les volumes des classes médicamenteuses pour lesquelles on constate une surconsommation abusive. La surconsommation médicamenteuse est non seulement injustifiée et dès lors inutilement coûteuse, mais elle peut être source de complications individuelles (effets indésirables) et collectives (consommation des antibiotiques et développement des résistances bactériennes). Face aux difficultés induites par la polymédication, de nombreuses initiatives ont été adoptées afin de prévenir les risques. Ainsi, la loi de santé publique du 9 août 2004 engage les pouvoirs publics à mettre en place des dispositions ayant pour objectif « l’amélioration de l’état de santé de la population et de la qualité de vie des personnes malades, handicapées, et des personnes dépendantes ». De même, l’AFSSAPS propose un certain nombre de recommandations par classe thérapeutique et met en relief les principaux facteurs de risque.
De leur côté, les laboratoires internationaux de recherche se sont engagés à promouvoir auprès des professionnels de santé le bon usage des soins dans le cadre des traitements de l’asthme et de la migraine dans un premier temps, à travers leurs réseaux de visite médicale. Quant au LEEM, il propose des règles de bon usage du médicament. L’objectif est de réduire d’ici cinq ans la fréquence des prescriptions inadaptées chez les personnes âgées, et la fréquence des évènements iatrogènes d’origine médicamenteuse entraînant une hospitalisation. Les personnes âgées constituent une population particulièrement exposée aux conséquences iatrogènes des médicaments. On considère cette population comme étant à risque, ce problème fréquent ayant un important retentissement médico-social : accroissement de la morbidité, perte d’autonomie, et même mortalité attribuable. Les données épidémiologiques concernant le risque iatrogène et ses causes potentielles sont éloquentes : • 10 % à 20 % des motifs d’hospitalisation des
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personnes âgées de plus de 65 ans ont pour cause un effet indésirable d’un ou plusieurs médicaments ; le taux d’événements iatrogènes est deux fois plus fréquent après 65 ans qu’avant 45 ans ; les accidents iatrogènes s’aggravent avec l’âge et les symptômes qui les accompagnent deviennent peu spécifiques (chutes, confusions...) ; les classes médicamenteuses incriminées dans les événements indésirables sont celles les plus fréquemment prescrites : ainsi les hypotenseurs sont-ils responsables de près du quart des effets indésirables enregistrés ; les médicaments présentant la marge thérapeutique la plus étroite sont également plus souvent impliqués : digitaliques, anticoagulants, sulfamides, hypoglycémiants, théophylline, lithium, aminosides.
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL Les conséquences de la iatrogénie médicamenteuse sont multiples et variées, la liste est tellement longue qu’un petit aperçu s’impose. On trouve ainsi : • l’hypotension artérielle : les médicaments
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principalement responsables sont bien entendu les anti-hypertenseurs, les dérivés nitrés mais aussi les antidépresseurs, les neuroleptiques et les antalgiques opioïdes ; les troubles du métabolisme hydroélectrolytique : ils sont généralement liés aux diurétiques quels qu’ils soient. Les dyskaliémies (diurétiques, inhibiteurs d’enzyme de conversion (IEC), corticoïdes, laxatifs) sont à l’origine de troubles du rythme cardiaque ; l’insuffisance rénale : elle peut être fonctionnelle (liée à la déshydratation) ou organique (anti-inflammatoire non stéroïdiens (AINS), IEC, aminosides) ; les troubles du rythme et/ou de conduction cardiaque : souvent graves, ils sont en rapport avec un trouble électrolytique (trouble de la calcémie ou de la kaliémie) ou avec la prescription (isolée ou en association) de digitaliques, bêta-bloquants, anti-arythmiques, inhibiteurs des canaux calciques non dihydropyridiniques, lithium, théophylline ; les troubles neuro-psychiques : ils constituent près du quart des signes d’appel. Les médicaments sont responsables de près de 15 % des syndromes démentiels. Les médicaments principalement responsables sont les anxiolytiques, les antidépresseurs, les neuroleptiques, les anti-parkinsoniens, les opioïdes, les anesthésiques mais aussi les antihypertenseurs centraux, les AINS, les corticoïdes, les quinolones, la théophylline, certains anti-histaminiques et les anticholinergiques ; les accidents hémorragiques : la majoration du risque hémorragique sous anticoagulants est expliquée par leur action plus importante, la fragilité vasculaire, la dénutrition, la surve-
nue fréquente de chutes, les erreurs d’observance, les maladies et certaines associations médicamenteuses (notamment AINS, mais aussi sulfamides hypoglycémiants, inducteurs enzymatiques, antibiothérapie à large spectre) ; • les hypoglycémies : survenant sous insuline
ou sulfamides hypoglycémiants, elles sont volontiers atypiques et graves ;
• les chutes iatrogènes : elles proviennent de
mécanismes divers en rapport avec l’administration de nombreux médicaments, en particulier les psychotropes (benzodiazépines et antidépresseurs), l’hypotension artérielle (globale ou orthostatique), les troubles de la vigilance, l’anémie ou encore l’hypoglycémie ;
• les ulcérations gastro-duodénales : elles sont
principalement dues aux AINS ;
• les hépatites médicamenteuses : elles sont
plus fréquentes en raison de la surconsommation médicamenteuse et de l’augmentation de la sensibilité aux effets toxiques de très nombreux médicaments ;
• les autres signes digestifs : nausées, vomis-
sements, troubles du transit sont liés à de nombreux médicaments. Les diarrhées liées aux antibiotiques à large spectre sont souvent à l’origine d’hospitalisations du sujet âgé ;
• les manifestations allergiques (cutanées) ; • les symptômes anticholinergiques : rétention
vésicale, constipation, hypertonie oculaire, troubles de l’accommodation, confusion mentale sont favorisés par la prise simultanée de plusieurs médicaments anticholinergiques ;
• les dysthyroïdies : qu’il s’agisse d’hypothyroï-
die ou d’hyperthyroïdie, elles sont principalement liées à l’amiodarone, fréquemment prescrite au cours de troubles du rythme supra-ventriculaire ;
5 • Un progrès médical à consolider • les accidents de sevrage : ils concernent prin-
cipalement les benzodiazépines (syndrome confusionnel). Ils sont alors favorisés par l’interruption brutale du médicament par le malade lui-même ou à l’occasion d’une hospitalisation.
Les facteurs favorisant la iatrogénie médicamenteuse sont de deux ordres : • en rapport avec le comportement du malade :
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
les erreurs d’observance des traitements touchent 60 % des personnes âgées. Ainsi 60 % des personnes âgées pensent utiliser correctement les bronchodilatateurs en inhalation alors que 10 % d’entre elles le font vraiment ; • en rapport avec le prescripteur : le médecin connaît parfois insuffisamment les médicaments qu’il prescrit (effets indésirables, interactions, précautions d’emploi). 7 à 10 % des personnes âgées ambulatoires ou institutionnalisées ont 3 médicaments à action anticholinergique, voire plus. Le processus d’observance au traitement est lié largement au comportement prescriptif du médecin qu’il s’agisse de communication, d’explication ou d’autonomisation du patient. La compréhension, par le malade, des informations qui lui sont données étant la résultante évidente de ces actions. On citera en particulier l’enquête cas-témoin de Wynne et Long portant sur des hémorragies digestives aiguës liées à la consommation d’AINS dans les jours précédents. Un interrogatoire des patients, portant notamment sur les symptômes digestifs ressentis avant le saignement, la connaissance des effets indésirables de la thérapeutique, l’adaptation spontanée de ce traitement par l’individu, montre que les sujets ayant saigné connaissaient moins les effets indésirables de celui-ci que les témoins et qu’ils ne l’adaptaient pas
spontanément, en suivant scrupuleusement les prescriptions de leur médecin. Une publication récente1 concerne une action originale fondée sur le constat que les pathologies iatrogènes chez les personnes âgées sont un problème majeur de santé publique et que le médecin généraliste a un rôle clé dans la prévention, notamment lors de la prescription. Aussi, une campagne de sensibilisation à ce problème a été conduite auprès de médecins généralistes volontaires de la Région Rhône-Alpes en 2003. L’objectif de cette expérimentation était de vérifier l’impact de cette campagne sur le comportement préventif des médecins généralistes lors de la prescription. Sur le plan de la méthode, les médecins voyaient en moyenne une douzaine de patients de plus de 75 ans, respectivement avant, et après l’intervention. L’attitude des médecins pour chaque patient était appréciée par cinq scores : la recherche de l’autonomie financière du patient, la recherche de son autonomie physique et psychologique, la recherche de signes cliniques et biologiques, le respect des bonnes pratiques de prescription et enfin la relation médecin patient. Le niveau de risque de iatrogénie du patient était basé sur ses antécédents, les médicaments qu’il prenait, son âge et son mode de vie (seul ou en couple). Les scores discrétisés ont chacun été comparés entre les patients recrutés avant et après la campagne par régression logistique. Les groupes « avant » et « après » comprenaient respectivement 1 318 et 1 127 patients. Après l’intervention, les médecins généralistes recherchaient davantage des informations sur l’autonomie financière, l’autonomie physique, ainsi que les signes cliniques et biologiques. Des améliorations, quoique non significatives, étaient aussi observées pour les
1. B. Fantino, F. Fantino, S. Chrétien et al, « Impact d’une campagne d’éducation auprès des médecins généralistes pour prévenir la iatrogénie chez leurs patients âgés », La revue de gériatrie, 10 décembre 2005.
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bonnes pratiques de prescription et la relation patient/médecin. En conclusion, la campagne éducative a amélioré le comportement préventif des médecins généralistes au moment de prescrire à leurs patients âgés. La généralisation de ce type de campagne pourrait limiter la survenue d’accidents iatrogènes dans cette population à risque. Il existe donc une recherche et une discussion autour du concept d’observance, appelée encore compliance, qui pour certains devrait être remplacé par le terme de « concordance ». Une vision plus égalitaire est suggérée concernant la relation prescripteur/consommateur. Le concept de concordance est fondé sur l’échange d’informations, la négociation et la coopération. La « première prescription » est en particulier considérée comme un essai nécessitant ensuite des réajustements. Considérer le patient comme co-décideur de la prescription apparaît comme la pierre angulaire de cette vision nouvelle, la « concordance ». C’est faire du malade un individu autonome capable de comprendre des consignes et de les appliquer lorsque, sorti du cabinet médical, un événement lié au traitement se produira. Ce message peut ne pas être entendu par la personne âgée, aux fonctions sensorielles altérées, à la mémoire défaillante. C’est alors
la personne référente, le mari ou la femme, l’ami qui doivent être informés. Concordance et proximologie s’accordent, pour une meilleure discussion avec le patient mais aussi avec son entourage, pour une meilleure décision le concernant. À ce titre, l’étude REMEDE (Relation medecins-entourage) publiée en 20071 avait pour objectif de décrire la perception des médecins généralistes sur le rôle et la place de l’entourage accompagnant le patient en consultation. 435 médecins représentatifs de leur profession ont rempli deux questionnaires, l’un auto-administré déclaratif, l’autre décrivant trois situations cliniques réelles et la place des accompagnants en cas de maladie d’Alzheimer, de maladie de Parkinson, de dépression, d’épilepsie, d’asthme, d’insuffisance cardiaque ou de diabète de type 2. Les médecins pensent répondre de façon globalement satisfaisante aux attentes de l’entourage concernant la maladie et son traitement. Le rôle de l’accompagnant est majoritairement perçu comme positif et contributif à l’efficacité des soins. Cette étude correspond à la nouvelle donne de l’exercice médical moderne, dominé par le poids des pathologies chroniques et invalidantes impliquant la présence d’un tiers.
1. B. Fantino et coll. « Représentation des médecins du rôle de l’entourage en consultation », Revue de Santé Publique 2007, volume 19, n◦ 3.
Chapitre 6 Le médicament : une marchandise pas comme les autres
PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL
PLAN DU CHAPITRE
134
1. Une politique contractuelle pour concilier intérêts économiques et sociaux Un marché rentable mais inéquitable Un État gardien de l’intérêt général Le médicament générique Le médicament de confort
135 135 139 141 143
2. Un payeur qui demande des comptes à un prescripteur sous pression Éclairer et diminuer le montant de la facture de l’Assurance maladie Un prescripteur sous pression Le pharmacien d’officine appelé à jouer les bons offices Mieux informer le patient consommateur
144 144 145 146 148
6 • Le médicament : une marchandise pas comme les autres
1. UNE POLITIQUE CONTRACTUELLE POUR CONCILIER INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX Le marché du médicament peut-il se satisfaire d’une économie administrée à la française ? L’État pourrait-il s’abstenir d’intervenir en tant que garant de la santé publique et comptable des ressources de l’Assurance maladie ? Face à l’ébullition du marché mondial, une forte croissance du chiffre d’affaires des laboratoires et une demande accrue des consommateurs, tous les États s’efforcent de freiner les dépenses. Outre une régulation européenne qui s’impose s’agissant des autorisations de mise sur le marché, l’État français a engagé avec les laboratoires une politique contractuelle complexe mais incontournable.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Un marché rentable mais inéquitable Un sixième de la population mondiale voit ses besoins de santé satisfaits grâce aux médicaments, générant ainsi près des neuf dixièmes du chiffre d’affaires d’une industrie pharmaceutique dont la pérennité repose sur ses capacités de recherche et d’innovation. Le médicament n’est cependant pas une marchandise comme les autres parce qu’il s’agit d’élaborer un produit qui s’adresse à des malades, qu’il ne peut donc pas être totalement soumis aux lois habituelles du marché sachant que ses modes de production, distribution et prise en charge s’inscrivent dans une problématique complexe : répondre à des objectifs de santé publique tout en permettant au secteur d’affronter la concurrence sur le marché de la prescription et le défi de l’innovation thérapeutique grâce à une recherche incessante et performante.
La recherche, le marché et l’État Cette recherche est le véritable moteur des entreprises de l’industrie pharmaceutique dans la compétition internationale. Il se passe en moyenne douze ans avant que le consommateur ne bénéficie d’un médicament : 10 000 substances de départ permettront à environ
vingt d’entre elles de franchir le cap du développement pré-clinique. Il ne restera que dix produits qui atteindront la phase clinique dite phase I (essais chez les animaux), cinq produits seront testés en phase clinique II (essais chez les volontaires sains) et deux produits seulement seront évalués lors de la phase clinique III, les fameux essais cliniques conduits chez des malades. Un seul produit sera admis en phase clinique IV, après obtention de son Autorisation de mise sur le marché (AMM) et celui-ci sera encore soumis à une surveillance dans la « vraie vie », avec notamment des signalements de pharmacovigilance. Ces derniers permettent de documenter des effets indésirables, mineurs, modérés ou graves, susceptibles de modifier les indications et donc l’utilisation du médicament. Dans les cas les plus sérieux, il peut être même simplement retiré du marché si un danger en terme de santé publique est prouvé. Quand on observe le nombre de médicaments représentant à la fois la découverte d’une famille clinique nouvelle et un apport thérapeutique, sur une période de vingt ans allant de 1975 à 1995, la France a contribué à hauteur de 11 innovations sur 109 au total dans le monde, les États-Unis en produisant... 65 ! Le rôle de l’industrie pharmaceutique est de produire des médicaments innovants, toujours plus efficaces, au service de la santé publique. La collectivité, à travers la protection sociale
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL qu’elle consent à s’offrir, doit acheter ces médicaments au juste prix. Celui-ci prend en compte l’effort de recherche qui permet de placer sur le marché des molécules nouvelles, apportant un service médical incontestable ou une avancée thérapeutique majeure. Il tient compte également des prix pratiqués pour une même classe thérapeutique en France et en Europe. Les médicaments remboursables représentent autour des trois quarts du chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique et les médicaments vendus aux hôpitaux environ 19 %. Enfin, les médicaments non remboursables par la Sécurité sociale, pouvant faire l’objet d’une publicité directe auprès du public, voient leurs prix fixés librement par les fabricants, leur part dans le chiffre d’affaires global de l’industrie pharmaceutique étant de l’ordre de 6 %.
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La Commission de la transparence se charge de déterminer le Service médical rendu (SMR), selon quatre degrés : SMR majeur ou important, SMR modéré, SMR faible, SMR insuffisant et ceci pour chacune des indications où le médicament est susceptible d’être prescrit. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le marché ne se satisfait pas de l’économie administrée du médicament « à la française ». En effet, les modalités de fixation des prix, directement liées aux conditions de remboursement, aboutissent souvent à des prix de vente autorisés plus bas que ceux pratiqués à l’étranger pour les mêmes spécialités d’où le développement de commerces parallèles. L’accord-cadre conclu entre le CEPS et le LEEM pour la période 2003-2006 prévoit que « sauf exception justifiée par une spécificité du marché français, les conventions garantissent pour les médicaments d’amélioration du service médical rendu égale ou supérieure à III, sur une période de cinq ans à compter de leur inscription au remboursement, que le niveau de prix ne soit pas inférieur au prix le plus bas parmi ceux pratiqués sur les quatre marchés européens comparables »,
à savoir l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Par ailleurs, le marché du médicament est en pleine ébullition parce qu’il devient effectivement mondial, plus concurrentiel et plus centré sur l’innovation thérapeutique. À cette fin, les laboratoires fusionnent à l’intérieur de quelques grands groupes qui disposent ainsi de plusieurs médicaments en développement, rentabilisant leur recherche tout en appréhendant mieux les conséquences de l’expiration des anciens brevets. Pour comprendre l’intérêt d’une telle évolution, il faut se souvenir que dans les années 1980, la croissance soutenue de l’industrie pharmaceutique (environ 15 % par an !) reposait en grande partie sur les copies des médicaments de référence. Il s’agissait alors de trouver le « parasite » rentable et de le commercialiser à grands frais de marketing, le fameux « me-too » qui se greffait sur une classe thérapeutique majeure à partir d’une légère différenciation. Ces stratégies de copie nécessitaient peu d’investissement et pouvaient rapporter gros, à l’inverse des produits innovants visant des maladies nouvelles ou insuffisamment traitées. Paradoxalement, c’est l’intervention des États qui a revitalisé la concurrence en réévaluant l’ensemble des classes thérapeutiques et en alignant progressivement les taux de remboursement sur le niveau du service médical rendu. Dans les années 1990, de nombreux brevets arrivant à expiration, le marché s’est segmenté, en même temps que se réalisaient des mégafusions pour optimiser les réseaux de vente. Trois segments apparaissent alors, si ce n’est quatre : les produits d’automédication destinés au consommateur santé en quête infinie d’hédonisme et de bien-être, les médicaments qui ne sont plus protégés par un brevet et qui vont alors rendre possible la montée en puissance des génériques, les médicaments toujours plus protégés dont les plus cotés garderont tant bien
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6 • Le médicament : une marchandise pas comme les autres que mal leur part de marché, enfin certains produits innovants pour lesquels les industriels ne demandent pas le remboursement (viagra, xenical, pilules 3e génération). Il n’en demeure pas moins que la survie passe souvent par la fusion, qui rend alors possible un réajustement des programmes de recherche et de développement. Le prix de l’innovation est de plus en plus élevé : il faut dépenser plus d’un milliard de dollars par an en investissement de recherche pour espérer obtenir un médicament sur mille en développement (les dix premiers groupes mondiaux investissant chacun entre 2 et 5 milliards de dollars dans leur budget annuel de recherche). Le mouvement de concentration est inexorable (les dix premiers groupes mondiaux en 2005 représentent 46,7 % de parts de marché, et les cinq premiers représentent à eux seuls 33 % du marché mondial !). Les industriels demandent la libéralisation du marché, via l’allégement des contrôles administratifs, le soutien à la recherche et la liberté des prix. Cependant, outre l’implication de plus en plus forte des autorités européennes, on assiste à l’émergence d’une politique contractuelle entre les États et les industriels. S’agissant de la France, ceux-ci réclament moins de taxation, des accords sectoriels stables et la liberté des prix pour les produits innovants. Ils souhaitent un accès plus rapide au marché des nouveaux produits, des prix plus rémunérateurs pour la recherche. Ils redoutent les politiques de forfaitisation de remboursements à partir des mêmes classes thérapeutiques, le basculement des prescriptions en DCI ou en faveur des génériques. Cette soif de libéralisation va cependant de pair avec une demande de soutien de l’État à l’industrie pharmaceutique via une fiscalité attractive et un accès facilité aux prix du marché qui seuls peuvent permettre d’amortir les inves-
tissements de recherche et de développement. Enfin, puisque l’État est le partenaire obligé, ils préfèrent un État stratège et anticipateur qui garde le cap plutôt qu’un État brouillon qui utilise le médicament comme variable permanente d’ajustement de ses comptes... Autre facteur d’inquiétude, les produits innovants diminuent. Une étude de Mc Kinsey, citée par P. Pignarre, indique1 « en moyenne, le nombre de nouveaux médicaments mis sur le marché par chaque grand groupe est passé de 12,3 sur la période 1991-1995 à 7,2 sur la période 1996-2000 ». Les méthodes traditionnelles et la dispersion des centres de recherches sont mises en cause ainsi que les retards dans l’émergence des molécules issues des biotechnologies. On pourrait y ajouter la facilité de gestion de grands laboratoires qui ont vécu sur leurs acquis, les fameux « blockbusters », à savoir les quelques médicaments vedettes qui rapportent plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires annuel. Les mouvements de fusion récents avaient plus pour finalité de « chasser » le blockbuster que de rentabiliser les centres de recherche... En 2006, dix blockbusters totalisant vingt milliards de dollars de vente ont perdu la protection de leurs brevets et, entre 2005 et 2014, selon une étude de Merryl Lynch, des produits pharmaceutiques représentant 131 milliards de dollars verront leurs brevets tomber dans le domaine public. 42 % seront soumis, dans les deux années suivantes, à la compétition des génériques. Il est donc urgent de relancer une recherche défaillante ! P. Pignarre s’insurge contre les mécanismes compensatoires « les nouveautés se faisant rares, il n’est donc pas étonnant que les nouveaux médicaments soient souvent 10, 20 et même 30 fois plus chers que les médicaments déjà sur le marché, sans le plus souvent avoir fait la preuve d’une quelconque supériorité ». S’interrogeant sur le déclin de l’innovation,
1. P. Pignarre, Le grand secret de l’industrie pharmaceutique, éd. La Découverte, 2003.
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL la question des brevets qui pourraient faire exploser les systèmes de remboursement, sur l’intérêt de développer la recherche publique, il relance le débat sur les enquêtes faites sur le médicament notamment sur la valeur somme toute relative des essais cliniques contrôlés, sur l’arrivée d’une nouvelle médecine fondée sur de nouveaux médicaments permettant de contrôler les comportements : « les médicaments modernes nous mettent sous perfusion chimique, si possible pour toute notre vie. L’industrie pharmaceutique a d’ailleurs fait un effort considérable pour mettre au point des médicaments justement dits à libération prolongée ou programmée, qui montre bien cette évidence ».
Favoriser un accès éclairé et partagé au médicament
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En 2006, un rapport sénatorial1 dénonçait les faiblesses de l’information, de l’expertise et de la pharmacovigilance des produits de santé remboursés par la Sécurité sociale. Qu’il s’agisse des agences sanitaires, de la formation des médecins ou des experts chargés d’évaluer les produits, l’industrie pharmaceutique est omniprésente à tous les niveaux. La mission d’information fait 25 recommandations afin d’améliorer la commercialisation, l’usage et le suivi des médicaments. Le médicament n’est pas, et sera de moins en moins une marchandise comme les autres... tant que les laboratoires n’auront pas intégré dans leur stratégie mondiale l’accès du plus grand nombre aux médicaments et tant que se poseront les conditions de remboursement par les systèmes d’assurance maladie, dans un contexte obligé de régulation des dépenses. La bataille du générique que livrent les multinationales du médicament avec les pays en voie de développement à propos d’un fléau comme
le sida démontre que la dimension éthique n’a pas été totalement intégrée dans la stratégie globale des laboratoires. Conscients cependant que leur image aurait à pâtir de comportements commerciaux agressifs, ils lâchent du lest sur le front des copies bon marché, permettant de traiter des millions de malades abandonnés à leur sort. La mondialisation n’a pas que des effets négatifs : chacun peut désormais juger tel ou tel pilier de l’industrie pharmaceutique à l’aune de son implication pour endiguer la maladie dans les pays pauvres, aux marchés évidemment moins porteurs. À l’image d’un système de notation des entreprises appréciant leur politique sociale, avec à la clé une éligibilité à l’achat de leurs actions constitutives de fonds de pension, pourquoi ne pas évaluer les laboratoires pharmaceutiques sur leur politique mondiale et leur capacité à venir en aide aux plus démunis ? Comment oublier que 85 % du chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique dans son ensemble couvre les besoins de seulement... 15 % de la population mondiale ! Enfin, le temps du remboursement à guichet ouvert est révolu pour l’ensemble des prestations de santé, et plus encore pour le médicament : trop de prescriptions, trop de iatrogénie engendrée par les interactions médicamenteuses, trop de service médical rendu insuffisant, trop de parasites (entre 2000 et 2005, 70 % des nouveaux produits mis sur le marché n’apportent pas d’amélioration du service médical !). En revanche, pas assez de génériques, pas assez de produits innovants, pas assez de recherche, pas assez de molécules issues des nouvelles biotechnologies. Ceci explique l’intervention croissante des États qui revitalise la concurrence en réévaluant l’ensemble des classes thérapeutiques et en alignant de plus en plus les taux (l’étau...) de
1. M.T. Hermange et A.M. Payet, Rapport d’information sur les conditions de mise sur le marché et de suivi des médicaments, juin 2006.
6 • Le médicament : une marchandise pas comme les autres remboursement sur le niveau avéré du service médical rendu. Que peuvent faire les industriels ? Une fois encore, mais sans doute davantage que par le passé, mieux segmenter l’offre (automédication, génériques, produits innovants...), fusionner les centres de recherche autour de vrais enjeux qui ne se situent plus autour des conditionnements, des « me-too », ou de la rentabilité immédiate, mais sur de nouvelles molécules. Enfin, plus les États se mêleront de leurs « affaires », plus ils devront apprendre à contractualiser avec eux, à s’adapter à leurs enjeux, à partager avec eux leurs préoccupations de bon usage du médicament, de bonne prescription au meilleur coût, et aussi le désir commun de préserver la croissance du marché, et donc de l’emploi.
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Un État gardien de l’intérêt général L’État est garant de la santé publique et comptable des ressources de l’Assurance maladie. Il est en même temps le garant des droits constitutionnels qui fondent le droit à la protection de la santé et à un accès équitable des citoyens aux produits de santé. Il est enfin le gardien de la sécurité sanitaire de ces produits de santé, parmi lesquels les médicaments. Ces raisons expliquent que pendant longtemps, l’État ait fixé unilatéralement le prix des médicaments remboursables avant que n’apparaisse une politique contractuelle via un premier accord-cadre entre l’industrie pharmaceutique et le gouvernement en 1993. Au départ, il s’agit de maîtriser les dépenses par des accords de régulation prix/volumes entre le Syndicat national de l’industrie pharmaceutique et les pouvoirs publics. Ensuite, ce sont les différents laboratoires installés sur le sol français qui ont été invités à signer des accords de maîtrise des dépenses avec le Comité économique du médicament, faute de quoi, ils étaient assujettis à taxation dès lors que l’aug-
mentation du chiffre d’affaires des médicaments remboursables dépassait le taux de progression de l’objectif national des dépenses de l’Assurance maladie... En contrepartie de la signature d’une convention, l’État pouvait soutenir la recherche et l’innovation. Le résultat est signifiant : quasiment tous les laboratoires ont signé une convention les engageant sur un objectif global de dépenses mais aussi par classes thérapeutiques. Les médicaments très innovants et les génériques ont été sortis du dispositif pour favoriser leur succès sur le marché... Cependant, à côté de la voie contractuelle, des textes réglementaires régissent strictement le domaine du médicament : autorisation de mise préalable sur le marché, pharmacovigilance, contrôle de la publicité, monopole de la distribution sont autant d’exemples de la prégnance du domaine réglementaire. L’autorisation de mise sur le marché (AMM) constitue la première étape de la commercialisation du médicament ; six instances sont concernées : l’Agence européenne pour l’évaluation du médicament (EMEA) intervient pour les molécules innovantes et celles issues des biotechnologies avec une compétence qui s’impose de plus en plus à tous les États membres. Même si la croissance annuelle de l’industrie pharmaceutique mondiale a perdu ses deux chiffres, elle est en progression de 7 % en 2006 par rapport à 2005 avec un chiffre d’affaires de 643 milliards de dollars (la moitié de cette croissance revenant aux USA qui ont notamment connu un retour positif de l’instauration d’une assurance-médicament pour les bénéficiaires du Medicare). S’il est vrai que dans l’ensemble des pays riches, le médicament sert de plus en plus de variable d’ajustement des politiques de régulation des dépenses de santé mises en œuvre par les États, ceux-ci ont tout autant besoin de faciliter l’accès au plus grand nombre des médicaments utiles, sous la pression croissante des patients-consommateurs-assurés. Il n’y a pas non plus de raison pour que les pays
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économiquement émergents ne deviennent à terme des pays socialement émergents. La Commission nationale d’AMM conserve une compétence en termes de service médical rendu et de révision périodique des indications. Un médicament destiné au remboursement devra en effet, aux yeux de la Commission de la transparence (rattachée à la HAS), apporter une plus-value thérapeutique dont la nature conduira à un taux de remboursement normal de 65 %, de 100 % pour les médicaments irremplaçables et particulièrement coûteux, de 35 % ou 15 % pour les médicaments de « confort ». Si l’AMM ne rend pas obligatoire la prescription de la spécialité, celle-ci peut rentrer dans le régime de l’automédication à un prix libre et non remboursé. Le CEPS négocie le prix avec les industriels. En dernier ressort, un arrêté interministériel prononce l’inscription sur la liste des médicaments remboursables, fixe le taux de remboursement applicable et précise le prix de vente public. Le prix des médicaments vendus dans le cadre de la rétrocession hospitalière a été confié au CEPS depuis la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2004. En 2006 un accord entre le CEPS et les laboratoires pharmaceutiques (LEEM) a encadré les dépenses de médicament à l’hôpital. À ce titre, le plafonnement du chiffre d’affaires pour les produits rétrocédables aux patients de ville et une clause de baisse des médicaments coûteux dans les tarifs de la T2A ont été arrêtés. L’Observatoire national de la Prescription et de la Consommation conduit des études observationnelles sur l’utilisation des médicaments en conditions réelles. Enfin, l’AFSSAPS a la responsabilité opératoire de la pharmacovigilance. La politique conventionnelle a apporté de la souplesse au système en permettant notamment de négocier sur l’ensemble des produits
d’un laboratoire, de compenser les baisses de prix de certains produits par l’augmentation des prix des produits innovants. Il a été aussi possible d’introduire des clauses de volume, des baisses de prix étant prévues à partir d’un certain volume de ventes. Les dépenses de publicité ont pu également être contenues. Progressivement, elle a pris le pas sur les dispositifs réglementaires au point de devenir la colonne vertébrale de fixation des prix du médicament mais aussi de la régulation du marché avec un objectif partagé d’homogénéisation au plan européen. À terme, l’objectif de libéralisation vise à faciliter le fonctionnement d’un marché unique de la pharmacie. Aujourd’hui les principes d’une régulation financière ressortant de la politique conventionnelle issue de l’accord-cadre du 13 juin 2003 sont pleinement opératoires : chaque laboratoire signe une convention avec le CEPS qui fixe le prix des médicaments remboursables exploités, module le chiffre d’affaires des produits en combinant des critères de prix, de volumes, de taux d’évolution aboutissant en cas de dépassements à diverses remises de gestion. Les mécanismes conventionnels ont été conçus pour être dissuasifs à l’égard des non-signataires puisque la signature conventionnelle est exonérante de taxes ou contributions diverses liées au taux de progression des dépenses du médicament fixé par le Parlement chaque année. La régulation conventionnelle s’est étendue à l’ensemble des biens de santé1 , fixant leur prix, les volumes prévisionnels de vente des produits remboursés, le suivi des nouveaux médicaments en pratique médicale réelle, leur promotion (charte de la visite médicale). Ceci étant, tout n’est pas négociable et les ministres concernés gardent toute compétence pour procéder à des baisses unilatérales de
1. M. Aulais-Griot et C. Maurain, « La politique conventionnelle, outil privilégié de la régulation des dépenses des biens de santé », Droit Social, novembre 2005.
6 • Le médicament : une marchandise pas comme les autres prix ou à des déremboursements en cas de dérapage des dépenses. La politique conventionnelle conserve sa double finalité : maîtriser les dépenses remboursables sans remettre en cause, voire en soutenant la dynamique d’une industrie pharmaceutique contributive de croissance et d’emplois pour l’économie française. La libéralisation du marché peut incontestablement doper l’industrie pharmaceutique européenne. Elle ne doit cependant pas se faire au détriment de l’émergence d’un modèle politique européen capable de concilier mécanisme de marché et politique socialisée de prise en charge. Cependant, la Commission européenne est plutôt favorable à une libéralisation du prix du médicament estimant qu’on ne peut à la fois refuser de financer l’innovation via une protection de longue durée, à laquelle s’opposent les États désireux de promouvoir les génériques, et empêcher les industries du médicament de fixer librement leurs prix. La loi du 26 février 2007, transposant le droit communautaire, fixe un délai de dix ou onze ans à compter de l’AMM du médicament de marque, pour autoriser la commercialisation sous forme de générique...
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Le médicament générique Selon le Code de santé publique (art. L. 5121-1 § 5) « la spécialité générique d’une spécialité de référence (ou princeps) est une substance qui a la même composition qualitative et quantitative en principe actif, la même forme pharmaceutique et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées ». C’est donc un médicament comme les autres, si ce n’est qu’il est moins cher d’environ 30 % d’où l’intérêt soutenu que lui portent l’État et les régimes d’assurance maladie... Mais un médicament qui a la même efficacité thérapeutique et qui est moins cher n’est-ce pas suspect, alors que les deux types de médi-
caments (générique et princeps) coexistent sur le même rayon de pharmacie ? Non, tout s’explique : le prix du médicament princeps est normalement plus élevé parce qu’il intègre le coût de la recherche, de la mise au point et de la commercialisation. Il est protégé par un brevet qui garantit la propriété exclusive au laboratoire qui le commercialise pendant un nombre suffisant d’années pour en permettre l’amortissement et perpétuer le cycle de la recherche et de l’industrialisation. Cependant, lorsque le brevet arrive à échéance, le médicament appartient au patrimoine scientifique commun et les laboratoires peuvent alors copier les molécules tombées dans le domaine public. Les médicaments génériques sont aujourd’hui suffisamment nombreux pour soigner la plupart des maladies aiguës (infections), chroniques (hypertension artérielle, diabète, bronchite...), bénignes (toux, fièvres) ou sérieuses (infarctus, cancers...). De plus, depuis 2005, un nombre croissant de molécules tombe dans le domaine public et les pouvoirs publics, confrontés aux problèmes d’équilibre financier des régimes sociaux, mènent une politique active de développement des génériques qui représentent un enjeu majeur pour la maîtrise des dépenses de santé. Le marché mondial se transforme en faveur du générique : les produits généricables vont être plus nombreux tandis que le portefeuille de spécialités va diminuer ; les États vont se montrer plus interventionnistes afin de préserver l’accès des populations au médicament lorsqu’existe un système de prise en charge. À défaut, ils permettront à leurs ressortissants de se soigner en facilitant l’importation de copies de médicaments, les impératifs de gouvernance durable et de solidarité internationale (Nord-Sud) devant l’emporter sur ceux de prééminence du profit. L’offre finira par répondre à la demande... Cependant, alors que le générique représente 20 % du marché américain de la pharma-
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cie, 14 % du marché européen, il représente à peine plus de 8 %1 du marché français d’où les mesures prises par les pouvoirs publics pour accélérer le rattrapage. La France est confrontée à des déficits publics qui la poussent à ne bien rembourser que les médicaments au service médical rendu avéré et au prix le plus bas. Cette préoccupation a conduit les pouvoirs publics à intéresser les pharmaciens à la délivrance de produits génériques, par un pouvoir de substitution accru et par de meilleures marges que celles afférentes aux produits princeps. Sauf opposition explicite du médecin prescripteur, le pharmacien est habilité à substituer la spécialité de marque prescrite sur l’ordonnance par le médicament générique équivalent. C’est cependant l’émergence, dans la LFSS pour 2003, d’un Tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) qui constitue la mesure incitative la plus forte : pour les médicaments figurant dans un groupe générique, le gouvernement peut, par arrêté, limiter la base de remboursement à un TFR basé sur le prix du médicament le moins cher de la classe, soit un tarif unique quel que soit le prix du médicament délivré. Depuis, malgré un taux de pénétration des médicaments génériques qui est passé de 24 % en 2000 à près de 75 % en 2007, le gouvernement a entendu compléter et accélérer la mise en œuvre du plan Médicament issu de la réforme de l’Assurance maladie, notamment à travers : • l’extension des TFR ; • une baisse de 13 % du prix des médicaments
génériques inscrits au répertoire ;
• la poursuite de l’incitation à la substitution,
rendant même celle-ci obligatoire en cas de maintien du tiers payant ; • la poursuite du plan Médicament avec notamment la montée en charge des nouveaux
conditionnements, la baisse de prix de certaines spécialités et l’harmonisation des règles de régulation applicables aux médicaments vendus en ville avec celles concernant certains médicaments vendus à l’hôpital. De plus, sachant que certains laboratoires, dont les molécules « phares » ne sont plus protégées ou dont le brevet va tomber dans le domaine public, mettent sur le marché de nouvelles molécules légèrement différentes pour freiner le développement des génériques, les pouvoirs publics ont modifié la législation qui considère désormais tous les dérivés ou complexes de principe actif comme un même principe actif. Des progrès sont cependant encore attendus, tant du côté de la prescription des médecins, encore insuffisante s’agissant du répertoire des génériques, que du côté des négociations conventionnelles entre le CEPS et les laboratoires afin de faire converger les prix entre les produits princeps d’une classe et le générique correspondant dans la logique du TFR... Une étude comparative concernant les prix des génériques au sein de l’Union européenne, menée par IMS Health, un organisme de recherche sur la santé, montre que le décalage de prix entre le médicament « princeps » et le générique est loin d’être optimal, et qu’en France l’absence de compétition entre les fabricants (due à la régulation des prix par les pouvoirs publics et non par les mécanismes de marché) conduit de fait à une non-optimisation des économies pour l’Assurance maladie. Dès lors, cette dernière paie les génériques deux fois plus chers que les Scandinaves et les Anglais. De plus, l’émiettement de la distribution dans l’Hexagone conduit à multiplier par sept le prix du produit sorti d’usine par rapport à la Grande-Bretagne, conditionnant ensuite les marges des grossistes et donc
1. DREES, Les ventes de médicaments remboursables en 2005, juillet 2006.
6 • Le médicament : une marchandise pas comme les autres les prix affichés : ils sont quatre fois plus élevés en France qu’Outre-Manche. Qu’il s’agisse des pays en développement ou des pays riches, le générique constitue une des solutions d’accès du plus grand nombre aux médicaments et au moindre coût, tant pour les individus que pour les États. Il reste à l’industrie pharmaceutique à s’adapter aussi bien pour des raisons économiques qu’éthiques.
Le médicament de confort Le terme de « confort » ayant été mal reçu par l’opinion publique mais aussi par l’industrie pharmaceutique soucieuse de préserver l’appellation « médicament », les médicaments de confort sont devenus des médicaments au Service médical rendu (SMR) insuffisant. Ce sont, aux yeux des experts, dont la Haute Autorité de santé (HAS), des médicaments à faible efficacité thérapeutique ayant vocation à traiter des affections sans gravité et ne présentant aucun intérêt majeur pour la santé publique. C’est pourquoi le déremboursement des médicaments à SMR insuffisant vise d’abord à préserver le remboursement des médicaments indispensables aux maladies. En 2002, le gouvernement envisageait de supprimer le remboursement de 835 médicaments (18,6 % des 4 500 spécialités) au SMR insuffisant... dans les trois années à venir. En 2003, 617 spécialités de SMR modéré ou faible ont vu une baisse de leur taux de remboursement de 65 à 35 % ; la même année, ce sont 82 spécialités ayant un SMR insuffisant qui sont déremboursées. En 2004, le taux de remboursement de la classe des médica-
ments homéopathiques passe de 65 à 35 %. Le 17 janvier 2006, un arrêté ministériel prévoit le déremboursement de 156 médicaments. En mars 2006, la HAS recommandait au ministre de la Santé de dérembourser les 62 veinotoniques existant en France (110 spécialités environ). Actuellement, près de trois millions de Françaises et quelques centaines de milliers de Français prennent régulièrement des veinotoniques depuis des années. La prévalence de l’insuffisance veineuse des membres inférieurs est à peu près identique dans tous les pays occidentaux. Mais si les veinotoniques sont très prisés en France au stade précoce de la maladie, ils le sont moins dans les pays anglo-saxons où le nombre de spécialités disponibles se compte sur les doigts de la main. Le ministre de la Santé a choisi de mettre en place un taux réduit de prise en charge fixé à 15 % pendant deux ans pour cette spécialité, avant un déremboursement total en 2008. Quant à la dernière liste de 89 médicaments proposés au déremboursement en octobre 2006, 48 continueront à être remboursés et 41 seront progressivement déremboursés. Si des efforts de rationalisation de la politique du médicament semblent être faits, il faudra sans doute les soutenir par le développement de la communication sur le sujet : en effet, tout le monde sera gagnant d’une plus grande transparence de la pharmacopée française et européenne. Il est important que l’opinion comprenne mieux les enjeux de la contractualisation entre l’État et l’industrie pharmaceutique, ainsi que les critères de remboursement des médicaments. C’est à ce prix que progressera la démocratie sanitaire, sociale et politique.
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2. UN PAYEUR QUI DEMANDE DES COMPTES À UN PRESCRIPTEUR SOUS PRESSION Les Français sont parmi les plus gros consommateurs de médicaments du monde. Ce n’est pas sans danger ni pour le patient ni pour les finances de l’Assurance maladie qui multiplie les contrôles. Quant au médecin prescripteur-ordonnateur, il subit les assauts conjugués de tous les acteurs du médicament.
Éclairer et diminuer le montant de la facture de l’Assurance maladie
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L’Assurance maladie n’est plus un payeur passif ou aveugle. Elle participe activement aux travaux du Comité économique des produits de santé et grâce au codage des actes de pharmacie, connaît de mieux en mieux les caractéristiques de la consommation pharmaceutique qu’elle porte à la connaissance de l’opinion via une enquête annuelle publiée1 . Ainsi, en 2006 les Français se situent encore dans le groupe de tête des plus gros consommateurs du monde avec plus de 2,5 milliards de boîtes, flacons ou autres conditionnements de médicaments remboursés par les régimes d’assurance maladie pour un montant de plus de 20 milliards d’euros (soit un tiers des dépenses de soins de ville)... Les Français partagent la première place avec les États-Unis, au niveau de la consommation par habitant, des dépenses de médicaments. Cependant, à l’inverse des États-Unis, l’Assurance maladie française permet à toute la population d’accéder à tous les médicaments, les plus récents comme les plus coûteux. Le patient hospitalisé dispose très vite des médicaments innovants grâce à une procédure d’autorisation temporaire d’utilisation qui permet ainsi de soigner l’hépatite C, le sida ou le cancer en bénéficiant des résultats les plus 1. CNAMTS, MEDICAM 2006, 7 juin 2007.
récents de la recherche. Mais l’innovation coûte de plus en plus cher et l’Assurance maladie a des ressources naturellement limitées. L’année 2006 est marquée par un net ralentissement de la croissance de ce poste de dépenses (+ 1,4 % contre + 4,7 % en 2005) ainsi qu’une forte baisse en quantités (– 6,7 %) explicable en partie par le développement des génériques (près de 75 % de pénétration en 2007), par des baisses de prix importantes, par la mise en place d’actions de maîtrise médicalisée et par le déremboursement de médicaments. La croissance est due principalement au coût élevé des nouveaux médicaments mis sur le marché, à une part de plus en plus importante des traitements pris en charge à 100 % à et la présence croissante des médicaments traitant des pathologies graves en pharmacie de ville. L’étude MEDICAM porte sur les médicaments délivrés en ville pour le compte des assurés du régime général en France métropolitaine (soit 13,8 milliards d’euros en 2006). L’année 2006 est marquée à nouveau par la concentration des dépenses sur les 100 premiers médicaments remboursés (près de 50 % des dépenses, les 10 premiers en représentant près de 13 % et les 25 premiers près du quart). En termes de quantités vendues, comme à l’accoutumée, les antalgiques arrivent en tête (avec 358 millions de boîtes vendues) suivis des psycholeptiques (avec plus de 109 millions
6 • Le médicament : une marchandise pas comme les autres
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
de boîtes contre 122 millions en 2005), puis des antibiotiques (avec plus de 86 millions de boîtes). En termes de coûts, la principale famille de médicaments liés à l’hypertension artérielle et à l’insuffisance cardiaque prend la tête des dépenses de l’Assurance maladie (990 millions en 2006) suivie par les anti-cholestérol (statines) en recul pour la première année (-3,2 %). Ces deux classes sont suivies de près par la classe des antalgiques (855 millions d’euros) et celle des anti-ulcéreux, anti-reflux et autres pansements gastriques (813 millions d’euros), comprenant les inhibiteurs de la pompe à protons pour 92 % (749 millions)1 . Quant aux médicaments délivrés à l’hôpital à des patients non hospitalisés, si les sommes en jeu sont nettement plus faibles (1,16 milliard d’euros en 2006), leur rythme de croissance est resté plus important (soit 7 % de la dépense totale de médicaments remboursés par le régime général). Par ailleurs, près de 20 % des dépenses de médicaments sont prescrites par des médecins hospitaliers ou en centres de santé. L’Assurance maladie est présente sur le terrain conventionnel du bon usage du médicament qui passe nécessairement par sa bonne prescription, essentiellement via les généralistes qui prescrivent plus de 80 % du montant
des médicaments remboursés en ville. Elle serait plutôt favorable à un tarif de référence pour les produits équivalents au plan thérapeutique et basé sur le service médical rendu (SMR) à l’instar d’autres pays européens (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Espagne). Un tel système pourrait être accompagné d’une prescription en dénomination commune et s’accommoder d’une liberté des prix pour les produits concernés. Le tarif forfaitaire de responsabilité, instauré par le gouvernement en septembre 2003, va dans ce sens mais se limite aux groupes de produits génériques. Le principal domaine d’intervention de l’Assurance maladie demeure le contrôle de la prescription médicamenteuse, qu’il s’agisse des aspects qualitatifs (juste soin ou lutte contre la iatrogénie) ou quantitatifs (lutte contre les comportements déviants : sur-prescripteurs et méga-consommants). La convention médicale peut constituer un outil pérenne de modération et de bon usage des pratiques de prescription.
Un prescripteur sous pression Le prescripteur est essentiellement le généraliste qui, attaché à sa liberté de prescription n’en subit pas moins les assauts de l’industrie pharmaceutique qui le « visite » régulièrement (il y aurait encore beaucoup à faire sur le bon usage de cette visite2 ...), du patient qui exige
1. CNAMTS, Point d’information mensuel du 19 octobre 2007, « Consommation et dépenses de médicaments : comparaison des pratiques françaises et européennes ». Cette étude, comparant les pratiques françaises à celles de quatre autres pays européens (Allemagne, Espagne, Italie et Royaume-Uni), montre une nouvelle fois que la France reste en tête de la consommation pour six classes médicamenteuses étudiées sur neuf, qu’elle se place au premier rang dans cinq cas sur neuf et au deuxième rang pour les quatre autres classes, qu’elle présente un coût moyen par habitant supérieur à tous ses voisins européens (130 €, avec un écart de 32 € avec l’Italie au 2e rang). 2. 24 000 visiteurs médicaux participent à la promotion du médicament dont le coût dépasse les 20 000 euros annuels par praticien. La formation dispensée à ces visiteurs par l’industrie pharmaceutique est à l’image de l’information qu’eux-mêmes apportent aux médecins : les critères marchands l’emportent sur tous les autres, d’où les demandes récurrentes de la Cour des comptes d’y substituer une information indépendante. Le dernier rapport en date sur le sujet (IGAS, octobre 2007) recommande aux pouvoirs publics de « réduire de plus de la moitié les dépenses que les laboratoires consacrent à la promotion du médicament », de placer la Haute Autorité de santé (HAS) comme « l’émetteur unique d’information sur le bon usage du médicament » et de mettre en place « un observatoire de la prescription » ainsi que « des médecins sentinelles qui porteraient un jugement sur chaque visite et une collaboration de la HAS avec le réseau des délégués de l’Assurance maladie ».
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL une ordonnance souvent remplie à sa guise, de l’Assurance maladie qui le pousse au générique, du pharmacien enfin qui se réserve le droit, sauf indication contraire, de substituer un produit générique au princeps initial. Le médecin français a la main plus lourde que ses confrères des autres pays développés et près de 8 000 généralistes pèsent à eux seuls 37 % des prescriptions.
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De surcroît les généralistes sont loin d’avoir la maîtrise scientifique de la prescription pharmaceutique : leur formation pharmacologique est insuffisante ou lointaine, leurs outils informatiques inadaptés, leur implication dans la formation continue est pour le moins variable. Les outils d’aide à la décision que leur procurent les visiteurs médicaux des firmes pharmaceutiques leur sont alors précieux. C’est pourquoi les référentiels de prescription élaborés à leur intention par la HAS et l’AFSSAPS gagneraient à être systématisés à l’image de l’AMM et de l’avis de transparence1 . Cependant, la responsabilité du prescripteur est intacte : le nombre de personnes âgées hospitalisées pour cause de prescriptions médicamenteuses iatrogéniques demeure trop élevé en France et l’Assurance maladie met régulièrement en exergue l’importance des prescriptions inutiles, inadaptées, voire dangereuses. Les médecins se sont cependant engagés, lors de la signature de leur nouvelle Convention début 2005, à réduire les prescriptions inappropriées de statines, d’antibiotiques et de certains psychotropes. De plus, à efficacité comparable, l’objectif est également de réduire les dépenses de médicaments grâce à une large prescription de génériques et au choix des principes actifs les moins onéreux. Enfin, l’accent est également mis sur la nécessité d’un meilleur respect de la réglementation en matière de prescription
médicamenteuse pour les patients en affection de longue durée, la prise en charge intégrale n’étant réservée qu’aux seules prescriptions en rapport avec la ou les maladies exonérantes. Il faut reconnaître que la prescription des génériques est plus le fait des pharmaciens que des médecins, ceux-ci prescrivant largement en dehors du répertoire des génériques, d’où une recommandation pertinente du HCAAM visant à réviser les prix au sein de la classe pour laquelle un générique existe et à amener les médecins à prescrire dans le répertoire. Aujourd’hui, il y a environ 15 % des boîtes de médicaments remboursables qui sont délivrées en générique alors que les prescriptions de génériques par les médecins ne dépassent pas 4 % des boîtes.
Le pharmacien d’officine appelé à jouer les bons offices Que devient la distribution dans un marché pharmaceutique libéré ? La rémunération des grossistes et des officinaux représente près du tiers du prix final du médicament. L’organisation de la distribution avec notamment les 23 000 pharmacies d’officine relève encore largement de l’économie administrée. L’ouverture des frontières, la vente par correspondance ou via Internet ne plaident pas pour autant pour une vente « libre » du médicament qui n’est pas un produit ordinaire. D’ailleurs, le pharmacien d’officine ne vend pas mais « délivre » des médicaments prescrits sur une ordonnance qu’il lui appartient de valider pour la sécurité du malade (dosage, contre-indication, interactions dangereuses). Le pharmacien est également acteur de l’observance qui vise à s’assurer que le patient prend correctement ses médicaments pendant toute la durée du traitement, tout en assurant
1. Le HCAAM rappelle en juillet 2007 que « pour être efficace, une base de données médicamenteuse devrait obligatoirement comprendre des éléments d’aide à la prescription tels que le SMR, l’ASMR, les interactions médicamenteuses, les effets secondaires et les équivalents généricables ».
6 • Le médicament : une marchandise pas comme les autres son rôle de conseil dans le domaine de la prévention, de l’hygiène de vie, de la diététique. L’expertise du pharmacien a encore été renforcée depuis que lui est reconnu un droit propre de substitution lui donnant la possibilité de délivrer un autre médicament que celui qui figure sur l’ordonnance et qui relève d’une spécialité générique au sein d’un même groupe de référence.
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Quatre millions de personnes entrent chaque jour dans une pharmacie. La proximité, la disponibilité et l’expertise des pharmaciens sont des atouts pour les impliquer davantage dans leur rôle de conseil en santé publique. D’autant que le « marché de l’automédication » va exploser... au bénéfice de tous. En effet, les médicaments sans ordonnance représentent 10 % du marché pharmaceutique mondial mais avec des taux de croissance de plus de 5 % dans les pays à couverture médicale élevée et parfois de plus de 10 % dans les pays émergents à couverture moindre mais où le pouvoir d’achat des classes moyennes leur donne accès aux médicaments courants. En fait, la relance du marché s’explique par plusieurs facteurs convergents : les difficultés financières des régimes de protection sociale qui poussent au déremboursement des médicaments à faible SMR, un comportement plus responsable des individus qui, décidés à peser sur les choix concernant leur santé, ne sont plus aussi dépendants de la prescription du médecin, enfin un consumérisme ambiant qui rend la frontière plus floue entre produits de santé et produits de consommation courante. Même en France où les « trois monopoles » (monopole de l’assureur Sécu, monopole du prescripteur médecin, monopole du vendeur pharmacien d’officine) veillent au grain, les certitudes semblent ébranlées : les dégâts de la iatrogénie font douter de l’efficacité garantie de la prescription médicale, la variabilité des taux de remboursement interroge le SMR par le médicament, quand ce n’est
pas la notion même de médicament. De surcroît, tout le monde connaît aujourd’hui les remèdes pour soigner les maladies bénignes (les petits maux...) : fièvre, rhumes, fatigues, allergies, ennuis gastriques... Une consultation sur Internet est souvent plus facile et moins coûteuse que celle du médecin. Attention tout de même, l’automédication doit être autant sécurisée par les pouvoirs publics que la prescription médicale s’agissant notamment des caractéristiques des produits ou des conditions de vente ou de distribution. Ceci étant, tous les acteurs peuvent y trouver un intérêt : une moindre dépense pour les États, un comportement plus responsable des individus vis-à-vis de leur capital santé, une opportunité pour les industriels du médicament de prolonger, outre sous la forme de génériques, des molécules en fin de vie via des conditionnements adaptés à l’automédication. N’est-ce pas là ce qu’on appelle un effet d’aubaine partagé ? Ainsi le pharmacien peut accompagner les clients sans ordonnance dans une automédication éclairée et dans des conseils de prévention. Au client avec ordonnance, il propose des conseils d’observance et de pharmacovigilance, il agit sur la prévention de la iatrogénie et toute situation de dépannage constitue une opportunité de faire passer les bons messages. Non décidément le pharmacien ne doit pas devenir un marchand comme les autres... Face au risque d’explosion des ventes par correspondance des médicaments non remboursables et ne faisant pas l’objet d’une prescription obligatoire, le HCAAM préconise le maintien du monopole de l’officine à condition d’en optimiser la régulation (l’excès d’offre accroît le coût de la distribution) et de renforcer le rôle sécuritaire et de conseil du pharmacien...
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Mieux informer le patient consommateur
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Le consommateur, qui est aussi le patient, doit être plus et mieux informé. Encore faut-il que les organes d’information soient indépendants et non sous la houlette de l’industrie pharmaceutique comme le sont aujourd’hui la plupart, pour ne pas dire l’ensemble, des journaux médicaux ! La Commission de la transparence ne pourrait-elle pas obtenir que, par exemple, la note relative à l’amélioration du SMR figure sur chaque boîte de médicaments (n’a-t-on pas exigé ailleurs que chaque paquet de cigarettes comporte la mention « Nuit gravement à la santé », voire « Fumer tue » même pour les cigarettes dites légères...). La pharmacovigilance ne peut-elle mieux faire que la tabacovigilance ? Selon Bruno Toussaint1 , directeur de rédaction de la revue Prescrire, « près de neuf produits nouveaux sur dix n’apportent aucun progrès thérapeutique notable, alors qu’ils sont souvent vendus beaucoup plus cher. Cela tient, en France comme dans les autres pays développés, au manque d’exigence des Pouvoirs Publics dans la procédure d’Autorisation de mise sur le marché qui se résume à une analyse bénéfices/risques par rapport au placebo ». Par ailleurs, il s’en est fallu de peu pour que la Commission européenne ne déclare libre la publicité pharmaceutique. Heureusement, le Parlement européen a rectifié le tir en faveur d’une meilleure évaluation du médicament, de la transparence des décisions et d’une information indépendante du public. Ainsi, les notices devront être testées par des groupes de patients concernés, la publicité des firmes auprès des professionnels de santé sera contrôlée, et un droit d’accès aux données sera organisé. Il reste à souhaiter que cette transparence formelle devienne réelle.
Début octobre 2006, cinq groupes et associations d’usagers ont signé une déclaration conjointe face à une nouvelle tentative des firmes pharmaceutiques d’investir le champ de « l’information » au public par le biais de la publicité. Ces derniers dénoncent en effet une volonté de « publicité déguisée » et un contournement de l’interdiction de publicité directe relative aux médicaments de prescription auprès des consommateurs en Europe. Ces groupes proposent ainsi de : • garantir la transparence des agences des
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produits de santé (Directive européenne 2004/27/Ce et Règlement CE/726/2004) ; contraindre les firmes pharmaceutiques à respecter leurs obligations en matière de conditionnement (et notamment un étiquetage des médicaments qui soit de bonne qualité et lisible) ; développer et renforcer les sources d’information pertinente ; optimiser la communication entre patients et professionnels de santé (notamment par le développement de l’utilisation de la Dénomination commune internationale plutôt que les noms commerciaux des médicaments) ; inclure les patients comme acteurs dans le système de pharmacovigilance ; tenir compte des besoins individuels des patients ; mettre fin à la confusion des rôles ; maintenir et faire intégralement appliquer la réglementation européenne sur la publicité pour les médicaments.
Alors que la publicité pharmaceutique est de plus en plus remise en cause aux États-Unis, notamment suite à la crise de confiance née de certaines affaires impliquant les firmes pharmaceutiques (ex : l’anti-inflammatoire VIOXX : médicament plus cher mais pas plus efficace
1. B. Toussaint, Interview dans Protection Sociale Informations, n◦ 467, juillet 2003.
6 • Le médicament : une marchandise pas comme les autres que les médicaments comparables, mais comportant des risques cardiaques... retiré du marché après 2004), les laboratoires font campagne pour sa libéralisation en Europe. Consomma-
teurs de tous les pays européens, unissez-vous pour plus d’information... objective sur le médicament !
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Chapitre 7 Le médecin du XXIe siècle
PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL
PLAN DU CHAPITRE
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1. Petit précis de sociologie médicale Une forte reproduction sociale Des études médicales longues et coûteuses L’indispensable ouverture
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2. Une spécialité à part entière : la médecine générale Pourquoi il fallait spécialiser la médecine générale Un métier à quatre dimensions
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7 • Le médecin du XXIe siècle
1. PETIT PRÉCIS DE SOCIOLOGIE MÉDICALE Souhaiter un nouveau type de médecins au XXIe siècle commence par un peu de sociologie médicale. Une forte reproduction sociale accompagnée d’études longues et coûteuses explique pour partie un certain enfermement du monde médical et sa difficulté chronique à répondre aux attentes d’une société en permanente mutation.
Une forte reproduction sociale Les origines sociales des médecins montrent que la reproduction sociale touche ce milieu comme d’autres, si ce n’est plus encore, au point de se demander si l’effet n’a pas rejoint la « cause » tant cette reproduction sociale apparaît organisée et maîtrisée par la profession elle-même.
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Nous savons que la probabilité d’accéder à un niveau d’études supérieures est éminemment variable selon la catégorie socioprofessionnelle des parents. Il n’y a qu’à examiner pour s’en convaincre les statistiques de l’INSEE. Celles-ci prouvent de manière formelle que le milieu familial influe très nettement sur les études des enfants. Ainsi le niveau des diplômes de la progéniture respecte fidèlement la hiérarchie du diplôme des pères sans toutefois que ce patrimoine explique totalement les différences de réussite scolaire. Les profondes inégalités liées à l’origine sociale se traduisent par des chiffres abrupts : fils ou filles d’ouvriers, ils seront alors deux sur dix à devenir bacheliers alors que, enfants de cadres, ils seront sept sur dix à accéder à ce sésame. Pire encore, si le père ne possède aucun diplôme les enfants auront une chance sur dix d’atteindre le niveau baccalauréat et un peu moins de trois chances sur cent d’intégrer l’enseignement supérieur. Lorsque les pères sont diplômés mais n’ont pas atteint le baccalauréat, un enfant d’ouvriers sur dix seulement accède à un diplôme supérieur.
En plus du diplôme, la position sociale du père joue un rôle déterminant : même quand celui-ci est moyennement diplômé (cadre ou membre d’une profession intermédiaire) un enfant sur dix seulement n’aura pas de diplôme contre un enfant sur quatre selon que le père est ouvrier ou pas. Ce rapide état des lieux démontre que la démocratisation du système scolaire n’a pas réduit les inégalités de formation initiale et que la réussite dans les études dépend essentiellement d’un facteur économique – plus les revenus de la famille sont élevés et plus il est possible aux enfants de poursuivre des études longues – mais aussi d’un facteur culturel lié à la position sociale. Les ambitions des parents se révèlent souvent comme beaucoup plus fortes dans les milieux dits favorisés et la réussite scolaire constitue classiquement un véritable enjeu autour duquel la famille concentre son énergie et ses moyens. En conséquence les fils de médecins se trouvent statistiquement plus à même de suivre les traces de leurs pères, en raison des fortes probabilités leur permettant de franchir les portes de l’université une fois le baccalauréat en poche. Les conditions de la transmission du patrimoine culturel sont alors réunies. Ce trait remarquable qu’est la reproduction sociale des médecins s’explique par deux phénomènes bien décrits par les sociologues : un certain degré d’endogamie et la constitution de véritables lignées médicales. Un travail conduit sur cinq générations de médecins entre 1930 et 1980 a montré que plus de la moitié des
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femmes médecins de la population étudiée avait des époux eux-mêmes médecins. Un médecin sur cinq avait quant à lui épousé une femme médecin, ce qui est relativement fréquent si l’on prend en compte la moindre féminisation du corps médical sur la période considérée. En ce qui concerne la notion de lignées médicales, cette même enquête a montré qu’une fois sur deux les médecins issus d’un père médecin ont aussi au moins un enfant médecin. En outre, le milieu favorisé dont sont issus les étudiants à leur entrée aux facultés permet de suivre des études longues et coûteuses. Rappelons à ce propos que les études médicales n’ont pas cessé de s’allonger au cours du siècle passé. De 1893 à 1934, les études proprement dites ne commencent qu’après l’obtention d’un certificat de physique, chimie et sciences naturelles. L’enseignement dure un an (PCN ou PCB). Jusqu’en 1910, la durée des études médicales est de quatre ans après l’année de PCN ou PCB. Cette durée s’allonge d’un an en 1911 puis encore d’un an en 1934 pour atteindre sept ans en 1960. Ces études durent désormais neuf ans au minimum, soit un doublement au cours de ces cent dernières années.
Des études médicales longues et coûteuses Soulignons au passage que la nature du baccalauréat ouvrant les portes de l’université a complètement changé au cours du XX e siècle, expliquant certaines caractéristiques dominantes des futurs professionnels. Jusqu’en 1950, un médecin sur deux est titulaire d’un baccalauréat littéraire. Avec l’apparition du baccalauréat « sciences expérimentales » (1946) commence un net basculement : ainsi, dès 1959 on ne compte plus que quatre inscrits sur dix à la faculté de médecine titulaires d’un baccalauréat « philosophie », la majorité des étudiants possédant un baccalauréat « sciences expérimentales », une mince frange (15 % à peine)
provenant de « mathématiques élémentaires ». Quelques années plus tard (1972), le baccalauréat lettres ne concerne plus que 10 % des étudiants en médecine. Le numerus clausus est apparu en 1971 et avait pour objectif de diminuer l’effectif des médecins arrivant sur le marché du travail, effectif jugé pléthorique. La sélection des étudiants en médecine va devenir de plus en plus sévère s’opérant sur le succès à un concours qui sanctionne la fin de première année d’études (PCEM1). Les études médicales durent désormais neuf ans minimum et comportent trois cycles. • Le premier cycle s’étale sur deux ans compor-
tant une 1re année (PCEM 1) consacrée aux sciences fondamentales, sciences humaines et sociales. Celle-ci est sanctionnée par le fameux concours assurant le numerus clausus. La 2e année est elle aussi dédiée aux sciences fondamentales mais également à la sémiologie (l’étude des signes que donne une maladie), les langues étrangères et l’initiation aux fonctions hospitalières. Le programme est lourd, et en outre l’enseignement porte sur l’épistémologie, la psychologie, l’éthique médicale et la déontologie. Avant le début de la 2e année les étudiants doivent effectuer un stage d’initiation aux soins, non rémunéré, d’une durée de quatre semaines, à temps complet et de manière continue dans un même établissement hospitalier. • Le deuxième cycle dure quatre années et chacune est affublée d’un sigle évocateur : DCEM1, DCEM2, DCEM3, DCEM4... Au cours des trois dernières années de ce cycle, les étudiants remplissent des fonctions hospitalières. Ils apprennent leur métier au lit du malade. Parallèlement un enseignement théorique concerne les pathologies (les maladies) ainsi que les thérapeutiques (les traitements). Là encore le champ d’apprentissage est considérable et concerne les matières obligatoires. On ajoutera que la
7 • Le médecin du XXIe siècle pharmacologie est étudiée dans chacune de ces matières. Le candidat doit être assidu à l’enseignement théorique, il doit en outre valider ses stages hospitaliers et participer aux séminaires portant sur des thèmes d’enseignement jugés prioritaires. Il doit par ailleurs assurer trente-six gardes, valider le stage auprès d’un médecin généraliste et obtenir le certificat de synthèse clinique et thérapeutique. • Durant le troisième cycle des études médicales, deux voies s’offrent aux étudiants :
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– le résidanat d’une durée de trois ans concerne les futurs généralistes ; – l’internat d’une durée de quatre à cinq ans selon le Diplôme d’études spécialisées (DES) visé concerne les futurs spécialistes. À la voie de la médecine générale correspond une formation là encore à la fois théorique et pratique. Elle comporte des fonctions hospitalières exercées dans les services agréés des Centres hospitaliers régionaux (CHR) faisant partie des Centres hospitaliers universitaires (CHU) et dans les établissements hospitaliers liés par convention à un centre. Les fonctions extra-hospitalières sont effectuées auprès d’un praticien agréé ou dans des organismes et laboratoires agréés. Le stage chez les praticiens généralistes agréés appelés maîtres de stage est effectué entre les 2e et 6e semestres du résidanat. Le document portant qualification en médecine générale est délivré aux résidents qui ont soutenu leur thèse et qui ont accompli la durée totale du résidanat, la formation pratique et sa validation, et satisfait au contrôle de la formation théorique acquise durant ce résidanat. Quant à la voie de la médecine spécialisée, elle s’ouvrait par un concours d’internat en médecine organisé chaque année avec un nombre de postes fixé pour chaque discipline d’internat : spécialité médicale, santé publique, médecine du travail, spécialités chirurgicales, biologie médicale, psychiatrie, anesthésiologie
– réanimation chirurgicale, pédiatrie, gynécologie obstétrique. Les étudiants peuvent se présenter au concours d’internat deux fois au maximum. En fonction de leur classement, une procédure nationale de choix de la discipline permet aux étudiants d’être affectés. Après leur choix, les internes sont rattachés à un CHR de la circonscription faisant partie d’un CHU où ils reçoivent alors une formation à temps plein les préparant à un DES de la discipline choisie. Depuis 2005, ce concours est remplacé par un examen national classant et validant (ou épreuves classantes nationales) en fin de 2e cycle des études médicales : arrêté du 29 janvier 2004 relatif à l’organisation des épreuves classantes nationales anonymes donnant accès au 3e cycle spécialisé des études médicales. La réforme du second cycle des études de médecine (novembre 2000) est d’importance car elle vise, progressivement, à mettre en concordance les exigences de la société et les compétences des médecins que cette dernière produit. Parmi les dispositions essentielles et novatrices mises en œuvre, on observe en particulier que la 2e partie du 2e cycle des études médicales est consacrée à l’enseignement des processus pathologiques, de leurs thérapeutiques et de leur prévention, ainsi qu’à l’enseignement de l’organisation des systèmes de santé, de l’évaluation des pratiques de soins, de la déontologie et de la responsabilité médicale. Les mots-clés de cet enseignement sont, on l’aura compris, prévention et évaluation. Par ailleurs cet enseignement comporte désormais des thèmes prioritaires, parmi lesquels figure la pratique de la médecine générale. Les autres thèmes jugés prioritaires sont définis tous les quatre ans par arrêté des ministres chargés de l’enseignement supérieur et de la santé. Ces enseignements sont organisés au moins tous les deux ans sous forme de séminaires auxquels tous les étudiants doivent participer. L’organisa-
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL tion de ces séminaires est sous la responsabilité d’un professeur des universités également praticien hospitalier ou, pour la médecine générale, un enseignant associé de la discipline qui est désigné par le directeur de l’unité de formation et de recherche. Au cours des trois années constituant la 2e partie du 2e cycle d’études médicales, les étudiants doivent préparer au moins trois exposés sur les sujets en rapport avec les pathologies rencontrées dans les services où ils ont travaillé. Sous la direction d’un enseignant, les étudiants présentent des exposés en petits groupes à partir de documents et de références bibliographiques. Au moins un de ces exposés doit être en rapport avec l’évaluation des pratiques de soins ou avec des problèmes de santé rencontrés aux urgences ou d’autres structures où sont dispensés les soins primaires. Ces exposés ont pour objectif de développer les capacités d’analyse, de synthèse de communication orale des étudiants.
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À la fin du 2e cycle, tous les étudiants ont en principe assimilé l’organisation du système de santé et la démarche de santé publique. Ils doivent de même posséder les principaux processus anatomo ou physiopathologiques, la conduite de l’examen somatique et les principaux gestes techniques associés à leur pratique quotidienne. La connaissance des pathologies les plus fréquentes – leurs procédures diagnostiques et thérapeutiques – mais aussi leur prévention, la marche à suivre en fonction de leur prévalence, de leur gravité et des possibilités thérapeutiques, la gestion des urgences les plus fréquentes et enfin la maîtrise des outils de relation et de communication font partie intégrante de ce « package » professionnel. Le programme officiel rappelle par ailleurs un aspect essentiel, à savoir l’aptitude des étudiants à informer les patients et leurs familles en termes simples et compréhensibles, afin de mieux associer ces derniers aux décisions les concernant.
Enfin, et cette approche est la plus novatrice, les enseignements ne doivent pas chercher à couvrir l’ensemble des champs disciplinaires mais doivent considérer principalement ce qui est fréquent ou grave ou constitue un problème de santé publique. Les modalités de cet enseignement doivent favoriser le développement de l’auto-apprentissage contrôlé et de l’interdisciplinarité. À partir des problèmes de santé rencontrés, différentes méthodes d’apprentissage doivent être employées comportant des séminaires, des conférences de synthèse, des enseignements par petits groupes avec développement des nouvelles technologies éducatives. L’intégration et la cohérence des enseignements théoriques et des stages hospitaliers regroupés en pôle sont la clef de voûte du système. Quant à l’organisation de cet enseignement, elle repose sur la construction de modules. Chacun de ces modules se veut exhaustif du champ couvert et intègre les mécanismes fondamentaux des processus pathologiques, les facteurs psychologiques et environnementaux, les éléments nécessaires au diagnostic et au dépistage, la pharmacologie des médicaments utiles au traitement, les modalités thérapeutiques recommandées (en particulier pour la prise en charge de la douleur), les soins palliatifs et les thérapeutiques substitutives, les traitements diététiques, la rééducation et la crénothérapie. Les éléments d’une politique de prévention comportant les risques iatrogènes, les notions d’épidémiologie de base ainsi que celles d’économie de la santé, mais aussi les aspects juridiques et éthiques, sont également développés à l’intérieur de ces modules. Mais c’est sur l’apprentissage de l’exercice médical que nous nous attarderons. En effet, ce module est particulièrement intéressant puisque, dans ses objectifs généraux, l’étudiant doit apprendre à maîtriser la relation médecin/malade dans la situation de maladies aiguës graves ainsi que dans la situation de maladies chroniques. On lui demande également
7 • Le médecin du XXIe siècle de savoir communiquer et de pouvoir justifier une démarche diagnostique et thérapeutique en s’appuyant sur les données actuelles de la science. L’exercice médical repose également sur des notions médico-légales, sur la déontologie et le respect des droits du malade que l’étudiant se doit de connaître. Enfin, l’obligation d’auto-formation, grâce à la recherche documentaire et à l’analyse critique, est une préoccupation amplement réaffirmée. Le programme de l’enseignement comporte des points essentiels, formant l’architecture, la structuration d’un médecin bien différent de ces prédécesseurs, parmi lesquels : • la relation médecin/malade ; • l’information du patient atteint de maladie • • • • •
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chronique ; l’annonce d’une maladie grave ; la personnalisation de la prise en charge médicale ; le raisonnement et la décision en médecine ; l’aléa thérapeutique ; l’évaluation des examens complémentaires dans la démarche médicale, les prescriptions utiles et inutiles ; le dossier médical ; l’information du malade ; les droits du malade : les problèmes liés au diagnostic, au respect de la personne et à la mort ; l’organisation des systèmes de soins : les filières et réseaux ; la protection sociale ; la consommation médicale et l’économie de la santé.
L’indispensable ouverture S’engager dans le cursus des études médicales nécessite à l’évidence une certaine solidité financière de la part de l’étudiant. Le financement de ces études repose essentiellement sur
la famille, même si au fil du temps d’autres sources d’aides financières sont apparues, en particulier les bourses dont la proportion a été multipliée par quatre. Le recrutement de l’École du service de santé des armées se fait majoritairement dans les classes moyennes (artisans, commerçants) et ouvrières, cette voie de formation représentant en gros 10 % des médecins formés. L’étudiant militaire est alors totalement pris en charge par l’armée, bénéficiant même d’une vraie solde qui le met à l’abri de l’aléa financier. Les études médicales sont payées par la famille pratiquement neuf fois sur dix dans le premier quart de siècle, et à l’orée des deux dernières décennies cette source de financement ne concerne plus que sept étudiants sur dix. Dans le même temps, les bourses viennent en aide à de plus en plus d’étudiants, concernant un peu moins d’un étudiant sur dix au début du siècle contre plus d’un étudiant sur trois de nos jours. Le travail, quant à lui, qu’il soit médical ou de tout autre nature, progresse considérablement comme source de revenus complémentaires. Le tableau 7.1 montre bien l’évolution temporelle des modes de financement du cursus médical. Encore une fois la durée des études et les efforts financiers que celles-ci représentent opèrent sans aucun doute un effet de sélection, mais le fait de ne pas être du sérail interfère également en désavantageant les étudiants profanes. Ceux dont on peut dire qu’ils sont « hors milieu » manquent cruellement d’information ainsi que d’une culture, de codes portés et véhiculés par ce milieu. Jamais la notion « d’habitus » telle que développée par Bourdieu n’a été aussi bien illustrée que par cette reconnaissance subtile et occulte existant entre les étudiants issus du milieu médical, échangeant entre eux sur un pied d’égalité lorsqu’ils parlent d’un système et d’un monde qui leur est déjà familier. Ce comportement leur permet de se faire également distinguer par les enseignants : porteurs de noms connus ils sont là pour perpétuer l’excellence attachée au nom qu’ils portent.
157
PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL Tableau 7.1. Les sources de financement des études médicales.
158
Avant 1925
Après 1945
Famille
86,6 %
69,6 %
Bourse
8,2 %
35,5 %
Travail médical
8,9 %
15,6 %
Travail autre
6,2 %
17,4 %
Armée
10,6 %
11,5 %
Autre
7,1 %
6,9 %
L’influence favorable à travers les réseaux familiaux et amicaux dont peut bénéficier l’étudiant du sérail – à aptitudes égales avec son homologue profane – jouera plus tard un rôle non négligeable dans l’apparition de lignées médicales hospitalières. En conclusion, la relative démocratisation de l’accès à la filière médicale au cours du siècle, comme en témoigne le glissement des sources de financement des études, est à mettre en perspective avec la force de la reproduction sociale qui s’oppose à l’ouverture et à la pénétration du milieu professionnel médical par les classes populaires et profanes. On comprend bien, dès lors, comment cette donnée sociologique conditionne un certain conservatisme catégoriel, ainsi qu’un dialogue trop souvent difficile, entre « les médecins » et « le reste du monde ». Diversifier les origines sociales du corps médical contribuerait fortement à ouvrir celui-ci sur la société et ses attentes. Le caractère long et coûteux des études ne devrait plus alimenter l’auto-censure d’étudiants qui ont le goût de la profession médicale et qui se sentent capables. Une aide spéciale à l’installation en
zone rurale déficitaire en médecins devrait désormais permettre de telles évolutions. De telles initiatives ont d’ores et déjà vu le jour à l’initiative de conseils régionaux et d’URCAM souhaitant attirer de jeunes médecins vers des zones médicalement sinistrées. Ce mécanisme pourrait avoir le mérite d’opérer un brassage salutaire des origines sociales tout en introduisant un mécanisme de répartition et de rééquilibrage géographique des installations. Ce médecin du XXIe siècle, on en a rêvé, les études médicales pourraient le faire : d’origine diversifiée, tête bien faite plutôt que bien pleine, apte à travailler en équipe, à écouter le malade le temps nécessaire, soucieux d’éthique et attaché à son contrat sociétal de service public, féru de qualité des soins et fort utilisateur de référentiels, capable de délivrer les meilleurs soins au moindre coût, mais aussi d’être acteur de prévention et de santé publique, reconnu par la société comme une valeur sûre qui entretient et partage ses compétences tout au long de sa carrière, tout en étant réceptif à celles des autres. Ce n’est pas trop demander, c’est demander autre chose...
2. UNE SPÉCIALITÉ À PART ENTIÈRE : LA MÉDECINE GÉNÉRALE La médecine générale trouve enfin une reconnaissance en se spécialisant mais il ne faudrait pas que la réforme des études médicales de 2004 dilue la médecine générale parmi toutes les autres spécialités. Au contraire, au confluent de ces dernières, la pratique
☞
7 • Le médecin du XXIe siècle ☞ de la médecine générale présente de nombreuses spécificités qui en font une spécialité à part entière.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Pourquoi il fallait spécialiser la médecine générale La médecine générale doit-elle s’apparenter à une gare de triage confiée aux « moins compétents », orientant les malades vers les destinations « nobles » des différentes spécialités médicales ? Doit-elle, au contraire devenir un métier davantage reconnu, au centre d’un système de soins primaires organisés faisant la part belle à la prévention, aux dépistages ou à l’éducation des patients, sans exclure les gestes techniques curatifs réalisables au cabinet ? Il y a peu de temps encore le médecin généraliste occupait une place peu enviable dans le système de santé. Situé aux avant-postes du recours aux soins, il en était le fantassin taillable et corvéable à merci, la longueur de ses journées de travail étant inversement proportionnelle à l’intérêt technique des actes prodigués. Le stakhanoviste de la visite à domicile durant les épidémies de grippe, de gastro-entérites, de varicelle ou autres maladies saisonnières, c’était lui. Le spécialiste de l’angoisse nocturne, de la crise d’asthme, de la poussée fébrile du nourrisson, c’était encore lui. Sans parler des rhino-pharyngites, des angines et des bronchites qui remplissaient sa salle d’attente et son quotidien. Tout çà pendant quarante ans de vie professionnelle, bien souvent au même endroit, totalement intégré, immergé dans le milieu où vivaient ses malades. Parce que l’on n’avait pas passé le concours d’internat, ou qu’on ne l’avait pas réussi, ou que, dans des temps plus éloignés, on n’avait
pas suivi un cursus d’études complémentaires spécialisées. Les portes de la spécialisation médicale étaient alors définitivement fermées. En d’autres termes, et dans l’esprit de beaucoup, le métier de généraliste résultait d’une sélection par l’échec : il ne pouvait correspondre à un choix positif de l’étudiant puisque, soit il avait échoué à un concours prestigieux, soit il n’avait pu poursuivre trois ou quatre années supplémentaires pour obtenir une qualification particulière. En effet, jusqu’en 1984, un étudiant en médecine qui veut devenir spécialiste peut le faire de deux manières différentes : soit par la voie hospitalière sélective (externat puis internat), soit par la voie universitaire non sélective du Certificat d’études spécialisées (CES). La réforme de 19841 supprime les CES médicaux et rend l’internat obligatoire pour l’accès à la spécialité, l’étudiant se destinant à la médecine générale n’ayant pas besoin de passer l’internat2 . Le concours de cette époque consiste de fait à partager en deux une population d’étudiants, ceux qui vont devenir spécialistes et ceux qui vont devenir généralistes. Ce mode de sélection est vivement critiqué car « il aboutit à une véritable perversion pédagogique. (...) le généraliste, pivot du système de santé, auquel on voue dans le monde médical actuel une place extrêmement importante et à juste titre, est sélectionné par l’échec. Parce que, qu’on le veuille ou non, à partir du moment où on fait un concours où les reçus seront des spécialistes et les collés seront des généralistes, c’est une sélection par l’échec des généralistes »3 .
1. Réforme introduite par la loi 82-1098 du 23 décembre 1982 relative aux études médicales et pharmaceutiques. 2. À l’époque l’internat ne préparait pas le futur médecin de soins primaires à son exercice professionnel compte tenu de l’enseignement hospitalo-universitaire exclusivement dédié aux spécialités de soins secondaires. 3. F. Gremy (dir.), La réforme Debré un tiers de siècle après, Éditions de l’École nationale de santé publique, 1998.
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL
160
Qu’il soit collé au concours de l’internat ou qu’il ne s’y présente pas, l’étudiant de médecine générale poursuit ses études, après le 2e cycle commun à tous, par un 3e cycle spécifique de formation à la médecine générale appelé résidanat1 , d’une durée qui sera portée de deux ans à deux ans et demi en 19972 puis à trois ans pour les nouvelles promotions de résidents à partir de novembre 20013 . Tout juste des fantassins donc, pour répondre à la demande de soins de jour comme de nuit et pour passer la main aux confrères spécialistes, en ville ou à l’hôpital. C’est par eux que seront faits les « beaux diagnostics », avec toute la sophistication nécessaire, et que seront instaurés les traitements dont les généralistes n’auront plus qu’à assurer les renouvellements. Ils demeurent les sans-grade de la hiérarchie médicale, fondée sur la durée des études et les facteurs qui la conditionnent, et calquée sur la gravité des maladies, la difficulté de leur diagnostic, la complexité de leurs thérapeutiques. Mais cette situation change. Une évolution est apparue, en raison pour partie d’une médecine moins triomphante, qui doit gérer chaque jour davantage ses échecs à travers les maladies chroniques. Ces dernières constituent le lot de tout ce dont la connaissance médicale n’a pu venir à bout – diabète, hypertension artérielle, bronchites chroniques, insuffisance rénale – ou tout ce qu’elle a fait évoluer d’une mort certaine vers une survie longue et maîtrisée : le sida et nombre de cancers en sont les exemples parfaits. C’est autour de cette gestion de la chronicité que le généraliste reprend une place indispensable, valorisante, essentielle dans le système
de soins. Il n’est plus un simple « renouveleur » d’ordonnances, guidé par l’avis du spécialiste. Il travaille à l’observance du traitement par le malade, à la surveillance des effets indésirables, à l’équilibre des thérapeutiques mises en œuvre. Pour cela il autonomise son patient, en lui expliquant comment il doit prendre ses médicaments, comment il module les prises si quelque chose d’anormal survient. Il planifie les surveillances indispensables à certaines maladies : contrôle de la rétine en cas de diabète, contrôle de la fonction rénale en cas d’hypertension artérielle, etc. En clair, il gère le parcours médical, semé d’embûches, du malade chronique afin que ce parcours soit le plus long possible avec une qualité de vie la meilleure possible. Il œuvre sur le long terme, il reprend toute son importance car lui aussi a la vie de son malade entre les mains pour les dix ou quinze prochaines années à venir. Par ailleurs, c’est encore l’échec de la médecine triomphante dans de nombreux domaines, mais en particulier en cancérologie qui a fait avancer le concept de dépistage : puisque les traitements ne sont pas radicaux à 100 %, loin s’en faut, autant maximiser les chances de succès en prenant le mal à la racine : c’est ce que l’on appelle « l’avance au diagnostic », qui permet de révéler de petites tumeurs avant l’apparition des signes cliniques ressentis par l’individu. Ainsi, le dépistage du cancer du sein chez les femmes âgées de plus de 50 ans permet-il de réduire de 30 % la mortalité liée à cette tumeur. Encore faut-il que les femmes adhèrent à cette proposition, de façon massive, pour que les résultats soient probants. Qui, mieux que le généraliste, peut convaincre une femme de pratiquer cette
1. Décret 88-321 du 7 avril 1988 fixant l’organisation du 3e cycle des études médicales. En fait, on avait pendant un temps utilisé le terme d’interne de médecine générale avant de retenir celui de résident. Ainsi la loi 84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur dispose dans son article 68 que le Gouvernement pourra prendre des mesures transitoires pour « déterminer les conditions dans lesquelles les étudiants admis dans la filière de médecine générale choisissent leurs postes d’interne dans cette filière ». 2. Décret 97-494 du 16 mai 1997. 3. Décret 2001-64 du 19 janvier 2001.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
7 • Le médecin du XXIe siècle mammographie, dès 50 ans, tous les deux ans, pendant la trentaine d’années qu’il lui reste à vivre en moyenne ? Là encore on entre dans une gestion non plus de la maladie chronique, mais du risque chronique, lié au vieillissement et au sexe. Cette gestion est essentielle, car elle permet un jour ou l’autre de sauver la mise à une femme qui, on le comprend bien, rechigne à cette surveillance biennale, avec son cortège de stress et d’angoisse renouvelés. C’est le rôle du généraliste de dédramatiser, d’expliquer et de faire admettre une médecine nouvelle, préventive, tout aussi importante sinon plus que celle dite curative, qui parfois arrive trop tard. Le cancer du col utérin, le cancer du sein, le cancer colo-rectal sont les trois affections principales où aujourd’hui le médecin généraliste a un rôle majeur à jouer, où il peut se sentir pleinement investi de sa mission consistant à sauver des vies. Mais pour qu’il comprenne bien tout cela, il faut qu’il s’en convainque d’abord lui, et dans ce but il convient de lui fournir des outils indispensables tels qu’une information à caractère épidémiologique, montrant les résultats du travail réalisé collectivement par les médecins généralistes. C’est la condition de la motivation, de l’adhésion de ces professionnels à une entreprise commune telle que le dépistage, qui verra leur rôle essentiel dans le système de santé enfin reconnu. Cette reconnaissance est d’ailleurs voulue à travers les textes, par les politiques qui ont bien compris que le temps est révolu où l’on qualifiait « d’acteurs essentiels de santé publique » des professionnels qui n’avaient précisément qu’un rôle de figurant. L’époque des faux-semblants se termine, puisque la médecine générale est désormais une spécialité à part entière, avec l’entrée en vigueur du décret du 16 janvier 2004 relatif à l’organisation du 3e cycle des études médicales. Ainsi, le 30 juin 1999, le Premier ministre Lionel Jospin, en clôture des États généraux de
la santé, exprime sa volonté de redonner toute sa place à la médecine générale en réformant les études médicales : « Parlons maintenant de celles et ceux qui font la médecine – les médecins praticiens. Et d’abord de leur formation. Une réforme des études médicales est nécessaire. Il faut rééquilibrer l’enseignement de la médecine, ouvrir les études médicales et y donner toute sa place à la médecine générale. Rééquilibrage, en premier lieu. Notre enseignement en Faculté de médecine souffre de ce que le grand philosophe Georges Canguilhem appelait “l’idéologie médicale” : celle du primat de la biologie, de la suprématie de la spécialité sur la médecine générale, de la supériorité prêtée à la technique sur la clinique. Le deuxième cycle sera donc modifié pour accorder une place plus grande à une approche globale de l’homme souffrant ; l’enseignement de la santé publique, de l’épidémiologie, de l’éthique, de l’économie de la santé, sera développé. Les études médicales doivent être plus ouvertes sur la société. Le nouveau 2e cycle sera consacré par un diplôme national, délivré par les Universités, qui permettra aux étudiants qui le souhaitent d’avoir accès à d’autres disciplines, telles que le droit, le journalisme et l’industrie, ou de poursuivre leurs études dans d’autres pays européens. Munis de ce diplôme, la plupart des étudiants entreront dans le 3e cycle après avoir passé un concours de l’internat, national, anonyme et classant. La médecine générale sera reconnue comme une spécialité au même titre que les autres – et sa durée de formation sera portée à 3 ans. Tout en étant mieux formés, seront donc généralistes les médecins qui en auront fait le choix. C’est ainsi que la médecine générale sera reconnue à sa juste valeur et qu’elle pourra tenir toute sa place dans le monde médical »1 .
La mise en place d’études renforcées pour la formation en médecine générale telle qu’elle est proposée par Lionel Jospin, est une exigence du droit communautaire (directive 86/457/CEE
1. Extrait du discours du Premier Ministre, Lionel Jospin, 30 juin 1999.
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL du Conseil, du 15 septembre 1986, relative à une formation spécifique en médecine générale ; directive 93/16/CEE du 5 avril 1993 visant à faciliter la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes, certificats et autres titres)1 . La réforme des études médicales entrée en vigueur en 2004 permet l’intégration de la médecine générale à l’internat et donne lieu à l’obtention d’un DES au même titre que la chirurgie ou la pédiatrie2 . Les postes de Professeur de médecine générale existent déjà comme professeurs associés mais devraient se développer. Une large place à la recherche et à la culture de l’écriture scientifique sur le champ de la médecine générale va enfin apparaître. Pour cela, le 3e cycle de médecine générale est allongé de six mois et porté à trois ans, et l’enseignement théorique est organisé autour de six modules : • la médecine générale et son champ d’appli-
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cation ; les gestes et techniques en médecine générale ; les situations courantes en médecine générale ; stratégies diagnostique et thérapeutique, leur évaluation ; les conditions de l’exercice professionnel en médecine générale et la place des médecins généralistes dans le système de santé ; la formation à la prévention, l’éducation à la santé et l’éducation thérapeutique ; la préparation du médecin généraliste au recueil de données en épidémiologie, à la documentation, à la gestion du cabinet, à la formation médicale continue et à la recherche en médecine générale.
Ce métier, si important, est ainsi bien identifié et fait l’objet d’une approche qualitative propre à satisfaire le consommateur de soins.
On ne pourra que se féliciter du contenu théorique de l’enseignement qui colle parfaitement aux fonctions, aux dimensions de la médecine générale dans un système de soins en devenir. Cependant à la fin de l’année 2006, les enseignants de médecine générale dénonçaient les difficultés de fonctionnement de cette « spécialité » et relevaient que depuis la mise en place de cette réforme, près de 2 000 postes de médecine générale (soit 30 % du total) avaient été délaissés par les étudiants. Pourtant, deux arrêtés d’octobre 2006 ont créé une filière universitaire de médecine générale. Le dispositif s’accompagnait de la création d’un stage de médecine générale dès la 4e année aux côtés des stages hospitaliers classiques. Les généralistes devraient accomplir trois ans d’internat alors que les spécialistes en feront cinq. Dès la rentrée 2007, la création de postes de chefs de clinique devrait aussi permettre aux internes qui terminent leur cursus de médecine générale de s’engager dans une filière universitaire, ce qui était impossible auparavant.
Un métier à quatre dimensions Le premier recours et l’accueil de la demande de soins constituent la première et sans doute la plus essentielle de ces dimensions. Celle-ci est fondée sur la disponibilité, la proximité et l’accessibilité du généraliste, qui vit le quotidien, dans le même village ou le même quartier que ses concitoyens. Cette connaissance multifactorielle des hommes, grâce à la proximité, permet seule de délivrer des soins primaires de qualité. Il faut en effet bien connaître les caractéristiques médicales, psychologiques et sociales des populations consultantes, il faut être habitué à écouter des plaintes couvrant tout le champ de la médecine,
1. P.J. Lancry, Les conséquences de la réforme de janvier 2004 sur la médecine générale, Extraits, février 2007. 2. M. Moilron, Médecine générale : enfin une spécialité !, Le Concours Médical, 23 février 2002.
7 • Le médecin du XXIe siècle à les décrypter en particulier quand plusieurs maladies sont intriquées, ce qui se produit très fréquemment chez les personnes âgées. Par ailleurs, l’expérience des affections observées en pratique quotidienne, la connaissance de leur fréquence au sein d’une population, cette espèce « d’épidémiologie pragmatique » vécue au jour le jour par le médecin généraliste évite au malade une foule d’examens spécialisés inutiles.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
C’est sur ce pragmatisme éclairé par les données de la médecine probabiliste que repose une bonne orientation du patient vers le spécialiste. Ce dernier, alors aidé par le défrichage préalable de l’omnipraticien, sera capable d’interpréter correctement les signes présentés par le malade et de prescrire des examens plus approfondis et surtout appropriés. Les soins secondaires, ainsi délivrés, pourront à leur tour s’accompagner de soins tertiaires (hospitalisation) si l’état de la personne le nécessite. Le bon fonctionnement du système nécessite que les soins primaires ou de premier recours soient assurés exclusivement par les médecins généralistes, à l’exclusion des médecins spécialistes ou hospitaliers qui interviennent alors à la demande des premiers. Ceci a pour corollaire que les médecins généralistes soient formés à accueillir toutes les demandes de soins, en particulier les urgences. Enfin, les cabinets de médecine générale doivent s’organiser pour offrir une permanence des soins de proximité garantie à l’ensemble de la population ; ceci implique des mesures de régulation de la démographie médicale sur le territoire national et une gestion optimisée des consultations, des visites et des actes d’urgence. Le dossier médical informatisé est une solution adaptée pour, avec l’autorisation du patient, partager l’information entre médecins lors du service de garde. La deuxième dimension du métier de généraliste concerne l’écoute de la demande de soins et l’information des malades. Les besoins
de la population sont d’ordre médical, psychologique ou social. Une écoute appropriée permet de ne pas « médicaliser » une demande exprimant un mal-être plutôt qu’une affection organique identifiée. C’est là encore que le généraliste est le mieux placé pour analyser finement les besoins des malades. Ceci nécessite des connaissances spécifiques, dans le domaine des sciences humaines, permettant de prendre en compte les représentations de la maladie chez les patients, de comprendre les besoins psychologiques et sociaux exprimés par les malades, d’analyser l’influence de ces besoins non médicaux sur la survenue et l’évolution des symptômes dont se plaignent les patients. Par ailleurs, la connaissance des ressources administratives et sociales de proximité, la collaboration sur le terrain avec les travailleurs sociaux et éducateurs, le conseil et l’accompagnement des patients, l’organisation d’une disponibilité au cabinet médical avec le concours d’infirmières et d’assistantes sociales sont autant de conditions nécessaires au développement d’une écoute de qualité professionnelle. La troisième dimension concerne la qualité de la communication entre médecin généraliste et malades. Cette communication doit tout d’abord véhiculer une information médicale valide, ce qui a pour corollaire un accès facilité du médecin aux données scientifiques. Ainsi, il disposera d’informations permettant d’exercer une médecine fondée sur des preuves expérimentales (evidence based medicine) ou encore il s’appuiera sur des données pragmatiques issues de la recherche clinique pour connaître l’efficacité réelle des procédures diagnostiques et thérapeutiques. De même la prescription doit-elle être optimisée par une information neutre et validée concernant les médicaments : efficacité, tolérance, risques iatrogènes, indications de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM), indications remboursables, Références médicales opposables (RMO). Cette prescription doit également autonomiser le patient avec
163
PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL une véritable éducation thérapeutique : quel objectif le malade doit-il se fixer (chiffre de tension artérielle, taux de glycémie...), comment prendre les médicaments, que faire en cas d’effets secondaires ? Autant de conseils qui doivent être écrits sur l’ordonnance après avoir été développés, et s’être assuré que les consignes délivrées sont bien comprises par le malade. La quatrième dimension du métier, enfin, ne relève pas de la science-fiction car il est indispensable d’accroître la qualité des prestations techniques qu’un médecin généraliste est susceptible de fournir. Il s’agit de relancer l’accès de la population à des actes techniques simples qui sont devenus l’apanage des services hospitaliers et des spécialistes. Pour cela, Encadré 7.1
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la nomenclature des actes techniques qui est du domaine de la médecine générale doit être formalisée reposant : • sur une fréquence suffisante de leur utilisa-
tion en premier recours pour maintenir les compétences acquises ; • sur l’absence d’investissement financier lourd qui entraînerait une inflation des actes ; • sur un apprentissage court, notamment s’il y a une interprétation lors de ces actes.
Il n’existe encore pas de liste concernant des actes techniques que tout généraliste devrait savoir réaliser, mais il existe un « noyau dur » qui ne prête guère à discussion dans le cadre de soins primaires1 (encadré 7.1).
Quelques exemples des prestations techniques qui sont du ressort des médecins généralistes
• Appareil cardio-vasculaire
– Réalisation d’un électrocardiogramme • Appareil gynécologique
– – – –
Frottis cervico-vaginal Prélèvement pour examen bactériologique Bistournage d’un polype Pose d’un stérilet
• Maladie du foie
– Ponction d’ascite • Appareil oto-rhino laryngologique
– – – – – –
Extraction d’un bouchon de cérumen Paracentèse Extraction d’un corps étranger nasal, pharyngé ou du conduit auditif externe Tamponnement antérieur d’un saignement de nez Changement d’une canule de trachéotomie Surveillance d’une ventilation artificielle à domicile
• Maladie de l’œil
1. La Mutualité française, Rapport du comité de concertation sur la médecine générale, juin 1999.
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7 • Le médecin du XXIe siècle ☞
– Ablation de certains corps étrangers
• Maladies de la peau et des phanères
– – – – – – – –
Injections Évacuation d’un hématome sous-unguéal Extraction d’un corps étranger Sutures des plaies Traitement des traumatismes sanglants Traitement des brûlures superficielles Ponction et incision d’abcès ou de kystes graisseux Soins d’ulcères de jambe
• Appareil pulmonaire
– Ponction pleurale • Appareil locomoteur :
– – – – – – –
Infiltrations Epicondylite Canal carpien Périarthrite scapulo humérale Genou Périarthrite de la hanche Articulation des doigts et du poignet
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• Traumatismes
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Anesthésie locale Strapping de la cheville, du poignet et du genou Attelles des doigts (mains et pieds) Coups et blessures qui posent un problème médico-légal
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
• Maladie de l’anus
– Incision d’une thrombose hémorroïdaire
Citons pour conclure les onze critères qui délimitent le champ de l’exercice de la médecine générale selon la WONCA1 (1974) (Leeuwenhorst, Pays-Bas) :
• premier contact avec le système de soins,
permettant un accès ouvert et non limité aux usagers, prenant en charge tous les problèmes de santé, indépendamment de l’âge,
1. WONCA : World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations of General Practitioners/Family Physicians est l’organisation mondiale des médecins généralistes/médecins de famille qui regroupe plus de 200 000 médecins dans 80 pays.
PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL
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du sexe, ou de toute autre caractéristique de la personne concernée ; utilisation efficiente des ressources du système de santé, à travers la coordination des soins et la gestion du recours aux autres spécialités ; approche centrée sur la personne, dans ses dimensions individuelle, familiale et communautaire ; mode de consultation personnalisée à travers une relation médecin-patient privilégiée ; responsabilité de la continuité des soins dans la durée, selon les besoins du patient ; démarche décisionnelle spécifique, déterminée par la prévalence et l’incidence des maladies dans le contexte des soins primaires ; prise en charge simultanée des problèmes de santé aigus ou chroniques de chaque patient ; intervention au stade précoce et non différencié du développement des maladies, pouvant requérir une intervention rapide ; développement de la promotion et de l’éducation de la santé ; responsabilité spécifique en termes de santé publique ; réponse globale aux problèmes de santé dans leurs dimensions physique, psychologique, sociale, culturelle et existentielle.
S’il fallait encore chercher à le prouver, cette technicité retrouvée du médecin généraliste renforce encore le rôle essentiel de ce professionnel dans un système de santé performant. Hiérarchiser les soins – primaires, secondaires et tertiaires – et non pas les médecins, mettre un peu d’ordre et de clarté dans le rôle de chacun, faire partager à tous une vision cohérente sont autant de conditions susceptibles de redonner des repères et du sens à chaque acteur d’un système de santé harmonieux et maîtrisé. La reconnaissance de la médecine générale est désormais sur la bonne voie, car :
• elle devient, aux termes de la nouvelle
réforme des études médicales, une spécialité à part entière et une discipline universitaire ; • la dénomination même du diplôme de 3e cycle DES de médecine générale fait que le médecin qui sortira en 2007 avec celui-ci sera un praticien spécialiste en médecine générale. Notons cependant que le législateur, alors même qu’il réformait en profondeur le troisième cycle des études médicales, n’a pas supprimé la distinction entre la médecine générale et les autres spécialités. À cet égard des différences sont maintenues entre médecins généralistes et médecins spécialistes tant dans le Code de la Sécurité sociale ou le Code de santé publique que dans le Code de l’éducation qui ne mentionne pas de qualification de spécialiste en médecine générale et maintient une qualification en médecine générale et une qualification en spécialité. Enfin, la reconnaissance de la médecine générale comme spécialité ne doit pas pour autant effacer les spécificités de cette discipline en termes de pratique. Le professionnel qui exerce la médecine générale est un spécialiste de premier recours qui coordonne les soins nécessaires au patient, en assure la synthèse et la continuité par un suivi au long cours, et développe par là même une véritable démarche de santé publique. L’arrêté portant sur la qualification de spécialiste en médecine générale est paru au Journal Officiel le 18 avril 2007. Cet arrêté confirme qu’il s’agit bien d’une procédure individuelle de qualification de spécialiste en médecine générale confiée aux conseils départementaux. L’étude des dossiers de demande de qualification de spécialiste en médecine générale est réalisée par une Commission de qualification départementale de 1re instance en médecine générale qui donne un avis motivé au Conseil départemental. Puis, en séance plénière le Conseil départemental qualifie ou non le médecin spécialiste en
7 • Le médecin du XXIe siècle médecine générale. En cas de refus, l’appel peut être porté devant la Commission d’appel selon les procédures habituelles. Les éléments Encadré 7.2
d’appréciation d’une pratique « réelle » de la médecine générale figurent en encadré 7.2.
Quelques éléments d’appréciation utiles à la décision de la Commission de qualification en Médecine générale
• La structure d’exercice de la Médecine générale publique, privée, libérale, salariée. • Le mode d’exercice : plein temps, remplaçant, retraité remplaçant, collaborateur libéral ou
salarié.
• Le libellé des ordonnances (la mention Médecine Générale doit y figurer). • Le nombre de patients ayant désigné ce médecin généraliste comme médecin traitant • • • •
• •
(document délivré par les CPAM au praticien). La participation volontaire à la PDS (permanence des soins) de MG ou Centre de régulation médicale. La formation médicale continue en MG effective sous toutes formes existantes (art. 11 du Code de Déontologie). L’adhésion à un processus d’EPP (évaluation des pratiques professionnelles) de MG. La participation à des réseaux de soins en MG ou investissement personnel dans des équipes de soins à tout groupe de population nécessitant des besoins de santé spécifiques : personnes âgées, enfants, toxicomanie, nutrition, prison, samu social... La fonction d’enseignant en Médecine Générale (maître de stage, universitaire...) L’étude du profil d’activité pour les salariés ou du TSAP ou SNIR pour les libéraux.
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Chapitre 8 Le colloque médecin-patient
PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL
PLAN DU CHAPITRE
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1. La pluralité du colloque singulier... Pour un statut de la personne avant un statut du malade La pluralité du colloque singulier médecin-patient L’acharnement thérapeutique
171 171 172 173
2. Liberté ou responsabilite de la prescription ? La médecine n’est pas un art Qu’entend-t-on par liberté de prescription ?
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8 • Le colloque médecin-patient
1. LA PLURALITÉ DU COLLOQUE SINGULIER... Quand le domaine public s’invite dans la relation médecin-patient s’annonce alors la fin du colloque singulier. Outre une intrusion obligée de l’Assurance maladie, la relation entre un médecin et son patient est trop longtemps restée de l’ordre du domaine « privé » échappant ainsi aux exigences collectives d’un corps social en mal de reconnaissance : les consommateurs de soins.
Pour un statut de la personne avant un statut du malade
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La relation entre un malade et un médecin est de nature particulière pour des raisons qu’il semble bon de rappeler ici. Il ne s’agit pas d’un lien social habituel, entre un client – le malade – et un fournisseur de soins, le médecin. Il n’existe pas une intention de consommer, un désir de s’informer sur un produit que, finalement, on achètera ou pas. Être malade c’est d’abord vivre une rupture brutale entre un avant fait de relative inconscience, de jouissance de ses facultés physiques et mentales, et un après à géométrie variable. Malade pour trois mois, malade pour cinq ans, malade pour la vie ? Du simple hypertendu qui contrôle son affection chronique par un petit comprimé le matin au malade chronique en passant par le handicapé à vie, tous ont un point en commun : la différence avec un avant, quand ils étaient bien portants et cet « après » lourd à porter. Cette différence est en eux – par rapport à leur état antérieur – et en dehors d’eux par rapport aux autres. Cette différence qu’ils voudraient bien gommer se rappelle sans cesse à leur bon souvenir : un prêt refusé, ou assuré avec une prime très fortement majorée, un poste auquel on ne peut plus accéder, un regard de l’entourage, compassionnel ou agacé. Et puis cette relation nouvelle, permanente, avec les professionnels de santé : médecins, infirmières, aides soignantes, kinés... Un monde à appré-
hender, dont on devient le parent, le sujet, l’objet ? On devient un malade, avec un statut différent selon l’acteur du système de santé auquel on a affaire. Pour le directeur de l’hôpital, un individu statistique contributif du case-mix et des durées moyennes de séjour. Pour le gestionnaire de l’Assurance maladie ou les complémentaires santé, une source de consommation et de dépenses. Pour le médecin spécialiste, un cas clinique, répondant à des caractéristiques d’évolution de la pathologie, de chances de guérison, de taux de complication. Pour les banquiers et les sergents recruteurs, un client qui impose d’être méfiant, de ne pas prolonger la relation outre mesure et même d’y mettre fin si la nécessité s’en fait sentir. Société des bien portants (tous de futurs malades !) qui montre du doigt et finalement exclut. Problématique exacerbée lorsque l’on examine la place faite aux personnes handicapées – accès aux bus, aux trains, aux emplois – qui sans cesse nécessite l’intervention du législateur. Personnes handicapées ou malades, le combat est le même car toute maladie est un handicap qui ne se voit pas forcément. Combat pour le respect d’un statut unique : celui de la personne avec une maladie ou un handicap. La personne d’abord, la personne toujours, la maladie en 2e lieu. Retrouver de la normalité parce qu’il est normal, au sein de la société que certains voient leur état de santé se dégrader, leurs capacités physiques ou mentales décliner. Banaliser la maladie car ce n’est qu’une ques-
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL tion de temps ou de circonstances, chacun y sera confronté. Le fait d’être malade, porteur d’un handicap, ne doit pas conduire à la mise à l’écart, que l’on soit jeune ou vieux. L’enfant diabétique a droit à une scolarité normale, ou la plus normale possible en la circonstance. La jeune femme victime de sclérose en plaques présente des poussées évolutives qui l’éloignent du travail, elle est fatigable, ses compétences n’en sont pas pour autant altérées, il suffit d’intégrer cette nouvelle donne dans l’aménagement de son poste. La personne âgée malade a-t-elle des droits différents de ceux de l’adulte jeune présentant une pathologie ? Tout ceci renvoie aux droits des malades que l’on qualifierait volontiers de « droit des faibles ». Dans une société vantant chaque jour plus la performance et la vitesse, la personne malade, la personne handicapée, la personne âgée ont parfois du mal à occuper une place reconnue.
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La pluralité du colloque singulier médecin-patient Tous les malades que l’on interroge sur l’annonce du diagnostic le disent : tout compte, à ce moment-là. L’attente, parfois trop prolongée. Les mots pour le dire. La gêne, voire l’angoisse du médecin assis en face. Et au-delà de ce moment, la recherche d’informations complémentaires, véritable quête auprès des autres médecins et des infirmières. Le besoin de parler avec les soignants, de se laisser aller, de se sentir accompagné, soutenu. Au-delà de la technique et du parcours stéréotypé examens – traitements – examens, la recherche d’humanité. À travers le respect des droits des malades, le respect de la personne humaine, tout court. Le chemin parcouru au cours des vingt dernières années montre qu’en matière d’humanité le compte n’y était vraiment pas (y est-il maintenant ?). Il a fallu légiférer ferme pour faire bouger les mentalités et introduire des concepts propres à
faire évoluer cette relation médecin-malade, surtout en cas de maladie grave. La loi du 4 mars 2002 apparaît comme le point d’orgue d’un ensemble lentement édifié, avec un article qui dit tout en préambule « la personne malade a droit au respect et à la dignité ». Cette notion de dignité recouvre le droit à l’information, le droit à la confidentialité, le droit à choisir son ou ses médecins et établissements de soins, le droit à être soulagé de sa douleur, le droit à finir sa vie « en homme » grâce à des soins palliatifs et à un accompagnement. Aucun acte médical ni aucun traitement ne saurait être pratiqué sans le consentement libre et éclairé du malade ; au cas où ce dernier ne pourrait exprimer sa volonté, une « personne de confiance » désignée par le malade lui-même par écrit, doit être consultée. Le malade retrouve une liberté de choix qui lui a été longtemps refusée et c’est sans doute cette liberté qui a le plus modifié sa relation avec les soignants. Les médecins ont de leur côté découvert qu’ils avaient en face d’eux des êtres humains responsables de leur sort (ou des parents responsables du sort de leurs enfants) et libres de leurs choix. Les malades s’aperçoivent petit à petit qu’ils ont des droits fondamentaux et que leur état ne les prive en rien de ces droits. Si la loi a changé les règles du jeu, il faudra bien sûr du temps pour qu’elle soit respectée au pied de la lettre et que le droit écrit devienne un droit naturel. L’accès des patients à leur dossier médical hospitalier fera (sans doute) office d’un bon test de la pénétration des textes dans les habitudes. La loi prévoit en tout cas toutes les facilités pour le patient de consulter les informations le concernant, y compris l’accompagnement par une tierce personne en cas de risque émotionnel ou psychologique lié à une telle démarche. Plus rien ne fait obstacle à l’accès aux informations concernant sa santé : protocoles thérapeutiques, courriers échangés entre médecins, résultats d’examens, comptes rendus de consultations... Tous ces
8 • Le colloque médecin-patient éléments peuvent être désormais examinés par tout patient qui en fait la demande.
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Une association d’usagers1 s’est interrogée sur le respect du droit des usagers cinq ans après la promulgation de la loi de 2002. Tout d’abord, en matière d’information du patient, si ceux-ci s’estiment bien informés en grande majorité (80 %) concernant la prescription (examens, traitements, interventions...), ils ne sont plus que 61 % à estimer l’être correctement sur les conséquences des prescriptions. D’autre part, les personnes ayant répondu au questionnaire estiment dans 77 % des cas que leur droit au consentement a été bien respecté lorsqu’ils font face à une décision d’examen ou de traitement. Cette appréciation est encore plus importante en cas d’anesthésie (90 % des répondants). Quant à l’accès au dossier personnel, ce droit d’accès très peu utilisé (15 % des répondants) ne l’est que dans un quart des cas lorsque le répondant envisage une poursuite judiciaire ou une conciliation. L’enquête soulève cependant la question de la réticence réelle à délivrer le dossier patient, alors que la loi est très claire sur ce sujet. En effet, parmi les personnes ayant demandé l’accès à leur dossier, seulement 60 % déclarent l’avoir obtenu (les plus nombreux faisant partie des associations de victimes) ; parmi eux, 40 % estiment que leur dossier était incomplet, et sur 53 % de répondants, seuls 34 % disent l’avoir obtenu dans le respect des délais légaux. Enfin, concernant le respect des droits des patients lors d’une hospitalisation apparaît assez clairement le cloisonnement ville/hôpital ; ainsi, dans près d’un quart des cas, la sortie d’hospitalisation est insuffisamment ou pas du tout préparée, cette proportion étant la même pour la transmission d’information au médecin traitant qui est insuffisante ou ne se fait pas du tout.
Cette plus grande transparence va de pair avec cette culture de l’information qui doit progressivement habiter la relation entre médecins et malades. Non pas pour demander des comptes ou judiciariser plus que de besoin cette relation, mais bien pour faire valoir un droit encore trop souvent refusé : celui de savoir. Savoir parce que c’est la vie qui est en jeu. Savoir pour choisir entre des options où seul le patient est à même d’opérer des choix. Savoir, parfois pour comprendre ce qui s’est passé, pourquoi les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Savoir pour faire progresser les médecins dans leurs pratiques, et la société tout entière dans ses exigences envers le système de santé.
L’acharnement thérapeutique Le terme même d’acharnement fait référence à une attitude irraisonnée et pleine de fureur qui s’accorde mal au positionnement du soignant face à l’acte de soins... En fait, la sémantique ne fait que traduire la sensibilité exacerbée autour des questions de vie et de mort. En effet, l’acharnement thérapeutique consiste à poursuivre une thérapie lourde à visée curative quand bien même l’état du malade ne laisse entrevoir aucune chance de guérison ou d’amélioration. Cette attitude a donc pour seul effet de prolonger la vie, indépendamment de la qualité de celle-ci. Cette définition révèle un certain nombre de problèmes liés à l’éthique qu’il s’agisse de l’éthique individuelle du soignant (nature du consentement du patient ou de ses proches, aux soins et à leurs limites, droit ou devoir de prolonger la vie, prise en compte du critère qualité de vie...) ou de l’éthique collective d’une société confrontée aux limites du droit à l’accès aux soins pour des raisons économiques
1. Le respect des droits des usagers de la santé, Enquête du CISSRA 2006 auprès des adhérents des associations du CISS Rhône-Alpes, mars 2007.
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(priorités de soins dans le cadre de ressources limitées). Dans les faits, les soignants sont souvent seuls face aux situations de fin de vie (70 % des décès ont lieu à l’écart des proches, à l’hôpital ou en institutions spécialisées pour personnes âgées) parce que, dans les schémas de représentation, la mort demeure un des événements les plus difficiles à vivre. L’acharnement thérapeutique devient un problème sociétal majeur du fait des coûts exorbitants de fin de vie qui vont encore s’aggraver sous le double effet de la démographie et du progrès médical alors même que la société devra faire des choix en terme de prise en charge collective des soins et d’efforts de prévention. Néanmoins, les critères économiques ou utilitaristes ne sont pas suffisants pour rendre compte de la problématique attachée à la qualité de fin de vie qui nous paraît plus pertinente que celle de la vie à tout prix. Cependant, autant l’accompagnement vers une fin de vie de qualité comme solution de substitution à l’acharnement thérapeutique, directement corrélée aux aspects juridiques et économiques de l’accès aux soins, relève de choix politiques sociétaux, autant l’acte d’arrêter la vie, qui ne saurait se confondre avec le refus de la prolonger à tout prix, nous paraît plutôt dépendre de consentements individuels réglementés. C’est pourquoi les soins palliatifs en tant que solution pour mettre fin à l’acharnement thérapeutique et pour concrétiser le droit à l’accès à une fin de vie de qualité, ne peuvent s’assimiler à une euthanasie passive. Le droit de mourir dans la dignité concerne tout autant les personnes en soins curatifs que les personnes en soins palliatifs et appelle d’autres débats qui, pour être proches, n’en sont pas moins différents. Face aux difficultés de financement des systèmes de prise en charge des soins, le problème
de l’efficience de cette prise en charge ne peut être occulté. À l’heure où certaines personnes peuvent être privées de certains dépistages, médicaments ou appareillages en raison d’un coût trop élevé, il apparaît légitime de s’interroger sur l’efficience de la moitié des dépenses de santé consommées par les individus dans les six derniers mois de leur vie. Or, il est admis aujourd’hui que de nombreux soins curatifs sont prodigués en fin de vie à des patients sans que, pour autant, les indices de qualité de vie soient améliorés. Alors que le malade ne peut plus guérir, l’accroissement « artificiel » de son temps de vie, de sa souffrance et de celle de ses proches, pose incontestablement le problème du transfert de ressources médicales qui, en tant que ressources rares et socialisées, gagneraient à être utilisées lorsqu’elles s’avèrent utiles pour les malades et pour la société. L’arrêt de soins inutiles devient alors une démarche éthique qui, en tant que telle, doit être accompagnée (protection des textes, décision pluridisciplinaire d’équipe, implication du malade ou des proches lorsque c’est possible). Cependant, si les critères économiques intègrent le domaine de l’éthique, ils ne le recouvrent pas, sinon il suffirait de décider qu’à partir d’un certain âge, il n’est plus « utile » de traiter par dialyse les insuffisants rénaux ou de soigner certains cancers... Mettre fin à l’acharnement thérapeutique ne se confond pas avec des formes d’abandon thérapeutique qui ne se justifient pas tant qu’il existe des chances avérées de guérison ou de qualité de vie prolongée. Mettre fin à l’acharnement thérapeutique n’est enfin possible que s’il existe des solutions de prise en charge des mourants qui garantissent l’égalité des malades devant la mort et le droit de mourir dans la dignité, d’où les perspectives offertes par le développement des soins palliatifs.
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8 • Le colloque médecin-patient Les soins palliatifs intègrent les critères économiques (budgets d’équipement peu élevés, accueil du malade par la famille...) mais ne leur confèrent pas l’exclusivité. Ils doivent s’inscrire dans la même démarche éthique, tant dans les conditions d’accès (diagnostic pluridisciplinaire de fin d’espoir de guérison) que dans les finalités poursuivies (l’amélioration de la qualité de la fin de vie). Les conditions de passage vers les soins palliatifs permettent de déculpabiliser les médecins comme les proches, en intégrant les nécessaires souplesses d’adaptation pragmatique des soins, notamment lorsque surviennent des épisodes aigus intercurrents qui rappellent la fragilité ponctuelle de frontière entre soins curatifs et palliatifs. L’accompagnement de fin de vie mérite de se situer à la hauteur des enjeux du moment : présence médicale et des proches, soins de confort, qualité de l’environnement sont organisés pour témoigner du respect du processus de fin de vie et de la dignité qui s’y attache. Parler d’euthanasie passive à propos des soins palliatifs nous semble dénigrer la finalité d’une phase ultime qui vise non pas à provoquer ou à anticiper la mort mais à accompagner la fin de vie en lui conférant une qualité maximum par des soins et une attention visant à soulager la douleur tant physique que psychique, à sauvegarder la dignité du malade et à soutenir son entourage. Ce qu’on nomme euthanasie réside généralement dans l’administration volontaire d’un produit toxique mettant rapidement fin à la vie d’un malade incurable afin d’abréger ses souffrances. Les défenseurs de cette pratique, encore interdite en France, l’assimilent souvent au refus de l’acharnement thérapeutique. C’est confondre la cause et l’effet parce que ni la décision de transfert vers les soins palliatifs, ni les soins de confort qui y sont prodigués,
ne peuvent être considérés comme euthanasiants : la fin de l’espoir de guérir via des soins curatifs a déjà été appréciée en amont et l’accompagnement de fin de vie ne signifie pas nécessairement son anticipation. Le débat sur l’euthanasie n’a rien à gagner d’une globalisation autour du problème sociétal de l’acharnement thérapeutique dans ses dimensions médicales, économiques et sociales. Il peut, par contre, progresser s’il se situe sur le plan du droit de la personne de demander à ce qu’il soit mis fin à sa vie, via une tierce personne, dans des situations où la nécessité peut être codifiée dans le respect de ce seul droit. Ainsi, Jean Peneff, à juste titre notait que « la légitimité de la déchéance et du moment de la fin de vie est un contrôle social que le corps médical, conservateur, n’est pas prêt de lâcher ; il faudra le conquérir comme toutes les autres libertés acquises, en luttant contre une forme de pensée religieuse qui introduit de “nouveaux rituels”, des principes éthiques de vie, des abus d’influence dans des institutions d’État. (...) Si chaque individu doit affronter cet événement pour lui-même, à lui de dire s’il veut qu’un tiers, médical ou non, s’interpose entre son propre destin et la décision finale, à l’abri des manipulations des opinions singulièrement influençables en de tels moments de dépendance de la conscience1 ». La nécessité de mettre fin à l’acharnement thérapeutique, loin de l’occulter, ranime le débat sur « quelle fin de vie voulons-nous ? » L’obsession consécutive d’un progrès médical perçu comme illimité, d’une espérance de vie qui s’allonge jusqu’à tendre vers le désir d’immortalité, nous fait oublier que les fins de vie, pour être plus tardives ne seront pas pour autant plus heureuses. Mourir par sénescence tout en n’étant pas malade obligera de plus en plus la société à dis-
1. J. Peneff, La France malade de ses médecins, Éd. Les empêcheurs de tourner en rond, octobre 2005.
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL tinguer les problématiques de prolongation de la vie de celles de prolongation de fin de vie. Certains chercheurs en économie de la santé1 ont ainsi mis au point des indicateurs de qualité pondérant l’espérance de vie afin d’obtenir un nombre d’années de survie équivalent à une santé parfaite. Ils ont ainsi démontré qu’un traitement pouvait avoir trois résultats possibles : prolongation de la vie et de sa qualité, raccourcissement de l’espérance de vie avec amélioration de sa qualité, prolongation de la vie avec dégradation de sa qualité. Ces considérations attestent de l’opportunité de régler le problème de l’acharnement
thérapeutique à l’aune d’une éthique collective intégrant les critères économiques et sociaux d’égalité d’accès aux soins tout en les conciliant avec le droit des personnes. Dans cette optique, il ne s’agit ni de rechercher la performance économique d’un système anglais qui tend à ne plus soigner les personnes âgées atteintes d’affections lourdes, ni de pénaliser la performance sociale de l’assurance maladie française en ignorant le coût grandissant de la mort.
2. LIBERTÉ OU RESPONSABILITE DE LA PRESCRIPTION ?
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Si la responsabilité de la prescription implique des choix, optimiser ces choix ne constitue en rien une liberté de prescription. Un tel attachement du corps médical à cette idée de liberté méritait bien que l’on se pose quelques questions : de quelle liberté parle-t-on au juste, pourquoi est-ce aussi important et à qui, du malade ou du médecin, profite-t-elle le plus ?
La médecine n’est pas un art S’il est une valeur à laquelle la profession médicale a de tout temps été particulièrement attachée, c’est bien la liberté de prescription. Autrement qu’une valeur, il s’agit plus souvent d’une condition, rappelée maintes fois dans les textes conventionnels régissant les relations médecins libéraux/Assurance maladie et déterminant l’exercice libéral ainsi que les principes mêmes du conventionnement.
motif. Si, par ailleurs, on oppose cette liberté au déterminisme, c’est la volonté du prescripteur qui serait capable d’agir comme cause première, c’est-à-dire la liberté propre à l’être conscient d’agir à sa guise et de choisir, en dehors de toute contrainte de quelque nature que soit celle-ci. Sans pousser plus avant nos explorations sémantiques et philosophiques, on voit bien que le mot liberté est ici utilisé à propos d’un champ beaucoup plus restreint, et à des fins encore plus étroites.
Cette liberté recouvre-t-elle le concept philosophique bien connu de libre arbitre ? Ce serait dire que, face à une décision en matière de prescription, le médecin ne ferait prévaloir aucun
En effet, les choix d’un médecin au moment de la prescription ne laissent que peu de place à la fantaisie et à l’improvisation et sont guidés de telle manière que l’on peut et doit parler
1. Cf. le QALY (Quality Adjusted Life Year) d’A. William et M.C. Weinstein.
8 • Le colloque médecin-patient d’algorithme décisionnel. On quitte le domaine philosophique pour se cantonner à celui de la technique médicale à proprement parler.
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Les éléments communs à tout algorithme de prescription sont aisément repérables. De quelle affection, en premier lieu, le patient souffre-t-il est la question fondamentale à laquelle il faut d’abord répondre. La bonne réponse impose, outre l’examen clinique minutieux et l’interrogatoire approfondi du malade, la prescription de batteries d’examens complémentaires : radiologiques, sanguins, urinaires, explorations fonctionnelles de certains organes... Déjà là, le prescripteur ne part pas à l’aveuglette et ne fait pas ce que bon lui semble. Ce sont les données recueillies au moment de l’examen clinique et de l’écoute du patient qui lui permettent de probabiliser le plus correctement possible les causes des symptômes présentés. Telle douleur, sa fréquence, ses modes de manifestation, sa localisation vont orienter vers une sphère particulière que l’on privilégiera. C’est la finesse du palper, l’expérience du praticien, le recueil précis des informations lors de l’interrogatoire du patient qui déjà restreignent considérablement le choix des examens complémentaires. Si pour le commun des mortels avoir « mal aux reins » décrit bien la réalité d’un lendemain de jardinage ou de déménagement, pour le professionnel cette information en soi entraîne une alternative : le patient exprime-t-il une douleur lombaire, d’origine vertébrale, liée à des mouvements de contorsion et à des efforts inhabituels ou est-ce un signe de la sphère urinaire concernant un organe essentiel tel que le rein ? L’orientation vers l’une ou l’autre des branches de cet algorithme naissant s’opère alors par : • un complément d’information : y a-t-il des
signes lorsque le patient urine, a-t-il des lancées douloureuses dans les fosses rénales ? Au contraire, les douleurs sont-elles méca-
niques, n’apparaissant que lors d’un mouvement particulier de la colonne lombaire ? • un palper minutieux de la colonne vertébrale et des muscles latéro-vertébraux, une exploration de la statique et de la souplesse du rachis, un palper bimanuel des reins. S’il pense que l’on a affaire à la première branche de l’alternative – le lumbago banal de tout un chacun – la prescription d’une radiographie simple de la colonne vertébrale apportera d’autres éléments pour étayer un diagnostic probable : les images montreront une arthrose, ou un espace intervertébral pincé, ou une anomalie congénitale. Si au contraire le médecin pense que l’appareil urinaire est concerné, il orientera sa prescription vers une échographie rénale. Et là une seconde alternative se présente : faut-il demander une simple échographie rénale – examen indolore, sans aucun risque, apportant une information globale sur la taille du rein et la présence de calculs – ou bien une urographie qui nécessite d’injecter par voie intraveineuse un produit iodé, avec risque d’allergie grave à ce produit, risque assumé parce que l’on veut connaître la forme précise de la tuyauterie urinaire (les calices, les uretères et la vessie) ? Si c’est cette éventualité que l’on privilégie, il faut avoir des arguments : l’histoire particulière du patient, ses antécédents dûment transmis au radiologue. Lui aussi pose ce que l’on appelle l’indication de l’examen qu’il va réaliser, et dont il est responsable, au vu des renseignements que lui livre le médecin prescripteur. Cet exemple simple montre bien que l’exercice médical n’est pas un art – contrairement à ce que l’on entend ici ou là – qui serait soumis aux facéties, à l’imagination, voire aux caprices de l’artiste, pas plus que le patient n’est une argile docile et modelable évoluant entre les mains de ce dernier. Si rien ne s’invente, le chemin vers la vérité diagnostique et le bon choix thérapeutique, lui, se crée, grâce à la finesse du clinicien et à son expérience.
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL
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Le clinicien est aidé en cela par la logique, une logique guidée par les recommandations professionnelles qui ne sont qu’une mutualisation des expériences. Enfin, un souci constant du meilleur bénéfice/risque pour le patient doit rendre ce cheminement sûr et efficace. Où est la liberté dans tout cela, si ce n’est celle du malade qui, informé du bénéfice à attendre et des risques encourus peut demander un autre choix que celui proposé par le médecin ? Si la douleur lombaire, dont il était question tout à l’heure, est due à une hernie discale c’est que le coussinet amortisseur, placé entre deux vertèbres, s’écrase et comprime la moelle épinière placée derrière lui. Le patient doit-il alors se précipiter sur la table d’opération – comme, bien souvent on le lui conseillera – ou bien profiter d’une technologie moins pointue basée sur le repos (trois mois environ), faisant rentrer dans sa loge cette hernie par simple déshydratation ? S’il ne peut s’offrir le luxe de 3 mois d’inaction parce qu’il gère une petite société, il optera on s’en doute pour la solution radicale : mais c’est lui qui aura fait ce choix.
Qu’entend-t-on par liberté de prescription ? Cette fameuse liberté de prescription se trouverait plutôt écornée si l’on en restait à ce point de la démonstration. Concernerait-elle alors plus particulièrement les médicaments ? Logiquement nous devrions être sur un schéma analogue à celui développé plus haut. Seule la connaissance de la molécule, son efficacité, ses effets secondaires, sa chronobiologie, sa tolérance, prouvés scientifiquement lors d’essais cliniques méthodologiquement irréprochables, devraient guider la prescription du médecin. Comme c’était le cas tout à l’heure pour choisir l’examen radiologique le plus approprié à la situation du malade. Sauf que, tout à l’heure, les deux examens radiologiques possibles n’étaient pas concurrents mais
complémentaires, l’un donnant des informations que l’autre ne pouvait fournir. Et que les médicaments, eux, sont au cœur d’une bataille commerciale que se livrent les grandes firmes de l’industrie pharmaceutique. En effet, l’influence de la marque est déterminante dans le choix opéré par le prescripteur. Soulignons d’ailleurs au passage que c’est le généraliste qui est le plus gros prescripteur – en volume et en dépenses – de pharmacie. Il dépend dans son comportement de ce que l’on appelle « l’effet de source » : si les leaders du monde médical – hospitalo-universitaires cela va sans dire – prescrivent tel produit, s’ils le recommandent, alors il n’y a plus qu’à suivre ! Une rumeur unanime se lève, se gonfle et finit par submerger l’ensemble du milieu médical : le statut du médicament se trouve conforté, il devient une référence. C’est l’effet « image de marque ». Quant au jugement porté sur l’efficacité réelle du produit, il repose sur les réunions d’information organisées par les laboratoires, sur la visite médicale et enfin sur la presse magazine. L’essentiel, pour lancer un nouveau médicament, étant que l’on en parle – en bien évidemment ! Quant aux pages de « publicité informationnelle » envahissant la presse professionnelle à coups d’encarts monumentaux, elles contribuent à maintenir ce statut : son poids, sa présence massive entretiennent le bruit de fond permanent nécessaire à la naissance des automatismes de prescription. On sait bien à quel point, de façon directe ou subliminale, la publicité environnante influe sur les comportements, consciemment ou inconsciemment. N’ayant ni le temps ni le moyen d’établir des comparaisons pertinentes, et en l’absence de publicité comparative, c’est bien le refrain des messages ou les flashs des images qui guident et forcent la consommation. Le médecin se trouve dans la situation de tout un chacun, il n’a pas le temps de lire dans le détail les comptes-rendus d’essais cliniques, il ne peut que croire sur parole
8 • Le colloque médecin-patient les gens qui lui vantent un produit. Où se trouve la liberté ?
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Certainement pas dans la pratique actuelle mais peut-être dans les pratiques en devenir, malgré des débats encore houleux entourant la prescription des médicaments en Dénomination commune internationale (DCI). Rappelons que la DCI a été élaborée voilà plus de cinquante ans par l’OMS, afin d’établir un langage commun, intelligible et surtout international entre les professionnels de santé. C’est l’apparition de nombreuses substances pharmaceutiques qui, dès le début du XX e siècle, a mis en évidence les confusions possibles au sein et entre différents pays. Ce sont les commissions nationales de nomenclature ou les fabricants eux-mêmes qui déposent une demande d’appellation en DCI. Outre le fait que cette appellation soit suffisamment reconnaissable et évite des confusions toujours possibles, elle doit comporter un segment clé, commun à toutes les substances d’un même groupe. Ce groupe se définit par l’activité pharmacologique ou sa structure chimique, et le segment clé est un préfixe, un segment intermédiaire ou bien un suffixe. Ainsi, le suffixe bien connu « olol » désigne-t-il un béta-bloquant, utilisé dans l’hypertension artérielle ou les migraines : propanolol... tandis que le suffixe « pril » désigne les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, utilisés également dans l’hypertension artérielle : Inisopril... La DCI ainsi obtenue est publiée durant quatre mois dans le bulletin « WHO Drug Information » où elle peut être l’objet de modifications. Ce système permet donc de repérer des modes d’actions de plus en plus complexes ainsi classés par similitude grâce à une unité indépendante de l’OMS. Ainsi, l’usage de la DCI incite le prescripteur à consulter des sources d’information non liées à l’industrie pharmaceutique. Le raisonnement en DCI conduit à mieux connaître et à se rappeler le principe pharmacologique du médicament que l’on prescrit.
Le nom de marque ne masque plus le principe actif ou pire les principes actifs associés que l’on peut oublier. Le maintien des compétences professionnelles passe par une connaissance claire de la DCI, celle-ci étant utilisée dans les recommandations, les guides thérapeutiques ou les informations comparatives fiables. Par ailleurs, le fameux dictionnaire VIDAL contient environ 1 700 DCI rien que sur le marché français, contre 6 500 noms de marque différents ! Simplification et rationalisation accompagnant bel et bien l’usage de la DCI. Ce langage permet d’avoir un dénominateur commun à l’hôpital et à la ville : la continuité des appellations dans les services hospitaliers comme à la maison permet au patient de s’y retrouver : on ne lui change pas son traitement parce que le médecin-traitant prescrit une autre marque ! De même lorsqu’il se rend à l’étranger le patient n’est pas angoissé par la délivrance du même produit sous un autre nom commercial. Ainsi, se trouve améliorée du même coup la communication médecin/malade, l’ordonnance devant intégrer en plus des prescriptions en DCI les conseils de suivi du traitement. Un plan d’action notamment doit rappeler les objectifs thérapeutiques et les règles à suivre en cas d’effets indésirables qui seront énumérés (les principaux, les plus probables chez le patient en question), et décrits. Au pharmacien ensuite de choisir la spécialité la plus adaptée à la situation du malade, en vérifiant l’absence d’erreurs, la posologie, les interactions possibles avec d’autres traitements. Il existe, bien entendu, des situations particulières qui doivent faire préférer la prescription d’une spécialité en nom de marque. C’est le cas lorsque le patient est traité avec des médicaments à marge thérapeutique étroite : anticonvulsivants, digitaliques, théophylline, anticoagulants oraux, diurétiques par exemple. C’est encore le cas lorsque le patient court un risque particulier en cas de substitution : les
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PARTIE 2 • DU BON USAGE DU PROGRÈS MÉDICAL malades épileptiques, les personnes très âgées ou cardiaques, les sujets diabétiques ou asthmatiques, enfin les personnes allergiques à l’un des excipients présents dans le médicament. Enfin, le choix du patient intervient encore une fois ici, lorsque celui-ci exprime sa préférence en matière de forme (poudre, gélule, comprimé), d’arôme ou encore... de prix ! La liberté de prescription donc, dans bien des domaines de l’exercice médical, n’est qu’un
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leurre. Elle n’existe pas, et là où on croit la trouver elle reste en réalité à conquérir. Pour cela, il faut s’émanciper d’une source d’information unique, puissante et dominante en matière de prescription médicamenteuse et favoriser l’adoption rapide de la DCI. C’est là un des prochains rendez-vous importants que la Médecine de demain ne peut pas manquer.
Partie 3 Un progrès social vulnérable
Chapitre 9
Des problèmes récurrents de financement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
Chapitre 10
L’assurance maladie : un assureur solidaire en santé ? . . . . . . . . . . .
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Chapitre 11
Une démocratie sanitaire menacée par le consumérisme . . . . . . . . .
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Chapitre 12
Les médecins libéraux et leur contrat de société . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 9 Des problèmes récurrents de financement
PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE
PLAN DU CHAPITRE
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1. Des coûts structurels de santé qui progressent plus vite que la richesse nationale La santé n’a pas de prix mais elle a un coût... Coûts de santé et « coups » médiatiques Des déficits abyssaux et intolérables Des prélèvements obligatoires figés et incompris
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2. L’assurance maladie est-elle finançable ? Dépenses de santé : qui finance quoi ? Des dépenses prévisibles et maîtrisables ? Peut-on augmenter les recettes de l’Assurance maladie ? Vers de nouvelles architectures de financement ?
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9 • Des problèmes récurrents de financement
1. DES COÛTS STRUCTURELS DE SANTÉ QUI PROGRESSENT PLUS VITE QUE LA RICHESSE NATIONALE Les coûts de la santé augmentent sous l’effet du consumérisme, du progrès médical et du vieillissement. Il existe des coûts évitables liés à la conjoncture ou à une meilleure gestion du risque. D’autres sont qualifiés d’inévitables à l’instar de ceux induits par les progrès techniques ou le vieillissement de la population. Face à l’accroissement prévisible des coûts, la maîtrise des dépenses relèvera plus de choix politiques que de compétences de gestion. Cette évidence s’impose encore davantage s’agissant de la nécessité d’élargir l’assiette de financement de la protection sociale.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
La santé n’a pas de prix mais elle a un coût... La santé n’a pas de prix, mais elle a néanmoins un coût qui va continuer de croître plus vite que la richesse nationale. Entre 1990 et 2006, les dépenses de santé ont plus que doublé, passant de 82 à 198,3 milliards d’euros. Représentant aujourd’hui 11,1 % du produit intérieur brut, elles pourraient atteindre 20 % dans une trentaine d’années. Les causes relèvent notamment du triptyque : consumérisme, progrès médical et vieillissement. Consumérisme " La santé devient de plus en plus un bien de consommation. Dans l’esprit de nombreux consommateurs, il ne s’agit plus seulement de guérir de la maladie mais d’accéder au bien-être d’où une modification du rapport à la santé, du rapport au corps et à l’esprit. Il s’ensuit une explosion des consommations de parapharmacie, de médecines douces et parallèles, de cures thermales ou autres. Ceci étant, les frontières ne sont pas étanches entre ce qui relève de la médecine de soins et de la médecine de bien-être, entre ce qui relève des prestations de santé ou des prestations de confort. De surcroît, les biens de santé relèvent largement d’une dynamique de marché qui pénètre la sphère des dépenses socialisées et appelle une clarification des conditions de prise en charge, repoussée pour des raisons socio-
politiques (ex : cures thermales) ou réalisée tardivement ou dans la confusion (ex : médicaments au service médical rendu insuffisant). Il est alors d’autant plus difficile au patientconsommateur de faire la différence entre les biens de santé utiles et ceux qui le sont moins puisque les conditions mêmes de prise en charge ne l’éclairent pas nécessairement. Comment donc lui faire savoir que la santé n’est pas un bien comme les autres alors que les politiques de marketing, les kiosques à journaux et autres signes de la marchandisation de la santé le revendiquent. Progrès médical " Les progrès techniques sont et seront de plus en plus considérables, d’où plusieurs coûts induits : les coûts amonts de l’innovation et les coûts avals de l’accès aux nouvelles techniques médicales et de soins qui répercutent en partie les premiers. Il faut ensuite ajouter les coûts engendrés par le progrès médical lui-même qui permet à des patients plus nombreux de guérir, donc de vivre et d’en bénéficier plus longtemps. Le progrès médical rend possible l’allongement de l’espérance de vie, mais à un coût croissant, les progrès concernant principalement le traitement des pathologies chroniques graves : sclérose en plaques, maladie d’Alzheimer, infections au VIH... Vieillissement " Conséquence du progrès médical et du « papy-boom », la population fran-
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çaise vieillit et il est naturel de constater que plus on vieillit, plus on consomme des soins, passant de deux pathologies à 40 ans à sept à 70 ans... C’est l’Europe entière qui est confrontée au problème du vieillissement : depuis 1970, l’espérance de vie à la naissance a augmenté de cinq ans et demi pour les femmes et près de cinq ans pour les hommes. Les personnes âgées de plus de 65 ans qui représentaient 16,1 % de la population européenne en 2000 représenteront environ 30 % de la population en 2050, tandis que les plus de 80 ans passeront sur la même période de 3,6 % à 10 %. Ce vieillissement se traduira par des augmentations des coûts de santé, s’agissant notamment des soins de longue durée aux personnes âgées. L’effet âge et l’effet génération sont les deux facteurs d’augmentation des coûts : plus l’individu vieillit, plus sa consommation de soins s’accroît (30 % des dépenses concernent les personnes de plus de 70 ans) mais surtout d’une génération à l’autre, cette même tendance se renforce. Le progrès médical permettant de mieux soigner un nombre croissant de pathologies propres aux personnes âgées, la demande de soins est plus importante pour des traitements qui sont à la fois efficaces et coûteux. Cependant, il existe un cycle où les progrès techniques, d’abord coûteux, bénéficient dans un premier temps à quelques-uns, puis se généralisent sous la poussée des demandeurs plus nombreux, soucieux d’en bénéficier, ce qui provoque alors une baisse des coûts. Il en est de même des maladies liées au vieillissement : d’abord incurables, elles relèvent des soins palliatifs. Ensuite, arrivent des solutions curatives qui coûtent d’abord cher mais deviennent, ensuite, plus fiables et se généralisent à un moindre coût, favorisant ainsi l’accroissement de l’espérance de vie mais aussi d’une vie en meilleure santé. Entre 1994 et 2002, la consom-
mation médicale précédant la fin de vie diminue lorsque l’âge du décès augmente parce qu’on meurt d’usure de l’organisme sans pathologie avérée. Les coûts de santé consécutifs au vieillissement sont cependant difficiles à appréhender, le vieillissement étant à la fois cause et conséquence de leur progression. Si les décès sont plus tardifs, la consommation médicale des dernières années demeure globalement stable. En revanche, le vieillissement démographique explique la croissance du nombre des malades souffrant d’une Affection de longue durée (ALD). Sur 100 personnes qui décèdent, 79 relèvent de cette catégorie1 . Le progrès technique permet de mieux soigner l’Alzheimer, l’hypertension artérielle, le cholestérol et les maladies cardio-vasculaires à des coûts qui demeurent élevés et qui profitent aux personnes d’âge mûr.
Coûts de santé et « coups » médiatiques Les comptes publics de la santé reconstituent annuellement la dépense nationale consacrée à la santé. En 2006, la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) s’élevait à 156,6 milliards d’euros, soit 8,74 % du PIB. Les soins hospitaliers et en sections médicalisées représentaient 44,6 % de la CSBM, les soins ambulatoires 27,3 % et le médicament 20,4 %. Cependant, il n’était pas possible jusqu’à présent d’effectuer cette reconstitution par pathologies à défaut d’un système d’information capable de « médicaliser » les comptes. Cette médicalisation qui est aujourd’hui largement entamée (PMSI, codage des actes de biologie et de pharmacie, tarification à l’activité, nouvelles classifications médicales) devrait permettre une
1. CNAMTS « Le vieillissement de la population et son incidence sur l’évolution des dépenses de santé », Point de conjoncture, n◦ 19, juillet 2003.
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9 • Des problèmes récurrents de financement approche à la fois plus globale et plus fine des coûts. Selon une étude de la DREES et de l’IRDES, la répartition des produits par poste de dépenses est la suivante : les maladies de l’appareil circulatoire représentent 12,6 % des pathologies, les troubles mentaux 10,6 %, les maladies ostéo-articulaires 9 % ; quant aux maladies de l’appareil respiratoire et aux affections de la bouche et des dents, elles représentent respectivement 7,7 % et 7,6 %. Cette ventilation des coûts réels est importante à connaître, ne serait-ce que pour la confronter aux résultats obtenus, aux besoins de santé et de financement et pour en suivre les évolutions. Cette approche nous apparaît plus pertinente que celle qui consiste à annoncer chaque année, battage médiatique à l’appui, ce que chaque Français a dépensé pour sa santé. Ainsi, les médias nous apprennent par exemple que pour l’année 2006, chaque Français a dépensé en moyenne 2 477 euros pour se soigner, soit une dépense supérieure de 3,5 % à ce qu’elle était en l’an 2005. Il est évident que l’utilisation de la moyenne constitue un vrai contresens qui désinforme plus qu’il n’informe. S’il est vrai que pour cette même année la dépense totale de santé est de 156,6 milliards d’euros qui, divisée par le nombre d’habitants produit bien le chiffre de 2 477 euros par habitant, il n’en demeure pas moins que la réalité veut que seulement 5 % des malades ont une dépense moyenne de 21 687 euros1 , tandis que 15 % des Français n’ont quasiment pas de consommation dans l’année, que 20 % dépensent moins de 120 euros par an et 50 % moins de 530 euros. C’est précisément une information plus fine qui permet de comprendre les enjeux : les plus gros consommateurs (les 5 % qui concentrent 51 % des dépenses) sont heureusement remboursés à hauteur de 93 % par l’assurance
maladie de base. 64 % d’entre eux sont en ALD. En 2004, le coût des soins lors de la dernière année de vie, en moyenne et par personne, est de 25 846 euros, ce qui, rapporté aux 550 000 décès annuels, représente près de 8 % de la totalité des dépenses de santé. Ainsi, une approche plus fine des coûts rend aux statistiques leur noblesse qui est d’informer le public et d’aider les décideurs à décider. Ainsi, les chiffres susvisés soulignent l’intérêt du financement public d’un système obligatoire et solidaire, d’un meilleur suivi des protocoles de maladie de longue durée, de l’opportunité de mettre fin à l’acharnement thérapeutique ou de l’inopportunité de faire appel aux seuls malades pour financer le système. Chaque Français pense que les consommants ce sont les autres et ignore que l’essentiel des charges porte sur une minorité d’assurés. La loi du 13 août 2004 ayant prévu qu’il soit informé une fois par an des dépenses qu’il a lui-même engagées au cours de l’année précédente, il est néanmoins souvent surpris du niveau de ses dépenses... Le fait est cependant que dans la majorité des pays de l’OCDE, les dépenses de santé progressent plus vite que la richesse nationale. Elles augmentent de 4,5 % par an en moyenne pour une croissance annuelle moyenne du PIB de 2,3 %. La part des dépenses nationales de santé dans le PIB a atteint 10,5 % en moyenne en 2005. Pour la majorité des pays concernés, ces dépenses de santé sont principalement financées par des fonds publics (72 %) souvent déjà déficitaires. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la problématique commune demeure d’abord celle de la maîtrise des dépenses ensuite celle de l’ajustement des recettes.
1. CNAMTS-DES/DEPP, Les quantiles et la consommation de la population protégée en 2004, source : EPAS (1/600).
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Des déficits abyssaux et intolérables
cient emploi-activité, réduction des « niches sociales », contribution patronale généralisée, ou encore TVA sociale2 .
Nous sommes entrés dans une période lourde de déficits publics (État, Sécurité sociale, collectivités locales) qui représentent 2,5 % du PIB en 2006 contre 1,3 % en 2000. La dette publique atteint 65 % du PIB, dépassant de 5 points depuis 2003 la limite fixée par le pacte européen de stabilité ! En 2006, l’État doit financer un déficit budgétaire de 46,9 milliards d’euros, assurer le remboursement de 78,3 milliards d’euros de dette à moyen et long termes venant à échéance, et assurer le remboursement de 2,5 milliards d’euros de dettes reprises par l’État, ce qui fait un besoin de financement de 127,7 milliards d’euros ! S’agissant du déficit de la Sécurité sociale, outre les 108 milliards de dettes cumulées depuis 1996, il devrait passer de 12 milliards fin 2007 à plus de 37 milliards fin 2009 si aucune mesure correctrice n’était prise d’ici là1 . Si la situation financière de l’Assurance maladie s’est améliorée depuis 2004 puisque les déficits ont progressivement diminué, les mesures de régulation prises ayant freiné la croissance des dépenses, en particulier celles des soins de ville, le déficit n’en est pas moins toujours présent : la Commission des comptes de la Sécurité sociale a réévalué en juillet le déficit pour 2007 (initialement prévu à 3,9 milliards d’euros) à 6,4 milliards. Ne faut-il pas alors reconsidérer les modes financement ? Le Conseil d’orientation pour l’emploi sur l’élargissement de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale a analysé différentes pistes de réflexion : cotisation sur la valeur ajoutée, modulation des cotisations sociales, coeffi-
Dans ses conclusions, il écarte deux pistes qui n’auront pas pour lui l’impact attendu ; ainsi la contribution sur la valeur ajoutée n’aurait qu’un effet relatif sur l’emploi, mais elle pourrait avoir un effet négatif sur l’investissement et conduire à des délocalisations (ou à un déplacement de la valeur ajoutée vers l’étranger) ; de même, le coefficient emploi, reposant sur le chiffre d’affaires, provoquerait une taxation en cascade, que la création de la TVA dans notre pays avait cherché à éviter. Les autres pistes retiennent plus son intérêt : • La modulation, qui présente l’avantage de
maintenir le calcul actuel des cotisations sociales, pourrait toutefois poser des problèmes de mise en œuvre, notamment sur la détermination du ratio de référence ;
• La contribution patronale généralisée per-
mettant la taxation de l’intéressement et de la participation a fait craindre que ces dispositifs, valorisés actuellement par des exonérations, ne se développent plus autant ;
• La TVA sociale, qui fait intervenir les consom-
mateurs, a l’avantage de s’asseoir sur un impôt déjà existant. Outre les effets favorables sur la compétitivité extérieure, le coût du travail s’en trouverait allégé du fait du transfert d’une partie des cotisations sociales sur l’impôt. Les syndicats de salariés ont émis des réserves en considérant qu’elle induirait une hausse des prix et pèserait davantage sur les ménages les plus modestes. Ceci étant, toute la population étant à la fois consommatrice et bénéficiaire de la protection sociale, il ne serait pas illogique qu’un ou deux points
1. Cour des comptes, Rapport annuel, septembre 2007. 2. Conseil d’orientation pour l’emploi, Avis sur l’élargissement de l’assiette des cotisations de Sécurité sociale, 20 juillet 2006.
9 • Des problèmes récurrents de financement
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de TVA soient affectés à son financement1 , si ce n’est que la France supporte déjà un taux élevé (19,6 %). Certains auteurs font une analyse des différentes possibilités nouvelles de financement, en envisageant des pistes comme une taxation écologique (préconisée d’ailleurs par la Commission de Bruxelles qui souhaitait instaurer une taxe spécifique sur les émissions des gaz CO2 ). Ainsi, pour Henri Sterdyniak2 , « les écotaxes auraient la double vertu de réduire les usages de produits polluants et de permettre, grâce aux recettes ainsi perçues, d’alléger les prélèvements pesant sur le coût du travail ». Cependant l’auteur relève qu’il faudrait mettre en place des garde-fous afin que « certains pays ne deviennent pas des terres d’accueil pour les entreprises polluantes tandis que d’autres ne pourraient mettre en œuvre les mesures nécessaires de peur d’une fuite de certaines industries ». D’autres, enfin, dénoncent3 « le mythe du trou de la Sécu » entretenu par les néo-libéraux pour masquer de réels besoins de financement volontairement non couverts, afin de faire glisser progressivement le système vers la privatisation. Dans son rapport 2007, la Cour des comptes rappelle qu’une meilleure valorisation de l’assiette des prélèvements sociaux finançant le régime général reste possible : « l’évasion » potentielle des recettes consécutive à une assiette trop faible est estimée à plus de 35 milliards d’euros4 par an ! Le débat sur le financement est plus sensible et moins consensuel que celui afférent à la maîtrise des dépenses parce qu’il interpelle davantage les modèles politiques et économiques, parce qu’il interroge l’investissement
consenti par la société dans le progrès social, alors considéré comme frein ou moteur d’une croissance économique souhaitée mais aléatoire.
Des prélèvements obligatoires figés et incompris Les prélèvements obligatoires sont mal vus des politiques alors que les Français disent aux sondeurs qu’ils accepteraient de contribuer davantage pour leur santé. Mais d’aucuns affirment que les entreprises sont pénalisées par des charges sociales excessives s’opposant à leur compétitivité. Il est vrai que tout progrès social a un coût et que délocaliser l’activité dans des pays qui font travailler les enfants ou paient très mal leurs travailleurs, voire simplement moins, parce que la protection sociale y est moindre, est plus avantageux... pour l’entreprise qui délocalise. C’est, nous dit-on, le pragmatisme lié au « fait » de la mondialisation. C’est aussi un « fait » que les entreprises bénéficient, dans les pays « développés » de travailleurs plutôt formés, productifs, consommants et en bonne santé parce que bien protégés dont elles se séparent en cas « d’opportunité » de délocalisation. Les prélèvements obligatoires sont constitués des impôts et des cotisations sociales dont le montant est utilisé pour financer les dépenses socialisées d’intérêt général. À ce titre, ils relèvent de la compétence du législateur et constituent les recettes du budget de l’État mais aussi des lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS) avec en perspective un équilibre financier rendu souvent aléatoire tant par la conjoncture économique que par la
1. Les Allemands l’ont fait : depuis le 1er janvier 2007, le taux normal de la TVA en Allemagne est passé de 16 à 19 % ; sur les trois points de hausse, ils en ont affecté un au financement de la protection sociale. 2. H. Sterdyniak, Pour une réforme du financement de la Sécurité sociale, OFCE, 1er mai 2006. 3. J. Duval, Le mythe du « trou de la Sécu », Éd. Raisons d’agir, 2007. 4. Cour des comptes, Rapport annuel, septembre 2007. Voir « Compléments », page 329.
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE volonté (ou son absence) des gouvernements de vouloir contenir les dépenses publiques ou d’accroître les recettes fiscales ou sociales. Parce que celles-ci ont mauvaise presse chez les décideurs économiques, l’État préfère laisser dériver les dépenses publiques et consécutivement les déficits quitte à ne pas respecter ses engagements transnationaux (pacte de stabilité...), plutôt que de décider une hausse de prélèvements sociaux...
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La part que représentent les prélèvements obligatoires dans la richesse produite est mesurée par leur taux au regard du PIB. Ce taux se situe en moyenne autour de 40 % pour les pays européens contre 25,4 % aux États-Unis. Il est d’un peu plus de 45 % pour la France... Ces taux sont cependant sujets à caution tant les modes de calcul varient selon la nature juridique de l’organisme destinataire des versements sociaux « obligatoires ». Un faible taux signifie seulement que de nombreux destinataires relèvent de l’assurance privée et non pas que l’effort contributif soit moindre... Il en va différemment cependant de l’effet redistributif... Si l’on considère que les dépenses socialisées de santé (essentiellement les dépenses d’assurance maladie) sont financées à la fois par l’impôt (CSG – taxes affectées...) à hauteur de 28 % et par les cotisations sociales à hauteur de 60 %, qu’elles augmentent généralement plus vite que le PIB, que les perspectives d’équilibre financier et de maintien de la prise en charge de la dépense dépendent autant de la croissance économique que du niveau des prélèvements, deux questions essentielles se posent : • Les prélèvements obligatoires sont-ils nui-
sibles pour la croissance économique ? • Quel est leur impact sur le droit à la santé ou l’accès aux soins ?
Il convient d’abord de constater que les pays riches ont un niveau élevé de prélèvements obligatoires contrairement aux pays pauvres parce qu’ils parviennent mieux, s’ils en ont la volonté
politique, à conjuguer développement économique et développement social. Contrairement aux idées parfois répandues, les prélèvements obligatoires n’amputent pas le développement économique mais y participent parce que les sommes prélevées sont redistribuées dans le circuit économique sous forme d’investissements publics, de salaires, de prestations sociales, contribuant souvent à soutenir la consommation des ménages et à rendre dynamique le marché (y compris celui de la santé...). Par ailleurs, la compétitivité des entreprises réclame aussi un haut niveau de développement social : salariés, qualifiés et bien portants, infrastructures et services publics de qualité... Enfin, si la croissance économique contribue au bien-être des populations, elle n’en a pas l’exclusivité et peut être aussi à l’origine d’un certain nombre de nuisances : chômage, détérioration de l’environnement, insécurité... Ainsi, les prélèvements obligatoires, loin de s’opposer à la croissance économique, constituent un outil de gouvernance durable. Dans le domaine de la santé, la comparaison entre la France (ou pays européens) et les États-Unis apparaît à cet égard exemplaire : les États-Unis sont parmi les pays riches, de très loin les plus riches, mais avec des services publics qui fonctionnent mal, un niveau de pauvreté élevé au regard du PIB et des politiques sociales ne dépassant guère le stade de la charité publique ou privée. L’Assurance maladie ne protège que les personnes âgées de plus de 65 ans (Medicare) ou les personnes sans ressources (Medicaid). Les autres doivent s’assurer si elles le souhaitent et en fonction des garanties volontairement souscrites, d’où des inégalités de couverture qui se révèlent dramatiques en cas de « malchance ». Il en résulte près de 47 millions de personnes sans réelle couverture et d’autres très exposées si devaient survenir des maladies longues et coûteuses. Les dépenses de santé, qui s’inscrivent en grande partie dans des systèmes assuranciels privés, ne sont pas pour autant moindres ou mieux régu-
9 • Des problèmes récurrents de financement lées du fait d’une plus grande responsabilité des acteurs. Elles continuent de représenter 15 % du PIB contre un peu plus de 11 % en France... Alors même que les assureurs privés américains investissent beaucoup pour diminuer le poids financier de leurs prises en charge1 . Nous affirmons que les prélèvements obligatoires doivent être expliqués et non dénigrés, qu’ils ne sont incompatibles ni avec la croissance économique ni avec les démarches de régulation ou de responsabilisation des acteurs, qu’ils sont enfin un facteur de développement dans les sociétés avancées qui s’efforcent de concilier harmonieusement les progrès économiques et sociaux.
Il faut arrêter d’opposer modèle social et modèle économique qui s’enrichissent mutuellement. Même des organisations internationales comme l’OMC et l’OCDE commencent à intégrer dans leur stratégie qu’un modèle économique sans modèle social se fragilise. Puisse l’Europe comprendre qu’elle est encore riche de ses prélèvements obligatoires, non de leur niveau qui s’inscrit nécessairement dans un équilibre maîtrisé, mais de leur effet distributif sur les circuits économiques et sur la qualité de vie des citoyens !
2. L’ASSURANCE MALADIE EST-ELLE FINANÇABLE ? Le déficit de l’Assurance maladie a été ramené à moins de 5 % des dépenses remboursées. Malgré une décélération des dépenses liée aux efforts de maîtrise et à l’apport de recettes nouvelles, l’équilibre durable n’a pas été obtenu. En revanche l’Assurance maladie ne s’est pas désengagée.
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Dépenses de santé : qui finance quoi ? La population est traversée par des opinions contradictoires quant aux modes de financement qui lui sont proposés : financement public ou privé ? Par l’impôt ou des cotisations sociales ? Le système doit-il être assuranciel et contributif ou solidaire et distributif ? Doit-on payer à l’État, à la Sécu, à l’entreprise, à la mutuelle, à l’assurance, « sa » contribution ? Celle-ci est-elle facultative ou obligatoire ?
Relève-t-elle du contrat de travail, du contrat individuel ou du contrat de société ? C’est parce que la santé est à la fois publique et privée, objective et subjective, individuelle et collective, qu’elle se situe dans ou hors du champ de la maladie, du préventif ou du curatif, qu’elle fait appel à des financements multiples et différenciés. Ce qui importe, c’est que les modes de financement choisis soient lisibles et cohérents au regard des finalités recherchées. De ce point de vue, le domaine le plus clair est celui de la santé publique dont les financements sont essentiellement et doivent demeurer
1. Voir notamment Sicko, le dernier film de Mickael Moore, dénonçant l’absence d’assurance maladie universelle aux USA mais aussi et surtout l’attitude immorale des sociétés d’assurance tentant par tous les moyens de contester à leurs « bénéficiaires » la prise en charge des soins.
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE publics parce que c’est de la responsabilité de l’État de conduire sa politique de prévention et de santé publique dans le cadre du budget de la santé mais aussi des autres budgets qui sont indirectement contributifs de la santé des populations (éducation, logement, équipements et infrastructures, action sociale...). Le rôle de pilote de l’État n’est nullement incompatible avec les multiples partenariats qu’il peut engager dans ce domaine, qu’ils soient publics ou privés. S’agissant donc de la santé publique, le débat porte moins sur le financement qui doit relever essentiellement de l’impôt, que sur l’importance et l’efficience des montants qui y sont consacrés.
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Il en va tout autrement des dépenses de santé des familles dont 77 % sont financés par l’Assurance maladie tandis que la part restante est prise en charge à 13 % par les complémentaires (soit les mutuelles, les instituts de prévoyance et les assurances), et à 8,6 % par les ménages1 . Or, s’il est vrai que ces dépenses continuent de croître plus vite que la richesse nationale, que la croissance économique stagne et qu’augmentent consécutivement les déficits, il faut encore constater l’opacité des budgets, l’insuffisante maîtrise des dépenses et la fragilité des financements. En 2005, Yves Bur, rapporteur de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS), préconisait une réforme profonde fondée sur la loi organique relative aux lois de financement. Pour lui, et afin d’éviter les dépassements des objectifs de dépenses, il convenait de se tourner vers des engagements pluriannuels, d’appliquer aux LFSS les principes de sincérité budgétaire et d’équilibre. De plus, il fallait ajouter aux objectifs existants de dépenses des sous-objectifs par branche afin de mieux définir la pertinence des actions prises en charge par la solidarité nationale. En conséquence, il fallait renforcer les pouvoirs d’information et de contrôle du
Parlement. Xavier Bertrand renchérissait alors dans ce sens « parce que 350 milliards transitent chaque année par les comptes de la Sécurité sociale, il est essentiel que le Parlement ait une vision claire de l’usage de ces sommes et qu’il puisse en contrôler l’emploi après en avoir fixé les priorités ». La proposition demeure pertinente nonobstant les progrès de ces dernières années dans le cadre notamment du vote et du suivi de l’Objectif national d’évolution des dépenses d’Assurance maladie (ONDAM).
Des dépenses prévisibles et maîtrisables ? Le législateur a pu le croire en 1996. Cependant, les dépassements répétés et les rebasages annuels pendant sept ans ont fait douter du caractère opérant de l’outil utilisé (ONDAM), que ce soit au regard de sa finalité de prévision ou, a fortiori, comme outil de maîtrise d’une dépense opposable. Le caractère aveugle de l’enveloppe votée par le Parlement a suscité une demande de « médicalisation » de l’enveloppe, adressée à un groupe de mission piloté par le directeur de l’ANAES qui n’a pu que constater que seules certaines dépenses étaient médicalisables, entendons par là prévisibles à partir d’un service médical rendu optimisé et tout autant que cette médicalisation s’inscrive dans une vaste démarche réformatrice. Selon un dispositif issu des ordonnances de 1996, la LFSS fixe chaque année, pour l’ensemble des régimes obligatoires de base, l’ONDAM. Il s’agit, pour chacun des grands secteurs de dépenses pris en charge par les Caisses, d’arrêter des enveloppes, après qu’ait été voté par le Parlement un taux global d’évolution annuel qui peut présenter quelques variantes selon les secteurs concernés. Ainsi, pour 2007, l’ONDAM a été fixé à 144,8 milliards d’euros,
1. DREES, Les comptes nationaux de la santé en 2006, septembre 2007.
9 • Des problèmes récurrents de financement en hausse de 2,6 % par rapport à 2006, soit : + 1,1 % pour les soins de ville, + 3,5 % pour l’hôpital, + 6,5 % pour le médico-social. L’ONDAM constitue à la fois un outil prévisionnel d’évolution des dépenses d’assurance maladie, traduisant les choix prioritaires du Parlement en matière de prise en charge des dépenses par la collectivité, et un indicateur de résultat nécessaire à la mise en œuvre d’une politique de maîtrise de ces dépenses. Ceci explique qu’à l’origine du concept, trois points essentiels étaient soulignés : • seul le Parlement pouvait décider d’une enve-
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loppe dont le contenu était éminemment politique ; • les impératifs d’équilibre financier impliquaient que les objectifs annuels d’évolution soient opposables ; • des outils de régulation devaient être prévus en cas de dérapage. L’enjeu est d’autant plus fort que les dirigeants de la CNAMTS ont récemment estimé qu’ « à l’horizon 2015, les dépenses d’assurance maladie devraient atteindre 210 milliards d’euros contre 140 milliards actuellement, soit une hausse de 50 % »1 , précisant que l’augmentation des maladies chroniques et des polypathologies devrait peser très lourdement sur cette hausse. Le tableau 9.1 traduit la dynamique des dépenses d’assurance maladie ces dix dernières années ainsi que les difficultés à contenir leur évolution dans l’enveloppe votée par le Parlement. L’évolution des dépenses dans le champ de l’ONDAM traduit des dépassements continus avec, notamment, en fin de période, une croissance des soins de ville très supérieure aux objectifs fixés (+ 28,4 % en cinq ans). Cependant, depuis 2004, on peut observer un ralentissement de ces derniers et noter que l’ONDAM est mieux approché, même si les
dépenses des établissements de santé (+ 4,3 %) et celles du champ médico-social (dont l’évolution est d’environ 7 % par an) continuent de croître fortement. À partir de 1999, constatant les dérapages au regard des objectifs arrêtés par les lois votées, est apparue la notion d’ONDAM « rebasé », c’està-dire révisé par rapport aux prévisions initiales de l’année N, pour servir de base au calcul de l’ONDAM de l’année N + 1. Les chiffres réalisés se sont alors substitués à ceux qui avaient été antérieurement arrêtés... L’ONDAM ne s’étant pas révélé un tableau de bord pertinent de maîtrise des dépenses d’assurance maladie, il a fini par perdre son statut d’outil de pilotage en même temps que son ambition d’opposabilité. Aussi, en 2005 une loi organique relative aux LFSS a posé de nouveaux principes afin de clarifier et de redonner du sens aux LFSS d’une manière générale, et en particulier à cet outil. Le principe de pluriannualité des LFSS est désormais instauré ; le vote des différents soldes de la Sécurité sociale et de ses branches est acquis (avec un tableau d’équilibre recettes/dépenses à produire notamment) ; le principe de sincérité est introduit avec la prise en compte de tous les régimes existants ; l’introduction de plus de transparence de l’ONDAM a été permise par la mise en place de sous-objectifs ; une démarche fondée sur une logique « objectifs-résultats » apparaît également : une annexe de la loi présente les programmes de qualité et d’efficience de la politique de sécurité sociale pour chacune de ses branches pour les exercices à venir. Ils comportent un diagnostic de situation, des objectifs retracés au moyen d’indicateurs de performance, les moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs et les résultats atteints ; la loi de financement aura désormais un champ élargi aux dispositions relatives à la gestion des risques par les régimes ou modifiant leur
1. CNAMTS, « Les dépenses d’assurance maladie à horizon 2015 », Point d’Information Mensuel, 5 juillet 2007.
193
Année
91,4
- 0,1
ONDAM réalisé
Dépassement
1,5 %
ONDAM réalisé 4,0 %
2,4 %
+ 1,5
95,1
93,6
1998
2,6 %
1,0 %
+ 1,6
97,6
96,0
1999
5,6 %
2,9 %
+ 2,6
103,0
100,4
2000
5,6 %
2,6 %
+ 3,1
108,8
105,7
2001
7,2 %
4,0 %
+ 3,9
116,7
112,8
2002
6,6 %
5,3 %
+ 1,2
124,7
123,5
2003
4,9 %
4,0 %
+ 0,4
130,1
129,7
2004
3,8 %
3,2 %
+ 0,4
134,9
134,5
2005
3,1 %a
2,5 % *
+ 1,2
141,9a
140,7
2006
4,2 %b
2,6 %
+ 2,9b
147,7b
144,8
2007
2,8 %b
152,1b
2008
a. ONDAM rectifié – Cour des comptes, Rapport sur l’application des LFSS, septembre 2007. b. Estimation Commission des comptes, rapport publié le 24 septembre 2007
1,7 %
ONDAM voté
Évolution
91,5
1997
ONDAM voté
Montant
194 Tableau 9.1. ONDAM voté et réalisé.
PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE
9 • Des problèmes récurrents de financement
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
gestion interne, aux dispositions ayant trait à l’amortissement de la dette des régimes de sécurité sociale, à celles relatives à la mise en réserve de recettes au profit de ces régimes et à celles concernant les organismes financiers concourant au financement des régimes obligatoires de base ou qui gèrent une partie des dépenses encadrées par l’ONDAM, telle la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie ; enfin, d’autres mesures, telles une meilleure information au Parlement, une nouvelle architecture en deux parties et la certification des comptes par la Cour des comptes sont également prévues. La procédure d’alerte, issue de la loi de réforme de l’Assurance maladie de 2004, a aussi marqué la volonté d’un retour à un cycle plus vertueux d’utilisation des dépenses de santé, en mettant en place un Comité d’alerte chargé de saisir le Parlement, le Gouvernement et les Caisses nationales d’Assurance maladie en cas d’évolution des dépenses d’Assurance maladie incompatible avec le respect de l’ONDAM. Le Comité doit rendre un avis chaque année (en juin), mais aussi chaque fois que cela s’avère nécessaire, sur le respect de l’ONDAM pour l’exercice en cours. Le respect de l’ONDAM est-il pour autant fondé sur son opposabilité réelle ? Si le fait d’avoir approché l’objectif pendant trois années consécutives (2004 à 2006) prouve que la régulation des dépenses d’assurance maladie est possible, le déclenchement de la procédure d’alerte en juin 20071 démontre qu’elle demeure fragile si elle ne s’inscrit pas dans des réformes complémentaires structurelles touchant notamment l’offre et la qualité des soins, la gouvernance des systèmes, l’articulation des modes de prise en charge entre régimes obligatoires et régimes complémentaires, soit autant de chantiers sur lesquels nous
reviendrons. C’est ainsi que Roselyne Bachelot, à l’occasion de la présentation du plan d’économies consécutif à la mise en œuvre de la procédure d’alerte (plan dont les mesures devraient produire 417 millions d’euros d’économies en 2007 et 1,225 milliard d’euros en année pleine), a assuré que le gouvernement ne se contenterait pas de mesures d’urgence et promis des « décisions structurantes » (relance du DMP, création des agences régionales de santé), tandis qu’Eric Woerth misait sur un renforcement de la lutte contre les abus et fraudes2 . De son côté l’Union nationale des Caisses d’Assurance maladie (UNCAM), après avoir proposé et obtenu du gouvernement un plan conjoncturel 2007 de redressement des comptes, a arrêté seize axes structurels de réforme dans le cadre de la préparation de la LFSS pour 2008. Parmi ces axes figurent des propositions de prévention pour des populations ciblées, l’expérimentation de nouveaux outils contractuels avec les médecins et de politiques d’achat par l’Assurance maladie de certaines classes de médicaments génériques, la révision des critères d’entrée en ALD, la mise en place d’une Agence nationale de santé... L’objectif étant de ramener le déficit prévisionnel de la branche Maladie en 2008 en dessous des quatre milliards.
Peut-on augmenter les recettes de l’Assurance maladie ? Aujourd’hui, les recettes des régimes de base combinent trois éléments : • les cotisations et la contribution sociale géné-
ralisée sur les revenus d’activité constituent 90 % des produits du régime général. Ces recettes déplafonnées aboutissent à un prélèvement de 21,35 % sur le salaire brut (13,1 %
1. Voir la synthèse du rapport Sécurité sociale 2007 pour le régime général, sur http://www.securite-sociale. fr/chiffres/ccss//ccss2007.htm. 2. M. Delberghe, « Le déficit de la « sécu » devrait atteindre 12 milliards en 2008 », Le Monde, 6 juillet 2007.
195
PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE
196
de cotisations patronales maladie, 7,5 % de CSG, 0,75 % de cotisations sociales maladie). De nombreux emplois à bas revenus sont cependant exonérés des cotisations patronales sans que la compensation prévue par l’État (loi du 25 juillet 1994) soit toujours effective. Cependant, depuis 2006, les exonérations de cotisations sociales sont couvertes par des taxes affectées dont la taxe sur les salaires, les exonérations ayant elles-mêmes augmenté, ces mesures finales ne suffisent pas pour couvrir tous les allégements. Le ministre du Budget, Eric Worth s’est cependant engagé à ce que l’État apure sa dette de 5,1 milliards d’euros au régime général de la Sécurité sociale avant fin 20071 ; • les revenus de remplacement qui connaissent des taux de prélèvement variant de 0 à 6,7 % ; • des recettes diverses et variables (CSG sur une partie des revenus du capital, taxes sur l’alcool et le tabac...) qui ne dépassent guère les 9 % du total. Est-il vraiment tabou d’accroître les cotisations d’assurance maladie et d’élargir leur assiette ? (Un certain rapport Chadelat, en 1998 avait évoqué l’idée d’un calcul des cotisations patronales sur la valeur ajoutée des entreprises et non plus sur leur masse salariale...) On pourrait ainsi étendre l’assiette à l’intéressement, aux stock-options, à certaines primes2 ..., augmenter la CSG ou mettre davantage à contribution les revenus financiers3 ... Ces possibilités sont évoquées dans la plupart des débats électoraux. Reste à savoir si elles resteront à l’état de débat d’idées ou si elles trouveront une application dans une véri-
table réforme du financement de la Sécurité sociale. Fin 2003, le tabou sur l’accroissement des recettes a été levé par le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) qui évoquait alors l’élargissement de l’assiette des cotisations des fonctionnaires via l’intégration de leurs primes et l’alignement du taux de CSG des retraités et des chômeurs sur celui des actifs. Plus récemment, J.-F. Veysset, vice-président de la CGPME relevait qu’en matière de protection sociale les actifs paient aujourd’hui 94 % et les retraités 6 %. Les revenus des retraités étant plus importants que ceux des actifs, il lui paraîtrait opportun que les retraités contribuent davantage à la solidarité générationnelle dans le domaine de la perte d’autonomie. Les LFSS pour 2005 et 2006 ont certes permis d’augmenter les cotisations sociales, notamment en élargissant leur assiette (la CSG et la CRDS sont désormais assises sur 97 % du salaire brut), et en taxant certains revenus du patrimoine (les Plans épargne logement), mais ces mesures sont-elles suffisantes ? En effet, les choix politiques de ces dernières années ont privilégié la stabilisation des prélèvements obligatoires et la prolongation du dispositif du remboursement de la dette sociale, assis sur l’ensemble des revenus et programmé jusqu’en 2014 (date butoir supprimée par la loi de réforme de l’Assurance maladie d’août 2004 qui mentionne que la CADES fonctionnera jusqu’à « l’extinction des missions mentionnées à l’article 4 » de l’ordonnance de 1996). Cependant, si la dette reprise par la CADES en 1996 représentait 44,6 milliards d’euros, elle représente actuellement près de 110 milliards d’euros 4 . On peut toutefois noter que la loi organique relative aux LFSS a instauré une
1. Le Monde, 24 juillet 2007. 2. Ces propositions sont désormais reprises par la Cour des comptes dans son rapport 2007. 3. Le PLFSS 2008 envisage d’ailleurs une taxation anticipée des contributions sur les dividendes, et une taxation limitée sur les stock-options. Lors de la discussion du texte, les sénateurs envisageaient en plus une taxe sur les niches sociales ainsi qu’une taxe sur les boissons sucrées... non retenues au final ! 4. Cour des comptes, Rapport annuel, septembre 2006.
9 • Des problèmes récurrents de financement obligation d’augmenter les recettes pour tout transfert futur de dette à la CADES. Pour la Cour des comptes, ceci représente un progrès, « le principe d’une hausse de la ressource affectée à la CADES devant limiter son report dans le temps ».
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Quant aux comparaisons avec nos voisins européens, si elles font apparaître un différentiel s’agissant du poids des cotisations sociales (67,1 % des recettes contre 60 % pour la moyenne des pays de l’Union en 20031 ), celui-ci s’estompe si l’on considère la variété des systèmes de prélèvement ou d’exonération de charges. Quoi qu’il en soit, nous savons que pour des niveaux de protection sociale assez proches, la France bénéficie d’une compétitivité de ses coûts satisfaisante au regard de ses partenaires européens. En fait, ce qui mine aujourd’hui le débat sur le financement de la Sécurité sociale, ce sont moins les aspects techniques d’assiette encore amendables que les aspects politiques consécutifs aux difficultés de maîtrise de la dépense. Il ne s’agit plus de choisir entre un système distributif financé par l’impôt qui comporterait un risque d’étatisation du système et donc de mise en cause du paritarisme et un système assuranciel contributif financé par l’emploi et géré par les partenaires sociaux, parce que nous avons, de toute façon, besoin des deux en complément. La réalité de l’Assurance maladie aujourd’hui, pour ne pas dire sa vitalité, réside dans son universalité ratifiée par la CMU en dernier ressort. Cette finalité distributive concrétise l’achèvement de la généralisation du système mais non de son essence originelle qui reste contributive et porteuse de la responsabilité des acteurs sociaux. C’est sans doute ce qui explique que la CSG soit un impôt à allure de cotisation sociale puisque son produit est juridiquement pré-affecté à la couverture des risques sociaux de solidarité. Les lois de financement 1. Source Eurostat-Sespros.
de la Sécurité sociale peuvent faire appel à des financements socialisés via l’impôt ou des cotisations, elles n’en sont pas moins distinctes des lois de finances de l’État, consacrant ainsi l’autonomie de la Sécurité sociale telle que prévue par la Constitution. Quoi qu’il en soit, un système assuranciel fondé et financé par les revenus du travail trouve ses limites naturelles dans celles de l’emploi : poids du chômage, durée du travail, nombre d’actifs, autant de facteurs qui perturbent à la baisse le rapport cotisations/prestations, actifs/inactifs. Demain, un français sur trois sera au travail mais trois Français sur trois connaîtront des dépenses croissantes de santé...
Vers de nouvelles architectures de financement ? Le maintien de l’égalité constitutionnelle de l’accès aux soins interdit d’opposer les Français contributifs aux Français bénéficiaires. Néanmoins, l’interprétation des dispositifs peut mener selon les uns à la clarification des conditions de prise en charge tandis que pour les autres, dont nous sommes, elle participe nécessairement à la solidarité du système qui réclamera de plus en plus la mixité et la pluralité des sources de financement. Autant il est nécessaire de rendre le financement plus lisible, autant il apparaît dangereux de le simplifier à des fins politiques trop visibles. Il en va ainsi d’une architecture à trois niveaux du type suivant, que nous récusons : • le premier niveau comprenant une assurance
maladie obligatoire a minima financée par l’impôt ; • le deuxième niveau comprenant une assurance maladie complémentaire facultative financée par cotisations mais avec des aides
197
PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE possibles de prise en charge des cotisations par l’État pour les plus démunis ; • le troisième niveau comprenant une assurance maladie supplémentaire libre et privée. On peut imaginer les greffes qu’appelle une telle architecture : au premier niveau le gros risque, au deuxième niveau le petit risque, au troisième niveau les prestations de confort... Malheureusement, l’interprétation vaut aussi pour les risques : un petit risque bien pris en charge peut éviter l’apparition d’un gros et l’histoire nous a aussi appris ce que pouvaient coûter plus tard à la collectivité certains désengagements de la Sécu, tels que la prise en charge des examens dentaires des adolescents devenus adultes aujourd’hui...
198
De notre point de vue, le seul enjeu du financement est de parvenir à dégager les moyens financiers permettant de financer une assurance maladie obligatoire et solidaire concrétisant le principe constitutionnel d’égalité des citoyens dans l’accès à des soins de qualité, médicalement justifiés. La protection sociale en général et l’Assurance maladie en particulier ont plus besoin d’unité et de mécanismes solidaires que d’éclatement et de segmentation. La solidarité appelle des financements à la fois contributifs et non contributifs, un panier de biens et soins de santé de qualité et médicalement indispensables auquel est corrélé un contrat collectif de prise en charge qui peut, cependant, être mis en œuvre par différents opérateurs. S’il est avéré que les régimes obligatoires ne peuvent plus assurer le monopole de la prise en charge, les trois niveaux pourraient alors être les suivants : • un premier niveau d’assurance maladie obli-
gatoire pris en charge par les régimes obli-
1. HCAAM, Rapport, janvier 2004. 2. HCAAM, Rapport, juillet 2007.
gatoires sur la base de financements mixtes (contributifs et non contributifs) ; • un deuxième niveau d’assurance maladie complémentaire (obligatoire ?) pris en charge par les organismes complémentaires à partir d’un contrat responsable précisant à la fois le panier de soins concerné, les modes de financement (plutôt des cotisations) et les aides publiques à la prise en charge ; • un troisième niveau libre et privé pour ce qui n’est pas médicalement indispensable. Tout le monde peut être gagnant dès lors que le système permet dans ses deux premiers niveaux d’assurer la pérennité d’un noyau dur de prestations universelles conformes aux principes constitutionnels d’égalité dans l’accès aux soins et qu’il ouvre un troisième niveau, libre et concurrentiel afin de répondre à des préoccupations de confort ou de consommation personnalisée. Les mécanismes de régulation des dépenses et des recettes ne peuvent être appréhendés séparément. Ainsi le HCAAM, après avoir souligné le caractère « positif » du système actuel des recettes de l’Assurance maladie, estimait déjà nécessaire en 2004 de le faire évoluer1 : « des réflexions pourraient utilement être menées sur le système des recettes en prenant notamment en considération les principes d’universalité de l’assiette, de parité des efforts contributifs et des droits entre les régimes et leurs ressortissants. Ces réflexions pourraient aller jusqu’à l’étude d’une modification de l’assiette des prélèvements ». Cependant, face à l’accroissement prévu de la CSBM dans les prochaines années (10 % du PIB en 2025), le HCAAM estime en 20072 que « si on peut envisager que le besoin de financement soit en partie couvert par des recettes, il faut parallèlement réfléchir à une définition de
9 • Des problèmes récurrents de financement nouvelles règles de prise en charge qui contribuent à l’équilibre ». Prenant le relais, la Cour des comptes insiste dans son rapport annuel1 , sur la nécessité pour l’État de reprendre la main sur l’organisation des soins, la mise en place du DMP... tout en élargissant l’assiette des cotisations à des revenus non taxés alors qu’ils sont liés au travail (exemple des mécanismes d’intéressement, indemnités diverses de
départ, de transport...). Cependant, si les deux instances se rejoignent sur la nécessité de maîtriser dépenses et recettes, des nuances existent quant aux leviers à privilégier : révision des modes de prise en charge ou réformes structurelles ? Élargissement de la contribution des assurés ou de celle des entreprises et des professionnels de santé ?
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
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1. Cour des comptes, Rapport, septembre 2007.
Chapitre 10 L’assurance maladie : un assureur solidaire en santé ?
PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE
PLAN DU CHAPITRE
202
1. Une assurance obligatoire pour une couverture qui se voudrait universelle Les fondements du droit à la protection de la santé Une Assurance maladie qui assure sans rassurer La CMU : un bilan positif qui pose néanmoins question Une égalité d’accès aux soins garantie par la loi mais fragilisée dans les faits Consolider l’accès aux soins
203 203 203 204 206 208
2. De l’assurance maladie à l’assurance santé, ou comment faire évoluer le clivage préventif/curatif ? Un clivage remis en cause par la nouvelle gouvernance L’Assurance maladie contributive d’une politique globale de santé L’Assurance maladie et la responsabilisation des patients
209 209 210 212
10 • L’assurance maladie : un assureur solidaire en santé ?
1. UNE ASSURANCE OBLIGATOIRE POUR UNE COUVERTURE QUI SE VOUDRAIT UNIVERSELLE L’instauration d’une Couverture maladie universelle a constitué la dernière étape de la généralisation de l’Assurance maladie. Si la réforme de 2004 a confirmé son caractère obligatoire et solidaire, des difficultés sont apparues (refus de soins, dépassements exorbitants d’honoraires médicaux...), rappelant que l’égalité d’accès aux soins n’est jamais acquise.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Les fondements du droit à la protection de la santé Le « droit à la santé » traduit une vision utopique de la santé, confortée par l’OMS qui l’a définie comme un « état de complet bien-être, physique, mental et social qui ne se traduit pas seulement par l’absence de maladie ». L’intérêt de cette définition est de rappeler que toutes les activités humaines ont un impact sur la santé et que la part contributive des soins, aussi importante soit-elle, demeure minoritaire (autour de 15 à 20 %) au regard de celle des déterminants sociaux sur la santé des populations. Ceci étant, le fait pour les États de considérer la santé des populations comme un bien supérieur auquel les politiques doivent contribuer constitue un progrès social. Celui-ci se concrétise au travers des politiques de santé publique mises en œuvre par les États ainsi que par les systèmes d’assurance maladie obligatoire qui rendent possible l’accès aux soins de l’ensemble de la population. Autrement dit, s’il n’est pas possible de parler de « droit à la santé » parce que la santé est un état de fait qui existe ou pas, nonobstant les interventions des individus ou de l’État, le droit à la protection de la santé existe bel et bien et se réfère autant aux déterminants sociaux qui agissent sur la santé qu’aux conditions d’accès aux soins qui doivent demeurer équitables. Ceci explique que ce droit est corrélé au droit de la Sécurité sociale, qu’ils entrent tous deux
dans les principes fondamentaux constitutionnels et témoignent ainsi d’un principe avancé de civilisation. C’est le Conseil constitutionnel qui a pour mission de vérifier que la loi ne déroge pas à ces principes et il le fait notamment au moment de l’examen annuel de chaque loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS).
Une Assurance maladie qui assure sans rassurer La finalité du service public de l’Assurance maladie, quels que soient les régimes concernés, c’est de rendre possible l’accès de la population à des soins de qualité, quel qu’en soit le coût et quels que soient les revenus du malade. Ce n’est plus une assurance au sens professionnel depuis qu’elle n’est plus « réservée » aux cotisants d’un régime (salariés par exemple) moyennant cotisations. Le plus grand régime, le Régime général des salariés, n’a d’ailleurs jamais été géré comme un régime professionnel d’assurance, décidant de la nature et du niveau de ses prestations (c’est l’État qui décide) et de l’ajustement des recettes aux dépenses (c’est toujours l’État qui décide...). Il joue, de surcroît, le rôle de régime « Grand Frère » accueillant les bénéficiaires par défaut ou compensant financièrement les insuffisances démographiques des petits régimes. L’Assurance maladie est
203
PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE devenue en France essentiellement distributive, ce qui signifie que le bénéfice qu’on en retire est largement déconnecté de la contribution financière qu’on y apporte. Nous sommes sortis du schéma « j’ai droit parce que j’ai cotisé » pour entrer dans celui « j’ai droit parce que j’en ai besoin ». L’instauration de la CMU a parachevé une évolution législative de généralisation de la couverture maladie à l’ensemble de la population. La problématique de l’Assurance maladie ne peut être comprise sans que soient prises en compte les spécificités du système, à savoir : • une structure de gestion partagée dans une
•
204
•
•
•
mosaïque de régimes sociaux où l’État est cependant omniprésent dans la décision ; une structure très concentrée de la dépense où 5 % des malades font un peu plus de 50 % de la dépense (concentration des coûts en début et fin de vie) et où 12 % en font plus de 60 % (plateaux techniques, pathologies lourdes et invalidantes, accidents) ; une coexistence plus ou moins pacifique entre les acteurs de la prise en charge socialisée de la dépense (l’Assurance maladie) et ceux du Marché (professions libérales, assureurs privés, industrie pharmaceutique...) ; des logiques plus contradictoires que convergentes entre des Pouvoirs Publics gardiens des finalités (solidarité nationale) qui fixent les règles et entendent réguler le système et les acteurs du Marché plus soucieux d’accroître leurs profits et leurs revenus que de contribuer aux finalités du service public ; l’Assurance maladie n’est pas l’Assurance santé, mais elle doit rester l’assurance pour tous de ne pas être soignés au rabais quels que soient les effets coûts liés au progrès médical, au vieillissement, ou aux nouvelles pathologies, indépendamment des revenus de chaque malade. Il en résulte des modes solidaires de financement et de prise en charge ainsi qu’une cogestion du système par les professionnels de santé qui
acceptent sa finalité (des prestations médicalement utiles pour le plus grand nombre) et ses contraintes (référentiels de bonne pratique, maîtrise médicalisée...) après avoir intégré les bénéfices qu’eux-mêmes retirent du contrat sociétal (prise en charge de la formation, solvabilisation de la demande, contributions diverses de la société à l’environnement professionnel...). En 2007, les spécificités du système français sont de moins en moins comprises. Les sirènes du libéralisme, de l’individualisme et de la dérégulation contribuent à laisser croire que l’équilibre financier du système passe à terme par la séparation entre une couverture collective de base pour les plus démunis, assurée par les pouvoirs publics, et une couverture complémentaire plus individualisée (axée sur la capacité contributive de chacun...) proposée par les opérateurs privés. Il est vrai que la santé tend à devenir parfois un bien de consommation dans l’esprit de nombreux citoyens et qu’à l’inverse, les tenants de la « santé à tout prix » sous-estiment l’évolution des coûts et surestiment en conséquence les capacités publiques de financement. Or, nous avons besoin d’une Assurance maladie qui assure mais nous rassure aussi sur sa pérennité.
La CMU : un bilan positif qui pose néanmoins question La couverture maladie universelle, en permettant à 4,8 millions de personnes de mieux se soigner, a été un succès. Elle a aussi été le révélateur de la complexité et des failles du système dans la prise en charge du besoin de soins qui appellera de nouvelles formes de mutualisation. Phase ultime d’un processus de généralisation de l’Assurance maladie à l’ensemble de la population, la CMU (loi du 27 juillet 1999)
10 • L’assurance maladie : un assureur solidaire en santé ? garantit à tous une prise en charge des soins par un régime d’assurance maladie et aux plus démunis une couverture complémentaire gratuite. Pour en bénéficier, il suffit de résider sur le territoire et de se faire connaître auprès d’une caisse primaire. La couverture complémentaire constitue un droit qui s’applique sans contrepartie contributive dès lors que le bénéficiaire entre dans le barème des ressources (plafond mensuel de 909 euros pour deux personnes depuis le 1er juillet 2007), des aides étant prévues pour atténuer les effets de seuil. Les prestations prises en charge au titre de la complémentaire peuvent être servies par la caisse d’affiliation ou par un organisme complémentaire, une mutuelle ou une assurance privée.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
La CMU est une prestation gérée par les caisses primaires pour le compte de l’État sur la base d’un financement qui est loin d’être consensuel : dotation d’État de solidarité (fonds spécifique) mais aussi d’équilibre : l’État décide du plafond de ressources des bénéficiaires, du contenu du panier de soins de la couverture complémentaire et de la contribution des organismes complémentaires à la gestion du dispositif (2,5 % des primes et cotisations émises par les complémentaires santé). C’est au bénéficiaire de la CMU qu’il appartient de choisir l’organisme gestionnaire de la part complémentaire (caisse d’assurance maladie, mutuelle ou assurance privée). Les caisses primaires, pivot dans la gestion du système, se sont vues très majoritairement désignées comme caisses gestionnaires de la part complémentaire (plus de 4 millions de contrats sur 4,8 millions). La CMU participe de la lutte contre l’exclusion sociale et en particulier de la lutte contre l’exclusion des soins. En 2004, 13 % des assurés de la métropole déclaraient avoir renoncé à certains soins pour des raisons financières (dont 49 % dans le domaine de la santé bucco-dentaire). Fin 2005, cette prestation de
solidarité permet toutefois à 1,7 million de personnes au titre de l’assurance de base et à 4,8 millions au titre de la complémentaire d’accéder enfin à tous les soins. Il convient d’ajouter que le rattrapage du retard des soins a été facilité par un panier de soins spécifique à la CMU complémentaire et plus favorable que les tarifs de responsabilité habituels à la Sécurité sociale. C’est ainsi que sont pris en charge le ticket modérateur, le forfait journalier hospitalier, certains dépassements de tarifs pour des soins et prestations dentaires et d’optique dans des limites fixées par arrêté ministériel. La CMUC constitue une complémentaire « gratuite » sans reste à charge qui bénéficie à une population ne pouvant, et même parfois, ne voulant pas payer les cotisations correspondantes, problème qui va resurgir avec le dispositif d’aide à la complémentaire santé proposé aux ménages dont les revenus se situent entre le plafond de la CMUC et son montant majoré de 20 %. Pour autant, en raison de la gestion des effets de seuil des plafonds de ressources ouvrant droit, certains bénéficiaires des minima sociaux (minimum vieillesse ou allocation aux adultes handicapés) n’avaient pas compris pourquoi ils étaient exclus d’un droit conçu pour les populations précaires alors qu’eux-mêmes ne pouvaient bénéficier du fameux panier de soins qui était destiné à ces populations. Enfin, la mise en place de la CMU a été le révélateur d’autres facteurs d’exclusion : environ 8 % des Français n’ont pas d’assurance complémentaire santé, les difficultés d’accès aux soins ne sont pas l’exclusive des bénéficiaires de la CMU et, en amont de l’accès aux soins, demeurent toutes les corrélations entre exclusion sociale et exclusion de la santé, l’influence prépondérante des déterminants sociaux et culturels, des modes et de l’hygiène de vie. Malgré les quelques problèmes évoqués, la mise en place de la CMU a été un succès. L’ac-
205
PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE cès aux soins est devenu un droit et une réalité pour 7,5 % de ménages. Cette prestation s’est révélée de surcroît un outil efficace d’intégration sociale favorisant à terme un rapport plus favorable des personnes bénéficiaires envers leur santé.
Une égalité d’accès aux soins garantie par la loi mais fragilisée dans les faits
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Le préambule de la Constitution de 1946 « garantit à tous... la protection de la santé ». Ce principe est confirmé par la Constitution de 1958 qui se réfère aux droits de l’homme et notamment à la Déclaration universelle de 1948 qui, dans son article 22, précise que « toute personne a droit à la Sécurité sociale » et dans son article 25 que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment par l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ». L’égalité d’accès aux soins demeure toujours une préoccupation : comment répartir au mieux l’offre dont une large partie demeure à l’initiative du marché ? Comment rendre accessibles les équipements les plus performants ? Comment compenser les inégalités dues aux facteurs socioculturels ? Comment responsabiliser les individus face aux déterminants de la santé qui dépassent la seule sphère des soins (hygiène et modes de vie, logement, éducation, conditions de travail, emploi...) ? La consommation de santé des individus reste influencée
par des variables économiques (revenus, assurance complémentaire...) et socioculturelles (le rapport à la santé du fait du milieu social, professionnel, familial et du niveau d’éducation et d’information). L’accès aux soins cumule des problématiques géographiques (accessibilité), sanitaires (continuité de soins de qualité requis par l’état de santé) et sociales (prise en charge financière). Ceci étant, à l’instar des recommandations de l’OMS, il s’agit aussi de lutter contre les inégalités inévitables ou inacceptables pour préserver l’égalité des chances : réduire les nuisances environnementales, favoriser l’éducation sanitaire, permettre aux plus démunis d’être mieux pris en charge (CMU), faciliter le tiers payant, développer la prévention, permettre à chacun de bénéficier du même progrès médical sont autant de démarches qui participent d’une même finalité : accéder et utiliser des soins de qualité à besoins équivalents. Récemment1 , Didier Tabuteau après avoir souligné que « l’objectif d’égal accès aux soins et à la prévention n’est pas assuré (...) », relevait que « la législation devrait encadrer les responsabilités des médecins en matière de permanence des soins ou pouvoir dire, par exemple, que les patients doivent accéder à des tarifs médicaux opposables (remboursables par l’Assurance maladie, ou que les refus de soins pour les personnes bénéficiant de la CMU sont passibles de sanction ». Il ajoutait que « l’accès à l’information collective sur le système de soins (qualité des services et des professionnels, palmarès des établissements...) qui constitue une des sources principales d’inégalité entre les citoyens, doit être garanti ». L’universalité du système implique à la fois le respect des droits et le rappel des devoirs qui y sont attachés :
1. D. Tabuteau, « L’objectif d’égal accès aux soins et à la prévention n’est pas assuré », propos recueillis par C. Prieur, Le Monde, 6 mars 2007.
10 • L’assurance maladie : un assureur solidaire en santé ? Caractère obligatoire et solidaire du système (des bien portants vers les malades) " L’égalité d’accès aux soins suppose en premier lieu l’existence d’un système d’assurance maladie obligatoire et universel. La loi du 13 août 2004 réaffirme les caractères obligatoire et solidaire du système (des bien portants vers les malades) : « la Nation affirme son attachement au caractère universel, obligatoire et solidaire de l’assurance maladie. (...) L’État, qui définit les objectifs de la politique de santé publique, garantit l’accès effectif des assurés aux soins sur l’ensemble du territoire. En partenariat avec les professionnels de santé, les régimes d’assurance maladie veillent à la continuité, à la coordination et à la qualité des soins offerts aux assurés, ainsi qu’à la répartition territoriale homogène de cette offre ».
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Assurance maladie obligatoire : principal opérateur de la prise en charge des dépenses " Il convient de conforter l’Assurance maladie obligatoire comme principal opérateur de la prise en charge des dépenses. Entre 2002 et 2006, la part des remboursements de la Sécurité sociale est passée de 75,7 % à 77 %, celles des ménages passant de 10,6 % à 8,6 %. Cette augmentation de la prise en charge par les régimes obligatoires est liée à la montée en charge des prises en charge intégrales : en 2004, celles-ci couvraient, selon le HCAAM, 68,4 % de la dépense reconnue. Continuité régime obligatoire/régime complémentaire (RO/RC) (aide à l’acquisition d’une couverture complémentaire) " L’égalité d’accès aux soins suppose néanmoins, en plus d’un niveau élevé de prise en charge par le régime obligatoire, une continuité entre régimes obligatoire et complémentaire. La mise en place de la CMU complémentaire (CMUC) en 2000 a incontestablement constitué le point de départ de cette continuité ; le dispositif s’est néanmoins heurté à la problématique de l’effet de seuil. C’est pour surmonter cet écueil que le dispositif d’aide à l’acquisition
d’une couverture complémentaire a été prévu par la loi du 13 août 2004. Malheureusement, ce dispositif fonctionne mal ou peu : plus d’un an après sa mise en place en 2005, il ne concernait que 241 000 personnes, soit seulement 10 % de la population ciblée (rapport d’activité du Fonds CMU, mai 2007). On observe une montée en charge très lente, que la revalorisation du montant de l’aide en 2006 et la dispense d’avance des frais sur la part sécurité sociale n’ont pas permis d’accélérer. Les raisons de l’échec seraient, selon une étude de l’IRDES d’avril 2007, le reste à charge demeurant élevé proportionnellement au revenu annuel des bénéficiaires (4,5 % contre 3,5 % pour les autres assurés), et la qualité moyenne voire faible des garanties proposées (en particulier sur l’optique et le dentaire). La conservation de la finalité de l’Assurance maladie obligatoire en tant que couverture universelle repose également sur un consensus sociétal et un partage de valeurs essentielles : Tout le monde bénéficie selon ses besoins, tout le monde contribue selon ses moyens " La loi de réforme de l’assurance maladie réaffirme ce principe de solidarité « Indépendamment de son âge et de son état de santé, chaque assuré social bénéficie, contre le risque et les conséquences de la maladie, d’une protection qu’il finance selon ses ressources ». La lutte contre les gaspillages et fraudes " La réforme adoptée en août 2004, dont l’objectif est de « soigner mieux en dépensant mieux », a assorti la valeur fondatrice de solidarité d’un principe de responsabilité « chacun contribue, pour sa part, au bon usage des ressources consacrées par la Nation à l’Assurance maladie ». Ainsi la loi offre-t-elle aux caisses un arsenal de sanctions financières graduées ; les investigations ciblées des caisses d’assurance maladie ont permis de détecter en 2006 presque six fois plus de fraudes et abus qu’en 2005. Enfin, fin 2006 a été installé le
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE
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Comité national de lutte contre les fraudes en matière de protection sociale. La lutte contre les refus de soins et les dépassements d’honoraires " La loi du 27 juillet 1999 portant création d’une Couverture maladie universelle oblige tous les professionnels de santé conventionnés à recevoir les patients bénéficiant de la CMUC et à leur appliquer le tiers payant intégral (dispense d’avance des frais) ; elle interdit également aux médecins de demander des honoraires supérieurs aux tarifs conventionnels, y compris pour les praticiens en secteur 2. Tout refus d’accès à la prévention ou aux soins opposé par un professionnel de santé aux bénéficiaires de la CMU constitue une discrimination au sens de la loi qui s’ajoute à la violation des principes déontologiques. Cependant, réalisée pour le compte du Fonds CMU et rendue publique en juin 2006, une enquête par testing dans six villes du Val-de-Marne a montré qu’en moyenne 14 % des médecins refusent de recevoir des patients bénéficiaires de la CMUC. Par ailleurs, un récent rapport de l’IGAS sur les dépassements d’honoraires pointe l’augmentation importante de ces derniers depuis dix ans, mettant en avant le fait que cette pratique est devenue un « obstacle pour l’accès aux soins », les deux tiers du montant total du dépassement (deux milliards d’euros) pesant sur les ménages (le tiers restant étant pris en charge par les organismes complémentaires).
Consolider l’accès aux soins Les problèmes évoqués plaident pour des mesures de simplification mais appellent aussi des réponses structurelles : Rendre le système plus lisible, simplifier l’accès au soin " Si le dispositif de médecin traitant semble bel et bien entré dans les mœurs avec un taux d’acceptation de 80 %, un certain nombre de difficultés existent pour les usagers dans l’accès aux soins, dans le maquis des tarifs
qui rendent parfois le parcours de soins illisible. On dénombre en effet pas moins de trois-cent soixante-treize possibilités de facturation, selon que le médecin consulté est généraliste ou spécialiste, selon son secteur d’exercice, selon que la consultation s’effectue dans le cadre ou hors parcours de soins... S’agissant des tarifs conventionnels opposables ou de l’interdiction des discriminations, la loi doit se donner les moyens d’être appliquée. Supprimer le secteur 2 " On peut légitimement s’interroger sur la compatibilité d’un objectif d’égalité d’accès aux soins et le maintien d’un secteur d’exercice à honoraires libres pour les médecins, qui dans les grandes villes s’apparente à un quasi-monopole pour certaines spécialités (chirurgie, ophtalmologie...). Afin de rétablir l’équité dans l’accès aux soins des espaces de liberté tarifaire encadrés pourraient être proposés aux professionnels, espaces justifiés tant par les conditions du marché que par la juste rémunération des compétences. Ils pourraient se substituer au secteur 2 lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : • pour ne pas remettre en cause l’égalité d’ac-
cès aux soins, la part non prise en charge par les régimes obligatoires devrait l’être par les régimes complémentaires, à l’instar de ce qui a été imaginé pour le secteur optionnel, • les compétences justifiant le bénéfice de ces espaces de liberté tarifaire devraient être vérifiées régulièrement par la satisfaction d’un certain nombre de critères (évaluation des pratiques professionnelles, activité sécurisée...). S’il est vrai que la loi réaffirme et conforte l’universalité du système, des brèches sont apparues suffisamment profondes pour que ce soit la loi elle-même qui les colmate. De ce point de vue, la priorité est de rendre effective la généralisation de l’accès aux soins via des tarifs opposables.
10 • L’assurance maladie : un assureur solidaire en santé ?
2. DE L’ASSURANCE MALADIE À L’ASSURANCE SANTÉ, OU COMMENT FAIRE ÉVOLUER LE CLIVAGE PRÉVENTIF/CURATIF ? Le mur qui séparait le préventif est enfin tombé et avec lui le quasi-monopole de l’État dans la gestion de la prévention. Pour autant l’intégration de la prévention aux soins a besoin d’être outillée et professionnalisée. La gestion par pathologie ou « disease management » ouvre de nombreuses perspectives d’une nouvelle forme de régulation des dépenses conciliant qualité et moindre coût... tout autant que les acteurs concernés s’en emparent.
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Un clivage remis en cause par la nouvelle gouvernance S’il est vrai que les 145 milliards de dépenses prévues pour l’Assurance maladie en 2007 permettent encore de couvrir les trois quarts des dépenses de santé, nombre d’indicateurs sanitaires et sociaux (taux de mortalité prématurée, cancers, sida, suicides, coqueluche, rougeole, tuberculose) témoignent de carences en terme de politique de prévention. Interrogeons-nous sur la productivité du système français : fondé sur la solidarité et l’universalité de la prise en charge du risque, il s’est peu investi sur l’amont du risque (les dépenses effectives de prévention sont inférieures à 10 % des dépenses de santé). La France a toujours considéré les soins comme le principal déterminant de la santé. Les régimes de Sécurité sociale ont été conçus d’abord pour l’accès aux soins. Le système de santé français est longtemps resté dual et cloisonné : l’État conduit les politiques de prévention et de santé publique, tandis que l’Assurance maladie prend en charge les soins curatifs. Les lois des 9 (santé publique) et 13 août 2004 (réforme de l’Assurance maladie) permettent de poser un nouveau regard sur le clivage curatif/préventif.
La loi sur la santé publique met fin au monopole de l’État sur le champ préventif : les structures qui souhaitent concourir à la politique de santé publique peuvent s’associer au niveau régional dans un Groupement d’intérêt public (GIP) subventionné par l’État, mais aussi doté par l’Assurance maladie. Peut-on alors aller plus loin en cernant les scénarios où l’évitabilité du risque s’avère plus productive que les soins ? La CNAMTS recommandait dès mars 2003 un investissement fort sur trois objectifs : dépistage de pathologies lourdes aux conséquences graves en termes de dépendance ou de handicap, y compris les maladies d’origine professionnelle, programmes de prévention globaux segmentés (petite enfance, adolescents, femmes enceintes, personnes âgées), implication des médecins de ville dans des opérations de dépistage préparées, dès la formation initiale et plus ciblées ensuite. En juillet 2007, la CNAMTS préconise à nouveau de renforcer la prévention, la généralisation du dépistage et des programmes d’accompagnement des maladies chroniques, partant du constat selon lequel les dépenses de santé devraient connaître une hausse de 50 % d’ici 2015, hausse tendancielle tirée à « plus de 80 % » par « la croissance des dépenses d’ALD (...) principalement sur les médicaments et l’hospitalisation »1 .
1. CNAMTS, « Les dépenses d’assurance maladie à horizon 2015 », Point d’Information Mensuel, 5 juillet 2007.
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE La loi du 13 août 2004 et la convention médicale du 12 janvier 2005 ont déplacé le curseur (le curatif aux médecins, le préventif aux institutions, associations, etc.) en confiant au médecin traitant la responsabilité d’assurer un suivi du parcours santé de ses patients. Ainsi ses missions dépassent-elles le premier niveau de recours aux soins, en intégrant les soins de prévention et de dépistage, la promotion de la santé, la protocolisation des soins de longue durée, la coordination via le DMP des différents intervenants. Le préambule de la convention médicale précise que « la prévention et l’éducation thérapeutique trouvent naturellement place dans le colloque singulier ».
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Le dispositif médecin traitant (comme l’exdispositif médecin référent) vise à optimiser le parcours santé du patient et ne réduit plus l’acte médical à la seule prescription ; via le médecin pédagogue on voit émerger le concept d’éducation et de responsabilisation du patient. Il s’agit de faire du malade un acteur autonome dans la prise en charge de son programme thérapeutique. On peut ainsi mieux traiter une maladie chronique particulière (HTA, diabète, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale...) ou éviter bon nombre de complications iatrogènes, notamment pour les personnes âgées. La prise en charge globale du patient est favorisée (prise en considération de l’environnement dans lequel vit le malade...) malgré un paiement à l’acte peu adapté à ces missions qui s’inscrivent dans la durée. Peut-on aller encore plus loin en construisant une prévention intégrée à la gestion du risque ? D’ores et déjà, les contrats de santé publique ou de bonne pratique intègrent la prévention dans les pratiques professionnelles orientées vers le suivi global du patient plutôt que sur le soin curatif ponctuel : le meilleur usage des antibiotiques grâce au test de dépistage rapide de l’angine, le suivi vaccinal, des conseils nutritionnels ou de bon usage du médi-
cament contribuent à l’éducation du patient et le responsabilisent. Une protocolisation progressive combinant rationalisation des soins et parcours de santé permettront de mieux soigner à moindre coût les patients atteints de maladie de longue durée. Alors que ces malades représentent 60 % des dépenses de soins de ville, ils ignorent souvent ce pourquoi ils sont soignés et pris en charge à 100 %. Or, si le progrès médical permet de vivre plus longtemps avec plusieurs pathologies bien soignées, il serait possible de gagner encore en confort de vie en ajoutant aux protocoles de soins des dimensions préventives et éducatives. Le développement d’une logique de réseau peut faciliter l’émergence d’un concept où le curatif n’est plus le seul élément mais un des facteurs contributifs de la santé. Ainsi, la maladie ne constitue plus la ligne de démarcation du préventif et du curatif. Les acteurs ne se distinguent plus par leur statut ou leur champ d’intervention. La loi du 13 août 2004 ouvre des perspectives fédératrices en termes de mobilisation des ressources (État, collectivités locales et Assurance maladie sont invités à travailler ensemble) ainsi qu’en termes de gestion plus globale et homogène d’un système de santé qui commencerait alors à mériter cette appellation.
L’Assurance maladie contributive d’une politique globale de santé En 2007, la nouvelle signature de l’Assurance maladie porteuse de son projet d’entreprise, l’Assurance maladie solidaire en santé, témoigne de sa volonté (confortée cette fois par l’évolution législative et réglementaire) d’intervenir sur le double champ de la maladie et de la santé, du curatif et du préventif, en articulant ses interventions mais aussi en les évaluant. Ainsi s’agissant de sa contribution
10 • L’assurance maladie : un assureur solidaire en santé ? au dépistage du cancer du sein et à la vaccination antigrippale chez les personnes âgées, l’Assurance maladie est présente sur l’ensemble du processus : campagnes générales d’information mais aussi information personnalisée de patients et médecins concernés, modalités de mise en œuvre et évaluation des résultats. Des objectifs individuels sont déclinés par médecin traitant et adaptés à sa patientèle. À la connaissance des résultats, des retours d’information sont réalisés pour chaque médecin qui peut ainsi connaître sa contribution à l’objectif général. Ainsi après que la loi du 9 août 2004 eut validé la contribution de l’Assurance maladie à la politique de prévention et de santé publique et que celle du 13 août 2004 eut confirmé le déplacement du curseur préventif/curatif vers le médecin traitant en lui confiant le suivi de la santé de son patient, il restait aux avenants conventionnels à rendre opératoire le dispositif. Les avenants 12 et 23 à la convention nationale des médecins généralistes et spécialistes prévoient que l’action des médecins traitants porte, entre autres objectifs, sur la prévention du cancer de sein, sur la vaccination antigrippale chez les personnes âgées, sur l’accompagnement des patients diabétiques et sur la lutte contre la iatrogénie médicamenteuse chez les personnes âgées :
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• l’action sur la prévention du cancer du sein
s’adresse aux femmes de 50 à 74 ans. Aujourd’hui le taux global de dépistage est estimé à 66 % (Dépistage organisé (DO) + dépistage individuel), dont 42 % dans le cadre du DO1 . L’objectif est d’atteindre en 3 ans (2007 à 2009) un taux global de dépistage (DO + dépistage individuel) de 80 %. Chaque année et tous âges confondus,
12 000 femmes meurent d’un cancer du sein. En 2004, 1,6 million de femmes ont effectué une mammographie de dépistage organisé permettant la détection de 10 640 cancers. Le DO ne connaît actuellement un taux de participation que de 45 %, alors qu’on sait qu’il ferait reculer la mortalité de 25 à 30 % si son taux atteignait 70 %. • la vaccination antigrippale chez les per-
sonnes âgées. L’objectif prévu par la loi de santé publique est l’atteinte d’un taux de couverture vaccinale d’au moins 75 % dans tous les groupes à risque, et tout particulièrement celui des personnes âgées de plus de 65 ans. À l’issue de la campagne 2005-2006, le taux de couverture s’établit à 63 %. Le récent avenant fixe l’objectif à 75 % dans les trois ans (2007 à 2009) et prévoit de décliner et d’analyser cet objectif de manière individuelle, avec un retour d’information personnalisé.
• rôle du médecin traitant dans la coordina-
tion des soins et la prévention des risques cardio-vasculaires des patients diabétiques. En 2004, plus de deux millions de personnes, dont 80 % en ALD 302 , étaient touchées par le diabète, facteur de risque majeur de complications cardiovasculaires. Actuellement, le taux d’accroissement moyen en effectif est de 7,5 % par an. L’objectif est de prévenir les risques cardio-vasculaires en améliorant la prise en charge des patients diabétiques si possible avant l’apparition de complications et d’améliorer la prévention de l’apparition du diabète chez les sujets à risque.
• l’action de prévention de la iatrogénie médi-
camenteuse. Elle s’adresse aux patients de plus de 65 ans repérés prioritairement, compte tenu des risques encourus, par dix délivrances médicamenteuses dans l’année
1. Le DO prévoit la prise en charge tous les deux ans à 100 % d’une mammographie selon les modalités suivantes : examen clinique systématique, clichés complémentaires en cas de besoin, bilan diagnostique effectué immédiatement en cas d’images suspectes, double lecture des mammographies. 2. Liste des 30 affections de longue durée définie par décret.
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE avec sept médicaments différents ou plus par délivrance. Parmi les dix millions de personnes de plus de 65 ans, environ un million et demi sont concernées, ce qui représente en moyenne trente patients par an et par médecin traitant. L’avenant 23 prévoit la mise en place d’une prévention sur ce thème autour de trois éléments : le questionnement à chaque ordonnance sur les médicaments prescrits, la hiérarchie des traitements et la sensibilisation du patient et de son entourage. Les objectifs collectifs et qualitatifs pour 2008 sont les suivants : diminution de 10 % du nombre de personnes ayant eu une prescription de benzodiazépine à demi-vie longue, diminution de 10 % du nombre de personnes ayant eu une prescription de vasodilatateur (ces objectifs feront également l’objet d’un retour individuel d’information auprès des médecins).
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L’Assurance maladie peut maintenant être contributive d’une approche globale d’une politique de santé que les experts appellent de leurs vœux. Ainsi, selon Didier Tabuteau1 , « on a trop souvent opposé prévention et éducation pour la santé d’un côté et le soin de l’autre. Or, sur un plan médical comme politique, vouloir faire une ligne de partage n’a aucun sens ».
L’Assurance maladie et la responsabilisation des patients L’intégration de la prévention aux soins L’État qui impulse la politique de santé publique doit investir dans des campagnes d’information et de communication sur les thèmes prioritaires (alcool, tabac, obésité, sécu-
rité routière...) pour lesquels un comportement préventif constitue un facteur d’évitabilité du risque. Ces campagnes ne valent néanmoins que si elles sont accompagnées de moyens complémentaires cohérents qui leur donnent du sens (régulation de la publicité, interdiction des distributeurs de « sucreries » dans les écoles, contrôles de vitesse fréquents...) et d’une éducation pour la santé ciblant les segments de population concernés. L’Assurance maladie peut prendre sa part dans ces différentes actions mais elle peut aussi sans doute faire davantage dans l’intégration de la prévention aux soins. C’est dans cette perspective que la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2007 stipule que « les Caisses nationales d’assurance maladie peuvent mettre en place des programmes d’accompagnement des patients atteints de pathologies chroniques visant à leur apporter des conseils en terme d’orientation dans le système de soins et d’éducation à la santé ». Il s’agit en fait de mettre en pratique des préconisations effectuées par l’OMS en ce début de siècle, visant à rassembler familles et équipes soignantes autour du patient dans le cadre d’un réseau proactif en capacité d’optimiser la prise en charge. Forts d’une expérience réussie des réseaux autour des maladies infectieuses, les enjeux se portent aujourd’hui sur les malades chroniques que le progrès médical ne guérit pas toujours mais leur permet de vivre plus longtemps à des coûts néanmoins d’autant plus croissants qu’ils ne sont pas toujours optimisés. Le patient atteint d’une maladie chronique (cancéreuse, cardiovasculaire, rhumatismale...) ne reste pas à l’hôpital mais circule en permanence entre établissements et médecins de ville au fur et à mesure qu’évolue sa maladie. La gestion des soins intégrée dans des réseaux pluridisciplinaires existe mais demeure perfectible. Il en
1. D. Tabuteau, « La loi de santé publique n’est pas une loi politique mais une loi d’experts », Espace Social Européen, 30 mars/5 avril 2007.
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10 • L’assurance maladie : un assureur solidaire en santé ? va de même du dépistage précoce de certaines affections lourdes telles que l’Alzheimer. Le parcours de soins coordonné et le rôle dévolu au médecin traitant dans le suivi de la santé de ses patients (conseils, dépistage, suivi vaccinations, dialogue et reporting avec les pairs, consultation des dossiers médicaux informatisés, éducation thérapeutique des malades chroniques) sont institutionnalisés par les textes mais pas complètement efficients sur le terrain. D’où la réflexion qui émerge sur les mécanismes pouvant responsabiliser le patient lui-même dans la prise en charge de sa santé et de ses pathologies. D’une manière générale, il s’agit soit de l’intéresser financièrement à un accès coordonné à plusieurs prestataires de soins, soit de le sensibiliser à la gestion de son capital santé en l’informant de tous les facteurs contribuant ou pas à la protection de sa santé ou à la qualité des soins auxquels il peut prétendre. Dans le premier cas, pour ne pas contrarier la liberté de choix des professionnels, il est procédé par pénalités financières dès lors que le patient sort du parcours vertueux préétabli par les textes (hormis les bénéficiaires de la CMU qui échappent aux dispositifs incitatifs...), dans le second, on mise surtout sur les nouvelles technologies qui devraient rendre possibles un meilleur partage de l’information médicalisée entre patient et professionnels de santé mais aussi une information plus continue et plus personnalisée sur le parcours santé de chaque individu, lui donnant ainsi la possibilité de co-gérer sa santé avec ses proches et les professionnels à qui il fait appel.
La gestion par pathologie ou « disease management » C’est fort de ces considérations qu’est apparue l’idée d’une gestion par pathologie connue et expérimentée outre-atlantique sous l’appellation de « disease management ». Il s’agit de prolonger le concept de parcours de soins coordonné en optimisant la prise en charge de
certaines pathologies, en construisant des protocoles de soins acceptés conjointement par le médecin et le patient. Le premier est impliqué par des plans de soins basés sur l’evidence based medecine, prévenant notamment les épisodes aigus et les complications ; le second est intéressé par l’apport d’informations et de connaissances pour mieux gérer sa maladie, l’autonomisant dans sa prise en charge tout en l’accompagnant au regard d’interventions externes nécessaires et pas seulement sur le seul plan de la médicalisation. Ainsi, en Amérique du Nord, des résultats significatifs ont été obtenus tant sur le plan médical que sur celui des coûts (en diminution) de prise en charge des malades chroniques atteints de diabète, d’asthme, d’insuffisance cardiaque ou de dépression : moins d’hospitalisations, moins d’erreurs, des interventions mieux ciblées. En France, la loi du 13 août 2004 a repris le modèle pour les patients atteints de maladie de longue durée. Médecin traitant et médecin conseil établissent conjointement un plan de soins périodiquement révisable qui définit les actes et prestations nécessaires au traitement de l’affection et qui, à ce titre, peuvent être exonérés du ticket modérateur. Ce protocole, établi à partir des référentiels de la Haute Autorité de santé (HAS) est également signé par le patient qui acte ainsi sa participation à la gestion de sa pathologie sachant a contrario que les prescriptions qui ne sont pas directement utiles à sa maladie exonérante supportent (à nouveau...) le ticket modérateur. Dans un avis rendu le 28 avril 2005, le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) avait souligné « l’urgence d’une meilleure gestion des dépenses d’assurance maladie engagées dans le cadre du régime des ALD » considérant l’intérêt de concilier la pérennité du dispositif malgré un poids financier croissant (douze millions d’ALD d’ici cinq ans), le Haut Conseil a considéré que le système d’exonération pour les ALD était « une
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE opportunité à saisir pour promouvoir la qualité médicale de la prise en charge des malades concernés », leur repérage par l’Assurance maladie permettant « d’ancrer une gestion active des processus de soins » articulant les enjeux d’efficience de la dépense avec ceux d’amélioration de la qualité des soins.
« Managed care » ou « disease management1 »
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Ainsi, la France, après l’Amérique du Nord, l’Angleterre et l’Allemagne s’engage, sous l’impulsion de la loi et avec l’Assurance maladie comme principal opérateur, dans la mise en œuvre d’un « disease management » qui sera... ce que voudront bien en faire les acteurs. Les Américains ont substitué (ou presque) le disease management au managed care qui subordonnait la délivrance des soins au contrôle continu des assureurs qui validaient en amont les processus ou stratégies thérapeutiques engagés par les médecins, établissements ou patients ayant adhéré à une « managed care organization ». C’est parce que les contraintes imposées ont fait l’objet de plus en plus de rejets par médecins et patients que ceux-ci sont de plus en plus sortis du système, lui-même menacé par des coûts assurantiels rendus plus élevés du fait d’une diminution d’adhérents. De nouveaux concepts ont émergé visant à accompagner plutôt qu’à contraindre, à segmenter et personnaliser plutôt qu’à généraliser, à mobiliser d’autres acteurs que les seuls médecins qui n’ont ni le temps ni les compétences de répondre à tous les besoins des malades chroniques. Mais alors que les Américains ont fait peser l’essentiel des efforts sur l’accompagnement du patient (entretiens téléphoniques personnalisés et réguliers, envoi du patient vers des groupes
experts d’éducation thérapeutique...) les européens (Angleterre et Allemagne) ont davantage misé sur l’implication des professionnels (médecins, infirmières). Les Anglais ont institué une rémunération à la performance pour les médecins généralistes s’engageant sur 146 indicateurs révélateurs de l’amélioration de l’état de santé des patients (l’objectif étant d’accroître à terme les revenus des généralistes de 25 % dont 20 % liés à la performance avérée). Les Allemands ont largement encadré le dispositif par la loi, formalisant les procédures autour du médecin généraliste qui anime les programmes moyennant un supplément de rémunération (plus de deux millions de personnes en 2006 dont les trois quarts sont des diabétiques).
Et la France ? La France est, pour l’instant, plus proche du modèle allemand que du modèle anglais : le soutien est apporté autant aux médecins qu’aux patients, les engagements et surplus de rémunération des médecins ne portent que sur leur implication dans des programmes et pas encore sur les résultats (une amorce existe cependant sur les retours d’information individuels...). Les mêmes tensions existent entre médecins et caisses (les premiers accusant parfois les secondes de harcèlement...). Tout se passe comme si la France essayait d’articuler « managed care » (aux temps forts de la convention) et disease management (pour les temps plus faibles...). Or, l’Assurance maladie devrait disposer à l’avenir d’informations plus fiables, mieux segmentées voire personnalisées tant en ce qui concerne les médecins que les patients (dans le respect des protocoles de la CNIL, bien entendu). Elle pourra de surcroît les partager avec tout acteur s’engageant avec elle dans un processus d’amélioration de
1. P.L. Bras, G. Duhamel, E. Grass, « Améliorer la prise en charge des malades chroniques : les enseignements des expériences étrangères de disease management », Pratiques et organisation des soins, 4e trimestre 2006.
10 • L’assurance maladie : un assureur solidaire en santé ? la prise en charge conciliant qualité des soins et efficience.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Elle aurait même intérêt à décliner ses processus de gestion dans un schéma de gouvernance déconcentré vis-à-vis des objectifs s’inscrivant dans une gestion de proximité, allant jusqu’aux objectifs individuels qui pourraient eux-mêmes être intéressés tant en ce qui concerne les patients que les professionnels de santé. Les organismes d’assurance maladie (services administratifs et médicaux) ont vocation à devenir des opérateurs à part entière d’un disease management à la française. Ils ont d’ailleurs déjà commencé : gestion d’appels sortants vers des assurés non consommateurs de génériques, courriers d’information sur la prise en charge avec ticket modérateur de telle prescription non liée à la maladie exonérante, entretiens « rebond » pendant l’accueil physique ou téléphonique des assurés visant, soit la promotion de la vaccination anti-grippale, soit la consommation éclairée des antibiotiques si, par exemple, le support d’information du technicien lui indique l’absence de vaccination pour un assuré de plus de 65 ans dans le premier cas, une femme avec de jeunes enfants, potentiellement intéressée par le juste soin des petites maladies ORL dans le second cas. Autre exemple, les centres d’examens de santé de l’assurance maladie constituent souvent d’excellentes plates-formes d’éducation pour la santé en aval des bilans de santé délivrés aux populations précaires. Ils peuvent aussi s’impliquer dans l’éducation thérapeutique comme prestataires de service des médecins traitants pour le suivi des malades chroniques, dont les diabétiques. Les délégués de l’Assurance maladie, véritables « visiteurs médicaux » des Caisses, rencontrent déjà les médecins et autres professionnels de santé plusieurs fois dans l’année et les accompagnent dans leur rôle de médecin traitant en leur apportant des outils faciliteurs sur la mise en œuvre des avenants conventionnels,
les référentiels de bonne pratique validés par la HAS, et mieux encore des retours d’information individualisés quant à leurs pratiques, comparées à celles des confrères du même groupe référent. Ainsi, s’agissant de ses prescriptions d’inhibiteur à protons (IPP) chaque médecin peut connaître sa part d’aneprozole et de lausoprozole par rapport au total prescrit, s’agissant des prescriptions faites pour ses malades chroniques, il peut connaître son taux de « feux rouges », soit les prescriptions positionnées à tort sur l’ordonnancier bizone comme étant en rapport avec la maladie exonérante. De surcroît, des objectifs chiffrés sont proposés pour 2008 avec une visée pédagogique. Rien n’empêche qu’ils puissent intervenir par la suite dans la part de rémunération des médecins, même s’il n’en est pas question dans l’état actuel de la convention. Ainsi, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008 va plus loin : les Caisses d’Assurance maladie pourraient signer (avec les médecins volontaires) des contrats sur des engagements individualisés en matière de prescription, de prévention et de participation à la permanence des soins ou d’amélioration des pratiques, avec à la clé une rémunération (au forfait) liée aux résultats. Enfin, l’Assurance maladie ajoute à ses plates-formes de service téléphonique généralistes, des plates-formes dédiées au même titre qu’elle propose sur le Net des « comptes clients » dont l’information à destination des assurés, des professionnels, des employeurs à vocation à s’enrichir et à se segmenter. Aujourd’hui, la question est : comment intéresser et donc mieux impliquer tous les acteurs potentiellement mobilisables dans un disease management qui inévitablement modifie les métiers et les pratiques, interpelle les incohérences de l’organisation de soins voire du pilotage même du système de santé ? Parce que c’est une démarche décloisonnante, elle interroge aussi le fonctionnement des réseaux ; parce que le médecin ne peut porter seul
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE les procédures opératoires, elle plaide pour une meilleure délégation des tâches et la contribution des centres de soins primaires pluridisciplinaires. Parce que c’est une démarche qui est mise en œuvre dans la proximité, elle suppose une gouvernance déconcentrée au niveau de la région et des actions déléguées au plus près du terrain. Enfin, les acteurs doivent y croire : les médecins pour ne pas se sentir dépossédés ni de leur magistère ni de leur liberté d’appréciation,
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les malades et en particulier les chroniques, pour considérer l’amélioration de la qualité de leurs soins et pas seulement une sortie du « tout gratuit » à partir de la maladie exonérante. Un important travail pédagogique doit être fait en amont avec les représentants des professionnels de santé comme avec ceux des patients et usagers de santé pour expliquer les finalités et préparer une co-gestion de la maladie qui est peut-être l’élément le plus innovant de ce nouveau colloque pluriel.
Chapitre 11 Une démocratie sanitaire menacée par le consumérisme
PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE
PLAN DU CHAPITRE
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1. L’émergence des usagers dans la démocratie sanitaire Des usagers qui se cherchent mais revendiquent leur place Un patient émancipé
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2. Une crise des acteurs, reflet d’une crise des valeurs La fin de la démocratie sociale et du paritarisme Des valeurs mouvantes et contradictoires Professions médicales : une crise identitaire
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11 • Une démocratie sanitaire menacée par le consumérisme
1. L’ÉMERGENCE DES USAGERS DANS LA DÉMOCRATIE SANITAIRE Le droit des malades et le devoir de transparence des médecins se conjuguent, pour transformer les usagers du système de santé en consommateurs avisés. Ils commencent à se faire entendre lorsqu’ils sont malades ou victimes d’une irresponsabilité individuelle ou collective. La loi du 4 mars 2002 les reconnaît et leur confère désormais des droits.
Les usagers se cherchent, se rassemblent et revendiquent toute leur place dans les rouages du système. Certes, ce n’est qu’un début, ils ne comprennent pas tout et ne sont pas partout mais cela va arriver. Consumérisme oblige, ils vont se constituer en groupes de pression avec qui il faudra compter et que dire à partir du moment, aujourd’hui proche, où ils vont devoir payer plus...
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Des usagers qui se cherchent mais revendiquent leur place Le terme d’usager est suffisamment générique et neutre pour permettre d’appréhender les problématiques multiples d’un positionnement pluriel. En effet, l’usager qui évolue dans le système de santé est à la fois citoyen, assuré, consommateur, personne malade ou bien portante. Il adopte, de ce fait, un comportement plus ou moins rationnel, ou plus ou moins responsable, qui varie dans le temps en fonction des situations qu’il rencontre. De surcroît, ses droits individuels s’inscrivent à l’intérieur d’un cadre collectif où responsabilités individuelles et collectives interagissent. Enfin, le système de santé ne constitue pas un ensemble où toutes les forces vives convergent en vue de satisfaire, sinon les mêmes objectifs, du moins les mêmes buts, et ce, malgré des finalités souvent partagées. En tout état de cause, le système a longtemps évolué sous la houlette d’opérateurs institutionnels publics et privés s’efforçant de concilier les intérêts généraux de la santé
publique et de la protection sociale, avec ceux afférents à la profitabilité du marché. L’élément nouveau de ces dernières années réside dans l’émergence d’un nouvel acteur : l’usager. La crise de confiance vis-à-vis des institutions et des experts, qui relève d’une tendance générale, a été plus forte dans le domaine de la santé, en raison notamment des scandales sanitaires du sang contaminé et de l’amiante, ainsi que de l’« impuissance » des scientifiques face à la montée en charge des nouvelles épidémies virales (Sida, etc.) ou des maladies génétiques (myopathie, mucoviscidose, etc.). Dans une société plus transparente, où l’usager est plus éduqué et mieux informé, et dans laquelle les médias de communication sont faciles d’accès, les usagers se regroupent aisément en collectifs (associations de personnes malades, etc.) capables d’interpeller en permanence les pouvoirs politiques et scientifiques et d’alerter l’opinion, revendiquant même une place dans les institutions sanitaires publiques et privées, dans les colloques et états généraux de la santé, où ils ne se contentent plus de strapontins... Autrefois, dans les manifestations consacrées au cancer, au diabète, au sida, aux hépatites, etc., des « professionnels » délivraient des communications faisant état de l’avancement des connaissances scientifiques sur le sujet. Aujourd’hui, c’est avec les représentants des personnes atteintes qu’ils doivent dialoguer, ce qui change la nature de l’exercice, le rend plus difficile tout en l’enrichissant. Par ailleurs, les progrès de la médecine permettent de vivre plus longtemps et de bénéficier d’une certaine qualité de vie malgré la maladie. C’est le cas des affections chroniques,
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qui impliquent le patient dans les décisions le concernant, qu’il s’agisse de la thérapie ellemême ou des modes de vie associés. C’est tout naturellement que ces malades se regroupent pour faire valoir leurs exigences vis-à-vis des pouvoirs publics, des gestionnaires et du corps médical. Les nouvelles maladies n’épargnent pas non plus les médecins ; c’est l’ensemble des usagers de la médecine, tous statuts confondus, qui se retrouvent dans des associations puissantes dont les ressources et l’impact médiatique les autorisent jusqu’à impulser des stratégies de recherche (ex. : l’Association française des myopathies via les ressources du Téléthon). Le développement de ces associations participe aussi d’une poussée générale du consumérisme en vertu duquel le bien santé est banalisé parmi d’autres biens de consommation. Un tel mouvement présente à la fois des avantages et des dangers : l’avantage est de rompre l’isolement du malade, de le désenclaver d’un « colloque singulier » où le pouvoir médical apparaît parfois trop exorbitant, où la relation est toujours asymétrique, avec le savoir d’un côté et l’obéissance de l’autre. C’est aussi ce mouvement qui facilite la construction de savoirs collectifs, de dispositifs d’entraide et de solidarité, et qui fait interagir les domaines du sanitaire et du social à l’intérieur de réseaux pluridisciplinaires. Le danger serait d’organiser la prise en charge des soins en fonction d’un rapport de force consécutif aux emprises consuméristes. Ainsi, le poids (électoral...) de telle ou telle association de malades ou d’usagers lui conférerait plus d’attention de la part des pouvoirs publics, tandis que le médecin peut se trouver menacé dans son indépendance de prescripteur : expliquer et discuter du traitement ne doit pas conduire à inverser les champs de compé-
tence. La relation de confiance est préférable à la défiance. Cependant, est-ce que la société n’a pas changé le regard qu’elle portait sur la profession, comme le révélait un récent sondage du CSA-l’Expansion réalisé en février 2007 : la corporation des médecins ne bénéficie plus d’une confiance aveugle des patients : ainsi, 12 % des sondés ne pensent pas que les médecins soient « humains et compréhensifs », et seulement 19 % estiment pour leur part que les spécialistes les voient comme des personnes « qu’il faut comprendre et écouter ». Faut-il rejoindre alors le constat d’un responsable du secteur dont les propos étaient recueillis par le journal : « La relation entre le médecin et le patient a changé. Avant, on la définissait comme la rencontre d’une conscience et d’une confiance. Maintenant, c’est la rencontre de deux méfiances »1 . La valorisation de l’usager n’a pas pour finalité de conforter le consommateur abusif ni de déresponsabiliser le citoyen (le droit du malade n’est pas d’obtenir les examens qu’il souhaite...). C’est pourquoi l’émergence de l’usager implique qu’elle soit accompagnée aux plans politique et juridique, dans le cadre d’une démocratie qui s’empare des champs sanitaires et sociaux. C’est d’ailleurs ce que relève Didier Tabuteau dans son dernier ouvrage : « Je plaide pour que l’on organise le débat public, pour que l’on y travaille même si les échéances ne sont pas immédiates, afin qu’il y ait le moins possible d’inégalités. Si nous identifions collectivement les enjeux, si nous débattons des évolutions du système, ses acteurs professionnels de santé, établissements et mêmes industriels de la santé, seront influencés par la conscience collective qui se sera exprimée. » Ou encore, plus loin : « L’émergence des associations de malades et d’usagers du système de santé constitue sans doute un levier essentiel
1. S. Benz, « Comment serons-nous soignés demain ? Vivre et vieillir en bonne santé : ces exigences des Français, le monde médical ne pourra les satisfaire sans réformes radicales. Diagnostic », L’Expansion, 1er mars 2007.
11 • Une démocratie sanitaire menacée par le consumérisme pour donner à ce débat public toute sa portée1 . ».
et à 31 % sur l’information touchant aux autres solutions possibles.
Le fait d’être malade n’empêche plus d’affirmer sa qualité d’usager du système de santé et de faire valoir ses droits afférents, d’où le sens de la loi du 4 mars 2002 qui renforce les droits individuels des malades (information, accès au dossier médical, consentement aux soins), mais aussi leurs droits collectifs de représentation dans différentes instances. C’est aussi pour éviter une judiciarisation excessive du système de santé que ce même texte prévoit une procédure d’aide et d’indemnisation des victimes d’aléas thérapeutiques.
S’agissant des droits collectifs et, notamment, des conditions de représentation et de participation des usagers à différentes instances de santé, l’évolution récente marque des avancées et suscite des questionnements. Les associations d’usagers sont des acteurs à part entière des Conférences régionales de santé et des Conseils régionaux de santé, et peuvent ainsi peser sur la définition des priorités de santé. Dans chaque établissement de santé (public ou privé), une Commission des relations avec les usagers facilite les démarches de ces derniers et de leurs proches en simplifiant les interfaces avec les responsables administratifs et médicaux. Désormais, les malades et leurs porte-parole peuvent intervenir dans le fonctionnement des établissements en se montrant forces de propositions dans le domaine de la qualité de l’hébergement et des soins. Les associations d’usagers ont leurs représentants dans les conseils d’administration et peuvent même signer des conventions d’intervention (activité de soutien aux malades) avec le directeur d’établissement.
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Il est significatif de constater qu’au-delà du Code de déontologie médicale, la loi confère une obligation de qualité dans la dispensation des soins au travers du droit de recevoir les soins les plus appropriés, de bénéficier de thérapeutiques à l’efficacité reconnue et garantissant la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances avérées. Au-delà, le malade ne doit pas être exposé à des risques disproportionnés au regard du bénéfice escompté, et a droit à la prise en charge de la douleur. Tout au long du processus de soins, la loi n’a de cesse de confirmer la participation du malade à la démarche, dont il doit connaître le contenu, ainsi que le respect consécutif de sa volonté, au travers de son droit à l’autonomie qui peut l’amener à refuser les soins. Toutefois, une récente enquête du Collectif interassociatif sur la santé en Rhône-Alpes (CISSRA2 ) laisse apparaître que si les patients s’estiment pour la grande majorité (80 %) bien informés sur ce qui leur est prescrit (examens, traitements ou interventions), le taux de satisfaction tombe 49,3 % pour l’information sur les conséquences des traitements, à 41 % sur les risques encourus
Mais, alors que les associations de malades se sont d’abord émancipées de leur tutelle médicale pour porter les revendications spécifiques de leurs adhérents, elles développent aujourd’hui des stratégies plus consensuelles, axées sur la recherche de fonds destinés au soutien des maladies, l’implication dans la recherche et les essais thérapeutiques, en développant des réseaux de professionnels sanitaires et sociaux autour des malades. Leur ancienneté leur permet de jouer des rôles d’acteurs, voire de décideurs. Le caractère plus récent, mais aussi plus consumériste des associations d’usagers, les pousse à investir un maximum d’institutions pour faire valoir leur rôle de représentation des
1. D. Tabuteau, Les nouvelles frontières de la santé, Éd. Jacob-Duvernet, novembre 2006. 2. S. Montaron, « Les patients encore sous-informés par leurs médecins », Le Progrès, 6 mars 2007, d’après une enquête menée à l’automne 2006 par le CISSRA.
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE usagers. Ce rôle peut les autoriser à se porter partie civile en réparation d’un préjudice causé par une infraction pénale, tout autant qu’il s’agisse de l’intérêt collectif des usagers du système de santé.
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Cependant, la représentation de multiples associations dans les instances santé n’est pas sans poser quelques problèmes de représentativité, dans la mesure où certaines d’entre elles présentent un caractère sectaire difficilement compatible avec des missions d’intérêt général. Ces associations d’usagers de la santé gagneraient à s’organiser et à se fédérer, comme l’ont fait avant elles les associations familiales ou de parents d’enfants inadaptés. C’est ce qui a commencé à émerger avec la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades et les réformes de l’Assurance maladie qui ont permis une reconnaissance officielle des associations. Ainsi, vingt-cinq d’entre elles sont adhérentes au Collectif interassociatif sur la santé (CISS), organisme créé en 1996 pour instaurer un dialogue permanent avec les pouvoirs publics et défendre les intérêts des usagers du service de santé. Nous laisserons la conclusion à l’article L. 1111-1 du Code de santé publique qui dispose que « les droits reconnus aux usagers s’accompagnent des responsabilités de nature à garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose ». S’agit-il d’un garde-fou aux dérives consuméristes, ou d’un acte de foi vis-à-vis de nouveaux acteurs qui seront de plus en plus parties prenantes dans la gestion des politiques de santé ? Il s’agit, plus simplement, d’un rappel implicite du principe selon lequel il n’existe pas de droits sans devoirs. Ces derniers impliquent de ne jamais perdre de vue la finalité constitutionnelle du système : l’égal accès de tous à des soins de qualité.
Un patient émancipé La loi du 4 mars 2002 introduit un bon nombre de changements qui en font un pilier de la modernisation de notre système de santé, en particulier dans les relations nouvelles devant s’instaurer entre médecins et malades. Cette relation, ce nouveau contrat entre le soignant et le soigné, introduit une notion jusqu’alors peu mise en valeur, tant dans les textes que dans les pratiques : le choix du patient. Une fois n’est pas coutume, ce chapitre fera la part belle au texte original, car il indique aux professionnels la démarche, la règle, dans un domaine où les choses ne vont, hélas, pas d’elles-mêmes. En particulier, cette loi a considérablement renforcé les droits des personnes malades en ce qui concerne le libre choix de ces dernières en matière d’investigations, de thérapeutiques ou de tout acte médical en général. Dans son article L. 1111-2 elle rappelle que : « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser. Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel. La volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission ».
La délivrance de l’information apparaît comme l’élément fondamental susceptible de
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conditionner le choix du patient. Les mots « informer » ou « information » ne sont pas écrits moins de six fois dans les quelques lignes de cet article ! Le législateur enfonce le clou, bien décidé à en finir avec des pratiques d’un autre âge : savoir n’est pas une éventualité, à laquelle le malade aurait aléatoirement recours, non, c’est un droit. Et ce droit, tout patient peut en bénéficier, tout professionnel doit s’y soumettre. La loi va même plus loin, associant le mineur lorsqu’il est malade, au droit à une information adaptée à son développement, avec certaines barrières : « Cependant les droits des mineurs ou des majeurs sous tutelle mentionnés au présent article sont exercés, selon les cas, par les titulaires de l’autorité parentale ou par le tuteur. Les intéressés ont le droit de recevoir euxmêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d’une manière adaptée soit à leur degré de maturité s’agissant des mineurs, soit à leurs facultés de discernement s’agissant des majeurs sous tutelle [...]. Le médecin peut se dispenser d’obtenir le consentement du ou des titulaires de l’autorité parentale sur les décisions médicales à prendre lorsque le traitement ou l’intervention s’impose pour sauvegarder la santé d’une personne mineure, dans le cas où cette dernière s’oppose expressément à la consultation du ou des titulaires de l’autorité parentale afin de garder le secret sur son état de santé. Toutefois le médecin doit dans un premier temps s’efforcer d’obtenir le consentement du mineur à cette consultation. Dans le cas où le mineur maintient son opposition, le médecin peut mettre en œuvre le traitement ou l’intervention. Dans ce cas, le mineur se fait accompagner d’une personne majeure de son choix »...
Cette information est tellement importante, tellement au centre des préoccupations, que le mode sur lequel elle est délivrée fait désormais partie intégrante de la pratique médicale : « Des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de l’information sont établies par la Haute Autorité de santé et homologuées par arrêté du ministre chargé de la santé ».
Le médecin ne décide plus désormais pour son patient, mais avec lui, et c’est ce dernier qui doit pouvoir avoir le dernier mot : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ».
La personne de confiance se substitue ainsi au malade et est chargée d’exprimer sa volonté, lorsque l’état de celui-ci ne permet plus de communiquer. Même dans cette situation extrême, les professionnels de santé doivent rechercher un assentiment de la personne pour pratiquer des examens ou mettre en œuvre une thérapeutique : « Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance (prévue à l’article L. 1111-6), ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté. Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. Dans le cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables ». « Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consultée au cas ou elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable à tout
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE moment. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions. Lors de toute hospitalisation dans un établissement de santé, il est proposé au malade de désigner une personne de confiance dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Cette désignation est valable pour la durée de l’hospitalisation, à moins que le malade n’en dispose autrement ».
Le respect relativement nouveau du malade et de sa volonté se traduit aussi par le souhait de comportements adaptés, de la part des étudiants. Si l’enseignement médical ne peut se faire « qu’au lit du malade », il nécessite une collaboration pleine et entière de celui qui consent à servir de terrain d’apprentissage : « L’examen d’une personne malade dans le cadre d’un enseignement clinique requiert
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son consentement préalable. Les étudiants qui reçoivent cet enseignement doivent être au préalable informés de la nécessité de respecter les droits des malades énoncés au présent titre ».
On peut se demander pourquoi l’ensemble de ces dispositions ne figure pas tout simplement parmi de nouveaux articles du Code de déontologie. C’est parce que, sans doute, même si ce dernier a force de loi (il fait l’objet d’un arrêté du Premier ministre), son intitulé renvoie à la morale, au comportement, aux devoirs du médecin envers son malade. Il s’agit donc d’un document à l’usage exclusif du professionnel. La loi qui vient d’être commentée concerne tous les citoyens. Elle renferme les règles professionnelles subséquentes à son énoncé, mais s’adresse, d’abord, au patient, au demandeur de soins pour que ce dernier jouisse pleinement de ses droits.
2. UNE CRISE DES ACTEURS, REFLET D’UNE CRISE DES VALEURS L’État et l’Assurance maladie s’affrontent sur la gouvernance, le patient s’émancipe et conteste le pouvoir médical, les Français veulent les meilleurs soins sans cotiser davantage, tandis que les médecins voudraient continuer à gagner plus pour travailler moins. Tout le monde reste cependant « attaché » à cette chère Sécu...
La fin de la démocratie sociale et du paritarisme Les maux sont souvent révélés par l’utilisation abusive des mots. Il en est ainsi du mot démocratie appliqué au système de santé. C’est précisément parce que ce système apparaît de plus en plus opaque et bureaucratique aux citoyens que ceux-ci souhaitent que soient mieux précisés leurs droits d’usagers. C’est parce que les enjeux politiques, économiques et financiers du budget social de la nation (supérieur au budget de l’État...) intéressent
l’ensemble du corps social que le Parlement demande à être mieux éclairé et plus impliqué dans l’élaboration des politiques sanitaires et sociales. C’est, enfin, parce que le paritarisme apparaît trop étroit dans son mode actuel de définition de la participation des acteurs à la gestion des institutions, que ceux-ci revendiquent des modalités plus larges tant en ce qui concerne les représentations que les champs couverts. Ainsi apparaît un besoin salutaire de démocratie qui doit être nécessairement pris en considération dans les nouvelles formes de gou-
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
11 • Une démocratie sanitaire menacée par le consumérisme vernance de l’Assurance maladie et du système de santé. Aussi, c’est moins le caractère abusif (parfois) du mot démocratie qui nous intéresse que son aspect allusif : impliquer davantage les acteurs peut participer d’un processus de responsabilisation indispensable qui ne peut cependant fonctionner que s’il est outillé et pas simplement décrété. Le cheminement chaotique jusqu’à nos jours de la démocratie sociale et l’émergence récente du concept de démocratie sanitaire apportent des éclairages utiles. En 1946, il s’agissait pour les fondateurs de la Sécurité sociale, dont Pierre Laroque, d’en confier la gestion aux bénéficiaires, en l’occurrence les travailleurs, s’inscrivant ainsi dans la continuité de la tradition mutualiste avec toutefois l’ambition de développer une démocratie sociale qui se déclinerait de manière autonome en dehors de l’État, contribuant néanmoins à enrichir la démocratie politique. L’objectif était que le monde du travail prenne en charge « sa » sécurité sociale via des institutions où les représentants des salariés étaient au départ majoritaires (deux tiers contre un tiers) face aux représentants des employeurs, cette majorité étant de nature à pérenniser les mécanismes professionnels de solidarité collective. Cette ambition s’est vite révélée comme étant un leurre : la fin des élections et l’arrivée d’une gestion paritaire ont permis au patronat de prendre le pouvoir dans les conseils d’administration des organismes sociaux du fait des stratégies d’alliance mises en place. Ensuite, ce sont les conseils eux-mêmes qui ont vu leur champ d’action se restreindre tandis que celui de l’État augmentait. La légitimité de l’État à fixer la nature et le montant des dépenses et des recettes n’a d’ailleurs jamais été remise en cause. Le basculement d’une approche professionnelle de la sécurité sociale vers une approche uni-
verselle a rendu obsolète tout retour vers une gestion strictement paritaire et tout recul du rôle de l’État. Ainsi, la démocratie sociale est morte avant d’avoir vécu. L’universalité du système qui repose aujourd’hui sur les besoins sociaux, dont celui de la santé, et non plus sur les capacités contributives des bénéficiaires, plaide pour un financement majoritairement fiscal et pour une implication plus forte du Parlement dans les choix politiques, d’où le sens des réformes mises en place depuis 1996. Inversement, toute remise en cause du principe d’universalité et d’égalité dans l’accès aux soins pourrait favoriser un désengagement de l’État et une privatisation progressive du système. Nous pensons cependant qu’il existe une voie médiane où la démocratie pourrait s’enrichir de processus démocratiques impliquant davantage les corps intermédiaires. Ainsi, selon Nicole Notat1 « la notion de démocratie sociale se caractérise par la présence de corps intermédiaires entre l’État et les citoyens, lesquels assurent la liaison entre l’État et le marché, entre le marché et l’économie ». Les corps intermédiaires comprennent les partenaires sociaux actuels mais peuvent aussi s’enrichir de nouveaux acteurs directement concernés par les champs de gestion incriminés et tout autant qu’aient été clarifiés les domaines de compétences respectifs de l’État et des partenaires sociaux élargis. La « crise » des corps intermédiaires est souvent mentionnée, faisant référence pêle-mêle à l’insuffisance de leur représentativité, à la dominante oppositionnelle qui l’emporte souvent sur la tendance cogestionnaire, aux excès corporatistes... autant de griefs souvent fondés. L’existence de multiples institutions sociales, toutes plus ou moins héritées de la reconstruction sociale de l’après-guerre, pourrait laisser croire qu’elles disposent de l’autonomie
1. Assemblée nationale, Rapport d’information sur la démocratie sociale, n◦ 2323, avril 2000.
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE contractuelle adaptée à leur mission. Le plus souvent, il n’en est rien malgré un pseudooutillage de contrats qui ne sauraient masquer l’omnipotence du poids du règlement. Aujourd’hui, la faiblesse des corps intermédiaires explique celle de toutes les formes de démocratie sociale. C’est d’ailleurs parce qu’ils sont conscients de cette faiblesse que ce sont les corps intermédiaires eux-mêmes qui paradoxalement en appellent au règlement et à la loi. Si la démocratie sociale relève plus aujourd’hui du slogan que d’une volonté partagée des acteurs sociaux, qu’en est-il de la démocratie sanitaire ?
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À l’inverse de la démocratie sociale, le concept de démocratie sanitaire est émergent et s’appuie d’abord sur les droits des usagers et des malades, codifiés dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. L’objectif a d’abord été d’affirmer les droits fondamentaux de la personne face à un pouvoir médical excessif et conforté par le mythe du secret. Il s’est agi aussi de lâcher du lest face à la pression consumériste... La volonté de rééquilibrer la relation médecin/patient afin de faire de celui-ci le coproducteur de son traitement est à la fois légitime et dangereuse dans ses dérives consuméristes et ne doit pas aboutir à transformer la confiance en défiance. La participation conjointe des usagers, des professionnels et des élus à la mise en œuvre de politiques de santé autorise maintenant à parler d’émergence d’une démocratie sanitaire. Les débats qui alimentent les conférences régionales de santé autour des priorités en santé publique, en sont une illustration positive, au même titre que la présence d’associations d’usagers dans les conseils des caisses d’assurance maladie. Autant les lois de réforme de 2004 entérinent la volonté des usagers de participer à la régulation du système, autant elles enterrent ou presque la démocratie sociale issue de 1945
s’agissant du système de santé en général et de l’Assurance maladie en particulier. Qu’il s’agisse des Groupements régionaux de santé publique, des conseils d’administration hospitaliers ou des conseils des caisses d’Assurance maladie, les partenaires sociaux ont perdu une grande partie de leurs pouvoirs. Tout se passe comme si l’urgence des réformes, confortée par des déficits récurrents, obligeait l’État à se saisir de tous les leviers de décision sans consentir, si ce n’est avec parcimonie, à les déléguer. On mesure bien les avantages et les inconvénients d’un tel processus : du côté des points positifs, une implication plus forte du Parlement et plus d’homogénéité dans la régulation du système par un meilleur contrôle des « exécutifs », y compris déconcentrés. Du côté des points négatifs, un déficit démocratique dans l’implication des acteurs sociaux, des perspectives de co-gestion qui s’éloignent, la transformation de problématiques politiques en problèmes techniques, d’où les risques d’incompréhension, voire de rejet des réformes.
Des valeurs mouvantes et contradictoires Les systèmes de santé et de protection sociale sont le produit de l’histoire politique, économique et sociale qui évolue au gré de valeurs mouvantes et contradictoires. Les mutations du monde s’accélèrent mais heureusement les cultures, qui ne sont pas des objets ni des marchandises, évoluent plus lentement. Ce n’est pas parce que la majorité des hommes dispose d’un téléphone portable que le monde appartient au même village dont le terme même renvoie à une communauté d’intérêt et de culture. Le libre-échange favorise le commerce des marchandises et sans doute aussi le lien entre les hommes et la porosité des valeurs et des cultures. Mais si nous sommes obligés de bouger avec le monde, nous n’en sommes pas moins en quête permanente d’iden-
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
11 • Une démocratie sanitaire menacée par le consumérisme tité, de racines et de valeurs. Aujourd’hui, les pays économiquement émergeants aspirent à la consommation et à un mode de vie décent. La conscience de consommateur potentiel l’emporte sur la conscience sociale mais pour combien de temps ? Alors que les organisations internationales, dont l’Organisation internationale du travail (OIT), tentent de promouvoir le concept de « travail décent » (autrement dit, comment construire et compléter les droits sociaux dans les pays où précisément la compétitivité économique s’explique par leur absence ou insuffisance !), les populations des pays riches sont toujours en quête d’une protection renforcée de leur santé ! Voici 40 ans déjà que le philosophe Herbert Marcuse prédisait l’avènement de l’« Homme unidimensionnel »1 , celui qui consomme et qui pense de la même manière, dans une société mondiale de consommation uniformisée. Depuis, un monde unipolaire dominé par les États-Unis véhicule le discours libéral du marché. La « Vieille Europe » est partagée entre le discours entrepreneurial anglo-saxon, qui voue au marché un culte sans partage et qui souhaite le libérer du joug de la puissance publique, et le champ d’influence franco-allemand qui valorise encore un modèle social ainsi qu’un certain rôle de régulation par l’État. Un certain consensus existe néanmoins en Europe sur la conjonction d’un État régalien qui n’est plus tout à fait l’État providence, d’un marché considéré comme le meilleur opérateur de création et d’échange de richesses, d’un système de protection sociale, enfin, pour en compenser les insuffisances de redistribution et pour garantir les citoyens contre les principaux risques sociaux. Le débat sur la santé est tout aussi « politique » que n’importe quel autre et ses enjeux sont traversés par différentes idéologies qui se
rattachent ici au discours libéral, là au discours social, parfois aux deux. Le sujet éthique est aussi très présent et peut transcender les frontières politiques, comme on l’a vu à propos des lois de bioéthique. Néanmoins, au-delà du politique, les sociétés véhiculent des valeurs qui fondent l’opinion. Parfois, ce sont des nuages de valeurs qui nous viennent de l’Atlantique ou d’ailleurs, qui passent ou qui s’installent, tels de gros cumulus qui font la pluie ou le beau temps. Les hommes politiques et les décideurs, y sont attentifs, interrogeant l’opinion, via des instituts spécialisés. Au même titre que le chef d’entreprise cherche à mesurer et à connaître le climat social de son entreprise, les institutions publiques ou privées essaient de mieux connaître les attentes des acteurs ou des consommateurs. Elles pratiquent également des veilles comportementales ou techniques comparatives, dites de « benchmarking », pour analyser les stratégies, les performances, les intentions des concurrents ou des partenaires, afin de mieux anticiper. Les acteurs pratiquent également des actions de lobbying, en particulier à l’égard des décideurs politiques français et européens. Ainsi, les acteurs de la santé se retrouvent dans des champs d’influence, voire des cercles politiques, professionnels, corporatistes, associatifs ou tout simplement de voisinage et de proximité. Néanmoins, connaître le déplacement des champs de valeur est plus difficile qu’il n’y paraît, sans parler des surprises que les études d’opinion peuvent révéler. Nous en avons relevé quelques-unes de nature à infléchir les enjeux et les réformes du système de santé : • l’hostilité des conseils régionaux à toute
décentralisation politique de la santé ;
1. H. Marcuse, L’homme unidimensionnel, Éd. de Minuit, 1968.
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE • le désir des médecins de travailler moins, de
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ne plus travailler le week-end, d’où une activité plus ramassée et plus intense la semaine (tous sexes confondus) ; des critères d’installation qui privilégient les motifs d’environnement familial et médical à ceux axés sur la rentabilité économique ; la décote de la visite chez les médecins ; la consumérisation de la santé qui participe de l’identité au même titre que les autres biens de consommation, mais aussi du pouvoir de séduire ; le rejet, par une grande partie du corps médical, du « contrat sociétal », et la fuite vers la libéralisation de la santé ; l’attachement croissant des Français à une Assurance maladie universelle, obligatoire et publique (enquête DREES1 ).
Régulièrement, les enquêtes d’opinion confirment le réel attachement des Français à leur système d’Assurance maladie2 (ils y sont attachés pour 81 % en 2005 contre 73 % en 2000). Ils acceptent l’idée que certaines mesures sont nécessaires pour faire des économies mais ils sont peu enclins à une augmentation des cotisations. Le monde de la santé n’échappe pas aux mutations de valeurs qui engendrent des pertes de repères et d’identité chez les acteurs. Au demeurant, le système de santé français et les valeurs qui le portent font des envieux tant du côté des pays émergeants que du côté des pays riches. Ainsi, Victor G. Rodwin analyse3 : « (En France,) chez vous, quand on parle de réforme, c’est pour préserver la combinaison d’une assurance maladie universelle et d’une médecine libérale. Tout le monde est couvert.
Il y a un secteur public et un secteur privé. L’architecture du système est assez bonne. Le problème, c’est comment mieux le gérer pour assurer une meilleure qualité des soins et une meilleure intégration des services entre les hôpitaux, les cliniques et la médecine de ville... (Aux États-Unis,) quand nous parlons de réformer le système de santé, c’est parce que le nombre de personnes n’ayant pas d’assurance maladie ne cesse de croître, et la qualité des soins est très inégale. Il n’y a pas un système obligatoire qui couvre toute la population. On n’est pas automatiquement couvert : cela, c’est inconcevable pour un Français. Mais c’est la logique d’un système organisé autour d’une industrie d’assurances privées, financées sur la base de primes actuarielles. »
Professions médicales : une crise identitaire La crise des professions médicales s’explique-t-elle par l’insuffisance de leurs revenus ? S’il est vrai que les médecins français gagnent moins leur vie que leurs confrères d’Amérique du Nord, l’échelle de leurs revenus, il est vrai très diversifiée, ne les désavantage pas par rapport à des cadres disposant d’un niveau élevé d’expertise et occupant des fonctions à haute responsabilité. S’il est vrai que les revenus n’expliquent pas tout, ils peuvent cristalliser des mécontentements divers relatifs à l’identité, à la reconnaissance d’une profession, aux conditions de travail. Les revenus nets des médecins libéraux se calculent à partir des honoraires perçus, desquels se déduisent les charges professionnelles propres à leur activité. Les charges des méde-
1. DREES, L’évolution des opinions des Français par rapport aux enjeux sociaux et à la protection sociale entre 2000 et 2006, septembre 2006. 2. DREES, Id. 3. V. G. Rodwin, «Vices et vertus du système de santé américain », propos recueillis par C. Lesnes, Le Monde, 20 mai 2007.
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11 • Une démocratie sanitaire menacée par le consumérisme cins sont composées essentiellement des frais de personnel, des loyers, des travaux, fournitures et services extérieurs, des frais de gestion, des frais de déplacement et des impôts et taxes sur l’activité. Les cotisations sociales sont majoritairement prises en charge par l’Assurance maladie, sauf pour le secteur 2 (honoraires libres). En 2004, à taux de charges inchangé, les médecins ont perçu en moyenne 81 600 euros de revenu libéral net de charges (63 700 euros en moyenne pour un omnipraticien et 102 300 en moyenne pour un spécialiste). Les anesthésistes et les chirurgiens cumulent honoraires élevés et taux de charges faibles, d’où des revenus moyens allant de 115 520 euros à 150 177 euros. Enfin, les radiologues disposent d’honoraires, de revenus et de charges de niveau très élevé (309 682 euros d’honoraires, 57,9 % de taux de charges et 196 126 euros de revenu moyen). La dispersion des charges et des revenus nets au sein de chaque spécialité reflète les modalités d’exercice et les caractéristiques des médecins. Une analyse sur le long terme de l’évolution du pouvoir d’achat des médecins depuis 1980 et jusqu’en 2000, réalisée par Philippe Ulmann1 (soit avant les revalorisations d’honoraires), faisait déjà apparaître des évolutions significatives de l’indice 100 en 1980, le revenu imposable des généralistes passe à l’indice 121 en 2000, celui des spécialistes de ville à l’indice 139, tandis que celui des hospitaliers atteint 165. Ainsi que l’indique P. Ulmann, « Durant la décennie 1990, les effectifs n’ayant augmenté que faiblement en rythme annuel, la progression des revenus s’explique surtout par la revalorisation des honoraires des généralistes
et par la hausse de l’activité et des dépassements des spécialistes. [...] En conclusion, on peut donc avancer que les revendications des médecins libéraux n’étaient pas économiquement justifiées. Ils ne sont pas les oubliés de la croissance, sauf exception ». Quant aux médecins hospitaliers, leur pouvoir d’achat « a très fortement progressé depuis dix ans, à l’inverse des années 1980. Les nombreuses et substantielles revalorisations de leur grille de salaires leur ont donc permis de repasser, depuis dix ans, devant pratiquement tous les autres fonctionnaires de rang A et les cadres de PME ». Dans un rapport annuel 2007, la Cour des comptes dénonce2 « une connaissance approximative des revenus des médecins » liée à une sous-estimation des recettes libérales ressortant du dispositif statistique de la CNAMTS qui « minore d’au moins un quart les recettes totales des médecins, en ne tenant pas compte des revenus de ceux qui ont une activité salariée, de divers honoraires non inclus dans le SNIR (1,11 milliard) et de la prise en charge partielle par les caisses des cotisations sociales des médecins du secteur 1 (1,15 milliard par an). » Début 2007, un rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) relevait qu’en 14 ans, le revenu des médecins spécialistes a progressé trois fois plus vite que celui des salariés, et celui des généralistes deux fois et demi plus vite. Il souligne notamment que « depuis 1990, les revenus des spécialistes ont bondi de 25 % (déduction faite de l’inflation) tandis que les revenus salariaux, de leur côté, progressaient de... 8 % ». Si on compare cette évolution de pouvoir d’achat des médecins avec celle du pouvoir d’achat des salariés du privé (passage de l’indice 100 en 1980 à l’indice 115 en 2000) et avec celle du pou-
1. P. Ulmann, La crise des professions de santé a-t-elle une origine économique ?, dans La crise des professions de santé, Dunod, 2003. 2. Cour des comptes, Rapport annuel 2007, septembre 2007.
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE
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voir d’achat des agents de l’État (indice 114 en 2000), il est aisé de conclure (d’autant que les augmentations d’honoraires ont continué de courir depuis) que le malaise des médecins n’est pas lié à des motifs économiques, mais plutôt à leurs conditions d’exercice ainsi qu’à une crise de reconnaissance affectant l’ensemble des élites, qui travaillent beaucoup, dans une société qui valorise davantage le loisir. Mi-2007, le HCAAM amende sa position du début d’année en insistant sur le lien entre conditions d’exercice et de revenus, en particulier pour les généralistes : « La médecine générale est perçue comme une profession dont l’exercice est très contraignant : bien que de réelles améliorations aient été apportées par l’organisation de la permanence des soins, les gardes et astreintes, les visites, même en diminution (environ 14 % du nombre total des actes des généralistes) et les horaires de travail (80 % de l’ensemble des généralistes libéraux actifs travaillent le samedi matin et près de 30 % le dimanche) sont vécus comme de fortes contraintes. » Le HCAAM souligne la difficulté
1. L’Expansion du 3 au 9 octobre 2003.
d’intégrer tous les éléments de la carrière, avec des âges d’installation très élevés (33 ans) et des profils de carrière très spécifiques. « Le revenu courant des médecins ne peut être compris – et a fortiori comparé à celui d’autres professions – que si on prend en compte trois éléments majeurs indissociables du genre et du niveau de vie : la durée annuelle du travail ; le profil de carrière ; les revenus de remplacement, et notamment la retraite (pour quarante ans d’activité, un médecin perçoit une retraite durant vingt ans) ». Pour notre part, nous rejoignons les propos tenus en leur temps par Jean-François Mattéi au magazine l’Expansion1 « les médecins vivent plus une crise morale qu’une crise matérielle. Ils étaient des notables et ne le sont plus. Ils n’exercent plus à proprement parler un métier libéral mais évoluent au sein du budget social payé par la nation. Ils doivent comprendre qu’ils vont devoir changer leur regard sur leur métier et leur mode d’exercice mais ce sera long ».
Chapitre 12 Les médecins libéraux et leur contrat de société
PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE
PLAN DU CHAPITRE
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1. Universalité de la prise en charge des soins et objectifs de maîtrise des dépenses Contribuer à l’universalité de la prise en charge des soins D’une maîtrise comptable et aveugle vers une maîtrise médicalisée et éclairée Éloge de la médicalisation ou éloge de la fuite ?
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2. Le pacte conventionnel 1971-2004 : une convention médicale à bout de souffle 2004 : relégitimer l’outil conventionnel La convention médicale est-elle un contrat dirigiste ?
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12 • Les médecins libéraux et leur contrat de société
1. UNIVERSALITÉ DE LA PRISE EN CHARGE DES SOINS ET OBJECTIFS DE MAÎTRISE DES DÉPENSES L’originalité de l’Assurance maladie française est qu’elle repose sur la coexistence d’une offre libérale de soins avec une prise en charge socialisée des dépenses, d’où deux gouvernances de santé : celle de l’État qui couvre le champ de la santé publique et de l’organisation des soins, et celle de l’Assurance maladie, sous délégation pour les soins de ville, avec un outil afférent, la convention médicale. Mais jusqu’où doit aller l’implication des médecins ? La déontologie médicale valide déjà la notion des meilleurs soins aux meilleurs coûts. Que peut-on attendre de plus de la maîtrise des dépenses ?
Contribuer à l’universalité de la prise en charge des soins
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Personne ne songe à limiter M. Dupont dans ses dépenses de nourriture ou d’habillement, pourquoi alors le limiter dans ses dépenses de santé si elles résultent de son libre choix et si elles se situent hors champ de l’assurance maladie obligatoire ? D’ailleurs, pourquoi « obligatoire » alors que chacun pourrait s’assurer selon les risques librement choisis, consommer librement des biens de santé rémunérés et pris en charge aux conditions du marché. Il resterait alors à l’État à assister les plus démunis en prenant en charge leurs dépenses... Ce raisonnement que l’on entend souvent, tant de la part des patients (plutôt bien portants sur le plan de leur santé physique et économique...) que de la part de praticiens (qui rêvent des honoraires libres...), méconnaît les finalités du système : • une assurance maladie obligatoire et soli-
daire appelle un partage des valeurs, une assiette de financement large et un service médical rendu efficient ; • seule une minorité de la population peut assurer les frais afférents aux pathologies lourdes, aux maladies infectieuses, à l’utilisation du plateau technique hospitalier, aux accidents graves de la route ;
• les postes de dépenses les plus lourds atta-
chés aux aléas de la santé ne peuvent faire l’objet de prévisions individuelles ; • choisir ses dépenses de santé, prévoir ses propres risques et s’assurer en conséquence, constitue un leurre. Non, les dépenses de santé ne sont pas des dépenses comme les autres et c’est précisément parce qu’elles ont une dynamique structurelle propre qu’on ne peut en limiter le champ à une assurance maladie dont le périmètre ne couvrirait qu’un nombre limité de bénéficiaires et de prestations remboursables. La finalité de la maîtrise est de préserver l’universalité de la prise en charge. L’absence de maîtrise entraîne un désengagement de l’Assurance maladie qui ne parvient plus à financer des évolutions de dépenses non gagées par des recettes, d’où un déficit structurel.
Autrement dit, notre système de sécurité sociale, et en particulier le système d’assurance maladie qui repose sur la coexistence d’une offre libérale de prestations et d’une prise en charge socialisée des dépenses, ne pourra être pérennisé que si un système de maîtrise des dépenses en garantit les finalités d’intérêt général. Voici plus de trente ans que les gouvernements prennent des mesures pour contenir l’évolution des dépenses, à défaut d’obtenir
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE
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l’équilibre financier. Qu’il s’agisse de réguler l’offre (numerus clausus...), de rationner l’évolution des coûts (budget global, objectifs quantifiés nationaux, dispositifs de reversement...), de modérer la demande (ticket modérateur, forfait hospitalier...), de responsabiliser le patient (parcours de soins coordonné, participation forfaitaire) ou le médecin (références médicales opposables, contrats de bonnes pratiques...), le but est toujours le même : maîtriser la dépense, le moins aveuglément possible, pour préserver l’égalité d’accès aux soins et le droit à la protection de la santé. Certes, les décisions qui ont été prises ont été plus ou moins efficaces (le ticket peu modérateur...), plus ou moins efficientes (les retards dans la revalorisation d’honoraires conduisent à des accroissements en volumes d’actes), plus ou moins pertinentes (absences de contrôles ou de sanctions), plus ou moins outillées (les remboursements aveugles...), plus ou moins opportunes (des reversements collectifs pour sanctionner des comportements individuels) mais elles ont permis de clarifier les enjeux, d’éviter de trop grands dérapages, de contribuer à la pérennité du service public de l’Assurance maladie. En cela, elles sont préférables à une maîtrise des dépenses qui résulterait par défaut de la seule régulation du marché ou de la libre contractualisation entre l’individu assuré et l’assureur privé. Les professionnels de santé eux-mêmes n’ont aucun intérêt à se retrouver dépendants des acheteurs de soins au risque d’y perdre une partie de leur âme et de leurs revenus.
D’une maîtrise comptable et aveugle vers une maîtrise médicalisée et éclairée Existe-t-il des modalités de maîtrise permettant de concilier les enjeux économiques et sociaux ? À cet égard s’opposent une maîtrise « comptable » privilégiant une maîtrise
des coûts d’abord basée sur des taux d’évolution quantifiés, en tirant, le cas échéant, les conséquences des dépassements sous forme de reversements ou de réajustements tarifaires et une maîtrise « médicalisée », plus vertueuse, parce qu’agissant sur des pratiques fondées sur des référentiels qualité permettant alors de mieux soigner à moindre coût. La maîtrise comptable peut permettre d’atteindre des objectifs quantifiés mais elle demeure impopulaire parce qu’aveugle et déresponsabilisante : on ne distingue pas assez les comportements vertueux, des autres. La maîtrise médicalisée, parce qu’elle repose sur une démarche qualité, peut être mieux reçue à condition toutefois de disposer de suffisamment de référentiels et d’outils de suivi des actes et trajectoires médicaux. L’instauration d’une maîtrise médicalisée s’est heurtée à trois obstacles essentiels : • Un système d’information aveugle : le
codage des actes n’a été voté qu’en 1993 par le Parlement, celui des pathologies est toujours en chantier, les référentiels médicaux (ONDAM médicalisé...) commencent à émerger ; • L’intérêt d’un grand nombre de partenaires à ce que le système d’information de l’Assurance maladie demeure aveugle : il est rassurant de ne rien voir lorsqu’on ne souhaite pas comprendre, sauf à considérer que comprendre est dangereux ou inutile tant que le financement public peut suivre. Autant les acteurs libéraux ont pu bénéficier d’un tel système qui a servi leurs intérêts, autant on imagine mal des acteurs du marché s’en accommoder si le système était géré à l’intérieur du seul marché ! • L’absence d’implication des professionnels de santé dans les mécanismes de régulation du système : s’il est légitime qu’ils rejettent des mécanismes de régulation construits sans eux, il apparaît paradoxal parfois qu’ils ne revendiquent pas davantage une parti-
12 • Les médecins libéraux et leur contrat de société
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
cipation plus forte à la construction des démarches de bonne pratique... L’Assurance maladie développe depuis plusieurs années, dans le cadre ou hors du champ conventionnel, des programmes d’amélioration de la qualité des soins (diabète, hypertension artérielle, Alzheimer, kinésithérapie, hormones de croissance...). Elle s’efforce de plus en plus de les intégrer dans le champ de la maîtrise médicalisée conventionnelle et a obtenu des résultats avérés dans la réduction du nombre de visites inutiles, dans l’accroissement des prescriptions de médicaments génériques, dans l’amélioration de la prise en charge des excès de cholestérol, du bon usage des antibiotiques, pour ne citer que quelques exemples. Les résultats seraient cependant meilleurs si l’adhésion des professionnels était plus volontaire, si les référentiels étaient plus opposables et si les accords d’amélioration des pratiques professionnelles n’étaient pas systématiquement liés, pour ne pas dire subordonnés, aux revalorisations tarifaires. Les dispositifs de maîtrise fondés sur la qualité visent à rationaliser la dépense et à rendre le système de santé plus efficient. La performance du système s’apprécie autant à sa capacité de garantir l’égalité d’accès aux soins qu’à celle de maintenir ou de développer des indicateurs de santé de haut niveau sur les plans préventif et curatif. Cependant, les dispositifs de maîtrise ne peuvent éviter les mécanismes de rationnement économique qui interviennent nécessairement pour équilibrer ressources et charges, recettes et dépenses ou pour arbitrer des choix sociétaux. Les dépenses de santé ont une dynamique structurelle propre qui les conduit à évoluer plus vite que le produit intérieur brut. Quelle que soit la maîtrise mise en place, elle n’occultera pas la nécessité de choix politiques positionnant la nature et le niveau de financement de la prise en charge publique, qu’il s’agisse des prélèvements obligatoires ou qu’il
s’agisse du panier de biens et services de santé remboursables.
Éloge de la médicalisation ou éloge de la fuite ? Médicalisation est aujourd’hui le terme privilégié pour désigner toute approche visant à améliorer la productivité du système de santé et reposant sur un processus qualité. Cependant, dans l’esprit de ses promoteurs, cette approche se substitue parfois aux démarches économiques de rationnement de l’offre de soins et de leur prise en charge. Autant nous souscrivons volontiers à l’appropriation des outils qualité par les professionnels, autant ceux-ci s’avèrent insuffisants pour peser sur l’évolution structurelle des dépenses. Le rapport sur la médicalisation de l’ONDAM a eu le mérite de distinguer, s’agissant des facteurs d’évolution des dépenses de santé, les déterminants structurels impossibles à corriger et ceux sur lesquels on peut envisager des actions correctrices basées essentiellement sur la responsabilisation des acteurs et l’optimisation du service médical rendu. L’intérêt serait alors, pour le Parlement, de ne rendre opposables aux gestionnaires que les seules dépenses optimisables par la qualité, tandis que les autres relèveraient de choix politico-économiques en fonction des ressources que la collectivité souhaite affecter à la prise en charge collective. Quoi qu’il en soit, la médicalisation ne résout pas tout et puisse sa réhabilitation ne pas être perçue comme un éloge de la fuite par des acteurs refusant la réalité ! « Médicalisation » fait aujourd’hui partie des mots à la mode, dont la connotation positive autorise tous les emplois mais favorise aussi de nombreux contresens. Le mot a cependant connu des temps moins glorieux, qu’il s’agisse de la référence aux sociétés totalitaires où la médicalisation était un moyen de conserver sous contrôle les marginaux ou les individus
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE politiquement incorrects ou qu’il s’agisse, plus récemment, de la médicalisation de la société où le « tout médical » résultait à la fois de la vulgarisation de la médecine, de la médiatisation des patrons médicaux, de la pression de l’industrie pharmaceutique proposant des remèdes pour tous les mal-être de la société, d’une information santé favorisée par le consumérisme et rendue de plus en plus accessible auprès du public. De surcroît, le progrès médical était tel qu’il laissait à penser que la médecine allait triompher de tout, y compris de la maladie.
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Le triomphalisme s’est progressivement éteint au fur et à mesure que des défaillances sont apparues dans la santé publique (sang contaminé, maladies nosocomiales...), la lutte contre les infections virales (sida, pneumopathologie...), que l’industrie pharmaceutique s’est trouvée en panne d’innovation, incapable de sortir de nouvelles molécules réellement innovantes. Le monde de la santé a révélé à l’opinion ses cloisonnements, ses conflits internes, ses enjeux à la faveur d’une transparence médiatique qui ne lui a pas toujours été favorable, d’où une crise de confiance émergente dans l’opinion. Par ailleurs, tout le monde sait que les progrès de l’espérance de vie sont liés à des facteurs précis qui commencent à dater : l’amélioration des conditions d’hygiène et de logement et la découverte de quelques médicaments innovants tels que les antibiotiques. Aujourd’hui, la productivité du système de santé stagne, exige des investissements plus importants pour des résultats moindres alors même que les ressources budgétaires s’épuisent. Ce qui est en cause aujourd’hui, c’est l’économie du système ou autrement dit sa productivité. La France connaît plutôt actuellement une surmédicalisation qui nuit à la productivité du système : la médecine générale est trop sollicitée (multiplication d’actes inutiles) et mal sollicitée (de nombreux actes pourraient être
délégués à des auxiliaires). L’offre de soins n’est ni partagée et ni coordonnée. La surmédicalisation concerne aussi les problèmes sociaux où toute situation de détresse aboutit souvent à une consultation médicale ou paramédicale. La surmédicalisation ne résulte pas d’une démographie médicale plutôt à la baisse mais du caractère inadapté des structures et pratiques médicales qui s’apparentent souvent à des machines à facturer des prestations plus ou moins utiles à un payeur plus ou moins aveugle. De leur côté, les patients ne mesurent plus le prix de ce qui est quasi gratuit parce que les prestations et leur coût sont la plupart du temps rendus opaques par les modalités de prise en charge, dont le tiers payant. Du côté des professionnels, la vertu de la médicalisation consiste au moins à solliciter leurs compétences et il leur est plus facile d’appliquer un référentiel technique concernant leur pratique que d’apprécier un profil économique d’activités. Les médecins continuent aujourd’hui de pratiquer des actes inutiles et dangereux, tandis que s’accumulent les actes redondants dans les différentes structures (combien de fois sont recommencés les examens de laboratoire ?). Les Français continuent de mourir de l’asthme et d’être hospitalisés pour des maladies iatrogènes à défaut de traitements adaptés en amont. Les résultats des traitements chirurgicaux sont hétérogènes suivant les régions et les établissements. L’implication des médecins dans la formation continue et l’évolution de pratiques professionnelles demeure insuffisante. Cette non-qualité justifierait davantage les démarches de médicalisation si elles étaient réellement évaluées et opposables. L’État et l’Assurance maladie se sont largement impliqués dans des processus de régulation médicalisée, qu’il s’agisse des conventions d’objectifs et de gestion, pour la partie gestion du risque, signées entre l’État et l’Assurance maladie ou qu’il s’agisse de la médicalisation des conven-
12 • Les médecins libéraux et leur contrat de société tions. Toute une panoplie existe qui a été de surcroît largement enrichie par la réforme de 2004, la convention de 2005 et ses dizaines d’avenants comprenant tous des référentiels ou des protocoles de soins validés par les communautés scientifiques dont la HAS... Or, respecter les référentiels médicaux devrait relever de la même obligation que celle de participer à la formation continue ou à la permanence des soins. Cependant, les résultats positifs observés depuis 2005 laissent parfois un sentiment de malaise tant il est vrai que la mobilisation des médecins autour des thèmes de maîtrise médicalisée et donc de l’amélioration
de leurs pratiques professionnelles apparaît comme subordonnée à la hausse de leurs honoraires. Pourtant, la maîtrise médicalisée qui se nourrit de critères médicaux basés sur « l’amélioration du service médical rendu » ou sur le « respect des référentiels » participe d’une démarche qualité capable de concilier déontologie médicale et progrès social même si le niveau de qualité atteignable n’est pas suffisant pour contribuer à lui seul à l’efficience de la régulation qui réclame des mesures plus structurelles.
2. LE PACTE CONVENTIONNEL Les rapports entre l’Assurance maladie et les professionnels de santé libéraux sont réglés par conventions entre les parties, depuis plus de trente ans. La Cour des comptes a souvent constaté que le système était à bout de souffle. La nouvelle gouvernance de l’Assurance maladie issue de la réforme de 2004 a tenté de relégitimer le système conventionnel par une meilleure articulation des rôles de l’État et de l’Assurance maladie et un renforcement du pouvoir des négociateurs. Est-ce suffisant ?
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
1971-2004 : une convention médicale à bout de souffle Les règles régissant les relations entre les professions médicales (médecins, auxiliaires médicaux...) et les caisses d’assurance maladie figurent dans des conventions où sont consignés les droits et les obligations des parties, après que ces dernières se soient mises d’accord sur le contenu dans le cadre d’une négociation. Ce sont ces conventions qui permettent l’accès aux soins des populations, quelle que soit leur solvabilité, puisqu’elles déterminent les tarifs de remboursement et garantissent, corollairement, le revenu des professionnels de santé en rendant leur clientèle solvable. Enfin, les professionnels, en contrepartie du
respect d’un tarif opposable, bénéficient d’un certain nombre d’avantages sociaux payés par les caisses (cotisations sociales, formation médicale continue...). Départementales à compter de 1960, elles sont devenues nationales en 1971 et se sont étendues aux différentes professions médicales et paramédicales. Les signataires en sont jusqu’en 2004 les représentants des régimes d’assurance maladie (partenaires sociaux) et ceux des syndicats représentatifs des professions de santé concernées. En fait, il existe un troisième partenaire qui a toujours été omniprésent depuis le départ : l’État. C’est lui qui fixe le cadre législatif et réglementaire du contenu des conventions et
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE qui les agrée. En 1971, alors qu’apparaissent les prémices de déficits structurels, l’État attire l’attention des partenaires sur leur responsabilité économique et sur la nécessité de maîtriser des dépenses de santé qui n’ont pas de prix mais ont un coût, d’où l’élargissement progressif du champ conventionnel aux modalités et conditions d’exercice, à un champ de contractualisation propre à la maîtrise, dont les accents seront plus ou moins médicalisés (qualité des soins, référentiels de bonnes pratiques...) et plus ou moins économiques (objectifs quantifiés d’évolution des dépenses, seuils qualitatifs d’activité pour certaines professions...).
Un outil controversé
238
Les conventions qui vont se succéder vont connaître de tels avatars que la Cour des comptes va établir un sévère constat d’échec, considérant1 « qu’elles n’ont réussi ni à assurer la régulation des dépenses ni à modifier les pratiques individuelles ». Quant aux avantages accordés aux professionnels de santé, « ceux-ci ont été considérés comme des concessions permettant la signature de certains syndicats médicaux et cela sans que soient toujours demandées ou obtenues de réelles contreparties ». Qu’en est-il des résultats de la maîtrise ? « Force est de constater que les mécanismes de régulation successivement tentés n’ont pas été véritablement efficaces » à l’image d’un système de sanctions inapplicable ou inexistant. Il en résulte une question centrale : comment recentrer le dispositif sur ce qui peut « réellement faire l’objet d’un engagement personnel du professionnel de santé », autrement dit, que vaut un contrat où seule l’une des parties (l’Assurance maladie) tient ses engagements en matière de remboursement et autres avantages annexes, tandis que l’autre (le professionnel de santé) ne les assume pas : non respect des tarifs oppo1. Cour des comptes, Rapport annuel, 2000.
sables, gaspillage de prescriptions, mauvaise qualité des soins... Comment a-t-on pu arriver à une telle situation ? De nombreuses raisons peuvent être invoquées : l’insuffisante clarification par l’État du champ d’intervention réel des acteurs, d’où une tutelle parfois abusive de sa part, en amont et dans la négociation, d’où également des montages juridiques insuffisants qui ont conduit le Conseil d’État à annuler plusieurs conventions, d’où enfin, en cas de vide juridique, le recours à l’acte réglementaire du règlement conventionnel minimal qui a fini par rendre méconnaissable le contrat. On peut aussi citer l’insuffisance de représentativité des syndicats signataires, l’archaïsme de certaines postures dont le caractère parfois majoritaire a beaucoup plus figé les négociations sur la préservation des acquis du passé, que sur l’intérêt de résoudre les problèmes d’intérêt général présents et à venir. Le décalage s’est ainsi accentué entre les signataires « d’en haut » (de surcroît souvent minoritaires) et les professionnels « d’en bas » : incompréhension lorsqu’un texte conventionnel est invalidé par le ministre, suspicion lorsqu’un texte conventionnel est agréé mais signé par des syndicats minoritaires dans la profession, étonnement lorsque les dispositions conventionnelles ne sont pas contrôlables du fait de l’absence d’outils (ex. : suivi tarifaire) ou pas applicables du fait de l’absence prévue de sanctions (ex. : engagement des professionnels à télétransmettre des feuilles de soins électroniques). En fait, la crise du système conventionnel est à l’image de la crise de gestion du système de santé. La convention a pu sembler un outil pertinent pour régler les relations entre ceux qui sont les promoteurs d’une dépense socialisée garantissant l’équité dans l’accès aux soins et les dispensateurs libéraux des soins qui, au
12 • Les médecins libéraux et leur contrat de société travers de la maîtrise de la qualité, en attendent, en contrepartie une « juste » rémunération. Du fait du rôle joué par l’État (agrément obligatoire), la convention relève plus de l’acte réglementaire que de l’acte contractuel. Ainsi que le souligne Rémi Pellet, en appui de Jean de Kervasdoué1 « cette bizarrerie juridique est justifiée par la nature elle-même hybride de l’économie de la santé, combinant les lois du marché et celles de la planification administrative ». Ce caractère hybride est, selon Rémi Pellet, à l’origine de l’échec de la formule, confirmé par l’annulation récurrente des conventions médicales et arrêtés ministériels d’agrément par le Conseil d’État.
• développer la responsabilité individuelle des
L’échec juridique s’ajoutant à l’échec économique (absence de maîtrise de la dépense et de responsabilisation des acteurs), il a été nécessaire de repenser le système dans un contexte plus consensuel.
La nouvelle architecture de 2002
Les propositions n’ont pas manqué à l’appel depuis les situations de « vide juridique » consécutives aux annulations du Conseil d’État : • mieux séparer le réglementaire du contrac•
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
• •
•
tuel (Cour des comptes) ; distinguer les engagements personnels des professionnels de ceux des professions signataires de la Convention (Cour des comptes) ; redéfinir le système des sanctions afin de le rendre opératoire (Cour des comptes) ; supprimer le secteur 2 (honoraires libres) en échange d’une revalorisation d’honoraires du secteur 1 (partenaires sociaux : G72 ) ; dissocier les modalités d’exercice de la médecine et le champ conventionnel, recentré sur les besoins des assurés sociaux (partenaires sociaux : G7) ;
praticiens (présidents des Caisses nationales d’Assurance maladie) ; • moduler les avantages conventionnels afin de rationaliser l’offre de soins (présidents des Caisses nationales d’Assurance maladie) ; • instaurer la prescription en DCI (présidents des Caisses nationales d’Assurance maladie) ; • rénover le cadre conventionnel, distinguant un socle interprofessionnel, des accords collectifs par professions et des contrats individuels basés sur des engagements de bonne pratique (Mission des Sages3 ).
C’est finalement la loi du 6 mars 2002 qui, reprenant les dispositions annulées de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2002, a entériné les propositions des « Sages » sur une nouvelle architecture conventionnelle à trois étages : • un accord-cadre applicable à l’ensemble des
professions de santé exerçant dans un cadre conventionnel et comportant des dispositions communes ; • des conventions professionnelles d’une durée de cinq ans, déterminant les tarifs mais aussi les engagements de chaque profession en matière de bon usage des soins, qui peuvent être conclues aux niveaux national ou régional même en l’absence de convention et qui peuvent aussi bien porter sur l’évolution médicalisée des pratiques que sur des objectifs quantifiés d’évolution des dépenses ;
1. R. Pellet, « Les relations juridiques (très peu) conventionnelles des médecins libéraux avec la Sécurité sociale », in J. De Kervasdoué, La crise des professions de santé, Dunod, 2003. 2. G7 : groupe constitué en 2000, comprenant CGC-CFTC-CGT-FO/CSMF-SML-FMF. 3. « Sages » : groupe de concertation sur l’évolution de la médecine de ville créé par le ministre en 2001, composé de Bernard Bruhnes, Bernard Glorion, Stéphane Paul et Lise Rochaix.
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE • des contrats de bonne pratique et des
contrats de santé publique, enfin, qui peuvent être proposés individuellement par les Caisses aux médecins et aux autres professionnels conventionnés, en contrepartie d’une rémunération forfaitaire ou améliorée.
240
La nouvelle architecture conventionnelle repose sur la contractualisation et sur la médicalisation : la régulation purement budgétaire est écartée, la gestion partagée et médicalisée du système de soins revient à l’ordre du jour avec un renouvellement sémantique (Accords de bon usage des soins (AcBUS), contrats de pratique professionnelle...), des perspectives régionales de déclinaison (URCAM et représentations régionales professionnelles), de nouveaux partenaires (industrie pharmaceutique, organismes complémentaires, établissements de soins privés...), la prise en compte de nouvelles pratiques professionnelles, de missions de santé publique, de modalités diversifiées d’exercice. Pour la première fois est remis en cause le caractère monolithique de la Convention rendant ainsi possible, sur la base d’options diverses négociées collectivement, de laisser l’adhésion à telle ou telle d’entre elles à la libre appréciation de chaque médecin et ceci au travers d’un cadre contractuel qui se diversifie. Ainsi, un médecin s’impliquant dans des actions de prévention peut voir celles-ci rémunérées dans le cadre d’un forfait, tel autre engagé dans des pratiques d’évaluation certifiée peut voir son mode de rémunération amélioré au même titre que le confrère qui s’engage dans une plus grande maîtrise de son volume d’activités à l’intérieur d’un contrat de pratique professionnelle. Tel généraliste peut de son côté préférer la voie d’une prise en charge globale et coordonnée des patients dans le cadre de schémas de continuité des soins. Parallèlement, des accords collectifs de bon usage des soins peuvent être signés autour de thématiques prioritaires en termes de santé publique
(2002 : test de diagnostic rapide de l’angine, mammographie, bon usage des soins à domicile ; 2003 : biologie (prescription d’examens dans le cadre d’une exploration thyroïdienne), transports). Malgré les ouvertures de la nouvelle architecture et quelques résultats positifs engendrés (campagne antibiotiques, émergence de nouveaux contrats) les affrontements politiques et syndicaux ont vite rendu virtuels les accords signés.
2004 : relégitimer l’outil conventionnel Une nouvelle articulation des rôles des acteurs Malgré une année 2003 riche en accords conventionnels signés avec presque toutes les professions médicales se sont développés des conflits liés aux clivages syndicaux et politiques. Le changement de majorité gouvernementale et la réforme de la gouvernance de l’Assurance maladie en 2004 ont favorisé le retour des syndicats professionnels libéraux aux affaires... conventionnelles, permettant ainsi de mettre en adéquation réforme politique et nouvelle stratégie conventionnelle. Les lois de 2004 en complétant l’articulation des rôles respectifs de l’État et de l’Assurance maladie ont redonné de la légitimité à l’outil conventionnel en stabilisant son fonctionnement et en élargissant sa portée. La loi de réforme de l’Assurance maladie du 13 août 2004 crée l’UNCAM, regroupant les trois principaux régimes d’assurance maladie : le régime général, le régime agricole (MSA) et le régime social des indépendants (RSI) ; l’UNCAM a entre autres pour mission de conduire la politique conventionnelle. Désormais, l’État fixe les grandes orientations de la politique de santé, à charge pour l’Assurance maladie de la mettre en œuvre et de négocier avec les professions de santé ; il
12 • Les médecins libéraux et leur contrat de société
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
n’intervient plus dans la procédure. En cas de blocage des négociations, un règlement conventionnel, rédigé par un arbitre choisi par l’UNCAM et au moins une organisation syndicale représentative des professionnels de santé libéraux concernés, tient lieu de convention pour cinq ans. Dans le même temps, les partenaires conventionnels continuent les négociations en vue d’élaborer une nouvelle convention, au plus tard dans les deux ans qui suivent l’entrée en vigueur du règlement conventionnel. La Convention signée entre l’Assurance maladie et trois syndicats représentatifs de médecins libéraux1 en 2005, et les avenants s’y rapportant, est un véritable outil au service de la réforme de l’Assurance maladie. Non seulement elle est marquée par la volonté d’une meilleure organisation du système grâce à la mise en place de la coordination des soins, mais aussi par l’engagement des professionnels de santé dans une logique médicalisée des dépenses de santé. Les syndicats de médecins ont signé cette convention considérant la liberté de choix laissée au patient de consulter en accès direct, assortie de la possibilité pour les généralistes et spécialistes d’appliquer des majorations d’honoraires et pour les spécialistes, en sus, de pratiquer des dépassements. De plus, les syndicats ont négocié des objectifs chiffrés de maîtrise médicalisée dont l’atteinte devait initialement conditionner des revalorisations d’honoraires. En dépit des résultats obtenus, par ailleurs plutôt bons (722 millions d’euros en 2005), mais en deçà de l’objectif fixé (998 millions d’euros), l’avenant 12 à la Convention médicale a permis la revalorisation de la consultation des généralistes d’un euro à compter du 1er août 2006, abandonnant ainsi la condition des revalorisations aux atteintes des objectifs. Cependant, cet avenant signé dans un contexte
lourd de contestations, précédant les élections aux URML a permis la poursuite des engagements de maîtrise des dépenses, sans quoi le fonctionnement du système ainsi que les bases conventionnelles auraient sans doute été mis en difficulté, alors même que la réforme commençait tout juste à porter ses fruits2 . Le risque d’opposition à la Convention par des syndicats « non officiellement représentatifs » durant cette période a conduit le gouvernement à introduire dans le projet de LFSS pour 2007 un amendement limitant la possibilité d’exercer le droit d’opposition aux seuls syndicats représentatifs (et non plus à l’ensemble des syndicats ayant présenté des listes aux élections professionnelles), permettant ainsi d’éviter toute paralysie de la Convention. Les syndicats opposants à la Convention ne peuvent désormais plus s’opposer systématiquement aux nouveaux avenants élaborés en leur absence. Les lois de 2004, en complétant l’articulation des rôles respectifs de l’État et de l’Assurance maladie ont redonné de la légitimité à l’outil conventionnel en stabilisant son fonctionnement et en élargissant sa portée.
La réorganisation des soins de ville Il faut souligner une meilleure articulation entre les dispositions légales et la convention ainsi qu’en témoignent, d’une part la réorganisation des soins de ville via le médecin traitant, animateur d’un parcours de soins coordonné et, d’autre part, la répartition et la continuité de l’offre de soin libérale via des mesures incitatives facilitant l’installation des médecins dans les zones sous-médicalisées et consolidant la permanence des soins de ville dans des maisons médicales de garde.
1. Alliance, Confédération des syndicats médicaux français et syndicat des médecins libéraux. 2. Les années 2004 et 2005 ont été marquées par le quasi-respect de l’ONDAM, pour la première fois depuis 1997.
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE La loi prévoit le dispositif du parcours de soins coordonné et du médecin traitant, balisé par la suite par la convention médicale en 2005. L’Assurance maladie dispose désormais d’un outillage lui permettant de contribuer à la réorganisation des soins de ville : le parcours de soins permet d’inscrire les soins dans un réseau de professionnels de santé partageant l’information et coordonnant leurs interventions. L’objectif est de faire du médecin traitant le véritable pivot des soins, de le former et de le rémunérer pour cela (ex. : rémunération annuelle de quarante euros par patient en ALD, forfait rétribuant la coordination médicale, la rédaction et l’actualisation du protocole de soins). Le médecin traitant joue un rôle central dans le suivi médical de ses patients : • coordination des soins, il s’assure que le suivi
médical de ses patients est optimal ;
242
• orientation dans le parcours de soins coor-
donné, il met ses patients, si besoin, en relation avec d’autres professionnels de santé (médecins spécialistes, médecins hospitaliers, etc.) ;
• gestion du dossier médical, il centralise
toutes les informations sur les soins reçus et l’état de santé de ses patients (résultats d’examens, diagnostics, traitements, etc.) et les met à jour ;
• prévention personnalisée, il aide ses patients
à prévenir les risques de santé avec, par exemple, le suivi de vaccination, la réalisation des examens de dépistage organisés (ex : dépistage du cancer du sein), l’aide à l’arrêt du tabac ou les conseils nutrition en fonction des profils de ses patients (âge, antécédents familiaux...).
Le parcours de soins coordonné vise également à accroître la responsabilisation des assurés par une diminution du taux de remboursement en cas de non-respect du parcours1 . Certains cas dérogent à cette nouvelle règle du parcours de soins coordonné (les cas d’urgence, les spécialités en accès direct...). L’article 49 de la loi de réforme de l’Assurance maladie élargit le champ des conventions à la définition, le cas échéant, des dispositifs d’aides visant à faciliter l’installation ou le remplacement des professionnels de santé libéraux dans les zones déficitaires et des conditions dans lesquelles les praticiens libéraux exerçant dans ces zones bénéficient, en contrepartie, d’une rémunération forfaitaire annuelle qui peut être modulée en fonction de leur niveau d’activité et de leurs modalités d’exercice ou d’organisation, notamment pour favoriser l’exercice regroupé. La loi du 23 février 2005 sur le développement des territoires ruraux prévoit également des mesures incitatives à l’installation dans les zones rurales : possibilité pour les collectivités locales d’octroyer des aides (aide pour les professionnels installés ou en cours d’installation et aide à l’installation pour les étudiants), défiscalisation des honoraires de la permanence des soins, à concurrence de 60 jours par an. L’avenant 20 du 7 février 2007 à la Convention nationale des médecins relatif à l’amélioration de la répartition des médecins libéraux sur l’ensemble du territoire national prévoit une aide forfaitaire pour les médecins généralistes conventionnés libéraux exerçant en groupe, dans le secteur à honoraires opposables ou adhérant à l’option de coordination, installés ou s’installant dans une zone déficitaire. Le médecin qui adhère à l’option doit réaliser les deux tiers de son activité auprès des
1. La majoration du ticket modérateur hors parcours de soins a été aggravée par le plan de redressement de juillet 2007, le remboursement des consultations hors parcours n’étant plus que de 50 % au lieu de 60 % précédemment (remboursement à 70 % dans le cadre du parcours de soins).
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12 • Les médecins libéraux et leur contrat de société patients résidant dans cette zone et prend notamment l’engagement de ne pas cesser son activité ni changer de lieu d’exercice pendant trois ans, de participer à la permanence des soins, de favoriser les collaborations libérales... À un accompagnement personnalisé mis en œuvre par les CPAM, s’ajoute une aide financière qui prend la forme d’un forfait annuel représentant 20 % de l’activité (C + V) du professionnel dans la zone concernée. L’avenant 4 du 1er juin 2005 à la Convention nationale des médecins généralistes et spécialistes, en application du décret du 7 avril 2005 concernant les modalités de fonctionnement de la permanence des soins en médecine ambulatoire, traite de la participation de l’Assurance maladie au financement de la régulation, des majorations spécifiques et de l’astreinte ainsi que d’autres éléments de l’organisation régionale de la permanence des soins comme les Maisons médicales de garde (MMG). Il traite également des particularités des zones déficitaires en offre de soins et de l’évaluation du dispositif. La LFSS 2007 a enfin créé le FIQCS (Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins) dont la mission est de pérenniser le financement des MMG. Au cours de ces derniers mois, la permanence des soins a également été qualifiée de mission de service public (elle n’était auparavant qu’une mission d’intérêt général) ; la possibilité a été donnée aux préfets de faire basculer la permanence des soins de la ville vers l’hôpital aux heures creuses de la nuit ; les horaires ont été élargis au samedi après-midi.
Les modalités de mise en œuvre de la convention Fin 2007, ce sont 24 avenants conventionnels qui mettent en œuvre la réforme de l’Assurance maladie pour la partie soins de ville
dont le numéro 23 qui ouvre trois nouvelles portes : • celles de l’hôpital : l’intervention de l’As-
surance maladie étant légitimée non pas seulement par son rôle de payeur mais par le fait que la tarification à l’activité lui permet enfin de savoir ce qu’elle prend en charge ; • celle du médecin « préventeur » puisqu’apparaissent les premiers objectifs opératoires concernant le rôle que doit jouer le médecin traitant dans la prévention ; • celle enfin d’un suivi individuel d’objectifs rendant possible une gestion du risque de proximité et personnalisée. Le tournant pris par cet avenant vaut plus que l’euro d’augmentation consenti pour le C au 1er juillet 2007... Dans une optique d’optimisation des dépenses de l’Assurance maladie, les signataires de la convention médicale de 2005 ont mis en avant la nécessité construire un dispositif conventionnel innovant reposant sur les principes suivants : • un engagement des partenaires sur des objec-
tifs quantifiés et régionalisés ; • une définition annuelle des thèmes et objectifs de maîtrise1 ; • un suivi paritaire et décentralisé. Pour l’année 2005, les thèmes de maîtrise retenus étaient les suivants :
• Sous forme d’engagements chiffrés de maî-
trise médicalisée,
– un infléchissement de la tendance d’évolution de la prescription des antibiotiques, – un infléchissement de la prescription d’anxiolytiques et d’hypnotiques, – un infléchissement de la prescription d’arrêts de travail, le remboursement de statines,
1. Voir « Compléments », sur les thèmes de maîtrise médicalisée retenus pour les années 2006 à 2008, page 331.
243
PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE – un meilleur respect de la réglementation de l’ordonnancier bizone et des feuilles de soins permettant une juste attribution des dépenses sans rapport avec une affection de longue durée, – une augmentation de la prescription des médicaments génériques ;
du sein. Il est également prévu de décliner individuellement l’objectif relatif à la vaccination antigrippale. Enfin, ce principe de déclinaison individuelle sera étendu à certains thèmes de maîtrise : inhibiteurs de pompe à protons (IPP), antibiotiques, réglementation de l’ordonnancier bizone.
• Sous forme d’accords de bon usage de soins
La Convention médicale de février 2005 précise que les commissions conventionnelles nationales, régionales et locales sont les principaux acteurs de la mise en œuvre et du suivi des engagements de maîtrise médicalisée. Les objectifs nationaux conclus entre l’UNCAM et les syndicats de médecins font ainsi l’objet d’une déclinaison régionale et locale.
(AcBUS) :
– l’efficience des prescriptions d’antiagrégants plaquettaires, – le bon usage des examens biologiques explorant la fonction thyroïdienne, – la pratique de la coloscopie après polypectomie.
244
L’avenant conventionnel 12 (3 mars 2006) fixe les thèmes sur lesquels l’action des médecins traitants doit porter en 2006 : prévention du cancer du sein, accompagnement des patients diabétiques et lutte contre la iatrogénie médicamenteuse chez les personnes âgées. Il formalise l’accord des parties de poursuivre en 2006 les efforts de maîtrise médicalisée portant sur les thèmes de 2005 et définit de nouveaux objectifs collectifs. Il prévoit ainsi l’utilisation d’un référentiel médical permettant d’adapter le mode de transport prescrit à l’état de santé du malade et à son degré d’autonomie avec pour objectif un infléchissement des montants tendanciels 2006 des prescriptions de transport correspondant à une croissance de 3 % en 2006. L’avenant conventionnel 23 (29 mars 2007) représente quant à lui une avancée notable en termes d’engagements de maîtrise médicalisée, de prévention et d’outillage : s’il prévoit une validation de l’atteinte des objectifs sur le plan collectif, le texte insiste particulièrement dans son préambule sur l’orientation « vers la déclinaison et le retour d’information individuel auprès de chaque médecin eu égard aux objectifs collectifs ». Les médecins feront notamment l’objet d’un suivi individuel sur la base d’indicateurs en ce qui concerne le dépistage du cancer
L’Assurance maladie a récemment mis en place le métier de délégué de l’Assurance maladie. Ces DAM ont vocation à délivrer une information objective et détaillée aux professionnels de santé par l’intermédiaire d’une communication individuelle et personnalisée sur les objectifs de maîtrise médicalisée. Ce dispositif constitue un moyen de compenser la force de frappe de l’industrie pharmaceutique. Ainsi, pour 2007, les médecins généralistes ciblés par la CNAMTS ont été accompagnés sur le thème du dépistage organisé du cancer du sein (plus de 19 000 visites entre janvier et juillet 2007) ou encore sur la classe thérapeutique des IPP. Suite à la signature de l’avenant conventionnel 23, les DAM doivent intégrer désormais dans leurs visites aux médecins les objectifs individuels portant sur les sujets suivants : IPP, ALD, antibiotiques, dépistage du cancer du sein. La CNAMTS prévoit que le thème de la vaccination contre la grippe pour les personnes âgées sera abordé lors des visites DAM sur le thème prévention prévues pour le dernier trimestre 2007. La relance du système conventionnel par les lois de 2004 reste cependant fragile parce qu’elle repose sur un syndicalisme fort (pour ne pas dire un syndicat unique médical fort, de plus en plus favorisé par le contexte réglemen-
12 • Les médecins libéraux et leur contrat de société taire) qui assoit sa crédibilité sur les résultats obtenus via la négociation conventionnelle. Tant qu’il est possible de concilier maîtrise des coûts et accroissement, en contrepartie, du revenu des professionnels de santé, le système peut encore tenir... sinon ? D’où l’urgence selon nous de déconnecter les deux mécanismes via une nouvelle architecture législative clarifiant mieux encore (malgré les progrès observés depuis 2002) les rôles respectifs de l’État et de l’Assurance maladie, le premier étant gardien des fondamentaux de l’organisation du système de soins (dont le champ conventionnel) et des critères relatifs à la politique de revenus des professionnels de santé, la seconde étant l’opérateur chargé des modalités d’application qui passent par des mécanismes de contractualisation se déclinant de la profession jusqu’aux professionnels, du national vers le local1 .
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
La convention médicale est-elle un contrat dirigiste ? Le contrat est-il préférable à la règle ? La confrontation des deux notions oblige à préciser leurs finalités respectives, à les opposer ou à les adapter. La convention médicale illustre bien les ambivalences autour de la notion de contrat, tantôt en en utilisant les souplesses lorsque les cocontractants sont forts de leur représentativité, tantôt en en subissant les avatars en cas de crise. La notion de contrat nous intéresse parce qu’elle fait débat dès lors qu’il s’agit de faire de la contractualisation un nouveau mode de gouvernance et de management au sein du système de santé, voire de la société au sens large. Certains y voient un corollaire du recul de l’État,
d’autres constatent que c’est l’État lui-même qui en est le promoteur en donnant l’exemple à la fois dans sa gestion interne (contrats de service de l’administration) et dans sa gestion externe (convention d’objectifs et de gestion avec les partenaires parapublics ou privés : UNEDIC, CNAMTS...). Considérant le contrat, au sens générique du terme, comme un ensemble de droits et d’obligations entre les signataires, celui-ci peut en effet apparaître comme un outil de clarification dans la gestion du système de santé, s’adaptant facilement aux contingences du terrain, aisé à actualiser, à condition qu’il ne s’agisse ni d’un habillage réglementaire déguisé ni d’un pavé de bonnes intentions. La généralisation abusive du vocabulaire contractuel a incontestablement détourné le sens du contrat qui ne peut, certes, se satisfaire de sa seule connotation juridique mais qui n’a pas, non plus, d’intérêt à entrer dans une définition trop large. Si Alain Supiot2 a raison de dire qu’une société se contractualise lorsque la part des liens prescrits a régressé au profit des liens consentis, il reste à s’interroger tant sur l’objet du contrat que sur les modes de consentement. La contractualisation de la société est en effet, aujourd’hui, tantôt source de progrès tantôt source de régression. Elle peut être source de progrès lorsque le contrat devient un mode de management ou de gouvernance impliquant les acteurs dans des démarches communes où chacun d’entre eux trouve un intérêt à agir au sens de Friedberg3 dans L’acteur et le système, soit parce que la logique gagnant/gagnant est équilibrée, soit parce que le contrat apparaît très clairement comme un levier dans une
1. Dans son rapport 2007, la Cour des comptes préconise de faire revenir le curseur conventionnel dans le champ de compétence de l’État, s’agissant de l’organisation des soins... et de recentrer les négociations conventionnelles sur les tarifs médicaux et les revenus ! 2. A. Supiot, « La contractualisation de la société », Courrier de l’environnement de l’INRA, n◦ 43, mai 2001. 3. M. Crozier et E. Friedberg, L’acteur et le système, Le Seuil, 1977.
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE
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logique de progrès et d’innovation ainsi que l’illustre, également M. Nakhla1 . Ceci étant, il apparaît opportun de dénoncer les effets pervers de la contractualisation dès lors que celle-ci aboutit à organiser un pouvoir de contrôle de l’une des parties sur l’autre, ce qui aboutirait, s’il s’agissait d’un contrat « de droit » à un contrat léonin. Mais bien entendu, la plupart des contrats dont il est question ne sont pas des contrats à valeur juridique ? mais tout simplement des avatars ! S’agit-il de fuir la pesanteur des États ou de la loi ? S’agit-il d’accéder à des moyens de régulation qu’on appelle de ses vœux mais qui n’existent pas ? S’agit-il, comme le fait A. Supiot de remonter au péché originel puis au « pacta sunt servanda » pour expliquer le respect de la parole donnée à Dieu, puis à ses représentants, puis à l’État ? Fonder la continuité du contrat mais aussi sa remise en question en pleine crise de la foi ou de la loi ? Non, ce postulat de l’apostolat frôle l’imposture. A. Supiot reste cependant crédible sur le fait que le contrat a toujours eu besoin d’un tiers garant (la Loi ou Dieu). Et c’est sans doute ce qui explique que dans la République, il ne peut y avoir de contrat sans une loi qui fonde la personnalité des contractants ainsi que les obligations contractuelles. Il a sans doute raison de constater que le contrat s’est petit à petit émancipé de la tutelle de l’État à tel point qu’il en est devenu parfois illisible. Ceci étant, les contrats dépouillent-ils l’État de ses prérogatives ou n’est-ce pas l’État qui ne joue plus son rôle de régulateur ? Ne remplacet-on pas alors les faits par la cause ? Ainsi, pourquoi de nos jours, de nombreux contrats collectifs sont-ils obsolètes ? Ne voit-on pas parfois l’État, au lieu de jouer son rôle de tiers garant et notamment garant de l’égalité entre les cocontractants, initier des contrats de type féodal en sa faveur ? Quant à parler de l’État
stratège prenant l’initiative d’une refondation sociale, autant faire appel à la providence ! De ce point de vue, s’il est vrai de dire que le contrat n’est pas fait pour fonder un droit nouveau d’allégeance (convention d’objectifs et de gestion de l’État), A. Supiot a raison de considérer que « les contrats de plan, les conventions médicales, les conventions légiférantes sont autant de manifestations d’un dirigisme contractuel d’un nouveau genre », d’où l’intérêt d’une refondation dans ce domaine, le pouvoir politique déterminant alors les champs d’intervention respectifs du réglementaire et du contractuel, tout autant que le contractuel ne soit pas ensuite bridé par la tutelle de l’État. Pour autant, nous ne sommes pas enclins à partager la thèse d’A. Supiot sur la reféodalisation de la société via le contrat, parce que s’il est vrai que l’État peut parfois inféoder le pouvoir contractuel, ceci peut servir de point de départ à une réflexion sur la redéfinition d’un contrat de type nouveau capable de s’affranchir des rigidités du pouvoir réglementaire. La société a en effet besoin d’espaces de liberté, d’initiative et d’autonomie où les acteurs peuvent passer de manière égale des contrats servant leurs intérêts réciproques. Nous préférons l’approche anthropologique à l’approche métaphysique, le rite tribal du Potlatch au contrat de droit divin et, de ce point de vue, la citation d’A. Supiot soulignant comme archaïques les obligations de donner, de recevoir et rendre, paraît plus moderne qu’une foi aveugle dans un créneau qui ne servirait que l’intérêt d’une des parties. Il est quand même d’ailleurs intéressant de noter que celui-ci reconnaît que « c’est à travers ce jeu (archaïque) de créances et de dettes qu’un régime de retraite crée un lien de solidarité entre les personnes... ». Autant sommes nous d’accord pour « maintenir » les prérogatives du droit et corollairement
1. M. Nakhla, « Dynamique des contrats et innovation dans l’entreprise », Gérer et Comprendre, décembre 2001.
12 • Les médecins libéraux et leur contrat de société celles de l’État régulateur, autant il nous paraît bénéfique de travailler sur un lien contractuel qui apparaît alors non pas antinomique mais complémentaire des autres pouvoirs et qui contribue à leur régulation ou à leur équilibre. S’agissant du système de santé, le concept de contrat doit être un concept utile à portée d’actions, en capacité d’aider à atteindre les objectifs stratégiques ce qui implique : • de reconnaître la tutelle légitime de l’État,
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tout en se gardant la capacité de négocier avec ses représentants ; • de disposer de champs d’autonomie garantissant une place pour la contractualisation à l’intérieur du système de santé entre les offreurs et les financeurs ; • d’être en capacité d’utiliser l’approche contractuelle comme un outil de management dès lors qu’il prend en compte de manière équilibrée l’intérêt à agir des cocontractants et leur implication dans des champs d’autonomie suffisants. C’est sans doute parce que la convention médicale est perçue par les médecins comme un contrat « dirigiste » pour reprendre l’expression d’Alain Supiot, qu’elle leur apparaît parfois peu opposable : non-respect des engagements de télétransmission par les spécialistes, dépassement des honoraires et des tarifs, refus de soins, non-respect de la nomenclature et des référentiels médicaux contributifs à la maîtrise médicalisée... C’est sans doute parce que leur adhésion est ressentie comme « forcée » au point de remettre en cause leur statut de « libéraux » qu’ils se donnent les libertés afférentes alors Encadré 12.1
qu’il leur paraît naturel que la collectivité, via les Caisses, assure la solvabilité de leur clientèle, tout ou partie de leurs dépenses de formation, de leurs charges sociales, voire de leurs assurances... Ainsi, le contrat sociétal des médecins libéraux, attaché au pacte conventionnel, n’est pas toujours compris ni des médecins qui y voient un mécanisme forcé, ni des caisses qui ont souvent le sentiment d’être les seules à tenir les engagements du contrat... a fortiori lorsque face aux comportements déviants des médecins, elles ne trouvent pas, dans les textes conventionnels, les sanctions concrètes et opératoires prévues en cas de non tenue des engagements. Or, que vaut un contrat qui ne prévoit pas explicitement l’évaluation de ses résultats et les clauses de sanctions en cas d’inapplication des mesures contractuelles ? Nul ne doute, cependant, qu’une signature conventionnelle engage vraiment les signataires, à savoir le directeur de l’UNCAM et le ou les signataires des syndicats médicaux, à la différence près qu’il est plus facile pour le premier de mobiliser les caisses, que pour le second de convaincre ses mandants... Il en résulte une fragilité quasi-permanente du pacte conventionnel qui oblige à chaque « crise » de rééquilibrer les pouvoirs de la loi, à son avantage, et ceux du contrat conventionnel, d’où ce que d’aucuns ont perçu comme une étatisation progressive de l’Assurance maladie, que celle-ci passe par une re-définition de la gouvernance dans un cadre législatif, ou qu’elle se cache derrière un pouvoir renforcé de l’« exécutif » de l’Assurance maladie, via le directeur de l’UNCAM.
Le pacte conventionnel Thèmes de maîtrise médicalisée retenus pour les années 2006 à 2008
Engagements de maîtrise médicalisée Antibiotiques • diminution du niveau de consommation des antibiotiques ;
☞
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PARTIE 3 • UN PROGRÈS SOCIAL VULNÉRABLE ☞
• baisse des montants de la prescription d’antibiotiques ;
• optimisation de l’utilisation des antibiotiques de nouvelle génération en les réservant aux
affections graves ; • diminution des prescriptions d’antibiotiques ; • relance de la campagne sur le test de diagnostic rapide de l’angine.
Génériques • finaliser le protocole d’accord interprofessionnel avec les syndicats de pharmaciens sur les génériques ; • poursuite de l’action sur le développement de la prescription de génériques par les médecins. Statines • diminution des prescriptions de statines ; • poursuite de la stabilité du montant des prescriptions de statines. Anxiolytiques et hypnotiques • diminution des prescriptions d’anxiolytiques/hypnotiques, • diminution des montants de prescriptions d’anxiolytiques et d’hypnotiques.
248
Hypertenseurs • baisse des montants tendanciels des prescriptions d’antihypertenseurs ; • infléchissement des montants tendanciels des prescriptions d’antihypertenseurs. Inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) • diminution des prescriptions d’inhibiteurs de la pompe à protons ; • baisse des volumes de prescription des inhibiteurs de la pompe à protons ; • respect des recommandations médicales et des indications thérapeutiques remboursables des inhibiteurs de la pompe à protons. Arrêts de travail • baisse en volume des indemnités journalières liées aux arrêts de travail ; • baisse des dépenses liées aux arrêts de travail ; • respect de la réglementation relative aux arrêts de travail. Affections de longue durée • transfert de 2,5 points de dépenses en rapport avec une affection de longue durée vers les dépenses sans rapport avec une affection de longue durée ; • respect de la réglementation relative à l’ordonnance bizone. Transports • baisse des prescriptions de transport ; • utilisation d’un référentiel médical sur le mode de transport prescrit au malade ; • développement de la régulation médicalisée des dépenses de transport en adaptant le mode de transport prescrit à l’état de santé du malade et à son degré d’autonomie.
☞
12 • Les médecins libéraux et leur contrat de société ☞ Iatrogénie • diminution du nombre d’actes diagnostiques et thérapeutiques redondants. Location de lits médicalisés • diminution de la prescription de location de lits médicalisés au-delà de la première année au bénéfice de l’achat de tels lits sur 2006 et 2007 ; • stabilisation du volume de lits médicalisés pour 2008. Sous forme d’Accords de Bon Usage de Soins (AcBUS) • efficience des prescriptions d’anti-agrégants plaquettaires (APP) ; • bon usage de la coloscopie après polypectomie.
249
Partie 4 Du bon usage de la réforme
Chapitre 13
Une réforme : pour quoi faire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
253
Chapitre 14
Réformer : oui, mais comment ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Chapitre 15
Des assurances « complémentaires », mais à quoi ? . . . . . . . . . . . . . .
283
Chapitre 16
Pour une approche globale d’une politique de santé publique . . .
301
Chapitre 13 Une réforme : pour quoi faire ?
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME
PLAN DU CHAPITRE
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1. Un accès inégalitaire aux soins et un reste à charge trop élevé Des tarifs de moins en moins opposables dans les faits Un accès aux soins primaires menacé Des restes à charge (RAC) élevés
255 255 256 259
2. Une régulation qui bute sur les fondamentaux historiques de l’organisation des soins de ville Liberté d’installation, démographie médicale et soins coordonnés ville-hôpital De l’entente directe aux tarifs conventionnels Paiement à l’acte : un mode de rémunération inadapté Les évolutions de l’exercice libéral de la médecine et le contrat sociétal Les principes historiques de la médecine libérale sont-ils obsolètes ?
260 261 263 264 265 266
13 • Une réforme : pour quoi faire ?
1. UN ACCÈS INÉGALITAIRE AUX SOINS ET UN RESTE À CHARGE TROP ÉLEVÉ L’égalité d’accès aux soins butte aujourd’hui sur plusieurs obstacles : culturels, démographiques, géographiques, s’agissant de l’accès même, auxquels s’ajoute un frein financier constitué par le reste à charge. Autrement dit, pour les assurés, notamment les plus démunis, la question qui demeure est « où vais-je trouver un professionnel compétent pour me soigner et combien cela me coûtera-t-il ? »
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Des tarifs de moins en moins opposables dans les faits Malgré les efforts de part et d’autre pour respecter le principe général d’une offre de soins à tarifs opposables, le système s’est mis progressivement à déraper, faute d’un dispositif applicable de sanctions et sous l’influence d’une vague idéologique libérale favorable à un enrichissement personnel non bridé, dès lors qu’il s’appuie sur une activité professionnelle soutenue (ce qui est le cas) porteuse de résultats efficients (ce qui est seulement parfois le cas). Ceci étant, à l’inverse des vrais libéraux, les professionnels de santé demeurent sous contrat sociétal dès lors qu’ils sont conventionnés avec les avantages afférents (aides publiques diverses et solvabilisation de la demande). Nonobstant les quelques différences observables dans les secteurs conventionnels, rien ne justifie que le contrat ne soit pas appliqué. Malheureusement il ne l’est plus dans un grand nombre de cas. En 2007, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) évalue à deux milliards d’euros les dépassements effectués (trente euros par an en moyenne par personne protégée mais 230 euros pour les 10 % de la population subissant les plus forts dépassements). Selon le rapport, cette pratique, à l’origine « de faible ampleur » et réservée aux assurés « les plus aisés » a connu une croissance « non maîtrisée » si bien qu’ « une majorité de patients est aujourd’hui confrontée à des dépassements
d’honoraires dont les montants peuvent être élevés ». Selon les experts, 52 % des femmes ayant accouché au second semestre 2005 ont dû par exemple payer un dépassement d’un montant moyen de 74 euros à l’hôpital et de 178 euros en clinique. 71 % des personnes opérées de la cataracte ont été l’objet d’un dépassement de 91 euros dans le public et de 200 euros en clinique. Pour l’IGAS, les dépassements, par leur ampleur, génèrent désormais des inégalités d’accès aux soins, renforcées par les niveaux extrêmement variables, voire nuls, de prise en charge des dépassements par les mutuelles complémentaires. L’IGAS recommande une meilleure information des patients et propose différentes modalités d’encadrement des dépassements, allant de leur simple limitation à leur suppression totale ou partielle. Par ailleurs, certains médecins refusent les soins à des personnes relevant de la CMU tandis que les médecins conventionnés à honoraires libres oublient le tact et la mesure auquel ils sont astreints, sans parler de certains dessousde-table réclamés pour des interventions chirurgicales. Pendant ce temps-là, l’Assurance maladie hésite à sanctionner (à sa décharge, les outils juridiques dans ce domaine sont peu probants) tandis que les organismes complémentaires s’adaptent (dans le sens de leur intérêt propre, bien entendu). À quand un tarif opposable garanti par la loi ? À quand une harmonisation tarifaire au-delà du parcours de soins coordonné, entre régimes obligatoires et régimes complémentaires dans le cadre de
255
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME contrats encore plus « responsables » dès lors qu’ils sont soutenus par des aides publiques ?
Un accès aux soins primaires menacé
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Le ticket modérateur est constitué par les dépenses d’assurance maladie restant à la charge de l’individu. Si, globalement, les trois quarts des dépenses de santé sont couverts par l’Assurance maladie, l’individu supporte une part de la dépense extrêmement variable suivant qu’il a recours ou non à une assurance complémentaire qui prend en charge ce ticket modérateur, suivant l’acte ou le produit dont il a besoin (30 à 50 % de ticket modérateur pour une consultation, 65 ou 85 % pour un médicament de confort), suivant la gravité de son état de santé (ex : à partir de tout acte dont le montant est supérieur à 91 euros, le patient se verra appliquer comme seul ticket modérateur un forfait de 18 euros) ou suivant son statut de malade qui l’exonère partiellement (maladie de longue durée) ou totalement de ce ticket modérateur (accidenté du travail, invalide, bénéficiaire de la CMU...). Comme son nom l’indique, le but du ticket modérateur est de « modérer » la dépense d’assurance maladie en responsabilisant l’assuré par une participation à la dépense qui lui fait prendre, en même temps, conscience de son coût. À chaque période de déficit des comptes revient le terme récurrent de responsabilisation de l’assuré que les gouvernements impatients traduisent notamment par la hausse du ticket modérateur. Cependant rien n’y fait, les dépenses continuent de croître. Les pouvoirs publics ont tout essayé : imposition du ticket modérateur « d’ordre public » (échec d’autant plus retentis-
sant qu’il a été récupéré par les organismes complémentaires qui en ont fait un produit concurrentiel de marché), déremboursements successifs de médicaments, désengagement de l’Assurance maladie dans la prise en charge de certains secteurs (soins dentaires, optique) dont les « rattrapages » lorsqu’ils ont eu lieu, ont coûté par la suite beaucoup plus cher. Les arguments en faveur du ticket modérateur sont minces : favoriser la prise de conscience des coûts, contenir (provisoirement...) l’évolution de la dépense, faire participer davantage ceux qui peuvent... (difficile à gérer et attention de ne pas remettre en cause la finalité assurancielle et universelle du système...), éviter les aspects inflationnistes plus souvent démentis par les faits, à l’inverse des arguments favorables à sa suppression.
Le ticket modérateur : un frein inéquitable à l’accès aux soins Le débat sur le ticket modérateur s’alimente de celui de la prise en charge du petit risque. Faire l’économie de la prise en charge du petit risque, c’est risquer de dépenser plus lorsque celui-ci se transforme en gros risque. Freiner l’accès aux soins via le ticket modérateur, c’est parfois différer l’apparition d’une dépense plus importante, c’est accroître les inégalités entre ceux qui disposent d’une assurance complémentaire pouvant le prendre en charge et ceux qui ne peuvent pas y souscrire, c’est transférer la dépense de médecine de ville vers la dépense hospitalière. S’il est vrai que dans les déterminants individuels de la dépense de santé1 , les facteurs liés au statut social et à l’éducation jouent leur rôle, le facteur économique explique aussi que les ouvriers non qualifiés ont une dépense d’hospitalisation supérieure à la moyenne de 42 %, alors que les cadres dépensent 20 % de moins. En contrepartie ceux-
1. DREES, Déterminants individuels des dépenses de santé, n◦ 378, février 2005.
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13 • Une réforme : pour quoi faire ? ci ont plus facilement recours aux dépenses de spécialistes, de biologie, aux soins dentaires et d’optique où les tickets modérateurs sont les plus élevés mais peuvent être rendus sans effet par une « bonne » assurance complémentaire... Par ailleurs, s’il est vrai que les statistiques font souvent apparaître une consommation plus forte en l’absence de ticket modérateur, elles n’éclairent pas pour autant le besoin de consommation : ne confond-on pas ici la cause et l’effet ? Un exonéré du ticket modérateur consomme souvent plus parce qu’il est plus malade ou que son état de santé est plus dégradé. Ce n’est pas l’exonération qui est la cause de sa consommation mais son état de santé qui justifie alors son exonération. La dépense se présente comme l’effet du besoin de santé alors couvert et non celui de l’exonération. Le même type de controverse existe autour de l’effet inflationniste ou non du tiers-payant. Une étude du CREDES1 a pu démontrer que, si le tiers-payant augmente la dépense de santé, cette progression s’observe chez les personnes à bas revenus, leur permettant ainsi de rattraper le niveau de dépenses des personnes plus aisées et mieux couvertes. Le même raisonnement peut être tenu pour les exonérés du ticket modérateur qui bénéficient de la dispense d’avance des frais pour mieux accéder aux soins. Non seulement le ticket modérateur est inopportun au plan économique (il diffère ou transfère la dépense plus qu’il ne la modère) mais il apparaît injuste au plan social parce qu’il est d’autant mieux pris en charge par les organismes complémentaires que leurs adhérents paient pour ce faire. De ce point de vue, les organismes complémentaires, dont certains proposent des couvertures au-delà de 100 %, voire de rembourser l’inutile (produits de bien-être) ou l’illégal
(dépassements de tarifs non autorisés) contribuent ainsi à accroître les inégalités d’accès aux soins qui résultent d’une liberté d’adhésion qui n’en est pas moins légitime même lorsque les prestations servies sont proportionnelles aux cotisations payées. Il n’existe pas de ticket modérateur pour qui peut se payer une « bonne » mutuelle ou assurance complémentaire qui rembourse « tout », même si c’est « peu » au regard de la part de l’Assurance maladie. Il est vrai cependant que la prise en charge à 100 % peut parfois constituer un effet d’aubaine pour les acteurs du système : les personnes âgées admises en Affection de longue durée (ALD) au titre de plusieurs pathologies se rendront plus fréquemment chez le médecin que nécessaire, tel médecin peut trouver un intérêt à fidéliser un portefeuille de personnes âgées de plus de 75 ans et/ou atteintes de certaines ALD, un patient « mieux couvert » (exonéré du ticket modérateur ou mutualiste) peut faire pression sur son médecin pour allonger l’ordonnance... En 2003, s’agissant des dépenses de ville, l’écart qui sépare la progression des dépenses avec ticket modérateur (+ 3,51 %) de celles exonérées du ticket modérateur (+ 7,35 %) est encore aggravé s’agissant du médicament (le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) estime que 10 à 15 % des prescriptions médicamenteuses pour les patients en ALD sont injustifiées2 ). La progression du nombre d’admissions en ALD avec exonération du ticket modérateur participe sans doute de cette évolution (+ 6 % par an depuis 2000 et + 73,5 % entre 1994 et 2004 !). La loi de réforme de l’Assurance maladie d’août 2004 a d’ailleurs cherché à mettre en place des modes de gestion plus efficaces pour ces pathologies, d’autant que, comme l’avait déjà relevé la Cour des comptes en 1997, le
1. P. Dourgnon, M. Grignon, « Le tiers-payant est-il inflationniste ? », Rapport du CREDES n◦ 1296, 2000. 2. HCAAM, Pour une prise en charge efficiente des maladies dites affections de longue durée, 28 avril 2005.
257
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME processus d’admission et de gestion des ALD et des polypathologies n’était pas optimisé : ainsi, le protocole d’examen spécial, l’ordonnancier bizone séparant les prescriptions afférentes à la pathologie exonérante des autres, les modalités de contrôle et de suivi ont été revus. De même, certains progrès devraient se faire jour avec l’adoption du plan 2007-2011 sur l’amélioration de la qualité de vie des patients atteints de maladies chroniques. Le HCAAM, en avril 2005, appelait toutefois de ses vœux une réforme urgente concernant la gestion des dépenses engagées dans ce cadre : « on s’explique mal l’absence de toute modélisation prévisionnelle sérieuse de ces dépenses pour les années à venir, les carences criantes des statistiques sur les effectifs, les procédures de gestion et le profil des dépenses de ces assurés ».
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Aujourd’hui, les conditions de prise en charge du ticket modérateur ne sont plus lisibles ni cohérentes, bien qu’environ 92 % des Français adhèrent désormais à un organisme complémentaire. Outre le fait que le régime général y contribue au titre de la CMUC, la part des dépenses de ticket modérateur remboursées par les régimes légaux égale presque la moitié de la dépense totale couverte par l’ensemble des assureurs complémentaires ! Certains1 dénoncent alors une assurance maladie à 6 vitesses : bénéficiaires de la CMU, assurés sociaux avec ticket modérateur mais sans complémentaire, assurés sociaux avec ticket modérateur mais avec complémentaire inférieure à celle de la CMU, assurés sociaux avec ticket modérateur mais avec une complémentaire performante, assurés sociaux sans ticket modérateur bénéficiaires d’une ALD et assurés sociaux sans ticket modérateur pour cause médico-administrative...
En fait, le ticket modérateur est inéquitable et obsolète : inéquitable parce qu’il brouille les conditions d’accès aux soins sans en renforcer l’égalité, inutile parce qu’aujourd’hui environ 73 % des dépenses d’assurance maladie sont remboursées sans ticket modérateur. Il serait plus sain et plus cohérent de supprimer ce qui reste du ticket modérateur tout en révisant l’ensemble des modes de prises en charge par l’Assurance maladie sur la base du seul critère d’utilité médicale, conforté notamment par des référentiels médicaux et protocoles thérapeutiques validés par la communauté scientifique, respectés par les acteurs et dont l’application serait contrôlée par les financeurs. Cependant, cela ne semble pas être la conception qui se dégage actuellement.
Vers une modulation vertueuse du ticket modérateur ? D’aucuns, à l’image du HCAAM, pensent que la modulation du ticket modérateur selon la démarche de soins choisie par l’assuré serait de nature à mieux le responsabiliser. Ainsi, comme viennent de le faire les Allemands, les assurés s’engageant dans une démarche de prévention seraient mieux remboursés. C’est ce même argument de responsabilité qui est utilisé durant l’été 2007 pour justifier l’instauration de « franchises » de cinquante centimes d’euro par boîte de médicament et acte paramédical, et de deux euros par transport, le tout restant plafonné à cinquante euros par an et par personne ; les femmes enceintes, les enfants et les titulaires de la CMU en étant exonérés. Face au doute subsistant sur l’argument, les pouvoirs publics précisent alors que la franchise financera les Plans cancer, Alzheimer et le doublement des structures de soins palliatifs2 .
1. P. Beau, dans Espace Social Européen, n◦ 638 du 9 au 15 mai 2003. 2. Interview de R. Bachelot, Le Figaro, 1er août 2007.
13 • Une réforme : pour quoi faire ?
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Cependant, afin de contrer les effets d’aubaine du « tout gratuit », il est en effet possible d’imaginer des contributions diluées des assurés sur différents postes de dépenses, à l’image de la participation forfaitaire d’un euro sur les actes médicaux, instituée par la réforme de 2004. Accroître la participation financière de l’assuré qui sort de son plein gré du parcours de soins coordonné, pourquoi pas si la règle est énoncée clairement et comprise de tous. Subordonner l’application du tiers payant à l’acceptation d’un générique, sauf indications médicales contraires, est tout aussi recevable pour sensibiliser les acteurs à la prise en charge utile la moins coûteuse. Les mesures du récent plan de redressement présenté par le gouvernement s’articulent d’ailleurs en partie sur ces trois axes : augmentation du plafond de la participation forfaitaire sur les actes médicaux (d’un à quatre euros par jour, dans la limite, inchangée, de cinquante euros par an), augmentation du ticket modérateur pour les patients ne respectant pas le parcours de soins (de 40 à 50 %), généralisation à l’ensemble des départements du dispositif tiers payant contre génériques conditionnant le bénéfice du tiers payant à l’acceptation de la délivrance de médicaments génériques. En revanche, utiliser le ticket modérateur pour flécher un parcours de soins vertueux apparaît d’autant plus difficile que les médecins eux-mêmes ne le comprennent pas en tant que prescripteurs ainsi que le montre l’utilisation inadéquate de l’ordonnancier bizone pour les malades chroniques de longue durée. L’utilisation de franchises comme outils de régulation des déficits n’est guère réaliste d’un point de vue économique et injuste et inopportune sur le plan social, car risquant de freiner l’accès aux soins primaires. Une franchise peut même être source de dépenses supplémentaires parce que l’évitement des soins qu’elle provoque ne dure 1. HCAAM, séance du 28 avril 2005.
qu’un temps et les soins différés parce qu’indispensables risquent de coûter ensuite plus cher. Nous préférons quant à nous des critères de remboursement explicites, définis et expliqués en amont, plutôt qu’un « libre choix » même responsable de l’assuré, dans un périmètre de remboursement qui ne peut être rendu complètement transparent, comme l’illustre si bien celui de la prise en charge du médicament. Pour quelques incitations positives définies clairement, ne risque-t-on pas de freiner l’accès aux soins dans des secteurs où la démarche de soins apparaît le plus souvent complexe, non coordonnée, sinon opaque ?
Des restes à charge (RAC) élevés Les débats autour du ticket modérateur se sont aujourd’hui déplacés vers les RAC autrement dit la participation financière globale de l’assuré à la dépense... d’Assurance maladie. Depuis les réformes de 2004, la contribution financière des assurés est plus large puisqu’au ticket modérateur s’ajoutent des augmentations de forfait hospitalier et une participation forfaitaire elle aussi en hausse... (les dépassements ne font pas partie du RAC !). Malgré les régimes d’exonération du ticket modérateur dont la finalité est notamment de réduire le RAC pour les soins longs et coûteux, le HCAAM constate1 que « pour le quart des assurés en ALD dont le recours aux soins est le plus important – deux millions de personnes – le reste à charge est d’environ 810 euros pour une dépense reconnue de 24 200 euros » et que « le RAC moyen des assurés en ALD est deux fois celui des assurés non ALD ». Pour autant, l’équité n’est pas dans la prise en charge financière quasi-totale pour les uns et un RAC plus élevé pour les autres parce que certains assurés non ALD supportent de forts RAC. Il en résulte plusieurs
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME
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types de questionnements : faut-il exonérer du ticket modérateur les dépenses les plus utiles ou les plus coûteuses ? Faut-il plafonner les tickets modérateurs, les franchises... ou le RAC ? Faut-il enfin introduire un critère de revenus pour rendre le système plus équitable ? De nombreux experts le pensent1 , proposant pêle-mêle la suppression des dispositifs d’exonération et un plafonnement des RAC basé sur le revenu de chaque ménage, sachant qu’une fois le plafond franchi, les dépenses seraient intégralement prises en charge. Le plafonnement pourrait même servir de variable d’ajustement à l’équilibre des comptes de l’Assurance maladie ! Est également examinée la mise en place d’un « bouclier sanitaire », reprenant l’une des contre-propositions de Martin Hirsch au dispositif de franchises, consistant à plafonner le RAC des patients à hauteur de 3 à 5 % de leur revenu brut (les autres contre-propositions comprennent la non-indemnisation du premier jour d’arrêt de travail et l’instauration d’une taxe nutritionnelle sur des aliments ou boissons peu diététiques). Le HCAAM laisse néanmoins entendre que l’intégration du revenu au dispositif de franchise serait trop complexe et coûteuse. Il reste qu’une réforme de ce type
a été mise en place en Allemagne, où le montant des dépenses directement financées par le patient est limité depuis 2004 à 2 % de son revenu annuel brut (1 % pour les malades chroniques). Les assurances complémentaires peuventelles contribuer à atténuer les RAC ? Cela n’a pas vraiment été le cas jusqu’à présent en dehors des contraintes réglementaires (CMU, contrats responsables) et leur intervention aggrave plutôt les inégalités puisque la couverture « complémentaire » l’est d’autant plus que les cotisations dédiées sont élevées et qu’il n’est pas tenu compte, si ce n’est inversement, de la capacité contributive des adhérents. Ce point de vue est à nuancer pour les mutuelles qui font intervenir des mécanismes de solidarité, tout en s’efforçant de demeurer compétitives sur un marché de l’assurance de plus en plus ouvert. Le problème reste cependant posé en cas de désengagement futur des régimes de base sur les soins de ville, d’un relais par les complémentaires dans le cadre de contrats responsables élargis qui pourraient contribuer non seulement à l’harmonisation des prises en charge mais aussi à une diminution des RAC.
2. UNE RÉGULATION QUI BUTE SUR LES FONDAMENTAUX HISTORIQUES DE L’ORGANISATION DES SOINS DE VILLE Les principes de la médecine libérale énoncés dans la charte de 1927 (paiement à l’acte, secret médical, entente directe sur les honoraires, liberté de choix des malades, liberté de prescription, liberté d’installation) ont toujours constitué une référence, si ce n’est juridique, du moins culturelle pour l’ensemble du corps médical et de ses représentants. C’est autour de ces principes que les affrontements les plus violents ont eu lieu entre les partenaires sociaux et médicaux. Aujourd’hui, le climat est plus apaisé et les principes ont été largement amendés au fil du développement de l’Assurance maladie, pour aboutir à un compromis socio-libéral. Faut-il pour autant continuer dans cette voie ? 1. F. Ecalle, dans Revue Sociétal,e n◦ 56, 2e trimestre 2007. Voir aussi P.L. Bras, E. Grass, O. Brecht, « En finir avec les affections de longue durée, plafonner les Restes à charge », Droit Social n◦ 4, avril 2007.
13 • Une réforme : pour quoi faire ?
Liberté d’installation, démographie médicale et soins coordonnés ville-hôpital La progression du nombre de médecins libéraux (+ 51 % entre 1980 et 2005) a été jusqu’à présent suffisante pour absorber une hausse tout aussi croissante de la demande (le nombre d’actes par personne a quasiment doublé sur la même période). La forte densité médicale a permis d’occulter une répartition inégale des professionnels de santé sur le territoire. Il en résulte des disparités locales et régionales importantes qui n’ont fait débat qu’autour de la fixation du numerus clausus national, à l’entrée du second cycle des études médicales, l’idée demeurant qu’il suffirait d’accroître le nombre de médecins à terme, donc de rendre l’offre plus abondante, pour satisfaire la demande.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Cette politique expansionniste était d’ailleurs largement soutenue par un assureur public qui solvabilisait sans compter cette demande au bénéfice de tous... Paradoxalement, on voyait dans le même temps les représentants de certaines spécialités ou des auxiliaires médicaux adopter, pour certains d’entre eux, une approche plus malthusienne qui leur semblait plus opportune pour protéger leurs intérêts. Aujourd’hui, la donne a changé : l’assureur public compte (avec raison). L’assuré consommateur exige un accès rapide et de proximité aux soins (parfois avec déraison). Les élus constatent les dégâts (déserts médicaux ruraux mais aussi périurbains). Les acteurs concernés reconsidèrent leur stratégie. Le 22 mars 2007, la Conférence nationale de santé, en vue de lutter contre l’inégalité d’accès aux soins, propose « de moduler plus fortement le numerus clausus des professions de santé d’un point de vue
géographique, au niveau régional mais aussi infra-régional ». Or, que va-t-il se passer dans les vingt prochaines années ? La demande va continuer de croître (effet conjugué du vieillissement et du progrès médical) alors que la densité médicale va baisser (283 médecins pour 100 000 habitants en 2025 contre 340 aujourd’hui). La question d’une meilleure répartition de l’offre va se poser mais ce ne sera pas la seule. En effet, la désaffection que l’on observe pour le métier de généraliste est aussi due à l’accroissement continu d’une charge de travail (2 024 consultations par médecin en 1980 contre 3 120 actuellement) peu compatible avec une qualité de vie, d’autant plus revendiquée que la profession se féminise. Le professionnel qui s’installe a sa propre rationalité et les motifs d’ordre personnel sont prédominants : proximité de la famille, activité du conjoint, environnement de la pratique médicale, dont la proximité hospitalière, demeurent des critères prédominants d’après une étude1 du Centre de sociologie et de démographie médicale consacrée aux déterminants du choix géographique. Paradoxalement, le poids de l’analyse du marché diminue. Sur dix installations libérales, quatre sont déterminées par des raisons personnelles, une par un rachat de clientèle, une par une étude de marché. Or le vieillissement de la profession conjugué à la diminution des médecins va encore diminuer la pression concurrentielle dans les prochaines années ! Ce n’est pas seulement le soleil qui sert d’aimant à l’installation mais l’environnement de la pratique médicale, la proximité de l’hôpital, l’activité professionnelle du conjoint... Autrement dit les inégalités de l’offre ne peuvent que s’accentuer et il est illusoire de penser que les futurs médecins iront
1. Centre de sociologie et de démographie médicales, Les déterminants du choix géographique 1974-1999, 2003.
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME
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d’eux-mêmes dans les zones rurales dépeuplées ou dans les banlieues réputées difficiles... Il faudra repenser la répartition entre les spécialités : fin 2005, les médecins généralistes sont légèrement plus nombreux que les spécialistes (respectivement 51 % et 49 %) ; cependant, si on ne comptabilise que les médecins ayant une activité régulière, on dénombre 48,6 % de généralistes et 51,4 % de spécialistes. Pour la même année une étude de la DREES mentionne que 4 472 candidats se sont inscrits aux épreuves classantes nationales, et que 3 822 ont été affectés (soit 79,6 % des 4 803 postes ouverts). La médecine générale ne représente que 37 % des 3 822 affectations ; plus précisément, 2 400 postes ont été pourvus, soit un écart de 981 postes (40 %), alors qu’on ne constate aucun écart entre postes ouverts et postes pourvus dans les autres disciplines. Quand on regarde les répartitions géographiques ou par spécialités, on peut raisonnablement penser qu’en 2025, alors que la France comptera entre 66 et 67 millions d’habitants, des solutions de meilleure répartition de la démographie médicale s’imposeront. D’autre part, dans quel sens évolueront les directives européennes en matière de circulation et d’installation des professionnels ? Déjà les initiatives se multiplient pour faire venir les médecins, les infirmiers et praticiens dans les cabinets de ville, les cliniques et les hôpitaux français. Les Espagnols, Belges et Italiens font l’objet de recrutements importants. Ces perspectives vont se renforcer avec l’élargissement de l’Union européenne : les médecins des pays de l’Est pourront obtenir l’équivalence des diplômes, dès lors que leur formation est conforme aux exigences européennes (directive 96-16 modifiée). Un numerus clausus plus anticipatif, les aides à l’installation dans les zones déficitaires,
une régulation attractive des médecins étrangers, les préorientations vers les spécialités, voire l’interdiction de redoubler l’année du choix de la spécialité sont autant de mesures nécessaires mais insuffisantes. Le chantier de la démographie médicale dépend de la vision politique qui doit préfigurer la mise en place d’une politique de santé publique répondant à une évolution des besoins, s’agissant des domaines de la prévention, des soins primaires, des soins lourds et des spécialités attendues. Autrement dit, la démographie médicale est une des composantes de l’organisation des soins qui, elle-même, en est une d’une politique de santé publique. En écrivant cela, on ne se prononce pas nécessairement pour un système de santé étatisé, mais nous soulignons l’incohérence, voire l’incompatibilité, entre la liberté d’installation des médecins et la volonté de plus en plus affirmée de l’État d’organiser rationnellement les soins et le territoire via des schémas régionaux qui gomment à juste titre les frontières ville/hôpital. Ce sont ces schémas qui, après avoir intégré l’ensemble des besoins de soins, devraient servir de référence à une pré-affectation des étudiants en médecine dans les filières requises, puis à leur installation. Les inégalités géographiques d’accès aux soins obligent à terme la France à abandonner le principe de la liberté d’installation. Le relèvement du numerus clausus ne sert à rien si les médecins ne sont pas mieux répartis sur le territoire. Quant aux mesures incitatives, on s’apercevra vite de leur faible rapport coût/efficacité. Personne n’est dupe, comme en témoignent les récents propos tenus par Roselyne Bachelot : « Face au problème de la démographie médicale on ne peut que constater l’insuffisance des mesures incitatives »1 .
1. R. Bachelot, « On ne peut pas lier mécaniquement dépenses et performances des systèmes de santé », Le Monde, propos recueillis par P. Benkimoun, S. Blanchard et M. Delberghe, 21 juin 2007.
13 • Une réforme : pour quoi faire ?
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
De l’entente directe aux tarifs conventionnels La liberté tarifaire aujourd’hui revendiquée par une partie du corps médical n’existe pas... depuis plus de 75 ans, c’est-à-dire depuis qu’une « loi folle », aux dires de certains médecins de l’époque, a rendu solvable la demande de soins d’une partie de la population, en attendant les premières assurances sociales de 1930, la mise en place de l’Assurance maladie en 1945 et son processus de généralisation qui ne s’est jamais démenti depuis, jusqu’à son aboutissement en 2000 par la CMU. Pour autant, la revendication de liberté tarifaire émaille l’histoire des relations entre la profession médicale et l’Assurance maladie : c’est elle qui est à l’origine de la charte de la médecine libérale de 1927 qui prône « l’entente directe » entre le malade et le médecin sur le montant des honoraires, c’est contre elle que s’élaborera un système conventionnel de négociation d’honoraires où les tarifs négociés deviennent opposables, une fois agréés par le ministre de tutelle. La loi du 3 juillet 1971 arrêtera le principe d’un cadre national pour les conventions, des tarifs opposables et homogènes sur l’ensemble du territoire. Elle soulignera la responsabilité économique du prescripteur et la nécessité pour les négociateurs conventionnels de dépasser le cadre tarifaire pour atteindre l’ensemble du champ économique et social dans lequel coexistent et doivent s’organiser médecine de ville et financement socialisé de la dépense. Cette loi intervient au moment le plus consensuel du système, c’est-à-dire au moment où croissance économique, financement collectif et consommation médicale font bon ménage : les conventions réduisent les écarts entre tarifs pratiqués et remboursés, accroissant les revenus des médecins conventionnés qui en oublient
leurs revendications quant aux modes d’exercice d’une pratique qui n’est déjà plus libérale et qui le sera de moins en moins, au fur et à mesure que s’élargira le contrat sociétal de la médecine. Néanmoins, après les chocs pétroliers et l’apparition des premiers déficits, les tensions vont renaître entre la nécessité de conserver un bon niveau de prise en charge de la dépense socialisée et celle d’assurer aux médecins des revenus conformes à leur investissement professionnel, sachant que la première nécessité est plus facile à quantifier que la seconde... C’est ainsi qu’un droit permanent à dépassement a été admis pour les médecins particulièrement titrés, qui a été étendu en 1980 par l’ouverture d’un secteur à honoraires libres pour les médecins conventionnés qui renonçaient à une partie de leurs avantages sociaux. Ceux-ci sont, en effet, la contrepartie du respect par les médecins conventionnés des tarifs opposables. Les Caisses prennent en charge leurs cotisations sociales à hauteur d’environ 10 000 à 14 000 euros par an en moyenne par médecin généraliste et spécialiste. Du fait de l’étendue des dégâts sociaux, proportionnels au succès de la formule (en 1990, plus d’un quart des médecins relève du secteur à honoraires libres connu sous le nom de secteur 2 mais, dans les grandes villes telles que Paris ou Lyon, certaines spécialités ne sont plus accessibles en secteur à honoraires opposables), le secteur 2 est gelé ce qui atténue le problème social mais rend inéquitables les conditions d’exercice entre médecins déjà « installés », bénéficiaires du secteur 2 (24,9 % en 2005 : 39 % de spécialistes et 12,4 % d’omnipraticiens1 ) et ceux condamnés à exercer... en secteur 1. Cependant, de nombreux médecins ont compris, au-delà d’un contrat social dont ils trouvent les valeurs en phase avec celles de
1. DREES, Les comptes nationaux de la santé 2005, n◦ 100, juillet 2006.
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME l’éthique médicale, que leur pratique n’a rien à gagner du fait d’une liberté tarifaire anarchique qui re-pose la question de l’argent au cœur de la relation avec le patient, alors qu’ils s’en étaient « reposés » grâce aux conventions. De surcroît, la liberté tarifaire les positionne entre eux dans une concurrence incertaine alors que la loi de 1971 les en préserve. Nous pensons qu’il n’existe pas d’Assurance maladie obligatoire et solidaire sans tarifs opposables. C’est cette opposabilité qui fonde l’égalité constitutionnelle d’accès aux soins, qui protège les assurés sociaux, mais aussi pour grande partie les médecins, de toutes les dérives contenues dans une santé-marchandise.
Paiement à l’acte : un mode de rémunération inadapté 264
Le paiement à l’acte est un exemple intéressant de concept bloquant face aux nécessaires évolutions du système d’assurance maladie. C’est encore aujourd’hui le principal mode de rémunération des médecins, via le remboursement par les Caisses des deux actes constituant l’essentiel de leur activité : la consultation et la visite. Paradoxalement, alors qu’il existe une critique assez partagée de ce mode de rémunération par les deux parties prenantes des négociations conventionnelles, l’Assurance maladie et les syndicats médicaux, la réforme piétine : le paiement à l’acte véhicule depuis très longtemps des schémas de représentation attachés au mode d’exercice libéral. Néanmoins, il est aisé de démontrer que le maintien à tout prix de ce mode de rémunération conduit à un rapport perdant/perdant pour les deux parties. Rien ne vient limiter la liberté de prescription à laquelle se rattache directement le mode
de rémunération des médecins : le paiement à l’acte. Il est plus facile de prescrire un examen que de passer trente minutes à l’écoute du patient1 , d’autant que la pression que ce dernier exerce sur le contenu de son ordonnance va dans le même sens que celle que les médecins connaissent de la part des laboratoires pharmaceutiques qui les « visitent » plusieurs fois par semaine2 . Nous sommes parfois loin du serment d’Hippocrate « J’exercerai mon art dans la pureté et l’innocence » : le paiement à l’acte permet aux médecins de fixer le niveau de leurs gains, soit en organisant le portefeuille de leur clientèle (avec si possible, suffisamment de personnes âgées en ALD et à 100 %...), soit en planifiant leur nombre d’actes. Jean Peneff relève que les généralistes, « multipliant les consultations (à domicile ou dans des maisons de retraite ou de long séjour) de personnes dispensées du ticket modérateur peuvent réduire la consultation à un temps de cinq minutes et accroître ainsi leur revenu3 ». Il souligne les effets pervers de cette course aux volumes : « le médecin veut respirer, vivre une vie familiale, s’évader mais constate, tardivement, qu’il est devenu captif et victime de l’offre intense qu’il a lui-même créée ». Certains spécialistes sont les rois de l’« amortissement » de leur matériel : ils prescrivent à un endroit ou un moment donné des examens et des actes techniques qu’ils réalisent eux-mêmes à un autre moment ou un autre endroit... Depuis, le contexte a largement conforté le paiement à l’acte dans le cadre d’une tarification rénovée des activités (CCAM, T2A) et nonobstant l’émergence de quelques tarifs forfaitaires. • Les contraintes économiques ont pesé sur
les négociations tarifaires tant du point de vue du contenu que du volume : la consultation et la visite représentent des charges
1. Une étude de la DREES (avril 2006) évalue à 15 minutes la durée moyenne d’une consultation. 2. La France compte un visiteur médical pour 9 médecins (1 pour 22 en Allemagne). 3. J. Peneff, La France malade de ses médecins, éd. Les empêcheurs de tourner en rond, octobre 2005.
13 • Une réforme : pour quoi faire ? de travail fort variables avec un diagnostic et un temps d’écoute incomparables suivant qu’il s’agit d’un rhume, d’un acte de dépistage, d’un renouvellement d’ordonnance ou d’un accompagnement psychothérapeutique. La rémunération au tarif unique apparaît souvent inadaptée si le contenu est pris en compte. Plus grave encore, si le contenu n’est pas « considéré », pourquoi ne pas utiliser le volume comme variable d’ajustement : à la hausse pour les médecins souhaitant compenser des revenus estimés insuffisants, à la baisse pour l’assureur désireux d’éviter l’inflation. Tout le monde est alors perdant : les malades qui s’adressent aux médecins suractifs parce qu’à compter d’un certain niveau d’activité, le volume devient incompatible avec la qualité du soin, les médecins eux-mêmes qui pratiquent des journées de travail trop lourdes, l’assureur enfin qui, continuant de rembourser en aveugle n’a aucun moyen d’initier des processus de qualité de soins qui profiteraient à l’ensemble des parties : le paiement à l’acte, par son caractère aveugle et inflationniste ne peut générer autre chose que de la maîtrise comptable tant de la part des médecins que de l’Assurance maladie !
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• Le paiement à l’acte est également inappro-
prié face au développement de nouveaux modes de prise en charge des soins, qu’il s’agisse des réseaux ou des cabinets collectifs, maisons de la santé ou autres qui impliquent nécessairement une diversification des modes de rémunération.
• C’est pourquoi, des modes de rémunération
complémentaires sont apparus tels que le paiement au forfait appliqué d’abord aux
médecins référents qui s’engageaient dans une démarche qualité vis-à-vis de leurs patients, et désormais aux médecins traitants prenant en charge un patient en ALD. Différents accords conventionnels ont prévu différents types de paiements forfaitaires : forfait pédiatrique, forfait permettant de régler la permanence des soins, forfait d’astreinte1 , forfaits mensuels de soins dans le cadre des contrats de santé publique avec des niveaux différents suivant le rôle du praticien dans la coordination des soins. Le même mode de rémunération intervient pour la délivrance de soins palliatifs à domicile avec un forfait de participation auquel s’ajoute un forfait de soins ; un forfait de surveillance médicale des cures thermales2 accompagne les contrats de pratiques professionnelles3 . • Les nouvelles formes de tarification à l’activité cernent mieux le contenu des activités mais ne peuvent contenir les risques inflationnistes.
Les évolutions de l’exercice libéral de la médecine et le contrat sociétal Dans les premiers temps de la Sécurité sociale, les syndicats de praticiens libéraux défendaient les modalités d’exercice de la médecine libérale, telles qu’elles avaient été définies en début du XXe siècle, afin de protéger les médecins des risques de salariat d’une profession contrainte d’exercer alors dans des centres de santé intégrés. Paradoxalement, le XXe siècle risque de voir les médecins réclamer des formes nouvelles de salariat dans le cadre de cabinets collectifs où les conditions d’exer-
1. Avenant 4 à la Convention nationale des médecins, publié au J.O. du 1er juin 2005. 2. Avenant 2 à la Convention nationale destinée à organiser les rapports entre les caisses d’assurance maladie et les établissements thermaux. 3. Le PLFSS 2008 envisagerait d’aller plus loin par le biais de l’expérimentation pendant cinq ans de modes de rémunération forfaitaires annuels alternatifs au paiement à l’acte pour la prise en charge de patients en ALD.
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME cice professionnel seraient sécurisées tout en laissant place à plus de temps libre pour la vie privée. Le paiement à l’acte est un mode de rémunération inadapté aux objectifs des acteurs du système : les assureurs récusent son caractère inflationniste qui peut les amener soit à diminuer le nombre d’actes (politique de quotas), soit à contenir les tarifs. Les malades contestent un mode d’exercice qui diminue le temps d’écoute. Les médecins s’accommodent de plus en plus mal de conditions de travail et de rémunération qui les obligent à travailler longtemps sans pour autant améliorer la qualité de leur pratique.
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Ainsi, lors d’une table ronde organisée début 2007, lors du Congrès national de l’intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG), Laurent Dissard, porte-parole de celle-ci, relevait que « le paiement à l’acte est le mode principal de rémunération des médecins mais les jeunes sont de plus en plus demandeurs d’une rémunération mixte. Or, les forfaits ne représentent que 5 % des revenus des généralistes1 ». Le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, interloqué, rappelle alors que les modes de rémunération doivent être pluriels. Il relève que « la rémunération d’actes de prévention, d’éducation sanitaire ne peut être que forfaitaire et que le salariat est tout à fait possible dans le cadre du partage du temps de travail ». Un autre médecin revendique « la médecine salariée [qui] affranchit de toute relation pécuniaire avec les patients. On ne se demande plus à la fin de la journée combien on a fait d’actes, on ne se soucie que du patient. En cela, le salariat permet de remplir parfaitement son rôle
de médecin. Le paiement à l’acte ne peut plus être le seul mode de rémunération possible au XXIe siècle ». Il semble donc que les aspirations des futurs omnipraticiens soient très différentes de celles de leurs aînés. Pourra-t-on enfin transformer ce concept perdant/perdant en contrat gagnant/gagnant, fort du constat selon lequel les parties sont majoritairement d’accord sur la finalité : permettre l’accès de tous à des soins de qualité, bien rémunérés, dans un contexte de travail qui donne satisfaction aux professionnels ?
Les principes historiques de la médecine libérale sont-ils obsolètes ? Pour les uns, ces principes sont en train de s’effondrer2 , pour d’autres, ils sont intouchables et demeurent un facteur constant de crispation dans les négociations conventionnelles entre professionnels de santé et l’Assurance maladie. La réalité du terrain est moins simple qu’il n’y paraît : l’entente directe est gommée par les tarifs conventionnels opposables mais le médecin reste l’ordonnateur, acte par acte de ses prescriptions. La nouvelle classification commune des actes médicaux conforte ce mode de paiement comme le mode de paiement dominant. La liberté de prescription est encadrée mais elle demeure, au même titre que le libre choix du « médecin traitant » ou l’accès libre au spécialiste. D’aucuns pensent que le dogme du secret médical pourrait tomber du fait de la nécessité du partage de l’information autour de l’utilisation du futur Dossier Médical Person-
1. Cependant, d’après un article de Pascal Beau paru dans Espace Social Européen (n◦ 795), « Le système du paiement à l’acte écrase le mode de rémunération avec près de 98 % des revenus, les forfaits ne pèsent que 3,6 % des revenus des omnipraticiens et 2,1 % de ceux des spécialistes ». 2. T. Burnay, L. Hartmann, P. Ulmann, « Réforme du médecin traitant et nouveaux enjeux de la médecine de ville en France », Revue française des Affaires Sociales, 1er trimestre 2007.
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13 • Une réforme : pour quoi faire ? nel mais que d’efforts faits pour le compliquer, retarder l’échéance et augmenter ses coûts... La mise en œuvre de ces principes aujourd’hui conduit-elle à de meilleurs soins au moindre coût pour la collectivité ? Nous démontrons souvent dans cet ouvrage que c’est l’inverse. Conduit-elle à de meilleures rémunérations et une amélioration de qualité de vie des médecins et des généralistes en particulier ? Certainement pas pour ces derniers qui sont les moins bien rémunérés de toute l’Europe, à condition égale de développement économique1 . Nos médecins ont-ils une meilleure qualité de vie et sont-ils mieux reconnus ? Non, parce qu’ils sont prisonniers du dogme qu’ils ont eux-mêmes construit. Quant aux pouvoirs publics, ils sont face à une organisation de soins de ville peu efficiente, des principes défendus bec et ongles par des représentants des médecins qui s’y réfèrent comme à un catéchisme, d’où des circonvolutions sémantiques, réglementaires et autres pour les réaffirmer tout en les encadrant mieux. Tout le monde le sait, mais le sujet reste tabou même s’il se cache derrière la demande récurrente de réforme de l’organisation structurelle des soins de ville. Dans ce domaine aussi, les curseurs doivent bouger : le dilemme n’est pas de choisir entre la médecine libérale de 1927 et un système étatisé de santé mais d’inventer une organisation coordonnée des soins, décloisonnée, pluridisciplinaire sachant partager l’information, la connaissance et travailler en réseau. Ce sont les médecins eux-mêmes qui feront bouger les curseurs dès lors qu’ils vont prendre
conscience des impasses des modalités d’exercice actuel : croissance des recours dans une démographie médicale déséquilibrée, dégradation des conditions de travail dans un contexte économique où la nécessité du juste soin rendra la pression de l’assureur plus forte tandis qu’un mode de rémunération figé sur le paiement à l’acte n’éludera pas la course aux volumes. Il faut dès maintenant inventer une nouvelle organisation des soins de ville répondant à des besoins identifiés de santé des populations et permettant de fournir des soins primaires de qualité au meilleur coût. D’ores et déjà l’académie nationale de médecine s’est emparée du curseur proposant2 « des maisons de santé, où se trouveraient réunis médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, aides-soignants... », anticipant des organisations cibles à partir d’une étude des besoins « en fixant à échéance de cinq ans le nombre de médecins nécessaires dans telle ou telle spécialité et par territoire d’exercice », réclamant « une politique équilibrée des revenus du monde médical », sachant « prendre en compte la nature de l’acte intellectuel dispensé par chaque médecin », « plutôt que de distribuer sous la pression au jour le jour, un euro par ci, deux euros par là... », soulignant enfin que « rémunérer à l’acte l’aspect technique est nécessairement inflationniste et le sera de plus en plus vu le développement accéléré de la technologie qui rend caduque un appareil en moins de cinq ans ». Maintenant c’est dit, mais ça reste à faire...
1. Le revenu annuel moyen d’un généraliste anglais est de 150 000 euros, soit environ deux fois plus que son homologue français, alors même qu’il exerce dans un système national de santé où le paiement à l’acte n’existe quasiment pas. 2. Académie nationale de médecine, Rapport Guy Nicolas, Le corps médical à horizon 2015, février 2007.
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Chapitre 14 Réformer : oui, mais comment ?
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME
PLAN DU CHAPITRE
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1. La réforme introuvable qui s’affiche La méthode Les enjeux : mosaïque ou système ? Mythes ou enjeux : privatisation ou étatisation ? L’échelon régional : mythe ou réalité ?
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2. Une gouvernance durable qui se construit sans s’afficher État et Assurance maladie : gouvernons ensemble... Les lois des 9 et 13 août 2004 Confirmation du rôle grandissant des usagers Vers des niveaux pertinents de gestion contributifs d’une gouvernance durable
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14 • Réformer : oui, mais comment ?
1. LA RÉFORME INTROUVABLE QUI S’AFFICHE La dernière réforme en date est-elle durable dans ses effets ou est-on face à un énième plan de redressement des dépenses, aussi éphémère que le mandat du ministre qui l’affiche ? Les réformes se succèdent face à une opinion incrédule. Il nous faut donc interroger la méthode, les enjeux et les mythes.
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La méthode Pourquoi réformer ? La question qui vient d’abord à l’esprit est celle-ci. Après tout, le système de santé fonctionne, le déficit n’est pas nouveau et les caisses continuent de rembourser... L’absence de réforme peut même constituer une aubaine pour les adeptes du culte du marché et de la privatisation qui attendent que le système s’effondre pour se ruer sur le « gâteau », mais aussi pour les gauchistes de tous horizons qui voient dans la « privatisation rampante » du système l’illustration de la thèse de l’envahissement de la sphère sociale par le marché. Il est vrai que la France est un pays de tradition plus révolutionnaire que réformiste qui nous conduit plutôt à gérer les crises qu’à les anticiper. Les syndicats professionnels ont une culture plus oppositionnelle que cogestionnaire. Les partis politiques préfèrent l’affrontement verbal au débat, même lorsqu’ils revendiquent le statut de « parti de gouvernement » parfois encore contesté en interne... Il est cependant vrai que, confrontée au réformisme ambiant, la question du sens est fondamentale : s’agit-il de conforter l’État social ou de le déréguler, de pérenniser le principe constitutionnel d’égalité d’accès aux soins ou de maximiser les profits du marché de la santé, etc. Les réformes conduisent-elles à plus de sécurité sociale ou à plus d’insécurité sociale ? En réalité, les problématiques ne sont pas aussi
simplement binaires. Comme l’explique Robert Castel1 « le défi à relever est de parvenir à articuler la nouvelle donne économique imposée par la mutation actuelle du capitalisme et le redéploiement d’un droit à la sécurité et à la protection pour ceux et celles qui, à l’instar du capital et de l’entreprise, sont aussi les agents de la production des richesses ». Dans le contexte d’une société française peu réceptive à la notion de réforme, souvent campée sur les acquis sociaux et méfiante à l’égard de changements dont les citoyens perçoivent souvent mal ce qu’ils ont à gagner et à perdre, où l’intérêt individuel l’emporte souvent sur la solidarité collective, a fortiori sur le long terme, la question de la méthode est fondamentale.
Les enjeux : mosaïque ou système ? Le système de santé n’est pas régulé parce qu’il n’est pas piloté, non pas qu’il n’existe pas un pilote dans l’avion, mais parce qu’il y en a trop. Certes, la sédimentation du système est historique : l’État qui administre ou gère la santé publique, l’hôpital, le médicament, détermine les niveaux de recettes et de dépenses, et l’Assurance maladie qui, via les partenaires sociaux et à l’intérieur d’une mosaïque de régimes sociaux, gère les relations avec les professionnels de santé de ville. Seulement voilà, la santé
1. R. Castel, « La guerre des réformismes », Le Monde, 20 janvier 2004.
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME ne s’accommode pas d’une gestion de territoires. De surcroît, des logiques contradictoires de gestion s’affrontent : la dynamique du marché pousse à une libéralisation des prix et des tarifs (médicaments, honoraires) souvent incompatible avec la finalité publique d’égalité d’accès aux soins, alors que cette même finalité conduit à une consommation effrénée que les politiques tentent de freiner afin d’endiguer les déficits publics nuisibles au marché. Pour autant, les logiques économiques et sociales ne sont pas nécessairement en opposition, la dernière contribuant à la dynamique du marché de la santé, de l’emploi et de la croissance économique par la redistribution immédiate des prestations dans des circuits de consommation.
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Cependant, la multiplicité des acteurs et des intérêts à agir sont loin d’être convergents, impliquant de mettre en œuvre des outils coordonnés de régulation. Sachant que les frontières sont poreuses entre les domaines, il n’est plus possible de gérer en dehors d’approches globales et multidisciplinaires. Il apparaît aussi souhaitable de passer par des points uniques de pilotage qui coordonnent et arbitrent des intérêts et positionnements différents.
Mythes ou enjeux : privatisation ou étatisation ? Pour sortir de cette balkanisation qui nuit à l’efficience du système, les politiques ne disposent que de trois solutions : privatiser, étatiser, coordonner. • Privatiser : il s’agirait de confier à des opéra-
teurs privés, dans le cadre libéral du marché, la gestion du système. Cette solution nous paraît incompatible avec le maintien d’une couverture universelle et le respect du prin-
cipe constitutionnel d’égalité d’accès aux soins. • Étatiser : à partir d’une compétence unique
(ministre de la santé et de l’Assurance maladie), responsable devant le Parlement, l’État rassemble des compétences dispersées, les optimise (distinction entre fonctions stratégiques, d’expertise et de mise en œuvre) et les déconcentre (ARS). Les régimes sociaux d’Assurance maladie sont alors cantonnés dans le service des prestations et de l’action sanitaire et sociale. Ce schéma a le mérite de la cohérence... sur le papier1 mais renvoie à la réforme introuvable de l’État qui en ferait un opérateur efficient sur le terrain.
• Coordonner : il s’agit ici d’intégrer les élé-
ments historiques de l’histoire de la protection sociale tout en organisant une modernisation conjointe et coordonnée de l’État et de l’Assurance maladie, qui réclame une clarification des règles de gestion (qui fait quoi, avec quels moyens ?) des simplifications structurelles (trop de structures, de pilotes, de réglementations inadaptées et complexes), une évolution des modes de gestion et de représentation de l’Assurance maladie (conseils d’administration rénovés), une déconcentration régionale enfin, avec tous les acteurs concernés mais un seul pilote, celle-ci pouvant s’appuyer sur une ARS au statut fédérateur.
Une fois que les nouvelles modalités de gouvernance ou de pilotage auront été établies, avec des règles et des champs de responsabilité pour tout ou partie des acteurs, il restera à l’État stratège, via le Parlement, à définir des politiques publiques de santé et d’assurance maladie, constituant autant de cahiers des charges pour des opérateurs publics de statuts différents chargés de les mettre en œuvre
1. P.L. Bras, « Notre système de soins est-il gouverné ? », Droit Social, novembre 2003, et D. Piveteau, « Caisse nationale d’assurance maladie : le mélange des genres », Sociétal, n◦ 36, 2e trimestre 2002.
14 • Réformer : oui, mais comment ? ensemble, parfois en coopération avec des partenaires privés, au travers de processus réformistes continus, identifiables comme tels... au moment des résultats mais pas avant !
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Déjà en 2003, Gilles Johanet affirmait que « nous avons de bons soignants et de bons gestionnaires, mais de mauvaises règles : chacun fait ce qu’il veut, comme il veut et quand il veut ». En 2004, le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) allait encore plus loin en affirmant que « la question institutionnelle n’était pas une question seconde » et en préconisant de nouvelles modalités de gouvernance associant transfert de compétences et transfert de responsabilité. Selon lui1 : « le système repose trop et à tous les niveaux sur des pilotages coordonnés dans lesquels chaque partenaire conserve en réalité son autonomie et ses prérogatives » d’où l’intérêt d’une délégation globale de compétences qui doit s’accompagner d’une pleine responsabilité de celui qui en bénéficie, qui l’oblige à rendre des comptes sur les résultats que l’on attend de lui. Il conviendra de procéder à de nouveaux partages de responsabilités ; une nouvelle gouvernance devra définir les champs d’intervention des acteurs. Les structures actuelles demeurent trop lourdes et la simplification structurelle se fait attendre. Le centralisme étatique reste important et l’autonomie de certains acteurs gagnerait à être mieux régulée via des outils adaptés de contractualisation. Ces dernières années, on a vu, pêle-mêle, l’Assurance maladie demander à gérer l’offre et la qualité des soins (plan Johanet), les assureurs privés réclamer la gestion au premier franc (projet AXA) sans toutefois remettre en cause les règles du financement collectif, et enfin l’État amorcer une démarche d’étatisation de l’Assurance maladie (plan Juppé) à laquelle il n’a d’ailleurs pas renoncé. L’opinion a sou1. HCAAM, Rapport – synthèse, 23 janvier 2004.
vent confondu ces démarches, parlant à chaque fois de « tentative de privatisation »... À part quelques cercles libéraux et certains médecins à exercices particuliers, il existe peu de partisans d’une véritable privatisation, qui supposerait que la santé relève du domaine exclusif du marché et que chacun s’assure contre les risques selon ses moyens. Les assureurs privés eux-mêmes ont reculé et ne revendiquent une privatisation que pour les « niches » rentables, telles l’optique et le dentaire, d’où la Sécu s’est déjà désengagée et pour lesquelles ils réclament une gestion au premier euro. Leur réaction négative au rapport Chadelat, tout comme celle des mutuelles libérales sur l’obligation éventuelle de participer à un panier de soins défini par l’État dans le cadre de la couverture maladie généralisée est, à cet égard, significative... Les assureurs privés sont plutôt favorables à des régimes obligatoires centrés sur leur « cœur de métier », c’est-à-dire ce qui coûte cher et rapporte peu : les maladies lourdes, les affections de longue durée... et préfèrent prendre en charge les prestations présentant le meilleur rapport de profitabilité. Ils ne choisissent ni ne sélectionnent le client mais se positionnent sur les créneaux rentables du marché. Derrière la prestation se cache ou se découvre le bénéficiaire... La force des assureurs est dans la vente des contrats individuels et dans la capacité de contraindre les producteurs et les opérateurs de soins qui, en contrepartie de rémunérations attractives, acceptent d’entrer dans des stratégies thérapeutiques prédéfinies. L’assurance privée est rentable parce qu’elle pratique le rationnement et l’exclusion lorsqu’il y a sur-risque. Imagine-t-on un bonus/malus sur la santé ? Plutôt que de parler de privatisation, on peut aussi souhaiter libéraliser le système et, pour ce qui ne relève pas de la prise en charge
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME collective, laisser les assurés souscrire des contrats d’assurance complémentaire. Énoncée telle quelle, la proposition n’est pas choquante, à condition de regarder toutefois ce qui reste de la prise en charge collective... Le mérite des propositions du rapport Chadelat est de n’avoir libéré le contrat individuel d’assurance complémentaire qu’après qu’aient été articulées les prises en charge des régimes obligatoires et complémentaires dans le cadre d’une couverture maladie généralisée via un panier de soins garanti par l’État.
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Ce qui est en cause dans la privatisation, ce sont les finalités qui ne s’accordent pas à celles du domaine de la santé et de sa prise en charge collective. En revanche, certains outils de gestion du privé gagneraient à être utilisés dans la sphère publique : sélection de l’offre, processus qualité, évaluation des pratiques professionnelles, contrats réciproques d’engagement, etc. Enfin, nous savons que les systèmes de santé privés ne parviennent pas à mieux réguler les dépenses que les systèmes publics, tout en aggravant les inégalités de santé. La privatisation n’est pas à l’ordre du jour mais pourrait le devenir dans un contexte international où l’organisation mondiale du commerce fait primer le droit à la concurrence sur les droits économiques et sociaux et où des accords sont signés visant à généraliser le libre-échange dans le secteur des services. Néanmoins, l’accord général sur le commerce des services retire de son champ « les services fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental », soit des services qui ne sont fournis ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services. Jusqu’à présent, l’Union européenne n’a pas souhaité libéraliser le secteur de la santé où le principe de solidarité l’emporte encore sur celui de concurrence...
L’échelon régional : mythe ou réalité ? La régionalisation du système de santé est, depuis quelques années, le thème le plus prisé... des colloques parisiens. On y entend que la Région serait le niveau le plus pertinent pour répondre aux enjeux de la politique de santé, que ce serait un moyen de rapprocher la politique de santé du citoyen, de répondre aux besoins de proximité, tout en maîtrisant les dépenses. Ce qui est plus grave, c’est la confusion régulièrement entretenue sur les moyens politiques de cette régionalisation. S’agit-il de poursuivre la démarche de déconcentration de l’État et de l’optimiser ? S’agit-il, au contraire, de basculer vers la décentralisation, qui consisterait alors à transférer des champs de compétence de l’État et de l’Assurance maladie vers l’institution politique régionale, en l’occurrence le conseil régional dont les élus disposeraient alors, via un budget propre, du pouvoir, sinon de prélever l’impôt, du moins d’affecter et de gérer les ressources du système de santé régional ? Cette dernière hypothèse s’est vue renforcée par la volonté décentralisatrice affichée par le Gouvernement dans plusieurs domaines. Au moment de la déclaration de politique générale du 3 juillet 2002, la santé n’en était pas exclue « Nous mettrons en place une nouvelle gouvernance du système de santé et d’Assurance maladie. [...] Par une régionalisation accrue, nous favoriserons une prise en charge plus cohérente et plus adaptée. » Rien n’était dit, cependant, sur la forme politique que prendrait cette régionalisation ; le débat est resté ouvert. Nous pensons que la décentralisation politique du système de santé constitue, sinon une utopie, du moins un facteur bloquant pour toute réforme qui voudrait conserver au système ses finalités actuelles, en particulier celles d’égalité d’accès aux soins. En revanche, nous estimons nécessaire de poursuivre la déconcen-
14 • Réformer : oui, mais comment ? tration déjà entamée de la gestion du système, d’y associer d’autres acteurs, en solutionnant de manière urgente le problème de la coordination et du pilotage régional.
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Entendons-nous bien, il ne s’agit pas ici de défendre des thèses centralisatrices mais d’intégrer le contexte existant, tant au plan historique qu’au plan institutionnel, pour éviter, à terme, tout blocage d’une réforme nécessaire qui doit mieux associer les acteurs locaux sans pour autant remettre en cause les fondements du système actuel. Si la santé ne relève pas des compétences obligatoires des conseils régionaux, le Code général des collectivités territoriales précise que « le conseil régional a compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région et de l’aménagement de son territoire ». Dans les faits, si les conseils régionaux financent parfois des actions en matière de santé, ils sont très rarement promoteurs de programmes, et une enquête réalisée en 20021 confirme leur désintérêt pour le secteur de la santé, une hostilité générale (excepté la région Nord-Pas-de-Calais) à une « décentralisation de dupes » où l’État se défausserait sur les régions des problèmes qu’il ne parvient à résoudre. Selon les résultats de l’enquête, un consensus se dégage chez les élus de toutes tendances selon lequel le financement de la politique de santé relève de l’État, garant de la solidarité nationale et de l’égalité de traitement des citoyens. Les élus redoutent d’avoir à gérer les transferts financiers (« on a déjà eu de mauvaises surprises sur les transports
publics »), les arbitrages en termes d’offre de soins, de ressources... (« on veut décentraliser les emmerdements » ; « on se fout des bombes dans les doigts. En cas d’infection nosocomiale par la ventilation, c’est la région responsable des équipements, qui portera le chapeau »). La régionalisation sous sa forme décentralisée est-elle compatible avec un État garant du respect du principe constitutionnel d’égalité de tous devant l’accès aux soins ? Les expériences européennes, malgré leur tradition de gestion politique décentralisatrice, nous permettent d’en douter, que ces expériences se déroulent dans un cadre public ou privé : l’« État » catalan, à défaut de lever les impôts quand il le faudrait, rationne l’offre de soins et gère les listes d’attente ; la Lombardie choisit la régulation par le marché ; tandis que la province de Turin gère une offre de soins publique. Comment s’étonner alors des inégalités d’accès aux soins existant en Espagne et en Italie ? (en Italie, les sommes consacrées à la santé varient de 25 à 80 % du budget régional). Non seulement le transfert de la politique de santé dans les régions ferait exploser les budgets régionaux mais encore faudrait-il articuler fiscalité locale et péréquation pour tenir compte des inégalités régionales existantes en termes d’indicateurs sanitaires et sociaux. La régulation des dépassements si les enveloppes demeurent ouvertes pour assurer l’égalité des droits, apparaît tout aussi délicate2 . Que deviendrait, par ailleurs, la gestion duale à la Française (un État qui gère la santé et une Assurance maladie les soins) ? S’il s’agit
1. Y. Bourgueil, M. Serré, E. Bouyssou, M. Bremond, J. Caton, Enquête nationale auprès des Conseils Régionaux, Colloque URML Rhône-Alpes, Lyon, Union professionnelle des médecins libéraux de la Région Rhône-Alpes, 14 décembre 2002. 2. Une étude du CREDES consacrée aux exemples étrangers de décentralisation du système de santé (Questions d’économie de la santé, n◦ 72) confirme les risques politiques et financiers d’« un système qui a toutes les chances de conduire à des déficits dont les parties – centres et régions – se rejettent réciproquement la responsabilité » et les inégalités consécutives : « en termes d’équité de financement, elle se solde inévitablement par des variations territoriales : ainsi au Danemark, le taux d’imposition varie de 29 à 34 %. En Suède, le ticket modérateur pour une consultation médicale peut varier de 11 à 15 euros selon les comtés ».
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME de faire décider le financeur, le problème se complique encore, à moins de supprimer tout financement par cotisations et d’exclure les partenaires sociaux de la gestion. Certes, dans les pays fédéraux, le pouvoir fédéral coordonne, arbitre, définit les normes et évalue...
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Comment garantir le pacte social dans un schéma de décentralisation politique ? Ainsi que le souligne Didier Tabuteau1 « la régionalisation ne devrait conduire ni à remettre en cause la qualité et la sécurité des soins, ni à porter atteinte aux fondements de l’égalité devant les charges sociales ou à la liberté de choix dont disposent aujourd’hui les patients ». Outre la nécessité de maintenir le pouvoir régalien de l’État sur la police sanitaire, le maintien du droit à la protection de la santé et son caractère universel, il est à craindre que, pour conserver aux régions leur capacité de financement, assurer la péréquation des ressources et l’équité du financement, il faille encore complexifier le système, avec un risque d’aggravation des coûts. Autant la décentralisation politique de la santé nous paraît dangereuse, autant sa déconcentration nous semble devoir être poursuivie. Au « grand soir » de la décentralisation, nous préférons une régionalisation se poursuivant sous forme de schémas déconcentrés associant autant d’acteurs qu’en réclame une démocratie sanitaire et sociale rénovée, tout autant que soient cependant solutionnés les problèmes de pilotage et de coordination, et sans qu’il y ait « empilement » excessif de structures... La circonscription régionale constitue déjà le pivot des réformes engagées depuis plus de 10 ans, qui visent à déconcentrer et, par là même, à améliorer la gestion des systèmes de santé en se rapprochant des citoyens et de leurs besoins ainsi qu’en favorisant des politiques de proximité mieux adaptées aux réalités du terrain.
En 1991, une loi hospitalière crée les Schémas régionaux d’organisation sanitaire et les Comités régionaux d’organisation sanitaire et sociale, préfigurant la création, en 1996, des agences régionales d’hospitalisation destinées à harmoniser la politique hospitalière tout en l’adaptant aux réalités locales. En médecine de ville, on voit apparaître les premiers objectifs de déclinaison régionale des dépenses pour les biologistes. On assiste donc à l’émergence progressive du niveau régional comme niveau pertinent de régulation des dépenses, tendance qui aboutit à la création, en 1996 également, des URCAM. Les acteurs de la politique de santé sont alors tous présents au plan régional : pour l’Assurance maladie, les CRAM, le Service médical régional et les URCAM, pour les médecins, l’URML, pour l’État, les ARH, les DRASS, les ORS. Ces acteurs vont devoir, d’une part, fédérer au niveau de la région la position des services internes et, d’autre part, coopérer entre eux pour mieux connaître les besoins de santé, définir les priorités au travers, notamment, des Conférences régionales de santé, planifier les programmes régionaux de santé et de gestion du risque (SROS, Programmes régionaux de santé, Programme régional de l’Assurance maladie) ainsi que d’amélioration de l’accès aux soins des personnes précaires (Programme régional d’accès à la prévention et aux soins). Les ARH (dont les directeurs sont nommés par le gouvernement) ont vu leurs compétences s’étendre (champ élargi des dotations et arbitrages hospitaliers, priorités de santé régionales, coordination des urgences, etc.). D’autres structures régionales sont apparues : conseils régionaux des ordres professionnels et des professions paramédicales, enfin, Comités régionaux et Groupements régionaux de santé publique.
1. D. Tabuteau, « La régionalisation du système de santé en questions », Droit Social, n◦ 7/8, juillet-août 2002.
14 • Réformer : oui, mais comment ? Néanmoins, cette prolifération des instances régionales risque de créer plus de problèmes qu’elle n’en résout, d’autant que la nécessité s’est vite sentie de compenser ces couches de technostructures par des instances plus démocratiques parce que plus représentatives de la société civile. Dans cette perspective, se sont déployés les Conférences régionales de santé, les Conseils régionaux de la santé, qui ajoutent aux acteurs institutionnels déjà cités les usagers, les collectivités territoriales et les Conseils économiques et sociaux régionaux. La question qui vient naturellement à l’esprit est celle-ci : cet « empilement » contribue-t-il à rendre la politique de santé plus lisible et plus proche des citoyens1 ? Il resterait maintenant, sans doute, à « dégraisser » le niveau régional, et à créer par substitution, et non par ajout, un établissement public régional de santé2 comprenant à la fois un exécutif, composé des technostructures des services de l’État, de l’Assurance maladie et des collectivités territoriales (à savoir les services publics actuels conservant leur statut propre mais placés sous l’autorité d’un direc-
teur régional de la santé), et une assemblée délibérative où l’ensemble des acteurs de la santé seraient présents : élus, professionnels, partenaires sociaux, représentants des assureurs et des usagers. Cette solution n’est cependant viable que tout autant qu’aient été précisées, au préalable, les données du pacte social : les compétences respectives de l’État et de l’Assurance maladie, ainsi que les modes de gouvernance de l’Assurance maladie avec l’entrée en jeu de nouveaux acteurs : professionnels de santé, usagers, organismes complémentaires, etc. L’enjeu de cet établissement public régional de santé serait d’adapter à la région la politique de santé votée par le Parlement, et de contribuer à son optimisation dans le respect des attributions de ses composantes tout en optimisant leur coopération. Il lui appartiendrait de définir des priorités régionales, la gestion par domaines se poursuivant au niveau de proximité adéquat en privilégiant les outils contractuels. Le schéma esquissé suppose que chacun des grands acteurs ait réussi à organiser et à fédérer sa propre entité dans cette optique3 .
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2. UNE GOUVERNANCE DURABLE QUI SE CONSTRUIT SANS S’AFFICHER La sédimentation historique ne peut être gommée d’un trait mais ne relève pas non plus des droits acquis. Les rôles de l’État, de l’Assurance maladie et des usagers sont mieux précisés mais beaucoup reste à faire. La gouvernance, mieux que la réforme, s’inscrit dans la durée afin de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures. Il s’agit en effet de faire de la « gouvernance durable ».
1. Dans son rapport final du 23 janvier 2004, le HCAAM dénonçait « l’accumulation quelquefois caricaturale d’organismes de gestion quand on pense, par exemple, à la multiplicité d’intervenants au niveau régional ». 2. La forme juridique est à déterminer (GIP – Union – Agence...) en adéquation avec les structures retenues sur le plan national. 3. Tous les processus de simplification sont ici les bienvenus et supposent à terme moins de régimes, moins de caisses et moins de services administratifs pour tendre non vers moins de moyens mais mieux de ressources...
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME
État et Assurance maladie : gouvernons ensemble...
Le rapport Ruellan de 2002 sur la nouvelle gouvernance de l’Assurance maladie soulignait que « les difficultés récurrentes de pilotage de la politique de santé et d’assurance maladie, partagé entre l’État, les caisses et les professionnels de santé sont (...) dues aux particularités de la branche : son lien étroit avec la politique de santé et la relation triangulaire et non plus bilatérale, qui doit s’établir entre les assurés, les prestataires de soin et l’assureur ».
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La volonté dès lors « de mieux articuler la mise en œuvre (des) priorités de santé avec la prise en charge des dépenses par l’Assurance maladie » s’est fait sentir de manière accrue. Dès lors, « l’ambition de la Caisse nationale d’Assurance maladie de participer activement au pilotage de la politique de santé », « la classique revendication de clarification des responsabilités » ou encore « la revendication de clarification des pouvoirs entre l’État et les caisses ou entre l’État et les partenaires sociaux » se justifiaient. Le rapport relevait d’ailleurs à juste titre que « les compétences conservées par l’État et celles qu’il délègue aux caisses doivent, le plus souvent, s’exercer conjointement et qu’il ne peut donc pas y avoir des domaines strictement séparés ». Ainsi, après la « guerre froide » de 1999 (plan Johanet récusé par l’État) et la coexistence plus ou moins pacifique entretenue entre les services de l’État et ceux de l’Assurance maladie mais néanmoins régulée par une Convention d’objectifs et de gestion pluriannuelle, arrive l’heure du mariage de raison. Reste à savoir s’il sera possible d’aller plus loin qu’une « communauté réduite aux acquêts » ?
Les lois des 9 et 13 août 2004 La loi de santé publique du 9 août 2004 dispose que « les objectifs quantifiés adoptés par la représentation nationale ont une valeur d’engagement : celui d’un résultat, en termes de santé, jugé atteignable compte tenu des connaissances et des moyens disponibles. Ces objectifs valent pour tous les acteurs du système de santé : l’organisation des soins devra les prendre en compte, de même que les discussions conventionnelles entre les professions de santé et les organismes de protection sociale ».
Des interventions mieux articulées La loi du 9 août 2004 a dessiné une nouvelle architecture confirmant l’État dans son rôle régalien de garant d’un haut niveau de santé publique dans le pays, validé par des résultats quantifiés et évalués, quel que soit le champ de gouvernance concerné, État ou Assurance maladie. La loi tire les leçons des défaillances observées antérieurement en dotant l’État d’instances de coordination, de veille et d’expertise lui permettant d’assumer pleinement sa mission. Elle confirme les choix d’une déconcentration régionale dont elle accentue la dynamique par une ouverture vers la société civile et les représentants des usagers appelés à s’exprimer dans la conférence régionale de santé. Enfin, elle entérine une approche pluridisciplinaire et multipartenariales des politiques de santé et des actions de prévention à l’intérieur des Groupements régionaux de santé publique. La loi du 9 août 2004 sur la santé publique met fin à l’exclusivité de l’État sur le champ préventif tandis que la loi du 13 août 2004 de réforme de l’Assurance maladie, ainsi que la Convention Médicale (signée le 12 janvier 2005) précisent la mission de l’Assurance maladie dans ce champ à travers le rôle essentiel
14 • Réformer : oui, mais comment ? confié au médecin traitant dans le cadre du parcours de soins coordonné, et de prévention. Enfin, la loi du 13 août 2004 ouvre le champ de la prise en charge de la prévention aux organismes complémentaires. Le Parlement opère un certain nombre de choix politiques parmi ceux mentionnés précédemment : arbitrage entre intérêts économiques et sociaux, fixation des montants prévisionnels de dépenses et de recettes, discussion et vote des priorités de santé publique. C’est également au Parlement, et plus particulièrement à la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale, qu’il revient d’évaluer l’application des lois ordinaires (ONDAM) et pluriannuelles de santé et de sécurité sociale.
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De nouvelles instances d’expertise et d’aide à la décision Le Comité d’alerte " Le Comité d’alerte sur l’évolution des dépenses de l’Assurance maladie, institué par la loi du 13 août 2004 est chargé d’alerter le Parlement, le Gouvernement et les Caisses nationales d’Assurance maladie en cas d’évolution des dépenses d’assurance maladie incompatible avec le respect de l’objectif national voté par le Parlement. Ce comité est composé du secrétaire général de la Commission des comptes de la Sécurité sociale, du directeur général de l’INSEE et d’une personnalité qualifiée nommée par le président du Conseil économique et social. Il est placé auprès de la Commission des comptes de la sécurité sociale. Chaque année, au plus tard le 1er juin, et en tant que de besoin, le comité rend un avis sur le respect de l’Objectif national de dépenses d’Assurance maladie (ONDAM) pour l’exercice en cours. Il analyse notamment l’impact des mesures conventionnelles et celui des déterminants conjoncturels et structurels des dépenses d’assurance maladie. Lorsque le comité considère qu’il existe
un risque sérieux que les dépenses d’assurance maladie dépassent l’ONDAM avec une ampleur supérieure à un seuil fixé par décret à 0,75 %, il le notifie au Parlement, au gouvernement et aux Caisses nationales d’assurance maladie en vue de prendre les mesures correctrices. La Haute Autorité de santé (HAS) " La loi de 2004 portant réforme de l’Assurance maladie a créé une nouvelle autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale : la HAS, chargée de procéder notamment à l’évaluation du service médical rendu, de donner des avis sur la prise en charge des actes et prescriptions, et de promouvoir la qualité des référentiels de bon usage de soins et de bonne pratique. L’Union nationale des Caisses d’Assurance maladie (UNCAM) et la CNAMTS " La loi de réforme de l’Assurance maladie du 13 août 2004 crée l’UNCAM, regroupant les trois principaux régimes d’assurance maladie : le régime général, le régime agricole (MSA) et le régime social des indépendants (RSI) ; l’UNCAM a, entre autres, pour mission de conduire la politique conventionnelle ; elle a la responsabilité de la définition du panier de soins (fixe les taux de remboursement, inscrit les actes et prestations à la nomenclature après avis de la HAS et fixe également le tarif de l’acte ou de la prestation) dans le respect des objectifs de la politique de santé publique et des objectifs fixés par l’État. Les autres instances " Pour coordonner la gestion du système de soins, est également créée une Union nationale des organismes complémentaires d’Assurance maladie (UNOCAM) regroupant des représentants des mutuelles, des institutions de prévoyance et des compagnies d’assurance. Elle émet des avis sur les décisions de l’UNCAM en matière d’admission des actes et prestations au remboursement et de fixation des taux de remboursement. L’Union nationale des professionnels de santé examine quant à elle annuellement un
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME programme annuel de concertation avec l’UNCAM et l’UNOCAM.
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La CNAMTS est dotée d’un conseil et d’un directeur général. Le conseil est composé à parité de représentants des assurés sociaux et de représentants d’employeurs, ainsi que de représentants d’institutions intervenant dans le domaine de l’Assurance maladie et de représentants de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF). Mandaté pour une durée de cinq ans, le conseil est chargé de déterminer les orientations de la politique de l’Assurance maladie (notamment sa contribution à la mise en œuvre de la politique de santé, à l’organisation du système de soins et au bon usage de la prévention et des soins) et les orientations de la politique de gestion du risque ainsi que les objectifs de sa mise en œuvre. Il veille à la qualité de service rendu à l’usager et définit les principes régissant les actions de contrôle. Le directeur général nommé pour une durée de cinq ans, met en œuvre les orientations du conseil et lui rend compte de sa gestion. Il veille au respect des objectifs de dépenses fixés par le Parlement. Cumulant les fonctions de directeur de la CNAMTS et de l’UNCAM, il est compétent pour négocier des conventions comprenant des objectifs de résultats et interférant sur l’organisation et les pratiques professionnelles. En cas de déclenchement de la procédure d’alerte, les Caisses nationales doivent formuler des propositions. L’Assurance maladie est également contributive de la régulation des dépenses d’Assurance maladie via les décisions de l’UNCAM d’inclusion ou d’exclusion d’actes ou de prestations du panier de biens et services de santé remboursés sur la base de critères d’efficacité thérapeutique, d’utilité médicale, mais aussi d’efficience économique au regard de ressources limitées. Un Conseil de l’hospitalisation est créé, qui contribue à l’élaboration de la politique de financement des établissements de santé ainsi qu’à la détermination et au suivi de
la réalisation des objectifs de dépenses d’assurance maladie. De plus, en cas de non-respect des règles de facturation par les établissements de santé, le pouvoir de sanction financière revient à l’ARH.
Confirmation du rôle grandissant des usagers La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé consacre d’une part les droits individuels des personnes malades et crée d’autre part des droits collectifs, notamment un statut nouveau pour les associations d’usagers du système de santé qui se voient reconnaître une place et un rôle dans toutes les instances qui participent à l’élaboration et à la gestion des politiques de santé. La loi donne une place éminente aux régions dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de santé. Pour cela, elle institue un conseil régional de la santé permettant au monde de la santé – professionnels, usagers, organismes d’Assurance maladie – de se prononcer collectivement et systématiquement sur la situation sanitaire régionale. Enfin, la loi définit pour la première fois une procédure solennelle d’adoption de la politique de santé. À partir de l’analyse des besoins des régions, le Gouvernement élabore chaque année un projet de politique de santé qui est soumis au Parlement dans le cadre d’une programmation pluriannuelle. Depuis juin 2005, quatre décrets ont été publiés permettant : • la mise en œuvre de nouvelles instances
de pilotage de la santé publique, les conférences nationales et régionales de santé dans lesquelles professionnels de santé et représentants des patients se réunissent afin de proposer des priorités de santé publique au gouvernement ; • l’installation du comité d’agrément des associations d’usagers du système de santé et la
14 • Réformer : oui, mais comment ?
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
mise en œuvre d’une convention de financement de ces associations ; • l’installation des commissions de relations avec les usagers, instances de médiation entre établissements de santé et représentants des patients. Le « tableau de bord des infections nosocomiales », outil de mesure de la qualité des soins à l’hôpital, participe également de cet esprit de transparence vis-à-vis des patients et témoigne de la montée en charge de la place des usagers. L’institution, par la loi de réforme de l’Assurance maladie de 2004, d’un Dossier Médical Personnel (DMP) informatisé, consultable par les patients comme par les professionnels de santé, constitue un support essentiel de qualité et de continuité des soins. Les potentialités offertes par un tel outil sont nombreuses : aide à la décision médicale, gain de temps de communication, coordination et homogénéisation des pratiques médicales. De plus, son utilisation peut réduire sensiblement les facteurs de non-qualité : sur-prescriptions, accidents iatrogènes, actes redondants. La mise en place d’un système d’information centré sur le patient constitue un enjeu majeur en terme de coordination, de continuité et de qualité des soins. C’est un outil fédérateur du parcours de soins coordonné qui n’a pas vocation à se substituer aux dossiers métiers des professionnels. Sa mise en place suppose que soit assurée la protection des données médicales personnelles d’où un hébergeur de référence spécifique et indépendant ainsi que la sécurisation de leur accès. Le DMP doit être à la main du patient sans toutefois occulter la responsabilité des professionnels, d’où d’âpres débats avec les représentants des usagers sur le droit de masquage du patient. Les usagers se sont emparés du débat autour du DMP et c’est un point fort, oubliant parfois les contingences économiques de l’outil, ce qui est un point faible. Or, les attendus de la réforme de 2004 sur le par-
cours de soins coordonné ne seront pas au rendez-vous sans un DMP opérationnel... Le pré-rapport de la mission d’audit sur le DMP préconise de revoir totalement le chantier du DMP sur un calendrier étendu (une dizaine d’années a minima contre les trois ans prévus !). Ce pré-rapport, qui met en cause la gestion du projet par les ministres de la Santé successifs, renvoie aussi à son irréalisme (ainsi, il condamne une estimation du coût « artificiellement minorée dans un souci d’affichage politique ») et préconise de relancer le DMP sur d’autres bases en déclarant sans suite l’appel d’offre sur l’hébergeur de référence, en explorant les alternatives envisageables, en relançant la dynamique industrielle... Une remise en cause profonde des modalités de mise en œuvre d’un outil dont certains ont pu dire, non sans ironie, qu’il était le « Dossier Mal Parti ».
Vers des niveaux pertinents de gestion contributifs d’une gouvernance durable La réforme de 2004 a placé l’Assurance maladie au centre d’une nouvelle gouvernance où elle gère et organise ses relations à la fois avec l’État, les professionnels de santé et d’autres partenaires institutionnels. On peut néanmoins déplorer une gouvernance encore trop jacobine, dont les processus de déconcentration et de délégation sont optimisables, en dépit d’une émergence progressive de l’échelon régional comme niveau pertinent de régulation des dépenses. La solution se situe dans l’optimisation d’une gestion partagée par tous les acteurs, d’une gestion déconcentrée et dynamique reposant sur des mécanismes de contractualisation fondés sur le principe de subsidiarité, bien adapté à une gestion de proximité : • au niveau national, la gestion sera donc
partagée entre un État stratège qui fixe les priorités de santé publique et détermine les
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME ressources consacrées à l’Assurance maladie (rôle du Parlement) et un État cogestionnaire, notamment avec l’Assurance maladie, d’un système de santé rendu plus productif par des mécanismes opératoires de régulation ; • au niveau local, un organisme régional unique, pilote et adapte la politique de santé aux caractéristiques de la région, fédère et coordonne les acteurs locaux, quelle que soit leur appartenance ou leur statut. Le projet de mise en place à compter de 2009 d’agences régionales de santé (ARS) confirme l’option d’organismes régionaux déconcentrés rassemblant des compétences éclatées entre les services de l’État (DRASS, DDASS, ARH...), de l’Assurance maladie (URCAM...) et ceux des collectivités territoriales (conseils généraux, régionaux...). Les principaux problèmes à résoudre concernent :
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• la question du pilotage du système de santé
au niveau national qui réclame a minima une approche globale de l’offre de soins, coordonnant l’ensemble des secteurs concernés : médecine de ville, établissements hospitaliers, structures médico-sociales, produits pharmaceutiques et de santé..., appliquant les décisions du Parlement, fédérant et mutualisant les contributions, pilotant enfin les ARS. Cette mission pourrait revenir à une Agence nationale de santé appelée à regrouper des compétences situées aujourd’hui dans les ministères et à la CNAMTS ; • la remise à plat des structures et champs de responsabilité qui se cumulent aujourd’hui au plan régional avec notamment une nouvelle définition des relations entre ARS et préfets de région, responsables de la sécurité sanitaire et présidents des Groupements régionaux de santé publique (GRSP) ; • les articulations avec le niveau local et les CPAM qui constituent le seul niveau opératoire pour la mise en œuvre de politiques de gestion du risque et de régulation, en lien
direct avec les assurés et les professionnels de santé. Le débat s’est d’abord focalisé sur les ARS, autorité publique déconcentrée et unique, au statut non encore fixé, dont le périmètre concernerait d’abord la médecine hospitalière et libérale, puis ensuite la santé publique et le médico-social. Mais au-delà des problèmes sanitaires, il ne faut pas perdre de vue la finalité qui est d’améliorer l’efficience du système de santé dans un contexte de rapprochement fondé entre le préventif et le curatif et d’une opérationnalité plus forte de l’assureur-payeur dont la gestion du risque devient le cœur de métier sur le plan local parce que directement greffée sur la production. L’intérêt d’une Agence régionale « santé » n’est donc pas seulement de regrouper les allocations de ressources ou de planifier l’offre de soins, mais d’animer un système de santé régional, y compris dans le cadre d’un Objectif régional des dépenses d’Assurance maladie (ORDAM) en déclinaison de l’ONDAM. Dans cette hypothèse, les compétences de régulation de l’Assurance maladie s’accroissent, notamment dans son champ local de proximité où elle contractualise avec les professionnels libéraux de santé, accompagne les assurés dans l’optimisation de leur prise en charge, notamment ceux atteints de pathologies lourdes, où elle contrôle enfin le juste soin tant en ville qu’à l’hôpital (généralisation de la T2A). La politique de santé doit être pensée « globalement » au niveau national, coordonnée régionalement via des ARS qui disposent d’un champ propre opératoire d’organisation, de contractualisation de l’organisation des soins et de mise en œuvre de la politique de prévention et de santé publique. Mais elle doit être en capacité de valoriser les échelons locaux opératoires par des niveaux suffisants de délégation. Ainsi l’État serait garant de sa politique de santé et d’organisation des soins tandis qu’il appartiendrait au financeur d’assurer la régulation de ses prises en charge.
Chapitre 15 Des assurances « complémentaires », mais à quoi ?
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME
PLAN DU CHAPITRE
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1. Le concept référent de panier de biens et services de santé Faut-il rationner la santé ? Faut-il toujours rembourser ? Les plus-values attendues d’une gestion optimisée du panier
285 285 286 290
2. Le partage de la prise en charge entre régimes obligatoires et régimes complémentaires L’historique : de la coexistence vers l’harmonisation La lutte contre l’anti-sélection Les contrats responsables : une articulation « obligée » RO/RC Aides aux complémentaires : une co-régulation « obligée » de la dépense Perspectives
291 291 293 295 297 300
15 • Des assurances « complémentaires », mais à quoi ?
1. LE CONCEPT RÉFÉRENT DE PANIER DE BIENS ET SERVICES DE SANTÉ L’idée de « panier de biens et services de santé » a fait l’objet d’un rapide consensus dû, sans doute, à sa nouveauté mais plus encore à son côté « auberge espagnole », chacun se plaisant à y mettre ce qu’il souhaitait. Entre ceux qui le confondent avec le périmètre factuel de prise en charge des régimes obligatoires et ceux qui réclament une mise à plat pour prendre en charge tout ce qui est utile mais rien que ce qui est utile, le concept fait toujours débat.
Faut-il rationner la santé ?
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« Rationnement » est un mot si souvent entendu, s’agissant de la santé, qu’il mérite qu’on lui consacre quelques éclairages. En bon français, le rationnement est la conséquence d’une distribution en rations, d’objets ou de biens en quantité mesurée. Ainsi, en temps de guerre où les ressources alimentaires sont limitées, des rations de nourriture sont distribuées. Ainsi, le langage courant a fait du rationnement un terme péjoratif alors que les économistes en font un outil vertueux qui optimise la ressource. La santé qui a un coût croissant mais pas de prix... doit-elle être rationnée ? L’est-elle déjà ? Bien entendu, c’est des dépenses de santé dont il est question et plus encore de celles de l’Assurance maladie. Est-il possible de dépenser mieux pour dépenser moins ou rembourser moins pour rembourser mieux ? Sommes-nous entrés dans l’ère de la santé rationnée ? C’est difficile à admettre alors que nous y consacrons plus de 198 milliards d’euros. Existe-t-il une politique de quotas appliquée par l’Assurance maladie ? Non plus, puisque l’Assurance maladie rembourse sur la base de critères juridiques et tarifaires. Cependant, sa volonté de ne plus payer en aveugle (même si elle continue de payer à guichets ouverts...) la conduit à s’interroger sur l’utilité médicale des actes qu’elle rembourse ou sur l’efficience des soins au-delà de certains seuils d’activité.
Le rationnement ne viendrait-il pas alors du fait que, dans le domaine de la santé, les besoins sont illimités alors que les ressources ne le sont pas ? Cet argument est beaucoup plus recevable et implique de définir avec beaucoup plus de rigueur ce qui peut être admis au remboursement soit parce qu’il s’agit d’une priorité de santé publique qui appelle un financement, soit parce qu’il s’agit d’un bien, d’un service ou d’un acte médical dont le service médical rendu est avéré. Par ailleurs, il appartient au Parlement, confronté à un problème naturel de rareté de ses ressources, de décider des secteurs prioritaires où il les affecte, d’autant que les soins ne représentent qu’un déterminant parmi d’autres de la santé : logement, éducation, politique de la ville, aménagement du territoire requièrent des ressources qui contribuent aussi à l’état de santé des populations. Enfin, des arbitrages sont à réaliser entre la santé et d’autres secteurs tout aussi vitaux (défense, pérennisation des régimes de retraite, recherche, etc.). Le rationnement ne consisterait-il pas alors à modifier le périmètre des prises en charge et du remboursement ? En effet, le rationnement peut être positif s’il conduit à une meilleure affectation de la dépense et à transférer les sommes consacrées aux charges inutiles sur les postes dont l’utilité est avérée. Le fait de dérembourser des médicaments au Service médical rendu (SMR) insuffisant, pour améliorer la prise en charge de patients inscrits sur les listes d’attente de chirur-
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME gies vitales, coûteuses et innovantes, constitue un rationnement utile. Le rationnement peut constituer un outil d’amélioration de la productivité du système, d’autant plus remise en cause que les dépenses de santé s’accroissent régulièrement sans que des progrès ne soient constatés dans l’espérance de vie des Français, et sans que la surmortalité masculine avant 65 ans ne se réduise... Les ministres qui se succèdent le répètent à l’envi : « On ne peut pas lier mécaniquement dépenses et performances des systèmes de santé1 ».
Faut-il toujours rembourser ? L’émergence du concept
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C’est sans doute de ces constats qu’en juillet 1999 deux initiatives concrètes ont fait entrer le concept dans le système de santé français. Le plan stratégique de l’Assurance maladie proposait de « définir le périmètre et le juste prix du panier de biens et de services », et revoyait nombre de critères de prise en charge par l’Assurance maladie, celle-ci souhaitant se transformer en acheteur avisé de biens du panier sur des critères « de qualité, de besoins, d’utilité et de coûts ». L’État a plus ou moins considéré comme un camouflet ces propositions de refondation du système de soins (le Conseil d’administration de la CNAMTS n’est tout de même pas l’Assemblée nationale !), d’autant qu’il y était aussi question de la fin de la prise en charge des cures thermales, prise en charge dont le ministre de l’époque devait rappeler qu’elle s’inscrivait dans la tradition sociale et culturelle française... Au même moment, l’État allait prendre également une initiative majeure au travers de la loi sur la CMU qui allait, elle aussi, prévoir
un panier de biens et services explicite pour ses bénéficiaires, dans le cadre d’une complémentaire gratuite permettant même de mieux rembourser certains biens médicaux, dentaires ou d’optique, que ce qu’offrait le régime de base des assurés, tout autant que les dépenses par personne n’excédaient pas 1 500 francs par an... Le Haut Comité de santé publique a qualifié d’« exemplaire » le panier spécifique de la CMU, qui est pourtant loin de l’être : il continue de prendre en charge des biens médicaux inutiles (certaines cures thermales ou médicaments au SMR insuffisant), reste très flou sur certains critères de prise en charge (l’ex « impérieuse nécessité »...), et fixe une limite de revenus dont la discrimination repose sur les mêmes références comptables que celles ayant déterminé la limite prévisible des dépenses... Ces deux initiatives (le plan de la CNAMTS dit « Johanet » du nom de son directeur et la prise en charge discriminante en faveur des bénéficiaires de la CMU) demeurent cependant positives tout en mettant en lumière les potentialités et les limites du concept. Le point de départ de l’idée de panier est simple : dès lors qu’il ne contient que des biens remboursables par l’Assurance maladie, que la demande de santé est par nature illimitée tandis que les ressources de la collectivité ne le sont pas, il reste à déterminer, d’une part, les ressources que cette dernière entend consacrer à la prise en charge des biens de santé et, d’autre part, les critères afférents. C’est plus facile à énoncer qu’à faire... De bons esprits rétorqueront que c’est ce qui se fait néanmoins tous les jours depuis que l’Assurance maladie existe, que cela s’est traduit par des milliers de textes légaux et réglementaires réunis en un ensemble historique, vivant, non exempt certes d’incohérences, le tout contribuant au fonctionnement du système dont le
1. R. Bachelot, propos recueillis par P. Benkimoun, S. Blanchard et M. Delberghe, Le Monde, 21 juin 2007.
15 • Des assurances « complémentaires », mais à quoi ? fondement demeure le droit à la protection de la santé et l’égalité d’accès aux soins... Or, s’il est vrai qu’il a été possible en Oregon (État de la Côte-Ouest des États-Unis où est né le concept) d’instaurer une couverture maladie des personnes non prises en charge par le programme fédéral Medicaid bien que résidentes de l’État, en finançant leur accès à 574 couples « diagnostic-traitements » à partir d’une liste qui en comprend 743 (liste publique et révisée chaque année), c’est précisément parce qu’il n’existe pas d’Assurance maladie obligatoire aux États-Unis (47 millions d’Américains sont sans couverture, soit 6,8 millions de plus qu’en 2000).
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L’enjeu du panier de biens et services de santé en France L’enjeu, en France est d’optimiser le système de prise en charge de l’Assurance maladie, en affinant les critères afin de rendre le système productif et efficient. La valorisation du concept de panier est utile si elle conduit à valoriser le droit d’accès aux biens et services selon le meilleur rapport coût/utilité. Elle s’avère dangereuse si elle a pour seule finalité de canaliser le financement collectif. Il est incontestable qu’aujourd’hui, le plus grand désordre règne dans ce qui tient lieu de panier français : la prise en charge du curatif l’emporte largement sur celle du préventif. S’agissant des prestations sanitaires ou de la nomenclature des actes médicaux, la finalité tarifaire prédomine sur celle du SMR ; le médicament est remboursé sur des critères... hétérogènes ; les décisions d’accès au remboursement ou de déremboursement sont prises en général au coup par coup et au cas par cas dans des contextes où les aspects conjoncturels priment sur une vision d’ensemble et,
surtout, sans que des critères rigoureux d’évaluation soient mis en place. La revue Prescrire dénonçait, en novembre 2005, au moment de la vague de déremboursement de 221 médicaments (représentant 364 spécialités) le fait que « pour ne pas heurter le lobby industriel des veinotoniques ou autres, les pouvoirs publics réévaluent à plusieurs reprises, tergiversent, diminuent un peu certains remboursements mais sans les supprimer, imaginent même les solutions d’attente les plus compliquées telles un quatrième taux de remboursement ». C’est pourquoi, nous affirmons que l’ensemble des biens et services médicaux (y compris les soins) ne devraient être admis au remboursement que sur la base du SMR avéré et garanti par les experts. C’est cependant plus facile à réaliser pour un produit (ex : médicament) que pour un processus de soins mis en œuvre par les professionnels, sauf à subordonner le remboursement à la réalisation effective de démarches qualité (certification, évaluation, accréditation, etc.). Déjà en 2001 Jean de Kervasdoué1 relevait que « le bon usage du panier par les médecins suppose la définition de références médicales validées pour chacune des composantes du panier, une information et une formation régulièrement actualisée des médecins à cet égard, mais également une procédure de contrôle effectif des pratiques cliniques permettant une “maîtrise médicalisée des dépenses de santé” ». Plus qu’un simple catalogue énumératif, le « panier » doit relier chaque acte ou produit aux conditions médicales de son emploi, voire les rattacher à des protocoles de traitement, et à des modalités structurées de dispensation. C’est dans ce cadre que les mesures de contrôle des pratiques professionnelles doivent permettre de garantir le respect du panier de soins, en
1. Haut Comité de santé publique, Le panier de biens et de services de santé : du concept aux modalités de gestion, 2001.
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procurant un caractère opposable aux règles contenues dans ce panier. Le caractère limité des ressources plaide pour la suppression du remboursement des biens, produits ou actes inutiles (SMR insuffisant ou nul) et pour l’introduction de critères qualité permettant de certifier ou d’accréditer l’ensemble des pratiques professionnelles dont les services sont destinés à la population prise en charge. L’extension du concept de panier, tant au domaine de la prévention qu’à celui de l’ensemble des soins, implique que les priorités de santé soient explicitées et fixées en amont par le Parlement. S’il est vrai que l’ensemble du contenu du « panier » ne peut être fixé a priori, que les démarches de soins dépendent de chaque contexte médical et qu’aujourd’hui encore une grande partie des dépenses remboursées échappe à cette approche, la notion reste pertinente pour définir le périmètre du remboursable, qu’il s’agisse de biens et produits inscriptibles ou qu’il s’agisse de pratiques professionnelles comprenant des référentiels de qualité opposables.
Des avancées en terme d’évaluation du service médical rendu La loi de réforme de l’Assurance maladie a par ailleurs créé la Haute Autorité de santé (HAS) qui est chargée de procéder à l’évaluation du SMR, de donner des avis sur la prise en charge des actes et prescription. Elle joue un rôle central dans l’évaluation des produits et services médicaux, aidant ainsi les pouvoirs publics dans leurs décisions de remboursement.
Les médicaments La HAS évalue périodiquement l’utilité médicale des médicaments, des dispositifs médicaux et des actes professionnels, à travers leur SMR ou attendu (SMA) s’il s’agit d’une première évaluation. Celui-ci prend en compte d’une part
la gravité de la pathologie et les performances de l’acte ou du produit évalué (niveau d’efficacité au regard des évènements indésirables) et d’autre part son intérêt pour la santé publique (retentissement sur la santé de la population et sur l’organisation des soins). La HAS rend aux autorités décisionnaires des avis favorables ou défavorables au remboursement par l’Assurance maladie selon que leur SMR ou SMA a été jugé suffisant ou insuffisant. L’amélioration du SMR est une mesure de progrès thérapeutique (ou préventif, diagnostique, etc.) apporté ou attendu par rapport aux moyens existants.
Les évaluations médico-économiques La HAS procède également à des évaluations médico-économiques consistant à comparer l’intérêt médical d’un acte, d’une pratique, d’un médicament, d’une organisation innovante ou d’un programme de dépistage, par exemple, aux coûts qu’ils engendrent. Elle offre ainsi aux pouvoirs publics et aux professionnels de santé des informations sur les conséquences économiques de pratiques diagnostiques ou thérapeutiques ou encore de programmes de dépistage.
Les affections de longue durée (ALD) Une stratégie d’évaluation a été initiée concernant les ALD. Ces dernières sont des « affections comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse », ouvrant droit, pour ceux qui en sont atteints, à une prise en charge intégrale de leurs frais de traitement, dans la limite des soins remboursables. La HAS est chargée de réévaluer la liste des 30 ALD et, pour chacune d’elles, de déterminer les actes et prestations nécessaires à leur traitement et de définir les stades évolutifs de la maladie, appelés critères médicaux,
15 • Des assurances « complémentaires », mais à quoi ? qui justifient l’admission d’un patient dans ce dispositif. La HAS a émis des recommandations sur un certain nombre d’ALD, mettant à disposition pour chaque affection deux types d’outils de mise en œuvre du nouveau protocole de soins : • une « liste des actes et prestations » qui permet
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l’établissement d’un protocole de soins entre le médecin traitant et le médecin conseil de l’Assurance maladie. Ce protocole définit les droits et obligations du patient qui le signe, devenant ainsi un acteur à part entière de sa propre prise en charge ; • un « guide médecin » élaboré à partir des recommandations existantes, qui synthétise de façon pratique l’état de la science sur la maladie donnée. Il constitue une aide pour le praticien dans la mise en œuvre du parcours de soins. Ces outils devaient (faute de temps) être actualisés au minimum tous les trois ans, et plus fréquemment si l’état des connaissances l’exigeait. Les trente grandes catégories devraient être couvertes en 2008. La HAS envisage, à chaque fois que cela se justifie médicalement, une adaptation du périmètre de remboursement susceptible de faire entrer de nouveaux produits, actes ou prestations dans le panier de biens et services remboursables. Si la HAS a un vrai rôle à jouer dans la gestion de ce panier (par des avis indépendants sur le périmètre des soins et des biens remboursables), il reste qu’il faudra aller plus loin dans cette voie, notamment en déterminant avec précision les ressources budgétaires allouées à ce panier, et en impliquant de manière significative les professionnels de santé sur ce thème. Rappelons que le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM), sans faire référence de manière explicite à la notion de panier qu’il jugeait trop matérielle et incom1. HCAAM, Rapport – synthèse, 23 janvier 2004.
plète, la validait néanmoins au travers de ce qu’il nommait alors « le périmètre des biens et services remboursables », insistant sur les choix et les tris devant être réalisés dans l’offre surabondante de biens et de soins médicaux. Les critères à prendre en compte sont, outre la sécurité, l’efficacité objectivée par la communauté scientifique et l’efficience qui, faisant intervenir le coût de l’acte ou du produit, relève plus d’une approche médico-économique, voire politique, dans un contexte où les arbitrages combinent nécessairement la rareté des ressources et l’utilité de leur affectation. Ainsi affirmait-t-il1 « ce n’est pas parce qu’il existe sur le marché un test d’analyse biologique ou un examen extrêmement coûteux permettant de diminuer de manière infime la survenance d’un risque, qu’il faut forcément le prendre en charge. Car cela risque de se faire au détriment d’autres besoins : les ressources financières ne sont jamais illimitées, il faut être capable, en termes scientifiques, techniques et politiques de poser les questions de hiérarchie des priorités et d’effectuer les arbitrages ».
Le rôle de l’UNCAM dans la gestion du panier La loi de réforme de l’Assurance maladie de 2004 a reconnu à cette dernière la responsabilité principale de la gestion de la nomenclature des actes des professionnels de santé dans le cadre des évaluations scientifiques de la HAS. Ainsi, les conditions d’inscription d’un acte ou d’une prestation, leur inscription et leur radiation sont décidées par l’UNCAM, après avis de la HAS et de l’UNOCAM. Les actes ou prestations sont inscrits sur la liste au vu de leur service attendu qui prend en compte l’intérêt diagnostique ou thérapeutique de cet acte ou de cette prestation et son intérêt de santé publique. Les ministres compétents peuvent s’opposer
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME aux décisions de l’UNCAM dans un délai de 45 jours, l’opposition devant être motivée et notifiée. Passé ce délai, la décision est réputée approuvée. Le ministre chargé de la Santé conserve néanmoins la possibilité de procéder d’office à l’inscription ou à la radiation d’un acte ou d’une prestation pour des raisons de santé publique.
Les plus-values attendues d’une gestion optimisée du panier
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Aujourd’hui, la prise en charge obligatoire porte d’abord sur l’accès aux soins et aux produits de santé avant de considérer l’efficience des soins ou l’utilité des produits remboursés. Ceci est le résultat du compromis historique et politique qui a organisé la coexistence d’un système socialisé de prise en charge avec des modes libéraux de délivrance des soins largement influencés par les modes de fonctionnement du marché de la santé. Au moment où les ressources de financement sont davantage raréfiées par les facteurs structurels qui sont à l’origine des dépenses, que par les aspects conjoncturels, il est nécessaire de rechercher un nouveau compromis autour du triptyque : ce qu’on « peut » dépenser, ce qu’il est « utile » de prendre en charge et, enfin... ce qui est « acceptable » par le corps social. Dans son rapport annuel de juillet 2007, le HCAAM, après avoir souligné que « dans l’ensemble, la gestion de notre système de soins prend correctement en compte le progrès technique » et que « les médicaments innovants sont introduits à des conditions de rapidité et de prise en charge cohérentes », préconise d’ « intégrer dans le panier de biens les prestations les plus utiles pour la qualité de la prise en charge, mais aussi, le cas échéant, déclasser ou dimi-
nuer les taux de prise en charge en fonction des critères d’efficacité et d’efficience ». Le mot est lâché, le rythme de révision, jugé trop lent, est dénoncé et la politique des prix du médicament n’est pas suffisamment anticipatrice et proactive. Ainsi, « elle ne parvient pas à corriger de façon suffisamment précoce et ferme le maintien, dans le panier de biens, de médicaments “me-too” dont le prix est supérieur au couple princeps-génériques... » Au-delà du médicament, un tri sélectif fondé sur l’efficience « pourrait être étendu aux autres segments de la consommation de soins et de bien médicaux ». Le concept de panier permet enfin de vérifier la prise en compte des progrès techniques et la qualité des prises en charge par les régimes d’assurance. Ainsi il ne suffit pas de constater qu’en 2005 les déremboursements de médicaments ont « rapporté » 250 millions d’euros si on ne se félicite pas de l’impact de 900 millions d’euros des nouvelles inscriptions. Cependant l’inscription dans le panier d’un bien médical ne signifie pas que sa prise en charge tarifaire soit juste. Enfin, les choix du Parlement se fondent aujourd’hui sur un certain nombre d’éléments : les priorités de santé publique proposées par la Conférence nationale de santé, le rapport du Haut Conseil de la Santé Publique1 , les prévisions de la Commission des Comptes de la Sécurité Sociale, les recommandations de la HAS, les propositions de l’UNCAM s’agissant de mesures à caractère structurel qui sortent de son champ de compétences. Le Parlement, responsable de l’équilibre du budget de la sécurité sociale, est légitime à fixer d’une part les dépenses que la collectivité attribue à la prise en charge de la santé et à déterminer d’autre part les recettes. Aussi faut-il lui donner les moyens d’exercer sa mis-
1. Le Haut Conseil de la santé publique, créé par la loi de santé publique du 9 août 2004, a été installé le 14 mars 2007 ; il reprend, en les élargissant, les missions du Conseil supérieur d’hygiène publique de France et celle du Haut Comité de la santé publique.
15 • Des assurances « complémentaires », mais à quoi ? sion : faire la part des choix entre le préventif et le curatif, évaluer l’efficacité de la dépense, distinguer les évolutions structurelles des facteurs conjoncturels de hausse, se doter de référen-
tiels, médicalisés mais aussi économiques. Il n’y a aucune raison pour que les dépenses d’Assurance maladie échappent aux mécanismes d’évaluation des politiques publiques.
2. LE PARTAGE DE LA PRISE EN CHARGE ENTRE RÉGIMES OBLIGATOIRES ET RÉGIMES COMPLÉMENTAIRES Les régimes de base assurent la prise en charge de plus des trois quarts des dépenses de santé et les complémentaires autour de 13 %. Cela pourrait changer d’une part parce que les pouvoirs publics continuent d’encourager la généralisation de la protection complémentaire, d’autre part parce que la mise en place des « contrats responsables » a ouvert la voie à une articulation des prises en charge entre les régimes de base et complémentaires, rendue nécessaire autant par l’absence d’harmonisation qui les précédait que par les perspectives de désengagement des régimes obligatoires.
L’historique : de la coexistence vers l’harmonisation
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La Mutualité française est l’ancêtre de la Sécurité sociale. Elle a occupé une place prépondérante dans la couverture maladie entre les deux guerres mondiales. Avec les ordonnances de 1945, la Mutualité se voit supplantée par une nouvelle organisation dont la mise en place conduit à marginaliser en partie les mutuelles et complémentaires. La Sécurité sociale mise en place en 1945 est une protection sociale a minima, qui induit rapidement la nécessité de constituer une protection complémentaire ; néanmoins, dans cette logique, la santé ne fut pas considérée comme une priorité. La retraite ainsi que les prestations en espèce (invalidité, incapacité...) ont été les premières prises en compte. Les régimes complémentaires vieillesse ont été rendus obligatoires par la loi du 29 décembre 1972, tandis que les régimes complémentaires de maladie sont restés facultatifs, d’où un
développement très progressif des complémentaires santé : • en 1960, 31 % de la population a une com• • • •
plémentaire santé ; en 1970, 49 % ; en 1980, 69 % ; en 1990, 83 % ; en 2005, 92 % de la population est couverte.
S’agissant de la vieillesse, les régimes de retraite complémentaires sont devenus de véritables régimes de sécurité sociale assurant progressivement l’essentiel de la couverture. C’est l’inverse qui s’est produit pour la maladie, la couverture obligatoire demeurant l’axe essentiel d’une Assurance maladie prenant en charge les trois quarts des dépenses dans le cadre d’un système de gestion largement étatisé. La situation actuelle se caractérise ainsi par une articulation régimes obligatoires (RO)/régimes complémentaires (RC) émergente mais insuffisante sur les plans de la prise en charge et de la concertation. Les avancées que représentent la participation à la prise en charge
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME du panier de soins de la CMU et le contrat responsable, ne doivent pas masquer le fait qu’aujourd’hui, l’essentiel des remboursements des assurances complémentaires maladie porte sur ce qui n’est pas remboursé ou remboursable par l’Assurance maladie et des dépenses à l’initiative de l’assuré.
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Les organismes complémentaires n’ont pas à affronter de dépenses vraiment aléatoires, ni à sélectionner les personnes à risque, ces dernières relevant majoritairement de la solidarité nationale. Le HCAAM soulignait ainsi, dans un avis adopté le 27 octobre 2005, que « contrairement à une idée reçue » qui voudrait que les régimes obligatoires se désengagent, on assiste à un « déport des ménages et des complémentaires vers les régimes de base » ! La Sécurité sociale finance en effet les dépenses de santé à hauteur de 77 % et les RC à hauteur de 13 %. L’accroissement de la part des régimes obligatoires suit en fait celui des prises en charges intégrales. Les RO ont en effet toujours été les seuls à prendre en charge le gros risque sans que personne ne songe à les remplacer en ce domaine. Comment l’assuré choisit-il d’avoir ou non recours à une complémentaire (hors contrats collectifs obligatoires d’entreprise) ? En fait, il considère cette complémentaire comme une variable d’ajustement, soit sur des soins déremboursés du régime obligatoire, soit sur des prestations santé de confort même si l’entrée en vigueur des contrats responsables a assurément généré une amorce de modification de la conception dans les prises en charge des complémentaires santé. Les organismes complémentaires se sont en effet jusque-là cantonnés à jouer un rôle de variable d’ajustement, « subissant » et compensant mécaniquement les baisses de remboursement du régime obligatoire : par exemple à chaque fois que des médicaments de SMR 4 ont fait l’objet d’une décision d’augmentation du ticket modérateur (de 35 à 65 %). Or ce rôle
mécanique de compensation est susceptible d’augmenter les dépenses de santé : en facilitant la prise en charge de ces dépenses, il les transforme en produits de grande consommation. D’où la nécessité d’une redéfinition de l’articulation entre les prises en charge des régimes obligatoires et celles des régimes complémentaires. On peut ainsi s’interroger sur la responsabilité des pouvoirs publics. En effet, la baisse du taux de remboursement des médicaments dont l’utilité n’est plus démontrée a jusqu’ici été privilégiée par rapport à la solution qui consisterait à les dérembourser : ainsi en va-t-il de la création d’un taux de remboursement à 15 % pour certains médicaments dont le service médical rendu a été estimé insuffisant par la HAS. En tout état de cause, une Assurance maladie qui se désengage financièrement (comme l’illustre la mise en place progressive de franchises sur les soins), déficit oblige, appelle des complémentaires qui s’engagent de façon plus responsable sur des prestations utiles dans le cadre d’un contrat gagnant/gagnant gagé par des aides publiques et une concertation effective. Le défaut de concertation entre RO et RC constitue effectivement un frein à une véritable articulation des prises en charge respectives des deux types de régimes. Concernant le rôle attribué aux complémentaires, la création de l’UNOCAM avait pour objectif de permettre la participation des assureurs complémentaires à l’optimisation du système de soins à travers un dialogue régulier, qui s’avère laborieux à ce jour, avec l’UNCAM. L’UNOCAM a ainsi regretté l’absence de consultation quant à l’amendement au PLFSS 2007 autorisant le renouvellement des lunettes sans ordonnance, rappelant à cette occasion que l’assurance maladie complémentaire finance 48 % des frais d’optique contre 5 % pour le régime de base... Cependant, la diversité des organismes complémentaires et l’absence de politique com-
15 • Des assurances « complémentaires », mais à quoi ? mune amoindrissent encore les opportunités de négociation des régimes complémentaires : • L’univers des complémentaires santé – 1 500
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
opérateurs relevant d’un statut de droit privé et dont les cotisations perçues s’élevaient à vingt milliards d’euros en 2004, selon le rapport Vasselle1 ) – se caractérise par une grande diversité. Parallèlement à la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) qui fait essentiellement de la garantie santé, on trouve des assureurs généraux pour lesquels la santé représente une partie seulement de portefeuille – une sorte d’argument commercial ; • Les systèmes de valeurs des opérateurs complémentaires diffèrent : ceux qui relèvent de la FNMF défendent les valeurs du service public et de l’égalité d’accès aux soins ; les institutions de prévoyance se focalisent davantage sur les intérêts de l’entreprise ; les sociétés d’assurance privée recherchent quant à elles les créneaux les plus productifs du marché – comme l’illustre le projet, renvoyé à une date ultérieure compte tenu de l’émoi qu’il a suscité, affiché par une société d’assurance renommée : cette dernière envisageait, en contrepartie d’une cotisation annuelle de 12 000 euros, d’orienter les patients dans des délais rapides, vers les meilleurs spécialistes du secteur conventionné ! Compte tenu de ces nombreuses divergences, on ne peut s’étonner de l’hétérogénéité des modalités de prise en charge. En fait, celles-ci sont organisées sur la base du libre choix des individus, de la concurrence entre opérateurs et des lois du marché. Selon une étude ministérielle2 sur la typologie des contrats complémentaires santé, les
prestations qui différencient le plus les contrats offerts sont les remboursements relatifs aux prothèses dentaires, aux lunettes et aux dépassements d’honoraires. L’étude classe les contrats en quatre grands groupes : • parmi ceux-ci, deux sont de niveau intermé-
diaire et couvrent huit personnes sur dix ; ils comprennent à la fois les contrats dits standards et ceux apportant des garanties un peu plus élevées notamment en dentaire ; • à côté de ces groupes intermédiaires, deux groupes sont minoritaires : l’un regroupe les contrats d’entrée de gamme offrant les garanties les plus basses ; l’autre, les contrats haut de gamme, qui sont le plus souvent des contrats collectifs, qui offrent des garanties deux à trois fois supérieures à celles des contrats standards. Aujourd’hui, en dehors du cas de la CMU complémentaire pour laquelle existe un panier de soins spécifique, le second étage de prise en charge n’est pas articulé et l’on ne peut pas dégager de politique commune aux complémentaires. Les prises de position respectives concernant le contenu des prestations prises en charge par les contrats responsables l’avaient démontré en 2005 : alors que la FNMF plaidait pour le non-remboursement des assurés non vertueux, les institutions de prévoyance défendaient un contrat responsable moins restrictif, et les sociétés d’assurance souhaitaient que les dépassements puissent être pris en charge.
La lutte contre l’anti-sélection Les stratégies déployées par les organismes complémentaires pour lutter contre l’antisélection, sorte d’auto-exclusion par les assurés
1. A. Vasselle, Réforme de l’Assurance Maladie : les nouveaux outils de la régulation – rapport d’information au Sénat, octobre 2005. 2. DREES, 2003.
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME potentiels, amènent à une différenciation plus marquée encore des propositions de prise en charge. L’anti-sélection reflète le comportement d’individus jeunes et en bonne santé qui considèrent que les cotisations qu’ils paient ou paieraient sont beaucoup trop élevées au regard des prestations qu’ils peuvent en attendre et préfèrent ne pas ou ne plus s’assurer, le financement du risque maladie étant alors reporté sur les individus en mauvaise santé.
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Pour faire face à ce problème, dans le cadre des couvertures individuelles, les assureurs ont souvent recours à une tarification liée au risque, soit au risque attendu en tenant compte de caractéristiques telles que l’âge et l’état de santé, soit au risque constaté, comme l’a fait récemment une complémentaire en proposant un contrat qui rembourse une partie de la cotisation pour les individus n’ayant pas consommé de soins ; le ministre de l’époque s’en était ému, soulignant que ce projet allait « à l’encontre des principes de solidarité et de mutualisation ». Rappelons que la loi Evin de 1989 prévoit une exonération de la taxe de 7 % sur les contrats d’assurance pour les contrats d’Assurance maladie complémentaire (AMC) dits « solidaires », c’est-à-dire ne comprenant pas de questionnaire médical ni de tarification en fonction de l’état de santé des assurés. On peut s’interroger sur le respect de cette dernière condition par les contrats « à ristourne ». La couverture complémentaire maladie d’entreprise, proposée à 72 % des salariés, connaît également un risque d’ « anti-sélection ». Loin de représenter un bloc uniforme, elle revêt de multiples offres exposées à des degrés différents au risque d’anti-sélection : contrats obligatoires proposés à tous les salariés ou à une partie d’entre eux, contrats à souscription facultative avec ou sans options. L’anti-sélection peut être supprimée en rendant le contrat obligatoire pour tous les salariés (44 % des salariés sont aujourd’hui concernés par cette formule) ou pour une catégorie d’entre
eux, tout en uniformisant les garanties quel que soit le niveau de risque. Les contrats facultatifs sans options, qui concernent à peine 15 % des salariés, sont en revanche les plus exposés à ce risque. C’est pourquoi, dans le cadre des contrats facultatifs, la lutte contre l’anti-sélection passe par l’offre de contrats moins chers proposant des garanties moindres ou à options pour attirer tous les niveaux de risque : l’assuré choisit alors la formule offrant un compromis prix/garanties adapté à ses niveaux de consommation de soins. En ce qui concerne les contrats facultatifs uniques (sans options), il ne reste plus que le levier financier pour limiter le risque d’anti-sélection, par exemple en majorant la cotisation des salariés qui retardent la souscription des contrats. Aujourd’hui seules vingt-neuf branches professionnelles sur 323 ont institué une couverture complémentaire maladie. On peut estimer à plus de 140 le nombre de branches de plus de 5 000 salariés n’ayant pas de dispositions conventionnelles portant sur la complémentaire santé. Le gouvernement s’est récemment emparé de cette problématique, en partant des constats suivants : • « la complémentaire maladie d’entreprise
reste peu développée » ; • « de fortes disparités existent entre secteurs et catégories de salariés » ; • les salariés des petites entreprises en restent « majoritairement exclus » ou ont « des niveaux de garanties moindres ». Il convient néanmoins de souligner que les dispositions de la loi Fillon de 2003 poussent à la transformation des régimes facultatifs en régimes obligatoires, puisqu’à compter du 30 juin 2008, toutes les contributions financières des entreprises à un régime facultatif seront soumises à charges sociales. Parallèle-
15 • Des assurances « complémentaires », mais à quoi ?
Les contrats responsables : une articulation « obligée » RO/RC
« les plus standards » après, cependant, qu’ait été rationalisé le panier de soins des AMO, notamment sur la base du service rendu et qu’une meilleure articulation ait été trouvée entre le régime obligatoire et une Assurance maladie complémentaire de base (AMCB). L’objectif consiste alors à ce que les organismes obligatoires et complémentaires cogèrent leurs prises en charge respectives dans le cadre du panier de soins garanti par l’État : celui de la CMG. Au delà, les ménages sont libres de souscrire une assurance couvrant le « reste à charge ».
Une première brèche a été ouverte en France dans le monopole de l’Assurance maladie, en même temps qu’elle marquait les premières limites de la couverture obligatoire, par le libre choix et la mise en concurrence des opérateurs publics et privés dans la gestion du panier de soins de la CMU complémentaire (CMUC). Dans le cadre de ce panier de soins de la CMU, les organismes complémentaires s’engageaient à prendre en charge le ticket modérateur, le forfait hospitalier, les compléments tarifaires limités en matière de prothèses dentaires, d’orthopédie dento-faciale, d’optique et de prothèses auditives, mais ils conservaient toutefois la liberté de proposer ou non cette CMUC. Le rapport Chadelat1 de 2003 a contribué à la reconfiguration de l’Assurance maladie en redéfinissant les champs de compétence entre assurances de base et complémentaires. Le rapport proposait d’associer les organismes complémentaires de santé aux organismes obligatoires au sein d’une Couverture maladie généralisée (CMG) prenant en charge un panier de soins défini par l’État. Le champ de la CMG recouvre le champ actuel de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) et celui des contrats d’Assurance maladie complémentaire (AMC)
Le rapport précisait que, si la CMG devait intégrer la CMUC et constituer « une amélioration de la prise en charge actuelle de certaines dépenses », elle n’avait pas pour autant « vocation à assurer la gratuité totale des soins ». Autrement dit, il s’agissait de rester dans les « clous » constitutionnels d’égalité d’accès aux soins, tout en responsabilisant davantage les assurés (participation aux frais médicaux) et les organismes complémentaires, désormais contributifs à la prise en charge d’un panier de soins national garanti par l’État dans le cadre d’une CMG conservant son caractère universel. En revanche, le rapport Chadelat ne franchissait pas le pas vers une AMCB obligatoire. Celle-ci devait demeurer, selon les rapporteurs du groupe, facultative avec la liberté d’adhérer et de contracter, chaque organisme complémentaire étant libre de fixer le prix de ses contrats... dans le respect des principes fondamentaux d’éthique assurancielle (respect du contrat solidaire : non-sélection des risques, non-majoration pour état de santé, absence de période probatoire, etc.). Le panier de soins de la CMG devait faire l’objet d’une révision périodique et une aide garantissait l’accès de tous à l’AMCB (lissage des effets de seuil de la CMUC), financée notamment par la suppression
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
ment, les partenaires sociaux ont décidé début 2007, d’ouvrir une négociation sur la généralisation des contrats collectifs santé, notamment dans les PME, après la transmission par le ministère du travail d’un « document d’orientation » pour « développer la protection sociale complémentaire santé dans les PME dans le cadre des contrats collectifs », par la mise en œuvre d’un accord national interprofessionnel.
1. Commission des comptes de la Sécurité sociale, Rapport Chadelat, La répartition des interventions entre les assurances maladie obligatoires et complémentaires en matière de dépenses de santé, avril 2003.
295
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME des avantages fiscaux et sociaux octroyés aux entreprises et aux salariés pour la souscription de contrats santé... La loi de réforme de l’Assurance maladie d’août 2004 a par la suite prévu la mise en place de contrats responsables, reposant sur une articulation des prises en charge RO/RC. La notion de contrat responsable marque en effet une avancée dans le sens d’une amélioration de la complémentarité RO/RC, en articulant les prises en charge respectives des régimes obligatoires et complémentaires autour du parcours de soins. La loi du 13 août 2004 et le décret du 29 septembre 2005 prévoient en effet quatre cas interdisant la prise en charge des majorations de dépenses : • La majoration du ticket modérateur hors
296
parcours de soins, imposée au patient qui consulte un médecin sans avoir choisi de médecin traitant ou sans prescription de ce dernier1 ,
• Les dépassements d’honoraires autorisés
pratiqués hors parcours de soins par les médecins spécialistes en secteur 1 et les dépassements hors parcours des spécialistes en secteur 2. Aux termes du décret, cette interdiction applicable aux actes techniques et cliniques porte au moins sur le montant du dépassement autorisé sur les actes cliniques, soit actuellement un maximum de sept euros. Concernant les conditions de prise en charge des dépassements d’honoraires pratiqués par les médecins spécialistes en secteur 2 hors parcours de soins, l’avenant 1 à la convention médicale précise qu’ils sont assimilés à un dépassement autorisé pour une part égale à sept euros – qui ne peut alors faire l’objet d’une prise en charge par les
complémentaires dans le cadre des contrats responsables ; • La majoration de la participation de l’assuré
qui refusera à un professionnel de santé d’accéder ou de compléter son dossier médical personnel ;
• La contribution forfaitaire d’un euro par acte
médical.
Par ailleurs, les contrats doivent prévoir dans le parcours de soins : • La prise en charge des prestations et pres-
criptions réalisées dans le cadre du parcours de soins : prise en charge à au moins 30 % du tarif de sécurité sociale des consultations et prescriptions du médecin traitant et des consultations réalisées par un médecin auquel le patient est adressé par son médecin traitant (soit un remboursement intégral pour les médecins en secteur 1), remboursement au moins à hauteur de 30 % des médicaments à vignette blanche et de 35 % des actes de biologie prescrits dans le cadre du parcours de soins (complétant une prise en charge par l’Assurance maladie de respectivement 65 et 60 %, soit une possibilité de reste à charge de l’assuré de 5 % dans les deux cas) ;
• La prise en charge intégrale de la participa-
tion des assurés pour au moins deux prestations de prévention, considérées comme prioritaires au regard d’objectifs de santé publique. L’arrêté ministériel du 8 juin 20062 dresse la liste de ces prestations prises en charge en totalité (remboursement intégral du ticket modérateur pour l’assuré) et prévoit, le cas échéant, les catégories de population auxquelles elles sont destinées.
1. La majoration du ticket modérateur hors parcours de soins a été aggravée par le plan d’économies de juillet 2007, le remboursement des actes hors parcours de soins n’étant plus que de 50 % au lieu de 60 %. 2. Voir Journal officiel du 18 juin 2006.
15 • Des assurances « complémentaires », mais à quoi ?
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Aides aux complémentaires : une co-régulation « obligée » de la dépense Si le caractère solidaire de notre système rend aujourd’hui possible la prise en charge des 5 % de malades qui représentent plus de 50 % de la dépense, illustrant l’adage selon lequel « nul n’est riche devant la maladie », cet acquis est aujourd’hui fragilisé par l’évolution structurelle des coûts, liée notamment au vieillissement de la population et au progrès médical. Face à la perspective inéluctable d’augmentation des dépenses de santé, qui connaîtront probablement une augmentation de trois à quatre points de PIB à l’issue des prochaines années, et face au risque pour les régimes complémentaires de devoir faire face à un transfert de charge qu’ils ne pourraient progressivement plus assumer, nous sommes en situation de devoir repenser l’articulation des prises en charge entre organismes obligatoires et complémentaires. Plus de 92 % de la population française étant désormais couverte par une couverture complémentaire, nul n’imagine plus que les organismes complémentaires disparaissent du paysage des financeurs des dépenses de santé. Redéfinir l’articulation des prises en charge respectives des RO/RC revient finalement à tirer les conséquences de ce constat. Il appartient dans un premier temps aux pouvoirs publics de déterminer « un service public prioritaire », permettant de hiérarchiser les prises en charge tant dans les domaines curatif que préventif en fonction des enjeux de santé publique. C’est dans ce sens que vont d’une part, sur le plan curatif, la prise en charge des traitements des affections de longue durée, et d’autre part sur le plan préventif, la prise en charge intégrale de certaines actions préventives (prise en charge de certains vaccins, programmes de dépistage du cancer, préven-
tion dentaire) ainsi que la décision de l’UNCAM de prise en charge de l’ostéodensitométrie pour certains patients à risque à hauteur de 70 %. Parallèlement à la définition de ce service public prioritaire, une articulation avec les régimes complémentaires paraît nécessaire compte tenu du renforcement de la part des dépenses de santé dans le PIB. Plusieurs scénarios d’articulation des prises en charge respectives des RO et RC sont envisageables.
La poursuite d’une articulation des prises en charge sur le modèle du contrat responsable Ce scénario implique qu’au-delà de la définition unilatérale d’un panier de biens et services remboursables en vertu de priorités de santé publique, dont une partie est prise en charge par les contrats responsables des complémentaires, ces dernières demeurent pleinement dans un contexte concurrentiel favorisant la surenchère. La seule question (réversible) est de savoir si le champ de contraintes imposées aux organismes complémentaires dans le cadre des contrats responsables « mérite » le montant des aides publiques consenties. Aujourd’hui, la volonté des pouvoirs publics d’encourager les contrats responsables ne fait aucun doute, comme en témoigne le contenu de la loi de finances rectificative pour 2006. Cette dernière prévoit que tous les organismes soient à compter du 1er janvier 2008 assujettis aux mêmes règles de taxation (impôt sur les sociétés et taxe professionnelle) mais exonère les activités assurance santé sous réserve du respect de trois conditions : 1. une certaine proportion de contrats « solidaires » et « responsables » sur l’ensemble des contrats proposés (taux qui sera fixé par décret en Conseil d’État) ; 2. inscription sur la liste des organismes participant à la CMUC ;
297
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME 3. satisfaction d’au moins une des quatre conditions suivantes : mise en œuvre d’une modulation tarifaire ou d’une prise en charge des cotisations tenant compte de la situation sociale des adhérents, proportion minimale comprise entre 3 et 6 % de bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une assurance complémentaire, proportion minimale de personnes de plus de 60 ans comprise entre 15 et 20 %, proportion minimale de moins de 25 ans comprise entre 28 et 35 % (les taux seront fixés par décret en Conseil d’État).
298
La mise en conformité imposée par les contrats responsables dont le respect du cahier des charges, conditionne désormais le bénéfice des exonérations fiscales et sociales, a été réalisée sans encombre : la majorité des contrats existant étaient déjà « responsables » au sens de la nouvelle réglementation, ce qui prouve que la rupture provoquée par les contrats responsables est toute relative... À titre d’illustration, seuls 7 % du portefeuille du groupe de protection sociale Pro BTP a dû faire l’objet d’ajustements, tandis que le portefeuille d’AGF Collectives était déjà à plus de 90 % de type « responsable ». Il faut dire que les sept milliards d’euros d’aides publiques accordées aux contrats collectifs de santé, respectant la double condition de contrat viager (garanties à vie) et solidaire (sans questionnaire médical) étaient déjà très incitatifs1 . Lors de l’adaptation de leurs contrats collectifs santé, les organismes complémentaires en ont profité pour adapter leur offre, optant pour les garanties les moins vulnérables face au transfert de charges de la Sécurité sociale afin de juguler les augmentations tarifaires, et pour une amélioration du service aux clients, notamment en matière d’information (services de « call center » d’information et de conseil en santé, d’analyse de devis, de prix et de qualité 1. UFC Que choisir, Communiqué, 30 mars 2005.
négociés dans le cadre d’accords spécifiques avec les professionnels, investissement en prévention...). Il convient également de souligner que les tarifs des mutuelles et des assurances complémentaires santé se sont accrus de plus de 20 % depuis la réforme de 2004... L’articulation RO/RC via le contrat responsable est le scénario qui a la préférence (forcée) des complémentaires qui sont favorables au maintien de la prise en charge publique telle qu’elle existe aujourd’hui, pour conserver un maximum de liberté au-delà de cette prise en charge.
Une démarche négociée entre l’UNCAM et l’UNOCAM Les organismes complémentaires co-gèrent le panier de biens et services médicaux du service public sur le fondement d’une démarche négociée entre l’UNCAM et l’UNOCAM. Ce scénario prolonge la dynamique du rapport Chadelat et des contrats responsables, articulant et co-gérant les prises en charge RO/RC sur la base d’un cahier des charges de service public fondé sur un panier de biens et services médicaux utiles et efficaces. Considérant que la dynamique de santé publique ignore le clivage opposant les régimes obligatoires prenant en charge ce qui répond aux enjeux de santé publique et les régimes complémentaires qui s’inscrivent inévitablement dans un cadre concurrentiel, cette option impliquerait d’entrer dans une dynamique commune de régulation concernant notamment les dépassements d’honoraires : • non prise en charge des dépassements
d’honoraires hors parcours de soins même au-delà de la franchise de sept euros ; • plafonnement de la prise en charge des dépassements du secteur 2, notamment dans le domaine de la chirurgie et du futur
15 • Des assurances « complémentaires », mais à quoi ? secteur optionnel. Un alignement sur la jurisprudence du « tact et mesure » serait envisageable (2,5 fois le tarif conventionnel). À cet égard, une note du HCAAM de mai 2007 sur les conditions d’exercice et les revenus des médecins libéraux pointe les contradictions qui marquent la situation actuelle : « rétractation du champ des actes en tarif opposable (notamment pour certaines spécialités où les installations se font de façon quasi-exclusive en secteur 2) alors que l’ambition de la sécurité sociale est, si possible, de lier tarif et base de remboursement ; forte poussée des dépassements (...) ; cycle discutable dans lequel la diffusion des dépassements amène les complémentaires à les prendre de plus en plus en charge, ce qui pousse à des dépassements à la hausse et ainsi de suite ; caractère controversé d’une aide publique à des contrats qui prennent en charge les dépassements les plus élevés... ».
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
C’est ainsi que le premier axe de négociation sur lequel l’UNOCAM est associée – le secteur optionnel – représente une opportunité à saisir. L’enjeu est en effet de taille puisque 80 % des chirurgiens exercent aujourd’hui dans le secteur à honoraires libres et 85 % des nouvelles installations en chirurgie se font en secteur 2. Le taux moyen de dépassement s’élève à 47 % en chirurgie générale et à 159,2 % en chirurgie plastique... Ceci étant, les complémentaires sont-elles prêtes à entrer dans une logique de service public, en continuité des contrats responsables ? Rien n’est moins sûr dans un contexte concurrentiel de plus en plus prégnant. En attendant, le HCAAM constate dans son rapport de juillet 2007 que « l’Assurance maladie complémentaire reste une “industrie du ticket modérateur” avec 70 % pour des prestations complémentaires aux régimes de base, 25 % pour les dépassements et 5 % pour le non remboursable ».
La surcomplémentaire Dans les deux scénarios évoqués, on reste sur des prises en charge RO/RC harmonisées soit par des contrats responsables aidés par la puissance publique, soit par d’autres négociées entre les parties. S’agissant d’un troisième niveau de prise en charge (surcomplémentaire) libéré des figures imposées, on peut également imaginer deux scénarios : • une première option entérine la seule liberté
d’assurance sur ce troisième niveau de prise en charge ; • une seconde option considère que les partenaires RO/RC ont un intérêt à continuer de négocier certaines prises en charge en cohérence avec celles de premier et deuxième niveaux. En effet, les organismes complémentaires ont déjà démontré, particulièrement sur les postes sur lesquels le régime obligatoire intervient peu – l’optique et le dentaire –, leur préoccupation de maîtrise des dépenses : par exemple, le basculement d’une garantie « classique » (proposant le même niveau de garantie sans considération d’ordre médical ou esthétique) vers une garantie innovante adaptée au besoin individuel permet de maîtriser la dérive des dépenses concernées tout en améliorant la prise en charge des assurés : – en optique, il peut s’agir de ne pas prendre en charge l’antireflet pour les petites corrections dont l’intérêt médical n’est pas démontré, – en dentaire, cette position peut conduire à limiter la prise en charge des couronnes céramiques aux dents du sourire. Le contexte devrait être plus favorable aux négociations entre régimes obligatoires et complémentaires, puisque leurs responsables, réunis autour du ministre de la Santé, ont arrêté en 2006 le principe d’une négociation tripartite en vue de la création d’un secteur optionnel accessible aux chirurgiens.
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME La coopération entre RO/RC pose enfin la question de l’accès des seconds à certaines données des premiers : les organismes complémentaires revendiquent en effet un accès à certaines données afin de leur permettre d’adapter leur stratégie de remboursement, d’offrir une meilleure gestion du risque santé et d’analyser plus finement l’évolution des dépenses. La convention constitutive du groupement d’intérêt public de l’Institut des données de santé (IDS) a été approuvée par arrêté le 30 avril 2007. Composé de douze membres représentant l’État, l’Assurance maladie, l’UNOCAM et l’Union nationale des professionnels de santé, l’IDS doit mettre en commun les données de santé, provenant essentiellement du Système national d’information interrégime de l’Assurance maladie.
300
Perspectives Plus les régimes obligatoires devront affronter des difficultés financières, plus celles-ci se répercuteront sur les complémentaires, contraintes alors d’abandonner la facilité de la seule gestion du ticket modérateur. Les trois parties prenantes à la maîtrise de la dépense (État – RO – RC) ont donc intérêt à travailler ensemble mais pas en mono scénario, d’où les différentes options proposées qui s’accordent à la flexibilité de stratégies d’acteurs nécessairement différenciées suivant leurs intérêts, leurs contraintes, leurs valeurs et les rapports de force en présence. Sans souplesse et sans concession, un ménage à trois ne peut faire bon ménage...
Chapitre 16 Pour une approche globale d’une politique de santé publique
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME
PLAN DU CHAPITRE
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1. Les instruments du pilotage issus de la loi du 9 août 2004 Un champ de la santé publique enfin défini De grands principes fondateurs Des critères précis pour sélectionner les problèmes de santé Cent objectifs pour une politique efficace et efficiente Une architecture rationnelle où tous les acteurs ont un rôle précis à jouer
303 303 303 304 305 306
2. Une politique de santé multidimensionnelle orientée vers les enjeux de demain À la recherche d’une politique de santé Une politique de santé publique inachevée Une politique de promotion de la santé en devenir Une politique de l’environnement difficile à mettre en œuvre Une politique économique et sociale de l’emploi Une politique de maîtrise des dépenses fondée sur la qualité des soins Une politique du handicap intégratrice Une politique en faveur des aidants
307 307 308 309 311 312 312 314 322
16 • Pour une approche globale d’une politique de santé publique
1. LES INSTRUMENTS DU PILOTAGE ISSUS DE LA LOI DU 9 AOÛT 2004 Le 9 août 2004, la France s’est dotée d’une nouvelle loi relative à la santé publique. Ce texte définit la santé publique comme « l’ensemble des connaissances et des techniques propres à prévenir les maladies, à préserver la santé, à améliorer la vitalité et la longévité des individus par une action collective ». Quelles innovations et surtout quels résultats attendre de tous nouveaux dispositifs proposant une architecture rationnelle au système ?
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Un champ de la santé publique enfin défini L’article 2 de la loi du 9 août 2004 stipule que « la politique de santé publique concerne : la surveillance et l’observation de l’état de santé de la population et de ses déterminants ; la lutte contre les épidémies ; la prévention des maladies, des traumatismes et des incapacités ; l’amélioration de l’état de santé de la population et de la qualité de vie des personnes malades handicapées et des personnes dépendantes ; l’information et l’éducation à la santé de la population et l’organisation de débats publics sur les questions de santé et de risques sanitaires ; l’identification et la réduction des risques éventuels pour la santé liés à des facteurs d’environnement et des conditions de travail, de transport, d’alimentation ou de consommation de produits et de services susceptibles de l’altérer ; la réduction des inégalités de santé, par la promotion de la santé, par le développement de l’accès aux soins et aux diagnostics sur l’ensemble du territoire ; la qualité et la sécurité des soins et des produits de santé ; l’organisation du système de santé et sa capacité à répondre aux besoins de prévention et de prise en charge des maladies et handicaps ; la démographie des professions de santé ».
De grands principes fondateurs La politique de santé publique conduite par la Nation permet d’orienter et d’organiser l’ef-
fort afin de protéger, promouvoir et restaurer l’état de santé de l’ensemble de la population, en s’attachant à corriger les inégalités existant en son sein. Cette politique distingue deux niveaux dans l’approche de la santé : celui des personnes et celui de la population. Ces deux niveaux sont complémentaires et, si le but final est toujours d’améliorer la santé des personnes, les outils à mettre en œuvre sont différents selon le niveau considéré. Un certain nombre de principes régissent la conduite d’une politique de santé publique moderne, parmi lesquels : • le principe de connaissance, selon lequel les
objectifs sont définis et les actions sont choisies en tenant compte des meilleures connaissances disponibles et, réciproquement, la production de connaissances répond aux besoins d’informations nécessaires pour éclairer les décisions ;
• le principe de réduction des inégalités, selon
lequel la définition des objectifs et l’élaboration des plans stratégiques doivent prendre en compte les groupes les plus vulnérables en raison de leur exposition à des déterminants spécifiques ;
• le principe de parité prenant en compte les
spécificités de la santé des hommes et celle des femmes ;
• le principe de protection de la jeunesse pre-
nant en compte l’amélioration de la santé des nourrissons, des enfants et des adolescents ;
303
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME • le principe de précocité qui veut que les
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•
•
304
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actions les plus précoces possibles sur les déterminants de la santé sont à privilégier, ceci afin d’éviter la survenue ou l’aggravation de leurs conséquences ; le principe d’efficacité économique selon lequel le choix des actions et des stratégies qu’elles comportent s’appuie sur l’analyse préalable de leur efficacité et des ressources nécessaires ; le principe d’intersectorialité selon lequel les stratégies d’action coordonnent autant que nécessaire les interventions de l’ensemble des secteurs concernés pour atteindre un objectif défini ; le principe de concertation selon lequel la discussion des objectifs et l’élaboration des plans de santé publique comportent une concertation avec les professionnels de santé, les acteurs économiques et le milieu associatif ; le principe d’évaluation selon lequel les objectifs de santé et les plans stratégiques comportent dès leur conception les éléments indispensables à l’évaluation des actions menées.
Des critères précis pour sélectionner les problèmes de santé Le terme de « problème de santé » désigne les maladies qui retentissent sur l’état de santé de la population ainsi que les principaux déterminants associés à la survenue de ces maladies, à leur aggravation ou à l’importance de leur retentissement. Cette analyse par pathologie ou par déterminant peut être complétée par une analyse transversale permettant de mettre en évidence les problèmes communs à des groupes de population. Les critères utilisés pour apprécier l’importance d’un problème en termes de santé publique comprennent :
• d’une part, le retentissement du problème sur
la santé en termes de morbidité et de mortalité évitables, de limitations fonctionnelles et de restrictions d’activité ou de qualité de vie des personnes atteintes ; • d’autre part, l’expression des valeurs de la société à un moment donné, en termes d’importance relative accordée à différents événements de santé ou à différents groupes démographiques et sociaux. Des indicateurs d’importance figurent au premier rang de ces critères de sélection comportant : • les données de mortalité, les plus fiables,
basées sur un système cohérent d’analyse des certificats de décès ; • les données de morbidité décrivant la fréquence des maladies, ou plus généralement des événements de santé indésirables. L’incidence dénombre les nouveaux cas survenant au cours d’une période donnée et reflète la dynamique d’évolution d’une pathologie au sein de la population ou de groupes spécifiques tandis que la prévalence dénombre l’ensemble des cas présents au cours de cette période, indiquant ainsi à un instant donné la part de la population qui est touchée par la pathologie. Des indicateurs synthétiques contribuent par ailleurs à identifier les problèmes de santé. L’indicateur utilisé correspond aux années de vie corrigées de l’incapacité ou AVCI (« DALYs » en anglais). Cet indicateur correspond à un nombre d’années de vie « en bonne santé » perdues pour chaque problème de santé. Il est calculé par l’addition de deux éléments : • les années de vie perdues en raison d’un
décès prématuré calculées simplement par la différence entre l’âge de survenue des décès et l’espérance de vie moyenne de la population (par âge et par sexe) ; • une simulation de l’équivalent d’un nombre d’années de vie perdues en raison de la dimi-
16 • Pour une approche globale d’une politique de santé publique nution de la qualité de vie résultant de la présence d’une maladie. Le calcul cherche également à intégrer de façon explicite d’autres éléments qui restent souvent implicites dans l’appréciation de l’état de santé, notamment : • la valeur différente qui peut être accordée
à une année de vie dans l’enfance, à l’âge adulte, ou en fin de vie ; • la valeur différente qu’une société peut accorder à des événements survenant dans le présent ou dans un futur plus ou moins éloigné ; • et les différentes façons dont on peut apprécier le retentissement d’une altération de l’état de santé sur la qualité de la vie. D’autres indicateurs d’état de santé sont utilisés notamment :
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
• l’espérance de vie, ou nombre d’années
qu’une personne pourrait s’attendre à vivre à partir de la naissance ou d’un autre âge spécifié ; indicateur couramment utilisé pour mesurer la santé de la population ; • l’espérance de vie sans incapacité ou nombre d’années qu’une personne pourrait s’attendre à vivre sans incapacité (modérée ou grave), à partir de la naissance ou d’un autre âge spécifié ; • les années potentielles de vie perdues représentant le nombre total d’années de vie non vécues en raison des décès « prématurés » c’est-à-dire des décès qui interviennent avant un certain âge ; • la mortalité infantile ou nombre d’enfants qui meurent durant la première année de leur vie, mesurant non seulement la santé infantile, mais reflètent aussi l’état de santé d’une population ainsi que l’efficacité des soins préventifs et l’attention accordée à la santé de la mère et de l’enfant ; 1. Voir « Compléments », page 331.
• l’autoévaluation de la santé exprime le pour-
centage de personnes dans la population qui déclarent que leur santé est très bonne ou excellente indiquant ainsi un état de santé global.
Cent objectifs pour une politique efficace et efficiente Les objectifs nationaux de la politique de santé sont déterminés en tenant compte de l’échéance pluriannuelle choisie, de la situation actuelle et de l’existence de stratégies d’action potentiellement efficaces. Ces objectifs, renouvelés à l’échéance, sont exprimés préférentiellement en termes d’évolution de l’état de santé de la population ou d’évolution de la fréquence d’un déterminant immédiat de cet état de santé. Chaque objectif est accompagné d’un ou plusieurs indicateurs afin de suivre l’efficacité des actions entreprises. Ce sont les principes et la méthode de sélection des priorités décrits précédemment qui ont conduit à proposer les cent objectifs que la Nation vise à atteindre dans les cinq prochaines années. Une évaluation quinquennale de la politique de santé publique doit en effet être réalisée ainsi que la production d’un rapport annuel sur l’état de santé des Français dont la première version a été effectuée en 2006. Ces objectifs sont présentés en quatre groupes1 . • objectifs quantifiables en l’état actuel des
connaissances ; • objectifs dont la quantification a pour préalable la production d’informations d’ordre épidémiologique ; • objectifs dont la quantification a pour préalable la production d’autres connaissances scientifiques ;
305
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME • objectifs dont la quantification a pour préa-
lable l’évaluation de programmes précédents ou programmes pilotes.
Une architecture rationnelle où tous les acteurs ont un rôle précis à jouer L’État devient le chef d’orchestre d’un système dont la dynamique repose sur six points essentiels : • L’expertise : au niveau national, le Haut
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306 •
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Conseil de santé publique est chargé d’analyser des problèmes de santé et d’évaluer les objectifs pour contribuer à la définition des objectifs de chaque nouvelle loi quinquennale. Au niveau régional, les différents travaux sont synthétisés par la Conférence régionale de santé (CRS) ; La concertation : la Conférence nationale de santé est un organisme consultatif ; ouverte aux représentants des usagers, elle est placée auprès du ministre de la Santé. La CRS est son équivalent auprès du préfet de région ; La décision : le Gouvernement prépare le projet de loi quinquennale en fixant les objectifs de santé publique. Le Parlement discute et vote la loi. Au niveau régional, le préfet arrête le plan régional de santé publique conformément à la loi, en l’adaptant aux besoins de santé de la région après consultation de la CRS ; La mise en œuvre : au niveau national, le ministère conserve ses missions tandis que l’INPES participe à la mise en œuvre des programmes de l’État. En région, les nouveaux GRSP mutualisent les missions de l’État, de l’ARH, de l’Assurance maladie et des collectivités pour mettre en œuvre le PRSP ; La coordination : le Comité national de santé publique coordonne la politique interministérielle. Au niveau régional, c’est la fonction du GRSP ;
• L’évaluation : c’est au niveau national le rôle
du HCSP, mais le Parlement peut aussi à tout moment saisir l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé. Au niveau régional, la CRS tient lieu d’instance d’évaluation.
Reviennent à l’État la surveillance de l’état de santé de la population et son amélioration, la lutte contre les épidémies, la prévention, mais aussi l’information, l’éducation à la santé de la population et l’organisation de débats publics, l’identification et la réduction des risques liés à des facteurs d’environnement ou encore la réduction des inégalités de santé ; de plus, l’État doit aussi prendre en charge la qualité des soins et des produits de santé, l’organisation du système de santé, ainsi que la démographie des professionnels de santé. Le Haut Conseil de santé publique est chargé notamment de contribuer à la définition de ces objectifs pluriannuels de santé publique, d’apporter son expertise en matière d’évaluation et de gestion des risques sanitaires, d’organiser une veille prospective sur l’ensemble des facteurs susceptibles d’influer sur l’état de santé des populations et d’évaluer globalement les objectifs nationaux de santé publique. En parallèle, un Comité national de santé publique est créé, afin de coordonner les actions interministérielles et interinstitutionnelles dans les domaines de la sécurité sanitaire et de la prévention. On peut noter le rôle prépondérant de l’échelon régional dans la nouvelle organisation issue de la loi. Le niveau régional apparaît en effet comme un échelon central de définition et de mise en œuvre de la politique de santé publique. Le préfet de région est responsable de la déclinaison régionale des programmes nationaux de santé, qui sont transcrits dans un plan régional de Santé publique. Par le biais de la loi, la région est renforcée dans son rôle de pivot de l’action sanitaire. En premier lieu avec l’institution des plans régionaux de santé publique et le renforcement du rôle de la conférence
16 • Pour une approche globale d’une politique de santé publique régionale de santé. Ensuite, par la création de groupements régionaux de santé publique. Cependant, on peut relever certaines carences de la loi : ainsi, rien n’a apparemment été prévu quant aux moyens (tant financiers, qu’humains ou techniques) à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs retenus. Ensuite, on peut regretter que des objectifs aient été retenus alors qu’ils n’étaient pas quantifiés (comment alors mesurer leur impact réel ?). D’autre part, retenir le niveau régional comme le plus apte à mener de manière assez autonome certains programmes ne risque-t-il pas d’entraîner de nouvelles inégalités (certaines régions, on le sait, étant mieux loties budgétairement que d’autres, puisque les moyens de financement sont mis à disposition par les conseils régionaux) : ici, ne serait-ce pas à l’État d’être le garant de l’égalité de traitement entre les Français ? On pourrait ainsi envisager qu’en cas d’impossibilité pour une région de mettre en
œuvre un programme retenu à son niveau pour manque de moyens, ce soit l’État qui (par une budgétisation prévue à la loi de financement de sécurité sociale par exemple) alloue les moyens nécessaires à sa mise en œuvre. On peut également s’interroger sur la dilution des responsabilités due à l’empilement et à l’enchevêtrement des différentes structures de santé publique (État, Haut Conseil de santé publique, Comité national de santé publique, préfet de région, Comité régional de santé publique, INPES, GRSP, Institut de veille sanitaire, École des hautes études en santé publique...). Enfin, quant aux indicateurs eux-mêmes, actuellement quarante-deux objectifs fixés n’ont pas fait l’objet d’une évaluation en 2006... Notons toutefois que le texte présente de véritables avancées, en cela qu’on a pu définir des indicateurs d’évaluation pour plus de la moitié des objectifs.
307
2. UNE POLITIQUE DE SANTÉ MULTIDIMENSIONNELLE ORIENTÉE VERS LES ENJEUX DE DEMAIN
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Une politique de santé se situe aujourd’hui à la confluence de choix environnementaux, sociaux, économiques, sanitaires et budgétaires. Placer le curseur au bon endroit de ce champ multidimensionnel s’avère alors un exercice difficile, voire impossible tant les intérêts paraissent parfois divergents.
À la recherche d’une politique de santé Là encore il faut nous référer à ce manifeste du 21 novembre 1986, la charte d’Ottawa1 . Celle-ci pose le postulat qu’une bonne santé est « une ressource majeure pour le progrès social, économique et individuel », en même temps 1. Voir « Compléments », page 330.
qu’un aspect important de la qualité de vie. Les facteurs « politiques, économiques, sociaux, culturels, environnementaux, comportementaux et biologiques peuvent tous intervenir en faveur ou au détriment de la santé ». Seul, le secteur sanitaire ne saurait offrir ces conditions préalables et ces perspectives favorables à la santé.
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME Les promoteurs de la santé établissent que « la santé et son maintien constituent un investissement social majeur » et qu’il convient avant tout de combler les écarts de santé dans les sociétés et de lutter contre les inégalités produites dans ce domaine par les règles et les pratiques sociales. L’individu comme ressource irremplaçable dans le progrès collectif, d’autant plus contributif au développement qu’il sera en bonne santé : UNE politique de santé se décline alors en DES politiques convergeant toutes vers ce même objectif, à savoir : • une politique de santé publique, visant à
répondre aux besoins de santé de la population : les leviers sur lesquels agir sont l’accès aux soins, et la réduction des risques ;
• une politique de promotion de la santé
308
telle que cette dernière est définie dans la charte d’Ottawa, combinant différentes actions en matière de législation, mesures fiscales, changements organisationnels et sociaux, favorisant un meilleur état de santé et une plus forte égalité des individus ;
• une politique de l’environnement afin de
réduire les risques le plus souvent liés à la pollution de l’air et à celle de l’eau ;
• une politique économique et sociale, visant
à éviter la fragilisation des individus par la précarisation dans l’emploi ainsi que leur exposition aux nuisances et aux toxiques dans le milieu du travail ;
• une politique de maîtrise des dépenses et
de rationalisation (et non pas rationnement) afin d’assurer l’équité de notre système de soins ;
• une politique en faveur des handicapés et
des aidants familiaux.
Une politique de santé publique inachevée Pour être efficace, une politique de santé doit être conduite à la lumière d’indicateurs fiables portant sur l’état de santé de la population. Un bon système d’information – on a pu le constater à de multiples reprises, qu’il s’agisse du sang contaminé, de la vache folle ou des effets de la canicule – permet de mettre en œuvre des mesures adaptées. Cette culture de l’information est dans notre pays toute récente : le premier rapport du Haut Comité de santé publique date de 1994, insistant sur les faiblesses de notre système d’information et dressant un premier constat sur l’état de santé de la population française. Parmi les faits marquants une surmortalité prématurée nous caractérise, expliquée par les méfaits du tabac, de l’alcool et les morts violentes sur la route ou par suicide. À cela s’ajoutent des inégalités criantes entre catégories sociales, l’espérance de vie des ouvriers et employés se situant bien en dessous de celle des cadres et professions supérieures. Le retard français en matière de traitement de la douleur ou encore le sort réservé aux personnes handicapées viennent compléter ce constat mitigé, mettant en avant des problèmes de disparités régionales et d’inégalités de santé suffisamment importants pour souhaiter des mesures correctrices grâce à une politique volontariste. Le second rapport sur la santé des Français (1994-1998) montrera une évolution favorable sous l’effet d’une démarche engagée par les pouvoirs publics actionnant différents leviers. L’accès aux soins est celui qui a été fortement privilégié. La généralisation de l’assurance maladie obligatoire, l’harmonisation des modalités de prise en charge entre régimes sociaux et le développement du tiers-payant y ont contribué. L’apparition de la Couverture maladie universelle est un pas décisif vers une plus grande équité. De surcroît, toute personne
16 • Pour une approche globale d’une politique de santé publique couverte par la CMU peut bénéficier d’une couverture complémentaire prenant en charge le ticket modérateur ou le forfait journalier, à condition que ses revenus soient inférieurs à un seuil déterminé. La réduction des risques dans certains sousgroupes de la population fait désormais l’objet d’une attention particulière qu’il s’agisse du dépistage de l’hépatite C ou de celui du cancer du sein chez les femmes de plus de cinquante ans. Dans ce dernier cas la généralisation du processus a été longue (plus de dix ans !) et l’on espère simplement qu’une volonté politique – dès lors qu’elle est affichée et au-delà des effets d’annonce – mette moins de temps désormais pour se concrétiser : le dépistage du cancer colo-rectal, encore expérimental ou celui du col utérin, pas organisé du tout (seulement recommandé tous les trois ans en France), seront des illustrations grandeur nature à bien surveiller.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Une politique de promotion de la santé en devenir Une politique de promotion de la santé se caractérise par deux mots : coordination et autonomisation, et concerne des actions conduisant à la santé en offrant « des biens et des services plus sains et moins dangereux, des services publics favorisant la santé et des milieux plus hygiéniques et plus plaisants ». Il convient en outre de « contrer les pressions exercées en faveur des produits dangereux (tabac, alcool), des milieux et conditions de vie malsains ou d’une nutrition inadéquate » et « d’attirer l’attention sur les questions de santé publique telles que la pollution, les risques professionnels, le logement et les peuplements ». Cette coordination correspond à un effort de
cohérence dans l’action publique, qu’elle s’applique en matière de législation du travail, de mesures fiscales, de changements organisationnels ou sociaux. Elle nécessite une démarche communautaire partant du citoyen et de son implication. Une telle approche n’a commencé réellement à être comprise et mise en œuvre qu’à partir de 1996 avec l’apparition des premières conférences régionales de santé. Les conclusions de celles-ci alimentent la Conférence nationale de santé dont les propres conclusions doivent influer sur le PLFSS soumis au vote parlementaire. L’insuffisance notoire des moyens alloués à la prévention a, grâce à la méthode, été mise en lumière, région par région : une enveloppe spécifique aux actions de prévention est depuis 1999 répartie entre chacune d’entre elles. C’est un progrès notable qui ne doit pas faire oublier cependant le retard pris dans ce domaine comme le montre l’estimation des dépenses de prévention dans les comptes de la santé. La répartition de ces dépenses selon la pathologie montre que la moitié est destinée à éviter la survenue d’une maladie ou d’un état indésirable, le quart au dépistage des maladies et un autre quart à la prise en charge des facteurs de risques ou des formes précoces des maladies1 . Si cet embryon d’approche communautaire a pu souffrir d’une conception hâtive, les programmes régionaux de santé résultent bel et bien des priorités dégagées à l’échelon régional dans le cadre de ces conférences, permettant une action cohérente au bon niveau : géographique, économique et politique. En 2006, les dépenses de prévention2 ainsi retenues s’élèvent à 5,8 milliards d’euros soit 92 euros par habitant (tableau 16.1). Après avoir diminué de – 2,8 % en 2004, elles ont été en progression de 6,7 % en 2005 et de
1. IRDES, « Les dépenses de prévention et les dépenses de soins par pathologie en France », Question d’économie de la santé, n◦ 111, juillet 2006. 2. DREES, « Les comptes nationaux de la santé en 2006 », septembre 2007.
309
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME Tableau 16.1. La consommation de services de prévention dans les comptes nationaux de la santé en millions d’euros. 2004
2005
2006
2 343 108 686 1 299 250
2 409 121 714 1 321 253
2 520 122 768 1 358 272
456 113 88 52 13 168 21
551 180 103 60 4 174 31
598 193 106 78 6 173 41
3. Prévention collective A. En direction des comportements Campagne en faveur des vaccinations Lutte contre l’addiction Information, promotion, éducation à la santé B. À visée environnementale Hygiène du milieu Prévention des risques professionnels Prévention et lutte contre la pollution Recherches en prévention sanitaire Observation, veille, alerte Urgences et crises Sécurité sanitaire de l’alimentation Production et mise en œuvre de dispositifs
2 083
2 251
2 703
27 71 330
30 85 367
27 89 422
448 362 245 1 85 7 471 36
470 376 205 2 93 10 571 41
505 378 150 1 183 22 836 90
Total
4 881
5 211
5 821
6,7
11,7
1. Prévention individuelle primaire Vaccins PMI Planning Médecine du travail Médecine scolaire 2. Prévention individuelle secondaire Dépistage des tumeurs Dépistage IST, tuberculose Dépistage SIDA, hépatites Dépistage autres pathologies Examens de santé Bilans bucco-dentaires
310
Évolution en % Source : DREES, Les comptes nationaux de la santé 2006, septembre 2007
11,7 % en 2006. La prévention collective a progressé beaucoup plus fortement que la prévention individuelle (+ 20,1 % contre + 5,3 %). Ces évolutions, très variables d’une année à l’autre, s’expliquent en grande partie par les montants consacrés à l’élimination des farines animales qui constituent en 2006 près de la moitié (48,5 %) du programme de sécurité sanitaire de l’alimentation qui est inclus dans la prévention collective. En 2006, les dépenses totales de prévention au sens des comptes représentent
2,9 % de la dépense courante de santé (2,7 % en 2005). L’autonomisation de l’individu est le deuxième pilier d’une politique de promotion de la santé. Elle vise à « conférer aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d’améliorer celle-ci ». Cela implique une « solide fondation dans le milieu apportant son soutien, l’information, les aptitudes et les possibilités permettant de faire des choix sains ». C’est le
16 • Pour une approche globale d’une politique de santé publique champ immense de l’éducation pour la santé et de l’éducation thérapeutique du patient qui est visé. Depuis 2002, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé se substitue au Comité français d’éducation pour la santé. Ce nouvel organisme a notamment pour mission l’expertise et le conseil en matière de prévention et de promotion de la santé (outils pédagogiques en éducation à la santé et éducation thérapeutique, recommandations de bonnes pratiques, critères de sélection des actions), le développement au niveau national de l’éducation à la santé et de l’éducation thérapeutique (grâce à un réseau documentaire ouvert aux professionnels mais aussi au grand public et aux associations) et enfin la formation et la recherche portant sur ce domaine. Depuis la loi de santé publique du 9 août 2004, il a vu ses missions élargies à la participation à la gestion des situations urgentes ou exceptionnelles ayant des conséquences sanitaires collectives et à la formation pour l’éducation à la santé.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Une politique de l’environnement difficile à mettre en œuvre Référons-nous encore à la charte d’Ottawa1 , texte qui en près de 20 ans n’a hélas pas pris une seule ride. « L’évaluation systématique des effets du milieu sur la santé et plus particulièrement dans les domaines de la technologie, de l’énergie et de l’urbanisation, qui évoluent rapidement est indispensable ; de plus, elle doit être suivie d’une intervention garantissant le caractère positif de ces effets. La protection des milieux naturels et artificiels et la conservation des ressources naturelles doivent recevoir une attention majeure dans toute stratégie de promotion de la santé ». 1. Voir « Compléments », page 330.
Observons simplement que cette évaluation des effets du milieu sur la santé n’a guère été prise en compte de manière systématique : ainsi n’a-t-on pas tiré les conséquences des effets de la chaleur estivale à Marseille en 1985 et l’on sait ce que ce genre d’erreurs a donné en août 2003. Si cette catastrophe sanitaire a entraîné une réflexion sur l’organisation de la conduite des soins par les médecins généralistes, sur l’accueil aux urgences, sur le rôle de l’Institut national de veille sanitaire, sur le déficit en personnel dans les maisons de retraite, sur l’absence d’un système d’informations efficace... elle doit s’accompagner de mesures permettant d’éviter toute récidive. Il convient dès à présent d’assurer dans les maisons de retraite le développement et le maintien d’un ratio d’encadrement personnel/personne hébergée respectant des normes de sécurité et de confort, mais aussi la dignité humaine de gens « parqués » que les professionnels n’ont même plus le temps de regarder. L’éloignement des industries dangereuses et/ou polluantes des zones de vie est un impératif de bon sens, devenu encore plus fort depuis l’épisode AZF. D’une manière plus générale, les mesures de pollution atmosphérique permettant de repérer des niveaux d’alerte gradués et d’informer la population sont des actions d’aval, destinées à réduire les effets d’un risque existant. Une vraie politique de l’environnement repose sur des actions d’amont, visant à réduire voire à annuler le risque. Le développement des transports en commun, le co-voiturage, la construction de pistes cyclables sont autant de dimensions d’une politique de promotion de la santé. Là encore l’approche est communautaire. La création d’un grand ministère de l’Environnement dans notre pays en juin 2007 préfigure-t-elle une prise de conscience collective, durable et salutaire ? Un « Grenelle de
311
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME
312
l’environnement » s’est tenu et devrait faire l’objet très certainement d’un nouveau plan pluriannuel sur cinq ans comportant des objectifs assortis de mesures qui pourront concerner la fiscalité, le développement des transports moins polluants, une politique énergétique plus diversifiée avec une montée en puissance des énergies renouvelables aux côtés de l’électronucléaire. Les mesures de plan (entre quinze et vingt) seront évaluées a priori et a posteriori. À cette fin, six groupes de travail ont été constitués : « lutter contre les changements climatiques et maîtriser la demande d’énergie », « préserver la biodiversité et les ressources naturelles », « instaurer un environnement respectueux de la santé », « adopter des modes de production et de consommation durables », « construire une démocratie écologique » et « promouvoir des modes de développement écologiques favorables à l’emploi et à la compétitivité ». Ces groupes de travail, composés de quarante membres répartis en cinq collèges avaient pour vocation de représenter les acteurs du développement durable (État, collectivités locales, ONG, employeurs et salariés). Une consultation nationale a été lancée en octobre 2007 qui devrait rendre des conclusions à partir desquelles seront arrêtées les propositions finales.
tique de santé, procurant dignité, lien social, autonomie et « surveillance de base » par la médecine du travail. L’insertion des jeunes dans le milieu professionnel constitue un enjeu dont la composante sanitaire échappe encore à bon nombre de nos politiques. L’absence de perspectives d’avenir avec pour horizon social des stages de toutes sortes, des « petits boulots » bouche-trou et pour finir le chômage a sans aucun doute sa part de responsabilité dans le mal être d’une jeunesse profondément démotivée. La lisibilité des politiques actuelles est plus que difficile : on augmente la durée du travail en reculant l’âge de la retraite, quand en réalité une personne sur trois seulement de plus de 55 ans est, dans notre pays, encore active. Faire sortir plus tard de l’emploi un senior aura pour effet de retarder l’entrée d’un jeune si, avant toute chose, le volume de travail offert n’a pas augmenté. Il s’agit d’un jeu à somme nulle que certains économistes ont déjà dénoncé : c’est donc encore pour longtemps la croissance qui va continuer à créer des emplois et à augmenter le nombre d’actifs, alors que vieillir dans l’emploi aura des conséquences dommageables pour la santé que l’on n’entrevoit pas encore.
Une politique économique et sociale de l’emploi
Une politique de maîtrise des dépenses fondée sur la qualité des soins
Elle vise à réduire la précarité du travail, mais là, les exemples sont de plus en plus nombreux à démontrer une impuissance manifeste de l’État. Le traitement social du chômage paraît bien insuffisant quand on sait les effets de l’exclusion sur la santé : moins de contact avec le médecin ou le dentiste, moindre participation aux dépistages (sein, col) sont observés quotidiennement par les professionnels au sein des structures ciblant ces populations. Le maintien dans l’emploi est la première mesure d’une poli-
Un objectif de maîtrise des dépenses de santé répond à des préoccupations économiques mais aussi éthiques. En effet, sous des contraintes de ressources limitées, des choix sont à opérer quant à ce que couvre la protection collective. L’égalité des citoyens face à la santé se décline en une égalité d’accès aux soins quelle que soit la situation sociale de l’individu. La démarche devient parfaitement éthique lorsque la procédure qui a conduit à ces choix répond à des critères de transparence
16 • Pour une approche globale d’une politique de santé publique et de concertation tels qu’on peut les concevoir dans une démocratie moderne.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
L’impact du vieillissement de la population en termes de polypathologies, handicaps, dépendances nous concerne tous et la réflexion – sous l’effet de la canicule de l’été 2003 et de ses conséquences – s’est heureusement accélérée. Comptant pour plus de 16 % de la population française, les 65 ans et plus représentent 36,5 % des dépenses remboursées par l’Assurance maladie et 39 % de la consommation de médicaments. La surconsommation de médicaments expose par ailleurs les personnes âgées à des risques iatrogènes majorés. La création d’un cinquième risque – le risque dépendance – couvert par la Sécurité sociale est à l’ordre du jour, dans un contexte de faillite annoncée de l’Assurance maladie avec un déficit d’environ six milliards d’euros pour la branche maladie fin 2007. Le réquisitoire de la Cour des comptes n’est pas tendre, dénonçant l’échec des systèmes de régulation mis en place. Celle-ci, dans son dernier rapport annuel note qu’aucune réforme n’est d’ailleurs prévue pour assurer le retour à l’excédent des administrations de sécurité sociale dès 2008, le retour à l’équilibre de l’assurance maladie en 2009 et celui du régime général d’assurance sociale en 2010. « Or, les mesures de redressement prises en 2003 pour les retraites et en 2004 et 2005 pour l’assurance maladie ne suffiront pas à assurer un rééquilibrage durable des comptes sociaux », relèvent les magistrats de la rue Cambon. L’explication comporte tous les ingrédients conduisant à une hausse mécanique des dépenses d’Assurance maladie : augmentation du volume des prescriptions, portant principalement sur le médicament ; 900 000 nouveaux bénéficiaires d’une exonération du ticket modérateur pour ALD ; inflation des visites à domicile à tarif majoré pour les plus de 75 ans, forte augmentation des indemnités journalières servies aux 55-59 ans dans un contexte social
de « dégraissages » successifs, financement de l’aménagement et de la réduction du temps de travail à l’hôpital (près de 4 milliards d’euros : le coût du compte épargne temps à la fin 2005 avoisinait les 550 millions d’euros et serait actuellement autour de 850 millions non budgétés. Il serait fait environ 50 millions d’heures supplémentaires par an – en moyenne entre 60 et 100 par agent – pour un coût de 500 millions d’euros. Le coût des 35 heures à l’hôpital a atteint 3,3 milliards d’euros (20032005) et on peut donc raisonnablement penser que ce chiffre de quatre milliards est tout à fait plausible), revalorisation des honoraires des généralistes (consultation à 22 euros en juillet 2007) soit près de 250 millions d’euros en année pleine (sachant que l’augmentation attendue jusqu’à 23 euros pour s’aligner sur les tarifs des spécialistes coûterait 500 millions d’euros en année pleine...). En outre, une politique de régulation par les prix s’avère désormais bien difficile à mettre en œuvre, 8,3 millions de personnes bénéficiant d’une prise en charge intégrale et environ 92 % de la population bénéficiant d’une couverture complémentaire grâce à l’arrivée de la CMU et du « crédit d’impôt », aide à l’acquisition d’une complémentaire. La seule voie qu’il reste à développer, encore et encore, est celle agissant sur les comportements des prescripteurs et des consommateurs. Prenons l’exemple du médicament : on ne peut qu’observer certains éléments troublants sur lesquels il convient de se poser les bonnes questions. Ainsi, la France a la dépense individuelle la plus forte (supérieure de 22 % à celle de l’Allemagne, 66 % à celle de la Grande Bretagne) avec un taux de couverture pourtant le plus faible ! Elle est le pays où l’on consomme deux fois et demi plus d’antibiotiques qu’en Allemagne, et 2 à 4 fois plus de psychotropes que la moyenne générale de l’Union européenne ! Une politique de maîtrise des dépenses de santé devrait en fait s’appe-
313
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME ler « Politique de la qualité des soins ». C’est une recherche de qualité en effet qui réduit la consommation inutile d’antibiotiques lors d’angines bénéficiant dorénavant de tests de diagnostics rapides. Ce serait une politique de qualité des soins qui viserait à promouvoir un sevrage des psychotropes (le Temesta est le troisième produit prescrit) grâce à une prise en charge forfaitaire de quatre à cinq « consultations longues », in fine moins onéreuses que des renouvellements d’ordonnances « automatiques » ne coûtant au prescripteur que peu d’investissements techniques et intellectuels.
314
De tels dispositifs de prise en charge forfaitaire, basés sur la recherche d’une meilleure qualité de pratique, qu’il s’agisse d’antibiotiques, de psychotropes ou de toute autre classe thérapeutique ont le mérite d’avoir un impact majeur en terme de santé publique et de casser les spirales prescriptives inflationnistes. On a pu voir les limites des recommandations de bonnes pratiques, lorsqu’elles ne sont accompagnées d’aucun dispositif incitatif. Clamer haut et fort que les médecins généralistes ne font pas suffisamment de prévention n’aura aucun effet si les moyens d’une telle pratique ne sont pas dégagés. Là encore les prises en charge forfaitaires permettent d’appliquer les standards de qualité médicale : c’est vrai dans le suivi du patient diabétique ou hypertendu, c’est encore vrai pour le patient âgé polypathologique, où il faut remettre en question et négocier avec lui les objectifs thérapeutiques essentiels. Bref la maîtrise des dépenses passe par une recherche systématique de la qualité des pratiques médicales, de la qualité des prises en charge et des suivis, pathologie par pathologie. Les outils conceptuels de l’évaluation médicale ne manquent pas : audits, conférence de consensus, recommandations de bonnes pratiques, évaluation des pratiques professionnelles... Ce sont les incitations à leur mise en œuvre qui font cruellement défaut.
Une politique du handicap intégratrice Tout est apparemment prévu pour que la personne handicapée trouve sa place dans la société, à l’école, au lycée, à l’université comme au travail. Et pourtant les principaux intéressés et leurs familles doivent se battre, encore et encore. Le dispositif global de prise en charge des personnes handicapées dans notre pays se veut généreux et moderne, prenant en compte tous les aspects de la problématique au cours de la vie : naissance avec un handicap, scolarisation intégrée, et vie professionnelle à l’âge adulte. Il convient de revisiter ici ce dispositif laissant en théorie peu de situations sans réponse, avant de se demander pourquoi des voix se font entendre régulièrement, pour en dénoncer les insuffisances. L’intégration dans la société des personnes handicapées pose encore de très nombreux problèmes : ainsi dans notre pays, 45 000 personnes souffrant de troubles psychiatriques chroniques et/ou handicapées dont 13 000 enfants sont actuellement privés de place dans un établissement de soins. On retrouve ces personnes dans la rue (40 % de sans-abri) ou en prison (30 % de la fréquentation carcérale relève de la psychiatrie) ou encore dans leurs familles. Parmi les jeunes vivant dans les structures d’accueil appropriées, 25 000 ne seraient pas scolarisés. Chez les adultes, 32 000 sont privés d’ESAT, foyer, ou maison d’accueil spécialisée. Sans entrer dans une bataille de chiffres, il faut souligner que la loi de 1975 n’avait pas défini la notion de handicap : c’est la reconnaissance même par la COTOREP du statut de personne handicapée qui définit le handicap. Avant la mise en place de la loi de 2005, le handicap était reconnu essentiellement sur des critères d’ordre médical, avec voix prédominante des médecins au sein des Commissions
16 • Pour une approche globale d’une politique de santé publique Tableau 16.2. Dénombrements issus de diverses approches du handicap. Personnes déclarant :
Nombre
Prévalence %
280 000
0,5
Être aidées pour sortir
2 600 000
4,4
Recevoir une allocation
2 620 000
4,5
Suivre un enseignement adapté
2 950 000
5,0
Être titulaire d’un taux d’incapacité
3 970 000
6,8
Recourir à une aide humaine
6 010 000
10,3
Rencontrer un problème d’emploi
6 110 000
13,9
Recourir à des aides techniques
6 810 000
11,6
Être affectées d’une déficience
23 650 000
40,4
Être confinées au lit
Source : INSEE, Enquête HID (1998-1999).
pour fixer le degré de dépendance de la personne. Aujourd’hui, ce n’est plus le critère principal d’appréciation et les besoins individuels doivent être pris en compte, grâce à l’élaboration d’un projet de vie, destiné à donner un éclairage à l’équipe pluridisciplinaire pour construire un plan personnalisé de compensation.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Un rapport de la Cour des comptes « La Vie avec un Handicap » insistait en particulier sur la définition du handicap qui conduisait à des estimations chiffrées très différentes, comme le montre le tableau 16.2. Ce rapport pointait sur le fonctionnement des CDES et des COTOREP : inadaptation des outils, insuffisance de formation des personnels. La scolarité des enfants comme l’insertion professionnelle laissaient à désirer, les objectifs étant « loin d’être atteints » : moins de 1 % des élèves handicapés étaient scolarisés en milieu ordinaire et le taux d’activité des personnes handicapées est de 45 % contre 70 % pour l’ensemble de la population. Ce rapport mettait également en lumière le rôle central des associations qui, de fait, ont endossé les responsabilités relevant des pouvoirs publics et conclu qu’une « écoute plus attentive des instances représentatives des personnes handicapées permettrait à l’État de repérer plus tôt les évolutions auxquelles il sera
appelé à faire face, et qui dans le passé lui ont parfois trop longtemps échappé ». Redéfinir le handicap a été la première étape d’une démarche visant à l’insertion sociale des handicapés de façon digne. Cette redéfinition intègre le concept de santé selon la charte d’Ottawa, c’est-à-dire « la mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut d’une part réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins et d’autre part évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci ». Désormais la loi du 11 février 2005, dans son article 2, mentionne que « constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive, d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou trouble de santé invalidant ». De plus, « toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l’accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté ». Dans cet esprit, la loi a renforcé l’autorité du Comité national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), instance nationale qui agit en lien direct avec le ministère en charge
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PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME du handicap. Ce Comité a une double mission qui est d’assurer la participation des personnes handicapées à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques les concernant, et d’évaluer la situation du handicap afin de formuler des propositions pour l’améliorer. La loi a également précisé les missions de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), mise en place en mai 2005, et destinée à collecter des fonds pour financer les prestations en faveur des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées (prestation de compensation du handicap, APA...). Elle devra veiller à une égalité de traitement, par une redistribution équitable des fonds sur tout le territoire.
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La loi a instauré également l’obligation, pour les communes de 5 000 habitants et plus, de créer une commission communale pour l’accessibilité aux personnes handicapées, composée notamment des représentants de la commune, d’associations d’usagers et d’associations représentant les personnes handicapées. Enfin, en ce qui concerne l’accès à la culture, le développement des programmes en audiovision, la mise en place de la bibliothèque numérique européenne, l’accessibilité des textes écrits devraient se développer. Cette loi a ainsi permis une intégration plus effective de la personne handicapée au sein de la société. En particulier la simplification des démarches à accomplir qui s’appuie désormais sur un dispositif départemental regroupant toutes les informations et les services à destination des personnes handicapées et leurs familles : les maisons départementales du handicap1 (qui se mettent en place progressivement) constituent un véritable guichet unique garantissant l’accueil, l’accompagnement et le conseil des personnes handicapées et de leurs familles dans leurs démarches.
En matière d’accessibilité, ce domaine connaît une véritable avancée, avec une meilleure prise en compte des spécificités du handicap sensoriel : obligation de mise en conformité des Établissements recevant du public (ERP), accessibilité de la voirie, des accès aux gares, etc. Les cheminements pédestres et les annonces sonores aux abords des transports collectifs vont devenir obligatoires. D’une manière générale, tous les établissements privés et publics devront être accessibles à toutes les formes de handicap, dans un délai maximum de dix ans, sous peine de sanctions graves.
Enfin, les Commissions départementales d’éducation spécialisée (CDES) et les Commissions techniques d’orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) ont été regroupées au sein d’une commission unique : la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), présente au sein de chaque Maison départementale. Un tiers des membres est représenté par des associations de personnes handicapées et de leurs familles.
La loi pose également le principe d’un nouveau droit pour la personne handicapée, le droit à compensation en instaurant la « prestation de compensation du handicap » (CPH) ; la loi a ainsi pris en compte les besoins, les attentes et les choix de vie de la personne handicapée, en proposant diverses mesures comme des prestations et aides personnalisées, une orientation en établissement social ou médico-social, des mesures adaptées nécessaires pour permettre la scolarisation, l’accès à l’emploi.
1. Les maisons départementales du handicap sont également le siège d’une Commission des droits et de l’autonomie se substituant à la CDES et à la COTOREP, et se prononçant sur l’ensemble des droits et prestations, et en particulier, les droits nouveaux créés par la loi (notamment la CPH).
16 • Pour une approche globale d’une politique de santé publique
La scolarisation des jeunes handicapés La loi reconnaît à tous les enfants handicapés le droit à une éducation scolaire, quelle que soit la nature ou la gravité de leur handicap. Si l’intégration individuelle dans une classe ordinaire doit être recherchée prioritairement, à temps plein ou à temps partiel, elle passe par une adaptation des conditions d’accueil dans le cadre d’un projet individualisé prenant en compte les besoins éducatifs particuliers à chaque élève handicapé. L’intervention d’une équipe spécialisée d’un Service d’éducation spéciale et de soins à domicile est alors souhaitable. Lorsque les exigences d’une telle intégration individuelle sont trop contraignantes pour l’enfant ou si l’établissement scolaire se trouve dans l’incapacité de soutenir ce projet indiviEncadré 16.1
duel, l’élève peut être admis dans une Classe d’intégration scolaire (CLIS) à l’école primaire, ou dans une Unité pédagogique d’intégration (UPI) qui accueille, en collège et lycée de petits groupes d’adolescents handicapés présentant des déficiences sensorielles ou motrices ou des troubles importants des fonctions cognitives. Quand la situation de l’enfant ou de l’adolescent exige une prise en charge importante, c’est l’orientation vers un établissement médicosocial qui assure la prise en charge scolaire, éducative et thérapeutique. L’appellation « établissement spécialisé » recouvre plusieurs types d’institutions accueillant des enfants et des adolescents malades, handicapés, en difficulté scolaire ou en difficulté sociale. Leur typologie figure en encadré 16.1. L’orientation vers ces établissements relève exclusivement d’une décision de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH).
Les structures et aides liées au handicap
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Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Les classes d’intégration scolaire (CLIS) Quatre catégories de CLIS sont destinées à accueillir des enfants atteints d’un handicap qu’il soit mental (CLIS 1), auditif (CLIS 2), visuel (CLIS 3) ou moteur (CLIS 4). Les CLIS accueillent des enfants dont le handicap ne permet pas d’envisager une intégration individuelle continue dans une classe ordinaire mais pouvant bénéficier, dans le cadre d’une école, d’une forme ajustée d’intégration : enseignement adapté au sein de la CLIS, participation aux actions pédagogiques prévues dans le projet collectif de l’école, partage de nombreuses activités avec les autres écoliers. Le plus souvent, le dossier d’admission est examiné par la CDES de façon à envisager l’admission dans un service d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD). Les unités pédagogiques d’intégration (UPI) Elles permettent d’accueillir collectivement dans un collège ou un lycée ordinaire des élèves qui ne peuvent s’accommoder des contraintes parfois lourdes de l’intégration individuelle. L’organisation et le fonctionnement de ces dispositifs (limité à dix élèves) permettent d’apporter des soutiens pédagogiques particuliers pour reprendre, si nécessaire, certains apprentissages rendus plus difficiles par la lenteur ou la fatigabilité des élèves. L’orientation en UPI est proposée par la commission de circonscription du second degré (CCSD) ou la CDES lorsque la mise en œuvre du projet d’intégration individualisé requiert une prise en charge financière. Les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) Selon leur spécialité et selon l’âge des enfants qu’ils suivent, ces services s’appellent :
☞
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME ☞ SAFEP : Service d’accompagnement familial et d’éducation précoce (déficients sensoriels de 0 à 3 ans) ; SSEFIS : Service de soutien à l’éducation familiale et à l’intégration scolaire (déficients auditifs après 3 ans) ; SAAAIS : Service d’aide à l’acquisition de l’autonomie et à l’intégration scolaire (déficients visuels) ; SSAD : Service de soins et d’aide à domicile (enfants polyhandicapés). Les différents types d’établissements spécialisés Les établissements à caractère sanitaire accueillent les enfants et adolescents malades. Les établissements de santé et les Maisons d’enfants à caractère sanitaire (MECS) sont des établissements publics ou privés qui sont placés sous la tutelle du ministère en charge de la Santé. L’admission est prononcée sur prescription médicale. Chaque établissement est spécialisé dans le traitement d’un type de pathologie mentale ou physique. Les établissements médico-sociaux accueillent les jeunes handicapés. Établissements publics ou privés, leur organisation permet de distinguer : • les
•
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• • • •
Instituts médico-éducatifs (IME) qui regroupent les anciens IMP (Institut médico-pédagogiques) et les anciens IMPRO (Institut médico-professionnels) accueillant les enfants et adolescents atteints de déficiences mentales ; les Instituts de rééducation (IR) qui concernent les jeunes souffrant de troubles de la conduite et du comportement ; les établissements pour polyhandicapés qui s’adressent aux enfants et adolescents présentant des handicaps complexes, à la fois mentaux et sensoriels et/ou moteurs ; les instituts d’éducation sensorielle (handicaps auditifs ou visuels) aux multiples dénominations ; les établissements pour infirmes moteurs souvent appelés IEM (Institut d’éducation motrice) ; certains établissements régionaux d’enseignement adapté (EREA), spécialisés dans l’accueil d’enfants déficients sensoriels ou déficients moteurs.
La Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) Les Cotorep, créées en 1975 et implantées dans chaque département, étaient chargées de statuer sur les questions relatives à l’insertion professionnelle et sociale des personnes adultes handicapées. Elles ont été remplacées, à compter du 1er janvier 2006, par les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), placées au sein des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). La CDAPH est compétente pour se prononcer sur l’orientation de la personne handicapée et sur les mesures propres à assurer son insertion (scolaire ou professionnelle, mais aussi sociale). Elle reconnaît la qualité de travailleur handicapé et a en charge l’attribution de la carte d’invalidité. Elle désigne les établissements ou services compétents dans l’accompagnement de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte handicapé (rééducation, éducation, reclassement, accueil). Elle se prononce également sur l’attribution de diverses allocations (allocation d’éducation et complément de l’enfant handicapé, allocation aux adultes handicapés (AAH) et complément de ressources, prestation de compensation). Enfin, elle statue sur l’accompagnement des personnes handicapées âgées de plus de soixante ans hébergées dans les structures pour personnes handicapées adultes.
☞
16 • Pour une approche globale d’une politique de santé publique ☞ Les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) La loi n◦ 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées transfère les missions des Cotorep aux commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) au sein des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), groupements d’intérêt public, dont le département assure la tutelle administrative et financière. L’objectif de ces maisons départementales est « d’offrir un accès unique aux droits et prestations (...), à toutes les possibilités d’appui dans l’accès à la formation et à l’emploi et à l’orientation vers des établissements et services ainsi que de faciliter les démarches des personnes handicapées et de leur famille ». Elles ont été mises en place à partir du 1er janvier 2006. Les aides liées au handicap La prestation de compensation La loi du 11 février 2005 prévoit en outre « un droit à compensation des conséquences du handicap, quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie. Cette compensation consiste à répondre à ses besoins, qu’il s’agisse (...) de l’insertion professionnelle, des aménagements du domicile ou du cadre de travail nécessaires au plein exercice de sa citoyenneté et de sa capacité d’autonomie, du développement ou de l’aménagement de l’offre de service, (...) des aides de toute nature à la personne ou aux institutions pour vivre en milieu ordinaire ou adapté ». Une prestation de compensation a ainsi été créée le 1er janvier 2006 et peut être affectée à la prise en charge des besoins d’aides humaines, techniques et animalières, d’aides à l’aménagement du logement ou du véhicule de la personne handicapée, ainsi qu’à des dépenses spécifiques et exceptionnelles. Cette prestation est attribuée par les commissions des droits et de l’autonomie au sein des MDPH, et est versée par les conseils généraux.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
L’AAH À compter du 1er juillet 2005, l’AAH est modifiée. En particulier, pour l’AAH accordée pour un taux compris entre 50 % et moins de 80 %, une condition supplémentaire à celle liée au fait d’être reconnu dans l’impossibilité de se procurer un emploi est de ne pas avoir occupé d’emploi depuis un an à la date de la demande. La loi du 11 février 2005 a également prévu la disparition progressive du complément d’AAH, remplacé par deux compléments non cumulables : le complément de ressources et la majoration pour la vie autonome. Ces deux compléments concernent les allocataires de l’AAH dont le taux d’incapacité est d’au moins 80 % et qui perçoivent l’AAH à taux plein ou en complément d’une pension de vieillesse, d’invalidité ou d’une rente d’accident du travail. Le complément de ressources (sous conditions) Ajouté à l’AAH, il constitue la garantie de ressources pour les personnes handicapées. Il vise à permettre aux personnes les plus lourdement handicapées, qui n’ont par ailleurs aucune perspective d’emploi, de disposer de ressources équivalentes à 80 % du SMIC net et d’être en mesure d’accéder à un logement autonome. La majoration pour la vie autonome (sous conditions) Elle concerne les personnes handicapées qui peuvent travailler mais sont au chômage, afin de leur permettre de faire face à leurs dépenses de logement.
319
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME Le Centre national d’enseignement à distance est un établissement public qui propose une formation scolaire et professionnelle à tous les élèves qui ne peuvent fréquenter physiquement un établissement scolaire. Depuis 1997, le « Pôle Handicap » créé au centre de Toulouse offre des solutions adaptées aux enfants et adolescents handicapés. Il propose ainsi, à partir de l’âge de cinq ans, des cursus scolaires adaptés, l’inscription pouvant se faire à tout moment de l’année.
320
Des possibilités sont ouvertes, après le lycée, aux étudiants handicapés. Les élèves handicapés poursuivant leur formation dans une classe après le baccalauréat (BTS, par exemple) d’un lycée ou d’un lycée professionnel peuvent bénéficier, dans les mêmes conditions que dans le cycle secondaire, d’un projet individuel d’intégration. Dans les universités, des actions spécifiques sont conduites pour favoriser l’accueil d’étudiants handicapés : accessibilité des locaux, y compris restauration et hébergement (dans de nombreuses universités), services d’accueil, aides pédagogiques : tutorat, soutien, preneurs de notes, interprètes en langue des signes, codeurs en langage parlé complété (LPC) (selon les handicaps et les universités), aides techniques. Par ailleurs des modalités particulières d’accès aux examens et concours pour les étudiants handicapés sont prévues. L’Allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) est une prestation familiale destinée à aider les parents à faire face aux dépenses liées à l’éducation d’un enfant handicapé. Elle est versée mensuellement par la Caisse d’Allocations Familiale. L’élève handicapé peut d’autre part bénéficier d’un transport spécialisé pour les trajets entre la maison et l’établissement scolaire. La réussite de la scolarisation des élèves handicapés est conditionnée par l’utilisation de matériels pédagogiques adaptés répondant essentiellement aux besoins des élèves déficients sensoriels et moteurs ainsi que de tout autre enfant ou adolescent porteur
d’une déficience partiellement compensée par l’utilisation d’un matériel de même type. Pour l’année scolaire 2005-2006, près de 105 000 enfants handicapés sur douze millions d’élèves au total faisaient leur rentrée scolaire dans le premier degré, dont près de 65 000 en classe normale ou en intégration individuelle et près de 40 000 en CLIS. Dans le secondaire plus de 46 000 collégiens et lycéens dont près de 39 000 relèvent de l’intégration individuelle, près de 8 000 d’UPI. Quant aux établissements médico-éducatifs ils accueillent plus de 104 000 enfants et adolescents dont la moitié en internat. On peut noter que le nombre d’élèves bénéficiant d’un dispositif d’accompagnement par des auxiliaires de vie a augmenté : on en dénombre 18 589 au lieu de 7 400 en fin d’année scolaire 2002-2003.
La prise en charge des personnes handicapées après l’âge de 20 ans L’obligation d’emploi des travailleurs handicapés contraint tout employeur d’au moins vingt salariés à employer dans une proportion de 6 % de son effectif salarié les travailleurs reconnus handicapés par la CDAPH ainsi que les victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle (ayant entraîné une incapacité permanente d’au moins 10 %, et titulaires d’une rente de la sécurité sociale). Les employeurs peuvent toutefois s’acquitter partiellement de leurs obligations en entrant dans le calcul du quota d’emploi de 6 % certains stagiaires handicapés. Ces derniers doivent effectuer un stage agréé et rémunéré par l’État ou la Région, ou bien un stage rémunéré par le régime d’assurance chômage. Le nombre de stagiaires comptabilisés ne peut dépasser 2 % de l’effectif total des salariés de l’entreprise. Par ailleurs, les employeurs peuvent s’acquitter de cette obligation d’emploi par différents dispositifs. Selon le principe de « non-discrimination », notons que tous les emplois de l’entreprise
16 • Pour une approche globale d’une politique de santé publique sont considérés aujourd’hui, comme pouvant être occupés par une personne handicapée. La nouvelle loi réaffirme l’obligation instaurée en 1987, pour les entreprises de plus de vingt salariés, d’embaucher 6 % de personnes handicapées. Enfin, la loi a supprimé le classement de travailleur handicapé en catégorie A, B ou C, remplacé par une nouvelle distinction intitulée « reconnaissance de la lourdeur du handicap », qui vise à compenser l’effort de l’employeur pour l’adaptation d’un poste de travail. La réelle avancée se situe au niveau de la fonction publique où un fonds a été créé, sur le modèle du secteur privé, et qui sera alimenté par les ministères, les collectivités territoriales et les hôpitaux.
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
La CDAPH se prononce sur l’orientation vers un placement immédiat en milieu ordinaire de travail compatible avec les aptitudes, vers un stage de réadaptation, de rééducation ou de formation professionnelle ou enfin vers un atelier protégé, un centre de distribution de travail à domicile ou un centre d’aide par le travail. L’octroi du statut de travailleur handicapé permet de bénéficier d’aides financières, – allocation compensatrice pour frais professionnels, subvention pour s’installer à son compte, prime de reclassement – de la garantie de ressources, d’avantages fiscaux (pour les titulaires de la carte d’invalidité) et surtout de bénéficier de l’obligation d’emploi à laquelle sont soumis les employeurs du secteur privé et du secteur public. Il permet l’accès à des stages de préformation professionnelle et de rééducation professionnelle, ou de travailler en atelier protégé, centre de distribution de travail à domicile, ou centre d’aide par le travail. Les emplois protégés en milieu ordinaire de travail sont des emplois légers ou à mi-temps permettant à des travailleurs handicapés dont le rendement est inférieur à celui d’un travailleur valide de travailler dans une entreprise. Ils ouvrent droit à la garantie de ressources. Une
période d’adaptation, distincte de la période d’essai et ne pouvant excéder six mois, est prévue. L’employeur doit verser un complément de rémunération égal à la différence entre le salaire versé et le montant du SMIC. Ce complément de rémunération et les charges sociales qui lui sont attachées sont remboursés à l’employeur par l’État. L’accès à la fonction publique est possible. Le recrutement s’effectue soit par concours, avec certains avantages spécifiques, soit par contrat. Les Établissements ou services d’aide par le travail (ESAT) succèdent aux Centres d’aides par le travail. Ce sont des établissements médico-sociaux accessibles sur décision d’orientation de la CDAPH. Ils permettent aux personnes handicapées qui n’ont pas acquis suffisamment d’autonomie pour travailler en milieu ordinaire, y compris en entreprise adaptée ou de façon indépendante, d’exercer une activité à caractère professionnel dans un milieu de travail protégé. Ces personnes bénéficient, en fonction de leurs besoins, d’un suivi médicosocial et éducatif. Le statut d’un travailleur handicapé en ESAT est particulier, n’étant pas soumis aux dispositions du Code du travail. Pour être accueillie en ESAT, la personne doit présenter les caractéristiques suivantes : avoir au moins vingt ans, avoir une capacité de travail inférieure à un tiers de la capacité de gain ou de travail d’une personne valide, ou avoir une capacité de travail supérieure ou égale au tiers de la capacité d’une personne valide et avoir besoin d’un ou plusieurs soutiens médicaux, éducatifs, sociaux ou psychologiques, et être orienté vers ce type de structure par la CDAPH. Un nouveau système de « rémunération garantie » remplace l’ancienne « garantie de ressources » depuis le 1er janvier 2007. Le travailleur perçoit une rémunération comprise entre 55 % et 110 % du SMIC, soit entre 4,64 euros et 9,28 euros de l’heure (depuis le 1er juillet 2007), dans la limite de la durée légale du travail.
321
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME Depuis le 1er janvier 2004, il est désormais possible, pour les personnes handicapées qui justifient de 30 ans d’activité dans le secteur privé, de prendre leur retraite à taux plein à 55 ans. Quant au secteur public, le décret n’est pas encore paru.
Les ressources affectées au handicap
322
L’Allocation adulte handicapé (AAH) " En ce qui concerne l’Allocation adulte handicapé, il faut rappeler que cette allocation n’est pas destinée à compenser le handicap, mais le manque de ressources liées à l’activité professionnelle. De ce fait, dès lors que la personne ou son conjoint travaille, le montant des droits de la personne handicapée est recalculé à la baisse, ce qui n’est pas le cas avec la nouvelle Prestation de compensation du handicap. D’autre part, pour les personnes qui pourraient travailler mais qui ne travaillent pas, elles pourront recevoir en complément de l’AAH à taux plein, la « majoration pour la vie autonome » de 103,63 euros destinée à alléger les charges d’un logement indépendant. Quant aux personnes dont la capacité de travail est inférieure à 5 %, elles pourront percevoir un « complément de ressources » d’un montant de 179,31 euros par mois. La Prestation de compensation du handicap (PCH) " La PCH couvre des besoins plus larges que l’Allocation compensatrice tierce personne (ACTP), à savoir, l’aide humaine dans la vie quotidienne, l’aide technique, matériels ou équipements particuliers, l’aménagement du logement et du véhicule, les dépenses spécifiques ou exceptionnelles et enfin, l’aide animalière. Une condition d’âge limite est fixée à 60 ans. Son taux maximum de prise en charge est fixé à 100 %, si les ressources de la personne (hors revenus d’activité professionnelle) sont inférieures ou égales à 23 995,94 euros par an et à 80 % si elles sont supérieures. Elle n’est
plus plafonnée puisque l’aide humaine peut concerner une prise en charge de la personne handicapée 24 h/24, l’aide humaine étant entendue selon la nouvelle loi, comme étant une « aide médicale » afin de pouvoir réaliser les actes de la vie courante (se lever, s’habiller, manger, faire sa toilette,...) et non pas une « aide ménagère » comme le prévoyait l’ACTP. La Prestation de compensation du handicap pourra désormais dédommager les « aidants familiaux » (conjoint, concubin, la personne avec laquelle est conclu un PACS, l’ascendant, le descendant), dès lors que l’aidant est dans l’obligation de cesser ou de renoncer totalement ou partiellement à son activité professionnelle. Une aide financière peut être de surcroît accordée pour l’acquisition de matériel spécialisé dans la limite de 3 960 euros sur trois ans, sous certaines conditions. La PCH peut également couvrir l’aide animalière, à hauteur de 3 000 euros pour une période de cinq ans, soit 50 euros par mois. Quant aux dépenses « spécifiques et exceptionnelles », elles concerneront par exemple, des réparations d’audioprothèses, de fauteuils roulants ou de lits médicaux.
Une politique en faveur des aidants La proximologie est un champ de recherche nouveau concernant les interactions entre la maladie, le malade et son entourage. Elle concerne en priorité les affections chroniques, le handicap physique ou mental, la dépendance ou la perte d’autonomie dus au grand âge. L’entourage des personnes malades joue un rôle essentiel dans leur prise en charge et conditionne bien souvent le succès des traitements. Ce rôle prend différentes formes et en particulier celles du soutien psychologique, du support matériel et physique, mais concerne également l’aide au diagnostic ou le suivi du traitement.
16 • Pour une approche globale d’une politique de santé publique Tableau 16.3. Effectifs et degrés de dépendance selon la grille AGGIR. Groupes
Maison
Institution
Total
GIR 1
17 000
63 000
80 000
GIR 2
109 000
170 000
279 000
GIR 3
127 000
63 000
190 000
Total 1-3
253 000
296 000
549 000
GIR 4
323 000
99 000
422 000
Total 1-4
576 000
395 000
971 000
Tableau 16.4. Les tendances démographiques. 1950
2006
2050
> 60-74 ans
Âge
5,2 millions
7 750 millions
22,3 millions
> 75-84 ans
1,3 million
3,8 millions
> 7 millions
200
1,2 million
> 2 millions
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
> 85 ans
Le progrès médical et le vieillissement des populations s’accompagnent d’un maintien à domicile plus développé, source d’une meilleure qualité de vie des patients mais aussi d’une meilleure maîtrise des dépenses de santé. Cette tendance place l’entourage, les aidants naturels (mais sont-ils aussi « naturels » que cela ?) dans une situation nouvelle et particulière : d’ignorés, voire d’exclus par les professionnels de santé, ils passent au statut de tierce personne indispensable au maintien du malade à son domicile. Ils deviennent des relais indispensables, capables de comprendre des consignes médicales, de les appliquer, et de coordonner les interventions des différents professionnels médico-sociaux en jouant les interfaces. Au moment où on estime à plus de quinze millions le nombre de personnes atteintes de pathologies lourdes en France, et où plus d’un français sur cinq connaît une personne dépendante dans sa famille ou parmi ses proches, la place de l’aidant devient un enjeu de santé publique. Un état des lieux rapide du handicap et de la dépendance permet de mieux comprendre cet enjeu. L’enquête handicap/incapacité/dépendance réalisée il y a peu de temps par l’INSEE montre que douze millions de personnes (un adulte sur quatre) vivent
aujourd’hui avec au minimum une incapacité, une limitation d’activité ou encore un handicap. La grille nationale d’évaluation de la dépendance (AGGIR) permet, grâce à son échelle de mesure variant de 1 à 6, de dénombrer 571 000 personnes dépendantes de plus de 60 ans recevant l’APA. Près de 550 000 personnes sont classées en GIR 1, 2 ou 3, car présentant une dépendance lourde avec nécessité d’assistance constante pour les actes de la vie quotidienne. Plus de 420 000 sont classées GIR 4, car elles sont autonomes une fois levées, lavées et habillées. Les groupes 5 et 6 ont été exclus des systèmes d’aide publique à la dépendance. Le tableau 16.3 montre ainsi la répartition des personnes de plus de 60 ans vivant à leur domicile mais aussi en institution. Le vieillissement de la population française va s’accentuer encore d’ici 2050 comme le montre le tableau 16.4. Aujourd’hui la France compte près de huit millions de personnes âgées de plus de 65 ans, près de quatre millions de plus de 75 ans, et 1 200 000 personnes de plus de 85 ans et, si vieillissement n’est pas synonyme de dépendance, le besoin d’aide augmente avec l’âge, puisque si seulement 2 % des personnes âgées de 60 à 70 ans sont dépendantes, plus de 10 % des personnes de plus de 80 ans le sont, et
323
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME 18 % des personnes de plus de 85 ans sont concernées, ainsi que 30 % des personnes ayant dépassé 90 ans. Selon les projections de l’INSEE, la population des 75 ans et plus sera multipliée par deux et demi entre 2000 et 2040, pour atteindre dix millions de personnes, et il devrait y avoir 50 % de personnes dépendantes en plus à cette même date.
324
Selon une étude de la DREES de janvier 2006, 75 % des bénéficiaires de l’APA restent aidés par leurs proches, avec un investissement horaire en moyenne deux fois supérieur à celui des aidants professionnels (tableau 16.5). 68 % reçoivent une aide mixte provenant à la fois de leur entourage et de professionnels. Pour 53 % bénéficiaires recevant l’aide d’une seule personne de leur entourage, cette aide provient d’un enfant, qui, dans 69 % des cas est une fille. L’aide mixte s’avère d’autant plus nécessaire que le niveau de dépendance est élevé. Enfin, 6 % des bénéficiaires de APA en GIR 1 reçoivent l’aide unique de leur entourage, 16 % d’entre eux l’aide des professionnels et enfin, 78 % d’entre eux ont recours aux deux sources d’aide. Les chiffres que nous venons d’énoncer révèlent un contexte épidémiologique désormais connu : le progrès médical dans son ensemble a contribué à l’augmentation de la durée de vie, avec aussi la morbidité qui l’accompagne. La prévalence des maladies chroniques s’accroît, avec pour conséquences des soins techniques de suppléance et une prise en charge au long cours. À ce contexte épidémiologique et médical s’ajoute un contexte socio-économique qui crève les yeux : une logique de désengagement de l’État providence avec une maîtrise voulue (pas toujours obtenue) des dépenses de soins toutes les fois que cela est jugé possible : l’hospitalisation à domicile répond ainsi à cette démarche. Enfin un courant idéologique contribue, à point nommé, à ce mouvement d’ensemble : la recherche d’une meilleure qualité de vie a pour corollaire le
maintien à domicile, le plus longtemps possible, des individus. Ces trois facteurs expliquent la redécouverte un tant soit peu « obligée » de l’entourage du malade et du rôle désormais essentiel qu’il doit jouer. D’invisible qu’il était – aux yeux des professionnels de santé, imbus de leur technisation dominante et disqualifiant de facto la participation familiale à la prise en charge du malade – l’aidant, le proche devient bientôt un maillon-clé du processus de soins. Cette reconnaissance nouvelle tourne parfois carrément à la réquisition, sans que l’entourage puisse exprimer un choix, ou même une crainte devant le contenu souvent très technique qu’implique son engagement auprès du malade. Rassurer les aidants, requalifier leur intervention non professionnelle (par rapport à une norme intériorisée de disqualification) est sans doute le premier pas que doit faire le milieu médical vers les « profanes ». Cette démarche s’intègre dans un partage des savoirs : savoirs médicaux à destination de l’entourage mais aussi savoirs profanes comme ressources à prendre en compte par les professionnels du soin. Enfin, il serait désastreux de n’avoir pas une vision sur le long terme et « d’user » cet entourage en abusant de tant de générosité, d’envie de faire au mieux, d’abnégation aussi indispensables lors de prises en charge lourdes. L’aide aux aidants doit faire partie du processus d’ensemble mis en place pour maintenir le plus longtemps possible les personnes malades à leur domicile, qu’il s’agisse du vieillard dépendant, du malade Alzheimer ou du grand handicapé. De ce point de vue, un rapide tour d’horizon chez nos voisins les plus à la pointe montre que la préoccupation est générale dans les pays développés. En Grande-Bretagne, l’Invalid Care Allowance (ICA) est une allocation servie aux aidants dès lors qu’ils consacrent 35 heures par semaine au moins pour soutenir une personne touchant une pension d’invalidité. Un seuil de ressources est établi, qui doit être inférieur
16 • Pour une approche globale d’une politique de santé publique Tableau 16.5. Type d’aide reçu par les bénéficiaires de l’APA (en %). Aide de l’entourage
Aide des professionnels
Aide mixte
Gir 1
6
16
78
Gir 2
5
20
75
Gir 3
6
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à l’équivalent de 123 euros par semaine. Cet ICA s’élève à 69 euros par semaine, ouvrant des droits à la retraite, sans toutefois qu’après 65 ans cette dernière puisse être cumulée avec une retraite « normale ». Des programmes de « répit aux aidants » ont été financés, concernant tout aidant quel que soit son revenu. Ainsi 159 millions d’euros ont été consacrés au « Carers Special Grant ». Enfin le « Carers Recognition and Services Act » fixe les règles d’évaluation des aides nécessaires aux personnes handicapées ou âgées ainsi que les besoins de conseils et de services aux aidants. Chez les Suédois, les 290 « municipalités » ont chacune la possibilité d’établir leurs propres critères d’éligibilité et le montant de l’aide pécuniaire à destination des aidants. L’allocation mensuelle peut atteindre 550 euros, près de 5 000 personnes bénéficiaient en 2001 de celleci. Une possibilité de salaire, soumis à retenues sociales, existe pour les aidants âgés de moins de 65 ans, avec droit à la retraite et aux congés payés. En 2001, près de 2 200 personnes étaient ainsi salariées par leur municipalité. Chaque citoyen peut par ailleurs s’arrêter de travailler jusqu’à deux mois en bénéficiant de 80 % de son salaire, pour accompagner un membre de la famille en phase terminale de sa maladie. Le gouvernement suédois a établi en 1998 un plan tri-annuel, financé à hauteur de dix millions d’euros chaque année, pour développer des infrastructures locales destinées à offrir aux aidants du conseil, du travail en groupes, des périodes de répit, des informations de toute nature afin de les soutenir dans une démarche individuelle mais pas isolée.
Au Canada enfin, c’est une politique d’exonération d’impôts qui contribue à aider financièrement l’entourage de malades nécessitant des soins continus à domicile. Ainsi un crédit d’impôt de 400 euros environ concerne-t-il les aidants dont le niveau de revenu est inférieur à 14 000 euros par an. L’offre de services tels que préparation des repas, adaptations de l’habitat, répit, diffère selon la province. Ainsi dans le New Brunswick une allocation permet de faire appel à des aidants professionnels et non familiaux. Au Québec, une allocation de 600 dollars par an permet à l’aidant de disposer d’un répit à sa convenance. Le système de santé français offre la particularité d’un découpage de la problématique en fonction de l’âge : • Avant 60 ans, la maladie ou l’accident, pro-
fessionnel ou non, peut entraîner une mise en invalidité avec la pension afférente (50 % du salaire plafonné en cas d’invalidité catégorie II) majorée de 40 % si une tierce personne est nécessaire à l’accomplissement des actes de la vie courante ; • Après 60 ans, les personnes dépendantes bénéficient de l’allocation personnalisée d’autonomie dont le montant est fonction du degré de dépendance et des ressources disponibles. Cette allocation varie de 509 à 1 189 euros par mois. En 2006, plus de 970 000 personnes ont obtenu cette aide financière avec, il faut le noter, de grandes disparités régionales. La prise de conscience d’une optimisation nécessaire de la prise en charge à domicile
325
PARTIE 4 • DU BON USAGE DE LA RÉFORME
326
des personnes âgées dépendantes, des malades chroniques lourds, des handicapés se fait jour. Depuis 2003 (plan Vieillissement et Solidarités) des mesures nouvelles ont été prévues, qui devraient permettre de répondre en partie, mais ce n’est qu’un début, aux défis qui nous sont lancés : développement de centres de répit avec un objectif de 7 000 places, création de places d’hébergement temporaire, développement du nombre de places d’hospitalisation à domicile (avec un objectif de 15 000 en 2010), développement du nombre de place de services de soins infirmiers à domicile (avec un objectif de 232 000 places à l’horizon 2025), création d’un véritable droit au répit pour les aidants familiaux, créations de nouvelles formes de logement (développement des « résidences services », de l’accueil familial, de l’aménagement du domicile), conception de la « nouvelle » maison de retraite de demain, mise en œuvre d’un plan de recrutement et de formation des métiers du grand âge1 . Toutes ces mesures vont dans le bon sens, mais encore une fois, les données démogra-
1. Plan Solidarité Grand Âge, 27 juin 2006.
phiques et épidémiologiques montrent l’ampleur du problème, d’un point de vue éthique et financier. Août 2003 a été le révélateur de ce « manque de proximité » qui a coûté la vie à tant de nos aînés. Cet épisode dramatique a démontré ce que l’on savait déjà depuis fort longtemps : il n’existe pas « d’aidant naturel », c’est la loi, et donc l’organisation sociale, qui détermine les comportements ; les liens affectifs ne suffisent pas : l’aide de l’entourage entre dans un corpus d’obligations et de devoirs. Il résulte de cela une « prescription sociale des attitudes », qui dépend du système parental et de l’organisation économique et sociale du pays. Cette prescription sociale a considérablement faibli et les raisons de cet affaiblissement doivent être analysées. Il y a fort à craindre que l’abord éthique du problème soit insuffisant même si la démarche éthique est « la visée de la vie bonne avec et pour les autres, dans des institutions justes » et si « estime de soi et souci de l’autre ne peuvent se vivre et se penser l’une sans l’autre » (P. Ricoeur).
Postface
L
a entamé sa mue et se réforme en profondeur. Derrière les grandes réformes portées par les lois et les décrets majeurs de ces quatre dernières années, se déclinent une multitude de chantiers complexes, fortement imbriqués les uns avec les autres. Des chantiers peu ou pas médiatiques, qui bousculent les habitudes et les modes de fonctionnement traditionnels et font s’effacer les frontières historiques. E SYSTÈME DE SANTÉ ET DE PROTECTION SOCIALE
1. DES RÉFORMES ? QUELLES RÉFORMES ?
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
L’échange d’informations n’est-il pas devenu un enjeu primordial qui fait peu à peu tomber la logique de silos de la protection sociale à la française ? L’interlocuteur social unique (ISU), pensé et mis en place par le régime social des indépendants, en est l’illustration parfaite. Il en va de même pour les modes de fonctionnement. Les organismes de santé et de protection sociale intègrent peu à peu des termes qui, jusqu’alors, leur étaient étrangers : politique achats, politique de ressources humaines, pilotage de la performance, efficience, tarification à l’activité des actes de soins (T2A), définition d’objectifs stratégiques autour d’un axe missions/moyens/ressources... Ainsi, le ministère de la Santé exige des établissements de santé qu’ils prouvent l’efficience de leurs projets d’investissements au 1er euro pour être éligibles au plan Hôpital 2012. Quant à la CNAMTS, elle entreprend depuis cet automne un vaste chantier de refonte de ses modes de fonctionnement. Dernière mutation profonde : le système de santé repense ses missions et sa raison d’être. Jusqu’ici organisé pour parer, traiter et prendre en charge, le système de santé oriente désormais ses missions vers l’anticipation, la prévention et la régulation.
2. DES CONDITIONS RÉUNIES POUR RÉFORMER Si ce vaste mouvement de réforme est aujourd’hui rendu possible, c’est bien parce que le diagnostic de l’état du secteur de la santé est partagé par tous ses acteurs, comme le montre l’analyse des auteurs du présent ouvrage. Outre ce diagnostic, c’est désormais la cible à atteindre qui est partagée. Les divergences politiques, syndicales et sociales se sont considérablement atténuées depuis cinq ans. Seules restent encore en suspens les questions sur les efforts que chaque acteur (hôpital, Assurance maladie, État) doit faire pour assurer l’effectivité des réformes et la question récurrente du financement. Mais l’essentiel est là. La marche arrière n’est plus envisagée aujourd’hui sur des sujets comme le médecin traitant, la T2A, la coordination ville/hôpital, ou encore la mutualisation des moyens, etc.
LE SYSTÈME DE SANTÉ EN FRANCE Quant à la complexité inhérente au système de santé et de protection sociale, elle est acceptée et traitée comme telle : complexité des organisations, complexité des systèmes d’information associés, complexité juridique et réglementaire, multiplicité des décideurs, cultures fortes et anciennes, statuts des personnels, importance du dialogue avec les partenaires sociaux et déficit collectif d’expériences en matière de réformes d’envergure. Réformer un élément du système de santé revient à faire évoluer chaque pan du système. Cette dimension est de mieux en mieux intégrée aujourd’hui. Pensée et non subie, la complexité inhibe de moins en moins les forces en présence.
3. ET LES CONSULTANTS ? Face à la diversité des impacts de ces réformes sur les organisations et aux nombreuses compétences à mobiliser, l’aide des consultants est bien souvent requise. Les consultants aident à concilier le temps du politique et le temps de l’opérationnel, les réformes se décidant souvent sans la concertation requise avec les opérationnels, que ce soit en amont ou en aval. Il convient alors d’accompagner les acteurs opérationnels à mettre en œuvre ces réformes avec des outils de pilotage et de gestion appropriés, à prendre en compte les impacts d’un projet dans sa globalité et à intégrer la notion de valeur dans leur réflexion.
4. BEARINGPOINT : CONSTRUISONS ENSEMBLE DANS LE TEMPS 328
En mobilisant nos expériences dans des domaines ou secteurs déjà confrontés à de pareilles réformes, nous, BearingPoint, prouvons que le changement est possible s’il est bien préparé et appréhendé dans son ensemble. Nous avons mutualisé les bonnes pratiques qui ont émergé de ces expériences autour de savoir-faire, méthodes et « boîtes à outils ». Cela nous permet non seulement de prendre en compte la complexité pour qu’elle ne soit pas un frein aux réformes, mais aussi d’être les médiateurs qui relativisent les conséquences du changement dans les organisations. Des apports que nous reconnaissent les acteurs du système de santé. Avec ses expériences, son apport d’un pilotage de projet rigoureux, ses méthodologies éprouvées, son écoute attentive des besoins spécifiques du secteur et son expertise technique, BearingPoint accompagne l’appropriation des nouvelles technologies et des nouveaux modes de travail dans le secteur de la santé. Notre place privilégiée auprès des acteurs du système de santé montre chaque jour combien son changement est en marche. Avec un caractère inéluctable qui ne résulte pas de sa soudaineté ou de sa radicalité, mais du soin qui est apporté à le mettre en œuvre dans le temps. Les consultants de BearingPoint ont montré qu’ils ont, dans ce schéma, toute leur place aux côtés des acteurs du système de santé. Hughes VERDIER Vice-président en charge du secteur public, BearingPoint
Compléments 1. L’ASSIETTE DES PRÉLÈVEMENTS SOCIAUX FINANÇANT LE RÉGIME GÉNÉRAL Enjeu pour les ressources du régime général Dispositif
Enjeu pour le régime général (en Md €)
Mesures emploi (non compensées)
2,1
Dispositif d’entreprise
19,8/15,3
Association des salariés au résultat
8,3/6,0
Protection sociale en entreprise
5,1/3,6
Indemnités de départ
3,9/3,2
Salaires affectés
2,5
Populations spécifiques
0,9
Revenus de remplacement et de complément
8,4
Revenus de capitaux mobiliers et fonciers
0,8
Cotisations des employeurs publics
4,6
Montant estimé de certaines exonérations par bénéficiaires
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Mesures
Montant estimé par bénéficiaires (en €)
Stock-options
30 000
Indemnités de mise en retraite
6 000
Indemnités de licenciement
4 000
Prévoyance collective en entreprise
200
Source : Cour des comptes. Recommandations
14. Compléter l’annexe 5 du PLFSS par une évaluation périodique de l’efficacité des différents dispositifs d’exonération des cotisations et contributions sociales au regard des objectifs assignés. 15. Réexaminer ou plafonner les exonérations de cotisations sociales appliquées à la plus-value d’acquisition des stock-options, aux déductions forfaitaires spécifiques dont bénéficient certaines professions et aux avantages de départ en retraite et de licenciement. 16. Aligner les taux et les assiettes des cotisations patronales famille et maladie du secteur public sur ceux du secteur marchand.
LE SYSTÈME DE SANTÉ EN FRANCE
2. LA CHARTE D’OTTAWA Promotion de la santé La promotion de la santé est le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et d’améliorer celle-ci. Cette démarche relève d’un concept définissant la « santé » comme la mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins, et d’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie ; il s’agit d’un concept positif mettant en valeur les ressources sociales et individuelles, ainsi que les capacités physiques. Ainsi donc, la promotion de la santé ne relève pas seulement du secteur sanitaire : elle dépasse les modes de vie sains pour viser le bien-être.
Conditions préalables à la santé
330
Les conditions et ressources préalables sont, en matière de santé : la paix, un abri, de la nourriture et un revenu. Toute amélioration du niveau de santé est nécessairement solidement ancrée dans ces éléments de base. Promouvoir l’idée " Une bonne santé est une ressource majeure pour le progrès social, économique et individuel, tout en constituant un aspect important de la qualité de la vie. Les facteurs politiques, économiques, sociaux, culturels, environnementaux, comportementaux et biologiques peuvent tous intervenir en faveur ou au détriment de la santé. La démarche de promotion de la santé tente de rendre ces conditions favorables par le biais de la promotion des idées. Conférer les moyens " La promotion de la santé vise l’égalité en matière de santé. Ses interventions ont pour but de réduire les écarts actuels caractérisant l’état de santé, et d’offrir à tous les individus les mêmes ressources et possibilités pour réaliser pleinement leur potentiel santé. Cela comprend une solide fondation dans un milieu apportant son soutien, l’information, les aptitudes et les possibilités permettant de faire des choix sains. Les gens ne peuvent réaliser leur potentiel de santé optimal s’ils ne prennent pas en charge les éléments qui détermineront leur état de santé. En outre, cela doit s’appliquer également aux hommes et aux femmes. Servir de médiateur " Seul, le secteur sanitaire ne saurait offrir ces conditions préalables et ces perspectives favorables à la santé. Fait encore plus important, la promotion de la santé exige l’action concertée de tous les intervenants : les gouvernements, le secteur de la santé et les domaines sociaux et économiques connexes, les organismes bénévoles, les autorités régionales et locales, l’industrie et les médias. Les gens de tous milieux interviennent en tant qu’individus, familles et communautés. Les groupements professionnels et sociaux, tout comme les personnels de santé, sont particulièrement responsables de la médiation entre les intérêts divergents, en faveur de la santé. Les programmes et stratégies de promotion de la santé doivent être adaptés aux besoins et possibilités locaux des
pays et régions, et prendre en compte les divers systèmes sociaux, culturels et économiques.
L’intervention en promotion de la santé signifie que l’on doit : Élaborer une politique publique saine " La promotion de la santé va bien au-delà des soins. Elle inscrit la santé à l’ordre du jour des responsables politiques des divers secteurs en les éclairant sur les conséquences que leurs décisions peuvent avoir sur la santé, et en leur faisant admettre leur responsabilité à cet égard. Une politique de promotion de la santé combine des méthodes différentes mais complémentaires, et notamment : la législation, les mesures fiscales, la taxation et les changements organisationnels. Il s’agit d’une action coordonnée qui conduit à la santé, et de politiques fiscales et sociales favorisant une plus forte égalité. L’action commune permet d’offrir des biens et services plus sains et moins dangereux, des services publics favorisant davantage la santé, et des milieux plus hygiéniques et plus plaisants. La politique de promotion de la santé suppose l’identification des obstacles gênant l’adoption des politiques publiques saines dans les secteurs non sanitaires, ainsi que la détermination des solutions. Le but doit être de rendre les choix sains les plus faciles pour les auteurs des politiques également. Créer des milieux favorables " Nos sociétés sont complexes et interreliées, et l’on ne peut séparer la santé des autres objectifs. Le lien qui unit de façon inextricable les individus et leur milieu constitue la base d’une approche socio-écologique de la santé. Le grand principe directeur menant le monde, les régions, les nations et les communautés est le besoin d’encourager les soins naturels, de veiller les uns sur les autres, de nos communautés et de notre milieu naturel. Il faut attirer l’attention sur la conservation des ressources naturelles en tant que responsabilité mondiale. L’évolution des schémas de la vie, du travail et des loisirs doit être une source de santé pour la population, et la façon dont la société organise le travail doit permettre de la rendre plus saine. La promotion de la santé engendre des conditions de vie et de travail sûres, stimulantes, plaisantes et agréables. L’évaluation systématique des effets du milieu sur la santé et plus particulièrement dans les domaines de la technologie, de l’énergie et de l’urbanisation, qui évoluent rapidement est indispensable ; de plus, elle doit être suivie d’une intervention garantissant le caractère positif de ces effets. La protection des milieux naturels et artificiels et la conservation des ressources naturelles doivent recevoir une attention majeure dans toute stratégie de promotion de la santé. Renforcer l’action communautaire " La promotion de la santé procède de la participation effective et concrète de la communauté à la fixation des priorités, à la prise des décisions et à l’élaboration des stratégies de planification, pour atteindre un meilleur niveau de santé.
Compléments La promotion de la santé puise dans les ressources humaines et physiques de la communauté pour stimuler l’indépendance de l’individu et le soutien social, et pour instaurer des systèmes souples susceptibles de renforcer la participation et le contrôle du public dans les questions sanitaires. Cela exige l’accès illimité et permanent aux informations sur la santé, aux possibilités de santé et à l’aide financière. Acquérir des aptitudes individuelles " La promotion de la santé soutient le développement individuel et social en offrant des informations, en assurant l’éducation pour la santé et en perfectionnant les aptitudes indispensables à la vie. Ce faisant, elle permet aux gens d’exercer un plus grand contrôle sur leur propre santé, et de faire des choix favorables à celle-ci. Il est crucial de permettre aux gens d’apprendre pendant toute leur vie et de se préparer à affronter les diverses étapes de cette dernière. Cette démarche doit être accomplie à l’école, dans les foyers, au travail et dans le cadre communautaire, par les organismes professionnels, commerciaux et bénévoles, et dans les institutions elles-mêmes.
Réorienter les services de santé " Dans le cadre des services de santé, la tâche de promotion est partagée entre les particuliers, les groupes communautaires, et les professionnels de la santé, les institutions offrant les services et les gouvernements. Tous doivent œuvrer ensemble à la création d’un système de soins servant les intérêts de la santé. Le rôle du secteur sanitaire doit abonder de plus en plus dans le sens de la promotion de la santé, au-delà du mandat exigeant la prestation des soins médicaux. Ce secteur doit se doter d’un nouveau mandat comprenant le plaidoyer pour une politique sanitaire multisectorielle, ainsi que le soutien des individus et des groupes dans l’expression de leurs besoins de santé et dans l’adoption de modes de vie sains. La réorganisation des services de santé exige également une attention accrue à l’égard de la recherche sanitaire, ainsi que des changements au niveau de l’éducation et de la formation professionnelle. Ceci doit mener à un changement d’attitude et d’organisation au sein des services de santé, recentrés sur l’ensemble des besoins de l’individu perçu globalement.
3. LES 100 OBJECTIFS DE SANTÉ PUBLIQUE ET INDICATEURS ISSUS DE LA LOI DU 9 AOÛT 2004
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
OBJECTIFS Alcool Diminuer la consommation annuelle d’alcool par habitant de 20 % entre 1999 et 2008 Réduire la prévalence de l’usage à risque ou nocif de l’alcool
Tabac Abaisser la prévalence du tabagisme de 33 à 25 % chez les hommes et de 26 à 20 % chez les femmes d’ici à 2008
Réduire le tabagisme passif dans les établissements scolaires, les lieux de loisirs et l’environnement professionnel
Nutrition et activité physique Réduire de 20 % la prévalence du surpoids et de l’obésité chez les adultes
INDICATEUR(S) Principal : consommation d’alcool pur par habitant âgé de 15 ans et plus Principal : prévalence déclarée des consommations excessives d’alcool dans l’année (18 ans et plus) Complémentaire : prévalences des consommations d’alcool et des ivresses régulières par les jeunes de 17 et 18 ans Principaux : – prévalence déclarée des fumeurs quotidiens (15-75 ans) – prévalence du tabagisme quotidien chez les jeunes – Âge moyen d’entrée dans l’usage et dans le tabagisme quotidien à 18 ans Complémentaire : prévalence du tabagisme pendant la grossesse Principal : proportion d’établissements scolaires où l’usage du tabac est effectivement prohibé ou qui limitent la consommation de tabac à des espaces réservés et convenablement ventilés Complémentaires : – pourcentage de personnes déclarant être exposées au tabac en milieu professionnel – pourcentage d’adolescents qui déclarent fumer dans leur établissement scolaire Prévalence de la surcharge pondérale en population adulte (par l’indice de masse corporelle)
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LE SYSTÈME DE SANTÉ EN FRANCE
Réduire la fréquence de la déficience en iode au niveau de celle des pays qui en ont une maîtrise efficace (Grande-Bretagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Suisse), réduire la fréquence des goitres Diminuer la prévalence de l’anémie ferriprive Disparition du rachitisme carentiel, carence en vitamine D Faire baisser la sédentarité et l’inactivité physique chez les hommes et les femmes d’ici 2008
Réduire le nombre de petits consommateurs de fruits et légumes d’au moins 25 %
Réduire l’excès de sel dans l’alimentation Interrompre la croissance de la prévalence du surpoids et de l’obésité chez l’enfant
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Folates dans l’alimentation : diminuer l’incidence des anomalies de fermeture du tube neural Santé et travail Réduire les accidents routiers mortels liés au travail Réduire de 20 % le nombre de travailleurs exposés à des contraintes articulaires plus de 20 heures par semaine
Réduire le nombre de travailleurs soumis à un bruit de plus de 85 dB A plus de 20 heures par semaine
Réduire les effets sur la santé des travailleurs des expositions aux agents cancérogènes par diminution des niveaux d’exposition Santé et environnement Réduire de 50 % la prévalence des enfants ayant une plombémie > 100 µg/L
Diminuer l’exposition au radon dans les établissements d’enseignement et les établissements sanitaires et sociaux en dessous de 400 Bq/m3
Principal : nombre et taux d’hospitalisations des moins de 25 ans en médecine-chirurgie-obstétrique pour rachitisme évolutif Principal : proportion de personnes qui déclarent comme activité physique, au moins l’équivalent de 30 minutes de marche rapide par jour parmi les personnes interrogées Complémentaire : proportion de personnes qui déclarent avoir pratiqué une activité physique la veille (marche à pied ou activité sportive) parmi les personnes interrogées Complémentaires : – proportion de personnes déclarant avoir consommé moins de 5 et moins de 3 portions de fruits ou légumes la veille – achats de fruits et légumes par personne et par an Complémentaire : consommation moyenne de sel dans la population estimée par enquête de consommation alimentaire (méthode validée par rapport à la natriurèse de 24 heures) Principal : prévalences de la surcharge pondérale et de l’obésité en grande section de maternelle, CM2 et troisième Complémentaire : prévalences de la surcharge pondérale et de l’obésité en CE1 et CE2
Principal : nombre d’accidents routiers mortels liés au travail (accidents de mission et accidents de trajet) Principal : pourcentage de travailleurs exposés à des contraintes articulaires plus de 20 heures par semaine Complémentaire : pourcentage de travailleurs déclarant être exposés à des postures pénibles ou fatigantes à la longue durant le travail Principal : pourcentage de travailleurs exposés à un bruit de niveau sonore supérieur à 85 dB A plus de 20 heures par semaine sans disposer de protections auditives Complémentaire : pourcentage de travailleurs déclarant être exposés à un bruit intense en milieu professionnel Principal : pourcentage de personnes exposées aux agents cancérogènes (catégories 1 et 2) par secteur d’activité et par type de substance pour les 7 principales substances cancérogènes Principal : proportion d’enfants de 1 à 6 ans ayant une plombémie supérieure ou égale à 100 µg/L en population générale Approchés : – nombre d’enfants dépistés pour le saturnisme – proportion d’enfants ayant une plombémie supérieure ou égale à 100 µg/L parmi ceux qui ont été dépistés Principal : pourcentage d’établissements scolaires et autres (sanitaires et sociaux) ayant des taux de radon supérieurs à 400 Bq/m3 parmi ceux des 31 départements considérés comme prioritaires
Compléments
Réduire l’exposition de la population aux polluants atmosphériques : respecter les valeurs européennes
Réduire l’exposition de la population aux polluants atmosphériques : réduire les rejets atmosphériques Diviser par deux d’ici 2008 le pourcentage de la population alimentée par une eau de distribution publique dont les limites de qualité ne sont pas respectées pour les paramètres microbiologiques et pesticides
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Réduire de 30 % d’ici 2008 le risque de mortalité par intoxication au monoxyde de carbone Bruit : réduire les niveaux de bruit entraînant des nuisances sonores quelles que soient leurs sources Réduire de 50 % l’incidence des légionelloses d’ici 2008
Iatrogénie Réduire le pourcentage de séjours hospitaliers au cours desquels survient un événement iatrogène de 10 à 7 % d’ici 2008 Réduire la fréquence des événements iatrogènes d’origine médicamenteuse survenant en ambulatoire et entraînant une hospitalisation à moins de 90 000 d’ici 2008 Réduire d’un tiers la part « évitable » des événements indésirables graves (EIG) liés aux soins
Réduire les doses d’irradiation individuelles et collectives liées aux expositions médicales à visée diagnostique, en renforçant la justification des indications et l’optimisation des pratiques
Complémentaires : – taux de couverture du programme de détection : pourcentage d’établissements où les mesures de radon ont été faites dans un programme de détection parmi les établissements du département – impact du traitement sur les établissements : pourcentage d’établissements dont les taux de radon sont descendus en dessous des valeurs seuils parmi ceux qui ont été détectés avec des valeurs supérieures au seuil Principaux : – concentrations moyennes annuelles en particules PM10, Nox, SO2, O3 dans l’air ambiant – fréquence de dépassement des seuils légaux (1 mesure par polluant) – nombre de personnes exposées à des dépassements de seuils réglementaires pour les polluants majeurs (NO2 et ozone) – évaluation de l’impact sanitaire à court terme dans les villes de plus de 100 000 habitants où les niveaux d’exposition aux polluants atmosphériques sont mesurés
Principaux : – proportion de la population alimentée par de l’eau non conforme pour les paramètres microbiologiques estimée par le rapport de la population ayant été alimentée par de l’eau non conforme pour les paramètres microbiologiques sur la population alimentée par de l’eau ayant fait l’objet d’un contrôle sanitaire – proportion de la population alimentée par de l’eau non conforme pour les pesticides estimée à partir des informations fournies par les DDASS Principal : nombre de décès, taux brut et taux standardisé de mortalité par intoxication au monoxyde de carbone (CO)
Principal : nombre de nouveaux cas de légionelloses ayant fait l’objet d’une déclaration obligatoire Complémentaire : nombre de décès et taux de mortalité par légionellose Approché : densité d’incidence par jour d’hospitalisation des événements indésirables liés aux soins observés dans les établissements de santé Principal : fréquence et proportion des admissions hospitalières causées par des effets indésirables graves médicamenteux Principaux : – densité d’incidence par jour d’hospitalisation des événements indésirables graves (EIG) liés aux soins évitables en cours d’hospitalisation – proportion d’événements évitables parmi les EIG survenus en cours d’hospitalisation – proportion d’hospitalisations causées par un EIG évitable parmi les hospitalisations causées par un EIG
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LE SYSTÈME DE SANTÉ EN FRANCE
Résistance aux antibiotiques Diminuer la résistance aux antibiotiques
Douleur Prévenir la douleur d’intensité modérée et sévère dans au moins 75 % des cas où les moyens techniques actuellement disponibles permettent de le faire, notamment en post-opératoire, pour les patients cancéreux, et lors de la prise en charge diagnostique ou thérapeutique des enfants Réduire l’intensité et la durée des épisodes douloureux chez les patients présentant des douleurs chroniques rebelles, chez les personnes âgées et dans les situations de fin de vie
334 Précarité et inégalités Réduire les obstacles financiers d’accès aux soins pour les personnes dont le revenu est un peu supérieur au seuil ouvrant droit à la CMU Réduire les inégalités devant la maladie et la mort par une augmentation de l’espérance de vie des groupes confrontés aux situations précaires Déficiences et handicaps Réduire les restrictions d’activité induites par des limitations fonctionnelles Maladies infectieuses Réduire l’incidence des cas de sida à 2,4 pour 100 000 en 2008
Hépatites : réduire de 30 % la mortalité attribuable aux hépatites chroniques
Résistance des pneumocoques aux antibiotiques : Principal : incidence des méningites à pneumocoques de sensibilité diminuée à la pénicilline Complémentaire : proportion de souches de pneumocoques isolées d’infections invasives en fonction de leur sensibilité à différents antibiotiques Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) Principal : taux d’incidence des infections à Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) pour 1 000 journées d’hospitalisation Complémentaires : – Proportion de souches hospitalières de Staphylococcus auerus résistant à la méticilline – Prévalence des infections hospitalières à SARM Consommation antibiotique en santé humaine Principal : consommation d’antibiotique en santé humaine : ventes
Approchés : – proportion des personnes déclarant une douleur physique d’intensité modérée, grande ou très grande au cours des 4 dernières semaines et/ou qui déclarent que leurs douleurs physiques les ont limitées moyennement, beaucoup ou énormément dans leur travail ou dans leurs activités domestiques – proportion de personnes déclarant souffrir fréquemment de douleurs importantes ou très importantes Principal : proportion de personnes qui ont renoncé à des soins optiques ou dentaires au cours des 12 derniers mois
Principaux : – incidence des cas de sida – incidence des nouveaux diagnostics d’infection VIH Complémentaires : – proportion de personnes diagnostiquées au stade sida non dépistées ou non traitées auparavant – proportion d’infections récentes parmi des nouveaux diagnostics d’infection VIH
Compléments
Stabiliser l’incidence de la tuberculose en renforçant la stratégie de lutte sur les groupes et zones à risque
Améliorer la couverture vaccinale contre la grippe et atteindre au moins 75 % dans tous les groupes cibles (personnes souffrant d’une ALD, professionnels de santé, personnes âgées)
Réduire d’ici à 2008 la mortalité attribuable aux maladies infectieuses intestinales chez les enfants de moins de 1 an et chez les personnes de plus de 65 ans Réduire l’incidence des gonococcies et de la syphilis dans les populations à risque ainsi que la prévalence des chlamydioses et de l’infection à HSV2
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Atteindre ou maintenir un taux de couverture vaccinale d’au moins 95 % aux âges appropriés en 2008
Infections sexuellement transmissibles : offrir un dépistage systématique des clamydioses à 100 % des femmes à risque d’ici 2008 Santé maternelle et périnatale Atteindre un taux de mortalité maternelle inférieur à 5 pour 100 000 d’ici 2008
Réduire la mortalité périnatale de 15 % en 2008, soit 5,5 pour 1 000
Diminuer le taux de complications des grossesses extra-utérines responsables d’infertilité
Principal : nombre de nouveaux cas de tuberculose déclarés par an, et répartition par âge, sexe et résidence Complémentaires : – nombre de nouveaux cas de tuberculose admis en ALD – nombre de patients atteints de tuberculose bénéficiaires d’un traitement antituberculeux Principaux : – taux de vaccination contre la grippe des personnes âgées de 65 ans ou plus – taux de vaccination contre la grippe des personnes de moins de 65 ans ayant une des 9 ALD donnant lieu à une prise en charge à 100 % de la vaccination Complémentaire : proportion de professionnels du secteur sanitaire ou social déclarant avoir été vacciné contre la grippe Principal : taux de mortalité par maladies infectieuses intestinales
Principaux : – nombre de gonocoques isolés par an et par laboratoire actif – nombre de diagnostics de syphilis déclarés par les centres volontaires – nombre de Chlamydiae trachomatis identifiés par an et par laboratoire participant Secondaire : nombre de boîtes d’Extencillinevendues Principaux : – couverture vaccinale des enfants âgés de 24 mois : pourcentage d’enfants à jour des vaccinations contre la tuberculose (BCG), la diphtérie (D), le tétanos (T), la poliomyélite (P), la coqueluche (C), haemophilus influenzae B (Hib), l’hépatite B (VHB), la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) – couverture vaccinale des enfants âgés de 6 ans : pourcentage d’enfants à jour des vaccinations BCG et contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) – couverture vaccinale des adolescents en classe de troisième : pourcentage d’adolescents à jour des vaccinations contre la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la coqueluche, haemophilus influenzae, l’hépatite B, la rougeole, les oreillons et la rubéole – couverture vaccinale des adultes : pourcentage d’adultes à jour de leur vaccination tétanos et poliomyélite Complémentaire : données de ventes des différents vaccins
Principal : taux de mortalité maternelle pour 100 000 naissances vivantes Complémentaire : nombre et proportion de décès maternels jugés évitables Principaux : – taux de mortalité périnatale – taux de mortinatalité – taux de mortalité néonatale Complémentaire : taux de mortalité infantile Principal : nombre et taux d’incidence des grossesses extra-utérines (ratio pour 100 naissances vivantes)
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LE SYSTÈME DE SANTÉ EN FRANCE
Réduire la fréquence des situations périnatales à l’origine de handicaps à long terme
Tumeurs malignes Poursuivre la baisse de l’incidence de 2,5 % par an du cancer du col de l’utérus, notamment par l’atteinte d’un taux de couverture du dépistage de 80 % pour les femmes de 25 à 65 ans et l’utilisation du test HPV
Toutes tumeurs malignes : contribuer à l’amélioration de la survie des patients atteints de tumeurs, notamment en assurant une prise en charge multidisciplinaire et coordonnée pour 100 % des patients Réduire le pourcentage de cancers du sein à un stade avancé parmi les cancers dépistés, notamment par l’atteinte d’un taux de couverture du dépistage d’au moins 80 % chez les femmes de 50 à 74 ans
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Améliorer les conditions de détection précoce du mélanome Cancer de la thyroïde : renforcer la surveillance épidémiologique nationale des cancers thyroïdiens Cancer colo-rectal : définir d’ici 2008 une stratégie nationale de dépistage Pathologies endocriniennes Améliorer la surveillance médicale de l’ensemble des diabétiques afin de réduire la fréquence des complications envisagées dans l’objectif 55
Réduire la fréquence et la gravité des complications du diabète, et notamment les complications cardiovasculaires
Principaux : – fréquence et distribution de la prématurité – fréquence et distribution des petits poids à la naissance Complémentaire : distribution des scores d’APGAR à 5 minutes Principaux : – incidence du cancer du col de l’utérus – taux de couverture du dépistage par frottis cervico-vaginal entre 25 et 65 ans Complémentaires : – nombre annuel de frottis réalisés en médecine libérale chez les femmes de 25 à 65 ans – proportion de femmes de 25 à 65 ans ayant déclaré avoir eu un frottis du col de l’utérus dans les trois années précédentes
Principal : stades au diagnostic pour le dépistage organisé du cancer du sein Complémentaires : – taux de participation au programme organisé de dépistage – proportion de femmes de 50 à 74 ans déclarant avoir passé une mammographie de dépistage dans les deux années précédentes (dépistage organisé et spontané) Principal : proportion de mélanomes dépistés à un stade précoce (indice de Breslow)
De contexte : prévalence du diabète Principaux : proportion de personnes diabétiques ayant eu dans l’année un suivi selon les examens complémentaires recommandés Complémentaire : contrôle du risque vasculaire : niveaux d’HbA1c, de LDL cholestérol et de pression artérielle Principaux : – prévalence et incidence de chacune des complications suivantes chez les personnes présentant un diabète : infarctus du myocarde, cécité, insuffisance rénale chronique terminale, amputation, mal perforant plantaire et traitement par laser ophtalmologique – hospitalisations de personnes diabétiques pour amputation ou plaie du pied – nombre de patients diabétiques entrant en insuffisance rénale chronique terminale Complémentaire : nombre et taux de décès ayant pour cause un diabète, et âgé moyen du décès
Compléments
Affections neuropsychiatriques Toxicomanie : maintenir l’incidence des séroconversions VIH à la baisse chez les usagers de drogues et amorcer une baisse de l’incidence du VHC (virus de l’hépatite C)
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Psychoses délirantes chroniques : diminuer de 10 % le nombre de psychotiques chroniques en situation de précarité Toxicomanie : poursuivre l’amélioration de la prise en charge des usagers dépendants des opiacés et des poly-consommateurs
Troubles bipolaires, dépressifs et névrotiques : diminuer de 20 % le nombre de personnes présentant des troubles bipolaires, dépressifs ou névrotiques non reconnus Troubles bipolaires, dépressifs et névrotiques : augmenter de 20 % le nombre de personnes présentant des troubles bipolaires, dépressifs ou névrotiques et anxieux qui sont soignés conformément aux recommandations de bonne pratique clinique Psychoses délirantes chroniques, troubles bipolaires, troubles dépressifs, troubles névrotiques et anxieux : réduire la marginalisation sociale et la stigmatisation des personnes atteintes de troubles psychiatriques qui sont en elles-mêmes des facteurs d’aggravation Épilepsie : prévenir les limitations cognitives et leurs conséquences chez les enfants souffrant d’une épilepsie Maladie d’Alzheimer : limiter la perte d’autonomie des personnes malades et son retentissement sur les proches des patients Maladie de Parkinson : retarder la survenue des limitations fonctionnelles et des restrictions d’activité sévères chez les personnes atteintes Sclérose en plaque : pallier les limitations fonctionnelles induites par la maladie Maladies des organes des sens Dépister et traiter conformément aux recommandations en vigueur 80 % des affections systémiques induisant des complications ophtalmologiques Atteintes sensorielles chez l’enfant : assurer un dépistage et une prise en charge précoces de l’ensemble des atteintes sensorielles de l’enfant
Principaux : – nombre (et proportion) de nouveaux diagnostics d’infection à VIH chez les usagers de drogues injectables – prévalence du VHC parmi les usagers de drogues (opiacés, cocaïne) âgés de moins de 25 ans ayant recours aux différentes structures de prise en charge
Principal : nombre de patients sous traitement de substitution et proportion de patients sous Méthadone Complémentaire : proportion d’établissements pénitentiaires dans lesquels les traitements de substitution par la Méthadone sont accessibles
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LE SYSTÈME DE SANTÉ EN FRANCE
Réduire la fréquence des troubles de la vision et des pathologies auditives méconnues, assurer un dépistage et une prise en charge précoce et prévenir les limitations fonctionnelles et restrictions d’activité associées et leurs conséquences
Maladies cardio-vasculaires Réduction de 13 % de la mortalité associée aux maladies cardio-vasculaires : cardiopathies ischémiques, thromboses veineuses profondes
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Hypercholestérolémie : réduire de 5 % la cholestérolémie moyenne dans la population adulte dans le cadre d’une prévention globale du risque cardiovasculaire d’ici 2008 Hypertension artérielle : réduire de 2 à 3 mm Hg la pression artérielle systolique de la population française d’ici 2008 Réduire la fréquence et la sévérité des séquelles fonctionnelles associées aux accidents vasculaires cérébraux (AVC) Insuffisance cardiaque : diminuer la mortalité et la fréquence des décompensations aiguës des personnes atteintes d’insuffisance cardiaque Affections des voies respiratoires Réduire de 20 % la fréquence des crises d’asthme nécessitant une hospitalisation d’ici 2008
Principaux : – prévalence des difficultés déclarées de vision de près sans lunettes, lentilles de contact ou autre appareillage spécifique – proportion de personnes qui déclarent avoir accès à un appareillage spécifique efficace parmi celles qui déclarent présenter des difficultés de vision de près – prévalence des difficultés déclarées de vision de loin sans lunettes, lentilles de contact ou autre appareillage spécifique – proportion de personnes qui déclarent avoir accès à un appareillage efficace parmi celles qui déclarent présenter des difficultés de loin – prévalence des difficultés d’audition sans appareillage spécifique – proportion de personnes qui déclarent avoir accès à un appareillage efficace parmi celles qui déclarent présenter des troubles de l’audition Principaux : – effectifs et taux de décès par cardiopathies ischémiques en population générale – effectifs et taux de décès par thromboses veineuses et embolies pulmonaires en population générale
Approché : nombre et taux d’hospitalisation en MCO pour accidents vasculaires cérébraux (codes CIM10 I60 à I66) Complémentaire : décès par maladies cérébro-vasculaires
Principal : taux d’hospitalisation pour asthme (séjours pour asthme, séjours pour insuffisance respiratoire aiguë associée à un asthme) Complémentaire : mortalité par asthme
Broncho-pneumopathie chronique obstructive : réduire les limitations fonctionnelles et les restrictions d’activité liées à la BPCO et ses conséquences sur la qualité de vie Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin Réduire le retentissement des MICI (maladies Complémentaires : inflammatoires chroniques de l’intestin), sur la – proportion de patients hospitalisés et, le cas échéant, durée qualité de vie des personnes atteintes, totale moyenne de séjour notamment les plus sévèrement atteintes – interventions chirurgicales mutilantes Pathologies gynécologiques Endométriose : augmenter la proportion de traitements conservateurs Réduire, chez les femmes, la fréquence et les Principal : proportion de femmes déclarant l’existence « de perte conséquences de l’incontinence urinaire involontaire d’urine » depuis moins d’un an et plus d’un an Pathologies mammaires bénignes chez la femme : réduire le retentissement des pathologies mammaires bénignes sur la santé et la qualité de vie des femmes
Compléments
Insuffisance rénale chronique Stabiliser d’ici 2008 l’incidence de l’insuffisance rénale chronique terminale
Réduire le retentissement de l’insuffisance rénale chronique sur la qualité de vie des personnes atteintes, en particulier celles sous dialyse
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
Troubles muculo-squelettiques Ostéoporose : réduire l’incidence des fractures de l’extrémité supérieure du fémur Polyarthrite rhumatoïde : réduire les limitations fonctionnelles et les incapacités induites par la polyarthrite rhumatoïde Spondylarthropathies : réduire les limitations fonctionnelles et les incapacités induites par les spondylarthropathies Arthrose : réduire les limitations fonctionnelles et les incapacités induites Lombalgies : réduire de 20 % en population générale la fréquence des lombalgies entraînant une limitation fonctionnelle d’ici 2008 Arthrose : améliorer la qualité de vie des personnes atteintes d’arthrose Affections d’origine anténatale Réduire la mortalité et améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de drépanocytose Améliorer l’accès à un dépistage et à un diagnostic anténatal, au traitement et à la prise en charge Maladies rares Assurer l’équité pour l’accès au diagnostic, au traitement et à la prise en charge Affections bucco-dentaires Réduire de 30 % d’ici 2008 l’indice CAO mixte moyen (valeur estimée) à l’âge de 6 ans et l’indice CAO moyen à l’âge de 12 ans Traumatismes Passer à moins de 10 000 décès par suicide par an Réduire de 50 % la mortalité par accidents de la vie courante des enfants de moins de 14 ans d’ici 2008 Réduire fortement, en tendance régulière et permanente, le nombre de décès et de séquelles lourdes secondaires à un traumatisme par accident de la circulation d’ici 2008
Traumatismes intentionnels dans l’enfance : définition d’actions de santé publique efficaces
Principaux : – nombre de nouveaux patients pris en charge en dialyse et nombre de patients ayant bénéficié d’une greffe préemptive – nombre de personnes nouvellement admises en ALD 19 (code CIM 10 N18.0) Complémentaires : – temps d’accès moyen au centre de dialyse – durée médiane d’attente avant greffe Principal : taux de séjours pour fractures de l’extrémité supérieure du fémur chez les personnes de 65 ans et plus (taux bruts et standardisés sur la population européenne de 65 ans et plus)
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Principaux : – nombre et taux de décès par suicide en population générale – part de chaque mode de suicide parmi les décès par suicide Principal : taux de mortalité par accident de la vie courante chez les enfants de moins de 15 ans Complémentaire : taux de mortalité par type d’accidents de la vie courante chez les enfants de moins de 15 ans Principal : taux de mortalité à 30 jours après accident de la route Complémentaires : – taux de mortalité après accident de la route – taux d’hospitalisation de six jours ou plus après accident de la route – fréquence des traumatismes responsables d’au moins une lésion IIS 3
LE SYSTÈME DE SANTÉ EN FRANCE
Problèmes de santé spécifiques à des groupes de population Amélioration du dépistage de la prise en charge des troubles du langage oral et écrit Assurer l’accès à une contraception adaptée, à la Principaux : contraception d’urgence et à l’IVG dans de – fréquence et répartition des méthodes contraceptives utilisées et bonnes conditions à toutes les femmes qui du recours à la contraception d’urgence par les femmes de 15 à décident d’y avoir recours 49 ans ayant des relations sexuelles et souhaitant éviter une grossesse – taux d’incidence des IVG – distribution des délais de prise de rendez-vous d’IVG Complémentaire : vente de contraceptifs utilisés en contraception d’urgence Dénutrition du sujet âgé : réduire de 20 % le nombre de personnes âgées de plus de 70 ans dénutries Réduire d’ici 2008 de 25 % le nombre de chutes, Principaux : dans l’année, des personnes de plus de 65 ans – incidence annuelle des chutes ayant entraîné une hospitalisation chez les personnes âgées de 65 ans et plus – incidence annuelle des chutes déclarées chez les personnes âgées de 65 à 75 ans Complémentaire : taux de mortalité par chute chez les personnes âgées de 65 ans et plus Consommation médicamenteuse chez le sujet âgé : réduire la fréquence des prescriptions inadaptées chez les personnes âgées Source : DREES, « L’état de santé de la population en France en 2006. Indicateurs associés à la politique de santé publique ».
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Sigles AAH Allocation adulte handicapé APA Allocation personnalisée d’autonomie ACBUS Accord de bon usage des soins ACTP Allocation compensatrice tierce personne AFNOR Association française de normalisation AFSSA Agence française de sécurité sanitaire des aliments AFSSAPS Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé AFSSET Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail
Dunod – La photocopie non autorisée est un délit
AINS Anti-inflammatoire non stéroïdiens ALD Affection de longue durée AMC Assurance maladie complémentaire AMCB Assurance maladie complémentaire de base AMM Autorisation de mise sur le Marché AMO Assurance maladie obligatoire
ANAES Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé
CHSCT Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail
ANDEM Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale
CHU Centre hospitalier universitaire
APA Allocation personnalisée d’autonomie ANS Agence nationale de santé ARH Agence régionale d’hospitalisation ARS Agence régionale de santé ASMR Amélioration du service médical rendu AT/MP Accident du travail/maladie professionnelle CADES Caisse d’amortissement de la dette sociale CDAPH Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées CDES Commission départementale d’éducation spécialisée CE Conseil exécutif CEPS Comité économique des produits de santé CSG Contribution sociale généralisée CHR Centre hospitalier régional
CIM 10 Classification internationale des maladies version 10 CISS-RA Collectif interassociatif sur la santé Rhône-Alpes CIT Carte d’identité des tumeurs CLCC Centre de lutte contre le cancer CLIS Classe d’intégration scolaire CMC Catégories majeures cliniques CME Commission médicale d’établissement CMG Couverture maladie généralisée CMU Couverture maladie universelle CMUC Couverture maladie universelle complémentaire CNAM Conservatoire national des arts et métiers CNAMTS Caisse nationale d’Assurance maladie des travailleurs salariés
CNSA Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie CNIL Commission nationale de l’informatique et des libertés CNPH Comité national consultatif des personnes handicapées COE Conseil d’orientation pour l’emploi COTOREP Commission d’orientation technique et de reclassement professionnel CPH Prestation de compensation du handicap CPOM Contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens CRAM Caisse régionale d’Assurance maladie CRDS Contribution au remboursement de la dette sociale CREDES Centre de recherche, d’études et de documentation en économie de la santé CRS Conférence régionale de santé CSG Contributio